tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/pratiques-scientifiques-24759/articlespratiques scientifiques – The Conversation2021-04-25T16:33:01Ztag:theconversation.com,2011:article/1582052021-04-25T16:33:01Z2021-04-25T16:33:01ZLes scientifiques alertent mais les politiques ne font rien… Est-ce vraiment si simple ?<p>Avec la pandémie de Covid-19, la recherche scientifique a été propulsée sur le devant de la scène médiatique. Ce mouvement n’est toutefois pas nouveau ; il poursuit une voie engagée ces quarante dernières années, notamment autour des enjeux environnementaux.</p>
<p>Que ce soit sur les questions liées aux changements climatiques ou à la biodiversité – caractérisées par de forts degrés de complexité et d’incertitudes scientifiques et par de profondes divergences de valeurs et d’intérêts entre acteurs –, la science est fortement sollicitée pour aider à définir les problèmes, élaborer des solutions ou évaluer les politiques mises en œuvre.</p>
<h2>La dimension politique de la recherche</h2>
<p>Il ne se passe pas une semaine sans qu’une nouvelle étude vienne nous rappeler la gravité des enjeux environnementaux. Parallèlement, le constat est souvent sans appel lorsqu’il s’agit de traduire ces rapports alarmants en actions politiques fortes : rien ne se passe !</p>
<p>Si les politiques sont souvent blâmés, qu’en est-il des scientifiques eux-mêmes ? Et si le problème de l’inaction venait aussi de la science et de sa difficulté à penser de manière adéquate les dimensions politiques de ses objets et de ses pratiques de production de connaissances ?</p>
<p>Revenons ici sur quelques-uns des clichés tenaces qui empêchent de voir les relations souvent complexes qu’entretiennent science et politique.</p>
<h2>Idée reçue 1 : C’est la faute du politique</h2>
<blockquote>
<p>« La science est là pour produire des connaissances objectives et neutres, utilisables par les politiques pour décider de manière mieux informée. »</p>
</blockquote>
<p>Voilà le cliché le plus répandu. Son corollaire est bien connu : si aucune décision n’est prise, c’est la faute du politique qui manque d’ambition, ou de courage, pour bousculer les intérêts établis et s’extraire d’une logique court-termiste.</p>
<p>Selon cette vision, la science gagne sa crédibilité en restant le plus éloigné possible du politique. Il s’agit d’abord d’établir un <a href="https://direct.mit.edu/glep/article/15/1/1/14782/When-Does-Science-Matter-International-Relations">consensus entre scientifiques</a> avant de s’adresser aux décideurs.</p>
<p>Les diagnostics issus de ces consensus sont destinés à agir <a href="https://nonconference.wordpress.com/2020/05/20/sciences-de-la-biodiversite-et-decideurs-politiques-une-relation-encore-a-construire/">comme un « électrochoc »</a> sur le politique. On doit constater malheureusement que ses effets disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus.</p>
<p>Dans le domaine de la lutte contre le déclin de la biodiversité, près de dix rapports ont été produits par l’<a href="https://www.ipbes.net/">IPBES</a> depuis sa création en 2012 sans que cette question ne parvienne à entrer dans l’agenda politique de <a href="https://www.nature.com/articles/s41893-021-00694-7">manière concrète et suffisamment ambitieuse</a>.</p>
<h2>Idée reçue 2 : Haro à la politique des experts</h2>
<blockquote>
<p>« Le politique a le premier et le dernier mot : il interroge les scientifiques, prend les décisions et les assume en dernier ressort. »</p>
</blockquote>
<p>Si cette approche technocratique <a href="https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=CIS_126_0149">est souvent décriée</a>, la crise de la Covid, au moins dans sa première phase, a réactivé cette vision d’une science mise au service de la décision politique.</p>
<p>Par ailleurs, dans les négociations internationales sur l’environnement, ce cliché reste un <a href="https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/entre-science-politique-et-societe-la-crise-fait-bouger">puissant référentiel</a> pour assurer la primauté de ce qui est légitime ou non à intégrer dans un processus de décision. Si la science est sommée de produire des connaissances pertinentes politiquement, elle ne saurait devenir prescriptive sur les décisions à prendre. Ce mot d’ordre constitue un mantra toujours puissant <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/26395916.2019.1702590%40tbsm22.2020.16.issue-S1">au sein de l’IPBES</a> ou du <a href="https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/">GIEC</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1309344802656473089"}"></div></p>
<h2>Idée reçue 3 : Chacun utilise l’autre</h2>
<blockquote>
<p>« La politique instrumentalise la science pour légitimer des décisions déjà prises. Inversement, la science pousse certains sujets pour attirer l’attention sur eux et obtenir des financements. »</p>
</blockquote>
<p>Cette vision cynique de la relation entre science et politique <a href="https://aoc.media/analyse/2020/05/17/urgence-therapeutique-controverses-et-production-de-la-preuve-dans-lespace-public-a-propos-de-lhydroxychloroquine/">reste très partagée</a>. L’incident du <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/wcc.166">Climategate</a> en novembre 2009, où des chercheurs du Climatic Research Unit en Angleterre avaient été accusés de manipuler des données pour renforcer le constat de l’impact des activités humaines sur le changement climatique, a provoqué des remous jusqu’au sein du GIEC.</p>
<p>Si de telles instrumentalisations peuvent exister, il ne s’agit toutefois pas de les généraliser à l’ensemble des relations entre science et politique, en faisant fi des enjeux de fond traités ou des procédures mises en place pour éviter de telles dérives (déclarations d’intérêts, publication des données dans les articles, etc.).</p>
<h2>Au-delà des idées reçues : des relations bien plus intriquées, constructives et dynamiques</h2>
<p>Les deux premiers clichés partagent une même vision du politique et du scientifique comme appartenant à des mondes distincts. Cette logique de démarcation vise à se prémunir du 3<sup>e</sup> cliché, en <a href="https://www.crespo.be/wp-content/uploads/2012/01/Orsini-et-al.-RPR-2017.pdf">affirmant une distinction nette entre autorité politique et autorité scientifique</a>.</p>
<p>Néanmoins, considérant à quel point sont importantes les connaissances sur les questions climatiques et de biodiversité pour le fonctionnement démocratique et le devenir des générations futures, une telle démarcation est-elle souhaitable ? Est-elle réaliste au regard des pratiques des scientifiques et des politiques ? Ne gagnerions-nous pas à penser en matière d’interface et non de démarcation ?</p>
<p>Répondre à ces questions nécessite de reconnaître que les relations entre ces deux mondes sont intriquées et dynamiques, sans que cela ne conduise nécessairement à une « politisation » ou une « instrumentalisation » de la science.</p>
<h2>À l’interface</h2>
<p><a href="https://www.researchgate.net/profile/Selim-Louafi">Nos travaux</a> et <a href="https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/billet-de-blog/entre-science-politique-et-societe-la-crise-fait-bouger">engagements professionnels multiples à cette interface</a> nous ont permis d’identifier une série d’intrications entre les sphères scientifique et politique.</p>
<p>Tout d’abord, <a href="https://corpus.ulaval.ca/jspui/bitstream/20.500.11794/14334/1/Morin-Louafi-Orsini-Oubenal%20-%20Boundary%20Organizations.pdf">comme le cas de l’IPBES l’a montré</a>, il n’est pas rare que de mêmes individus portent les deux casquettes, scientifiques et politiques, à différents moments de leur carrière, voire même en fonction des circonstances.</p>
<p>Ces croisements se retrouvent également dans le contenu du savoir produit. Lorsque l’IPBES élabore une évaluation globale de la biodiversité, au-delà des questions du rythme de disparition d’espèces ou de la fragilité de certains écosystèmes, elle émet un diagnostic politique sur la manière dont nos sociétés se développent.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/rapport-de-lipbes-sur-la-biodiversite-lheure-nest-plus-aux-demi-mesures-116473">Rapport de l’IPBES sur la biodiversité : l’heure n’est plus aux demi-mesures</a>
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<p>Il en est de même des pratiques de production des savoirs : lorsqu’une équipe de biologistes décide de faire un état des lieux de la biodiversité sur un territoire donné, elle est amenée à <a href="https://nonconference.wordpress.com/2020/05/20/sciences-de-la-biodiversite-et-decideurs-politiques-une-relation-encore-a-construire/">négocier avec une multitude d’acteurs</a> non-académiques, les conditions d’accès à ce territoire, les conditions de prélèvement d’entités biologiques, de partage des résultats, etc.</p>
<p>Sur le plan des valeurs aussi, les rencontres sont fréquentes. Loin de la ligne rouge souvent évoquée quant à la question des valeurs <a href="https://www.academia.edu/19692542/Values_in_Science">qui seraient étrangères à la science</a>, les travaux des historiens, philosophes ou sociologues des sciences regorgent d’arguments montrant qu’il s’agit moins de reconnaître l’existence de telles valeurs (cognitives, éthiques, sociales) que de bien circonscrire leur rôle dans la production scientifique – en particulier lors des deux phases cruciales d’interprétation des données et de décisions sur la portée à donner aux résultats.</p>
<p>Enfin, sur la question des finalités, notons que les fonctions de la science et du politique ne sont pas si différentes : l’une comme l’autre, dans leurs versions les plus nobles, remplissent cette <a href="http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.1034.3934&rep=rep1&type=pdf">même fonction sociétale</a> visant à réduire la fragmentation du monde en créant un sens commun qui sert l’action collective.</p>
<h2>Un lien renouvelé</h2>
<p>Tant que ces idées reçues persisteront, la recherche pourra difficilement être en mesure d’interroger, d’expliciter et de mieux prendre en compte les déterminants politiques associés à ses objets, ses pratiques, ainsi qu’à ses normes et finalités.</p>
<p>Ce travail réflexif, de l’échelle individuelle jusqu’à celle des institutions scientifiques, <a href="https://journals.openedition.org/ethiquepublique/1220">ne peut se limiter à un simple travail d’alerte ou de cautionnement</a>, tel que pratiqué classiquement par les comités d’éthique par exemple.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/et-si-on-cherchait-autrement-plaidoyer-pour-une-science-de-la-durabilite-139586">Et si on cherchait autrement ? Plaidoyer pour une science de la durabilité</a>
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<p>Il passe par un refus de l’octroi de monopoles de certaines disciplines sur des objets (la biodiversité aux seuls écologues ou les OGM aux généticiens, par exemple) et par un changement de posture où la recherche, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0016328714000391">selon une démarche pragmatiste</a>, est conçue comme une enquête collective et collaborative avec une gamme élargie d’acteurs non académiques impactés ou concernés par les enjeux traités (transdisciplinarité).</p>
<p>Il s’agit de construire, en plaçant l’apprentissage collectif au centre de ce lien renouvelé avec les composantes de la société, de nouveaux savoirs d’action capables de faire un lien plus effectif entre le monde de la recherche et celui de la décision.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158205/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sélim Louafi a reçu des financements d’Agropolis Fondation, de la Commission européenne (Marie Curie Fellow) et de la FAO. Il a été membre du Comité économique, éthique et social du Haut Conseil des biotechnologies et du panel international d’évaluation externe de l’IPBES.</span></em></p>Le décryptage des idées reçues sur les relations entre scientifiques et politiques constitue un premier pas pour concrétiser la lutte contre les changements environnementaux.Sélim Louafi, Chercheur en sciences politiques, adjoint à la direction d’AGAP Institut, CiradLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1145742019-04-09T20:22:32Z2019-04-09T20:22:32ZInnover, c’est faire science, et vice-versa<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/268197/original/file-20190408-2921-fr45er.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C14%2C1903%2C1225&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Idées neuves et innovations.</span> <span class="attribution"><span class="source">JK/Flickr</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est republié dans le cadre de la prochaine Fête de la science (du 5 au 13 octobre 2019 en métropole et du 9 au 17 novembre en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « À demain, raconter la science, imaginer l’avenir ». Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
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<p>Il y a quelques jours, les rumeurs d’un bug ciblant le système de GPS embarqué dans les voitures a fait frémir le public. Il ne s’est finalement rien passé mais un tel <em>buzz</em> démontre clairement notre dépendance au GPS. Mais, quand on dit GPS, pensez-vous immédiatement à Einstein ? Lorsqu’il élabore la théorie de la relativité générale en 1915, Albert Einstein n’anticipait pas que, soixante ans plus tard, le GPS serait sans doute l’application la plus répandue de sa théorie. Dans les années 1920, les pères fondateurs de la physique quantique ne se doutaient pas que leurs réflexions abstraites engendreraient la plupart de nos produits de haute technologie – électronique, Laser, nanotechnologies, télécommunications. Cela nous laisse penser que la relation entre science et innovation n’est pas forcément immédiate.</p>
<h2>De la science à l’innovation</h2>
<p>Il est habituel de considérer la relation entre science et innovation comme un processus linéaire, dit d’innovation « par » les sciences : une succession chronologique de plusieurs grandes étapes. À l’origine, la recherche fondamentale fournit la base des connaissances scientifiques à partir desquelles la recherche appliquée peut trouver des applications, susceptibles d’irriguer l’économie par des innovations soumises à des études marketing et des études de marché. Cette vision linéaire conduit à distinguer trois « phases » : l’invention (le prototype) ; l’innovation (depuis <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Schumpeter">Schumpeter</a>, on ne parle d’innovation qu’à partir du moment où l’invention est effectivement commercialisée ou mise en œuvre) et la diffusion (le « succès » de l’innovation, relativement à la taille du marché visé, qu’il soit international ou circonscrit à une aire géographique ou un segment de clientèle).</p>
<p>Dans les années 1980, <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2005.dacosta_aa&part=95281">Kline et Rosenberg</a> vont rompre avec cette vision linéaire en proposant une représentation du processus d’innovation « en chaîne ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/268109/original/file-20190408-2905-1oang7y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/268109/original/file-20190408-2905-1oang7y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=273&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/268109/original/file-20190408-2905-1oang7y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=273&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/268109/original/file-20190408-2905-1oang7y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=273&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/268109/original/file-20190408-2905-1oang7y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=342&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/268109/original/file-20190408-2905-1oang7y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=342&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/268109/original/file-20190408-2905-1oang7y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=342&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Modèle de chaîne pour l’innovation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Des processus plus courts, mais surtout rétroactifs, sont mis en évidence. Il n’est par exemple pas besoin de reconcevoir ou de re-designer entièrement une automobile pour y intégrer un système de GPS. Du fait de ces interactions complexes, la mise en œuvre des connaissances scientifiques n’est plus seulement cantonnée à l’amont du processus. Elle peut se faire à n’importe quel moment de celui-ci, soit en puisant dans le stock de connaissances disponibles, soit par remontée directe vers la recherche lorsque l’état des connaissances ne permet la résolution du problème posé. Le problème de l’intégration d’un appareil photo à un téléphone en est un exemple.</p>
<p>Mais surtout, s’abstraire d’une vision linéaire résonne avec un des enseignements fondamentaux de Schumpeter : invention, innovation et diffusion ne sont pas des étapes mais des états d’un même processus. Des états qui entretiennent entre eux, du fait des effets de rétroactions, des relations autrement plus complexes que ce qu’en donne à voir la vision linéaire. Ce qui se vérifie dans la relation science-innovation se retrouve aussi dans les sciences, dès lors que l’on se permet de les penser elles-mêmes en tant que processus d’innovation.</p>
