tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/protectionnisme-33187/articlesprotectionnisme – The Conversation2024-02-13T15:41:04Ztag:theconversation.com,2011:article/2231262024-02-13T15:41:04Z2024-02-13T15:41:04ZLa globalisation à l’aube d’un nouveau cycle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/574392/original/file-20240208-20-dqowjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C5%2C1943%2C1188&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Depuis le début des annes 1990, la globalisation a connu plusieurs phases. Une nouvelle s'amorce aujourd'hui.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.needpix.com/photo/1618449/technology-globalisation-business-communication-connection-world-network-global-internet">TheDigitalArtist/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La globalisation ne doit pas être conçue comme un processus de convergence aboutissant à un espace mondial plat et lisse dans lequel les technologies, les organisations structurées en réseau et les chaînes de valeur permettent à de grandes firmes installées de combiner et de recombiner des blocs d’activité en mobilisant parfois de la recherche et développement (R&D), souvent des capacités de production et de commercialisation.</p>
<p>Au-delà de l’aspect géographique, la globalisation est aussi un déroulé sur la façon dont les économies nationales et les régions qui les englobent interagissent à un niveau supérieur qualifié de global. C’est ce que nous montrions dès 2012 dans l’essai <em>Les Paradoxes de l’économie du savoir</em> (éditions Hermès Lavoisier).</p>
<p>Sur la période 1990-2022, l’évolution de la globalisation présente ainsi une discontinuité temporelle des flux mondiaux d’exportations, d’importations et d’investissements directs à l’étranger (IDE) marquée par <a href="https://www.piie.com/publications/working-papers/trade-hyperglobalization-dead-long-live">trois phases</a> : d’hyperglobalisation (1990-2008), de crise financière et de stabilisation des trois variables (2008-2011) et de déglobalisation relative jusqu’en 2022.</p>
<p>Ce constat permet une lecture selon laquelle la globalisation s’inscrit dans un cycle et, comme telle, elle a vocation à se reproduire, non pas à l’identique, mais en réorganisant les interconnexions pour répondre aux multiples contraintes économiques, technologiques et géopolitiques.</p>
<h2>Une rupture en 2008</h2>
<p>Entre 1990 et 2008, la croissance annuelle des exportations mondiales (10 %) excède celle du PIB mondial (6 %). Dans de nombreux pays et régions, on observe une forte corrélation entre les flux commerciaux et la croissance qui se soutiennent mutuellement (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/etats-unis-20443">États-Unis</a>, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/union-europeenne-ue-20281">Union européenne</a>, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chine-20235">Chine</a>). Des transformations structurelles sont à l’œuvre, la part de l’industrie globale dans la valeur ajoutée mondiale décline de 21 % en 1990 à 16 % en 2011, la désindustrialisation des pays du Nord l’emportant sur l’industrialisation du Sud.</p>
<p>Le système d’échange global prend appui sur des créations institutionnelles (Union européenne, Accord de libre-échange nord-américain, Accord de partenariat transpacifique) et il est fondé sur une idéologie néolibérale centrée sur les entreprises et les marchés et sur des règles globales des flux commerciaux et d’investissements édictées par <a href="https://theconversation.com/fr/topics/organisation-mondiale-du-commerce-omc-50902">l’Organisation mondiale du commerce</a> (OMC).</p>
<p>La période post-crise financière a par la suite créé de fortes pressions en faveur de la déglobalisation : inégalités croissantes et concurrence accrue, complexité croissante des chaînes de valeur et importance grandissante des considérations géopolitiques.</p>
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<img alt="Une d’un journal américain titrant sur la crise de 2008" src="https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le crise financière de 2008 a déclenché des pressions propices à une déglobalisation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/myeye/3152750338">Myeyesees/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Le ralentissement du commerce mondial à partir de 2011 a accompagné le freinage de la croissance mondiale. L’analyse de cette période exige toutefois de dissocier les biens et les services : le commerce manufacturier s’est tassé de 15,6 % du PIB mondial en 2011 à 14,5 % en 2021 alors que le commerce des services s’est accru de 6 % du PIB mondial en 2011 à 8 % en 2021.</p>
<h2>La Chine de plus en plus influente</h2>
<p>En phase d’hyperglobalisation, les flux traduisent le pouvoir économique et géopolitique des États-Unis, alors que la phase de tassement est plutôt configurée par l’influence croissante de la Chine qui peut être repérée par deux indicateurs. Le ratio exports-imports/PIB décline de 71 % en 2008 à 35 % en 2022 pendant que la part de marché des exportations manufacturières de la Chine dans les exportations mondiales augmente de 12 % en 2008 à 22 % en 2022.</p>
<p>Le premier indicateur traduit le recentrage de la Chine sur son marché intérieur et le changement d’orientation de la politique économique privilégiant désormais les biens non échangeables, notamment l’immobilier et les infrastructures. Les dépenses publiques orchestrent cette modification de la composition de la production qui a pour effet d’atténuer la compétitivité du secteur échangeable en provoquant une hausse des salaires sur le marché du travail.</p>
<p>Le second indicateur indique que, malgré l’affaiblissement de la compétitivité, le différentiel de productivité en faveur de la Chine dans les biens échangeables est si élevé que les exportations continuent de croître. Dans le même temps, la Chine a élaboré <a href="https://theconversation.com/rcep-lintegration-commerciale-en-asie-met-les-etats-unis-au-defi-de-leurs-ambitions-150474">l’Accord de partenariat économique régional global</a> qui regroupe 15 pays représentant le tiers du PIB mondial et qui représente l’accord le plus vaste de libre-échange dans le monde.</p>
<h2>Les prémisses d’un nouveau cycle</h2>
<p>La volatilité accrue des variables économiques et les incertitudes liées aux conflits géopolitiques amorcent un nouveau cycle de globalisation. Les difficultés actuelles de la Chine (crise démographique, croissance économique ralentie et prévisions de croissance en baisse, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/09/30/la-chine-de-l-interieur-rattrapee-par-la-crise-de-l-immobilier_6191715_3234.html">effondrement du secteur de l’immobilier</a>) conduisent ce pays à redoubler d’efforts pour acquérir des positions dominantes sur des produits et des technologies critiques, tout en contrôlant les exportations de terres rares. D’où l’attitude « de-risk China » de l’Ouest global pour assurer ses approvisionnements et pour accéder à des produits et des technologies d’importance économique et géopolitique stratégique.</p>
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<p>Le principe est qu’il n’y a pas d’opposition entre politiques industrielles et marchés. Les politiques industrielles non seulement corrigent les mécanismes de marché, mais encore elles éclairent les choix stratégiques des entreprises en orientant l’investissement vers des produits et des technologies essentielles pour la sécurité nationale et la neutralité carbone.</p>
<p>Dans ce contexte, des mesures défensives sont prises. L’imposition par les États-Unis et la Chine de multiples barrières sur leurs échanges bilatéraux poussent les entreprises à diversifier leurs sources d’approvisionnement et leurs localisations. En Chine, les IDE ont régressé sur la période 2014-2020, puis se sont effondrés entre 2020 et 2023, passant de 400 milliards à 15 milliards de dollars, pendant qu’ils augmentaient fortement vers d’autres régions : l’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie du Sud-Est et l’Inde. Le déclin marqué des importations chinoises aux États-Unis s’est traduit par une relocalisation partielle de certaines activités et par des importations accrues en provenance de Mexico (15 % en 2023 contre 13,9 % pour la Chine), du Vietnam, etc.</p>
<h2>L’enjeu de sécurité économique s’impose</h2>
<p>Début 2024, la Commission européenne s’est rapprochée des États-Unis en proposant <a href="https://www.aefr.eu/fr/actualites/6474/la-commission-propose-de-nouvelles-initiatives-pour-renforcer-la-securite-economique">plusieurs mesures pour renforcer la sécurité économique</a>. En premier lieu, développer des mécanismes de criblage des IDE en évaluant leurs effets sur les infrastructures et les technologies critiques et identifier les secteurs sensibles (semi-conducteurs, intelligence artificielle, médicaments). En deuxième lieu, elle demande aux gouvernements d’évaluer les risques potentiels d’investir à l’étranger dans les technologies avancées.</p>
<p>Une troisième initiative propose de contrôler les exportations de biens à usage dual, civil et militaire dont les mécanismes de financement de la R&D devraient être sensiblement améliorés. La proposition finale vise à doter les organisations de recherche d’outils permettant d’exercer une « diligence raisonnable » lorsqu’elles s’engagent dans une coopération internationale, afin d’éviter la capture d’informations.</p>
<p>Au bilan, les politiques industrielles contiennent des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/protectionnisme-33187">mesures protectionnistes</a>. Le cycle de la globalisation se reproduit en renforçant les formes publiques de pilotage des économies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223126/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Guilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La volatilité accrue des variables économiques et les incertitudes liées aux conflits géopolitiques amorcent un nouveau cycle marqué par une multiplication des mesures protectionnistes.Bernard Guilhon, Professeur de sciences économiques, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175692023-11-14T18:55:31Z2023-11-14T18:55:31ZCommande publique de biens manufacturés : qui recourt le plus aux importations ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559041/original/file-20231113-27-t6cx95.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C26%2C965%2C646&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un pays désindustrialisé est en effet amené à consommer des biens manufacturés importés, que ce soit pour la consommation privée ou publique.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Le_Havre,_premier_port_de_France_pour_le_commerce_ext%C3%A9rieur.jpg">Wikimedia commons/Ville du Havre</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Reléguée pendant longtemps dans la catégorie des concepts dépassés, la <a href="https://theconversation.com/reindustrialiser-mais-pour-quoi-faire-176810">politique industrielle</a> est redevenue centrale, notamment dans les économies avancées qui se sont désindustrialisées. Ce choix d’un retour de la puissance publique dans l’économie, afin d’en modifier la structure de production au profit du secteur manufacturier, découle de la conjonction de trois événements : la prise de conscience de la vulnérabilité des économies avancées à la perturbation des chaînes de production internationales, générant une dépendance à l’égard de fournisseurs lointains ; une volonté plus ou moins affirmée de « dérisquage » (<a href="https://www.ceps.eu/the-eus-aim-to-de-risk-itself-from-china-is-risky-yet-necessary/"><em>de-risking</em></a> vis-à-vis de la Chine, pour reprendre le mot de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen) ; l’impérieuse nécessité de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/transition-ecologique-66536">transition écologique</a>, qui crée une opportunité de construire un tissu industriel vert.</p>
<p>Les outils de ces nouvelles politiques industrielles sont divers. Les avantages fiscaux et subventions sont les plus voyants, au centre notamment de <a href="https://theconversation.com/linflation-reduction-act-americain-un-danger-pour-la-production-automobile-hexagonale-204417">l’<em>Inflation Reduction Act</em></a> (IRA) américain. Ce dernier s’appuie par ailleurs massivement sur des clauses de contenu local, instrument déjà privilégié par l’État fédéral américain pour la commande publique depuis le <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/pour-les-achats-publics-biden-veut-aller-encore-plus-loin-sur-le-buy-american-act-889839.html"><em>Buy American Act</em> de 1933</a>, qui établit une préférence pour l’achat de produits nationaux pour les marchés publics fédéraux d’une valeur de plus de 3 000 dollars. De même, le <a href="https://www.fcc.gov/general/american-recovery-and-reinvestment-act-2009">plan de relance de 2009</a> (<em>American Recovery and Re-Investment Act</em>, ARRA) n’ouvrait l’accès à ses fonds qu’aux projets utilisant de l’acier, du fer et des biens manufacturés américains, sauf si la concurrence étrangère présentait un prix inférieur d’au moins 25 %.</p>
<p>Le décalage est important avec l’Union européenne (UE), dont la construction institutionnelle a accordé une large place à la politique de la concurrence au niveau du marché unique et au libre-échange, et n’a pas cherché à donner l’avantage aux producteurs nationaux pour l’attribution des marchés publics.</p>
<p>Ces différences de conception entre les États-Unis et les pays de l’UE se traduisent-elles pour autant par une commande publique s’adressant davantage aux producteurs nationaux outre-Atlantique ? Si le cadre réglementaire de la commande publique est très largement harmonisé en Europe, les pratiques divergent-elles entre pays de l’UE ?</p>
<p>L’échelle européenne reste incontournable pour comprendre les règles nationales qui régissent les contrats de commande publique et d’octroi de marchés publics. Le droit de l’Union pose en effet tant des principes fondamentaux d’égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence que de nombreuses règles et procédures.</p>
<h2>Écarts d’ampleur</h2>
<p>La commande publique, qui recouvre les achats de biens, de services et de travaux effectués par les administrations et les entreprises publiques, représente de 10 % à 20 % du PIB des pays membres de l’UE et des États-Unis. Dans une <a href="https://www.cae-eco.fr/la-commande-publique-peut-elle-constituer-un-levier-de-relocalisation-de-lactivite">note</a> du Conseil d’analyse économique (CAE) publiée en 2021, les économistes Claudine Desrieux et Kevin Parra Ramirez estimaient la part des importations dans la commande publique de biens et services en 2014 (date la plus récente à laquelle les <a href="https://www.rug.nl/ggdc/valuechain/wiod/wiod-2016-release">données</a> qui permettent de réaliser ces calculs sont disponibles) autour de 9 % pour la zone euro, 8 % pour l’Italie et la France et 4 % pour les États-Unis.</p>
<p>Les ordres de grandeur changent cependant très significativement quand l’examen, effectué selon la méthodologie exposée en note du graphique suivant, est restreint au périmètre des biens manufacturés.</p>
<p><iframe id="uXrm8" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/uXrm8/7/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En outre, l’hétérogénéité entre pays est frappante. En 2014, la part des importations est la plus faible aux États-Unis, 19 %, tandis qu’elles sont 2,5 à 3,5 fois plus élevées en Europe, en France tout particulièrement. Ces écarts d’ampleur de part et d’autre de l’Atlantique tiennent en partie aux écarts de taille économique des pays, les plus grands ayant moins besoin de recourir à l’extérieur pour satisfaire leurs besoins, que ce soit pour leur commande publique ou de manière plus générale.</p>
<p>À l’exception de l’Allemagne, on observe de plus un processus continu d’accroissement de la part des importations de produits manufacturés dans la commande publique, notamment en France et en Italie. Mécaniquement, lorsqu’un pays se désindustrialise, il doit davantage recourir aux importations pour satisfaire sa demande de biens manufacturés. Or, entre 2000 et 2014, la part du secteur manufacturier dans le PIB est passée de 14 % à 10 % en France, et de 18 % à 14 % en Italie.</p>
<p>L’Allemagne présente un profil particulier, avec une part qui passe de 40 % en 2000 à plus de 63 % en 2007, puis diminue de façon quasi continue jusqu’à 45 % en 2014. Cette trajectoire pourrait venir de la politique allemande du médicament. En 2002, afin de maîtriser les dépenses de santé, une législation a contraint les pharmacies à vendre des médicaments importés lorsque leur prix était inférieur à certains seuils, pour les médicaments remboursés par l’assurance maladie.</p>
<p>Cette « clause de promotion des importations » a entraîné une hausse immédiate de la part de marché des produits pharmaceutiques importés, avec un pic en 2007. Un moratoire a ensuite été décidé sur le prix des médicaments : en pratique, les prix ont été gelés entre 2006 et 2013, conduisant les prix des médicaments produits en Allemagne à passer sous les seuils qui justifiaient le recours aux importations. La part de ces dernières a dès lors reculé au profit des produits pharmaceutiques allemands.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-produits-de-sante-une-filiere-de-poids-dans-les-echanges-internationaux-214276">Les produits de santé : une filière de poids dans les échanges internationaux</a>
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<p>La part plus forte des importations dans la commande publique pourrait refléter celle des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/importations-114407">importations</a> dans la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/consommation-20873">consommation</a> des ménages. Un pays désindustrialisé est en effet amené à consommer des biens manufacturés importés, que ce soit pour la consommation privée ou publique. Un écart entre la part des importations dans la commande publique et dans la consommation des ménages pourrait à l’inverse refléter des choix de politiques publiques.</p>
<p>Alors qu’aux États-Unis la part des importations dans la commande publique est plus faible que celle dans la consommation des ménages de 10 à 12 points de pourcentage (une différence qui pourrait provenir du <em>Buy American Act</em>), une situation exactement inverse s’observe pour les quatre grands pays de la zone euro. L’écart est particulièrement élevé en France, et se creuse à partir de 2007-2008, atteignant 20 points en 2014.</p>
<h2>Quelles marges de manœuvre ?</h2>
<p>Sans avoir besoin de transformer préalablement les structures de production, il existe ainsi des marges de manœuvre pour réduire la part des importations dans la commande publique et favoriser les secteurs manufacturiers nationaux. Quels seraient les gains pour ces secteurs d’un hypothétique alignement de la part des importations dans la commande publique sur celle dans la consommation des ménages ?</p>
<p>En France, ce sont près de 8 milliards de dollars (environ 0,3 % du PIB de 2022) supplémentaires dont aurait bénéficié le secteur manufacturier national en 2014 si le taux d’importation de biens manufacturés de la commande publique avait été égal à celui de la consommation des ménages. Pour l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, les gains, plus modestes, seraient respectivement, de 2,2, 1,5 et 2,8 milliards de dollars.</p>
<p>Un calcul symétrique peut être effectué pour les États-Unis, en évaluant le montant qui aurait été perdu si la part des importations de biens manufacturés avait été aussi élevée dans la commande publique qu’elle l’était dans la consommation des ménages. Cette perte aurait été de 24,2 milliards de dollars en 2014 – et on peut imaginer qu’il s’agit là d’une estimation basse, car il est vraisemblable que, sans le <em>Buy American Act</em>, la part des importations de biens manufacturés dans la commande publique américaine aurait été supérieure à ce qu’elle est dans la consommation privée, à l’image de ce que l’on observe pour les grandes économies européennes.</p>
<p><iframe id="3bMbz" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/3bMbz/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="InLT1" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/InLT1/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
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<p><iframe id="rwoqf" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/rwoqf/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Un accord autour d’un véritable « Buy European Act » parait difficilement atteignable, car il <a href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/pb/2023/pb2023-40_FR.pdf">remettrait en cause des fondamentaux du droit européen</a>. Cela contraindrait également sans doute l’Union européenne à <a href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/pb/2023/pb2023-40_FR.pdf">renégocier sa participation à l’accord sur les marchés publics de l’OMC</a>. Pour permettre la coexistence de cet accord avec le <em>Buy American Act</em>, les États-Unis ont en effet dû négocier des clauses spécifiques.</p>
<p>Cependant, la protection de certaines activités stratégiques ou de l’environnement ainsi que la préservation de la compétitivité des producteurs locaux constituent autant d’<a href="https://www.lexbase.fr/article-juridique/90641981-citedanslarubriquebmarchespublicsbtitrenbspipeutilexisterunprotectionnismeeuropeenen">arguments mobilisables</a> dans le cadre européen actuel. Le développement de clauses de conditionnalité environnementale – sur le modèle du <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A16766">nouveau bonus français sur les voitures électriques</a> – apparaît comme une voie prometteuse, en permettant de contourner l’interdiction des clauses de contenu local sans modification significative du droit existant. Une approche similaire pourrait être retenue pour la commande publique. La loi française <a href="https://www.economie.gouv.fr/daj/la-loi-ndeg-2023-973-du-23-octobre-2023-relative-lindustrie-verte-renforce-la-commande-publique">« Industrie verte »</a>, adoptée en octobre 2023, fait un premier pas en ce sens, avec la création d’un label permettant d’intégrer les critères environnementaux dans la commande publique.</p>
<hr>
<p><em>Cet article développe des extraits de Grjebine T. et Héricourt J. (2023), <a href="https://www.cairn.info/l-economie-mondiale-2024%E2%80%939782348080074-page-43.htm">« Les dilemmes d’une réindustrialisation (verte) en économie ouverte »</a>, <a href="https://theconversation.com/economie-mondiale-2024-annee-de-toutes-les-reconfigurations-212268">L’économie mondiale 2024</a> <a href="https://www.collectionreperes.com/l_economie_mondiale_2024-9782348080074">, collection Repères, La Découverte</a>.</em></p>
<hr>
<p><em>Cette contribution à The Conversation France est publiée en lien avec les Jéco 2023 qui se tiennent à Lyon du 14 au 16 novembre 2023. Retrouvez ici le <a href="https://www.journeeseconomie.org/affiche-conference2023">programme complet</a> de l’événement.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217569/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>De grands écarts apparaissent entre les États-Unis et l’Union européenne, mais également parmi les pays européens.Thomas Grjebine, Économiste, Responsable du programme "Macroéconomie et finance internationales" au CEPII., CEPIIJérôme Héricourt, Professeur d'économie, conseiller scientifique au CEPII, Université d’Evry – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2148792023-10-19T20:37:06Z2023-10-19T20:37:06ZRelire Adam Smith aujourd’hui : la « main invisible », une apologie du libéralisme ?<p>Ce doit être l’un des passages les plus connus de <a href="https://editions.flammarion.com/la-richesse-des-nations-1/9782080290472"><em>La Richesse des Nations</em></a> qu’Adam Smith, figure éminente des <a href="https://theconversation.com/topics/lumieres-122555">Lumières</a> écossaises, publie en 1776. Un passage lu et commenté par des générations de lycéens et d’étudiants et dont on convient communément qu’il synthétise, à travers la métaphore de la « main invisible », le libéralisme de Smith en matière économique. Envisageant la manière dont un individu cherche à employer son capital, Smith observe au <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Recherches_sur_la_nature_et_les_causes_de_la_richesse_des_nations/Livre_4/2">chapitre 2 du livre IV</a> :</p>
<blockquote>
<p>« En dirigeant cette industrie de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il n’aspire qu’à son propre gain et, en cela comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à promouvoir une fin qui n’entrait pas dans ses intentions […]. En poursuivant son intérêt personnel, il contribue souvent plus efficacement à celui de la société, que s’il avait vraiment eu l’intention d’y contribuer. »</p>
</blockquote>
<p>Interpréter ces quelques phrases comme l’expression d’une <a href="https://theconversation.com/topics/liberalisme-22579">position libérale</a> n’est pas sans arguments. Et les lycéens ou étudiants qui se sont aventurés à la mettre en doute n’ont pas toujours convaincu les correcteurs de leurs copies. En discuter pourtant la pertinence fait écho à un débat public à vrai dire jamais interrompu depuis Smith, dans lequel l’idée selon laquelle un marché libéré de contraintes réaliserait les fins les meilleures pour tous vient buter sur la mise en évidence de ses possibles défaillances et insuffisances, qui exigent d’autres moyens d’action.</p>
<h2>La liberté comme agent paradoxal</h2>
<p>Un lecteur déjà convaincu retrouvera dans ces quelques lignes sur la main invisible trois ingrédients qu’on reconnaît habituellement au libéralisme économique : d’abord, la référence à la poursuite exclusive et sans entrave de l’intérêt personnel, qui renvoie à un individu égoïste, étranger à toute considération relative au bien public ou à la simple solidarité avec autrui ; ensuite, l’idée d’un mécanisme, que l’on décrira comme un mécanisme de marché, qui fait se combiner ces multiples égoïsmes pour réaliser le bien de la société ; et enfin, la dissociation entre des intentions explicites (les intérêts personnels) et leurs réalisations inintentionnelles (le bien commun) : personne n’a jamais voulu ce qui se produit et pourtant, le bien de la société émerge comme effet inintentionnel des comportements d’individus qui ne se soucient que d’eux-mêmes.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/551705/original/file-20231003-29-zffmru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/551705/original/file-20231003-29-zffmru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/551705/original/file-20231003-29-zffmru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=731&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/551705/original/file-20231003-29-zffmru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=731&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/551705/original/file-20231003-29-zffmru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=731&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/551705/original/file-20231003-29-zffmru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=919&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/551705/original/file-20231003-29-zffmru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=919&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/551705/original/file-20231003-29-zffmru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=919&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Portrait d’Adam Smith (1723-1790).</span>
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<p>Un pas de plus et nous retrouverions ce qui nous est familier dans le libéralisme économique contemporain, tel qu’il peut être revendiqué par des hommes ou des femmes politiques, ou par des représentants ou représentantes d’institutions nationales ou internationales. Pour que le mécanisme de marché soit effectif et réalise cet optimum économique dont Adam Smith aurait eu l’intuition, encore faut-il que ceux qui en sont les acteurs soient libres d’agir, que rien ne les entrave, ni l’État, ni les syndicats, ni les groupements d’intérêts, ni les traités internationaux. La liberté, ici, apparaît comme une sorte d’agent paradoxal, qui transformerait les appétits triviaux des individus en un bien commun qui n’entrait même pas dans leurs intentions.</p>
<p>Peut-on néanmoins franchir ce pas sans réserve et considérer que c’est Adam Smith qui nous y a conduits, si bien que ces éléments constitutifs du libéralisme aujourd’hui étaient déjà en germe dans son œuvre ? L’importance de ce qu’il désigne comme la « liberté naturelle » est difficilement contestable. Cependant, alors même que son attachement à la dimension politique de la liberté, ce qu’on appellerait le « libéralisme politique », va de soi, sa déclinaison économique, sous forme de « laissez-faire », est beaucoup plus discutable.</p>
<h2>Desserrer les contraintes, non s’abstraire des règlementations</h2>
<p>Il faut en effet faire preuve de prudence au moment d’aborder la métaphore de la « main invisible » telle qu’Adam Smith l’introduit dans la <em>Richesse des Nations</em>. Elle intervient après deux mentions antérieures dans les deux seules autres œuvres que, parmi tous ses écrits, il jugeait dignes de passer à la postérité.</p>
<p>On la rencontre d’abord dans l’<a href="https://books.google.fr/books?id=9TYNAAAAYAAJ&dq=editions%3AUOM39015088436673&lr"><em>Histoire de l’Astronomie</em></a> en 1758, où la main invisible de Jupiter vient, chez les Anciens, rendre compte des irrégularités supposées de la nature comme la foudre ou tout ce qui évoque la colère des dieux. Dans la <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Smith_adam/theorie_sentiments_moraux/T4C23.pdf"><em>Théorie des Sentiments Moraux</em></a> de 1759, elle renvoie à une répartition qu’engendre le désir, qu’il juge insatiable, des plus riches pour les mets les plus raffinés. L’effet de ce désir serait, en dépit des inégalités, de remplir les estomacs de chacun, pauvre ou riche.</p>
<p>Dans la <em>Richesse des Nations</em>, elle apparaît à l’occasion de la discussion des restrictions imposées à l’importation de marchandises pouvant faire l’objet d’une production domestique. La liberté qui l’accompagne n’est alors pas celle que dénonceront ceux qui y verront, du milieu du XIX<sup>e</sup> siècle au début de la Première Guerre mondiale, selon le mot prêté à Marx ou à Jaurès (parmi d’autres), la liberté du « renard libre dans un poulailler libre ». Elle renvoie chez Smith à la fin de prérogatives garanties par la législation qui régit les transactions économiques et les rapports sociaux. Face aux privilèges et aux corporations, face à la persistance du travail asservi, face au repli domestique, il suggère que le démantèlement du système économique qui les autorise n’ouvre la voie à aucune catastrophe, bien au contraire. Ce système, dont on lui doit précisément d’avoir compris la spécificité, sera désigné après lui comme « mercantiliste ».</p>
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<p>Il en résulte une compréhension de la liberté en matière économique assez étrangère à sa systématisation libérale. Si elle partage avec son acception contemporaine la reconnaissance de forces puissantes engendrées par la recherche de l’intérêt individuel, elle ne les fétichise pas. La liberté, chez Smith, permet de desserrer certaines contraintes, non de s’abstraire de toute règlementation. Il le montre sur des questions de politique fiscale, de politique monétaire, ou en matière d’éducation. Mais là où c’est le plus visible, c’est lorsqu’il envisage la question des salaires.</p>
<h2>Des mécanismes inefficaces avec des individus libres d’agir</h2>
<p>L’attention que l’auteur de la <em>Richesse des Nations</em> porte aux inégalités de revenus et aux politiques qui permettraient de les réduire est éloquente. Après avoir examiné les conséquences d’une amélioration de la situation des « plus basses classes » de la société, il conclut au <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Recherches_sur_la_nature_et_les_causes_de_la_richesse_des_nations/Livre_1/8">chapitre 8 du livre I</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Aucune société ne peut être assurément florissante et heureuse lorsque la plus grande partie de ses membres est pauvre et misérable. Ce n’est que justice, d’ailleurs, que ceux qui nourrissent, habillent et logent l’ensemble du peuple, aient une part du produit de leur propre travail telle qu’ils puissent être eux-mêmes décemment nourris, habillés et logés. »</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1396031373828296705"}"></div></p>
<p>Et lorsqu’il se demande comment ces salaires sont fixés, il ne dissimule pas le peu de confiance qu’il porte aux effets d’un mécanisme de marché non régulé. Non parce que celui-ci serait par nature inefficace, mais parce qu’il peut être entravé par certains de ses acteurs si on les laisse libres d’agir. Aux yeux de Smith, ce ne sont pas les coalitions ouvrières qui sont en cause, mais « les maîtres qui font entre eux des complots particuliers » pour réduire les salaires. Lorsqu’il décrit la réaction, parfois extrême, des salariés, il est là encore difficile de voir dans ses propos l’expression d’un libéralisme sans entrave :</p>
<blockquote>
<p>« Ils sont désespérés, et agissent avec la fureur et l’extravagance d’hommes désespérés, réduits soit à mourir de faim, soit à arracher à leurs maîtres, par la terreur, une satisfaction immédiate de leurs exigences. »</p>
</blockquote>
<h2>Faire plus et mieux</h2>
<p>On comprend alors que lire dans la main invisible une apologie du libéralisme n’est pas aussi évident qu’il y paraissait. La liberté qu’elle entend promouvoir est celle qui réduit l’arbitraire et les privilèges. Elle n’empêche pas de légiférer, d’administrer, de mettre en place des mécanismes incitatifs ou de prélever un impôt. Et ceci pour assurer des fonctions régaliennes qui incombent à l’État, corriger des injustices, compenser des handicaps, réduire des distorsions, se garantir contre les positions dominantes, pallier les défaillances du marché ou répondre aux asymétries d’informations. Il ne s’agit pas de dire que les forces engendrées par la poursuite de l’intérêt privé sont systématiquement inefficaces ou perverses – bien qu’elles puissent l’être – mais plutôt qu’il peut être opportun de les réguler ou d’en orienter l’usage, de ne pas en être les serviteurs impuissants et aveugles.</p>
<p>Relire, aujourd’hui, ce que Smith écrivait hier sur la main invisible et sur ce qui l’entoure, ce n’est pas seulement rendre justice à un propos ancien en montrant que la signification de cette métaphore est moins convenue que ce qu’il y paraissait. Depuis le renouveau qui a accompagné il y a une cinquantaine d’années, la première édition scientifique des œuvres complètes d’Adam Smith, dite <a href="https://global.oup.com/academic/content/series/g/glasgow-edition-of-the-works-of-adam-smith-gles/?cc=fr&lang=en&">« Édition de Glasgow »</a>, à l’occasion du bicentenaire de la publication de la <em>Richesse des Nations</em>, des générations d’historiennes et historiens de la pensée économique s’y sont employés – comme en témoignent, aujourd’hui encore, les travaux de nombreux chercheurs et chercheuses que j’ai pu rencontrer à <a href="https://phare.pantheonsorbonne.fr/">PHARE</a>, au sein de l’<a href="https://www.pantheonsorbonne.fr/">Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne</a>. Au-delà des caricatures, ils montrent à quel point elle se distingue, par exemple, de cette sacralisation du laissez-faire que l’on rencontre, au siècle suivant, chez les libéraux français comme <a href="http://bastiat.org/">Frédéric Bastiat</a>.</p>
<p>Relire Smith, c’est aussi reconnaître que le message qu’on a voulu lui faire transmettre sur notre monde, aujourd’hui, doit être nuancé : la liberté de choisir, d’échanger et d’entreprendre, pourquoi pas ? Sauf lorsqu’elle se fourvoie et que l’on a de bonnes raisons de penser que, pour le bien commun, on peut décidément faire plus et mieux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214879/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>André Lapidus ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sans doute que la liberté promue par Adam Smith et la « main invisible » est celle qui réduit l’arbitraire et les privilèges, pas celle qui empêche de légiférer et de prélever un impôt.André Lapidus, Professeur émérite, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2140072023-09-21T16:29:30Z2023-09-21T16:29:30ZAssiste-t-on réellement au « retour » du protectionnisme ?<p>La mondialisation néolibérale semble aujourd’hui se transformer sous l’effet d’un renforcement des mesures protectionnistes, à l’image de <a href="https://theconversation.com/inflation-reduction-act-comment-lunion-europeenne-peut-elle-repondre-aux-incitations-fiscales-americaines-201425">l’Inflation Reduction Act</a> américain adopté en 2022 ou des <a href="https://theconversation.com/batteries-lue-cherche-lequilibre-entre-ouverture-aux-marches-et-souverainete-technologique-210005">velléités européennes de relocalisation</a>. Cependant, plus que de prophétiser un « retour » du protectionnisme, il s’agit de s’interroger sur la présence, ou non, d’un « moment » protectionniste, c’est-à-dire de l’existence d’un <a href="https://archive-ouverte.unige.ch/unige:161572">bloc social</a> favorable à la protection du marché intérieur face aux méfaits du libre-échange, pilier du commerce international depuis les années 1970.</p>
<p>Le cas de la France est dès lors éclairant. Depuis le début du XIX<sup>e</sup> siècle, le pays a en effet alterné des périodes que l’on qualifie de libre-échangistes, tout autant que des périodes plus protectionnistes. L’historique des compromis institutionnels et sociopolitiques qui ont installé le protectionnisme en France à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, que nous avons analysé dans nos <a href="https://ideas.repec.org/f/pch1140.html">recherches</a>, nous permettra d’éclairer la réalité contemporaine.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Portrait de Jules Méline" src="https://images.theconversation.com/files/549326/original/file-20230920-29-ao3hss.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549326/original/file-20230920-29-ao3hss.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=865&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549326/original/file-20230920-29-ao3hss.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=865&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549326/original/file-20230920-29-ao3hss.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=865&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549326/original/file-20230920-29-ao3hss.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1088&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549326/original/file-20230920-29-ao3hss.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1088&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549326/original/file-20230920-29-ao3hss.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1088&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jules Méline a mis en place une hausse des droits de douane en 1892 qui marqua un virage protectionniste de la France.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:M%C3%A9line,_Jules,_1915,_agence_Meurisse,_BNF_Gallica.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<h2>Un virage protectionniste à la fin du XIXᵉ siècle</h2>
<p>Cette alternance est particulièrement visible à partir des années 1870, période à laquelle les droits de douane remontent peu à peu. Si la parenthèse libre-échangiste (1850-1878) couronnée par la signature du traité de commerce avec l’Angleterre (<a href="https://www.herodote.net/23_janvier_1860-evenement-18600123.php">traité Cobden-Chevallier</a>) abaisse le droit de douane moyen de 16 % en 1850 à 3,70 % en 1868, celui-ci remonte de façon régulière jusqu’à atteindre 12,27 % en 1894, après l’application du <a href="https://www.herodote.net/almanach-ID-2999.php">« tarif Méline »</a> instauré en 1892 par le président de la commission des douanes de la Chambre des députés du même nom.</p>
