tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/roman-25403/articlesroman – The Conversation2024-03-26T16:48:00Ztag:theconversation.com,2011:article/2260802024-03-26T16:48:00Z2024-03-26T16:48:00Z« Dune » : apologie ou critique de l’eugénisme ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583702/original/file-20240322-24-4nwr5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C0%2C1581%2C1050&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Paul Atréides et Feyd-Rautha Harkonnen sont deux produits du programme génétique millénaire des Bene Gesserit.</span> <span class="attribution"><span class="source">Niko Tavernise/Warner Bros</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/583699/original/file-20240322-24-1l9b2c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Portrait en noir et blanc d’un homme barbu tenant un livre" src="https://images.theconversation.com/files/583699/original/file-20240322-24-1l9b2c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583699/original/file-20240322-24-1l9b2c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583699/original/file-20240322-24-1l9b2c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583699/original/file-20240322-24-1l9b2c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583699/original/file-20240322-24-1l9b2c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583699/original/file-20240322-24-1l9b2c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583699/original/file-20240322-24-1l9b2c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Frank Herbert en 1984.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Frank_Herbert_1984.jpg">Auteur inconnu</a></span>
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<p>Publié en 1965, <em>Dune</em> de <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/frank-herbert/">Frank Herbert</a> est le premier livre d’un cycle considéré comme un monument de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/science-fiction-23751">science-fiction</a>. Si le roman a marqué plusieurs générations de lecteurs, c’est pour l’originalité et la richesse de son univers, mais aussi pour ses réflexions philosophiques à propos, notamment, de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/intelligence-artificielle-ia-22176">intelligence artificielle</a> (IA) et de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/genetique-20570">eugénisme</a>.</p>
<p>D’abord boudé par une vingtaine d’éditeurs en raison de sa longueur, <em>Dune</em> est, dès sa parution, un immense succès de librairie, distingué par les prestigieux prix Nebula et prix Hugo. Il inspire une première adaptation cinématographique à David Lynch en 1984 ainsi que plusieurs jeux vidéo, et les récentes adaptations sur grand écran de Denis Villeneuve.</p>
<h2>Prohibition de l’IA et amélioration de l’humain</h2>
<p><em>Dune</em> se passe plusieurs milliers d’années dans le futur, au sein d’un Imperium qui a prohibé toute forme d’IA. Suite à un conflit entre les humains et les machines, Herbert imagine une révolte contre ces dernières et l’émergence d’un interdit religieux :</p>
<blockquote>
<p>« Tu ne feras point de machine à l’esprit de l’homme semblable. »</p>
</blockquote>
<p>Avec pour conséquence de libérer les pleins potentiels de l’humain :</p>
<blockquote>
<p>« La Grande Révolte nous a débarrassés de nos béquilles en obligeant l’esprit humain à se développer. On créa alors des écoles afin d’accroître les talents humains. » (« Dune », livre 1, 1965)</p>
</blockquote>
<p>Ces écoles empruntent chacune une voie différente. La Guilde spatiale, par exemple, va former des navigateurs capables de piloter d’énormes vaisseaux de planète en planète. Mais l’école la plus importante du roman est sans conteste le Bene Gesserit. En apparence, elle se contente d’éduquer des concubines pour l’aristocratie et de produire des « diseuses de vérités », capable de discerner le mensonge. Mais, en réalité, elle influence dans l’ombre la politique de l’Imperium via la création de mythes religieux et cherche à produire, par un programme de croisement génétique, un surhomme doué de prescience, le Kwisatz Haderach.</p>
<h2>Une mystique de la sélection génétique</h2>
<p>Paul Atréides est le personnage héroïque central de <em>Dune</em>. Il est le fils de dame Jessica, une concubine du Bene Gesserit, et du duc Leto Atréides. Si Herbert souligne l’importance de l’éducation dans la construction de son héros, c’est pourtant dans la génétique que celui-ci puise sa principale légitimation.</p>
<p>Paul est le produit d’une vaste sélection génétique orchestrée durant plusieurs millénaires par le Bene Gesserit. C’est grâce à la pleine réalisation de son potentiel génétique de Kwisatz Haderach que Paul peut incarner la « voix d’ailleurs » (<em>Lisan al Gaib</em>), personnage mythique et messie implanté par le Bene Gesserit au sein de la religion des fremens. En tant que leader religieux, il lève ainsi une armée de fremens fanatiques afin de venger l’assassinat de son père et s’emparer du trône impérial.</p>
<p>Comment expliquer qu’Herbert donne une place prépondérante dans son roman à la sélection génétique d’humains ? Depuis la Seconde Guerre mondiale, ces pratiques ont été progressivement associées aux politiques eugénistes des nazis et interdites dans de nombreux pays. En France par exemple, l’article 16-4 du code civil indique clairement :</p>
<blockquote>
<p>« Nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine. Toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite. »</p>
</blockquote>
<p>Le choix d’Herbert n’est donc pas anodin et mérite une contextualisation.</p>
<h2>L’eugénisme, omniprésent dans le contexte intellectuel de l’époque</h2>
<p>Le terme <em>eugénisme</em> (étymologiquement, « bien naître ») est attribué à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Francis_Galton">Sir Francis Galton</a>, cousin de Charles Darwin, anthropologue et statisticien britannique. Galton fonde en 1904 à l’University College de Londres un <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Galton_Laboratory">laboratoire de recherche</a> sur l’eugénisme puis sur la génétique humaine et fait de l’eugénisme une science appliquée visant à améliorer l’espèce humaine en contrôlant la reproduction.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/583693/original/file-20240322-18-105lwv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un poster : sur un fond jaune, un homme rouge sème des graines dans un champ." src="https://images.theconversation.com/files/583693/original/file-20240322-18-105lwv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583693/original/file-20240322-18-105lwv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=888&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583693/original/file-20240322-18-105lwv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=888&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583693/original/file-20240322-18-105lwv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=888&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583693/original/file-20240322-18-105lwv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1115&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583693/original/file-20240322-18-105lwv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1115&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583693/original/file-20240322-18-105lwv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1115&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Poster britannique des années 1930 en faveur de l’eugénisme pour lutter contre les maladies héréditaires.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://wellcomecollection.org/works/vzzcqeyx">Wellcome Collection</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Durant la première moitié du XX<sup>e</sup> siècle, l’eugénisme était très populaire, tant chez les dirigeants politiques que dans l’ensemble de la communauté scientifique internationale. En témoignent les congrès internationaux d’eugénique organisés <a href="https://www.gutenberg.org/files/44948/44948-h/44948-h.htm">à Londres en 1912</a> et à New York en 1921 et 1932 qui ont rassemblé des scientifiques et des leaders politiques, comme Winston Churchill qui milita activement pour la <a href="https://winstonchurchill.org/publications/finest-hour-extras/churchill-and-eugenics-1/">stérilisation des « faibles d’esprit » et des « fous »</a>. Des scientifiques de premier plan feront la promotion de l’eugénisme. Par exemple, le <a href="https://www.nature.com/articles/144521a0">« Manifeste des généticiens »</a>, publié en 1939 dans la prestigieuse revue <em>Nature</em>, pose ouvertement la question « Comment la population mondiale peut-elle le plus efficacement être améliorée génétiquement ? »</p>
<p>Les scientifiques signataires de cet article ne sont pas des partisans du nazisme, mais des progressistes et parfois même des socialistes comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Julian_Huxley">Julian Huxley</a>. Biologiste britannique renommé, Huxley est l’un des principaux auteurs de la théorie synthétique de l’évolution, qui fait la synthèse des travaux de Darwin et de la génétique. Il a été le premier directeur de l’Unesco et le fondateur du <em>World Wide Fund for Nature</em> (WWF). En 1957, dans <a href="https://archive.org/details/NewBottlesForNewWine/page/n5/mode/2up"><em>New Bottles for New Wine</em></a>, Huxley fera encore la promotion du « transhumanisme », comme la possibilité pour l’espèce humaine de se transcender en réalisant toutes les possibilités de sa nature grâce à la science.</p>
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<img alt="Photographie en noir et blanc. Un public assis, vu de dos, est tourné vers une présentation sur un stand nommé « Eugenic and Health Exhibit »" src="https://images.theconversation.com/files/583705/original/file-20240322-24-gt2gr3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583705/original/file-20240322-24-gt2gr3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583705/original/file-20240322-24-gt2gr3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583705/original/file-20240322-24-gt2gr3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583705/original/file-20240322-24-gt2gr3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=604&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583705/original/file-20240322-24-gt2gr3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=604&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583705/original/file-20240322-24-gt2gr3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=604&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Aux États-Unis, comme en Europe, l’eugénisme connu une période d’intérêt et de succès. Ici, un stand de présentation lors d’une foire au Kansas en 1929.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://diglib.amphilsoc.org/islandora/object/graphics:1661">Collection American Eugenics Society Records/American Philosophical Society</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Il n’y a donc rien de surprenant à ce que Herbert, lorsqu’il écrit <em>Dune</em> au début des années 1960, soit imprégné de l’idée que la sélection génétique peut réellement permettre d’améliorer l’humain et de révéler son plein potentiel. À cette époque, l’eugénisme n’avait pas encore acquis la connotation négative qu’on lui connaît aujourd’hui.</p>
<h2>Une critique du contrôle étatique de la reproduction humaine</h2>
<p>Toutefois, Herbert s’avère fondamentalement opposé à toute forme de planification à grande échelle de l’évolution humaine. Si Paul est bien le fruit d’une sélection génétique, il est également la conséquence d’un accident. Dans le plan du Bene Gesserit, sa mère était censée donner naissance à une fille. Mais, grâce au contrôle conscient de son cycle reproducteur enseigné par le Bene Gesserit, et par amour pour son duc, elle choisira d’engendrer un fils. Cet évènement, apparemment insignifiant, bouleversera tel un effet papillon tout le programme de sélection eugénique. Paul échappera au contrôle du Bene Gesserit et lancera une guerre sainte dévastatrice dans toute la galaxie avec pour effet de rétablir le chaos naturel dans les lignées génétiques :</p>
<blockquote>
<p>« La race sait qu’elle est mortelle et elle redoute la stagnation de son hérédité. Il coule dans son sang, le besoin de mêler dans le désordre les lignées génétiques. »</p>
<p>« Tous, ils obéissaient au besoin de leur race de renouveler son héritage dispersé, de croiser, de mêler les lignées en un immense et nouveau bouillon de gènes. Pour cela, la race ne connaissait qu’une manière, l’ancienne manière, celle qui avait été éprouvée, qui était sûre et qui écrasait tout sur son chemin : le Jihad. » (« Dune », livre 3, 1965)</p>
</blockquote>
<p>Herbert rejoint donc Aldous Huxley (<em>Le Meilleur des mondes</em>) et H.G. Wells (<em>La Machine à explorer le temps</em>) dans leurs critiques d’une société où la reproduction humaine serait planifiée et contrôlée par l’État. Son idée d’un brassage chaotique des lignées génétiques afin de « régénérer » l’espèce est, en partie, supportée par les connaissances scientifiques modernes. D’une part, les caractéristiques humaines sont, en moyenne, <a href="https://doi.org/10.1038/ng.3285">autant déterminées par l’environnement que par la génétique</a>, ce qui rend incertain tout projet eugénique. D’autre part, c’est avant tout la diversité génétique au sein des populations qui détermine leurs <a href="https://www.frontiersin.org/journals/microbiology/articles/10.3389/fmicb.2018.00223/full">capacités d’adaptation aux variations environnementales</a>. La préservation de cette diversité est donc bien essentielle à la pérennité de l’humanité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226080/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Muraille a reçu des financements de FRS-FNRS (Belgium)</span></em></p>Écrit dans les années 1960, le roman « Dune » est à la fois précurseur et produit de son temps. En témoigne la place centrale de l’eugénisme dans son intrigue et son univers.Eric Muraille, Biologiste, Immunologiste. Directeur de recherches au FNRS, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1966042022-12-27T21:41:36Z2022-12-27T21:41:36ZMarcel Proust, « psychologue original » dans les dictionnaires<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/501923/original/file-20221219-26-oyn291.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=23%2C10%2C973%2C613&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Photo de Marcel Proust par Otto Wegener, 1895. </span> <span class="attribution"><span class="source">Wikipédia</span></span></figcaption></figure><p><em>Marcel Proust « psychologue original »… Voilà qui surprend ! Il s’agit pourtant du commentaire unique attribué de 1925 à 1951 à l’« auteur d’À la recherche du temps perdu » dans un dictionnaire de grand renom. En vérité, les lexicographes des dictionnaires, petits ou grands, furent d’abord dans l’embarras pour définir le génie de l’écrivain avant d’offrir une image toujours plus riche et originale de l’homme et de son œuvre. Suivre méthodiquement l’évolution de ces articles, découvrir sous l’anonymat qu’ils sont parfois rédigés par un académicien, repérer chronologiquement les indices de la notoriété sans cesse croissante de Marcel Proust – photographies, tableaux, commentaires inattendus à propos de la madeleine, de Combray, de l’adjectif proustien, etc. –, tel est l’objectif de l’essai de Jean Pruvost, à la fois source documentaire et voyage inédit au cœur de l’univers proustien. En voici un extrait.</em></p>
<hr>
<p>Ne pas s’intéresser à Marcel Proust et son œuvre revient pour ainsi dire à s’exclure du monde des lettres. Et ne pas consulter les dictionnaires revient assurément à se priver de commentaires circonstanciés et datés, que ceux-ci soient publiés du vivant de Marcel Proust ou parus au cours de sa prestigieuse postérité. S’il demeure cependant aisé de se procurer in extenso <em>À la recherche du temps perdu</em>, il reste de loin moins facile d’avoir à sa disposition tous les dictionnaires ayant rendu compte de l’homme et de l’œuvre. En faciliter l’accès tout en précisant le type d’éclairage apporté, telle est l’ambition ici nourrie.</p>
<h2>Au-delà du nom de l’auteur, son univers</h2>