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<span class="caption">Xianjuan Hu/Unsplash.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Photo by Xianjuan HU on Unsplash</span></span>
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<h2>Les sciences, processus (et non simplement processeur) d’innovation</h2>
<p>Les trois états du processus rendent fidèlement compte de la marche de la science dans une vision somme toute linéaire. Le passage de l’invention (la première idée/expérimentation) à l’innovation se rapprocherait de la phase paradigmatique (dans la description de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Samuel_Kuhn">Kuhn</a>) : le problème étant résolu, une nouvelle manière de penser est établie et fait école parmi les pairs (l’innovation) et au-delà de la diffusion académique (la diffusion). On peut citer, par exemple, la révolution copernicienne. L’innovation pourrait alors qualifier l’état de « quasi-consensus » qui s’établit lorsque les expériences et les constats élémentaires, parce qu’ils convergent, forment un corps « confirmé » de preuves de l’existence du phénomène. Il est surtout possible de révéler à quel point les relations entre ces trois états sont bien plus riches que ce que la vision linéaire suggère. Illustrons cela de quatre exemples.</p>
<p><strong>. Les rétroactions</strong></p>
<p>Le principe de la re-conception permanente est ici mis en œuvre. L’exemple de Blaise Pascal auquel il fallut une cinquantaine de prototypes pour fabriquer sa machine d’arithmétique est emblématique : « La forme de l’instrument, en l’état où il est présent, n’est pas le premier effet de l’imagination que j’ai eu sur ce sujet : j’avais commencé […] par une machine très différente. (Elle) ne me donna pourtant pas la satisfaction entière ; ce qui fit qu’en la corrigeant peu à peu j’en fis insensiblement une seconde, en laquelle rencontrant encore des inconvénients que je ne pus souffrir, pour y apporter le remède, j’en composai une troisième » (<a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Fichier:Pascal_-_Lettre_d%C3%A9dicatoire_%C3%A0_Monseigneur_le_Chancelier,_1645.djvu">Pascal, 1645</a>).</p>
<p>Parce qu’elle bouscule les idées que l’on croyait établies, la science est une autocorrection permanente, gouvernée par l’invalidation et la réfutation d’hypothèses (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Karl_Popper">Popper</a>). À chacune de ses avancées majeures, elle se nourrit de ses controverses.</p>
<p><strong>L’importance des controverses</strong></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/268114/original/file-20190408-2931-168809i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/268114/original/file-20190408-2931-168809i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/268114/original/file-20190408-2931-168809i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/268114/original/file-20190408-2931-168809i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/268114/original/file-20190408-2931-168809i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/268114/original/file-20190408-2931-168809i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/268114/original/file-20190408-2931-168809i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Benjamin Franklin peint par Benjamin West.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Philadelphia Museum of Arts</span></span>
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<p>Au XVII<sup>e</sup> siècle, les scientifiques s’opposaient sur la nature de l’électricité. Les deux « camps », celui de Jean‑Antoine Nollet et celui de Benjamin Franklin, décidèrent de départager leurs hypothèses à l’occasion d’une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_du_cerf-volant_de_Franklin">expérience commune de captation de la foudre</a> à Marly-le-Roi, à proximité de Paris. L’expérience ne permit pas de trancher car elle ne permit pas de rejeter l’une ou l’autre des deux hypothèses. Ce cas illustre en quoi une seule expérience (dite « cruciale ») ne peut suffire à départager deux théories opposées. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Duhem">Pierre Duhem</a> démontrera l’impossibilité d’une telle expérience en 1906. Aucune des deux hypothèses ne peut être rejetée définitivement et on ne saurait d’ailleurs dire qu’il n’y aurait que deux hypothèses en lice, et pas une troisième dont on n’aurait pas idée au moment où les deux premières sont formulées.</p>
<p><strong>L’innovation au sein des sciences</strong></p>
<p>Qu’on l’appelle interdisciplinarité ou hybridation, cette forme d’innovation est celle de la recombinaison des savoirs entre eux, ou des corpus, permettant alors la création de nouveaux savoirs. De la biochimie à l’astrophysique, les exemples ne manquent pas de recombinaisons novatrices des sciences entre elles. Et sans la rencontre de la géologie avec la physique nucléaire, l’<a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2015/10/01/le-ciel-et-la-terre-unis-pour-liquider-les-dinosaures_4780456_1650684.html">hypothèse d’une extinction des dinosaures</a> par une météorite n’aurait pu être émise.</p>
<p>** La diffusion : la question de l’acceptabilité sociale**</p>
<p>Il n’existe pas de science « pure », totalement affranchie du social, dont les énoncés s’imposeraient comme autant de vérités aux profanes une fois établis, vérifiés et validés par la communauté des sages (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_Pestre">Dominique Pestre</a>, 2006). Bruno Latour, en 1984, dans son ouvrage <a href="http://www.bruno-latour.fr/fr/node/214">« Microbes : guerre et paix »</a> nous décrit comment Pasteur, travaillant sur du sang de mouton, va parvenir à isoler un « quelque chose qui produit toujours le même effet » (un trouble) lorsqu’il est cultivé dans des infusions de levures. Ce quelque chose, il le nomme « microbe ». À ce stade, il lui faut tout à la fois imposer sa compréhension à ses collègues et faire socialement accepter sa théorie afin de clore la démonstration que « microbe » est bien responsable de la maladie afin de faire progresser l’art vétérinaire, la santé publique, et de venir au secours de l’agriculture française (qui affronte alors le problème massif de la « maladie du charbon »). Pasteur engagera publiquement son autorité en proposant une grande démonstration (sorte de <em>show</em>) devant la presse et les notabilités. C’est ainsi que sa théorie microbienne sera acceptée « en toute généralité », d’abord par les hygiénistes et plus tardivement par le corps médical, d’abord sceptique.</p>
<p>L’acceptabilité sociale est loin d’être neutre dans la diffusion mais aussi la production des savoirs scientifiques. On pense ici évidemment aux initiatives de plus en plus nombreuses des forums hybrides de Latour, pouvant être illustrées, par exemple et à une échelle régionale, par <a href="http://www.acclimaterra.fr/">AcclimaTerra</a>.</p>
<h2>Et alors ?</h2>
<p>L’innovation ne se pense pas seulement <em>par</em> les sciences, mais aussi <em>dans</em> les sciences et <em>dans la manière de faire</em> de la science. Ces trois acceptions de l’innovation « en sciences » sont loin d’être antinomiques : c’est bien en innovant dans les sciences que l’on peut innover par les sciences ou dans la manière de les faire. Et c’est bien en innovant dans les procédés de production des connaissances que l’on peut aussi innover dans les sciences.</p>
<p>Pourquoi est-ce important ? Parce qu’aucune réponse aux défis contemporains (ceux de l’intelligence artificielle, de la génétique humaine ou du climat, par exemple) que doivent relever les sociétés humaines, les territoires, les entreprises ou les organisations publiques ne pourra ressortir d’une seule discipline académique que l’on presse à « valoriser » ou à « transférer ». Parce qu’aucune de ces réponses, aussi pertinente soit-elle, ne pourra s’imposer à la société. Dans un contexte de montée des mouvances antisciences, l’acceptabilité sociale doit se penser en amont du processus, dans une logique de co-production du savoir. ll convient certes d’innover par les sciences, mais aussi dans les sciences et dans la manière de les faire, en les décloisonnant (que ce soit au sein de la sphère académique ou dans leurs relations avec la sphère sociétale). Ce double-décloisonnement est le principal levier à actionner pour adresser ces défis.</p>
<p>Alors que se négocie actuellement la <a href="http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid138611/vers-une-loi-de-programmation-pluriannuelle-de-la-recherche.html">loi de programmation pluriannuelle pour la recherche</a>, rappelons simplement qu’il faut parfois laisser-faire une science incertaine qui ne sait pas ce qu’elle pourra bien produire ni à quelle échéance temporelle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114574/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’innovation ne se pense pas seulement par les sciences, mais aussi dans les sciences et dans la manière de faire de la science.Marie Coris, Enseignant-chercheur économie de l’innovation, laboratoire GREThA, Université de BordeauxPierre Dos Santos, Professeur des Universités en physiologie à l'Université de Bordeaux et Praticien Hospitalier en Cardiologie au CHU, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1041142018-10-11T19:02:08Z2018-10-11T19:02:08ZUn scientifique ne peut pas se tromper, il le doit !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/239769/original/file-20181008-72117-15nx3g3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Cahier d'expériences</span> <span class="attribution"><span class="source">José Alejandro Cuffia on Unsplash</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/123575/original/image-20160523-11010-17x91o4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/123575/original/image-20160523-11010-17x91o4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/123575/original/image-20160523-11010-17x91o4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/123575/original/image-20160523-11010-17x91o4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/123575/original/image-20160523-11010-17x91o4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/123575/original/image-20160523-11010-17x91o4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/123575/original/image-20160523-11010-17x91o4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Nous vous proposons cet article en partenariat avec l’émission de vulgarisation scientifique quotidienne <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/la-tete-au-carre">« La Tête au carré »</a>, présentée et produite par Mathieu Vidard sur France Inter. L’auteur de ce texte évoquera ses recherches dans l’émission du 12 octobre 2018 en compagnie d’Aline Richard Zivohlava, éditrice sciences et technologie pour The Conversation France.</em></p>
<hr>
<p>Il y a quelques semaines de cela, j’ai quitté le confort de mon bureau pour aller à la rencontre de collégiens. J’y allais pour parler de mon travail de chercheur avec des élèves de 6<sup>e</sup>. J’avoue avoir été plus stressé à la perspective de cette rencontre que lorsqu’il s’agit de présenter mes travaux à un parterre de scientifiques. Les élèves ont été à la hauteur de mon appréhension. Ils m’avaient concocté un assortiment de questions toutes aussi pertinentes que déstabilisantes. Déstabilisantes parce que dans la course du quotidien, entre rapports, expérimentations, travail avec les étudiants et autres joies administratives, je ne prends pas le temps de me les poser. À tort.</p>
<p>Je passe sur les questions qui m’ont pris au dépourvu (« Pouvez-vous décrire votre travail en seulement quatre mots ? » – Je ne pensais pas rencontrer un responsable RH !). Je vais n’en retenir qu’une qui m’a fait cogiter plus que les autres : « Est-ce que ça vous arrive souvent de rejeter vos hypothèses ? »</p>
<p>Dans l’esprit d’un élève de sixième (et de beaucoup, beaucoup de monde), la science est un processus linéaire : observation → hypothèse → expérimentation → interprétation → conclusion. Ce schéma idéal(iste) est bien loin de la réalité, mais ce qui est important ici, c’est bien de voir que pour cet élève, si l’expérimentation ne permet pas de vérifier l’hypothèse, alors c’est que l’on s’est trompé. D’où la phrase que tous les enseignants de biologie ou de physique ont entendu un jour : « Hé m’dame (m’sieur) ! Ça marche pas ! »</p>
<h2>« Ça marche pas »</h2>
<p>Il y a plusieurs raisons pour lesquelles une expérience peut échouer à vérifier l’hypothèse de départ. D’abord, si l’hypothèse est formulée en dehors de tout cadre théorique initial, il y a peu de chances que l’expérience marche. Si je fais l’hypothèse que le ciel est bleu parce qu’il existe un drap géant au-dessus de nos têtes, j’aurais beau expérimenter tous les projectiles et toutes les fusées au monde, je n’arriverai pas à déchirer ce drap. « Ça marche pas ». Cet exemple est certes quelque peu absurde, mais il me permet de rappeler qu’il n’y a pas d’observation sans cadre théorique sous-jacent. Je ne vois que ce que j’ai été préparé à voir. Comme chercheur, pour éviter que les expériences que je réalise ne « marchent pas », je ne peux donc pas me permettre de partir à l’aveugle. Je m’appuie au contraire sur les résultats qu’ont obtenus mes collègues avant moi et qu’ils ont rapportés dans des articles scientifiques.</p>
<p>Ensuite, l’expérience peut « ne pas marcher » parce que l’on ne s’est pas donné les moyens de la mettre en œuvre correctement. Soit que l’on a utilisé un matériel non adapté, soit que l’on a manqué de rigueur, soit que l’on n’a pas répété l’expérience un nombre suffisant de fois pour réduire le poids des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89v%C3%A9nement_(probabilit%C3%A9s)">événements aléatoires</a> dans les observations. On touche alors à la question des statistiques. Même la plus rigoureuse des expérimentations ne peut pas tout contrôler (c’est particulièrement vrai en biologie ou en écologie).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239772/original/file-20181008-72127-133sd95.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239772/original/file-20181008-72127-133sd95.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239772/original/file-20181008-72127-133sd95.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239772/original/file-20181008-72127-133sd95.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239772/original/file-20181008-72127-133sd95.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239772/original/file-20181008-72127-133sd95.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239772/original/file-20181008-72127-133sd95.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Néon.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Josh Couch/Unsplash</span></span>
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<p>Récemment, je me suis intéressé aux effets de la sécheresse sur la manière dont les arbres se défendent contre les insectes herbivores. Sur la base de la littérature scientifique, je m’attendais à ce que les arbres stressés soient plus sensibles aux insectes herbivores que les arbres disposant d’assez d’eau. Pour le vérifier, j’ai comparé les dégâts causés par les insectes herbivores sur les feuilles de bouleau selon que ces arbres étaient soumis à la sécheresse (le témoin) ou au contraire bien arrosés (la condition expérimentale).</p>
<p>Pour cela, j’ai estimé la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Indice_de_surface_foliaire">surface foliaire</a> consommée par les herbivores. J’ai travaillé sur plus de quarante arbres dans chacune des deux modalités. J’ai constaté que les insectes causaient effectivement plus de dégâts aux arbres stressés qu’aux arbres irrigués. Mais si je m’étais contenté de comparer un seul arbre dans chaque modalité, j’aurais pu tomber par hasard sur un arbre irrigué très sensible aux herbivores, ou sur un arbre non irrigué dont les racines plongeaient directement dans la nappe phréatique. Et là, j’aurais conclu que « ça ne marche pas ».</p>
<h2>Répéter les observations</h2>
<p>C’est pour s’affranchir des petites différences incontrôlables qu’il est important de répéter les observations avant de conclure qu’une expérience « n’a pas marché ». En transposant cette situation au collège, on pourrait suggérer de consigner et de comparer les résultats obtenus par tous les élèves ayant réalisé la même expérimentation (et les inciter à comparer leurs résultats propres à la moyenne des résultats obtenus par l’ensemble des élèves).</p>
<p>Il existe un troisième cas de figure pour lequel l’expérience ne « marche pas » parce qu’elle ne peut pas marcher. Il y a quelques années, dans un travail réalisé dans la forêt des Landes, mes collègues avaient montré que la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Processionnaire_du_pin">chenille processionnaire du pin</a> se concentre en lisière des plantations de pins. Ils avaient également aussi montré que lorsque ces lisières étaient bordées par des feuillus, les pins étaient moins attaqués par la chenille processionnaire. Par la suite, en nous appuyant sur la littérature scientifique, nous avions formulé l’hypothèse selon laquelle la différence dans le niveau d’infestation des pins par la processionnaire en présence ou non de feuillus était due à une plus grande <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9dateur">pression de prédation</a> sur les œufs de processionnaire derrière les essences feuillues : s’il y a plus de prédation, alors il y a moins de chenilles, et donc moins de dégâts.</p>
