tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/marine-le-pen-20180/articlesMarine Le Pen – The Conversation2024-03-24T17:52:48Ztag:theconversation.com,2011:article/2255032024-03-24T17:52:48Z2024-03-24T17:52:48ZComment Éric Zemmour a-t-il droitisé la France ?<p>Comment expliquer la popularité grandissante du Rassemblement national (RN) aujourd’hui ? <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/11/elections-europeennes-2024-le-rn-dans-une-dynamique-favorable_6221331_823448.html">Les sondages récents</a> sur les intentions de vote aux élections européennes mettent en avant un nouvel indicateur central du vote RN : les électeurs <a href="https://theconversation.com/comment-le-ressentiment-nourrit-le-vote-rn-dans-les-zones-rurales-213110">insatisfaits</a> de la vie qu’ils mènent seraient plus susceptibles de voter pour lui.</p>
<p>Des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/09/03/marine-le-pen-nantie-du-vote-populaire-vise-les-classes-moyennes_6187612_823448.html">études</a> sur la sociologie électorale du RN mettent en effet l’accent sur sa capacité à capter les classes moyennes en jouant sur la « peur du déclassement » à laquelle il apporterait une réponse en termes de maintien des acquis sociaux. Ce parti deviendrait ainsi le</p>
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<p>« porte-parole d’une demande de souverainisme et de justice sociale, défendant une redistribution qui ne serait pas disponible aux étrangers ».</p>
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<p>Cependant, ces analyses invitent à un raccourci entre demande de justice sociale et adhésion aux idées de « préférences nationales » du RN. Or cela repose sur une idée trompeuse : que le vote RN est un vote d’adhésion totale – théorie qui a été remise en cause par les <a href="https://www.septentrion.com/FR/livre/?GCOI=27574100118550">analyses sociologiques</a>. On peut notamment trouver un exemple de cette adhésion partielle et contextuelle aux idées du RN dans le militantisme de groupes sociaux qui seraient à priori plus rétives à l’engagement au RN que d’autres, notamment les activistes homosexuels ou les militantes féministes. Il convient dès lors de parler de synchronicité plutôt que de lien causal entre le vote RN des classes moyennes et leur perception d’un malaise social.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/france-peripherique-abstention-et-vote-rn-une-analyse-geographique-pour-depasser-les-idees-recues-175768">« France périphérique », abstention et vote RN : une analyse géographique pour dépasser les idées reçues</a>
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<h2>Vers la fin de la stigmatisation du vote RN ?</h2>
<p>La vraie question qui est posée par l’élargissement du socle électoral du RN aux classes moyennes et à une partie des classes supérieures est celle de la marginalité du RN. Il y a 30 ans, le vote FN était honteux, vu comme un geste lourd de sens qui catégorisait automatiquement ses acteurs comme racistes. Aujourd’hui le programme du RN n’a pas changé, mais on peut désormais voter RN et l’assumer publiquement. Cela peut nous porter à croire que le stigmate négatif qui était associé au vote pour l’extrême droite est en voie de disparition.</p>
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<p>Il importe dès lors aux études actuelles de poser la question du moteur de la disparition de ce stigmate, c’est-à-dire des ressorts de l’interaction entre les électeurs RN et le débat public. Au niveau microsociologique, celui des électeurs, des <a href="https://www.septentrion.com/FR/livre/?GCOI=27574100118550">études récentes</a> montrent que la dimension toujours stigmatisante du RN peut être « dépassée, contournée par l’inclusion dans des entre-soi particuliers ».</p>
<p>Au niveau macrosociologique, celui du débat public, <a href="https://www.theses.fr/s300079">mes recherches</a> tendent à montrer le décloisonnement des idées portées par l’extrême droite, auparavant confinées au domaine directement politique, pour se diffuser aujourd’hui dans les domaines journalistiques, littéraires et philosophiques. Mon hypothèse est la suivante : la popularité grandissante du RN serait en partie liée à une « droitisation » du débat public français.</p>
<h2>Le rôle des producteurs idéologiques illibéraux dans la « droitisation » du débat public</h2>
<p>En effet, l’un des atouts dont l’extrême droite française dispose aujourd’hui est la multiplication d’intellectuels et d’écrivains qui défendent et font circuler ses idées dans le débat public sous couvert d’un nouveau <a href="https://www.illiberalism.org/illiberalism-conceptual-introduction/">positionnement illibéral</a>, c’est-à-dire opposé au progressisme, aux droits des femmes, des individus racisés, des immigrés et de la communauté LGBTQ+.</p>
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<p>Les producteurs idéologiques illibéraux que j’identifie – notamment <a href="https://theconversation.com/eric-zemmour-une-histoire-francaise-169213">Éric Zemmour</a>, <a href="https://theconversation.com/alain-finkielkraut-nouvel-academicien-le-fragile-bonheur-de-limmortalite-53241">Alain Finkielkraut</a>, <a href="https://theconversation.com/apres-houellebecq-economiste-houellebecq-sociologue-du-travail-171992">Michel Houellebecq</a> et <a href="https://michelonfray.com">Michel Onfray</a> – participent, en irriguant le débat public de leurs idées <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/NoteBaroV13_GI_CulturalBacklash_fevrier2022_VF.pdf">nativistes</a>, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/zemmour-candidat-on-a-relu-son-premier-sexe-et-on-a-des-questions-a-lui-poser_189446.html">patriarcales</a> et <a href="https://tetu.com/2021/12/01/tribune-election-presidentielle-2022-eric-zemmour-candidat-homophobie/">hétéronormées</a>, à la normalisation des présupposés racistes, misogynes et LGBT-phobes sur lesquels reposent ces idées.</p>
<p>L’objectif de mes recherches est d’étudier le rôle de ces producteurs idéologiques illibéraux dans la « droitisation » du débat public en France. L’angle d’approche n’est pas celui de la demande, mais de l’offre : autrement dit, je ne cherche pas à montrer que les Français deviennent plus racistes, sexistes ou homophobes dans leurs valeurs politiques – thèse qui est contestée par la <a href="https://esprit.presse.fr/article/vincent-tiberj/a-force-d-y-croire-la-france-s-est-elle-droitisee-43763">sociologie électorale</a>. Mon hypothèse suppose au contraire un décalage entre une demande publique de tolérance et de respect de la diversité, d’une part, et une offre idéologique obsédée par l’immigration et les valeurs dites « traditionnelles », d’autre part.</p>
<p><a href="https://academic.oup.com/edited-volume/55211/chapter-abstract/441369796">Je me suis tout particulièrement intéressée</a> aux idées qu’ Éric Zemmour véhicule dans ses écrits afin d’expliquer son rôle dans la droitisation du débat public français.</p>
<h2>Le cas Éric Zemmour</h2>
<p>Dans sa trilogie d’essais politiques à succès, Zemmour retrace l’histoire de ce qu’il considère comme la destruction de l’identité et de la souveraineté de la France dans tous les domaines. Ces livres reprennent toutes les thématiques classiques de l’illibéralisme : la disparition des hiérarchies traditionnelles, de l’homogénéité culturelle et le besoin de défendre la nation comprise d’une manière très ethnicisée. L’essai le plus populaire de cette trilogie, <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757"><em>Le Suicide français</em></a>, publié en 2014 avec un tirage initial de 85 000 exemplaires, s’est finalement vendu à plus de 450 000 exemplaires. Les maigres résultats électoraux de Zemmour à l’élection présidentielle de 2022 sont donc à mettre en contraste avec le rayonnement médiatique massif de ses écrits et son <a href="https://www.illiberalism.org/wp-content/uploads/2022/09/Perine-Schir-and-Marlene-Laruelle-Eric-Zemmour-The-New-Face-of-the-French-Far-Right-Media-Sponsored-Neoliberal-and-Reactionary-1.pdf">omniprésence dans le débat public</a>.</p>
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<h2>Détourner les propos des forces progressistes</h2>
<p>L’idéologie progressiste condamnée par Zemmour serait responsable non seulement de la marginalisation de l’ancienne majorité culturelle mais aussi de son « remplacement » par des immigrés, musulmans notamment. Zemmour défend ici ouvertement les fondements de la théorie du <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/l-article-a-lire-pour-comprendre-pourquoi-le-grand-remplacement-est-une-idee-raciste-et-complotiste_4965228.html">« grand remplacement »</a> formulée par Renaud Camus, assurant qu’elle est <a href="https://www.fnac.com/a16213716/Eric-Zemmour-La-France-n-a-pas-dit-son-dernier-mot">« ni un mythe ni un complot »</a> en la prolongeant d’une intentionnalité cachée de sa propre création.</p>
<p>En invitant « naïvement » cette population musulmane à s’installer en France, cette dernière aurait eu l’opportunité de <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">mettre en œuvre sa stratégie</a> de « revanche » à travers la « contre-colonisation ». En effet, selon Zemmour, les anciennes colonies de la France en Afrique du Nord, d’où proviennent la majorité des immigrés musulmans français, nourrissent un rêve secret de revanche contre leurs anciens maîtres.</p>
<p>Zemmour <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">tire cet argument</a> de la célèbre citation de l’auteur décolonial <a href="https://theconversation.com/quotes-from-frantz-fanons-wretched-of-the-earth-that-resonate-60-years-later-173108">Frantz Fanon</a> : « Le colonisé est un persécuté qui rêve en permanence de devenir persécuteur. » Si Fanon fait ici référence à la violence nécessaire pour parvenir à la décolonisation, il n’évoque en aucun cas une ambition cachée de « revanche ». On peut voir ici un exemple d’une des techniques rhétoriques de persuasion favorites de Zemmour : pour délégitimer en amont toute critique de ses arguments, il se réapproprie la terminologie de ses adversaires progressistes en en retournant le sens, afin d’atteindre des positions opposées.</p>
<p>Zemmour voit une preuve de cette « contre-colonisation » dans la surreprésentation des familles immigrées musulmanes dans les banlieues. Bien que les sources de ce phénomène aient été <a href="https://www.quesaisje.com/la-crise-des-banlieues?v=1820">clairement identifiées</a> comme économiques et sociales, il existe <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">pour Zemmour</a> une raison plus profonde : les musulmans, où qu’ils vivent, formeraient « un peuple dans le peuple », car l’islam serait « à la fois une identité, une religion et un système juridico-politique ». Selon Zemmour, l’islam présupposerait intrinsèquement une volonté de domination, et le rôle de la communauté des fidèles serait de la mettre en œuvre dans le monde.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/vivons-nous-dans-une-ere-de-migration-de-masse-196916">Vivons-nous dans une ère de migration de masse ?</a>
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<h2>Manipuler par transfert d’autorité</h2>
<p>Ce réquisitoire contre les musulmans permet ensuite à Zemmour d’introduire le présupposé selon lequel il existe un type d’immigrés potentiellement assimilables – les immigrés chrétiens européens blancs – et un autre qui ne le sera jamais. Les immigrés musulmans ne pourraient être mélangés avec les « bons » immigrés, tout comme <a href="https://www.fnac.com/a16213716/Eric-Zemmour-La-France-n-a-pas-dit-son-dernier-mot">« l’huile et le vinaigre »</a> ne peuvent pas être mélangés.</p>
<p>Cette dernière référence, régulièrement convoquée par Zemmour, serait d’après lui empruntée au général de Gaulle, bien que ce dernier ne l’a jamais prononcée publiquement (elle aurait été formulée en 1959 lors d’une entrevue privée avec Alain Peyrefitte. Peyrefitte l’a <a href="https://www.fayard.fr/livre/cetait-de-gaulle-tome-i-9782213028323/">rapportée</a> près de 25 ans après la mort de de Gaulle, qui n’a jamais pu en confirmer la véracité.)</p>
<p>L’authenticité de la citation n’est pas essentielle dans la stratégie de Zemmour. Le véritable objectif de ce passage – et de l’intense activité de <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/on-dira-ce-qu-on-voudra/segments/chronique/119094/maude-landry-en-francais-svp-name-dropping">« name dropping »</a> qui caractérise l’ensemble de ses ouvrages – n’est pas l’objectivité mais la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-langue-de-zemmour-cecile-alduy/9782021497472">« manipulation par transfert d’autorité »</a> par laquelle l’auteur fait accepter une opinion problématique en l’associant à une figure d’autorité largement appréciée par le grand public.</p>
<h2>Décréter des vérités indiscutables sur la nature humaine</h2>
<p>Éric Zemmour use également de cette <a href="https://www.arretsurimages.net/chroniques/arrets-sur-histoire/zemmour-et-la-midinette-beauvoir">stratégie</a> pour discréditer les femmes, détournant notamment <a href="https://www.albin-michel.fr/destin-francais-9782226320070">Simone de Beauvoir</a> ou Benoite Groult.</p>
<p>Dans les écrits de Zemmour, les femmes sont <a href="https://theses.fr/s300079">systématiquement décrites</a> en fonction de ce qu’elles peuvent apporter aux hommes : soit comme des génitrices, soit comme des objets de conquête sexuelle. La vie des femmes se <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">résumerait</a> selon l’auteur à une « quête obstinée de protection » qu’elles acquièreraient par le mariage, et le « besoin de protéger et d’éduquer ses petits ». Avec l’utilisation du registre du comportement animal, l’auteur souhaite donner une objectivité à son propos en proposant une perspective éthologique (et non anthropologique) qui exclue automatiquement les femmes de la catégorie des être rationnels.</p>
<p>L’auteur atteste de cette différence fondamentale en <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">rappelant</a> :</p>
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<p>« la subtilité des rapports entre les hommes et les femmes. Le besoin des hommes de dominer – au moins formellement – pour se rassurer sexuellement. Le besoin des femmes d’admirer pour se donner sans honte ».</p>
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<p>Apparait ici un autre procédé rhétorique favori de Zemmour : le discours aphoristique. Il prétend se référer à des vérités indiscutables sur la nature humaine, en usant notamment d’une combinaison d’articles définis à valeur générique (« des femmes »,« des hommes ») et l’usage de l’infinitif (« dominer », « admirer ») permettant un effacement des traces qui permettent de relier l’énoncé avec la scène d’énonciation.</p>
<p>Zemmour reconnaît que les femmes ont progressivement obtenu des droits qui leur permettent d’échapper à leur statut de soumission. Cette nouvelle indépendance reposerait selon lui sur une <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">« virilité d’emprunt »</a> : pour s’émanciper, les femmes auraient décidé de « devenir des hommes ». Cette approche suppose qu’intelligence et masculinité soient indissociables.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-les-nouvelles-femmes-de-droite-sinvitent-dans-la-campagne-177293">Quand les « nouvelles femmes de droite » s’invitent dans la campagne</a>
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<h2>Invisibiliser le lien entre idées promues et discriminations</h2>
<p>Si les femmes ont décidé de « devenir des hommes », cela suppose également l’absence de catégories alternatives en dehors de celles des femmes et des hommes. En effet, <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">pour Zemmour</a>, les études de genre ne seraient rien d’autre qu’« une volonté totalitaire mal dissimulée de nous transformer en androgynes, en neutres », et de détruire simultanément les catégories sur lesquelles s’est construite l’ancienne domination patriarcale.</p>
<p><a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">Selon Zemmour</a>, il n’est pas nécessaire de défendre les droits de la communauté queer car « la prétendue “homophobie” » n’existe pas. En effet, l’homosexualité est conceptualisée par l’auteur comme « une forme particulière d’adultère », c’est-à-dire une pratique sexuelle qui existerait en marge du modèle du mariage hétérosexuel. On pourrait ainsi concilier « le mariage pour la famille et les enfants, et le goût des garçons pour le plaisir ». L’homosexualité n’aurait donc vocation qu’à rester dans le cadre strictement privé, et l’auteur <a href="https://www.albin-michel.fr/le-suicide-francais-9782226254757">va jusqu’à dire</a> que cette autocensure est « la garantie d’une vraie liberté », rendant ainsi invisible le lien causal entre hétéronormativité prescriptive, discriminations et violences envers les personnes LGBTQ.</p>
<p>La diffusion des idées de Zemmour dans l’espace public et médiatique – notamment via <a href="https://www.nouvelobs.com/edito/20230412.OBS72090/bollore-un-projet-politique.html">l’empire médiatique reactionnaire</a> de Vincent Bolloré – contribue à normaliser les discriminations défendues par l’illiberalisme. Cela légitime en retour les projets politiques d’extrême droite.</p>
<h2>Faciliter la tâche du RN</h2>
<p>A ce jour, Zemmour n’arrive pas à s’imposer sur le terrain de la lutte politique.</p>
<p>Le combat culturel qu’il mène profite d’avantage au RN qu’à Reconquête, son propre parti. L’atout du RN est qu’il dispose d’une forme de monopole du parti d’extrême droite dans l’espace médiatique. Celui-ci s’est renforcé peu à peu par une formulation du combat électoral en affrontement bilatéral entre le RN et la majorité présidentielle – lors des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/11/09/progressistes-contre-populistes-macron-tente-d-imposer-sa-vision_5381010_823448.html">européennes de 2019</a>, des <a href="https://www.la-croix.com/France/Presidentielle-2022-Emmanuel-Macron-installe-deja-duel-Marine-Le-Pen-2022-04-08-1201209364">présidentielles de 2022</a> et encore pour les <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/europeennes/c-est-trop-tard-pour-faire-autrement-la-majorite-divisee-sur-la-strategie-anti-rn-pour-les-elections-europeennes_6419575.html">européennes de 2024</a>.</p>
<p>Ce monopole fonctionne comme un champ de gravitation : toute défense publique d’idéologie illibérale est systématiquement mise en lien avec le programme porté par le parti, et semble ainsi le légitimer. Le RN profite ainsi du labeur des producteurs idéologiques comme Zemmour ou <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/19/le-rassemblement-national-savoure-sa-victoire-ideologique-obtenue-sans-reflexion-de-fond_6211708_823448.html">Michel Onfray</a>, qui n’ont pourtant rien à voir avec le parti.</p>
<p>Un large score du RN aux élections européennes serait ainsi d’avantage imputable à cet effet gravitationnel, plutôt qu’à une prétendue adéquation entre son programme et les valeurs politiques des Français.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225503/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Périne Schir ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Producteur d’idées illibérales, Éric Zemmour participe à une « droitisation » du débat public en usant de plusieurs stratégies rhétoriques.Périne Schir, Research fellow at the Illiberalism Studies Program, the George Washington University ; PhD student in political philosophy, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2243912024-03-11T16:11:39Z2024-03-11T16:11:39ZComment une idée politique s’impose-t-elle dans le débat public ?<p>Le Rassemblement national a récemment revendiqué sa <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/projet-de-loi-immigration-la-victoire-ideologique-du-rassemblement-national-est-de-plus-en-plus-forte-chaque-jour-se-targue-jordan-bardella_6253689.html">« victoire idéologique »</a> à propos du vote de la loi sur l’immigration. De fait, alors que les <a href="https://www.academia.edu/11495225/Vers_lextr%C3%AAme_avec_Luc_Boltanski_2014_">idées d’extrême droite</a> étaient autrefois marquées d’une forte illégitimité intellectuelle et politique, restant cantonnées dans des <a href="https://www.cairn.info/revue-agone-2014-2.htm?contenu=sommaire">espaces sociaux assez restreints</a>, certaines de ses conceptions comme la <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-03398326">« préférence nationale »</a>, et de ses formules, comme le <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2019-2-page-111.htm">« grand remplacement »</a>, tendent à occuper une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/21/fait-divers-immigration-les-idees-d-extreme-droite-se-diffusent-dans-les-medias-et-l-opinion_6212070_823448.html">place grandissante</a> <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/la_grande_confusion">dans les médias et le débat politique</a>.</p>
<p>La réussite de telles idées, qui semblent (du moins à celles et ceux qui ne les partagent pas) <a href="https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/221123/ceux-qui-ont-banalise-l-idee-folle-du-grand-remplacement">« folles »</a> et dangereuses conduit à questionner les <a href="https://www.atlande.eu/clefs-concours/1061-les-idees-politiques-comme-faits-sociaux-terrains-methodes-denquete-analyses-9782350309330.html">mécanismes sociaux</a> par lesquels des idées s’imposent politiquement au-delà de leur contenu propre et de l’éventuelle force intrinsèque de leurs arguments.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-medias-peuvent-influencer-la-signification-dune-information-201408">Comment les médias peuvent influencer la signification d’une information ?</a>
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<h2>Gagner la bataille des idées</h2>
<p>Dans la vulgate marxiste, les idées sont d’abord vues comme le reflet des positions économiques et sociales. Pour les philosophes <a href="https://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450000c.htm">Karl Marx et Friedrich Engels</a>, « les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes ; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante ». En imposant sa domination économique, la classe bourgeoise impose donc également, selon Marx et Engels, ses idées, idées qui dissimulent la réalité des rapports sociaux (les inégalités et l’exploitation) en justifiant l’ordre existant.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="////" src="https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578919/original/file-20240229-18-cklp59.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le philosophe italien Antonio Gramsci (1891-1937), fondateur de la notion d’hégémonie culturelle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
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<p>Renouvelant l’approche marxiste, certains auteurs ont souligné l’autonomie relative des idées en considérant qu’elles n’étaient pas déterminées aussi mécaniquement par l’infrastructure économique et qu’elles pouvaient être inversement porteuses d’une transformation sociale. Pour le militant et théoricien communiste <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_oeuvre_vie_d_antonio_gramsci-9782348044809">Antonio Gramsci</a>, puisque la suprématie économique de la classe bourgeoise repose sur tout un « appareil d’hégémonie » (école, administration, médias…) qui diffuse sa conception du monde, ses croyances et les fait accepter, la classe dominée doit construire, grâce à ses propres intellectuels « organiques » (c’est-à-dire « organiquement » liés à leur classe sociale), une contre-hégémonie, afin d’enclencher une dynamique révolutionnaire. Pour Gramsci, la bataille des idées est une dimension essentielle de la bataille politique.</p>
<p>Initialement formulée dans un horizon marxiste, cette théorie de « l’hégémonie culturelle » a été réappropriée dans des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/en-quete-de-politique/en-quete-de-politique-du-samedi-14-octobre-2023-8145689">perspectives politiques très opposées</a>. C’est le cas dès les années 1960 en Italie avec le groupe postfasciste <em>Ordine nuovo</em>.</p>
<p>En France, suite à la victoire de François Mitterrand en 1981, l’essayiste d’extrême droite Alain de Benoist et le <a href="https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_2010_num_174_1_4229">GRECE</a> (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne), laboratoire d’idées de la <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1993_num_40_1_3005">« Nouvelle Droite »</a> dont il est le cofondateur en 1969, se font les défenseurs d’un « gramscisme de droite ». En 2007, c’est <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/166441-interview-de-m-nicolas-sarkozy-ministre-de-linterieur-et-de-lamenage">Nicolas Sarkozy</a> qui s’en revendique : « J’ai fait mienne l’analyse de Gramsci : le pouvoir se gagne par les idées » déclare-t-il alors. Cette antienne a depuis été reprise par <a href="https://aoc.media/analyse/2022/04/03/a-droite-gramsci-et-ses-avatars/">Eric Zemmour</a> notamment.</p>
<h2>Stratégies rhétoriques</h2>
<p>Dans cette lutte idéologique, les stratégies de présentation des idées sont cruciales. On peut par exemple s’appuyer sur une logique de scandalisation en empruntant une rhétorique outrancière ou un style « populiste ». <a href="https://www.youtube.com/watch?v=p7w3PJzsA2w">« Je suis le bruit et la fureur, le tumulte et le fracas »</a> affirmait ainsi Jean-Luc Mélenchon en 2010 afin de réintroduire dans le débat une certaine forme de conflictualité politique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jean-Luc Mélenchon déclare lors d’un meeting en 2010 : « Je suis la bruit et la fureur, le tumulte et le fracas ».</span></figcaption>
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<p>La stratégie inverse, qui consiste à viser une certaine normalisation, peut aussi être employée. De longue date, le <a href="https://www.cairn.info/les-faux-semblants-du-front-national--9782724618105-page-25.htm">Front national</a>, renommé Rassemblement national, a cherché la respectabilité en dissimulant une partie de son idéologie afin de la rendre davantage acceptable et de <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/marine-le-pen-prise-aux-mots-cecile-alduy/9782021172102">mieux la diffuser</a>.</p>
<p>Le recours à l’autorité de la science ou de l’expertise constitue aussi un procédé classique de ces entreprises de légitimation. Depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, du <a href="https://www.pulaval.com/livres/le-marxisme-dans-les-grands-recits-essai-d-analyse-du-discours">marxisme</a> au <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2017-3-page-71.htm?contenu=resume">néolibéralisme</a>, beaucoup d’idéologies politiques se sont présentées comme des sciences.</p>
<p>Mais au-delà de son apparente rationalité ou cohérence, l’efficacité persuasive d’une idée politique réside dans son aptitude à <a href="https://www.decitre.fr/livre-pod/peur-espoir-compassion-indignation-9782247117680.html">mobiliser des affects</a> (joie, colère, peur, indignation, compassion…) et à déployer des récits spécifiques. On se souvient ainsi comment le candidat écologiste à la présidentielle de 1974 René Dumont avait cherché à alerter sur l’épuisement des ressources naturelles en <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i09167743/rene-dumont-je-bois-devant-vous-un-verre-d-eau-precieuse">buvant un verre d’eau à la télévision</a>. Dans un autre genre, le clip de campagne d’Eric Zemmour mettait en scène <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/entre-les-lignes/eric-zemmour-les-ressorts-emotionnels-de-sa-video-de-candidature-analyses_4846243.html">l’imaginaire du « grand remplacement »</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Candidat à l’élection présidentielle de 1974, René Dumont, écologiste, tente de sensibiliser les téléspectateurs au gaspillage. INA.</span></figcaption>
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<h2>Circulations intellectuelles</h2>
<p>La fortune d’une idée ne tient pas qu’aux stratégies de communication et à l’habilité rhétorique de ses promoteurs. Pour s’imposer, elle suppose d’être relayée par une multitude de médiateurs, de « passeurs » et de vecteurs comme des <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2009-1-page-8.htm">intellectuels</a>, des journalistes, des éditeurs, des <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2019-2-page-7.htm?contenu=article">partis politiques</a>, des <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2011-1-page-5.htm">militants</a> ou des groupes de réflexion.</p>
<p>Le succès des idées d’extrême droite doit sans doute beaucoup à la constitution de ce qui a été désignée comme une <a href="https://www.cairn.info/revue-quaderni-2015-2-page-101.htm?contenu=resume">nébuleuse « néo-réactionnaire »</a> regroupant des essayistes, romanciers, journalistes – tels que Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Michel Houellebecq, Eric Zemmour ou Mathieu Bock-Côté – qui partagent un certain nombre de topiques : une conception essentialisante de l’identité nationale, le rejet de l’immigration, la dénonciation de la « bien-pensance », etc.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="L’économiste austro-hongrois Friedrich Hayek (1899-1992), considéré comme l’un des pères du néolibéralisme" src="https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=750&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578920/original/file-20240229-28-f8qt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=942&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’économiste austro-hongrois Friedrich Hayek (1899-1992), considéré comme l’un des pères du néolibéralisme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>De même, les travaux académiques consacrés aux idées néolibérales ont souligné l’importance jouée par la <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2002-5-page-9.htm">société du Mont-Pèlerin</a>, ce groupe de réflexion fondé en 1947 sous l’égide de l’économiste Friedrich Hayek (dans la localité suisse du Mont-Pèlerin), qui, via l’organisation de conférences, la traduction d’ouvrages et leurs relais dans les élites du monde occidental ont contribué à diffuser leurs idées économiques dans les instances internationales telles que le <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1998_num_121_1_3241">FMI ou la Banque Mondiale</a> jusque dans les <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/business_model-9782348042706">« business schools » et les universités</a>.</p>
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<p>La carrière d’une idée politique est ainsi tributaire non seulement des ressources matérielles ou financières des acteurs qui travaillent à sa circulation mais aussi et surtout de leurs ressources symboliques. Les sociologues français Pierre Bourdieu et Luc Boltanski ont bien analysé comment <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/839981-la-production-de-l-ideologie-dominante-pierre-bourdieu-luc-boltanski-demopoliis">l’idéologie dominante</a> se façonne et circule à travers des lieux prétendument « neutres ». Il s’agit, dans les années 1970 en France, d’institutions comme le Commissariat général au Plan, de grandes écoles comme Sciences Po ou l’ENA ou encore de revues comme <em>Esprit</em>, qui permettent à des membres des élites caractérisés par le cumul des fonctions (par exemple, inspecteur des finances, directeur de cabinet et enseignant à Sciences Po), de se rencontrer.</p>
<h2>Des supports médiatiques aux appropriations ordinaires</h2>
<p>Cependant, une idée ne s’impose véritablement que si elle est reçue et surtout <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2015-1-page-7.htm?contenu=resume">appropriée</a> par de larges publics au-delà même des champs intellectuel et politique. À cet égard, si les effets des médias sont loin d’être directs et unilatéraux, ils n’en demeurent pas moins essentiels.</p>
<p>Le rôle des réseaux socionumériques apparaît aujourd’hui évident dans la diffusion de certains discours tels que le <a href="https://www.cairn.info/revue-mots-2022-3.htm">complotisme</a> ou des thèmes chers à l’extrême droite. Ils contribuent à faire émerger de nouvelles figures d’<a href="https://www.cairn.info/revue-quaderni-2023-2-page-39.htm?contenu=article">« influenceurs »</a> politiques. On le constate du coté des identitaires : ils ont su aussi mettre à profit ces moyens de communication, pour diffuser la notion de <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2022-2-page-47.htm">« remigration »</a> qu’ils ont largement popularisée sur X (ex-Twitter), au point qu’il n’est peut-être pas excessif de parler d’un <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/8455">« gramscisme numérique »</a>.</p>
<p>Plus généralement, au sein même des médias grand public, on a souvent souligné le développement depuis une dizaine d’années d’un <a href="https://www.afsp.info/pdf.php?id=7505">espace médiatique de droite radicale</a> contribuant <a href="https://www.fayard.fr/livre/comment-sommes-nous-devenus-reacs-9782213716473/">à discuter et donc légitimer des idées d’extrême droite qui étaient jusque-là considérées comme taboues</a>.</p>
<p>Au-delà des journaux télévisés et des émissions politiques, les <a href="https://www.cairn.info/la-politique-sur-un-plateau--9782130594383.htm?contenu=sommaire"><em>talk-shows</em></a> se sont imposés comme des lieux de « débat » politique, qui peuvent contribuer à la banalisation de certains messages : <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/touche-pas-a-mon-peuple-claire-secail/9782021544732">Touche pas à Mon Poste !</a> est ainsi accusé de faire le jeu du Rassemblement national et de Reconquête à travers la surreprésentation des invités d’extrême droite et de leurs thèmes (insécurité, immigration…).</p>
<p>Les idées politiques peuvent également se loger dans une grande variété de productions médiatiques, artistiques ou culturelles, y compris celles qui sont considérées comme mineures : un genre musical tel que le rap peut se faire aussi bien le support d’idées <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-de-l-art-2015-1-page-153.htm">postcoloniales</a> – avec des groupes comme Ministère des Affaires populaires, La Rumeur… – que <a href="https://journals.openedition.org/clo/4385">racistes</a> comme on le voit avec l’émergence d’un « rap identitaire » porté par des figures telles que Millésime K, Kroc Blanc, Amalek…</p>
<p>Elles ne se diffusent donc pas que par des canaux ni même des porte-paroles labellisés comme politiques. La réussite définitive d’une idée politique peut d’ailleurs se mesurer à sa capacité à se masquer comme telle en s’imposant sur le mode de l’<a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-le_discours_ideologique_ou_la_force_de_l_evidence_thierry_guilbert-9782296049307-25348.html">évidence</a> et à devenir, pour reprendre les mots des politistes <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2017-3-page-5.htm">Mathieu Hauchecorne et Frédérique Matonti</a>, « si profondément incorporée qu’elle n’a le plus souvent pas besoin d’être mise en mots et peut dans bien des cas s’exprimer ou agir à l’insu des personnes qui l’utilisent. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224391/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cédric Passard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les luttes idéologiques, les stratégies de présentation des idées sont cruciales.Cédric Passard, Maître de conférences en science politique, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216832024-02-05T15:14:07Z2024-02-05T15:14:07ZTrois raisons de ne pas qualifier l’extrême droite de populiste<p>Le terme <em>populisme</em> fait partie des plus entendus et des plus galvaudés de ces dernières années. Employé <a href="https://theconversation.com/le-populisme-un-terme-trompeur-106361">à tort et à travers</a> tant dans la presse politique que dans la littérature académique, il qualifie – le <a href="https://absp.be/article/populisme-voila-lennemi/">plus souvent de façon péjorative</a> – toutes sortes de partis et figures politiques qui n’ont pourtant rien à voir les uns avec les autres. On dit que Donald Trump est populiste alors que c’est Barack Obama qui se <a href="https://time.com/4389939/barack-obama-donald-trump-populism/">revendique</a> de la tradition populiste américaine. On le dit de <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/argentine-le-dangereux-populisme-liberal-de-javier-milei-2030695">Javier Milei</a> alors qu’il a précisément fait campagne contre le populisme argentin incarné par le péronisme. Mais sait-on seulement ce que représente, historiquement, le populisme ?</p>
<h2>Des origines démocrates et anti-oligarchiques</h2>
<p>Le premier mouvement à se revendiquer populiste émergea aux États-Unis à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Loin des clichés contemporains sur l’anti-pluralisme fondamental du populisme, il s’agissait d’un mouvement <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/lantipopulisme_ou_la_nouvelle_haine_de_la_democratie">défendant la démocratie</a> et les garanties constitutionnelles de la liberté contre les dérives oligarchiques du pouvoir en place. Certains de ses membres <a href="https://lavamedia.be/fr/la-longue-histoire-du-populisme/">partageaient les préjugés racistes</a> du Parti républicain et du Parti démocrate d’alors, mais l’orientation générale du mouvement était sociale et démocratique et il comportait – au contraire des autres partis – un nombre significatif d’afro-américains. Le People’s Party (Parti du peuple) qui émergea de ce mouvement essentiellement paysan finit par être absorbé par le Parti socialiste américain et par le Parti démocrate.</p>
<p>Pratiquement au même moment apparurent, en Russie, les <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070281664-les-intellectuels-le-peuple-et-la-revolution-tome-1-histoire-du-populisme-russe-au-XIXe-si%C3%A8cle-franco-venturi/">narodniki</a>, un mouvement d’intellectuels démocrates et socialistes qui entendaient prêter leur voix à la paysannerie opprimée et s’opposer au Tsar. Dans ce mouvement, comme chez les populistes américains, on ne trouve ni anti-pluralisme, ni leader charismatique, ni opposition aux institutions représentatives. Plutôt une <a href="https://aoc.media/opinion/2022/03/01/en-russie-la-potentialite-emancipatrice-du-peuple/">forme d’anti-oligarchisme au nom du peuple et de la démocratie</a>. Ce mouvement finira par se diviser entre une aile libérale et une aile socialiste qui, après s’être convertie au marxisme, fonda la social-démocratie russe. Les deux ailes restèrent attachées aux libertés démocratiques.</p>
<h2>Les dérives d’un concept</h2>
<p>Alors comment se fait-il que le terme <em>populiste</em>, revendiqué par ces deux mouvements, ait pu dériver au point de qualifier aujourd’hui tout ce qu’ils auraient rejeté – notamment l’autoritarisme oligarchique de Donald Trump et de Vladimir Poutine, ces nouveaux Tsars ?</p>
<p>La distance historique et le manque de documentation ont peut-être joué un rôle dans le cas du populisme russe, mais certainement pas dans le cas du populisme américain, qui est très bien documenté. Nous avons donc développé <a href="https://www.researchgate.net/publication/377001107_Populism_and_democracy_a_reassessment">trois hypothèses explicatives</a>.</p>
<p>Un premier moment de la <a href="http://www.populismus.gr/wp-content/uploads/2016/07/WP3-jaeger-final-upload.pdf">dérive sémantique</a> fut la réinterprétation du populisme américain par plusieurs politistes, dans les années 1950, comme la préfiguration du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Maccarthysme">maccarthysme</a> ou même du fascisme. Ces réinterprétations ont depuis été remises en cause par les historiens, qui soulignent aujourd’hui le <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/lantipopulisme_ou_la_nouvelle_haine_de_la_democratie">caractère profondément démocratique du populisme américain</a>, qui visait à renforcer la démocratie représentative et non à l’affaiblir.</p>
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<p>Une deuxième étape, plus décisive, fut l’application du terme <em>populisme</em> à des régimes latino-américains – principalement le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9ronisme">péronisme</a> en Argentine – par des auteurs comme le sociologue <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9780429336072/authoritarianism-fascism-national-populism-gino-germani">Gino Germani</a>. Le terme a été appliqué de l’extérieur, car ces régimes, contrairement aux exemples américain et russe, ne se qualifiaient pas eux-mêmes de populistes. En qualifiant le péronisme de « national-populiste », Germani voulait marquer la différence entre le péronisme et des formes de nationalisme qui n’avaient pas sa dimension sociale-égalitaire (à côté de sa dimension autoritaire). Mais le résultat est que le mot populisme fut associé de ce fait aux autres caractéristiques du péronisme (ses aspects nationaliste et autoritaire) qu’il ne visait pourtant pas à désigner.</p>
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<p>Un troisième moment, d’une plus grande ampleur politique, a été celui des années 1980. En France, en Italie et en Autriche tout d’abord, les partis d’extrême droite ont remporté leurs premiers grands succès électoraux sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale et ont donc commencé à rechercher une forme de normalisation et de respectabilité. Ces partis ont stratégiquement adopté un langage démocratique et ont donc renoncé à formuler leur nationalisme xénophobe en termes d’opposition à la démocratie parlementaire. Cela a conduit un grand nombre de commentateurs politiques à parler à leur propos de « populisme », ce qui était à bien des égards une <a href="https://editions-croquant.org/sociologie/823-le-populisme-du-fn-un-dangereux-contresens.html">erreur de dénomination</a>.</p>
<p>L’extrême droite s’est alors joyeusement emparée du terme pour mieux se légitimer comme démocratique et pour séduire la classe ouvrière. En effet, quel parti à la recherche de succès électoral refuserait d’être présenté comme défenseur du peuple ? À l’heure actuelle, de nombreuses figures de l’extrême droite internationale (Viktor Orban, Steve Bannon, Éric Zemmour) se revendiquent « populistes », entendant ainsi se montrer plus démocratiques que leurs détracteurs qui, en utilisant le terme comme arme de stigmatisation, montrent leur mépris du peuple et leur adhésion à un idéal élitiste ou technocratique incompatible avec la démocratie.</p>
