tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/genre-22050/articlesgenre – The Conversation2024-03-28T16:37:23Ztag:theconversation.com,2011:article/2220412024-03-28T16:37:23Z2024-03-28T16:37:23Z« Transfuges de sexe » : un autre genre de mobilité sociale<p>Les transfuges de classe intriguent, fascinent même parfois. Leurs récits rencontrent un <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/trahir_et_venger-9782348082610">succès littéraire</a> exponentiel, en particulier ceux qui retracent des parcours d’ascension. Le fait d’échapper à un destin social qui semblait écrit représente pour beaucoup une énigme.</p>
<p>C’est aussi le cas parmi les sociologues. Dans cette discipline, les <a href="https://www.cairn.info/la-mobilite-sociale--9782707126191.htm">études sur la mobilité sociale</a> sont déjà anciennes. Elles se sont d’abord développées à partir de méthodes statistiques mesurant la mobilité d’une génération à l’autre, avant de s’étendre à des approches portant sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2016-2-page-7.htm">mobilités en train de se faire</a> à l’échelle biographique et sur les conditions qui, contre toute attente, les rendent possibles et vivables. Cet objet est devenu central en sociologie de la classe. Il n’en est pas de même dans la sociologie du genre et de la sexualité.</p>
<h2>Penser la mobilité de genre</h2>
<p>Les travaux qui mobilisent la notion de « transfuge de sexe » se comptent sur les doigts d’une main. On trouve toutefois deux occurrences notoires de ces termes en études féministes : la première, en 1980, sous la plume de la philosophe <a href="https://www.jstor.org/stable/40619199">Monique Wittig</a> à propos des lesbiennes, et la seconde, dix ans plus tard, chez les sociologues <a href="https://www.persee.fr/doc/forem_0759-6340_1990_num_29_1_1371">Anne-Marie Daune-Richard et Catherine Marry</a> à propos de jeunes femmes dans des formations scolaires « masculines ».</p>
<p>Dans les études trans’ – un champ académique <a href="https://www.annualreviews.org/content/journals/10.1146/annurev-soc-060116-053348">dont le développement est actuellement spectaculaire</a> – en revanche, cette approche ne semble pas avoir été explorée, et ce malgré l’évident déplacement que constitue le fait de changer de genre. Parce que contrairement à la classe, le sexe est encore souvent conçu comme une <a href="https://www.google.fr/books/edition/_/BOgZAAAAIAAJ?hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjnpuXnx5aEAxUaTaQEHYS4BI0Q8fIDegQIGRAJ">évidence de la nature</a>, l’existence même d’une telle traversée demeure largement impensée.</p>
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<figcaption><span class="caption">Liberté, égalité… identité ? Être transgenre en France. France 24.</span></figcaption>
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<p>Les trans’ sont généralement considéré·e·s comme une « minorité de genre » (comme une population minorisée en raison de sa trajectoire de genre), de manière analogue aux « minorités sexuelles ». Iels se trouvent ainsi accolé·e·s aux LGB (lesbiennes, gays, bi.es) dans l’acronyme LGBT.</p>
<p>Or, sous bien des aspects, les vies des trans’ ressemblent aussi à celles des personnes qui ont quitté leur milieu social d’origine. Iels sont en quelque sorte des transfuges, mais des transfuges particuliers, car iels sont stigmatis·é·e·s, discriminé·e·s et violenté.e·s du fait même de leur mobilité.</p>
<p>Étudier les trans’ (autrement dit, les personnes qui changent de sexe), c’est ainsi étudier conjointement – et de manière indissociable – une population minorisée (c’est-à-dire minorée socialement, subordonnée) et un passage de frontière sociale.</p>
<p>J’ai pu le montrer à partir d’une <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/transfuges_de_sexe_passer_les_frontieres_du_genre-9782348082085">enquête sociologique sur les parcours trans’ en France</a>, publiée en 2021 aux éditions La Découverte.</p>
<p>Menée par entretiens biographiques et par analyses statistiques sur une base de données de l’<a href="https://epidemiologie-france.aviesan.fr/epidemiologie-france/fiches/transgender-and-sexual-health">Inserm</a> (Institut national de la santé et de la recherche médicale), cette recherche portait sur les trajectoires des individus ayant quitté la catégorie sociale de sexe qui leur avait été assignée à la naissance.</p>
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<h2>Différentes temporalités de mobilité</h2>
<p>De l’enquête que j’ai menée, il ressort que les ascensions de genre (le fait de passer de la catégorie femme à la catégorie homme) sont, sur certains plans, mieux tolérées que les déclassements (le fait de passer de la catégorie homme à la catégorie femme).</p>
<p>Ce constat s’impose notamment au regard des temporalités biographiques des trans’. L’âge médian du début de la transition est de 38 ans pour les femmes trans’, contre 25 ans pour les hommes trans’. Trois profils de trajectoires se dégagent : environ la moitié des femmes trans’ transitionnent sur le tard après avoir connu une vie familiale au masculin ; l’autre moitié s’y engage plus jeune, généralement après avoir été gay et sans avoir fait famille. Les hommes trans’, quant à eux, transitionnent encore plus jeunes et, pour plus de 90 % d’entre eux, après une brève trajectoire lesbienne.</p>
<p>Le groupe des femmes trans’ est ainsi plus hétérogène que celui des hommes trans’ : pour deux profils de trajectoires numériquement équivalents chez les premières, un profil de trajectoire domine largement chez les seconds. Cette asymétrie reflète un traitement social différencié selon le sens de la mobilité. Tandis que les futurs hommes trans’ peuvent être perçus et tolérés comme des « garçons manqués », du moins pendant un temps, les futures femmes trans’, elles, sont immédiatement sanctionnées.</p>
<p>Parmi les hommes, la féminisation de l’un d’entre eux est extrêmement stigmatisante. « Pédé », « travelo » : genre et sexualité se confondent dans leurs injures et violences envers les (futures) femmes trans’. Tout ce qui est interprété comme une forme de féminité semble représenter une menace, pour leur propre masculinité comme pour les frontières de leur classe.</p>
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<figcaption><span class="caption">Non binaires : la fluidité des genres</span></figcaption>
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<p>Face à la violence de leurs « pairs », beaucoup de futures femmes trans’ renoncent à transitionner dans la jeunesse, un phénomène plus rare chez leurs homologues masculins. Elles tentent alors de rentrer dans le rang, ce qui signifie souvent qu’elles s’engagent dans une vie d’homme hétérosexuel. « À partir d’un moment, j’ai décidé de devenir un garçon », me dit l’une d’entre elles après m’avoir fait le récit d’un épisode de violence terrible, survenu à l’adolescence. « Après, j’étais tranquille […] Je me suis protégée comme ça. » Quelques années plus tard, elle se marie à une femme avec qui elle élèvera un enfant. Elle n’entamera sa transition de genre qu’à l’approche de la cinquantaine.</p>
<h2>Mobilités sexuelles</h2>
<p>Le lien inextricable entre mobilités de genre et mobilités sexuelles est un autre résultat frappant. La sexualité a le pouvoir de faire et de défaire le genre. Pour les futures femmes trans’, l’hétérosexualité comme l’homosexualité masculines pré-transition semblent préserver les apparences de la masculinité. Elles permettent d’éviter d’être suspectée en tant que personne potentiellement trans’.</p>
<p>La puissance performative de l’hétérosexualité masculine n’est toutefois pas comparable à celle de l’homosexualité. Les femmes trans’ qui ont été des hommes hétérosexuels l’ont été durablement – pour beaucoup, elles ont réellement cru pouvoir ainsi échapper à la transidentité. Celles qui ont été gays changent de sexe plus jeunes et pour elles, l’homosexualité masculine est souvent un choix par défaut, un moyen de gagner du temps avant de subir les rudes conséquences d’une possible transition.</p>
<p>Pour les futurs hommes trans’, c’est différent. Ils sont principalement lesbiennes avant la transition (bien que cela ne soit pas toujours le cas) et le lesbianisme est alors déjà une manière de s’extraire de la catégorie femme, ainsi que le montrait Monique Wittig (voir plus haut). Pour eux, l’hétérosexualité féminine était le plus souvent impensable à l’époque, tant elle risquait de les assigner symboliquement à ce sexe qu’ils aspiraient à quitter.</p>
<p>« Je n’allais pas supporter le fait de bien aimer les mecs. Parce que si on m’avait collé l’étiquette hétéro ou bi, ça aurait été me poser en tant que fille. » Comme Benjamin, un certain nombre d’hommes trans ne s’autoriseront que plus tard à engager des relations avec des partenaires masculins.</p>
<p>La sexualité structure aussi la construction de soi dans le sexe de destination. Au fil du temps, le groupe des femmes trans’ tend à s’hétérosexualiser tandis que le groupe des hommes trans’ se « gayifie ». Pour les femmes trans’ en début de transition, l’hétérosexualité féminine apparaît comme une puissante fabrique de la féminité. « Qu’un homme me désire, pour moi, voulait dire que j’étais une femme », me confie Giulia. Tandis que beaucoup de femmes trans’ se trouvent validées par le regard de partenaires masculins, un certain nombre d’hommes trans’ découvrent la sexualité avec ceux qui sont désormais leurs pairs.</p>
<p>Si la <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2013-1-page-93.htm">sexualité contribue ainsi à la fabrique du genre</a>, il importe tout de même de préciser que les trans’ n’emploient pas nécessairement les catégories sexuelles mobilisées ici. Leur déplacement social introduit une part de trouble dans les systèmes de classement établis, ce qui invite à questionner la binarité de ces derniers.</p>
<h2>Au-delà de la binarité</h2>
<p>Les mobilités sexuelles et de genre ne présentent pas que deux versants. Quelle que soit leur nature, les positions sociales ne sont pas unidimensionnelles et binaires (les bourgeois vs les prolétaires ; les hommes vs les femmes ; les hétéros vs les homos) et les déplacements ont, par conséquent, des destinations diverses.</p>
<p>Dans ce que l’on peut qualifier d’espace social du genre – par analogie avec « l’espace social de classe » tel qu’il est nommé par <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Distinction-1954-1-1-0-1.html">Pierre Bourdieu</a> –, les positions des individus sont à la fois nombreuses et composites. On trouve parmi les trans’ – comme parmi les cis’, c’est-à-dire les personnes qui ne sont pas trans’- différentes « configurations de pratique de genre », pour reprendre une expression bien connue de la sociologue australienne <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/masculinites/">Raewyn Connell</a>. La multiplicité, les déclinaisons et l’articulation de ces pratiques de genre forgent des positions singulières. Ces positions sont notamment forgées par des pratiques d’énonciation de soi (homme, femme, mais aussi non-binaire, queer, genderfluid, etc.), des pratiques corporelles, des pratiques vestimentaires, des pratiques relationnelles, sexuelles et de sociabilité (par exemple, plus ou moins de goût pour la mixité de genre), des pratiques professionnelles, des pratiques militantes et d’engagement, et bien d’autres pratiques encore.</p>
<p>Chez les trans’, les configurations – ou positions – de genre ne sont toutefois pas sans lien avec le point de départ de la mobilité, son processus et sa direction. Les personnes qui ont initialement été assignées filles occupent plus souvent que les personnes qui ont été assignées garçons des positions alternatives à la binarité femme/homme.</p>
<p>Ce phénomène est entre autres lié au fait qu’il peut être inconfortable, pour des transfuges de sexe en ascension, d’en venir à ressembler – en apparence du moins – à ceux qui ont autrefois incarné l’oppresseur. « Retrouve-toi avec trois connards et sois assimilé à eux. Voilà, et réfléchis sur qui tu es », me lance Julien, amer.</p>
<p>Les personnes qui embrassent des positions de genre non-binaires sont aussi majoritairement des jeunes, particulièrement instruit·e·s, dévoilant combien l’âge, la génération et la classe (de même, assurément, que la race) contribuent à faire le genre – et bien sûr inversement.</p>
<p>L’expérience sociale des trans’ invite ainsi à se pencher sur la fluidité et sur la multiplicité du genre. Elle démontre non seulement que les mobilités de genre existent, mais aussi que la bicatégorisation femme/homme ne suffit pas. Ces constats ouvrent des perspectives d’exploration, à plus grande échelle, de bifurcations et de styles de genre pluriels.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222041/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Beaubatie ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Contrairement à la classe, le sexe est encore souvent conçu comme une évidence de la nature, l’existence même du changement de sexe demeure largement impensée.Emmanuel Beaubatie, Enseignant, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2251212024-03-24T17:50:00Z2024-03-24T17:50:00ZComment les artistes queers se réapproprient leur image<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583268/original/file-20240320-30-ltxkk7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=30%2C0%2C2014%2C1361&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Exposition Zanele Muholi à Glasgow : Somnyama Ngonyama, Hail, the dark lioness.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/glasgowschoolart/38562156676">Flickr / Alan McAteer</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Si la tradition artistique contribue à la légitimation d’un <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2007-2-page-45.htm">canon</a> – un modèle unique et hégémonique du point de vue social et politique – fondé sur le modèle masculin, blanc, cisgenre, hétérosexuel, valide et de classe sociale aisée, des groupes ou des individus minoritaires n’ont pas eu historiquement les moyens matériels de se représenter et sont alors dépeints par le regard dominant.</p>
<p>Dans mon ouvrage, <a href="https://www.double-ponctuation.com/produit/art-queer-precommande/"><em>Art queer. Histoire et théorie des représentations LGBTQIA+</em></a>_ (éditions Double ponctuation, 2024), j’investis différentes perspectives pour explorer l’art <em>queer</em>, en posant notamment la question de la manière de représenter des subjectivités <em>queers</em>.</p>
<p>Le terme « queer » est une expression anglophone désignant ce qui est « étrange », « bizarre », « tordu », et <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-pensee-straight-2/">s’oppose à celui de « straight »</a>, signifiant « droit » mais aussi « hétérosexuel ». Il est alors d’abord utilisé comme une insulte pour qualifier des sexualités non-hétérosexuelles au cours du XIX<sup>e</sup> siècle, avant d’être détourné de manière positive par les communautés concernées pour s’auto-qualifier, notamment avec l’émergence de groupes activistes comme <a href="https://queernationny.org/history">Queer Nation</a> dans les années 1980-1990 aux États-Unis, en pleine épidémie du sida.</p>
<p>Par son ancrage politique et social, mon travail met en évidence la réappropriation par les artistes LGBTQIA+ des images de leur propre communauté. Afin d’articuler la vie et l’expérience réelle des personnes avec l’image qui en est faite, des artistes s’emparent en particulier du format de la photographie.</p>
<h2>Travailler le passé et le présent</h2>
<p>Dans cette quête de « réparation » de la représentation des communautés <em>queers</em>, il est possible d’observer deux tendances. La première s’articule autour d’un retour sur le passé pour créer de l’archive politique, permettant à la communauté <em>queer</em> de s’identifier à des modèles. C’est le cas en particulier du travail de l’artiste libanais et <em>queer</em> <a href="https://www.mohamadabdouni.com/">Mohamad Abdouni</a> (1989-), qui vise à combler la lacune des images <em>queers</em> dans la culture libanaise.</p>
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<p>La deuxième tendance vise à travailler sur le présent, comme une sorte d’archive vivante, pour faire passer les corps minorés du statut d’objet à celui de sujet – à l’instar de l’artiste sud-africain·e non-binaire <a href="https://www.mep-fr.org/event/zanele-muholi/">Zanele Muholi</a> (1972-), avec la représentation des femmes lesbiennes noires en Afrique du Sud.</p>
<p>Tout en mettant en relation les notions de <em>queer</em> et de race (voir notamment : Michele Wallace, <a href="https://www.versobooks.com/products/1316-invisibility-blues"><em>Invisibility Blues</em></a>, Londres, Verso, 1990 ; bell hooks, <a href="https://aboutabicycle.files.wordpress.com/2012/05/bell-hooks-black-looks-race-and-representation.pdf"><em>Black Looks. Race and Representation</em></a>, Boston, South End Press, 1992), ces deux artistes confèrent à leurs séries de photographies un caractère documentaire et biographique, car elles se fondent sur la vie quotidienne des protagonistes photographiés. Si Abdouni et Muholi s’inscrivent dans l’élan de réappropriation des pratiques artistiques comme ce fut le cas au début du XX<sup>e</sup> siècle (avec Romaine Brooks ou Claude Cahun par exemple), faisant passer les personnes <em>queers</em> d’une position d’objet représenté à celle de sujet représentant, ils rompent avec les stratégies expérimentées lors de la crise de l’épidémie du sida, comme celles conceptuelles de Felix Gonzalez-Torres refusant le voyeurisme et le fétichisme pour laisser place à l’interprétation subjective. Ces deux artistes se tournent donc plutôt vers la fabrique de l’archive dont l’enjeu est la visibilité.</p>
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<p>Mohamad Abdouni réalise en 2022 une sorte de reportage photographique intitulé <em>Treat Me Like Your Mother. Trans Histories From Beirut’s Forgotten Past</em>, conservé à la Fondation arabe pour l’image, accompagné d’entretiens qui retracent les mémoires de dix femmes transgenres de Beyrouth dans les années 1980 et 1990. Abdouni raconte leurs souvenirs d’enfance, la guerre du Liban, les épisodes heureux de leurs vies et leur précarité. Il montre par exemple des images d’archives prises par des anonymes d’une femme transgenre nommée Em Abed dans des moments d’intimité : au milieu d’une fête, dans un bus, apprêtée ou sans maquillage. Commencée en 2006, la série <em>Being</em> de Muholi montre quant à elle la vie quotidienne de plusieurs couples de lesbiennes noires dans l’espace privé de la maison, posant de manière assurée, s’embrassant, se lavant, etc.</p>
<h2>Pour des récits collectifs</h2>
<p>Ces deux projets sont menés en relation étroite avec les communautés représentées : <em>Treat Me Like Your mother</em> de Mohamad Abdouni est réalisée en collaboration avec Helem, une association militante <em>queer</em> qui l’aide à rassembler des photographies, lesquelles feront également l’objet d’un numéro spécial de <a href="https://www.coldcutsonline.com/"><em>Cold Cuts</em></a>, un magazine collaboratif créé en 2017 consacré aux cultures <em>queers</em> dans la région de l’Asie du Sud-Est et de l’Afrique du Nord, dont il est rédacteur en chef. De son côté, Zanele Muholi collabore avec les membres – qui sont ses modèles – du <a href="https://inkanyiso.org/about/">collectif Inkanyiso</a> (« lumière » en isizulu, la langue natale de Muholi), lequel a fondé un média <em>queer</em> d’information et artistique créé la même année que la série.</p>
<p>L’impression de familiarité et de collectivité, renforcée pour l’un par un titre qui appelle au respect des femmes transgenres comme si elles étaient nos propres mères, et pour l’autre par une iconographie de l’espace intime, relève en fait d’un positionnement politique dans le champ de la représentation. En effet, la photographie permet ici de visibiliser sans altériser et essentialiser des récits inédits qui entrent en rupture avec les représentations canoniques, telles que celles de <a href="https://iris.unipa.it/retrieve/e3ad891a-f9e2-da0e-e053-3705fe0a2b96/0%20DE%20SPUCHES%20-%20Geotema%20Sguardi%20di%20genere%20Muholi.pdf">l’espace domestique entretenu par des femmes hétérosexuelles</a>.</p>
<h2>Changer de regard pour se (re)construire</h2>
<p>Le caractère documentaire des photographies de Mohamad Abdouni et de Zanele Muholi cherche à émanciper les membres de la communauté <em>queer</em> libanaise et sud-africaine d’un regard extérieur. Elles résistent au sensationnalisme humiliant et morbide des images banalisées dans les médias en valorisant d’autres représentations que celles produites en Occident, véhiculant une certaine représentation des sociétés non occidentales comme homophobes et transphobes. En effet, ce type de production, au plus près des personnes concernées, construit une image plus nuancée de ces sociétés, et déjoue le statut figé de victimes de violence et d’exclusion assigné aux personnes LGBTQIA+ en leur conférant une subjectivité et une agentivité.</p>
<p>Cette capacité à agir sur son environnement – en termes géographiques mais aussi politiques et sociaux – passe également par la capacité à agir sur soi-même : les personnes minoritaires sont capables de se définir, de se construire en négociation avec les rapports de domination d’un canon universel. Ce processus suscite dans l’art un changement de statut chez les artistes. Des artistes <em>queers</em> utilisent ainsi l’autoportrait photographique pour non seulement présenter un état de fait stabilisé et figé, mais aussi documenter le processus de construction de leur identité (voir le travail de Del LaGrace Volcano, notamment <em>The Drag King Book</em>, co-publié en 1999 avec Jack Halberstam).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Art queer. Histoire et théorie des représentations LGBTQIA+ », éditions Double ponctuation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jérôme Pellerin-Moncler</span></span>
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<p>S’affranchir du regard dominant constitue un enjeu pour un certain nombre d’artistes contemporains, qui tentent ainsi de se réapproprier la manière dont leurs propres communautés sont représentées. En effet, il s’agit pour elles et eux de montrer qu’ils sont légitimes à être pris en compte, simplement du fait de leur existence. En offrant un nouvel espace de visibilité par la photographie, ces enjeux artistiques s’inscrivent dans le débat de la politique de représentation, déployé en particulier dans des travaux féministes des années 1970, qui mettent en exergue les rapports de pouvoir qui sous-tendent les représentations des femmes (voir à ce sujet, « Représenter les femmes, la politique de la représentation du soi », dans <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/chair-a-canons"><em>Chair à canons. Photographie, discours, féminisme</em></a>, Paris, éditions Textuel, 2016, pages 229 à 252).</p>
<p>Comme j’essaye de le montrer dans mes travaux, la manière dont les notions de genre ou de race (entre autres) prennent forme dans les images participe fondamentalement à la construction de l’identité d’un groupe social. Rassemblant des artistes à la fois incontournables et émergeants, des œuvres et des musées, la réflexion que je propose me semble contribuer à la connaissance d’un sujet encore en développement, dont les enjeux sont très actuels et vont sans doute marquer durablement les musées et l’histoire de l’art.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225121/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Quentin Petit Dit Duhal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Afin d’articuler la vie et l’expérience réelle des personnes avec l’image qui en est faite, des artistes s’emparent en particulier du format de la photographie.Quentin Petit Dit Duhal, Docteur en Histoire de l'art, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2260942024-03-21T15:42:38Z2024-03-21T15:42:38Z#MeTooGarçons : « 80% des violences ont lieu ou commencent avant l’âge de 18 ans »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583163/original/file-20240320-30-k0hlnv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C28%2C4790%2C3491&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Selon les chiffres de l'enquête Virage (2015) au cours de leur vie, 3,9 % des hommes interrogés ont subi des violences sexuelles, contre 14,5 % des femmes</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/silhouette-de-l-homme-448834/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Les comédiens <a href="https://www.france24.com/fr/france/20240227-metoogar%C3%A7ons-les-hommes-victimes-minoritaires-en-chiffres-et-minor%C3%A9s-dans-leurs-traumatismes-violences-agressions-sexuelles-tabou">Aurélien Wiick</a> puis Francis Renaud ont récemment révélé les abus à caractère sexuel dont ils auraient victimes plus jeunes de la part de réalisateurs ou producteurs de <a href="https://theconversation.com/la-face-cachee-de-lexception-culturelle-francaise-un-cinema-dauteur-au-dessus-des-lois-224003">cinéma</a>, donnant lieu à la première vague <a href="https://www.lefigaro.fr/cinema/metoogarcons-accuse-d-agressions-sexuelles-par-deux-hommes-dominique-besnehard-se-defend-20240302">#MeTooGarçons en France</a>.
Cette récente prise de parole s’inscrit dans un <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-familiales-la-triste-realite-des-donnees-154492">phénomène de plus grande ampleur</a> dénonçant les <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-sur-mineurs-pourquoi-la-question-dun-age-legal-de-consentement-fait-debat-153987">violences et agressions sexuelles commises sur mineurs</a>. La sociologue Lucie Wicky, doctorante à l’EHESS et l’Ined, interroge la spécificité des violences sexuelles subies par les hommes. Ses premiers résultats de recherche questionnent la conception même de l’enfance et de son statut dans la société.</em></p>
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<h2>Vous êtes la première chercheuse en France à vous intéresser en détail aux violences sexuelles commises sur des hommes. Comment avez-vous travaillé ?</h2>
<p>J’ai mobilisé <a href="https://virage.site.ined.fr/">l’enquête Virage, conduite en 2015 par l’Ined</a>, qui est la dernière grande enquête probabiliste de ce type en France, portant sur plus de 27,000 répondants (questionnaire téléphonique) de 20 à 69 ans vivant en France métropolitaine. On estime que l’échantillon est représentatif et la méthodologie – proche de la première enquête sur les violences envers les femmes qui date d’il y a 25 ans <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/docs/violences-envers-les-femmes-et-etat-de-sante-mentale-resultats-de-l-enquete-enveff-2000">(Enveff, 2000)</a> – intègre la question des violences subies sur les douze derniers mois ainsi que tout au long de la vie.</p>
<p>L’enquête interroge des éléments biographiques, traite les violences des plus énonciables aux plus intimes (psychologique, physique puis sexuelle) en investissant aussi bien les espaces de vie considérés comme publics (milieu scolaire, professionnel, espaces publics) que privés (couple, ancienne relation, famille et entourage). La méthodologie est très spécifique dans ce type d’enquêtes : les questionnaires ne mobilisent pas les termes de « violences » ou « viols », empreints de lourdes représentations, mais listent plutôt des faits et laissent à chaque répondant la possibilité de répondre par oui ou non, car beaucoup d’enquêtés n’ont pas identifié les violences comme telles.</p>
<p>Je me suis aussi appuyée sur l’enquête « Contexte de la sexualité en France » qui <a href="https://www.ined.fr/fichier/rte/2/Publications/Autres/CSF-dossierdepresse0307.pdf">date de 2006</a> pour explorer le rapport aux normes de genre et de sexualité des hommes qui ont déclaré des violences. Enfin, j’ai réalisé 50 entretiens biographiques avec des hommes qui avaient déclaré des violences sexuelles dans le cadre de l’enquête Virage et accepté un entretien complémentaire. J’ai aussi interrogé 10 femmes pour avoir un point de comparaison.</p>
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<figcaption><span class="caption">#MeTooGarçons, témoignage de l’acteur Aurélien Wiick (<em>C hebdo</em>, février 2024).</span></figcaption>
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<p>Il existe assez peu de données plus récentes du fait de l’investissement que ce type d’enquêtes nécessite, ce qui en dit aussi long sur la prise en compte de ces violences et de leurs poids par les pouvoirs publics. Les enquêtes de <a href="https://mobile.interieur.gouv.fr/Interstats/Sources-et-methodes-statistiques/Glossaire/Victimation">victimation du ministère</a> ou les sources judiciaires ne sont pas toujours fiables car les dépôts de plaintes et leur suivi ne sont pas représentatifs : peu de victimes déposent plainte et ces dernières ne donnent pas toujours lieu à des poursuites.</p>
<p>J’émets d’ailleurs l’hypothèse qu’avec l’émergence des mouvements #MeToo et une <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-contre-les-hommes-une-prise-de-conscience-progressive-57325">certaine prise de conscience sociétale</a> vis-à-vis de ces violences, les chiffres seraient plus importants si l’enquête était reproduite aujourd’hui. Les différentes vagues du mouvement ont certainement participé à la prise de conscience des violences subies par les victimes elles-mêmes. Une partie de mes recherches se concentre justement sur cette question de la qualification des violences comme telles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lopera-un-univers-propice-aux-violences-sexistes-et-sexuelles-222421">L’opéra, un univers propice aux violences sexistes et sexuelles ?</a>
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<h2>Dans quel sens ?</h2>
<p><a href="https://www.ined.fr/fr/recherche/chercheurs/Wicky+Lucie">Ma thèse</a> porte sur les violences subies par les hommes à différents moments de leur vie, enfants, adolescents ou adultes, et la façon dont ils les qualifient et les énoncent. En réalisant les entretiens, je me suis rendue compte que certains enquêtés ont du mal à qualifier de « violence sexuelle » les faits subis, et plus spécifiquement lorsque ces derniers ont été commis à l’adolescence ou à l’âge adulte.</p>
<p>En revanche, lorsque les faits sont survenus à l’enfance (principalement avant 11 ans), ils expriment plus « facilement » les choses une fois les faits qualifiés. Beaucoup parlent d’ailleurs des faits à la troisième personne pour les mettre à distance. La majorité décrit des violences sexuelles commises par d’autres hommes, généralement des adultes, toujours en situation de domination.</p>
<p>Cela m’a amené à retravailler la définition même de violence de genre et j’assume de requalifier certains faits décrits par les enquêtés comme étant des agressions sexuelles même lorsque ces derniers ne l’énoncent pas de cette façon. Leurs récits décrivent des pratiques sexuelles contraintes par des rapports de domination interactionnels et structurels, autrement dit, des dominations liées aux rapports de pouvoir : genre, statut social, âge, etc.</p>
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<p>Ce qui m’a aussi frappé, c’est l’intérêt public centré sur les faits en termes de gradation allant des attouchements aux viols, <a href="https://theses.fr/2011IEPP007">dans un carcan juridique plutôt hétéronormé</a> – c’est-à-dire où l’hétérosexualité est la norme – mais qui ne reflète pas forcément le ressenti et la gravité perçue. Ainsi, pour beaucoup d’enquêtés, c’est bien l’exposition aux violences par la répétition, la durée, leur fréquence, l’environnement, la proximité avec l’auteur – sans forcément qu’il y ait systématiquement violences avec pénétration – qui influence le sentiment de gravité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/culture-pornographique-et-tele-realite-quand-linceste-envahit-nos-ecrans-220437">Culture pornographique et télé-réalité : quand l’inceste envahit nos écrans</a>
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<h2>Comment expliquez-vous ce phénomène de « silenciation » et non de tabou que vous décrivez dans vos travaux ?</h2>
<p>Il faut distinguer « silenciation » et tabou. D’une part, les hommes ayant subi des violences sexuelles évoquent surtout des faits commis durant l’enfance et l’adolescence (80 % des violences sexuelles déclarées ont lieu ou ont commencé avant l’âge de 18 ans), moins une fois adultes. Pour les femmes, ce sont des violences qui existent et perdurent tout au long de la vie. Et quand elles déposent plainte, comme le montrait récemment une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1748895819863095">enquête parue au Royaume-Uni en 2019</a>, leurs paroles sont moins prises en compte que les hommes, pour qui la plainte mène plus souvent au procès.</p>
<p>Comme les femmes, les hommes parlent rarement de ces violences subies enfants, mais plutôt adultes. Toutefois, contrairement aux femmes, leur parole est plus facilement prise au sérieux lorsqu’ils énoncent les violences, ils sont plus soutenus par leurs proches, sauf lorsqu’ils sont homosexuels. Dans ces cas-là, comme pour les femmes, on leur incombe la responsabilité de leur agression, comme si leurs corps étaient, de fait, sexualisés, et on les rappelle à l’ordre hétérosexuel en les responsabilisant des violences sexuelles qu’ils ont subies. Autrement dit, la société considère que les « hommes sont des enfants avant 11 ans, alors que les femmes sont des “filles” quel que soit leur âge aux violences », sauf s’ils s’identifient comme gays.</p>
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<figcaption><span class="caption">Anne-Claude Ambroise-Rendu, « L’histoire de la reconnaissance de l’inceste subi par les garçons », 2022.</span></figcaption>
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<p>Mais le dénominateur commun est bien que tous et toutes ont été agressés principalement par des hommes (adultes, parfois mineurs eux aussi, d’après les entretiens ils sont toujours plus âgés que les victimes mais les données ne permettent pas d’être aussi précis). À partir de là, je ne pense pas qu’on puisse parler de tabou mais en revanche on peut parler de silenciation.</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/popvuln/4281">D’après mes résultats</a>, ces pratiques opèrent à différents niveaux. Structurellement tout d’abord, avec par exemple la création tardive d’un numéro, le <a href="https://www.allo119.gouv.fr/presentation">119</a>, gratuit depuis 2003, <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2013-1-page-16.htm">mais aussi des signalements</a> qui n’aboutissent pas et des <a href="https://www.cairn.info/viol--9782724624007.htm">plaintes qui ne donnent rien</a>.</p>
<p>Tout concourt à rappeler aux victimes que leurs récits n’aboutiront pas à des actes ou une répression des violences. Ces pratiques structurelles imprègnent l’institution familiale : lorsqu’il y a violence, on n’en parle pas, on ne réagit pas. Et bien sûr il y a le niveau de silenciation imposé par le ou les auteurs des faits. Très souvent ces derniers sont minorés ou intériorisés comme étant « normaux », y compris par les auteurs qui vont parler d’« initiation » à la sexualité ou de « jeux » par exemple.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inceste-la-fin-dun-tabou-politique-153666">Inceste : la fin d’un tabou politique ?</a>
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<h2>Comment expliquer qu’aujourd’hui il existe une prise de parole aussi importante ?</h2>
<p>Je montre que ces violences sont tributaires d’un rapport de domination lié à l’âge, social ou biologique, mais aussi générationnel. Il y a eu plusieurs événements qui ont aidé à prendre la parole publiquement ; les premiers témoignages d’inceste de femmes dans les années 1980, avec le témoignage marquant d’<a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/l-incroyable-temoignage-d-eva-thomas-victime-d-inceste-vous-avez-eu-une-belle-histoire-d-amour-avec-votre-pere-vous-pourriez-etre-contente-2515632.html">Eva Thomas en 1986</a>, premier témoignage à visage découvert, puis les <a href="https://www.fayard.fr/livre/histoire-de-la-pedophilie-9782213672328/ie-9782213672328/">affaires de pédocriminalité</a> dans les années 1990 où l’on voit émerger une certaine parole des hommes. <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2010-3-page-12.htm">L’affaire Outreau</a> en revanche a eu des conséquences lourdes quant à la prise en compte de la parole des enfants, <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2016-2-page-59.htm">dans les années 2000</a>.</p>
<p>Je fais l’hypothèse que les années 2010/2015 marquent un tournant, avec la constitution d’associations comme <a href="https://colosse.fr/">Colosse pied d’argile</a> dans le rugby ou <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/rhone/lyon/a-lyon-la-parole-liberee-tourne-la-page-et-publie-un-livre-blanc-2010217.html">La Parole Libérée</a> dénonçant le silence dans l’Église et à l’origine de l’affaire Philippe Barbarin par exemple. Les violences sont dénoncées par « secteurs » où elles s’exercent : le sport, l’Église, la famille (avec <a href="https://www.liberation.fr/societe/familles/metooinceste-depuis-deux-ans-des-temoignages-par-milliers-et-des-enseignements-tires-20230921_UKJHZLZFWNDDRPS4PM3BHNX3Q4/">#MeTooInceste</a> par exemple), etc.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/lNujudNLdHg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Association Colosse Pied d’Argile, présentation, YouTube.</span></figcaption>
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<p>L’émergence des réseaux sociaux constitue de nouveaux espaces de prise de parole pour les hommes comme pour les femmes. Ces effets sociohistoriques et ceux de la légitimation de la parole impulsée plutôt par des personnalités, produit aujourd’hui une prise de parole plus importante que dans le passé, qui amène à une certaine visibilité, associée à une partielle prise de conscience sociale de la réalité des violences sexuelles, pourtant observée et décrite de longue date.</p>
<p>C’est là où l’effet générationnel joue aussi un rôle : les hommes ayant grandi dans les années 1950, jusqu’aux années 1980 environ, ont vécu dans l’idée qu’un enfant se tait et que sa parole n’a pas d’importance. À table, en public, avec les adultes… Un enfant ne parle pas, dans sa famille comme dans l’espace public.</p>
<p>La domination masculine et adulte s’illustre ici à travers la figure de l’homme tout puissant, le « chef de famille » au rôle hégémonique au sein du foyer. Ce dernier ne laisse alors pas d’espaces de parole possibles. C’était aussi constitutif de la façon dont on envisageait les masculinités, valorisée à travers une certaine forme de violence dans le passé, moins aujourd’hui. C’est d’ailleurs aussi pour cela que des hommes ayant subi des violences après le début de leur construction de genre – à l’adolescence ou jeune adulte – ont du mal à s’envisager comme victimes.</p>
<h2>Comment analysez-vous ces changements d’époque ?</h2>
<p>Mon travail de recherche questionne en filigrane le concept de l’enfance qui a été longtemps dominant : celui où la hiérarchie sociale et les besoins des adultes passent avant ceux des enfants.</p>
<p>La parole de ces derniers est déconsidérée, silenciée et leur corps n’est pas respecté. Quand on force un enfant à faire un bisou à un adulte, quand on le contraint physiquement, on lui rappelle que l’adulte a le contrôle de son corps, et que son corps ne lui appartient pas.</p>
<p>Or, ne pas parler aux enfants, ne pas leur apprendre que leur corps est à eux, ne pas prendre en compte leur parole, leur mobilisation (pensons aux <a href="https://basta.media/Mobilisation-reprimee-dans-les-lycees-et-facs-Une-volonte-de-museler-la-jeunesse-par-la-violence">grèves lycéennes</a> par exemple et la forte répression en réponse) entrave leur compréhension de la violence mais aussi leur autonomie et façonne ainsi leur mise en vulnérabilité.</p>
<p>Peut-être doit-on aujourd’hui repenser le <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2023-3-page-14.htm">statut de mineur</a> et ce qu’il recouvre pour mieux protéger les enfants – et peut-être aussi envisager de les <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2020-1-page-106.htm">laisser se protéger eux-mêmes</a>.</p>