<p>À dire vrai, dès lors qu’on se passionne pour la vie des mots et celle de leurs réceptacles institués, les dictionnaires, on rencontre inévitablement l’univers « proustien », et le fait même de l’existence de ce dernier adjectif incite d’ailleurs à dénicher la réalité aussi bien du côté des mots constituant la langue française que du côté des noms propres. Une autre consécration lexicographique est celle correspondant aux œuvres dont le titre bénéficie d’une entrée dans un dictionnaire encyclopédique général. Ainsi, <em>À la Recherche du temps perdu</em> n’a pas manqué d’être à l’honneur mais aussi, et entre autres, le roman qui valut à Marcel Proust le Prix Goncourt en décembre 1919, <em>À l’ombre des jeunes filles en fleurs</em>. D’autres romans sont-ils cités ? Quand ?</p>
<p>Enfin, lorsque l’univers romanesque d’un écrivain s’ancre profondément dans une culture nationale, il arrive parfois que certains lieux imaginés, certains thèmes célébrés par un homme ou une femme de lettres prennent vie au point de s’installer dans notre mémoire collective. Ils sont alors relayés par leur inscription dans nos dictionnaires, par définition attentifs à la culture patrimoniale. S’agissant de <em>À la recherche du temps perdu</em>, aucun lecteur ne peut ainsi oublier d’une part la « madeleine » – pour laquelle, le plus souvent, il n’est d’ailleurs pas même besoin d’y adjoindre son complément de nom naturel, « de Proust » – et d’autre part « Combray ».</p>
<p>Ce sont là en réalité des signes de connivence culturelle devenus si flagrants qu’ils échappent presque à la mention de l’œuvre qui en est la source. Marcel Proust a si bien analysé et défini la sensation ressentie en savourant ce « petit morceau de madeleine », déclencheur de réminiscences rattachées à tante Léonie, et réanimant « l’édifice immense du souvenir », que la « madeleine » représente désormais pour chacun d’entre nous une clef personnelle de notre enfance. Pareil constat collectif ne peut donc échapper aux lexicographes et, de fait, le moment où ces greffiers de l’usage l’ont consigné et fait ainsi entrer dans notre patrimoine sémantique nous importe en tant qu’étape marquante dans la reconnaissance nationale. À nous d’en traquer le plus précisément possible l’émergence dans l’immense corpus des dictionnaires.</p>
<h2>Une reconnaissance lexicographique par degrés</h2>
<p>Dans la Préface de son tout premier dictionnaire, publié en 1856, le <em>Nouveau Dictionnaire de la langue française</em>, Pierre Larousse comparait tout auteur d’un ouvrage lexicographique à un « laquais qui porte les bagages de son maître », le maître incarnant la langue française et le laquais, le lexicographe. À ce dernier alors de ne pas déroger à certaines règles de conduite. En l’occurrence, il doit « suivre par derrière » le maître et en recueillir de la sorte les mots et les sens qui vont nourrir le dictionnaire. Cependant, insiste Pierre Larousse, il ne doit « ni suivre de trop loin, ni ouvrir la marche ». Aussi, tout enregistrement de nouvelles formes et de nouveaux sens est-il soumis à un constat impératif : leur passage notoirement attesté dans l’usage.</p>
<p>Un tel filtre est à la fois exigeant et révélateur : lorsqu’un néologisme d’auteur, qu’il soit morphologique ou sémantique, entre dans un dictionnaire, il doit précisément cet honneur au fait avéré qu’un nombre significatif de lecteurs l’ont pleinement intégré dans leur lexique et qu’il se diffuse dans la presse, la critique ou la conversation. Au point qu’il faut donc en expliciter le sens pour toute la communauté linguistique. Ainsi quelques mots jouent indéniablement le rôle de marqueurs culturels : ignorer de fait le lien existant entre la « madeleine », « Combray » et Marcel Proust, laisse comprendre que la personne ainsi démunie de ces ancrages lexicaux a tout à apprendre en matière littéraire.</p>
<p>À un degré plus avancé, faire état de « réminiscences » appelle presque immédiatement dans nos grands dictionnaires contemporains une citation extraite du <em>Temps retrouvé</em>, tant ce concept déjà marqué par Platon et Aristote, puis par Chateaubriand et Sainte-Beuve, a été revivifié par Proust. Par ailleurs, si l’on a bien lu Proust, on ne peut pas davantage ignorer la promesse érotique de la formule proustienne « faire catleya », métaphore ou métonymie… Que la nature linguistique de la locution instaurée par Swann soit au demeurant discutée, Gérard Genette penchant en effet pour la métonymie pendant que Serge Doubrovsky la laisse plus volontiers glisser vers la métaphore, voilà comment un délicieux débat dénote à lui seul l’indubitable pérennité d’une locution. Aux dictionnaires revient donc le rôle de dater l’entrée de la formule dans le lexique collectif.</p>
<p>Au reste, on peut aussi mesurer le succès d’une pensée et des formulations qui y sont rattachées lorsqu’elles échappent pour quelques-unes à l’œuvre : citer « la madeleine de Proust », « Combray » ou « Balbec » n’est plus en effet aujourd’hui l’absolue garantie que son locuteur ait réellement lu <em>À la recherche du temps perdu</em> et le passage y correspondant. C’est grand dommage, mais les concepts forgés par Marcel Proust ont trouvé un tel écho dans tous les esprits qu’ils existent indéniablement au-delà de l’œuvre elle-même. Le dictionnaire est alors requis non seulement pour rappeler la référence précise mais pour consigner au passage une doxa à rendre explicite pour tous. Puissent dans ce cas nos dictionnaires inciter à la lecture du premier tome de <em>À la Recherche du temps perdu</em> et, dans cet heureux sillage, conduire à la découverte de l’œuvre entière !</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/501916/original/file-20221219-20-8h6r4h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/501916/original/file-20221219-20-8h6r4h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/501916/original/file-20221219-20-8h6r4h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/501916/original/file-20221219-20-8h6r4h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/501916/original/file-20221219-20-8h6r4h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/501916/original/file-20221219-20-8h6r4h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/501916/original/file-20221219-20-8h6r4h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/501916/original/file-20221219-20-8h6r4h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Marcel Proust, « psychologue original » dans les dictionnaires (1920, 1960), Jean Pruvost, Champion Essais.</span>
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<p>Enfin, de manière moins directe peut aussi à travers les dictionnaires se mesurer l’installation d’une œuvre dans le patrimoine culturel lorsqu’une phrase qui en est extraite suffit implicitement à signaler et l’œuvre et son auteur. À titre d’exemple, lorsque paraît en 1913 le premier tome de <em>À la Recherche du temps perdu</em>, <em>Du côté de chez Swann</em>, personne n’imagine à ce moment-là que son incipit « Longtemps, je me suis couché de bonne heure… » entrerait dans l’histoire littéraire comme une sorte de sésame à la grande œuvre et deviendrait l’une des formules évocatrices les plus célèbres de la littérature française. Aussi, son entrée à une date donnée dans les citations propres aux dictionnaires généraux de langue française est-elle également révélatrice de son insertion définitive dans la culture générale. Elle vaut à sa façon consécration.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196604/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean Pruvost ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les lexicographes des dictionnaires furent d’abord dans l’embarras pour définir le génie de l’écrivain avant d’offrir une image toujours plus riche et originale de l’homme et de son œuvre.Jean Pruvost, Lexicologue et historien de la langue française, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1947712022-12-06T19:03:17Z2022-12-06T19:03:17ZLittérature classique : que penser des versions abrégées, d’Homère à Jules Verne ?<p>Au moment de sélectionner le programme de lectures de l’année scolaire, les professeurs de français peuvent être conduits à choisir entre des éditions intégrales ou abrégées. Certaines œuvres de grands auteurs classiques – comme Victor Hugo, Jean-Jacques Rousseau, Jules Verne, Théophile Gautier ou encore Alexandre Dumas – peuvent en effet se décliner en librairie dans des <a href="https://www.telerama.fr/enfants/quand-hugo-ou-kipling-sont-elagues-pour-la-bonne-cause-7009369.php">formats abrégés</a>. Des présentations qui suscitent questionnements et débats.</p>
<p>Pour expliquer le lancement dans les années 1980 de sa collection <a href="https://classiques.ecoledesloisirs.fr/collection">« Classiques abrégés »</a>, dans laquelle on trouve des titres comme <em>L’Énéide</em>, <em>Moby Dick</em>, <em>Oliver Twist</em> ou encore <em>Notre-Dame de Paris</em>, la maison d’édition L’École des Loisirs note par exemple qu’il s’agit de « transmettre aux jeunes générations des textes essentiels que leur ampleur risquait fort de faire sombrer dans l’oubli ». La version abrégée rendrait le classique « moins inquiétant », permettrait « de l’apprivoiser pour le mettre à la portée des jeunes lecteurs, en abrégeant le texte de manière à laisser intacts le fil du récit, le style et le rythme de l’auteur ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lire-un-texte-a-haute-voix-aide-t-il-a-le-comprendre-172632">Lire un texte à haute voix aide-t-il à le comprendre ?</a>
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<p>Au <a href="https://www.livredepochejeunesse.com/les-textes-classiques-en-abrege">Livre de Poche Jeunesse</a>, qui a inscrit à son catalogue de versions abrégées des titres comme <em>La Chartreuse de Parme</em> de Stendhal ou <em>La bête humaine</em> de Zola, on affirme aussi la volonté de donner accès à « tous les plus grands classiques de la littérature française », sans « intimider les élèves qui lisent moins avec des volumes trop imposants ». Référence est faite d’ailleurs aux <a href="https://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?pid_bo=34093">Instructions officielles de l’Éducation nationale</a> de 2016 selon lesquelles le professeur « conduit les élèves vers la découverte de textes classiques et contemporains » et « peut également avoir recours à des adaptations (texte modernisé et/ou abrégé, cinématographique, bande dessinée, etc.) pour faciliter l’entrée dans les œuvres les plus complexes ».</p>
<p>Dès lors, nous pouvons nous interroger sur la pertinence qu’il y aurait à recommander aux élèves la lecture de la version abrégée plutôt que de la version intégrale de classiques puisqu’à notre connaissance aucune étude de psychologie n’a directement comparé les effets respectifs de la lecture de l’une ou l’autre version sur les élèves.</p>
<h2>Mise en condition des lecteurs</h2>
<p>Tout d’abord, précisons que ces versions abrégées se caractérisent par une simple suppression de passages jugés anecdotiques ou accessoires et que les passages conservés sont sans retouche. Il ne s’agit donc pas d’une simplification linguistique des textes et, par conséquent, il n’y a pas dans l’absolu de réduction de la valeur qualitative de ces derniers.</p>
<p>Cela implique dans ce cas une différence principalement quantitative entre les deux versions qui rendrait la version abrégée moins volumineuse et donc moins intimidante. Cela suffit-il vraiment à justifier d’éviter le passage par la version intégrale de l’œuvre ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lire-sur-papier-lire-sur-ecran-en-quoi-est-ce-different-112493">Lire sur papier, lire sur écran : en quoi est-ce différent ?</a>
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<p>Notons que, si certaines parties d’un texte, comme la description de personnages ou de lieux, peuvent sembler secondaires pour la compréhension globale d’une histoire, elles n’en contribuent pas moins à la création de liens entre les informations. Et cela permet d’expliquer certains comportements ou pensées. Le fait d’en savoir plus sur le passé d’un personnage permettra ainsi de mieux comprendre pourquoi il agit de telle ou telle manière. À cela s’ajoute le rôle que peuvent jouer ces passages soi-disant accessoires dans la mise en condition des lecteurs. Ils contribuent à les inviter à voyager mentalement dans l’univers de l’œuvre et ressentir des émotions plus ou moins fortes.</p>
<p><a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3868356/">L’étude de Gregory S. Berns et de ses collègues</a>, publiée en 2013, montrait que la lecture pendant neuf jours de la version intégrale du roman <em>Pompeii : A Novel</em>, de Robert Harris, s’accompagnait d’une augmentation constante et significative du niveau des émotions ressenties par des lecteurs. Cet effort quotidien allait aussi de pair avec un renforcement des connexions fonctionnelles au sein d’un réseau cérébral comprenant comme région centrale le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cortex_somatosensoriel">cortex somatosensoriel</a>, ce que les auteurs interprètent comme reflétant le rôle de ce réseau par rapport à l’augmentation des sensations corporelles induites par la lecture du roman.</p>
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<p>Ainsi, la notion de <a href="https://theconversation.com/lecture-postures-emotions-comment-le-corps-nous-aide-a-comprendre-un-texte-159583">cognition incarnée</a> peut être invoquée pour expliquer comment le fait de lire un roman met la lectrice ou le lecteur à la place des protagonistes de l’histoire, c’est-à-dire dans le corps de ces derniers, ce qui se traduit par ce renforcement constaté de la connectivité fonctionnelle au niveau notamment du cortex somatosensoriel. Tout cela demande du temps ; une version abrégée permettrait-elle de susciter pleinement cette dimension ?</p>
<h2>Accompagner l’effort</h2>
<p>Par ailleurs, si l’objectif d’une version abrégée d’un classique est surtout de rendre celui-ci moins impressionnant, cela ne va-t-il pas à l’encontre de ce préconisent les auteurs de nombreuses études recensées dans <a href="https://www.editions-jclattes.fr/livre/le-test-du-marshmallow-9782709642750/"><em>Le test du marshmallow</em></a> du psychologue Walter Mischel et <a href="https://www.livredepoche.com/livre/lart-de-la-niaque-9782253188094"><em>L’art de la niaque</em></a> d’Angela Duckworth, professeure en psychologie à l’université de Pennsylvanie ?</p>
<p>Ces ouvrages exposent les effets bénéfiques durables de la volonté et de la persévérance sur le développement cognitivo-affectif de l’enfant, notamment lorsque ce dernier réussit à surmonter des obstacles ou des difficultés semblant pourtant indépassables.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ces-comedies-de-moliere-quon-etudie-encore-et-toujours-a-lecole-177473">Ces comédies de Molière qu’on étudie encore et toujours à l’école</a>
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<p>Il faut aussi rappeler que l’enfant n’est pas seul face à sa lecture. Il pourra bénéficier de l’aide de son professeur pour atteindre sa zone proximale de développement – un concept développé par le psychologue Lev Vygotski, notamment dans son ouvrage <a href="https://www.scienceshumaines.com/lev-vygotski-1896-1934-pensee-et-langage_fr_9754.html"><em>Pensée et langage</em></a>, pour décrire le niveau qu’un enfant est susceptible d’atteindre par rapport à une fonction ou une capacité cognitive, avec l’aide d’un tiers qui pourra être son enseignant. Ainsi, selon Vygotski :</p>
<blockquote>
<p>« Lorsque nous observons le cours du développement d’un enfant à l’âge scolaire et le cours de son apprentissage, nous voyons effectivement que toute matière d’enseignement exige de l’enfant plus qu’il ne peut donner à ce moment-là, c’est-à-dire que l’enfant à l’école a une activité qui l’oblige à dépasser ses propres limites. Cela s’applique à tout apprentissage scolaire normal. On commence à apprendre à écrire à l’enfant alors qu’il ne dispose pas encore de toutes les fonctions qui permettent le langage écrit ».</p>
</blockquote>
<p>Tout l’enjeu de l’apprentissage, sur le plan psychologique, est donc de « passer, à l’aide de l’imitation, de ce que l’enfant sait faire à ce qu’il ne sait pas faire ».</p>
<p>L’enseignant jouera ainsi un rôle crucial en accompagnant l’élève pendant la période de lecture du classique. Plutôt que de demander à l’enfant de lire tout l’ouvrage pour une date donnée, ce qui peut effectivement rendre cette activité intimidante, il peut procéder par étapes, en faisant par exemple lire un chapitre de l’ouvrage par semaine et en posant des questions aux élèves chaque semaine en classe pour s’assurer de la bonne compréhension du chapitre lu.</p>