<p>Pour installer ce régime protectionniste, il a fallu que les défenseurs des tarifs trouvent une coalition sociopolitique suffisamment large pour convaincre le gouvernement d’abandonner les principes du commerce sans entraves. Or, sous la III<sup>e</sup> République, un mouvement s’est structuré avec la réunion de différentes associations protectionnistes sous une seule et même bannière, celle de <a href="https://recherche-anmt.culture.gouv.fr/ark:/60879/786195">l’Association de l’industrie et de l’agriculture française</a> (AIAF).</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Pensée comme un véritable groupe de pression, cette association qui regroupe les industriels des industries lourdes, mines, métallurgie et de la construction ainsi que certaines industries textiles, les agriculteurs (exportateurs ou non) va expérimenter différentes formes de lobbying : création de journaux, formation d’élites intellectuelles (dont des économistes), élection de députés favorables à la protection, etc.</p>
<p>Il est intéressant de noter que le mouvement protectionniste français va réussir à imposer un récit qui embrasse les intérêts du travail et ceux du capital. Face à la concurrence internationale qui s’intensifie, les industries déclinantes et en difficultés se tournent vers l’État pour survivre et sauvegarder leurs profits. Du point de vue du travail, l’accent est mis sur la nécessité de préserver l’emploi national et le savoir-faire français.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/549365/original/file-20230920-15-9vtqg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Image extraite du livre « Les merveilles de l’industrie ou, Description des principales industries modernes », par Louis Figuier (1877)" src="https://images.theconversation.com/files/549365/original/file-20230920-15-9vtqg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549365/original/file-20230920-15-9vtqg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549365/original/file-20230920-15-9vtqg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549365/original/file-20230920-15-9vtqg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549365/original/file-20230920-15-9vtqg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549365/original/file-20230920-15-9vtqg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549365/original/file-20230920-15-9vtqg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les industriels ont joué un rôle essentiel dans la structuration du bloc protectionniste à la fin du XIXᵉ siècle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/fdctsevilla/4726596383/">« Les merveilles de l’industrie ou, Description des principales industries modernes », par Louis Figuier (1877)/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les défenseurs du protectionnisme français ont ainsi réussi à faire émerger un bloc social suffisamment puissant pour déterminer la politique commerciale française au cours de la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle. Ce compromis protectionniste perdurera jusqu’à la fin de la IV<sup>e</sup> république, avant d’être progressivement remplacé par un compromis libre-échangiste au tournant des années 1970, la période des Trente Glorieuses se caractérisant par un régime mixte.</p>
<h2>Vers un nouveau « moment » protectionniste ?</h2>
<p>Il y a 50 ans, la France s’engageait en effet pleinement dans le régime libre-échangiste imposé par les grandes institutions internationales, soutenu par un bloc social majoritaire et rendu nécessaire par la construction d’une Union européenne d’inspiration libérale. Or, aujourd’hui, il semble que nous assistons à une recomposition d’un bloc sociopolitique favorable à davantage de protection, ce qui pourrait refermer la parenthèse ouverte dans les années 1970.</p>
<p>Ainsi, selon un sondage OpinionWay en 2020, 60 % des Français interrogés se déclarent favorables au protectionnisme. Certes, il existe sans doute un effet Covid, mais les délocalisations, les pertes d’emplois industriels ou encore le déclassement d’une partie de la main-d’œuvre française représentent désormais un coût trop lourd à payer.</p>
<p>La nouveauté de ce bloc favorable au protectionnisme est qu’il s’articule aux crises écologiques, qui concernent tout le monde. Ainsi, les intérêts – ou du moins les aspirations – des citoyens et citoyennes sont pris dans leur ensemble, c’est-à-dire en leur qualité de travailleurs tout autant que de citoyens ou consommateurs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1315896929855905793"}"></div></p>
<p>Face à la crise écologique, ce sont donc les demandes de circuit-court ainsi que de normes de production française ou européenne qui émergent. Du moins, de la part de la classe moyenne et supérieure, les ménages les plus fragiles restant bloqués dans le cercle vicieux néolibéral des salaires bas ne permettant qu’une consommation à prix « cassés ».</p>
<p>Du côté des entreprises, leur rationalité économique les a rapidement fait surfer sur la vague du « made in France » et les possibilités offertes de (certes plus ou moins sincèrement) verdir leur image. Pour les plus grandes organisations, au-delà de l’opportunisme que peut représenter la conversion au protectionnisme ou, tout du moins à la relocalisation, en matière de part de marché et d’aides publiques, c’est surtout les blocages de la mondialisation néolibérale qui ont ralenti leurs élans libre-échangistes. Produire étant prévoir, l’un des moteurs d’une économie en bonne santé est donc la confiance.</p>
<h2>Une demande de protection face à l’incertitude</h2>
<p>Ainsi, le blocage des chaines de valeur mondiales, la hausse des prix de l’énergie ou des intrants, le renforcement du protectionnisme aux États-Unis ou en Chine constituent autant d’arguments en faveur d’une relocalisation des activités productives. La recherche d’une certaine forme de protection face aux aléas de la mondialisation répond à la volonté de sécuriser les investissements (productifs ou financiers), de se soustraire à l’interdépendance des systèmes de production. Donc, <em>in fine</em>, de protéger le profit.</p>
<p>Parmi les incertitudes figure également la crise climatique. Tout comme les grands patrons au XIX<sup>e</sup> siècle craignaient une révolte sociale de grande ampleur, il n’est en effet pas exclu que le capital craigne désormais une crise majeure qui en plus des menaces concrètes sur la vie humaine pourrait alimenter une nouvelle crise sociale dans laquelle les <a href="https://theconversation.com/reveil-ecologique-des-grandes-ecoles-ce-que-nous-ont-appris-les-discours-de-jeunes-diplomes-196263">« vocations » des travailleurs à alimenter le capitalisme s’effondrerait</a>.</p>
<p>Les derniers maillons de ce bloc social favorable (du moins en partie) au protectionnisme se composent des décideurs politiques. Les relocalisations et la réindustrialisation passent en effet nécessairement par du protectionnisme. Par conséquent, si le terme même de protectionnisme n’est jamais utilisé, le discours politique dominant s’infléchit et considère la possibilité de ne pas respecter béatement les dogmes libre-échangistes.</p>
<p>Il semble donc que nous assistons à l’émergence et la progression d’un moment favorable au protectionnisme, notamment en France. Les classes moyennes et intellectuelles supérieures rejoignent les classes ouvrières (dont l’emploi est délocalisable) dans la défense du « faire français ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214007/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Léo Charles ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comme à la fin du XIXᵉ siècle, un bloc sociopolitique opposé au libre-échange émerge en France.Léo Charles, Maître de conférences spécialiste d'histoire économique, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2044172023-04-25T22:50:34Z2023-04-25T22:50:34ZL’Inflation reduction act américain : un danger pour la production automobile hexagonale ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/522635/original/file-20230424-18-r6a7i1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=256%2C67%2C758%2C557&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Actuellement, 82&nbsp;% des véhicules vendus en Allemagne, 83&nbsp;% en Italie et 81&nbsp;% en France proviennent du continent européen (Turquie comprise).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Concesionario_de_Mercedes-Benz,_Múnich,_Alemania,_2013-03-30,_DD_25.JPG">Diego Delso/Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/inflation-reduction-act-134318">Inflation reduction act</a> (IRA), adopté en août 2022 par le Congrès américain, a rapidement suscité de vives réactions en Europe. Ce vaste plan de subventions dans le secteur des technologies vertes vise à enfin mettre les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/etats-unis-20443">États-Unis</a> en phase avec leurs engagements de décarbonation de leur économie. Mais il contient des mesures protectionnistes et discriminatoires, contraires aux règles du commerce international.</p>
<p>Les critiques européennes se sont en particulier concentrées sur les subventions à l’achat de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/voitures-electriques-31974">véhicules électriques</a>, jusqu’à 7500 dollars, aides assorties de règles de contenu local sur l’assemblage du véhicule et sur l’origine des minerais utilisés dans la production de la batterie. Ces règles excluent pour l’instant les producteurs sur le sol européen, faisant craindre une concurrence déloyale et l’attraction de grands projets automobile au détriment des investissements en Europe.</p>
<p>L’impact de l’ensemble de ces mesures reste difficile à évaluer, du fait notamment de leur concentration dans certains secteurs et de leur faible montant rapporté au PIB (<a href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/pb/2023/pb2023-40.pdf">0,2 % du PIB des États-Unis par an sur 10 ans</a>). Mais la crainte d’annonces de délocalisations d’usines de véhicules électriques ou de production de batteries a déjà lancé un débat sur l’assouplissement des règles sur les aides publiques au niveau européen, permettant notamment de répondre aux propositions dont font l’objet les producteurs européens de la part de certains États américains, et donné lieu à des propositions de la Commission européenne en ce sens.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inflation-reduction-act-comment-lunion-europeenne-peut-elle-repondre-aux-incitations-fiscales-americaines-201425">Inflation Reduction Act : comment l’Union européenne peut-elle répondre aux incitations fiscales américaines ?</a>
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<p>Quelle est l’ampleur de la menace pour la chaîne de production des véhicules électriques européens ? Pour que le risque de relocalisation de l’activité en Amérique du Nord se matérialise, il faudrait que pour ce type de biens les producteurs trouvent profitable de concentrer leur production dans certaines régions du monde et de servir les marchés lointains en y exportant leur production. Mais contrairement à d’autres types de marchandise, il est loin d’être acquis que cette stratégie de relocalisation soit rentable dans le secteur automobile.</p>
<h2>Un marché avant tout continental</h2>
<p>L’analyse des échanges mondiaux de véhicules montre en effet que les ventes de l’ensemble des grands pays se concentrent sur des véhicules produits dans la même grande région continentale : 82 % des véhicules vendus en Allemagne, 83 % en Italie et 81 % en France proviennent du continent européen, y compris de Turquie (Tableau 1). En Asie, 82 % (Corée du Sud) à 97 % des véhicules (Chine) ont été assemblés en Asie, dont une large majorité dans le pays de consommation contrairement aux pays européens. En Amérique du Nord, près de 30 % des véhicules vendus au Canada et aux États-Unis proviennent d’en dehors de l’Amérique du Nord.</p>
<p><iframe id="isjOu" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/isjOu/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Pour la France en 2022, l’origine des véhicules vendus sur le territoire est d’abord locale et européenne (15 % de France, 16 % d’Espagne, 10 % d’Allemagne, 10 % de Slovaquie) et ensuite seulement extra-européenne (Tableau 2). En dehors de <a href="https://theconversation.com/drafts/204417/edit">l’Union européenne (UE)</a>, on retrouve des véhicules originaires du Maroc (6,3 %) et de Turquie (5,5 %) et dans une moindre mesure du Royaume-Uni (3,5 %), pays dans le pourtour de l’UE et ayant des accords commerciaux avec celle-ci qui assurent des barrières aux échanges faibles. Viennent ensuite seulement la Corée du Sud (4,7 %), la Chine (3,7 %) et le Japon (2,4 %) aux neuvième, dixième et douzième places des pays d’origine.</p>
<p><iframe id="p5eJ3" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/p5eJ3/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Si l’augmentation de la part de la Chine depuis la crise sanitaire est impressionnante (et, nous y reviendrons, surtout en raison des véhicules électriques), le fait marquant des 15-20 dernières années est la forte chute de la part des véhicules produits localement dans les ventes françaises (50 % en 2005, encore 25 % en 2015 mais plus que 15 % en 2022), au profit de la production sur des territoires proches : en 2005, l’Espagne ne produisait que 11 % des véhicules vendus en France, la Slovaquie 0,2 % contre 16,5 % et près de 10 % en 2022 (Tableau 2). La France n’a jamais importé plus de 0,9 % de ses véhicules des États-Unis depuis 2005 (0,5 % en 2022).</p>
<p>Cette spécificité du marché automobile, qui est d’abord et avant tout un marché continental, traduit l’importance des coûts de transport dans le secteur et les droits de douane relativement élevés dans plusieurs régions, non seulement pour les véhicules assemblés mais <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/wp/abstract.asp?NoDoc=13722">également pour les principaux composants</a>, qui incitent aux investissements directs étrangers (IDE) pour servir la demande régionale à partir d’usines locales.</p>
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<p>Les exemples sont légions, de <a href="https://www.leparisien.fr/economie/nord-toyota-investit-400-millions-d-euros-a-onnaing-700-emplois-a-la-cle-19-01-2018-7511268.php">Toyota dans le Nord de la France</a> à <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/royaume-uni/nissan-se-renforce-au-royaume-uni-en-construisant-une-grande-usine-de-batteries-d4e3f450-da94-11eb-94e9-572fc3dbf157">Nissan au Royaume-Uni</a> ou, plus récemment, l’implantation de <a href="https://www.numerama.com/vroom/1309316-tesla-veut-rendre-sa-gigafactory-a-berlin-encore-plus-giga.html">Tesla en Allemagne</a>. Les différences de droits de douane sur les véhicules automobiles, qui vont de 2,5 % aux États-Unis à 10 % pour l’UE, et atteignent des niveaux encore plus élevés en Chine ou en Inde, permettent d’ailleurs d’expliquer une partie des différences de production nationale dans la consommation entre l’UE, l’Amérique du Nord ou la Chine.</p>
<h2>Des annonces qui se multiplient</h2>
<p>La situation décrite jusque-là est celle où les véhicules thermiques dominent encore le marché automobile. Or ce secteur vit aujourd’hui un véritable tournant avec la percée des véhicules électriques et les règles environnementales qui prévoient la disparition des véhicules thermiques à l’horizon 2030 dans l’UE, ce qui pose la question des spécificités des véhicules électriques et de leur lieu de production.</p>
<p>Pour l’instant, des batteries et des voitures électriques voyagent sur de longues distances, à l’image des importations européennes en provenance de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chine-20235">Chine</a> largement constituées de véhicules électriques et qui ont <a href="https://merics.org/en/short-analysis/made-china-electric-vehicles-could-turn-sino-eu-trade-its-head">fortement augmenté ces derniers mois</a>. En France, ces importations sont pour un tiers des véhicules Tesla et un autre tiers des Dacia Spring (tableau 3). Cela a cependant toutes les chances d’être temporaire, car ce type de véhicules et les batteries sont encore plus compliqués à transporter par bateau du fait de leur poids et des régulations liées au caractère dangereux de ces marchandises.</p>
<p>Avec l’augmentation de la demande de véhicules électriques dans toutes les régions du monde, les incitations à s’en rapprocher devraient rapidement se matérialiser par des investissements en Europe et en Amérique du Nord. D’où les annonces qui se multiplient pour localiser des usines de batteries à côté de l’assemblage (<a href="https://journalauto.com/constructeurs/byd-a-lassaut-de-leurope/">BYD en Europe</a> par exemple, <a href="https://www.capital.fr/auto/hyundai-investit-55-milliards-de-dollars-pour-les-vehicules-electriques-aux-etats-unis-1437088">Kia ou Hyundai aux États-Unis</a>, etc.). Avec son usine à Berlin, Tesla devrait à terme servir directement le marché européen et français, et tarir en partie les importations françaises en provenance de Chine qui sont aujourd’hui pour près d’un tiers des Tesla (tableau 3).</p>
<p><iframe id="iYxDp" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/iYxDp/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Selon toute vraisemblance, avec l’arrivée à maturité du secteur, chacun des clusters continentaux servira sa région, comme cela est, dans une très large mesure, le cas pour les véhicules thermiques. Pour la France, l’enjeu est donc bien plus d’attirer les prochains investissements de Kia, Honda, MG (SAIC) ou BYD en Europe face à l’Espagne, l’Allemagne, les pays d’Europe centrale ou encore le Maroc, et de favoriser la transition des sites français des véhicules thermiques aux véhicules électriques, qu’une concurrence avec des sites en Amérique du Nord.</p>
<p>Dans le secteur automobile, si les marchés sont avant tout régionaux, un relâchement des aides d’État sans réel mécanisme coopératif au niveau européen pourrait s’avérer contre-productif en renforçant les concurrences fiscales intra-européennes pour attirer les mêmes usines.</p>
<p>Si les faibles échanges interrégionaux dans l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/industrie-automobile-33711">industrie automobile</a> semblent limiter les risques de relocalisation de la production aux États-Unis à la suite de l’IRA, il n’en est pas nécessairement de même dans d’autres secteurs comme les panneaux solaires ou l’hydrogène, plus échangeables et pour lesquels des soutiens dédiés peuvent s’avérer pertinents. De telles mesures doivent cependant ressortir d’une véritable stratégie de politique industrielle prenant en compte les spécificités de chaque secteur et technologie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204417/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Sur le marché automobile, l’essentiel des ventes porte sur des véhicules produits sur le même continent, limitant la portée des mesures protectionnistes américaines sur la concurrence mondiale.Thierry Mayer, Professeur d’économie à Sciences-Po, conseiller scientifique, CEPIIVincent Vicard, Économiste, adjoint au directeur, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2014252023-03-15T19:57:42Z2023-03-15T19:57:42ZInflation Reduction Act : comment l’Union européenne peut-elle répondre aux incitations fiscales américaines ?<p>L’<a href="https://www.congress.gov/bill/117th-congress/house-bill/5376">Inflation Reduction Act</a> (IRA), adopté en août 2022 par le Congrès des États-Unis, a mis en place des incitations fiscales à la production et à l’utilisation d’énergies propres en programmant des financements fédéraux sur dix ans. Ces avantages fiscaux sont donnés aux entreprises ou aux ménages en contrepartie d’une obligation de production locale et/ou de contenu local de biens utilisés dans leur production.</p>
<p>Ce texte a rapidement suscité <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/12/06/la-difficile-quete-d-une-reponse-europeenne-commune-au-protectionnisme-americain_6153093_3234.html">l’inquiétude des Européens</a>. Les subventions et crédits d’impôts que cette loi offre les a fait craindre que cela conduise à une augmentation des investissements directs étrangers (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/ide-64175">IDE</a>) dans les filières vertes aux <a href="https://theconversation.com/fr/topics/etats-unis-20443">États-Unis</a> au détriment de l’Europe. Ces craintes sont-elles justifiées ?</p>
<p>Les nombreux travaux sur les déterminants des IDE permettent d’y voir plus clair. Les subventions et les crédits d’impôt sont évidemment des facteurs attractifs, mais les clauses qui définissent le contenu local de l’IRA compliquent la tâche des investisseurs. Une clause de contenu local ne peut jouer que dans le sens d’une hausse des coûts de production, sans quoi l’investisseur aurait déjà eu recours à ces contenus locaux. En outre, les critères inclus dans l’IRA sont contraignants. Surtout, les clauses de contenu local et les avantages fiscaux ne sont pas les seuls déterminants de l’IDE.</p>
<h2>L’UE a aussi des atouts</h2>
<p>Il faut en effet aussi considérer les déterminants qui ont un effet positif sur les IDE (tailles économiques des pays d’origine et de destination, croissance économique, capital humain, développement financier, qualité des infrastructures de communication et de transport ou respect des droits de propriété du pays de destination), ainsi que ceux qui ont un effet négatif (distance entre les deux pays, coûts unitaires du travail, taux d’imposition des sociétés).</p>
<p>Quant aux droits de douane, ils peuvent, lorsqu’ils sont appliqués à un produit transformé comme une voiture électrique, inciter les investisseurs à se localiser dans le pays plutôt qu’exporter (<em>tariff-jumping</em>). Au contraire, lorsqu’ils portent sur les importations de biens intermédiaires (la batterie d’une voiture électrique ou ses composants), les dissuader.</p>
<p>Le tableau ci-dessous, qui compare des mesures de ces déterminants dans les trois plus grandes puissances économiques mondiales, illustre les atouts dont dispose <a href="https://theconversation.com/fr/topics/union-europeenne-ue-20281">l’Union européenne</a> (UE) pour attirer les IDE. C’est un marché de taille importante, avec des infrastructures logistiques de haute qualité, des règles de droit respectées et des subventions publiques en proportion du PIB qui dépassent largement celles offertes par les États-Unis. Quant au droit de douane de 10 % sur les véhicules électriques, il peut inciter les entreprises étrangères à faire du <em>tariff-jumping</em>.</p>
<p><iframe id="oa8Od" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/oa8Od/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ce tableau permet également d’identifier les directions qui permettraient d’améliorer l’attractivité de l’UE en jouant sur les facteurs structurels de compétitivité.</p>
<p>Une politique-clé est la diminution du prix de l’énergie en accélérant le déploiement des énergies renouvelables : les délais d’obtention des permis peuvent être raccourcis et les <em>feed-in tariffs</em> (prix garanti au-dessus du prix du marché à un producteur d’électricité pendant une période donnée) sont pour les entreprises du secteur une formule attractive.</p>
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<p>Les subventions publiques pourraient être augmentées, mais surtout, leur efficacité peut être améliorée : en autorisant les subventions pendant dix ans dans les filières vertes sous une forme moins fragmentée qu’elles ne le sont actuellement ; en raccourcissant et en simplifiant les délais d’obtention ; en procédant à une évaluation continue de leur performance et en privilégiant non seulement les subventions à l’innovation, mais aussi celles accélérant le déploiement des technologies existantes.</p>
<p>La formation d’une main-d’œuvre ayant les compétences nécessaires au développement des filières vertes, tout comme un meilleur accès au crédit et à des sources privées de financement, favoriseraient également les IDE dans l’UE.</p>
<h2>L’OMC une nouvelle fois déstabilisée</h2>
<p>Enfin, la négociation en cours d’accords commerciaux régionaux pourrait faciliter l’accès aux minerais critiques : accords de l’UE avec l’Australie, le Chili, le Mercosur (dont les membres permanents sont le Brésil, Argentine, Paraguay et l’Uruguay)… En outre, il serait possible de simplifier l’obtention de permis pour l’extraction et la transformation des minerais critiques en Europe, tout en respectant une charte pour limiter les effets néfastes sur l’environnement.</p>
<p>Quant à la solution protectionniste, doit-elle être envisagée ? Elle pourrait consister en des clauses de contenu local, dont les avantages et les inconvénients sont connus, ou la réservation des marchés européens, par exemple les marchés publics, aux entreprises européennes. Ce serait un pari sur le fait que cela va accroître leur compétitivité dans les filières vertes par le jeu des économies d’échelle et que cela va les inciter à davantage investir dans la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/randd-34548">R&D</a>.</p>
<p>Ce choix aurait un coût budgétaire et impliquerait en outre une déstabilisation supplémentaire de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/organisation-mondiale-du-commerce-omc-50902">l’Organisation mondiale du commerce</a> (OMC). Or, la disparition potentielle de cette institution aurait un coût à long terme. Dans ces conditions, pour l’UE, et compte tenu des positions très différentes en son sein entre pays du Nord et pays du Sud, la réponse proposée par la Commission le 1<sup>er</sup> février 2023 va dans la bonne direction : les subventions sont rendues plus accessibles, tout en restant dans le respect des engagements pris à l’OMC.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201425/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Bouët ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les Vingt-Sept disposent de marges de manœuvre pour renforcer leur attractivité aux yeux des investisseurs et riposter ainsi aux mesures d’incitations fiscales adoptées mi-2022 aux États-Unis.Antoine Bouët, Directeur, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1993582023-02-09T15:25:51Z2023-02-09T15:25:51ZPratiquer la médecine au Canada lorsque formé à l’étranger : un – incompréhensible – parcours du combattant<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/509224/original/file-20230209-20-e2n15h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C98%2C8192%2C5359&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Canada connaît une pénurie de médecins. Voilà pourquoi le fait de rendre difficile la pratique des médecins formés à l'étranger est incompréhensible.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les médecins formés à l’étranger sont mis de côté au Canada alors que <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1912232/sondage-reid-medecins-famille-acces">six millions de Canadiens</a> n’ont pas de médecin de famille.</p>
<p>Ces professionnels de la santé, qui ont terminé leurs études à l’extérieur du Canada ou des États-Unis, constituent un groupe diversifié de praticiens formés dans diverses spécialités. Plusieurs ont été <a href="https://fammedarchives.blob.core.windows.net/imagesandpdfs/pdfs/FamilyMedicineVol41Issue3Klein197.pdf">attirés au Canada</a> pour la promesse d’une vie meilleure.</p>
<p>La plupart ont même profité de l’« entrée express » dans le cadre du <a href="https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/immigrer-canada/entree-express/admissibilite/travailleurs-qualifies-federal.html">programme des travailleurs qualifiés</a> en vertu de leur formation de haut niveau.</p>
<p>Pourtant, ils se heurtent à de multiples obstacles tout au long du processus d’obtention du permis.</p>
<p>En octobre 2021, une équipe de recherche communautaire de l’Université Simon Fraser a examiné les <a href="https://radiussfu.com/programs/labs-ventures/refugee-newcomer-livelihood/">politiques canadiennes d’exclusion à leur endroit</a>.</p>
<p>Le projet est né de la réponse britanno-colombienne à la crise sanitaire, notamment de la campagne <a href="https://www.facebook.com/profile.php?id=100067180144234">Trained To Save Lives</a> sur les réseaux sociaux, qui portait sur le rôle des professionnels de la santé formés à l’étranger.</p>
<p>Nos entrevues auprès de 11 médecins britanno-colombiens formés à l’étranger mettent en évidence, selon nous, les obstacles auxquels ils font face partout au Canada.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/permis-dexercice-national-pour-les-professionnels-de-la-sante-au-canada-est-ce-possible-127963">Permis d'exercice national pour les professionnels de la santé au Canada : est-ce possible ?</a>
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<h2>Huit étapes</h2>
<p>Le processus canadien est complexe, car <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/sante/2022-09-16/pour-contrer-la-penurie-de-medecins/un-permis-de-pratique-national-a-l-etude.php">chaque province a son propre système de délivrance de permis</a>. En Colombie-Britannique, les exigences sont les suivantes :</p>
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<li><p>Les médecins formés à l’étranger doivent être diplômés d’une école agréée figurant dans le <a href="https://wfme.org/world-directory/">Répertoire mondial des écoles de médecine</a>.</p></li>
<li><p>Ils doivent fournir un certificat de compétence linguistique si la langue de leur diplôme n’est pas l’anglais et s’ils n’ont pas pratiqué en anglais.</p></li>
<li><p>Ils doivent réussir <a href="https://mcc.ca/fr/examens/eacmc-partie-i/">l’examen d’aptitude du Conseil médical du Canada, partie 1</a>, et <a href="https://mcc.ca/fr/examens/survol-cne/">l’examen clinique objectif structuré de la Collaboration nationale en matière d’évaluation</a> (CNE).</p></li>
<li><p>Ils doivent s’inscrire à un <a href="https://imgbc.med.ubc.ca/clinical-assessment/">programme d’évaluation clinique</a>.</p></li>
<li><p>Ils doivent compléter une résidence ou réussir au <a href="https://mcc.ca/fr/evaluations/evaluation-capacite-a-exercer/">programme d’évaluation de la capacité à exercer</a> de la CNE.</p></li>
<li><p>S’ils font une résidence, ils doivent <a href="https://practiceinbc.ca/practice-in-bc/img-au-irl-uk-usa-residency-ca/return-of-service">s’engager par contrat</a> à fournir des années de service.</p></li>
<li><p>Ils doivent obtenir le permis provincial (ici, du Collège des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique).</p></li>
<li><p>Enfin, les omnipraticiens doivent passer par les examens de certifications du Collège des médecins et chirurgiens provincial et les spécialistes, de même au Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada.</p></li>
</ol>
<h2>Le parcours du combattant</h2>
<p>Nos entretiens nous ont permis d’identifier plusieurs obstacles. L’un des principaux est l’examen clinique objectif structuré de la CNE (non requis pour les diplômés des facultés canadiennes et américaines). Cet examen, très coûteux, n’est offert que rarement chaque année.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/507892/original/file-20230202-5782-vp3d9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="un médecin ausculte les yeux d’un patient" src="https://images.theconversation.com/files/507892/original/file-20230202-5782-vp3d9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/507892/original/file-20230202-5782-vp3d9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/507892/original/file-20230202-5782-vp3d9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/507892/original/file-20230202-5782-vp3d9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/507892/original/file-20230202-5782-vp3d9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/507892/original/file-20230202-5782-vp3d9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/507892/original/file-20230202-5782-vp3d9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">S’ils veulent pratiquer au Canada, les médecins formés à l’étranger doivent satisfaire à des exigences différentes de leurs collègues canadiens et américains.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Pixabay)</span></span>
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</figure>
<p>L’attente est parfois très longue. De plus, les conseillers en immigration sont souvent mal informés quant aux perspectives de carrière. Plusieurs se sont fait dire que leur éducation « ne valait rien » au Canada.</p>
<p>Les médecins formés à l’étranger ont souligné le manque de clarté des informations relatives à la délivrance des licences. Même s’ils s’attendaient à un processus ardu, rien ne les préparait aux difficultés rencontrées.</p>
<p>En dépit des <a href="https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/campagnes/immigration-ca-compte/systeme.html">prétentions du ministère fédéral de l’Immigration quant aux travailleurs qualifiés</a>, un grand nombre doit se contenter <a href="https://www.dovepress.com/ldquobrain-drainrdquo-and-ldquobrain-wasterdquo-experiences-of-interna-peer-reviewed-fulltext-article-RMHP">d’emplois précaires et mal payés</a> sans rapport à leur formation ou à leur expérience.</p>
<h2>Peu de places en résidence</h2>
<p>L’autre obstacle important, contre lequel les <a href="https://vancouversun.com/health/local-health/bc-has-a-doctor-shortage-and-yet-there-are-100s-of-physicians-here-who-arent-allowed-to-practise-medicine">médecins formés à l’étranger font pression</a>, est le nombre limité de postes de résidence ouverts pour eux.</p>
<p>La résidence est une <a href="https://imgbc.med.ubc.ca/">formation postuniversitaire</a> requise pour l’obtention du permis d’exercer. Le Service canadien de jumelage des résidents (CaRMS) <a href="https://journalhosting.ucalgary.ca/index.php/cmej/article/view/71790">divise les candidats entre deux catégories</a> : les diplômés en médecine canadiens et les autres.</p>
<p>Or, seulement <a href="https://www.canadianonpaper.com/">10 % des résidences sont ouvertes aux médecins formés à l’étranger</a>. La plupart concernent des spécialités en manque de candidat, comme la médecine familiale.</p>
<p>Un autre obstacle systémique tient aux contrats que doivent signer ceux qui obtiennent un poste de résident : ils doivent s’engager à pratiquer pendant deux à cinq ans dans une <a href="https://www.canadianonpaper.com/wp-content/uploads/2021/06/Fact-Sheet.pdf">communauté mal desservie</a> (sauf en Alberta et au Québec).</p>
<p>Cette obligation n’existe pas pour les diplômés des écoles de médecine canadiennes.</p>
<p>Tous ces obstacles ont un impact négatif sur la santé mentale et le bien-être des médecins formés à l’étranger.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un médeci, un stéthoscope autour du cou, regarde un téléphone" src="https://images.theconversation.com/files/507492/original/file-20230201-14-qtbg4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/507492/original/file-20230201-14-qtbg4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/507492/original/file-20230201-14-qtbg4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/507492/original/file-20230201-14-qtbg4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/507492/original/file-20230201-14-qtbg4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/507492/original/file-20230201-14-qtbg4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/507492/original/file-20230201-14-qtbg4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les nombreux obstacles administratifs placés sur le chemin des médecins formés à l’étranger affecter bien souvent leur santé mentale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Unsplash)</span></span>
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<h2>Changements à venir</h2>
<p>Certaines provinces ont lancé des initiatives pour corriger ces problèmes. Un projet pilote du Collège des Médecins et Chirurgiens de l’Alberta <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/edmonton/alberta-now-offering-accelerated-licensing-for-internationally-trained-doctors-specialists-1.6717322">visera à lever certaines exigences</a> pour ceux qui arrivent de <a href="https://cpsa.ca/physicians/registration/apply-for-registration/additional-route-to-registration-imgs/">territoires désignés</a>, comme les États-Unis.</p>
<p>En Colombie-Britannique, le programme d’évaluation de la capacité passera de 32 à 96 places. La province leur offrira ce faisant une alternative à la résidence et un <a href="https://www.prabc.ca/">meilleur accès au permis d’exercice</a>.</p>
<p>Ces progrès importants ne règlent pas tous les obstacles systémiques. Si bien que notre système de santé, <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/bc-covid19-hospitalizations-jan-19-1.6320559">malmené</a>, ne peut absolument pas profiter de l’expertise de ces médecins qualifiés.</p>
<p>Le gouvernement fédéral a récemment lancé un <a href="https://www.newswire.ca/fr/news-releases/le-gouvernement-du-canada-lance-un-appel-de-propositions-pour-aider-les-professionnels-formes-a-l-etranger-a-travailler-dans-le-secteur-des-soins-de-sante-au-canada-867332389.html">appel à propositions afin d’y remédier</a>. Un effort significatif sera nécessaire pour intégrer les médecins formés à l’étranger au système de santé.</p>
<h2>Nous proposons de</h2>
<ol>
<li><p>Fournir des informations transparentes et claires sur les exigences requises avant l’immigration.</p></li>
<li><p>Offrir un meilleur soutien en santé mentale à l’arrivée et pendant le processus d’obtention du permis d’exercer.</p></li>
<li><p>Augmenter le nombre de postes de résidence et élargir la liste des spécialités médicales pour les médecins formés à l’étranger.</p></li>
</ol><img src="https://counter.theconversation.com/content/199358/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le Canada met sur la touche des médecins qualifiés alors que de nombreux citoyens n’en ont pas. Voici ce que nous pouvons et devons faire pour améliorer l’intégration des médecins formés à l’étranger.Simran Purewal, Research Associate, Health Sciences, Simon Fraser UniversityEvelyn Encalada Grez, Assistant Professor, Labour Studies, Simon Fraser UniversityPaola Ardiles, Senior Lecturer, Health Sciences, Simon Fraser UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1950542022-11-29T18:57:10Z2022-11-29T18:57:10ZLe temps de la mondialisation est-il fini ?<p>Le temps de la mondialisation est-il fini ? Sur cette question difficile, deux grandes visions s’opposent. Pour beaucoup d’économistes, le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/libre-echange-33121">libre-échange</a> est un état naturel du système économique mondial. Toute perturbation – <a href="https://theconversation.com/fr/Covid-19">Covid-19</a>, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/guerre-en-ukraine-127040">guerre en Ukraine</a>, regain de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/protectionnisme-33187">protectionnisme</a> – ne peut résulter que de disruptions temporaires qui ont tôt ou tard vocation à être corrigées : bouffées d’irrationalité, surgissement momentané de forces politiques bousculant des équilibres économiques autrement harmonieux, etc.</p>
<p>Bien entendu, les économistes qui adhèrent à une telle vision des choses ne nient pas que le libre-échange puisse parfois avoir des effets pervers (pollution, creusement de certaines <a href="https://theconversation.com/fr/topics/inegalites-20617">inégalités</a>). Mais, à l’image du prix « Nobel » américain Paul Krugman, ils considèrent qu’il est presque toujours optimal de <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2009-4-page-513.htm">préserver le libre-échange <em>ex ante</em></a>, quitte à utiliser les richesses ainsi créées pour corriger ces effets pervers <em>ex post</em>.</p>
<p>Si l’on s’en tient à cette perspective, la démondialisation apparaît comme un spectre effrayant, qui occulterait deux siècles et demi d’acquis en matière de théorie économique, pour nous replonger dans des époques beaucoup plus sombres. Seul problème : si les conséquences de la mondialisation étaient aussi unanimement positives, comment expliquer qu’elle suscite des oppositions aussi fortes, aussi récurrentes, aussi durables ?</p>
