tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/ong-22484/articlesONG – The Conversation2024-02-08T16:57:47Ztag:theconversation.com,2011:article/2224532024-02-08T16:57:47Z2024-02-08T16:57:47ZSauvetage des migrants-naufragés en Méditerranée : comment la politique de l’UE doit évoluer<p>Des voix <a href="https://defishumanitaires.com/2023/06/27/en-panne-ou-a-sec-une-discussion-necessaire-sur-le-deficit-de-financement-de-laide-humanitaire/">s’élèvent de toutes parts</a> pour alerter sur les limites financières et politiques auxquelles se heurte désormais l’aide humanitaire internationale dans sa capacité de déploiement.</p>
<p>Les fonds gouvernementaux, qui représentent 80 % des ressources annuelles de cette aide humanitaire internationale, traduisent des choix directement liés aux priorités politiques des pays donateurs. La situation des secours à l’égard des migrants naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable », alors que c’est dans cette mer que l’on dénombre désormais le plus de décès sur le chemin de la migration. De 2014 à janvier 2024, le nombre de morts est ainsi estimé à <a href="https://missingmigrants.iom.int/fr/region/mediterranee">presque 29 000 personnes</a>.</p>
<h2>Une obligation morale et juridique</h2>
<p>On ne peut que regretter qu’il ne soit fait aucune mention explicite de la question du sauvetage des naufragés dans la toute récente publication de la <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/strategie-humanitaire-fr_cle8c1cde.pdf">stratégie humanitaire du gouvernement français pour sa programmation 2023-2027</a>. Il n’est toutefois pas trop tard.</p>
<p>Rappelons notamment que la France affirme dans cette stratégie qu’elle « défendra l’action humanitaire comme priorité européenne » (point 4.1.b du plan), et qu’elle portera une attention particulière aux femmes et aux enfants, populations particulièrement fragiles parmi les migrants, a fortiori parmi ceux qui tentent la traversée (points 2.4 et 2.5 du plan). 14 % de l’ensemble des personnes arrivées en Italie en 2016 après avoir traversé la Méditerranée étaient des enfants non accompagnés. Entre 2014 et 2020, <a href="https://www.migrationdataportal.org/fr/themes/child-and-young-migrants">au moins 2 300 enfants sont morts ou ont disparu au cours de leur voyage migratoire</a>. Les femmes représentent 20 % des arrivées maritimes en Europe, avec une <a href="https://journals.openedition.org/lhomme/43037">moindre chance de survivre à la traversée que les hommes</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Nombre de décès le long des routes migratoires du 1ᵉʳ janvier 2014 au 27 janvier 2024. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://missingmigrants.iom.int/data">Organisation internationale pour les Migrations (OIM)</a></span>
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<p>Il est un aspect des questions migratoires qui ne se prête pas à de rudes et parfois manichéennes controverses politiques : c’est le devoir de recherche et d’assistance aux naufragés. Car cette obligation relève d’un cadre juridique qui ne fait pas débat, que ce soit au regard du <a href="https://www.imo.org/fr/ourwork/legal/pages/unitednationsconventiononthelawofthesea.aspx">droit de la mer</a> ou du point de vue du <a href="https://www.unhcr.org/fr/media/convention-et-protocole-relatifs-au-statut-des-refugies">droit international humanitaire</a>.</p>
<p>Dès lors, comme <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/15/aucune-disposition-en-matiere-de-lutte-contre-l-immigration-illegale-ne-saurait-justifier-un-renoncement-aux-obligations-du-droit-international_6206048_3232.html">l’a réaffirmé la Commission nationale consultative des droits de l’homme</a> (CNCDH), l’inertie des gouvernements des États membres de l’UE – sous couvert de lutte anti-migration – devant les drames récurrents est intolérable aux plans moral, légal et politique.</p>
<p>Certaines agences des Nations unies se sont, elles aussi, exprimées publiquement en 2023 pour dénoncer la situation qui prévaut en Méditerranée. Dans une prise de parole commune, l’OIM, le HCR et l’UNICEF ont <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/08/1137522">publiquement appelé les États à « prendre leurs responsabilités »</a>.</p>
<h2>L’abandon du dispositif Mare Nostrum, témoin du défaut de solidarité des pays européens</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2014-1-page-20.htm">Le naufrage survenu le 3 octobre 2013 à Lampedusa</a>, qui a coûté la vie à 366 migrants, provoqua une profonde émotion en Italie. Enrico Letta, alors président du Conseil, déclencha une opération militaro-humanitaire baptisée <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Europe/L-Italie-lance-la-mission-Mare-Nostrum-2013-10-16-1043279">Mare Nostrum</a>, destinée à la fois à secourir les migrants naufragés et à dissuader les passeurs.</p>
<p>Ce dispositif, souvent salué pour son efficacité et son humanité, a eu une durée de vie éphémère.</p>
<p>Le coût du déploiement militaire était élevé, estimé à environ 9 millions d’euros par mois. Il fut presque entièrement supporté par l’Italie, l’UE n’ayant accordé qu’une aide minime, dont Rome demandait avec constance l’augmentation.</p>
<p>Outre son coût, cette opération fut aussi critiquée car elle aurait eu, selon ses détracteurs, l’effet inverse de celui recherché dans la mesure où elle aurait facilité le passage de clandestins. En effet, certains passeurs se contentaient d’acheminer leurs passagers dans les eaux italiennes à l’aide d’un navire mère, avant de les abandonner à bord de petites embarcations, récupérées ensuite par les navires italiens opérant dans le cadre de Mare Nostrum.</p>
<p>Pour ces raisons, de nombreuses personnalités en Italie demandèrent l’arrêt de l’opération. Ce fut notamment le cas du ministre de l’Intérieur Angelino Alfano. Il annonça finalement le 27 août 2014 que cette opération serait remplacée par « Frontex Plus », un programme de contrôle des frontières géré et financé par l’UE.</p>
<p>Mare Nostrum prit donc fin le 1<sup>er</sup> novembre 2014. En remplacement, Frontex mettra en place <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/saving-lives-sea/">l’opération Triton</a>, bien moins ambitieuse, qui se contentera de patrouiller dans les eaux territoriales italiennes, n’ayant ni mandat ni équipement pour procéder à des opérations de recherche et sauvetage en haute mer.</p>
<p>L’abandon de Mare Nostrum traduisit ainsi une triple défaillance de l’UE : l’absence de solidarité entre les pays membres, en particulier dans leur soutien à l’Italie ; une incapacité à mesurer la détermination de personnes voulant à tout prix échapper à la violence de leur pays d’origine ; et une myopie collective sur les risques encourus par les migrants lors de traversées sauvages.</p>
<p>Ce repli est d’autant plus inacceptable que l’UE est par ailleurs <a href="https://devinit.org/resources/global-humanitarian-assistance-report-2023/">l’un des contributeurs majeurs à l’enveloppe annuelle consacrée à l’aide internationale d’urgence</a>.</p>
<h2>Le problème de la zone de recherche et de sauvetage libyenne</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le découpage de la Méditerranée en zones de recherche et de sauvetage (Search and Rescue, SAR).</span>
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<p>Une zone SAR (« Search and rescue ») est un espace maritime aux dimensions définies, où un État côtier assure des services de recherche et de sauvetage, à commencer par la coordination des opérations. Une zone SAR s’étend à la fois sur les eaux territoriales et internationales ; ce n’est pas une zone où l’État jouit d’une autorité ou de droits étendus, mais plutôt un espace de responsabilité.</p>
<p>Au sein de sa zone SAR, l’État côtier doit <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetage-en-mediterranee/">assurer la prise en charge et la coordination des secours en mer, et trouver un lieu sûr où débarquer les rescapés</a>. Un « lieu sûr » se définit comme une destination où les naufragés verront assurés leurs besoins vitaux fondamentaux (abri, nourriture, eau, accès aux soins…) ; où ils seront en sécurité ; et où ils pourront bénéficier d’un examen de leurs droits en vue d’une éventuelle demande d’asile.</p>
<p>La zone SAR libyenne, principal théâtre d’intervention des navires de sauvetage, a été créée en 2018. Depuis, elle concentre des dysfonctionnements et des violences passés sous silence par l’UE qui finance le dispositif mis en place dans ce pays.</p>
<p>Jusqu’à 2018, la Libye n’avait pas déclaré de zone SAR au large de ses eaux territoriales, faute d’une flotte suffisante et, surtout, d’un « centre de coordination » fiable, capable de communiquer avec la haute mer. Pour éviter un « triangle des Bermudes » des secours, l’Italie avait alors élargi de fait – sinon en droit – son champ d’activité. Le 28 juin 2018, Tripoli a soudainement <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2020-1-page-29.htm">déclaré</a> auprès de l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM) sa zone « SAR » et son « Centre de coordination et de secours maritime » (Maritime Rescue Coordination Center, MRCC), officialisés du jour au lendemain. Les Italiens ont alors passé le relais aux Libyens.</p>
<p>Cette évolution résulte d’un vaste programme européen de soutien à la Libye datant de 2017, doté de 46 millions d’euros, qui visait tout à la fois à renforcer les frontières de l’Union, à lutter contre l’immigration illégale et à améliorer les opérations de sauvetage en mer. Ce plan prévoyait des moyens financiers de 6 millions d’euros par an, sur plusieurs années, pour aider Tripoli à créer sa propre SAR et son Centre de coordination. À ce budget étaient adjoints 1,8 million d’euros, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/111018/migrants-le-hold-de-la-libye-sur-les-sauvetages-en-mer">via le Fonds pour la sécurité intérieure de l’Union</a>, sans que l’on connaisse précisément le contenu des demandes faites aux autorités libyennes pour qu’elles jouent ce rôle.</p>
<p>Malgré les <a href="https://fr.africanews.com/2023/07/11/libye-des-ong-denoncent-des-tirs-de-garde-cotes-lors-dun-sauvetage//">dénonciations récurrentes par les ONG</a> du comportement des garde-côtes libyens, l’UE <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/eu-action-migration-libya/">se félicite des résultats obtenus</a>.</p>
<p>On assiste donc en Méditerranée à la mise en place d’une stratégie de « défaussement » de l’entité qui se revendique comme la plus grande démocratie mondiale, au profit d’autorités libyennes aux comportements obscurs et violents, et – par transfert de mandat – d’ONG. Ces organisations sont pourtant régulièrement soumises par les autorités des pays riverains de la Méditerranée à des stratégies délibérées de harcèlement et d’empêchement à agir, sous le regard indifférents de l’UE.</p>
<h2>La stupéfiante stratégie européenne : ne pas aider, et entraver ceux qui aident</h2>
<p>« Primum non nocere » (tout d’abord, ne pas nuire) : cette formule – familière pour les professionnels de santé – ne semble pas inspirer la politique européenne, bien au contraire.</p>
<p>L’UE, malgré sa puissance économique et financière, se refuse à toute implication financière dans son soutien aux ONG œuvrant au large de ses côtes.</p>
<p>Elle cautionne les incessants et longs déplacements des bateaux et des rescapés pris en charge à leur bord pour leur permettre de débarquer dans des ports sûrs.</p>
<p>Ainsi, en décembre 2023, <em>l’Ocean Viking</em>, navire affrété par SOS Méditerranée, a <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetages/sauvetage-26-personnes/">secouru 26 personnes</a>. Pour le débarquement des rescapés, c’est le port lointain de Livourne qui a été assigné au navire. Ce port se trouvait à plus de 1 000 km (soit plusieurs jours de navigation) de la zone de secours des naufragés, alors qu’il y avait à cette période des besoins cruciaux de capacités de recherche et de sauvetage.</p>
<p>Ce scénario s’est renouvelé dès janvier 2024 : nouvelle désignation, pour le débarquement, de Livourne, à 1 100 km du point de prise en charge <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetages/recap-ocean-viking-71-personnes-livourne/">d’un groupe de 71 personnes</a> (dont 5 femmes et 16 mineurs non accompagnés). Il résulte de ces désignations obligatoires, dont le contournement expose les sauveteurs à des sanctions immédiates, à la fois l’incapacité du bateau à agir pendant plusieurs jours, et l’aggravation des dépenses en carburant que doit engager l’association (plus de 500 000 euros de surcoût en 2023).</p>
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<span class="caption">« Port sûr » imposé au navire de SOS Méditerranée en décembre 2023, avec 26 personnes secourues à son bord.</span>
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<h2>La question cruciale de l’immobilisation récurrente des navires de sauvetage</h2>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Une photographie de la situation globale des navires de sauvetage à l’approche de l’été 2021 rend compte des paralysies répétées des moyens de secours. La quasi-totalité des navires <a href="https://www.vuesdeurope.eu/question/sur-les-10-navires-humanitaires-menant-des-operations-de-recherche-et-de-sauvetage-de-migrants-en-mediterranee-combien-etaient-immobilises-au-15-juin/">était ainsi immobilisée à la mi-juin 2021</a>. Le <em>Geo Barents</em>, affrété par l’ONG Médecins sans frontières depuis le 26 mai, était alors le seul bateau d’ONG opérationnel en Méditerranée centrale, avec l’<em>Aita Mari</em> du collectif espagnol Maydayterraneo.</p>
<p>Si certains navires furent retenus à quai pour effectuer une quarantaine ou des opérations de maintenance, la plupart ont été immobilisés par les autorités italiennes pour des raisons beaucoup plus opaques, notamment pour des « irrégularités de nature technique ».</p>
<p>Le <em>Sea-Eye 4</em> de l’ONG allemande Sea-Eye fut bloqué le 4 juin par les garde-côtes italiens pour « non-respect des règles de sécurité » après avoir effectué une quarantaine au port sicilien de Pozzallo. Il en alla de même pour l’<em>Open Arms</em> (Proactiva Open Arms), le <em>Louise Michel</em> (Banksy), le <em>Mare Jonio</em> (Mediterranea Saving Humans) ainsi que pour <em>Sea-Watch 3</em> et 4 (Sea-Watch) et l’<em>Alan Kurdi</em> (Sea-Eye), immobilisé par les autorités italiennes pendant près de six mois en Sardaigne.</p>
<p>Cette stratégie d’immobilisations et de rétentions de navires s’est renforcée à partir de début 2023.</p>
<p>La législation italienne a alors intégré les effets du <a href="https://www.vuesdeurope.eu/italie-un-nouveau-decret-entrave-les-operations-de-sauvetage-en-mer-des-ong/">décret-loi « Piantedosi »</a>, qui limite la capacité des navires de recherche et de sauvetage appartenant à des ONG à effectuer plusieurs opérations de secours consécutives. Tout écart, pour des motifs parfois aussi futiles que pernicieux, peut désormais conduire le navire et son équipage à une immobilisation forcée.</p>
<p><a href="https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/le-gouvernement-italien-devrait-envisager-de-retirer-le-d%C3%A9cret-loi-qui-pourrait-entraver-les-op%C3%A9rations-de-recherche-et-de-sauvetage-en-mer-des-ong">L’interpellation du ministre italien</a> à l’origine du décret par la Commissaire aux droits de l’homme de Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, pour demander le retrait du décret, est pourtant restée sans effet.</p>
<h2>Les foucades climatiques de la Méditerranée : « les médicanes »</h2>
<p>Ainsi se déploient en toute impunité des situations de « non-assistance à personnes en danger » alors même que les tentatives de traversée se déroulent dans une mer connue pour ses brusques accès de colère. La montée en puissance de ces tempêtes est aujourd’hui connue sous le néologisme <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/qu-est-ce-que-le-medicane-ce-cyclone-de-type-mediterraneen-qui-a-ravage-la-libye_6059961.html">« médicane »</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Théodore Gudin, « Coup de vent du 7 janvier 1831 dans la rade d’Alger. »</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010055650">Musée national de la Marine, Paris</a></span>
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<p>On appelle Médicane (contraction de « Mediterranean Hurricane ») un système dépressionnaire orageux générant des vents forts en Méditerranée, et tourbillonnant autour d’un centre à cœur chaud. Ces tempêtes sont plus scientifiquement dénommées « cyclones subtropicaux Méditerranéens ». Même si leur taille et leur puissance sont nettement moins importantes que celles d’un véritable cyclone tropical (les vents y atteignent rarement les 150km/h, sauf dans les cas les plus extrêmes), elles possèdent <a href="https://www.meteo-paris.com/actualites/le-medicane-helios-provoque-d-importantes-intemperies-sur-la-sicile">certaines caractéristiques proches</a>.</p>
<p>Durant les sauvetages effectués en décembre 2023, <em>l’Ocean Viking</em> s’est non seulement vu attribuer un port de débarquement lointain, mais a aussi essuyé un refus, en chemin pour Livourne, quand il a demandé à pouvoir se mettre à l’abri dans un port protégé, alors que sévissait une tempête de force 8…</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Historique des trajectoires des médicanes recensés entre 2000 et 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Navigation-Mac</span></span>
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<p>Des mesures urgentes et concrètes sont dès lors impératives pour réaffirmer la dimension humanitaire des actions développées par les navires de secours et la priorité du <em>primum non nocere</em>.</p>
<h2>Les nécessaires évolutions dans l’organisation des secours en mer</h2>
<p>Il convient de rappeler le caractère intolérable au plan moral et politique de l’inertie des gouvernements des États membres de l’UE devant les drames récurrents, et de mettre fin au cercle vicieux que provoquent les financements européens à destination de la Libye et de la Tunisie, devenue aujourd’hui le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/01/09/en-2023-l-europe-a-fait-face-a-un-rebond-migratoire-venu-du-sud_6209816_3212.html">principal point de départ des tentatives de traversée</a>.</p>
<p>Une réaffirmation des éléments de droit international, européen et national concernant la mise en œuvre impérative des secours pourra se fonder sur l’explicitation des textes de références qui régissent le droit de la mer et le Droit international humanitaire.</p>
<p>Ces éléments de droits pourront utilement comprendre l’explicitation des condamnations pénales auxquelles s’exposent les personnes qui se refusent à secourir les naufragés. Les équipages des navires qui croisent des embarcations en détresse – et qui pourraient intervenir – dérogent, en ne portant pas secours aux embarcations en perdition, à l’impérative assistance à personnes en danger.</p>
<p>Il est également nécessaire d’accroître la transparence des mécanismes de soutien mis en œuvre à destination des autorités libyennes et tunisiennes par l’UE, d’enquêter sur la nature et l’utilisation des ressources (matériel, financement, formations, RH…), et de mettre en œuvre des <a href="https://www.infomigrants.net/en/post/51021/tunisia-and-libya-share-responsibility-for-hundreds-of-migrants-at-border">mécanismes de redevabilité</a> efficaces.</p>
<p>Il faut, aussi, se doter de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/30/migration-inscrivons-l-obligation-d-identification-des-defunts-anonymes-dans-le-droit-europeen_6187087_3232.html">tous les moyens nécessaires pour permettre d’identifier les noyés</a> dont les corps sont retrouvés. Cette identification est impérative pour que soit ainsi réaffirmée leur inaliénable humanité, et les moyens d’informer objectivement les familles des personnes décédées.</p>
<p>Plus généralement, la Méditerranée centrale, de même que d’autres théâtres de crise humanitaire en haute mer, doit être reconnue comme <a href="https://www.urd.org/fr/thematique/espace-humanitaire/">espace humanitaire</a>.</p>
<p>Les bailleurs de fonds bilatéraux (étatiques), européens (<a href="https://civil-protection-humanitarian-aid.ec.europa.eu/index_fr">ECHO</a>), et multilatéraux (dont les Nations unies) doivent intégrer la Méditerranée centrale dans leurs plans de financement de l’aide humanitaire internationale.</p>
<p>Les opérations de recherche et de secours ne peuvent pas être criminalisées pour ce qu’elles sont, mais reconnues comme des opérations humanitaires et protégées comme telles.</p>
<p>Une coordination effective des activités de recherche et de secours en Méditerranée doit être mise en place par les pays riverains concernés, avec le soutien de l’UE. Les États européens doivent coopérer plus étroitement et plus efficacement pour améliorer le déroulement des opérations de sauvetage elles-mêmes.</p>
<p>Les modalités d’assignation d’un « lieu sûr » pour le débarquement des rescapés doivent être explicitées, systématisées et améliorées dans la perspective de faciliter les sauvetages. L’assignation délibérée – non argumentée – de ports très éloignés pour le débarquement des naufragés doit être prohibée. Cette stratégie « déshabille » en permanence les faibles moyens de secours existants, pour des naufragés, dont une proportion non négligeable est composée de mineurs. Elle renforce les risques de naufrages mortels. Elle est incompréhensible à l’heure ou l’Europe prône l’exemplarité environnementale.</p>
<p>Les mesures contraignantes et répétitives d’immobilisation des navires, pour des motifs parfois fallacieux, doivent cesser.</p>
<p>L’ensemble de ces demandes a fait l’objet, en France, d’une <a href="https://www.cncdh.fr/actualite/sauvetage-des-migrants-en-mediterranee-la-cncdh-adopte-une-declaration">déclaration en urgence de la CNCDH</a>, parue au <em>Journal officiel</em> le 23 octobre 2023.</p>
<p>Le dispositif <em>Mare Nostrum</em> continue de servir de repère. Les organisations humanitaires appellent de leurs vœux le réinvestissement solidaire et concret des <em>États européens</em> dans les sauvetages en Méditerranée. Elles ne peuvent se satisfaire de la seule délégation de responsabilité dont elles ont hérité <em>par défaut des politiques publiques de l’UE</em>, comme antidote à la violence incontrôlée en vigueur dans les pays de la rive sud de la Méditerranée.</p>
<p>La récente signature du <a href="https://www.touteleurope.eu/societe/que-contient-le-pacte-europeen-sur-la-migration-et-l-asile/">« Pacte sur les migrations et l’asile »</a> n’a rien de rassurant pour l’avenir. En retenant une définition du nouveau concept d’« instrumentalisation des migrations » qui pourra inclure les ONG si elles ont « pour objectif de déstabiliser l’Union », le pacte laisse le champ libre aux États européens pour <a href="https://www.lacimade.org/accord-sur-le-pacte-ue-migrations-et-asile-leurope-renonce-a-lhumanite-et-la-solidarite/">criminaliser les organisations civiles de secours et de sauvetage en mer</a>.</p>
<p>La composition du futur Parlement européen, que les prévisions donnent dominé par la droite, après les élections de juin 2024, pourrait avoir des conséquences sur la gestion des naufrages aux portes de l’Europe. Le rôle et la vigilance des organisations issues de la société civile restent ainsi d’une cruciale importance.</p>
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<p><em>Pierre Micheletti a récemment publié <a href="https://langagepluriel.org/publications/tu-es-younis-ibrahim-jam/">« Tu es Younis Ibrahim Jama »</a>, roman inspiré de faits réels dont l’action se déroule entre le Soudan, le Tchad et la France.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222453/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Micheletti est membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et administrateur de l'ONG SOS Méditerranée.</span></em></p>Quelque 29 000 personnes sont mortes en Méditerranée depuis 2014. Ce sont surtout des ONG qui portent secours aux naufragés, du fait de la politique restrictive de l’UE.Pierre Micheletti, Responsable du diplôme «Santé -- Solidarité -- Précarité» à la Faculté de médecine de Grenoble, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2191352023-12-06T18:04:59Z2023-12-06T18:04:59ZLa méditation de pleine conscience pourrait aider à passer à l’action pour le climat<p>Nous savons aujourd’hui que les changements nécessaires pour affronter le réchauffement climatique doivent se produire à plusieurs niveaux. Les États, les entreprises, organisations non gouvernementales (ONG), mais aussi les citoyens, ont tous un rôle à jouer. En cette fin d’année, avec la COP 28 officielle à Dubaï, ainsi que des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/environnement/article/cop-28-a-dubai-que-cherchent-ces-scientifiques-en-rebellion-organisent-un-contre-sommet-a-bordeaux-clx1_225781.html">mini-COP28 alternatives</a> qui s’organisent dans plusieurs villes de France, il nous semble pertinent de participer à la réflexion sur les possibles leviers d’action pour faire face aux enjeux climatiques.</p>
<p>Cependant, il semblerait que les êtres humains que nous sommes aient des <a href="https://academic.oup.com/rfs/article-abstract/33/3/1112/5735304?redirectedFrom=fulltext">capacités d’attention limitées</a>, ce qui expliquerait notre difficulté à avancer suffisamment vite en faveur du climat. La théorie du comportement qui émane de la littérature en psychologie montre que nos attitudes et intentions <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/074959789190020T?via%3Dihub">impactent nos comportements</a> mais qu’il existerait un écart entre nos intentions à agir en faveur de l’environnement et notre action véritable.</p>
<p>En effet, malgré une attitude pro-environnementale et un désir d’agir pour la planète, il y aurait peu d’individus qui passeraient véritablement à l’action. Ce « green gap » exprimerait <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0148296318304004?via%3Dihub">l’écart entre nos intentions louables et nos actions véritables</a> en faveur de l’environnement.</p>
<h2>Dissonances cognitives</h2>
<p>Des études récentes ont pu démontrer que la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/meditation-34997">méditation</a> de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/pleine-conscience-34998">pleine conscience</a> pourrait réduire ce « green gap ». En effet, la méditation de pleine conscience permettrait aux personnes de mieux appréhender leurs comportements inconscients et de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0191886916311412?via%3Dihub">réduire le phénomène de dissonance cognitive</a>, c’est-à-dire à être mieux en phase entre leurs propres valeurs, leur subjectivité et leur action dans le monde.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Certaines études ont mis en évidence la corrélation entre le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0013916517738036">niveau de pleine conscience et les comportements durables</a>, en mesurant l’intensité de la conviction par rapport au changement climatique, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921800917315550?via%3Dihub">l’attitude environnementale</a> ou encore le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0272494419302166?via%3Dihub">soutien aux politiques publiques en faveur du climat</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pour-les-managers-la-meditation-pleine-conscience-fait-bien-plus-que-reduire-le-stress-197727">Pour les managers, la méditation pleine conscience fait bien plus que réduire le stress</a>
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<p>Cependant, des limites ont été identifiées dans ces études. Premièrement, elles sont souvent basées sur des corrélations, c’est-à-dire des liens entre les phénomènes et pas des relations de cause à effet, ainsi que sur les intentions des participants. Deuxièmement, ces études adoptent une approche expérimentale de la méditation sur plusieurs semaines, ce qui engendre parfois des résultats incertains en raison d’une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s12671-019-01163-1">moindre implication progressive</a> des participants.</p>
<p>Pour faire face à ces problèmes, nous avons mené une <a href="https://www.mdpi.com/2071-1050/15/13/10491">étude expérimentale</a> courte afin de mieux comprendre les effets potentiels de la méditation de pleine conscience non seulement sur l’intention à agir pour le climat mais surtout sur le comportement véritable des participants.</p>
<h2>10 minutes par jour suffisent</h2>
<p>Notre étude se base une méthodologie provenant de l’économie comportementale. Elle démontre qu’une méditation de 10 minutes par jour pourrait être suffisante pour inciter des participants à agir en faveur de l’environnement. En effet, pour mesurer véritablement le passage à l’action de nos participants, nous leur avons permis d’allouer une partie de la rémunération reçue pour leur participation à notre étude envers l’ONG World Wildlife Fund (WWF).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1270114347428306944"}"></div></p>
<p>Les résultats de notre étude, menée sur 1000 participants et qui compare l’impact de trois types de méditations de pleine conscience différentes à un groupe de contrôle, révèlent que plusieurs types de méditation de pleine conscience peuvent avoir un impact sur l’attitude environnementale des participants ainsi que leur soutien aux politiques publiques en faveur de l’environnement. La méditation en pleine conscience en marchant se distingue par sa capacité à influencer les participants à faire un don en faveur de l’ONG WWF.</p>
<p>Ces résultats encourageants pourront, nous l’espérons, influencer les décideurs politiques qui se réuniront en ce moment à Dubaï mais aussi dans différentes villes de France et qui cherchent le soutien des citoyens en faveur de politiques publiques soutenant l’environnement.</p>
<p>Pour conclure, il est fascinant de réaliser que seulement dix minutes de méditation de pleine conscience peuvent déjà avoir un impact sur un comportement durable. Imaginons quel pourrait être l’impact d’une pratique régulière de méditation de pleine conscience pour lutter contre le changement climatique. Les possibilités sont infinies. À vos coussins !</p>
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<p><em>Rayan Elatmani, Étudiant en marketing et statistiques à la Columbia Business School, a participé à la rédaction de cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219135/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julie Bayle-Cordier est membre de l'Initiative Mindfulness France <a href="http://www.initiativemindfulnessfrance.com/">http://www.initiativemindfulnessfrance.com/</a>
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Loïc Berger a reçu un financement du programme de recherche et d'innovation Horizon Europe de l'Union européenne dans le cadre d'une convention de subvention (No 101056891 CAPABLE).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Massimo Tavoni a reçu un financement du programme de recherche et d'innovation Horizon Europe de l'Union européenne dans le cadre d'une convention de subvention (No 101056891 CAPABLE).</span></em></p>Une étude expérimentale a montré que méditer 10 minutes, idéalement en marchant, avait encouragé les participants à donner à une ONG.Julie Bayle-Cordier, Assistant professor, IÉSEG School of ManagementLoïc Berger, Chercheur CNRS, LEM (UMR 9221), IÉSEG School of ManagementMassimo Tavoni, Director of European Institute on Economics and the Environment, full professor at the School of Management, Polytechnic University of MilanLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2086082023-07-06T17:19:56Z2023-07-06T17:19:56ZRussie : la condamnation emblématique d’Oleg Orlov, figure de la lutte pour les droits humains<p><em>Oleg Orlov <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/27/le-dissident-russe-oleg-orlov-condamne-a-deux-ans-et-demi-de-prison-pour-ses-denonciations-de-l-offensive-militaire-en-ukraine_6218816_3210.html">vient d'être condamné à deux ans et demi de prison</a>. Nous vous proposons de relire cet article rédigé il y a quelques mois, au moment de la deuxième audience de son procès.</em></p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1762413076303823286"}"></div></p>
<p>Le 8 juin dernier, un <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/russie-ouverture-du-proces-de-lactiviste-oleg-orlov-figure-de-long-memorial-accuse-davoir-discredite-larmee-20230608_3LE2R2WNWVCB7KETZGDZGNUHME/">procès s’est ouvert à Moscou</a> contre <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Oleg-Orlov-pacifiste-russe-indomptable-2022-07-14-1201224878">Oleg Orlov</a>, 70 ans, éminent défenseur des droits humains en Russie, coprésident de l’organisation Centre de défense des droits humains <a href="https://memorialcenter.org/">Memorial</a>. Il est jugé pour avoir « jeté le discrédit sur l’action de l’armée russe » en Ukraine. <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/guerre-en-ukraine-cinq-questions-sur-la-loi-de-censure-votee-en-russie-qui-condamne-toute-information-mensongere-sur-l-armee_4992688.html">Une loi adoptée peu après l’attaque lancée par Moscou en février 2022</a>, interdisant toute forme de critique de l’armée russe.</p>
<p>Après une courte première audience, qui ne fut que formelle, une deuxième audience <a href="https://twitter.com/france_memorial/status/1675822606971273216">s’est tenue le 3 juillet</a>. Pour l’instant, si de nouvelles charges ne sont pas retenues contre lui, il risque une peine de trois ans de prison.</p>
<p>Sa vie entière a été consacrée à la défense des droits humains, dans l’URSS finissante d’abord, puis dans la Russie de Boris Eltsine, spécialement durant la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) et, depuis 2000, dans celle de Vladimir Poutine, où la société civile a été progressivement, et de plus en plus rapidement au cours de ces dernières années, mise au pas par le régime. Revenir sur son engagement, qui lui a valu d’innombrables problèmes judiciaires et aussi des attaques physiques, permet de mieux saisir l’ampleur de la tâche à laquelle les défenseurs des droits humains se consacrent en Russie depuis des décennies, au péril souvent de leur liberté, parfois de leur vie.</p>
<h2>Une vie au service des droits humains</h2>
<p>La vocation d’Oleg Orlov s’est manifestée très tôt. En 1979, alors qu’il travaille comme biologiste à l’Institut de physiologie végétale, il imprime après le travail des tracts dénonçant la guerre en Afghanistan et les affiche dans des entrées d’immeubles, des stations de bus et des cabines téléphoniques. En 1981, il s’élève de la même manière contre l’interdiction du syndicat Solidarność en Pologne. Il expliquera plus tard qu’il avait agi ainsi, prenant des risques considérables dans le contexte de la dictature soviétique, car il sentait qu’il ne lui était pas possible de se taire.</p>
<p>C’est tout naturellement, que, à la fin des années 1980, il compte parmi les <a href="http://prequel.memo.ru/fr">fondateurs de l’ONG <em>Memorial</em></a>. Les membres de cette organisation <a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-2009-3-page-131.htm">créée à l’origine pour entretenir la mémoire des victimes de la répression stalinienne</a> et prévenir un retour à de telles répressions comprirent vite que leur mission allait de pair avec la protection des droits humains dans la Russie contemporaine. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=514&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535529/original/file-20230704-17529-tbnchm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=646&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Oleg Orlov, deuxième à partir de la gauche, lors d’une manifestation de Memorial à Moscou le 1ᵉʳ mai 1990 en soutien à la Lituanie, placée sous blocus par les autorités soviétiques pour avoir proclamé son indépendance.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://prequel.memo.ru/fr">D. Bork Memorial</a></span>
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<p>En 1990, Orlov abandonne sa profession de biologiste pour rejoindre la commission parlementaire des droits de l’homme, officiellement créée auprès du Soviet suprême de la République socialiste fédérative soviétique de Russie. Il ne lui était pas facile de devenir ainsi un représentant officiel de l’État, mais <a href="https://desk-russie.eu/2021/08/20/serguei-kovalev-la-conscience-de-la-russie.html">Sergueï Kovalev</a>, une des très grandes figures de la dissidence et ancien prisonnier politique soviétique, l’a convaincu d’accepter : « On doit profiter de cette occasion, cela ne durera peut-être pas longtemps. »</p>
<p>Il ne s’était pas trompé : Oleg Orlov ne resta à cette position que trois ans, durant lesquels son activité donna de nombreux résultats. La commission des droits de l’homme a notamment rédigé d’importantes lois sur la réhabilitation des victimes de la répression politique, sur les réfugiés et sur le système pénitentiaire.</p>
<p>En 1993, après le <a href="https://theconversation.com/comment-une-democratie-peut-sauto-dissoudre-lexemple-de-la-russie-des-annees-1990-196914">conflit sanglant entre le président Boris Eltsine et le Parlement</a>, Orlov décide de quitter une position officielle, pour se concentrer sur son travail au sein de Memorial. Cette même année, l’ONG se dote d’un Centre des droits humains, visant spécifiquement à documenter les violations commises par le pouvoir et à procurer une aide, notamment juridique, aux victimes. Orlov en prend rapidement la tête.</p>
<p>Depuis lors, pas un seul conflit armé dans lequel la Russie a été impliquée n’a échappé à la vigilance de cette organisation <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n128/article/russie-comment-defendre-les-droits-de-lhomme">et d’Oleg Orlov en particulier</a> : les deux guerres de Tchétchénie, la guerre contre la Géorgie en 2008, la guerre dans le Donbass en 2014-2016.</p>
<h2>Ne pas se taire sur les crimes du pouvoir</h2>
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<p>« Le “nettoyage” du village s’est accompagné de meurtres de civils, de violences à l’égard des personnes arrêtées, de pillages et d’incendies de maisons. C’est au cours de ce “nettoyage” que la plupart des villageois ont été tués et la plupart des maisons détruites. […]</p>
<p>Les tirs de mitrailleuses des véhicules blindés de transport de troupes et des chars d’assaut qui entraient dans le village ont aussi fait de nombreuses victimes parmi les villageois. Le 7 avril, 1<sup>er</sup> jour de l’opération, deux hommes âgés de 75 et 34 ans ont été tués lorsque les militaires sont entrés dans le village. Le lendemain, des tirs provenant de véhicules blindés de transport de troupes ou de chars qui passaient ont tué une jeune fille de 18 ans, un homme de 61 ans et un adolescent de 16 ans […]. De nombreux témoins ont rapporté que les soldats russes lançaient délibérément des grenades dans les sous-sols et les pièces des maisons, ainsi que dans les cours, sachant ou soupçonnant que des personnes s’y trouvaient. […]</p>
<p>Le 8 avril, un homme de 37 ans, blessé lors du bombardement de la veille, a été détenu chez lui avec son frère pour être “filtré”. Lors du convoi, d’autres détenus l’ont porté sur une civière. Près de la gare, sur ordre des convoyeurs, ils ont posé la civière au sol et les militaires ont abattu le blessé. Le même jour, un homme de 62 ans a été abattu à bout portant par des militaires dans une maison, puis aspergé d’essence et incendié. »</p>
</blockquote>
<p>Ce texte ne décrit pas les <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/03/1133307#:%7E:text=Les%20attaques%20russes%20contre%20les,de%20l%E2%80%99homme%20de%20l%E2%80%99">crimes de guerre</a> commis par l’armée russe à <a href="https://theconversation.com/ukraine-comment-les-equipes-medico-legales-enquetent-sur-les-atrocites-de-boutcha-180991">Boutcha</a> ou Irpin. Il est extrait d’un rapport du Centre des droits humains Memorial, dont Orlov était l’un des auteurs, portant sur les événements survenus dans le <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1995/04/16/des-democrates-russes-denoncent-les-exactions-commises-dans-le-village-tchetchene-de-samachki_3868188_1819218.html">village tchétchène de Samachki</a> les 7 et 8 avril 1995, durant la première guerre de Tchétchénie. Depuis, le modus operandi de l’armée russe n’a pas beaucoup changé.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/finlande-1939-tchetchenie-1994-ukraine-2022-pourquoi-les-guerres-russes-se-ressemblent-elles-181730">Finlande 1939, Tchétchénie 1994, Ukraine 2022 : pourquoi les guerres russes se ressemblent-elles ?</a>
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<p>En Tchétchénie, Oleg Orlov a pris tous les risques. Ainsi, il a participé en juin 1995 aux <a href="https://www.rightsinrussia.org/orlov-2/">négociations avec les terroristes</a> qui, sous le commandement de Chamil Bassaïev, avaient pris des otages dans la ville de Boudionnovsk, dans le Caucase du Nord. À l’issue de ces échanges, des membres du groupe de négociateurs, dont Orlov, se sont portés volontaires pour rester aux mains du commando en tant qu’otages, en échange de la libération des 1 500 otages aux mains du groupe Bassaïev.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iGMii7ZCTYo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En 2007, il est <a href="https://www.reuters.com/article/us-russia-ingushetia-idUSL242348520071124">enlevé avec un groupe de journalistes</a> par des hommes armés masqués dans un hôtel d’Ingouchie, toujours dans le Caucase russe. Conduits hors de la ville dans un champ, ils furent menacés d’exécution et finalement passés à tabac, leurs ravisseurs exigeant qu’ils quittent l’Ingouchie et n’y reviennent jamais.</p>
<p>Le modus operandi des forces répressives du Caucase du Nord, n’a pas changé depuis ces années, comme en témoigne l’agression violente contre la journaliste de Novaïa Gazeta Elena Milachina et l’avocat Alexandre Nemov commise le 4 juillet 2023, alors qu’ils se trouvaient en Tchétchénie pour suivre le procès d’une femme, Zarema Moussaïeva, ayant pour seul tort d’être la mère d’opposants au satrape local, Ramzan Kadyrov, et qui a d’ailleurs été <a href="https://www.themoscowtimes.com/2023/07/04/chechen-court-sentences-mother-of-prominent-activist-to-55-years-in-prison-a81728">condamnée ce même 4 juillet à cinq ans et demi de prison</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1676271581314662400"}"></div></p>
<p>Pendant toutes ces années, Oleg Orlov a vu ses collègues kidnappés, torturés et <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2009/07/16/natalia-estemirova-ou-la-mort-a-petit-feu-des-droits-de-l-homme-en-tchetchenie_1219634_3214.html">assassinés</a>, les bureaux de Memorial dans le Caucase du Nord <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20180117-russie-bureaux-ong-memorial-incendies-caucase">incendiés</a>, le Centre des droits humains Memorial <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2014/07/21/russie-l-ong-memorial-enregistree-comme-agent-de-l-etranger_4460831_3214.html">déclaré agent de l’étranger</a> en 2014 par les autorités russes, puis <a href="https://www.lepoint.fr/monde/russie-la-justice-dissout-le-centre-des-droits-humains-de-l-ong-memorial-29-12-2021-2458520_24.php">dissous</a> le 29 décembre 2021. Cette dissolution est officiellement entrée en vigueur le 5 avril 2022, quelques mois avant l’attribution à Memorial, conjointement avec le militant biélorusse Ales Bialiatski et l’ONG ukrainienne Centre pour les libertés civiles, du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/07/le-prix-nobel-de-la-paix-2022-attribue-a-l-ong-russe-memorial-au-centre-pour-les-libertes-civiles-ukrainien-et-a-l-opposant-bielorusse-ales-bialiatski_6144814_3210.html">prix Nobel de la paix 2022</a>.</p>
<p>Trente ans durant, le <a href="https://www.rferl.org/a/russia-faces-of-memorial-stories-/31631658.html">Centre</a> aura documenté des milliers de cas de violations des droits humains et tenté de faire rendre des comptes aux responsables. Il était évident qu’avec l’invasion massive de l’Ukraine, les autorités russes décideraient de liquider définitivement une telle organisation et de réduire ses membres au silence, en les poussant au départ ou en les envoyant derrière les barreaux. Ce contexte pesant n’a toutefois jamais découragé Oleg Orlov de poursuivre son action de défense des droits humains.</p>
<h2>Protester contre la guerre en Ukraine depuis la Russie</h2>
<p>Le 26 février 2022, deux jours après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il s’est rendu devant le Parlement russe, portant une pancarte sur laquelle il avait dessiné une colombe de la paix. Il n’y est pas resté plus de cinq minutes, arrêté par la police. Pensait-il qu’une telle colombe dessinée sur une feuille A4 arrêterait la guerre ? Ou réveillerait la conscience des députés russes ?</p>
<p>Bien sûr, il n’est pas aussi naïf, mais une fois de plus, il ne pouvait se taire. Il est ainsi, entre le 24 février et mai 2022, descendu cinq fois dans la rue pour manifester seul, <a href="https://www.rtbf.be/article/guerre-en-ukraine-un-opposant-au-kremlin-interpelle-apres-une-manifestation-solitaire-sur-la-place-rouge-10972536">et s’est retrouvé chaque fois au poste de police</a>. Sur ces pancartes il avait écrit : « Paix à l’Ukraine, liberté à la Russie » ; « La folie de Poutine pousse l’humanité vers une guerre nucléaire » ; « Notre refus de connaître la vérité et notre silence nous rendent complices du crime » ; « URSS 1945, pays victorieux du fascisme ; Russie 2022, pays du fascisme triomphant ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1513141513764618248"}"></div></p>
<p>Chaque fois, un tribunal russe l’a reconnu coupable, d’abord d’avoir enfreint les règles de rassemblement, puis d’avoir violé les nouvelles lois adoptées à la hâte qui ont renforcé la censure de toute opposition à la guerre. Chacune de ces condamnations donne lieu à des amendes et, surtout, est inscrite dans son casier judiciaire ; c’est pourquoi, quand en novembre 2022, Orlov publie un <a href="https://blogs.mediapart.fr/russie-les-voix-de-la-dissidence-daujourdhui/blog/131122/russie-ils-voulaient-le-fascisme-ils-lont-eu">article</a> sur le site français Mediapart où il compare le régime de Poutine à un régime fasciste, article dont il dépose la version russe sur sa page Facebook, l’appareil répressif s’en saisit immédiatement et l’inculpe pour avoir « jeté le discrédit de façon répétée » sur les actions de l’armée russe.</p>
