tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/liban-29817/articlesLiban – The Conversation2024-02-25T16:26:27Ztag:theconversation.com,2011:article/2240132024-02-25T16:26:27Z2024-02-25T16:26:27ZL’engagement du Hezbollah auprès du Hamas et ses conséquences pour le Liban<p>Dès le lendemain de l’attaque du Hamas contre Israël du 7 octobre dernier, le Liban a été entraîné dans le conflit sur sa frontière Sud contrôlée par le Hezbollah, qui a <a href="https://www.la-croix.com/Liban-Hezbollah-tire-positions-israeliennes-frontiere-2023-10-08-1301285987">tiré des roquettes sur le territoire de l’État hébreu</a> en solidarité avec le mouvement palestinien. Israël a <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/israel-contre-le-hamas-la-crainte-grandissante-d-une-intervention-du-hezbollah-au-liban-980065.html">répliqué par des bombardements soutenus</a> visant les positions du Hezbollah au Liban. Depuis, les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/israel-et-le-hezbollah-sur-le-pied-de-guerre-au-liban-2043581">combats n’ont cessé de s’intensifier</a>, au point qu’une escalade vers une guerre totale qui embraserait l’ensemble de la région apparaît comme un scénario crédible aux yeux de nombreux observateurs et d’une partie significative de la population libanaise.</p>
<p><a href="https://www.lorientlejour.com/article/1368403/discours-de-nasrallah-les-4-points-cles-sur-gaza-et-le-liban-sud.html">Dans un discours diffusé le 16 février</a> le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a défié Israël en annonçant qu’il ne renoncera pas au combat et en martelant :</p>
<blockquote>
<p>« L’ennemi paiera le prix du sang de nos femmes et de nos enfants qui ont été tués dans le Sud. Le prix du sang sera le sang ; pas des avant-postes, des équipements de surveillance ou des véhicules militaires. »</p>
</blockquote>
<p>Cette déclaration implique que la milice chiite ne ciblera plus uniquement des positions militaires, mais également des civils. La veille, une <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20240215-lebanon-family-invited-to-dinner-finds-death-in-israel-strike">frappe de drone</a> contre des responsables du Hezbollah à Nabatiyeh avait fauché une famille au premier étage de l’immeuble visé.</p>
<p>Du côté israélien, le ministre de la Défense Yoav Gallant avait averti le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1357024/un-ministre-israelien-avertit-le-hezbollah-que-beyrouth-pourrait-subir-le-meme-sort-que-gaza.html">11 novembre</a> : « Le Hezbollah entraîne le Liban dans une guerre qui pourrait avoir lieu. […] Ce que nous pouvons faire à Gaza, nous pouvons aussi le faire à Beyrouth ». L’armée israélienne a déployé des troupes supplémentaires sur sa frontière Nord, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1353198/israel-evacue-des-habitants-le-long-de-la-frontiere-avec-le-liban-armee.html">évacuant les civils résidant dans les localités frontalières</a>. S’achemine-t-on inéluctablement vers une nouvelle guerre ouverte entre Israël et le Hezbollah ?</p>
<h2>État des lieux au Liban depuis octobre 2023</h2>
<p>Depuis le 8 octobre, plus de 90 villages ont été visés par des tirs israéliens, et plus de <a href="https://dtm.iom.int/reports/mobility-snapshot-round-20-18-01-2024?close=true">83 000 habitants du Sud Liban</a> ont quitté leur foyer pour des endroits plus sûrs.</p>
<p><a href="https://www.europe1.fr/international/violences-a-la-frontiere-avec-israel-plus-de-76000-deplaces-au-liban-selon-lonu-4223459">Selon l’Organisation internationale pour les migrations</a>, la majorité des déplacés sont accueillis par des parents tandis que d’autres louent ou sont installés dans des centres et dans des écoles réquisitionnées pour les héberger. L’organisation de l’aide pour les déplacés est ainsi gérée en grande partie par la solidarité familiale et des institutions humanitaires civiles et partisanes ; le rôle du gouvernement libanais reste limité et, souvent, les plans d’urgence sont inadéquats.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0qgKoZeKEik?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Le bilan humain s’alourdit de jour en jour. Il s’élève actuellement à plus de 200 morts, dont la plupart sont des combattants du Hezbollah. Parmi les victimes civiles, on compte notamment des <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2023/12/lebanon-deadly-israeli-attack-on-journalists-must-be-investigated-as-a-war-crime/">journalistes délibérément visés par les frappes israéliennes</a>, une stratégie adoptée dans cette guerre par Israël dont les frappes à Gaza <a href="https://rsf.org/fr/gaza-4-mois-de-guerre-le-journalisme-palestinien-d%C3%A9cim%C3%A9-en-toute-impunit%C3%A9">ont tué plus de 84 journalistes</a> depuis le début des hostilités.</p>
<p>On ne saurait trop insister sur le fardeau financier qui pèse sur l’État libanais et, surtout, sur les personnes déplacées, dont une grande partie sont des agriculteurs et des travailleurs journaliers. Ainsi, de nombreux villageois n’ont pu récolter et vendre leurs produits (notamment les olives), et <a href="https://www.hrw.org/news/2023/10/12/israel-white-phosphorus-used-gaza-lebanon">l’utilisation par Israël de bombes au phosphore blanc</a> dans les champs du Sud-Liban a durablement endommagé la terre.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Outre l’impact économique et environnemental, la plupart des écoles ont dû fermer leurs portes dans la région et plus de 5 000 enfants ont été déscolarisés. Il ne faut pas perdre de vue que le <a href="https://www.worldbank.org/en/country/lebanon/overview">Liban souffre depuis 2020 d’une grave crise économique</a> qui se manifeste par un <a href="https://fr.euronews.com/2023/03/14/au-liban-un-dollar-vaut-desormais-100-000-livres-un-record-historique">effondrement de sa monnaie</a> et un des ratios dette/PIB les plus élevés au monde (283,2 %). Le déclenchement d’un conflit avec Israël anéantirait pour de bon les espérances des Libanais de sortir de l’impasse et réduirait en cendres le peu d’infrastructures qui restent encore en état de fonctionnement.</p>
<h2>Israël et le Hezbollah, les meilleurs ennemis</h2>
<p>Ce n’est pas la première fois que le Liban est confronté à de tels scénarios. Depuis la <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/index/sujet/guerrecivilelibanaise">guerre civile (1975-1989)</a>, jusqu’à la période qui a suivi <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/05/25/l-armee-israelienne-a-acheve-son-evacuation-du-liban-sud_3714606_1819218.html">l’évacuation de l’occupation israélienne du Sud-Liban (2000)</a> et la <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2007-1-page-14.htm">guerre de juillet 2006</a>, les forces israéliennes ont plusieurs fois attaqué le Liban et conservent une forte présence militaire le long de la frontière.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1759231806077894659"}"></div></p>
<p>Israël et le Hezbollah sont les meilleurs ennemis : les attaques israéliennes répétées <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03153621v1/document">consacrent le rôle du Hezbollah</a> comme gardien de la résistance, adversaire résolu d’Israël et défenseur de la souveraineté libanaise et de la libération de la Palestine, alors qu’une paix avec Israël contraindrait le mouvement à se désarmer et, in fine, à disparaître. Pour l’État israélien, l’existence de la milice et le danger qu’elle représente justifient sa politique de sécurité et de guerre continue.</p>
<p>Il reste que si le conflit actuel <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/oct/18/gaza-hospital-al-ahli-al-arabi-blast-explosion-protests-demonstrations-middle-east">a redoré le blason du Hezbollah auprès de la majorité des Arabes</a> qui applaudissent son effort de guerre auprès du Hamas contre Israël, au Liban le soutien reste mitigé. Pour beaucoup, les affrontements en cours représentent une menace sérieuse pour l’avenir du pays.</p>
<h2>Divisions politiques</h2>
<p>L’opinion publique et la classe politique libanaises sont divisées entre, d’une part, ceux qui adhèrent au projet politique du Hezbollah et de ses alliés de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1366597/hamas-hezbollah-houthis-que-veut-laxe-de-la-resistance-.html">« l’axe de la résistance »</a> soutenus par l’Iran – qui comprend le Hamas, les <a href="https://theconversation.com/les-etats-unis-vers-un-conflit-a-grande-echelle-avec-les-houthis-du-yemen-et-les-organisations-politico-militaires-irakiennes-221671">milices chiites en Irak et les Houthis yéménites</a> – et, d’autre part, ceux qui le rejettent et réclament son désarmement, l’accusant d’être un contre-pouvoir bloquant la vie politique et la reprise économique.</p>
<p>Dans les premiers jours du conflit, l’engagement du Hezbollah sur le front Sud a réussi à transcender, un temps, les clivages sectaires, notamment entre sunnites, druzes et chiites par solidarité avec Gaza ; mais avec l’enlisement et l’installation de la guerre dans la durée, les alliances se fissurent.</p>
<p>Pour la communauté chrétienne, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1366146/apres-gemayel-rai-les-pro-hezbollah-sur-la-defensive-face-a-leurs-detracteurs-chretiens.html">hostile à cette guerre</a>, le Hezbollah prend une fois de plus les Libanais en otage et met en danger la souveraineté du pays. Par ailleurs, la promesse faite par le secrétaire général Hassan Nasrallah d’engager de manière limitée son organisation dans la <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2023/11/03/nasrallah-hezbollah-lebanon-israel-speech/">création « d’un front de soutien et de solidarité »</a> au début du conflit, ne tient plus. Le bilan élevé des combattants morts lors des opérations et les cadres (Hamas et Hezbollah) assassinés par drone, le déplacement des populations du Sud fuyant les combats et l’installation dans le conflit rendent le risque d’embrasement plus plausible que jamais. Mais ce danger n’est pas perçu de la même manière par tous au Liban, où plusieurs réalités coexistent.</p>
<h2>Réalités parallèles</h2>
<p>Malgré la crise et la guerre qui menace au Sud, la vie à Beyrouth et dans ses environs est quasi normale. Les restaurants et les bars ne désemplissent pas, les stations de ski sont toujours fréquentées, les centres commerciaux et les cinémas aussi.</p>
<p>Quand on se promène du côté de Gemmayzé, Mar Mikhael, Verdun ou Rabieh, on ressent l’insouciance d’une partie de la population qui vit dans le déni de la guerre et dans une réalité parallèle. Ces Libanais qui ne souhaitent pas quitter leur pays pour des endroits plus sûrs et dont les revenus sont perçus pour une grande partie en devises étrangères ne parlent ni de conflit ni de crise, termes vulgaires et obscènes qui enlaidissent leur projection d’une vie idéale à la libanaise.</p>
<p>Ils vivent dans une bulle qui préserve du présent, est détachée du passé douloureux et ne se projette pas dans un avenir incertain. Une bulle flottant hors temps et hors sol, qui protège de l’autre réalité, plus dure : celle de la <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1289153/80-de-pauvres-au-liban-comment-cette-donnee-est-elle-calculee-.html">majorité des Libanais qui vivent sous le seuil de pauvreté</a>, qui ne peuvent se chauffer en hiver, se soigner ou payer la scolarité de leurs enfants. Différente aussi de celle des habitants du Sud Liban, obligés de fuir leur foyer. Les réalités libanaises cohabitent mais ne se croisent pas ; elles sont le reflet d’un pays déchiré par des années de guerre, avec une société fragmentée et un État en faillite, incapable d’empêcher que la guerre à Gaza ne s’invite à Beyrouth.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224013/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jihane Sfeir est chercheur à OMAM et REPI de l'ULB</span></em></p>Il y a déjà eu des centaines de morts, depuis octobre 2023, dans les affrontements opposant Israël au Hezbollah. Le Liban, déjà aux abois, sera-t-il entraîné dans une guerre dévastatrice ?Jihane Sfeir, Historienne, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179422023-12-03T16:30:44Z2023-12-03T16:30:44ZUn peuple dispersé : les Palestiniens face à la guerre de Gaza<p>En ce mois de novembre, plusieurs milliers de personnes, y compris des enfants, des personnes âgées et des blessés ont <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gQ-s8P0ua-M">continué à quitter, à pied et par des moyens de fortune</a>, le nord de la bande de Gaza, violemment bombardé par Tsahal en réaction aux attaques commises par le Hamas le 7 octobre, pour se réfugier au sud. Ils rejoignent près de 1,7 million de déplacés à l’intérieur de l’ensemble de l’enclave, principalement <a href="https://www.unrwa.org/resources/reports/unrwa-situation-report-36-situation-gaza-strip-and-west-bank-including-east-Jerusalem">accueillis dans des écoles et autres établissements gérés par l’UNRWA</a>, l’agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens.</p>
<p>Les images de leur exode évoquent la mémoire encore vive de la <em>Nakba</em> de 1948, lorsque <a href="https://www.fayard.fr/livre/le-nettoyage-ethnique-de-la-palestine-9782213633961/">près de 800 000 Palestiniens avaient été contraints de quitter les territoires de l’actuel État d’Israël</a> pour trouver refuge en Jordanie, au Liban, en Syrie, en Cisjordanie et <a href="https://unrwa.photoshelter.com/galleries/C00009xWZSJER24M/G0000UP5ButuCiYs/I0000CiaCe7gyFDs/Historic-Milestones">dans la bande de Gaza</a>. Il ne faut pas oublier, en effet, que près de 75 % des habitants de Gaza, soit environ 1,5 million de personnes, <a href="https://www.unrwa.org/where-we-work/gaza-strip">sont des réfugiés</a> (la notion de réfugié <a href="https://www.un.org/fr/events/unrwa_at_60/pdf/info.pdf">s’étendant aux descendants directs des réfugiés des générations précédentes</a>).</p>
<p>Près de 6 millions de Palestiniens sont aujourd’hui réfugiés dans les pays voisins, où leur présence est régulée par une <a href="https://shs.hal.science/halshs-00719909v1/document">multiplicité de statuts juridiques plus au moins discriminatoires</a>. Plus de 1 million d’autres vivent dans les pays du Golfe et d’autres pays arabes où ils disposent d’un permis de résidence temporaire et peuvent à tout moment être expulsés. Près de 700 000 Palestiniens résident en <a href="https://www.euppublishing.com/doi/abs/10.3366/hlps.2020.0230">Amérique du Sud</a>, 100 000 en <a href="https://journals.openedition.org/remi/986">Europe</a> et quelques milliers en <a href="https://books.openedition.org/cedej/748?lang=fr">Amérique du Nord</a> où ils ont été en grande partie naturalisés.</p>
<p>À ces Palestiniens « de l’extérieur » s’ajoutent les 5,5 millions d’habitants des territoires occupés par Israël en 1967, dont 3,5 millions ont un statut de réfugiés, et près de 2 millions de personnes désignées comme les « Arabes d’Israël », mais qui se qualifient comme les « Palestiniens de 1948 » et qui, tout en ayant la nationalité israélienne, sont de fait des <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/232064">citoyens de deuxième catégorie</a>. Objets de discriminations dans l’attribution des financements aux municipalités où ils sont installés (principalement dans le nord d’Israël), ces Palestiniens de 1948 sont aussi confrontés à des attaques récurrentes et à la <a href="https://www.adalah.org/en/content/view/7589">démolition de leurs habitations comme dans les villages bédouins du Néguev</a>. Ces violences ont augmenté face au projet de l’extrême droite israélienne de faire reconnaître la nature juive de l’État d’Israël, et plus encore <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/guerre-israel-hamas-flambee-de-violence-dans-les-colonies-en-cisjordanie-2026426">depuis le 7 octobre dernier</a>. </p>
<p>Ces populations, aux statuts juridiques variés et dispersées aux quatre coins du monde, constituent aujourd’hui le peuple palestinien. Un puzzle composite dont l’histoire, marquée par une vulnérabilité accrue, nous rappelle que le conflit israélo-palestinien a débuté bien avant le 7 octobre 2023. </p>
<h2>Les Palestiniens dans les pays arabes : entre vulnérabilité permanente et discriminations</h2>
<p>Deux déplacements majeurs des Palestiniens ont eu lieu au XX<sup>e</sup> siècle : le premier s’est produit entre 1947 et 1948, au moment de la <em>Nakba</em> (catastrophe en arabe), avec la formation de l’État d’Israël sur 78 % du territoire de la Palestine historique ; le second en 1967 lors de la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/conflit-israelo-palestinien-anniversaire-de-la-naksa-05-06-2013-1676628_24.php"><em>Naksa</em></a> (rechute en arabe), terme désignant l’occupation par Israël, en 1967, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza (les 22 % restants de la Palestine historique) ainsi que des régions du Golan syrien et du Sinaï égyptien.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>La Jordanie est le pays à avoir accueilli le plus grand nombre de réfugiés en 1948 (près de 400 000). La plupart d’entre eux <a href="https://shs.hal.science/halshs-00411839/document">ont obtenu la nationalité jordanienne</a>. Aujourd’hui, on estime que près de la moitié des 11 millions de Jordaniens sont d’origine palestinienne. <a href="https://www.unrwa.org/where-we-work/jordan">Plus de 2 millions d’entre eux continuent à être enregistrés auprès de l’UNRWA</a> et bénéficient de ses aides et services. Environ 30 000 Palestiniens sont arrivés en Jordanie en provenance de la bande de Gaza en 1967. À l’inverse de leurs compatriotes arrivés près de vingt ans auparavant, ils disposent d’un passeport temporaire renouvelable tous les deux ans, et <a href="https://prc.org.uk/upload/library/files/DecadesOfResilience2018.pdf">n’ont qu’un accès restreint au marché du travail et à la protection sociale</a>.</p>
<p>Les Jordaniens d’origine palestinienne, principalement installés dans la capitale Amman, font l’objet de discriminations informelles en ce qui concerne l’accès aux postes à responsabilité dans la fonction publique ainsi que <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/jordanie-liban-le-dilemme-des-palestiniens-en-exil-6604223">dans l’accès à l’enseignement secondaire</a>.</p>
<p>Par ailleurs, l’obtention de la nationalité jordanienne n’a pas entravé l’expulsion, à l’issue des violents affrontements dits de « Septembre noir » en 1970, entre les factions de l’OLP et les autorités jordaniennes, de plusieurs milliers de militants armés avec leurs familles vers la Syrie et le Liban. Ne pouvant plus faire renouveler leurs documents, ils sont devenus, dans ces pays, des « sans-papiers ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CtHoOw1xhh4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">24h sur la Une du 23 septembre 1970 – La situation en Jordanie, Archive INA.</span></figcaption>
</figure>
<p>Au Liban, l’arrivée des Palestiniens à partir de 1947, à l’issue du <a href="https://www.lepoint.fr/monde/il-y-a-70-ans-un-plan-de-partage-conteste-de-la-palestine-25-11-2017-2174983_24.php">vote du « Plan de Partage » par l’Assemblée générale des Nations unies</a>, risquait de déstabiliser l’équilibre du pays, fondé sur la répartition du pouvoir entre confessions religieuses. Cela explique l’attribution à ces nouveaux arrivants d’un statut juridique particulièrement discriminatoire qui s’est durci à la fin de la guerre civile (1975-1990), leur <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/2418">interdisant l’accès à la plupart des professions</a>. Près de 80 % des 480 000 réfugiés palestiniens résidant aujourd’hui dans le pays vivent sous le seuil de pauvreté national.</p>
<p>En Syrie, où les Palestiniens n’ont jamais dépassé 2 à 3 % de la population totale, ils ont obtenu les mêmes droits que les Syriens en matière d’accès au travail, à l’éducation et la santé. Cependant, comme les Palestiniens du Liban, ils ne se sont pas vu attribuer la nationalité du pays d’accueil, officiellement parce que les gouvernements de Beyrouth et de Damas souhaitaient préserver leur « droit au retour » établi dès 1949 par la <a href="https://www.unrwa.org/content/resolution-194">résolution 194 de l’ONU</a> – ce qui les rend, de fait, apatrides.</p>
<p>En tant que réfugiés, les Palestiniens dans les pays voisins demeurent <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2013-4-page-95.htm">particulièrement vulnérables</a>, notamment face aux conflits qui ébranlent périodiquement ces pays, comme c’est le cas en <a href="https://journals.openedition.org/conflits/18489">Syrie depuis 2011</a>. Parmi les 560 000 Palestiniens de Syrie enregistrés auprès de l’UNRWA en 2012, <a href="https://www.unrwa.org/where-we-work/syria">près de la moitié étaient déplacés à l’intérieur du pays</a>, et environ 130 000 ont cherché à trouver refuge en Jordanie, où ils ont été refoulés à la frontière, au Liban, où leurs permis de séjour ne sont pas renouvelés, ou bien ont pris la route de la migration illégale vers l’Europe. </p>
<p>Cette même vulnérabilité marque aussi le quotidien des Palestiniens qui, à partir des territoires occupés ou des pays voisins, ont migré dans les pays du Golfe, même si certains d’entre eux y ont connu une ascension sociale remarquable et joué un rôle important dans le développement de pays comme le Koweït. Avant 1990, près de 400 000 Palestiniens contribuaient de manière significative au système éducatif et politique, ainsi qu’au secteur privé koweïtien avant d’être <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/1648096">expulsés vers la Jordanie lors de la guerre contre l’Irak</a>, en raison du soutien que l’OLP accorda à Saddam Hussein. Aujourd’hui, les Palestiniens du Golfe, <a href="https://books.openedition.org/diacritiques/5764?lang=fr">principalement employés dans les professions libérales, l’industrie pétrolière et l’enseignement</a>, ne peuvent pas espérer obtenir la nationalité d’un de ces pays, qui est attribuée seulement dans des cas exceptionnels, comme celui de <a href="https://www.bidoun.org/articles/zayed-zaki-nusseibeh">Zaki Nusseibeh</a>, actuel conseiller culturel du président des Émirats arabes unis.</p>
<h2>Les réactions face à la guerre de Gaza : entre solidarité et répression</h2>
<p>À partir des années 1960, les Palestiniens de l’extérieur ont joué un rôle central dans la recomposition du mouvement national palestinien, qui se structure <a href="https://www.cairn.info/revue-autrepart-2003-2-page-91.htm?ref=doi">au sein des camps de réfugiés en Jordanie, au Liban et en Syrie</a>. Ces mêmes camps n’ont pas cessé, au fil des ans, d’être des caisses de résonance des événements qui se produisaient en Palestine, tout en développant, dans les années 2000, des formes de mobilisation qui leur étaient propres, notamment à travers la création de comités pour la défense du « droit au retour » indépendants des formations politiques, dans un contexte de <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/42541">profonde délégitimation de ces dernières</a>. Les principaux acteurs politiques palestiniens disposent de représentations dans les camps du Liban et de Syrie, où ils jouissent d’une marge de manœuvre variable en fonction des orientations géopolitiques de ces pays.</p>
<p>Depuis le début du conflit à Gaza, des manifestations en soutien aux Palestiniens ont eu lieu dans les pays d’accueil des réfugiés. Toutefois, ces manifestations de solidarité avec Gaza en proie aux frappes israéliennes ont été étroitement encadrées par les autorités de ces pays.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/TnYmGynEkds?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>En Jordanie, une des manifestations s’est soldée par un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=LfgN3A7JXTY">assaut contre l’ambassade d’Israël</a>. Des étudiants tentant de mobiliser leurs camarades au sein de leurs établissements sont arrêtés. S’approcher de la zone frontalière avec Israël est interdit.</p>
<p>En Syrie, le régime a interdit toute manifestation, à l’exception de deux rassemblements parrainés par lui-même et qui se sont déroulés dans le centre de Damas et dans le camp palestinien de Yarmouk, partiellement détruit par la guerre. Plusieurs Palestiniens qui cherchaient à organiser une manifestation non autorisée à la périphérie de Damas ont été arrêtés.</p>
<p>Au-delà des mobilisations caritatives à destination de Gaza, toute manifestation de rue est interdite dans les pays du Golfe, notamment dans les Émirats arabes unis, où la population palestinienne vit avec le poids, depuis 2020, de la <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-processus-de-normalisation-diplomatique-d-Israel-avec-les-pays-arabes-a-l.html">normalisation des relations avec Israël</a>. Les Palestiniens de 1948, quant à eux, font face à des campagnes d’emprisonnements qui touchent également plusieurs milliers de travailleurs gazaouis en Israël et de Palestiniens en Cisjordanie (<a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2023/11/israel-opt-horrifying-cases-of-torture-and-degrading-treatment-of-palestinian-detainees-amid-spike-in-arbitrary-arrests/">près de 2 200 personnes ont été emprisonées par Israël depuis le 7 octobre selon Amnesty International)</a>.</p>
<h2>Pas de solution durable sans justice pour l’ensemble du peuple palestinien</h2>
<p>En dépit des restrictions, les Palestiniens de l’extérieur continuent à manifester leur soutien à leur peuple demeurant à l’intérieur des territoires occupés. 75 ans après l’exode de 1948, ils n’ont pas oublié leur histoire collective – et, en ce sens, les discriminations dont ils font l’objet dans les différents pays d’accueil ont sans doute contribué à renforcer leur sentiment d’appartenance nationale.</p>
<p>Pour cette raison, la question des réfugiés continue d’être un dossier incontournable même si elle est rangée dans un placard, <a href="https://journals.openedition.org/remmm/14072">ensemble avec le dossier des colonies et le statut de Jérusalem</a> depuis la signature des accords d’Oslo de 1993 qui avaient reporté la discussion à la fin de la phase intérimaire de cinq ans ; or celle-ci ne déboucha pas sur la formation d’une entité étatique palestinienne, en raison de la poursuite de l’occupation et de l’expansion grimpante de la <a href="https://orientxxi.info/documents/chronologies/chronologie-des-accords-d-oslo-1991-2000,0342">colonisation illégale en Cisjordanie</a>.</p>
<p>L’objectif majoritairement partagé par ces générations d’exilés qui, à de rares exceptions près, et en bonne partie à cause des politiques des autorités des pays d’accueil, continuent de se sentir bien plus palestiniens que jordaniens, libanais ou syriens est de pouvoir un jour se réinstaller là où vivaient leurs ancêtres. Aucune solution juste et durable au conflit israélo-palestinien ne peut donc entre envisagée sans prendre en compte le destin des réfugiés palestiniens aux côtés de celui des Palestiniens des territoires occupés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217942/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valentina Napolitano ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Selon diverses estimations, les Palestiniens seraient au total un peu moins de 15 millions, dont quelque 6 millions de réfugiés installés, parfois depuis des décennies, dans les pays voisins.Valentina Napolitano, Sociologue, chargée de recherche à l'IRD (LPED/AMU), spécialiste des questions migratoires et des conflits au Moyen-Orient, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2185712023-12-01T13:00:52Z2023-12-01T13:00:52ZConflits, guerre, tensions : comment engager un dialogue ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561981/original/file-20231127-23-vsue0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=50%2C8%2C5615%2C3724&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Engager un dialogue critique pour discuter des guerres et des conflits armés est une habilité utile pour éviter la polarisation des idéologies.</span> <span class="attribution"><span class="source"> (Unsplash)</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>S’engager dans un débat, prendre position, ou poser des questions pour saisir les contours d’une guerre ou d’un conflit n’est pas une tâche facile. On le voit bien en ce moment avec la guerre Israël-Hamas, où les perspectives sur la situation sont multiples, les informations souvent discordantes et les tensions de longue date dans la région ancrées dans des idéologies qui ne sont pas toujours bien comprises.</p>
<p>Nous sommes trois professeures en travail social, engagées depuis de nombreuses années à soutenir des personnes en situation de grande vulnérabilité dans une <a href="https://revueintervention.org/wp-content/uploads/2017/05/ri_145_2017.1_ou_jin_lee_et_al.pdf">perspective anti-oppressive</a>. Une telle perspective nous oblige de reconnaître l’existence d’oppressions et d’inégalités de pouvoir. Elle fait appel au besoin de réfléchir sur son propre rôle au sein des systèmes d’oppression afin de s’engager dans une pratique de changement social solidaire. </p>
<p><a href="https://www.cairn.info/les-defis-de-la-formation-des-travailleurs-sociaux--9791034607373-page-143.htm">Notre travail</a> nous amène à transmettre des connaissances et des compétences pour établir des liens relationnels et initier des dialogues critiques sur des thèmes complexes et polarisants. En 2020, nous avons cocréé un Comité de soutien aux crises et catastrophes avec des étudiantes et des étudiants de notre École. Au sein de ce comité, nous avons organisé des <a href="https://www.cairn.info/revue-ecrire-le-social-la-revue-de-l-aifris-2022-1-page-66.htm%20%22%22">groupes d’échange</a>, par Zoom, avec des travailleuses sociales au Canada, au Liban et en Arménie. </p>
<p>Le Liban, en crise économique et sociale depuis plusieurs années, a été bouleversé par une <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/08/lebanon-unacceptable-lack-of-justice-truth-and-reparation-three-years-after-beirut-blast/">explosion dévastatrice</a> au port de Beyrouth, le 4 août 2020. Le pays abrite une population importante d’Arméniens. Or, à peine un mois après la tragédie du port, une <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3446">deuxième guerre entre l’Arménie et son voisin, l’Azerbaïdjan éclate</a>. Nous avons ainsi accompagné nos collègues à travers l’impact émotionnel et professionnel que ces crises ont eu sur elles, sans nous détourner des pièges dans lesquels des discours polarisants et des idéologies auraient pu nous diviser. <a href="https://gipsproject.com/">Nos recherches</a> se réalisent aussi auprès de personnes migrantes.</p>
<p>Nos liens avec les collègues au Liban et en Arménie continuent d’évoluer à la lumière des nouvelles crises, tel que le récent <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2023/10/05/le-haut-karabakh-est-depeuple-et-maintenant">conflit armé</a> en Haut-Karabakh et la <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2015916/israel-gaza-roquettes-missiles-treve">guerre à Gaza</a>. Il nous apparaissait important de continuer de s’engager dans un dialogue critique et transformateur avec ces partenaires, ainsi qu’avec nos groupes d’étudiantes et d’étudiants afin d’assurer des espaces pour aborder les tensions sociales, politiques et raciales qui découlent de toute guerre. </p>
<h2>Les valeurs et perspectives du travail social</h2>
<p>Le travail social est une pratique et une discipline qui <a href="https://www.cairn.info/ethique-et-travail-social--9782100553686-page-25.htm%20%22%22">se définit souvent par ses « valeurs phares »</a>, soit des valeurs humanistes comme le respect de la dignité humaine, la compassion, la croyance en les capacités des personnes, ainsi que des valeurs démocratiques comme la justice sociale, les de la personne et la solidarité. </p>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/41670012">Une perspective critique en travail social</a> cherche à comprendre la source des inégalités sociales dans une situation donnée en examinant les processus sociaux qui engendrent la domination de certains groupes sur d’autres. Une telle pratique est souvent qualifiée d’engagée. Nous croyons aussi qu’elle soutient et lutte pour un objectif plus large, qui est celui de l’émancipation et de la transformation de la société en un monde plus juste et égalitaire. </p>
<p>Ce sont donc ces valeurs et cette perspective qui agissent en tant que <a href="http://ethicsinthehelpingprofessions.socialwork.dal.ca/wp-content/uploads/2013/10/Weinberg-2008-Structural-Social-Work-CSW.pdf">boussole morale</a> pour guider nos actions en contexte de crise et de guerre.</p>
<h2>Vers un dialogue transformateur</h2>
<p>Le conflit israélo-palestinien perdure depuis 75 ans, et une polarisation s’est instaurée dans l’opinion publique, notamment ces dernières semaines. Ces discours polarisants entravent la possibilité d’un réel dialogue, et cristallise les postures, avec pour conséquences des <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2023-10-20/guerre-entre-israel-et-le-hamas/36-crimes-et-incidents-haineux-a-montreal-en-deux-semaines.php">actes haineux islamophobes et antisémites</a>.</p>
<p>Comment entamer des discussions sans être piégé par une polarisation insidieuse ? À l’instar de la <a href="https://www.nytimes.com/2021/12/15/books/bell-hooks-dead.html">féministe bell hooks</a>, intellectuelle, universitaire et militante américaine, théoricienne du <em>black feminism</em>, nous proposons des pistes pour apprendre et désapprendre les systèmes d’oppression qui nous entourent, en finir avec la pensée nous/eux, développer une connaissance historique et reconnaître notre complicité dans une situation d’oppression. </p>
<p>bell hooks propose l’idée de création d’un <a href="https://iresmo.jimdofree.com/2021/03/21/pourquoi-des-brave-spaces/">espace brave</a>, soit un espace de parole qui invite toutes les personnes impliquées à reconnaître collectivement les défis du dialogue critique pour entamer un échange qui privilégie les voix marginalisées ou peu reconnues. </p>
<p>Les six piliers d’un espace brave sont identifiés par <a href="https://www.ssw.umaryland.edu/media/ssw/field-education/2---The-6-Pillars-of-Brave-Space.pdf">l’École de travail social de l’Université Maryland</a>. Ils s’appuient sur les écrits de bell hooks pour créer des conditions afin de s’engager dans une communauté de discussion où les membres se sentent en sécurité pour ouvrir le dialogue et vivre de l’inconfort.</p>
<p><strong>1) La vulnérabilité</strong> : être vulnérable, c’est être dans l’incertitude, prendre des risques et s’exposer émotivement. Nous pouvons être vulnérables en posant des questions et en partageant notre propre positionnement afin de contextualiser nos commentaires.</p>
<p><strong>2) Adopter une perspective</strong> : écouter pour comprendre, plutôt que d’écouter afin de répliquer. L’objectif est d’être curieux, et non d’être en accord avec le positionnement de l’autre.</p>
<p><strong>3) La peur de se lancer</strong> :’<a href="https://journals.sagepub.com/eprint/GYY8QMPZAJRVRZQD7EJT/full">sortir de sa zone de confort</a>’. Se lancer dans une nouvelle expérience ou un débat, malgré nos hésitations afin d’apprendre de nouvelles façons de voir, faire, penser.</p>
<p><strong>4) La pensée critique</strong> : <a href="https://www.cairn.info/revue-sciences-et-actions-sociales-2016-3-page-5.htm">on se questionne et on questionne</a> afin d’apprécier la complexité des idées et des discours. On reconnaît que notre pensée est peut-être limitée, et que la critique est une opportunité pour élargir notre champ de vision.</p>
<p><strong>5) L’examen de ses intentions</strong> : nous devons tout de même mettre nos limites et nous poser des questions. Pourquoi vais-je partager cette idée ? Quelle contribution mes propos auront-ils à la conversation ?</p>
<p><strong>6) La pleine conscience</strong> : une manière de porter attention, de manière intentionnelle et sans jugement, à nos réactions, nos émotions et nos actions afin de favoriser une réponse plutôt qu’une réaction. Ce sixième pilier permet ainsi de faire place aux cinq autres piliers.</p>
<h2>La nécessité de dialoguer pour rappeler notre humanité commune</h2>
<p>En tant que chercheures et citoyennes, notre rôle est d’offrir d’autres perspectives sur le monde. Nous souhaitons continuer de dialoguer et d’échanger avec nos collègues, étudiantes et étudiants, ainsi que notre entourage dans un espace critique, respectueux et conscientisé.</p>
<p>On a un devoir, dans une perspective critique et axée sur des valeurs humanistes et démocratiques, de faire l’effort d’avoir des conversations difficiles et inconfortables. Un espace brave est une stratégie utile, expérimenté dans nos salles de classe, pour discuter de notre humanité commune lorsque celle-ci est oubliée en temps de guerre, conflit armé ou crise politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218571/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Dans les moments de haute tension, en raison de guerres, conflits ou crises, créer un « espace brave » permet d’instaurer un dialogue respectueux et ouvert sur les réalités de l’autre.Emmanuelle Khoury, Professeure adjointe, Université de MontréalAline Bogossian, Associate Professor, Université de MontréalCaron Roxane, Professeure en travail social, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2163062023-10-30T19:08:14Z2023-10-30T19:08:14ZComment l’Iran mobilise son « Axe de la Résistance » face à Israël<p>L’attaque dévastatrice du Hamas le 7 octobre a changé la donne au Moyen-Orient. Le dossier israélo-palestinien, relégué au second plan depuis au moins une dizaine d’années, est brutalement revenu au cœur de la géopolitique régionale.</p>
<p>Alors que la guerre en cours entre le Hamas et Israël <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/risks-wider-war-iran-and-its-proxies">enhardit les mandataires de l’Iran dans la région</a>, tous les acteurs impliqués (étatiques ou non étatiques) manœuvrent dans un jeu de pouvoir très complexe qui peut conduire à une guerre régionale à part entière ; mais un tel scénario peut être évité par une fin négociée.</p>
<h2>Vers une « unité des fronts »</h2>
<p>Nous sommes entrés en territoire inconnu, car les <a href="https://theconversation.com/quelle-strategie-israelienne-pour-gaza-216050">objectifs politiques et militaires israéliens n’ont pas été définis de façon claire</a>, ce qui rend cette guerre de vengeance différente de toutes les opérations israéliennes précédentes contre le Hamas, que ce soit en termes de durée, d’objectifs ou de nombre de victimes des deux côtés.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>La rhétorique des responsables israéliens, dont certains ont nié l’existence de civils innocents à Gaza, <a href="https://news.yahoo.com/israeli-president-says-no-innocent-154330724.html">comme l’a fait le président de l’État hébreu</a>, a oscillé entre une position maximaliste et minimaliste, allant de l’appel à une occupation totale de Gaza <a href="https://www.lapresse.ca/international/2023-10-15/israel-et-le-hamas-en-guerre/l-occupation-de-gaza-par-israel-serait-une-grave-erreur-selon-biden.php">malgré les avertissements du président américain</a> à la création d’une zone tampon et à la « simple » destruction de l’infrastructure du Hamas.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1716804959881343181"}"></div></p>
<p>Le 7 octobre, au moment où le Hamas déclenchait son opération sans précédent, Mohammed Deif, le commandant militaire de sa branche armée a <a href="https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/le-commandant-du-hamas-a-gaza-exhorte-les-arabes-israeliens-et-les-etats-voisins-a-prendre-les-armes/">appelé</a> tous les Arabes et musulmans et, spécialement, l’Iran et les États et organisations qu’il domine, à se lancer dans une guerre totale contre Israël. Il a cité, dans cet ordre, le Hezbollah libanais, l’Iran, le Yémen, les milices chiites irakiennes et la Syrie. Il a proclamé ce jour comme « celui où votre résistance contre Israël converge avec la nôtre », dans ce que l’on appelle <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1334129/le-hezbollah-consacre-lunite-des-fronts-.html">« l’unité des fronts »</a>, qui est une stratégie de dissuasion initiée par le Hezbollah.</p>
<p>Cette stratégie de dissuasion consiste à coordonner, politiquement et militairement, les réponses de toutes les milices mandataires de l’Iran dans la région et à se rassembler pour se soutenir mutuellement si l’une d’entre elles est attaquée. La multiplicité des fronts dominés par les milices par procuration de l’Iran peut dissuader les adversaires de Téhéran de passer à l’action… ou au contraire accélérer la descente de la région dans un chaos total.</p>
<h2>Tensions majeures à la frontière libanaise</h2>
<p>Après le 7 octobre, la situation sécuritaire s’est rapidement détériorée à la frontière libanaise d’Israël, du fait d’escarmouches de plus en plus intenses entre Tsahal et le Hezbollah.</p>
<p>De plus, deux nouveaux éléments intéressants sont apparus sur le front libanais. Pour la première fois depuis la fin de la guerre civile, nous avons assisté à la réémergence « temporaire » des forces Al-Fajr, la branche militaire de la Jamaa Islamiya. Cette milice libanaise islamiste sunnite, qui a été dissoute en 1990, a annoncé qu’elle participait aux hostilités au-delà des frontières libanaises israéliennes « en défense de la souveraineté libanaise, de la mosquée Al Aqsa et en solidarité avec Gaza et la Palestine ». Le 29 octobre, elle a <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1355189/israel-intensifie-son-offensive-contre-gaza-internet-en-cours-de-retablissement-dans-lenclave-j-23-de-la-guerre-israel-hamas.html">lancé des missiles depuis le Liban vers Kiryat Shmona, dans le nord d’Israël</a>. Cette milice combat de façon quasi-indépendante du Hezbollah (même s’il existe une coordination militaire entre les deux organisations).</p>
<p>En outre, le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1354234/le-hezbollah-entraine-le-liban-dans-la-guerre-armee-israelienne.html">Hamas et le Jihad islamique palestinien au Liban</a> ont publié des communiqués assumant l’entière responsabilité de plusieurs attaques contre Israël. Ils ont lancé ces attaques depuis les territoires libanais, rappelant les années où le sud du Liban était dominé par les activités militaires de l’OLP palestinienne (à partir de 1969), au point d’être surnommé <a href="https://www.naharnet.com/stories/en/300905">« Fatah Land »</a>.</p>
<p>Leur participation aux hostilités est encore limitée, mais elle est importante en termes symbolique. Il est clair que le Hezbollah coordonne les activités de toutes les milices opérant à la frontière libanaise pour envoyer un message clair : la zone est ouverte à toutes les factions islamistes et non islamistes, invitées à se joindre, même symboliquement, à la lutte contre Israël dans le but d’exprimer leur solidarité avec Gaza. En d’autres termes, le Hezbollah déclare que ce combat n’est pas sectaire, mais qu’il unit les musulmans et concerne tous les Arabes et les musulmans.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/x_FEZurMtFM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Ce message d’unité musulmane contre Israël intervient après des années de sectarisation du Moyen-Orient. Le Hezbollah n’a mené que des attaques limitées contre Israël depuis la fin de la guerre israélo-libanaise de 2006, et est <a href="https://www.frstrategie.org/programmes/observatoire-du-monde-arabo-musulman-et-du-sahel/consequences-lintervention-militaire-hezbollah-syrie-sur-population-libanaise-chiite-rapports-avec-israel-2017">intervenu militairement en Syrie pour appuyer le régime de Damas</a>, combattant alors dans le camp opposé au Hamas, lequel s’était porté au soutien du camp anti-Assad.</p>
<p>Cette prise de position avait valu au Hezbollah de devenir très impopulaire aux yeux des populations sunnites de la région. En se joignant à la lutte contre Israël, le Hezbollah se réaffirme aux yeux de l’ensemble des Arabes de la région non pas en tant qu’acteur sectaire, mais plutôt en tant que groupe révolutionnaire islamique qui vise à mettre fin à l’arrogance israélienne.</p>
<p>Ce recadrage correspond à l’image qu’il se faisait de lui-même. Le Hezbollah se considère en effet comme un modèle pour le Hamas et d’autres forces islamiques qui luttent contre Israël. Malgré leurs divergences sur la guerre en Syrie, ils ont restauré leurs relations en août 2007 et les hauts commandants du Hamas, comme <a href="https://youtu.be/pgjiAF98s_s?si=VakJEkLE1cxkRhwc">Ismaël Haniyeh</a> (le chef du bureau politique du Hamas) et <a href="https://youtu.be/Hje4sfEmv0M?si=5gzcb-0hlOfjJy3z">Yahia Sinwar</a> (chef du bureau politique du Hamas à Gaza), ont publiquement remercié l’Iran pour son aide précieuse en matière de financement, de logistique et d’approvisionnement en armes.</p>
<h2>Le rôle des Houthis du Yémen</h2>
<p>L’attaque du Hamas est survenue à un moment au Moyen-Orient où les États-Unis ont tenté d’étendre les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/israel-qu-est-ce-que-les-accords-d-abraham-10-10-2023-2538807_24.php">accords de paix d’Abraham</a> (qui ont permis ces dernières années, un rapprochement entre Israël et plusieurs États arabes, sous la férule de Washington) à <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">l’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Ces accords, qui visent à établir les bases d’une nouvelle architecture de sécurité au Moyen-Orient afin d’assurer une meilleure sécurité régionale aux alliés des États-Unis, <a href="https://www.iris-france.org/179388-hamas-israel-quelles-consequences-diplomatiques-et-securitaires-au-moyen-orient/">sont désormais menacés</a>, et la normalisation entre Israël et Riyad <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/09/attaque-du-hamas-le-rapprochement-entre-israel-et-l-arabie-saoudite-a-l-epreuve-de-la-guerre_6193318_3210.html">semble à présent une perspective fort improbable</a>.</p>