<p>Pour aller plus loin, des pratiques d’enseignement de la compréhension en lecture sont décrites dans deux ouvrages : <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782804156152-la-comprehension-en-lecture"><em>La compréhension en lecture</em></a>, de Jocelyne Giasson, et <a href="https://www.decitre.fr/livres/enseigner-la-comprehension-en-lecture-9782401000858.html"><em>Comment enseigner la compréhension en lecture</em></a> de Maryse Bianco et Laurent Lima.</p>
<p>L’expérience de l’enseignant lui permettra en outre de doser de façon optimale l’effort demandé aux élèves en alternant par exemple la lecture de classiques et de nouvelles. N’oublions pas non plus les manuels de français qui peuvent, lorsqu’ils sont judicieusement conçus, donner envie aux élèves à partir d’un extrait de s’attaquer à l’ensemble d’un ouvrage.</p>
<p>Et pour conclure, voici ce que répond l’écrivain et ancien enseignant de lettres Philippe Delerm lorsque le journaliste Augustin Trapenard lui demande <a href="https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/la-grande-librairie-saison-15/4274188-speciale-marcel-proust.html">comment les élèves réagissent quand on leur fait lire Proust</a> : « Ils sont assez fiers finalement car on leur dit d’abord qu’il a la réputation d’être très très difficile. Mais en fait, quand on les prend par la main, on se rend compte que ça suscite beaucoup d’écho ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194771/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Bernard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour faciliter l’accès des élèves aux œuvres de grands classiques, de Virgile à Dumas, il est possible de leur en proposer des versions abrégées. Mais l’expérience de lecture est-elle la même ?Frédéric Bernard, Maître de conférences en neuropsychologie, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1904722022-09-12T22:46:47Z2022-09-12T22:46:47ZCes reines (et ces rois) qui trônent sur le roman anglais<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/484046/original/file-20220912-14-boun80.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C12%2C582%2C479&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Qu'on lui coupe la tête (1907), illustration de Charles Robinson pour Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Reine_de_c%C5%93ur_%28Alice_au_pays_des_merveilles%29#/media/Fichier:Alice's_Adventures_in_Wonderland_-_Carroll,_Robinson_-_S008_-_'Off_with_her_head!'.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Dans quelques jours, le 19 septembre prochain, le cortège funéraire portant le cercueil d’Elizabeth II cheminera à travers les rues de Londres, avant de gagner la dernière demeure de feu la reine, à Windsor. On ne le sait pas, mais la scène a déjà été vécue, déjà écrite surtout. En 1823. Par un certain <a href="https://xn--rpubliquedeslettres-bzb.fr/quincey.php">Thomas de Quincey</a>, l’auteur des <em>Confessions d’un mangeur d’opium anglais</em>. Son évocation commence ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« S’il a jamais été présent dans une vaste métropole le jour où quelque grande idole nationale était menée en pompe funèbre à sa tombe, et s’il est arrivé que, marchant près de l’itinéraire suivi par elle, il ait senti puissamment, dans le silence et la désertion des rues et la stagnation de toute affaire courante, le profond intérêt qui, à ce moment-là, possède le cœur de l’homme […] »</p>
</blockquote>
<p>C’était à l’occasion des funérailles de la Princesse Charlotte Augusta, fille du Prince régent, le futur George IV, morte en couches en 1817, à l’âge de 21 ans. L’affliction à Londres avait été considérable, et <a href="https://theconversation.com/byron-et-delacroix-aux-avant-postes-de-linternationale-romantique-163918">Lord Byron</a>, autre témoin capital, l’avait également rapportée au chant IV de son poème autobiographique, « Childe Harold ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La princesse Charlotte Augusta.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Charlotte_de_Galles_(1796-1817)#/media/Fichier:Charlotte_Augusta_of_Wales.jpg">Wikipédia</a></span>
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<h2>Matériau romanesque</h2>
<p>D’une « idolâtrie », l’autre. En dépit de ce qui rapproche le deuil « national » d’hier de celui d’aujourd’hui, nous sommes loin, avec De Quincey, de nos séries télévisées (<em>Royals</em>, <a href="https://theconversation.com/the-crown-saison-4-un-soap-opera-cruel-envers-linstitution-monarchique-151264"><em>The Crown</em></a>…) et de leur scénarisation addictive. Loin des deux modalités quasi obligées du discours contemporain autour de la famille royale, lequel a décidément du mal à échapper aux séductions (tentaculaires) du storytelling, d’un côté, du conte de fées de l’autre. Implacable machine à raconter, la « Firme » royale arraisonne cyniquement les carrosses (en feignant d’oublier qu’ils peuvent à tout moment redevenir citrouilles). Sans voir qu’à force d’exploiter jusqu’à plus soif, par marketing et « infodivertissement » interposés, l’exceptionnel matériau romanesque que la dynastie des Windsor génère à son corps défendant, elle va tuer la poule aux œufs d’or.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Vendre du rêve, tel n’est a priori pas le job des hommes et femmes de lettres, outre-Manche. C’est même souvent sans révérence particulière qu’ils « regardent » la royauté en face. « A dog may look at a king » (« Un chien regarde bien un roi » ; là où le français traduit par « Un chien regarde bien un évêque »), entend-on dire en Grande-Bretagne, au moins depuis 1563. Il faut dire que, depuis ses lointaines origines, la royauté britannique abreuve dramaturges et poètes d’intrigues et de décorum, de guerres de succession et de « villains » d’exception.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/macbeth-une-source-dinspiration-sans-fin-48783">« Macbeth », une source d’inspiration sans fin</a>
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<p>William Shakespeare leur doit <a href="https://www.cairn.info/revue-commentaire-2009-1-page-244.htm">ses <em>history plays</em></a>, il est vrai non exemptes de visées propagandistes, et son personnage de Richard III, monstre de séduction ; Edmund Spenser, son long poème épico-patriotique, « The Faerie Queene » (1590), empreint de l’imagerie chrétienne et martiale portée par Elizabeth 1<sup>re</sup> d’Angleterre. Tard-venus, se défiant du snobisme fustigé par <a href="https://xn--rpubliquedeslettres-bzb.fr/thackeray.php">W.M. Thackeray</a> dans son influent <em>Book of Snobs</em> (1848), les romanciers finiront, au fil du temps et de l’évolution de la monarchie moderne, par prendre leurs désirs pour des réalités. En cherchant à détourner rois et reines fictifs de leurs engagements officiels. Pour mieux les entraîner sur leur terrain à eux, écrivains : celui des livres, de la lecture. Et de la possibilité de devenir auteur/autrice de sa vie, en laissant derrière soi le protocole.</p>
<h2>Un prétexte à la satire</h2>
<p>Avec <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/swift/voyages-gulliver"><em>Les Voyages de Gulliver</em></a> (1721), Jonathan Swift ne fait pas que parodier la littérature de voyage, si populaire en son temps. Il fait œuvre d’imagination, d’une part, et d’autre part il endosse le costume du satiriste, doublé d’un politiste qui connaît ses théories sur le bout des doigts. En toute partialité, Swift convoque sur le ring deux figures royales, pour un affrontement sans merci.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=562&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=562&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=562&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le roi des Brobdingnag et Gulliver, Gravure anglaise du 10 février 1804 dans Estampes relatives à l'Histoire de France. Tome 147, par James Gillray (1757-1815), graveur, Londres, 1804.</span>
<span class="attribution"><span class="source">BnF, département des Estampes et de la photographie.</span></span>
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</figure>
<p>A sa droite, le roi de Lilliput, minuscule et risible incarnation de la monarchie absolue. A sa gauche, le grand roi (au moins par la taille) de Brobdingnag, son exacte antithèse. Le premier surveille et punit, se mêle de tout et de rien, et n’a que la guerre en tête. Le second, pacifique, a priori tempéré, s’informe auprès de Gulliver sur la conduite des affaires en Europe, et tout particulièrement en Angleterre. Il perdra cependant son calme en apprenant l’usage qui y est fait de la poudre et des canons, et de l’universelle destruction qui en découle. Tout comme il s’offusquera de la corruption et de l’iniquité qui, à en croire Gulliver, mais ce dernier est-il un observateur fiable ? gangrènent la société britannique. Au miroir déformant de la fiction, la frontière se brouille entre royautés proches et royautés lointaines, couronnes réelles et couronnes imaginaires.</p>
<p>Avec <a href="https://www.youtube.com/watch?v=72-wePCkHJs&t=1s">Lewis Carroll</a>, on assiste à un retour en force de l’absolutisme royal, qui n’est pourtant qu’un lointain souvenir, en 1865, lorsque paraît <em>Alice au pays des merveilles</em>. Dans ce texte qui baigne dans la <a href="https://theconversation.com/alice-a-lasile-60457">fantaisie la plus débridée</a>, c’est paradoxalement une figure de reine qui incarne le principe de réalité. La carte représentant la « Reine de Cœur » s’y montre sans cœur, ordonnant à tout bout de champ qu’on procède à des exécutions capitales. Sur la base de jugements arbitraires, cela va sans dire. « Qu’on lui/leur coupe la tête ! » est l’expression récurrente dans sa bouche.</p>
<p>Les contemporains de Carroll prirent un malin plaisir à lui trouver des traits de caractère possiblement empruntés à la reine Victoria, pour ne pas la nommer. Il faut dire qu’elle est l’omniprésente souveraine du temps présent, et cela ne saurait échapper, même au plus distrait des mathématiciens d’Oxford ! On peut sans doute expliquer par la misogynie l’invention d’une figure aussi grossièrement « genrée », à l’autoritarisme autant hystérique qu’inefficace, dès lors que ses ordres ne sont jamais mis à exécution, et qu’elle ne fait même pas peur à ses valets. Ce serait oublier, toutefois, que c’est à une petite fille, et non à un garçonnet, que revient le soin de faire s’écrouler le château de cartes, d’un revers de la main. La reine est nue, donc, objet par ailleurs de plus d’un fantasme…</p>
<h2>Revisiter l’histoire</h2>
<p>C’est en 1814 que paraît <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070116195-waverley-et-autres-romans-walter-scott/"><em>Waverley</em></a>, sans mention d’auteur. Le récit revient, plus de soixante ans après les faits, sur le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9bellions_jacobites">soulèvement jacobite de 1745</a>, après l’échec du premier, en 1715. Il s’agit de la dernière tentative des partisans des partisans des Stuarts pour renverser le roi George II de Hanovre, et rétablir sur le trône d’Angleterre et d’Écosse leur « Prétendant ». Rien de tel qu’un roi, qu’un prétendant au trône en tout cas, pour consolider un genre encore balbutiant, pour insuffler au nouveau genre fictionnel (<em>novel</em>, en anglais) la noblesse, le prestige, qui lui manquaient. Le jeune et bouillant Bonnie Prince Charlie (Charles Edward Stuart) illumine ainsi de sa présence quelques pages du roman, mais elles sont rares.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=791&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=791&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=791&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=993&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=993&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=993&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Portrait équestre du prince jacobite Charlie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_%C3%89douard_Stuart#/media/Fichier:Jacobite_broadside_-_Prince_Charles_Edward_Stewart.jpg">Wikipédia</a></span>
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</figure>
<p>Si « élévation » il devait y avoir, dans l’esprit de Walter Scott, poète devenu romancier, et dont l’influence sur le roman européen sera considérable, celle-ci devait passer par une grandeur de silhouette, de préférence à une grandeur de plein exercice. Son <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_whig_(Royaume-Uni)#:%7E:text=Le%20parti%20whig%20d%C3%A9signe%20un,l'origine%20un%20brigand%20%C3%A9cossais.">idéologie whig</a> s’accommodant de la doctrine de la monarchie constitutionnelle, Scott fait du roman historique le fruit d’un compromis entre l’imagination cavalière, qui finit écrasée à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=y_0tzSfKc9w">la bataille de Culloden</a> (jamais nommée dans le roman), et un pragmatisme petit-bourgeois, plutôt terre-à-terre. Quitte à ce que le panache de la royauté y perde une bonne part de son éclat…</p>
<p>Un siècle plus tard, l’histoire se fait uchronique et/ou dystopique avec H. H. Munro (dit Saki). Paru en 1913, <a href="https://www.letemps.ch/culture/litterature-guillaume-vint"><em>Quand Guillaume vint, Portrait de Londres sous les Hohenzollern</em></a>, imagine l’invasion de l’Angleterre par les « Boches », au terme d’une campagne éclair. Contraint de vider les lieux, le roi prend la route de l’exil : ce sera l’Inde et Delhi. Le Kaiser allemand, lui, s’empare du trône avec gourmandise, tandis que les sujets de son ex-Majesté collaborent, peu ou prou, dans un royaume sous occupation teutonne. Au reste, les mauvaises langues, et il n’en manquera pas, ne se priveront pas de fustiger les origines germaniques de la dynastie des Windsor, anciennement Maison de Saxe-Coburg et Gotha. </p>
<p>En amont cette fois de la deuxième guerre mondiale, un procès sera d’ailleurs instruit contre certains aristocrates, proches de la cour royale, accusés d’intelligence avec l’ennemi nazi, ce qu’un roman comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=2hiwl76qZwM"><em>Les Vestiges du jour</em></a> (1989), de Kazuo Ishiguro, rappelle encore, fût-ce discrètement.</p>
<h2>Inventer d’autres destins aux figures royales</h2>
<p>Devant l’image partout répandue d’une reine entièrement consacrée à son devoir, de longues décennies durant, les romanciers, c’est plus fort qu’eux, se prennent à douter. Et de se livrer à leur sport favori : la spéculation, l’invention d’une contre-réalité, tout à la fois fictive et plus « vraie » que ce que les faits donnent à voir. Une reine d’apparence lisse et institutionnellement mutique ne peut pas, en son for intérieur, être que cela. A charge pour les romanciers de traquer sa part d’ombre, de pointer la faille dans la cuirasse. Après tout, il se dit bien que, pour se consoler du chagrin consécutif à la mort de son époux, c’est la reine Victoria qui aurait rédigé <em>Alice au pays des merveilles</em>, en lieu et place de son auteur « officiel », Lewis Carroll ! Le bobard est avéré, mais sur le Net, légendes et complots ont la vie dure.</p>
<p>En 1992, cinq ans avant la mort de Lady Di, la romancière Sue Townsend bouleverse de fond en comble le casting monarchique. <em>La Reine et moi</em> se place dans l’hypothèse farfelue selon laquelle, aux élections législatives de la même année, le parti républicain remporte tous les suffrages. Dans la foulée, le nouveau Premier ministre fait voter l’abolition de la royauté, et contraint les « royaux » à troquer le palais de Buckingham contre l’équivalent d’une HLM dans un quartier populaire. Le prince Charles s’y découvre une passion pour le jardinage, mais le duc d’Edimbourg, lui, refuse de se raser et de quitter son lit. Quant à Diana, elle pleure sa Mercedes confisquée et se plaint du manque de place pour loger sa princière garde-robe. La reine mère dilapide son argent aux courses… Il n’y a, au final, que Mrs Windsor, ex-Elizabeth II, pour s’accommoder de son nouveau statut de roturière, opposant même un refus ferme quoique poli à ceux qui lui parlent de revenir au pouvoir. C’est drôle, mais si tout cela n’était qu’un rêve, mauvais ou bon, en fonction des opinions de chacun ?</p>
<p>En 2007, le très caustique Alan Bennett, ancien professeur d’histoire médiévale devenu acteur et dramaturge, fait paraître <em>The Uncommon Reader</em> (traduit en français par <em>La Reine des lectrices</em>). Sous un titre démarqué du <em>Common Reader</em>, recueil d’essais rédigés par Virginia Woolf, Bennett imagine une reine découvrant, par le plus grand des hasards la littérature et les livres. Et s’entichant de la lecture, au point de se détourner des affaires de l’État, auxquelles elle cesse de trouver le moindre intérêt. Elle finira même par abdiquer, à la dernière page du livre. Plaisamment métafictive, la parabole de Bennett est un vibrant plaidoyer pour la lecture.</p>
