tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/kenya-24502/articlesKenya – The Conversation2024-02-12T16:31:13Ztag:theconversation.com,2011:article/2232102024-02-12T16:31:13Z2024-02-12T16:31:13ZLa rose rouge, objet de la mondialisation : des serres kenyanes aux plateformes de Hollande<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/574937/original/file-20240212-30-qkfc89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C0%2C5590%2C3741&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La rose que vous offrirez ou recevrez le 14 février a toutes les chances de provenir de serres situées sous les tropiques voire sur l’équateur.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/natural-red-roses-background-127002347">PhotoHouse/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Une rose rouge peut symboliser bien des choses. Le jour de la Saint-Valentin, elle devient, pour beaucoup, une marque d’amour, une preuve de tendresse. C’est la fleur des amoureux par excellence. En Russie, elle est aussi offerte le 8 mars, aux mères de famille comme un gage de reconnaissance de leur travail domestique. Mais pour le géographe, la rose rouge est aussi un <a href="https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/afrique-dynamiques-regionales/articles-scientifiques/roses-afrique-mondialisation">marqueur de la mondialisation</a>. Car la rose que vous offrirez ou recevrez le 14 février a toutes les chances de provenir de serres situées sous les tropiques voire sur l’équateur, plus précisément au Kenya, en Éthiopie, ou peut-être en Équateur si sa tige est très longue et qu’elle coûte plus cher. </p>
<p>Dans les serres, les chefs de culture ont travaillé d’arrache-pied depuis 6 mois pour que leurs rosiers (6 par m<sup>2</sup> soit 60000 environ par hectare) fleurissent précisément la semaine qui précède le 14 février, ni trop tôt, ni surtout trop tard, jouant pour cela avec les capacités techniques des serres pour moduler la lumière, l’irrigation, les apports en CO<sup>2</sup> ou en oxygène, le taux d’humidité de façon à accélérer ou ralentir la floraison des rosiers.</p>
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<span class="caption">Ouvrier dans une serre kenyane.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bernard Calas</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Quand on sait que l’écart entre deux floraisons varie selon la lumière, la nébulosité, la température, l’humidité de l’air, les apports en eau, en engrais, etc., et qu’à cela on ajoute les toujours possibles attaques d’insectes ou de champignons, catastrophiques dans ces contextes de monoculture, on mesure l’incertitude et le stress qui règnent dans les fermes à mesure de s’approche le jour fatidique. </p>
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<span class="caption">Cargo de la compagnie KLM qui entretient des liens privilégiés avec FloraHolland.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bernard Calas</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>De ces bassins de production intertropicaux, après un voyage de quelques heures dans les soutes fraîches d’un avion-cargo, par exemple un Boeing 747-Cargo qui peut transporter jusqu’à 120 tonnes de roses, votre fleur transitera par la coopérative Royal Flora Holland à Aalsmeer, à quelques encablures de l’aéroport Amsterdam-Schipol. Là, le jour même, elle sera chargée dans un de ces camions réfrigérés qui sillonnent l’Europe et sera livrée à votre fleuriste qui, en prévision du 14 février, a, avant Noël, multiplié ses commandes par quatre ou cinq et ses prix par deux ou trois, juste à cause de l’augmentation brutale de la demande. La fête des amoureux est aussi le jour où votre fleuriste réalise près de 15 % de son chiffre d’affaire annuel. </p>
<h2>Des facteurs climatiques et politiques favorables à une production kenyane</h2>
<p>Faire voyager des roses sur milliers de kilomètres n’est pas un phénomène nouveau. Alors que jusque-là l’Europe était autosuffisante en roses coupées, à la fin des années 1970, imitant leurs collègues américains qui avaient commencé quelques années plus tôt à installer des fermes en Équateur, autour de Quito, des Hollandais commencent à installer certaines unités de production au Kenya. Mais alors, Pourquoi en est-on venu à mondialiser ainsi la production de roses coupées ? </p>
<p>Des <a href="https://journals.openedition.org/belgeo/45011">facteurs répulsifs et des facteurs attractifs</a> ont en fait motivé ce mouvement vers l’Afrique. Il a d’abord s’agit de quitter l’Europe, ses coûts de main-d’œuvre et de chauffage et ses réglementations phytosanitaires émergentes. Les hautes terres kenyanes sont alors apparues comme particulièrement attrayantes du fait d’un certain nombre d’avantages climatiques : d’abord, l’écosystème équatorial d’altitude (entre 1600 et 2300 m. selon les bassins de production kenyans) offre, sans chauffage, des températures (entre 12 °C la nuit et 30 °C le jour), toute l’année idéales pour le rosier, sa croissance et sa productivité. Ensuite, ces régions garantissent une luminosité qui donne aux fleurs leurs couleurs éclatantes, et à la tige la solidité nécessaire pour voyager, ainsi qu’une taille (entre 40 cm-1 m.) idéale pour conquérir les marchés. </p>
<p>En outre, l’écosystème géoéconomique du Kenya postcolonial a permis de valoriser cette situation équatoriale. Ancienne colonie de peuplement britannique, le Kenya disposait d’une part de diasporas blanches et indiennes rompues à l’encadrement du travail en Afrique comme aux contraintes du capitalisme international, et, d’autre part d’une main-d’œuvre noire nombreuse, bon marché, éduquée, et peu revendicatrice. De plus, moteur économique de l’Afrique orientale, le Kenya possédait déjà des facilités logistiques, notamment l’aéroport de Nairobi rodé aux flux touristiques mettant l’Europe à 8 heures de vol. Enfin, le régime kenyan libéral, pragmatique et stable offrait aux investisseurs sécurité et liberté. </p>
<p>Ces entrepreneurs pionniers ont fait exemple et, au cours des années 1990, 2000 et 2010, ont été imités par des investisseurs kenyans d’origine indienne, blancs mais aussi des hommes politiques kenyans. Les superficies mises en serre se sont donc étendues et, progressivement, un véritable cluster rosicole s’est formé au Kenya puisque la production y a attiré un ensemble d’entreprises induites, à amont et à l’aval. Aujourd’hui, si les serres emploient directement 100000 personnes, 500 000 employés travaillent de près ou de loin autour de la fleur. Au total, 2 millions de personnes dépendent de la rose pour vivre. </p>
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<span class="caption">Serres de roses devant le lac Naivasha. À 1800 mètre, c'est la région de prédilection de la culture de la rose au Kenya.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bernard Calas</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>D’un point de vue macroéconomique, les exportations des roses contribuent de manière décisive à la balance commerciale du pays (700 millions de $, seconde derrière le thé 1400 millions de $). Dans les années 2000, après avoir conquis les hauts plateaux kenyans, la rose rouge a également été introduite en Éthiopie, pays limitrophe présentant des caractéristiques proches. 50 000 emplois y ont été créés par des rosiculteurs, parfois venus du Kenya à l’instigation des autorités éthiopiennes plus interventionnistes. Cependant, la chaîne de valeur n’y a pas atteint la même maturité et beaucoup moins d’emplois induits y sont associés, aussi le bassin de production éthiopien reste-t-il dans l’orbite de son voisin du Sud. Si l’on dézoome maintenant, on observe un boom rosicole africain qui a accompagné la croissance de la consommation mondiale et tué la production européenne.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/saint-valentin-pourquoi-quelques-mots-valent-mieux-quune-rose-rouge-199749">Saint-Valentin : pourquoi quelques mots valent mieux qu’une rose rouge</a>
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<h2>FloraHolland : le Wall Street des fleurs</h2>
<p>Mais l’Europe, beaucoup de fleurs y reviennent lorsqu’elles quittent les serres africaines. Elles sont pour cela conditionnées en bottes, et commercialisées selon trois modalités. </p>
<ul>
<li><p>soit dans le cadre des marchés au cadran (système d’enchères électroniques censées garantir une fixation des prix rapide et transparente)</p></li>
<li><p>soit dans le cadre d’un contrat, le plus souvent annuel, entre un producteur et une centrale d’achat ou un grossiste européens</p></li>
<li><p>soit, enfin, à l’occasion d’une vente spéciale, ponctuelle, entre un producteur et un acheteur. </p></li>
</ul>
<p>Quelle que soit la façon dont elles sont vendues, depuis Nairobi ou Addis, les roses, dans leur majorité, transitent par Aalsmeer – dans la banlieue d’Amsterdam – où se situe la plus grande plate-forme logistique de végétaux du monde : la très lucrative coopérative FloraHolland. Historiquement, celle-ci s’est imposée comme le Wall Street des fleurs, là où se fixe le cours des roses. Ces dernières années, soutenu par la croissance non démentie de la demande des classes moyennes des pays émergents et du renchérissement des prix de facteurs de production, le prix des roses a augmenté plus que l’inflation. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/574959/original/file-20240212-19-mz6yzd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574959/original/file-20240212-19-mz6yzd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574959/original/file-20240212-19-mz6yzd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574959/original/file-20240212-19-mz6yzd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574959/original/file-20240212-19-mz6yzd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574959/original/file-20240212-19-mz6yzd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574959/original/file-20240212-19-mz6yzd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Plateforme logistique de FloraHolland.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bernard Calas</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Aujourd’hui, même si la part des fleurs mises aux enchères a diminué (ce ne sont plus que 40 % des roses coupées qui sont vendues aux enchères) les marchés au cadran conservent ce rôle primordial de fixer les prix du produit. Ce recul relatif des enchères s’explique par la montée en puissance d’opérateurs européens – notamment les chaines de supermarchés britanniques et allemands – désireux et capables de négocier avec les producteurs des volumes d’achat importants, réguliers, tout au long de l’année. Ces volumes importants réguliers font l’objet de contrats qui, fixant quantités et prix sur une base annuelle, affranchissent vendeurs et acheteurs des enchères, plus aléatoires. </p>
<p>Mais FloraHolland, de par sa fluidité, ses performances logistiques, son lobbying actif, ses stratégies de promotion reste, malgré ces changements, le hub hégémonique par où passent la majeure partie des roses coupées destinées aux marchés européens. La coopérative rétribue ses membres et payent ses salariés grâce aux commissions qu’elle touche tant sur les volumes vendus aux enchères, que sur ceux qui ont fait l’objet de ventes contractuelles ou spéciales mais qui sont passés dans ses murs. </p>
<h2>Une mondialisation de la rose de plus en plus questionnée</h2>
<p>Ces roses qui traversent le monde ne sont cependant pas indemnes de critiques dont les médias, <a href="https://www.lexpress.fr/economie/la-rose-kenyane-deferle-en-europe_1433814.html">depuis le début des années 2000</a> se font régulièrement l’écho. </p>
<p>Dans les années 2000-2005, les questionnements ont d’abord porté sur les conditions de travail et de rétribution des salarié(e) s, puis, dans les années 2005-2010, sur la surconsommation d’eau nécessaire aux rosiers (entre 3 et 9 litres d’eau par jour et par m<sup>2</sup>) et la pollution de l’eau induite par les rejets de cette production. </p>
<p>Dans les années 2010-2015, c’est ensuite <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/bilan-carbone-pour-la-saint-valentin-noffrez-surtout-pas-de-roses-1361938">l’empreinte carbone</a> des fleurs, induite par le nécessaire recours à l’avion qui a été scruté. Plus récemment, enfin, dans les années 2015-2020 ce sont la charge chimique de ces fleurs et les stratégies d’évitement fiscal des entrepreneurs qui localisent leurs profits en Hollande où le taux d’imposition est de 12,5 % contre 35 % au Kenya, qui sont devenues des problématiques émergentes. </p>
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<span class="caption">Ouvrières chargées du tri des fleur en fonction de la taille des tiges.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bernard Calas</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Conscients des risques que leur faisait courir cette menace médiatique, les entrepreneurs ont, dans une certaine mesure, répondu aux critiques, en augmentant les salaires et en proposant de meilleures conditions de travail aux ouvriers, en réduisant leur empreinte hydrique grâce au recyclage et au <em>rainharvesting</em>, en réduisant les épandages de pesticides grâce aux traitements ciblés et à la lutte biologique intégrée. </p>
<p>Autre phénomène inédit, en réaction à cette production mondialisée des fleurs et aux critiques sur les coûts environnementaux de la production tropicale, émerge, très lentement, l’idée de « re-saisonnaliser » la consommation de fleurs coupées et de relocaliser la production de fleurs coupées en France. Dans les pays anglo-saxons, le mouvement <em>slow flower</em> prône cette idée, et l’on voit timidement fleurir, autour des grandes métropoles, des micro-exploitations, souvent en reconversion, ou en temps partiel. En France en 2017, une fleuriste du nord et une journaliste ont créé le <a href="https://www.collectifdelafleurfrancaise.com/">Collectif de la fleur française</a> – une association d’environ 600 membres fleuristes écoresponsables ou floriculteurs – dont l’objectif est de promouvoir la production et la commercialisation de fleurs produites en France et ainsi de participer à une agriculture écoresponsable. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/slow-flowers-un-nouveau-concept-pour-relancer-la-production-de-fleurs-francaises-142548">Slow flowers : un nouveau concept pour relancer la production de fleurs françaises ?</a>
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<h2>La rose rouge : une épine dans le pied de nos sociétés mondialisées ?</h2>
<p>La rose rouge est ainsi devenue un objet de plus en plus ambigu : si elle fait l’objet de critiques de plus en plus nombreuses, sa production elle, ne cesse de s’étendre, soutenue par la demande croissante des classes moyennes des pays émergents. Les professionnels parlent d’une croissance d’environ 5/6 % par an depuis une dizaine d’années. </p>
<p>L’industrie a même relativement bien vécu la pandémie mondiale de Covid-19. Passée les premières semaines du confinement qui a stoppé net les vols aériens et les achats, forçant les horticulteurs à jeter leur production, la pandémie de Covid a été relativement bien négociée par le secteur pour la simple raison que les gens ont continué à acheter des fleurs, en ligne évidemment, et même avec plus de régularité, habitude qui s’est prolongée depuis ! La consommation futile, esthétique a en fait été accrue pendant la pandémie, à la grande surprise et au plus grand bonheur des acteurs de la filière.</p>
<p>Comme tout objet mondialisé, la rose cristallise de ce fait des tensions entre, d’un côté, l’évidente insoutenabilité environnementale d’une culture de contresaison, de ses procédés de production et surtout de commercialisation et, d’un autre côté, une réalité économique : la rose fait vivre plusieurs millions de personnes et participe – au-delà de l’enrichissement de quelques-uns – au développement de plusieurs régions. Cette fleur nous invite ainsi à se poser des questions délicates : dans quelle mesure l’indéniable développement induit au Kenya justifie-t-il le maintien de notre consommation insoutenable – moteur du secteur – en ces temps de changement climatique ? Doit-on céder au chantage à l’emploi mis en place par cette filière qui vit d’une consommation autant ostentatoire que superfétatoire ?</p>
<p>Au-delà des roses ce sont, en fait l’ensemble des consommations tropicales qui pourraient, ou même devraient être ainsi interrogées. Car si le fort sens symbolique que génère l’achat d’une rose est propice peut-être aux questionnements quant à son mode de production, les remises en question environnementales et économiques peuvent s’étendre à bien d’autres produits : café, chocolat, thé, avocat, mangues, bananes…</p>
<h2>Du côté kenyan, des remises en cause inexistantes</h2>
<p>Au Kenya, jusqu’à ce jour, au-delà des polémiques médiatiques sur les modalités de la production, aucun changement de paradigme ne semble envisagé ou envisageable : l’industrie n’a aucun problème de recrutement et ses travailleurs se disent heureux de profiter de la manne rosicole qui garantit un salaire fixe supérieur au revenu moyen, et la possibilité d’ouvrir un compte en banque même s’ils ne se font aucun doute sur l’asymétrie des profits et l’inégalité du partage de la valeur.</p>
<p>Le respect viscéral de la figure de l’entrepreneur, l’adhésion universel à l’ethos du capitalisme, plus prosaïquement les avantages matériels et symboliques à émarger pour une entreprise prospère et reconnue, tout cela participe à faire de la rosiculture un secteur très peu remis en question. Que les entreprises ouvertes dans les années 1990 aient à gérer les problèmes de santé de leurs employées cinquantenaires montre d’ailleurs le faible <em>turn over</em> d’une main-d’œuvre enviée et attachée à son emploi. En outre, dans un pays où la figure de l’homme politique est valorisée, le fait que certaines entreprises soient détenues par des femmes/hommes politiques contribue sans aucun doute à l’aura des serres et des fleurs. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/574962/original/file-20240212-26-ex7r9g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574962/original/file-20240212-26-ex7r9g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574962/original/file-20240212-26-ex7r9g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574962/original/file-20240212-26-ex7r9g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574962/original/file-20240212-26-ex7r9g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574962/original/file-20240212-26-ex7r9g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574962/original/file-20240212-26-ex7r9g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Bottes de roses kenyanes prêtes à être expédiées en Hollande. La couleur de l'autocollant correspond à un jour de la semaine. Ce code couleur permet de prioriser les fleurs à expédier en premier.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bernard Calas</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Du côté européen, conscients des interrogations des consommateurs, les grossistes, les détaillants commencent à répondre par la transparence et la traçabilité. Démarche intéressante qui consiste à pointer du doigt l’origine géographique de chacune des variétés vendues et qui dévoile explicitement la valeur politique de la consommation. Quel sens le consommateur donne-t-il à son achat ? Écologique ou développemental ? Local ou tropical ? Ce réinvestissement de sens au cœur de la consommation participe sans aucun doute à la segmentation du marché. </p>
<p>Au final, donc, si la rose est un marqueur convenu d’amour, un objet passionnant d’étude de la mondialisation pour le géographe, elle condense les tensions comme les contradictions du capitalisme actuel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223210/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Calas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des mois avant le 14 février, dans des serres kenyanes, luminosité, taux d’humidité et engrais ont été modulé avec soin pour que les roses rouges arrivent à temps en Europe pour la Saint Valentin.Bernard Calas, Professeur en Économie et Géographie Politique, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2225372024-02-07T14:52:47Z2024-02-07T14:52:47ZLes pays africains confrontés à une dette élevée, des exigences de dépenses accrues et l'effondrement de leurs monnaies : voici quelques solutions politiques utiles<p>Les pays africains très endettés sont confrontés à des compromis difficiles entre le service d'une dette coûteuse, le soutien à des besoins de développement élevés et croissants et la stabilisation des monnaies nationales.</p>
<p>La dette publique a augmenté dans au moins <a href="https://www.imf.org/fr/Publications/REO/SSA/Issues/2023/04/14/regional-economic-outlook-for-sub-saharan-africa-april-2023">40 pays africains</a> au cours de la dernière décennie. Par conséquent, certains se trouvent confrontés à une situation délicate associant une dette élevée, des besoins accrus en matière de dépenses de développement dans un contexte de déficit budgétaire, et des contraintes défavorables sur les taux de change. </p>
<p>Ces questions sont devenues plus pressantes depuis 2022, lorsque la persistance d'une inflation élevée a incité les principales banques centrales du monde à se lancer dans la <a href="https://www.worldbank.org/en/publication/global-economic-prospects">campagne de resserrement monétaire</a> la plus agressive depuis des décennies. La politique monétaire se resserre lorsque les banques centrales augmentent les taux d'intérêt. </p>
<p>Depuis lors, les taux d'intérêt mondiaux ont <a href="https://www.imf.org/fr/Publications/REO/SSA/Issues/2023/04/14/regional-economic-outlook-for-sub-saharan-africa-april-2023">continué de croître</a>, entraînant une augmentation des remboursements des prêts extérieurs et alourdissant le fardeau de la dette accumulée au cours de la dernière décennie. En outre, certains pays dont la situation d'endettement s'aggrave ont subi d'importantes dépréciations de leur taux de change et se sont efforcés de stabiliser la valeur de leur monnaie nationale. </p>
<p>Mon point de vue, forgé par des années de recherche sur les défis du développement de l'Afrique, est que de nombreux pays sont confrontés à trois dilemmes qu'il n'est pas facile de résoudre. S'attaquer à l'un de ces problèmes compromet les autres.</p>
<p>En voici quelques exemples : </p>
<ul>
<li><p>endiguer l'augmentation de la dette publique et contenir les baisses de taux de change rendrait plus difficile la satisfaction de besoins plus importants en matière de dépenses publiques </p></li>
<li><p>rechercher une réduction de la dette publique tout en soutenant des dépenses supplémentaires risque de peser davantage sur les monnaies nationales </p></li>
<li><p>donner la priorité à des besoins de dépenses plus importants et atténuer les tensions sur la monnaie risque d'entraîner une augmentation de la dette publique. </p></li>
</ul>
<p>Il est possible d'adopter des mesures pour avoir une plus grande marge de manœuvre afin de relever ces défis tout en facilitant les arbitrages difficiles. Il s'agit notamment de donner la priorité aux mesures de dépenses publiques qui stimulent la croissance, de résoudre le problème de collecte des recettes auquel sont confrontés tous les pays africains et de restructurer la dette publique insoutenable.</p>
<h2>Augmentation de la dette publique et dilemmes politiques</h2>
<p>Le triple dilemme s'est développé au fur et à mesure que la dette publique a augmenté de manière substantielle au cours de la dernière décennie. Comme le montre la figure 1, la dette publique médiane a plus que doublé depuis 2012 et a atteint <a href="https://www.imf.org/fr/home">61 % du PIB</a> en 2023. </p>
<p>Dans un premier temps, les <a href="https://www.economist.com/briefing/2023/11/02/markets-think-interest-rates-could-stay-high-for-a-decade-or-more">taux d'intérêt mondiaux historiquement bas</a> au cours de la décennie qui a suivi la crise financière mondiale de 2008 ont fortement contribué à l'explosion de la dette en rendant l'emprunt de sommes importantes à bas coût plus facile. </p>
<p>Depuis lors, l'évolution de la dette des pays s'est fortement détériorée. La pandémie de COVID-19, qui a déclenché une crise du coût de la vie, et l'invasion de l'Ukraine par la Russie, qui a contribué à une hausse rapide des taux d'intérêt mondiaux, font partie des facteurs ayant contribué à cette détérioration. </p>
<p>En Afrique, les gouvernements ressentent vivement le poids de l'augmentation des coûts d'emprunt, car la dette publique représentait <a href="https://databank.banquemondiale.org/reports.aspx?source=world-development-indicators">près de 60 %</a> de la dette extérieure totale de la région en 2022 (figure 1). <a href="https://www.imf.org/fr/Publications/REO/SSA/Issues/2023/04/14/regional-economic-outlook-for-sub-saharan-africa-april-2023">Dix-neuf pays</a>, dont le Ghana et la Zambie, sont déjà en situation de surendettement (c'est-à-dire qu'ils ne sont pas en mesure de faire face à leurs obligations financières) ou présentent un risque élevé de surendettement.</p>
<p>La dette publique du Ghana a plus que doublé depuis 2012 et s'élève à <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO/weo-database/2023/October">85 %</a> du PIB. Celle de la Zambie a augmenté bien davantage, s'établissant à <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO/weo-database/2023/October">98 %</a> en 2022. </p>
<p>Le <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-12-11/ethiopia-is-about-to-become-africa-s-next-debt-defaulter">Ghana</a> et la <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-12-11/ethiopia-is-about-to-become-africa-s-next-debt-defaulter">Zambie</a>, ainsi que l’<a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-12-11/ethiopia-is-about-to-become-africa-s-next-debt-defaulter">Éthiopie</a>, sont en défaut de paiement sur leur dette extérieure, ce qui fait craindre une crise plus large de la dette souveraine sur le continent si d'autres pays tombent en situation de surendettement. </p>
<p>D'autres pays sont confrontés à un risque élevé de surendettement. Le Kenya frôle la détresse financière après une augmentation constante de sa dette, atteignant <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO/weo-database/2023/October">70 %</a> du PIB. </p>