<p>Nous avons testé cette hypothèse en exposant des œufs de processionnaires dans 40 pins en lisière de 10 peuplements dont la moitié de la lisière était bordée par des essences feuillues. Nous avons dénombré le nombre d’œufs consommés par les prédateurs de la processionnaire et… nous n’avons constaté aucune différence dans le taux de prédation dans les lisières en présence ou non d’essences feuillues. Ça n’avait pas marché. Hypothèse rejetée. Et pourtant nous nous avions rempli les deux critères que j’évoquais plus haut, à savoir :</p>
<ul>
<li><p>Formuler une hypothèse cohérente par rapport à l’état des connaissances scientifiques</p></li>
<li><p>Réaliser un nombre suffisant de répétitions.</p></li>
</ul>
<h2>La science est faite d’échecs</h2>
<p>Ce qui pourrait apparaître comme un échec était pourtant une petite avancée scientifique : nous n’avions pas montré ce qui était, mais nous avions montré ce qui n’était pas. Si ce ne sont pas les prédateurs qui expliquent les différences d’infestation des pins par la processionnaire en présence ou non d’essences feuillues, alors c’était probablement autre chose (le microclimat ? l’accessibilité des arbres ?). Avec notre échec, nous avons restreint le champ des possibles. Ce n’est pas une révolution scientifique, loin s’en faut, mais la science se construit aussi, et peut-être surtout, par l’accumulation de petites avancées non révolutionnaires qui viennent renforcer les théories et préciser leurs contours.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239777/original/file-20181008-133328-10ly2ii.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239777/original/file-20181008-133328-10ly2ii.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239777/original/file-20181008-133328-10ly2ii.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239777/original/file-20181008-133328-10ly2ii.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239777/original/file-20181008-133328-10ly2ii.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239777/original/file-20181008-133328-10ly2ii.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239777/original/file-20181008-133328-10ly2ii.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nid de chenille processionnaire du pin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">JPS68</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>À la question « Vous est-il déjà arrivé de ne pas vérifier des hypothèses » je réponds donc sans complexe que oui ! J’ajouterais que c’est normal et même extrêmement sain pour la science en général. Aux élèves qui me liraient, je dis donc « Trompez-vous ! ». À leurs enseignants : « Aidez vos élèves à se tromper ». À ceux-là et à tous les autres : « Les scientifiques se trompent, et c’est aussi ce qu’on leur demande ».</p>
<h2>Et maintenant, le point de vue du prof</h2>
<p>À la différence du chercheur qui ne connaît pas la réponse au problème qu’il cherche à résoudre et donc qui ne sait pas si son hypothèse sera vérifiée ou pas, un enseignant doit faire construire à ses élèves un savoir déjà établi et connu par lui. Seuls les élèves sont dans la recherche d’une réponse inconnue d’eux mais détenue par d’autres. C’est une différence de taille ! Car même si la démarche se veut analogue, l’objet d’étude est fondamentalement différent. Aussi, les enseignants ont tendance à sélectionner « l’hypothèse » qui va permettre d’arriver à la construction du savoir établi – même si dans le meilleur des cas ils laissent aux élèves le soin de formuler plusieurs hypothèses. Rares sont ceux qui laissent les élèves « se fourvoyer » à tester une hypothèse qu’ils savent non valide. Et pourtant l’erreur est un sacré moteur de l’apprentissage. Pour un élève, échafauder une hypothèse qu’il va pouvoir mettre à l’épreuve d’une expérience et la réfuter, est un apprentissage sûrement plus formateur pour l’esprit scientifique que de suivre un chemin tracé par d’autre.</p>
<hr>
<p><em>Mauricette Mesguich, professeure de SVT et coordinatrice régionale en Nouvelle-Aquitaine du projet des <a href="http://www.maisons-pour-la-science.org/aquitaine/colleges-pilotes">collèges pilotes La main à la pâte</a>, a rédigé le point de vue du prof dans cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104114/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bastien Castagneyrol a reçu des financements publics (GIP-ECOFOR, LABEX COTE) dans le cadre de ses travaux de recherche. </span></em></p>L’erreur en sciences est non seulement riche d’enseignements, mais fructueuse en soi. Voici pourquoi les chercheurs devraient apprécier de se tromper.Bastien Castagneyrol, Chercheur en écologie, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/869572017-12-21T21:42:48Z2017-12-21T21:42:48ZEnquête : Les conférences prédatrices, parodies lucratives de rencontres scientifiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/199737/original/file-20171218-27538-m6kdag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une conférence vide de contenu.</span> <span class="attribution"><span class="source">Photo by ål nik on Unsplash</span></span></figcaption></figure><p>Avec l’humour distancié qui fait son charme, l’écrivain anglais David Lodge a donné à un public large une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Un_tout_petit_monde">idée</a> de ce qu’est une conférence dans le monde universitaire : reconnaissance par les collègues, petites vanités, dynamique sociale d’un microcosme… Une sorte de « tourisme » professionnel très encadré.</p>
<p>Si, en littérature, la recherche universitaire est avant tout un parcours individuel, en sciences, les avancées sont le résultat d’un effort collectif, même si des géants laissent parfois leur empreinte particulière. Ainsi, les scientifiques pratiquent l’art de la rencontre. Elles se déclinent en plusieurs tailles, et en plusieurs noms : conférences, congrès, symposiums, ateliers ou workshops, journée(s), séminaires… Leurs thèmes peuvent être plus ou moins (hyper-)spécialisés. Leur aire géographique varie du local ou régional à l’intercontinental, en passant par les rencontres nationales, quand ce ne sont pas des échanges bilatéraux ou multilatéraux.</p>
<p>En somme, il s’agit d’une activité courante de communication sur les résultats et travaux en cours, complémentaire de la publication dans des revues. Lors des réunions, le sérieux et la concentration sont de mise, ce qui étonne parfois les hôteliers qui accueillent les conférenciers.</p>
<p>Dans certaines disciplines, en informatique ou en économie notamment, une présentation réussie en conférence, qui suscite une discussion riche, est mieux considérée par la communauté qu’une publication dans une revue.</p>
<h2>Organiser une rencontre, mode d’emploi</h2>
<p>De façon générale, organiser une rencontre apporte du prestige. Il varie selon le nombre et la réputation des participants, selon la nature ponctuelle ou périodique de la réunion (elle peut se dérouler dans un lieu fixe ou bien changeant, ou être pilotée chaque fois par une équipe différente). En général, la responsabilité de l’organisation est partagée par un certain nombre d’universitaires. Souvent sous le patronage d’une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%A9_savante">société savante</a>, les organisateurs peuvent aussi s’être constitués en groupe informel sous l’impulsion d’un leader reconnu du domaine.</p>
<p>Les organisateurs décident du programme scientifique de la conférence, et « invitent » alors quelques participants renommés dont la présence est particulièrement espérée. Ces invités donneront par exemple une intervention « plénière » s’il y a des sessions plus spécialisées organisées en parallèle ; autre possibilité, on les sollicitera pour une intervention qui va donner le ton de la rencontre, en anglais une <em>keynote</em>. Pour le commun des chercheurs, c’est le comité scientifique qui choisira, parmi les contributions soumises, celles qu’il accepte, pour une présentation orale ou bien pour une présentation limitée à une affiche, dans une session où ces « posters » se discutent individuellement.</p>
<h2>Choisir un lieu attrayant</h2>
<p>Une rencontre scientifique, c’est aussi de l’événementiel. Le choix du lieu est de la responsabilité des organisateurs : ce peut être l’université elle-même (lors des vacances, les salles sont libres), ou un endroit attrayant : lieu de villégiature (en saison ou pas), ville possédant un palais des Congrès, voire un site isolé dédié à la discipline et conçu pour favoriser les rencontres informelles entre les congressistes : les écoles d’été de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_physique_des_Houches">Ecole de Physique des Houches</a>, par exemple.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/199735/original/file-20171218-27538-1awibic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/199735/original/file-20171218-27538-1awibic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/199735/original/file-20171218-27538-1awibic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/199735/original/file-20171218-27538-1awibic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/199735/original/file-20171218-27538-1awibic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/199735/original/file-20171218-27538-1awibic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/199735/original/file-20171218-27538-1awibic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La charmante île de Lindau en Allemagne où se réunissent les Nobels.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Böhringer/Wikipedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>À toute conférence, ses tâches matérielles : pauses café, repas, transports éventuels depuis les hôtels – dont le prix peut avoir été négocié –, éventuelle escapade touristique, « banquet » formel de la conférence, organisation de la publication des « Actes » de la rencontre. Ces tâches, parfois assumées par des prestataires, sont un peu décalées par rapport au quotidien de laboratoire, comme dans une famille la préparation d’un mariage, qui peut être « dans l’intimité », « mondain », ou même « princier ».</p>
<h2>Combien ça coûte ?</h2>
<p>Derrière tout évènement scientifique, il y a donc un budget, parfois conséquent, d’autant qu’il peut être parfois nécessaire de défrayer certains des « invités ». Pour trouver de l’argent, le comité d’organisation frappe à bien des portes – institutions de recherche, structures administratives locales, « sponsoring » par des sociétés industrielles ou commerciales du secteur, éventuelle exposition commerciale de produits – pour que les droits d’inscription, pris sur les budgets des laboratoires, soient non dissuasifs, et réduits pour les étudiants (« chercheurs en formation »), ou pour les participants issus de pays où la recherche est en difficulté.</p>
<p>Pour les très grands forums qui réunissent des milliers de participants, sous l’égide d’une société savante, il est souvent demandé à la plupart des « invités », et même parfois aux membres des comités et sous-comités spécialisés, de payer leur participation. Ceci pour éviter des dispenses, qui risqueraient de devenir des passe-droits pas vraiment légitimes.</p>
<p>Dans ce monde académique dévoué, où la malhonnêteté est plus fréquemment intellectuelle que financière, les droits d’inscription résultent d’un calcul plutôt transparent, même si certaines sociétés savantes ou techniques paraissent un peu « gourmandes » : malgré un fonctionnement un peu luxueux, le soupçon d’enrichissement personnel est absent.</p>
<p>Des évènements spécialisés de haute volée sont également organisés. Ils mêlent représentants d’industries de pointe, décideurs, et scientifiques réputés pour leur vision prospective. On y trouve des espaces dédiés à l’exposition de matériels. Les règles pour ces salons, ou foires professionnelles, qui peuvent demander la location d’un centre d’exposition tout entier, sortent un peu du cadre académique même si un comité scientifique pilote l’évènement. Parfois, la nature commerciale est clairement affichée comme pour <em>Consumer Electronics Show</em> (CES) à Las Vegas, grand-messe mondiale de l’innovation technologique.</p>
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<span class="caption">Le CES, plus foire commerciale que rencontre scientifique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">http://www.europlasma.be/Events/CES-Las-Vegas-2015</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>« Vous êtes invité »… par un comité fantôme</h2>
<p>Parfois, ce système établi de conférences scientifique dérive vers de <a href="http://david.monniaux.free.fr/dotclear/index.php/post/2017/09/22/Les-conf%C3%A9rences-ou-revues-scientifique-bidons">bien étranges rivages</a>… Depuis quelques années, il est devenu très fréquent pour les chercheurs de recevoir dans leur boîte mail des « invitations » à présenter ses travaux, en Chine notamment, ou même à organiser une session thématique de son choix pour d’« importantes » conférences au domaine scientifique très large. Ces invitations sont envoyées par un secrétariat au nom d’un comité où vous ne connaissez personne, même de réputation. Il est raisonnable de ne pas répondre en pensant qu’une conférence trop large ne permettra pas de trouver son public. Mais certains peuvent rêver d’être enfin reconnu à leur juste valeur, puisque un comité lointain estime qu’un travail, que l’on jugeait très spécialisé, va intéresser un public important.</p>
<p>Peu de précisions seront obtenues du secrétariat. Evidemment… Car l’essentiel, malgré votre statut « d’invité », est qu’il vous faut payer les frais d’inscription (1000 dollars, jusqu’à 2500 dollars, avec 100 $ de réduction pour les orateurs !). Je me souviens d’avoir été impressionné qu’une conférence, au titre orienté biochimie, parvienne à afficher à son programme plusieurs prix Nobel, tant en physique qu’en chimie, avec photos, et présentations de ces prétendus intervenants. Comment les organisateurs ont-ils fait ? Tout simplement en copiant collant les informations présentes sur le <a href="https://www.nobelprize.org/">site officiel des prix Nobel</a>. Le programme annoncé n’était qu’un fourre-tout « en construction », même après la date limite de participation (peu de doute à avoir : tout contributeur payant est le bienvenu jusqu’au jour J).</p>
<h2>Conférences prédatrices</h2>
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<span class="caption">Une dénonciation des conférences prédatrices, parue dans un premier temps sur le Huffington Post.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nature Microbiology</span></span>
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<p>Au delà de ces « spams » ciblés, il existe une véritable <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Predatory_conference">industrie</a> des « conférences prédatrices », avec ses sociétés identifiées et ses artisans, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/World_Academy_of_Science,_Engineering_and_Technology">parodiant pour gagner de l’argent</a>, les pratiques des rencontres scientifiques.</p>
<p>Tout d’abord, il s’agit de proposer un lieu attirant. On fait miroiter aux participants une possibilité de « rencontrer des spécialistes internationaux », on évoque de possibles développements commerciaux. Le titre, conforme à la dernière mode technologique, est généraliste. Il est gonflé d’importance : « International Conference », voire « World summit » ! Il est souvent une simple démarque d’une conférence reconnue dans le domaine. Avec une liste de sous-thématiques très larges et ouvertes à des applications toujours séduisantes (nano, énergie, environnement, robotique, intelligence artificielle…), cela ne peut produire qu’une rencontre hétéroclite de spécialités diverses.</p>
<p>Dans beaucoup de cas, un comité est mentionné, qui peut inclure de vrais scientifiques, pas toujours consentants. Parfois, certains scientifiques se laissent aller, par naïveté ou absence de scrupules, à s’auto-proclamer « invités », ou « keynote speaker ». À ce comité principal, au rôle sans doute insignifiant, peut s’ajouter un « comité technique », au rôle encore moins clair, si ce n’est de donner une apparence de sérieux. Il produit une liste de noms, que l’on imagine d’universitaires, avec des rattachements improbables… Par exemple Corée du Nord, ou centre de recherche nucléaire d’une université islamique en Iran.</p>
<p>Le programme définitif n’est pas annoncé à l’avance, le lieu exact pas toujours précisé, et une fois l’évènement conclu, la seule trace de la prétendue « conférence internationale » se limite souvent à des photos en ligne, attestant que la réunion s’est tenue. Pour une durée annoncée de 3 jours, le premier jour peut se limiter à « enregistrement et remise des documents », et le troisième n’indiquer qu’une « visite » optionnelle. Le paiement des frais d’inscription ne garantit pas toujours la tenue de l’évènement promis. Des conférences diverses peuvent se retrouver en un même lieu, confinées dans une salle d’hôtel partagée à la hâte.</p>
