tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/lgbtq-64508/articlesLGBTQ – The Conversation2024-03-24T17:50:00Ztag:theconversation.com,2011:article/2251212024-03-24T17:50:00Z2024-03-24T17:50:00ZComment les artistes queers se réapproprient leur image<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583268/original/file-20240320-30-ltxkk7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=30%2C0%2C2014%2C1361&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Exposition Zanele Muholi à Glasgow : Somnyama Ngonyama, Hail, the dark lioness.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/glasgowschoolart/38562156676">Flickr / Alan McAteer</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Si la tradition artistique contribue à la légitimation d’un <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2007-2-page-45.htm">canon</a> – un modèle unique et hégémonique du point de vue social et politique – fondé sur le modèle masculin, blanc, cisgenre, hétérosexuel, valide et de classe sociale aisée, des groupes ou des individus minoritaires n’ont pas eu historiquement les moyens matériels de se représenter et sont alors dépeints par le regard dominant.</p>
<p>Dans mon ouvrage, <a href="https://www.double-ponctuation.com/produit/art-queer-precommande/"><em>Art queer. Histoire et théorie des représentations LGBTQIA+</em></a>_ (éditions Double ponctuation, 2024), j’investis différentes perspectives pour explorer l’art <em>queer</em>, en posant notamment la question de la manière de représenter des subjectivités <em>queers</em>.</p>
<p>Le terme « queer » est une expression anglophone désignant ce qui est « étrange », « bizarre », « tordu », et <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-pensee-straight-2/">s’oppose à celui de « straight »</a>, signifiant « droit » mais aussi « hétérosexuel ». Il est alors d’abord utilisé comme une insulte pour qualifier des sexualités non-hétérosexuelles au cours du XIX<sup>e</sup> siècle, avant d’être détourné de manière positive par les communautés concernées pour s’auto-qualifier, notamment avec l’émergence de groupes activistes comme <a href="https://queernationny.org/history">Queer Nation</a> dans les années 1980-1990 aux États-Unis, en pleine épidémie du sida.</p>
<p>Par son ancrage politique et social, mon travail met en évidence la réappropriation par les artistes LGBTQIA+ des images de leur propre communauté. Afin d’articuler la vie et l’expérience réelle des personnes avec l’image qui en est faite, des artistes s’emparent en particulier du format de la photographie.</p>
<h2>Travailler le passé et le présent</h2>
<p>Dans cette quête de « réparation » de la représentation des communautés <em>queers</em>, il est possible d’observer deux tendances. La première s’articule autour d’un retour sur le passé pour créer de l’archive politique, permettant à la communauté <em>queer</em> de s’identifier à des modèles. C’est le cas en particulier du travail de l’artiste libanais et <em>queer</em> <a href="https://www.mohamadabdouni.com/">Mohamad Abdouni</a> (1989-), qui vise à combler la lacune des images <em>queers</em> dans la culture libanaise.</p>
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<p>La deuxième tendance vise à travailler sur le présent, comme une sorte d’archive vivante, pour faire passer les corps minorés du statut d’objet à celui de sujet – à l’instar de l’artiste sud-africain·e non-binaire <a href="https://www.mep-fr.org/event/zanele-muholi/">Zanele Muholi</a> (1972-), avec la représentation des femmes lesbiennes noires en Afrique du Sud.</p>
<p>Tout en mettant en relation les notions de <em>queer</em> et de race (voir notamment : Michele Wallace, <a href="https://www.versobooks.com/products/1316-invisibility-blues"><em>Invisibility Blues</em></a>, Londres, Verso, 1990 ; bell hooks, <a href="https://aboutabicycle.files.wordpress.com/2012/05/bell-hooks-black-looks-race-and-representation.pdf"><em>Black Looks. Race and Representation</em></a>, Boston, South End Press, 1992), ces deux artistes confèrent à leurs séries de photographies un caractère documentaire et biographique, car elles se fondent sur la vie quotidienne des protagonistes photographiés. Si Abdouni et Muholi s’inscrivent dans l’élan de réappropriation des pratiques artistiques comme ce fut le cas au début du XX<sup>e</sup> siècle (avec Romaine Brooks ou Claude Cahun par exemple), faisant passer les personnes <em>queers</em> d’une position d’objet représenté à celle de sujet représentant, ils rompent avec les stratégies expérimentées lors de la crise de l’épidémie du sida, comme celles conceptuelles de Felix Gonzalez-Torres refusant le voyeurisme et le fétichisme pour laisser place à l’interprétation subjective. Ces deux artistes se tournent donc plutôt vers la fabrique de l’archive dont l’enjeu est la visibilité.</p>
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<p>Mohamad Abdouni réalise en 2022 une sorte de reportage photographique intitulé <em>Treat Me Like Your Mother. Trans Histories From Beirut’s Forgotten Past</em>, conservé à la Fondation arabe pour l’image, accompagné d’entretiens qui retracent les mémoires de dix femmes transgenres de Beyrouth dans les années 1980 et 1990. Abdouni raconte leurs souvenirs d’enfance, la guerre du Liban, les épisodes heureux de leurs vies et leur précarité. Il montre par exemple des images d’archives prises par des anonymes d’une femme transgenre nommée Em Abed dans des moments d’intimité : au milieu d’une fête, dans un bus, apprêtée ou sans maquillage. Commencée en 2006, la série <em>Being</em> de Muholi montre quant à elle la vie quotidienne de plusieurs couples de lesbiennes noires dans l’espace privé de la maison, posant de manière assurée, s’embrassant, se lavant, etc.</p>
<h2>Pour des récits collectifs</h2>
<p>Ces deux projets sont menés en relation étroite avec les communautés représentées : <em>Treat Me Like Your mother</em> de Mohamad Abdouni est réalisée en collaboration avec Helem, une association militante <em>queer</em> qui l’aide à rassembler des photographies, lesquelles feront également l’objet d’un numéro spécial de <a href="https://www.coldcutsonline.com/"><em>Cold Cuts</em></a>, un magazine collaboratif créé en 2017 consacré aux cultures <em>queers</em> dans la région de l’Asie du Sud-Est et de l’Afrique du Nord, dont il est rédacteur en chef. De son côté, Zanele Muholi collabore avec les membres – qui sont ses modèles – du <a href="https://inkanyiso.org/about/">collectif Inkanyiso</a> (« lumière » en isizulu, la langue natale de Muholi), lequel a fondé un média <em>queer</em> d’information et artistique créé la même année que la série.</p>
<p>L’impression de familiarité et de collectivité, renforcée pour l’un par un titre qui appelle au respect des femmes transgenres comme si elles étaient nos propres mères, et pour l’autre par une iconographie de l’espace intime, relève en fait d’un positionnement politique dans le champ de la représentation. En effet, la photographie permet ici de visibiliser sans altériser et essentialiser des récits inédits qui entrent en rupture avec les représentations canoniques, telles que celles de <a href="https://iris.unipa.it/retrieve/e3ad891a-f9e2-da0e-e053-3705fe0a2b96/0%20DE%20SPUCHES%20-%20Geotema%20Sguardi%20di%20genere%20Muholi.pdf">l’espace domestique entretenu par des femmes hétérosexuelles</a>.</p>
<h2>Changer de regard pour se (re)construire</h2>
<p>Le caractère documentaire des photographies de Mohamad Abdouni et de Zanele Muholi cherche à émanciper les membres de la communauté <em>queer</em> libanaise et sud-africaine d’un regard extérieur. Elles résistent au sensationnalisme humiliant et morbide des images banalisées dans les médias en valorisant d’autres représentations que celles produites en Occident, véhiculant une certaine représentation des sociétés non occidentales comme homophobes et transphobes. En effet, ce type de production, au plus près des personnes concernées, construit une image plus nuancée de ces sociétés, et déjoue le statut figé de victimes de violence et d’exclusion assigné aux personnes LGBTQIA+ en leur conférant une subjectivité et une agentivité.</p>
<p>Cette capacité à agir sur son environnement – en termes géographiques mais aussi politiques et sociaux – passe également par la capacité à agir sur soi-même : les personnes minoritaires sont capables de se définir, de se construire en négociation avec les rapports de domination d’un canon universel. Ce processus suscite dans l’art un changement de statut chez les artistes. Des artistes <em>queers</em> utilisent ainsi l’autoportrait photographique pour non seulement présenter un état de fait stabilisé et figé, mais aussi documenter le processus de construction de leur identité (voir le travail de Del LaGrace Volcano, notamment <em>The Drag King Book</em>, co-publié en 1999 avec Jack Halberstam).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581742/original/file-20240313-30-tmgvs8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Art queer. Histoire et théorie des représentations LGBTQIA+ », éditions Double ponctuation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jérôme Pellerin-Moncler</span></span>
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<p>S’affranchir du regard dominant constitue un enjeu pour un certain nombre d’artistes contemporains, qui tentent ainsi de se réapproprier la manière dont leurs propres communautés sont représentées. En effet, il s’agit pour elles et eux de montrer qu’ils sont légitimes à être pris en compte, simplement du fait de leur existence. En offrant un nouvel espace de visibilité par la photographie, ces enjeux artistiques s’inscrivent dans le débat de la politique de représentation, déployé en particulier dans des travaux féministes des années 1970, qui mettent en exergue les rapports de pouvoir qui sous-tendent les représentations des femmes (voir à ce sujet, « Représenter les femmes, la politique de la représentation du soi », dans <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/chair-a-canons"><em>Chair à canons. Photographie, discours, féminisme</em></a>, Paris, éditions Textuel, 2016, pages 229 à 252).</p>
<p>Comme j’essaye de le montrer dans mes travaux, la manière dont les notions de genre ou de race (entre autres) prennent forme dans les images participe fondamentalement à la construction de l’identité d’un groupe social. Rassemblant des artistes à la fois incontournables et émergeants, des œuvres et des musées, la réflexion que je propose me semble contribuer à la connaissance d’un sujet encore en développement, dont les enjeux sont très actuels et vont sans doute marquer durablement les musées et l’histoire de l’art.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225121/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Quentin Petit Dit Duhal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Afin d’articuler la vie et l’expérience réelle des personnes avec l’image qui en est faite, des artistes s’emparent en particulier du format de la photographie.Quentin Petit Dit Duhal, Docteur en Histoire de l'art, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2238992024-03-18T15:33:49Z2024-03-18T15:33:49ZLe médiévalisme dans la haute couture, de Paco Rabanne à Alexander McQueen<p>Si la mode médiévale s’infiltre aujourd’hui <a href="https://theconversation.com/litterature-series-tele-architecture-cet-engouement-pour-le-moyen-age-qui-nous-vient-du-xix-si%C3%A8cle-218442">dans tous les domaines ou presque</a>, sa présence persistante dans le monde de la haute couture n’a pas encore fait l’objet de recherches approfondies.</p>
<p>Il existe certes, dans la mode, un Moyen Âge fantasmatique passé <a href="https://www.beauxarts.com/grand-format/le-preraphaelisme-en-2-minutes/">à la moulinette préraphaélite</a>, comme en témoigne la collection automne-hiver 2013-2014 de <a href="https://couturenotebook.com/best-haute-couture-blog/2013/07/15/franck-sorbier-fw-2013-revisiting-the-middle-ages">Franck Sorbier</a>, inspiré d’une imagerie du XIX<sup>e</sup> siècle, où les mannequins évoquent la dame d’Escalot <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Lady_of_Shalott_(Waterhouse)">immortalisée par le peintre John William Waterhouse en 1888</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/582540/original/file-20240318-26-hl8700.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/582540/original/file-20240318-26-hl8700.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=460&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/582540/original/file-20240318-26-hl8700.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=460&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/582540/original/file-20240318-26-hl8700.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=460&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/582540/original/file-20240318-26-hl8700.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/582540/original/file-20240318-26-hl8700.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/582540/original/file-20240318-26-hl8700.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">John William Waterhouse, The Lady of Shalott.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Lady_of_Shalott#/media/Fichier:John_William_Waterhouse_-_The_Lady_of_Shalott_-_Google_Art_Project.jpg">Google Art Project</a></span>
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<p>Mais il est un autre Moyen Âge, queer et rétrofuturiste celui-ci, qui brouille les frontières des genres et s’est développé bien avant l’engouement suscité par <em>Game of Thrones</em>, chez deux stylistes en particulier, Paco Rabanne et Alexander McQueen.</p>
<h2>D’une filiation l’autre : de Paco Rabanne à Alexander McQueen</h2>
<p>Paco Rabanne (1934-2023) est le premier styliste, <a href="https://www.harpersbazaar.fr/mode/paco-rabanne-chevalier-couture-dun-autre-temps_111">« ou métallurgiste de la couture »</a> pour reprendre la formule de Coco Chanel, qui s’inspire de cette période historique dès les années 1960-1970, <a href="https://www.vogue.fr/fashion/galerie/paco-rabanne-style-1960s-photos">avec sa célèbre robe cotte de mailles</a>.</p>
<p>En février 1966, sa première collection « Manifeste » présente « 12 robes importables en matériaux contemporains », agrémentées de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sequin_(mode)">sequins</a>, anneaux métalliques et plaques en Rhodoïd, mettant en scène une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mode_futuriste">mode futuriste</a> <a href="https://www.fabula.org/actualites/107802/colloque-temporalites-alternatives--uchronies-mondes-paralleles-et-retrofuturisme.html">voire rétrofuturiste</a>.</p>
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<p>Avec le rétrofuturisme, il s’agit d’envisager le passé tel qu’on le voit depuis le futur, en offrant une alternative au présent, et en réfléchissant au présent au prisme d’un passé réinventé.</p>
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<p>Pour la collection hiver 2020-21, le directeur artistique de la maison Paco Rabanne, Julien Dossena, rend hommage aux créations métalliques, emblématiques des inspirations médiévales du créateur. <a href="https://arca.irht.cnrs.fr/ark:/63955/md439z90587z">Les silhouettes</a> sont vêtues de cottes de mailles revisitées et camail (protection métallique souple recouvrant le crâne, le cou et le haut du torse et des épaules durant le bas Moyen Âge), ceinture mixant celle des chevaliers et celle de Chanel, aumônière et chaussures montantes. La guerrière rétrofuturiste est en marche, entre transparence et opacité, inspirée de l’imagerie autour de Jeanne d’Arc.</p>
<p>Ainsi la cotte de mailles et le camail deviennent deux emblèmes féministes, comme en témoigne la <a href="https://www.vogue.com/article/zendaya-met-gala-red-carpet">tenue qu’arbore Zendaya</a> au Met Gala 2018, dans une tenue Versace qui évoque une Jeanne d’Arc des temps modernes.</p>
<p>La cotte de mailles s’est allongée et elle est fendue sur le devant ; des fragments de haubert, c’est-à-dire de la cotte de mailles, ainsi que le gorgerin qui assure la protection du cou ont été conservés tandis que la cuirasse a disparu ; la braconnière, c’est-à-dire les lames articulées qui recouvrent le ventre et le haut des cuisses et les tassettes protégeant l’aine ont été conservées et revisitées.</p>
<p>On songe encore à la rappeuse Cardi B <a href="https://www.radiofrance.fr/mouv/balenciaga-remet-le-moyen-age-au-gout-du-jour-avec-ses-bottes-version-medieval-5519935">qui porte des chaussures Balenciaga</a>, lors d’un défilé digital, pour la sortie du jeu vidéo <em>Afterworld : The Age of Tomorrow</em>. L’objet improbable et importable comporte jambière, cuissot, genouillère articulée, grève qui protège le tibia et soleret pour le pied, pièces directement héritées des chausses du chevalier médiéval, le talon aiguille en plus.</p>
<p>Mais c’est Alexander McQueen (1969-2010), styliste britannique, qui a notamment habillé David Bowie ou Lady Gaga, qui a su réinventer un Moyen Âge rétrofuturiste, féministe et queer, entre obscurité et flamboyance. Son travail <a href="https://toutelaculture.com/tendances/mode/alexander-mcqueen-le-testament-un-film-poignant-signe-loic-prigent/">s’articule avec une réflexion sur la société post-moderne</a>.</p>
<p>Dès 2009, son défilé « The Horn of Plenty » (« La corne d’abondance ») résonne avec la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_%C3%A9conomique_mondiale_des_ann%C3%A9es_2008_et_suivantes">crise économique</a> de l’époque : le créateur tend au monde de la mode le miroir de ses outrances et de ses névroses consuméristes. Le 6 octobre 2009, son défilé suivant « Plato’s Atlantis » évoque le thème de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Atlantide">Atlantide</a> ». Mais c’est sa vision du Moyen Âge qui retiendra notre attention ici.</p>
<h2>« L’odeur mêlée du sang et des roses »</h2>
<p>Le défilé de la collection pour hommes d’A. McQueen, <a href="https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/46918">« The Bone Collector »</a>, (« Le Fossoyeur »), en janvier 2010, est une sorte de memento mori, créé quelques mois avant son suicide par pendaison, la veille des obsèques de sa mère. Il renoue ici avec un Moyen Âge macabre, celui précisément du XV<sup>e</sup> siècle de la Peste noire.</p>
<p>Dans un décor d’ossuaire évoquant les catacombes, les mannequins arborent des vêtements représentant tibias, crânes ou cordes. Les costumes sont taillés dans des « body bags », sacs qui servent à emballer les cadavres à la morgue ; les costumes noirs sont couverts d’argile comme s’ils sortaient de sous la terre. Les hommes aux cheveux blonds vénitiens ont une coupe au bol ou un chignon tressé. Certains portent des cagoules qui ne laissent voir que les yeux et le nez, d’autres ont des masques, d’autres enfin ont le visage nu et pâle.</p>
<p>L’homme ressemble à un cadavre déterré dans un costume impeccable, entre proto-zombie et néo danse macabre. Le spectateur assiste à une danse macabre post-moderne exclusivement masculine, ce qu’elle était originellement au Moyen Âge. Dans l’imaginaire collectif, le Moyen Âge tardif est le temps de la peste, de la guerre de Cent Ans, de la famine et de la mort orchestrant une réflexion sur la caducité des choses terrestres.</p>
<p>Dans son célèbre ouvrage <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/huyzinga_johan/declin_moyen_age/declin_moyen_age.html"><em>L’Automne du Moyen Âge</em>, Johan Huizinga</a> définit l’esthétique de ce Moyen Âge tardif à travers cette image de « l’odeur du sang et des roses » qu’il emprunte à la plume du Bourgeois de Paris pour évoquer ce XV<sup>e</sup> siècle instable et ambivalent. Alors que les historiens de l’art envisageaient le Moyen Âge tardif comme un renouvellement préparant et préfigurant la Renaissance, Huizinga affirme qu’il est synonyme du déclin des formes : « la forme, dans sa luxuriance, envahit l’idée ; l’ornement se saisit de toutes les lignes et de toutes les surfaces. C’est un art où règne cette horreur du vide qui est peut-être une caractéristique des cultures à leur déclin ». Tout laisse à penser que le styliste a lu l’historien. En effet, à l’opposé de cette vision macabre imageant la fin du Moyen Âge, McQueen imagine aussi une collection posthume, « Angels and Demons » (hiver 2010) qui creuse encore le sillon du Moyen Âge tardif mais dans une version flamboyante de rouge, de doré, de broderies et d’orfèvreries.</p>
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<p>Après la déploration de la mort autour de la figure masculine vient la louange de la flamboyance des couleurs et des étoffes, autour de la collection femmes. Avec cette collection qu’il ne verra pas dans sa forme définitive, McQueen propose une vision lumineuse de ces « Dark Ages ». Mais au fond cette vision flamboyante, luxuriante du costume féminin, par sa surenchère, n’est que l’autre face de la pièce : derrière ces broderies chargées se donne à voir l’angoisse existentielle ; sous les draps de soie et les ornements ne reste que le corps appelé à devenir squelette. Les cheveux ont disparu sous une cagoule couleur chair faite de bandages, la peau est diaphane, les lèvres et les sourcils ont été estompés presque effacés. Certains mannequins ont une crête iroquoise, entre univers punk et transhumanisme.</p>
<p>Dans cet univers mi-médiéval, mi-post-apocalyptique, le futur est déjà passé. Les mannequins sont comme entravées dans leur marche, perchées sur des plates-formes à talons aiguilles de vingt centimètres qui peuvent évoquer les chaussures à patins que les élégantes des XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles arboraient. <a href="https://www.beauxarts.com/grand-format/le-jardin-des-delices-de-jerome-bosch-fantasmagorie-a-tous-les-etages/">Les dessins de Jérôme Bosch</a> représentant des humains suppliciés qui ornent les tissus voisinent avec des broderies dorées, des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lion_rampant">blasons à Lion rampant</a> sur une cape noire…</p>
<h2>Un Moyen Âge féministe et queer</h2>
<p>L’importance donnée à la figure emblématique de Jeanne d’Arc s’articule autour d’une recréation d’un Moyen Âge queer qui vient se substituer au Moyen Âge obscur des romantiques.</p>
<p>On sait que Jeanne d’Arc est une <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/11/11/dictionnaire-du-moyen-age-imaginaire-le-medievalisme-hier-et-aujourd-hui-il-etait-une-fois-le-moyen-age_6149506_3260.html">véritable icône pop outre-Atlantique</a>. Elle prête ainsi son nom aux femmes qui, par leurs discours militants, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2019-4-page-3.htm">transgressent les prescriptions du genre</a>.</p>
<p>Il n’est pas étonnant que cet « enfant terrible de la mode », Alexander McQueen, ait consacré un défilé en 1998 à cette figure mythique, imaginant un être caractérisé par sa fluidité de genre. Le défilé de mannequins aux yeux rouges, aux vêtements tantôt en cuir, tantôt en métal avec camail, met en scène des variations de Jeanne d’Arc aux côtés de représentants de l’Eglise, <a href="https://archived.co/Alexander-McQueen-Autumn-Winter-1998">ou encore de son bourreau</a>. Le spectacle se clôt sur Jeanne d’Arc en cotte de mailles rouge au visage entièrement recouvert d’une cagoule assortie, entourée de flammes au centre d’une scène circulaire. Les spectateurs assistent médusés <a href="https://www.vogue.fr/mode/article/hommage-mode-culture-queer-lgbt">à sa mise au bûcher</a>.</p>
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<p>Chez Mc Queen, le Moyen Âge devient le symbole d’un double testament, celui d’une société en proie à la déraison et au déclin et celui, plus personnel, d’un homme en proie à ses démons.</p>
<p>Si Paco Rabanne et Alexander McQueen ont construit de toutes pièces une femme rétrofuturiste, on peut se demander s’ils avaient lu le Mallarmé chroniqueur de mode qui écrivait sous des pseudos comme Miss Satin ou Marguerite de Ponty, dans <em>La Dernière Mode</em> en 1874 et pour qui le vêtement féminin moderne devait se faire armure, « cotte de mailles et cuirasse » véritable « enveloppe d’une guerrière ou d’une déité marine » afin de transcender le corps ou les attributs classiques de la féminité pour en extraire la notion pure, l’idée ou « l’illusion ».</p>
<p>Au-delà du prisme romantique médiévalisant, illusion d’un Moyen Âge retrouvé, qu’ils ont refusé d’explorer, ces deux stylistes hors du commun ont su inventer un costume post-moderne, rétrofuturiste, féministe et queer, laissant notamment leur empreinte dans le travail de Balenciaga, maison dans laquelle la mère de Paco Rabanne avait débuté comme petite main, recréant ainsi des filiations symboliques.</p>
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<p><em>Cet article a été corédigé avec Mathilde Lucken, étudiante à Sciences Po Rennes, autrice de l’ouvrage « Mémoires de femmes », paru en 2023.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223899/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patricia Victorin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il existe dans la mode un Moyen Âge queer et rétrofuturiste qui ne cesse de renaître de ses cendres.Patricia Victorin, professeure des universités en langue et littérature médiévales, Université Bretagne SudLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2157522023-11-27T17:17:13Z2023-11-27T17:17:13ZLes adolescents et les jeunes adultes face à leur identité de genre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/560779/original/file-20231121-3914-b90cuu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C103%2C2995%2C1890&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Gender fluid », « non-binaires », « queer » ou bien encore « genre ». La palette des auto-determinations de genre augmente progressivement, jusqu’à épouser des formes jusque-là inconnues. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/mode-femmes-poser-modeles-7391040/">Polina Tankilevitch/Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les jeunes adultes et adolescent·e·s d’aujourd’hui adoptent, vis-à-vis de leur identité de genre, des représentations et des pratiques qui bousculent beaucoup les adultes et les institutions. En témoignent d’ailleurs un nombre important de productions cinématographiques ou <a href="https://www.cairn.info/revue-l-ecole-des-parents-2022-3-page-58.htm">littéraires</a>.</p>
<p>Ecole, famille ou espaces de santé : de nécessaires réajustements administratifs, politiques et relationnels sont aussi en cours. Mais que savons-nous de ces « nouvelle » identités de genre ?</p>
<p>« Gender fluid », « non-binaires », « queer » ou bien encore « genre ». La palette des autodéterminations de genre augmente progressivement, jusqu’à épouser des formes jusque-là inconnues. C’est dire combien les identités de genre ont subi depuis quelques décennies d’importantes modifications. Premièrement, elles se sont autonomisées de la médecine ou des catégories mentales.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p><em>Retrouvez l’enquête exclusive <a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/2951/Jeune%28s%29_en_France_-_THE_CONVERSATION.pdf">« Jeune(s) en France »</a> réalisée en octobre 2023 pour The Conversation France par le cabinet George(s). Une étude auprès d’un échantillon représentatif de plus de 1000 personnes qui permet de mieux cerner les engagements des 18-25 ans, les causes qu’ils défendent et leur vision de l’avenir.</em></p>
<p><strong>À lire aussi :</strong></p>
<ul>
<li><p><a href="https://theconversation.com/18-25-ans-des-jeunes-etonnamment-optimistes-et-resilients-217935">18-25 ans : des jeunes étonnamment optimistes et résilients</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/comment-les-jeunes-sengagent-218165">Comment les jeunes s’engagent</a></p></li>
</ul>
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<p>Du « transsexualisme » d’antan, il ne reste plus grand-chose, au bénéfice d’un terme parapluie plus englobant et moins pathologisant : les <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2012-3-page-263.htm">transidentités</a>. Deuxièmement, ces notions se sont multipliées. En 2020, une enquête sur la santé des personnes LGBTI porte à 43 le nombre d’identités de genre et de sexualité recensées parmi les réponses auto-administrées dans le <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/sante-lgbt-les-minorites-de-genre-et-de-sexualite-face-aux-soins/">questionnaire de l’étude</a>. Mais au fond, de quoi parle-t-on en réalité ?</p>
<p>Pour le dire clairement, il s’agit là de personnes qui ressentent ou expriment une identité de genre non conforme (partiellement ou totalement, définitivement ou momentanément) à ce qui est attendu, du fait de l’attribution de sexe à la naissance, par les normes de genre.</p>
<h2>Des « folles » aux queers</h2>
<p>Ces « nouvelles » identités de genre rappellent parfois des terminologies anciennes, depuis modifiées. On pense ainsi <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/folles_de_france-9782707152572">« aux folles »</a> qui aujourd’hui s’identifient plus à des personnes queers.</p>
<p>Ces identités comportent quelques caractéristiques. D’une part, elles apparaissent plus chez les minorités de sexualité que dans la population hétérosexuelle. Cette déconstruction des catégories de genre au sein des minorités sexuelles est ainsi documentée par des études récentes qui prouvent que les gays et les lesbiennes se sentent respectivement beaucoup moins masculins et féminines que <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2022-10-page-1.htm">leurs homologues hétérosexuel·le·s</a> et que la part des personnes se déclarant « non-binaires » ou « gender fluide » est principalement <a href="https://hal.science/hal-04179130/document">concentrée au sein de la population LGBTI</a>.</p>
<p>Mais ces études sont aussi parvenues à démontrer que ces appellations sont fortement générationnelles. Récemment apparues (en France particulièrement), tardivement défendues par des identifications médiatiques positives et reprises par les réseaux sociaux, elles se concentrent principalement chez les mineur·e·s et les jeunes adultes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-lunivers-du-drag-francais-rencontre-le-grand-public-192965">Quand l’univers du « drag » français rencontre le grand public</a>
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<h2>Mais de « combien » de jeunes parlons-nous ?</h2>
<p>Une question reste en suspens : combien sont-ils ces mineurs « trans » ou ces mineurs « non binaires » ? Avant de répondre à cette question, il faut comprendre que le mode de calcul de cette population n’est pas aisé : d’une part car ce sont des expressions de genre encore bien souvent tues, d’autre part il existe une « boite noire » en matière de mesure, si l’on focalise la quantification à partir des centres hospitaliers – que beaucoup ne fréquentent pas.</p>
<p>Les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28838353/">premières mesures</a> font état d’environ 1 % de la population que l’on pourrait identifier comme « trans » au sens large, mais aussi « non-binaires » ou « gender fluide ». Évidemment, ces identifications ne se superposent jamais parfaitement. Les mineurs trans sont par exemple plus nombreux à avoir recours à des bloqueurs hormonaux que les jeunes non binaires.</p>
<p>Mais d’autres méthodes ont fini par voir le jour, comme le recensement dans des établissements scolaires (ce qui n’est pas réalité en France). Ainsi, aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande, des enquêtes localisées parviennent à fournir des chiffres oscillants entre 1 % et 1,2 % d’un effectif <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24438852/">d’élèves et d’étudiant·e·s</a>.</p>
<p>Aux côtés des identités, on trouve également des mineurs qui entament des démarches de changement de prénom ou de genre. En France les centres hospitaliers offrent des protocoles d’accompagnement à ces mineurs et publient <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0222961722001672">régulièrement des résultats issus de leurs cohortes</a>.</p>
<p>En 2022, l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) publie un premier chiffre relatif à la prise en charge des demandes d’ALD (affections longue durée) en concertation avec la CNAM (Caisse nationale de l’Assurance maladie) et relève 294 mineurs bénéficiant d’une prise en charge (principalement pour des hormonothérapies ou des prises de bloqueurs hormonaux).</p>
<p>Cette cohérence des données semble indiquer un part relativement faible de jeunes s’identifiant comme trans ou non-binaires. Nous sommes donc loin <a href="https://www.huffingtonpost.fr/medias/article/dans-quotidien-elisabeth-roudinesco-choque-avec-des-propos-sur-les-personnes-trans_178027.html">d’une épidémie</a>.</p>
<p>Et quand bien même les chiffres augmenteraient, les effectifs restent excessivement faibles. On observe donc qu’entre la mesure statistique d’un phénomène et son traitement médiatique, un gouffre semble se dessiner. Néanmoins, ces faibles pourcentages semblent provoquer <a href="https://theconversation.com/le-wokisme-ou-limport-des-paniques-morales-172803">« une panique morale »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-t-comme-transgenre-168429">« Les mots de la science » : T comme transgenre</a>
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<h2>Des affirmations de soi diverses</h2>
<p>Et si nous expliquions l’expression de ces identités par autre chose que des « troubles », des « confusions d’adolescents », des « erreurs » et des « influences néfastes » ? Et si nous regardions du côté des identifications qui rendent possibles les récits et les affirmations de soi ?</p>
<p>Ceci viendrait alors expliquer d’autres données, obtenues par sondage et dont on pourrait interroger la solidité, mais qui indiquent par exemple que « 11 % des adultes interrogés par <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20190327.OBS2526/ni-homme-ni-femme-14-des-18-44-ans-se-disent-non-binaires.html">YouGov</a> pour <em>L’Obs</em> ne se reconnaissent pas dans la dichotomie de genre femme/homme » ou bien encore qu’« en 2020, selon un sondage Ifop, 22 % des 18-30 ans déclarent ne pas se reconnaître dans le schéma <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/entretien-les-termes-non-binaire-a-genre-font-desormais-partie-du-vocabulaire-courant-7115403">« fille ou garçon »</a>.</p>
<p>Que disent ces éléments chiffrés ? À défaut de révéler des expériences intimes durables ou stabilisées, ils donnent une indication sur la <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2016-2-page-7.htm">« détraditionnalisation » des identités de genre chez certains jeunes</a>.</p>