<p>L’échec annoncé de ce réchauffement est d’autant plus dommageable pour Washington que les Chinois ont, il y a quelques mois, enregistré un succès diplomatique majeur en <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">négociant une détente entre l’Arabie saoudite et l’Iran</a>, après de longues années de soutien de Téhéran aux milices yéménites houthies qui combattaient l’Arabie saoudite au Yémen. Dans le cadre de ce rapprochement entre Riyad et Téhéran, des <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230920-guerre-au-y%C3%A9men-apr%C3%A8s-des-entretiens-positifs-les-rebelles-houthis-ont-quitt%C3%A9-riyad">pourparlers se sont tenus entre les houthis et les Saoudiens</a> pour soutenir le processus de paix au Yémen.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1715667908280406330"}"></div></p>
<p>Les <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2018-2-page-17.htm">Houthis</a> sont une autre partie de l’axe iranien dans la région. Leur ascension en tant qu’acteur politique et militaire yéménite les a enhardis. Ils ont déclaré qu’ils étaient <a href="https://www.aa.com.tr/en/middle-east/yemen-rebels-threaten-to-join-hamas-attack-on-israel-if-us-intervenes-in-conflict/3014839">prêts à se joindre au Hamas dans une guerre totale contre Israël</a> pour défendre Gaza et la mosquée Al-Aqsa. En guise de démonstration de force, ils ont lancé le 19 octobre trois missiles de croisière et des drones qui ont été <a href="https://www.opex360.com/2023/10/20/le-navire-americain-uss-carney-a-intercepte-des-missiles-et-des-drones-lances-depuis-le-yemen/">interceptés par un destroyer américain en mer Rouge</a>. Selon les États-Unis, ces missiles se dirigeaient « potentiellement vers Israël ». L’attaque est en soi symbolique, mais elle envoie un message politique fort qui réaffirme la primauté stratégique des liens des Houthis avec <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2022/10/Asia-Focus-185.pdf">« l’Axe de la résistance »</a> soutenu par l’Iran et signale la volonté de la milice de s’engager militairement dans des guerres ou des tensions régionalisées ou internationalisées.</p>
<p>Cela a été clairement défini dans le <a href="https://youtu.be/3o81HN19Uic?si=f88VMotBX40E8izo">discours de leur chef</a>. Les Houthis disposent d’un formidable <a href="https://www.mei.edu/publications/houthis-red-sea-missile-and-drone-attack-drivers-and-implications">arsenal de missiles à longue portée</a> qui seraient capables de frapper Israël. Tous ont été soit saisis à l’État yéménite en 2014, soit acheminés par l’Iran.</p>
<p>Les attaques de missiles lancées par les Houthis ont coïncidé avec d’autres <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1354940/les-forces-americaines-attaquees-16-fois-en-syrie-et-en-irak-depuis-le-debut-du-mois.html">attaques menées par des milices chiites soutenues par l’Iran</a>, visant des bases américaines et des garnisons accueillant des soldats américains en Irak et en Syrie. L’Iran a stratégiquement externalisé le risque de confrontation directe avec les États-Unis et Israël via son <a href="https://www.defense.gouv.fr/dems/syntheses-documentaires-supprimer/axe-resistance-lexpansionnisme-regional-iranien">Axe de la Résistance</a> : quand de telles attaques ont lieu, sa responsabilité n’est pas directement engagée. Ce positionnement accroît son influence dans les négociations directes et indirectes ainsi que son influence régionale.</p>
<h2>Une guerre totale est-elle possible ?</h2>
<p>Pour conclure, tous les acteurs semblent marcher sur une corde suspendue au-dessus du cratère d’un volcan. Ils attendent tous d’en savoir plus sur les objectifs politiques et militaires de la guerre israélienne à Gaza et de pouvoir évaluer les capacités de résistance du Hamas à l’attaque dont il fait l’objet.</p>
<p>Si l’armée israélienne enregistre des pertes importantes, la position stratégique de l’axe soutenu par l’Iran s’améliorera, sans frais pour Téhéran mais à un coût terrible pour la population de Gaza et à Hamas.</p>
<p>Mais que se passerait-il si Israël menaçait l’existence même du Hamas après une invasion terrestre ? Les intenses escarmouches aux frontières libanaises d’Israël se transformeraient-elles alors en une guerre à part entière ? L’Iran se joindrait-il aux hostilités ? Et si Israël se sentait renforcé par le soutien inconditionnel de l’Occident à son droit à se défendre et considérait cette solidarité comme un blanc-seing pour frapper l’Iran, dont l’ambition nucléaire effraie les responsables de l’État hébreu ? Dans un tel cas de figure, et face à la riposte de Téhéran, les États-Unis utiliseront-ils leurs destroyers dans la région de la Méditerranée orientale pour attaquer l’Iran et défendre Israël ?</p>
<p>À ce stade, impossible d’apporter de réponse tranchée à toutes ces questions. Nous pouvons seulement constater que la région semble se diriger vers une nouvelle phase où la sectarisation des politiques étrangères des acteurs régionaux sera reléguée au second plan, la détente entre l’Iran et l’Arabie saoudite se consolidera, la question palestinienne s’imposera pour longtemps au premier plan, et les milices mandataires iraniennes s’affirmeront de plus en plus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216306/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hussein Abou Saleh ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Iran rechigne à entrer directement en guerre contre Israël, mais mobilise volontiers les Houthis du Yémen et les milices chiites d’Irak, ainsi que le Hezbollah libanais.Hussein Abou Saleh, Docteur associé au Centre d'études et de recherches internationales (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2160222023-10-19T20:37:10Z2023-10-19T20:37:10ZLe Hamas et le Hezbollah pourraient-ils s’allier face à Israël ?<p>Alors qu’Israël se prépare à mener une <a href="https://theconversation.com/gaza-has-been-blockaded-for-16-years-heres-what-a-complete-siege-and-invasion-could-mean-for-vital-supplies-215359">opération militaire massive</a> contre le Hamas à Gaza, le risque de voir ce conflit s’étendre à l’ensemble du Proche-Orient se profile à l’horizon. La menace immédiate la plus grave pour Israël provient du Hezbollah, groupe armé et parti politique basé au Liban, frontalier d’Israël au nord.</p>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/hamas-what-you-need-to-know-about-the-group-that-attacked-israel-215288">Hamas</a> et le <a href="https://theconversation.com/why-hezbollah-matters-so-much-in-a-turbulent-middle-east-88111">Hezbollah</a> sont tous deux soutenus par l’Iran et considèrent l’affaiblissement d’Israël comme leur principale raison d’être. Toutefois, ces deux groupes ne sont pas identiques. Leurs différences auront probablement un impact direct sur leurs actions – et sur celles d’Israël – dans les jours et les semaines à venir.</p>
<p>Contrairement au Hamas, le Hezbollah n’est jusqu’ici jamais entré en guerre uniquement au nom de la seule cause palestinienne. Cela <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/oct/16/it-will-be-worse-than-hamas-order-to-evacuate-strikes-fear-into-north-israel">pourrait changer</a>. Le groupe libanais n’est pas encore totalement entré dans le conflit actuel, mais il a déjà <a href="https://video.lefigaro.fr/figaro/video/des-explosions-retentissent-apres-un-echange-de-tirs-entre-israel-et-le-hezbollah-libanais/">échangé des tirs</a> avec les forces israéliennes. Entre-temps, l’Iran a déclaré qu’une extension de la guerre apparaissait <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-10-16/iran-says-expansion-israel-hamas-war-becoming-inevitable">« inévitable »</a>.</p>
<h2>Qu’est-ce que le Hezbollah ?</h2>
<p>Le <a href="https://www.pbs.org/frontlineworld/stories/lebanon/thestory.html">« parti de Dieu »</a> se présente comme un mouvement de résistance chiite. Son <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/what-hezbollah">idéologie</a> est axée sur l’expulsion des puissances occidentales du Moyen-Orient et sur le <a href="https://www.reuters.com/article/us-lebanon-hezbollah-idUSTRE5AT3VK20091130">rejet</a> du droit d’Israël à l’existence.</p>
<p>Le groupe a été créé en 1982, en pleine guerre civile libanaise (1975-1990), après qu’Israël a envahi le Liban en représailles à des attaques perpétrées par des factions palestiniennes basées dans ce pays. Il a rapidement été soutenu par l’Iran et son Corps des Gardiens de la révolution, qui lui ont fourni des fonds et des armes, ainsi que des formations militaires pour ses membres, dans le but d’étendre l’influence iranienne au sein des États arabes.</p>
<p>La force militaire du Hezbollah a continué à se développer après la fin de la guerre civile libanaise en 1990, malgré le désarmement de la plupart des autres factions. Le groupe s’est focalisé sur la <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20220527-its-worth-remembering-that-it-was-hezbollah-that-liberated-south-lebanon-from-israels-occupation-through-armed-struggle/">« libération »</a> du Liban d’Israël, et s’est engagé dans des années de guérilla contre les forces israéliennes occupant le Sud-Liban, jusqu’au retrait d’Israël en 2000. Le Hezbollah a alors largement concentré ses opérations sur la récupération par le Liban de la zone frontalière contestée des <a href="https://kroc.nd.edu/assets/227136/israel_hezbollah.pdf">fermes de Chebaa</a>.</p>
<p>En 2006, le Hezbollah a livré une guerre de cinq semaines à Israël – une guerre visant à <a href="https://www.aljazeera.com/news/2006/7/12/hezbollah-captures-israeli-soldiers">régler des comptes avec l’État hébreu</a> plus qu’à libérer la Palestine. Ce conflit a causé la mort <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/what-is-hezbollah-lebanese-group-backing-hamas-its-war-with-israel-2023-10-16/">d’au moins 158 Israéliens et plus de 1 200 Libanais</a>, pour la plupart des civils.</p>
<p>À partir de 2011, pendant la guerre civile syrienne, le pouvoir du Hezbollah s’est encore accru, ses forces venant à l’aide du président syrien Bachar Al-Assad, allié à l’Iran, dans sa confrontation avec des rebelles majoritairement sunnites. En 2021, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déclaré que le groupe comptait <a href="https://apnews.com/article/middle-east-lebanon-beirut-civil-wars-hassan-nasrallah-a3c10d99cca2ef1c3d58dae135297025">100 000 combattants</a> (bien que <a href="https://www.timesofisrael.com/for-a-change-hezbollahs-boast-of-100000-fighters-is-not-aimed-at-israel/">d’autres estimations</a> évaluent ses effectifs dans une fourchette allant de 25 000 à 50 000 hommes). Il dispose d’un arsenal militaire sophistiqué ; il est notamment équipé de roquettes de précision et de drones.</p>
<p>Le groupe existe également en tant que parti politique au Liban et y exerce une <a href="https://www.chathamhouse.org/2021/06/how-hezbollah-holds-sway-over-lebanese-state">influence significative</a>, si bien qu’on le qualifie souvent d’<a href="https://link.springer.com/content/pdf/10.1057/9780230623293_6.pdf">« État dans l’État »</a>. Huit de ses membres ont été élus pour la première fois au Parlement libanais en 1992 ; son poids a constamment progressé, et en 2018, une coalition dirigée par le Hezbollah a formé un gouvernement.</p>
<p>Le Hezbollah a conservé ses 13 sièges (sur 128 au total) au Parlement lors des élections de 2022, mais la coalition qu’il dirigeait a perdu sa majorité et le pays n’a actuellement pas de <a href="https://www.politico.eu/article/lebanese-hold-their-breath-as-fears-grow-hezbollah-will-pull-them-into-war/">gouvernement pleinement opérationnel</a>. D’autres partis libanais accusent le Hezbollah de <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/what-is-lebanons-hezbollah-2023-10-08/">paralyser et saper l’État</a>, et de contribuer à l’instabilité persistante du Liban.</p>
<h2>Qu’est-ce que le Hamas ?</h2>
<p>« Hamas », qui se traduit littéralement par « zèle », est un <a href="https://www.jstor.org/stable/4017719">acronyme arabe</a> signifiant « mouvement de résistance islamique ». Le mouvement a été fondé en 1987, à Gaza, en tant qu’émanation des Frères musulmans, un important groupe sunnite historiquement basé en Égypte.</p>
<p>Apparu au cours de ce que l’on appelle la première intifada ou soulèvement des Palestiniens contre l’occupation israélienne, le <a href="https://www.wiley.com/en-ae/Hamas:+The+Islamic+Resistance+Movement-p-9780745642963">Hamas</a> a rapidement adopté le principe de la résistance armée et a appelé à l’anéantissement d’Israël.</p>
<p>La situation politique palestinienne a évolué de manière significative après les <a href="https://justvision.org/glossary/oslo-accords">accords d’Oslo de 1993</a>, négociés entre le gouvernement israélien et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) dans le but d’établir un accord de paix global.</p>
<p>Opposée au processus de paix, la branche armée du Hamas, les Brigades al-Qassam, s’est imposée comme la principale force de résistance armée) contre Israël. Elle a lancé une série d’attentats suicides à la bombe qui se sont poursuivis pendant les premières années de la deuxième Intifada (2000-2005), avant de passer aux <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/how-hamas-secretly-built-mini-army-fight-israel-2023-10-13/">roquettes</a>, dont l’emploi récurrent est devenu sa tactique principale.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kQ0bYjs6HOU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>De même que le Hezbollah, le Hamas est un parti politique. Il a remporté les élections législatives en 2006 et, en 2007, il a pris le contrôle de la bande de Gaza <a href="https://www.aljazeera.com/news/2011/5/4/timeline-hamas-fatah-conflict">à l’issue d’affrontements sanglants</a> avec le parti rival, le Fatah, qui a fait plus de 100 morts. Depuis lors, le Hamas contrôle la bande de Gaza et ne tolère aucune opposition politique. Il n’a jamais organisé d’élections, et ses adversaires politiques et détracteurs sont fréquemment arrêtés, des <a href="https://www.hrw.org/report/2018/10/23/two-authorities-one-way-zero-dissent/arbitrary-arrest-and-torture-under">rapports d’ONG de défense des droits humains</a> faisant état de tortures.</p>
<p>Au cours de cette période, la branche armée du Hamas est devenue de plus en plus sophistiquée. Son arsenal comprend désormais des milliers de roquettes, y compris des <a href="https://theconversation.com/the-unprecedented-attack-against-israel-by-hamas-included-precise-armed-drones-and-thousands-of-rockets-215241">missiles à longue portée et des drones</a>.</p>
<h2>En quoi le Hamas et le Hezbollah se distinguent-ils ?</h2>
<p>Le Hamas reçoit de plus en plus de fonds, d’armes et d’entraînement en provenance de Téhéran ; pour autant, <a href="https://www.ft.com/content/a06e7ea0-a7f8-4058-85b7-30549dd71443">il ne se trouve pas dans la même situation de dépendance vis-à-vis de l’Iran</a> que le Hezbollah qui, pour sa part, est <a href="https://www.brookings.edu/articles/hezbollah-revolutionary-irans-most-successful-export/">presque exclusivement soutenu par ce pays</a> et qui reçoit ses directives de la République islamique.</p>
<p>De plus, en tant qu’organisation sunnite, le Hamas ne partage pas le lien religieux chiite avec l’Iran qui caractérise le Hezbollah et la plupart des autres mandataires de Téhéran. Si le Hamas bénéficie sans aucun doute du patronage de l’Iran, il tend à opérer de manière plus indépendante que le Hezbollah.</p>
<p>En effet, le Hamas <a href="https://www.france24.com/en/middle-east/20231014-qatar-iran-turkey-and-beyond-the-galaxy-of-hamas-supporters">a été soutenu</a> dans le passé par la Turquie et par le Qatar, entre autres, et opère avec une relative autonomie. Le groupe a également longtemps été en désaccord avec l’Iran, les deux parties <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/2023-10-16/ty-article/.premium/hezbollah-isnt-hamas-so-israel-fights-them-differently/0000018b-34e4-d450-a3af-7dfcca110000">défendant des positions opposées en Syrie</a>.</p>
<p>À l’heure actuelle, le conflit est essentiellement une guerre entre Israël et le Hamas. Le Hezbollah reste toutefois une menace pour Israël. S’il est activé par l’Iran, son implication totale changerait rapidement le cours du conflit et ouvrirait probablement la voie au déclenchement d’une guerre régionale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216022/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julie M Norman ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une implication totale du Hezbollah dans le conflit en cours entre Israël et le Hamas ouvrirait probablement la voie à une guerre régionale.Julie M Norman, Associate Professor in Politics & International Relations & Co-Director of the Centre on US Politics, UCLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2000272023-03-02T20:03:04Z2023-03-02T20:03:04ZAu Liban, la périlleuse traversée de la Méditerranée, seule issue pour des milliers de personnes désespérées<p>Le 6 février 2023, à l’occasion de la <a href="https://www.liberation.fr/societe/journee-de-commemoration-pour-les-morts-aux-frontieres-on-veut-migrer-pour-vivre-pas-pour-mourir-20230207_6IBCSHNYMRBYRMQ5TB22G2JFPI/">Journée internationale de la commémoration des morts et des disparus en mer et aux frontières</a>, j’ai assisté à Tripoli, au Liban, à un rassemblement et à une réunion organisés par un certain nombre d’organisations de la société civile locales et internationales.</p>
<p>Celles-ci ont rappelé à cette occasion le <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/au-moins-71-migrants-partis-du-liban-meurent-noyes-au-large-de-la-syrie-20220923_6FTKKQH22JG2RAINI3TIH4ETVY/">destin tragique qu’ont connu de nombreux migrants illégaux</a> ayant voulu rejoindre l’Europe par la mer Méditerranée au cours de ces dernières années.</p>
<p>En effet, chaque année, des centaines de Libanais, mais aussi de Syriens et de Palestiniens réfugiés au Liban, prennent la mer sur des embarcations souvent très fragiles afin d’échapper aux <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Liban-chronologie-dune-crise-bancaire-financiere-nen-finit-pas-2023-02-17-1201255646">très difficiles conditions économiques</a> que subit actuellement le pays. Ils cherchent de l’espoir, un avenir meilleur, une stabilité, mais surtout et avant tout la dignité.</p>
<p>Cet article présente une tentative d’analyse anthropologique de cette immigration particulière. Sans juger les familles qui risquent leur vie et celle de leurs enfants, il s’agit de comprendre leurs motivations dans une dimension cognitive. Les dimensions politiques, économiques et sociales, ainsi que les réseaux des passeurs méritent une autre étude.</p>
<h2>Une litanie de catastrophes</h2>
<p>Un récent rapport de l’UNICEF estime que, au Liban, <a href="https://www.unicef.org/media/112421/file/2022-HAC-Lebanon.pdf">2,3 millions de Libanais vulnérables</a>, de réfugiés palestiniens et de migrants essentiellement syriens, dont 700 000 enfants, sont confrontés à une crise humanitaire et à des privations multiples. Il ressort également de cette enquête que 30 % des jeunes Libanais (âgés de 15 à 24 ans) ont abandonné leurs études pour chercher un emploi, tandis qu’environ 41 % d’entre eux estiment que ce n’est qu’en s’installant à l’étranger qu’ils pourront trouver du travail.</p>
<p>Le nombre de Libanais cherchant à quitter le pays est en constante augmentation depuis le <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2022/01/24/lebanon-s-crisis-great-denial-in-the-deliberate-depression">début de la crise économique en 2019</a>. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/45814/le-naufrage-dun-bateau-de-migrants-au-large-du-liban-fait-deux-morts-200-personnes-secourues">38 bateaux transportant plus de 1 500 passagers</a> ont quitté illégalement le pays par la mer en 2021.</p>
<p>Le 23 avril 2022, un bateau transportant environ 84 personnes <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/09/le-naufrage-d-un-bateau-de-migrants-suscite-la-colere-a-tripoli_6125371_3210.html">a coulé au large de Tripoli, au Liban</a>. L’armée libanaise a recueilli 45 survivants et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/09/le-naufrage-d-un-bateau-de-migrants-suscite-la-colere-a-tripoli_6125371_3210.html">sept corps ont été retrouvés</a>, dont un bébé de 40 jours, tandis que les passagers restants sont toujours portés disparus à ce jour.</p>
<p>Le 21 septembre 2022, un bateau transportant environ 150 personnes a coulé près de l’île d’Arwad, au large de Tartous en Syrie au nord du Liban. Les opérations de recherche et de sauvetage ont confirmé <a href="https://www.lecourrierdelatlas.com/naufrage-au-large-de-la-syrie-au-moins-94-morts-et-plusieurs-disparus/">qu’au moins 70 personnes ont trouvé la mort dans le naufrage</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/081REyCVH4o?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Le 31 décembre 2022, l’armée libanaise, en coopération avec la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), a secouru plus de 200 migrants après qu’un bateau les transportant a coulé au large de la région de Selaata au Liban, dont la plupart seraient des Syriens. Après avoir été secourus, la plupart d’entre eux ont <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/01/lebanon-syrians-who-survived-boat-sinking-allegedly-deported/">été illégalement expulsés et remis aux autorités syriennes</a>.</p>
<h2>Une crise économique dévastatrice</h2>
<p>La crise économique et financière qui a débuté en octobre 2019 a été exacerbée par le double impact de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1285850/le-liban-touche-par-une-nouvelle-vague-de-la-pandemie.html">l’épidémie de Covid-19</a> et de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/liban/explosions-a-beyrouth/explosion-a-beyrouth-les-dessous-du-drame_4067889.html">l’explosion du port de Beyrouth en août 2020</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-port-de-beyrouth-symbole-detruit-dune-ville-en-crise-144093">Le port de Beyrouth, symbole détruit d’une ville en crise</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Selon le <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/394741622469174252/pdf/Lebanon-Economic-Monitor-Lebanon-Sinking-to-the-Top-3.pdf">Lebanon Economic Monitor</a> du printemps 2021, la crise économique et financière du Liban se classe parmi les pires crises économiques mondiales depuis le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle. Le PIB nominal a chuté de près de 52 milliards de dollars en 2019 à un montant estimé à 23,1 milliards de dollars en 2021. La contraction économique prolongée a entraîné une baisse marquée du revenu disponible. Le PIB par habitant a chuté de 36,5 % entre 2019 et 2021, et le Liban, pays à revenu intermédiaire supérieur depuis près de 25 ans, a été <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1304933/le-liban-passe-dans-la-categorie-revenu-moyen-inferieur-dun-classement-de-la-banque-mondiale.html">reclassé par la Banque mondiale</a> dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire inférieur.</p>
<p>Dans ce contexte, les droits sociaux et économiques de la majorité des Libanais ne sont plus garantis, les familles à faible revenu étant les premières victimes. Une étude de Human Rights Watch met en lumière les <a href="https://al24news.com/fr/hrw-met-en-garde-contre-les-niveaux-alarmants-de-pauvrete-et-dinsecurite-alimentaire-au-liban/">niveaux alarmants de pauvreté et d’insécurité alimentaire au Liban</a> en raison de la baisse de l’activité économique, de l’instabilité politique et de l’augmentation du coût de la vie. Selon HRW, la réponse des autorités ne garantit pas le droit de chacun à un niveau de vie suffisant, y compris le droit à l’alimentation, alors que 90 % des foyers libanais vivent avec <a href="https://icibeyrouth.com/liban/165438">moins de 377 dollars par mois</a>. Le système de protection sociale du Liban est très fragmenté, laissant la plupart des travailleurs informels, les personnes âgées et les enfants sans aucune protection, et renforçant les inégalités sociales et économiques.</p>
<h2>L’émigration comme échappatoire</h2>
<p>La notion de crise, en tant qu’expérience dans des domaines recouvrant tous les registres de la vie individuelle ou sociale, réclame une analyse susceptible de dégager les caractéristiques et les dynamiques qui la spécifient. Dans son article <a href="https://cpp.numerev.com/pdf/articles/revue-14/395-crises">« Crise(s) »</a> paru dans <em>Les Cahiers de psychologie politique</em>, la spécialiste de psychologie sociale Jacqueline Barus-Michel décortique les différentes phases de la crise économique de 2008, caractérisées par un brusque retour du refoulé entraînant défaillance de symbolisation et déferlement d’un imaginaire négatif incontrôlable. Elle indique que la crise a des effets de contamination sur les unités sociales ou les systèmes affectés de proche en proche par la dérégulation. Les symptômes psychiques et sociaux de l’anomie se manifestent sur les modes dépressifs et violents.</p>
<p>Les crises sociales, politiques et économiques ne sont crises que parce que chaque fois elles affectent des personnes, des groupes, des populations dans leur vie matérielle, psychique et relationnelle. Dans le cas libanais, l’intervention des événements déclencheurs de l’explosion du port, de la crise de Covid-19 et de la crise économique a signé l’irruption d’une réalité refoulée « contredisant l’imaginaire et le mode de fonctionnement qui en découlait ». Au niveau des sujets, la crise s’est manifestée par une désorientation et une transgression qui a donné lieu à ces vagues d’émigration par la mer. Au niveau de l’unité sociale, elle a suscité le désinvestissement, un sentiment d’insécurité, des conduites au coup par coup, dans l’immédiateté, le défaut de projet, et le développement de l’esprit de fuite.</p>
<p>Les conséquences psychologiques de la crise sont partagées par les Libanais et les réfugiés syriens et palestiniens. Devant cette réalité, l’appartenance nationale s’efface. Leurs intérêts convergent dans la recherche d’une sortie digne pour une vie digne. Ces individus et familles ne trouvent plus leur place au Liban et vont à la recherche d’autres places ailleurs, optant pour une stratégie de risque dans une <a href="https://editions.flammarion.com/la-societe-du-risque/9782081218888">« société du risque »</a> (Beck, 1992) où prime le sentiment d’insécurité. Pour Ulrich Beck, le risque peut être défini comme une façon systématique de traiter les dangers et insécurités induits et introduits par la modernité elle-même.</p>
<p>Cette migration illégale comme sortie logique est choisie par ces populations, au risque de perdre la vie. Elles sont ainsi vues par leurs pairs et les détenteurs de pouvoir comme produisant leurs propres (nouveaux), risques, dangers, contingences et formes d’insécurité. Sur le plan social et politique, elles semblent réclamer une nouvelle forme de relation entre le pays (ou le lieu de résidence) et l’ailleurs. La crise a produit un processus d’individualisation croissant à la suite duquel les individus se sont réunis en <a href="https://www.editionslatableronde.fr/le-temps-des-tribus/9782710390305">nouveaux réseaux</a> revendiquant une plus grande marge de liberté et d’autonomie. Ces voyageurs illégaux aspirent à une émancipation par un passage à l’acte risqué, mais conscient. Leur conviction qu’il existe une vie meilleure ailleurs donne un sens à leur acte.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200027/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Kortam ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi autant de Libanais et de réfugiés palestiniens et syriens au Liban prennent-ils la mer vers l’Europe au péril de leur vie ?Marie Kortam, Chercheure associée à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO – Beyrouth) et membre du Conseil arabe des sciences sociales, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1835602022-05-29T15:32:24Z2022-05-29T15:32:24ZLes principaux enseignements des élections législatives libanaises<p>Le dimanche 15 mai 2022 se sont tenues les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/17/au-liban-percee-significative-de-l-opposition-aux-elections-legislatives_6126477_3210.html">élections législatives au Liban</a>, premier scrutin électoral depuis le début des <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/au-liban-le-mouvement-du-17-octobre-fait-le-bilan-1256751">contestations populaires</a>, le 17 octobre 2019.</p>
<p>Quels sont les principaux enseignements des résultats de ces élections ? Annoncent-elles un changement important dans le pays ? Avant de tenter de répondre à ces interrogations, il est nécessaire de revenir sur quelques caractéristiques pour mieux comprendre les spécificités politiques du Liban.</p>
<h2>Le poids du confessionnalisme et du clanisme</h2>
<p>D’une superficie de 10 452 km<sup>2</sup>, inférieure à celle de la région Île-de-France, le Liban est une république indépendante depuis 1943. Encadré par 376 km de frontières terrestres avec la Syrie sur ses façades nord et est, ainsi que 79 km avec Israël au sud, le territoire libanais a continuellement vu son destin dépendre de ses deux voisins, et d’autres puissances étrangères.</p>
<p>Le système politique du Liban, où coexistent dix-sept communautés religieuses, est <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2013-4-page-25.htm">basé sur le confessionnalisme</a>, conformément aux préceptes du Pacte national. Cet <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Pacte-National-libanais.html">accord non écrit</a> datant de 1943 indique que le président de la République doit être un chrétien maronite, le premier ministre un musulman sunnite et le chef du Parlement un musulman chiite.</p>
<p>Ce pacte est élargi en 1989 avec l’<a href="https://libnanews.com/liban-accords-de-taef-constitution/">accord de Taëf</a>. Marquant la fin de la guerre civile, celui-ci oblige le Parlement à être composé pour moitié de députés chrétiens, et pour l’autre moitié de députés musulmans. Les élections législatives se déroulent alors tous les quatre ans sous forme de quotas alloués proportionnellement à chacune des communautés des deux confessions, selon une <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2018-2-page-151.htm">loi électorale précise</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OayVuw2S2_k?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Liban : l’espoir d’un renouveau ? – Le Dessous des cartes (Arte, 18 mai 2022).</span></figcaption>
</figure>
<p>Trente ans après la fin de la <a href="https://www.linternaute.fr/actualite/guide-histoire/2576344-guerre-du-liban-resume-de-la-guerre-civile-de-1975-a-1990/">guerre civile</a>, les partis politiques traditionnels sont toujours dirigés par des personnes ayant participé à ce conflit, ou faisant partie de leurs familles. Ce partage clanique du pouvoir rend difficile tout changement politique important et accroît considérablement <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/corruption-au-liban-je-n-imaginais-pas-l-ampleur-de-ce-fleau-explique-la">toute sorte de corruption dans le pays</a>. Ainsi, les dernières élections législatives avant celles qui viennent d’avoir lieu ont été organisées en 2018 ; elles auraient dû se tenir en 2013 mais avaient été reportées durant cinq années de suite.</p>
<h2>Les enjeux des élections législatives du 15 mai 2022</h2>
<p>Puisqu’elles sont les premières depuis le début du mouvement contestataire en octobre 2019, ces élections étaient très attendues dans le pays. Face aux attentes suscitées ce mouvement, les principaux enjeux du scrutin se résumaient aux <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1290268/les-cinq-grands-enjeux-des-legislatives-libanaises.html">cinq principales interrogations suivantes</a> :</p>
<ul>
<li><p>Est-ce que le taux de participation sera-t-il plus important que lors des élections législatives précédentes ?</p></li>
<li><p>Quel sera le poids des forces issues du mouvement contestataire initié en octobre 2019 dans le nouveau Parlement ?</p></li>
<li><p>Une alliance politique obtiendra-t-elle la majorité absolue ?</p></li>
<li><p>L’équilibre des forces va-t-il être bouleversé à l’intérieur du camp chrétien ?</p></li>
<li><p>Comment va se structurer le camp sunnite après l’appel au boycott lancé par son principal parti, le Courant du Futur ?</p></li>
<li><p>L’ensemble des députés chiites seront-ils issus du Hezbollah et de ses alliés ?</p></li>
</ul>
<p>À travers la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/07/au-liban-debut-de-campagne-electorale-en-vue-des-legislatives_6121007_3210.html">campagne électorale</a> débutée début avril, les partis traditionnels, qui constituent jusqu’alors l’écrasante majorité des députés, toutes confessions confondues, ont voulu conforter leur légitimité. Face à ces partis traditionnels, les candidats issus de la contestation n’ont pas réussi à avancer unis, multipliant le nombre de listes concurrentes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1525828323401682949"}"></div></p>
<h2>Aucune grande alliance n’a obtenu la majorité absolue</h2>
<p>La simple tenue de ces élections peut être vue en soi comme une réussite, tant leur report était envisagé. Pour autant, même si le déroulement du vote a été globalement salué par les observateurs, les élections ont été entachées de tensions, de fraudes ou encore d’irrégularités comme l’expliquent le <a href="https://fr.euronews.com/2022/05/17/l-union-europeenne-tres-severe-sur-le-deroulement-des-elections-au-liban">rapport préliminaire de la mission de l’UE</a> et la <a href="https://www.francophonie.org/declaration-preliminaire-de-la-mission-electorale-de-la-francophonie-loccasion-des-legislatives-au">déclaration de la mission électorale de la Francophonie</a>.</p>
<p>Au regard des résultats officiels, plusieurs constats importants peuvent être faits. En premier lieu, avec un taux de 49 %, la participation est égale à celle des dernières élections de 2018. Cela constitue un taux à la fois satisfaisant en considération de l’appel au boycott du Courant du Futur, et décevant compte tenu de l’importance de ces élections.</p>
<p>Autre chiffre très attendu, le <a href="https://www.rfi.fr/en/international/20220517-elections-in-lebanon-independents-win-at-least-13-seats-results">nombre de députés issus de la contestation s’élève à 13</a> sur 128 députés au total, un résultat honorable au vu des divisions internes au mouvement. Ce groupe de députés, faisant parti du <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220517-l%C3%A9gislatives-au-liban-le-d%C3%A9gagisme-a-jou%C3%A9-en-partie-mais-pas-assez-pour-bouleverser-le-syst%C3%A8me">mouvement du 17 octobre</a>, aura incontestablement à exercer un rôle de premier ordre dans cette nouvelle législature.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1526490270929502208"}"></div></p>
<p>En effet, <a href="https://www.lavie.fr/actualite/geopolitique/au-liban-les-elections-legislatives-redistribuent-les-cartes-82462.php">aucune alliance politique n’a pu obtenir une majorité absolue</a>. Alors que la coalition dirigée par le parti chiite Hezbollah et le Courant Patriotique Libre (CPL) chrétien avait jusqu’alors la majorité avec 71 sièges, elle n’en récolte plus que 58 – quand 65 sont requis pour obtenir la majorité. Il ne fait donc pas de doute que cette alliance constitue le grand perdant de ces élections.</p>
<p>Pour autant, l’autre grande alliance, dirigée par le parti chrétien des Forces libanaises et le parti progressiste socialiste druze, n’a pas non plus réussi à obtenir la majorité, obtenant seulement 41 sièges.</p>
<p>Les 29 sièges restants se partagent donc entre les députés indépendants, qui sont au nombre de 16, et les 13 députés issus de la contestation. Ce seront donc ces députés qui pourront faire basculer la majorité en faveur d’une alliance ou d’une autre.</p>
<p>La régression de l’alliance qui était au pouvoir s’explique notamment par l’échec du Courant Patriotique Libre (CPL), dont le nombre d’élus passe de 24 à 17. Il a été devancé, auprès de l’électorat chrétien, par le parti des Forces libanaises, dont le nombre de sièges est passé de 15 à 19. Ce dernier ressort comme le <a href="https://libnanews.com/nous-sommes-le-plus-grand-bloc-du-parlement-et-nous-assumerons-notre-responsabilite-en-consequence-estime-samir-geagea-qui-annonce-la-candidature-de-hasbani-comme-vice-president-du-parlement/">grand gagnant de ces élections</a>, devenant le parti chrétien disposant du plus grand nombre de sièges au Parlement.</p>
<p>Concernant la confession musulmane, les forces sunnites se retrouvent plus que jamais divisées, sans leadership. Le boycott décidé par le Courant du Futur et de son chef Saad Hariri n’a finalement pas permis de faire émerger un nouveau dirigeant politique qui aurait comblé ce vide. Cela a pour principale conséquence de marginaliser davantage la représentation sunnite dans les prises de décision. Enfin, même si la quasi-totalité des sièges alloués aux chiites a été remportée par le Hezbollah et le parti Amal, autre parti chiite allié, il est à noter que deux candidats chiites indépendants ont réussi à se faire élire. Même si il s’agit d’une première depuis trente ans, ces deux partis vont pour autant continuer à représenter cette communauté confessionnelle d’une manière incontestable.</p>
<h2>Les perspectives d’avenir pour le Liban</h2>
<p>Pour le Liban, le <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20220518-tense-times-ahead-for-lebanon-after-elections">plus difficile reste à venir</a>. La situation actuelle du pays nécessite la mise en œuvre urgente de réformes en vue de débloquer une importante <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/le-fmi-fait-miroiter-un-plan-daide-de-3-milliards-de-dollars-au-liban-1399347#:%7E:text=Enjeux%20Internationaux-,Le%20FMI%20fait%20miroiter%20un%20plan%20d%E2%80%99aide%20de%203,pour%20le%20pays%20en%20crise.">aide financière de la part du FMI</a> et de la communauté internationale. Il s’agit avant tout de faire sortir progressivement le Liban de ses multiples crises actuelles, d’ordres économique, social et politique, et de lui éviter une aggravation de celles-ci.</p>
<p>Un nouveau gouvernement représentatif des résultats électoraux doit être rapidement constitué. Le maintien de l’actuel premier ministre <a href="https://www.cnews.fr/monde/2021-07-26/qui-est-najib-mikati-le-nouveau-premier-ministre-libanais-1109793">Najib Mikati</a> est l’option la plus privilégiée sachant que la désignation d’un nouveau premier ministre et la constitution d’un gouvernement pourraient prendre plusieurs mois, comme cela a été le <a href="https://information.tv5monde.com/info/liban-le-premier-ministre-najib-mikati-annonce-la-composition-du-nouveau-gouvernement-423875">cas ces dernières années</a>.</p>
<p>Quant à la présidence de la république, le mandat de <a href="https://www.lejdd.fr/International/legislatives-au-liban-michel-aoun-symbole-dune-classe-politique-immuable-4111387">Michel Aoun</a> prenant fin en octobre, il est nécessaire que les députés élisent un nouveau président au plus tard en septembre. Au-delà de cette date, le Liban connaîtra un vide présidentiel.</p>
<p>Il est à noter que le pays a connu deux périodes de vide présidentiel ces dernières années : le premier d’une durée de <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/liban-probablement-pas-de-president-avant-2008_468596.html">six mois entre 2007 et 2008</a>, et le second de <a href="https://araprism.org/2016/04/13/de-quoi-le-vide-presidentiel-libanais-est-il-le-nom/">29 mois entre 2014 et 2016</a>. La probabilité d’une nouvelle période de vide présidentiel est malheureusement actuellement élevée.</p>
<p>Même si les élections législatives du 15 mai ont été porteuses d’un espoir inattendu, le sort du Liban est toujours essentiellement aux mains des partis traditionnels et des grandes puissances régionales et internationales. En effet, l’alliance dirigée par le Hezbollah est actuellement sous une forte influence de l’Iran, de la Syrie et de la Russie, alors que l’alliance dirigée par les Forces libanaises est principalement sous l’influence des puissances occidentales et de l’Arabie saoudite. Dans ce contexte, les résultats des <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2022-05-13/reprise-des-negociations-sur-le-nucleaire-iranien.php">pourparlers entre la communauté internationale et Téhéran sur le nucléaire iranien</a> d’un côté, ainsi que ceux du <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-entente-est-proche-entre-l-iran-et-l-arabie-saoudite-selon-l-irak-20220430">dialogue entre l’Arabie saoudite et l’Iran</a> de l’autre auront indéniablement des retombées, positives ou négatives, sur l’évolution de la scène politique libanaise. Les prochains mois seront cruciaux pour l’avenir du Liban.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183560/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Zakka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aucune grande alliance n’a remporté la majorité absolue, laissant la place aux députés indépendants et au parti chrétien des Forces libanaises.Antoine Zakka, Enseignant-chercheur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l'Institut Catholique de Lille, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1818272022-05-11T12:48:01Z2022-05-11T12:48:01ZÉlections au Liban : est-ce la fin pour les dirigeants kleptocrates qui ont mis le pays en faillite ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/462153/original/file-20220510-12-fw3qjj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2048%2C1290&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur cette photo prise le 9 août 2020, cinq jours après l'explosion meurtrière dans le port de Beyrouth, on peut voir un graffiti où il est écrit: « Mon gouvernement a fait ça ». La corruption et l'incompétence de l'élite dirigeante libanaise a fait sombré le pays dans une crise sans précédent.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP/Hussein Malla)</span></span></figcaption></figure><p>Des élections législatives auront lieu le 15 mai au Liban. Elles surviennent trois ans après le début d’une <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2021/05/01/lebanon-sinking-into-one-of-the-most-severe-global-crises-episodes">crise économique et financière majeure</a> qui frappe toujours le pays, et moins de deux ans après la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Explosions_au_port_de_Beyrouth_de_2020">dévastatrice explosion du port de Beyrouth</a>, qui a tué 215 personnes et blessé plus 6 500 autres, avec des dégâts estimés à près de quatre milliards d’euros par la Banque mondiale.</p>
<p>Selon la Banque mondiale, <a href="https://www.worldbank.org/en/country/lebanon/publication/lebanon-economic-monitor-fall-2020">cette crise intentionnelle, l’une des pires que le monde ait connues depuis les années 1850, est le résultat</a> de décisions prises par l’élite politique du pays. Son caractère délibéré a fait l’objet d’un documentaire de la journaliste libano-australienne Daizy Gedeon, <a href="https://www.fanforcetv.com/pages/enough">« Enough ! Lebanon’s Darkest Hour »</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme en pleurs tient une photo d’un jeune homme" src="https://images.theconversation.com/files/462113/original/file-20220509-17-d347sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462113/original/file-20220509-17-d347sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462113/original/file-20220509-17-d347sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462113/original/file-20220509-17-d347sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462113/original/file-20220509-17-d347sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462113/original/file-20220509-17-d347sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462113/original/file-20220509-17-d347sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une mère dont le fils a été tué lors de l’explosion survenue en août 2020 dans le port maritime de Beyrouth tient un portrait de ce dernier lors d’un rassemblement, le 4 avril 2022, pour marquer les vingt mois écoulés depuis la tragédie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Hussein Malla)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous sommes un groupe de professeurs en science économique, tous d’origine libanaise. En plus de nos postes académiques à l’Université d’Ottawa, à l’University of Sydney, en Australie et à la Lebanese American University, au Liban, nous avons agi à titre de consultants auprès de différent ministères et organismes nationaux et auprès d’organisations internationales.</p>
<p>Nous aimerions partager avec vous notre réflexion basée sur nos résultats de recherche ainsi que sur des résultats produits par d’autres économistes.</p>
<h2>Les origines d’un système népotique</h2>
<p>Depuis l’époque de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_du_Liban">guerre civile de 1975-1990</a>, la vie politique libanaise est contrôlée par des chefs de milice et des politiciens extrêmement corrompus. En 1990, les accords de fin de guerre (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Accord_de_Ta%C3%ABf">Accords de Taëf</a>), ont consacré l’emprise de cette élite politique sur le pays.</p>
<p>Ces chefs de milices et leurs alliés politiques, issus des principaux groupes religieux au Liban, ont établi un système économique et politique de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1296329/ghassan-salame-le-liban-est-arrive-a-un-point-ou-un-regime-radicalement-different-doit-etre-envisage.html">kleptocratie redistributive</a>. La nature de ce système népotique est extrême. Les membres de cette élite politique extraient et se partagent le maximum possible de l’État libanais. Ils en redistribuent une petite partie à leur base politique, souvent sous forme d’emplois dans le secteur public.</p>