<p>L'Afrique du Sud est également confrontée à une dette publique élevée, qui a presque doublé au cours de la dernière décennie et représente actuellement <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO/weo-database/2023/October">74 %</a> du PIB. </p>
<p>Cependant, il ne sera pas facile de réduire les dettes élevées. Les besoins en matière de développement sont élevés, les caisses ayant été vidées par des dépenses plus importantes liées à la pandémie et aux répercussions de la crise en Ukraine. </p>
<p>Le Fonds monétaire international estime que les pays d'Afrique subsaharienne avec un ratio médian doivent augmenter leurs dépenses d'au moins <a href="https://www.imf.org/en/Publications/Departmental-Papers-Policy-Papers/Issues/2023/09/15/Navigating-Fiscal-Challenges-in-Sub-Saharan-Africa-Resilient-Strategies-and-Credible-529230">20 % du PIB</a> pour atteindre les objectifs de développement durable en matière de santé, d'éducation et d'infrastructures d'ici 2030. L'adaptation au changement climatique devrait nécessiter <a href="https://www.imf.org/en/Publications/Departmental-Papers-Policy-Papers/Issues/2023/09/15/Navigating-Fiscal-Challenges-in-Sub-Saharan-Africa-Resilient-Strategies-and-Credible-529230">des milliards de dollars</a> de plus chaque année pour le continent. </p>
<p>Les caisses sont également vidées par l'augmentation des dépenses liées au remboursement d'emprunts coûteux. Cela a pour effet supplémentaire d'épuiser les réserves de change, contraignant ainsi les pays surendettés à faire face à la dépréciation de leur monnaie. </p>
<p>La part des intérêts de la dette dans les recettes du Kenya est passée de <a href="https://databank.banquemondiale.org/reports.aspx?source=world-development-indicators">11 % en 2014</a> à plus de <a href="https://databank.banquemondiale.org/reports.aspx?source=world-development-indicators">20 %</a> après 2020. Cette évolution a entraîné une réduction de ses réserves, représentant une part de la dette extérieure, passant de 47 % à moins de 20 % au cours de la même période. Cette pression sur le shilling kenyan s'est traduite par une perte de <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-11-28/-paramilitary-tax-agents-deployed-in-kenya-budget-revenue-drive">19 %</a> par rapport au dollar américain l'année dernière.</p>
<p>Dans le cas du Ghana et de la Zambie, les paiements d'intérêts sur la dette ont atteint des niveaux encore plus élevés. Pour le Ghana, ils représentaient environ <a href="https://databank.worldbank.org/source/world-development-indicators">45 %</a> des recettes. Pour la Zambie, environ <a href="https://databank.worldbank.org/source/world-development-indicators">39 %</a>. En 2022, les réserves avaient chuté à <a href="https://databank.worldbank.org/source/world-development-indicators">22 %</a> au Ghana et à <a href="https://databank.worldbank.org/source/world-development-indicators">10 %</a> en Zambie. </p>
<p>Cette situation a entraîné une forte dépréciation des réserves de change.</p>
<p>En 2023, les recettes collectées représentaient <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO/weo-database/2023/October">16 %</a> du PIB au Ghana, <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO/weo-database/2023/October">17 %</a> au Kenya et <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO/weo-database/2023/October">21 %</a> en Zambie. Ces chiffres sont nettement inférieurs au niveau médian de <a href="https://www.imf.org/en/Publications/REO/SSA/Issues/2023/10/16/regional-economic-outlook-for-sub-saharan-africa-october-2023">27 %</a> observé dans d'autres économies en développement. Bien que ce niveau médian soit égalé par l'Afrique du Sud, l'augmentation des coûts des transferts sociaux, y compris les aides sociales et les subventions aux entreprises publiques telles que la compagnie d'électricité Eskom et la compagnie de transport Transnet, a ajouté une pression sur <a href="https://www.worldbank.org/en/publication/global-economic-prospects">la dette publique dans un contexte de ralentissement de la croissance</a>. </p>
<h2>Ce qui peut être fait</h2>
<p>Un certain nombre de mesures peuvent être prises pour atténuer les compromis que les pays doivent faire.</p>
<p>Tout d'abord, les gouvernements devraient donner la priorité aux mesures de dépenses publiques qui stimulent la croissance. </p>
<p>Il s'agit notamment des dépenses essentielles en matière d'éducation, de santé, d'infrastructures et d'autres investissements de qualité qui favorisent la croissance. La reprise de la croissance économique devrait générer davantage de recettes publiques pour le remboursement de la dette.</p>
<p>Cela signifie également qu'il faut allouer davantage de dépenses aux réformes de première génération. Il s'agit de réformes structurelles qui atténuent les principaux obstacles à la croissance. Par exemple, les réformes de longue date en matière de gouvernance restent essentielles dans les pays africains, qui sont généralement à la traîne par rapport aux pays d'autres régions en ce qui concerne diverses mesures de la qualité de la gouvernance, telles que l'État de droit, la lutte contre la corruption et la responsabilité du gouvernement. </p>
<p>Deuxièmement, les pays doivent résoudre leurs problèmes de collecte de recettes. Alors que la croissance entraîne une expansion de l'économie qui génère des revenus supplémentaires, les faibles niveaux de collecte des revenus nationaux restreignent la capacité des gouvernements à rembourser la dette et à financer les secteurs sociaux et de croissance essentiels.</p>
<p>En Afrique, plusieurs pays, dont l'Afrique du Sud, le Nigeria, le Ghana, la Zambie, le Kenya et l'Éthiopie, ont déployé des efforts pour stimuler la collecte des recettes. Il s'agit notamment de nouveaux prélèvements, de taxes plus élevées, de l'inscription d'un plus grand nombre de magasins au registre des impôts, de l'élargissement de l'assiette fiscale, du renforcement de l'administration fiscale et d'autres mesures d'amélioration des recettes.</p>
<p>Enfin, les gouvernements doivent restructurer leurs portefeuilles de dettes. Lorsqu'une crise de la dette ne peut être évitée, la restructuration de la dette peut réduire le montant dû aux créanciers en révisant le montant et le calendrier des futurs paiements de capital et d'intérêts. Le Tchad a conclu un accord de restructuration de sa dette extérieure au titre du <a href="https://www.imf.org/en/Publications/REO/SSA/Issues/2023/10/16/regional-economic-outlook-for-sub-saharan-africa-october-2023">Cadre commun du G20 pour les traitements de dette en 2022</a>. Il s'agit d'une initiative destinée à soutenir les pays en développement à faible revenu dont la dette est insoutenable. Depuis, le Ghana et la Zambie ont également entamé des négociations sur la restructuration de leur dette au titre du <a href="https://clubdeparis.org/sites/default/files/annex_common_framework_for_debt_treatments_beyond_the_dssi.pdf">Cadre commun du G20</a>. </p>
<p>D'autres pays très endettés qui luttent pour assurer le service de leur dette pourraient être amenés à faire de même, alors que la lenteur des progrès du cadre commun suscite de plus en plus d'inquiétudes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222537/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jonathan Munemo est affilié au Council on Foreign Relations. Il a été nommé International Affairs Fellow for Tenured International Relations Scholars pour l'année académique 2023-24.</span></em></p>De nombreux pays sont confrontés à trois tpes de dilemmes, ce qui crée une situation complexe à gérer.Jonathan Munemo, Professor of Economics, Salisbury UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2181842023-12-06T13:45:28Z2023-12-06T13:45:28ZChangement climatique et agriculture : les économistes alertent sur la nécessité d'intensifier les efforts d'adaptation en Afrique subsaharienne<p>Les pays d'Afrique subsaharienne dépendent fortement des secteurs agricole et forestier. L'agriculture représente jusqu'à <a href="https://data.worldbank.org/indicator/NV.AGR.TOTL.ZS?locations=ZG">60 %</a> du produit intérieur brut de certains pays. Mais ce secteur est très vulnérable au changement climatique car il dépend fortement des facteurs climatiques. Cette vulnérabilité est particulièrement marquée dans la région en raison de la lenteur des progrès technologiques.</p>
<p>En tant qu'économistes agricoles, nous avons effectué une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959652623016451">revue</a> de la littérature sur le défi du changement climatique pour l'agriculture en Afrique subsaharienne. Nous avons étudié la répartition de divers facteurs climatiques (tels que les précipitations, les températures et les événements météorologiques extrêmes) dans la région, ainsi que leur impact sur l'agriculture. Nous avons également étudié les mesures prises par les agriculteurs ruraux pour faire face au changement climatique. </p>
<p>Nous avons constaté que les implications du changement climatique sur le développement agricole et économique sont diverses dans la région. Il est difficile de prédire exactement comment le changement climatique affectera l'agriculture et le développement économique. </p>
<p>Mais il est clair que les pays d'Afrique subsaharienne comme le Nigeria, l'Afrique du Sud, le Botswana et le Kenya sont <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959652623016451">extrêmement vulnérables</a> au <a href="https://www.afdb.org/en/cop25/climate-change-africa">changement climatique</a>. </p>
<p>Les agriculteurs n'utilisent pas de stratégies d'adaptation efficaces. Il s'agit notamment de planter des variétés de cultures résistant à la sécheresse et de conserver l'eau et le sol. Le manque de ressources et d'infrastructures les a freinés. Les programmes d'atténuation tels que la taxation du carbone, la gestion de l'eau, le recyclage, le boisement et le reboisement n'ont eu qu'un impact limité. Le manque de sensibilisation au changement climatique, l'instabilité des politiques gouvernementales et l'instabilité politique ont entravé les programmes.</p>
<p>L'impact du changement climatique sur les ménages vulnérables sera extrême si des mesures adéquates ne sont pas prises à temps. Des études indiquent qu'en l'absence d'adaptation, des pays comme le Togo, le Nigeria, le Congo et le Mali connaîtront davantage de <a href="https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/AR5_SYR_FINAL_SPM.pdf#page=13">pertes agricoles</a>. Les gouvernements, les organisations internationales, les communautés locales et les autres parties prenantes doivent élaborer des stratégies pour répondre aux divers besoins des agriculteurs d'Afrique subsaharienne.</p>
<h2>Ce que notre étude a révélé</h2>
<p>Les études que nous avons examinées indiquent que les régimes de précipitations, les températures et les phénomènes météorologiques extrêmes ont changé de manière significative dans la région. Cette tendance ne devrait pas changer au cours des prochaines décennies.</p>
<p>L'Afrique subsaharienne connaît <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959652623016451">des régimes pluviométriques divers</a>. Les précipitations annuelles peuvent descendre jusqu'à 100 millimètres dans les zones arides du Sahel et dans certaines parties de l'Afrique de l'Est, et dépasser 500 millimètres dans les zones tropicales de l'Afrique centrale et de l'Ouest. </p>
<p>Les températures peuvent souvent dépasser 40° C (104° F) pendant les mois les plus chauds. Au cours du siècle dernier, la température moyenne a <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2405880722000292">augmenté</a> d'environ 0,74° C. </p>
<p>La région <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2405880722000292">connaît</a> divers phénomènes météorologiques extrêmes, notamment des sécheresses, des inondations et des vagues de chaleur. Les zones côtières, en particulier dans les régions de l'est et du sud, subissent <a href="https://africacenter.org/spotlight/cyclones-more-frequent-storms-threaten-africa/">des cyclones ou des tempêtes tropicales</a>.</p>
<p>De nombreuses études montrent que ces conditions affectent la production agricole et la société de plusieurs manières :</p>
<ol>
<li><p>Réduction des rendements : le changement climatique réduit le rendement des cultures. La hausse des températures, la modification du régime des précipitations, les sécheresses et les inondations affectent les récoltes. Au Nigeria, par exemple, les agriculteurs ont constaté une baisse des rendements due à l'apparition de nouveaux parasites, à l'apparition de maladies et à l'assèchement des cours d'eau. </p></li>
<li><p>L'insécurité alimentaire : une faible productivité agricole entraîne souvent l'insécurité alimentaire, qui touche à la fois les populations rurales et urbaines. La baisse des rendements agricoles peut entraîner une hausse des prix. Un accès réduit à la nourriture peut aggraver la malnutrition et la faim.</p></li>
<li><p>Perte de revenus et pauvreté : la baisse de la production agricole affecte le revenu des petits exploitants. Cela peut accroître les niveaux de pauvreté et la vulnérabilité économique. Nous avons constaté une baisse de la production céréalière au cours de la dernière décennie au Ghana, au Congo et en Afrique du Sud. </p></li>
<li><p>Diminution de la productivité du bétail : la hausse des températures, les changements dans la disponibilité du fourrage et la rareté de l'eau constituent un défi pour les éleveurs. Ces facteurs rendent le bétail vulnérable aux maladies et à la mort. Les agriculteurs doivent supporter des coûts élevés pour vacciner et traiter les animaux.</p></li>
<li><p>Vulnérabilité des petits exploitants agricoles : ces agriculteurs n'ont pas toujours les ressources et la capacité de s'adapter à l'impact du changement climatique.</p></li>
</ol>
<h2>Recommandations et implications politiques</h2>
<p>L'examen des études a montré que l'Afrique subsaharienne pourrait se développer économiquement si les agriculteurs ruraux prenaient des mesures plus efficaces contre le changement climatique.</p>
<p>Nous avons formulé les recommandations suivantes pour protéger les agriculteurs de l'impact du changement climatique :</p>
<ul>
<li><p>Renforcer les institutions pour l'élaboration et la mise en œuvre des politiques. La coordination des efforts d'adaptation au changement climatique et des pratiques agricoles durables améliore la productivité des exploitations. </p></li>
<li><p>Améliorer les infrastructures rurales. Cela permettrait de promouvoir la croissance économique, de réduire la pauvreté et de rendre les communautés rurales plus résilientes. </p></li>
<li><p>Lancer des programmes d'action sociale. L'amélioration de l'accès au financement, aux marchés, à l'éducation et aux informations sur le climat renforcerait la protection sociale.</p></li>
<li><p>Créer davantage de plantations forestières et maintenir les plantations existantes. Elles contribueraient à absorber l'impact du changement climatique sur l'agriculture et à promouvoir le développement économique.</p></li>
<li><p>Le boisement et le reboisement peuvent également contribuer à l'absorption du carbone et à la conservation de la biodiversité.</p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/218184/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Abiodun Olusola Omotayo est financé par le programme Climap Africa, l'Office allemand d'échanges universitaires (DAAD-Grant Ref : 91838393), en Allemagne, et la National Research Foundation (NRF), Incentive Funding for Rated Researchers (Grant number : 151680), en Afrique du Sud.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Abeeb Babatunde Omotoso does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Les petits exploitants subissent de plein fouet les effets du changement climatique en Afrique subsaharienne. Il faut des mesures volontaristes pour soutenir et stimuler la production agricole,Abeeb Babatunde Omotoso, Postdoctoral research associate, North-West UniversityAbiodun Olusola Omotayo, Senior lecturer/researcher, North-West UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2184652023-11-27T14:00:40Z2023-11-27T14:00:40ZPaludisme : deux vaccins révolutionnaires ont été mis au point, mais l'accès et le déploiement restent des obstacles majeurs<p>_L'approbation de deux vaccins contre le paludisme - le vaccin RTS,S/AS01 en 2021 et le vaccin R21/Matrix-MTM en 2023 - permettra de contrôler et, à terme, d'éradiquer une maladie qui cause plus de <a href="https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/malaria#:%7E:text=Disease%20burden&text=cases%20in%202020.-,The%20estimated%20number%20of%20malaria%20deaths%20stood%20at%20619%20000,63%20000%20more%20malaria%20deaths.">600 000 décès</a> annuellement.
Près de <a href="https://www.who.int/initiatives/malaria-vaccine-implementation-programme#:%7E:text=Le%20premier%20vaccin%2C%20RTS,Programme%2C%20MVIP%2C%20sur%202019.">2 millions d'enfants</a> au Ghana, au Kenya et au Malawi ont été vaccinés avec le vaccin <a href="https://www.who.int/initiatives/malaria-vaccine-implementation-programme">RTS,S/AS01</a>. Il sera étendu à d'autres pays africains à partir du début de l'année prochaine.</p>
<p>_Le deuxième vaccin, <a href="https://www.ox.ac.uk/news/2023-10-02-oxford-r21matrix-m-malaria-vaccine-receives-who-recommendation-use-paving-way-global">R21/Matrix-MTM</a>, approuvé par l'Organisation mondiale de la santé en octobre, sera prêt à être déployé à la <a href="https://www.who.int/news/item/02-10-2023-who-recommends-r21-matrix-m-vaccine-for-malaria-prevention-in-updated-advice-on-immunization#:%7E:text=Haute%20efficacit%C3%A9%20lorsque%20donn%C3%A9%20juste,apr%C3%A8s%20a%203%2Dose%20s%C3%A9rieuse">mi-2024</a>.</p>
<p>Rose Leke, lauréate du <a href="https://virchowprize.org/2023-laureate/">Prix Virchow 2023</a>pour l'ensemble de son œuvre en faveur de la santé mondiale et figure de proue des protocoles vaccinaux, nous éclaire sur ces avancées.__</p>
<h2>Pourquoi les vaccins sont-ils importants pour l'Afrique ?</h2>
<p>Environ <a href="https://theconversation.com/we-could-eradicate-malaria-by-2040-says-expert-after-revolutionary-vaccine-is-approved-by-who-214798">40 millions d'enfants</a> nés chaque année dans les régions d'Afrique touchées par le paludisme pourraient bénéficier d'un vaccin. </p>
<p>Le vaccin RTS,S/AS01 réduit les décès dus au paludisme de <a href="https://www.who.int/news/item/06-10-2021-who-recommends-groundbreaking-malaria-vaccine-for-children-at-risk">30 %</a> et est particulièrement important pour les enfants, qui sont les plus exposés au risque de paludisme. Si 100 enfants peuvent mourir de paludisme grave, on pourrait en sauver 30. </p>
<p>Les mères qui ont fait vacciner leurs enfants au cours de la phase pilote ont exprimé leur reconnaissance pour le vaccin car il a empêché la mort de leurs enfants de <a href="https://www.who.int/news-room/feature-stories/detail/mothers-in-malawi-value-the-first-malaria-vaccine">paludisme grave</a>. </p>
<p>Le deuxième vaccin, <a href="https://www.who.int/news/item/02-10-2023-who-recommends-r21-matrix-m-vaccine-for-malaria-prevention-in-updated-advice-on-immunization">R21/Matrix-M</a>, est très efficace car il réduit les cas de paludisme de 75 %. Des <a href="https://theconversation.com/we-could-eradicate-malaria-by-2040-says-expert-after-revolutionary-vaccine-is-approved-by-who-214798">centaines de millions</a> de doses de ce vaccin peuvent être produites chaque année. </p>
<p>Il sera prêt à être déployé dès <a href="https://www.who.int/news/item/02-10-2023-who-recommends-r21-matrix-m-vaccine-for-malaria-prevention-in-updated-advice-on-immunization#:%7E:text=Haute%20efficacit%C3%A9%20lorsqu'il%20est%20donn%C3%A9%20juste,apr%C3%A8s%20a%203%2Dose%20s%C3%A9rie">la mi-2024</a>.</p>
<p>Ces deux vaccins sont de nouveaux outils, mais ils doivent être utilisés en complément avec les autres mesures dont nous disposons pour lutter contre le paludisme. Il s'agit notamment des moustiquaires et de l'administration d'antipaludiques aux enfants les plus exposés au risque de paludisme à des moments précis de l'année. </p>
<p>Si on ajoute le vaccin à ces mesures de manière efficace, on pourra progresser davantage vers <a href="https://theconversation.com/we-could-eradicate-malaria-by-2040-says-expert-after-revolutionary-vaccine-is-approved-by-who-214798">l'élimination du paludisme</a>. </p>
<h2>Comment toutes les communautés peuvent-elles en bénéficier ?</h2>
<p>Il y a une forte demande de vaccins antipaludiques, estimée entre <a href="https://cdn.who.int/media/docs/default-source/immunization/mvip/first_malaria_vaccine_allocation_explained_may2023.pdf?sfvrsn=248c4624_4">40 et 60 millions de doses</a> pour la seule année 2026. </p>
<p><a href="https://www.gavi.org/">Gavi</a>, l'Alliance du vaccin, a donné son feu vert au Bénin, à la République démocratique du Congo et à l'Ouganda parmi les 12 pays d'Afrique qui recevront les premières doses du vaccin. Ils se verront attribuer un total de <a href="https://cdn.who.int/media/docs/defaultsource/immunization/mvip/first_malaria_vaccine_allocation_explained_may2023.pdf?sfvrsn=248c4624_4">18 millions</a> de vaccins pour la période allant jusqu'à 2025. </p>
<p>Gavi est une organisation internationale créée en 2000 pour améliorer l'accès aux vaccins nouveaux et sous-utilisés pour les enfants vivant dans les pays les plus pauvres du monde.</p>
<p>Comme on peut le constater, la demande a été beaucoup plus importante que l'offre. Lorsque nous n'avions qu'un seul vaccin, le RTS/S, les quantités étaient limitées et l'OMS a dû développer un cadre équitable pour la distribution des doses limitées. </p>
<p>Les pays ont été classés par catégories. Ceux de la catégorie 1 étaient les plus nécessiteux et les premiers à être vaccinés.</p>
<p>Cela me préoccupait un peu. Si quelqu'un venait dans mon pays, pour administrer des vaccins dans un village de catégorie 1 et qu'à 20 km de là, dans un village de catégorie 2, un enfant ne pouvait pas être vacciné, cela poserait un problème sur le plan social et même politique. </p>
<p>J'étais <a href="https://cdn.who.int/media/docs/default-source/immunization/mvip/framework-for-allocation-of-limited-malaria-vaccine-supply.pdf?sfvrsn=35b12e4_2&download=true">coprésident</a> du groupe d'experts de l'OMS chargé d'étudier la question. Nous avons passé beaucoup de temps sur l'élaboration du <a href="https://cdn.who.int/media/docs/default-source/immunization/mvip/first_malaria_vaccine_allocation_explained_may2023.pdf?sfvrsn=248c4624_4">cadre</a>, en essayant de déterminer qui reçoit le vaccin et qui ne le reçoit pas. </p>
<p>Voici les principes que nous avons suivis :</p>
<ul>
<li><p>Les zones où les besoins sont les plus importants : là où la charge de morbidité due au paludisme est la plus élevée chez les enfants et où le risque de décès est le plus élevé.</p></li>
<li><p>Là où l'impact attendu sur la santé est le plus important : là où le plus grand nombre de vies peuvent être sauvées avec les doses limitées disponibles.</p></li>
<li><p>Les pays qui se sont engagés à faire preuve d'équité dans leurs programmes de vaccination.</p></li>
</ul>
<p>L'un des critères était qu'une fois le nouveau vaccin était introduit par les services de santé publique de routine dans une région donnée, l'accès <a href="https://cdn.who.int/media/docs/default-source/immunization/mvip/first_malaria_vaccine_allocation_explained_may2023.pdf?sfvrsn=248c4624_4">continu et durable</a> devait être maintenu. </p>
<h2>Pourquoi la fabrication locale est-elle si importante ?</h2>
<p>Pendant le <a href="https://www.wipo.int/wipo_magazine/en/2022/04/article_0005.html">COVID</a>, nous avons constaté que l'Afrique était en queue de peloton. Le meilleur moyen de garantir l'approvisionnement est de le fabriquer soi-même.</p>
<p>C'est pourquoi la fabrication de vaccins en Afrique est l'une des principales priorités des <a href="https://africacdc.org/news-item/a-new-deal-for-african-health-security/">Centres africains de contrôle des maladies</a>. </p>
<p>J'espère que de mon vivant, je verrai certains de ces vaccins produits sur le continent.</p>
<h2>Tous les gens ne veulent pas être vaccinés, n'est-ce pas ?</h2>
<p>D'après mon expérience en Afrique, la couverture vaccinale de routine est encore assez <a href="https://www.afro.who.int/health-topics/immunization#:%7E:text=Approximately%201%20in%205%20African,VPDs">faible</a>. Nous allons maintenant ajouter ce nouveau vaccin contre le paludisme. Si les taux de vaccination sont faibles, nous n'obtiendrons jamais l'impact souhaité. </p>
<p>Nous devons donc toujours encourager les mères à faire vacciner leurs enfants, et il faut vraiment mettre fin à l’<a href="https://www.researchgate.net/publication/366944062_The_impact_of_information_sources_on_COVID-19_vaccine_hesitancy_and_resistance_in_sub-Saharan_Africa">hésitation vaccinale</a>. </p>
<p>Il y a la <a href="https://journals.co.za/doi/full/10.10520/ejc-ajgd_v10_n1_1_a4">croyance</a> que ces vaccins étrangers vont tuer les <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8115834/">enfants</a>. Mais que n'avons-nous pas importé ? Le lait ? Le savon ? Les sardines ? </p>
<h2>Pourquoi ces théories ne concernent-elles que les vaccins ?</h2>
<p>Les vaccins ont été tellement efficaces et <a href="https://www.afro.who.int/health-topics/immunization">l'impact</a> sur le continent africain a été tellement important.</p>
<p>La plupart d'entre nous, même vous et moi, aurions pu disparaître sans les vaccins. Nous devons informer les gens pour qu'ils se débarrassent de cette réticence à l'égard des vaccins qui existe sur tout le continent.</p>