<p>Car au-delà des enjeux de chiffrage, ces questions apparaissent aujourd’hui dans de nombreux contextes embarrassés de devoir les traiter (pensons à l’école notamment).</p>
<p>Si la parole se libérée c’est également que des identifications positives, à l’image de l’homosexualité jadis sont aujourd’hui <a href="https://www.cairn.info/revue-l-ecole-des-parents-2022-3-page-52.htm">possibles</a>.</p>
<h2>Une modification dans les imaginaires</h2>
<p>Loin d’un « effet de mode » ou d’un fantasme médiatiquement produit, on assiste plutôt à des modifications dans les imaginaires qui accompagnent les expressions de ces nouvelles identités de genre.</p>
<p>Les films comme <em>Petite Fille</em> de Sébastien Lichshitz (2020) ont très largement participé à une meilleure visibilité de cette question – non sans une polémique importante autour de sa sortie. Sébastien Lifshitz filme alors le quotidien de Sasha, une jeune enfant transgenre, scolarisée en primaire. Au-delà de Sasha, ce sont les membres de sa famille qui sont suivis dans leurs combats quotidiens et notamment de sa mère, Karine, pour que son école reconnaisse son identité de genre.</p>
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<figcaption><span class="caption"><em>Petite Fille</em>, Sébastien Lifshitz, 2020.</span></figcaption>
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<p>Le succès télévisuel du documentaire met un coup de projecteur sur l’existence des mineurs trans. Pour autant, de nombreuses zones d’ombres demeurent en matière de connaissance de cette population. Des récits de parents viennent remplir un besoin croissant d’informations sur ce sujet : on pense notamment au livre <a href="https://www.decitre.fr/livres/mon-ado-change-de-genre-9782875574466.html"><em>Mon ado change de genre</em></a> d’Élisa Bligny (2020).</p>
<p>Au côté des récits de vie, des productions fictionnelles – comme des bandes dessinées – sont publiées à destination du jeune public (on soulignera notamment <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/appelez-moi-nathan-9782228921626"><em>Appelez-moi Nathan</em></a> de Catherine Castro et Quentin Zuttion, ou bien encore <em>Léo et Sasha</em> d’Elisa Bligny). Mais il faut également compter sur les séries. Les personnages trans ou non binaires (pensons à la série <em>Heart Stopper</em>) diffusent-ils aussi des imaginaires et des récits positifs, loin de toute honte ou culpabilisation.</p>
<h2>Des violences ordinaires récurrentes</h2>
<p>Mais pouvons-nous pour autant en conclure que cette visibilité crée moins de stigmatisations ? Une récente enquête de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) souligne <a href="https://www.cncdh.fr/sites/default/files/2022-05/CNCDH%20Rapport%202022%20Droits%20LGBTI%2C%20pdf%20web.pdf">« une adhésion globalement faible aux stéréotypes sur les LGBT »</a>.</p>
<p>Pourtant, les chiffres des violences LGBTphobes ne diminuent pas, comme en attestent les rapports de <a href="https://www.sos-homophobie.org/informer/rapport-annuel-lgbtiphobies/ra-2022">SOS Homophobie</a>. On observe alors que le changement des imaginaires ne donne pas toujours lieu, immédiatement du moins, à un changement dans les pratiques.</p>
<p>Et si les imaginaires de la diversité des genres accompagnent les personnes concernées vers plus d’affirmation, elles touchent encore trop diversement les personnes non concernées.</p>
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<p>_L'auteur a récemment publié <a href="https://www.vie-publique.fr/catalogue/289697-jeunesse-de-nouvelles-identites-de-genre">« Jeunesse : de nouvelles identités de genre? » (Documentation française)_</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215752/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Alessandrin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>« Gender fluid », « non binaires », « queer »… La palette des autodéterminations de genre augmente progressivement parmi les jeunes générations. Décryptage.Arnaud Alessandrin, Sociologue, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2143172023-11-21T14:39:11Z2023-11-21T14:39:11ZFaire le mauvais buzz sur les réseaux sociaux, ça vous tente ? Voici comment !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559387/original/file-20231114-25-wra0k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C989%2C750&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Parce qu'elles prennent l'esprit au dépourvu, les ruptures de cadre sont des facteurs potentiels de dégradation des relations sociales.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://semji.com/fr/guide/quest-ce-qu-un-bad-buzz/">Faire l’objet d’une popularité négative et incontrôlable sur Internet</a>, c’est-à-dire « faire le mauvais buzz », ça peut arriver à n’importe qui, même aux gens les mieux intentionnés.</p>
<p>C’est manifestement ce qui est arrivé aux trois personnes dont je présente ici les cas embarrassants, avec le projet de décrypter les raisons de leur mauvaise fortune. Mon objectif n’est pas de mettre en cause la valeur de leurs idées ou de leurs combats (féminisme, LGBTisme ou antispécisme), mais plutôt d’examiner leurs stratégies de communication à partir de mon point de vue d’<a href="https://professeurs.uqam.ca/professeur/genest.sylvie/">artiste anthropologue</a>.</p>
<p>Plus spécifiquement, je souhaite mettre en lumière les <a href="https://ifftb.com/wiki/cadrage-effet-de/">effets de cadrage</a> qui les ont desservies et que je soupçonne être la principale cause de l’énorme dégât de commentaires désobligeants qui ont été formulés à leur endroit, avec atteinte à leur réputation sur les réseaux sociaux. </p>
<p>Construit sur les fondements de mon étude du <a href="https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/27428">changement d’état d’esprit</a>, cet article s’intéresse aux ruptures de cadre provoquées par des communicateurs malhabiles ainsi qu’aux répercussions psychiques de leurs prestations sur l’humeur d’internautes mal préparés à cette expérience. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-talk-shows-quon-aime-des-machines-a-broyer-la-dignite-198044">Les talk-shows qu’on aime : des machines à broyer la dignité ?</a>
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<h2>La « théorie des cadres » en communication</h2>
<p>Les techniques de <a href="https://books.openedition.org/editionsehess/10320?lang=fr">cadrage</a> et de <a href="https://www.cairn.info/revue-therapie-familiale-2006-4-page-377.htm">recadrage</a> soutenues par les principes fondamentaux de la communication sont utilisées en psychiatrie, en thérapie familiale, en publicité, en arts et en gestion médiatique des comportements sociaux ou privés, principalement. </p>
<p>La théorie générale qui sous-tend ces différentes applications est souvent attribuée au sociologue Erving Goffman, dont la pensée sur le sujet fait l’objet du livre intitulé <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Les_Cadres_de_l%E2%80%99exp%C3%A9rience-2094-1-1-0-1.html">« Les cadres de l’expérience »</a>. Le principe central de cette théorie est que <a href="https://tactics.convertize.com/fr/definitions/framing-effect-effet-de-cadrage">« nous réagissons différemment aux messages ou aux choix que l’on nous soumet en fonction de la manière dont on nous les présente »</a>.</p>
<p>La théorie des cadres est toutefois antérieure aux travaux de Goffman. Elle prend racine dans l’œuvre de l’anthropologue Gregory Bateson et de ses partenaires de l’<a href="https://www.cairn.info/l-ecole-de-palo-alto--9782130606628.htm">École de Palo Alto</a>. Cette équipe de recherche a établi des rapports significatifs entre <a href="http://olivier.hammam.free.fr/imports/auteurs/bateson/eco-esprit/2-3-0-formes-pathologies-relations2.htm">pathologies de la communication et pathologies des relations sociales</a>. </p>
<p>C’est sous le nom de <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-critiques-de-therapie-familiale-2001-1-page-229.htm">« syndrome trancontextuel »</a> que Bateson a regroupé les réactions émotives et psychiques observées chez des personnes confrontées à l’expérience brutale d’une rupture de cadre – ou d’une « transgression » des contextes de communication – lorsque celle-ci se produit dans le cours d’un échange significatif. C’est cette épreuve cognitive à la fois troublante et risquée que parodie avec humour la scène suivante construite sur le modèle de la « caméra cachée ».</p>
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<p>Si les ruptures de cadre peuvent provoquer le rire lorsqu’elles sont mises en scène, elles peuvent aussi entraîner la perplexité, la colère ou même la <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/430">souffrance psychique</a> lorsqu’elles se produisent dans la réalité.</p>
<h2>Trois buzz négatifs</h2>
<p>Les trois vidéos qui suivent présentent des cas d’espèce dont les conséquences sur les internautes sont facilement discernables grâce à la présence visible de commentaires, d’apartés et de réactions exprimées au moyen de <a href="https://dictionnaire.lerobert.com/dis-moi-robert/raconte-moi-robert/mot-jour/meme.html">mèmes</a>, comme celui que constitue le <a href="https://www.rtl.fr/culture/cine-series/qui-etait-juan-joya-borja-alias-el-risitas-l-homme-derriere-le-rire-culte-d-internet-7900026236">rire culte de l’humoriste espagnol El Risitas</a>. </p>
<p>Le premier cas est celui d’une entrevue donnée par Typhaine D, une militante dont l’apostolat est de <a href="https://typhaine-d.com/index.php/actualites/234-manifeste-de-la-feminine-universelle">promouvoir une langue « féminine universelle »</a>.</p>
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<p>L’effet déjanté de ses prestations, que ce soit dans la vidéo ci-dessus ou dans une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=v4J3m7VnlS8">conférence TEDx Talks de 2022</a>, est une conséquence de sa manière d’enchevêtrer des cadres discursifs réciproquement incompatibles sans avoir l’air de s’en apercevoir : celui du débat d’idées et celui de la comédie burlesque. Pour les personnes qui en ressentent les effets, il en résulte un paradoxe qui les coince entre des émotions contradictoires, comme en témoignent les commentaires laissés sous ses vidéos :</p>
<ul>
<li><p>😂 Franchement, j’ai beaucoup ri ! Puis après je me suis souvenu que cette personne existe pour de vrai et qu’elle n’est pas internée en psychiatrie…</p></li>
<li><p>😵💫 Il n’y a pas de mot assez fort pour décrire le malaise que j’ai éprouvé durant cette vidéo… </p></li>
<li><p>🤔 Je n’ai pas su définir si c’était de l’humour ou un exposé féministe. Je ne sais pas s’il faut que je pleure ou que je rigole ?</p></li>
</ul>
<p>Le deuxième cas concerne Arnaud Gauthier-Fawas, responsable d’une association militante pour les <a href="https://www.inter-lgbt.org/">droits des personnes LGBT</a>.</p>
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<p>Le paradoxe avec lequel il faut composer ici est à la fois d’ordre <a href="https://journals.openedition.org/lcc/180">perceptif</a> (comme dans une illusion d’optique) et <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/paradoxe/2-paradoxes-scientifiques/">cognitif</a> (comme lorsque deux visions du monde s’opposent). L’échange auquel on assiste est déconcertant parce qu’il met en doute notre capacité d’évaluer la réalité sur la seule base de nos perceptions : bien qu’on puisse être d’avis que Gauthier-Fawas présente bien l’apparence d’un <em>homme blanc</em>, il faut réviser notre estimation en conséquence de l’arbitraire de son identité psychique : « <em>Je ne suis pas un homme, monsieur ! Je ne suis pas blanc</em> ! » L’effet surréaliste qui en résulte pour l’observateur est comparable à celui qu’entraîne la contemplation du célèbre tableau de Magritte, <a href="https://artshortlist.com/fr/journal/article/trahison-des-images-magritte">La trahison des images (1928)</a>.</p>
<p>Le troisième et dernier cas s’alimente à la source de plusieurs performances médiatiques de Solveig Halloin, activiste <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2022-2-page-58.htm">végétaliste</a> se portant, entre autres, à la <a href="https://www.femmeactuelle.fr/actu/news-actu/qui-est-solveig-halloin-la-militante-activiste-qui-a-fait-le-buzz-dans-touche-pas-a-mon-poste-2112721">défense des animaux d’abattage</a>.</p>
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<p>Le mode paradoxal sur lequel s’exprime cette militante – notamment lorsqu’elle affirme « <em>se battre</em> pour que la violence cesse » – garantit à lui seul l’apparition du syndrome de Bateson chez ses interlocuteurs. En sublimant la cause animale qu’elle défend, Solveig Halloin franchit le seuil critique qui relie le profane au sacré, forçant dès lors une promiscuité de sens choquante entre <a href="https://www.facebook.com/watch/?v=343310679576397">élevage et holocauste</a>. Cela appelle des commentaires acides à lire sous plusieurs de ses <a href="https://www.youtube.com/watch?v=rJIOez7-G_s">vidéos</a>.</p>
<h2>Trois cadres rompus</h2>
<p>Ces trois cadres rompus de la communication entraînent des réactions à classer dans des catégories distinctives du syndrome transcontextuel de Bateson. Le premier cas – qui fait sauter les frontières entre le sérieux du débat et le jeu du théâtre – exploite les effets déroutants d’un changement de règles qui survient en plein cours d’un événement social significatif. Les personnes qui s’aventurent sur un tel terrain doivent savoir qu’elles entreprennent un <a href="https://web.archive.org/web/20220718093758id_/https://journals.openedition.org/communication/7002">jeu sans fin</a>, c’est-à-dire un jeu « qui ne peut pas engendrer de l’intérieur les conditions de son propre changement ».</p>
<p>Le deuxième cas – qui abolit les <a href="http://www.lyber-eclat.net/lyber/korzybski/glossaire.html">différences entre la carte des perceptions et le territoire de l’expérience</a> – exploite les effets pervers d’un changement de niveau d’abstraction non maîtrisé. </p>
<p>Le troisième cas – qui culbute le sacré dans la cour du profane et vice-versa – exploite les effets catastrophiques d’un changement de paradigme, lequel commande une conversion irréversible de l’humanité tout entière. Ce dernier type de rupture peut causer des troubles psychiques d’une très grande gravité.</p>
<h2>Les réseaux sociaux comme « méta cadre » de communication</h2>
<p>Parce qu’elles prennent l’esprit au dépourvu, les ruptures de cadre sont des facteurs potentiels de dégradation des relations sociales. Lorsqu’on les envisage dans le « méta cadre » des réseaux sociaux, toutefois, leurs conséquences pathologiques se trouvent diminuées par les ripostes créatives de personnes (youtubeurs, tiktokeurs, instagrameurs et autres influenceurs) pratiquant l’art de la <a href="https://www.cairn.info/la-boite-a-outils-du-dialogue-en-entreprise--9782100798711-page-96.htm"><em>métacommunication</em></a>, c’est-à-dire l’art de « communiquer sur la communication ». </p>
<p>Grâce à la mise en abîme que leurs <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/region-zero-8/segments/chronique/195001/technologie-youtube-tendance-musique-reaction-video">« vidéos de réaction »</a> accomplissent dans nos esprits – c’est-à-dire grâce à des « vidéos de vidéos » dans lesquelles on peut observer des « réactions humaines à des réactions humaines » – notre sort collectif sur les réseaux sociaux s’en trouve amélioré par la présence de dispositifs nous indiquant comment nous conduire en cas de rupture de cadre : <em>Attention ! Indignez-vous ici ! Riez maintenant ! Soyez méfiant en tout temps !</em></p>
<p>Par leur capacité à recadrer les communications cabossées, ces méta vidéos confirment – au grave détriment de malheureux attiseurs de rumeurs – l’une des plus belles hypothèses de Bateson : « chaque fois qu’on introduit une confusion dans les règles qui donnent un sens aux relations importantes, on provoque une douleur et une inadaptation qui peuvent être graves. Or, si on peut éviter ces aspects pathologiques, l’expérience a des chances de déboucher sur la créativité ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214317/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Genest est membre de l'Institut de recherches et d'études féministes (IREF) de l'Université du Québec à Montréal ; de SAS-Femmes, Collectif de recherches et d'actions pour la sécurité, l'autonomie et la santé de toutes les femmes ; et du Laboratoire de recherche en relations interculturelles (LABRRI) de l'Université de Montréal.</span></em></p>Faire l’objet d’une popularité négative et incontrôlable sur Internet, ça peut arriver à n’importe qui, même aux gens les mieux intentionnés.Sylvie Genest, Professeure à la Faculté des arts, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2148842023-10-03T16:33:13Z2023-10-03T16:33:13ZConseils d’administration : la communauté LGBTQI+ reste largement sous-représentée<p>La plupart des entreprises aiment montrer leur engagement envers les personnes homosexuelles. En raison des progrès réalisés en matière de droits et de reconnaissance juridique au cours des dernières décennies, il est désormais courant d’afficher un logo arc-en-ciel au mois de juin, pendant le mois des fiertés LGBTQI+. De grandes entreprises telles que North Face, Anheuser-Busch InBev, Target ou encore Kohl’s ont ainsi récemment lancé des campagnes publicitaires inclusives mettant en lumière des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queers et intersexes (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/lgbtq-64508">LGBTQI+</a>).</p>
<p>D’un point de vue commercial, il s’agit d’une stratégie qui porte ses fruits, « l’argent rose » pesant <a href="http://www.lgbt-capital.com/index.php?menu_id=2">3 500 milliards d’euros dans le monde, dont 874 milliards d’euros dans l’Union européenne</a>. Toutefois, de nombreux membres de la communauté LGBTQI+ <a href="https://www.washingtonpost.com/business/2023/06/16/lgbt-marketing-advertising-history-pride-month/">qualifient ces actions de « pinkwashing »</a> si elles ne sont pas soutenues par des mesures plus substantielles.</p>
<p>L’absence de ces mesures apparaît notamment lorsque l’on se penche sur les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conseils-dadministration-101154">conseils d’administration</a> des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-20563">entreprises</a>. En effet, mes recherches sur le <a href="https://escp.eu/faculty-research/erim/Impact-Papers/Better-Business-Creating-Sustainable-Value">rôle des entreprises dans la sphère politique</a>, notamment sur les <a href="https://escp.eu/faculty-research/erim/Impact-Papers/Geopolitics-and-Global-Business-Impact">questions sociales</a> telles que les <a href="https://thechoice.escp.eu/tl-dr/advancing-global-lgbt-rights-through-the-big-business-of-sport/">droits des personnes LGBTQI+</a>, montrent que les plus hautes instances reflètent mal la diversité encore aujourd’hui.</p>
<p>Selon les <a href="https://outleadership.com/wp-content/uploads/2022/03/OutQUORUM-Report-2022-2.pdf">estimations d’OutLEADERSHIP, moins de 1 %</a> des 5 670 sièges des conseils d’administration des 500 plus grandes sociétés américaines en chiffre d’affaires sont ainsi occupés par des administrateurs membres de la communauté LGBTQI+. En Europe, nous ne disposons d’aucune donnée en la matière, ce qui peut paraître d’autant plus surprenant que la Commission européenne <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/ALL/?uri=CELEX:52020DC0698">s’est engagée en 2020 à multiplier les opportunités pour la communauté</a>.</p>
<h2>Des politiques homophobes coûteuses</h2>
<p>Les arguments en faveur de la diversité au sein des conseils d’administration apparaissent pourtant très convaincants. Selon l’un des plus grands <a href="https://www.accaglobal.com/gb/en/student/exam-support-resources/professional-exams-study-resources/strategic-business-leader/technical-articles/diversifying-the-board.html">organismes comptables</a> au monde, elle se traduit par « des prises de décision plus efficaces, une meilleure utilisation du vivier de talents [et] une consolidation de la réputation de l’entreprise et des relations avec les investisseurs ».</p>
<p>Les recherches menées par les cabinets de conseil <a href="https://www.bcg.com/publications/2018/how-diverse-leadership-teams-boost-innovation">BCG</a> et <a href="https://www.mckinsey.com/featured-insights/diversity-and-inclusion/diversity-wins-how-inclusion-matters">McKinsey</a> révèlent également que la diversité des équipes dirigeantes améliore la productivité, favorise l’innovation et augmente les performances financières.</p>
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<p>Sur la base de données provenant de 657 entreprises américaines cotées en bourse entre 2003 et 2016, des <a href="https://www.forbes.com/sites/josiecox/2021/05/24/pride-pays-lgbt-friendly-businesses-are-more-profitable-research-shows/?sh=6d73b8523d07">chercheurs finlandais de l’université Aalto et de l’université de Vaasa</a> ont aussi observé que les entreprises ayant adopté des politiques de soutien à la communauté LGBTQI+ étaient à la fois plus rentables et mieux valorisées sur le marché boursier. Par exemple, en améliorant d’un écart-type sa note dans le <a href="https://www.hrc.org/resources/corporate-equality-index">Corporate Equality Index</a> de la Human Rights Campaign Foundation, une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/acfi.12787">entreprise peut voir sa valeur boursière augmenter de 7 %</a>.</p>
<p>À l’inverse, les politiques homophobes et transphobes coûtent de l’argent. <a href="https://open-for-business.org/cee-economic-case">Open for Business</a> a publié un rapport estimant que la Hongrie, la Pologne et la Roumanie perdaient près de 7 milliards d’euros par an du fait de leurs politiques discriminatoires à l’encontre des personnes LGBTQI+. Pourtant, en augmentant de 10 % les droits des membres de cette communauté, ces pays pourraient enregistrer une hausse de 3 400 euros de leur PIB par habitant.</p>
<p>Par ailleurs, un conseil d’administration véritablement diversifié permettrait aux entreprises d’améliorer leur évaluation en matière de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ainsi que ceux, <a href="https://www.sshrc-crsh.gc.ca/funding-financement/nfrf-fnfr/edi-fra.aspx">promus au Canada</a>, relatifs à l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI). En occupant des postes de pouvoir, les membres de la communauté LGBTQI+ contribuent à renforcer la mission de leur entreprise au profit de la communauté mondiale. Ils peuvent notamment défendre les droits des minorités sexuelles dans les <a href="https://theconversation.com/companies-must-advocate-for-lgbt-rights-everywhere-in-the-world-not-just-where-its-easy-167915">quelque 70 pays où les relations homosexuelles constituent toujours un délit</a>.</p>
<h2>Comment progresser ?</h2>
<p>Il faut donc à présent se poser la bonne question : comment les entreprises peuvent-elles induire le changement ? Depuis longtemps, le recrutement des membres des conseils d’administration est perçu comme un exercice réservé aux initiés, où les administrateurs en fonction invitent leurs amis à siéger à leurs côtés. Quand ce n’est pas le cas, nombre de conseils d’administration <a href="https://hbr.org/2019/03/when-and-why-diversity-improves-your-boards-performance">recherchent des personnes occupant ou ayant occupé le poste de président-directeur général ou de directeur financier</a>.</p>
<p>Or, cette situation ne facilite guère les choses, car non seulement les LGBTQI+, <a href="https://theconversation.com/direction-dentreprise-les-femmes-perdent-du-terrain-elles-doivent-etre-strategiques-mais-la-culture-doit-aussi-changer-195508">mais également les femmes</a>, se battent déjà pour briser le plafond de verre afin d’obtenir des postes de direction. Pour diversifier le vivier de candidats qualifiés, les comités de nomination se doivent donc d’élargir leurs critères au-delà des personnes bénéficiant d’une expérience en tant que chef d’entreprise au sein de sociétés cotées en bourse.</p>
<p>Créée en 2022, l’<a href="https://lgbtqdirectors.org/">Association of LGBTQ+ Corporate Directors</a> affirme que le processus secret et non transparent de recrutement des membres des conseils d’administration fait obstacle à l’inclusion. Surtout, elle attire l’attention sur le nombre de <a href="https://blog.nacdonline.org/posts/lgbtq-inclusion-boardroom">personnes LGBTQI+ prêtes à siéger dans les conseils d’administration</a>.</p>
<p>Sur ce point, le programme <a href="https://outleadership.com/developing-talent/outquorum/">OutQUORUM BoardFit</a>, une initiative de OutLEADERSHIP, a été lancé en 2016 pour préparer les leaders LGBTQI+ à prendre place au sein des conseils d’administration. Dans le cadre de ce programme, une base de données de personnes prêtes à siéger au conseil d’administration a été créée. L’organisation encourage ainsi les directeurs et directrices d’entreprise LGBTQI+ à se déclarer, à se faire connaître et à encadrer les candidats qualifiés pour siéger au conseil d’administration.</p>
<p>Si les systèmes basés sur le volontariat tels que ceux énumérés ci-dessus échouent, il sera peut-être bientôt temps pour la Commission européenne de s’appuyer sur sa <a href="https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/policies/justice-and-fundamental-rights/combatting-discrimination/lesbian-gay-bi-trans-and-intersex-equality/lgbtiq-equality-strategy-2020-2025_en">stratégie 2020-2025 en faveur de l’égalité des personnes LGBTQ</a> I+ pour rendre obligatoire la représentation des minorités sexuelles au sein des conseils d’administration. Toutefois, il reste préférable que les entreprises n’attendent pas d’être obligées à agir pour le faire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214884/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ken Chan siège au conseil d'administration d'Open For Business et au conseil consultatif de l'Association canadienne des administrateurs de sociétés LGBTQ+.</span></em></p>Les habitudes en termes de nomination dans les plus hautes instances des entreprises freinent aujourd’hui les opportunités de carrières des employés issus des minorités sexuelles.Ken Chan, Global Executive PhD Candidate.As a practitioner-scholar, Ken's research interests are in corporate political activity and the role businesses play in the policy sphere including on social issues such as LGBTQ+ rights., ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2132992023-10-03T16:32:44Z2023-10-03T16:32:44ZL’art explosif d’Hamad Butt, étoile filante de l’art britannique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/551733/original/file-20231003-21-kh2s3d.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C0%2C776%2C613&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Cradle, une œuvre qui attire l'attention sur un danger contenu mais bien réel. </span> <span class="attribution"><span class="source">Hamad Butt</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://hamadbutt.co.uk">Hamad Butt</a>, artiste méconnu en France, est mort du sida en 1994, à l’âge de 32 ans. Diplômé de l’université Goldsmith à Londres en 1990 et condisciple notamment du célèbre <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Damien_Hirst">Damien Hirst</a>, il aura donc été une étoile filante dans le monde des plasticiens britanniques. Le <em>Guardian</em> lui a consacré un long article en <a href="https://www.theguardian.com/artanddesign/2023/jun/12/hamad-butt-lethal-tate-rehang-evacuation">juin 2023</a>, à l’occasion de l’entrée de ses œuvres à la Tate Britain. C’est ainsi que je l’ai découvert.</p>
<p>L’historien d’art <a href="https://www.qmul.ac.uk/sed/staff/johnsond.html">Dominic Johnson</a>, professeur à la Queen Mary University de Londres, dont les recherches portent sur l’art de la performance et l’art vivant, généralement dans une perspective queer, va développer en 2024 à l’University of Southern California (Los Angeles), un <a href="https://fulbright.org.uk/people-search/dominic-johnson/">travail de recherche</a> annoncé comme :</p>
<blockquote>
<p>« la première étude scientifique de l’œuvre de cet artiste britannique originaire d’Asie du Sud dans le contexte de la relation entre l’art et le sida ».</p>
</blockquote>
<p>En attendant cette somme, j’ai eu envie de me pencher, en physicien, sur une seule pièce de Hamad Butt, intitulée <em>Cradle</em> (<em>Berceau</em>).</p>
<p>Je n’ai pas encore vu l’œuvre in situ mais sur les photos, on ressent déjà sa force, sa puissance plastique, avec cette immobilité qui appelle un mouvement, et cette idée de mouvement suspendu. L’objet peut sembler mystérieux au premier abord, surtout si on n’est pas familier du pendule de Newton, ni conscient de ce que représente le danger du gaz de chlore. Car l’œuvre s’impose, sous des dehors neutres et inoffensifs, par la présence réelle du danger, à la fois invisible et sensible.</p>
<p>Les boules de verre soufflé contiennent en effet du vrai gaz de chlore. Un très beau jaune… mortel si la dose respirée est trop importante. Ce produit toxique est un puissant irritant pour les yeux, la peau et les voies respiratoires. Autrement dit, cette œuvre est effectivement dangereuse. Bien sûr, des mesures de sécurité draconiennes en font un danger qui reste potentiel, mais il est là et vous regarde dans les yeux. Cette œuvre expose le public, et c’est, à ma connaissance, unique.</p>
<h2>Un pendule de Newton, du chlore, du verre soufflé</h2>
<p>Hamad Butt installe sous nos yeux les principes de la physique et de la chimie. Pour la physique, il détourne le pendule de Newton : les cinq boules d’acier (ici en verre), par leur mouvement et leurs chocs, matérialisent deux lois de conservation fondamentales : celle de l’énergie mécanique et celle de la quantité de mouvement.</p>
<p>Une fois les boules lancées, leur comportement est spectaculaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un pendule de Newton.</span></figcaption>
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<p>L’artiste fait ainsi une allusion très directe au fait que la connaissance scientifique et la maîtrise technologique nous ont ouvert le contrôle et le développement du mouvement mécanisé, et surtout de la vitesse. Mais justement : le « pendule de Newton » de Hamad Butt ne bouge pas – « cradle » est peut-être une allusion ironique à ce mouvement de balancier en suspens. Il ne doit pas bouger pour des raisons de sécurité. Il évoque irrésistiblement le mouvement, mais le mettre en mouvement serait dangereux !</p>
<p>La physique et la chimie apparaissent ici dans toutes leurs dimensions : l’œuvre évoque un dispositif de recherche sorti d’un laboratoire, mais souligne dans le même temps combien l’alliance entre la science, la technologie et l’industrie ont été les éléments clés du développement au XX<sup>e</sup> siècle – son berceau. Dans cette perspective, l’œuvre de Hamad Butt est d’une grande force : par ses composants, par sa structure, elle nous rappelle comment cette société a déployé la science et la technologie à une échelle planétaire, tout en affirmant sa capacité à nous prémunir contre la plupart des dangers et des risques induits par ce développement sans précédent, sans que nous ayons à nous en préoccuper au quotidien.</p>
<p>L’irruption du VIH/sida et l’hécatombe qui en a résulté a largement pris à revers cette conviction, bien au-delà des dernières années de la vie de Hamad Butt.</p>
<h2>Le chlore, gaz dangereux et omniprésent</h2>
<p>Le chlore est un élément chimique extrêmement abondant. Le sel de mer, par exemple, est composé à parité sodium et chlore. L’eau de javel est une des mises en forme les plus connues du chlore. La manipulation du chlore, notamment industrielle, est donc très courante, mais elle reste dangereuse. En juin 2022, dans le port d’Aqaba en Jordanie, un accident a fait 13 morts et plus de 250 blessés.</p>
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<figcaption><span class="caption">Une fuite de chlore cause la mort de 13 personnes dans le port jordanien d’Aqaba.</span></figcaption>
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<p>Lors du chargement par une grue portuaire, la rupture du câble a précipité un lourd container de chlore directement sur le pont du bateau. Le nuage jaune très dense qui s’est répandu instantanément ne laissait aucun doute. Il y a là un parallèle saisissant avec <em>Cradle</em>, l’œuvre de Hamad Butt. La grue, les câbles de suspension et la citerne de chlore sont intégrés dans son installation. L’œuvre qui précède cet accident d’un quart de siècle est pratiquement la miniature du dispositif portuaire. Vraiment saisissant !</p>
<h2>Des usages massifs au prix d’accidents à répétition</h2>
<p>Cette mise en situation du risque, à travers le danger que représente le chlore gazeux, a été prise en charge par la collaboration avec les chimistes de l’Imperial Collège à Londres, et avec un technicien spécialiste du verre soufflé. Ils installent ici une relation entre arts et sciences très singulière, construite sur une responsabilité partagée et un engagement commun auprès du public. Ils doivent s’assurer que cette œuvre ne pose pas de problème de sécurité lors de son exposition au public.</p>
<p>C’est là une analogie de ce que font partout, et depuis des décennies, la science, la technologie et l’industrie : produire un nouveau dispositif, une innovation, trop intéressante pour ne pas prendre en charge le risque inhérent et chercher parallèlement à assurer la sécurité.</p>
<p>Mais ici, on a affaire à une installation « inutile » : ce dispositif ne sert à rien, n’a pas d’usage pratique qui justifierait la prise de risque. En réalité, sa fonction est toute autre : Hamad Butt nous rappelle ce pacte auquel nous nous associons tous en délégant à des experts les conditions de notre sécurité et de notre santé. L’accident dans le port d’Aqaba montre que nous acceptons de payer le prix d’accidents meurtriers et répétés, mais dont nous trouvons collectivement les impacts suffisamment limités pour ne pas nous passer de l’innovation.</p>
<h2><em>Cradle</em>, une œuvre complexe et multiple</h2>
<p>Lors de son départ en retraite, Steve Ramsey, le souffleur de verre, qui travaillait à l’époque de la conception de l’œuvre dans un laboratoire de recherche scientifique de l’Imperial College, a raconté sa collaboration avec Hamad Butt :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai travaillé pendant plus de deux ou trois ans avec cet artiste et il n’arrêtait pas de disparaître, alors qu’il faisait pression pour que cette œuvre soit réalisée. J’ai trouvé cela assez frustrant, mais je ne savais pas qu’il était en train de mourir du sida. »</p>