<p>Ainsi, ce système a amené le pays dans un mauvais équilibre. Aucun membre individuel de cette base politique n’a un intérêt à arrêter de supporter son chef de clan si les autres individus continuent de supporter le système en place. En déviant seul, un individu risque de perdre sa part du peu qui est redistribué et de sombrer dans la pauvreté.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Manifestants" src="https://images.theconversation.com/files/462105/original/file-20220509-15-shi01k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462105/original/file-20220509-15-shi01k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462105/original/file-20220509-15-shi01k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462105/original/file-20220509-15-shi01k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462105/original/file-20220509-15-shi01k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462105/original/file-20220509-15-shi01k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462105/original/file-20220509-15-shi01k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des manifestants tiennent des pancartes lors d’une manifestation contre un nouveau projet de loi sur le contrôle des capitaux qui limiterait le montant que les déposants peuvent retirer, devant le bâtiment du parlement, dans le centre de Beyrouth, le 26 avril 2022. La pancarte à droite indique : Où est la compensation pour le déposant de la livre libanaise.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Hussein Malla)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un système de Ponzi national</h2>
<p>Vers la fin 2015, l’état libanais étant mis à sac par cette élite politique depuis des décennies, la Banque du Liban (BDL), présentait déjà un déficit de 4,8 milliards USD dans ses réserves nettes.</p>
<p>En avril 2016, ce problème inquiétant a été signalé par le Fonds monétaire international (FMI) dans un <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/before-lebanons-current-financial-crisis-central-bank-faced-47-billion-hole-2021-10-28/">mémo adressé aux autorités libanaises</a>. Cependant, ce mémo n’a jamais été divulgué publiquement à la demande du gouvernement libanais, qui faisait alors face à une forte baisse de confiance de la part de la population.</p>
<p><a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0304407621002311">Dans une de nos études</a>, nous avions analysé les fluctuations du niveau de confiance de la population libanaise envers ses institutions publiques. Les résultats de notre analyse indiquaient en effet une baisse substantielle de la confiance de la population envers toutes les institutions publiques. Les autorités libanaises ont réussi à convaincre le FMI de supprimer cette information de leur rapport officiel de janvier 2017 étant donné leur situation politique précaire et du fait que le parlement devait être réélu en 2018.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Manifestants et soldats" src="https://images.theconversation.com/files/462109/original/file-20220509-17-jumqq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462109/original/file-20220509-17-jumqq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462109/original/file-20220509-17-jumqq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462109/original/file-20220509-17-jumqq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462109/original/file-20220509-17-jumqq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462109/original/file-20220509-17-jumqq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462109/original/file-20220509-17-jumqq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des manifestants et des soldats se bousculent lors d’une manifestation, le 26 avril 2022. La crise financière et économique a plongé de nombreux libanais dans la pauvreté.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Hussein Malla)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans ce contexte politique, les législateurs ont accéléré un système de Ponzi national qu’ils avaient déjà mis en place. Ils ont ainsi voté de <a href="http://www.businessnews.com.lb/cms/Story/StoryDetails/6162/Salary-scale-ratified-by-Parliament">nouvelles échelles de salaires publics avec des augmentations massives des dépenses d’État</a>. Elles ont été financées par ce système qui consistait à attirer des dépôts bancaires en dollars américains dans les banques privées libanaises, qui offraient des taux d’intérêt anormalement élevés. Ces dépôts étaient ensuite utilisés pour financer la dette publique. Cette coordination entre les banques et la classe dirigeante a été rendue possible en raison des <a href="https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/oso/9780198799870.001.0001/oso-9780198799870-chapter-13">fortes connexions entre le secteur bancaire et l’élite politique</a>.</p>
<h2>Acheter les électeurs</h2>
<p>Des <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1077108/grille-des-salaires-le-parlement-vote-les-mesures-de-financement-amendees.html">preuves anecdotiques</a> suggèrent que l’objectif de cette augmentation de l’échelle des salaires était d’acheter l’approbation de l’opinion publique et de préparer le terrain pour leur réélection en 2018. <a href="https://www.ilo.org/beirut/publications/WCMS_732567">Le secteur public emploie 14 % des travailleurs</a>, et cette proportion non négligeable de fonctionnaires constitue une part importante de la base électorale des partis politiques via un système élaboré de favoritisme politique.</p>
<p>Cette base électorale est d’autant plus importante dans le contexte électoral libanais où le <a href="https://www.lcps-lebanon.org/articles/details/2479/understanding-turnout-in-the-lebanese-elections">taux de participation des électeurs est de moins de 50 %</a>. Selon <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0304407621002311">notre étude</a>, ces hausses massives de salaires ont permis à l’élite politique de ralentir la chute du niveau de confiance dans les institutions publiques entre 2016 et 2018.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme tient des fruits dans les mains, en manifestant" src="https://images.theconversation.com/files/462106/original/file-20220509-19-70h3t6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462106/original/file-20220509-19-70h3t6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462106/original/file-20220509-19-70h3t6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462106/original/file-20220509-19-70h3t6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462106/original/file-20220509-19-70h3t6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462106/original/file-20220509-19-70h3t6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462106/original/file-20220509-19-70h3t6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un manifestant tient des œufs et des tomates qui seront jetés sur les voitures de législateurs, lors d’une manifestation contre un nouveau projet de loi sur le contrôle des capitaux, dans le centre de Beyrouth, le 26 avril 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Hussein Malla)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une inflation de 154 % !</h2>
<p>Comment analyser l’impact de toutes ces manœuvres politiques sur le bien-être et la pauvreté de la population ? Malheureusement, le Liban, comme la plupart des pays arabes, <a href="https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/33843">produit très peu d’enquêtes sur les revenus des ménages</a> et lorsqu’il en produit, il en restreint fortement l’accès.</p>
<p>L’objectif de cette opacité statistique est d’empêcher l’évaluation de la performance des dirigeants. Cependant, ceci rend aussi impossible l’élaboration de politiques publiques basées sur des données probantes. <a href="https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/33475">Selon une étude récente de la Banque Mondiale</a>, cette opacité statistique impose une perte de 7 % à 14 % du produit intérieur brut (PIB) per capita dans le monde arabe.</p>
<p>Afin d’atténuer cette opacité statistique, nous avons produit récemment une <a href="https://humcap.uchicago.edu/RePEc/hka/wpaper/Makdissi_Marrouch_Yazbeck_2022_monitoring-poverty-data-Lebanon.pdf">autre étude</a> dans laquelle nous utilisons des sources de données alternatives afin d’étudier les changements dans la distribution du revenu au Liban entre 2016 et 2021.</p>
<p>Nous y constatons une baisse artificielle de la pauvreté au Liban entre 2016 et 2018, compatible avec un financement du type de Ponzi. Cette baisse artificielle s’est produite juste avant les élections, permettant ainsi la réélection de la même classe politique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un garçon est consolé par un homme âgé" src="https://images.theconversation.com/files/462107/original/file-20220509-22-44jsj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462107/original/file-20220509-22-44jsj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462107/original/file-20220509-22-44jsj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462107/original/file-20220509-22-44jsj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462107/original/file-20220509-22-44jsj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462107/original/file-20220509-22-44jsj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462107/original/file-20220509-22-44jsj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un garçon et son père assistent à des funérailles à Tripoli, le 27 avril 2022. Une semaine plus tôt, un bateau transportant une soixantaine d’hommes, de femmes et d’enfants, qui tentaient de rejoindre l’Europe, a coulé en Méditerranée après être entré en collision avec un navire de la marine. La crise pousse de nombreux libanais à fuir leur pays.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Hassan Ammar)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Malheureusement, le niveau de dépenses publiques étant insoutenable, ce système s’est effondré peu après les élections. Cela a entraîné une crise bancaire majeure imposant aux déposants sans connexion politique des difficultés majeures à accéder <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/03/le-braquage-du-si%C3%A8cle-des-banques-au-liban_6075475_3210.html">à leurs comptes bancaires</a>.</p>
<p>En plus d’avoir des difficultés à accéder à leur épargne, les Libanais ont dû faire face à des <a href="https://data.worldbank.org/indicator/FP.CPI.TOTL.ZG?locations=LB">taux d’inflation de 84,9 % en 2020 et de 154,8 % en 2021 alors que l’inflation a été en moyenne de 3.1 % durant les dix années précédentes</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme de dos charge des sacs de farine dans un camion" src="https://images.theconversation.com/files/462321/original/file-20220510-22-yg49aa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462321/original/file-20220510-22-yg49aa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462321/original/file-20220510-22-yg49aa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462321/original/file-20220510-22-yg49aa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462321/original/file-20220510-22-yg49aa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462321/original/file-20220510-22-yg49aa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462321/original/file-20220510-22-yg49aa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un homme charge des sacs de farine dans un camion chez Modern Mills of Lebanon, à Beyrouth, le 12 avril 2022. La Banque mondiale a approuvé un prêt de 150 millions de dollars pour la sécurité alimentaire au Liban, afin de stabiliser les prix du pain pour les six prochains mois. Le prix des denrées alimentaires a augmenté de 1000 %.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Hussein Malla)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le prix des denrées alimentaires a été encore plus affecté, puisque selon le Programme alimentaire mondial des Nations unies, <a href="https://twitter.com/WFPLebanon/status/1498219348762284035?s=20&t=kjP1ULSSPpfUEfJbD148sw">elles ont augmenté de 1000 %</a> (c.-à-d., multiplié par onze). Notre étude indique que la stratégie d’achat de votes coûteuse a ainsi contribué à une <a href="https://humcap.uchicago.edu/RePEc/hka/wpaper/Makdissi_Marrouch_Yazbeck_2022_monitoring-poverty-data-Lebanon.pdf">augmentation de la pauvreté entre 2018 et 2021</a> l’entraînant à des niveaux plus élevés que ceux de 2016.</p>
<p>Face à ce coût énorme imposé, est-ce que les Libanais auront le courage de s’opposer à cette élite politique traditionnelle lors des élections du 15 mai ? Ou resteront-ils prisonniers de ce mauvais équilibre social qui met le pays entier sur le respirateur artificiel ? Espérons que cette élection sera au moins une première étape vers l’organisation des forces de l’opposition, qui pourront faire face à ce régime kleptocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181827/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span><a href="mailto:walid.marrouch@lau.edu.lb">walid.marrouch@lau.edu.lb</a> est membre de Lebanese American University, CIRANO, et ERF. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Ali Fakih, Myra Yazbeck, Paul Makdissi et Rami Tabri ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Des chefs de milices et leurs alliés politiques ont établi un système économique et politique de kleptocratie redistributive. Ils extraient et se partagent le maximum possible de l’État libanais.Paul Makdissi, Professor of Economics, L’Université d’Ottawa/University of OttawaAli Fakih, Associate professor, Lebanese American UniversityMyra Yazbeck, Associate professor, L’Université d’Ottawa/University of OttawaRami Tabri, Senior Lecturer, University of SydneyWalid Marrouch, Associate professor, Lebanese American UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1678112021-09-13T17:53:45Z2021-09-13T17:53:45ZAmiante, métaux lourds… Comment l’attentat du World Trade Center tue encore, plus de 20 ans après<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/420852/original/file-20210913-14-51un48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C22%2C1165%2C814&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pendant des jours, pompiers et forces d'intervention envoyées sur le site du Wordl Trade Center vont être confrontés aux fumées toxiques résultant de l'effondrement des Trous.</span> <span class="attribution"><span class="source">Mike Goad / Library of Congress</span></span></figcaption></figure><p>Les attaques terroristes du 11 Septembre sur le World Trade Center (WTC), à New York, ont causé la mort de <a href="https://www.cnn.com/2013/07/27/us/september-11-anniversary-fast-facts/index.html">2 753 personnes, dans les Twin Towers et leur environnement immédiat</a>.</p>
<p>Après l’attentat, plus de 100 000 intervenants et secouristes venus de tous les États américains – ainsi que <a href="https://www.cdc.gov/wtc/history.html">quelque 400 000 résidents</a> et d’autres travailleurs présents autour de Ground Zero – ont été exposés à un <a href="https://abcnews.go.com/Health/september-11-toxic-world-trade-center-dust-cloud/story?id=14466933">nuage de poussière toxique</a> retombé sous la forme d’une épaisse couche de cendres.</p>
<p>Un nuage fantomatique qui est resté dans l’air pendant plus de trois mois.</p>
<h2>Un mélange de composés toxiques vaporisés</h2>
<p>Le <a href="https://doi.org/10.3109/10408444.2015.1044601">panache de poussière du World Trade Center</a> était constitué d’un dangereux mélange de poussière et de particules de ciment, d’amiante et de plusieurs types de <a href="https://www.epa.gov/international-cooperation/persistent-organic-pollutants-global-issue-global-response">polluants organiques persistants</a>. Ces derniers produits chimiques comprennent des <a href="https://www.epa.gov/dioxin/learn-about-dioxin">dioxines cancérigènes</a> et des <a href="https://www.cdc.gov/biomonitoring/PAHs_FactSheet.html">hydrocarbures polyaromatiques, ou HAP</a>, qui sont des sous-produits de la combustion des carburants.</p>
<p>La poussière contenait également d’autres éléments dangereux. Des métaux lourds connus pour être <a href="https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/lead-poisoning-and-health">toxiques pour le corps humain et le cerveau</a>, comme le plomb (utilisé dans la fabrication de câbles électriques flexibles) ou le mercure (présent dans les interrupteurs ou les lampes fluorescentes), ou du cadmium, un agent cancérigène <a href="https://doi.org/10.1007/s10534-010-9328-y">qui s’attaque aux reins</a> (qui entre dans l’élaboration des batteries électriques ou de pigments pour les peintures).</p>
<p>Des <a href="https://www.anses.fr/fr/content/pcb-carte-d%E2%80%99identit%C3%A9">Polychlorobiphényles</a> (PCB), produits chimiques utilisés dans les transformateurs électriques, étaient également présents. Les PCB sont <a href="https://www.epa.gov/pcbs/learn-about-polychlorinated-biphenyls-pcbs#healtheffects">connus pour être cancérigènes</a>, toxiques pour le système nerveux et capables de perturber l’appareil reproducteur. Dangereux déjà en temps normal, ils sont devenus encore plus nocifs une fois chauffés à haute température par la combustion du carburant des avions – avant d’être transportés par des particules très fines.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Vue aérienne du site des tours du World Trade Center ravagé" src="https://images.theconversation.com/files/420867/original/file-20210913-24-meufqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420867/original/file-20210913-24-meufqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420867/original/file-20210913-24-meufqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420867/original/file-20210913-24-meufqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420867/original/file-20210913-24-meufqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420867/original/file-20210913-24-meufqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420867/original/file-20210913-24-meufqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Amiante, plomb, mercure… Tous les produits et matériaux toxiques présents dans les Tours jumelles ont été vaporisés et se sont retrouvés en suspension en l’air pendant des mois.</span>
<span class="attribution"><span class="source">James Tourtellotte, US Customs and Border Protection</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La <a href="https://doi.org/10.3109/10408444.2015.1044601">poussière soulevée par la chute du WTC</a> était ainsi composée à la fois de « grosses » et très petites particules, fines et ultra-fines. Ces particules particulièrement petites sont connues pour être <a href="https://doi.org/10.1038/s41598-018-35398-0">hautement toxiques</a>, en particulier pour le système nerveux puisqu’elles peuvent traverser directement les <a href="https://doi.org/10.1016/j.neuro.2011.12.001">fosses nasales et atteindre le cerveau</a>.</p>
<p>De nombreux secouristes et autres personnels directement exposés à cette poussière ont développé une <a href="https://doi.org/10.3109/10408444.2015.1044601">toux grave et persistante</a> qui a duré en moyenne un mois. Ils ont été traités à l’hôpital Mont Sinaï et reçu des soins à la Clinique de médecine du travail, un centre réputé pour les maladies liées au travail.</p>
<p>Je suis spécialisé dans la médecine du travail et ai commencé à suive ces survivants en tant directeur du <a href="https://icahn.mssm.edu/about/departments/environmental-public-health/research/wtc-data-center">Centre de données</a> du <a href="https://www.cdc.gov/wtc/">Programme de santé du WTC</a>, au Mont Sinaï depuis 2012. Ce programme recueille des données et assure le suivi et la supervision de la santé publique des travailleurs chargés du sauvetage et de la récupération en lien avec le World Trade Center. Après huit ans à ce poste, j’ai <a href="https://stempel.fiu.edu/faculty/roberto-lucchini/">intégré la Florida International University</a>, à Miami, où je prévois de continuer à travailler avec les intervenants du 11 Septembre qui déménagent en Floride lorsqu’ils atteignent l’âge de la retraite.</p>
<h2>Des symptômes aigus à la maladie chronique</h2>
<p>Car après les problèmes de santé aigus initiaux, c’est une vague de maladies chroniques qui a commencé et <a href="https://doi.org/10.3390/ijerph18126383">continue de les affecter</a> 20 ans plus tard. La toux persistante a fait place à des <a href="https://doi.org/10.1001/dmp.2011.58">maladies respiratoires</a> telles que l’asthme, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et des maladies des voies respiratoires supérieures comme la <a href="https://doi.org/10.1136/oemed-2015-103094">rhinosinusite chronique</a>, la laryngite et la rhinopharyngite.</p>
<p>La litanie des maladies respiratoires a également exposé beaucoup d’entre eux au risque de <a href="https://doi.org/10.1038/ajg.2011.357">reflux gastro-œsophagien</a> (RGO), qui se produit à un <a href="https://doi.org/10.1097/JOM.0b013e3181845f9b">taux plus élevé chez les survivants de l’attentat des Twin Towers</a> que dans la population générale. Cette affection se produit lorsque les acides de l’estomac remontent dans l’œsophage, qui relie l’estomac à la gorge. En raison des troubles des voies respiratoires ou des troubles digestifs, beaucoup de ces survivants souffrent également d’<a href="https://doi.org/10.1097/JOM.0b013e3182305282">apnée du sommeil</a>, ce qui nécessite des traitements supplémentaires.</p>
<p>Pour en rajouter encore à cette tragédie, environ huit ans après les attentats, de <a href="https://doi.org/10.1093/jncics/pkz090">premiers cancers ont également commencé à apparaître</a> chez les survivants. Il s’agit notamment de tumeurs du sang et des tissus lymphoïdes telles que le lymphome, le myélome et la leucémie – tumeurs dont on sait qu’elles <a href="https://doi.org/10.1186/1745-6673-8-14">affectent les travailleurs exposés à des substances cancérigènes</a> sur le lieu de travail. Et les survivants souffrent encore d’autres cancers : du sein, de la tête et du cou, de la prostate, du poumon et de la thyroïde.</p>
<p>Certains ont également développé un mésothéliome, une forme agressive de cancer liée à <a href="http://dx.doi.org/10.1136/thoraxjnl-2013-204161">l’exposition à l’amiante</a>. <a href="https://www.9news.com.au/9stories/september-11-death-toll-from-terror-attack-could-rise-by-millions-due-to-toxic-asbestos-dust/8bc90677-0032-42a2-82f9-4b9baad753d9">L’amiante</a> a été utilisé au début de la construction de la tour nord jusqu’à ce que l’opinion publique et une plus grande prise de conscience de ses dangers pour la santé <a href="https://www.mesothelioma.com/states/new-york/world-trade-center/">mettent un terme à son utilisation</a>.</p>
<h2>L’esprit également touché</h2>
<p>Les survivants du 11 Septembre ont aussi à surmonter un traumatisme psychologique, qui a entraîné beaucoup de problèmes de santé mentale persistants.</p>
<p>Une <a href="https://doi.org/10.1007/s10488-019-00998-z">étude</a> publiée en 2020 a révélé que sur plus de 16 000 intervenants du WTC, pour lesquels des données ont été recueillies, près de la moitié ont signalé un besoin de soins en santé mentale. De plus, 20 % de ceux qui ont été directement touchés ont développé un <a href="https://doi.org/10.1016/j.dadm.2016.08.001">trouble de stress post-traumatique</a>.</p>
<p>Beaucoup m’ont dit qu’avoir découvert des corps déchiquetés, arpenté les scènes de carnage et subi l’ambiance tragique des jours qui ont suivi l'événement les ont marqués à vie. Ils sont incapables d’oublier les terribles images vues et beaucoup souffrent de troubles de l’humeur, de <a href="https://doi.org/10.1186/s12940-019-0449-7">déficiences cognitives et autres problèmes de comportement</a>, y compris des troubles liés à la consommation de substances.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/420871/original/file-20210913-15-1uy78k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420871/original/file-20210913-15-1uy78k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420871/original/file-20210913-15-1uy78k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420871/original/file-20210913-15-1uy78k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420871/original/file-20210913-15-1uy78k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420871/original/file-20210913-15-1uy78k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420871/original/file-20210913-15-1uy78k1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pour les professionnels envoyés sur le site de l’attentat de New York, le spectacle tragique a aussi été psychologiquement traumatisant.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Library of Congress</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les survivants, une génération vieillissante</h2>
<p>Vingt ans plus tard, ces survivants sont confrontés à un nouveau défi alors qu’ils vieillissent et se dirigent vers la retraite – une <a href="https://doi.org/10.3386/w12123">transition de vie difficile</a>, qui peut entraîner un déclin de la santé mentale. Avant la retraite, le rythme quotidien de l’activité professionnelle et un horaire régulier aident souvent à garder l’esprit occupé…</p>
<p>Mais la retraite laisse parfois un vide – un vide qui, pour ce public fragilisé, est trop souvent rempli du souvenir indésirable des bruits, des odeurs, de la peur et du désespoir de cette terrible journée et de celles qui ont suivi. De nombreux survivants m’ont dit qu’ils ne voulaient pas retourner à Manhattan, et certainement pas sur le site du World Trade Center.</p>
<p>Le vieillissement peut également s’accompagner de pertes de mémoire et d’autres problèmes cognitifs. Or, des études montrent que ces processus naturels sont <a href="https://doi.org/10.1186/s12940-019-0449-7">accélérés et plus graves</a> chez les survivants du 11 Septembre, comme chez les anciens combattants des zones de guerre. Cette tendance est préoccupante, d’autant plus qu’un nombre croissant de recherches, dont <a href="https://doi.org/10.21203/rs.3.rs-846359/v1">notre propre étude préliminaire</a>, établit des liens entre <a href="https://doi.org/10.1192/bjp.bp.105.014779">troubles cognitifs chez les victimes du 11 Septembre et démence</a>. Un récent <a href="https://www.washingtonpost.com/magazine/2021/08/30/911-first-responders-dementia/">article du Washington Post</a> expliquait comment ces personnes sont confrontées à des troubles similaires à la démence dans la cinquantaine, soit bien plus tôt que la normale.</p>
<p>La pandémie de Covid-19 a également fait des ravages chez ceux qui avaient déjà souffert du 11 septembre. Les personnes souffrant de <a href="https://doi.org/10.1016/j.eclinm.2020.100515">conditions préexistantes</a> ont connu un risque beaucoup plus élevé pendant la pandémie. Une étude récente a ainsi, logiquement, révélé une <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0254713">incidence plus élevée de Covid-19</a> chez les intervenants du WTC entre janvier et août 2020.</p>
<h2>Hommage aux survivants</h2>
<p>Les risques sanitaires posés par l’exposition directe à la poussière âcre étaient sous-estimés à l’époque, et mal compris. De plus, les équipements de protection individuelle appropriés, tels que les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Masque_de_protection">demi-masques respiratoires P100</a>, n’étaient pas disponibles à l’époque.</p>
<p>Nous en savons aujourd’hui beaucoup plus sur les risques – et nous avons un accès beaucoup plus large aux équipements de protection qui peuvent assurer la sécurité des intervenants et secouristes après une catastrophe. Pourtant, trop souvent, je constate que nous n’avons pas appris et appliqué ces leçons…</p>
<p>Par exemple, immédiatement après <a href="https://www.nytimes.com/live/2021/07/06/us/miami-building-collapse-updates">l’effondrement d’un immeuble en copropriété</a> près de Miami Beach en juin 2021, il a fallu plusieurs jours avant que des demi-masques respiratoires P100 soient disponibles et obligatoires pour les intervenants. D’autres exemples dans le monde sont encore pires : Un an après l’<a href="https://www.npr.org/2021/08/04/1024275186/a-year-after-the-beirut-explosion-victims-families-continue-to-push-for-justice">explosion de Beyrouth</a>, en août 2020, très peu de mesures ont été prises pour étudier et gérer les <a href="https://timep.org/commentary/analysis/the-beirut-explosions-impact-on-mental-health/">conséquences sur la santé physique et mentale</a> parmi les intervenants et la communauté touchée.</p>
<p>Une situation tout aussi désastreuse s’est produite au lendemain d’un <a href="https://www.dailymaverick.co.za/article/2021-07-20-new-health-warnings-issued-in-durban-over-toxic-fumes-stemming-from-chemical-blaze/">incendie chimique du 20 juillet</a> à Durban, en Afrique du Sud.</p>
<p>Appliquer les leçons tirées du 11 Septembre est un moyen essentiel d’honorer les victimes et les hommes et femmes courageux qui ont participé aux efforts désespérés de sauvetage et de récupération en ces jours terribles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167811/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Roberto Lucchini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà du drame immédiat, le 11 Septembre a aussi eu un impact biologique plus insidieux : le nuage de poussière soulevé par la chute du World Trade Center a contaminé 500 000 de personnes.Roberto Lucchini, Professor of Occupational and Environmental Health Sciences, Florida International UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1657942021-08-10T18:01:15Z2021-08-10T18:01:15ZLiban : un an après l’explosion de Beyrouth, un État défaillant aux prises avec la pauvreté et le communautarisme<p>Douze mois après la <a href="https://theconversation.com/beirut-explosion-the-disaster-was-exceptional-but-events-leading-up-to-it-were-not-researchers-144011">terrible explosion du port de Beyrouth</a> qui <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/8/2/one-year-on-beirut-blast-victims-still-struggling-to-return-home">a tué plus de 200 personnes</a>, en a blessé des milliers et a laissé environ 300 000 habitants sans abri, la descente dramatique du Liban dans la crise économique et politique s’aggrave. L’effondrement économique du pays est si grave que la <a href="https://www.worldbank.org/en/news/press-release/2021/05/01/lebanon-sinking-into-one-of-the-most-severe-global-crises-episodes#:%7E:text=The%20World%20Bank%20estim%20that,40%20percent%20in%20dollar%20terms.">Banque mondiale le classe</a> parmi les trois plus graves jamais observés depuis le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/geopolitique-dun-liban-au-bord-du-gouffre-144216">Géopolitique d’un Liban au bord du gouffre</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Les chiffres reflètent l’ampleur de la catastrophe humanitaire. Plus de 900 000 Libanais ne sont pas en mesure de <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2021/07/half-million-children-lebanon-still-struggling-survive-after-beirut-blast">se procurer suffisamment de nourriture</a> et de bénéficier des services de base car les <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/lebanon-economy-coronavirus-domestic-migrant-workers-kafala-a9600506.html">prix ont augmenté de 580 %</a> depuis octobre 2020. La moitié de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté. Le <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2021/07/half-million-children-lebanon-still-struggling-survive-after-beirut-blast">taux de chômage officiel</a> a augmenté de 35 %. Et comme si la situation n’était pas assez grave, les dirigeants politiques de l’État n’ont <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/5/24/little-hope-left-lebanons-paralysis-and-a-collapsing-state">toujours pas réussi à former un gouvernement de coalition</a>.</p>
<p>Les causes immédiates de cette situation dramatique sont la crise bancaire de 2019, aggravée par la pandémie de Covid. La crise de liquidité qui a consumé le secteur bancaire a entraîné une <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/lebanon-currency-drops-new-low-financial-meltdown-deepens-2021-06-13/">dévaluation de la livre libanaise de 90 %</a> et une <a href="https://data.worldbank.org/indicator/NY.GDP.MKTP.KD.ZG?locations=LB">baisse du PIB de 9,2 %</a> en 2020. Cependant, pour bien comprendre la nature de la crise, il est important de prendre en compte le mélange mortel de sectarisme politique et de néolibéralisme qui affecte le Liban.</p>
<p>La notion de sectarisme politique fait référence au <a href="https://foreignpolicy.com/2019/12/13/sectarianism-helped-destroy-lebanon-economy/">système de partage du pouvoir en vigueur au Liban</a>, un système réinventé après la guerre civile de 1975-1990. L’objectif supposé du partage du pouvoir est de garantir des sièges au gouvernement aux représentants des 18 principales communautés de l’État. Le partage du pouvoir est donc censé garantir qu’aucune communauté ne puisse dominer l’État à l’exclusion des autres.</p>
<p>Or ce système a abouti à une situation dans laquelle un groupe de seigneurs de la guerre civile et de magnats ont utilisé leur position de chefs de communauté élus pour s’emparer des institutions économiques de l’État. Ces personnalités puisent dans le Trésor public pour enrichir leurs fortunes personnelles. À l’indice de perception de la corruption (IPC) 2020 le <a href="https://www.transparency.org/en/cpi/2020/index/lbn">Liban</a> se classe parmi les États les plus corrompus du monde.</p>
<p>Ces leaders communautaires utilisent ensuite ces ressources pour acheter un soutien politique. Les services de base – soins de santé, électricité et gaz – sont de plus en plus contrôlés par des <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691168968/everyday-sectarianism-in-urban-lebanon">factions communautaires privées</a>. Ces services sont distribués aux membres de leurs communautés à condition qu’ils accordent leur vote aux chefs. Ce système rend de nombreux citoyens dépendants des factions pour leur survie quotidienne.</p>
<p>C’est ici que le sectarisme politique se superpose au néolibéralisme. Le néolibéralisme est associé au recul de l’État, à la privatisation, à la réduction des impôts et à l’externalisation des travaux et services publics (tels que la collecte des ordures) à des entreprises privées. Le Liban d’après-guerre a été décrit comme un exemple de <a href="http://etheses.lse.ac.uk/3078/">« néolibéralisme réellement existant »</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-hezbollah-defenseur-du-statu-quo-au-liban-144827">Le Hezbollah, défenseur du statu quo au Liban</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>L’une des illustrations les plus tristement célèbres de ce néolibéralisme est la <a href="https://www.theguardian.com/cities/2015/jan/22/beirut-lebanon-glitzy-downtown-redevelopment-gucci-prada">reconstruction du centre-ville de Beyrouth</a> par Solidere, une entreprise privée-publique créée par l’ancien premier ministre Rafic Hariri. Le transfert de l’espace public aux mains du secteur privé a rapporté à Solidere 8 milliards de dollars (5,7 milliards de livres), soit un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/anti.12263">quart du PIB du Liban</a>.</p>
<p>Plutôt que de développer des services publics pour favoriser une citoyenneté inclusive et la légitimité du pouvoir, les élites ont érodé les institutions clés qui sont les piliers de la stabilité.</p>
<h2>La révolution ou la réforme ?</h2>
<p>Où va le Liban ? La Banque mondiale <a href="https://www.worldbank.org/en/country/lebanon/publication/lebanon-economic-monitor-spring-2021-lebanon-sinking-to-the-top-3">a prévenu</a> que la « contraction brutale et rapide de l’économie libanaise est généralement associée à des conflits ou à des guerres ». La guerre civile qui a duré 15 ans au Liban a fait plus de <a href="https://global.oup.com/academic/product/lebanon-9780190217839?cc=gb&lang=en&">150 000 morts et un million de personnes déplacées</a>. Une rechute dans ce type de guerre civile totale est hautement improbable.</p>
<p>En revanche, une nouvelle vague d’agitation sociale est plus vraisemblable. Les mouvements de protestation sont devenus une forme courante d’opposition aux dirigeants communautaires corrompus du Liban. En 2019, alors que la crise bancaire émergeait et que des taxes punitives étaient introduites, les Libanais ordinaires de tout le pays sont descendus dans la rue : cet épisode a été appelé la <a href="https://www.psa.ac.uk/psa/news/what-lebanon%E2%80%99s-%E2%80%98thawra%E2%80%99-revolution-about"><em>thawra</em></a> (« soulèvement »). Les manifestants scandaient : « Tous, ça veut dire tous », ce qui signifie que, à leurs yeux, tous les dirigeants communautaires doivent être évincés.</p>
<p>Il est important de noter que la <a href="https://www.hrw.org/video-photos/interactive/2020/05/07/if-not-now-when-queer-and-trans-people-reclaim-their-power"><em>thawra</em> a donné la parole</a> à toute une série de groupes marginalisés, notamment les femmes, les citoyens LGBTQ+, les antiracistes et ceux qui soutiennent les travailleurs domestiques migrants.</p>
<p>Les élites communautaires ont déployé toutes les astuces à leur disposition pour assurer la survie du régime, officiellement au nom de la stabilité. Les forces de sécurité ont arrêté des militants – même pour leurs publications sur les médias sociaux – et ont lâché leurs sbires pour passer les manifestants à tabac.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/U2kkIiZyAs0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>La récente nomination de <a href="https://www.forbes.com/profile/najib-mikati/">Najib Mikati</a> au poste de premier ministre signifie qu’une fois de plus, un magnat milliardaire va tenir les rênes du pouvoir. En tant que réformateur, il est probable que Mikati se contente d’apporter de petits ajustements au statu quo, plutôt que d’envisager la transformation significative du système communautaire qui s’impose.</p>
<p>L’Occident a traditionnellement essayé de soutenir le système politique défaillant du Liban. Aujourd’hui, l’Occident considère le Liban comme un acteur clé du régime international des réfugiés. Outre les 200 000 Palestiniens déplacés vivant à l’intérieur des frontières du pays, le Liban accueille aujourd’hui environ <a href="https://reporting.unhcr.org/node/2520?y=2021">1,5 million de réfugiés</a> ayant fui la guerre civile en Syrie voisine.</p>
<p>La France, ancienne puissance coloniale de la région, a présenté un ensemble de réformes économiques et structurelles destinées à rétablir un gouvernement de partage du pouvoir. L’initiative française prévoit la mise en place d’un <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/lebanese-president-meets-businessman-mikati-set-be-designated-premier-2021-07-26/">gouvernement dirigé par des technocrates</a> prêt à mener des réformes sous la supervision du Fonds monétaire international.</p>
<p>Mais ces efforts visant à assurer la survie du régime vont à l’encontre de ce que souhaitent de nombreux citoyens libanais. Pour eux, il n’y a aucun intérêt à revenir à un système défaillant, incapable de fournir les services de base, les emplois et les droits de l’homme. Il faudra bien que la situation évolue. Le statu quo ne peut plus durer.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165794/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>John Nagle a reçu des financements de la Leverhulme Foundation.</span></em></p>Le Liban est en difficulté : un million de réfugiés syriens, l’une des pires crises financières depuis plus de 100 ans et un système politique corrompu et divisé.John Nagle, Professor in Sociology, Queen's University BelfastLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1616962021-06-18T16:54:29Z2021-06-18T16:54:29ZBonnes feuilles : « Des sons pour survivre, des sons pour tuer »<p><em>Quels sens donner aux pratiques sonores et musicales dans les situations de violence organisée ? Comment penser la relation dynamique qu’entretient le son, la musique et le silence avec l’expérience sensible des lieux, des personnes et des événements ? Pour tenter de répondre à ces questions, Laetitia Atlani-Duault et Luis Velasco-Pufleau publient <a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.28800">l’ouvrage collectif</a> « Lieux de mémoire sonore. Des sons pour survivre, des sons pour tuer » traitant des <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/autour-de-la-question/20210518-quels-sons-pour-survivre-et-quels-sons-pour-tuer-lieux-de-m%C3%A9moire-sonore">pratiques sonores et musicales</a> en contexte de violence organisée. Extraits de l’introduction (légèrement modifiée).</em></p>
<hr>
<p>Les pratiques sonores peuvent faire partie de ce que nous proposons d’appeler des « <a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.28835">lieux de mémoire sonore</a> ». Loin d’être fixes ou canonisés, ces lieux de mémoire sonore sont en perpétuel mouvement, permettant de garder et d’actualiser les traces et les mémoires d’un passé au cœur de la constitution de la subjectivité.</p>
<p>Indissociables de l’expérience individuelle et collective des lieux, ils constituent des réseaux de relations non prédéterminées, dans lesquels la mémoire des silences, des musiques et des sons se construit et s’actualise.</p>
<p>Par ailleurs, ces lieux de mémoire sonore peuvent être appréhendés sous une double perspective, qui constituent la face noire et la face lumineuse d’un même phénomène. D’une part, le son, la musique et le silence sont utilisés comme des armes en contexte de violence organisée, que cela soit par exemple dans certains lieux de détention ou en situation de guerre ou de conflit politique. D’autre part, ils constituent des ressources symboliques qui contribuent à la (re)construction de subjectivités, notamment dans des situations faisant suite à des expériences d’exil forcé et de violence organisée.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/407120/original/file-20210617-20-100diuz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407120/original/file-20210617-20-100diuz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=556&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407120/original/file-20210617-20-100diuz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=556&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407120/original/file-20210617-20-100diuz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=556&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407120/original/file-20210617-20-100diuz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=699&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407120/original/file-20210617-20-100diuz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=699&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407120/original/file-20210617-20-100diuz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=699&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Collection de CDs des chansons vietnamiennes d’avant 1975, intitulée Tiếng Hát Và Kỷ Niệm (traduction littérale : « Voix et souvenirs chantés »). Image : Kathy Nguyen.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Comment peuvent-ils être saisis dans leurs réalités à la fois matérielles et symboliques ? En voici quatre exemples tirés de l’ouvrage où, pour réfléchir ensemble à ce nouveau concept de lieu de mémoire sonore nous avons rassemblé un <a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.29505">collectif de chercheurs et de musiciens</a> travaillant en Europe (France, Allemagne, Suisse), en Afrique (Soudan), au Moyen-Orient (Syrie), en Amérique du Nord (Canada, États-Unis) et latine (Colombie, Venezuela), en Asie (Vietnam) et dans les îles du Pacifique (Vanuatu).</p>
<h2>Prisonniers du son, la prison de Saydnaya en Syrie</h2>
<p>Sur la base de témoignages d’anciens prisonniers, la prison syrienne de <a href="https://saydnaya.amnesty.org">Saydnaya</a>, située à quelques kilomètres de Damas, constitue pour Maria Ristani un « lieu de mémoire sonore » marqué par <a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.28885">l’utilisation du silence et du son comme armes et comme ressources de survie</a>. À Saydnaya, aucun son n’est permis : aucun bruit, aucune parole, aucun chuchotement, même pas les cris sous la torture. Cette privation sensorielle extrême fait partie du dispositif de contrôle. On n’y entend rien, aucun son jour et nuit, rien d’autre que la voix de ceux qui viennent d’arriver et qui ne connaissent pas encore les règles de silence absolu, apprises rapidement ; rien d’autre que les râles de ceux qui meurent sous les coups.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ysgnadic3Yo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Les détenus sont maintenus aveugles et n’ont que le son comme repère, alors qu’il est réduit à l’extrême. Contraints de vivre dans le noir et le silence, les détenus décrivent une perception auditive qui s’affine et une géographie de la prison et de sa vie collective qui se construit progressivement, sur les variantes du silence imposé, à partir de percées de sons – de portes, de coups, de câbles électriques, de cris. L’écoute du silence et de ses nuances devient un outil de survie. En même temps, les rares bruits qui rompent le silence – la plupart du temps des cris de torture – sont comparés dans ce texte à des « attaques soniques ». Une forme de torture en elle-même, décuplée encore dans le cocon du silence total imposé aux prisonniers. Pour les survivants qui ont pu témoigner, Saydnaya constitue aussi un lieu de mémoire sonore qui les marque jusque dans leur plus profonde intimité.</p>
<h2>A Chatila, un camp de réfugiés comme marqueur identitaire</h2>
<p><a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.28925">Nicolas Puig s’intéresse quant à lui à un lieu de mémoire sonore du quotidien</a>, à l’échelle d’un quartier dans le camp de réfugiés palestiniens de Chatila au Liban, et l’analyse comme un marqueur d’identité et de résistance aux violences politiques par une population placée depuis plus de soixante-dix ans « dans une marge citoyenne du monde ». Il se base sur <a href="https://doi.org/10.5281/zenodo.4012489">trois types de données</a> : les paroles de chansons qui décrivent la vie à Chatila, les pratiques sonores ordinaires dans le camp de réfugiés, et les perceptions de ces lieux par leurs habitants à partir d’un recueil de « parcours sonores ».</p>
<p><audio preload="metadata" controls="controls" data-duration="74" data-image="" data-title="Écouter Chatila. 30 octobre 2012, micro binaural, enregistré par Um Abdallah. " data-size="2951836" data-source="" data-source-url="https://zenodo.org/record/4012489" data-license="CC BY" data-license-url="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">
<source src="https://cdn.theconversation.com/audio/2198/son6-ecouter-chatila-2019.mp3" type="audio/mpeg">
</audio>
<div class="audio-player-caption">
Écouter Chatila. 30 octobre 2012, micro binaural, enregistré par Um Abdallah.