<p><em>Cet article fait partie d'un partenariat médiatique entre The Conversation Africa et la Conférence 2023 sur la santé publique en Afrique.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218465/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rose Leke does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>En deux ans, des avancées majeures contre le paludisme ont été réalisées avec deux nouveaux vaccins. Mais la demande excède largement l'offre, nécessitant une gestion délicate des déploiements.Rose Leke, Professor of Immunology and Parasitology, Faculty of Medicine and Biomedical Sciences, Université de Yaounde 1Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2176762023-11-15T14:29:29Z2023-11-15T14:29:29ZCommerce Afrique/États-Unis : l'Agoa expire en 2025, un expert analyse ses réalisations en 23 ans<p>Les gouvernements africains <a href="https://www.voaafrique.com/a/washington-favorable-%C3%A0-la-prolongation-de-l-agoa-selon-un-porte-parole-du-d%C3%A9partement-d-%C3%A9tat/7343343.html">cherchent</a> à prolonger la <a href="https://agoa.info/about-agoa.html">Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (Agoa)</a> au-delà de 2025. Cette <a href="https://agoa.info/images/documents/2/AGOA_legal_text.pdf">loi</a> a été promulguée en 2000 pour “encourager l'accroissement du commerce et des investissements entre les États-Unis et l'Afrique subsaharienne”. Nous avons demandé à <a href="https://www.lse.ac.uk/africa/people/Staff/David-Luke">David Luke</a>, <a href="https://www.wto.org/english/forums_e/public_forum18_e/pf18_bios_e.htm?bio=david_luke">spécialiste</a> de la politique commerciale africaine et des négociations commerciales, quels avantages l'Agoa a apportés aux pays africains éligibles et comment elle peut être améliorée.</p>
<h2>Dans quelle mesure l'objectif de l'Agoa a-t-il été atteint ?</h2>
<p>L'accès libre de droits et de quotas au marché américain accordé par l'Agoa a contribué à stimuler le commerce et l'investissement entre l'Afrique subsaharienne et les États-Unis. De nombreux pays africains <a href="https://ustr.gov/sites/default/files/IssueAreas/Preference%20Programs/AGOA%20Eligible%20and%20Ineligible%20Countries%202022.pdf">qui remplissent les critères</a> ont enregistré des <a href="https://www.brookings.edu/blog/africa-in-focus/2021/11/15/how-the-biden-administration-can-make-agoa-more-effective/">succès spécifiques</a> sur les biens exportés vers les États-Unis dans le cadre de l'Agoa. Il s'agit notamment de textiles et de vêtements provenant du Kenya, de l'Éthiopie, de Maurice, du Lesotho, du Ghana et de Madagascar. Au Kenya, par exemple, les <a href="https://agoa.info/images/documents/15557/kenya-agoa-guide-and-trade-overview-.pdf#page=2">ventes Agoa</a> dominées par l'habillement sont passées de 55 millions de dollars US en 2001 à 603 millions dollars en 2022, représentant 67,6 % des exportations totales du pays vers les États-Unis. </p>
<p>L'Afrique du Sud possède la liste d'exportations la plus diversifiée d'Afrique subsaharienne. La valeur de ses <a href="https://tradeunionsinafcfta.org/fr/commerce-entre-lafrique-et-les-etats-unis-laccord-agoa-expire-en-2025/">ventes automobiles</a> aux États-Unis a augmenté de 447,3 % entre 2001 et 2022 dans le cadre de l'Agoa. Les exportations de véhicules de l'Afrique du Sud vers les États-Unis ont augmenté de 1 643,6 % au cours de la première année de l'Agoa, passant de 853 unités en 2000 à 14 873 unités en 2001.</p>
<p>Parmi les autres réussites nationales, citons le Ghana, où <a href="https://share.america.gov/fr/grace-al-agoa-les-americains-decouvrent-les-saveurs-dafrique/">les produits non pétroliers</a> tels que les racines végétales, les textiles et les articles de voyage accèdent au marché américain dans le cadre de l'Agoa. Les <a href="https://agoa.info/images/documents/15553/ghana-agoa-guide-and-trade-overview-.pdf#page=2">exportations</a> du Ghana vers les Etats-Unis sont passées de 206 millions de dollars en 2000 à 2,76 milliards de dollars en 2022, bien que seulement 26 % de ce commerce aient été réalisé dans le cadre de l'Agoa. </p>
<p>Le guichet Agoa a également également permis l'exportation de chocolat et des matériaux de vannerie de <a href="https://www.business-magazine.mu/actualites/enjeu/agoa-un-potentiel-commercial-exploite-a-79-2/">l'Ile Maurice</a> ; du sarrasin, des articles de voyage et des instruments de musique du <a href="https://tradeunionsinafcfta.org/fr/commerce-entre-lafrique-et-les-etats-unis-laccord-agoa-expire-en-2025/">Mali</a> (suspendu en 2022) ; du sucre, des noix et du tabac du <a href="https://agoa.info/news/article/21-country/4092-mozambique.html">Mozambique</a> ; ainsi que du blé, des légumineuses et des jus de fruits du <a href="https://ustr.gov/countries-regions/africa/west-africa/togo#:%7E:text=AGOA%20Status%3A%20Togo%20is%20eligible,Investment%20Framework%20Agreement%20(TIFA).">Togo</a>.</p>
<p>Peut-être que l'Éthiopie, qui a été <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/les-etats-unis-excluent-l-ethiopie-le-mali-et-la-guinee-de-l-agoa-02-01-2022-2458891_3826.php#11">suspendue</a> de l'Agoa en janvier 2022, illustre le mieux l'impact de ce guichet commercial sur l'industrialisation de l'Afrique.</p>
<p>Selon la <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/099350011132228872/pdf/P1741950a12ef10560af5008750d1393b7c.pdf">Banque mondiale</a>, l'Éthiopie a attiré <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/099350011132228872/pdf/P1741950a12ef10560af5008750d1393b7c.pdf#page=7">l'attention du monde</a> avec ses plans d'industrialisation ambitieux, en particulier grâce à ses <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/099350011132228872/pdf/P1741950a12ef10560af5008750d1393b7c.pdf#page=37">parcs industriels</a>. Les parcs industriels, qui produisent principalement des textiles et des vêtements, ont prospéré grâce à l'accès libre de droits et de quotas au marché américain. </p>
<p>En moins de dix ans, les parcs industriels éthiopiens ont <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/099350011132228872/pdf/P1741950a12ef10560af5008750d1393b7c.pdf#page=46">créé</a> 90 000 emplois directs, principalement pour les femmes âgées de 18 à 25 ans. L'emploi de ce groupe est <a href="https://www.imf.org/external/pubs/ft/sdn/2013/sdn1310.pdf">généralement</a> associé à une série de retombées positives sur la société et l'économie. </p>
<p>Les exportations de l'Éthiopie vers les États-Unis <a href="https://agoa.info/images/documents/15558/ethiopiacountrybrochureagoafinal.pdf#page=2">ont augmenté</a> de 29 millions de dollars US à 525 millions de dollars US en 2020, dont 45,3 % dans le cadre de l'Agoa. Les exportations de textiles et de vêtements qui, jusqu'en 2014, ne représentaient que 10 % des échanges, ont augmenté régulièrement pour atteindre 69 % au cours de la période. </p>
<p>Les parcs industriels <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/099350011132228872/pdf/P1741950a12ef10560af5008750d1393b7c.pdf#page=57">ont attiré</a> 66 entreprises étrangères investissant environ 740 millions de dollars depuis 2014/15, l'Agoa étant le principal moteur de l'investissement dans le secteur ainsi que de l'augmentation des emplois et des recettes d'exportation.</p>
<h2>Quel a été l'impact de l'Agoa sur les exportations africaines ?</h2>
<p>Entre 2017 et 2020, les États-Unis sont devenus la <a href="https://doi.org/10.31389/lsepress.hat.d">troisième plus grande destination</a> pour les produits industriels africains, après l'Union européenne et le commerce intra-africain. L'Agoa y est pour quelque chose. Cela signifie que l'Agoa a stimulé la création de valeurs ajoutées dans la région, traditionnellement connue pour ses exportations de produits non transformés. </p>
<p>L'impact positif sur les chaînes de valeur explique pourquoi des pays africains tels que le Kenya, le Lesotho et l'île Maurice ont investi autant de capital diplomatique, et parfois de fonds de lobbying, dans l'articulation d'un <a href="https://doi.org/10.31389/lsepress.hat.d">dossier permanent</a> pour plaider en faveur du renouvellement de l'Agoa.</p>
<p>Les pays africains ont exploité cette opportunité pour vendre leurs produits manufacturés aux États-Unis. C'est le type de commerce <a href="https://au.int/en/agenda2063/aspirations">qui compte vraiment</a> pour l'objectif de transformation économique de l'Afrique à travers “<a href="https://blogs.lse.ac.uk/usappblog/2023/06/05/how-the-us-can-support-the-african-trade-that-matters-for-the-continents-goal-of-economic-transformation/">les produits manifacturés, l'industrialisation et la valeur ajoutée</a>”.</p>
<p>En comparaison, au cours de la période 2017-2020, 87 % des exportations africaines vers la Chine étaient constituées de combustibles, des minerais et des métaux. </p>
<h2>Quel type d'accord les États-Unis et le Kenya négocient-ils ?</h2>
<p>Les États-Unis et le Kenya ne négocient pas un accord bilatéral de zone de libre-échange, comme on le croit souvent à tort. Ce qu'ils négocient, c'est un <a href="https://ustr.gov/about-us/policy-offices/press-office/press-releases/2023/october/united-states-and-kenya-hold-second-negotiating-round-under-strategic-trade-and-investment">partenariat stratégique en matière de commerce et d'investissement</a> qui ne peut être décrit comme un accord de libre-échange puisqu'il n'inclut pas de nouvelles dispositions en matière d'accès au marché. </p>
<p>Le principal objectif de ce partenariat est d'accroître les investissements et de promouvoir une croissance économique inclusive. Il est censé profiter aux travailleurs, aux consommateurs et aux entreprises (y compris les petites). Il a aussi pour objectif de soutenir l'intégration économique régionale africaine. </p>
<p>Compte tenu des disparités économiques mondiales actuelles, si les pays africains veulent se développer, ils ont besoin <a href="https://doi.org/10.31389/lsepress.hat.d">de concessions commerciales comme l'Agoa</a>, et non d'accords de libre-échange bilatéraux et réciproques. </p>
<h2>Comment rendre l'Agoa plus bénéfique pour l'Afrique subsaharienne ?</h2>
<p>Tout d'abord, l'Agoa doit être prolongée d'au moins 20 ans. Cela garantira la prévisibilité de la concession d'accès au marché et renforcera la confiance des investisseurs qui disposeront d'un délai suffisant pour récupérer leurs investissements. Deuxièmement, les pays d'Afrique du Nord devraient être inclus dans l'Agoa. Cela permettra d'étendre l'Agoa à tous les pays africains et de soutenir l'intégration commerciale du continent par le biais de <a href="https://au-afcfta.org/">l'Accord de libre-échange continental africain</a>. </p>
<p>Troisièmement, l'Agoa devrait cesser de punir les investisseurs en raison les erreurs des gouvernements. Il est regrettable que les pays qui ne remplissent pas les conditions d'éligibilité à l'Agoa, qui incluent les normes de gouvernance et de droits de l'homme, soient suspendus du programme. Cela pénalise les entreprises privées qui investissent et commercent, ainsi que les personnes qui dépendent de ces entreprises pour leur emploi. Mais il est peu probable que les États-Unis modifient les critères d'éligibilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217676/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Luke does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>L'Agoa devrait être prolongée de 20 ans et étendu aux pays de l'Afrique du Nord.David Luke, Professor in practice and strategic director at the Firoz Lalji Institute for Africa, London School of Economics and Political ScienceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2068962023-06-27T18:25:04Z2023-06-27T18:25:04Z« Forçats du numérique » : Comment une décision de justice au Kenya fragilise la sous-traitance des multinationales du web<p>L’histoire commence en mai 2022 au Kenya : Daniel Motaung, un ancien modérateur de contenu de la société locale Samasource Ltd dépose alors une <a href="https://videos-cloudfront.jwpsrv.com/647897f3_5bec6dcbb2468547552b60296026dacc2f4e5165/content/conversions/eLnWahTz/videos/YkrYeJro-33331102.mp4">plainte</a> (<em>petition</em> en anglais) contre ses dirigeants, ainsi que leurs donneurs d’ordre, de nombreux géants du web, dont Meta (la société mère de Facebook).</p>
<p>Dans cette plainte, Daniel Motaung accuse Sama et Meta de traite d’êtres humains, de démantèlement de syndicats et de ne pas fournir un soutien adéquat en matière de santé mentale.</p>
<p>Sama – leader dans le domaine de l’annotation – emploie des <a href="https://cset.georgetown.edu/wp-content/uploads/Key-Concepts-in-AI-Safety-Specification-in-Machine-Learning.pdf">« étiqueteurs »</a>, qui ont pour mission de visionner et de taguer des contenus très éclectiques, souvent consternants, parfois extrêmement violents, provenant de divers réseaux sociaux et d’internet. L’objectif : modérer les contenus sur les réseaux sociaux et fournir des bases de données équilibrées pour l’apprentissage des intelligences artificielles.</p>
<p>Neuf mois, plus tard, le 6 février 2023, une première décision historique a été rendue par le juge <a href="http://kenyalaw.org/caselaw/cases/view/250879/">kényan Jakob Gakeri</a> : ce dernier a statué sur le fait que les cours kényanes étaient compétentes pour juger des sociétés étrangères dont des filiales se trouvent au Kenya, ainsi que la responsabilité des donneurs d’ordre. La procédure est en cours pour de nouvelles audiences.</p>
<p>C’est la première fois qu’une telle affaire est jugée dans les pays où vivent ces « forçats du numérique », et que le jugement se fait selon les termes de la plainte déposée. Une façon d’exposer à la planète entière les coûts humains du numérique.</p>
<h2>Les termes de la plainte</h2>
<p>Sama fait ainsi travailler des milliers d’opérateurs venant de toute l’Afrique subsaharienne pour modérer et étiqueter des contenus des géants du web comme Meta, Microsoft et OpenAI (la société à l’origine de ChatGPT) dans le cadre de « partenariats d’externalisation ». Cette dernière a d’ailleurs <a href="https://time.com/6247678/openai-chatgpt-kenya-workers/">confirmé</a> que les employés de Sama l’avaient aidé à filtrer certains contenus toxiques.</p>
<p>Le juge a entériné les termes de la pétition sur la violation des droits constitutionnels de ces opérateurs, et dénonce ainsi les conditions matérielles et psychologiques déplorables dans lesquelles ils travaillent.</p>
<p>Avec cette décision, le juge a aussi retenu le bien-fondé des termes de la demande qui, élaborant sur les salaires insuffisants pour vivre décemment à Nairobi, sur la détresse psychologique des salariés (le demandeur souffrant de troubles du stress post-traumatique – selon ses conseils) et sur la définition du <a href="https://www.unodc.org/documents/e4j/tip-som/Module_6_-_E4J_TiP-_final_FR_final.pdf">Haut-Commissariat des Nations unies aux Droits de l’Homme</a> (HCDH), soutenait que la situation vécue par les étiqueteurs pouvait être qualifiée d’exploitation en vue d’un gain économique, en d’autres termes, de « traite d’êtres humains »… d’autant plus que les soutiens psychologiques contractuellement annoncés n’auraient jamais été mis en œuvre (à nouveau, selon les attendus de la pétition et les termes des conseils du demandeur).</p>
<p>Meta a tenté de faire appel de cette décision du juge Gakeri afin d’éviter le procès, sans succès. De plus, suite à cette décision du juge Gakeri, le contrat de Sama avec Meta a été annulé, et le repreneur, Majorel, aurait essayé de blacklister les étiqueteurs de Sama. Deux cent d’entre eux ont porté plainte contre Meta et Sama pour licenciement abusif, dans une autre procédure.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/enquete-derriere-lia-les-travailleurs-precaires-des-pays-du-sud-201503">Enquête : derrière l’IA, les travailleurs précaires des pays du Sud</a>
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<h2>L’étiquetage des données permet les services de modération du web et l’apprentissage des systèmes d’IA</h2>
<p>Cette décision du juge Gakeri – et les suivantes – pourrait avoir un impact majeur sur les services de modération portés par les grandes plates-formes Internet, en particulier celles qui utilisent l’intelligence artificielle.</p>
<p>En effet, l’<a href="https://ieeexplore.ieee.org/abstract/document/6685834">étiquetage précis des données est essentiel pour que les algorithmes d’intelligence artificielle puissent apprendre et arbitrer correctement leurs résultats</a> : par exemple, si une image est étiquetée « route » alors qu’il s’agit d’un mur, l’IA équipant une voiture autonome pourrait se tromper et provoquer un accident.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-fonctionne-chatgpt-decrypter-son-nom-pour-comprendre-les-modeles-de-langage-206788">Comment fonctionne ChatGPT ? Décrypter son nom pour comprendre les modèles de langage</a>
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<p>L’étiquetage des données consiste à fournir des informations pour aider les machines à apprendre à partir de données brutes comme des images, des fichiers texte et des vidéos. Cependant, <a href="https://theconversation.com/intelligence-artificielle-les-defis-de-lapprentissage-profond-111522">différents types d’apprentissages</a> existent (supervisé, semi-supervisé, par renforcement…) et on a besoin de plus ou moins de données en fonction de l’expérience utilisateur escomptée.</p>
<h2>L’étiquetage des données est source de valeur pour les acteurs du numérique</h2>
<p>Ces informations viennent des bases de données constituées par les géants du net lors d’opérations d’étiquetage et de <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-67256-4_32">modération des contenus</a>. Celles-ci sont censées prévenir et protéger tous les individus d’un accès non désiré à certaines données – comme une vidéo de décapitation par exemple – en créant et complétant les <a href="https://citeseerx.ist.psu.edu/document?repid=rep1&type=pdf&doi=3363e2b897cdfe9f8dcb546ac420d28584867a27">métadonnées</a>, des données qui informent sur le contenu du fichier associé. Cette méthodologie a permis la création d’immenses bases de métadonnées, informées – et informant – en temps réel de la nature des contenus transitant par les réseaux.</p>
<p>Les métadonnées font le lien entre contenu et information, ce qui a permis de rénover le modèle économique des acteurs du web et des <a href="https://theconversation.com/la-moderation-des-contenus-est-elle-compatible-avec-lactivite-commerciale-des-reseaux-sociaux-199573">réseaux</a>, qui ont réalisé la <a href="https://www.inderscienceonline.com/doi/abs/10.1504/IJMSO.2007.019442">valeur de ces métadonnées</a>. En effet, celles-ci peuvent servir à entraîner certains algorithmes d’intelligence artificielle : ce n’est pas un hasard si Facebook a changé son nom pour Meta. Les coûts de la modération sont colossaux, car pour que les algorithmes de modération soient précis et efficaces, les données doivent être soigneusement contrôlées et décrites – une tâche qui nécessite une analyse de haute qualité et donc <a href="https://heinonline.org/HOL/LandingPage?handle=hein.journals/hjl58&div=7&id=&page=">onéreuse</a> – et ce d’autant plus qu’elle doit faire l’objet de validations multiples afin d’éviter les <a href="https://doi.org/10.1016/j.bpg.2020.101712">biais des étiqueteurs</a>.</p>
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<p>Sous réserve de maintenir la qualité, ces coûts se sont donc transformés en valeur pour les géants du net. En effet, un algorithme mal entraîné peut rapidement devenir <a href="https://arxiv.org/abs/2303.01325">toxique</a>, <a href="https://theconversation.com/ia-et-moderation-des-reseaux-sociaux-un-cas-decole-de-discrimination-algorithmique-166614">biaisé</a> ou même produire des <a href="https://ccforum.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13054-023-04473-y">hallucinations</a> (c’est-à-dire créant des résultats qui ne correspondent à aucune donnée sur laquelle l’algorithme a été entraîné, ou qui ne suivent aucun autre modèle discernable). Ceci détériore la confiance dans les contenus, ce qui affecte l’audience et donc l’intérêt des annonceurs.</p>
<p>Du côté des algorithmes d’apprentissage des systèmes d’IA, comme leur <a href="https://scholar.google.com/scholar_url?url=https://dl.acm.org/doi/abs/10.1145/3544548.3580805&hl=fr&sa=T&oi=gsb&ct=res&cd=1&d=3898150833569525423&ei=kKZ1ZKfsIu3AsQKExJC4Cg&scisig=AGlGAw9vGHbPuCjU2ICSUe-bVyzP">crédibilité est avant tout fondée sur la capacité à fournir des réponses plausibles et précises</a>, une <a href="https://arxiv.org/abs/2301.09902">tâche impossible</a> sans données bien étiquetées.</p>
<p>Pour ces différentes raisons, une bonne qualité d’étiquetage nécessite un grand nombre d’étiqueteurs. En d’autres termes, cette <a href="https://www.imf.org/en/Publications/fandd/issues/2020/12/rethinking-the-world-of-work-dewan">industrie est à forte intensité de main-d’œuvre</a>… d’autant qu’au moins <a href="https://www.internetlivestats.com/google-search-statistics/">10 % à 15 % des données crées chaque jour sont nouvelles et uniques</a>.</p>
<h2>Quel modèle économique pour l’étiquetage ?</h2>
<p>Les industriels cherchent à trouver un équilibre entre la nécessité d’innover et le coût de cette innovation. Par exemple, le <a href="https://www.govtech.com/question-of-the-day/how-much-does-it-cost-to-run-chatgpt-per-day">fonctionnement de ChatGPT coûte 700 000 dollars par jour sans amélioration des modèles</a>, alors que pour encourager <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1461444816629474">l’adoption</a> d’un outil numérique, on considère généralement que le prix doit être modéré pour l’utilisateur (environ 20 euros par mois pour ChatGPT+ par exemple).</p>
<p>Les coûts de main-d’œuvre (d’étiquetage) représentent une <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv1ghv45t">grande partie des dépenses dans ce secteur</a>. Dans une approche un <a href="https://link.springer.com/content/pdf/10.1007/978-3-030-58675-1_2-1.pdf">peu obsolète de la division du travail</a> et de réduction des coûts, l’étiquetage a donc été sous-traité à des acteurs spécialistes comme Sama aux États-Unis ou Majorel au Luxembourg, qui disposent de filiales au Kenya.</p>
<p>Ce travail implique une exposition continue à des images, des sons, des contenus parfois insoutenables. Dans le cas Sama, il a été rémunéré à hauteur de 1,5 euro de l’heure après impôts – soit moins de la moitié du salaire moyen dans le secteur informatique kenyan qui est à <a href="https://kenya.paylab.com/salaryinfo/information-technology">4,3 euros de l’heure</a>.</p>
<p>Ce sont les conditions de cette sous-traitance qui sont à l’origine de la décision du Juge Gakeri.</p>
<h2>Les impacts des décisions des juges</h2>
<p>L’originalité de cette lecture juridique tient au fait qu’elle bat en brèche la stratégie usuelle des entreprises du secteur des technologies de l’information, qui sont de fait des entreprises de main-d’œuvre, mais qui refusent d’être qualifiées comme telles et dissimulent leurs importants besoins humains derrière une chaîne de sous-traitants – bien loin des <a href="https://cup.columbia.edu/book/in-the-name-of-humanity/9780231110204">productions sans humains fantasmées à la fin du XXᵉ siècle</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="maison de poupée représentant un sweat shop, atelier de couture" src="https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532160/original/file-20230615-23-cdzd6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les filiales de sous-traitance pour l’étiquetage des données du web sont-elles les nouveaux sweat shops ? Ici une maison de poupées présentée au Great American Dollhouse Museum.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Dollhouse-sweatshop.jpg">Photomatters/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Cette pratique constitue un <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-58643-4_3">non-sens économique</a>, puisque c’est la connaissance, la maîtrise sur toutes leurs phases des processus productifs et leur optimisation qui permettent la consolidation des marges et la pérennisation des modèles concernés.</p>
<p>Peut-être que la position du juge Gakeri apportera aux multinationales du web une aide précieuse en matière d’amélioration de leur rentabilité et de leur modèle économique. Toujours est-il que désormais, le donneur d’ordre sera autant responsable et justiciable que son prestataire en matière de conditions de travail, voire davantage.</p>
<p>On scrute aujourd’hui l’impact environnemental d’une structure dans toutes ses ramifications planétaires. Évaluera-t-on demain la responsabilité sociale des entreprises de la même manière, en considérant le processus de production des technologies de l’information comme un tout mondialisé ?</p>
<h2>Au-delà de l’éthique des usages de l’IA, faut-il inventer une éthique des processus de sa fabrication ?</h2>
<p>L’usage des technologies d’intelligence artificielle soulève déjà des questions éthiques, par exemple celle d’<a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/0960085X.2021.1960905">utiliser ou non la décision algorithmique pour établir des demandes de remboursement de prestations sociales</a>.</p>
<p>On voit désormais émerger le besoin impérieux d’une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s43681-021-00084-x">éthique de la <strong>production</strong> des systèmes d’intelligence artificielle</a>, car ici l’absence d’éthique sanctionne en temps réel la qualité et la confiance que l’on peut avoir dans les algorithmes produits. Si un <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10677-016-9745-2">algorithme mal entraîné</a> peut demain faire dérailler un train ou une chaîne de production, la qualité de l’annotation devient non négociable – et cette activité demande mieux et plus que les conditions constatées au Kenya.</p>
<p>Le procès en cours depuis mars (puisque le juge a validé la compétence des cours kényanes dans ce domaine) changera peut-être la donne. D’autres secteurs confrontés à ces problématiques, la mode par exemple, ont <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/JFMM-05-2015-0040/full/html?fullSc=1">amélioré leurs pratiques, la transparence de leurs fournisseurs et de leurs méthodologies de productions</a>, notamment du fait d’opérations massives de « Name and shame » par la société civile, qui ont amené progressivement des utilisateurs finaux à se détourner des marques non vertueuses (sans pour autant que ces dernières ne le deviennent toutes).</p>