</blockquote>
<p>Ce propos éclaire d’un jour nouveau l’œuvre de Hamad Butt, celui que Dominic Johnson a choisi pour ses recherches. Difficile en effet de dissocier ce rapport à la maladie, à la finitude, au danger de l’œuvre de Hamad Butt.</p>
<p>Avec des œuvres qui s’imposent par leur présence physique et potentiellement dangereuses face aux visiteurs, et qui génèrent ces interrogations si contemporaines, Hamad Butt reste au cœur de nos vies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213299/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Chevrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Méconnu en France, Hamad Butt sera prochainement mis à l’honneur à la Tate Britain. Le travail de l’artiste des années 1990 impose une réflexion inédite sur les dangers de notre ère technologique.Joël Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2141842023-10-03T14:55:01Z2023-10-03T14:55:01ZManifs anti-trans : le parti conservateur pourrait tirer profit de la fracture sociale<p>La polarisation des débats sur les enjeux liés au genre et à la sexualité a donné lieu, la semaine dernière, à des manifestations et des contre-manifestations houleuses dans les villes du pays. </p>
<p>La coalition <a href="https://millionmarch4children.squarespace.com/educational-material">One Million March 4 Children</a>, à l’origine des mobilisations, a dans sa mire un ensemble de composantes des programmes d’éducation à la sexualité dans les écoles, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tudes_de_genre">notamment la théorie du genre</a>. Elle <a href="https://millionmarch4children.squarespace.com/supporters">réunit des organisations de camionneurs, de droite radicale et différentes organisations religieuses</a>. </p>
<p>Porté par divers mouvements conservateurs, la <a href="https://theconversation.com/from-america-to-ontario-the-political-impact-of-the-christian-right-107400">présence des groupes chrétiens</a> à ces manifestations n’était pas surprenante. La forte présence de communautés immigrantes, notamment musulmanes, en a toutefois étonné plusieurs. Durant cette semaine-là, une association musulmane et le chroniqueur conservateur <a href="https://www.journaldemontreal.com/2023/09/23/justin-trudeau-haineux-en-chef-du-canada-devrait-cesser-dinsulter-les-canadiens-qui-ne-pensent-pas-comme-lui">Mathieu Bock-Côté</a>, aux spectres idéologiques opposés, ont tous deux dénoncé <a href="https://www.journaldemontreal.com/2023/09/26/identite-de-genre-lassociation-musulmane-denonce-les-propos-de-trudeau">l’appel à la tolérance du premier ministre Trudeau</a> dans des termes à peu près identiques. </p>
<p>Tant les politiques libertariennes en matière fiscale que très conservatrices en matière sociale ont le vent en poupe. Et il n’y a aucune raison qu’elles n’intéressent pas les membres de la diversité religieuse.</p>
<p>Alors que le Parti populaire (PPC) de Maxime Bernier fait des questions liées au genre son cheval de bataille, Pierre Poilievre s’est montré plus prudent à sauter dans la mêlée. Il a demandé à ses députés d’en faire autant. Mais son parti pourrait tirer profit de cette polarisation. Trois éléments semblent aller dans ce sens. </p>
<p>D’abord, le vote chrétien évangéliste sur les valeurs morales est déjà largement acquis au PCC. Deuxièmement, contrairement à plusieurs formations de droite populiste européenne, le PCC a peu de marge de manœuvre en matière de discours hostile à l’immigration. Un parti qui veut gagner les élections fédérales ne peut se mettre les communautés issues de l’immigration à dos. Puis, la recherche d’une ligne de fracture au sein des communautés immigrantes selon l’axe conservateur/libéral en matière de sexualité et de genre peut modifier l’équilibre des forces politiques à plus long terme. </p>
<p>Respectivement professeur de sociologie à l’UQAM et doctorant en science politique à l’Université de Montréal, nos recherches portent sur le nationalisme, le populisme et les conflits politiques au Québec et au Canada. </p>
<h2>La politisation des enjeux trans par la droite conservatrice</h2>
<p>Si la politisation des questions liées à la sexualité par la droite religieuse n’est pas nouvelle, les débats sur le genre et l’inclusion des personnes trans a récemment pris une importance accrue. </p>
<p>La droite américaine en fait un élément de sa critique du libéralisme depuis des années. <a href="https://www.hilltimes.com/story/2023/07/17/how-the-political-right-are-contesting-pride-month-in-canada/392313/">La récupération de ces enjeux est toutefois plus récente au Canada</a>. Le PPC de Maxime Bernier a inscrit son opposition à « l’idéologie du genre » à son programme. </p>
<p>Plus récemment, des projets de loi proposés par les gouvernements conservateurs du Nouveau-Brunswick et de <a href="https://theconversation.com/saskatchewan-naming-and-pronoun-policy-the-best-interests-of-children-must-guide-provincial-parental-consent-rules-212431">la Saskatchewan</a>, qui visent à obliger les directions d’écoles à avertir les parents d’une demande de changement de prénom ou de genre exprimée par leur enfant, <a href="https://policyoptions.irpp.org/fr/magazines/juillet-2023/poilievre-trans-republicains/">ont également suscité de vifs débats</a>. Ils opposent les « droits parentaux » aux droits des enfants trans de vivre en sécurité. Au Québec, l’utilisation de prénoms neutres et la <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/education/2023-09-12/blocs-sanitaires-dans-les-ecoles/drainville-exige-le-maintien-de-toilettes-non-mixtes.php">question des toilettes mixtes</a> s’ajoutent à cette liste des enjeux qui activent cette polarisation.</p>
<h2>Les valeurs conservatrices des minorités culturelles : une route vers la victoire ?</h2>
<p>Le PCC a obtenu des résultats en deçà de ses attentes aux trois dernières élections. Or, l’usure du pouvoir libéral, l’inflation et les difficultés d’accès à la propriété sont des thèmes permettant au parti de faire des gains chez les jeunes, particulièrement les hommes. </p>
<p>Aux dernières élections, le défi du PCC était de concilier le conservatisme social espéré par sa base, avec une plate-forme acceptable pour l’électorat centriste. Andrew Scheer et Erin O’Toole ont trébuché sur ce problème. </p>
<p>La majorité conservatrice de Stephen Harper en 2011 reposait sur la capture de circonscriptions à forte proportion immigrante, notamment à Mississauga, Brampton, Richmond Hill et Vaughan, dans la région de Toronto. Or, ces circonscriptions ne faisaient pas partie de la <a href="https://policyoptions.irpp.org/magazines/the-winner/the-emerging-conservative-coalition/">stratégie initiale de Harper</a>, mais la difficulté de rallier les nationalistes québécois l’a forcé à la réévaluer. Harper s’était alors tourné vers les minorités culturelles en banlieue de Toronto. Elles partageaient, outre les valeurs conservatrices, un attachement à la religion et à la libre entreprise. Harper a également introduit des <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/income-splitting-what-it-is-and-who-benefits-1.2818396">mesures fiscales favorables aux familles, majoritairement patriarcales</a>, qui valorisent le travail d’un seul parent et où un époux a des revenus beaucoup plus élevés que l’autre. </p>
<p>Aujourd’hui en avance dans les sondages, le PCC pourrait faire des gains aux dépens des libéraux à Markham, Vaughan, Richmond Hill, Whitby et Pickering-Uxbridge, dans certaines circonscriptions de Toronto, à Oakville et jusqu’aux banlieues de Hamilton. Le PCC pourrait aussi reprendre des circonscriptions dans le Grand Vancouver qu’il avait perdu aux mains des libéraux lors des dernières élections. </p>
<h2>La stratégie probable du PCC</h2>
<p>La politisation des enjeux liés au genre et à la sexualité est probablement perçue comme une opportunité par Poilievre de renouveler son électorat à l’approche de la prochaine élection. Pour y arriver, il est peu probable qu’il s’engage, à l’instar du Parti populaire, à limiter les droits des enfants transgenres ou à s’immiscer dans les champs de compétences des provinces. </p>
<p>Le PCC se contentera probablement de mobiliser des sifflets à chien dénonçant les « wokes » et d’appuyer les gouvernements provinciaux et les communautés religieuses dénonçant les programmes d’éducation sexuelle. </p>
<p>C’est ce que Poilievre a fait en août lors d’un rassemblement de la communauté pakistanaise de Toronto. Dans un <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/poilievre-lgbtq-pronouns-schools-1.6950029">discours prononcé dans le cadre des célébrations pour le Jour de l’Indépendance du Pakistan</a>, il s’est porté à la défense de la liberté de religion et du droit des parents de « transmettre leurs enseignements traditionnels à leurs enfants » et de les « élever avec leurs propres valeurs ». Plus tôt cet été, il s’était <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1991601/pierre-poilievre-plitique-713-taxe-carbone">opposé à ce que le gouvernement fédéral se mêle des débats au Nouveau-Brunswick</a>. </p>
<p>Le PCC pourrait bénéficier d’un <a href="https://angusreid.org/canada-culture-wars-gender-and-trans-issues/">appui</a> de la population sur ces enjeux. Même si les pratiques reliées aux transitions de genre <a href="https://www.lapresse.ca/dialogue/chroniques/ados-transgenres/la-verite-sur-les-transitions-medicales/2023-09-25/ados-transgenres/la-verite-sur-les-transitions-medicales.php">sont rarissimes</a>, elles suscitent l’ire des milieux conservateurs. </p>
<p>D’autres positions conservatrices, comme la <a href="https://nationalpost.com/news/local-news/poilievre-blames-wave-of-violence-in-alberta-on-prime-minister-justin-trudeau-and-ndp/wcm/d6805980-8a25-43ba-93be-fe44bd2d5b89">critique de la décriminalisation des drogues en Colombie-Britannique et du « wokisme » libéral en matière de criminalité</a>, pourraient aussi faire mouche. Ainsi, une stratégie axée sur le conservatisme fiscal, la loi et l’ordre, la famille traditionnelle et les valeurs conservatrices en matière de sexualité pourrait être très rentable pour le PCC. </p>
<h2>Quels dilemmes pour les partis d’opposition ?</h2>
<p>Cette stratégie du PCC remet également en question les stratégies du PLC et du NPD. Se présentant à la fois comme les défenseurs des communautés religieuses ou ethniques, des minorités sexuelles et de genre, mais aussi comme des critiques de la loi 21 du Québec sur la laïcité, ces partis ont entretenu des clientèles qui se retrouvent aux antipodes de cette polarisation sociale. </p>
<p>Cette évolution était prévisible. L’importante présence de certaines communautés culturelles dans les mobilisations anti-LGBTQ+ fait éclater l’idée simpliste véhiculée par la gauche identitaire selon laquelle la « diversité » serait nécessairement libérale et progressiste, parce que minoritaire. </p>
<p>Les communautés issues de l’immigration sont hétérogènes et leurs relations aux <a href="https://angusreid.org/canada-religion-interfaith-holy-week/">questions de liberté de conscience et d’expression</a> varient grandement. Mais leurs institutions communautaires, parfois religieuses et patriarcales, ne cadrent pas toujours avec l’orientation des libéraux et du NPD en matière de citoyenneté et diversité sexuelle.</p>
<p>Les réactions du milieu nationaliste québécois ont été équivoques sur ces questions. Le Bloc Québécois a manqué une occasion de prendre position en faveur des droits des minorités sexuelles avant ceux des parents à être indignés. Il a privilégié l’autonomie des provinces plutôt qu’une position de fond qui aurait été cohérente avec celle de Québec sur les dossiers de la liberté académique et de laïcité. </p>
<p>Le PCC pourrait cependant être confronté à l’éventualité où une province utilise la clause dérogatoire pour adopter une loi en lien avec les « droits parentaux », <a href="https://lactualite.com/actualites/une-injonction-est-accordee-sur-la-politique-sur-le-genre-a-lecole-en-saskatchewan/">utilisation récemment confirmée par Scott Moe en Saskatchewan</a>. Il serait délicat pour Poilievre de défendre l’utilisation de la clause dérogatoire dans les provinces conservatrices, mais de s’y opposer pour les lois du Québec sur la laïcité et la langue. </p>
<p>Une fenêtre semble ainsi s’ouvrir pour Poilievre et le PCC. L’usure du pouvoir, les cafouillages libéraux à répétition et les défis économiques y contribuent certainement. Cela dit, la croissance des communautés ethniques et religieuses et l’appui grandissant des jeunes au conservatisme s’inscrivent dans des changements sociaux et démographiques plus larges qui pourraient bousculer la donne politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214184/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le PCC de Pierre Poilièvre pourrait faire des gains en ralliant la droite libertarienne, les chrétiens évangélistes et les communautés immigrantes, notamment musulmanes, sur les enjeux de sexualité.Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)François Tanguay, Doctorant, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2138812023-10-02T18:20:55Z2023-10-02T18:20:55ZProtéger les élèves LGBT+ des discriminations : le rôle des professeurs documentalistes<p>Depuis la loi de refondation du 8 juillet 2013, la lutte contre les discriminations sexistes, homophobes et transphobes est au cœur des missions de l’école qui, au nom des valeurs d’égalité et de respect de l’autre dans sa diversité, se doit de veiller à la sécurité des élèves LGBT+. Ces derniers sont en effet des <a href="https://www.sos-homophobie.org/informer/rapport-annuel-lgbtiphobies">populations fragilisées</a>, courant le risque de se faire agresser au cours de leur scolarité. Une réalité sombrement illustrée en janvier 2023 par le <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/lgbt/entretien-harcelement-homophobe-a-l-ecole-le-milieu-scolaire-pourrait-faire-beaucoup-plus-dc921c06-a2d7-11ed-8428-de9553521eb9">suicide du jeune Lucas</a>, 13 ans, harcelé au collège en raison de son homosexualité.</p>
<p>Les jeunes LGBT+ rencontrent en outre différentes barrières dans leur accès à l’information en <a href="https://publications-prairial.fr/balisages/index.php?id=979">bibliothèque publique ou scolaire</a>. Cela est dû à un manque d’ouvrages susceptibles de répondre à leurs <a href="https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00432302">besoins informationnels</a> (comprendre qui ils sont, accéder à des représentations positives) ou bien à des erreurs de catalogage qui invisibilisent des ressources pourtant présentes dans les collections. Il existe aussi des barrières psychologiques que ces jeunes s’imposent. Par peur d’être stigmatisés, ils s’interdisent de consulter ou d’emprunter certains documents.</p>
<p>Répondre aux besoins informationnels de tous les élèves, leur permettre de développer leur esprit critique et de gagner en estime de soi est aussi l’une des missions fondamentales de l’école et plus particulièrement des professeurs documentalistes.</p>
<p>Une étude financée par la <a href="https://cenhtor-msh-lorraine.cnrs.fr/s/prodoq/page/projet">MSH Lorraine</a> et conduite entre 2022 et 2023 auprès de professeurs documentalistes du Grand Est s’est intéressée à la manière dont ils développaient et transmettaient des savoirs en lien avec les « questions de genre ». Cela englobait des thématiques comme l’égalité entre les filles et les garçons, l’<a href="https://journals-openedition-org.bases-doc.univ-lorraine.fr/osp/4398">orientation des élèves</a>, les violences sexistes, sexuelles et LGBTphobes. Les données collectées ont permis de dégager des <a href="https://hal.univ-lorraine.fr/hal-04186049">résultats</a> sur la manière dont ces enseignants œuvrent pour le bien-être des élèves LGBT+.</p>
<h2>Le métier de professeur documentaliste</h2>
<p>Titulaires d’un CAPES de Documentation, les professeurs documentalistes poursuivent <a href="https://www.education.gouv.fr/bo/17/Hebdo13/MENE1708402C.htm">trois missions</a>. En tant qu’enseignants, ils participent à la transmission d’une culture de l’information à tous les élèves. Ils inscrivent leurs actions dans le cadre de l’<a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/education-aux-medias/">Éducation aux médias et à l’information</a> qui vise, entre autres, à permettre aux élèves de reconnaître et de dépasser les stéréotypes et les préjugés véhiculés par les médias, la télévision, la publicité ou par certains <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/discours-de-haine-sur-linternet/">discours sociaux</a> allant à l’encontre des valeurs démocratiques et républicaines.</p>
<p>En tant que gestionnaires du Centre de Documentation et d’Information (CDI), ils organisent, enrichissent et exploitent le fonds documentaire pour répondre aux besoins des élèves et des enseignants.</p>
<p>Ils sont aussi acteurs de l’ouverture de leur établissement sur son environnement éducatif, professionnel et culturel, ce qui passe par l’élaboration d’une politique d’accès à la culture et la création de partenariats avec le monde associatif, artistique…</p>
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<p>Si leur double métier est parfois un frein en termes de reconnaissance et d’<a href="https://doi-org.bases-doc.univ-lorraine.fr/10.3917/edagri.fabre.2011.01.0191">identité professionnelle</a>, il peut aussi être un atout pour répondre aux questions socialement vives qui pénètrent l’école.</p>
<p>Pourtant, sur le terrain, ils sont confrontés à de nombreuses difficultés qui leur donnent parfois l’impression de bricoler et de se battre contre des moulins à vent.</p>
<h2>Valoriser un fonds documentaire sans stigmatiser un public</h2>
<p>Les élèves LGBT+ ne sont pas toujours identifiés par les professeurs documentalistes, à l’exception de ceux qui s’assument ouvertement, font des suggestions pour l’acquisition de livres ou trouvent refuge au CDI pour fuir les brimades dont ils peuvent être victimes. Il s’agit donc la plupart du temps de répondre aux besoins informationnels d’un public supposé présent.</p>
<p>La volonté d’acquérir des ressources ne suffit pas à garantir la constitution d’un fonds pertinent. Certains documentalistes soulignent leur manque de connaissance de ce public qui est loin d’être homogène (les besoins d’un garçon cisgenre gay ne sont pas les mêmes que ceux d’une fille transgenre) et un manque de vocabulaire qui ne permet pas toujours de faire des recherches d’information efficaces ou de bien indexer les documents. Leurs propres représentations jouent également un rôle dans la constitution des collections.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’homophobie, ça suffit ! Louis nous parle de son expérience d’élève LGBT (Education France, mai 2019)</span></figcaption>
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<p>Se pose alors la question de valoriser un fonds sans stigmatiser un public. Comment choisir les bons mots clés, pallier les limites des thésaurus ? Comment proposer des histoires « positives » qui ne confortent pas les élèves dans l’idée qu’ils seront toujours isolés, harcelés, rejetés ?</p>
<p>À cela s’ajoute une réflexion quant au <a href="http://www.intercdi.org/les-bibliotheques-lieux-ressources-pour-les-publics-lgbt/">classement des ouvrages</a>. Par exemple, sortir d’un fonds de <em>manga</em> ceux dont l’intrigue rend compte d’une romance entre deux personnages du même sexe pour les intégrer à un fonds spécial peut être une source de stigmatisation. A contrario, ne pas signaler l’existence de telles intrigues et laisser les ouvrages au sein d’un fonds généraliste peut conduire à leur invisibilisation.</p>
<h2>Des questions qui cristallisent des résistances</h2>
<p>Qu’il s’agisse de la question LGBT+, de l’égalité fille-garçon ou encore des violences sexistes et sexuelles, les professeurs documentalistes sont confrontés à de nombreuses résistances.</p>
<p>Des élèves peuvent se montrer réfractaires à ces thématiques parce qu’ils suivent une dynamique de groupe, évitent de témoigner d’une ouverture d’esprit afin de ne pas se faire remarquer. Certains évoquent parfois des convictions politiques ou religieuses qui, bien qu’elles n’aient pas leur place à l’école, peuvent être un frein au bon déroulement d’une séance.</p>
<p>Les parents peuvent aussi émettre des réserves sur le déroulement d’activités, ce qui pousse parfois les enseignants à une forme d’<a href="https://uknowledge.uky.edu/slis_facpub/33/">autocensure</a> ou à des stratégies de contournement. Cela est d’autant plus vrai dans des établissements privés sous contrat avec l’État situés dans des territoires où des organisations catholiques traditionalistes <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/oise/compiegne/un-lycee-de-l-oise-censure-le-visionnage-de-films-sur-l-ivg-et-l-homosexualite-une-association-denonce-une-violence-symbolique-2746270.html">font pression pour que les questions de genre ne soient pas abordées à l’école</a>.</p>
<p>Les résistances peuvent venir d’autres membres de l’équipe éducative, par manque de temps ou d’intérêt, ou bien parce qu’ils ne sont pas à l’aise avec ces questions <a href="http://books.openedition.org.bases-doc.univ-lorraine.fr/msha/1038">ou sont également enfermés dans des stéréotypes</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">A Pont-Audemer (27), un atelier de sensibilisation à l’homophobie mené dans un lycée (France 3 Normandie, 2021)</span></figcaption>
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<p>Enfin, en France, la majorité des professeurs documentalistes sont des femmes et certaines parmi celles que nous avons rencontrées affirment parfois ressentir, au sein d’équipes de direction, un sexisme ordinaire allant d’un manque de soutien dans l’organisation d’événements pourtant présentés comme prioritaires dans les textes officiels à une <a href="https://journals.openedition.org/rechercheformation/2135">dévalorisation</a> des actions qu’elles mettent en place.</p>
<h2>Hybrider les savoirs info-documentaires et les savoirs communautaires</h2>
<p>Les professeurs documentalistes, notamment celles et ceux qui s’engagent en tant que <a href="https://pedagogie.ac-reims.fr/index.php/prevention-et-lutte-contre-les-discriminations/l-egalite-des-filles-et-des-garcons/item/6009-referentes-et-referents-egalite-filles-garcons-et-lgbt">chargés de mission égalité</a> filles-garçons/LGBT, reconnaissent l’utilité des formations proposées par l’institution, car elles contribuent à définir le cadre institutionnel de la politique d’égalité et à mettre en œuvre des projets. Cependant, elles sont souvent trop courtes et trop peu nombreuses.</p>
<p>L’institution ne peut à elle seule apporter les connaissances et le soutien nécessaires, d’autant plus qu’elle formule souvent des injonctions paradoxales, reproduit le système de genre et favorise la <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-du_genre_en_education_pour_des_cles_de_comprehension_d_une_structure_du_social_sigolene_couchot_schiex-9782343188034-64272.html">persistance des inégalités sexuées</a>. C’est donc au sein d’autres sphères que ces enseignants s’informent sur l’histoire et la culture LGBT+ :</p>
<ul>
<li><p>des jeunes collègues, stagiaires ou assistants d’éducation, qui assument leur orientation sexuelle et/ou leur identité de genre, ou s’intéressent à ces questions ;</p></li>
<li><p>des élèves concernés qui s’impliquent dans des activités de prévention ou dans la vie du CDI ;</p></li>
<li><p>leur sphère privée (militantisme, enfant qui a fait un <em>coming out</em>) ;</p></li>
<li><p>les associations avec lesquelles ils collaborent dans le cadre d’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=BkkGWmAU2m8">actions spécifiques</a>.</p></li>
</ul>
<p>La nécessité d’une collaboration plus étroite avec ce type d’associations pour acquérir des ressources appropriées aux besoins des élèves, utiliser un vocabulaire adéquat et se familiariser avec le <a href="https://bigtata.org/">« queersaurus »</a> a d’ailleurs été mentionnée au cours de notre enquête.</p>
<p>Un processus d’hybridation du savoir info-documentaire avec le savoir situé et communautaire (des personnes et associations concernées) semble se mettre en place, de même qu’un phénomène de transmission de connaissances ascendante (des enfants/élèves/stagiaires vers les enseignants en poste depuis plusieurs années). Cela favorise l’émergence d’un traitement documentaire pertinent et non stigmatisant et une meilleure prise en compte du public LGBT+ dans le panorama culturel des établissements.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213881/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bérengère Stassin est membre d'Exaequo, une association rémoise agréée par l’Éducation nationale et spécialisée dans la prévention du harcèlement à caractère LGBTphobe</span></em></p>Ayant pour mission de répondre aux besoins informationnels des élèves, les professeurs documentalistes réfléchissent à une meilleure prise en compte du public LGBT+.Bérengère Stassin, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, membre du CREM, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2123972023-09-06T17:34:57Z2023-09-06T17:34:57ZLettonie : les défis du nouveau président<p>Le 8 juillet 2023, Edgars Rinkevics a pris ses fonctions de dixième président de la République de Lettonie, après avoir été élu par la Saeima, le Parlement. Âgé de 49 ans, ce diplomate chevronné, membre du parti centriste Nouvelle Unité, a traversé avec constance divers changements de coalition en conservant le portefeuille des Affaires étrangères qu’il occupait depuis octobre 2011. Avant cela, il avait été en poste au ministère de la Défense, puis directeur de la chancellerie du président de la République sous le mandat de Valdis Zalters (2008-2011).</p>
<p>Autant dire que le nouveau chef de l’État est une figure parfaitement insérée dans le paysage politique letton, mais également à l’étranger, où il incarne son pays avec un flegme souriant depuis près de douze ans.</p>
<p>Il arrive au pouvoir dans un contexte international et régional extrêmement tendu du fait de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conflit-russo-ukrainien-117340">guerre en Ukraine</a> – un contexte qui a des effets majeurs à l’intérieur de son pays, frontalier de la Russie et de la Biélorussie, et dont un quart environ des 2 millions d’habitants sont des russophones…</p>
<h2>Une élection sur le fil</h2>
<p>Dans la discrète Lettonie, la campagne électorale n’a pas été de tout repos. Le président sortant, Egils Levits, s’était dans un premier temps porté candidat à sa propre succession, avant de <a href="https://www.fpri.org/article/2023/05/who-will-be-the-next-president-of-latvia/">jeter l’éponge</a>. Levits était soutenu par le parti national-conservateur « Alliance nationale », formation qui participait à la coalition au pouvoir, en compagnie de Nouvelle Unité et de Liste unie (une union de partis centristes). Lorsque Liste unie a décidé de présenter son propre candidat, un homme d’affaires peu expérimenté en politique, Uldis Pilens, Levits a préféré se retirer de la course. </p>
<p>Le lendemain, le Parti progressiste (social-démocrate, situé dans l’opposition) annonçait que sa candidate serait Elina Pinto, experte en gouvernance publique et activiste de la diaspora. Et quelques heures après, Nouvelle Unité, parti du premier ministre Krisjanis Karins, en poste depuis 2019, désignait Edgars Rinkevics comme candidat.</p>
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<p>Si son bilan positif en matière de politique étrangère semblait parler en sa faveur, il n’a d’abord pas pu compter sur le soutien de l’Alliance nationale, qui a jugé que le président et le premier ministre ne devaient pas être issus du même parti, ni sur celui des Progressistes donc, alors que ces derniers partagent sur bien des points les orientations sociales-libérales de Nouvelle Unité.</p>
<p>Lors du premier tour de scrutin, le ministre des Affaires étrangères a recueilli 42 voix, contre 25 pour Pilens et 10 pour Pinto. Le deuxième tour a donné exactement les mêmes résultats, avant que, conformément à la Constitution, Pinto ne se retire. Enfin, le 31 mai, <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/observatoire/2004">Rinkevics a été élu</a> à l’issue du troisième tour de scrutin, emportant sur le fil, et grâce au ralliement des Progressistes, 52 des 100 voix du Parlement, Pilens en récoltant 25.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1665297344043298816"}"></div></p>
<p>Constitutionnellement, les prérogatives du président sont restreintes en Lettonie. Le chef de l’État peut toutefois opposer son veto à des lois et convoquer des référendums, privilèges dont avait usé en son temps <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2007-4-page-17.htm">Vaira Vike-Freiberga</a>, présidente de 1999 à 2007, qui avait parfaitement su trouver sa place dans le système letton, donnant de la substance à sa fonction par son autorité morale, notamment en incarnant son pays sur la scène européenne et internationale au moment de la double <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2004-4-page-99.htm">adhésion à l’UE et à l’OTAN</a>. Elle <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n114/grand-entretien/la-lettonie-est-de-retour">expliquait alors</a> que le rôle réduit du chef de l’État letton lui offre une large liberté pour se positionner au-dessus des débats politiciens et s’affranchir de certaines contingences.</p>
<h2>Un programme à forte teneur sociale</h2>
<p>Le choix du Parlement, même chaotique, signe finalement une volonté de continuité et de stabilité. Les priorités d’Edgars Rinkevics étaient globalement connues et son expérience en matière de politique étrangère vaut en quelque sorte assurance de cohérence. En ces temps particulièrement inquiétants pour le pays, l’heure n’est ni à l’aventurisme ni à l’expérimentation.</p>
<p>Les priorités de son prédécesseur, Egils Levits, avaient été l’identité (et notamment la <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/lettonie-2polvalorisation.htm">promotion de la langue lettone</a>) mais aussi, dès le 24 février 2022, le <a href="https://georgiatoday.ge/president-of-latvia-egils-levits-the-only-side-is-ukraines-side/">soutien résolu à l’Ukraine</a> ; le président sortant a par exemple milité pour la création d’un <a href="https://theconversation.com/les-crimes-commis-en-ukraine-pourront-ils-un-jour-faire-lobjet-dun-proces-international-181021">Tribunal pénal international pour juger des crimes perpétrés par la Russie</a>. Il laisse toutefois l’image d’un chef de l’État relativement éloigné des préoccupations de ses administrés, ce qu’a révélé en particulier son attitude assez passive pendant la pandémie de Covid-19.</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-etats-baltes-a-lepreuve-du-covid-19-une-certaine-idee-de-leurope-137761">Les États baltes à l’épreuve du Covid-19 : une certaine idée de l’Europe</a>
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<hr>
<p>Lors de son <a href="https://www.president.lv/en/article/speech-president-latvia-edgars-rinkevics-saeima-8-july-2023">discours d’investiture devant la Saeima</a>, Rinkevics, sans surprise, a annoncé la poursuite de la politique étrangère qu’il avait mise en œuvre depuis tant d’années, insistant évidemment sur l’importance d’un soutien indéfectible à l’Ukraine. Il a par ailleurs souligné la fracture sociale qui perdure dans le pays, les écarts ne cessant de se creuser entre populations et entre régions, et affirmé que le <a href="https://www.populationdata.net/pays/lettonie/">déclin démographique de la Lettonie</a>, problème majeur du pays, ne sera pas résolu à coups de prestations sociales, insuffisantes pour promouvoir la natalité, mais en investissant significativement dans l’éducation, la santé et le logement, conditions nécessaires pour endiguer une émigration inquiétante, surtout parmi les jeunes. </p>
<p>Le nouvel élu a également mis l’accent sur la lutte contre la corruption et la criminalité, ainsi que sur la consolidation d’un pouvoir judiciaire fort et indépendant – des sujets qui traversent depuis plus de trente ans la société lettone. Il n’a pas été disert sur la question des populations russophones de Lettonie, même s’il est clair que, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, celles-ci sont, encore plus qu’auparavant, <a href="https://www.lefigaro.fr/international/en-lettonie-la-communaute-russophone-sous-pression-le-recit-de-l-envoye-special-du-figaro-20221228">implicitement mises en demeure de devoir assurer leur loyauté à l’État letton</a>. Loyauté qui passe notamment par une condamnation ferme et sans appel des actions de la Russie. Mais le nouveau Président, ferme dans ses principes, est aussi un homme de consensus qui ne souhaite pas attiser artificiellement des tensions dont la Lettonie saura très bien se passer.</p>
<h2>L’Ukraine, une priorité évidente</h2>
<p>Depuis 2014 et, plus encore, depuis février 2022, l’engagement de Riga vis-à-vis de l’Ukraine ne s’est jamais démenti. Si l’aide fournie pèse certes peu en valeur absolue, la Lettonie se positionne, et c’est notable, en <a href="https://www.ifw-kiel.de/topics/war-against-ukraine/ukraine-support-tracker/">deuxième position des pays engagés en part de PIB</a> (1,1 % au 31 mai 2023), juste derrière l’Estonie et devant la Lituanie et la Pologne. Pour Edgars Rinkevics, les régimes russe et biélorusse menacent la région baltique, l’Europe et le monde. En la matière, le président entend persévérer dans son soutien à Kiev <a href="https://www.president.lv/en/article/president-latvia-latvia-has-provided-strong-support-ukraine-and-its-people-ever-illegal-annexation-crimea-2014-and-we-will-continue-provide-support-until-complete-victory-ukraine">jusqu’à la victoire complète de l’Ukraine</a>.</p>
<p>Cet engagement passe par un <a href="https://www.lefigaro.fr/international/edgars-rinkevics-le-pouvoir-russe-est-plus-faible-que-nous-le-pensions-20230628">appui actif</a> aux candidatures de Kiev à l’UE et à l’OTAN, le chef de l’État insistant sur les signaux nécessaires à envoyer tant à l’Ukraine (qui ne doit pas se décourager) qu’à la Russie (qui doit comprendre que les alliés de l’Ukraine ne l’abandonneront pas).</p>