<p>Politiquement, le récit dit quelque chose de la démocratie littéraire : les livres vous regardent, confie la reine à son journal de bord, et <a href="https://theconversation.com/comment-sexplique-le-boom-des-book-clubs-150699">ils n’ont que faire de votre identité</a>, de votre statut social. Reine ou paysanne, c’est tout comme, de leur point de vue. En retour, ils changent votre horizon d’attente, ouvrent des portes qu’on pensait à jamais closes. Il faut donc imaginer la reine heureuse… de ne plus l’être ! Dans la même veine, mais avec moins d’appétence pour l’ironie, William Kuhn signe en 2012 <em>Mrs Queen Takes the Train</em> (non traduit) : Elizabeth s’ennuie tellement dans l’exercice de ses fonctions qu’elle choisit la fuite, direction les champs de courses, la passion de sa vie, et le port d’attache du <em>Queen Mary</em>, l’ancien paquebot de la famille royale. En lui faisant prendre le train, en lui offrant, dans le contexte cette fois des Jeux Olympiques de Londres, l’occasion de sauter en parachute (pour de faux) au bras de James Bond, la littérature en liberté émancipe la royauté. A elle de ne pas rater le coche…</p>
<h2>L’esprit de royauté</h2>
<p>On finira comme on avait commencé – dans les rues de la capitale londonienne. Une explosion retentit. Il pourrait s’agir d’une détonation occasionnée par l’éclatement d’un pneu, ou d’un gaz d’échappement. Voire, honni soit qui mal y pense, d’un vent (!) échappé d’une auguste paire de fesses. Une limousine vient de s’arrêter le long d’un trottoir de Bond Street, suscitant un grand émoi. A son bord, à peine entrevu, un grand de ce monde.S’agit-il de la reine (Mary reine consort), du Premier Ministre (Stanley Baldwin) surpris en train de faire leurs courses ? L’incertitude est totale et les spéculations vont bon train. Dans le sillage de la grandeur masquée qui passe à portée de main du commun des mortels, s’exhale « un souffle de vénération ». Et la séquence de s’achever comme se clôt la rencontre avec le Chat du Cheshire, dans <em>Alice au pays des Merveilles</em>. Par un lent effacement du visage (et du sourire) de la Reine. Laquelle ne disparaît que pour mieux se graver dans les mémoires, individuelles et collectives.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quels-sont-les-noms-qui-rayonnent-dans-la-litterature-lesbienne-175402">Quels sont les noms qui rayonnent dans la littérature lesbienne ?</a>
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<p>Rien de tel qu’un roman (moderniste) pour retenir dans ses filets une matière aussi radioactive. Ce roman, c’est <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-culture-change-le-monde/mrs-dalloway-de-virginia-woolf-roman-qui-change-le-monde-8297970"><em>Mrs Dalloway</em></a> (1925), de Virginia Woolf. Ce quelque chose d’imperceptible dans l’air, c’est l’esprit de royauté, comme on parle d’esprit-de-vin. Mais le roman ne saurait être courtisan. Tout en recueillant la précieuse part des anges, à savoir cette composante de l’« aura » royale qui peut s’apparenter à une mystique, Woolf s’emploie à saper l’ordre patriarcal. En effet, par ses valeurs de fluidité flottant au sein d’un « courant de conscience », la matière royale en mouvement s’affranchit de tout ce qui pèse et en impose, à commencer par la gravité qui fait de nous des « sujets » par trop assujettis.</p>
<p>Régnant sans gouverner, les rois et reines <em>made in England</em> ont ceci de grand qu’ils trônent, oui, mais in abstentia.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190472/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De Shakespeare à Virginia Woolf, les rois et les reines n’ont cessé d’inspirer la littérature anglaise, dans une veine souvent irrévérencieuse.Marc Porée, Professeur émérite de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1829872022-05-25T13:35:45Z2022-05-25T13:35:45ZDes modèles masculins pour développer l’envie de lire chez les garçons<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/463437/original/file-20220516-12-4dwr4k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C1%2C994%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">«Lire avec fiston» est un projet de littératie familiale simple et efficace qui pourrait être reproduit dans différents pays et différentes langues.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Nous entendons souvent que les garçons ne lisent pas ou n’aiment pas lire. Or, les garçons lisent, mais pas nécessairement ce que le milieu scolaire leur propose ; les garçons vont préférer lire des documentaires, des bandes dessinées ou des magazines, par exemple. De là l’importance qu’ils puissent choisir les livres qu’ils désirent lire et de varier les choix proposés.</p>
<p>Nous sommes un groupe de chercheures multidisciplinaires, intéressées notamment par la littératie, les difficultés d’apprentissage, la relation famille-école-communauté et la psychologie. La littératie dans son ensemble inclut la lecture, l’écriture, la compétence orale et plusieurs autres variables comme les valeurs et la culture.</p>
<h2>Importance d’un modèle de lecteur masculin pour les fistons</h2>
<p>L’absence d’un modèle masculin « positif » de lecture peut expliquer pourquoi les garçons sont moins portés à lire et peuvent avoir une perception négative de la lecture. Le fait d’intégrer la famille à l’intérieur d’un projet de littératie, dans un contexte non scolaire, peut influencer la perception que les élèves ont de la lecture et développer leur envie de lire.</p>
<p><a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/10888691.2013.836034">Certaines études scientifiques</a> démontrent qu’en intégrant le père dans les programmes de littératie familiale, une influence positive émerge sur le développement de la littératie des enfants, et plus particulièrement des garçons. La <a href="https://depot.erudit.org/bitstream/003789dd/1/Beauregard_Carignan_MELS_litteratie_familiale.pdf">littératie familiale</a> est notamment le fait de développer la compétence à lire dans le milieu familial. C’est dans cette visée que nous avons créé le projet <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/grands-lacs-cafe/segments/entrevue/66821/acfas-carignan-lire-fiston"><em>Lire avec fiston</em></a> en 2008. Depuis, 30 trios masculins ont vu le jour, mais, avec la pandémie, ce mode de fonctionnement n’était plus possible.</p>
<p>Ce projet de littératie familiale favorise la création de trios masculins (papa, fiston et étudiant en enseignement) qui partagent un temps de lecture à la maison.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/463434/original/file-20220516-26-ee4gja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="3 hommes d’âge différent tiennent un certificat" src="https://images.theconversation.com/files/463434/original/file-20220516-26-ee4gja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463434/original/file-20220516-26-ee4gja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463434/original/file-20220516-26-ee4gja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463434/original/file-20220516-26-ee4gja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463434/original/file-20220516-26-ee4gja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463434/original/file-20220516-26-ee4gja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463434/original/file-20220516-26-ee4gja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le but du projet « Lire avec fiston » était de partir des intérêts de lecture des garçons en difficulté de lecture (ou non motivés à lire) pour développer leur envie de lire par l’entremise de trios masculins (papa, fiston et futur enseignant).</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Isabelle Carignan)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Le but du projet est de partir des intérêts de lecture du fiston en difficulté de lecture, ou en manque de motivation (8-9 ans), pour développer son envie de lire. Pourquoi à cet âge ? Parce que c’est le moment où le fossé se creuse entre les bons lecteurs et les lecteurs en difficulté.</p>
<p>Le futur enseignant se déplace dans le milieu familial de façon bénévole avec son sac de livres jeunesse, de genres littéraires différents, liés aux intérêts du fiston. Le fiston est le chef : en maitre d’œuvre du trio, il décide ce qui sera lu lors des rencontres. Avec <em>Lire avec fiston</em>, les <a href="https://lewebpedagogique.com/alireetaecrire/les-dix-droits-du-lecteur/">10 droits du lecteur de l’auteur Daniel Pennac</a>, qui sont tirés de son œuvre « Comme un roman », sont respectés. Ces droits vont à l’encontre de ce qui est généralement prôné dans le milieu scolaire :</p>
<ol>
<li><p>Le droit de ne pas lire</p></li>
<li><p>Le droit de sauter des pages</p></li>
<li><p>Le droit de ne pas finir un livre</p></li>
<li><p>Le droit de relire</p></li>
<li><p>Le droit de lire n’importe quoi</p></li>
<li><p>Le droit au bovarysme (de rêver !)</p></li>
<li><p>Le droit de lire n’importe où</p></li>
<li><p>Le droit de grappiller</p></li>
<li><p>Le droit de lire à haute voix</p></li>
<li><p>Le droit de nous taire</p></li>
</ol>
<p>À l’âge adulte, nous nous autorisons tous ces droits.</p>
<p>À l’école, les élèves doivent souvent lire des œuvres qui ne les intéressent pas. Ils doivent les finir et ne doivent surtout pas sauter des pages. Quand ils sont plus grands, vers le milieu du primaire, on leur dit souvent que la vraie lecture est la lecture de <a href="https://chezlefilrouge.co/2018/08/16/la-lecture-de-bandes-dessinees-est-elle-moins-valorisante-que-la-lecture-de-romans/">romans</a>, alors que c’est complètement faux. Par exemple, lire une <a href="https://litmedmod.ca/sites/default/files/r2lmm/r2-lmm_vol1_boutin-vmartel.pdf">bande dessinée</a> est extrêmement riche et complexe. Un vrai lecteur de BD lit le texte et l’illustration de chaque case, en interaction, pour en saisir toutes les subtilités. Il en va de même pour l’album (livre d’images) : le texte et les illustrations forment un tout riche et indissociable pour tous les âges. Et souvent, les illustrations « parlent » plus que le texte.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/463721/original/file-20220517-14-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="tintin sur un fauteuil avec Milou à ses pieds" src="https://images.theconversation.com/files/463721/original/file-20220517-14-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463721/original/file-20220517-14-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463721/original/file-20220517-14-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463721/original/file-20220517-14-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463721/original/file-20220517-14-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463721/original/file-20220517-14-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463721/original/file-20220517-14-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les garçons vont préférer lire des documentaires, des bandes dessinées ou des magazines, par exemple.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure>
<h2>Déroulement du projet</h2>
<p><strong>Première rencontre entre tous les participants</strong></p>
<p>Cette rencontre a normalement lieu à l’école avec la direction d’école, l’orthopédagogue (le cas échéant), l’enseignant, les parents masculins, les futurs enseignants, les fistons et les chercheures. C’est à ce moment que les questions sont posées, que les rôles de chacun sont déterminés et que les trios sont formés. Les trios masculins échangent leurs coordonnées et s’entendent de l’heure et de l’endroit (maison ou ailleurs) pour une première rencontre en trio, selon les disponibilités de chacun.</p>
<p>Il est à noter que les fistons ont comme information qu’ils ont été « choisis » pour vivre un projet de lecture avec leur papa (ou toute autre figure masculine significative).</p>
<p><strong>Rencontres des trios masculins</strong></p>
<p>Le mode de fonctionnement est libre et aucune préparation de la part du parent ni de l’enfant n’est nécessaire avant ou après les rencontres. La durée de chaque rencontre varie entre 45 minutes et deux heures.</p>
<p>Au début du projet, les trios masculins se rencontraient dans le milieu familial, toutes les deux semaines, pendant une heure ou deux, sur une période de quatre mois. Nous recommandons maintenant de réaliser le projet pendant toute l’année scolaire pour permettre une plus grande flexibilité. De plus, au départ, un minimum de trois rencontres était prévu ; nous conseillons maintenant entre 6 et 8 rencontres pour favoriser la création d’une dynamique positive et d’une relation de confiance à l’intérieur des trios.</p>
<p>Dans cette relation égalitaire, chaque membre du trio a un rôle déterminé :</p>
<ul>
<li><p>le fiston choisit ce qui sera lu – ou non – et décide comment se déroulera chacune des rencontres ;</p></li>
<li><p>le futur enseignant, en personne-ressource, apporte des œuvres jeunesse diversifiées liées aux intérêts du fiston et suit l’enfant dans ses choix de lecture ;</p></li>
<li><p>le père (ou toute autre figure masculine significative) participe à la lecture des œuvres choisies par le fiston et guide le futur enseignant pour qu’il saisisse bien les intérêts de lecture de son enfant.</p></li>
</ul>
<p><strong>Dernière rencontre entre tous les participants</strong></p>
<p>Tous les participants se retrouvent dans un restaurant, par exemple, pour ne pas que le projet soit associé au scolaire. Malheureusement, les garçons ont souvent une mauvaise perception de la lecture à cause de l’école, car ils l’associent directement à l’évaluation.</p>
<p>Pendant cette rencontre amicale, les impressions de chacun sur le projet sont recueillies. Le but est également de documenter les changements constatés chez les fistons et les améliorations possibles du projet. À ce moment, les futurs enseignants remettent aux fistons, en cadeau, des œuvres jeunesse qui font partie de leurs préférences. L’équipe de recherche remet également une attestation valorisant la participation au projet aux fistons, aux pères (ou autres figures masculines) et aux futurs enseignants.</p>
<h2>Retombées positives du projet <em>Lire avec fiston</em></h2>
<p>Le projet a été vécu au <a href="https://extranet.puq.ca/media/produits/documents/1781_9782760525467.pdf">Québec</a>, en <a href="https://journals.library.brocku.ca/brocked/index.php/home/article/view/829">Pennsylvanie</a> et en <a href="https://l-express.ca/lire-avec-fiston/">Ontario</a>. Selon les entrevues de groupe, les retombées ont été positives pour tous les membres des trios masculins.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1017030318312906752"}"></div></p>
<p>Dans un premier temps, les fistons semblent avoir développé un plus grand intérêt à lire, car ils peuvent lire ce qui les intéresse réellement. Les fistons ressentent aussi un plus grand sentiment de compétence en lecture après le projet.</p>
<p>Dans un deuxième temps, les relations père-enfant et famille-école évoluent de façon positive. Les papas (ou autre figure masculine) semblent avoir compris à quel point leur rôle de modèle de lecteur masculin pour fiston est important, qu’ils peuvent avoir une influence sur la réussite scolaire de leur enfant et qu’il est gratifiant de lire et d’interagir avec leur fiston.</p>
<p>Dans un troisième temps, les futurs enseignants ont appris à travailler avec des situations familiales diversifiées et l’importance d’établir un bon lien avec le parent. Enfin, ils ont compris la pertinence de permettre aux garçons de faire leurs propres choix en matière de lecture et l’impact d’un modèle de lecteur masculin.</p>