<h2>Éviter le contresens</h2>
<p>On pourrait en conclure que le terme a désormais changé de sens et que c’est l’usage contemporain qui doit prédominer. Nous pensons néanmoins qu’il y a <a href="https://www.researchgate.net/publication/377001107_Populism_and_democracy_a_reassessment">de bonnes raisons</a> d’éviter de s’aligner sur l’usage aujourd’hui dominant.</p>
<p>La première, c’est que quand un concept est trop large, désigne trop de choses différentes, il n’est <a href="https://journals.openedition.org/ress/6797">plus très utile</a>. C’est le cas du concept de populisme tel qu’il est aujourd’hui utilisé. S’il désigne à la fois un mouvement égalitariste et ancré à gauche comme <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2015-2-page-86.htm">Podemos</a> en Espagne et son opposé politique – un autoritarisme xénophobe et favorable aux plus riches, comme Donald Trump –, il n’est plus d’aucune aide. Car le seul point commun entre les deux est un vague appel au peuple qui est en fait un trait commun de la plupart des mouvements qui cherchent un soutien électoral, et un discours anti-establishment que tiennent pratiquement tous les partis d’opposition qui veulent remplacer les partis au pouvoir.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1082260768148594688"}"></div></p>
<p>La seconde, c’est qu’en s’alignant sur l’usage contemporain dominant, on en arrive à des conclusions historiquement absurdes, comme lorsque le politologue <a href="http://www.premierparallele.fr/livre/quest-ce-que-le-populisme">Jan-Werner Müller</a> doit affirmer que le mouvement populiste américain n’était pas populiste, pour préserver la définition qu’il utilise. Ou comme lorsqu’on désigne Donald Trump comme l’héritier du populisme alors que c’est Bernie Sanders (mieux qu’Obama) qui incarne la continuité avec le populisme historique.</p>
<p>La troisième raison c’est qu’on fait le jeu de l’extrême droite en l’affublant d’un terme qui lui offre un pedigree démocratique et une légitimité populaire, dissimulant ce faisant ses tendances profondément autoritaires et sa grande complaisance à l’égard des plus fortunés, à rebours de l’anti-oligarchisme démocratique des populismes historiques.</p>
<h2>Retrouver le populisme sans l’idéaliser</h2>
<p>Contre cet usage dominant, <a href="https://www.researchgate.net/publication/377001107_Populism_and_democracy_a_reassessment">nous suggérons</a> de préserver le terme <em>populiste</em> pour qualifier des mouvements politiques qui ont un agenda égalitaire ou démocratique, entendent défendre les classes les plus défavorisées contre des captations oligarchiques de la démocratie, et qui plutôt que de s’appuyer sur une idéologie bien définie comme le socialisme par exemple, en appellent au sens commun démocratique.</p>
<p>Reposant sur une idéologie très fine, le populisme peut prendre différentes formes. Il n’offre en effet pas une vision claire de ce que serait une société juste ou une démocratie idéale. Selon les contextes dans lesquels ils émergent, les mouvements populistes peuvent donc entretenir différents types de rapports aux institutions politiques. Dans des systèmes politiques sclérosés où les partis politiques sont déconnectés de leurs électeurs, les populistes sont très susceptibles de dénoncer les institutions représentatives existantes, mais plus par attachement à la démocratie populaire que par anti-pluralisme.</p>
<p>Le populisme bien défini n’est donc <a href="https://theconversation.com/le-populisme-est-il-vraiment-un-risque-politique-pour-les-democraties-87013">pas une menace pour la démocratie</a> – mais cela ne veut pas dire non plus que ce soit nécessairement la solution la plus prometteuse ! En particulier, dans le contexte européen contemporain, où la crise de la démocratie représentative se marque dans le déclin des corps intermédiaires (partis et syndicats) qui assuraient le lien continu entre les groupes sociaux et l’État, la difficulté des mouvements populistes à reconstruire ces canaux de médiation de façon durable constitue un écueil fondamental du point de vue démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221683/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Etienne Vandamme a reçu des financements du FWO (Research Foundation - Flanders).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Arthur Borriello et Jean-Yves Pranchère ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Employé avec largesse, le terme « populisme » est associé à des partis et figures politiques n’ayant rien à voir les uns avec les autres. Mais alors, qu’est-ce donc que le populisme ?Pierre-Etienne Vandamme, Chercheur en théorie politique, KU LeuvenArthur Borriello, Professor, Université de NamurJean-Yves Pranchère, Professeur, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2212282024-02-04T15:36:34Z2024-02-04T15:36:34ZAffaires des emplois fictifs : des procès politiques ?<p>Ce 5 février le tribunal correctionnel de Paris a rendu son jugement quant au procès des assistants parlementaires européens de l’Union pour la démocratie française (UDF) et du MoDem, <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/affaire-des-emplois-fictifs-du-modem-fin-de-proces-pour-francois-bayrou-20231121_DWTZFFQQSZA4RA3X6JFMUPNWBA/">dirigé par François Bayrou</a>. Certains de ces assistants - <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/05/francois-bayrou-relaxe-dans-l-affaire-des-assistants-parlementaires-europeens-du-modem_6214845_823448.html">deux ont été relaxés ainsi que François Bayrou </a>- étaient suspectés d’avoir œuvré davantage pour le parti que pour leurs eurodéputés. Cette affaire fait écho à d’autres au sein de la classe politique française.</p>
<p>Le Rassemblement national (RN) et La France insoumise (LFI), sont également soupçonnés d’<a href="https://theconversation.com/penelopegate-la-fin-du-on-a-toujours-fait-comme-ca-72307">emplois fictifs</a>. <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/15/soupcons-d-emplois-fictifs-deux-ex-assistants-parlementaires-de-melenchon-au-parlement-europeen-places-sous-le-statut-de-temoin-assiste_6149945_3224.html">Une enquête</a> sur les conditions d’emploi d’assistants d’eurodéputés de LFI est en cours. Quant au RN, deux juges d’instruction financiers ont ordonné le 8 décembre 2023 le renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris de Marine et Jean-Marie Le Pen, du parti et de 25 autres de ses membres pour <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/08/marine-le-pen-et-le-rassemblement-national-renvoyes-en-correctionnelle-dans-l-affaire-des-assistants-parlementaires_6204691_823448.html">détournement de fonds publics</a>. Alors que les procès contre des responsables ou des partis politiques sont nombreux, les médias et les protagonistes eux-mêmes ne les qualifient pas systématiquement de « procès politiques ». Que recouvre alors cette notion dans le champ scientifique ?</p>
<h2>Une double stratégie de politisation</h2>
<p>Les procès dits « politiques » sont ceux où la justice est instrumentalisée soit par l’instruction puis le ministère public, soit par les accusés, voire par une combinaison stratégique de ces deux volontés. Comme l’a montré la politiste <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/histoire/punir-les-opposants-vanessa-codaccioni">Vanessa Codaccioni</a>, les procès politiques sont le produit d’une double stratégie de politisation, du pouvoir et de l’opposition. Le premier mobilise des incriminations qui peuvent justifier le recours à des juridictions d’exception (comme la <a href="https://www.cairn.info/revue-deliberee-2017-2-page-36.htm">Cour de sûreté de l’État durant la guerre d’Algérie</a>) mobilisées contre les « ennemis de l’intérieur », offrant à l’accusation des outils extraordinaires tels les gardes à vue prolongées (dans la lutte antiterroriste) et de procédures militaires. Magistrats aux ordres du garde des Sceaux, débats contradictoires tronqués et condamnations pour l’exemple <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691649436/political-justice">en sont les marques</a> dans les régimes autoritaires et même parfois en régime démocratique.</p>
<p>Sur la longue durée, historiens et juristes ont plutôt <a href="https://afhj.fr/le-proces-politique/">interrogé</a> cette première forme de politisation de la justice. Toutefois, si le procès politique appartient à l’arsenal répressif d’un régime, l’opposition peut retourner à son profit la procédure, si ce n’est au tribunal, du moins dans l’opinion en médiatisant l’événement. L’affaire politico-judiciaire devient alors un espace alternatif pour faire de la politique en dehors du cadre institutionnel. Ainsi en 1863, le procès des Treize fédère les défenseurs des « libertés nécessaires » contre le Second Empire. Les procès politiques peuvent donc devenir une véritable opportunité qui permet à une opposition de retourner le stigmate, de catalyser ses forces et de se structurer sur le long terme.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/v6V7N3AQVg8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« 1972 : Gisèle Halimi défend l’avortement » (Archive INA).</span></figcaption>
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<p>Dans l’affaire des emplois fictifs, les attitudes des partis varient non seulement selon leur rapport aux institutions, mais aussi en fonction de leur stratégie.</p>
<h2>Au pouvoir ou dans l’opposition : des stratégies à géométrie variable</h2>
<p>François Bayrou, leader de l’un des partis alliés de la coalition au pouvoir depuis 2017, a incarné la posture du <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/1122374-abus-de-pouvoir-francois-bayrou-plon">défenseur de l’État de droit</a> face aux atteintes et dérives de la présidence de Nicolas Sarkozy. Aussi, ne peut-il emprunter la posture outragée de la victime d’un procès politique pour dénoncer un quelconque acharnement d’une justice qui lui serait idéologiquement hostile. <a href="https://www.france24.com/fr/france/20231106-de-bayrou-%C3%A0-dupond-moretti-pour-un-ministre-en-proc%C3%A8s-d%C3%A9missionner-n-est-plus-d-actualit%C3%A9">Garde des Sceaux démissionnaire</a> en raison d’une enquête préliminaire qui mènera à sa mise en examen dans l’affaire des emplois fictifs du MoDem au Parlement européen, il a choisi de répondre aux éléments du dossier point par point, davantage en législateur expérimenté qu’en dirigeant d’une formation politique.</p>
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<p>Tout à l’inverse, <a href="https://theconversation.com/jean-luc-melenchon-larme-du-charisme-en-politique-159379">Jean-Luc Mélenchon</a> a théorisé pour la Vᵉ République une justice à charge contre les opposants politiques, en s’appuyant sur des précédents historiques et des exemples étrangers. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/09/18/en-parallele-de-son-proces-jean-luc-melenchon-delivre-ses-verites_5511905_823448.html">Assimilant la France aux systèmes illibéraux</a>, voire dictatoriaux, le leader de La France insoumise dénonce, derrière une médiatisation à charge par les organes proches du pouvoir, une tentative de le discréditer et de le faire taire. La vigueur de ses réactions est renforcée par une perquisition qui <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2019/12/09/perquisition-houleuse-a-lfi-jean-luc-melenchon-et-ses-proches-fixes-sur-leur-sort-lundi_6022145_1653578.html">éclaire</a> l’interpénétration de sa vie privée et du financement de sa communication politique. La personnalisation grandiloquente - « la République, c’est moi ! » - vise à renouer avec les grandes heures des combats pour les libertés parlementaires – du Léon Gambetta sous le Second Empire à Léon Blum au procès de Riom -, en rappelant que la tradition républicaine française réserve la souveraineté populaire au Parlement.</p>
<p>Quelques jours avant <a href="https://www.leparisien.fr/politique/jean-luc-melenchon-condamne-a-trois-mois-de-prison-avec-sursis-pour-rebellion-et-provocation-09-12-2019-8212674.php">la condamnation</a> du leader de LFI par le tribunal correctionnel de Bobigny pour « actes d’intimidation envers l’autorité judiciaire, rébellion et provocation », l’ancien candidat à la présidentielle et ses soutiens avaient dénoncé un procès politique. Dans une tribune intitulée « <a href="https://www.lejdd.fr/International/tribune-melenchon-lula-iglesias-appellent-a-la-fin-des-proces-politiques-3918341">Le temps des procès politiques doit cesser</a> », publiée le 15 septembre dans le <em>Journal du Dimanche</em>, plus de 200 personnalités, parmi lesquelles Jean-Luc Mélenchon lui-même, le brésilien Lula, l’équatorien Rafael Correa ou encore l’espagnol Pablo Iglesias, mettaient en garde contre le recours croissant à la « tactique du lawfare », c’est-à-dire « une instrumentalisation de la justice pour éliminer des concurrents politiques ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1170932343512555520"}"></div></p>
<p>Quelques jours plus tard, le leader des insoumis faisait paraître <a href="https://www.label-emmaus.co/fr/9782259282987-et-ainsi-de-suite-un-proces-politique-en-france/"><em>Et ainsi de suite… Un procès politique en France</em></a>, dans lequel il dénonçait une justice politique aux ordres de l’exécutif avec la complicité des médias :</p>
<blockquote>
<p>« Le <em>lawfare</em> est une guerre judiciaire, médiatique et psychologique. La leçon des expériences montre qu’on ne peut rien négocier, rien stopper. Il ne faut jamais renoncer à mener cette bataille comme une bataille politique, un rapport de force. Jusqu’à ce que la réputation de l’adversaire devienne aussi discutée que celle de l’accusé sans preuve » [p. 179].</p>
</blockquote>
<p>Quant à l’extrême droite, longtemps habituée à dénoncer, elle aussi, l’hostilité de la justice à son égard, le passage du Front au Rassemblement national vient percuter cette instrumentalisation des procédures judiciaires.</p>
<p>Si Jean-Marie Le Pen ne pouvait que se satisfaire de ses condamnations à répétition, qui venaient renforcer sa marginalité face à « l’establishment » et sa posture de tribun de la plèbe contre les élites coalisées, la normalisation et <a href="https://theconversation.com/de-limpensable-au-possible-comment-le-rn-sest-insere-dans-la-societe-francaise-216651">la dédiabolisation du Rassemblement</a> de Marine Le Pen rendent complexe la posture victimaire. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/20/pourquoi-le-rassemblement-national-est-en-voie-de-normalisation_6211950_823448.html">L’institutionnalisation du RN</a> à l’Assemblée nationale depuis 2022 (vice-présidences et respect des codes parlementaires) apparaîtrait incohérente avec la dénonciation véhémente d’une justice politique et incompatible avec l’aspiration à devenir un parti de gouvernement apte à être admis au sein d’une coalition.</p>
<p>Le RN apparaît en conséquence à la croisée des chemins à l’occasion de cette affaire judiciaire : s’il renoue avec son héritage de mouvement hostile aux institutions politiques et judiciaires, il risque de mettre à bas une décennie d’efforts pour s’intégrer au système. À cette aune, le prochain procès sur les emplois fictifs constituera un test important sur la pérennité de la stratégie de notabilisation et de respectabilité du RN.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221228/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les procès dits « politiques » sont ceux où la justice est instrumentalisée, par certains gouvernements, mais aussi des accusés qui politisent certains procès en les médiatisant.Pierre Allorant, Professeur d’Histoire du droit et des institutions, Université d’OrléansNoëlline Castagnez, Professeur d'Histoire politique contemporaine, Université d’OrléansWalter Badier, Maître de conférences en histoire contemporaine, Université d’OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202252023-12-20T19:57:59Z2023-12-20T19:57:59ZGérald Darmanin, symbole des illusions perdues du macronisme ?<p>Le projet de loi sur l’immigration était annoncé comme un moment décisif pour les différents acteurs de la vie politique française et en particulier pour Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur. Il constitue sans doute un tournant important pour l’homme politique et illustre a plusieurs égards les difficultés auxquelles font face Emmanuel Macron, le macronisme et le système politique français dans son ensemble.</p>
<p>Les derniers événements ont été particulièrement difficiles pour le ministre même si celui qui a remis <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/info-franceinfo-vote-de-rejet-de-la-loi-immigration-gerald-darmanin-a-propose-sa-demission-refusee-par-le-president-lors-d-un-entretien-lundi-soir-a-l-elysee_6237198.html">sa lettre de démission, refusée par l’Élysée</a> (suite au vote de la motion de rejet de la loi sur l’immigration) <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/en-direct-loi-immigration-nous-sommes-plus-pres-d-un-accord-que-d-un-desaccord-affirme-darmanin-20231218">se félicite</a> aujourd’hui de la séquence politique qui a vu l’adoption de cette même loi.</p>
<p>L’homme politique est-il pour autant renforcé de cet épisode et que nous dit-il de l’état du macronisme ?</p>
<h2>Une image d’homme de droite</h2>
<p>Si Gérald Darmanin a pu publiquement <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/presidentielle-2027-gerald-darmanin-estime-qu-edouard-philippe-est-le-mieux-place-mais-s-interroge-sur-son-envie_6109053.html">interroger sa volonté</a> de se positionner dans la course pour le poste de président de la République, il fait très clairement parti des personnes qui pourraient prétendre à la succession d’Emmanuel Macron.</p>
<p>Darmanin s’est construit une image d’homme de droite attaché au respect de l’ordre et son rôle de ministre de l’Intérieur a donné corps à ce positionnement. Mais plusieurs ratés (<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/16/gerald-darmanin-doit-tirer-les-lecons-du-chaos-au-stade-de-france_6162045_3232.html">incidents du Stade de France</a>, <a href="https://www.lexpress.fr/societe/terrorisme-islamiste-darmanin-plaide-pour-une-injonction-de-soins-FJ5FEWIDYZCEVKUAN3CSTXHOG4/">attaques terroristes</a>…) et polémiques (<a href="https://www.lepoint.fr/societe/gerald-darmanin-maintient-ses-propos-sur-karim-benzema-25-10-2023-2540792_23.php#11">affaire Karim Benzema</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/accusations-de-viol-a-l-encontre-de-gerald-darmanin-le-non-lieu-en-faveur-du-ministre-de-l-interieur-est-confirme-en-appel_5620133.html">accusation de viol</a>…) ont écorné sa réputation d’efficacité et de rigueur. Le rejet de « son » projet de loi sur l’immigration porte un coup certain à ses ambitions personnelles qui s’appuyaient en grande partie sur sa légitimité en matière de sécurité.</p>
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<p>Difficile pourtant de prévoir ce qu’il adviendra des ambitions présidentielles de Darmanin tant la période qui s’ouvre est inédite sous la V<sup>e</sup> République. <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/la-ve-republique/les-grandes-etapes-de-la-ve-republique">Pour la première fois</a>, un président encore jeune quittera la présidence sans avoir été battu… alors que la possibilité qu’<a href="https://fr.news.yahoo.com/emmanuel-macron-pourrait-il-se-representer-en-2032-151353458.html?guccounter=1&guce_referrer=aHR0cHM6Ly93d3cuZ29vZ2xlLmNvbS8&guce_referrer_sig=AQAAAEKnCJD-4Puu94CtwDzyqMxOwQpDP1vGFHerRERgF4B1jyXWISobCd63hHgltqw3Oh95r1Db3-hkKua6TWiKp0H1yAoVvvxfn1Yr3jSxxiXfgw8aSkHR0_DL6ujHfEb48njeoWtcR5S6knPk_DbXa0vZG6669MwJO4f0YDYY0TT3">il puisse se représenter de manière non consécutive</a> n’est pas écartée.</p>
<p>Jamais, une telle situation n’était arrivée et la succession d’Emmanuel Macron risque donc de réserver des stratégies et des montages politiques nouveaux.</p>
<p>Pour la première fois, la <a href="https://www.lejdd.fr/politique/presidentielle-2027-marine-le-pen-caracole-en-tete-edouard-philippe-favori-du-camp-macroniste-dapres-un-sondage-139319">favorite des sondages</a> et de l’élection présidentielle pourrait être Marine Le Pen, la candidate du parti représentant l’extrême droite française. Dans ce contexte, le positionnement d’homme de droite de Darmanin et sa connaissance des dossiers régaliens, légitimés par son passage place Beauvau, seront sans doute recherchés par ceux qui décideront de se lancer dans la bataille face à Marine Le Pen.</p>
<h2>Pas de vrai virage politique, sauf vers la droite</h2>
<p>Lors de sa première élection présidentielle, Emmanuel Macron s’était fait élire en promettant de <a href="https://theconversation.com/la-gauche-et-la-droite-font-elles-encore-sens-en-france-178181">dépasser le clivage droite/gauche</a>.</p>
<p>Les sujets mis en avant, à l’image de l’immigration, et les mesures prises, comme dans le cadre de la réforme des retraites, semblent entériner l’idée que le parti présidentiel penche désormais fortement <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-lheritier-cache-de-nicolas-sarkozy-178669">à droite</a>.</p>
<p>Le départ d’anciens alliés issus de la gauche, à l’instar tout récemment de <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/daniel-cohn-bendit/europeennes-daniel-cohn-bendit-rompt-avec-macron-et-appelle-les-ecologistes-a-rejoindre-glucksmann-1f927344-9804-11ee-b5ab-4c9dbbc4ce19">Daniel Cohn Bendit</a>, parait d’ailleurs confirmer ce virage.</p>
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<figcaption><span class="caption">Immigration : le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale le 19 décembre 2023, HuffPost.</span></figcaption>
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<p>Lors de la seconde élection, il avait déclaré que le résultat morcelé du premier tour l’obligeait à faire de la politique autrement et qu’il avait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SMHd9uYD5H8">compris le message</a>. L’épisode des échanges et négociations entre Darmanin et Les Républicains (LR) lors de la loi sur l’immigration donne pourtant l’image de manœuvres politiciennes peu en accord avec l’idée de nouvelles pratiques politiques et de la recherche d’un consensus autour d’un projet commun. Alors que certains en appellent à une <a href="https://books.openedition.org/putc/157?lang=fr">VIᵉ république</a>, la façon dont les jeux de pouvoir s’organisent sous et autour d’Emmanuel Macron rappelle en tous points celles des époques précédentes.</p>
<p>La loi sur l’immigration symbolise à plusieurs égards la « politique à l’ancienne » que l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron devait faire disparaître. En ce sens, elle illustre l’échec de la tentative de faire de la politique autrement. La <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/un-parlement-en-toc-l-amertume-d-une-deputee-macroniste-decidee-a-ne-pas-se-representer-a-l-assemblee-5879426">décision de certains élus macronistes</a> de ne pas rempiler suite au premier quinquennat, avaient déjà en partie mis en exergue ce phénomène. Force est constater que l’utilisation répétée du 49.3 semble témoigner des <a href="https://www.lopinion.fr/politique/les-deputes-macronistes-doivent-encore-apprendre-a-perdre">difficultés du camp présidentiel</a> à <a href="https://theconversation.com/macron-incarnation-de-la-theorie-des-paradoxes-et-de-ses-limites-195300">co-construire, à négocier, à convaincre</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/changer-de-constitution-pour-changer-de-regime-180160">Changer de constitution pour changer de régime ?</a>
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<h2>Un décalage profond avec les électeurs</h2>
<p>L’incapacité de parvenir à mettre en place de nouvelles pratiques politiques illustre un phénomène plus profond pour la V<sup>e</sup> République et le système démocratique : celui du décalage entre la façon dont les décideurs politiques comprennent les messages des urnes et des élections et la réalité des aspirations des électeurs et de la population. L’affaire de la loi sur l’immigration vient rappeler que le macronisme n’est pas parvenu à combler ce décalage… qui s’est sans doute amplifié au cours des dernières années suite à des scandales comme <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/dossier/affaire-benalla-macron-garde-du-corps-video-manifestant">l’affaire Benalla</a> ou la crise des <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/qui-sont-les-gilets-jaunes-et-leurs-soutiens.html">« gilets jaunes »</a>.</p>
<p>Mais l’épisode de la loi sur l’immigration est aussi un tournant politique car la motion de rejet de la loi sur l’immigration a donné lieu à un vote uni de <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/loi-immigration-et-integration-ce-quil-faut-savoir-1902727">LR, du Rassemblement national (RN) et de la gauche</a>. Cette alliance, bien que de circonstance, montre à quel point le Rassemblement national est devenu un <a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-premier-courant-politique-francais-182977">parti comme les autres</a> au sein de la vie politique française.</p>
<h2>Un parfum de fatalité ?</h2>
<p>Le Front Républicain contre l’extrême droite s’est transformé en un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/13/l-arc-republicain-un-concept-destine-a-exclure-certains-du-champ-de-la-legitimite-politique_6205527_3232.html">Arc Républicain</a> visant tous les extrêmes. Et les partis « traditionnels » s’allient désormais de plus en plus avec le RN au hasard des circonstances. La <a href="https://www.lopinion.fr/politique/la-strategie-de-la-cravate-du-rn-fonctionne-t-elle">stratégie de Marine Le Pen</a> visant à cultiver une image sérieuse et modérée à l’Assemblée Nationale semble donc porter ses fruits, d’autant plus qu’elle positionne son groupe parlementaire en complète opposition avec la <a href="https://www.leparisien.fr/politique/la-on-va-dans-le-mur-au-sein-de-lfi-la-strategie-de-la-bordelisation-fait-debat-16-12-2023-SOHC2BQIXBDGXHV45XZP6OGKZE.php">stratégie volontiers provocatrice</a> et belliqueuse de LFI et de certaines personnalités de gauche.</p>
<p>Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron, qui avait affirmé qu’il parviendrait à faire baisser l’extrême droite en France, ne parvient pas à empêcher l’expansion du RN. Les figures comme Gérald Darmanin semblaient pourtant <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1182443/article/2022-05-20/gerald-darmanin-l-atout-droite-pop-de-macron-rempile-l-interieur">destinées à élargir le spectre du parti présidentiel</a> et devaient faire barrage au parti d’extrême droite en se positionnant sur ses thématiques et ses idées. Les déboires du ministre de l’Intérieur illustrent au contraire les limites des stratégies de lutte contre l’extrême droite visant à s’appuyer sur des personnalités censées reprendre et représenter leurs idées pour attirer les électeurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-rn-trou-noir-du-paysage-politique-francais-219757">Le RN, « trou noir » du paysage politique français</a>
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<p>Mais l’expansion du RN est à mettre en perspective avec les succès des partis d’extrême droite dans plusieurs pays d’Europe comme en <a href="https://fr.euronews.com/2023/10/22/giorgia-meloni-un-an-a-la-tete-de-litalie">Italie</a> ou au <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/24/extreme-droite-aux-pays-bas-l-original-triomphe-toujours-de-la-copie_6202071_3232.html">Pays Bas</a> ou par exemple en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/20/en-argentine-le-choc-et-les-interrogations-apres-l-election-triomphale-de-javier-milei-a-la-presidence_6201228_3210.html">Argentine</a>. L’exemple français n’est pas exceptionnel et ces succès donnent un parfum de fatalité à l’incapacité d’Emmanuel Macron et du camp présidentiel à contrer l’expansion du parti présidé par Jordan Bardella.</p>
<p>La période de turbulences économiques, sociales, géopolitiques et environnementales actuelle est aussi un terrain particulièrement fertile pour la montée des extrêmes et des populismes. Dans le cas de la France, cette montée ne pourra être un tant soit peu contenue que si des personnes comme Gérald Darmanin et Emmanuel Macron parviennent à éviter des séquences comme celle de la loi sur l’immigration tant elles mettent en lumière les illusions perdues de leur aventure politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220225/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment Gérald Darmanin incarne l’échec d’une « nouvelle façon » de faire de la politique.Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2178322023-12-05T17:12:14Z2023-12-05T17:12:14ZDu FN au RN : comment les femmes sont devenues indispensables à l’extrême droite<p>« J’étais assez contre mais, avec le recul, cette loi a permis aux femmes d’arriver en nombre dans ce monde. » <a href="https://www.leparisien.fr/politique/marine-le-pen-subir-du-sexisme-ca-mest-arrive-mais-jamais-au-rn-12-02-2023-VFWKWC27WFG5HHWV323VTUUIBY.php">Par ces quelques mots</a> au sujet de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_tendant_%C3%A0_favoriser_l%27%C3%A9gal_acc%C3%A8s_des_femmes_et_des_hommes_aux_mandats_%C3%A9lectoraux_et_fonctions_%C3%A9lectives">loi sur la parité</a>, Marine Le Pen met en lumière l’ambivalence régnant au <a href="https://theconversation.com/le-rn-est-il-devenu-un-parti-comme-les-autres-201690">Rassemblement national</a> (RN) à l’égard des hiérarchies de genre. Celles-ci structurent la plupart des groupements politiques, (y compris ceux qui se revendiquent progressistes, voire féministes). La subordination des femmes est particulièrement flagrante dans les groupes conservateurs qui défendent explicitement un ordre social basé sur une hiérarchie stricte des rôles des sexes et qui acceptent, par conséquent, la domination masculine.</p>
<p>Certes, depuis la création du Front national (FN) en 1972, des femmes ont pu occuper des places de dirigeantes, locales et nationales, et ont été élues. Mais, comme le montrent mes recherches en cours, la plupart étaient actives dans les coulisses du parti et occupaient des positions secondaires, voire subalternes. Sous la présidence de Jean-Marie Le Pen, les femmes, déjà rares parmi les adhérents, étaient <a href="https://www.theses.fr/2002STR30016">reléguées à des places considérées marginales</a>. Elles rendaient leur militance légitime essentiellement en <a href="https://www.routledge.com/Right-Wing-Women-From-Conservatives-to-Extremists-Around-the-World/Bacchetta-Power/p/book/9780415927789">tant qu’épouses ou filles d’autres militants masculins</a>. Les hommes constituaient, en revanche, la majorité des membres actifs du FN et occupaient des positions de premier plan en tant que candidats, élus et responsables.</p>
<p>Cependant, des évolutions institutionnelles et partisanes au tournant des années 2000 invitent à ré-interroger les rapports de genre qui structurent le FN : dans quelle mesure ont-ils évolué ?</p>
<h2>Une injonction légale et un modèle</h2>
<p>L’introduction de la <a href="https://theconversation.com/les-zones-blanches-de-la-parite-en-politique-la-nouvelle-loi-sera-t-elle-efficace-156062">loi dite sur la parité</a> au début des années 2000 a permis une visibilité inédite aux femmes du FN en rendant leur présence nécessaire sur les listes électorales. Vu sa situation financière compliquée, le FN essaie d’éviter des amendes pour cause du non-respect de la loi. Les injonctions au respect de la représentation paritaire pèsent donc particulièrement sur le parti à la flamme : de plus en plus de femmes sont investies en tant que candidates et susceptibles d’être élues (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_Rassemblement_national">sur 87 députés RN siégeant à l’AN, 33 sont des femmes, soit 38 %. À titre de comparaison, c’est 42 % chez LFI</a>). Et ces candidates frontistes ne sont pas une simple vitrine électorale. Les groupes des militants que j’ai observés durant mon enquête de terrain sont, en effet, de plus en plus mixtes. Lors de quelques réunions de sections, j’ai pu constater qu’environ la moitié des participants étaient des femmes.</p>
<p>Au-delà de l’injonction au respect des règles paritaires, on peut aussi penser que l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN ait pu favoriser l’évolution des rapports de genre structurant le parti.</p>
<p>Pour nombre d’anciens membres du parti et de sympathisants, Marine Le Pen a légitimé sa place de présidente par la filiation avec le co-fondateur du FN. Cependant, l’hérédité politique n’est pas la seule ressource dont elle joue. Quarantenaire, divorcée et avocate, la benjamine de Jean-Marie Le Pen dispose de ressources personnelles importantes qui font d’elle une <a href="https://theconversation.com/lelite-de-lanti-elitisme-un-paradoxe-francais-182177">femme socialement dominante</a>. Marine Le Pen incarne ainsi pour certaines femmes un modèle à imiter. Cela en encourage certaines à se lancer dans une carrière politique locale. D’après mon enquête, il s’agirait surtout de femmes issues des classes moyennes et moyennes supérieures, généralement pourvues de compétences en communication, en organisation ou d’autres ressources jugées appropriées pour s’engager dans le domaine politique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1724176697988108735"}"></div></p>
<p>Ces évolutions aux niveaux institutionnel (loi parité) et partisan (arrivée de Marine Le Pen) ont ouvert des opportunités inédites aux femmes. Elles peuvent désormais représenter le FN dans les conseils municipaux, départementaux, régionaux et au Parlement. Mais si elles exercent ainsi une forme de pouvoir politique, elles ne déjouent que partiellement les mécanismes de domination masculine particulièrement <a href="https://journals.openedition.org/teth/2117">prégnants</a> au sein des groupes militants frontistes.</p>
<h2>Le cas d’Isabelle</h2>
<p>Résidente dans une petite commune paupérisée du Sud-Est, Isabelle (prénom fictif) a porté les couleurs du FN à toutes les élections locales entre 2008 et 2017, a été conseillère régionale entre 2010 et 2021 et siège en tant que conseillère municipale depuis 2014. Son parcours m’a permis d’analyser comment le genre et la classe sociale peuvent se transformer en ressources politiques et permettre une entrée en politique au FN.</p>
<p>Professeure des écoles dans l’Éducation nationale, Isabelle représente une <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100118550">catégorie socioprofessionnelle habituellement considérée comme réfractaire au FN</a> et peut incarner l’ouverture sociale apparemment recherchée par le parti (on songe à la création du <a href="https://www.france24.com/fr/20131014-collectif-racine-professeurs-front-national-marine-le-pen-municipales">Collectif Racine</a> pour rassembler les enseignants proches des idées du FN). Isabelle porte également la casquette de directrice d’école, elle appartient donc aux classes moyennes culturelles. Or, les cadres et les professions intellectuelles supérieures et intermédiaires sont sous-représentées parmi les candidats et, surtout, les candidates frontistes. La profession d’Isabelle semble avoir été tout aussi, voire davantage, centrale que son genre pour être sélectionnée en position éligible sur la liste des régionales.</p>
<p>En effet, lors d’une conférence de presse, Isabelle avait eu l’occasion d’exprimer ses opinions sur l’état de l’école publique à Jean-Marie Le Pen et avait montré partager le point de vue de Marine Le Pen sur l’éducation. Quelques semaines après la conférence, Isabelle reçoit un courrier de Jean-Marie Le Pen sollicite Isabelle pour qu’elle rejoigne la liste des candidats aux élections régionales de 2010 qu’il conduisait.</p>
<h2>Une valeur politique déterminée par les hommes</h2>
<p>S’intéresser aux conditions d’entrée en politique d’Isabelle apporte un éclairage édifiant sur l’inertie des hiérarchies de genre au sein de l’extrême droite. En effet, la valeur des attributs de genre et de classe d’Isabelle est déterminée par des hommes.</p>
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<p>Ce sont les leaders locaux (le secrétaire départemental du FN) et nationaux (Jean-Marie Le Pen) qui ont sollicité la candidature d’Isabelle. En tant que femme issue de la classe moyenne culturelle, elle incarnait un personnel politique socialement et politiquement plus légitime que l’ancien responsable de la section frontiste où Isabelle militait (celui-ci se déclarait royaliste et était, selon nos sources, peu mobilisé et agressif à l’égard des adhérents).</p>
<p>Le conjoint d’Isabelle, Christophe (prénom fictif), a joué ensuite un rôle déterminant. C’est lui qui l’a exhortée à accepter la candidature. Sans ses incitations, elle n’aurait probablement pas accepté d’être investie. Or, c’est parce qu’Isabelle est devenue candidate puis élue du FN que Christophe a été nommé secrétaire de circonscription. Il a pu se servir des ressources politiques de sa conjointe pour connaître une promotion.</p>
<p>Cet usage stratégique des ressources d’Isabelle par Christophe ainsi que le besoin ressenti par Isabelle de compter sur son conjoint et sur le président du FN pour accepter la candidature et accéder au mandat invitent à remettre toute forme de domination féminine en perspective.</p>
<p>Les interactions entre l’élue et son entourage montrent la résistance des logiques de domination masculine qui régissent l’entrée en politique des femmes au FN. Ce sont, notamment, Jean-Marie Le Pen et le secrétaire départemental du FN de l’époque qui décidaient quand et dans quelle mesure la classe et le genre pouvaient devenir des ressources politiques.</p>
<p>Isabelle n’est pas un cas atypique. Lors de mon enquête, en 2018, l’entrée en politique des femmes au FN (aujourd’hui RN) dépendait souvent du conjoint et des leaders - souvent des hommes - qui encourageaient et permettaient l’avancement leur « carrière ». Par conséquent, la féminisation du personnel frontiste soutenait toujours le genre frontiste dominant (masculin).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217832/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Margherita Crippa a reçu des financements de université de sydney </span></em></p>Comment le genre et la classe sociale peuvent se transformer en ressources politiques et permettre une entrée en politique ? Cas d’école au sein de l’extrême droite française.Margherita Crippa, Doctorante, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2166512023-11-13T19:36:31Z2023-11-13T19:36:31ZDe l’impensable au possible : comment le RN s’est inséré dans la société française<p>La marche contre l’antisémitisme le 12 novembre 2023 à Paris a, pour la journaliste politique du Monde, Solenn Royer marqué <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/11/13/marches-contre-l-antisemitisme-l-absence-d-emmanuel-macron-n-a-pas-ete-comprise-notamment-en-macronie-ou-certains-evoquent-une-occasion-manquee_6199810_823448.html">« un avant et un après »</a> pour le parti lepéniste. Comme le note le quotidien national, « en nombre, les élus du parti de Marine Le Pen, même isolés et sous tension, ont pu défiler jusqu’au bout » aux côtés de toutes celles et ceux qui ont voulu montrer leur rejet de l’antisémitisme en France.</p>
<p>Cette marche vient à l’appui d’un constat de plus en plus probant : le Rassemblement national occupe désormais une place plus favorable que par le passé dans le paysage politique français. En 2022, en accédant pour la deuxième fois consécutive au second tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen n’avait pas suscité autant la surprise que son père en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=oWZIKQlJK_M">2002</a>. Pour la seconde fois dans l’histoire de la V<sup>e</sup> République, des députés de ce parti ont aussi fait leur entrée au Palais Bourbon, et cette fois, avec 89 sièges, ils forment le <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/06/28/metiers-mandats-precedents-trajectoires-ideologiques-explorez-le-profil-des-89-deputes-du-rassemblement-national_6132344_4355770.html">deuxième plus grand groupe de l’Assemblée nationale</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">France 24, le RN à la marche contre l’antisémitisme, le 12 novembre 2023, via YouTube.</span></figcaption>
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<p>Le parti lepéniste est ainsi depuis fréquemment présenté comme étant <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/du-grain-a-moudre/le-front-national-est-il-aux-portes-du-pouvoir-3246582">aux portes du pouvoir</a>. Comment expliquer ces succès contemporains ? Ce parti créé en 1972, qui change de nom pour devenir en 2018 le Rassemblement national, a-t-il réussi sa mue ?</p>
<p>Notre ouvrage collectif récent, <a href="https://journals.openedition.org/lectures/62633"><em>Sociologie politique du Rassemblement national : enquêtes de terrain</em></a>, publié ce mois-ci aux Presses Universitaires du Septentrion,) s’empare de cette trajectoire de « normalisation » en se penchant sur les deux premiers mandats de la présidence de Marine Le Pen au sein du parti (2011-2018).</p>
<p>Sur la période, le FN-RN est parvenu à s’inscrire encore davantage dans l’espace politique, à fidéliser du personnel, à augmenter ses scores électoraux locaux (départementaux, régionaux) et nationaux (scrutins présidentiels, européens) principalement durant des scrutins de liste.</p>
<p>La prise du pouvoir par le RN semble alors être passée de l’ordre de l’impensable à celui du possible. Comment le parti d’extrême droite s’est-il inséré progressivement dans certains pans de la société française ?</p>
<h2>Saisir l’implantation du RN dans sa diversité</h2>
<p>Les résultats des élections (municipales, législatives, européennes) attestent de la consolidation électorale du principal parti d’extrême droite française, depuis les années 2010. <a href="https://editions-croquant.org/hors-collection/902-pourquoi-tant-de-votes-rn-dans-les-classes-populaires.html">La sociologie du vote</a> a montré qu’il est difficile de parler d’un électorat homogène et qu’il est plus juste de souligner qu’il existe une pluralité d’électorats rassemblés dans <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/06/10/l-electorat-frontiste-n-existe-pas_5141998_3232.html">« un conglomérat »</a>).</p>