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<p>En <a href="https://www.president.lv/en/article/president-rinkevics-poland-plays-strategic-role-strengthening-regional-security">visite de travail en Pologne le 16 août</a>, Rinkevics a rencontré son homologue Andrzej Duda avec lequel il a échangé sur les questions de sécurité régionale, de soutien à l’Ukraine, de renforcement de la coopération bilatérale économique et en matière de défense, ainsi que sur la façon de mettre en œuvre les décisions adoptées lors du <a href="https://theconversation.com/lotan-et-lukraine-ou-va-t-on-apres-le-sommet-de-vilnius-210022">sommet de l’OTAN à Vilnius</a>.</p>
<p>Peu avant, il s’était rendu dans la région de Latgale, à la frontière avec la Biélorussie, afin d’y évaluer les risques induits par les orientations de ce pays désormais vassalisé par le Kremlin : qu’il s’agisse du <a href="https://fr.euronews.com/2023/07/06/a-la-frontiere-entre-la-pologne-et-la-bielorussierien-na-change-en-deux-ans">risque migratoire</a>, de la présence des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/les-images-de-la-nouvelle-base-de-wagner-en-bielorussie-20230803">mercenaires de Wagner</a>, du <a href="https://www.bfmtv.com/international/asie/russie/le-deploiement-d-armes-nucleaires-russes-en-bielorussie-represente-t-il-une-menace-pour-l-europe_AV-202305260637.html">déplacement d’équipements nucléaires russes sur le territoire biélorusse</a> ou du fonctionnement de la <a href="https://theconversation.com/au-belarus-la-centrale-nucleaire-de-la-discorde-129722">centrale nucléaire d’Astravets</a>, les menaces émanant de ce pays sont perçues comme sérieuses par le président, qui dit par ailleurs vouloir veiller à la réduction des inégalités internes à son pays, <a href="https://www.osw.waw.pl/en/publikacje/osw-commentary/2023-03-15/far-behind-riga-latvias-problems-uneven-development">celles-ci affectant particulièrement cette région orientale de Lettonie</a>.</p>
<h2>Faire avancer la société</h2>
<p>Edgars Rinkevics souhaite voir se concrétiser deux projets qui font débat dans le pays depuis quelques années : d’une part, la ratification de la <a href="https://www.coe.int/fr/web/istanbul-convention">Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique</a>, adoptée par le Conseil de l’Europe en 2011, jusqu’ici bloquée en Lettonie par les conservateurs qui, curieusement, semblent sur ce sujet assez perméables au <a href="https://researchportal.helsinki.fi/en/publications/russia-and-the-istanbul-convention-domestic-violence-legislation-">discours véhiculé par la Russie</a>, selon lequel les textes internationaux de ce type mettent à mal la famille traditionnelle ; d’autre part, l’ouverture de l’union civile à tous les couples, sujet sur lequel le nouveau président s’était déjà clairement prononcé avant de prendre ses nouvelles fonctions. En 2022, la Cour constitutionnelle a reconnu les unions entre personnes de même sexe, mais le Parlement n’a rien fait pour appliquer cette décision, notamment en matière de protection juridique.</p>
<p>Or, quand Edgars Rinkevics s’exprime sur cette question, sa parole est particulièrement guettée. En effet, le 6 novembre 2014, il avait provoqué un tremblement de terre en postant laconiquement en anglais sur Twitter : « J’annonce fièrement que je suis gay… Bonne chance à tous… »</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"530450808132108288"}"></div></p>
<p>Quelques heures auparavant, <a href="https://twitter.com/edgarsrinkevics/status/530436835101904896?lang=fr">dans un autre tweet</a>, accompagné du hashtag #Proudtobegay, il avait annoncé que la Lettonie, où les couples homosexuels ne bénéficiaient jusqu’alors d’aucune reconnaissance légale (la <a href="https://www.wipo.int/wipolex/fr/legislation/details/7363">Constitution</a> a même été modifiée en 2005 pour leur interdire de se marier), allait créer un cadre juridique leur accordant des droits ; il avait alors annoncé qu’il se battrait en ce sens, même si cela devait provoquer une « méga-hystérie ».</p>
<p>Le lendemain, dans un nouveau tweet, il remerciait les internautes pour leur compréhension et leur soutien : « La vie continue. » Dans un pays réputé conservateur, son coming out n’a eu aucune incidence sur sa carrière, et il est notable que <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/lettonie-edgars-rinkevics-elu-premier-president-gay-20230531">son homosexualité est mise en avant essentiellement à l’étranger</a>, alors qu’elle est rarement mentionnée en Lettonie, où elle est jugée peu pertinente pour évaluer sa légitimité à occuper de hautes fonctions. Il n’en reste pas moins que Rinkevics est désormais le premier chef d’État ouvertement gay de l’histoire de la Lettonie, <a href="https://www.leparisien.fr/international/ces-rares-pays-qui-ont-elu-un-chef-detat-ouvertement-homosexuel-avant-la-lettonie-01-06-2023-IXADJVHUNBENNE65YJIURQ57K4.php">et même de l’histoire de tous les pays de l’Union européenne</a>.</p>
<h2>Une scène politique interne chahutée</h2>
<p>Les premières semaines du nouveau président sont quelque peu troublées par la chute du gouvernement, à la suite de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/08/14/en-lettonie-le-premier-ministre-demissionne-sur-fond-de-desaccords-entre-les-membres-de-sa-coalition_6185381_3210.html">démission, le 14 août, du premier ministre Krisjanis Karins</a>, qui a tiré les conclusions des désaccords persistant au sein de la coalition : pour favoriser le consensus, le chef du gouvernement a tenté de revoir les équilibres au sein de la coalition (composée, rappelons-le, de Nouvelle Unité, de l’Alliance nationale et de Liste unie), voire de l’élargir – propositions auxquelles se sont opposés ses deux partenaires.</p>
<p>Le 24 août, après avoir consulté les cinq formations présentes au Parlement, Rinkevics a nommé première ministre <a href="https://www.mk.gov.lv/en/employee/evika-silina">Evika Silina</a>, de Nouvelle Unité (jusque-là ministre de la Protection sociale). Elle est chargée de former rapidement un nouveau gouvernement de large coalition et d’obtenir le soutien du Parlement d’ici mi-septembre.</p>
<p>La démarche du président semble claire : pour avancer et mettre en œuvre une politique active, il est indispensable de rassembler et de chercher le consensus. Rinkevics n’est pas naïf, pourtant : il est peu probable que Silina parvienne à regrouper cinq formations loin d’être compatibles du fait des positions de principe d’Alliance nationale et des Progressistes. Le pari semble donc osé : il ne s’agit pas d’enfermer les cinq partis jusqu’à ce qu’ils trouvent un accord, <a href="https://www.baltictimes.com/rinkevics_nominates_evika_silina_for_prime_minister/">a-t-il affirmé</a>, mais il serait bon pour le pays que chacun laisse de côté ses émotions et commence des négociations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212397/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Céline Bayou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aux avant-postes de la guerre russo-ukrainienne, la Lettonie s’est récemment dotée d’un nouveau président qui devra, dans un contexte difficile, piloter une classe politique profondément divisée.Céline Bayou, Chercheuse associée au Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096312023-09-03T14:21:20Z2023-09-03T14:21:20ZRacisme sexuel : quand les migrants gays asiatiques font face à la fétichisation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539925/original/file-20230728-23-434fnd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C0%2C7695%2C5142&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le racisme sexuel se manifeste particulièrement sur les applications de rencontre.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/SFUDMknYuuk">Jiang Xulei - 青 晨 / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>« L’une des particularités des discriminations et du racisme qui touchent les populations asiatiques réside dans le fait qu’ils sont rarement dénoncés, débattus publiquement ou encore sanctionnés juridiquement. » Ces quelques lignes sont extraites des <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/etudes-et-recherches/2023/03/eclairages-lexperience-du-racisme-et-des-discriminations-des-personnes">conclusions</a> de l’étude <a href="https://www.migrations-asiatiques-en-france.cnrs.fr/projet-reactasie/resume-scientifique-du-projet-reactasie">REACTAsie</a>, publiée par le Défenseur des droits en mars 2023.</p>
<p>Cette étude a mis en lumière l’expérience du racisme et des discriminations vécues par les personnes originaires d’Asie de l’Est et du Sud-Est en France. </p>
<p>Celle-ci pénètre l’école, le <a href="https://theconversation.com/ah-ces-chinois-ils-travaillent-dur-quand-le-racisme-se-veut-bienveillant-147305">travail</a>, l’espace public. Mais elle se glisse aussi dans l’intimité, jusque dans nos lits. Si, comme le souligne <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/etudes-et-recherches/2023/03/eclairages-lexperience-du-racisme-et-des-discriminations-des-personnes">l’étude</a>, « les hommes asiatiques subissent des stéréotypes liés à leur masculinité souvent déniée ou dévalorisée », les migrants gays asiatiques, eux, font l’objet d’une accumulation d’oppressions <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-i-comme-intersectionnalite-146721">entrelacées</a> en raison de leur statut migratoire, de leur orientation sexuelle et de leur condition de minorité raciale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1134028857416265728"}"></div></p>
<h2>Le rêve d’un « paradis gay »</h2>
<p>J’ai rencontré Jie (<em>NDLR : tous les prénoms ont été modifiés</em>) dans le cadre de ma <a href="http://dx.doi.org/10.13140/RG.2.2.14493.49129/1">recherche</a>. Celle-ci portait sur l’interrelation entre migration et sexualité chez d’(anciens) étudiants gays chinois en France. Jie s’identifie comme homosexuel, mais n’a pas encore fait son <em>coming-out</em> auprès de ses parents. Passionné par la culture étrangère, notamment occidentale, il a choisi d’étudier pendant sa licence en Chine la langue et la littérature françaises, avec le rêve d’étudier un jour en France. Y étant parvenu, Jie avait pour ambition d’obtenir un master, puis un doctorat, tout en cherchant à bénéficier d’une société <em>gay-friendly</em>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-touristes-lgbt-se-cachent-pour-mieux-voyager-163097">Comment les touristes LGBT+ se cachent pour mieux voyager</a>
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<p>La France, <a href="https://www.campusfrance.org/fr/ressource/chiffres-cles-2023">classée 6ᵉ</a> en matière du nombre d’étudiants internationaux accueillis en 2020, attire chaque année à peu près 30 000 étudiants chinois qui choisissent l’Hexagone pour diverses raisons : les frais d’inscription nettement moins élevés que dans les pays anglo-saxons, la qualité de l’enseignement supérieur, le riche patrimoine culturel et le diplôme occidental survalorisé sur le marché du travail chinois.</p>
<p>Pour certains, comme les Chinois LGBT+, la France est une destination d’études et d’installation particulièrement attrayante en raison de sa réputation de liberté. Comme Jie, de nombreux hommes gays en Chine perçoivent l’Occident comme un « paradis gay », où l’atmosphère est généralement plus libérale et tolérante, et où la reconnaissance juridique des minorités sexuelles est une réalité, avec le « mariage pour tous » souvent cité comme argument. Ainsi, il convient de souligner que la <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo27160091.html">quête de liberté sexuelle</a> est intrinsèquement liée à leur aspiration de <a href="https://www.theses.fr/2016ROUEL026">mobilité sociale ascendante à travers des études à l’étranger</a>.</p>
<h2>« Pas branché Asiatique » ou « J’adore les Asiat »</h2>
<p>Loin d’un environnement sociétal homophobe, les migrants gays chinois bénéficient d’une plus grande liberté sexuelle et ne ressentent plus le besoin de « cacher leur homosexualité », ce qui leur permet d’embrasser le « véritable soi-même ». Cependant, ils ne sont pas à l’abri d’autres formes de discrimination, comme le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/une_minorite_modele_-9782348065125">racisme anti-asiatique</a>, dont sont également victimes leurs homologues hétérosexuels résidant en France. Même au sein de la communauté gay en France, les <a href="https://frictions.co/toutes-identites-confondues/la-couleur-du-desir/">Asiatiques subissent différentes formes de racisme sexuel</a> en raison de leurs traits phénotypiques ou de leur origine présumée.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kEwuosHiwPE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le chercheur australien Denton Callander définit le <a href="https://doi.org/10.1007/s10508-015-0487-3">racisme sexuel</a> comme « une forme spécifique de préjugé racial qui s’exprime dans le contexte du sexe ou de la romance ». Il est <a href="https://doi.org/10.1080/13691058.2012.714799">prévalent sur les plates-formes de rencontres</a> sous l’effet de la <a href="https://doi.org/10.1089/1094931041291295">désinhibition en ligne</a>. Les rencontres en ligne, étant perçues comme anonymes, virtuelles et dépersonnalisées, favorisent une expression plus libre des attitudes, perceptions et stéréotypes concernant la « race » lors de la recherche de partenaires. De plus, ces applications encouragent souvent les utilisateurs à s’identifier avec des étiquettes raciales simplifiées et permettent de rechercher et de filtrer les profils en fonction de l’origine « ethnique », par exemple, Asiatique, Noir, Latino, Blanc ou encore homme du Moyen-Orient (<a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/06/03/l-appli-de-rencontre-grindr-va-supprimer-son-filtre-de-recherche-par-origine-ethnique_6041640_4408996.html">bien que Grindr ait supprimé cette fonctionnalité en 2020</a>).</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Le racisme sexuel se manifeste non seulement par le rejet sexuel et la hiérarchisation, mais également par la fétichisation ou l’hypersexualisation des partenaires potentiels issus d’un groupe racialisé. Les gays chinois ou plus largement asiatiques rencontrent parfois des personnes qui affichent explicitement « Pas branché Asiatique ! » sur leur profil, ou qui répondent dès le premier message « Désolé, je ne m’intéresse pas aux Asiatiques. ». Jie a ainsi partagé son expérience :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai rencontré des personnes [sur des applications de rencontres] qui, bien qu’elles ne soient pas nécessairement racistes, véhiculaient certains stéréotypes qui m’ont mis mal à l’aise. Certains semblaient croire que les Chinois ou Asiatiques en général étaient physiquement plus faibles et devaient adopter un rôle passif, efféminé, soumis et docile. Malheureusement, j’ai également reçu des messages racistes […], tels que “Tu sais masser ?”, “Salut, les Asiat m’excitent.”, “Je peux te baiser ? Je paie bien !”, “Les Asiatiques sont ici pour chercher du sexe avec les Blancs, pour se faire baiser par nous !”, etc. […] Cependant, ce type de messages ne venaient pas uniquement d’un groupe racial spécifique. J’ai reçu aussi des messages racistes d’individus arabes et noirs. »</p>
</blockquote>
<p>En revanche, il existe un autre type d’hommes (souvent) blancs, surnommés <a href="https://doi.org/10.1080/14443050009387602">« rice queens »</a> (littéralement, les « reines du riz »), qui sont principalement attirés par des Asiatiques et affichent sur leur profil des déclarations telles que « J’adore les Asiatiques ! ».</p>
<p>Effectivement, certains enquêtés, comme Xin (25 ans, diplômé de master), affirment être très vigilants à ce type de personnes soupçonnées d’être fétichistes, car ils ne savent pas « s’ils [les] apprécient en tant que personnes telles qu’ils sont ou simplement en raison de [leur] origine asiatique ». Cette méfiance découle de l’expérience de se sentir réduits à un objet exotique ou à une simple fantaisie sexuelle pour les « rice queens ».</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/ChpTye-jpZH","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p><em>Pour dénoncer le racisme sur les applis de rencontre, Miguel Shema, journaliste au <a href="https://www.bondyblog.fr">Bondy Blog</a>, a lancé le compte Instagram « Personnes racisées vs. Grindr »</em></p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CeQOv86A623","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<h2>Préférence ou racisme ?</h2>
<p>Des expériences similaires sont partagées, mais les points de vue sur ce phénomène se révèlent différents. Pour Peng, étudiant en master de 29 ans :</p>
<blockquote>
<p>« Il est très difficile de tracer une ligne de démarcation entre préférence et racisme, car il est impossible de connaître la véritable signification derrière ces mots. »</p>
</blockquote>
<p>Néanmoins, Romain, migrant qualifié de 35 ans, peut personnellement comprendre ce genre de comportements, y voyant « des préférences sexuelles individuelles et un moyen efficace de trouver des partenaires sexuels désirables », ce qui soulève aussi l’idéal libertaire du choix inhérent à l’idéologie démocratique occidentale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-enquete-devoile-les-ressentis-des-personnes-victimes-de-racisme-199114">Une enquête dévoile les ressentis des personnes victimes de racisme</a>
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</em>
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<p>Il semble que certains hommes gays non blancs ne considèrent pas la discrimination raciale entre partenaires sexuels comme une expression du racisme, parce qu’ils participent eux-mêmes à une forme d’attraction et de discrimination fondées sur la « race ». On entend également le terme « potato queen » (reine de la pomme de terre) pour désigner les Asiatiques qui ne sortent qu’avec des hommes blancs.</p>
<p>Les gays chinois ont également leurs propres « préférences » sur les plates-formes de rencontres. Certains ne répondent jamais aux messages des « Arabes ou Noirs résidant dans le 93 [Seine-Saint-Denis] », qu’ils perçoivent comme « pauvres, non éduqués ou réfugiés », tandis que d’autres « trouvent les Arabes charmants » en raison de leurs barbe, virilité et côté dominant. Ces « préférences » et stéréotypes sont largement influencés par les représentations médiatiques, les normes sociales et les expériences individuelles.</p>
<p>Comme le rappelle l’<a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/reactasie-num_02.pdf">étude REACTAsie</a>, une multitude de facteurs inextricablement liés agissent de concert pour produire des situations d’injustice. Ainsi, l’expérience du racisme sexuel vécue par les gays chinois ne peut être pleinement appréhendée si on l’isole d’autres paramètres. Il s’agit d’une facette seulement de l’expérience migratoire. Pour mieux comprendre cette dernière, il apparaît essentiel d’adopter une perspective <a href="https://anamosa.fr/livre/pour-lintersectionnalite/">intersectionnelle</a> tenant notamment compte des relations de pouvoir inégales liées à la race, au genre, à la classe sociale et au statut de citoyenneté.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209631/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cai Chen a reçu des financements de la bourse Erasmus Mundus (2019-2021) et de la bourse MSH-ULB Seed Grant (2022-2023).</span></em></p>La France attire les migrants LGBT+ originaires de régimes oppressifs tels que la Chine. Une fois sur place, ils ne sont pas à l’abri d’autres formes de discrimination, y compris le racisme sexuel.Cai Chen, Doctorant en anthropologie sociale, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2064542023-06-05T15:47:29Z2023-06-05T15:47:29ZLes couples de même sexe sont-ils de plus en plus nombreux ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/528592/original/file-20230526-11069-1jdpul.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C0%2C2998%2C1994&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En France, environ 150 000 couples de même sexe habitent ensemble. Cela représente 1 % des couples cohabitants.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/vs-fjU4sQos">Tallie Robinson / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Désormais reconnus juridiquement dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-1-page-1.htm">cinquantaine de pays</a>, les couples de même sexe sont également mieux repérés par la <a href="https://theconversation.com/sante-cardiovasculaire-et-minorites-sexuelles-vers-une-meilleure-prise-en-compte-en-france-205873">statistique</a> publique. Exploitant les derniers recensements et enquêtes, nous avons examiné leurs caractéristiques en Europe, au Canada, aux États-Unis et en Australie. Les couples de même sexe sont-ils en augmentation ? Les tendances sont-elles les mêmes pour les couples de femmes et d’hommes ? Quel est le pourcentage de couples mariés ? Où habitent-ils ? Ces caractéristiques varient-elles beaucoup selon les pays ?</p>
<p>Premier constat : partout où les statistiques sont disponibles, celles-ci révèlent une <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-1-page-1.htm">augmentation de la fréquence</a> des couples de même sexe cohabitants. Leur fréquence a triplé aux États-Unis entre 2000 et 2021 pour atteindre 1,8 % des ménages comprenant un couple. Au Canada, ils représentaient 1,1 % des familles comprenant un couple en 2021, contre seulement 0,5 % pour les couples de même sexe en 2001. On observe la même tendance en Australie avec 1,4 % des couples au recensement de 2021 contre 0,3 % à celui de 2001.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/528331/original/file-20230525-29-65n14z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Proportion de couples de même sexe parmi l’ensemble des couples" src="https://images.theconversation.com/files/528331/original/file-20230525-29-65n14z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528331/original/file-20230525-29-65n14z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=732&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528331/original/file-20230525-29-65n14z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=732&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528331/original/file-20230525-29-65n14z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=732&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528331/original/file-20230525-29-65n14z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=920&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528331/original/file-20230525-29-65n14z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=920&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528331/original/file-20230525-29-65n14z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=920&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-1-page-1.htm">Wilfried Rault, 2023, Population & Sociétés, n° 607</a></span>
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<p>L’augmentation de la fréquence des couples de même sexe est également perceptible en Europe. En Allemagne, leur part a plus que doublé entre 2010 et 2019 pour atteindre 0,7 % des couples à cette dernière date. En Espagne, elle est passée de 0,7 % en 2013 à 1 % en 2020. Le même type d’évolution a été observé au Royaume-Uni : les ménages comprenant un couple de même sexe représentaient 1 % des ménages conjugaux en 2015 et 1,4 % en 2018. En France, on comptait 170 000 personnes en couple de même sexe cohabitant en 2011, contre près de 305 000 personnes en 2020, soit 1 % des couples cohabitants.</p>
<h2>Les couples de femmes augmentent plus</h2>
<p>L’augmentation du nombre de <a href="https://theconversation.com/marcher-dans-la-rue-double-peine-pour-les-lesbiennes-123021">couples de femmes</a> est plus marquée que celle de couples d’hommes. Minoritaires en Espagne (39 % des couples de même sexe en 2020) et en France (43 % en 2020), les couples de femmes sont aussi nombreux que les couples d’hommes en 2021 au Canada et en Australie, et ils sont majoritaires aux États-Unis (52 %).</p>
<p>La sociodémographie des couples de même sexe révèle ainsi une augmentation sensible de leur nombre, celle-ci provenant à la fois d’une amélioration des outils de la statistique et d’une hausse de ces situations conjugales qui sont davantage acceptées socialement. Il est également possible que des personnes qui dissimulaient leur situation conjugale dans un contexte plus défavorable la déclarent désormais.</p>
<p>Une limite importante à la plupart de ces recensements est à noter : ils reposent sur la composition du logement et ne tiennent pas compte des configurations conjugales non cohabitantes, qui concernent plus souvent les couples de même sexe. En France par exemple, l’enquête <a href="https://books.openedition.org/ined/15898?lang=fr">Famille et logements</a> réalisée en 2011 a permis d’établir que les couples non cohabitants étaient 4 à 5 fois plus fréquents chez les personnes en couple de même sexe que chez celles en couple de sexe différent.</p>
<p>Les personnes en couple de même sexe sont, aussi, en moyenne, plus jeunes que celles en couple de sexe différent. En Australie, la moitié des personnes en couple de même sexe a moins de 40 ans (49 ans pour les personnes en couple de sexe différent).</p>
<p>De tels écarts apparaissent également en France où les femmes et les hommes en couple de même sexe ont en moyenne 41 et 44 ans respectivement, contre 51 et 53 ans pour les femmes et hommes en couple de sexe différent. La part de personnes en couple de même sexe est ainsi plus élevée dans les jeunes générations : 2 % des 25-29 ans sont en couple de même sexe, c’est deux fois plus que le pourcentage sur l’ensemble des couples (1 %). Leur part tombe à 0,4 % parmi les 60-75 ans en couple.</p>
<h2>Des couples moins souvent mariés</h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/528333/original/file-20230525-15-dtvyq8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Proportion de couples de même sexe et de sexe différent mariés, pacsés et en union libre en France selon l’âge (%)" src="https://images.theconversation.com/files/528333/original/file-20230525-15-dtvyq8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528333/original/file-20230525-15-dtvyq8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528333/original/file-20230525-15-dtvyq8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528333/original/file-20230525-15-dtvyq8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528333/original/file-20230525-15-dtvyq8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528333/original/file-20230525-15-dtvyq8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528333/original/file-20230525-15-dtvyq8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-1-page-1.htm">Wilfried Rault, 2023, Population & Sociétés, n° 607</a></span>
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<p>Les couples de même sexe sont, en moyenne, moins souvent mariés que les couples de sexe différent. Aux États-Unis, 89 % des couples de sexe différent sont mariés (2019), mais seulement 58 % des couples de même sexe – depuis 2015 ils peuvent se marier dans tous les États du pays. Au Canada, où le mariage a été ouvert aux couples de même sexe en 2005, les écarts sont également marqués (74 % contre 37 % en 2021). Il en est de même en France où le mariage de deux personnes de même sexe est possible depuis 2013 : 73 % des couples de sexe différent sont mariés en 2020, contre 40 % des couples de femmes et 37 % des couples d’hommes. Ces différences sont en partie imputables au fait que ces couples sont plus jeunes et plus récents, donc moins enclins à avoir déjà eu recours au mariage. <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-1-page-1.htm">Ils ont aussi une moindre préférence pour le mariage à âge identique</a>.</p>
<p>Les couples de même sexe vivent moins souvent avec des enfants que les couples de sexe différent, surtout les hommes, même si la tendance générale est à la hausse. En Australie, en 2016, un quart des ménages constitués d’un couple de femmes comprenait également au moins un enfant, et en 2021, 38 %. Pour les hommes, la proportion est passée de 4 % à 7 %.</p>
<p>On observe ces mêmes tendances dans tous les pays étudiés. Au Canada, en 2021, 23 % des couples de même sexe résident avec des enfants, avec, là-aussi, des disparités très fortes entre les couples de femmes et les couples d’hommes : 33 % des premiers vivent avec des enfants et 11 % des seconds. C’est la même chose en France en 2020 où 27 % des couples de femmes et 6 % des couples d’hommes vivent avec au moins un enfant dans le ménage. Ceci explique par ailleurs pourquoi les <a href="https://doi.org/10.3917/popu.1904.0499">couples de femmes sont un peu plus souvent mariés que les hommes</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Deux femmes avec un bébé" src="https://images.theconversation.com/files/528596/original/file-20230526-15-7em0f0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528596/original/file-20230526-15-7em0f0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528596/original/file-20230526-15-7em0f0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528596/original/file-20230526-15-7em0f0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528596/original/file-20230526-15-7em0f0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528596/original/file-20230526-15-7em0f0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528596/original/file-20230526-15-7em0f0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En France, 27 % des couples de femmes cohabitants et 6 % des couples d’hommes cohabitants vivent avec au moins un enfant.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/uaQpinemVoo">Kenny Eliason/Unsplash</a></span>
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<h2>Les métropoles, forces d’attractivité</h2>
<p>L’attractivité des grandes métropoles pour les minorités sexuelles a été observée de longue date. Du fait de <a href="https://theconversation.com/comment-les-touristes-lgbt-se-cachent-pour-mieux-voyager-163097">l’anonymat qu’elles permettaient</a>, mais aussi parce que celles-ci étaient pourvues en lieux de sociabilités et d’espaces de rencontres, les grandes villes ont très tôt représenté des lieux où il était plus facile de vivre une <a href="https://theconversation.com/etre-gay-en-guadeloupe-entre-homophobie-et-prejuges-raciaux-136884">sexualité souvent stigmatisée et réprimée</a>. Femmes et hommes en couple de même sexe vivent nettement plus souvent dans les grandes métropoles que les personnes en couple de sexe différent. Au recensement de 2021, 42 % des couples de même sexe canadiens résidaient dans l’une des trois plus grandes unités urbaines du pays (Toronto, Montréal, Vancouver) contre 34 % des couples de sexe différent. Cette tendance se retrouve dans les autres pays de l’étude pour lesquels l’information est disponible.</p>
<p>Aux États-Unis, les États de l’ouest du pays et ceux comprenant de grandes métropoles (État de New York, Washington DC, Massachusetts, Floride, Californie) sont des lieux de forte implantation des couples de même sexe. Tandis qu’ils représentent 1,5 % de l’ensemble des ménages conjugaux dans l’ensemble des États-Unis en 2019, le pourcentage de couples de même sexe est bien plus élevé dans certaines aires urbaines (≥2,4 %) : San Francisco, Portland, Seattle et Orlando.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-match-de-pedes-homophobie-ordinaire-et-heterosexualite-imposees-97710">Un « match de pédés » : homophobie ordinaire et hétérosexualité imposées</a>
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<h2>Une déconcentration favorisée avec le numérique ?</h2>
<p>En France, en 2020, les couples de même sexe sont plus nombreux en région parisienne et dans la ville de Paris que dans le reste du territoire. Tandis que 2,6 % des hommes et des femmes en couple hétérosexuel résident à Paris et 14,6 % dans l’agglomération parisienne, c’est le cas respectivement de 15,8 et 30 % des hommes et 6,1 % et 18,4 % des femmes en couple de même sexe. Ces dernières sont donc moins concentrées à Paris et plus réparties dans l’ensemble du territoire que les couples d’hommes. Cette répartition différente est observée dans tous les pays où de telles statistiques sont disponibles. Les couples de même sexe sont plus présents dans les départements des grandes métropoles du pays, notamment en Loire-Atlantique, Gironde, Rhône, Haute-Garonne, Hérault, Bouches-du-Rhône.</p>
<p>L’acceptation sociale croissante et l’essor de sociabilités fondées sur des espaces numériques pourraient favoriser une relative déconcentration. Le pourcentage de couples de même sexe qui vivent à Paris est d’ailleurs plus faible en 2020 qu’il ne l’était en 2011. On observe une telle déconcentration dans d’autres pays, au Canada notamment.</p>
<p>Dans l’ensemble, les caractéristiques des couples de même sexe se rapprochent de celles des couples de sexe différent sur plusieurs points. Pour autant, <a href="https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/25008/population.societes.530.site.rencontres.conjoint.fr.pdf">leurs spécificités</a> restent fortes et les expériences individuelles distinctes. Si la reconnaissance juridique et sociale des couples de même sexe figure parmi les grandes transformations de la famille et de la vie privée depuis la fin du XX<sup>e</sup> siècle, le processus de banalisation des minorités sexuelles est <a href="https://www.ined.fr/fichier/rte/General/Publications/Grandes%20enqu%C3%AAtes/Virage/virage-chapitre10.pdf">loin d’être abouti</a>.</p>
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<p><em>Ce texte est adapté d’un article publié par l’auteur dans « Population et Sociétés » n° 607, <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-1-page-1.htm">« Les couples de même sexe dans les pays occidentaux. Mieux reconnus et plus nombreux »</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206454/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Wilfried Rault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En se basant sur des recensements récents, une étude de l’INED fait le point sur la démographie des couples de même sexe en Occident.Wilfried Rault, Directeur de recherche à l'INED, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2048742023-05-24T17:31:32Z2023-05-24T17:31:32ZAux États-Unis, la longue marche vers l’égalité LGBTQ+<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/526472/original/file-20230516-15-zgqnd1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C7%2C4930%2C3289&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Aux États-Unis, les minorités sexuelles se sont battues pendant des décennies pour obtenir des droits qui sont aujourd’hui menacés par certains responsables politiques.