<p>Il n’est pas certain que, dans le domaine des technologies de l’information et d’intelligence artificielle, l’utilisateur final puisse effectuer ce type d’arbitrage, car ceux-ci deviennent de plus en plus partie intégrante des outils de productivité informatique utilisés quotidiennement par tous. En outre, les critères constituant les processus de production éthiques de l’IA demeurent à inventer. L’affaire en cours pourrait-elle constituer une bonne motivation pour penser à ces derniers ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206896/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caroline Gans Combe a reçu des financements de l'Union Européenne dans le cadre de ses recherches, notamment sur les questions relatives à l'éthique de l'intelligence artificielle et des algorithmes. </span></em></p>Des plaintes récentes au Kenya exposent les coûts humains de l’IA et de la modération du web, dissimulés dans des chaines de sous-traitance.Caroline Gans Combe, Associate professor Data, econometrics, ethics, OMNES EducationLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1697882021-10-24T15:27:57Z2021-10-24T15:27:57ZUn premier vaccin pour relancer la lutte contre le paludisme<p><em>L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé une mesure historique : elle a <a href="https://www.who.int/fr/news/item/06-10-2021-who-recommends-groundbreaking-malaria-vaccine-for-children-at-risk">recommandé</a> l’utilisation à grande échelle du premier vaccin contre le paludisme (ou malaria), RTS,S. Cette recommandation se fonde sur les résultats d’un <a href="https://theconversation.com/malawi-is-testing-a-new-malaria-vaccine-but-its-still-early-days-116007">programme pilote</a> en cours au Malawi, au Ghana et au Kenya. Le paludisme est un énorme défi sanitaire mondial, environ 409 000 personnes en sont mortes rien qu’en 2019. La région africaine de l’OMS supporte une part importante de la charge du paludisme – avec <a href="https://reliefweb.int/report/world/message-who-regional-director-africa-dr-matshidiso-moeti-world-malaria-day-2021#:%7E:text=En%202019%2C%20l%E2%80%99OMS%20Afrique,%25%20et%20morts%20par%2060%25.">94 %</a> de tous les cas et décès dus au paludisme. Les enfants de moins de cinq ans sont les plus vulnérables. Ina Skosana a demandé à l’entomologiste médical Eunice Anyango Owino d’expliquer cette évolution et sa signification.</em></p>
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<h2>Il a fallu 30 ans pour créer ce vaccin : pourquoi ?</h2>
<p>La raison principale est que les parasites du <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/maladies/maladies-infectieuses/article/paludisme">paludisme</a>, du genre <em>Plasmodium</em> (<em>falciparum</em>, etc.), a un développement très complexe. Il passe en effet par <a href="https://theconversation.com/why-does-malaria-recur-how-pieces-of-the-puzzle-are-slowly-being-filled-in-108833">différents stades</a>, certains apparaissant chez le moustique (qui le transmet) et d’autres chez l’homme. Les scientifiques ont donc dû adopter diverses approches.</p>
<p><a href="https://www.inserm.fr/dossier/paludisme/">Chez l’homme, il y a deux phases</a>. Ce sont les suivants :</p>
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<li><p>Le stade pré-érythrocytaire (sans symptôme). Il s’agit de la période pendant laquelle le parasite, reçu suite à une piqûre de moustique, entre dans la circulation sanguine et gagne le foie. Il y pénètre et va s’y multiplier, après quoi il est à nouveau libéré dans le sang.</p></li>
<li><p>Le stade sanguin. Il correspond à la séquence où les nombreux parasites libérés par le foie entrent dans des globules rouges (cellules sanguines chargées notamment du transport de l’oxygène) et s’y multiplient. Les globules sont détruits en masse, ce qui provoque des symptômes associés à cette maladie, libérant à leur tour de nouveaux parasites, qui vont pouvoir envahir d’autres cellules, etc.</p></li>
</ul>
<p>Un vaccin efficace contre le premier stade (stade pré-érythrocytaire) serait capable de susciter une réponse immunitaire empêchant l’infection des cellules hépatiques ou entraînerait la destruction des cellules hépatiques infectées. Le vaccin RTS,S, qui cible le parasite <em>P. falciparum</em>, responsable des formes les plus graves, est de ce type.</p>
<p>Un vaccin efficace pour le deuxième stade (stade sanguin) aurait, lui, trois modes d’action possible : susciter des réponses immunitaires empêchant l’infection des globules rouges ; diminuer le nombre de parasites dans le sang ; réduire la gravité de la maladie en permettant à l’organisme de développer une immunité naturelle avec un faible risque de tomber malade.</p>
<p>Une dernière option consisterait à bloquer la transmission : les personnes vaccinées généreraient des anticorps qui seraient capables de bloquer la maturation des parasites chez les moustiques porteurs de la maladie qui viendraient les piquer pour se nourrir.</p>
<p>Un autre facteur qui a contribué à ce retard est que les scientifiques travaillant sur les <a href="https://theconversation.com/un-nouveau-vaccin-savere-tres-efficace-contre-le-paludisme-et-la-pandemie-nous-a-montre-quon-pourrait-le-deployer-rapidement-159766">vaccins possibles contre le paludisme</a> ont longtemps eu du mal à comprendre les réponses immunitaires spécifiques associées à la protection contre le parasite.</p>
<p>Cela est en partie dû au fait que les parasites responsables du paludisme – <em>Plasmodium falciparum</em> pour le plus connu – affichent une telle variété d’éléments capables de provoquer une réaction immunitaire à leur surface (antigènes) que cela les aide à échapper nos défenses et rend les vaccins basés sur quelques antigènes spécifiques moins efficaces.</p>
<h2>Que sait-on de ce vaccin ?</h2>
<p>Le vaccin RTS,S (nom commercial <a href="https://www.ema.europa.eu/en/opinion-medicine-use-outside-EU/human/mosquirix">Mosquirx</a>) est administré en quatre doses aux enfants âgés de 5 à 17 mois ; les trois premières doses sont administrées tous les mois, la quatrième, une dose de rappel, est administrée entre 15 et 18 mois.</p>
<p>L’<a href="https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2026330">efficacité</a> est d’environ 40 % contre le développement du paludisme et de 30 % contre les formes sévères.</p>
<p>Chaque maladie – et vaccin – possède un mode d’action qui lui est spécifique. L’OMS a fixé un niveau d’efficacité à atteindre de 50 % et plus pour la plupart des vaccins, et les plus efficaces dépassent un niveau de protection de 75 % ; les vaccins contre le Covid-19 basés sur la technologie de l’ARN messager de Pfizer et Moderna offrent un niveau de protection de 90 %. (<em>Il s’agit donc d’un des vaccins recommandés par l’OMS à l’efficacité la plus faible… Mais du fait de la difficulté de développer des traitements (et des résistances qui apparaissent), il a un intérêt fort pour les pays les plus touchés par le paludisme. ndlr</em>)</p>
<h2>Quelles sont les prochaines étapes ?</h2>
<p>Tout d’abord, l’OMS et les fabricants du vaccin, GlaxoSmithKline, vont inciter les pays, en particulier ceux où le paludisme est très répandu, à adopter le vaccin dans le cadre de leurs stratégies nationales de lutte contre le paludisme.</p>
<p>Ils demanderont également à ces pays de mettre des fonds de côté.</p>
<p>Ils participeront également à la collecte de fonds auprès de la communauté mondiale de la santé ou travailleront avec des partenaires, pour un déploiement plus large du vaccin.</p>
<p>Il devrait y avoir un accès équitable et à long terme au vaccin. Le vaccin doit également être rentable.</p>
<p>L’espoir est aussi que cette annonce de l’OMS relance la course à la recherche de vaccins encore plus efficaces contre le paludisme. Les <a href="https://www.ox.ac.uk/news/2021-05-07-promising-malaria-vaccine-enters-final-stage-clinical-testing-west-africa">rapports</a> actuels de l’Institut Jenner de l’Université d’Oxford suggèrent qu’un vaccin contre le paludisme atteignant l’objectif de 75 % fixé par l’OMS est à l’essai au Burkina Faso.</p>
<h2>Quel intérêt dans la lutte contre le paludisme en Afrique ?</h2>
<p>Ce vaccin est un outil supplémentaire dans la boite à outils de la lutte et de contrôle du paludisme.</p>
<p>Certes, il ne fournit pas une protection complète. Mais il sera introduit dans un ensemble d’autres outils visant à réduire les infections et à diminuer le nombre de décès. Les autres mesures comprennent notamment les moustiquaires et les pulvérisations d’insecticides à l’intérieur.</p>
<p>Il possède également un grand potentiel dans les zones très touchées en Afrique sub-saharienne, notamment s’il est utilisé en combinaison avec des méthodes de prévention du paludisme préexistantes. Par exemple, une <a href="https://www.lshtm.ac.uk/newsevents/news/2021/severe-malaria-among-young-african-children-dramatically-reduced-through">étude de la London School of Tropical Medicine</a> a fait état d’une <a href="https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2026330">réduction de 70 %</a> des hospitalisations et des décès chez les enfants ayant reçu le vaccin RTS,S (Mosquirx) et des médicaments antipaludiques.</p>
<p>La lutte contre le paludisme a récemment stagné dans certains pays africains, et des pays comme le Soudan et l’Érythrée ont même connu une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6466923/">recrudescence significative</a>.</p>
<p>Ce vaccin, même imparfait, va donner un nouvel élan à ce combat sanitaire majeur. Et il offre la promesse de le remettre sur de bons rails.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169788/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eunice Anyango Owino a reçu des financements du National Research Fund (NRF), Kenya. </span></em></p>Il n’est pas parfait, mais un premier vaccin contre le paludisme vient d’être recommandé par l’OMS. RTS,S est un espoir. De quoi relancer la lutte contre un parasite dur à combattre et à traiter.Eunice Anyango Owino, Medical Entomologist at the School of Biological Sciences, University of NairobiLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1630202021-07-11T17:03:51Z2021-07-11T17:03:51ZMobilité religieuse et athéisme au Kenya<p>Au Kenya, la religion est omniprésente : le <a href="https://afrobarometer.org/sites/default/files/publications/Documents%20de%20politiques/ab_r7_dispatchno339_pap12_religion_en_afrique.pdf">sondage Afrobarometer</a> indique que 88 % des Kenyans considèrent que la religion est très importante dans leur vie. Selon le <a href="https://nairobinews.nation.co.ke/news/kenya-has-755750-atheists-census-report">recensement de 2019</a>, les 47,6 millions d’habitants sont à 85,5 % chrétiens et à 11 % musulmans. Au sein de la majorité chrétienne, les croyants sont répartis entre une multitude d’Églises (ou dénominations). Des communautés catholiques, anglicanes, presbytériennes et évangéliques (avec, parmi ces dernières, des Églises pentecôtistes particulièrement vivaces) <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Monde/mosaique-confessions-religieuses-Kenya-2017-08-08-1200868447">vivent les unes à côté des autres</a>.</p>
<p>Loin d’êtres étanches les unes aux autres, ces communautés religieuses se retrouvent sur un certain nombre de valeurs. Les responsables religieux chrétiens comme musulmans invitent ainsi leurs ouailles à se méfier des « quatre S », soit les scandales, les sectes, le satanisme et le sécularisme, expliquant que ceux qui y succombent s’éloignent de la grâce divine.</p>
<p>Par ailleurs, alors que le fondamentalisme islamique est perçu comme une menace bien réelle contre le christianisme kenyan – les <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/580832/kenya-attentat-eglise">Églises chrétiennes</a> sont des cibles de choix du mouvement Al-Shabaab, affilié à Daech – l’islam est perçu par les chrétiens – à l’exception des pentecôtistes – comme un territoire religieux légitime, bien qu’étranger et éloigné.</p>
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<h2>Des identités religieuses fluides et plurielles</h2>
<p>Lorsque l’on s’intéresse aux communautés chrétiennes, on s’aperçoit qu’une véritable fluidité des identités religieuses existe au Kenya. Loin d’être figée, l’appartenance à une dénomination est <a href="https://books.openedition.org/africae/2077">susceptible d’évoluer</a> au cours du parcours de vie des individus, et n’empêche pas de s’investir dans des pratiques religieuses hors de sa communauté.</p>
<p>Les Kenyans peuvent ainsi adopter une dénomination qu’ils considèrent comme le cœur de leur affiliation, alors qu’ils maintiennent des liens plus « périphériques » avec d’autres formes religieuses. Ces liens s’incarnent dans des « allers-retours », ou des « visites » aux services religieux d’autres Églises, qui représentent une forme de participation « secondaire » et souvent exploratoire. Elle est généralement institutionnalisée et suit un protocole établi : présentation du visiteur lors du service religieux, accueil chaleureux, inscription sur un registre, etc.</p>
<p>Les Kenyans participent volontiers à différents services religieux au cours de la même semaine ou accompagnent des connaissances pour « visiter » d’autres cérémonies religieuses. Les convertis qui reviennent sur leur lieu d’origine, à la campagne, reprennent souvent leurs anciennes pratiques religieuses et participent aux services de leur confession précédente, sans que cela pose de problème.</p>
<p>Toutefois, ces visites peuvent devenir du « church hopping », littéralement, un « sautillement entre les Églises », une expression que l’on pourrait également traduire par « écumer les Églises », comme l’on écume les bars. Cette locution souligne le <a href="https://www.eajournals.org/journals/global-journal-of-arts-humanities-and-social-sciences-gjahss/vol-2issue9november-2014/challenge-church-hopping-kenya-factors-leading-migration-church-members-methodist-church-kenya/">manque de stabilité religieuse</a> d’une personne, qui ne parvient pas à maintenir une affiliation primaire solide. Un individu peut ainsi être soupçonné de changer d’affiliation pour créer des dissensions au sein des Églises, ou chercher à assouvir des intérêts vénaux, voire d’être un suppôt de Satan ou un athée.</p>
<h2>Un marché religieux concurrentiel et spectacularisé</h2>
<p>Derrière ces formes innovantes de mise en concurrence des offres religieuses, se cache parfois un certain scepticisme devant les abus commis par les responsables religieux. Ainsi, une journaliste présente l’histoire de Christine Ndegwa à Nairobi : « Une chrétienne qui préfère regarder les services religieux à la télévision plutôt qu’à l’église ». Ndegwa explique son choix en mentionnant son mécontentement envers les pasteurs actuels qui mèneraient une <a href="https://www.kenyans.co.ke/news/57923-pastor-deya-and-5-religious-scandals-shook-kenya">vie immorale</a>, alors que leurs fidèles vivraient dans la pauvreté.</p>
<p>Ce suivi des offices depuis chez soi est possible grâce aux nombreuses chaînes religieuses existantes au Kenya. Les stations internationales sont également disponibles. On a ainsi accès à travers sa télévision à différents programmes télévisuels chrétiens, ainsi qu’aux « croisades » virtuelles des télévangélistes : ceux qui se livrent à cette pratique ne font donc pas du « church hopping », mais plutôt du « church zapping ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1409181469881290754"}"></div></p>
<p>Si le « church zapping » peut provenir d’une déception face aux prédicateurs actuels, il peut également être un moyen de faire face aux <a href="https://utorontopress.com/9781487508807/butinage/">exigences des emplois salariés</a> : les serveurs ou les réceptionnistes qui travaillent le dimanche peuvent « participer » aux services religieux ; de même que les chauffeurs professionnels qui écoutent ces émissions de radio au volant de leur taxi.</p>
<p>Du côté du personnel religieux, cette spectacularisation s’observe également. Afin d’éviter de voir leurs fidèles sombrer dans les péchés que proposent les divertissements populaires (alcool, sexe, disco, cinéma, etc.), les Églises chrétiennes proposent des services religieux où la musique et les arts de la scène n’ont rien à envier aux shows des professionnels du spectacle. Ces <a href="https://www.theguardian.com/global-development/2020/jun/29/balcony-churches-kenyans-find-new-ways-to-worship-in-lockdown">services hauts en couleur</a> constituent une forme de loisir pour les fidèles… qui n’abandonnent pourtant pas tous les attractions plus séculières que peut leur offrir la vie nocturne des villes kenyanes.</p>
<p>Souligner l’enchevêtrement du séculier et du religieux permet de montrer que ce dernier n’est pas seulement un lieu d’engagement spirituel, mais également un espace de socialisation, de loisir et de plaisir. Nos interlocuteurs ont souligné le fait que les services religieux du dimanche sont souvent très « entraînants », qu’ils y prennent du plaisir et que « des choses s’y passent ». En outre, pour les très nombreux Kenyans qui disposent de ressources financières limitées, les loisirs qu’offrent les villes restent inaccessibles et les services religieux sont alors considérés comme un moyen de « passer le temps ».</p>
<h2>À l’origine du « church hopping », la révolution religieuse des années 1980</h2>
<p>La vague de conversions au pentecôtisme charismatique touche le Kenya <a href="https://www.pewforum.org/2010/08/05/historical-overview-of-pentecostalism-in-kenya/">depuis les années 80</a>, comme nombre d’autres pays des Suds. Ce phénomène majeur a coïncidé avec le processus de <a href="https://mastercarrieresinternationales.files.wordpress.com/2014/03/dc3a9mocratisation-kenya.pdf">libéralisation sociopolitique</a>, simplifiant les procédures d’enregistrement des nouvelles dénominations religieuses et donnant un accès relativement libre aux différents médias. Les nouvelles Églises ont bénéficié d’une plus grande liberté de mouvement et d’une exemption des impôts : à la clef, une séparation entre l’Église et l’État réaffirmée, et l’apparition d’un puissant lobby religieux.</p>
<p>Les nouveaux missionnaires pentecôtistes ont profondément transformé le christianisme au Kenya. Ils proposent une liturgie charismatique, soulignent l’importance d’être « <em>born again »</em>, c’est-à-dire « nés à nouveau ». Cette nouvelle naissance passe par un second baptême par immersion, <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9783319906409">caractéristique de la foi pentecôtiste</a>. Souvent, le nouveau converti n’abandonne pas son affiliation religieuse précédente en devenant « <em>born again »</em>, mais il ajoute une nouvelle facette à son identité plurielle (ethnique, religieuse, politique, socioéconomique, etc.) en se positionnant dans de nouveaux réseaux sociaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"981074497443856384"}"></div></p>
<p>Au même moment surgirent des préoccupations quant aux déviances et aux manipulations que pouvaient déployer les nouvelles Églises. Face aux transformations du paysage religieux, les Kenyans ont fait preuve d’une certaine méfiance en craignant l’influence néfaste, les fraudes et l’hypocrisie des nouvelles dénominations. Elles ont ainsi pu être décrites comme des ruses du diable pour égarer les malheureux chrétiens, faisant passer les <a href="https://www.persee.fr/doc/cea_0008-0055_1997_num_37_145_1989">suppôts de Satan</a> pour des Églises tout à fait légitimes. Au Kenya, les accusations de « déviances religieuses » – souvent proférées par des pasteurs d’Églises concurrentes pour prouver leur supériorité morale – fleurissent et sont le sujet d’intenses débats sur les valeurs morales de la société.</p>
<h2>Une tolérance à géométrie variable</h2>
<p>Cette inquiétude autour de la moralité de la société a engendré un rejet profond vis-à-vis des athées ou des partisans d’une certaine sécularité. En Afrique subsaharienne, les athées sont souvent considérés comme un groupe dangereux dont il faut se méfier, mais au Kenya cette défiance s’incarne tout particulièrement dans les déboires de la <a href="https://atheistsinkenya.org/">Société des athées du Kenya</a>, l’une des rares du genre en Afrique.</p>
<p>L’association des Atheists in Kenya (AIK) s’est formée en 2012 sous la direction d’Harrison Mumia, un employé de la Banque Centrale du Kenya. Elle se propose de lutter contre l’enseignement religieux dans les écoles et s’adresse à un large public, en exigeant la création d’une fête nationale des athées et en promouvant la séparation de l’Église et de l’État. Plusieurs années et un recours devant la Cour suprême furent nécessaires pour que cette société – fort peu nombreuse, avec ses quelques centaines d’adhérent – soit finalement enregistrée au registre légal.</p>
<p>En outre, ses membres subissent de fortes pressions pour « retrouver » la foi, « voir la lumière » et avancer dans le « droit chemin », comme en témoigne la <a href="https://africanrationalist.wordpress.com/2021/06/01/seth-mahiga-abandoning-atheism-for-wrong-reason/">récente conversion au christianisme</a> du secrétaire de la société.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1409070795582840833"}"></div></p>
<p>Ainsi, la spiritualité au Kenya s’inspire de deux dynamiques paradoxales. D’une part, les pratiques religieuses dépassent largement les prescriptions institutionnelles des Églises et déploient une mobilité permettant aux Kenyans de connaître différents territoires spirituels. La société chrétienne du pays développe une forme d’œcuménisme en actes, freinant toute forme de tribalisme religieux et limitant les clivages politiques potentiels par le développement de réseaux sociaux multireligieux qui traversent les frontières des dénominations.</p>
<p>D’autre part, cette religiosité fluide et souple n’enlève rien au rejet que suscite le sécularisme et – surtout – l’athéisme. Si cet œcuménisme en actes présente une grande tolérance face aux différentes formes de christianisme et dans une moindre mesure face à l’islam ou aux <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Religions_traditionnelles_africaines#:%7E:text=Les%20religions%20traditionnelles%20africaines%20sont,manifestations%20sont%20nombreuses%20en%20formes.&text=Ils%20sont%20destin%C3%A9s%20%C3%A0%20invoquer%20ces%20forces%20spirituelles.">« religions traditionnelles africaines »</a>, une profonde incompréhension règne face aux tenants d’une stricte laïcité, d’une forme d’agnosticisme, et, plus particulièrement, vis-à-vis de l’athéisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163020/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yvan Droz a reçu des financements du Fonds national suisse: Les structures anthropologiques du religieux n° 100013-130340 et 100013-146301. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Yonatan N. Gez a reçu des financements de la Fondation Alexander von Humboldt et du Fonds national suisse ("les structures anthropologiques du religieux", n° 100013-130340 et 100013-146301). Il est membre de l'Institut Arnold Bergstraesser à Freiburg, Allemagne. </span></em></p>La société kenyane est profondément multireligieuse. Au sein de ses communautés chrétiennes, les affiliations religieuses sont fluides… sauf en ce qui concerne l’athéisme.Yvan Droz, Chercheur et maître de conférence en anthropologie et sociologie, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Yonatan N. Gez, Étudiant post-doctoral en anthropologie, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1112872019-02-13T00:15:36Z2019-02-13T00:15:36ZInfrastructures : comment combler les faiblesses africaines dans les négociations avec la Chine<p>« On ne négocie pas avec la Chine ! » Voilà les premières réponses des diplomates et fonctionnaires africains lorsqu’on les a interrogés dans le cadre d’un <a href="http://www.lse.ac.uk/international-relations/assets/documents/global-south-unit/WPS2.pdf">projet de recherche en cours</a> sur les pratiques de négociation avec la Chine quand il s’agit projets d’infrastructures. Il existe en effet une perception partagée selon laquelle les conditions imposées par les entreprises et banques de développement chinoises sont peu ou pas négociables, de peur que l’offre de financement n’aille ailleurs.</p>
<p>La Chine est actuellement le <a href="https://www.theeastafrican.co.ke/business/New-US-fund-to-rival-Chinese-push-into-Africa/2560-4840700-l6y8e4z/index.html">premier pourvoyeur</a> de financement d’infrastructures sur le continent – comme l’a encore illustré un récent engagement de <a href="http://www.xinhuanet.com/english/2018-09/03/c_137441596.htm">60 milliards de dollars</a> pris lors du Forum Chine-Afrique de septembre 2018. Les <a href="https://www.thebusinessyear.com/top-10-china-infrastructure-projects-in-africa-2018/focus">grands projets</a> prévus <a href="https://www.businessinsider.co.za/here-are-150-million-rand-projects-in-africa-funded-by-china-2018-9">comprennent</a> des centrales hydroélectriques en Angola et en Guinée, ou encore une raffinerie de pétrole au Nigeria et la construction d’une ville nouvelle en Égypte.</p>
<p>Pourtant, une observation de plus près sur le terrain révèle que certains gouvernements africains sont bien meilleurs que d’autres pour négocier avec les Chinois. Les projets de chemin de fer en Afrique de l’Est semblent en être un bon exemple : au Kenya, le <em>standard gauge railway</em> est le plus grand projet d’infrastructure depuis l’indépendance du pays en 1963. La China Eximbank <a href="https://www.bbc.com/news/world-africa-40171095">a fourni</a> la plus grande partie du financement sous forme de prêt de la Phase 1 (472 km de voie entre Nairobi et Mombasa) pour un coût de 3,2 milliards de dollars. Chez le voisin éthiopien, une ligne de train électrique plus moderne reliant Addis-Abeba à Djibouti, qui est <a href="https://www.bbc.com/news/world-africa-37562177">également financée par la Chine</a>, a ouvert il y a deux ans. Le coût de ce dernier est de 3,4 milliards de dollars (pour 756 kilomètres). Le gouvernement kenyan <a href="https://www.bbc.com/news/world-africa-40171095">défend</a> cette différence de coût par des critères techniques liés au terrain et à la nécessité de transporter des volumes de fret plus importants. Pourtant, des <a href="https://www.theeastafrican.co.ke/business/-Hidden-traps-in-Kenya-SGR-deal-with-China/2560-4933582-e9l1hjz/index.html">révélations récentes</a> confirment que des dysfonctionnements majeurs ont eu lieu en amont notamment dans le processus de négociation.</p>
<p>En apparence, les gouvernements africains semblent avoir une marge d’action limitée. Pourtant, ils peuvent <a href="https://www.routledge.com/New-Directions-in-AfricaChina-Studies/Alden-Large/p/book/9781138714670">apprendre les uns des autres</a>. Malgré des clauses contractuelles initiales très contraignantes, un contrat favorisant la création d’emplois (notamment pour les travailleurs qualifiés), le transfert de connaissances et de technologies, le respect des normes environnementales et de construction, et l’utilisation de matériaux de qualité, reste possible. Ceci dépend de quatre conditions :</p>
<h2>1. Éviter les négociations fragmentées</h2>