<p>Les territoires d’implantation du RN sont donc divers, et le sont d’ailleurs encore davantage dans la période récente, comme le montre la comparaison des résultats des élections législatives de <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/carte-resultats-des-legislatives-2022-visualisez-la-percee-du-rassemblement-national-au-premier-tour_5194912.html">2017 à ceux de 2022</a>. Ces implantations répondent à des logiques locales spécifiques qu’il s’agit d’élucider : les mobilisations électorales du RN ne prennent pas la même forme que l’on se trouve dans le Sud-Est ou dans le Nord-Est, dans des terres « d’élection » ou des terres « de mission » du parti, en contexte urbain ou rural, etc.</p>
<p>La pluralité des implantations invite aux études localisées pour comprendre les forces, mais aussi les faiblesses, du parti dans chaque configuration locale. Les succès du RN doivent aussi se comprendre dans la durée. Les soutiens électoraux dont il bénéficie reposent sur des « déjà-là » socioculturels endormis, qui sont stimulés et réactivés en périodes d’élections. Les études de cas présentes dans le livre montrent en effet comment le parti est capable d’entretenir des soutiens insérés dans le tissu social local, dont dépendent ses victoires dans les territoires.</p>
<h2>Le RN, de haut en bas</h2>
<p>De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque « le Rassemblement national » ? Ce parti est le plus souvent appréhendé dans les médias comme un bloc monolithique, réduit aux prises de parole de Marine Le Pen ou plus récemment de Jordan Bardella. Or, y compris au sommet du parti, les instances dirigeantes ne se résument pas aux porte-parole les plus connus.</p>
<p>Par le biais de la sociographie, on peut alors saisir avec précision comment se structure le « haut » de l’organisation partisane afin de comprendre les logiques de gestion interne du parti, notamment celle de l’argent et du pouvoir, dont la presse a montré les défaillances, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/front-national/affaire-des-kits-de-campagne-le-rassemblement-national-condamne-en-appel-a-une-amende-de-250-000-euros_5712755.html">pour l’organisation des campagnes</a> ou pour l’utilisation des fonds publics <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/09/22/assistants-parlementaires-europeens-du-fn-le-parquet-requiert-le-renvoi-du-parti-de-marine-le-pen-et-de-vingt-six-autres-prevenus-devant-le-tribunal_6190561_3224.html">pour l’embauche d’assistants</a>.</p>
<p>Qui le RN recrute-t-il sur des listes, dans son entourage, ou encore dans ses instances dirigeantes ? S’interroger sur les modes de recrutement des cadres du parti permet également de comprendre son ajustement aux logiques du champ politique ou <a href="https://www.acrimed.org/-Les-medias-et-le-Front-National-">journalistique</a>. Cela est d’autant plus nécessaire au regard de la stratégie dite de « dédiabolisation » du RN, mais aussi plus largement dans un contexte de crise de légitimité de la forme <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/12/remi-lefebvre-les-partis-politiques-hors-jeu-de-la-presidentielle-ou-presque_6076412_3232.html">« parti politique »</a>.</p>
<p>Comprendre l’organisation du RN implique enfin d’étudier les différents échelons du parti, de « haut en bas » pour ainsi dire : des instances dirigeantes aux <a href="https://www.puf.com/content/Simples_militants">« simples militants »</a>, en passant par les cadres des Fédérations, les collectifs formant les sections locales, etc. Cette analyse à différents niveaux permet de constater qu’il n’existe pas « un » profil militant unique au RN, mais une pluralité de trajectoires amenant des individus à intégrer l’organisation lepéniste et à s’y professionnaliser plus ou moins, selon les profils et les configurations locales.</p>
<h2>Un « nouveau » RN ?</h2>
<p>La question du recrutement partisan pose enfin celle de l’« ouverture » du RN à de nouveaux profils. Différents chapitres du livre collectif étudient ainsi des groupes militants, des électeurs ou des dirigeants que l’on pourrait penser « atypiques ».</p>
<p>Pour casser son image de parti d’extrême droite, l’organisation lepéniste cherche depuis longtemps à se présenter comme un parti « moderne », sensible par exemple à la <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/video-echange-tres-tendu-entre-mathilde-panot-et-marine-le-pen-sur-les-droits-des-femmes-et-le-hamas-7900308608">question des droits des femmes</a>. Mais aussi des minorités <a href="https://tetu.com/2023/04/01/politique-rassemblement-national-elus-gays-parti-assemblee-vernis-arc-en-ciel-rn/">sexuelles</a>. Il s’agit dès lors de se montrer ouvert à des engagements d’apparence « atypique », allant dans le sens de son narratif.</p>
<p>Le phénomène n’est pas nouveau : dans cette <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i04167303/jean-marie-le-pen">vidéo de campagne de 1995</a>, Jean-Marie Le Pen se met en scène répondant aux questions de quatre militantes FN, dont la martiniquaise Huguette Fatna et Maria Tabary (« immigrée portugaise […] devenue française »), alimentant une rhétorique visant à battre en brèche les accusations de xénophobie et racisme. Dans une logique similaire, le dialogue avec la cadre du FN/RN Sylvie Goddyn permet au président du FN d’aborder la question de l’écologie et du bien-être animal.</p>
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<figcaption><span class="caption">Campagne 1995 de Jean-Marie Le Pen.</span></figcaption>
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<p>L’ouverture à de nouvelles thématiques et à de « nouvelles têtes » fait donc partie intégrante de la stratégie du parti, et ce de longue date. Par ailleurs, la sociologie de ces nouveaux profils permet de reconstituer finement les logiques et la cohérence de leur adhésion au RN, au-delà du seul constat de leur atypicité. La sociologie refuse de réduire les individus à un seul trait distinctif et montre, derrière le vernis et la façade partisane, le poids des socialisations qui expliquent le passage (bref ou plus prolongé) au RN.</p>
<p>Enfin, ces militantismes plus inhabituels ne doivent pas faire oublier que ce parti rallie aussi à ses rangs des profils plus classiques de l’extrême droite, comme les <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2021-1-page-59.htm">catholiques traditionalistes</a> ou des membres de la <a href="https://www.la-croix.com/France/Generation-identitaire-Rassemblement-national-complementarite-assumee-2021-02-20-1201141700">mouvance identitaire</a>.</p>
<h2>Le RN est-il un parti « comme les autres » ?</h2>
<p>L’extrême droite est encore un sujet « chaud » politiquement et médiatiquement, parfois perçu comme fascinant et exotique. Il est ainsi souvent traité de façon exceptionnelle, comme intrinsèquement différent des autres partis politiques.</p>
<p>Même si cette organisation partisane a bien sûr ses spécificités, nous pensons que celles-ci doivent être étudiées avec les mêmes outils, empiriques et analytiques, que ceux employés pour étudier les autres formations partisanes. Pour comprendre la normalisation en cours du RN, il faut certainement normaliser son étude sociologique.</p>
<p>Face à la profusion de sondages et d’essais sans base empirique sur ce parti, il devient dès lors urgent de multiplier (et de mutualiser) les enquêtes proprement sociologiques sur le RN, redonnant toute son épaisseur sociale au phénomène lepéniste.</p>
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<p><em>Les auteurs viennent de publier <a href="https://journals.openedition.org/lectures/62633"><em>Sociologie politique du Rassemblement national : enquêtes de terrain</em></a>, aux Presses Universitaires du Septentrion.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216651/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La prise du pouvoir par le RN, de l’impensable, semble être devenue possible. Comment le parti d’extrême droite s’est-il inséré progressivement dans certains pans de la société française ?Estelle Delaine, Maîtresse de conférences en sciences politiques, Université Rennes 2Félicien Faury, Postdoctorant, CESDIP , Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Guillaume Letourneur, Docteur en science politique, CNRS, membre du CESSP, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneSafia Dahani, Post-doctorante en sociologie, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2144982023-10-04T18:42:03Z2023-10-04T18:42:03ZL’Europe va-t-elle faire face à une nouvelle vague d’extrême droite ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/551198/original/file-20230929-17-y6jzfd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C47%2C3982%2C2616&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En France, en Italie, au Portugal, en Autriche, en Belgique, en Espagne ou en Finlande, les formations d’extrême droite (ici Giorgia Meloni au Parlement européen) s’installent au cœur du jeu politique.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/rome-italy-october-23-2022-giorgia-2228022383">Alessia Pierdomenico/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>L’extrême droite européenne semble avoir le vent en poupe. Ces partis bénéficient à l’heure actuelle d’un regain de soutien qui pourrait annoncer un <a href="https://www.futuribles.com/les-populismes-europeens/">nouveau cycle d’extrême droite à l’échelle du continent</a>. Et peser sur les équilibres politiques de l’Union lors des élections européennes de juin 2024.</p>
<p>En France, Marine Le Pen a établi un nouveau record en totalisant 41,5 % des voix au second tour de l’élection présidentielle de 2022. En Hongrie, le Fidesz a recueilli 54 % des voix aux législatives, et conforté <a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-autrichienne-soutien-indefectible-de-la-hongrie-de-viktor-orban-207055">Viktor Orban</a> au pouvoir pour un quatrième mandat consécutif. En Italie, <a href="https://theconversation.com/italie-la-victoire-de-giorgia-meloni-sexplique-par-la-stabilite-du-vote-conservateur-191557">Giorgia Meloni</a>, cheffe de file des post-fascistes des Fratelli d’Italia, a fêté sa première année à la tête du gouvernement. En Suède, les Démocrates de Suède de Jimmie Åkesson se sont hissés en 2022 à la deuxième place aux élections législatives, avec 20,5 % des suffrages.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/suede-et-italie-la-droite-radicale-au-gouvernement-197466">Suède et Italie : la droite radicale au gouvernement</a>
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<p>Ailleurs en Europe, les formations d’extrême droite s’installent également au cœur de jeu politique au <a href="https://journals.openedition.org/lusotopie/6351?lang=en">Portugal</a>, en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/18/en-espagne-la-droite-s-allie-a-l-extreme-droite-pour-gouverner-des-villes-et-des-regions_6178205_3210.html">Espagne</a> ou en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/22/finlande-l-extreme-droite-au-gouvernement-seme-la-zizanie_6178792_3210.html">Finlande</a> ; elles dominent les intentions de vote en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/01/en-autriche-herbert-kickl-artisan-du-rebond-de-l-extreme-droite_6180120_3210.html">Autriche</a> ou en <a href="https://www.rtbf.be/article/elections-2024-un-sondage-montre-que-les-extremes-se-renforcent-en-flandre-11196854">Belgique</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-europeens-votent-entre-indifference-et-sentiment-dincompetence-117780">Les Européens votent, entre indifférence et sentiment d'incompétence</a>
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<p>À l’est de l’Europe, l’extrême droite progresse en Estonie, en Croatie, en Roumanie ou en Bulgarie. En <a href="https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/legislatives-en-pologne-vers-toujours-plus-dillibe.html">Pologne</a>, en dépit d’une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/02/a-varsovie-l-opposition-democrate-galvanisee-par-une-gigantesque-marche_6191921_3210.html">forte mobilisation de l’opposition</a>, les conservateurs radicalisés du PiS (Prawo i Sprawiedliwość) font encore la course en tête en vue des législatives du 15 octobre prochain avec 38 % des intentions de vote, flanqués de Confédération, un <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/08/30/les-guerres-de-lextreme-droite-polonaise/">groupuscule radical hétérogène</a>, qui pourrait quant à lui réunir jusqu’à 11 % des voix.</p>
<h2>Des couches successives de ressentiment</h2>
<p>Loin d’affaiblir l’extrême droite, la guerre en Ukraine a créé un espace favorable aux discours protectionnistes et de repli sur l’espace national de ces partis, sur fond de diatribes anti-élites et d’une demande croissante d’autorité et de leadership fort.</p>
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<p>L’extrême droite surfe aujourd’hui sur la crise économique qui touche non seulement son électorat populaire mais aussi les classes moyennes. Beaucoup de ces partis, à l’instar du Rassemblement national, de la <em>Lega</em> italienne, du <em>Vlaams Belang</em> flamand, de Chega au Portugal ou du SPD tchèque (<em>Svoboda a přímá demokracie</em>), ont critiqué les sanctions contre la Russie, jugées <a href="https://www.populismstudies.org/ecps-report-the-impact-of-the-russia-ukraine-war-on-right-wing-populism-in-europe/">« injustes »</a> pour les citoyennes et les citoyens de leurs pays respectifs, appelant à plus de protection sociale.</p>
<p>Cette exploitation par l’extrême droite du pessimisme et des anxiétés sociales est venue prendre appui sur la contestation des mesures prises lors la pandémie de Covid-19 : beaucoup de ces partis, comme le <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/11/26/l-extreme-droite-principale-force-antivax-en-autriche_6103656_3244.html">FPÖ autrichien</a> (<em>Freiheitliche Partei Österreichs</em>), Confédération en Pologne ou l’AfD (<em>Alternative für Deutschland</em>) outre-Rhin, se sont farouchement opposés aux mesures sanitaires et ont pu capitaliser, à bas bruit, sur les <a href="https://revistaidees.cat/en/losers-in-the-crisis-europes-radical-right-wing-in-the-Covid-19-pandemic/">colères</a> des populations.</p>
<p>La montée en puissance de l’extrême droite reflète aussi la persistance d’insécurités identitaires liées à l’immigration. <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/1-francais-sur-2-se-dit-defavorable-a-l-immigration-legale-des-populations-non-europeennes-au-sein-de-l-ue-selon-une-enquete_6073572.html">Les enjeux migratoires</a> continuent de travailler en profondeur les électorats européens. En témoigne la résurgence actuelle de ces débats en France, en Allemagne, en Italie, en Autriche ou au Royaume-Uni, tandis que <a href="https://www.geo.fr/geopolitique/lampedusa-lile-symbole-qui-vit-au-rythme-des-arrivees-de-migrants-216841">Lampedusa</a> s’impose à nouveau comme le symbole de l’échec de l’Union européenne en matière de gestion des flux migratoires.</p>
<h2>Les européennes de 2024 en ligne de mire</h2>
<p>Cette consolidation des mouvements d’extrême droite devrait représenter un enjeu majeur des élections européennes de juin 2024. Sur la base des <a href="https://www.politico.eu/europe-poll-of-polls/">enquêtes nationales d’intentions de vote</a> dont on dispose, ces formations pourraient totaliser plus de 180 sièges au Parlement de Strasbourg, contre autour de 130 actuellement.</p>
<p>Les Fratelli d’Italia (FdI), le RN de Jordan Bardella, l’AfD allemande et Vox en Espagne sortiraient grands gagnants du scrutin, avec notamment 25 sièges pour la formation lepéniste et 27 élus pour les FdI. Marine Le Pen a d’ores et déjà entamé une tournée auprès de ses partenaires potentiels. L’ex (et probable future) candidate RN à la présidentielle a lancé à Beaucaire une <a href="https://www.leparisien.fr/politique/la-crise-migratoire-a-lampedusa-sinvite-a-la-rentree-du-rn-16-09-2023-HNLXMMMKS5FDRLIFPYISSSPWM4.php">première offensive</a> contre celle qui fait désormais figure de principale rivale pour le leadership européen de l’extrême droite, Giorgia Meloni.</p>
<p>Deux des anciens poids lourds, le PiS polonais et, surtout, la Lega de Matteo Salvini, devraient, eux, sortir affaiblis du scrutin de juin, avec respectivement 22 (-5) et 7 (-18) sièges. En Hongrie, Viktor Orban pourrait retrouver peu ou prou son niveau de 2019 mais demeure encore sans port d’attache au sein de l’extrême droite au Parlement européen.</p>
<p>De nouveaux acteurs devraient faire leur entrée au Parlement de Strasbourg : l’Alliance pour l’Union des Roumains (AUR), Chega au Portugal, Sme Rodina en Slovaquie ou les Démocrates danois. On attend de voir, en France, si <a href="https://www.lemonde.fr/elections-europeennes/article/2023/09/06/marion-marechal-designee-tete-de-liste-de-reconquete-aux-elections-europeennes_6188166_1168667.html">Marion Maréchal</a> sera en mesure de donner l’élan nécessaire à Reconquête pour s’assurer des élus en juin prochain.</p>
<h2>Tectonique des plaques</h2>
<p>À l’image de l’Italie ou de la France, de tels résultats demeurent pour l’essentiel indexés sur les équilibres politiques et les enjeux nationaux. Ils reflètent cependant certaines tendances lourdes à l’échelle de l’Europe.</p>
<p>En premier lieu, l’équilibre stratégique que beaucoup des acteurs de l’extrême droite ont su trouver <a href="https://esprit.presse.fr/article/gilles-ivaldi/l-extreme-droite-au-centre-44261">entre normalisation et radicalité</a>. D’un côté, ces partis ont gommé certaines des outrances de leur discours et de leur programme, notamment sur l’Europe, pour se rendre plus fréquentables ; de l’autre, ils ont préservé l’essentiel de <a href="https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2021-1-page-16.htm">leur ADN nationaliste, populiste et autoritaire</a>, pour mieux continuer de se démarquer des partis traditionnels et de prospérer sur le ressentiment et la colère.</p>
<p>Ce recentrage a ouvert de nouveaux espaces de coopération, en particulier avec la droite conservatrice ou libérale. L’Italie, la Finlande, la Suède, l’Espagne et demain sans doute l’Autriche, voire la Belgique, témoignent de cette fusion des droites. Même la CDU allemande (l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne, parti d’Angela Merkel et avant elle d’Helmut Kohl) semble s’engager sur la voie périlleuse de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/18/pousses-par-la-montee-de-l-extreme-droite-les-conservateurs-allemands-durcissent-le-ton_6189885_3210.html">l’alliance avec l’AfD sur le plan local</a>.</p>
<p>Plus généralement, les idées et les thèmes de l’extrême droite infusent au sein des partis de droite classique, à l’image de la radicalisation des conservateurs autrichiens, des libéraux aux Pays-Bas ou des Républicains d’Éric Ciotti en France.</p>
<p>Ce jeu complexe de forces centripètes et centrifuges sera au cœur des recompositions à venir au niveau européen.</p>
<h2>Vers un mariage des droites européennes ?</h2>
<p>La cartographie actuelle des groupes parlementaires oppose des partis plus « mainstream » et souvent plus atlantistes, autour de Giorgia Meloni, de Vox ou des -Polonais du PiS, réunis au sein des <a href="https://www.touteleurope.eu/institutions/les-groupes-au-parlement-europeen-les-conservateurs-et-reformistes-europeens-cre/">Conservateurs Réformistes européens (CRE)</a>, à un groupe <a href="https://www.touteleurope.eu/institutions/les-groupes-du-parlement-europeen-identite-et-democratie-id/">Identité et Démocratie (ID)</a> devenu au fil du temps le principal lieu de convergence des forces pro-russes autour de Marine Le Pen, Matteo Salvini, du FPÖ autrichien ou de l’AfD.</p>
<p>Forte de l’expérience italienne, Giorgia Meloni voudrait réussir le rapprochement avec le Parti populaire européen (PPE) et tirer les CRE vers le centre de la politique européenne. Viendraient s’agréger des partis tels que Vox, les Vrais Finlandais, l’Alliance nationale lettone ou l’AUR roumaine, portant l’effectif du groupe à quelque 80 sièges.</p>
<p><a href="https://www.euractiv.fr/section/institutions/news/le-virage-de-giorgia-meloni-en-matiere-migratoire-pourrait-provoquer-une-recomposition-politique-en-europe/">L’aggiornamento de Meloni sur l’Europe</a> rend a priori possible le mariage des droites européennes, mais ce scénario se heurte aux exigences du PPE. Manfred Weber, le président du groupe PPE au Parlement européen, a rappelé que ses alliés devaient nécessairement être fermement pro-européens, respectant l’état de droit et soutenant sans équivoque l’Ukraine. Il a par ailleurs pointé du doigt le PiS polonais pour ses <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/en-pologne-une-maree-humaine-contre-la-derive-liberticide-du-gouvernement-20230604_PHVW7XTNCZBQDGZYLAGJYKLJ6I/">dérives illibérales</a>. Par ailleurs, les dynamiques internes du PPE, en particulier les dissensions en Allemagne entre la CDU et l’Union chrétienne-sociale (CSU), devraient peser sur les stratégies d’alliances à venir.</p>
<p>Face à cela, Marine Le Pen et Matteo Salvini devront, eux, compter sur leurs alliés traditionnels en Autriche ou en Belgique, et aller chercher de nouveaux partenaires en Slovaquie, au Portugal, voire auprès de Viktor Orban. Sans totalement pouvoir s’extirper, cependant, du carcan d’extrême droite que représentent encore de telles alliances, s’agissant, entre autres, d’une encombrante AfD qui reste à certains égards un refuge pour néo-nazis outre-Rhin.</p>
<p>Si les lignes seront naturellement amenées à bouger d’ici à juin 2024, ainsi qu’en a témoigné le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/25/elections-espagnoles-l-europe-entre-soulagement-face-au-recul-de-l-extreme-droite-et-crainte-d-un-blocage-politique_6183278_3210.html">recul de Vox</a> aux dernières élections en Espagne, les succès à venir laissent toutefois entrevoir un glissement du centre de gravité de la politique européenne et un pouvoir de nuisance accru d’une extrême droite dont il faut rappeler qu’elle demeure le principal moteur d’opposition aux valeurs fondatrices de l’Union européenne, notamment au sein de l’ID. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/09/17/traditions-ode-au-travail-et-droits-des-nations-et-des-peuples-a-beaucaire-la-rentree-a-domicile-du-rn_6189727_823448.html">Le discours de Marine Le Pen à Beaucaire</a> a attesté d’un retour à une position eurosceptique plus dure, sur la vieille antienne lepéniste d’une coopération entre nations libres et indépendantes.</p>
<p>Avec pour conséquences aussi le risque d’un durcissement des politiques d’immigration de l’UE et d’un recul conservateur sur les grands enjeux du climat et de la transition énergétique, comme une menace supplémentaire sur un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/29/en-europe-la-mecanique-du-green-deal-se-grippe_6191520_3210.html">Green Deal européen affaibli</a> par la crise économique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214498/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La consolidation des mouvements d’extrême droite pourrait représenter un enjeu majeur des élections européennes de juin 2024.Gilles Ivaldi, Chercheur en science politique, Sciences Po Andreu Torner, Doctorant en Relations Internationales, Universitat Ramon LlullLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094302023-08-31T17:58:02Z2023-08-31T17:58:02ZComment les groupuscules d’extrême droite se recomposent après Génération identitaire<p>La présence de groupuscules violents affiliés à l’extrême droite dans les rues de Lyon durant les émeutes de juin 2023, ou plus tôt, lors de rassemblements organisés (tel le <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/quatre-questions-sur-le-comite-du-9-mai-autroise-a-manifester-dans-les-rues-de-paris-ce-week-end%205813786.htlm">comité du 9 mai</a>) tout comme la résurgence d’une <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/la-menace-terroriste-issue-de-lultradroite-en-france-et-en-europe/">menace terroriste d’ultra droite</a>, souligne une forme de recomposition de ces mouvements, pourtant mis à mal ces dernières années par une série de dissolutions.</p>
<p>En 2019, l’association le Bastion social avait en effet été dissoute suivi de Génération identitaire (GI) et l’Alvarium en 2021, puis des Zouaves en 2022. Quels effets sur les fragmentations et sur les restructurations locales des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/ultradroite-la-menace-est-elle-reelle-9374531">différents groupuscules et de leurs militants</a> ?</p>
<p>En prenant le cas de Génération identitaire, on s’intéressera à la manière dont se déroule une dissolution en interne et aux efforts déployés par l’organisation pour rester active.</p>
<h2>2012-2021 : les années GI</h2>
<p>GI est une association créée en 2012 par plusieurs cadres du réseau <a href="https://reflexes.samizdat.net/une-autre-jeunesse/">Une Autre Jeunesse</a>. Elle est constituée d’un bureau national qui dicte la direction politique du mouvement et d’un réseau d’organisations à travers la France (GI Paris, GI Lyon, GI Toulouse, GI Rouen, etc.). En 2017, l’organisation revendique <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2022-2-page-153.htm">3 500 adhérents (dont 300 militants actifs)</a> et on recensait environ une trentaine de sections actives contre moins d’une dizaine en mars 2021. Les sections locales de GI vont d’une part, <a href="https://www.lemonde.fr/immigration-etdiversite/article/2018/04/22/migrants-dans-les-alpes-francaises-renforts-importants-pour-controler-les-frontieres_5289094_1654200.html">participer aux campagnes nationales</a> et, d’autre part, former leurs militants et mettre en place des actions politiques <a href="https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/intrusion-a-la-caf-de-bobigny-en-2019-condamnation-confirmee-pour-les-19-militants-de-generation-identitaire-29-09-2022-FHQ4FKWWCNFB7EN3BJWEYZPGYE.php">au niveau régional</a>.</p>
<p>Le 3 mars 2021, le Conseil d’État confirme la dissolution de l’association Génération Identitaire. Le décret de dissolution avance deux raisons principales, l’une idéologique :</p>
<blockquote>
<p>« [l’idéologie de GI incite à la] haine, à la violence ou à la discrimination des individus à raison de leur origine, de leur race ou de leur religion. »</p>
</blockquote>
<p>L’autre est d’ordre organisationnel :</p>
<blockquote>
<p>« Génération identitaire » emploie […] dans son organisation, une symbolique et une rhétorique martiales, l’identifiant implicitement ou explicitement à une formation paramilitaire [et] démontrent la volonté d’agir en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043210363">tant que milice privée</a>. »</p>
</blockquote>
<p>Concrètement, la dissolution interdit l’utilisation du nom « Génération identitaire ». Elle impose également une modification de l’identité des dirigeants, des méthodes et des objets de l’organisation. Il est donc impossible de recréer un « GI bis », avec les mêmes membres au bureau national et les mêmes actions d’agitation-propagande (banderole et fumigène) contre « l’islamisation de la France » et « l’immigration de masse ». À la suite du décret de dissolution et en attendant de reformer des organisations locales en accord avec la loi, le mouvement suspend toutes les actions militantes.</p>
<h2>Cohésion, sport, formation</h2>
<p>De façon générale, et pour permettre à l’ensemble des sections de maintenir une activité entre la dissolution (mars 2021) et la création officielle des nouvelles organisations locales (début 2022), le bureau national impose la mise en place d’un triptyque : cohésion, sport, formation. Ce triptyque existait déjà avant la dissolution. Cependant, là où sous GI, il était considéré comme un prérequis aux mobilisations collectives, il devient à partir de la dissolution l’activité principale des différentes sections.</p>
<p>D’abord, les actions de « cohésion » ont pour but de fédérer la communauté militante. Au niveau national, cela consiste à se rendre à la journée de la « fierté » parisienne ou lyonnaise. Au niveau local, cela peut consister en des week-ends de « cohésion ». L’objectif affirmé est de maintenir des expériences communes et par là des sociabilités militantes. Bien que le bureau national sépare les actions de cohésion des actions sportives dans son triptyque, ces dernières se retrouvent au cœur de la cohésion.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/P3tkdJcpD5w?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Documentaire sur la jeunesse nationaliste et identitaire, France 3 ile de France, 2022.</span></figcaption>
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<p>Les week-ends organisés dans les sections locales sont l’occasion de pratiquer la randonnée ou de mettre en place des entraînements physiques (courses à pied, renforcement musculaire, courses d’obstacles, formation anti-agression, etc.). Au niveau national, on trouve les tournois de foot et de boxe organisés entre les fédérations chaque année.</p>
<p>Enfin, la formation passe par des activités ciblées localement : conférence, cercle de lecture, rédaction de communiqué, comportement à adopter en garde à vue, etc. Au niveau national, l’université d’été, qui a lieu au mois d’août, permet d’homogénéiser les connaissances de plus d’une centaine de participants. L’objectif de ce triptyque est de maintenir un style de vie basé sur la communauté, la fierté de sa culture et le dépassement de soi.</p>
<h2>La création de nouveaux groupes</h2>
<p>À la fin de l’année 2021, un ensemble de nouvelles organisations locales, qui s’appuient sur les anciennes sections de GI, commencent à voir le jour : « les Natifs » à Paris, « les Normaux » à Rouen, « les Remparts » à Lyon, « Furie française » à Toulouse, etc. Les groupes locaux les mieux implantés vont reprendre le système d’Une Autre Jeunesse (ancêtre de GI), c’est-à-dire un réseau composé de sections régionales qui possèdent leurs propres identités. Il existe toujours un bureau national, mais il prend des décisions officieusement et il n’y a plus de campagne nationale officielle comme cela a pu exister avec l’opération « Defend Europe » au sein de GI, qui consistait à s’opposer aux passages de migrants dans les <a href="https://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2018/04/22/migrants-dans-les-alpes-francaises-renforts-importants-pour-controler-les-frontieres_5289094_1654200.html">Alpes françaises</a> ou par la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Defend-Europe-loperation-anti-migrant-identitaires-Mediterranee-2017-08-02-1200867223">Méditerranée</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AN42o72wRoQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Trois responsables de Génération identitaire ont été condamnés ce jeudi à des peines de prison ferme et à une forte amende pour une mission commando qu’ils avaient réalisée au printemps 2018 au col de l’Échelle dans les Hautes Alpes (Euronews, 2021).</span></figcaption>
</figure>
<p>Sous l’effet de la dissolution, les nouveaux groupes se réorientent vers d’autres thèmes et essaient notamment de mener des <a href="https://www.liberation.fr/checknews/slogans-et-banderoles-que-sest-il-passe-lors-de-lintervention-a-rouen-de-la-militante-alice-coffin-20210617_MAVVMQNZMNCFRFHXGNVXCJX5B4/">actions « anti-woke »</a> et contre la « dictature sanitaire ».</p>
<p>Cependant, l’objectif premier est de continuer à porter le thème de la défense de l’identité européenne, c’est ce qui amènera la création d’une nouvelle association nationale en octobre 2022 <a href="https://argosfrance.org/">dénommée « Argos »</a>, en référence aux argonautes de la mythologie grecque. Il s’agit d’un mouvement communautaire qui vise à rassembler tous les Français de « souche européenne » et qui prône « le dépassement de soi, la communauté et l’aventure ».</p>
<p>Les activités communautaires nationales sont transférées à l’association « Argos » : Université d’été, tournoi de boxe, journée de la fierté, etc. Les activités militantes restent sous le contrôle des sections régionales, qui gardent leurs identités (« les Remparts » à Lyon, « les Normaux » à Rouen, etc.) et ne se confondent pas avec « Argos », contrairement à ce qui fut le cas au moment de la création de GI.</p>
<h2>Des espaces de socialisation</h2>
<p>Les locaux associatifs utilisés par les groupes régionaux de GI n’ont pas été dissous par le décret de mars 2021. Les Identitaires louent des locaux mais par l’intermédiaire d’<a href="https://www.rue89lyon.fr/2021/03/04/dissolution-locaux-identitaires-toujours-ouverts-lyon/">associations indépendantes de GI</a>. Ces lieux peuvent avoir plusieurs fonctions : permanence politique, conférence, formation militante, bar, salle de boxe, etc. Ce sont des espaces de socialisation importants, que ce soit pour les sympathisants et les militants Identitaires, mais aussi pour les sympathisants et les militants des autres organisations d’extrême droite qui peuvent se rendre dans ces « maisons de l’identité » (nom donné par les militants Identitaire à ces lieux). La référence en la matière étant bien évidemment « La Traboule », « la Maison de l’identité » lyonnaise. Au moment de la dissolution, seuls Lyon et Rouen occupaient un local.</p>
<p>Occuper ce type de lieu est un avantage politique indéniable pour s’implanter localement face aux organisations concurrentes d’extrême droite. C’est d’ailleurs ce qui explique que depuis une dizaine d’années, les sections de GI les plus importantes ont toutes essayé d’ouvrir leur local associatif.</p>
<h2>Un nouveau concurrent ?</h2>
<p>La réorganisation de l’espace politique d’extrême droite à partir d’avril 2021, avec notamment, la candidature d’Éric Zemmour à l’élection présidentielle et la création de son parti politique « Reconquête », ainsi que l’émergence de Génération Z (GZ), son organisation de jeunesse, va avoir des effets importants sur les sections locales de GI post-dissolution.</p>
<p>GZ est créée en février 2021 et va apparaître comme un concurrent direct de Génération identitaire, mais aussi des autres organisations politiques d’extrême droite (Action française, Rassemblement national de la jeunesse, etc.). GZ revendique <a href="https://www.lepoint.fr/politique/dans-les-coulisses-de-gz-les-jeunes-partisans-d-eric-zemmour-17-12-2021-2457340_20.php#11">6 500 membres</a> et réussi à s’implanter dans les régions où GI est déjà présent (Lyon, Paris, Rouen, Toulouse, Montpellier, etc.).</p>
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<figcaption><span class="caption">Trois responsables de Génération identitaire ont été condamnés ce jeudi à des peines de prison ferme et à une forte amende pour une mission commando qu’ils avaient réalisée au printemps 2018 au col de l’Échelle dans les Hautes Alpes, Euronews, 2021.</span></figcaption>
</figure>
<p>L’éclosion de GZ modifie les rapports de force au sein de cet espace politique. Ainsi, Génération Z constitue un concurrent de poids, mais apparaît également comme un réservoir militant incontournable et attire les convoitises des autres groupes de jeunesses d’extrême droite. Ceci permet par exemple d’expliquer les stratégies d’entrisme mise en place par Furie française (ex-GI Toulouse) en direction de GZ Occitanie. L’objectif étant d’y recruter les meilleurs profils.</p>
<p>En définitive, la dissolution de la marque « Génération identitaire » a clairement limité ses capacités d’actions et son rôle de lanceur d’alerte. Cependant, ce mouvement a pu s’appuyer sur ses structures communautaires locales pour maintenir une activité et relancer de nouveaux projets. Toujours est-il que pour le moment, le potentiel de mobilisation et l’écho médiatique des Identitaires se limite au niveau <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/qui-est-le-groupuscule-furie-francaise-a-toulouse-8328681">régional</a> et reste donc largement en deçà de ce qu’a pu proposer GI. Néanmoins, cela n’empêche pas les militants appartenant aux nouvelles sections locales Identitaires, de venir gonfler les rangs de l’ultra droite lors des <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/a-lyon-quatre-blesses-dans-des-affrontements-entre-manifestants-et-militants-dextreme-droite-20230622_WWVV6HLAIZCUDIBSO4SAHI5Q3A/">récentes manifestations</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209430/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Mitrevitch s'intéresse au maintien de l'engagement militant à l'extrême droite. Entre 2016 et 2022, il a réalisé une enquête éthnographique à découvert, avec plusieurs fédérations de Génération Identitaire à travers la France.</span></em></p>Les groupuscules d’extrême droite déploient plusieurs stratégies afin de se maintenir en activité, malgré les risques de dissolution, comme le montre l’exemple de Génération identitaire.Nicolas Mitrévitch, Doctorant en sociologie, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2075702023-06-18T15:40:49Z2023-06-18T15:40:49ZAu-delà des liens entre le RN et la Russie : le grand projet illibéral européen<p>Le Rassemblement national aurait servi de « courroie de transmission » pour la Russie, conclut <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/ceingeren/l16b1311-t1_rapport-enquete">l’enquête parlementaire sur l’ingérence étrangère dans la politique française</a> dont le rapport a été rendu public le 1<sup>er</sup> juin dernier.</p>
<p>La commission d’enquête a été <a href="https://lcp.fr/actualites/ingerences-etrangeres-le-rn-veut-creer-une-commission-d-enquete-pour-laver-son-honneur">créée et présidée</a> par le député RN Jean-Philippe Tanguy dans le but de faire taire les accusations répétées selon lesquelles Marine Le Pen et son parti auraient une <a href="https://theconversation.com/entre-le-rassemblement-national-et-la-russie-une-longue-lune-de-miel-181633">connivence trop marquée avec le régime de Vladimir Poutine</a>. L’exercice, censé dédouaner le RN, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/video/russie-le-rn-pris-a-son-propre-piege-avec-la-commission-d-enquete-sur-les-ingerences_218621.html">a eu l’effet inverse</a>.</p>
<p>Toutefois, le rapport n’évoque guère un phénomène particulièrement inquiétant pour les démocraties de l’UE : ce qu’il convient de voir, au-delà de la posture « pro-russe » du RN, c’est la progression des idées dites de « démocratie illibérale » au sein de la droite dure (l’extrême droite et certains segments de la droite républicaine), en Europe centrale comme en Europe occidentale.</p>
<h2>Les liens bien connus du FN/RN avec Moscou</h2>
<p>Le rapport met en évidence les <a href="https://theconversation.com/entre-le-rassemblement-national-et-la-russie-une-longue-lune-de-miel-181633">liens de longue date</a> existant entre le Front national/RN et la Russie. Dès la fin des années 1960, Jean-Marie Le Pen a noué avec des figures nationalistes et antisémites russes des contacts qui <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1996/02/20/m-le-pen-justifie-ses-liens-avec-m-jirinovski_3707658_1819218.html">se sont développés à la chute de l’URSS</a> et se sont ensuite étendus à <a href="https://www.planet.fr/politique-les-troublants-reseaux-russes-de-la-famille-le-pen.718541.29334.html">certains cercles proches du président Poutine</a>.</p>
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<p>En 2011, Marine Le Pen reprend le flambeau du parti et continue à entretenir les liens initiés par son père. Elle-même a effectué quatre voyages officiels en Russie, <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/coulisses/2015/05/26/25006-20150526ARTFIG00235-la-mysterieuse-visite-de-marine-le-pen-a-moscou.php">accueillie chaque fois par Sergueï Narychkine</a>, président de la Douma de 2011 à 2016, proche conseiller de Poutine et aujourd’hui chef du SVR, le service de renseignement extérieur russe. Elle a également eu un entretien avec le président russe en mars 2017, peu avant la présidentielle française.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1516865412100669442"}"></div></p>
<p>Avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN, cet impératif de rapprochement avec le Kremlin s’est étendu au reste du parti. On a vu se multiplier les visites d’élus FN/RN en Russie, ainsi qu’en Crimée et au Donbass, pour <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/06/l-etonnant-charter-des-observateurs-francais-d-extreme-droite-pour-le-referendum-de-poutine_6079391_3210.html">observer, et légitimer, des élections</a> jugées illégales par la communauté internationale. Notons que les élus FN/RN n’étaient pas les seuls : quelques élus des <a href="https://www.ledauphine.com/vaucluse/2019/03/20/jean-claude-bouchet-a-rencontre-poutine">Républicains</a> et <a href="https://www.charentelibre.fr/charente/legislatives-en-russie-le-depute-lambert-observe-le-vote-en-crimee-et-suscite-un-vif-emoi-6041494.php">du PS</a> ont fait de même.</p>
<p>Cette proximité avec la Russie de Poutine s’est reflétée dans le comportement des députés RN au Parlement européen, où ils s’alignaient « systématiquement », selon le rapport de l’enquête, sur les intérêts de Moscou.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Extrait du rapport de la commission parlementaire. Ici, les votes des députés RN dans les années précédant l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/ceingeren/l16b1311-t1_rapport-enquete#_Toc256000067">Assemblée nationale</a></span>
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<p>Depuis le 24 février 2022, les députés RN ont certes condamné l’agression russe contre l’Ukraine, mais la majorité de leurs <a href="https://www.lexpress.fr/politique/marine-le-pen-et-lukraine-un-soutien-de-facade-ce-que-revelent-les-votes-rn-3MH5RSBKWZCQTPYJRWJHLHWJJQ/">autres votes</a> continuent de refléter leur tropisme : ils se sont notamment abstenus lors du vote en faveur de <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2023-0015_FR.html">l’établissement d’un tribunal sur les crimes d’agression</a> contre l’Ukraine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-crimes-commis-en-ukraine-pourront-ils-un-jour-faire-lobjet-dun-proces-international-181021">Les crimes commis en Ukraine pourront-ils un jour faire l’objet d’un procès international ?</a>
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<p>Les conclusions de la commission se concentrent en particulier sur l’aspect financier de la proximité du RN avec la Russie : une banque tchéco-russe a accordé un <a href="https://www.bfmtv.com/economie/quelle-est-cette-banque-russe-qui-a-octroye-un-pret-de-9-millions-d-euros-au-rn_AV-202204210437.html">prêt au Front national</a> (9 millions d’euros) et une autre son fondateur Jean-Marie Le Pen (2 millions) en 2014.</p>