<h2>Quand tout est invention</h2>
<p>La palme pourrait venir de « conférences », où se rassemblent des vrais scientifiques – en principe habitués à moins de naïveté –, qui sont organisées par des personnages, réels ou virtuels, on ne sait, se bardant de titres académiques inventés ou frauduleux : un joli délire est de s’inventer « membre du Comité Nobel pour la chimie ». Il faut, de même, une belle imagination romanesque pour afficher, à l’adresse d’une maison familiale, le lieu d’une prétendue université, la <a href="http://calsu.us/index.php/about-us/"><em>California South University</em></a>, annoncée évidemment comme de renom. Ce joli site web poursuit un <a href="http://projects.courant.com/degree-of-deception/">intérêt très terre-à-terre</a> : monnayer des diplômes sans valeur acquis par « correspondance ».</p>
<p>Un comble : la publicité pour des universités douteuses et des conférences prédatrices peut passer par des canaux réputés sérieux. C’est dans la prestigieuse revue <em>Nature</em>, en contrepoint d’articles scientifiques véritables qui ont passé un filtre très sévère de qualité et d’originalité, que l’on trouve une rubrique <em>Nature events directory</em> (annuaire d’évènements scientifiques), dédiée à l’annonce (éventuellement gratuite) de conférences, y compris de celles avec des comités aux membres fantaisistes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/199731/original/file-20171218-27557-b6ulqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/199731/original/file-20171218-27557-b6ulqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=95&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/199731/original/file-20171218-27557-b6ulqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=95&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/199731/original/file-20171218-27557-b6ulqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=95&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/199731/original/file-20171218-27557-b6ulqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=119&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/199731/original/file-20171218-27557-b6ulqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=119&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/199731/original/file-20171218-27557-b6ulqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=119&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’agenda de la revue Nature.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fourni par l’auteur</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Mais qui sont donc les gogos de clients ?</h2>
<p>Les clients de ces conférences sont-ils de vraies victimes ? Le préjudice est clair pour les institutions qui ont financé sans méfiance l’inscription, mais les participants sont-ils floués, ou en ont-ils eu pour un argent qui n’était pas le leur ?</p>
<p>De vrais chercheurs, habitués aux authentiques conférences scientifiques, s’inscrivent parfois, faisant preuve de naïveté. Peut-être aussi d’une touche de vanité : la forte pression à enrichir son CV fait perdre au scientifique son sens critique. Il aura aimé croire qu’un comité d’inconnus le connaissait suffisamment, lui et ses travaux, pour l’avoir convié. Pourquoi refuser une « invitation » – certes payante – à être un orateur valorisé pour une occasion qui vous envoie au bout du monde ? La dépense reste faible par rapport au lourd budget des équipements scientifiques, et les institutions de recherche encouragent la « diffusion » des travaux.</p>
<p>Si on se fie aux « interventions » publiées à l’issue de ces conférences, la majorité des participants sont issus de la périphérie du monde académique, loin de toute vraie compétition internationale. Ces participants n’auront que rarement l’envie de dire à leur retour qu’ils n’ont rien appris des quelques conférences bien trop techniques et sans rapport avec leur compétence limitée, et restreinte à un micro-domaine fortement spécialisé. Outre un séjour touristique, du prestige social, ces participants peuvent cependant afficher sur leur C.V., une « publication internationale » et un certain prestige vis-à-vis de leurs collègues. S’ils font partie de la cohorte des enseignants qui doivent former des techniciens du bâtiment, leur contribution pas franchement originale en « matériaux de construction » apparaîtra dans un ouvrage dédié aux « matériaux intelligents ».</p>
<h2>Des « Actes » de conférence douteux</h2>
<p>Les rencontres scientifiques sont des lieux de discours, certes formalisés (par diapositives ou par posters), mais où l’on évoque des travaux en cours ou des résultats hypothétiques. On peut souhaiter garder trace des interventions, notamment s’il y a des conférenciers de prestige. Une évolution courante est de laisser en ligne – en accès libre, ou restreint aux seuls participants – une copie des diapositives présentées. Proposer à tout participant, venu avec un simple poster ou pour une intervention courte, d’écrire plusieurs pages sur sa présentation, détourne le concept d’Actes de la conférence, puisque ce texte excédera bien sûr ce qui a été présenté – voire débattu ou critiqué – publiquement. Au minimum, une publication devrait <a href="https://theconversation.com/lexpertise-en-sciences-ou-comment-se-decide-ce-qui-est-publiable-noblesse-et-de-rives-77925">respecter les procédures scientifiques de « relecture par les pairs »</a>. C’est loin d’être le cas lorsque les organisateurs se glorifient d’une liste de « relecteurs » comptant plusieurs centaines de noms, non identifiables professionnellement.</p>
<h2>Editeur prédateur</h2>
<p>En fait, avec des tarifs d’inscription réduits pour les orateurs qui ne demandent pas à être publiés, l’organisateur se transforme en un éditeur de journal prédateur, qui vend la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Predatory_open_access_publishing">mise en ligne</a> d’articles scientifiques sans la sélectivité inhérente aux articles scientifiques. Si un journal prédateur n’ose pas dire que tout sera publié, la conférence prédatrice a le grand avantage d’associer voyage et publication : la prétendue sélection par le « comité » garantit la présentation, ET la publication ultérieure.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/199734/original/file-20171218-27557-1wfsfiz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/199734/original/file-20171218-27557-1wfsfiz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/199734/original/file-20171218-27557-1wfsfiz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/199734/original/file-20171218-27557-1wfsfiz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/199734/original/file-20171218-27557-1wfsfiz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/199734/original/file-20171218-27557-1wfsfiz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/199734/original/file-20171218-27557-1wfsfiz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un article du New York Times sur les universitaires bidons.</span>
<span class="attribution"><span class="source">NYT</span></span>
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<p>Si l’organisateur indique que les Actes seront publiés dans une revue bien indexée par les moteurs de recherche, il gagne en attractivité, d’autant que le monde des universitaires sait bien que toutes les publications ne sont pas égales. Malheureusement, <a href="https://www.researchgate.net/publication/313860094_Cost-benefit_assessment_of_congresses_meetings_or_symposia_and_selection_criteria_to_determine_if_they_are_predatory">avec la multiplication des rencontres, légitimes ou prédatrices</a>, des éditeurs reconnus, y compris des sociétés savantes, se mettent à publier des Actes de conférence prédatrice. En théorie, les éditeurs exigent une relecture par les pairs. Ce n’est qu’une clause formelle, surtout si le niveau des « pairs » est incertain, ou loufoque. Le filtrage espéré d’une édition de société savante peut s’avérer inexistant.</p>
<p>Ainsi, dans les Actes d’une « Conférence Internationale pour la Science et l’Ingénierie en mathématiques, physique et chimie », tenue et publiée annuellement, on peut trouver un article qui prétend renouveler la théorie de la relativité, le suivant (du même auteur) ouvre à une nouvelle vision du <em>big bang cosmologique</em>, et ceci voisine avec l’étude d’un logiciel de reconnaissance des mouvements, spécifique à l’identification des danses traditionnelles kazakhes, alors que l’article final du même volume traite de l’impact économique des nouvelles technologies à un niveau national ! Non sans naïveté, le volume inclut une « photo de conférence », où l’assistance se limite à une vingtaine de personnes, ce qui n’a pas empêché d’organiser des conférences plénières et des sessions parallèles…</p>
<h2>Quand cela se passe en France</h2>
<p>Certaines de ces conférences se tiennent en France. C’est une expérience personnelle qui m’a introduit à ce monde étrange et parodique. Des collègues étrangers, avec qui je coopère, étaient initialement invités en France pour une réunion de travail avec d’autres partenaires. Mais la réunion authentique s’est transformée en un « évènement satellite » d’une rencontre internationale. Que s’est-il passé ? Ces collègues ont écrit un résumé d’intervention – dont je suis devenu co-signataire –, accepté rapidement par « l’organisation » de la conférence.</p>
<p>J’ai alors cherché à me renseigner sur cette rencontre proche de mes thèmes de recherche dont je n’avais pas entendu parler. J’étais intrigué par les droits d’inscription en dollars et par la présence dans le « comité » de collègues universitaires éloignés de ma spécialité. La durée s’annonçait courte (une seule journée de science pour 3 jours annoncés), l’orthographe des établissements organisateurs étrange, et peu de traces de l’édition précédente… Mais le soutien d’un laboratoire de renom qui a affiché l’évènement sur son site web et la mention d’un éditeur reconnu pour les Actes paraissaient rassurant.</p>
<p>J’étais plutôt satisfait que ma (modeste) contribution de co-auteur soit valorisée par une présentation en conférence, mais ma curiosité professionnelle a pris le pas : cette conférence était bizarre. Les quelques photos de la première édition témoignaient que l’« évènement » avait doublonné une première fois avec une conférence jumelle. C’était à nouveau le cas, et le laboratoire « organisateur » l’ignorait… J’ai alors lancé une alerte circonstanciée auprès de la direction de ce laboratoire, et j’ai eu la surprise de recevoir une réponse qui se félicitait de l’initiative de « jeunes chercheurs » du labo pour appuyer cet évènement dont on n’ignore pas qu’il est organisé depuis la Chine.</p>
<p>L’annonce a cependant été assez vite retirée du site du laboratoire. Les jeunes scientifiques, mis en alerte, ont su se désengager de l’évènement (maintenu dans une salle de réunion d’hôtel et non dans un institut universitaire). Vraisemblablement, un chercheur géographiquement éloigné était en relation non élucidée avec l’organisation chinoise, et avait su convaincre ses jeunes collègues français que leur participation serait bénéfique à leur CV.</p>
<p>D’autres conférences prédatrices se tiennent en France. Il est facile de les repérer en analysant les sites qui recensent les conférences annoncées, ou plus directement sur les sites de sociétés prédatrices. Des collègues y sont souvent annoncés comme orateurs. On espère que les organisateurs les trompent sur le vrai but, lucratif et non pas scientifique, de l’évènement. Ces conférences exhibent fréquemment le logo, comme sponsor ou co-organisateur, d’institutions de renom (université ou laboratoire), faisant supposer avoir reçu un soutien financier, ou matériel et moral. Le cas n’est pas non plus isolé où le site web institutionnel d’un laboratoire a un lien vers la conférence prédatrice. Pire peut-être, l’inscription peut proposer en supplément (moyennant une centaine de dollars), une « visite académique » (souvent prévue un samedi !) d’université ou laboratoire public.</p>
<p>J’ai alerté sur ces questions plusieurs directions d’institution, en pointant ces éléments troublants. Mais je n’ai reçu que très peu de réponses. S’agit-il d’une manifestation d’un esprit de corps, pour « éviter les vagues » et protéger éventuellement des collègues quelque peu indélicats qui pourraient participer en connaissance de cause à ces évènements indignes ? Tant que l’on n’a pas fouillé un peu le sujet, et pris conscience du foisonnement de ces organisations prédatrices, il n’est peut-être pas étonnant qu’une direction reste incrédule. Ces dérives restent sûrement marginales, mais, dans le même ordre d’esprit, on peut se souvenir du manque de vigilance d’universités lors des affaires de trafic de diplômes au profit d’étudiants chinois qui n’avaient jamais parlé le Français.</p>
<h2>Et dans les vraies conférences ?</h2>
<p>Certaines pratiques douteuses s’immiscent aussi dans de vraies conférences scientifiques. Le prestige des recherches un peu transversales et des technologies émergentes bousculent les frontières des communautés scientifiques établies. Ceci explique que puisse apparaître de véritables conférences scientifiques, mais sans assise collective ni comité solide, et dont le caractère non-lucratif est loin d’être assuré.</p>
<p>Ainsi, un chercheur aux travaux honorables et avec entregent peut solliciter des collègues de renom, pour qu’ils deviennent responsables d’une session thématique hébergée dans le cadre d’une grande conférence internationale sur un sujet « chaud ». Si de plus le lieu est attrayant, la réponse des collègues sera souvent positive : il est valorisant de recevoir une invitation pour une thématique que l’on maîtrise bien, et si la session se montre scientifiquement riche, on valorisera son propre sous-domaine, et sa propre réputation.</p>
<p>Mais il y a un souci. Les orateurs doivent financer sur leurs crédits de recherche, un voyage lointain et s’acquitter de frais d’inscription dont ils ne sont bien sûr pas dispensés. On découvre alors avec surprise que presque tous les participants sont des « orateurs invités » par des responsables de sessions, eux-mêmes astreints à payer leurs frais d’inscription.</p>
<p>L’attractivité de cette rencontre, avec la soumission spontanée de contributions à un comité, s’avère en réalité très faible. Les responsables de session se sentent floués lorsqu’ils comprennent qu’ils ont servi à récolter des frais d’inscription de plusieurs centaines d’euros par personne. Une obscure société « gère » les prestations fournies, minimalistes (pauses café, badges, valisette en plastique, clé USB pour les résumés des interventions, « vouchers » pour la cafétéria universitaire en guise de « repas inclus »…) alors que l’évènement, tenu dans des locaux universitaires, a des frais de locations de salle modestes ou nuls.</p>
<p>Les organisateurs de ce genre de conférences savent renouveler leur « stock » de responsables de session… Celle que j’ai décrite est bien rodée, et circule annuellement autour du monde. Tant pis si le service rendu à la communauté scientifique n’est pas excellent : ce critère n’est pas encore essentiel pour les rencontres de science.</p>
<p>Pour finir, un exemple amusant de ce mélange des genres où la science n’est pas bien traitée, la conférence-croisière… L’inscription vise, sans aucun doute, les chercheurs ayant trop de crédits (ce qui arrive, même en France, pour qui sait réussir la course aux contrats et autres financements spécifiques). Coquetterie ou prudence, sur la facture adressée au laboratoire, le mot “croisière” n’apparaîtra que sur demande expresse du participant !</p>