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a><span class="download"><span>2,82 Mo</span> <a target="_blank" href="https://cdn.theconversation.com/audio/2198/son6-ecouter-chatila-2019.mp3">(download)</a></span></span>
</div></p>
<p>Puig décrit l’existence d’une communauté acoustique et analyse de quelle façon la production et la perception sensorielle renvoient à l’existence de politiques du sensible. C’est ainsi que les pratiques d’aménagement de l’environnement acoustique du camp représentent autant de tentatives pour avoir prise sur le monde dans un contexte de limitation des possibles. Les pratiques sonores permettent ainsi aux habitants « d’agir sur et dans leur lieu de vie » et confèrent au camp de réfugiés, devenu avec le temps un quartier cosmopolite de Chatila, une identité spécifique.</p>
<h2>Défier des assignations identitaires</h2>
<p>Les pratiques sonores et musicales peuvent également constituer des leviers pour défier des assignations identitaires surplombantes, fixes et souvent misérabilistes – notamment celles de la victime, du criminel ou du héros – qui peuvent être mobilisées par certains médias, autorités politiques ou ONGs, et agir comme des instruments d’émancipation et de survie.</p>
<p>Le musicien kurde d’Irak <a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.29300">Beshwar Hassan et Émilie DaLage</a> se sont rencontrés dans le camp français de Grande-Synthe alors que Beshwar Hassan était en chemin pour la Grande-Bretagne, la destination choisie de son long parcours de migration.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ttR5jXBPdjA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Ils montrent, en suivant le parcours du musicien, comment la musique peut être un lieu de production d’une mémoire commune non seulement au cercle familial – via les réseaux sociaux avec les frères et sa mère de Beshwar Hassan, éparpillés sur le chemin de l’exil – mais au collectif formé avec les musiciens réfugiés rencontrés tout au long du parcours migratoire et en particulier dans le camp de Grande-Synthe. La matérialité des instruments et des traces musicales produites par des enregistrements sonores et vidéo à chaque étape de l’exil constitue autant de « points d’ancrage » qui configurent un lieu de mémoire sonore, qui se trouve de plus partagé via les réseaux sociaux tout au long de l’exil.</p>
<h2>Des imaginaires politiques</h2>
<p>La musique, en tant que lieu de mémoire sonore, construit et actualise des imaginaires politiques. Sa dimension performative joue un rôle central dans la construction de récits sur la violence organisée.</p>
<p>Elle peut aussi être mobilisée au sein de dispositifs médiatiques afin de transformer la dimension politique des conflits en impératif moral. Les grands concerts dits humanitaires peuvent ainsi constituer des armes de guerre, comme le montre <a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.29045">Fernando Garlin Politis dans son analyse</a> de deux concerts produits en miroir. Organisés des deux côtés de la frontière entre la Colombie et le Venezuela en février 2019, le Venezuela Aid Live et le Hands Off Venezuela illustrent comment la dimension performative de la musique peut permettre la construction d’altérités nécessaires à l’exacerbation des tensions politiques.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/JudYPZYUpIk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Du côté colombien de la frontière, le Venezuela Aid Live a pour objectif affiché de collecter des fonds pour endiguer la crise humanitaire au Venezuela, tout en soutenant le leader d’opposition vénézuélien Juan Guaidó par la mobilisation d’un discours de résistance au régime autoritaire de Nicolas Maduro. Du côté vénézuélien de la frontière, le Hands Off Venezuela mobilise un discours de résistance face à l’ingérence internationale et notamment étasunienne. La « bataille des deux concerts » constitue une mise en scène du conflit soutenu par la rhétorique propre à chaque camp politique.</p>
<h2>Résister à l’oubli</h2>
<p>Les lieux de mémoire sonore peuvent également constituer des formes de résistance à l’oubli et des ressources symboliques essentielles suite à des ruptures existentielles provoquées par l’expérience de la violence organisée. La matérialité de la musique participe à la reconfiguration des mémoires individuelles et de la nostalgie qui les accompagnent, tout en faisant résonner les silences et les absences du passé. <a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.29185">Kathy Nguyen revisite</a> ainsi un corpus de musiques et de chants de guerre et de soldats vietnamiens d’avant 1975, soit d’un pays ayant connu un conflit sanglant puis la victoire radicale d’un camp sur l’autre.</p>
<p><audio preload="metadata" controls="controls" data-duration="320" data-image="" data-title="Tâm Sự Người Thương Binh, Tú Nhi/Chế Linh" data-size="7685152" data-source="" data-source-url="https://archive.org/details/ex.-2-tam-su-nguoi-thuong-binh-pre-75" data-license="CC BY" data-license-url="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">
<source src="https://cdn.theconversation.com/audio/2197/ex-2-ta-m-su-ngu-o-i-thu-o-ng-binh-pre-75.mp3" type="audio/mpeg">
</audio>
<div class="audio-player-caption">
Tâm Sự Người Thương Binh, Tú Nhi/Chế Linh.
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a><span class="download"><span>7,33 Mo</span> <a target="_blank" href="https://cdn.theconversation.com/audio/2197/ex-2-ta-m-su-ngu-o-i-thu-o-ng-binh-pre-75.mp3">(download)</a></span></span>
</div></p>
<p>À partir de ce corpus, complété par des enquêtes auprès de vétérans vietnamiens réfugiés aux États-Unis, elle montre comment ces musiques et ces chants, d’abord armes de guerre, ont pu devenir dans un second temps un lieu de mémoire sonore de la guerre et de l’exil qui s’en est suivi pour le camp des vaincus, puis dans un troisième temps une arche de survie pour ces derniers. Elle donne en effet la possibilité de rendre audible des expériences trop souvent ignorées par les historiens et les historiens de la guerre du Viet Nam et montre que cette musique de guerre d’avant 1975 est aujourd’hui mobilisée, chez les vaincus, comme un instrument de survie.</p>
<p>Ressources immatérielles constitutives des êtres humains, les pratiques sonores et musicales en contexte de violence organisée peuvent être mobilisées tout autant comme des outils de survie que comme des dispositifs de surveillance, de torture et destruction. Investir les lieux de mémoire sonore permet de déplacer notre attention vers les expériences sensibles des individus et la dimension sonore des traces matérielles du passé, de ce qui est audible et inaudible, des sons et des silences.</p>
<hr>
<p><em>Les auteurs viennent de publier <a href="https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.28800">l’ouvrage collectif</a>, « Lieux de mémoire sonore. Des sons pour survivre, des sons pour tuer », Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2021</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161696/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les lieux de mémoire sonore sont en perpétuel mouvement, permettent de garder et d’actualiser les traces et les mémoires d’un passé. Bonnes feuilles.Laetitia Atlani Duault, Anthropologue, Institut de recherche pour le développement (IRD)Luis Velasco-Pufleau, Musicologue, University of BernLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1615472021-06-06T16:32:11Z2021-06-06T16:32:11ZQuelle conscience politique d’eux-mêmes ont les jeunes Palestiniens en exil ?<p><em>Cet article est publié dans le cadre du cycle <a href="https://www.ipev-fmsh.org/fr/transition-from-violence-lessons-from-the-mena-region/">IPEV Live, transition from violence : lessons from the MENA</a>, une série de 8 discussions en ligne, tous les mardis du 18 mai au 29 juin 2021.</em></p>
<hr>
<p>La ville de Jérusalem revêt une signification particulière <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/briefing_note/join/2012/491443/EXPO-AFET_SP%282012%29491443_EN.pdf">pour les juifs, les musulmans et les chrétiens</a>. Elle représente l’un des dossiers les plus sensibles et les plus complexes du conflit entre Israéliens et Palestiniens. Pour les seconds, Jérusalem-Est – <em>al-Quds</em> – doit être la capitale de leur futur État. Pour les premiers, la totalité de Jérusalem – <em>Yerushaláyim</em> – est la capitale unique et indivisible de l’État juif.</p>
<p>La position de la communauté internationale sur Jérusalem est fondée sur une série de résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) et de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) : 181, 242, 252, 476 et 478. La <a href="https://mfa.gov.il/MFA/MFAFR/MFA-Archive/Pages/La%20resolution%20242%20du%20Conseil%20de%20securite%20de%20l-ONU.aspx">résolution 242</a> du CSNU, adoptée en 1967, est la plus importante pour le reste du territoire palestinien. Elle exhorte Israël à se retirer des territoires occupés et confirme Jérusalem-Est comme capitale du futur État de Palestine. Or, à Jérusalem-Est et dans ses environs, l’expansion des colonies israéliennes n’a pas cessé depuis 1967.</p>
<p>Le front intérieur politique palestinien est faible et <a href="https://www.lepoint.fr/monde/fatah-et-hamas-palestiniens-une-decennie-de-relations-tendues-12-10-2017-2164050_24.php">divisé</a> voire désintégré, en raison à la fois de divergences politiques internes et de l’action de certaines des grandes puissances. L’<a href="https://www.lepoint.fr/monde/accord-du-siecle-le-cadeau-de-trump-a-netanyahou-27-01-2020-2359830_24.php">« accord du siècle »</a>, que l’administration Trump s’est efforcée de mettre en œuvre, en impliquant certains pays arabes, est la dernière initiative en date ayant déstructuré l’unité arabe sur la question et affaibli la position palestinienne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1222893532530147328"}"></div></p>
<p>La récente vague de <a href="https://www.la-croix.com/Monde/normalisation-relations-entre-Israel-pays-arabes-peut-elle-etre-perenne-2021-01-07-1201133614">normalisation des relations de ces pays arabes avec Israël</a> a dépouillé les Palestiniens de leur poids politique régional, réduit leur marge de manœuvre et leurs opportunités de mobilisation politique.</p>
<p>Pourtant, malgré la division interne entre la Cisjordanie et la bande de Gaza, et malgré la dépendance de l’Autorité palestinienne envers l’autorité d’occupation israélienne, les habitants palestiniens de Jérusalem, vite rejoints par une grande partie de ceux de Gaza et de Cisjordanie, ainsi que par la diaspora, viennent de se soulever avec une énergie inattendue, nourris par une frustration qui s’est accumulée pendant de nombreuses décennies, depuis la <a href="https://www.euppublishing.com/doi/abs/10.3366/E147494750800019X">Nakba</a> et l’exil. L’un des enseignements les plus importants des récents événements est que la cause palestinienne est bien vivante dans l’esprit de ces populations, y compris parmi les plus jeunes et les réfugiés palestiniens exilés au Liban, souvent depuis plusieurs générations.</p>
<h2>Les réfugiés se mobilisent</h2>
<p>Cette <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-jeunes_palestiniens_jeunes_francais_quels_points_communs_face_a_la_violence_et_l_oppression_marie_kortam-9782296998353-39839.html">jeunesse palestinienne</a> au Liban est victime de <a href="https://www.cetri.be/Palestinian-Youth-in-Lebanon">violences, de discriminations, d’abus de pouvoir et d’injustice sociale</a> de la part de l’État libanais, et négligée par les factions palestiniennes.</p>
<p>Cette jeunesse forme une grande partie de la population palestinienne au Liban, estimée <a href="https://www.unrwa.org/resources/reports/survey-economic-status-palestine-refugees-lebanon">entre 260 000 et 280 000 personnes</a> dont 50 % ont moins de 25 ans et 28 % entre 25 et 34 ans. Elle ne rate aucune occasion de tenter de transformer sa réalité quotidienne. Elle s’est mobilisée de nombreuses fois, encore récemment en 2019, contre la <a href="https://www.arab-reform.net/publication/managing-covid-19-in-the-time-of-revolution/">décision du ministère libanais du Travail</a> de traiter les réfugiés palestiniens comme des étrangers, un acte qu’elle considère comme une forme de discrimination et de racisme. Ces protestations se sont rapidement cristallisées en un mouvement social réclamant des droits civiques pour vivre dignement. Cette jeunesse s’est à nouveau fait entendre en 2020 <a href="https://ifpo.hypotheses.org/10911">dans le contexte de la crise de la Covid-19</a>.</p>
<p>En mai, suite au soulèvement de Jérusalem, des <a href="https://www.alquds.co.uk/%D8%A7%D9%84%D9%82%D8%AF%D8%B3-%D8%A7%D9%84%D8%B9%D8%B1%D8%A8%D9%8A-%D8%AA%D9%88%D8%A7%D9%83%D8%A8-%D8%A7%D9%84%D9%85%D8%AA%D8%B8%D8%A7%D9%87%D8%B1%D9%8A%D9%86-%D9%82%D8%B1%D8%A8-%D8%A7%D9%84/">centaines de réfugiés palestiniens, sexe et âge confondus</a>, issus des troisième et quatrième générations de réfugiés, ont tenté de traverser la frontière libano-palestinienne qui les sépare de leur patrie pour rejoindre la résistance civile populaire et soutenir leurs familles face à l’occupation israélienne. Dans les camps, les réfugiés ont organisé des sit-in, des marches et diverses autres manifestations de soutien aux autres Palestiniens, y compris sur les réseaux sociaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1393444613470498816"}"></div></p>
<p>L’armée libanaise a ensuite fermé toutes les routes menant à la frontière et mis en place des points de contrôle visant à empêcher les cortèges d’atteindre la Palestine, après que les Palestiniens de tous les territoires libanais se sont dirigés vers le sud.</p>
<p>Tenter d’arriver jusqu’à la frontière et de la franchir est un périple risqué et interdit aux Palestiniens. Du côté israélien, la frontière est surveillée à la fois par les forces israéliennes, qui n’hésitent pas à <a href="https://www.reuters.com/article/israel-palestiniens-liban-idFRKBN2CV20V">tirer sur ceux qui s’approchent de trop près</a>, et du côté libanais par la <a href="https://aidfdouaniers.org/presente-au-liban-depuis-1978-la-finul-surveille-la-frontiere-libano-israelienne/">FINUL</a> et l’armée libanaise. Le Hezbollah, qui contrôle dans une large mesure le sud du Liban, et les principales factions palestiniennes ont décidé de ne pas ouvrir le front sud à ce stade, même si <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20210513-trois-roquettes-ont-%C3%A9t%C3%A9-tir%C3%A9es-du-liban-vers-isra%C3%ABl-arm%C3%A9e-isra%C3%A9lienne">quelques roquettes</a> ont été envoyées par des militants palestiniens depuis le territoire libanais.</p>
<h2>La conscientisation des Palestiniens du Liban et d’Israël</h2>
<p>La notion de conscientisation développée au Brésil par <a href="https://www.bibliofreire.org/conscientisation-et-revolution-une-conversation-avec-paulo-freire/">Paolo Freire</a> est un concept utile pour comprendre l’état d’esprit de la jeunesse palestinienne en exil.</p>
<p>Selon Freire, la conscientisation est « un processus dans lequel des hommes, en tant que sujets connaissants, et non en tant que bénéficiaires, approfondissent la conscience qu’ils ont à la fois de la réalité socio-culturelle qui modèle leur vie et de leur capacité à transformer cette réalité ».</p>
<p>Freire distingue quatre niveaux de conscience différents selon les discours et les pratiques qu’ils engendrent : soumise, révoltée, réformiste et révolutionnaire. Chaque niveau de conscience se divise à son tour en quatre « démarches ou indicateurs » – attitudes, explications, actions, projet de société – et se trouve séparé du niveau suivant par un passage relatif à ces démarches.</p>
<p>Un individu ne peut se situer exclusivement à l’un ou l’autre de ces niveaux de conscience. D’autant plus que les « indicateurs » de chaque catégorie, utilisés pour situer les individus dans la grille, se réfèrent à des sphères très variées de la vie d’un individu. Ainsi, les jeunes Palestiniens peuvent se situer à un certain niveau de conscience pour ce qui concerne leurs attitudes et à un niveau différent pour ce qui est de leurs actions. Par ailleurs, ces niveaux varient entre un réfugié palestinien, un Palestinien de Gaza ou de Cisjordanie, un Palestinien d’Israël etc. De plus, chaque niveau implique une dure et longue route vers des voies inconnues, parsemée de confrontations avec des propres contradictions. Ce qui explique parfois le passage à l’acte et d’autres fois la retenue des Palestiniens.</p>
<p>Pour donner une illustration de cette idée, prenons l’exemple de niveaux de conscience différents entre deux groupes de Palestiniens qui partagent la même identité politique.</p>
<p>Les jeunes réfugiés palestiniens montrent différents niveaux de conscience. Durant toutes mes années de <a href="https://www.cetri.be/Palestinian-Youth-in-Lebanon">travail de recherche avec eux</a>, j’ai pu remarquer, à chaque niveau de conscience, un écart entre réflexion et pratique. Dans la réflexion, leur démarche indique une conscience révoltée. Elle se caractérise par un sentiment d’insatisfaction et d’injustice, et l’opposition aux groupes désignés comme dominants, à commencer par les factions palestiniennes nationalistes et islamistes qui ne les défendent pas face au gouvernement et aux partis libanais qui promulguent des lois discriminatoires à leur égard.</p>
<p>Ces jeunes identifient beaucoup de problèmes et remettent en question le système politique libanais et palestinien en soi : le premier les considère comme de simples étrangers et les soumet à de nombreuses restrictions en matière de droit au travail et à la propriété, sans prendre en compte leur spécificité d’apatrides ayant le Liban comme pays d’accueil. Le deuxième prive les jeunes d’une véritable représentation politique efficace et ne les protège pas face à l’État libanais. Bref, ces jeunes Palestiniens formulent une analyse rationnelle et articulée de leur situation politique. Cette réflexion peut atteindre un niveau de conscience réformiste voire révolutionnaire, selon la socialisation politique de chacun.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jE2KyN1ecco?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Pour autant, au niveau de l’action, leur niveau de conscience est souvent, toujours pour reprendre la typologie de Freire, « soumis, du fait de l’absence de foi dans la possibilité d’un changement. Ce fatalisme est le fruit d’une situation historique et sociologique liée à l’exil. S’y ajoutent deux attitudes négatives : une indifférence vécue telle une rupture avec le système et une forme de justification des institutions allant de pair avec leur acceptation.</p>
<p>Quant aux indicateurs d’une conscience révoltée, ils se traduisent par des protestations, des mobilisations, la revendication de droits, des actions ponctuelles de révolte et une rupture avec les systèmes – libanais comme palestinien – qui les humilient. Cette révolte est aussi parfois dirigée contre les politiques américaine, européenne ou israélienne, comme lors du dernier soulèvement.</p>
<h2>Et ceux d’Israël ?</h2>
<p>Les Palestiniens d’Israël, eux, entretiennent plutôt un niveau de conscience réformiste, qui se manifeste par l’adhésion à des partis d’opposition au système politique israélien ou par le refus de participer à ce système. Leurs actions visent à corriger les abus du système tout en consolidant une solidarité fermée sur leur appartenance arabe et palestinienne.</p>
<p>Avec les derniers événements à Jérusalem, ces jeunes de nationalité israélienne sont passés d’une conscience réformiste a un début de conscience révolutionnaire. Cette dernière, même si elle est réprimée, trouvera le temps et le contexte pour se manifester de nouveau. Deux indicateurs le montrent : le sentiment de leur identité culturelle et l’élargissement des mobilisations, des solidarités et de l’unité palestinienne. Ces attitudes des jeunes ne se sont pas reflétées dans le discours, ce qui n’est pas étonnant puisque ce niveau de conscience est l’aboutissement du cheminement de la conscience, qui nécessite beaucoup de temps et d’expériences. Il est acté par la recherche de nouveaux rapports sociaux, l’engagement dans le processus permettant la libération de toutes les formes d’oppression et la volonté de maîtriser le devenir collectif.</p>
<p>Pour éviter un changement radical par le conflit – qui lui aussi peut avoir sa place dans les méthodes de changement, le but recherché en l’occurrence étant la libération des territoires palestiniens occupés et l’application des résolutions internationales dans le respect du droit –, la communauté internationale, le gouvernement israélien et les partis politiques palestiniens doivent offrir des espaces à ces jeunes. Cela permettra de libérer leur parole, de les écouter et de les comprendre. Mais aussi de les orienter vers des actions réformistes, politiques ou sociales susceptibles de les mobiliser et répondre à leur besoin de justice.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161547/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Kortam ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le recours à la notion de « conscientisation » forgée par le Brésilien Paulo Freire permet de mieux comprendre les jeunes Palestiniens, notamment ceux qui vivent dans des camps de réfugiés au Liban.Marie Kortam, Chercheure associée à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO – Beyrouth) et membre du Conseil arabe des sciences sociales, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1616372021-05-27T18:26:04Z2021-05-27T18:26:04Z« In extenso » : Les printemps arabes et le conflit israélo-palestinien<p><em><strong>« In extenso »</strong>, des podcasts en séries pour faire le tour d’un sujet.</em></p>
<hr>
<p>L’actualité, dans la région dite MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) est aujourd’hui dominée par la résurgence du conflit israélo-palestinien. Un conflit qui a longtemps été au centre de toutes les attentions, mais qui, ces dix dernières années, a été quelque peu éclipsé par le phénomène dit des printemps arabes.</p>
<p>Les révoltes qui ont secoué le monde arabe à partir de 2010, et qui ont conduit à des bouleversements considérables – en Algérie, en Tunisie, en Libye, en Égypte, au Liban, au Yémen, en Syrie, en Irak et dans bien d’autres pays encore – ont montré toute la vitalité de sociétés que l’on avait tort de croire fatalistes et soumises aux régimes dictatoriaux en place. Ces révoltes procèdent de dynamiques complexes – sociales, politiques, parfois ethniques ou religieuses ; mais elles ont toutes, en commun, une prise de conscience par les populations de la possibilité de remettre en cause un statu quo devenu insupportable.</p>
<p>Quels ont été les causes, les mécanismes et les résultats des printemps arabes ? Quel a été, et quel est aujourd’hui, leur impact sur la confrontation israélo-palestinienne ? Et comment cette confrontation est-elle perçue aujourd’hui dans un monde arabe en pleine mutation ?</p>
<p>Pour en parler, nous accueillons aujourd’hui trois chercheurs membres du <a href="https://www.fmsh.fr/fr/recherche/31277">Panel International sur la sortie de la violence</a> :</p>
<p>Marie Kortam, chercheure associée à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO – Beyrouth) et membre du Conseil arabe des sciences sociales ; Mohamed-Ali Adraoui, Senior Fellow au Middle East Institute de l’Université nationale de Singapour ; et Jalel Harchaoui, Senior Fellow à la Global Initiative against Transnational Organized Crime.</p>
<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/60af4c48b0782a00120d0684?cover=true" frameborder="0" allow="autoplay" width="100%" height="110"></iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<hr>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/402956/original/file-20210526-19-4fp6b7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/402956/original/file-20210526-19-4fp6b7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/402956/original/file-20210526-19-4fp6b7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/402956/original/file-20210526-19-4fp6b7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/402956/original/file-20210526-19-4fp6b7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/402956/original/file-20210526-19-4fp6b7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=331&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/402956/original/file-20210526-19-4fp6b7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=331&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/402956/original/file-20210526-19-4fp6b7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=331&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">IPEV</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Ce podcast est réalisé dans le cadre de l’évènement en ligne <a href="https://www.fmsh.fr/fr/recherche/31272">#IpevLive – Transition from violence : lessons from the MENA region</a> organisé par le Panel international sur la sortie de la violence. Au travers de huit conversations en ligne, tous les mardis du 18 mai au 29 juin 2021, chercheurs et experts partagent leurs analyses et recommandations visant à permettre la sortie de la violence dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.</em></p>
<p><em>Conception, Grégory Rayko, Quentin Peschard. Production, Romain Pollet</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161637/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Plus de dix ans après le début des printemps arabes, l’attention se porte actuellement de nouveau sur le conflit israélo-palestinien. Comment ces deux phénomènes sont-ils interconnectés ?Grégory Rayko, Chef de rubrique International, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1506812020-11-29T17:52:19Z2020-11-29T17:52:19ZQuelle politique pour l’administration Biden au Moyen-Orient ?<p>L’arrivée de Joe Biden à la tête des États-Unis entraîne une redéfinition de la politique américaine au Moyen-Orient. Des <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/united-states/2020-01-23/why-america-must-lead-again">inflexions de fond</a> sont attendues ; pour autant, le président élu ne semble pas inscrire son engagement dans une rupture totale par rapport aux choix politiques de son prédécesseur.</p>
<p>Selon l’adage « Policy is People », il est essentiel de connaître la composition définitive de l’équipe que va former Biden avant de tirer des conclusions trop tranchées sur le contenu de la politique moyen-orientale de la nouvelle administration. L’expérience Trump a illustré une nouvelle fois que le président ne peut se prévaloir d’un rôle sans partage en matière de politique étrangère : une pluralité de conseillers interviennent dans ce domaine et les opinions ne sont pas unanimes en ce qui concerne sa conduite. Les <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20201123-etats-unis-joe-biden-annonce-les-premiers-noms-de-la-future-%C3%A9quipe-dirigeante">nominations annoncées</a> de Tony Blinken au département d’État, de Jake Sullivan à la direction de la Sécurité nationale, et d’Avril Haines à la tête du renseignement national, tous proches collaborateurs de Biden, portent pour l’instant à croire que la tendance qu’imprimera la nouvelle équipe à la politique américaine dans la région sera en phase avec les déclarations d’intention de Joe Biden et de sa vice-présidente, Kamala Harris, ainsi qu’avec leurs prises de position publiques sur certains dossiers.</p>
<h2>Soutien attendu à Israël</h2>
<p>Sur l’épineux dossier israélo-palestinien, l’équipe Biden ne remettra sans doute pas en cause les acquis de la politique du fait accompli initiée sous l’administration précédente, à commencer par le <a href="https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/2020-04-29/joe-biden-dit-qu-il-maintiendra-l-ambassade-des-etats-unis-a-jerusalem-s-il-est-elu">transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem</a>) et la reconnaissance de l’<a href="https://www.jns.org/senior-campaign-official-says-biden-would-keep-golan-heights-recognition/">annexion par Israël du plateau du Golan</a>. La ligne défendue par Kamala Harris, partisane déclarée d’Israël, en est le garde-fou principal.</p>
<p>« <a href="https://www.timesofisrael.com/5-jewish-things-to-know-about-us-vice-president-candidate-kamala-harris">Plutôt Aipac que JStreet</a> » – autrement dit, plus proche de l’American Israel Public Affairs Committee, groupe de pression défendant les intérêts de la droite dure israélienne, que de l’organisation rassemblant des membres du Congrès et de la communauté juive américaine favorables à la solution à deux États –, elle a publiquement réaffirmé l’engagement de Joe Biden à maintenir un « soutien inconditionnel à Israël » et à garantir sa « <a href="https://www.middleeasteye.net/news/kamala-harris-pledges-unconditional-support-israel">supériorité militaire qualitative</a> ».</p>
<p>L’amitié, le soutien et l’admiration de Harris pour Israël s’enracinent dans son histoire personnelle. La vice-présidente <a href="https://www.timesofisrael.com/radical-left-try-again-on-israel-vp-elect-harris-may-be-to-right-of-biden">l’évoque volontiers</a> : dans sa jeunesse, elle a milité au sein du Jewish National Fund, organisation-sœur américaine du <a href="https://www.kkl-jnf.org/about-kkl-jnf/">KKL</a>, qui est une association israélienne en charge de planter des arbres sur les ruines des villages palestiniens et qui se trouve engagée, selon <em>Haaretz</em>, dans des batailles juridiques pour <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-jnf-working-to-evict-palestinian-family-from-east-jerusalem-1.5630218">faire expulser des familles palestiniennes de Jérusalem-Est</a>. L’engagement personnel de Harris emporte la conviction que, lors du mandat qui s’ouvre, la défense des intérêts sécuritaires d’Israël continuera de représenter la priorité de Washington, bien plus qu’une juste résolution de la question palestinienne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1325746436139520000"}"></div></p>
<p>De surcroît, bien que Joe Biden n’ait pas d’alchimie personnelle avec Benyamin Nétanyahou, qui vient de perdre un <a href="https://theconversation.com/lelection-de-joe-biden-vue-disrael-149706">ami intime en la personne de Donald Trump</a>, il n’en demeure pas moins un allié et « grand ami d’Israël », comme l’a déclaré le premier ministre israélien lui-même dans un <a href="https://www.leparisien.fr/international/presidentielle-americaine-netanyahou-felicite-biden-grand-ami-d-israel-et-remercie-trump-08-11-2020-8407216.php">tweet de félicitations au nouveau président élu</a>. Sa proximité moins grande avec Nétanyahou ne suffit donc pas à considérer qu’il reviendra sur les décisions de son prédécesseur. Néanmoins, et dans la mesure où Biden, conformément à la position traditionnelle du Parti démocrate, se déclare en <a href="https://fr.timesofisrael.com/biden-dit-au-roi-de-jordanie-etre-desireux-de-soutenir-une-solution-a-2-etats">faveur de la « solution des deux États</a> », il pourrait être enclin à rouvrir le consulat américain à Jérusalem-Est, à <a href="https://www.trtworld.com/middle-east/un-agency-for-palestinians-hopes-biden-will-restore-funding-41295">rétablir la participation des États-Unis au budget de l’UNRWA</a> et à réaffirmer son soutien à l’Autorité palestinienne, qui a d’ores et déjà annoncé la <a href="https://in.reuters.com/article/israel-palestiniens-idFRKBN27X2DB">reprise de sa coopération sécuritaire avec Israël</a>.</p>
<p>Pour autant, les <a href="https://www.middleeasteye.net/news/us-election-2020-joe-biden-will-not-condition-aid-israel-campaign-adviser-says">propos</a> du futur secrétaire d’État de Joe Biden, Tony Blinken, accréditent l’hypothèse du maintien inconditionnel de l’aide militaire américaine à Israël. Le président du groupe JStreet reconnait lui-même que le <a href="https://fr.timesofisrael.com/j-street-sapprete-a-proner-une-reintegration-dans-laccord-nucleaire-iranien/">« retour à une approche équilibré sur Israël »</a> ne figure pas au rang des priorités de Biden.</p>
<p>L’intellectuel américano-palestinien Rachid el-Khalidi, professeur à Colombia, estime dans son livre <a href="https://news.wttw.com/2013/04/25/brokers-decei"><em>Brokers of Deceit : How the U.S. Has Undermined Peace in the Middle East</em></a> qu’il s’agit là d’une constante de la politique conduite par Washington. Selon lui, derrière le discours en trompe-l’œil sur la solution des deux États, toutes les administrations américaines successives ont cautionné la politique du fait accompli et exercé des pressions sur la partie palestinienne pour l’amener à négocier dans les conditions les plus désavantageuses.</p>
<h2>Un retour à l’accord de 2015 sur l’Iran ? Pas si simple…</h2>
<p>Sur le volet des relations avec l’Iran, Biden s’inscrit dans la continuité de Barack Obama, dont il partage la conviction que pour contrer la montée en puissance de la Chine, il est nécessaire d’atténuer les tensions avec Téhéran. Or un réchauffement des relations américano-iraniennes implique préalablement de trancher la question du retour des États-Unis dans l’accord sur le nucléaire de 2015 ou de le renégocier pour y inclure des restrictions sur le programme balistique iranien. Rappelons que lorsque les États-Unis ont signé le JCPOA en juillet 2015, l’Iran était affaibli par les sanctions, ostracisé sur la scène internationale et acculé en Syrie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1328535422927065088"}"></div></p>
<p>La convergence entre l’Arabie saoudite et la Turquie sur le terrain syrien a donné naissance à l’Armée de la Conquête qui mène une <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20150425-syrie-prise-jisr-al-choughour-idlib-bastion-regime-assad">série d’offensives victorieuses dans le Nord</a>, et prend Jisr Choughour et Idlib, progressant jusqu’à Sahl el Ghab, aux portes de Lattaquié. En très mauvaise posture, les alliés du régime syrien en appellent à l’implication militaire de la Russie qui intervient finalement en septembre 2015 pour inverser la vapeur.</p>
<p>Avec l’entrée en action de Moscou, non seulement Damas et ses alliés reprennent du terrain mais Téhéran exploite le contexte pour accroître sa présence militaire en Syrie (c’est plus qu’un renforcement du soutien militaire au régime syrien). Afin de contrer le développement de ce potentiel militaire de l’Iran en Syrie, lsraël initie alors la stratégie des « Operations between Wars » et mène, de l’aveu même de l’ancien chef d’état-major interarmées israélien Gadi Ezeinkot, <a href="https://www.israelhayom.com/2019/01/13/eizenkot-israel-has-attacked-thousands-of-targets-in-syria/">« des milliers d’attaques »</a> contre les Iraniens en Syrie, sans parvenir à freiner cette dynamique.</p>
<p>Dès lors, la dimension balistique apparaît comme un problème central car la dissuasion iranienne modifie les règles du jeu stratégique sur le terrain, comme l’a illustré en juin 2019 l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/13/la-marine-americaine-assiste-deux-navires-attaques-dans-le-golfe-d-oman_5475675_3210.html">attaque par Téhéran de deux pétroliers dans le détroit d’Ormuz</a>.Il est donc peu plausible que la nouvelle administration, dans un contexte géopolitique transformé, accepte un simple retour à l’accord de 2015. Mais reste à savoir si Biden fera montre de flexibilité tactique en levant les sanctions et en acceptant dans un premier temps le cadre du JCPOA pour renégocier par la suite, ou s’il énoncera dès le départ fermement les grands paramètres d’un nouvel accord (qui comportera donc des restrictions imposées au programme balistique iranien). De son côté, l’Iran est résolument opposé à l’idée d’une renégociation, faisant toutefois connaître sa disposition <a href="https://www.arabnews.fr/node/33086/monde-arabe">à revenir « automatiquement » au respect intégral de ses engagements du JCPOA</a> en cas de levée des sanctions.</p>
<h2>Inquiétudes à Riyad</h2>
<p>Concernant l’Arabie saoudite et les Émirats, la différence d’approche est claire entre Trump et Biden. Tandis que le premier s’est illustré dans le choix inédit et remarqué de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2017/05/20/pourquoi-trump-a-choisi-larabie-saoudite-pour-son-premier-depla_a_22097037/">visiter Riyad</a> immédiatement après son élection, le second a, dans une critique aux accents déplaisants, qualifié durant sa campagne l’Arabie saoudite d’<a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2020-11-10/apres-l-indulgence-de-trump-riyad-face-a-la-fermete-proclamee-de-biden.php">« État-paria »</a>.</p>
<p>Les déclarations de Biden scellent donc une détérioration réelle de la relation avec les Saoudiens et Émiratis qui <a href="https://spectator.us/whistleblower-andy-khawaja-micropayments/">ont financé la campagne</a> de Trump en 2016 et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/12/elections-americaines-les-pays-du-golfe-craignent-un-nouvel-obama_6059462_3210.html">craignent un retour à la vision d’Obama</a>. Le lâchage par ce dernier des régimes de Moubarak et de Ben Ali, pourtant alliés de Washington, <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2016-4-page-18.htm">son acceptation des Frères musulmans</a> ainsi que <a href="https://www.liberation.fr/planete/2009/03/20/la-main-tendue-d-obama-a-l-iran_547398">sa main tendue à l’Iran</a>, ont constitué de sérieux sujets de préoccupation pour Riyad.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1326033391851102209"}"></div></p>
<p>La volatilité du contexte stratégique a ainsi conduit l’Arabie saoudite à développer ses liens avec Moscou et Pékin, principaux concurrents des États-Unis, une situation nouvelle qui pourrait ouvrir la voie à une diversification des partenariats. Biden n’a aucune sympathie pour le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salmane et ses positions belliqueuses, et exprime <a href="https://inthesetimes.com/article/joe-biden-yemen-war-saudi-arabia-presidential-election-foreign-policy">son opposition à la guerre au Yémen</a> ; pour autant, le partenariat stratégique avec Riyad, qui traduit également la prégnance des <a href="https://merip.org/2020/06/the-defense-industrys-role-in-militarizing-us-foreign-policy/">intérêts du complexe militaro-industriel</a>, dans l’élaboration de la politique étrangère américaine, reste solide.</p>
<h2>L’Irak, la Syrie et le Liban vus à travers le prisme iranien</h2>
<p>Pour ce qui est de l’Irak, le nouveau président américain apparaît comme une figure problématique : partisan de l’intervention américaine en 2003, il a également été l’instigateur d’un <a href="https://www.nytimes.com/2007/07/30/world/americas/30iht-letter.1.6894357.html">plan pour la partition</a> du pays en trois États. Aujourd’hui, en dépit de l’importance que revêt Bagdad sur l’échiquier régional, dans un contexte de rivalité sino-américaine et de priorité donnée à l’endiguement de la puissance chinoise, un désengagement militaire de la région semble inéluctable, même si la question divise profondément l’establishment américain. Malgré une <a href="https://www.fr24news.com/fr/a/2020/08/trump-reaffirme-son-intention-de-retirer-toutes-les-troupes-americaines-dirak.html">intention maintes fois réitérée</a> par Donald Trump, la crainte que le vide laissé par un retrait américain soit comblé par l’Iran a jusqu’ici empêché la concrétisation de cette décision.</p>