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<p><em>Propos recueillis par Clea Chakraverty.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226094/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucie Wicky a reçu des financements de l'Ined et l'Université de Strasbourg. </span></em></p>Les violences sexuelles à l’encontre des garçons relèvent de rapports de domination liés au genre, à l’âge mais aussi un effet générationnel, englobant une vision spécifique des enfants.Lucie Wicky, Doctorante, EHESS, Ined, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2223372024-03-19T16:57:05Z2024-03-19T16:57:05ZInciter les filles à faire des maths : le rôle
essentiel des profs<p>En France comme en Belgique francophone, les femmes sont de nos jours <a href="https://www.ares-ac.be/fr/statistiques">plus nombreuses dans la population étudiante</a>, et davantage diplômées de l’enseignement supérieur que les hommes. Si on prend en compte <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/l-etat-de-l-enseignement-superieur-de-la-recherche-et-de-l-innovation-en-france-90566">l’ensemble des disciplines scientifiques</a>, la parité est quasi atteinte.</p>
<p>Mais, alors que les femmes sont largement majoritaires (60 % à 70 %) dans le domaine des sciences de la vie, de la santé, en médecine, en pharmacie, elles restent minoritaires (20 à 30 %) dans les domaines à forte composante mathématique, en particulier dans les formations d’ingénieurs et en informatique.</p>
<p>La situation n’a d’ailleurs guère évolué au cours de la dernière décennie. Pourquoi les jeunes femmes se détournent-elles des études en maths, sciences de l’ingénieur et technologie ?</p>
<h2>Le rôle charnière de l’enseignement secondaire dans l’orientation</h2>
<p>Un rapport récent consacré à la <a href="https://www.ipp.eu/wp-content/uploads/2021/01/democratisation-grandes-ecoles-depuis-milieu-annees-2000-ipp-janvier-2021.pdf">démocratisation des grandes écoles en France</a> montre qu’environ un tiers de la différence d’accès aux grandes écoles tient au fait que les filles sont surreprésentées dans les spécialisations littéraires ou économiques et sociales, qui conduisent moins aux grandes écoles que les filières scientifiques. Néanmoins, le suivi longitudinal de cohortes de collégiens et de bacheliers ne laisse aucun doute : les écarts de performances scolaires selon le genre ne contribuent aucunement à expliquer la sous-représentation des filles dans les grandes écoles et dans les formations qui y préparent.</p>
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<p>« L’analyse des différences de taux d’accès selon le genre indique au contraire que, compte tenu de leurs performances scolaires supérieures en moyenne à celles des garçons, les filles devraient en réalité accéder davantage aux grandes écoles que leurs homologues masculins »</p>
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<p>Les données issues de <a href="https://www.oecd.org/pisa-fr/OECD_PISA_2022_Resume-Volume-I_FR.pdf">l’enquête internationale PISA</a> mettent en évidence de faibles différences de performances en mathématiques selon le genre. Élément intéressant : à performances équivalentes avec les garçons à l’âge de 15 ans, les filles se sentent généralement moins confiantes dans leurs capacités en mathématiques, sont plus anxieuses, ont un intérêt moins prononcé pour cette discipline et en perçoivent moins l’utilité.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les filles et les mathématiques (Franceinfo, 2013).</span></figcaption>
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<p>Or, selon les théories étudiant les <a href="https://www.sciencedirect.com/topics/psychology/expectancy-value-theory">déterminants des aspirations scolaires et professionnelles</a>, ces composantes de la motivation jouent un rôle déterminant dans les choix d’orientation : un jeune choisit une orientation s’il pense avoir les capacités de réussir et s’il lui accorde de la valeur. Ainsi le manque de confiance dans leurs capacités pourrait conduire certaines filles à s’autosélectionner, et à ne pas envisager des études à forte composante mathématique, dont elles ne perçoivent par ailleurs pas toujours l’intérêt.</p>
<p>Les choix d’orientation sont l’aboutissement d’aspirations qui se construisent progressivement à l’école et en dehors de celle-ci. On peut à cet égard s’intéresser à ce que vivent les jeunes dans leur scolarité obligatoire pour mieux comprendre les disparités observées et identifier des leviers potentiels bénéfiques pour l’orientation des filles vers les mathématiques et les sciences et technologies.</p>
<h2>Des leviers pédagogiques pour favoriser l’orientation vers les mathématiques</h2>
<p>De manière générale, la motivation pour les mathématiques a tendance à diminuer tout au long de la scolarité avec un déclin particulièrement marqué dans l’enseignement secondaire. Par ailleurs, les attitudes envers les mathématiques sont elles-mêmes influencées par le contexte, au premier rang duquel figurent l’école et l’enseignement qui y est dispensé.</p>
<p>En particulier, les attitudes et les comportements des professeurs de mathématiques peuvent jouer un rôle majeur dans l’orientation future des élèves vers cette discipline. De nombreuses recherches ont mis en évidence que certains professeurs de mathématiques entretiennent, souvent inconsciemment, des attentes académiques moins élevées envers les filles, mais développent aussi des comportements différenciés envers les filles et les garçons. Ces comportements peuvent toucher aussi bien les aspects cognitifs (choix des tâches, des questions…) que socio-émotionnels (feedbacks positifs ou négatifs) de la relation maitre-élève.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-la-reforme-du-lycee-eloigne-les-filles-des-maths-et-des-sciences-224773">Comment la réforme du lycée éloigne les filles des maths et des sciences</a>
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<p>C’est ce qu’éclaire une étude portant sur 1091 élèves de 5<sup>e</sup> secondaire (équivalent de la classe de première en France) et 777 élèves de 6<sup>e</sup> secondaire (équivalent de la terminale) en Belgique francophone. <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-pedagogie-2020-3-page-31.htm">Cette enquête à caractère quantitatif</a> a eu recours à différents modèles statistiques pour tenter d’identifier les variables motivationnelles et pédagogiques qui agissent le plus sur les <a href="https://journals.openedition.org/osp/13437">aspirations aux études et carrières mathématiques</a>.</p>
<h2>Motiver les élèves par des applications concrètes des maths</h2>
<p>Un premier facteur consiste à promouvoir un enseignement des mathématiques pertinent, qui permet aux jeunes de saisir l’utilité future de ce qu’ils apprennent. Concrètement, lorsque l’élève perçoit que son professeur pose des questions et propose des exercices ou des problèmes qui ont du sens, qu’il explique pourquoi certains points de matière sont importants, il est plus enclin à s’y orienter.</p>
<p>Les contenus mathématiques enseignés en fin de secondaire peuvent bien souvent paraitre formels et « purement mathématiques ». Le rôle de l’enseignant est d’élargir les perspectives des élèves en les aidant à développer une vision plus riche de l’utilisation des mathématiques et de leur importance dans la société actuelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-maths-pour-les-garcons-le-francais-pour-les-filles-comment-les-stereotypes-de-genre-se-perpetuent-a-lecole-202392">Les maths pour les garçons, le français pour les filles ? Comment les stéréotypes de genre se perpétuent à l’école</a>
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<p>Le choix des contextes d’application des mathématiques n’est pas non plus anodin : en montrant aux élèves que cette discipline peut déboucher sur des applications concrètes, impliquer un travail d’équipe et jouer un rôle sociétal, on la rend plus attractive aux yeux des filles qui cherchent des carrières tournées vers l’humain (prônant la collaboration, l’altruisme), tout en déconstruisant l’image reçue selon laquelle les mathématiques sont déconnectées de ces valeurs.</p>
<h2>Inciter les élèves à relever des défis</h2>
<p>Les environnements d’apprentissage stimulants d’un point de vue cognitif, tant par les tâches proposées que par les interactions sociales, constituent aussi un atout pour favoriser l’orientation future des jeunes vers les mathématiques. Ce genre d’approche contribue à déconstruire l’image de la fameuse « bosse des maths ». Proposer à tous les élèves des tâches mathématiques ambitieuses en les aidant à persévérer, c’est envoyer le message positif qu’ils peuvent tous y arriver, y compris les filles.</p>
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<p>Enfin, l’étude met en évidence l’importance, pour les aspirations futures des filles, de développer une image positive de leurs propres compétences en mathématiques. À ce sujet, le professeur de mathématiques a un rôle important à jouer : s’il soutient les filles en soulignant leurs capacités, celles-ci gagnent en confiance et envisagent davantage une orientation vers des études à composante mathématique.</p>
<p>Leur confiance et leur intérêt pour le domaine seraient aussi particulièrement renforcés lorsqu’un soutien d’ordre pédagogique (avec des rétroactions régulières sur les apprentissages) leur est proposé plutôt qu’un soutien plus psychologique, qui se limite parfois à une simple bienveillance, voire à une forme de condescendance que les filles perçoivent très bien. Selon les comportements qu’ils adoptent en classe et le style d’interventions mis en œuvre, les enseignants peuvent aider les jeunes filles à surmonter leurs craintes ou réticences à entamer des études à forte composante mathématique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222337/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dans le cadre de sa thèse de doctorat, Doriane Jaegers a reçu des financements du F.R.S.-FNRS (Fonds de la Recherche Scientifique en Belgique)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Dominique Lafontaine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En maths, à performances égales, les filles ont moins confiance en elles que les garçons, ce qui influence leurs choix d’orientation. Mais certains ajustements de pédagogie peuvent changer la donne.Doriane Jaegers, Docteure en sciences de l'éducation, Université de LiègeDominique Lafontaine, Professeure en sciences de l'éducation, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2260012024-03-18T16:16:45Z2024-03-18T16:16:45ZAbus financier de la part d'un partenaire intime ? Trois façons de vous protéger<p>Il y a <a href="https://www.abus.ca/index3.html">abus financier</a> lorsqu'une personne prend le contrôle de la capacité d'une autre personne à acquérir, utiliser et conserver des ressources financières. Cela peut prendre la forme, par exemple, de se voir refuser l'accès à ses propres fonds ou d'être contraint de déposer son salaire sur un compte bancaire commun sans pouvoir y accéder. Cela peut également se produire lorsque des retraits importants sont effectués sur des comptes bancaires communs sans aucune explication. </p>
<p>Selon l’<a href="https://www.isdj.org.za/">Institut pour le développement social et la justice</a>, une société sud-africaine à but non lucratif, l'abus financier peut varier et changer de forme, mais elle se produit lorsque l'accès aux opportunités économiques est contrôlé ou restreint par un partenaire intime. </p>
<p>Cela peut se produire lorsque votre partenaire retient des informations financières ou vous cache de l'argent. Un autre exemple est celui où votre partenaire refuse de vous laisser travailler, contrôlant ainsi votre capacité à générer un revenu. Vous pouvez aussi être contraint de payer la plupart des dépenses du ménage lorsque vous gagnez moins que votre partenaire. Il peut également arriver que le coupable accumule des dettes sur une carte de crédit, sachant que la carte n'est pas à son nom. </p>
<p><a href="https://www.justice.gov.za/legislation/acts/2021-014.pdf">La loi sud-africaine sur la violence domestique</a> considère l'abus financier comme un acte criminel. Plusieurs autres pays africains, tels que le Ghana, le Kenya, l'Ouganda, la Zambie et le Zimbabwe, reconnaissent également qu'il s'agit d'une infraction pénale. Mais elle reste largement impunie.</p>
<p>Malheureusement, l'exploitation financière n'est pas un problème nouveau. Au fil des ans, mes <a href="https://researchprofiles.canberra.edu.au/en/persons/bomikazi-zeka">recherches</a> ont montré qu'une utilisation judicieuse des services financiers peut aider les personnes défavorisées à transformer leurs revenus en richesse. Mais lorsque l'argent est mêlé à des relations, la situation peut devenir difficile à gérer. </p>
<p>Les abus financiers peuvent toucher n'importe qui, indépendamment de l'âge, du sexe, de la situation matrimoniale, de la situation professionnelle ou du niveau de revenu. En cas d'abus financier, les femmes risquent le plus de voir leur sécurité financière menacée si la dynamique de la relation se détériore. Les femmes sont plus vulnérables aux abus financiers, car cela peut aller de pair avec <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10896-023-00639-y">d'autres formes d'abus</a>. </p>
<p>En identifiant les signaux, vous pouvez prendre les trois mesures suivantes pour renforcer votre sécurité financière : la prévention, la préparation et la protection. </p>
<h2>La prévention</h2>
<p>Se renseigner sur les antécédents financiers de votre partenaire est un premier pas important pour prévenir les abus financiers. Demandez-lui comment il a géré ses dettes dans le passé (et comment il s'est retrouvé dans cette situation) ou s'il épargne activement de l'argent. </p>
<p>Aborder le sujet sur l'argent peut être difficile, mais ces informations peuvent vous donner un aperçu de ses comportements financiers passés, qui pourraient influencer et expliquer ses comportements financiers futurs. </p>
<p>Une autre stratégie préventive consiste à interroger votre partenaire sur son attitude concernant de l'argent dans les relations. Par exemple, estime-t-il la façon de gérer l'argent varie selon qu'on est homme ou femme? Aborder ce sujet dès le début peut également vous aider à fixer des limites à la gestion de l'argent dans la relation. </p>
<h2>La préparation</h2>
<p>Se familiariser avec les signes des abus financiers peut vous aider à vous préparer. Si vous soupçonnez que des abus financiers commencent à se manifester, surveillez-les de près en consignant tous les éléments de preuve. C'est important, car les auteurs d'abus peuvent vous faire croire que vous exagérez, surtout si les signes sont subtils. Consignez autant de preuves que possible et assurez-vous d'avoir des copies de tous les documents juridiques importants, car cela vous sera utile si vous avez besoin d'une assistance juridique. </p>
<p>Si vous n'en avez pas encore, demandez à un conseiller financier comment vous pouvez protéger vos finances et vos biens. </p>
<h2>La protection</h2>
<p>Dans la mesure du possible, conservez une source de revenus indépendante, car cela réduit le risque de dépendance à l'égard d'un partenaire. La dépendance financière peut entraîner des sentiments d'isolement et de désespoir, ce qui rend plus difficile la possibilité de quitter votre bourreau parce qu'il contrôle les finances. </p>
<p>Une autre mesure pour protéger votre situation financière est de veiller à ne pas signer de documents que vous ne comprenez pas. Souvent, les auteurs d'abus financiers acquièrent des actifs au nom de leur partenaire et leur imposent la charge financière des remboursements, les piégeant ainsi dans un endettement.</p>
<h2>Obtenir de l'aide</h2>
<p>Bien que les mesures énumérées ici ne soient pas exhaustives, elles constituent un bon point de départ pour réfléchir lorsque vos finances sont fusionnées avec celles de quelqu'un d'autre. </p>
<p>Si vous vous inquiétez de votre sécurité financière, il existe des moyens d'obtenir de l'aide. FIDA-Kenya, une organisation de défense des droits des femmes au Kenya, propose une <a href="https://www.fida-kenya.org/">aide juridique gratuite</a>. Au Nigeria, la Women at Risk International Foundation gère une <a href="https://warifng.org/contact-us/">ligne d'assistance</a> gratuite et confidentielle fonctionnant 24 heures sur 24. </p>
<p>Vous pouvez obtenir des conseils gratuits auprès d'un travailleur social via le <a href="https://gbv.org.za/about-us/">site web</a> du ministère sud-africain du Développement social , qui met à votre disposition un centre d'appel 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, qui dispose d'un numéro d'urgence : 0800 428 428. Le centre d'appel dispose d'une ligne d'urgence au 0800 428 428. Vous pouvez visiter le <a href="https://thewarriorproject.org.za/helplines/">site web</a> du Warrior Project, une organisation à but non lucratif, pour plus d'informations sur les lignes d'assistance et les ressources.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226001/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bomikazi Zeka does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Lorsque l'argent est mêlé aux relations, les choses peuvent vite devenir compliquées.Bomikazi Zeka, Assistant Professor in Finance and Financial Planning, University of CanberraLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2252262024-03-08T13:34:19Z2024-03-08T13:34:19Z« Si on s’arrête le monde s’arrête » ou comment la grève féministe s’est installée en France<p>« Si on s’arrête le monde s’arrête », « 8 mars 15h40 grève féministe » sont quelques-uns des slogans diffusés pour appeler à la grève féministe en France.</p>
<p>Ce mot d’ordre émerge depuis quelques années dans le mouvement féministe français, dans la continuité des grèves féministes menées à l’international (Argentine, Suisse, Espagne, Chili, etc.) qui ont <a href="https://theconversation.com/droits-des-femmes-la-vague-mauve-en-espagne-et-en-france-129659">rassemblé des milliers de personnes</a>.</p>
<p>La pratique de la grève est <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2020-3-page-22.htm">classique</a> du mouvement ouvrier et chez les <a href="https://www.contretemps.eu/greve-feministe-genealogie-histoire-gallot">féministes</a>, comme le rappelait Eva Gueguen dans son mémoire, <em>L’arme des travailleuses, c’est la grève ! Appropriation et usages de la grève par le mouvement féministe à l’assemblée générale féministe Paris-Banlieue</em> (2023, Paris Dauphine). Mais la « grève féministe » quant à elle connaît un regain depuis la seconde moitié des années 2010, devenant l’une des revendications mises en avant à l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars. Comment ce mot d’ordre s’est-il imposé ? À quoi renvoie-t-il ?</p>
<h2>Un outil révolutionnaire ?</h2>
<p>Tout d’abord, la grève féministe renvoie à l’arrêt du travail productif (rémunéré dans la sphère professionnelle) et celui <a href="https://theconversation.com/les-metiers-tres-feminises-du-soin-et-du-lien-pourquoi-il-est-urgent-de-les-reconnaitre-a-leur-juste-valeur-223670">reproductif</a> réalisé gratuitement (travail domestique, de soin, etc.).</p>
<p>Les militant·e·s expliquent que ce dernier est majoritairement réalisé par des femmes (et des minorités de genre, c’est-à-dire les personnes trans’ et non binaires) et <a href="https://theconversation.com/les-revenus-des-femmes-diminuent-apres-la-naissance-dun-enfant-voici-pourquoi-223150">invisibilisé dans la société</a>.</p>
<p>La grève féministe ambitionne de faire reconnaître ce travail considéré comme essentiel dans les économies et pour lequel « si on s’arrête, le monde s’arrête », c’est-à-dire, selon ce slogan féministe, si celles-ci ne le réalisaient plus, l’économie ne pourrait plus fonctionner.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-dette-nouvelle-forme-de-travail-des-femmes-204323">La dette, nouvelle forme de travail des femmes</a>
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<p>Il s’agit par la grève de transformer la société et reconfigurer les rapports sociaux. Les militantes, rencontrées lors d’un atelier sur la grève féministe (Coordination féministe à Rennes, le 22 janvier 2022) souhaitent « mettre en lumière à la fois l’aspect économique de l’oppression des femmes et les conséquences économiques concrètes » sur l’organisation du pays quand elles cessent leur activité, « dégager du temps » pour d’autres activités que le travail, et rassembler largement autour de cette revendication en mobilisant l’ensemble du mouvement social et pas uniquement les féministes.</p>
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<p>La grève féministe est alors un outil permettant de penser ensemble l’imbrication entre différents rapports de domination – patriarcat, capitalisme, racisme –. Pour le 8 mars 2024, les militantes appellent par exemple au <a href="https://coordfeministe.wordpress.com/2024/02/19/appel-a-la-greve-feministe-du-8-mars-2024/">« partage du temps de travail et des richesses »</a>, au droit à <a href="https://coordfeministe.wordpress.com/2024/02/19/appel-a-la-greve-feministe-du-8-mars-2024/">disposer de son corps</a>, ou encore dénoncent la <a href="https://theconversation.com/comment-la-loi-immigration-souligne-de-graves-dysfonctionnements-democratiques-220301">loi asile-immigration</a> considérée comme <a href="https://www.grevefeministe.fr/8-mars-2024/">raciste et antiféministe</a>.</p>
<p>En somme, la grève féministe se pose « à rebours d’une vision des féminismes comme « confinées » (à un secteur, une revendication, une minorité), en <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2020-3-page-137.htm">liant le féminisme au reste des mouvements sociaux</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/marie-huot-antispecisme-et-feminisme-un-meme-combat-contre-les-dominations-au-xix-siecle-210576">Marie Huot : antispécisme et féminisme, un même combat contre les dominations au XIXᵉ siècle</a>
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<h2>Inspirations internationales</h2>
<p>La diffusion de cette revendication en France s’inscrit dans un contexte de mobilisation internationale autour des grèves féministes. À partir de 2016, celles-ci se multiplient en Pologne, Argentine, Suisse, Chili, etc. C’est aussi le cas en Espagne où les militantes appellent à cesser le travail pendant 24h le 8 mars 2018.</p>
<p>La mobilisation est conséquente, réunissant 5 millions de personnes où les militantes dénoncent « les féminicides et les agressions, les humiliations, les exclusions, l’ensemble des violences machistes » auxquelles sont <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2018-4-page-155.htm">exposées les femmes</a></p>
<p>La grève espagnole « inspire le mouvement féministe français », elle est qualifiée « d’initiative extraordinaire » qui montre que la grève est un « outil qui fonctionne » indique en entretien une militante de la Coordination féministe. L’ampleur de ce mouvement a ainsi inscrit les revendications féministes dans les sphères politiques et médiatiques. Rappelons que le Premier ministre espagnol <a href="https://www.leparisien.fr/international/espagne-greve-feministe-et-manifestations-monstres-a-barcelone-et-madrid-08-03-2019-8027928.php">a d’ailleurs défilé en tête de cortège</a> lors de la grève féministe l’année suivante, quelques semaines avant la tenue des législatives.</p>
<p>Prenant acte de ce phénomène, les féministes françaises ont établi et entretiennent des liens avec ces militantes internationales. Celles-ci se rencontrent dans des espaces politiques et syndicaux de gauche – par exemple au sein de la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/socialisme-les-internationales/4-la-ive-internationale/">Quatrième internationale</a>, organisation trotskyste – ou lors de rencontres féministes internationales, comme celles organisées par <a href="https://radar.squat.net/fr/event/toulouse/toutes-en-greve-31/2019-10-26/rencontres-feministes-internationales">Toutes en grève à Toulouse en 2019</a>. Les féministes échangent sur leurs expériences et modes d’action.</p>
<p>Les mouvements de grévistes à Toulouse ont été particulièrement actifs, d’une part du fait de la proximité des militantes avec celles Espagnoles, mais aussi historique, car réactivant une initiative précédente, celle du collectif <a href="https://rapportsdeforce.fr/classes-en-lutte/8-mars-la-greve-feministe-simpose-dans-les-syndicats-030120602">Grève des femmes qui existe dans la région depuis 2012</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mouvement sans précédent le 8 mars 2018 en Espagne (<em>Courrier International</em>).</span></figcaption>
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<p>À ce titre, plusieurs militantes de la Coordination féministe (anciennement au collectif toulousain Toutes en grève 31) expliquent avoir repris les modalités d’organisation des grèves italiennes et espagnoles, qui fonctionnent avec des assemblées et des petits groupes de travail.</p>
<p>C’est donc dans ce sillage internationaliste que la grève féministe émerge en France.</p>
<h2>« Si on s’arrête, le monde s’arrête »</h2>
<p>Dans une temporalité similaire, « On arrête toutes » se forme à Paris, en 2019 et propose de faire grève le 8 mars en arrêtant le travail à 15h40. Ce chiffre symbolique correspond chaque jour à l’heure à laquelle les femmes arrêtent d’être payées par rapport aux hommes, au regard des <a href="https://www.snrt-cgt-ftv.org/jdownloads/Communiques/2017/170228a.pdf">26 % d’écart salarial entre femmes et hommes</a>.</p>
<p>Ce projet va ensuite prendre de l’ampleur. Toutes en grève 31 organise des rencontres internationales en octobre 2019 pour appeler à la grève générale <a href="https://www.facebook.com/events/692675771192523">du 8 mars 2020</a> et dans la continuité, la Coordination féministe – réseau d’associations, collectifs et assemblées féministes en France – est créé en 2020, structurant progressivement son activité autour de la grève féministe.</p>
<p>D’autres collectifs s’en saisissent progressivement, comme <a href="https://theconversation.com/mobiiser-dans-un-contexte-post-metoo-la-strategie-du-collectif-noustoutes-193771">« Nous toutes »</a>, qui y appelle pour la première fois à l’occasion du 8 mars 2024, avec un consortium d’organisations <a href="https://coordfeministe.wordpress.com/2024/02/19/appel-a-la-greve-feministe-du-8-mars-2024/">dont la Coordination féministe</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le 8 mars on arrête tout !</span></figcaption>
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<h2>Un cadre théorique issu de la pensée féministe-marxiste</h2>
<p>Au-delà des circulations militantes internationales, la <a href="https://lms.hypotheses.org/676">diffusion de la grève féministe</a>, passe par des actrices féministes issues de <a href="https://shs.hal.science/halshs-01349832">différentes sphères</a> (académique, associative ou encore syndicale) de « l’espace de la cause des femmes ».</p>
<p>Elles interviennent dans des syndicats, des conférences, ou encore dans des <a href="https://www.contretemps.eu/read-offline/22714/pour-greve-feministe-koechlin.print">interviews</a> ou des <a href="https://www.contretemps.eu/greve-feministe-genealogie-histoire-gallot">articles</a>.</p>
<p>Cette organisation s’appuie aussi sur la mobilisation d’un corpus féministe-marxiste des <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt1vz494j">théories de la reproduction sociale</a>. Celles-ci reprennent les analyses de Marx, « étendues au travail reproductif des femmes et à leur rôle dans les rapports de (re)production capitaliste ». Ces théories mettent en lumière le <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2022-2-page-113.htm">travail reproductif</a> principalement pris en charge par les femmes, consistant à « produire l’être humain », c’est-à-dire l’ensemble des activités nécessaires à produire le travailleur, à faire en sorte qu’il/elle soit apte au travail dit productif au quotidien (travail domestique, prise en charge des enfants, mais aussi santé publique, éducation, etc.).</p>
<p>Cette critique du travail reproductif s’inscrit dans le cadre de travaux plus larges liant capitalisme et patriarcat, comme l’expliquent des autrices telles que <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/economies-populaires-et-luttes-feministes/">Verónica Gago</a>, <a href="https://www.librairie-des-femmes.fr/listeliv.php?base=paper&form_recherche_avancee=ok&auteurs=Silvia%20Federici">Silvia Federici</a> ou encore <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/feminisme_pour_les_99-9782348042881">Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya, Nancy Fraser</a>.</p>
<p>Si ces ouvrages féministes-marxistes ne sont qu’un point d’appui pour les militant·es, leur circulation va accompagner le <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2022-2-page-113.htm">regain d’intérêt pour la grève féministe</a> « qui réintègre alors les répertoires d’action collective de certaines parties du mouvement féministe » depuis quelques années.</p>
<p>Si en France les grèves ne sont pas aussi massives que dans d’autres pays comme l’Espagne ou l’Argentine, elles offrent la possibilité aux féministes de faire considérer la cause féministe comme un projet politique global qui vise à la transformation des rapports sociaux. En 2024, pour la première fois, <a href="https://www.grevefeministe.fr">au-delà d’une centaine de collectifs féministes</a> ce sont aussi huit organisations syndicales qui appellent ensemble à faire grève le <a href="https://solidaires.org/sinformer-et-agir/les-journaux-et-bulletins/solidaires-en-action/n-165/interprofessionnel-le-8-mars-cest-la-greve-feministe/">8 mars</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225226/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathilde Guellier a obtenu un contrat doctoral pour réaliser sa thèse en science politique au sein de l'Université Paris-Dauphine PSL. Dans le cadre de ses recherches, elle a réalisé une enquête ethnographique et a été notamment amenée à rencontrer des membres de la Coordination féministe et des militantes féministes.
</span></em></p>La grève féministe connaît un regain depuis la seconde moitié des années 2010, devenant l’une des revendications de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars.Mathilde Guellier, Doctorante en science politique, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2249852024-03-05T16:03:01Z2024-03-05T16:03:01ZÊtre une femme devient un motif d’obtention du statut de réfugié<p>Alors que le Congrès réunit à Versailles vient de voter l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-inscrire-le-droit-a-lavortement-dans-la-constitution-est-aussi-une-protection-symbolique-195945">Constitution</a>, une autre évolution majeure pour la protection des droits des femmes est passée plus inaperçue : la reconnaissance par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), en <a href="https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2024-01/cp240007fr.pdf">janvier dernier</a>, des femmes comme « groupe social » au sens de la Convention de Genève de 1951.</p>
<p>Sous ses abords techniques, moins immédiatement séduisants qu’une inscription dans le texte suprême d’un État, cette évolution est pourtant une quasi-révolution. C’est la première fois en effet que la plus haute instance juridictionnelle de l’Union européenne (UE) reconnaît que les femmes peuvent, sous certaines conditions prévalant dans leur pays d’origine, être reconnues réfugiées du fait de craintes de persécutions liées au genre. Les femmes victimes de <a href="https://theconversation.com/juger-les-violences-conjugales-une-audience-historique-sur-le-controle-coercitif-en-france-220894">violences conjugales</a> – objet de l’affaire qui a donné lieu à cet arrêt du 16 janvier – mais également, par exemple, les <a href="https://theconversation.com/afghanistan-la-guerre-des-talibans-contre-les-femmes-est-un-apartheid-des-genres-211569">femmes afghanes</a>, du fait du traitement qui leur est réservé par les <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-la-prise-de-pouvoir-des-talibans-les-afghanes-refusent-de-garder-le-silence-188624">talibans</a>, pourront désormais bénéficier d’une protection internationale certaine et améliorée.</p>
<h2>Le « groupe social », motif de protection</h2>
<p>La <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-relating-status-refugees">Convention de Genève de 1951</a> relative au statut de réfugié définit ce dernier comme :</p>
<blockquote>
<p>« toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays […] ».</p>
</blockquote>
<p>L’« appartenance à un certain groupe social » est certainement le motif de persécution le plus « énigmatique » ainsi que l’avait qualifié il y a quelques années un rapporteur public du Conseil d’État : ce qu’il signifie n’est pas aussi évident que les « opinions politiques », la « nationalité », ou la « religion ». S’il est fort probable qu’en 1951 le « groupe social » visé était celui des classes bourgeoises fuyant le communisme, l’indéfinition originelle de cette notion va faire beaucoup pour l’adaptation de la Convention à l’évolution de la protection des droits de la personne humaine.</p>
<p><a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32011L0095">Harmonisée</a> par le droit de l’Union européenne au début des années 2000, la définition du « groupe social » fait appel à deux critères très généraux, que l’on peut résumer simplement de la manière suivante : font partie du même « groupe social » les personnes qui, d’une part, partagent une caractéristique innée ou une histoire commune et, d’autre part, ont de ce fait une identité propre et sont perçues comme différentes par la société environnante. Or, cette définition a permis le développement, au fil des années, d’une jurisprudence promouvant principalement la protection des personnes victimes, dans leur pays d’origine, de persécutions liées au genre : tel est le cas, notamment et surtout, des personnes homosexuelles, des femmes et fillettes craignant des <a href="https://theconversation.com/excision-les-conges-dete-periode-a-risque-pour-les-adolescentes-77690">mutilations génitales</a>, ou encore des femmes s’opposant au <a href="https://theconversation.com/au-liban-les-mariages-dadolescentes-continuent-de-prosperer-92554">mariage forcé</a> – pour citer trois des principaux groupes sociaux reconnus dans certains pays d’origine par la <a href="https://euaa.europa.eu/fr/publications/guide-sur-lappartenance-un-certain-groupe-social">jurisprudence</a> de la plupart des États membres de l’Union européenne.</p>
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<p>Dans de nombreuses hypothèses, tout à fait inimaginables en 1951, le « groupe social » a ainsi permis la protection de minorités persécutées à raison de leur orientation sexuelle ou de leur opposition aux traditions constitutives de tortures ou traitement inhumains ou dégradants. Ce motif a assuré ce faisant la pertinence continue – et donc la pérennité – de la Convention de Genève. Jusqu’à présent cependant, le « groupe social des femmes » n’avait été reconnu que très épisodiquement, par <a href="https://citeseerx.ist.psu.edu/document?repid=rep1&type=pdf&doi=7ee22fba7f6f517290864502c8df502f32b219c1">quelques cours de justice</a> dont l’isolement permettait sans doute l’audace. Il en va désormais tout autrement avec la consécration de cette option de protection par la CJUE.</p>
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<h2>Le « groupe social des femmes », une (r) évolution ?</h2>
<p>La reconnaissance d’un groupe social « des femmes » se heurtait au second critère de la définition : comment considérer en effet que les femmes, qui constituent généralement peu ou prou la moitié de la société d’un pays, puissent être perçues comme « différentes » par une « société environnante »… dont elles font elles-mêmes partie pour moitié ? Les personnes homosexuelles, les femmes s’opposant à l’excision ou au mariage forcé sont minoritaires au sein de la société, et sont perçues comme différentes, y compris par les autres femmes. Dans certaines hypothèses spécifiques cependant, les femmes dans leur ensemble sont perçues comme différentes.</p>
<p>C’est pourquoi, selon la CJUE, « il y a lieu d’apprécier », pour déterminer l’existence d’un groupe social au sens de la Convention de 1951, si un ensemble de personnes partageant une caractéristique ou une histoire commune est perçu de ce fait comme distinct « au regard des normes sociales, morales ou juridiques du pays d’origine en cause » <a href="https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=281302&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3538030">(§56 de l’arrêt</a>). La « société environnante » est entendue en un sens large englobant les normes – juridiques, sociales, culturelles, etc. – dont l’objet est précisément de spécifier une partie de la population en raison de caractéristiques liées au genre. Les discriminations ou persécutions visant la part féminine de la population participent de sa marginalisation et permettent de la constituer en groupe social au sens de la Convention.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
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<p>Le raisonnement permet la généralisation. Comme l’affirme la Cour, grâce à cette approche et « en fonction des conditions prévalant dans le pays d’origine, peuvent être considérées comme appartenant à “un certain groupe social” […] les femmes de ce pays dans leur ensemble » <a href="https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=281302&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3538030">(§62</a>).</p>
<p>Telle est la principale révolution. S’il est vrai que les femmes pouvaient déjà, à raison de persécutions liées à leur genre, être protégées, cela se faisait au cas par cas et sur une base juridique régionale et non internationale, offrant une protection moindre. Désormais, les « femmes dans leur ensemble », originaires d’un pays au sein duquel elles auront été reconnues comme faisant partie d’un groupe social, pourront prétendre à la qualité de réfugié au sens de la Convention de 1951.</p>
<h2>Un « groupe social » des femmes afghanes ?</h2>
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<p>Le raisonnement de la Cour a permis, dans cette affaire, de reconnaître que les femmes peuvent être regardées comme :</p>
<blockquote>
<p>« appartenant à un “certain groupe social” […] lorsqu’il est établi que, dans leur pays d’origine, elles sont, en raison de leur sexe, exposées à des violences physiques ou mentales, y compris des violences sexuelles et des violences domestiques » (§57).</p>
</blockquote>
<p>Mais la généralisation qu’elle opère ouvre la voie à la reconnaissance d’autres groupes sociaux de femmes – et l’on songe évidemment à une telle reconnaissance concernant les <a href="https://theconversation.com/afghanistan-la-guerre-des-talibans-contre-les-femmes-est-un-apartheid-des-genres-211569">femmes afghanes</a>. La Cour nationale du droit d’asile a d’ailleurs précédé la CJUE sur ce point, jugeant dans des décisions d’octobre dernier (par ex. CNDA, 3 oct. 2023, M.N.,n°22037537) que :</p>
<blockquote>
<p>« l’accumulation des mesures prises par les autorités talibanes tendant à une restriction systématique de leurs libertés et une mise au ban de la société afghane » permettaient de considérer que les « femmes afghanes constituent un groupe social ».</p>
</blockquote>
<p>Loin des débats politiques sur les questions migratoires <a href="https://www.leclubdesjuristes.com/en-bref/la-loi-immigration-a-lepreuve-du-conseil-constitutionnel-4197/">qui ne s’encombrent pas de préoccupations juridiques</a>, la protection internationale des femmes poursuit ainsi son évolution, par le droit international et grâce à son interprétation par les juges européens et nationaux.</p>
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<p><em>Le projet <a href="https://www.refwar.fr/">REFWAR</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224985/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thibaut Fleury Graff est co-porteur du projet « RefWar », financé par l'Agence Nationale de la Recherche (ANR), s'intéresse à la protection en France des « réfugiés de guerre », c'est-à-dire de celles et ceux qui sont contraints à l'exil en raison d'un conflit armé dans leur État de nationalité ou de résidence.