<p>Pour éclairer cela, il faut repenser en profondeur le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/libre-echange-33121">libre-échange</a>, et comprendre que celui-ci a des coûts qui ont été systématiquement sous-estimés par les économistes. C’est ce changement de paradigme que j’esquisse dans <a href="https://www.librairie-sciencespo.fr/livre/9782021486292-le-temps-de-la-demondialisation-proteger-les-biens-communs-contre-le-libre-echange-guillaume-vuillemey/"><em>Le temps de la démondialisation</em></a> (Seuil, 2022). Cette vision alternative permet de comprendre pourquoi, au-delà d’un certain point, le libre-échange peut avoir des coûts beaucoup plus élevés que ses bénéfices. Par là même, de nouvelles formes de protectionnisme peuvent se trouver justifiées.</p>
<h2>Qu’est-ce que la mondialisation ?</h2>
<p>À nos yeux, le grand malentendu vient de la définition que l’on donne de la mondialisation. Beaucoup d’économistes ont une vision très abstraite de l’échange, que l’on peut résumer ainsi : si A et B sont mutuellement d’accord pour échanger, c’est qu’il y a des « gains à l’échange » entre eux. Dès lors que tel est le cas, les laisser échanger est créateur de valeur.</p>
<p>Ainsi formulé, cet argument vaut aussi bien pour le commerce avec un boulanger de quartier que pour des importations avec un pays du bout du monde. Si l’on raisonne ainsi, il n’y aurait pas de différence de <em>nature</em> entre l’échange proche et l’échange lointain. Il n’y aurait, précisément, qu’une différence de <em>distance</em>, ce qui a conduit nombre d’économistes à voir dans la mondialisation rien de plus qu’un processus d’<em>allongement des distances</em> dans les échanges.</p>
<p>Un recours à l’histoire permet de voir les choses sous un jour bien différent. Certes, l’échange lointain a toujours existé. Mais, pendant longtemps, il restait soumis à des ordres juridiques et politiques territorialisés. Voyager, pour un bien ou un marchand, c’était traverser une série de territoires qui, tous, imposaient leurs règles, leurs taxes, leur vision propre du bien commun. L’échange lointain n’était pas inexistant, mais il devait se soumettre localement à certains objectifs politiques.</p>
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<p>Le droit commercial – d’essence plus individualiste et utilitariste – restait toujours marginal par rapport au droit civil, lequel visait davantage des fins communes, politiques. Le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/transport-maritime-58258">transport maritime</a> lui-même restait profondément territorialisé, puisqu’il s’est longtemps réduit à la pratique du cabotage. Dans une large mesure, la politique économique consistait alors à concilier les intérêts privés des marchands avec une vision du bien commun. Tant que les échanges restaient territorialisés, limiter le libre-échange pour faire primer le bien commun ne posait pas de difficultés majeures.</p>
<p>Le plus grand changement fut la déterritorialisation progressive des échanges, depuis les « grandes découvertes » des XV<sup>e</sup>-XVI<sup>e</sup> siècles jusqu’à aujourd’hui. Avec l’ouverture des mers notamment, les marchands ont pu peu à peu s’abstraire du monde territorialisé des États, du politique et du droit civil. Le transport maritime a pu mettre en concurrence tous les pays, et contourner ceux dont le droit n’était pas suffisamment favorable aux intérêts privés des marchands.</p>
<p>Sur le temps long, le <a href="https://theconversation.com/topics/droit-21145">droit</a> commercial et ses principes (individualisme, utilitarisme) ont pris le dessus sur l’ancien droit civil. Les fins privées ont pu s’affirmer bien davantage au détriment des fins communes. Ce processus s’est considérablement accéléré au XX<sup>e</sup> siècle avec l’abaissement des coûts de transport, lié notamment à l’invention du conteneur.</p>
<p>Sous cet angle, la mondialisation apparaît désormais comme un changement profond dans la nature des échanges. Là où l’échange lointain restait traditionnellement soumis au droit commun, la mondialisation doit être vue comme un processus d’affranchissement par rapport au monde des intérêts communs, politiques, territorialisés. Le trait premier de la mondialisation est la <em>déterritorialisation</em> des échanges : leur capacité à s’abstraire des fins collectives locales.</p>
<p>Mais il y a encore autre chose : là où les économistes arguent souvent que les effets pervers du libre échange peuvent être corrigés <em>ex post</em> par la redistribution, la déterritorialisation des échanges signifie que cela sera souvent impossible. Cela, parce que les acteurs les plus mobiles peuvent se relocaliser dans des juridictions moins complaisantes, par exemple des paradis réglementaires ou fiscaux.</p>
<p>Non seulement les fins collectives sont donc peu à peu abandonnées <em>ex ante</em>, mais il devient de plus en plus difficile d’offrir une compensation aux perdants de la mondialisation <em>ex post</em> !</p>
<h2>Les coûts de la déterritorialisation</h2>
<p>Les dommages collectifs causés par cette déterritorialisation des échanges peuvent être illustrés par un exemple, celui des <a href="https://www.champscommuns.fr/pavillons-de-complaisance">pavillons de complaisance</a>. Aujourd’hui, 80 à 90 % des biens échangés internationalement le sont par voie maritime (porte-conteneurs, tankers, etc.). Jusque dans les années 1980, la majorité des navires commerciaux étaient immatriculés dans de « grands pays », et donc soumis aux réglementations techniques, sociales, environnementales et fiscales de pays tels que la France, l’Allemagne, le Grèce, les États-Unis ou le Japon.</p>
<p>Depuis, une véritable déterritorialisation du transport maritime s’est opérée : la vaste majorité des navires commerciaux dans le monde sont immatriculés dans des pavillons de complaisance, tels que le Panama, le Liberia ou les îles Marshall. Ces pays autorisent des armateurs à arborer leur pavillon, quand bien même les navires ne viendront jamais chez eux et n’ont aucun lien direct avec eux. Les pavillons de complaisance fonctionnent comme un pur « marché de nationalité » pour les navires – qui se double évidemment d’une concurrence réglementaire et fiscale pour attirer les armateurs.</p>
<p><em>In fine</em>, les navires qui forment la « colonne vertébrale » de la mondialisation sont moins régulés, moins sûrs, plus polluants, et moins taxés, qu’ils n’auraient pu l’être si les échanges avaient gardé une plus grande connexion avec les terres.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/496519/original/file-20221121-25-5q9dvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496519/original/file-20221121-25-5q9dvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496519/original/file-20221121-25-5q9dvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=878&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496519/original/file-20221121-25-5q9dvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=878&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496519/original/file-20221121-25-5q9dvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=878&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496519/original/file-20221121-25-5q9dvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1103&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496519/original/file-20221121-25-5q9dvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1103&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496519/original/file-20221121-25-5q9dvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1103&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><em>Le temps de la démondialisation : protéger les biens communs contre le libre-échange</em>, par Guillaume Vuillemey.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.librairie-sciencespo.fr/livre/9782021486292-le-temps-de-la-demondialisation-proteger-les-biens-communs-contre-le-libre-echange-guillaume-vuillemey/">Éditions Seuil (parution octobre 2022)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans ces conditions, il est possible d’affirmer qu’une certaine mobilité est incivique, en ce qu’elle a pour objectif premier de contourner l’environnement réglementaire ou fiscal mis en œuvre par les pays participant aux échanges. Ces pays perdent une partie de leur capacité à mettre en œuvre des politiques au service de l’intérêt commun.</p>
<p>C’est pourquoi certaines oppositions au libre-échange ne doivent pas être prises à la légère : elles traduisent le fait, bien réel, selon lequel certains biens communs ont effectivement été sacrifiés au cours du processus de mondialisation. Plus spécifiquement, ce processus a contribué à segmenter le monde social en deux mondes : d’une part des acteurs les plus mobiles, qui bénéficient grandement de la capacité à se déterritorialiser (par exemple par l’évasion fiscale) ; de l’autre, les plus immobiles, qui voient les biens communs locaux se dégrader.</p>
<p>Ces coûts du libre-échange peuvent permettre de justifier de nouvelles formes de protectionnisme, et une démondialisation raisonnée. Le protectionnisme ainsi repensé n’a pas pour vocation première de se couper des autres pays par une politique réactive, mais d’affirmer des biens communs propres – des milieux naturels ou marins à protéger, des savoir-faire ou des intérêts stratégiques à préserver –, dans une action positive. Il vise à créer des liens entre les activités économiques et leur traitement juridique, dont faire en sorte que leur conduite soit à nouveau subordonnée à des valeurs communes. C’est le sens de la reterritorialisation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195054/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Vuillemey ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Protectionnisme, reterritorialisations… Les remises en cause des acquis en matière de théorie semblent liées à une sous-estimation des coûts de la mondialisation par les économistes.Guillaume Vuillemey, Professeur associé en finance, HEC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1742932022-01-03T20:06:38Z2022-01-03T20:06:38ZLa crise du Covid-19 ouvre-t-elle la voie à une mondialisation moins débridée ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/439165/original/file-20220103-19-99cuyx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=346%2C208%2C1698%2C1152&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La part des Français qui estiment que la mondialisation constitue une menace pour la France est passée de 49&nbsp;% en 2017 à 60&nbsp;% en septembre 2020.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/91261194@N06/49753752766">Jernej Furman / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Isabelle Bensidoun, co-auteure de <a href="https://www.arenes.fr/livre/la-folle-histoire-de-la-mondialisation/">« La folle histoire de la mondialisation »</a> (Éditions Les Arènes) et adjointe au directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), détaille l’impact du choc sanitaire sur la dynamique de la mondialisation après quasiment deux ans de crise. Elle répond aux questions de Jézabel Couppey-Soubeyran, maîtresse de conférences en économie (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).</em></p>
<hr>
<p><strong>La crise sanitaire a fait prendre conscience des vulnérabilités que nos interdépendances occasionnent. Cela va-t-il changer le cours de la mondialisation ?</strong></p>
<p>Lorsque la crise du Covid est venue braquer le projecteur sur notre dépendance pour des produits essentiels comme les médicaments ou les masques, que nos libertés et notre santé ont été percutées lorsque ces produits ont commencé à manquer, les interdépendances qui étaient autrefois louées sont effectivement apparues comme des sources de vulnérabilités à corriger.</p>
<p>D’ailleurs, la <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/les-fractures-francaises-2020.html">défiance à l’égard de la mondialisation s’est fortement accrue</a> : la part des Français qui estiment que la mondialisation constitue une menace pour la France est passée de 49 % en 2017 à 60 % en septembre 2020, et 65 % considèrent désormais que la France devrait se protéger davantage, contre 53 % en 2017.</p>
<p>Mais le cours de la mondialisation avait déjà changé avant la crise sanitaire.</p>
<p>À l’hypermondialisation, qui régnait dans les années 1990 et 2000, avait succédé depuis la crise financière de 2007-2009 une période que l’on qualifie de « moudialisation » : une période où la dynamique des flux commerciaux et surtout financiers a marqué le pas, comme le montre l’indicateur du taux d’ouverture dans le graphique ci-dessous. Les certitudes quant aux bienfaits de la mondialisation avaient aussi été déjà bousculées.</p>
<p><iframe id="hsgLN" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/hsgLN/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ainsi en est-il de l’idée que les pertes d’emploi dans l’industrie étaient avant tout causées par le <a href="http://gc.cuny.edu/CUNY_GC/media/LISCenter/pkrugman/PK_globalization.pdf">progrès technique plutôt que par le commerce</a>. À cet égard, en montrant que les importations en provenance de Chine étaient responsables d’une part non négligeable des emplois détruits dans l’industrie américaine et que ces effets étaient <a href="https://www.brookings.edu/bpea-articles/on-the-persistence-of-the-china-shock/">durables</a>, les travaux de l’économiste américain David Autor et ses co-auteurs ont sérieusement changé la donne.</p>
<p>Ensuite, les inégalités, qui pendant longtemps étaient considérées comme <a href="https://www.academia.edu/15127821/Why_We_All_Do_Care_About_Inequality_But_Are_Loath_to_Admit_It_">secondaires par rapport à la pauvreté</a>, sont devenues un sujet de préoccupation pour les organisations internationales. Une évolution bienvenue, car si la mondialisation s’est traduite par une chute de la pauvreté dans le monde, elle s’est aussi accompagnée d’un <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/panorama/abstract.asp?NoDoc=12184">accroissement des inégalités</a> dans de nombreux pays.</p>
<p>Quant à la présidence de Donald Trump aux États-Unis, elle a sérieusement secoué l’approche libre-échangiste en n’y allant pas de main morte <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/em/abstract.asp?NoDoc=12311">avec le protectionnisme</a>. Le Brexit, tout comme la montée des votes populistes, a également souligné que la libéralisation commerciale était désormais perçue comme mettant en péril la souveraineté nationale et que la mondialisation n’avait pas été heureuse pour tout le monde.</p>
<p><strong>Si les années 2010 ont vu l’hypermondialisation s’interrompre et que la crise actuelle accentue la perception des fragilités que la mondialisation produit, est-ce à dire que l’on entre dans une nouvelle ère de la mondialisation, moins débridée, plus encadrée ?</strong></p>
<p>Assurément. Car la mondialisation est avant tout la résultante de choix politiques qui vont soit la stimuler, comme à partir du début des années 1980 lorsque s’est imposée l’idée qu’il n’y avait pas d’alternative à une libéralisation toujours plus poussée des flux commerciaux et financiers, soit, au contraire, l’encadrer.</p>
<p>Or, il me semble que le choix politique penche aujourd’hui vers plus d’encadrement ou, pour le dire autrement, que l’ordre des priorités est en train de changer. L’ouverture n’est plus considérée comme une fin en soi et plusieurs changements sont perceptibles.</p>
<p>D’abord, la refonte au niveau international de la fiscalité des entreprises multinationales, sur laquelle l’OCDE travaillait depuis qu’elle avait été mandatée par le G20 en 2013, a finalement aboutie.</p>
<p>Avec <a href="https://theconversation.com/pour-vraiment-taxer-les-entreprises-multinationales-une-reforme-suffit-elle-172417">l’accord sur la taxation des multinationales</a> signé en octobre 2021, les pratiques d’optimisation fiscale des multinationales, qui occasionnent des pertes annuelles de recettes budgétaires estimées à au moins <a href="https://taxjustice.net/reports/the-state-of-tax-justice-2020/">245 milliards de dollars</a> au niveau mondial, pourraient bien prendre du plomb dans l’aile. <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/wp/abstract.asp?NoDoc=12643">L’un des moteurs de la mondialisation financière</a> pourrait ainsi se trouver sérieusement grippé.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pour-vraiment-taxer-les-entreprises-multinationales-une-reforme-suffit-elle-172417">Pour vraiment taxer les entreprises multinationales, une réforme suffit-elle ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Ensuite, les politiques industrielles, largement décriées jusqu’il y a peu, reviennent sur le devant de la scène pour assurer <a href="http://www.cepii.fr/BLOG/bi/post.asp?IDcommunique=902">souveraineté économique</a>, autonomie stratégique et transition écologique.</p>
<p>Enfin, la pandémie a pu agir comme un accélérateur de changement face à l’urgence climatique. Parce qu’elle est venue souligner le dérèglement de nos rapports à la nature et nous rappeler notre vulnérabilité, elle a provoqué un tournant dans la prise de conscience qu’il fallait sauver le climat. Aussi, pour pouvoir mettre en œuvre des politiques climatiques ambitieuses, un <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_21_3661">mécanisme d’ajustement carbone aux frontières</a> a été proposé par l’Union européenne en juillet 2021, et le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni pourraient lui emboîter le pas.</p>
<p><strong>Sur quoi tout cela pourrait-il déboucher ?</strong></p>
<p>Il est encore trop tôt pour le savoir, mais on est clairement dans un nouveau moment de la mondialisation : celui où le consensus de Washington, qui privilégiait privatisations, libéralisation, moins d’État en quelque sorte, vacille.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/439164/original/file-20220103-19-1gn2ld9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/439164/original/file-20220103-19-1gn2ld9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/439164/original/file-20220103-19-1gn2ld9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/439164/original/file-20220103-19-1gn2ld9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/439164/original/file-20220103-19-1gn2ld9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/439164/original/file-20220103-19-1gn2ld9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/439164/original/file-20220103-19-1gn2ld9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/439164/original/file-20220103-19-1gn2ld9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.arenes.fr/livre/la-folle-histoire-de-la-mondialisation/">Éditions Les Arènes</a></span>
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<p>En juin 2021, le groupe d’experts du G7 a recommandé de le remplacer par le <a href="https://www.project-syndicate.org/commentary/cornwall-consensus-rebuilding-global-governance-by-mariana-mazzucato-2021-10">consensus de Cornwell</a>, <a href="https://www.g7uk.org/economic-resilience-panel/">fondé au contraire sur un renforcement du rôle des États</a> pour atteindre des objectifs sociétaux, renforcer la solidarité internationale et réformer la gouvernance mondiale dans l’intérêt du bien commun. Une approche bien différente de celle qui prévalait jusque-là, mais qui ne pourra vraiment se concrétiser que si la volonté politique est au rendez-vous.</p>
<p>Pour le moment, pas de déclarations fracassantes en ce sens ! La campagne présidentielle mériterait pourtant de placer ces sujets au cœur des débats. Car ce sont bien les engagements qui seront pris en la matière qui dessineront les contours de la mondialisation de demain et la place que la France y occupera.</p>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la série du CEPII « L’économie internationale en campagne » un partenariat CEPII – The Conversation</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174293/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jézabel Couppey-Soubeyran est membre de l'Institut Veblen. Elle a reçu des financements de la Chaire énergie et prospérité. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Isabelle Bensidoun ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Fiscalité, politique industrielle, climat… Les choix politiques actuels diffèrent de plus en plus de ceux qui favorisent les échanges internationaux depuis les années 1980.Isabelle Bensidoun, Adjointe au directeur, CEPIIJézabel Couppey-Soubeyran, Maître de conférences en économie, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1520482021-01-05T18:20:53Z2021-01-05T18:20:53ZLe digilocalisme, une réponse aux géants du numérique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376471/original/file-20201222-17-1a5sxjz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=58%2C14%2C4785%2C3180&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le consommateur passif a été remplacé par un consommateur acteur, qui adopte tour à tour le rôle de fournisseur, de bénévole, ou de partenaire.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le développement des technologies numériques a favorisé l’émergence de géants du commerce de détail, tel Amazon, qui brouillent les frontières de la consommation. Or l’attrait pour l’achat local, exacerbé par la pandémie, fait émerger un autre phénomène : le « digilocalisme », grâce à des plates-formes qui combinent la consommation en ligne à l’intérêt local.</p>
<p>La pandémie a amené la fermeture des frontières et avec elle, la tentation de <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1699783/coronavirus-crise-economie-delocalisation-agriculture">« relocaliser » la production</a> et de <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/eclairage/covid19-mondialisation-demondialisation">« recontinentaliser » les chaînes d’approvisionnement</a>, tandis que les grandes plates-formes comme Amazon sont <a href="https://www.lesoleil.com/actualite/covid-19/les-geants-du-detail-sortent-grands-gagnants-de-la-crise-de-la-covid-19-9a792c3cdd72b1c7e75120efd17e48c3">critiquées pour profiter du malheur engendré par la crise</a>.</p>
<p>Ainsi ont émergé des plates-formes comme le <a href="https://www.lepanierbleu.ca/">Panier Bleu</a>, <a href="https://www.mazonequebec.com/en">Ma Zone Québec</a>, <a href="https://www.boomerangfidelite.com/">Boomerang, inc</a>, <a href="https://www.letoiledulac.com/economie/jachete-au-lac-trium-medias-lance-un-centre-dachat-virtuel-2/">J’achète au Lac</a>, ou la <a href="https://www.grenier.qc.ca/nouvelles/22102/sgm-et-mediavore-developpent-une-solution-de-commerce-electronique">première plate-forme de commerce électronique locale pour les centres commerciaux</a> et <a href="https://www.lequotidien.com/actualites/la-cooperative-de-transport-eva-fera-son-entree-a-saguenay-le-11-octobre-788306ad0e97a784e563fd63f507c6a0">EVA</a> qui permet de devenir chauffeur dans un cadre coopératif et d’avoir une influence en tant que propriétaire de l’entreprise.</p>
<p>Ces configurations ont l’avantage de <a href="http://revues.uqac.ca/index.php/revueot/article/view/1052/874">redonner du sens aux activités de consommation et de production</a>. Et, en ces temps de transition, du sens, n’est-ce pas ce que les individus cherchent de plus en plus ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-pandemie-va-t-elle-vraiment-changer-nos-habitudes-137947">La pandémie va-t-elle (vraiment) changer nos habitudes ?</a>
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<h2>L’ère du consommateur-fournisseur</h2>
<p>Que ce soit par l’intermédiaire de plates-formes de covoiturage comme Eva, d’échanges entre particuliers comme Kijiji, de sociofinancement comme Ulule, ou encore de solution de place de marché (<em>marketplace</em>) comme <a href="https://www.dvore.com/">Dvore</a>, le concept de consommateur-fournisseur est ce qui permet cette transition.</p>
<p>Depuis le début du 20e siècle, les modes de production et de consommation ont été dissociés. Le consommateur a endossé essentiellement le rôle d’acheteur. De nos jours, de nouveaux concepts croisant les deux modes apparaissent. Pensons à la <a href="https://hbr.org/2010/10/beyond-zipcar-collaborative-consumption">consommation collaborative</a>, <a href="http://oikonomics.uoc.edu/divulgacio/oikonomics/en/numero14/dossier/mErtz.html">l’économie du partage</a> ou le <a href="https://www.cairn.info/revue-rimhe-2019-2-page-92.html">capitalisme basé sur la foule</a>. Le consommateur passif est remplacé par un consommateur acteur, qui adopte tour à tour le rôle de fournisseur, de bénévole, ou de partenaire.</p>
<p>Par exemple, au sein de <a href="https://nousrire.com/">NousRire</a>, un groupe d’achat d’aliments écoresponsables en vrac québécois, le <a href="http://revues.uqac.ca/index.php/revueot/article/view/1192/1024">client adopte le rôle de fournisseur, de bénévole, et plus largement de partenaire de l’organisation</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376473/original/file-20201222-15-qebju3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376473/original/file-20201222-15-qebju3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376473/original/file-20201222-15-qebju3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376473/original/file-20201222-15-qebju3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376473/original/file-20201222-15-qebju3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=399&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376473/original/file-20201222-15-qebju3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=399&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376473/original/file-20201222-15-qebju3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=399&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans le groupe d’achat NousRire, le client joue tour à tour le rôle de consommateur, bénévole, fournisseur et partenaire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran du site www.nousrire.com</span></span>
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<p>La grande distribution n’est pas en reste. La <a href="https://www.ikea.com/fr/fr/customer-service/services/seconde-vie-des-meubles-pub92e7c9c0">seconde vie des meubles</a> d’<em>IKEA France</em> ou le <a href="https://www.bibamagazine.fr/mode/marks-spencer-lance-le-concept-clothes-exchange-en-france-26625.html"><em>shwopping</em></a> (contraction de <em>shopping</em> et <em>swap</em>) de Marks & Spencer, qui reprend les vêtements usagés en magasin, fonctionnent sur le même principe du consommateur-fournisseur.</p>
<p>Pour traiter de ce nouveau type de consommateurs, <a href="https://www.consoglobe.com/economie-collaborative-histoire-cg">Rachel Botsman et Roo Rogers ont popularisé la notion de consommation collaborative</a>, où le consommateur peut devenir fournisseur grâce à des plates-formes et des applications. C’est le cas avec Facebook Marketplace, Kijiji, InstaCart ou encore VarageSale.</p>
<h2>Pas seulement pour économiser</h2>
<p>Mais qu’est-ce qui motive le recours à ces types d’échanges ? Si les raisons financières et utilitaires priment pour les acquéreurs et les fournisseurs, les <a href="http://revues.uqac.ca/index.php/revueot/article/view/1195/1026">fournisseurs sont également fortement motivés par autre chose que l’unique aspect financer</a>. La valeur de ce qu’ils fournissent est souvent supérieure à la compensation obtenue en échange. Le fournisseur doit donc être motivé par autre chose que le seul gain financier pour investir des efforts dans un tel échange. Ces actions peuvent être motivées par la contrainte, la socialisation, la volonté de contribuer à la société, voire l’altruisme.</p>
<p>Les individus disposent d’une variété de plates-formes pour échanger, mais aussi pour former, conseiller, notamment avec <a href="https://www.coursera.org/">Coursera</a>, ou impartir des tâches grâce à <a href="https://www.mturk.com/">Amazon MTurk</a>, par exemple.</p>
<p>Dans la santé, s’opère actuellement une <a href="http://revues.uqac.ca/index.php/revueot/article/view/1196/1027">transition vers la santé numérique</a>, qui <a href="http://revues.uqac.ca/index.php/revueot/article/view/1196/1027">répartit mieux l’offre de santé au sein de territoires</a> et permet aux individus de <a href="https://www.uqac.ca/blog/2019/12/12/le-labonfc-etudie-les-effets-des-communautes-de-patients-en-ligne-dans-le-domaine-de-la-sante/">donner des conseils et d’intervenir</a> sur des forums, des groupes ou des communautés de patients en ligne.</p>
<h2>Démocratiser les marchés</h2>
<p>Le secteur financier s’est aussi démocratisé. Les plates-formes de sociofinancement comme Ulule permettent aux individus de donner ou d’investir dans des projets portés par d’autres personnes, tandis que les plates-formes comme <a href="https://www.etoro.com/fr/">eToro</a> démocratisent l’investissement dans les marchés financiers. Ces plates-formes permettent ainsi, par les individus, de <a href="http://revues.uqac.ca/index.php/revueot/article/view/1200/1030">drainer du capital dans des zones négligées par l’investissement public ou privé</a> pour redynamiser des économies locales.</p>
<p>Les cryptomonnaies et la chaîne de blocs constituent un autre cas d’intérêt. Des milliers de cryptomonnaies existent, comme le Bitcoin, et les mineurs se substituent aux banques centrales. Le projet de <a href="https://forex.quebec/cryptomonnaie-libra-facebook-change-nom-diem/">cryptomonnaie Diem de Facebook</a>, laisse entrevoir l’émergence d’un « écosystème numérique total », une société centrée sur l’individu, dématérialisée et démonétisée.</p>
<p>L’Inde a déjà tenté de mettre en place une <a href="https://www.capital.fr/votre-argent/inde-un-an-apres-la-demonetisation-le-cash-de-nouveau-roi-1254391">société sans argent liquide</a>, en 2016. Cette politique a eu des impacts sur les pratiques spécifiques aux pays émergents, dont le paiement comptant à la livraison, qui est devenu le <a href="http://revues.uqac.ca/index.php/revueot/article/view/1197/1028">paiement à la livraison</a>. Bonne ou mauvaise nouvelle ? Les transactions collaboratives souvent informelles devinrent certes beaucoup plus fluides, mais totalement traçables et taxables !</p>
<h2>Une économie controversée</h2>
<p>L’économie collaborative constitue probablement la manifestation la plus visible, la plus documentée, et la plus controversée de cette reconfiguration des échanges marchands. L’industrie hôtelière se plaint d’Airbnb et les taxis en ont contre Uber, car tout le monde peut désormais héberger ou transporter d’autres personnes contre rémunération. Les batailles à ce sujet se sont soldées par <a href="http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/E-14.2">certaines lois plus accommodantes</a>, amenant ces plates-formes à <a href="https://www.lesaffaires.com/techno/produits-electroniques/uber-veut-etendre-son-offre-de-service-partout-au-quebec/619478">renforcer leurs activités au Québec</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lempreinte-environnementale-de-leconomie-numerique-menace-la-planete-130993">L’empreinte environnementale de l’économie numérique menace la planète</a>
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<p>Pour les autorités, cette normalisation permet aussi de transférer au secteur privé la charge de satisfaire des besoins devant, autrement, être pourvus par le secteur public. Dans le transport, par exemple, l’offre de services de covoiturage permet de pallier le manque de services publics de transport en commun. Les <a href="https://onlinemba.wsu.edu/blog/how-the-sharing-economy-is-transforming-business/">citoyens sont également attachés à ces pratiques, car elles satisfont nombre de leurs besoins, tout en maximisant l’utilisation des ressources dormantes, en permettant un meilleur accès aux ressources pour les plus démunis, et en baissant le chômage</a>.</p>
<p>Toutefois, il n’est pas certain <a href="https://korii.slate.fr/biz/livre-desuberiser-reprendre-controle-uber-economie-plateformes-reflexions-solutions">dans quelle mesure ces plates-formes dégradent le travail ou si elles le réinventent en faisant du fournisseur un « entrepreneur »</a>.</p>
<h2>Une illusion de pouvoir ?</h2>
<p>Il faut également <a href="https://korii.slate.fr/biz/livre-desuberiser-reprendre-controle-uber-economie-plateformes-reflexions-solutions">comprendre les transformations que les algorithmes des plates-formes génèrent</a> en matière de gouvernance, d’inclusion et de droits des utilisateurs. En effet, la quantité exponentielle de données générée par les plates-formes accroît la capacité des firmes dominantes à <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2019-4-page-47.htm">identifier très tôt les besoins des utilisateurs et à évaluer très précisément leurs capacités de paiement</a>, ce qui peut amener à de la discrimination. De plus, les plates-formes présentent une forte opacité des prix, car elles personnalisent et ajustent souvent les prix en temps réel en <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2019-4-page-47.htm">fonction de chaque utilisateur</a>.</p>
<p>Par ailleurs, l’économie collaborative demeure monopolisée par des géants technologiques, laissant peu de place à l’émergence ou à la survie de plates-formes plus modestes. Donc, en somme, le consommateur a une illusion de pouvoir en devenant un fournisseur – que l’on appelle entrepreneur, flexi travailleur ou travailleur autonome – au service de méga-platesformes.</p>
<p>Le digilocalisme peut-il faire sa place dans cet univers ? Ces plates-formes nées de la pandémie dans un élan de soutien à l’économie locale ont-elles des chances de survie à plus long terme ?</p>
<p>Selon une étude de cas des plates-formes de covoiturage de petite et moyenne taille en Chine, la <a href="http://revues.uqac.ca/index.php/revueot/article/view/1194/1039">seule chance de survie des plates-formes plus modestes</a> réside dans le fait de combler les besoins non pris en compte par les géants, dont les segments de clients desservis, les partenaires essentiels, la proposition de valeur offerte, ainsi que la structure des coûts et de revenus.</p>
<p>Il est néanmoins certain que les développements récents en technologies numériques ont donné davantage d’occasions de contribution aux individus. Cette transition numérique déjà bien amorcée s’est accélérée avec la pandémie de la Covid-19 et ne s’arrêtera probablement pas de sitôt !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152048/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Ertz fait partie du regroupement Des Universitaires (DU) et a obtenu des subventions de recherche du Conseil de Recherches en Sciences Humaines (CRSH), du Fonds de Recherche du Québec - Société et Culture (FRQSC), de la Fondation de l'UQAC (FUQAC), ainsi que du Fonds de Développement Académique du Réseau (FODAR) de l'Université du Québec.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span><a href="mailto:imen_latrous@uqac.ca">imen_latrous@uqac.ca</a> receives funding from Université du Québec à Chicoutimi. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Damien Hallegatte et Julien Bousquet ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>La pandémie a fait émerger des plates-formes comme Le Panier Bleu ou Ma Zone Québec, qui combinent le commerce en ligne et l’achat local. Ces initiatives ont-elles un avenir à long terme ?Myriam Ertz, Professeure adjointe en marketing, responsable du LaboNFC, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1384712020-05-15T15:32:21Z2020-05-15T15:32:21ZPenser l’après : La géopolitique du monde qui vient<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/334644/original/file-20200513-156629-12j20e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=43%2C10%2C7206%2C3500&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-illustration/blue-abstract-hi-speed-internet-technology-406800601">Titima Ongkantong/shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>L’acuité de la nature historique du coronavirus vient en grande partie de la triple conjonction de l’instantanéité de son impact, des conséquences de son amplitude mondiale et de l’évidence de sa nature transformatrice.</p>
<p>Avec une célérité et une certitude rarement combinées de la sorte dans les relations internationales, un consensus palpable a vu le jour à la fois au sein des sociétés de ce monde et entre celles-ci : tout a déjà changé, et tout va changer encore plus.</p>
<p>Certes, l’histoire nous apprend qu’il faut toujours relativiser l’emphase sur la nouveauté, notamment lorsque l’on se trouve encore dans l’œil du cyclone et que les précédents de crises mondiales trop souvent oubliées, <a href="https://graduateinstitute.ch/communications/news/brief-international-history-pandemics">pandémies inclues</a>, sont légion.</p>
<p>Pour autant, cette crise donne objectivement le « la » d’une nouvelle phase dans la grammaire de la sécurité internationale. Elle le fait d’abord en confirmant une tendance émergente : <a href="https://www.sipri.org/media/press-release/2019/stockholm-security-conference-opens-unpredictable-new-normal">l’imprévisibilité</a> est désormais la donne principale de cette architecture évolutive de la sécurité globale.</p>
<h2>La fin de l’« après-11 Septembre »</h2>
<p>Depuis quelques années déjà, cette notion d’incertitude avait été reconnue comme fondamentale, mais cette indétermination demeurait par trop abstraite et associée principalement aux questions de cybersécurité (à savoir, notre absence de contrôle sur les nouvelles technologies ajoutée à notre foi aveugle en leur <a href="https://www.theguardian.com/books/2018/jun/30/new-dark-age-by-james-bridle-review-technology-and-the-end-of-the-future">« solutionnisme »</a>) et aux crises politiques (c’est-à-dire les questionnements sur l’origine géographique du « prochain foyer de tensions » guidés par l’habitude à ne les voir venir que de certaines destinations). Le « bouleversement Corona » donne aujourd’hui corps à cette notion d’une façon nouvelle. Il la dote d’une réelle difficulté, à la fois opérationnelle et intellectuelle, face à une matérialisation intime de l’inattendu.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/334646/original/file-20200513-156675-1y8evs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/334646/original/file-20200513-156675-1y8evs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/334646/original/file-20200513-156675-1y8evs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/334646/original/file-20200513-156675-1y8evs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/334646/original/file-20200513-156675-1y8evs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/334646/original/file-20200513-156675-1y8evs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/334646/original/file-20200513-156675-1y8evs6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/safety-concept-closed-padlock-on-digital-692351653">Titima Ongkantong/Shutterstock</a></span>
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<p>De même, l’après-Corona met palpablement fin à ce trop long après-11 Septembre dans lequel le monde se trouve vaguement logé depuis près de deux décennies. Durant ces dix-neuf années, la kyrielle des insécurités mondiales est demeurée, d’une façon ou d’une autre, sous <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2011/09/09/l-ombre-portee-du-11-septembre_1569228_3232.html">l’ombre portée</a> de cet <a href="https://journals.openedition.org/terrain/1888">« évènement absolu »</a> qui avait ouvert le siècle de façon si dramatique. Ni la guerre d’Irak en 2003, ni le printemps arabe de 2011, ni la guerre en Syrie entamée la même année, ni l’épisode de l’État islamique en 2013-2017, ni l’annexion de la Crimée en 2014 ou l’élection à la présidence des États-Unis de Donald Trump en 2016 n’avaient délogé le prisme « après-11-Septembre ». Et ce, parce qu’à un titre ou à un autre, ces développements étaient tous apparus dans le sillage déstabilisant du 11-Septembre. On peut désormais dire que – précédé par la peur d’un virus électronique en 1999 (Y2K, le bug de l’an 2000) et suivi par un virus du système respiratoire en 2020 – <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2020/04/its-not-september-12-anymore/609502/">l’après-11 Septembre a pris fin</a> à la veille de son vingtième anniversaire, même si cette période a légué son indélébile apport ultrasécuritaire à l’ère suivante.</p>
<h2>Le renforcement des États</h2>
<p>Au-delà des aspects médicaux, quelles seront les formes géopolitiques de ce nouveau moment-charnière qui est en train de naître sous nos yeux ? S’il est trop tôt pour répondre clairement, si l’on doit se garder de tout déterminisme historique et s’il faut insister sur la nature évolutive de ce processus, quatre grandes dimensions se dessinent néanmoins déjà : le renforcement d’un étatisme à tendance autoritariste marquée ; l’approfondissement de la militarisation du monde ; la normalisation de la surveillance ; et le jaillissement d’une vague de contre-mondialisation.</p>