<p>Il risque désormais jusqu’à trois années de prison. Il est fort possible que ce ne soit que le début d’une longue persécution. Les autorités russes, qui <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/sep/20/russia-recruits-inmates-ukraine-war-wagner-prigozhin">amnistient facilement des assassins</a>, punissent durement les propos tenus contre le régime.</p>
<p>Oleg Orlov n’a pas été placé en détention avant son procès. Il est soumis à l’engagement de ne pas quitter le pays, comme si les autorités lui laissaient entendre qu’il n’est pas trop tard pour échapper à la prison en quittant clandestinement la Russie. Mais tout au long de sa vie, malgré les multiples pressions qu’il a subies, le militant n’a jamais souhaité émigrer. Bien que se sachant menacé, il a toujours considéré que sa place était là, à Moscou et partout sur le terrain.</p>
<p>Aujourd’hui, il n’a pas dérogé à ce choix. À la différence de la politique soviétique menée face à la dissidence, qui évitait, pour l’essentiel, que les opposants au régime quittent le territoire, ou les utilisait parfois comme des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14682745.2013.793310">monnaies d’échange</a>, les autorités russes <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ifri_inozemstev_exode_juillet_2023.pdf">poussent aujourd’hui toutes celles et ceux qui les critiquent à quitter leur pays</a>. Elles mènent des perquisitions pour signifier à certains opposants qu’ils n’ont désormais pour choix que la fuite ou l’incarcération. Ils laissent les frontières ouvertes, espérant ainsi « purifier » le pays de tous ceux qui s’opposent à la guerre et à l’autoritarisme de Vladimir Poutine. Oleg Orlov n’a pas voulu céder à ce chantage. Il est resté et a continué, inlassablement, de se battre pour les droits humains. Au risque de perdre sa liberté pour de longues années.</p>
<p>Qu’advient-il de Memorial, l’organisation qui a été la sienne durant toutes ces années, désormais liquidée ? Son nom n’a pas été choisi par hasard : la mémoire ne peut être liquidée, quels que soient les efforts de l’appareil répressif et judiciaire russe. Le Centre des droits humains Memorial est devenu le Centre de défense des droits humains Memorial (organisation créée, mais non enregistrée, ce qui est pour l’instant un statut légal en Russie). Ses objectifs restent les mêmes et ses membres poursuivent son action, aujourd’hui comme hier. Cela d’autant plus que ces droits n’ont jamais été autant bafoués. Oleg Orlov est là pour nous le rappeler.</p>
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<p><em>Cet article a été coécrit avec Natalia Morozova (FIDH et Centre de défense des droits humains Memorial)</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208608/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Blum est membre fondateur de Mémorial-France, association créée en 2021 pour soutenir l'ONG russe Mémorial et ses membres.</span></em></p>Inlassable militant des droits de l’homme Oleg Orlov, figure de la grande ONG russe Memorial, vient d’être condamné à deux ans et demi de prison pour avoir dénoncé la guerre russe en Ukraine.Alain Blum, Directeur de recherche, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1984522023-02-12T17:27:29Z2023-02-12T17:27:29ZQuels rôles pour les ONG occidentales dans un monde qui se « désoccidentalise » ?<p>À deux semaines de « l’anniversaire » du déclenchement par la Russie de la guerre en Ukraine, et alors que les <a href="https://reliefweb.int/report/world/2023-global-humanitarian-overview-presentation-global-humanitarian-overview-under-secretary-general-humanitarian-affairs-and-emergency-relief-coordinator-martin-griffiths-geneva-1-december-2022">besoins humanitaires ne cessent de croître sur la planète</a>, la Turquie et la Syrie viennent d’être touchées par une série de séismes ayant fait à ce jour <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/02/09/seisme-en-turquie-et-en-syrie-le-bilan-depasse-desormais-les-20-000-morts-10988002.php">plus de 20 000 morts</a>.</p>
<p>Partout, l’aide humanitaire est souvent apportée par des organisations non gouvernementales (ONG) <em>occidentales</em>. Or leur rôle dans la réponse aux crises humanitaires de toutes sortes est de plus en plus remis en question. </p>
<p><a href="https://books.openedition.org/irdeditions/8728?lang=fr">Elles se voient reprocher</a> tout à la fois, et de façon plus ou moins fondée, leur ingérence excessive et l’insuffisance de leur action, la mauvaise utilisation des fonds qui leur sont alloués, et aussi leur incapacité à pleinement comprendre les pays où elles interviennent et à coopérer efficacement avec les structures locales.</p>
<h2>Les ONG occidentales au cœur du système d’aide internationale</h2>
<p>Les ONG sont des organisations relativement anciennes. L’ambiguïté même de leur dénomination révèle <a href="https://www.cairn.info/les-ong--9782707182081.htm">« une réalité difficile à cerner »</a>. Elles sont <a href="https://www.coordinationsud.org/espace-membres/le-secteur-des-ong-francaises/">généralement définies</a> comme des structures non lucratives (associations ou fondations), issues d’une mobilisation militante et citoyenne. Elles agissent pour l’intérêt général, dans une dimension transnationale. Elles sont classées en trois catégories : solidarité internationale (comme <a href="https://www.msf.fr/">Médecins sans frontières</a> ou <a href="https://www.oxfam.org/fr">Oxfam</a>), droits humains (comme <a href="https://www.amnesty.org/fr/">Amnesty International</a>) et environnement (comme <a href="https://www.greenpeace.fr/">Greenpeace</a>). Nombre d’entre elles sont en réalité aujourd’hui actives dans ces trois domaines.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Les ONG <em>occidentales</em> (européennes ou nord-américaines) sont les plus connues et celles qui disposent de budgets les plus importants. Elles se structurent pour certaines dans des fédérations ou réseaux internationaux d’ONG – on parle alors d’ONG <em>internationales</em> – qui réunissent les différentes organisations nationales, aussi bien <em>occidentales</em> que <em>non occidentales</em>. Le réseau MSF international, par exemple, <a href="https://www.msf.org/how-we-are-run#offices">est composé</a> d’une trentaine de délégations nationales et de six centres opérationnels répartis sur tous les continents.</p>
<p>Le poids des organisations <em>occidentales</em> dans ces réseaux internationaux reste prépondérant. Celles-ci sont souvent celles qui mobilisent le plus de financements. Il existe par ailleurs de nombreuses ONG <em>non occidentales</em> dans les pays d’intervention des ONG <em>occidentales</em>, non affiliées à ces réseaux internationaux. Mais rares sont celles – à quelques exceptions près comme le <a href="https://www.brac.net/">Bangladesh Rural Advancement Committe (BRAC)</a> – qui possèdent la même notoriété.</p>
<p>Enfin, les ONG <em>occidentales</em> et <em>non occidentales</em> côtoient dans leurs activités d’autres acteurs de l’aide internationale. C’est notamment le cas de plusieurs agences des Nations unies comme l’<a href="https://www.unicef.org/">UNICEF</a> ou le <a href="https://www.unocha.org/">Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA)</a>, ou encore des institutions publiques de coopération bilatérale, comme l’<a href="https://www.afd.fr/fr">Agence française de développement (AFD)</a>.</p>
<h2>L’Ukraine, un exemple type</h2>
<p>À l’occasion du <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/12/13/solidaires-du-peuple-ukrainien">sommet sur l’Ukraine</a>, organisé en France le 13 décembre sous l’impulsion de l’Élysée, <a href="https://www.liberation.fr/international/aide-humanitaire-en-ukraine-un-probleme-de-fonds-20221208_WTPWAIG4LVHWXLVYKFMGT3XK5A/">plusieurs voix s’interrogeaient</a> sur la capacité des ONG <em>occidentales</em>, en particulier celles affiliées aux grands réseaux internationaux, à distribuer l’aide au plus proche des besoins des Ukrainiens et des Ukrainiennes.</p>
<p><a href="https://reliefweb.int/report/ukraine/ukraine-2022-flash-appeal-funding-snapshot-30-january-2023">Les chiffres publiés par OCHA</a>, à la date du 17 janvier 2023, sont <em>a priori</em> assez édifiants. Sur les 3,42 milliards de dollars alloués à la réponse humanitaire en Ukraine, les ONG internationales et les agences onusiennes ont reçu à elles seules 88 % de l’aide disponible (respectivement 27 % et 61 %). Les 12 % de fonds restants ont été reçus par les acteurs ukrainiens locaux et nationaux (ONG non affiliées aux réseaux internationaux, mouvements citoyens, services publics, etc.).</p>
<p>Si les critiques visant l’action des ONG ne sont pas nouvelles, en <a href="https://globalfundcommunityfoundations.org/news/an-open-letter-to-international-donors-and-ngos-who-want-to-genuinely-help-ukraine/">Ukraine</a>, ou ailleurs, <a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/1426185_file_Ramachandran_Walz_haiti_FINAL.pdf">par exemple en Haïti</a>, les situations de crise humanitaire illustrent, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/12/pour-soutenir-l-ukraine-il-faut-aider-les-acteurs-locaux_6154069_3232.html">aux yeux de certains observateurs</a>, l’omniprésence des ONG <em>occidentales</em>, et leurs difficultés à collaborer avec des acteurs nationaux préexistants.</p>
<p>C’est notamment le cas en Ukraine, où existaient avant le déclenchement de la guerre une société civile active et structurée, ainsi que de nombreux services publics et un État loin d’être failli. Et comme le montre le Groupe URD (<em>think tank</em> indépendant spécialisé dans l’analyse des actions humanitaires) dans un <a href="https://www.urd.org/wp-content/uploads/2022/09/Ukraine_RTEReport_GroupeURD_ENG.pdf">récent rapport</a>, les associations locales et nationales, ainsi que les collectivités territoriales, sont essentielles dans la réponse aux besoins des populations.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/portraits-dukraine-alessia-benevole-aupres-des-refugies-a-dnipro-32-ans-189011">Portraits d’Ukraine : Alessia, bénévole auprès des réfugiés à Dnipro, 32 ans</a>
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<h2>Un secteur des ONG en croissance mais confronté à de nouvelles difficultés</h2>
<p>À première vue, le secteur des ONG internationales, en particulier les ONG françaises, se porte plutôt bien. Confirmant une tendance de fond, leurs ressources cumulées (publiques et privées) <a href="https://www.coordinationsud.org/wp-content/uploads/Etude-MSE-Coordination-SUD-1.pdf">sont ainsi passées</a> de 1,6 milliard d’euros en 2016 à près de 2,3 milliards en 2020, soit une croissance de 43 %. Ces volumes importants cachent cependant de fortes disparités : en 2020, les neuf plus grandes ONG françaises <a href="https://www.coordinationsud.org/wp-content/uploads/Synthese-Etude-MSE-Coordination-SUD-1.pdf">captaient</a> plus de 74 ; % des ressources mobilisées par le pays.</p>
<p>Cette mobilisation importante de ressources, qui s’inscrit globalement dans des stratégies de croissance des plus grandes organisations (comme <a href="https://www.solidarites.org/wp-content/uploads/2021/09/plan-strategique-2022-2025.pdf">Solidarités International</a> ou <a href="https://www.actioncontrelafaim.org/wp-content/uploads/2022/06/ACF-MIF-strategie2021-2025-vfinale_compressed.pdf">Action Contre la Faim</a>), s’accompagne de nombreux défis.</p>
<p>D’une part, les ONG sont confrontées à un rétrécissement important de l’espace dévolu à leurs activités de solidarité. On l’a récement vu par exemple en <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/afghanistan-six-ong-suspendent-leurs-activites-apres-linterdiction-de-travailler-avec-des-femmes-20221226_3MZX2OYLL5DYFHCDTFZF6XRT2I/">Afghanistan</a>, où plusieurs ONG ont cessé leur action après l’interdiction prononcée par le gouvernement des talibans de faire travailler des femmes, et au <a href="https://www.maliweb.net/communique/mali-le-gouvernement-de-la-transition-decide-dinterdire-les-activites-des-ong-operant-au-mali-sur-financement-de-la-france-2999953.html">Mali</a>, où le gouvernement de transition, dans un contexte de tension extrême avec Paris, a interdit toutes les activités menées par des ONG dans le pays avec l’appui matériel ou technique de la France, y compris dans le domaine humanitaire.</p>
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<p>D’autre part, la mobilisation de financements de plus en plus importants en volume s’accompagne de contraintes de gestion, qui, si <a href="https://www.cairn.info/le-management-des-ong--9782348059018.htm">elles ne sont pas nouvelles</a>, complexifient la mise en œuvre des projets. Certaines procédures instituant pour les ONG des procédures de conformité à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, ainsi que des <a href="https://www.alternatives-humanitaires.org/fr/2022/08/16/le-soutien-sous-controle-des-acteurs-de-la-societe-civile-le-cas-des-organisations-de-solidarite-internationale-francaises-et-europeennes/">obligations de criblage</a>, en sont les parfaits exemples. Si une <a href="https://journals.openedition.org/revdh/16070">résolution récente de l’ONU</a> confirme l’exemption de criblage pour les actions humanitaires – qui ne sont qu’une partie des actions des ONG – ces contraintes de gestion sont coûteuses et complexes à mettre en œuvre, limitant <em>de facto</em> leurs capacités d’intervention.</p>
<p>En ce sens, cette normalisation accrue traduit certainement la matérialisation de rôles nouveaux dévolus aux différents types d’ONG. Les plus grandes ont ainsi tendance à être davantage considérées comme des partenaires stratégiques des États dans la mise en place de politiques d’aide au développement et d’aide humanitaire, ce que <a href="https://www.alternatives-humanitaires.org/fr/2022/08/16/le-soutien-sous-controle-des-acteurs-de-la-societe-civile-le-cas-des-organisations-de-solidarite-internationale-francaises-et-europeennes/">nous écrivions</a> par ailleurs en 2022.</p>
<p>En outre, les ONG <em>occidentales</em> sont aujourd’hui, comme d’autres types d’organisations, confrontées à l’émergence de nouveaux acteurs, dans un champ qui se reconfigure. Inscrite en 2016 à l’agenda humanitaire par le Sommet mondial sur l’action humanitaire tenu à Istanbul et le <a href="https://interagencystandingcommittee.org/node/40190">Grand Bargain</a> (accord unique entre les plus grands donateurs et agences humanitaires qui se sont engagés à améliorer l’efficience et l’efficacité de l’action humanitaire), la dynamique de <a href="https://www.coordinationsud.org/document-ressource/etude-onglab-localisation-de-laide/">localisation de l’aide</a> a facilité l’émergence d’organisations locales et nationales <em>non occidentales</em>. L’objectif consistant à faire en sorte que 25 % de l’aide humanitaire transite par ces organisations est <a href="https://interagencystandingcommittee.org/system/files/2022-06/GrandBargainAnnualIndependentReport2022%20--%20ExecutiveSummary.pdf">encore loin d’être atteint</a>.</p>
<p>Cela n’empêche pas ces organisations d’être très actives, en particulier en Afrique de l’Ouest, où des mouvements citoyens plus informels, comme <a href="https://tournonslapage.org/fr">Tournons la page</a> – qui revendique près de 250 organisations dans dix pays – mobilisent « pour promouvoir l’alternance démocratique en Afrique ».</p>
<p>Enfin, les ONG sont également concurrencées en <em>Occident</em> par une diversité d’autres acteurs, prônant tous des modèles socio-économiques plus efficaces et rentables. C’est notamment le cas des organisations non associatives de l’économie sociale et solidaire (ESS), ou encore des <em>International development contractors</em> (IDC), <a href="https://www.newsweek.com/beltway-bandits-96591">acteurs privés prestataires</a>, principaux récipiendaires de l’<a href="https://www.developmentaid.org/news-stream/post/141002/top-usaid-contractors-for-2021">APD américaine</a>.</p>
<h2>Vers une décolonisation des pratiques du secteur ?</h2>
<p>Cette reconfiguration du rôle des ONG <em>occidentales</em> s’inscrit bien sûr dans une reconfiguration plus globale du monde, qui les impacte à au moins deux niveaux.</p>
<p>Accusées pour certaines d’être « structurellement racistes », notamment par des <a href="https://www.peacedirect.org/wp-content/uploads/2021/05/PD-Decolonising-Aid_Second-Edition.pdf">ONG <em>non occidentales</em></a>, elles ont progressivement <a href="https://www.nuffield.ox.ac.uk/media/5189/ingos_leadership_report_final_single-pages.pdf">pris conscience</a> qu’elles pouvaient être, dans leurs pratiques de gestion, à tout le moins discriminantes, voire empreintes d’une certaine <a href="https://journals.openedition.org/cal/1550">« colonialité »</a>, qui consiste en « l’articulation planétaire d’un système de pouvoir “occidental” […] qui se fonde sur une infériorisation prétendument naturelle des lieux, des groupes humains, des savoirs et des subjectivités non occidentales ».</p>
<p>En outre, comme toutes les organisations <em>occidentales</em> – issues de pays considérés par l’OCDE comme industrialisés, sources de la plupart des émissions de gaz à effet de serre passées et actuelles –, elles sont appelées par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CNUCC) à réduire leur empreinte environnementale.</p>
<p>À ce titre, en France, depuis décembre 2020, dix ONG d’action humanitaire parmi les plus importantes <a href="https://www.urd.org/fr/publication/declaration-dengagement-des-organisations-humanitaires-sur-le-climat-2020/">se sont engagées</a> à réduire de 30 % leurs émissions de GES d’ici à 2025, et 50 % à l’horizon 2030. Accélérée par la crise sanitaire, cette dynamique va <em>de facto</em> entraîner pour les ONG <em>occidentales</em> des évolutions des pratiques de gestion et des repositionnements, à la fois en <a href="https://theconversation.com/quand-la-crise-sanitaire-rebat-les-cartes-entre-les-acteurs-de-la-solidarite-nationale-et-internationale-171560">France</a>, et dans leurs pays d’intervention.</p>
<p>Les ONG <em>occidentales</em> sont donc appelées à une transformation effective de leur modèle organisationnel, historiquement empreint d’une certaine <em>colonialité</em> et insoutenable d’un point de vue environnemental. </p>
<p>Au regard de leur capacité ancienne à évoluer, nul doute que ces chantiers, s’ils sont pris au sérieux, ne feront que légitimer leur mandat et renforcer l’utilité sociale de leurs actions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198452/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Pradier travaille actuellement en tant que chargé d'études et d'analyses pour Coordination SUD, la plate-forme des ONG françaises de solidarité internationale, et en tant que doctorant en CIFRE (financement ANR) en sciences de gestion à l'IAE de Paris 1. Il mène un travaille de recherche sur les ONG françaises de solidarité internationale, dont certaines de celles citées dans l'article.</span></em></p>L’aide apportée aux victimes de catastrophes humanitaires est dans une large mesure l’affaire des ONG occidentales. Ces dernières doivent évoluer pour mieux répondre aux besoins des acteurs locaux.Vincent Pradier, Doctorant en sciences de gestion, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1957532022-12-05T19:05:27Z2022-12-05T19:05:27ZCOP15 : comment financer un accord ambitieux pour protéger la biodiversité ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/498471/original/file-20221201-6191-vit0cw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2048%2C1361&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À Madagascar, un fonds fiduciaire de conservation soutenu par l’Agence française de développement apporte son soutien financier au Parc national de l’Isalo, domaine notamment des lémuriens.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/gridarendal/31636922381">Grid Arendal / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Après deux années de <a href="https://www.geo.fr/environnement/cop15-biodiversite-le-lieu-et-la-date-enfin-fixes-apres-de-multiples-reports-210480">reports</a>, la COP15 sur la biodiversité se tiendra finalement du 7 au 19 décembre prochain à Montréal. Le sommet doit permettre d’établir un nouveau cadre mondial pour mettre un terme à l’érosion de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/biodiversite-20584">biodiversité</a> d’ici à 2030. </p>
<p>Le rendez-vous semble crucial : <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/cop15-biodiversite-les-mesures-pour-proteger-les-especes-jugees-insuffisantes-1380229">aucun des précédents objectifs</a> portant sur la période 2010-2020 n’a pas été atteint et la pression sur les milieux naturels ne cesse de s’accroître. Les espèces disparaissent à un rythme sans précédent, plus d’un million est menacé d’extinction et 75 % de la surface terrestre a déjà été altérée par l’homme.</p>
<p>Des tensions se cristallisent notamment autour de la question du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/financement-61240">financement</a> du nouveau cadre mondial, condition indispensable à la réussite d’un accord ambitieux. La mobilisation de tous les acteurs, publics comme privés, est nécessaire.</p>
<p>Sont notamment concernées les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/aires-protegees-68383">aires protégées</a>, instrument phare en matière de protection de la biodiversité. Rien que pour atteindre l’objectif de sauvegarder 30 % des habitats terrestres et marins à l’horizon 2030, on estime que les besoins de financement de ces zones s’élèveront <a href="https://www.afd.fr/fr/actualites/biodiversite-les-solutions-du-petit-livre-de-linvestissement-pour-la-nature">entre 149 à 192 milliards de dollars par an</a>.</p>
<p>Face à ces montants considérables, les experts indiquent qu’il faut créer des écosystèmes de financement favorables permettant de diversifier les mécanismes et les sources. À ce titre, plusieurs outils présentent un grand intérêt et gagneraient à être développés.</p>
<p>C’est le cas des Fonds fiduciaires de conservation qui contribuent, moins par des volumes importants que par leur action continue, stable et de long terme à construire cet écosystème de financement. Ils sont une centaine actuellement dans le monde, dont huit soutenus par l’Agence française de développement et le Fonds français pour l’environnement mondial. De leur <a href="https://www.afd.fr/fr/ressources/evaluation-des-contributions-de-lafd-et-du-ffem-des-fonds-fiduciaires-de-conservation-de-la-biodiversite-2005-2019">évaluation</a>, nous avons tiré plusieurs enseignements utiles dans la perspective d’opérer un changement d’échelle.</p>
<h2>Rentable et stable</h2>
<p>Les Fonds fiduciaires pour la conservation sont des institutions privées, juridiquement indépendantes, qui se donnent pour objectif de fournir des financements pérennes dédiés à des actions de conservation. Ils agissent tels des « contrats d’assurance vie » pour les aires protégées.</p>
<p>Ainsi des ressources collectées auprès des bailleurs internationaux, des États ou des acteurs du secteur privé permettent de générer, via des investissements diversifiés sur les marchés de capitaux, un rendement financier. Celui-ci est ensuite reversé sous forme de subventions à des aires protégées ou à des organisations non gouvernementales (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/ong-22484">ONG</a>) agissant en faveur de la biodiversité. Ces fonds viennent ainsi compléter les appuis déjà apportés par les États et les ressources tirées du tourisme.</p>
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<p>Le premier enseignement qui ressort de notre étude est leur capacité à atteindre leurs objectifs de <strong>rendement financier</strong>, de l’ordre de 4 % en moyenne, tout en limitant la prise de risque. Les politiques d’investissement encadrant la structuration du portefeuille financier des fonds et définissant les objectifs de rendement ont été largement respectées et appliquées de manière performante.</p>
<p>D’autant, second enseignement, que cela se fait avec une grande <strong>stabilité</strong>. L’outil présente en effet une capacité à créer des moyens additionnels significatifs et surtout réguliers pour la conservation de la biodiversité terrestre, marine et côtière. Même en pleine crise sanitaire, ces fonds ont été en mesure de continuer à allouer des subventions alors que de nombreux financements n’étaient plus assurés par ailleurs.</p>
<p>La <strong>gouvernance des fonds</strong> et leur mode de fonctionnement interne ont également fait l’objet d’une analyse. Elle met en avant une conformité aux normes de pratiques élaborées par la Conservation Finance Alliance (CFA) qui anime la communauté des fonds et promeut le développement de leurs expertises. Est à souligner, d’autre part, un effet d’apprentissage : les créations les plus récentes bénéficient des enseignements et de l’expérience des plus anciennes.</p>
<h2>Une éthique financière à faire progresser encore</h2>
<p>La <a href="https://www.iucn.org/fr/news/protected-areas/202105/le-monde-a-atteint-lobjectif-de-couverture-des-aires-protegees-sur-terre-mais-leur-qualite-doit-etre-amelioreele">communauté internationale</a> s’est progressivement <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/DP_Biotope_Ministere_strat-aires-protegees_210111_5_GSA.pdf">engagée</a> à augmenter les superficies à conserver et le nombre des aires protégées marines et terrestres et les Fonds fiduciaires de conservation ont su répondre aux évolutions en la matière. Nouvelles activités, croissance, diversification des sources de financement, exigences accrues en termes de suivi des activités, tout ceci a pu être observé.</p>
<p>Les huit fonds ont su mobiliser de nouvelles ressources de manière dynamique, et prouvé leur rôle de catalyseur de financement. Des outils innovants ont été adoptés, tels que les <a href="https://www.biofund.org.mz/wp-content/uploads/2017/03/Sust-Financing-PA-CTF-and-Projects-Comparative-Advantages-2014.pdf">paiements pour services écosystémiques</a>, qui visent à rémunérer des actions de restauration ou de protection des écosystèmes. En Mauritanie par exemple, le Fonds <a href="https://bacomab.org/">Bacomab</a> s’est ainsi positionné dans les accords de pêche avec l’Union européenne. Il bénéficie depuis d’un transfert financier lié au service rendu par le Parc national du Banc d’Arguin, principal bénéficiaire du Bacomab, pour le renouvellement de la ressource halieutique.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/498473/original/file-20221201-26-ayu6vu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/498473/original/file-20221201-26-ayu6vu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/498473/original/file-20221201-26-ayu6vu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/498473/original/file-20221201-26-ayu6vu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/498473/original/file-20221201-26-ayu6vu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/498473/original/file-20221201-26-ayu6vu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/498473/original/file-20221201-26-ayu6vu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/498473/original/file-20221201-26-ayu6vu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le Bacomab, en Mauritanie, apporte des financements au parc national du banc d’Arguin et à ses acteurs qui prennent soin des ressources halieutiques.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/christing/119281886">Christine Vaufrey/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nos travaux relèvent néanmoins des limites dans le suivi des normes éthiques appliquées aux investissements. Il semble qu’il y ait un vrai enjeu de renforcement des ambitions en la matière, de leur formulation à leur mise en œuvre effective. Si l’évaluation note les progrès importants déjà réalisés, des réflexions sont en cours pour un meilleur encadrement avec un recours croissant à des investissements dits socialement responsables, respectant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.</p>
<h2>Pour un meilleur suivi des impacts</h2>
<p>L’analyse avait également vocation à juger de l’impact sur le terrain des financements alloués par ces fonds et plus précisément de leur contribution effective à la conservation de la biodiversité. Si des efforts se poursuivent pour une meilleure prise en compte des risques environnementaux et sociaux dans la définition et le suivi des activités, il ressort que les impacts ne sont pas aisément mesurables et attribuables aux appuis des Fonds fiduciaires pour la conservation.</p>
<p>Certains ont su développer des outils de suivi adaptés et accompagner les aires protégées sur ces sujets : c’est le cas de la Fondation pour les aires protégées et la biodiversité de Madagascar, qui a mis en place, avec les aires protégées qu’elle soutient, des indicateurs lui permettant de rendre compte des impacts des activités financées sur l’amélioration de la biodiversité. Mais beaucoup ont encore à franchir ici une nouvelle étape pour accompagner leur essor.</p>
<p>Ces mécanismes de financements apparus à la fin des années 1990 se sont multipliés et n’ont cessé de se perfectionner au cours des trente dernières années, tout en assurant leur mission première : financer de manière stable et pérenne la protection de la biodiversité. Certes, il leur reste vraisemblablement à renforcer encore les normes éthiques de leurs placements et la mesure des impacts de leurs activités.</p>
<p>Mais le bilan semble largement positif, surtout mis au regard des crises récentes qui ont parfois amené des réductions drastiques de financement public de la conservation face aux priorités de santé publique ou de lutte contre l’insécurité. Les négociateurs présents à la prochaine COP15 disposent ainsi d’arguments solides pour ne pas oublier d’inclure ces mécanismes dans la création d’un écosystème de financement de l’accord mondial pour la biodiversité post 2030.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195753/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les Fonds fiduciaires de conservation, qui ont fait leurs preuves à l’échelle locale, semblent pertinents pour diversifier le dispositif global de financement de l’accord post 2030.Claire Cogoluènhes, Chargée d'évaluations, Agence française de développement (AFD)Julien Calas, Chargé de recherche biodiversité, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1929232022-10-27T14:01:59Z2022-10-27T14:01:59ZCOP27 en Égypte : le pays hôte, un cancre des droits et libertés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/491925/original/file-20221026-4292-rkw0so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=51%2C0%2C5760%2C3819&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur cette photo prise le 6 novembre 2015, des soldats égyptiens contrôlent l'entrée de l'aéroport international de Charm el-Cheikh. C'est dans cette station balnéaire du Sinaï qu'aura lieu la COP27.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Thomas Hartwell, File)</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.canada.ca/fr/services/environnement/meteo/changementsclimatiques/mesures-internationales-canada/conference-onu-changement-climatique/sommet-cop27.html">La 27ᵉ Conférence des Parties (COP27)</a> s’amorce sous peu dans la station balnéaire paradisiaque de Charm el Sheikh, en Égypte.</p>
<p>Le pays est l’hôte d’une nouvelle session de négociations climatiques qui va porter notamment sur les pertes et préjudices causés par le changement climatique. Il sera aussi question du rehaussement du niveau d’ambition climatique des Parties à travers leur <a href="https://unfccc.int/NDCREG">contribution nationale déterminée</a> (CDN). Il s’agit d’un mécanisme issu de l’<a href="https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/services/changements-climatiques/accord-paris.html">Accord de Paris</a> et qui rassemble tous les engagements climatiques auxquels un État souscrit, notamment en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et d’adaptation au changement climatique.</p>
<p>Cependant, au-delà de cette grande rencontre internationale sur l’action climatique, il y a une ombre au tableau : les droits de la personne. Le constat est sans équivoque : <a href="https://www.state.gov/reports/2021-country-reports-on-human-rights-practices/egypt">l’hôte de la COP27, l’Égypte, fait piètre figure</a> en la matière.</p>
<p>Le pays obtient un score anémique de 18 % de la <a href="https://freedomhouse.org/countries/freedom-world/scores?sort=asc&order=Total%20Score%20and%20Status">Freedom House</a> au chapitre des droits politiques et des libertés civiles, qui le qualifie également de non libre. Il s’agit du score le plus bas jamais obtenu par un pays hôte de la COP depuis les 30 dernières années.</p>
<p>Des experts des <a href="https://www.ohchr.org/en/press-releases/2022/10/egypt-un-experts-alarmed-restrictions-civil-society-ahead-climate-summit">Nations unies</a> affirment être très inquiets de la situation. Le pays hôte entretient un profond climat de peur et de surveillance, selon <a href="https://www.hrw.org/tag/egypt-crackdown-civil-society">Human Rights Watch</a> alors que près de <a href="https://www.theguardian.com/environment/2022/oct/18/greenwashing-police-state-egypt-cop27-masquerade-naomi-klein-climate-crisis">60 000 prisonniers politiques</a> croupissent derrière les barreaux des prisons et sont victimes d’actes de torture.</p>
<p>Le 20 octobre, l’activiste Greta Thunberg a même incité ses abonnés sur Twitter à signer une pétition condamnant les abus en Égypte.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1583158062994829313"}"></div></p>
<p>Tous les États sont obligés de respecter, promouvoir et protéger les droits de chaque individu sans aucune discrimination, rappelle le <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Publications/FSheet38_FAQ_HR_CC_EN.pdf">Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme</a>.</p>
<p>Étudiant au doctorat en science politique à l’Université Laval, mes intérêts de recherche portent sur la transition énergétique, la justice climatique, les politiques climatiques internationales et l’économie verte. Je suis aussi membre étudiant de l’<a href="https://droits-observatoire-cerium.org">Observatoire des droits de la personne</a> du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM).</p>
<h2>Un mauvais signal</h2>
<p>Les autorités égyptiennes <a href="https://www.hrw.org/news/2022/09/12/egypt-government-undermining-environmental-groups">restreignent l’accès</a> de la société civile, dont les groupes de défenseurs de l’environnement et des droits de la personne, aux activités publiques organisées en marge de la COP27, qui se déroule dans une station balnéaire, loin de la capitale, Le Caire. La rencontre a certes un volet officiel réunissant des délégués de toutes les Parties pour des rondes de négociations, mais aussi un volet public qui réunit des milliers d’acteurs, dont ceux de la société civile.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme en maillot de bain devant la mer, avec un bateau en arrière-plan" src="https://images.theconversation.com/files/491927/original/file-20221026-19-gmct48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/491927/original/file-20221026-19-gmct48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/491927/original/file-20221026-19-gmct48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/491927/original/file-20221026-19-gmct48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/491927/original/file-20221026-19-gmct48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/491927/original/file-20221026-19-gmct48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/491927/original/file-20221026-19-gmct48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La COP27 se déroule dans la station balnéaire de Sharm el-Cheikh, dans le Sinaï, loin de la capitale, Le Caire, ce qui rendra difficile l’accès aux activités publiques organisées en marge de la conférence.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Ahmed Abd El-Latif, File)</span></span>
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</figure>
<p>Selon l’ONG <a href="https://www.hrw.org/news/2022/09/12/egypt-government-undermining-environmental-groups">Human Rights Watch</a> (HRW), l’Égypte limite considérablement « […] la capacité des groupes environnementaux à réaliser des politiques indépendantes, des activités de plaidoyer et des travaux essentiels à la protection de l’environnement naturel du pays […] ». Ces restrictions violent des droits fondamentaux de la <a href="https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/2021/03/udhr.pdf">Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations unies</a>, dont celui de réunion, d’association, de pensée et de conscience et de protection des intérêts découlant de toute production scientifique.</p>
<p>Tous ces abus compromettent la capacité de l’Égypte à atteindre ses engagements en matière d’environnement et d’action climatique. Paradoxalement, l’objectif de ce sommet mondial vise à rehausser le niveau d’ambition des Parties et promouvoir la justice climatique. « Faites ce que je dis mais pas ce que je fais » semble être l’orientation que semble suivre l’Égypte jusqu’à maintenant.</p>
<p>Cela envoie un bien mauvais signal aux 198 États parties de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) qui se rendent à Charm el Cheikh. Certains ne sont pas du tout motivés à participer à l’effort climatique mondial. De fait, les violations de l’Égypte contribuent d’une certaine manière à légitimer ses propres actions aux yeux d’autres États ayant un contexte similaire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Justin Trudeau et Steven Guilbeault" src="https://images.theconversation.com/files/491931/original/file-20221026-6157-wyxbqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/491931/original/file-20221026-6157-wyxbqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/491931/original/file-20221026-6157-wyxbqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/491931/original/file-20221026-6157-wyxbqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/491931/original/file-20221026-6157-wyxbqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/491931/original/file-20221026-6157-wyxbqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/491931/original/file-20221026-6157-wyxbqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le premier ministre Justin Trudeau et le ministre de l’Environnement Steven Guilbeault lors de la COP26, à Glasgow, en Écosse, le 2 novembre 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Sean Kilpatrick</span></span>
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<h2>Des obstacles nombreux pour les défenseurs de l’environnement</h2>
<p>Selon HRW, le gouvernement égyptien a mis en place des obstacles arbitraires quant au financement, à la recherche et à l’enregistrement qui nuisent aux activités des groupes environnementaux locaux. Ces multiples obstacles ont forcé des militants de la société civile à s’exiler et d’autres à éviter d’entreprendre des travaux de recherche portant sur l’enjeu du climat.</p>
<p>Depuis l’accession au pouvoir du président <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Abdel_Fattah_al-Sissi">Abdel Fattah al-Sissi</a> en 2014, les groupes de défense de l’environnement subissent du harcèlement et de l’intimidation, des arrestations injustifiées, reçoivent des amendes onéreuses non-fondées, ont des difficultés d’accès aux voyages et vivent dans une atmosphère générale de peur. La présence de ces groupes a fortement diminué.</p>
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<img alt="Le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi" src="https://images.theconversation.com/files/491928/original/file-20221026-16-ygd3io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/491928/original/file-20221026-16-ygd3io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/491928/original/file-20221026-16-ygd3io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/491928/original/file-20221026-16-ygd3io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/491928/original/file-20221026-16-ygd3io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/491928/original/file-20221026-16-ygd3io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/491928/original/file-20221026-16-ygd3io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le président égyptien el-Sissi lors d’une conférence de presse à Belgrade, le 20 juillet 2022. Depuis son accession au pouvoir en 2014, les groupes de défense de l’environnement subissent du harcèlement et de l’intimidation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Darko Vojinovic, File)</span></span>
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<p>À cela s’ajoute la fermeture de près de <a href="https://www.hrw.org/news/2019/07/24/egypt-new-ngo-law-renews-draconian-restrictions">2 000 ONG étrangères</a> consacrées à la défense de l’environnement et des droits de la personne en raison de la répression exercée par les autorités égyptiennes. Une tolérance de plus en plus grande est observée à l’égard des activités environnementales qui ne sont pas perçues comme critiques et qui sont alignées avec les priorités gouvernementales comme le recyclage, les énergies renouvelables, la finance climatique et la sécurité alimentaire.</p>
<p>En d’autres mots, toute activité publique est susceptible d’être réprimée si elle n’épouse pas les idées prônées par l’État égyptien.</p>
<h2>Un cancre des droits de la personne</h2>
<p>Les nouvelles <a href="https://euromedrights.org/publication/egypt-authorities-must-repeal-the-outrageous-ngo-law/">lois adoptées</a> par le président al-Sissi en 2019 impliquent aussi des contraintes sévères à la collaboration entre des organisations internationales et des organisations de la société civile égyptienne. Une approbation gouvernementale doit être obtenue pour la conduite de sondages d’opinion publique et de travaux de recherche. Cette même loi <a href="https://freedomhouse.org/country/egypt/freedom-world/2022">limite sévèrement</a> les activités des ONG perçues comme « […] une menace à la sécurité nationale, la moralité publique et l’ordre public […] ».</p>
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<img alt="Un homme à vélo, devant une affiche électorale" src="https://images.theconversation.com/files/491943/original/file-20221026-6305-a261lx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/491943/original/file-20221026-6305-a261lx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=808&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/491943/original/file-20221026-6305-a261lx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=808&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/491943/original/file-20221026-6305-a261lx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=808&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/491943/original/file-20221026-6305-a261lx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/491943/original/file-20221026-6305-a261lx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/491943/original/file-20221026-6305-a261lx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le président Abdel-Fattah el-Sissi est ominiprésent dans la vie des citoyens. On voit ici une affiche de lui durant une campagne référendaire. Les Égyptiens étaient appelés à approuver un changement constitutionnel lui permettant de rester au pouvoir jusqu’en 2030.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Amr Nabil)</span></span>
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<p>Si l’objectif du gouvernement égyptien, dans sa <a href="https://unfccc.int/sites/default/files/NDC/2022-07/Egypt%20Updated%20NDC.pdf.pdf">vision 2030</a>, est d’amorcer une transition fondée sur les principes de justice climatique, d’intégration sociale et de participation inclusive, il devra faire des efforts substantiels pour y parvenir. Il suffit d’abord d’offrir à la société civile tous les leviers dont elle peut légitimement bénéficier pour contribuer aux progrès de la société.</p>
<p>Il faudra plus tôt que tard que les Nations unies accordent une plus grande attention au respect des droits de la personne et reconnaître explicitement le lien entre ces droits et le changement climatique. En fait, l’ONU devrait aller au-delà d’une simple mention <a href="https://unfccc.int/sites/default/files/french_paris_agreement.pdf">dans le préambule de l’Accord de Paris</a>. Celle-ci stipule que les Parties devraient tenir compte de leurs obligations en matière de droits de la personne dans le déploiement des politiques climatiques.</p>
<p>Par exemple, l’allocation du financement climatique devrait être plus contraignante à l’égard des pays bénéficiaires quant au respect, à la protection et la promotion de ces <a href="https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/9530/-Climate_Change_and_Human_Rightshuman-rights-climate-change.pdf.pdf">droits</a>. Autrement, c’est un dangereux statu quo qui nous guette.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192923/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Félix Bhérer-Magnan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Égypte accueille la COP27 alors qu’elle bafoue toujours les droits fondamentaux de ses citoyens. Or, la lutte contre le changement climatique doit inclure la protection des droits de la personne.Félix Bhérer-Magnan, Étudiant au doctorat en science politique, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1917922022-10-16T15:36:21Z2022-10-16T15:36:21ZAmnesty International et l’Ukraine : de la difficulté d’invoquer le droit humanitaire en temps de guerre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/489584/original/file-20221013-16-zstxyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C36%2C6016%2C3971&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation organisée par Amnesty International à Bangkok pour dénoncer l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en mars 2022. Récemment, l’ONG s’est retrouvée sous le feu des critiques pour un rapport dénonçant certains agissements des militaires ukrainiens.