</span></em></p>En janvier 2024, la CJUE a reconnu pour la première fois que les femmes pouvaient, sous certaines conditions, être reconnues réfugiées du fait de leur genre.Thibaut Fleury Graff, Professeur de droit international, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2244282024-03-04T16:56:42Z2024-03-04T16:56:42ZL’ordonnance de protection contre les violences conjugales : un dispositif sous-employé<p><em>« Mieux protéger les femmes » : telle est l’ambition de l’ordonnance de protection, créée en 2010. Ce dispositif doit permettre à la justice d’intervenir en urgence dans des situations de violence au sein des couples, sans qu’il soit nécessaire de porter plainte ou d’engager une procédure pénale. Pourtant, cet outil juridique demeure étonnamment peu employé. Dans une enquête inédite, Les Femmes et les enfants d’abord, publiée le 7 mars <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/les-femmes-et-les-enfants-d-abord/">aux éditions du CNRS</a> la sociologue Solenne Jouanneau mêle ethnographie, analyses statistiques et cadres juridiques et administratifs. Elle écrit, « il s’agit d’une part de comprendre comment le projet féministe d’affirmer le droit des femmes à être protégées contre la violence de leur (ex-) partenaire s’est retrouvé confié à une justice familiale largement aveugle aux enjeux de genre. ». Extraits choisis de l’introduction.</em></p>
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<p>La France n’est pas le seul pays à disposer d’un tel <a href="https://data.unwomen.org/evaw/database">instrument</a> […]. Au sein de l’Union européenne, des mesures comparables existent en Suède (depuis 1988), en Angleterre (depuis 1996) ou encore en Espagne (depuis 2004). Cependant, alors que les tribunaux états-uniens délivrent chaque année entre 600 000 et 700 000 décisions de <a href="https://www.researchgate.net/publication/283321707_Responding_to_Domestic_Violence_The_Integration_of_Criminal_Justice_Human_Services">ce type</a>, que les justices espagnole et anglaise en prononcent respectivement <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/280560-activite-2020-2021-comite-national-de-lordonnance-de-protection-cnop">40 000 et 25 000 par an</a>, le succès rencontré par le dispositif en France demeure plus que mitigé. […] Néanmoins, avec 54 procédures instruites au fond en 2010 et 5 845 en 2021, le recours à ce dispositif demeure rare au regard <a href="https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/migrations/portail/art_pix/DACS_Ordonnance%20de%20protection_Guide_2020_08.pdf">du nombre d’affaires poursuivies au pénal</a>.</p>
<p>À titre d’exemple, selon les données du ministère de la Justice, les juridictions pénales françaises, en 2015, ont audiencé 26 200 affaires de violences <a href="https://www.justice.gouv.fr/documentation/etudes-et-statistiques/traitement-judiciaire-violences-conjugales-2015">sur ex-conjoint</a>, tandis que les affaires familiales n’ont pas statué sur plus de 2 846 demandes de protection.</p>
<p>Comment expliquer la difficile implantation de ce dispositif de protection dans le système judiciaire français, quand, dans les pays nord-américains et européens qui en sont dotés, ce type d’instrument connaît un succès de bien plus grande ampleur ? Telle est la question que le présent ouvrage entend traiter en revenant sur les conditions d’invention, de transcription juridique et de mise en œuvre judiciaire de l’ordonnance de protection. […]</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/violences-conjugales-et-si-lon-cessait-de-considerer-les-victimes-uniquement-comme-publics-vulnerables-216757">Violences conjugales : et si l’on cessait de considérer les victimes uniquement comme « publics vulnérables » ?</a>
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<h2>L'instrumentalisation des enfants</h2>
<p>Hiver 2016. Matinée. Odile Durand est coordinatrice du tribunal aux affaires familiales de Marcylle. Diplômée de Sciences Po Paris, cette ancienne juge des enfants a les cheveux courts, porte un tailleur-pantalon à la coupe stricte et un collier fantaisie rouge vif. Assise à son bureau, elle parcourt le dossier d’ordonnance de protection avec lequel elle va débuter sa journée.</p>
<p>Après s’être assurée de la validité de la procédure, elle parcourt la requête et les documents qui l’accompagnent (une main courante, une plainte et une série d’attestations produites par des administrations et des particuliers). Le dossier, ouvert à 9 h 33, est refermé à 9 h 48. La requête a été déposée par une femme de 44 ans de nationalité française. Cadre dans une entreprise privée, elle met en cause le comportement du père de sa fille, un homme de 63 ans au chômage.</p>
<p>[…]</p>
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<p>Avocate de Madame (en demande)</p>
</blockquote>
<ul>
<li>Monsieur est marié avec une autre femme, mais il a une relation adultère avec ma cliente depuis quinze ans. Ils ont une fille de 9 ans, Maeva. Monsieur a reconnu l’enfant. Madame est victime de la jalousie maladive de Monsieur. Il contrôle sa vie à distance. Tout est dans le dossier que je vous ai remis Madame la juge : il lui envoie des SMS toute la journée, l’appelle jusqu’à vingt fois par jour. Madame doit se justifier sur son emploi du temps, Monsieur exige qu’elle rentre chez elle directement après le travail, lui interdit de fréquenter d’autres hommes, refuse qu’elle fasse la bise à ses collègues de sexe masculin. Il l’accuse constamment de le tromper. Madame a essayé de le quitter plusieurs fois mais chaque fois Monsieur menace de se suicider avec leur fille […]. La fillette explique que son père lui ordonne de surveiller sa mère en son absence […] et de lui relater son emploi du temps, le tout sous couvert de menace […].Un juge des enfants a été saisi […].</li>
</ul>
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<figcaption><span class="caption">Violences faites aux femmes : l’ordonnance de protection au tribunal de grande instance de Bobigny, 2019.</span></figcaption>
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<h2>Les violences physiques</h2>
<p>Hiver 2016. Début d’après-midi. Cheveu court, lunettes en écailles et costume de ville gris clair, le juge Raphaël Plavard, la trentaine, s’apprête à débuter son audience de cabinet de l’après-midi. Alors que sa greffière part vérifier que « l’OP est complète », il me tend le dossier.</p>
<p>Celui-ci comporte une plainte faisant état de violences physiques, d’insultes et de menaces de mort (« Je vais te tuer sale pute, c’est pas une pute qui va me manger mon argent »), un certificat médical de l’unité médico-légale constatant un hématome au niveau des yeux, des contusions sur les épaules, un choc émotionnel intense et lui accorde une ITT de cinq jours. Alors que je finis de parcourir le dossier, la greffière revient avec les justiciables, tous deux originaires du Cameroun. L’époux est chauffeur poids lourd. L’épouse, femme de ménage, est actuellement sans emploi et dispose pour tout revenu de l’allocation de solidarité spécifique. Seule cette dernière est assistée d’une avocate.</p>
<blockquote>
<p>JAF. – Nous sommes là parce que Madame a déposé une requête en ordonnance de protection à l’encontre de Monsieur. Avant de laisser la parole à l’avocate de Madame, je vous indique que le parquet, avisé de cette demande de protection, indique qu’aucune procédure pénale n’est actuellement en cours et qu’il ne s’oppose pas à la délivrance de l’OP.> Avocate de Madame (en demande).</p>
</blockquote>
<ul>
<li>Le couple est marié depuis sept ans, trois enfants. Le premier épisode de violences remonte à six ans, lors de la troisième grossesse de Madame. Le second a eu lieu il y a trois mois, en présence de leur fille. Madame a été battue par son époux. Suite à un troisième épisode de violence, où elle a été contrainte de s’enfermer dans la salle de bains et d’appeler la police, Madame a quitté le domicile. Depuis, Madame est hébergée par le 115 avec les trois enfants. Elle demande une interdiction d’entrer en contact avec elle ; la jouissance du domicile conjugal, charge à Monsieur de continuer à régler la moitié du loyer. S’agissant des enfants, Madame demande la résidence habituelle, l’exercice exclusif de l’autorité parentale, une contribution de 150 euros par enfant. […]</li>
</ul>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/violence-conjugale-pourquoi-la-notion-de-controle-coercitif-pourrait-produire-plus-de-justice-215743">Violence conjugale : pourquoi la notion de « contrôle coercitif » pourrait produire plus de justice</a>
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<h2>L’ordonnance de protection s’applique à toutes les catégories de couples</h2>
<p>Ces deux scènes décrivent ce qui se joue dans les toutes premières minutes du dispositif judiciaire de lutte contre les violences conjugales que ce livre entend étudier.</p>
<p>Instaurée par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000022454032/">loi du 9 juillet 2010</a>, renforcée par les <a href="https://www.gouvernement.fr/action/la-loi-pour-l-egalite-reelle-entre-les-femmes-et-les-hommes">lois du 4 août 2014</a> et du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000039684243">28 décembre 2019</a>, l’ordonnance de protection est applicable à toutes les catégories de couples (mariés, pacsés, concubins, non-cohabitants) ou d’ex-couples.</p>
<p>Elle garantit à toute personne affirmant être victime de la violence d’un (ex-) partenaire de passer en urgence devant un·e juge aux affaires familiales pour solliciter des mesures visant à faciliter et sécuriser la séparation.</p>
<p>Certaines de ces mesures sont de nature pénale et à visée sécuritaire : dissimulation d’adresse, interdiction de porter une arme ou d’entrer en contact avec certaines personnes. D’autres sont de nature civile et organisent la séparation du couple et ses conséquences en tenant compte des risques occasionnés par le contexte de violences.</p>
<p>Cette procédure civile dotée d’implications pénales rompt avec les <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/sociologie/demariage_9782738102096.php">logiques de pacification et de conciliation</a> qui dominent la justice familiale dans les procédures classiques de séparation depuis plus <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/droit-justice/au-tribunal-des-couples_9782738130532.php">d’une trentaine d’années</a>, notamment en autorisant la prononciation temporaire de mesures d’éloignement et de restriction des droits parentaux du conjoint violent.</p>
<h2>Un dispositif né de la lutte contre les violences faites aux femmes</h2>
<p>Comme l’atteste la distance sociale qui sépare les justiciables des deux affaires évoquées en exergue (l’une est cadre, française et blanche, l’autre, au chômage, est femme de ménage, immigrée et racisée), faire face à la violence d’un (ex-) partenaire intime quand on est une femme n’est pas une affaire de classe, de race ou de religion. <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_violences_contre_les_femmes-9782707168948">Expérience genrée</a>, elle a pour objet de générer la soumission de celles qui la subissent et constitue, pour ceux qui l’exercent, un moyen de <a href="https://www.ojp.gov/ncjrs/virtual-library/abstracts/coercive-control-how-men-entrap-women-personal-life">maintenir</a> leurs privilèges masculins dans l’espace conjugal ou familial.</p>
<p>Cette violence de genre s’exprime par des pratiques contrôlantes, voire coercitives et empruntant <a href="https://www.ojp.gov/ncjrs/virtual-library/abstracts/typology-domestic-violence-intimate-terrorism-violent-resistance">à différentes formes de violence</a> (verbale, psychologique, physique, sexuelle, économique ou encore administrative).</p>
<p>Ces pratiques visent <a href="https://journals.openedition.org/cedref/1501">l’appropriation matérielle</a> des femmes, l’extorsion répétée de leur consentement afin de pouvoir jouir de leur corps, des ressources offertes par <a href="https://www.syllepse.net/l-ennemi-principal-_r_87_i_584.html">leur travail (re)productif</a>, <a href="https://journals.openedition.org/framespa/646">domestique</a> et <a href="https://documentation.insp.gouv.fr/insp/doc/CAIRN/_b64_b2FpLWNhaXJuLmluZm8tVEdTXzAyNl8wMTk1/le-care-nbsp-soin-a-autrui-et-objet-de-controverses">émotionnel</a>, ou encore le maintien de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_genre_du_capital-9782348044380">l’inégale répartition des ressources économiques</a> entre les partenaires.</p>
<p>De tels comportements peuvent intervenir à l’occasion de désaccords au sein du couple sur des aspects très ordinaires de la vie quotidienne (répartition et réalisation des tâches domestiques, parentalité, sexualité, gestion de l’argent, pratiques culturelles et religieuses, etc.), ou à des moments plus exceptionnels (grossesse, perte d’emploi et difficultés financières, maladie, séparation et organisation de ses conséquences).</p>
<p>Il arrive aussi fréquemment que ces comportements se poursuivent au-delà de la séparation, certains hommes refusant de renoncer à la relation de pouvoir instaurée lors de la vie conjugale.</p>
<h2>L’apport des « fémocrates »</h2>
<p>Appréhendées comme des faits divers regrettables mais totalement imprévisibles jusqu’à la fin des années 1960, ces violences font l’objet d’une théorisation alternative par les féministes matérialistes dans les années 1970.</p>
<p>Cherchant à analyser la contribution de ces violences à la (re)production de la domination patriarcale, <a href="https://fr.scribd.com/document/373540151/Jalna-Hanmer-Violence-Et-Controle-Social-Des-Femmes-1977">Jalna Hanmer</a> et bien d’autres démontrent la manière dont la violence et/ou la peur de la subir constituent un des ressorts fondamentaux du contrôle social que les hommes exercent sur les femmes.</p>
<p>Elles sont aussi les premières à dénoncer en quoi l’invisibilisation des mécanismes sous-jacents <a href="https://www.syllepse.net/un-silence-de-mortes-_r_87_i_330.html">à la perpétration de la violence</a> et la relative inaction de l’État face à ces actes contribuent à puissamment légitimer la domination masculine.</p>
<p>En instituant ce fait social en cause publique et politique, les féministes – dont celles qui évoluent dans le champ du pouvoir et que l’on qualifiera dans ce livre de fémocrates pour insister sur leur double qualité de <a href="https://catalogue.nla.gov.au/catalog/2249091">féministes et de bureaucrates</a> – ont forcé le champ du pouvoir à considérer ces violences comme un problème public, c’est-à-dire comme un <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100990050">problème susceptible d’être résolu par l’État</a> et relevant, en conséquence, de <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-culture-des-problemes-publics-9782717856101.html">la responsabilité de ses administrations</a>.</p>
<p>L’étatisation de la lutte contre les violences masculines au sein du couple s’est alors traduite, à compter des années 1990, par l’élaboration et la mise en œuvre d’une succession de plans d’action publique destinés à résorber le phénomène. Ces politiques sont indubitablement nourries par l’expertise féministe et le <a href="https://www.cairn.info/dictionnaire-des-politiques-publiques--9782724615500-page-555.htm">référentiel</a> des violences faites aux femmes mis en circulation par les <a href="https://documentation.insp.gouv.fr/insp/doc/CAIRN/_b64_bFpLWNhaXJuLmluZm8tTlFGXzQyMV8wMTAx/le-feminisme-d-etat-et-les-violences-de-genre-en-france-nbsp-avancees-et-limites-de-la-politique-de-">instances onusiennes et européennes</a>.</p>
<h2>Judiciarisation ou juridicisation</h2>
<p>Elles comprennent un volet social principalement délégué aux associations féministes spécialisées dans l’accompagnement et l’hébergement des victimes. Mais ces plans de lutte se dotent aussi rapidement d’un <a href="https://pur-editions.fr/product/6984/lutter-contre-les-violences-conjugales">volet judiciaire</a> visant à dynamiser et renforcer la <em>judiciarisation</em> de ces violences en transformant les modalités de sa <a href="https://www.ojp.gov/ncjrs/virtual-library/abstracts/typology-domestic-violence-intimate-terrorism-violent-resistance"><em>juridicisation</em></a>.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2009-2-page-73.htm">Cette distinction</a> est importante. Par judiciarisation, on entend la propension des professionnel·le·s du droit à appréhender les actes de violence et de maltraitance au sein du couple comme des infractions ou des litiges relevant de l’arène judiciaire l’autorité régulatrice des juges.</p>
<p>En France, ce processus <a href="https://anamosa.fr/livre/la-paix-des-menages/">remonte au XIXᵉ siècle</a>. Néanmoins, jusqu’au début des années 1990, l’intervention judiciaire n’a pas vocation à protéger les femmes de la violence des hommes. Principalement circonscrite à la répression des violences létales, elle vise surtout à assurer « la défense des valeurs conjugales dans l’intérêt de l’ordre social », ce qui, dans bien des cas, revient <a href="https://www.ens-lyon.fr/evenement/recherche/quand-il-ny-pas-mort-dhommes-socio-histoire-du-feminicide-en-france-1791-1976">à légitimer l’exercice du patriarcat</a> en rappelant le périmètre légal des conditions d’exercice de la puissance maritale et/ou paternelle.</p>
<p>La juridicisation, quant à elle, désigne la manière dont les normes sociales se transposent « dans des règles et des dispositifs juridiques explicites », en vue de diminuer « la marge d’autonomie laissée aux acteurs pour adopter d’autres conduites que celles prescrites par le <a href="https://www.cairn.info/sociologie-du-droit-et-de-la-justice--9782200246457-page-27.htm">droit</a> ».</p>
<h2>Transcrire dans la loi le droit politique des femmes à être protégées</h2>
<p>En matière de violences dans le couple, le déclenchement de ce processus découle principalement de l’activisme des fémocrates. Il a timidement débuté lors de la réforme du Code pénal de 1992, via la reconnaissance du caractère aggravé de ces violences en raison de la relation intime et/ou conjugale entretenue par l’auteur et la victime.</p>
<p>Il s’est accéléré à compter de la seconde moitié des années 2000 avec l’adoption de près de sept lois visant à faciliter et améliorer les conditions de leur judiciarisation entre 2004 et 2020.</p>
<p>Ces textes ont élargi le périmètre d’intervention de la justice en matière de violences au sein du couple. Ils ont aussi invité les magistrat·e·s du parquet et du siège à contribuer plus activement que par le passé à la prise en charge de ce contentieux. Si, au départ, l’injonction prend la forme d’une incitation à poursuivre et punir plus systématiquement les auteurs de ces violences, ensuite elle prend également la forme d’une exhortation à mieux protéger leurs victimes, via la prononciation de mesures à même de faciliter et de sécuriser le processus de séparation.</p>
<p>Ce nouvel impératif judiciaire, né dans le giron des politiques de lutte contre les violences faites aux femmes, s’observe dans la plupart des lois adoptées au cours des années 2000. Il connaît toutefois un accomplissement sans précédent avec la création de l’ordonnance de protection, en ce que celle-ci revient a priori à reconnaître et à transcrire dans la loi le droit politique des femmes à être protégées de la violence de leur (ex-) partenaire.</p>
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<p><em>Les lieux et les personnes ont été <a href="https://hal.science/halshs-00739600">anonymisés</a>. Les prénoms et noms de famille attribués en remplacement ont été choisis de manière à conserver leur caractère d’indicateur significatif quant à l’origine sociale ou géographique des enquêté·e·s.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224428/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Solenne Jouanneau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment l’ordonnance de protection visant à empêcher les violences faites aux femmes dans le cadre conjugal aboutit paradoxalement à instituer un seuil de violence « juridiquement acceptable » ?Solenne Jouanneau, Maîtresse de conférences HDR en Science Politique, Institut d’Etudes Politiques de Strasbourg, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2241042024-03-03T16:01:18Z2024-03-03T16:01:18ZL’héritage de Barbara Strozzi, compositrice et interprète vénitienne, quatre siècles plus tard<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/577047/original/file-20240122-59268-92rxq2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C26%2C1254%2C807&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait de Barbara Strozzi peint par Bernardo Strozzi vers 1630.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bernardo_Strozzi_001.jpg">Gemäldegalerie Alte Meister</a></span></figcaption></figure><p>Dans la Venise du XVII<sup>e</sup> siècle, les femmes n’avaient qu’un accès limité à l’éducation et à l’enseignement musical. Le monde l’interprétation et de la composition musicale était dominées par les hommes, et la participation active des femmes y était inhabituelle.</p>
<p>Mais l’une d’entre elles a défié cette norme et <a href="https://dialnet.unirioja.es/servlet/articulo?codigo=7165002">excellé en tant que chanteuse et compositrice</a>, surmontant la résistance et la désapprobation sociale associées à celles qui cherchaient à faire une carrière musicale.</p>
<p>Barbara Strozzi est née le 6 août 1619 à Venise, où elle a réussi à s’imposer comme l’une des principales compositrices et chanteuses de la période baroque. Son enfance et sa formation sont entourées de mystère, et ses débuts ont été marqués par des circonstances particulières. Barbara était la fille illégitime de <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Giulio_Strozzi">Giulio Strozzi</a>, un poète et librettiste vénitien qui, plutôt que de dissimuler son origine, l’a reconnue et éduquée avec ses trois enfants légitimes.</p>
<p>Giulio Strozzi a ainsi défié les conventions sociales en offrant à Barbara une éducation solide. Il lui donne accès à la bibliothèque familiale et lui permet de participer à la vie culturelle et artistique qui fleurit à Venise au XVII<sup>e</sup> siècle. La ville était un lieu crucial pour la musique baroque, et Barbara Strozzi a eu l’occasion, dès son enfance, de s’imprégner de la riche tradition musicale locale.</p>
<p>Son éducation musicale a été renforcée par la tutelle du compositeur <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Francesco_Cavalli">Francesco Cavalli</a>, un musicien influent de l’époque. Cavalli travaillait à Saint-Marc, la célèbre basilique de Venise, et c’est là qu’il a donné à Barbara des cours de composition et de chant. Ce soutien a été fondamental pour son développement artistique et la consolidation de ses compétences musicales.</p>
<h2>Une œuvre unique en son genre</h2>
<p>Grâce à cette excellente formation, Barbara Strozzi est devenue une chanteuse et une compositrice douée, reconnue pour ses capacités exceptionnelles. Sa musique, essentiellement vocale, couvre une grande variété de genres, des arias lyriques aux <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Madrigal_(m%C3%BAsica)">madrigaux</a> et aux cantates. Ses compositions se caractérisent par leur expressivité, leur originalité et leur complexité technique, et témoignent de sa maîtrise de la forme musicale et de sa grande capacité à explorer les émotions.</p>
<p>En tant que soprano, elle a interprété elle-même un grand nombre de ses compositions, ce qui a ajouté une dimension unique à son œuvre. Ses talents de chanteuse ont influencé sa façon de concevoir et d’écrire la musique vocale, et l’accent mis sur l’expressivité vocale est devenu la marque de son style.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/570612/original/file-20240122-23-j53pka.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Page de titre d’une composition de Barbara Strozzi : Placeres de Euterpe : cantatas and arietas for solo voice, seventh opera" src="https://images.theconversation.com/files/570612/original/file-20240122-23-j53pka.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570612/original/file-20240122-23-j53pka.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570612/original/file-20240122-23-j53pka.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570612/original/file-20240122-23-j53pka.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570612/original/file-20240122-23-j53pka.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570612/original/file-20240122-23-j53pka.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570612/original/file-20240122-23-j53pka.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><em>Diporti di Euterpe</em> : Cantates et Ariettes pour voix seule, op.7, par Barbara Strozzi.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.loc.gov/resource/music.musihas-200154784/?sp=5&r=-0.308,-0.009,1.634,0.781,0">Library of Congress</a></span>
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<p>Outre ses compétences techniques, Barbara Strozzi s’est également distinguée par sa capacité à fusionner des éléments de la tradition musicale italienne avec des éléments originaux. Ses compositions étaient novatrices et reflétaient l’influence de compositeurs contemporains, tout en conservant une identité unique : elle était capable de capturer l’essence de la période baroque tout en marquant de son empreinte le paysage musical de l’époque.</p>
<h2>Une musique novatrice</h2>
<p>Malgré ses indéniables compétences, elle a affronté de nombreuses difficultés. Comme l’explique Sandra Soler Campo dans <a href="https://dialnet.unirioja.es/servlet/libro?codigo=777469"><em>Women Musicians : Difficulties, Advances and Goals to Achieve in the 21st Century</em></a>, les restrictions liées au genre ont empêché, au fil de l’histoire, l’accès des femmes à l’éducation musicale, leur participation à la sphère professionnelle de la musique et la publication des œuvres qu’elles composaient.</p>
<p>L’un des aspects les plus remarquables de la contribution de Barbara Strozzi est sans aucun doute sa capacité à se frayer un chemin dans un monde musical dominé par les hommes.</p>
<p>Elle a également dû surmonter les stéréotypes associés aux femmes dans le monde artistique, la tendance de l’époque étant de lier la créativité artistique à la masculinité. Cela engendrait de la méfiance et du scepticisme à l’égard des femmes qui excellaient dans des domaines tels que la musique. C’est dans la sphère privée que les femmes étaient socialement censées s’épanouir, ce que Barbara Strozzi n’a jamais voulu assumer.</p>
<p>Contrairement à de nombreuses femmes de son époque, et grâce à ses compétences et à sa détermination, elle est parvenue à publier huit recueils de musique. Cela lui a permis d’asseoir sa notoriété, car ses compositions étaient novatrices et expressives. Grâce à ces publications, nous pouvons toujours interpréter et écouter son œuvre très personnelle et originale, tant au niveau des textes et des thèmes que de la musique.</p>
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<h2>Une figure de référence</h2>
<p>Outre sa carrière musicale, Barbara Strozzi était connue pour sa beauté ; elle fut la muse de plusieurs poètes et artistes de l’époque. Cette dualité entre son talent musical et son pouvoir de séduction contribue à en faire une figure singulière. Sa vie et son œuvre ont inspiré les générations suivantes, ouvrant la voie à l’excellence des femmes dans un domaine historiquement dominé par les hommes.</p>
<p>Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir des œuvres de Barbara Strozzi programmées dans des concerts de musique ancienne. En 2019, à l’occasion du 400<sup>e</sup> anniversaire de sa naissance, l’autrice Mar Busquets-Mataix a publié le roman <a href="https://olelibros.com/comprar-libros/narrativa/mujeres-sin-limites/la-voz-y-el-agua-mar-busquets/"><em>La voz y el agua</em></a>, qui met en lumière sa valeur musicale en tant que chanteuse et compositrice, mais aussi son courage et le caractère visionnaire de son personnage.</p>
<p>Il ne fait aucun doute que Barbara Strozzi a laissé une trace indélébile dans l’histoire de la musique baroque.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224104/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Las personas firmantes no son asalariadas, ni consultoras, ni poseen acciones, ni reciben financiación de ninguna compañía u organización que pueda obtener beneficio de este artículo, y han declarado carecer de vínculos relevantes más allá del cargo académico citado anteriormente.</span></em></p>Barbara Strozzi, compositrice et chanteuse de la période baroque, est connue pour ses compositions novatrices, sa virtuosité vocale et sa capacité à défier les barrières de genre.Sandra Soler Campo, Profesora de didáctica musical, Universitat de BarcelonaElia Saneleuterio Temporal, Profesora del Departamento de Didáctica de la Lengua y la Literatura, Universitat de ValènciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2229372024-02-29T16:25:15Z2024-02-29T16:25:15ZCinéma, littérature… est-ce la fin du mythe de Pygmalion ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/578849/original/file-20240229-24-x4zlap.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=246%2C53%2C1644%2C1176&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans « Pauvres créatures », Bella inverse les rôles.</span> <span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span></figcaption></figure><p>L’intervention de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=JFRAmKjRAB8">Judith Godrèche lors de la dernière cérémonie des Césars</a> nous a rappelé que la « femme enfant » que l’homme rêve de modeler est un sujet puissant de fantasmes masculins, qui a emmené beaucoup de « petits chaperons rouges », comme elle dit, vers la désolation.</p>
<p>La création d’une femme idéale par des hommes est aussi au cœur du film
<em>Pauvres créatures</em>, lion d’or à la Mostra de Venise, 11 fois nominé aux oscars. Il est adapté du roman de science-fiction de <a href="https://theconversation.com/pauvres-creatures-connaissez-vous-alasdair-gray-lauteur-du-roman-dont-le-film-est-tire-221639">l’écossais Alasdair Gray</a>. Le réalisateur Yorgos Lanthimos y évoque le fantasme de la création de la « femme idéale » en mêlant réalisme et onirisme, à l’instar de Buñuel, qu’il admire. L’héroïne Bella Baxter, interprétée magistralement par Emma Stone, éblouit avec ses <a href="https://www.vogue.fr/galerie/costumes-emma-stone-pauvres-creatures-interview">fabuleux costumes signés Holly Waddington</a>.</p>
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<p>La jeune femme est ramenée à la vie par le Dr Godwin Baxter, dit « God » (Willem Dafoe), « dieu » aux allures de Frankenstein, qui a récupéré son corps après qu’elle se soit jetée d’un pont, enceinte, puis lui a greffé le cerveau de son propre bébé. Son « créateur » comme son disciple, le Dr Max McCandles (Ramy Youssef) suivent amoureusement ses progrès fulgurants jusqu’à ce qu’elle s’enfuie avec un séducteur, Duncan Wedderburn (Mark Ruffalo).</p>
<p>Alors commence son odyssée européenne, un <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2007-5-page-58.htm">« grand tour » de formation</a>, une tradition chez les aristocrates anglais du XVI<sup>e</sup> au XVIII<sup>e</sup> siècles.</p>
<p>Ce film nous plonge dans une nouvelle version de Pygmalion, mythe qui n’en finit pas d’inspirer la littérature comme le <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/02/23/la-jeune-fille-au-cinema-ou-les-ravages-d-un-mythe_6218004_4500055.html">cinéma, avec une influence telle, qu’il sert même de justification dans les défenses des réalisateurs accusés d’emprise sur mineures</a>,</p>
<h2>« Et l’homme créa la femme »</h2>
<p>Pygmalion, dans <em>Les Métamorphoses</em> d’Ovide (243-297), est un sculpteur chypriote qui tombe amoureux de la statue qu’il a créée, Galatée,à laquelle Aphrodite donne vie. Pygmalion s’est désintéressé des femmes chypriotes, les Propétides, qu’il juge impudiques, trop libres. Elles sont associées <a href="https://theconversation.com/comment-les-sorcieres-sont-devenues-des-icones-feministes-216284">à des sorcières</a>, ou des prostituées, par opposition à la pureté et la fidélité de la création idéalisée de l’homme : Galatée.</p>
<blockquote>
<p>« Parce que Pygmalion avait vu ces femmes passer leur vie dans le crime, outré par ces vices dont la nature a doté en très grand nombre l’esprit féminin, célibataire, il vivait sans épouse, et depuis longtemps, il lui manquait une compagne pour partager sa couche.</p>
<p>Dans le même temps, il sculpta avec bonheur l’ivoire immaculé avec un art remarquable et donna corps à une beauté à nulle autre pareille ; il conçut de l’amour pour son œuvre. En effet, celle-ci a l’apparence d’une vraie jeune fille que l’on croirait vivante et si la pudeur ne s’y opposait, prête à bouger ; tant l’art s’efface à force d’art. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=773&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=773&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=773&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578219/original/file-20240227-16-ibtpni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=971&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jean-Léon Gérôme, Pygmalion et Galatée, vers1890.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Jean-L%C3%A9on_G%C3%A9r%C3%B4me,_Pygmalion_and_Galatea,_ca._1890.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Au fil de l’histoire, sculpteurs, peintres, auteurs, puis cinéastes se sont emparés du mythe.</p>
<p>L’amour narcissique de l’artiste pour sa création est au cœur de la fable de La Fontaine : <a href="https://www.lafontaine.net/les-fables/les-fables-du-livre-ix/le-statuaire-et-la-statue-de-jupiter/">« Le statuaire et la statue de Jupiter »</a> qui évoque Pygmalion et sa passion quasi incestueuse :</p>
<blockquote>
<p>« Pygmalion devint l’amant/De la Vénus dont il fut père ».</p>
</blockquote>
<p>Dans <em>Le Chef d’œuvre Inconnu</em>, Balzac décrit en 1831 Frenhofer, artiste désireux de produire un portrait parfait de femme, passionné par sa création, au point d’en devenir fou :</p>
<blockquote>
<p>« Ah ! Ah ! s’écria-t-il. Vous ne vous attendiez pas à tant de perfection ! Vous êtes devant une femme et vous cherchez un tableau. […] Voilà les formes mêmes d’une jeune fille. »</p>
</blockquote>
<p>Ces versions décrivent l’amour de l’art dans sa forme absolue, idéalisée.</p>
<p>Mais créer une femme parfaite, selon ses goûts, est aussi un rêve suprême de domination masculine. Au XVII<sup>e</sup>, dans <em>l’École des Femmes</em> de Molière (1662), Arnolphe, de peur d’être cocu, maintient la jeune Agnès sans éducation, afin d’épouser une femme innocente. Au XVIII<sup>e</sup>, Rousseau écrit une pièce intitulée <em>Pygmalion</em>(1762), et dans <em>Emile et Sophie</em> il décrit la compagne parfaite d’Emile comme celle dont l’esprit restera une terre vierge que son mari ensemencera à sa guise. Au XIX<sup>e</sup>, l’artiste de Daudet dans <em>Le Malentendu</em> choisit une femme sans culture pour l’instruire selon ses goûts…</p>
<p>La pièce de Georges Bernard Shaw <em>Pygmalion</em>(1914), adaptée au cinéma par Leslie Howard sous le même titre en 1938, a donné <em>My Fair Lady</em> de George Cukor avec Audrey Hedburn, récompensé par huit oscars en 1965. Dans ce film, deux lords entreprennent de transformer une vendeuse de fleurs en lady, en lui enseignant à parler de manière raffinée. Dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Maudite_Aphrodite"><em>Maudite Aphrodite</em> de Woody Allen</a> (1995), le héros tente de faire de la mère génétique de son fils adoptif – une prostituée actrice de porno – une mère honorable.</p>
<p>Dans le droit fil du mythe de Pygmalion, bien des héros de cinéma cultivent ce rêve de <a href="https://cinephantasmagory.com/2020/03/08/le-mythe-de-pygmalion-au-cinema/">transformer une femme</a> selon leurs désirs, de créer une « pretty woman » soumise à leur bon vouloir.</p>
<p>Dans le film de Lanthimos, Bella Baxter est objectifiée par le regard de son créateur, de son fiancé, de son amant Duncan et de son ancien mari (le cadrage en œil de bœuf met en scène ces regards des hommes fixés sur elle, le fameux <a href="https://www.eveprogramme.com/52894/au-cinema-et-ailleurs-le-male-gaze-on-en-parle/">“male gaze”</a>). Chacun tente de retenir les élans de Bella vers la liberté : son père créateur l’enferme tout d’abord comme ses autres animaux greffés (tout droit sortis de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27%C3%8Ele_du_docteur_Moreau"><em>l’Ile du Docteur Moreau</em> de H.G. Wells </a>. Il se justifie : « c’est une expérience, et je dois contrôler les résultats ».</p>
<p>Le processus créatif autorise la domination, du scientifique comme de l’artiste, jusqu’à l’abus.</p>
<p>Cependant étant lui-même victime d'un père qui l'a asexué, il lui accorde finalement sa confiance et il accepte son départ. Ne lui a-t-il pas raconté que ses parents étaient des explorateurs ? A partir de là, elle part explorer le vaste monde et la vie en noir et blanc de Bella passe en couleurs ; la caméra suit désormais le regard de l’héroïne dans son périple éducatif. Bella mène la danse de façon endiablée, et s’affranchit de la domination masculine.</p>
<h2>Inversion des rôles</h2>
<p>Désormais la parole est à Galatée et non plus à Pygmalion. Déjà, l’artiste belge Paul Delvaux inversait les rôles, en peignant une femme amoureuse d’un buste d’homme en 1939, <a href="https://fine-arts-museum.be/fr/la-collection/paul-delvaux-pygmalion">dans une veine surréaliste</a>. Aujourd’hui, le mythe est revisité dans la fiction (romans, films) en se focalisant sur celle qui était jusqu’alors réduite au rôle de « femme objet » ; Galatée, à l’ère de #MeToo, prend enfin la parole.</p>
<p>Madeline Miller, autrice à succès du <em>Chant d’Achille</em>, lui redonne une voix dans sa nouvelle <em>Galatée</em> (2021) : l’héroïne éponyme fuit la maison où elle est enfermée avec sa fille et s’adresse à son créateur comme à un geôlier détesté. Dans <em>Pauvres créatures</em>, Bella, comme Agnès dans <em>l’École des femmes</em>, est consciente de ses lacunes et a soif de connaissances. Son éducation passe par le voyage, la lecture et la philosophie avec son amie Martha, l’éveil à la conscience politique avec sa compagne prostituée Toinette, mais surtout l’exploration de la sexualité.</p>
<p>Longtemps, on a relié la curiosité intellectuelle des femmes à l’immoralité et au libertinage. Au XVII<sup>e</sup>, dans sa fable <a href="http://17emesiecle.free.fr/Esprit_vient_aux_filles.php">« Comment l’esprit vient aux filles »</a>, La Fontaine associe la découverte de la sexualité à la formation de l’esprit féminin, dans une veine gaillarde. Au XVIII<sup>e</sup>, l’éveil philosophique et sexuel des femmes vont de pair dans les œuvres libertines de <em>Thérèse Philosophe</em> (Boyer d’Argens) à celles de Sade,en passant par Mme de Merteuil dans Les <em>liaisons dangereuses</em>, on s’instruit <a href="https://journals.openedition.org/narratologie/312">dans les boudoirs</a>.</p>
<h2>Liberté d’expression et liberté sexuelle</h2>
<p>Aujourd’hui, il s’agit de revendiquer une nouvelle façon d’être femme, libre dans sa sexualité, comme dans ses propos. À l’instar de Virginie Despentes,dans <a href="https://www.telerama.fr/idees/pourquoi-il-est-urgent-de-(re)lire-king-kong-theorie,-de-virginie-despentes,n5486772.php"><em>King Kong Theorie</em></a>, Bella parle crûment, elle analyse tout avec une logique sans filtre et refuse les termes convenus que tente de lui imposer Duncan lors d’un dîner mondain. Elle réfute <a href="https://queereducation.fr/monique-wittig-la-pensee-straight/">« la pensée straight »</a> avec ses conventions sociales et ses interdits, comme parler de sexe à table. Ovide semble avoir laissé place à Ovidie, l’autrice de <a href="https://www.senscritique.com/bd/Baiser_apres_metoo_Lettres_a_nos_amants_foireux/42814784"><em>Baiser après #MeToo. Lettres à nos amants foireux</em></a> lorsque Bella commente les prestations de ses amants.</p>
<p>Héritière de <em>Belle de jour</em>, l’héroïne du roman de Kessel (1928), adapté par [Luis Buñuel avec Catherine Deneuve,] Bella choisit également de <a href="https://www.dailymotion.com/video/x7uy2pf">se prostituer</a>. Rappelons que Belle de jour, <a href="https://theconversation.com/existe-t-il-un-remede-au-bovarysme-du-xxi-si%C3%A8cle-170125">Mme Bovary du XXᵉ siècle</a>, ne trouvait un espace de liberté dans son mariage bourgeois qu’en se donnant l’après-midi à des hommes, selon des codes masochistes.</p>
<p>Pour Bella, qui n’est pas enfermée dans les contraintes du mariage, la prostitution est un moyen d’apprendre à mieux connaître le monde et les hommes, en étant autonome financièrement. Elle impose des règles à ses clients (se parfumer, lui raconter un souvenir d’enfance). Elle se décrit comme « son propre outil de production » dans un vocabulaire appris à ses réunions socialistes avec son amante, Toinette. Elle finit par choisir sa destinée : elle opte pour la chirurgie – comme son père – et épouse le gentil Dr Max McCandles.</p>
<p>Dans les dernières images du film, Bella se cultive dans son jardin, où jouent des dames heureuses. Et son père créateur, à qui elle demande : « Alors, je suis ta création ? » lui répond : « Non, tu as seule créé Bella Baxter ». Le mythe de Pygmalion se transforme : il s’agit toujours, comme l’indique le titre du dernier roman de Marie Darrieusseq de <a href="https://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=978-2-8180-5991-3"><em>Fabriquer une femme</em> (2024)</a>, mais la créature se développe de façon autonome.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-feminist-gaze-quand-les-femmes-ecrivent-en-feministes-212586">Le « feminist gaze » : quand les femmes écrivent en féministes</a>