<p>Premièrement, de par le monde, armée et police à l’appui, l’entité étatique a clairement réaffirmé son autorité à l’occasion de la crise actuelle, intervenant comme sauveur et supra-décideur, mais aussi de façon punitive comme on l’a vu en Inde, au Kenya, aux États-Unis, en France et ailleurs. Les états d’urgence, régimes d’exception et proto-états de siège ont été investis avec trop de facilité, voire d’enthousiasme à peine voilé, par des gouvernements trouvant dans cette situation inattendue des échappatoires aux demandes de justice auxquels ils font face régulièrement. Au-delà des bureaucraties ragaillardies et aux décideurs pères-fouettards, la situation d’exception a donné une plus grande amplitude aux États déjà engagés dans une dérive autoritariste – comme la <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/04/03/en-hongrie-la-derive-autoritaire-continue_1783975">Hongrie de Viktor Orban</a>, les <a href="https://www.france24.com/fr/20200402-coronavirus-le-pr%C3%A9sident-philippin-menace-de-faire-abattre-les-contrevenants-%C3%A0-l-ordre-de-confinement">Philippines de Rodrigo Duterte</a> ou le <a href="https://theconversation.com/face-a-sa-gestion-de-crise-au-bresil-le-pouvoir-de-bolsonaro-ebranle-136158">Brésil de Jair Bolsonaro</a> – et l’arpenteur autocratique se trouve de fait de nouvelles destinations sociales. Repoussant les limites de ses propres excès et la violence faite à l’État de droit aux États-Unis <a href="https://responsiblestatecraft.org/2020/04/26/william-barr-much-more-than-just-a-lawyer/">sous son mandat</a>, le président Donald Trump a ainsi pu déclarer, le 13 avril, que son autorité est <a href="https://apnews.com/ba9578acf23bdb03fd51a2b81f640560">« totale »</a>.</p>
<p>Il y a de fortes chances que cette dynamique de recentrage dirigiste – entamée avant la crise du coronavirus et renforcée à cette occasion – va perdurer et s’amplifier. Elle le fera d’autant plus qu’elle a été aujourd’hui rationalisée presque partout par une demande populaire de protection. Apeurées, les sociétés s’interrogeront de moins en moins sur le bien-fondé et sur la recevabilité démocratique de ces mesures et de ces avanies asseyant de loin en loin l’infantilisation des citoyens – aujourd’hui grondés par des policiers leur délivrant lecture de civisme dans les quartiers huppés et <a href="https://edition.cnn.com/2020/04/26/europe/coronavirus-france-inequality-intl/index.html">bastonnades en zones de pauvreté</a>.</p>
<p>Si, ensuite, <a href="https://www.opendemocracy.net/en/state-building-vs-intervention-or-how-not-to-help/">l’interventionnisme des années 1990</a> et les guerres de l’après-11 Septembre ont favorisé la prolifération des logiques martiales, la pandémie actuelle va, en tout état de cause, continuer à approfondir ce <em>pattern</em> d’injonctions d’obéissance. La réponse à l’épidémie de Covid-19 est logiquement venue s’inscrire dans ce contexte martial – le président français Emmanuel Macron avertissant que son pays était <a href="https://www.youtube.com/watch?v=N5lcM0qA1XY">« en guerre »</a> – parce que les dynamiques internationales avaient été travaillées de la sorte depuis près de trente ans. Toutes les crises pourront dorénavant être perçues sous ce prisme réducteur et manichéen de « guerre » – en vérité, elles le sont déjà et la rhétorique guerrière a mondialement pris le pas sur la diplomatie.</p>
<p>Cette ubiquité étatique et cette martialité – qui <a href="https://www.reporter.lu/coronavirus-europe-la-tentation-de-letat-durgence/">ne remettent pas en cause le néolibéralisme</a> de la majorité de ces États mais le déclinent – pourront, dès lors, être accompagnées, voire devancées, par une <a href="https://www.newyorker.com/tech/annals-of-technology/can-we-track-covid-19-and-protect-privacy-at-the-same-time">surveillance</a> étendue des citoyens géolocalisés. Installée comme une norme mondiale de moins en moins contredite, celle-ci va venir ajouter une dimension de « nécessité » en sus de l’argument d’utilité sociale déjà largement avancé. Quelque convention onusienne pourra suivre et, de même, le diktat du rendement primera.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/334657/original/file-20200513-156625-q6bhxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/334657/original/file-20200513-156625-q6bhxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/334657/original/file-20200513-156625-q6bhxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/334657/original/file-20200513-156625-q6bhxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/334657/original/file-20200513-156625-q6bhxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/334657/original/file-20200513-156625-q6bhxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/334657/original/file-20200513-156625-q6bhxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/binary-circuit-board-future-technology-blue-1034089948">Titima Ongkantong/Shutterstock</a></span>
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<p>Il sera surtout de plus en plus difficile d’établir une empreinte et un suivi de ces pratiques introduites dans la <a href="https://apnews.com/fa0a3f060e3c19d5dfe157e6d880c48c">violence</a>, l’urgence et <a href="https://www.letemps.ch/economie/contre-virus-tentation-pistage-smartphone">sans consultation parlementaire</a>, comme l’ont déjà fait la <a href="https://www.nytimes.com/2020/03/01/business/china-coronavirus-surveillance.html">Chine</a>, <a href="https://www.bbc.com/news/health-52134452">Israël</a>, la <a href="https://edition.cnn.com/2020/03/29/europe/russia-coronavirus-authoritarian-tech-intl/index.html">Russie</a> et la Corée du Sud avec le pistage des citoyens, la digitalisation des restrictions de mouvement, l’exigence de reconnaissance faciale et d’autres innovations, encore et toujours au nom de la sacro-sainte sécurité. <a href="https://www.vox.com/2020/3/11/21166621/coronavirus-quarantines-legal-constitution-new-rochelle">L’ambiguïté constitutionnelle</a> des situations et l’illisibilité de certains cas permettront, on peut l’imaginer, la mise en quarantaine pour des raisons non médicales. Comme ces mesures seront mises en application par le biais de technologies faillibles (et manipulables), les dangers pour le citoyen de se retrouver dans des situations littéralement kafkaïennes augmenteront significativement. Au vrai, pourquoi, doit-on s’interroger, le futur a-t-il été régulièrement imaginé sur le mode de la dystopie au cours du siècle dernier, de René Barjavel à Margaret Atwood en passant par Aldous Huxley, Philip K. Dick, Pierre Boulle et Ira Levin ?</p>
<h2>Vers une contre-mondialisation ?</h2>
<p>Il faut sans doute tempérer. Cette implication des États n’a-t-elle pas des effets bénéfiques ? Ne vient-elle pas protéger le tissu social ? L’État n’est-il pas dans son rôle ? La technologie ne facilite-t-elle pas nos vies ?</p>
<p>À l’évidence, les mesures de soutien à la population sont partout les bienvenues, notamment pour résorber une précarité accrue ; de même, la réorganisation et le bon fonctionnement des espaces d’interaction sont indéniablement nécessaires à l’ordre social. Pour autant, il ne faudrait pas naïvement se voiler les yeux sur le fait que la période historique actuelle est marquée par le fossé grandissant entre, d’une part, des étatismes suffisants qui n’ont pas fini de s’épuiser et, d’autre part, des sociétés, au Nord comme au Sud, de plus en plus déroutées face à ces discours et ces <a href="https://chronik.fr/etat-et-technologie-la-sainte-alliance-contre-nos-libertes.html">pratiques tutélaires envahissantes</a> – désormais aseptisées, digitalisées et <a href="https://theconversation.com/dans-les-cites-le-sentiment-dinjustice-sintensifie-avec-le-confinement-137135">racialisées</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, l’État redéployé ne remporte pas l’adhésion autant qu’il la reçoit simplement par forfait. Aussi, la crise du coronavirus pourra, enfin, fort probablement donner naissance à une vague de contre-mondialisation. Une telle vague ne sera pas nécessairement le fait idéologisé d’altermondialistes déjà actifs depuis fort longtemps, mais peut-être plus le résultat d’un nouveau moment de fatalisme partagé – paradoxalement mondialement – quant aux limites de l’interdépendance. Le sentiment est en train de naître, suivi bientôt de pratiques. Ce phénomène peut créer au sein des sociétés des vulnérabilités existentielles et non pas simplement économiques.</p>
<p>La conviction croissante voulant que « tout-échange-n’est-pas-forcément-bon » se traduira en un renforcement des logiques de désunion internationale et de protectionnisme national. À l’image de l’État autoritariste consolidé, cette <em>fermeture du monde</em> viendra somme toute s’inscrire dans la logique préexistante des forteresses à protéger en Europe et des murs à bâtir en Amérique, mais aussi des systèmes à enceindre et cadenasser en Russie, en Chine ou aux Émirats arabes unis. L’impérieux besoin de prémunir « notre » nation contre les menaces protéiformes venues de l’extérieur s’installera partout comme un thème politique récurrent, freinant sensiblement la coopération internationale.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/334648/original/file-20200513-156679-xlty46.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/334648/original/file-20200513-156679-xlty46.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/334648/original/file-20200513-156679-xlty46.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/334648/original/file-20200513-156679-xlty46.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/334648/original/file-20200513-156679-xlty46.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/334648/original/file-20200513-156679-xlty46.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/334648/original/file-20200513-156679-xlty46.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/safety-concept-closed-padlock-on-digital-1157160430">Titima Ongkantong/Shutterstock</a></span>
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<p>Le monde de l’après-Corona définira ses propres caractéristiques. Et c’est ici que réside fondamentalement la nouveauté, puisqu’il le fera en restant précisément fidèle à sa logique d’inconstance. Aussi, l’on ne peut encore présager de celles-ci ; dans une chute fameuse Paul Valéry écrivait en 1960 que « l’imprévu lui-même est en voie de transformation et l’imprévu moderne est presque illimité ».</p>
<p>Ce vecteur de l’inconnu fera que la géopolitique de l’après-corona sera <a href="https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2020-04-29/covid-19-oil-collapse-is-geopolitical-reset-in-disguise">plus sociale</a> que politique. Traversée d’hybridité, forme de <a href="https://www.e-ir.info/2015/12/30/technological-innovation-and-diffusion-consequences-for-ir/">laboratoire de gouvernance contemporaine hiérarchisée</a>, elle <a href="https://theintercept.com/2020/05/08/andrew-cuomo-eric-schmidt-coronavirus-tech-shock-doctrine/">lie déjà les expérimentations militaires « lointaines » et les tests sociaux « proches »</a>. À l’image des personnages du roman de José Saramago <em>Ensaio sobre a cegueira</em> (<em>L’aveuglement</em>, 1997) frappés d’une inexplicable épidémie de cécité et qui sombrent dans les tensions, la suspicion, l’hostilité, la malveillance et l’égoïsme, les États eux-mêmes pourront rejouer ce <a href="https://www.letemps.ch/culture/temps-loup-michael-haneke-imagine-une-humanite-apres-catastrophe">temps du loup</a> sur la scène mondiale, cimentant la polarisation ambiante.</p>
<p>« À quelque chose malheur est bon », veut l’adage, lui aussi ancien. Gageons alors qu’au sein même de cette instabilité et de cet inconnu, et afin de vivre et non pas simplement survivre, il naîtra également certainement de cette crise une meilleure compréhension de notre relation au monde, ainsi qu’une humilité et une générosité dans l’entraide qui font cruellement défaut à une scène internationale où la justice et la sagacité se font rares. Pour l’heure, on ne saurait néanmoins ignorer les signes renforcés du virus d’une Orwellisation de la géopolitique toujours plus sensible. </p>
<hr>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138471/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Étatisme autoritariste, aggravation de la martialité, banalisation de la surveillance et contre-mondialisation émergente risquent de marquer la nouvelle scène internationale.Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou, Professor of International History, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1266162019-11-11T20:49:38Z2019-11-11T20:49:38Z700 millions de pneus chinois, Obama, Michelin et moi<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/300618/original/file-20191107-10910-sskd8h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=23%2C62%2C937%2C526&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Près d’un pneu sur trois dans le monde est fabriqué en Chine.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Zhao jiankang / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les pneus chinois ont envahi les États-Unis et l’Europe. Une concurrence déloyale qui a abouti à des sanctions commerciales de Washington et de Bruxelles. Le président Barack Obama a tiré le premier. <a href="https://www.lequotidien.lu/economie/face-aux-pneus-chinois-michelin-se-degonfle-en-europe/">Michelin est touché</a>. Et moi, je ne sais plus quoi acheter pour changer mes gommes usées. Des boudins du Vietnam premier prix ou des pneumatiques longue durée « Made in EU » ? Roulons ensemble pour comprendre le dumping chinois et l’effet des surtaxes à l’importation. Bon à savoir en ces temps de guerre commerciale ; la chaussée est glissante.</p>
<h2>Des pneus chinois par centaines de millions</h2>
<p>La Chine est le premier producteur mondial de pneus. Près d’un sur trois sort de ses usines. Aucune entreprise pourtant parmi les cinq plus grands manufacturiers du pneumatique. Le premier est d’origine japonaise, ce que ne laisse pas deviner son nom, Bridgestone ; le second, un français de Clermont-Ferrand qui éditait aussi un guide des meilleurs restaurants, Michelin bien sûr ; le troisième, un américain qui porte le nom de l’inventeur de la vulcanisation (ce qui rend le caoutchouc moins plastique, mais plus élastique), Goodyear ; le quatrième vient d’Hanovre et a conçu le premier pneu pour bicyclette, Continental ; le cinquième, un autre japonais qui porte un prénom comme tel, Sumitomo. En 2017, il fallait arriver à la sixième place pour trouver un fabricant chinois : Pirelli. Eh oui ! La firme milanaise plus que centenaire a été <a href="https://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRKBN0MJ0G220150323">rachetée en 2015 par ChemChina</a>, un conglomérat d’État alors à la tête du principal producteur domestique de pneus radiaux et tout-terrain.</p>
<p>La place de la Chine dans le pneumatique est bien sûr liée à la montée en puissance spectaculaire de son industrie automobile. Pas de vente de voiture neuve avec des roues sans pneus ! Ce marché de la première monte est crucial. Les clients ont en effet tendance à reprendre les mêmes pneumatiques lorsqu’ils devront être changés. Dans les pays vieux routiers de l’automobile la première monte représente entre un quart et un tiers des ventes ; le remplacement le reste.</p>
<p>Mais comme la flotte chinoise de véhicules est récente (5 ans d’âge en moyenne contre près du double en France), le marché du remplacement garde ses plus belles promesses pour demain.</p>
<h2>Petits et grands pneumaticiens chinois</h2>
<p>Si vous passez par Dawang, au sud de Pékin, vous y trouverez des <a href="https://www.globaltimes.cn/content/1119026.shtml">centaines de manufacturiers du pneu</a>. Ils ont fait la prospérité de la ville. Ils y contribuent moins aujourd’hui car le pneumatique chinois est en crise. De nombreux petits faiseurs ont fait faillite et fermé leur porte. Pour la première fois depuis 20 ans la production automobile chinoise a décru en 2018, une année seulement après la <a href="https://www.lesechos.fr/2017/03/flambee-des-prix-sur-le-marche-des-pneumatiques-151708">flambée du prix du caoutchouc</a> naturel. À ces deux années noires s’est ajoutée une plus grande vigilance des autorités de contrôle de l’environnement ; elles ont fait le ménage parmi les entreprises ne respectant pas les normes. Le tout, suite à une longue série de restrictions commerciales contre l’importation de pneus chinois (voir plus bas).</p>
<p>Face à ces adversités, les petits et moyens manufacturiers ont les reins moins solides que les quelques grandes entreprises du secteur : pas de diversification sur des produits moins exposés, pas d’implantation à l’étranger, pas de capacité d’investissement pour se moderniser, pas d’influence sur le gouvernement central. À l’instar de leurs consœurs américaines <a href="https://www.jstor.org/stable/2138664">qui n’ont pas survécu aux années 1920</a>, la plupart vont disparaître face à la surcapacité de production. La consolidation du pneu chinois est donc en <a href="https://www.tirereview.com/china-rise-tire-companies-making-waves-around-globe/">route</a>. Dans une poignée d’années, quelques firmes seulement domineront le marché domestique. Mais, contrairement aux grandes entreprises américaines qui, à l’exception de Goodyear, <a href="https://www.nber.org/chapters/c8649">ont perdu pied sur le marché mondial</a>, il est peu probable qu’elles sortent du jeu planétaire.</p>
<h2>Barack Obama a tiré le premier</h2>
<p>Ce n’est pas Donald Trump mais son prédécesseur à la Maison Blanche qui a commencé à surtaxer les pneus venus de Chine. Une <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/protectionnisme-trump-ne-fait-pas-dans-la-nouveaute-131221">taxe <em>ad valorem</em> de plus de 35 %</a> a été introduite aux frontières pour trois ans. Prise en 2009, cette décision s’appuie sur une clause spéciale liée à l’<a href="https://www.cambridge.org/core/journals/world-trade-review/article/ustyres-upholding-a-wto-accession-contract-imposing-pain-for-little-gain/EE43CFD76D1FB29C084581D447E8DE43">entrée de la République populaire dans l’Organisation mondiale du commerce</a> (OMC). Elle vise à sauvegarder les entreprises dès lors que leur marché domestique est bouleversé par les importations du nouveau membre. Or celles des pneumatiques chinois a triplé entre 2004 et 2008, passant de 6,7 % à 29 % de la production étatsunienne. Sur la même période, le secteur a perdu plusieurs milliers d’emplois.</p>
<p>Oui, mais est-ce bien à cause des pneus chinois ? Rien, n’est moins clair. Il suffit de lire <em>International Debates</em> qui a <a href="https://congressionaldigest.com/issue/chinese-tire-tariffs/american-coalition-for-free-trade-in-tires/">ouvert ses colonnes</a> aux partisans et adversaires de cette protection des frontières. Pour le syndicat américain des métallos (qui coiffe aussi les ouvriers du caoutchouc) il est temps d’agir face aux pneus à prix bradés venus de Chine. D’autres usines vont sinon fermer. Point de vue partagé par les élus démocrates et républicains des États où elles sont menacées.</p>
<p>En revanche, il s’agit d’une mesure infondée pour l’Association des industriels chinois du pneu ainsi que pour les entreprises américaines qui les importent et les distribuent. À leurs yeux, les usines ont fermé parce que les entreprises ont décidé de leur propre chef d’abandonner la production de pneus bas de gamme du fait de leur manque de rentabilité sur le sol américain. Les Michelin, Goodyear et autres Bridgestone qui dominent la fabrication aux États-Unis ont des usines en Chine et bien ailleurs dans le monde. L’invasion pneumatique chinoise serait la conséquence de leur décision stratégique. Les opposants de la décision d’Obama observent d’ailleurs que ces pneumaticiens n’ont ni demandé, ni appuyé la mesure de taxation aux frontières.</p>
<p>Conclusion : faute d’études indépendantes, il est difficile de trancher cette controverse sur l’origine des emplois perdus.</p>
<h2>Quels sont les effets de la surtaxe ?</h2>
<p>En revanche, avec un peu d’années de recul, des données et des travaux académiques, les conséquences de surtaxe sont plus nettes. Sans surprise, les importations de pneus chinois ont drastiquement diminué en quantité (moins 67 % sur les 12 mois qui ont suivi son introduction). Quant aux emplois trois ans après la mesure, ils n’ont augmenté que d’un millier seulement, une croissance qui est <a href="https://www.piie.com/system/files/documents/pb12-9.pdf">loin de permettre</a> de revenir au niveau d’emploi des années antérieures à la mesure. De plus, ces nouveaux emplois auraient peut-être été créés sans elle, poussés par exemple par la reprise économique de l’après-crise financière. Ou, inversement, sans la décision de Barack Obama, le nombre d’emplois aurait décliné et ces pertes évitées sont alors à porter à son crédit.</p>
<p>Il convient donc de comparer les effets de la mesure à ce qui se serait passé si… elle n’avait pas eu lieu. C’est le fameux scénario contrefactuel cher aux économistes : comparer ce qui s’est passé dans le pneu à partir de 2009 à quelque chose qui n’est pas observable puisque non advenu. Vous voyez la difficulté. Pour la contourner, on peut penser par exemple à chercher des différences avec des industries qui n’ont pas connu de restrictions aux importations ou avec d’autres secteurs de transformation du caoutchouc. Pas sûr cependant que ces industries aient été soumises aux mêmes tendances que celle du pneumatique. Quand le choix du groupe de contrôle comparable n’est pas évident, il est possible de recourir à des méthodes économétriques sophistiquées. C’est ce que fait un <a href="https://ideas.repec.org/a/eee/eecrev/v85y2016icp22-38.html">trio de chercheurs</a>. Le résultat qu’ils avancent est sans appel :</p>
<blockquote>
<p>« L’emploi total et le salaire moyen des entreprises du pneu aux États-Unis n’ont pas été affectés par la mesure de sauvegarde. »</p>
</blockquote>
<p>L’hypothèse explicative est simple : les importations en moins des États-Unis venant de Chine auraient été compensées par des importations en plus d’autres pays. Avec la mesure, la Chine exporte moins de pneus, mais la Thaïlande, l’Indonésie ou encore la Corée du sud voient les leurs gonfler. Le vide chinois est comblé par une réallocation des capacités et une modification des circuits. Par exemple, les pneus d’une usine chinoise qui devaient aller aux États-Unis sont exportés dans les pays qui recevaient des pneus d’une usine indonésienne et ces derniers sont alors exportés aux États-Unis.</p>
<p>Conclusion : pas évident d’obtenir des effets significatifs lorsque les restrictions d’importations concernent un seul pays et que le bien considéré est produit par des multinationales implantées un peu partout.</p>
<h2>Dumping et subventions</h2>
<p>L’administration américaine a imposé de <a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/FR-2015-08-10/pdf/2015-19615.pdf">nouveaux droits de douane</a> aux pneus chinois en 2015. Il ne s’agit plus cette fois d’une mesure de sauvegarde, mais d’une action en bonne et due forme pour concurrence déloyale selon les règles de l’OMC. Il ne suffit plus de montrer que l’industrie a été bouleversée par une augmentation foudroyante des importations ; il faut apporter la preuve que le prix du bien importé est anormalement bas (mesure antidumping) ou que l’entreprise a bénéficié d’aides publiques (mesure antisubventions). Dans les deux cas, il est en plus nécessaire de démontrer que la concurrence déloyale qui s’est exercée a été dommageable à l’industrie domestique. Bref, le standard de preuve est élevé et les chiffres âprement discutés pour établir le prix normal, le niveau des subventions reçues et l’ampleur du préjudice.</p>
<p>L’administration américaine a estimé que la marge de dumping des fabricants de pneus en Chine s’élevait entre 15 et 30 % selon les sociétés et que les subventions représentaient l’équivalent de 21 à 100 % du prix facturé. Elle a donc taxé aux frontières les pneus chinois de chaque entreprise à hauteur de ces montants. Après s’être redressées quand la mesure de sauvegarde triennale de 2009 a expiré, les importations de pneumatiques chinois aux États-Unis <a href="https://www.tirebusiness.com/wholesale/impact-import-duties-chinese-truck-tires-flux">ont de nouveau dégringolé</a>.</p>
<p>Heureusement pour Donald Trump, les mesures qui viennent d’être décrites ont seulement porté sur les pneus équipant les véhicules de tourisme et les utilitaires légers. Restaient les pneumatiques chinois pour camions et autobus à chasser pour cause de dumping et subventions. Ils le seront à <a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/FR-2017-01-27/pdf/2017-01862.pdf">mi-mandat</a>. Ceci dit, les gros pneus chinois surtaxés représentent un marché affecté minuscule en comparaison des centaines de milliards de dollars d’importations de la République populaire taxées par le président américain dans sa bataille commerciale contre <a href="https://abcnews.go.com/Politics/10-times-trump-attacked-china-trade-relations-us/story?id=46572567">« le plus grand voleur dans l’histoire du monde »</a>. Mais il s’agit là d’une vision très personnelle de la concurrence déloyale. Elle ne s’embarrasse ni des règles et obligations de démonstration qu’impose l’OMC, ni des principes internationaux en matière de défense commerciale licite.</p>
<p>Conclusion : ne pas confondre défense commerciale et protectionnisme.</p>
<h2>Et l’Europe ?</h2>
<p>De son côté, l’Union européenne est à la traîne. Pas de mesures contre les pneus pour véhicules légers, seulement <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32018R0683">contre les pneus pour poids lourds et autobus</a> ; de plus, elle a diligenté son enquête postérieurement à celle de l’Administration américaine. Les droits de douane tenant compte du dumping et des subventions chinoises sont entrés en vigueur il y a tout juste un an. Il faut dire que l’Union européenne n’est pas très encline à se défendre. Fin 2018, un peu plus d’une centaine de mesures antidumping et antisubventions étaient en vigueur contre <a href="https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2019/2018-M-105-03-UE.pdf">près d’un demi-millier pour les États-Unis</a>.</p>
<p>Selon leur tissu industriel, les États membres sont plus ou moins affectés par les importations chinoises. La crainte de représailles est également différemment ressentie selon l’importance de leurs exportations. L’Allemagne et la France n’ont pas, par exemple, les mêmes intérêts en cas de mesure commerciale contre la Chine. Les États membres sont donc plus ou moins allants pour se défendre en cas de concurrence déloyale. Le consensus est difficile.</p>
<p>L’Union européenne n’a pas non plus été très soucieuse de défense commerciale en autorisant en 2015 la vente de Pirelli à Chemchina. À travers cette entreprise d’État, la Chine acquiert des technologies et des savoir-faire dans la conception et fabrication de pneumatiques haut de gamme ainsi qu’une marque reconnue (pour les non-initiés aux sports mécaniques, Pirelli équipe les pneus des bolides de Formule 1). L’achat de l’entreprise milanaise a d’ailleurs été largement aidé par l’État de la République populaire, notamment par un prêt préférentiel et une <a href="https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2019/2018-M-105-03-UE.pdf">prise de participation du Fonds de la Route de la soie</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=437&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=437&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/300620/original/file-20191107-10952-1dk79jm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=437&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour la Chine, le rachat de Pirelli signifie l’acquisition d’un savoir-faire dans la conception et fabrication de pneumatiques haut de gamme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">S_Z/Shutterstock</span></span>
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<p>N’éreintons pas cependant l’Europe. L’Union, contrairement aux États-Unis, a été avisée d’inclure les pneus rechapés dans son investigation et sa décision. Le changement de la bande de roulement des pneus de camion est en effet un moyen de leur donner une nouvelle vie pour 300 000 km supplémentaires d’autoroute. Des kilomètres qui permettent d’économiser du caoutchouc et d’autres matières premières. Cette possibilité ne vaut toutefois que pour des pneus neufs plus chers à l’achat car de carcasse plus durable. Ce n’est pas le cas des pneus chinois bas de gamme, mais dont le prix subventionné les rendait encore moins cher que le simple coût du rechapage ; une opération par ailleurs réalisée par des <a href="https://www.challenges.fr/automobile/actu-auto/les-pneus-chinois-menacent-la-filiere-francaise-du-caoutchouc_416002">milliers d’employés en Europe</a> !</p>
<p>Conclusion : l’action antidumping de l’Europe est économiquement et écologiquement vertueuse.</p>
<h2>Des mesures moyennement efficaces</h2>
<p>Il convient toutefois de ne pas s’emballer à propos de l’efficacité de cette mesure de l’Union ; idem pour celles prises par les États-Unis en 2015 et 2019. Au cours des cinq dernières années passées, plusieurs grands pneumaticiens chinois ont construit des usines à l’étranger, en particulier en Thaïlande et au Vietnam. De plus, à l’instar de Pirelli, le numéro deux du pneu coréen – à la tête d’usines chez lui, mais aussi aux États-Unis et au Vietnam – est passé sous contrôle chinois. Par ces investissements étrangers, les entreprises chinoises disposent dorénavant de marges de manœuvre face aux restrictions à l’importation.</p>
<p>À l’inverse, il ne faudrait pas penser non plus que ces mesures n’ont aucune efficacité. Ce serait le cas si les pneus fabriqués en Chine étaient remplacés un pour un par des pneus produits ailleurs et exportés au même prix. Or les possibilités de réallocation des capacités et de modification des circuits des multinationales du pneu, y compris chinoises, ne sont ni instantanées ni complètement faisables à moyen terme. De plus, à long terme les grands fabricants chinois n’ont pas intérêt à perdre de l’argent en bradant leurs produits à l’export.</p>
<p>De façon générale, le bilan économique des mesures de défense commerciale relève du cas par cas. Des possibilités de manœuvre des multinationales, mais également des effets sur les importateurs et distributeurs qui perdent du chiffre d’affaires, des consommateurs lésés par une augmentation des prix, sans compter les effets de mesures de rétorsion et leur propre cortège d’effets. À la suite de la première mesure américaine contre les pneus chinois, l’industrie avicole américaine a perdu un <a href="https://www.piie.com/publications/pb/pb12-9.pdf">milliard de dollars de recettes d’exportation</a>, la Chine ayant décidé de surtaxer les morceaux découpés de poulet « made in USA ».</p>
<p>Conclusion : difficile de globaliser les effets</p>
<h2>Michelin touché</h2>
<p>Le cas Michelin est un bon exemple de l’effet en demi-teinte des mesures de défense commerciale. Malgré la mesure antidumping européenne, la firme globale auvergnate a décidé de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/10/10/l-usine-michelin-de-la-roche-sur-yon-fermera-d-ici-a-la-fin-de-2020-plus-de-600-salaries-concernes_6014943_3234.html">fermer fin 2020 son site de production</a> de pneus pour poids lourds de La Roche-sur-Yon. Il souffre d’une taille insuffisante. Elle ne lui assure plus d’être compétitif face à une concurrence même à la loyale, c’est-à-dire basée sur la productivité du capital, du travail ou des intrants. Un esprit caustique remarquera aussi que Michelin est elle-même sanctionnée par la mesure européenne car elle surtaxe aussi ses pneumatiques pour poids lourds et autobus fabriqués en Chine. Ces exportations de Michelin vers l’Europe sont toutefois très marginales.</p>
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<figcaption><span class="caption">Michelin : l’annonce de la fermeture du site de La Roche-sur-Yon (France 3 Pays de la Loire, 10 octobre 2019)</span></figcaption>
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<p>Par ailleurs, une mesure européenne antidumping sur les pneus bas de gamme pour véhicules légers n’aurait pas non plus empêché la fermeture de son usine allemande à Bamberg, un site vieux de près d’un demi-siècle spécialisé dans la production de pneus de moyenne gamme. Il souffre avant tout d’une demande décroissante : il produit des 16 pouces et non les larges pneus chaussant les véhicules de grand gabarit, SUV et autres Crossovers qui plaisent tant aujourd’hui même s’ils polluent plus, rendent la vie si difficile aux cyclistes et sont beaucoup plus dangereux pour les piétons.</p>
<h2>Et moi et moi et moi…</h2>
<p>Propriétaire d’une Peugeot 3008, attentif à mon empreinte carbone et roulant à vélo par des rues et routes étroites, je suis une preuve vivante de cette contradiction. De tels comportements qui frisent l’irrationalité ne cessent d’intriguer les économistes, en particulier les spécialistes de l’environnement. Pourquoi n’investissons-nous pas dans des équipements rentables grâce à la réduction de la facture d’énergie qu’ils nous apportent ?</p>
<p>Sur le papier, il n’y a en effet pas photo : le consommateur gagne à acheter des pneus chers plutôt que bon marché, c’est-à-dire des pneus haut de gamme plutôt que bas de gamme, ou encore des pneus des grandes marques historiques plutôt que des pneus anonymes venus d’Asie.</p>
<p>D’abord, ils permettent de parcourir un plus grand nombre de kilomètres sans les changer. Cette économie dans la durée est à souligner car un contre-exemple de la si courante obsolescence programmée. Les grands pneumaticiens cherchent à offrir des pneus qui durent le plus longtemps possible.</p>
<p>Ensuite, il suffit de rouler une quinzaine de milliers de kilomètres par an pour que le supplément de prix soit plus que compensé par la moindre consommation de carburant. Peut-être ne le savez-vous pas, mais environ un plein sur quatre de votre voiture sert uniquement à faire rouler les pneumatiques. La faute à la résistance au roulement. Le pneu s’écrase sous le poids du véhicule et cette déformation d’environ une largeur de main s’oppose à la traction. Diminuer la résistance au roulement permet donc de réduire la consommation de carburant, mais il faut y parvenir sans que le pneu perde de son adhérence – c’est mieux pour démarrer et conserver sa vitesse et éviter d’aller dans le décor sur chaussée mouillée… Bref, sans avoir à mentionner d’autres critères de performance des pneus, comme le confort de la conduite ou le bruit, le pneumatique est un produit hypertechnique. Ce qui explique pourquoi Michelin, inventeur hier du pneu radial et concepteur aujourd’hui de <a href="https://www.lamontagne.fr/clermont-ferrand-63000/actualites/michelin-presente-vision-son-pneu-du-futur-a-montreal_12441736/">nombreux prototypes</a> (pneus sans air, biodégradable, connecté…) fait partie des 50 premiers déposants de brevets au monde. Cherté et qualité des pneumatiques sont donc étroitement corrélées.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/300860/original/file-20191108-194650-1r5wooa.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le pneu increvable de Michelin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://newatlas.com/michelin-gm-uptis-airless-tire/60004/">Michelin</a></span>
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<p>Malgré ce double gain, les pneus bas de gamme qui finalement reviennent plus cher se vendent bien. Les raisons avancées par les économistes qui s’intéressent à l’efficacité énergétique sont <a href="https://www.nber.org/papers/w15031.pdf">multiples</a>. Citons-en quelques-unes. Le consommateur peut être atteint d’une sorte de myopie qui écrase les gains futurs. Par exemple exprimer une nette préférence pour le présent et une aversion au risque et à l’incertitude (le prix des carburants fluctue et il n’est pas connu à l’avance sur la durée de l’amortissement de l’équipement). Un tien vaut mieux que deux tu l’auras. Le consommateur peut aussi reconnaître qu’il en sait moins que le vendeur et que le vendeur le sachant va lui faire miroiter des performances auxquelles il ne croira pas. Méfiance, méfiance…</p>
<p>Enfin, le consommateur peut prendre des décisions selon des mécanismes bien éloignés de la rationalité et des calculs qu’elles exigent. Il privilégiera alors des solutions simples et routinières comme acheter la même chose qu’avant. Comme le dit le refrain de la chanson de Jacques Dutronc qui a inspiré le titre de cette chronique « J’y pense et puis j’oublie, c’est la vie, c’est la vie ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Jacques Dutronc, « Et moi, et moi, et moi » (Archive INA, 1966).</span></figcaption>
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<hr>
<p><em>François Lévêque vient de publier <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/management-entreprise/habits-neufs-de-la-concurrence_9782738139177.php">« Les habits neufs de la concurrence. Ces entreprises qui innovent et raflent tout »</a> aux éditions Odile Jacob.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126616/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Quelles sont les conséquences des sanctions commerciales visant à limiter la conquête chinoise du marché mondial du pneumatique ?François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1230222019-09-09T17:31:26Z2019-09-09T17:31:26ZEn 2019, l’obsession budgétaire prévaut toujours sur les enjeux climatiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/291102/original/file-20190905-175710-1gux5d6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=40%2C11%2C925%2C654&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La vision comptable et court-termiste des États interdit aujourd'hui de bien poser les problèmes. </span> <span class="attribution"><span class="source">Maradon 333 / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Selon les dernières estimations de l’Insee, la dette publique française s’établissait à 2 358,9 milliards d’euros au premier trimestre, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4177916">soit 99,6 % du PIB</a>. Conséquence de 45 exercices budgétaires déficitaires consécutifs, cette dette réduit nos marges de manœuvre à un moment pourtant décisif de notre histoire collective – même si le déficit devait être légèrement supérieur aux anticipations dans le <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/budget-2020-le-gouvernement-peine-a-atteindre-son-objectif-de-deficit-1129978">budget 2020</a>. Car, comment pourrions-nous seulement espérer répondre efficacement aux grands enjeux du XXI<sup>e</sup> siècle, transition écologique en tête, si l’État stratège reste enfermé dans une vision comptable et court-termiste de ses finances, jusqu’à poser en objectif majeur le fait de stabiliser la <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/la-dette-publique-atteint-presque-100-du-pib-apres-avoir-augmente-au-premier-trimestre_3512175.html">dette en deçà de la barre symbolique des 100 % du PIB</a> ?</p>
<h2>S’offrir un horizon et des objectifs communs</h2>
<p>Or, une telle vision nous interdit de bien poser les problèmes. Quel meilleur exemple pour l’illustrer que celui de la dette des nouveau-nés français ? Selon les chiffres couramment avancés par nos dirigeants et certains économistes, chaque bébé qui naît en France aurait déjà contracté une dette de <a href="http://www.lefigaro.fr/marches/2008/10/13/04003-20081013ARTFIG00488-sarkozy-propose-milliards-d-euros-contre-la-crise-.php">plusieurs dizaines de milliers d’euros</a>.</p>
<p>Outre de passer sous silence la question de l’<a href="https://www.ladocumentationfrancaise.fr/ouvrages/9782111453272-parlons-dette-en-30-questions">actif de la France</a> (chaque nouveau-né hérite aussi d’une fraction de notre patrimoine national), une telle approche est inadéquate à deux égards. D’une part, parce que si notre inaction nous amène à hypothéquer l’avenir de ce nouveau-né, il sera bien en peine de s’acquitter de sa dette. D’autre part, parce qu’un tel problème ne saurait tolérer la lecture statique qu’impose un indicateur mélangeant indifféremment des stocks et des flux.</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/249785244" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Dette de la France : idées fausses et vérités cachées », Alexandre Mirlicourtois, directeur de la conjoncture et de la prévision chez Xerfi (Xerfi canal, 2018).</span></figcaption>