<p><em>Lire avec fiston</em> est donc un projet de littératie familiale simple et efficace qui pourrait être reproduit dans différents pays et différentes langues pour développer l’envie de lire chez les garçons.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182987/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Carignan a reçu du financement du CRSH Développement Savoir pour ce projet. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Annie Roy-Charland, France Beauregard, Joanie Viau et Marie-Christine Beaudry ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Lire avec fiston est un projet de littératie familiale simple et efficace qui pourrait être reproduit dans différents pays et différentes langues pour développer l’envie de lire chez les garçons.Isabelle Carignan, Ph.D., Professeure titulaire, Université TÉLUQ Annie Roy-Charland, Professeure titulaire en psychologie, Université de MonctonFrance Beauregard, Professeure associée en relation famille-école-communauté, Université de Sherbrooke Joanie Viau, Chargée d'encadrement, Université TÉLUQ Marie-Christine Beaudry, Professeure en didactique du français, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1787962022-05-19T19:28:59Z2022-05-19T19:28:59ZParler de la traite des esclaves aux enfants : « Alma », l’histoire d’un roman<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/463916/original/file-20220518-15-ttmw40.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C3687%2C2638&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Couverture d'"Alma" de Thimothée de Fombelle, illutrations de François Place </span> <span class="attribution"><span class="source">Gallimard Jeunesse</span></span></figcaption></figure><p><em>C'est en se heurtant au réel et en multipliant les expériences que chaque enfant dessine son chemin vers l'âge adulte. Mais sa personnalité et ses convictions, il les forge aussi à partir des imaginaires dans lesquels il baigne et des histoires qu'on lui raconte. Notre série « L'enfance des livres » vous invite à découvrir la complexité et l'extraordinaire diversité de la littérature de jeunesse. Après des épisodes consacrés à <a href="https://theconversation.com/cinq-auteurs-de-jeunesse-a-faire-absolument-decouvrir-aux-enfants-185235">quelques grands auteurs d'aujourd'hui</a> puis à <a href="https://theconversation.com/becassine-lheroine-qui-avait-du-mal-a-grandir-184751">une figure indémodable, Bécassine</a>, plongée dans le travail d'écriture de Timothée de Fombelle, entre histoire et fiction.</em></p>
<hr>
<p>Si l’histoire de l’esclavage a suscité plusieurs œuvres récentes – qu’on pense à <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2001-3-page-86.htm"><em>Beloved</em> de Toni Morrison</a> ou à <em>Twelve Years a Slave</em> de Steve McQueen, adapté du témoignage de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Solomon_Northup">Solomon Northup</a> –, elle demeure un sujet complexe à aborder dans la littérature pour la jeunesse.</p>
<p>Comment, en effet, introduire des enfants et des adolescents à la connaissance, hautement nécessaire, d’une période de l’histoire connue pour ses atrocités ? Comment en tirer des fictions, alors qu’on dispose par ailleurs de si peu de témoignages directs d’esclaves ?</p>
<p>C’est à ce projet que s’est attelé <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-grande-table/timothee-de-fombelle-la-lecture-c-est-du-temps-incompressible-c-est-le-dernier-temps-6388978">Timothée de Fombelle</a> avec sa trilogie <em>Alma</em>, dont les deux premiers tomes, <a href="https://www.gallimard-jeunesse.fr/9782075139106/alma.html"><em>Le Vent se lève</em></a> et <em>L’Enchanteuse</em>, sont parus chez Gallimard Jeunesse en 2020 et 2021. Né en 1973, Timothée de Fombelle est l’auteur de plusieurs succès pour la jeunesse, en particulier les romans d’aventures <a href="https://www.gallimard-jeunesse.fr/personnage/tobie-lolness.html"><em>Tobie Lolness</em></a> (2006-2007) et <em>Vango</em> (2010-2022). <em>Alma</em> puise dans l’histoire du XVIII<sup>e</sup> siècle une intrigue qui aborde le commerce des Noirs africains, déportés comme esclaves par les Européens vers les territoires américains.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Alma. Le vent se lève », présenté par Timothée de Fombelle (Librairie Mollat).</span></figcaption>
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<p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=ZMxRY9RYeQU">Invité à l’Université de Nanterre</a> au printemps 2022, dans le cadre d’une série de rencontres consacrées au XVIII<sup>e</sup> siècle dans les romans contemporains, Timothée de Fombelle est venu présenter <em>Alma</em>, exposer sa méthode de travail (ses sources, la place qu’il accorde à la documentation…) et parler du travail d’écriture du romancier confronté à un tel sujet.</p>
<p>Son récit croise les destins de nombreux personnages : captifs et marins, chasseurs et propriétaires terriens, sur fond de débats pour l’abolition. Tout commence en 1786, au sein de la vallée d’Isaya, quelque part en Afrique. Alma y coule des jours heureux avec sa famille. Lorsque son frère est fait prisonnier par des chasseurs d’esclavages, la jeune fille est prête à tout pour le retrouver, quitte à le suivre au bout du monde.</p>
<p>Elle découvrira les conditions terribles de la traversée atlantique, l’effervescence de Saint-Domingue – colonie qui ne tardera pas à être soulevée par une puissante révolte –, les injustices dans les plantations en Louisiane et le faste en sursis de la cour versaillaise.</p>
<h2>Dans le chantier de la documentation</h2>
<p>Écrire sur la traite atlantique, fût-ce pour composer un roman, suppose de se livrer au préalable à un travail de documentation. Pas seulement par fidélité historique, mais parce que l’ampleur des souffrances vécues engage l’écrivain, dans une certaine mesure, à une exigence d’exactitude, là où la réalité dépasse parfois l’imagination.</p>
<p>Comment se représenter, en effet, la place dérisoire accordée aux captifs dans les navires ? <em>Alma</em>, autour des riches illustrations de François Place, prend soin d’évoquer avec minutie les navires négriers comme le fonctionnement des plantations. Il importe de faire comprendre aux jeunes lecteurs ce <a href="https://archives.lehavre.fr/la-traite-des-noirs-et-le-commerce-triangulaire">commerce triangulaire</a>, la façon dont les armateurs convertissent « l’or invisible » en êtres humains, puis en marchandises, et de nouveau en or.</p>
<p>Pour autant, cette connaissance, nourrie par la lecture de nombreux documents, ne doit pas devenir encyclopédique. C’est par des moyens proprement romanesques que Timothée de Fombelle raconte ces vies ballottées sur trois continents. <em>Alma</em> étonne par le nombre de ses personnages, rare dans un ouvrage pour la jeunesse.</p>
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<figcaption><span class="caption">Rencontre avec Timothée de Fombelle (Bibliothèque universitaire Paris-Nanterre, 2022).</span></figcaption>
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<p>En plus de l’héroïne éponyme, on trouve Joseph Mars, un mousse français, Amélie Bassac, fille de l’armateur et propriétaire de la plantation – elle qui « peine à ouvrir les yeux sur l’immensité des drames qui vivent ces hommes et ces femmes » –, Gardel, l’infâme capitaine, ou encore Oumna, cette captive renommée Ève, dont on tente d’effacer la mémoire avec le nom…</p>
<p>Cette multitude de personnages, qui s’affiche dès la couverture du livre, permet d’évoquer tous ceux qui, directement ou indirectement, ont pris part à la traite et ainsi de la représenter dans toute sa complexité.</p>
<h2>Une traversée initiatique</h2>
<p>Alma choisit un narrateur omniscient, capable de commenter les faits en surplomb comme de s’immiscer dans les pensées des uns et des autres. L’exercice n’est pas simple. Comment parler de l’esclavage sans parler à la place de ceux qui l’ont vécu ? Signe des enjeux attachés à une telle entreprise, l’éditeur Walter Brooks, qui traduit la plupart des ouvrages de Timothée de Fombelle, <a href="https://actualitte.com/article/6899/presse/esclavage-abolition-timothee-de-fombelle-blame-pour-appropriation-culturelle">a décidé de ne pas publier</a> <em>Alma</em> en anglais.</p>
<p>Dominé par un narrateur volontiers critique, le roman donne accès aux points de vue successifs des captifs, de spectateurs extérieurs plus ou moins impliqués, parfois des esclavagistes. Joseph Mars, le mousse à qui on décrit les prisonniers entassés dans le navire, répète : « Je sais », mais « il sait bien qu’il ne sait pas vraiment ». Il lui faut assister à la longue marche des Africains emmenés dans le bateau pour prendre conscience de cette réalité.</p>
<p>Les jeunes lecteurs sont invités à réaliser le même parcours initiatique, devant la procession de ces exilés, à mesure qu’à leurs yeux s’efface « la lisière blanche de leur continent ». Moyen, sans doute, de faire sentir par la fiction à ces lecteurs, du bout de l’imagination, ce que signifiait l’esclavage.</p>
<p>Il faut parfois user de moyens détournés pour représenter le pire dans un roman pour la jeunesse. Un vieux pirate raconte comment on a coulé un navire rempli de captifs pour une raison purement administrative. Le discours rapporté montre ici sans montrer directement. De la même façon, lorsque le jeune esclave Lam s’enfuit, la possibilité d’un échec – de la punition qui l’attend – est formulée en dénarré, sous la forme d’une simple hypothèse : Lam parviendra à s’enfuir et à rejoindre les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Marronnage_(esclavage)">rebelles marrons</a>.). Le roman navigue ainsi, conscient des deux écueils que seraient la surenchère et l’édulcoration.</p>
<h2>Le sillage des Lumières</h2>
<p>C’est tout un pan de l’histoire du XVIII<sup>e</sup> siècle que donne à voir <em>Alma</em>, mais aussi de sa littérature. Derrière la voix qui déclare, dans <em>Le Vent se lève</em> : « Tout ce malheur pour un peu de café, de confiture et de chocolat à l’heure du goûter… Pour <a href="https://www.cairn.info/magazine-les-grands-dossiers-des-sciences-humaines-2011-9-page-16.htm?contenu=article">cette folie du sucre</a> qui a envahi les salons d’Europe », on entend les grands textes abolitionniste qui continuent de nourrir la mémoire collective. « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe », <a href="http://expositions.bnf.fr/montesquieu/themes/esclavage/anthologie/voltaire-candide-le-negre-du-surinam.htm">disait l’esclave mutilé</a> dans <em>Candide</em> de Voltaire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463731/original/file-20220517-26-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463731/original/file-20220517-26-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463731/original/file-20220517-26-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463731/original/file-20220517-26-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463731/original/file-20220517-26-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463731/original/file-20220517-26-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463731/original/file-20220517-26-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Scène de Paul et Virginie », de Bernardin de Saint-Pierre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Charles-Melchior Descourtis, via Wikimedia</span></span>
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<p>« On conviendra qu’il n’arrive point de barrique de sucre en Europe qui ne soit teinte de sang humain », écrivait quant à lui Helvétius dans <em>De l’esprit</em>. On retrouve aussi dans <em>Alma</em>, comme chez Bernardin de Saint-Pierre, l’opposition entre le micro-espace utopique de la vallée heureuse et le grand monde mauvais, dans lequel la traite a libre cours. On croit revoir Domingue, ce personnage de <em>Paul et Virginie</em> représenté dans de célèbres estampes et tableaux de l’époque.</p>
<p>Oui, il y a dans le roman de Timothée de Fombelle ces échos des Lumières, mais également un questionnement sur ces dernières, dans le sillage d’un courant historiographique qui insiste sur leurs ambiguïtés idéologiques. L’armateur du navire négrier a une bibliothèque impressionnante, ce qui ne l’empêche pas de s’enrichir avec la traite. Dans la propriété de Saint-Domingue que traverse l’héroïne, on trouve les ouvrages de Jean-Jacques Rousseau, grignotés par les rats – ces mêmes rats avec lesquels s’empoisonnent les esclaves réduits à les manger. Là encore, <em>Alma</em> trace sa voie entre la célébration et la critique univoques.</p>
<p>« Il est interdit de savoir ce qui n’a pas encore eu lieu », déclare malicieusement le narrateur, avant d’embrayer sur un épisode historique bien connu – le naufrage de l’expédition La Pérouse. Le second tome d’<em>Alma</em> nous laisse en 1788, à Versailles. Le curieux a une idée de ce qui l’attend, dans le tome 3, dès 1789…</p>
<p>En attendant, les jeunes (et moins jeunes) lecteurs auront, deux tomes durant, découvert dans toute leur complexité ces « vies emmêlées » par la traite négrière, dans un puissant roman d’aventures qui se concentre sur quelques années décisives de notre histoire et qui se donne pour ambition d’en incarner la mémoire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178796/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>J'ai publié chez Gallimard Jeunesse, maison d'édition de Timothée de Fombelle, et j'ai rencontré l'auteur, mais cet article a été composé indépendamment.</span></em></p>Comment introduire des adolescents à la connaissance, hautement nécessaire, d’une période de l’histoire connue pour ses atrocités ? Timothée de Fombelle s’est attelé à ce projet avec « Alma ».Audrey Faulot, Maîtresse de conférences en littérature française du XVIIIe siècle, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1754022022-04-24T20:30:15Z2022-04-24T20:30:15ZQuels sont les noms qui rayonnent dans la littérature lesbienne ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/459310/original/file-20220422-11-nsydf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=36%2C3%2C1018%2C614&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Affiche proposée pour une exposition des Archives lesbiennes de Paris, en 1984</span> <span class="attribution"><span class="source">Michèle Larrouy</span></span></figcaption></figure><p>Dans un <a href="https://theconversation.com/ce-que-font-les-lesbiennes-a-la-litterature-147800">article publié sur The Conversation</a> l’an dernier, j’évoquais la littérature lesbienne en tant qu’objet d’étude littéraire mal connu : peu étudié, difficile à cerner, en dépit de l’intérêt qu’il représente à la fois pour l’histoire de la littérature des femmes, et pour la manière dont, aux XX<sup>e</sup> et XXI<sup>e</sup> siècles, on pense la théorie littéraire.</p>
<p>L’histoire lesbienne perturbe les canons établis, les normes narratives, les codes de la langue : au-delà de son point d’ancrage social, amoureux, politique ou philosophique – selon l’angle par lequel on préfère aborder le sujet du lesbianisme – elle interroge profondément l’objet littéraire et ses définitions.</p>
<h2>Noms absents et noms cryptés, dissimulés</h2>
<p>Pourtant, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Traude_B%C3%BChrmann">Traude Bührmann</a>, écrivaine allemande correspondante à la revue <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lesbia_Magazine"><em>Lesbia Magazine</em></a> au cours des années 1980-1990, se demandait en novembre 1994 : « Quels sont les noms qui rayonnent dans la littérature lesbienne ? […] Quelle est l’importance des noms dans la littérature lesbienne ? » Car la réponse ne va pas de soi.</p>
<p>D’une part, ces noms sont trop mal connus. Il s’agit de cultures qui se propagent de bouche à oreille, de livres qui rencontrent des difficultés toutes particulières à être édités, puis diffusés et lus. L’histoire n’en est pas faite, sauf dans les cercles militants ou les milieux contre-culturels ; elle reste inaccessible à une grande majorité du public et sa diffusion a reposé longtemps sur les engagements bénévoles de quelques-unes.</p>
<p>D’autre part, les noms de la littérature lesbienne ont eux-mêmes été cryptés par une partie des autrices. Certaines d’entre elles écrivent leur œuvre ou partie de leur œuvre sous pseudonyme. L’exemple qui a le plus fait jaser les publics lesbiens (même français), au cours de la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle, est sans doute celui de Patricia Highsmith : autrice de polars à succès, elle publie sous le pseudonyme de Claire Morgan <em>The Price of Salt</em> en 1952 (d’abord traduit par <em>Les Eaux dérobées</em> par Emmanuelle de Lesseps, puis connu sous le nom de <em>Carol</em>). Les rumeurs circulent, mais la véritable identité de l’autrice n’est révélée qu’en 1990.</p>
<p>En outre, le cryptage des noms est lié à un travail romanesque caractéristique de la littérature lesbienne des années 1970 : à l’heure du Nouveau Roman et des déconstructions romanesques en particulier, « la plupart des protagonistes n’avaient pas de nom propre », rappelle Traude Bührmann.</p>
<blockquote>
<p>« Elles s’appelaient Je, parfois Tu ou Elle. Pour savoir quelle est Je ou Tu ou Elle et dans quelle histoire, je dois connaître le nom de l’écrivaine, le titre du livre, et peut-être la date ou le lieu de sa parution. Cette protagoniste n’a donc pas une vie autonome, un futur indépendant. Elle n’a pas de nom qui puisse briller librement et éternellement au ciel du cosmos lesbien. »</p>