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<p><em>Pauvres créatures</em> constitue une version baroque néogothique de <em>Barbie</em> (film également nominé 8 fois aux oscars) – notons que Bella est aussi le nom d’une poupée des années 1950. Histoire de l’éveil d’une conscience féministe, il propose une réécriture du mythe où désormais, libérée de Pygmalion, Galatée jouit de sa pleine autonomie sexuelle et intellectuelle. Si des <a href="https://theconversation.com/cinema-que-voit-on-quand-les-femmes-passent-derriere-la-camera-220936">réalisatrices</a>, telle Céline Sciamma avec <em>le Portrait de La jeune fille en feu</em>(2019), ont montré <a href="https://theconversation.com/cinema-la-vie-amoureuse-et-sexuelle-des-femmes-naurait-elle-plus-de-date-de-peremption-176317">qu’un autre regard</a> sur la femme source d’inspiration était possible, on peut saluer le fait que des hommes réalisateurs imaginent aussi aujourd’hui des versions du mythe mettant en valeur la capacité des femmes à s’émanciper. C’est grâce à ces nouvelles représentations, ainsi <a href="https://www.babelio.com/livres/Szac-LOdyssee-des-femmes/1569959">qu’à une relecture plus féministe des mythes</a>, que pourront évoluer les comportements.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222937/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Aragon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans « Pauvres créatures », l’héroïne renouvelle le mythe de Pygmalion. À l’ère de #MeToo, la parole est à Galatée.Sandrine Aragon, Chercheuse en littérature française (Le genre, la lecture, les femmes et la culture), Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2241062024-02-25T16:26:54Z2024-02-25T16:26:54ZMobilisations agricoles : où (en) sont les femmes ?<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/21/colere-des-agriculteurs-gabriel-attal-annonce-un-nouveau-projet-de-loi-d-ici-l-ete-pour-renforcer-le-dispositif-egalim_6217681_823448.html">« Colère des agriculteurs »</a>, « Manifestation des agriculteurs », « Blocage des agriculteurs ». Ces titres de presse éclairent à double titre l’invisibilisation de la participation et de l’expression syndicale des femmes dans le <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">secteur agricole</a> : numériquement, en signifiant leur absence des scènes médiatiques et des terrains de la mobilisation, symboliquement, en renvoyant la <a href="https://theconversation.com/les-mouvements-de-contestation-des-agriculteurs-servent-ils-a-quelque-chose-221889">grogne</a> de la profession à des considérations uniquement portées par les hommes.</p>
<p>Les femmes représentaient en 2020 <a href="https://www.msa.fr/lfp/documents/98830/28556362/Population+f%C3%A9minine+en+agriculture+en+2020.pdf">26 % des chef·fe·s d’exploitation</a>, une part qui reste relativement stable. Elles sont majoritairement présentes en élevage et exercent davantage dans les filières de petits ruminants (caprins, ovins lait et viande), équine et avicole, qui généralement renvoient à des structures économiques de taille moyenne et petite.</p>
<p>Les <a href="https://www.oxfamfrance.org/app/uploads/2023/02/Oxfam_mediabrief_agriculture_Vdef.pdf">études</a> montrent que les femmes doivent se confronter à des représentations sociales qui peuvent décrédibiliser leur projet agricole : visions stéréotypées de ce qu’est « un exploitant agricole », remise en cause de la légitimité, remarques sexistes émanant des professionnel·le·s des instances agricoles telles que les commissions d’attribution des terres, banques, techniciens, bailleurs/futurs cédants, associations de développement agricole, etc. Plus généralement, des doutes persistent quant à la capacité d’une jeune femme à s’installer seule et les femmes sont soumises au test répété de leurs compétences.</p>
<p>Un constat qui par ailleurs contraste avec la féminisation des trois principales directions syndicales agricoles, à la tête desquelles œuvrent ou ont œuvré <a href="https://www.lesechos.fr/weekend/business-story/christiane-lambert-lagricultrice-la-plus-courtisee-de-france-2076504">Christiane Lambert</a> (pour la FNSEA), <a href="https://www.lecese.fr/membre/veronique-le-floch">Véronique le Floch</a> (pour la coordination rurale) et <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/crise/blocus-des-agriculteurs/salon-de-l-agriculture-emmanuel-macron-prevoit-un-moment-de-discussion-un-peu-long-avec-avec-les-syndicats-lors-de-l-inauguration-selon-la-confederation-paysanne_6373798.html">Laurence Marandola</a> (pour la Confédération paysanne).</p>
<p>Comment éclairer ce paradoxe d’une profession qui continue à se représenter au masculin alors que les femmes sont de plus en plus présentes dans les arènes décisionnelles et les instances de gouvernance du monde agricole ?</p>
<h2>Des rôles genrés dans la mobilisation</h2>
<p>Une première manière de répondre à cette apparente contradiction est de s’intéresser à la place qu’occupe objectivement les femmes dans l’organisation des événements manifestants. Malgré l’accaparement de la parole par les hommes depuis le coup d’envoi de la mobilisation, les agricultrices n’en sont pas pour autant absentes mais les rôles attribués aux hommes et aux femmes ne sont pas les mêmes : aux premiers les actions commandos et coups de force médiatiques, aux secondes les opérations de sensibilisation.</p>
<p>Les agricultrices invoquent alors un style « manifestant » complémentaire à celui des hommes.</p>
<p>Elles se présentent comme celles qui « prennent la relève » des hommes mobilisés, comme dans le cas <a href="https://www.ladepeche.fr/2024/01/27/colere-des-agriculteurs-les-femmes-prennent-la-releve-sur-le-barrage-de-demu-dans-le-gers-11725617.php">du barrage gersois de Dému</a> le 28 janvier dernier où est organisé, à l’initiative des agricultrices du département, une <a href="https://www.ladepeche.fr/2024/01/27/colere-des-agriculteurs-les-femmes-prennent-la-releve-sur-le-barrage-de-demu-dans-le-gers-11725617.php">journée dédiée aux femmes et aux familles</a>. Elles se représentent aussi comme celles qui « prennent le relais » sur les exploitations, en apportant <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/gironde/bordeaux/temoignages-sur-une-exploitation-une-femme-c-est-primordial-conjointes-meres-exploitantes-les-femmes-soutien-indefectible-des-agriculteurs-2914130.html%C3%A0">leur soutien à l’arrière</a>, incarnant ainsi les <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2013-3-page-99.htm">« épouses honorables et les gardiennes indéfectibles »</a> de la communauté familiale.</p>
<p>Leur prise de parole repose sur un <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?download=1&ID_ARTICLE=SR_024_0043">mode d’argumentation moral et humaniste</a>, plutôt que directement politique ou syndical. Tout autant qu’elle vise l’apaisement après les excès de violence masculins, leur participation, parce que rare, a comme objectif de convaincre l’opinion publique de la profondeur du <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">« malaise »</a> paysan. Produit d’une conception relativement traditionnelle des rôles de genre dans la profession, cette tactique de mobilisation (assurer l’arrière/prendre le relais/incarner une parole apaisante) est également un ressort de mobilisation stratégiquement encouragé par les organisations dominantes du gouvernement de l’agriculture et ses fractions les plus conservatrices.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/loin-de-leternel-paysan-la-figure-tres-paradoxale-de-lagriculteur-francais-169470">Loin de « l’éternel paysan », la figure très paradoxale de l’agriculteur français</a>
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<h2>Observer plus finement les actions de basse intensité</h2>
<p>Une seconde réponse à apporter est de regarder autrement les façons de militer pour la profession agricole. Si les médias portent les coups de projecteurs sur des répertoires d’action à forte dimension protestataires, une analyse du travail syndical agricole attentive aux rapports de genre réclame que l’on dépasse ces seuls temps forts de mobilisation pour davantage envisager les actions de promotion professionnelle dites <a href="https://www.theses.fr/2017REN1G038">« de basse intensité »</a>.</p>
<p>Nous entendons par ce terme l’ensemble des événements festifs, ludiques et récréatifs où se construit « discrètement » la défense de la cause agricole. Très régulièrement en effet, les agricultrices, réunis en collectif, mènent des actions de promotion de leur métier destinées à qui repose sur l’ouverture au public de leur territoire professionnel.</p>
<p>On pense ainsi aux portes ouvertes sur les exploitations, l’accueil de groupes scolaires, l’organisation d’animations autour de l’agriculture lors de salons agricoles locaux, les manifestations sportives ou des festivals…</p>
<p>Rien de surprenant alors que l’opération baptisée « sur la paille », lancée par la Coordination rurale de la Vendée au lendemain de l’annonce des mesures par le premier ministre Gabriel Attal, soit venue <a href="https://www.challenges.fr/economie/les-agriculteurs-sur-la-paille-se-deshabillent-pour-repondre-a-attal_881579">d’une agricultrice</a>. Rompant avec les habituels feux de pneus et épandages de lisiers, les manifestants présents ont exprimé leur ras-le-bol en entonnant, dévêtus derrière une large banderole, des chants.</p>
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<figcaption><span class="caption">Premier week-end de mobilisation pour les agriculteurs de Vendée (TV Vendée Actu, 29 janvier 2024).</span></figcaption>
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<p>Un registre humoristique qui n’est pas nouveau : des agricultrices avaient déjà posé en maillot de bain en 2014 <a href="https://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/rennes-des-agricultrices-en-maillots-de-bain-pour-un-calendrier-2906455">pour la réalisation d’un calendrier</a> dont les bénéfices avaient été reversés à la recherche contre le cancer du sein.</p>
<h2>Les mandats agricoles de plus en plus tenus par des femmes</h2>
<p>Une autre forme d’engagement politique fort des femmes néanmoins peu analysée est leur place croissant au sein d’organisations professionnelles ou syndicales.</p>
<p>Certes le nombre d’agricultrices occupant des postes à responsabilité dans les organisations agricoles augmente tendanciellement. Ainsi, depuis 2012, les assemblées des chambres d’agriculture comptent un tiers de femmes. Globalement, les organisations agricoles cherchent à ce que leurs conseils d’administration soient composés d’au moins 30 % de femmes afin d’atteindre la représentation dite « miroir », c’est-à-dire <a href="https://www.cairn.info/revue-pour-2014-2-page-183.htm">descriptive</a>.</p>
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<p>Cependant, un très fort plafond de verre limite la progression des femmes dans la hiérarchie des mandats. Ainsi le nombre de femmes présidentes de chambres départementales d’agriculture reste très limité, <a href="https://www.senat.fr/rap/r16-615/r16-61512.html">on en compte trois à ce jour</a> : Drôme, Lozère et Côtes-d’Armor.</p>
<p>C’est également un mur de verre qui contribue à une répartition stéréotypée des mandats entre, d’une part, une surreprésentation des femmes dans les fonctions relevant des domaines considérés comme typiquement féminins (le social, la communication, la diversification) et, d’autre part, leur quasi-absence dans les mandats économiques et techniques les plus prestigieux. Au sein des coopératives d’utilisation de matériel agricole mais surtout dans les grands groupes industriels qui pèsent pourtant dans les orientations stratégiques et économiques de la profession, les femmes sont encore très peu présentes.</p>
<h2>Le manque de ressources</h2>
<p>Un ensemble de facteurs expliquent cette dichotomie. D’abord, comme elles sont rarement héritières de leurs entreprises par transmission familiale, elles estiment que les connaissances clefs du « milieu » leur font défaut (maîtrise enjeux fonciers, des données techniques, faible familiarité avec l’environnement institutionnel de la profession) pour évaluer l’opportunité d’une proposition, trancher des litiges et être la porte-voix de leurs homologues.</p>
<p>Ensuite, comme elles se sentent moins habilitées à manier les référents idéologiques, à émettre un avis syndical et à le défendre et à s’exposer publiquement aux jugements des pairs, elles se sentent éloignées des deux composantes gestionnaire et protestataire centrales du répertoire syndical agricole et incarnent moins immédiatement le rôle du « parfait » militant doté d’ambition, de tonus, de hauteur de vue et de charisme. Enfin, comme elles sont moins habituées à endosser ces fonctions, quand elles franchissent le pas, elles partagent une définition exigeante l’engagement porteuse de stress et de sentiment d’inconfort.</p>
<p>Pourquoi alors, certaines agricultrices et paysannes font figure d’exceptions ? Parce qu’elles sont dotées de ressources familiales, culturelles et sociales qui répondent aux qualités attendues du « bon » syndicaliste. Soit elles sont elles-mêmes filles de syndicaliste et ont été dès l’enfance socialisées aux rôles de responsables agricoles, soit elles ont eu des expériences scolaires et professionnelles antécédentes à l’agriculture qui leur ont permis de nourrir une aisance oratoire et argumentative ou encore de se forger des habitudes des négociations avec les pouvoirs publics, à l’instar de Danielle Even, qui a été présidente de la Chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor.</p>
<p>Reste enfin une dernière hypothèse qu’il conviendrait de tester plus finement. <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2007-2-page-45.htm">Les recherches</a> montrent en effet que certains contextes organisationnels favorisent l’accession des femmes : lorsque la valeur des mandats décroît ou en cas de conflits politiques internes.</p>
<p>C’est par exemple les difficultés financières et l’épuisement militant que rencontre l’UDSEA, version finistérienne de la Confédération paysanne, après six années de gestion de la chambre d’agriculture, qui éclairent la nomination d’une femme à la tête du syndicat en 2001.</p>
<p>Dans ces cas, la concurrence pour l’accès aux postes est moindre et l’ascension militante des femmes facilitée. La situation de crise qui mine actuellement la profession agricole est-elle donc un terreau fertile à l’engagement des femmes ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/plan-ecophyto-tout-comprendre-aux-annonces-du-gouvernement-223571">Plan Ecophyto : tout comprendre aux annonces du gouvernement</a>
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<p class="fine-print"><em><span>Clémentine Comer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le secteur agricole continue à se représenter au masculin alors que les femmes sont de plus en plus présentes dans les arènes décisionnelles et les instances de gouvernance. Décryptage d’une invisibilisation.Clémentine Comer, Sociologue, IRISSO, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2201852024-02-04T15:37:36Z2024-02-04T15:37:36Z« L’envers des mots » : Non-binaire<p>Depuis quelques années, le terme de <a href="https://theconversation.com/les-adolescents-et-les-jeunes-adultes-face-a-leur-identite-de-genre-215752"><em>non-binaire</em></a> a fait son entrée dans le langage courant. Qu’il s’agisse de personnages de films ou de séries comme <a href="https://television.telerama.fr/tele/serie/sort-of-1-193251405-saison1.php"><em>Sort of</em></a> ou bien encore de la controverse autour de l’accueil des minorités de genre à l’école, la non-binarité interroge le grand public comme les spécialistes. Quelles réalités cette nouvelle identité de genre recouvre-t-elle ?</p>
<p>La non-binarité et des termes équivalents comme <em>gender fluid</em> sont assez récents dans la littérature scientifique comme dans les récits de personnes concernées. Évacuons d’emblée les sondages méthodologiquement plus que douteux qui font état de <a href="https://www.20minutes.fr/societe/2216083-20180221-no-gender-non-binaire-gender-fluid-nouvelles-identites-genre-bousculent-societe">« 36 % des jeunes de moins de 25 ans qui se reconnaissent comme non-binaires »</a> et regardons l’évolution démographique de cette population sur la base d’auto-déclarations dans des enquêtes nationales.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/visages-de-la-transidentite-dans-le-cinema-daujourdhui-96663">Visages de la transidentité dans le cinéma d’aujourd’hui</a>
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<p><a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2022-HS2-page-97.htm">Des études récentes</a> font état d’une surreprésentation de cette population chez les jeunes de moins de 25 ans (à hauteur de 2 % environ) et plus encore chez les <a href="https://www.vie-publique.fr/catalogue/289697-jeunesse-de-nouvelles-identites-de-genre">jeunes appartenant à des minorités de genre</a> et de sexualité (14 % dans cette même tranche d’âge).</p>
<p>Observons le passé récent. En 2015, <a href="https://books.openedition.org/msha/4884">l’enquête « transphobie »</a> permettait aux personnes trans (toutes formes de transidentités confondues) de s’autodéfinir. Seules 2 % d’entre elles employaient des termes relatifs à la non-binarité. <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20230801.OBS76453/se-sentir-trans-par-un-effet-de-contagion-petite-histoire-de-cette-theorie-ultra-controversee.html">Cette évolution démographique n’est en rien un effet de mode</a>. On assiste plutôt, à la manière de l’homosexualité jadis, à une prise de conscience, par une partie de la jeunesse, que le genre peut se prononcer et se vivre autrement que dans la binarité et la fixité des normes de genre.</p>
<p>Cette identité de genre, si elle demeure récente et nouvelle dans les termes, n’est cependant pas inédite. <a href="https://www.telerama.fr/netflix-canal-play-amazon-sfr-play-nos-selections-svod/sur-netflix-eldorado-le-cabaret-honni-des-nazis-la-triste-fin-des-annees-folles-7027016.php">L’histoire des expressions de genre dissidentes</a>, les récits d’équilibres au genre singuliers, n’a pas attendus le XXI<sup>e</sup> siècle pour être documentée. Les travaux du sexologue <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/l-histoire-de-l-institut-de-sexologie-detruit-par-les-nazis-6649775">Magnus Hirschfeld</a> en attestent dès le début du XX<sup>e</sup> siècle, et certains historiens éclairent aujourd’hui des figures historiques <a href="https://www.arkhe-editions.com/livre/les-genres-fluides/">à l’aune de ces nouveaux concepts</a>.</p>
<p>Mais aujourd’hui, comme se caractérisent les expressions non-binaires ? Comment apparaissent-elles ? Tous les individus ont une identité de genre. Mais toutes les identités de genre ne demandent pas de réagencer son rapport aux modèles du « féminin » et du « masculin ». C’est le cas de la non-binarité que le sociologue <a href="https://theconversation.com/profiles/emmanuel-beaubatie-1195761">Emmanuel Beaubatie</a> définira comme des nouveaux « styles de féminité et de masculinité ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-degenrer-191115">« L’envers des mots » : Dégenrer</a>
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<p>Plus concrètement, on observe trois façons de vivre la non-binarité, <a href="https://www.cairn.info/qu-est-ce-qu-une-femme%20--%209782373614084-page-93.htm">trois équilibres au genre</a>. La première renvoie à un retrait de la binarité. Il s’agit d’être « ni masculin.e/ni féminin·e » et de construire son genre dans des codes nouveaux. L’extrême imprégnation des normes de genre dans l’ensemble de nos actes comme de nos représentations rend fatalement cet exercice compliqué. Des tentatives de neutralisation des corps ou du langage (comme le <a href="https://theconversation.com/iel-itineraire-dune-polemique-172338">« iel »</a>) sont néanmoins proposées par les personnes concernées afin de s’extraire de la dyade « masculin/féminin ».</p>
<p>La seconde façon de vivre sa non-binarité renvoie plutôt au fait d’être alternativement d’un genre ou d’un autre : « masculin·e ou féminin·e ». Cette oscillation interpelle alors les institutions : combien de fois et à quelle fréquence un individu peut-il change d’identité de genre ? Si la France reste frileuse en la matière, l’Espagne (dans une récente <a href="https://www.liberation.fr/societe/droits-des-femmes/espagne-les-deputes-adoptent-la-loi-transgenre-fruit-dune-division-au-sein-de-la-gauche-et-des-feministes-20221222_LR3D3LXYLZAXHCTWUURDN7ZCLI/">« ley trans »</a>) a autorisé plusieurs changements de genre au cours d’une vie : une évolution juridique qui découle des revendications non-binaires !</p>
<p>Mais une troisième voie de non-binarité apparait : celle qui consiste à se situer simultanément du côté du féminin et du masculin. Ce qui se nommait jadis l’androgynie trouve ici une nouvelle forme d’expression.</p>
<p>Pour conclure, on assiste à une libéralisation du rapport au genre. Mais également à la possibilité d’un « droit à l’erreur de genre ». Dans cette perspective la non-binarité s’avère aussi être un sas expérimental, afin de saisir comment l’identité de genre s’équilibre, toujours singulièrement.</p>
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<p><em>Cet article s’intègre dans la série <strong><a href="https://theconversation.com/fr/topics/lenvers-des-mots-127848">« L’envers des mots »</a></strong>, consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?</em></p>
<p><em>De <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-validisme-191134">« validisme »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-silencier-197959">« silencier »</a>, de <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-bifurquer-191438">« bifurquer »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-degenrer-191115">« dégenrer »</a>, nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public. À découvrir aussi dans cette série :</em></p>
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<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-technoference-199446"><em>« L’envers des mots » : Technoférence</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-ecocide-200604"><em>« L’envers des mots » : Écocide</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-neuromorphique-195152"><em>« L’envers des mots » : Neuromorphique</em></a></p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/220185/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Alessandrin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis quelques années, le terme « non-binaire » a fait son entrée dans le langage courant. Quelles réalités cette nouvelle identité de genre recouvre-t-elle ?Arnaud Alessandrin, Sociologue, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200682024-01-11T16:41:37Z2024-01-11T16:41:37ZJapon, Inde, Haïti et ailleurs : ce que les toilettes publiques disent des sociétés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568829/original/file-20240111-17-fnevuh.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C7%2C2556%2C1216&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Scène issue de _Perfect Days_ de Wim Wenders, dont le personnage principal est un nettoyeur de toilettes publiques à Tokyo.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=kLYFBhcwYj4">Wim Wenders, « Perfect Days », Master Mind</a></span></figcaption></figure><p>Le 6 décembre dernier, sortait en salle le film de Wim Wenders <a href="https://www.perfectdays-movie.jp/en/"><em>Perfect Days</em></a>, qui met en scène le quotidien d’un employé municipal de Tokyo, Hirayama, chargé de nettoyer les toilettes publiques. Ce film met en évidence, s’il en était encore besoin, les différences sociales et culturelles dans les façons d’appréhender ce petit coin, sa visibilité dans l’espace public, mais également les questions d’<a href="https://theconversation.com/que-risque-t-on-en-sasseyant-sur-des-toilettes-publiques-105465">hygiène</a> et d’assainissement.</p>
<p>Il rend partiellement compte d’une expérience développée par le <a href="https://tokyotoilet.jp/en/">Tokyo Toilet Project</a> lancé par l’ONG <a href="https://www.nippon-foundation.or.jp/en/what/projects/thetokyotoilet">The Nippon Foundation</a>, qui vise à réhabiliter 17 toilettes publiques de l’agglomération de Shibuya en œuvres d’art, toutes gratuites et utilisables par tous et toutes indépendamment du sexe, de l’âge ou du handicap.</p>
<p>L’une d’entre elles, réalisée par <a href="https://tokyotoilet.jp/en/yoyogifukamachi_mini_park/">Shigeru Ban</a>, est d’ailleurs équipée de cabines colorées et transparentes qui deviennent opaques quand on ferme la porte. Un dispositif qui permet, selon l’architecte, de répondre à deux préoccupations que peuvent avoir les utilisateurs concernant les toilettes : vérifier leur état de propreté et s’assurer que personne ne se trouve déjà à l’intérieur.</p>
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<figcaption><span class="caption">Toilettes transparentes, Shibuya.</span></figcaption>
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<p><a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/12/26/les-toilettes-publiques-au-japon-des-sanctuaires-de-paix-et-d-hygiene_6207661_3210.html">En esthétisant les toilettes</a> et en en faisant un élément ostensible du décor urbain, c’est-à-dire un outil de requalification de certains îlots de l’arrondissement de la capitale, ce projet donne à voir la place singulière que ces dernières occupent dans la culture nippone.</p>
<p>Néanmoins, s’il a vu le jour, c’est parce ce qu’un certain nombre de stéréotypes (les toilettes publiques étaient considérées comme sombres, malodorantes et effrayantes) en limitaient l’utilisation. Aujourd’hui encore, de nombreuses femmes hésitent à employer les commodités au Japon. Même au sein du pays leader des toilettes de haute technologie – où l’entreprise <a href="https://www.jstage.jst.go.jp/article/jmhr/1/1/1_118/_pdf/-char/ja">Toto</a> participe au rayonnement de cette expertise synonyme de soft power –, ces stratégies d’évitement expriment à des degrés divers des processus de différenciation et d’exclusion.</p>
<h2>Une préoccupation sociétale</h2>
<p>Cet exemple permet de soulever des questions essentielles qui dépassent la singularité japonaise. Quelles stratégies adopter en matière d’implantation des toilettes publiques ? Quels choix de localisation ? Quelles dialectiques du visible et de l’invisible – de ceux qui les utilisent, ceux qui les entretiennent et des flux qui y sont rassemblés puis dispersés – se jouent dans et à travers ces lieux ?</p>
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<p>Cette perspective incite à dire que toute action envers les toilettes ne peut se contenter de se baser sur une seule unité géographique (comme un îlot ou un village), mais doit prendre en compte tous les effets que les toilettes, de leur localisation à leur entretien, ont sur la société. D’autant plus lorsque des toilettes, sublimées par l’art, en viennent à renforcer la centralité de Tokyo.</p>
<p>Partout dans le monde, les toilettes publiques témoignent de la complexité des espaces publics partagés. En Europe, les toilettes publiques sont souvent synonymes de saleté et de désagréments, et évoquent des <a href="https://journals.openedition.org/brussels/7154">espaces utilisés à des fins pour lesquelles ils n’ont pas été conçus</a> : consommation de drogues, supports de graffitis et de tags, rencontres sexuelles ou <a href="https://actu.fr/bretagne/vannes_56260/a-63-ans-vit-dans-toilettes-publiques-depuis-deux-ans_31502471.html">abris</a> (pour les personnes qui en sont privées), par exemple.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567460/original/file-20231229-27-h271tj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567460/original/file-20231229-27-h271tj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567460/original/file-20231229-27-h271tj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567460/original/file-20231229-27-h271tj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567460/original/file-20231229-27-h271tj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567460/original/file-20231229-27-h271tj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567460/original/file-20231229-27-h271tj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Size matters », centre commercial Palladium, Prague.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/marcussen/2744676587/">Erik Marcussen/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Ce sont des espaces polyvalents qui matérialisent notamment des inégalités de genre. <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.18574/nyu/9780814759646.003.0006/html">Les femmes ont davantage besoin de se rendre aux toilettes que les hommes</a> (spécialement en période de grossesse et de menstruations) et elles y passent plus de temps, mais les toilettes fermées sont moins nombreuses que les urinoirs.</p>
<p>Par ailleurs, la présence de certaines catégories de populations (migrants, toxicomanes sans domicile fixe) peut susciter des <a href="https://www.heidi.news/explorations/la-revolution-des-toilettes/dans-les-toilettes-de-la-riponne-flambant-neuves-et-autonettoyantes">réactions des pouvoirs publics</a> donnant à voir des mécanismes de domination. Plus généralement, dans nos sociétés qualifiées de développées, savoir qui nettoie les toilettes au sein de la sphère domestique, sur le lieu de travail et dans l’espace public en dit souvent beaucoup <a href="https://lafabrique.fr/un-feminisme-decolonial/">sur les rapports de domination et la reproduction des rôles genrés</a>.</p>
<h2>Un tabou mondial ?</h2>
<p>La question des excréments est souvent <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2010-01-20-Le-tabou-des-excrements">taboue</a>. Pourtant, la préoccupation est telle que l’ONU célèbre depuis 2013 une <a href="https://www.un.org/fr/observances/toilet-day">« Journée mondiale des toilettes »</a>, rappelant qu’un tiers de la population mondiale ne bénéficie pas de lieu approprié pour ses besoins, ce qui engendre de nombreux problèmes : violences, exclusion d’activités sociales (notamment pour les femmes et les enfants), conséquences sanitaires (y compris la diffusion d’épidémies telle que le <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/biologie-et-sante/cholera-haiti-2010-2018-histoire-d-un-desastre/">choléra)</a>. Une organisation spécialisée à but non lucratif promeut cette journée et de nombreux projets à travers le monde : la <a href="https://worldtoilet.org/">World Toilet Organization</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/567461/original/file-20231229-17-b9o0q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567461/original/file-20231229-17-b9o0q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567461/original/file-20231229-17-b9o0q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567461/original/file-20231229-17-b9o0q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567461/original/file-20231229-17-b9o0q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567461/original/file-20231229-17-b9o0q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567461/original/file-20231229-17-b9o0q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567461/original/file-20231229-17-b9o0q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Campagne de sensibilisation contre la défécation en plein air (Kanadukathan, Tamil Nadu, Inde). En Inde, l’OMS a estimé qu’environ 520 millions de personnes déféquaient régulièrement à l’air libre en 2015. Le problème est particulièrement préoccupant dans les zones rurales, où 69 % des ménages ont déclaré ne pas posséder de latrines en 2011. Néanmoins, la situation s’est considérablement améliorée : le pourcentage de ménages pratiquant la défécation à l’air libre a diminué, passant de 39 % en 2015-2016 à 19 % en 2019-2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anthony Goreau-Ponceaud</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ainsi, les questions logistiques et techniques sont multiples : <a href="https://lepetitjournal.com/bombay/comprendre-inde/ramasser-les-excrements-est-hereditaire-base-sur-le-systeme-de-castes-293128">fosses septiques à évacuer</a>, façons dont on peut développer les toilettes sèches ou s’adapter au phénomène de défécation à l’air libre, systèmes de traitement et de recyclage des excreta, voire <a href="https://journals.openedition.org/rac/11042">réutilisation des excréments pour l’agriculture</a>…</p>
<h2>Le reflet de hiérarchies sociales</h2>
<p>Les attitudes envers les toilettes peuvent être le reflet de hiérarchies sociales (entre ceux qui les utilisent, ceux qui les nettoient, ceux qui évacuent les déchets). En Haïti, posséder des toilettes est devenu un signe de prestige, surtout après le séisme de 2010, quand de nombreuses ONG ont aidé à leur construction. Toutefois, leur entretien est dédié aux <a href="https://ayibopost.com/etre-bayakou-peut-rapporter-beaucoup-plus-que-vous-croyez/">bayakous</a>, des vidangeurs qui effectuent leur travail sans aucune mesure de sécurité ni d’hygiène, et qui sont particulièrement méprisés par la société – bien que ce métier indispensable leur permette de vivre, ainsi qu’à toute leur famille, a priori sans risquer le chômage.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/567462/original/file-20231229-29-d5yz8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567462/original/file-20231229-29-d5yz8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567462/original/file-20231229-29-d5yz8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567462/original/file-20231229-29-d5yz8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567462/original/file-20231229-29-d5yz8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567462/original/file-20231229-29-d5yz8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567462/original/file-20231229-29-d5yz8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567462/original/file-20231229-29-d5yz8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cité Soleil, agglomération de Port-au-Prince, Haïti. Ces toilettes installées par des ONG suite au séisme de 2010 ont été rapidement démontées pour être revendues ou reconverties en abris.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alice Corbet, mai 2011</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Dans toute l’Inde rurale, l’évacuation manuelle des déchets reste la plus dégradante des pratiques. Alors même que l’interdiction de cette activité a été renforcée à travers une loi en 2013 (<a href="https://www.indiacode.nic.in/handle/123456789/2119?sam_handle=123456789/1362"><em>The prohibition of employment as manual scavengers and their rehabilitation Act</em></a>), cette profession, essentiellement réservée aux basses castes et Dalits (Scheduled Castes) et aux tribus répertoriées (Scheduled Tribes) perdure.</p>
<p>Depuis 1993, l’ <a href="https://www.indiacode.nic.in/bitstream/123456789/1581/1/199346.pdf">« Employment of Manual Scavengers and construction of Dry Latrines (prohibition) »</a> interdit la construction de toilettes sèches mais ces dernières existent toujours et sont même paradoxalement remises au goût du jour pour des raisons d’accessibilité dans les zones non connectées aux réseaux d’égouts, parfois par des ONG des Nords.</p>
<p>Les toilettes sèches permettent la séparation des flux, la valorisation de ressources perdues et des économies substantielles en eau. À ce titre, cet assainissement écologique et décentralisé incarne en Occident une certaine idée de la transition écologique. Pourtant, en Inde, le caractère problématique de leur gestion (évacuation des excreta) est loin d’être synonyme de transition pour les populations les plus marginalisées. Cet exemple soulève tout le paradoxe lié à la circulation des dispositifs d’assainissement.</p>
<p>En pratique, le nettoyage manuel des latrines (<a href="https://www.outlookindia.com/magazine/story/india-news-the-truth-about-manual-scavenging-in-india/305414">« manual scavenging »</a>) continue, avec l’aval des municipalités, dans les égouts bouchés des grandes villes. Les femmes, principalement, <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-india-67191131">continuent à utiliser leurs mains</a> pour nettoyer les matières fécales et les transporter loin des habitations. Le chemin de fer indien est l’autre grand employeur de femmes et hommes travaillant comme éboueurs manuels. En Inde, déféquer le long des rails est fréquent, notamment en ville.</p>
<p>Au sein des <a href="https://hal.science/hal-02477087">camps de réfugiés maliens</a>, au Niger, des toilettes collectives ont été installées par les <a href="https://reliefweb.int/report/niger/gestion-du-camp-de-r%C3%A9fugi%C3%A9s-d%E2%80%99abala-d%C3%A9partement-de-filingu%C3%A9-r%C3%A9gion-de-tillab%C3%A9ri-niger">ONG dès 2012</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/567463/original/file-20231229-29-xh6giv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567463/original/file-20231229-29-xh6giv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567463/original/file-20231229-29-xh6giv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567463/original/file-20231229-29-xh6giv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567463/original/file-20231229-29-xh6giv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567463/original/file-20231229-29-xh6giv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567463/original/file-20231229-29-xh6giv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567463/original/file-20231229-29-xh6giv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Latrine installée dans le camp de réfugiés d’Abala, au Niger. En raison des difficultés d’accès à l’eau, les latrines étaient rarement nettoyées mais bouchées une fois pleines puis déplacées, ce qui entraînait des problèmes d’hygiène et de contamination de la nappe phréatique. Lors de cette visite d’agents du UNHCR, les réfugiés demandaient d’adapter les latrines à leur culture, notamment en installant des patères pour que les habits ne traînent pas par terre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alice Corbet, août 2014</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Elles ont été rapidement privatisées par les Touaregs nobles (Imajaghan) grâce à un cadenas sur les portes pour en interdire l’accès aux groupes sociaux moins valorisés. Toutefois, ces toilettes sont entretenues par les Bella (ou Iklan), considérés dans cette <a href="https://ruor.uottawa.ca/handle/10393/34649?mode=full">société très hiérarchisée</a> comme des esclaves ou des serviteurs ayant peu de droits et de rémunérations et qui, eux, vivent aux marges des camps et n’ont pas le droit de les utiliser. Ils vont faire leurs besoins dans le désert. Censées être accessibles à tous, ces toilettes qui visent à préserver l’hygiène du camp en toute équité sont donc récupérées pour reproduire les mécanismes d’exclusion et de domination.</p>
<h2>Des processus de hiérarchisation spatiale</h2>
<p>Les toilettes peuvent également donner à voir des processus de hiérarchisation spatiale entre quartiers centraux des métropoles et les périphéries, entre espaces urbains et espaces ruraux.</p>
<p>Par exemple, si les grandes métropoles, en étroite filiation avec la révolution hygiéniste, ont largement développé des réseaux techniques d’égouts, le paradigme des toilettes reliées à un réseau centralisé semble désormais inadapté à la morphologie des villes des Suds.</p>
<p>Trop étalées, trop morcelées, trop polycentriques, elles ont également pour particularité d’accueillir une importante population flottante qui occupe des zones d’habitats informels et qui n’a pas le « droit » à être raccordée aux réseaux d’égouts.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-villes-africaines-vont-elles-exploser-130581">Les villes africaines vont-elles exploser ?</a>
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<p>Ces villes dépendent donc d’infrastructures décentralisées ou temporaires qui, finalement, se pérennisent via différents arrangements pour leur maintenance. Ou alors, à l’instar de la zone d’habitats spontanés (ou slum) de Kibera (Nairobi), ce sont d’autres pratiques qui se développent comme les <a href="https://www.aljazeera.com/features/2017/4/3/how-to-deal-with-kiberas-flying-toilets">« flying toilets »</a> qui consistent à se soulager dans des sacs en polyéthylène pour ensuite les jeter.</p>
<h2>Des lieux violents</h2>
<p>Les toilettes peuvent également être esquivées par crainte de violences ou d’insécurité, spécialement pour les <a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/11/ESSITY_RAPPORT_Hygiene_des_toilettes_a_lecole.pdf">enfants</a> et les adolescents ou encore les femmes.</p>
<p>À travers le monde, l’absence de toilettes dans les écoles ou leur insalubrité excluent de nombreux enfants de l’éducation. C’est particulièrement vrai pour les filles qui, lors de leurs <a href="https://blogs.worldbank.org/fr/voices/les-menstruations-source-d-absenteisme-scolaire-dans-le-monde">menstruations</a>, ne peuvent se changer et restent chez elles, ce qui les exclut encore plus de la société. Le besoin d’uriner dans l’espace public pose également des enjeux autour du <a href="https://silogora.org/la-pratique-du-pipi-sauvage-dans-lespace-public-parisien-entre-representations-et-assignations-de-genre/?print-posts=pdf">corps des femmes</a>. Les femmes, ne peuvent pas aussi facilement que les hommes, uriner dans l’espace public. Lorsqu’elles le font, elles sont vulnérables, face au risque accru d’agressions sexuelles.</p>
<p>Entre l’espace privé ou public, quand elles sont partagées ou impensées comme dans le cadre des <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7907573/">soins hospitaliers</a> – les effets sociaux et émotionnels de la défécation dans un contexte hospitalier sont tout aussi répugnants, tant pour les patients que pour les professionnels et autres prestataires de soins –, l’installation et la gestion des toilettes prennent une importance réelle et peuvent même également être des enjeux de richesse.</p>
<h2>Un enjeu hautement politique</h2>
<p>Au-delà des tabous, des non-dits ou encore des processus d’<a href="https://www.liberation.fr/livres/1998/07/02/alain-roger-tout-paysage-est-un-produit-de-l-art_242859/">artialisation</a>, les toilettes sont au cœur de nos pratiques quotidiennes mais aussi des politiques publiques. Elles constituent donc un objet d’étude qui, loin d’être anecdotique, se trouve au croisement des enjeux du corps et de l’intimité, des mécanismes de différenciation et de hiérarchisation sociale, d’économies importantes et de questionnements éthiques.</p>