</span> <span class="attribution"><span class="source">lazyllama/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><em>La remise en cause progressive de l’ordre hétéronormatif bouleverse le paysage juridique états-unien à mesure que les notions d’orientation sexuelle et d’identité de genre trouvent un écho puissant dans les pratiques des opérateurs juridiques. Cette tendance se heurte à des résistances acharnées, comme on a récemment pu le constater avec la <a href="https://theconversation.com/fin-du-droit-a-lavortement-aux-etats-unis-moins-de-democratie-plus-de-religion-184914">révocation du droit fédéral à l’avortement</a>. Clarence Thomas, l’un des neuf juges de la Cour suprême, n’a pas caché <a href="https://www.newsweek.com/clarence-thomas-gay-marriage-supreme-court-ruling-obergefell-v-hodges-1718971">son souhait de démanteler certains des droits fondamentaux des Américains LGBTQ+</a>, acquis au niveau fédéral, alors que <a href="https://www.slate.fr/story/243755/amerique-floride-etats-unis-projet-ron-desantis-make-america-florida-election-presidentielle-2024">Ron DeSantis</a>, actuel gouverneur de la Floride et possible candidat républicain à la présidentielle de 2024, s’est engagé dans une guerre culturelle acharnée contre les personnes LGBTQ+. Anthony Castet, maître de conférences en études nord-américaines, à l’Université de Tours, revient dans <a href="https://pufr-editions.fr/produit/la-fabrique-de-legalite-lgbtq-aux-etats-unis/">« La Fabrique de l’égalité LGBTQ+ aux États-Unis »</a>, à paraître aux Presses universitaires François Rabelais et dont nous vous proposons ici un extrait, sur le long combat pour les droits civiques des minorités sexuelles et de genre dans un pays tiraillé entre l’égale protection des lois, réservée à chacun, et l’instrumentalisation de la liberté religieuse, hostile aux personnes LGBTQ+.</em></p>
<h2>Statut des minorités sexuelles et de genre</h2>
<p>Cette population est d’évidence composée d’individus dont les aptitudes, les compétences, les croyances religieuses, les origines ethniques et sociales sont diverses et contribuent à la richesse de la communauté nationale à laquelle ils appartiennent. Pourtant, ils subissent l’incompréhension viscérale d’une partie de la société qui n’a de cesse de recourir à des éléments de langage visant à discréditer et à disqualifier le mouvement par tous les moyens possibles.</p>
<p>Ils sont accusés de défendre des intérêts particuliers dont ils ambitionnent de se prévaloir, en particulier au niveau politique. On parle de « lobby LGBT », de « communautarisme LGBT », d’« agenda homosexuel » et de « droits spéciaux », terminologie dont la connotation péjorative vise à associer le mouvement LGBTQ+ à une force sournoise profondément antidémocratique et prosélyte. Ce refus de comprendre et cette incompréhension – issus de la morale religieuse la plus rigoriste – sont alimentés par certains politiques et juges qui sont les architectes de l’invisibilisation, du refoulement, de la compartimentation, de l’homophobie intériorisée et de l’<em>outing</em>.</p>
<p>La brèche ouverte dans le mur de séparation entre les Églises et l’État ainsi que la liberté religieuse, érigée en dogme absolu pour justifier une différence de traitement à l’égard d’un groupe minoritaire, comptent parmi les caractéristiques de cette guerre culturelle menée contre le mouvement LGBTQ+. Un groupe minoritaire est <a href="https://www.abebooks.com/first-edition/Gays-Uniform-Pentagons-Secret-Reports-Edited/545217051/bd">constitué par</a> des individus qui ont en commun l’expérience d’être l’objet de discriminations fondées sur des stéréotypes, sur des croyances ethnocentriques ou sur des préjugés qui sont partagés par des membres du groupe non minoritaire.</p>
<p>Ces deux composantes agissent à la manière de turbines qui alimentent les agitations sociales du pays et affectent les mécanismes institutionnels de la vie politique, à mesure que la communauté LGBTQ+ gagne en visibilité et en crédibilité dans la conquête des cœurs et des esprits. Cette dynamique au profit de la minorité LGBTQ+ correspond historiquement, selon <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2009-4-page-135.htm">Camille Froidevaux-Metterie</a>, professeure de science politique, à un « mouvement de flux et de reflux de la foi religieuse » qui va de pair avec un second processus amorcé par le mouvement LGBTQ+ en faveur de l’égalité réelle <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo3627498.html">« sous la forme de cycles alternatifs que nous pourrions communément décrire par “des pas de géant” et “des phases de stabilité” »</a>.</p>
<p>Le contexte des guerres culturelles rend les victoires politiques et juridiques du mouvement LGBTQ+ fragiles et incertaines. La persistance de l’homophobie, de discours contradictoires au niveau politique et de l’injonction paradoxale au niveau juridique peut encore aujourd’hui conduire à la régression. Ainsi, le statut des Américains LGBTQ+ est constamment soumis à réévaluation par les conservateurs, ce qui peut constituer de nombreuses situations anxiogènes pour ces personnes. […]</p>
<p>En s’appuyant sur le cadre juridique international des droits de l’homme, les juges ont été les principaux artisans de l’égalité des droits des Américains LGBTQ+ en bâtissant un arsenal jurisprudentiel progressif et solide fondé sur les V<sup>e</sup> et XIV<sup>e</sup> amendements de la Constitution des États-Unis. Ils ont été les témoins directs de nombreux récits authentiques d’hommes et de femmes LGBTQ+ frappé‧e‧s historiquement d’indignité et d’immoralité en raison de leur orientation sexuelle. Néanmoins, les progrès considérables acquis par les personnes LGBTQ+ aux niveaux politique et juridique, la visibilité grandissante des problèmes auxquels elles font face ainsi que la libération de la parole ne doivent pas occulter un passé historique funeste pour ces individus dont l’humanité a été dépréciée et malmenée par une discrimination d’État. […]</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/loyacDl4HuI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Établissement du droit à la vie privée des couples de même sexe</h2>
<p>Dans l’introduction de son opinion majoritaire, dans l’affaire <a href="https://supreme.justia.com/cases/federal/us/539/558/">Lawrence vs Texas</a> (2002), le juge de la Cour suprême Anthony Kennedy fonde clairement son raisonnement sur un principe essentiel de liberté. Une valeur fondamentale de la démocratie, obtenue au prix d’une lutte sans faille contre l’oppression de la monarchie britannique, qui garantit l’importance des libertés individuelles et plus précisément encore le droit d’être en sécurité chez soi : </p>
<blockquote>
<p>« Dans notre tradition, l’État n’est pas omniprésent à l’intérieur de la maison [ainsi que dans] d’autres domaines de notre vie et de notre existence, à l’extérieur de la maison. »</p>
</blockquote>
<p>Au nom de la tradition libérale, le juge invoque implicitement un droit des personnes homosexuelles à une vie privée garantie par le IV<sup>e</sup> amendement de la Constitution qui protège les Américains contre des perquisitions et saisies non justifiées. […]</p>
<p>Kennedy s’évertue à complexifier la reconnaissance des droits fondamentaux des Américains LGBTQ+ du point de vue historique, juridique, philosophique, mais aussi des droits de l’homme. En s’appuyant sur la procédure légale régulière, Kennedy doit expliciter la ou les libertés qui sont, selon lui, bafouées. Pour ce faire, il fait appel une nouvelle fois à un contrôle du fondement rationnel pour invalider la loi du Texas, ce qui lui vaudra de nombreuses critiques […].</p>
<p>Son premier objectif est de démontrer que la vie privée est une liberté, et que celle-ci est fondée sur la jurisprudence de nombreuses affaires traitées entre 1923 et 1973, dont le point culminant a été la légalisation de l’avortement dans <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/cw4xpn9yv2no"><em>Roe v. Wade</em></a>. Cet arrêt garantit la libre disposition du corps de la femme et la liberté de pouvoir prendre des décisions le concernant. Le droit à la vie privée est encadré par le <em>substantive due process</em>, principe qui consiste à restreindre le pouvoir des législateurs d’adopter certaines lois qui viendraient considérablement porter atteinte à la substance du droit et/ou de la liberté (fondamentale) contenus dans le XIV<sup>e</sup> amendement.</p>
<p>Le jugement rendu dans <a href="https://www.oyez.org/cases/1900-1940/262us390"><em>Meyer</em> (1923)</a> (la Cour a annulé une loi du Nebraska qui interdisait aux professeurs d’enseigner une autre langue vivante que l’anglais) guide le cheminement intellectuel emprunté par Kennedy dans la perspective de définir le terme de liberté du point de vue juridique dans une approche purement pragmatique :</p>
<blockquote>
<p>« Le droit de l’individu […] de se lancer dans n’importe quelle occupation ordinaire de la vie, d’acquérir des connaissances utiles, de se marier, de fonder un foyer et d’élever des enfants […] et, en général, de profiter de ces privilèges reconnus il y a longtemps par le droit coutumier comme étant essentiels dans la recherche ordonnée du bonheur des hommes libres. »</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, le droit à la vie privée trouve sa place dans cette longue énumération d’opportunités qui permettent aux individus de s’accomplir et de s’enrichir dans toutes les étapes de la vie sans que l’État puisse invoquer arbitrairement un intérêt d’ordre public pour s’y opposer. Ce principe du <em>substantive due process</em> (droit substantiel) autoriserait certains juges « libéraux » de la Cour suprême à user d’un pouvoir d’interprétation non négligeable que certains utiliseraient de manière abusive, selon leurs détracteurs. Cette accusation contre-productive vise à disqualifier le fond du raisonnement alors même que Kennedy est un juge conservateur modéré. […]</p>
<p>Kennedy fait référence également à l’arrêt <a href="https://www.oyez.org/cases/1964/496"><em>Griswold v. Connecticut</em> (1965)</a> afin d’établir un lien entre le présent dossier et un droit marital à la vie privée qui sanctuarise la chambre en tant qu’espace protégé, propice à la sexualité. Dans <em>Griswold</em>, la Cour a décidé d’invalider une loi du Connecticut (1879) qui interdisait la promotion et l’utilisation de moyens contraceptifs. Ce jugement a instauré le droit des individus de prendre des décisions relatives à leur intimité sexuelle et reproductive.</p>
<p>En 1972, dans l’affaire <a href="https://www.oyez.org/cases/1971/70-17"><em>Eisenstadt</em></a>, la Cour suprême a annulé une loi du Massachusetts qui interdisait la distribution de moyens contraceptifs à des personnes non mariées : « C’est le droit de l’individu, marié ou célibataire, que d’être libre de toute intrusion gouvernementale injustifiée dans des affaires qui touchent une personne de manière si fondamentale ». <em>Griswold</em> (1965) et <em>Eisenstadt</em> (1972) servent de précédents dans <em>Roe v. Wade</em> (1973) afin d’autoriser les femmes à avorter. D’après la Cour, le corps d’un individu est un espace de liberté protégé. Il est donc légitime de pouvoir faire des choix intimes qui s’y rapportent. Rappelons que ces deux affaires se déroulent dans le contexte des années 1960-70 au moment où la justice est confrontée à la question du rapport sexuel à des fins récréatives et non procréatives en dehors du mariage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204874/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Castet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un récent ouvrage revient sur les longues et complexes procédures juridiques qui, aux États-Unis, ont permis aux personnes LGBT+ d'obtenir des droits dont certains sont aujourd'hui remis en cause.Anthony Castet, Maître de Conférences civilisation nord-américaine, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2058732023-05-22T16:37:17Z2023-05-22T16:37:17ZSanté cardiovasculaire et minorités sexuelles : vers une meilleure prise en compte en France ?<p>Au cours des dernières décennies, cliniciens, chercheurs en santé publique et autorités publiques ont pris conscience du fait que les minorités sexuelles et de genre (LGBTQI+) ont des besoins spécifiques en matière de prévention et de soins de santé, en partie liés à des disparités socio-économiques et des expériences de discrimination.</p>
<p>Si, dès les années 1980, l’épidémie de VIH a mis un coup de projecteur sur le sujet, les recherches menées plus récemment ont permis de souligner l’existence d’inégalités en matière de santé et d’accès aux soins dans d’autres domaines que celui des maladies infectieuses.</p>
<p>Des études antérieures conduites principalement aux États-Unis et aux Pays-Bas avaient documenté des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25849883/">disparités concernant les facteurs de risque de maladies cardio-vasculaires des minorités sexuelles</a>, par rapport aux personnes hétérosexuelles – par exemple, des <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5343694/">différences concernant les facteurs de santé cardio-vasculaires</a> liés au style de vie comme le tabagisme, l’alimentation déséquilibrée et la sédentarité. Les données sur les facteurs de santé biologiques tels que la glycémie, la pression artérielle et les lipides sanguins sont en revanche insuffisamment décrits dans cette population.</p>
<p>Alors que les maladies cardio-vasculaires représentent la première cause de mortalité dans le monde, il semblait essentiel d’obtenir également une photographie de la santé cardio-vasculaire des minorités sexuelles en France. Les <a href="https://sante.gouv.fr/soins-et-maladies/maladies/maladies-cardiovasculaires/article/maladies-cardiovasculaires">maladies cardio-vasculaires représentent la deuxième cause de mortalité après les tumeurs en France</a> (135 000 décès sur les 667 000 enregistrés en 2020, soit 20 % de la mortalité toute cause, contre 25 % pour les tumeurs). En outre, en 2018, 4,1 millions de Français du régime d’Assurance général étaient traités pour une maladie cardio-neuro-vasculaire.</p>
<p>C’est pour répondre à cet enjeu, ainsi qu’aux disparités observées chez les personnes LGBTQI+, que <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37195318/">nous avons mené la première étude nationale française s’intéressant aux inégalités en matière de santé cardio-vasculaire, en fonction de l’identité sexuelle</a>.</p>
<h2>Zoom sur la situation en France</h2>
<p>Notre travail a consisté à étudier le niveau de santé cardio-vasculaire en fonction de l’identité sexuelle déclarée des participants de la cohorte Constances. Notre étude a porté sur 169 434 adultes non atteints de maladies cardio-vasculaires. Parmi les 90 879 femmes, 555 étaient lesbiennes, 3 149 bisexuelles, 84 363 hétérosexuelles et 2 812 ont refusé de répondre sur leur identité sexuelle. Parmi les 78 555 hommes, 2 421 étaient homosexuels, 2 748 bisexuels, 70 994 hétérosexuels et 2 392 ont refusé de répondre.</p>
<p>La santé cardio-vasculaire des participants était mesurée par un <a href="https://www.ahajournals.org/doi/10.1161/CIR.0000000000001078">score composite à 8 items (le <em>Life’s Essential 8</em> ou LE8)</a> développé par l’<a href="https://www.heart.org/">Association américaine de cardiologie</a>. Chaque item (exposition à la nicotine, alimentation, activité physique, indice de masse corporelle, sommeil, glycémie, pression artérielle et niveau de cholestérol total dans le sang) est pondéré et permet d’obtenir un score total variant de 0 à 100. Un score élevé traduit une meilleure santé cardio-vasculaire, avec un score proche de 100 traduisant une santé cardio-vasculaire dite « idéale ».</p>
<p>Plusieurs résultats ressortent de nos analyses. D’abord, si les femmes présentent globalement une meilleure santé cardio-vasculaire que les hommes, nous observons chez les femmes lesbiennes et bisexuelles des scores qui indiquent de moins bons résultats, si l’on compare aux femmes hétérosexuelles. En revanche, les hommes gays ont une meilleure santé cardio-vasculaire que les hommes hétérosexuels.</p>
<p>Pour prendre quelques exemples concrets : les femmes lesbiennes avaient des scores plus faibles d’alimentation et de tension artérielle, tandis que les femmes bisexuelles avaient des scores d’alimentation plus élevés par rapport aux femmes hétérosexuelles. Par rapport aux hommes hétérosexuels, les hommes gays et bisexuels avaient des scores plus élevés pour chaque item du LE-8, à l’exception du niveau d’activité physique qui était plus faible chez les hommes gay. Les femmes et les hommes bisexuels étaient aussi plus exposés à la nicotine que leurs homologues hétérosexuels.</p>
<p>Des analyses complémentaires indiquent que ces résultats doivent cependant être nuancés.</p>
<p>Chez les femmes qui avaient eu une grossesse au cours de leur vie, on ne retrouvait plus de différence entre les minorités sexuelles et les femmes hétérosexuelles, alors que les différences persistaient chez les femmes n’ayant pas eu de grossesse.</p>
<p>La meilleure santé cardio-vasculaire observée de manière générale chez les hommes gays par rapport aux hommes hétérosexuels ne se maintenait pas en milieu rural. Au total, ces éléments soulignent l’importance de l’accès aux soins et du contact régulier avec les professionnels de santé.</p>
<h2>Des hypothèses pour expliquer cette situation</h2>
<p>Plusieurs hypothèses peuvent expliquer les différences observées entre les hommes et les femmes LGBTQI+ et les hommes et les femmes hétérosexuelles.</p>
<p>Le niveau d’exposition à différents types de stress tels que la discrimination peut varier entre les hommes gay/bisexuels et les femmes lesbiennes et bisexuelles comparé aux individus hétérosexuels.</p>
<p>Il peut également exister des différences dans les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28441107/">ressources d’adaptation et de résilience</a> pour faire face à ces facteurs de stress. Une autre étude récemment publiée et reposant sur les données de Constances suggèrent des différences entre les hommes et les femmes homosexuels concernant les taux de dépression, de tentatives de suicide, d’addiction à l’alcool et au cannabis, qui ont un impact sur la santé (mentale) en général, et la santé cardio-vasculaire en particulier.</p>
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<p>La santé cardio-vasculaire pourrait être également influencée par des facteurs systémiques, liés notamment à un accès au système de santé diminué des minorités sexuelles par rapport aux hétérosexuels. Par exemple, des travaux ont montré en Angleterre que les personnes LGBTQl+, et surtout les femmes lesbiennes, rencontrent <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25190140/">plus de difficultés à y accéder</a>. Elles rapportent des discriminations (inconscientes) de la part des personnels soignants et une incompréhension de leurs problématiques de santé.</p>
<p>Du côté des hommes gay et bisexuels, une meilleure « littératie-santé » (c’est-à-dire la capacité à accéder, comprendre et utiliser les informations concernant leur santé) ainsi que la sensibilisation aux dépistages réguliers des maladies et infections sexuellement transmissibles (IST) peuvent contribuer à une augmentation des contacts avec les professionnels de la santé et des services de prévention et donc une meilleure santé cardio-vasculaire par rapport aux hommes hétérosexuels.</p>
<p>Enfin, on peut aussi souligner que des expériences différentes en matière de discrimination, et des différences dans la capacité de résilience pour affronter les facteurs de stress sociétaux et financiers peuvent également expliquer partiellement les différences entre les hommes et les femmes de minorités sexuelles et leurs homologues hétérosexuels.</p>
<p>En conclusion, il existe au sein de la population adulte française des inégalités en matière de santé cardio-vasculaire qui touchent les minorités sexuelles, particulièrement les femmes lesbiennes et bisexuelles. Leur proposer une offre de soins et de services de prévention optimale suppose que les acteurs du système de santé soient sensibles à leurs problématiques de discrimination et d’accès aux soins, aux biais qui peuvent survenir dans leur pratique, afin d’établir une relation de confiance entre les acteurs du système de santé et les minorités sexuelles.</p>
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<p><em><strong>Précision :</strong> Constances est une cohorte épidémiologique française, constituée d’un échantillon représentatif de 220 000 adultes âgés de 18 à 75 ans. Les participants sont invités à passer un examen de santé tous les quatre ans et à remplir un questionnaire tous les ans. Les données recueillies (santé, caractéristiques socioprofessionnelles, paramètres biologiques, physiologiques, physiques et cognitifs) sont appariées chaque année aux bases de données de l’Assurance maladie. Ce projet est soutenu par la Caisse nationale de l’assurance maladie et financé par le Programme d’investissement d’avenir.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205873/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>La recherche du Dr Empana a reçu des financements publiques au niveau national de type ANR (agence Nationale de Recherche) ou européens (programmes H2020), et parfois de Fondations d'utilité publique type Fondation pour la Recherche Médicale (FRM) ou Fédération Française de Cardiologie (FFC). Ces structures ne prennent part à aucune décision quant aux choix de la thématique de recherche ou la conduite et la réalisation de la recherche.
Ce travail est le fruit d'une collaboration scientifique entre les chercheurs de la plateforme de recherche CONSTANCES et de l'équipe du Dr Empana.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>La recherche d'Omar Deraz a reçu des financements publiques au niveau national de type ANR (agence Nationale de Recherche) ou européens (programmes H2020), et parfois par des Fondations d'utilité publique type Fondation pour la Recherche Médicale (FRM) ou Fédération Française de Cardiologie (FFC). Ces structures de financement ne prennent part dans aucune décision quant aux choix de la thématique de recherche ou la conduite et la réalisation de la recherche.
Ce travail est le fruit d'une collaboration scientifique entre les chercheurs de la plateforme de recherche CONSTANCES et les chercheurs de l'équipe du Dr Empana Jean-Philippe
</span></em></p>On manquait de données en France sur la santé cardio-vasculaire des personnes LGBTQI+. Une grande étude vient enfin combler ce manque et proposer des pistes de réflexion sur les disparités observées.Jean-Philippe Empana, Directeur de recherche, Centre de recherche cardiovasculaire de Paris, équipe Épidémiologie intégrative des maladies cardiovasculaires, INSERM U970, Université Paris Cité, InsermOmar Deraz, Chirurgien-dentiste, doctorant au Centre de Recherche Cardiovasculaire de Paris, Équipe épidémiologie Intégrative des Maladies Cardiovasculaires, INSERM U970, Université Paris Cité, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2058592023-05-21T14:59:11Z2023-05-21T14:59:11ZLutte contre les discriminations : comment épauler les managers ?<p>Le 30 janvier 2023, la première ministre Élisabeth Borne et Isabelle Rome, ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances ont présenté leur <a href="https://culture-rh.com/discrimination-travail-lutte/">plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations</a>. Le gouvernement a notamment dévoilé 80 mesures qui entreront en vigueur d’ici 2026. Le plan prévoit notamment de multiplier les « testings » (envoi de deux CV similaires à l’exception de l’adresse du candidat) ou encore la création d’une « amende civile dissuasive ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine (gouvernement, janvier 2023).</span></figcaption>
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<p>La lutte contre les discriminations reste en effet un défi considérable. Selon le dernier <a href="https://www.cegos.fr/ressources/enquetes/enquete-internationale-2022-diversite-inclusion">baromètre de l’Observatoire Cegos</a>, publié fin 2022, plus d’un salarié français sur deux dit avoir déjà été victime d’au moins une forme de discrimination. Interrogés sur la cause, 18 % des répondants de l’enquête mentionnent l’apparence physique et l’âge, 15 % le sexe et 13 % l’état de santé.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Chaque lundi, que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s’interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez dans votre boîte mail les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts dans notre newsletter thématique « Entreprise(s) ».</em></p>
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<p>Plus inquiétant, la même enquête montre que, pour 21 % des managers seulement, les actions mises en place par leur organisation (information, formation, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ressources-humaines-rh-120213">ressources humaines</a>, etc.) sont utiles pour gérer les situations sensibles. « La marge de progrès est donc réelle… », conclut le rapport.</p>
<h2>Rationalités concurrentes</h2>
<p>Comme nous le montrons dans nos <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2023-1-page-15.htm">travaux</a> récents sur le fait religieux en entreprise, le manager est aujourd’hui généralement confronté à un environnement empreint de <a href="https://revuedlf.com/droit-fondamentaux/la-soft-law-est-elle-lavenir-des-droits-fondamentaux/">« soft law »</a> non contraignante, le positionnant en <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2023-1-page-15.htm">producteur de norme quasi permanent</a>. Autrement dit, le manager se retrouve souvent seul au moment de trancher et sa décision tend à constituer une jurisprudence implicite lorsqu’une même situation se représente.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-a-la-fin-ce-sont-les-managers-qui-creent-les-normes-195858">Fait religieux en entreprise : à la fin, ce sont les managers qui créent les normes</a>
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<p>Sur les questions de diversité, adopter cette perspective permet de comprendre que le manager souffre d’un inconfort important lorsqu’il doit jouer son rôle d’arbitrage quasi juridictionnel car il fait face à de multiples rationalités concurrentes. Pour éclairer cette problématique, plusieurs <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/ejsp.2420060202">travaux</a> fondateurs mettaient en avant, dès les années 1970, les notions de cohabitation des normes, de juxtaposition et de domination des unes sur les autres, ainsi que la légitimation des normes en contexte interculturel.</p>
<p><strong>Hugo Gaillard : quand le manager produit la norme et devient… juge (Xerfi canal, janvier 2023)</strong></p>
<iframe title="vimeo-player" src="https://player.vimeo.com/video/781014312?h=c1ed10557b" width="100%" height="360" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<p>Dans le cas du manager, il est celui qui doit appliquer une norme souvent descendante, venue de sa hiérarchie, tout en prenant compte la norme de l’ensemble de son organisation, la loi ou encore les réactions attendues des membres de son équipe, eux-mêmes porteurs de rationalités parfois divergentes ou contradictoires.</p>
<h2>« Est-ce bien notre rôle ? »</h2>
<p>Dans la lutte contre les discriminations, la responsabilité qui pèse sur les épaules managériales est donc très forte. Des impératifs sociaux de justice, d’égalité et de respect des droits fondamentaux, c’est-à-dire <a href="https://www.cairn.info/revue-entreprises-et-histoire-2021-3-page-5.htm?contenu=resume">politiques</a>, s’ajoutent aux objectifs de performance économique habituels. Or, comme nous avons pu le constater dans nos recherches, cette nouvelle dimension de l’activité n’est pas toujours bien acceptée par les managers. Un responsable d’équipe dans le secteur automobile s’interrogeait ainsi :</p>
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<p>« L’entreprise doit-elle faire de la politique, est-ce bien notre rôle ? »</p>
</blockquote>
<p>Un responsable opérationnel du secteur de la grande distribution reconnaissait, lui, ses limites :</p>
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<p>« J’ai besoin d’être aidé et soutenu, je n’ai pas les qualifications requises. Je suis une personne de terrain. »</p>
</blockquote>
<p>Face à ces difficultés, il est donc essentiel de considérer des stratégies concrètes pour favoriser l’intégration des groupes minoritaires en épaulant les managers dans leur rôle d’arbitre et de producteurs de normes.</p>
<h2>Démarches proactives</h2>
<p>Plusieurs solutions peuvent être mises en œuvre par les entreprises pour conforter l’action managériale qui va intégrer ces démarches à sa dynamique d’arbitrage. Un premier pas est d’<strong>impliquer les groupes minoritaires dans la gouvernance de l’entreprise</strong>. Par exemple, <a href="https://www.academia.edu/24413864/Diversity_Efforts_at_The_Coca_Cola_Company">Coca-Cola a créé des groupes de travail internes dédiés à la diversité</a>, où les employés issus de groupes minoritaires participent aux processus décisionnels clés de l’entreprise. En France, plusieurs lois récentes concernent par exemple spécifiquement la place des femmes dans la gouvernance (<a href="https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/l-actualite-du-ministere/article/la-loi-rixain-accelerer-la-participation-des-femmes-a-la-vie-economique-et">Loi Rixain</a>), où elles sont encore assez largement minoritaires.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-persistance-des-stereotypes-entretient-les-inegalites-professionnelles-femmes-hommes-199320">La persistance des stéréotypes entretient les inégalités professionnelles femmes-hommes</a>
</strong>
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</p>
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<p>De nombreuses organisations choisissent également de <strong>créer des structures formelles au sein des entreprises</strong>. Dans cette perspective, le géant du conseil <a href="https://www.thirtythr.ee/uk/work/accenture-id">Accenture a créé un laboratoire d’innovation sur la diversité et l’inclusion</a> pour développer et tester des solutions novatrices, et de nombreuses grandes entreprises déploient des services ou des directions de la diversité et de l’inclusion.</p>
<p>Ces modes de gouvernance nouveaux et ces structures formelles permettent de mieux <strong>mesurer et suivre le phénomène</strong> minoritaire. <a href="https://www.microsoft.com/en-us/diversity/inside-microsoft/annual-report?activetab=innovation-spotlights%3aprimaryr4">Microsoft, par exemple, promeut de nombreuses enquêtes</a> pour collecter les retours d’expérience et les suggestions des employés sur les enjeux de diversité et d’inclusion. En France, des index diversité (à l’instar de celui sur l’<a href="https://travail-emploi.gouv.fr/droit-du-travail/egalite-professionnelle-discrimination-et-harcelement/indexegapro">égalité professionnelle</a>) se développent, y compris un très récent <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/archives/archives-presse/archives-communiques-de-presse/article/experimentation-de-l-index-diversite-et-inclusion-dans-le-monde-professionnel">lancé par le ministère du Travail</a>.</p>
<p>Pour ce qui est des personnes LGBTQ+, ce sont des associations de praticiens qui ont par exemple <a href="https://www.afmd.fr/kit-LGBTI">développé un kit à destination des décideurs</a>.En adoptant ces approches et s’appuyant sur de tels dispositifs et pratiques, les entreprises peuvent ainsi mieux comprendre les relations entre les individus, les groupes minoritaires et les institutions, tout en promouvant une culture d’inclusion et de diversité.</p>
<p>Il est en effet impératif que les organisations assument de répondre à des enjeux politiques sur l’inclusion de tous les groupes. De telles démarches proactives apparaissent bénéfiques pour les équipes comme pour les managers. Elles permettent d’éviter des frictions trop grandes, en gagnant en compréhension mutuelle par la pratique du compromis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205859/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Gaillard est membre du Bureau et du CA de l'AGRH.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Olivier Meier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les situations sensibles, les managers doivent généralement composer entre les consignes de leur hiérarchie, les habitudes dans leur organisation et les réactions attendues de leurs équipes.Olivier Meier, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Hugo Gaillard, Maître de conférences en Sciences de gestion, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1929652022-12-01T17:27:38Z2022-12-01T17:27:38ZQuand l’univers du « drag » français rencontre le grand public<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/497921/original/file-20221129-24-nwq8p.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C1%2C1180%2C774&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le phénomène « drag » en pleine lumière, et au pied d'un décor qui évoque la tour Eiffel. </span> <span class="attribution"><span class="source">Francetv</span></span></figcaption></figure><p>Le « drag » est une pratique artistique dans laquelle des personnes, en grande majorité LGBTQIA+, incarnent le temps d’une soirée ou d’une performance un personnage genré personnel et exubérant (féminin, masculin ou mélangeant les genres). Émergeant aux États-Unis au début du XX<sup>e</sup> siècle – ses origines précises restent floues – il constitue un moyen d’expression pour une communauté LGBTQIA+ fortement discriminée et stigmatisée. C’est avec l’apparition des mouvements de libération LGBTQIA+ dans la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle et un intérêt médiatique grandissant pour cette pratique que le drag devient progressivement un phénomène mondialisé. Plus récemment, l’apparition de la franchise <em>Drag Race</em> a propulsé l’art du « drag » sur la scène médiatique <em>mainstream</em>.</p>
<p>Aujourd’hui, le « drag » est présent dans la plupart des pays et s’est adapté aux contextes culturels dans lesquels il s’est implanté créant ainsi des scènes uniques prenant racine sur des pratiques de travestissement artistiques préexistantes. La scène « drag » française ne fait pas exception et prospère en s’inspirant de longues traditions nationales comme le cabaret, la mode ou le théâtre. Les drag-queens françaises sont par exemple réputées pour la qualité et la beauté de leurs tenues.</p>
<p>À mesure que le « drag » se développe, les pratiques se diversifient et repoussent les limites du corps ; les drag queens ultra féminines et les drag kings jouant de la masculinité côtoient désormais des créatures plus ou moins horrifiques ou fantastiques au genre indéfini et à l’humanité équivoque.</p>
<p>Si l’émission <em>Drag Race France</em> a connu un beau succès d’audience (près de 7 millions de téléspectateurs), elle a pourtant fait l’objet de polémiques au niveau des scènes drag locales avant sa diffusion en juillet 2022. À un fort enthousiasme se mêlent à ce moment-là de vives inquiétudes quant au portrait qui sera fait du « drag » et des personnes LGBTQIA+. Dans le milieu du « drag », certains expriment une certaine méfiance envers la chaîne de production et sa capacité à traduire leur art, leurs vécus, leurs combats dans une émission télévisuelle grand public. </p>
<p>Cette vive réaction est symptomatique d’un malaise plus général des personnes LGBTQIA+ concernant le risque de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/06/26/le-terme-de-pinkwashing-revet-une-dimension-negative-avec-l-idee-d-hypocrisie-des-marques_6085781_3224.html">« pinkwashing »</a> – qui désigne la réappropriation de leurs cultures par des institutions et médias <em>mainstream</em> à des fins marchandes. </p>
<p>À tout cela s’ajoute l’espérance que l’émission <em>Drag Race France</em> ne soit pas qu’un pastiche de la version étasunienne. Les drags souhaitent alors une adaptation du format qui met en avant leur art dans tout ce qu’il a d’unique et de pluriel mais qui éduque aussi le grand public sur les problématiques liées au vécu LGBTQIA+. Tous ces questionnements traduisent l’incertitude des effets positifs ou négatifs que produit la rencontre entre une culture alternative et les masses à la fois pour les artistes et le public.</p>
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<h2><em>Drag Race</em>, une success-story mondialisée</h2>
<p>Douze ans après son lancement aux États-Unis, le format télévisuel étasunien <em>Drag Race</em> a fait l’objet d’adaptations au Royaume-Uni, au Canada, en Espagne, aux Pays-Bas, en Italie, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Thaïlande, au Chili et aux Philippines. D’autres adaptations sont annoncées en Belgique, en Allemagne ou encore en Suède.</p>
<p>En France, la plupart des jeunes drags ont découvert cet univers à travers l’émission étasunienne, et en sont désormais des fans invétérés. De ce fait, la figure de proue de ce succès mondial, RuPaul, est encore perçue comme une figure tutélaire par beaucoup. La pratique de ces performeuses et performeurs est intimement liée à la franchise étasunienne et aux références qu’elle propose. L’une des participantes à l’émission française affirme ainsi : « Moi ce qui m’a donné envie de faire du drag c’est quand j’ai découvert <em>RuPaul’s Drag Race</em>. Donc je suis un pur produit <em>Drag race</em> ».</p>
<p>Notons cependant que l’émission ne fait pas l’unanimité chez les personnes LGBTQIA+ car considérée par certains – et avant même que le format s’exporte en France – comme <a href="https://tetu.com/2020/01/27/rupaul-sous-le-feu-des-critiques-apres-lannonce-du-casting-de-la-saison-12-de-rupauls-drag-race/">peu inclusive</a> et peu représentative des milieux queer ; alors très « téléréalité » le fait remarquer le drag king lyonnais Rico Loscopia. La directrice de l’unité des divertissements au sein du groupe France Télévisions affirme par exemple dans une <a href="https://www.francetvpro.fr/contenu-de-presse/34178383">interview</a> que le groupe est fier « avec Endemol France et Shake Shake Shake de proposer <em>Drag Race France</em>, l’adaptation du format iconique créé par RuPaul, une marque connue du monde entier qui met à l’honneur l’art du drag [et] qui permet de mettre en lumière la scène queer, sa réalité, sa richesse, et des sujets comme la transidentité ». </p>
<p>Si la production de l’émission en France s’inscrit dans un enjeu politique fort, elle ne peut toutefois pas se défaire du cadre marchand transnational dans lequel elle s’inscrit et des contraintes d’adaptations imposées par celui-ci ; le groupe France Télévisions, lorsqu’il s’empare des droits d’adaptation du format doit suivre une procédure de production précise imposée par le distributeur étasunien du format.</p>
<h2>Une version frenchie du format étasunien</h2>