</blockquote>
<p>Et puis, bien entendu, s’il est parfois difficile de se rappeler les noms de la culture lesbienne, c’est aussi parce qu’ils sont tus, victimes d’un double silence : celui qui marque en général l’histoire culturelle des femmes, celui qui pèse sur la reconnaissance sociale du lesbianisme. Ces dernières semaines, on a vu souvent nier la <a href="https://www.liberation.fr/societe/droits-des-femmes/mais-qui-cherche-a-rendre-rosa-bonheur-hetero-20220401_Q5GPZRJ7O5CBLLOYCZSYBFDOMI/">vie lesbienne de Rosa Bonheur</a>, dont l’œuvre est mise en avant en cette année anniversaire. <a href="https://homoromance-editions.com/actualites/deces-de-lautrice-helene-de-monferrand-les-amies-dheloise.html">Le décès d’Hélène de Monferrand</a>, le 14 février 2022, n’a rencontré presque aucun écho dans les médias, même littéraires : elle était pourtant l’une des autrices principales de la littérature lesbienne des années 1990. </p>
<p>Il a fallu attendre <a href="https://etudeswittig.hypotheses.org/937">l’inauguration du jardin Monique Wittig</a>, en septembre 2021, pour que le mot « lesbienne » figure pour la première fois sur une plaque publique en France ; en mars 2022, <a href="https://www.komitid.fr/2022/03/11/plaque-pour-suzanne-leclezio-et-a-yvonne-ziegler-la-difficile-evocation-publique-de-lhomosexualite-dun-couple-de-resistantes/">l’hommage à Suzanne Leclézio et Yvonne Ziegler</a> omet de mentionner leur homosexualité et présente la seconde comme l’« amie bénévole » [sic !] de la première.</p>
<h2>S’il faut des noms…</h2>
<p>Difficile, donc, de voir rayonner les noms de la littérature lesbienne. Dans l’article « Ce que font les lesbiennes à la littérature », un grand nombre étaient cités déjà ; ceux des autrices les mieux connues, mais à vrai dire, l’article en oubliait beaucoup d’autres.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ce-que-font-les-lesbiennes-a-la-litterature-147800">Ce que font les lesbiennes à la littérature</a>
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</em>
</p>
<hr>
<p>Même en se concentrant strictement sur l’histoire française de la littérature lesbienne (dont la définition pose problème, je renvoie sur ce point à l’article précédent et surtout, à l’ouvrage à paraître), on aurait pu citer par exemple les autrices recensées par Paula Dumont dans les quatre tomes de <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-entre_femmes_300_oeuvres_lesbiennes_resumees_et_commentees_paula_dumont-9782343054704-45899.html">son dictionnaire lesbien <em>Entre femmes</em></a>, dont les noms s’égrènent tout au long des XX<sup>e</sup> et XXI<sup>e</sup> siècles. Ou bien ceux – et il y aura de nouveau ici des oublis – de Gabrielle Reval, Jeanne Galzy, Hélène de Zuylen, Renée Dunan, Élisabeth de Clermont-Tonnerre, Célia Bertin, Juliette Cazal, Hélène Bessette, Irène Monesi, Françoise Mallet-Joris, Suzanne Allen, Nella Nobili, Rolande Aurivel, Jocelyne François, Mireille Best, Maryvonne Lapouge-Pettorelli, Danielle Charest, Geneviève Pastre, Cy Jung, Danièle Saint-Bois, Sabrina Calvo, Évelyne Rochedereux, Wendy Delorme, Ann Scott, Élodie Petit, Joëlle Sambi, plus récemment encore Pauline Gonthier, Tal Piterbraut-Merx, Jo Güstin, Alice Baylac (etc.).</p>
<p>Cela n’est rien encore si l’on ne cite pas aussi les noms de toutes celles et ceux qui, depuis des décennies, ont tâché de restituer cette histoire, de la faire vivre, de l’éditer et de la diffuser en dépit des résistances rencontrées au sein du champ littéraire. Il faut citer l’émergence des maisons d’édition lesbiennes à la fin des années 1990, l’évolution de l’édition et de la critiques spécialisées jusqu’à nos jours : les éditions Geneviève Pastre, les éditions Gaies et Lesbiennes, KTM Éditions, Homoromance, etc. Outre les noms déjà donnés, il faut citer les amorces de théorisation fournies par Marie-Jo Bonnet dans son important ouvrage <em>Les Relations amoureuses entre les femmes du XVI<sup>e</sup> siècle au XX<sup>e</sup> siècle</em> ; le travail fourni par les Archives lesbiennes, ainsi que par les revues qui ont commencé à voir le jour dans les années 1970. <em>Quand les femmes s’aiment</em>, <em>Désormais</em>, <em>Lesbia</em> et <em>Vlasta</em> surtout, en France, dont les pages ont notamment recueilli les critiques littéraires et artistiques de Catherine Gonnard, Suzette Robichon, Michèle Causse, Elisabeth Lebovici, Hélène de Monferrand, Danielle Charest, Évelyne Auvraud, Odile Baskevitch, Chantal Bigot et d’autres. Elles ont mené depuis plus de quarante ans un travail extrêmement précieux d’investigation, d’analyse et d’historicisation de la culture lesbienne – travail parfois mal reconnu lui-même.</p>
<p>Aujourd’hui ce travail de fond est relayé et approfondi par l’ensemble des plates-formes papier (<em>Jeanne Magazine</em>, <em>Panthère première</em>, <em>La Déferlante</em>), numériques (Roman Lesbien, Lesbien raisonnable, Mx Cordelia, Planète Diversité et quantité d’autres) ou radio (travail de Clémence Allezard sur France Culture notamment, Gouinement lundi, Radio parleur) qui permettent de faire connaître l’histoire des littératures lesbiennes. Impossible de citer tous les noms, tous les sites : ils foisonnent, peut-être particulièrement ces dernières années.</p>
<p>En ce qui concerne la recherche en littérature, cette profusion récente est en tout cas particulièrement flagrante, bien qu’elle ne corresponde pas encore à la reconnaissance évidente de ce sujet d’étude. Alors qu’elle est menée depuis la fin des années 1980, par des chercheuses précurseuses comme Gaële Deschamps ou bien <a href="https://www.jstor.org/stable/40620098?seq=1">Catherine Écarnot</a>, elle a longtemps peiné à s’institutionnaliser. Au-delà des thèses monographiques qui, souvent, abordent le sujet du lesbianisme en littérature, relativement peu d’articles scientifiques sont publiés en France sur cette question. On peut citer à cet égard le travail de <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02735801/document">Marta Segarra</a>, ou le travail particulièrement important mené ces derniers temps par Marie Rosier et Gabriela Cordone, principalement à propos de la scène lesbienne hispanophone : <a href="https://pufc.univ-fcomte.fr/revues/sken-graphie/scenes-queer-contemporaines.html">dans l’un des derniers numéros de la revue universitaire bisontine <em>Skén&graphie</em></a> ainsi que dans la revue <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2021-4-page-104.htm"><em>Mouvements</em></a>, elles se sont récemment attachées à analyser ce que peut signifier le lesbianisme en littérature, l’histoire de ses théorisations et les enjeux d’une recherche qui approfondisse ces questions. Enfin, on peut citer l’engouement très net de jeunes chercheur·ses pour le sujet : il semble que le <a href="https://lesjaseuses.hypotheses.org/3798">nombre de mémoires explicitement consacrés à la littérature lesbienne</a> ait énormément augmenté depuis 2020, et de plus en plus de projets se montent pour en valoriser le travail (à l’instar du <a href="https://bigtata.org/depot-electronique-de-memoires-et-theses-lgbtqia">dépôt électronique Big Tata</a>).</p>
<p>On se rend compte aussi d’un décalage entre aspirations de recherche et contenus déjà disponibles, lorsqu’on tente de réunir, à ce sujet, journées d’études ou séminaires. Un certain nombre de chercheur·ses sont engagé·e·s sur le sujet : le succès du <a href="https://www.ille.uha.fr/wp-content/uploads/2019/03/Programme-Sapphic-Vibes-%C3%A0-imprimer-final-1.pdf">colloque <em>Sapphic Vibes</em> en mars 2019</a>, organisé à l’université de Mulhouse, en est témoin. Néanmoins le sujet lesbien reste largement moins traité et moins maîtrisé, au sein de l’université, que son pendant masculin : en attestent les difficultés rencontrées par les organisateur·ices de <a href="http://www.ens-lyon.fr/formation/catalogue-de-cours/lgcg3104/2021">cours</a> ou de <a href="https://www.ens.psl.eu/agenda/seminaire-litterature-et-homosexualites/2017-05-09t140000">séminaires</a> qui souhaitent se pencher sur le sujet des rapports entre littérature et homosexualité tout en étant conscient·e·s des paramètres de genre à considérer, dont les séances comptent pourtant pour finir une bonne majorité de références masculines.</p>
<h2>Une histoire à relire, de nouvelles recherches à mener</h2>
<p>Ces listes sont longues et fastidieuses : c’est vrai. Mais elles signalent clairement, aussi, que la littérature lesbienne (française en l’occurrence) est loin de ne compter que deux ou trois noms isolés les uns des autres ; elle a une histoire longue, riche, nourrie par des dialogues entre écrivain·e·s, militant·e·s, étudiant·e·s et chercheur·ses, lecteurs et lectrices, archivistes, maisons d’éditions et libraires, depuis des dizaines d’années.</p>
<p>Nous avons tenté, dans un <a href="http://www.lecavalierbleu.com/nouveautes-a-paraitre/">ouvrage à paraître fin mai aux éditions du Cavalier bleu</a>, <em>Écrire à l’encre violette. Littératures lesbiennes en France de 1900 à nos jours</em>, de retracer cette histoire. À savoir : 80 % des droits d’auteur de l’ouvrage seront versés à la <a href="https://www.fondslesbien.org/">LIG</a>, afin de reconnaître la dimension entièrement collective de cette recherche.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459301/original/file-20220422-26-k669ku.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Aurore Turbiau, Margot Lachkar, Camille Islert, Manon Berthier, Alexandre Antolin, Écrire à l’encre violette. Littératures lesbiennes en France de 1900 à nos jours, Paris, Le Cavalier bleu, 2022.</span>
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</figure>
<p>Notre étude prend son départ en 1900 : sont alors publiées en France plusieurs œuvres ouvertement lesbiennes, après des siècles d’un silence quasi entier. Ensuite, des années folles à l’après-guerre, de l’histoire militante des années 1970 à la naissance de l’édition spécialisée après 1990, jusqu’à l’ébullition du début du XXI<sup>e</sup> siècle, ce sont des centaines de textes qui disent et théorisent leur propre existence. Ils parcourent tous les genres : récits de soi, romans de science-fiction et de fantasy, poésie, bande dessinée, expérimentation formelle, théâtre, romance et polar, littérature jeunesse, chanson.</p>
<p>Traude Bührmann disait encore, à propos des noms de la littérature lesbienne, qu’« une fois que les caractères ont des noms et des auras spécifiques, elles se représentent elles-mêmes et s’inscrivent dans la mémoire des lectrices avec leur figure et leur visage unique, leurs doigts et leur haleine. […] Des noms peuvent épeler une histoire. Des noms peuvent exprimer des idées, évoquer une vision du monde. » Nous espérons que cet ouvrage, <em>Écrire à l’encre violette</em>, contribuera à donner matière à cette mémoire fragile et malmenée, qu’il pourra participer à son tour à faire briller ces noms « au ciel du cosmos lesbien » (et littéraire, en général !).</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été relu par les co-auteurices du livre « Écrire à l’encre violette » : Margot Lachkar, Camille Islert, Manon Berthier et Alexandre Antolin.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175402/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurore Turbiau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’histoire lesbienne interroge profondément l’objet littéraire et ses définitions.Aurore Turbiau, Doctorante en littérature comparée, membre du collectif Les Jaseuses, membre de Philomel-Initiative Genre, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1568882021-09-13T17:55:03Z2021-09-13T17:55:03ZUn roman du métissage dans la Grèce antique : « Théagène et Chariclée »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/417791/original/file-20210825-27-28wrls.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C1%2C1148%2C800&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Détail du Tableau du temple des muses, M. de Marolles (1655).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.m.wikimedia.org/wiki/File:Tableaux_du_temple_des_muses_-_tirez_du_cabinet_de_feu_Mr._Fauereau,_conseiller_du_roy_en_sa_Cour_des_aydes,_and_grauez_en_tailles-douces_par_les_meilleurs_maistres_de_son_temps,_pour_representer_les_%2814586798939%29.jpg">Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>On croit en général que le genre romanesque date du Moyen-âge – c’est ce que le mot français roman semble impliquer – et la typologie des genres littéraires qui remonte à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Po%C3%A9tique_(Aristote)"><em>Poétique</em> d’Aristote</a> l’ignore totalement. Pourtant, la littérature grecque connaît quelques récits en prose, des « aventures d’amour », qui paraissent avoir connu un grand succès à la période hellénistique et sous l’empire romain. Les « Big Five » semblent s’être diffusés comme suit, avec des « noms d’auteurs » tous plus ou moins pseudonymes et une datation incertaine, contenant l’essentiel des <a href="https://brill.com/view/title/520"><em>topoi</em> romanesques</a> que l’on connaîtra plus tard dans la littérature européenne :</p>
<ul>
<li><p>Chariton, <em>Chéréas et Callirhoé</em></p></li>
<li><p>Achille Tatius, <em>Histoire de Leucippé et Clitophon</em></p></li>
<li><p>Xénophon d’Éphèse, <em>Les Éphésiaques</em></p></li>
<li><p>Longus, <em>Daphnis et Chloé</em></p></li>
<li><p>Héliodore, <em>Les Éthiopiques</em> ou <em>Théagène et Chariclée</em>.</p></li>
</ul>
<p>Le plus récent de ces textes, le plus réussi, je crois, (<em>Théagène et Chariclée</em>), doit peut-être sa célébrité <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k686959/f15.image">à Jacques Amyot</a> qui l’a traduit en français pour la première fois – sans signature – en 1547, rencontrant un immense succès dans toute l’Europe. Il est très complexe par sa composition <em>in medias res</em> (le lecteur est placé directement au milieu d’une action, les évènements qui précèdent n’étant relatés qu’après coup). </p>
<p>Il nous montre d’emblée, par les yeux d’une bande de pirates, le spectacle intrigant d’une fête qui a mal tourné sur un rivage d’Égypte, et au milieu de ce désastre une <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Abraham_Bloemaert_-_Charikleia_and_Theagenes_-_WGA02275.jpg">très belle jeune fille</a> que les pirates prennent pour une déesse. Cette jeune fille, c’est Chariclée, qui porte les attributs de la déesse Artémis et essaie de ranimer un jeune homme blessé, <a href="https://utpictura18.univ-amu.fr/GenerateurNotice.php?numnotice=B6834">Théagène</a>. Le roman qui commence ainsi va raconter leur histoire d’amour grâce à des retours en arrière dans les récits que font plusieurs des personnages, et en particulier ceux du prêtre égyptien Calasiris qui les a aidés à quitter en secret Delphes et le prêtre d’Apollon Chariclès, père adoptif de Chariclée.</p>
<h2>Une lettre mystérieuse</h2>
<p>Fille adoptive d’un prêtre grec, Chariclée ne sait rien de sa naissance, mais des oracles divins la poussent à remonter le Nil vers l’Éthiopie. Elle est tombée amoureuse de Théagène <a href="https://www.decitre.fr/livres/leurs-yeux-se-rencontrerent-9782714303066.html">d’un « coup de foudre »</a> quand elle l’a vu participer aux <a href="https://arts.mythologica.fr/artist-b/pic/bloemaert_theagene-chariclee-delphes.jpg">Jeux pythiques en l’honneur d’Apollon</a> dont elle est la prêtresse – Calasiris le raconte à la fin du livre III et au début du livre IV à un jeune Athénien, Cnémon, qu’ils ont rencontré dans leur voyage. Théagène a été frappé du mal d’amour lui aussi en recevant le <a href="https://utpictura18.univ-amu.fr/GenerateurNotice.php?numnotice=B6829">prix de la course</a> des mains de la belle prêtresse.</p>
<p>Tous les deux ont été victimes des symptômes analogues que provoque l’amour dans la poésie grecque en passant par les yeux, <a href="https://eduscol.education.fr/odysseum/sappho-poetesse-grecque-de-lesbos">depuis Sappho</a> au moins : sensations de brûlure et de froid, démangeaisons, perte du sommeil, etc. Chariclès, la croyant malade, a cherché un médecin et consulté Calasiris, lequel a favorisé secrètement la fuite des jeunes gens.</p>
<p>Au cours du voyage, Chariclée lui a montré les <a href="https://fr.wiktionary.org/wiki/%CF%83%CF%8D%CE%BC%CE%B2%CE%BF%CE%BB%CE%BF%CE%BD"><em>symbola</em></a>, objets de reconnaissance qu’elle porte précieusement avec elle, et parmi eux une bande de tissu brodée avec une inscription en hiéroglyphes qu’elle n’a jamais pu lire, mais qu’il déchiffre pour elle ; c’est une lettre écrite par sa mère, la reine d’Éthiopie Persinna, qui explique la raison pour laquelle elle a dû abandonner sa fille à la naissance : son mari, le roi Hydaspe et elle, s’unirent pendant une chaude après-midi, et pendant la conception de l’enfant, elle avait sous les yeux une peinture de la chambre royale représentant la délivrance d’Andromède par Persée, à l’origine de leur lignée. Hydaspe et Persinna étaient noirs, mais Andromède, sur la peinture, était blanche, et au moment de la naissance, la petite fille était blanche à l’image d’Andromède. </p>