</span> <span class="attribution"><span class="source">teera.noisakran/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le 4 août 2022, dans le contexte du conflit armé russo-ukrainien, Amnesty International publiait un <a href="https://www.amnesty.fr/actualites/ukraine-les-tactiques-de-combats-ukrainiennes-mettent-en-danger-la-population-civile">communiqué de presse</a> faisant état de «tactiques de combats ukrainiennes mett[ant] en danger la population civile». Le reproche fait à l’armée ukrainienne est de placer des objectifs militaires, que les forces armées russes sont autorisées à prendre pour cible sous certaines conditions, au milieu de la population civile ukrainienne (zone d’habitation, écoles et hôpitaux) et ainsi de mettre en danger cette population civile.</p>
<p>Immédiatement, ce communiqué et l'ONG qui le porte, que l'on peut difficilement soupçonner de complaisance à l'égard des autorités russes <a href="https://www.amnesty.org/fr/location/europe-and-central-asia/russian-federation/">en général</a> et <a href="https://www.amnesty.fr/actualites/ukraine-les-forces-russes-crimes-de-guerre-commis-dans-la-region-de-kiev">dans le conflit actuel</a>, se sont trouvés au cœur d'une vive polémique aux ramifications tant politiques que juridiques.</p>
<p>Politiquement, l'ONG est accusée par la responsable démissionnaire d'Amnesty en Ukraine de <a href="https://www.lepoint.fr/monde/ukraine-la-responsable-d-amnesty-demissionne-apres-un-rapport-conteste-06-08-2022-2485589_24.php">servir la «propagande russe»</a> et par le président Zelensky de <a href="https://fr.euronews.com/2022/08/05/volodymyr-zelensky-fustige-le-dernier-rapport-damnesty-international">« tentative d'amnistier un État terroriste»</a>.</p>
<p>Juridiquement, les analyses se sont multipliées pour soutenir, plus ou moins explicitement, que le droit international humanitaire devait être interprété différemment selon qu'il s'applique à un État agresseur ou à un État agressé. Encore récemment, le 21 septembre 2022, dans <a href="https://www.france.tv/france-5/c-ce-soir/c-ce-soir-saison-3/4073953-emission-du-mercredi-21-septembre-2022.html">l'émission «C ce soir» consacrée au conflit</a>, un intervenant qui désignait la Russie et l'Ukraine comme les «belligérants» s'est vu reprocher cette expression tirée du droit international humanitaire (DIH) et prié de désigner ces États comme l'agresseur et l'agressé. Le constat paraît sans appel : la Russie et l'Ukraine ne sont pas sur un pied d'égalité, y compris quand il s'agit de DIH.</p>
<h2>Que dit le droit ?</h2>
<p>Pourtant, ce constat « de bon sens » est erroné en droit international qui, comme l'ont rappelé depuis plusieurs spécialistes comme <a href="https://genevasolutions.news/peace-humanitarian/amnesty-report-on-ukraine-do-rules-of-war-apply-to-everyone">Marco Sassolì</a> ou <a href="https://lerubicon.org/publication/cause-juste-et-respect-du-droit-international-humanitaire-a-propos-du-rapport-damnesty-international-2/">Julia Grignon</a>, différencie d<a href="https://www.icrc.org/fr/document/droit-international-humanitaire-autres-regimes-juridiques">eux corps de règles strictement indépendants</a> : le <em>jus ad bellum</em> (ou droit de recourir à la force), qui distingue effectivement l'État agresseur de l'État agressé, et le <em>jus in bello</em> (ou droit international des conflits armés, ou DIH), qui s'applique à toutes «les parties au conflit armé» ou «belligérants» indifféremment quant à leur qualité d'agressé ou d'agresseur ou à la cause que ces parties défendent.</p>
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<p>Le premier corps de règles, le <em>jus ad bellum</em>, permet d'affirmer quel État utilise la force licitement, c'est-à-dire conformément à la Charte des Nations unies, et lequel viole le droit international et met en danger la paix et la sécurité internationales. En l'occurrence, il est largement admis que la Russie a agressé l'Ukraine, qui utilise la force en légitime défense pour préserver son intégrité territoriale.</p>
<p>Le second corps de règles, le <em>jus in bello</em>, permet de déterminer si les parties au conflit armé respectent les règles minimales d'humanité dans la conduite de leurs hostilités. En la matière, les deux États impliqués dans un conflit peuvent violer le droit, et la gravité ou l'ampleur des violations commises par l'une des parties ne dispense ni n'excuse les violations commises par l'autre. Il n'est plus question de savoir pourquoi les États utilisent la force armée et s'ils en ont le droit, mais comment ils l'utilisent et si la manière de «faire la guerre» est conforme au droit. Russes et Ukrainiens ont donc les mêmes droits et obligations en tant que «belligérants» ou «parties au conflit armé» — c'est ce qu'on désigne comme le «principe d'égalité des belligérants» (pour les conflits armés non internationaux, ce principe <a href="https://international-review.icrc.org/sites/default/files/irrc-882-sassoli-shany-provost_0.pdf">fait cependant débat</a>).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BShvRfaUHLU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ukraine : Amnesty International dans la tourmente, TV5 Monde, 6 août 2022.</span></figcaption>
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<p>Le lecteur intéressé pourra utilement se reporter aux références susmentionnées pour approfondir l'analyse juridique du communiqué et des règles de DIH qu'Amnesty reproche aux ukrainiens de ne pas respecter. Sera-t-il pour autant convaincu qu'il est primordial d'imposer strictement les mêmes règles aux combattants russes et ukrainiens ? Qu'il est impératif de ne pas faire preuve de plus d'indulgence vis-à-vis des forces ukrainiennes qui défendent leur territoire que vis-à-vis des forces russes qui attaquent un territoire et un peuple étranger ?</p>
<p>Rien n'est moins certain dans ce contexte de polarisation des opinions publiques et, quoi qu'en dise le droit, chacun demeure libre de défendre l'idée qu'il faudrait opérer une différence entre l'État agresseur et l'État agressé. C'est pourquoi il n'est pas suffisant d'affirmer professoralement l'existence de ce principe d'égalité des belligérants. Il faut l'expliquer et tenter de convaincre chacun, quelles que soient ses convictions, que personne n'a intérêt à ce qu'il soit remis en question.</p>
<h2>Le principe d'égalité des belligérants, fruit de plusieurs siècles d'expérience pour limiter les maux de la guerre</h2>
<p>Contrairement aux autres principes du DIH dont on trouve des traces dès l'Antiquité, le principe d'égalité des belligérants est relativement nouveau puisqu'il ne s'est imposé qu'après la Seconde Guerre mondiale et n'a été explicitement inscrit dans une convention, à savoir dans le dernier alinéa du <a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/Article.xsp?action=openDocument&documentId=150CF363CA4FF48CC12563BD002C1D89">préambule du premier protocole additionnel aux Conventions de Genève</a>, qu'en 1977.</p>
<p>Longtemps, le droit international humanitaire a été dominé par ce qu'on désigne comme les <a href="https://www.cairn.info/l-idee-de-guerre-juste--9782130584735-page-17.htm">«théories de la guerre juste»</a>. Sans entrer dans le détail, ces théories successives consistaient à écarter ou moduler les règles applicables dans la conduite des hostilités selon la légitimité de la cause défendue, le respect par l'autre belligérant de ses obligations ou encore la licéité de l'usage de la force. L'idée est simple : pourquoi le combattant qui défend une juste cause ou prend licitement les armes devrait se voir imposer les mêmes obligations que celui qui combat illicitement ou dont la cause est injuste ? Pourquoi ce premier devrait continuer à respecter les règles si le second ne les respecte pas ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1556274300897959936"}"></div></p>
<p>Ces interrogations légitimes se sont toutefois confrontées à l'expérience séculaire des guerres et force est de constater que la mise en œuvre de ces théories aboutit systématiquement à ce qu'aucune des parties au conflit ne respecte le DIH, c'est-à-dire à une violence débridée où tous les moyens et méthodes de guerre sont utilisés pour vaincre l'ennemi. Plusieurs éléments, tirés de cette expérience et déjà identifiés en 1624 par <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/archives-diplomatiques/action-scientifique-et-culturelle/cabinet-des-decouvertes/article/a-l-origine-du-droit-international-public">Hugo Grotius dans son <em>De Jure Belli ac Pacis</em></a>, expliquent ce phénomène et peuvent être résumés en une succession de questions.</p>
<p>Quel critère doit-on utiliser pour désigner la partie «vertueuse» ? Est-ce que la légalité est toujours aussi évidente qu'on le souhaiterait ? Est-ce que la légalité du recours à la force l'emporte sur la légalité dans la conduite des hostilités ? Est-ce que la légalité est toujours plus importante que la moralité ?</p>
<p>Ces questions sont plus complexes qu'il n'y parait et ont, par exemple, été au cœur des débats entre les États durant l'adoption, en 1977, des <a href="https://www.icrc.org/fr/document/conventions-geneve-1949-protocoles-additionnels">protocoles additionnels aux Conventions de Genève</a>. D'un côté, la plupart des États occidentaux soutenaient que les «guerres de décolonisation» étaient des conflits internes, sans protection juridique pour les combattants colonisés. De l'autre, les États nouvellement décolonisés, les États du tiers-monde et les mouvements de libération nationale arguaient de la légitimité de leurs luttes et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes pour faire reconnaître ce statut de combattant (qui empêche, notamment, de condamner pénalement le membre d'une partie au conflit qui prend les armes en respectant le DIH) et obtenir des aménagements du droit à l'aune des caractéristiques de leurs combats (notamment des méthodes de guérilla). En 2014 et en 2022, les discours russes et séparatistes se sont <a href="https://www.bfmtv.com/international/annexions-russes-en-ukraine-le-discours-de-vladimir-poutine-en-integralite_VN-202209300430.html">amplement servis</a> de la rhétorique du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, de l'agression occidentale et de la légitimité de la lutte anticoloniale. D'aucuns avanceront, à raison selon nous mais certainement pas pour d'autres, qu'il s'agit de propagande ou d'arguments intenables juridiquement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1555154327815192577"}"></div></p>
<p>Ce qui conduit à la seconde interrogation : en admettant que l'on puisse identifier un critère consensuel entre les parties, qui peut départager les prétentions concurrentes de deux belligérants, <em>a fortiori</em> lorsqu'il s'agit de deux États souverains qui ne disposent d'aucune autorité supérieure ?</p>
<p>Certes, les États ont consenti et octroyé un certain nombre de ces compétences aux organes des Nations unies avec l'adoption en 1945 de la Charte des Nations unies. Toutefois, la légitimité et l'impartialité de ces organes est régulièrement débattue et leur activité peut être paralysée quand il est question d'un des cinq États permanents du Conseil de sécurité, ou de leurs alliés, qui disposent d'un droit de veto.</p>
<p>Le blocage au Conseil de sécurité <a href="https://press.un.org/fr/2022/cs14808.doc.htm">empêchant de qualifier l'agression de la Russie contre l'Ukraine</a>, ainsi que l'inefficacité de la <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/03/1115472">résolution condamnant l'agression adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies</a> mettent en exergue l'élément crucial : il ne suffit pas de dire le droit, il faut une entité, inexistante à ce jour et sans doute peu souhaitable, qui soit capable de contraindre, au besoin par la force armée, les parties au conflit à accepter ses décisions.</p>
<p>En effet, quand bien même la désignation de l'État «juste» et de l'État «injuste» serait irréfutable, est-il plausible que ce dernier admette ses torts et renonce à la guerre ou qu'il accepte de respecter des obligations juridiques plus contraignantes que son ennemi ? À notre connaissance, cela ne s'est jamais produit. En revanche, ce qui se produit quand les parties au conflit contestent leur égalité juridique est une négation ou une minimisation des protections juridiques accordées aux personnes et biens protégés par le DIH (les personnes et biens civils, les personnes détenues et prisonniers de guerre ou encore l'environnement).</p>
<h2>Les remises en question du principe d'égalité des belligérants : un abandon des principes élémentaires d'humanité dans les conflits armés</h2>
<p>Sans prétendre à l'exhaustivité, plusieurs précédents classiques peuvent être évoqués pour montrer que l'interférence de considérations morales ou de licéité du recours à la force conduit à nier les principes les plus élémentaires d'humanité.</p>
<p>Il a été fait mention des «combattants de la liberté» qui ont eu recours à des pratiques mettant en péril les civils, souvent désignées comme des méthodes de guérilla (se dissimuler au sein de la population civile) ou de terrorisme (prendre pour cible des populations civiles) en les justifiant par la cause supérieure qu'ils défendent. Cette rhétorique est en réalité tout à fait banale dans la plupart des guerres dites asymétriques, opposant une puissance militaire importante à une autre manifestement plus faible et moins expérimentée, assurée de perdre en cas de confrontation ouverte.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-et-destruction-de-lenvironnement-que-peut-le-droit-international-183774">Guerre en Ukraine et destruction de l’environnement : que peut le droit international ?</a>
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<p>Il n'existe pas de systématicité dans la légitimité de ceux qui l'invoquent : il peut s'agir alternativement de forces armées étatiques ou paraétatiques (certains actes commis contre les forces d'occupation en Afghanistan après 2001 ou dans le conflit israélo-palestinien), de mouvements de libération nationale (les actes du FLN algérien) ou encore de groupes djihadistes (par exemple au Mali depuis 2013).</p>
<p>La rhétorique de la cause licite ou juste est également utilisée par des puissances militaires de premier plan. L'exemple le plus évident est celui du camp de Guantanamo créé par les États-Unis pour détenir les «combattants illégaux» c'est-à-dire, d'après les autorités américaines, des individus qui ne bénéficiaient plus d'aucun droit (ni ceux du DIH, ni ceux des droits de l'homme). À Guantanamo, comme dans de nombreuses autres situations, l'invocation de la guerre légitime contre un ennemi «illégal», «barbare» ou «injuste» sert à justifier la torture, le fait de prendre pour cible des populations civiles suspectées de soutenir l'ennemi, et divers autres méthodes et moyens de guerre illicites comme l'usage d'armes interdites.</p>
<h2>Les questions qui comptent</h2>
<p>Finalement, dans le conflit russo-ukrainien comme dans tout conflit, il est fallacieux de se demander si les forces armées ukrainiennes et russes doivent être liées par les mêmes obligations juridiques du DIH. À ce jour, toutes les tentatives pour différencier les parties à un conflit armé devant le DIH ont abouti au même constat de la négation, par les deux parties, des principes élémentaires d'humanité. L'expérience a montré que les seules questions qui comptent <em>in fine</em> sont les suivantes : est-ce que tout doit être permis dans la guerre et est-ce que la fin justifie les moyens ? À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, nos prédécesseurs ont répondu par la négative à ces questions. Ils ont affirmé que lorsqu'une guerre éclate, toutes les parties au conflit armé doivent respecter certaines obligations qui, sans les empêcher de combattre, préservaient <em>a minima</em> l'humanité de tous, combattants et civils, d'un camp et de l'autre.</p>
<p>Les conflits armés mettent sans cesse à l'épreuve ce patrimoine juridique et humaniste, particulièrement face à un ennemi «sans foi ni loi». Sa préservation doit ainsi demeurer une priorité absolue quelles que soient les circonstances. Le conflit russo-ukrainien prendra fin mais d'autres viendront, avec toujours les mêmes prétentions de justice et les mêmes besoins de règles minimales d'humanité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191792/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elsa Marie a reçu des financements de l'Université Paris-Nanterre pour effectuer sa thèse. </span></em></p>En août, un communiqué d’Amnesty International a été interprété comme la mise sur le même plan des militaires ukrainiens et des agresseurs russes. Décryptage.Elsa Marie, Doctorante en droit international, Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1826132022-05-11T18:45:15Z2022-05-11T18:45:15ZEn Ukraine et ailleurs, les voies multiples de la médiation diplomatique<p>En deux mois et demi de guerre, on dénombre déjà plusieurs tentatives de médiation dans le conflit russo-ukrainien : la <a href="https://www.aa.com.tr/fr/politique/cavusoglu-la-turquie-a-adopt%C3%A9-d%C3%A8s-le-d%C3%A9but-de-la-crise-russie-ukraine-une-position-claire-%C3%A9quilibr%C3%A9e-/2536961">Turquie</a>, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/israel-mediateur-entre-la-russie-et-lukraine-1391621">Israël</a>, ainsi que plusieurs <a href="https://www.djazairess.com/fr/lqo/5311334">États arabes</a> et <a href="https://www.lalibre.be/international/europe/2022/04/10/une-mission-a-risque-mais-une-fenetre-de-dialogue-sest-presentee-comment-lautriche-va-tenter-de-jouer-un-role-de-mediation-entre-kiev-et-moscou-HMRIMM3LBBEUVBO7UXZMFT3MVM/">européens</a>, sans oublier <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/09/a-kiev-ursula-von-der-leyen-ouvre-la-marche-de-l-ukraine-vers-l-avenir-europeen_6121347_3210.html">l’UE en tant que telle</a> ou encore <a href="https://atalayar.com/fr/content/guterres-rencontre-poutine-moscou-avant-son-voyage-kiev">l’ONU</a> ont envoyé des représentants à Moscou, à Kiev, ou dans les deux capitales ; récemment, le <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Guerre-Ukraine-veut-faire-Vatican-2022-03-04-1201203257">pape</a> a également fait offre de médiation.</p>
<p>La médiation est au cœur de l’action diplomatique. Mais de quoi s’agit-il exactement ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ukraine-russie-comment-negocie-t-on-en-temps-de-guerre-179707">Ukraine-Russie : comment négocie-t-on en temps de guerre ?</a>
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<p>La <a href="https://www.cairn.info/la-mediation-internationale--9782724638752-page-63.html">médiation</a> est l’intervention d’un tiers dans la recherche du règlement d’un différend. Elle ne se contente pas, en général, d’amorcer un dialogue entre les États (ou entre un État et un mouvement d’opposition armé) : elle propose aussi des solutions. Toute médiation suppose que les parties concernées s’accordent sur le choix du médiateur et s’en remettent pour tenir ce rôle à une tierce partie.</p>
<p>Il convient de bien choisir le moment de la médiation : si elle survient trop tôt, elle sera considérée comme une forme d’ingérence ; si elle intervient trop tard, elle sera de peu de secours.</p>
<p>La médiation expose le médiateur. Mais qui est-il ? Il peut être le représentant d’une puissance qui est étrangère aux enjeux en présence ; il peut émaner d’une puissance impériale qui veut imposer une forme de pression morale pour qu’une solution émerge ; ou encore, il peut être une autorité morale ou scientifique (le Saint-Siège, une académie…).</p>
<p>On peut classer les médiateurs en deux groupes. Le premier groupe est constitué des États, qu’ils agissent seuls ou collectivement, notamment via les organisations internationales qui en sont largement l’émanation. Le second est composé des acteurs privés et des ONG.</p>
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<figcaption><span class="caption">Guerre en Ukraine : quel pays pour faire le médiateur ? (TV5 Monde, 11 mars).</span></figcaption>
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<h2>Pourquoi un État fait-il de la médiation ?</h2>
<p>La <a href="https://www.routledge.com/Theory-and-Practice-of-International-Mediation-Selected-Essays/Bercovitch/p/book/9781138809093">médiation des États</a> peut s’expliquer par trois raisons, qui ne sont pas mutuellement exclusives :</p>
<ol>
<li><p>La volonté de régler les crises qui menacent la stabilité mondiale. C’est en particulier le cas des nombreuses médiations tentées depuis des décennies dans les conflits du Moyen-Orient.</p></li>
<li><p>Le prestige lié à la médiation. Un chef d’État peut retirer une grande satisfaction personnelle à offrir une médiation. Souvenons-nous du prestige que retira l’ancien président Clinton de <a href="https://www.liberation.fr/planete/1995/03/17/l-audace-irlandaise-de-clinton_126688/">sa médiation en Irlande du Nord</a>.</p></li>
<li><p>Le souci de régler les différends « entre soi » : les puissances médiatrices veulent en quelque sorte écarter toute offre de médiation externe ; c’est ce qui explique que les trois médiateurs dans le différend sur la <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctvdf0bmg.7?seq=1">Transnistrie</a> (république autoproclamée située dans l’est de la Moldavie) étaient la Russie, l’Ukraine et l’OSCE, les États-Unis et l’UE n’étant qu’observateurs. Mais oserait-on encore parler de médiation pour ce territoire voisin de l’Ukraine alors que la sécurité de la Moldavie est devenue très fragile ?</p></li>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-transnistrie-prochaine-etape-de-la-guerre-en-ukraine-179679">La Transnistrie, prochaine étape de la guerre en Ukraine ?</a>
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<h2>Les États médiateurs</h2>
<p>Certains États se sont spécialisés dans la médiation. C’est le cas, notamment, de l’Autriche et de la Suisse. Sans doute est-ce dû à leur statut de neutralité, même si l’Autriche est membre de l’UE et est donc liée par la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM:mutual_defence">clause de solidarité du Traité de l’Union</a>. La Suisse a <a href="https://www.observatoiredesmediations.org/Asset/Source/refBibliography_ID-151_No-01.pdf">accompagné</a>, ces dernières décennies, plus de trente processus de paix dans plus de vingt États. Elle a notamment accueilli des médiations <a href="https://www.humanrights.ch/fr/pfi/droits-humains/politique-exterieure/mediation-suisse-turquie-larmenie">entre l’Arménie et la Turquie</a> et entre la <a href="https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-42133.html">Géorgie et la Russie</a>.</p>
<p>D’autres États ont également fait œuvre de médiation. C’est le cas, par exemple, de <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1981_num_27_1_2430">l’Algérie lors de la crise des otages</a> de l’ambassade des États-Unis à Téhéran ou encore de la <a href="https://www.prio.org/publications/400">Norvège dans le conflit israélo-palestinien</a>, qui aboutit à la <a href="https://www.lesechos.fr/1993/09/la-reconnaissance-mutuelle-disrael-et-de-lolp-un-tournant-historique-911078">reconnaissance mutuelle d’Israël et de l’OLP</a> ainsi qu’à la signature des <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/13-septembre-1993-signature-accords-dOslo-2016-09-28-1200792386">accords d’Oslo</a> en 1993. La Norvège en a retiré une <a href="https://www.regjeringen.no/en/topics/foreign-affairs/peace-and-reconciliation-efforts/innsiktsmappe/peace_efforts/id732943/">expérience précieuse</a>, qu’elle mit à profit, par exemple, dans ses <a href="https://www.sum.uio.no/english/research/publications/2017/aguilar-stoen_bull_norways-contribution-to-peacebuilding-in-guatemala-1996-2016_sept2017_final.pdf">offre de médiation</a> pour régler les troubles internes au Guatemala (<a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/amsudant/guatemala_accord-mars-1995.htm">accords en 1995</a>), ou encore pour <a href="https://www.la-croix.com/Archives/2000-03-17/La-Norvege-tente-une-mediation-dans-le-conflit-du-Sri-Lanka-_NP_-2000-03-17-104452">mettre fin à la guerre civile au Sri Lanka</a> (2000).</p>
<h2>Le rôle du secrétaire général de l’ONU</h2>
<p>Le secrétaire général de l’ONU joue un rôle croissant en matière de médiation. Cela fut le cas au sujet du <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-reportage-de-la-redaction/il-y-a-22-ans-le-timor-oriental-votait-pour-son-independance-malgre-la-campagne-de-terreur-orchestree-par-l-indonesie-7832702">Timor oriental</a> (différend entre l’Indonésie et le Portugal) ou encore au sujet de <a href="https://journals.openedition.org/ceb/14562">Chypre</a>.</p>
<p>Un exemple qu’il est intéressant de mentionner est celui de <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1986_num_32_1_2755">l’intervention du secrétaire général Perez de Cuellar dans l’affaire du <em>Rainbow Warrior</em></a> (1985). On se souvient que ce bateau de l’organisation écologique Greenpeace, qui s’apprêtait à mener une action dirigée contre les essais nucléaires français dans le Pacifique, avait été coulé par des agents des services secrets français dans le port d’Auckland, en Nouvelle-Zélande. Le différend entre la France et la Nouvelle-Zélande fut réglé grâce à la médiation du secrétaire général de l’ONU qui élabora une solution prévoyant le transfert et la détention des deux agents secrets sur une base militaire française du Pacifique.</p>
<h2>La diplomatie parallèle</h2>
<p>Le second groupe de médiateurs est celui constitué par des individus privés ou des ONG, dans le cadre de ce que l’on appelle en anglais la <a href="https://www.sfcg.org/track-ii/">« Track II diplomacy »</a>. On y trouve un ensemble hétéroclite d’individus motivés par des intérêts politiques, le prestige ou encore une certaine forme d’altruisme.</p>
<p>On peut citer tout aussi bien le richissime homme d’affaires <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1990/12/12/la-mort-d-armand-hammer-le-milliardaire-americain-qui-fut-l-ami-de-lenine-de-brejnev-et-de-gorbatchev-s-est-eteint-a-l-age-de-quatre-vingt-douze-ans_4166186_1819218.html">Armand Hammer</a> que la communauté de Sant’Egidio joliment qualifiée par Dominique de Villepin de <a href="https://books.google.fr/books?id=T19jDQAAQBAJ&pg=PT192&lpg=PT192&dq=v%C3%A9ritable+ONU+du+Trastevere">« véritable ONU du Trastevere »</a>, qui œuvra pour la paix tant au Mozambique qu’au Niger et en Guinée-Conakry. On pourrait encore citer l’ancien président Jimmy Carter, qui s’est <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/10/13/un-mediateur-dans-les-crises-internationales_4252452_1819218.html">beaucoup dépensé</a> pour offrir sa médiation dans des conflits en Afrique.</p>
<p>Si la médiation a été longtemps l’œuvre d’un seul État, elle est aujourd’hui souvent menée par un groupe d’États, que ce soit le <a href="http://www.irenees.net/bdf_dossier-1190_fr.html">Quartet</a> (UE, É.-U., Russie, ONU) pour le Moyen-Orient ou par un groupe d’organisations internationales comme le <a href="https://www.peaceau.org/fr/article/182">Groupe de contact international sur la Libye</a> qui regroupe l’ONU et l’Union africaine.</p>
<h2>La médiation idéale dépend des conflits</h2>
<p>Quelles sont les qualités du médiateur idéal ? Plusieurs cas de figure doivent être distingués :</p>
<ul>
<li>La médiation du Saint-Siège, bien adaptée aux différends opposant deux États traditionnellement chrétiens (par exemple en <a href="https://www.cath.ch/newsf/chili-argentine-30e-anniversaire-de-la-mediation-pontificale-sur-le-canal-de-beagle/">1984 entre l’Argentine et le Chili au sujet du canal de Beagle</a> ou entre <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/12/18/le-pape-au-c-ur-du-rapprochement-entre-cuba-et-les-etats-unis_4542484_3222.html">Cuba et les États-Unis</a>).</li>
</ul>
<ul>
<li><p>La médiation offerte par des petits États, parce que ces derniers ne concurrencent évidemment pas les grandes puissances et que suivre une proposition de médiation émanant d’un petit pays peut être vu comme une manière de rehausser le prestige de la grande puissance. Pensons, par exemple, à la médiation, déjà évoquée, de l’Algérie dans la crise des otages de l’ambassade des États-Unis à Téhéran.</p></li>
<li><p>Une forme réussie de médiation est celle de l’ONU dans des cas de différends complexes mais qui ne sont pas des enjeux pour les grandes puissances (par exemple, au Timor oriental).</p></li>
<li><p>Enfin, les médiations menées par des individus ou organisations privées sont particulièrement adaptées aux situations où une des parties en conflit craint qu’une médiation par un État tiers donne trop d’influence à son rival. Aussi Jimmy Carter put <a href="https://www.nytimes.com/1989/08/18/world/carter-to-bring-together-ethiopian-foes.html">intervenir avec succès</a> dans le conflit opposant l’Éthiopie à l’Érythrée à la fin des années 1980. Même si les pourparlers n’aboutirent pas immédiatement à la paix, il y eut un cessez-le-feu de plus d’un an. Cette médiation conduisit à l’organisation d’un référendum sous l’égide de l’ONU et à l’<a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1993_num_39_1_3133">indépendance de l’Érythrée en 1993</a>.</p></li>
</ul>
<h2>Les qualités pour une médiation réussie</h2>
<p>On attend un certain nombre de qualités du médiateur.</p>
<p>En premier lieu, il doit être impartial et n’exprimer aucune préférence, même s’il n’éprouve pas la même affection pour chacune des parties en conflit. L’impartialité est la condition sine qua non pour bénéficier de la confiance des parties. C’est d’autant plus important qu’il doit pouvoir offrir un compromis qui soit d’un bénéfice égal pour les États en présence.</p>
<p>En second lieu, le médiateur doit être capable d’exercer de l’influence. Celle-ci peut trouver son origine dans les succès déjà engrangés par le médiateur dans le passé et le fait qu’il n’existe pas d’alternative viable à un moment donné ; c’est ce qui a sans doute valu à l’Algérie d’être choisie comme médiateur durant la crise des otages américains à Téhéran en 1980. L’influence peut provenir du rayonnement spirituel du médiateur, comme dans le cas du Saint-Siège. Mais elle est vraiment efficace lorsqu’elle est fondée sur la capacité d’offrir des compensations ou des sanctions tangibles, notamment la réduction de l’aide économique et militaire, comme ce fut le cas dans les <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2018/09/16/26010-20180916ARTFIG00121-17-septembre-1978-les-accords-de-camp-david-visa-pour-la-paix-israelo-egyptienne.php">négociations de Camp David</a> en 1978. Tant Israël que l’Égypte reçurent des compensations financières des États-Unis en échange de leur flexibilité. En outre, l’influence du médiateur peut être démultipliée si une série d’autres acteurs internationaux (États, organisations internationales) soutiennent cette médiation.</p>
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<figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron veut endosser le rôle de médiateur entre la Russie et l’Ukraine (RMC).</span></figcaption>
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<p>Il est une autre condition d’une médiation réussie : pouvoir la mener sur un temps relativement long. Une implication prolongée permet de se familiariser avec le différend, et évite les fausses attentes. De ce point de vue, les organisations internationales ont l’avantage de pouvoir travailler sur le long terme, leur médiation n’étant pas soumise aux cycles électoraux (qui affectent le travail des gouvernements).</p>
<h2>L’exemple de la médiation entre le Nord et Sud-Soudan</h2>
<p>Le politologue américain Zartman a formulé à ce sujet la théorie de l’« impasse dommageable pour tous » (<a href="https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/TimingofPeaceInitiatives_Zartman2001.pdf">« mutually hurting stalemate »</a>). Si les deux parties en conflit sont dans une impasse, c’est le « bon moment » pour faire œuvre de médiation.</p>
<p>À titre d’illustration, on peut citer le conflit entre le nord et le sud du Soudan au début des années 2000. Le médiateur américain (Colin Powell) a pu convaincre les parties en conflit qu’elles ne pouvaient l’emporter. Les États-Unis ont ainsi poussé le processus de médiation en faisant miroiter au gouvernement de Khartoum la possibilité de lever les sanctions économiques américaines.</p>
<p>Les dirigeants soudanais décidèrent alors de s’engager dans la voie d’un accord de paix négocié avec le Sud. Le levier américain mêlait les incitatifs diplomatico-économiques à la menace d’intensifier le régime des sanctions en cas de refus de Khartoum de négocier un compromis. Ou inversement, la promesse de lever des sanctions si le gouvernement soudanais faisait preuve de flexibilité et entrait dans une vraie négociation de paix.</p>
<h2>Les formes de médiation</h2>
<p>À ce propos, on relèvera que la médiation est souvent aussi une affaire d’incitants utilisés par le médiateur. Ceux-ci peuvent être d’ordre économique. Aussi lors de négociations dites de <a href="https://www.mollat.com/livres/609277/adolphe-lawson-les-accords-de-lancaster-house-en-1979-l-aboutissement-de-deux-decennies-de-debats-sur-les-conditions-de-l-independance-du-zimbabwe">Lancaster House sur l’indépendance du Zimbabwe en 1979</a>, le Royaume-Uni et les États-Unis ont utilisé des incitants financiers (promesses de soutien économique au nouvel État et levée de sanctions de l’ONU) pour convaincre la minorité blanche (qui reçut des garanties en matière foncière) et la délégation conduite par Mugabe à parvenir à un accord. La levée des sanctions dans le cas de la <a href="https://theconversation.com/un-retour-au-deal-nucleaire-iranien-est-il-encore-possible-162272">négociation sur la capacité nucléaire de l’Iran</a> relève de la même logique.</p>
<p>La médiation nécessite souvent un « forcing » diplomatique. Il s’agit d’exercer une pression maximale sur les parties. <a href="https://books.openedition.org/iheid/1270 ?lang=fr">À Dayton, en 1995</a>, les Américains avaient enfermé les acteurs du conflit bosniaque jusqu’à l’obtention d’un accord à l’arraché.</p>
<p>Enfin, rappelons que la médiation est un processus ponctuel. Elle n’est pas appelée à durer. Elle ne se substitue pas aux mesures de rétablissement de la paix et de reconstruction du cadre normatif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182613/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raoul Delcorde ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans le cas de conflits armés ou diplomatiques, la médiation a une importance vitale, comme le conflit russo-ukrainien en témoigne. Mais en quoi consiste-t-elle exactement et comment peut-elle aider ?Raoul Delcorde, Guest Professor European Studies, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1755662022-02-08T20:59:19Z2022-02-08T20:59:19ZFamine en Afghanistan : la grande hypocrisie<p>Le grand malheur de la population afghane réside dans la localisation de son pays pris, depuis des siècles <a href="https://international-review.icrc.org/sites/default/files/irrc-880-maley-fre.pdf">entre tectonique des plaques et guerres par procuration</a>. Comme si les montagnes vertigineuses résultaient du choc des <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/serie/la-longue-histoire-de-l-afghanistan">blocs qui entourent l’Afghanistan</a>, né sur les marges de l’Empire perse des Safavides à l’Ouest, de l’empire russe au nord et de l’Empire moghol, bientôt relayé par l’Empire britannique des Indes, à l’Est.</p>
<p>L’après-Seconde Guerre mondiale en fera l’un des épicentres violents de la guerre froide, avec l’entrée en 1979 de l’Armée rouge, dont les officiers sont persuadés qu’ils effectuent une courte opération de police régionale dans un État vassal, dans la lignée d’interventions antérieures. L’opération prend ainsi le nom de code d’<a href="https://culture.tv5monde.com/histoire/histoire-le-printemps-de-prague-a-50-ans-10565">« Opération Prague »</a>… Ronald Reagan voulut en faire – avec succès – le <a href="https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2021-1-page-97.html">« Tombeau de l’Armée rouge »</a>, en même temps que l’opération la plus coûteuse de l’après-guerre pour la CIA.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/afghanistan-des-decennies-de-guerre-et-derreurs-de-calcul-166431">Afghanistan : des décennies de guerre et d’erreurs de calcul</a>
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<p>Peu à peu se mettent alors en place les mécanismes, multiples et intriqués, qui aboutissent à la <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220107-les-en-afghanistan-les-taliban-demandent-une-aide-humanitaire-sans-parti-pris-politique">situation d’insécurité alimentaire majeure</a> que connaît l’Afghanistan aujourd’hui.</p>
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<h2>La fabrique d’une famine</h2>
<p>Dans ce pays de 650 000 km<sup>2</sup>, seuls 12 % des terres sont considérées comme cultivables (contre 60 % en France) et sont très dépendantes de la pluviométrie et d’un complexe système d’irrigation que la réforme agraire avortée de 1978, alors menée par le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2012/08/PARENTI/48065">nouveau régime communiste</a>, déstructurera en partie. Puis, pendant l’occupation soviétique, la destruction d’installations agricoles participa de stratégies, parfois volontaires, destinées à vider de leurs populations des poches de résistance.</p>
<p>En parallèle se mettent en place deux autres phénomènes qui viennent aggraver encore l’équation de la faim : les <a href="https://www.fmreview.org/sites/fmr/files/FMRdownloads/fr/afghanistan.pdf">mouvements massifs de déplacés forcés</a> fuyant les campagnes pour gagner les habitats miséreux de la périphérie des villes, et une augmentation constante des surfaces agricoles consacrées à la culture du pavot.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-afghanistan-la-crise-humanitaire-risque-de-deboucher-sur-une-famine-catastrophique-168293">En Afghanistan, la crise humanitaire risque de déboucher sur une famine catastrophique</a>
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<p>Le développement rapide de l’éphédra (« oman » dans la langue locale), qui permet de produire des méthamphétamines de faible qualité, contribue à renforcer le <a href="https://theconversation.com/afghanistan-le-controle-du-marche-de-la-drogue-lautre-victoire-des-talibans-166209">statut de narcoétat de l’Afghanistan</a>, dans une logique qui relève, de la part des producteurs, d’un processus adaptatif de survie. Les avances financières qui leur sont concédées par les trafiquants (« salaam ») pour payer des intrants devenus nécessaires à la production de drogue les piègent dans un modèle économique classique de l’agriculture d’exportation.</p>
<p>Deux chiffres rendent compte de ces phénomènes depuis l’entrée de la coalition en 2001 et la chute du premier régime taliban : en vingt ans, le pays n’aura pas connu une année durant laquelle le flux de personnes déracinées sera tombé en dessous de 150 000 par an, avec deux pics à plus d’un million en 2001 et 2014 ; dans le même temps, les surfaces consacrées à la culture du pavot ont triplé, stimulées par une meilleure rentabilité financière pour les agriculteurs, et par les besoins d’achat d’armement des talibans.</p>
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<p>La meilleure résistance du pavot au réchauffement climatique, comparé à d’autres productions de l’agriculture vivrière, est venue encore renforcer la progression des surfaces plantées. La situation ne serait pas aussi dramatique si tous ces mécanismes qui précèdent ne s’étaient ajoutés à une progression démographique qui confère à l’Afghanistan le record mondial en la matière, avec un <a href="https://www.populationdata.net/pays/afghanistan/">taux annuel de 6 %</a>. Depuis 2001, la population du pays est ainsi passée de 18 à 38 millions d’habitants, avec un taux d’urbanisation aujourd’hui estimé à 30 %.</p>
<p>Les talibans sont ainsi aujourd’hui aux commandes d’un pays qui a profondément changé depuis leur première prise de pouvoir en 1996. L’ensemble de ces réalités convergent pour créer les conditions d’une fatale équation alimentaire auquel le nouveau régime de l’émirat islamique est confronté, sans ignorer pour autant la part de responsabilité de ses dirigeants dans une partie des mécanismes décrits. Pour y faire face, les caisses de l’État sont vides et le système de santé est exsangue.</p>
<h2>Entre cynisme et amnésie</h2>
<p>Dans un scandaleux exercice d’amnésie collective, les membres du Conseil de sécurité de l’ONU, comme les autres pays les plus riches parmi ceux qui composent l’Assemblée générale des Nations unies, rechignent à contribuer en urgence à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/13/l-appel-de-l-onu-a-lever-5-milliards-de-dollars-d-aide-pour-l-afghanistan-reste-sans-reponse_6109311_3210.html">l’appel de fonds de 4,4 milliards de dollars</a> lancé par le sous-secrétaire général des Nations unies aux affaires humanitaires, Martin Griffiths et relayé par le secrétaire général Antonio Guterres.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1486445087512936449"}"></div></p>
<p>Tous sont oublieux de l’histoire, oublieux des <a href="https://theconversation.com/laccord-entre-les-etats-unis-et-les-talibans-un-jeu-de-dupes-134060">accords de Doha</a> qui avaient volontairement tenu à l’écart des négociations aussi bien le gouvernement afghan d’Achraf Ghani que les alliés de la coalition internationale. Prenant ainsi acte de l’alternance politique annoncée, et faisant aujourd’hui semblant de s’offusquer de l’arrivée au pouvoir des talibans… Oublieux, chemin faisant, du « Grand jeu » dans lequel les uns et les autres ont continué d’inscrire la population civile, dans des enjeux qui la dépassent totalement.</p>
<p>En décembre 2021, après <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/le-conseil-de-s%C3%A9curit%C3%A9-adopte-une-r%C3%A9solution-pour-faciliter-lacheminement-des-aides-humanitaires-%C3%A0-lafghanistan-/2455002">d’âpres négociations</a>, le Conseil de sécurité a finalement voté une <a href="https://undocs.org/fr/S/RES/2615(2021)">résolution</a> qui, pour un an, permet la mise en œuvre d’une aide humanitaire qui peut se déployer, sous conditions, <a href="https://www.un.org/press/fr/2021/cs14750.doc.htm">sans que ne puisse lui être opposé</a> le régime de sanctions qui frappe les nouvelles autorités afghanes. Si la Chine et la Russie ont pesé de tout leur poids pour aboutir à cette décision politique, les deux pays ne se sont pour autant pas engagés sur les aspects des financements de cette résolution 2615, finalement votée à l’unanimité du Conseil de sécurité.</p>
<p>Ces atermoiements traduisent une nouvelle fois l’impérative nécessité de <a href="http://bibliotheque.i-mag-ine.com/fr/n4-pierre-micheletti-0-03-pour-une-transfo-e812#page/2">refonder le modèle de financement de l’aide humanitaire</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1449390675997380616"}"></div></p>
<p>Telle qu’elle est organisée aujourd’hui, cette aide est insuffisante en volume, et trop dépendante du jeu complexe des relations entre grandes puissances. Mais en attendant, il faut rapidement obtenir ces financements et les mettre à disposition des organisations en mesure de les déployer. En Afghanistan, le <a href="https://www.actioncontrelafaim.org/presse/une-crise-alimentaire-majeure-frappe-lafghanistan/">sort de 22 millions de personnes en dépend</a>.</p>