<p>Depuis les années 1990, la plupart des émissions diffusées à la télévision française sont des adaptations de formats télévisuels provenant de systèmes médiatiques étrangers : l’une des premières en France étant par l’exemple l’émission <em>Questions pour un champion</em>, une adaptation du format britannique <em>Going for Gold</em> créé en 1987. Ainsi, un format télévisuel est une recette précise à suivre pour la production d’émissions. </p>
<p>Cela fait peu de temps que les liens entre un format et ses adaptations locales sont mis en avant pour le marketing de ces produits économiques, et dans ce contexte, l’émission <em>Drag Race France</em> ne fait pas exception : on peut lire par exemple sur le <a href="https://www.francetelevisions.fr/et-vous/notre-tele/a-ne-pas-manquer/drag-race-12387">site</a> de France Télévisions que « c’est avant tout l’histoire d’une réussite internationale [et que l’adaptation française] reprend les incontournables de sa grande sœur américaine ».</p>
<p>Précisons que pour l’adaptation d’un format pour le public local, les producteurs ne peuvent pas disposer librement de ce modèle de production. Dans une tension entre rigidité et flexibilité, la production d’un format adapté s’inscrit ainsi dans un cadre marchand qui standardise la production des adaptations locales. Cela dit, dans un effort de localisation, le pari a été d’adapter le format étasunien en restant très proche du concept original de l’émission « mais avec l’idée qu’on sache tout de suite qu’on est en France » comme l’explique le producteur dans une <a href="https://www.komitid.fr/2022/09/13/raphael-cioffi-auteur-de-drag-race-france-jai-ete-ultra-impressionne-par-linvestissement-de-chaque-queen/">interview</a>. </p>
<p>Pour promouvoir l’émission, les drag queens françaises prennent ainsi la pose à la place du roi dans une mise en scène versaillaise et arborent des tenues exubérantes rappelant celles de la cour au XVIII<sup>e</sup> siècle. Mais ce n’est pas tout. Un cocorico en guise de jingle, un remix de la marseillaise qui scande « aux glams citoyennes ! », ou encore un <a href="https://www.instagram.com/p/Cf1KqgeKkoH/">défilé</a> sur le thème « French clichés » viennent donner à l’adaptation française sa couleur locale et singularise le contenu de l’émission <em>Drag Race France</em> par rapport aux autres adaptations.</p>
<h2>À la conquête des publics (une émission mainstream mais pas trop)</h2>
<p>Le producteur de l’émission, Raphaël Cioffi, affirme par ailleurs dans une <a href="https://www.komitid.fr/2022/09/13/raphael-cioffi-auteur-de-drag-race-france-jai-ete-ultra-impressionne-par-linvestissement-de-chaque-queen/">interview</a> que ce qu’il aime faire « ce sont des choses fortes, qui plaisent autant à ses amis pédés qu’à ses parents ». Un pari réussi <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/09/17/comment-drag-race-a-seduit-le-grand-public-le-fait-de-les-voir-si-libres-et-si-puissantes-ca-donne-envie-de-l-etre-aussi_6142081_3224.html">selon le journal <em>Le Monde</em></a> qui déclare que les « reines » exubérantes de l’émission « ont conquis un public qui dépasse désormais le cercle LGBT+ ». </p>
<p>En effet, l’émission doit s’adresser au grand public tout en mettant en valeur la culture LGBTQIA+. Le drag king Rico Loscopia abonde dans ce sens en ajoutant que les drags français se sont sentis respectés et que l’émission a « autant été à la rencontre du public queer qu’à la rencontre d’un public de non habitués ». L’art du drag voit <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/01/15/les-drag-queens-de-l-underground-a-la-consecration_6109557_4500055.html">son public s’élargir à une audience plus « hétéro »</a>, autrement dit plus <em>mainstream</em>. Ainsi, à travers l’émission <em>Drag Race France</em>, le « drag » devient un objet culturel de masse qui rassemble divers publics, avec diverses attentes et sensibilités.</p>
<h2>Les scènes locales impactées</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/498005/original/file-20221129-12-adhcij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/498005/original/file-20221129-12-adhcij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/498005/original/file-20221129-12-adhcij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/498005/original/file-20221129-12-adhcij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/498005/original/file-20221129-12-adhcij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/498005/original/file-20221129-12-adhcij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/498005/original/file-20221129-12-adhcij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les drags clermontoises de la House of Morningstar animant une soirée de visionnage de <em>Drag Race France</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Celala</span></span>
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<p>Ainsi, ce nouvel engouement populaire impacte une scène présente partout en France (et ce depuis au moins les années 1980) en la rendant plus visible et plus accessible. Dans ce contexte, l’émission est par exemple devenue un moyen pour les artistes de se faire connaître auprès d’un large public et ce à travers toute la France. Le « drag » n’est donc plus la pratique confidentielle qu’elle était jusqu’alors et de nouvelles institutions et établissements s’y intéressent désormais, l’incluant de plus en plus dans leurs programmations. « On existe aussi ! » clame la drag queen lilloise Crystal Chardonnay lors de la soirée organisée à Lille après le spectacle <em>Drag Race France live</em>, insistant ainsi sur l’importance de soutenir les scènes locales, leur donner des opportunités, et ne pas seulement se contenter d’une version édulcorée offerte par l’émission. </p>
<p>Cela dit, l’une des drags de l’émission déclare quant à elle espérer que toutes les drags qui profitent de ce nouvel engouement populaire auront la possibilité d’occuper des espaces télévisuels variés, autres que l’émission <em>Drag Race France</em>, seule case destinée à donner une place médiatique centrale aux drag queens, et de facto aux personnes LGBTQIA+. Parmi les rares précédents en France, on ne peut citer qu’une émission sur MCM, <em>Drag Save The Queen</em>, diffusée avant <em>Drag Race</em>, en 2021.</p>
<p>Alors que « la folie <em>Drag Race</em> a gagné la France » pour citer un <a href="https://www.bfmtv.com/culture/apres-avoir-conquis-le-public-cet-ete-les-drag-queens-de-drag-race-france-partent-en-tournee_VN-202209060126.html">média populaire</a>, une deuxième saison de l’émission française a été annoncée. Plus nombreuses et nombreux qu’au casting de la première saison, d’autres drags ont décidé de postuler pour tenter de devenir « la prochaine reine du drag français ». Toutefois, des controverses subsistent encore autour de l’émission et la standardisation de cet art, diluant sa portée politique à des fins marchandes. L’émission <em>Drag Race</em> constitue désormais la référence mainstream du « drag » en France, créant de nouvelles attentes de la part du public français : attentes avec lesquelles les drags doivent composer.</p>
<p>Toutefois, la mondialisation des biens culturels oblige aussi les artistes à se réinventer et se fortifier localement tout en exploitant une popularité en hausse. La demande croissante en spectacles drags de la part du public et de certains lieux depuis la diffusion de l’émission amène de plus en plus de drag queens à penser leur professionnalisation et à se produire dans des contextes nouveaux, comme des bars et restaurants avec une clientèle moins queer ou des salles de spectacle importantes, plus institutionnelles.</p>
<p>Si le format étasunien semble s’être trouvé une place sur nos écrans de télévision et qu’il a sans nul doute diverses répercussions sur les scènes drag locales, il est intéressant d’observer comment l’émission provoque finalement l’émergence d’un « drag » à la française qui a son tour s’exporte a l’étranger. Celui-ci met en avant, comme l’a fait l’émission, à la fois certains clichés nationaux mais aussi des influences venues du cabaret et de la mode, qui font désormais l’objet de spectacles, dans un retour logique à la scène.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192965/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L'apparition de la franchise « Drag Race »a propulsé l'art du drag sur la scène médiatique mainstream.Aziliz Kondracki, Doctorante en anthropologie, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Elias Caillaud, Doctorant en Anthropologie , École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1884032022-08-28T18:10:53Z2022-08-28T18:10:53ZMineurs trans : pourquoi leur prise en charge est aussi controversée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/480865/original/file-20220824-4239-pwpqn5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C38%2C5089%2C3580&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Femme trans non-binaire se prenant en photo. Pour de nombreux mineurs trans l'accompagnement médical et psychologique demeure compliqué du fait de différents biais sociétaux. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://drive.google.com/file/d/1bKLiesXZwysgk0Leexb5pc46vLqpj3np/view">Zackary Drucke/The Gender Spectrum Collection</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>L’<a href="https://www.theguardian.com/society/2022/jul/28/tavistock-gender-identity-clinic-is-closing-what-happens-next">annonce récente</a> de la fermeture imminente de la Tavistock Gender Identity Development Service à Londres, accompagnant des personnes mineures souffrant de la <a href="https://www.ghu-paris.fr/fr/transidentites">dysphorie de genre</a> – la souffrance des personnes dont l’identité de genre ne correspond pas au sexe qui leur a été assigné à la naissance – s’est fait dans une atmosphère hautement polémique. Cette fermeture met aussi en jeu des questions médicales, sociales et politiques faisant aujourd’hui débat notamment en France.</p>
<p>Il faut commencer par souligner la spécificité de la structure de la clinique Tavistock à Londres. Au Royaume-Uni, l’offre d’accompagnement s’adressant aux mineurs trans est très centralisée, puisque le Tavistock Gender Identity Development Service reste aujourd’hui la seule institution (de santé publique, NHS) qui permettait aux jeunes d’accéder aux bloquants hormonaux. Il s’agit des médicaments qui inhibent la production des hormones sexuelles et de ce fait <a href="https://www.mayoclinic.org/diseases-conditions/gender-dysphoria/in-depth/pubertal-blockers/art-20459075">suspendent la puberté</a> chez les enfants et les adolescents – ils font en sorte que le corps de l’enfant est moins vécu comme son ennemi, et cela sans intervention chirurgicale.</p>
<p>Il en est tout à fait autrement en France où, pour un grand nombre de besoins médicaux, des centres spécialisés sont répartis à travers le territoire. Les <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/05/27/changer-de-sexe-en-france-des-parcours-complexes_5468240_1650684.html">services de changement de genre</a> ne font pas exception (notons qu’en France non plus <a href="https://www.marianne.net/societe/sante/mineurs-transgenres-sans-directives-nationales-on-est-soumis-a-lideologie-des-praticiens">on ne propose pas</a> d’interventions chirurgicales aux mineurs).</p>
<h2>Une fermeture médiatique</h2>
<p>Le centre Gender Identity Development Service (GIDS) est donc le seul (présent sur trois sites, à Londres, Leeds et Bristol) proposant l’accompagnement des jeunes trans, ce qui l’a fragilisé, étant donné la forte hausse des demandes.</p>
<p>La fréquentation a cru de façon exponentielle : entre 2011 et 2021 le nombre de mineurs suivis <a href="https://uk.style.yahoo.com/nhs-shut-down-tavistock-gender-135300501.html">est multiplié par 20</a>. En conséquence, les services proposés par le centre se sont détériorés. <a href="https://www.theguardian.com/society/2018/nov/03/tavistock-centre-gender-identity-clinic-accused-fast-tracking-young-adults">On commence à le voir à travers les articles de presse</a> dès 2018. En 2021, un <a href="https://www.cqc.org.uk/news/releases/care-quality-commission-demands-improved-waiting-times-tavistock-portman-nhs">rapport d’une commission publique notait</a> que les listes d’attente pour les jeunes étaient devenues trop longues et qu’il était nécessaire d’y remédier.</p>
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<h2>Réduction idéologique</h2>
<p>En parallèle, en 2019, la médiatisation d’une plainte met un coup de projecteur inattendu sur la clinique Tavistock de Londres. La plaignante, Keira Bell, accuse alors le service de lui avoir donné des <a href="https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/dysphorie-de-genre-ce-qu-il-faut-savoir-sur-les-bloqueurs-de-puberte-7900110708">bloqueurs de puberté</a> trop précocement, et gagne en première instance. Cette dénonciation s’inscrit dans une mise en accusation plus large.</p>
<p>La <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/calls-to-end-transgender-experiment-on-children-k792rfj7d">critique des milieux conservateurs britanniques</a> insiste alors sur les difficultés d’appréciation des conséquences d’une hormonothérapie ou d’un blocage des hormones de la part des personnes mineures.</p>
<p>Les critiques stipulent en même temps que ce qui est exprimé par les jeunes constitue un événement passager dans la vie de l’enfant, une « manifestation <em>subite</em> de <a href="https://doi.org/10.1371%2Fjournal.pone.0214157.s001">dysphorie de genre</a> » (<em>rapid-onset gender dysphoria</em>), un sentiment superficiel que le <a href="https://www.ghu-paris.fr/fr/transidentites">genre assigné ne correspond pas à l’identité de la personne</a>, dû à l’influence sociale d’un groupe ou à des troubles psychiques.</p>
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<figcaption><span class="caption">Kids on the Edge : The Gender Clinic.</span></figcaption>
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<p>L’existence même de ce phénomène est toutefois <a href="https://www.science.org/content/article/new-paper-ignites-storm-over-whether-teens-experience-rapid-onset-transgender-identity">hautement controversée</a>. Cette réduction idéologique de la dysphorie de genre à la manifestation d’un autre phénomène psychique est en opposition aux décennies de recherches sur les transidentités.</p>
<p>En 2021, la cour d’appel de Londres <a href="https://www.judiciary.uk/judgments/bell-and-another-v-the-tavistock-and-portman-nhs-foundation-trust-and-others/">finit par donner raison à la clinique Tavistock</a> contre Keira Bell. Selon les juges, les actes médicaux prodigués ne contrevenaient pas au droit et les juges n’étaient pas compétents pour juger ce cas.</p>
<p>La clinique devra toutefois fermer ses portes en 2023. Le NHS a pris cette décision guidé notamment par un rapport rédigé par la pédiatre <a href="https://www.england.nhs.uk/commissioning/spec-services/npc-crg/gender-dysphoria-clinical-programme/implementing-advice-from-the-cass-review/">Hilary Cass</a>, qui a confirmé que le service était sous « pression insoutenable », où les attentes des patients ne peuvent pas être satisfaites, et où l’atmosphère autour de la clinique créée par certains médias fait que le personnel ne reste pas, ce qui détériore davantage la qualité des soins.</p>
<h2>Faire évoluer le parcours de soin face à des besoins qui évoluent</h2>
<p><a href="https://cass.independent-review.uk/publications/interim-report/">La leçon fondamentale du rapport Cass</a> est épistémologique – le texte constate l’échec d’un modèle où les transitions se font dans un centre spécialisé et prône la décentralisation des soins. L’accompagnement des personnes en transition va se faire désormais plus près de leur lieu de résidence et en contact avec leurs médecins traitants.</p>
<p>Les débats entre les chercheurs et les soignants autour de cette clinique et sa fermeture ne doivent pas être interprétés comme un succès par les militants opposés à la médicalisation des demandes de transition chez les mineurs. Il s’agit d’une évolution normale des stratégies de soin et d’accompagnement face à des besoins jusque là inconnus.</p>
<p>Les discussions sur ces mêmes thèmes <a href="https://www.theguardian.com/society/2020/feb/22/ssweden-teenage-transgender-row-dysphoria-diagnoses-soar">ont également lieu dans d’autres pays</a>, selon le modèle similaire : une surmédiatisation des rares témoignages des personnes qui regrettent la transition dans la presse conservatrice. On l’observe dans plusieurs journaux : le <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-10953157/Man-suing-NHS-trans-surgery-regrets-bravely-waived-anonymity-share-ordeal.html"><em>Daily Mail</em></a>, le <a href="https://nypost.com/2022/06/18/detransitioned-teens-explain-why-they-regret-changing-genders/"><em>New York Post</em></a>, <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/j-ai-detruit-mon-corps-en-pensant-que-ca-irait-mieux-le-regret-de-mila-redevenue-femme-apres-une-transition-20220530"><em>Le Figaro</em></a>…</p>
<p>La lecture des rapports en <a href="https://www.socialstyrelsen.se/om-socialstyrelsen/pressrum/press/vanligt-med-flera-psykiatriska-diagnoser-hos-personer-med-konsdysfori/">Suède</a> et en <a href="https://genderreport.ca/wp-content/uploads/2021/04/Finland_Guidelines_Gender_Variance_In_Minors.pdf">Finlande</a> montre toutefois le constat partagé de la même difficulté, qui a conduit à repenser les stratégies d’accompagnement des mineurs : leurs besoins médicaux doivent être examinés et traités ensemble. Cette idée a été d’ailleurs <a href="https://cass.independent-review.uk/entry-8-beyond-the-headlines/">réitérée par Hilary Cass</a> dans un commentaire publié le 18 août 2022.</p>
<h2>Un climat clivant</h2>
<p>Le climat qui entoure ces débats en France n’est pas non plus apaisé. Des pétitions (au moins <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/changement-de-genre-chez-les-mineurs-nous-ne-sommes-pas-les-seuls-a-appeler-a-la-prudence_2163342.html">deux</a> en <a href="https://www.lepoint.fr/postillon/changement-de-genre-des-mineurs-l-appel-de-personnalites-aux-medias-07-07-2022-2482447_3961.php">France</a> mais aussi en <a href="https://www.lesoir.be/452711/article/2022-07-07/un-manifeste-europeen-pour-un-traitement-objectif-de-la-transidentite-des">Belgique</a>) et des <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/pour-le-droit-daccompagner-son-enfant-dans-son-identite-de-genre-20220721_WQ3Z6KSAJJBARFIOTC3HMVHYGA/">contre-pétitions</a> se succèdent, appuyées par des institutions de mieux en mieux structurées.</p>
<p>D’un côté, des associations comme <a href="https://grandirtrans.fr/">GrandirTrans</a> mettent en avant le mieux-être des enfants suivis hormonalement par des structures hospitalières et des professionnels compétents et soutiennent les demandes de reconnaissance de cette population.</p>
<p>De l’autre, des groupes comme l’<a href="https://www.observatoirepetitesirene.org/">Observatoire de la petite sirène</a> ou le collectif <a href="https://www.lavie.fr/ma-vie/famille/peut-on-laisser-un-enfant-changer-de-sexe-80964.php">Ypomoni</a> soutiennent l’idée d’une « contagion sociale » et d’un surdiagnostic des variances de genre chez les mineurs. Pour ces militantes et militants, les jeunes trans ainsi diagnostiqués sont soumis à des regrets ultérieurs du fait d’une impossibilité fondamentale à pouvoir maîtriser les conséquences de la médicalisation qui leur est proposée.</p>
<p>Les idées défendues par ces derniers, loin d’être à contre-courant comme elles se présentent, sont pour certaines promues et financées par des organisations internationales liées à l’extrémisme religieux et à l’opposition aux droits humains à la santé reproductive, comme le signale le <a href="https://www.epfweb.org/node/837">rapport récent</a> du Forum parlementaire européen pour les droits sexuels et reproductifs (EPF). Elles vont aussi à l’encontre de la <a href="https://www.coe.int/fr/web/sogi/rec-2010-5">Recommandation du Comité des Ministres</a> aux États membres « sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre » (CM/Rec(2010)5, ch. VII, § 33).</p>
<p>Comment distinguer dans ces débats ce qui est scientifique de ce qui est idéologique ? Depuis quelques dizaines d’années, les réflexions sur l’identité de genre se défont progressivement du regard social normatif, pour penser et accompagner la diversité. La terminologie <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2015.01511/full">continue à évoluer</a>, et les institutions européennes proposent depuis longtemps des <a href="https://www.coe.int/fr/web/sogi/adopted-texts">recommandations</a> sensibilisant aux discrimination.</p>
<p>Plusieurs éléments de réponses peuvent cependant être apportés pour nourrir le débat en s’appuyant sur des précédents et des évolutions sociétales importantes.</p>
<h2>Des arguments à modérer et à contextualiser</h2>
<p>Une première inquiétude, récurrente, est celle de l’âge. A quel âge une intervention endocrinienne – une prise d’hormones – peut-elle être consentie ? C’est du côté de la psychanalyse que les publications d’essais sont les <a href="https://www.editions-observatoire.com/content/La_fabrique_de_l %E2 %80 %99enfant_transgenre">plus virulentes</a> et que la thèse de l’impossible consentement des mineurs prend forme. On s’est pourtant déjà posé cette question pour la contraception et en traitant différemment les aptitudes à consentir d’une même population sur un sujet similaire, <a href="https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2018/07/msc180155/msc180155.html">nous finissons par nous engager</a> dans un traitement subjectif et non éthique du problème.</p>
<p>Il est nécessaire d’évoquer ici la « capacité Gillick » (<a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/21645515.2015.1091548"><em>Gillick competence</em></a>) qui est, dans le droit de santé anglo-saxon (britannique et australien), la notion permettant de trancher si une personne de moins de 16 ans est capable de consentir à son propre traitement médical.</p>
<p>Il s’agit d’une évaluation fait au cas par cas par le médecin qui cherche à savoir si la jeune personne comprend les implications soit de l’utilisation des moyens de contraception, soit de sa propre vaccination (quand les parents s’y opposent), soit enfin de la prise de médicaments hormonaux. Cette capacité était reconnue à Keira Bell par la <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(21)02136-X/fulltext">cour d’appel en 2021</a>.</p>
<p>La deuxième inquiétude concerne le caractère irréversible des traitements proposés, même dans le contexte des médicaments seuls, sans chirurgie. En effet, les inhibiteurs d’hormones peuvent notamment limiter la croissance de jeunes patients. Mais la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1538544219301245">littérature internationale met en balance</a>, comme toujours en médecine, le bénéfice psychique de ces traitements, face aux risques afférents, comme les pratiques et pensées suicidaires.</p>
<p>Troisièmement, peut-on parler vraiment d’un phénomène d’influence sociale et donc de surdiagnostic qui en découle ? Les jeunes (trans) seraient alors influencés par des modèles et des discours – et au fond, les jeunes trans seraient principalement des personnes homosexuelles si on ne leur proposait pas l’option de la transidentité. Cependant, le lien entre homosexualité et transidentité <a href="https://www.cairn.info/revue-sciences-sociales-et-sante-2022-1-page-103.htm">a été définitivement rompu</a> depuis 1953, et la multiplicité des expériences des personnes trans fait qu’il aurait été difficile aujourd’hui de prétendre de trouver une explication causale essentialiste.</p>
<p>Enfin, un dernier point de tension apparaît, conséquence des précédents : le risque de regret à la majorité de l’enfant. Là encore, les <a href="https://journals.lww.com/prsgo/fulltext/2021/03000/regret_after_gender_affirmation_surgery__a.22.aspx">connaissances cumulées</a> déterminent les regrets opératoires aux alentours de 1 %. Si ces 1 % méritent évidemment un accompagnement adéquat, ce chiffre, comparé aux regrets liés à <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28243695/">d’autres procédures médicales</a>, reste très inférieur.</p>
<h2>Un « principe de précaution » éthique ?</h2>
<p>Ceux qui s’opposent à l’accompagnement médical des jeunes trans évoquent souvent le « principe de précaution », une formule qui à leurs yeux a le pouvoir d’arrêter toute action en vertu de l’absence de certitude absolue quant aux conséquences de l’action en cause. Il s’agit d’un procédé rhétorique certes impressionnant, mais pas forcément valide. Ce principe a déjà <a href="https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/3682/Zielinska.pdf">montré ses limites</a>, tant dans sa définition maladroite que dans son application. Les sciences du vivant, et de l’humain en particulier, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/11287462.2004.10800844">avancent de façon différente</a> que les sciences fondamentales.</p>
<p>L’accompagnement que la société décide de garantir aux personnes trans n’est pas informé uniquement par les sciences fondamentales, dont les résultats se présentent comme indépendants des facteurs sociaux. La manière dont la sphère publique s’en empare <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7826438/">contribue à la formation du problème</a>, et peut provoquer un sentiment d’inadéquation, de rejet, de détestation de soi. Il est impossible de ne pas inclure cette variable dans toutes les discussions.</p>
<p>Essayons donc de comprendre les raisons exactes de l’imperfection des stratégies d’accompagnement existantes, en prêtant oreille aux témoignages venant des sources différentes et en s’appuyant sur le savoir de celles et de ceux donc l’expertise dans le domaine est reconnue.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188403/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anna C. Zielinska est membre du Comité Scientifique de la DILCRAH. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Arnaud Alessandrin est membre du Comité Scientifique de la DILCRAH. </span></em></p>Comment prendre en charge médicalement les mineurs trans ? Le sujet fait polémique en France mais aussi en Angleterre où une clinique spécialisée a récemment fermé.Anna C. Zielinska, MCF en philosophie morale, philosophie politique et philosophie du droit, membre des Archives Henri-Poincaré, Université de LorraineArnaud Alessandrin, Sociologue, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1848012022-06-21T19:22:31Z2022-06-21T19:22:31ZTout le monde n’aime pas le sexe : comment l’asexualité devient un objet d’études<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/470031/original/file-20220621-23-m4txat.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5352%2C3557&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des asexuels défilent à la WorldPride de Madrid, en 2017.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/72/Asexuals_at_WorldPride_2017_Madrid.jpg">Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le développement des luttes et revendications LGBTQ+ apporte toujours à la recherche de nouveaux champs à explorer, de nouvelles questions à poser, de nouveaux prismes à travers lesquels l’analyse du monde prend une dimension nouvelle. En France, l’asexualité commence tout juste à arriver à l’université. L’occasion de tenter d’expliquer aux plus perplexes l’intérêt de ces nouvelles études.</p>
<p>« Études asexuelles ». Le terme, tout nouveau en France, désarçonne encore beaucoup. D’abord parce que même si depuis quelques années la visibilité asexuelle augmente, encore beaucoup de gens connaissent peu, ou mal, le concept d’asexualité.</p>
<p>Si tel est votre cas, permettez-moi de reprendre quelques bases, très rapidement. L’asexualité désigne l’absence d’attirance sexuelle envers autrui, et est considérée depuis 2017 comme une orientation sexuelle à part entière, concernant <a href="https://www.growthinktank.org/lasexualite-une-orientation-sexuelle-toujours-meconnue-et-pathologisee/#:%7E:text=On%20peut%20se%20demander%20combien,1994%20sur%2018%20876%20personnes.">1 à 4 % de la population</a> selon les études. Si le sujet est nouveau pour vous et vous intéresse, je vous incite à aller découvrir les articles et <a href="https://www.peaches.fr/psycho-love-sexo/free-from-desire-le-podcast-pour-tout-comprendre-ou-presque-a-lasexualite-491.html">témoignages</a> par dizaines qui commencent à pulluler sur le Net. Mais pour le moment, la chose à retenir concernant les études asexuelles est la suivante : non, tous les humains sur cette planète ne ressentent pas de désir sexuel. Certains en ressentent très peu, certains n’en ressentent que pendant certaines périodes de leurs vies, certains n’en ressentent pas du tout, jamais. Et ça ne date sans doute pas d’hier.</p>
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<h2>Un champ d’études peu exploré</h2>
<p>C’est là que ça devient vraiment passionnant du point de vue de la recherche : on s’est très rarement, voire jamais, intéressés aux personnes qui montrent naturellement un désintérêt pour le sexe. La certitude selon laquelle le sexe est, sinon un besoin, au moins une envie pour tout le monde est profondément enracinée dans nos esprit. Au point que depuis des siècles, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_sexualit%E9">on fait couler des litres d’encre</a> pour faire toutes les hypothèses et observations possibles sur toutes les variations de l’activité sexuelle… sans jamais, ou presque, prendre le temps de s’intéresser aux personnes que le sexe ennuie, dégoûte, agace ou indiffère.</p>
<p>Alors bien sûr, il existe des <a href="https://editionsfides.com/products/histoire-universelle-de-la-chastete-et-du-celibat">études sur la chasteté ou la sacralisation de la virginité</a>, ou encore sur le <a href="https://journals.openedition.org/lectures/10750?lang=es">célibat</a>, mais on s’en tient trop souvent au domaine religieux sans les relier à un potentiel désintérêt pour le sexe.</p>
<p>En bref, on étudie jamais le manque de désir en tant que tel, et lorsqu’il est remarqué chez un individu, on a tendance à se contenter de le considérer comme un marginal absolu.</p>
<p>Ce serait ça, le point de départ des <a href="https://www.academia.edu/31063173/Introducing_Asexuality_Unthinking_Sex">études asexuelles</a> : cesser de considérer les personnes qui ne manifestent pas de désir sexuel comme des anomalies et accepter qu’elles font – et ont toujours fait – partie intégrante de notre société. Et se poser, bien sûr, toutes les questions que cela implique, que ce soit du point de vue scientifique, sociologique, historique ou des études artistiques.</p>
<h2>Des « études de genre » aux « études asexuelles »</h2>
<p>Vous avez peut-être déjà entendu parler des <a href="https://www.sophia.be/sophia/sophia-asbl/etudes-de-genre/">études de genre</a>, ces nouveaux travaux qui s’emparent de la question du genre ou des sexualités non-hétérosexuelles pour questionner la science, la société, l’art ou l’histoire. Ces études ouvrent de nouvelles perspectives à la recherche, en questionnant des aspects de notre société qui ont toujours été, traditionnellement, laissées dans l’ombre, comme l’homosexualité. En ce sens, elle se rapprochent des <a href="https://journals.openedition.org/cal/1620">études décoloniales</a> : on change de perspective pour s’intéresser à des groupes de population ayant traditionnellement toujours été laissés dans l’ombre, voire carrément ignorés.</p>
<p>Les études de genre, ou <em>gender studies</em>, se déclinent ainsi en <em>gay studies</em>, <em>trans studies</em>, <em>queer studies</em>, etc, selon la minorité visée par le champs d’études… et à présent, vous l’avez compris, en <em>asexual studies</em>, ou études asexuelles. L’idée de départ est simple, partir du constat actuel de l’existence d’une communauté asexuelle et questionner ce fait, en le confrontant à la sociologie et à la biologie, mais aussi à l’art ou à l’histoire.</p>
<h2>Concrètement, à quoi ça ressemble ?</h2>
<p>Beaucoup de gens ont du mal à visualiser comment on peut transformer le constat de l’existence de la communauté asexuelles en recherches concrètes. La biologie peut par exemple être convoquée : on va se demander ce qui peut expliquer scientifiquement la variation du désir chez l’être humain, de la même manière qu’on a prouvé scientifiquement <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Ad5Lxf_kKRU">l’existence naturelle de l’homosexualité</a>. Est-ce que l’asexualité est culturelle, est-ce qu’elle est liée au vécu individuel des personnes, ou est-ce qu’elle s’explique par des différences biologique concrètes ? Ce sont bien entendu des questions intéressantes pour les biologistes.</p>
<p>Parallèlement, la sociologie peut aussi s’emparer de beaucoup de questions posées par l’asexualité. D’abord en fournissant des données fiables sur la population asexuelle, pour se demander pourquoi plus de personnes se définissent comme asexuelles dans certains milieux, certaines tranches d’âges… et selon leur genre. Pourquoi plus de femmes que d’hommes <a href="https://asexualcensus.files.wordpress.com/2021/10/2019-asexual-community-survey-summary-report.pdf">se définissent comme asexuelles</a>, par exemple ? Est-ce que les traumatismes sexuels peuvent créer un désintérêt pour le désir sur le long terme ? À l’inverse, est-ce que les normes viriles de notre société peuvent rendre plus difficile un coming-out asexuel chez les hommes ? Les études asexuelles peuvent alors devenir un moyen de questionner notre rapport au sexe selon notre genre de manière beaucoup plus large et intéressante pour beaucoup de monde…</p>
<p>Cela peut peut-être paraître moins évident, mais l’histoire et les études littéraires, par exemple, peuvent aussi s’impliquer dans les études asexuelles. Lorsqu’on feuillette nos livres d’histoire avec la problématique de l’asexualité en tête, on se rend facilement compte qu’<a href="https://editionsfides.com/products/histoire-universelle-de-la-chastete-et-du-celibat">il y a toujours eu des personnes vivant sans sexe</a>. Bien entendu, on ne peut pas affirmer avec certitude que toutes ces personnes étaient asexuelles pour autant : le terme est trop récent pour que l’on puisse affirmer cela sans risquer de tomber dans l’anachronisme. Mais l’étude de cette population inactive sexuellement peut être intéressante d’un point de vue contemporain, pour questionner la place des personnes asexuelles dans la société.</p>
<p>Saviez-vous qu’<a href="https://histoireparlesfemmes.com/2018/02/15/elisabeth-ire-reine-dangleterre/">Elizabeth Ire</a> ou <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1999/11/17/kant-est-il-mort-puceau_3598663_1819218.html">Emmanuel Kant</a> étaient restés vierges jusqu’à leur mort ? Que <a href="https://www.theguardian.com/books/2016/dec/05/kafkas-sexual-terrors-were-absolutely-normal-says-biographer">Franz Kafka</a> n’a jamais montré d’intérêt pour la sexualité, tandis que <a href="https://gcn.ie/marilyn-monroe-asexual/">Marilyn Monroe</a> avouait le manque de plaisir qu’elle prenait à avoir des rapports sexuels ? Que la belle-sœur de Louis XIV s’épanchait, dans sa correspondance, sur <a href="https://www.cairn.info/revue-litteratures-classiques1-2010-1-page-255.htm">sa virginité retrouvée à force d’inactivité sexuelle</a>, ou encore que <a href="https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/08/17/sexe-et-pouvoir-l-aura-virginale-de-jeanne-d-arc_6049095_3451060.html">Jeanne d’Arc</a> montrait un tel désintérêt pour la chose que ses compagnons de guerre, d’abord séduits, en venaient à ne plus parvenir à la désirer ? Bien sûr, les temps et les mœurs changent trop au fil du temps pour que l’on puisse affirmer que tous ces personnages étaient asexuels. Mais n’est-il pas intéressant que questionner cet aspect de leur personnalité, et, par la même occasion, de sortir du mythe selon lequel le sexe a toujours fait partie intégrante de la vie de tout un chacun ?</p>
<p>Il en est de même pour l’art, la mythologie et la littérature, dans lesquels ces figures ne manquent pas non plus. La déesse grecque Artémis, les héros des romans d’amour courtois au Moyen-âge, ou encore de célèbres personnages de romans plus modernes comme le Jean Valjean des Misérables, brillent par leur absence de désir ou d’activité sexuelle.</p>
<h2>… et concrètement, à quoi ça sert ?</h2>
<p>L’asexualité est partout, mais on pense trop rarement à s’y intéresser, principalement parce que traditionnellement, on a plutôt tendance à étudier les comportements plutôt que leur absence. Les militants asexuels parlent eux-mêmes, en ce qui concerne l’asexualité, d’une orientation invisible… Pourtant beaucoup de thèmes présents dans l’art et la pensée depuis l’antiquité peuvent être rapprochés de l’asexualité : l’amour chaste ou platonique, le célibat volontaire, l’ascétisme sexuel, ou certaines considérations religieuses. Peu importe le nom qu’on lui donne, la non-sexualité a toujours existé, elle a toujours fait partie de nos sociétés. C’est un sujet riche, et très révélateur de la manière dont on considère la sexualité de manière générale.</p>
<p>Bien entendu, les études asexuelles peuvent profiter aux personnes asexuelles, en leur permettant de mieux se comprendre et en leur donnant de grandes figures auxquelles s’identifier, ainsi qu’une visibilité plus grande. Mais est-ce que nous n’avons pas tous et toutes quelque chose à gagner dans ce questionnement du désir ? Est-ce que l’étude de toutes ces figures ne peut pas nous aider, d’un point de vue moderne, à reconsidérer notre rapport au sexe, et à nous libérer de toutes les pressions sociales d’actions et de performances liées à la sexualité ? Qu’est-ce que l’asexualité dit du rapport de notre société au sexe ? Qu’est-ce qu’elle peut nous permettre de déconstruire, autant à un niveau individuel que général ?</p>
<p>Ce sont ces questionnements que les <em>asexual studies</em> nous invitent à entreprendre. Comme toujours lorsqu’un nouveau champ d’études apparaît pour interroger notre société, c’est un travail collectif qui va devoir être entrepris, une réflexion à laquelle tout le monde peut prendre part.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184801/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loup Belliard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Même si depuis quelques années la visibilité asexuelle augmente, encore beaucoup de gens connaissent peu, ou mal, le concept d’asexualité.Loup Belliard, Doctorante en littérature du XIXe siècle et gender studies, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1840442022-06-07T18:18:20Z2022-06-07T18:18:20ZLutte contre l’homophobie et la transphobie : le rôle méconnu des réseaux internes aux grandes entreprises et institutions<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/467160/original/file-20220606-16-fk8xfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’association Flag&nbsp;! est créée en 2001. Devenue FLAG&nbsp;! elle grandit progressivement pour représenter les agents LGBT+ des ministères de l’Intérieur et de la Justice.