<p>Généralement, après des réunions bilatérales ou multilatérales sino-africains et les d’engagements financiers qui s’en suivent, des contractants chinois provinciaux ou nationaux, soutenus par la mission économique et commerciale chinoise et l’ambassade de Chine dans les pays africains, établissent des contacts initiaux avec le cabinet du premier ministre, les ministères stratégiques (notamment ceux des Affaires étrangères, des Finances, et de la Planification) et les ministères techniques (notamment ceux des Transports et travaux publics, de l’Agriculture, ou du Logement) à la recherche de projets d’infrastructures internes prioritaires.</p>
<p>Dans certains pays comme le Togo et le Cameroun, ces ministères clés prennent la tête des processus de négociation, tandis que d’autres, comme le Bénin et le Kenya, permettent aux ministères techniques de poursuivre des négociations décentralisées. Cependant, dans ce deuxième cas de figure, afin d’accélérer le processus, ministères techniques et contractants chinois (toujours appuyés par les représentants politiques et économiques sur place) peuvent être amenés à contourner ces ministères stratégiques et autres acteurs clés et à engager des <a href="http://www.lse.ac.uk/international-relations/assets/documents/global-south-unit/WPS2.pdf">cycles de négociations parallèles</a> et décentralisées, souvent sans expérience de négociation préalable avec les Chinois. En pratique, de tels accords peuvent être moins bénéfiques pour les pays africains et favorisent les pratiques de corruption. Une <a href="https://www.reuters.com/article/us-kenya-corruption-railway/kenya-arrests-two-top-officials-for-suspected-corruption-over-new-3-billion-railway-idUSKBN1KW07L">enquête pour corruption</a> a par exemple été ouverte dans le cadre du projet de chemin de fer au Kenya. Il est désormais avéré que ce contrat, très coûteux et peu avantageux, est également lié à des problèmes de coordination et de <a href="https://www.theeastafrican.co.ke/business/-Hidden-traps-in-Kenya-SGR-deal-with-China/2560-4933582-e9l1hjz/index.html">contournement d’acteurs clés</a> (Kenya Railways en particulier) pendant les négociations.</p>
<p>Lorsque tous les ministères concernés sont impliqués dans une négociation, cela peut en effet prendre plus de temps. Le processus est toutefois plus cohérent et le projet résultant moins susceptible d’enfreindre les réglementations nationales.</p>
<h2>2. Renforcer le pouvoir des négociateurs africains</h2>
<p>Deuxièmement, un résultat (dés)avantageux pour les gouvernements africains dépend des formes d’intervention du cabinet présidentiel au cours du processus de négociation. Souvent guidée par des motivations politiques et par la nécessité de respecter les promesses électorales, notamment en ce qui concerne la construction des infrastructures, la présidence peut être amenée à intervenir pendant le processus sous forme de pression sur les fonctionnaires. Cela aboutit généralement à un manque d’application de la réglementation nationale. Au Bénin, par exemple, lors de négociations sur l’axe interrégional routier Akassato-Bohicon en 2010, les entrepreneurs chinois mécontents de certaines conditions imposées par les fonctionnaires et experts du ministère des Travaux publics se sont plaints directement auprès du président Yayi Boni qui a accepté d’intervenir – aboutissant ainsi au contournement des réglementations nationales en matière de construction et d’emploi.</p>
<p>Pourtant, l’intervention présidentielle peut s’avérer utile lorsqu’elle consiste à fournir une expertise spécifique aux entités gouvernementales pendant les négociations. Au Bénin, sous l’actuelle présidence, au Togo, au Sénégal et en Tunisie, la présidence a été amenée à solliciter des cabinets d’avocats internationaux dont les experts disposaient d’une expérience professionnelle au sein de ministères stratégiques chinois tels que le ministère des Affaires étrangères, le ministère du Commerce et les banques de développement (dont la China Eximbank). Ces experts fournissaient ensuite des conseils techniques et judiciaires pour mieux comprendre le fonctionnement de ces institutions et leurs différents critères et conditions de prêt.</p>
<p>Une expertise supplémentaire peut donc avoir un impact à la table de négociation en faveur des gouvernements africains, si elle n’est pas ponctuelle, mais fait partie d’une stratégie institutionnalisée sur le long terme. En effet, la disparité des acteurs à la plupart des tables de négociation Afrique-Chine conduit à des styles de négociation différents. Les négociateurs africains sont en grande partie composés de chefs de division et de fonctionnaires dotés de compétences plus ou moins techniques, de ministres et parfois du président. Du côté chinois, la présence combinée de représentants d’ambassades, de missions économiques et commerciales, et de représentants d’entreprises publiques est un indicateur de cette double logique politico-économique où le marché et l’État négocient d’une seule voix pour l’optimisation des profits – aboutissant souvent à des tactiques de négociation agressives auxquels les négociateurs africains ne sont pas habitués.</p>
<p>Les négociateurs chinois adoptent souvent une approche à prendre ou à laisser. Pourtant les gouvernements africains n’intègrent pas suffisamment que la Chine dispose d’un <a href="https://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/S/bo22657847.html">surplus de matières premières</a>, et de construction, qu’ils cherchent à écouler. Ils ont donc besoin des marchés africains. Une autre technique de négociation serait de confronter plus régulièrement la Chine à d’autres pays comme la Turquie, les Émirats arabes unis et la Corée du Sud qui cherchent à financer des projets d’infrastructures sur le continent.</p>
<h2>3. Intégrer les préoccupations de la société civile</h2>
<p>Troisièmement, le succès des négociations dépend de la responsabilité des gouvernants vis-à-vis des préoccupations des populations et des sociétés civiles africaines. Malgré la <a href="http://afrobarometer.org/sites/default/files/publications/Dispatches/ab_r6_dispatchno122_perceptions_of_china_in_africa1.pdf">perception généralement positive</a> des Africains envers la Chine, tel que démontrée par une enquête Afrobarometer, effectuée sur 54 000 enquêtés dans 35 pays africains, une perception négative de la Chine en Afrique existe également.</p>
<p>Elle est due à la mauvaise qualité des produits chinois, au manque de transparence autour des contrats, à la perception croissante selon laquelle la présence chinoise en Afrique se traduit par une suppression d’emplois, ainsi qu’à la suspicion de corruption des élites africaines. Si les gouvernements africains ne tiennent pas compte de ces perceptions, les organisations de la société civile et les médias dénonceront à juste titre le favoritisme de leurs gouvernants envers la Chine, comme ce fut le cas au <a href="https://www.standardmedia.co.ke/business/article/2000229994/why-kenya-may-have-got-short-end-of-the-stick-in-sgr-locomotives-deal">Kenya</a>.</p>
<h2>4. Partager et accroître les connaissances</h2>
<p>Négocier avec la Chine est une pratique relativement nouvelle pour les gouvernements africains. Ils devraient saisir toutes les occasions pour effectuer un partage d’expérience et de bonnes pratiques. Un rôle existe également pour les universités africaines : malgré la présence d’instituts culturels et linguistiques mais aussi de l’<a href="https://qz.com/africa/1505985/uganda-schools-to-teach-chinese-lessons/">apprentissage</a> bientôt obligatoire du mandarin dès l’école primaire dans certains pays africains, le nombre de centres d’études asiatiques dans les universités africaines reste trop limité. Ils devraient créer plus de centres d’études asiatiques pour combler l’écart en matière d’information et de connaissances.</p>
<p>Certains ont <a href="https://www.cnbc.com/2018/04/25/africa-needs-to-know-what-it-wants-from-china-expert-says.html">fait valoir</a> par le passé que les gouvernements africains échouaient dans la négociation avec les Chinois parce qu’ils manquaient de stratégie. Ceci n’est que partiellement avéré : plusieurs gouvernements mettent en place des plans d’action et négocient des marges de manœuvre. Mais ce qui est requis est une approche plus coordonnée et cohérente – ce sur quoi la Chine a considérablement <a href="https://www.die-gdi.de/en/the-current-column/article/next-steps-for-chinas-new-development-agency-1/">avancé</a> de son côté. Pour les gouvernements africains, une absence d’accord reste en effet généralement préférable à un mauvais accord.</p>
<hr>
<p><em>Folashadé Soulé est senior research associate au programme de gouvernance économique globale de l’Université d’Oxford. Elle est docteure en science politique, mention relations internationales de Sciences Po Paris.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111287/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Folashade Soule ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des pistes existent pour renforcer le pouvoir des négociateurs africains face à Pékin, principal pourvoyeur de financements sur le continent. Voici lesquelles.Folashade Soule, Senior Research Associate, University of OxfordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1098132019-02-01T01:05:18Z2019-02-01T01:05:18ZBanques et opérateurs télécoms, des synergies à développer dans les pays en développement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/253627/original/file-20190114-43517-j2xuw7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C5%2C904%2C646&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'offre bancaire en ligne se limite aujourd'hui à des fonctions transactionnelles ou de paiement de facture. Les solutions d'épargne, par exemple, sont très peu développées.</span> <span class="attribution"><span class="source">Photography / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Avec un <a href="https://www.itu.int/en/ITU-D/Statistics/Pages/stat/default.aspx">taux de souscription de 102,8 %</a> dans les pays en développement, l’utilisation du téléphone mobile s’est largement démocratisée. En revanche, les services bancaires peinent encore à se développer dans des territoires <a href="http://documents.worldbank.org/curated/en/187761468179367706/The-Global-Findex-Database-2014-measuring-financial-inclusion-around-the-world">plutôt hostiles</a> aux banques.</p>
<p>Le faible développement des services bancaires peut être dû à des facteurs liés à la demande (manque de compétences, d’attitudes, de comportements et de connaissances en matière de finance) ou à des facteurs liés à l’offre (obstacles à l’entrée liés au développement d’un réseau peu dense). Sauf pour ce qui est des solutions de paiements mobiles. Par exemple, le service M-Pesa, lancé en 2007 par le principal opérateur de téléphonie mobile au Kenya, Safaricom, compte aujourd’hui <a href="http://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2018/10/03/what-kenya-s-mobile-money-success-could-mean-for-the-arab-world">30 millions d’utilisateurs</a> affiliés dans 10 pays différents.</p>
<p>C’est d’ailleurs la sous-bancarisation qui explique en partie le <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-industrielle-2016-4-page-159.htm?contenu=resume">succès des services de paiement mobile</a> dans les pays en développement. Ces services offrent en effet la possibilité de s’intégrer financièrement aux populations longtemps oubliées par des canaux bancaires difficilement accessibles à des personnes qui manquent de ressources pour devenir clientes. Sans oublier que les points de contact peuvent être éloignés géographiquement.</p>
<h2>Offre trop restreinte</h2>
<p>Les opérateurs téléphoniques déjà implantés localement permettent justement à ces agents non bancarisés d’accéder aux services de paiement mobile sur la base d’une innovation frugale (innovation qui permet de répondre le plus simplement possible à un besoin en mobilisant le minimum de ressources). Les acteurs mobiles ont l’avantage de maîtriser les infrastructures (réseaux et carte SIM) et peuvent ainsi capter les adoptants précoces.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/253622/original/file-20190114-43535-1b04yji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/253622/original/file-20190114-43535-1b04yji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/253622/original/file-20190114-43535-1b04yji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/253622/original/file-20190114-43535-1b04yji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/253622/original/file-20190114-43535-1b04yji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/253622/original/file-20190114-43535-1b04yji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/253622/original/file-20190114-43535-1b04yji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une agence M-Pesa à Nairobi au Kenya.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/worldremit/">Flickr/Fiona Graham -- WorldRemit</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les premières solutions de paiement mobile sont apparues au milieu des années 2000, notamment au Kenya avec le service M-Pesa. Les utilisateurs peuvent faire des dépôts et retirer de l’argent à partir d’un réseau d’agents certifiés, transférer de l’argent ou payer des factures. Le système est basé sur de nombreux agents certifiés qui font la conversion du code en espèces et réciproquement, à la demande des utilisateurs. Le succès de ces services s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs : les transferts sont rapides, simples et hautement sécurisés.</p>
<p>Cependant, cette offre ne peut contenter entièrement la population car, trop restreinte, elle se limite à des fonctions transactionnelles ou de paiement de facture. Or, la population qui n’a pas accès aux banques pourrait être intéressée solution d’épargne ou de crédit leur faisant défaut. Le <a href="https://www.cairn.info/revue-techniques-financieres-et-developpement-2014-1-page-29.htm?try_download=1">taux d’épargne en Afrique en 2014 est de 20 %</a>, taux supérieur à celui européen. Pour ce faire, les banques ont donc intérêt à s’associer avec les opérateurs pour proposer des services plus élaborés.</p>
<h2>Répondre aux besoins de financement</h2>
<p>Les services proposés par un opérateur seul ne permettent pas encore d’accéder à ces offres bancaires plus évoluées. Les banques ont donc d’autant plus une carte à jouer que les habitants des pays les plus pauvres ont aussi des besoins de financement.</p>
<p>Depuis quelques années, la microfinance peut constituer une solution à ces lacunes, même si elle comporte <a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-microfinance-na-pas-eradique-la-pauvrete-107724">certaines limites</a>. Ce système d’octroi de prêts de montants réduits, mis au point par Muhammad Yunus, fondateur bangladais de la Grameen Bank, apporte notamment des <a href="http://www.grameen.com/wp-content/uploads/bsk-pdf-manager/GB-2017.pdf">impacts positifs</a> sur le bien-être des contractants en aidant à lutter contre les dégâts de la pauvreté : amélioration de l’alimentation, aide dans la création d’une entreprise, meilleur traitement des maladies, etc.</p>
<p>En ce qui concernent plus spécifiquement les femmes, qui sont les plus touchées par l’exclusion financière (en 2018, <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/news/immersive-story/2018/05/18/gains-in-financial-inclusion-gains-for-a-sustainable-world">67 % des femmes possèdent un compte bancaire - un écart de 9 points de pourcentage avec les hommes</a>) les microcrédits peuvent par ailleurs constituer une voie vers leur <a href="https://www.researchgate.net/publication/299513593_The_Impact_of_Microfinance_on_Women_Empowerment_Evidence_from_Eastern_India">émancipation</a> en leur donnant un pouvoir de décision, une liberté d’action et davantage de confiance en soi.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/253629/original/file-20190114-43544-p0zikl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/253629/original/file-20190114-43544-p0zikl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/253629/original/file-20190114-43544-p0zikl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/253629/original/file-20190114-43544-p0zikl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/253629/original/file-20190114-43544-p0zikl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/253629/original/file-20190114-43544-p0zikl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/253629/original/file-20190114-43544-p0zikl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans les pays en développement, deux tiers des adultes ne possédant pas de compte bancaire sont des femmes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">i_am_zews/Shutterstock</span></span>
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<p>Les enfants bénéficient aussi indirectement des services de microfinance accordés au sein du foyer. D’après <a href="http://publications.gc.ca/collections/collection_2009/acdi-cida/CD4-50-2008F.pdf">certaines études</a>, lorsque le revenu augmente suite à l’acquisition d’un prêt permettant de faire fructifier la microentreprise familiale, l’éducation devient en effet une priorité pour la famille. Les enfants sont ainsi plus facilement éduqués et scolarisés.</p>
<h2>Bénéfices mutuels</h2>
<p>L’importance d’une offre plus évoluée est donc multiple. Pour les populations, comme on l’a vu, mais aussi pour les banques. Si les établissements investissent le paiement mobile, ils vont pouvoir, à travers ce mode de paiement, s’implanter dans des zones faiblement bancarisées et proposer des produits financiers plus élaborés (épargne, crédit) à ces populations. M-Pesa au Kenya s’est d’ailleurs développé dans ce sens, en agrandissant son partenariat avec la banque locale Equity Bank via la <a href="https://www.gsma.com/mobilefordevelopment/programme/mobile-money/m-kesho-in-kenya/">création conjointe de M-Kesho</a>.</p>
<p>Cet exemple illustre bien l’intérêt pour les banques de se rapprocher d’un opérateur téléphonique. C’est ce qui va leur permettre de capter un grand nombre d’utilisateurs réguliers du paiement mobile, qui constitue un produit d’appel attractif pour atteindre une nouvelle clientèle.</p>
<p>Pour ce qui est des opérateurs télécoms, la collaboration avec la banque ne permettra certes pas d’augmenter le nombre d’utilisateurs, puisque les populations sont déjà bien équipées, mais de complexifier l’offre de service. Il s’agit donc d’une opportunité pour l’opérateur qui vise une position dominante sur le marché, avec un pouvoir de négociation renforcé. Nul doute que le rapprochement entre monde bancaire et secteur des télécoms devrait donc se développer à l’avenir, tant les synergies peuvent être fructueuses.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109813/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laetitia Chaix ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une collaboration renforcée entre opérateurs et banques permettrait de développer une offre mieux adaptée aux besoins des populations.Laetitia Chaix, Chercheur en économie numérique, économie du développement, International University of MonacoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/898202018-01-15T20:39:06Z2018-01-15T20:39:06ZL’impunité, le prix à payer pour la démocratie en Afrique ?<p>La mise à l’écart en douceur de Robert Mugabe au Zimbabwe, en novembre 2017, a réactivé le débat sur l’impunité en Afrique et sur son rapport avec l’avancée du processus démocratique. Blanchir les dictateurs de tous les crimes qu’ils ont commis est-il le prix à payer pour retrouver la paix civile et pour revenir à la démocratie ?</p>
<p>En effet, le cas de Mugabe n’est pas isolé. Avant lui, le <a href="https://theconversation.com/presidentielles-en-afrique-comment-ca-va-la-democratie-71747">départ de Yahya Jammeh en Gambie</a> (janvier 2017) avait été négocié contre la promesse de le laisser quitter son pays sans être inquiété. À cette occasion, l’autocrate déchu avait choisi avec soin son pays d’accueil (la Guinée équatoriale) dont il pouvait être presque sûr que le président – l’autre dictateur Obiang Nguema – ne lui jouerait pas le mauvais tour du Nigeria à l’encontre de Charles Taylor.</p>
<p>On se souvient en effet que l’ancien chef d’État du Liberia avait lui aussi accepté de partir en 2003, moyennant l’impunité et l’exil à Lagos (Nigeria). Mais, sous la pression de la communauté internationale, le président nigérian Olusegun Obasanjo a finalement accepté, en 2006, la demande d’extradition du criminel de guerre, d’abord vers la Sierra Leone, théâtre de ses exactions les plus graves, puis vers la <a href="http://www.liberation.fr/planete/2013/09/26/cinquante-ans-de-prison-confirmes-pour-charles-taylor_934893">Cour pénale internationale de La Haye</a>.</p>
<h2>Amnisties informelles</h2>
<p>L’impunité n’est donc pas forcément éternelle. Parfois, elle est même très passagère. Ainsi l’ex-président malgache Marc Ravalomanana, « démissionnaire » en mars 2009, exilé en Afrique du Sud puis condamné (par contumace) aux travaux forcés à perpétuité en août 2010 pour la mort d’une trentaine de partisans de son rival d’alors Andry Rajoelina, avait vu son mandat d’arrêt annulé pendant quelques heures en janvier 2012, au moment où il s’apprêtait à revenir dans la Grande Île. Le prix à payer pour la réconciliation nationale avait sans doute paru trop élevé à l’époque, mais l’homme est néanmoins de retour aujourd’hui dans son pays et semble bénéficier d’une « amnistie informelle ».</p>
<p>Les ex-présidents ne sont pas les seuls bénéficiaires de telles largesses. Parfois des criminels de guerre notoires sont tellement au-dessus des lois qu’ils peuvent encore être candidats à la magistrature suprême. C’est le cas du Libérien Prince Johnson, qu’une vidéo de 1995 le montrant en train de boire une bière pendant que ses hommes coupaient les <a href="http://www.jeuneafrique.com/176384/politique/liberia-l-horrible-fin-de-samuel-doe-6/">oreilles de l’ancien président Samuel Doe</a> a rendu tristement célèbre.</p>
<p>Malgré les milliers d’autres morts dont il est probablement responsable, il a reconquis une forme de respectabilité en se faisant élire sénateur du Comté de Nimba en 2005. Puis il est arrivé troisième au 1<sup>er</sup> tour de la présidentielle de 2011, avec 12 % des suffrages. Toujours dans la course, il a encore recueilli 9 % des voix lors du scrutin présidentiel de 2017, et il a largement contribué à la victoire de George Weah. Au Libéria, ce n’est pas tant la réconciliation qui est recherchée que la paix civile, car l’ancien chef de guerre dispose encore dans son fief frontalier de la Côte d’Ivoire et de la Guinée de miliciens et d’armes susceptibles de faire replonger le pays dans le cauchemar des années 1990.</p>
<p>On pourrait également citer des présidents en exercice qui échappent à la justice – nationale ou internationale – justement parce qu’ils sont présidents mais aussi parce que l’opinion publique et la communauté internationale semblent avoir peur du désordre qui pourrait s’installer si on leur appliquait la loi. Ainsi <a href="https://theconversation.com/en-afrique-du-sud-la-chute-programmee-de-lanc-89172">Jacob Zuma</a> parvient-il à échapper aux lourdes charges qui pèsent contre lui grâce à l’immunité qui le protège et au soutien de ses amis politiques.</p>
<p>Quant au dirigeant du Soudan Omar el-Bechir, passible de la Cour pénale internationale, il continue à circuler tranquillement en dehors de son pays sans être inquiété par les mandats d’arrêt lancés contre lui en 2009 et 2010 pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité <a href="https://theconversation.com/soudan-soudan-du-sud-tchad-guerres-sans-fin-guerriers-sans-frein-71237">au Darfour</a>.</p>
<h2>L’impunité par contumace</h2>
<p>Pour autant, l’impunité n’est pas forcément la règle, même si elle est largement répandue dans toutes les strates de la société dans bon nombre d’États africains. Ainsi le dictateur sanguinaire éthiopien Mengistu Hailé Mariam, réfugié en 1991 au Zimbabwe, a été condamné à mort par contumace en 2008.</p>
<p>De même, les autocrates chassés par les printemps arabes de 2011 ont-ils été poursuivis par la justice. En Tunisie, Zine el-Abidine Ben Ali a été sous le coup de 93 chefs d’inculpation dont 35 relevant de tribunaux militaires. À l’issue d’une douzaine de procès, il a été condamné par contumace à plusieurs peines de réclusion à perpétuité. <a href="http://www.huffingtonpost.fr/2016/01/14/ben-ali-arabie-saoudite_n_8978494.html">Il est réfugié en Arabie saoudite</a>, qui refuse de l’extrader.</p>
<p>En Égypte, Hosni Moubarak a risqué la peine de mort par pendaison lors d’un long procès ouvert le 2 août 2011, mais il a finalement été acquitté et libéré le 2 mars 2017 sous réserve de ne pas quitter le territoire.</p>
<p>Quelques mois plus tard, l’ex-président malien Amadou Toumani Touré, renversé le 22 mars 2012 et réfugié au Sénégal, était sous la menace d’une inculpation pour haute trahison avant qu’une commission <em>ad hoc</em> le blanchisse de ces charges en 2016. <a href="http://www.jeuneafrique.com/505161/politique/mali-lex-president-att-est-arrive-a-bamako-apres-5-ans-dexil/">Il vient d’ailleurs de regagner Bamako.</a></p>
<p>En Centrafrique, l’ex-président François Bozizé, renversé le 24 mars 2013 et réfugié au Cameroun, est toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par la justice de son pays le 29 mai 2013. Au Burkina-Faso, <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20171118-cote-ivoire-ex-president-burkinabe-compaore-sort-son-silence">Blaise Compaoré</a>, chassé du pouvoir le 31 octobre 2014 et réfugié en Côte d’Ivoire, est également visé par 18 mandats d’arrêt internationaux, dont certains ont été levés mais d’autres courent toujours, notamment pour la répression de l’insurrection populaire qui a provoqué sa chute.</p>
<h2>Laurent Gbagbo, un cas particulier</h2>
<p>Ailleurs, le cas de Laurent Gbagbo est particulier : il a été arrêté en avril 2011 et transféré sept mois plus tard (30 novembre 2011) à la Cour pénale internationale de La Haye. Nul doute que, lors des négociations ayant précédé son départ du Palais présidentiel d’Abidjan, l’argument de l’impunité (et de l’exfiltration) a pu être avancé par l’une ou l’autre des parties. Mais le pays était en situation de guerre civile larvée, les institutions – et singulièrement les tribunaux – étaient sinistrées et le régime d’Alassane Ouattara ne disposait pas des moyens pour faire face à un éventuel procès sur place.</p>