<p>C’est pour faciliter la collecte des sommes destinées à l’aide d’urgence – et pour œuvrer à une certaine forme de légitimation de leur rôle politique –, qu’une délégation de responsables talibans a récemment effectué son <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/24/afghanistan-talibans-et-occidentaux-evoquent-la-crise-humanitaire-lors-d-une-rencontre-inedite_6110787_3210.html">premier déplacement en Europe</a>, pour rencontrer, à Oslo, les représentants des pays occidentaux qui aujourd’hui sont les financeurs primordiaux de l’aide humanitaire mondiale.</p>
<p>Réunies au sein d’un organisme de coordination (<a href="https://www.acbar.org/">Agency Coordinating Body for Afghan Relief & Development, (ACBAR)</a>), des dizaines d’ONG internationales et afghanes – homologuées par les autorités talibanes – seront en charge, aux côtés des agences spécialisées de l’ONU, de délivrer l’aide humanitaire d’urgence.</p>
<p>Sous l’égide du ministère de l’Économie de l’« Émirat islamique d’Afghanistan » a été élaboré un document qui formalise le plan global de suivi et de contrôle des ONG impliquées dans les réponses humanitaires. Certains aspects ne manqueront pas de soulever questions et débats à la lumière d’interventions qui aujourd’hui ne sont pas entravées par les nouvelles autorités du pays.</p>
<p>À l’enveloppe destinée à l’aide humanitaire, qui peine déjà a être réunie, se greffent également des besoins financiers additionnels pour mettre en œuvre le <a href="https://unsdg.un.org/fr/latest/announcements/un-announces-transitional-engagement-framework-tef-afghanistan-save-lives">« Cadre d’engagement transitionnel »</a>. Ce programme permet d’assurer la coordination des activités des entités membres de l’équipe des Nations unies en aidant au maintien des services de base – tels que la santé et l’éducation – et à la préservation des systèmes communautaires essentiels. Il porte à 8 milliards de dollars l’ensemble des besoins financiers pour l’année à venir.</p>
<p>C’est dire combien la question du modèle économique et de la contribution d’un socle beaucoup plus large de pays contributeurs de l’aide internationale devient cruciale. Ce n’est donc pas une surprise que les organisateurs du prochain Sommet humanitaire européen, qui se tiendra à Bruxelles du 21 au 23 mars prochain, aient décidé de faire de cette question l’un des sujets majeurs de la rencontre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175566/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Micheletti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Première victime du jeu des puissances, le peuple afghan est sous la menace d’une insécurité alimentaire majeure, héritage de 45 ans de conflit et d’ingérence internationale.Pierre Micheletti, Concepteur et responsable pédagogique du diplôme universitaire « Santé Solidarité Précarité » à la Faculté de Médecine, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1740502022-02-02T18:37:09Z2022-02-02T18:37:09ZUne BD pour se familiariser à l’agroécologie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/444035/original/file-20220202-21-1kw8q35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.carolinegaujour.com/bd-ird/">Caroline Gaujour</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Comment intéresser le grand public aux enjeux climatiques du secteur agricole ? À l’aide de la bande dessinée ! Et plus précisément à l’aide d’une BD interactive, intitulée <em>Une question à un million</em>, <a href="https://www.carolinegaujour.com/bd-ird/">disponible en intégralité</a> sur le site de l’illustratrice Caroline Gaujour.</p>
<p>Le secteur agricole est aujourd’hui particulièrement touché par les conséquences néfastes du réchauffement : les sols se dégradent, les rendements des cultures sont plus faibles et <a href="https://theconversation.com/en-afrique-de-lest-lagriculture-au-defi-des-secheresses-recurrentes-140599">sensibles à ces perturbations</a>. Victime, l’agriculture est aussi actrice de cette situation en contribuant à l’augmentation de la concentration en gaz à effet de serre de l’atmosphère.</p>
<p>Si elles sont moins médiatisées que les politiques de préservation des forêts, les modalités d’utilisation des terres offrent toutefois des options pour <a href="https://theconversation.com/du-benin-a-madagascar-comment-on-cultive-le-carbone-en-afrique-108135">lutter contre ces dérèglements</a>.</p>
<p>Investir dans des pratiques agricoles basées sur l’enrichissement en carbone des sols représente ainsi une solution face au changement climatique. Plusieurs projets internationaux – de <a href="https://theconversation.com/linitiative-4-pour-1-000-quest-ce-que-cest-54425">l’initiative 4 pour 1 000</a> à la <a href="https://theconversation.com/grande-muraille-verte-au-sahel-les-defis-de-la-prochaine-decennie-169177">Grande Muraille verte</a> – y contribuent.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/443772/original/file-20220201-23-12ba4ap.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/443772/original/file-20220201-23-12ba4ap.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/443772/original/file-20220201-23-12ba4ap.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/443772/original/file-20220201-23-12ba4ap.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/443772/original/file-20220201-23-12ba4ap.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/443772/original/file-20220201-23-12ba4ap.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/443772/original/file-20220201-23-12ba4ap.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/443772/original/file-20220201-23-12ba4ap.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Extraits de la BD.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.carolinegaujour.com/bd-ird/">Caroline Gaujour</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Le développement d’une agriculture durable, rémunératrice pour les exploitants sans compromettre l’environnement, s’impose désormais. Dans les pays du Sud, de tels projets, souvent soutenus par des ONG, investissent dans l’agriculture familiale. Il s’agit d’accroître la productivité et la rentabilité des systèmes agricoles, tout en <a href="https://www.ird.fr/des-pratiques-agro-ecologiques-la-fois-benefiques-aux-agriculteurs-et-la-societe">contribuant à atténuer les émissions de gaz à effet de serre</a>.</p>
<p>Chercheuses à l’IRD dans ce domaine, nous souhaitions vulgariser nos travaux, menés en collaboration avec une équipe de l’université d’Antananarivo (Madagascar), et aiguiser la curiosité du public sur les différents métiers du développement rural.</p>
<h2>Dans la région d’Itasy à Madagascar</h2>
<p>Nous voulions évoquer des situations et des personnages qui permettent aux lecteurs de s’identifier. Nous voulions un support de discussion pour de futures interventions et formations.</p>
<p>La première étape a consisté à publier un <a href="https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2020.125220">article scientifique paru dans une revue internationale</a> avec Narindra Harisoa Rakotovao, une jeune scientifique malgache qui s’est intéressée aux projets de développement agricole dans la région d’Itasy.</p>
<p>Pour que le lecteur puisse s’interroger, nous avons opté pour un scénario interactif, dans le style des romans dont on est le héros. Nous avons ensuite opté pour le format, souple, de la bande dessinée.</p>
<p>L’illustratrice Caroline Gaujour a commencé par adapter le scénario interactif en story-board en s’aidant de photos de références de terrain. Elle a ensuite créé les visuels des différents personnages, puis élaboré les 35 planches de BD nécessaires à traduire l’histoire en dessins. Le lecteur y partage l’expérience de Thomas, un jeune consultant international.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/443773/original/file-20220201-25-c0kcgp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/443773/original/file-20220201-25-c0kcgp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/443773/original/file-20220201-25-c0kcgp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/443773/original/file-20220201-25-c0kcgp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/443773/original/file-20220201-25-c0kcgp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/443773/original/file-20220201-25-c0kcgp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/443773/original/file-20220201-25-c0kcgp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/443773/original/file-20220201-25-c0kcgp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dessins des personnages dans la phase préparatoire de la BD.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.carolinegaujour.com/bd-ird/">Caroline Gaujour</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/443774/original/file-20220201-15-w0kler.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/443774/original/file-20220201-15-w0kler.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/443774/original/file-20220201-15-w0kler.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/443774/original/file-20220201-15-w0kler.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/443774/original/file-20220201-15-w0kler.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/443774/original/file-20220201-15-w0kler.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/443774/original/file-20220201-15-w0kler.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/443774/original/file-20220201-15-w0kler.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Croquis pour les planches.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.carolinegaujour.com/bd-ird/">Caroline Gaujour</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Après avoir explicité les enjeux d’un projet de développement rural dans la petite région agricole (1800 hectares) située près d’Itasy et le point de vue de différents personnages – un agriculteur, un volontaire dans une ONG, un collègue, Internet, une chercheuse –, le jeune consultant aidé du lecteur a le choix entre différents projets agricoles pour la région.</p>
<p>Les bénéfices potentiels de chaque projet ont été quantifiés par trois indicateurs projetés sur une période de 20 ans – le bilan des émissions de gaz à effet de serre (GES), les bénéfices économiques pour les agriculteurs et l’efficacité des investissements économiques pour atténuer les GES. Les conséquences de ces différents projets sont explicitées en aparté.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/443776/original/file-20220201-25-x87hhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/443776/original/file-20220201-25-x87hhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/443776/original/file-20220201-25-x87hhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/443776/original/file-20220201-25-x87hhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/443776/original/file-20220201-25-x87hhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/443776/original/file-20220201-25-x87hhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/443776/original/file-20220201-25-x87hhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/443776/original/file-20220201-25-x87hhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’une des 35 planches de la BD, Thomas avec son collègue.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.carolinegaujour.com/bd-ird/">Caroline Gaujour</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<h2>Une avalanche de questions et de choix</h2>
<p>Tout au long de la BD, le lecteur suit le cheminement de pensée du jeune consultant qui travaille pour un bailleur. Les politiques internationales et la coopération entre États incitent en effet des bailleurs à investir dans des projets de développement industriels, environnementaux ou agricoles.</p>
<p>Ces projets sont souvent de grande ampleur et les sommes impliquées élevées. La portée et les conséquences sur les populations peuvent être importantes : comment et avec qui définir de tels projets ? Quels sont les objectifs souhaitables ? Comment utiliser au mieux l’argent de la coopération ? Qui est légitime pour décider ? Autant de questions que doit se poser le jeune consultant.</p>
<p>Au fil de ses rencontres, la multiplicité des informations et des points de vue complique encore un peu plus ses choix…</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/443777/original/file-20220201-15-m1r6y3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/443777/original/file-20220201-15-m1r6y3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/443777/original/file-20220201-15-m1r6y3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=186&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/443777/original/file-20220201-15-m1r6y3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=186&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/443777/original/file-20220201-15-m1r6y3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=186&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/443777/original/file-20220201-15-m1r6y3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=233&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/443777/original/file-20220201-15-m1r6y3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=233&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/443777/original/file-20220201-15-m1r6y3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=233&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le jeune consultant Thomas en pleine réflexion….</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.carolinegaujour.com/bd-ird/">Caroline Gaujour</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/443775/original/file-20220201-17-1k3gosa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/443775/original/file-20220201-17-1k3gosa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/443775/original/file-20220201-17-1k3gosa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/443775/original/file-20220201-17-1k3gosa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/443775/original/file-20220201-17-1k3gosa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/443775/original/file-20220201-17-1k3gosa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/443775/original/file-20220201-17-1k3gosa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/443775/original/file-20220201-17-1k3gosa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.carolinegaujour.com/bd-ird/">Caroline Gaujour</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Le personnage de la chercheuse souhaite sortir le jeune consultant de sa torpeur, mais elle l’assomme avec un peu plus d’informations. La recherche est ici traitée de manière humoristique : elle ne donne aucune solution, ne trouve rien ou si peu, mais pose un tas de questions !</p>
<p>Cette multiplicité des problématiques illustre la vitalité de la recherche sur ces thèmes : il n’y a pas de solutions évidentes, mais il n’y a pas de mauvais choix non plus… sauf de ne rien faire.</p>
<hr>
<p><em>Retrouvez l’intégralité de la BD <a href="https://www.carolinegaujour.com/bd-ird/">« Une question à un million » ici</a></em></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/213123/original/file-20180404-189798-1dksj9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/213123/original/file-20180404-189798-1dksj9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=129&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/213123/original/file-20180404-189798-1dksj9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=129&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/213123/original/file-20180404-189798-1dksj9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=129&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/213123/original/file-20180404-189798-1dksj9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=163&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/213123/original/file-20180404-189798-1dksj9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=163&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/213123/original/file-20180404-189798-1dksj9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=163&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Le projet de recherche « SoCa » dans lequel s’inscrit cette publication a bénéficié du soutien de la Fondation <a href="https://verticalsoft-site.secure.force.com/phiwebsite/home?id=a0524000005nTY1AAM">BNP Paribas</a> dans le cadre du programme Climate and Biodiversity Initiative.</em></p>
<p><em>Le nouvel appel à projets (2023-2025) est lancé. Six à neuf projets de recherche seront sélectionnés et soutenus financièrement par la Fondation, à hauteur de six millions d’euros. La date limite de réception <a href="https://verticalsoft-site.secure.force.com/phiwebsite/Program?id=a0524000005nTY1&prid=a0r24000000uCSL">des dossiers de candidatures</a> est fixée au 20 avril 2022.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174050/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une plongée en BD dans le monde du développement rural à Madagascar.Tiphaine Chevallier, Chercheuse, Institut de recherche pour le développement (IRD)Lydie Chapuis-Lardy, Senior research scientist in Soil Science, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1715602021-11-30T18:57:58Z2021-11-30T18:57:58ZQuand la crise sanitaire rebat les cartes entre les acteurs de la solidarité nationale et internationale<p>Alors que la France est officiellement entrée dans la cinquième vague de la crise sanitaire, on peut raisonnablement s’interroger sur les impacts durables de la pandémie liée au Covid sur l’organisation des acteurs de la solidarité.</p>
<p>Le champ de la solidarité a pendant longtemps été marqué en France par une définition nette des rôles entre, d’un côté, les grands <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2007-8-page-83.htm">acteurs de la solidarité internationale</a> qui opèrent dans les pays des Suds (regroupés sous le terme d’<a href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_ong-9782707182081">ONG</a>), et de l’autre, les acteurs de la solidarité nationale (souvent approchés sous le qualificatif d’<a href="https://www.decitre.fr/livres/l-association-9782818503119.html">associations</a>).</p>
<p>Dans ce contexte, la collaboration entre ONG et associations était loin d’être évidente tant les différences semblaient prégnantes : celle des lieux d’intervention, celle des cultures organisationnelles ou celle des processus organisationnels. À grands traits, les ONG internationales étaient perçues comme des organisations dotées de nombreuses expertises et de moyens financiers importants, quand les associations nationales étaient réputées pour leur connaissance des territoires et leur capacité à mobiliser de larges équipes de bénévoles.</p>
<p>La crise du Covid et la fermeture des frontières qu’elle a engendrée ont cependant rebattu les cartes en contraignant temporairement les ONG à <a href="https://www.urd.org/wp-content/uploads/2020/07/Note11_Covid-19-et-solutions-locales-1.pdf">redéfinir leur champ d’action au niveau national</a>. Ces acteurs ont ainsi initié ou développé leurs missions en France.</p>
<p><a href="https://www.actioncontrelafaim.org">Action contre la faim</a> a, par exemple, démarré fin 2019 une <a href="https://www.actioncontrelafaim.org/missions/france/">mission de sécurité alimentaire des populations précaires</a> vivant en Île-de-France et à Marseille. De son côté, l’ONG <a href="https://www.solidarites.org/fr/">Solidarités International</a> spécialisée dans les opérations d’eau et assainissement à l’international (la majorité de ses missions sont en Afrique), a ouvert en 2020 une mission d’assainissement et de <a href="https://www.solidarites.org/fr/missions/france/">raccordement à l’eau potable de plusieurs bidonvilles</a> en Île-de-France et dans les métropoles de Nantes et Toulouse.</p>
<p>Les deux années passées ont été l’occasion pour ONG et associations nationales de travailler ensemble en recherchant des synergies nouvelles afin de bénéficier d’un maillage terrain et d’un réseau fort à l’échelle des territoires. Pour ses missions en France, ACF a ainsi travaillé en étroite collaboration avec l’Armée du Salut, tandis que Solidarités International s’est entouré de plusieurs organisations comme Médecins du monde France ou la Fondation Veolia.</p>
<p>Il paraît légitime de se demander si ce type de rapprochements entre monde associatif et ONG relève de la conjoncture ou d’une tendance de fond. Nous penchons clairement pour la seconde option. Le travail sur des terrains partagés a révélé de nombreuses complémentarités : les associations sont capables d’impulser des solutions innovantes avec peu de moyens tandis que les ONG savent associer un grand savoir-faire opérationnel à une réactivité importante. Ces compétences plurielles permettent d’ouvrir de <a href="https://www.coordinationsud.org/document-ressource/lancrage-en-france-des-ong-francaises-un-contiguum-des-solidarites-ici-et-la-bas/">nouvelles perspectives de collaboration</a> et de croiser les regards (par exemple sur <a href="https://www.coordinationsud.org/nos-appuis-aux-ong/integrer-genre-organisation/">l’approche « genre », sur laquelle certaines ONG sont pionnières</a>).</p>
<p>Au-delà des valeurs et des causes semblables, ONG internationales et associations nationales partagent d’autres points communs dans l’évolution de leurs métiers et du financement de leurs activités.</p>
<h2>La coopération en réponse à la mise en concurrence</h2>
<p>Depuis plusieurs années, les acteurs de la solidarité internationale sont mis en concurrence pour l’obtention de fonds institutionnels (européens et internationaux). En particulier, le <a href="https://www.coordinationsud.org/wp-content/uploads/synthese-etude-localisation-aide.pdf">principe de localisation de l’aide</a>, poussé depuis 2016 par les bailleurs internationaux (non sans <a href="https://cdn.odi.org/media/documents/C19__localisation_diary_methods_WEB.pdf">difficultés</a>), interroge la place des ONG françaises dans l’architecture de l’aide internationale, et questionne leurs territoires d’intervention.</p>
<p>La structuration croissante des sociétés civiles au Sud ainsi que la globalisation des enjeux permettent de faire émerger de nouvelles logiques de solidarité entre territoires, davantage fondées sur la résolution de problèmes communs que sur des relations d’aide asymétriques.</p>
<p>Les associations nationales se retrouvent, de leur côté, en concurrence pour bénéficier des fonds nationaux. ONG et associations se voient donc contraintes de répondre à des enjeux communs en matière de légitimité, de recherche de financements, de gestion de leurs membres et de rationalisation de leurs activités.</p>
<p>La coopération permet à ces acteurs de répondre à leurs enjeux respectifs en mutualisant leurs ressources et en bénéficiant des expertises de chacun. En ce sens, la collaboration est devenue un moyen de répondre aux pressions institutionnelles mais aussi de développer des synergies.</p>
<p>Le partage d’enjeux communs et la mise en œuvre d’activités collectives ont par ailleurs engendré une meilleure intercompréhension de ces organisations. Elles ont construit et affiné des logiques multi-acteurs afin de mieux coordonner leurs intérêts respectifs et ceux de leurs parties prenantes (bailleurs, bénéficiaires, acteurs publics locaux, etc.) avec qui elles interagissent.</p>
<p>La régulation concurrentielle a été, en ce sens, un catalyseur de la collaboration entre organisations de la solidarité, en les amenant à trouver les moyens de mutualiser leurs ressources et de travailler en commun.</p>
<p>La crise sanitaire a contribué à ce rapprochement (comme le montrent les exemples cités plus haut). Cependant ce travail de coopération a été initié bien en amont par des acteurs que l’on peut qualifier d’hybrides, à savoir capables de <a href="https://www.coordinationsud.org/wp-content/uploads/ancrage_france_web_16.06.20.pdf">conjuguer intrinsèquement des compétences</a> d’ONG internationales et d’associations nationales.</p>
<p>Il en est ainsi pour Médecins du Monde ou pour la Croix Rouge qui ont su habilement conjuguer les talents et font aujourd’hui figure de précurseurs. Moins connues, des initiatives comme <a href="https://www.cfsi.asso.fr/programme/cooperer-autrement/">« coopérer autrement en acteurs du changement »</a> du Comité français pour la solidarité internationale expérimentent déjà depuis 2014 les coopérations de territoire à territoire.</p>
<p>Ces organisations intègrent la dimension multi-acteurs propre à ces nouvelles coopérations, privilégiant ainsi des collaborations plurielles entre acteurs associatifs, chercheurs, acteurs publics et entrepreneurs, à la fois au Sud et au Nord.</p>
<p>La crise sanitaire n’a fait, finalement, que révéler – et sans doute accélérer – une tendance de fond de rapprochement des acteurs de la solidarité œuvrant aux niveaux national et international, dans la lignée des enjeux de localisation cités. Si les effets de ces nouvelles logiques sont encore à apprécier, ces pratiques font primer la demande (à l’opposé des approches par l’offre).</p>
<p>Dès lors, les logiques d’intervention des ONG et des acteurs associatifs sont moins guidées par les opportunités de financement que par les demandes et besoins de communautés d’usagers et d’usagères inscrites dans une pluralité de territoires. Une <a href="https://www.pantheonsorbonne.fr/page-perso/e2397005716">thèse de doctorat est actuellement engagée</a> à <a href="http://www.iae-paris.com/fr">l’IAE Paris</a> en partenariat avec <a href="https://www.coordinationsud.org">Coordination Sud</a> pour collecter des données sur ces questions.</p>
<h2>De nouveaux rapprochements pour de nouvelles solidarités</h2>
<p>Ce rapprochement entre niveaux d’action constitue par ailleurs une réponse aux grands défis à venir pour la solidarité. La crise de l’accueil de migrants a montré que les sujets de la solidarité internationale sont aussi ceux de la solidarité nationale.</p>
<p>Pour y répondre, les ONG sont contraintes de mobiliser une pluralité de territoires d’intervention (au Nord et au Sud) et d’acteurs (associations, groupements de citoyens et institutions nationales et internationales). Elles construisent alors des stratégies d’intervention qui allient à la fois lutte contre le réchauffement climatique (par des actions d’atténuation et d’adaptation) et lutte contre la pauvreté et les inégalités (par des actions médico-sociales, d’urgence ou encore d’éducation), en pleine adéquation avec la logique de l’<a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/globalpartnerships/">objectif de développement durable 17</a> qui consiste à nouer des partenariats efficaces et inclusifs.</p>
<p>De même, les enjeux environnementaux font peser des menaces communes à toutes les populations du globe conduisant à la diffusion de problématiques sanitaires sur de nouveaux terrains autrefois épargnés. Il en est ainsi avec des maladies ou des espèces invasives qui suivent l’évolution des courbes de température et entraînent une évolution des pathologies dans les pays du Nord (l’arrivée sur le territoire français du <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/sante-et-environnement/risques-microbiologiques-physiques-et-chimiques/especes-nuisibles-et-parasites/article/cartes-de-presence-du-moustique-tigre-aedes-albopictus-en-france-metropolitaine">moustique tigre</a> en étant l’exemple le plus connu).</p>
<p>La coopération entre ONG internationales et associations nationales est donc un enjeu majeur que ce soit au Nord comme au Sud. Elle est à même de déboucher sur des pistes essentielles pour définir le chemin étroit de la transition écologique et sociale. Les missions communes déjà engagées sont prometteuses et ont abouti à de belles réussites. L’action française de Solidarités International a d’ores et déjà touché près de 6 000 personnes. Et Oxfam et les trois ONG réunies au sein de l’<a href="https://laffairedusiecle.net/qui-sommes-nous/">« Affaire du siècle »</a> ont réussi, en 2021, à faire reconnaître la faute de l’État en matière de lutte contre le réchauffement climatique par le tribunal administratif de Paris, avec injonction à agir.</p>
<p>Il est maintenant souhaitable qu’elles perdurent dans le temps. Cela passe par une prise de conscience de ces enjeux par les décideurs politiques et les bailleurs nationaux et internationaux mais aussi par une sollicitation plus systématique des acteurs des Suds, encore trop souvent cantonnés à un rôle de bénéficiaires et non de producteurs de savoirs et d’expertises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171560/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Pradier travaille actuellement en tant que chargé d'études et d'analyses, et en tant que doctorant en CIFRE en sciences de gestion à l'IAE de Paris 1, pour Coordination SUD, la plate-forme des ONG françaises de solidarité internationale. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuelle Garbe et Philippe Eynaud ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Depuis la crise sanitaire, de nombreuses associations et ONG conjuguent leurs compétences et leurs réseaux afin de développer de nouvelles synergies.Philippe Eynaud, Professeur en sciences de gestion, IAE Paris – Sorbonne Business SchoolEmmanuelle Garbe, Maîtresse de conférences, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneVincent Pradier, Doctorant en sciences de gestion, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1718862021-11-24T23:24:54Z2021-11-24T23:24:54ZMédecins sans frontières, un pionnier du « business model » des ONG<p>Qu’elles soient du domaine de l’humanitaire, de la protection de la nature ou de la défense des droits de l’homme, les organisations non gouvernementales (ONG) constituent des acteurs majeurs de nos sociétés dont l’importance ne cesse de croître.</p>
<p>Médecins sans frontières (MSF) en est le parfait exemple. Créée en France en décembre 1971, cette start-up humanitaire de 13 personnes s’était donné pour première mission de s’occuper d’une population victime d’un tremblement de terre au Nicaragua. En 2020, MSF est devenue une multinationale avec un bureau international à Genève, cinq centres opérationnels et des bureaux dans 23 pays. Elle est intervenue pour des missions dans 88 pays, employant <a href="https://www.msf.org/international-activity-report-2020">45 260 personnes avec un budget de 1,9 milliard d’euros</a>.</p>
<h2>Création de valeur sociétale</h2>
<p>La théorie conventionnelle des « business models » (modèles économiques) ne permet pas d’appréhender la dynamique de croissance de MSF. En tant qu’organismes à but non-lucratif, la finalité des ONG est la création de valeur sociétale (lutte contre un fléau) et non la création de valeur économique (profit). Pour de nombreuses ONG, le succès ultime se matérialiserait par leur disparition du fait de leur inutilité liée à l’éradication du fléau qu’elles combattent.</p>
<p>La compréhension du business model des ONG suppose une rupture paradigmatique car les indicateurs liés au modèle des organismes à but lucratif (rentabilité pour financer des investissements qui généreront de la croissance économique et du profit) ne s’appliquent pas aux organismes à but non-lucratif. Avec deux collègues, nous avons développé dans un <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0899764020925912?journalCode=nvsb">article de recherche</a> un modèle à partir de la théorie du sociologue Pierre Bourdieu des formes de capital, que nous avons ensuite utilisé dans une autre <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/AMBPP.2021.13656abstract">étude</a> pour analyser MSF.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/431981/original/file-20211115-13-1kmgfmt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/431981/original/file-20211115-13-1kmgfmt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/431981/original/file-20211115-13-1kmgfmt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=532&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/431981/original/file-20211115-13-1kmgfmt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=532&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/431981/original/file-20211115-13-1kmgfmt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=532&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/431981/original/file-20211115-13-1kmgfmt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=669&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/431981/original/file-20211115-13-1kmgfmt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=669&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/431981/original/file-20211115-13-1kmgfmt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=669&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="source">Auteur.</span></span>
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<p>Bourdieu distingue quatre formes de capital : le capital économique (actifs matériels, actifs financiers, droits de propriété), le capital social (réseau de relations individuelles), le capital culturel (connaissances des individus, manuels, documents) et le capital symbolique (prestige, prix honorifiques, récompenses). Le dernier reflète la reconnaissance sociale de la possession de l’un ou de plusieurs des trois autres formes de capital. Chaque capital peut être accumulé et converti dans une des trois autres formes. Un business model des organismes à but non-lucratif définit l’aptitude d’une ONG à créer de valeur sociétale de manière pérenne par sa capacité à entretenir un cercle vertueux d’accumulation et de conversion des quatre formes de capital.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/v-VAFI2_v9w?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Les quatre capitaux de Pierre Bourdieu » (Les Bons Profs, 2017).</span></figcaption>
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<p>Lors de sa création, le capital culturel de MSF était constitué des connaissances médicales des 11 médecins fondateurs et des connaissances en communication des deux journalistes fondateurs. La combinaison des deux a permis d’initier la dynamique d’accumulation-conversion des formes de capital.</p>
<p>En 1972, MSF organisa sa première mission humanitaire au Nicaragua qui fut médiatisée par l’entremise des journalistes de l’ONG. Cette médiatisation correspond à une accumulation de capital symbolique qui fut ensuite converti en capital social par un accroissement du nombre de sympathisants. Ce capital social fut également converti en capital économique par une augmentation des dons des sympathisants et une augmentation du capital culturel par l’accroissement du nombre de bénévoles pour de nouvelles missions humanitaires. Progressivement, MSF a adapté sa structure organisationnelle pour entretenir la dynamique d’accumulation-conversion.</p>
<p>Désormais, MSF a cinq centres opérationnels (Amsterdam, Barcelone, Bruxelles, Genève et Paris) qui organisent les équipes d’experts sur les terrains d’intervention (41172 personnes en 2020). Les directions opérationnelles ont des équipes de pool managers qui entretiennent des réseaux de potentiels volontaires rapidement mobilisables en cas d’urgence. Le capital culturel accumulé et détenu par ces experts opérationnels fait l’objet d’une formalisation pour définir des processus d’intervention qui peuvent être enseignés aux futurs intervenants humanitaires.</p>
<h2>Accumulation de capital symbolique</h2>
<p>De plus, en 1986, MSF a créé Épicentre pour mener des recherches à partir des données collectées lors de ses missions et améliorer sa compréhension des phénomènes épidémiologiques. Un département marketing est en charge de l’accumulation de capital social par l’acquisition de nouveaux membres et sympathisants à travers des actions de communication. Ce capital social est converti en capital économique par des campagnes de sollicitation de dons. Si l’essentiel des fonds collectés (80,5 % en 2020) est consacré aux missions humanitaires, une partie (14,9 % en 2020) est réinvestie pour la collecte de fonds, notamment à travers l’entretien et le développement du capital social de sympathisants.</p>
<p>En 2016, il y avait 81 000 souscripteurs de la lettre d’information de MSF contre plus de 327 000 en 2020. Le recours aux médias sociaux illustre l’investissement fait par l’ONG pour accumuler du capital social (en novembre 2021, sur Facebook MSF comptait plus de 11 millions de followers – contre 1,2 million en 2015, 75 000 sur Instagram, 92 000 sur Twitter, 120 000 sur LinkedIn et près de 6 millions de vues sur YouTube). Un département communication valorise les actions de MSF auprès des médias afin d’accumuler du capital symbolique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/431983/original/file-20211115-27-148tpzn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/431983/original/file-20211115-27-148tpzn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/431983/original/file-20211115-27-148tpzn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/431983/original/file-20211115-27-148tpzn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/431983/original/file-20211115-27-148tpzn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/431983/original/file-20211115-27-148tpzn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/431983/original/file-20211115-27-148tpzn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/431983/original/file-20211115-27-148tpzn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="source">Auteur.</span></span>
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<p>En 1999, MSF se vit attribuer le prix Nobel de la Paix. Cette attribution correspond à une reconnaissance internationale (capital symbolique) des nombreuses missions humanitaires menées par l’ONG, notamment lors du génocide rwandais. Cette reconnaissance a permis à MSF d’accroître son capital symbolique par une forte médiatisation du prix Nobel. Le nombre d’articles de presse s’est accru de 86,6 % en 1999 et de 24,6 % en 2000. Ce capital symbolique a été converti en capital culturel par une augmentation de 57,4 % en 1999 et de 82,4 % en 2000 du nombre de volontaires pour des missions humanitaires. Le capital symbolique a également été converti en capital économique par une augmentation des dons de 45,1 % en 1999 et de 36,9 % en 2000.</p>
<p>La création de valeur sociétale par MSF reste donc liée à sa capacité d’entretenir ce cercle vertueux d’accumulation-conversion des formes de capital afin de se doter des ressources nécessaires à ses missions humanitaires puis à une valorisation culturelle, sociale, économique et symbolique de ses missions. La reconnaissance sociale (capital symbolique) de son expertise en matière épidémiologique (capital culturel) amène les acteurs politiques à faire appel à MSF en cas de pandémie.</p>
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<figcaption><span class="caption">En 199, MSF reçoit le prix Nobel de la paix (INA Société).</span></figcaption>
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<p>Ce fut le cas en 2014, quand l’ONG fut mobilisée pour lutter contre l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest ou, plus récemment, par les autorités italiennes pour faire face à la pandémie de Covid-19. Lors de ces missions humanitaires, MSF s’appuie sur son capital social pour solliciter des dons (capital économique) et de nouveaux volontaires pour intervenir sur le terrain (capital culturel).</p>
<p>Certaines ONG n’arrivent pas à initier la dynamique vertueuse d’accumulation-conversion des formes de capital. L’univers des ONG se caractérise par un très grand nombre de très petites organisations qui sont dans un mode de survie et n’arrivent pas à se développer. D’autres, plus connues peuvent initier un cercle vicieux de destruction des formes de capital pouvant les affaiblir, voir conduire à leur disparition.</p>
<h2>Au-delà de l’humanitaire</h2>
<p>WWF (World Wide Fund for Nature) illustre ce risque. L’ONG, créée en 1961, du fait de la qualité de ses scientifiques et de ses rapports (capital culturel), jouit d’une reconnaissance internationale en matière de préservation de l’environnement (capital symbolique), qui se traduit par un nombre important de sympathisants (capital social) et des dons conséquents (capital économique). Dans sa stratégie de conversion de son capital symbolique en capital économique, WWF a noué des partenariats avec des entreprises (notamment Lafarge, Monsanto, Crédit Agricole, BP ou Coca-Cola) dont l’impact sur l’environnement est dénoncé par plusieurs parties prenantes (journalistes, autres ONG). De plus, à partir de 2017, WWF a été <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/01/06/cameroun-une-enquete-lancee-contre-wwf-pour-violation-des-droits-de-l-homme_5058831_3212.html">accusé de violation des droits humains</a> en Afrique par ses équipes de lutte contre le braconnage (destruction de capital culturel).</p>
<p>En 2019, ces accusations firent l’objet d’une forte couverture médiatique. La dégradation de la réputation correspond à une destruction de capital symbolique qui a entrainé une destruction de capital économique. En 2019, les revenus de WWF ont baissé de 8,1 % (malgré une hausse de 9,7 % des dépenses de fundraising). En 2020, l’Union européenne a décidé de limiter son soutien financier à l’ONG et, en 2021, les États-Unis ont suspendu le leur.</p>
<p>En conclusion, on peut s’interroger sur l’extension de ce modèle aux entreprises socialement responsables. En effet, depuis quelques décennies a émergé l’idée de ce type de structure qui ne se limiterait pas à la maximisation des profits des actionnaires, mais se préoccuperait des intérêts de différentes parties prenantes (salariés, citoyens, populations défavorisées, environnement, etc.). Si un statut juridique émerge avec les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-a-mission-50865">entreprises à mission</a> ou les <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/les-b-corp-veulent-changer-le-monde_2010999.html">B Corp</a>, il manque encore un business model pour ces nouvelles entreprises socialement responsables dont la croissance dépend de la capacité à satisfaire une multitude de parties prenantes.</p>
<p>Le business model fondé sur les formes de capital de Bourdieu peut expliquer les mécanismes de développement de ces entreprises socialement responsables. Il met aussi en évidence les risques de destruction de capital économique liée à la destruction de capital symbolique du fait d’actions nuisibles pour l’environnement ou par des actions de greenwashing révélées par des activistes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171886/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Ferrary ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La création de valeur sociétale visée par l’organisation humanitaire dès sa création en 1971 pourrait constituer une source d’inspiration pour toute entreprise qui se veut socialement responsable.Michel Ferrary, Professeur de Management à l'Université de Genève, Chercheur-affilié, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1621182021-06-13T16:35:07Z2021-06-13T16:35:07ZEn RDC, l’éruption du volcan Nyiragongo révèle de nombreuses faiblesses structurelles de l’État<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/405683/original/file-20210610-15-1miln2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1022%2C682&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’éruption, qui n’avait pas été anticipée, a provoqué la fuite de centaines de milliers de personnes.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Moses Sawasawa/AFP</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Dans la nuit du samedi 22 mai au dimanche 23 mai 2021, le volcan Nyiragongo, à proximité de la ville de Goma, dans l’Est de la République démocratique du Congo, est brusquement <a href="https://www.leparisien.fr/environnement/rdc-le-volcan-nyiragongo-est-entre-en-eruption-22-05-2021-C2EDWOCMEJDEPKAFVM7Z2OCP34.php">entré en éruption</a> après près de dix-neuf ans d’accalmie. Sa dernière éruption remontait au 17 février 2002.</p>