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<span class="caption">Une conférence-croisière, mais vous pouvez vous cacher du comptable de votre université.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fourni par l’auteur</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/123575/original/image-20160523-11010-17x91o4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/123575/original/image-20160523-11010-17x91o4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/123575/original/image-20160523-11010-17x91o4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/123575/original/image-20160523-11010-17x91o4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/123575/original/image-20160523-11010-17x91o4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/123575/original/image-20160523-11010-17x91o4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/123575/original/image-20160523-11010-17x91o4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié en partenariat avec l’émission de vulgarisation scientifique quotidienne <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/la-tete-au-carre">« La Tête au carré »</a>, présentée et produite par Mathieu Vidard sur France Inter. L’auteur de ce texte a évoqué ses recherches dans l’émission du 22 décembre 2017 en compagnie d’Aline Richard, éditrice science et technologie pour The Conversation France.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86957/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Bloch reçoit des financements par son laboratoire mixte (CNRS et Université Paris13). et des financements par des programmes publics d'échanges de scientifiques, et a reçu dans le passé des financements publics ANR et Union européenne</span></em></p>Les conférences prédatrices, vous connaissez ? Un scientifique a endossé les habits du détective et nous fait découvrir les dessous de ces évènements forts lucratifs.Daniel Bloch, Directeur de recherche au CNRS, physicien, spécialiste d’optique, lasers et nanotechnologies, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/812862017-08-17T17:40:29Z2017-08-17T17:40:29ZMéta-analyses : de l’art de bien mélanger torchons et serviettes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/180256/original/file-20170729-5515-1l0i28h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Magazines</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/users/jackmac34-483877/">jackmac34/Pixabay</a></span></figcaption></figure><p>Et si l'on osait une comparaison entre science et magie ? Il était un temps béni où, pour peu que l’on ait quelque sous et si l’on se posait une question, on allait voir l’oracle ou le sorcier. Il avait la réponse. Aujourd’hui, on demanderait d’abord au sorcier ou à l’oracle quels sont les conflits d’intérêts qu’ils peuvent avoir avec les uns ou les autres. On leur demanderait aussi d’inclure dans leur réponse les liens internet vers d'autres pratiques magiques qui appuieraient leurs conclusions. Est-ce que cela rendra la réponse plus fiable ? Peut-être… Ou peut-être pas. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/180257/original/file-20170729-23754-192k6jc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/180257/original/file-20170729-23754-192k6jc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=564&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/180257/original/file-20170729-23754-192k6jc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=564&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/180257/original/file-20170729-23754-192k6jc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=564&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/180257/original/file-20170729-23754-192k6jc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=708&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/180257/original/file-20170729-23754-192k6jc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=708&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/180257/original/file-20170729-23754-192k6jc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=708&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Bibliographie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Revenons à la pratique scientifique. Aussi bien menée soit elle, une étude n’est qu’un grain dans l’immense tas de sable de nos connaissances. Et des études, il y en a de plus en plus de publiées chaque jour. Alors pour une même question, il serait très surprenant que toutes les études publiées sur un sujet obtiennent le même résultat et fournissent au chercheur la même réponse. Le problème qui se pose est celui de la synthèse des connaissances scientifiques : comment s’y prendre de manière objective, fiable, et reproductible ? Pour cela, il y a un outil qui se développe très rapidement : les méta-analyses. Mais tiennent elles leurs promesses ? Voici quelques pistes pour vous aider à les lire et les évaluer. </p>
<h2>Analyse d’analyses</h2>
<p>Une méta-analyse est un travail statistique qui ne s’appuie ni sur des observations de terrain, ni sur des tests de laboratoires ou des tests cliniques. Comme l'indique le préfixe “méta”, elle s’appuie sur les données publiées dans la littérature scientifique après qu’elles ont été revues par les pairs, une étape sensée garantir la qualité du matériau de base. Une méta-analyse est donc une analyse d’analyses. </p>
<p>Un exemple : admettons que je m’interroge sur les effets de la diversité des arbres sur les dégâts causés par les insectes herbivores. En parcourant la littérature scientifique, je me rendrais compte que plusieurs travaux ont montré que les insectes causent plus de dégâts dans les monocultures que dans les forêts mélangées. Mais je trouverais aussi plusieurs articles montrant l’exact opposé. Ce serait très stimulant : l’absence de consensus pousse à aller plus loin pour comprendre pourquoi les résultats des différentes études diffèrent. Mais ce serait en revanche fâcheux s’il s’agissait d’utiliser ces résultats pour les traduire en recommandations pour le gestionnaire. Il y a quelques années, avec mes collègues, nous avons réalisé une méta-analyse sur ce sujet. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/180258/original/file-20170729-5515-3ev2n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/180258/original/file-20170729-5515-3ev2n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/180258/original/file-20170729-5515-3ev2n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/180258/original/file-20170729-5515-3ev2n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/180258/original/file-20170729-5515-3ev2n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/180258/original/file-20170729-5515-3ev2n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/180258/original/file-20170729-5515-3ev2n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Travail scientifique en forêt, base de futures méta-analyses.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://earthobservatory.nasa.gov/Features/ForestCarbon/page2.php">Nasa</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>A la recherche d'une donnée quantitative</h2>
<p>Comment avons nous procédé ? Nous avons d’abord élaboré une stratégie de recherche dans les bases de données bibliographiques pour récupérer un maximum d’articles ayant comparé des dégâts d’insectes dans des forêts mélangées (le traitement) et dans des monocultures (le contrôle). De manière à ce que notre travail puisse être reproduit par d'autres études de recherche, nous avons pris soins de noter scrupuleusement la manière dont nous avons travaillé pour réaliser cette recherche et les critères que nous avons utilisés pour inclure, ou pas, chaque article retrouvé dans l’analyse finale.</p>
<p>A partir de là, pour chaque étude, nous avons calculé le rapport des dégâts entre groupe témoin et groupe contrôle. C’est cette valeur, la taille de l’effet (en anglais <em>effect size</em>), qui est une donnée quantitative facilement moyennable entre études. C'est donc elle qui sera utilisée dans la méta-analyse à des fins de comparaison. Elle permet de répondre à deux questions essentielles : </p>
<ul>
<li><p>Quelle est, en moyenne, la différence entre le groupe contrôle et le groupe traitement ? </p></li>
<li><p>Quelle est la variabilité des observations autour de cette moyenne ? Si elle est grande, alors il y a des chances que la moyenne générale soit peu informative en tant que telle. Tout le travail du chercheur consistera alors à modéliser - et comprendre - les différentes sources de variabilité.</p></li>
</ul>
<h2>Mélange de pommes et d'oranges…</h2>
<p>Dans le monde anglo-saxon, on préfère mélanger les pommes et les oranges plutôt que les torchons et les serviettes… Et c’est vrai : une méta-analyse peut mélanger les pommes et les oranges, c'est-à-dire « comparer des études qui ont été faites dans des buts différents avec des méthodes différentes ». C’est tout l’intérêt, mais aussi la principale critique faite aux méta-analyses. </p>
<p>Il peut y avoir un intérêt à comparer les pommes et les oranges si, par exemple, elles peuvent être comparées biologiquement parlant. Dans le cas de notre méta-analyse, nous voulions une réponse globale à la question de l’effet du mélange d’espèces d’arbres sur les dégâts d’insectes, quelle que soit l’espèce d’arbre ou d’insecte considérée. Ce serait la même chose en recherche biomédicale où l’on voudrait connaître l’effet de la molécule X dans le traitement de la maladie Y, en moyenne, quels que soit l’âge, le sexe, la nationalité ou l’origine sociale des patients.</p>
<h2>… pour faire une excellente salade de fruits</h2>
<p>C’est le <em>quel(s) que soi(en)t</em> qui peut poser problème. L’effet du mélange d’espèces d’arbres est-il réellement le même quel que soit l’insecte considéré ? L’effet de la molécule X est-il le même, quel que soit le sexe du patient ? C'est tout l'objet que la question de la variabilité autour de la moyenne que j’évoquais plus haut. Dans le champ des méta-analyses, on parle d’hétérogénéité. </p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/180259/original/file-20170729-22047-jgiiq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/180259/original/file-20170729-22047-jgiiq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/180259/original/file-20170729-22047-jgiiq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/180259/original/file-20170729-22047-jgiiq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/180259/original/file-20170729-22047-jgiiq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/180259/original/file-20170729-22047-jgiiq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/180259/original/file-20170729-22047-jgiiq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pommes et oranges… Torchons et serviettes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/les-pommes-oranges-p%C3%AAches-pile-1639/">PublicDomainPictures/Pixabay</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Tout l’enjeu de la méta-analyse est de rendre compte le mieux possible de l’hétérogénéité entre les études. Par exemple, la grande hétérogénéité entre les résultats sur les pommes et les oranges peut s’expliquer non pas par la nature du fruit (pommes ou oranges) mais par une autre variable qui n’était pas prise en compte dans les études originales mais qu’il est possible d’explorer en comparant les études entre elles (par exemple, le climat, le niveau de fertilisation…). C’est d’ailleurs là que la méta-analyse prend tout son sens : elle permet de tester des hypothèses qui ne pouvaient pas être testées pour chaque étude prise individuellement. </p>
<p>Dans notre cas, alors que les études que nous avions rassemblées avaient rapporté des exemples ponctuels de dégâts par une espèce d’insecte, le fait de rassembler toutes les études nous a permis de montrer que la diversité des arbres réduit de manière efficace les dégâts causés par les insectes spécialistes, mais n’a pas d’effet sur les insectes généralistes. </p>
<h2>Des pommes, des oranges, mais pas de bananes ?</h2>
<p>Les conclusions d’une méta-analyse ne tiennent que si l’on peut garantir qu’il n’y a pas de « trous » dans les données collectées. Une méta-analyse ne s’appuie que sur les données publiées dans la littérature. Le problème est que tous les résultats obtenus dans les laboratoires ne sont pas toujours publiés. Les scientifiques peuvent renoncer à publier des « résultats négatifs » (par manque de temps, parce qu'ils ne vont pas dans le sens attendu, parce qu'aucune revue n'a voulu de leur article, …). Une méta-analyse peut alors souffrir d’un biais de publication si trop d'études négatives manquent. Heureusement, il existe des outils statistiques qui permettent d’estimer dans quelle mesure le biais de publication est susceptible de fausser les résultats de la méta-analyse ou d’en amoindrir la portée.</p>
<h1>Guide de lecture</h1>
<p>Au final, une méta-anayse, c’est comme n’importe quelle autre étude. Il y a certains critères pour en évaluer la qualité. Les lister serait trop technique, et d’autres l’ont fait très bien. Lisez-en une dans le détail et assurez vous qu’au minimum :</p>
<ul>
<li><p>Vous retrouveriez les mêmes articles que les auteurs si vous utilisiez leurs critères de recherche et d’inclusion ;</p></li>
<li><p>Vous calculeriez les mêmes tailles d’effets (<em>effect-sizes</em>) ;</p></li>
<li><p>Vous compareriez les mêmes pommes avec les mêmes oranges ;</p></li>
<li><p>L’hétérogénéité entre les études est rapportée par les auteurs et correctement prise en compte ;</p></li>
<li><p>Vous faites la même lecture des résultats et les interprétez de la même manière que les auteurs.</p></li>
</ul>
<p>Même si vous n’êtes pas complètement convaincus que tous ces critères sont présents, la méta-analyse que vous êtes en train de lire n’est pas à jeter pour autant. L'un des intérêts de ce type d’étude réside dans le fait qu’elle permet de faire un bilan de ce qu’il manque dans la littérature. Où les études ont elles été faites ? Sur quels systèmes d’étude ? Avec quelles méthodes… Bref, est-ce que l’on connaît aussi bien les pommes que les oranges, ou les torchons que les serviettes ? En ce sens, elles peuvent stimuler la recherche future en faisant un bilan sur ce que l’on sait, et en indiquant là où il faudrait creuser un peu plus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/81286/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bastien Castagneyrol a reçu des financements de l'uniion européenne et du ministère de l'écologie de l'environnement et du développement durable. </span></em></p>Le terme « méta-analyse » désigne une synthèse des études scientifiques réalisées sur un sujet, une analyse d’analyses. Comment procède-t-on ? Qu’apportent-elles ? Quelles sont leurs limites ?Bastien Castagneyrol, Chercheur en écologie, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/779042017-06-22T19:41:58Z2017-06-22T19:41:58ZBâtir un « laboratoire », communauté d’intérêts et de compétences<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/174700/original/file-20170620-8734-ipu5oz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Chimistes.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/rdecom/8050389566">U.S. Army RDECOM/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Dans la revue <a href="http://www.nature.com/nature/journal/v545/n7653/full/545158a.html"><em>Nature</em></a>, un groupe de jeunes chercheurs se plaint des encadrants et des directeurs de thèse. Un classique lancinant ! Mais un cas flagrant de généralisation abusive. Et puis, c’est si facile de faire porter à d’autres la responsabilité de ses propres insuffisances ! Ces « post-docs » admettent que les doctorants aient à faire la démarche d’aller questionner régulièrement les directeurs de thèse, mais ils proposent que, les doctorants étant jeunes, ils aient besoin d’un encadrement serré au moins pendant les deux premières années de la thèse.</p>
<p>Pourquoi pas, mais les doctorants ne sont-ils pas des adultes, qui revendiquent pas ailleurs le droit de vote ? Sortis de mastère, n’ont-ils pas l’âge de prendre leurs responsabilités ? J’observe que les post-docs qui ont écrit dans <em>Nature</em> parlent de « PhD students » : c’est-à-dire qu’ils donnent le statut d’étudiants aux doctorants… Ce qui n’est pas juste, car les doctorants ne sont plus des étudiants depuis la fin du mastère ! Selon eux, les doctorants auraient bien plus de difficultés que par le passé, et, en particulier, que leurs directeurs de thèse n’en ont eues. Qu’en savent-ils ?</p>
<p>Bref je suis très opposé à leur texte un peu piteux et très naïf, qui réclame que les directeurs de thèse soient de meilleurs mentors. Les doctorants ne sont-ils pas « grands » ? Qu’ont-ils fait pendant toutes leurs études universitaires ? N’ont-ils pas eu le temps d’apprendre l’autonomie, en supposant que cet apprentissage soit réservé aux études supérieures ? Surtout les généralités de ce type sont offensantes : à ce compte, tous les directeurs de thèse seraient des salauds ? Et pourquoi pas tous les doctorants, puisqu’ils deviendront directeurs de thèse ou analogues. Allons, un peu d’intelligence, s’il vous plaît. Un peu de grandeur…</p>
<p>Bien sûr, on pourrait imaginer que j’ai cette réaction parce que je me sentirais attaqué, ayant effectivement le sentiment que je ne consacre pas assez de temps aux doctorants (qui sont de jeunes scientifiques, je le répète, pas des étudiants) qui me font l’honneur de croire que je peux être un « directeur de thèse »… mais ce serait une erreur de penser ainsi, car certains collègues me reprochent au contraire (peu m’importe leurs critiques, je fais ce que je crois devoir faire) d’être trop présent dans notre groupe.</p>
<h2>Structures intellectuelles</h2>
<p>Notre « groupe », notre « équipe », notre « laboratoire »… Ces réunions cohérentes d’individus sont structurées, parce que ce ne sont pas d’abord des entités administratives, mais des structures intellectuelles qui se construisent jour après jour, selon les individus qui s’y trouvent. Ce ne sont pas des juxtapositions de personnes qui viennent travailler les unes à côté des autres, mais des communautés d’intérêts et de compétences. Ce ne sont pas des accumulations de chercheurs, jeunes ou vieux, qui viennent se mettre sous un même toit pour des raisons administratives : je revendique que l’administration soit au service du travail effectué, et non l’inverse.</p>