<p>Aussi, sur la politique que conduira Biden en Irak, les orientations ne se dessinent pas encore de façon claire. Mais il est en revanche certain que, dans la perspective des négociations avec l’Iran, les Américains devront conserver une capacité de nuisance en s’ouvrant à de nouvelles forces y compris au sein de la Marjaïya, la plus haute autorité religieuse chiite, pour contrer l’influence iranienne. Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, cette autorité tient un rôle prépondérant au sein de la communauté chiite irakienne. C’est sur pression de la Marjaïya que les forces américaines ont accepté la tenue d’élections législatives en 2005. En 2014, dans le contexte de l’offensive de l’EI sur Mossoul, cette autorité émet une fatwa sur le « djihad défensif » qui conduit un million de chiites à se porter volontaires pour combattre le groupe.</p>
<p>L’approche américaine du dossier syrien demeure la grande inconnue, mais elle pèsera également lourdement sur les perspectives de négociations avec l’Iran. Si Washington entend renouer le dialogue avec Téhéran, il le fera en appuyant sur les points de faiblesse de ce dernier, notamment la Syrie. Pour les États-Unis, il demeure indispensable de refouler l’influence régionale de l’Iran ; or, jusqu’ici, la bataille menée par Trump pour affaiblir le potentiel militaire de Téhéran a été un échec patent. Il est fort probable que l’offensive se poursuive sous l’administration Biden qui, tout en cherchant à négocier, entendra également mettre en difficulté l’Iran sur le terrain syrien. La <a href="https://www.lecommercedulevant.com/article/29903-les-enjeux-de-la-loi-cesar">loi César</a>, qui prévoit notamment le gel de l’aide à la reconstruction et des sanctions contre le régime de Damas et toutes les personnes et entreprises collaborant avec celui-ci, demeure dans cette optique un instrument incontournable pour maintenir la pression sur le pouvoir de Bachar Al-Assad.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1329752622656614401"}"></div></p>
<p>Enfin, vis-à-vis du Liban, la posture américaine pourrait se révéler moins intransigeante sous la nouvelle administration. La ligne adoptée par Trump se résumait par « étrangler le Liban pour étrangler le Hezbollah », mais cette politique s’est avérée totalement <a href="https://libnanews.com/les-sanctions-contre-le-hezbollah-non-productives-emmanuel-macron-a-donald-trump/">contre-productive</a> comme l’a fait remarquer en août dernier Emmanuel Macron à son homologue américain. La nouvelle administration pourrait marquer sa différence en revenant à une politique de pression plus ciblée contre le Hezbollah… même s’il est encore bien tôt pour démêler les intentions de la politique concrète qui sera mise en œuvre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150681/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quelle politique Joe Biden conduira-t-il à l’égard des pays du Proche et du Moyen-Orient ? Ce tour d’horizon montre qu’il ne fera pas systématiquement l’inverse de son prédécesseur.Lina Kennouche, Doctorante en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1501902020-11-24T22:06:45Z2020-11-24T22:06:45ZDébat : La liberté d’expression défendue par Emmanuel Macron peut-elle s’affranchir de toute responsabilité sociale ?<p>Le 2 octobre dernier, le président Emmanuel Macron <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/10/02/la-republique-en-actes-discours-du-president-de-la-republique-sur-le-theme-de-la-lutte-contre-les-separatismes">a présenté</a> sa stratégie de lutte contre ce qu’il avait initialement nommé « le séparatisme ». Prononçant 52 fois les mots islam ou islamisme, il y a clairement visé – et plus encore stigmatisé – ceux des membres de la communauté musulmane qui refusent d’être purement et simplement <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/11/integration-ou-assimilation-une-histoire-de-nuances_5029629_3232.html">« assimilés »</a> à la majorité culturelle.</p>
<p>Se sont alors élevées un grand nombre de voix afin de rappeler que les communautés musulmanes en France font l’objet de stigmatisations d’ampleur, qui ont pour conséquences une très forte discrimination à leur encontre, les marginalisant sur le marché de l’emploi, de l’éducation ou du logement.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/separatisme-et-si-la-politique-antiterroriste-faisait-fausse-route-149078">« Séparatisme » : et si la politique antiterroriste faisait fausse route ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Tout en reconnaissant ces discriminations et en annonçant que la formation des imams se ferait en France (et non au Maroc comme l’avait décidé son prédécesseur François Hollande), il a néanmoins systématiquement amalgamé l’extrémisme religieux, l’islam politique et l’islam tout court.</p>
<p>Or, les mots de Macron, « l’islam est une religion qui connaît aujourd’hui une crise, partout dans le monde », résonnent désormais avec ceux de <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/eric-zemmour-pourquoi-macron-se-trompe-dans-son-analyse-de-l-islam-et-de-l-islamisme-20201009">polémistes</a> ouvertement racistes, laissant entendre que le problème c’est l’islam.</p>
<h2>Une stratégie politique</h2>
<p>Réputé plutôt accommodant avec l’islam et les musulmans à son accession au pouvoir en 2017, Macron a pu étonner par sa soudaine fermeté contre le « séparatisme islamique ». Mais il faut inscrire cet apparent changement de cap dans une séquence plus longue qui tient aussi d’une stratégie politique pour l’exécutif.</p>
<p>Ainsi, pour saisir la portée de son discours, le dernier livre d’Emmanuel Todd, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-luttes-de-classes-en-france-au-XXIe-siecle-emmanuel-todd/9782021426823"><em>Les Luttes de classes en France au XXIᵉ siècle</em></a> peut apporter des éclairages intéressants.</p>
<p>On comprend à la lecture du démographe que Macron ne peut pas espérer obtenir un second mandat avec <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-berretta/qui-sont-les-electeurs-d-emmanuel-macron-08-05-2017-2125665_1897.php">l’électorat</a> qui l’a porté au pouvoir en 2017, essentiellement « progressiste » et urbain.</p>
<p>Le soutien de son <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/07/07/la-popularite-de-macron-s-erode-a-gauche-comme-a-droite_5327668_823448.html">aile gauche</a> en particulier s’est fortement érodé après trois ans de politiques libérales, dénoncées notamment par le mouvement des « gilets jaunes » et la contestation sur les retraites. Il lui faut donc séduire impérativement les électorats classiques du puissant mouvement identitaire de la droite et de l’extrême droite, et notamment la composante ouvrière du Rassemblement national.</p>
<p>La stratégie de lutte contre « le séparatisme », reprend donc à son compte une partie des <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-2014-1-page-13.htm">thèses islamophobes</a> actuellement en vogue dans le débat public. Ses accents populistes – qui plaident pour une laïcité offensive – tranchent avec la doctrine prônée au collège des Bernardins où Emmanuel Macron <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Laicite/Discours-Macron-Bernardins-partie-classe-politique-condamne-atteinte-laicite-2018-04-10-1200930553">plaidait</a> pour une « réparation du lien entre l’Eglise et l’État ».</p>
<p>On peut donc légitimement y voir une stratégie électorale. J’entends donc ici me concentrer sur la façon dont le populisme de Macron conceptualise la « liberté d’expression ».</p>
<h2>Liberté d’expression versus responsabilité sociale</h2>
<p>La liberté d’expression, qui est un droit humain fondamental, devient, selon mes analyses, contraire à l’éthique lorsque la rigueur intellectuelle et la responsabilité sociale lui font défaut.</p>
<p><em>Charlie Hebdo</em>, par le biais du large spectre des cibles de ses caricatures en est l’exemple. Notons par exemple le nombre importants de dessins polémiques de Riss, familier des caricatures sur les étrangers et les musulmans etc.</p>
<p><a href="https://www.legrandsoir.info/charlie-hebdo-ou-la-derive-anticommuniste-et-le-racisme-larve.html">Son parcours et tonalités de ses dessins</a> interrogent. Il dessine tantôt une immigration <a href="https://www.arretsurimages.net/articles/quand-luz-trouvait-un-peu-confus-un-dessin-de-riss">profiteuse des allocations</a> tantôt se moque <a href="https://www.20minutes.fr/medias/1767351-20160117-aylan-kurdi-dessin-charlie-hebdo-fait-pleurer-pere-petit-syrien-noye">d’Aylan Kurdi</a>, le petit syrien retrouvé sans vie sur une plage turque, qu’il tourne en dérision.</p>
<p>Ainsi l’hebdomadaire satirique avait-il caricaturé cet enfant de trois ans en le projetant comme « futur violeur » à Cologne, tout en véhiculant une <a href="https://www.lesinrocks.com/2016/01/news/le-dessin-de-charlie-hebdo-a-fait-pleurer-le-pere-du-petit-syrien-noye/">infox colportée</a> par les mouvances xénophobes européennes.</p>
<p>Un certain nombre de caricatures du prophète de l’islam par Charlie Hebdo n’échappent pas à cette confusion des genres. Présenter le prophète Mohammed comme un terroriste ou comme un détraqué sexuel, ne serait au fond pas très différent que de présenter Moïse comme un colon, ou d’en faire une caution (morale) du comportement de la droite israélienne à l’encontre des Palestiniens. Une telle association serait pourtant – et à juste titre – condamnée comme antisémite et interdite par les lois de nombreux pays européens.</p>
<p>Enfin, rappelons qu’au sein même de <em>Charlie Hebdo</em>, il semblerait que la caricature portant sur Israël ou certaines personnalités juives prête au débat houleux. Ainsi, le dessinateur Siné a été licencié sous la simple accusation d’un trait d’humour qualifié d’« antisémite » (<a href="https://www.nouvelobs.com/medias/medias-pouvoirs/20080727.OBS4800/affaire-sine-les-points-de-vue-de-charb-et-cavanna-historiques-de-charlie-hebdo.html">affaire Siné</a>).</p>
<h2>Un dévoiement de la satire</h2>
<p>Le réductionnisme populiste qui se cache derrière ces caricatures s’inscrit donc en réalité dans un dangereux dévoiement d’une satire – comme outil indispensable de la critique de tous les pouvoirs – vers la déshumanisation de certaines minorités.</p>
<p>Des mécanismes qui rappellent la trajectoire d’un vieil antisémitisme européen qui avant la <a href="https://www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2002-3-page-13.htm">diabolisation des juifs</a>, a commencé avec celle de leur foi et de leur culture, préparant les esprits à leur quasi-extermination.</p>
<p>Certains pensent pouvoir affirmer que statistiquement <em>Charlie Hebdo</em> ne vise pas spécifiquement l’islam en tant que religion (<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2015/03/05/oui-charlie-hebdo-est-obsede-par-l-islam_4588297_3232.html">près d’1 % des unes</a> qui lui sont consacrées).</p>
<p>C’est peut-être vrai statistiquement, mais comment ne pas être troublé par l’essentiel du message qui est véhiculé par les seules caricatures produites en direction de l’islam et des musulmans ?</p>
<h2>Droit à la liberté d’expression : jusqu’à quel point ?</h2>
<p>Emmanuel Macron défend le droit à la liberté d’expression, fustigeant la notion de blasphème, abolie par la <a href="https://www.scienceshumaines.com/blaspheme_fr_36063.html">révolution française en 1789</a>.</p>
<p>Mais est-ce pour autant un droit ? Si c’est le cas, sur quelle valeur universelle prend elle appui ?</p>
<p>Ne faudrait-il pas considérer que cette notion tend à apparaître aujourd’hui comme une véritable incitation à stigmatiser une minorité en France ?</p>
<p>Or comme le formule très bien <a href="https://www.theguardian.com/media/2015/aug/28/emmanuel-todd-the-french-thinker-who-wont-toe-the-charlie-hebdo-line">Emmanuel Todd au journal britannique <em>The Guardian</em> en 2015</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Oui, bien sûr, il y a un droit de blasphémer, mais il faut aussi avoir le droit de dire que le blasphème n’est pas une priorité et que c’est idiot »</p>
</blockquote>
<p>Et d’ajouter :</p>
<blockquote>
<p>« Je réclamais le droit de contre-blasphémer : de dire que les caricatures de Mahomet étaient obscènes, des bêtises, totalement décalées historiquement et qu’elles étaient l’expression d’une islamophobie rampante. Et bien, pour avoir dit cela, j’ai été accusé de complicité avec les terroristes. »</p>
</blockquote>
<h2>Le majoritarisme culturel français vu d’ailleurs</h2>
<p>En France, donc, il semblerait que ce soit imposé un « majoritarisme culturel », à l’encontre d’une société qui se décrit comme ouverte aux autres cultures.</p>
<p>Ce majoritarisme semble s’allier à la renaissance d’une forme très militante de la laïcité, combiné à une réminiscence prégnante de l’imaginaire colonial.</p>
<p>En effet, l’idée de « libérer l’islam » est considérée par certains, dont de nombreux Libanais, comme une continuité <a href="https://orientxxi.info/magazine/les-racines-coloniales-de-la-politique-francaise-a-l-egard-de-l-islam,1426">du comportement colonial de la France</a>.</p>
<p>Suite aux événements ayant frappé le Liban, l’un de mes étudiants à l’Université Américain de Beyrouth, <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/09/01/visite-du-president-emmanuel-macron-au-liban-moins-dun-mois-apres-lexplosion-au-port-de-beyrouth">tout en saluant l’intervention du Président français</a> contre la corruption s’inquiétait de la tournure de ses propos sur l’islam, vécu pour beaucoup comme un reliquat de la mentalité coloniale.</p>
<p>Plus généralement, plusieurs leaders religieux libanais ont critiqué la représentation du Prophète Mohamet par certains média français. C’est le cas <a href="https://www.aa.com.tr/ar/%D8%A7%D9%84%D8%AF%D9%88%D9%84-%D8%A7%D9%84%D8%B9%D8%B1%D8%A8%D9%8A%D8%A9/%D9%84%D8%A8%D9%86%D8%A7%D9%86-%D8%A7%D9%84%D9%83%D9%86%D9%8A%D8%B3%D8%A9-%D8%A7%D9%84%D9%85%D8%A7%D8%B1%D9%88%D9%86%D9%8A%D8%A9-%D8%AA%D8%B4%D8%AC%D8%A8-%D8%A7%D9%84%D8%AA%D8%B9%D8%B1%D8%B6-%D8%A7%D9%84%D9%85%D9%82%D9%8A%D8%AA-%D9%84%D9%84%D8%B1%D9%85%D9%88%D8%B2-%D8%A7%D9%84%D8%AF%D9%8A%D9%86%D9%8A%D8%A9-/2026418">du patriarche Maronite (chrétien) Bechara Boutros al-Rahi</a>. Quasiment toutes les instances religieuses et politiques de pays musulmans ont dénoncé les <a href="https://www.oic-oci.org/topic/?t_id=24890&t_ref=15211&lan=en">dessins</a> à l’encontre du Prophète Mohamet.</p>
<p>Ces leaders s’étonnent du discours français qui fustige d’une part l’islam politique et cherche à le faire interdire « juridiquement » ou qui <a href="https://theconversation.com/les-ong-musulmanes-au-coeur-des-debats-sur-le-separatisme-149182">stigmatise certaines organisations</a>, tout en s’alliant économiquement à des <a href="http://www.slate.fr/story/159808/sissi-egypte-presidentielle-occidentaux-armes-migrants-petrole-terrorisme">régimes autoritaires arabes</a>, où souvent éclot ce même islam politique.</p>
<p>Rappelons enfin que a la Cour Européenne des Droits de l’Homme a elle-même considéré que l’atteinte au Prophète Mohammed <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/pour-la-cedh-latteinte-au-proph%C3%A8te-mohammed-nest-pas-la-libert%C3%A9-dexpression-/1292925">ne relève pas de la liberté d’expression</a>. Il ne semble ainsi pas envisageable, sous couvert de majoritarisme culturel, de laisser toute expression se répandre sans aucune limites ni responsabilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150190/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sari Hanafi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Réputé plutôt accommodant avec l’islam et les musulmans à son accession au pouvoir en 2017, Macron a étonné le monde musulman par sa soudaine fermeté contre le « séparatisme islamique ».Sari Hanafi, Professor, American University of BeirutLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1496772020-11-12T21:53:24Z2020-11-12T21:53:24ZLa tentation chinoise du Liban<p>Plus de trois mois après la double explosion dans le port de Beyrouth, la tentation est grande pour le Liban et, surtout, pour le parti pro-iranien du Hezbollah de se tourner vers Pékin. Ce serait un camouflet pour Emmanuel Macron, premier chef d’État étranger à s’être rendu (par deux fois) après le drame dans ce pays sinistré : selon lui, l’aide apportée par l’ancienne puissance mandataire (1918-1946) et celle de la communauté internationale doivent être conditionnées à une lutte active contre la corruption et à un <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/diplomatie-en-visite-beyrouth-macron-veut-initier-le-changement-du-systeme-libanais">changement de système</a>.</p>
<p>Il est vrai que cette exhortation française, <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Au-Liban-Hezbollah-defensive-charge-dEmmanuel-Macron-2020-09-30-1201116872">aussitôt dénoncée par le chef du Hezbollah Sayed Nasrallah</a> au nom de la communauté chiite (27 % d’une population totale de 6,8 millions d’habitants), allait à l’encontre d’un projet d’infrastructures de vaste ampleur <a href="https://www.asie21.com/2020/07/19/chine-moyen-orient-le-hezbollah-invite-la-chine-au-liban/">financé par la Chine</a>.</p>
<p>Les potentialités pour Pékin y sont gigantesques, y compris dans la <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/2017/09/12/31002-20170912ARTFIG00125-pour-sa-reconstruction-la-syrie-se-tourne-vers-l-asie.php">Syrie voisine</a>, elle-même amenée à se reconstruire. L’enjeu est évidemment considérable pour le pays du Cèdre que les <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/Le-Proche-Orient-eclate2">quinze années de la guerre civile (1975-1990), conjuguées aux effets de la guerre de 2006</a> et de la crise économique ont durablement pénalisé.</p>
<h2>Complexes rapports des forces au Liban</h2>
<p>Le Liban traverse la pire crise économique de son histoire, marquée par une <a href="https://www.i24news.tv/fr/actu/international/moyen-orient/1594817704-crise-economique-au-liban-beyrouth-se-tourne-vers-la-chine-suite-aux-refus-des-etats-unis-et-des-pays-arabes">dépréciation inédite de sa monnaie</a>, une explosion de l’inflation et des restrictions bancaires draconiennes sur les retraits et les transferts à l’étranger.</p>
<p>Près de la moitié de la population libanaise vit dans la pauvreté et près de 40 % des actifs sont au chômage. La situation s’est aggravée avec la venue massive de réfugiés syriens fuyant depuis 2011 le conflit que subit leur pays. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies, ils seraient <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/les-refugies-syriens-au-liban-doivent-rentrer-en-syrie-20190424">aujourd’hui plus de 1,5 million, dont 500 000 jeunes entre 3 et 14 ans</a>. Ce qui fait du Liban (4,1 millions de Libanais résidant dans le pays), le pays avec le plus fort taux de réfugiés au monde – puisqu’un habitant sur quatre y a le statut de réfugié.</p>
<p>Cette question constitue à la fois un enjeu politique majeur et un drame humanitaire sans précédent. La situation perturbe de nombreux Libanais – du petit commerçant aux élites, en passant par les politiques et les humanitaires. Par ailleurs, l’entrée en application d’un <a href="https://www.lepoint.fr/monde/quel-sera-l-impact-des-nouvelles-sanctions-americaines-sur-la-syrie-17-06-2020-2380320_24.php">nouvel arsenal de sanctions</a> dirigées contre le pouvoir syrien et décidées par le Congrès américain en juin dernier ne peut guère arranger la situation régionale désormais au bord de l’asphyxie. Cet ensemble de sanctions – surnommé « la loi César » – vise à exercer <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/16/la-loi-cesar-pression-maximale-sur-la-syrie-d-assad_6043017_3210.html">« une pression maximale »</a> sur le régime de Damas et sur son principal allié, Téhéran.</p>
<p>La vindicte du Hezbollah à l’encontre de la France et des États-Unis s’explique d’autant mieux que son principal pourvoyeur iranien est confronté à de très grandes difficultés. Le <a href="https://www.diploweb.com/Proche-Orient-Liban-La-mobilisation-du-Hezbollah-contre-le-COVID-19-quelles-motivations-politiques.html">plan de lutte du Hezbollah contre la Covid-19</a>, qui se voulait une démonstration de force, a d’ailleurs aussi exposé ses faiblesses (logistiques et moyens).</p>
<p>Pour autant, le Hezbollah est assuré d’une victoire de Bachar Al-Assad en Syrie. Il mise donc plus que jamais sur l’axe Téhéran-Moscou, qui se renforce au fur et à mesure que les États-Unis s’opposent à lui.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1291237682140585991"}"></div></p>
<p>La Chine n’est pas en reste puisqu’elle assure déjà <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/liban/le-liban-a-des-amis-mais-ils-demandent-des-comptes-6930395">40 % des importations du Liban</a>. Plus symboliquement encore, la fameuse route reliant Beyrouth à Alep – via Damas –, autrement appelée M 5, que <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/en-syrie-une-autoroute-strategique-raconte-deux-annees-de-reconquetes_2023360.html">Bachar Al-Assad a reprise aux trois quarts aux rebelles</a> dès 2015 avec l’aide de son allié russe, pourrait être parachevée sur son tronçon libanais grâce à des investissements chinois.</p>
<p>Comme leurs alliés américains, qui ont abreuvé le Liban de dollars, l’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe ont pris des distances. Ils accusent les dirigeants libanais de laisser le <a href="https://almashareq.com/fr/articles/cnmi_am/features/2016/11/16/feature-03">Hezbollah former les rebelles houthis</a> contre lesquels ils sont en guerre au Yémen. Réciproquement, les Houthis financeraient, avec le soutien de Téhéran, les <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1179835/les-houthis-levent-pres-de-300-000-dollars-au-profit-du-hezbollah.html">activités du Hezbollah</a>.</p>
<h2>L’enjeu stratégique du port de Beyrouth</h2>
<p>Au-delà de ses propres besoins nationaux, le <a href="https://www.diploweb.com/Crise-libanaise-Le-MV-RHOSUS-ou-le-retour-en-force-de-la-thalassopolitique.html">Liban demeure un point d’entrée essentiel pour l’ensemble de la région</a>. Les pays du Levant tels la Jordanie, la Syrie ou l’Irak, ou encore les pays du Golfe, dépendent aussi de leurs relations commerciales avec le Liban. 73 % de ses propres importations se faisant par la voie maritime, le lien du Liban à la mer est essentiel. Il repose sur le dynamisme d’une infrastructure clé, le port maritime.</p>
<p>Un appel d’offres met actuellement en concurrence la <a href="https://www.portseurope.com/analysis-france-expected-to-beat-china-in-the-race-for-the-port-of-beirut-hezbollah-is-the-main-obstacle/">France et la Chine</a> pour la reconstruction du port. Sans surprise, le Hezbollah s’oppose aux initiatives françaises et a par ailleurs recours à <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1238131/le-hezbollah-condamne-la-position-de-la-france-qui-encourage-laffront-dangereux-contre-le-prophete.html">tous les leviers possibles</a> pour attiser et relayer la haine fomentée par le président turc Recep Tayyip Erdogan dans l’affaire des caricatures l’opposant à la France d’Emmanuel Macron.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1318211433683877890"}"></div></p>
<p>Cet attrait singulier exprimé par des géants mondiaux de la logistique portuaire suggère la valeur de la place libanaise dans le commerce international. Il laisse aussi supposer les jeux d’influence affichés ou dissimulés derrière ces investisseurs. Contrôler un port n’est pas anodin : cela constitue un message envoyé à des acteurs internationaux privés comme étatiques. Ainsi les efforts déployés par les opérateurs chinois à l’égard du port du Pirée, en Grèce, donc dans l’Union européenne, illustrent une politique commerciale offensive au cœur de l’Europe, parfaitement intégrée dans le <a href="https://www.diploweb.com/Le-chantier-tres-geopolitique-des-Routes-de-la-soie.html">projet de la Nouvelle route de la Soie</a>. Beyrouth sera-t-il la prochaine prise chinoise en Méditerranée ?</p>
<p>Pékin sait pouvoir compter sur le soutien de Moscou et d’Ankara. Car en Europe de l’est comme au Proche-Orient se cristallise chaque jour un peu plus <a href="https://www.questionchine.net/trump-erdogan-poutine-et-la-chine-tensions-et-influences-croisees-menaces-contre-l">l’alliance sino-russe, renforcée par les ambivalences turques dans son rapport à l’OTAN</a>. L’unilatéralisme de Washington, articulé à la seule prévalence des intérêts américains, a créé une béance dans toute la partie orientale de la Méditerranée où, à l’instar du sud de la mer de Chine, de très importants contentieux maritimes opposent les acteurs régionaux (Turquie, Grèce, Liban, Libye, Chypre et Israël) dans leur course à l’exploitation des ressources pétrolières. On ne sera non plus surpris de voir les flottes russe et turque de plus en plus présentes à l’embouchure de Suez tandis que la Chine, dans une répartition tacite des tâches, se charge de renforcer son dispositif sécuritaire au large de Malacca.</p>
<h2>La Chine peut-elle venir au secours du Liban ?</h2>
<p>Le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/opinion-la-chine-peut-elle-sauver-le-liban">quotidien libanais <em>Al-Akhbar</em></a> (considéré comme proche du Hezbollah), relayé sur le site <a href="https://parstoday.com/fr">officiel iranien Parstoday</a>, soutient que le Liban, dans une logique d’axe pro-iranien, doit se tourner vers Pékin, notamment en matière financière et de reconstruction du pays après la double explosion dans le port de Beyrouth l’été dernier. Ce mouvement s’inscrit dans le sillon des recompositions de l’ordre international fortement polarisé par, d’un côté, la puissance américaine sous l’administration Trump, et de l’autre, le pôle chinois comme alternative à l’Occident.</p>
<p>Le Proche et le Moyen-Orient semblent plus que jamais contraints par cette dualité, autant que par ses crises intestines durables. <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/le-rapprochement-entre-liran-et-la-chine">L’accord économique et militaire entre Téhéran et Pékin</a> (évalué à 400 milliards de dollars sur 25 ans) illustre bien la symétrie des relations entre le retrait américain et l’affirmation chinoise. La Chine est aujourd’hui le second partenaire commercial du Liban. A titre d’exemple, la <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/LB/le-commerce-exterieur-du-liban-en-2017">Chine fournit un volume de 1,6 milliards de dollars d’exportation en 2019</a>.</p>
<p>Pékin maintient sa présence au Liban, notamment via un <a href="http://french.china.org.cn/china/txt/2020-08/12/content_76590877.htm">fonds (<em>Pinglan</em>)</a> consacré à la reconstruction et à la rénovation de l’habitat, notamment dans le contexte post-explosion. La RPC est également présente au niveau militaire dans le <a href="http://french.peopledaily.com.cn/Chine/n3/2020/0806/c31354-9718788.html">cadre de la FINUL</a>. Une unité des forces médicales chinoises a notamment fourni son aide après l’accident industriel portuaire, faisant écho à une <a href="https://parstoday.com/fr/news/middle_east-i20638-chine_liban_partenariat_militaire_renforc%C3%A9">livraison en 2016 de matériel militaire</a> à l’armée libanaise. De plus, l’influence sur la jeunesse libanaise se poursuit à travers l’Institut Confucius (dans la capitale libanaise), les programmes d’échanges universitaires entre Beyrouth et des universités chinoises, et les réseaux d’affaires entre les deux pays, via les diasporas.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/U2gDUYAQRuI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Alors que les <a href="https://www.imf.org/en/News/Articles/2020/08/09/pr20278-statement-by-imf-md-kristalina-georgieva-int-conference-support-beirut-lebanese-people">pourparlers avec le FMI</a> pour un plan de sauvetage du Liban n’ont pas abouti, les principaux pays pétroliers du monde arabe n’ont pas apporté d’aide à Beyrouth. Les donateurs internationaux se refusent d’apporter des dons conséquents en raison de la forte corruption. Cette situation pousse un peu plus le Liban dans l’orbite de Pékin et de Téhéran. Dans une logique de politique internationale, la Chine peut engager des prêts au Liban, <a href="https://foreignpolicy.com/2020/07/09/china-wants-to-be-lebanons-savior/">avec comme contrepartie, un soutien – ou du moins, un silence – du Liban sur des dossiers internationaux</a> tels que Taïwan, la mer de Chine du Sud ou la répression des Ouïghours.</p>
<p>Georges Corm, grand spécialiste libanais du Proche et Moyen-Orient, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2020/10/CORM/62314">constatait</a> récemment que « les élites politiques locales échouent à édifier un État solide capable de répondre aux défis économiques et sociaux ». Alors que le niveau de <a href="https://thediplomat.com/2020/08/will-china-change-its-lebanon-strategy/">corruption reste une composante essentielle dans un pays en crise</a>, le rapprochement de la Chine avec le Liban à travers plusieurs projets d’investissements et le développement de zones économiques spéciales potentielles (port de Tripoli, <a href="https://globalriskinsights.com/2020/10/rebuilding-the-port-of-beirut-a-competition-for-geopolitical-influence/">reconstruction du port de Beyrouth</a> voie ferroviaire, agriculture…) ne fera qu’accentuer le décrochage entre le peuple et les élites. Parmi lesquelles et d’entre toutes, les élites francophones tiraillées entre leur attrait pour l’Occident et ce nouvel appel de l’Orient.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149677/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plongé dans une profonde crise politique, économique et sociale, le Liban fait l’objet d’une attention accrue de la part de la Chine, qui y pousse ses pions avec habileté.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1477692020-10-25T16:44:35Z2020-10-25T16:44:35ZDu Maghreb au Liban : L’heure des sociétés civiles ?<p>Après la destruction partielle de la ville de Beyrouth par <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/04/un-mois-apres-l-explosion-au-port-de-beyrouth-l-enquete-pointe-la-negligence-des-autorites_6050916_3210.html">l’explosion</a> de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, l’État libanais éprouve bien des difficultés à répondre aux injonctions de la communauté internationale qui lui intime de se réformer. Depuis près d’un an, le pouvoir en place est pris pour cible dans de nombreuses manifestations de rue, jusqu’à faire du pays des cèdres, une potentielle poudrière, qui vient résonner de manière singulière avec les soulèvements du <a href="https://theconversation.com/larmee-algerienne-a-lepreuve-du-mouvement-citoyen-du-hirak-131798">Hirak</a> en Algérie, mais aussi les mouvements observés au <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/revue-de-presse-internationale/la-revue-de-presse-internationale-emission-du-mardi-19-mai-2020">Chili</a>, en <a href="https://www.lesechos.fr/monde/ameriques/equateur-la-contestation-samplifie-la-distribution-de-petrole-touchee-1138881">Équateur</a>, à <a href="https://www.leparisien.fr/international/hongkong-cinq-minutes-pour-comprendre-le-retour-de-la-contestation-01-07-2020-8345499.php">Hongkong</a>, en <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1233502/en-egypte-une-reprise-de-la-contestation-dans-plusieurs-grandes-villes.html">Égypte</a> et en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/10/24/en-guinee-la-contestation-anti-troisieme-mandat-ne-s-eteint-pas_1759534">Guinée</a> en 2019 et, un peu plus loin dans le temps, les <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02277919/document">printemps arabes</a> de 2011.</p>
<p>Assurément, la succession des mouvements de protestation qui secouent la planète, par leurs rapprochements et parfois similarités, interroge de plus en plus fortement la place et le rôle des sociétés civiles, qui expriment aussi bien un profond raz-le-bol vis-à-vis de leur situation que la nécessité d’agir solidairement pour faire face aux difficultés.</p>
<p>Assiste-t-on à un virage dans le fonctionnement des sociétés, qu’elles soient démocratiques ou non ? Faut-il y voir un épiphénomène ou des changements plus profonds sur lesquels se fonder pour lire autrement l’évolution du monde ?</p>
<h2>Les sociétés civiles au cœur de l’action locale</h2>
<p>La recherche que nous venons de terminer au Maghreb, et qui vient de donner lieu à la sortie d’un livre, <a href="http://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/la-face-cachee-des-societes-civiles-au-maghreb/"><em>La face cachée des sociétés civiles au Maghreb</em></a> aux éditions de l’Aube, révèle des <a href="https://journals.openedition.org/regulation/7787">sociétés civiles</a> de plus en plus actives : non seulement elles s’opposent aux régimes en place, mais elles montrent aussi une capacité certaine à se prendre en main pour mener des actions dans les domaines socio-économique, culturel et environnemental, et suppléer, de fait, aux déficiences de l’État. Ainsi en est-il des collectifs d’habitants et d’un grand nombre d’associations que nous sommes allés observer.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1317913151816540161"}"></div></p>
<p>Dans l’éducation, les associations sont nombreuses à investir le champ du préscolaire, de la socialisation des jeunes dans les quartiers périphériques des grandes villes, là où les politiques publiques sont absentes ou quasi absentes. Dans le domaine de l’aide à l’emploi, des associations sont également là pour accompagner la formation professionnelle, faciliter l’insertion socio-économique des jeunes et des femmes, surtout. En matière de solidarités locales, de multiples initiatives existent à l’échelle de l’îlot, du quartier, de la commune, pour tenter d’accompagner les plus démunis, les exclus, les personnes en situation de handicap, etc. Il en est de même dans le secteur environnemental, avec la gestion et le recyclage des déchets ou la sensibilisation à l’éco-citoyenneté. Certaines des actions menées, avec ou sans l’aide des pouvoirs publics ou des acteurs de la coopération internationale, ont même pris de telles dimensions qu’elles seraient en capacité de préfigurer ou, à défaut, d’inspirer des politiques publiques. C’est le cas, par exemple de bien des actions de socialisation et d’accompagnement vers la formation ou l’emploi des jeunes dans les quartiers populaires, qui font parfois mieux que certains volets de la politique de la ville, telle qu’on peut l’observer en France, par exemple.</p>
<p>Même si ces actions sont loin, très loin, de répondre à l’immensité des besoins, elles sont révélatrices des bouleversements en cours, des besoins à satisfaire et des manques de l’État. Reflets des évolutions en cours de ces sociétés, elles sont pour certaines innovantes, mues par l’esprit démocratique, sensibles à l’avenir de la planète mais aussi, pour d’autres, orchestrées, manipulées, obscurantistes, soucieuses de restaurer les conservatismes du passé.</p>
<h2>Questionner les systèmes politiques actuels</h2>
<p>Nul ne peut dire ce qu’il adviendra à long terme de ces mouvements capables de se révolter contre les pouvoirs en place, de se structurer, de s’organiser pour pallier les déficiences des pouvoirs publics dans de nombreux domaines. En attendant, l’histoire des sociétés civiles mais aussi leur actualité récente révèlent les différentes perspectives sociétales qui s’offrent à nous, entre progressisme, laisser-faire et conservatisme, tout en allant dans le sens d’une affirmation sans cesse grandissante de l’acteur qu’elles représentent, et donc d’une vérification potentielle de leur force et organisation face ou sans les pouvoirs en place. De tels phénomènes qui prennent de l’ampleur, dans les régimes démocratiques comme autoritaires, suggèrent de nouvelles pistes de réflexion.</p>
<p>D’abord, il apparaît que la lecture que l’on fait généralement de la nature des régimes politiques pour expliquer ce qui relève ou non de la modernité ou du progressisme est de moins en moins opérante pour interpréter la nature et l’ampleur des mouvements sociaux, prouvant, si jamais cela était nécessaire, que nos démocraties occidentales dites « développées » sont elles aussi atteintes d’un véritable malaise, celui de ne plus savoir privilégier le bien-être du plus grand nombre, comme de veiller aux valeurs fondamentales de la solidarité et de l’égalité entre tous. Est-ce à dire que l’idéal démocratique, issu du siècle des Lumières et de la Révolution française, serait définitivement mort ? Assurément pas. Au contraire, ce qu’on a observé au Maghreb, en <a href="https://theconversation.com/lautre-visage-des-revoltes-en-tunisie-une-societe-civile-de-plus-en-plus-forte-et-affirmee-90865">Tunisie</a> et au Maroc d’abord, en <a href="https://theconversation.com/en-algerie-la-longue-marche-de-la-societe-civile-113396">Algérie</a>, ensuite, comme ce qui se passe aujourd’hui dans bien des pays, dont le Liban et la France, en est la preuve.</p>
<p>Ensuite, on constate que le modèle de développement économique libéral qui est le nôtre, partout sur la planète, est sans doute l’élément explicatif le plus probant de la crise globale du politique, de son incapacité à répondre aux maux de nos sociétés, et du coup, de la montée en puissance des sociétés civiles comme bouclier aux dérives du système. Et ce que révèle un peu plus la crise sanitaire, c’est bien les lacunes d’un modèle de développement qui a négligé l’humain, privilégié l’économique, oublié la planète, avec un démantèlement progressif de l’État-providence dans les démocraties occidentales.</p>
<p>A partir de là, ce que suggère la crise que nous traversons, dans la continuité de ce que le monde vit depuis quelque temps, c’est la capacité des sociétés civiles non seulement à se révolter, mais aussi à s’organiser et à se structurer pour sauver des vies et surmonter les épreuves. Seule l’histoire le dira, mais il est peu probable que les pouvoirs politiques ressortent partout grandis de la gestion de cette crise, notamment parce qu’elle aura révélé au grand jour leurs responsabilités, dans la gestion de la crise peut-être, mais aussi et surtout dans les dérives de notre modèle de développement qui sévit depuis les années 1980, dont ils portent la responsabilité en tant que partenaires des intérêts économiques dominants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1316250135710629889"}"></div></p>
<p>Nous formulons donc l’hypothèse que si les États se révèlent incapables de procéder à la <a href="https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1998_num_96_1_7069">révolution copernicienne</a> qu’il leur faut réaliser, le monde sera de plus en plus divisé entre des forces conservatrices arc-boutées sur leurs privilèges et des mouvements potentiellement révolutionnaires, parfois violents, parfois pacifistes, mais aussi – la crise actuelle le montre – de plus en plus solidaires face aux pouvoirs en place.</p>
<h2>De l’espoir ?</h2>
<p>Nous formulons aussi un souhait. Avec ce que certains pans des sociétés civiles indiquent aujourd’hui de leur capacité de résilience, il y a de quoi être inspiré pour donner naissance à un monde fondamentalement nouveau, où la démocratie n’est pas que la question de la participation, mais aussi celle des valeurs, où l’économie locale sait résister aux sirènes de la mondialisation, où les entreprises partent du territoire pour penser leurs stratégies.</p>
<p>Le nouveau système est là, dans une pensée renouvelée de la vie en société à partir du local, mais aussi dans un ré-enchantement du politique, qui ne s’attacherait qu’à valoriser cette dimension et à s’assurer de la bonne marche du monde, sur la base d’États et d’une gouvernance mondiale déconnectée des lobbies et des logiques du système actuel.</p>