Pompiers, Policiers municipaux et leurs alliés
</span> <span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>On compte aujourd’hui de plus en plus de chars aux insignes des entreprises dans les différentes « marches des fiertés LGBTQI+ » (anciennement dénommées « gay pride ») organisées actuellement en France. Nous sommes dans ce que certains médias décrivent comme la <a href="https://www.liberation.fr/lifestyle/la-saison-du-pinkwashing-est-ouverte-20210517_RHSJUASVCBDSTMKPPZG3IOKWXM/">« saison du <em>pink washing</em> »</a> : autrement dit, comme la promotion de la diversité est devenue un enjeu de <a href="https://doi.org/10.3917/rai.035.0087">réputation</a> pour les entreprises, se montrer LGBT-friendly constituerait une variation, souvent superficielle, de cette stratégie de <a href="https://www.challenges.fr/femmes/la-verite-sur-le-pink-washing-cette-pratique-marketing-qui-exploite-les-personnes-lgbti_770591">communication</a>.</p>
<p>Cependant, ces enjeux de communication peuvent également pousser les organisations à mener des actions plus concrètes pour <a href="https://doi.org/10.4000/sociologies.10690">lutter contre les discriminations</a>. En particulier, les employés défilant au côté d’un char de leur employeur dans leur tenue de travail (ou dans un polo reprenant les codes de leur uniforme, comme c’est le cas de <a href="https://www.flagasso.com/l-association.html">FLAG !</a>, qui n’a pas eu l’autorisation de défiler en uniforme officiel de police ou de gendarmerie), contribuent à donner de la visibilité aux minorités LGBTQI+ au sein de leur institution.</p>
<p>Comme nous le montrons dans un travail de <a href="https://doi.org/10.1177/0001839220963633">recherche</a> récent, les militants qui ont cherché à mobiliser leur employeur depuis le début des années 2000 en créant des associations LGBT sur leur lieu de travail ont en effet permis de promouvoir une meilleure lutte contre l’homophobie et la transphobie.</p>
<h2>Prise en compte tardive</h2>
<p>Les premiers développements d’associations LGBT dans des grandes entreprises et administrations ne se sont pas faits sans heurt en France. Entre 2000 et 2010, ces associations commencent à se structurer dans une période marquée par deux faits majeurs.</p>
<p>D’une part, le <a href="https://www.cairn.info/au-dela-du-pacs--9782130519904.htm">Pacte civil de solidarité</a>, instauré en 1999, est à la fois une première reconnaissance des droits des couples LGBT, mais c’est aussi un moment qui souligne l’ampleur des inégalités qui restent entre les couples homosexuels et hétérosexuels, en termes de mariage, d’accès à la filiation, et de reconnaissance des droits des couples dans la vie sociale et professionnelle (<a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/a-la-une/2016/04/pension-de-reversion-les-personnes-homosexuelles-desormais-traitees-a-egalite">pension de réversion</a>, <a href="https://www.researchgate.net/publication/336721062_Companies_Can_Do_Better_than_the_Law_Securing_Rights_for_Minorities_as_an_Insider_Activist_in_French_Corporations">congé de parentalité</a>, etc.).</p>
<p>D’autre part, le début des années 2000 est marqué par une montée des enjeux de <a href="https://doi.org/10.3917/sopr.023.0009">promotion de la diversité</a>. Les organisations publiques et privées mettent en œuvre des politiques diversités, valorisées par un <a href="https://journals.openedition.org/revdh/4182">label et une charte</a>, mais qui ne se cristallisent dans les faits <a href="https://doi.org/10.3917/rai.035.0107">que sur quelques actions concrètes</a> en faveur de l’égalité professionnelle femme-homme, l’inclusion des personnes en situation de handicap et des seniors. La lutte contre l’homophobie et la transphobie n’était alors pas prise en compte sérieusement par les entreprises, quand bien même les risques d’agressions homophobes et transphobes demeuraient <a href="https://www.autrecercle.org/page/etude-etre-lgbt-au-travail-en-2011">importants</a> (et restent toujours significatifs dans le <a href="https://www.sos-homophobie.org/informer/rapport-annuel-lgbtiphobies">monde professionnel</a>).</p>
<p>Les réseaux LGBT se développent dans ce contexte, où de nombreux employeurs communiquent copieusement sur leur implication pour promouvoir la diversité, mais où <a href="https://doi.org/10.3917/vuib.bende.2018.01.0171">presque aucune action concrète</a> n’était mise en œuvre pour lutter contre l’homophobie et la transphobie, dans un contexte d’importantes <a href="https://doi.org/10.3917/jdj.325.0026">tensions LGBT-phobes</a> dans la société.</p>
<p>La « promotion de la diversité » reste un terme plastique et très <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/W/bo24550454.html">large</a>, qui peut concerner beaucoup de minorités (genre, origine, religion, handicap, etc.). L’enjeu des réseaux LGBT que nous avons étudiés était de « sortir des points de suspension de la diversité » : c’est-à-dire d’acquérir une véritable reconnaissance, d’assurer que l’entreprise réagisse en cas d’actes homophobes ou transphobes, et mette en place de vraies campagnes de sensibilisation et de formation pour lutter contre l’homophobie et la transphobie.</p>
<h2>Tracts, campagnes et quizz</h2>
<p>Se mobiliser au sein de sa propre entreprise peut être difficile, voire <a href="https://www.researchgate.net/publication/294723383_Social_Activism_In_and_Around_Organizations">risqué pour sa carrière</a>.</p>
<p>En analysant les archives de ces réseaux LGBT, nous avons pu constater que leur première stratégie n’était pas contestataire, mais a consisté à produire eux-mêmes une panoplie d’outils de sensibilisation, de formation, et de gestion des cas d’homophobie et de transphobie.</p>
<p>Dans les premières années après leur création, ces réseaux ont mis en place des tracts pédagogiques pour expliquer certains concepts (outing, coming out, description des identités sous l’acronyme LGBTQIA+) et ont conçu des campagnes d’affichage, des formations, des quizz, afin de sensibiliser le plus de collègues possible.</p>
<p>Ils ont également mis en œuvre des lignes d’écoute ou des sites de recueil de témoignages pour faire remonter les cas d’agressions LGBT-phobes dans leur organisation. Ils ont donc, gratuitement, produit une quantité importante de contenus et de services que leur employeur pouvait simplement réutiliser pour mettre en œuvre des actions concrètes pour lutter contre l’homophobie et la transphobie.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467184/original/file-20220606-24-c0cply.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’association FLAG ! a réutilisé pour un tract les codes d’un procès-verbal pour sensibiliser les agents des ministères de l’Intérieur et de la Justice aux infractions homophobes et transphobes.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le but de ces associations était que leur employeur prenne acte de toutes ces productions pour les diffuser plus largement dans l’organisation. Ici, les réseaux LGBT pouvaient s’appuyer sur les enjeux de réputations de leur employeur, qui se déclarait engagé pour la diversité, voire candidatait au label. Si l’entreprise ne soutenait pas les actions de sa propre association LGBT interne, celle-ci le dénonçait via des communiqués de presse qui pouvaient nuire à sa réputation et démontrer la superficialité de son engagement.</p>
<p>Ainsi, ces réseaux pouvaient proposer d’organiser des stands de sensibilisation le <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/journee-mondiale-contre-lhomophobie-la-transphobie-et-la-biphobie">17 mai</a>, des formations pour lutter contre les LGBT-phobies, etc. Refuser de telles actions démontrerait clairement le manque d’implication de la direction pour mener des actions concrètes contre ces formes de discriminations. D’autres réseaux cherchaient à impliquer différents acteurs de l’entreprise (syndicats, direction) dans leur projet de campagne de sensibilisation. Ainsi, le premier but de ces associations était d’inciter progressivement leur employeur à accepter, puis prendre part, dans des actions de lutte contre les LGBT-phobies.</p>
<p>Si l’engagement pour la diversité ne semblait pas susciter d’opposition dans les organisations, les actions pour rendre visibles les communautés LGBT et lutter contre les LGBT-phobies ont elles été victimes d’actes homophobes et transphobes. Certaines actions de sensibilisations ont par exemple été malmenées (tracts déchirés, insultes, outing, refus de la participation d’employé⋅e⋅s à la marche des fiertés). Les actions de ces réseaux ont donc rendu visibles des formes d’homophobie et de transphobie auparavant latente dans l’organisation, afin de mettre leur employeur face à leurs responsabilités et les inciter à agir, plutôt que d’étouffer les cas de discriminations.</p>
<p>En analysant les actions de ces réseaux sur une vingtaine d’années, on voit comment ils ont progressivement obtenu une plus grande implication de la part de leurs employeurs. Ces réseaux ont aussi amplifié leur champ d’action à mesure qu’ils étaient reconnus par leurs organisations, passant d’une revendication d’être inclus dans les politiques diversité, à l’égalité concrète des droits pour les couples et parents homosexuels, à l’inclusion concrète des personnes trans dans l’entreprise.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184044/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lisa Buchter ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà des critiques de « pink washing » adressées aux entreprises, des actions concrètes sur les lieux de travail ont contribué à faire avancer la cause des LGBTQI+.Lisa Buchter, Professeure assistante en sociologie, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1822452022-05-08T16:59:46Z2022-05-08T16:59:46ZL’Eurovision Song Contest, un laboratoire politique continental ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/461841/original/file-20220508-21-yqtu8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C12%2C961%2C666&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Kalush Orchestra, candidat de l'Ukraine au concours Eurovision de la chanson 2022, se produit devant des réfugiés juifs ukrainiens lors d'un spectacle dans un hôtel de Jérusalem, le 5 avril 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source">AFP</span></span></figcaption></figure><p>Les élections présidentielles françaises sont à peine terminées et voilà que deux nouvelles échéances pointent le bout de leurs urnes. La première concerne les législatives, annoncées désormais par certains candidats malheureux comme un troisième tour, évidemment décisif, en vue du renouvellement des représentants des citoyens. Et l’évènement d’être d’ores et déjà autant relayé que les campagnes d’avril… </p>
<p>La seconde échéance est internationale : l’Eurovision Song Contest, anciennement Concours Eurovision de la Chanson, dont la 66ᵉ édition aura lieu cette année à Turin. La finale rassemblera médiatiquement environ 200 millions d’êtres humains. Elle reste pourtant reléguée aux faits divers de la dernière page culturelle de la partie congrue de la presse grand public.</p>
<h2>Votes en stock</h2>
<p>Certes, il pourrait sembler indécent surtout en ce moment de crises en escadrille de mettre en regard d’une part de vraies élections politiques (aux programmatiques enjeux sociétaux, économiques, écologiques où même les droits et les devoirs de chacun se voient mis en concurrence), et d’autre part le <a href="https://www.ebu.ch/fr/about/history">plus vieux télé-crochet de l’ère radio-télévisuelle</a> (pour lequel on vote au mieux par fanatisme, mélomanie, ou pur plaisir de la moquerie). Néanmoins, on est en droit aussi de se demander pourquoi une retrouvaille d’une telle ampleur reste boudée par les grands titres et son public de lecteurs et auditeurs. L’ESC est en effet une caisse de résonance des <a href="https://www.franceculture.fr/conferences/factory/radio-thesards/qui-profite-l-eurovision">enjeux internationaux majeurs</a> : conflits latents ou en cours, modernité culturelle et puissance économique des sociétés, image des communautés issues des différentes diasporas au sein des pays du bloc européen occidental, représentativité des communautés LGBTQIA+ dans des pays plutôt hésitants sur la question, pour ne citer que quelques-uns des thèmes qui ont accaparé ces dernières années la littérature d’Eurovision.</p>
<p>Mais alors, pourquoi ne s’y intéresse-t-on pas ? Certains diront que l’ESC n’est qu’un pur divertissement et que la politique n’a rien à voir là-dedans, sanctionnant ainsi son inadéquation journalistique. Ne s’émeut-on pas pourtant lorsque l’équipe de football des États-Unis affronte celle de l’Iran aux Championnats du monde de Football, ou quand la Grèce dame le pion aux Allemands à l’Euro, ou encore lorsque les drapeaux ukrainiens flottent au-dessus des podiums des Jeux Olympiques d’hiver chinois, <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20220313-jeux-paralympiques-malgr%C3%A9-la-guerre-l-ukraine-brille-%C3%A0-p%C3%A9kin">organisés sur neige artificielle en pleine période de désastre écologique</a> ? De fait, l’Union européenne de radiotélévision – conceptrice et organisatrice de l’ESC – a été la première grande institution internationale à se positionner sur la brûlante question du conflit russo-ukrainien et <a href="https://www.ebu.ch/fr/news/2022/03/statement-on-russian-members">sur le traitement à réserver aux délégations russes</a>. Si la primeur ne fait pas le monopole, on peut tout de même remarquer, du moins en France, une différence de considération flagrante : d’un côté une institution populaire diffusée en mondovision, constamment ignorée, de l’autre n’importe quelle compétition de sport – tenez, les fléchettes par exemple ! – qui, malgré tout le respect qui lui reviendrait, est diffusée et commentée sur des chaînes dédiées.</p>
<h2>Un laboratoire sociopolitique insoupçonné</h2>
<p>L’ESC pourrait constituer un lieu d’expérimentation idéal pour repenser le vivre ensemble dans un monde globalisé. À l’heure où revient sur le devant de la scène la question de la gouvernance exécutive de l’Europe communautaire (déjà unifiée par la monnaie, son parlement et ses divers conseils, et <a href="https://information.tv5monde.com/info/union-europeenne-la-necessaire-creation-d-une-force-militaire-commune-en-discussion-423231">dont on dit qu’elle ferait bien d’être militarisée)</a>, on peut déceler dans l’ESC des manières innovantes d’appréhender les modalités d’expression et de sélection de représentants à l’échelle continentale.</p>
<p>Prenons par exemple le vote du concours au sens large : il nous invite à relire nos affinités électives. Nous pourrions comparer la finale de l’ESC à une élection à proprement parler, élection qui rassemble une bonne quarantaine de nations. Sans revenir sur l’histoire haletante des modalités de vote du concours, qui ont beaucoup changé au cours des décennies, précisons seulement qu’aujourd’hui que le scrutin est équilibré en tant qu’il est pondéré par deux types d’électeurs : le gagnant est en effet désigné à 50 % par la somme des notations conjointes de jurys nationaux et à 50 % par un savant calcul issu exclusivement des préférences du public international du programme.</p>
<p>Et si cette modalité était appliquée à une élection politique, par exemple européenne ? On pourrait ainsi élire de la sorte une Présidente de l’Union ? Ou à l’inverse, le Président français, en offrant 50 % de la puissance du vote aux pays voisins et frontaliers directs ? Ou simplement appliquer cet équilibre moitié-moitié à notre contrée, en constituant un jury présélectionné. Cette option serait probablement interprétée comme un retour en arrière, car on voit bien que les discussions actuelles autour de la proportionnalité – notamment lors des législatives – penchent plutôt en faveur d’une correspondance stricte entre les préférences exprimées et les représentants sélectionnés.</p>
<h2>Vent nouveau</h2>
<p>Finalement, c’est en amont du concours que l’on peut flairer un souffle réformateur. Peut-on imaginer que le vote qui aura lieu samedi 14 mai 2022 a en réalité été précédé d’une multitude de tours de chauffe à l’échelle nationale ?</p>
<p>En effet, les clubs OGAE (Organisation générale des amateurs de l’Eurovision) de chacun des pays membres de l’UER qui participent au concours réalisent chaque année au printemps leurs <em>previews</em>. Il s’agit d’une sorte de répétition générale du décompte fatidique de la finale, où chaque Eurofan, tel un juré haut placé, jauge ses préférences à l’aune des réalités artistiques et de la dynamique de groupe. C’est un peu comme si, avant le premier tour de la présidentielle, et dans chaque région française, on demandait à des personnes engagées politiquement, dans un parti ou juste localement, de se prêter à un jeu d’autorévélation.</p>
<p>Ainsi, imaginez qu’on propose, au hasard, à un fervent révolutionnaire de se mettre dans la peau d’un conservateur invétéré, ou à un écologiste chevronné dans celle d’un progressiste saint-simonien, le temps d’une journée. Leur mission déguisée ? Écouter l’ensemble des programmes des candidats à l’élection et, en fonction de leur nouvelle et provisoire identité politique, leur donner une note, une voix, avant de dépouiller l’ensemble des avis et d’en discuter autour d’un verre de l’amitié. Voilà donc ce que font les Eurofans aguerris dans chaque pays eurovisionnesque ce qui, en plus de donner du grain à moudre aux bookmakers qui font leur blé sur l’issue de l’ESC, les entraîne à penser comme l’autre, à aimer comme son voisin et, finalement, à l’écouter.</p>
<h2>Du pouvoir des réseaux sociaux</h2>
<p>L’Eurovision manque peut-être de considération, mais les fans du concours sont eux remarquables dans leur propension à consolider leur identité de groupe. Comme un cas d’école, ils promeuvent et symbolisent à la fois le crédo qui les porte : « Celebrate Diversity »… ou « Building Bridges » c’est selon, comme le montre l’évolution des slogans des commerciaux d <a href="https://eurovisionworld.com/esc/eurovision-the-logic-of-logos">e la marque Eurovision qui a pris un tournant évident il y a une dizaine d’années</a>. Les réseaux sociaux reflètent à leur tour cette politisation de l’ouverture à l’autre, <a href="https://mobile.twitter.com/hashtag/EurofansAreBeautiful?src=hashtag_click">comme en témoigne le hashtag #EurofansAreBeautiful</a> qui s’est imposé cette année comme un espace de revendication clair de la validité autoproclamée de l’appréciation du concours, devenue à son tour un moyen d’affirmation de soi. C’est d’ailleurs un créneau similaire qu’ont pris certains médias autonomes – webradios, podcasts, revues en ligne. Aux côtés de sites spécialisés comme <a href="https://eurovision-quotidien.com/">eurovision-quotidien.com</a> figurent désormais des formats audio réguliers comme <a href="https://podcast.ausha.co/12-points">12points</a>, l’un des premiers podcasts francophones qui mêle tonalité caustique, précisions historiques et approche scientifique, en accord avec ce qu’est devenu fièrement le Concours Eurovision : une fête cosmique où le monde devient village, un exutoire bon enfant où railler son voisin n’est en réalité qu’un moyen de mieux apprécier ses différences, le tout en chantant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182245/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Resche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le concours, qui rassemblera à travers les médias 200 millions de personnes, mérite qu’on s’y intéresse de plus près.Stéphane Resche, PRAG (PhD) / Associate researcher, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1754022022-04-24T20:30:15Z2022-04-24T20:30:15ZQuels sont les noms qui rayonnent dans la littérature lesbienne ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/459310/original/file-20220422-11-nsydf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=36%2C3%2C1018%2C614&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Affiche proposée pour une exposition des Archives lesbiennes de Paris, en 1984</span> <span class="attribution"><span class="source">Michèle Larrouy</span></span></figcaption></figure><p>Dans un <a href="https://theconversation.com/ce-que-font-les-lesbiennes-a-la-litterature-147800">article publié sur The Conversation</a> l’an dernier, j’évoquais la littérature lesbienne en tant qu’objet d’étude littéraire mal connu : peu étudié, difficile à cerner, en dépit de l’intérêt qu’il représente à la fois pour l’histoire de la littérature des femmes, et pour la manière dont, aux XX<sup>e</sup> et XXI<sup>e</sup> siècles, on pense la théorie littéraire.</p>
<p>L’histoire lesbienne perturbe les canons établis, les normes narratives, les codes de la langue : au-delà de son point d’ancrage social, amoureux, politique ou philosophique – selon l’angle par lequel on préfère aborder le sujet du lesbianisme – elle interroge profondément l’objet littéraire et ses définitions.</p>
<h2>Noms absents et noms cryptés, dissimulés</h2>
<p>Pourtant, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Traude_B%C3%BChrmann">Traude Bührmann</a>, écrivaine allemande correspondante à la revue <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lesbia_Magazine"><em>Lesbia Magazine</em></a> au cours des années 1980-1990, se demandait en novembre 1994 : « Quels sont les noms qui rayonnent dans la littérature lesbienne ? […] Quelle est l’importance des noms dans la littérature lesbienne ? » Car la réponse ne va pas de soi.</p>
<p>D’une part, ces noms sont trop mal connus. Il s’agit de cultures qui se propagent de bouche à oreille, de livres qui rencontrent des difficultés toutes particulières à être édités, puis diffusés et lus. L’histoire n’en est pas faite, sauf dans les cercles militants ou les milieux contre-culturels ; elle reste inaccessible à une grande majorité du public et sa diffusion a reposé longtemps sur les engagements bénévoles de quelques-unes.</p>
<p>D’autre part, les noms de la littérature lesbienne ont eux-mêmes été cryptés par une partie des autrices. Certaines d’entre elles écrivent leur œuvre ou partie de leur œuvre sous pseudonyme. L’exemple qui a le plus fait jaser les publics lesbiens (même français), au cours de la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle, est sans doute celui de Patricia Highsmith : autrice de polars à succès, elle publie sous le pseudonyme de Claire Morgan <em>The Price of Salt</em> en 1952 (d’abord traduit par <em>Les Eaux dérobées</em> par Emmanuelle de Lesseps, puis connu sous le nom de <em>Carol</em>). Les rumeurs circulent, mais la véritable identité de l’autrice n’est révélée qu’en 1990.</p>
<p>En outre, le cryptage des noms est lié à un travail romanesque caractéristique de la littérature lesbienne des années 1970 : à l’heure du Nouveau Roman et des déconstructions romanesques en particulier, « la plupart des protagonistes n’avaient pas de nom propre », rappelle Traude Bührmann.</p>
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<p>« Elles s’appelaient Je, parfois Tu ou Elle. Pour savoir quelle est Je ou Tu ou Elle et dans quelle histoire, je dois connaître le nom de l’écrivaine, le titre du livre, et peut-être la date ou le lieu de sa parution. Cette protagoniste n’a donc pas une vie autonome, un futur indépendant. Elle n’a pas de nom qui puisse briller librement et éternellement au ciel du cosmos lesbien. »</p>
</blockquote>
<p>Et puis, bien entendu, s’il est parfois difficile de se rappeler les noms de la culture lesbienne, c’est aussi parce qu’ils sont tus, victimes d’un double silence : celui qui marque en général l’histoire culturelle des femmes, celui qui pèse sur la reconnaissance sociale du lesbianisme. Ces dernières semaines, on a vu souvent nier la <a href="https://www.liberation.fr/societe/droits-des-femmes/mais-qui-cherche-a-rendre-rosa-bonheur-hetero-20220401_Q5GPZRJ7O5CBLLOYCZSYBFDOMI/">vie lesbienne de Rosa Bonheur</a>, dont l’œuvre est mise en avant en cette année anniversaire. <a href="https://homoromance-editions.com/actualites/deces-de-lautrice-helene-de-monferrand-les-amies-dheloise.html">Le décès d’Hélène de Monferrand</a>, le 14 février 2022, n’a rencontré presque aucun écho dans les médias, même littéraires : elle était pourtant l’une des autrices principales de la littérature lesbienne des années 1990. </p>
<p>Il a fallu attendre <a href="https://etudeswittig.hypotheses.org/937">l’inauguration du jardin Monique Wittig</a>, en septembre 2021, pour que le mot « lesbienne » figure pour la première fois sur une plaque publique en France ; en mars 2022, <a href="https://www.komitid.fr/2022/03/11/plaque-pour-suzanne-leclezio-et-a-yvonne-ziegler-la-difficile-evocation-publique-de-lhomosexualite-dun-couple-de-resistantes/">l’hommage à Suzanne Leclézio et Yvonne Ziegler</a> omet de mentionner leur homosexualité et présente la seconde comme l’« amie bénévole » [sic !] de la première.</p>
<h2>S’il faut des noms…</h2>
<p>Difficile, donc, de voir rayonner les noms de la littérature lesbienne. Dans l’article « Ce que font les lesbiennes à la littérature », un grand nombre étaient cités déjà ; ceux des autrices les mieux connues, mais à vrai dire, l’article en oubliait beaucoup d’autres.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ce-que-font-les-lesbiennes-a-la-litterature-147800">Ce que font les lesbiennes à la littérature</a>
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<p>Même en se concentrant strictement sur l’histoire française de la littérature lesbienne (dont la définition pose problème, je renvoie sur ce point à l’article précédent et surtout, à l’ouvrage à paraître), on aurait pu citer par exemple les autrices recensées par Paula Dumont dans les quatre tomes de <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-entre_femmes_300_oeuvres_lesbiennes_resumees_et_commentees_paula_dumont-9782343054704-45899.html">son dictionnaire lesbien <em>Entre femmes</em></a>, dont les noms s’égrènent tout au long des XX<sup>e</sup> et XXI<sup>e</sup> siècles. Ou bien ceux – et il y aura de nouveau ici des oublis – de Gabrielle Reval, Jeanne Galzy, Hélène de Zuylen, Renée Dunan, Élisabeth de Clermont-Tonnerre, Célia Bertin, Juliette Cazal, Hélène Bessette, Irène Monesi, Françoise Mallet-Joris, Suzanne Allen, Nella Nobili, Rolande Aurivel, Jocelyne François, Mireille Best, Maryvonne Lapouge-Pettorelli, Danielle Charest, Geneviève Pastre, Cy Jung, Danièle Saint-Bois, Sabrina Calvo, Évelyne Rochedereux, Wendy Delorme, Ann Scott, Élodie Petit, Joëlle Sambi, plus récemment encore Pauline Gonthier, Tal Piterbraut-Merx, Jo Güstin, Alice Baylac (etc.).</p>
<p>Cela n’est rien encore si l’on ne cite pas aussi les noms de toutes celles et ceux qui, depuis des décennies, ont tâché de restituer cette histoire, de la faire vivre, de l’éditer et de la diffuser en dépit des résistances rencontrées au sein du champ littéraire. Il faut citer l’émergence des maisons d’édition lesbiennes à la fin des années 1990, l’évolution de l’édition et de la critiques spécialisées jusqu’à nos jours : les éditions Geneviève Pastre, les éditions Gaies et Lesbiennes, KTM Éditions, Homoromance, etc. Outre les noms déjà donnés, il faut citer les amorces de théorisation fournies par Marie-Jo Bonnet dans son important ouvrage <em>Les Relations amoureuses entre les femmes du XVI<sup>e</sup> siècle au XX<sup>e</sup> siècle</em> ; le travail fourni par les Archives lesbiennes, ainsi que par les revues qui ont commencé à voir le jour dans les années 1970. <em>Quand les femmes s’aiment</em>, <em>Désormais</em>, <em>Lesbia</em> et <em>Vlasta</em> surtout, en France, dont les pages ont notamment recueilli les critiques littéraires et artistiques de Catherine Gonnard, Suzette Robichon, Michèle Causse, Elisabeth Lebovici, Hélène de Monferrand, Danielle Charest, Évelyne Auvraud, Odile Baskevitch, Chantal Bigot et d’autres. Elles ont mené depuis plus de quarante ans un travail extrêmement précieux d’investigation, d’analyse et d’historicisation de la culture lesbienne – travail parfois mal reconnu lui-même.</p>
<p>Aujourd’hui ce travail de fond est relayé et approfondi par l’ensemble des plates-formes papier (<em>Jeanne Magazine</em>, <em>Panthère première</em>, <em>La Déferlante</em>), numériques (Roman Lesbien, Lesbien raisonnable, Mx Cordelia, Planète Diversité et quantité d’autres) ou radio (travail de Clémence Allezard sur France Culture notamment, Gouinement lundi, Radio parleur) qui permettent de faire connaître l’histoire des littératures lesbiennes. Impossible de citer tous les noms, tous les sites : ils foisonnent, peut-être particulièrement ces dernières années.</p>
<p>En ce qui concerne la recherche en littérature, cette profusion récente est en tout cas particulièrement flagrante, bien qu’elle ne corresponde pas encore à la reconnaissance évidente de ce sujet d’étude. Alors qu’elle est menée depuis la fin des années 1980, par des chercheuses précurseuses comme Gaële Deschamps ou bien <a href="https://www.jstor.org/stable/40620098?seq=1">Catherine Écarnot</a>, elle a longtemps peiné à s’institutionnaliser. Au-delà des thèses monographiques qui, souvent, abordent le sujet du lesbianisme en littérature, relativement peu d’articles scientifiques sont publiés en France sur cette question. On peut citer à cet égard le travail de <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02735801/document">Marta Segarra</a>, ou le travail particulièrement important mené ces derniers temps par Marie Rosier et Gabriela Cordone, principalement à propos de la scène lesbienne hispanophone : <a href="https://pufc.univ-fcomte.fr/revues/sken-graphie/scenes-queer-contemporaines.html">dans l’un des derniers numéros de la revue universitaire bisontine <em>Skén&graphie</em></a> ainsi que dans la revue <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2021-4-page-104.htm"><em>Mouvements</em></a>, elles se sont récemment attachées à analyser ce que peut signifier le lesbianisme en littérature, l’histoire de ses théorisations et les enjeux d’une recherche qui approfondisse ces questions. Enfin, on peut citer l’engouement très net de jeunes chercheur·ses pour le sujet : il semble que le <a href="https://lesjaseuses.hypotheses.org/3798">nombre de mémoires explicitement consacrés à la littérature lesbienne</a> ait énormément augmenté depuis 2020, et de plus en plus de projets se montent pour en valoriser le travail (à l’instar du <a href="https://bigtata.org/depot-electronique-de-memoires-et-theses-lgbtqia">dépôt électronique Big Tata</a>).</p>
<p>On se rend compte aussi d’un décalage entre aspirations de recherche et contenus déjà disponibles, lorsqu’on tente de réunir, à ce sujet, journées d’études ou séminaires. Un certain nombre de chercheur·ses sont engagé·e·s sur le sujet : le succès du <a href="https://www.ille.uha.fr/wp-content/uploads/2019/03/Programme-Sapphic-Vibes-%C3%A0-imprimer-final-1.pdf">colloque <em>Sapphic Vibes</em> en mars 2019</a>, organisé à l’université de Mulhouse, en est témoin. Néanmoins le sujet lesbien reste largement moins traité et moins maîtrisé, au sein de l’université, que son pendant masculin : en attestent les difficultés rencontrées par les organisateur·ices de <a href="http://www.ens-lyon.fr/formation/catalogue-de-cours/lgcg3104/2021">cours</a> ou de <a href="https://www.ens.psl.eu/agenda/seminaire-litterature-et-homosexualites/2017-05-09t140000">séminaires</a> qui souhaitent se pencher sur le sujet des rapports entre littérature et homosexualité tout en étant conscient·e·s des paramètres de genre à considérer, dont les séances comptent pourtant pour finir une bonne majorité de références masculines.</p>
<h2>Une histoire à relire, de nouvelles recherches à mener</h2>
<p>Ces listes sont longues et fastidieuses : c’est vrai. Mais elles signalent clairement, aussi, que la littérature lesbienne (française en l’occurrence) est loin de ne compter que deux ou trois noms isolés les uns des autres ; elle a une histoire longue, riche, nourrie par des dialogues entre écrivain·e·s, militant·e·s, étudiant·e·s et chercheur·ses, lecteurs et lectrices, archivistes, maisons d’éditions et libraires, depuis des dizaines d’années.</p>
<p>Nous avons tenté, dans un <a href="http://www.lecavalierbleu.com/nouveautes-a-paraitre/">ouvrage à paraître fin mai aux éditions du Cavalier bleu</a>, <em>Écrire à l’encre violette. Littératures lesbiennes en France de 1900 à nos jours</em>, de retracer cette histoire. À savoir : 80 % des droits d’auteur de l’ouvrage seront versés à la <a href="https://www.fondslesbien.org/">LIG</a>, afin de reconnaître la dimension entièrement collective de cette recherche.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Aurore Turbiau, Margot Lachkar, Camille Islert, Manon Berthier, Alexandre Antolin, Écrire à l’encre violette. Littératures lesbiennes en France de 1900 à nos jours, Paris, Le Cavalier bleu, 2022.</span>
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</figure>
<p>Notre étude prend son départ en 1900 : sont alors publiées en France plusieurs œuvres ouvertement lesbiennes, après des siècles d’un silence quasi entier. Ensuite, des années folles à l’après-guerre, de l’histoire militante des années 1970 à la naissance de l’édition spécialisée après 1990, jusqu’à l’ébullition du début du XXI<sup>e</sup> siècle, ce sont des centaines de textes qui disent et théorisent leur propre existence. Ils parcourent tous les genres : récits de soi, romans de science-fiction et de fantasy, poésie, bande dessinée, expérimentation formelle, théâtre, romance et polar, littérature jeunesse, chanson.</p>
<p>Traude Bührmann disait encore, à propos des noms de la littérature lesbienne, qu’« une fois que les caractères ont des noms et des auras spécifiques, elles se représentent elles-mêmes et s’inscrivent dans la mémoire des lectrices avec leur figure et leur visage unique, leurs doigts et leur haleine. […] Des noms peuvent épeler une histoire. Des noms peuvent exprimer des idées, évoquer une vision du monde. » Nous espérons que cet ouvrage, <em>Écrire à l’encre violette</em>, contribuera à donner matière à cette mémoire fragile et malmenée, qu’il pourra participer à son tour à faire briller ces noms « au ciel du cosmos lesbien » (et littéraire, en général !).</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été relu par les co-auteurices du livre « Écrire à l’encre violette » : Margot Lachkar, Camille Islert, Manon Berthier et Alexandre Antolin.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175402/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurore Turbiau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’histoire lesbienne interroge profondément l’objet littéraire et ses définitions.Aurore Turbiau, Doctorante en littérature comparée, membre du collectif Les Jaseuses, membre de Philomel-Initiative Genre, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1797082022-03-31T17:54:30Z2022-03-31T17:54:30ZComment les employés LGBTQIA+ adaptent leurs usages des réseaux sociaux vis-à-vis de leur entreprise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/453339/original/file-20220321-5945-1ck8w91.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=124%2C40%2C874%2C603&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les médias sociaux ont contribué à brouiller la frontière entre vie privée et vie professionnelle.