<p>Ainsi donc, à l’exception d’Hosni Moubarak et de Laurent Gbagbo, tous ces acteurs ont bénéficié d’une impunité <em>de facto</em> puisqu’ils sont en exil dans des pays qui refusent de les extrader. Ces refus sont souvent hypocritement justifiés par le manque de confiance dans les institutions judiciaires nationales concernées.</p>
<h2>Par quelle justice passer ?</h2>
<p>Alors pourquoi ne pas déléguer cette fonction à une instance internationale, comme ce fut le <a href="https://theconversation.com/le-proces-habre-un-moment-crucial-de-la-justice-internationale-en-afrique-60839">cas pour Hissène Habré</a>, jugé au Sénégal à partir de juillet 2015 par les Chambres africaines extraordinaires et <a href="http://www.jeuneafrique.com/432752/societe/tchad-hissene-habre-condamne-a-appel/">condamné à la réclusion à perpétuité</a>. En effet, cette juridiction originale créée par l’Union africaine semble être la bonne réponse à la défiance généralement ressentie à l’endroit à la fois des justices nationales et de la Cour pénale internationale. Cette dernière est, d’ailleurs, de plus en plus <a href="https://theconversation.com/lafrique-et-la-cour-penale-internationale-chronique-dun-divorce-annonce-68040">mal supportée par les États africains</a> qui l’accusent de ne s’en prendre qu’aux autocrates du continent.</p>
<p>En fait, la CPI a souvent du mal à instruire correctement ses procès, comme on a pu le voir en décembre 2014 lorsqu’elle a dû abandonner les <a href="http://lemonde.fr/afrique/article/2014/12/05/cpi-abandon-des-poursuites-contre-le-president-kenyan-kenyatta_4535316_3212.html">charges contre le président Uhuru Kenyatta</a>, pourtant accusé de crimes contre l’humanité, mais qui avait profité du pouvoir qu’il exerçait (à nouveau) pour purger son dossier des preuves attendues.</p>
<p>Cet exemple illustre bien le cœur du problème : comment faire prévaloir une justice réellement indépendante dans des pays où les libertés sont muselées ? Quels magistrats, quels tribunaux, quelles cours ont le courage d’affronter des pouvoirs qui, s’ils ne sont pas tous autocratiques, sont souvent complices des dictateurs ? On dispose de très peu d’exemples.</p>
<p>En juin 2015, la justice sud-africaine avait instruit la requête d’une ONG demandant que soient exécutés les mandats d’arrêt internationaux qui visaient le président soudanais Omar el-Bechir, de manière à ce qu’il soit bloqué à Pretoria lors de son passage dans le pays. Mais cette audace n’avait pas duré plus de 24 heures. Plus courageuse, la présidente du Malawi (Joyce Banda) avait préféré renoncer à accueillir le sommet de l’Union africaine en 2012 plutôt que d’y voir ce même Omar El-Bechir.</p>
<p>Alors Robert Mugabe, Yahya Jammeh, Prince Johnson, François Bozizé, Blaise Compaoré, Mengistu Hailé Mariam, Omar el-Bechir, Uhuru Kenyatta et quelques autres pourront sans doute encore vivre des jours tranquilles à l’abri des sanctions, au mépris des souffrances qu’ils ont infligées ou infligent encore à leurs peuples. À ceux-ci de dire si l’impunité – réelle ou <em>de facto</em> – dont bénéficient ces autocrates leur a procuré un mieux-vivre au quotidien.</p>
<p>Encore faudrait-il que ce quotidien ne soit pas lui-même marqué par une impunité généralisée, à tous les échelons de la société, faisant ainsi oublier la notion même de justice.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89820/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Bouquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Blanchir les dictateurs de tous les crimes qu’ils ont commis est-il le prix à payer pour retrouver la paix civile et pour revenir à la démocratie ?Christian Bouquet, Chercheur au LAM (Sciences-Po Bordeaux), professeur émérite de géographie politique, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/855772017-10-25T19:53:23Z2017-10-25T19:53:23ZL’Afrique est-elle rongée par les guerres ethniques ?<p>« L’ethnie tue ! » C’est du moins ce que laissent entendre de nombreuses analyses des guerres en Afrique.</p>
<p>Nous avons tous en tête, le génocide rwandais, qui opposait deux ethnies : les Hutus et les Tutsis. D’avril à juillet 1994, entre 500 000 et 1 million de Rwandais périrent (800 000 selon l’ONU). En France, très tôt, ce conflit a fait l’objet de controverses. Pour le rôle qu’aurait pu jouer la France, mais surtout sur l’interprétation des causes du génocide.</p>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/220036?seq=1#page_scan_tab_contents">La lecture ethnique</a> est très rapidement venue se confronter aux lectures plus complexes sur les causes sociologiques, politiques, historiques et régionales du génocide. Selon cette première lecture, les Tutsis et les Hutus seraient destinés à s’affronter, et les massacres seraient le résultat d’une opposition raciste héréditaire et pratiquement constitutive de l’ADN des Rwandais, et plus largement, des Africains, condamnés aux tueries et aux barbaries spontanées sans dimension politique ni instrumentalisation.</p>
<p>Cette lecture n’est pas réservée uniquement aux conflits africains, mais l’explication ethnique se trouve être plus répandue concernant cette région du monde. Ainsi, à la veille des élections présidentielles kenyanes prévues le 26 octobre, le pays semble plus divisé que jamais par les ressentiments ethniques.</p>
<h2>L’ethnie, une réalité et un vecteur</h2>
<p><a href="https://nyuscholars.nyu.edu/en/publications/what-is-ethnic-identity-and-does-it-matter">La littérature sur le lien entre ethnie et conflit</a> est très riche, et de nombreuses controverses ont opposé les analystes. Pour les uns, le continent africain serait « condamné » aux affrontements ethniques, et pour les autres, les ethnies n’existent pas et ne seraient que des groupes artificiels créés à des fins de manipulation ou de domination politique, notamment par le colonisateur.</p>
<p>Nous ne nions pas l’existence d’« ethnie », au sens d’une « identité » distincte d’un autre groupe. En revanche, il est aisé de démontrer que l’ethnie n’est pas une cause unique de conflit. Si tel était le cas, tous les groupes ethniques du monde seraient perpétuellement en conflit, alors que la plupart du temps, ils vivent paisiblement côte à côte. Donc, l’ethnie seule n’est pas une cause de conflit. Cela ne veut pas dire que les appartenances identitaires ne sont pas cruciales, dans la guerre. Elles peuvent même très certainement venir alimenter le conflit.</p>
<p>Pour <a href="http://eu.wiley.com/WileyCDA/WileyTitle/productCd-1509509046.html">Paul D. Williams</a>, les analystes doivent s’intéresser à l’« ethnie plus », c’est-à-dire chercher les causes additionnelles aux conflits. L’ethnie n’est qu’un <em>vecteur</em>. Ce qui apparaît à première vue comme des combats entre ethnies est bien souvent entièrement lié à des luttes entre les élites, pour la puissance politique ou matérielle. Ainsi, au Soudan du Sud, le conflit était au départ une opposition entre élites pour l’accès au pouvoir, avant de se cristalliser sur l’appartenance ethnique et une opposition entre Dinka et Nuer. Ce conflit est devenu effectivement un conflit semblant de nature ethnique, mais sa cause est bien plus complexe.</p>
<h2>Difficultés de gouvernance</h2>
<p>Parmi les causes des conflits, l’on retrouve ainsi les manipulations politiques, les crises politiques (assassinats politiques, entre autres), les crises économiques, comme l’accès aux ressources ou à la terre. Ainsi, en <a href="https://theconversation.com/ethiopie-le-prix-politique-du-developpement-a-marche-forcee-68041">Éthiopie</a>, la dimension ethnique est forte dans le conflit qui oppose les Oromos et les Amharas, au régime éthiopien, mais c’est une <a href="http://www.liberation.fr/planete/2016/08/19/ethiopie-la-colere-reprimee-a-huis-clos_1473535">erreur d’analyse</a> que de réduire ces tensions à une question ethnique. Les Oromo, les Amhara et les Tigréens représentent chacun des groupes très hétérogènes.</p>
<p>Les contestations qui ont conduit à l’instauration de l’état d’urgence, en 2016, et à la répression de l’opposition, trouvent leurs racines dans l’annonce par l’administration de la capitale Addis-Abeba d’intégrer plusieurs municipalités voisines à son plan d’extension urbaine, et donc d’empiéter sur la région Oromo. Les manifestants ne rejettent pas le fédéralisme ethnique en lui-même, mais le fait que le régime ne se soit jamais démocratisé, et que les retombées économiques ne bénéficient pas à tous.</p>
<p>On retrouve les mêmes difficultés de gouvernance dans d’autres pays d’Afrique. Les dirigeants considèrent l’État comme leur bien personnel et s’accaparent ainsi les ressources du pays. Le statut de président devient celui de « big man », inspiré par une stratégie d’accumulation financière, pour s’assurer une clientèle électorale dépendante. Le Kenya est un bon exemple de gouvernance dite néopatrimoniale, où l’ethnie constitue un mode de mobilisation commode pour les politiciens qui se disputent le pouvoir et les ressources attenantes à celui-ci.</p>
<h2>Le cas du Kenya</h2>
<p>Dans ce pays, les élections de 2007 ont conduit à la mort de 1 000 personnes et provoqué 350 000 déplacés. Les élections organisées le 8 août 2017 se sont déroulées dans un climat relativement serein. Néanmoins, la Cour suprême a décidé, le 1<sup>er</sup> septembre d’invalider les élections au regard des irrégularités de la Commission indépendante électorale. Si cette décision est une avancée démocratique notable, dans l’immédiat, la réorganisation des scrutins a <a href="https://theconversation.com/au-kenya-des-elections-sous-le-signe-des-institutions-fortes-et-des-hommes-forts-85785">radicalisé les différents camps et ethnicisé les discours</a>.</p>
<p>Les racines de l’amalgame patrimonial remontent à l’histoire du pays ; la colonisation britannique s’accompagnait en effet d’une ségrégation territoriale. L’accès à la propriété foncière était défini par l’appartenance communautaire. <a href="https://www.cairn.info/magazine-alternatives-internationales-2008-6-p-31.htm">Claire Médard</a> l’a démontré :</p>
<blockquote>
<p>« C’est bien l’existence d’inégalités matérielles et le fait que ceux qui en sont victimes les interprètent en termes ethniques alors qu’elles résultent d’un clientélisme politique, qui expliquent les violences récentes. »</p>
</blockquote>
<p>Au Kenya, les hommes politiques ont joué sur les réactions identitaires, mais ce sont des enjeux économiques et fonciers qui sont la véritable source des oppositions politiques.</p>
<h2>La question du rapport observateur-observé</h2>
<p>On le voit, l’approche uniquement ethnique exclue toute analyse des évènements ayant conduit au conflit, et les « dépolitise ». De quoi cette lecture est-elle le symptôme ? Comment expliquer qu’elle soit particulièrement répandue dans l’étude des conflits en Afrique ?</p>
<p>Il semblerait qu’au-delà des classifications identitaires, l’analyse dépend du <a href="https://www2.bc.edu/marian-simion/th406/readings/0420anderson.pdf">rapport entre l’observateur et l’observé</a>. La lecture exclusivement ethnique est, en partie, héritière des travaux sur l’anthropologie de la race, élaborée à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Cette littérature refuse de penser le racisme en Afrique comme une idéologie construite politiquement et socialement. L’étude de la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-concept-dethnie-ne-nous-sert-plus-a-rien-64651">trajectoire du concept d’« ethnie »</a> est particulièrement éclairante.</p>
<p>Les Grecs opposaient les « ethnè » et la « polis ». Les sociétés, unies par la culture mais non organisées en cités-États, étaient des « ethnè ». L’ethnologie serait littéralement la science des sociétés qui sont « a-politiques » et qui, à ce titre, ne peuvent être des « sujets » de leur propre histoire. Cette définition « négative » se perpétue dans la tradition ecclésiastique, qui appelle « ethnè » les païens, par opposition aux chrétiens.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=763&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=763&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=763&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Arthur de Gobineau, théoricien des races.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Arthur_de_Gobineau.jpg">Inconnu/Wikimedia</a></span>
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<p>C’est à partir du XIX<sup>e</sup> siècle que le critère racial est intégré. Il faut noter que cette période correspond à la domination européenne sur le reste du monde. Dans l’« Essai sur l’inégalité des races humaines » (1854), le comte de Gobineau utilise l’adjectif « ethnique » d’une façon ambiguë, le mot commençant à désigner par moment le mélange des races, et la dégénérescence qui en résulte. Si l’usage du terme « ethnie » s’est popularisé au détriment d’autres mots comme celui de « nation », c’est sans doute qu’il s’agissait de classer à part certaines sociétés, en leur déniant une qualité spécifique.</p>
<p>Cette qualité, dont l’absence les rendait dissemblables et inférieures aux sociétés européennes, c’est l’historicité ; et, en ce sens, les notions d’« ethnie » et de « tribu » sont liées aux autres distinctions par lesquelles s’opère le grand partage entre anthropologie et sociologie : société sans histoire-société à histoire, société préindustrielle-société industrielle, société sans écriture-société à écriture.</p>
<h2>Jeux de pouvoir</h2>
<p>Il convient de se méfier des explications simplistes et essentialistes où les conflits sont vus comme inhérents aux cultures africaines, déterminés uniquement <a href="https://la-plume-francophone.com/2007/02/11/les-identites-meurtrieres-damin-maalouf/">par les identités</a>. Pourtant, cette lecture continue d’être reprise et guide les commentaires sur les conflits en Afrique. Or, sur ce continent, comme partout ailleurs, l’ethnie n’est pas une réalité figée ou immuable, mais au contraire se trouve en <a href="http://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1991_num_78_291_2886_t1_0270_0000_2">constante évolution</a>. Elle est le fruit d’un continuel processus d’hybridation et de sédimentation historique.</p>
<p>Il faut donc porter notre attention sur les jeux de pouvoir locaux, sur les relations internationales africaines, et sur l’intégration du continent au grand jeu mondial. La lecture exclusivement ethnique est extrêmement réductionniste, très spéculative et profondément fallacieuse. Les variables identitaires, plus que politiques, sont perçues comme suffisantes pour expliquer les mobilisations sociales.</p>
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<p><em>Ce texte est d’abord paru dans l’ouvrage <a href="https://www.youtube.com/watch?v=148b0hwStJc">« Notre monde est-il plus dangereux : 25 questions pour vous faire une opinion »</a>, éditions Armand Colin.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85577/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sonia Le Gouriellec ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>« L’ethnie tue ! » C’est du moins ce que laissent entendre de nombreuses analyses des guerres en Afrique. Trop sommaire.Sonia Le Gouriellec, Chercheur à l'Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole militaire (IRSEM), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/857852017-10-17T19:47:16Z2017-10-17T19:47:16ZAu Kenya, des élections sous le signe des institutions fortes et des hommes forts<p>Les élections kenyanes font l’objet de séquences imprévues, ou du moins singulières, au regard des élections en Afrique. On note, de mai à juillet 2017, un enregistrement volontariste du corps électoral, une première campagne électorale concurrentielle sinon démocratique, un déroulement pacifique d’une journée électorale particulièrement chargée (soit six scrutins) le 6 août dans un climat sensible qui témoignerait d’une « civilisation électorale » en marche. Et, enfin, la décision de la Cour Suprême du 1<sup>er</sup> septembre 2017 d’invalider les élections présidentielles au regard des irrégularités et illégalités de la Commission indépendante électorale (IEBC).</p>
<p>Pourtant, cette vision optimiste autorisée par l’arrêt de la Cour suprême, d’une « institution forte » qui dévoile un Kenya innovant dans le domaine politique se heurte à un scénario pessimiste. Ainsi, le cours des événements témoigne de travers courants en Afrique : les carences des institutions indépendantes en charge des élections et une épreuve de force bipolarisée entre tenants et outsiders, entre les deux principaux candidats et leurs alliances politiques ; un bipartisme de facto déjà présent lors des précédentes élections de 2013, avec un ticket « sortant » U. Kenyatta et W. Ruto de l’alliance dirigée par le parti Jubilee d’une part, le ticket R. Odinga et M. Kalonzo de l’alliance NASA d’autre part.</p>
<h2>Une radicalisation politico-sociale</h2>
<p>Au lendemain du 1<sup>er</sup> septembre et loin des espérances mises dans le ressort moral de la Cour suprême, la campagne électorale ne suit pas un nouveau mode « moralisé », un nouveau cycle un peu à l’image du repentir religieux ritualisé de la campagne électorale de 2013 (l’alliance de U.Kenyatta et W. Ruto, et de leurs ethnies respectives, Kikuyus et Kalenjins, qui s’étaient opposées en 2007-2008 avait pris des formes religieuses). Bien au contraire, les « hommes forts » ont repris l’initiative, en recourant à la violence et aux ressentiments ethniques, aux manipulations et aux pressions institutionnelles, aussi bien de l’administration nationale que régionales à leur service.</p>
<p>Cette radicalisation politico-sociale, cette politisation fortement médiatisée sont moins tempérées, comme lors des précédentes élections, par des moments télévisés consensuels à l’exemple des débats présidentiels désertés par les candidats, ou par la médiation, l’ombre apaisante d’une société civile, des Églises, moins présentes que par le passé. Cette deuxième campagne électorale voit alors se multiplier, des deux côtés, les coups d’éclat, les renversements d’alliances et les ralliements, et les calculs politiciens visant à pousser leurs concurrents à la faute, à les déstabiliser, à les discréditer : la <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20170915-kenya-colere-gronde-rangs-jubilee-parti-kenyatta">volonté de Jubilee</a>, de mener, coûte que coûte, la réforme de la loi électorale, puis la <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20171014-kenya-declaration-conference-londres-raila-odinga">décision de R. Odinga</a> de ne pas participer aux élections prévues le 26 octobre, sans une réforme de l’IEBC, puis de se retirer s’inscrivent dans ces nouvelles règles politiques et calculs politiciens à risques pour eux-mêmes et plus encore pour la société, l’économie kenyane.</p>
<h2>Le sentiment dangereux du « perdant sans honneur »</h2>
<p>Aussi tous les scénarios avancés deviennent problématiques d’autant qu’ils rappellent ceux déjà vécus dans le passé (en 1992, en 1997 et plus encore en 2007-2008), craints et intériorisés dans les mémoires et imaginaires : en particulier, la peur de voir la nouvelle séquence électorale s’enliser dans une épreuve de force qui, en se radicalisant, ouvrirait un cycle de violence, de manifestations et de répression policière, d’affrontements interethniques.</p>
<p>Avec, au final, deux échéances probables. D’abord une crise constitutionnelle, l’infaisabilité des élections en raison d’un boycott d’une partie de l’électorat dans certains bastions. Ensuite, au soir des élections du 26 octobre prochain, et quel que soit le « vainqueur sans gloire », le sentiment du « perdant sans honneur » d’avoir été volé d’une victoire dans un pays divisé en deux selon des lignes géographiques politico-ethniques.</p>
<p>De plus, le contexte social et géopolitique guère favorable peut se prêter à une montée aux extrêmes : les pénuries alimentaires, les protestations professionnelles, les difficultés financières de l’État, les frustrations sociales composent un cocktail explosif. Sans compter les <a href="http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/10/16/a-mogadiscio-un-attentat-meurtrier-met-fin-au-printemps-somalien_5201382_3212.html">perturbations régionales des Chebabs</a>.</p>
<h2>Des partis politiques dédouanés</h2>
<p>Pour comprendre les dynamiques d’un tel piège en cours, il faut prendre la mesure de l’événement, la nature de la décision de la Cour suprême et son contexte, ensuite intégrer une moyenne durée, les crises (et leur gestion) pré-, post-électorales du passé présent (de la démocratisation des années 1990 à celle de 2007-8) qui restent la matrice de la culture politique en œuvre.</p>
<p>L’arrêt de la Cour suprême a éclipsé deux aspects importants, souvent occultés, qui pèsent sur la séquence politique en cours. D’une part, bien qu’assurément symbolique, en remettant à zéro le chronomètre électoral, la décision est restée politiquement mesurée, volontairement ou involontairement. À défaut d’avoir eu accès au serveur central de l’IEBC, une demande formulée deux fois sans succès, la Cour a mesuré toute l’étendue des fraudes, des manipulations, des intrusions, des défauts dans les formulaires et PV, mais elle n’a pas donné une définition systémique et intentionnelle de la fraude, ni mesuré ses dimensions pouvant affecter le résultat final. C’est donc l’IEBC, sa direction et ses relais technologiques qui, eux seuls, sont visés.</p>
<p>Dans ces conditions, les partis ont été dédouanés de toute responsabilité dans ce raté électoral. Ne restent alors que des suspicions, la dénonciation médiatique et politicienne soit d’un complot systémique, soit d’un « coup civil » une sorte de « coup d’État de la société civile », des thèses avancées par les deux camps. Certes, le <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20171014-kenya-opposition-desarme-pas-le-processus-electoral-continue">parti vaincu, NASA</a>, « victime » de la fraude a bénéficié sur le moment de cette nouvelle donne : une <a href="https://www.the-star.co.ke/news/2017/08/01/uhuru-3-ahead-of-raila-ipsos-finds-in-last-poll-before-tuesday-vote_c1608569">majorité de l’opinion publique</a> est alors favorable à un retour aux urnes mais semble se détourner des mobilisations de force. Quant au parti gagnant, Jubilee « bénéficiaire » de la fraude, bien que suspect, il n’est pas délégitimé d’autant qu’il bénéficie d’un leadership national acquis dans les autres scrutins.</p>
<p>D’autre part, la décision de la Cour suprême n’a pas remis en cause les autres scrutins, les élections des gouverneurs, des députés, des sénateurs, des représentants des femmes et des conseils de comtés : ces élus déjà installés offrent une forte majorité pour le parti Jubilee d’U. Kenyatta, les totaux des votes en faveur de ses candidats sont bien supérieurs à son score national. Certes, les recours et pétitions suivent une voie normale : 288 pétitions (187 en 2013), portant sur près de la moitié des comtés (gouverneur) sur un tiers des circonscriptions parlementaires, mais ces contentieux concernent des territoires plutôt acquis à l’opposition NASA. Au demeurant le scrutin le moins contesté est celui des Conseils de Comté (9 %) pour lequel les critères de leadership et de notoriété locale semblent s’imposer.</p>
<h2>Un alignement ethnique renforcé</h2>
<p>Aussi la décision de la Cour, qui sans conteste participe à la construction de la démocratie sur la longue durée, a des effets complexes, sinon contreproductifs, et de nature conflictuelle dans le présent. Ainsi le deuxième tour électoral-juridique a certes invalidé les élections, mais il n’a pas disqualifié les candidats. Les supporters des deux partis-alliances ont, tour à tour, fêté leur victoire et expérimenté un sentiment d’humiliation, ce qui ne fait que renforcer l’alignement ethnique préexistant, les identifications politiques et ethniques-tribales confondues.</p>
<p>De plus, la campagne politique qui a repris pour le parti Jubilee dès l’annonce de l’invalidation et qui ne s’est jamais arrêtée pour le parti NASA, n’a guère changé les consciences, elle les a plutôt figées.</p>
<p>Les stratégies politiques en miroir passent toujours par la consolidation des bastions électoraux et la mobilisation ethnique, par la conquête d’un électorat indécis dans des comtés en balance ou villes cosmopolites, par l’affaiblissement de l’adversaire au moyen de cooptations, de renversements de fidélités, par une présence médiatique enfin par le marché de la mobilisation qui suppose des moyens financiers, apparemment inégaux à la faveur de Jubilee.</p>
<h2>La généralisation des discours de haine</h2>
<p>Sur le fond, les lignes idéologiques et les pratiques n’ont guère changé, plutôt inspirées par les années 1990. D’un côté, U. Kenyatta et W. Ruto poursuivent une campagne de présidentiable jouant sur leur capacité de redistribution, assurée cette fois-ci du relais de leurs élus, selon un registre inspiré des campagnes des Présidents sortants ; d’un autre côté, R. Odinga continue sa campagne de pression, relancé au lendemain de l’annonce des résultats selon un registre inspiré par les mobilisations des droits de l’homme des années 1990.</p>
<p>Cette bipolarisation laisse libre cours à une radicalisation, à des dérapages des leaders, à des discours incendiaires de la part d’électrons libres mais proches des partis, à une montée en puissance des jeunes militants. D’une façon insidieuse, les discours de haine se généralisent sur les réseaux sociaux, même s’ils sont bridés officiellement ou dénoncés par les médias, la société civile, les églises… Cette violence réelle, bien qu’isolée mais médiatisée et théâtralisée, pose la question de la sécurité publique alors que les cadres de sécurité publique semblent défaillants, et que circulent les rumeurs de retour des milices. Celles-ci ont pris part aux violences de 2007-2008, en situation de crise, et leur retour en politique ou leur instrumentalisation sont régulièrement annoncés, en particulier pour les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mungiki">Mungikis</a>.</p>
<h2>Quelle sortie de crise ?</h2>