<p>L’Observatoire volcanologique de Goma (OVG), service technique attitré pour le suivi de l’activité volcanique dans le pays, a essuyé <a href="https://www.lecho.be/economie-politique/international/afrique/goma-le-volcan-n-etait-plus-surveille-faute-de-financements/10308095.html">d’importantes critiques</a> pour avoir mal maîtrisé la situation et ne pas avoir activé des mécanismes d’alerte précoce qui auraient permis une évacuation de la population à temps (des dizaines de personnes seraient <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/republique-democratique-du-congo/eruption-du-volcan-nyiragongo-en-rdc-au-moins-32-morts-et-5-000-personnes-ayant-perdu-leur-foyer-2fbbe232-bd41-11eb-9d87-eb28e77a8992#:%7E:text=Nyiragongo%20en%20RDC.-,Au%20moins%2032%20morts%20et%205%20000%20personnes%20ayant%20perdu,situation%20est%20toujours%20tr%C3%A8s%20instable.">mortes asphyxiées</a>, et l’évacuation s’est faite au dernier moment, sans appui précis, suscitant des scènes de panique dans lesquelles de nombreux biens ont été égarés et des <a href="https://www.unicef.fr/article/eruption-du-volcan-en-rdc-jusqua-280-000-enfants-risquent-detre-deplaces">enfants ont été séparés de leur famille</a>).</p>
<p>Globalement, la gestion de la crise liée à l’éruption du Nyiragongo par l’État congolais met en évidence plusieurs grands défis liés à la gouvernance politique de la RDC.</p>
<h2>Une action publique trop dépendante envers l’aide extérieure</h2>
<p>Il ressort de l’analyse des sources internes à l’OVG que la Banque mondiale a largement soutenu cette organisation entre 2016 et 2020 : sur cette période, elle lui a versé <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210525-eruption-du-nyiragongo-en-rdc-l-observatoire-volcanique-de-goma-a-failli-a-sa-mission">plus de deux millions de dollars américains</a>.</p>
<p>Cependant, en septembre 2020, ce projet est arrivé à terme et n’a pas été reconduit par le bailleur extérieur. Le gouvernement congolais n’a pas pris le relais localement, ce qui a résulté en une dégradation de la qualité du travail au sein de l’OVG.</p>
<p>Avec l’éruption de mai 2021, les observateurs avisés et les citoyens congolais exigeants ont en grande majorité mesuré, une nouvelle fois, le prix de la dépendance extérieure de l’État congolais vis-à-vis des bailleurs des fonds bilatéraux et multilatéraux. Le cas de l’Observatoire volcanologique de Goma n’est à cet égard qu’un parmi des milliers, qui traduisent une culture institutionnalisée de dépendance de l’action publique vis-à-vis des bailleurs extérieurs en RDC. Une culture que mère Nature a donc décidé de punir par une éruption volcanique surprise.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4ANwu10IDqs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Cette dépendance de la RDC n’est pas sans lien avec les réformes enclenchées durant la décennie 1980-1990 au titre des <a href="http://www.sudoc.abes.fr/cbs/xslt//DB=2.1/SET=1/TTL=1/CLK?IKT=1016&TRM=Causes+et+conse%CC%81quences+des+programmes+d%27ajustement+structurel+en+Re%CC%81publique+De%CC%81mocratique+du+Congo+(RDC)">politiques d’ajustement structurel</a>, qui ont démantelé les lignes budgétaires jadis allouées à la recherche scientifique dans la plupart des États africains, tuant l’esprit d’auto-prise en charge institutionnelle en RDC. La recherche scientifique est restée dépendante des coopérations bilatérales et/ou multilatérales, notamment pour ce qui concerne la formation des cadres scientifiques, le fonctionnement des unités de recherche scientifique voire, parfois, la prise en charge des chercheurs congolais.</p>
<h2>La dépendance de la recherche scientifique vis-à-vis des ONG</h2>
<p>La dépendance de la recherche scientifique au Sud en général et en RDC en particulier a conduit, entre autres, à une sorte d’« ONGisation de la recherche », les ONG (telles que <a href="https://www.international-alert.org/">International Alert</a>, <a href="https://www.rescue.org/">International Rescue Committee</a>, <a href="https://www.oxfam.org/fr">Oxfam</a>, <a href="https://www.kas.de/en/home">Konrad Adenauer Stiftung</a>, etc.) tendent à combler le vide dans le champ de la recherche scientifique à travers le mécanisme d’intermédiation publique.</p>
<p>Cette prévalence des ONG et d’acteurs privés extérieurs dans la recherche tend à évincer les universités et les instituts supérieurs de leurs missions classiques de recherche scientifique. Dans un contexte de libéralisation de la recherche scientifique et des espaces des savoirs, l’<a href="https://www.gicnetwork.be/longisation-de-la-recherche-scientifique/">« ONGisation »</a> de la recherche ne présente pas, en soi, un inconvénient en amont ; mais là où le bât blesse, s’agissant de la RDC, c’est, notamment, dans l’incapacité du ministère sectoriel du Plan et de la Recherche scientifique à parvenir à bien canaliser les financements extérieurs alloués à la recherche scientifique.</p>
<p>La gestion de l’éruption volcanique de Nyiragongo traduit ainsi une insuffisance dans la canalisation de nombreux appuis extérieurs. L’État congolais n’a pas réussi à s’imposer dans l’affectation des fonds face aux nombreux bailleurs de fonds passés et/ou potentiels. Cela s’illustre dans la faible anticipation institutionnelle des conséquences de l’éruption, qui est un phénomène certes naturel, mais prévisible techniquement si les moyens et la qualité de la gouvernance sont au rendez-vous.</p>
<p>Malheureusement, l’OVG n’a pas efficacement actionné les mécanismes d’alerte précoce mis en place par le passé avec l’appui de nombreux bailleurs de fonds, notamment des ONG, dont les acquis n’ont souvent pas été appropriés et maintenus. Cette faible appropriation des acquis des ONG tient au caractère « court-termiste » de leurs interventions en général ; leurs solutions conjoncturelles ne peuvent pas régler les problèmes structurels auxquels sont confrontés les services publics.</p>
<h2>Le blocage par Kinshasa de la pleine décentralisation territoriale et financière</h2>
<p>L’éruption volcanique surprise à Goma a révélé un autre problème lié au blocage des mécanismes de la décentralisation en RDC, au regard de la tendance consistant à s’en remettre constamment au sommet de l’État central face à toute catastrophe.</p>
<p>Pour la province du Nord Kivu, cette éruption a démontré une fois de plus les limites institutionnelles et politiques de la capitale Kinshasa, qui bloque l’essor des provinces et leur capacité à agir efficacement de manière décentralisée. Ce blocage de la décentralisation, notamment financière, est lié à l’impossibilité pour les provinces d’opérer une retenue à la source des 40 % des recettes à caractère national, comme prévu par la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/cd2006.htm">Constitution de 2006</a>. Ce blocage de la décentralisation, notamment technique, est aussi lié au dysfonctionnement de nombreux services publics tels que l’OVG, qui dépendent en partie de la tutelle du pouvoir central bien qu’ils travaillent sur des problèmes locaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1224279636294750209"}"></div></p>
<p>Dès lors, l’éruption de mai 2021 peut inviter à instaurer localement une taxe spéciale pour financer la gestion civile des dégâts issus des éruptions volcaniques afin d’échapper à la lenteur du pouvoir central de Kinshasa d’un côté et à la dépendance publique à des aides extérieures sporadiques. L’opportunité d’une telle taxe mérite d’être examinée par l’Assemblée provinciale et l’exécutif provincial du Nord Kivu : les fonds ainsi récoltés permettraient de mettre en place un mécanisme d’autofinancement local afin de mieux gérer les catastrophes naturelles et de s’assurer une plus grande indépendance locale notamment en matière de recherche scientifique sur l’activité volcanique dans la province.</p>
<h2>Déficience de l’action humanitaire interne</h2>
<p>Une dernière problématique que suggère l’éruption volcanique de Goma est liée à la gestion déficiente de la crise humanitaire qui en a résulté. En date du 27 mai 2021, le gouverneur militaire de la province du Nord Kivu a ordonné l’évacuation des populations de dix quartiers de la ville de Goma supposés situés en zones dangereuses, les enjoignant de rejoindre essentiellement la cité de Sake, située à 30 kilomètres de la ville de Goma. D’autres habitants de la zone ont pris la direction du Rwanda voisin ou encore de la province voisine du Sud Kivu.</p>
<p>Près de <a href="https://news.un.org/fr/story/2021/06/1097212">450 000 personnes ont fui Goma</a>, pour la plupart des femmes et enfants. Paradoxalement, aucune mesure concrète de prise en charge publique de ces personnes n’a été définie en amont, en dehors de quelques interventions publiques non seulement isolées mais aussi mal coordonnées. Les populations appelées à se déplacer ont ainsi été poussées dans une logique de la débrouillardise, les services publics en charge des affaires humanitaires et de la protection civile n’ayant pas consacré suffisamment de moyens matériels, alimentaires et, moins encore, logistiques pour faciliter leur déplacement lors de l’évacuation de Goma.</p>
<p>Dans l’ensemble, la communication de crise des autorités locales a été marquée par une grande attente vis-à-vis des bailleurs des fonds humanitaires extérieurs qui, certes, se sont relativement mobilisés, notamment dans la cité de Sake, mais sans se montrer capables de bien identifier les vrais sinistrés, des suites de l’absence d’un site public aménagé spécialement pour leur accueil. Cette faible intervention humanitaire en faveur des populations poussées à l’évacuation dénote une culture attentiste devenue chronique en RDC, même si le gouvernement central a dépêché une forte délégation ministérielle dans la ville de Goma.</p>
<p>Les sinistrés partis à leurs frais à Bukavu, à Kalehe, à Idjwi, à Rutshuru et à Sake semblent, dans leur majeure partie, avoir compté sur des solutions de solidarité familiale et communautaire plutôt que sur de vraies mesures publiques d’aménagement d’espaces d’accueil et d’hébergement ou de restauration conséquente. L’attentisme vis-à-vis des organisations non gouvernementales, des bailleurs des fonds multilatéraux et bilatéraux qui est devenu une seconde nature dans la gestion publique congolaise a eu un impact psychologique, matériel et moral immense sur les populations concernées par ce sinistre. La gestion bâclée des conséquences humanitaires et socioéconomiques de l’éruption de Nyiragongo devrait interpeller la classe politique congolaise et l’inciter à prendre des mesures claires pour éviter de dégrader l’image de marque de l’État en particulier et pour améliorer l’avenir de la nation en général.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162118/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joel Baraka Akilimali ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’éruption, qui a notamment causé le déplacement de près d’un demi-million de personnes, a pris la population par surprise parce que le volcan n’était plus surveillé.Joel Baraka Akilimali, PhD Student, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1500432021-05-06T18:23:16Z2021-05-06T18:23:16ZLe rôle grandissant des big tech dans la gouvernance environnementale<p>En juillet 2020, Google et le Groupe sur l’observation de la Terre (GEO) ont annoncé le financement de <a href="https://earthobservations.org/article.php?id=447">32 projets dans 22 pays</a> pour relever les défis environnementaux et, en particulier, surveiller le changement climatique et anticiper les catastrophes naturelles.</p>
<p>Dans le contexte des sciences de l’environnement, l’analyse de vastes ensembles de données n’est pas nouvelle. Depuis les années 1980, les scientifiques s’y réfèrent pour mieux comprendre l’évolution du climat. Néanmoins, la complexité des données volumineuses récentes nécessite de nouveaux instruments et techniques <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/wat2.1102">pour être traitées et leur donner un sens</a>.</p>
<p>L’intelligence artificielle (IA) <a href="https://www.routledge.com/Global-Environmental-Governance-in-the-Information-Age-Civil-Society-Organizations/Duberry/p/book/9781138088856">répond à cette demande et contribue à trois grandes utilisations</a> par les acteurs de la gouvernance environnementale mondiale.</p>
<h2>Les usages de l’IA</h2>
<p>Tout d’abord, les technologies de reconnaissance d’images basées sur les capacités d’analyse de l’IA permettent d’automatiser la reconnaissance d’espèces en voie de disparition, permettant ainsi aux organisations et experts <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/AAAJ-12-2015-2320/full/html">d’identifier plus efficacement des espèces menacées</a> dans les vidéos et images capturées dans les aires protégées, et donc de <a href="https://www.cais.usc.edu/wp-content/uploads/2018/05/bondi_camera_ready_airsim-w.pdf">mieux les protéger</a>.</p>
<p>De plus, la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/10095020.2017.1333230">cartographie satellitaire et aérienne</a> associée à la capacité d’analyse de l’IA, peut fournir une vue en temps réel des changements qui ont lieu au sein de grands écosystèmes et autres points chauds de la biodiversité.</p>
<p>Cela permet, par exemple, de générer des informations en grande quantité et très précises sur les émissions de carbone et la pollution atmosphérique, l’aménagement du territoire, l’évolution des niveaux d’eau ou encore la <a href="https://www.itu.int/en/ITU-T/AI/2018/Pages/breakthrough-tracks.aspx">croissance de nouveaux arbres dans les zones en cours de restauration</a>.</p>
<p>Enfin, les capacités computationnelles de l’IA permettent d’anticiper et <a href="https://www.cais.usc.edu/wp-content/uploads/2018/05/bondi_camera_ready_airsim-w.pdf">modéliser plusieurs scénarios d’avenir</a>, par exemple le changement climatique et son impact sur les économies, la propagation de parasites et virus, l’ampleur de catastrophes naturelles, et plus généralement mieux comprendre notre planète et notre interaction avec ses écosystèmes.</p>
<p>L’analyse de ces données volumineuses permet aussi d’<a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11077-017-9293-1">informer les décideurs politiques</a> et ainsi de contribuer au développement des politiques environnementales au niveau national et international plus en lien avec les dernières évolutions de la planète et de ses habitants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1382816038866280450"}"></div></p>
<h2>Des défis environnementaux</h2>
<p>Ces vastes quantités de données, et les technologies associées pour les collecter, gérer et analyser, dont l’IA, présentent toutefois de grands défis en matière de sobriété environnementale.</p>
<p>La consommation d’énergie par le numérique représente une part importante des émissions totales de gaz à effet de serre dans le monde <a href="https://www.liberation.fr/terre/2020/12/14/les-geants-de-la-tech-sont-ils-aussi-ecolos-qu-ils-le-pretendent_1807665/">(3,7 % en 2018)</a> et de la consommation mondiale d’énergie primaire <a href="https://www.liberation.fr/terre/2020/12/14/les-geants-de-la-tech-sont-ils-aussi-ecolos-qu-ils-le-pretendent_1807665/">(4,2 % la même année)</a>.</p>
<p>La fabrication d’ordinateurs, serveurs, et autres objets connectés, nécessite l’extraction de matière première, et en particulier de métaux précieux (or, coltan, terres rares, etc.) qui détruisent l’environnement et accélèrent la déforestation et le réchauffement climatique, principalement en Afrique et Amérique latine. Face à ces défis, les « big 5 » d’Amérique du Nord rivalisent de projets pour améliorer la durabilité de leurs services et produits.</p>
<p>Le programme de <a href="https://www.microsoft.com/en-us/ai/ai-for-earth">Microsoft AI for Earth</a> soutient un grand nombre d’organisations à but non lucratif qui œuvrent pour la protection de l’environnement, le changement climatique et le développement durable.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le projet AI for Earth de Microsoft a pour objectif d’inciter les entreprises à innover dans le domaine de l’environnement.</span></figcaption>
</figure>
<p>De même, Amazon a créé le <a href="https://sustainability.aboutamazon.com/about/right-now-climate-fund">Right Now Climate Fund</a>, un fonds de 100 millions de dollars US destiné à restaurer et à conserver les forêts, les zones humides et les tourbières dans le monde entier.</p>
<h2>Quel contrôle ?</h2>
<p>Si cet engagement des grandes entreprises technologiques pour l’environnement est à la fois nécessaire et louable, il pose néanmoins la question du rôle de des grandes entreprises technologiques dans la définition du futur de la conservation.</p>
<p>Et ce d’autant plus que les « big 5 » d’Amérique du Nord combinent à la fois l’accès aux données volumineuses, la capacité d’innover et les dernières technologies, mais aussi une vaste capacité financière et d’influence.</p>
<p>En d’autres termes, leur investissement, encore récent, dans la protection pour de l’environnement, va peser fortement à la fois sur les priorités et sur les autres acteurs de la gouvernance environnementale.</p>
<p>Deux exemples permettent d’illustrer ce propos.</p>
<p>En 2020, Amazon a annoncé un partenariat avec l’ONG américaine <a href="https://www.aboutamazon.com/news/sustainability/amazon-announces-first-right-now-climate-fund-project-outside-the-u-s">The Nature Conservancy</a> pour « conserver, restaurer et soutenir des solutions durables en matière de foresterie, de faune et de flore ». Le choix pourrait être de financer la protection d’un des hotspots de la biodiversité dans le monde, comme la forêt de Daintree en Australie, ou encore la Forêt de nuages en Équateur.</p>
<p>Mais Amazon a d’abord choisi de financer pour <a href="https://www.aboutamazon.com/news/sustainability/amazon-announces-first-right-now-climate-fund-project-outside-the-u-s">10 millions de dollars</a> la protection de la faune et flore des Appalaches (proches de Boston, New York, Philadelphie, Baltimore, Washington), et de verser <a href="https://www.aboutamazon.com/news/sustainability/amazon-announces-first-right-now-climate-fund-project-outside-the-u-s">3,75 millions d’euros</a> pour le verdissement des villes européennes afin de les rendre plus résistantes au changement climatique.</p>
<p>En priorisant des enjeux proches de préoccupations des habitants des grandes mégalopoles dans les pays développés, Amazon répond également à une réalité commerciale : améliorer son image auprès de ses principaux utilisateurs.</p>
<p><a href="https://www.apple.com/environment/pdf/Apple_Environmental_Progress_Report_2020.pdf">Apple</a> a pour sa part annoncé soutenir financièrement l’organisation non gouvernementale (ONG) Alliance for Water Stewardship (AWS) pour sensibiliser la région Asie-Pacifique à la question de la gestion durable de l’eau. En 2020, cette initiative a permis à un grand nombre de fabricants de produits électroniques dans le bassin de Kunshan en Chine de certifier leurs sites de production <a href="https://www.apple.com/environment/pdf/Apple_Environmental_Progress_Report_2020.pdf">selon les critères AWS de gestion durable de l’eau</a>.</p>
<p>Cependant, le choix de cette ONG, et les critères choisis pour la sensibilisation et le processus de certification, manquent de transparence. Une approche qui inclurait d’autres acteurs environnementaux, permettrait de mieux représenter la diversité des enjeux et opinions nécessaires à une bonne gouvernance des ressources naturelles.</p>
<p>En limitant leur collaboration avec des acteurs choisis sans réelle transparence, les big tech risquent de renforcer des disparités existantes en matière de visibilité, de ressources et d’accès à la technologie.</p>
<p>Les organisations plus petites et moins connues, en particulier celles du Sud, ainsi que les espèces et écosystèmes moins visibles, peuvent être laissées de côté au profit d’autres, plus proches des intérêts et préoccupations de leurs utilisateurs.</p>
<p>Ceci reviendrait à transformer durablement la gouvernance environnementale mondiale en donnant, de fait, un rôle de plus en important à la stratégie commerciale des « big 5 » d’Amérique du Nord.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150043/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jerome Duberry a reçu des financements du Fonds national suisse pour la recherche scientifique et du Centre de compétences Dusan Sidjanski en études éuropéennes. </span></em></p>Le développement de l’IA permet aux Gafam d’étendre leur influence dans la lutte pour la protection de l’environnement. En s’associant aux ONG, ils en deviennent des acteurs incontournables.Jerome Duberry, Research associate, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1577872021-04-13T19:41:18Z2021-04-13T19:41:18ZInnover pour faire face à la crise : que peut-on apprendre des organisations humanitaires ?<p>Du 17 mars au 11 mai 2020, alors que toute la France se confine sous l’effet de l’épidémie de la Covid-19, les sans-abris, encore isolés, sont les seuls à occuper les rues désertées. Les associations humanitaires se mobilisent plus que jamais pour continuer à leur apporter de l’aide. Elles se réorganisent, se réinventent et s’adaptent pour un seul objectif : <a href="https://www.franceinter.fr/societe/sans-abris-au-temps-du-covid-ces-prochains-mois-vont-etre-difficiles-au-bois-de-vincennes-">« éviter de remettre les SDF à la rue ! »</a></p>
<p>Peut-on apprendre de ces organisations humanitaires et la façon dont elles ont innové pour gérer les situations de crise ?</p>
<p>Au-delà de ses conséquences économiques, politiques et sociales, la pandémie de la Covid-19 constitue aussi une crise humanitaire, une crise en matière de sécurité et de droits de l’homme, ayant provoqué une croissance exponentielle du nombre de personnes ayant besoin d’aide humanitaire, une <a href="https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/un_comprehensive_response_to_covid19_french.pdf">forte augmentation</a> de la pauvreté, d’importantes fragilités et de graves inégalités au sein et entre les nations.</p>
<p>Sous l’effet de la pandémie, le nombre de nouveaux pauvres dans le monde est estimé entre 119 et 124 millions en 2020. Sur la base des prévisions de janvier 2021, on estime que ce nombre devrait s’établir <a href="https://blogs.worldbank.org/fr/opendata/actualisation-des-estimations-impact-pandemie-covid-19-sur-pauvrete">entre 143 et 163 millions</a>. De même, l’ONU estime que le nombre de personnes dans le monde ayant besoin d’une aide humanitaire s’élèvera à 235 millions en 2021, soit une augmentation de 40 % <a href="https://news.un.org/fr/story/2021/01/1087682">par rapport à l’année dernière</a>.</p>
<p>En France, malgré cette crise, la solidarité ne faiblit pas. Bien au contraire, elle s’organise et se raffermit pour atténuer l’isolement des plus vulnérables et maintenir le lien social. Dès le début du confinement, le gouvernement lance la Réserve civique-Covid 19 <a href="https://www.jeveuxaider.gouv.fr">jeveuxaider.gouv.fr</a> qui met en lien les citoyens et les associations afin de continuer à aider les plus démunis et les plus vulnérables. Grâce à cette plate-forme, plus de 330 000 bénévoles en France soutiennent d’aujourd’hui plus de <a href="https://www.jeveuxaider.gouv.fr">5000 associations et organisations publiques</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1371774994716319750"}"></div></p>
<p>Des initiatives solidaires très importantes <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-face-au-coronavirus-solidarite-et-lien-social-1186060">se multiplient</a>, que ce soit par des dons, des actions bénévoles, des plates-formes, de multiples hashtags comme <a href="https://bit.ly/2QycqQJ">#quarantaide #COVID19france</a> #TousSolidaires…</p>
<h2>Le cas Emmaüs Solidarité</h2>
<p>Comme de nombreuses associations humanitaires, <a href="https://www.emmaus-solidarite.org/">Emmaüs Solidarité</a> a subi de plein fouet la crise sanitaire. Cette association œuvre au quotidien pour que chacun trouve une place dans la société à partir des services élémentaires qu’elle réalise (hygiène, santé, vestiaire), des missions d’accueil, d’écoute, de réconfort et d’orientation qu’elle propose pour les personnes les plus fragiles, les plus désocialisées et les plus blessées par la vie : <a href="https://www.emmaus-solidarite.org/wp-content/uploads/2015/07/EMMA%86S-Solidarit%8E-Plaquette-de-pr%8Esentation-2017.pdf">celles qui vivent à la rue</a>. Le confinement a durement touché son activité comme le souligne Monsieur Bruno Morel, DG de l’association :</p>
<blockquote>
<p>« Une situation particulièrement difficile à gérer, marquée par la croissance du nombre de personnes suivies, l’impossibilité à tenir des réunions entre bénévoles et salariés confinés et à organiser des évènements publics, la suspension des ateliers d’information auprès des personnes accueillies et hébergées. »</p>
</blockquote>
<p>Pour ces personnes déjà précaires, le manque de nourriture s’ajoute à <a href="https://www.leparisien.fr/societe/coronavirus-le-confinement-ce-n-est-pas-pour-moi-constate-charly-sdf-21-03-2020-8285103.php">l’isolement social et psychologique</a> puisque les services de première nécessité et de santé ne sont quasiment plus accessibles :</p>
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<p>« Il est devenu impossible d’accéder aux toilettes des bars et des restaurants ou difficile de faire la manche dans les rues. »</p>
</blockquote>
<p>Avec la pandémie, l’association se trouve confrontée à un nouveau public composé de plus de femmes et de jeunes, avec de nouveaux défis comme les violences sexuelles ou conjugales, l’abandon, la rupture de soins… <a href="https://www.liberation.fr/societe/droits-des-femmes/femmes-isolees-au-centre-dhebergement-durgence-on-est-une-famille-20210315_SV5JKRXKXZELFP67WIOQ5G3XFU">Selon le DG</a>, « la fréquentation par les femmes a augmenté de 32 % entre 2019 et 2020 ».</p>
<h2>Mobiliser des ressources</h2>
<p>La crise impose aux associations des contraintes fortes en termes de capacités en ressources humaines, moyens techniques, matériels adaptés et une disponibilité des <a href="https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2012-3-page-59.htm">ressources financières</a>.</p>
<p>Face à ces contraintes, de nombreuses associations humanitaires comme Emmaüs Solidarité, <a href="https://www.emmaus-international.org/fr/actualites/2213-covid-19-d%C3%A9fi-de-solidarit%C3%A9-face-%C3%A0-l%E2%80%99%C3%A9pid%C3%A9mie.html">Emmaüs International</a>, la <a href="https://www.croix-rouge.fr/Actualite/coronavirus-Covid-19">Croix-Rouge française</a>, <a href="https://coallia.org/mobilisation-covid-19/">Coallia</a>, <a href="https://www.solidarites.org/fr/missions/france/">Solidarités International</a> et autres multiplient les mesures et renforcent les capacités : veille informationnelle continue, multiplication des maraudes, distribution de tickets services et répartition équitable des dons reçus auprès des personnes fragilisés par la pandémie, gestion intensive des stocks de matériel de protection pour répondre à tous les besoins…</p>
<p>Les gestes barrières imposés par la crise Covid-19 représentent par ailleurs un vrai dilemme pour les professionnels des associations humanitaires en contact avec les personnes en difficulté ; un dilemme qui impose de renoncer à la création du lien social qui est au cœur de leur métier, leurs priorités et leurs valeurs.</p>
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<p>« Avec les règles de distanciation sociale, on se sent un peu dans la contradiction d’assumer notre rôle de partager, de créer un lien social et de vivre ensemble. » (Chef de service de maraude, Emmaüs Solidarité)</p>
</blockquote>
<p>Les professionnels des associations humanitaires sont mobilisés plus que jamais pour resserrer les relations avec les personnes vulnérables, les écouter, comprendre leurs besoins et leur apporter une aide humanitaire de qualité malgré la gravité de la situation sanitaire. De nombreux partenariats sont créés entre les associations comme le cas Emmaüs Solidarité avec <a href="https://www.samusocial.paris">Samusocial de Paris</a>, <a href="https://www.secours-catholique.org">Secours catholique</a>, la <a href="https://www.croix-rouge.fr/Actualite/coronavirus-Covid-19">Croix-Rouge française</a>, mais aussi avec les collectivités, les restaurants et les établissements hôteliers afin de continuer à accueillir gracieusement et solidairement les personnes en besoin d’aide.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KQ-lxUKlqtI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Pour continuer d’aider les sans-abris en pleine pandémie, les associations humanitaires ont dû s’adapter.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Modifier les pratiques et repenser le mode d’organisation</h2>
<p>La pandémie a imposé une <a href="https://www.cairn.info/revue-questions-de-management-2021-1-page-151.htm">révision profonde et durable des pratiques organisationnelles et managériales des organisations</a>, quelles que soient leur nature. A ce titre, l’association la <a href="https://www.croix-rouge.fr/Actualite/coronavirus-Covid-19">Croix-Rouge française</a> a dû repenser en urgence son mode d’organisation en procédant à la suspension de certaines activités, au maintien, à l’adaptation et au rajout d’<a href="https://www.croix-rouge.fr/Actualite/coronavirus-Covid-19/Covid-19-la-Croix-Rouge-est-a-l-ecoute-des-personnes-isolees-2382">autres activités liées spécifiquement à la Covid-19</a>.</p>
<p>De son côté, Emmaüs Solidarité a procédé au remplacement des salariés en arrêt de travail (garde d’enfants, personnes à risque et autres) par le recours à des renforts externes et à l’intérim ; à la réalisation de ses missions sur des sites plus proches géographiquement des personnes en besoin d’aide humanitaire…</p>
<h2>Quelles leçons peut-on tirer ?</h2>
<p>La gestion des associations humanitaires en temps de crise comporte des enjeux importants de continuité et de pérennisation de leur mission sociale. Celle-ci prend un sens très littéral en faisant face à des contraintes de coordination et de gouvernance multiples, en amont, mais aussi en aval, puisque la crise impacte drastiquement les personnes en besoin de l’aide humanitaire qui leur représente <a href="https://www.cairn.info/gestion-de-crise-maintien-et-consolidation--9782804116392-page-209.htm">« une question de vie ou de mort »</a>.</p>
<p>Nous pouvons ainsi retenir que les maîtres mots de la gestion de la crise sont la veille informationnelle et la communication ; le redéploiement des ressources ; la capacité de se réorganiser, de faire face aux paradoxes et d’adapter « en urgence » les pratiques et le mode de travail. Au-delà de toutes ces mesures, l’essence même de la gestion de la crise est sans doute l’harmonie entre tous les collaborateurs de l’organisation qui doivent rester unis et déterminés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157787/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fadia Bahri Korbi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Confrontées à la pandémie, les organisations humanitaires ont du adapter leurs pratiques pour continuer d’aider au mieux les plus démunis. De quoi donner des idées au gouvernement ?Fadia Bahri Korbi, Maître de conférences en sciences de gestion, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1556582021-03-02T18:07:22Z2021-03-02T18:07:22ZLes marchés financiers se soucient-ils de la communication des ONG sur les réseaux sociaux ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/386503/original/file-20210225-13-r822iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C82%2C5000%2C3630&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Amnesty International, ONG qui défend les droits humains, se montre particulièrement active sur les réseaux sociaux, notamment Twitter.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/milan-italy-august-20-2018-amnesty-1170052747">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Face aux scandales sociaux et environnementaux, les organisations non gouvernementales (ONG) déploient diverses stratégies pour influencer les pratiques et rendre plus vertueuses les entreprises.</p>
<p>À titre d’exemples, nous avons pu observer les multiples campagnes de Greenpeace sur l’impact de sociétés telles que Total, Exxon, Chevron ou BP sur le dérèglement climatique, ou celles d’Oxfam dénonçant des accaparements de terres dans les chaînes d’approvisionnement de Coca-Cola ou PepsiCo. Cette communication serait d’autant plus pertinente et efficace qu’elle cible de grands groupes présents sur les marchés financiers.</p>
<p>La dernière décennie a été grandement marquée par la croissance, la multiplicité et la démocratisation des réseaux sociaux. Les ONG ont ainsi pu enrichir leur palette d’outils de sensibilisation en ayant recours à ces réseaux, dont Twitter semble être un acteur majeur.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1361267761792442376"}"></div></p>
<p>Dans <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0007650320985204?journalCode=basa">notre étude</a>, récemment publiée dans la revue <em>Business & Society</em>, nous mettons en évidence que les tweets émis par de grandes ONG et visant des sociétés américaines cotées affectent significativement les cours boursiers de ces dernières, suggérant que les marchés financiers intègrent effectivement ce type d’information.</p>
<h2>Les ONG influencent les cours boursiers</h2>
<p>Ces tweets peuvent avoir pour objet de dénoncer une pratique déviante, à l’instar de Greenpeace qui dénonçait en avril 2012 l’impact carbone d’Amazon et invitait ses partisans à faire pression pour que l’entreprise s’oriente vers des énergies renouvelables. Mais le plus fréquemment, les ONG utilisent Twitter pour encourager des bonnes pratiques, CeresNews félicitait par exemple plusieurs entreprises, notamment Nike et Unilever, de s’être fixé comme objectif un passage à 100 % d’énergies renouvelables.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"900002242123747329"}"></div></p>
<p>La montée en puissance des réseaux sociaux et des actions des ONG en tant que groupes de pression joue désormais un rôle incontournable dans le contexte socio-économique dans lequel évoluent les entreprises. Nos résultats montrent que les ONG reconnues parviennent à informer les actionnaires sur des enjeux sociaux et environnementaux, provoquant une réaction sur les marchés financiers.</p>
<p>D’après les travaux de diverses disciplines, <a href="https://www.puq.ca/catalogue/livres/priorites-actuelles-futures-436.html">comme celui</a> du chercheur canadien Jean Pasquero, les ONG disposent d’un levier pour muter un enjeu « latent » (par exemple les conditions de travail dans l’industrie du textile) en enjeu « émergent », si plusieurs agents ou groupes de pression adhèrent à cet enjeu et le cristallisent sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Les entreprises tenteront éventuellement dans un premier temps de résister à ces nouvelles normes sociales et environnementales, puis s’engageront peut-être dans une négociation pour réduire les changements induits par l’implantation de ces normes, pour finalement les accepter.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"587722173030277121"}"></div></p>
<p>Durant ce processus, les entreprises qui n’auraient pas pris en compte les alertes des ONG sur les réseaux sociaux pourraient donc se voir contraintes de s’y conformer. En d’autres termes, une externalité décriée par une ONG pourrait conduire à l’obligation de se conformer rapidement, impliquant des coûts élevés, à la perte de clients qui exigeraient que leurs fournisseurs soient dotés d’un code de conduite spécifique, ou encore à la détérioration de leur réputation qui se traduirait par une hausse du coût du capital.</p>
<p>Jusqu’à récemment, comme le mettaient en évidence des travaux de recherche antérieurs (par exemple celui des chercheurs américains Hilgartner et Bosk <a href="https://www.jstor.org/stable/2781022?seq=1">dans un article</a> publié en 1988 dans l’<em>American Journal of Sociology</em>), le passage de l’émergence d’un enjeu à sa formalisation, son amplification, sa politisation ou son atténuation était contraint par la disponibilité des ressources (temps et argent) pour la dénonciation et la priorisation dudit enjeu.</p>
<p>Désormais, la multiplication des réseaux sociaux et leur démocratisation offrent l’opportunité aux ONG de mobiliser plus facilement, les partisans des enjeux sociétaux tant au niveau local qu’au niveau international.</p>
<h2>Des réactions dépendantes du type d’actionnaires</h2>
<p>Les actionnaires ne peuvent être considérés comme un bloc homogène. Aussi, il apparaît qu’en présence d’investisseurs institutionnels, les marchés réagissent dans une direction contraire à la perspective des ONG : les tweets positifs (c.-à-d., encouragements) sont statistiquement perçus négativement, alors que les tweets négatifs (c.-à-d., dénonciations) sont perçus positivement. En d’autres termes, la perception des messages des ONG par les investisseurs institutionnels diverge par rapport aux attentes sociétales vis-à-vis des entreprises.</p>
<p>Ainsi, nos résultats montrent que via les canaux d’information instantanée tels que Twitter, les ONG réussissent à provoquer des ajustements de cours boursiers.</p>
<p>Toutefois, ces réactions boursières vont dépendre du type d’actionnaires, et surtout de leur vision. Si une catégorie d’actionnaires réagit positivement à un tweet positif, une autre catégorie d’actionnaires (les investisseurs institutionnels) réagit inversement. Leur poids dans l’actionnariat des entreprises est donc un élément fondamental de lutte d’influence au sein de la gouvernance des entreprises.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/385518/original/file-20210222-15-11zxag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/385518/original/file-20210222-15-11zxag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/385518/original/file-20210222-15-11zxag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/385518/original/file-20210222-15-11zxag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/385518/original/file-20210222-15-11zxag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/385518/original/file-20210222-15-11zxag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/385518/original/file-20210222-15-11zxag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les ONG peuvent provoquer des ajustements de cours boursiers via des canaux d’information instantanée comme Twitter.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/chiangmai-thailand-jul-102019smartphone-open-twitter-1475227562">Shutterstock</a></span>
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</figure>
<p>En réalité, c’est l’horizon de placement qui pourrait apparaître comme facteur déterminant de l’alignement d’une perspective sociétale avec la perspective des investisseurs. La position d’un investisseur ayant un horizon à long terme serait plus à même de s’aligner avec la vision des ONG que la position d’un investisseur à horizon court terme.</p>
<h2>Entreprises : anticipez les enjeux émergents !</h2>
<p>Les résultats de notre étude révèlent également que les dénonciations ou encouragements sur Twitter ont un impact sur la performance boursière des entreprises visées. In fine, les entreprises doivent tenir compte non seulement de leurs actionnaires mais aussi de leurs principales parties prenantes, qui incluent les ONG.</p>
<p>Dans cette perspective, les entreprises ont non seulement la responsabilité mais également l’intérêt de pratiquer une veille stratégique sur les principaux réseaux sociaux et particulièrement ceux des grandes ONG. Ainsi, elles seront en mesure d’anticiper les enjeux émergents, ou encore d’engager des discussions avec ces dernières afin de mieux comprendre ces enjeux et de déployer un éventuel calendrier d’implantation de changement.</p>
<p>De plus, étant donné la réaction des investisseurs institutionnels, les entreprises visées devraient adapter leurs réactions aux actions des ONG en fonction de la structure de leur actionnariat. Les entreprises grandement détenues par des fonds institutionnels ont intérêt à faire preuve de pédagogie envers leurs investisseurs lorsque les ONG les interpellent sur les réseaux sociaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155658/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bouchra M'Zali is affiliated with University Mohamed VI. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jean-Yves Filbien et Marion Dupire ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Une étude montre que les dénonciations ou les encouragements des organisations non gouvernementales sur Twitter affectent significativement les cours boursiers des entreprises visées.Marion Dupire, Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université de LilleBouchra M'Zali, Professeur, Université du Québec à Montréal (UQAM)Jean-Yves Filbien, Enseignant Chercheur Finance, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1547472021-02-18T20:37:21Z2021-02-18T20:37:21ZLes conséquences juridiques des blocages de l’aide humanitaire<p>Depuis le début du mois de novembre, un conflit a éclaté entre l’armée éthiopienne et le Front de libération du peuple du Tigré, plongeant le pays dans une crise humanitaire qui a des ramifications dans les pays limitrophes.</p>
<p>Aux dernières nouvelles, l’Éthiopie a <a href="https://fr.africanews.com/2020/12/02/l-ethiopie-accorde-a-l-onu-un-acces-humanitaire-illimite-au-tigre/">finalement accepté</a> – après avoir été accusée d’avoir bloqué l’aide humanitaire – de négocier avec les ONG pour permettre l’acheminement de l’aide humanitaire aux civils dans la région du Tigré même si cet acheminement demeure problématique.</p>
<p>Dans cet entretien accordé à Moina Spooner, de <em>The Conversation Africa</em>, Eugène Bakama, expert en droit international, livre des explications sur la suite à donner à cette situation et sur les conséquences juridiques auxquelles l’Éthiopie s’expose si elle bloque les opérations humanitaires.</p>
<h2>Quels sont les instruments juridiques internationaux qui permettent de déterminer si un pays bloque l’aide humanitaire, et qui doit enquêter pour situer les responsabilités ?</h2>
<p>Tout d’abord, il faut souligner que le blocage de l’aide a aggravé la crise humanitaire pour les civils de Tigré. Ce blocage, qui constitue une violation du <a href="https://www.amnesty.fr/focus/droit-international-humanitaire">droit international humanitaire</a>, empêche l’entrée des denrées de première nécessité destinées à la population dans les zones contrôlées par les forces armées éthiopiennes.</p>