</span> </figcaption></figure><p>Malgré l’attention grandissante portée aux actions en faveur de la diversité et de l’inclusion, il reste beaucoup à faire. Le <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/marriage-equality-global-comparisons">mariage entre personnes de même sexe</a>, par exemple, n’est légal que dans 28 pays. En outre, le fait d’être transgenre reste <a href="https://www.forbes.com/sites/jamiewareham/2020/09/30/this-is-where-its-illegal-to-be-transgender-in-2020/?sh=7e454a8d5748">criminalisé</a> dans 13 pays, et ces personnes ne peuvent pas changer de sexe dans au moins 47 pays.</p>
<p>Le manque de soutien juridique est également apparent sur le lieu de travail, où de nombreuses personnes <a href="https://www.mckinsey.com/business-functions/people-and-organizational-performance/our-insights/lgbtq-plus-voices-learning-from-lived-experiences">s’abstiennent de révéler</a> leur statut LGBTQIA+ afin d’éviter d’éventuelles discriminations et obstacles dans leur progression de carrière. En effet, agir professionnellement signifie souvent adopter des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0018726709103457?journalCode=huma">comportements hétéronormatifs</a>, tels que le choix des vêtements, le ton de la voix, en évitant les maniérismes et les conversations qui pourraient mettre en évidence leur identité sexuelle.</p>
<p>Certains employés LGBTQIA+ cherchent ainsi à ne pas divulguer ou à contrôler les informations les concernant dans les conversations en présence de leurs collègues. Cependant, les canaux des médias sociaux, tels que Facebook, Instagram, Twitter, TikTok, et bien d’autres, sont chaque jour plus omniprésents dans les situations liées au travail, présentant de nouveaux contextes pour les LGBTQIA+.</p>
<p>S’opposant à l’idée de cacher ou de contrôler les informations sur soi, les médias sociaux permettent aux employés et aux managers d’avoir des aperçus de la vie de chacun au-delà de l’environnement de travail traditionnel. Les messages postés de chez soi sur Twitter, à propos des difficultés liées au travail ou même les actions menées par l’entreprise sur TikTok sont des exemples courants de la manière dont les médias sociaux brouillent de plus en plus les frontières entre vie professionnelle et la vie privée.</p>
<p>Nous réfléchissons tous, d’une façon ou d’une autre, aux moyens de <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amr.2011.0235">nous présenter</a> de manière favorable en ligne afin d’accroître notre notoriété et d’obtenir le respect de nos pairs ainsi que de nos supérieurs. Pourtant, les LGBTQIA+ peuvent être confrontés à des défis supplémentaires dans ce processus. Notre <a href="https://journals.aom.org/doi/epdf/10.5465/amj.2020.0586">récente recherche</a>, issue de 480 heures d’observation et 20 entretiens avec des employés homosexuels, suggère que les médias sociaux créent un dilemme pour ces employés.</p>
<h2>Une frontière vie professionnelle-privée plus floue</h2>
<p>Pour ces derniers, ces plates-formes sont généralement considérées comme des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/2005615X.2017.1313482">espaces sûrs</a> où ils peuvent s’exprimer de manière plus authentique. Lorsque les lignes de démarcation entre vie professionnelle et vie privée s’estompent sur la toile, les employés se posent la question suivante : comment faire pour que les médias sociaux restent des espaces sûrs et, dans ce même temps, maintenir une posture professionnelle ? En fin de compte, nous avons constaté que les employés n’ont pas de réponse précise à cette question, et tentent de gérer cette situation au mieux, en adoptant trois comportements possibles :</p>
<p><strong>Comportement en miroir</strong> : incertains des impacts possibles des médias sociaux sur leur carrière, la plupart des employés tentent d’atteindre des niveaux de divulgation similaires dans les situations en présentiel et en ligne, dans un continuum allant du maintien secret à la révélation de leur sexualité. Calvin*, analyste en ressources humaines, illustre ce comportement ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne poserais jamais une photo de moi et de mon partenaire sur mon bureau, et je ne dis pas que je suis gay. Si on me demande, je ne mens pas… En ligne, je ne crée pas de groupe spécial, mais je ne poste pas beaucoup non plus, et je ne posterais jamais une photo où j’embrasse mon partenaire, par exemple. »</p>
</blockquote>
<p>D’autres, comme Gabriel, cadre commercial, adoptent plusieurs mécanismes supplémentaires, comme créer une fausse relation amoureuse avec une amie, la poster et la taguer sur des photos. Il contrôle également chaque demande d’amitié et évite d’utiliser des expressions qui pourraient exposer son homosexualité dans les interactions en face à face et en ligne.</p>
<p><strong>Déstigmatisation en ligne</strong> : certains employés ont le sentiment d’être limités au travail et ont besoin de repousser les limites de ce qui est considéré comme professionnel. Ils utilisent les médias sociaux pour amplifier leur voix dans des efforts de déstigmatisation en ligne, qui sont souvent impossibles au travail. Ethan, cadre en marketing, donne un exemple de ce comportement :</p>
<blockquote>
<p>« Aujourd’hui, j’adopte une posture plus militante, sans me soucier autant du qu’en-dira-t-on. Par exemple, l’une de mes dernières photos sur Instagram est une belle photo de mon partenaire et moi sur la plage, avec une esthétique très “girly”. »</p>
</blockquote>
<p>En agissant ainsi, il fait en sorte que les médias sociaux restent des espaces sûrs, et montre également aux autres collègues que l’expression de l’homosexualité n’est pas un manque de professionnalisme. Mario, analyste marketing, a mentionné Ethan comme un modèle à suivre. Comme lui, il partage intentionnellement des messages sur les causes LGBTQIA+ et des sujets plus légers, comme les divas de la pop et les <a href="https://theconversation.com/le-meme-un-objet-politique-173950">mèmes</a>.</p>
<p><strong>Refus de l’effondrement du contexte</strong> : à titre d’exception, les employés peuvent ne pas considérer que les médias sociaux provoquent de plus en plus l’effondrement du contexte du travail et de la vie privée, adoptant des comportements disparates dans les situations en face à face et en ligne. C’est le cas de Francis (coordinateur marketing), qui mentionne :</p>
<blockquote>
<p>« Je sépare complètement vie privée et vie professionnelle. Je ne parle pas de mes affaires au travail. Personne n’a rien à voir avec ça. »</p>
</blockquote>
<p>Cependant, ils ne transfèrent pas ces inquiétudes à l’environnement en ligne, où il était généralement ouvert sur sa sexualité. Il s’est donc comporté différemment dans les situations en face à face et en ligne.</p>
<h2>Des mesures face aux problèmes</h2>
<p>Nous avons constaté que le fait de surveiller et de contrôler constamment qui voit quoi et quand en ligne est stressant pour les employés homosexuels, qui sous-estiment souvent les efforts nécessaires que les médias sociaux exigent. En effet, le terme « miroir » vient du terme anglais « fun house mirrors » (miroirs déformants des parcs d’attractions), dans lequel on voit des images déformées inattendues de soi-même. Cacher des informations et maîtriser les configurations de confidentialité sur les médias sociaux constituent des tâches laborieuses, et les collègues pourraient facilement trouver des informations sur la sexualité de leurs pairs.</p>
<p>Le fait de nier l’effondrement de contexte ne semble pas non plus profiter aux employés, car les collègues ne comprennent pas pourquoi on se comporte différemment dans les situations en face à face et en ligne. Ethan commente qu’il est « difficile de comprendre une personne comme Francis car il finit par reproduire des préjugés, en montrant qu’on ne peut pas être gay ici ».</p>
<p>Ces difficultés à contrôler les images en ligne sur les médias sociaux sont peut-être la raison pour laquelle certains employés adoptent des efforts de déstigmatisation. Fatigués des mécanismes constants et croissants pour correspondre à un type « professionnel » idéal, ces employés concluent que la normalisation et la différenciation de leurs sexualités sont la meilleure ligne de conduite.</p>
<p>Malgré l’orientation spécifique de notre recherche, les médias sociaux et le comportement professionnel ont un impact plus ou moins important sur tous les employés. D’après nos recherches, les organisations pourraient prendre certaines mesures face les problèmes que nous avons identifiés dans notre étude :</p>
<ul>
<li><p><strong>La sensibilisation</strong> : développer une formation sur les médias sociaux pour les employés et les managers et discuter des éventuels biais inconscients impliqués dans les interactions en ligne quotidiennes pourrait être une bonne mesure pour sensibiliser aux problèmes liés aux médias sociaux. La première étape consiste à problématiser ces interactions qui génèrent des problèmes pour de nombreux employés.</p></li>
<li><p><strong>Des stratégies et des politiques claires</strong> : au lieu d’encourager l’utilisation des médias sociaux de manière informelle uniquement, les organisations pourraient mieux relier le rôle des médias sociaux à des stratégies organisationnelles plus larges. Un grand nombre des insécurités que nous avons observées sur le terrain provenaient d’un manque de clarté sur le rôle des médias sociaux au travail.</p></li>
<li><p><strong>Cartographier et inclure les personnes marginalisées</strong> : dans notre étude, l’entreprise a décidé de cartographier les employés qui s’exprimaient sur les problèmes dont ils souffraient, tant au travail que sur les médias sociaux. Cette démarche a été essentielle pour le développement de leurs actions inclusives, qui ont également pris en compte les impacts potentiels des médias sociaux dans les interactions quotidiennes sur le lieu de travail.</p></li>
</ul>
<p>Permettre à ces employés de participer à la formulation des actions et des objectifs a une double fonction : (1) elle apporte une légitimité aux actions de l’entreprise aux yeux des autres employés, car ceux qui souffrent sont également engagés à aider l’organisation à s’améliorer ; et (2) elle devient un guide fiable pour les responsables, qui sont rassurés que leurs actions reflètent les problèmes ressentis par les employés.</p>
<hr>
<p><em>* Les prénoms ont été modifiés.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179708/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucas Amaral Lauriano ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si certains employés revendiquent ouvertement leurs préférences sexuelles, d’autres adoptent des stratégies de dissimulations.Lucas Amaral Lauriano, Assistant Professor, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1797762022-03-24T18:41:33Z2022-03-24T18:41:33ZLe conflit russo-ukrainien est aussi une question de regard sur les sexualités<p>La « Lettre du dimanche » du 12 mars dernier publiée par <em>Le Grand Continent</em>, revue éditée par le Groupe d’études géopolitiques, association indépendante domiciliée à l’École normale supérieure et reconnue d’intérêt général, commençait entre autres par ceci :</p>
<blockquote>
<p>« À l’issue de la messe du dimanche de la Saint-Jean, le 6 mars dernier, le patriarche Kirill a prononcé un sermon justifiant l’invasion militaire de l’Ukraine – toujours euphémisée et réduite à des opérations d’aide aux pro-Russes du Donbass – et endossant l’argumentaire négationniste de Poutine sur l’Ukraine. Mais le chef de l’Église orthodoxe de Russie va plus loin. Dans une rhétorique aussi fleurie en anathèmes qu’un retable de l’Apocalypse, il dénonce une guerre des civilisations, et fait notamment de l’homosexualité l’emblème du vice démocratique qui voudrait corrompre la nation russe. La “parade de la gay pride” serait à ses yeux le test suprême que l’Occident ferait passer aux sociétés pour les soumettre à son esprit de décadence. Face à ce péril, la Russie resterait la garante des valeurs traditionnelles, qu’elle contribue implicitement à maintenir en venant en aide à la population ukrainienne, pour laquelle, Carême oblige, il faudrait demander “pardon” au Seigneur ».</p>
</blockquote>
<p>L’attention portée au discours du patriarche Kirill est essentielle. Il y a bien quelque chose de « vertigineux » dans la prise de position du chef de l’Église orthodoxe. Pour en mesurer les enjeux et faire de cette prise de position une force pour notre compréhension des choses et pour aider à sortir de la crise, il est indispensable de ne pas s’en tenir à notre indignation. Il faut déplacer le problème.</p>
<h2>« Valeurs traditionnelles »</h2>
<p>L’intégration officielle des homosexualités, et plus largement la reconnaissance des mouvements LGBTQIA+ dans les débats publics prennent leurs racines dans les féminismes et les études de genre, dont l’origine est indéniablement occidentale, et en particulier américaine. Il est donc aisé, si l’on veut observer à grands traits, d’imputer l’ensemble de ces mouvements à l’« Occident ».</p>
<p>On peut dire que ce qui y est en jeu est la notion essentielle de liberté. Qu’il faille y voir une corruption provocatrice et destructrice de l’« Occident » à l’égard de ce que l’« Occident » n’est pas est autre chose. La difficulté est que des propos comme ceux du patriarche Kirill trouvent un écho positif chez des populations qui ne sont pas convaincues de la revendication de liberté que nous connaissons de ce côté-ci du conflit russo-ukrainien.</p>
<p>La difficulté s’accroît lorsque l’on constate que tout le monde n’est pas totalement convaincu, en « Occident » même, de la pertinence de toutes les revendications LGBTQIA+. Le problème, tel qu’il est posé par le patriarche Kirill si l’on en croit la <em>Lettre du dimanche</em>, est celui de la conservation des « valeurs traditionnelles ». Sous ces termes, qui sont en passe de ne plus rien vouloir dire de quelque côté que ce soit du conflit russo-ukrainien, se signale un enjeu humain fondamental. On peut le présenter sommairement de la manière suivante.</p>
<p>Aussi lents soient ses progrès, l’évolution de la culture « occidentale » a quelque chose de majoritairement « féminin », en ce sens qu’elle est de toute évidence une culture de la libération. Libération des femmes, libération des genres, libération des humains eu égard à tout donné naturel – « essentiel » au sens de la philosophie classique – qui serait censé borner le vouloir. On veut pouvoir tout vouloir, par définition sans limite.</p>
<p>La notion de libération appartient prioritairement au champ du « féminin ». Si l’on part du principe simple que le féminin est à l’origine la certitude de pouvoir faire ce que le féminin fait – porter un enfant –, alors le féminin est d’abord continuité du vivant donné. À partir de là, puisque l’on désire ce que l’on n’est pas et n’a pas, le féminin est ouverture à l’inconnu, au non-donné. Il est dynamique de libération par rapport au donné initial. Et la réciproque est vraie. Le masculin est de facto discontinuité d’avec la matrice maternelle – féminine –, et donc désir de recouvrer continuité, identité ou un « sol » ferme et stable.</p>
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<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sexualites-un-regard-philosophique-le-feminin-et-le-masculin-cles-de-comprehension-du-monde-161126">« Sexualités, un regard philosophique » : le féminin et le masculin, clés de compréhension du monde</a>
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<hr>
<p>« Féminin » et « masculin » ne sont pas superposables à « femmes » et « hommes ». Ils constituent deux manières d’être au monde irréductibles, qui contribuent à circonscrire le domaine de la « fin de l’Histoire » dont il a été question dans un précédent article. La « fin de l’Histoire » concerne bien l’avènement de l’idée et, partout où cela se présente, de la réalité de l’État de droit. Mais l’aventure humaine continue, en particulier du fait que nous sommes toutes et tous faits de deux manières d’être au monde irréductibles, qui dépendent totalement l’une de l’autre et s’entrelacent sans cesse, de façon plus ou moins heureuse selon les cas et circonstances.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1504969987903172611"}"></div></p>
<p>De l’« autre » côté, qu’artificiellement le patriarche Kirill institue comme étant le « bon », le côté russe, l’on défend des « valeurs traditionnelles », par exemple l’importance accordée au fait « naturel » de l’existence de deux sexes initiaux constitutifs des êtres humains.</p>
<p>Si l’« Occident » tel qu’entendu ici est bien « féminin » dans son évolution, il s’opposerait alors à une posture « masculine » devenant archaïque, s’adossant à – si ce n’est s’arc-boutant sur – l’existence de deux sexes, à l’origine de la possibilité des humains. Dans un tel horizon, les homosexualités représentent les comportements déviants reprochés par le patriarche Kirill.</p>
<h2>Du plus petit au plus grand</h2>
<p>Il est évident que, dans le contexte de la guerre offensive faite à l’Ukraine par la Russie, aussi justifiée sur le plan géopolitique soit cette guerre aux yeux des Russes, le « masculin » dont il s’agit est dévoyé, car instrumentalisé dans le cadre d’un conflit frontal avec son autre – avec un « féminin » jugé corrompu et corrupteur.</p>
<p>Dans ce qui est ici en jeu, nous ne sommes cependant pas confrontés à un simple conflit entre « Orient » et « Occident », dont la question des sexualités ne serait qu’un instrument. Se joue dans ce conflit, d’une façon aussi dévoyée soit-elle, une tension entre deux manières d’être au monde constitutives de tous les humains, à quoi s’adossent les conflits, les extrémismes, les radicalisations de tous ordres, et ceci depuis bien longtemps, comme nous le montrions dans <em>Terrorisme et féminisme, Le masculin en question</em> (Éditions de l’Aube, 2016).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5gcXSsV5vN8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Terrorisme et féminisme, le masculin en question (TV5 Monde, 2016).</span></figcaption>
</figure>
<p>Et ceci se joue indépendamment des sexes biologiques de chacune et chacun, et donc par-delà femmes et hommes. Il s’agit d’une « tension » au sens de la « tension artérielle » entre féminin et masculin considérés comme deux manières d’être au monde dont le monde entier est habité.</p>
<p>Deux observations pour finir.</p>
<p>Même si nous nous reproduisons grâce aux sciences et aux techniques, en pouvant désormais si nous le voulons nous passer de relations hétérosexuelles, nous sommes toutes et tous issus de deux types de gamètes, des gamètes mâles et des gamètes femelles. Ce qui veut dire que nous portons toutes et tous en nous et féminin (gamètes femelles) et masculin (gamètes mâles).</p>
<p>S’il y a donc quelque chose comme du « féminin » et du « masculin » qui nous constitue toutes et tous, cela se joue au niveau le plus petit – chaque individu quel que soit son sexe –, et au niveau le plus grand, à l’échelle de conflits comme celui auquel nous sommes malheureusement confrontés.</p>
<p>Que soient invoqués des enjeux comme ceux des mouvements LGBTQIA+ dans le cadre de conflits susceptibles de mettre en danger l’existence de l’humanité entière signale que l’enjeu des sexualités que nous effleurons ici est tout sauf secondaire. Et loin de seulement s’indigner, l’on doit toutes et tous, si l’on veut y comprendre quelque chose et si l’on veut contribuer à l’apaisement, se demander ce qui, de part et d’autre de la situation, à la fois s’y joue et y est dévoyé. Pour creuser la question, on pourra se rapporter à la <em>Phénoménologie des sexualités, la modernité et la question du sens</em>, publiée en janvier 2021 chez L’Harmattan.</p>
<p>Si nous voulons contribuer un tant soit peu à l’apaisement au cœur de la crise, nous devons impérativement continuer d’identifier ce qui de la mondialisation fait sens et inversement. Et les relations entre les sexualités jouent sur la question un rôle déterminant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179776/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Bibard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le chef de l’Église orthodoxe a soutenu le conflit en Ukraine, invoquant une guerre des civilisations et faisant de l’homosexualité l’emblème du vice démocratique qui veut corrompre la nation russe.Laurent Bibard, Professeur en management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1708442022-01-19T14:00:56Z2022-01-19T14:00:56ZPortrait(s) de France(s) : Identités morcelées<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/441696/original/file-20220120-8376-485qe5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C1920%2C1072&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les revendications identitaires ne sont pourtant pas des demandes particularistes mais s’inscrivent pleinement dans un horizon d’égalité partagée et d'aspirations communes. </span> <span class="attribution"><span class="source">AFP/ Pixabay/ Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><em>Portrait(s) de France(s), un rendez-vous bi-mensuel et thématique réunissant articles inédits, cartographies et podcasts, pour aborder les grands enjeux de l’élection présidentielle de 2022.</em></p>
<hr>
<p><strong>L'édito d'Arnaud Alessandrin</strong></p>
<p>Dans un contexte républicain qui défend l’universalisme, toute émanation d’un individu singulier devient insupportable. Ce sujet, caractéristique de notre époque, montre que rarement autant de fronts n’avaient été activés simultanément. Féminisme, démocratie, écologie, <a href="https://theconversationfrance.cmail20.com/t/r-l-trtlllud-httuuluhp-j/">minorités de genre et de sexualité</a>, migrations ou phénomènes racistes ; les demandes dites « identitaires » (leur nécessité peut-être) sont plus que jamais au cœur des revendications. Ces dernières s’expriment lors des débats publics ou médiatiques et définissent parfois même les projets politiques de certains candidats et présumés candidats.</p>
<p>Dans le même temps, alors que les discriminations subies par les minorités (peu importe le critère retenu) sont progressivement documentées, chiffrées, témoignées, nous assistons à une radicalisation des oppositions à la reconnaissance des vulnérabilités, des inégalités, des injustices en les disqualifiant – « fascistes » pour les uns, « woke » pour les autres – ou en les instrumentalisant, comme le montrent les discours récurrents <a href="https://theconversationfrance.cmail20.com/t/r-l-trtlllud-httuuluhp-t/">à l'encontre du « migrant »</a>.</p>
<p>Du mouvement protéiforme <a href="https://theconversationfrance.cmail20.com/t/r-l-trtlllud-httuuluhp-i/">des « gilets jaunes »</a> aux manifestations antiracistes, en passant par les mouvements écologistes, les revendications identitaires ne sont pourtant pas des demandes particularistes, même si elles sont particulières aux vues de l‘endroit d’où elles émanent. Au contraire, elles s’inscrivent pleinement dans un horizon d’égalité partagée et d'aspirations communes. Les différents articles qui constituent ce dossier éclairent chacune des réflexions quant à ces identités meurtries, <a href="https://theconversationfrance.cmail20.com/t/r-l-trtlllud-httuuluhp-d/">invisibilisées</a>, <a href="https://theconversationfrance.cmail20.com/t/r-l-trtlllud-httuuluhp-h/">plurielles</a>, violentées qui demandent, de façon multiple, une existence vivable, une dignité, une reconnaissance. Et qui pose, à leur façon la question du vivre ensemble.</p>
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<h2>« Gilets jaunes » : quelle démocratie veulent-ils ?</h2>
<p>Représentants d’une France en colère, les « gilets jaunes » aspirent à refonder la démocratie par un meilleur contrôle des élus, davantage d’écoute et de participation des citoyens.</p>
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<p><a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">Lire l'article</a></p>
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<h2>Le migrant, cet éternel épouvantail de campagne</h2>
<p>L’épouvantail de l’étranger a toujours été une manière de réactiver la cohésion sociale au moment où se rapprochent les enjeux politiques de l’élection présidentielle.</p>
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<p><a href="https://theconversation.com/le-migrant-cet-eternel-epouvantail-de-campagne-169495">Lire l'article</a></p>
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<h2>Le tabou des statistiques ethniques en France : un frein à la dénonciation collective</h2>
<p>La mesure des discriminations raciales demeure un sujet tabou en France. Outre-Manche pourtant, ce type de pratiques encadrées par les politiques publiques libère la parole et permet d’agir.</p>
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<p><a href="https://theconversation.com/le-tabou-des-statistiques-ethniques-en-france-un-frein-a-la-denonciation-collective-des-discriminations-raciales-170384">Lire l'article</a></p>
</blockquote>
<h2>Éducation nationale : que change la circulaire sur l’accueil des élèves trans ?</h2>
<p>Le ministère de l'Éducation a publié en 2021 une circulaire intitulée « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire ». S'agit-il d'un tournant ?</p>
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<p><a href="https://theconversation.com/education-nationale-que-change-la-circulaire-sur-laccueil-des-eleves-trans-169174">Lire l'article</a></p>
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<h2>L'infographie</h2>
<iframe title="L'appartenance religieuse des Français (% de la population)" aria-label="chart" id="datawrapper-chart-lcTQV" src="https://datawrapper.dwcdn.net/lcTQV/4/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="570" width="100%"></iframe>
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<p><a href="https://theconversation.com/en-graphiques-quelle-identite-religieuse-pour-la-france-170174">Lire l'article</a> </p>
</blockquote>
<h2>Le podcast</h2>
<iframe frameborder="0" width="100%" height="110px" style="overflow:hidden;" src="https://podcasts.ouest-france.fr/share/player_of/mode=broadcast&id=12775">Wikiradio Saooti</iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-610" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/610/72c170d08decb232b562838500852df6833297ca/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170844/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Portrait(s) de France(s), un rendez-vous thématique pour aborder les grands enjeux de la présidentielle 2022. Dans cet épisode, focus sur les revendications identitaires.Arnaud Alessandrin, Sociologue, Université de BordeauxCatherine Wihtol de Wenden, directrice de recherches sur les migrations internationales, Sciences Po Elodie Druez, Post-doctorante, sciences politiques, Université de StrasbourgFrédéric Gonthier, Professeur de science politique, Sciences Po GrenobleGabrielle Richard, Sociologue du genre, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Hélène Bertheleu, Enseignante-chercheuse, laboratoire Citeres, Université de ToursPierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1701562021-12-21T13:49:49Z2021-12-21T13:49:49ZPourquoi s'éloigne-t-on de sa famille ? Une spécialiste des relations humaines décrit le problème<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/431569/original/file-20211111-25-ty8vvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1000%2C667&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Près de 70 millions de personnes aux États-Unis déclarent être éloignées d'un membre de leur famille.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shuterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les fêtes de fin d’année sont souvent l’occasion de renforcer les liens et les rapports entre les membres de la famille. Mais pour ceux qui ont des relations difficiles avec leurs frères, sœurs, parents ou leur famille élargie, cette période peut être stressante et complexe émotivement.</p>
<p>Nous avons demandé à <a href="https://com.uw.edu/people/faculty/kristina-scharp/">Kristina Scharp</a> d’expliquer pourquoi les relations familiales sont parfois rompues et de nous donner quelques éléments à prendre en compte lorsqu’on parle à des gens qui se trouvent dans cette situation.</p>
<h2>Ce qu’est l’éloignement familial</h2>
<p><a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/23808985.2017.1285680">L’éloignement familial</a> se produit lorsqu’une personne se distancie intentionnellement d’un membre de sa famille en raison d’une relation négative, ou perçue comme telle.</p>
<p>Selon des études, au moins <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/595000/fault-lines-by-karl-pillemer-phd/">27 % des adultes</a> vivent une situation d’éloignement familial causée par eux ou un autre membre de la famille. Cela signifie que près de 70 millions de personnes aux États-Unis déclarent avoir pris des distances avec un membre de leur famille.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-survivre-a-sa-famille-casse-pieds-durant-les-fetes-107879">Comment survivre à sa famille casse-pieds durant les Fêtes?</a>
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<h2>Ce que l’éloignement familial n’est pas</h2>
<p>Voici l’une des questions qu’on me pose le plus souvent en tant que <a href="https://com.uw.edu/people/faculty/kristina-scharp/">chercheuse qui étudie la distanciation relationnelle</a> : « Que considère-t-on comme de l’éloignement familial ? »</p>
<p>Les gens ont tendance à penser que l’éloignement est une situation ou un événement précis. Mes recherches montrent <a href="https://doi.org/10.1080/15267431.2015.1076422">qu’il s’agit plutôt d’un processus</a> continu dont le degré varie. En d’autres termes, il s’agit d’un continuum où l’on devrait caractériser les personnes comme étant plus ou moins éloignées, plutôt que comme étant en rupture ou pas en rupture.</p>
<p>L’éloignement est volontaire. Cela signifie qu’au moins une personne a souhaité qu’il se produise, contrairement à une situation où un tiers est intervenu, comme dans le cas d’un placement en famille d’accueil ou de l’intervention du système de justice pénale.</p>
<p>L’éloignement est intentionnel. Il ne survient pas par accident ou par simple perte de contact.</p>
<p>L’éloignement est souvent fondé sur des problèmes persistants. Il est peu probable qu’une personne décide soudainement de prendre ses distances avec quelqu’un de sa famille. On parle généralement <a href="https://doi.org/10.1080/15267431.2015.1076422">d’une accumulation de conflits et de situations négatives</a>.</p>
<p>Néanmoins, il existe des cas où l’éloignement arrive brusquement. Par exemple, <a href="https://doi.org/10.1177/0093650217715542">lorsque des parents rejettent un enfant</a> qui leur a déclaré faire partie de la communauté LBGTQ.</p>
<p>L’éloignement se produit quand une relation est perçue comme négative. Les gens ne choisissent pas de s’éloigner sans raison. <a href="https://doi.org/10.1080/15267431.2015.1013106">Les études</a> montrent que les causes sont généralement graves, que ce soient de la violence, de la négligence ou des problèmes de toxicomanie. Même si les membres de la famille ne sont pas d’accord sur ce qui s’est passé ou sur l’état de la relation, au moins une personne perçoit la relation comme négative.</p>
<p>L’éloignement est donc un processus distinct des autres cas où les membres d’une famille peuvent se retrouver à distance, comme dans le cas d’une adoption, d’une mission à l’étranger ou d’une situation d’immigration.</p>
<p><a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1300/J087v45n01_06">L’aliénation parentale</a> est un concept semblable, mais distinct. Bien que les résultats de l’éloignement et de l’aliénation puissent être similaires, les raisons en sont différentes.</p>
<p>L’aliénation parentale survient après un divorce, lorsqu’un parent nuit délibérément à la relation que son enfant entretient avec l’autre parent. Néanmoins, l’éloignement et l’aliénation sont tous les deux des perturbations graves de la famille.</p>
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<img alt="Un enfant tient un ourson alors que ses parents sont stressés" src="https://images.theconversation.com/files/424799/original/file-20211005-13-ktdw4z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424799/original/file-20211005-13-ktdw4z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424799/original/file-20211005-13-ktdw4z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424799/original/file-20211005-13-ktdw4z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424799/original/file-20211005-13-ktdw4z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424799/original/file-20211005-13-ktdw4z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424799/original/file-20211005-13-ktdw4z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’aliénation parentale se produit lorsqu’un parent nuit intentionnellement à la relation que son enfant entretient avec l’autre parent.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/photo/upset-frustrated-little-girl-tired-of-parents-fight-royalty-free-image/1063760098?adppopup=true">fizkes/Getty Images</a></span>
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<h2>Comment fait-on pour prendre et garder ses distances ?</h2>
<p>Lorsque j’ai commencé à étudier l’éloignement familial, je ne souhaitais pas seulement trouver ce qu’était l’éloignement, mais aussi comment les gens l’instauraient. Dans le cadre de mes recherches, les enfants adultes qui se sont distanciés de leurs parents ont décrit <a href="https://scholar.google.com/citations?view_op=view_citation&hl=en&user=TFUGv-YAAAAJ&citation_for_view=TFUGv-YAAAAJ:TFP_iSt0sucC">huit caractéristiques de l’éloignement</a> :</p>
<ul>
<li><p><strong>Quantité d’échanges</strong> : La fréquence des échanges des enfants adultes avec leurs parents.</p></li>
<li><p><strong>Qualité d’échanges</strong> : Dans quelle mesure ces échanges sont porteurs de sens.</p></li>
<li><p><strong>Distance physique</strong> : Le degré de distance physique entre les parents et les enfants.</p></li>
<li><p><strong>Présence/absence d’émotions</strong> : Dans quelle mesure les enfants adultes ressentent des émotions en pensant à leur parent/à l’éloignement.</p></li>
<li><p><strong>Effet positif/négatif</strong> : Dans quelle mesure ces émotions sont positives ou négatives.</p></li>
<li><p><strong>Réconciliation/désir de former une famille</strong> : Dans quelle mesure les enfants adultes souhaitent une réconciliation.</p></li>
<li><p><strong>Réciprocité des rôles</strong> : Dans quelle mesure les membres de la famille se comportent et s’occupent les uns des autres selon ce qu’on s’attend d’eux.</p></li>
<li><p><strong>Actions en justice</strong> : Les enfants adultes ont-ils entrepris une action en justice contre leurs parents, telle qu’une émancipation, un changement de nom ou une modification de documents juridiques ?</p></li>
</ul>
<p>En examinant ces questions, l’une des choses les plus importantes à retenir est que tout le monde ne souhaite pas le même degré de communication, de proximité et d’émotion. Ainsi, je considère l’éloignement comme l’écart entre la réalité vécue par une personne, en ce qui concerne les huit caractéristiques, et ce que seraient ses préférences si la relation était idéale.</p>
<h2>Ce qu’il faut retenir</h2>
<p>Bien que la recherche sur l’éloignement familial soit en plein essor, voici quelques-unes des conclusions les plus importantes de mes recherches :</p>
<ul>
<li><a href="https://scholar.google.com/citations?view_op=view_citation&hl=en&user=TFUGv-YAAAAJ&citation_for_view=TFUGv-YAAAAJ:RHpTSmoSYBkC">L’éloignement est stressant et stigmatisant</a>.</li>
</ul>
<p>De nombreuses personnes préfèrent ne pas parler de l’éloignement qu’elles vivent parce qu’elles craignent les réactions négatives. Si une personne décide de révéler les circonstances entourant sa distanciation, j’encourage ceux qui souhaitent la soutenir à s’abstenir d’exprimer immédiatement leur peine ou de recommander une réconciliation. Demandez-lui plutôt ce qu’elle ressent face à la situation.</p>
<ul>
<li><a href="https://doi.org/10.1080/15267431.2018.1544563">L’éloignement peut être une solution saine à un environnement malsain</a>.</li>
</ul>
<p>L’éloignement est souvent une façon productive de se défaire d’une relation toxique. Le fait que des gens soient liés sur le plan biologique ne garantit pas que leur relation en soit une d’amour et de soutien. Parfois, prendre de la distance est nécessaire pour la sécurité émotionnelle ou physique d’une personne.</p>
<ul>
<li><a href="https://doi.org/10.1080/15267431.2015.1076422">Maintenir une distance peut être encore plus difficile que d’en instaurer une</a>.</li>
</ul>
<p>Comme nous vivons dans une culture où « la famille, c’est pour la vie », on doit non seulement établir une distance, mais aussi la maintenir. Cela représente souvent un poids, soit parce que les autres recommandent une réconciliation non souhaitée, soit en raison des représentations de la famille dans les médias et des sentiments intériorisés d’obligation familiale. Ainsi, même si l’éloignement peut constituer un changement positif pour une personne, il n’en demeure pas moins difficile.</p>
<p>Malgré ce que les scientifiques ont commencé à découvrir sur l’éloignement familial, il reste une quantité incroyable de recherches à mener pour en apprendre davantage sur les perspectives et les catalyseurs de l’éloignement ainsi que sur ses répercussions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170156/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kristina Scharp ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>On pense souvent, à tort, que l’éloignement familial résulte d’un événement particulier. Au contraire, il s’agit souvent de problèmes permanents.Kristina Scharp, Associate professor, Department of Communication, University of WashingtonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1716492021-11-23T20:08:45Z2021-11-23T20:08:45ZProtection des droits LGBT dans le monde : quel rôle pour les multinationales ?<p>Il est désormais courant que les grandes entreprises s’associent à des événements LGBT tels que le <a href="https://www.vogue.fr/mode/article/mois-des-fiertes-capsules-mode-tolerance">mois des fiertés</a>, la <a href="https://www.journee-mondiale.com/268/journee-internationale-du-coming-out.htm">journée internationale du coming out</a> (le 11 octobre) ou la <a href="https://www.journee-mondiale.com/71/journee-internationale-contre-l-homophobie.htm">journée internationale contre l’homophobie</a>, la transphobie et la biphobie (le 17 mai). Aux États-Unis, plusieurs centaines d’entreprises américaines ont formé une coalition au sein de la Human Rights Campaign, qui milite, au Congrès, en faveur d’une loi qui offrirait des protections juridiques aux personnes LGBT.</p>
<p>Les militants émettent parfois des critiques contre ces soutiens, perçus comme profitant de leurs combats. Ce qui nous intéresse ici est plutôt le fait que ces pratiques restent limitées à certains pays. La solidarité des entreprises reste rarement observable dans des pays où les gouvernements s’avèrent hostiles à la communauté LGBT.</p>
<p>Cela concerne une grande partie du monde. Selon l’International Lesbian and Gay Association, <a href="https://ilga.org/state-sponsored-homophobia-report-2020-global-legislation-overview">69 pays</a> criminalisent actuellement les rapports homosexuels consentis. Dans certains pays, la peine encourue est la mort. Y faire son coming out, c’est ainsi parfois mettre sa vie en danger.</p>
<p>Et si les multinationales présentes dans des pays hostiles utilisaient leur influence économique et leurs ressources pour faire progresser la protection des personnes LGBT, de la même manière qu’elles défendent l’égalité dans les pays occidentaux ? Différentes études considèrent la question.</p>
<h2>Le modèle de « l’avocat »</h2>
<p>Puisque les multinationales contribuent à l’économie de leur pays d’accueil, elles possèdent un accès privilégié aux responsables gouvernementaux. Cela peut représenter une occasion de faire part de leurs préoccupations concernant les lois et pratiques LGBT hostiles d’un pays. D’autant plus étant donné les ressources que les entreprises investissent dans leur activité politique et leur programme de responsabilité sociale.</p>
<p>Certains <a href="https://www.businessinsider.com/lgbtq-oil-workers-face-tough-reality-abroad-antigay-laws-2020-8">critiques</a> soutiendront que les multinationales doivent respecter les lois de leur pays d’accueil et éviter les activités qui pourraient avoir un impact négatif sur leurs intérêts commerciaux. Mais les multinationales peuvent-elles vraiment assumer pleinement leur responsabilité sociale en ce cas, d’autant plus si sont concernées des personnes LGBT qui comptent parmi leurs employés, fournisseurs ou clients ?</p>
<p>Il existe, dans les faits différents degrés d’action pour protéger les personnes LGBT dans les pays hostiles. Si un soutien public peut créer des tensions entre l’entreprise et le gouvernement hôte, et mettre potentiellement les personnes LGBT en danger, il alors être plus prudent de plaider en coulisses. Cela peut se faire dans le cadre d’engagements permanents avec les législateurs ou de manière ponctuelle, lorsque la protection des personnes LGBT est directement évoquée lors de réunions d’affaires.</p>
<p>L’une des approches suggérées par Coqual, un groupe de réflexion mondial à but non lucratif, est le “<a href="https://coqual.org/reports/out-in-the-world/">modèle de l’avocat</a>”. Il invite les entreprises à faire directement pression sur les gouvernements hôtes ou à apporter un soutien symbolique à la communauté LGBT locale.</p>
<p>Selon le pays, il n’est peut-être pas encore réaliste d’obtenir l’égalité totale pour les personnes LGBT, comme la reconnaissance des mariages entre personnes de même sexe. Il est peut-être plus facile d’obtenir des protections fondamentales comme la décriminalisation, des lois sur les crimes haineux et des politiques de non-discrimination pour les personnes LGBT.</p>
<h2>Des arguments à avancer</h2>
<p>Une autre approche de la défense des droits LGBT par les entreprises consiste à faire partie d’une coalition mondiale d’entreprises partageant les mêmes idées. Open For Business, une organisation à but non lucratif basée à Londres, mène, par exemple, des recherches sur les avantages économiques de l’intégration des personnes de cette communauté.</p>
<p>L’une de ses récentes études a révélé que les <a href="https://open-for-business.org/working-globally-report">talents LGBT tiennent compte des lois d’un pays</a> lorsqu’ils choisissent un travail à l’étranger ou les destinations de leurs voyages d’affaires. Une autre a mis en évidence <a href="https://static1.squarespace.com/static/5bba53a8ab1a62771504d1dd/t/60d1b199e098bd3ca30df42b/1624355229493/The+Economic+Case+for+LGBT%2B+Inclusion+in+CEE+EN+July+2021.pdf">l’impact économique négatif</a> des politiques hostiles aux LGBT en Europe centrale et orientale.</p>
<p>Autant d’arguments utilisables par les entreprises pour démontrer les méfaits des lois et pratiques hostiles aux personnes LGBT.</p>
<h2>Courir après l’« argent rose »</h2>
<p>Les simples effets d’annonce ne suffisent par ailleurs pas. Une entreprise qui se targue d’être un lieu de travail agréable pour les personnes LGBT et qui court après « l’argent rose », expression qui renvoie au pouvoir d’achat des personnes homosexuelles, mais qui prend peu de mesures pour lutter contre la persécution de ces mêmes personnes, risque d’être critiquée à juste titre sur son véritable engagement envers la communauté. Pour finalement des résultats économiques inverses à ceux escompter.</p>
<p>Des risques réputationnels sont, enfin, encourus lorsque des multinationales ont une présence importante dans des pays hostiles tout en se présentant comme des entreprises favorables aux LGBT dans les pays occidentaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171649/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ken Chan est membre du Board of Trustees à Open For Business.</span></em></p>Les grandes entreprises ont les moyens d’être vectrices de progrès dans des pays aux lois hostiles et peuvent s’appuyer sur des arguments solides. D’autant que cela ne dessert pas leurs intérêts.Ken Chan, Global Executive Ph.D. Candidate, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.