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<p>Plusieurs générations succéderont à celle qui voit le jour actuellement, et elles seront solidaires de l’actif, comme du passif. Dès lors, ces milliers d’euros d’endettement individuel devraient être dilués sur <em>n</em> générations, <em>n</em> correspondant à l’espérance de vie – <a href="https://cjf.qc.ca/revue-relations/publication/article/dette-de-letat-vs-dette-des-menages/">potentiellement infiniment longue</a> – de l’État. Pour l’ensemble de ces raisons, la question n’est pas tant de savoir à quel horizon la dette de l’État doit être remboursée, mais de savoir comment offrir un horizon à cet enfant qui est né, et à tous ceux restant à naître.</p>
<h2>Le spectre d’une crise sans frontière</h2>
<p>Cette question a une résonance toute particulière alors que le 23 septembre prochain s’ouvrira l’édition 2019 <a href="https://www.un.org/en/climatechange/un-climate-summit-2019.shtml">du Climate Action Summit</a>, durant laquelle les États devront préciser leurs engagements pour faire face à l’urgence climatique. Or, selon le dernier rapport du GIEC, contenir la progression de la température globale à +1,5 degré ne peut s’envisager sans une réduction drastique de <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/climat-leurope-serait-en-capacite-de-diviser-par-deux-ses-emissions-dici-2030-1003560">45 % des émissions de gaz à effet de serre</a> à l’horizon 2030.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/291098/original/file-20190905-175696-14mganh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/291098/original/file-20190905-175696-14mganh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/291098/original/file-20190905-175696-14mganh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/291098/original/file-20190905-175696-14mganh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/291098/original/file-20190905-175696-14mganh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/291098/original/file-20190905-175696-14mganh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/291098/original/file-20190905-175696-14mganh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Inondations à Jakarta, qui ne sera plus capitale de l’Indonésie en 2040.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Findracadabra/Shutterstock</span></span>
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<p>Cet objectif revêt une importance cruciale alors que les cris d’alarme émanant de la communauté scientifique se multiplient. Mentionnons, par exemple, la <a href="https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/rechauffement-climatique-hausse-oceans-nepargnera-pas-grandes-puissances-mondiales-60711/">montée des eaux</a> sur les côtes (qui a même récemment poussé l’Indonésie à envisager de <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/lindonesie-veut-implanter-sa-nouvelle-capitale-dans-lest-de-borneo-1348226">déplacer sa capitale de Jakarta</a>, directement menacée, vers Bornéo à horizon 2024), l’effondrement des <a href="https://www.science-et-vie.com/archives/rendements-agricoles-la-grande-panne-38083">rendements agricoles</a>, ou encore les <a href="https://www.lci.fr/planete/en-cours-une-penurie-d-eau-extremement-elevee-touche-pres-d-un-quart-de-la-population-mondiale-2128965.html">pénuries d’eau potable</a> entraînant des conflits d’usage, y compris dans les pays européens. </p>
<p>Un changement de paradigme aussi brutal aurait des répercussions majeures tant du point de vue humain qu’économique, provoquant des <a href="https://www.europe1.fr/international/143-millions-de-migrants-climatiques-potentiels-dici-2050-3603704">vagues migratoires</a> d’ampleurs inédite, tout autant que de vives tensions internationales sous fond de contrôle de l’<a href="https://www.futura-sciences.com/planete/dossiers/developpement-durable-geopolitique-guerre-eau-622">eau</a> ou des gisements de matières premières, notamment des métaux rares.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-21Y3I7rtd8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« La guerre des métaux rares avec Guillaume Pitron » (France Culture, 2018).</span></figcaption>
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<p>Le scénario de crise qui se profile n’aura de frontière ni géographique, ni générationnelle. Un <a href="https://liverman.faculty.arizona.edu/sites/liverman.faculty.arizona.edu/files/2018-08/Steffen%20et%20al%202018%20Trajectories%20of%20the%20Earth%20System%20in%20the%20Anthropocene_0.pdf">article</a> publié dans la revue scientifique américaine PNAS en 2018 fait d’ailleurs état que, même en respectant les accords de Paris, la Terre connaîtra des réactions en chaîne qui conduiront à des augmentations de température de +4 à +5 degrés par rapport à la période préindustrielle.</p>
<p>Quelle que soit l’ampleur de la crise, nous pouvons néanmoins nous donner collectivement les moyens de l’infléchir. Or, la transition écologique se heurte à un <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-etienne-espagne-climatiser-la-finance-pour-financer-le-climat-71282">problème structurel de financement</a>, à plus forte raison en Europe où le Pacte de stabilité et de croissance oblige les États à une gestion rigoureuse de leurs finances.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/conversation-avec-etienne-espagne-climatiser-la-finance-pour-financer-le-climat-71282">Conversation avec Étienne Espagne : « Climatiser la finance pour financer le climat »</a>
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<p>Résumons-nous. D’un côté, la préservation des ressources et écosystèmes nécessaires à la vie humaine. De l’autre, des équations budgétaires à équilibrer et des dettes à rembourser. Certains chercheurs y voient tout le <a href="https://theconversation.com/apres-nicolas-hulot-francois-de-rugy-et-les-dilemmes-de-lecologie-politique-102525">« dilemme »</a> de l’écologie politique.</p>
<p>D’autres, un décalage vertigineux entre les enjeux et les moyens d’action réellement mis en œuvre. Si l’enjeu est d’éviter une <a href="https://theconversation.com/la-sixieme-extinction-aura-t-elle-lieu-116864">sixième extinction de masse</a>, pourquoi se priver de politiques publiques plus ambitieuses et déterminées fléchées, par exemple, vers la rénovation thermique des logements, la résilience des villes, la mise à l’échelle des transports en commun, ou encore la création de filières d’excellence hydrogène/méthanisation ?</p>
<h2>Des décideurs qui jouent au poker</h2>
<p>L’inaction est d’autant plus préoccupante que, outre de générer un retour sur investissement positif et d’apporter leur contribution à la lutte contre le réchauffement climatique, les investissements de cette nature sont également des remparts à divers conflits sociaux. Il est désormais admis que l’élévation des températures a des conséquences politiques qui peuvent favoriser l’instabilité et l’insécurité, et expliquer la recrudescence des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0095069613001289">meurtres, viols, larcins et autres crimes et délits</a>. Au-delà, un scénario funeste s’esquisse : la raréfaction des ressources pourrait entraîner des situations de stress extrêmes sur les marchés et aboutir à des conflits sociaux et armés majeurs. </p>
<p>Nous en sommes déjà témoins en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2018/03/15/dans-la-guerre-en-syrie-le-changement-climatique-a-eu-un-effet-catalyseur_1635831">Syrie</a>. Et un juste devoir de mémoire nous rappelle d’ailleurs que de la Révolution française aux empires ottoman et romain, de nombreux cycles conflictuels du passé peuvent être expliqués à travers le prisme de la raréfaction des ressources et/ou des <a href="https://www.lepoint.fr/phebe/phebe-des-effets-du-petit-age-glaciaire-sur-les-conflits-07-11-2018-2269326_3590.php">épisodes climatiques remarquables</a>. Voulons-nous vraiment croire que des causes identiques pourraient aboutir à des résultats différents ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1036989055609786368"}"></div></p>
<p>D’une certaine façon, la situation dans laquelle nous nous trouvons est à rapprocher de la réflexion du <a href="https://video-streaming.orange.fr/actu-politique/un-entrepreneur-doit-prendre-des-lecons-de-poker-julien-pillot-CNT0000019Chsp.html">joueur de poker placé en situation d’incertitude</a>. Sa première option est de « payer pour voir » pour se donner une chance d’empocher le pot, mais aussi au risque de tout perdre. À l’inverse, sa seconde option consiste à « se coucher » pour s’acheter du temps à la table, glaner de l’information, et choisir des coups moins incertains.</p>
<p>Ramené à notre problématique, « payer pour voir » pousserait nos dirigeants à poursuivre un <em>business as usual</em> qui a toutes les chances de maximiser les profits de court terme, mais aussi d’hypothéquer le long terme. A contrario, ces derniers pourraient faire le choix de réviser leur stratégie, de « s’acheter du temps », ce qui en l’espèce pourrait se traduire par une action coordonnée à l’échelle planétaire et une modification de quelques règles du jeu institutionnel. La principale difficulté réside dans la réconciliation entre le temps long de la nature et le temps court de l’économie, des (dirigeants) politiques et des citoyens.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"943397234070220800"}"></div></p>
<p>Cette tension avait d’ailleurs été formulée <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2019-7-page-29.html">dès 1975</a> par l’anthropologue Margaret Mead qui déclarait alors :</p>
<blockquote>
<p>« Si les peuples du monde ne font pas l’effort de saisir les conséquences démesurées et à long terme de ce qui semble d’abord être de petits choix instantanés, la planète tout entière pourrait être en danger ».</p>
</blockquote>
<p>Or, ni les mandats politiques, ni les cycles économiques, ni même la vie humaine ne présentent un horizon suffisamment long pour mettre en cohérence les activités anthropiques avec le temps long que la nature exige. Aucun individu, aucune entreprise, ni même aucun État, aussi responsable soit-il dans sa politique, son mode de production ou de consommation, n’a le pouvoir d’infléchir la tendance en agissant unilatéralement. Face à cet abîme d’impuissance, la tentation est encore plus grande de privilégier l’individualisme de court-terme, de garder les choses en l’état même quand <a href="https://www.francebleu.fr/infos/transports/l-ecotaxe-poids-lourds-definitivement-enterree-1479466587">on les sait contraires à l’intérêt général</a>.</p>
<p>Le fait que les externalités négatives les plus manifestes aient d’abord touché les populations lointaines a également largement contribué à un certain immobilisme doublé d’une illusion dans les pays occidentaux : à force d’inertie, le manège continue de tourner, mais la fête est finie depuis longtemps.</p>
<h2>Pas de salut sans revigorer les institutions</h2>
<p>Le constat est là : le mur climatique et toutes ses conséquences les plus funestes ne pourront être évités sans le concours d’institutions supranationales fortes et pérennes, qui résistent <a href="https://theconversation.com/nicolas-hulot-face-au-mur-des-lobbies-102300">aux lobbys</a>, aux <a href="https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/pourquoi-trump-menace-encore-de-quitter-lomc-1124329">salves politiques</a>, et aux intérêts d’individus d’abord <a href="https://theconversation.com/la-societe-et-ses-acteurs-politiques-jeu-de-miroirs-65964">soucieux d’eux-mêmes</a>. Plus que jamais, leur mission ne doit pas être de veiller scrupuleusement au respect de traités archaïques, mais de fédérer les acteurs, de catalyser le progrès, de faciliter l’émergence de nouveaux marchés et compétences, tout en accompagnant le déclin de l’héritage des révolutions industrielles. Et plus que jamais, notre devoir est de les renforcer plutôt que de les affaiblir, quand bien même souffleraient fort les vents du <a href="https://theconversation.com/ritournelles-du-protectionnisme-le-chant-des-sirenes-69322">protectionnisme</a>, du <a href="https://www.liberation.fr/debats/2018/11/15/le-reveil-des-nationalismes_1692327">nationalisme</a> et de l’<a href="https://culture.univ-lille1.fr/fileadmin/lna/lna68/lna68p16.pdf">obscurantisme</a>.</p>
<p>Les institutions internationales sont les seules en capacité d’orienter l’économie vers des modes de production et de consommation qui préservent un avenir, pour les générations actuelles comme futures. Non pas en justifiant toutes nos inactions par la dette qu’elles auraient à supporter, mais tout au contraire en finançant de façon massive et immédiate la lutte contre le changement climatique qui est seule garante d’avenir.</p>
<p>Tandis que le péril climatique nous aspire, la dette publique continue d’être présentée comme un fardeau et d’être combattue par les instances européennes. Au moment de conclure cet article, osons quelques questions : serons-nous capable de <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2019-7-page-29.html">faire face au jugement de nos enfants</a> si nous n’avons d’autre justification à notre inaction qu’une règle budgétaire ne reposant sur <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20101001trib000554871/a-l-origine-du-deficit-a-3-du-pib-une-invention-100-francaise.html">aucun fondement économique</a>, fixant arbitrairement à 3 % du PIB le plafond d’endettement annuel ? La nature des enjeux ne mériterait-elle pas que les dépenses fléchées vers la transition écologique <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/sortir-linvestissement-vert-deficit-budgetaire-cest-possible/00086171">soient sorties du Pacte de solidarité et de croissance</a> ? Car à quoi bon s’alarmer de l’endettement des générations futures si nous créons, hier comme aujourd’hui, les conditions de notre propre extinction ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123022/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Pillot est coordinateur du think tank trans-partisan "Le Jour d'Après" qui entend participer aux débats sur les réformes structurelles nécessaires à la modernisation et l'efficacité de notre modèle social, économique et institutionnel, en dépassant les clivages partisans.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Philippe Naccache ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les objectifs en matière de dette publique entravent les États face à une crise climatique qui exige désormais une réponse institutionnelle à l’échelle mondiale.Philippe Naccache, Professeur Associé, INSEEC Grande ÉcoleJulien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie et Stratégie (Inseec U.) / Pr. et Chercheur associé (U. Paris Saclay), INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1221522019-08-22T20:11:33Z2019-08-22T20:11:33ZDu multilatéralisme aux coalitions hétéroclites<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/288758/original/file-20190820-170956-x6isb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=248%2C58%2C750%2C517&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La coopération entre acteurs divers, nouvelle réponse aux défis contemporains&nbsp;?</span> <span class="attribution"><span class="source">REDPIXEL.PL / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les échanges internationaux connaissent actuellement un ralentissement très important qui amène à remettre en cause le phénomène de mondialisation. Bien que les chaînes de valeur de la plupart des produits n’aient jamais été aussi <a href="https://www.youtube.com/watch?v=oLtZCH-RdVI">imbriquées et éclatées</a> à l’échelle mondiale, la période qui s’ouvre se caractérise, et ce sera sans doute le cas pour plusieurs années, par un véritable repli national. Perçue comme étant à l’origine de nos problèmes les plus divers (hausse des inégalités, réchauffement climatique…), la mondialisation est également porteuse de réelles vertus, notamment en constituant l’une des briques essentielles de la paix lorsqu’elle prend la forme du <a href="http://www.maphilosophie.fr/voir_un_texte.php?%24cle=Le%20doux%20commerce">« doux commerce »</a> cher à Montesquieu.</p>
<h2>Une véritable crise du multilatéralisme</h2>
<p>Visant clairement à pacifier des relations internationales trop souvent conflictuelles et débouchant sur la guerre, le multilatéralisme est un mode d’organisation des relations interétatiques qui repose sur la coopération et l’instauration de règles communes. Aujourd’hui clairement remis en cause dans des pays émergents comme le Brésil, mais aussi et surtout par l’administration Trump, le <a href="https://theconversation.com/commerce-international-le-multilateralisme-etait-mort-vivant-trump-lacheve-97893">multilatéralisme est en péril</a>. Il avait pourtant permis, et c’est de loin sa contribution la plus importante, de maintenir la paix, notamment en Europe, région du monde où elle était loin d’être habituelle. C’est ce que rappelait récemment le philosophe Michel Serres en évoquant les <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2016/09/18/2421145-michel-serres-c-est-l-epoque-des-soixante-dix-paisibles.html">« soixante-dix paisibles »</a> pour qualifier la dernière période de paix (relative) vécue en Europe.</p>
<p>Il est, de ce point de vue, révélateur de constater que les avancées les plus significatives du dernier G20 d’Osaka en juin aient concerné les <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-du-japon-au-g20-les-rencontres-bilaterales-preferees-aux-negociations-de-groupe">dossiers bilatéraux</a> alors qu’aucune solution n’a été trouvée pour permettre de pérenniser le fonctionnement de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont le <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/dispu_f.htm">tribunal</a> est toujours <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/l-omc-un-gendarme-mondial-du-commerce-paralyse_2087384.html">bloqué par les États-Unis</a> qui empêchent la nomination de nouveaux juges.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1009158250971979776"}"></div></p>
<p>La réduction des échanges mondiaux ne constitue pas forcément une mauvaise nouvelle. En faisant reculer le commerce de concurrence (celui qui consiste à importer et à exporter des produits de même nature) plus que le commerce de complémentarité (celui qui vise des produits n’étant pas fabriqués par les importateurs), elle diminue l’impact environnemental des transports sans forcément priver les consommateurs des produits non fabriqués sur leur territoire national.</p>
<p>Certains entrevoient même un possible renouveau des politiques industrielles. Les effets des possibles mouvements de réindustrialisation auraient ainsi des <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/politique-industrielle-mode-demploi-pour-le-xxie-siecle-1034548">effets bénéfiques</a> sur les plans économiques, sociaux et environnementaux.</p>
<h2>De nouvelles formes de coopération</h2>
<p>Toutefois, la crise du multilatéralisme risque de compliquer la résolution de ces problèmes liés au climat ou à la biodiversité. C’est en effet à l’heure où nous aurions le plus besoin d’engagements et d’actions mis en œuvre collectivement, et le plus globalement possible, que la coordination internationale fait le plus défaut. Fort heureusement, c’est précisément sur ce dernier terrain que de nouvelles initiatives voient le jour.</p>
<p>Celles-ci impliquent des pouvoirs publics, des organisations internationales, des ONG, des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs. Elles prennent donc la forme de coalitions hétéroclites d’acteurs qui prennent leurs responsabilités en trouvant dans le collectif la possibilité de renforcer leurs contributions individuelles. Citons par exemple le cas du géant de l’agroalimentaire Danone et du réseau BSR (Business for Social Responsibility) qui ont lancé fin 2018 la plate-forme <a href="http://www.oecd.org/fr/economie/l-ocde-bsr-et-danone-lancent-une-initiative-sur-3-ans-pour-renforcer-la-croissance-inclusive-par-le-biais-d-une-collaboration-public-prive.htm">« Business for Inclusive Growth »</a> (B4IG) « dans le but d’accélérer le processus d’action contre les inégalités et en faveur de l’inclusion ». À plus petite échelle, l’initiative <a href="https://www.lesbonsclics.fr/">« Les bons clics »</a> réunit une entreprise de l’Économie sociale et solidaire (ESS), une start-up, trois associations qui œuvrent pour l’insertion sociale, et un réseau d’associations locales pour lutter contre l’exclusion numérique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AefvBofg2qo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les Bons Clics, une plate-forme pédagogique pour aider les personnes en difficulté sur le numérique.</span></figcaption>
</figure>
<p>À l’heure où elles s’interrogent sur le sens et où elles <a href="https://www.lepoint.fr/economie/loi-pacte-la-maif-veut-devenir-la-premiere-grande-entreprise-a-mission-03-06-2019-2316564_28.php">redéfinissent leurs missions</a>, de nombreuses entreprises ont l’occasion de dépasser, dans l’intérêt de tous, leur stricte vocation économique. Une telle évolution plaiderait en faveur de la vision proposée par l’économiste Éloi Laurent dans <a href="http://editionslesliensquiliberent-blog.fr/impasse-collaborative-eloi-laurent/">son dernier ouvrage</a> « L’impasse collaborative », mettant la coopération entre acteurs divers au cœur des évolutions souhaitables et en cours de la société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122152/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugues Poissonnier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’heure où les systèmes de coopération interétatiques s’enfoncent dans la crise, de nouvelles formes de coopération voient le jour pour répondre aux grands défis actuels.Hugues Poissonnier, Professeur d'économie et de management, Directeur de la Recherche de l’IRIMA, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-Etre au travail et Paix Economique, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1192072019-06-24T20:58:35Z2019-06-24T20:58:35ZMythes et réalités autour des entreprises mondialisées<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/280511/original/file-20190620-149835-ihk8po.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C997%2C622&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'échec de la fusion Alstom-Siemens a révélé que l'objectif d'expansion internationale restait (à tort) une nécessité pour beaucoup de décideurs. </span> <span class="attribution"><span class="source">Leonid Andronov / Shutterstock </span></span></figcaption></figure><p>Le veto à la fusion entre Alstom et Siemens par l’Autorité européenne de la concurrence au début de l’année 2019 a suscité une vague de protestations dans les milieux économiques et politiques. Malgré les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=tLdKZFNJEYc">explications</a> de la Commissaire européenne chargée de la concurrence, Margrethe Vestagen, le ministre français de l’Économie et des finances, Bruno Le Maire, a exprimé avec force <a href="https://www.cnbc.com/2019/02/10/le-maire-blasts-eu-decision-to-block-alstom-siemens-merger.html">son désaccord</a> avec cette décision, affirmant que les entreprises européennes doivent se renforcer sur la scène mondiale :</p>
<blockquote>
<p>« Regardons la réalité en face – nous sommes confrontés à un énorme défi avec l’essor de l’industrie chinoise. Qu’est-ce qu’on fait ? Devons-nous diviser les forces européennes, ou essayer de fusionner les forces européennes d’un point de vue industriel ? ».</p>
</blockquote>
<p>« Souvent, les entreprises européennes sont en concurrence à l’échelle mondiale avec des entreprises américaines ou asiatiques qui sont très fortes sur leurs marchés nationaux », a de son côté réagi Peter Altmaier, un proche allié d’Angela Merkel, dans une <a href="https://www.ft.com/content/6757ca9a-3048-11e9-8744-e7016697f225">interview</a>. « L’Europe doit donc aussi permettre aux entreprises d’exister et de devenir des acteurs mondiaux suffisamment grands pour être réellement compétitifs », a-t-il ajouté.</p>
<p>Être ou ne pas être mondial, telle serait donc la clé du succès, pourrait-on comprendre à la lecture de ces prises de position. Mais sommes-nous si sûrs que la mondialisation, et plus particulièrement la mondialisation des entreprises, est si répandue à travers le monde ? Ou est-ce plus dans les mots et les récits ? Un examen plus approfondi de la recherche sur les multinationales fournit une perspective plus ambiguë.</p>
<h2>Une perception incomplète de la mondialisation</h2>
<p>Dans un <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/s41267-018-0192-2">éditorial</a> que j’ai écrit avec Alain Verbeke (Université de Calgary, Vrije Universiteit Brussel et University of Reading) et Tanja Matt (Technical University of Munich) dans le <em>Journal of International Business Studies</em>, nous explorons la question de la mondialisation des entreprises. Au niveau macroéconomique, le concept renvoie à la croissance des relations d’échanges entre un pays donné et tous les autres pays du monde, mesurées par les flux commerciaux et les investissements étrangers directs (IED), auxquels s’ajoutent les autres types d’échanges (capitaux, personnes, technologies, idées, pratiques institutionnelles efficaces).</p>
<p>Il est largement reconnu par les spécialistes de l’économie et de la gestion que la mondialisation est à l’origine d’avantages nets découlant d’une utilisation moindre des ressources par unité de production et de la diffusion internationale de meilleures pratiques industrielles, allant de systèmes comptables de haute qualité aux technologies brevetées. De plus, la mondialisation des flux d’information a considérablement amélioré la prise de conscience mondiale des grands défis tels que les impacts du changement climatique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1093636941931864064"}"></div></p>
<p>Malheureusement, dans les récits populaires diffusés par de nombreux chefs d’entreprise et dirigeants politiques, la mondialisation des entreprises a été associée à de nombreux mécontentements – la plupart du temps dénués de faits solides mais motivés par des perceptions d’effets sociaux présumés et indésirables tels que la hausse des inégalités.</p>
<p>Le rôle de la mondialisation des entreprises a en effet été avant tout d’élargir l’accès géographique à des médicaments qui sauvent des vies comme les vaccins et à des services médicaux (contribuant ainsi à créer un bien public qui, en soutenant la surpopulation humaine, a contribué à la disparition de nombreux autres biens collectifs et au développement de plusieurs maux collectifs). Elle a également facilité la distribution de biens essentiels pour répondre aux besoins fondamentaux et la propagation de pratiques institutionnelles et de méthodes de gestion qui améliorent l’efficacité.</p>
<p>La plupart des retombées négatives des activités de commerce international, à l’exception de cas très visibles d’abus de position dominante sur le marché, ont été surtout engendrées par des institutions sociales inefficaces, censées réglementer les activités économiques mais n’y parvenant pas.</p>
<h2>Une question mal connue</h2>
<p>Les personnes qui critiquent la mondialisation au niveau macroéconomique ne peuvent généralement pas réfuter l’argument des avantages nets de la mondialisation (avec la réserve que des inégalités se matérialiseront également, exigeant des mesures politiques pour améliorer la justice distributive). Comme le personnage de Miguel de Cervantes dans L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, les critiques qui prétendent que les entreprises mondialisées sont une présence maligne dans les pays hôtes et se nourrissent de processus décisionnels malveillants sont, en fait, opposés à des ennemis en grande partie imaginaires. Ils attaquent des moulins à vent, qu’ils pensent être des géants féroces.</p>
<p>Il y a, cependant, un récit récent de démondialisation au niveau macroéconomique avec des retombées négatives au niveau de l’entreprise, comme l’observe un <a href="https://www.economist.com/briefing/2017/01/28/the-retreat-of-the-global-company">article publié dans The Economist</a> : avec la montée d’un « capitalisme plus fragmenté et provincial, et très probablement moins efficace (…) l’engouement pour les entreprises mondialisées sera considéré comme une période transitoire de l’histoire économique ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/280509/original/file-20190620-149818-1l6fnkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/280509/original/file-20190620-149818-1l6fnkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/280509/original/file-20190620-149818-1l6fnkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/280509/original/file-20190620-149818-1l6fnkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/280509/original/file-20190620-149818-1l6fnkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/280509/original/file-20190620-149818-1l6fnkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/280509/original/file-20190620-149818-1l6fnkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les entreprises mondialisées s’apparentent aux moulins de Don Quichotte…</span>
<span class="attribution"><span class="source">BestPhotoStudio/Shutterstock</span></span>
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<p>Mais qui a, ou a jamais eu, une « passion déraisonnable » pour l’entreprise mondialisée ? Quelles sont exactement ces entreprises mondialisées, supposées être le résultat d’un processus d’expansion des entreprises ? Un examen plus approfondi de la réalité montre que les entreprises mondialisées à part entière étaient et sont toujours l’exception plutôt que la règle dans le commerce international.</p>
<p>Peu – voire aucune – des plus grandes entreprises du monde sont en mesure d’atteindre et de maintenir sur de plus longues périodes une répartition géographique globale et équilibrée de leurs activités et de leurs ventes. Dans un <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/palgrave.jibs.8400073">article</a> publié il y a près de deux décennies, mais toujours largement valable, Alain Verbeke et Alan M. Rugman ont identifié seulement neuf « entreprises mondialisées » dans le classement <em>Fortune</em> Global 500, définies comme ayant une distribution équilibrée de leurs ventes dans le monde (c’est-à-dire ayant moins de 50 % de leurs ventes dans leur région de résidence et 20 % au moins dans chacune des deux régions hôtes de la triade constituée par les États-Unis, l’Europe et l’Asie).</p>
<h2>Quelques dizaines d’entreprises mondialisées</h2>
<p>Dans un <a href="https://www.emeraldinsight.com/doi/abs/10.1108/MBR-04-2014-0015?fullSc=1">travail ultérieur</a> avec Chang Hoon Oh, Alan M. Rugman a confirmé la quasi-absence d’entreprises mondialisées dont les ventes et les actifs sont répartis uniformément dans le monde. Dans une évaluation plus récente des entreprises du <em>Fortune</em> Global 500, nous avons eu l’occasion de confirmer – encore une fois – que si le nombre d’entreprises mondialisées a augmenté, il reste une forte minorité (environ 30).</p>
<p>Il semble donc qu’il y ait un grand fossé entre les discours sur la mondialisation des entreprises et la réalité des activités des entreprises. Dans la plupart des cas, même pour les plus grandes entreprises, le niveau d’internationalisation pertinent n’est pas l’échelle mondiale mais régionale, comme le préconise Pankaj Ghemawat dans un <a href="https://ghemawat.com/books/3729/The%20New%20Global%20Road%20Map">livre récent</a>, entre autres. La permanence de ce fossé génère de nombreux mythes autour de la mondialisation, porteurs de grandes craintes et de nombreux raccourcis comme les arguments de Bruno Le Maire pour l’affaire Alstom-Siemens dans l’industrie ferroviaire.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/280510/original/file-20190620-149831-1i8h221.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/280510/original/file-20190620-149831-1i8h221.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/280510/original/file-20190620-149831-1i8h221.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/280510/original/file-20190620-149831-1i8h221.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/280510/original/file-20190620-149831-1i8h221.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/280510/original/file-20190620-149831-1i8h221.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/280510/original/file-20190620-149831-1i8h221.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">CRRC est une grande entreprise mais elle n’est pas forcément mondialisée…</span>
<span class="attribution"><span class="source">Testing/Shutterstock</span></span>
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<p>Dans ce secteur, il existe en effet une société chinoise (CRRC, ou <em>China Railway Rolling Stock Corporation</em>) de taille adéquate pour le marché chinois et faisant des affaires à la manière chinoise, mais presque uniquement en Chine. Et il y a aussi une grande entreprise américaine aux États-Unis (GE). Mais pouvons-nous si facilement déduire du cumul de marchés régionaux que nous avons un marché mondial ? C’est un raccourci dangereux pour le vrai consommateur européen, qui pourrait être la victime locale de ce mythe mondial !</p>
<p>Les mythes prospèrent souvent du fait qu’ils racontent des histoires convaincantes pour des problèmes non résolus. La meilleure façon d’y faire face est d’élaborer des études empiriques sur la mondialisation des entreprises, en s’appuyant sur des données adéquates au niveau de l’entreprise. Vous pouvez être assurés que ces études démontreront surtout la vulnérabilité, plutôt que la férocité, des quelques entreprises mondialisées, des quelques entreprises nées mondialisées et des quelques chaînes de valeur véritablement mondiales qui existent actuellement…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/119207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Regis Coeurderoy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les multinationales dont les ventes et les actifs sont répartis uniformément dans le monde sont moins nombreuses et plus vulnérables qu’on ne le pense.Regis Coeurderoy, Professor in Strategic Management and Innovation , ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1175562019-05-23T22:13:47Z2019-05-23T22:13:47ZLes gauches européennes renouent-elles progressivement avec le protectionnisme ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/275866/original/file-20190522-187169-1lfh277.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C991%2C571&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La question du protectionnisme pourrait être un élément de recomposition du Parlement européen.</span> <span class="attribution"><span class="source">Ikars/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La récente approbation de l’<a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/le-parlement-europeen-approuve-l-accord-de-libre-echange-ue-singapour-20190213">accord de libre-échange</a> entre l’Union européenne (UE) et Singapour, le premier signé avec un pays appartenant à l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), ne constitue pas une nouveauté dans la pratique commerciale européenne de ces dernières années. </p>
<p>Ce traité, qui permettra l’ouverture réciproque presque totale des deux marchés, n’est que le dernier d’une série d’accords commerciaux dits de « nouvelle génération » dont les négociations sont débutés dans la seconde moitié des années 2000. Après les accords conclus avec le Canada (CETA), le Japon (JEFTA), ou encore la Corée du Sud, d’autres sont en cours de négociation : avec les pays du Maghreb, l’Amérique latine, l’Inde, les membres du ASEAN, l’Australie, ou encore les États-Unis. En effet, même si le TAFTA n’a pas abouti, un nouveau projet d’accord, moins ambitieux car <a href="http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2006/december/tradoc_118238.pdf">privé de la partie concernant l’agriculture</a>, est actuellement en discussion.</p>
<p>Ni l’agenda ni le discours public de l’UE ne semblent aujourd’hui changés. Pourtant, des indices de tensions croissantes apparaissent dans le domaine de la politique commerciale, susceptibles sans doute d’avoir un impact important dans le nouveau parlement européen qui sera élu le 26 mai prochain. En toile de fond, le <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/le-ralentissement-du-commerce-mondial-se-confirme-1006017">ralentissement continu du commerce mondial</a> depuis 10 ans et le risque incombant d’une escalade de la <a href="https://www.francetvinfo.fr/Internet/telephonie/guerre-commerciale-entre-la-chine-et-les-etats-unis-quatre-questions-sur-la-suspension-des-relations-entre-google-et-huawei_3451633.html">guerre commerciale</a> entre États-Unis et Chine.</p>
<h2>Géométrie variable et clivages partisans</h2>
<p>Plus que la question de l’euro, sur laquelle même les principales forces politiques eurosceptiques, à droite comme à gauche, semblent désormais avoir beaucoup nuancé les propos radicaux d’autrefois (voire les avoir <a href="https://www.valeursactuelles.com/politique/sortir-de-leuro-nest-plus-la-priorite-du-rassemblement-national-102853">partiellement reniés</a>), le libre-échange risque-t-il de devenir, après l’austérité, l’un des thèmes au centre du débat économique et politique européen ? À gauche, la discussion sur le sujet, ravivée par l’impact de la crise économique de 2008 et par la longue stagnation qui s’en est suivie, est d’autant plus brûlante car ses représentants restent très divisés en la matière.</p>
<p>Que des forces politiques protectionnistes ou libre-échangistes puissent se retrouver à gauche comme à droite de l’échiquier politique ne permettent pas pour autant de conclure que le clivage partisan est inopérant. L’analyse des votes au parlement européen de la précédente législature sur les accords de libre-échange met en exergue certes une réalité complexe, se manifestant parfois à géométrie variable, mais également des constantes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/275864/original/file-20190522-187169-15rdvy7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/275864/original/file-20190522-187169-15rdvy7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/275864/original/file-20190522-187169-15rdvy7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/275864/original/file-20190522-187169-15rdvy7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/275864/original/file-20190522-187169-15rdvy7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/275864/original/file-20190522-187169-15rdvy7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/275864/original/file-20190522-187169-15rdvy7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/275864/original/file-20190522-187169-15rdvy7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.europarl.europa.eu/portal/en">Commission européenne</a></span>
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<p>D’abord, une forte polarisation gauche-droite est présente entre les groupes parlementaires qui ont une forte homogénéité interne. Toujours presque à l’unanimité, la gauche de la gauche, alternative et radicale du GUE/NGL, avec les Verts et les régionalistes (Verts-ALE), ont voté contre tous les traités de libre-échange, tandis que les libéraux (ALDE) et les populaires (PPE) les ont soutenus sans failles. En revanche, le vote a été volatile et fragmenté à droite et à l’extrême droite, au sein des groupes Europe de la liberté et de la démocratie directe (EFDD) et Europe des nations et des libertés (ENL). </p>
<p>Le groupe de la gauche sociale-démocrate (S&D), qui a approuvé dans sa large majorité les accords, a lui aussi été fragilisé par des divisions importantes. Des clivages partisans internes sont présents au sein de ses principaux partis : le Parti démocrate italien, le SPD allemand et le Parti travailliste britannique, où une minorité, variable par nombre de députés selon le vote – souvent correspondant à l’aile gauche – a rejeté les accords ou s’est abstenue.</p>
<h2>Influences nationales</h2>