<p>Le rapport, qui insiste évidemment sur le timing suspect de ce financement arrivé, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/020415/crimee-et-finances-du-fn-les-textos-secrets-du-kremlin">comme l’avait déjà montré Mediapart</a>, juste après que <a href="https://www.liberation.fr/france/2015/04/03/au-fn-la-russie-reconnaissante_1234468/">Marine Le Pen ait soutenu l’annexion de la Crimée</a>, échoue toutefois à démontrer une causalité directe entre le financement octroyé au FN/RN et ses prises de position.</p>
<p>Plus généralement, en lisant le rapport attentivement, on ne peut que s’étonner de sa faible profondeur analytique et de son absence totale de contextualisation.</p>
<h2>Client ou partenaire ?</h2>
<p>La notion de « courroie de transmission » employée dans le rapport pour désigner le RN est problématique, car elle suppose la passivité du transmetteur, lequel se contenterait de recevoir des ordres de Moscou et de les exécuter. C’est mal comprendre la nature de la relation qui unit Marine Le Pen, et plus généralement les figures de la droite dure européenne, à la Russie.</p>
<p>En réalité, ces formations sont maîtresses de leur jeu politique et de leur agenda idéologique, et décident elles-mêmes de s’identifier (ou non) à Moscou, suivant le contexte national.</p>
<p>Dans les pays voisins de la Russie marqués par une grande tradition de défiance envers le puissant voisin, comme en <a href="https://www.europeaninterest.eu/article/finns-party-applies-for-group-change-in-european-parliament/">Finlande</a>, en <a href="https://www.dw.com/en/polands-duda-approves-controversial-russian-influence-bill/a-65764029">Pologne</a> ou en <a href="https://balkaninsight.com/2021/10/08/in-echo-chambers-of-nationalist-romanian-party-russias-favourite-narratives/">Roumanie</a> les extrêmes droites sont russophobes, même si leurs valeurs idéologiques sont très souvent en résonance avec les narratifs promus par les outils d’influence russe.</p>
<p>Dans les pays plus lointains, afficher son soutien à la Russie ou son admiration à l’égard de Vladimir Poutine permet de renforcer l’image de marque du parti ou du leader, et incarne la résistance à « l’establishment », au « mainstream », aux « élites ». Jusqu’au 24 février 2022, la Russie et Poutine étaient, aux yeux de bon nombre de partis d’extrême droite, des marques idéologiques symbolisant la rébellion et la révolte contre l’ordre établi – intérieur comme international.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fHJzbS51TnY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La relation entre la Russie et les leaders de la droite dure européenne comme Marine Le Pen, Matteo Salvini pour l’Italie, Heinz-Christian Strache pour l’Autriche, de nombreuses figures de l’AfD en Allemagne, est une relation de <em>confluence</em> idéologique et d’intérêts mutuels bien compris, non <em>d’influence</em> de Moscou sur des pions passifs et instrumentalisés.</p>
<p>La Russie peut les soutenir politiquement et financièrement, car elle estime que leur victoire l’avantagerait, mais elle ne dicte pas pour autant leur agenda domestique, pas plus qu’elle ne les transforme en marionnettes à son service. Comme le formule la politologue <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1354068821995813?journalCode=ppqa">Maria Snegovaya</a>, « l’ordre du jour de ces groupes [nationaux-populistes] est rarement fixé par le Kremlin, mais il peut ponctuellement correspondre aux intérêts de celui-ci ». Là encore, il s’agit d’une <em>confluence</em> plus que d’une <em>influence</em>.</p>
<h2>L’obsession pour la Russie empêche de voir la structuration d’une internationale illibérale</h2>
<p>En outre, la priorité donnée à la recherche des preuves de l’influence de la Russie passe sous silence les autres influences existantes dans le monde de l’extrême droite européenne : les grandes fondations de la <a href="https://www.opendemocracy.net/en/5050/the-american-dark-money-behind-europes-far-right/">droite chrétienne américaine</a> comme la <a href="https://billygraham.org/">Billy Graham Evangelistic Association</a>, la <a href="https://charleskochfoundation.org/">Charles Koch Foundation</a>, l’<a href="https://www.acton.org/">Acton Institute</a>, etc. ont elles aussi dépensé des dizaines de millions d’euros pour aider leurs confrères européens, et pourtant elles sont rarement un sujet médiatique sensationnalisé comme l’est l’argent russe.</p>
<p>Steve Bannon, l’ancien conseiller de Donald Trump, représentant de l’alt-right américaine, a <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-44926417">longtemps espéré unifier</a> l’extrême droite européenne derrière les États-Unis. Le cas italien de Georgia Meloni et de son parti Fratelli d’Italia, ainsi que le régime national-conservateur polonais, confirment qu’une extrême droite européenne pro-américaine et antirusse est également à l’ordre du jour.</p>
<p>Au-delà des affinités pro-russes de Marine Le Pen, c’est la construction d’un réseau international de l’extrême droite européenne, souvent sous le label plus respectable du « national-conservatisme », qui est en jeu.</p>
<p>Marine Le Pen a par exemple rencontré à deux reprises le premier ministre hongrois Victor Orban : en 2021 tout d’abord, pour partager ses critiques à l’encontre de l’UE et asseoir son statut de présidentiable (ainsi que pour répondre à ses concurrents Éric Zemmour et sa propre nièce Marion Maréchal, précédemment reçus par le dirigeant hongrois), en 2022 ensuite aux côtés du leader du parti d’extrême droite espagnol Vox et du premier ministre polonais pour <a href="https://www.lexpress.fr/societe/marine-le-pen-avec-ses-allies-europeens-a-madrid-pour-eteindre-le-feu-francais_2167043.html">acter</a> la construction d’une stratégie européenne des droites dures.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1487201692806430724"}"></div></p>
<p>C’est d’ailleurs un prêt hongrois de 10,7 millions d’euros qui a <a href="https://www.challenges.fr/politique/poutine-orban-les-encombrants-allies-de-marine-le-pen_808974">financé</a> une partie de la campagne de Marine Le Pen de 2022, et Orban a publiquement <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/15/presidentielle-2022-entre-marine-le-pen-et-le-nationaliste-hongrois-viktor-orban-une-proximite-tres-inspiree_6122256_6059010.html">soutenu</a> sa candidature.</p>
<p>Là encore, il ne s’agit pas de voir en Marine Le Pen la « courroie de transmission » de la Hongrie d’Orban, mais de comprendre les stratégies de soutien mutuel et d’alliance que se portent ces leaders afin d’avancer des agendas idéologiques partagés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-autrichienne-soutien-indefectible-de-la-hongrie-de-viktor-orban-207055">L’extrême droite autrichienne, soutien indéfectible de la Hongrie de Viktor Orban</a>
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<p>Les enjeux géopolitiques sont par ailleurs aujourd’hui « minorés » par la guerre en Ukraine, en particulier car la Hongrie et la Pologne, qui s’épaulent mutuellement dans leur déconstruction démocratique, appartiennent à deux camps différents dans leur vision du conflit.</p>
<p>En outre, bien que la Hongrie soit souvent vue comme un « cheval de Troie » prorusse au sein de l’EU, le régime orbánien <a href="https://www.illiberalism.org/blues-on-the-danube-cpacs-return-to-hungary/">vient de recevoir</a> à Budapest la grand-messe réactionnaire américaine de la CPAC (Conservative Political Action Conference), accueillant des dizaines de représentants des droites dures américaines et des figures européennes plus atlantistes que russophiles.</p>
<p>La recherche systématique de « la main de la Russie » derrière les postures des partis d’extrême droite peut conduire à négliger, voire à ignorer totalement, la transnationalisation illibérale en cours.</p>
<h2>Des arguments inefficaces pour lutter contre le RN</h2>
<p>Le rapport de la commission parlementaire a donné lieu à une nouvelle vague de dénonciation de la « poutinophilie » de Marine Le Pen. Toutefois, espérer que cette dénonciation suffira pour délégitimer l’offre politique du RN dans l’arène nationale, alors que Marine Le Pen <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/sondage-marine-le-pen-atteint-son-plus-haut-niveau-avec-36-dopinions-favorables">caracole en tête dans les enquêtes de popularité</a>, est pour le moins naïf.</p>
<p>Le RN et bon nombre de ses alliés européens promeuvent la souveraineté nationale aux dépens des prérogatives de l’UE, souhaitent que l’UE devienne moins atlantiste et plus « continentale », et disent vouloir protéger les valeurs dites traditionnelles (sur le plan des rapports de genre, de la famille, comme de la définition de la nation). Tous ces sujets ne sont pas mineurs pour notre société. Ils méritent d’être discutés de manière frontale.</p>
<p>L’Italie est aujourd’hui dirigée par une figure bien plus réactionnaire que Marine Le Pen – mais pro-atlantiste –, l’Espagne pourrait rejoindre le bloc des droites dures à la suite des élections qui se tiendront fin juillet, et l’AfD (<a href="https://www.dw.com/en/germanys-far-right-afd-gets-a-boost/a-65803522">atteint des intentions de vote très élevées en Allemagne</a> (18 %). Dans un tel contexte, sortir du chapeau la carte prorusse contre Marine Le Pen semble un combat perdu d’avance qui ne donne pas la part belle au vrai débat d’idées, seul capable d’aboutir à un affaiblissement durable de l’extrême droite.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207570/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Se focaliser sur les liens entre le RN et la Russie peut conduire à négliger le projet, caressé par plusieurs partis d’extrême droite de l’UE, consistant à édifier un espace illibéral européen.Marlene Laruelle, Research Professor and Director at the Institute for European, Russian and Eurasian Studies (IERES), George Washington UniversityPérine Schir, Research fellow at the Illiberalism Studies Program, the George Washington University ; PhD student in political philosophy, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2053132023-05-11T18:14:28Z2023-05-11T18:14:28ZL’électorat enseignant, convoité par les Le Pen<p>Le monde enseignant a longtemps été considéré comme foncièrement réfractaire au <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/le-vote-enseignant-est-il-toujours-de-gauche-20220405_NHPTOODGKZDCPP3XGM5GKDVG3Y/">vote en faveur des partis d’extrême droite</a>. Mais, désormais, on n’en est plus assuré, tant s’en faut.</p>
<p>C’est ce qu’avait d’ailleurs pointé à sa façon Marine Le Pen lorsqu’elle a salué la <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/le-vote-enseignant-est-il-toujours-de-gauche-20220405_NHPTOODGKZDCPP3XGM5GKDVG3Y/">création du collectif Racine</a> rassemblant des enseignants « bleu marine » en déclarant à la fin de son <a href="https://www.leparisien.fr/politique/le-pen-a-la-conquete-des-profs-02-10-2013-3189025.php">colloque du 12 octobre 2013</a> qu’une telle initiative « était inimaginable il y a quelques années ».</p>
<p>En réalité, la démarche délibérée des Le Pen vers les enseignants vient de loin, même si le succès n’a pas été au rendez-vous immédiatement. </p>
<h2>Les messages des Le Pen adressés aux enseignants</h2>
<p>Marine Le Pen s’était déjà adressée aux enseignants lors du <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2011/09/30/marine-le-pen-veut-faire-la-paix-avec-les-enseignants_1580396_823448.html">colloque du Front national sur l’école de septembre 2011</a> en leur disant on ne peut plus nettement : </p>
<blockquote>
<p>« Nous n’avons pas su vous parler. Longtemps nous avons commis l’erreur de croire que vous étiez complices de la destruction de l’école. Pour l’immense majorité d’entre vous, c’était une erreur et cette époque est révolue. »</p>
</blockquote>
<p>Jean-Marie Le Pen lui-même était allé dans le même sens, cinq ans plus tôt, le 12 novembre 2006, lors de son <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/164168-declaration-de-m-jean-marie-le-pen-president-du-front-national-sur-so">discours au Bourget sur son « projet présidentiel » pour 2007</a>, en se présentant comme « l’espoir de renouveau et la conscience progressiste du pays ». Il avait alors fustigé « le mépris des fonctionnaires, forcément absentéistes, qu’on veut rendre responsables de la destruction des services publics, alors que le plus souvent, fidèles à leur mission, ils en sont les premières victimes ».</p>
<p>Et pour ce qui concerne plus spécifiquement l’école et ses enseignants, Jean-Marie Le Pen avait mis en avant des préoccupations qui peuvent être partagées par nombre d’enseignants sans qu’elles soient des singularités propres au Front national :</p>
<blockquote>
<p>« L’école est le véritable et premier lieu où se forge l’égalité, celle des chances. Or la véritable sélection, j’ose le dire, est source de l’égalité véritable […]. Lire, écrire, compter, connaître l’histoire et la géographie de son pays sont des bases essentielles qui aujourd’hui manquent à un élève sur quatre en sortie du primaire. L’école publique doit aussi respecter scrupuleusement la neutralité religieuse, politique et philosophique »</p>
</blockquote>
<p>L’aggiornamento des Le Pen ne semble pourtant pas avoir eu un effet sensible immédiat. Quelques mois après son intervention au Bourget d’octobre 2006, Jean-Marie Le Pen n’obtient que <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2007/02/27/01002-20070227ARTWWW91084-_fevrier_chez_les_profs_bayrou_talonne_royal.php">3 % des intentions de vote exprimées chez les enseignants</a> pour le premier tour de la présidentielle de 2007 selon un sondage effectué en février 2007 par l’IFOP pour <em>Le Monde de l’éducation</em>.</p>
<p>Et quelques mois après son intervention de septembre 2011, Marine Le Pen n’atteint que 5 % des intentions de vote exprimées dans le <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/02/22/la-gauche-hegemonique-chez-les-enseignants-du-public_1646625_1471069.html">sondage effectué par l’IFOP</a> pour <em>Le Monde de l’Éducation</em> en février 2012. Marine Le Pen reste à l’étiage de ces 5 % selon le <a href="https://www.ifop.com/publication/pour-qui-ont-vote-les-enseignants/">sondage effectué par l’IFOP à la mi-avril 2017</a>.</p>
<h2>Un vote enseignant en faveur du Rassemblement national minoritaire mais qui s’installe</h2>
<p>Si on suit les indications du tableau 5 établi par Luc Rouban dans sa <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-03613479v1/document">Note de recherche pour l’élection présidentielle 2022</a> à partir des données de l’enquête présidentielle 2022 par Cevipof et Ipsos, vague 24, d’avril 2021, on aurait eu 10 % de déclarations d’intentions de vote parmi les suffrages exprimés des enseignants, contre 8 % en mars 2017 est-il mentionné.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525440/original/file-20230510-29-sp8wha.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525440/original/file-20230510-29-sp8wha.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=275&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525440/original/file-20230510-29-sp8wha.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=275&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525440/original/file-20230510-29-sp8wha.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=275&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525440/original/file-20230510-29-sp8wha.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525440/original/file-20230510-29-sp8wha.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525440/original/file-20230510-29-sp8wha.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Luc Rouban. Les fonctionnaires face à l’élection présidentielle de 2022 (en avril 2021).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-03613479v1/document">[Rapport de recherche] CEVIPOF. 2021, pp.12. ffhal-03613479</a></span>
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<p>Il semble bien qu’il y a eu un décollage progressif et continu (avec « effet retard ») du taux de déclarations d’intention de votes exprimées par les enseignants en faveur de Marine Le Pen passant de 5 % en février 2012 à 8 % en mars 2017 puis 10 % en avril 2021. Et cela va dans le sens d’un vote Le Pen qui s’installe dans le paysage enseignant durant ces dernières années, après bien des efforts de leur part.</p>
<p>À cela s’ajoute le taux d’intentions de vote exprimées en faveur de Marine Le Pen par les enseignants au second tour des élections présidentielles de 2022 qui attire l’attention et qui continue à être de nature à frapper les esprits.</p>
<p>Dès le 19 avril 2022, il a été indiqué <a href="https://www.20minutes.fr/societe/3270811-20220419-presidentielle-2022-vont-voter-enseignants-second-tour-dimanche">dans le journal <em>20 minutes</em></a> que « selon une enquête du Cevipof pour le second tour, 48 % des enseignants seraient prêts à voter pour Emmanuel Macron et 22 % pour Marine Le Pen ». Puis le 25 avril, <a href="https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/declassement-sentiment-d-abandon-laicite-pourquoi-les-professeurs-votent-de-plus-en-plus-rn-7900258863">sur RTL</a>, il a été mis en avant qu’« un quart des professeurs a voté pour Marine Le Pen au second tout des présidentielles selon une étude du Cevipof ». Même s’il convient sans doute de relativiser (car au premier tour on choisit et au second tout on élimine, ce qui n’a pas le même sens), cela donne quand même à réfléchir.</p>
<p>S’il ne s’agit certes pas d’une vague susceptible d’emporter vraiment le monde enseignant, il n’en reste pas moins que l’on a quitté la place d’un vote dans les marges pour un vote certes foncièrement minoritaire chez les enseignants, mais qui s’installe et fait désormais partie du paysage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205313/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Longtemps, le vote enseignant en faveur de l'extrême droite a été marginal. Avec les adresses répétées à cet électorat de Jean-Marie Le Pen puis de Marine Le Pen, la donne a-t-elle changé ?Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2016902023-04-04T17:37:39Z2023-04-04T17:37:39ZLe RN est-il devenu un parti comme les autres ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/516066/original/file-20230317-4390-mps24g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président du RN, Jordan Bardella, pose pour un selfie lors d’une cérémonie à Villers-Cotterats, dans le nord de la France, le 11 novembre 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source">François Nascimbeni / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Au coeur de la mobilisation sociale et politique contre le projet de réforme des retraites un parti semble particulièrement « profiter » de cette crise : le Rassemblement national (RN), comme <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/sondage-marine-le-pen-sort-renforcee-du-conflit-sur-la-reforme-des-retraites-1932612">le montrent de récents sondages</a>. Fort de 88 députés que à l’Assemblée nationale et d'une présence accrue dans les médias, le RN est-il devenu une organisation partisane comme les autres ?</p>
<p>En faisant abstraction du jeu des alliances façon Nupes, il en fait, en tous cas, le <a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-premier-courant-politique-francais-182977">principal parti d’opposition</a> au gouvernement – un parti qui a joué un rôle non négligeable lors des dernières séquences législatives autour de la réforme de la retraite.</p>
<p>20 ans plus tôt, lorsque l’extrême droite accède pour la première fois de son histoire au second tour de l’élection présidentielle, la France est sous le choc. 1,3 million de personnes manifestent contre le <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-toulon_sous_le_front_national_entretiens_non_directifs_virginie_martin-9782747528009-1698.html">Front national</a> (FN), parmi lesquels beaucoup de <a href="https://youtu.be/TsL-2R402r4">jeunes</a>. Jean-Marie Le Pen fait face à une mobilisation anti-FN si forte qu’il n’atteint même pas 18 % des suffrages au second tour de ces élections de 2002 contre <a href="https://theconversation.com/jacques-chirac-un-bulldozer-en-politique-63283">Jacques Chirac</a> (environ 5,5 millions de voix). Le <a href="https://www.academia.edu/17405902/La_gauche_et_la_droite_face_au_FN_chapter_">Front républicain</a> fonctionne parfaitement.</p>
<p>Quelle stratégie a été appliquée par le FN-RN, pour passer du statut de parti marginal et honni à une organisation notabilisée, voire institutionnalisée ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Manifestations après l’annonce de la présence du FN au second tour des présidentielles de 2002.</span></figcaption>
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<h2>Une stratégie de normalisation en deux temps</h2>
<p>Depuis sa création en 1972, le FN-RN a été présent par trois fois au second tour de l’élection présidentielle : en 2002, en <a href="https://theconversation.com/le-front-national-2002-2017-du-vote-de-classe-au-vote-de-classement-77303">2017</a> et 2022. Les deux dernières fois, Marine Le Pen a atteint des scores considérables : 33,9 % et 41,45 %. Cette progressive montée du RN, la stabilité de ses votes et son ancrage territorial sont les marqueurs d’une normalisation et d’une banalisation du parti d’extrême droite.</p>
<p>Cette normalisation s’est construite autour d’une dynamique de changement, qu’on a coutume de nommer « dédiabolisation ». Celle-ci s’est faite progressivement et a été marquée par deux séquences. La première a permis au parti de se notabiliser, un phénomène accéléré avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN. La seconde séquence est très directement liée à l’élection de députés RN à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une phase d’institutionnalisation.</p>
<h2>Des manifestations de 2002 à « Marine »</h2>
<p>Le congrès de Tours en 2011 marque un tournant dans l’histoire du FN. Le père de la famille Le Pen, créateur du FN, va passer la main. Le vote des militants en faveur de la fille est sans appel – 67,65 % des voix – face à Bruno Gollnisch.</p>
<p>L’image du FN ne sera plus celle de Jean-Marie, l’homme pour qui les chambres à gaz sont un <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cab87032378/le-pen-sur-chambres-a-gaz">« détail de l’histoire »</a> celui que les plus âgés ont connu un bandeau noir sur l’œil gauche. Marine Le Pen, femme de 45 ans arrive à la tête de ce parti.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/01/02/le-message-c-est-le-medium_2718681_1819218.html">« Le message, c’est le medium »</a> écrivait le sociologue Marshall McLuhan. Cela vaut aussi pour le FN ; l’égérie a changé, la dédiabolisation s’incarne plus que jamais dès cette <a href="https://www.cairn.info/le-genre-presidentiel--9782707174543-page-131.htm">nouvelle image au féminin</a>.</p>
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<p>Cette dédiabolisation tentée par le passé, fin des années 90, par un Bruno Mégret qui voulait normaliser le FN, voire faire des alliances avec la droite, a finalement semblé indispensable lors de la présidentielle de 2002. À l’époque, il n’était pas envisageable pour Jean-Marie Le Pen de sortir de sa spécificité et de nourrir la droite classique. Il est apparu urgent à ce moment-là de rassurer les français et de montrer combien le FN n’était pas une menace pour l’État et le pays. La <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2016-2-page-17.htm">dédiabolisation</a> s’est dès lors avérée nécessaire.</p>
<p>Marine Le Pen est une des plus convaincues de cette nécessité depuis 2002. Elle suivra cette ligne au plus près. En 2015, elle finira même par <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2016/10/05/jean-marie-le-pen-conteste-son-exclusion-du-front-national-devant-le-tribunal_5008310_823448.html">exclure</a> celui qui porte plus que quiconque le stigmate extrême droite : Jean-Marie Le Pen. À la faveur de prises de position dans <em>Rivarol</em> sur Pétain et les chambres à gaz, la <a href="https://theconversation.com/marine-le-pen-oedipe-et-le-meurtre-du-pere-72226">fille sortira le père</a>.</p>
<h2>Modifier l’image de marque du FN</h2>
<p>L’année 2018 est marquée d’un autre moment de stratégie d’effacement du passé. Elle passe par le changement de nom du parti. Le Front national n’est plus, le Rassemblement national est né. Avec ce mot « rassemblement » se matérialise la volonté de passer de parti de la protestation à un parti de gouvernement : « rassembler » pour pouvoir gouverner.</p>
<p>Dans la même logique, en 2022, Marine Le Pen se tient loin d’<a href="https://theconversation.com/pourquoi-eric-zemmour-embarrasse-t-il-autant-la-droite-170846">Eric Zemmour</a> et ne cède pas à ses appels du pied, prouvant encore une fois son attachement à cette stratégie de dédiabolisation.</p>
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<p>Quelques mois plus tard, l’<a href="https://theconversation.com/rn-clap-de-fin-pour-les-le-pen-190153">élection de Jordan Bardella</a> à la tête du RN offre un nouveau visage au parti. Par sa jeunesse et son parcours, il donne encore d’autres gages à cette séquence de dédiabolisation. Fils d’une famille immigrée italienne, son ancrage dans le 93 et son cursus universitaire à la Sorbonne offrent des gages de normalité – son parcours pourrait ressembler à celui de beaucoup de jeunes. Néamoins, derrière ces données, il y a aussi son militantisme à l’UNI et ses accointances traditionnelles, voire identitaires, et son regard sur une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/07/jordan-bardella-l-heritier-de-marine-le-pen-qui-cherche-a-imprimer-sa-marque-identitaire_6129158_823448.html%C2%BB%5D">« France ensauvagée et inhumaine »</a>.</p>
<p>Car bien sûr, malgré cette normalisation en vue de la conquête du pouvoir suprême, le RN reste attaché au corpus idéologique qui est le sien. Preuve en sont les marqueurs tels le renforcement de la politique nataliste en France (<a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/au-c-ur-des-debats-sur-la-reforme-des-retraites-le-rn-appelle-a-soutenir-une-politique-nataliste_5686343.html">pour « résister » face à l’immigration</a>), <a href="https://www.lejdd.fr/politique/marine-le-pen-fondamentalement-contre-la-pantheonisation-de-gisele-halimi-soutien-des-terroristes-du-fln-133456">l’opposition à l’entrée de Gisèle Halimi au Panthéon</a> ou encore la <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2021/09/29/presidentielle-marine-le-pen-propose-de-sacraliser-la-priorite-nationale-dans-la-constitution_6096373_6059010.html">sacralisation de la « priorité nationale » dans la constitution</a>. Le RN ne se défait pas des thématiques historiques qui ont prévalu à la création du FN.</p>
<h2>Le Parlement : le cordon sanitaire est tombé</h2>
<p>Quel que soit le corpus idéologique dont se réclame le RN, l’hémicycle de l’Assemblée nationale offre au parti ses lettres de notabilisation, mais surtout son écrin d’institutionnalisation. De marginal et honni, le parti devient celui qui détient deux vice-présidences à la chambre basse.</p>
<p>Des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/live/2022/06/29/l-assemblee-nationale-en-direct-vice-presidents-questeurs-secretaires-suivez-en-direct-la-seance-d-attribution-des-postes-du-bureau_6132463_823448.html">vice-présidences</a> qui ont mathématiquement été permises avec le soutien d’autres partis politiques – Les Républicains et Renaissance – puisque Hélène Laporte a obtenu 284 voix et Sébastien chenu 290. Face à la vague de députés RN, le cordon sanitaire est tombé. La normalisation s’est installée.</p>
<p>D’autant plus que, ici encore, Marine Le Pen joue la carte de la capacité à gouverner. Elle ne veut pas trop cliver pour présenter une opposition constructive, « une opposition responsable ». Dans cette optique, elle est vigilante au taux de présence de son groupe à l’assemblée, au respect de la fonction (silence, retenue, vêtements) et refuse les blocages systématiques de lois proposés par l’opposition.</p>
<p>Certes, l’épisode du député De Fournas a bien failli saper ces efforts de respectabilité. En prononçant la phrase <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/parlement-francais/assemblee-nationale/qu-il-s-retourne-nt-en-afrique-comment-des-propos-racistes-ont-fini-par-etre-prononces-a-l-assemblee-nationale_5457871.html">« qu’il(s) retourne(nt) en Afrique »</a> au sein de l’hémicycle, celui-ci a donné une occasion aux oppositions de prouver que la dédiabolisation était un leurre. Mais l’épisode a été relativement bien géré médiatiquement et en interne. La <a href="https://theconversation.com/exclusion-du-depute-rn-ce-quen-dit-la-recherche-en-economie-comportementale-sur-les-sanctions-194272">sanction</a> est tombée, l’élu a perdu son porte-parolat. La discrétion est assez vite revenue.</p>
<p>De surcroit, quelles que soient les stratégies adoptées, avoir des députés à l’Assemblée nationale signifie <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2021-1-page-29.htm">saisir des moyens essentiels</a> : assistants, informations, formations, moyens pécuniaires et possibilité, pour beaucoup d’élus sans expérience, de se professionnaliser. Il s’agit d’une marche déterminante pour envisager la conquête du pouvoir.</p>
<p>Reste à savoir quelle attitude adopter face au parti de Jordan Bardella et de Marine Le Pen. Est-il possible d’isoler un parti à ce point institutionnalisé et soutenu dans les urnes ? De continuer à « tabouiser » un parti recueillant autant de soutiens électoraux ? De se priver de ses électeurs en le stigmatisant ? Ce mois-ci, un <a href="https://www.ifop.com/publication/le-regard-des-francais-sur-marine-le-pen-et-jean-luc-melenchon-balise-dopinion-214/">sondage Ifop</a> a montré que le RN était considéré comme le parti incarnant le mieux l’opposition au gouvernement (la stratégie de discrétion du RN semble mieux payer que celle du chahut de LFI…).</p>
<p>Depuis le début des années 80, aucune attitude pérenne et efficace n’a été trouvée face au FN-RN. C’est une quadrature du cercle pour le paysage politique français. S’il n’est pas un parti tout à fait comme les autres, le FN-RN est aujourd’hui à certains égards le deuxième parti de France.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201690/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment, de parti « infréquentable », le FN-RN est-il devenu un parti incontournable du paysage politique français ? Décryptage d’une stratégie de dédiabolisation efficace.Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1989392023-02-26T17:15:38Z2023-02-26T17:15:38ZLa dénonciation publique, une caractéristique des discours populistes ?<p>Lors des discussions houleuses à l’Assemblée nationale sur le projet controversé de réforme des retraites du gouvernement, le député Louis Boyard a publié sur son compte Twitter la liste des députés qui ont voté contre une proposition de loi socialiste visant à proposer des repas à un euro à tous les étudiants. Cette initiative, assortie de la mention « retenez leurs noms », a suscité de vives critiques dans la majorité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1623710452973727746"}"></div></p>
<p>Le tweet du député et les différentes oppositions à la <a href="https://theconversation.com/retraites-comment-la-reforme-incarne-le-bras-de-fer-entre-le-pouvoir-et-la-rue-198083">réforme des retraites</a> mettent aujourd’hui en lumière l’importance de la dénonciation publique dans les démocraties. Cette forme de discours apparaît dans le débat comme une contestation du pouvoir en place. Mais elle donne aussi à voir un spectacle politique dans lequel les acteurs populistes ont fait de ce mode d’action une stratégie.</p>
<p>Si les définitions des populismes sont plurielles et polémiques, la plupart s’accordent sur une série de caractéristiques propres à ces mouvements. Les <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/le-nouveau-national-populisme/">populismes</a> seraient portés par des leaders charismatiques et dénonceraient les élites en place au nom d’un peuple victime perçu comme homogène. Cette définition des populismes est une montée en généralité théorique nécessaire à leur conceptualisation, mais elle masque en même temps leurs spécificités.</p>
<p>En France, trois candidats à la dernière élection présidentielle s’inscrivent dans ce courant : Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Éric Zemmour. Ils revendiquent un <a href="http://www.premierparallele.fr/livre/quest-ce-que-le-populisme">« monopole de la représentation populaire »</a>, mais ne s’appuient pas sur les mêmes figures du « peuple » et des « élites ». L’analyse des dénonciations publiques produites par les trois acteurs peut alors constituer un moyen de mieux saisir ces deux figures aux contours flous.</p>
<p>Les dénonciations sont des formes narratives produites dans l’espace public et appartiennent à la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-contre-democratie-pierre-rosanvallon/9782757841167">critique sociale et politique</a>. Elles présentent une conflictualité et renseignent l’identité de ceux qui les portent car elles construisent des « victimes » et des « bourreaux », un « nous » et un « eux ».</p>
<p>En s’appuyant sur un corpus de dénonciations produites sur Twitter par Jean-Luc Mélenchon (1478 tweets), Marine Le Pen (2052 tweets) et Eric Zemmour (952 tweets) entre l’annonce publique de leur candidature et le second tour des élections présidentielles (2022), il s’agit ici de déplier les notions de « peuple » et « d’élites » en revenant sur les figures de bourreau et de victime les plus couramment mises en avant par ces acteurs.</p>
<h2>Les figures de bourreau</h2>
<p>Emmanuel Macron représente « le bourreau » le plus dénoncé par les trois candidats : 19,01 % des contenus d’Éric Zemmour, 18,03 % pour Marine Le Pen et 17,73 % pour Jean-Luc Mélenchon.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1492859596217761797"}"></div></p>
<p>Ce résultat est en partie déterminé par le contexte électoral qui incite les acteurs à critiquer le président sortant pour se présenter comme une alternative crédible à celui-ci. En ce sens, le gouvernement constitue la deuxième figure la plus dénoncée par Marine Le Pen (17,3 %) et Jean Luc Mélenchon (10,62 %). Éric Zemmour accuse quant à lui le gouvernement dans seulement 4,1 % de ses contenus. Cette différence peut résulter d’une annonce plus tardive de candidature à l’élection l’ayant conduit à moins se positionner contre les mesures mises en place par le gouvernement dans les années qui ont précédé le scrutin.</p>
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<p>Eric Zemmour dénonce en revanche amplement les autres candidats à l’élection. Valérie Pécresse a ainsi constitué la deuxième figure qu’il a le plus dénoncée (7,14 %). Au-delà de la candidate LR, Eric Zemmour a largement critiqué « les politiciens professionnels » (3,26 %), Jean-Luc Mélenchon (1,57 %), Marine Le Pen (1,36 %) et Yannick Jadot (0,63 %). Mélenchon, quant à lui, dénonce fréquemment Marine Le Pen (3,11 %), Eric Zemmour (2,84 %) et dans une moindre mesure Anne Hidalgo (0,68 %). Marine Le Pen est finalement celle qui critique le moins ses adversaires. Elle concentre ses dénonciations sur Emmanuel Macron et le gouvernement pour se présenter comme leur principale opposante. Le seul candidat que Marine Le Pen critique parfois est Eric Zemmour (0,53 %) car il occupe un espace politique assez proche du sien.</p>
<h2>L’UE et les médias comme figures antagonistes</h2>
<p>La dénonciation de l’Union européenne a aussi été relativement importante pour les trois acteurs. Marine Le Pen a été la candidate qui a le plus critiqué l’UE (4,63 %) ; tandis qu’Eric Zemmour (1,15 %) et Jean-Luc Mélonchon (0,88 %) ont moins visé cette figure de bourreau.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1484439548625133568"}"></div></p>
<p>Les trois candidats partagent ensuite une dénonciation des médias et des journalistes. Ceux-ci ont en effet constitué la 4<sup>e</sup> figure la plus critiquée par Eric Zemmour (4,62 %) et la 5<sup>e</sup> par Jean-Luc Mélenchon (3,06 %). La dénonciation des médias a en revanche été beaucoup plus parcellaire dans les contenus de Marine Le Pen (1,07 %).</p>
<p>Des convergences s’observent donc dans les figures dénoncées par les acteurs, mais elles ne doivent pas masquer leurs différences.</p>
<p>Si Le Pen et Zemmour semblent proches, avec par exemple un même taux de dénonciation de l’institution judiciaire (respectivement 2,58 % et 2,67 % des contenus), il peut être hâtif de les mettre sur un même plan. Eric Zemmour se démarque en effet de Marine Le Pen en ce qu’il durcit le discours de la candidate RN. D’une part, Eric Zemmour mobilise un discours ouvertement plus <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/stigmatiser-discours-mediatiques-et-normes-sociales/">stigmatisant</a>. Il cible prioritairement les personnes lorsqu’il dénonce l’immigration (4,56 % des contenus critiquent les migrants, les réfugiés, les clandestins ou les étrangers contre 4,23 % pour l’immigration) ; là où Marine Le Pen dénonce le phénomène migratoire en priorité (5,7 %) en évitant une attaque plus systématique contre les étrangers (1,7 %). D’autre part, Eric Zemmour se distingue de Marine Le Pen par sa dénonciation du « Grand remplacement » (3,47 % des contenus) ; une <a href="https://theconversation.com/politiques-identitaires-et-mythe-du-grand-remplacement-117471">théorie xénophobe</a> que la candidate RN prétend aujourd’hui mettre à distance.</p>
<p>Jean-Luc Mélenchon se différencie enfin des autres acteurs sur de nombreux sujets, signe que le clivage gauche/droite n’est pas complètement désuet. Le candidat insoumis dénonce en effet des figures qui ne sont pas critiquées par les deux autres leaders, entre autres : le système capitaliste/néolibéral (3,99 %), le nucléaire (2,57 %), les ultra-riches (2,23 %) ou les fermes-usines (0,95 %).</p>
<h2>Les figures de victime</h2>
<p>La <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2005-2.htm">notion de « peuple »</a> recouvre des réalités multiples et diffère en fonction des approches et des contextes politiques. Les victimes dans le récit de dénonciation sont un des biais par lesquels les candidats populistes construisent des figures du « peuple ».</p>
<p>Celles-ci sont très proches pour Eric Zemmour et Marine Le Pen, les deux plus récurrentes étant identiques : les Français constituent 36,4 % des victimes d’Eric Zemmour et 35,72 % de celles de Marine Le Pen ; la France, respectivement 17,5 % et 12,71 %. Le « peuple-victime » de ces deux leaders renvoie avant tout à un <a href="https://www.persee.fr/doc/lsoc_0181-4095_1997_num_79_1_2772">peuple-ethnos</a>, centré sur l’appartenance à la communauté nationale. Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, mobilise moins ces deux figures (4,24 % pour les Français et 2,32 % pour la France). Le « peuple-victime » du leader insoumis est celui des « classes populaires » (11,97 %) ; il prend pour référent un critère économique et social. Il se distingue en cela du peuple-ethnos des deux autres leaders, bien qu’il le mobilise par moment.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1483900104318857219"}"></div></p>
<p><a href="https://www.persee.fr/doc/lsoc_0181-4095_1997_num_79_1_2772">Le peuple-demos</a>, qui est centré sur un référent démocratique et renvoie à la communauté des citoyens, occupe également une place significative dans le récit des trois acteurs. Celui-ci constitue notamment la troisième figure la plus mobilisée par Jean-Luc Mélenchon (7,1 % des contenus). Le peuple-demos est une victime moins récurrente mais tout de même importante dans les récits d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen (respectivement 3,68 % et 2,29 %).</p>
<p>Par ailleurs, les « femmes » constituent des victimes régulières dans le récit des trois acteurs. Eric Zemmour est celui qui les mobilise le plus dans ce rôle (2,73 %), tandis que Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen les présentent comme victimes dans des proportions similaires : respectivement 2,16 % et 2,29 % des contenus.</p>
<p>Mélenchon et Le Pen mobilisent aussi de nombreuses figures de victime identiques, mais dans des proportions différentes : les animaux constituent par exemple 1,69 % des victimes de Jean-Luc Mélenchon contre 0,49 % de celles de Marine Le Pen ; l’environnement et la biodiversité représentent 4,47 % des victimes du leader insoumis et 0,88 % de celles de la candidate RN. Inversement, Marine Le Pen mobilise aussi des victimes qui sont identiques à celles d’Eric Zemmour : par exemple, les policiers (respectivement 1,51 % et 2,31 %) ainsi que les agriculteurs (respectivement 1,66 % et 1,36 %).</p>
<h2>L’autovictimisation</h2>
<p>Les trois leaders partagent enfin une même stratégie d’autovictimisation. Cette démarche permet aux acteurs de créer une symétrie d’oppression avec le peuple-victime dont ils revendiquent la représentation. Ainsi, Eric Zemmour est celui qui se présente le plus souvent comme une victime (7,46 %), suivi par Jean-Luc Mélenchon (5,2 %), puis Marine Le Pen (2,19 %).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1467540791413379079"}"></div></p>
<p>Réduire les populismes à une opposition floue entre le peuple et les élites n’est ainsi pas toujours pertinent pour saisir leurs spécificités. Les antagonismes sur lesquels ils s’appuient semblent plus formalisés. En l’espèce, les notions de « peuple » et « d’élites » occupent une place relative dans les dénonciations.</p>
<p>Le « peuple » est souvent mis en avant indirectement. Il l’est par l’intermédiaire d’un référent national et ethnique par Marine Le Pen et Eric Zemmour lorsqu’ils définissent la France et les Français comme les victimes principales du contexte politique. Il l’est aussi par Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il installe les classes populaires dans ce rôle, recentrant la notion de peuple sur une condition sociale spécifique et s’inscrivant ainsi dans une tradition politique radicalement différente de celle des deux autres leaders. Le terme peuple est aussi mobilisé de manière plus explicite par les trois acteurs. Il renvoie alors le plus souvent à un référent démocratique et caractérise la communauté des citoyens. La notion d’« élites », en revanche, occupe une place presque nulle dans les dénonciations et seul Eric Zemmour lui accorde une position importante lorsqu’il accuse les « politiciens professionnels » ; une figure qui peut être associée à une forme d’élite politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198939/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Swan DUFOUR est en contrat doctoral au laboratoire CARISM (Université Paris-Panthéon-Assas). </span></em></p>Cette forme de discours apparaît dans le débat comme une contestation du pouvoir en place. Les populistes ont fait de ce mode d’action une stratégie.Swan Dufour, Doctorant en Sciences de l'information et de la communication au laboratoire CARISM, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1942162022-11-15T16:52:12Z2022-11-15T16:52:12ZL’extrême droite au Parlement européen, ou le renard dans le poulailler<p>Plusieurs pays de l’Union européenne sont actuellement gouvernés par des partis politiques d’extrême droite.</p>