<p>Qu’elles soient visibles ou non, de haute technologie ou rudimentaires, qu’on en parle au pluriel (« les toilettes »), de manière plus hygiéniste (« le sanitaire ») ou avec familiarité (le « petit coin »), la question des toilettes est à la fois universelle et encore peu envisagée par les sciences humaines, même s’il y a récemment eu une relative vivacité académique pour le sujet Nous pouvons citer par exemple un <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100723760">essai</a> sur les toilettes publiques, le <a href="https://www.leesu.fr/ocapi/">programme de recherche et action</a> sur les systèmes alimentation/excrétion et la gestion des urines et matières fécales humaines, ou encore <a href="https://calenda.org/1094070">l’appel à textes</a> pour un numéro spécial de la revue <a href="https://journals.openedition.org/suds/"><em>Suds</em></a>. Un début pour voir le petit coin plein de non-dits comme un grand témoin des enjeux de notre époque.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220068/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Dans les différents pays du monde, l’implantation des toilettes publiques se fait selon des modalités qui reflètent les rapports sociaux et économiques existants.Anthony Goreau-Ponceaud, Géographe, enseignant-chercheur, UMR 5115 LAM, Université de BordeauxAlice Corbet, Anthropologue, LAM, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2203982024-01-02T16:28:16Z2024-01-02T16:28:16ZContraception et sexualité : responsabiliser davantage les garçons<p>En France, la légalisation de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/contraception-39679">contraception</a> en 1967 est considérée comme un acquis majeur pour les femmes. Elle permet une maternité choisie (avoir un enfant ou non et décider du moment d’enfanter) et de dissocier sexualité et maternité (pouvoir vivre une sexualité sans avoir le poids d’une grossesse non désirée).</p>
<h2>En cas d’« échec » de la contraception, les femmes tenues pour responsables</h2>
<p>Cependant, le recours à la contraception n’empêche pas la survenue d’une grossesse non désirée et/ou non prévue. Les femmes, et les plus jeunes parmi elles, sont souvent tenues pour les seules responsables de « l’échec » de la contraception. En effet, dans les représentations communes, ce que des spécialistes en sciences sociales décrivent comme un véritable <a href="https://journals.openedition.org/rsa/2083">travail contraceptif</a> et de la sexualité relève des compétences des femmes.</p>
<p>Cet état de fait soulève la question de la responsabilité contraceptive et sexuelle entre les partenaires sexuels ou au sein du couple, et plus précisément celle des garçons. Cette responsabilité est le produit d’un processus d’apprentissage qui commence dès le jeune âge et interroge sur la place occupée par les garçons. La responsabilité contraceptive et sexuelle se construit différemment chez les filles et les garçons dans différents espaces privés et publics. Par conséquent, les filles et les garçons s’approprient différemment ces questions.</p>
<h2>Un apprentissage contraceptif et sexuel porté par les pouvoirs publics et la famille</h2>
<p>Deux formes de socialisations informent sur l’apprentissage contraceptif et sexuel des jeunes. L’une est portée par l’action publique. L’autre est « privée » et se déroule au sein de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/famille-27915">famille</a>.</p>
<p>À noter que la socialisation est un processus qui commence dès la naissance. Elle se poursuit tout au long de la vie pendant laquelle les personnes intériorisent un ensemble de manières d’être au monde, de penser, d’agir, etc. On parle, ainsi, de socialisations familiale, scolaire, professionnelle, socialisation par le conjoint ou la conjointe, socialisation militante, associative, etc.</p>
<h2>Dans les campagnes nationales, des injonctions qui visent les filles</h2>
<p>Au niveau institutionnel, le travail contraceptif et la sexualité des jeunes constituent une « préoccupation » pour les pouvoirs publics. L’action publique multiplie, en effet, les outils pour informer, prévenir et éduquer les jeunes, notamment des campagnes nationales (affiches, spots télévisuels, sites Internet comme <a href="https://www.filsantejeunes.com/">filsantejeunes.com</a>, <a href="https://www.onsexprime.fr/">onsexprime.fr</a>, etc.).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567439/original/file-20231228-25-dtp9hm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567439/original/file-20231228-25-dtp9hm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=583&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567439/original/file-20231228-25-dtp9hm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=583&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567439/original/file-20231228-25-dtp9hm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=583&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567439/original/file-20231228-25-dtp9hm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=733&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567439/original/file-20231228-25-dtp9hm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=733&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567439/original/file-20231228-25-dtp9hm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=733&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dédié à l’éducation à sexualité, le site Internet Onsexprime.fr propose des contenus validés par des experts ainsi qu’un chat pour parler à des psychologues et éducateurs spécialisés dans l’adolescence. Il a été conçu sous l’égide de Santé publique France, établissement public sous tutelle du ministère chargé de la santé.</span>
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<p>L’objectif des campagnes vise l’éducation à la sexualité et la prévention des grossesses non désirées chez les mineurs filles et garçons. Néanmoins, le message préventif ne parvient pas aux garçons.</p>
<p>C’est le constat qui ressort de ma thèse de doctorat, « Grossesses non désirées chez les mineur.es. : prévention et socialisation masculine juvénile » (Université de Poitiers, 2022). Dans ce cadre, j’ai réalisé une enquête par entretiens auprès de jeunes garçons âgés de 15 à 18 ans, scolarisés dans des établissements scolaires de la Vienne, et auprès de sages-femmes impliquées dans l’éducation à la sexualité à l’école. J’ai également observé une soixantaine d’heures de séances.</p>
<p>Une analyse attentive de ces campagnes montre qu’elles s’adressent quasi exclusivement aux jeunes filles. Dans la plupart des cas, le message préventif à l’adresse des femmes, et des plus jeunes parmi elles, prend la forme d’injonctions qui se traduisent au final par l’obligation pour les filles de prendre une contraception.</p>
<p>On citera pour exemples le slogan de l’affiche de la campagne de l’année 2002 « Dans la vie, c’est vous qui vivez la suite » ou celui de 2012 « Que faire en cas d’oubli ? »</p>
<h2>À l’école, des séances qui évitent d’impliquer les garçons</h2>
<p>L’autre volet de la prévention étatique, et la plus emblématique des actions des pouvoirs publics, reste les séances d’éducation à la sexualité et la vie affective (EVAS). La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000222631/">loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception</a> rend en effet obligatoire une information et une éducation sexuelles dans les écoles, les collèges et les lycées, à raison d’au moins trois séances annuelles.</p>
<p>Cependant, tous les établissements scolaires ne se plient pas à cette obligation, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/02/education-a-la-sexualite-trois-associations-attaquent-l-etat-pour-defaut-de-mise-en-uvre-de-la-loi_6163844_3224">ce qui a poussé plusieurs associations, en mars 2023 (SOS Homophobie, Sidaction et le Planning familial) à attaquer l’État devant la justice</a>.</p>
<p>Le personnel qui intervient lors de ces séances est hétéroclite (infirmières scolaires, médecins, sages-femmes, militantes du planning familial, conseillères conjugales et bien d’autres…) et peut manquer des formations nécessaires. Pour remédier aux difficultés que rencontre le personnel intervenant amené à parler de contraception et de sexualité devant un public jeune, l’<a href="https://eduscol.education.fr/document/30565/download">éducation nationale propose d’ailleurs, sur la base du volontariat, une formation de huit journées</a>.</p>
<p>Mais là encore, ma thèse comme de nombreux <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2021-1-page-157.htm?ref=doi">travaux</a> en <a href="https://www.cairn.info/sociologie-de-l-avortement--9782348074998.htm">sociologie</a>, ainsi que des rapports d’organismes gouvernementaux, à l’image de celui du <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_rapport_education_a_la_sexualite_2016_06_15-4.pdf">Haut conseil pour l’égalité entre les femmes et les hommes</a> ont souligné le fait que ces séances d’éducation dirigent le message préventif quasi systématiquement vers les filles, évitant de facto une implication des garçons.</p>
<h2>L’argument selon lequel les femmes auraient le pouvoir sur leur corps</h2>
<p>Très rares sont donc les séances pendant lesquelles les intervenants et les intervenantes tentent de s’adresser directement aux garçons. En effet, les tentatives pour attirer l’attention des jeunes hommes sur leur responsabilité contraceptive et sexuelle restent timides.</p>
<p>Les intervenantes et les intervenants expliquent ces réticences par différents arguments, notamment l’importance de la contraception comme un acquis dans l’histoire des luttes des femmes qui a mis entre les mains de ces dernières un certain pouvoir sur leur corps. Par conséquent, selon leurs explications, comme ce sont les femmes qui portent les enfants, c’est à elles que revient en dernier lieu la prise en charge du travail contraceptif.</p>
<p>Par ailleurs, comme le précise le rapport (2016) du Haut Conseil pour l’égalité entre les femmes et les hommes, l’éducation à la sexualité au sein de l’école ne doit pas se limiter aux séances d’éducation, mais doit être intégrée dans toutes les matières (français, mathématiques, histoire-géographie, etc.).</p>
<h2>En famille, un apprentissage qui débute avec les menstruations pour les filles</h2>
<p>Le deuxième lieu d’apprentissage de la contraception et de la sexualité se déroule au sein de la famille. Cette dernière est considérée comme le socle premier dans lequel les individus, en interactions avec les différents membres de la famille, construisent leur rapport au monde extérieur. Le rapport à la contraception et à la sexualité fait partie de cet apprentissage familial.</p>
<p>Pendant que l’apprentissage contraceptif et sexuel des jeunes filles commence avec l’apparition des premières menstruations par des visites chez le gynécologue et la prise de la pilule contraceptive, celui des jeunes garçons prend d’autres modalités et d’autres temporalités. Il est, en effet, tributaire de l’entrée du jeune homme dans une relation sexuelle avec une partenaire.</p>
<h2>À la maison, une sensibilisation en douceur pour les garçons</h2>
<p>Cet apprentissage limité dans le temps se distingue par sa tonalité qui peut être qualifiée de « douce » et dont la mise en pratique semble être laissée à l’appréciation du garçon. Selon les expressions des jeunes garçons que j’ai interviewés dans le cadre de ma thèse de doctorat, la plupart des parents abordent la contraception et la sexualité avec leur garçon sous forme d’« anecdote » ou de « rigolade » en donnant des consignes telles que : « protège-toi » ou « est-ce que tu te protèges ? »</p>
<p>Certains parents procèdent autrement que par la parole en laissant « trainer » des préservatifs dans la chambre de leur garçon, ou en se contentant de lui donner des préservatifs.</p>
<p>Sur la même tonalité souple et « plaisante », quelques échanges entre parents et garçon autour de la sexualité peuvent avoir lieu. Par exemple : « on sait que tu n’as pas dormi ici » ou « comment ça s’est passé ? » ou bien « vous en êtes où avec ta copine ? » Ce qui signifie aussi que seuls les garçons qui entrent dans une activité sexuelle avec partenaire peuvent accéder à un apprentissage familial contraceptif et sexuel. Néanmoins, cet apprentissage reste très limité dans le temps et dans les interactions.</p>
<h2>Le rôle des pouvoirs publics et de la famille dans la non responsabilisation des garçons</h2>
<p>Tout porte à croire que l’apprentissage contraceptif et sexuel, par l’action publique ou au sein de la sphère familiale, participe de la mise à l’écart des garçons concernant leur responsabilité dans ces deux domaines.</p>
<p>Par conséquent, de nombreux garçons ne se sentent pas concernés par la contraception.</p>
<p>Cela consolide chez eux le caractère facultatif de leur responsabilité dans la survenue d’une grossesse non désirée et/ou non prévue. Cela fait ainsi peser le poids de la contraception sur les filles, accentuant de fait le regard social culpabilisant lors de l’échec de la contraception et le recours à l’interruption de la grossesse.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220398/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aziza CHIHI ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La manière dont s’opère l’apprentissage de la sexualité des jeunes via les campagnes nationales, l’école et en famille aide à comprendre pourquoi les hommes sont peu impliqués dans la contraception.Aziza CHIHI, Docteure en sociologie, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202982023-12-21T17:37:19Z2023-12-21T17:37:19ZMiss France, ambassadrice des maths auprès des filles ?<p>À une semaine d’intervalle, on a (encore) beaucoup parlé de mathématiques en France. C’est d’abord la communication des résultats de la fameuse <a href="https://theconversation.com/enquete-pisa-derriere-la-baisse-de-niveau-une-hausse-des-inegalites-scolaires-219242">enquête PISA</a>, qui a soulevé des inquiétudes quant au niveau des élèves français dans cette matière. Puis, l’élection de Miss France a mis la filière universitaire en lumière, la lauréate du concours se trouvant être cette année une étudiante en mathématiques appliquées.</p>
<p>Une Miss France étudiante en mathématiques pourrait-elle être un modèle pour les jeunes filles et les inviter à investir un domaine d’études qu’elles <a href="https://smf.emath.fr/sites/default/files/2022-10/22_10_4_FillesSciencesLycee_PourDiffusion.pdf">désertent actuellement massivement</a> ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/maths-a-lecole-dou-vient-le-probleme-191691">Maths à l’école : d’où vient le problème ?</a>
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<p>C’est une hypothèse qu’il serait tentant de formuler dans la mesure où des « role models » peuvent susciter des vocations et où les rencontres entre professionnelles et lycéennes peuvent <a href="https://theconversation.com/choisir-une-filiere-scientifique-limportance-des-role-models-pour-les-lyceennes-198908">lever les freins à certaines orientations scolaires</a>. Mais il faut tenir compte d’un phénomène bien connu en économie comportementale, l’« effet de dilution ».</p>
<h2>Étudiantes et « role models »</h2>
<p>Eve Gilles n’est pas la première Miss France mathématicienne. En 1962, Muguette Fabris avait déjà emporté le titre alors qu’elle était diplômée de mathématiques. Et beaucoup de candidates au titre de Miss France font, ou ont fait, de longes études, parfois scientifiques. Pourtant, ni en 1962, ni depuis, leur présence sur les podiums n’a eu un effet de « role model », incitant les jeunes filles à suivre leur chemin et de faire des études scientifiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-filles-ont-delaisse-linformatique-110940">Pourquoi les filles ont délaissé l’informatique</a>
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<p>Un « role model » est une personne qui a particulièrement bien réussi dans un domaine où le groupe auquel elle appartient est réputé avoir moins de succès. De nombreuses études montrent qu’un role model, c’est-à-dire un membre qui va à l’encontre des stéréotypes de son groupe social, peut représenter une figure inspirante. D’autres peuvent vouloir <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/01461672022812004">reproduire ou imiter</a> ses qualités ou ses accomplissements.</p>
<p>C’est là qu’intervient ce qu’on appelle l’<a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/bse.2280">effet de dilution</a> : il a été prouvé en <a href="https://psycnet.apa.org/record/2007-02840-002">sciences comportementales</a> que les individus ont tendance à croire instinctivement qu’une chose qui remplit une seule fonction est meilleure qu’une autre remplissant la même fonction, plus des fonctions supplémentaires (par exemple, un produit qui nettoie et qui est respectueux de l’environnement).</p>
<p>En d’autres termes, le cumul d’objectifs est susceptible de réduire ou de diluer l’efficacité perçue pour atteindre chaque objectif, ce qui réduit la probabilité que ce pour quoi l’objet en question a été conçu en premier lieu soit perçu comme un usage efficace.</p>
<p>Il en va ainsi avec les objets, mais le même principe s’applique aux personnes : une candidate qui participe à Miss France, dont l’attribut principal de sélection est la beauté, sera considérée comme moins belle si, en plus d’être belle, elle est aussi… intelligente. D’ailleurs, la nouvelle Miss s’est heurtée à une vague de critiques sur les réseaux sociaux.</p>
<h2>Des biais cognitifs à prendre en compte</h2>
<p>En théorie marketing, les personnes qui votent pour élire Miss France font des choix qui correspondent à des préférences, sur la base des informations disponibles. Le fait qu’une candidate soit sélectionnée en finale du concours valide son attribut « beauté » d’une candidate. Voilà qui résout principalement un problème d’asymétrie de l’information : l’attribut de croyance (je crois qu’une fille pourrait être belle, mais je ne suis pas sûr de la norme de beauté en vigueur, de ce que pensent les autres) devient un <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/259630">attribut de recherche</a>, en réduisant l’incertitude (je suis certain que cette candidate est belle par rapport à une norme sociale, et il s’agit désormais de choisir la plus belle).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tfht2Piljo8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Pour moi, il y a aussi un problème dans l’appréhension des mats », Eve Gilles (décembre 2023, TF1).</span></figcaption>
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<p>Par conséquent, il est intuitivement convaincant d’informer les électeurs de l’existence d’un autre attribut de la candidate en question, en particulier si cet attribut n’affecte pas objectivement la dimension « beauté » : le fait qu’elle ait fait des études, par exemple, n’est pas censé à lui enlever de son capital beauté. Il devrait même lui être profitable. Cependant, dans la pratique, les choses sont plus compliquées, car les individus, de manière erronée, perçoivent que la dimension beauté a pu être détériorée en raison des études… du fait de l’orthogonalité et donc de la dissonance de ces deux attributs.</p>
<p>Il y a deux raisons à cette divergence : premièrement, le modèle de <a href="https://academic.oup.com/jcr/article-abstract/28/4/618/1785512">dilution des objectifs</a> suggère que, lorsque plusieurs objectifs sont poursuivis avec un seul moyen, les individus les perçoivent comme étant <a href="https://psycnet.apa.org/record/2007-02840-002">moins efficacement atteints que lorsque les objectifs poursuivis individuellement</a>.</p>
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<p>Deuxièmement, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1509/jmkr.38.3.349.18865">l’heuristique du jeu à somme nulle</a> suggère que les individus pensent que l’augmentation de la qualité sur une dimension du produit est automatiquement compensée par une diminution de la qualité sur d’autres dimensions : si en plus d’être belle, on est aussi intelligente, c’est aux frais de moins de beauté, comme si la somme entre intelligence et beauté devait rester constante et donc, pour être intelligente, il fallait renoncer à un peu de beauté.</p>
<p>Le biais de la somme nulle correspond à la tendance à juger intuitivement une situation comme étant à somme nulle : les ressources investies dans une dimension seraient automatiquement compensées par une perte équivalente de ressources investies dans d’autres dimensions, même si la situation objective est en réalité à somme non nulle.</p>
<h2>Parler de sport plutôt que de maths ?</h2>
<p>Il semble donc inefficace de continuer de parler des études qu’ont pu faire les Miss. Ceci n’aura pas l’effet escompté à long terme et, à court terme, confortera la perception d’une Miss moins jolie.</p>
<p>Cependant, il y a bien un attribut que la plupart des candidates au concours de Miss France ont, et dont on n’en parle pas assez : un attribut consonant, qui va de pair avec la beauté. C’est la <a href="https://www.elle.fr/Minceur/News/Sport-et-forme/Les-Miss-France-raffolent-du-sport-ces-cliches-vont-vous-motiver">pratique de sports</a>.</p>
<p>De manière contre-intuitive, parler de sport pourrait pousser plus de jeunes filles… à faire de maths ! Pourquoi ? Il est <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s00181-009-0304-8">établi</a> que les sportifs bénéficient d’une « prime sportive » sous forme de salaires et d’avantages sociaux plus élevés, d’une meilleure employabilité et d’une durée de chômage plus courte.</p>
<p>Les sportifs sont plus susceptibles d’être rémunérés en fonction de leurs performances, ce qui <a href="https://www.econstor.eu/handle/10419/106997">réduit l’écart salarial entre les hommes et les femmes</a>. Les traits psychologiques des sportifs pourraient également correspondre à ceux qui déterminent l’intention et la réussite entrepreneuriales.</p>
<p>Tout cela a d’importantes implications pour la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/19406940.2017.1359648">politique de l’enseignement supérieur</a>. La pratique du sport a une influence causale sur le succès dans les compétitions (comme celle de Miss France, mais aussi dans la vie en général) et ceci plaide en faveur de son renforcement dans l’éducation de tous les jeunes. L’augmentation de la compétitivité par le biais de la participation sportive semble être une voie possible pour combler <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/15270025221108189">l’écart de compétitivité entre les hommes et les femmes</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220298/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Noémie Bobin a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR), dans le cadre du projet AAPG - CE26 SPORT, sous la direction de Marc Willinger (Université de Montpellier). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Angela Sutan et Sylvain Max ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Miss France 2024 est étudiante en maths. Pourrait-elle devenir un modèle pour des collégiennes et des lycéennes qui se détournent souvent des filières scientifiques ?Angela Sutan, Professeur en économie comportementale, Burgundy School of Business Noémie Bobin, Doctorante en Economie Comportementale et Expérimentale, Université de MontpellierSylvain Max, Social Psychologist, Associate Professor, Burgundy School of Business Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2178322023-12-05T17:12:14Z2023-12-05T17:12:14ZDu FN au RN : comment les femmes sont devenues indispensables à l’extrême droite<p>« J’étais assez contre mais, avec le recul, cette loi a permis aux femmes d’arriver en nombre dans ce monde. » <a href="https://www.leparisien.fr/politique/marine-le-pen-subir-du-sexisme-ca-mest-arrive-mais-jamais-au-rn-12-02-2023-VFWKWC27WFG5HHWV323VTUUIBY.php">Par ces quelques mots</a> au sujet de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_tendant_%C3%A0_favoriser_l%27%C3%A9gal_acc%C3%A8s_des_femmes_et_des_hommes_aux_mandats_%C3%A9lectoraux_et_fonctions_%C3%A9lectives">loi sur la parité</a>, Marine Le Pen met en lumière l’ambivalence régnant au <a href="https://theconversation.com/le-rn-est-il-devenu-un-parti-comme-les-autres-201690">Rassemblement national</a> (RN) à l’égard des hiérarchies de genre. Celles-ci structurent la plupart des groupements politiques, (y compris ceux qui se revendiquent progressistes, voire féministes). La subordination des femmes est particulièrement flagrante dans les groupes conservateurs qui défendent explicitement un ordre social basé sur une hiérarchie stricte des rôles des sexes et qui acceptent, par conséquent, la domination masculine.</p>
<p>Certes, depuis la création du Front national (FN) en 1972, des femmes ont pu occuper des places de dirigeantes, locales et nationales, et ont été élues. Mais, comme le montrent mes recherches en cours, la plupart étaient actives dans les coulisses du parti et occupaient des positions secondaires, voire subalternes. Sous la présidence de Jean-Marie Le Pen, les femmes, déjà rares parmi les adhérents, étaient <a href="https://www.theses.fr/2002STR30016">reléguées à des places considérées marginales</a>. Elles rendaient leur militance légitime essentiellement en <a href="https://www.routledge.com/Right-Wing-Women-From-Conservatives-to-Extremists-Around-the-World/Bacchetta-Power/p/book/9780415927789">tant qu’épouses ou filles d’autres militants masculins</a>. Les hommes constituaient, en revanche, la majorité des membres actifs du FN et occupaient des positions de premier plan en tant que candidats, élus et responsables.</p>
<p>Cependant, des évolutions institutionnelles et partisanes au tournant des années 2000 invitent à ré-interroger les rapports de genre qui structurent le FN : dans quelle mesure ont-ils évolué ?</p>
<h2>Une injonction légale et un modèle</h2>
<p>L’introduction de la <a href="https://theconversation.com/les-zones-blanches-de-la-parite-en-politique-la-nouvelle-loi-sera-t-elle-efficace-156062">loi dite sur la parité</a> au début des années 2000 a permis une visibilité inédite aux femmes du FN en rendant leur présence nécessaire sur les listes électorales. Vu sa situation financière compliquée, le FN essaie d’éviter des amendes pour cause du non-respect de la loi. Les injonctions au respect de la représentation paritaire pèsent donc particulièrement sur le parti à la flamme : de plus en plus de femmes sont investies en tant que candidates et susceptibles d’être élues (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_Rassemblement_national">sur 87 députés RN siégeant à l’AN, 33 sont des femmes, soit 38 %. À titre de comparaison, c’est 42 % chez LFI</a>). Et ces candidates frontistes ne sont pas une simple vitrine électorale. Les groupes des militants que j’ai observés durant mon enquête de terrain sont, en effet, de plus en plus mixtes. Lors de quelques réunions de sections, j’ai pu constater qu’environ la moitié des participants étaient des femmes.</p>
<p>Au-delà de l’injonction au respect des règles paritaires, on peut aussi penser que l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN ait pu favoriser l’évolution des rapports de genre structurant le parti.</p>
<p>Pour nombre d’anciens membres du parti et de sympathisants, Marine Le Pen a légitimé sa place de présidente par la filiation avec le co-fondateur du FN. Cependant, l’hérédité politique n’est pas la seule ressource dont elle joue. Quarantenaire, divorcée et avocate, la benjamine de Jean-Marie Le Pen dispose de ressources personnelles importantes qui font d’elle une <a href="https://theconversation.com/lelite-de-lanti-elitisme-un-paradoxe-francais-182177">femme socialement dominante</a>. Marine Le Pen incarne ainsi pour certaines femmes un modèle à imiter. Cela en encourage certaines à se lancer dans une carrière politique locale. D’après mon enquête, il s’agirait surtout de femmes issues des classes moyennes et moyennes supérieures, généralement pourvues de compétences en communication, en organisation ou d’autres ressources jugées appropriées pour s’engager dans le domaine politique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1724176697988108735"}"></div></p>
<p>Ces évolutions aux niveaux institutionnel (loi parité) et partisan (arrivée de Marine Le Pen) ont ouvert des opportunités inédites aux femmes. Elles peuvent désormais représenter le FN dans les conseils municipaux, départementaux, régionaux et au Parlement. Mais si elles exercent ainsi une forme de pouvoir politique, elles ne déjouent que partiellement les mécanismes de domination masculine particulièrement <a href="https://journals.openedition.org/teth/2117">prégnants</a> au sein des groupes militants frontistes.</p>
<h2>Le cas d’Isabelle</h2>
<p>Résidente dans une petite commune paupérisée du Sud-Est, Isabelle (prénom fictif) a porté les couleurs du FN à toutes les élections locales entre 2008 et 2017, a été conseillère régionale entre 2010 et 2021 et siège en tant que conseillère municipale depuis 2014. Son parcours m’a permis d’analyser comment le genre et la classe sociale peuvent se transformer en ressources politiques et permettre une entrée en politique au FN.</p>
<p>Professeure des écoles dans l’Éducation nationale, Isabelle représente une <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100118550">catégorie socioprofessionnelle habituellement considérée comme réfractaire au FN</a> et peut incarner l’ouverture sociale apparemment recherchée par le parti (on songe à la création du <a href="https://www.france24.com/fr/20131014-collectif-racine-professeurs-front-national-marine-le-pen-municipales">Collectif Racine</a> pour rassembler les enseignants proches des idées du FN). Isabelle porte également la casquette de directrice d’école, elle appartient donc aux classes moyennes culturelles. Or, les cadres et les professions intellectuelles supérieures et intermédiaires sont sous-représentées parmi les candidats et, surtout, les candidates frontistes. La profession d’Isabelle semble avoir été tout aussi, voire davantage, centrale que son genre pour être sélectionnée en position éligible sur la liste des régionales.</p>
<p>En effet, lors d’une conférence de presse, Isabelle avait eu l’occasion d’exprimer ses opinions sur l’état de l’école publique à Jean-Marie Le Pen et avait montré partager le point de vue de Marine Le Pen sur l’éducation. Quelques semaines après la conférence, Isabelle reçoit un courrier de Jean-Marie Le Pen sollicite Isabelle pour qu’elle rejoigne la liste des candidats aux élections régionales de 2010 qu’il conduisait.</p>
<h2>Une valeur politique déterminée par les hommes</h2>
<p>S’intéresser aux conditions d’entrée en politique d’Isabelle apporte un éclairage édifiant sur l’inertie des hiérarchies de genre au sein de l’extrême droite. En effet, la valeur des attributs de genre et de classe d’Isabelle est déterminée par des hommes.</p>
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<p>Ce sont les leaders locaux (le secrétaire départemental du FN) et nationaux (Jean-Marie Le Pen) qui ont sollicité la candidature d’Isabelle. En tant que femme issue de la classe moyenne culturelle, elle incarnait un personnel politique socialement et politiquement plus légitime que l’ancien responsable de la section frontiste où Isabelle militait (celui-ci se déclarait royaliste et était, selon nos sources, peu mobilisé et agressif à l’égard des adhérents).</p>
<p>Le conjoint d’Isabelle, Christophe (prénom fictif), a joué ensuite un rôle déterminant. C’est lui qui l’a exhortée à accepter la candidature. Sans ses incitations, elle n’aurait probablement pas accepté d’être investie. Or, c’est parce qu’Isabelle est devenue candidate puis élue du FN que Christophe a été nommé secrétaire de circonscription. Il a pu se servir des ressources politiques de sa conjointe pour connaître une promotion.</p>
<p>Cet usage stratégique des ressources d’Isabelle par Christophe ainsi que le besoin ressenti par Isabelle de compter sur son conjoint et sur le président du FN pour accepter la candidature et accéder au mandat invitent à remettre toute forme de domination féminine en perspective.</p>
<p>Les interactions entre l’élue et son entourage montrent la résistance des logiques de domination masculine qui régissent l’entrée en politique des femmes au FN. Ce sont, notamment, Jean-Marie Le Pen et le secrétaire départemental du FN de l’époque qui décidaient quand et dans quelle mesure la classe et le genre pouvaient devenir des ressources politiques.</p>
<p>Isabelle n’est pas un cas atypique. Lors de mon enquête, en 2018, l’entrée en politique des femmes au FN (aujourd’hui RN) dépendait souvent du conjoint et des leaders - souvent des hommes - qui encourageaient et permettaient l’avancement leur « carrière ». Par conséquent, la féminisation du personnel frontiste soutenait toujours le genre frontiste dominant (masculin).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217832/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Margherita Crippa a reçu des financements de université de sydney </span></em></p>Comment le genre et la classe sociale peuvent se transformer en ressources politiques et permettre une entrée en politique ? Cas d’école au sein de l’extrême droite française.Margherita Crippa, Doctorante, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2157522023-11-27T17:17:13Z2023-11-27T17:17:13ZLes adolescents et les jeunes adultes face à leur identité de genre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/560779/original/file-20231121-3914-b90cuu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C103%2C2995%2C1890&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Gender fluid », « non-binaires », « queer » ou bien encore « genre ». La palette des auto-determinations de genre augmente progressivement, jusqu’à épouser des formes jusque-là inconnues. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/mode-femmes-poser-modeles-7391040/">Polina Tankilevitch/Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les jeunes adultes et adolescent·e·s d’aujourd’hui adoptent, vis-à-vis de leur identité de genre, des représentations et des pratiques qui bousculent beaucoup les adultes et les institutions. En témoignent d’ailleurs un nombre important de productions cinématographiques ou <a href="https://www.cairn.info/revue-l-ecole-des-parents-2022-3-page-58.htm">littéraires</a>.</p>
<p>Ecole, famille ou espaces de santé : de nécessaires réajustements administratifs, politiques et relationnels sont aussi en cours. Mais que savons-nous de ces « nouvelle » identités de genre ?</p>
<p>« Gender fluid », « non-binaires », « queer » ou bien encore « genre ». La palette des autodéterminations de genre augmente progressivement, jusqu’à épouser des formes jusque-là inconnues. C’est dire combien les identités de genre ont subi depuis quelques décennies d’importantes modifications. Premièrement, elles se sont autonomisées de la médecine ou des catégories mentales.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p><em>Retrouvez l’enquête exclusive <a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/2951/Jeune%28s%29_en_France_-_THE_CONVERSATION.pdf">« Jeune(s) en France »</a> réalisée en octobre 2023 pour The Conversation France par le cabinet George(s). Une étude auprès d’un échantillon représentatif de plus de 1000 personnes qui permet de mieux cerner les engagements des 18-25 ans, les causes qu’ils défendent et leur vision de l’avenir.</em></p>
<p><strong>À lire aussi :</strong></p>
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<li><p><a href="https://theconversation.com/comment-les-jeunes-sengagent-218165">Comment les jeunes s’engagent</a></p></li>
</ul>
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<p>Du « transsexualisme » d’antan, il ne reste plus grand-chose, au bénéfice d’un terme parapluie plus englobant et moins pathologisant : les <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2012-3-page-263.htm">transidentités</a>. Deuxièmement, ces notions se sont multipliées. En 2020, une enquête sur la santé des personnes LGBTI porte à 43 le nombre d’identités de genre et de sexualité recensées parmi les réponses auto-administrées dans le <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/sante-lgbt-les-minorites-de-genre-et-de-sexualite-face-aux-soins/">questionnaire de l’étude</a>. Mais au fond, de quoi parle-t-on en réalité ?</p>
<p>Pour le dire clairement, il s’agit là de personnes qui ressentent ou expriment une identité de genre non conforme (partiellement ou totalement, définitivement ou momentanément) à ce qui est attendu, du fait de l’attribution de sexe à la naissance, par les normes de genre.</p>
<h2>Des « folles » aux queers</h2>
<p>Ces « nouvelles » identités de genre rappellent parfois des terminologies anciennes, depuis modifiées. On pense ainsi <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/folles_de_france-9782707152572">« aux folles »</a> qui aujourd’hui s’identifient plus à des personnes queers.</p>
<p>Ces identités comportent quelques caractéristiques. D’une part, elles apparaissent plus chez les minorités de sexualité que dans la population hétérosexuelle. Cette déconstruction des catégories de genre au sein des minorités sexuelles est ainsi documentée par des études récentes qui prouvent que les gays et les lesbiennes se sentent respectivement beaucoup moins masculins et féminines que <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2022-10-page-1.htm">leurs homologues hétérosexuel·le·s</a> et que la part des personnes se déclarant « non-binaires » ou « gender fluide » est principalement <a href="https://hal.science/hal-04179130/document">concentrée au sein de la population LGBTI</a>.</p>
<p>Mais ces études sont aussi parvenues à démontrer que ces appellations sont fortement générationnelles. Récemment apparues (en France particulièrement), tardivement défendues par des identifications médiatiques positives et reprises par les réseaux sociaux, elles se concentrent principalement chez les mineur·e·s et les jeunes adultes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-lunivers-du-drag-francais-rencontre-le-grand-public-192965">Quand l’univers du « drag » français rencontre le grand public</a>
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<h2>Mais de « combien » de jeunes parlons-nous ?</h2>
<p>Une question reste en suspens : combien sont-ils ces mineurs « trans » ou ces mineurs « non binaires » ? Avant de répondre à cette question, il faut comprendre que le mode de calcul de cette population n’est pas aisé : d’une part car ce sont des expressions de genre encore bien souvent tues, d’autre part il existe une « boite noire » en matière de mesure, si l’on focalise la quantification à partir des centres hospitaliers – que beaucoup ne fréquentent pas.</p>
<p>Les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28838353/">premières mesures</a> font état d’environ 1 % de la population que l’on pourrait identifier comme « trans » au sens large, mais aussi « non-binaires » ou « gender fluide ». Évidemment, ces identifications ne se superposent jamais parfaitement. Les mineurs trans sont par exemple plus nombreux à avoir recours à des bloqueurs hormonaux que les jeunes non binaires.</p>
<p>Mais d’autres méthodes ont fini par voir le jour, comme le recensement dans des établissements scolaires (ce qui n’est pas réalité en France). Ainsi, aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande, des enquêtes localisées parviennent à fournir des chiffres oscillants entre 1 % et 1,2 % d’un effectif <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24438852/">d’élèves et d’étudiant·e·s</a>.</p>
<p>Aux côtés des identités, on trouve également des mineurs qui entament des démarches de changement de prénom ou de genre. En France les centres hospitaliers offrent des protocoles d’accompagnement à ces mineurs et publient <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0222961722001672">régulièrement des résultats issus de leurs cohortes</a>.</p>
<p>En 2022, l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) publie un premier chiffre relatif à la prise en charge des demandes d’ALD (affections longue durée) en concertation avec la CNAM (Caisse nationale de l’Assurance maladie) et relève 294 mineurs bénéficiant d’une prise en charge (principalement pour des hormonothérapies ou des prises de bloqueurs hormonaux).</p>
<p>Cette cohérence des données semble indiquer un part relativement faible de jeunes s’identifiant comme trans ou non-binaires. Nous sommes donc loin <a href="https://www.huffingtonpost.fr/medias/article/dans-quotidien-elisabeth-roudinesco-choque-avec-des-propos-sur-les-personnes-trans_178027.html">d’une épidémie</a>.</p>
<p>Et quand bien même les chiffres augmenteraient, les effectifs restent excessivement faibles. On observe donc qu’entre la mesure statistique d’un phénomène et son traitement médiatique, un gouffre semble se dessiner. Néanmoins, ces faibles pourcentages semblent provoquer <a href="https://theconversation.com/le-wokisme-ou-limport-des-paniques-morales-172803">« une panique morale »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-t-comme-transgenre-168429">« Les mots de la science » : T comme transgenre</a>
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<h2>Des affirmations de soi diverses</h2>
<p>Et si nous expliquions l’expression de ces identités par autre chose que des « troubles », des « confusions d’adolescents », des « erreurs » et des « influences néfastes » ? Et si nous regardions du côté des identifications qui rendent possibles les récits et les affirmations de soi ?</p>
<p>Ceci viendrait alors expliquer d’autres données, obtenues par sondage et dont on pourrait interroger la solidité, mais qui indiquent par exemple que « 11 % des adultes interrogés par <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20190327.OBS2526/ni-homme-ni-femme-14-des-18-44-ans-se-disent-non-binaires.html">YouGov</a> pour <em>L’Obs</em> ne se reconnaissent pas dans la dichotomie de genre femme/homme » ou bien encore qu’« en 2020, selon un sondage Ifop, 22 % des 18-30 ans déclarent ne pas se reconnaître dans le schéma <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/entretien-les-termes-non-binaire-a-genre-font-desormais-partie-du-vocabulaire-courant-7115403">« fille ou garçon »</a>.</p>
<p>Que disent ces éléments chiffrés ? À défaut de révéler des expériences intimes durables ou stabilisées, ils donnent une indication sur la <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2016-2-page-7.htm">« détraditionnalisation » des identités de genre chez certains jeunes</a>.</p>