<p>Le comportement des partis politiques découle également de considérations locales concernant la compatibilité de l’économie à laquelle ouvrir ses propres marchés. Le CETA est l’accord qui a reçu le plus grand nombre de votes contraires : 254, contre les 152 du JEFTA et les 186 de celui avec Singapour. Cette forte crispation s’explique par la crainte que le Canada pouvait à la fois menacer l’agriculture européenne et se révéler un cheval de Troie utilisé par les entreprises américaines dans leur stratégie de pénétration des marchés européens. La moitié de la délégation du Parti travailliste britannique a ainsi voté exceptionnellement contre. D’autres partis sociaux-démocrates, qui se sont exprimés favorablement lors des autres accords, ont fait de même, à l’image des Polonais et des Tchèques.</p>
<p>Mais la propension libre-échangiste ou protectionniste n’est pas uniquement le résultat du taux d’ouverture des respectives économies nationales. Il relève aussi de processus politiques historiquement sédimentés, évoluant au fil du temps, et soumis à revirements. À gauche le champion du libre-échangisme en Europe ne se trouve pas dans le très libéral Royaume-Uni, mais en Espagne : le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a en effet approuvé à l’unanimité ou à la quasi-unanimité tous les accords de libre-échange. Pedro Sanchez, qui a gauchisé la ligne politique de son parti, a ainsi brusquement abandonné ses propos critiques à l’égard du CETA et des autres accords de libre-échange une fois devenu premier ministre. </p>
<p>Ce qui n’est pas surprenant pour un pays marqué par l’autarcie de la période franquiste des années 1940 et 1950, devenu rapidement une <a href="https://data.worldbank.org/indicator/NE.EXP.GNFS.ZS?end=2017&locations=ES-IT-FR-GB-DE&name_desc=false&start=1960&view=chart">économie exportatrice</a>, qui maintient constamment dans l’élaboration de sa politique commerciale un regard tourné vers l’Amérique Latine. Les espagnols sont parmi les plus fervents partisans des accords commerciaux entre l’UE et le Mercosur. Au pôle opposé, les champions du protectionnisme au sein de la social-démocratie se trouvent aux Pays-Bas, en Autriche, en Belgique et en France. La délégation socialiste française a en grande majorité rejeté ces accords (à l’unanimité dans le cas du CETA).</p>
<h2>Aux sources du protectionnisme de gauche</h2>
<p>L’historien David Todd a montré comment le protectionnisme, en tant que discours politique en mesure d’attirer l’attention de l’opinion publique et d’influencer la culture économique d’une nation, se soit affirmé en réaction à la puissance commerciale du Royaume-Uni après 1820, dans pays comme la France, l’Allemagne en cours d’unification, ou encore aux États-Unis. Ce type de protectionnisme, accompagnant l’essor et la consolidation de la démocratie au XIX<sup>e</sup> siècle, comme courant de pensée trouve ainsi sa matrice dans un nationalisme progressiste, <a href="https://www.grasset.fr/lidentite-economique-de-la-france-9782246711810">héritier de la Révolution française</a>.</p>
<p>Chez la gauche social-démocrate, les premiers trois quarts du XX<sup>e</sup> siècle ont été caractérisés par une propension générale à ne pas entraver les échanges commerciaux par des politiques protectionnistes, voir les développer, notamment à partir des années 1950, à travers une majeure intégration des marchés nationaux.</p>
<p>Lors de la crise économique de 1929 ont fait surface des propositions protectionnistes, qui n’arrivent que tardivement et partiellement à remettre en cause la doctrine économique précédente. La Première Guerre mondiale avait en effet favorisé la diffusion d’une conception du libre-échange comme l’une des conditions essentielles pour le maintien de la paix. Que l’on songe, en France, à l’<a href="https://books.openedition.org/igpde/2320?lang=fr">« attente libérale à l’extérieur »</a> de Léon Blum lors du Front populaire ; au Royaume-Uni, à l’approche adoptée par les travaillistes sous le deuxième gouvernement de Ramsay MacDonald, ainsi qu’à la modération des propos protectionnistes dans la période de renouvellement de la <a href="https://cronfa.swan.ac.uk/Record/cronfa31883">culture économique du parti</a> qui précède le retour au gouvernement de l’après-guerre ; en Allemagne, aux positions de Rudolf Hilferding et à la politique du SPD presque <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/contemporary-european-history/article/liberalising-regional-trade-socialists-and-european-economic-integration/40BFAC77550AD0402C90296E92824051">tout au long de la République de Weimar</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/275861/original/file-20190522-187179-jc2txc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/275861/original/file-20190522-187179-jc2txc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/275861/original/file-20190522-187179-jc2txc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/275861/original/file-20190522-187179-jc2txc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/275861/original/file-20190522-187179-jc2txc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/275861/original/file-20190522-187179-jc2txc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/275861/original/file-20190522-187179-jc2txc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation du Rassemblement populaire, 14 juillet 1936. Dans la tribune, de gauche à droite : Thérèse Blum, Léon Blum, Maurice Thorez, Roger Salengro, Maurice Viollette, Pierre Cot.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Rassemblement-populaire-14-juillet-1936.jpg">Bibliothèque en ligne Gallica/Wikimedia</a></span>
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<p>À la suite de l’effondrement du commerce provoqué par les années 1930 et la Seconde Guerre mondiale, l’intégration internationale des économies capitalistes a été relancée sous la pression américaine dans le nouveau cadre institutionnel instauré par les <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/accords-de-bretton-woods/">accords de Bretton Woods</a> de 1944, et sous l’impulsion de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE). En pleine guerre froide, le drapeau de la paix sous forme de promotion du libre-échange avait même été agité par les communistes, qui prônaient le rétablissement des relations commerciales Ouest-Est.</p>
<p>Au niveau régional européen, en 1957, le marché commun à six a marqué un tournant. Les partis socialistes en ont soutenu la création. En France, le gouvernement présidé par le socialiste Guy Mollet a joué un rôle important pendant la phase de négociation et les votes de la SFIO français et du SPD allemand ont été décisifs pour la ratification du Traité de Rome. Ainsi, des trois majeurs pays fondateurs, seuls les socialistes italiens ont montré une certaine méfiance en s’abstenant. Les partis communistes s’y étaient opposés en dénonçant les intérêts des trusts, des États-Unis et en déplorant le propos antisoviétique. Ce qui n’a pas empêché une évolution relativement rapide des positions du Parti communiste italien (PCI) vers une attitude positive à l’égard du marché commun.</p>
<p>La baisse vertigineuse des tarifs douaniers implémentée dès la fin des années 1960 à la suite du Kennedy Round, puis la crise économique des années 1970 ont ensuite changé la donne. Les tensions autour du libre-échange ont alors commencé à se cristalliser. D’abord, chez les travaillistes britanniques, comme l’a montré l’élaboration puis la mise à l’écart du programme économique du parti, <em>l’Alternative economic strategy</em>, lors du deuxième gouvernement d’Harold Wilson, puis <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100656020">chez les socialistes français</a>.</p>
<p>Néanmoins, pour qu’un clivage permanent s’instaure au sein de la gauche, il faudra attendre les années 1980 et 1990. La vague néolibérale portée par Reagan et Thatcher, la conversion au nouveau cadre libéral d’une partie majoritaire de la gauche, la création d’un marché unique mondial des capitaux, la montée des inégalités, l’arrivée sur le devant de la scène économique mondiale des pays émergents (avant tout la Chine) et, enfin, la création de l’euro.</p>
<h2>Critique de la mondialisation et nouveaux acteurs</h2>
<p>Depuis, sans surprise, c’est le projet d’accord avec les États-Unis, censé créer la zone de libre-échange plus grande du monde, qui a catalysé le plus de polémiques et d’oppositions. La relance du traité transatlantique Tafta (également surnommé Ttip), dont les négociations étaient au point mort depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, ne cesse aujourd’hui de semer le trouble, comme l’a encore confirmé le <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/03/14/le-parlement-europeen-confus-sur-un-accord-commercial-avec-les-etats-unis_5436140_4355770.html">vote au parlement européen du 14 mars</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/275863/original/file-20190522-187143-1rz8mqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/275863/original/file-20190522-187143-1rz8mqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/275863/original/file-20190522-187143-1rz8mqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/275863/original/file-20190522-187143-1rz8mqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/275863/original/file-20190522-187143-1rz8mqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/275863/original/file-20190522-187143-1rz8mqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/275863/original/file-20190522-187143-1rz8mqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le projet d’accord entre les États-Unis et l’UE n’avance plus depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Zerbor/Shutterstock</span></span>
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<p>Pour les voix critiques de la mondialisation, loin de constituer un processus aboutissant à une situation gagnant-gagnant, source de croissance économique et création d’emploi pour tous les pays concernés, ces accords sont soumis à plusieurs accusations : le caractère secret des négociations, le nivellement vers le bas des normes environnementales et sanitaires, la libéralisation des services publics, les externalités négatives du transport de marchandises (polluant et contribuant au réchauffement climatique), le privilège accordé aux investisseurs par la possibilité de saisir des tribunaux d’arbitrage créés ad hoc pour exiger des compensations par l’État responsable d’avoir pris des décisions contraires aux bénéfices escomptés, la destructions d’emplois, la dégradation des conditions de travail et la baisse des salaires par l’intensification de la concurrence, etc.</p>
<p>À gauche, l’opposition au libre-échangisme de nouvelle génération est devenu plus large depuis l’affirmation de nouveaux acteurs politiques (à l’instar de la France insoumise, de Syriza en Grèce et de Podemos en Espagne), le tournant à gauche du Parti travailliste dirigé par Jeremy Corbyn, ou encore par ce qui reste des socialistes français après l’éclatement provoqué par la naissance de La République en marche (Génération.s et Place publique-PS).</p>
<p>S’il est difficile de prévoir l’attitude du nouveau parlement européen dans la politique commerciale future, il est néanmoins raisonnable de s’attendre à un durcissement du clivage entre libre-échangistes et protectionnistes, entre la gauche et le centre-droit libéral, entre les gauches, et au sein même de la gauche sociale-démocrate. L’extrême droite n’est pas non plus à l’abri de voir une ligne de clivage en interne se consolider : en Italie, le gouvernement Ligue du Nord-M5E, deux partis qui s’étaient traditionnellement prononcés contre les accords de libre-échange, vient de donner son approbation aux négociations pour le nouveau traité transatlantique entre l’UE et les États-Unis…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/117556/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Massimo Asta a reçu un financement du programme de recherche et d'innovation Horizon 2020 de l'Union européenne en vertu de l'accord de subvention Marie Skłodowska-Curie Individual Fellowship. </span></em></p>Une analyse des votes au parlement européen sur les accords de libre-échange révèle des positions à géométrie variable et de profondes lignes de fracture au sein même des partis.Massimo Asta, Marie Sklodowska Curie Fellow, Université de Cambridge, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1087132018-12-17T20:59:48Z2018-12-17T20:59:48ZComprendre la grande reconfiguration du commerce mondial<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/250254/original/file-20181212-110253-xlc8am.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=314%2C34%2C6119%2C3018&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Protectionnisme américain, Brexit ou encore nouvelles routes de la soie en Asie annoncent des changements structurels dans les échanges internationaux.</span> <span class="attribution"><span class="source">Fotohunter / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les attaques protectionnistes de <a href="https://theconversation.com/les-chimeres-du-president-trump-sur-le-buy-american-hire-american-71684">Donald Trump</a> en Amérique, le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/brexit-24703">Brexit</a> en Europe et les <a href="https://theconversation.com/la-nouvelle-route-de-la-soie-une-strategie-dinfluence-mondiale-de-la-chine-75084">nouvelles routes de la soie</a> en Asie sont annonciateurs de changements structurels dans les échanges internationaux. Les spécialisations des États-Unis, de l’Union européenne et de la Chine les destinent à des positionnements bien distincts sur le nouvel échiquier du commerce mondial.</p>
<h2>Spécialisation de la triade : États-Unis dans les services, Chine dans le manufacturier, Europe entre les deux</h2>
<p>Les mesures protectionnistes des États-Unis sont essentiellement concentrées sur le secteur manufacturier qui représente 70 % des échanges internationaux (voir graphique 1A). L’économie américaine se distingue par un désavantage comparatif massif dans ce secteur (graphique 2A). La force de sa spécialisation réside dans les services. Les États-Unis dégagent des excédents très importants dans les services traditionnels, tel le tourisme, mais ils sont surtout leaders sur le marché des services innovants (redevances et brevets, services liés à la R&amp ;D, voir <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/bdd_modele/presentation.asp?id=30">Profils-Pays du CEPII</a>). Ces derniers sont parmi les composants les plus dynamiques du groupe « autres services » qui ont vu leur part plus que doubler dans les flux internationaux du secteur tertiaire (graphiques 1B et 1C).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/250237/original/file-20181212-110253-4ovm9o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/250237/original/file-20181212-110253-4ovm9o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/250237/original/file-20181212-110253-4ovm9o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/250237/original/file-20181212-110253-4ovm9o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/250237/original/file-20181212-110253-4ovm9o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/250237/original/file-20181212-110253-4ovm9o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/250237/original/file-20181212-110253-4ovm9o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/250237/original/file-20181212-110253-4ovm9o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/autres/40ans_carnetsGraphiques/40ans_carnetsGraphiques.pdf"> Isabelle Bensidoun et Deniz Ünal, « Echanges de services, miroir d’un monde globalisé », Carnets graphiques, « L’économie mondiale dévoile ses courbes », p. 68, CEPII, 2018.</a></span>
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<p>En miroir à la spécialisation américaine, la Chine dégage de gros excédents dans le manufacturier et un déficit net dans les services (graphique 2C). L’Europe se situe dans un entre-deux ; elle possède des points forts aussi bien dans les services que dans le manufacturier (graphique 2B).</p>
<p>Les mesures protectionnistes et le Brexit peuvent changer les schémas de spécialisation au sein de cette triade. Les excédents américains dans les services et chinois dans le manufacturier ont atteint des sommets difficilement soutenables au vu de la concurrence internationale et vont probablement perdre de l’ampleur dans le climat actuel de guerre commerciale. Quant à la spécialisation de l’UE, elle sera affectée par la sortie du Royaume-Uni qui est à l’origine des principaux excédents européens dans les services. À l’avenir, le Brexit risque d’éroder dans ce secteur aussi bien les avantages comparatifs du bloc UE-27 que ceux du Royaume-Uni.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/250239/original/file-20181212-110249-1tvwd0j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/250239/original/file-20181212-110249-1tvwd0j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/250239/original/file-20181212-110249-1tvwd0j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/250239/original/file-20181212-110249-1tvwd0j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/250239/original/file-20181212-110249-1tvwd0j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=316&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/250239/original/file-20181212-110249-1tvwd0j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=397&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/250239/original/file-20181212-110249-1tvwd0j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=397&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/250239/original/file-20181212-110249-1tvwd0j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=397&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/autres/40ans_carnetsGraphiques/40ans_carnetsGraphiques.pdf">Deniz Ünal, « Spécialisation de la triade. États-Unis dans les services, Chine dans le manufacturier, Europe entre les deux », Carnets graphiques, « L’économie mondiale dévoile ses courbes », pp. 62-63, CEPII, 2018.</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Spécialisation manufacturière par gamme dans la triade : la Chine toujours dans le bas de gamme</h2>
<p>La stratégie « America first » de Trump conduirait-elle à un réengagement américain et à un relatif retrait chinois dans les échanges manufacturés ?</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/250243/original/file-20181212-110240-frnr5h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/250243/original/file-20181212-110240-frnr5h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/250243/original/file-20181212-110240-frnr5h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/250243/original/file-20181212-110240-frnr5h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/250243/original/file-20181212-110240-frnr5h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/250243/original/file-20181212-110240-frnr5h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=410&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/250243/original/file-20181212-110240-frnr5h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=410&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/250243/original/file-20181212-110240-frnr5h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=410&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/autres/40ans_carnetsGraphiques/40ans_carnetsGraphiques.pdf"> Deniz Ünal, « Spécialisation manufacturière par gamme dans la triade, la Chine toujours dans le bas de gamme », Carnets graphiques, « L’économie mondiale dévoile ses courbes », pp. 64-65, CEPII, 2018.</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Plutôt que d’opérer un retour dans l’industrie, les États-Unis semblent s’engager dans les produits primaires : la croissance de leurs exportations de gaz du schiste a pratiquement résorbé leur désavantage global dans les matières premières. Mais si les États-Unis enregistrent un déficit global dans le secteur des produits manufacturés, ils y ont toujours disposé, comme l’Union européenne, de points forts en haut de l’échelle (graphiques 3A et 3B). Les deux pôles avancés de la triade conservent ainsi leur capacité de concurrence hors-prix comme le montrent leurs avantages comparatifs dans les échanges de manufacturés de haut de gamme et de services qui demeurent leurs chasses gardées.</p>
<p>L’accession de la Chine émergente à un statut de leader mondial s’est réalisée grâce à sa puissante capacité de concurrence dans le bas des échelles de qualité (graphique 3C). Mais depuis la grande récession de 2007-2009, elle mise davantage sur les produits de gamme moyenne qui lui procurent des excédents croissants. Les mesures protectionnistes américaines qu’elle subit de plain-pied sont de nature à accentuer cette tendance. L’engagement dans les échanges de services, en vue d’atteindre le niveau de développement des pays avancés, constituera sans doute une étape ultérieure dans la transition chinoise.</p>
<h2>Un regain des échanges intrabranche dans l’Union européenne menacé par le Brexit</h2>
<p>Le Brexit s’ajoute à l’offensive protectionniste américaine pour brouiller les perspectives européennes. Le départ du Royaume-Uni, déjà source d’un amoindrissement de l’avantage comparatif de l’Union dans les services, va pour partie détricoter l’intense réseau d’échanges intrabranche de produits manufacturés au sein du marché unique (il s’agit des échanges croisés de produits similaires entre les pays).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/250248/original/file-20181212-110246-83eo43.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/250248/original/file-20181212-110246-83eo43.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/250248/original/file-20181212-110246-83eo43.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=576&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/250248/original/file-20181212-110246-83eo43.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=576&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/250248/original/file-20181212-110246-83eo43.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=576&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/250248/original/file-20181212-110246-83eo43.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=724&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/250248/original/file-20181212-110246-83eo43.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=724&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/250248/original/file-20181212-110246-83eo43.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=724&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/autres/40ans_carnetsGraphiques/40ans_carnetsGraphiques.pdf"> Alix de Saint Vaulry et Deniz Ünal, « Commerce intra- versus interbranches, regain de similitudes ? », Carnets graphiques, « L’économie mondiale dévoile ses courbes », pp. 66-67, CEPII, 2018.</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au niveau mondial, les échanges intrabranche avaient connu un essor considérable à partir du début des années 1980 pour atteindre leur apogée à la veille des années 2000 (graphique 4A). L’ouverture croissante des économies et l’approfondissement de la régionalisation en Europe comme en Amérique ont favorisé la convergence des structures industrielles. L’échange international basé sur un « commerce de différences » s’est transformé, surtout entre les pays à haut revenu, en un « commerce de similitudes ». Des schémas de spécialisation fine du travail ont vu le jour, alliant le principe des avantages comparatifs aux économies d’échelle de la nouvelle économie. Les échanges de produits intermédiaires et de biens d’équipement ont été au cœur de ce processus (graphique 4B), en particulier dans les filières électronique, électrique, chimique, mécanique et des véhicules (graphique 4C).</p>
<p>Avec la fulgurante émergence chinoise, cet échange de similitudes est entré dans une phase de déclin relatif au niveau mondial. Si les échanges intra-zone ont mieux résisté, la puissance de la spécialisation chinoise, basée sur des prix bas dans un large éventail de filières, a favorisé le retour en force des échanges traditionnels interbranches. La tendance s’est inversée depuis 2012 avec une hausse notable des échanges intrabranche à l’intérieur des régions et surtout au sein de l’Union européenne (graphique 4A). Ce regain d’échanges de similitudes pourrait être remis en cause par les incertitudes liées au Brexit et le déploiement des mesures protectionnistes aux États-Unis.</p>
<p>La désintégration régionale menace l’Europe comme l’Amérique du Nord, alors qu’on assiste à une imbrication de plus en plus profonde des économies en Asie. L’augmentation du commerce intra-branche à l’intérieur du continent asiatique en est le signe. Les nouvelles routes de la soie tissées par la Chine renforceront la convergence des structures productives au sein des pays dynamiques d’Asie-Océanie.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aciCQ0_JNgw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« La reconfiguration du commerce mondial s’accélère », interview de Deniz Ünal pour Xerfi canal, décembre 2018.</span></figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/108713/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Deniz Unal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Décryptage des stratégies américaines, européenne et chinoise qui conduisent les pôles de la Triade à des positionnements bien spécifiques dans les échanges internationaux.Deniz Unal, Économiste, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/970152018-06-12T21:44:27Z2018-06-12T21:44:27ZCommerce international : Donald Trump, l’art de se tirer une balle dans le pied ?<p>Hausse des droits de douane, abandon du traité transpacifique et du traité transatlantique, renégociation de l’ALENA, sanctions contre l’Iran, extra-territorialité… Alors même que Donald Trump justifie sa politique économique par la défense des intérêts des travailleurs américains, ces mesures pourraient au contraire fragiliser l’emploi aux États-Unis. Pour le comprendre, il faut se pencher sur les processus de productions et leur intégration au sein de chaînes de valeurs internationalisées.</p>
<h2>Des réseaux de production mondiaux complexes et interdépendants</h2>
<p>Dans les années 1990 et 2000, la croissance du commerce international a été tirée par la fragmentation des processus de production entre de nombreux pays partout sur la planète. Ce déploiement mondial de la chaîne de valeur a été favorisé par la libéralisation du commerce et des investissements. Les pays industriels ont délocalisé dans les pays à bas salaires les tâches les plus intensives en main-d’œuvre. En conséquence, les pays émergents se sont spécialisés dans l’assemblage de composants importés en franchise de droits de douane et transformés dans des zones franches d’exportation (ou « export processing zones »).</p>
<p>Les entreprises, associées dans des réseaux mondiaux complexes de <a href="https://www.lesechos.fr/15/01/2013/lesechos.fr/0202500636395_ces-produits-qui-bouleversent-le-commerce-mondial.htm">filiales et de sous-traitants</a>, sont ainsi devenues plus interdépendantes. Puisque les différents composants et biens intermédiaires traversent les frontières à chaque étape du processus de production, toute initiative protectionniste d’un pays se répercute sur toute la chaîne de production. <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01398385">Les effets sont amplifiés</a>.</p>
<h2>Donald Trump ouvre la boîte de Pandore du protectionnisme</h2>
<p>La crise de 2008 a vu l’effondrement du commerce mondial, mais elle n’a pas ravivé les tensions protectionnistes : celles-ci auraient en effet risqué d’aggraver la crise, en démantelant les chaînes de valeur. Mais aujourd’hui, Donald Trump, qui bénéficie pourtant d’une conjoncture économique favorable (et peut-être à cause d’elle), oriente sa politique commerciale sans tenir compte de ces préoccupations lorsque, consciemment ou non, il vise par ses mesures à désintégrer la chaîne de valeur pour la réintégrer aux États-Unis.</p>
<p>À cette fin, Robert Lighthizer, le représentant américain au commerce, renégocie l’ALENA (accord de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique), afin notamment de mieux protéger l’industrie automobile américaine : les voitures produites sous la bannière étoilée devront demain être plus américaines qu’elles ne le sont aujourd’hui. Suivant la même logique, il lève des droits sur les importations de machines à laver. Mais, dans le même temps, l’effet de ces mesures est réduit par la taxation des importations d’acier, ce qui augmente paradoxalement les coûts de production de General Motors et de Whirlpool et abaisse leur compétitivité…</p>
<h2>Le solde commercial bilatéral, un argument fallacieux</h2>
<p>Le Président Trump persiste à envisager des sanctions contre la Chine au nom de son déficit commercial colossal (environ 300 milliards de dollars). Pourtant, prendre le solde commercial bilatéral comme une preuve de déloyauté n’a aucun sens. Seul compte le déficit avec le reste du monde, et celui-ci est avant tout imputable à l’excès de consommation des ménages américains, qui accroît les importations. Au niveau macro-économique, la balance courante d’un pays est en effet mécaniquement déficitaire lorsque l’épargne nationale ne suffit pas à couvrir à la fois l’investissement et le déficit budgétaire. Quelles que soient les mesures protectionnistes qui seront prises, ce déficit devrait s’aggraver avec le creusement attendu de son « jumeau », le déficit budgétaire.</p>
<p>Le déficit avec la Chine ne se convertit ni en PIB ni en emplois perdus. La valeur ajoutée des exportations chinoises n’est pas uniquement d’origine chinoise. Elle intègre des composants et des biens intermédiaires non seulement américains, mais aussi japonais, coréens, allemands… Un solde commercial qui serait calculé à partir de l’origine de la valeur ajoutée, et non de la valeur « brute » des exportations, diminuerait fortement le déficit bilatéral avec la Chine, grand importateur des biens intermédiaires (disques durs, circuits électroniques…) qu’elle assemble puis exporte. Le projet de taxer 50 milliards d’importations chinoises revient donc à taxer des produits intermédiaires originaires du monde entier (et même des États-Unis !) et pas seulement la production chinoise.</p>
<h2>Ré-américaniser les chaînes de valeur</h2>
<p>Les États-Unis veulent durcir les règles d’origine de l’ALENA, que les exportateurs doivent respecter pour bénéficier des exonérations tarifaires (62,5 % de la valeur du bien finale produite dans la zone pour l’automobile). Des exigences plus fortes <a href="https://theconversation.com/les-traites-commerciaux-favorisent-ils-le-commerce-mondial-70983">favoriseraient la relocalisation de la production de composants aux États-Unis</a>. Les coûts de production <a href="https://www.huffingtonpost.ca/2018/06/11/trump-auto-tariffs-impact_a_23456366/">augmenteraient</a>, mais la chaîne de valeur serait ré-américanisée.</p>
<p>Le retrait des États-Unis des méga-accords comme le Traité transatlantique (TTIP) ou le Traité Trans-Pacifique (TPP) vise aussi à « casser » l’approfondissement d’une chaîne de valeur régionale. Le TPP contenait en effet des règles d’origine relativement peu contraignantes et sa couverture géographique incluait des pays très impliqués dans les réseaux de production comme le Japon, la Malaisie, le Mexique ou Singapour.</p>
<p>De la même façon, le retrait des États-Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien et la réintroduction des sanctions contre l’Iran vise un objectif similaire. En effet, au nom de l’extra-territorialité (qui permet à la justice américaine de poursuivre les entreprises étrangères pour des faits commis hors des États-Unis), le bannissement des exportations américaines vers l’Iran s’applique aux composants américains incorporés dans les exportations des pays tiers vers le pays sanctionné.</p>
<p>C’est ainsi que le fabricant chinois de téléphone mobile ZTE s’est récemment vu menacé d’interdiction d’importation de composants et de matériels américains pendant sept ans, ce qui a <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/06/07/le-chinois-zte-accepte-la-tutelle-de-washington-pour-pouvoir-reprendre-ses-activites_5311347_3234.html">suspendu l’activité des 75 000 employés de l’entreprise</a>. Un avertissement fort est ainsi lancé aux firmes étrangères. Elles devront renoncer à exporter vers l’Iran, ou trouver à se fournir ailleurs.</p>
<p>Le cas ZTE met en évidence les contradictions de la politique de Donald Trump, dont il peine à s’échapper. En sanctionnant cette entreprise qui s’était affranchie de l’embargo américain, les États-Unis pénalisent les firmes américaines exportatrices de composants électroniques. Ce qui va contre l’objectif affiché, puisque cette mesure creuse encore davantage le déficit des États-Unis avec la Chine !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97015/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Marc Siroën ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La politique économique de Donald Trump est contradictoire. En fragilisant les chaînes mondiales de valeur dans lesquelles les États-Unis sont intégrés, elle pourrait desservir le pays. Explications.Jean-Marc Siroën, Professeur d'économie internationale, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/951702018-05-01T21:45:36Z2018-05-01T21:45:36ZPourquoi et comment le JEFTA pourrait remettre le commerce international au service de la paix<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/216905/original/file-20180430-135851-53h53z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C372%2C3770%2C2043&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le porte-container danois Cornelia Mærsk à l'ancre dans la baie de Nakhodka, Japon.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/container-ship-cornelia-maersk-standing-on-318578342?src=r9zZxNFozHckrBF7jdCo2w-1-22">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>À l’heure où le retour du protectionnisme se fait de plus en plus prégnant et porteur de menaces pour l’économie mondiale, notamment en raison du <a href="https://theconversation.com/pour-une-reponse-apaisee-au-protectionnisme-americain-93581">repli promu par l’administration Trump</a>, un accord présentant de remarquables originalités passe relativement inaperçu.</p>
<p>Conclu le 8 décembre 2017 et devant entrer en vigueur en 2019, l’accord de libre-échange Union européenne (UE) – Japon ou JEFTA (<em>Japan-EU free trade agreement</em>) ne constitue pas seulement le plus important accord jamais signé par l’UE. Il pourrait aussi contribuer à changer la donne en profondeur en matière d’échanges internationaux, car il dédie un chapitre entier au développement durable et fait explicitement référence à l’accord de Paris sur le climat. Souvent décriés pour leur empreinte environnementale et leurs faibles soutiens à l’amélioration des conditions de travail dans les pays du Sud, les accords internationaux pourraient retrouver un rôle bénéfique sous l’impulsion de nouvelles normes qui auraient vocation à s’étendre. Au-delà, c’est même, rêvons un peu, le retour au « doux commerce » qu’évoquait Montesquieu, celui qui favorise le développement de relations commerciales et politiques apaisées, qui pourrait découler d’un accord pionnier et fondé sur la prise de conscience des dangers liés aux diverses formes de repli.</p>
<h2>Au départ, le retour au protectionnisme et ses dérives</h2>
<p>La compréhension du JEFTA et de ses ambitions requiert avant tout d’analyser le contexte protectionniste actuel. Les menaces formulées depuis plusieurs mois par le président américain à l’encontre des autorités chinoises ont été récemment mises en pratique. Après l’instauration de taxes sur l’aluminium et l’acier, l’administration Trump a publié une nouvelle liste de 1300 produits chinois concernés par des surtaxes. Pékin, qui avait anticipé cette situation, n’a mis que quelques heures à réagir, confirmant la tendance actuelle à l’emballement et le caractère désormais clairement belliqueux des échanges entre les deux premières économies mondiales. Donald Trump a d’ailleurs clairement évoqué des « guerres [commerciales] faciles à gagner ».</p>
<p>Pourtant, au-delà des effets d’annonces, un examen approfondi des mesures en question révèle surtout le peu d’effet de ces dernières sur le commerce Chine-États-Unis. Des mesures beaucoup plus impactantes pourraient être envisagées, concernant des produits bien plus centraux dans les échanges (produits manufacturés dans les usines chinoises pour l’essentiel, produits agricoles…). Ce qui remettrait en cause la prévision de croissance de l’OMC, qui table sur une augmentation du commerce international de 3,2 % en 2018. Pour l’instant, celle-ci n’a pas été revue à la baisse.</p>
<p>Avant même le conflit avec la Chine, la nouvelle orientation protectionniste américaine s’était traduite par la sortie des États-Unis du partenariat transpacifique (TPP), qui réunit douze pays riverains de l’océan Pacifique. C’est cet événement qui a encouragé la conclusion rapide d’un accord ambitieux entre l’UE et le Japon, même si les premières discussions à ce sujet avaient démarré en mai 2011.</p>
<h2>Un accord de libre-échange majeur sur le plan économique</h2>
<p>Conclu en fin d’année dernière, le JEFTA est largement passé inaperçu si on le compare avec le battage médiatique et les nombreuses oppositions qui s’étaient exprimées suite à la signature du CETA (accord entre l’Union européenne et le Canada), lors des négociations du TAFTA (accord entre l’UE et les États-Unis), <a href="https://www.publicsenat.fr/lcp/politique/tafta-des-negociations-suspendues-pas-enterrees-1466199">qui avaient été interrompues</a>. La relative indifférence générale dans laquelle le JEFTA s’apprête à entrer en vigueur en 2019 sera peut-être la principale clé de son succès. Mais ce n’est pas la seule, et d’autres atouts font du JEFTA un accord particulier et potentiellement vertueux. En effet, comme le montrent les chiffres, cet accord UE-Japon est structurant l’économie mondiale.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/n2W9rcbsbys?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Présentation du JEFTA.</span></figcaption>
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<p>Ensemble, ces deux entités politiques et économiques représentent quasiment le tiers du PIB mondial. Ce sont des acteurs très impliqués dans le commerce international, malgré leurs décisions de protéger assez fermement leurs marchés. L’UE est aujourd’hui le troisième partenaire commercial du Japon, et ce dernier figure au sixième rang des partenaires commerciaux de l’UE. Le commerce avec le Japon génère 600 000 emplois directs dans l’UE et que 74 000 entreprises européennes, dont 78 % de PME, exportent vers le Pays du Soleil Levant. Les bénéfices pour ces entreprises d’une levée des droits de douane sont donc potentiellement très importants. Celle-ci devrait faire économiser un milliard d’euros de droits de douane aux entreprises européennes, qui exportent chaque année vers le Japon pour 58 milliards d’euros de marchandises et 28 milliards de services.</p>
<p>Par ailleurs, les experts estiment que les exportations européennes vers le Japon devraient augmenter de 16 à 24 %. Or Jean‑Claude Juncker, s’appuyant sur les travaux de nombreux analystes, estime que chaque milliard d’euros d’exportation supplémentaire vers le Japon devrait contribuer à créer 14 000 emplois en Europe.</p>
<h2>Une ambition qui dépasse les enjeux économiques</h2>
<p>Au-delà des intérêts économiques, c’est sur un autre terrain que se dessinent l’originalité et le caractère pionnier du JEFTA. L’accord conclu avec le Japon est en effet le premier à faire référence explicitement à l’accord de Paris sur le climat.</p>
<p>Partageant les mêmes exigences en matière de santé, de protection de l’environnement ou de sécurité alimentaire, UE et Japon semblent prêts à endosser une responsabilité historique en produisant des normes techniques nouvelles, plus respectueuses de l’environnement, et favorisant également les progrès en matière sociale. Le spectre du nivellement par le bas, caractérisant nombre d’accords passés et ayant notamment, à juste titre, contribué à l’échec des négociations avec les États-Unis, semble ici s’éloigner. Au contraire, en dépit de l’empreinte environnementale associée aux échanges internationaux, le développement du commerce entre UE et Japon pourrait s’avérer devenir une excellente nouvelle pour l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique. Il permettrait par exemple une amélioration sensible de la qualité écologique des produits.</p>