<p>En Hongrie, le parti <em>Fidesz</em> du premier ministre Viktor Orban <a href="https://www.journalofdemocracy.org/articles/how-viktor-orban-wins/">démantèle progressivement</a> les protections constitutionnelles de l’État de droit et des institutions démocratiques du pays. La Pologne, sous la houlette du parti Droit et Justice au pouvoir, a montré des <a href="https://www.dw.com/en/eu-fines-poland-1-million-per-day-over-judicial-reforms/a-59635269">tendances tout aussi inquiétantes</a>. Plus récemment, Giorgia Meloni et le parti Frères d’Italie viennent de remporter les élections législatives italiennes de septembre 2022 et ont <a href="https://theconversation.com/des-vertus-de-linstabilite-gouvernementale-en-italie-192431">formé une coalition</a> gouvernementale avec le parti d’extrême droite <em>Lega</em> de Matteo Salvini et le parti <em>Forza Italia</em> de Silvio Berlusconi. En Suède, le gouvernement minoritaire nouvellement élu dépend du soutien des <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/oct/14/swedish-parties-agree-coalition-with-backing-of-far-right">Démocrates de Suède, un parti d’extrême droite</a>.</p>
<p>Les partis d’extrême droite sont présents sur la scène politique européenne depuis longtemps, mais les partis libéraux et démocrates peinent toujours à élaborer une ligne de conduite claire à leur égard.</p>
<p>Le Parlement européen est un lieu approprié pour observer les dilemmes auxquels les partis traditionnels sont confrontés face aux partis d’extrême droite. En particulier lorsque ces derniers ont été élus démocratiquement et font partie d’une institution démocratique telle qu’un Parlement supranational. Rappelons que le Parlement européen, seul organe directement élu de l’UE, accueille <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2022/698880/EPRS_BRI(2022)698880_FR.pdf">705 membres élus, issus de 206 partis politiques nationaux</a>. La plupart d’entre eux se rassemblent dans différents groupes politiques partageant des idéologies similaires. L’extrême droite est présente dans plusieurs de ces groupes, ce qui montre à quel point elle est devenue partie intégrante du système.</p>
<h2>Des partis présents dans plusieurs groupes au Parlement européen</h2>
<p>En 2015, Marine Le Pen et son Rassemblement national ont réussi à créer leur propre groupe politique d’extrême droite et se sont associés à Matteo Salvini et sa <em>Lega</em>. Aujourd’hui, ce groupe au Parlement européen s’appelle <a href="https://fr.idgroup.eu/">Identité et démocratie (ID)</a>. Il constitue le cinquième groupe politique le plus important (sur sept). Parmi les autres partis qui y siègent, citons Alternative pour l’Allemagne (AFD) en Allemagne, le Parti de la liberté (FPO) en Autriche, l’Intérêt flamand (Vlaams Belang) en Belgique et le Parti populaire danois.</p>
<p>Bien qu’elles aient été jusqu’ici des acteurs plutôt passifs au sein des commissions du Parlement européen, ces formations disposent d’une influence réelle au plus haut niveau. Au sein de la <a href="https://www.europarl.europa.eu/committees/fr/about/conference-of-committee-chairs">Conférence des présidents</a>, chaque groupe politique dispose d’une voix, quelle que soit sa taille. Si les grands groupes tels que les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates ne parviennent pas à un consensus, ils peuvent parfois avoir besoin du soutien de l’extrême droite pour obtenir une majorité.</p>
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<p>Le parti polonais Droit et Justice dirige également un groupe politique, connu sous le nom de <a href="https://www.touteleurope.eu/institutions/les-groupes-au-parlement-europeen-les-conservateurs-et-reformistes-europeens-cre/">Conservateurs et Réformistes européens (CRE)</a>. Ce groupe, qui comprend également, parmi ses membres les plus notables, les Démocrates de Suède, les Frères d’Italie et le parti espagnol <em>Vox</em>, représente la <a href="https://www.europarl.europa.eu/erpl-public/hemicycle/index.htm">quatrième force au Parlement européen</a>.</p>
<p>En revanche, le parti hongrois <em>Fidesz</em> a fait partie de 2004 et jusqu’en 2021 du plus grand groupe politique, celui des chrétiens-démocrates (<a href="https://www.eppgroup.eu/fr">Parti populaire européen, PPE</a>). Viktor Orban a longtemps été protégé par des responsables politiques puissants tels que l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel et l’ancien président du Conseil européen Donald Tusk. Le Fidesz a toutefois <a href="https://www.institutmontaigne.org/analyses/la-sortie-du-ppe-de-fidesz-reduira-linfluence-hongroise-au-sein-de-lue">quitté le PPE au début de l’année 2021</a>, lorsque les pressions internes liées à la remise en cause de l’État de droit en Hongrie sont devenues trop fortes pour justifier son appartenance. Aujourd’hui, ses membres n’appartiennent à aucun groupe politique au Parlement européen, ce qui les prive de pouvoir politique et de visibilité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Répartition des sièges au Parlement européen (17 October 2022).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.europarl.europa.eu/erpl-public/hemicycle/index.htm?lang=en&loc=str">europarl.europa.eu</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Leur statut au sein des groupes politiques du Parlement européen a permis aux partis d’extrême droite non seulement de gagner en visibilité et en pouvoir, mais aussi de récolter <a href="https://eu.boell.org/en/2016/01/14/enf-new-right-wing-force-european-parliament-and-how-deal-it">d’importants bénéfices financiers</a>. En 2017, Marine Le Pen a été accusée d’avoir embauché de <a href="https://euobserver.com/eu-political/136944">« faux assistants »</a>, et en avril de cette année, elle-même et d’autres membres de son parti ont été accusés d’avoir détourné <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/apr/17/eu-anti-fraud-body-accuses-marine-le-pen-france-election">620 000 euros de fonds européens</a>.</p>
<p>En janvier, Morten Messerschmidt, du Parti populaire danois, a été condamné pour avoir utilisé des fonds européens pour une <a href="https://www.euractiv.com/section/politics/short_news/danish-mp-convicted-of-eu-funds-fraud-elected-to-head-far-right-party/">campagne politique au Danemark</a>. Grâce aux ressources européennes, de nombreux partis d’extrême droite ont pu croître et étendre leur influence dans leur pays tout en s’attaquant au projet européen.</p>
<h2>Un cordon sanitaire peu étanche</h2>
<p>Les groupes politiques traditionnels du Parlement européen, notamment les chrétiens-démocrates, les sociaux-démocrates, les libéraux et les Verts, ont depuis longtemps conclu un <a href="https://www.euractiv.com/section/future-eu/news/the-brief-the-costs-of-a-cordon-sanitaire/">accord informel</a> connu sous le nom de « cordon sanitaire » qui empêche les membres de l’extrême droite d’obtenir des postes clés au Parlement.</p>
<p>Les sociaux-démocrates et les Verts ont chacun adopté des politiques propres de non-coopération avec l’extrême droite. Les sociaux-démocrates ont pour principe formel de ne pas coopérer avec le groupe Identité et Démocratie de Marine Le Pen. Les Verts ont une politique similaire, mais un peu plus souple : leurs membres peuvent voter en faveur de propositions législatives présentées par Identité et Démocratie si le contenu est jugé de nature technique. Les Verts laissent également la question de la définition de l’appartenance à l’extrême droite assez ouverte. Ainsi, leurs membres peuvent choisir s’ils souhaitent ou non boycotter certains partis membres d’autres groupes au Parlement européen, comme Droit et Justice ou Frères d’Italie, membres du groupe CRE. Le cordon sanitaire est donc poreux et dépendant du contexte.</p>
<p>En outre, comme les chrétiens-démocrates ont réussi à protéger le Fidesz de toute pression politique, il a longtemps été épargné par les mesures du « cordon sanitaire ». Cela a changé en septembre 2018, lorsque le <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2018-0340_EN.html">Parlement européen a lancé une procédure de sanctions formelles</a>, en vertu de <a href="https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/summary/promoting-and-safeguarding-the-eu-s-values.html">l’article 7 du Traité sur l’Union européenne</a>, en raison de préoccupations liées au recul démocratique de la Hongrie. La plupart des chrétiens-démocrates ont alors voté en faveur de la résolution. Après que le PPE a modifié ses règles internes pour permettre l’expulsion d’un parti entier, <a href="https://www.politico.eu/article/epp-suspension-rules-fidesz-european-parliament-viktor-orban-hungary/">Fidesz a choisi de le quitter</a>, début 2021.</p>
<p>Ces exemples démontrent la complexité et l’ambiguïté inhérentes à la présence de l’extrême droite au Parlement européen. Ils mettent également en lumière les circonstances dans lesquelles les partis traditionnels – malgré leurs convictions – peuvent <a href="https://www.graduateinstitute.ch/communications/news/european-union-and-far-right-letting-wolf-fold">soutenir l’extrême droite</a>.</p>
<h2>Les affaires courantes continuent</h2>
<p>Après la victoire des Frères d’Italie à l’intérieur du pays, peu de choses ont changé au Parlement européen. Au sein des chrétiens-démocrates, il y a eu des <a href="https://www.politico.eu/article/call-boot-berlusconi-party-forza-italia-eu-parliament-epp-back-meloni-brothers-italy/">appels à bannir <em>Forza Italia</em></a> du groupe PPE si ce parti continuait, sur le plan domestique, à soutenir Giorgia Meloni, mais cela ne s’est pas encore produit.</p>
<p>Manfred Weber, le chef du PPE, a soutenu <em>Forza Italia</em> lors des élections italiennes et, bien qu’il ait été <a href="https://www.sueddeutsche.de/politik/eu-weber-wegen-wahlkampfhilfe-fuer-berlusconi-in-der-kritik-dpa.urn-newsml-dpa-com-20090101-220909-99-693826">fortement critiqué</a> pour cela, cet épisode fut une illustration supplémentaire de la façon dont les partis traditionnels peuvent directement ou indirectement soutenir les partis d’extrême droite.</p>
<p>Des spéculations ont été faites sur une <a href="https://www.euractiv.com/section/eu-priorities-2020/news/brothers-of-italy-mep-no-way-for-ecr-and-id-to-merge-in-one-group/">possible fusion</a> entre d’une part ECR (de Droit et Justice et des Frères d’Italie) et d’autre part ID (du Rassemblement national et de la <em>Lega</em>). En termes de puissance numérique, cela changerait la donne politique au Parlement européen – combinés, ces deux groupes deviendraient la troisième force la plus importante derrière les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates. Pourtant, une fusion est peu probable étant donné leurs <a href="https://www.euractiv.com/section/eu-priorities-2020/news/brothers-of-italy-mep-no-way-for-ecr-and-id-to-merge-in-one-group/">positions divergentes</a> concernant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. ECR soutient les sanctions contre la Russie, alors que la majorité d’ID s’y est opposée. Il y a au moins une question sur laquelle les Frères d’Italie et la <em>Lega</em> sont d’accord : tous deux ont <a href="https://www.euractiv.com/section/politics/news/italys-meloni-backs-orban-says-hungary-is-democratic/">voté contre</a> une résolution du Parlement européen déclarant que la Hongrie ne constitue plus une démocratie.</p>
<p>Complication supplémentaire : le cycle électoral du Parlement européen n’est pas aligné sur les élections nationales. Même si Meloni a gagné au niveau national, cela ne change pas la représentation numérique des Frères d’Italie au Parlement européen, et les prochaines élections européennes n’auront pas lieu avant mai 2024. Mais une plus grande influence de l’extrême droite pourrait se faire sentir au Conseil, où le <em>Fidesz</em> et Droit et Justice ont déjà <a href="https://www.liberties.eu/fr/stories/pis-fidesz-weakness/18955">réussi à bloquer</a> plusieurs décisions importantes, comme le budget de l’UE…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194216/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christin Tonne est est chercheuse affiliée au Centre Albert Hirschman sur la démocratie de l'Institut universitaire de Genève (IHEID). Cet article est basé sur les recherches qu'elle a menées pour sa thèse de doctorat. Elle reçoit actuellement un financement de l'IHEID pour un projet pilote de suivi sur les défenses démocratiques contre l'extrême droite dans les institutions européennes.
</span></em></p>Au Parlement européen, les divers partis d’extrême droite font désormais partie intégrante du paysage.Christin Tonne, Research associate at the Albert Hirschman Centre On Democracy, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1850942022-08-03T17:40:52Z2022-08-03T17:40:52ZDossier : Présidentielle, législatives, deux élections plus tard, quel bilan ?<p>La France a vécu cette année au rythme d'élections majeures : la présidentielle tout d'abord qui a vu Emmanuel Macron réélu, puis les élections législatives dont la campagne a été lancée de manière inédite par Jean-Luc Mélenchon, chef de file de La France Insoumise.</p>
<p>Sous son impulsion, différents partis de gauche réussirent ce qui paraissait impossible depuis longtemps : réunir la gauche derrière un programme (presque) commun. La Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (Nupes) a depuis su s'imposer comme l'une des premières forces d'opposition du pays.</p>
<p>Plus encore qu'en 2017, la séquence électorale de 2022 a fait exploser le Parti socialiste et les Républicains, les partis dits traditionnels qui ont gouverné la France pendant plusieurs décennies. Malgré ces recompositions, deux phénomènes s'accentuent : la place de l'extrême droite et des ses idées dans le champ politique, et celle de l'abstention.</p>
<p>Dans ce dossier spécial, The Conversation vous propose de faire le bilan de la séquence politique qui vient de s'achever.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/aux-origines-des-fractures-francaises-183037">Aux origines des fractures françaises</a></h2>
<p>Le clivage droite-gauche a cédé la place à une fragmentation géographique et sociale qui n'a pas encore produit tous ses effets sur l'organisation du champ politique.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/la-france-desenchantee-185048">La France désenchantée ?</a></h2>
<p>L'un des enseignements des éléctions législatives de 2022 est l'aggravation du fossé qui sépare les électeurs de leurs représentants.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/un-effondrement-socialiste-qui-vient-de-loin-181122">Un effondrement socialiste qui vient de loin</a></h2>
<p>Le premier tour de l'élection présidentielle 2022 a marqué l'effondrement de l'une des plus vieilles organisations partisanes de France.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.</em>]</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/les-republicains-un-quinquennat-pour-moins-que-rien-181318">Les Républicains : un quinquennat pour moins que rien</a></h2>
<p>Le parti traditionnel de la droite française est aujourd'hui réduit à l'état de résidu électoral. Quelques pistes pour comprendre la nature de cet évidement électoral, ses causes et ses conséquences.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/une-abstention-hautement-politique-181558">Une abstention hautement politique</a></h2>
<p>L'abstention massive qui caractérise les dernières élections en France témoignerait d'une demande profonde des citoyens pour une autre forme de démocratie.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/lfi-du-pari-a-la-mutation-185571">LFI : du pari à la mutation</a></h2>
<p>Au sein de LFI, s'affranchir de la ligne portée par Jean-Luc Mélenchon demeure complexe: le mouvement pourra-t-il se fondre dans un projet collectif ?</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/apres-le-bouleversement-des-legislatives-quelle-place-pour-le-senat-185554">Après le bouleversement des législatives, quelle place pour le Sénat ?</a></h2>
<p>Si l'actualité politique se focalise sur l'Assemblée nationale, une autre partie pourrait se jouer à la seconde chambre du Parlement, le Sénat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185094/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
La France vient de vivre six mois au rythme des élections. Bilan d'un épisode politique particulièrement complexe.Clea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceNils Buchsbaum, Journaliste éditeur rubrique Politique + Société, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1856602022-06-23T20:17:43Z2022-06-23T20:17:43ZLe RN, de l’enracinement à l’établissement : l’exemple languedocien<p>Depuis désormais près de 40 ans, <a href="https://www.dunod.com/histoire-geographie-et-sciences-politiques/front-national-conquete-du-pouvoir">l’extrême-droite s’est installée</a> dans le paysage politique français. Le Rassemblement national (RN) a obtenu – avec 89 sièges – un succès retentissant lors des élections législatives des 12 et 19 juin derniers, après la qualification, pour la seconde fois consécutive, de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle des 10 et 24 avril 2022.</p>
<p>Alors que nous avons déjà documenté la <a href="https://theconversation.com/marine-le-pen-la-campagne-de-tous-les-paradoxes-181725">progression</a> de l’enracinement du RN au cours des scrutins précédents, il nous semble devenu nécessaire de parler d’<a href="https://hal.umontpellier.fr/hal-03512989">« établissement »</a>. La différence entre les deux termes n’est pas simplement de degré, mais de nature. Si l’enracinement est affaire d’électeurs, l’établissement est aussi celle des élus, appareils et autres diffuseurs de consignes.</p>
<p>La différence entre les deux réside dans celui qui exprime la reconnaissance et consacre la légitimité du vote. Dans le premier cas, c’est l’électeur. Dans le second, c’est l’offre politico-institutionnelle. Et c’est précisément ce que nous allons montrer ici, en nous intéressant à l’ouest du littoral méditerranéen, qui a accordé au RN la <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/legislatives-dans-l-aude-carton-plein-du-rn-dans-le-departement-1655665433">totalité des députés</a> dans deux départements, l’Aude et les Pyrénées-Orientales. À ces sept députés s’en sont ajoutés sept autres dans le Gard et l’Hérault, soit 14 élus sur 22 possibles. Ce n’est pas par hasard que ces 14 circonscriptions couronnent le RN. Dans la plupart de celles-ci, Marine Le Pen était déjà majoritaire au second tour de l’élection présidentielle.</p>
<p>Fait nouveau, il n’y a pas eu de démobilisation différentielle de l’électorat RN entre ces deux scrutins. De plus, dans six cas, les candidats RN dépassent le pourcentage obtenu par la candidate frontiste le 24 avril. Cette progression procède par l’extension de sa tâche géographique à partir de <a href="https://www.cairn.info/revue-pole-sud-2012-2-page-153.htm">bastions bien connus</a> : la plaine du Roussillon, le Biterrois, la Petite-Camargue, là où se trouvaient les trois députés sortants.</p>
<p>Cet enracinement du vote RN a conquis de nouveaux territoires connexes : la vallée audoise (l’axe Narbonne-Castelnaudary) et ses piémonts (Limoux) ; les arrière-pays roussillonnais (Cerdagne, Capcir et Vallespir) ; le Gard Rhodanien et l’arrière-pays nîmois jusqu’aux contreforts des Cévennes.</p>
<h2>Une pluralité de causes</h2>
<p>L’explication du vote RN obéit à une pluralité de causes. On sait par exemple que la <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00422081">composition sociologique</a> du vote RN dans le Midi de la France fait la part belle à des citoyens de la partie la plus modeste de la classe moyenne, faiblement diplômés, nombreux à vivre dans un habitat péri-urbain de lotissement.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2019-2-page-223.htm">Elle est distincte</a> de celle du nord, plus populaire. De sorte que la première cause du succès législatif du RN se trouve dans… le mutisme relatif des classes populaires, qui a privé les candidats Nupes d’un capital indispensable pour lui résister.</p>
<p>Pour l’essentiel, le vote RN n’est donc pas, dans ce Midi, celui du peuple, au sens des ménages identifiés par leur souffrance sociale objective. Ceux-ci, massivement, s’abstiennent, en particulier dans ces quartiers urbains pauvres où le RN fait ses scores les plus faibles. Cela est devenu plus discutable dans les zones rurales (3<sup>e</sup> circonscription de l’Aude, 5<sup>e</sup> circonscription de l’Hérault), où un vote employé et ouvrier semble émerger en sa faveur.</p>
<p>Lors de cette élection, la deuxième grande cause se trouve dans l’effet d’entraînement de la première, et qui pourrait être qualifiée d’« écologique » au sens où les <a href="https://www.jstor.org/stable/3319445">critères d’analyse</a> concernent une population plutôt que des individus.</p>
<p>En raison de la récurrence de ce vote à un haut niveau sur 35 ans, une culture politique prend forme, qui contribue à construire les votes différemment, à se conformer à une opinion ambiante, <a href="https://www.cairn.info/les-faux-semblants-du-front-national--9782724618105-page-417.htm">à relativiser son propre héritage politique et familial</a>.</p>
<p>La troisième explication se trouve dans le registre politique. Les ambivalences ou équivalences entre une « extrême-gauche » et une « extrême-droite », de la part de nombreux candidats Renaissance éliminés, a substitué à l’idée de « front républicain » celle d’un renvoi à l’individu la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/17/du-front-republicain-au-cas-par-cas-comment-emmanuel-macron-a-evolue-face-a-l-extreme-droite_6130890_823448.html">responsabilité de ses choix</a>, tous aussi valables les uns que les autres.</p>
<h2>Une légitimation du vote RN</h2>
<p>Cette attitude rappelle les heures noires de la <a href="https://www.persee.fr/doc/espos_0755-7809_1987_num_5_3_1227?h=roussillon">droite languedocienne</a>, qui s’était alliée par deux fois avec le Front national (en 1986 et 1998), pour ne pas laisser le pouvoir <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01393354/document">au Parti socialiste</a> d’un certain Georges Frêche. Le flou des consignes a ainsi conduit à une légitimation du vote RN comme un vote « comme les autres », ce en quoi on peut parler non plus d’enracinement électoral, mais d’établissement politique.</p>
<p>Mais ce qui est sans doute le plus spectaculaire, dans cet établissement, c’est qu’il ne se limite pas à la droite et au centre politique. Dans une région où les candidatures dissidentes de la gauche – on pense par exemple à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/09/elections-legislatives-2022-carole-delga-la-frondeuse-socialiste-face-a-la-nupes_6129464_823448.html">Carole Delga</a> – ont été nombreuses face à la Nupes, on pouvait faire l’hypothèse de reports défavorables au RN entre les deux tours, partout où les dissidents de gauche ont été éliminés au premier tour. Pourtant, la lecture des résultats de ces élections législatives en Languedoc-Roussillon montre que la présence de candidats de gauche dissidents a plutôt joué en défaveur des candidats de la Nupes face à leurs opposants. Faut-il donc interpréter les oppositions internes à la gauche comme un facteur supplémentaire de l’enracinement du vote RN et de la reconnaissance institutionnelle de ses candidats ?</p>
<p>Pour répondre à cette question, avons estimé les reports de voix entre les deux tours des élections au sein de la cinquième circonscription de l’Hérault. Cette estimation s’appuie sur un modèle d’inférence écologique, qui permet de calculer des relations statistiques individuelles à partir de données agrégées.</p>
<p>Les différents reports ont été estimés à l’échelle des bureaux de vote de la circonscription. Les chiffres que nous présenterons dans les cartes et le texte ci-dessous correspondent aux moyennes de ces valeurs, indiquées, par souci de clarté, à l’échelle des communes ou de la circonscription dans son ensemble.</p>
<h2>Quand une commune de gauche bascule</h2>
<p>Notre choix de s’intéresser à la cinquième circonscription de l’Hérault se justifie au regard de différents critères. Circonscription <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cinqui%C3%A8me_circonscription_de_l%27H%C3%A9rault">historiquement la plus à gauche</a> du département, elle est celle où fut député, de 2002 à 2017, le président du conseil départemental, Kléber Mesquida, dont la position hégémonique pouvait être menacée par l’élection du candidat de la FI sous la bannière Nupes, Pierre Polard.</p>
<p>Sans surprise, le candidat dissident de gauche (RDG), Aurélien Manenc, y réalise au premier tour le score le plus élevé parmi les autres candidats dissidents du département (15,7 %), juste derrière le député sortant issu de la majorité présidentielle, Philippe Huppé (17,1 %). Pierre Polard parvient quant à lui à rallier le second tour avec 24,3 % des voix, derrière la candidate du RN, Stéphanie Galzy (28,1 %). Au second tour, en l’absence de regain de mobilisation (50,6 % de participation au premier tour, 50,5 % au second), situation assez inhabituelle pour une circonscription essentiellement rurale, la candidate du RN l’emporte avec 54,2 % des voix.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/470492/original/file-20220623-13-d66x35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte de la répartition géographique des reports de voix : Manec vers Polard" src="https://images.theconversation.com/files/470492/original/file-20220623-13-d66x35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/470492/original/file-20220623-13-d66x35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=552&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/470492/original/file-20220623-13-d66x35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=552&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/470492/original/file-20220623-13-d66x35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=552&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/470492/original/file-20220623-13-d66x35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=694&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/470492/original/file-20220623-13-d66x35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=694&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/470492/original/file-20220623-13-d66x35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=694&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte de la répartition géographique des reports de voix : Manenc (dissident de gauche) vers Polard (Nupes).</span>
<span class="attribution"><span class="source">E.Négrier, J.Audemard</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/470490/original/file-20220623-51620-t2sfny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte de la répartition géographique des reports de voix" src="https://images.theconversation.com/files/470490/original/file-20220623-51620-t2sfny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/470490/original/file-20220623-51620-t2sfny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=555&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/470490/original/file-20220623-51620-t2sfny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=555&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/470490/original/file-20220623-51620-t2sfny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=555&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/470490/original/file-20220623-51620-t2sfny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=697&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/470490/original/file-20220623-51620-t2sfny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=697&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/470490/original/file-20220623-51620-t2sfny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=697&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte de la répartition géographique des reports de voix : Manenc (dissident de gauche) vers Galzy (RN).</span>
<span class="attribution"><span class="source">E.Négrier, J.Audemard</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/470493/original/file-20220623-51813-uodch9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte de la répartition géographique des reports de voix" src="https://images.theconversation.com/files/470493/original/file-20220623-51813-uodch9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/470493/original/file-20220623-51813-uodch9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=538&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/470493/original/file-20220623-51813-uodch9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=538&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/470493/original/file-20220623-51813-uodch9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=538&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/470493/original/file-20220623-51813-uodch9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=676&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/470493/original/file-20220623-51813-uodch9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=676&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/470493/original/file-20220623-51813-uodch9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=676&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte de la répartition géographique des reports de voix : P. Huppé (Ensemble) vers S. Galzy (RN).</span>
<span class="attribution"><span class="source">E.Négrier, J.Audemard</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Nos trois cartes indiquent la répartition géographique, à l’échelle des communes de la circonscription, des reports de voix estimés des électeurs d’A. Manenc vers P. Polard et S. Galzy, ainsi que ceux des électeurs de P. Huppé vers S. Galzy.</p>
<h2>Deux facteurs pour comprendre les reports</h2>
<p>La victoire de la candidate RN s’interprète ainsi comme l’addition de deux facteurs.</p>
<p>Premièrement, l’imparfait report de voix du candidat dissident vers le représentant de la Nupes, estimé en moyenne à 42,5 % au sein de la circonscription. Deuxièmement, les reports de voix importants dont elle bénéficie auprès de l’électorat Renaissance (48,1 %), particulièrement marqué à droite dans une circonscription où le candidat LR n’obtient que 2,8 % des voix au premier tour, et où le candidat de Reconquête ! ne dépasse pas les 5 % (4,3 %).</p>
<p>Mais il est également intéressant de constater que les reports estimés du candidat RDG vers la candidate RN ne sont pas négligeables non plus (20,3 % en moyenne). Il est difficile de ne pas analyser ces résultats comme la conséquence, en plus des spécificités socio-territoriales de la circonscription, des hésitations du président du conseil départemental à appeler au vote en faveur du candidat de la Nupes. Dans ce contexte, la candidate et désormais élue RN a de fait bénéficié d’une reconnaissance institutionnelle, a minima par défaut.</p>
<p>Un autre résultat suggéré par les estimations de notre modèle, dont nous ne ferons que citer les chiffres ici, concerne la volatilité différentielle des électorats Nupes et RN dans cette circonscription.</p>
<p>Si la candidate RN conserve en moyenne semble-t-il près de 80 % de son électorat d’un tour à l’autre des élections, le candidat Nupes ne fidélise que 62,7 % de son électorat du premier tour, dont près d’un tiers (27,8 %) s’abstient au second. Si cet écart tient sans doute, là encore, à des effets de contexte local – 75 % l’électorat de Pierre Polard maintient son vote au second tour à Capestang, commune dont il est le maire, ainsi que dans les communes alentour – il peut s’analyser comme un élément de preuve supplémentaire de l’enracinement du vote RN dans la circonscription.</p>
<p>S’ils doivent s’appréhender à l’aune des spécificités sociopolitiques propres à l’ancienne région Languedoc-Roussillon, les résultats présentés ici sont sans doute le marqueur d’un phénomène plus large d’accélération de la légitimation du RN au sein du paysage politique français, au travers à la fois de l’enracinement de son vote et de sa reconnaissance de fait en tant qu’offre ordinaire par les autres acteurs du jeu électoral.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185660/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les résultats des élections législatives en Occitanie sont sans doute le marqueur d’un phénomène plus large d’accélération de la légitimation du RN au sein du paysage politique français.Emmanuel Négrier, Directeur de recherche CNRS en science politique au CEPEL, Université de Montpellier, Université de MontpellierJulien Audemard, Associate research scientistLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1821772022-05-23T19:59:02Z2022-05-23T19:59:02ZL’élite « de l’anti-élitisme », un paradoxe français<p>Les résultats de l’élection présidentielle ont amené de <a href="https://theconversation.com/la-reelection-demmanuel-macron-une-victoire-en-trompe-loeil-181841">nombreux observateurs</a> à penser que la France serait divisée en trois pôles : un centre de gouvernement, une droite regroupant ses courants conservateurs et extrémistes et une gauche majoritairement ralliée à son pôle radical.</p>
<p>Les variables de la sociologie électorale, l’abstentionnisme, le clivage entre générations ou <a href="https://theconversation.com/portrait-s-de-france-s-campagnes-en-tension-170041">modes de vie</a> expliquent qu’il ne s’agit pas d’une simple répétition du scénario de 2017. En effet, la crise des « gilets jaunes » et celle du Covid-19 ont accentué le <a href="https://www.cairn.info/pourquoi-detestons-nous-autant-nos-politiques--9782724620108.htm">sentiment de « détestation »</a> des hommes et des femmes politiques représentant les partis de gouvernement. <a href="https://theconversation.com/pourquoi-certains-adorent-detester-emmanuel-macron-178665">Emmanuel Macron</a> incarne particulièrement bien cette détestation.</p>
<h2>Vers un alignement des discours contre les « élites » ?</h2>
<p>Peu parmi ces analystes ont cependant souligné la victoire sans précédent des <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-presidentielle-le-triomphe-des-elites-anti-elite-1402397">candidatures se revendiquant comme anti-élitiste</a>.</p>
<p>Le terme « élite » vient du verbe <em>eligere</em> (« choisir »), terme latin en usage en France dès le XII<sup>e</sup> siècle. À l’époque contemporaine, « élite » et « élitisme » désignent dans la communauté des hommes un certain nombre de personnes « élues » destinées à diriger les non-« élues » en y associant la notion de mérite. Par opposition à l’aristocratisme, l’élitisme a une <a href="https://www.cairn.info/sociologie-politique-des-elites--9782200268534.htm">connotation sociale et politique positive</a>. L’anti-élitisme est une critique radicale de cette conception. Aujourd’hui appliqué à la vie politique, il se traduit par une remise en question du caractère « méritocratique » de la compétence donc la légitimité des <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2012-1-page-85.htm">élites de la démocratie représentative</a>.</p>
<p>Nous qualifions ainsi les candidats ayant mobilisé durant la campagne la rhétorique de l’anti-élitisme. L’extrême droite, <a href="https://twitter.com/ZemmourEric/status/1483899993530552322">Éric Zemmour</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9HZylDRkqsc">Marine Le Pen</a>, la droite souverainiste, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=TgR2vV2-PrA">Nicolas Dupont-Aignan</a>, <a href="https://www.franceinter.fr/politique/vaccin-cia-ombres-au-pouvoir-la-facette-conspirationniste-du-candidat-jean-lassalle">Jean Lassalle</a> mais aussi les candidats de la gauche radicale, <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm">Jean-Luc Mélenchon</a>, <a href="https://www.cultura.com/p-un-ouvrier-c-est-la-pour-fermer-sa-gueule-interdit-d-election-presidentielle-9782845974418.html">Philippe Poutou</a> ou encore <a href="https://www.bienpublic.com/elections/2022/04/10/nathalie-arthaud-votera-blanc-au-second-tour-fustigeant-deux-ennemis-mortels-pour-les-travailleurs">Nathalie Artaud</a> ont vilipendé le pouvoir de « l’oligarchie », des « puissants », de la « finance », de la « caste », de « ceux d’en haut », etc.</p>
<p>Les candidats ayant mobilisée cette rhétorique au premier tour des élections présidentielles entre 2012 et 2022 ont obtenu un nombre de voix en constante progression : <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-presidentielle-le-triomphe-des-elites-anti-elite-1402397">33 % en 2012 ; 49,8 % : 2017 ; 61,1 % en 2022</a>. Si on ne peut pas vraiment faire de lien de causalité entre cette rhétorique et ces scores, on peut supposer que cette rhétorique n’a pas choqué les électeurs au point de les dissuader de porter leur voix sur ces candidats.</p>
<h2>Une rhétorique contre la démocratie représentative</h2>
<p>Cette <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm">rhétorique anti-élitiste</a> – relayée par les leaders populistes depuis plus d’une décennie – transcende le clivage droite-gauche.</p>
<p>Comme souligne <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070749690-la-faute-aux-elites-jacques-julliard/">Jacques Julliard</a> le mouvement social de 1995 a été le moment historique qui a fait de la rhétorique anti-élitiste « l’un des topos obligatoires du discours politique ». Il n’a cessé depuis de devenir central pour les styles discursifs les plus radicaux de droite mais aussi de plus en plus de gauche, en particulier de <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm"><em>La France insoumise</em></a>. <a href="https://www.puf.com/content/Cabinet_de_curiosit%C3%A9s_sociales_0">Gérald Bronner</a> rappelle que même des professionnels de la politique pourtant plus modérés ne rechignent pas à faire usage de cette figure de la <a href="https://www.huffingtonpost.fr/gerald-bronner/demagogie-cognitive-information_b_6089800.html">« démagogie cognitive »</a>. Chacun se souviendra du « mon adversaire c’est le monde de la finance ! » <a href="https://www.lemonde.fr/blog/luipresident/2017/05/13/mon-adversaire-cest-le-monde-de-la-finance-quel-bilan-pour-francois-hollande/">lancé</a> par François Hollande lors de la campagne électorale de 2012. Dans ce contexte, les arguments rationnels perdent droit de cité puisque même ceux qui doivent les porter s’en débarrassent au nom de la rentabilité électorale.</p>
<p>Dans cette perspective, l’oligarchie <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm">« des riches, la caste des politiciens »</a> et les technocrates de <a href="https://frontpopulaire.fr/p/revue%20N%C2%B02">« l’État profond (français ou bruxellois) »</a> <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2012-1-page-110.htm">doivent partir</a>. Cet appel à se débarrasser de l’élite est consubstantiel à la division du monde entre le (bon) peuple et la (méchante) élite. Le bien ne doit-il pas naturellement chasser le mal. Relevant habituellement du bagage conceptuel de l’extrême droite, cette réduction du combat politique à des catégories religieuses a aussi été théorisée par la gauche dite « radicale ».</p>
<p>La philosophe Chantal Mouffe appelle, ainsi, à la répudiation de la raison, fondement de la démocratie libérale, au profit de l’<a href="https://www.albin-michel.fr/pour-un-populisme-de-gauche-9782226435293">« énergie libidinale »</a>. Elle propose de « mobiliser » cette énergie « malléable » contre l’oligarchie afin de « construire » le « peuple ». Dans cette perspective, les émotions et les affects devront se traduire par le rejet, comme le suggère le député François Ruffin, <a href="https://www.courrier-picard.fr/art/167978/article/2019-02-24/ruffin-lanti-macron-ce-rejet-physique-visceral-nous-sommes-des-millions">« physique et viscéral »</a> de l’élite.</p>
<p>De surcroît, l’anti-élitisme est présenté comme discours politique permettant de <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2012-1-page-85.htm">« sauver » la démocratie</a>. Pour ses promoteurs, l’élitisme contemporain contrarierait l’imaginaire égalitaire et occulterait les grands projets d’émancipation au profit de la mondialisation néolibérale.</p>
<h2>La mobilisation du déclin des « grands récits »</h2>
<p>Cet anti-élitisme puise sa force dans un contexte de <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-faute-aux-elites-9782070407569.html">déclin des « grands récits »</a> (libéralisme, socialisme, etc.) et est aujourd’hui aisément récupéré par les tenants d’une critique de la démocratie représentative. Ce carburant idéologique des mouvements sociaux étêtés, tels que celui des « gilets jaunes », permet de mobiliser un électorat toujours plus large autour d’un prétendu clivage entre <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/18867/bloc-contre-bloc">« bloc élitaire » et « bloc populaire »</a>.</p>
<p>Le raisonnement de ces pourfendeurs de « l’oligarchie » repose sur une « terrible simplification » : le mythe de l’existence d’une élite « Consciente, Cohérente et Conspirante » (<a href="https://www.goodreads.com/book/show/3917666-the-myth-of-the-ruling-class">modèle de « 3 C</a> ») critiqué par James Meisel en raison de la déformation de la théorie de <a href="http://davidmhart.com/liberty/ClassAnalysis/Books/Mosca_RulingClass1939.pdf"><em>la classe dirigeante</em></a> de Gaetano Mosca. En effet, ce raccourci facilite l’association de tout type de médiation élitaire avec les théories complotistes.</p>
<p>Dans la stratégie discursive populiste, l’idée d’une élite unifiée maximisant ses intérêts concurrence fortement celle – plus en cohérence avec le pluralisme démocratique – d’une multiplicité de groupes élitaires en <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0010414013512600">compétition pour le pouvoir politique, religieux social et économique</a>.</p>