<p>Et, pour avoir visité beaucoup de laboratoires, dans le monde entier, je crois que nous aurions raison de poser la question : quelle doit être l’organisation d’un laboratoire ?</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/174701/original/file-20170620-24868-6ev201.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/174701/original/file-20170620-24868-6ev201.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/174701/original/file-20170620-24868-6ev201.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/174701/original/file-20170620-24868-6ev201.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/174701/original/file-20170620-24868-6ev201.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/174701/original/file-20170620-24868-6ev201.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/174701/original/file-20170620-24868-6ev201.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Peu de place.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Margaret A. Parsons, USCDCP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un exemple : j’ai vu des pièces où travaillaient des doctorants et des étudiants, dans le bruit des outils d’analyse, et je sais que ce ne sont pas de bonnes conditions ; j’ai vu des doctorants et des étudiants travailler dans la même pièce que celle où s’alignaient les paillasses de chimie, et je maintiens que ce n’est ni sain, ni propice à la réflexion ; j’ai vu des pièces où les bureaux étaient face aux murs, et d’autres où les bureaux faisaient face au centre du local, et j’ai parfaitement vu que, dans le second cas, le brouhaha l’emportait sur la concentration… Mais nous savons interpréter : certains répugnent à ce que l’on voit leur écran, d’autres privilégient l’échange à la réflexion personnelle, d’autres encore ne se sentent pas capables de s’isoler du groupe, et d’autres enfin se concentrent sur leurs travaux.</p>
<p>J’ai vu… Mille pratiques différentes, soit consciemment déterminées, soit simplement mises en œuvre par habitude, par contingence… Or je sais que le rôle d’un rapporteur est de s’assurer précisément, avec bienveillance, que rien n’est laissé au hasard. Des bureaux vers le centre ? Pourquoi pas, mais pourquoi ? Tant que la réponse – en vue de l’objectif de la recherche scientifique, qui est la découverte – n’est pas donnée, il y a lieu de changer, ou, au moins, de commencer à s’interroger. Bref, je propose que les laboratoires soient construits, et qu’ils ne se limitent pas à être tels qu’ils sont, par tradition, par habitude, par hasard.</p>
<p>Dans notre groupe de recherche, nous nous évertuons – sans prétendre y parvenir- à faire que tout élément de structuration du travail individuel ou collectif soit réfléchi… et il y a évidemment un « règlement intérieur », non pas imposé d’en haut, mais discuté, voté régulièrement, puisque l’on ne respecte jamais que les règles que l’on se donne à soi-même. D’ailleurs, pour ne pas avoir de règles, de contraintes, nous les avons renommées postulats : un socle solide, qui nous aide. Ainsi :</p>
<ul>
<li><p>chacun a l’obligation de dire bonjour et au revoir aux autres, chaque jour : on travaille mieux avec des amis.</p></li>
<li><p>chaque jour, nous avons une réunion nommée « bonheur du matin », où chacun doit venir avec une question scientifique dont la réponse est partagée avec tous ; pour ce qui me concerne, je pose des questions qui peuvent faire (et ont souvent fait) l’objet de questions du jury de thèse, afin d’entraîner les uns et les autres à répondre (pour ce qui est du contenu)… et à répondre (pour ce qui est de la forme).</p></li>
<li><p>chaque jour, nous nous entraînons à dire en une phrase sans bafouiller, bien dite, ce que nous avons fait la veille, ce qui a coincé, ce que nous ferons dans la journée, afin d’apprendre à penser sans trop d’hésitations. C’est notamment l’occasion de prendre du recul, et de trouver un peu d’intelligence collective.</p></li>
<li><p>chaque fois qu’un membre du groupe identifie une nouvelle publication, elle est évaluée par celui ou celle qui l’a trouvée, et transmise à tous, avec l’évaluation. Nous discutons des raisons pour lesquelles la publication est mauvaise ou bonne.</p></li>
<li><p>chacun, y compris l’animateur du groupe, émet chaque soir un mail qui récapitule l’activité du jour en la structurant, en l’analysant, en la critiquant. Non, cela ne prend pas un temps considérable, et, de toute façon, le temps de réflexion sur les travaux que nous faisons s’impose, non ?</p></li>
<li><p>chaque semaine, nous faisons une synthèse hebdomadaire, analogue à nos mails du soir, ce qui est une façon supplémentaire d’apprécier l’avancée de nos travaux.</p></li>
<li><p>l’activité de chacun est suivie par un document nommé « arbres et rameaux », c’est-à-dire un document structuré et suivi (qualité + traçabilité) qui tient compte des questions en suspens.</p></li>
<li><p>chacun a un rétroplanning et un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Diagramme_de_Gantt">diagramme de Gantt</a></p></li>
<li><p>périodiquement un membre de l’équipe présente aux autres (entraînement oral) l’état d’avancement de ses travaux. Comme nous sommes entre amis, nous pouvons parfaitement faire état d’hésitations, au lieu de faire des discours convenus, comme on en entend trop souvent dans les séminaires.</p></li>
<li><p>pour chaque « tâche », nous avons un document « comment faire » : cela concerne aussi bien des occupations élémentaires (peser, nettoyer une verrerie…) que des tâches plus conceptuelles (concevoir une expérience, analyser un spectre, faire une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9convolution">déconvolution</a>…). Il y a des documents pour les tâches administratives (passer une commande, accueillir un nouveau stagiaire…), pour la communication (faire un article scientifique, présenter un poster, répondre à un examinateur…), ou pour le travail scientifique proprement dit. Évidemment nous devons nous référer à ces « Comment faire », les produire quand ils n’existent pas, ou les améliorer quand ils existent.</p></li>
<li><p>pour nos travaux, nous utilisons tous des <em>DSR</em> (documents structurants de recherche), qui sont des espèces de moules où nous glissons notre activité… afin de ne pas oublier des éléments importants de traçabilité et de qualité ; fondés sur les erreurs que nous avons faites, ces DSR sont maintenant parfaitement structurés, et je les tiens à la disposition de tous (ils sont en rédigés en <em>Maple</em>, mais il en existe des <a href="http://www.agroparistech.fr/Les-DSR-documents-structurants-de-recherche.html">versions html</a> sur le site d’AgroParisTech.</p></li>
</ul>
<p>Et je m’arrête là parce que la liste est bien longue, mais j’espère avoir montré que notre activité, même si elle reste largement perfectible, veut être structurée, responsable, de qualité… et bien loin de ce qu’ont pu connaître les jeunes scientifiques qui, au mépris de tous les merveilleux laboratoires qui promeuvent de la recherche scientifique de qualité, rédigeaient leur dénonciation (ah, que je déteste ce mot, et l’idée qui va avec !) publié dans la revue <em>Nature</em>. Dans les six conseils que Michael Faraday s’appliquait, il y avait celui-ci : ne pas généraliser hâtivement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77904/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hervé This, vo Kientza travaille pour l'Inra et pour AgroParisTech. Le fonctionnement de son groupe de recherche est financé par l'Inra, et il a eu des collaborations avec de nombreuses sociétés industrielles, qui ont payé des étudiants et financé le fonctionnement (consommables, etc.) du laboratoire. Il n'a pas de "conflits d'intérêts", puisque les intérêts n'ont pas de conflits, et il est prêt à donner la très longue liste des sociétés qui lui ont demandés des études. Il certifie que les idées qu'il soutient sont sans doute bien plus influencées par ses valeurs que par l'argent qu'il pourrait toucher. Notamment, il milite pour plus de rationalité.</span></em></p>Un laboratoire, c’est un lieu, bien sûr, mais aussi une structure intellectuelle où chacun travaille pour un objectif commun. Il est possible de l’organiser de façon réfléchie.Hervé This, vo Kientza, Physico-chimiste Inra, directeur du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/779052017-06-21T18:53:16Z2017-06-21T18:53:16ZLes bonnes pratiques de la recherche scientifique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/174527/original/file-20170619-22075-355tpi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/laboratoire-recherche-scientifique-385348/">felixioncool/Pixabay</a></span></figcaption></figure><p>Stratégie et tactique : la pratique de la recherche scientifique relève au minimum de deux types de questionnements. Tout d’abord, une réflexion stratégique en vue d’une plus grande efficacité des travaux ; puis une réflexion tactique, c’est-à-dire qui se préoccupe de l’accomplissement des tâches individuelles.</p>
<h2>Des méthodes pour découvrir</h2>
<p>Pour ce qui concerne la stratégie scientifique, la question est redoutable, puisqu’il s’agit d’identifier des méthodes qui conduiront à l’objectif de la recherche scientifique, c’est-à-dire à des découvertes. Existe-t-il des méthodes qui garantiraient de faire des découvertes ? Que la réponse soit positive ou négative, il faut signaler la grande insuffisance des institutions de recherche à conseiller les chercheurs pour les aider à répondre à cette question qui est véritablement première. J’appelle de mes vœux, depuis des années, une réflexion collective sur la ou les méthodes les plus appropriées pour faire des découvertes.</p>
<p>En réalité, j’ai foi que de telles méthodes existent… Puisque certains scientifiques n’ont pas été les artisans d’une seule découverte, qui aurait résulté du hasard, ou de la sérendipité, mais de beaucoup ! <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Michael_Faraday">Michael Faraday</a> découvrit le benzène, l’induction électromagnétique, l’effet Faraday, etc. ; Albert Einstein fut l’homme de la photoélectricité, de la viscosité des suspensions, de la relativité restreinte, puis de la relativité générale, de la cosmologie ; <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Gilles_de_Gennes">Pierre Gilles de Gennes</a> obtint des résultats dans des champs aussi variés que les cristaux liquides, les polymères, la supraconduction, la matière molle… Le seul fait que certains d’entre nous aient fait de nombreuses découvertes, et parfois dans des champs différents, montre que ces individus n’ont pas fait les choses par hasard, et qu’ils avaient donc des méthodes qu’il conviendrait de partager.</p>
<p>Est-il préférable, par exemple, de mettre au point des outils analytiques, qui, tels des espèces de nouveaux microscopes, permettront d’observer des objets du monde encore jamais vus ? Est-il préférable d’abstraire et de généraliser ? Vaut-il mieux se focaliser sur la réfutation des théories ?</p>
<p>À ce stade, il semble bien trop tôt pour décider, puisque nous n’avons pas encore recensé les idées que nous voudrions évaluer. Il y a donc, d’abord, lieu de recueillir ces méthodes auprès de ceux d’entre nous qui ont du succès quand ils les mettent en œuvre.</p>
<p>Bien sûr, on n’aura pas la naïveté de croire que la transmission à tous de ces méthodes suffise, car il faut de l’application et de l’intelligence pour que ces méthodes produisent les fruits attendus, mais au moins nous aurons produit un corpus d’idées utiles à nos successeurs… Et à nous-mêmes, ce qui me semble une base absolument nécessaire.</p>
<h2>Étapes de la recherche</h2>
<p>Par ailleurs, en ce qui concerne les étapes de la recherche scientifique, j’ai proposé de considérer que ces étapes soient les suivantes : identification d’un phénomène que l’on décide d’étudier ; caractérisation quantitative de ce phénomène ; réunion des données en lois synthétiques ; recherche des mécanismes quantitativement compatibles avec ces lois ; par une induction bien décrite par le mathématicien Henri Poincaré, recherche de conséquences testables des théories ainsi produites ; tests expérimentaux de ces conséquences ; et ainsi de suite en repartant à la caractérisation quantitative.</p>
<p>Pour chaque étape, il y a sans doute des façons de faire meilleures que d’autres, et pour chaque façon de faire, il y a des sous-étapes, telles que planifier une expérience, préparer des échantillons, mettre en œuvre des méthodes analytiques, interpréter des données… Pour lesquelles il y a peut-être aussi des manières meilleures que d’autres.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/174535/original/file-20170619-22138-2zy2q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/174535/original/file-20170619-22138-2zy2q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/174535/original/file-20170619-22138-2zy2q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/174535/original/file-20170619-22138-2zy2q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/174535/original/file-20170619-22138-2zy2q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=491&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/174535/original/file-20170619-22138-2zy2q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=491&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/174535/original/file-20170619-22138-2zy2q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=491&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Travail d’échantillonnage sur le terrain.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ethleen Lloyd, USCDCP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Puis, pour chacune de ces sous-étapes, il y a encore des sous-sous-étapes, telles que peser, transvaser un liquide, fixer une différence de potentiel, aligner des lentilles sur un banc optique, recristalliser un composé… Nos laboratoires sont pleins de collègues remarquables qui savent faire mieux que les autres, de sorte que je propose que, comme pour les sociétés savantes médicales, nous nous donnions rapidement comme mission de recueillir les meilleures de ces méthodes, que nous les formalisions afin de mieux les transmettre à nos jeunes collègues… Et à nous-mêmes.</p>
<h2>Bonnes pratiques</h2>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/174536/original/file-20170619-28475-1utx51j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/174536/original/file-20170619-28475-1utx51j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/174536/original/file-20170619-28475-1utx51j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/174536/original/file-20170619-28475-1utx51j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/174536/original/file-20170619-28475-1utx51j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/174536/original/file-20170619-28475-1utx51j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/174536/original/file-20170619-28475-1utx51j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Expérimentation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">skeeze/Pixabay</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ajoutons immédiatement que ce répertoire de bonnes pratiques dont je rêve ne doit pas être considéré comme une sorte de table de la loi à partir de laquelle tout écart vaudrait sanction. Une telle idée serait mesquine, marque d’un petit esprit, et je propose au contraire de la grandeur : il s’agit bien au contraire d’aider nos jeunes amis d’aller plus vite que nous-mêmes, de leur éviter de longues recherches, très artisanales et pas toujours couronnées de succès, de leur mettre à disposition des documents qui les aideront à nous dépasser en se lançant dans des travaux que nous n’avons pas pu faire, faute d’avoir d’avoir nous-mêmes disposé des informations nécessaires sur notre pratique, sur ce qui nous a imposé d’y passer un temps pris à la recherche proprement dite.</p>
<p>Pour la stratégie comme pour la tactique, je soutiens qu’il y a une possibilité collective de recueillir et de comparer les pratiques. Bien sûr, un minimum d’intelligence, et je le répète, de grandeur, sont nécessaires pour ces comparaisons, et l’on sait combien il y a lieu d’être prudent, tant une méthode utile dans un cas ne l’est pas dans un autre. La recherche scientifique est une activité subtile qui nous invite à la plus grande circonspection.</p>
<p>Mais il faut être prudent et non point timide, et, en tout cas, cela ne nuira à personne de mettre à la disposition de tous des idées que chacun aura le loisir, la liberté, de mettre en œuvre, ou non, selon les circonstances de la recherche. Oui, je crois que la recherche scientifique, longtemps considérée comme une sorte de compagnonnage un peu artisanal, un peu conjoncturel, très contingent, mérite que nous ayons une réflexion collective, afin d’aider nos jeunes collègues et de nous-mêmes.</p>