<p>Car au-delà des enjeux de chiffrage, ces questions apparaissent aujourd’hui dans de nombreux contextes embarrassés de devoir les traiter (pensons à l’école notamment).</p>
<p>Si la parole se libérée c’est également que des identifications positives, à l’image de l’homosexualité jadis sont aujourd’hui <a href="https://www.cairn.info/revue-l-ecole-des-parents-2022-3-page-52.htm">possibles</a>.</p>
<h2>Une modification dans les imaginaires</h2>
<p>Loin d’un « effet de mode » ou d’un fantasme médiatiquement produit, on assiste plutôt à des modifications dans les imaginaires qui accompagnent les expressions de ces nouvelles identités de genre.</p>
<p>Les films comme <em>Petite Fille</em> de Sébastien Lichshitz (2020) ont très largement participé à une meilleure visibilité de cette question – non sans une polémique importante autour de sa sortie. Sébastien Lifshitz filme alors le quotidien de Sasha, une jeune enfant transgenre, scolarisée en primaire. Au-delà de Sasha, ce sont les membres de sa famille qui sont suivis dans leurs combats quotidiens et notamment de sa mère, Karine, pour que son école reconnaisse son identité de genre.</p>
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<figcaption><span class="caption"><em>Petite Fille</em>, Sébastien Lifshitz, 2020.</span></figcaption>
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<p>Le succès télévisuel du documentaire met un coup de projecteur sur l’existence des mineurs trans. Pour autant, de nombreuses zones d’ombres demeurent en matière de connaissance de cette population. Des récits de parents viennent remplir un besoin croissant d’informations sur ce sujet : on pense notamment au livre <a href="https://www.decitre.fr/livres/mon-ado-change-de-genre-9782875574466.html"><em>Mon ado change de genre</em></a> d’Élisa Bligny (2020).</p>
<p>Au côté des récits de vie, des productions fictionnelles – comme des bandes dessinées – sont publiées à destination du jeune public (on soulignera notamment <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/appelez-moi-nathan-9782228921626"><em>Appelez-moi Nathan</em></a> de Catherine Castro et Quentin Zuttion, ou bien encore <em>Léo et Sasha</em> d’Elisa Bligny). Mais il faut également compter sur les séries. Les personnages trans ou non binaires (pensons à la série <em>Heart Stopper</em>) diffusent-ils aussi des imaginaires et des récits positifs, loin de toute honte ou culpabilisation.</p>
<h2>Des violences ordinaires récurrentes</h2>
<p>Mais pouvons-nous pour autant en conclure que cette visibilité crée moins de stigmatisations ? Une récente enquête de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) souligne <a href="https://www.cncdh.fr/sites/default/files/2022-05/CNCDH%20Rapport%202022%20Droits%20LGBTI%2C%20pdf%20web.pdf">« une adhésion globalement faible aux stéréotypes sur les LGBT »</a>.</p>
<p>Pourtant, les chiffres des violences LGBTphobes ne diminuent pas, comme en attestent les rapports de <a href="https://www.sos-homophobie.org/informer/rapport-annuel-lgbtiphobies/ra-2022">SOS Homophobie</a>. On observe alors que le changement des imaginaires ne donne pas toujours lieu, immédiatement du moins, à un changement dans les pratiques.</p>
<p>Et si les imaginaires de la diversité des genres accompagnent les personnes concernées vers plus d’affirmation, elles touchent encore trop diversement les personnes non concernées.</p>
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<p>_L'auteur a récemment publié <a href="https://www.vie-publique.fr/catalogue/289697-jeunesse-de-nouvelles-identites-de-genre">« Jeunesse : de nouvelles identités de genre? » (Documentation française)_</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215752/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Alessandrin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>« Gender fluid », « non binaires », « queer »… La palette des autodéterminations de genre augmente progressivement parmi les jeunes générations. Décryptage.Arnaud Alessandrin, Sociologue, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2037802023-11-22T17:21:02Z2023-11-22T17:21:02ZPermis de conduire : les stéréotypes de genre influencent-ils les taux de réussite ?<p>Depuis le 1er janvier 2024, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/01/02/permis-de-conduire-a-17-ans-combien-de-jeunes-sont-concernes-qu-est-ce-que-ca-va-changer_6178978_4355771.html">l'âge légal pour passer le permis de conduire</a> est de 17 ans. Mais pour l'obtention de ce précieux sésame, filles et garçons ne sont pas en position d’égalité. En France, l’écart entre les taux de succès des unes et des autres est proche de 10 points au niveau des épreuves pratiques, alors que les taux de réussite sont les mêmes à l’épreuve théorique – soit le passage du Code de la route. L’écart est le même que l’on considère la population dans son ensemble ou qu’on se focalise sur les jeunes.</p>
<p>Les travaux de recherche sur l’accès au permis de conduire sont principalement centrés sur les causes du déclin de la détention de permis. La question du genre y est peu présente.</p>
<p>Quand elle est évoquée, c’est essentiellement pour voir comment, dans le temps long, le taux d’accès des femmes au permis de conduire a augmenté jusqu’à converger vers celui des hommes. On approche d’une situation de parité au milieu des années 1990. La fin du rattrapage des hommes par les femmes en matière d’accès au permis de conduire est d’ailleurs présentée comme l’un des déterminants du plafonnement de l’usage automobile, ou hypothèse du <a href="https://www.institutparisregion.fr/nos-travaux/publications/peak-car-la-baisse-de-la-mobilite-automobile-est-elle-durable/"><em>peak car</em></a>.</p>
<h2>Le permis de conduire, un atout pour l’emploi</h2>
<p>Les études sur le différentiel d’accès au permis de conduire entre les femmes et les hommes sont donc rares et les constats divergent selon les pays. Les femmes sont désavantagées dans la réussite au permis au Royaume-Uni ou en Finlande, mais pas en Suède ni aux Pays-Bas. En France, le taux de réussite à l’examen pratique du permis de conduire automobile est de <a href="https://www.securite-routiere.gouv.fr/etudes-et-medias/info-intox/les-filles-reussissent-moins-lexamen-pratique-b-que-les-garcons-info-ou">53,4 % pour les femmes contre 62,7 % pour les hommes en 2018</a>, soit un écart de 9,3 points. Cet écart se réduit légèrement d’une année à l’autre, puisqu’il était de 11,6 points en 2009.</p>
<p>Alors que les femmes réussissent aussi bien que les hommes l’épreuve théorique du permis de conduire, pourquoi ont-elles en France un taux de réussite de 10 points inférieur à celui des hommes à l’épreuve pratique du permis B ? Pourquoi réussissent-elles mieux l’épreuve théorique (70 %) que l’épreuve pratique (56 %) ? Pourquoi les hommes réussissent-ils mieux l’épreuve pratique alors qu’ils composent ensuite 86 % des conducteurs de moins de 24 ans tués sur la route ?</p>
<p>L’enjeu est d’importance. Le permis de conduire est l’examen le plus passé en France, avec près de 1,3 million de candidats chaque année. Sa réussite conditionne largement l’insertion professionnelle et sociale des personnes, en particulier <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0094119016300547">celle des jeunes les moins diplômés</a>. Une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01441647.2020.1747569">méta-évaluation récente</a> s’appuyant sur 93 études a mesuré quantitativement l’impact de l’accès à un véhicule sur les situations d’emploi. Il s’avère que la possession d’un véhicule augmente la probabilité d’être en emploi, en particulier pour les bénéficiaires de minima sociaux.</p>
<p>Les différences d’accès au permis de conduire entre les hommes et les femmes ont donc des conséquences potentielles sur l’insertion professionnelle et les trajectoires de vie des individus. Le respect du principe d’égalité recouvre aussi un enjeu fort pour les pouvoirs publics qui jouent un rôle de régulateur pour les centres de formation à la conduite et pour les centres d’examen.</p>
<h2>Les attentes des formateurs influencées par les stéréotypes de genre</h2>
<p>Nous nous intéressons au rôle joué par les stéréotypes de genre dans l’accès au permis de conduire. Les stéréotypes associés à la conduite ont été étudiés par les psychologues chez les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1369847811000337">adolescents</a> et les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1369847815001230">adultes</a>. Ils reposent sur une vision essentialiste où les compétences de conduite et les prises de risque au volant seraient directement liées au sexe biologique. Par ailleurs, des études par testing ont montré que les stéréotypes sexués sur le permis de conduire étaient utilisés par les employeurs pour qui le <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2011-4-page-33.htm">permis moto</a>, par exemple, envoie un signal de genre tout autant que de mobilité.</p>
<p>L’influence des stéréotypes de sexe – de manière générale et de manière spécifique à la conduite – a été suggérée comme <a href="https://hal.science/hal-01670593/">potentiel facteur explicatif</a> des différences dans la réussite de l’examen pratique du permis B. Ces stéréotypes peuvent être définis comme des croyances sociales sur ce que signifie dans une société donnée le fait d’être un homme ou une femme et ce qui est valorisé pour chaque sexe en termes d’apparence physique, d’attitudes, d’intérêts, de traits psychologiques, de relations sociales et d’occupations.</p>
<p>Les stéréotypes sur la conduite des femmes reposent sur une croyance sociale en l’incapacité des femmes à gérer les situations stressantes, demandant des prises de décisions rapides, comme le sont les situations routières. Au contraire, le fait d’être un homme amènerait une compétence naturelle pour la conduite, associée à des comportements à risque et infractionnistes. En ce sens, l’homme est considéré comme le prototype du conducteur, par rapport auquel la femme conductrice est définie de façon antonyme.</p>
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<figcaption><span class="caption">Thionville : une bourse pour financer le permis de conduire à des jeunes contre 70 heures de travail (France-3 Grand Est, 2022).</span></figcaption>
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<p>Ces stéréotypes peuvent également influencer les performances des individus. La littérature scientifique sur les effets de menace du stéréotype pose l’hypothèse que, lors d’une tâche évaluative, la mise en <a href="https://psycnet.apa.org/record/1996-12938-001">saillance du stéréotype négatif</a> visant un groupe va avoir un effet direct sur les performances des membres du groupe. Ce phénomène a, par exemple, été largement étudié sur les performances des filles en <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychologie-sociale-2014-3-page-13.htm">mathématiques</a> et a été récemment montré auprès des femmes dans le cadre de la conduite automobile. Des études montrent que l’activation du stéréotype négatif de la femme au volant auprès de femmes conductrices a un effet perturbateur sur leurs performances au volant.</p>
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<p>Les stéréotypes de genre créent aussi chez les éducateurs des attentes et des pratiques différenciées en fonction du sexe de l’apprenti. Ce phénomène, connu sous le nom de socialisation de genre, a été déjà bien étudié dans les pratiques éducatives parentales et a également été montré chez les enseignants. Pour autant, il n’existe à notre connaissance aucune étude sur l’effet du sexe de l’apprenti sur les attentes et les comportements des formateurs et des examinateurs dans le domaine de la conduite automobile.</p>
<h2>Un testing sur les auto-écoles</h2>
<p>Pour explorer cette hypothèse, nous avons réalisé une expérimentation par <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00036846.2023.2203459">test de correspondance</a>. L’objectif du test est de déceler d’éventuelles différences de traitement entre des candidats et des candidates à la préparation du permis de conduire de la part des auto-écoles. Il s’agit de vérifier si des stéréotypes de genre en matière de compétences de conduite, pouvant s’élargir aux difficultés d’apprentissage et de réussite au permis de conduire, sont intégrés par les acteurs de la formation et de l’accompagnement au permis B.</p>
<p>Nous avons fait le choix d’un protocole très simple où une paire de candidats, semblables en tous points sauf par leur étiquette de sexe, effectuent des demandes d’informations aux mêmes auto-écoles. En premier lieu, nous avons créé deux identités fictives de candidats au passage du permis de conduire, une fille et un garçon, âgés de 21 ans, en utilisant des prénoms et des noms très répandus en France (Thomas Bernard et Léa Martin).</p>
<p>Nous avons rédigé deux messages de demandes d’information destinés à des auto-écoles sur le coût du permis de conduire et le nombre d’heures nécessaires, chaque message étant envoyé soit par Thomas, soit par Léa, de façon à ce que chaque auto-école reçoive deux messages différents mais équivalents.</p>
<p>Ensuite, nous avons constitué une base d’adresses d’auto-écoles représentative au niveau national, en sélectionnant au hasard 500 établissements parmi l’ensemble des établissements enregistrés au titre du code APE – NAF 8553Z, pour lequel environ 13 500 sociétés sont immatriculées en France.</p>
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<p>Sur cette base, on dispose d’un échantillon de 176 auto-écoles réparties sur le territoire français. Les résultats de l’étude montrent que le fait d’être une femme affecte positivement à la fois la probabilité d’obtenir une information sur le volume horaire mais également le nombre d’heures proposées. Une auto-école propose en moyenne un nombre d’heures de conduite plus élevé de près de 2 heures aux femmes qu’aux hommes.</p>
<p>En conclusion, il s’avère effectivement que le sexe de l’apprenti influence les appréciations des formateurs avant même le début de la phase d’apprentissage, les amenant à déterminer la durée et le contenu des apprentissages en fonction de croyances socialement partagées sur les compétences des hommes et des femmes au volant.</p>
<p>Dès lors que ces pratiques ont des conséquences dommageables sur l’accès à la conduite des femmes et partant, sur leur insertion sociale et professionnelle, le constat sollicite une intervention du régulateur. Dans ce domaine qui est celui des discriminations, il existe une large gamme d’actions publiques qui vont d’un rappel du cadre de la loi et du principe d’égalité des candidats à la mobilité routière, à des actions de formations et de sensibilisation des auto-écoles, qui sont des structures agréées par l’État.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203780/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Denis Anne a reçu des financements de l'I-Site Futur pour réaliser une partie de la collecte des données d'un article cité en référence.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marie-Axelle Granié, Sylvain Chareyron et Yannick L’Horty ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Une jeune femme qui s’inscrit dans une auto-école bénéficie-t-elle de la même formation qu’un jeune homme ? Regard sur ces différences d'accès au permis de conduire, accessible désormais à 17 ans.Denis Anne, Professeur associé, Université Gustave EiffelMarie-Axelle Granié, Directrice de Recherches en Psychologie Sociale du Développement, Université Gustave EiffelSylvain Chareyron, Maître de conférences en Sciences économiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Yannick L’Horty, Économiste, professeur des universités, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2144102023-11-22T17:19:47Z2023-11-22T17:19:47ZSarah Bernhardt, l’actrice qui sut imposer son genre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561069/original/file-20231122-25-ydxzg0.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1220%2C823&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait de Sarah Bernhardt par Félix Nadar, vers 1864. Détail.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:F%C3%A9lix_Nadar_1820-1910_portraits_Sarah_Bernhardt.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>L’exposition consacrée cette année <a href="https://www.petitpalais.paris.fr/expositions/sarah-bernhardt">par le Petit Palais</a> à l’éclectique actrice Sarah Bernhardt (1844-1923) à l’occasion du centenaire de sa mort le démontrait magistralement : être actrice, c’est savoir être autre, se prendre au jeu des identités plurielles, parfois contradictoires. Cette faculté de changer de peau – acquise, et non sans souffrances –, ce pouvoir de métamorphose et la grisante liberté qu’il offre, Sarah Bernhardt, qui par son jeu et sa personnalité bouleversa le monde du théâtre et pour qui Jean Cocteau forgea l’expression de « monstre sacré », les raconte et les analyse dans son autobiographie au titre expressif, <em>Ma Double vie</em> (1907) et ce qu’elle concevait comme son testament théâtral <em>L’Art du théâtre : la voix, le geste, la prononciation</em> (1923, posth.). C’est le romancier Marcel Berger, un de ses familiers, qui, après sa mort, rassembla et ordonna les textes épars qu’elle avait dictés ou écrits sur le sujet.</p>
<h2>Une attention particulière à la condition féminine</h2>
<p>Alors qu’elle retrace sa vie, Sarah Bernhardt se montre singulièrement attentive aux difficultés auxquelles sont confrontées les femmes. Sans doute son enfance et son adolescence n’y sont-elles pas étrangères. Envoyée d’abord à la pension de Mme Fressard à Auteuil dès l’âge de sept ans, elle entre ensuite, deux ans plus tard, au couvent de Grand-Champs à Versailles. Là, elle développe une admiration sans bornes pour la mère supérieure, Sainte-Sophie, et un esprit de camaraderie féminine qui ne se démentira pas tout au long de sa vie.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/XFy6MloNlWs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dès le récit de ces années de jeunesse, l’on est frappé par la beauté savoureuse des portraits de femmes qu’elle brosse et qui étayent ensuite son autobiographie. De chapitre en chapitre, elle rend des hommages appuyés aux femmes qui ont compté dans sa vie, sans pour autant les idéaliser, comme sa chère vieille institutrice Mlle de Brabender, à laquelle elle ne fait pas grâce de la description, sur son lit de mort, de son visage déformé par le retrait de son dentier, déposé dans un verre.</p>
<p>Souvent pleins de tendresse et d’admiration, ces portraits n’en sont pas moins d’un réalisme qui semble encore la marque d’une affection sincère : le prosaïsme des caractères comme des corps aimés ne la rebute pas. Elle en donnera une excellente illustration avec sa sculpture <a href="https://nmwa.org/art/collection/apres-la-tempete-after-storm/"><em>Après la tempête</em></a>, qui lui valut une mention honorable au Salon de 1876, et qui représente une grand-mère tenant dans ses bras le corps noyé de son petit-fils.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/561081/original/file-20231122-23-w3q90p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561081/original/file-20231122-23-w3q90p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561081/original/file-20231122-23-w3q90p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561081/original/file-20231122-23-w3q90p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561081/original/file-20231122-23-w3q90p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561081/original/file-20231122-23-w3q90p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1136&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561081/original/file-20231122-23-w3q90p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1136&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561081/original/file-20231122-23-w3q90p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1136&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sarah Bernhardt, <em>Après la tempête</em>, ca. 1876.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://nmwa.org/art/collection/apres-la-tempete-after-storm/">National Museum of Women in the Arts</a></span>
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<p>Après sept ans de pensionnat, de retour dans son foyer à 14 ans, Sarah Bernhardt se trouve à nouveau entourée de femmes : sa mère Judith-Julie Bernhardt, ses tantes Rosine Berendt et Henriette Faure, ses sœurs Jeanne et Régina, son institutrice Mlle de Brabender, Mme Guérard, « la dame du dessus » (surnommée ensuite « mon petit’dame » et qui ne la quittera plus) composent le nouveau gynécée dans lequel elle évolue.</p>
<p>Sarah Bernhardt perd son père l’année de ses 13 ans ; un père dont l’identité est longtemps restée incertaine – elle ne le nomme jamais dans son autobiographie – avant d’être établie en la personne d’Édouard Viel (1819-1857).</p>
<p>Non que les hommes soient tout à fait absents autour de la future actrice : au « conseil de famille » qui décidera de son avenir figurent par exemple son parrain Régis Lavolie – détesté – et son oncle Félix Faure – très aimé –, M. Meydieu – vieil ami de la famille –, le duc de Morny et le notaire de feu son père. C’est le duc de Morny, ami de sa mère, qui la vouera au théâtre, sur « une parole lancée du bout des lèvres ».</p>
<h2>Changer l’image des actrices</h2>
<p>Sarah Bernhardt n’accueille pas avec joie ce projet d’entrer au Conservatoire, et cela tient à l’image qu’elle a des actrices. Comme elle l’explique à sa mère, les <a href="https://www.comedie-francaise.fr/fr/artiste/mlle-rachel">actrices, « c’est Rachel »</a>. Et Rachel, c’est une femme « qui [fait] un métier qui la [tue] » selon la sœur Sainte-Appoline du couvent de Grand-Champs et à laquelle « une petite fille […] avait tiré la langue ». Or pour Sarah Bernhardt, hors de question qu’on lui tire la langue quand elle sera « une dame ». </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/561071/original/file-20231122-17-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561071/original/file-20231122-17-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561071/original/file-20231122-17-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=719&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561071/original/file-20231122-17-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=719&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561071/original/file-20231122-17-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=719&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561071/original/file-20231122-17-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=903&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561071/original/file-20231122-17-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=903&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561071/original/file-20231122-17-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=903&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Madame R. ou Rachel dans le rôle de Camille, vers 1850, Collections de la Comédie-Française, Paris, France. Huile sur toile par Édouard Dubufe.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rachel_F%C3%A9lix#/media/Fichier:Rachel_par_Edouard_Dubufe.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Le choix de ce terme pour marquer le passage de l’adolescence à l’âge adulte fait sens : il ne s’agit pas pour elle de devenir simplement une « femme » (être de sexe féminin adulte) mais bien une « dame » (femme des classes sociales supérieures, donc respectée). Dans cet emploi de « dame » se loge, par omission et par contraste, tout ce que ne sont pas, aux yeux du plus grand nombre, les actrices.</p>
<p>Pourtant, ces actrices, Sarah Bernhardt va considérablement en changer l’image. Avec un plaisir évident, dans son autobiographie comme dans son art théâtral, elle bat en brèche l’idée d’une rivalité à mort entre celles-ci, affirmant tout le contraire. Au sujet de son succès inattendu le soir de la Cérémonie de retour à la Comédie française après sa tournée londonienne, elle note :</p>
<blockquote>
<p>« Quelques artistes furent très contents, les femmes surtout, car il est une chose à remarquer dans notre art : les hommes jalousent les femmes beaucoup plus que les femmes ne se jalousent entre elles. »</p>
</blockquote>
<p>Cette jalousie masculine, elle l’explique par l’idée que le théâtre serait un « art essentiellement féminin ». Un « féminin » qu’elle définit, en accord avec l’imaginaire collectif de l’époque, comme la maîtrise de la séduction :</p>
<blockquote>
<p>« Farder sa figure, dissimuler ses vrais sentiments, chercher à plaire, vouloir attirer les regards, sont les travers qu’on reproche aux femmes et pour lesquels on montre une grande indulgence. »</p>
</blockquote>
<p>Sarah Bernhardt transforme ces défauts prêtés aux femmes en atout maître puisqu’il assure leur suprématie au théâtre, « seul art où les femmes peuvent parfois être supérieures aux hommes ». Pour elle, les peintresses (comme <a href="https://awarewomenartists.com/artiste/madeleine-lemaire-jeanne-magdelaine-lemaire-dite/">Madeleine Lemaire</a>, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/il-etait-une-femme/rosa-bonheur-l-histoire-etonnante-d-une-artiste-peintre-du-XIXe-si%C3%A8cle-adulee-pour-son-talent-et-sa-fougue-6380052">Rosa Bonheur</a>, <a href="https://awarewomenartists.com/artiste/louise-abbema/">Louise Abbéma</a>), compositrices (comme <a href="https://www.presencecompositrices.com/compositrice/holmes-augusta/">Augusta Holmès</a> et <a href="https://www.presencecompositrices.com/compositrice/chaminade-cecile/">Cécile Chaminade</a> et poétesses (comme Mme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=QeVVcjclMmw">Desbordes-Valmore</a>, <a href="https://www.liberation.fr/culture/livres/louise-ackermann-satan-feminin-et-poetesse-trop-libre-pour-son-si%C3%A8cle-20220506_V53EY7J2WRFCHD7NI2QRDYVMXI/">Louise Ackermann</a>, <a href="https://www.dailymotion.com/video/x7y63hh">Anna de Noailles</a>, <a href="https://www.liberation.fr/culture/livres/les-mille-et-une-vies-de-lucie-delarue-mardrus-20220816_EWNCS6GMRVGPXGG3GCCAVZNWIA/">Lucie Delarue-Mardrus</a>) de son époque, pourtant connues et reconnues, sont encore loin d’égaler leurs homologues masculins. </p>
<p>Au contraire, au théâtre, les noms de Mlle Duclos, Adrienne Lecouvreur, Mlle Clairon, Mlle de Champmeslé, Mlle Georges, Mlle Mars, Rachel ne se voient opposer que ceux de Baron, Talma et Mounet-Sully. Que l’on adhère à ce point de vue ou qu’on le récuse, Sarah Bernhardt tient à redorer l’image des actrices, qui sont pour elle les artistes féminines les plus accomplies.</p>
<p>Poursuivant cette logique, elle s’attache à démentir la légende noire d’une compétition acharnée entre <a href="https://www.comedie-francaise.fr/fr/artiste/sophie-croizette">Sophie Croizette</a> et elle, la décrivant comme fabriquée de toutes pièces par l’extérieur : « La guerre était déclarée, non pas entre Sophie et moi, mais entre nos admirateurs et détracteurs respectifs ». À elle cependant les admirateurs les plus sympathiques : « tous les artistes, les étudiants, les mourants et les ratés », à Sophie Croizette, « tous les banquiers et tous les congestionnés ». Il faut dire qu’elle n’avait pas, contrairement à son amie, le physique d’une actrice, tel qu’il était alors perçu, c’est-à-dire tout en courbes et rondeurs.</p>
<h2>Un « manque de féminité » mis à profit</h2>
<p>En effet, ses « cheveux de négresse blonde », tels que les qualifia le coiffeur qui les lui massacra le jour du concours de tragédie du Conservatoire, et surtout sa maigreur d’« os brûlé », selon le mot d’une spectatrice un soir de représentation de <em>Mademoiselle de Belle-Isle</em> – un drame d’Alexandre Dumas joué par Sarah Bernhardt en 1872, lui valent de nombreux reproches et caricatures : à peine est-elle arrivée en Amérique pour sa tournée triomphale, qu’elle est aussitôt croquée en « squelette coiffé d’une perruque frisée » par un jeune dessinateur.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/561066/original/file-20231122-21-54v81x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561066/original/file-20231122-21-54v81x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561066/original/file-20231122-21-54v81x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=874&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561066/original/file-20231122-21-54v81x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=874&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561066/original/file-20231122-21-54v81x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=874&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561066/original/file-20231122-21-54v81x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1099&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561066/original/file-20231122-21-54v81x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1099&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561066/original/file-20231122-21-54v81x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1099&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sarah Bernhardt dans Hamlet, 1899.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sarah_Bernhardt#/media/Fichier:Bernhardt_Hamlet2.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Elle évoque tant de fois au cours de son autobiographie cette maigreur dont elle a d’abord souffert et qui « alimentait les faiseurs de chansons rosses et les albums de caricaturistes », que celle-ci finit par devenir le signe physique de son exception, s’imposant a posteriori comme un avantage.</p>
<p>Car c’est ce physique atypique qui la révèle, en lui offrant la possibilité d’endosser des rôles particuliers : ceux de personnages masculins. Non qu’elle soit la première femme à jouer des hommes, d’autant qu’à l’opéra, pour certains personnages confiés à des mezzo-sopranos, la pratique des rôles en « travesti » était courante comme pour Chérubin dans <em>Les Noces de Figaro</em> de Mozart – que Sarah Bernhardt interpréta dans la pièce de Beaumarchais en 1872. Mais c’est avec le rôle du troubadour Zanetto dans <em>Le Passant</em> de François Coppée (créé trois ans plus tôt au théâtre de l’Odéon), qu’elle rencontre son premier vrai succès.</p>
<p>Ces rôles masculins, Pierrot en 1883 dans <em>Pierrot assassin</em> de Jean Richepin, Hamlet en 1886 et en 1899 dans la pièce de Shakespeare, Lorenzaccio en 1896 dans la pièce de Musset, le duc de Reichstadt dans <em>L’Aiglon</em> d’Edmond Rostand en 1900 ou encore Pelléas en 1905 dans <em>Pelléas et Mélisande</em> de Maeterlinck, marquent son public et sont pour elle l’occasion d’explorer une nouvelle palette de sentiments dont elle se délecte.</p>
<p>Elle consacre à cette question un chapitre dans son <em>Art du théâtre</em>, expliquant son amour pour le personnage d’Hamlet :</p>
<blockquote>
<p>« Il n’est pas de caractère féminin qui n’ait ouvert un champ aussi large pour les recherches des sensations et des douleurs humaines que ne l’a fait celui d’Hamlet. […] Je puis dire que j’ai eu la chance rare, et je crois unique, de jouer trois Hamlet : le noir Hamlet de Shakespeare, l’Hamlet blanc de Rostand, l’Aiglon, et l’Hamlet florentin d’Alfred de Musset, Lorenzaccio ».</p>
</blockquote>
<p>Mais elle précise aussitôt les conditions impératives pour qu’une femme s’empare d’un rôle masculin :</p>
<blockquote>
<p>« Une femme ne peut interpréter un rôle d’homme que lorsque celui-ci est un cerveau dans un corps débile. Une femme ne pourrait pas jouer Napoléon, Don Juan ou Roméo. Méphisto… oui, parce que c’est en vérité un ange déchu, l’esprit malin qui accompagne Faust ».</p>
</blockquote>
<p>Le rôle de Méphisto constitue un tournant dans sa réflexion car il s’agit d’un « ange », être insexué, d’un « esprit », être asexué. Or justement, elle considère que des rôles masculins comme ceux des « trois Hamlet » sont en réalité des rôles insexués : « il faut que l’artiste [qui voudrait jouer ces rôles] soit dépouillé de virilité » car Hamlet est « un fantôme amalgamé des atomes de la vie et des déchéances qui conduisent à la mort ». Et de conclure </p>
<blockquote>
<p>« que ces rôles gagneront toujours à être joués par des femmes intellectuelles qui seules peuvent leur conserver leur caractère d’êtres insexués, et leur parfum de mystère ». </p>
</blockquote>
<p>Certes Sarah Bernhardt semble oublier que toutes les actrices n’ont pas son physique singulier, ni féminin, ni masculin, sorte de troisième genre sans sexe (et non d’androgyne, qui réunit traits féminins et masculins) mais c’est une façon de conclure à son avantage : Sarah Bernhardt impose son genre.</p>
<p>Cette réflexion sur les rôles masculins découle d’une comparaison entre héroïnes cornéliennes (qualifiées de « raisonneuses hystériques ») et héroïnes raciniennes, qui se solde au profit de ces dernières. Selon Sarah Bernhardt, seules les héroïnes raciniennes (dont Phèdre est pour elle l’emblème, unique rôle féminin à égaler celui d’Hamlet) sont réellement « féminine[s] » car elles tentent jusqu’au bout de dissimuler ce qu’elles ressentent véritablement, ne faisant éclater le corset social qu’en désespoir de cause.</p>
<p>À sa façon donc, en discutant de la vraisemblance et de l’intérêt des rôles féminins, Sarah Bernhardt rejette des clichés liés à une pseudo-nature féminine (non, les femmes ne sont ni des furies, ni des hystériques) pour considérer un fait historique et social (la nécessité pour elles de dissimuler leur for intérieur) qui lui apparaît comme déterminant pour la construction des caractères féminins, réels comme fictifs.</p>
<p>Cette nécessité de dissimuler va de pair pour Sarah Bernhardt avec l’aptitude des femmes à l’assimilation, comme elle l’explique dans son Art du théâtre : « On peut faire en quelques années une adorable duchesse d’un trottin parisien. On ne pourra jamais faire un duc d’un maraud ou d’un bourgeois ».</p>
<p>Ce faisant, elle remarque aussi combien il est difficile de s’émanciper de l’imaginaire collectif qui détermine une image générale de « la » femme, des images particulières de « types » de femmes mais aussi des images intemporelles de l’héroïsme féminin.</p>
<h2>La création d’un héroïsme à soi</h2>
<p>C’est un premier prix manqué lors du concours de comédie du Conservatoire qui semble à l’origine de sa réflexion sur la difficulté, en tant qu’actrice, de (re)créer des personnages féminins. Alors que le premier prix de comédie est remis à son amie Marie Lloyd, Sarah Bernhardt ne reçoit que le second. Mais pour elle, les dés étaient pipés :</p>
<blockquote>
<p>« C’était un prix de beauté que l’on avait décerné à Marie Lloyd ! […] [M]algré […] l’impersonnalité de son jeu, elle avait remporté les suffrages : parce qu’elle était la personnification de Célimène […]. Elle avait réalisé, pour chacun, l’idéal rêvé par Molière. »</p>
</blockquote>
<p>Par cette anecdote, Sarah Bernhardt signale combien nombre de personnages de fiction ont une image préétablie et combien il est difficile, voire vain dans certains cas, de vouloir leur en substituer une autre, en accord avec son physique et son caractère propres. Certes, à elle aussi apparaît d’abord, comme à tout lecteur, une « vision matérialisée » du personnage mais elle effectue ensuite un travail pour essayer de le percevoir tel que l’a conçu l’auteur, quitte à aller contre l’image, parfois ancienne, que le public en a.</p>
<p>Elle concède toutefois qu’il lui semble impossible de détruire le « côté légendaire » d’un personnage devenu mythique, quand bien même les travaux des historiens en ont rétabli la vérité. Elle énumère en guise d’exemples aussi bien des personnages masculins que féminins mais s’arrête sur le cas de Jeanne d’Arc (qu’elle a jouée en 1890 dans la pièce de Jules Barbier et en 1909 dans celle d’Émile Moreau) :</p>
<blockquote>
<p>« Nous ne voulons pas que Jeanne d’Arc soit la fruste et gaillarde paysanne repoussant violemment le soudard qui veut badiner, enfourchant comme un homme le large percheron, riant volontiers des gaudrioles des soldats, et, soumise aux promiscuités impudiques de son époque encore barbare […]. Elle reste, dans la légende, un être frêle, conduit par une âme divine. Son bras de jeune fille qui tient le lourd étendard est soutenu par un ange invisible ».</p>
</blockquote>
<p>En analysant l’image publique de Jeanne d’Arc, Sarah Bernhardt approche la question de l’héroïsme féminin et remarque combien il est indissociable d’une apparence physique éthérée, de gestes élégants, d’une pureté corporelle qui s’apparie mal avec la réalité. Il y a là un frein à son goût pour le réalisme contre lequel elle renonce à lutter.</p>
<p>La prise de rôle d’un personnage féminin se complique encore lorsqu’on y ajoute les visages réels qui y ont été associés au fil des siècles. Et, si l’on adopte le credo de Sarah Bernhardt selon lequel, au théâtre, les noms des actrices se gravent plus aisément dans les mémoires que ceux des acteurs, alors le défi de reprendre un rôle dans lequel une actrice s’est illustrée n’en est que plus grand.</p>
<p>Ainsi du rôle de Phèdre qui fut pour elle une épreuve car Rachel – son aînée d’une vingtaine d’années – avait imposé ses traits à cette héroïne en 1843 et son souvenir était encore vif lorsqu’elle-même en obtint le rôle trente-et-un an plus tard, sachant pertinemment que les comparaisons ne manqueraient pas.</p>
<p>Pourtant, cette fois-là, Sarah Bernhardt triomphe et ne mentionne dans son autobiographie qu’un seul article défavorable, celui de Paul de Saint-Victor, dont elle précise qu’il était « lié avec une sœur de Rachel », façon bien sûr de souligner la partialité du critique.</p>
<p>De même, en 1880, lorsqu’elle joue le rôle <a href="https://www.comedie-francaise.fr/fr/artiste/adrienne-lecouvreur">d’Adrienne Lecouvreur</a> (s’affrontant déjà à une première image d’actrice !) dans la pièce (portant son nom) que lui consacrent Ernest Legouvé et Eugène Scribe à Londres, c’est encore à Rachel – qui avait créé le rôle en 1849 – qu’elle est comparée par le critique du <em>Figaro</em>, Auguste Vitu, « regrettant [qu’elle n’eût] pas suivi les traditions de Rachel » mais admirant aussi chez elle, dans l’acte V, « une puissance dramatique […] une vérité d’accents qui ne sauraient être surpassées » et « une science de composition qu’elle n’avait jamais révélée jusque-là ».</p>
<p>À ces comparaisons, Sarah Bernhardt oppose chaque fois la même objection : elle n’a jamais vu Rachel jouer ces rôles, ce qui, malgré la notoriété de celle-ci, lui laissait une nécessaire liberté de création.</p>
<p>La réputation d’une prédécesseuse, lorsqu’elle est plus lointaine, peut cependant également être source d’inspiration. Pour le rôle de Phèdre par exemple, Sarah Bernhardt confie s’être appuyée sur la renommée de <a href="https://www.comedie-francaise.fr/fr/artiste/champmesle-mademoiselle">Mlle de Champmeslé</a> (1642-1698), se souvenant « qu’elle était au dire des historiens, une créature de beauté et de grâce, et non une forcenée », ce qui confortait son interprétation de Phèdre comme étant « la plus touchante, la plus pure, la plus douloureuse victime de l’amour ».</p>
<p>Toutes ces réflexions sur la création des personnages féminins se révèlent avoir nourri, comme autant d’ébauches, la pensée de Sarah Bernhardt quant à la création de sa propre « personnalité ». Elle semble en effet avoir conjugué étude des rôles qui lui étaient confiés et introspection, construction de soi.</p>
<p>Très tôt au cours de son autobiographie, elle fait part d’un désir d’affirmation de soi et de rayonnement auprès des autres qu’elle aurait éprouvé dès l’enfance et dont la première réalisation remonte au temps du couvent de Grand-Champs : « Enfin, j’étais devenue une personnalité, et cela suffisait à mon orgueil d’enfant », écrit-elle.</p>
<h2>La création d’une personnalité</h2>
<p>Ce mot de « personnalité » est un terme important pour elle, qui en use à plusieurs reprises au cours de son récit : conformément à ses deux sens principaux, il définit à la fois ce qu’elle est déjà – une individualité forte qui se démarque des autres – et ce qu’elle veut être – une personne importante.</p>
<p>Elle l’emploie ainsi souvent dans ce double sens, comme lorsqu’elle attend, inquiète et cependant sûre d’elle, qu’on lui attribue une « part » (et non un « rôle », pièce religieuse oblige) dans la pièce <em>Tobie recouvrant la vue</em> que les élèves du couvent doivent jouer à l’occasion de la visite de l’archevêque de Paris, Monseigneur Sibour.</p>
<p>Mais cette double acception du mot est plus clairement exprimée encore après son premier succès public et social, à savoir sa réussite au concours d’entrée du Conservatoire : « Je sentais le besoin de me créer une personnalité. Ce fut le premier éveil de ma volonté. Être quelqu’un, je voulus cela ».</p>
<p>De fait, le titre de son autobiographie, <em>Ma Double vie</em>, ne fait pas uniquement référence à cette vie partagée entre la scène et la ville dont elle décrit en détail le mécanisme lors d’une représentation de <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90066393"><em>Mademoiselle de Belle-Isle</em></a>.</p>
<p>Il fait aussi écho à la guerre qui a souvent opposé ses deux « moi », comme lorsqu’elle attend, fébrile, le résultat du concours de comédie du Conservatoire :</p>
<blockquote>
<p>« Il se livrait dans mon frêle cerveau de jeune fille le combat le plus fou, le plus illogique qu’on puisse rêver. Je me sentais toutes les vocations vers le couvent, dans ma détresse de mon prix manqué ; et toutes les vocations pour le théâtre, dans l’espoir du prix à conquérir ».</p>
</blockquote>
<p>Mais ces deux « moi » se réconcilient dans l’ambition puisqu’il ne s’agit rien de moins que de devenir dans un cas « la mère Présidente du couvent de Grand-Champs » et dans l’autre, « la première, la plus célèbre, la plus enviée » des actrices.</p>