<p>Aux États-Unis, depuis l’administration de Georges Bush jr., des travaux ont évoqué le rôle d’une <a href="https://www.basicbooks.com/titles/janine-r-wedel/shadow-elite/9780465020843/">« élite de l’ombre »</a> (<em>shadow elite</em>) qui aurait favorisé la deuxième guerre du Golfe. Toutefois, la démonstration de l’interpénétration des réseaux néoconservateurs et l’administration des affaires étrangères, repose sur un travail dont la <a href="https://www.jstor.org/stable/41275203 ?seq=1">scientificité est discutable</a>. Une recherche, plus solide empiriquement, a ainsi démontré que, dans le cas de la <a href="https://www.cairn.info/gouverner-a-l-abri-des-regards%20--%209782724626254.htm">réforme de l’assurance maladie</a>, les groupes d’intérêts (<em>big pharma</em>, compagnies d’assurance, etc.) n’ont pas joué un tel rôle auprès de l’administration Obama. Pourtant, malgré le déficit de preuve, le mythe d’une élite omnipotente influençant l’ensemble des décisions démocratiques persiste. Dans un contexte de crise de confiance <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/CEVIPOF_confiance_10ans_CHEURFA_CHANVRIL_2019.pdf">à l’égard des gouvernants</a>, il renforce la croyance dans l’antiélitisme.</p>
<h2>L’élite de l’anti-élitisme : une autre oligarchie ?</h2>
<p>En poussant ce raisonnement sociologique, on pourrait établir que certains leaders mobilisant la rhétorique antiélitiste forment aussi une élite. Le diplomate britannique et ancien ministre conservateur, Georges Walden, la naissance d’une « caste supérieure de l’élite anti-élite » <a href="https://www.newstatesman.com/uncategorized/2020/09/boris-johnson-dominic-cummings-anti-elite-populists-power">(upper-caste elite of anti-elitists</a>) composée d’individus issus de milieux sociaux très privilégiés à l’image des premiers ministres David Cameron et de Boris Johnson. Tous deux issus sont les produits du cursus élitiste <a href="https://etudiant.lefigaro.fr/international/etudier-a-l-etranger/detail/article/a-eton-sont-forgees-les-elites-britanniques0-3814/">Eton</a>-Oxford.</p>
<p>En France, l’élite anti-élite se caractérise par son profil de <a href="https://books.google.fr/books/about/Les_professionnels_de_la_politique.html ?id=27YgAQAAMAAJ&redir_esc=y"><em>professionnel de la politique</em></a>. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon en constituent des exemples emblématiques comme le montrent leur carrière et leur leadership partisan. La première est une « héritière politique » entrée dans la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Marine_Le_Pen">carrière</a> dès l’âge de 18 ans, avant de gravir tous les échelons du <em>Front national</em> avant de se présenter aux élections présidentielles depuis 2012. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Luc_M %C3 %A9lenchon">Le second</a> est un « produit de la méritocratie » à la française, obtenant son CAPES en lettres modernes et intégrant en même temps le Parti socialiste en 1976.</p>
<p>Il a cumulé au cours de sa longue carrière politique les fonctions électives entre autres de député, de sénateur, de député européen et la fonction exécutive de ministre délégué à l’enseignement professionnel (2000-2002). Depuis la création de son propre parti (Le Parti de Gauche en 2008 devenu en 2016 la France insoumise), il s’est lui aussi présenté à trois reprises aux élections présidentielles. Par ailleurs, tous deux ont imposé un leadership incontesté sur leur parti politique comme en témoignent leur réélection continue à la direction. Cette main de fer sur l’organisation illustre la <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2015/07/02/politique-la-loi-d-airain-de-l-oligarchie_4667090_3260.html">loi d’airain de l’oligarchie</a> chère à Roberto Michels.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/qui-sont-les-deputes-francais%20--%209782724610307.htm">Les critères de la sociologie des élites</a>, à savoir l’origine sociale, la formation, la trajectoire professionnelle, la durée de la carrière politique, cumul et le type des mandats, montrent, sans surprise, le peu de distance les séparant de celles et ceux qu’ils dénoncent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182177/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohammad-Saïd Darviche est membre de l'Association française de science politique. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>William Genieys ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment comprendre la victoire sans précédent des candidatures se revendiquant comme anti-élitiste ?William Genieys, Directeur de recherche CNRS au CEE, Sciences Po Mohammad-Saïd Darviche, Maître de conférences, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1829772022-05-18T18:06:50Z2022-05-18T18:06:50ZL’extrême droite, premier courant politique français ?<p>Avec 32,28 % des suffrages exprimés lors du 1<sup>er</sup> tour de l’élection présidentielle de 2022 (en additionnant les votes qui se sont portés sur Marine Le Pen, sur Eric Zemmour et sur Nicolas Dupont-Aignan), l’extrême droite française est mathématiquement apparue comme le courant politique dominant en France.</p>
<p>Ce résultat et cette forte progression électorale de la droite nationale identitaire peuvent étonner quand on se souvient qu’il y a seulement 20 ans, en 2002, l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle avait donné lieu à une mobilisation et à des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=EBr73gzor4s">manifestations d’opposition contre l’extrême droite sans précédent</a>.</p>
<p>Certaines questions viennent donc logiquement à l’esprit : la détestation et le rejet de l’extrême droite de l’après-guerre ont-ils laissé place à une communauté nationale en phase avec ses idées et ses convictions ? Y a-t-il véritablement plus de 30 % des électeurs en France qui adhèrent aux idées de la droite nationale et identitaire ? Quels sont les profils et les motivations des électeurs qui soutiennent leurs représentants ?</p>
<h2>Le poids de l’histoire</h2>
<p>L’histoire de l’extrême droite en France dans la seconde partie du XX<sup>e</sup> siècle est fortement marquée par le rejet qu’a connu cette mouvance politique suite à la Seconde Guerre mondiale. Symbole des périodes de collaboration du régime de Vichy et de l’occupation du régime nazi allemand, la droite nationale identitaire va se retrouver associée aux atrocités perpétrées pendant cette période, en particulier le génocide juif.</p>
<p>Par la suite, la défense de l’Algérie française et les exactions de l’Organisation armée secrète (OAS) lors du conflit qui aboutit à l’indépendance de l’Algérie en 1962 ne font que renforcer cette mise à l’écart de toute représentation politique visible.</p>
<p>Jusqu’aux <a href="https://www.liberation.fr/france/2019/05/08/1984-la-france-decouvre-le-fn_1725759/">premiers succès du Front national dans les années 80</a>, les idées d’extrême droite vont donc rester très largement minoritaires dans l’opinion publique et seuls des personnages comme <a href="https://www.cairn.info/le-mouvement-poujade--9782724610062.htm">Pierre Poujade</a>, petit commerçant devenu fer de lance d’un discours populiste anti-système et anti-parlementaire dans les années 50, ou <a href="https://youtu.be/CNfL1swW6q4">Jean-Louis Tixier-Vignancour</a>, candidat de l’extrême droite, défenseur de l’Algérie française, arrivé 4<sup>e</sup> à l’élection présidentielle de 1965 avec 5,20 % des suffrages, donneront de la visibilité et de l’écho à certains éléments du discours d’extrême droite.</p>
<p>Le <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/vincent-duclert-le-recit-national-permet-de-surmonter-les-ruptures_1747995.html">récit national</a> élaboré au sortir de la Seconde Guerre mondiale et inspiré par le général De Gaulle et la Résistance véhicule l’idée que la France a été la victime collatérale de la montée du fascisme italien et du national-socialisme allemand. De ce fait, il passe en grande partie sous silence la réalité des racines de l’extrême droite en France et la diversité de ses courants et des familles qui constituent, encore aujourd’hui, la base électorale du Rassemblement national et de Reconquête !</p>
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<img alt="Portrait de Charles Maurras, 1937" src="https://images.theconversation.com/files/463606/original/file-20220517-15-t412xf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463606/original/file-20220517-15-t412xf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=893&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463606/original/file-20220517-15-t412xf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=893&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463606/original/file-20220517-15-t412xf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=893&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463606/original/file-20220517-15-t412xf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1123&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463606/original/file-20220517-15-t412xf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1123&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463606/original/file-20220517-15-t412xf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1123&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Charles Maurras, soutien du régime de Vichy et référence idéologique d’Eric Zemmour.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span></span>
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<p>Pour faire simple et schématiser, on peut distinguer deux grands courants avant que la guerre n’éclate. Celui inspiré par les idées de Charles Maurras et de l’Action française et qui regroupe notamment catholiques et royalistes. Ce courant va soutenir l’accession au pouvoir du Maréchal Pétain que Maurras qualifie de <a href="https://www.cairn.info/touvier-un-milicien-a-l-ombre-de-l-eglise--9782855655130-page-37.htm">« divine surprise »</a>. Et un courant fasciste proprement français, qui se développe parallèlement à ce qui se passe en Italie et en Allemagne, et qui est à l’origine des ligues d’extrême droite les plus violentes de l’entre-deux-guerres. Lors de la période d’Occupation, ce courant va activement soutenir l’Allemagne nazie en prenant part aux formes les plus poussées de collaboration et de répression.</p>
<h2>Élargissement au-delà des courants historiques</h2>
<p>Ces deux courants ne sont pas des blocs monolithiques et l’extrême droite française est aujourd’hui encore constituée de <a href="https://books.google.fr/books/about/Histoire_de_l_extr%C3%AAme_droite_en_France.html?id=MQY5jgEACAAJ">courants et de famille hétérogènes</a> (catholiques, royalistes, néofascistes, nationalistes, poujadistes, lepénistes…) qui s’entrecroisent et s’unissent parfois en fonction des circonstances… mais qui sont aussi souvent en opposition.</p>
<p>Aujourd’hui, on retrouve logiquement parmi les électeurs de Marine Le Pen, d’Eric Zemmour ou de Nicolas Dupont-Aignan, des personnes en lien avec ces mouvements et se revendiquant de ces différentes familles idéologiques. Mais au-delà de cette base électorale historique, de nouveaux profils d’électeurs, originellement éloignés des thèses nationalistes et des cercles d’extrême droite, sont apparus.</p>
<p>D’abord parce que le souvenir de la guerre s’éloigne et que des générations qui ne l’ont pas connue et qui n’ont pas de réticence particulière à l’égard des idées d’extrême droite sont aujourd’hui en âge de voter. Ensuite parce qu’en dehors de la gestion de quelques entités locales, l’extrême droite n’a jusqu’à présent jamais accédé à des responsabilités nationales et peut donc jouer sur la critique des partis de gouvernement. Enfin parce que le monde a évolué et fait aujourd’hui face à des problématiques démographiques, énergétiques ou de mobilité (pour n’en citer que quelques-unes) qui dépassent le clivage droite/gauche classique qui a servi de grille de lecture depuis l’après-guerre.</p>
<h2>Nouveau clivage pour le RN : patriotes vs mondialistes</h2>
<p>La campagne présidentielle de Marine Le Pen fait écho à ce dernier point. Dans la droite ligne de sa stratégie de normalisation (ou de <a href="https://www.cairn.info/les-faux-semblants-du-front-national--9782724618105-page-25.htm?contenu=article">dédiabolisation</a> comme l’ont eux-mêmes qualifiée les stratèges du parti frontiste) menée depuis son accession à la présidence du parti créé par son père, Marine Le Pen n’a pas revendiqué un positionnement de droite et a joué la carte d’une opposition entre les mondialistes, symbolisés par Emmanuel Macron, et les <a href="https://atlantico.fr/article/decryptage/le-mondialisme-contre-la-nation-et-si-marine-le-pen-se-trompait-de-critere-pour-2022-christophe-boutin">patriotes et souverainistes</a>, dont elle défendrait les intérêts. Elle a également mis l’accent sur les questions de pouvoir d’achat.</p>
<p>Avec cette stratégie et ce discours, elle est parvenue à attirer les personnes qui se sentent aujourd’hui oubliées et menacées par une société cosmopolite et mondialisée. Beaucoup de ces personnes ne font pas partie du noyau idéologique de l’extrême droite française et vivent souvent hors des grandes villes comme le montre bien la <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/infographies-macron-dans-les-metropoles-melenchon-dans-les-quartiers-populaires-le-pen-dans-les-campagnes-visualisez-la-france-du-premier-tour-de-la-presidentielle_5083663.html">carte électorale du 1ᵉʳ tour de l’élection</a>. Ils estiment être les perdants et les victimes des mesures mises en place pour lutter contre le réchauffement climatique, pour contrer les variations des prix provoquées par la mondialisation des échanges ou pour venir en aide aux migrants.</p>
<h2>L’Union des Droites d’Eric Zemmour et de Reconquête !</h2>
<p>La stratégie d’Eric Zemmour a été très différente. Son discours s’est construit autour de deux grands axes.</p>
<p>D’abord autour de la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/11/03/la-theorie-complotiste-du-grand-remplacement-chemine-avec-eric-zemmour_6100783_823448.html">théorie du grand remplacement</a> aboutissant à la dénonciation des problèmes liés aux politiques migratoires. Ce discours, qui fait écho au positionnement historique du Rassemblement national, lui a permis de séduire les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/03/12/fn-nouveau-look-pour-une-meme-vie_5269355_823448.html">déçus</a> de l’approche plus policée mise en place par Marine Le Pen.</p>
<p>Ensuite, autour d’une <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/marine-le-pen/presidentielle-eric-zemmour-est-credible-dans-cette-histoire-d-union-des-droites-selon-un-expert-de-la-fondation-jean-jaures_4926879.html">Union des Droites</a> renvoyant à un clivage droite/gauche assumé et revendiqué. Grâce à cette approche, Reconquête ! est parvenu à toucher une audience plus large que l’électorat historique de la droite nationale identitaire issu du parti lepéniste.</p>
<p>La dénonciation des supposés excès liés aux nouveaux phénomènes migratoires actuels a attiré des personnes qui n’étaient originellement pas particulièrement hostiles à l’immigration quand elle concernait des populations de pays proches ou ayant une histoire ou une religion communes à la France. Ces nouveaux électeurs s’inquiètent de l’arrivée massive de personnes plus éloignées de la culture hexagonale. Ils pensent souvent que cette forme d’immigration est désormais largement subie et incontrôlée et que le système de l’État Providence français n’est pas en capacité d’absorber ces nouveaux flux.</p>
<p>La volonté d’Eric Zemmour d’unir l’ensemble des droites françaises a aussi séduit une frange d’électeurs qui, à l’image par exemple de <a href="https://www.bfmtv.com/politique/presidentielle-guillaume-peltier-nomme-vice-president-du-parti-reconquete-d-eric-zemmour_AN-202201100499.html">Guillaume Peltier</a> qui a quitté Les Républicains pour rejoindre Reconquête ! revendique le retour d’une droite assumée et décomplexée. Un positionnement qui fait écho au célèbre discours de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2007/04/30/le-discours-de-nicolas-sarkozy-sur-mai-68-une-demarche-de-reaction-selon-le-ps_903885_3224.html">Nicolas Sarkozy</a> lors de la campagne présidentielle de 2007, qui dénonçait une société française culturellement prisonnière de l’esprit de mai 68 et dominée par les idéologies de gauche.</p>
<p>Il semble donc exagéré d’affirmer que tous les électeurs qui ont voté pour des candidats d’extrême droite lors du premier tour de l’élection présidentielle adhèrent sans retenue aux idées et aux principes fondamentaux sur lesquels s’est développée la droite nationale identitaire. En réalité, le noyau dur des vrais fidèles n’a sans doute pas beaucoup grossi. Mais le monde a changé et les problématiques actuelles, en lien notamment avec la mondialisation, donnent très certainement un plus large écho à certaines solutions proposées par ses représentants.</p>
<p>Le succès du « mouvement présidentiel » et de la Nouvelle Union Populaire écologique et sociale (NUPES), les <a href="https://twitter.com/JLMelenchon/status/1517214843014680576">deux autres blocs</a> politiques actuels de la scène politique française, semble fortement lié à la personnalité et au charisme de leurs leaders respectifs. Le phénomène de vases communicants entre les électorats de Marine Le Pen et d’Eric Zemmour, dont le résultat final additionné dépasse les 30 %, comme tous les sondages l’avaient systématiquement anticipé, a semblé au contraire témoigner d’une réserve de voix fidélisée et peu volatile.</p>
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<p>Force est pourtant de constater que la discrétion de Marine Le Pen suite au second tour de l’élection présidentielle et l’incapacité de Reconquête ! et du Rassemblement national à s’unir, ont laissé un espace dont s’est emparé la Nupes pour se positionner comme le principal courant d’opposition au président réélu. Dans ces conditions, et si on ajoute une abstention vraisemblablement élevée, il est peu probable que l’audience de ces deux partis acquise au premier tour de l’élection présidentielle se retrouve dans les résultats des élections législatives de juin.</p>
<p>Alors que, depuis plus de trente ans, les différents élus et gouvernants français promettent de faire reculer l’extrême droite <a href="https://www.youtube.com/watch?v=DicFhGaHydU">sans jamais y parvenir</a>, on ne peut pourtant que constater l’influence grandissante de la droite nationale et identitaire sur un modèle républicain français, souvent critiqué… mais sur lequel s’est pourtant construite et développée la France depuis l’après-guerre jusqu’à nos jours.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182977/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis trente ans, les élus et gouvernants promettent de faire reculer l’extrême droite. Pourtant, l’influence de la droite nationale et identitaire ne cesse de croitre.Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1826152022-05-18T18:00:37Z2022-05-18T18:00:37ZD’une extrême droite à l’autre : géographie des votes Zemmour et Le Pen<p>L’élection présidentielle qui s’est achevée le 24 avril dernier a vu la participation simultanée de deux formations politiques d’« extrême droite ». Éric Zemmour (candidat de Reconquête) est ainsi arrivé en quatrième position avec 7,07 % des suffrages exprimés tandis que Marine Le Pen (candidate du RN) s’est qualifiée pour le second tour avec un score de 23,15 % des suffrages exprimés. Dans un contexte général de montée de l’extrême droite à travers l’Occident, cette mouvance pèserait désormais en France environ le tiers des suffrages exprimés.</p>
<p>Pourtant, la comparaison des structures géographiques au 1<sup>er</sup> tour des deux courants politiques censés composer ce « bloc d’extrême droite » montre que cette association est à nuancer.</p>
<p>Les géographies d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen semblent différentes. La géographie d’Éric Zemmour, tout d’abord, ressemble de façon étonnante à celle du Front national originel, celui de Jean-Marie Le Pen dans les années 1980. Visualisée à l’échelle régionale, on retrouve un <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00849332">gradient ouest-est prononcé</a>. Le vote Zemmour est supérieur à sa moyenne nationale dans la France de l’Est.</p>
<p>Cette France historiquement urbanisée, industrialisée et concernée par l’immigration, identifiée du temps de Le Pen père comme la partie est d’un axe Le Havre-Perpignan, s’oppose à une France de l’Ouest historiquement plus rurale, moins dense et davantage marquée par la <a href="https://www.persee.fr/doc/espos_0755-7809_2003_num_21_3_2098">culture démocrate-chrétienne</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption">Figure 1 : Vote Zemmour par région ( % des suffrages exprimés).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ministère de l’Intérieur, Observatoire des votes en France</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce gradient ouest-est est ensuite complété par des zones de force régionales typiques du <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00849332">FN historique</a> : le pourtour méditerranéen, la région lyonnaise, l’Île-de-France et à un niveau moindre la Lorraine, l’Alsace et la Bourgogne.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/463406/original/file-20220516-19-bbvezx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463406/original/file-20220516-19-bbvezx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463406/original/file-20220516-19-bbvezx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463406/original/file-20220516-19-bbvezx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463406/original/file-20220516-19-bbvezx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463406/original/file-20220516-19-bbvezx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463406/original/file-20220516-19-bbvezx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463406/original/file-20220516-19-bbvezx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 2 : Vote Zemmour par commune ( % des suffrages exprimés).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ministère de l’Intérieur, Observatoire des votes en France</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un vote Zemmour fort dans le cœur urbain</h2>
<p>À l’échelle plus fine des communes, une autre caractéristique du vote Zemmour se repère, typique du FN des années 1980 : le vote Zemmour est au-dessus de sa moyenne nationale dans le cœur du monde urbain français, c’est-à-dire à Paris (8,2 % des suffrages exprimés), Lyon (7,6 % des s.e.) et Marseille (11,1 % des s.e.). Il est aussi fort dans des centres urbains du sud comme Toulon (13,7 % des s.e.), Nice (14,3 % des s.e.) et Cannes (17,3 % des s.e.). Par contre, il est clairement absent des grandes villes universitaires comme Grenoble (5,4 % des s.e.) ou Clermont-Ferrand (5,9 % des s.e.).</p>
<p>Un zoom sur l’Île-de-France, où le vote MLP est très faible (5,5 % des s.e.), aide à suggérer les ressorts du vote urbain pour Zemmour. D’une part, même si la tendance majoritaire est au vote Mélenchon, certaines banlieues de l’Est francilien populaire, comme Créteil (7,5 % des s.e.), ont placé Éric Zemmour a un score supérieur à sa moyenne nationale. D’autre part, dans l’ouest francilien bourgeois, le vote Zemmour est également fort (Yvelines et Hauts-de-Seine).</p>
<p>Des analyses encore plus fines menées à l’échelle des bureaux de vote dans le Paris intra-muros ont même montré que le vote Zemmour est fort dans certains bureaux des « beaux quartiers », où il dépasse les <a href="https://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/macron-melenchon-le-pen-zemmour-ou-vivre-a-paris-selon-son-bord-politique-notre-carte-exclusive-21-04-2022-6BWFLZWBSBAX7NI553E4ZL7WGM.php">20 % des suffrages exprimés</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/463407/original/file-20220516-11-t97dpl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463407/original/file-20220516-11-t97dpl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463407/original/file-20220516-11-t97dpl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463407/original/file-20220516-11-t97dpl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463407/original/file-20220516-11-t97dpl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463407/original/file-20220516-11-t97dpl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463407/original/file-20220516-11-t97dpl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463407/original/file-20220516-11-t97dpl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 3 : Vote Zemmour en Île-de-France par commune ( % des suffrages exprimés).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ministère de l’Intérieur, Observatoire des votes en France</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Quelle géographie pour le RN ?</h2>
<p>Quant à la géographie du RN, elle s’organise d’abord sur une base régionale marquée schématiquement par ses deux traditionnelles zones de force : le littoral méditerranéen et la France historiquement industrielle du Nord et de l’Est, dans laquelle s’ancre le RN <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2003-4-page-513.htm">depuis la fin des années 1990</a> et où Zemmour est faible, surtout dans les Hauts-de-France.</p>
<p>La science politique a noté ce caractère dual du RN, repéré <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2019-2-page-223.htm">dès la présidentielle de 1995</a> et opposant un RN du Nord porté par certains segments des classes populaires dans des territoires de vieille industrie où les structures d’encadrement de la gauche <a href="https://journals.openedition.org/echogeo/20473">se sont affaiblies</a> à un RN du Sud porté par des classes moyennes, notamment des artisans et des commerçants.</p>
<p>Cependant, la concurrence de Zemmour pourrait avoir eu comme effet d’amoindrir cette dualité. En effet, en visualisant la variation du score RN entre 2017 et 2022 à l’échelle régionale, il apparaît que ses pertes les plus fortes se localisent en PACA et en Corse, alors que le RN renforce légèrement sa présence dans un vaste cadran nord-est où seul lui résiste l’Île-de-France (si l’on fait exception du Grand Est où il baisse un peu). Le <a href="https://theconversation.com/une-maree-bleu-marine-plongee-dans-lelection-presidentielle-du-bassin-minier-du-nord-pas-de-calais-182307">caractère nordiste</a> du RN est donc légèrement plus prononcé en 2022.</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-maree-bleu-marine-plongee-dans-lelection-presidentielle-du-bassin-minier-du-nord-pas-de-calais-182307">Une marée bleu Marine ? Plongée dans l’élection présidentielle du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais</a>
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<h2>Une géographie « périphérique » ?</h2>
<p>À côté de cette géographie régionale, existe une géographie que l’on qualifiera ici de « périphérique ». À l’échelle communale, se distinguent nettement les grandes villes françaises (les métropoles comme Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, etc. et les villes de second rang comme Poitiers, Dijon, Metz, etc.), foyers de résistance face à leurs périphéries où le vote RN est fort. Ce clivage centre-périphérie, encore à éclaircir, (publication à venir à l’automne 2022), imputé parfois à la métropolisation du <a href="https://www.cairn.info/la-france-peripherique--9782081347519.htm">territoire français</a>, parfois à la <a href="https://www.espacestemps.net/articles/vote-et-gradient-urbanite/">périurbanisation</a>, semble lié en partie au contenu social des périphéries des grandes villes. Ces périphéries concentreraient des classes populaires, notamment ouvrières, autrefois présentes dans les centres urbains qu’elles auraient quittées <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre-atlas-des-nouvelles-fractures-sociales-en-france-de-christophe-noye.html">pour diverses raisons</a> (gentrification, insécurité, prix de l’immobilier).</p>
<p>Dans ce cas, relégation spatiale et relégation sociale se combineraient pour produire un vote RN fort.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/462040/original/file-20220509-17-q9p55o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/462040/original/file-20220509-17-q9p55o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462040/original/file-20220509-17-q9p55o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462040/original/file-20220509-17-q9p55o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462040/original/file-20220509-17-q9p55o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462040/original/file-20220509-17-q9p55o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462040/original/file-20220509-17-q9p55o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462040/original/file-20220509-17-q9p55o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 4 : Vote Le Pen par commune ( % des suffrages exprimés).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ministère de l’Intérieur, Observatoire des votes en France</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’ouest de la France voit la plus forte progression du vote RN</h2>
<p>Enfin, l’ouest de la France, hermétique au vote Zemmour, voit la plus forte progression du vote RN entre 2017 et 2022. Le vote RN se rééquilibre donc entre les régions. La tendance est donc à un léger renforcement de la géographie périphérique.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/462043/original/file-20220509-13-2wk01a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/462043/original/file-20220509-13-2wk01a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462043/original/file-20220509-13-2wk01a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=651&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462043/original/file-20220509-13-2wk01a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=651&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462043/original/file-20220509-13-2wk01a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=651&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462043/original/file-20220509-13-2wk01a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=818&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462043/original/file-20220509-13-2wk01a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=818&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462043/original/file-20220509-13-2wk01a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=818&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 5 : Variation du vote Le Pen entre 2017 et 2022 par région ( % des suffrages exprimés).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ministère de l’Intérieur, Observatoire des votes en France</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En somme, la géographie du RN en 2022 suggère que l’électorat qui porte ce parti est davantage populaire, que ce soient des classes populaires des territoires désindustrialisés du Nord et de l’Est, ou des classes populaires des périphéries des grandes agglomérations. Cette prolétarisation de l’électorat RN est confirmée par les <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-quels-sont-les-profils-des-electeurs-qui-ont-plebiscite-macron-le-pen-melenchon-et-zemmour-au-premier-tour_5075776.html">enquêtes par sondages</a>.</p>
<p>La géographie d’Éric Zemmour suggère à l’inverse que ce dernier a renoué avec certains fondamentaux du vote FN originel : un vote inter-classiste à enjeu sur la question de l’immigration, travaillant des territoires spécifiques comme le pourtour méditerranéen et certaines banlieues de grandes villes, et une radicalisation de certaines franges de la bourgeoisie traditionnelle de droite. Cette suggestion reste à confirmer sur une base plus rigoureuse et chiffrée en comparant les scores électoraux de Zemmour en 2022 à ceux obtenus par Jean-Marie Le Pen lors du scrutin présidentiel de 1988 par exemple.</p>
<h2>Une analyse de la variance</h2>
<p>Ces constats visuels sont précisés par une analyse de la variance. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Analyse_de_la_variance">Cette méthode statistique</a> permet d’estimer le poids de différents découpages géographiques dans les votes Zemmour et Le Pen. Les unités spatiales manipulées sont les communes de France métropolitaine, à laquelle nous nous restreignons. Nous travaillons sur les scores en % d’inscrits afin de neutraliser l’effet de l’abstention. Les données électorales sont pondérées par le nombre d’inscrits dans la commune pour gommer au mieux les effets de taille. Le clivage centre-périphérie est approximé en s’appuyant sur le maillage du territoire métropolitain de l’Insee. Sur cette base, le centre correspond aux 41 plus grandes aires urbaines françaises (12 aires métropolitaines + 29 grandes aires urbaines), qui selon l’Insee constituent l’armature urbaine ancrant la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1280952">France dans la mondialisation</a>.</p>
<p>La périphérie correspond au reste du territoire métropolitain. Ce choix se justifie par le fait que le clivage centre-périphérie ne s’observe pas seulement pour les grandes métropoles mais aussi pour des villes de second rang (Caen, Le Mans, Poitiers, etc.).</p>
<p>Enfin, le gradient ouest-est est construit sur une base départementale en séparant approximativement les départements français en deux groupes à partir de l’axe Le Havre–Perpignan.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463413/original/file-20220516-14-ap3u9v.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463413/original/file-20220516-14-ap3u9v.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=129&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463413/original/file-20220516-14-ap3u9v.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=129&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463413/original/file-20220516-14-ap3u9v.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=129&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463413/original/file-20220516-14-ap3u9v.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=162&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463413/original/file-20220516-14-ap3u9v.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=162&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463413/original/file-20220516-14-ap3u9v.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=162&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Figure 6 : Analyse de la variance du vote Zemmour.</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Luciardi</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463414/original/file-20220516-17-7eb8hy.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463414/original/file-20220516-17-7eb8hy.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463414/original/file-20220516-17-7eb8hy.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463414/original/file-20220516-17-7eb8hy.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463414/original/file-20220516-17-7eb8hy.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=168&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463414/original/file-20220516-17-7eb8hy.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=168&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463414/original/file-20220516-17-7eb8hy.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=168&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Figure 7 : Analyse de la variance du vote Le pen.</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Luciardi</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette analyse de la variance montre d’emblée que les votes Zemmour et Le Pen doivent encore être expliqués par d’autres facteurs (le résidu est de l’ordre de 50 %). Du reste, le gradient ouest-est pèse effectivement très faiblement dans le vote Le Pen (faisant écho à sa progression dans l’Ouest) et le clivage centre-périphérie a un poids probant. Chez Zemmour, c’est l’inverse. Pour les deux candidats, l’échelle régionale est celle qui compte le plus. Cependant, rappelons que l’analyse de variance reste un instrument limité, car le clivage centre-périphérie qui marque le vote RN se fait à des niveaux différents en fonction du contexte régional ou de la taille du centre urbain (plus prononcé pour Paris, moins intense dans le Sud), subtilité que ne capture pas cet instrument.</p>
<p>Ces différences probantes ne signifient pas pour autant une totale absence de convergence entre les deux géographies. Par exemple, la région PACA est clairement une zone de force commune à Eric Zemmour et Marine Le Pen, ce qui pose la question d’un électorat sudiste motivé par le thème de l’immigration et qui a pu tenter le choix Zemmour ou rester fidèle à Le Pen par vote utile.</p>
<h2>Votes Zemmour et Le Pen par taille de commune</h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463415/original/file-20220516-13-ac4dvi.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463415/original/file-20220516-13-ac4dvi.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463415/original/file-20220516-13-ac4dvi.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463415/original/file-20220516-13-ac4dvi.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463415/original/file-20220516-13-ac4dvi.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463415/original/file-20220516-13-ac4dvi.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463415/original/file-20220516-13-ac4dvi.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Figure 8 : votes Zemmour et Le Pen par catégorie de taille de commune (moyenne pondérée).</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Luciardi</span></span>
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</figure>
<p>Le calcul du score moyen des deux candidats par catégorie de taille de commune indique aussi leurs différences de trajectoire. Pour Le Pen, plus l’importance démographique de la commune est faible, plus le score est haut, culminant pour les communes de moins de 2000 habitants, c’est-à-dire les communes définies comme rurales par l’Insee <a href="https://www.insee.fr/fr/information/5360126">jusqu’en 2020</a>. La trajectoire de Zemmour est opposée et ressemble davantage à celle de Jean-Marie Le Pen dans les années 1980 quand ce type de traitement permettait d’appuyer le <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2003-4-page-513.htm">modèle urbain du vote FN</a>. Zemmour est équilibré dans toutes les catégories de commune, mais atteint son maximum pour Paris, Lyon et Marseille.</p>
<p>Cet exercice a cependant ses limites car des communes très différentes sont amalgamées dans les catégories. Par exemple, les catégories « 50 000 à 100 000 habitants » et « plus de 100 000 habitants » agrègent des banlieues de grandes métropoles, comme Saint-Denis où le vote Zemmour est très faible (3,1 % des suffrages exprimés), et des centres urbains importants du Sud, comme Cannes où il performe (17,3 % des suffrages exprimés).</p>
<h2>Une alliance aux législatives ?</h2>
<p>La différenciation des implantations géographiques d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen fournit quelques enseignements pour aborder les élections législatives à venir.</p>
<p>Si Eric Zemmour est fort dans les communes-centres des trois plus grandes métropoles françaises, avec des bons scores dans certains quartiers bourgeois, Marine Le Pen, dont la géographie est davantage périphérique et populaire en 2022, y est faible. La pertinence d’une alliance entre ces deux courants du « bloc d’extrême droite » n’a donc rien de naturel, ni d’automatique.</p>
<p>Seul sur le pourtour méditerranéen, <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/legislatives-dans-le-sud-comment-le-pen-veut-achever-zemmour_2173317.html">aire régionale probante</a> où se rejoignent les deux géographies, la pertinence d’une telle alliance semble claire. Ainsi, le choix récent de la direction du RN de ne pas s’allier à Reconquête, malgré l’appel à l’union lancé par Eric Zemmour, ne s’explique pas seulement par une volonté de « tuer dans l’œuf » ce dernier, mais sans doute aussi par des raisons moins politiciennes et plus profondes.</p>
<p>L’élection présidentielle de 2022 semble avoir un peu plus entériné l’évolution de l’électorat RN commencée dans les années 1990. Cet électorat, toujours plus populaire et périphérique, est désormais motivé par des préoccupations qui hybrident de manière complexe crainte identitaire et peur du déclassement social.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Gilles Van Hamme (Université Libre de Bruxelles, faculté des sciences) et Jean-Michel De Waele (Université Libre de Bruxelles, faculté de philosophie et sciences sociales).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182615/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Luciardi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La comparaison des structures géographiques des votes au premier tour en faveur des deux courants politiques censés composer le « bloc d’extrême droite » montre que cette association est à nuancer.François Luciardi, Doctorant, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1816362022-05-11T18:47:08Z2022-05-11T18:47:08ZSources d’information et orientation politique : ce que nous apprend Twitter<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/458900/original/file-20220420-18-p2mos4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=134%2C0%2C5321%2C3699&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"></span> </figcaption></figure><p>Plusieurs études du discours médiatique ont mis en lumière, par des analyses quantitatives et qualitatives, des soutiens à peine voilés de <a href="https://lesfocusdulcp.wordpress.com/2022/01/26/lelection-presidentielle-2022-vue-par-cyril-hanouna-1-la-pre-campagne-automne-2021/">certains médias envers certains courants politiques</a>. Et si l’on inversait la question ? Bien qu’on ait tendance à considérer, par exemple, qu’un lecteur régulier du Figaro s’oriente politiquement à droite, peut-on établir des corrélations à grande échelle entre choix de sources d’information et orientation politique ?</p>
<p>Des études basées sur des enquêtes d’opinion ont montré notamment la part grandissante des réseaux sociaux dans la diffusion de l’information et le rôle qu’ils jouent dans la formation de l’opinion publique depuis une décennie, à l’image des évolutions observées lors de deux dernières élections aux États-Unis (voir <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/les-effets-des-reseaux-sociaux-dans-les-campagnes-electorales-americaines">ici</a> et <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/les-partis-politiques-sur-les-reseaux-sociaux-un-entre-soi">ici</a>).</p>