<p>Au-delà de ses dynamiques piégeuses, se joue et se rejoue donc au Kenya un épisode entre la survie-affirmation d’institutions fortes et la reproduction des hommes forts, d’une certaine culture politique. Le discours de B. Obama – « l’Afrique a besoin d’institutions fortes » – et ses critiques sur les dérives du pouvoir personnel trouvent en cette occasion une nouvelle illustration. Pourtant, dans une période qui reste de facto une transition politique, le Kenya a tout à gagner à marier, à ménager une telle rigueur constitutionnelle sinon morale et l’engagement politique voire personnel de ses leaders et partis politiques. Cet équilibre instable, et par nature souvent conflictuel dans toute démocratie, repose sur des acteurs, tant sur les autorités morales judiciaires que sur les leaders et la classe politique dont les choix peuvent peser sur la situation et qui sont aussi responsables des dérives craintes.</p>
<p>L’interprétation de cet horizon incertain, des violences inquiétantes bien que d’intensité basse mais à forte tension émotionnelle, une bipolarisation radicalisée avec à terme une crise constitutionnelle, reste ouverte. Cette instabilité résulte-t-elle d’un concours de tendances non contrôlées, dans la suite logique de la campagne et du raté électoral ou/et découle-t-elle d’une stratégie de tensions contrôlée visant à perturber les résultats des élections, la participation électorale, à bloquer les élections… ? Ou précède-t-elle une « négociation démocratique », un pacte entre leaders ? L’histoire des années 1990 et 2007-2008 révèle que de tels scénarios ont été vécus mais aussi pratiqués sinon pensés.</p>
<h2>Quel est le poids des garde-fous ?</h2>
<p>Ces inconnues dans les dynamiques actuelles soulèvent la question des garde-fous, qui depuis la Constitution de 2010 ont été mis en place et jouent ou pourraient jouer l’apaisement. Les acteurs élus et bénéficiaires d’un renouvellement politique à l’échelle locale, régionale n’ont pas intérêt d’un approfondissement d’une crise, il en est de même des intérêts économiques ou des classes moyennes qui s’inquiètent de l’impact de la crise, alors que la société civile et certains acteurs politiques transversaux (<a href="https://www.standardmedia.co.ke/article/2001257161/francis-atwoli-clarifies-that-dialogue-does-not-mean-power-sharing">voir l’Appel des Vétérans politiques à l’initiative de F. Atwoli (Cosetu) du 12 octobre</a>) commencent à dénoncer les violences des deux camps et que la population garde en mémoire les violences de masse de 2007-2008.</p>
<p>De tels facteurs modérateurs qui agissent en profondeur, sont-ils opérants quand les acteurs du moment, les passions, la peur et les crispations identitaires s’imposent, quand l’événement prend le dessus ? Assurément et en ces circonstances, le pays a besoin autant « d’hommes forts », « d’hommes d’État » que « d’institutions fortes ». Mais, en la matière, les définitions comme les attentes diffèrent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85785/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Thibon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les « hommes forts » ont repris l’initiative au Kenya en recourant à la violence et aux ressentiments ethniques, aux manipulations et aux pressions institutionnelles.Christian Thibon, professeur d'histoire contemporaine, Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/834742017-09-10T21:25:50Z2017-09-10T21:25:50ZSécheresse record et crise alimentaire dans la Corne de l’Afrique : il est possible de mieux prévoir pour agir<p>La Corne de l’Afrique – principalement la Somalie, l’Éthiopie et le Kenya – est actuellement frappée par une sécheresse d’une <a href="https://fewsnet.maps.arcgis.com/apps/MapSeries/index.html?appid=dc5052e13ad14a7b8daca1da0880c04d">très grande ampleur</a> due à des pluies historiquement basses et à des températures élevées.</p>
<p>Le réseau <a href="https://www.fews.net/fr">Famine Early Warning System</a> (FEWS) rapporte ainsi que les précipitations enregistrées lors de la petite saison des pluies, d’août à octobre 2016, et de la saison principale, de mars à mai 2017, ont été historiquement basses sur de vastes zones. La région centrale de la Somalie a, par exemple, reçu entre juin 2016 et mai 2017 seulement 40 % des pluies constatées en temps normal (comparé à la période 1981-2010), avec un déficit particulièrement fort en 2016. Cette sécheresse s’avère être, par endroits, la pire observée depuis 35 ans.</p>
<h2>Sécheresse et changement climatique</h2>
<p>À l’évocation de cette sécheresse particulièrement intense, on s’interroge sur le rôle du changement climatique. Cette sécheresse se serait-elle produite s’il y avait moins d’émissions de <a href="https://theconversation.com/gaz-a-effet-de-serre-50156">gaz à effet de serre</a> par l’homme ?</p>
<p>Cette question complexe nécessite une étude approfondie. Une première équipe de chercheurs a ainsi étudié la question en se penchant sur les cas du <a href="https://cdkn.org/wp-content/uploads/2017/06/The-drought-in-Kenya-2016-2017.pdf">Kenya</a> et de la <a href="https://wwa.climatecentral.org/analyses/somalia-drought-2016-2017/">Somalie</a> ; elle conclut que les températures élevées de 2016 sont dues très probablement au changement climatique ; on ne peut en revanche conclure en ce sens quant à la baisse des pluies.</p>
<p>Une <a href="http://journals.ametsoc.org/doi/10.1175/JCLI-D-16-0558.1">autre étude</a> rétrospective sur la période 1979-2013 montre quant à elle que les épisodes de sécheresse récurrents en Afrique de l’Est ces dernières années seraient dus à une conjugaison des effets du changement climatique d’origine anthropique avec ceux (naturels) du phénomène météorologique <a href="https://theconversation.com/el-nino-quest-ce-que-cest-47645">El Niño</a>. Ici encore, l’action du changement climatique est un des facteurs mais n’explique pas tout.</p>
<h2>Une crise alimentaire importante</h2>
<p>Le deuxième volet de cette crise est humain, comme le soulignent plusieurs rapports d’ONG et d’organisations internationales. On observe, en effet, une situation de crise alimentaire forte dans la zone avec 3,1 millions de personnes en Somalie, dont la situation alimentaire atteindra jusqu’en décembre 2017 le niveau d’alerte ou d’urgence (niveau 3 ou 4 sur une échelle de 5) et 859 000 personnes déplacées entre novembre 2016 et août 2017, si l’on se réfère aux <a href="https://www.usaid.gov/sites/default/files/documents/1866/hoa_ce_fs09_08-31-2017.pdf">données diffusées par USAID</a> en août 2017.</p>
<p>La Somalie et le sud de l’Éthiopie sont les régions les plus frappées. Si la situation est préoccupante au Kenya, elle reste moins critique. Sur la période de juin à septembre 2017, le réseau FEWS ne déclare aucune région dans la catégorie la plus extrême. Certaines zones de Somalie pourraient cependant passer en état de famine d’ici à la fin de l’année, notamment en cas d’interruption de l’aide humanitaire.</p>
<h2>Une crise alimentaire, des causes multiples</h2>
<p>Le lien entre sécheresse et crise alimentaire, dans une région où l’agriculture est principalement non irriguée, semble à première vue évident : des récoltes mauvaises à cause du manque de pluie, du bétail ayant peu ou plus de pâturage et d’eau.</p>
<p>Le lien n’est pourtant pas si direct et les processus aboutissant à des famines sont bien plus complexes. Pour les spécialistes qui se réclament des travaux du philosophe et économiste indien <a href="http://staging.ilo.org/public/libdoc/ilo/1981/81B09_608_engl.pdf">Amartya Sen</a>, les famines ont de multiples causes institutionnelles et ne correspondent pas nécessairement à des crises de production ; selon la théorie malthusienne, elles sont imputables à la démographie. Plus récemment, ce sont les causes environnementales, notamment climatiques, qui sont pointées du doigt : cet aspect suscite un grand intérêt dans la littérature académique depuis les grandes sécheresses des années 1970.</p>
<p>Pour autant, certains auteurs (à l’image de l’historien <a href="http://wires.wiley.com/WileyCDA/WiresArticle/articles.html?doi=10.1002%2Fwcc.395">Philip Slavin</a>) soutiennent qu’on a tendance à surévaluer le rôle du climat dans la genèse des famines ou des guerres. C’est ce que Mike Hulme nomme le <a href="http://www.mikehulme.org/wp-content/uploads/2010/12/Hulme-Osiris-revised.pdf"><em>réductionnisme climatique</em></a> et qu’il inclut dans le prolongement de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_des_climats">théorie des climats</a>, en vogue au début du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Il est évident que les paramètres climatiques (pluie, température) influencent les niveaux de production, mais les chocs climatiques mènent « seulement » à des disettes, c’est-à-dire à des déficits de production importants, mais pas à des famines. Le passage de la disette à la famine est lié à des facteurs anthropologiques et démographiques : ce sont eux qui empêchent la mise en place de mécanismes d’atténuation classique (stocks, importations ou aides externes).</p>
<p>Dans cette crise alimentaire qui frappe la Corne de l’Afrique, il faut ainsi rappeler que la Somalie est fortement sujette à des conflits armés. Récurrents depuis une vingtaine d’années, ils ont de multiples répercussions, comme la difficulté de diffuser les importations de denrées alimentaires pour pallier le déficit de production. De même, ces conflits impliquent entre autres les <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?download=1&ID_ARTICLE=STRAT_103_0139">islamistes Chabab</a> qui interdisent l’arrivée de l’aide humanitaire dans certaines zones. Enfin, la Somalie possède des structures étatiques très faibles qui ne lui permettent pas de gérer efficacement ce type de choc de production.</p>
<h2>Prévoir les sécheresses</h2>
<p>Une approche globale pour tenter de prévenir de telles crises s’avère indispensable. Il faut agir à la fois sur les aspects socio-économiques (renforcement des États, sécurisation des zones de conflits, politiques de développement inclusives, etc.) et sur les aspects environnementaux.</p>
<p>Le déficit de pluie des deux saisons (août à octobre 2016 et mars à mai 2017) avait été prévu de façon assez juste lors des forums GHACOF (Greater Horn of Africa Climate Outlook Forum) de <a href="http://www.icpac.net/wp-content/uploads/GHACOF44_Statement.pdf">2016</a> et <a href="http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/GHACOF_45_Bulletin_14_FEB_2017_1.pdf">2017</a>. Ces réunions d’experts, qui se tiennent périodiquement pour chaque région d’Afrique, permettent de produire une prévision des pluies attendues pour la saison à venir (tendance plutôt humide, normale ou sèche).</p>
<p>Si ces prévisions sont loin d’être parfaites, les deux saisons en question avaient bien été annoncées comme plutôt déficitaires. « La prévision saisonnière indique que la plupart des pays de la région va connaître une baisse de la pluie durant la saison des pluies de mars-avril-mai 2017 », prédisait le <a href="http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/GHACOF_45_Bulletin_14_FEB_2017_1.pdf">rapport du forum</a> dès février 2017. Et de préciser : « Ces pluies inférieures à la moyenne vont probablement avoir un impact négatif sur la sécurité alimentaire et la disponibilité en eau dans la région ».</p>
<p><a href="https://www.nat-hazards-earth-syst-sci.net/15/895/2015/nhess-15-895-2015.pdf">De telles prévisions</a> avaient déjà été formulées dans le cas de la famine de 2011 en Somalie et s’étaient vérifiées. Malheureusement, si elles sont en général accompagnées de conseils aux agriculteurs, elles restent très fréquemment inconnues du milieu rural. Les usagers pourraient portant en tirer un bénéfice certain en adaptant leurs pratiques : choix de variétés résistantes, ajustement des achats d’engrais, etc. Améliorer la diffusion de ces informations et leur appropriation par les agriculteurs est ainsi fondamental pour le futur. Mais là encore, certaines conditions socio-économiques (absence de conflits, accès aux engrais et marchés, par exemple) doivent être favorables pour que les dispositifs mis en place portent pleinement leurs fruits.</p>
<h2>Agir à temps</h2>
<p>On pourra également regretter que ces prévisions, conjuguées à un bilan de la situation, ne permettent pas une action d’urgence plus rapide. Bien connu, ce problème est observé lors de nombreuses catastrophes naturelles, en particulier lors d’inondations : l’aide arrive souvent trop tardivement. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit ces dernières semaines lors des inondations en <a href="http://www.nigerinter.com/2017/08/sierra-leone-appel-a-laide-du-president-apres-des-inondations-catastrophiques/">Sierra Leone</a>.</p>
<p>Mais des solutions existent.</p>
<p>Citons à ce titre un mécanisme innovant, le <em>forecast based financing</em>, développé notamment par le centre climatique de la Croix-Rouge. Mis en place dans différentes régions du monde, il a récemment montré son utilité en <a href="http://www.climatecentre.org/news/657/a-humanitarian-historya-made-as-uganda-red-cross-launches-forecast-based-financing-for-real">Ouganda lors des inondations</a> de 2015. Lorsqu’une prévision donnée dépasse un seuil d’alerte défini, des fonds – d’un bailleur vers un acteur implanté dans la zone (en l’occurrence, la Croix-Rouge ougandaise) – sont automatiquement débloqués pour pouvoir apporter aux populations touchées l’aide nécessaire (kit de potabilisation de l’eau, par exemple).</p>
<p>Ce mécanisme, en phase de développement, laisse ainsi espérer une arrivée plus rapide de l’aide sur les zones en crise dans un futur proche. Il nécessite cependant que le bailleur et les autorités impliquées intègrent et acceptent que la prévision puisse amener parfois à agir en vain. C’est un coût politique et économique qu’il faut assumer. Un pas dans ce sens a peut-être été fait récemment en Éthiopie avec la création, en août 2017, d’un comité spécial sur les sécheresses, dont l’objectif vise à atténuer les crises, lorsque celles-ci sont prévues et imminentes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/83474/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Roudier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des pluies historiquement basses et des températures élevées ont provoqué en Somalie, en Éthiopie et au Kenya une sécheresse intense. Mais des solutions existent pour en prévenir les conséquences.Philippe Roudier, Chargé de recherche agriculture, climat et sécurité alimentaire, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/715132017-01-24T21:45:06Z2017-01-24T21:45:06ZLa finance verte permet-elle aux investisseurs de faire de la finance d’impact ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/153833/original/image-20170123-8055-1hovta1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'émission de green bonds peut-elle réellement avoir un impact sociable durable ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/tr%C3%A9sorerie-argent-richesse-actifs-1169650/">Bykst/Pixabay</a></span></figcaption></figure><p>La France <a href="http://www.novethic.fr/isr-et-rse/actualite-de-lisr/isr-rse/la-france-lance-sa-premiere-green-bond-144232.html">vient d’annoncer</a> début 2017 le lancement de son premier emprunt obligataire « vert » ou green bonds. Le montant n’a pas été dévoilé mais il se chiffrera en milliards d’euros, constituant ainsi le premier emprunt souverain d’une telle ampleur.</p>
<p>Auparavant, fin 2016, la <a href="http://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/0211588316908-la-pologne-leve-750-millions-deuros-avec-son-green-bond-2050052.php">Pologne avait lancé</a> sa première Green Bonds pour environ 750 millions d’euros. L’intérêt des <a href="http://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_fonds-souverain.html">fonds souverains</a> (fonds contrôlés par un État) pour ce type de <a href="https://theconversation.com/pourquoi-et-comment-la-finance-doit-revenir-a-plus-de-responsabilite-68251">financement d’investissement</a> démontre bien son déploiement rapide.</p>
<h2>Un marché de niche qui pourrait exploser</h2>
<p>Une <a href="http://www.novethic.fr/lexique/detail/green-bond.html">green bond</a> est un emprunt obligataire qui a pour but de financer un projet à vocation environnementale ou « vert ». Au même titre que l’emprunt obligataire classique, les green bonds concernent ainsi le marché des entreprises privées et des souverains. Ce marché représente en 2016 environ <a href="http://www.greenunivers.com/2017/01/standardpoors-va-noter-les-green-bonds-155849/">170 milliards de dollars US, soit un peu moins de 1 %</a> du marché obligataire total. Ceci est encore vu comme un marché de niche, mais le potentiel de développement est énorme et a littéralement <a href="http://www.lesechos.fr/02/08/2016/LesEchos/22246-094-ECH_vers-une-cinquieme-annee-record-pour-le-marche-des-obligations-vertes.htm">explosé</a> sur les trois dernières années et depuis l’accord de Paris.</p>
<p>L’effet COP22 à Marrakech a également permis aux pays africains de s’intéresser de plus près aux émissions d’obligations vertes. Pour exemple, le Maroc, pays hôte de la COP22 <a href="http://www.novethic.fr/isr-et-rse/actualite-de-lisr/isr-rse/une-finance-climat-africaine-emerge-au-climate-finance-day-du-maroc-144144.html">a lancé depuis début novembre 2016</a> via plusieurs banques ou entreprises publiques des green bonds pour un montant total avoisinant les <a href="http://www.jeuneafrique.com/372406/societe/maroc-se-met-a-lendettement-vert">150 millions d’euros</a>. D’autres pays ou institutions africaines comme le <a href="http://www.nation.co.ke/business/Bank-to-float-first-bond-to-fund-green-investments/996-3336644-yxqk6h/index.html">Kenya</a>, le <a href="http://www.afriqueexpansion.com/environnement2/2905-nigeria-les-green-bonds-pourraient-financer-la-transition-vers-une-economie-decarbonee.html">Nigeria</a> ou la <a href="http://www.afdb.org/fr/topics-and-sectors/initiatives-partnerships/green-bond-program">banque africaine de développement</a> (BAD) se penchent aussi sur la question.</p>
<h2>Comment fonctionnent les green bonds ?</h2>
<p>La différence opérante entre une émission obligataire classique et une émission de green bonds est l’impact environnemental attendu par l’investissement. Rattachée plutôt directement à la direction générale qu’à la direction de la trésorerie de l’entreprise (compte tenu de l’effet réputation en jeu), la green bond constitue un très bon véhicule pour mesurer la performance environnementale d’un projet d’investissement (financement d’un parc éolien, de la mise en place de sites d’énergies renouvelables, d’infrastructures vertes…).</p>
<p>Au-delà de cette différence majeure, une green bond permet également de flécher les montants levés vers des activités spécifiques, d’évaluer le risque environnemental d’un projet, de tracer les flux depuis la trésorerie centrale (rapport audité par un tiers qui doit permettre un suivi des flux au sein du bilan de l’émetteur) et de bénéficier d’un reporting fréquent sur l’utilisation des fonds (le manque de transparence pouvant aller jusqu’à l’exclusion du bond de l’univers d’investissement).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/153834/original/image-20170123-8085-2jec2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/153834/original/image-20170123-8085-2jec2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/153834/original/image-20170123-8085-2jec2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/153834/original/image-20170123-8085-2jec2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/153834/original/image-20170123-8085-2jec2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/153834/original/image-20170123-8085-2jec2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/153834/original/image-20170123-8085-2jec2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les green bonds peuvent financer des parcs à éoliennes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/%C3%A9oliennes-norfolk-puissance-1117890/">Diego Torres/Pixabay</a></span>
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<p>L’intérêt pour les investisseurs est multiple. Celui-ci saura exactement dans quel projet est investi son épargne (« je sais ce que je finance ») et pourra donc juger de la qualité des émetteurs via les différentes évaluations de risque environnemental du green bond et de l’émetteur en général. Pour les émetteurs, l’intérêt réside surtout dans une démarche de communication et de légitimité (le contexte contraignant quelque peu les entreprises face à la demande d’impact des investisseurs). Ils peuvent ainsi prouver leur démarche durable jusqu’au financement de projets, mettant en lien les discours et les actions. Cela permet également d’instaurer un dialogue plus direct entre les investisseurs et les émetteurs que par un financement par capitaux propres (émissions d’actions) qui ne permet pas d’identifier systématiquement les projets d’investissement.</p>
<h2>Quel impact réel sur l’environnement ?</h2>
<p>Cependant, la question de la mesure d’impact se pose. Comment évaluer le bénéfice environnemental d’un projet d’investissement ? La solution se trouve-t-elle dans l’application standard d’un outil de mesure ou dans la mesure ad hoc de chaque projet (chaque projet financé étant différent) ? L’avantage réside dans le fait que chaque green bond est différent et donc que la mesure d’impact environnemental se fera plus certainement par projet (entre les attentes du projet, sa réalisation et ses résultats). Souvent, l’effort de mettre en place une green bond engage que l’émetteur demande une rémunération supplémentaire à l’investisseur pour compenser le coût généré par cet effort. Le <em>pricing</em> est donc <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2015-09-18/investors-are-paying-extra-for-environmentally-friendly-bonds-barclays-says">complexe</a>, sachant que les investisseurs ne sont pas toujours prêts à payer plus cher <a href="http://www.triplepundit.com/2015/09/investors-paying-market-rates-green-bonds">pour un projet qui aurait pu être financé par une obligation classique</a>.</p>
<p>Ceci peut créer un déséquilibre sur l’offre et la demande, <a href="http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/les-green-bonds-un-modele-a-developper-877433.html">mais comme pour le cas de l’investissement responsable en actions</a> les investisseurs verts sur le marché des bonds sont souvent prêts à payer plus cher et ne priorisent pas le prix.</p>
<h2>Le marché chinois domine</h2>
<p>Actuellement, et comme pour l’investissement responsable, le marché des green bonds est concentré dans les mains des investisseurs institutionnels et des sociétés de gestion. De plus, la grande majorité des green bonds émises le sont par le marché chinois, <a href="http://www.agefi.fr/asset-management/actualites/etude-texte-reference/20160628/chine-s-impose-marche-green-bonds-188428">qui absorbe près de la moitié des encours émis en 2016</a>. Le marché chinois étant réservé aux investisseurs locaux, cela ne permet pas réellement d’étendre plus largement le marché. <a href="http://www.novethic.fr/fileadmin/user_upload/tx_ausynovethicetudes/pdf_complets/etude-greenbonds-2016.pdf">Selon Novethic</a>, certaines green bonds sont par ailleurs trop petites en taille pour permettre à certains grands fonds de les souscrire. Enfin, le problème de la fiscalité peut poser également des problèmes aux investisseurs : par exemple les green bonds américaines <a href="http://www.novethic.fr/fileadmin/user_upload/tx_ausynovethicetudes/pdf_complets/etude-greenbonds-2016.pdf">ne seront pas intéressantes</a> en termes de fiscalité pour les investisseurs européens car leur fiscalité n’est avantageuse
que pour les investisseurs basés aux États-Unis.</p>
<p>Le marché des green bonds permet-il donc aux investisseurs de mettre plus d’impact dans leurs investissements ? Les exigences de transparence promues par les <a href="http://www.icmagroup.org/Regulatory-Policy-and-Market-Practice/green-bonds/green-bond-principles/">Green Bond Principles</a>, de reporting, de traçabilité des flux et de mesure d’impact environnemental le permettent clairement. Mais le marché doit s’étendre à des thèmes plus larges que les stratégies « bas carbone » pour aller également vers le financement de la gestion de l’eau, la déforestation, la préservation des territoires et des écosystèmes…</p>
<p>La bulle née de l’accord de Paris sur les enjeux climatiques « 2 degrés » ne doit pas vampiriser le débat des green bonds, même si elle a le mérite de lancer le débat puisque ces pratiques se développent maintenant au-delà de la COP22 de 2016.</p>
<p>Au-delà de l’environnement, le modèle « green bond » doit aussi s’exporter sur les enjeux sociaux (insertion sociale via le logement et l’emploi, enjeux de la santé, projets associatifs ou humanitaires, capital humain…). Le marché des <a href="https://theconversation.com/les-obligations-a-impact-social-arrivent-en-france-laction-sociale-peut-elle-etre-rentable-62337">« social impact bonds »</a> permettra-t-il aux enjeux sociaux de pouvoir être financé dans un objectif de traçabilité, de reporting et de mesure d’impact ?</p>
<p>Pour cela, il devra sortir de la controverse qui l’entoure autour du désengagement de l’État des politiques sociales publiques et associatives au bénéfice des entreprises privées et donc du débat sur la financiarisation des enjeux sociaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/71513/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Revelli est conseiller scientifique du M.Sc Finance de Kedge Business School "Ingénierie ESG - Finance for A New Growth" et membre de la Chaire de recherche AG2R LA MONDIALE "Finance autrement : Investissement, Solidarités, Responsabilité".</span></em></p>Le marché des green bonds, émissions d’actions dites « vertes » est en pleine croissance. Quel est leur impact sociétal et environnemental réel ?Christophe Revelli, Professeur de finance responsable et conseiller scientifique du MSc Finance de Kedge Business School, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/712312017-01-20T00:12:10Z2017-01-20T00:12:10ZFamille et politique : Donald Trump est-il (vraiment) le « premier président africain des États-Unis » ?<p>La nomination de <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2016/nov/16/jared-kushner-ivanka-trump-transition-team-chris-christie">Jared Kushner</a>, gendre et désormais conseiller du Président Donald Trump a suscité la polémique. Aux yeux de certains, l’arrivée à la Maison Blanche du mari d’Ivanka, la « fille préférée » de Trump, confirmerait le penchant mégalo-népotique du futur président, et renforcerait le <a href="http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/elections-americaines/20161114.OBS1168/10-choses-a-savoir-sur-steve-bannon-l-inquietant-bras-droit-de-donald-trump.html">clan de ses conseillers milliardaires</a>.</p>