<p>Si le dilemme intérieur est assez vite tranché – elle sera actrice –, cette vie aux identités multiples qu’elle embrasse ne se cantonne pas aux planches : à la ville aussi Sarah Bernhardt multiplie les rôles. Et c’est sur ce kaléidoscope identitaire, autant que sur son talent, qu’elle bâtit sa célébrité : Sarah Bernhardt infirmière et patriote – transformant l’Odéon en ambulance lors de la guerre de Prusse, soutenant le moral des soldats de 1914 –, Sarah Bernhardt aventurière – voyage en ballon, descente dans la crevasse de l’« Enfer du Plogoff », tournée dans la sauvage Amérique –, Sarah Bernhardt sculptrice, Sarah Bernhardt peintresse, Sarah Bernhardt goule dormant dans un cercueil, etc.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561076/original/file-20231122-21-kv4tz7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561076/original/file-20231122-21-kv4tz7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561076/original/file-20231122-21-kv4tz7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561076/original/file-20231122-21-kv4tz7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561076/original/file-20231122-21-kv4tz7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=347&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561076/original/file-20231122-21-kv4tz7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=347&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561076/original/file-20231122-21-kv4tz7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=347&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Boucq (Meurthe et Moselle), Le théâtre aux armées, en 1916. Sarah Bernhardt, 72 ans (à gauche), joue pour les Poilus. A 60 ans passés, l’actrice se blesse au genou droit en sautant du parapet dans la scène finale de Tosca. La gangrène s’installe : dix ans plus tard, l’actrice est amputée.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://imagesdefense.gouv.fr/sarah-bernhardt-actrice-patriote-theatre-aux-armees">Images défense</a></span>
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</figure>
<p>L’actrice défraie la chronique, même si elle se défend de le faire sciemment, ne prétendant qu’à vivre librement et selon sa fantaisie. Son impresario américain, Edward Jarrett est, lui, bien décidé à tirer parti de l’aura et du nom de Sarah Bernhardt qu’il vend, autant dans le monde du spectacle que dans celui de la publicité.</p>
<p>Revers de la médaille, l’actrice sent plusieurs fois son image lui échapper, se fait parfois piéger, comme <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/569154/autopsie-d-une-baleine">lors de l’épisode de la baleine de Boston</a> où un certain Henry Smith, propriétaire de bateaux de pêche, l’entraîne presque de force sur le dos du cétacé mourant dont il lui fait arracher un fanon pour ensuite en tirer une affiche et des réclames publicitaires, faisant de l’animal moribond (voire déjà mort !) une juteuse attraction touristique.</p>
<p>Sarah Bernhardt est si coutumière de ces jeux autour de ses différents « moi » que même dans son autobiographie, elle ne livre d’elle que des morceaux choisis. D’un côté, elle veille à attester précautionneusement de la véracité de son récit (parfois dans une perspective apologétique), prenant soin de citer à l’appui, comme autant de preuves, la « quantité de documents » conservés « précieusement » par Mme Guérard ou les « petits cahiers » dans lesquels son secrétaire avait « ordre de découper, et de coller […], tout ce qui s’écrivait en mal ou en bien » sur elle.</p>
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<p>De l’autre, elle se réserve le droit à l’omission (au mensonge par omission diraient certains), ne révélant que peu de choses de son intimité :</p>
<blockquote>
<p>« Mais je veux mettre de côté dans ces Mémoires tout ce qui touche à l’intimité directe de ma vie. Il y a un “moi” familial qui vit une autre vie, et dont les sensations, les joies et les chagrins naissent et s’éteignent pour un tout petit groupe de cœurs. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561097/original/file-20231122-23-6bva6z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561097/original/file-20231122-23-6bva6z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561097/original/file-20231122-23-6bva6z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561097/original/file-20231122-23-6bva6z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561097/original/file-20231122-23-6bva6z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561097/original/file-20231122-23-6bva6z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561097/original/file-20231122-23-6bva6z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Encrier sculpté par Sarah Bernhardt, Autoportrait en chimère, 1880. Musée Carnavalet.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Autoportrait_en_chim%C3%A8re,_S3375(4).jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Certes, Sarah Bernhardt narre <a href="https://www.cairn.info/vocabulaire-des-histoires-de-vie-et-de-la-recherch--9782749265018-page-28.htm">« l’histoire de sa personnalité »</a> mais telle qu’elle l’a inventée et sculptée et telle qu’elle souhaite la donner à voir : sphinx et chimère, à l’image de cet encrier qu’elle avait façonné à son effigie et dans lequel elle semble avoir trempé sa plume et dilué ses mystères.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214410/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ambre-Aurélie Cordet est membre de "Philomel", fédération des études de genre au sein de Sorbonne Université.</span></em></p>Sarah Bernhardt, par son jeu d'actrice et sa personnalité, bouleversa le monde du théâtre. On lui reprochait son « manque de féminité » : elle en fit une force.Ambre-Aurélie Cordet, ATER - Docteure en Littératures comparées, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172242023-11-22T15:02:41Z2023-11-22T15:02:41ZCode de la famille au Maroc : le long chemin vers l'égalité<p>Dans son <a href="https://lematin.ma/express/2022/fete-tro-voici-discours-integral-sm-roi-mohammed-vi/379166.html">discours du 30 juillet 2022</a> au moment de la fête du trône, le roi Mohammed VI appelait à une refonte profonde du code de la famille. Depuis lors, la question des droits des femmes marocaines traverse une phase cruciale qui peut s’avérer décisive quant au <a href="https://aujourdhui.ma/societe/demographie-mariage-fecondite-la-femme-marocaine-en-chiffres#:%7E:text=Selon%20les%20donn%C3%A9es%20du%20HCP%2C%20les%20femmes%20repr%C3%A9sentent,hommes%20%C3%A0%20vivre%20en%20ville%20%2811.788.000%20contre%2011.402.000%29">devenir de plus de la moitié de la société</a> marocaine.</p>
<p>En effet, dans l’ensemble des sociétés à majorité musulmane, la question de l’égalité entre les sexes à tous les échelons de la société est intrinsèquement liée au problème fondamental du droit de la famille. Celui-ci demeure ancré dans la charia (loi islamique), née durant la période médiévale, qui légalise et sacralise la domination masculine dans chaque foyer à travers notamment la <a href="https://books.openedition.org/iheid/6523">tutelle matrimoniale, la polygamie et l’inégalité successorale</a>. Or, une inégalité légalisée, sacralisée et intériorisée au sein du premier lieu de la socialisation, la famille, ne peut aucunement favoriser une égalité pleine et entière entre les femmes et les hommes dans l’espace public. </p>
<p>Dans le cadre de nos recherches, nous avons notamment réalisé des travaux sur <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-feminismes_arabes_un_siecle_de_combat_les_cas_du_maroc_et_de_la_tunisie_leila_tauil-9782343146430-59538.html">les féminismes arabes</a> et la <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-les_femmes_dans_les_discours_freristes_salafistes_et_feministes_islamiques_leila_tauil-9782806105127-65477.html">place des femmes dans les discours islamistes</a>.</p>
<p>Cet article met en lumière le rôle déterminant du politique dans le choix du projet de société, moderne et égalitaire ou conservateur et hiérarchique, à adopter. </p>
<h2>Histoire du statut des femmes</h2>
<p>Dans de nombreux pays musulmans, malgré la présence de théologiens réformistes de la fin du 19 ème et du début du 20 ème siècles qui défendent alors des <a href="https://books.google.ch/books/about/The_Liberation_of_Women.html?id=HsH8QTftEs8C&redir_esc=y">thèses favorables à l’émancipation féminine</a>, les gouvernements adoptent majoritairement, au moment des indépendances durant les années 1950-1960, au nom de l’islam d’Etat, des codes du statut personnel et de la famille, inspirés de la charia, qui infériorisent légalement les femmes. </p>
<p>Les mouvements féministes, en plus de lutter contre ces inégalités institutionnalisées, doivent faire face, depuis les années 1980, aux mouvements islamistes et de la réislamisation. Ces derniers prônent le voilement du corps des femmes et leur assignation à leur rôle dit premier d’épouse et de mère inscrit dans un rapport hiérarchique des sexes. Ils s’opposent systématiquement aux réformes égalitaires revendiquées par les féministes. </p>
<p>Pour revenir brièvement à l’histoire du statut des femmes au Maroc, au lendemain de l’indépendance, un <a href="https://books.openedition.org/puam/1011">code du statut personnel</a> basé sur le <a href="https://www.doctrine-malikite.fr/">rite malékite</a> est promulgué, entre 1957 et 1958. Celui-ci entérine la prééminence masculine (autorité maritale, répudiation, polygamie, etc.) et fait immédiatement l’objet de contestations, entre autres, par la pionnière féministe <a href="https://www.yabiladi.com/articles/details/73233/malika-fassi-seule-femme-signataire.html">Malika Al Fassi</a> qui réclame publiquement une réforme égalitaire.</p>
<p>En mars 1992,<a href="https://books.openedition.org/irdeditions/8700?lang=en">l’Union pour l’action féministe </a> lance une pétition “Un million de signatures pour une réforme égalitaire du code du statut personnel”. Celle-ci aboutit, en 1993, à une réforme certes mineure mais avec l’effet non négligeable de sa désacralisation dans la mesure où il pouvait désormais faire l'objet de critiques entraînant des modifications. </p>
<p>En 1999, le <a href="http://www.albacharia.ma/xmlui/bitstream/handle/123456789/31645/1448L%E2%80%99exp%C3%A9rience%20marocaine%20d%E2%80%99int%C3%A9gration.pdf">Plan national d’intégration des femmes au développement</a>, qui comprend les réformes du code du statut personnel, divise la société marocaine entre les féministes et les islamistes qui s’affrontent sur le devenir de la place des femmes dans la société.</p>
<p>Une controverse sociétale qui témoigne plus largement d’un affrontement entre deux projets de société opposés, à savoir: sécularisé et égalitaire ou islamiste et patriarcal. Le nouveau code de la famille, <a href="http://ism.ma/ismfr/francais/Textes_francais/cf.pdf">adopté en février 2004</a> comprend de grandes avancées égalitaires telles que la responsabilité conjointe des deux époux, le droit pour la femme de demander le divorce, l'élévation de l'âge du mariage à 18 ans, etc. </p>
<p>Néanmoins, il comporte des limites liées à son application et à la présence d’articles permettant son contournement (mariage de mineurs, etc.) et demeure inégalitaire en maintenant notamment la polygamie et le partage de l’héritage.</p>
<h2>Des réformes profondes</h2>
<p>Près d’une vingtaine d’années après le nouveau code de la famille, le roi Mohammed VI, favorable à l’émancipation des femmes, charge le chef du gouvernement de s’atteler à la proposition de réformes profondes du code de la famille. Ce travail se fait en collaboration et en concertation avec les différentes composantes politiques, religieuses et civiles de la société (Conseil supérieur des oulémas, Conseil national des droits de l’Homme, collectifs féministes, etc.). </p>
<p>L'objectif est de le conformer à la nouvelle<a href="https://www.doctrine-malikite.fr/"> Constitution de 2011</a> comprenant l’article 19 qui consacre la pleine égalité entre les femmes et les hommes.</p>
<p>Cependant, les islamistes s’opposent formellement à une réforme du code de la famille, particulièrement à l’épineuse question de l’inégalité successorale, entérinée par le Coran. </p>
<p>A ce titre, <a href="https://www.yabiladi.com/articles/details/137571/maroc-relance-debat-l-egalite-dans.html">dans un communiqué </a> publié en février 2023, le Parti islamiste pour la justice et le développement (PJD) affirme que “certains ont osé appeler explicitement à l'égalité dans l'héritage, contre le texte coranique explicite réglementant l'héritage (…). C’est une menace pour la stabilité nationale, liée à ce que le système successoral a établi dans la société marocaine depuis plus de 12 siècles”. </p>
<p><a href="https://www.bladi.net/pjd-reforme-code-famille-maroc,100497.html">La réaction du mouvement féministe</a> ne s’est pas fait attendre. Quelques jours plus tard, il dénonce la prise de position du PJD assimilée à “une forme d’intimidation” et appelle les islamistes à “faire preuve de rationalité et d’ijtihad [effort d'interprétation du Coran] dans un climat démocratique permettant d’élaborer des dispositions innovantes au service de l’intérêt général et de celui de la famille marocaine”. </p>
<p>A ce propos, <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2011-1-page-187.htm">Mohammed Arkoun</a> souligne que les mouvements islamistes s’inscrivent dans une “régression intellectuelle et culturelle” tant avec l’héritage de l’islam rationaliste classique (VIIe-XIIIe siècles) ouvert à la philosophie que celui de l’islam réformiste libéral (XIXe-XXe siècles) ouvert à la modernité.</p>
<p>Ainsi, en ce qui concerne par exemple le verset relatif à l’inégalité successorale, voici ce qu’Allah vous enjoint au sujet de vos enfants : </p>
<blockquote>
<p>Au fils, une part équivalente à celle de deux filles". (sourate 4, verset 11)</p>
</blockquote>
<p>Pour le théologien réformiste tunisien Tahar Haddad, ce verset ne constitue pas un dogme puisque le Coran contient également des versets égalitaires : </p>
<blockquote>
<p>Aux hommes revient une part de ce qu’ont laissé les père et mère ainsi que les proches ; et aux femmes une part de ce qu’ont laissé les père et mère ainsi que les proches, que ce soit peu ou beaucoup : une part fixée. (sourate 4, verset 7)</p>
</blockquote>
<p>En 1930, Tahar Haddad, qui défend une refonte de la charia inscrite dans la promotion d’une égalité des sexes, affirme audacieusement : “comme il fut possible à la loi musulmane de décréter l’abolition de l’esclavage, en s’appuyant sur le but libéral de cette décision, il peut en être de même pour établir <a href="https://nirvanaedition.com/produit/notre-femme-dans-la-charia-et-la-societe/">l'égalité entre l'homme et la femme</a> sur les plans de la vie pratique et aux yeux de la loi (…)”. </p>
<p>C’est pourquoi, il prône notamment l’abolition de la polygamie, de la répudiation, de la tutelle matrimoniale, l’abandon du voile et l’égalité successorale. </p>
<p>Aussi, souligne Mohammed Arkoun, l’enjeu actuel majeur pour l’exercice de la pensée islamique est son passage de <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-mohammed_arkoun_une_approche_critique_subversive_et_humaniste_de_l_islam_leila_tauil-9782140310683-75606.html">l’épistémè médiévale</a> travaillée par des rapports hiérarchiques – supériorité du musulman sur le non-musulman dhimmî (sourate 9, verset 29), du libre sur l’esclave (sourate 16, verset 71), de l’homme sur la femme (sourate 4, verset 34) – à l’épistémè moderne travaillée par le concept d’égalité citoyenne tout en reconnaissant l’historicité des textes scripturaires. </p>
<p>Or, si les acteurs religieux orthodoxes et islamistes acceptent majoritairement l’abolition du statut – entériné par le Coran – des minorités non-musulmanes (dhimmitude) et de l’esclavage, ils continuent à s'opposer avec force, sous la bannière d'un patriarcat sacralisé, à l’émancipation des femmes. </p>
<h2>Un tournant historique</h2>
<p>Pourtant, il serait grand temps que tous les acteurs religieux acceptent l'abolition du statut infériorisé des femmes, tant au niveau des lois que dans les discours islamiques, pour les considérer véritablement comme leurs égales. </p>
<p>Aussi, gageons que l’instance chargée au Maroc de la révision du code de la famille qui a auditionné, entre autres, en novembre 2023, la Coalition féminine pour un code de la famille basé sur l’égalité et la dignité, tienne compte des revendications de Saida El Idrissi, membre de la Coalition. Celle-ci souligne:</p>
<blockquote>
<p><a href="https://www.mapnews.ma/fr/actualites/social/r%C3%A9vision-du-code-de-la-famille-la-%E2%80%9Ccoalition-f%C3%A9minine-pour-un-code-de-la-famille">l’importance</a> de procéder à la révision du code de la famille sur la base des Hautes orientations royales, de la Constitution de 2011 et des principes des droits de l’Homme, et ce, en adéquation avec les <a href="https://www.ohchr.org/fr/publications/policy-and-methodological-publications/convention-elimination-all-forms-discrimination">conventions internationales</a> ratifiées par le Maroc. </p>
</blockquote>
<p>Enfin, le Maroc a un rendez-vous avec l’histoire et peut devenir le pays avant-gardiste du monde arabe en adoptant l’égalité, les libertés individuelles et la pleine démocratie qui peuvent s’avérer totalement compatibles avec un islam moderne et humaniste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217224/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Leïla Tauil does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Le Maroc peut devenir le pays avant-gardiste du monde arabe en adoptant l’égalité, les libertés individuelles et la démocratie qui peuvent s’avérer compatibles avec un islam moderne et humaniste.Leïla Tauil, Enseignante-chercheure, Université de GenèveLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2114532023-11-19T16:36:15Z2023-11-19T16:36:15ZRécit : Des cochons et des hommes<p><em>« Faire le cochon » endurcirait nos existences molles de petits consommateurs, dépossédés, déconnectés des réalités de la vie. L’anthropologue Madeleine Sallustio a effectué une enquête de terrain de plusieurs semaines dans un collectif autogéré en Italie. Avec ces habitants, elle participe à la transformation du cochon. Cela l’amène à documenter des clivages de genre communs dans ces collectifs. Premier article de notre série de récits écrits pour The Conversation France.</em></p>
<hr>
<p>Nous nous sommes levés tôt. Il fait encore nuit. À la frontale, nous sommes plusieurs à converger vers le lieu de rendez-vous : Casa Gialla, un des gros bâtiments de ferme qui compose Montecaro. Ce collectif agricole, dans les collines toscanes, en Italie, est squatté depuis déjà huit ans.</p>
<p>Il recouvre près de 200 hectares d’oliviers, des vignes, quelques champs de blé, de petits jardins et plusieurs bâtis, transformés en habitation. Le groupe de jeunes adultes qui y habite et travaille s’est transformé au cours du temps. Certains étaient poussés par le souci de maintenir la vocation agricole de cet espace face à la <a href="https://www.torrossa.com/en/resources/an/4536290">spéculation immobilière et le marché de la résidence secondaire</a>. D’autres, étaient motivés par l’envie d’expérimenter un <a href="https://www.cairn.info/revue-techniques-et-culture-2020-2-page-178.htm">mode de vie autonome</a>, de voir de quelle utopie ils étaient capables, d’aller un peu plus loin que des <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2022-3-page-487.htm?contenu=article">mouvements sociaux urbains</a> desquels beaucoup d’entre eux étaient familiers.</p>
<p>Vivre « ici et maintenant » le monde que l’on souhaiterait voir advenir, sans l’aide des partis ou des syndicats, sans espérer ni la révolution ni l’effondrement : telle était la démarche politique défendue ici. C’est ce que je suis venue étudier, moi, Madeleine, anthropologue belge. J’étudie le rapport que les êtres humains entretiennent à l’égard du temps, les choix d’organisation du travail, le rapport au passé, au présent, à l’avenir.</p>
<p>Peu sportive, je trottine de manière précipitée derrière ‘Cici qui, malgré mon italien basique, semble m’avoir trouvée sympathique. Il me taquine, et parfois, me tape gaillardement dans le dos en se moquant de mes origines molisaines. Cette région d’Italie si petite, si dépeuplée, qu’on dit, en Toscane, qu’elle n’existe pas.</p>
<p>Mais ‘Cici avait aussi été accueillant. Il avait trouvé important de m’expliquer comment était né le projet. Il avait « pris le temps », comme on dit. Depuis huit ans, le travail est collectif et autogéré à Montecaro, tout comme la vie quotidienne. On vise l’égalité, l’horizontalité et l’anti-autoritarisme dans les prises de décisions. « Pas de patron dans nos sillons ! », ainsi pourrait-on traduire leur slogan, écrit sur leurs affiches, banderoles et étiquettes, sans trahir leur anonymat. Cette semaine, une des priorités sur laquelle s’est mis d’accord le collectif est l’abattage de plusieurs cochons. Il est déjà un peu tard pour la saison, on a peur des mouches.</p>
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<span class="caption">Un groupe du collectif se prépare pour l’abattage du cochon.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallusto</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>On arrive sur place. Francesco, Giuseppe, Simone, Luca, ‘Cici qui s’appelle en réalité également Francesco, Daniele, Lisa et moi, qui sommes les deux seules femmes.</p>
<p>On prépare un gros chaudron d’eau qu’on fait bouillir dans la cour. On installe des palettes en bois, qu’on rince au jet d’eau. Le groupe est calme, parle peu, fume. Il est difficile de distinguer la nervosité de la fatigue. Francesco nous fait un café. Lui, ne participera pas à l’abattage. Il dit avoir d’autres choses à faire, et que, de toute façon, faire le cochon, « ce n’est pas son truc ».</p>
<p>Lorsque l’eau est assez chaude, on se dirige vers l’enclos des cochons. Nous sommes plusieurs à suivre même si notre présence n’est pas requise.</p>
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<h2>Abattre et transformer le cochon consacre la quête de paysannerie</h2>
<p>Une curiosité solennelle flotte dans l’air. Les cochons sont isolés et c’est Giuseppe, un des premiers squatteurs du lieu, formé à l’abattage des cochons par un agriculteur voisin, qui tue le premier animal, au pistolet. Le cochon crie peu. Appâté par un sac de grain, il s’était laissé approcher facilement. Il faut l’aide de deux personnes pour contenir les spasmes post-mortem du corps de l’animal. Giuseppe pointe du doigt certains membres de l’assemblée pour demander de l’aide. Il cherche les gros bras. Cela dure plusieurs minutes. Une fois inerte, le corps de l’animal, d’environ 200 kg, est finalement attaché à une corde et traîné en tracteur jusqu’à l’atelier.</p>
<p>On le hisse sur les palettes. Le travail peut enfin commencer pour les petites mains, comme moi.</p>
<figure class="align-center zoomable">
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<span class="caption">Le cochon est tracté par un tracteur jusqu’au lieu où il sera travaillé par le collectif.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallustio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une fois tué, le cochon est hissé sur un plan de travail en hauteur. L’échaudage peut commencer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallusto</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>L’abattage et la découpe du cochon sont un travail qui nécessite d’être nombreux. Il dure toute la journée. De nombreuses personnes passeront relayer l’équipe ou filer des coups de main, sans nécessairement rester toute la journée. Certains ont plus d’expérience, d’autres moins. L’événement attire aussi de nombreux curieux. De manière générale, <a href="https://www.jstor.org/stable/40988615">comme en France</a>, l’abattage du cochon est un événement. Il incarne l’imaginaire que se font les habitants de Montecaro de la vie paysanne. Il consacre leur projet de vie et de travail agricole en collectif.</p>
<h2>Endurcir nos existences</h2>
<p>On parle beaucoup de l’abattage du cochon dans les pièces communes, avant et après le jour J. Certains compatissent, tantôt avec la bête, tant avec le bourreau. On parle de « courage d’abattre ». De l’importance de tuer sans faire souffrir. On parle aussi de la cohérence que procure le fait de pouvoir tout gérer, de A à Z, manger les bêtes qu’on élève, celles qu’on a chéries, nourries, tuées, découpées, cuisinées. On débat sur le respect de la vie animale.</p>
<p>Certains défendent le fait que manger de la viande sans être capable de tuer ou, a minima, de se confronter à la mort, serait peu honorable. Cela consisterait à déléguer le « sale boulot » qui, par cette rhétorique, cesse aussitôt d’en être un. Cet événement ravive le souhait originel d’autonomie. Apprendre à « faire soi-même ». Et pas n’importe quoi : de la viande, des protéines.</p>
<p>« Faire le cochon », en somme, endurcirait nos existences molles de petits consommateurs, privilégiés et pourtant dépossédés, impuissants, déconnectés des réalités de la vie. Être capable de se confronter à la mort, au lourd, au sale. C’est un discours qui est commun, notamment dans les registres de légitimation de consommation de viande, une <a href="https://www.fayard.fr/livre/apologie-du-carnivore-9782213655826/">« éthique du carnivore »</a> qui défend l’acceptabilité de manger de la viande à condition d’être capable de tuer.</p>
<p>On parle aussi des <a href="https://journals.openedition.org/cm/2910">paysans d’antan</a>, du rôle qu’avait le cochon dans l’alimentation, des recettes toscanes traditionnelles. On tisse un rapport de filiation identitaire avec la paysannerie. « Faire le cochon » est alors, pour certains, une manière de continuer ce que faisaient les anciens.</p>
<p>Ce type d’événement, qui consacre, qui réactualise le ou les projets que chacun est venu chercher ici, n’est pas uniquement l’apanage de l’abattage du cochon. D’autres événements similaires ont cet effet : les vendanges, les moissons, ou des réunions politiques annuelles avec d’autres fermes.</p>
<h2>Avoir sa place</h2>
<p>Mais retournons à nos cochons. Une fois sur les palettes, une petite entaille dans le cou de la bête permet de le vider de son sang. Le plus vite est le mieux. Sans quoi, le sang coagule. Ce dernier est récupéré dans un saladier. On agite le fluide avec un fouet. Il sera cuisiné dans la journée sous forme de crêpe, le <em>migliaccio di sangue</em>.</p>
<p>Ensuite, on procède au toilettage. Il s’agit de raser à blanc le cochon. Le travail se fait par équipes de deux. Une personne gratte la fourrure de l’animal à l’aide d’un couteau et guide son acolyte, qui arrose méticuleusement d’un filet d’eau bouillante les zones à l’aide d’un petit broc en métal. Le travail est précis. Trop d’eau bouillante d’un coup cuirait la peau du cochon et refermerait les pores de sa peau définitivement. Les poils ne s’épileraient plus, ce serait gâcher du lard.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554547/original/file-20231018-29-nhhl8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554547/original/file-20231018-29-nhhl8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554547/original/file-20231018-29-nhhl8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554547/original/file-20231018-29-nhhl8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554547/original/file-20231018-29-nhhl8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554547/original/file-20231018-29-nhhl8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554547/original/file-20231018-29-nhhl8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le cochon est saigné.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallustio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Le cochon est échaudé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallustio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<figure class="align-center ">
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<span class="caption">La préparation des carcasses pour la boucherie prend toute la journée et est un travail collectif.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallustio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Lisa et moi sommes à ce poste, avec la nièce de Daniele, une enfant d’une dizaine d’années, que je trouve particulièrement volontaire. À trois, nous versons de l’eau à la demande des manieurs de couteaux et remplissons nos petits brocs en métal dans la grosse marmite d’eau. Les autres habitantes du collectif n’interviendront dans ce travail qu’à l’étape de préparation des saucisses et pâtés, le jour qui suit la boucherie. Et encore, plusieurs d’entre elles sont végétariennes, ce qui diminue la main-d’œuvre féminine potentielle, dans un collectif déjà majoritairement <a href="https://journals.openedition.org/itti/2667">composé d’hommes</a>.</p>
<p>Derrière cette organisation du travail spontanée qui se met en place, il existe des enjeux d’égalité de genre. Lisa, qui n’en est pas à son premier cochon, m’explique qu’il lui a été difficile de s’imposer comme légitime dans cette activité.</p>
<blockquote>
<p>« La première fois que j’étais là pour le cochon, j’avais dit la veille que j’aurais aimé participer et ils sont partis le faire sans me prévenir ! Ils disaient qu’ils n’avaient pas pensé que j’étais sérieuse, que les filles étaient d’habitude dégoutées par le sang, la mort, ce genre de chose. Mais pas moi ! Alors, je suis venue, et on m’a fait verser de l’eau chaude pendant des heures. J’avais pas le droit de tenir le couteau quoi ! On finissait toujours par me l’enlever des mains. Quand ils coupaient la viande, j’avais très envie d’apprendre. Mais comme c’était la veille d’une fête, il y avait plein de choses à faire et quelqu’un est venu me chercher pour que je peigne des panneaux pour indiquer le parking. Pourquoi il ne l’a pas demandé à Francesco ? Lui non plus n’avait jamais découpé le cochon, c’était pas comme s’il était plus efficace que moi ! Non, mais c’est un mec. Il avait sa place là. »</p>
</blockquote>
<h2>Travail visible, travail invisible</h2>
<p>Cette situation est récurrente dans le travail agricole, et ce, dans la très grande majorité des collectifs que j’ai rencontrés, tant en France, qu’en Italie et qu’en Espagne. La division genrée du travail fait la norme. Cela se manifeste par la répartition inégale des genres dans les activités. Les femmes sont plus souvent en charge des plantes médicinales, de l’éducation des enfants, du ménage ou un travail administratif ; et les hommes aux machines, sur les tracteurs, avec les tronçonneuses, les charges lourdes et les outils coupants. Ce n’est pas un hasard si nous sommes si minoritaires aujourd’hui, Lisa et moi. Des mises à l’écart informelles s’exercent, notamment sous le couvert de l’efficacité et de la sécurité (que chacun fasse ce qu’il <em>sait</em> faire), ou de l’aisance et du choix personnel (que chacun fasse ce qu’il a <em>envie</em> de faire, là où il se sent le plus à l’aise).</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une fois les bêtes échaudées, elles sont suspendues par les tendons à des crochets pour être vidées de leurs entrailles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallusto</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Pourtant, rares sont ceux qui arrivent formés à l’agriculture : des relations de formation informelles existent. La division genrée commence par ce biais : les tâches d’hommes seront enseignées prioritairement aux hommes, façonnant par là un ensemble de compétences et d’attitudes genrées dans le quotidien. Il en va de la manipulation du tracteur, de la sollicitation pour porter de lourdes charges (comme des ballots de foin, des bûches de bois, du matériel de construction, des sacs de grain), ou encore de la camaraderie autour de la boisson alcoolisée. La vinification ou le brassage de la bière sont effectivement aussi des activités qui attirent davantage les hommes.</p>
<p>Lisa a bien conscience de cette division qu’elle considère à la fois comme une injustice et comme le risque de se voir dépossédée du projet en tant que tel.</p>
<blockquote>
<p>« Quand tu es dans une ferme, tu fais le cochon, tu conduis le tracteur, tu bucheronnes… c’est ça qui est visible. Personne ne va venir dans la ferme et te dire “qu’est-ce qu’ils sont jolis tes panneaux de parking.” […] Mais du coup on va féliciter Giuseppe pour ses cochons. “Bravo, Giuseppe, merci, Giuseppe”. Ça donne du pouvoir ça ! Il devient plus irremplaçable. Moi quand on dit ça, je réagis toujours : “non, ce sont NOS cochons” ».</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les carcasses sont fendues dans le sens de la longueur et amenées au lieu de boucherie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallusto</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Les femmes redoublent d’efforts pour se situer à l’égal des hommes</h2>
<p>Le toilettage continue. Nous insistons pour prendre un couteau, tourner, changer de poste. Ce que nous vivons comme une revendication politique est en vérité accepté sans discussion. On me tend le couteau. Je découvre qu’être à ce poste implique, à un moment, d’extraire l’anus du cochon. L’opération me dégoûte profondément pour diverses raisons, mais je tente de garder mes haut-le-cœur pour moi. L’heure n’est pas aux aveux de faiblesse, il s’agit de montrer que je suis à la hauteur, sans quoi je crains être reléguée et à jamais enfermée dans le rôle de la verseuse d’eau, avec les femmes et les enfants. Lisa note mon désemparement et éclate de rire.</p>
<blockquote>
<p>« J’ai eu la même réaction quand j’ai dû couper les couilles de mon premier cochon ! J’ai pas réussi… J’étais tellement déçue que Tonio le fasse à ma place, j’avais l’impression d’avoir confirmé l’image qu’ils avaient de moi. »</p>
</blockquote>
<p>Ici comme ailleurs, il est intéressant de constater à quel point les femmes redoublent souvent d’efforts pour se situer à l’égal de l’homme. Chantiers non mixtes pour apprendre à manier la tronçonneuse, cours d’ergonomie pour porter des charges lourdes, démonstration de force. L’inverse est rarement vrai. C’est par exemple ce que m’expliquait Rita, une autre habitante du collectif :</p>
<blockquote>
<p>« On ne prend pas assez au sérieux la cuisine. Or, ce n’est pas si évident de prévoir des menus équilibrés sur la semaine pour 25 personnes avec les produits du jardin ! Ça aussi, ça nécessite des formations. Pour les gars, ça irait si on mangeait juste des pâtes midi et soir, mais ce n’est pas sain. Sauf que si ça ne te convient pas, alors, c’est toi qui te retrouves à faire à manger. Prendre soin, c’est encore pour les femmes ».</p>
</blockquote>
<p>D’autres cochons sont tués : un adulte et trois petits. Une fois les bêtes échaudées, elles sont suspendues par les tendons à des crochets pour être vidées de leurs entrailles. Ici encore, c’est Giuseppe qui veille à ce que les coups de hachette et de couteaux soient précis. Il s’agit de ne pas perforer les intestins. Les abats destinés à être cuisinés le jour même sont mis de côté. Une fois le cochon lavé, vidé, il est fendu en deux dans le sens de la longueur. Il faudra être plusieurs pour amener sa carcasse, devenue viande, jusqu’au lieu de boucherie. Là encore, on appelle aux gros bras. On laisse faisander les carcasses une nuit. La boucherie n’aura lieu que le lendemain.</p>
<h2>« Et alors ! ? On ne t’a pas appris à aiguiser des couteaux à Milan ? »</h2>
<p>Le lendemain, je réponds présente. Il y a moins de monde. C’est moins spectaculaire. Lisa n’est pas là. C’est une autre ambiance. Nous sommes à l’intérieur d’un grand hangar dont la fonction est polyvalente. Salle de fête, d’assemblée, de formation, de stockage, de boucherie. On écoute du rap très fort. On aiguise des couteaux réservés à cet usage.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/558638/original/file-20231109-21-u53mqf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/558638/original/file-20231109-21-u53mqf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/558638/original/file-20231109-21-u53mqf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/558638/original/file-20231109-21-u53mqf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/558638/original/file-20231109-21-u53mqf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/558638/original/file-20231109-21-u53mqf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/558638/original/file-20231109-21-u53mqf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Boucherie : les os sont fendus à la hache, les jambons coupés, ainsi que les côtelettes et filets.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallusto</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Giuseppe et ‘Cici ne quittent pas leur posture de pédagogue de la veille. Ils seront très patients et bienveillants avec moi, s’assurant que tout aille bien, que je ne me coupe pas, que je n’aie pas mal au dos. Ils sont en revanche beaucoup plus moqueurs et provocateurs avec Enzo, plus jeune. Ancien étudiant de philosophie, Enzo a rejoint le collectif depuis peu. Il était arrivé en vélo, faisait de la musique, et surjouait une attitude légère et dilettante.</p>
<p>Giuseppe lève les yeux au ciel en voyant Enzo tenter d’aiguiser un couteau avec le fusil. Il lui prend le couteau des mains :</p>
<blockquote>
<p>« Et alors ! ? On ne t’a pas appris à aiguiser des couteaux à Milan ? »</p>
</blockquote>
<p>Tous les hommes éclatent de rire. Les railleries sur son origine milanaise sont nombreuses, Milan apparaissant comme la ville bourgeoise et « bling bling », loin de l’autonomie libertaire. Enzo en joue. Il incarne tantôt le vagabond bohème, tantôt l’enfant de riche, voire l’enfant tout court. Jouer au fou, au Mat, lui permet d’échapper au sérieux et aux responsabilités qui l’accompagnent. Sa posture est intéressante car le décalage de cet homme avec la virilité et l’ardeur technique au travail attendues de lui permet de mettre en lumière le rôle qu’il ne remplit pas. Cela fait donc l’objet de moqueries et, par là, visibilise les normes relatives à la masculinité dans ce collectif.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les premiers bouts de viande sont cuits au barbecue alors que la boucherie continue. Ce sera l’occasion de faire une pause.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallustio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Francesco, quant à lui, est depuis hier pendu aux lèvres de Giuseppe et ‘Cici. Clope au bec, il apprend. Un jour, il devra pouvoir le faire seul. Je travaille pour ma part avec Enzo. Nous sommes en bout de chaîne, à dégraisser, désosser, et tailler le lard et les plus petits morceaux de viande pour le hachoir à saucisse. Les autres, vrais bouchers, fendent des os à la hache, à la scie, détachent jambons, côtelettes, filets. Aucune partie du cochon ne sera gâchée. Tous les os, bouts de peau, de gras, les pieds et autres morceaux seront bouillis dans une grande marmite. On épicera le tout selon différentes recettes pour faire du pâté de tête.</p>
<p>La viande sera congelée ou transformée en saucisse, elle-même congelée pour les grandes occasions. Quelques morceaux seront consommés au barbecue, petit privilège des travailleurs. L’équipe de boulangers, à l’œuvre en même temps que nous dans le fournil, fait de même avec la <em>focaccia</em> sortie du four. Bénéficier directement de son labeur, après tout, est un des leitmotive du travail tel qu’il est déployé ici.</p>
<h2>Ce sont systématiquement les femmes qui s’en vont</h2>
<p>Malgré les aspirations égalitaires des collectifs que j’ai rencontrés dans le cadre de mes terrains en Italie, en France et en Espagne, l’organisation du travail et de la vie quotidienne demeure donc fortement genrée. Si l’objectif de ces lieux est de réinventer des manières de s’organiser « alternatives », on est en droit de se demander de quelle alternative au patriarcat il est question.</p>
<p>Les initiatives néo-paysannes reproduisent en effet la matrice dominante dans leur manière de penser les archétypes, en l’occurence, le <a href="https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1525/ae.2005.32.4.593">paysan traditionnel, homme, blanc, hétérosexuel</a>. S’identifier à la paysannerie, pour les femmes, demande un travail de désexualisation de cet archétype, sans quoi, l’identification au rôle de la <em>paysanne</em> et de sa position dans les rapports de domination n’est pas enviable.</p>
<p>Cet effort de nécessairement penser l’anticapitalisme et le « retour à la terre » selon une perspective écoféministe est permanent et la difficulté à transformer les rapports de force internes à ces groupes se manifeste notamment par la désertion des femmes.</p>
<p>À la fin de mon terrain en novembre 2021, de nombreuses femmes allaient en effet quitter le collectif, laissant Lisa comme seule habitante. Cela l’attristait, malgré les blagues des habitants du lieu qui cherchaient à dédramatiser la situation. « Vive la reine ! Vive la reine ! Vive la reine des lieux ! » était une phrase souvent scandée à son égard dans les espaces collectifs, tout particulièrement pour la remercier d’avoir fait la cuisine. Elle se séparera un an après de son conjoint et quittera également le collectif.</p>
<p>Ce sont systématiquement les femmes qui s’en vont. Les hommes, davantage intégrés, formés, engagés dans le projet, sont plus systématiquement intégrés au travail, non sans pression sociale. Si le but de ces initiatives est de reprendre de la maîtrise sur son environnement, se ressaisir, multiplier les savoirs et savoir-faire, les hommes ont une expérience finalement plus émancipatrice que les femmes dans ces aventures néo-paysannes pour qui le « retour à la terre » s’apparente plutôt à un <a href="https://www-sciencedirect-com.ezproxy.ulb.ac.be/science/article/pii/S0743016714000400">« retour au foyer »</a>.</p>
<p>Si pour <a href="https://thecommunists.org/2023/06/15/news/environment-day-un-ecology-without-class-struggle-gardening/">Chico Mendes</a> l’écologie sans la lutte des classes se résume à du jardinage, on est en droit de se demander ce qu’est le « retour à la terre » s’il fait l’économie du féminisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211453/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Madeleine Sallustio a reçu des financements de l'InSHS (CNRS) et du Centre de sociologie des organisations (CSO) de SciencesPo pour la réalisation de cette recherche. </span></em></p>Au sein d’un collectif agricole autogéré, on abat soi-même le cochon. Si cet événement témoigne d’une forte volonté politique, il visibilise aussi des clivages de genre. Récit.Madeleine Sallustio, Anthropologue, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2165542023-10-30T16:17:24Z2023-10-30T16:17:24ZLes hommes déclarent qu'ils consacrent plus de temps aux tâches ménagères et qu'ils aimeraient en faire plus : enquête réalisée dans 17 pays<p>Dans les pays du Sud, les femmes effectuent entre <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=7">trois et sept fois plus de tâches de soins</a> que les hommes. Ces tâches comprennent les travaux domestiques et se concentrent principalement sur les soins aux enfants. </p>