<p>Les médias traditionnels ont intégré cette donnée et utilisent les réseaux sociaux en se faisant l’écho des discussions qui y ont lieu mais aussi en y diffusant des informations via des comptes dédiés.</p>
<p>Nous pouvons alors utiliser les données massives que fournissent ces plates-formes pour obtenir, de façon automatique, une cartographie des pratiques d’information en fonction de l’orientation politique des usagers. Nous essayons ainsi de répondre à la question « Qui lit/écoute/regarde quoi ? » en fonction de son orientation politique.</p>
<p>Dans ce but nous avons observé, depuis septembre 2021, presque 22 millions d’utilisateurs de Twitter qui suivaient (<em>follow</em>), au moins, un candidat à l’élection présidentielle de 2022 en France, et/ou le compte Twitter de 20 médias parmi les plus importants du pays, tous formats confondus (TV, radio, Internet, presse traditionnelle). Sur ce total de 22 millions, seulement 11 millions suivaient au moins l’un des candidats (le reste ne suivant aucun candidat, et uniquement un ou ou plusieurs des médias retenus).</p>
<p>Le choix de Twitter est motivé, d’une part, par le fait que la plate-forme facilite l’accès aux données pour la recherche. D’autre part, la nature des billets postés (<em>tweets</em>) – nombre de caractères limités, utilisation des mots clés (<em>hashtags</em>), rapidité de réaction des utilisateurs – permet de tirer des informations sur les usagers sans avoir recours à des techniques plus compliquées d’analyse textuelle.</p>
<p>Nous avions suivi une procédure similaire pour analyser l’évolution du paysage politique au cours des <a href="https://epjdatascience.springeropen.com/articles/10.1140/epjds/s13688-021-00285-8">dernières élections présidentielles argentines</a>, en 2015 et en 2019.</p>
<p>Après avoir filtré les utilisateurs « actifs », c’est-à-dire, ceux qui publient des tweets sur la plate-forme ou qui relayent (<em>retweet</em>) ceux des autres, nous avons détectés ceux qui déclarent être localisés en France.</p>
<p>Nous avons ensuite classé les usagers en fonction du candidat soutenu, en considérant comme indicateur de « soutien » le fait de produire un retweet direct (sans ajouter de commentaire) des tweets du candidat en question.</p>
<p>Nous avons aussi créé une catégorie « partisan ». Nous y avons rangé les usagers dont plus de 75 % des retweets d’aspirants à la magistrature suprême correspondent à un même candidat. Par exemple, une personne dont 75 % des retweets de candidats sont des messages postés par Valérie Pécresse est considérée comme partisane de cette dernière.</p>
<p>De la même façon, nous avons identifié les usagers ayant un « média préférentiel », c’est-à-dire un média qui concentre plus de 75 % de leurs retweets de différents médias.</p>
<p>Pour l’analyse du comportement des partisans, nous avons choisi de ne retenir que les comptes qui déclarent être situés en France. Les utilisateurs ont la possibilité de remplir eux-mêmes, sur leur profil, un champ indiquant où ils se trouvent géographiquement. Cette déclaration étant facultative sur Twitter, il n’y a qu’une minorité d’utilisateurs qui déclarent une localisation. Suivant une méthode <a href="https://epjdatascience.springeropen.com/articles/10.1140/epjds/s13688-021-00285-8">déjà testée dans une étude similaire</a>, nous cherchons sur le profil des utilisateurs, une mention (pays, région, ville) permettant de les situer en France. Ce critère strict réduit notre base de données mais nous permet de diminuer l’effet des biais potentiellement introduits par des comptes étrangers et/ou automatisés.</p>
<p>Ainsi, au 20 mars 2022, à moins de trois semaines du premier tour, 3,7 % des 11 millions de comptes étudiés – soit environ 400 000 comptes – se déclarent en France.</p>
<h2>La distribution des données pour chaque candidat</h2>
<p>La Figure 1, montre le total de followers des différents candidats et leur classification, au 20 mars 2022. On peut voir comment se distribuent les presque 11 millions de followers de candidats ainsi que la population correspondant aux différents filtres appliqués.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/460297/original/file-20220428-13-cmtcm8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Statistiques des différentes catégorisations des followers des candidats" src="https://images.theconversation.com/files/460297/original/file-20220428-13-cmtcm8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460297/original/file-20220428-13-cmtcm8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=217&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460297/original/file-20220428-13-cmtcm8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=217&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460297/original/file-20220428-13-cmtcm8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=217&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460297/original/file-20220428-13-cmtcm8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=273&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460297/original/file-20220428-13-cmtcm8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=273&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460297/original/file-20220428-13-cmtcm8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=273&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><strong>Figure 1.</strong> <strong>Followers</strong> : total des comptes qui suivent le candidat sur Twitter. <strong>Actifs</strong> : followers qui suivent le candidat et publient des posts (tweets) ou transfèrent (retweet) ceux des autres utilisateurs. <strong>Exclusifs</strong> : comptes Twitter qui suivent exclusivement le candidat. <strong>Actifs & exclusifs</strong> : comptes qui suivent exclusivement le candidat et qui sont actifs (tweet et/ou retweet). <strong>Partisans</strong> : comptes Twitter dont plus de 75 % des retweets correspondent au candidat. <strong>Partisans & « en France »</strong> : partisans localisés en France. Noter que l’échelle verticale est logarithmique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Rémi Perrier/LPTM</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On observe que pour le candidat Macron, sur un total de 7,6 millions de followers, il y a environ 2,6 millions de followers exclusifs (qui suivent Emmanuel Macron mais aucun autre candidat, ni média de la liste) et qui ne retweetent jamais.</p>
<p>Ceci pourrait s’expliquer, puisqu’il s’agit du président sortant. Il est naturel que des utilisateurs soucieux de suivre l’actualité présidentielle s’abonnent au compte du locataire de l’Élysée, sans pour autant s’en sentir politiquement proches.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/460562/original/file-20220429-19-f6iayg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Pourcentage de followers exclusifs et de partisans de chaque candidat" src="https://images.theconversation.com/files/460562/original/file-20220429-19-f6iayg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460562/original/file-20220429-19-f6iayg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=717&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460562/original/file-20220429-19-f6iayg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=717&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460562/original/file-20220429-19-f6iayg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=717&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460562/original/file-20220429-19-f6iayg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=901&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460562/original/file-20220429-19-f6iayg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=901&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460562/original/file-20220429-19-f6iayg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=901&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Rémi Perrier/LPTM</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le Tableau 1 (ci-contre) donne le pourcentage des followers parmi les 11 millions de comptes analysés, qui ont décidé de suivre exclusivement un seul candidat (ni autre candidat, ni aucun des médias considérés). Ces comptes ne sont pas nécessairement des partisans (ces derniers étant définis par des retweets majoritaires du candidat), en revanche ils manifestent une attention particulière pour le candidat.</p>
<p>Ainsi, mis à part le cas déjà évoqué du président candidat, ce tableau met en évidence des pourcentages élévés d’attention exclusive envers Éric Zemmour, suivi par Marine Le Pen et Jean Lasalle. Tous les autres candidats ayant moins de 10 % de followers exclusifs.</p>
<h2>Quels partisans suivent quels médias ?</h2>
<p>La Figure 2 (ci-dessous) montre la proportion des partisans des différents candidats qui ont décidé de suivre sur Twitter les informations diffusées par les différents médias. Il faut, par exemple, la lire ainsi : « 39 % des partisans de Nathalie Arthaud sont abonnés au compte Twitter de Médiapart ».</p>
<p>On voit que l’attention des partisans est majoritairement captée par des quotidiens nationaux de presse écrite (y compris en ligne, comme @Médiapart), ainsi que par l’Agence France-Presse.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/460307/original/file-20220428-24-o1h590.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Pourcentages des partisans localisés en France qui suivent les différents médias" src="https://images.theconversation.com/files/460307/original/file-20220428-24-o1h590.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460307/original/file-20220428-24-o1h590.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460307/original/file-20220428-24-o1h590.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460307/original/file-20220428-24-o1h590.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460307/original/file-20220428-24-o1h590.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460307/original/file-20220428-24-o1h590.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460307/original/file-20220428-24-o1h590.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><strong>Figure 2.</strong> Pourcentages des partisans localisés en France qui suivent les différents médias. Chaque case représente le pourcentage des partisans du candidat, indiqué sur la ligne, qui suivent le média indiqué sur la colonne. La colonne tout à droite indique le pourcentage de partisans qui ne suivent aucun média, pour chaque candidat. Pour améliorer la lisibilité, les candidats ont été classés de l’extrême gauche en haut à l’extrême droite en bas, et un code couleur est attribué aux pourcentages qui sont lisibles dans chaque case. L’échelle de couleur est présentée à droite du tableau et indique que plus la couleur vire au jaune, plus le pourcentage est élevé. Noter que le total par ligne ne fait pas 100 % car un même partisan peut suivre plusieurs médias.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Rémi Perrier/LPTM</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sans surprise, on observe que le compte du journal <em>Le Monde</em> (@lemondefr) est très suivi, notamment par des partisans des candidats Anne Hidalgo, Yannnick Jadot et Valérie Pécresse, tandis que celui du <em>Figaro</em> (@Le_Figaro) est nettement préféré par les partisans de Valérie Pécresse.</p>
<p>On remarque que les partisans de Valérie Pécresse suivent le compte de BFM (@BFMTV) et celui du <em>Parisien</em> (@le_Parisien) beaucoup plus que les autres.</p>
<p>Finalement, la couleur nettement plus sombre de la partie inférieure du tableau fait ressortir le fait qu’en général, les partisans des candidats d’extrême droite suivent beaucoup moins les comptes des médias que les autres.</p>
<p>On observe surtout une prédominance des comptes des chaînes d’information en continu (@BFMTV, @CNews) chez ces partisans, préférées aux quotidiens nationaux.</p>
<h2>Quels partisans relayent les messages de quels médias ?</h2>
<p>Si l’on s’intéresse à l’adhésion que les partisans des candidats expriment par rapport aux informations diffusées par les comptes des médias, le paysage change radicalement.</p>
<p>La Figure 3 donne la proportion des partisans des différents candidats qui ont relayé (retweet) les informations publiées sur Twitter par les différents médias. Il faut, par exemple, la lire ainsi : « 32,2 % des partisans de Fabien Roussel ont retweeté au moins une fois un tweet de BFMTV ».</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/460308/original/file-20220428-14-28ps66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Pourcentages partisans en France qui retweetent les différents médias" src="https://images.theconversation.com/files/460308/original/file-20220428-14-28ps66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460308/original/file-20220428-14-28ps66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460308/original/file-20220428-14-28ps66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460308/original/file-20220428-14-28ps66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460308/original/file-20220428-14-28ps66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=428&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460308/original/file-20220428-14-28ps66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=428&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460308/original/file-20220428-14-28ps66.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=428&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><strong>Figure 3.</strong> Pourcentages partisans localisés en France qui retweetent les différents médias. Chaque case représente le pourcentage des partisans du candidat, indiqué sur la ligne, qui relayent les tweets du média indiqué sur la colonne. Pour améliorer la lisibilité, les candidats ont été classés de l’extrême gauche en haut à l’extrême droite en bas, et un code couleur est attribué aux pourcentages qui sont lisibles dans chaque case. L’échelle de couleur est présentée à droite du tableau et indique que plus la couleur vire au jaune, plus le pourcentage est élevé. Noter que le total par ligne ne fait pas 100 % car un même partisan peut relayer les tweets de plusieurs médias.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Rémi Perrier/LPTM</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>On observe une nette prédominance de retweets des chaînes d’information en continu. Il faut noter que celles-ci ont tendance à publier plus de contenu vidéo que les comptes de la presse traditionnelle, ce qui peut contribuer au résultat observé.</p>
<p>Cependant, il est intéressant de remarquer que, à l’exception des partisans de Fabien Roussel, cette tendance à relayer les chaînes d’information en continu s’accentue chez les partisans de candidats de droite et d’extrême droite.</p>
<p>On voit aussi que les comptes des radios publiques, @franceinter et @franceinfo, sont nettement plus relayés par les partisans d’Anne Hidalgo et de Yannnick Jadot que par les partisans des autres candidats.</p>
<h2>Quels partisans relayent <em>exclusivement</em> les messages de quels médias ?</h2>
<p>Les partisans ayant un média préférentiel, en se limitant à relayer les messages de ce dernier, révèlent un fort alignement avec l’orientation éditoriale du média en question.</p>
<p>La Figure 4 (ci-dessous) montre la proportion des partisans du candidat correspondant à chaque ligne ayant relayé majoritairement les tweets des médias indiqués sur les colonnes. Il faut ainsi lire : « 3,3 % des partisans de Yannick Jadot ont France Inter pour média préférentiel ».</p>
<p>En général, le pourcentage de partisans concentrés sur un unique média est faible. Les plus grandes proportions de partisans se concentrant sur peu de médias se trouvent à l’extrême droite du spectre politique.</p>
<p>Ce phénomène évoque les <a href="https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.2023301118">« chambres d’écho »</a> observées sur les réseaux sociaux : les utilisateurs sont confrontés à des opinions similaires ou à des informations issues d’un nombre très restreint de sources, qui encadrent et renforcent un récit commun.</p>
<p>Comme sur la Figure 3, on retrouve la prééminence de @BFM et @CNews et on peut clairement observer l’inversion des préférences entre les partisans de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour : les premiers suivent davantage BFM, tandis que le seconds sont davantage amateurs de CNews, en accord avec les <a href="https://lesfocusdulcp.wordpress.com/2022/01/26/lelection-presidentielle-2022-vue-par-cyril-hanouna-1-la-pre-campagne-automne-2021/">études qui ont suivi les nombreuses polémiques</a> concernant un excès d’attention de @CNews pour ce dernier.</p>
<p>Finalement, on note (figures 2 à 4) que les partisans de l’extrême gauche et de l’extrême droite ont un comportement assez différent par rapport aux médias. Tandis que ceux de l’extrême droite concentrent leur attention sur peu de médias, ceux de l’extrême la gauche se distribuent sur un panel bien plus large.</p>
<p>Cette simple analyse statistique de données publiques fournit une cartographie qui permet de mesurer des tendances générales dans le choix fait par les partisans des différents candidats concernant l’accès à l’information et sa diffusion.</p>
<p>Même si les résultats sont limités aux utilisateurs de Twitter, la mesure de leur rapport aux médias traditionnels donne un socle sur lequel baser les discussions concernant le rôle des médias dans la formation de l’opinion en période électorale.</p>
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<p><em>Ce travail a été financé en partie par le projet OpLaDyn (Trans-Atlantic Platform Digging into Data Challenge : 2016-147 ANR OPLADYN TAP-DD2016) et le Labex MME-DII (contrat No. ANR Référence 11-LABEX-0023).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181636/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elle a reçu des financements de ANR. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Rémi Perrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une analyse massive des données de Twitter permet de caractériser les préférences en matière d’information des sympathisants des différents candidats à l’élection présidentielle.Laura Hernandez, MCF-HDR Physique. Thèmes de recherche: application des notions et méthodes de Physique à l'étude des problèmes presentant des structures et dynamiques complexes, tout domaine disciplinaire confondu., CY Cergy Paris UniversitéRémi Perrier, Doctorant en systèmes complexes, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1823072022-05-10T21:49:28Z2022-05-10T21:49:28ZUne marée bleu Marine ? Plongée dans l’élection présidentielle du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais<p>Malgré ses <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1165877/article/2022-04-12/presidentielle-2022-dans-le-bassin-minier-le-candidat-macron-en-full-contact">déplacements</a> de l’entre-deux tours à Lens, Liévin et Carvin, Emmanuel Macron n’a pas su convaincre les habitantes et les habitants du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais.</p>
<p>Lors du deuxième tour des élections présidentielles, les électeurs de la région ont assez largement plébiscité la candidate du <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1169918/article/2022-04-24/presidentielle-resultats-second-tour-nord-pas-de-calais">Rassemblement national</a>. Marine Le Pen arrive ainsi en tête dans la quasi-totalité des villes de ce territoire populaire en mutation sociale, économique et politique.</p>
<p>Mais ces résultats sont-ils le signe d’un basculement complet de cet ancien <a href="https://www.researchgate.net/publication/262892197_Le_bassin_minier_bastion_de_la_gauche">bastion de gauche</a> au profit de l’extrême droite ? Une analyse électorale fine permet de nuancer cette idée.</p>
<h2>Une dynamique bleu Marine qui s’accentue lors de ce second tour</h2>
<p>On pouvait s’y attendre, Marine Le Pen qui avait déjà réalisé de très <a href="https://www.liberation.fr/debats/2017/05/11/comment-le-pas-de-calais-a-bascule-du-ps-au-fn_1568912/">bons scores en 2017</a>, confirme et termine en tête dans le bassin minier du Nord Pas-de-Calais avec une <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/pas-calais/presidentielle-2022-les-gens-qui-votent-le-pen-se-sentent-seuls-et-oublies-de-l-aisne-au-bassin-minier-le-rassemblement-national-explose-ses-scores-2531416.html">moyenne de 60 % lors de ce deuxième tour</a> en progressant même de 5 % par rapport à 2017.</p>
<p>Elle réalise des scores encore plus élevés dans les deux communes frontistes de ce territoire que sont Hénin-Beaumont (67 %) et, plus récemment acquise, Bruay-la-Buissière (69 %). Mais on peut aussi observer de très bons scores dans des villes de gauche, jusque 77 % à Marles-les-Mines ou même 57 % à Lens, bastion socialiste. Ces résultats sont même souvent en hausse par rapport à 2017. Elle progresse ainsi de 130 000 voix dans le Nord-Pas-de-Calais. À Lens, par exemple, elle avait obtenu 7316 voix au deuxième tour de 2017 contre 7631 cette année. Même son de cloche pour Hénin-Beaumont où elle gagne 875 voix par rapport à 2017.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1488901990147047424"}"></div></p>
<p>Ces différentes percées se font au détriment du président sortant qui recule en partie dans ce territoire par rapport au second tour de 2017.</p>
<p>Dans le Nord-Pas-de-Calais il perd 65 000 voix et cette chute est encore plus forte dans les villes au cœur du bassin minier. À Lens il perd 796 voix et obtient 42 % des suffrages contre 46 % en 2017. Même à Valencienne, l’une des rares mairies de droite du bassin Minier et l’une des rares plaçant Emmanuel Macron en tête, il perd 708 voix passant de 63 % en 2017 à 58 % aujourd’hui.</p>
<p>Mais cette analyse ne saurait être complète sans porter une attention particulière à l’abstention, qui comme le vote pour Marine Le Pen est toujours plus élevée dans le bassin Minier que dans le reste de la France. Même si elle est moins spectaculaire que ce qu’on pouvait attendre elle est en moyenne à 28 % dans le bassin minier (+3 % par rapport à la moyenne nationale) et atteint des sommets dans certaines villes comme Lens avec 37 % (+2,5 % par rapport à 2017).</p>
<p>Ainsi, rapporté à cette abstention, ça n’est « que » une électrice ou un électeur sur trois qui a voté pour Marine Le Pen lors de ce second tour dans le bassin minier. De plus, ces résultats sont aussi à mettre en perspective du premier tour de ces présidentielles qui donne à voir d’autres nuances et forces politiques.</p>
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<figcaption><span class="caption">Annonce des résultats à Hénin-Baumont.</span></figcaption>
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<h2>Un premier tour faisant émerger trois pôles politiques</h2>
<p>Si Emmanuel Macron perd des voix lors du second tour, les résultats du premier montrent une autre réalité. Dans le Pas-de-Calais il récupère ainsi la deuxième place, occupée par Jean Luc Mélenchon en 2017, et gagne 40 000 voix passant de 18 % en 2017 à 24 % cette année. Progression encore plus nette dans le Nord où il gagne 6 % entre 2017 et 2022 terminant ainsi à 26 %. Cette tendance s’observe aussi dans le bassin Minier, il gagne ainsi 4 points à Lens, 2 à Hénin-Beaumont et jusque 6 à Béthune.</p>
<p>Ces résultats peuvent se comprendre lorsque l’on regarde la chute des partis traditionnels qu’étaient Les Républicains et le Parti socialiste. Si, contrairement aux Républicains, le Parti socialiste a été très fort dans ce territoire, les deux partis observent une chute continue de leurs scores, Anne Hidalgo et Valérie Pécresse ne dépassent quasiment jamais les 2 % dans le bassin minier. De par son positionnement politique, entre les deux candidates, c’est probablement le président sortant qui a le plus bénéficié de cette chute.</p>
<p>L’écologiste Yanick Jadot sous-performe lui aussi très fortement dans le bassin minier ne dépassant que très rarement les 2,5 % alors qu’il obtient 4,7 % des suffrages au niveau national. Quant au communiste Fabien Roussel, élu député dans ce bassin minier, il réalise de meilleurs scores dans ce territoire que dans le reste de la France dépassant régulièrement les 4 % avec un pic à plus de 12 % dans le fief communiste d’Avion.</p>
<p>À gauche, c’est Jean-Luc Mélenchon, qui comme au niveau national, se retrouve largement en tête. Pour autant il n’a pas convaincu dans le bassin minier autant qu’il a pu le faire à Lille par exemple ou il a recueilli 40,5 % des suffrages. Dans ce <a href="https://theconversation.com/des-terrils-bleu-marine-quelle-place-pour-le-rassemblement-national-dans-le-bassin-minier-164668">territoire encore fortement marqué par la gauche</a> l’insoumis souffre de la division avec le PCF et ne recueille que rarement plus de 20 % des suffrages (22 % à Lens et Carvin).</p>
<p>C’est bien Marine Le Pen qui termine en tête dès ce premier tour dans le bassin minier. Elle dépasse quasiment toujours les 40 % avec des pics très élevés dans ces fiefs, 51 % à Hénin-Beaumont et 52 % à Bruay-la-Buissière. Mais elle réalise aussi de très bons scores dans de plus petites villes comme Auchel avec 50 % des suffrages ou Noeux-Les-Mines avec 48 %. Dans ce territoire du bassin minier, elle a pu profiter du faible score de son concurrent à l’extrême droite, Éric Zemmour, qui y réalise des scores plus faibles que dans le reste de la France. Il dépasse rarement les 5 % et obtient ses meilleurs scores dans les très rares villes plaçant Emmanuel Macron en tête de ce premier tour comme Drouvin-le-Marais avec 8,5 % ou Vaudricourt avec 8 %.</p>
<h2>Une tendance qui pourrait s’inverser ?</h2>
<p>Les résultats de ces présidentielles dans le bassin minier sont sans grande surprise, ils s’insèrent dans des dynamiques profondes, de long terme et qui touchent l’ensemble du territoire : les percées de plus en plus fortes du Rassemblement national, la perte de vitesse du parti socialiste et une augmentation, plus légère que prévu néanmoins, de l’abstention.</p>
<p>Les éléments permettant d’expliquer ces tendances sont multiples et se jouent à plusieurs échelles, nous en retiendrons ici les plus saillants.</p>
<p>Dans un premier temps il faut se pencher sur la sociologie du bassin minier qui correspond assez bien à une partie de l’électorat Le Pen. On observe une surreprésentation d’ouvriers, d’employés, de personnes avec un faible niveau de diplôme et de salaire et on sait que Marine Le Pen réaliste de bons scores chez <a href="https://www.humanite.fr/en-debat/rassemblement-national/les-classes-populaires-et-marine-le-pen-746462">ces franges de la population</a>.</p>
<p>Ces résultats s’expliquent ainsi plus par proximité sociologique, entre les profils des habitantes et des habitants du bassin minier et une partie de l’électorat RN, que par une supposée proximité idéologique plus forte dans le bassin minier qu’ailleurs. Cet électorat populaire permet aussi de comprendre les faibles scores d’Éric Zemmour qui réussit mieux dans des territoires <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/ce-que-revele-la-radiographie-d-un-electorat-zemmouriste-si-different-de-l-electorat-lepeniste-20220325">plus aisés et historiquement de droite</a>.</p>
<p>De même pour le candidat écologiste dont la base électorale se concentre bien plus dans les métropoles que dans les territoires populaires comme le bassin minier. C’est plus surprenant pour le candidat de la France insoumise qui semble avoir plus convaincu dans les territoires populaires proches des métropoles (52,5 % à Roubaix) que dans le bassin minier. Enfin, cette sociologie populaire permet de comprendre l’abstention dont on sait qu’elle touche <a href="https://www.humanite.fr/en-debat/presidentielle-2022/pourquoi-les-classes-populaires-s-abstiennent-elles-davantage-745895">plus fortement les personnes les plus précarisées</a>.</p>
<p>Un autre élément important à prendre en compte pour comprendre ces scores, et les nuancer, relève du caractère national de la campagne. Au niveau local le bassin minier reste dirigé par la gauche, le RN ayant parfois du mal à présenter des <a href="https://www.lemonde.fr/blog/terrainscampagnes/2020/03/13/et-si-les-terrils-lensois-restaient-rouges/">candidats issus du territoire</a>. Cependant, les élections présidentielles s’apparentent à un autre contexte dans lequel les enjeux nationaux prennent le pas sur l’ancrage local. Ainsi, plusieurs électeur.ices que j’ai rencontrés lors de mon travail de thèse m’ont expliqué avoir voté à gauche pour les élections municipales à Lens, le candidat socialiste a été élu dès le premier tour, mais pour Marine Le Pen à ces élections présidentielles.</p>
<p>Dans un contexte de désunion des gauches, le Rassemblement national à su incarner une offre politique permettant de canaliser les différentes colères des habitantes et habitants du bassin minier dénonçant tour à tour les « élites » et « l’assistanat ». Mais l’enjeu pourra se révéler bien différent lors des élections législatives à venir.</p>
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<img alt="Jean-Luc Mélenchon s’exprime lors de la première convention de la « Nouvelle union populaire écologique et sociale » (Nupes) à Aubervilliers, le 7 mai 2022" src="https://images.theconversation.com/files/462035/original/file-20220509-13-zlfctm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462035/original/file-20220509-13-zlfctm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462035/original/file-20220509-13-zlfctm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462035/original/file-20220509-13-zlfctm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462035/original/file-20220509-13-zlfctm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462035/original/file-20220509-13-zlfctm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462035/original/file-20220509-13-zlfctm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jean-Luc Mélenchon s’exprime lors de la première convention de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Julien de Rosa/AFP</span></span>
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</figure>
<p>Si plusieurs circonscriptions de ce territoire ont été récupérées en 2017, cela s’est fait dans un contexte de division de la gauche, avec souvent une candidate ou un candidat distinct pour la France insoumise, le Parti socialiste et le Parti communiste. L’union des gauches qui semblent se dessiner pour les élections à venir pourrait inverser la tendance en présentant une candidate ou un candidat unique qui pourrait bénéficier de l’influence encore forte de la gauche au niveau local.</p>
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<p><em>Pierre Wadlow réalise actuellement une thèse sur la politisation des classes populaires du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais au CERAPS, sous la direction de Carole Bachelot</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182307/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Wadlow ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les résultats de la présidentielle dans le bassin minier s’insèrent dans des dynamiques profondes, de longs termes : percée du RN perte de vitesse du PS et augmentation de l’abstention.Pierre Wadlow, Doctorant en science politique, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1821782022-05-02T19:06:08Z2022-05-02T19:06:08ZPrésidentielle aux Antilles : « Le vote d’extrême droite était lié aux problèmes sociaux »<p><em>Après un plébiscite pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle, la candidate du Rassemblement national (RN) a obtenu, deux semaines plus tard, près de 61 % des voix en Martinique et en Guyane, et même près de 70 % en Guadeloupe, réalisant son meilleur résultat dans ces départements où les scores de l’extrême droite sont habituellement faibles lors des scrutins locaux et nationaux. Fred Reno, chercheur en sciences politiques à l’Université des Antilles décrypte les logiques qui ont conduit à ces résultats.</em></p>
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<p><strong>The Conversation : Comment expliquer que les électeurs des régions d’outre-mer aient voté aussi massivement pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle ?</strong></p>
<p><strong>Fred Reno :</strong> Les outre-mer ont voté en majorité pour la candidate Le Pen contre Macron. La question qui se pose est : comment des Noirs, des afrodescendants ont pu voter pour le Rassemblement national, un parti qui renvoie au racisme, aux discriminations… On peut réduire Le Pen à l’extrême droite mais les choses sont plus complexes que cela. Il faut relativiser ce vote en évitant d’en faire un vote d’extrême droite. C’est un vote pour Le Pen, contre Macron mais pas un vote d’extrême droite au sens où les gens auraient adhéré aux valeurs du RN.</p>
<p>Quand on interroge les gens qui ont voté Le Pen, ils répondent spontanément : « on a voté contre Macron et on a voté contre les élus locaux ». Le vote contre Macron est lié à des problèmes sociaux qui se posent dans le pays, la question vaccinale, l’insécurité, la délinquance… La critique qui est faite aux élus locaux est très forte. Pour beaucoup d’électeurs, les élus locaux ont failli et sont les principaux responsables de la situation parce qu’ils n’ont pas été en mesure de prendre en charge les demandes sociales.</p>
<p><strong>TC : Les votes pour Marine Le Pen ne sont donc pas des votes d’adhésion mais plutôt des votes sanction ?</strong></p>
<p><strong>FR :</strong> Oui, pour analyser cela il faut partir du premier tour. Jean-Luc Mélenchon arrive largement en tête en <a href="https://www.leparisien.fr/resultats-elections/guadeloupe/guadeloupe/">Guadeloupe</a> (56,16 %) et en <a href="https://www.leparisien.fr/resultats-elections/martinique/martinique/">Martinique</a> (53,10 %). Marine Le Pen arrive en deuxième position en Guadeloupe avec près de 18 % des voix et en troisième en Martinique avec 13 %. Les électeurs ont d’abord voté Mélenchon, s’ils étaient fondamentalement lepeniste ou d’extrême droite ils auraient voté d’emblée Marine Le Pen. C’est donc par défaut qu’ils se sont prononcés pour Le Pen au deuxième tout parce que Mélenchon n’a pas été qualifié. Le vote n’a pas de consistance idéologique, c’est un vote de protestation, de colère. Je crois que les électeurs ont instrumentalisé ces candidatures pour adresser un gros message aux élus locaux et à Emmanuel Macron.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pour-comprendre-la-crise-sociale-en-guadeloupe-172885">Pour comprendre la crise sociale en Guadeloupe</a>
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<p><strong>TC : Marine Le Pen est donc perçue comme une candidate antisystème, pas comme une personne d’extrême droite ?</strong></p>
<p><strong>FR :</strong> Absolument, elle est dédiabolisée à l’évidence. Les électeurs disent : « on a tout essayé jusque là, essayons extrême droite cela ne nous coûte rien finalement c’est une candidate comme les autres avec un discours qui nous parle. Elle va remettre dans leur droit les employés suspendus par la crise sanitaire, elle va régler le problème de l’eau, tous les thèmes qui nous intéressent elle les prend en charge dans son discours. »</p>
<p><strong>TC : Le vote anti-Macron s’inscrit-il dans la continuité d’un rejet des institutions et de l’État français ?</strong></p>
<p>Je ne pense pas qu’il y ait un rejet de l’État français bien au contraire, je pense qu’il y un appel à l’État, à plus d’États. Dans le contexte de mondialisation, d’incertitude, il y a une demande de protection et de sécurité. Et le discours de Marine Le Pen qui renvoie à l’autorité, à la centralisation même puisqu’elle refuse le principe de l’autonomie, je pense que cela parle à tous ces gens. Je crois que le vote anti-Macron est un vote qui renvoie aux dossiers sociaux principalement, à tous les problèmes qui n’ont pas été réglés et que Macron avait promis de régler. Il y a le sentiment que rien n’a été fait par les représentants de Macron sur place. C’est par manque d’interventionnisme étatique qu’on a rejeté Macron.</p>
<p><strong>TC : Les mobilisations qui ont eu lieu suite à l’instauration de l’obligation vaccinale et du passe sanitaire ont aussi pu influencer ces votes de protestation ?</strong></p>
<p><strong>FR :</strong> Je crois que la question vaccinale est venue se greffer sur la question sociale et elle a joué comme un catalyseur. Cela a renforcé encore plus les oppositions. Il y a un élément qui intervient à la fin, c’est quand on a su que finalement la pandémie était en baisse et que le port du masque n’était plus nécessaire, qu’on allégeait les restrictions, beaucoup de gens ont cru que les employés suspendus allaient être rappelés et allaient pouvoir retrouver leur emploi mais ça n’a pas été le cas. Cela a été perçu comme une forme de mépris par beaucoup de gens.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/du-code-noir-au-chlordecone-comprendre-le-refus-de-lobligation-vaccinale-aux-antilles-francaises-172668">Du « Code noir » au chlordécone, comprendre le refus de l’obligation vaccinale aux Antilles françaises</a>
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<p><strong>TC : Durant sa campagne Jean-Luc Mélenchon s’est particulièrement adressé aux outre-mer. C’est ce qui explique qu’il soit arrivé en tête du scrutin au premier tour ?</strong></p>
<p><strong>FR :</strong> Mélenchon est l’homme politique qui a été le plus actif en Guadeloupe et en Martinique. Il a pris la parole sur des sujets importants ici, comme <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/martinique-les-coupures-deau-exasperent-la-population_4645133.html">l’eau</a> et le chlordécone. Pas seulement lui mais aussi ses émissaires, notamment Danièle Obono et Mathilde Panot. Cette dernière a fait un rapport avec d’autres députés sur la <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/trois-parlementaires-saisissent-la-defenseure-des-droits-sur-les-problemes-d-adduction-en-eau-en-guadeloupe-1180579.html">question de l’eau</a>. Elle eu une prise de parole qui a beaucoup plu ici, sur les réseaux sociaux notamment. Elle a été présentée comme celle qui faisait ce que ne font pas nos élus locaux.</p>
<p>Il y a un élément supplémentaire qui est la question de la <a href="http://www.slate.fr/story/216753/creolisation-concept-edouard-glissant-marotte-jean-luc-melenchon-france-insoumise">créolisation</a>. Mélenchon est le seul candidat a avoir donné une dimension culturelle à ses interventions politiques. Il a érigé la créolisation en réponse à la question du multiculturalisme en France. Même si tout le monde ne partage pas cette théorie, en se référant ouvertement à Édouard Glissant, Mélenchon parle de nous et fait de nous une référence.</p>
<p><strong>TC : Pensez-vous qu’en Guadeloupe et en Martinique les électeurs vont se mobiliser pour les élections législatives ?</strong></p>
<p><strong>FR :</strong> Il est certain qu’il y a une prise de distance avec nos élus locaux, une majorité d’entre eux ont appelé à voter Macron lors de la présidentielle. Je suis persuadé que pour les élections législatives peu de candidats vont faire référence à Macron mais je ne suis pas sûr que l’élection présidentielle va modifier en profondeur le paysage local. Je ne pense pas que la France insoumise ait une implantation locale suffisante pour avoir des députés. Ils semblent l’avoir compris parce que la FI, à la différence du RN, est en mesure de négocier avec d’autres partis de gauche comme le PCF ou le PS, et peut-être même une frange des nationalistes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182178/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fred Reno ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment expliquer que les électeurs des régions d’outre-mer aient voté aussi massivement pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle ?Fred Reno, Professeur de science politique, Université des AntillesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1819082022-04-27T18:19:43Z2022-04-27T18:19:43ZLes citoyens actifs sur Internet sont-ils politiquement plus radicaux ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/460044/original/file-20220427-12-v2t50v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1920%2C1440&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">On sait que les citoyens politiquement actifs sur Internet présentent différentes caractéristiques : ils sont plus intéressés par la politique, plus diplômés, et plus jeunes que la moyenne. Sont-ils plus radicaux ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/m%c3%a2le-nuit-t%c3%a9n%c3%a8bres-l%c3%a9ger-t%c3%a9l%c3%a9phone-2013929/">KristopherK/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les usages électoraux d’Internet et des réseaux sociaux ont été particulièrement scrutés lors de la campagne <a href="https://usbeketrica.com/fr/article/il-ne-faut-pas-reduire-l-adhesion-pour-un-candidat-a-des-chiffres-d-engagement-marketing-sur-tiktok">d’avant premier tour</a>. De nouvelles plates-formes, telles que TikTok ou Twitch, ont été fortement investies afin de toucher les plus jeunes, et certains candidats semblent y avoir été plus performants que d’autres – notamment <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/03/29/sur-youtube-et-twitch-jean-luc-melenchon-et-eric-zemmour-parlent-plus-que-les-autres_6119618_4355770.html">Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour</a>. À cet égard, des études montrent que l’activisme sur Internet se structure souvent sur des <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=-FWO0puw3nYC">bases idéologiques</a> et est plus élevé aux <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=BBH7DAAAQBAJ">extrêmes de l’échiquier politique</a>. D’où une question : les citoyens actifs sur Internet sont-ils politiquement plus radicaux que l’ensemble des électeurs ?</p>
<h2>Les citoyens actifs sur Internet sont-ils plus radicaux ?</h2>
<p>En France, les usages électoraux d’Internet et des réseaux sociaux se sont développés depuis la présidentielle de 2012. Ils restent cependant relativement minoritaires. En témoignent les chiffres présentés en Figure 1 ci-dessous et récoltés lors de la première semaine de janvier :</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 1. Nombre de likes et de commentaires sur les publications Twitter et.