<p>En effet, les forces éthiopiennes, qui contrôlent la capitale Mekelle et une grande partie du Tigré, ont violé leurs obligations juridiques internationales. Celles-ci leur enjoignent de faciliter l’accès de l’aide humanitaire aux civils.</p>
<p>Dans le cas d’un conflit armé non international, <a href="https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/article/other/article-commun-conventions-120849.htm">l’art. 3 commun aux quatre Conventions de Genève</a> et le <a href="https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/ProtocolII.aspx">Protocole II de 1977 prévoient une assistance humanitaire</a> aux civils, y compris à ceux dont la liberté a été restreinte.</p>
<p>Selon la <a href="https://www.icrc.org/fr/doc/assets/files/other/customary-law-rules-fre.pdf#page=7">règle 55 du droit international humanitaire coutumier</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les parties au conflit doivent autoriser et faciliter le passage rapide et sans encombre de secours humanitaires destinés aux personnes civiles dans le besoin, de caractère impartial et fourni sans aucune distinction de caractère défavorable, sans réserve de leur droit de contrôle. »</p>
</blockquote>
<p>Les organisations humanitaires ont le droit d’offrir une aide humanitaire aux États <a href="https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/article/other/article-commun-conventions-120849.htm">sans que cela soit considéré comme une ingérence</a> dans les affaires internes des États concernés.</p>
<p>Le fait d’entraver délibérément l’acheminement d’une aide humanitaire indispensable à la survie de la population civile a été assimilé à une violation du droit international humanitaire, fondant des poursuites judiciaires contre les responsables de cette entrave comme l’indiquent les résolutions <a href="https://undocs.org/fr/S/RES/794%20(1992)">794</a> et <a href="https://undocs.org/fr/S/RES/787%20(1992)">787</a> du Conseil de Sécurité de l’ONU.</p>
<p>Les commentaires du CICR sur les Protocoles <a href="https://international-review.icrc.org/sites/default/files/cicr95_gillard.pdf">indiquent</a> que :</p>
<blockquote>
<p>« si la survie de la population est menacée et qu’une organisation humanitaire remplit les conditions requises d’impartialité et de non-discrimination, des actions de secours doivent avoir lieu (…) ».</p>
</blockquote>
<p>Un refus de laisser les organisations humanitaires intervenir, comme c’est le cas de l’Éthiopie, équivaudrait à une violation de la règle <a href="https://ihl-databases.icrc.org/customary-ihl/fre/docs/v1_rul_rule53#:%7E:text=provoquent%20la%20famine-,R%C3%A8gle%2053.,guerre%20contre%20la%20population%20civile.&text=Volume%20II%2C%20chapitre%2017%2C%20section%20A.&text=Selon%20la%20pratique%20des%20%C3%89tats,tant%20internationaux%20que%20non%20internationaux.">interdisant le recours à la famine comme méthode de combat</a>.</p>
<p>Les Nations unies sont habilitées à travers leurs agences sur le terrain à faire le constat du blocage de l’aide humanitaire. Le CICR aussi dispose des outils juridiques pour établir un tel constat.</p>
<h2>Quelles sont les implications juridiques du blocage de l’aide humanitaire ?</h2>
<p>La lettre et l’esprit de certaines règles de droit international général justifient l’idée qu’on puisse parler d’un devoir de secours à charge de l’ensemble de la communauté internationale en faveur des victimes des conflits armés. Un tel devoir apparaît comme un corollaire du <a href="https://www.ohchr.org/EN/UDHR/Documents/UDHR_Translations/frn.pdf#page=2">droit à la vie</a> reconnu à tout individu.</p>
<p>Dans la mesure où le droit des victimes des conflits armés à bénéficier d’un secours est le corollaire ou l’application d’un des droits de la personne les plus élémentaires – le droit à la vie –, l’obligation des États tiers de concourir au respect de ce droit peut se fonder sur les instruments de base du droit international général. Il s’agit notamment de la <a href="https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-i/index.html">Charte des Nations unies</a> à laquelle les États ont adhéré. En l’occurrence, ils se sont solennellement engagés « à préserver les générations futures de ce fléau de la guerre », « à proclamer (leur) foi dans les droits fondamentaux de l’homme « (Préambule) et à encourager « le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous ».</p>
<p>C’est le même raisonnement que l’Assemblée générale des Nations unies reconnaît implicitement à propos de <a href="https://www.cetim.ch/documents/res-43-131-fra.pdf">l’assistance humanitaire aux victimes de situations d’urgence</a> en ces termes :</p>
<blockquote>
<p>« considérant que le fait de laisser les victimes de catastrophes naturelles et situations d’urgence du même ordre sans assistance humanitaire représente une menace à la vie humaine et une atteinte à la dignité de l’homme […]. »</p>
</blockquote>
<p>L’aide humanitaire devrait être fournie avec le consentement du pays touché. En principe, elle doit être fondée sur la base d’une demande formulée par ce pays.</p>
<h2>Si l’État bénéficiaire de l’assistance humanitaire la refuse en violation du droit international, les États tiers peuvent-ils la lui imposer par des mesures à caractère contraignant et exercer ce fameux « droit d’ingérence humanitaire » ?</h2>
<p>C’est une question complexe mais on peut essayer de simplifier la réponse en se référant d’une part au droit des États à réagir au refus d’assistance humanitaire et, d’autre part, aux modalités de cette réaction.</p>
<p>À partir du moment où l’État refuse illégalement une assistance humanitaire en faveur des populations sous son contrôle ou se comporte de telle manière que ces populations se trouvent privées de cette assistance, cet État commet une des violations les plus graves du droit international. En effet, un tel comportement porte atteinte au droit à la vie de ces populations, un droit qui fait partie des droits inaliénables consacrés dans les instruments légaux de protection des droits humains (voir la <a href="https://www.echr.coe.int/documents/convention_fra.pdf#page=5">Convention europééene des droits de l’homme</a> ; le <a href="https://treaties.un.org/doc/publication/unts/volume%20999/volume-999-i-14668-french.pdf">Pacte international relatif aux droits civils et politiques</a>, (art 6 et 4) ; la <a href="https://www.cidh.oas.org/basicos/french/c.convention.htm">Convention américaine des droits de l’homme</a>, art 4 et 27, §2 ; ou encore l’<a href="https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/article/other/article-commun-conventions-120849.htm">Article 3 commun aux Conventions de Genève</a>). Ce droit s’apparente à une norme de <em>jus cogens</em> c’est-à-dire une norme impérative de droit international acceptée et reconnue par la communauté internationale dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise. Sa violation affecte nécessairement « la communauté internationale des États dans son ensemble ».</p>
<p>En vertu de la Convention sur le <a href="https://legal.un.org/ilc/texts/instruments/french/conventions/1_1_1969.pdf#page=21">droit des traités en son article 53</a>, chaque État est fondé à réagir pour mettre fin à cette violation.</p>
<p>Dans la première version de son projet d’article sur la responsabilité des États, la <a href="https://legal.un.org/avl/ILC/7th_F/Vol_I.pdf">commission du droit international</a> – organe des Nations unies chargé de codifier et de développer le droit international – avait considéré que des « pratiques qui portent atteinte à la vie et à la dignité de l’être humain […] constituent vraiment des crimes internationaux ». Pour l’organe onusien, ces crimes correspondaient généralement à une violation du <em>jus cogens</em>, et à ce titre, ils lésaient tous les États.</p>
<p>Les États peuvent réagir à cette violation en prenant diverses mesures :</p>
<ul>
<li><p>Des mesures non constituées de sanctions (actions diplomatiques, modes pacifiques de règlement des différends) ;</p></li>
<li><p>Des mesures constituées de sanctions qui n’impliquent pas d’actions militaires (mesures de rétorsion légales à priori). Il peut s’agir de sanctions économiques et commerciales, d’embargos sur les armes, d’interdictions de voyager et de restrictions financières. Depuis 1966, le Conseil de Sécurité a mis en place plus ou moins 30 régimes de sanctions de ce genre dans plusieurs pays, par exemple : Haïti, Rwanda, Sierra Leone, Libéria, RDC, etc.</p></li>
<li><p>Des opérations armées menées sur le territoire contrôlé par l’État défaillant dans ses obligations humanitaires en vertu de <a href="https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-i/index.html">l’article 2, alinéa 4 de la Charte des Nations unies</a>.</p></li>
</ul>
<p>De telles mesures ne peuvent être prises unilatéralement par les États sans l’accord du Conseil de sécurité en vertu de l’article 39 de la Charte, voire de l’Assemblée générale sur la base de la <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1988_num_34_1_2847">Résolution 377 (V) dite Résolution Acheson</a>.</p>
<p>En définitive, le blocage par l’Éthiopie de l’aide humanitaire est une violation du droit international qui engage la responsabilité de ses auteurs.</p>
<h2>Existe-t-il des précédents de blocage de l’aide humanitaire ? Comment ont-ils été traités ?</h2>
<p>Au Yémen, par exemple, le groupe armé <a href="https://www.france24.com/fr/20150121-yemen-houthis-chiite-yemen-rabo-saleh-sanaa-ansarullah">Houthi</a> et les forces loyales à l’ancien président yéménite, <a href="https://www.lemonde.fr/yemen/article/2017/12/04/yemen-l-ex-president-saleh-est-mort-tue-par-des-rebelles-houthistes_5224391_1667193.html">Ali Abdullah Saleh</a>, avaient <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2017/09/27/yemen-le-blocage-de-laide-humanitaire-par-la-coalition-met-en-peril-les-civils">bloqué ou confisqué l’aide destinée aux civils</a> en 2017 et imposé des restrictions considérables et inutiles aux travailleurs humanitaires.</p>
<p>L’intervention du Conseil de sécurité des Nations unies a permis d’infléchir par des moyens diplomatiques la position des parties en conflit pour permettre l’accès de l’aide humanitaire aux civils. Ce qui avait poussé les protagonistes à accéder à cette demande.</p>
<p>Un autre cas du blocage de l’aide humanitaire a concerné le conflit en Syrie où le régime de Damas avait refusé l’accès aux humanitaires. En 2011, le Conseil de sécurité avait adopté à l’unanimité une résolution (Rés. 2139) demandant aux parties d’assurer un accès sûr et sans entrave aux agences humanitaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154747/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eugène Bakama Bope is affiliated with Club des amis du droit du Congo. </span></em></p>Le blocage de l’aide humanitaire est une violation du droit international. Tout pays qui s’en rend coupable s’expose à une panoplie de sanctions.Eugène Bakama Bope, Professor, Université de LubumbashiLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1550532021-02-10T20:47:36Z2021-02-10T20:47:36ZDécryptage juridique de l’« Affaire du siècle »<p>Le 3 février dernier, dans le cadre de la très médiatique <a href="https://theconversation.com/affaire-du-siecle-les-promesses-climatiques-risquent-dengager-ceux-qui-les-font-154800">« Affaire du siècle »</a>, le tribunal administratif de Paris <a href="http://paris.tribunal-administratif.fr/content/download/179360/1759761/version/1/file/1904967190496819049721904976.pdf">s’est prononcé sur l’existence d’une obligation climatique</a> pour la France et sur la responsabilité de l’État.</p>
<p>Pour ne pas avoir respecté les obligations relatives aux objectifs fixés dans son <a href="https://www.citepa.org/fr/2018_09_a1/">premier budget carbone (2015-2018)</a>, l’État serait ainsi responsable ; il y aurait également un préjudice écologique climatique.</p>
<p>Cette décision a été qualifiée d’« historique » par les quatre ONG demanderesses. Elle mérite cependant des explications et des nuances.</p>
<h2>Rappel de la requête</h2>
<p>Par une requête enregistrée les 14 mars et 20 mai 2019, Oxfam France, Greenpeace France, la Fondation pour la nature et l’homme et Notre affaire à tous ont demandé au tribunal administratif de Paris de :</p>
<ul>
<li><p>condamner l’État à leur verser la somme symbolique de 1 euro en réparation du préjudice moral subi ;</p></li>
<li><p>condamner l’État à leur verser la somme symbolique de 1 euro au titre du préjudice écologique ;</p></li>
<li><p>enjoindre au Premier ministre et aux ministres compétents de mettre un terme à l’ensemble des manquements de l’État à ses obligations (générales et spécifiques) en matière de lutte contre le changement climatique ou d’en pallier les effets ;</p></li>
<li><p>faire cesser le préjudice écologique.</p></li>
</ul>
<p>Les ONG demandent à l’État de prendre les mesures nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre contribuant aux dérèglements climatiques. Elles spécifient que cette réduction doit être réalisée « à due proportion par rapport aux émissions mondiales, et compte tenu de la responsabilité particulière acceptée par les pays développés ».</p>
<p>Le but : arriver à un niveau compatible avec l’objectif de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète en <a href="https://theconversation.com/limiter-le-rechauffement-de-la-planete-a-1-5-c-la-question-qui-brule-59507">dessous du seuil de 1,5 °C</a>.</p>
<p>Il était également demandé de prendre des mesures permettant d’atteindre les objectifs de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de développement des énergies renouvelables et d’augmentation de l’efficacité énergétique, fixés par différentes lois et décrets ainsi que par rapport au droit de l’Union européenne.</p>
<p>Elles exigeaient également de prendre les mesures nécessaires à l’adaptation du territoire national aux effets du changement climatique ; et aussi d’assurer les moyens de la protection de la vie et de la santé des citoyens face à ces risques.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/nLMQFHtsH-o?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’Affaire du siècle, le recours au tribunal. (OnEstPrêt/Youtube, mars 2019)</span></figcaption>
</figure>
<h2>L’État à la barre</h2>
<p>Dans l’Affaire du siècle, les ONG demanderesses reprochent principalement trois choses à l’État.</p>
<p>Premièrement, il a méconnu, à plusieurs titres, l’obligation générale de lutte contre le changement climatique. D’abord, en s’abstenant jusqu’en 2005 d’adopter les mesures permettant d’éliminer ou de limiter les dangers. Pour les ONG, l’État « savait » depuis plusieurs décennies (notamment grâce aux <a href="https://theconversation.com/le-giec-une-boussole-scientifique-pour-le-climat-93624">travaux du GIEC</a>) l’origine anthropique du changement climatique et de ses conséquences négatives ; il s’est pourtant abstenu de mettre en place les mesures nécessaires.</p>
<p>Par ailleurs, en se fixant des objectifs qui ne permettent pas de maintenir l’augmentation de la température moyenne globale de l’atmosphère en dessous de 1,5 °C, l’État aurait méconnu son obligation générale de lutte contre le changement climatique.</p>
<p>Tout comme l’avait fait en <a href="https://theconversation.com/la-montee-en-puissance-dune-justice-climatique-mondiale-105867">2015 aux Pays-Bas la Fondation Urgenda</a>, les ONG soutiennent que la France avait accepté, en tant que pays développé, une « responsabilité commune, mais différenciée », se traduisant par un engagement nécessairement <a href="https://theconversation.com/apres-la-cop21-la-solidarite-climatique-a-lheure-des-comptes-52452">plus important que celui des pays en développement</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1057582761203167233"}"></div></p>
<p>D’une manière encore plus concrète, les ONG estiment que les mesures adoptées par le biais des autorités administratives sont insuffisantes pour assurer l’application du cadre législatif et réglementaire destiné à lutter contre le changement climatique. Les demanderesses affirment ensuite que les émissions de gaz à effet de serre de la France avaient dépassé plusieurs plafonds, comme celui fixé dans le secteur des transports par la <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone-snbc">stratégie nationale bas-carbone (SNBC)</a> pour la période 2015-2018.</p>
<p>Par conséquent, l’État aurait commis une « faute » par « l’illégalité » de ne pas prendre les mesures adéquates, engageant ainsi sa « responsabilité » pour « carence fautive ».</p>
<p>Il s’en suivrait un « préjudice écologique », défini comme « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». Les manquements commis par l’État du fait de sa carence sont pour les demanderesses à l’origine d’un dommage environnemental caractérisé par l’aggravation du changement climatique. Ce dommage porterait une atteinte aux fonctions écologiques de l’atmosphère, atteinte constitutive d’un préjudice écologique actuel.</p>
<p>Enfin, les ONG soutenaient qu’il y avait un préjudice moral à leur encontre au regard de leurs respectifs objets statutaires consistant à mener des actions afin de préserver l’environnement, à lutter contre le changement climatique, les inégalités et la pauvreté.</p>
<h2>Une décision partiellement satisfaisante</h2>
<p>Avant cette décision du 3 février, la rapporteure générale avait rendu mi-janvier 2021 des <a href="http://paris.tribunal-administratif.fr/Actualites-du-Tribunal/Communiques-de-presse/L-affaire-du-siecle">conclusions très favorables aux ONG</a>.</p>
<p>Elle demandait au tribunal d’accepter partiellement la responsabilité de l’État, s’agissant des dépassements concernant la première période du budget carbone (2015-2018). Les conclusions demandaient également d’accepter l’existence d’un préjudice écologique ayant pour origine la carence dans l’action de l’État et pour conséquence l’altération de l’atmosphère.</p>
<p>Dans sa <a href="http://paris.tribunal-administratif.fr/content/download/179360/1759761/version/1/file/1904967190496819049721904976.pdf">décision du 3 février 2021</a>, le tribunal suivra en grande partie ces conclusions, en se prononçant sur les trois points suivants :</p>
<ul>
<li><p>la recevabilité de l’action pour préjudice écologique, indiquant que les quatre ONG sont recevables à une action tendant à la réparation du dit préjudice ;</p></li>
<li><p>l’existence du préjudice écologique en s’appuyant à la fois sur les rapports du GIEC et les travaux de l’<a href="https://www.ecologie.gouv.fr/observatoire-national-sur-effets-du-rechauffement-climatique-onerc">Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique</a>, estimant qu’« au regard de l’ensemble de ces éléments, le préjudice écologique invoqué par les associations requérantes doit être regardé comme établi » ;</p></li>
</ul>
<p>Le tribunal rappellera à cette occasion, au point 16 de sa décision, que :</p>
<blockquote>
<p>« L’augmentation de la température moyenne, qui s’élève pour la décennie 2000-2009, à 1,14 °C par rapport à la période 1960-1990, provoque notamment l’accélération de la perte de masse des glaciers, l’aggravation de l’érosion côtière, qui affecte un quart des côtes françaises, et des risques de submersion, qui fait peser de graves menaces sur la biodiversité des glaciers et du littoral, et entraîne l’augmentation des phénomènes climatiques extrêmes, tels que les canicules, les sécheresses, les incendies de forêt, les précipitations extrêmes, les inondations et les ouragans, risques auxquels sont exposés de manière forte 62 % de la population française, et contribue à l’augmentation de la pollution à l’ozone et à l’expansion des insectes vecteurs d’agents infectieux […]. »</p>
</blockquote>
<ul>
<li>la carence et la responsabilité de l’État ainsi que le lien de causalité entre les préjudices cités et l’absence ou insuffisance d’action.</li>
</ul>
<h2>L’« urgence » à agir</h2>
<p>Se plaçant de manière surprenante et innovante dans la même lignée que <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-justice-climatique-proces-et-actions-149750">d’autres affaires climatiques dans le monde</a>, le tribunal administratif de Paris rappelle d’abord ici les engagements internationaux de la France, citant l’article 2 de la <a href="https://unfccc.int/resource/docs/convkp/convfr.pdf">Convention-cadre des Nations unies</a>, et les articles 2 et 4 de l’<a href="https://unfccc.int/sites/default/files/french_paris_agreement.pdf">Accord de Paris</a>.</p>
<p>Tout comme l’avait fait également la décision Urgenda précitée, les obligations européennes sont également rappelées au point 19 de la décision du tribunal administratif, soulignant que la France :</p>
<blockquote>
<p>« a adopté un second “Paquet Énergie Climat” reposant notamment sur le règlement 2018/842 du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 […]. »</p>
</blockquote>
<p>Enfin, s’agissant du droit français, de manière assez originale et nouvelle, le tribunal établi l’existence d’un lien entre les carences dans les obligations climatiques de l’État et le préjudice écologique, rappelant qu’aux termes de l’article 3 de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/droit-national-en-vigueur/constitution/charte-de-l-environnement">Charte de l’environnement</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences. »</p>
</blockquote>
<p>Sont également rappelées les dispositions de l’article L. 100-4 du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/texte_lc/LEGITEXT000023983208">code de l’énergie</a>, dans leur rédaction issue de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000039355955/">loi du 8 novembre 2019</a> relative à l’énergie et au climat :</p>
<blockquote>
<p>« Pour répondre à l’urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs : de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050 […] ».</p>
</blockquote>
<p>En vue d’atteindre cet objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’article L. 222-1 B du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGITEXT000006074220/">code de l’environnement</a> prévoit que :</p>
<blockquote>
<p>« La stratégie nationale bas-carbone, fixée par décret, définit la marche à suivre pour conduire la politique d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions soutenables sur le plan économique à moyen et long termes afin d’atteindre les objectifs définis par la loi prévue à l’article L. 100-1 A du code de l’énergie […] ».</p>
</blockquote>
<p>Or, sur la base des rapports annuels publiés en juin 2019 et juillet 2020 par le <a href="https://www.hautconseilclimat.fr">Haut Conseil pour le climat</a> et des données collectées par le <a href="https://www.citepa.org/fr/">Citepa</a>, le tribunal rappelle que la France a dépassé de 3,5 % le premier budget carbone qu’elle s’était assigné.</p>
<p>Les juges estiment ainsi (point 30 de la décision) que l’ensemble des secteurs d’activité affichent un dépassement de leurs objectifs pour cette même année. Plus particulièrement ceux des transports, de l’agriculture, du bâtiment et de l’industrie. Par suite, conclut la décision :</p>
<blockquote>
<p>« L’État doit être regardé comme ayant méconnu le premier budget carbone et n’a pas ainsi réalisé les actions qu’il avait lui-même reconnues comme étant susceptibles de réduire les émissions de gaz à effet de serre. »</p>
</blockquote>
<p>Les juges vont d’ailleurs très loin à ce sujet, affirmant au point 31, que le préjudice est non seulement établi, mais « aggravé ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1280770031559770112"}"></div></p>
<h2>Quelles sont les carences non acceptées ?</h2>
<p>Le reste des carences reprochées à l’État par les 4 ONG ne sont pas acceptées par les juges. S’agissant de l’amélioration de l’efficacité énergétique, le tribunal estime que :</p>
<blockquote>
<p>« l’écart constaté entre les objectifs et les réalisations, dès lors que l’amélioration de l’efficacité énergétique n’est qu’une des politiques sectorielles mobilisables en ce domaine, ne peut être regardé comme ayant contribué directement à l’aggravation du préjudice écologique dont les associations requérantes demandent réparation. »</p>
</blockquote>
<p>Pour l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie, la question est également rejetée.</p>
<p>Même rejet sur les points concernant l’insuffisance des objectifs pour limiter le réchauffement à 1,5 °C et l’insuffisance des mesures d’évaluation et de suivi et des mesures d’adaptation.</p>
<h2>Quel impact pour la justice climatique ?</h2>
<p>La décision, si elle ne donne que partiellement raison aux parties, n’en constitue pas moins un pas de géant pour le droit climatique et le droit de l’environnement.</p>
<p>C’est bien la première fois que le préjudice écologique lié au réchauffement climatique est reconnu ; et la France devient, avec cette Affaire du siècle, le seul pays au monde où cela a été accompli. De ce point de vue, il s’agit d’une avancée majeure pour la justice climatique. On doit également noter la reconnaissance de responsabilité de la part de l’État pour carence fautive. Là encore, il s’agit d’un progrès considérable qui ouvre la porte à de futures actions en justice.</p>
<p>Pour autant, le préjudice ne sera pas réparé, ce qui laisse la question non résolue. C’est donc bien pour l’instant une reconnaissance uniquement « symbolique », <a href="https://theconversation.com/les-proces-climatiques-gagnent-la-france-quatre-initiatives-a-suivre-de-pres-109543">sans conséquences juridiques</a>.</p>
<p>Le tribunal estime en effet aux points 36 et 37 :</p>
<blockquote>
<p>« qu’ il résulte de ces dispositions que la réparation du préjudice écologique, qui est un préjudice non personnel, s’effectue par priorité en nature et que ce n’est qu’en cas d’impossibilité ou d’insuffisance des mesures de réparation que le juge condamne la personne responsable à verser des dommages et intérêts au demandeur, ceux-ci étant affectés à la réparation de l’environnement. En l’espèce, d’une part, les associations requérantes ne démontrent pas que l’État serait dans l’impossibilité de réparer en nature le préjudice écologique dont le présent jugement le reconnaît responsable, d’autre part, la demande de versement d’un euro symbolique en réparation du préjudice écologique est sans lien avec l’importance de celui-ci. Il s’ensuit que cette demande ne peut qu’être rejeté. »</p>
</blockquote>
<p>Les injonctions demandées par les associations ne sont donc sont recevables qu’en tant qu’elles tendent à la réparation du préjudice constaté ou à prévenir son aggravation. Raison pour laquelle le tribunal estime que l’état de l’instruction ne permet pas de déterminer avec précision les mesures qui doivent être ordonnées à l’État.</p>
<p>La décision ne se prononce donc pas encore sur le « droit » : les juges n’imposent rien à l’État, si ce n’est de fournir davantage d’informations « dans les deux mois ».</p>
<p>Soulignons pour conclure que la suite de l’Affaire du siècle dépendra certainement aussi de ce que le Conseil d’État aura décidé concernant une autre « affaire climatique » : celle de Grande-Synthe, jugée en novembre dernier, et qui avait aussi eu pour résultat un « sursis à statuer » de trois mois, en demandant des informations complémentaires à l’État avant de se prononcer réellement sur le fond – savoir si oui ou non le droit climatique est <a href="https://theconversation.com/plainte-de-grande-synthe-pour-inaction-climatique-pourquoi-la-decision-du-conseil-detat-fera-date-150654">contraignant en France</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1330977440013950976"}"></div></p>
<p>Rendez-vous donc dans trois semaines, date à laquelle le Conseil d’État se prononcera sur l’« obligation climatique contraignante » dans le cadre de l’affaire Grand-Synthe. On en saura alors plus quant à sa potentielle portée sur la justice climatique française.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155053/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marta Torre-Schaub a reçu des financements via une convention de recherche entre la mission « Droit et justice » et l’Université Paris 1 pour réaliser un projet collectif de recherche sur les contentieux climatiques. </span></em></p>Décryptage de la décision du tribunal administratif du 3 février 2021, établissant la « carence fautive » de l’État dans la lutte contre le changement climatique.Marta Torre-Schaub, Directrice de recherche CNRS, juriste, spécialiste du changement climatique et du droit de l’environnement et la santé, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1468022020-11-12T14:57:58Z2020-11-12T14:57:58ZLa Covid-19 force à décentraliser l’action humanitaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/365922/original/file-20201027-23-1ggs3q5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C0%2C4841%2C3458&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des bénévoles distribuent les denrées de la banque alimentaire de Lagos, à Ikotun, au Nigeria, le 7 juin 2020.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Seconde Guerre mondiale, génocide rwandais, séisme en Haïti… chacune de ses tragédies a forcé plusieurs grands organismes d’action humanitaire à revoir la manière dont ils interviennent sur le terrain. La professionnalisation humanitaire a ainsi évolué d’une crise à l’autre. En donnant une plus grande place aux acteurs locaux, la pandémie de Covid-19 aura aussi un impact important.</p>
<p>Le professionnalisme des acteurs humanitaires fait régulièrement l’objet de critiques, notamment lors de crises majeures très médiatisées. <a href="http://alternatives-humanitaires.org/fr/2020/03/12/haiti%E2%80%89-mieux-comprendre-le-bilan-mitige-de-laction-humanitaire-internationale/">L’ensemble du secteur humanitaire a été critiqué pour la faiblesse de la réponse et de la coordination à la suite du tremblement de terre de 2010 en Haïti</a>. <a href="https://www.france24.com/fr/20150604-croix-rouge-haiti-argent-don-polemique-propublica-seisme-reconstruction-ong">La Croix-Rouge américaine s’était notamment retrouvée au cœur d’un scandale relayé massivement par les médias</a>.</p>
<p>Devant les crises de confiance et de légitimité, le <a href="https://theconversation.com/la-necessaire-transformation-de-laide-humanitaire-internationale-145671">secteur humanitaire cherche continuellement des solutions pour mieux répondre aux crises</a>. L’une d’entre elles, apparue dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, consiste à professionnaliser l’action humanitaire afin d’augmenter son efficacité et sa performance grâce à des <a href="https://www.hbs.edu/faculty/Publication%20Files/10-069.pdf">compétences techniques et des indicateurs liés aux résultats</a>. L’objectif est aussi de rendre ce secteur imputable vis-à-vis des populations affectées par les catastrophes.</p>
<p>Cette professionnalisation s’est traduite par l’adoption d’un modèle universel (<a href="https://odihpn.org/magazine/making-humanitarian-response-relevant-moving-away-from-a-one-size-fits-all-model/">à taille unique ou « one-size-fits-all »</a>) tant pour la gestion administrative, l’expertise sectorielle, la visibilité lors des collectes de fonds, l’accès à diverses sources de financement, l’attribution de programmes que pour le recrutement, la formation et les accréditations. Comment la crise sanitaire actuelle va-t-elle influencer la professionnalisation du secteur ? Nos recherches portant sur l’adaptabilité et la résilience des standards humanitaires après une catastrophe amènent une partie de la réponse.</p>
<h2>De meilleurs cadres internationaux</h2>
<p>Nous distinguons trois mécanismes principaux dans la professionnalisation humanitaire : la spécialisation, l’institutionnalisation (cadres internationaux) et la standardisation (outils pratiques et reproductibles).</p>
<p>Durant l’après-guerre, les agences des Nations unies se sont développées et les organisations humanitaires se sont peu à peu spécialisées. Un bon exemple est le processus menant aux <a href="https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/misc/57jp4y.htm">Accords de Séville, qui séparent l’intervention de la Croix-Rouge en deux grands domaines</a> : les catastrophes naturelles d’un côté et les catastrophes d’origine humaine de l’autre. Le secteur a également entamé une première phase d’institutionnalisation en élaborant des principes internationaux axés sur la protection de la personne et de <a href="https://www.icrc.org/fr/doc/who-we-are/history/since-1945/history-ihl/overview-development-modern-international-humanitarian-law.htm">ses droits</a>.</p>
<p>En 1994, le génocide rwandais a forcé l’ensemble des intervenants humanitaires à repenser leurs actions. Ils avaient été accusés, entre autres, de détruire les marchés économiques locaux, de créer une dépendance des populations envers les organismes humanitaires et <a href="https://odihpn.org/blog/twenty-years-on-the-rwandan-genocide-and-the-evaluation-of-the-humanitarian-response/">d’agir de manière irresponsable et non réglementée</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/365928/original/file-20201027-13-176qfir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/365928/original/file-20201027-13-176qfir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/365928/original/file-20201027-13-176qfir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/365928/original/file-20201027-13-176qfir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/365928/original/file-20201027-13-176qfir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/365928/original/file-20201027-13-176qfir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/365928/original/file-20201027-13-176qfir.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Petites maisons dans un champ de ruines laissées par le tremblement de terre de 2010 en Haïti.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<h2>La reconnaissance des humanitaires</h2>
<p>Ainsi, de nombreuses initiatives sont nées, en particulier la reconnaissance des accréditations des travailleurs et d’un code d’éthique. Les cadres internationaux se sont vus bonifiés de ces nouvelles priorités avec l’élaboration du <a href="https://www.icrc.org/fr/doc/assets/files/publications/icrc-001-1067.pdf">« Code de conduite pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et pour les organisations non gouvernementales lors des opérations de secours en cas de catastrophe »</a> de 1994 et la <a href="https://www.icvanetwork.org/system/files/versions/Clusters--July2012.pdf">réforme humanitaire de 2005, dont l’approche de responsabilité sectorielle ou « Approche clusters »</a> en est le projet phare. L’approche par <em>clusters</em> consiste à regrouper les organisations humanitaires par secteur, pour favoriser une action coordonnée.</p>
<p>Ces cadres internationaux ont été traduits en outils – pratiques et universels – à utiliser sur le terrain pour réduire l’incertitude liée aux crises prolongées et au caractère unique des catastrophes.</p>
<p><a href="https://spherestandards.org/fr/presentation/">Le projet Sphère créé en 1997</a> est l’initiative la plus emblématique de cette phase prospère de standardisation. Dès sa création, il vise à améliorer la qualité du travail dans le cadre d’interventions post-catastrophes. Ses créateurs ont élaboré une Charte et déterminé un ensemble de <a href="https://spherestandards.org/fr/standards-humanitaires/">standards</a> à appliquer lors des interventions dans quatre domaines techniques : l’approvisionnement en eau, l’assainissement et la promotion de l’hygiène (WASH) ; la sécurité alimentaire et la nutrition ; les abris et la santé. À l’heure actuelle, ces standards sont les plus reconnus et les plus utilisés.</p>
<h2>Le renforcement de l’aide locale</h2>
<p>Cependant, durant cette phase de standardisation, de nombreux organismes ont développé leurs propres normes, standards et outils (<a href="https://www.urd.org/fr/projet/le-compas-qualite-redevabilite/">compas qualité</a>, <a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/hap-guide.pdf">HAP</a>, <a href="https://www.alnap.org">Alnap</a>, <a href="https://odihpn.org/magazine/people-in-aid-code-of-best-practice-statement-of-principles/">People In Aid</a>) sans forcément appliquer une approche intégrée dans l’écosystème en cours de développement.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/365930/original/file-20201027-13-1nlmyyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/365930/original/file-20201027-13-1nlmyyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/365930/original/file-20201027-13-1nlmyyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/365930/original/file-20201027-13-1nlmyyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/365930/original/file-20201027-13-1nlmyyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/365930/original/file-20201027-13-1nlmyyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/365930/original/file-20201027-13-1nlmyyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La façade d’un magasin Oxfam de Kendal, dans le comté de Cumbria, au Royaume-Uni, le 6 avril 2020. L’ONG a annoncé qu’elle allait fermer 18 bureaux dans le monde et supprimer près de 1 500 emplois en raison de la pandémie de Covid-19.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Cette multiplication des mesures a contribué à créer beaucoup de confusion sur le terrain. Après le séisme haïtien de 2010, les organismes ont ralenti cette course aux standards pour se recentrer sur les populations dans le besoin. Les cadres internationaux <a href="https://www.thenewhumanitarian.org/fr/2016/05/26/sommet-humanitaire-mondial-gagnants-et-perdants">ont inclus l’aspect local en particulier à la suite du Sommet d’Istanbul de 2016 (<em>Grand Bargain</em>)</a>, qui a appelé au renforcement des ressources d’aide locales afin d’éviter toute forme de paternalisme occidental. Toutefois, le peu de financement direct qui a suivi montre qu’il reste du chemin à parcourir.</p>
<p>Difficile d’adopter ce nouveau cadre après trois décennies à investir dans des modèles universels standardisés, malgré les spécificités économiques, politiques et territoriales. Toutefois, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ii_TB8WA_uc">ces outils</a> cherchent à évoluer dans ce sens en s’intéressant aux cas des crises prolongées ou celui des <a href="https://www.spherestandards.org/wp-content/uploads/utiliser-les-standards-sphre-en-milieu-urbain-la-dcouverte-de-sphre.pdf">zones urbaines</a> et en proposant des <a href="https://corehumanitarianstandard.org/the-standard">initiatives conjointes</a>.</p>
<h2>La Covid-19, un nouveau jalon ?</h2>
<p>La pandémie de Covid-19 a provoqué un choc important dans tous les secteurs d’activité, y compris le secteur humanitaire. Un exemple particulièrement éloquent est le <a href="https://www.rcinet.ca/fr/2020/05/21/oxfam-retirer-18-pays-1450-personnes-seront-chomage/">licenciement de 1450 personnes chez Oxfam International en raison de pertes financières</a>.</p>
<p>À long terme, cela pourrait forcer un changement dans la façon dont le secteur humanitaire se finance. Cependant, ce n’est pas le seul grand changement à prévoir. Bien que la notion de « localisation » de l’action humanitaire occupe une place de plus en plus importante dans les débats, les derniers chiffres disponibles montrent des difficultés quant à son application sur le terrain. La pandémie mondiale actuelle y changera-t-elle quelque chose ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-necessaire-transformation-de-laide-humanitaire-internationale-145671">La nécessaire transformation de l’aide humanitaire internationale</a>
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<p>Malgré tous les efforts, la logique « occidentalocentrée » est encore très présente dans la professionnalisation humanitaire. Dans le cas du projet Sphère, il reste encore de nombreuses barrières à l’entrée comme l’accès inégal à Internet pour participer aux débats entourant la création et la diffusion des standards. L’approche demeure très théorique et peu de suivi est offert pour la formation. Enfin, on note une absence de reconnaissance officielle des formateurs ou des apprenants, de même que trop peu de formateurs provenant des pays émergents ou des pays fragiles.</p>
<p>Il est indéniable que la Covid-19 accentuera le développement de formes d’action humanitaire plus locales et complémentaires entre les acteurs locaux et internationaux. On observe déjà <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1669552/coronavirus-mission-humanitaire-canada-retour-rapatriement">certains changements à la suite du retrait d’une partie du personnel humanitaire provenant des Organisations non gouvernementales (ONG) internationales</a> pour des raisons de sécurité de leurs employés, mais aussi quand les <a href="https://reliefweb.int/report/world/covid-19-impact-humanitarian-operations-quick-survey-april-2020">restrictions de voyage ont empêché les initiatives internationales d’être déployées</a>.</p>
<p>Le rôle des acteurs humanitaires locaux a de nouveau été mis en valeur. Placées de facto en première ligne, les organisations locales ont été des <a href="https://ceci.ca/fr/nouvelles-evenements/les-organisations-de-femmes-au-coeur-de-la-reponse-a-la-covid-19-en-haiti">acteurs de proximité, indispensables aux communautés</a>. Ils l’étaient évidemment déjà, mais ont pu tirer profit d’une plus grande visibilité et d’une plus grande reconnaissance sur le plan international.</p>
<p>Outre l’augmentation des moyens de financement à destination des intervenants locaux, il faudra une meilleure formation des professionnels, une plus grande participation à la création et à la diffusion des connaissances dans les outils à disposition du terrain. À ce titre, plus de formateurs du Sud devraient participer à la conception et à la transmission des manuels pratiques tels que Sphère. Les organisations locales ont une connaissance plus fine du contexte local. Cependant, le risque est de voir s’établir une forme de sous-traitance à distance plutôt qu’un véritable partenariat. Cela nuirait à l’efficacité de la réponse et n’irait pas dans l’esprit d’une évolution vers une gouvernance humanitaire plus locale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146802/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Diane Alalouf-Hall ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pandémie de Covid-19 favorise le déploiement de l’aide humanitaire locale en raison du retrait d’une partie du personnel humanitaire provenant des grandes ONG internationales.Diane Alalouf-Hall, Doctorante en sociologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1491822020-11-09T19:21:32Z2020-11-09T19:21:32ZLes ONG musulmanes au cœur des débats sur le séparatisme<p>Près de deux semaines après les annonces du président de la République concernant la lutte contre l’islamisme radical et le séparatisme, et alors même que la loi sur le séparatisme ne sera soumise à l’approbation parlementaire que courant décembre 2020, plusieurs associations dites « musulmanes » ont été ciblées par les autorités françaises.</p>
<p>L’ONG humanitaire se revendiquant d’une éthique islamique Barakacity, créée dans l’Essonne en 2008, a été perquisitionnée le 14 octobre, ainsi que le domicile de son président fondateur Idriss Sihamedi, lequel a été <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/21/le-fondateur-de-barakacity-a-nouveau-en-garde-a-vue-accuse-de-cyberharcelement_6056887_3224.html">placé en garde à vue</a>.</p>