<p>En cela, le chemin parcouru si rapidement par les sociétés civiles au Maghreb, en écho à la montée des <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2013-4-page-49.htm">sociétés civiles au Liban</a> et ailleurs dans le monde, représente, dans un temps très court de l’histoire, un des révélateurs les plus probants de la conscientisation de la situation, de l’urgence d’agir et des soubresauts de ce que peut être le monde de demain, un monde où la politique redeviendrait la <em>Res publica</em>, et les gouvernants, les premiers partenaires des citoyens. </p>
<p><em>Fatima Chahid, juriste spécialisée dans la gouvernance locale au Maroc, et Martin Péricard, chef de projet à l’Agence française de développement (AFD), ont contribué à la rédaction de cet article.</em></p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147769/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Matteudi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La montée en puissance des sociétés civiles au Maghreb et au Liban s’explique dans une large mesure par les carences des politiques publiques.Emmanuel Matteudi, Professeur des universités en urbanisme, IMéRALicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1466172020-09-28T18:19:40Z2020-09-28T18:19:40ZLes réfugiés syriens, grands oubliés de la crise libanaise<p>Ces dernières semaines ont été marquées par <a href="https://theconversation.com/que-peut-la-france-au-moyen-orient-145719">l’implication française</a> dans la réponse internationale aux <a href="https://theconversation.com/le-liban-peut-il-sortir-de-la-crise-142970">explosions du port de Beyrouth</a> du 4 août 2020.</p>
<p>Avant même la catastrophe du 4 août, le Liban était confronté à d’immenses défis : aggravation de la crise économique, remise en question du système politique par la <a href="https://theconversation.com/beyrouth-capitale-de-la-colere-144311">contestation sociale</a>, crise de la Covid-19… autant de sujets qui ont relégué au second plan une question cruciale, celle du sort du <a href="https://www.solidarites.org/fr/pays/liban/liban-la-crise-sans-fin-des-refugies-syriens/">million de réfugiés syriens</a> se trouvant actuellement dans le pays.</p>
<h2>Le Liban, terre meurtrie et terre d’asile</h2>
<p>Parmi les pays d’accueil de la région, le Liban se caractérise par la fragilité de son système politique, extrêmement <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2013-4-page-22.htm">polarisé sur la question des réfugiés syriens</a>. Devenu le pays où le pourcentage de réfugiés est le plus élevé au monde en proportion de sa population, le Liban accueillait dès 2015 plus d’un million de Syriens, selon le <a href="https://data2.unhcr.org/en/situations/syria/location/71">Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations unies</a> (UNHCR). Membre exécutif de l’UNHCR, l’État libanais n’est cependant pas signataire de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, et interdit cette même année 2015 à l’UNHCR de continuer à enregistrer l’arrivée de nouveaux réfugiés dans le pays. Cette mesure est prise dans le but de durcir les conditions de renouvellement du statut de résident de ceux que l’État libanais ne reconnaît pas comme « réfugiés » mais comme « déplacés », posant un <a href="https://reliefweb.int/report/lebanon/je-veux-un-endroit-s-r-les-r-fugi-es-de-syrie-d-racin-es-et-sans-protection-au-liban">défi majeur au plan de réponse de la communauté internationale et de l’Union européenne</a>.</p>
<p>Face aux difficultés liées à la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/01/au-liban-les-refugies-dans-le-collimateur-du-ministere-du-travail_5495519_3210.html">régularisation de leur situation</a>, le taux de réfugiés doté d’un statut légal <a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/73118.pdf">a continué de baisser</a> passant de 27 % en 2018 à 22 % en 2019. Leur vulnérabilité est d’autant plus grande que les <a href="https://www.euromed-france.org/temoignage-situation-refugies-syriens-liban-lextr%C3%AAme-vulnerabilite-femmes-enfants/">femmes et les enfants représentent</a> 81 % des réfugiés syriens au Liban.</p>
<p>Précédant la catastrophe du 4 août, la 4<sup>e</sup> <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/international-ministerial-meetings/2020/06/30/">« conférence de Bruxelles »</a> s’est tenue le 29 juin 2020 sous l’égide de l’UE et des Nations unies. Loin des questions liées à la reconstruction de la Syrie, elle s’inscrit dans la lignée des conférences humanitaires en rappelant l’urgence des besoins, promettant 2,3 milliards d’euros pour la période 2020-2021. Le Haut-Commissaire de l’UNHCR <a href="https://europa.eu/!kU96jk">Filippo Grandi</a> a souligné les conséquences de la récession économique sans précédent sur les conditions de vie des réfugiés dans les principaux pays d’accueil (Turquie, Liban, Jordanie, Irak).</p>
<p>Dans un Liban qualifié de pays emblématique de l’urgence humanitaire au Moyen-Orient, cette dégradation des indicateurs questionne l’avenir de la politique poursuivie jusqu’à présent, en particulier par l’UE. En juin 2020, le taux de la population libanaise vivant <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/26/le-liban-un-pays-en-banqueroute_6044321_3210.html">sous le seuil de pauvreté</a> est estimé à 45 % et 75 % des réfugiés syriens au Liban vivent désormais <a href="https://www.unhcr.org/news/stories/2020/8/5f45190d4">sous le seuil d’extrême pauvreté</a>.</p>
<h2>Une réorientation de l’effort de solidarité internationale</h2>
<p>Au Liban, l’Union européenne mène de front différentes négociations. La question des réfugiés, en tête de l’agenda politique en 2016, est désormais au second plan derrière celle de la mise en place de réformes économiques conditionnant les soutiens financiers promis par les bailleurs de fonds européens et internationaux. Lancée en 2018 sous l’égide de la France, la conférence internationale <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/liban/evenements/article/liban-conference-cedre-6-04-2018">C.E.D.RE</a> vise à soutenir le développement et le renforcement de l’économie libanaise à travers des réformes profondes qui <a href="https://orientxxi.info/magazine/once-again-lebanon-is-on-a-financial-tightrope,3224">se font encore attendre</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/p0gtppWaVw0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Jean‑Yves Le Drian et le président du conseil des ministres libanais, M. Saad Hariri (CEDRE).</span></figcaption>
</figure>
<p>À la suite de la plus grande explosion de l’histoire du Liban le 4 août 2020, la solidarité internationale s’est mobilisée <a href="https://www.fr24news.com/fr/a/2020/08/macron-a-declare-a-la-conference-des-donateurs-au-liban-nous-devons-agir-rapidement.html">sous l’impulsion de la France</a> pour répondre aux besoins humanitaires des populations mais également pour rappeler l’urgence de ces plans de réformes.</p>
<h2>La résilience des réfugiés syriens en question</h2>
<p>Après une décennie de conflit, la réponse humanitaire internationale à la crise syrienne rend compte d’une certaine <a href="https://www.nytimes.com/2020/06/30/world/europe/syria-aid-refugees-united-nations.html"><em>fatigue de l’aide</em></a>. Au niveau européen, la pérennité des différents programmes d’aide reste également tributaire du <a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/eu-budget/long-term-eu-budget/2021-2027_en">nouveau budget pluriannuel 2021-2027</a> dont l’adoption a été retardée par la nécessaire prise en compte des défis intra-européens liés notamment à la pandémie de Covid-19. Premier bailleur de fonds international en réponse à la crise syrienne au Moyen-Orient, l’UE a alloué pour le seul cas du Liban 1,7 milliard d’euros dont <a href="https://ec.europa.eu/echo/where/middle-east/lebanon_fr">580 millions d’aide humanitaire</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1306684348867936258"}"></div></p>
<p>La « Résilience » est devenue l’un des maîtres mots de la politique étrangère de l’UE. Elle est définie dans la <a href="http://eeas.europa.eu/archives/docs/top_stories/pdf/eugs_review_web.pdf">nouvelle Stratégie globale de 2016</a> comme la capacité des États et des sociétés à se réformer eux-mêmes, en résistant et en se relevant des crises internes et externes. Né <a href="http://pure.iiasa.ac.at/id/eprint/26/1/RP-73-003.pdf">dans le courant de l’écologie politique et des crises écologiques</a> dans les années 1970, le concept renvoie à la capacité des systèmes à recouvrer leur état initial après un choc. Cette politique, parfaitement illustrée par la position française de <a href="https://www.lci.fr/international/liban-emmanuel-macron-de-retour-a-beyrouth-mardi-1er-septembre-2020-2163310.html">« l’exigence sans l’ingérence »</a>, gouverne désormais <a href="https://www.routledge.com/Resilience-The-Governance-of-Complexity/Chandler/p/book/9780415741408">l’action extérieure de l’ensemble de la communauté internationale</a> et marque une certaine rupture avec le modèle interventionniste des années 1990-2000. En réponse à la crise syrienne, elle est incarnée à la fois par la mise en place en 2014 d’un <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/fonds-madad-pour-la-syrie.html">fonds européen exceptionnel dit « MADAD »</a> et par le lancement du plan « 3RP » (<a href="http://www.3rpsyriacrisis.org">Regional Refugee & Re-silience Plan</a>) des Nations unies.</p>
<h2>Une génération sacrifiée pour construire la Syrie de demain ?</h2>
<p>La <a href="https://www.nolostgeneration.org/">réponse</a> aux besoins des réfugiés à travers leur intégration au secteur éducatif public a constitué l’un des axes de la politique de construction de la résilience du Liban. Le soutien extérieur au renforcement des systèmes nationaux existants doit permettre à l’État hôte de répondre aux besoins des populations les plus vulnérables. Près de 346 millions d’euros <a href="https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/sites/near/files/eu-support-to-lebanon-factsheet.pdf">ont été alloué par l’UE</a> au secteur éducatif et de la protection de l’enfance, dont une majeure partie au pilier dit « de l’accès » à l’éducation.</p>
<p>Mais dans la conjoncture actuelle, la fragilité des programmes d’aide s’accroît dangereusement, en particulier celle du programme d’envergure national <a href="http://racepmulebanon.com/index.php/features-mainmenu-47/race2-article">RACE</a>. lancé en 2014. Malgré les progrès avancés par l’État libanais et la communauté internationale, le constat reste alarmant puisqu’on estime qu’après quatre ans d’efforts <a href="https://data2.unhcr.org/en/documents/download/67380">46 % des enfants syriens</a> ne sont pas scolarisés au Liban. Alors que le secteur public accueille 30 % des libanais les plus vulnérables et que ses <a href="https://www.researchgate.net/publication/324744292_Who_shapes_education_reform_policies_in_Lebanon">multiples fragilités</a> préexistaient à l’arrivée des réfugiés syriens. La destruction de nombreuses écoles causée par les explosions du 4 août accélère la <a href="https://www.opendemocracy.net/en/north-africa-west-asia/how-generation-syrian-children-lebanon-were-robbed-their-education/">nécessité de repenser la réponse</a>.</p>
<p>Cette génération d’enfants déscolarisés est aussi celle qui devra reconstruire la Syrie. Force est de constater que l’intégration à travers l’accès aux services de base n’est <a href="https://data2.unhcr.org/en/documents/download/67380">pas une solution viable</a> mais que l’horizon du retour, invoqué par la <a href="https://orientxxi.info/magazine/liban-une-croisade-haineuse-contre-les-refugies-syriens-et-palestiniens,3228">classe politique libanaise</a> et consigné dans l’<a href="https://www.consilium.europa.eu/media/24224/st03001en16docx.pdf">accord UE-Liban</a> de 2016, <a href="https://www.crisisgroup.org/middle-east-north-africa/eastern-mediterranean/lebanon/211-easing-syrian-refugees-plight-lebanon">ne l’est pas non plus</a>. Face à ce discours diffusé par les élites, le mouvement de protestation populaire du 17 octobre 2019, rassemblant des milliers de Libanais à travers tout le pays et transcendant les divisions confessionnelles pour demander le changement profond d’un système à bout de souffle, s’est cependant distingué en <a href="https://wrmcouncil.org/events/crisis-in-lebanon/">faisant spontanément preuve de solidarité</a> avec les réfugiés syriens.</p>
<p>Construire la résilience des réfugiés pose le défi de les mettre effectivement en capacité de subvenir à leurs besoins. Au-delà, le bilan des politiques d’aide mises en œuvre rappelle également l’urgence de leur fournir des <a href="https://www.unhcr.org/protection.html">droits et une protection</a>, afin d’éviter de leur confier la responsabilité de leur propre exil.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146617/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lyla André a reçu des financements du Fonds pour la Recherche en Sciences Humaines (FRESH) du FNRS. </span></em></p>Le sort du million de réfugiés syriens au Liban reste incertain alors que le pays connaît une crise économique, politique et sociale sans précédent. Quelle réponse de la communauté internationale ?Lyla André, Doctorante en Relations internationales, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1457192020-09-22T20:51:24Z2020-09-22T20:51:24ZQue peut la France au Moyen-Orient ?<p>Depuis l’explosion du 4 août, la France s’est activement impliquée pour parrainer une solution politique dans un Liban au bord de l’effondrement.</p>
<p>L’initiative française pour la formation d’un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/01/emmanuel-macron-annonce-la-formation-d-un-gouvernement-au-liban-dans-les-quinze-jours_6050624_3210.html">gouvernement de mission</a>, déjà <a href="https://www.france24.com/fr/20200916-pas-de-nouveau-gouvernement-au-liban-apr%C3%A8s-l-expiration-du-d%C3%A9lai-annonc%C3%A9-par-paris">bien compromise</a>, devait rehausser l’importance politique de Paris dans ce pays riverain de la Méditerranée orientale. Dans un contexte d’<a href="https://www.lefigaro.fr/international/tensions-en-mediterranee-quand-les-marines-francaise-et-turque-se-toisent-20200901">exacerbation des tensions avec la Turquie</a> dans cette zone stratégique, des interrogations ont surgi sur la manière dont la France chercherait aujourd’hui à tirer parti de sa présence au Liban, et sur sa vision générale de son rôle au Moyen-Orient.</p>
<h2>Le retour d’une approche « gaullo-mitterrandienne » ?</h2>
<p>Au Moyen-Orient, le Liban est le dernier pays où la France dispose encore de leviers d’influence importants lui permettant de préserver ses intérêts stratégiques et sécuritaires.</p>
<p>Sur fond de crise profonde et multidimensionnelle, et face aux dramatiques conséquences sanitaires, économiques et sociales de l’explosion du 4 août, Emmanuel Macron a <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/09/01/visite-du-president-emmanuel-macron-au-liban-moins-dun-mois-apres-lexplosion-au-port-de-beyrouth">affirmé son soutien sans faille</a> et souligné les liens privilégiés que la France entretient avec le Liban. Il a également adopté une position de « pont » entre toutes les communautés, sans exclure aucune partie du jeu politique.</p>
<p>En ce sens, son approche se distingue du soutien traditionnel de Paris aux élites maronites depuis l’indépendance, ou de l’appui, sous le mandat de Jacques Chirac, au premier ministre Rafic Hariri, assassiné en 2005.</p>
<p>Selon certains observateurs, la proposition française, en se dissociant de la position américaine au Liban puisque Paris considère le Hezbollah comme une force politique et sociale <a href="https://www.lefigaro.fr/international/liban-le-pas-de-deux-d-emmanuel-macron-avec-le-hezbollah-20200831">incontournable</a> sans laquelle il ne pourrait y avoir de solution stable et durable, renouerait avec une <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2020/09/ENDEWELD/62194">tradition « gaullo-mitterrandienne »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1301013652187893761"}"></div></p>
<p>Dénoncée comme <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/08/explosion-a-beyourth-les-libanais-manifestent-contre-leurs-dirigeants-une-conference-des-donateurs-organisee-dimanche_6048486_3210.html">responsable de la catastrophe du 4 août</a> et visée depuis octobre 2019 par une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/20/la-contestation-gagne-de-l-ampleur-au-liban-pour-la-quatrieme-journee-de-manifestations_6016248_3210.html">forte contestation populaire</a> née sur le terreau de la faillite économique du pays, la classe politique libanaise dans son ensemble semblait acculée à accepter un compromis. </p>
<p>Un consensus forcé s’est, dans un premier temps, dessiné autour de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/01/liban-mustapha-adib-un-nouveau-premier-ministre-du-serail-politique_6050571_3210.html">nomination de Mustapha Adib</a> – un homme aux connexions françaises bien établies – comme chef d’un gouvernement de mission, et de la nécessité de mettre en œuvre la <a href="https://libnanews.com/la-france-met-en-place-une-feuille-de-route-pour-les-reformes-au-liban/">feuille de route française</a> dévoilée lors de la <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1228502/a-la-residence-des-pins-macron-rencontre-les-chefs-de-partis-et-la-societe-civile.html">rencontre avec Emmanuel Macron</a> à la Résidence des Pins le 1<sup>er</sup> septembre dernier. Or si pour des considérations liées au rapport de force politique interne et à la distribution des portefeuilles, l’initiative française est pour l’instant <a href="https://www.reuters.com/article/liban-crise-gouvernement-idFRKBN268225">bloquée</a>, il n’en reste pas moins que Paris cherche à se positionner au Liban.</p>
<h2>Les objectifs français au Liban, en Irak et ailleurs dans la région</h2>
<p>Pour la France, la priorité est d’éviter une déstabilisation profonde et durable de ce pays qui mettrait en péril ses intérêts sécuritaires. Les Français, principaux contributeurs de la <a href="https://peacekeeping.un.org/fr/mission/finul">FINUL</a>, au sein de laquelle leur contingent forme l’ossature de la Force Command Reserve, sont <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1220338/la-france-nexclut-pas-des-ameliorations-dans-le-mode-operatoire-de-la-finul.html">attachés à cette mission</a> qui leur permet de jouer un rôle d’intermédiation au Proche-Orient. Le Liban est aussi une <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1160515/liban-et-migration-etat-des-lieux-et-idees-de-solution.html">plateforme de migrants et de réfugiés</a>, et la France cherche à tout prix à empêcher une situation de chaos qui favoriserait leur afflux vers l’Europe.</p>
<p>De surcroît, si les simples calculs commerciaux, à savoir l’obtention de parts de marché pour la reconstruction du port de Beyrouth, les travaux d’infrastructures et la construction du réseau électrique, ne constituent pas le fondement premier de l’implication française au Liban, ce facteur a néanmoins son importance dans un contexte global où les entreprises françaises subissent la concurrence américaine, chinoise et russe. Aussi, du fait de la profondeur des liens historiques et d’une importance politique française rehaussée en temps de crise, Paris pourrait bénéficier d’une préférence sur un marché de la reconstruction qui <a href="https://www.lepoint.fr/justice/explosion-a-beyrouth-plus-de-la-moitie-des-hopitaux-hors-service-12-08-2020-2387569_2386.php">se chiffre en milliards</a>.</p>
<p>L’enjeu commercial vaut également pour l’Irak, dans une configuration où la France n’a plus de politique d’ampleur régionale. En privilégiant depuis 2012, les relations avec l’Arabie saoudite, aujourd’hui <a href="https://www.lefigaro.fr/international/coup-de-froid-entre-la-france-et-l-arabie-saoudite-20191220">fortement dégradées</a>, et en agissant à l’ombre des États-Unis, l’influence régionale française ne pouvait que refluer. La nécessité de ne pas être complètement évincée par les reconfigurations géopolitiques a conduit la France à essayer de <a href="https://dailynewsegypt.com/2019/01/28/egyptian-relations-with-france-thriving-following-macrons-visit/">s’associer à l’Égypte</a> dans son activisme régional et sa politique en direction de l’Irak pour développer les relations économiques et commerciales avec Bagdad.</p>
<p>Enfin, Beyrouth représente un <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/le-liban-cle-de-voute-indispensable-de-la-france-dans-l-est-mediterraneen-854895.html">point d’appui essentiel</a> pour contrer les ambitions de la Turquie en Méditerranée orientale.</p>
<h2>Situation complexe en Méditerranée orientale</h2>
<p>Bien que le Liban soit un pays de taille très modeste et où les <a href="https://www.econostrum.info/Le-Liban-commencera-a-explorer-ses-champs-d-hydrocarbures-debut-2019_a23929.html">enjeux gaziers sont limités</a>, il cristallise les tensions régionales et joue de ce fait un rôle clé dans la géopolitique de la Méditerranée orientale.</p>
<p>Les Turcs tentent aujourd’hui de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1231525">s’imposer au Liban</a> comme les leaders de la communauté sunnite, à la faveur du recul de l’Arabie saoudite qui a, il y a plusieurs années déjà, <a href="https://www.liberation.fr/debats/2017/11/10/comment-l-arabie-saoudite-a-demissionne-le-premier-ministre-libanais_1609240">retiré son soutien</a> à l’ancien premier ministre Saad el-Hariri sans retrouver depuis d’alternative crédible. La Turquie, par son activisme diplomatique et via son action associative (association des Frères musulmans libanais et « El-Irchad wa El-Islah » liée à une sensibilité des Frères mais présentant un caractère moins politique et développant principalement des activités sociale, éducative, culturelle), cherche ainsi à étendre son influence dans le Nord et dans la Bekaa ouest.</p>
<p>De son côté, la France, par son ancrage au Liban, entend empêcher une pénétration turque en Méditerranée qui remettrait en cause le statu quo dominant.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/39T5pHnz3Ns?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>L’enjeu gazier n’est pas le principal facteur explicatif du <a href="https://www.la-croix.com/Monde/En-Mediterranee-Grece-lEgypte-unies-contre-Turquie-2020-08-28-1201111209">durcissement de la confrontation stratégique</a> entre la Grèce, Chypre, Israël, la France et l’Égypte d’une part, et la Turquie de l’autre. Prendre en compte Ankara dans le jeu gazier, autrement dit l’intégrer dans le partage du gâteau des ressources gazières des fonds marins entre États riverains du bassin de la Méditerranée, ne heurterait pas de plein fouet les intérêts économiques européens car ce scénario renferme la possibilité d’une coopération économique entre la Turquie et l’Europe. En revanche, la volonté d’affirmation d’une présence turque dans une zone stratégique sur laquelle l’Europe a toujours conservé la haute main est plus problématique dans un contexte où la Méditerranée apparaît de moins en moins comme une mer occidentale.</p>
<p>La Russie est en effet revenue dans cette zone à la faveur de la guerre en Syrie. Elle dispose d’un <a href="https://www.elwatan.com/edition/international/la-mediterranee-nest-plus-une-mer-occidentale-15-11-2017">rail maritime</a> entre la mer Noire et la Méditerranée orientale ainsi que de connexions aériennes entre la région et la mer Caspienne, et cherche à faire contrepoids à l’influence occidentale. Comme le notait <a href="https://journals.openedition.org/cdlm/7652">déjà en 2014</a>, Igor Delanoë, chercheur et directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe, « la crise syrienne a catalysé le réinvestissement de la scène navale méditerranéenne par la Russie, réinvestissement qui aurait de toute façon eu lieu même sans cette crise, mais selon un calendrier probablement plus étalé dans le temps ».</p>
<p>La Chine et l’Iran font également des incursions dans cette zone – une nouvelle réalité géopolitique qui fait dire aux observateurs que la <a href="http://geopragma.fr/la-mer-mediterranee-nest-plus-un-lac-occidental/">Méditerranée n’est plus aujourd’hui un lac occidental</a> dominé par les marines américaine, française et britannique mais apparaît de plus en plus comme une zone de confrontation majeure où toutes les grandes puissances internationales sont présentes.</p>
<p>Ainsi, le point fort de la Turquie est d’être parvenue à renforcer sa capacité manoeuvrière en jouant des contradictions entre les États-Unis et la Russie. Bien que membre de l’OTAN, Ankara a dernièrement resserré ses liens avec les Russes en matière de coopération énergétique, militaire, <a href="https://www.nuklearforum.ch/fr/actualites/e-bulletin/un-pret-russe-pour-la-centrale-nucleaire-turque">nucléaire</a>, et se coordonne avec Moscou pour <a href="https://fmes-france.org/russie-et-turquie-une-cogestion-concurrente-des-conflits-en-syrie-et-libye-par-arnaud-peyronnet/">« geler les conflits »</a>. En dépit de son engagement armé en Libye et en Méditerranée orientale, la Turquie est ménagée par les États-Unis qui ne veulent pas la laisser « dériver » vers l’est.</p>
<h2>Les limites des capacités françaises au Moyen-Orient</h2>
<p>Quant à la France, bien qu’elle tente aujourd’hui de s’affirmer comme intermédiaire privilégié sur la scène libanaise pour défendre plus largement ses intérêts régionaux, sa principale vulnérabilité est qu’elle n’incarne pas réellement un contrepoids à la politique américaine.</p>
<p>L’offre de méditation française a bénéficié du blanc-seing de Washington dans un contexte où la politique de pression américaine à l’encontre du Liban – qui s’est illustrée par des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/30/le-liban-en-proie-aux-tensions-entre-washington-et-teheran_6044692_3210.html">accusations</a> visant le Hezbollah, des sanctions contre les <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/washington-sanctionne-une-importante-banque-libanaise-jammal-trust-20190829">banques et les hommes d’affaires</a> et des <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1232099/les-sanctions-americaines-nauront-aucune-suite-legale-au-liban.html">hommes politiques</a> – a montré ses limites. Cependant, il serait irréaliste de penser que la France aurait encore la prétention et les moyens d’assumer un rôle de puissance au Moyen-Orient.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145719/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’implication de la France au Liban après l’explosion du 4 août dernier lui permet dans une certaine mesure de reprendre pied dans une région où son influence a dernièrement reculé.Lina Kennouche, Doctorante en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1448272020-08-24T19:10:29Z2020-08-24T19:10:29ZLe Hezbollah, défenseur du statu quo au Liban<p>Le 4 août, une nouvelle tragédie a frappé le Liban. Une explosion d’une ampleur sans précédent dans l’histoire du pays, équivalente à un séisme de magnitude 3,3, a fait plus de 170 morts (libanais, syriens et autres nationalités), plus de 6 000 blessés et 300 000 sans-abri. Des dizaines de personnes restent en outre disparues et des <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/explosion-a-beyrouth-les-degats-au-liban-bien-plus-importants-quinitialement-estime-1377832">quartiers entiers de Beyrouth sont dévastés</a>.</p>
<p>Ce drame vient s’ajouter à une situation socio-économique déjà catastrophique du fait de l’éruption de la <a href="https://www.france24.com/fr/20191019-liban-crise-economique-manifestations-taxes-corruption-dollar-penurie-chomage-pauvrete">crise économique en octobre 2019</a> et des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/coronavirus-liban-confinement-couvre-feu_fr_5f3c096cc5b60a9ef33f2b14">effets de la pandémie Covid-19</a>. La proportion des Libanais vivant sous le seuil de pauvreté a atteint les 55 %, tandis que le taux de chômage dépasse les 35 %.</p>
<p>Les médias des pays occidentaux se sont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/17/au-liban-le-hezbollah-est-sur-la-defensive-depuis-l-explosion_6049100_3210.html">particulièrement intéressés</a> au rôle du Hezbollah sur la scène politique libanaise lors de ces derniers événements, parmi lesquels le <a href="https://www.20minutes.fr/monde/2841891-20200818-affaire-rafic-hariri-membre-presume-hezbollah-reconnu-coupable-trois-autres-acquittes">verdict</a> du Tribunal spécial pour le Liban dans l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri – un verdict qui a rassuré le parti islamique chiite puisqu’il s’est soldé par trois acquittements, une seule inculpation et l’affirmation qu’aucune preuve ne permettait d’établir un lien direct entre, d’une part, le Hezbollah et le régime syrien et, d’autre part, l’explosion du 14 février 2005.</p>
<p>Le Hezbollah est présenté par ses détracteurs comme une organisation terroriste et par ses partisans comme un acteur clé de la résistance face à Israël et à l’impérialisme occidental et comme un défenseur des opprimés. Ces descriptions, à bien des égards caricaturales, ne permettent pas de saisir le rôle du Hezbollah dans le champ politique libanais, en particulier depuis le déclenchement du soulèvement de protestation populaire en octobre 2019.</p>
<h2>La défiance du Hezbollah face au soulèvement d’octobre 2019</h2>
<p>Le Hezbollah a adopté depuis le début une attitude de défiance envers le soulèvement populaire massif qui a commencé le 17 octobre 2019 et qui, pour la première fois, a massivement touché les régions à majorité chiite, notamment le sud du Liban et la ville de Baalbek dans la Bekaa. Dans ces régions, le tandem composé du Hezbollah et d’Amal (l’autre grand mouvement chiite libanais), accusé d’avoir empêché le développement socio-économique en imposant des politiques clientélistes et autoritaires, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1195418/a-baalbeck-le-trone-du-hezbollah-a-enfin-ete-secoue-.html">n’a pas été épargné par les manifestants</a>.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1191786/nasrallah-nous-ne-sommes-pas-en-faveur-de-la-demission-du-gouvernement.html">premier discours postérieur à ces événements</a>, Hassan Nasrallah a d’abord accusé les protestataires de plonger le pays dans le chaos et d’être les instruments d’un complot étranger. Il a également offert un soutien inconditionnel au président Michel Aoun, même s’il a par la suite un peu modéré son propos.</p>
<p>Le Hezbollah a mobilisé sa base populaire dans les régions à majorité chiite <a href="https://www.carep-paris.org/publications/papiers-de-recherche/le-hezbollah-face-au-mouvement-populaire-libanais-du-confessionnalisme-comme-regime-de-domination/">pour démontrer qu’il conservait le soutien de sa base</a> et, surtout, pour intimider les manifestants dans différentes localités. Ses membres n’ont pas hésité à attaquer à plusieurs reprises les manifestants à Beyrouth et dans d’autres villes du pays et à menacer plusieurs personnalités et activistes de la contestation. Les supporters du Hezbollah, avec ceux d’Amal, ont multiplié provocations et slogans confessionnels, scandant « chiites, chiites » ou « Nous voulons un nouveau 7 mai », en référence à l’invasion militaire de Beyrouth-Ouest par le Hezbollah et ses alliés en <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2008/05/31/01003-20080531ARTFIG00042-comment-le-hezbollah-impose-sa-loi-au-liban.php">2008</a>, pour diviser le mouvement de protestation.</p>
<p>À travers ces démonstrations de force, l’objectif principal du duo Hezbollah-Amal était d’étouffer les manifestations en réoccupant les lieux publics dans les régions dominées par ces partis. Le Hezbollah a également cherché à maintenir ses alliances politiques avec des mouvements dénoncés par les manifestants pour leur corruption, en particulier Amal et le Courant patriotique libre de Michel Aoun.</p>
<h2>Après l’explosion : maintenir à tout prix le système confessionnel</h2>
<p>À la suite de la tragédie du 4 août, tous les partis politiques dominants ont nié toute connaissance et/ou responsabilité dans la gestion du nitrate d’ammonium stocké dans le hangar du port, y compris le Hezbollah. Le journaliste libanais Riad Kobeissi, qui travaille depuis des années sur la corruption liée aux activités portuaires à Beyrouth, a cependant <a href="https://www.opendemocracy.net/en/north-africa-west-asia/lebanons-deadly-blast-when-corruption-turned-into-carnage/">démontré</a> que toute la structure du port et sa gestion, ainsi que l’inspection des douanes, se trouvent entre les mains de personnalités affiliées aux acteurs dominants du système politique libanais : le Courant patriotique libre, d’Amal, du Hezbollah et du Courant du Futur.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1295388679330881536"}"></div></p>
<p>Rappelons que la représentation politique au Liban est organisée aux plus hauts échelons de l’État selon des critères confessionnels. Les postes au sein des institutions publiques, en particulier les plus élevés, sont également distribués en fonction de lignes confessionnelles et partisanes. Le système confessionnel au Liban (comme le confessionnalisme plus généralement) est l’un des principaux instruments utilisés par les partis confessionnels dominants pour renforcer leur contrôle sur les classes populaires, en les maintenant subordonnées à leurs chefs confessionnels.</p>
<p>Le président Michel Aoun et le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ont <a href="https://www.letemps.ch/monde/president-libanais-rejette-toute-enquete-internationale">refusé toute enquête internationale sur la tragédie du 4 août</a> en invoquant la défense de la souveraineté nationale. Les deux hommes souhaitent que l’enquête soit conduite par l’armée libanaise… laquelle est dominée en grande partie par leurs partis. Derrière ce choix, on devine évidemment la volonté d’empêcher que les vrais responsables, tous issus des partis dominants, soient pointés du doigt, de même que le système politique libanais dans son entier, et en particulier les mécanismes de distribution des postes au sein de l’administration publique qui, on l’a dit, suivent des logiques confessionnelles et partisanes.</p>
<p>En tout cas, les autorités libanaises, qui avaient promis que les premiers résultats de l’enquête seraient dévoilés dans un délai maximal de cinq jours, n’avaient toujours donné aucune indication au public plus de deux semaines après l’explosion.</p>
<h2>Le Hezbollah et les réformes néolibérales</h2>
<p>Un grand nombre de chefs d’État internationaux et régionaux ont officiellement apporté leur soutien à la population libanaise à la suite de la catastrophe du 4 août. Une <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/liban/evenements/article/conference-internationale-de-soutien-et-d-appui-a-beyrouth-et-au-peuple">visioconférence sur le Liban</a>, organisée à l’initiative du président français Emmanuel Macron et réunissant les représentants d’une trentaine de pays, occidentaux et arabes, à laquelle ont également pris part des représentants du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale, du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et de la Banque européenne d’investissement (BIRD), a abouti à un accord sur une assistance d’urgence au Liban à brève échéance, pour un total de 252,7 millions d’euros.</p>
<p>Mais comme dans bien des crises, les États et les institutions monétaires internationales considèrent ces moments comme des occasions de promouvoir et d’approfondir les dynamiques néolibérales, notamment l’extension de l’économie de marché à divers secteurs économiques jusqu’ici dominés par les secteurs étatiques. Ainsi, d’autres types d’aides et versements, de plusieurs milliards de dollars, également prévus par ces groupes d’États et institutions, sont <a href="https://www.france24.com/fr/20191211-paris-conditionne-l-aide-internationale-au-liban-%C3%A0-la-mise-en-place-d-un-gouvernement-r%C3%A9formateur">conditionnés</a> à la mise en œuvre de « réformes institutionnelles ».</p>
<p>Emmanuel Macron et la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, ont par exemple souligné qu’il était « essentiel » de <a href="https://www.bfmtv.com/economie/le-fmi-appelle-le-liban-a-sortir-de-l-impasse-sur-les-reformes_AD-202008060161.html">« sortir de l’impasse »</a> dans laquelle se sont retrouvées les <a href="http://backend.institutdesfinances.gov.lb/wp-content/uploads/2020/06/Le-point-sur-l%E2%80%99%C3%A9volution-des-discussions-entre-le-Liban-et-le-FMI.pdf">discussions entre le Liban et le FMI</a> entamées à la mi-mai 2020. Pour cela, il convient selon le président français et Mme Georgieva d’appliquer des réformes dont la mise en œuvre a été érigée en condition préalable à tout déblocage d’aides financières aussi bien de la part du FMI – que le Liban a officiellement sollicité à cette fin début mai – que de l’ensemble des soutiens internationaux du pays, notamment des participants à la <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/liban/evenements/article/liban-conference-cedre-6-04-2018">conférence de Paris d’avril 2018 (programme CEDRE)</a>, qui ont réservé plus de 11 milliards de dollars en prêts et dons pour le Liban. En échange de ces milliards de dollars, le gouvernement libanais doit s’engager à développer les partenariats public-privé, à réduire le niveau de la dette et à imposer des <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/le-liban-en-defaut-de-paiement-confronte-au-defi-des-reformes-6770488">mesures d’austérité</a>.</p>
<p>Tous les partis politiques confessionnels dominants sont d’accord sur ces mesures, y compris le Hezbollah. Le gouvernement d’union nationale libanais composé de tous ces partis, y compris du Hezbollah, et mené par Saad Hariri avant sa démission à la suite du déclenchement du mouvement de protestation populaire en octobre 2019, avait d’ailleurs prévu la fusion ou la suppression de certaines institutions publiques et la <a href="https://theconversation.com/lelectricite-un-enjeu-clef-de-la-crise-libanaise-144217">privatisation du secteur de l’électricité</a>, dans le cadre de son plan budgétaire 2020.</p>
<p>De même, le Hezbollah ne s’est pas opposé à la demande du précédent gouvernement, conduit par le premier ministre Hassan Diab, de faire appel au FMI en mai 2020 pour un plan de « sauvetage » face à la crise économique.</p>
<h2>Le Hezbollah contre tout changement radical</h2>
<p>Quelques jours après l’explosion du 4 août, des manifestations massives ont eu lieu à Beyrouth pour exiger le jugement des responsables de la tragédie, le renversement du gouvernement et la destitution de la Chambre des députés et du président Michel Aoun.</p>
<p>Les forces de l’ordre, et la milice du Parlement, liée au président de la Chambre des députés Nabih Berri, ont <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/08/20/tentative-de-meurtre-la-colere-des-libanais-apres-lexplosion-decuplee-par-la-repression">violemment réprimé les manifestants</a>, y compris en tirant à balles réelles. Il y a eu plusieurs centaines de blessés et des dizaines d’arrestations.</p>
<p>La <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/10/le-premier-ministre-libanais-hassan-diab-annonce-la-demission-de-son-gouvernement_6048624_3210.html">démission du gouvernement d’Hassan Diab le 10 août</a> n’a pas calmé le mouvement de protestation. Nombre de Libanais exigent toujours de voir les responsables du drame du 4 août traduits en justice, réclament des comptes pour la négligence de l’État et demandent un changement radical. Or les partis confessionnels dominants cherchent déjà à contrôler les prochaines étapes.</p>