Facebook des candidats durant la première semaine de janvier 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Les commentaires à la suite de messages de candidats restent relativement peu nombreux tant sur Twitter que sur Facebook. Ainsi, si Jean-Luc Mélenchon récolte respectivement 23 491 et 126 465 commentaires, ce qui en fait le candidat le plus commenté, ces chiffres restent relativement modestes si on les rapporte au nombre d’inscrits sur les listes électorales, ou même au nombre de personnes inscrites sur les réseaux sociaux en France (40 millions d’utilisateurs mensuels de Facebook, 8 sur Twitter, 22 sur Instagram, 50 sur YouTube).</p>
<p>Surtout, certains candidats ne récoltent que quelques centaines de commentaires – ou même moins. Même si l’on regarde le nombre de likes, pratique moins coûteuse pour les internautes que le commentaire, les réactions aux messages des candidats restent relativement rares, a fortiori lorsqu’on les compare à leurs nombres d’abonnés. Pour ne prendre que quelques exemples, les likes recueillis par Emmanuel Macron sur Twitter durant la première semaine de janvier ne représentent que 2,6 % de ses abonnés, ceux reçus par Jean-Luc Mélenchon 4,4 %, ceux reçus par Marine Le Pen 1,8 %, et ceux reçus par Anne Hidalgo 0,8 %.</p>
<p>Reste que certains candidats suscitent plus de réactions que d’autres, et qu’à l’exception du cas particulier du président sortant, les candidats recueillant le plus d’interactions (likes et commentaires) sont les candidats d’extrême droite (Marine Le Pen, Eric Zemmour, Nicolas Dupont-Aignan) et Jean-Luc Mélenchon, ce qui tend à accréditer l’idée que les citoyens mobilisés sur Internet exprimeraient des choix électoraux plus radicaux et plus polarisés que la population électorale générale.</p>
<h2>Pourquoi de telles différences d’activité sur Internet ?</h2>
<p>On sait que les citoyens politiquement actifs sur Internet présentent différentes caractéristiques : ils sont plus intéressés par la politique, plus diplômés, et plus jeunes que la moyenne. Hormis en termes d’âge, ils ressemblent en réalité beaucoup aux citoyens actifs « hors ligne ». Ces pratiques politiques s’imbriquent d’ailleurs fortement : en 2012, par exemple, les électeurs ayant participé à un meeting étaient aussi parmi les plus actifs sur Internet.</p>
<p>Mais l’on sait aussi – et surtout – que, après avoir contrôlé par le sexe, l’âge, le niveau de diplôme, la situation professionnelle et l’intérêt pour la politique, les <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-00973133">individus politiquement actifs sur Internet en 2012</a>, ceux qui ont consulté le site ou la page Facebook d’un candidat lors des <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-elections/Elections-regionales-2015">élections régionales de 2015</a>, ou encore ceux qui ont suivi un candidat sur Internet lors de la <a href="https://cdsp.sciences-po.fr/fr/ressources-en-ligne/ressource/fr.cdsp.ddi.FES2017/">campagne présidentielle de 2017</a>, sont soit sensiblement plus à gauche, soit, pour une part plus faible, plus à droite, que le reste des citoyens. C’est en particulier le cas lorsque l’intensité de l’activisme sur Internet est plus faible, comme lors des régionales de 2015.</p>
<p>Le Tableau 1 ci-dessous complète ce portrait en montrant que, entre ceux qui se déclarent très à gauche et ceux qui se déclarent très à droite sur l’échiquier politique, des différences existent toutefois quant aux réseaux sur lesquelles ils choisissent d’être actifs :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=234&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=234&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=234&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=294&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=294&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=294&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tableau 1. A consulté, partagé, « liké » ou commenté un contenu en lien avec la présidentielle 2022 sur les réseaux sociaux ces 7 derniers jours (en %). Dans les 7 derniers jours avant la passation du questionnaire, 9,4 % des individus se déclarant au centre ont consulté, « liké » ou partagé un contenu en lien avec la présidentielle 2022 sur un réseau privé (WhatsApp, par exemple).
Champ : ensemble des répondants (N = 1619)</span>
<span class="attribution"><span class="source">French Election Study 2022, vague 1 (novembre-décembre 2021), CDS</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si Facebook semble autant mobilisé à l’extrême droite que par les individus se déclarant très à gauche, on note cependant des différences concernant tous les autres réseaux sociaux, qui sont bien plus utilisés à l’extrême droite.</p>
<p>L’écart est très important sur Twitter : seuls 2,5 % des individus se déclarant très à gauche affirment avoir consulté, partagé, « liké » ou commenté du contenu sur cette plate-forme dans les sept jours précédant l’enquête. Ce chiffre est quatre fois plus élevé chez ceux qui se positionnent très à droite (12 %), soulignant possiblement en miroir l’activisme intense des soutiens d’Éric Zemmour sur cette plate-forme.</p>
<p>Notons, enfin, que la <a href="http://www.afsp.info/archives/congres/congres2009/sectionsthematiques/st7/st7.html">sociologie des organisations partisanes</a> offre une piste d’explication complémentaire à celle esquissée ci-dessus : contrairement aux partis structurés en courants ou tendances, les partis d’extrême droite, plus centralisés et constitués autour d’un leader charismatique, ont peut-être moins de difficulté à concevoir un discours unitaire et à le faire diffuser sur Internet par leurs bases militantes.</p>
<p>Sur la base de ces résultats, et bien qu’il faille relativiser l’influence des réseaux sociaux sur le résultat final d’une élection, on peut s’attendre à ce que les électeurs soutiens d’Emmanuel Macron se mobilisent moins fortement sur Internet que les électeurs d’extrême droite – alors même qu’il est le président sortant et que sa stratégie numérique tiendra compte de ce paramètre. De même, lors des élections législatives, on peut s’attendre à nouveau à un sur-investissement des réseaux sociaux par les citoyens exprimant des préférences politiques plus polarisées que l’électorat dans son ensemble.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-publié dans le cadre du partenariat avec <a href="https://poliverse.fr">Poliverse</a> qui propose des éclairages sur le fonctionnement et le déroulement de la présidentielle</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181908/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Neihouser a reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille et du Ceraps.. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Felix-Christopher von Nostitz a reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille et du Ceraps.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>François Briatte a reçu, dans le cadre du projet de recherche PEOPLE2022, des financements de l'Université Catholique de Lille et de l'Université de Lille.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Giulia Sandri a reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille et du Ceraps.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Tristan Haute a reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille et du Ceraps.</span></em></p>On note un surinvestissement sur les réseaux sociaux de citoyens s’exprimant des préférences politiques plus polarisées que l’électorat dans son ensemble.Marie Neihouser, Chercheuse en science politique, Université Fédérale Toulouse Midi-PyrénéesFelix-Christopher von Nostitz, Research and Teaching Assistant in Political Science, Institut catholique de Lille (ICL)François Briatte, Assistant Lecturer in Political Science, Institut catholique de Lille (ICL)Giulia Sandri, Professeur en science politique, ESPOL, Université Catholique de Lille, Institut catholique de Lille (ICL)Tristan Haute, Maître de conférences, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1816692022-04-27T13:37:58Z2022-04-27T13:37:58ZPrésidentielle française : l’inexorable montée de la « droite radicale »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/459883/original/file-20220426-16-ccqiod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C8093%2C5403&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Marine Le Pen, du RN, prend la parole devant ses partisans après l'annonce des premiers résultats du second tour de l'élection présidentielle française, à Paris, le 24 avril 2022. Malgré sa défaite, la droite radicale poursuit sa montée, rejoignant des électeurs de toutes les classes sociales, et de toutes les régions.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Francois Mori)</span></span></figcaption></figure><p>Emmanuel Macron a été réélu président en récoltant <a href="https://www.resultats-elections.interieur.gouv.fr/presidentielle-2022/index.html">58,55 % des suffrages</a>, avec un écart de 17 % sur sa rivale Marine Le Pen du Rassemblement national (RN).</p>
<p>C’est un résultat moins serré que ce que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_sondages_sur_l%27%C3%A9lection_pr%C3%A9sidentielle_fran%C3%A7aise_de_2022">laissaient entrevoir les sondages</a>. En termes de pourcentage du vote exprimé, l’appui à Macron est <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/vrai-ou-fake-presidentielle-emmanuel-macron-est-il-le-plus-mal-elu-des-presidents-de-la-ve-republique-comme-l-affirme-jean-luc-melenchon_5101528.html">parmi les résultats les plus élevés depuis 1965</a>.</p>
<p>En revanche, en pourcentage des électeurs inscrits, le résultat de Macron est seulement à <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/284916-resultats-de-la-presidentielle-2022-emmanuel-macron-est-reelu">38,52 %</a>, ce qui est faible pour une présidentielle française. Ce résultat n’est pas une surprise. Les politiques de Macron, de la gestion de la crise des « Gilets jaunes » à celle de la Covid-19, ont accentué l’<a href="https://fr.statista.com/statistiques/729013/avis-des-francais-sur-emmanuel-macron/">impopularité</a> du président en exercice, surtout auprès des classes ouvrières. C’est donc <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/1er-tour-abstentionnistes-sociologie-electorat">chez les soixante ans et plus et les cadres supérieurs</a> qu’il a reçu un appui le plus net, aux deux tours.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Emmanuel Macron le bras levé" src="https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le président français, Emmanuel Macron, salue ses partisans à Paris, France, au soir de l’élection présidentielle, le 24 avril 2022. Ses politiques, de la gestion de la crise des « Gilets jaunes » à celle de la Covid-19, ont accentué l’impopularité du président en exercice, surtout auprès des classes ouvrières.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Christophe Ena)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le RN a quant à lui récolté 41,45 % du suffrage exprimé. C’est son meilleur résultat aux présidentielles. La formation avait récolté 20 % contre Jacques Chirac en 2002 et 33 % contre Macron en 2017. Au deuxième tour, Le Pen a bénéficié sans surprise de <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/second-tour-profil-des-abstentionnistes-et-sociologie-des-electorats">l’appui de 73 % de l’électorat qui a voté Zemmour au premier tour</a>. Elle a aussi profité de l’appui de <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/second-tour-profil-des-abstentionnistes-et-sociologie-des-electorats">près d’un électeur sur cinq qui avait voté pour La France Insoumise au premier tour</a>.</p>
<p>Une partie du vote RN semble être un vote « sanction » contre la <a href="https://www.opendemocracy.net/en/france-presidential-election-le-pen-macron-melenchon/?utm_term=Autofeed&utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook#Echobox=1649849970">politique de droite du président</a>. Il n’est donc pas facile de démêler ce qui relève du vote en faveur du RN d’une part, de ce qui relève du vote anti-Macron, anti-élites et antisystème de l’autre.</p>
<p>Le deuxième tour a enfin été marqué par l’abstention de près de 28,2 % des électeurs, dans un contexte de droitisation des débats. Ce taux est en croissance depuis <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-l-abstention-au-second-tour-avoisinera-les-28-soit-2-6-points-de-plus-qu-en-2017-selon-notre-estimation-ipsos-sopra-steria_5096371.html">2007</a>, mais ce n’est pas le plus élevé que la France ait connu. Les plus jeunes, en particulier, ont tourné le dos aux deux partis sortis vainqueurs du premier tour. Comme le <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/grand-entretien-presidentielle-2022-comment-interpreter-le-resultat-de-marine-le-pen-entre-banalisation-et-plafond-de-verre_5099893.html">souligne l’historien Nicolas Lebourg</a>, cet abstentionnisme peut induire une présentation « déformée » de la société française, alors que les enquêtes d’opinion font état d’une France globalement plus tolérante sur un ensemble de questions sociales.</p>
<p>En tant que chercheurs en sociologie politique, dont nous analysons les dynamiques au Canada et en Europe de l’Ouest, nous croyons essentiel de saisir les polarisations actuelles dans leur dimension politique, idéologique et sociohistorique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme passe devant des affiches de Jean-Luc Mélenchon" src="https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une femme passe devant des affiches du leader d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon avant un meeting de La France Insoumise à Hendaye, dans le sud-ouest de la France, le 30 mars 2022. Le Pen a profité de l’appui de près d’un électeur sur cinq qui avait voté pour La France Insoumise au premier tour.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Bob Edme)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>« Droitisation » et enracinement de l’extrême droite</h2>
<p>L’extrême droite de l’échiquier politique réussit désormais à aller chercher des voix depuis <a href="https://www.resultats-elections.interieur.gouv.fr/presidentielle-2022/006/976/index.html">Mayotte</a> jusqu’au XVI<sup>e</sup> arrondissement de Paris, où Reconquête et le RN y cumulaient déjà <a href="https://www.leparisien.fr/paris-75/presidentielle-a-paris-dans-le-xvie-voter-le-pen-nest-pas-chic-alors-on-y-vote-maintenant-zemmour-11-04-2022-ZA562IQKXRHVPFHASYFS7RNJI4.php">23,28 %</a> des suffrages, un score plus élevé que dans le reste de la capitale.</p>
<p>Les formations de Le Pen et Zemmour ont ainsi ratissé aussi bien auprès des « déclassés économiques » (<a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/1er-tour-abstentionnistes-sociologie-electorat">ouvriers et petits employés</a>) qu’auprès des <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/radioscopie-du-zemmourisme/">classes les plus aisées</a> de la population française.</p>
<p>Le vote d’extrême droite est bien un vote interclasses. L’élection présidentielle a confirmé la consolidation pérenne d’un électorat de droite radicale en France.</p>
<h2>La signification du vote RN</h2>
<p>Les électeurs du RN s’inscrivent dans une fracture générationnelle. Ils sont plus présents chez les 34 à 59 ans que chez les 60 ans et plus. Ces derniers sont <a href="https://www.economist.com/europe/2022/04/16/thank-the-elderly-for-keeping-europes-extremists-out-of-power">très favorables à Macron</a>, tandis que les moins de 34 ans sont plus favorables à La France Insoumise. Les 50-59 ans sont les premiers à se trouver dans ce vote RN. La génération des primovotants est celle où le taux d’abstention est le plus élevé.</p>
<p>Il est tentant de lire l’élection à travers l’opposition entre les <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/carte-resultats-presidentielle-2022-decouvrez-les-scores-du-second-tour-de-l-election-dans-votre-commune_5099896.html">centres urbains et les campagnes</a>. Cette opposition contribue à expliquer les clivages dont profite la droite populiste à plusieurs endroits. En France, par contre, l’opposition ne se vérifie pas exactement. Plus précisément, elle ne traduit pas <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/160422/vote-le-pen-sortir-d-une-lecture-binaire-entre-urbain-et-rural">l’hétérogénéité du vote rural</a>.</p>
<p>Les électeurs du RN s’inscrivent également dans une <a href="https://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-second-tour-age-revenus-profession-qui-a-vote-pour-macron-ou-le-pen-24-04-2022-YBWF7LJUGBD7FI2RN7NNXTL6IY.php">fracture sociale</a>. Il canalise ainsi l’expression d’un vote de protestation. De manière symptomatique, les <a href="https://www.lepoint.fr/presidentielle/presidentielle-marine-le-pen-renverse-les-antilles-24-04-2022-2473201_3121.php">Outre-mers ont voté pour lui en 2022</a>. Cela est d’autant plus significatif que Macron y était arrivé en tête en 2017 sur un message de rupture avec la politique conventionnelle. La Guadeloupe, la Martinique et la Guyane ont placé la France Insoumise en tête au 1<sup>er</sup> tour, mais <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/04/24/presidentielle-2022-marine-le-pen-largement-en-tete-aux-antilles-et-en-guyane_6123517_823448.html">l’abstentionnisme au second, doublé d’un transfert de votes vers la droite, a favorisé le RN</a>.</p>
<p>Ce vote de protestation explique aussi une partie des transferts de la gauche vers la droite d’électeurs chez qui l’opposition aux élites et au système est devenue plus importante que l’axe gauche-droite. Le mouvement de protestation contre les mesures sanitaires a participé à ce <a href="https://theconversation.com/ladhesion-aux-complots-et-aux-populismes-une-question-deducation-174929">brouillage des cartes</a> qui a bénéficié aux complotistes ou aux défiants à l’égard de l’État central. Ainsi entre 2017 et 2022, plusieurs nouveaux gains du RN ont été effectués dans des régions comme le sud-est qui ont connu <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/pourquoi-la-defiance-vaccinale-est-elle-plus-forte-dans-le-sud-de-la-france/">d’importantes mobilisations contre la couverture vaccinale</a>.</p>
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<img alt="Des jeunes femmes portent une pancarte et un porte-voix lors d’une manifestation" src="https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation contre le passe vaccinal à Bayonne, dans le sud-ouest de la France, le 14 août 2021. Le mouvement de protestation contre les mesures sanitaires a participé au brouillage des cartes électorales traditionnelles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Bob Edme)</span></span>
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<h2>Comment catégoriser le Rassemblement national ?</h2>
<p>L’enracinement du RN, au-delà de sa base historique, pose l’enjeu de qualification de ce pôle à l’extrême droite de l’échiquier politique.</p>
<p>On peut parler d’une forme de national-populisme, telle qu’elle existe dans d’autres démocraties libérales représentatives. Il faut souligner qu’elle conserve des liens (organisationnels, financiers, idéologiques) avec l’extrême droite historique.</p>
<p>Tout au long de la campagne, la lutte politique entre les partis a été accompagnée d’une lutte classificatoire pour catégoriser le RN comme formation politique.</p>
<p>En France, le <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/NoteBaroV13_GI_socialpopulisme_mars2022_V4.pdf">CEVIPOF</a> évoquait ainsi le « social populisme » de Le Pen et le « capitalisme populaire » de Zemmour. Ces catégories étaient censées rendre mieux compte du déplacement du programme politique de Le Pen vers « la gauche », car contenant davantage de mesures « sociales » ou « redistributives » qu’en 2017 et 2002.</p>
<p>S’il est vrai que la rhétorique du RN de 2022 a cherché à séduire un électorat populaire, les solutions envisagées par la formation à la crise du pouvoir d’achat restent néolibérales (baisse des impôts) et nativistes (appels contre le péril d’une « submersion migratoire »).</p>
<p>En effet, le RN affiche un programme de droite très classique sur le plan économique : soutien aux petites entreprises : baisse des taxes sur les produits énergétiques ; soutien à « la valeur travail » ; exonération d’impôt sur le revenu pour tous les moins de trente ans ; entrée précoce facilitée sur le marché du travail (dès 16 ans) ; baisse de l’impôt sur les successions ; <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/240322/le-vrai-faux-serieux-budgetaire-de-marine-le-pen">austérité budgétaire sur le plan fiscal</a>, non remise en cause de l’âge de départ à la retraite, etc.</p>
<h2>Nouvelles déclinaisons de l’extrême droite</h2>
<p>Plusieurs politologues, sociologues et historiens, de Cas Mudde et Pierre André Taguieff à <a href="https://hal.umontpellier.fr/hal-03130579">Nicolas Lebourg et Jean-Yves Camus</a>, répertorient différentes vagues d’extrême droite depuis 1945 : populismes protestataires et identitaires, droite radicale, national-populisme, etc. Ces catégories visent à rendre compte du fait que l’extrême droite s’est transformée depuis l’après-guerre, une époque où elles revendiquaient ouvertement une filiation avec les partis fascistes, qu’elles ne cachaient pas leur volonté d’en finir avec la démocratie libérale.</p>
<p>Pour décrire les formations d’extrême droite contemporaines, plusieurs trouvent plus précise la catégorie de <a href="https://voxeurop.eu/fr/cas-mudde-nous-sommes-actuellement-dans-la-quatrieme-vague-de-lextreme-droite-dapres-guerre/">droite radicale</a>, qui prône le nativisme, l’autoritarisme et le populisme.</p>
<p>Ces formations reprennent généralement le <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/03/31/presidentielle-2022-derriere-la-normalisation-de-marine-le-pen-un-projet-qui-reste-d-extreme-droite_6119942_6059010.html">répertoire classique de l’extrême droite</a>. Mais elles s’en démarquent en cherchant à s’intégrer dans le jeu électoral classique et en incluant à leur répertoire d’actions une défense sélective des valeurs libérales (droits des femmes, égalité et liberté, par exemple), ce que ne faisaient pas les extrêmes droites historiques. Le RN correspond bien à cette catégorie.</p>
<p>Pour ces raisons, la catégorie de droite radicale nous paraît plus précise que celle de « social-populisme » qui ne décrit pas clairement le programme économique du RN, tout en entraînant un risque de confusion avec les formations de gauche populiste latino-américaines.</p>
<h2>Le RN : une formation de droite radicale nationale-populiste</h2>
<p>Le RN s’intègre plus largement dans un national-populisme. Ce dernier cadre la vie politique en fonction de deux axes de mobilisation.</p>
<p>Sur un axe vertical, il oppose le peuple aux élites. Le projet d’une « révolution référendaire » est un classique du <em>texbook</em> populiste qui y voit une façon de plébisciter un pouvoir exécutif fort en <a href="https://theconversation.com/reviser-la-constitution-par-referendum-la-pratique-peut-elle-contredire-le-texte-181425">neutralisant les contre-pouvoirs</a>.</p>
<p>Sur un axe horizontal, il oppose les nationaux aux étrangers, en insistant sur la <a href="https://mlafrance.fr/programme">« priorité nationale »</a> pour l’accès aux droits sociaux : prestations familiales, propriété et logement. Les appels récurrents à la préservation de la « civilisation », une forme euphémisée des thèmes du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_remplacement">« grand remplacement »</a> agissent enfin comme des sifflets à chien pour capter l’électorat de Zemmour.</p>
<p>Si certains politologues estiment que le populisme a pu avoir comme effet positif de favoriser l’inclusion de voix au sein du processus démocratique dans certains pays, notre évaluation à long terme de son influence est moins optimiste. Dans sa phase actuelle, le national-populisme des droites radicales s’inscrit essentiellement dans un mouvement de dé-démocratisation et de remises en question des piliers de la démocratie libérale, des droits civils et sociaux, consolidés depuis la Seconde Guerre mondiale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181669/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Djamila Mones est Responsable de la Recherche et du Contenu pour l'Institut d'études internationales de Montréal (IEIM).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Frédérick Guillaume Dufour ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le vote d’extrême droite est devenu un vote interclasses, présent en ville comme en campagne. L’élection présidentielle a confirmé la consolidation pérenne d’un électorat de droite radicale en France.Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)Djamila Mones, Doctorante en Sociologie | PhD Candidate in Sociology, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1818502022-04-25T21:28:20Z2022-04-25T21:28:20ZDe 2002 à 2022, comprendre la présence croissante de l’extrême droite aux scrutins présidentiels<p>Pour la troisième fois en 20 ans, le second tour de la présidentielle a opposé un candidat d’extrême droite à un candidat de droite ou de centre, la gauche étant exclue du tour décisif. Quelles évolutions a-t-on observées entre ces trois scrutins et comment les expliquer ? Peut-on, en particulier, les interpréter en fonction de <a href="https://www.cairn.info/la-france-des-valeurs--9782706142659.htm">l’évolution des valeurs des Français</a> ?</p>
<p>Commençons par rappeler les résultats (tableau 1). En 20 ans, l’extrême droite a beaucoup augmenté ses scores, au point que certains sondages au soir du premier tour pronostiquaient un résultat très serré. Emmanuel Macron est finalement réélu confortablement au second tour mais moins qu’en 2017. Dans le même temps, l’abstention et les votes blancs et nuls ont nettement augmenté par rapport à 2002.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/459497/original/file-20220425-16-8yxkqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/459497/original/file-20220425-16-8yxkqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459497/original/file-20220425-16-8yxkqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=210&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459497/original/file-20220425-16-8yxkqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=210&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459497/original/file-20220425-16-8yxkqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=210&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459497/original/file-20220425-16-8yxkqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=263&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459497/original/file-20220425-16-8yxkqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=263&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459497/original/file-20220425-16-8yxkqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=263&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau des résultats, élection présidentielle 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">P.Bréchon</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Le poids des conjonctures dans les résultats électoraux</h2>
<p>Bien sûr, une partie de ces évolutions peut s’expliquer par la conjoncture de chaque scrutin. En <a href="https://www.cairn.info/le-nouveau-desordre-electoral--2724609387.htm">2002</a>, la droite radicale avait obtenu 19,2 % des exprimés au premier tour (16,9 % pour Jean-Marie Le Pen et 2,3 % pour le dissident Bruno Mégret).</p>
<p>Jean-Marie Le Pen ne retrouvait même pas au tour décisif l’ensemble des voix de sa famille politique. Autrement dit, il n’avait aucune dynamique d’élargissement de son électorat à d’autres forces politiques qui, toutes, lui préférèrent très largement Jacques Chirac, élu avec un score impressionnant (82,2 %), bénéficiant d’une très grande partie des voix de gauche.</p>
<p>L’entre deux tours avait connu une très forte mobilisation citoyenne, avec de <a href="https://theconversation.com/en-2002-les-manifestations-contre-lextreme-droite-avaient-fait-reculer-jean-marie-le-pen-au-second-tour-181083">nombreuses manifestations</a> pour s’opposer à l’extrême droite : le 1<sup>er</sup> mai, environ 1,5 million de personnes manifestèrent dans les rues des principales villes.</p>
<p>Si le premier tour avait très peu mobilisé les électeurs (28,4 % d’abstention), le second fut très différent : la participation augmentait de 8,1 points. Avant le premier tour, les deux têtes de l’exécutif, Jacques Chirac, président, et Lionel Jospin, premier ministre socialiste, ayant gouverné le pays pendant cinq ans de cohabitation, étaient considérés comme déjà quasiment qualifiés pour la bataille finale, ce qui n’incitait pas à aller voter. Avec l’éviction de Lionel Jospin de la compétition finale et la présence du leader du Front national, les abstentionnistes du premier tour, ayant souvent mauvaise conscience, se mobilisèrent fortement pour faire barrage à l’extrême droite, dans une logique de « front républicain ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-2002-les-manifestations-contre-lextreme-droite-avaient-fait-reculer-jean-marie-le-pen-au-second-tour-181083">En 2002, les manifestations contre l’extrême droite avaient fait reculer Jean-Marie Le Pen au second tour</a>
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<h2>Le tournant de 2017</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/le-vote-disruptif--9782724621655.htm">En 2017</a>, Marine Le Pen a remplacé son père à la tête du Front national et a commencé à essayer de présenter un programme moins extrémiste. Elle obtient 21,3 % des suffrages au premier tour (soit 3,4 points de plus que son père 15 ans auparavant) et 33,9 % au second, montrant qu’elle pouvait désormais compter sur un report de voix d’électeurs de droite et de gauche : environ 20 % de l’électorat Fillon du premier tour et 10 % des voix de la gauche radicale se seraient prononcées en sa faveur.</p>
<p>Emmanuel Macron, élu largement pour son premier quinquennat avec 66,1 % des exprimés, aurait obtenu le report de 79 % des suffrages de Benoît Hamon, d’environ 50 % des votes Fillon et Mélenchon. Cependant il n’y a pas eu de mobilisation anti-lepéniste comme en 2002, l’abstention progressant même de 3,2 points entre le premier et le second tour et les blancs et nuls s’envolant à 8,6 % des inscrits, un record absolu à une élection présidentielle. C’est surtout une partie des électeurs mélenchonistes qui ont refusé de choisir entre deux candidats jugés également mauvais.</p>
<p>En 2022, la droite radicale et identitaire représente au premier tour près du tiers des suffrages exprimés (Le Pen, 23,1 % ; Zemmour : 7,1 % ; Dupont-Aignan : 2,1 %), en forte progression par rapport à 2017. Ce qui conduit assez naturellement au score très élevé de Marine Le Pen au second tour. Elle gagne environ 7,6 points, Emmanuel Macron en perdant autant. Il faut cependant souligner que celui-ci conserve une assise très importante pour un président sortant et que sa stratégie centriste du « en même temps » – et <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron--9782706142635-page-111.htm">gauche, et centre et droite</a> - a bien résisté au cours de ce quinquennat.</p>
<p>L’abstention progresse encore au second tour de 2022 (28 %), sans atteindre le record de 1969 (31,1 % d’abstentions et 6,4 % de blancs et nuls, déjà dans un duel entre centre et droite). Les reports de voix des candidats battus en faveur d’Emmanuel Macron semblent avoir été moins bons qu’en 2017. Selon l’institut Ipsos, 42 % l’auraient choisi contre 52 % en 2017, tandis que 17 % votaient Le Pen contre 7 % 5 ans avant, contrairement à la demande du leader de la France insoumise de « ne pas donner une seule voix à l’extrême droite ». L’opération de dédiabolisation de la présidente du Rassemblement national <a href="https://theconversation.com/marine-le-pen-la-campagne-de-tous-les-paradoxes-181725">semble avoir été payante</a> même si elle a aussi plus ou moins généré la candidature dissidente d’Eric Zemmour.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/marine-le-pen-la-campagne-de-tous-les-paradoxes-181725">Marine Le Pen : la campagne de tous les paradoxes</a>
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<h2>L’évolution du programme électoral du Front national</h2>
<p>L’évolution des voix de droite radicale ne s’explique pas seulement par une dédiabolisation dans la forme mais aussi par <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/entre-idees-nationalistes-et-mesures-de-gauche-le-en-meme-temps-de-marine-le-pen">l’évolution du programme du Rassemblement national</a>.</p>
<p>En 2002, le Front national défendait une politique économique assez libérale, notamment axée sur la défense des commerçants et des artisans, ainsi que de petites entreprises. Le Rassemblement national soutient aujourd’hui une politique plus interventionniste de l’État au service de la souveraineté nationale et a inscrit dans son programme une politique sociale favorable aux Français de catégories populaires. Cette réorientation programmatique lui acquiert une partie importante du vote des ouvriers et des employés et facilite les reports de la gauche radicale, très en colère face au libéralisme économique d’Emmanuel Macron et à son apparent mépris pour le bas de l’échelle sociale.</p>
<p>Mais les programmes n’expliquent pas complètement les choix électoraux. Les personnalités des candidats jouent aussi, <a href="https://theconversation.com/debat-presidentiel-le-match-retour-ne-sera-pas-un-remake-181437">notamment leur image</a> plus ou moins sympathique et leur <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/presidentialite">« présidentialité »</a>, c’est-à-dire leur capacité à remplir la fonction présidentielle, notamment à l’international. La présidentialité du président sortant est évidemment bien plus forte que celle de son adversaire. Marine Le Pen peut avantageusement se présenter en candidate du peuple et du bon sens mais elle ne convainc pas vraiment sur sa présidentialité face à un Macron assez dominant, notamment dans le débat du second tour.</p>
<h2>Des choix électoraux qui traduisent – en partie – un système de valeurs</h2>
<p>Il faut enfin souligner que l’appréciation des électeurs sur le programme des candidats est très liée à leur système de valeurs. De ce point de vue, l’évolution électorale traduit de nombreux phénomènes. La confortable réélection du président doit beaucoup à l’attachement d’une part importante des Français <a href="https://www.cairn.info/la-france-des-valeurs--9782706142659-page-185.htm">à des valeurs libérales</a>, aussi bien au plan économique (ouverture à l’économie de marché et à la mondialisation) qu’à celui des libertés pour pouvoir librement choisir ses modes de vie. Elle s’explique aussi par une ouverture sur l’Europe et un certain optimisme sur les possibilités d’améliorer la société. En 1990, 6O % des Français étaient favorables à la concurrence économique selon l’enquête sur les valeurs des Français et des Européens et c’est encore le cas de 50 % d’entre eux. <a href="https://www.cairn.info/la-france-des-valeurs--9782706142659-page-99.htm">Le libéralisme des mœurs est en forte progression</a>, ce qui explique le soutien des électeurs aux réformes sur le mariage pour tous ou le souhait de libéraliser l’euthanasie.</p>
<p>Au contraire, la droite radicale est favorable à la préférence nationale, elle craint la présence immigrée en France, elle privilégie un entre-soi autour d’une <a href="https://theconversation.com/dou-vient-lobsession-identitaire-de-la-politique-francaise-175540">vision traditionnelle de la francité et un hypernationalisme</a>, elle manifeste un pessimisme fort à l’égard de la classe politique. Elle défend une société d’ordre, avec un leader pour le faire respecter, une société où les individus accomplissent leurs devoirs au lieu de toujours revendiquer leurs droits. Ces orientations ne sont pas majoritaires dans le pays, les jeunes générations et les catégories favorisées y sont les plus réticentes mais il y a bien eu une certaine progression de ces valeurs depuis 20 ans, probablement en lien avec les discours alarmistes de droite et d’extrême droite sur l’immigration et l’insécurité, avec la montée de la petite délinquance et du terrorisme.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/portrait-s-de-france-s-insecurite-de-quoi-parle-t-on-172998">Portrait(s) de France(s) : Insécurité, de quoi parle-t-on ?</a>
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<p>Dans le même temps, la gauche, électoralement affaiblie, est aujourd’hui clairement dominée par une vision radicale portée par Jean-Luc Mélenchon alors que son orientation modérée, incarnée par le PS, s’est effondrée au profit du camp macronien. Elle est portée par des valeurs de justice sociale, de lutte contre les inégalités, de fraternité qui restent très fortes dans la société française mais n’arrivent pas à déterminer le choix électoral d’autant d’électeurs que par le passé : le total des voix de gauche au premier tour est passé de 42,9 % en 2002 à 31,9 % en 2022.</p>
<p>Quant à la montée de l’abstention et des bulletins blancs au second tour, elle est non seulement explicable par une banalisation du vote d’extrême droite et une exaspération de certains électeurs à l’égard du président sortant, elle tient aussi à des orientations de valeurs moins conformistes qu’autrefois.</p>
<p>On est devenu plus critique et suspicieux à l’égard de toutes les autorités, qu’il s’agisse des médecins, des enseignants ou des hommes politiques. On se reporte donc plus difficilement sur un candidat de second tour jugé le moins mauvais, on hésite beaucoup à donner sa voix à celui qui n’était pas son candidat préféré. Il y a là un trait de valeurs spécialement développé en France par rapport à d’autres pays, notamment du nord de l’Europe, où on accepte davantage de gouverner durablement ensemble sans être d’accord sur tout. On a de la difficulté à accepter de faire des compromis, de se rallier au merle à défaut d’avoir pu faire élire la grive.</p>
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<p><em>Pierre Bréchon a publié récemment « Les élections présidentielles françaises », Presses universitaires de Grenoble-UGA éditions, février 2022.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181850/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon est directeur des collections Politique en plus et Libres cours Politique aux Presses Universitaires de Grenoble.</span></em></p>L’évolution des voix RN ne s’explique pas seulement par la « dédiabolisation » du parti lepéniste.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.