<p>D’ailleurs, pour terminer sur une exégèse de cette dernière phrase, je propose de ne pas oublier la réponse que fit <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A8re_Jean_des_Entommeures">Frère Jean des Entommeures</a> à Gargantua : « Comment pourrais je gouverner autruy moi qui ne me dirige pas moi-même ? »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77905/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hervé This, vo Kientza travaille pour l'Inra et pour AgroParisTech. Le fonctionnement de son groupe de recherche est financé par l'Inra, et il a eu des collaborations avec de nombreuses sociétés industrielles, qui ont payé des étudiants et financé le fonctionnement (consommables, etc.) du laboratoire. Il n'a pas de "conflits d'intérêts", puisque les intérêts n'ont pas de conflits, et il est prêt à donner la très longue liste des sociétés qui lui ont demandés des études. Il certifie que les idées qu'il soutient sont sans doute bien plus influencées par ses valeurs que par l'argent qu'il pourrait toucher. Notamment, il milite pour plus de rationalité.</span></em></p>Les bonnes pratiques scientifiques doivent pouvoir se transmettre. Encore faut-il identifier les méthodes. C’est un travail que se doit d’être collectif.Hervé This, vo Kientza, Physico-chimiste Inra, directeur du Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/764772017-04-21T10:47:21Z2017-04-21T10:47:21ZCe 22 avril, défendre la liberté de la recherche pour défendre nos droits<p>À 48 heures du premier tour de la présidentielle, pourquoi est-il si important de soutenir la « Marche pour les sciences », cette manifestation mondiale des scientifiques qui se tiendra demain, samedi 22 avril ? Cette question mérite que l’on s’y attarde tant il existe un lien fort entre ces rendez-vous.</p>
<p>La question de la place de la science et des scientifiques dans nos sociétés progressistes et démocratiques doit être sans cesse soulignée… et encore davantage à la veille d’une élection qui témoigne de divisions et de tensions profondes au sein de la société française.</p>
<p>Après la victoire de Trump aux États-Unis, c’est aujourd’hui la France qui est menacée par une aggravation de la fracture entre scientifiques et citoyens. Or il faut faire barrage aux climatosceptiques et à tous ceux qui sèment le doute en rejoignant demain cette initiative mondiale en faveur des sciences.</p>
<h2>Réconcilier science et société</h2>
<p>Ce 22 avril, les scientifiques du monde entier relaieront donc la grande manifestation initiée par leurs confrères américains en réponse aux multiples prises de position antiscience du président Trump, notamment <a href="http://www.reuters.com/article/us-usa-trump-epa-climatechange-idUSKBN15906G">à propos du changement climatique</a>.</p>
<p>La position du président Trump à ce sujet est en effet devenue insupportable pour tous ceux engagés depuis des années dans les sciences du climat et, plus généralement, pour tous les chercheurs et enseignants qui réfléchissent aux différentes manières de <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2016/jul/11/president-trump-would-be-a-climate-catastrophe?CMP=share_btn_tw">lutter contre le changement climatique et de s’y adapter</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"830006189450788864"}"></div></p>
<p>La victoire du candidat républicain a fait naître une vague de méfiance à l’égard des scientifiques : outre le fait que Trump souhaite couper et limiter drastiquement les budgets de recherche dans ce domaine, il a également mis en doute les capacités et les connaissances des spécialistes.</p>
<p>Cette tentative de diabolisation des résultats scientifiques vise à remettre en cause tout ce qui a été obtenu depuis plus de trente ans, tant au niveau des négociations internationales que sur le plan des <a href="http://columbiaclimatelaw.com/climate-deregulation-tracker/trump-issues-executive-order-on-climate-change/">actions politiques et des législations nationales</a> en matière climatique.</p>
<p>Éviter une telle situation en France passe par un intérêt renouvelé au rôle que joue la science dans le pays et à la manière dont le problème du changement climatique a été porté à la conscience du grand public grâce à des travaux scientifiques.</p>
<h2>L’exemple du changement climatique</h2>
<p>Le changement climatique s’est imposé comme un problème majeur grâce aux rapports du GIEC ; ces derniers ont impulsé <a href="https://www.ipcc.ch/ipccreports/1992%20IPCC%20Supplement/IPCC_1990_and_1992_Assessments/French/ipcc_90_92_assessments_far_full_report_fr.pdf">dès les années 1990</a> la rédaction de la <a href="http://unfccc.int/resource/docs/convkp/convfr.pdf">Convention-cadre des Nations unies</a> pour le changement climatique qui fixe le cadre de la gouvernance climatique mondiale.</p>
<p>Si l’on savait depuis le XIX<sup>e</sup> siècle qu’un changement climatique existait et qu’il était en partie imputable aux activités humaines, il aura fallu attendre <a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/d000122-le-changement-climatique/introduction">plus d’un siècle</a> pour que des mesures concrètes soient prises. Si ces dernières demeurent encore relativement timides et insuffisantes – et que nous sommes encore loin d’avoir intégré la nécessité de changer de paradigme environnemental et économique –, reste que des progrès politiques et législatifs décisifs dans le domaine de la lutte contre le changement climatique ont été réalisés. Et cela grâce à l’engagement des scientifiques qui <a href="http://www.law.uvic.ca/demcon/2013%20readings/Chakrabarty%20-%20Climate%20of%20History.pdf">depuis les années 1930 écrivent</a>, publient et tentent de partager leurs découvertes pour nous alerter et nous inciter à agir.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"518063032652795904"}"></div></p>
<p>Dans le récent Accord de Paris, né des négociations internationales sur le climat menées fin 2015 lors de la COP21, l’ambition de maintenir le réchauffement en dessous de la barre des 2 °C constitue ainsi une <a href="http://unfccc.int/bodies/body/6645.php">retranscription a minima</a> des recommandations des experts <a href="http://ceriscope.sciences-po.fr/environnement/content/part3/les-negociations-climatiques-vingt-ans-d-aveuglement">du GIEC depuis plus de dix ans</a>. Et cette ambition devra être <a href="http://unfccc.int/files/meetings/marrakech_nov_2016/application/pdf/auv_cp22_i4_eif.pdf">régulièrement révisée par chaque pays</a> signataire de l’Accord en suivant les avancées des spécialistes.</p>
<h2>Ces travaux scientifiques qui protègent les droits</h2>
<p>Il faut souligner ici que les travaux scientifiques sur le climat <a href="http://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_2007_num_59_3_19541">ne se destinent pas aux seuls rapports</a> sur lesquels s’appuient les négociations internationales. Ils servent à la société tout entière, car tout citoyen peut, s’il le veut, agir devant les tribunaux nationaux et réclamer justice en s’appuyant sur la recherche en cours pour forcer les gouvernements <a href="http://www.journaldelenvironnement.net/article/climat-les-etats-dans-le-box-des-accuses,81183">à passer à l’action</a> en matière climatique.</p>
<p>C’est en effet grâce aux rapports scientifiques que le changement climatique a pu <a href="https://theconversation.com/changement-climatique-la-societe-civile-multiplie-les-actions-en-justice-74191">devenir un objet de litiges</a>, forçant ainsi les États à <a href="http://www.urgenda.nl/en/climate-case/">honorer leurs engagements</a> internationaux et à <a href="https://www.ourchildrenstrust.org/us/federal-lawsuit/">reconnaître des droits</a> « constitutionnels et fondamentaux » à « un environnement sain » et à « un climat soutenable et vivable ».</p>
<p>Ce sont les expertises scientifiques libres, établies de manière indépendante et accessible, qui ont permis aux juges de plus d’une trentaine des pays d’affirmer que le changement climatique <a href="https://www.theguardian.com/environment/2016/oct/18/norway-faces-climate-lawsuit-over-oil-exploration-plans">viole les droits</a> de l’homme à un environnement sain et à un climat lui permettant de continuer à vivre sur notre planète.</p>
<p>Et c’est surtout grâce aux études scientifiques que nous avons compris – car les juges l’ont également établi dans maintes décisions emblématiques depuis peu – que si nous possédons le droit à un climat sain, nous avons aussi un devoir envers les <a href="https://www.ourchildrenstrust.org/federal-proceedings">générations futures</a> pour leur permettre de vivre de conditions durables. Ce sont ces droits et ces devoirs que les scientifiques nous ont permis d’inscrire à jamais dans nos systèmes juridiques. Et c’est pour cela que nous devons faire de ce 22 avril un moment fort.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76477/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marta Torre-Schaub ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La « Marche pour les sciences » qui aura lieu aussi en France demain est l’occasion de rappeler qu’en travaillant à l’avancée des connaissances les scientifiques aident les citoyens.Marta Torre-Schaub, Chercheur au CNRS-HDR juriste, spécialiste du changement climatique et du droit de l'environnement et la santé, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/610922016-06-16T04:40:21Z2016-06-16T04:40:21ZCitoyens des sciences : quand chercheurs et public collaborent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/126702/original/image-20160615-14038-1uwdg1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Surveillance citoyenne des caprins aux États-Unis.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Citizen_science#/media/File:Scanning_the_cliffs_near_Logan_Pass_for_mountain_goats_(Citizen_Science)_(4427399123).jpg">GlacierNPS/Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Vous avez dit « sciences participatives » ? L’expression résonne différemment selon la personne qui l’entend ou l’utilise. Elle n’est pas la seule à décrire les collaborations entre chercheurs et citoyens : recherche participative, <a href="http://sciencescitoyennes.org/wp-content/uploads/2013/05/FSC-recherche_participative-FdF.pdf">sciences citoyennes</a>, <a href="https://ec.europa.eu/programmes/horizon2020/en/h2020-section/science-and-society">science avec et pour la société</a>, <em>public engagement</em>. Autant de termes que d’objectifs liés : sensibiliser les citoyens à la culture scientifique et technique, acquérir des connaissances scientifiques, démultiplier les capacités d’acquisition ou d’analyse des données, co-construire un projet scientifique de A à Z…</p>
<p>Le <a href="http://www.sciences-participatives.com/Rapport">rapport Houllier</a>, remis en février 2016, définit les sciences participatives plus largement, comme des « formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels, qu’il s’agisse d’individus ou de groupes, participent de façon active et délibérée ». On retient donc deux notions clés : la production de connaissances scientifiques et la participation active et volontaire de la société civile.</p>
<h2>Des sujets variés</h2>
<p>À l’origine, au XVI<sup>e</sup> siècle, les sciences participatives étaient naturalistes… et élitistes. Elles s’ouvrirent au cours du XX<sup>e</sup> siècle jusqu’à concerner aujourd’hui toutes les disciplines et tous les publics.</p>
<p>Les motivations des participants sont diverses et leurs niveaux d’implication varient selon les projets : certains s’engagent par curiosité, par passion, pour défendre des idées ou partager des savoirs d’expérience (dans les domaines de l’<a href="http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Sciences_participatives_2012.pdf">environnement</a>, de l’<a href="https://media.afastronomie.fr/pdf/sciences-participatives-afa.pdf">astronomie</a> ou du <a href="https://www.allistene.fr/wp-content/uploads/GT-SciencesParticipatives-2015-11-02-full.pdf">numérique</a> notamment), d’autres pour trouver des solutions aux problèmes qu’ils rencontrent à titre personnel ou professionnel (dans les champs de la <a href="http://www.cihr-irsc.gc.ca/f/44954.html">santé</a> ou de l’<a href="http://bit.ly/1nijcZL">agronomie</a> par exemple), tandis que d’autres encore y voient un moyen d’exprimer leurs craintes vis-à-vis de certains sujets scientifiques et sociétaux ou de prendre part à une controverse.</p>
<p>Les sciences participatives font évoluer le rapport sciences-société et interrogent l’intégration de l’ensemble des composantes de la société civile dans la production des savoirs et dans l’orientation de la recherche.</p>
<h2>L’Amérique du Nord et l’Europe dominent</h2>
<p>Sur les 40 dernières années, la production scientifique dans son ensemble provient à parts égales des États-Unis, de l’Europe et du reste du monde, ce qui n’est pas le cas pour les sciences participatives : 58 % pour les États-Unis, 27 % pour l’Europe, et seulement 5 % pour le reste du monde. La France se situe aujourd’hui dans le top 3 européen derrière le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Chaque région du globe a ses thèmes de prédilection : les sciences participatives concernent surtout la santé en Amérique du Nord, et l’environnement en Europe. Mais il existe des domaines actifs et mal documentés, comme l’astronomie pour laquelle passionnés et professionnels collaborent depuis très longtemps sans nécessairement le préciser dans les publications scientifiques, donc sans que celles-ci puissent être comptabilisées au titre des sciences participatives.</p>
<p>Les pays du Sud ne sont pas en reste et des <a href="https://www.ird.fr/toute-l-actualite/actualites/actualites-institutionnelles/la-parole-a/francois-houllier-faire-science-ensemble-l-opportunite-des-sciences-participatives-pour-la-recherche-et-la-societe">projets participatifs</a> s’y développent, qui ont souvent pour objectif de mieux répondre aux besoins de développement exprimés par les acteurs locaux et de favoriser l’appropriation des résultats sur le terrain pour améliorer des conditions de vie difficiles.</p>
<h2>Les Français souhaitent contribuer</h2>
<p>Le baromètre annuel Les <a href="http://www.ipsos.fr/sites/default/files/doc_associe/les-francais-et-les-sciences-participatives.pdf">Français et la science</a> montre qu’en 2016, un tiers des Français a entendu parler des sciences participatives et qu’une majorité d’entre eux est prête à contribuer à leur développement. Avant même la rémunération, l’échange avec le chercheur ou la formation, la réponse aux problèmes de santé et d’environnement est leur premier moteur. L’<a href="http://www.sciences-participatives.com/Enquete">enquête</a> menée pour le rapport Houllier montre que 85 % des répondants considèrent que les sciences participatives sont « en augmentation », et l’expliquent par le boom du numérique (outils, smartphones, big data) et la sensibilité croissante des citoyens aux problématiques environnementales et de santé.</p>
<p>Le poids des sciences participatives reste faible par rapport à l’ensemble de la production scientifique mondiale (de l’ordre de 1 pour 10 000) mais leur croissance est exponentielle et durable. Elle est le fruit d’une volonté politique des instances <a href="http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-15-5243_fr.htm?locale=FR">européennes</a> et <a href="http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid101414/les-50-premieres-mesures-de-simplification-de-l-enseignement-superieur-et-de-la-recherche.html">françaises</a> et des citoyens eux-mêmes, qui souhaitent prendre part activement à la recherche, suivant le mouvement de la démocratie participative et de la remise en cause des hiérarchies traditionnelles.</p>
<h2>Bénéfices et risques à maîtriser</h2>
<p>Les bénéfices des sciences participatives sont à la fois scientifiques et sociétaux. Elles servent la recherche en favorisant la production de connaissances (avantages en coûts, en temps, en diversité de compétences et de données) et en tirant profit de nouveaux tiers-lieux (hackathons, fab labs, <a href="http://inmediats.fr/wp-content/uploads/2014/12/Living-Lab.pdf">living labs</a>, <a href="http://touschercheurs.fr/">laboratoires de recherche ouverts au public</a>). Elles optimisent l’impact des recherches, qui se traduit par de nouvelles compétences chez les parties prenantes et par l’adaptation des productions au plus près des besoins exprimés. Elles permettent enfin des avancées pédagogiques avérées pour les élèves (sensibilisation, ouverture, manipulations, méthode).</p>
<p>Des risques sont aussi pointés, au sein même de la communauté scientifique : perte de qualité des données, remise en cause de l’autonomie des chercheurs, instrumentalisation des citoyens. Ils rappellent la nécessité de bonnes pratiques pour garantir une approche scientifique rigoureuse et ouverte, une gestion opportune et efficace des ressources, et pour assurer le respect et la reconnaissance mutuels des acteurs.</p>