<p>Quelques heures après la démission d’Hassan Diab, Nabih Berry s’est par exemple entretenu avec le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, ainsi qu’avec Hussein Khalil, le bras droit d’Hassan Nasrallah. Était également présent l’ancien ministre Ali Hassan Khalil, conseiller politique de M. Berry. Les participants se seraient entendus sur le refus d’un gouvernement neutre et sur la mise en place d’un gouvernement d’entente nationale et de la tenue de législatives anticipées. Hassan Nasrallah, dans son <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/liban-nasrallah-pour-un-gouvernement-de-partis-traditionnels-20200814">discours</a> du 14 août, a d’ailleurs réitéré son souhait de voir la formation d’un gouvernement d’union nationale et accusé les manifestants de mener le pays vers la guerre civile en voulant renverser l’État et le président Aoun.</p>
<p>Le jeudi 13 août, les principales forces politiques libanaises au Parlement ont <a href="https://www.laprovence.com/article/france-monde/6076532/liban-le-parlement-doit-enteriner-letat-durgence-a-beyrouth-sinistree.html">entériné l’état d’urgence</a>, qui avait été décrété le 5 août. Cela donne au « pouvoir militaire suprême », pendant cette période – jusqu’au 21 août avec possibilité de prolongation dans le cas présent –, l’autorité sur l’ensemble des forces de sécurité du pays et la responsabilité de maintenir l’ordre. Durant l’état d’urgence, l’armée libanaise peut donc procéder à des arrestations sans avoir recours à la justice, limiter la liberté de la presse et des médias, interdire les rassemblements, etc. Mettre fin aux manifestations populaires est en effet une priorité pour les partis dominants.</p>
<p>Le Hezbollah, comme les autres formations confessionnelles, perçoit le mouvement populaire comme une menace existentielle et s’oppose à ses demandes de changement radical. Le Hezbollah ne propose aucune vision politique contestant le système économique néolibéral ou le système confessionnel. Au contraire, il considère ce système comme un moyen de servir ses propres intérêts.</p>
<p>Aucun changement radical ne pourra avoir lieu sans une rupture avec le système confessionnel néolibéral, ses élites dominantes et ses sponsors étrangers. Le Hezbollah n’est pas une exception et est inclus dans le slogan de l’Intifada libanaise <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/tous-ca-veut-dire-tous">« Tous, ça veut dire tous »</a>, qui remet en cause <em>tous</em> les partis confessionnels dominants, jugés responsables de la misère sociale et économique du pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144827/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joseph Daher ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans un Liban balayé par une puissante vague de protestation populaire, le Hezbollah cherche à tout prix à maintenir le système existant, fondé sur le confessionnalisme.Joseph Daher, Maitre de conférences, faculté sciences sociales et politiques, Université de LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1442162020-08-13T19:31:48Z2020-08-13T19:31:48ZGéopolitique d’un Liban au bord du gouffre<p>Quelques jours après une explosion meurtrière d’un entrepôt renfermant 2750 tonnes de nitrate d’ammonium, le Liban est secoué par des <a href="https://theconversation.com/beyrouth-capitale-de-la-colere-144311">manifestations</a> et une cascade de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1228887/les-demissions-au-sein-du-gouvernement-et-du-parlement-se-poursuivent.html">démissions</a> qui traduisent une exacerbation de la confrontation politique interne sur fond de bras de fer géopolitique régional.</p>
<p>L’explosion d’un stock de nitrate d’ammonium entreposé dans le port de Beyrouth, depuis 2014, dont le potentiel terriblement dévastateur <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/liban-a-lorigine-de-lexplosion-un-cargo-russe-delabre-qui-ne-devait-pas-accoster-a-beyrouth-1229056">était connu</a>, incarne une énième illustration mortifère de la corruption endémique qui caractérise le système libanais.</p>
<h2>Un échiquier politique bouleversé</h2>
<p>Dans le même temps, des hommes politiques se sont saisis de ce contexte pour régler violemment leurs comptes. Plusieurs députés ont démissionné : <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1228297/demission-du-depute-marwan-hamade.html">Marwan Hamadé</a> (du bloc de la Rencontre démocratique du leader druze Walid Jumblatt), <a href="https://libnanews.com/liban-explosion-une-serie-de-demissions-au-parlement/">suivi de tout le bloc parlementaire des Phalanges</a>.</p>
<p>Fragilisé par le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1228784/la-ministre-de-linformation-demissionne-du-gouvernement-diab.html">départ de plusieurs ministres</a>, le gouvernement de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/liban-qui-est-hassan-diab-le-nouveau-premier-ministre-qui-succede-a-hariri-20191219">Hassan Diab</a>, nommé fin 2019, a annoncé à son tour <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/10/le-premier-ministre-libanais-hassan-diab-annonce-la-demission-de-son-gouvernement_6048624_3210.html">sa démission le 10 août</a>, sur fond de campagne médiatique enjoignant le président libanais Michel Aoun de renoncer au pouvoir.</p>
<p>Or, ces deux figures sont considérées comme les principaux soutiens politiques du <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Hezbollah.html">Hezbollah</a> parti chiite libanais allié à l’Iran.</p>
<h2>La force du Hezbollah, du sud du Pakistan à Gaza</h2>
<p>Le Hezbollah est une <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/05/07/au-liban-le-camp-pro-hezbollah-sort-renforce-des-elections-legislatives_5295506_3218.html">force incontournable sur l’échiquier libanais</a> et joue depuis 2012 un rôle clef sur la scène régionale.</p>
<p>Il n’a cessé au fil des années de confirmer sa puissance militaire, révélée en 2000 dans le contexte de l’évacuation inconditionnelle d’Israël de la majeure partie du territoire libanais – occupée depuis 1978.</p>
<p>En 2006, le parti a montré sa force de frappe lors de la guerre des trente-trois jours contre le Liban – le rapport de la commission d’enquête israélienne Winograd concluant <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2008/01/30/01003-20080130ARTFIG00597-guerre-du-liban-israel-revient-sur-son-grand-ratage.php">à un échec militaire israélien</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/352719/original/file-20200813-14-knbx5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte du système de défense stratégique du Hezbollah, en juillet 2006." src="https://images.theconversation.com/files/352719/original/file-20200813-14-knbx5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/352719/original/file-20200813-14-knbx5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/352719/original/file-20200813-14-knbx5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/352719/original/file-20200813-14-knbx5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/352719/original/file-20200813-14-knbx5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/352719/original/file-20200813-14-knbx5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/352719/original/file-20200813-14-knbx5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Système de défense stratégique du Hezbollah, en juillet 2006.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/File:Hezbollah_Defensive_System_in_Southern_Lebanon.png">Matt M. Matthews US army/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À partir de 2012, en s’impliquant activement dans plusieurs conflits, du sud du Pakistan à Gaza et auprès de divers alliés sur cet axe, l’organisation a consolidé son ancrage régional.</p>
<p>En effet, dans l’engrenage de la crise syrienne, le Hezbollah a su transformer la menace qui pesait sur l’organisation – se retrouver enclavée en cas de défaite militaire sans débouché syrien – en opportunité, en renforçant sa force de frappe balistique et sa capacité à mener des opérations offensives.</p>
<p>Il a parallèlement considérablement développé son arsenal militaire au sud-Liban et fortifié ses positions grâce au glissement des moyens militaires et à l’amélioration de ses <a href="https://www.jpost.com/jerusalem-report/hezbollah-at-a-crossroad-452309">capacités dans le domaine du renseignement</a>.</p>
<p>Ainsi ces deux dernières années, dans une logique régionale visant à contenir l’influence iranienne, le terrain libanais a occupé une place importante et l’enjeu s’est cristallisé autour du Hezbollah.</p>
<p>Depuis octobre 2019 et l’irruption du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/20/la-contestation-gagne-de-l-ampleur-au-liban-pour-la-quatrieme-journee-de-manifestations_6016248_3210.html">mouvement de contestation au Liban</a>, le parti – qui a cherché à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/04/09/au-liban-la-demonstration-de-force-du-hezbollah-face-au-coronavirus_6036109_3210.html">redorer son blason</a> avec la crise sanitaire – est décrié par une partie des Libanais.</p>
<p>Ces derniers lui reprochent ses jeux d’alliance dans une société traversée par des contradictions communautaires, sociales et nationales. Aujourd’hui, la catastrophe ravive les antagonismes et la défiance contre le Hezbollah dans un contexte de confrontation exacerbée entre l’Iran et ses alliés d’un côté, les États-Unis, Israël, l’Arabie saoudite et les Emirats de l’autre.</p>
<h2>Le Hezbollah mis sous pression sur tous les fronts</h2>
<p>Les adversaires politiques du Hezbollah, accusent l’organisation d’avoir délibérément ignoré l’existence de la cargaison à l’origine de la catastrophe, attaque à laquelle a répondu, le secrétaire général du parti dans son <a href="https://libnanews.com/le-hezbollah-refute-tout-lien-avec-la-cargaison-de-nitrate-dammonium/">allocution télévisée le 7 août dernier</a>, en ironisant sur le fait qu’il était plus informé sur le port de Haifa, en Israël, que celui de Beyrouth.</p>
<p>Et pour cause le Hezbollah se présente à l’opinion libanaise d’abord comme un mouvement dont la vocation première est la résistance à l’état d’Israël et non comme un acteur ayant un agenda politique en interne.</p>
<p>Or, c’est précisément pour cela que <a href="https://www.lorientlejour.com/article/amp/1193921/la-contestation-de-gauche-face-au-hezbollah">certains militants de gauche, soutiens du Hezbollah</a>, s’interrogent sur les objectifs de l’organisation. Parties prenantes des mouvements de contestation populaire au Liban, ces collectifs ne comprennent pas la direction prise par le parti chiite.</p>
<p>Mais l’organisation est surtout considérée comme la principale responsable de la politique de pression américaine à l’encontre du Liban, illustrée notamment par les sanctions contre des <a href="https://www.rfi.fr/fr/economie/20190830-financement-hezbollah-sanctions-americaines-contre-une-banque-libanaise">hommes d’affaires et des banques libanaises</a>, en raison de son lien organique avec l’Iran et de son implication dans les conflits régionaux.</p>
<p>Les États-Unis, la Grande-Bretagne et plus récemment l’Allemagne considèrent en effet ce parti comme une <a href="https://www.dw.com/en/hezbollah-accuses-germany-of-giving-in-to-us-israel-with-ban/a-53329469">organisation terroriste</a>.</p>
<p>Depuis le 4 août, l’hypothèse d’un bombardement ou d’un sabotage a très largement été véhiculée dans la presse, même si jusque-là aucune preuve n’a été avancée, le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1228610/aoun-evoque-la-possibilite-dun-missile-ou-dune-bombe.html">président libanais ayant lui-même évoqué cette piste</a>.</p>
<p>Ce développement intervient dans un contexte géopolitique régional de durcissement de la confrontation entre l’axe Hezbollah- Syrie – Irak – Iran, et la coalition américano-israélo-saoudienne qui se traduit par une véritable <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-24-juin-2019">guerre hybride</a> dans laquelle la réalisation des objectifs stratégiques suppose une combinaison de moyens politiques, économiques, militaires et cybernétiques.</p>
<h2>Des confrontations de plus en plus tendues</h2>
<p>En juillet, l’intensification des raids israéliens contre des positions militaires des alliés du Hezbollah en Syrie a <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1226784/un-combattant-du-hezbollah-tue-dans-des-frappes-israeliennes-pres-de-damas.html">tué plusieurs combattants</a>.</p>
<p>Elle fait aussi suite à une série d’attaques « israéliennes » contre des sites stratégiques iraniens depuis le 25 juin dernier, comme <a href="https://fr.timesofisrael.com/la-frappe-israelienne-presumee-de-natanz-en-iran-aussi-complexe-que-stuxnet/">celle présumée sur une usine à centrifugeuse à Natanz</a>.</p>
<p>Tandis qu’Israël multiplie les démonstrations de force, Washington, de son côté, use de pressions maximales contre Téhéran afin d’entraver et affaiblir durablement son développement militaire et balistique, ainsi que celui de ses alliés.</p>
<p>Si officiellement les autorités israéliennes ont feint de se montrer solidaires de la tragédie libanaise, cette attitude a été qualifié de « vaste blague » sur les réseaux sociaux libanais tandis que Haaretz dénonce un <a href="https://www.haaretz.com/middle-east-news/.premium-israel-beirut-lebanon-blast-support-1.9050449">« spectacle abject d’hypocrisie »</a>. La veille de l’explosion, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1228140/dix-violations-aeriennes-israeliennes-enregistrees-lundi.html">dix violations aériennes israéliennes ont été enregistrées</a> par le commandement de l’armée libanaise.</p>
<p>C’est dans cette configuration que le Hezbollah est sévèrement critiqué par ses adversaires politiques libanais (notamment le Courant du Futur et les forces Libanaises) qui considèrent que par la nature de ses alliances, il entraîne le Liban dans une polarisation régionale à l’heure où la neutralité du pays lui épargnerait les <a href="https://theconversation.com/au-chevet-de-beyrouth-que-peut-la-france-pour-le-liban-144100">affres des conflits voisins</a>.</p>
<h2>Influences extérieures</h2>
<p>Alors que la catastrophe humanitaire fait ressurgir des tensions internes, pour les rivaux de l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats, ce drame offre un contexte propice pour tenter d’influer sur l’opinion libanaise et retourner une partie de la base sociale du Hezbollah contre lui.</p>
<p>Le traitement médiatique de chaînes saoudiennes, à l’exemple d’Al arabiya, a par ailleurs mis en lumière les réserves de Riyad vis-à-vis des positions prises par le président français, lors de sa visite à Beyrouth, espérant sans doute une réaction plus ferme à l’égard du Hezbollah.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DJ1IgBHihPs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Intégralité du discours d’Emmannuel Macron au Libran, BFMTV.</span></figcaption>
</figure>
<p>Mais Emmanuel Macron ne s’est pas rallié spontanément à la position de Washington et à déployé des efforts de conciliation entre les sensibilités politiques différentes <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1228502/a-la-residence-des-pins-macron-rencontre-les-chefs-de-partis-et-la-societe-civile.html">invitant les chefs de tous les groupes parlementaires à s’asseoir avec lui</a>, le 6 août dernier.</p>
<h2>Un effort de médiation</h2>
<p>À l’issue de cette rencontre, le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1228702/macron-a-beyrouth-trois-semaines-pour-agir-concretement.html">tête à tête de Macron avec le chef du groupe du Hezbollah</a>, Mohammad Raad, a marqué, à la fois, sa différence d’approche avec Washington qui ne reconnaît ni le Hezbollah, ni le gouvernement démissionnaire de Hassan Diab considéré comme étant sous l’influence de l’organisation, et son intention de jouer les médiateurs entre Washington et la partie libanaise.</p>
<p>Lors de son entretien téléphonique avec Donald Trump, le 7 août, le président français n’a pas manquer de <a href="https://www.lopinion.fr/edition/international/liban-macron-redessine-carte-politique-221800">souligner</a> à son homologue « que la politique de sanctions et de désertion américaine, ainsi que la fin de l’aide des pays du Golfe, faisait le jeu de l’Iran et du Hezbollah au Liban ».</p>
<p>De leurs côtés, Saoudiens et Émiratis ont exigé, lors de la <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1228806/les-donateurs-internationaux-au-chevet-du-liban-meurtri.htm">réunion dimanche des donateurs internationaux</a> en soutien au Liban, que l’aide soit accordée directement aux Libanais sans passer par les institutions étatiques.</p>
<p>Cette aide pourrait également servir de levier pour l’imposition d’autres conditionnalités politiques comme des garanties sur le contrôle de la frontière entre le Liban et la Syrie pour empêcher l’entrée des armes du Hezbollah.</p>
<h2>Un tourbillon de violences</h2>
<p>Dans ce climat tendu, le tribunal spécial pour le Liban, devrait rendre prochainement son <a href="https://libnanews.com/le-tribunal-special-sur-le-liban-devrait-rendre-son-verdict-le-18-aout-2020">verdict</a> quant au procès de quatre personnes accusées d’avoir fomenté l’assassinat de l’ex-Premier ministre libanais <a href="https://fr.euronews.com/2006/11/22/un-tribunal-international-pour-les-assassins-de-rafic-hariri">Rafic Hariri</a> le 14 février 2005.</p>
<p>Cet assassinat a entraîné une extrême instabilité au Liban et la polarisation excessive du paysage politique entre le mouvement du 8 mars (pro-syrien) et celui du 14 mars réclamant le départ des troupes syriennes, sur fond de bras de fer géopolitique entre l’Arabie saoudite et l’Iran.</p>
<p>Dans le contexte actuel, un verdict d’inculpation de membres du Hezbollah pourrait renforcer la pression en interne et la volonté des adversaires politiques alliés à des puissances rivales de l’Iran d’isoler davantage l’organisation. Cela risque d’entraîner le pays dans une spirale de violences à l’heure où la priorité est de définir les responsabilités, de produire un changement qualitatif dans la gestion des institutions publiques et de s’accorder sur les modalités de la reconstruction d’un pays ruiné et à bout de souffle.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144216/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au Liban, l’exacerbation de la confrontation politique interne sur fond de bras de fer géopolitique régional peut embraser la région.Lina Kennouche, Doctorante en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1442172020-08-13T19:31:25Z2020-08-13T19:31:25ZL’électricité, un enjeu clef de la crise libanaise<p>La double explosion du mardi 4 août à Beyrouth, poumon économique du Liban, a entraîné des pertes humaines et matérielles dramatiques alors même que le pays du Cèdre est en plein <a href="https://theconversation.com/le-liban-peut-il-sortir-de-la-crise-142970">naufrage économique</a> et pris dans un vent de contestation politique depuis la <a href="https://theconversation.com/les-libanais-entre-exaltation-et-angoisse-vent-debout-contre-la-corruption-des-elites-125610">révolution d’octobre 2019</a>.</p>
<p>Dans le contexte de grande fragilité politico-économique que connaît aujourd’hui le Liban, la question de l’accès à l’électricité est essentielle. Celle-ci est au cœur des revendications des Libanais qui dénoncent <a href="https://www.lcps-lebanon.org/featuredArticle.php?id=314">l’inertie, la gabegie et la corruption</a> qui minent le secteur de l’électricité.</p>
<p>Face aux défaillances du réseau conventionnel et dans l’absence de réformes, un ensemble de solutions diversifiées d’accès à l’électricité s’ancrent dans les pratiques et déstabilisent le système électrique libanais.</p>
<h2>Pannes d’électricité de 3 à 20 heures par jour</h2>
<p>Au Liban, le secteur de l’électricité est centralisé avec le quasi-monopole d’Électricité du Liban (EDL), établissement public sous tutelle du ministère de l’Énergie et de l’Eau.</p>
<p>Alors même que le pays est électrifié à plus de 99 %, la sous-production et une gestion erratique des infrastructures entraînent des coupures d’électricité de 3 à 20 heures par jour, variables selon les régions et les localités.</p>
<p>En 2018, 37 % de la demande en électricité n’était pas couverte par EDL, et si la production n’augmente pas, en 2025 56 % de la demande <a href="http://documents1.worldbank.org/curated/en/353531589865018948/pdf/Distributed-Power-Generation-for-Lebanon-Market-Assessment-and-Policy-Pathways.pdf">restera insatisfaite</a></p>
<p>Lourdement touché par la guerre civile puis la guerre de 2006, le secteur de l’électricité libanais accumule aujourd’hui les mauvaises performances techniques et financières, et doit être restructuré depuis près de 20 ans.</p>
<h2>EDL, second poste de la dette publique</h2>
<p>Les pertes techniques et non techniques sont estimées à 40 % du total de la production, notamment dues à des problèmes de gestion des infrastructures comme le <a href="https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2009-2-page-421.htm">retard de paiement, le non-paiement et le vol d’électricité</a>. En outre, le tarif conventionnel demeure inchangé depuis 1994 avec un tarif de revente de 9 centimes de dollar par kilowatt-heure (kWh) pour le consommateur, alors que le coût de production est en moyenne de 18 centimes de dollar le kWh pour EDL. Enfin, avec <a href="http://lcec.org.lb/Content/uploads/LCECOther/161214021429307%7ENREAP_DEC14.pdf">96 % de l’énergie primaire importée</a> et un modèle majoritairement fossile, la production nationale reste dépendante de l’étranger.</p>
<p>En conséquence, l’opérateur national EDL est le second poste de la <a href="https://www.executive-magazine.com/economics-policy/lebanons-new-electricity-plan">dette publique</a> : les transferts du bon du Trésor libanais vers EDL sont estimés entre 1,5 et 2 milliards de dollars par an.</p>
<p>Les coupures pèsent sur l’ensemble de l’économie libanaise avec des factures énergétiques très élevées pour les entreprises et les ménages.</p>
<h2>Des pénuries aux conséquences variables sur le territoire</h2>
<p>La structure tarifaire d’EDL et le rationnement en électricité géographiquement différencié se traduisent par un subventionnement des gros consommateurs et plus particulièrement <a href="http://www.lcps-lebanon.org/featuredArticle.php?id=163">ceux habitant Beyrouth</a>.</p>
<p>Actuellement, le système de redistribution d’EDL est régressif avec un coût de production doublement supérieur au tarif de revente EDL. Ce sont donc les grands consommateurs, et les territoires les moins rationnés qui profitent de ce tarif implicitement subventionné, alors que les tarifs au kWh des groupes électrogènes privés présents sur l’ensemble du territoire dépassent de trois à quatre fois les prix d’EDL (en moyenne 0,20 $/kWh pour un générateur individuel ; entre 0,25 et 0,30 $/kWh pour un consommateur abonné aux générateurs collectifs).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Quartier de Bourj Hammoud" src="https://images.theconversation.com/files/351987/original/file-20200810-18-12odv3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/351987/original/file-20200810-18-12odv3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/351987/original/file-20200810-18-12odv3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/351987/original/file-20200810-18-12odv3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/351987/original/file-20200810-18-12odv3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/351987/original/file-20200810-18-12odv3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/351987/original/file-20200810-18-12odv3e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Quartier de Bourj Hammoud Beyrouth : la prolifération de câbles témoigne de l’état du système électrique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pxfuel.com/en/free-photo-ibtky">Pxfuel</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais depuis plusieurs semaines, face à l’incapacité d’EDL d’assurer un approvisionnement en fioul pour ses centrales de production, le rationnement en électricité s’est sévèrement aggravé avec des coupures de 20 heures par jour plongeant dans l’obscurité l’ensemble des ménages libanais.</p>
<p>Malgré la <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1165157/cedre-un-an-apres-ou-en-est-on-.html">pression des bailleurs de fonds internationaux</a> pour restructurer le secteur de l’électricité, les controverses juridiques, le manque de ressources et l’instabilité politico-économique ont jusqu’à présent empêché la mise en œuvre des réformes nécessaires (restructuration du tarif, augmentation de la production, réhabilitation des infrastructures existantes).</p>
<h2>Le fructueux marché des générateurs</h2>
<p>En raison de la dégradation structurelle du réseau conventionnel d’électricité, émergent au Liban des pratiques alternatives dans la production, la transmission et la distribution d’électricité.</p>
<p>Développés pendant la guerre civile comme systèmes compensatoires individuels et solidaires, les groupes électrogènes sont progressivement devenus des <a href="https://journals.openedition.org/geocarrefour/7861">dispositifs collectifs et marchands</a> de fourniture d’électricité.</p>
<p>En 2019, les <a href="http://www.cas.gov.lb/images/Publications/Labour%20Force%20and%20Household%20Living%20Conditions%20Survey%202018-2019.pdf">générateurs alimentaient 84 % des ménages</a> pendant les heures de rationnement, représentant un marché informel de 2 milliards de dollars par an, 13 200 emplois et <a href="http://documents1.worldbank.org/curated/en/353531589865018948/pdf/Distributed-Power-Generation-for-Lebanon-Market-Assessment-and-Policy-Pathways.pdf">7000 propriétaires</a>.</p>
<p>Les propriétaires de générateurs détiennent aujourd’hui des micro-monopoles territoriaux avec le commerce des abonnements aux générateurs, dont la régulation est assurée par les municipalités sans que cela ne relève <a href="https://journals.openedition.org/geocarrefour/7861">d’une compétence propre</a>. En effet, la municipalité a un droit de regard variable sur les tarifs, les infrastructures et le périmètre d’action des propriétaires privés, selon les rapports de force et le jeu politique local. C’est pourquoi la relation marchande entre propriétaire privé, consommateur et municipalité varie selon les territoires et les logiques qui la régulent (confessionnelle, capitaliste, etc.).</p>
<h2>Le développement des énergies renouvelables</h2>
<p>Parallèlement, les ménages, les grandes entreprises voire les municipalités se dotent de systèmes de production renouvelable locale depuis une dizaine d’années.</p>
<p>En étroit partenariat avec la Banque Centrale du Liban et les bailleurs de fonds actifs sur le territoire, les acteurs publics ont mis en place des politiques incitatives et non contraignantes pour encourager les acteurs privés à investir dans les énergies renouvelables (prêt vert, <a href="http://lcec.org.lb/Content/uploads/LCECOther/161214021429307%7ENREAP_DEC14.pdf">net metering</a>, appel d’offre).</p>
<p>Avec un retour sur investissement de 3,5 à 7 ans, les systèmes photovoltaïques en réseau avec groupe électrogène diesel (pour sécuriser la production pendant les intermittences) se sont massivement déployés sur l’ensemble du territoire libanais et dans une grande diversité de secteurs d’activité. Ces dispositifs permettent de bénéficier de l’énergie solaire ou du tarif conventionnel à bas coût selon leur disponibilité.</p>
<p>Toutefois, l’augmentation drastique du délestage en 2020 tend à favoriser le développement de dispositifs autonomes et déconnectés du réseau conventionnel avec solution de stockage (batteries).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/351940/original/file-20200810-22-17mmyvk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/351940/original/file-20200810-22-17mmyvk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/351940/original/file-20200810-22-17mmyvk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=473&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/351940/original/file-20200810-22-17mmyvk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=473&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/351940/original/file-20200810-22-17mmyvk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=473&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/351940/original/file-20200810-22-17mmyvk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=595&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/351940/original/file-20200810-22-17mmyvk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=595&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/351940/original/file-20200810-22-17mmyvk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=595&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Répartition de la capacité photovoltaïque par type d’activités en 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alix Chaplain</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si le tarif conventionnel très bas incite peu à investir dans les énergies renouvelables, ces dernières sont très rentables dans les territoires les plus rationnés. Le coût unitaire de production de l’énergie solaire était en moyenne de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0301421519307761">9,5 centimes de dollars par kWh en 2018</a>. Avec le tarif subventionné, moins le réseau EDL est disponible et plus le retour sur investissement d’un dispositif renouvelable est rapide car les factures associées aux générateurs sont très élevées.</p>
<p>Le développement des énergies renouvelables pourrait donc potentiellement rééquilibrer les inégalités territoriales associées aux pénuries aggravées dans certaines régions libanaises. Toutefois, avec un tarif moyen en 2019 de 900 dollars par kWc installé, ces dispositifs restent coûteux et nécessitent des capacités d’investissement importantes (entreprises industrielles et commerciales, institutions publiques, ménages aisés). En conséquence, les dispositifs photovoltaïques sont très développés dans le gouvernorat du Mont-Liban et dans le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Caza">caza</a> (districts) de Saïda et Zahlé, qui ne sont pourtant pas les plus rationnés en électricité.</p>
<h2>Des logiques de pouvoir local dans l’accès à l’électricité</h2>
<p>Les configurations de fourniture électrique sont donc de plus en plus hétérogènes et différenciées spatialement sur l’ensemble du territoire national. Cette diversification des systèmes répond à un double objectif de sécurité énergétique et/ou de réduction de la facture pour les consommateurs individuels (entreprise ou ménage) ou collectifs (municipalité).</p>
<p>Mais les modes d’accès à l’électricité sont aussi régulés par diverses logiques de pouvoir et sont issues de <a href="https://www.ifporient.org/webinaire-electricite-au-liban-01-07-2020/">stratégies de territorialisation variées</a>.</p>
<p>Le développement des énergies renouvelables mais aussi du commerce des abonnements aux générateurs résulte de stratégies de conquête de marché pour certains acteurs capitalistes (installateurs d’équipement ENR, concessions d’électricité ou propriétaires privés de générateurs), d’une logique de développement local, de participation communautaire voire de patronage politique pour certaines municipalités ou encore d’une volonté de <a href="https://hybridelec.hypotheses.org/625">coopération internationale notamment pour les projets renouvelables à l’initiative du PNUD</a> (projet CEDRO et DREG). Ces acteurs font toutefois face à de fortes résistances du secteur public à la décentralisation des systèmes énergétiques.</p>
<h2>Vers un service d’électricité universel et fiable ?</h2>
<p>Ainsi, alors que la restructuration du secteur de l’électricité est attendue depuis plus de 20 ans, une multiplicité d’acteurs conduisent à une transformation par le bas du système électrique libanais et incitent l’État à réguler une forme plus polycentrique d’approvisionnement.</p>
<p>Alors que l’aide internationale <a href="https://www.lepoint.fr/monde/explosions-a-beyrouth-emmanuel-macron-appelle-a-agir-vite-pour-l-aide-09-08-2020-2387158_24.php">s’organise</a> suite à l’explosion du 4 août et que les bailleurs de fonds réclament des réformes, quelles sont les perspectives à venir concernant le secteur de l’électricité ?</p>
<p>Entre attachement à un service public d’électricité centralisé et constat d’une privatisation et décentralisation <em>de facto</em>, comment assurer le maintien d’un service fiable et accessible pour tous ?</p>
<p>Si les nombreuses expérimentations en cours sur le territoire libanais ouvrent à de nouvelles perspectives, l’absence de régulation publique risque d’entraîner le creusement des inégalités socio-territoriales.</p>
<h2>Un risque accru de fragmentation sociale</h2>
<p>À Beyrouth seulement <a href="http://www.cas.gov.lb/images/Publications/Labour%20Force%20and%20Household%20Living%20Conditions%20Survey%202018-2019.pdf">54,1 %</a> des ménages sont abonnés à un générateur et ne paient que 3 heures de consommation pendant les coupures. Dans le Sud-Liban <a href="http://www.cas.gov.lb/images/Publications/Labour%20Force%20and%20Household%20Living%20Conditions%20Survey%202018-2019.pdf">93,2 %</a> des ménages recourent à un abonnement aux générateurs avec une facture élevée du fait des longues heures de délestage.</p>
<p>L’accès à ces services alternatifs, générateur ou ENR, reste par ailleurs limité à des ménages relativement aisés. C’est pourquoi la différenciation croissante du service d’électricité (qualité et gamme de prestations) avec un phénomène d’individualisation des pratiques et de constitution de territoires exclusifs peut donc conduire à un accroissement des fragmentations sociales, économiques et territoriales.</p>
<p>Dans un cadre régulé et en coexistence avec le réseau conventionnel, ces configurations de fourniture d’électricité hétérogènes apparaissent actuellement comme une <a href="https://www.cairn.info/revue-espace-geographique-2012-1-page-51.htmNational">solution</a> aux problèmes du secteur de l’électricité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144217/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alix Chaplain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La question de l’accès à l’électricité, ravivée par la catastrophe de Beyrouth, fracture la société libanaise.Alix Chaplain, Doctorante en sociologie et études urbaines, CERI, Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1443112020-08-11T20:11:22Z2020-08-11T20:11:22ZBeyrouth, capitale de la colère<p>Ce mardi 11 août, des milliers de Libanais se rassemblaient autour de la statue de l’émigré face au port, avec pour mot d’ordre d’« enterrer le pouvoir ». Ce dernier, ou du moins certains de ses représentants ont déjà en partie cédé. Hassane Diab a annoncé la <a href="https://fr.reuters.com/article/topNews/idFRKCN25612A">démission de son gouvernement</a> le 10 août ainsi que la tenue de nouvelles élections anticipées.</p>
<p>Mais cela sera-t-il suffisant ? Après la double explosion du 4 août qui détruit une grande partie de la ville de Beyrouth, les Libanais ne décolèrent pas.</p>
<p>Le bilan est très lourd : plus de 160 morts, 6000 blessés, on évoque plus de 300,000 sans-abri et une <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/combien-de-temps-et-d-argent-faudra-t-il-pour-reconstruire-beyrouth-20200805">grande partie des immeubles endommagés</a>. Cette explosion est à la fois une conséquence et un symbole de la faillite de l’État libanais et de l’incurie de ces dirigeants.</p>
<h2>Un Liban au bord du gouffre</h2>
<p>Le Liban vit depuis le <a href="https://theconversation.com/les-libanais-entre-exaltation-et-angoisse-vent-debout-contre-la-corruption-des-elites-125610">17 octobre 2019</a> une mobilisation populaire qui conteste le pouvoir politique en place et revendique la chute du régime.</p>
<p>Cette révolution exprime la colère des Libanais contre la crise économique et la corruption des institutions.</p>
<p>Le mouvement a été freiné par la crise de la Covid-19 avec l’interdiction des rassemblements et le confinement du Liban en mars 2020. Les mobilisations cependant n’ont cessé malgré le couvre-feu sanitaire, surtout après la déclaration du <a href="https://theconversation.com/lenvol-de-la-dette-publique-a-lorigine-de-la-crise-libanaise-140805">défaut de paiement du Liban</a> de sa dette qui s’élève à 90 milliards de dollars et la dévaluation de la livre libanaise qui a perdu plus de 60 % de sa valeur.</p>
<p>Incapable de faire des réformes qui pourraient sortir le Liban de la crise, le pouvoir en place est accusé d’être à la source de cet effondrement. Dévaluation, pénurie d’électricité, cherté de vie contribuent à précariser une population qui reprend la rue défiant les autorités et la crise sanitaire dès le mois d’avril. Si la mobilisation a perdu de son ampleur, elle tend à se radicaliser. Malgré le couvre-feu sanitaire, des rassemblements ont lieu régulièrement dans toutes les grandes villes, avec parfois des <a href="https://www.france24.com/fr/20200428-les-heurts-entre-arm%C3%A9e-et-manifestants-se-poursuivent-au-liban">affrontements violents</a> avec les forces de sécurité et avec l’armée.</p>
<p>Le gouvernement de Hassane Diab nommé en janvier 2020 a été incapable d’apporter les réformes nécessaires afin de négocier la dette avec le Fonds Monétaire International et <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/05/01/le-liban-en-faillite-appelle-le-fmi-a-la-rescousse_6038379_3234.html">sauver le Liban du naufrage</a>.</p>
<p>Dans son discours de démission du 10 août, Diab en impute la responsabilité à la corruption de la classe politique. Il faut sans doute y ajouter <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1199307/hassane-diab-un-bucheur-tres-instruit-et-honnete-mais-quen-est-il-de-ses-qualites-politiques-.html">son faible poids</a> sur l’échiquier politique qui a empêché toute réforme d’ampleur.</p>
<h2>Les causes structurelles de la mobilisation populaire</h2>
<p>Selon l’analyste <a href="https://carnegie-mec.org/diwan/82348">Maha Yehya</a>, quatre des cinq piliers clés qui ont longtemps soutenu le Liban se sont effondrés ces derniers mois.</p>
<p>Premièrement, le partage de pouvoir entre les différentes factions et communautés libanaises ne fonctionne plus. Deuxièmement, la crise bancaire et celle du secteur tertiaire marquent <a href="https://theconversation.com/saad-hariri-ou-la-fin-de-la-republique-marchande-libanaise-87924">l’effondrement de la république marchande libanaise</a>. Cette crise économique anéantit le troisième pilier du pays, à savoir la <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1222877/il-etait-une-fois-la-classe-moyenne.html">classe moyenne qui s’appauvrit</a> et ne trouve plus d’avenir au Liban.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1MNPqOJyP6c?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Human Rights Watch : 60 personnes arrêtées au Liban pour leur prise de parole sur les réseaux sociaux.</span></figcaption>
</figure>
<p>Un quatrième pilier, celui des libertés, est également en train de s’effriter. Depuis le 17 octobre, au moins <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2020/07/13/liban-une-nouvelle-coalition-dong-veut-defendre-la-liberte-dexpression">60 personnes</a> ont été arrêtées pour avoir publié des informations sur les médias sociaux.</p>