<p>Persinna, craignant d’être accusée d’adultère, avait alors confié l’enfant à un prêtre éthiopien, Sisimithrès, avec les objets de reconnaissance qui permettraient plus tard de la retrouver ou de lui servir de linceul si elle venait à mourir. Ce décryptage, au livre IV, permet à Chariclée de savoir qui elle doit rechercher en <a href="http://www.cosmovisions.com/ChronoEthiopie.htm">allant vers Méroé</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/417792/original/file-20210825-13-145edey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/417792/original/file-20210825-13-145edey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=520&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/417792/original/file-20210825-13-145edey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=520&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/417792/original/file-20210825-13-145edey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=520&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/417792/original/file-20210825-13-145edey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=653&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/417792/original/file-20210825-13-145edey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=653&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/417792/original/file-20210825-13-145edey.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=653&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Détail du tableau de Kassel représentant Persinna et Hydaspe devant le tableau d’Andromède.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un bracelet d’ébène sur son bras d’ivoire</h2>
<p>Au livre X, nos héros arrivés en Éthiopie après diverses péripéties, sont prisonniers du roi Hydaspe qui veut les sacrifier aux dieux des Éthiopiens, le soleil et la lune. Ils sont déjà sur le bûcher quand Chariclée tente de se faire reconnaître de son père, en vain, jusqu’à ce qu’un prêtre âgé, qui s’avère être Sisimithrès qui l’avait recueillie des mains de sa mère à la naissance, demande de faire venir du palais royal le tableau de la délivrance d’Andromède. </p>
<p>Une fois le tableau apporté sur la scène de sacrifice et proposé aux yeux de la foule, la ressemblance frappante entre Chariclée et Andromède est constatée par tout le monde, mais Hydaspe reste incrédule. Chariclée découvre alors son bras blanc, et l’on constate qu’elle a une tache noire, formant « un bracelet d’ébène sur son bras d’ivoire ». Persinna d’abord, puis Hydaspe, reconnaissent leur fille, qui va pouvoir enfin épouser Théagène, et tous deux succèderont à Hydaspe, en interdisant le sacrifice humain pratiqué jusqu’alors…</p>
<h2>L’explication : le regard et la conception</h2>
<p>L’ébène, matériau noir, incrusté sur le blanc de l’ivoire, telle est l’image que le narrateur de la scène trouve pour décrire la tache noire sur le bras blanc de Chariclée, marque qu’elle avait à la naissance et que sa mère reconnaît comme un signe de son identité. Il pense alors aux techniques d’<a href="https://meublepeint.com/materiaux_incrustation_marqueterie.htm">incrustation de matériaux</a>, connues dès l’Antiquité. À époque récente, on connaît <a href="https://www.pinterest.fr/pin/325033298098301215/">peut-être davantage l’incrustation d’ivoire sur l’ébène</a> que l’inverse, mais l’association de ces deux matériaux, tous deux d’origine africaine, est connue. Leur valeur symbolique est ancienne. </p>
<p>En Grèce ancienne, on connaissait bien l’incrustation d’ivoire, en particulier associé à l’or dans les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sculpture_grecque_antique">statues chryséléphantines</a>, mais l’incrustation d’ivoire sur du bois se pratiquait aussi dès l’époque archaïque, comme sur le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cyps%C3%A9los">fameux coffre de Cypsélos</a>, tyran de Corinthe de la fin du VII<sup>e</sup> s. av. J.-C., objet disparu mais que nous décrit la <em>Périégèse</em> (ou <em>Description de la Grèce</em>) de Pausanias (V, 17,5). Je n’ai trouvé aucune autre mention d’association entre l’ébène et l’ivoire dans l’Antiquité mais les Grecs connaissaient le bois d’ébène depuis longtemps : son nom est attesté sous la forme ἔβενος ou ἐβένη à partir d’Hérodote suivant Pierre Chantraine, qui précise que l’ébène d’Éthiopie était réputé d’un « bois noir luisant et sans nœud » par opposition avec celui provenant de l’Inde.</p>
<p>Le texte d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%A9liodore_d%27%C3%89m%C3%A8se">Héliodore</a> attribue la couleur blanche de la peau de Chariclée au regard de sa mère sur un tableau, comme si la ressemblance s’expliquait par un spectacle vu au moment de la conception, en vertu d’une représentation qui semble remonter à la médecine hippocratique et Aristote, avec des anecdotes illustratives colportées par divers auteurs, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Galien">tel Galien</a> :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai lu dans une vieille histoire qu’un homme laid, mais riche, voulant avoir un bel enfant, en fit peindre un très beau, et qu’il recommanda à sa femme de fixer, à l’instant des caresses amoureuses, les yeux sur ce tableau : elle le fit, et dirigeant, pour ainsi dire, son esprit et toute son attention vers cet objet, elle mit au monde un enfant qui ne ressemblait point à son père mais parfaitement au modèle qui l’avait frappée. »</p>
</blockquote>
<p>Ou sous une forme moins positive le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Boaistuau">polygraphe français</a> du XVI<sup>e</sup> s. Boaistuau :</p>
<blockquote>
<p>« Hippocrate sauva une Princesse accusée d’adultère, par ce qu’elle avoit enfanté un enfant noir comme Ethiopien, son mary ayant la couleur blanche, laquelle à la suasion d’Hippocrate fut absoulte, pour le pourtraict d’un More semblable à l’enfant, lequel coustumierement estoit attaché à son lict. »</p>
</blockquote>
<p>Ces anecdotes sont rapportées avec d’autres <a href="http://www.revue-textimage.com/conferencier/01_image_repetee/berriot.pdf">par Evelyne Berriot-Salvadore</a> dans une conférence sur le pouvoir de l’imagination, montrant que l’on cherchait à expliquer ainsi, par le regard sur des images, des naissances hors du commun, voire « monstrueuses », comme « une fille entièrement velue » ou un « veau-moine » <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ambroise_Par%C3%A9">chez Ambroise Paré</a> et d’autres. Le cas de Chariclée est très proche de celui d’Hippocrate selon Boaistuau, avec inversion de la couleur de peau, mais la princesse accusée d’adultère semble proche de Persinna.</p>
<h2>Pouvoir des images</h2>
<p>La relation entre Chariclée et Andromède, de copie à modèle, est un peu plus complexe si l’on se réfère à l’histoire des images et de leur pouvoir. La description par Persinna de la manière dont son enfant a été conçue montre en effet qu’elle avait les yeux fixés sur la représentation d’Andromède, blanche de peau certes, mais aussi nue. <em>Le pouvoir des images</em> de <a href="https://www.pinterest.fr/pin/create/extension/?url=https%3A%2F%2Fwww.amazon.fr%2Fpouvoir-images-David-Freedberg%2Fdp%2F2852265125&media=https%3A%2F%2Fimages-na.ssl-images-amazon.com%2Fimages%2FI%2F41PVD23V2EL._SX342_BO1%2C204%2C203%2C200_.jpg&xm=g">David Freedberg</a> montre que dans l’histoire de l’art, la représentation de belles femmes nues produit sur les spectateurs une forme d’excitation, avec une composante sexuelle, le plus souvent masquée sous le jugement esthétique. Le premier exemple qu’il donne (p. 23 du livre) du pouvoir des images, qualifié d’invraisemblable, est justement celui de l’<em>effet Andromède</em>, sans l’approfondir. Il cite ensuite l’exemple du tyran Denys évoqué par Saint Augustin :</p>
<blockquote>
<p>« Étant difforme, il ne voulait pas engendrer d’enfants à sa ressemblance. Lorsqu’il couchait avec sa femme, il plaçait devant elle une très belle image, afin que par le désir devant cette beauté, par l’imprégnation, pour ainsi dire, elle pût effectivement la transmettre à sa progéniture. »</p>
</blockquote>
<p>Freedberg commente ensuite en disant avec un érudit du XVI<sup>e</sup> s. qu’il faut « réserver les objets lascifs aux pièces intimes […] car leur vue est propre à susciter l’excitation et l’engendrement de beaux enfants… ».</p>
<p>La lettre de Persinna évoque très indirectement le désir d’enfant du roi et d’elle-même, mais très explicitement qu’elle sentit avoir conçu, et très clairement que l’Andromède de l’image était nue. Il me semble que la page de Freedberg, en face de la <a href="https://www.visituffizi.org/artworks/venus-of-urbino-by-titian">Vénus d’Urbin</a> de Titien et de la <a href="https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-1301082026.html">Vénus de Giorgione</a> (p.22), suggère que cette image a entraîné le désir des époux. De fait, le goût des peintres et de leur public pour la représentation du beau corps nu enchaîné à son rocher paraît <a href="https://archivesdunord.com/4404-mignard-pierre-andromede-dossier-louvre.html">relever d’une excitation comparable</a>. Si la lettre de Persinna exprime de manière implicite cette forme de plaisir – que l’on appelle <em>esthétique</em> sous le couvert des bienséances –, son originalité consiste dans le fait qu’il s’agit du plaisir féminin. En somme, Chariclée, fille du regard sur un tableau, est le produit du désir amoureux de ses parents, en particulier de sa mère, désir provoqué par la vue d’Andromède nue sur un tableau.</p>
<p>Le savant helléniste britannique M. D. Reeve qui a inventé l’« Andromeda effect » dans le cadre d’une recherche sur les représentations antiques de la conception, avec le titre <em>Conception</em>, et de nombreuses références antiques et modernes, cite le parallèle de <em>Elephant Man</em>, dans la réalité <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Merrick">Joseph Merrick</a>, exhibé dans une baraque de foire, suivi en 1884 par le médecin londonien Frederick Treves, qui a publié, après sa mort en 1890,<em>The Elephant Man and other reminiscences</em> (1923). Sa malheureuse histoire a abouti à plusieurs livres et un <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=180.html">beau film de David Lynch</a>. Sa maladie est maintenant connue comme la neurofibromatose, mais en son temps, Merrick lui-même pensait que sa mère avait été piétinée par un éléphant pendant sa grossesse.</p>
<p>Chariclée, dans la fiction d’Héliodore, est donc née en quelque sorte d’une peinture. Mais on peut dire qu’après la parution de la traduction d’Amyot, elle est retournée à la peinture : le peintre <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ambroise_Dubois">Ambroise Dubois</a> a peint au début du XVII<sup>e</sup> s. une <a href="https://utpictura18.univ-amu.fr/RechercheRapide.php?q=Charicl%C3%A9e">série de fresques</a> sur Théagène et Chariclée au château de Fontainebleau suivant la chronologie de leurs amours à partir du <a href="https://www.chateaudefontainebleau.fr/collection-et-ressources/les-collections/peintures/le-cortege-des-thessaliens-et-de-chariclee-lors-du-triomphe-de-diane/"><em>Cortège des Thessaliens</em></a> et je crois que la peinture appelée <em>Allégorie de la peinture et de la sculpture</em> peut s’inspirer de Chariclée devant le tableau de la Délivrance d’Andromède. Le modèle, la <em>Délivrance d’Andromède</em>, a eu dans l’histoire de l’art un succès bien supérieur (47 notices dans le site Utpictura <a href="https://utpictura18.univ-amu.fr/GenerateurNotice.php?numnotice=A7552">avec Titien, Véronèse, Rubens, Rembrandt etc</a>).</p>
<p>Dans le <a href="http://www.stephanecompoint.com/41,,44502,fr_FR.html">château de Cheverny</a>, la Chambre du Roy est décorée par des caissons sur Persée et Andromède au plafond, par des scènes représentant Théagène et Chariclée sur les lambris, mais c’est bien difficile de préciser d’après les images trouvées en ligne si la relation est établie entre le plafond et les murs mais il y a des chances pour que le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Mosnier">peintre Jean Mosnier</a> ait consacré l’un des trente lambris à la scène qui nous importe.</p>
<p>Nicolas Mignard a lui aussi consacré une série de peintures à Théagène et Chariclée, pour l’hôtel de Fortia à Avignon, mais le thème s’est ensuite transporté aux Pays-Bas, sous influence française, avec <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Abraham_Bloemaert">Abraham Bloemaert</a> pour le prince Frederik Hendrik d’Orange (voir ci-dessus), <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gerrit_van_Honthorst">puis Gerard Honthorst</a>.</p>
<p>Selon l’historique dû à l’historien d’art Wolfgang Stechow, la dernière série d’œuvres sur ce thème se trouve au Landgrafenmuseum de Kassel (repr. p. 150, 19), attribuée sans certitude à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ferdinand_Bol">Ferdinand Bol</a>, un élève de Rembrandt, selon d’autres à Ehrenstral ou Karel Van Mander. L’une de ces images représente Persinna et Hydaspe devant le tableau d’Andromède, attachée au rocher dans une pose inconfortable, donc avant sa délivrance. On ne voit pas Chariclée mais on ne peut qu’être frappée par le contraste voulu par le peintre entre la peau claire d’Andromède et la peau noire du couple, le détail reproduit dans Hägg le montre bien, ce qui me semble faire remonter la question à l’ancêtre mythique de la famille royale : si Chariclée a pris la couleur blanche de l’Andromède du tableau, comment se fait-il que Persinna et Hydaspe, tous deux noirs soient réputés descendre d’ancêtres, Persée et Andromède, tous deux blancs ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/417795/original/file-20210825-17-1ha0b1f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/417795/original/file-20210825-17-1ha0b1f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/417795/original/file-20210825-17-1ha0b1f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/417795/original/file-20210825-17-1ha0b1f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/417795/original/file-20210825-17-1ha0b1f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/417795/original/file-20210825-17-1ha0b1f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/417795/original/file-20210825-17-1ha0b1f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vase corinthien représentant Persée, Andromède et le monstre marin Cétos. Altes Museum, Berlin.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il y a au moins une exception en histoire de l’art, une estampe d’après <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Abraham_van_Diepenbeeck">Abraham van Diepenbeeck</a> illustrant un commentaire des <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File :Tableaux_du_temple_des_muses_-_tirez_du_cabinet_de_feu_Mr._Fauereau,_conseiller_du_roy_en_sa_Cour_des_aydes,_and_grauez_en_tailles-douces_par_les_meilleurs_maistres_de_son_temps,_pour_representer_les_(14586798939).jpg"><em>Tableaux du temple des Muses</em> par M. de Marolles (1655)</a>. Tout l’édifice romanesque d’Héliodore n’est-il pas compromis alors ? Pourtant, dans l’une des plus anciennes représentations antiques, la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier :Corinthian_Vase_depicting_Perseus,_Andromeda_and_Ketos.jpg">peinture de vase</a> montre une Andromède à la peau plus blanche encore que celle de Persée…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156888/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Françoise Létoublon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aventure d’amour écrite en Grèce entre le 3ᵉ et le IVᵉ siècle, « Théagène et Chariclée » pourrait bien préfigurer le roman moderne.Françoise Létoublon, professeur (émérite) de langue et littérature grecques, spécialiste d'Homère et de la Grèce archaïque, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1671982021-09-05T16:55:10Z2021-09-05T16:55:10Z« Germinal », le destin d’un roman culte<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/419037/original/file-20210902-27-1jqk14y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=100%2C9%2C1497%2C1053&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'oeuvre de Zola reste un chef-d'oeuvre inégalé, qui continue à inspiré le cinéma et la littérature. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18702290.html">Allociné</a></span></figcaption></figure><p>Au moment où le roman de Zola, <em>Germinal</em>, est présenté au public français pour la première fois sous la forme d’une <a href="https://www.allocine.fr/series/ficheserie_gen_cserie=25257.html">minisérie télévisée en six épisodes</a> (coproduction franco-italienne bientôt sur France 2), il faut se souvenir qu’avant même d’être publié en version livre chez Charpentier en 1885, c’est en format feuilleton qu’il paraît entre le 26 novembre 1884 et le 25 février 1885 dans le quotidien <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90129825.item"><em>Gil Blas</em></a>). C’est là que les lecteurs se sont familiarisés avec les aventures de Catherine et de Lantier.</p>