<p>Rares seraient en effet les industriels pouvant se permettre de renoncer à un tel marché. Or pour y accéder, il leur faudra systématiser la montée en qualité, écologique notamment, de leurs produits. L’industrie automobile pourrait, entre autres, effectuer un saut qualitatif important. Le fait que deux membres du TPP (<em>Trans-Pacific Partnership</em>, <a href="http://www.lemonde.fr/economie/article/2018/01/23/un-accord-de-libre-echange-transpacifique-va-voir-le-jour-malgre-le-retrait-americain_5245986_3234.html">accord de partenariat transpacifique</a>), l’Australie et la Nouvelle-Zélande, tentent aujourd’hui de se rapprocher de l’UE témoigne du potentiel de diffusion de normes sociales et environnementales exigeantes. Ces deux pays visent sans doute, à terme, une entrée dans le vaste marché UE-Japon…</p>
<h2>Un acte potentiellement fondateur pour la paix économique</h2>
<p>Bien sûr, le JEFTA n’est pas parfait. Des points d’amélioration évidents existent. L’occasion, qui était belle, d’intégrer dans l’accord des restrictions concernant la chasse à la baleine, la surpêche ou le commerce de bois illégal n’a pas été saisi. De tels sujets pourront, à la pratique de l’accord, être intégrés et discutés entre partenaires. L’opacité des négociations <a href="https://www.rtbf.be/info/economie/detail_apres-la-saga-du-ceta-a-present-celle-du-jefta?id=9642776">est également largement fustigée</a>. Une opacité moindre aurait sans doute permis de n’oublier aucun sujet sensible.</p>
<p>L’opportunité semble néanmoins avoir été saisie de contribuer à changer, repenser, voire pacifier le commerce international. Avec une rapidité et une efficacité prenant le contre-pied de la tendance générale au retour du protectionnisme… Les normes exigeantes instaurées sont en effet de nature de réduire les impacts délétères des échanges internationaux, dans les pays du Sud notamment. Si d’autres États devaient s’inspirer de cet accord, un commerce aux effets bénéfiques pour l’environnement et le progrès social pourrait émerger. Au-delà des textes, ce sont les pratiques qui permettront de jauger les réelles avancées que le JEFTA laisse augurer.</p>
<p>Si tel était le cas, le sort serait ironique, comme souvent mais dans le bon sens cette fois, puisque ce serait le contexte belliqueux alimenté par les États-Unis qui aurait permis cette évolution bienvenue. Le commerce international retrouverait alors son rôle de pacification, celui-là même que lui prêtaient les fondateurs de l’UE, qui pensaient que le renforcer permettait d’affaiblir les intérêts à faire la guerre. Une fois de plus, les mots du <a href="http://data.bnf.fr/fr/11886561/friedrich_holderlin/">poète allemand Höderlin</a> s’avéreraient justes, lui qui écrivait que <a href="http://www.zeno.org/Literatur/M/H%C3%B6lderlin,+Friedrich/Gedichte/Gedichte+1800-1804/%5BHymnen%5D/Patmos.+Dem+Landgrafen+von+Homburg">« là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/95170/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugues Poissonnier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Citant explicitement l’accord de Paris sur le climat, le traité de libre-échange UE−Japon fait la part belle au développement durable. Il pourrait changer radicalement le commerce international.Hugues Poissonnier, Professeur d'économie et de management, Directeur de la Recherche de l’IRIMA, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-Etre au travail et Paix Economique, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/935812018-03-19T21:18:28Z2018-03-19T21:18:28ZPour une réponse apaisée au protectionnisme américain<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/211041/original/file-20180319-31608-1wxm9n4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C3%2C2492%2C1867&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le protectionnisme des États-Unis censé protéger les travailleurs américains pourrait plutôt leur nuire.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/download/confirm/226769761?src=4fPyJsgQdS0FKHPJUVpClQ-2-67&size=huge_jpg">shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article s'inscrit dans le cadre de la <a href="http://mindfulness-at-work.fr/fr/">Chaire Mindfulness, Bien-être et Paix Économique de GEM</a>.</em> </p>
<hr>
<p>À l’heure où les signes de reprise de l’activité économique se multiplient et où <a href="http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/dessous-chiffres/2018/03/03/29006-20180303ARTFIG00006-en-2017-il-y-a-eu-plus-d-ouvertures-d-usines-que-de-fermetures.php">même l’industrie française semble confirmer son regain de forme</a>, l’administration Trump vient de libérer un nouveau facteur de risque pour l’industrie et l’économie mondiale en relevant les taxes sur les importations d’acier à 25 % et d’aluminium à 10 %. Ce faisant, Donald Trump prend le risque, totalement assumé comme le soulignent ses déclarations belliqueuses, de relancer une guerre commerciale dépassant largement le cadre des industries initialement concernées.</p>
<p>Côté américain, donc, « le coup est parti », même si l’application de la mesure sera probablement différenciée : dans un premier temps, le Canada et le Mexique seront notamment épargnés. De l’autre côté de l’Atlantique, l’Union européenne doit réagir en assumant son rôle systémique en matière de commerce international : une réponse apaisée et apaisante serait plus que bienvenue.</p>
<h2>Des mesures symboliques aux conséquences concrètes et néfastes</h2>
<p>L’augmentation des droits de douane sur l’acier et l’aluminium constitue une mesure symbolique puisque selon Donald Trump, il n’existe « pas de grand pays sans industrie de l’acier ». Cette dernière, en plus d’employer de nombreuses personnes, permet d’alimenter et de rendre plus ou moins compétitives de nombreuses industries aval, dont celle de l’automobile.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"969558431802806272"}"></div></p>
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<p>« Nous devons protéger notre pays et nos ouvriers. Notre industrie de l’acier est en mauvais état. SI VOUS N’AVEZ PAS D’ACIER, VOUS N’AVEZ PAS DE PAYS ! »</p>
</blockquote>
<p>Toutefois, en défendant son industrie de l’acier par la voie des taxes imposées aux concurrents étrangers, le risque est grand de réduire la compétitivité des industries consommatrices d’acier aux États-Unis. La décision de Georges W. Bush en mars 2002 d’augmenter les taxes de 8 % à 30 % sur l’acier s’était accompagnée, dans les mois suivants, de <a href="http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1086866/verif-tarif-acier-aluminium-trump-commerce-omc-accord-securite-chine-etats-unis">la perte de 200 000 emplois</a> dans ces industries. Les conséquences risquent, une nouvelle fois, de s’avérer désastreuses, tant pour l’économie américaine que pour celles de ses partenaires.</p>
<h2>Dangereuses réactions en chaîne</h2>
<p>Au-delà des effets directs de ce protectionnisme, c’est l’évolution du statut des partenaires qui pose question. Se considéreront-ils encore comme tels alors qu’un supposé « allié » économique leur impose une si importante source de difficultés ? En matière de relations commerciales comme de tout autre type de relations, comme le soulignait Sartre, « la confiance se gagne en gouttes et se perd en litres ». La confiance entre partenaires commerciaux, une variable économique clé, se trouve ici bien mise à mal…</p>
<p>Ces mesures portent également en elles un paradoxe : en dépit de la place réservée à la Chine dans le discours de Donald Trump, cette dernière sera loin d’être la plus touchée. En effet, le pays n’occupe que la onzième position dans les importations américaines d’acier, et les exportations d’acier chinois vers les États-Unis chutent depuis 2011, date à laquelle l’administration Obama avait pris des mesures antidumping très efficaces. Les premiers touchés par le relèvement des taxes américaines sont les plus importants fournisseurs d’acier des États-Unis : le Canada, le Brésil, la Corée du Sud et le Mexique. L’Union européenne, avec notamment l’Allemagne, l’Italie et la France sera également fortement impactée.</p>
<p>En dépit de conséquences réduites pour son industrie, la Chine s’estime tout de même attaquée. En représailles, elle envisage des répliques centrées sur les produits agricoles, visant notamment à <a href="https://www.lesechos.fr/monde/chine/0301418747006-la-chine-redoute-une-escalade-des-tensions-commerciales-2160075.php">réduire les importations de sorgho et de soja américains</a>. Au-delà de l’agriculture, son pouvoir de nuisance est élevé car elle peut procéder si elle le souhaite à une vente massive d’obligations d’État américaines.</p>
<p>De son côté, l’Union européenne réfléchit à un relèvement des barrières sur des produits fabriqués dans des États républicains (Harley Davidson, Jean Levi’s, bourbon…). Bien que de telles mesures découlent d’un raisonnement élaboré et se veuillent proportionnées, elles seraient très dangereuses en raison des effets d’emballement possibles et des inévitables « dommages collatéraux », expression consacrée lorsqu’il est question de guerre, même si elle est ici économique.</p>
<h2>Un encouragement à la guerre des changes</h2>
<p>Du côté de l’administration Trump, ces mesures protectionnistes sont présentées comme une réponse à la <a href="https://www.letemps.ch/opinions/cacophonie-trumpmnuchin-met-marche-changes-ebullition">guerre des changes</a> qui a déjà commencé. Depuis plusieurs mois en effet, Donald Trump demande à plusieurs pays de faire remonter la valeur de leur monnaie sous peine de déclenchement d’une guerre commerciale. Le Trésor américain, en effet de manipuler leur monnaie en vue de favoriser les exportations vers les États-Unis. Sur la liste de surveillance qu’il a établie figurent notamment la Corée du Sud, la Chine et le Japon.</p>
<p>Qu’ils aient ou non déjà contribué à la sous-évaluation de leur monnaie, les pays qui vont subir la hausse des tarifs douaniers américains pourraient être tentés de suivre cette voie pour compenser la perte de compétitivité résultante. Et ce même si tous les épisodes de dévaluations compétitives et de « guerre des changes » observés au cours de l’histoire aboutissent à une seule conclusion : ces pratiques sont non seulement inutiles économiquement, mais aussi extrêmement néfastes pour tous. Retour de l’inflation et ralentissement de la croissance, voire crise, sont toujours au rendez-vous.</p>
<p>D’autres mesures sont bien sûr possibles et les ripostes envisagées par la Chine et l’Union européenne ne font que préfigurer ce qui pourrait se transformer en une véritable guerre commerciale et économique, menée sur de nombreux fronts. Dans un contexte de montée des populismes et de perte de pouvoir de l’OMC (les États-Unis bloquent actuellement la nomination de juges qui permettrait un bon fonctionnement de l’ORD, l’Organe de Règlement des Différends, censé arbitrer les litiges commerciaux), le risque est d’escalade est grand…</p>
<h2>Des solutions apaisées</h2>
<p>Si l’on revient aux origines du problème, la volonté du Président américain de réduire le déficit avec la Chine et de défendre l’emploi aux États-Unis est légitime. Qu’elle donne lieu à des mesures concrètes l’est également. Que ces dernières soient issues de discussions constructives et coordonnées avec les partenaires commerciaux serait bienvenu et tout à fait possible.</p>
<p>Il n’est clairement pas dans l’intérêt de la Chine ou d’autres pays exportateurs de contribuer à la dégradation de la santé économique de partenaires dont ils ont besoin. Les États-Unis ont eux-mêmes souvent expérimenté le soutien à l’Europe ou au Japon pour trouver des relais de croissance dans diverses régions du monde. Encore très récemment, en acceptant une légère surévaluation du dollar, l’administration Obama a renforcé la reprise économique mondiale. La défense d’industries spécifiques est même tout à fait envisageable dans le cadre d’un protectionnisme éclairé et ciblé.</p>
<p>C’est le cas du <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2000/02/CASSEN/2127">protectionnisme altruiste proposé par Bernard Cassen</a>. Destiné à protéger les pays développés et à favoriser le développement des pays du Sud, il reposerait sur des prélèvements sur les importations variables en fonction de critères sociaux et écologiques. Cassen propose par exemple une combinaison des critères de l’<a href="http://www.ilo.org/global/lang--fr/index.htm">Organisation Internationale du Travail</a>, du <a href="https://www.unenvironment.org/fr">Programme des Nations unies pour l’environnement</a> et du <a href="http://www.undp.org/content/undp/fr/home.html">Programme des Nations unies pour le développement</a> par exemple. Ces prélèvements seraient ensuite reversés au pays de départ ou à des organisations internationales en vue d’utilisations à des fins sociales, environnementales ou éducatives dans le pays de départ.</p>
<p>Trois objectifs seraient ainsi en mesure d’être atteints :</p>
<ul>
<li><p>Protéger les modèles sociaux dans les pays développés ;</p></li>
<li><p>Défendre les intérêts des travailleurs du Sud ;</p></li>
<li><p>Favoriser les marchés nationaux.</p></li>
</ul>
<p>Quel que soit le niveau de développement des pays concernés, de telles mesures seraient sans doute aujourd’hui bienvenues et de nature à dépasser les ambitions du commerce équitable traditionnel. On en reviendrait alors au <a href="http://journals.openedition.org/chrhc/3463">« doux commerce »</a> qu’évoquait Montesquieu, un commerce des Nations qui serait générateur de paix entre elles. Quelles que soient les solutions retenues, conserver cet objectif sera essentiel dans les semaines qui viennent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93581/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugues Poissonnier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Donald Trump a décidé de jouer la carte d’un protectionnisme agressif, au risque de déclencher une violente guerre économique. Des solutions alternatives sont pourtant possibles.Hugues Poissonnier, Professeur d'économie et de management, Directeur de la Recherche de l’IRIMA, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-Etre au travail et Paix Economique, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/931842018-03-11T20:32:47Z2018-03-11T20:32:47ZPour comprendre la crise des importations américaines d’acier et d’aluminium<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/209791/original/file-20180310-30994-1q4m1ju.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=42%2C33%2C5548%2C3102&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Haut fourneau.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/107226/">VisualHunt</a></span></figcaption></figure><p>Depuis le 23 mars 2018, les États-Unis appliquent des droits à l’importation de 25 % sur un grand nombre de produits en acier et de 10 % sur les produits en aluminium. Ces droits sont additionnels, ils s’ajoutent aux mesures douanières déjà existantes sur ces produits (les exportations européennes d’acier à destination des États-Unis faisaient auparavant face à des droits de douane d’environ 3 %).</p>
<h2>Qui est visé ?</h2>
<p>La liste des pays visés par ces mesures ne cesse d’évoluer.</p>
<p>Lors de l’annonce des mesures, le 8 mars dernier, tous les pays exportateurs étaient visés, à l’exception du Canada et du Mexique. Cette exception était liée, dans le discours des représentants américains, à une avancée dans la renégociation de l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA).</p>
<p>Une première modification est intervenue le 22 mars 2018, juste avant l’application effective des droits additionnels. La liste des pays exclus s’est allongée en incluant également l’Australie, l’Argentine, le Brésil, la Corée du Sud et l’Union Européenne. Mais ces exemptions étaient provisoires, valables uniquement jusqu’au 1er mai 2018.</p>
<p>Nouvelle évolution le 30 avril. Un accord a été trouvé avec la Corée du Sud : pas de tarif mais une limitation des quantités importées depuis ce pays. De fait, l’imposition d’un quota tarifaire. L’Australie, l’Argentine et le Brésil voient l’exemption les concernant prolongée de façon durable, alors que Canada, Mexique et Union Européenne sont en sursis. Leur exemption n’est prolongée que jusqu’au 1er juin.</p>
<p>Dernier rebondissement en date, le 31 mai. L’Argentine et le Brésil rejoignent la Corée du Sud en ayant accepté un quota tarifaire : certes, leurs exportations entrent aux États-Unis libres de droits, mais dans la limite d’une certaine quantité par an. Le Canada, le Mexique et l’Union Européenne n’ont pas accepté ce type d’accord. À partir du 1er juin 2018, leurs exportations d’acier et d’aluminium à destination des États-Unis sont donc soumises à des droits additionnels.</p>
<p>Récapitulons : au 1er juin 2018, les États-Unis appliquent un droit additionnel sur leurs importations d’acier et d’aluminium en provenance de l’ensemble des exportateurs, à l’exception de l’Australie, l’Argentine, le Brésil et la Corée du Sud. Les exportations argentines, brésiliennes et coréennes sont néanmoins soumises à des limitations en quantité. </p>
<p>D’autres exceptions sont possibles, pour des produits qui ne pourraient pas être fabriqués en quantité suffisante sur le sol américain, à condition que la demande d’exemption soit faite par une industrie productrice américaine. Plusieurs milliers de demandes ont été présentées à l’administration, la réponse qui leur sera donnée n’est pas encore connue.</p>
<p>Le montant des droits a été calculé de façon à ce que le taux d’utilisation des installations de production d’acier et d’aluminium des États-Unis atteigne les 80 % (en 2017, il était de 73 % pour l’acier et de 39 % pour l’aluminium, selon les chiffres du Département du commerce américain).</p>
<h2>Quels sont les montants d’exportations concernés ?</h2>
<p>Ces mesures sortent de l’ordinaire par l’importance des flux de commerce concernés et par la raison invoquée pour les établir. Les importations des États-Unis des produits en acier considérés représentaient 29 milliards de dollars en 2017, celles d’aluminium 19 milliards (voir Tableau 1). La raison invoquée pour mettre en place les droits de douane additionnels est la sécurité nationale, conformément à la section 232 du Trade expansion Act de 1962.</p>
<iframe src="https://datawrapper.dwcdn.net/w4VEV/2/" scrolling="no" frameborder="0" allowtransparency="true" width="100%" height="830"></iframe>
<p>Jusqu’à présent, cet argument était invoqué en cas d’importations importantes provenant de pays n’étant pas considérés comme des alliés. Or, aujourd’hui, les principaux exportateurs visés, Canada et Union Européenne, à l’origine respectivement de 65% et de 14% des importations visées, sont membres de l’OTAN (pour être tout à fait précis, plusieurs États européens sont membres de l’OTAN, mais pas tous).</p>
<p>À noter : la Chine est loin d’être le premier pays visé, en particulier parce que ses exportations à destination des États-Unis sont relativement réduites, d’importantes mesures anti-dumping et anti-subvention visant déjà depuis plusieurs années la quasi-totalité des exportations chinoises d’acier à destination des États-Unis, et la majorité pour l’aluminium. Sur l’ensemble de ces deux produits, la Chine ne fournit donc que 7 % environ des importations américaines.</p>
<h2>Quel serait l’impact des mesures prises ?</h2>
<p>À partir des statistiques et d’hypothèses simples, on peut proposer des estimations grossières des baisses considérables des flux commerciaux visés.</p>
<p>En faisant l’hypothèse d’une élasticité du commerce égale à 2, c’est-à-dire qu’une taxe de 1 % baisse le flux d’importations de 2 %, ce qui est cohérent avec <a href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/wp/2017/wp2017-03.pdf">les résultats de recherche récents</a>, les baisses d’exportation à court terme atteindraient 2,2 milliards de dollars pour l’Union européenne et 11,5 milliards au niveau mondial.</p>
<p>À plus long terme, en tenant compte des effets indirects, tels que des changements dans les marchés de destination des exportateurs touchés ou des effets sur les prix et donc les revenus des consommateurs, les flux d’exportation des pays touchés, dont l’Union européenne, <a href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/lettre/2018/let388.pdf">pourraient baisser d’environ 50 %</a>. </p>
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<h2>Que nous enseignent les précédents ?</h2>
<p>Les mesures de sauvegardes décidées par le président Georges W. Bush contre les importations d’acier en mars 2002 sont peut-être <a href="http://bit.ly/2FXSMaf">l’exemple le plus proche</a>.</p>
<p>Le secteur sidérurgique américain, en déclin depuis plusieurs décennies, est alors en crise aiguë, sans que cela soit véritablement lié aux importations, dont le niveau avait chuté entre 2000 et 2001. La décision présidentielle, basée sur la Section 201 de la loi sur le commerce de 1974, s’est traduite par des droits de douane additionnels de 8 à 30 % sur de nombreux produits de l’acier, pour une durée de trois ans, en exemptant de nombreux pays partenaires.</p>
<p>L’impact sur l’emploi du secteur est difficile à évaluer parce que la mesure a été prise dans un contexte de crise. Si la chute de l’emploi dans le secteur sidérurgique a été moins rapide (-4,9 %) dans les 12 mois qui ont suivi la mesure que dans les 12 mois qui l’avaient précédée (-13,8 %), cette tendance n’était pas significativement différente de celle des autres secteurs.</p>
<p>En revanche, les répercussions ont été importantes sur les secteurs utilisateurs d’acier, qui à l’époque employaient 12,8 millions de personnes, contre 170 000 dans la sidérurgie. L’enquête approfondie menée par la USITC auprès des entreprises a ainsi montré que 11 % d’entre elles avaient changé leurs approvisionnements pour acheter des produits incorporant de l’acier directement à l’étranger, ce qui évitait de payer la taxe sur l’acier. Cette proportion atteignait même 33 % dans l’électroménager. Et 7 % avait délocalisé à l’étranger des unités utilisatrices d’acier (50 % dans l’électroménager).</p>
<p>D’après une estimation économétrique, 200 000 emplois auraient été détruits dans ces secteurs. En revanche, l’effet positif fut sensible sur les cours des actions des entreprises sidérurgiques, qui ont gagné 6 à 8 % dans les jours qui ont suivi l’annonce de l’enquête, et encore 5 à 6 % dans les jours qui ont suivi l’annonce des sanctions.</p>
<p>La décision a été contestée devant l’OMC par l’UE, qui a annoncé (déjà à l’époque) qu’elle préparait une liste de sanctions ciblées politiquement incluant des produits originaires de circonscriptions sensibles et aussi variés que le jus d’orange, les pommes, les lunettes de soleil, certains lainages, les bateaux à moteur ou les photocopieuses. Les États-Unis ont retiré leurs mesures de sauvegardes peu avant que ces contre-mesures ne soient appliquées.</p>
<p>Un autre épisode intéressant, bien que d’une ampleur incomparablement moindre, est <a href="http://nyti.ms/2GdarLp">l’imposition de mesures de sauvegarde prise par le Président Obama en septembre 2009 contre les importations de certains types de pneus </a> en provenance de Chine. Ces mesures n’ont pas apporté la protection espérée. L’effet sur l’emploi américain dans le secteur des pneus a été insignifiant d’après l’estimation la plus fiable, alors que la mesure aurait coûté aux consommateurs environ 1,1 milliard de dollars en 2011.</p>
<p>La mesure a été contestée par la Chine devant l’OMC, qui a toutefois considéré que la mesure était conforme aux accords internationaux. Mais la Chine avait également réagi de façon informelle par des mesures de protection sur certaines pièces détachées d’automobiles et sur les poulets. Le différend sur les importations chinoises de poulet en provenance des États-Unis dure d’ailleurs depuis lors, et le rapport concernant une procédure complémentaire sur la conformité des mesures prises par la Chine en application du jugement précédent vient seulement d’être rendu, en janvier dernier !</p>
<p>Autre précédent notable, le « choc Nixon ». Annonçant le 15 août 1971 la fin de la libre convertibilité-or du dollar, le Président Nixon accompagna en effet cette mesure d’une taxe de 10 % sur toutes les importations « taxables » des États-Unis, c’est-à-dire toutes celles dont le droit de douane initial n’était pas nul. La mesure couvrait en pratique près de la moitié des importations du pays.</p>
<p>L’impact économique et commercial de cette mesure est difficile à connaître parce qu’elle n’a pas été maintenue longtemps, et parce que son imposition a coïncidé avec une grande grève des dockers. Les protestations des partenaires, puis les menaces de représailles se sont toutefois multipliées. Le coût politique est devenu si apparent que Kissinger, initialement agnostique, a fait pression pour sa suppression quand il a mesuré les dégâts induits sur les relations politiques internationales. La mesure a été levée le 18 décembre 1971. Son pouvoir d’influence sur les partenaires des États-Unis est resté douteux, même si cela a peut-être influencé significativement le Japon.</p>
<h2>Quel serait l’impact macroéconomique ?</h2>
<p>À l’échelle macroéconomique, les montants concernés sont d’une ampleur limitée. Les importations ciblées représentaient environ 0,2 % de la consommation finale américaine en 2017 et la taxe sur la consommation que cela constituerait ne se monterait guère qu’à 0,04 % (7 milliards de dollars environ).</p>
<p>Pour la France, les montants d’exportations concernés (711 millions de dollars de flux visés au total, avec une perte estimée à un peu plus de 200 millions de dollars) sont également faibles.</p>
<p>Ce sont les conséquences indirectes qui sont préoccupantes, pour deux raisons.</p>
<p>Premièrement, parce que les exportations qui ne trouvent pas preneur sur le marché américain pourraient être réorientées vers le marché européen, dans des secteurs souffrant déjà de surcapacités de production et de prix déprimés. C’est la raison pour laquelle la Commission européenne a évoqué l’idée de mesures de sauvegarde, donc de droits de douane temporaires, si une augmentation subite d’importations menaçait les producteurs européens dans ces secteurs.</p>
<p>Deuxièmement, parce que ces mesures pourraient marquer le début de conflits commerciaux de plus grande ampleur, soit du fait de la surenchère des représailles, soit parce que les États-Unis prendraient ensuite d’autres mesures du même type. Une enquête pour imposer des droits additionnels sur les importations d’automobiles vient en effet d’être ouverte le 23 mai dernier par le département du commerce des États-Unis. Les montants en jeu dans ce cas seraient d’un autre ordre de grandeur, <a href="https://www.census.gov/foreign-trade/Press-Release/2017pr/12/exh18.xls">environ 361 milliards, dont 31 en provenance d’Allemagne</a>. </p>
<p>Au-delà des aspects quantitatifs, il faut souligner deux incohérences profondes dans ces mesures, au regard des priorités politiques de Donald Trump.</p>
<p>D’une part, ces protections douanières sont en grande partie justifiées par la volonté de réduire le déficit commercial. Or, elles n’auront guère d’impact sur ce dernier, qui est lié à l’épargne nette négative de l’économie américaine, qui sera d’ailleurs considérablement aggravée par la réforme fiscale votée en décembre dernier, puisque celle-ci va creuser les déficits publics.</p>
<p>D’autre part, ces mesures de protection commerciale ont tendance à accélérer l’inflation, précisément au moment où sa remontée inquiète nombre d’observateurs. Si elles contribuaient par là à convaincre la Fed d’accélérer le resserrement de la politique monétaire, elles freineraient la croissance et risqueraient de rendre plus brutal le retournement de la conjoncture.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93184/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Donald Trump a mis sa menace à exécution : les États-Unis ont augmenté les droits de douane sur l'acier et l'aluminium importés. Le point sur cette guerre des taxes en cinq questions.Cecilia Bellora, Economiste, programme "Politiques commerciales", CEPIISébastien Jean, Directeur, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/928642018-03-08T21:15:54Z2018-03-08T21:15:54ZAcier : Donald Trump fait erreur, mais le reste du monde n’a pas raison pour autant<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/209377/original/file-20180307-146671-10cfyxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C285%2C6769%2C4479&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-illustration/metal-pipes-steel-industry-background-threedimensional-161048606">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La décision de Donald Trump de taxer les importations d’acier et d’aluminium a été condamnée par de nombreux économistes ainsi que par les partenaires commerciaux des États-Unis. S’agit-il d’une erreur ? Économiquement, c’est probable. Politiquement, c’est moins certain.</p>
<h2>Ne pas confondre mercantilisme et protectionnisme</h2>
<p>L’escalade verbale entre les États-Unis et leurs principaux partenaires commerciaux est encore montée d’un cran en fin de semaine dernière. Le 1<sup>er</sup> mars, dans une annonce savamment distillée en plusieurs séquences, Donald Trump a déclaré vouloir garantir la sécurité nationale – une première – en augmentant les tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium importés. Ceux-ci passeraient respectivement à 25 % et à 10 %. Sans attendre, les principaux partenaires commerciaux des États-Unis ainsi que la plupart des économistes ont indiqué être contre cette mesure, qu’ils jugent à la fois <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/il-y-aura-des-consequences-terribles-juge-un-economiste-alors-que-donald-trump-menace-de-taxer-les-importations-d-acier-et-d-aluminium_2636856.html">inefficace et dangereuse pour le monde</a>.</p>
<p>Ces arguments sont importants, légitimes et non contestables. Ils négligent cependant deux aspects de la question. D’une part, de nombreux travaux suggèrent que parfois un grand pays peut trouver un intérêt à mettre en place un <a href="https://pubs.aeaweb.org/doi/pdfplus/10.1257/jep.1.2.131">tarif douanier à son seul profit</a>, dans une logique de prédation, alors que dans d’autres cas il peut avoir intérêt à demeurer libre-échangiste pour <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=l-eAAgAAQBAJ&oi=fnd&pg=PA19&dq=krasner+state+power+international+trade&ots=o51i_R1tk6&sig=SBxIeDrx2nu3TTnOlertEZma_js#v=onepage&q=krasner%20state%20power%20international%20trade&f=false">protéger son industrie ou gagner en puissance politique</a>. D’autre part, ces arguments négligent le comportement tout aussi <a href="http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:dZYXnrK7i1wJ:archives.lesechos.fr/archives/2012/Enjeux/00292-026-ENJ.htm+&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=fr">mercantiliste</a> de nombreux partenaires des États-Unis, qui utilisent de manière plus subtile des barrières non tarifaires, des politiques internes ou le taux de change pour <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/protectionnisme-l-europe-se-fait-elle-avoir-par-l-asie-et-l-amerique-634276">protéger leurs producteurs nationaux</a>.</p>
<p>En assimilant protectionnisme et mercantilisme, on s’empêche dès lors de penser comment résoudre les contradictions nées de la mondialisation, alors que ces dernières sont désormais criantes dans la plupart des démocraties.</p>
<h2>Un secteur emblématique</h2>
<p>Le choix du secteur de la sidérurgie et de celui de l’aluminium par le président américain est loin d’être un hasard. Il est emblématique à plus d’un titre pour Donald Trump.</p>
<p>Tout d’abord, par cette annonce, le Président des États-Unis s’adresse à son électorat. Fidèle à son projet de réindustrialisation fondée sur la relocalisation des activités sur le sol américain et sur les énergies fossiles, il indique au fameux <a href="http://www.slate.fr/story/128228/etats-midwest-trump-classe-ouvriere">ouvrier blanc du Wisconsin</a> qu’il ne l’a pas oublié alors que les premiers effets de sa politique, notamment fiscale, sont clairement <a href="https://www.courrierinternational.com/article/donald-trump-plus-que-jamais-president-des-riches">à l’avantage des ultra-riches</a>. En témoigne l’euphorie récente sur les marchés boursiers américains et la douche froide (quoique toute tempérée toutefois) à Wall Street suite à cette annonce. Cet appel du pied vers sa base électorale est à mettre bien sûr en relation avec les récents déboires électoraux du Parti républicain et le prochain renouvellement d’une partie du Congrès, qui pourrait être bien moins favorable au Parti démocrate qu’il n’y paraît. Les sortants au Sénat par exemple, qui sera renouvelé d’un tiers, sont en grande majorité déjà démocrates.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"969183644756660224"}"></div></p>
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<p><em>« Nos industries de l'acier et de l'aluminium (et bien d'autres) ont été décimées par des décennies de commerce déloyal et de mauvaises politiques avec des pays du monde entier. Nous ne devons plus laisser notre pays, nos entreprises et nos travailleur être mis à mal. Nous exigeons un commerce libre, équitable et intelligent ! »</em></p>
</blockquote>
<p>Ensuite, en suggérant initialement que ces hausses de tarifs seraient non-discriminées, Donald Trump fait d’une pierre deux coups. Alors que les grandes puissances commerciales signent ou négocient des accords tous azimuts entre elles, il force les partenaires des États-Unis à réagir à la politique américaine. Il reprend ainsi la main sur l’agenda commercial international. Mais surtout, il oriente la renégociation de l’<a href="https://www.latribune.fr/economie/international/trump-conditionne-les-droits-de-douane-sur-l-acier-a-un-accord-juste-sur-l-alena-770745.html">Accord de Libre-Échange Nord-Américain</a> (ALENA) avec le Mexique et le Canada en annonçant clairement qu’il est prêt à des sacrifices importants, et en rappelant ces derniers à leurs bons souvenirs. Car déjà sous Georges Bush fils, le secteur sidérurgique avait servi de moyen de pression, bien qu’à une échelle plus faible et de manière temporaire.</p>
<p>Contrairement à ce qu’on peut donc lire ici ou là, renoncer aux avantages du libre-échange dans le cadre de l’ALENA n’est en rien une aberration dans l’esprit de Donald Trump, car il souhaite renégocier en profondeur cet accord. C’est parce que les États-Unis ont un <a href="http://www.lapresse.ca/affaires/economie/international/201803/05/01-5156095-acier-trump-lie-une-exemption-du-canada-a-lalena.php">excédent commercial sur l’acier avec le Canada</a> qu’ils deviennent crédibles aux yeux des Mexicains et des Canadiens. Quand on veut négocier et aboutir à un accord, il faut parfois mettre sur la table ce qu’on est prêt à sacrifier.</p>
<p>Enfin, le secteur de l’acier est emblématique car il symbolise à lui seul le mode de pensée du Président des États-Unis. <a href="http://www.lemonde.fr/argent/article/2017/02/03/le-programme-economique-de-donald-trump-est-un-retour-a-un-mercantilisme-primitif_5074382_1657007.html">En mercantiliste qu’il est</a>, il considère par définition qu’un déficit commercial est mauvais pour son pays. Il cherche donc à prendre des mesures visant à rétablir l’équilibre dans les échanges bilatéraux. Or, d’une part, le secteur de l’acier est clairement en <a href="http://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-berretta/l-europe-se-protege-de-l-acier-chinois-01-12-2017-2176545_1897.php">surproduction mondiale</a>. D’autre part, des pays comme la Chine n’hésitent pas à le subventionner et s’attirent l’ire de Washington depuis longtemps déjà, et ce même si les importations d’acier en provenance de Chine représentent une très faible part des importations américaines. Enfin, c’est un secteur qui permet d’invoquer des raisons de sécurité nationale, donc de gagner du temps en cas de contestation à l’OMC. Ce qui va fort probablement se produire.</p>
<h2>Des arguments économiques inopérants</h2>
<p>Le principal argument avancé pour contester la décision américaine s’appuie sur une version simplifiée de la théorie des avantages comparatifs développée par <a href="http://wp.unil.ch/bases/2013/04/david-ricardo-et-les-avantages-comparatifs/">David Ricardo</a> au début du XIX<sup>e</sup> siècle puis par les économistes libéraux au XX<sup>e</sup> siècle. Un tarif douanier dégraderait nécessairement la situation économique du pays qui l’impose, dans la mesure où la perte qu’il engendre à ses consommateurs serait plus élevée que les gains pour les entreprises domestiques et pour l’État (<em>via</em> des impôts indirects supplémentaires). Il dégraderait aussi, en conséquence, la situation économique mondiale, notamment celle du partenaire commercial, dont les exportations seraient amoindries. Celui-ci pourrait même légitimement imposer des droits de douane en représailles à d’autres secteurs d’activité, engendrant ainsi une guerre commerciale. Menace que l’Union européenne a d’ailleurs <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/l-union-europeenne-menace-de-taxer-le-beurre-de-cacahuete-le-jus-d-orange-et-le-bourbon-americains_2644700.html">immédiatement exprimée</a>.</p>
<p>Sauf que cet argument s’applique au cas de petit pays, c’est-à-dire au cas de pays dont ni l’offre ni la demande du produit concerné par le tarif douanier n’ont d’effet majeur sur le prix international. Sur ce point, et sans entrer dans des détails théoriques trop techniques, on peut avancer que le poids de la demande américaine est tel qu’une modification des flux commerciaux d’acier ou d’aluminium pourrait avoir un effet sur le prix international, ou à tout le moins sur le prix nord-américain. Cela modifierait ce que les économistes appellent les <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1383">« termes de l’échange »</a>, c’est-à-dire le prix relatif du produit importé. Des économistes comme Harry Gordon Johnson ont démontré dès les années 50 que dans ce cas un grand pays a tout intérêt à imposer un tarif douanier « optimal », c’est-à-dire un tarif douanier positif suffisamment fort pour que les gains de l’échange international soient essentiellement pour lui, mais suffisamment faible pour que les flux commerciaux ne disparaissent pas entièrement.</p>
<p>À cet argument, on peut aussi ajouter celui du rôle des économies d’échelle sur la compétitivité de la production du grand pays. Or, dans un secteur comme celui de la sidérurgie, toute hausse de la taille de la production a nécessairement pour effet de faire baisser le coût moyen. La mise en place d’un tarif douanier pourrait donc permettre d’améliorer de manière décisive la compétitivité de l’acier américain, ce qui permettrait par la suite aux États-Unis de revendiquer à nouveau le libre-échange dans ce secteur avec des prix plus faibles que le prix international de l’acier. On connaît le cas d’autres pays, comme la Chine, pour lesquels ce type de stratégie a été mis en place, par exemple dans le <a href="https://journalhorizonseconomiques.com/2018/03/01/made-in-china-le-developpement-des-villes-industrielles-chinoises/">secteur du bouton</a> ou dans celui hautement plus stratégique <a href="https://www.letemps.ch/economie/pekin-remplace-quotas-dexportation-terres-rares-licences">des terres rares</a>.</p>
<p>Cet argument n’est toutefois pas suffisant non plus, dans la mesure où le détournement de flux d’acier du fait de la mise en place du tarif américain ne serait pas suffisant pour avoir un <a href="https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/0301367632116-trump-fait-planer-le-spectre-dune-guerre-commerciale-2158190.php">effet sur le prix international</a>, sauf pour les pays d’Europe, pour laquelle la surproduction est moins prononcée et qui devraient alors subir une hausse de la concurrence d’acier en provenance du monde entier. Ce détournement s’élèverait à seulement 17 millions de tonnes sur les 500 millions annuels échangés dans le monde.</p>
<h2>Une instrumentalisation politique de la question commerciale</h2>