<p>Enfin, le cinquième pilier, – l’armée et les forces de sécurité intérieure – encore debout, ressent désormais les <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/le-liban-va-bien-mal-larmee-supprime-la-viande-des-rations-1374135">effets de la crise</a> et commence à se fissurer.</p>
<p>La perception de l’effondrement de ces piliers par la population libanaise est de toute évidence <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/aug/08/beirut-explosion-lawless-world-international-shipping-?CMP=share_btn_fb&fbclid=IwAR1kXCoDSjRAqo4PXf_aTg_53X7pRugHdreUpROqw0UqAfTL69D9SFIJOxg">à l’origine</a> de sa mobilisation du 17 octobre et de l’explosion du nitrate dans le port de Beyrouth.</p>
<h2>La gestion du nitrate, un symbole de l’effondrement</h2>
<p>Au départ il y a la cargaison du « Rhosus », navire battant pavillon moldave appartenant à un entrepreneur russe transportant 2750 tonnes de nitrate d’ammonium à destination du Mozambique qui accoste en novembre 2013 à Beyrouth.</p>
<p>Pour des raisons qui ne sont pas totalement éclaircies, l’entreprise fait faillite, la cargaison est saisie et déposée dans le hangar 12 du port de Beyrouth en <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/aug/08/beirut-explosion-lawless-world-international-shipping-?CMP=share_btn_fb&fbclid=IwAR1kXCoDSjRAqo4PXf_aTg_53X7pRugHdreUpROqw0UqAfTL69D9SFIJOxg">août 2014</a>.</p>
<p>Depuis cette date, les autorités du port, celles des douanes, les autorités gouvernementales sont au courant, mais rien n’est fait pour sécuriser le port. Pourtant, un stock de feux d’artifices jouxtait cette matière hautement explosive au moment du départ de feu, causé vraisemblablement par la soudure d’une porte d’un hangar.</p>
<p>La négligence et l’incurie de l’État couplé d’une économie néo-libérale qui gère les capitaux maritimes visant à protéger les entreprises à tout prix sont à l’origine de la double explosion à Beyrouth.</p>
<p>Sept années à ne rien faire, le stockage d’une véritable poudrière au cœur de la capitale et, depuis l’explosion le refus d’assumer quelque responsabilité que ce soit, voilà le symbole de la déliquescence des institutions libanaises.</p>
<h2>« La révolution naît des entrailles de la tristesse »</h2>
<p>« La révolution naît des entrailles de la tristesse » <a href="https://theconversation.com/im-devastated-for-beirut-a-city-i-thought-i-hated-144086">écrivait le poète syrien Nizar Qabbani</a>.</p>
<p>Plongés dans une profonde crise économique les Libanais sont effondrés par cette catastrophe. Leurs témoignages relayés par les médias, reflètent la sidération, la tristesse, le désespoir, mais surtout la rage contre leur gouvernement responsable de ce cataclysme.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/8vjUL5ZtB9w?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ya Beyrouth interprété par Majida El Roumi, d’après le poème de Nizar Qabbani.</span></figcaption>
</figure>
<p>Au lendemain de la catastrophe, les images des rues dévastées, des victimes tournent en boucle sur les chaînes nationales rappelant les jours sombres de la guerre civile. Mais très vite un formidable élan de solidarité se crée autour des habitants touchés par l’explosion et des Libanais venus de tous les coins du pays affluent pour aider à déblayer les rues.</p>
<h2>Après les larmes, la colère</h2>
<p>En même temps émergent les appels à manifester. La manifestation du samedi 8 août est celle de la colère. Au centre-ville de Beyrouth, on érige des potences et on appelle au départ de tous les chefs politiques tous partis confondus.</p>
<p>Dans la nuit du samedi les manifestants prennent d’assaut le ministère des Affaires étrangères, mais sont délogés par l’armée. On pouvait lire sur les banderoles déployées sur le bâtiment les slogans suivants : « Beyrouth, capitale de la colère » et « Beyrouth une ville désarmée ».</p>
<p>Le pouvoir, mais aussi le parti chiite du Hezbollah est accusé d’être à l’origine de cette explosion par une <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1228604/le-gouvernement-et-le-hezbollah-sont-responsables-affirme-baha-hariri.html">partie de l’opposition</a>. Même si Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, nie toute implication dans <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1228619/nasrallah-nous-navons-ni-entrepot-darmes-ni-missiles-ni-matieres-explosives-dans-le-port-de-beyrouth.html">l’explosion</a>, il est néanmoins conspué par la foule en rage qui demande le désarmement du parti de Dieu et le départ des seigneurs de guerre au pouvoir.</p>
<p>Le gouvernement a cédé, mais les Libanais ne sont pas dupes du jeu des politiques qui négocieraient en coulisse un gouvernement en leur faveur. Au lendemain de la démission de Diab, le chef du parlement Nabih Berri et l’ancien ministre des Affaires étrangères et neveu de Michel Aoun, Gibran Bassil appellent à la formation d’un <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1229013/bassil-et-berry-reclament-la-formation-rapide-dun-nouveau-gouvernement.html">gouvernement d’union nationale</a>. Ces deux hommes politiques ont perdu la confiance du peuple et leur proposition d’un gouvernement « rassembleur » arrive tard et surtout ne convainc pas.</p>
<p>Plus que jamais les Libanais sont déterminés à renverser le régime, mais pourront-ils pour autant se débarrasser des seigneurs de la guerre qui pratiquent la captation du pouvoir et son partage depuis plus de 30 ans ?</p>
<p>La route est longue et ardue, mais la colère, immense, est à hauteur du crime commis à l’encontre du pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144311/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jihane Sfeir ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les témoignages des Libanais relayés par les médias reflètent la sidération, la tristesse, le désespoir, mais surtout la rage contre leur gouvernement responsable de ce cataclysme.Jihane Sfeir, Historienne, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1440132020-08-10T21:15:05Z2020-08-10T21:15:05ZNitrate d’ammonium, iode : retour sur l’histoire explosive de deux substances essentielles<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/351571/original/file-20200806-18-1ucmoak.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le nitrate d'ammonium sous forme de granulés sert de base à de nombreux engrais azotés. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Pour se figurer la violence des explosions qui ont conduit à la destruction du port de Beyrouth et d’une grand partie de la capitale libanaise, le 4 août dernier, il suffit de penser à cette image classique, mais tellement saisissante, d’une flamme se frayant un chemin le long d’une mèche qui la mène, lentement et inexorablement, vers une pile de bidons remplis de dynamite.</p>
<p>La plupart des articles relatant la catastrophe ont en effet mentionné des <a href="https://www.9news.com.au/world/beirut-lebanon-explosion-likely-cause-fireworks-ammonium-nitrate/0ba656e5-f656-4500-bd47-baf5330252ae">stocks de feux d’artifice</a> conservés dans le port, à proximité d’autres réserves contenant, elles, des engrais. </p>
<p>Les flammes des premiers auront déclenché la déflagration la plus importante, meurtrière, imputable à l’explosion du nitrate d’ammonium, un composé chimique qui sert de base à un grand nombre d’engrais azotés.</p>
<h2>Les deux visages du nitrate d’ammonium</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/351557/original/file-20200806-16-fju5k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/351557/original/file-20200806-16-fju5k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/351557/original/file-20200806-16-fju5k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/351557/original/file-20200806-16-fju5k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/351557/original/file-20200806-16-fju5k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/351557/original/file-20200806-16-fju5k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1070&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/351557/original/file-20200806-16-fju5k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1070&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/351557/original/file-20200806-16-fju5k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1070&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Fritz Haber en 1905.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Bundesarchiv_Bild_183-S13651,_Fritz_Haber.jpg">Wikipedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est en 1908 que le chimiste allemand Fritz Haber a découvert que l’azote, constituant majoritaire (78 %) de l’atmosphère terrestre, chimiquement et biologiquement inerte, pouvait être fixé sous forme de <a href="https://theconversation.com/beyrouth-comment-le-nitrate-dammonium-a-pu-declencher-de-telles-explosions-144008">nitrate d’ammonium</a> via un procédé chimique. Cette découverte avait une double motivation : en tant que nationaliste allemand, Haber s’intéressait avant tout à <a href="https://www.nature.com/articles/ngeo325">l’effort de guerre de son pays</a>, en vue de la Première Guerre mondiale. Or la production d’explosifs utilisables dans des armements requérait alors <a href="https://www.nature.com/articles/ngeo325">d’importantes quantités d’azote réactif</a>. Pour Haber, la fertilisation des sols était moins prioritaire.</p>
<p>Problème : les méthodes utilisées par Haber ne pouvaient initialement pas être transposées à l’échelle industrielle. Les années suivantes, un autre Allemand, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Carl_Bosch">Carl Bosch</a>, ingénieur pour la société Badische Anilin- & Soda-Fabrik (BASF), travaillera à perfectionner la méthode de Haber pour parvenir à son industrialisation. Cette dernière sera au point en 1913. À la veille, donc, du premier conflit mondial…</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/352298/original/file-20200811-24-b4jns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/352298/original/file-20200811-24-b4jns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/352298/original/file-20200811-24-b4jns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/352298/original/file-20200811-24-b4jns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/352298/original/file-20200811-24-b4jns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/352298/original/file-20200811-24-b4jns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/352298/original/file-20200811-24-b4jns0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Carl Bosch, qui travailla avec Fritz Haber à l’industrialisation du procédé mis au point par ce dernier.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Carl_Bosch">Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Haber et Bosch ont tous deux reçu un prix Nobel pour leurs travaux sur la mise au point du procédé « Haber-Bosch » : Haber en 1918 – soit, assez ironiquement, à la fin de la Première Guerre mondiale - puis Bosch en 1931. Dans son discours de réception du prix, Haber a seulement mentionné que sa découverte contribuerait à nourrir le monde en <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/chemistry/1918/ceremony-speech/">améliorant la fertilité des sols</a> grâce au nitrate d’ammonium. Il ne fait aucun doute que c’est ce qu’il a permis. Cependant, sa <a href="https://www.nature.com/articles/ngeo325">motivation initiale était bien différente</a>, puisqu’elle concernait les propriétés explosives du nitrate d’ammonium (notons au passage que les prix Nobel ont été institués par Alfred Nobel, qui avait fait fortune grâce à ses brevets sur la fabrication de la dynamite et de la gélignite, un autre explosif).</p>
<h2>Un explosif facile à fabriquer</h2>
<p>Le nitrate d’ammonium constitue un agent explosif puissant, qui se fabrique facilement : ajouté à une petite quantité de fuel (6 % du volume total), un mélange de 94 % de pastilles poreuses de nitrate d’ammonium agit comme un agent oxydant et peut être utilisé pour créer un explosif certes basique, mais mortel. Ce mélange représente environ 80 % des 2,7 millions de tonnes d’explosifs utilisés chaque année en <a href="https://www.crowell.com/documents/DOCASSOCFKTYPE_ARTICLES_408.pdf">Amérique du Nord</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/352292/original/file-20200811-13-1ttih3s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/352292/original/file-20200811-13-1ttih3s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/352292/original/file-20200811-13-1ttih3s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=773&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/352292/original/file-20200811-13-1ttih3s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=773&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/352292/original/file-20200811-13-1ttih3s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=773&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/352292/original/file-20200811-13-1ttih3s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=972&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/352292/original/file-20200811-13-1ttih3s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=972&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/352292/original/file-20200811-13-1ttih3s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=972&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Personnalité ambiguë et torturée, Fritz Haber a également mis au point le terrible gaz moutarde, qui ravagea les tranchées durant la Première Guerre mondiale.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.editions-delcourt.fr/serie/fritz-haber-t01-l-esprit-du-temps.html">(Fritz Haber, bande dessinée de David Vandermeulen - Delcourt)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sur le site de la FAO (l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture), on peut consulter les données relatives à l’utilisation des éléments nutritifs <a href="http://www.fao.org/faostat/en/">pour les engrais</a> dans le monde. Et il est aussi possible d’accéder aux informations concernant les applications non liées aux engrais, parmi lesquelles la fabrication d’explosifs.</p>
<p><a href="https://ourworldindata.org/how-many-people-does-synthetic-fertilizer-feed">Différents auteurs</a> estiment que près de la moitié de l’augmentation de la population mondiale repose sur l’existence des engrais azotés. Cependant, étant donné que l’ammoniac produit par la pétrochimie peut être utilisé non seulement pour fertiliser les sols, mais aussi pour fabriquer des explosifs, les calculs du nombre de personnes « nourries » par le procédé Haber-Bosch devraient peut-être aussi tenir compte des victimes des conflits armés du XX<sup>e</sup> siècle…</p>
<p>C’est aussi une histoire d’explosif qui a mené à la découverte d’une autre substance essentielle : l’iode.</p>
<h2>De la fabrication de la poudre à canon à la découverte de l’iode</h2>
<p>Comme le racontait en musique Piotr Ilitch Tchaïkovski avec son <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ouverture_solennelle_1812"><em>Ouverture solennelle</em></a>, Napoléon a envahi la Russie en 1812 après avoir annexé de grandes parties de ce territoire qui se répartit aujourd’hui entre l’Italie, l’Autriche, l’Allemagne, la Pologne, la Suisse et les Pays-Bas. Pour mener ces guerres, il avait besoin de munitions et de poudre à canon. Cette dernière est constituée d’un mélange de soufre, de charbon de bois et de nitrate de potassium (salpêtre).</p>
<p>Dans les années 1800, fabriquer cette dernière substance était un métier ; <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_Courtois">Bernard Courtois</a> dirigeait une entreprise familiale de salpêtre : chimiste de formation pendant son service militaire, il s’est attaché à trouver de nouvelles façons de préparer l’ingrédient vital de la poudre à canon, essentielle aux efforts de guerre de Napoléon. Les algues, dont il espérait extraire le potassium, élément principal du salpêtre, représentaient la matière première de Courtois.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/352303/original/file-20200811-13-1au81t8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/352303/original/file-20200811-13-1au81t8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=707&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/352303/original/file-20200811-13-1au81t8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=707&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/352303/original/file-20200811-13-1au81t8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=707&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/352303/original/file-20200811-13-1au81t8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=889&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/352303/original/file-20200811-13-1au81t8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=889&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/352303/original/file-20200811-13-1au81t8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=889&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le diode gazeux est de couleur violette.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Iode#/media/Fichier:IodoAtomico.JPG">Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/352304/original/file-20200811-14-hiep2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/352304/original/file-20200811-14-hiep2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/352304/original/file-20200811-14-hiep2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/352304/original/file-20200811-14-hiep2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/352304/original/file-20200811-14-hiep2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/352304/original/file-20200811-14-hiep2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/352304/original/file-20200811-14-hiep2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/352304/original/file-20200811-14-hiep2z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les cristaux d’iode sont gris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Iode#/media/Fichier:Iodine-sample.jpg">Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En soumettant les algues à différentes réactions chimiques, Courtois fut surpris de constater que, dans certains cas, des vapeurs violettes émanaient de ces réactions. Lorsqu’on la laisse refroidir, la vapeur forme des cristaux grisâtres. Fasciné par sa découverte mais incapable d’identifier les cristaux, il envoya des échantillons au principal chimiste français de l’époque, Joseph Louis Gay-Lussac. C’est lui qui donna le nom d’iode à cette substance.</p>
<p>200 ans plus tard, nous savons que nous avons tous besoin de quantités infimes d’iode pour fabriquer <a href="https://www.e-cancer.fr/Patients-et-proches/Les-cancers/Cancer-de-la-thyroide/La-thyroide/Les-hormones-thyroidiennes">les hormones thyroïdiennes</a>. Celles-ci s’avèrent essentielles, non seulement pour contrôler notre <a href="https://doi.org/10.3389/fendo.2020.00470">métabolisme</a> mais aussi pour contrôler le développement du cerveau et le QI. Privés d’iode, les bébés peuvent souffrir de <a href="https://europepmc.org/article/med/8494259">troubles physiques et de retard mental</a>. D’où la nécessité pour les femmes enceintes de s’assurer qu’elles disposent de réserves suffisantes pour produire l’hormone thyroïdienne nécessaire au développement du <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1521690X09001031">cerveau de leur enfant</a>.</p>
<p>L’iode est fourni par l’alimentation (en particulier <a href="https://www.anses.fr/fr/content/iode">les produits d’origine marine</a> : poissons, crustacés, mollusques, algues, etc.). Le cas du sel marin iodé mérite que l’on s’y attarde. Pourquoi doit-il être enrichi en iode, puisqu’il provient de la mer ? La raison est simple : volatil, l’iode s’accumule dans l’atmosphère au-dessus de la mer. Si des nuages se forment, il se dissout dans la pluie, puis est entraîné dans le sol par les précipitations. C’est le même mécanisme (la perte d’iode volatil dans l’atmosphère) qui aboutit à la perte de l’iode au cours de la <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1111/j.1931-0846.1998.tb00093.x?casa_token=NeVAc1VHkLIAAAAA:1CGlbp0l0suIVNcWlYZC1JWhIzo83huPNfCQYkQNT8fUbhYLaWpjBrPrWDbyErCJmKe1OykGc4y3b4A">préparation du sel marin</a>. Pour cette raison, le sel de table doit être <a href="https://www.anses.fr/fr/content/iode">enrichi en iode</a>, afin que notre organisme en ait suffisamment pour pouvoir assurer une synthèse adéquate des hormones thyroïdiennes.</p>
<h2>Des conséquences néfastes</h2>
<p>Haber et Bosch n’avaient sans doute pas anticipé toutes les implications de leurs travaux, en particulier en matière de <a href="https://www.nature.com/articles/461472a">réchauffement climatique</a>. En effet, la découverte du procédé « Haber-Bosch » permettant la fixation du diazote atmosphérique sous forme d’ammoniac a ouvert la voie à l’intensification des <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7239621/">méthodes agricoles</a>. Or, on sait aujourd’hui que le recours aux engrais chimiques et aux pesticides est à double-tranchant : s’il améliore la production, il contribue à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, et entraîne également l’augmentation de la pollution chimique de l’environnement, ainsi qu’une perte de biodiversité.</p>
<p>Coïncidence : une catégorie de polluants chimiques particulièrement problématique, les <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/sujet_2016_t3s_partie_2.pdf">perchlorates</a>, a aussi un lien avec l’iode et les explosifs. En effet, ces produits qui entrent dans la composition des <a href="https://www.grand-est.ars.sante.fr/perchlorates">feux d’artifice, de la poudre d’armes à feu ou du carburant pour propulseurs de fusées</a> sont biologiquement actifs : ils <a href="https://theconversation.com/from-fireworks-to-iodine-and-iq-the-perchlorate-connection-86595">bloquent la prise d’iode par la glande thyroïde</a>. Malheureusement, une étude conduite en Grande-Bretagne et en Italie a révélé que toutes les femmes enceintes ont des taux mesurables de perchlorates dans leurs urines. Conséquence : chez les femmes manquant d’iode, le <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25057878/">développement cognitif des enfants est affecté</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144013/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Barbara Demeneix reçoit un financement de l'Europe (H2020). Barbara Demeneix est co-fondatrice de Watchfrog (<a href="https://www.watchfrog.fr/">https://www.watchfrog.fr/</a>) mais ne reçoit aucune compensation financière de cette société. </span></em></p>Qu’ont en commun le nitrate d’ammonium et l’iode ? Ces deux substances nous rendent d’immenses services, et l’histoire de leur découverte est intimement liée à celle de la production d’explosifs.Barbara Demeneix, Professor Physiology, Endocrinology, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1441002020-08-06T20:56:34Z2020-08-06T20:56:34ZAu chevet de Beyrouth, que peut la France pour le Liban ?<p>Emmanuel Macron se rend de nouveau à Beyrouth ce lundi 31 août. Sa première visite pour témoigner de l’amitié de la France au pays du cèdre datait du jeudi 6 août, juste après l'explosion sur le port de Beyrouth, un drame de plus dans <a href="https://www.lopinion.fr/edition/international/liban-sentiment-amer-l-echec-d-pays-bien-aime-221697">« ce pays bien-aimé »</a>, pour reprendre les mots du journaliste Jean‑Dominique Merchet.</p>
<p>Un drame qui fait la « une » des médias français et qui émeut, comme tous les drames traversés par le Liban. Pourquoi le Liban nous touche-t-il à ce point ?</p>
<p>Les liens historiques de la France avec ce pays sont connus : « Le Liban c’est la famille de la France », résume le ministre des Affaires Étrangères <a href="https://www.bfmtv.com/international/la-france-c-est-la-famille-du-liban-le-drian-affiche-sa-solidarite-apres-le-drame-de-beyrouth_AV-202008050115.html">Jean‑Yves le Drian</a>. « Une évidence qui s’impose, parce que c’est le Liban, parce que c’est la France », dit le <a href="https://www.france24.com/fr/20200806-emmanuel-macron-en-d%C3%A9placement-%C3%A0-beyrouth-la-capitale-libanaise-meurtrie-par-une-explosion">président français</a> à son arrivée.</p>
<h2>Un intérêt français ancien</h2>
<p>Son intérêt pour le pays n’est pas nouveau. Il l’a marqué dès sa campagne électorale par une visite en <a href="https://www.leparisien.fr/politique/au-liban-macron-la-joue-president-25-01-2017-6614211.php">janvier 2017</a>, puis ses équipes diplomatiques ou les nominations importantes (à la tête de la DGSE par exemple) ont compté plusieurs diplomates anciennement en poste à Beyrouth.</p>
<p>Mais au-delà des mots, la double impuissance occidentale et libanaise a ramené depuis longtemps les émotions à une nostalgie dépitée, plutôt que d’en faire des moteurs pour l’action. « Aidez-nous à vous aider, bon sang ! », lançait, il y a peu, le <a href="https://www.lorientlejour.om/article/1225180/aidez-nous-a-vous-aider-bon-sang-lance-paris-a-beyrouth.html">même Jean‑Yves Le Drian</a>, résigné, à un pays plongé dans une crise multiple.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="Image d’ourvage de Robert Fisk" src="https://images.theconversation.com/files/351599/original/file-20200806-22-1paaxj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/351599/original/file-20200806-22-1paaxj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=914&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/351599/original/file-20200806-22-1paaxj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=914&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/351599/original/file-20200806-22-1paaxj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=914&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/351599/original/file-20200806-22-1paaxj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1148&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/351599/original/file-20200806-22-1paaxj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1148&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/351599/original/file-20200806-22-1paaxj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1148&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Pauvre Liban », Pity the Nation, ouvrage de Robert Fisk, 1990.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Pity_the_Nation">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On se souvient de l’ouvrage du journaliste britannique Robert Fisk sur la guerre civile libanaise, <em>Pity the Nation</em>, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Pity_the_Nation">paru en 1990</a>. Trente ans plus tard, on n’en finit toujours pas d’avoir pitié du « pauvre Liban ». Est-il enfin possible, cette fois, d’aller plus loin ?</p>
<p>L’émotion est vive aujourd’hui, encore faut-il en décrypter les ressorts : le Liban émeut pour des raisons romantiques sans doute nobles, mais il conviendrait d’être capable de traduire cette émotion politiquement et avec efficacité, ce qui jusqu’à présent n’a pas été le cas.</p>
<p>Que peut faire la France désormais, face aux grands « prédateurs » internationaux qui ne manqueront pas de suivre le « martyr » de Beyrouth avec intérêt ? Quels espoirs reste-t-il de promouvoir une certaine idée du Liban, et laquelle exactement ?</p>
<h2>La violence du Liban</h2>
<p>Les événements libanais remontent immédiatement au plus haut niveau des médias et de la décision politique en France. « On peut réveiller un président de la République en pleine nuit pour le Liban », nous confiait un diplomate français dans une discussion antérieure à l’explosion de Beyrouth. Il y a des raisons géopolitiques à cela.</p>
<p>La France connaît la violence du Liban : elle en a elle-même payé le prix avec l’assassinat de son ambassadeur <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/09/05/m-delamare-ambassadeur-de-france-est-tue-dans-un-attentat-a-beyrouth-ouest_2714142_1819218.html">Louis Delamare</a> en 1981, l’attentat contre le quartier général des troupes françaises en <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentats_de_Beyrouth_du_23_octobre_1983">1983</a>, ou plusieurs prises d’otages (dont le chercheur <a href="https://www.sudouest.fr/2020/05/22/il-y-a-35-ans-les-francais-michel-seurat-et-jean-paul-kauffmann-etaient-enleves-au-liban-7504124-5022.php">Michel Seurat</a> ne revint jamais).</p>
<h2>Un laboratoire permanent des rapports de force régionaux</h2>
<p>Le pays reste par ailleurs un laboratoire permanent des rapports de force régionaux, comme l’a montré <a href="https://www.cairn.info/publications-de-Bernard-Rougier--5702.htm">Bernard Rougier</a> dans ses travaux (<em>Le jihad au quotidien</em>, 2004 ; <em>L’oumma en fragments. Contrôler le sunnisme au Liban</em>, 2011).</p>
<p>A l’inverse d’autres puissances qui voient le Liban comme un paramètre de l’enjeu syrien, Paris a tendance à voir la Syrie comme un paramètre (omniprésent) de l’enjeu libanais.</p>
<p>Au-delà de ce Liban qui compte régulièrement de nombreux ministres avec la double nationalité franco-libanaise, il y a la Méditerranée et le monde arabe, ce double voisinage stratégique crucial.</p>
<p>Il y a aussi les raisons affectives mais rationnelles. Si les Libanais restent proches de la France, cela signifie aussi que la France garde, grâce à eux, un peu d’influence ou au moins de visibilité en Méditerranée orientale.</p>
<h2>Une influence française au Proche-Orient</h2>
<p>Le Liban renvoie également à la question des <a href="https://journals.openedition.org/emam/2374">chrétiens d’Orient</a>, qui préoccupe Paris. D’autres puissances régionales ou partis libanais comme le Hezbollah n’ont pas manqué d’accuser la France et sa vision d’un Liban uniquement chrétien.</p>
<p>L’argument ne tient pas : on n’a jamais autant critiqué l’amitié franco-libanaise que lorsqu’elle était incarnée par <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/liban/chirac-est-mon-meilleur-ami-disait-rafik-hariri-l-ancien-premier-ministre-du-liban_3633133.html">Jacques Chirac et Rafic Hariri</a>,lequel était… sunnite.</p>
<p>En revanche, cette question est perçue comme légitime à Paris, non pas au nom du communautarisme mais à l’inverse, de l’universalisme : la France, estime-t-on, n’a pas à se cacher de <a href="https://www.un.org/press/fr/2015/cs11840.doc.htm">défendre les minorités opprimées</a>. Elle défend donc les chrétiens d’Orient aujourd’hui maltraités, comme elle a défendu les Kosovars musulmans à la fin des années 1990, ou les Rohingyas plus tard.</p>
<h2>Le pouvoir de l’émotion</h2>
<p>Il y a enfin les raisons émotionnelles moins rationnelles. Le Liban de jadis, sa douceur de vivre avant la guerre civile, cette « Suisse du Moyen-Orient » qui a sombré avec le sentiment qu’elle avait tout pour être heureuse, n’est pas sans correspondance, dans les inconscients politiques, avec la perte de puissance de l’Europe, avec un passé plus faste, ni avec les doutes que la France entretient aujourd’hui sur son propre déclin.</p>
<p>Il n’est donc pas si étonnant de voir la situation actuelle à Beyrouth donner, à Paris, des envies de sursaut, voire de résurrection, à accomplir ensemble.</p>
<p>Le manque de moyens français au Proche-Orient malgré une détermination renouvelée sous chaque président de la V<sup>e</sup> République, le départ des Occidentaux sous les coups de la violence dans les années 1980, les <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2009-2-page-180.htm">progrès stratégiques de l’Iran</a> qui a pu compter sur d’innombrables erreurs américaines (surtout en Irak), remuent maintenant bien des sentiments. D’autant que les deux pays, par l’intermédiaire de nombreux liens interpersonnels et interculturels, continuent d’évoquer ensemble, sans cesse, ces paradis perdus.</p>
<h2>Le temps des prédateurs</h2>
<p>En se faisant acclamer à Beyrouth tout en tançant ouvertement la classe politique libanaise, Emmanuel Macron suscitera immanquablement une réaction iranienne, qui ne peut apprécier de se voir ainsi damner le pion par une opération politico-médiatique réussie, qui n’est pas sans rappeler la popularité de Jacques Chirac dans la même région un quart de siècle plus tôt.</p>
<p>Or Téhéran garde ses relais, ses réseaux, et bien entendu la puissance du Hezbollah, le <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Hezbollah.html">parti chiite libanais</a>, sur le terrain, dont les démonstrations de force restent dans toutes les mémoires.</p>
<p>Quelle sera, par ailleurs, l’attitude de l’Arabie saoudite, des Émirats, d’Israël ? La Russie, désormais omniprésente auprès du régime syrien moribond mais survivant, pourrait être du côté de ce puissant voisin.</p>
<p>Si Vladimir Poutine est probablement trop prudent pour s’engager dans un guêpier moyen-oriental de plus, il ne fera de cadeau à aucune velléité européenne de reprendre la main au Levant.</p>
<p>Enfin la <a href="https://www.beltandroad.news/2020/06/03/is-it-chinas-turn-to-wield-influence-over-lebanon/">Chine</a>, qui a besoin de relais pour les volets méditerranéens de ses Routes de la Soie (la <em>Belt and Road initiative</em>, ou BRI), peut déverser sur le pays, au titre d’aide d’urgence, des sommes que les Européens peineront à rassembler, occupés à financer leurs propres programmes de sauvetage face à la crise sanitaire.</p>
<p>Or l’agenda de Pékin n’est pas celui de la France. L’habitude chinoise, comme celle de la Russie, est de soutenir les gouvernements en place pour en tirer des concessions, et non de les pousser à la réforme.</p>
<p>Pour reprendre le titre du <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/economie-et-finance/temps-des-predateurs_9782738152015.php">dernier ouvrage</a> de François Heisbourg (Odile Jacob, 2020), nous sommes au « temps des prédateurs ».</p>
<h2>Le geste habile d’Emmanuel Macron</h2>
<p>Le voyage d’Emmanuel Macron au Liban reste un geste politique habile en soi. Son immédiateté en fait la première visite d’un dirigeant étranger après la catastrophe du 4 août, ce qui est symboliquement fort.</p>
<p>La priorité donnée à la population et à la visite des lieux de l’explosion, plutôt qu’à la classe politique, le tout assorti d’un ton ferme à l’égard de cette dernière, correspond aux attentes populaires des Libanais.</p>
<p>Emmanuel Macron <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-sRAdntkaBM">a promis</a> une aide logistique supplémentaire publique comme privée, que la France entend organiser, y compris à l’échelle internationale, avec l’Union européenne. Il a évoqué une conférence internationale de soutien, une aide directement aux acteurs sur place, « sans qu’aucun détournement ne soit possible », soutenu « un ordre politique nouveau », et »des opérations de transparence indispensables ». Prenant ainsi de front « des systèmes qui n’ont plus la confiance de leur peuple », et auxquels il refuse de donner « un chèque en blanc ».</p>
<p>Cependant, d’importantes forces internationales ou transnationales n’entendent pas exactement redonner un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mandat_fran%C3%A7ais_en_Syrie_et_au_Liban">« mandat libanais » à la France</a>. Elles se combinent avec des intérêts internes.</p>
<p>Le Liban a ainsi tradition d’en appeler à des <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/La-guerre-du-Liban-1975-1990-entre-fragmentation-interne-et-interventions">forces extérieures</a> pour prévaloir contre ses concurrents sur le plan domestique : à cet égard les notions d’intérêt national et de bien commun demeurent bien hypothétiques au niveau de la classe politique.</p>
<p>Des espoirs existent néanmoins, qu’il faudra cultiver en déminant un certain nombre de questions difficiles mais cruciales.</p>
<h2>Un peuple debout</h2>
<p>L’espoir principal vient de ce que le Liban, par son peuple, est debout. Il l’était lors de la <a href="http://www1.rfi.fr/actufr/articles/099/article_63945.asp">manifestation du 14 mars 2005</a> qui a suivi l’assassinat de Rafic Hariri. Il l’était encore cette année, avant la crise sanitaire, lorsque des mouvements de protestation d’ampleur, durables, souvent calmes et toujours déterminés, réclamaient un renouveau complet du système politique.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-libanais-entre-exaltation-et-angoisse-vent-debout-contre-la-corruption-des-elites-125610">Les Libanais entre exaltation et angoisse, vent debout contre la corruption des élites</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Les manipulations pour semer les germes de la désunion ne prennent plus aussi facilement que par le passé : <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv301hg5">« l’individu compétent »</a> (le <em>skillful individual</em> annoncé dès 1990 par James Rosenau dans son livre <em>Turbulence in World Politics</em>), informé et critique, est passé par là.</p>
<p>La jeunesse libanaise, les femmes libanaises, les blogueurs et intellectuels, tous ces segments devenus incontournables dans la société civile, apparus avec force depuis les soulèvements arabes de 2011, ne s’en laissent plus compter.</p>
<p>Reste que, pour les aider, la prudence est de mise et des erreurs doivent être évitées.</p>
<h2>Le « parler-vrai » de Macron est-il suffisant ?</h2>
<p>Quelle est, d’abord, la marge de manœuvre du <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/01/06/le-parler-vrai-de-macron-a-l-epreuve-des-autocrates_5238276_3232.html">« parler vrai »</a> d’Emmanuel Macron ? En posant les problèmes avec une brutalité certaine et peu diplomatique (évoquant la corruption et les lenteurs du Liban), le président français prend un risque.</p>
<p>Il se fera accuser de paternalisme mal placé, de néo-colonisateur, de donneur de leçon. Il faudra préparer des réponses, et réfléchir à cette question : quels risques prend-on à dissocier le peuple de ses dirigeants ?</p>
<p>Une conférence de presse face à une communauté journalistique libanaise notablement francophone jeune et féminine, et qui finit par du <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1158949/macron-la-france-fait-le-distinguo-entre-les-branches-politique-et-militaire-du-hezbollah.html">« Hezbollah bashing »</a> à l’ambassade de France, avec une allusion claire au lien entre le Hezbollah et l’Iran ainsi qu’à la « soumission à une puissance extérieure », est un exercice qui va très probablement déclencher des réponses.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/A-relire-en-lien-avec-l-actualite-au-Liban-Le-Liban-geographie-d-un-%C3%89tat">pays multiconfessionnel</a> complexe, les communautés ne disparaîtront pas : tout, au Liban, repose sur elles. Mais les dépasser pour retrouver un fonctionnement collectif, qui a fait les grandes heures du pays, est une condition <em>sine qua non</em> de son relèvement, notamment en réinventant un pacte social. Cela passe par un renouveau de la classe politique, qui ne doit pas tomber dans le revanchisme, des conférences et aides internationales plus efficaces et s’appuyer réellement sur le volontarisme politique qui émerge de la rue.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144100/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Charillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Liban émeut la France pour des raisons romantiques sans doute nobles, mais il conviendrait de traduire cette émotion politiquement et avec efficacité.Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.