<p>Quelques jours plus tard, le 21 octobre, c’est au tour d’une seconde association, Ummah Charity, d’être dans la tourmente et de se voir réserver un <a href="https://www.leparisien.fr/oise-60/attentat-de-conflans-le-fondateur-de-l-ong-ummah-charity-place-en-garde-a-vue-19-10-2020-8403973.php">traitement similaire</a>.</p>
<p>Dans un contexte de deuil national marqué par le meurtre de Samuel Paty, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a largement médiatisé sa demande de dissolution de Barakacity (parmi d’autres associations comme le Collectif Contre l’Islamophobie en France ou CCIF), une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/28/l-association-humanitaire-barakacity-dissoute-en-conseil-des-ministres_6057670_3224.html">dissolution</a> validée en conseil des ministres le 28 octobre.</p>
<p>Il accuse dûment l’association de contribuer au séparatisme ; accusations qui ont provoqué de vives réactions de la part de ses membres et donateurs, en particulier sur les <a href="https://twitter.com/Barakacity?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Eauthor">réseaux</a> où l’association est très (ré)active.</p>
<h2>Un contrôle accru</h2>
<p>Ces événements font suite au discours du 2 octobre 2020 sur <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/10/02/emmanuel-macron-presente-son-plan-contre-le-separatisme-islamiste_6054517_823448.html">« La République en actes »</a>, d’Emmanuel Macron. Ce dernier a détaillé son plan dont la formule originelle visait à lutter contre « les séparatismes », avant de finalement recentrer son propos sur le combat à mener face au « séparatisme islamique ».</p>
<p><a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/10/02/la-republique-en-actes-discours-du-president-de-la-republique-sur-le-theme-de-la-lutte-contre-les-separatismes">Durant son allocution</a>, il s’en est pris aux associations « qui ont pour raison d’être l’accompagnement des plus précaires ou l’aide alimentaire [et qui] déploient en réalité des stratégies assumées d’endoctrinement », semblant ainsi désigner les associations humanitaires musulmanes françaises comme de potentiels lieux vecteurs de séparatisme.</p>
<p>L’ambition présidentielle de réformer <a href="https://theconversation.com/islam-de-france-des-instances-representatives-mais-de-qui-93234">l’islam « de » France</a> se matérialise en particulier dans le projet de loi par une volonté d’exercer un contrôle accru sur les associations musulmanes, cultuelles comme culturelles, et d’offrir plus de possibilités aux pouvoirs publics (locaux comme nationaux) de sanctionner voire de dissoudre ces associations en cas de conduite jugée contraire aux principes républicains.</p>
<h2>Des associations méconnues</h2>
<p>Loin des effets d’annonce politiques, la réalité des ONG humanitaires musulmanes est variée : on compte près d’une quinzaine d’associations à pouvoir se targuer de développer des actions à l’international. Elles gagnent à être étudiées dans l’ordinaire de leurs actions concrètes, qui échappent bien souvent à une telle couverture médiatique.</p>
<p>Mes recherches ethnographiques menées dans le cadre d’un <a href="http://www.theses.fr/s185682">doctorat en science politique</a> sur ces organisations humanitaires musulmanes françaises montrent que la stigmatisation dont elles font l’objet se fonde avant tout sur une méconnaissance de leur travail au sein de la société française.</p>
<p>Leur absence de (re)connaissance de la part des autorités et du grand public, y compris au sein de la non moins hétérogène « communauté » musulmane, contribue au climat de suspicion voire de (ré)pression(s) à leur encontre par les pouvoirs publics.</p>
<p>Ces ONG et l’engagement de leurs membres (bénévoles ou non) constituent également un objet académique délaissé par la recherche en sciences sociales en France, les associations humanitaires musulmanes demeurant sous-étudiées, à l’inverse du traitement qui leur est réservé à l’échelle européenne, et plus largement dans le monde anglo-saxon où les <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/the-charitable-crescent-9781845118990/">recherches</a> sur ces objets fleurissent.</p>
<h2>L’essor des ONG musulmanes depuis les années 1990</h2>
<p>Historiquement, les plus anciennes ONG musulmanes ont été fondées en France au début de la décennie 90, tandis que les plus récentes voient le jour au tournant des années 2010. La première génération d’organisations – le Secours Islamique France, Muslim Hands, Human Appeal et Human Relief Foundation – prend ses racines outre-Manche. Peu à peu, afin de mener des projets conformes aux attentes des donateurs français, elles s’affranchissent de leur tutelle. Ainsi, le Secours Islamique France créé en 1991 a pris son indépendance d’Islamic Relief en 2006. Il s’agit de l’association la plus ancienne, mais aussi de celle qui dispose du plus de moyens financiers, majoritairement par le biais de dons privés ou aussi de partenariats institutionnels.</p>
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<figcaption><span class="caption">Communication d’Islamic Relief, association humanitaire britannique.</span></figcaption>
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<p>Une deuxième génération d’organisations a été ensuite créée en France par de jeunes musulmans français, sans lien aucun avec le Royaume-Uni.</p>
<p>Barakacity et Ummah Charity, respectivement créées en 2008 à Courcouronnes et en 2010 à Creil, sont les figures de proue de cette tendance. Par le biais d’une forte médiatisation (réalisation de films, usages des réseaux sociaux) elles s’attachent à montrer la réalité crue et parfois cruelle des terrains où elles interviennent, en France et à l’étranger, et ont su ainsi attirer un public conséquent. Barakacity est « suivie » virtuellement par plus de 700 000 personnes sur sa <a href="https://www.facebook.com/BarakaCity">page Facebook</a>.</p>
<h2>Valorisation du don et de l’engagement altruiste</h2>
<p>Le succès des ONG musulmanes s’explique en partie par leur capacité à se présenter comme les intermédiaires des dons religieux des croyants, qu’elles redistribuent ensuite aux plus démunis, conciliant les impératifs humanitaires et les critères codifiés religieusement.</p>
<p>En effet, le Coran prévoit un certain nombre de préceptes de solidarité comme la <em>zakat</em>, l’aumône obligatoire dont doivent s’acquitter les croyants musulmans et qui correspond généralement (et en dépit des divergences théologiques propres aux différentes écoles religieuses) à 2,5 % de l’argent épargné sur une année lunaire, ou la <em>sadaqa</em>, aumône surérogatoire, qui n’est pas obligatoire, mais fortement encouragée.</p>
<p>Ainsi le don se trouve valorisé religieusement, de même que l’investissement personnel, qui se matérialise bien souvent sous la forme du bénévolat.</p>
<p>Bien que le bénévolat en leur sein reflète toute la diversité de profils des citoyens français de confession musulmane, il n’est pas rare de rencontrer dans ces associations des jeunes étudiants musulmans avec peu de moyens financiers, mais qui décident d’offrir de leur temps à défaut de pouvoir donner leur argent.</p>
<p>Symbole de leur dynamisme grandissant, ces associations s’appuient sur un vivier de bénévoles conséquent dans la plupart des grandes métropoles françaises où elles interviennent, de quelques dizaines à plusieurs centaines pour les plus grandes d’entre elles. Elles offrent aux Français musulmans un moyen d’affirmer un <a href="http://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100153570&fa=author&person_ID=14048">engagement citoyen dans l’espace public</a>, en particulier par leur capacité à concilier actions internationales et solidarité de proximité.</p>
<h2>Des ONG internationales ancrées dans les logiques sociales françaises</h2>
<p>Focalisées à leur origine sur des thématiques internationales comme les zones de conflits ou les régions touchées par des catastrophes naturelles, les associations humanitaires musulmanes interviennent aux quatre coins du globe autour de thématiques impliquant l’accès à l’eau, la promotion de l’éducation, l’aide aux réfugiés ou l’hébergement d’urgence, principalement auprès de populations musulmanes, mais non uniquement, comme l’illustre par exemple la <a href="https://humanappeal.fr/faire-un-don/locations">cartographie des actions de l’ONG Human Appeal</a>.</p>
<p>Depuis une dizaine d’années, elles recentrent une partie de leurs activités sur la France : une tendance particulièrement marquée au moment de la « crise de l’accueil des réfugiés » en 2015 ou lors de la récente <a href="https://www.leparisien.fr/oise-60/confinement-dans-les-cites-a-creil-la-solidarite-passe-par-les-jeunes-29-04-2020-8308188.php">crise sanitaire</a> liée au coronavirus.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/367718/original/file-20201105-24-1rrek6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/367718/original/file-20201105-24-1rrek6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/367718/original/file-20201105-24-1rrek6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/367718/original/file-20201105-24-1rrek6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/367718/original/file-20201105-24-1rrek6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/367718/original/file-20201105-24-1rrek6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/367718/original/file-20201105-24-1rrek6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/367718/original/file-20201105-24-1rrek6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Stand du Secours islamique au salon du Bourget, 2017. Les projets sont multiples, aussi bien à l’international qu’en France.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/6/69/Stand_Secours_Islamique_France-RAMF_2017.jpg/1024px-Stand_Secours_Islamique_France-RAMF_2017.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En effet, elles font preuve d’un intérêt grandissant pour les thématiques de proximité, au point de prioriser les intérêts de tous leurs concitoyens plutôt que ceux de coreligionnaires à l’étranger.</p>
<p>Nombreuses sont les associations à organiser des distributions de nourriture ou des cours de français, à proposer de l’aide aux réfugiés et aux sans-papiers, ou à mettre en place des solutions de logement d’urgence, sans tenir compte des appartenances confessionnelles de leurs bénéficiaires.</p>
<h2>L’action locale pour construire des relations apaisées</h2>
<p>La suspicion par les pouvoirs publics n’est pas inédite pour les associations humanitaires musulmanes, les plus anciennes ayant été, dès leur création <a href="https://defishumanitaires.com/2018/11/19/3757/">il y a presque trente ans</a>, soumises à la défiance publique avant de s’affirmer, au fil du temps, comme de potentiels partenaires étatiques. Pour cela, certaines ONG musulmanes ont tendance à minimiser la dimension religieuse de leur aide et à adopter des positions consensuelles vis-à-vis des pouvoirs publics.</p>
<p>À l’inverse, d’autres associations comme Barakacity demeurent en marge des actions menées par les pouvoirs publics, et n’hésitent parfois pas à s’inscrire plus délibérément dans une logique contestataire de ces derniers, pour s’en démarquer.</p>
<p>Sans doute l’attitude de suspicion qui entoure l’association renvoie-t-elle également à sa volonté de mettre en avant des marqueurs religieux plus prononcés et à sa communication, ou du moins celle de son président fondateur. Il lui est notamment <a href="https://www.middleeasteye.net/news/france-barakacity-muslim-ngo-dissolution-crackdown">reproché</a> d’avoir émis une condamnation trop timide de l’État islamique, lors de son passage sur une chaîne de télévision en 2015, et des discours incitant à la haine sur les réseaux sociaux.</p>
<h2>Un ciblage paradoxal</h2>
<p>Le ciblage actuel apparaît cependant paradoxal quelques mois seulement après le premier confinement du printemps 2020. En effet, pendant cette période les ONG musulmanes ont joué un rôle déterminant en France en acheminant des <a href="https://www.leparisien.fr/essonne-91/coronavirus-en-essonne-l-ong-barakacity-vient-en-aide-aux-hopitaux-dans-le-besoin-19-03-2020-8283864.php">masques et du matériel médical d’urgence auprès des hôpitaux</a>, mais également en s’organisant comme des structures capables de coordonner les élans de solidarité locaux, notamment à l’échelle des quartiers dont elles sont issues en Ile-de-France.</p>
<p>Ainsi, un basculement à leur égard semblait perceptible au niveau local, où, de par ces interventions, elles avaient pu tisser des <a href="https://allegralaboratory.net/muslim-ngos-facing-covid-19-in-france-muhum/">relations nouvelles avec les pouvoirs publics</a>, mais aussi avec les autres intervenants de l’urgence sociale et sanitaire. Par exemple, le Secours Islamique a mené des <a href="https://www.secours-islamique.org/index.php/nos-actions-en-france-face-au-covid-19.html">actions conjointes avec le SAMU social</a>.</p>
<h2>Un équilibre complexe et précaire</h2>
<p>Les ONG musulmanes mettent souvent à distance leur dimension confessionnelle, au nom du respect des principes de laïcité, de sorte à nouer des partenariats avec les pouvoirs publics. Du côté de ces derniers, l’idée persiste pourtant que ces ONG musulmanes auraient plus de facilité d’accès à un public lui-même identifié comme musulman. Aussi les mobilisent-ils régulièrement auprès de populations musulmanes, comme l’illustrent les situations de prise en charge des réfugiés et de la crise du coronavirus.</p>
<p>Les ONG musulmanes françaises se trouvent ainsi dans la même double injonction paradoxale à laquelle sont soumis de nombreux Français musulmans, pris entre des soupçons de « communautarisme » et de prosélytisme.</p>
<p>En intervenant auprès d’un public musulman, elles prennent en effet le risque de renforcer des accusations de séparatisme. À l’inverse, apporter une aide sans distinction confessionnelle entre leurs bénéficiaires revient à prêter le flanc à des accusations de prosélytisme. Or la situation <em>in situ</em> est bien plus complexe, notamment en raison du rôle de l’État, et ne saurait être réduite à cette dualité.</p>
<p>Loin de répondre à un objet prosélyte ou communautariste – vocable par ailleurs mis de côté par la majorité présidentielle, car jugé stigmatisant –, l’engagement dans des associations humanitaires musulmanes représente d’abord un tremplin pour les bénévoles vers l’extérieur du groupe social, une occasion de se projeter dans l’espace public par un engagement citoyen altruiste en faveur du « bien commun ».</p>
<hr>
<p><em>L’auteur réalise sa <a href="http://www.theses.fr/s185682">thèse</a> sous la direction de Franck Fregosi</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149182/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucas Faure est doctorant contractuel auprès d'Aix-Marseille Université (2017-2020) pour son travail de recherche. </span></em></p>Les ONG musulmanes françaises se trouvent soumises à une double injonction paradoxale comme de nombreux Français musulmans, soupçonnés soit de « communautarisme » soit de prosélytisme.Lucas Faure, Doctorant, CHERPA, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1469662020-10-08T17:49:45Z2020-10-08T17:49:45ZDébat : Colonialisme vert, une vérité qui dérange<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/361938/original/file-20201006-14-1wc6o6y.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C2767%2C1833&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Ethiopie, le parc naturel Simien</span> <span class="attribution"><span class="source">Guillaume Blanc</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Le « monde d’après » sera écologique ou ne sera pas. La formule n’est pas métaphorique. Sauf changement radical, dans un futur proche, la planète que nous connaissons ne sera plus. Pour prendre l’indispensable virage écologique, beaucoup comptent sur les institutions internationales : le WWF (Fonds mondial pour la nature), l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) ou encore l’Unesco. Pourtant, ces prestigieuses organisations sont loin de remplir la mission qu’elles disent poursuivre.</p>
<h2>Là où l’Européen s’adapte, l’Africain dégrade</h2>
<p>Il est encore, en Europe, des agriculteurs et des bergers qui peuplent et façonnent les montagnes. Ces derniers nous montrent la voie de la sobriété écologique ; à ce titre, les institutions conservationnistes les soutiennent toujours davantage. En France par exemple, dans les <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/1153/">Cévennes</a>, en 2011, l’Unesco a classé au Patrimoine mondial de l’humanité des « paysages façonnés par l’agro-pastoralisme durant trois millénaires ». Et depuis, l’organisation plaide pour le « renouveau contemporain de l’agro-pastoralisme » et la « perpétuation des activités traditionnelles (des bergers et des agriculteurs) ». Voici donc une histoire européenne d’adaptation à l’environnement.</p>
<p>Mais il y aurait aussi des histoires de dégradation. Ici, nous sommes en Afrique. Du nord au sud du continent, bien des montagnes sont également protégées par les institutions internationales de la conservation. Protégées… des agriculteurs et des bergers. Dans les montagnes éthiopiennes du <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/9">Simien</a>, par exemple, « les activités agricoles et pastorales […] ont sévèrement affecté les valeurs naturelles du bien », nous dit l’Unesco. Selon ses experts, « les menaces pesant sur l’intégrité du parc sont l’installation humaine, les cultures et l’érosion des sols ». Et c’est sur leurs recommandations qu’en 2016, l’Éthiopie a accepté d’expulser les quelque <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/regard-sur-l-info/regard-sur-l-info-la-creation-d-une-nouvelle-forme-de-colonialisme-le-colonialisme-vert_4096379.html">2 500 cultivateurs</a> et bergers qui vivaient au cœur du parc national du Simien.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/361926/original/file-20201006-18-1eu4kgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/361926/original/file-20201006-18-1eu4kgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/361926/original/file-20201006-18-1eu4kgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/361926/original/file-20201006-18-1eu4kgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/361926/original/file-20201006-18-1eu4kgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/361926/original/file-20201006-18-1eu4kgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/361926/original/file-20201006-18-1eu4kgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Avant : le village de Gich, Simien (2013).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Guillaume Blanc</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<span class="caption">Après : le plateau de Gich, après l’expulsion (2019).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Guillaume Blanc</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Le cas éthiopien n’est pas une exception. L’Afrique compte environ <a href="https://www.afrique-tourisme.com/parcs-nationaux-afrique/">350 parcs nationaux</a>. Au XX<sup>e</sup> siècle, plus d’un million de personnes en ont été expulsées pour faire place à l’animal, à la forêt ou à la savane. Ces <a href="https://www.researchgate.net/publication/42763474_Eviction_for_Conservation_A_Global_Overview">expulsions</a> sont toujours d’actualité. Pis, dans certains cas, les plus atroces, les éco-gardes financés par des ONG occidentales abattent les <a href="https://www.buzzfeednews.com/article/tomwarren/wwf-world-wide-fund-nature-parks-torture-death">habitants coupables</a> d’avoir pénétré dans un parc pour y chasser du petit gibier, en temps de disette.</p>
<p>Aujourd’hui encore, dans les parcs africains, des millions d’agriculteurs et de bergers sont punis d’amendes voire de peine de prison pour avoir labouré leur terre, coupé des arbustes ou emmené leur troupeau pâturer en altitude. Voilà ce qu’est le colonialisme vert. Une entreprise globale qui consiste à naturaliser l’Afrique par la force, c’est-à-dire à la déshumaniser.</p>
<h2>« Ce que peut l’histoire »</h2>
<p>À cet égard, malheureusement, les archives ne mentent pas. À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, les colons qui prennent le chemin de l’Afrique laissent derrière eux une Europe en pleine transformation. Les paysages du Vieux Continent périssent sous les coups de l’urbanisation et de la révolution industrielle, et les Européens sont alors persuadés de retrouver en Afrique la nature qu’ils ont perdue chez eux. Ainsi naissent les premières réserves de chasse qui deviennent, dans les années 1930, des <a href="https://inpn.mnhn.fr/programme/espaces-proteges/presentation">parcs nationaux</a>. Et dans chacun d’entre eux, du parc Albert au Congo jusqu’au Kruger en Afrique du Sud, les colons expulsent les Africains ou au moins, les privent du droit à la terre.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/362452/original/file-20201008-14-bmv8mh.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/362452/original/file-20201008-14-bmv8mh.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/362452/original/file-20201008-14-bmv8mh.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/362452/original/file-20201008-14-bmv8mh.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/362452/original/file-20201008-14-bmv8mh.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/362452/original/file-20201008-14-bmv8mh.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/362452/original/file-20201008-14-bmv8mh.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dans le parc national de Simien.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Guillaume Blanc</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Puis vient l’indépendance. Mis au chômage forcé, de nombreux administrateurs coloniaux se reconvertissent en experts internationaux. Ils sont recrutés par l’Unesco ou l’UICN et, ensemble, ils décident de mettre sur pied une banque dont la première fonction serait de lever des fonds pour « faire face à l’africanisation des parcs », écrit alors Ian Grimwood, un ancien de la Rhodésie et du Kenya. Cette banque voit le jour en 1961 sous le nom de World Wildlife Fund : le WWF.</p>
<p>Ses experts se déploient alors dans tous les parcs d’Afrique où désormais, ils doivent composer avec des chefs d’États indépendants. Pour ces derniers, les parcs et la reconnaissance internationale qui les accompagne sont un moyen efficace de dynamiser l’industrie touristique et, aussi, de planter le drapeau national dans des territoires que l’État peine à contrôler : dans les maquis, chez les nomades, en zones sécessionnistes. Ainsi se tisse l’alliance entre l’expert et le dirigeant. Mais pour l’habitant, l’histoire se répète : expulsion, criminalisation, violence.</p>
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<p>Aujourd’hui, le discours a changé. Depuis la fin des années 1980, les nouveaux « consultants » en patrimoine recommandent le « départ volontaire » des occupants des parcs, et la mise en place d’une « conservation communautaire ». Le discours est policé. Il ne peut cependant masquer la continuité des pratiques : tandis qu’en Europe les institutions internationales et leurs experts valorisent <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2007/02/22/les-tribus-victimes-de-l-ecologie">l’harmonie entre l’homme et la nature</a>, en Afrique ils réclament encore l’expulsion d’habitants qui seraient trop nombreux, et destructeurs.</p>
<p>Cette réalité est choquante. Pourtant, elle rythme le quotidien des millions d’agriculteurs et de bergers qui vivent dans et autour des parcs africains. Voici, en matière d’écologie, ce que peut l’histoire, pour reprendre la belle formule de <a href="https://www.college-de-france.fr/site/patrick-boucheron/inaugural-lecture-2015-12-17-18h00.htm">Patrick Boucheron</a>. L’histoire peut nous aider à voir ce que l’on préférerait ignorer : le fait que l’Unesco, le WWF ou encore l’UICN conduisent des politiques similaires à celles de l’époque coloniale.</p>
<h2>Une cécité de convenance</h2>
<p>Au moins trois raisons expliquent la méconnaissance de cette histoire, et l’agacement qu’elle suscite chez certains : il y a le mythe ; la science ; et enfin, notre vie quotidienne.</p>
<p>D’abord, le mythe. L’idée d’un continent exclusivement naturel est aussi absurde que celle selon laquelle l’homme africain ne serait pas rentré dans l’histoire. Seulement, trop de produits culturels continuent de nous faire croire à l’Éden africain : des romans comme <em>Les racines du ciel</em> de Romain Gary jusqu’à <em>Out of Africa</em> ; des magazines et des guides tels que le <em>National Geographic</em> ou le <em>Lonely Planet</em> ; ou encore des films comme le <em>Roi Lion</em>. Tous décrivent une Afrique chimérique : une planète verte, vierge, sauvage. Mais cette Afrique n’existe pas. L’Afrique est habitée, cultivée. Et ses parcs ne sont pas vides : ils ont été vidés.</p>
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<figcaption><span class="caption"><em>Out of Africa</em>, Wolfgang Amadeus Mozart, concerto pour clarinette en la majeur, K. 622.</span></figcaption>
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<p>La puissance du mythe nous renvoie ensuite aux croyances scientifiques. Les forêts primaires sont une illustration criante du phénomène. En réalité, elles n’existent presque nulle part sur le continent, puisque les Africains façonnent les forêts comme les Européens. Seulement, des personnalités comme <a href="https://doi.org/10.1068/a40158">Al Gore</a> diffusent des chiffres totalement faux, selon lesquels la forêt primaire « africaine » aurait été détruite par ses occupants, siècle après siècle. Et ces chiffres sont pris pour argent comptant par les experts internationaux qui les diffusent, ensuite, dans les parcs africains. La plupart de ces experts ignorent tout des <a href="http://www.theses.fr/2001PA082012">réalités locales</a>. Il n’empêche. Partout, ils recommandent l’expulsion ou au moins la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/05/08/au-c-ur-de-l-afrique-la-guerre-au-nom-de-la-nature_6039073_3212.html">criminalisation</a> d’agriculteurs et de bergers qui ne participent pas, eux, à la crise écologique.</p>
<p>C’est là, enfin, toute l’incohérence des politiques globales de la nature. Avec son livre <em>Une vérité qui dérange</em>, malgré le caractère fantasque de certains chiffres, l’ancien vice-président des États-Unis participe bel et bien à la lutte contre le changement climatique. Il est d’ailleurs l’un des rares « experts » à en décrire si finement les ravages sociaux. En revanche, Al Gore ne dit jamais rien des entreprises polluantes que sont, par exemple, Google et Apple. Car celui-ci finance la première et participe à l’administration de la seconde. Ceux qui protègent sont aussi ceux qui détruisent.</p>
<p>Ce paradoxe n’est pas le fruit d’un complot orchestré par des multinationales malveillantes et des États retords. Il est le résultat de « notre » mode de vie quotidien. Les habitants des parcs africains ne dégradent pas la nature. Ils consomment leur propre nourriture. Ils vont à pied. Ils n’ont ni électricité, ni <em>smartphone</em>. Et pourtant, ils sont les premières cibles des institutions internationales de la conservation. Pourquoi ? Pour nier l’évidence. S’en prendre à ceux qui vivent d’une agriculture de subsistance permet d’éviter de remettre en cause l’exploitation effrénée des ressources de la planète entière. <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01546412/">Préserver la nature</a> dans les parcs africains, c’est, en fait, s’exonérer des dégâts que cause partout ailleurs notre mode de vie consumériste et capitaliste. Voici la matrice du colonialisme vert. Et cette vérité dérange car l’accepter, ce serait reconnaître que, pour enfin amorcer le virage écologique, il faudrait s’en prendre non plus à la paysannerie (africaine), mais à nous-mêmes.</p>
<hr>
<p>Cet article résume le livre que l'auteur vient de consacrer à ce sujet : <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/hors-collection/essais/linvention-du-colonialisme-vert"><em>L'invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l'Eden africain</em>, Paris, Flammarion, 2020</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146966/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Blanc a reçu des financements de l'ANR CE-27 PANSER. </span></em></p>Au nom d’une vision fantasmée d’une Afrique sauvage et paradisiaque, les organisations internationales qui orientent la gestion des parcs naturels africains vident ceux-ci de leurs habitants humains.Guillaume Blanc, Maître de conférences à l'université Rennes 2. Chercheur à Tempora et chercheur associé au Centre Alexandre Koyré et à LAM (Les Afriques dans le Monde, Sciences po Bordeaux), Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1456712020-09-14T17:38:48Z2020-09-14T17:38:48ZLa nécessaire transformation de l’aide humanitaire internationale<p>S’intéresser au <a href="https://blogs.alternatives-economiques.fr/alterco/2020/09/15/la-securite-des-humanitaires-necessite-de-profonds-changements-de-leur-modele-financier">modèle économique de l’aide humanitaire internationale</a> ne peut se résumer à inventorier les sommes nécessaires et leurs destinations. Les sources de financement, leurs origines, les conditions posées par les financeurs et les choix prioritaires d’affectation sont également porteurs de sens et d’enjeux cruciaux.</p>
<p>La façon dont se déclinent les réponses aux points qui précèdent traduit des logiques politiques, des rapports de force entre puissances, des stratégies d’influence ou de domination. Au-delà des grands discours compassionnels, les chiffres nous dévoilent des mécanismes plus équivoques, en même temps qu’ils pointent d’urgentes pistes de changement.</p>
<h2>Les inconvénients majeurs du système actuel</h2>
<p>Tel qu’il se présente aujourd’hui, le financement de l’aide humanitaire internationale présente trois inconvénients majeurs :</p>
<ul>
<li><p>Il n’arrive pas à réunir les sommes nécessaires pour couvrir les besoins identifiés chaque année par le <a href="https://www.unocha.org/sites/unocha/files/this_is_ocha_2019_FR.pdf">Bureau de Coordination des Nations unies pour les Affaires humanitaires</a> (OCHA).</p></li>
<li><p>Il expose l’aide humanitaire à différentes formes de limitation ou de subordination à la volonté politique des quelques pays qui dominent largement, via leurs contributions volontaires, l’enveloppe annuelle.</p></li>
<li><p>Il transfère aux principales ONG internationales la responsabilité de trouver des financements complémentaires à ceux des États. Il entraîne dès lors ces ONG vers des formes de marchandisation de leur mission, vers une quête incessante de performance pour réduire leurs frais de fonctionnement, et vers une dépendance à l’égard de la générosité de leurs donateurs individuels.</p></li>
</ul>
<p>Aussi, sortir d’un système de financement volontaire, concentré sur un nombre très restreint de pays, est désormais une priorité pour contourner les obstacles énoncés ci-dessus.</p>
<h2>Un outil du soft power occidental ?</h2>
<p>L’aide humanitaire non gouvernementale est actuellement dominée par un modèle d’organisation, des financements et une visibilité opérationnelle qui peuvent l’identifier comme un outil du <em>soft power</em> des pays occidentaux. Ce modèle touche ses limites en termes de crédibilité, d’efficacité et d’acceptabilité. Il est devenu anachronique par rapport aux évolutions internationales des dernières décennies, qui ont conduit à l’émergence d’un monde multipolaire.</p>
<p>L’humanitaire international, qui avait difficilement réussi à se définir un espace autonome en passant parfois à travers les mailles des souverainetés étatiques, et à agir localement avec efficacité, est de plus en plus gêné par la volonté explicite de l’inclure <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/09/09/au-sahel-l-humanitaire-une-autre-tactique-militaire_6051575_3212.html">dans le cadre de politiques contre-insurrectionnelles</a> visant à gagner la loyauté des communautés.</p>
<p>Ainsi, pour éviter une paralysie des secours, l’ensemble des parties prenantes dans un conflit doivent agir de façon concertée pour empêcher la manipulation de la démarche humanitaire à des fins politiques. À ce titre, les forces armées ne devraient plus faire usage de la symbolique ou de la rhétorique humanitaire dans des contextes où leurs arrière-pensées tactiques sont manifestes.</p>
<p>Après avoir constitué l’un des berceaux du mouvement humanitaire français, l’Afghanistan aura initié les prémices d’une paralysie à laquelle sont désormais confrontées les ONG internationales – mais aussi les <a href="https://books.google.fr/books?id=qyXWBQAAQBAJ">autres acteurs</a> – dans d’autres pays. Ces ONG se retrouvent fréquemment dans l’incapacité d’agir, dès lors qu’elles interviennent sur des terrains où une partie des belligérants remettent en cause leur neutralité ou leur indépendance.</p>
<h2>La constellation hétérogène des ONG internationales</h2>
<p>Par leur grand nombre, par leurs domaines de compétence très variés, par les rapports qu’elles entretiennent avec l’État dans leurs différents pays d’origine comme dans ceux où elles interviennent, et aussi par l’origine de leurs sources de financement, les ONG forment une constellation hétérogène.</p>
<p>Elles ont avec la guerre des liens étroits, anciens, et côtoient sur les terrains de conflit ces deux autres acteurs majeurs de l’aide internationale que sont les Nations unies, via leurs agences spécialisées, et le mouvement de la Croix-Rouge.</p>
<p>Ces deux dernières familles ont leurs propres cadres juridiques et financiers, et des mandats spécifiques. La formalisation de leurs rôles est plus précise que celle qui régit les modalités d’intervention des ONG internationales. Cette formalisation n’empêche pourtant pas complètement les tensions et divergences entre membres d’une même catégorie d’acteurs. L’Afghanistan, ou l’Irak pour les Nations unies, la Syrie pour le mouvement de la Croix-Rouge, ont été des crises récentes durant lesquelles ces tensions ont été explicites et perceptibles.</p>
<p>Les ONG, malgré leur large diversité, n’en apparaissent pas moins confrontées aujourd’hui, dans leur volonté de porter secours sur les zones de guerre où qu’elles soient, à un risque majeur de paralysie. Cet « empêchement » potentiel ou réel à agir résulte de mécanismes variés et intriqués qui traduisent une évolution du « regard de l’Autre » sur ce que sont et font les ONG internationales. Les humanitaires se confrontent à des réalités désormais différentes de celles des moments fondateurs du mouvement. La puissance symbolique et l’immunité tacite dont bénéficiaient les humanitaires ont vécu. Il y a, dans le mouvement humanitaire contemporain issu des « sociétés civiles », quatre mécanismes, quatre dynamiques, pour ne pas dire quatre <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/08/19/les-ong-internationales-apparaissent-aujourd-hui-confrontees-a-un-risque-majeur-de-paralysie_6049313_3232.html">« tentations »</a>, dont il apparaît qu’elles ont, pour les trois premières, des sources anciennes.</p>
<h2>Les quatre tentations</h2>
<p>La <strong>« tentation néolibérale »</strong> est présente dès l’apparition du <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2004-3-page-373.htm">concept d’ONG</a>, en 1945, qui déjà mêlait sous cette appellation des entités <a href="https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1992_num_105_3_2662">très éloignées du concept français d’associations</a> tel qu’il avait été théorisé par Alexis de Tocqueville au XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Cette <a href="https://www.cetri.be/Les-ONG-instruments-du-neo?lang=fr">dynamique néolibérale</a> est également perceptible dans le modèle financier global de l’aide humanitaire internationale qui repose, pour un quart, sur la générosité aléatoire de donateurs privés et, pour les trois autres quarts, sur la contribution optionnelle d’un nombre restreint d’États. La défaillance des financements publics pousse alors les humanitaires à s’engager sur les sentiers hasardeux – et parfois éthiquement discutables – du <a href="http://stephanie.dupont3.free.fr/integral.pdf">marketing émotionnel</a>.</p>
<p>On retrouve dans la pratique des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2005/01/04/medecins-sans-frontieres-suspend-sa-collecte-de-dons-pour-l-asie_392968_1819218.html">ONG internationales</a> les ingrédients d’un libéralisme parfois nié, parfois revendiqué, parfois source de différends entre les différentes organisations : culte de la performance, apologie de l’argent privé comme gage de la « liberté d’entreprendre », défiance à l’égard du pouvoir des États, revendications de l’affranchissement vis-à-vis de toutes formes de régulation/coordination, propos parfois hostiles entre ONG à l’égard de la <a href="https://www.liberation.fr/tribune/2005/01/11/solidarite-avec-les-ong_505784">« concurrence »</a>.</p>
<p>La <strong>tentation de« l’occidentalo-centrisme »</strong> est patente, comme en témoignent les sources de financement et le <a href="http://devinit.org/wp-content/uploads/2019/09/GHA-report-2019.pdf">quasi-monopole</a> dans le domaine de l’aide humanitaire des ONG issues de pays d’Europe de l’ouest ou d’Amérique du Nord.</p>
<p>Le <a href="https://www.un.org/press/fr/highlights/WorldHumanitarianSummit">Sommet humanitaire mondial d’Istanbul de 2016</a>, a, à ce jour, échoué à mettre en œuvre l’une de ses recommandations visant à donner plus de moyens aux ONG locales et nationales pour délivrer de l’aide. Les derniers chiffres disponibles montrent que l’enveloppe financière globale de près de 29 milliards de dollars annuels ne profite que très faiblement aux acteurs locaux, dans une proportion qui n’arrive pas à décoller de 2,5 % – là où le sommet d’Istanbul préconisait d’atteindre progressivement, à horizon 2020, la proportion de 20 %.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1296015535390556161"}"></div></p>
<p>La <strong><a href="https://www.chathamhouse.org/publication/recommendations-reducing-tensions-interplay-between-sanctions-counterterrorism-measures">« tentation sécuritaire »</a></strong> des principaux financeurs devient un sujet de préoccupation majeur. Elle instaure une logique de contrôles tatillons et intrusifs, et prétend instaurer un barrage dans la possibilité, sur les terrains de guerre, de négocier librement avec tous les protagonistes de la violence, amenant les ONG à cheminer sur une ligne de crête risquée. Elles deviennent soumises à des procédures administratives kafkaïennes, sont mises en situation d’agir selon des modalités qui mettent en péril les principes fondateurs de neutralité et d’indépendance théorisés par le Comité international de la Croix-Rouge, en même temps qu’émergent des questions éthiques telles que la demande insistante de certains financeurs que leur soient communiquées les listes des bénéficiaires, rupture majeure dans le code de déontologie des soignants en particulier.</p>
<p>La posture des financeurs est ambiguë : ils orientent majoritairement leurs dons vers des pays en guerre, souvent confrontés à la question du radicalisme religieux comme cofacteur de la violence ; ils mandatent les ONGI pour mettre en œuvre des actions ; mais ils sont réticents à ce que les humanitaires négocient avec tous les acteurs d’un conflit. Nous assistons ainsi à un évident transfert de risques de la part des pays donateurs vers les ONG. À ces dernières, la mise en œuvre des gestes de secours, la contribution aux financements, le rôle d’effectrices de volontés de pacification, le décompte des personnes blessées, kidnappées et tuées dans l’exercice de leurs missions. Aux gouvernements donateurs le bénéfice politique et stratégique, sur l’échiquier international, de l’aide fournie.</p>
<p>À ces enjeux préalables, dont certains étaient présents dès l’acte de naissance des différentes organisations, la pandémie de Covid-19 vient rajouter un danger supplémentaire : la <strong>« tentation de la rétraction »</strong>.</p>
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<p>L’épidémie virale, qui a commencé à se propager début 2020, provoque une forme d’injonction paradoxale. Elle a entraîné l’intervention massive de l’État, même dans les pays champions d’un capitalisme débridé, pour éviter la casse économique et sociale. On peut voir dans ces interventions le retour de l’État-providence. Chemin faisant, au-delà des réactions et stratégies de chaque pays, c’est, par inférence, la place des gouvernements dans le financement de l’aide humanitaire internationale qui est à nouveau questionnée.</p>
<p>Ces dix dernières années, de façon stable, les appels coordonnés des Nations unies ont fait apparaître un <a href="http://devinit.org/wp-content/uploads/2019/09/GHA-report-2019.pdf">déficit de financements gouvernementaux</a> de l’ordre de 40 % des sommes espérées. Cela représentait, pour l’année 2018, un manque d’environ 10 milliards de dollars. Ce montant apparaît brusquement dérisoire face aux moyens déployés par les pays développés pour préserver leurs économies. Il émerge une forte inquiétude : dans une situation économique mondiale très dégradée, se profile le spectre d’une réduction des fonds publics destinés à l’aide humanitaire internationale. Dans un scénario pessimiste, mais pas irréaliste, de baisse concomitante des fonds publics provenant des pays de l’OCDE – centrés sur le renforcement de leurs économies – et d’un « décrochage » des fonds privés réunis par les ONG, c’est toute la structure financière globale de l’aide humanitaire mondiale qui se trouverait alors dramatiquement affectée.</p>
<p>Plus d’une centaine de pays constituent le groupe défini par la <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GNP.MKTP.CD">Banque mondiale</a> comme étant « à revenus élevés ». Tous ensemble, ils ont généré en 2018 un Revenu national brut de 80 000 milliards de dollars. Si chacun de ces pays contribuait à hauteur de 0,03 % de son RNB, comme nous le proposons <a href="https://www.editions-parole.net/sortie-le-15-septembre-2020-de-003-pour-une-transformation-du-mouvement-humanitaire-international-de-pierre-micheletti/">dans notre récent ouvrage</a>, alors serait obtenue l’intégralité des sommes nécessaires pour faire face aux crises humanitaires internationales (à hauteur des besoins identifiés pour cette même année 2018). Il faut dès lors convaincre les Nations unies d’instaurer un système de <em>contribution obligatoire</em> des pays appartenant à ce groupe, pour abonder l’enveloppe financière annuelle mise à disposition des différents acteurs humanitaires.</p>
<h2>Pour une contribution obligatoire des États à revenus élevés</h2>
<p>Se retrouveraient ainsi contributeurs aussi bien les donateurs qui dominent aujourd’hui : les États-Unis et les pays de l’Union européenne en particulier, mais également la Russie, la Chine et le Brésil, pour ne citer que quelques pays supplémentaires parmi les grandes puissances existantes ou émergentes dont la contribution est aujourd’hui symbolique.</p>
<p>Le cas de la Russie est particulièrement emblématique du déséquilibre qui prévaut aujourd’hui. Cette grande puissance, membre du Conseil de sécurité, politiquement impliquée dans de nombreux conflits majeurs, représente annuellement un apport de 0,3 % des financements mobilisés pour l’aide d’urgence dans le monde.</p>