<p>Cette nomination indigne d’autant plus les commentateurs qu’elle officialise l’influence d’un homme qui n’avait jusqu’alors rien de politique, ni carrure, ni expérience. Face à la propulsion de la famille Trump au cœur du pouvoir, les craintes de voir une nouvelle oligarchie assiéger les institutions démocratiques s’aiguisent.</p>
<h2>Du népotisme africain au népotisme américain ?</h2>
<p>L’arrivée à la Maison Blanche du gendre Trump ne fait pas seulement redouter une évolution vers un <a href="http://time.com/4574971/donald-trump-transition-jared-kushner-legal-anti-nepotism-law/">népotisme qu’on croyait périmé</a> (depuis l’affaire Robert Kennedy en 1967). Elle ravive la satire de l’humoriste sud-africain et présentateur du très critique <em>Daily Show</em>, Trevor Noah, qui décrivait le candidat Trump comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=2FPrJxTvgdQ">« le premier président africain des États-Unis »</a>. La comparaison est lâchée : le goût pour l’oligarchie du Président américain le rapprocherait de ses homologues africains, cités à vau-l’eau comme les incarnations vivantes du dé-tricotage de l’État démocratique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2FPrJxTvgdQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le continent africain est souvent brandi comme le triste flambeau des oligarchies familiales, comme en Guinée Équatoriale ou en Angola, où les familles respectives des présidents Teodoro Obiang Nguema Mbasogo et José Eduardo Dos Santos, tous deux au pouvoir depuis 1979, contrôlent des institutions minières clés ; au Burkina Faso, la famille du président Blaise Compaoré, resté au pouvoir de 1987 à 2014, est fortement ancrée dans la politique locale ; au Botswana, la famille Khama continue de régner sur le pays depuis son indépendance en 1966.</p>
<p>Toutefois, l’image d’un Donald Trump « premier Président africain des États-Unis » peut être trompeuse. Car la famille en politique est moins le signe d’ambitions népotiques qu’elle ne révèle le manque de soutiens institutionnels solides. Les récents développements politiques au Kenya, en Ouganda et en République démocratique du Congo démontrent le rôle stratégique des coalitions politiques familiales pour tenir, et surtout retenir un pouvoir instable.</p>
<p>Mais si parallèle il y a entre Donald Trump, et Uhuru Kenyatta, Yoweri Museveni et Joseph Kabila (ses homologues kenyan, ougandais et congolais), il ne se situe pas dans le goût de la généalogie, mais plutôt dans les conditions de leur arrivée au pouvoir. Pour chacun d’entre eux, la famille a servi de fondement à une présidence aussi fragile qu’inattendue.</p>
<h2>La famille contre l’isolement politique</h2>
<p>La constitution de famille en politique signale d’abord l’imprévu. Quand Jomo Kenyatta devient le premier président du Kenya indépendant, en 1963, il sort à peine de longues années d’isolement politique. Emprisonné par les autorités coloniales britanniques de 1953 à 1961, il est coupé du fonctionnement des nouvelles institutions, se retrouve à la tête d’un parti où la méfiance règne, dépend de son adversaire, le nationaliste <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tom_Mboya">Tom Mboya</a>, pour quadriller son territoire politique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/153263/original/image-20170118-26567-1sow59i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/153263/original/image-20170118-26567-1sow59i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=861&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/153263/original/image-20170118-26567-1sow59i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=861&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/153263/original/image-20170118-26567-1sow59i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=861&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/153263/original/image-20170118-26567-1sow59i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1082&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/153263/original/image-20170118-26567-1sow59i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1082&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/153263/original/image-20170118-26567-1sow59i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1082&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’ancien président du Kenya, Jomo Kenyatta.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jomo_Kenyatta.jpg">Wegmann, Ludwig</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p><a href="http://www.ipsos.co.ke/NEWBASE_EXPORTS/Standard%20Chartered%20Bank2/150808_The%20People%20Saturday_27_9ecb8.pdf">Un influent collaborateur, Duncan Ndegwa, le confiera</a> plus tard : Jomo Kenyatta ressortit de cette période comme un homme « qui n’a jamais aimé travailler en groupe. Il dépendait d’individus cooptés, et à travers qui il étendait son influence ». (Duncan Ndegwa, <em>Walking in Kenyatta Struggles</em>, 2011, p.256).</p>
<p>Pour compenser son isolement, Kenyatta choisit les réseaux personnels, et tout particulièrement familiaux, comme soutiens et intermédiaires de confiance. À l’instar de son père, l’actuel président Uhuru Kenyatta a su convertir l’isolement en atout politique, en trouvant dans le <a href="http://theconversation.com/lafrique-et-la-cour-penale-internationale-chronique-dun-divorce-annonce-68040">procès intenté par la Cour pénale internationale</a> l’impulsion nécessaire pour s’imposer aux présidentielles de 2011, et faire perdurer l’empire familial légué par son père.</p>
<h2>La famille comme remède de fin de vie politique</h2>
<p>En Ouganda et en République démocratique du Congo, la famille s’est faite politique sur les cendres encore chaudes de l’instabilité et de la violence. Arrivé au pouvoir par les armes en 1986, le président ougandais Yoweri Museveni s’est démarqué par un autoritarisme croissant, fondé sur l’exaltation de son leadership et de l’appareil sécuritaire. Aujourd’hui, la militarisation de son régime ne compense plus totalement un <a href="http://democracyinafrica.org/done-with-one-election-on-to-the-next-museveni-looks-to-the-future/">régime clientéliste de plus en plus coûteux et de plus en plus incertain</a> : après avoir levé en 2005 la limite du nombre de mandats présidentiels, le Parlement s’est signalé en 2016 par son opposition à l’amendement constitutionnel mettant fin à toute limite d’âge pour briguer un mandat présidentiel.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/153264/original/image-20170118-26548-1bc6c7t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/153264/original/image-20170118-26548-1bc6c7t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=815&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/153264/original/image-20170118-26548-1bc6c7t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=815&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/153264/original/image-20170118-26548-1bc6c7t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=815&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/153264/original/image-20170118-26548-1bc6c7t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1024&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/153264/original/image-20170118-26548-1bc6c7t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1024&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/153264/original/image-20170118-26548-1bc6c7t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1024&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le président ougandais, Yoweri Museveni (ici en 2015).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/32/Yoweri_Museveni_September_2015.jpg">U.S. Department of State/Flickr</a></span>
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<p>Sans surprise, on assiste à la promotion savamment calculée de ses proches au cœur de l’État et de ses forces sécuritaires. En 2009, son fils <a href="http://www.jeuneafrique.com/135067/politique/fils-de-pr-sidents-muhoozi-kainerugaba-museveni-39-ans-commandant-des-forces-sp-ciales/">Muhoozi Kainerugaba</a> fut promu à la tête de la garde présidentielle, puis commandant des forces spéciales. La première dame <a href="http://www.statehouse.go.ug/people/hon-janet-k-museveni">Lady Janet Museveni</a> se distingue, elle, par une carrière politique qui semble la préparer à une possible succession présidentielle.</p>
<p>En République démocratique du Congo, Joseph Kabila succéda à son père Laurent Désiré Kabila, assassiné le 16 janvier 2001 et dont la mort <a href="http://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2001-2-page-151.html">prit de court une classe politique</a> embourbée dans nombre de luttes intestines. Encore novice (Kabila était commandant en chef de l’armée de terre), le nouveau Président apparaît alors comme peu légitime, et peu expérimenté. Il lui faudra manœuvrer subtilement pour se constituer une nouvelle clientèle tout en préservant des liens avec les caciques de l’ancien régime paternel. La <a href="https://theconversation.com/la-republique-democratique-du-congo-peut-elle-echapper-a-son-histoire-70468">crise</a> dans laquelle il se trouve enferré après seize ans de présidence qu’il refuse de quitter, montre les limites d’une carrière politique qui s’est <a href="https://www.bloomberg.com/news/features/2016-12-15/with-his-family-fortune-at-stake-congo-president-kabila-digs-in">repliée sur la famille</a> comme incontournable passerelle pour assurer un contrôle direct sur le pays.</p>
<h2>Le népotisme est un produit de terroir</h2>
<p>Les exemples du Kenya, de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo montrent que les rêves mégalomanes ou tentations impériales ne suffisent pas à expliquer l’usage de la famille en politique. Cette dernière est plutôt un produit de terroir, et prend racine dans un système social, économique et politique plus large et plus complexe.</p>
<p>Si les États-Unis n’ont pas connu de scénario d’instabilité chronique, la rhétorique de violence économique (et même raciale) utilisée par Donald Trump pendant sa campagne rappelle que la fragmentation des sociétés (certains décrivent son élection comme un mouvement de <a href="http://www.intellectualtakeout.org/blog/does-reactance-theory-explain-rise-donald-trump">« réactance »</a> d’une partie de l’électorat) annonce la décomposition des alliances politiques. Ces fragmentation et décomposition sont souvent cachées, pour un temps du moins, par l’idée et l’image de l’homme politique providentiel, le <em>self-made man</em> (aux États-Unis), le père de la nation (comme lors des indépendances africaines) ou le « grand homme » (en France).</p>
<p>Les discours héroïques drapés de rassemblement masquent, en réalité, l’absence d’une base politique stable. L’incapacité des partis à s’accorder et soutenir dans la durée un candidat permet finalement à un acteur isolé de s’affranchir plus avant des institutions politiques existantes.</p>
<p>D’Uhuru Kenyatta à Donald Trump, le repli sur la famille en politique se fait toujours en deux temps. Le premier est celui du déficit, du manque d’une base institutionnelle qui risque de mettre à nu les failles et faiblesses de l’homme politique. Le second temps, plus dangereux, commence avec la quête d’autosuffisance, ou la consolidation de l’isolement qui annonce la résistance aux institutions en place.</p>
<p>Il reste que le succès de la famille en politique n’est pas le fait d’un homme seul, et il faut savoir se détacher de la satire (et des scandales) pour explorer les profondeurs du système qui lui a donné naissance et l’a vu grandir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/71231/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anaïs Angelo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face à la propulsion de la famille Trump au cœur du pouvoir, les craintes de voir une nouvelle oligarchie assiéger les institutions démocratiques s’aiguisent.Anaïs Angelo, Ph.D. Researcher in African Postcolonial History, European University InstituteLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/531742016-01-26T21:00:34Z2016-01-26T21:00:34ZComment la sociabilité des éléphants les aide à survivre au braconnage<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/109191/original/image-20160126-19633-1875zek.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shifra Goldenberg</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Au même titre que les êtres humains, des animaux aussi extrêmement socialisés que les éléphants dépendent de leurs liens avec les autres pour gouverner leur vie de tous les jours. La vie collective les aide dans les décisions difficiles qu’ils ont à prendre régulièrement : quoi manger, où aller quand l’eau se tarit, comment être un parent.</p>
<p>Et, comme chez les gens, certains liens sociaux sont plus importants que d’autres. La vieillesse chez les éléphantes matriarches, chefs de file des groupes familiaux, a été associée à des réponses plus efficaces face aux <a href="http://dx.doi.org/10.1098/rspb.2011.0168">sons émis par des prédateurs</a>, à une <a href="http://dx.doi.org/10.1126/science.1057895">meilleure reconnaissance</a> des appels lancés par des éléphants d’autres groupes et à une <a href="http://dx.doi.org/10.1098/rsbl.2008.0370">plus grande survie</a> d’éléphanteaux pendant des phases de sécheresse. Ce savoir-faire perfectionné et les bénéfices dont profitent les plus jeunes membres de la troupe peuvent se révéler cruciaux pour des animaux qui parcourent des <a href="http://dx.doi.org/10.1016/j.biocon.2012.07.019">paysages étendus</a> à travers les écosystèmes africains. </p>
<p>Hélas, les éléphants les plus âgés ont aussi été les cibles préférées des braconniers à cause de la taille de leurs défenses et la perte de ces éléphants, critique pour une communauté, peut entraîner des implications de longue durée pour les éléphants restants. Quand le braconnage de l’ivoire a atteint des <a href="http://dx.doi.org/10.1073/pnas.1403984111">niveaux insoutenables</a> lors de la dernière décennie, mes collègues et moi décidâmes de rechercher comment la mort de ces matriarches, pierre angulaire de leur collectivité, affecte les éléphants survivants de leur groupe. À quel point leurs structures sociales résistent-elles lorsque des membres importants ont été tués ?</p>
<h2>Seize années d'observations</h2>
<p>Pour le savoir, nous avons analysé les observations effectuées sur des éléphants en liberté dans les réserves nationales de Samburu et de Buffalo Springs dans le nord du Kenya, entre 1998 et 2014. Cette période de temps incluait des épisodes de faible braconnage mais aussi de braconnage intense, s’aggravant en 2009. Cette phase d’accélération a été exacerbée par une <a href="http://dx.doi.org/10.1371/journal.pone.0053726">sécheresse sévère</a> qui a tué beaucoup de vieux et de très jeunes éléphants. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/106383/original/image-20151216-30098-1t8oje7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/106383/original/image-20151216-30098-1t8oje7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/106383/original/image-20151216-30098-1t8oje7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/106383/original/image-20151216-30098-1t8oje7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/106383/original/image-20151216-30098-1t8oje7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/106383/original/image-20151216-30098-1t8oje7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/106383/original/image-20151216-30098-1t8oje7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/106383/original/image-20151216-30098-1t8oje7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les éléphants sont reconnaissables via certaines marques uniques, comme les lignes de l'oreille ou des défenses cassées.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shifra Goldenberg</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>Chaque étude portait sur une liste d’animaux que nous avons repérés en groupe, en travaillant sur des bandes de terrain à travers les réserves animalières. Pendant les dix-huit ans sur lesquels l'ONG <a href="http://savetheelephants.org/">« Save the Elephants »</a> a maintenu ce projet sur le terrain, nous avons dressé un guide d’identification pour chacun des éléphants en utilisant des traits physiques particuliers : une oreille déchirée en forme de diamant, une défense cassée, une cicatrice, un penchant systématique de l'animal pour le contact de la bâche du camion contre sa trompe. Dans ces réserves, les éléphants sont exposés depuis des décennies aux véhicules de recherche ou de tourisme, ce qui permet de les approcher et de les observer sans les déranger.</p>
<p>Généralement, nous faisons route le long de la rivière Ewaso Ngiro, une source d’eau pérenne habituelle pour les éléphants et d’autres animaux sauvages au sein de cet écosystème de savane semi-aride. Dans notre aire d’observation, les éléphants suivent un schéma de déplacement prévisible, ils se dirigent vers la rivière dès que le soleil se fait intense et la quitte quand la température baisse. Les zones d'observation de la rivière sont une bonne occasion de tomber sur des éléphants en milieu de journée. Les familles, les groupes de mâles, les mâles isolés, s’y retrouvent pour boire, manger et se reposer.</p>
<p>Les groupes d’éléphants varient en nombre impressionnant entre les saisons. Ils vont de familles de dix ou moins, pendant la saison sèche, à des rassemblements de près de trois cents en saison humide. De grands rassemblements peuvent être particulièrement éclairants : réunions de vieux amis après de longues séparations, avec leurs petits qui se mélangent. En notant quels éléphants se retrouvent en groupes et à quelle fréquence, on peut en déduire les forces de leurs relations.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/106375/original/image-20151216-30088-j5oal5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/106375/original/image-20151216-30088-j5oal5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/106375/original/image-20151216-30088-j5oal5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/106375/original/image-20151216-30088-j5oal5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/106375/original/image-20151216-30088-j5oal5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/106375/original/image-20151216-30088-j5oal5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/106375/original/image-20151216-30088-j5oal5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/106375/original/image-20151216-30088-j5oal5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les éléphanteaux prennent ensemble des bains de boue pendant la saison humide.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shifra Goldenberg</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<h2>Ce que nous savons de la société des éléphants</h2>
<p>Chez les éléphants femelles, les rapports sociaux engendrent des réseaux à l’intérieur des réseaux. Prenez comme analogie mon propre réseau professionnel. Les membres du laboratoire où j’exerce comprennent les scientifiques avec qui je suis le plus en interaction. Ce groupe de recherche constitue l’un de ceux qui composent notre département universitaire. Des programmes interdisciplinaires à l’intérieur de l’université tissent des liens entre des multiples départements. Et, plus largement, mon réseau professionnel peut compter des chercheurs dont je suis éloignée, connectés à moi par le biais de collègues universitaires (par exemple, via mes contacts LinkedIn). </p>
<p>Cette façon de se grouper comme dans un nid définit clairement les niveaux qui caractérisent mon univers professionnel, chaque niveau répondant à une fonction. Les interactions sociales d’espèces très peu nombreuses donnent lieu à l’émergence de cette complexité et c’est le cas pour les rapports sociaux chez les éléphants.</p>
<p>Avant même que le braconnage se soit intensifié dans la population que nous étudions, des chercheurs ont identifié parmi les éléphants, des <a href="http://dx.doi.org/10.1016/j.anbehav.2004.08.018">regroupements bien distincts</a>. Des groupements de type familial (notre laboratoire) se sont nichés au sein de groupes de liaison (notre département) qui à leur tour se regroupent en clans (comme notre université).</p>
<p>Les femelles et leurs petits passent presque tout leur temps à se déplacer, se reposer, s’alimenter au sein du noyau familial. Les réunions des groupes de liaison surviennent moins fréquemment et celles des clans encore moins. Ces deux groupes se réunissent le plus souvent pendant la saison humide, quand les ressources abondent et quand les éléphants sont en pleine santé. Ces larges regroupements, lorsque la vie est bonne, favorisent les échanges d’informations et les accouplements. </p>
<p>Ce sont les vieilles matriarches qui guident leur famille, décidant quand, où et avec qui se grouper. Leurs choix déterminent ces niveaux de contacts sociaux. Que se passe-t-il donc lorsqu’elles sont tuées ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/106414/original/image-20151217-32606-1tb94ru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/106414/original/image-20151217-32606-1tb94ru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/106414/original/image-20151217-32606-1tb94ru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/106414/original/image-20151217-32606-1tb94ru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/106414/original/image-20151217-32606-1tb94ru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/106414/original/image-20151217-32606-1tb94ru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/106414/original/image-20151217-32606-1tb94ru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/106414/original/image-20151217-32606-1tb94ru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Deux jeunes femelles de différentes familles interagissent, pendant qu'une vieille parente se tient à proximité.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shifra Goldenberg</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<h2>Les populations ont évolué mais les groupes ont tenu bon</h2>
<p>Pendant les <a href="http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2015.11.005">16 années de notre étude</a>, la population de Samburu a significativement rajeunie. Seuls 30 % des éléphants actuels étaient présents au début de notre recherche. Et pourtant, malgré ces changements, les groupes familiaux et les groupes de liaison restaient aussi faciles à repérer après le braconnage qu’avant cette période de perturbation.</p>
<p>Plus surprenant encore, c’est la façon dont les jeunes femelles ont recréé ces niveaux sociaux. Nous avons comparé les relevés des relations de mères entre elles avant le braconnage avec les rapports entre leurs filles après cet événement. Il s’avère que les filles ont maintenu largement les mêmes relations d’une famille à l’autre même si leur mère était morte.</p>
<p>Dans quelques groupes disjoints, les femelles ont puisé dans leurs groupes de liaison ou dans leur clan ancien pour reconstruire de nouveaux groupes. Parfois, il en a résulté des groupes familiaux avec des membres extérieurs à la famille.</p>
<p>Compte tenu de <a href="http://dx.doi.org/10.1098/rspb.2009.0941">travaux précédents</a> dans le domaine de la génétique parmi la population, nous savons que les éléphants édifient parfois une famille quand ils n’en ont pas. Nous avons à nouveau observé ce processus pendant les quelques années précédentes où le braconnage s’est intensifié : les femelles ont puisé dans les réseaux élargis de leurs mères. Par exemple, le groupe de liaison Planets, jadis dominant, qui comptait plusieurs matriarches de plus de cinquante ans, comprend à l’heure actuelle deux jeunes mères, Europa et Haumea et quelques éléphanteaux (Europa, à vingt-trois ans, est la plus âgée). Leur nouveau groupe de liaison inclue The Flowers, des éléphants qui étaient uniquement affiliés à un clan, dans les années précédant le braconnage.</p>
<p>Ce travail nous montre que les groupes de liaison et les groupes claniques chez les éléphants peuvent servir de puissants contrepoids face à un effondrement social en donnant aux femelles survivantes un cadre pour construire leur propre réseau. Le legs des mères éléphantes vit à travers les choix sociaux de leurs filles.</p>
<h2>Résilience mais pas sécurité</h2>
<p>Peut-être n’est-il pas si étonnant que les éléphants aient les moyens de faire face aux changements dramatiques de leur environnement social. Les liens sociaux sont vitaux pour leur survie. Et même avant que le braconnage n’atteigne des niveaux insoutenables, les éléphants ont une histoire faite de perturbations dues à la chasse et à la sécheresse. Mais cette résilience est tout à fait impressionnante.</p>
<p>Cependant, il n’y a pas que des bonnes nouvelles. Notre recherche n’a pas pu inclure ces femelles que nous n’avons pas pu étudier, certaines ayant pu mourir du fait du braconnage dans leurs familles. De plus, il peut y avoir des répercussions en aval comme une mortalité plus élevée d’éléphanteaux due à la perte de grands-mères et de mères dont nous n’avons pas connaissance.</p>
<p>Mais la plus grande partie de la structure sociale de la population est restée relativement intacte. Ce qui montre sa résilience sociale globale. Combiné à des informations récentes selon lesquelles le <a href="https://www.washingtonpost.com/news/worldviews/wp/2015/12/08/lifeline-for-elephants-ivory-price-halves-in-china-after-xi-pledges-ban/">prix de l’ivoire en Chine a baissé</a> pour la première fois depuis des années, notre travail laisse espérer que les sociétés d’éléphants peuvent se rétablir si nous leur laissons de l’espace pour le faire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/53174/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Shifra Goldenberg a reçu des financements de la National Science Foundation. Elle est membre de l'ONG Save the Elephants.</span></em></p>Pourchassés par les braconneurs pour leur ivoire, les éléphants africains montrent une résilience étonnante. Les liens sociaux survivent à la mort des matriarches qui dirigent les groupes.Shifra Goldenberg, PhD Candidate in Ecology in the Department of Fish, Wildlife and Conservation Biology, Colorado State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.