<p>Il faut espérer que cette situation évolue. Le <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf">Rapport 2023 sur la situation des pères dans le monde</a>, intitulé “Centrer les soins dans un monde en crise”, a exploré les expériences et l'implication dans les soins de 12 000 hommes et femmes, dont beaucoup sont des parents, dans 17 pays. L'enquête s'est penchée sur ceux qui s'occupent des soins, comment ils s'en occupent, pour qui, et sur ce que les hommes et les femmes pensent des soins.</p>
<p>Je suis l'un des cinq coauteurs du rapport, qui révèle une remarquable appréciation des soins de la part des personnes interrogées. Dans une enquête en ligne, ils ont massivement associé les soins à des termes positifs. L’“amour” est le mot le plus fréquemment mentionné dans tous les pays. </p>
<p>Parmi les autres mots fréquemment cités figurent “aide”, “protection”, “attention”, “responsabilité”, “santé”, “gentillesse” et “famille”.</p>
<p>La plupart des hommes ayant participé à l'enquête ont déclaré qu'ils effectuaient des tâches de soin et qu'ils étaient disposés à en faire davantage. Mais de nombreux obstacles se dressent sur leur chemin, notamment les normes sociétales et les contraintes financières. Si les résultats de l'étude laissent entrevoir des changements, ils montrent également que le rythme de ces changements est beaucoup trop lent. </p>
<h2>Pression croissante en faveur d'une plus grande égalité</h2>
<p>Au début de cette année, les États membres des Nations unies ont désigné à l'unanimité le 29 octobre <a href="https://www.un.org/fr/observances/care-and-support-day">journée internationale des soins et de l'assistance</a>. Cela veut dire qu'il y a de plus en plus de reconnaissance de la valeur des soins et du travail de soins et met en évidence le besoin urgent de répartir plus équitablement les responsabilités en matière de soins. </p>
<p>Fournir des soins à une autre personne peut être une expérience positive, favorisant l'empathie et des relations constructives. Cependant, la répartition inégale des <a href="https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_633115/lang--en/index.htm">soins</a> entre les hommes et les femmes entrave depuis longtemps la participation des femmes au travail rémunéré. </p>
<p>En 2018, l'Organisation internationale du travail a estimé que 606 millions de femmes en âge de travailler n'étaient pas en mesure de le faire en raison des tâches de soin non rémunérées. Et le lourd fardeau de ce travail de soins a eu des <a href="https://www.researchgate.net/publication/354252144_Women's_wellbeing_and_the_burden_of_unpaid_work">conséquences néfastes </a>sur le bien-être physique et mental des femmes.</p>
<h2>Aller dans la bonne direction</h2>
<p>Le rapport sur la situation des pères dans le monde révèle que les mères continuent d'assumer une plus grande part de responsabilité dans les tâches de soins, telles que le nettoyage, les soins physiques et émotionnels pour les enfants, la cuisine et les soins pour le/la conjoint(e). Les femmes ont déclaré avoir effectué 1,32 fois de plus de soins physiques aux enfants et avoir fait 1,36 de fois de plus de ménage que les hommes dans tous les pays étudiés dans le rapport. </p>
<p>Mais les pères de pays aussi divers que l'Argentine, l'Irlande, la Chine, la Croatie et le Rwanda ont également déclaré consacrer un nombre d'heures important à diverses tâches non rémunérées au sein du foyer.</p>
<p>L'étude sur la situation des pères dans le monde attribue cette évolution à plusieurs facteurs, dont l'impact du <a href="https://www.who.int/europe/emergencies/situations/covid-19#page=58">COVID-19</a>, l'évolution des normes sexospécifiques relatives à la prestation de soins et des facteurs structurels tels que les systèmes de soins et les politiques en matière de congé parental.</p>
<p>Dans 15 pays, entre 70 et 90 % des hommes sont d'accord avec l'affirmation suivante : “Je me sens autant responsable des tâches de soins que ma partenaire”. </p>
<p>Fait encourageant, dans certains pays comme <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf">l'Afrique du Sud (85 %) et le Rwanda (93 %)</a>, les hommes n'étaient pas d'accord avec l'affirmation suivante : “On ne devrait pas apprendre aux garçons à coudre, à cuisiner, à faire le ménage ou à s'occuper de leurs frères et sœurs”.</p>
<p>Les hommes plus conscients de leurs émotions et ouverts à solliciter un soutien émotionnel étaient <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=22">deux à huit fois</a> plus susceptibles de s'occuper d'un membre de leur famille que ceux qui n'étaient pas conscients de leurs émotions. </p>
<p>Les hommes qui passaient plus de temps à s'occuper des autres ressentaient un plus grand bien-être. Les personnes interrogées qui se sont déclarées satisfaites de leur participation à l'éducation de leurs enfants étaient <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=8">1,5 fois</a> plus susceptibles d'être d'accord avec l'affirmation “Je suis la personne que j'ai toujours voulu être” et de faire état d'un sentiment de gratitude dans la vie que les personnes interrogées qui ne se sont pas déclarées satisfaites de l'éducation de leurs enfants. </p>
<h2>Tout le monde doit participer</h2>
<p>Il est important de reconnaître que la prise en charge d'un enfant ne peut pas dépendre uniquement des efforts individuels. Les hommes et les femmes ont besoin du soutien des communautés, des systèmes de soins et des politiques pour prodiguer des soins de manière efficace. </p>
<p>Plus de la moitié des mères et des pères considèrent que <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=8">l'activisme</a> en faveur des politiques de congé pour soins est une priorité. Ce sentiment varie : 57 % des pères et 66 % des mères en Inde, et 92 % des pères et 94 % des mères au Rwanda soutiennent cette cause.</p>
<p>Les femmes sont plus enclines que les hommes à <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=54">donner la priorité aux politiques de soins</a>, au même titre que les politiques de santé et d'égalité entre les hommes et les femmes. Les préoccupations concernant le coût de la vie étaient sont assez répandues chez les deux sexe, avec un peu plus de femmes (58 %) que d'hommes (53 %) exprimant cette inquiétude. </p>
<p>L'étude a révélé qu'une proportion importante de personnes dans tous les pays ont déclaré <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=54">prendre des mesures </a> pour améliorer les politiques de soins. La majorité d'entre elles (74 %) ont discuté de la question avec leurs amis et leur famille, tandis que 39 % des femmes et 36 % des hommes ont signé ou partagé des pétitions en ligne. En outre, 27 % des femmes et 33 % des hommes ont participé à des manifestations appelant à l'amélioration des politiques de soins.</p>
<p>Les décideurs politiques ont un rôle important à jouer dans les réformes visant à améliorer le congé parental. De meilleures données permettent d'élaborer de meilleures politiques. Il faut donc disposer de statistiques plus précises sur, par exemple, le nombre de pères qui prennent un congé parental et la répartition du temps consacré aux soins entre les hommes et les femmes. </p>
<p>Il est essentiel de faciliter le partage des tâches ménagères entre les hommes si l'on veut que les pays <a href="https://www.equimundo.org/wp-content/uploads/2023/07/State-of-the-Worlds-Fathers-2023.pdf#page=81">prospèrent</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216554/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Wessel Van Den Berg travaille pour Equimundo : Centre pour les Masculinités et la Justice Sociale</span></em></p>Le dernier rapport sur la situation des pères dans le monde indique que dans 15 pays, entre 70 et 90 % des hommes se sentent autant responsables des tâches ménagères que leurs conjointes.Wessel Van Den Berg, Research fellow, Stellenbosch UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2124802023-10-06T16:47:32Z2023-10-06T16:47:32ZSport : les filles sont-elles hors-jeu ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550062/original/file-20230925-19-zmpuc7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C49%2C2048%2C1312&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quel que soit l’âge, les femmes déclarent moins souvent une pratique intensive, et le décrochage est particulièrement marqué à l’adolescence. Coupe de l'X 2021 sur le campus de L'Ecole polytechnique, 2021.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/117994717@N06/51592614104">École polytechnique - J.Barande</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>La gazette de l’été a été marquée par des exploits sportifs féminins. Après des années d’arrêt, le Tour de France Femmes s’est ainsi élancé pour la deuxième édition dans la foulée de la course masculine, puis les Bleues ont fait parler d’elles dans une Coupe du monde dont elles ont été éliminées par les Australiennes à l’issue d’« <a href="https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Les-bleues-eliminees-en-quarts-de-la-coupe-du-monde-apres-une-seance-de-tirs-au-but-irrespirable-face-a-l-australie/1413206">une séance de tirs au but irrespirable</a> ».</p>
<p>Si l’écho médiatique de telles manifestations reste toujours plus <a href="https://theconversation.com/la-coupe-du-monde-feminine-a-t-elle-respecte-ladage-de-la-glorieuse-incertitude-du-sport-211967">confidentiel</a> que lorsqu’elles se déclinent au masculin, il n’empêche que la diffusion de ces images contribue à lutter contre certains <a href="https://theconversation.com/stereotypes-de-genre-dans-le-football-francais-les-defis-des-medias-pour-les-jeunes-209617">stéréotypes de genre</a> qui cantonnent le foot ou le cyclisme à des « sports de garçon ». Même si les clichés ont la vie dure : les sportives de haut niveau évoluant dans ce type de sport restent souvent confrontées à un <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2004-1-page-163.htm">« procès de virilisation »</a>, comme le qualifie la sociologue Catherine Louveau, c’est-à-dire qu’on a tendance à leur reprocher de <a href="https://theconversation.com/le-football-feminin-en-france-une-realite-qui-derange-encore-209449">déroger à la norme du féminin</a> et donc à venir « troubler l’ordre du genre ». Cette expression forgée par <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/trouble_dans_le_genre-9782707150189">la philosophe Judith Buttler</a>, est très bien illustrée dans dans le documentaire <em>En terrain libre</em> (Marie Famulicki, Delphine Moreau, Corinne Sullivan, 2021). </p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/656170698" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Un film de Marie Famulicki - Delphine Moreau - Corinne Sullivan (2021)</span></figcaption>
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<h2>Des pratiques sportives qui ne sont pas neutres</h2>
<p>En effet, c’est bien l’un des apports des enquêtes en sociologie du sport que de montrer que les pratiques sportives ne sont pas neutres : elles s’inscrivent dans des rapports sociaux de classe, de genre, d’âge et de sexualité. Première constatation, donc, les hommes et les femmes ne font ni les mêmes sports, ni à la même fréquence. D’après <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6047763?sommaire=6047805">l’Insee</a>, en 2020, 87 % des 16 ans ou plus déclarent avoir pratiqué une activité physique ou sportive au moins une fois au cours des douze derniers mois. </p>
<p>Quel que soit l’âge, les femmes déclarent moins souvent une pratique intensive, et le décrochage est particulièrement <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3202943">marqué à l’adolescence</a>. À cet âge, c’est aussi le moment où les entraînements et les compétitions cessent souvent d’être mixtes, ce qui tend à renforcer des entre-soi sexués, avec les filles, d’un côté et les garçons, de l’autre. </p>
<p>Avec à la clé, la diffusion et le renforcement de stéréotypes genrés associés aux représentations juvéniles du sport : les sports collectifs comme le foot ou le rugby valoriseraient la rudesse et la compétitivité masculine ; à l’inverse des sports comme la gymnastique ou l’équitation qui seraient particulièrement ajustés à des qualités traditionnellement associées à la féminité comme l’élégance et la légèreté. Ces représentations influencent fortement les pratiques : par exemple, en 2022, sur les 2,1 millions de licenciés de la FFF (Fédération française de foot) <a href="https://www.fff.fr/article/6934-les-chiffres-cles-du-football-feminin.html">moins de 200 000 étaient des femmes</a>.</p>
<h2>L’inégal accès aux équipements publics</h2>
<p>Or ce qui se joue dans les fédérations et dans le choix des familles s’observe aussi à l’échelle des équipements publics ou de loisirs installés à destination des jeunes dans l’espace public. C’est ce que montrent <a href="https://hal.science/hal-00658958/document">les travaux réalisés</a> par l’équipe de chercheurs autour des géographes Yves Raibaud et Edith Maruéjouls dans des quartiers prioritaires de la métropole bordelaise entre 2010 et 2013. Ils notent : </p>
<blockquote>
<p>« Les résultats de l’enquête, toutes disciplines et communes confondues, font apparaître que les filles sont deux fois moins nombreuses dans les activités sportives (35% F, 65% G). Cet écart qui correspond aux statistiques nationales est plus important encore lorsque les communes s’appuient sur le seul secteur associatif. La proposition municipale s’adresse en majorité à des enfants de l’école primaire. »</p>
</blockquote>
<p>Si dans l’espace public il existe bien une offre de loisirs qui se présente comme neutre, les skatepark, citystades, activités liées aux « cultures urbaines » sont en réalité conçus en priorité pour les garçons.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550063/original/file-20230925-22-u1z8wx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550063/original/file-20230925-22-u1z8wx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550063/original/file-20230925-22-u1z8wx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550063/original/file-20230925-22-u1z8wx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550063/original/file-20230925-22-u1z8wx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550063/original/file-20230925-22-u1z8wx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550063/original/file-20230925-22-u1z8wx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Si le foot et le skate ne sont pas en soi réservés aux garçons, les pratiques genrées sont consacrées par l’usage.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/957623">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Dans cette perspective, ce n’est pas tant le développement de la pratique sportive qui est recherché que la pacification de la jeunesse masculine réputée difficile des quartiers populaires, comme l'indique la sociologue <a href="https://metropolitiques.eu/Ce-que-le-sport-fait-aux-filles-et.html">Carine Guérandel</a>. L’attention publique portée aux garçons se traduit finalement par la valorisation d’un masculin neutre (les jeunes, les sportifs) qui masque, de fait, l’absence des filles dans les activités et sur les terrains.</p>
<h2>Souligner les barrières symboliques</h2>
<p>Car si le foot et le skate ne sont pas en soi réservés aux garçons, les pratiques genrées sont consacrées par l’usage. Dans le cadre de La Fête de la Science, nous menons une enquête participative avec un groupe de lycéens dans le quartier de Nantes Nord, un quartier populaire qui fait l'objet <a href="https://metropolitiques.eu/Des-solutions-fondees-sur-la-nature-dans-un-quartier-de-grands-ensembles.html">d'une vaste opération de renouvellement urbain</a>.</p>
<p>Cette exploration urbaine a permis de souligner les barrières symboliques qui structurent l’entrée dans les espaces publics sportifs comme le citystade, à la fois en termes de représentations et de pratiques - « moi je ne veux pas m’afficher avec les garçons et jouer devant tout le monde » ; « je ne peux pas jouer, je suis en jupe.» </p>
<p>Sur le terrain de foot, il faut surtout tenir son « rôle de genre », et comme le note <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-choses-serieuses-isabelle-clair/9782021510133">la sociologue Isabelle Clair</a> « ne pas être un pédé » pour les garçons, et « ne pas être une pute » pour les filles. Les équipements sportifs fonctionnent alors comme des <a href="https://books.openedition.org/msha/930?lang=fr">« opérateurs hiérarchiques de genre »</a> : les garçons se démarquent par la technicité et la virilité ; les filles sont, au mieux, cantonnées au rôle d’observatrices voire de supportrices.</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ni-putes-ni-prudes-et-surtout-pas-pedes-attentes-de-genre-chez-les-adolescent-e-s-66793">Ni « putes » ni prudes, et surtout pas « pédés » : attentes de genre chez les adolescent(e)s</a>
</strong>
</em>
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<hr>
<h2>Quelles alternatives ?</h2>
<p>Le géographe Yves Raibaud dénonce une ville faite pour et par les hommes : non seulement les postes clés de la construction et de la gestion de la ville sont occupés par des hommes, mais surtout les choix budgétaires ne sont pas neutres. Il <a href="https://hal.science/hal-01560821/document">note</a> ainsi que :</p>
<blockquote>
<p>« 75 % des budgets publics destinés aux loisirs des jeunes profitent aux garçons, toutes activités confondues (de la danse au foot, en passant par la médiathèque, les centres de loisirs, les séjours de vacances ou les écoles de musique) ». </p>
</blockquote>
<p>Pour contrer ces inégalités de genre, certaines communes, à l’image de Nantes, s’engage à respecter un équilibre femmes / hommes dans les dépenses municipales, ce qu’on appelle aujourd’hui « <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/814897/la-budgetisation-sensible-au-genre/">la budgétisation sensible au genre</a> » (BSG).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550061/original/file-20230925-17-mq8lwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C15%2C5156%2C3107&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550061/original/file-20230925-17-mq8lwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550061/original/file-20230925-17-mq8lwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550061/original/file-20230925-17-mq8lwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550061/original/file-20230925-17-mq8lwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550061/original/file-20230925-17-mq8lwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550061/original/file-20230925-17-mq8lwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les barrières symboliques structurent l’entrée dans les espaces publics sportifs.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/b24JhTZlxSg">Ashima Parag/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Cette attention doit soutenir la promotion de sports mixtes, dont il est prouvé qu’ils favorisent la présence des femmes dans les équipements publics. Dans les enquêtes réalisées par Yves Raibaud, cette mixité est une demande qui émane en très grande majorité des femmes qui y voient une façon de promouvoir une <a href="https://www.cairn.info/revue-sciences-sociales-et-sport-2022-2-page-15.htm">ville plus inclusive</a>.</p>
<h2>Faire du sport… mais pas que</h2>
<p>Il s’agit aussi de sécuriser les environnements des équipements et, par exemple, d’installer des bancs autour des skatepark pour autoriser une pratique du terrain de glisse qui ne soit pas que sportive. </p>
<p>C’est aussi au plan des représentations qu’il s’agit d’agir : le collectif Égal Sport a publié en 2018 une étude intitulée <a href="https://www.egalsport.com/les-%C3%A9tudes-d-egal-sport/au-nom-des-sportives/">« Au nom des sportives »</a>, portant notamment sur la toponymie des installations sportives françaises montrant que seules 9% d’entre elles portent des noms de sportives ou de dirigeantes !</p>
<p>En matière de mixité, des exemples à l’étranger peuvent être inspirants : <a href="https://irev.fr/thematiques/discriminations-egalite/egalite-femmes-hommes">à Barcelone, à Vienne, à Genève…</a>. Il faut retenir à la fois un principe de méthode – inciter les habitant·es à participer à la programmation de l’équipement – et d’ouverture - la pratique sportive doit s’inscrire dans la ville aux côtés d’autres usages (se rencontrer, discuter, échanger, etc.).</p>
<p>Réfléchir à la place des jeunes filles dans les équipements sportifs c’est plus généralement lutter contre l’hégémonie masculine dans la ville et le sentiment d’insécurité pour les femmes qui, parfois, en découle.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212480/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédérique Letourneux mène des projets de recherche-action au sein de Plan 9, un collectif de recherche en sciences sociales, basé à Nantes.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Elvire Bornand est membre de l'association Plan 9 qui dans le cadre de la Fête de la science a reçu une subvention de 210 euros pour mener à bien son projet. </span></em></p>Les pratiques sportives ne sont pas neutres : elles s’inscrivent dans des rapports sociaux de classe, de genre, d’âge et de sexualité.Frédérique Letourneux, Sociologue, Université de NantesElvire Bornand, Enseignante en sociologie, Université de NantesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2141842023-10-03T14:55:01Z2023-10-03T14:55:01ZManifs anti-trans : le parti conservateur pourrait tirer profit de la fracture sociale<p>La polarisation des débats sur les enjeux liés au genre et à la sexualité a donné lieu, la semaine dernière, à des manifestations et des contre-manifestations houleuses dans les villes du pays. </p>
<p>La coalition <a href="https://millionmarch4children.squarespace.com/educational-material">One Million March 4 Children</a>, à l’origine des mobilisations, a dans sa mire un ensemble de composantes des programmes d’éducation à la sexualité dans les écoles, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tudes_de_genre">notamment la théorie du genre</a>. Elle <a href="https://millionmarch4children.squarespace.com/supporters">réunit des organisations de camionneurs, de droite radicale et différentes organisations religieuses</a>. </p>
<p>Porté par divers mouvements conservateurs, la <a href="https://theconversation.com/from-america-to-ontario-the-political-impact-of-the-christian-right-107400">présence des groupes chrétiens</a> à ces manifestations n’était pas surprenante. La forte présence de communautés immigrantes, notamment musulmanes, en a toutefois étonné plusieurs. Durant cette semaine-là, une association musulmane et le chroniqueur conservateur <a href="https://www.journaldemontreal.com/2023/09/23/justin-trudeau-haineux-en-chef-du-canada-devrait-cesser-dinsulter-les-canadiens-qui-ne-pensent-pas-comme-lui">Mathieu Bock-Côté</a>, aux spectres idéologiques opposés, ont tous deux dénoncé <a href="https://www.journaldemontreal.com/2023/09/26/identite-de-genre-lassociation-musulmane-denonce-les-propos-de-trudeau">l’appel à la tolérance du premier ministre Trudeau</a> dans des termes à peu près identiques. </p>
<p>Tant les politiques libertariennes en matière fiscale que très conservatrices en matière sociale ont le vent en poupe. Et il n’y a aucune raison qu’elles n’intéressent pas les membres de la diversité religieuse.</p>
<p>Alors que le Parti populaire (PPC) de Maxime Bernier fait des questions liées au genre son cheval de bataille, Pierre Poilievre s’est montré plus prudent à sauter dans la mêlée. Il a demandé à ses députés d’en faire autant. Mais son parti pourrait tirer profit de cette polarisation. Trois éléments semblent aller dans ce sens. </p>
<p>D’abord, le vote chrétien évangéliste sur les valeurs morales est déjà largement acquis au PCC. Deuxièmement, contrairement à plusieurs formations de droite populiste européenne, le PCC a peu de marge de manœuvre en matière de discours hostile à l’immigration. Un parti qui veut gagner les élections fédérales ne peut se mettre les communautés issues de l’immigration à dos. Puis, la recherche d’une ligne de fracture au sein des communautés immigrantes selon l’axe conservateur/libéral en matière de sexualité et de genre peut modifier l’équilibre des forces politiques à plus long terme. </p>
<p>Respectivement professeur de sociologie à l’UQAM et doctorant en science politique à l’Université de Montréal, nos recherches portent sur le nationalisme, le populisme et les conflits politiques au Québec et au Canada. </p>
<h2>La politisation des enjeux trans par la droite conservatrice</h2>
<p>Si la politisation des questions liées à la sexualité par la droite religieuse n’est pas nouvelle, les débats sur le genre et l’inclusion des personnes trans a récemment pris une importance accrue. </p>
<p>La droite américaine en fait un élément de sa critique du libéralisme depuis des années. <a href="https://www.hilltimes.com/story/2023/07/17/how-the-political-right-are-contesting-pride-month-in-canada/392313/">La récupération de ces enjeux est toutefois plus récente au Canada</a>. Le PPC de Maxime Bernier a inscrit son opposition à « l’idéologie du genre » à son programme. </p>
<p>Plus récemment, des projets de loi proposés par les gouvernements conservateurs du Nouveau-Brunswick et de <a href="https://theconversation.com/saskatchewan-naming-and-pronoun-policy-the-best-interests-of-children-must-guide-provincial-parental-consent-rules-212431">la Saskatchewan</a>, qui visent à obliger les directions d’écoles à avertir les parents d’une demande de changement de prénom ou de genre exprimée par leur enfant, <a href="https://policyoptions.irpp.org/fr/magazines/juillet-2023/poilievre-trans-republicains/">ont également suscité de vifs débats</a>. Ils opposent les « droits parentaux » aux droits des enfants trans de vivre en sécurité. Au Québec, l’utilisation de prénoms neutres et la <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/education/2023-09-12/blocs-sanitaires-dans-les-ecoles/drainville-exige-le-maintien-de-toilettes-non-mixtes.php">question des toilettes mixtes</a> s’ajoutent à cette liste des enjeux qui activent cette polarisation.</p>
<h2>Les valeurs conservatrices des minorités culturelles : une route vers la victoire ?</h2>
<p>Le PCC a obtenu des résultats en deçà de ses attentes aux trois dernières élections. Or, l’usure du pouvoir libéral, l’inflation et les difficultés d’accès à la propriété sont des thèmes permettant au parti de faire des gains chez les jeunes, particulièrement les hommes. </p>
<p>Aux dernières élections, le défi du PCC était de concilier le conservatisme social espéré par sa base, avec une plate-forme acceptable pour l’électorat centriste. Andrew Scheer et Erin O’Toole ont trébuché sur ce problème. </p>
<p>La majorité conservatrice de Stephen Harper en 2011 reposait sur la capture de circonscriptions à forte proportion immigrante, notamment à Mississauga, Brampton, Richmond Hill et Vaughan, dans la région de Toronto. Or, ces circonscriptions ne faisaient pas partie de la <a href="https://policyoptions.irpp.org/magazines/the-winner/the-emerging-conservative-coalition/">stratégie initiale de Harper</a>, mais la difficulté de rallier les nationalistes québécois l’a forcé à la réévaluer. Harper s’était alors tourné vers les minorités culturelles en banlieue de Toronto. Elles partageaient, outre les valeurs conservatrices, un attachement à la religion et à la libre entreprise. Harper a également introduit des <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/income-splitting-what-it-is-and-who-benefits-1.2818396">mesures fiscales favorables aux familles, majoritairement patriarcales</a>, qui valorisent le travail d’un seul parent et où un époux a des revenus beaucoup plus élevés que l’autre. </p>
<p>Aujourd’hui en avance dans les sondages, le PCC pourrait faire des gains aux dépens des libéraux à Markham, Vaughan, Richmond Hill, Whitby et Pickering-Uxbridge, dans certaines circonscriptions de Toronto, à Oakville et jusqu’aux banlieues de Hamilton. Le PCC pourrait aussi reprendre des circonscriptions dans le Grand Vancouver qu’il avait perdu aux mains des libéraux lors des dernières élections. </p>
<h2>La stratégie probable du PCC</h2>
<p>La politisation des enjeux liés au genre et à la sexualité est probablement perçue comme une opportunité par Poilievre de renouveler son électorat à l’approche de la prochaine élection. Pour y arriver, il est peu probable qu’il s’engage, à l’instar du Parti populaire, à limiter les droits des enfants transgenres ou à s’immiscer dans les champs de compétences des provinces. </p>
<p>Le PCC se contentera probablement de mobiliser des sifflets à chien dénonçant les « wokes » et d’appuyer les gouvernements provinciaux et les communautés religieuses dénonçant les programmes d’éducation sexuelle. </p>
<p>C’est ce que Poilievre a fait en août lors d’un rassemblement de la communauté pakistanaise de Toronto. Dans un <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/poilievre-lgbtq-pronouns-schools-1.6950029">discours prononcé dans le cadre des célébrations pour le Jour de l’Indépendance du Pakistan</a>, il s’est porté à la défense de la liberté de religion et du droit des parents de « transmettre leurs enseignements traditionnels à leurs enfants » et de les « élever avec leurs propres valeurs ». Plus tôt cet été, il s’était <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1991601/pierre-poilievre-plitique-713-taxe-carbone">opposé à ce que le gouvernement fédéral se mêle des débats au Nouveau-Brunswick</a>. </p>
<p>Le PCC pourrait bénéficier d’un <a href="https://angusreid.org/canada-culture-wars-gender-and-trans-issues/">appui</a> de la population sur ces enjeux. Même si les pratiques reliées aux transitions de genre <a href="https://www.lapresse.ca/dialogue/chroniques/ados-transgenres/la-verite-sur-les-transitions-medicales/2023-09-25/ados-transgenres/la-verite-sur-les-transitions-medicales.php">sont rarissimes</a>, elles suscitent l’ire des milieux conservateurs. </p>
<p>D’autres positions conservatrices, comme la <a href="https://nationalpost.com/news/local-news/poilievre-blames-wave-of-violence-in-alberta-on-prime-minister-justin-trudeau-and-ndp/wcm/d6805980-8a25-43ba-93be-fe44bd2d5b89">critique de la décriminalisation des drogues en Colombie-Britannique et du « wokisme » libéral en matière de criminalité</a>, pourraient aussi faire mouche. Ainsi, une stratégie axée sur le conservatisme fiscal, la loi et l’ordre, la famille traditionnelle et les valeurs conservatrices en matière de sexualité pourrait être très rentable pour le PCC. </p>
<h2>Quels dilemmes pour les partis d’opposition ?</h2>
<p>Cette stratégie du PCC remet également en question les stratégies du PLC et du NPD. Se présentant à la fois comme les défenseurs des communautés religieuses ou ethniques, des minorités sexuelles et de genre, mais aussi comme des critiques de la loi 21 du Québec sur la laïcité, ces partis ont entretenu des clientèles qui se retrouvent aux antipodes de cette polarisation sociale. </p>
<p>Cette évolution était prévisible. L’importante présence de certaines communautés culturelles dans les mobilisations anti-LGBTQ+ fait éclater l’idée simpliste véhiculée par la gauche identitaire selon laquelle la « diversité » serait nécessairement libérale et progressiste, parce que minoritaire. </p>
<p>Les communautés issues de l’immigration sont hétérogènes et leurs relations aux <a href="https://angusreid.org/canada-religion-interfaith-holy-week/">questions de liberté de conscience et d’expression</a> varient grandement. Mais leurs institutions communautaires, parfois religieuses et patriarcales, ne cadrent pas toujours avec l’orientation des libéraux et du NPD en matière de citoyenneté et diversité sexuelle.</p>
<p>Les réactions du milieu nationaliste québécois ont été équivoques sur ces questions. Le Bloc Québécois a manqué une occasion de prendre position en faveur des droits des minorités sexuelles avant ceux des parents à être indignés. Il a privilégié l’autonomie des provinces plutôt qu’une position de fond qui aurait été cohérente avec celle de Québec sur les dossiers de la liberté académique et de laïcité. </p>
<p>Le PCC pourrait cependant être confronté à l’éventualité où une province utilise la clause dérogatoire pour adopter une loi en lien avec les « droits parentaux », <a href="https://lactualite.com/actualites/une-injonction-est-accordee-sur-la-politique-sur-le-genre-a-lecole-en-saskatchewan/">utilisation récemment confirmée par Scott Moe en Saskatchewan</a>. Il serait délicat pour Poilievre de défendre l’utilisation de la clause dérogatoire dans les provinces conservatrices, mais de s’y opposer pour les lois du Québec sur la laïcité et la langue. </p>
<p>Une fenêtre semble ainsi s’ouvrir pour Poilievre et le PCC. L’usure du pouvoir, les cafouillages libéraux à répétition et les défis économiques y contribuent certainement. Cela dit, la croissance des communautés ethniques et religieuses et l’appui grandissant des jeunes au conservatisme s’inscrivent dans des changements sociaux et démographiques plus larges qui pourraient bousculer la donne politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214184/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le PCC de Pierre Poilièvre pourrait faire des gains en ralliant la droite libertarienne, les chrétiens évangélistes et les communautés immigrantes, notamment musulmanes, sur les enjeux de sexualité.Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)François Tanguay, Doctorant, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2117632023-09-17T14:44:42Z2023-09-17T14:44:42ZFemme et lanceuse d’alerte, une double peine<p>Lorsque Nathalie, cadre dans une grande banque de la place parisienne, interpelle son chef au sujet de l’existence d’une comptabilité parallèle destinée à organiser un vaste système d’évasion fiscale, elle n’imaginait pas comment ce dernier la renverrait dans ses cordes :</p>
<blockquote>
<p>« Il m’a demandé si je faisais une crise de jalousie car l’une des collègues qui participaient à la fraude était une femme. »</p>
</blockquote>
<p>Dans un <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/01708406231187073">article</a> publié récemment dans la revue <em>Organization Studies</em>, nous montrons comment les femmes <a href="https://theconversation.com/topics/lanceurs-dalerte-20710">lanceuses d’alerte</a> ne sont pas immunes contre des représailles dans lesquelles leur genre devient une arme utilisée contre elles. Elles se retrouvent exclues par deux fois : en tant que lanceuses d’alerte et en tant que femmes. Dans ces situations, leur <a href="https://theconversation.com/topics/genre-22050">genre</a> féminin leur est renvoyé comme un aspect qui teinte négativement leur analyse de la situation et dégrade leur expertise ; autrement dit, un moyen de décrédibilisation.</p>
<h2>Une forme d’anomalie</h2>
<p>Au sommet d’une organisation, et notamment dans les <a href="https://theconversation.com/topics/finance-20382">secteurs financiers</a> que nous étudions, les <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9780203073933/gender-organization-nancy-harding-marianna-fotaki">femmes sont déjà une minorité</a>. Dans les situations de crise comme celles induites par une alerte éthique, elles apparaissent comme une forme d’anomalie et leur marginalité de genre se retourne alors contre elle.</p>
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<p>Dans un autre entretien, une responsable des risques liés aux portefeuilles assurantielles d’une des plus grandes banques françaises évoque la période de tension liée à son alerte concernant la sous-évaluation systématique des risques portés par des contreparties, ce qui avait pour but de faciliter l’octroi de prêts plus risqués, et donc plus rémunérateurs pour la banque. Elle raconte que son chef a cherché à lui « faire peur » :</p>
<blockquote>
<p>« Il pensait que Madame Untel, avec ses quatre enfants, allait vite rentrer à la maison ».</p>
</blockquote>
<p>Dans la perception de la répondante, la situation d’alerte et la résistance que lui oppose l’organisation la révèlent en tant qu’anomalie par le biais de son statut de mère de famille : il suffira de l’effrayer un peu pour qu’elle quitte l’organisation dans laquelle elle se tenait, de toute façon, par son genre et sa maternité, déjà sur la marge.</p>
<p>Nos travaux s’intéressent depuis une dizaine d’années aux lanceurs d’alerte, notamment pour comprendre à quelles conditions un individu est qualifié de <a href="https://ephemerajournal.org/contribution/those-who-listen-role-external-recipients-whistleblowing-cases-0">« légitime à faire vérité »</a>. Les individus en situation de lanceurs ou lanceuses d’alerte sont contraints par des jeux de pouvoir qu’ils tentent de tenir à distance. Les recherches existantes ont montré qu’un statut hiérarchique élevé peu éventuellement prémunir un lanceur d’alerte de représailles. Mais notre article dévoile un aspect spécifique au sujet des lanceuses d’alerte : les femmes lanceuses d’alerte sont susceptibles d’être discriminées du fait de leur genre et cet aspect se transforme en moyen de représailles.</p>
<h2>Difficile de riposter</h2>
<p>Les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0170840618814558">travaux</a> en théorie des organisations ont bien montré que, contrairement à un cliché, les lanceurs et lanceuses d’alerte sont des employés profondément attachés à leur organisation. Ils sont sensibles à la mission de leur entreprise et se trouvent déstabilisés lorsqu’ils et elles voient celle-ci dévoyée ; ils cherchent alors à la défendre et à la réparer. Lorsqu’ils lancent l’alerte, c’est dans l’espoir sincère de voir corrigés des manquements à la règle qui les bousculent dans l’idée qu’ils se font de leur profession.</p>
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<p>Les femmes lanceuses d’alerte, notamment dans les métiers de service financiers, sont souvent des cadres de niveau hiérarchique élevé, qui ont l’habitude de porter des sujets et d’initier des discussions « de fond ». Néanmoins, il est très difficile pour elles de répondre à une « attaque par le genre ». La remarque sexiste provoque une forme de sidération qui vient percuter brutalement une image d’elles-mêmes de « sujet en action », et les renvoie à une place de sujet passif, qui n’a pas son mot à dire dans l’ordre du jour de l’organisation.</p>
<p>L’attaque de genre est pernicieuse, en cela qu’elle est souvent présentée de façon légère, (« c’est bon c’est juste une blague »). De surcroit, il est impossible d’y répondre : personne ne peut en l’espace d’un instant se défaire de son genre. Toute tentative de riposter risque plutôt d’éloigner encore la discussion sur le fond.</p>
<h2>Durcir le ton</h2>
<p>Dans notre article, nous mobilisons la figure d’Antigone, personnage antique issu de la tragédie grecque. Malgré l’interdiction de son oncle, le roi Créon, Antigone s’obstine à vouloir organiser les obsèques de son frère Polynice, mort au cours d’un conflit fratricide et considéré comme traître. Prise sur le fait, elle est condamnée à mort. Par sa résistance aux codes, par sa loyauté à des valeurs supérieures, par les réponses qu’elle oppose à son père, son oncle et sa sœur, et par sa fin brutale, Antigone fait figure de subversion des normes de genre. C’est ce qu’explique <a href="http://cup.columbia.edu/book/antigones-claim/9780231118958">Judith Butler</a>, professeure de philosophie à l’Université de Berkeley et spécialiste de la question du genre, dans son analyse de l’œuvre :</p>
<blockquote>
<p>« À la fin de la pièce, [par son attitude], Antigone a emprunté la place de chacun des hommes de la famille ».</p>
</blockquote>
<p>Dans les cas que nous décrivons, les lanceuses d’alerte adoptent de façon subtile des comportements de résistance dans certaines situations, et d’acquiescement dans d’autres. L’une d’elles, vice-présidente d’une compagnie d’assurance irlandaise en proie à de sérieuses accusations de montage de prêts illicites, nous raconte comment elle s’est mise à « durcir le ton ». Seule femme de son niveau hiérarchique, et convaincue que l’ensemble du comité de direction participe au système de fraude, elle a dû faire face à la campagne de dénigrement menée par ses collègues à son encontre. L’un d’entre eux lui claque par exemple une porte au nez.</p>
<p>Dans une situation de tension extrême, elle finira par répondre de façon agressive à l’un de ses collègues :</p>
<blockquote>
<p>« Get the hell out of here ! »</p>
</blockquote>
<p>Elle nous explique s’être « alignée » sur son comportement à lui.</p>
<h2>Jeux de pouvoir</h2>
<p><a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9780203902752/gender-trouble-judith-butler">Comme l’écrit Judith Butler</a>, la dimension de genre est souvent moins fixe et statique que nous le pensons. Le fait de prendre la parole pour dénoncer des manquements éthiques implique pour les lanceuses d’alerte une forme de subversion de normes de genre. Alors qu’une forme de docilité est traditionnellement attribuée à leur genre, les femmes que nous avons rencontrées contribuent à ébranler les normes existantes.</p>
<p>En intégrant la variable de genre aux travaux qui s’intéressent aux alertes éthiques, il ne s’agit pas de figer des comportements associés de façon essentialisée aux hommes ou aux femmes (les lanceurs d’alerte feraient comme ceci, les lanceuses d’alerte comme cela). Nous montrons simplement comment des individus, dans cette situation, naviguent entre différentes positions subjectives pour tenir à distance des normes organisationnelles puissantes, qui les contraignent et heurtent leur sens éthique. Leur genre, masculin ou féminin, joue un rôle important dans ces dynamiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211763/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Un travail de recherche récent montre que le genre est mobilisé comme moyen de représailles contre les lanceuses d’alerte.Mahaut Fanchini, Maîtresse de conférences en sciences de gestion, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Kate Kenny, Professor of Business and Society, University of GalwayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.