<p>Les modalités de répartition de l’enveloppe financière ainsi réunie devraient alors être confiées à une entité indépendante, en particulier à l’égard des membres du Conseil de sécurité, afin de protéger l’action humanitaire de toute volonté de manipulation et/ou de politisation dans le choix des pays et des crises prises en considération.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Micheletti est président d'Action contre la Faim.</span></em></p>Le financement de l’aide humanitaire internationale traduit les contradictions et la paralysie d’un modèle à bout de souffle. Il est temps de le réformer en profondeur.Pierre Micheletti, Co-responsable du master « Politiques et pratiques des organisations internationales » à l'IEP de Grenoble. Concepteur et responsable pédagogique du diplôme universitaire « Santé Solidarité Précarité » à la Faculté de Médecine, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1421172020-07-13T21:38:35Z2020-07-13T21:38:35ZCrise et dialogue social : un renouveau pour les syndicats ?<p>Airbus prévoit la <a href="https://www.lepoint.fr/societe/syndicats-et-gouvernements-choques-par-l-ampleur-du-plan-social-annonce-par-airbus-01-07-2020-2382678_23.php">suppression de 15 000 postes</a> dans le monde avant l’été 2021. À la suite de cette annonce, des manifestations portées par les syndicats FO, CFE-CGC, CGT et CFTC ont éclaté un peu partout en France. <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/07/08/airbus-hop-nokia-des-salaries-mobilises-contre-les-suppressions-d-emplois_6045623_3234.html">Les secteurs de l’aéronautique et de la télécommunication</a>, dont Nokia qui prévoit de supprimer plus de 1 233 emplois en France, ont particulièrement été touchés par la situation sanitaire.</p>
<p>La crise du Covid-19 a plongé plus <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/dares_tdb_marche-travail_crise-sanitaire_09-06-20.pdf">d’un million d’entreprises</a>, soit l’équivalent de 13,3 millions de salariés, dans une situation de chômage partiel entre le 1<sup>er</sup> mars et le 9 juin 2020.</p>
<p>Des <a href="https://www.franceinter.fr/economie/segur-de-la-sante-medecins-etudiants-aide-soignants-voici-ce-que-les-professionnels-obtiendront-vraiment">accords ont été trouvés</a> lors du Ségur de la Santé, lancé le 17 mai sur la question de la rémunération des personnels soignants. Cette première négociation réussie ouvre-t-elle de nouveaux espaces de dialogues ?</p>
<p>Peut-on alors imaginer une sortie progressive de la culture du conflit défensif ou réactionnaire qui traverse <a href="http://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100096680&fa=author&Person_ID=13870">l’histoire</a> du syndicalisme français ? Et par quels biais ?</p>
<h2>Vers un cercle vertueux de la négociation collective</h2>
<p>L’histoire du syndicalisme en France a connu un tournant particulièrement important lors de l’avènement de l’État-providence, de 1945 à la fin des années 1970. Néanmoins une <a href="https://www.larevuecadres.fr/numeros/crises-et-regulation-sociale/6698">forme hybride de régulation sociale</a> se met en place à partir de 1982 avec la promulgation des <a href="https://www.anact.fr/les-lois">Lois Auroux</a>.</p>
<p><a href="https://www.clesdusocial.com/IMG/pdf/50_ans_d_accords_nationaux_interprofessionnels.pdf">Les accords nationaux interprofessionnels</a> continuent d’être signés sur des grands thèmes de droit du travail et de protection sociale (Chômage, formation professionnelle, retraite…) et le code du travail démultiplie les mécanismes visant à sauvegarder l’emploi.</p>
<p>Mais ce qui suscite l’intérêt, c’est que ce dernier renvoie de plus en plus souvent à la négociation d’entreprise. Cette forme « hybride » de régulation sociale s’exprime dès lors dans le fait que les comportements et l’aptitude au compromis – lors des négociations collectives – s’exerce beaucoup plus naturellement au niveau de l’entreprise qu’au niveau interprofessionnel/national où les concertations sont privilégiées mais n’apportent que peu d’eau au moulin de la régulation et les négociations sont évitées ou n’aboutissent pas.</p>
<p>Ce dialogue social d’entreprise entre employeurs et délégués syndicaux permet alors de faire face à un droit du travail qui s’ouvre aux exigences européennes et mondiales, <a href="https://www.lgdj.fr/l-age-de-la-negociation-collective-9782130818045.html">au libéralisme économique ambiant</a>, sur fond de chômage massif et de montée de la précarité.</p>
<h2>Une démocratie sociale qui demeure immature</h2>
<p>En <a href="https://www.senat.fr/rap/l06-152/l06-15211.html">2007 la loi Larcher</a>, relative à la modernisation du dialogue social avait ouvert la porte d’un semblant de démocratie sociale en imposant une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072050&idArticle=LEGIARTI000006791879&dateTexte=&categorieLie">consultation</a> des partenaires sociaux.</p>
<p>Mais Emmanuel Macron a plutôt eu tendance à imposer ses réformes, cadrer et se substituer unilatéralement aux partenaires sociaux en cas <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/18/la-democratie-sociale-cet-art-oublie-du-compromis_6033476_3232.html">d’échec d’un compromis au niveau national interprofessionnel</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sncf-paysage-syndical-a-la-fin-de-la-bataille-98997">SNCF : paysage syndical à la fin de la bataille</a>
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<p>Les tensions sociales et la crise de la Covid 19 peuvent-elles demain permettre la signature d’accords interprofessionnels sur de nombreux sujets autour d’un Plan de refondation sociale ?</p>
<p>Quelle va être la place de l’État dans les prochains mois : <em>garant</em> ou <em>gérant</em> de la régulation sociale sur ces questions de maintien dans l’emploi ou de conséquences en cas de perte d’emploi ?</p>
<h2>Quelle place pour les syndicats dans les entreprises ?</h2>
<p>Dès le milieu des années 1980, le rôle des syndicats au niveau de l’entreprise devient majeur. Le concept de flexibilité/sécurité, décidé par le législateur se met en place par accord au sein des entreprises.</p>
<p>Au départ, le dispositif permet aux entreprises d’avoir plus de possibilités d’entreprendre, en allégeant les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?cidTexte=LEGITEXT000006072050">règles du code du travail</a> pour augmenter leur productivité, notamment grâce à <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/droit-du-travail/temps-de-travail/article/amenagement-du-temps-de-travail">l’aménagement du temps de travail</a>. Ainsi les compromis ont lieu entre des dispositifs d’aménagement du temps de travail, (heures supplémentaires/annualisation du temps de travail) avec pour contreparties le gel des licenciements pendant une période précisée, le renforcement des actions de formations et l’amélioration des conditions de travail.</p>
<p>Mais ces dernières années, les lois <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031046061&categorieLien=id">Rebsamen</a>, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032983213&categorieLien=id">El Khomri</a> et les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000035607348&categorieLien=id">Ordonnances Macron</a> ont renforcé ce concept et fait de la négociation collective un véritable levier de transformation de l’emploi.</p>
<h2>Un nouvel arsenal juridique</h2>
<p>Ces trois dernières réformes ont permis la construction d’un véritable arsenal juridique (<a href="https://travail-emploi.gouv.fr/emploi/accompagnement-des-mutations-economiques/pse">Plan sauvegarde de l’emploi, PSE</a>, <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/droit-du-travail/la-rupture-du-contrat-de-travail/article/rupture-conventionnelle-collective">rupture conventionnelle collective</a>, <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/emploi/accompagnement-des-mutations-economiques/article/accords-de-performance-collective">accord de performance collective</a>) pouvant remettre en jeu l’intégralité des acquis sociaux négociés pendant des décennies entre employeurs et organisations syndicales.</p>
<p>Tout récemment, le dispositif d’activité partielle (APLD) <a href="https://www.clesdusocial.com/evolution-de-l-activite-partielle-longue-duree-ARME-et-courte-duree">l’activité partielle de longue durée</a> a été revisité pour permettre aux entreprises les plus en difficulté de gérer les variations d’activité plus ou moins passagères (jusqu’à deux ans).</p>
<h2>Tenter de nouveaux accords</h2>
<p>Aujourd’hui, face aux moyens juridiques de l’employeur accordés pour <a href="https://www.lesechos.fr/2018/06/psa-scelle-un-accord-sur-le-depassement-des-35-heures-a-vesoul-996740">« sauvegarder l’emploi »</a>, les syndicats doivent trouver leur place et exiger un rapport de force équilibré.</p>
<p>Le législateur, en donnant primauté à la négociation d’entreprise, devrait renforcer la capacité des acteurs du dialogue social à être en situation de négocier, afin d’éviter des <a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/06/11/le-charme-apparent-des-accords-de-performance-collective_1790817">négociations protéiformes et du chantage à l’emploi</a>.</p>
<p>Les syndicats pourraient demander l’exigence légale et non la simple incitation, pour toutes les entreprises (même celles dépourvues d’organisations syndicales) d’un accord dit « de méthode » qui vise à préserver (accord défensif) mais aussi à développer (accord offensif) l’emploi.</p>
<p>Ce dernier pourrait poser clairement la décision du dispositif envisagé (PSE, RCC, APC, APLD) et la façon dont il organise des éléments complémentaires essentiels, comme la question de l’impact sur les conditions de travail et les risques psychosociaux, et enfin, le rôle précis à dédier aux représentants du personnel au CSE, dans la mise en place des nouveaux dispositifs négociés.</p>
<h2>Créer de vrais collectifs de travail</h2>
<p>D’autre part, les syndicats pourraient pousser à une mise en place de <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/dialogue-social-le-ministere-du-travail-encourage-les-formations-communes-entre">formations communes</a>, dispositif proposé par la loi El Khomri du 8 août 2016, qui permet de créer de véritables collectifs de travail pour amorcer de nouveaux échanges et organiser une nouvelle façon de négocier, plus loyale, plus <a href="http://formatdialogue.intefp.fr">transparente</a>.</p>
<p>Dans la manière de procéder, le choix est fait ici d’accompagner les directions et les organisations syndicales ensemble et non plus séparément par cabinet d’expert interposé, en y faisant participer d’autres acteurs (ONG, intellectuels, experts, avocats, maires), partie prenante, sur les nombreux sujets de <a href="https://thdz-negociationcollective.org/blog-3/">négociation collective</a>.</p>
<p>N’oublions pas que dans les petites entreprises ou les moyennes qui sont dépourvues d’organisations syndicales, les salariés doivent avaliser le projet unilatéral de l’employeur (en guise d’accord de compétitivité de l’emploi) <a href="https://www.berton-associes.fr/blog/droit-du-travail/conclusion-accord-entreprise-tpe/">sans discussion obligatoire</a>.</p>
<h2>La Covid-19 met les syndicats à rude épreuve</h2>
<p>Si la négociation collective semblait s’engager dans un cercle vertueux depuis plusieurs années, avec plus de <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/bnc_2018.pdf">60 000 accords signés</a> chaque année par l’ensemble des organisations syndicales représentatives, y compris la <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/bnc_2018.pdf">CGT dans 85 % des cas</a>,</p>
<p>la crise sanitaire a renversé la donne. Elle a montré les limites de la protection des travailleurs, soumis à de nouveaux modèles d’emplois, aux antipodes de la protection du travail salarié.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1280619307811188737"}"></div></p>
<p>Ainsi, l’accord de performance collective (<a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/emploi-laccord-de-performance-collective-en-cinq-questions-1208224">350 signés à ce jour</a>) témoigne de l’aboutissement de ce processus.</p>
<p>Pour préserver l’emploi, cet accord (mis en place en 2017) prévoit selon les entreprises, d’aménager par exemple les horaires (à la hausse sans contrepartie) ou d’envisager une baisse des salaires. Un salarié refusant de souscrire à cet accord peut subir un licenciement pour cause réelle et sérieuse et non pour raison économique.</p>
<p>La position des syndicats n’est pas alors simple, et le discrédit jamais loin, qu’il s’agisse de signer ces accords de <a href="https://www.sudouest.fr/2020/07/04/safran-accord-avec-les-syndicats-pour-eviter-tout-licenciement-jusqu-a-fin-2021-7628241-705.php">« performance collective »</a> ou de les refuser drastiquement (et risquer le licenciement économique conjoncturel).</p>
<h2>Eviter l’effet Lip</h2>
<p>Rappelons-nous ainsi la <a href="https://www.larevuecadres.fr/numeros/crises-et-regulation-sociale/6698">colère sociale</a> de l’affaire Lip.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/07/18/l-affaire-lip-remonte-le-temps_5332872_3232.html">Dans les années 1970</a>, pris dans un bras de fer, les salariés de l’usine, indépendants des syndicats, s’étaient emparés de leur usine du Doubs et avaient fabriqué les montres en autogestion. Cette initiative spontanée avait abondamment été relayée par les médias, voire érigée en <a href="https://www.humanite.fr/la-grande-aventure-ouvriere-et-sociale-des-lip-607020">modèle</a>.</p>
<p>Faire face à une crise de telle ampleur suppose l’exercice d’une démocratie sociale forte avec une véritable co-construction des dispositifs de relance de l’économie. Certes, l’assurance-chômage et le <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/05/19/deconfinement-les-multiples-questions-du-chomage-partiel_6040116_3234.html">chômage partiel</a> doivent y figurer, mais aussi un abandon momentané des réformes, sujet de crispation sociale, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/04/20/la-reforme-des-retraites-plombee-par-le-covid-19_6037177_823448.html">comme celui des retraites</a>.</p>
<p>Ce dernier a été remis à l’agenda dès cet été contre l’avis des partenaires sociaux, y compris celui de la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/07/08/la-reforme-des-retraites-premier-dossier-a-haut-risque-pour-le-premier-ministre_6045592_823448.html">CFDT et du Medef</a>.</p>
<h2>Prendre exemple sur la convention climat ?</h2>
<p><a href="https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr">La Convention Climat</a> qui a rassemblé 150 citoyens au <a href="https://www.affiches-parisiennes.com/le-cese-reforme-pour-en-faire-le-carrefour-des-consultations-publiques-10624.html">CESE</a> a ouvert un nouvel espace et une nouvelle méthode pour aborder la question climatique.</p>
<p>Si le syndicalisme peut apporter son expérience d’action organisée, structurée autour de nombreux thèmes de négociations, les ONG, le monde associatif et les intellectuels peuvent apporter une expertise complémentaire leur permettant d’élever leur niveau d’analyse et d’action.</p>
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<figcaption><span class="caption">Front commun entre syndicats, associations et ONG pour lutter contre le réchauffement climatique et mettre en place la transition écologique.</span></figcaption>
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<p>Le législateur a ouvert ce débat au sein de la la <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/20809-loi-du-24-decembre-2019-dorientation-des-mobilites-lom">loi d’organisation des mobilités du 26 décembre 2019</a>.</p>
<h2>Un rapport de force qui rassemble</h2>
<p>Le texte ouvre la voie à des solutions intéressantes pour lutter contre le réchauffement climatique. Les entreprises peuvent désormais inclure dans leur <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/dialogue-social/negociation-collective/article/les-negociations-obligatoires-dans-l-entreprise-theme-periodicite-et">négociation annuelle obligatoire</a> la question des déplacements domicile-travail et réfléchir ainsi sur un sujet transverse syndicats/société civile/collectivités locales. Ce texte force les acteurs à repenser, ensemble, la question des mobilités en favorisant les transports alternatifs, mais aussi à réfléchir au temps de trajet domicile-travail. On sort ici de l’unique défense des intérêts individuels et collectifs des salariés.</p>
<p>Le nouveau rapport de force, en train de se construire entre acteurs du dialogue social (syndicats et représentants au CSE (Comité Social et Economique) et parties prenantes à la réussite de l’entreprise (directions, ONG, associations, groupes d’experts, collectivités, intellectuels, salariés) s’illustre aujourd’hui par deux documents récents.</p>
<p>Il s’agit <a href="https://www.cgt.fr/sites/default/files/2020-05/Document %20plan %20de %20sortie %20de %20crise %20en %20version %20int%C3%A9gral.pdf">du plan de sortie de crise à la CGT</a> et du <a href="https://www.cfdt.fr/portail/actualites/pacte-du-pouvoir-du-vivre-srv1_693159">pacte du pouvoir de vivre à la CFDT</a>.</p>
<p>Ces documents, construits pendant plusieurs mois par un consensus d’ONG, d’associations et de syndicats, réfléchissent et proposent de nombreuses solutions dans l’accompagnement des salariés. En traitant également des questions environnementales et climatiques ils prouvent que <a href="https://www.cfdt.fr/portail/actualites/societe/-pacte-du-pouvoir-de-vivre-66-propositions-pour-un-autre-modele-de-developpement-srv1_658678">préoccupations écologiques et progrès social</a> peuvent aller de pair et faire émerger un nouveau modèle de dialogue social.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142117/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphanie Matteudi accompagne les acteurs du dialogue social à travailler autrement ensemble au sein de la société Art du dialogue social. </span></em></p>La crise actuelle pourrait voir un changement dans les relations entre syndicats français et leurs interlocuteurs, marquées par une longue histoire de conflits.Stéphanie Matteudi-Lecocq, Enseignante. Chercheuse au LEREDS, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1323232020-03-10T18:44:49Z2020-03-10T18:44:49ZQuand les humanitaires se mêlent d’économie…<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/318069/original/file-20200302-18299-1viw4hr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C7%2C4866%2C3657&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Travailleuses du secteur agro-alimentaire à Ouagadougou</span> <span class="attribution"><span class="source">Roberta Rubino</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Ces dernières années, dans le souci de contribuer à un développement durable et autonome des pays du Sud, les organisations humanitaires ont manifesté une attention croissante envers le secteur privé, notamment dans le secteur de la transformation agroalimentaire. </p>
<h2>Du mythe du pauvre entrepreneur à l’économie de la survie</h2>
<p>L’intérêt des acteurs de l’aide internationale pour le domaine économique n’est pas complètement inédit. Dans les années 1980-1990, face à l’échec de l’ouverture libérale et à l’énormité de ses coûts sociaux, la « lutte contre la pauvreté » devient un objectif consensuel pour les acteurs de la coopération internationale. La priorité reconnue aux besoins financiers des populations les plus pauvres favorisera l’essor de la microfinance et d’autres activités liées à l’idée du <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2007-1-page-329.htm">« pauvre entrepreneur »</a>. Dans ce contexte, les programmes de développement évoluent en une sorte d’« économicisation du besoin » et de <a href="https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_7/b_fdi_03_05/010021471.pdf">« financiarisation de l’aide »</a>. En supposant qu’il est possible de combattre la pauvreté à travers des activités productrices de revenus monétaires, ces projets convergent autour de l’idée qu’il suffirait de doter les pauvres « en capital » pour assurer leur développement. Dans ce cadre, les activités génératrices de revenus (AGR) font leur apparition ; elles seront destinées à toucher de manière transversale tous les domaines de l’aide.</p>
<p>L’<a href="https://www.fondation-croix-rouge.fr/recherches-soutenues/roberta-rubino/">enquête ethnographique</a> que nous avons conduite entre septembre 2017 et juin 2018 autour de la transformation agroalimentaire dans la ville de Ouagadougou, avec le soutien de la Fondation de la Croix-Rouge française, montre certaines limites de ce modèle.</p>
<p>L’étude a révélé que les stratégies destinées à valoriser ces activités traditionnelles finissent pour cristalliser le secteur informel en un véritable système économique parallèle : l’économie de la survie. L’économie de la survie se différencie du secteur informel et de toutes les autres formes spontanées d’art de la débrouille, puisqu’elle se structure et se développe dans un environnement socioculturel bien précis qui est celui de l’aide internationale.</p>
<h2>Les acteurs locaux de la transformation agroalimentaire</h2>
<p>Les foires alimentaires sont devenues des événements assez fréquents dans la ville de Ouagadougou. Organisées par des ONG ou par les acteurs publics, elles sont destinées à exposer et à promouvoir la consommation des produits agroalimentaires de la tradition ouagalaise. Il s’agit, pour la plupart, de produits d’une variété assez limitée, transformés avec des techniques artisanales par des groupements de femmes sélectionnées dans le cadre d’un projet d’une ONG ou d’une association, selon des critères ethniques, géographiques et sexuels (« les femmes peuls », « les femmes de Koudougou », etc.).</p>
<p>Pour notre enquête, 19 de ces entreprises ont été étudiées, dont 9 artisanales et 10 semi-industrielles. Les méthodes mobilisées ont été celles classiques de l’anthropologie : entretiens de type qualitatif et observation en situation.</p>
<p>Cependant, pour l’étude des activités de production, c’est la <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00380133/">méthode des itinéraires</a> qui a été privilégiée. Cette méthode de type ethnographique et microsocial a permis de retracer les itinéraires de vie de ces unités de production et d’observer les activités dans le détail, de répertorier les obstacles et les facilités et de saisir toutes sortes de contraintes matérielles, sociales et symboliques.</p>
<p>L’histoire de Madame T. est assez emblématique des enjeux et des limites des programmes d’aide voués à la promotion de ces microactivités, souvent qualifiées de microentreprises. Madame T. est très connue dans le milieu de la transformation agroalimentaire ouagalaise. C’est une femme forte et énergétique qui a dépassé la cinquantaine depuis déjà quelques années.</p>
<p>L’âge et le sexe des promotrices de ces microactivités ne sont pas des éléments anodins. Dans la plupart de ces programmes d’aide internationale, la transformation agroalimentaire est devenue un secteur « genré », réservé aux femmes, dans le prolongement d’une tradition sexuelle du travail qui veut que les hommes soient producteurs et les femmes transformatrices. En tant que détentrices d’un savoir-faire traditionnel, les femmes les plus âgées, comme Madame T., sont devenues les cibles principales de ces projets qui, en voulant respecter la tradition, finissent par la reproduire.</p>
<p>Ces mini-unités de transformation artisanale se caractérisent aussi par le fait que le lieu de production coïncide avec la cour familiale, avec tous les problèmes d’espace et d’hygiène que cela implique. Le rythme de production est discontinu, ce qui détermine une forte variabilité dans le nombre d’employées. En ce qui concerne les recettes gagnées avec l’unité, elles ne sont pas employées en tant que « capital » pour des investissements dans l’activité, mais en tant que revenus pour satisfaire les besoins fondamentaux de la famille : scolarité des enfants, soins de santé, vêtements, cérémonies et, assez souvent, émigration d’un ou plusieurs membres de la famille.</p>
<h2>Un savoir-faire rudimentaire</h2>
<p>Ainsi, les techniques de travail de transformation demeurent rudimentaires. La plupart des tâches sont exécutées à la main ou avec du petit matériel que l’on retrouve dans la plupart des foyers de Ouagadougou : bassins en plastique, casseroles, pilons en bois…</p>
<p>Les conséquences les plus importantes de ce faible niveau technologique et de la rusticité du savoir-faire employé sont, d’un côté, l’absence d’innovation et, de l’autre, la multiplication exponentielle de ces activités qui se reproduisent suivant une sorte de mitose cellulaire. Cette segmentation de l’offre entraîne une segmentation de la demande : les marchés sont envahis par des produits homogènes.</p>
<p>Néanmoins, cette situation est aussi le résultat d’un modèle d’aide spécifique et de l’idée implicite de solidarité qu’il véhicule. Les entretiens ont permis de révéler que, dans le cadre de ces projets, les femmes sont encouragées à partager entre elles leur savoir-faire et leur marché. Comme déclare un agent d’une ONG qui appuie ce genre de projet, l’objectif serait de garder ces mini-unités « au même niveau » ; mais, en réalité, ces unités restent immobilisées à un stade proto-industriel où il n’y a ni progression ni régression. Cette observation est confirmée par le fait que, parmi les mini-activités de l’échantillon analysé, aucun passage d’échelle à des niveaux semi-industriels n’a été constaté.</p>
<h2>Les limites de l’économie de la survie</h2>
<p>Une autre conséquence, non moins importante, est la totale déconnexion entre les prix des produits et leur coût de production. Les produits arrivent sur le marché avec des prix de vente extrêmement bas qui ne semblent répondre à aucun autre principe sinon à la « fonction sociale » de l’économie de l’humanitaire, puisqu’ils permettent aux biens alimentaires de rester accessibles dans un pays où le pouvoir d’achat demeure extrêmement limité. Cependant, l’observation de certaines filières montre que l’expansion des AGR s’accompagne de la contraction des activités semi-industrielles qui, dans l’impossibilité de rester compétitives sur le marché, et à défaut d’appuis spécifiques, finissent soit par entrer dans l’économie de la survie soit par disparaître.</p>
<p>Cela participe à renforcer l’hypothèse de l’existence d’un « système économique de la survie » qui fonctionne selon des règles et des principes particuliers. Les données de terrain, la reconstruction des relations sociales et de pouvoir et donc de légitimité, et enfin l’analyse des conditions matérielles d’existence de ces unités montrent que malgré leur déplacement en ville, ces activités continuent à fonctionner selon un <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Sciences-humaines/Age-de-pierre-age-d-abondance">« mode de production domestique »</a>.</p>
<p>L’analyse du système d’appui et de l’origine des financements montre qu’il ne s’agit en aucun cas de « survivances » ou de quelconques vestiges du passé, mais d’un système contemporain, entretenu par les acteurs de l’aide internationale. Ce système, calqué sur les caractéristiques de modes de production traditionnels ou « informels », a fini par générer les « économies de la survie ». Comme le marché informel, ces économies fonctionnent au-delà de l’État. Néanmoins, ce ne sont pas les pouvoirs traditionnels, mais les ONG et les acteurs de l’aide qui structurent, organisent et légitiment ces économies.</p>
<p>Cependant, les effets ne sont pas seulement d’ordre économique mais aussi politique et social. Si d’un côté, l’économie humanitaire reproduit des modes de production domestique, de l’autre elle finit par renforcer un ordre politico-social spécifique puisque à chaque mode de production correspond un ordre social et politique spécifique.</p>
<h2>Aucun changement social en vue</h2>
<p>En fait, au sein de ces unités nous retrouvons des comportements traditionnels qui, avec l’économie humanitaire, se reproduisent – par exemple la division sexuée du travail ou la transmission verticale des savoirs dont les plus âgées restent les dépositaires tout en gardant leur pouvoir. De surcroît, si l’on considère que les pratiques de circulation du profit de ces unités sont destinées à satisfaire les besoins du ménage, on remarquera qu’elles n’ont aucune possibilité de soutenir des structures sociales (école, hôpitaux, etc.) qui dépassent le cadre familial.</p>
<p>C’est pourquoi ces activités ne génèrent aucun changement social, y compris en ce qui concerne la condition des femmes, dont l’autonomie économique ne s’accompagne pas d’une émancipation sociale et politique. Les femmes promotrices restent encastrées avec leurs recettes dans une trame de relations sociales traditionnelles qui continuent à les défavoriser. Bien que certaines d’entre elles aient pu créer de petits espaces d’autonomie à travers leurs activités, ces espaces restent circonscrits à une sphère individuelle qui ne devient jamais collective, à défaut de véritables changements sociopolitiques.</p>
<p>Les AGR ont été pensées pour assurer des revenus monétaires aux familles mais elles sont inadaptées pour répondre aux exigences alimentaires des villes. De plus, elles ne peuvent pas entraîner un passage d’échelle automatique entre la famille traditionnelle et la société puisque ces deux formes sociales révèlent de deux systèmes sociopolitiques et économiques différents.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/270936/original/file-20190425-121258-14pnuag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/270936/original/file-20190425-121258-14pnuag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=182&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/270936/original/file-20190425-121258-14pnuag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=182&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/270936/original/file-20190425-121258-14pnuag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=182&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/270936/original/file-20190425-121258-14pnuag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=229&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/270936/original/file-20190425-121258-14pnuag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=229&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/270936/original/file-20190425-121258-14pnuag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=229&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Roberta Rubino est soutenue par la Fondation Croix-Rouge française, dédiée à l’action humanitaire et sociale. Elle accompagne les chercheurs depuis la conception de leur projet de recherche jusqu’à la mise en valeur de leurs travaux, et la promotion de leurs idées.</em></p>
<p><em>Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de la <a href="https://www.fondation-croix-rouge.fr/">Fondation Croix-Rouge française</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132323/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Roberta Rubino a reçu des financements de la Fondation Croix-Rouge française pour cette étude.</span></em></p>Le soutien accordé par les acteurs de l’aide humanitaire aux petits entrepreneurs des pays pauvres n’est pas sans effets négatifs, comme le montre cette enquête réalisée au Burkina Faso.Roberta Rubino, Post-doctorante Anthropologue, UMR 201, Développement & Sociétés, IRD/IEDES,, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1303992020-01-30T17:36:56Z2020-01-30T17:36:56ZRepenser l’aide aux États faillis<p>Les <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2011-1-page-31.htm">États faillis</a> (Somalie, Afghanistan, Haïti, Guinée-Bissau, République démocratique du Congo, etc.) sont devenus une réalité bien ancrée dans le paysage international et leur liste ne cesse de s’étendre avec de nouveaux effondrements contemporains (Libye, Centrafrique, Yémen et, demain, certains pays du Sahel). Non seulement l’effondrement des premiers pays cités remonte au siècle dernier, mais il dure depuis plusieurs décennies. De ce fait, la faillite de ces États ressemble plus à une période qu’à un événement de leur histoire. Compte tenu des sommes importantes investies dans leur reconstruction avec des <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/le-controle-des-dons-pour-l-afghanistan-insuffisant-rapport-americain_2003665.html">contrôles insuffisants</a>, il convient de s’interroger sur le « succès de leur faillite ».</p>
<h2>Qu’est-ce qu’un État failli ?</h2>
<p>À cette question posée naïvement lors de mon arrivée au Congo au début de ce siècle, un collègue expérimenté m’avait répondu : « Marche dans la rue, et tu comprendras vite ce que c’est. » En effet, il suffit de marcher dans la rue (quand il y en a encore !) pour comprendre qu’un État failli est un État incapable de garantir la sécurité de ses citoyens, dont les institutions sont structurellement dysfonctionnelles, les infrastructures publiques sont en ruines, le budget national est ridicule et l’économie est presque complètement informalisée.</p>
<p>Pauvreté massive, insécurité et impunité totale sont les marqueurs de l’État failli. Depuis les années 1990, les acteurs internationaux ont formalisé une thérapie à base de perfusion budgétaire, d’aide humanitaire, de Casques bleus et d’élections. Mais ce kit de la reconstruction est <a href="https://www.lepoint.fr/phebe/phebe-de-l-impossibilite-de-reconstruire-les-etats-faillis-23-11-2019-2349140_3590.php">loin de remédier</a> à la faillite de l’État. Les raisons de cet échec sont multiples et l’une d’elles est l’ignorance de deux réalités fondamentales.</p>
<h2>L’État est dans le coma, il n’est pas mort</h2>
<p>Le fait que l’État n’assume plus ses responsabilités de base n’est pas synonyme de disparition. Un squelette d’administration survit à l’effondrement. Des fonctionnaires continuent d’aller au bureau, des jeunes continuent de vouloir devenir les agents d’un État déliquescent et des recrutements continuent – le plus souvent illégalement.</p>
<p>Ce paradoxe s’explique par la stratégie de survie des fonctionnaires. Peu ou pas payés, ils privatisent leur fonction et taxent lourdement et arbitrairement la population et les quelques acteurs du secteur formel (ONG internationales et entreprises). Ils utilisent encore leur position dans l’ancien système étatique sans être en mesure de procurer les services publics qu’il fournissait, comme l’eau potable et l’électricité. Dans l’environnement de l’État failli, les relations entre le gouvernement, les fonctionnaires et la population sont l’inverse de ce qu’elles étaient. Alors qu’elle était avant centralisée au niveau gouvernemental, la corruption est généralisée et institutionnalisée dans l’administration ; une importante parafiscalité illégale pèse sur une population appauvrie ; et les fonctionnaires s’autonomisent par rapport à un gouvernement qui les paie mal, irrégulièrement ou pas du tout et n’a plus guère d’autorité sur eux.</p>
<p>Plusieurs conséquences découlent de cette situation. La notion de service public est vidée de son sens : aucun service fourni par l’administration n’est gratuit, celle-ci se comportant comme un prestataire privé. Les fonctionnaires, qui faisaient autrefois partie de l’élite du pays, sont à la fois déconsidérés et enviés. De plus, les administrations les plus résilientes dans les États faillis sont les administrations financières, et plus particulièrement les douanes. Comme cette administration génère souvent l’essentiel de la fiscalité de l’État failli, elle reste fonctionnelle, opaque et résistante à toutes les tentatives de réforme.</p>
<h2>L’invention d’un secteur social de substitution</h2>
<p>L’État failli qui n’assume plus ses responsabilités régaliennes, sociales et économiques donne inévitablement naissance à des substituts. Bien qu’elles s’en défendent au nom de la souveraineté et l’appropriation nationales, les institutions internationales prennent en mains de facto certaines fonctions étatiques : l’ONU confie la sécurité publique aux Casques bleus avec leur habituel mandat de protection de la population, la santé est co-gérée par l’OMS et les bailleurs, etc. Mais ce sont surtout les acteurs de la société (les églises, le secteur privé, les associations, etc.) qui répondent en premier à la disparition des services publics de base (sécurité, eau, santé, éducation, électricité).</p>
<p>En <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/03056240902863587">République démocratique du Congo</a>, où la faillite de l’État dure depuis trois décennies, un important secteur social de substitution s’est construit de manière ad hoc. Autrefois assurée par l’État, l’éducation est maintenant essentiellement l’affaire d’acteurs non étatiques, au premier rang desquelles des organisations religieuses. La privatisation a été introduite par le bas – avec les maîtres-parents dans les écoles publiques – et par le haut – avec la délégation d’écoles publiques aux congrégations religieuses qui sont appelées des écoles publiques confessionnelles (c’est-à-dire dirigées par des églises et reconnues par l’État). L’enseignement universitaire a également fait l’objet d’une double privatisation : faute de dotations d’État, les universités publiques se sont tournées vers des financements privés et les universités privées, souvent d’inspiration religieuse, se multiplient pour absorber la forte croissance de la population étudiante.</p>
<p>Les acteurs de l’économie informelle inventent aussi leurs propres mécanismes de financement avec les célèbres tontines. Elles permettent à leurs membres de faire face financièrement aux coups durs (maladie) et de financer un petit commerce de survie. Elles sont en même temps la sécurité sociale et la banque des pauvres. Le succès des églises de réveil tient en grande partie à ce qu’elles ont intégré ce système de solidarité financière dans un cadre confessionnel.</p>
<p>Loin du cliché culturaliste sur le « dynamisme de la société civile », la multiplication des réseaux de solidarité communautaire, des structures confessionnelles et des associations en tous genres est la réponse pragmatique à la faillite de l’État. La population n’a d’autre choix que d’inventer de nouvelles formes de solidarité, d’échange et d’interdépendance pour tenter de se procurer les services publics de base dont elle est privée. Ce faisant, elle construit progressivement un secteur social de substitution qui n’est pas exempt de problèmes (manque de compétences et de financement, fragmentation, désorganisation, etc.) mais qui a l’avantage de répondre à des besoins locaux et immédiats. Avec le temps, les acteurs non étatiques de ce secteur acquièrent une légitimité et un prestige auprès de la population qui apprécie les services qu’ils rendent en lieu et place de l’État.</p>
<h2>L’échec du « state building » international</h2>
<p>Face à un État failli, les donateurs internationaux répondent par le <a href="https://muse.jhu.edu/article/54670/summary">« state building »</a>. L’essentiel de l’aide internationale est orienté vers l’administration (construction et équipement de bureaux, aide budgétaire pour payer les salaires des fonctionnaires, etc.) et seule une maigre portion est attribuée à la société civile. Ainsi, au lieu de s’interroger d’abord sur la façon dont la population se soigne, s’éduque, s’approvisionne en eau potable, etc., et d’identifier les acteurs non étatiques qui contribuent à ces services de base, les donateurs font des diagnostics des administrations qui ne fournissent plus ces services dans le but de les rendre de nouveau opérationnelles.</p>
<p>Cette approche est un échec 9 fois sur 10. D’une part, elle ignore que le corps social n’est pas resté passif face à l’effondrement de l’État et a inventé ses propres solutions à la crise. Pour imparfaites qu’elles soient, ces solutions fonctionnent. Elles génèrent aussi des effets de légitimité et des intérêts qui peuvent parfois aller à l’encontre de la politique de reconstruction des administrations, la population ayant plus confiance dans des églises ou des associations que dans l’État. D’autre part, l’État failli étant moribond mais pas mort, il résiste encore aux initiatives de transformation. Il survit parce qu’il est toujours le réceptacle des intérêts de l’élite politico-administrative même si celle-ci a failli et conduit le pays à la ruine. Si elle acquiesce aux réformes de gouvernance publique promues par les bailleurs, elle s’efforce de les saborder en silence car elles remettent en cause sa stratégie de survie.</p>
<p>Après la période des déclarations d’intention bienveillantes, l’agenda des réformes est bloqué à tous les niveaux – aussi bien par le haut (le gouvernement) que par le bas (les fonctionnaires). Ils font cause commune pour que les bailleurs se préoccupent plus de leurs salaires et de la reconstruction de leurs bureaux que de leurs performances et de la réforme de leurs pratiques. La transformation de l’État failli en État fournisseur de services se heurte à des logiques de prédation que les bailleurs tolèrent tout en sachant qu’elles réduisent leurs investissements et efforts à néant.</p>
<p>S’ils veulent vraiment reconstruire quelque chose dans les États faillis, les donateurs doivent réexaminer le paradigme stérile du « state building » (qui ne saurait se limiter à un simple mécano institutionnel) et confronter leurs idées préconçues à la réalité sociologique. Pour ce faire, voici quelques questions simples qui définissent un agenda de recherches utiles à leur stratégie de reconstruction :</p>
<ul>
<li><p>Quelle est la légitimité de l’administration et de ses incarnations multiples aux yeux de la population ? A-t-elle des ressources pour se réinventer, à quel horizon temporel et à quel coût ?</p></li>
<li><p>Quels sont les intérêts qui assurent sa survie et quelles sont ces structures de pouvoir ?</p></li>
<li><p>Quels sont les services de base qui existent encore ? Qui sont leurs pourvoyeurs ? Quels sont leurs intérêts ?</p></li>
<li><p>Quelles sont les structures de pouvoir du secteur social de substitution, comment fonctionne-t-il et quelles sont ses interactions avec l’État résiduel ?</p></li>
</ul>
<p>On ne peut que regretter qu’à part quelques exceptions notables (les travaux de <a href="https://www.cairn.info/publications-de-Th%C3%A9odore-Trefon--34167.htm">Theodore Trefon</a> sur la RDC et ceux d’Avocats sans Frontières sur la <a href="https://www.asf.be/wp-content/uploads/2018/03/ASF_RCA_Itin%C3%A9raires2016-2018_1_OmbreEtat_FR.pdf">justice informelle en Centrafrique</a>) le secteur social de substitution n’ait pas suscité autant de recherches que l’économie informelle. Il s’agit pourtant là d’un domaine qui joue un rôle clé dans la survie des populations des États faillis et permet de comprendre comment les sociétés s’adaptent à la déliquescence de l’État.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130399/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Vircoulon is affiliated with IFRI (French Institute for International Affairs) and Global Initiative against Transnational Organised Crime. </span></em></p>Dans de nombreux États considérés comme « faillis », les donateurs internationaux se sont livrés à des tentatives de « state building » aussi coûteuses qu’inutiles.Thierry Vircoulon, Coordinateur de l'Observatoire pour l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.