<h2>Plus d’idées dans 1 000 cerveaux que dans un seul</h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/127098/original/image-20160617-11135-16kir4w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/127098/original/image-20160617-11135-16kir4w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/127098/original/image-20160617-11135-16kir4w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/127098/original/image-20160617-11135-16kir4w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/127098/original/image-20160617-11135-16kir4w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/127098/original/image-20160617-11135-16kir4w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/127098/original/image-20160617-11135-16kir4w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le jeu sérieux Foldit.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nwabr/6478280253/in/photolist-72Jtcp-7bZ4Cp-drQuEg-o9z5k3-aSsTbR-6RV6q5-aSsT28-aSsSWn-aSsSSt-aSsTiH-aSsTs2-aSsT6M-aSsTwK-aoik3r-ayDvyX">NWABR/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les succès s’enchaînent pour les projets de sciences participatives : le jeu sérieux <a href="https://fold.it/portal/">Foldit</a> a permis à des centaines de milliers de joueurs de trouver en quelques semaines la structure tridimensionnelle d’un enzyme impliqué dans la transmission du VIH, après dix ans de travaux infructueux. <a href="http://www.oncology.ox.ac.uk/page/reverse-odds">Reverse the odds</a> du Cancer Research UK suit le même modèle pour accélérer la recherche contre le cancer.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/127099/original/image-20160617-11135-1nqj7fr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/127099/original/image-20160617-11135-1nqj7fr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/127099/original/image-20160617-11135-1nqj7fr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/127099/original/image-20160617-11135-1nqj7fr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/127099/original/image-20160617-11135-1nqj7fr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/127099/original/image-20160617-11135-1nqj7fr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/127099/original/image-20160617-11135-1nqj7fr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Atelier oiseaux dans le cadre de Vigie-Nature.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/sylviafredriksson/25846256192/in/photolist-atAfHZ-bEHt16-brNz2m-brNzx7-bEHsQ4-brNAwE-qyvsa9-qjdVBy-qjeDcu-qyvseY-qjkVye-bEHsWr-brNAG5-4QwDWN-dTXagK-bKxcpv-6A8Gy4-jcWAx3-dFsSYo-p13XNY-4oL8Uc-o1DR84-jcYF2w-8xvoFL-brNABJ-qjeCAQ-pDMYY7-qjkV4g-FnWPuL-EAHawE-EAHdLf-FyBXfk-F74Bv5-Fqeiqa-EB4FkB-FyC8cV-Fqeky8-FnWTBJ-Fqen3k-FwkjqJ">Sylvia Fredriksson/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En France, <a href="http://vigienature.mnhn.fr/">Vigie-Nature</a> est un projet pionnier et un succès, fondé il y a 20 ans par le Muséum national d’Histoire naturelle et porté par un réseau d’associations. Le <a href="http://www.inserm.fr/associations-de-malades/groupe-de-reflexion-avec-les-associations-de-malades">Groupe de réflexion avec les associations de malades</a> réunit chercheurs et patients pour interagir autrement, interroger les hypothèses et les moyens de la recherche médicale. Le <a href="http://lhcathome.web.cern.ch/">LHC</a> peine à utiliser toute la puissance de calcul bénévole proposée aux physiciens pour répondre aux questions que pose l’univers.</p>
<h2>La science « avec et pour tous »</h2>
<p>Pour favoriser les sciences participatives en France, le rapport Houllier propose 17 actions sous forme de recommandations aux institutions concernées (organismes de recherche, universités et écoles, agences de financement, associations, collectivités territoriales et pouvoirs publics). Le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a annoncé en avril 2016 la 38e mesure de son <a href="http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid101414/les-50-premieres-mesures-de-simplification-de-l-enseignement-superieur-et-de-la-recherche.html">plan de simplification</a> qui vise à les mettre partiellement en œuvre à travers une charte, une « conférence de ses signataires » et un portail Internet dédié. De nombreux acteurs scientifiques et associatifs ont exprimé leur souhait de prendre part à cette réflexion et d’aller même au-delà.</p>
<p>Quel avenir pour les sciences participatives ? Si leur essor est aujourd’hui une réalité, les innovations numériques et sociales à venir seront déterminantes pour parvenir à impliquer le plus grand nombre de citoyens dans le respect de l’éthique et de la déontologie. Relever le défi de la science « avec et pour tous » pourra ainsi contribuer à une société plus unie, plus confiante et plus ambitieuse.</p>
<hr>
<p><em>Julie Adam (Université de Lorraine) et Jean-Baptiste Merilhou-Goudard (Inra) ont participé à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/61092/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Houllier est l'auteur du rapport sur les sciences participatives auquel il est fait référence.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pascale Frey-Klett ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’implication du public dans la fabrique des connaissances s'organise avec ce que l’on appelle les sciences participatives. Elles sont diverses, et rencontrent un grand intérêt.François Houllier, Administrateur provisoire, Alliance Sorbonne Paris Cité (ASPC)Pascale Frey-Klett, Microbiologiste, Chargée de projet pour le Laboratoire d’excellence ARBRE, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/546602016-02-15T05:43:00Z2016-02-15T05:43:00ZUn sociologue au merveilleux pays du synchrotron<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/111289/original/image-20160212-4413-1nj2rtb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Hall d’expériences et bâtiment de l’anneau de stockage de l’ESRF.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.lightsources.org/imagebank/image/esr034">P.Ginter/ESRF</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est publié dans le cadre de notre collaboration avec le magazine <a href="http://sms.hypotheses.org/">Mondes sociaux</a>.</em></p>
<p>Les équipements scientifiques ont un caractère fascinant. Même les plus habituels et les plus ordinaires d’entre eux, comme les microscopes ou les télescopes, contribuent à décrypter les mystères et les secrets de l’univers, de la matière et de la vie. Les équipements plus rares sont la plupart du temps neufs, quelquefois même rutilants, ou au moins constamment entretenus et perfectionnés. Et, ce qui n’ôte rien à la fascination qu’ils exercent, ils sont coûteux, parfois extrêmement. La métaphore est souvent galvaudée, mais ce sont des « bijoux » et, au contraire de ces derniers, ils ont l’avantage d’être utiles.</p>
<p>Un synchrotron pousse au plus haut degré ce pouvoir de fascination. Ce type d’équipement permet en effet d’étudier des échantillons très variés, aussi bien par exemple des momies égyptiennes que des animaux vivants, et de conduire des expériences relevantes de disciplines multiples, comme la physique, la chimie, la biologie, la médecine, la paléontologie, l’archéologie ou l’art. Il autorise en outre la tenue simultanée de dizaines d’expériences, le plus souvent très différentes. C’est enfin un équipement récent aux frontières de la technologie et esthétiquement remarquable de par son anneau circulaire.</p>
<p>De tous les synchrotrons, l’<a href="http://mag.digitalpc.co.uk/fvx/iop/esrf/1512/">European Synchrotron Radiation Facility</a> (ESRF) est peut-être le plus fascinant. Comme son nom l’indique, il est tout d’abord européen. Situé à Grenoble et inauguré en 1994, il est le premier de la troisième génération. Nous l’avons étudié de manière longitudinale, depuis la décision de le créer jusqu’à son fonctionnement dans sa période de maturité.</p>
<h2>Un équipement rare et coûteux</h2>
<p>Comme tous les synchrotrons, l’ESRF est tout d’abord dédié à la réalisation d’expériences novatrices qui ne pourraient être réalisées sans lui. Ses lignes permettent, par exemple, de reproduire les conditions de température et de pression présentes au centre de la terre ou d’<a href="http://mag.digitalpc.co.uk/fvx/iop/esrf/1512/">étudier des nano-objets</a>. Très variées, elles permettent des expériences originales destinées à comprendre la résistance des dents humaines aux chocs, les modes de pénétration de particules toxiques dans notre organisme ou de concevoir de nouveaux modes de stockage des données atteignant des capacités considérables…</p>
<p>Même s’il existe de plus en plus de synchrotrons dans le monde (Amérique, Asie, Europe, Océanie), même s’il est possible aux chercheurs de postuler à un synchrotron d’un pays autre que le leur pour réaliser une expérience, et même si plusieurs synchrotrons sont actuellement en construction, leur coût de construction, de fonctionnement et de développement conduit malgré tout à une relative rareté. Deux équipements sont en opération dans deux villes en France et trois en Allemagne ; d’autres, de générations différentes, coexistent sur un même site en Allemagne, au Danemark ou en Suède, mais une situation fréquente est aussi celle d’un seul équipement par pays, comme en Espagne, en Grande-Bretagne, en Italie ou en Suisse.</p>
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<span class="caption">L'intérieur d'un synchrotron.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Il n’est donc pas aisé d’accéder à un synchrotron, d’autant que les utilisateurs du rayonnement synchrotron sont de plus en plus nombreux et que les propositions d’expériences croissent plus vite que les possibilités de les conduire offertes par les synchrotrons en opération. En <a href="http://www.esrf.eu/home/UsersAndScience/Publications/Highlights/highlights-2014/introduction.html">2014</a>, le nombre de propositions déposées à l’ESRF était ainsi plus de deux fois et demie supérieur aux créneaux disponibles</p>
<p>Un synchrotron combine un accélérateur de particules et plusieurs dizaines de <a href="http://www.esrf.eu/decouvrir/comment-ca-marche-ESRF/lignes-lumiere">« lignes de lumière »</a> ou beamlines. L’accélérateur a pour fonction de faire tourner à très grande vitesse des électrons dans un anneau et de les contraindre à émettre des rayons X lors de chaque virage. Ces rayons X sont alors extraits et conduits dans l’une des lignes jusqu’à un échantillon dont ce « faisceau » permet d’analyser les propriétés. Les lignes sont plus ou moins longues et contiennent des instruments qui paramètrent le faisceau, le rendant plus ou moins fin, intense ou stable selon les besoins de l’expérience.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/111789/original/image-20160217-19241-j6ox1o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/111789/original/image-20160217-19241-j6ox1o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=954&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/111789/original/image-20160217-19241-j6ox1o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=954&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/111789/original/image-20160217-19241-j6ox1o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=954&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/111789/original/image-20160217-19241-j6ox1o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1199&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/111789/original/image-20160217-19241-j6ox1o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1199&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/111789/original/image-20160217-19241-j6ox1o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1199&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">Mignard Mondes sociaux</span>, <a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span>
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<p>Or tous ces éléments sont en évolution plus ou moins permanente. Ceux de l’accélérateur sont les plus stables, car il est difficile de les faire évoluer alors que l’accélérateur ne peut être stoppé sans arrêter en même temps toutes les lignes. Mais son fonctionnement est scruté en permanence et plusieurs périodes sont prévues chaque année pour améliorer tel ou tel élément, soit en le changeant, soit en modifiant les logiciels qui le pilotent. Il est en revanche possible d’arrêter une ligne pendant quelques mois afin de la reconstruire plus ou moins complètement, voire de la réaffecter. Un chercheur qui revient sur une même ligne quelques années après une première expérience, et même parfois seulement quelques mois, découvre en fait le plus souvent une nouvelle instrumentation.</p>
<p>Au-delà de cette continuelle évolution de l’accélérateur et des lignes, l’ESRF a connu un <em>upgrade</em> (une mise à niveau) de très grande ampleur en deux phases : 2009-2015 et 2015-2022. Après à peine quinze ans de fonctionnement, l’accélérateur a été rénové et de nombreuses lignes de lumière ont été reconstruites ou pour certaines ajoutées. Ce mode de refonte d’un équipement et de ses performances est assez exemplaire, non seulement de l’évolution permanente que constate l’observateur, mais aussi des logiques contemporaines de la recherche scientifique.</p>
<h2>Au carrefour des disciplines et des savoirs</h2>
<p>L’aspect le plus fascinant des synchrotrons est peut-être leur flexibilité. Ils permettent en effet de mener simultanément une quarantaine d’expériences de nature très différente. Une même ligne peut être plus ou moins flexible et autoriser, semaine après semaine, des expériences elles-mêmes très variées. <a href="%C2%ABLes%20ressorts%20de%20la%20flexibilit%C3%A9%20instrumentale,%20elle-m%C3%AAme%20support%20de%20l%E2%80%99interdisciplinarit%C3%A9%C2%BB,%20_Revue%20Europ%C3%A9enne%20des%20Sciences%20Sociales_,%20vol.%2050,%20n%C2%B02,%2067-92.">Cette flexibilité est à l’origine d’une interdisciplinarité</a> permise par la co-présence de membres de disciplines différentes en un seul lieu et le rapprochement des socialisations professionnelles des chercheurs grâce à leur usage commun d’un même instrument ; mais aussi par le fait que cette proximité les conduit peu à peu à monter des expériences en commun ou à comparer les résultats d’expériences proches, bien que réalisées dans des disciplines différentes.</p>
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<span class="caption">Mignard Mondes sociaux.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span>
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<p>Le fonctionnement même d’un synchrotron est déjà interdisciplinaire puisqu’il suppose la <a href="https://www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2007-2-page-221.htm">coopération</a> d’au moins trois mondes : celui des ingénieurs, celui des chercheurs et celui des administratifs. Ces trois populations diffèrent aussi bien en termes de socialisation, de mission, de publications que de carrières. Les chercheurs publient ainsi beaucoup plus que les ingénieurs et plus encore que les administratifs, et surtout dans des revues disciplinaires, alors que les ingénieurs publient surtout dans des revues d’instrumentation.</p>
<p>Dans le cas de l’ESRF, et plus généralement de l’ensemble des synchrotrons, le principal ciment qui les unit est la qualité du service qu’ils doivent offrir aux utilisateurs. Un synchrotron est en effet jugé sur le nombre et la qualité des publications qui sont issues des expériences réalisées. Cela pousse tous les membres de l’ESRF à se mettre au service des utilisateurs et c’est bien l’instrument qui finalement les réunit alors qu’ils en gèrent et développent pourtant des parties séparées et parfois fort différentes.</p>
<h2>Un équipement international</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/111792/original/image-20160217-19245-fr4hi9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/111792/original/image-20160217-19245-fr4hi9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/111792/original/image-20160217-19245-fr4hi9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/111792/original/image-20160217-19245-fr4hi9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/111792/original/image-20160217-19245-fr4hi9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/111792/original/image-20160217-19245-fr4hi9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/111792/original/image-20160217-19245-fr4hi9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">Pixabay/Geralt</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>L’ESRF est enfin un équipement européen. Fondé par douze pays en janvier 1989, ce sont vingt et un pays qui contribuent à son financement en 2015, dont dix-neuf pays européens auxquels il faut ajouter Israël (pour 1,5 %) et l’Afrique du Sud (pour 0,3 %). Son étude contribue donc également à une meilleure connaissance de la construction européenne et est un exemple particulièrement emblématique des politiques scientifiques européennes ou de ce qu’on qualifie désormais de « gouvernance de la recherche ».</p>
<p>L’ESRF est ainsi devenu en 2002 l’un des membres fondateurs de l’<a href="http://www.eiroforum.org/">European Intergovernmental Research Organizations</a>, un groupe de grands équipements de recherche européens qui vise à coordonner leurs vues et leurs actions pour influer sur les politiques scientifiques européennes. C’est dans ce cadre européen qu’a été adopté et financé l’upgrade que nous évoquions plus haut et l’histoire de l’ESRF est aussi celle du passage d’une coopération intergouvernementale à une coopération en étroite connexion avec les institutions communautaires. Son étude témoigne donc de la façon dont, malgré les vicissitudes de la construction européenne, des logiques d’européanisation sont bien à l’œuvre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/54660/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Simoulin a publié « Sociologie d’un grand équipement scientifique. Le premier synchrotron de troisième génération », ENS Editions en 2012.</span></em></p>La « Big Science » et ses emblématiques équipements scientifiques – tels les synchrotrons – est un bel objet d’étude pour le sociologue. Un article en collaboration avec la revue Mondes sociaux.Vincent Simoulin, sociologue, Directeur du CERTOP (Centre d’Etude et de Recherche Travail Organisation Pouvoir), Université Toulouse – Jean JaurèsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.