<p>Dès lors, comment comprendre l’annonce de Donald Trump ? Tout simplement en considérant que la question commerciale correspond, dans l’esprit du président américain, à des questions éminemment politiques.</p>
<p>Une question de politique internationale tout d’abord. L’actuel Président des États-Unis utilise l’arme tarifaire pour répondre à ce qu’il considère comme une injustice vis-à-vis des États-Unis. Jusqu’à présent, les États-Unis ont toujours mis en avant le libre-échange alors que des pays comme la Chine, le Japon ou l’Allemagne n’ont pas hésité à mener des politiques de compétitivité, assimilables elles aussi à du mercantilisme, sans miser sur leur croissance intérieure pour s’enrichir. Dans son esprit, c’est un juste retour des choses que d’agir contre ces politiques en menant le même type de politique non coopérative.</p>
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<p><em>« Les États-Unis ont un déficit commercial annuel de 800 milliards de dollars à cause de nos “très stupides” accords et politiques. Nos emplois et notre richesse sont donnés à d'autres pays qui se jouent de nous depuis des années. Ils rient de la bêtise de nos précédents leaders. Ça suffit ! »</em></p>
</blockquote>
<p>Une question de politique interne ensuite. Donald Trump sait d’ores et déjà que la politique économique menée par son administration n’aura pas les résultats espérés. Il sait qu’elle mène déjà à des rachats massifs d’actions de la part des entreprises américaines et non à une hausse de leurs investissements. Et il sait aussi qu’elle renforce la tendance à la hausse du <a href="http://cepii.fr/PDF_PUB/pb/2017/pb2017-17.pdf">taux de change effectif du dollar</a> par rapport aux devises des principaux partenaires commerciaux des États-Unis. Ce phénomène limitera d’autant l’impact des hausses de tarif douanier sur les prix en dollar des importations américaines. Pour justifier son échec annoncé en matière de réduction du déficit commercial dans un contexte de plein emploi et de croissance forte, il est réduit à invoquer ce qu’il dénonce comme une injustice de la part des autres grandes puissances commerciales. Cette position inconfortable renforce d’autant sa tendance à la surenchère dans ce domaine.</p>
<h2>Des conséquences toujours plus graves pour l’économie mondiale</h2>
<p>Les conséquences à long terme de cette situation seront à n’en pas douter redoutables. D’abord parce que loin de remettre en ordre les pratiques des partenaires commerciaux des États-Unis, cette annonce ne fait que renforcer leur volonté de mener des politiques non coopératives en matière commerciale, à l’instar des pays de la zone euro à l’égard de l’Allemagne. Dans ce dernier cas, chaque pays cherche à améliorer individuellement sa compétitivité par la baisse du coût du travail, au détriment de la demande globale.</p>
<p>Surtout, cette annonce et la politique qui la sous-tend augmentent le degré de conflictualité des relations économiques internationales au moment même où le monde a besoin de davantage de coopération internationale : plus de coopération pour lutter contre le dérèglement climatique, plus de coopération pour lutter contre la hausse des inégalités, plus de coopération pour lutter contre l’instabilité financière, et plus de coopération pour lutter contre la pauvreté et le chômage de masse.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"969525362580484098"}"></div></p>
<blockquote>
<p><em>« Quand un pays (les États-Unis) perd des milliards de dollars avec virtuellement tous les pays avec lesquels il fait affaire, les guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner. Par exemple, quand nous avons un déficit de 100 milliards de dollars avec un certain pays et qu'il fait le malin, on arrête de commercer - on gagne gros. C'est facile ! »</em></p>
</blockquote>
<p>Donald Trump récolte une volée de bois vert de la part du monde entier parce qu’il annonce clairement la couleur : la mesure qu’il prend est visible car ciblée sur les tarifs douaniers. Si l’on peut douter des effets positifs d’une telle politique, on ne doit néanmoins pas oublier que les guerres commerciales sont monnaie courante dans l’histoire. Mais ni le libre-échange, ni le mercantilisme ne sont la solution à ces conflits. Seul un protectionnisme fondé sur la mise en compatibilité des politiques commerciales des grandes puissances économiques est à même de restaurer une croissance durable et soutenable, car non fondée sur la lutte de tous contre chacun. Cette situation a déjà existé après-guerre. Elle s’accommodait même d’une baisse graduelle des tarifs douaniers mais limitée à quelques secteurs.</p>
<p>Malheureusement, le mercantilisme de plus en plus ouvert des États-Unis et celui bien plus sournois des autres pays éloigne chaque jour davantage le monde d’une solution négociée et raisonnable à la problématique du système commercial. La sortie de crise de la mondialisation ne semble pas pour demain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92864/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Grégory Vanel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Condamnée par nombre d’économistes, l’annonce sur l’acier ne peut exonérer les grandes puissances commerciales d’une part de responsabilité dans la hausse de la conflictualité de l’économie mondiale.Grégory Vanel, Professeur d'économie, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/775832017-05-16T20:01:58Z2017-05-16T20:01:58ZPatriotisme « exclusif » ou mondialisme : un choix simpliste et deux options à éviter<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/169355/original/file-20170515-7019-1oe6wne.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le siège de la Commission européenne de Bruxelles.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/tiseb/4592786358/in/photolist-7ZRenG-oxRoWP-74taDB-bRA2yR-2vjLuF-edytv1-2vjMEe-oaLbs-oxYZ4K-oxYZfX-85Yrpc-q7rQZ9-deo3b-dJVP6L-deo1w-oNrZ2E-74sJAK-8YdxQH-ay6A4N-cXzNoG-oxQMrU-dSzarN-7ufCQy-7ufCrf-duohc5-7ufC5C-7WQQ7U-denSu-7WMxLe-cpqYdL-7ubKC8-duhFuK-duogAm-7ueZfp-dStAEz-duhFkZ-7ufBGW-87NFti-dSzauL-duoh4s-duhEYK-pvEv16-ay6CCW-oxRoAZ-7xDtGE-d2rSCW-jzr4g-ozBLDd-oNiSW9-oxRpg6">Sébastien Bertrand/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Lors de son discours au chalet du Bois de Vincennes à la suite des résultats du second tour, Marine Le Pen a déclaré que lors des élections législatives à venir, les électeurs seront invités à <a href="http://www.jeanmarcmorandini.com/article-367999-regardez-l-integralite-du-discours-de-marine-le-pen-juste-apres-l-annonce-des-resultats-video.html">choisir entre les « patriotes » et les « mondialistes »</a>. Cette opposition n’est pas nouvelle dans sa bouche. Elle affirmait en <a href="https://francais.rt.com/france/32714-patriotes-contre-mondialistes-marine-pen-redefinit-lechiquier-politique-fran%C3%A7ais">janvier dernier</a> que « le vrai clivage aujourd’hui, il est entre les patriotes et les mondialistes », et en <a href="http://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/2017/02/10/35003-20170210ARTFIG00001-marine-le-pen-deux-heures-pour-rassurer-les-electeurs.php">février</a> que le second tour se ferait probablement entre une « patriote décomplexée » et un « mondialiste décomplexé ». Dans le cadre de ce « grand choix », elle se présente bien entendu parmi les patriotes (décomplexés), ainsi que le suggère aussi l’expression <a href="http://www.lci.fr/politique/election-le-front-national-recherche-un-nouveau-nom-les-pistes-les-plus-probables-alliance-patriotes-2051317.html">« alliance patriote et républicaine »</a>, utilisée à plusieurs reprises et possible nom de ce qui deviendrait un Front national nouvelle manière.</p>
<p>Si ce clivage n’a évidemment pas fait l’unanimité, il faut souligner que nombre de personnes l’endossent tout en s’estimant dans l’autre camp. C’est par exemple le cas <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/04/25/gaspard-koenig-le-monde-ferme-contre-la-societe-ouverte_5116850_3232.html">du penseur libéral Gaspard Koenig, qui dans une tribune au <em>Monde</em></a> parle d’un choix entre un « monde fermé » et une « société ouverte », une opposition probablement reprise de l’ouvrage – très critiquable et critiqué – de Karl Popper, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Soci%C3%A9t%C3%A9_ouverte_et_ses_ennemis"><em>La société ouverte et ses ennemis</em></a>.</p>
<h2>Une opposition tentante</h2>
<p>L’opposition proposée semble tentante. Elle l’est, d’abord, parce qu’elle parle à l’imagination. Par exemple, le choix d’Emmanuel Macron de faire retentir l’hymne européen plutôt que français en introduction de son discours de second tour de l’élection présidentielle française peut donner le sentiment qu’il se pense comme le futur président d’un État fédéré de l’Union européenne plutôt que d’un État indépendant. Même si le <a href="http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/video/2017/05/07/presidentielle-2017-macron-assure-qu-il-s-efforcera-de-retisser-les-liens-entre-l-europe-et-les-citoyens_5123880_4854003.html">contenu de son discours</a>, où il s’engage notamment à défendre « la France, ses intérêts vitaux, son image, son message » », montre que les choses sont plus compliquées, du moins au niveau des symboles et des discours, le clivage proposé reste parlant.</p>
<p>Surtout, il tend à repolitiser une question ou plutôt un domaine que les décideurs économiques et politiques ainsi que nombre d’« intellectuels » ont longtemps cherché à dépolitiser, et plus spécialement à ne pas soumettre au choix populaire alors qu’il le doit certainement dans une démocratie digne de ce nom. Ce domaine, c’est tout simplement la politique étrangère et européenne, et la question que fait surgir sa soustraction à la démocratie.</p>
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<p>C’est aussi celle de savoir ce qui doit primer dans la prise de décision par les élus français, des intérêts de la France ou de l’Europe ou du monde, ou encore de ce qui doit primer devant les juges nationaux, entre des principes et des règles issus d’actes (Constitution, lois, règlements…) et d’institutions (gouvernement, parlement, etc.) français, ou issus d’actes (traités, règlements, directives, etc.) et d’institutions (organisations internationales) européens ou universels.</p>
<h2>La repolitisation bienvenue d’une question devenue cruciale</h2>
<p>La repolitisation de cette question est bienvenue, et on ne peut que souhaiter aussi sa « démocratisation ». En effet, le fait que les <a href="https://www.academia.edu/32939144/De_la_n%C3%A9gation_du_Droit_international_%C3%A0_l_imposition_d_un_Pouvoir_supranational_la_constitution_du_Droit_des_gens_selon_Georges_Burdeau">décisions des États</a> en matière de politique internationale et européenne ne soient, pour l’essentiel, pas démocratiques <a href="https://www.academia.edu/29179540/_L_accord_commercial_entre_l_UE_et_ses_%C3%89tats_membres_d_une_part_et_le_P%C3%A9rou_et_la_Colombie_d_autre_part_un_r%C3%A9v%C3%A9lateur_de_deux_maladies_du_Droit_international_actuel_RGDIP_2016_vol._120_n_3_pp._293-332">est devenu insupportable</a>. Ces décisions ne sont ni prises par le peuple, ni conformément à ses intérêts – du moins tels qu’il les interprète dès qu’on l’interroge à ce propos –, ni par des autorités principalement élues à cette fin.</p>
<p>Insupportable, cette situation l’est devenue notamment à mesure que les gouvernements ont choisi de multiplier le nombre des traités liant leur État, d’en augmenter le nombre de pages, de les rendre d’effet direct (c’est-à-dire établissant des obligations ou des droits invocables par les individus, associations et entreprises devant le juge national), qu’ils ont choisi d’établir des organisations elles-mêmes de plus en plus influentes et à même d’adopter des règles d’effet direct, etc.</p>
<p>En d’autres termes, l’influence sur la vie quotidienne des Français (et sur les membres des autres peuples européens) des règles internationales européennes a pris une importance si considérable que la primauté « pratique » de ces règles est devenue une question centrale. De même que celle de la capacité (énorme) des <em>lobbies</em> d’influer sur leur contenu, et celle de la capacité (quasi nulle) des citoyens de faire de même.</p>
<h2>Question de primauté</h2>
<p>Or, sur la question de la primauté comme sur celle du contenu que doivent avoir les règles internationales et européennes et de qui doit en décider, la démocratie n’a jusqu’à aujourd’hui qu’une prise globalement nulle ou factice. On ne peut entrer dans les détails ici mais la primauté des différentes règles européennes devant les juges nationaux a été décidée par voie de traités ou d’affirmations prétoriennes (c’est-à-dire d’affirmations effectuées par des juges sans base textuelle).</p>
<p>La seule fois où la question de la primauté a été publiquement posée en France dans la période récente, la réponse fournie démocratiquement a été purement et simplement rejetée par des institutions européennes ou nationales non ou moins démocratiques. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9f%C3%A9rendums_relatifs_%C3%A0_l%27Union_europ%C3%A9enne">Les référendums français et hollandais de 2005 sur le Traité portant Constitution pour l’Europe</a> ont été délibérément contournés par un vote dans les Parlements (sauf en Irlande), alors qu’un référendum sur le traité de Lisbonne était souhaité par 71 % des Français, 65 % des Espagnols, 72 % des Italiens, 76 % des Allemands, 75 % des Britanniques, etc.</p>
<p>Invoquer la décision d’un Parlement français choisissant de trahir la démocratie, ou mentionner le fait que, pour des raisons multiples, le peuple français ait voté Nicolas Sarkozy en 2007 ou Emmanuel Macron en 2017 ne change rien au fait que le référendum qui a eu lieu était négatif et constitue, en démocratie, l’autorité la plus haute et donc celle qui ne peut être défaite que par un autre référendum (à moins que le peuple décide d’instituer une autre instance qu’il juge plus démocratique).</p>
<h2>Une politique dictée par les traités</h2>
<p>Sur le second point, à savoir la détermination démocratique des règles internationales ou européennes, des épisodes comme la consultation de la Commission européenne sur le mécanisme de règlement des différends investisseur-État dans le cadre du traité transatlantique (<a href="https://www.academia.edu/32138266/Evolution_de_la_position_europ%C3%A9enne_sur_le_r%C3%A8glement_des_diff%C3%A9rends_investisseur-%C3%89tat_et_poursuite_des_n%C3%A9gociations_du_Partenariat_transatlantique_de_commerce_et_dinvestissement_PTCI_TTIP_Chronique_RGDIP_2016_n_1_">négative à 97 % et allègrement piétinée</a>) ou l’<a href="https://www.academia.edu/32949476/L%C3%A9pop%C3%A9e_de_la_Wallonie_et_la_signature_de_lAECG_CETA_RGDIP_2017_n_1">épopée de la Wallonie et de l’AECG/CETA</a> montrent bien que les institutions et procédures en place ne permettent ni que les politiques menées concordent avec les intérêts des citoyens (tels que la majorité de ceux-ci les comprennent), ni qu’ils aient seulement les moyens de le faire savoir et de se faire respecter. Sans même parler de participer directement à la prise de décision.</p>
<p>D’une manière générale, on peut douter que le passage de la volonté majoritaire à la volonté générale soit autre chose qu’un artifice à un certain niveau géographique et démographique. Mais surtout, il est clair que c’est la Commission européenne – un <a href="https://blogs.mediapart.fr/florian-couveinhes-matsumoto/blog/260514/le-parlement-europeen-est-il-un-vrai-parlement">organe non-élu et très peu contrôlé</a> –, et non le Parlement européen, qui domine la procédure législative ordinaire. Dès lors, la politique menée par l’Union européenne découle des traités – ces fameux traités ratifiés en contournant le suffrage populaire – et ne varie pas substantiellement en fonction des élections européennes.</p>
<h2>Un choix aux options également inacceptables</h2>
<p>Que l’élection présidentielle française tende opportunément à replacer ces questions au centre du débat public, quoique de manière confuse et peu réfléchie, n’a en rien signifié que les deux options que Marine Le Pen proposait aux Français soient pertinentes. En fait, elles sont parfaitement inappropriées et un clivage manichéen entre patriotes (exclusifs) et europhiles, ou entre patriotes (exclusifs) et mondialistes, n’a non seulement aucun sens étant donné la nature de l’homme et la situation concrète des Français (et des autres Européens) aujourd’hui, mais il repose sur une mauvaise compréhension de ce qu’attendent les citoyens français.</p>
<p>Tout montre, en effet, que ce à quoi ils aspirent est précisément autre chose que cette alternative que les uns et les autres leur proposent avec opiniâtreté. Depuis des décennies, ils sont pris dans un étau. Il y a d’abord ceux qui leur expliquent qu’il est inévitable que de plus en plus de compétences filent à un « niveau géographique de décision » plus large, quoi qu’ils en pensent, parce que « la mondialisation » rend ce choix politique incontournable. Pourtant, la mondialisation, c’est-à-dire ces interdépendances économiques croissantes, ces « solidarités de fait » issues de l’accroissement des flux de personnes, de capitaux et de marchandises ne sont pas survenus d’elles-mêmes : tout cela a été et continue d’être préconisé, organisé et accéléré par la conclusion de traités commerciaux et de protection des investisseurs, toujours indépendamment de l’avis de plus en plus hostile des citoyens.</p>
<p>De l’autre côté, les citoyens doivent supporter ceux qui leur expliquent, sans aucune imagination et souvent sans réflexion d’aucune sorte, qu’aucune compétence ne doit être exercée à un niveau autre que celui de l’État, et que tout ira merveilleusement bien dès que ce sera (soi-disant de nouveau) le cas.</p>
<h2>Une pluralité d’attachements et de responsabilités</h2>
<p>Pourtant, il n’est pas difficile de comprendre que ni l’exercice du pouvoir à un niveau géographique donné (la France, l’Europe, le monde, ou d’ailleurs la commune, la région, etc.), ni la primauté d’un seul droit ne permet d’instituer et de préserver une société ou une architecture de sociétés adaptée à l’homme, de lui garantir un environnement équitable et convivial. De fait, nos attachements et nos responsabilités sont pluriels, ils visent des personnes, des objets et des espaces différents : les membres de notre famille, nos voisins, nos concitoyens, nos amis, nos collègues, différents types d’États étrangers et donc de ressortissants étrangers, etc. ; notre maison, notre rue, notre ville, notre région, etc.). Ils correspondent en conséquence à des « niveaux géographiques » ou « humains » différents et à des passions différentes (<em>storgê</em> n’est pas <em>eros</em> qui n’est pas <em>philia</em> qui n’est pas <em>agape</em>, etc.).</p>
<p>De même, tout le monde voit très bien que des considérations d’objet, de pertinence ou de démocratie invitent à ce que certains pouvoirs politiques soient exercés à un niveau particulier, et que le champ d’application personnel et spatial des règles varie. Il est clair, par exemple, que l’idéal en matière de gaz à effet de serre serait une réglementation universelle, mais il l’est tout autant qu’on n’avancera jamais assez vite dans ce domaine en ne prenant de décision qu’à un niveau mondial.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/169568/original/file-20170516-11959-dc2mbt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/169568/original/file-20170516-11959-dc2mbt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=761&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/169568/original/file-20170516-11959-dc2mbt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=761&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/169568/original/file-20170516-11959-dc2mbt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=761&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/169568/original/file-20170516-11959-dc2mbt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/169568/original/file-20170516-11959-dc2mbt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/169568/original/file-20170516-11959-dc2mbt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">John Keynes en 1933.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Declan_in_20_years_2.jpg">Jan Christian Smuts/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On comprend aisément que ce qu’exige l’auto-régénération d’un écosystème puisse n’être bien connu qu’au niveau local, et que si ces exigences sont très contraignantes, c’est sur la base d’une délibération publique locale que la décision de les respecter doit être prise. On pourrait développer ce type de réflexion dans chaque domaine important – de l’énergie à l’éducation – et on pourrait débattre du niveau géographique et démographique de ce qu’on veut mettre en commun, ou de ce qu’on veut rendre autonome ou au contraire interdépendant, en fonction de la société que l’on souhaite.</p>
<p>Par opposition à ce qui a été fait depuis trente ans, avec les conséquences écologiques et sociales que l’on sait, <a href="https://www.mtholyoke.edu/acad/intrel/interwar/keynes.html">John Maynard Keynes</a> se « range [ait] » par exemple fermement « du côté de ceux qui tendent à réduire au minimum, plutôt qu’à développer, l’enchevêtrement économique entre les nations. Les idées, les connaissances, l’art, l’hospitalité, les voyages, voilà ce qui, par nature, devrait être international. Mais de grâce, que les biens soient fabriqués maison chaque fois que cela sera raisonnable et pratique, et avant tout, que la finance soit et reste principalement nationale. »</p>
<h2>La nécessité d’un débat sur le fond</h2>
<p>Un grand débat public, intellectuellement exigeant tout en restant ouvert et démocratique, sur ce type de question de fond, et surtout l’engagement des décideurs politiques de laisser enfin parler la démocratie, même quand cela est défavorable à leurs intérêts matériels et symboliques, permettraient de sortir de l’ornière des partisans du simplisme et du tout (la sortie de l’Union) ou rien (un petit toilettage inutile effectué par tous ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change).</p>
<p>Il permettrait d’en finir avec ceux qui nient toute légitimité à l’attachement et aux responsabilités qui naissent des liens du sang, de la proximité géographique et de la ressemblance (pour reprendre la trilogie de <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Hume_david/traite_nature_hum_t2/hume_traite_nature_hum_t2.pdf">David Hume</a>), comme avec ceux qui interdisent que nous développions d’autres liens, fondés sur des sentiments d’empathie, de proximité culturelle ou même sur un projet politique démocratiquement choisi.</p>
<p>Elle permettrait aussi d’en finir avec l’immobilisme, et avec les subterfuges qu’avancent les euruniophiles (subsidiarité, dialogue des juges, etc.) pour imposer en vérité une primauté absolue, générale et inévitablement croissante (matériellement) du droit de l’Union européenne, comme avec les simulacres d’ouverture (Europe des patries, etc.) des obsédés de l’exclusivité nationale.</p>
<h2>Les ressources intellectuelles du débat</h2>
<p>En vérité, des théories ou des bribes de théories articulant les niveaux de responsabilités et d’attachements humains peuvent être trouvées chez de nombreux auteurs, généralement inexploités. Par exemple, Montesquieu estime qu’il est des cas où il faut préférer sa famille à soi-même, sa patrie à sa famille, et l’Europe ou le monde à sa patrie. Ces cas, ce sont ceux où les conséquences de la décision qui nous paraît profitable, pour nous ou nos proches, sont néfastes à un trop grand nombre d’hommes lointains, ou sont trop catastrophiques pour eux (<a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Arsace_et_Ism%C3%A9nie"><em>Histoire véritable d’Arsace et Isménie</em></a> (1730), et <a href="https://www.unicaen.fr/services/puc/sources/Montesquieu/index.php?texte=741"><em>Pensées</em></a>.</p>
<p>Jean‑Claude Michéa fait, quant à lui, remarquer que si solidarité européenne ou universelle il doit y avoir, elle « ne pourra jamais surgir de la ruine des enracinements particuliers (et en particulier de la haine oedipienne) », mais n’en constituera toujours qu’« un <em>développement dialectique</em> », de sorte qu’il faut envisager et éventuellement construire une solidarité européenne ou internationale comme une extension des attachements particuliers (plutôt que comme leur négation ou leur domination), et surtout éviter que les politiques européennes « démant [è]le[nt] toutes les structures de la socialité primaire (de la vie de famille à la vie de quartier) » (<a href="https://books.google.fr/books/about/La_double_pens%C3%A9e.html?id=xAgNAQAAMAAJ&hl=fr">J.-C. Michéa, <em>La double pensée</em></a>).</p>
<p>Simone Weil souligne enfin :</p>
<blockquote>
<p>« Les échanges d’influences entre milieux très différents ne sont pas moins indispensables [à l’homme] que l’enracinement dans l’entourage naturel. Mais un milieu déterminé doit recevoir une influence extérieure non pas comme un apport, mais comme un stimulant qui rende sa vie propre plus intense. Il ne doit se nourrir des apports extérieurs qu’après les avoir digérés, et les individus qui le composent ne doivent les recevoir qu’à travers lui. Quand un peintre de valeur réelle va dans un musée, son originalité en est confirmée. Il doit en être de même pour les diverses populations du globe terrestre et les différents milieux sociaux. » (Simone Weil, « L’enracinement : prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain »)</p>
</blockquote>
<p>On pourra discuter de ce qui nous paraît « proche » ou « intérieur » aujourd’hui, et proposer diverses interprétations de ces remarques. Mais ce qui est certain, c’est que plutôt que d’inviter à choisir abstraitement entre un attachement au seul niveau étatique, ou au seul niveau mondial ou européen, il convient de développer ce type de réflexion, d’en débattre et d’essayer de penser notre avenir politique à partir d’elles, et non seulement à partir de notre amour ou de notre dégoût pour les institutions nationales et européennes existantes, comme Mme Le Pen nous y invite.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77583/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florian Couveinhes-Matsumoto ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les Français aspirent à autre chose que cette alternative que les uns et les autres leur proposent avec opiniâtreté. Un grand débat public, ouvert et démocratique devrait avoir lieu.Florian Couveinhes-Matsumoto, Maître de conférences en Droit public, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/768062017-04-27T20:30:41Z2017-04-27T20:30:41ZEurope, économie, modèles sociétaux : les risques du second tour (et de la suite)<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/166943/original/file-20170427-15086-5xoizl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Doutes…</span> <span class="attribution"><span class="source">Pixabay</span></span></figcaption></figure><p>J’aurais aimé ressentir le même soulagement que mes amis et collègues, dont je partage les sensibilités, lorsque les résultats du premier tour sont tombés. Et pourtant, dans la tourmente politique qui caractérise nos sociétés occidentales, je n’y arrive tout simplement pas. Les élections ne sont pas des compétitions sportives avec des gagnants et des perdants. Dans nos nations tellement polarisées, une victoire électorale n’assure pas une acceptation sociétale ou un soutien populaire en faveur du changement.</p>
<h2>Vers une société clivée ?</h2>
<p>Il est à craindre que la société française ne devienne plus clivante et polarisée que jamais à la suite de ces élections. Si le système électoral à deux tours a historiquement alimenté cette scission de l’électorat, aujourd’hui tout est différent : aucun candidat n’a obtenu même un quart des voix et les grands perdants sont dominés par un sentiment d’amertume.</p>
<p>Tout d’abord, le langage, le ton et les attitudes des candidats ont fait exploser ce qu’on appelle la <a href="http://bit.ly/2jHk7ke">« fenêtre d’Overton »</a>, cette gamme d’idées, de comportements et de langage que le public acceptera. Après avoir assisté à l’émergence de ce phénomène lors du vote du Brexit au Royaume-Uni, puis des élections présidentielles aux États-Unis, c’est désormais au tour de la France. Les scandales ont dominé les débats, les médias traditionnels sont fustigés, les sources d’information alternatives sont devenues virales sur les réseaux sociaux et les candidats ont renoncé à être des modèles de comportement exemplaire pour la société.</p>
<p>Ensuite, le monde politique est en désarroi : non seulement l’extrême-droite s’est à nouveau propulsée au second tour d’une élection présidentielle, mais aucun parti politique traditionnel (socialiste et républicain) n’a survécu au scrutin.</p>
<p>Et enfin, le fossé entre les deux candidats émergents à la présidence est quasiment sans précédent, et leur écart de voix est encore plus faible que lors du duel de 2002 entre Le Pen et Chirac.</p>
<h2>Le défi de la convergence</h2>
<p>Si Emmanuel Macron apparaît comme un candidat ouvert, libéral et pro-européen, Marine Le Pen propose un avenir fermé, protectionniste et eurosceptique. Ces deux candidats incarnent deux modèles de société qui sont si divergents que leurs visions inhérentes du monde sont impossibles à concilier.</p>
<p>Et cependant, c’est justement la conciliation de ces deux visions qui constituera le défi à relever par le/la Président/e élu/e et son gouvernement, et ceci quel que soit le résultat final des élections. Les législatives de juin pourraient faire de la France un pays encore plus ingouvernable, avec un Parlement divisé, reflet de la confrontation politique entre les cinq candidats principaux…</p>
<p>Avec son style consensuel, Emmanuel Macron apparaît comme mieux placé que Marine Le Pen pour jauger et s’attaquer à cette dichotomie française unique. Mais même le politicien le mieux intentionné peut ne pas être en mesure de sortir victorieux de cette tâche herculéenne. La question est de savoir si et comment Macron pourra transformer les soutiens obtenus facilement auprès des partis français traditionnels en une solide majorité parlementaire lors des prochaines élections législatives.</p>
<p>Tout citoyen européen convaincu de l’absolue nécessité non seulement de maintenir mais aussi de faire progresser le projet européen, est aujourd’hui extrêmement inquiet à la perspective d’une recrudescence du sentiment anti-européen. Voyons les choses en face : moins de 50 % des citoyens français ont soutenu des candidats pro-européens (49,44 % des électeurs français ont voté pour Macron + Fillon + Hamon contre les 49,31 % qui ont voté pour l’extrême-gauche et l’extrême-droite).</p>
<p>Macron représente un modèle de société auquel trop de Français ne sont pas prêts à croire, car il est perçu comme excessivement libéral, ubérisé et prêt à accorder de nouvelles cessions de souveraineté au bénéfice de l’UE. Alors que ce modèle de société pourrait donner de bons résultats en créant des richesses considérables, il ne parvient pas à unir l’ensemble de la société.</p>
<p>Ceci rendra sa vision d’une France plus ouverte et libérale, dans une Union Européenne renforcée, difficile, voire impossible, à transformer en réalité.</p>
<h2>L’enjeu européen</h2>
<p>L’Allemagne – et ses deux candidats – sera le dernier rempart face à cette attaque frontale faite aux valeurs telles que l’ouverture, l’équité et la justice, que nous avons appris à chérir et à mettre en pratique au quotidien dans nos vies d’Européens. Et pourtant, cela ne suffira pas à nous préserver de nous-mêmes, et c’est bien normal.</p>
<p>Aujourd’hui, dans le métro parisien puis dans ma salle de cours à HEC Paris, je n’ai pas pu m’empêcher de ne pas me sentir à ma place. Je vis dans la société la plus polarisée et, en conséquence, la plus divisée qu’il m’ait été donné de connaître.</p>
<p>Cette élection présidentielle a divisé et continuera à diviser notre société. C’est fondamentalement nouveau et troublant pour ma génération, sur ce vieux continent, et cela doit constituer une source d’inquiétude pour nous tous, jeunes et moins jeunes.</p>
<p>Plus que jamais, c’est l’avenir de l’Europe qui est en jeu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76806/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alberto Alemanno ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi un citoyen libéral et pro-européen ne peut pas (encore) fêter la victoire de Macron au premier tour des élections présidentielles en France.Alberto Alemanno, Chair professor of European Union Law, HEC Paris; Global Clinical Professor, NYU School of Law; Founder The Good Lobby, HEC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/759712017-04-13T19:46:41Z2017-04-13T19:46:41ZConversation avec Sébastien Jean : l’Union européenne est-elle naïve dans sa politique commerciale ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/164924/original/image-20170411-26733-1yb8mqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les pays de l'UE laissent-ils entrer trop facilement les importations sur leur territoire ? Pas sûr. (Ici dans le port de Rotterdam.)</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/28169156@N03/26075913423/in/photolist-FJeSAc-Sogioq-T9aGc9-Sb51kg-RAqrU1-RAqnXd-TJLrt2-TJLrEV-Sb4Zut-RZ6K6r-Sxu31T-RzVqNT-SaVfps-S7tFKC-TJLrha-QTwYT3-RBV5G7-TEzDpy-Sb4SDp-Sxu2ke-Sb4YSB-RWtVBb-Rsj1XS-T9K7vU-SY85Yn-Rsj1VY-RAqptu-T9aFWj-RAqt1E-TuRa25-HRc4r5-TEzBWJ-GfWjs2-SRfuqw-S7tPvN-LxXZoR-QTwYK7-JD5TnK-QTwYMb-Sevi8X-TwHfCi-S7tPYw-RZ6JhT-RxcVRQ-REn6dC-Rsj23S-S7tFRE-QW42Hi-QZyB9a-RDTjRS">Frans Berkelaar/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est publié dans le cadre de la série du CEPII « L’économie internationale en campagne », un partenariat CEPII–La Tribune–The Conversation–Xerfi–Canal. Sébastien Jean est directeur du CEPII. Il répond aux questions d’Isabelle Bensidoun et Jézabel Couppey-Soubeyran.</em></p>
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<p><strong>On entend souvent dire que l’Union européenne (UE) est naïve dans ses relations commerciales, qu’en pensez-vous ?</strong></p>
<p>Je ne sais pas ce que signifie être naïf dans les relations commerciales, mais quelle qu’en soit la signification précise, je doute que ce qualificatif s’applique à l’UE. Il me paraît même paradoxal pour une zone qui dégage des excédents courants depuis des années, <a href="http://bit.ly/2nBJnQ3">excédent qui a atteint 200 milliards d’euros</a> l’an dernier. Certes, l’Allemagne explique l’essentiel de ce résultat, mais la politique commerciale étant la même pour tous les États membres de l’Union, il n’y a qu’au niveau de l’UE qu’elle peut être valablement évaluée. Étant donné cet excédent, on peut en tout cas difficilement prétendre qu’elle ne met pas les pays européens en position de soutenir la concurrence internationale.</p>
<p>Si cette supposée naïveté se réfère à notre protection douanière, elle n’est pas davantage justifiée : parmi les pays du G7, les Européens sont en effet ceux qui appliquent le droit de douane moyen le plus élevé : <a href="http://bit.ly/2p4zGGS">5,5 % en 2016, comparé à 3,4 % aux États-Unis, 4,9 % au Japon, 2,7 % en Australie, et 4,2 % au Canada</a>, d’après l’OMC.</p>
<p><strong>La Suisse et la Norvège protègent pourtant bien plus leur agriculture que les pays de l’Union, non ?</strong></p>
<p>C’est exact, mais cela est lié aux handicaps naturels auxquels l’activité agricole doit faire face dans ces deux pays : le relief en Suisse, le climat en Norvège. De fait, ces deux pays sont importateurs nets de produits agricoles : les exportations de la Suisse ne représentent que <a href="http://bit.ly/2o1dfQW">78 % de ses importations</a>, celles de la Norvège, <a href="http://bit.ly/2o1dfQW">14 %</a> seulement. En comparaison, le rapport entre les exportations et les importations est de <a href="http://bit.ly/2o1dfQW">116 % pour l’UE et 126 % pour la France</a>. Par ailleurs, l’activité agricole bénéficie de subventions plus élevées dans l’UE lorsqu’elle fait face à des handicaps naturels, par exemple en montagne. Pour compléter la comparaison, il faut également souligner que la Norvège comme la Suisse ont un niveau de protection très faible dans l’industrie, avec un <a href="http://bit.ly/2o1dfQW">droit de douane moyen de 0,5 % et 1,9 % respectivement, contre 4,2 % pour l’UE</a>.</p>
<p><strong>Et les États-Unis, n’appliquent-ils pas des droits de douane beaucoup plus élevés que nous sur les importations d’acier en provenance de Chine ?</strong></p>
<p>C’est en effet le cas dans le cadre des sanctions antidumping et antisubventions, c’est-à-dire de mesures prises pour répondre à des pratiques commerciales jugées déloyales. L’UE a également recours à ce type de sanctions, et c’est le secteur sidérurgique qui est le plus souvent concerné.</p>
<p>Si les États-Unis appliquent des taux plus élevés en moyenne dans leurs procédures antidumping dans le secteur sidérurgique, ceux utilisés en Europe suffisent à réduire drastiquement les importations sur les produits ciblés, qui s’en trouvent en moyenne réduites des trois-quarts. Il est d’ailleurs difficile d’y voir un gage d’efficacité pour les États-Unis : la production d’acier de l’UE est supérieure de 50 % à celles des États-Unis (<a href="http://bit.ly/2p4nFAY">166 millions de tonnes contre 111 en 2015</a>) et ils sont lourdement déficitaires sur ce secteur, dans lequel leurs exportations ne représentaient que 54 % de leurs importations en 2015, contre 104 % pour l’UE (Source : Chelem, CEPII).</p>
<p><strong>Qu’en est-il des marchés publics ? Ils sont plus ouverts à la concurrence étrangère en Europe qu’ailleurs, n’est-ce pas une preuve de naïveté ? Ne faut-il pas les réserver à nos entreprises ?</strong></p>
<p>L’UE a pris des engagements d’ouverture à la concurrence de ses marchés publics, dans le cadre d’un accord également signé par 19 membres de l’Organisation mondiale du commerce, et il est vrai que ses engagements sont plus larges que ceux de la plupart des signataires.</p>
<p>D’après la Commission européenne, 85 % de la commande publique européenne offre en effet aux entreprises étrangères une garantie d’accès dans les mêmes conditions que les entreprises européennes, contre, par exemple, seulement 32 % aux États-Unis. Mais, en pratique, la part des marchés publics attribués à des entreprises étrangères est très faible : en moyenne, entre 2009 et 2015, seulement environ 1 % de la valeur des contrats de commande publique française était passé à des producteurs étrangers. Et cette proportion (qui concerne des entreprises étrangères, probablement européennes la plupart du temps) est faible dans tous les États membres, ne dépassant 10 % que dans trois petits États.</p>
<p>Difficile d’obtenir des chiffres équivalents pour nos partenaires étrangers, mais il est très probable qu’ils soient, dans la plupart des cas, supérieurs. D’autant que les entreprises européennes, et particulièrement françaises, sont très performantes dans les secteurs concernés, comme le BTP, les transports, l’énergie, l’eau ou l’armement.</p>
<p>Si naïveté il y a pu avoir dans ce domaine, ce n’est donc pas en laissant des entreprises étrangères s’accaparer nos marchés publics, mais en pensant que notre ouverture inciterait nos partenaires à faire de même. Une réforme est d’ailleurs en cours de discussion au niveau européen pour restreindre l’accès de nos marchés publics aux pays qui n’offriraient pas le même accès aux leurs.</p>
<p>Au total, s’il est légitime et même nécessaire de rechercher la réciprocité dans l’accès au marché et le respect de règles transparentes et équitables, il est difficile de voir en quoi l’UE pécherait par naïveté en ne se protégeant pas suffisamment des importations.</p>
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<figcaption><span class="caption">Entretien avec Sébastien Jean.</span></figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/75971/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’Union européenne pèche-t-elle par naïveté en ne se protégeant pas suffisamment des importations ? Une comparaison entre les politiques commerciales des blocs met à mal cette idée reçue.Isabelle Bensidoun, Économiste, CEPIIJézabel Couppey-Soubeyran, Maître de conférences en économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et conseillère éditoriale, CEPIISébastien Jean, Directeur, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.