<h2>Les Houilleurs de Polignies</h2>
<p>« Siècle du journal », le XIX<sup>e</sup> siècle voit fleurir au rez-de-chaussée des premières pages des quotidiens, ainsi que dans les pages intérieures des hebdomadaires et des revues, des feuilletons qui font rage parmi les amateurs, de plus en plus nombreux, de littérature populaire. Le premier d’entre eux – <em>La Comtesse de Salisbury</em> d’Alexandre Dumas – commence à paraître en 1836 <a href="https://gallica.bnf.fr/html/und/presse-et-revues/la-comtesse-de-salibury?mode=desktop">dans le quotidien <em>La Presse</em> d’Émile de Girardin</a>).</p>
<p>C’est grâce à ce type de lecture que les Français découvrent progressivement le monde de la mine, d’autant qu’ils ne peuvent plus guère ignorer l’importance économique de l’industrie minière qui, dans les années 1870, emploie quelque 110 000 personnes. Peut-être certains ont-ils lu le tout premier « roman de la mine », <a href="https://www.laporterie.com/produit/houilleurs-de-polignies-les-par-elie-berthet/"><em>Les Houilleurs de Polignies</em> d’Élie Berthet</a>)- auteur d’une centaine de romans et premier à avoir osé situer son récit dans une mine –, paru dans la « Bibliothèque variée » chez Hachette en 1866.</p>
<p>Zola, depuis 1862, est employé par cette grande maison d’édition où il est rattaché au service de la publicité nouvellement créé. Dans ce cadre, il est chargé de rédiger, pour le <em>Bulletin du libraire et de l’amateur de livres</em>, les notices des livres à paraître. En janvier 1866, la note qu’il écrit sur <em>Les Houilleurs de Poliginies est élogieuse</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Monsieur Elie Berthet sait admirablement dramatiser ses récits […], il nous fait descendre dans une mine de houille et il traite […] avec beaucoup de talent ces scènes de désespoir et d’angoisse qui se passent dans les entrailles du sol […] le livre est plein de très curieux détails sur la vie et les mœurs des houilleurs. C’est un monde particulier et étrange dont le romancier a tiré parti en conteur pittoresque et intéressant […]. La partie dramatique est habilement mêlée aux détails techniques et rien n’est plus attachant que les amours d’Amélie et de Léonard, se déroulant au milieu des péripéties des houilleurs conduits pas un coquin qui finit par expier ses crimes ».</p>
</blockquote>
<h2>Aux origines de <em>Germinal</em></h2>
<p>Près de vingt plus tard, le père des Rougon-Macquart se rend à Denain (Nord) du 23 février au 2 mars 1884, à la fosse Renard de la Compagnie des Mines d’Anzin, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fosse_Renard#/media/Fichier:Denain_-_Fosse_Renard_(C).jpg">où une grève s’est déclarée</a>). Là, en compagnie du député socialiste de Valenciennes Alfred Giard qui le fait passer pour son secrétaire, il descend au fond. Comme on peut le découvrir dans ses <em>Carnets d’enquête</em>, <a href="https://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1987_num_72_1_982_t1_0118_0000_4">publiés dans la collection Terre humaine chez Plon</a>, Émile Zola « a revêtu la chemise, la culotte, ou cule, la veste, le jupon, il a coiffé le béguin bleu et le chapeau de cuir dur, ou barrette, il est allé chercher la lampe individuelle et il est entré dans la « berline » de descente », devenant ainsi l’espace d’un jour, un mineur parmi les mineurs, risquant sa vie à leurs côtés !</p>
<p>Fort de cette expérience et de ses abondantes lectures, notamment techniques et médicales, il s’est sans aucun doute souvenu du roman de Berthet qui contenait déjà tous les topoï, tous les stéréotypes, de ce qui deviendra un quasi-genre littéraire : le « roman de la mine ».</p>
<p>Comme dans <em>Germinal</em>, et comme dans quasiment tous les autres récits de ce type, on y retrouve : une foule de travailleurs exploités, une catastrophe souterraine, un sauvetage difficile, une ducasse (fête régionale), un mouvement social. Mais aussi un groupe de personnages, souvent assez manichéens, comprenant un jeune ingénieur, un ouvrier frondeur, un patron en difficulté, une jeune fille - ouvrière ou fille du patron de la mine, selon que le feuilleton soit rose, ou noir comme <em>Germinal</em> qui se place d’emblée sur le terrain de la lutte entre le Capital et le Travail.</p>
<p>Zola est loin d’être un précurseur puisqu’entre 1866 et 1885 pas moins de dix romans et nouvelles, portant en partie ou en totalité sur la mine et les mineurs, ont été publiés. Mais, aucun d’entre eux ne provoquera une bombe éditoriale, un séisme littéraire, comparable à celui causé par le plus célèbre volet des Rougon-Macquart.</p>
<h2>Germinal, le roman des mineurs du XXᵉ siècle</h2>
<p>En moins de deux décennies la corporation des mineurs s’est approprié <em>Germinal</em>, faisant sien le roman naturaliste. En témoigne la présence d’une délégation de « gueules noires », venus de Denain vêtus de leurs habits de travail avec leur fanfare aux obsèques de l’écrivain. <a href="https://www.google.fr/search?q=mineurs+denain+obs%8Fques+Zola+paris&newwindow=1&sxsrf=AOaemvLzquXcviGmUWdG16PYH5Aa">Ils accompagneront le convoi jusqu’au cimetière de Montmartre</a>. Comme le note un journaliste de <em>L’Aurore</em> dans l’édition du 6 octobre 1902 : « Ils portent une boîte en bois blanc, dans laquelle se trouve une couronne, qu’ils viennent déposer sur la tombe de celui qui chanta leurs misères » et de la foule rassemblée au cimetière, monte des cris : « Germinal, Germinal » !</p>
<p>A l’autre bout du siècle, en 1992-1993, lors du tournage du long métrage de Claude Berri, un certain nombre d’anciens mineurs – le dernier puits dans la région ayant fermé à Oignies (Pas-de-Calais) le <a href="https://fresques.ina.fr/memoires-de-mines/fiche-media/Mineur00211/la-derniere-remontee-des-mineurs-a-la-fosse-9-9-bis-d-oignies.html">21 décembre 1990</a> – sont invités par le metteur en scène à jouer leur propre rôle. Nombre d’entre eux semblent avoir été particulièrement motivés par les scènes de protestation collective, de manifestations et de grève ! Un petit groupe de participants a même composé un texte en vers offert à l’acteur Renaud, <a href="https://www.alamyimages.fr/photo-image-germinal-germinal-etienne-lantier-renaud-m-catherine-maheu-judith-henry-legende-locale-sony-1994-52698379.html">admiré dans le rôle de Lantier</a>.</p>
<p>Notons également la création, au cours du tournage, d’une « Association des amis de Germinal et anciens mineurs », ainsi que l’augmentation du nombre d’exemplaires du roman vendus dans les librairies du nord de la France.</p>
<p>Mais l’engouement pour <em>Germinal</em> ne se limite pas aux anciens membres du « Peuple de la nuit ». Nombreuses sont les personnalités politiques de tous bords à se rendre sur le lieu du tournage. Le culte de <em>Germinal</em> atteindra même les sommets de l’État. François Mitterrand, réputé être fin connaisseur de littérature, se voit même présenter par Claude Berri le scénario de son film ! La minisérie réalisée par David Hourrègue et Julien Lilti, qui se sont autorisé quelques libertés avec le récit originel – ajoutant quelques personnages – relance à son tour l’intérêt du grand public pour cette œuvre. Mais <em>Germinal</em>, chef-d’œuvre inégalé, a-t-il toujours la même place dans l’univers mental de nombreux Français ?</p>
<h2>De la mine à l’écriture</h2>
<p>Pour les hommes du charbon, ce roman, signé par l’un des plus grands écrivains français, entré au Panthéon dès 1908, a donné à leur corporation la dignité à laquelle ils aspiraient. Certains d’entre eux – environ 70 mineurs francophones – qui se réclament de <em>Germninal</em>, ont été conduits sur le chemin de l’écriture, quasiment toujours autobiographique. Mais pour la plupart, comme pour l’écrivain-mineur belge Constant Malva (1903-1969) : « Zola a tout dit, il s’est servi magistralement de tous les éléments que la mine peut fournir pour un roman » !</p>
<p>Ce « roman-culte du fond » a, selon Henri Mitterand grand connaisseur de l’œuvre de Zola, su cristalliser « toutes les virtualités tragiques, épiques et symboliques » du monde de la mine. Si Zola n’a pas su anticiper une catastrophe aussi terrible que celle qui s’est produite à Courrières (Pas-de-Calais) le 10 mars 1906, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Catastrophe_de_Courri%C3%A8res#/media/Fichier:Courri%C3%A8res_1906_LeJ.jpg">au cours de laquelle 1099 mineurs trouvent la mort</a>, il a senti toute la violence contenue dans les bassins miniers, à son époque.</p>
<p>Sa description de la sauvage émasculation de Maigrat l’épicier qui refuse de faire crédit aux familles de mineurs affamées et révoltés paraît impensable. Pourtant dans la réalité, en 1886 à Decazeville, les houilleurs de cette cité minière défenestrent, dans une scène d’une barbarie inouïe, <a href="https://www.google.fr/search?q=watrin+defenestration&newwindow=1&sxsrf=AOaemvKIUJ8wZQAqvcbplmsqtZn5G_okWg:1630508341442&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=2ahUKEwjsp_rzhN7yAhVG1hoKHa2dCToQ_AUoAnoECAEQBA&biw=1440&bih=738#imgrc=ZjCX7Xbj5PxiwM">l’ingénieur Watrin</a>, donnant ainsi naissance à l’expression <a href="https://www.cairn.info/revue-entreprises-et-histoire-2009-2-page-149.htm">« watrinade »</a>.</p>
<p>Ce roman naturaliste, qui donné des lettres de noblesse aux « gueules noires », occupe une place à part dans la littérature française. Ses héros de chair et d’os se sont entièrement reconnus dans le portrait de leur vie, s’appropriant l’œuvre avant la mort de son auteur pour s’en réclamer, ensuite, plus d’un siècle durant.</p>
<p>Connu et reconnu dans le monde entier, <em>Germinal</em> a inspiré bien des écrivains, comme <a href="https://www.amazon.fr/Sub-Sole-Baldomero-Lillo/dp/8492491086?asin=1502743779&revisionId=&format=4&depth=1">Baldomero Lillo (1867-1923)</a>, pour ne citer que lui, qui se voulait le Zola chilien, mais également des cinéastes comme <a href="https://www.cinematheque.fr/film/47172.html">Capellani en 1903</a> et Yves Allégret en 1963, qui <a href="https://fresques.ina.fr/memoires-de-mines/fiche-media/Mineur00009/tournage-de-germinal-par-yves-allegret.html">dans son film, intitulé également <em>Germinal</em>,</a> fit jouer Claude Brasseur et Jean Sorel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167198/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Diana Cooper-Richet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour les hommes du charbon ce roman, écrit par l’un des plus grands écrivains français, entré au Panthéon dès 1908, a donné à leur corporation la dignité à laquelle ils aspiraient.Diana Cooper-Richet, Chercheur au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1646702021-08-22T16:32:42Z2021-08-22T16:32:42ZLa saga Martinez ou comment romancer la violence politique dans la France des années 1962-1970<p>Les <a href="https://benjaminstora.univ-paris13.fr/">travaux récents</a> de l’historien Benjamin Stora – commandés par l’Élysée – sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie » devraient permettre d’apporter de nouveaux éléments sur un ensemble de processus violents : la colonisation puis la décolonisation, les conflits armés et les violences militantes en France comme en Algérie. Néanmoins, la fiction peut permettre d’appréhender ces événements survenus dans la France des années 1960/1970.</p>
<p><a href="https://lis.hypotheses.org/bryan-muller-la-lutte-contre-la-subversion-marxiste-dans-les-annees-1968">J’étudie cette histoire</a> du point de vue de la violence politique et il me semble que la pause estivale est une occasion bienvenue de découvrir ces phénomènes par la fiction, notamment à travers la trilogie de romans de Maurice Attia.</p>
<p>À la fois thriller, polar et roman historique, ce récit publié en trois tomes aux éditions Actes Sud – respectivement en 2006, 2007 et 2009, sous les titres <a href="https://www.actes-sud.fr/node/10143"><em>Alger la Noire</em></a>, <a href="https://www.actes-sud.fr/node/10145"><em>Pointe Rouge</em></a> et <a href="https://www.actes-sud.fr/node/10144"><em>Paris Blues</em></a> - s’appuie sur des phénomènes bien réels de violences militantes dans la France des années 1960/1970.</p>
<p>Le roman met en scène un Barcelonais exilé durant sa tendre enfance avec sa grand-mère en Algérie française, Paco Martinez, naturalisé français.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/416566/original/file-20210817-14-1fslnfy.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416566/original/file-20210817-14-1fslnfy.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=960&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416566/original/file-20210817-14-1fslnfy.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=960&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416566/original/file-20210817-14-1fslnfy.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=960&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416566/original/file-20210817-14-1fslnfy.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1207&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416566/original/file-20210817-14-1fslnfy.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1207&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416566/original/file-20210817-14-1fslnfy.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1207&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Alger la Noire.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce dernier va être confronté à des groupuscules militants violents. Dans le premier tome, <em>Alger la Noire</em>, il se retrouve mêlé à la guerre civile qui frappe de plein fouet l’Algérie française en voie d’indépendance. Son enquête le mène sur les traces de <a href="https://www.decitre.fr/livres/voyage-au-coeur-de-l-oas-9782262034993.html">l’OAS</a> (Organisation armée secrète), groupuscule d’extrême droite voulant maintenir les départements algériens dans l’État français et <a href="https://www.cairn.info/nostalgerie--9782707185648-page-167.htm">abattre le général de Gaulle</a> – considéré comme un traître pour avoir accordé l’indépendance à l’Algérie.</p>
<p>Le second tome emmène le lecteur à Marseille, entre décembre 1967 et juin 1968. Rapatrié menant désormais ses investigations dans la cité phocéenne, Paco Martinez est cette fois confronté au SAC (Service d’action civique), service d’ordre gaulliste à la réputation sulfureuse. Le dernier tome, <em>Paris Blues</em>, nous emmène dans la capitale et en particulier à <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2008/05/29/un-reve-deux-facs_1051318_3224.html">l’université expérimentale</a> de <a href="https://www.franceculture.fr/theme/centre-universitaire-experimental-de-vincennes">Vincennes</a> aujourd’hui disparue. Paco Martinez doit infiltrer les milieux « gauchistes » (d’extrême-gauche) pour élucider le meurtre d’un militant maoïste. Il réalise sa mission en infiltrant la GP (Gauche Prolétarienne), groupuscule maoïste-spontanéiste connu à l’époque pour ses actions coups de poing.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/411749/original/file-20210718-21-1biutp2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/411749/original/file-20210718-21-1biutp2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/411749/original/file-20210718-21-1biutp2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/411749/original/file-20210718-21-1biutp2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/411749/original/file-20210718-21-1biutp2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/411749/original/file-20210718-21-1biutp2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/411749/original/file-20210718-21-1biutp2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Page de couverture Alger la noire, Pour les amateurs de bandes-dessinées</span>
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<h2>Une exploration de la violence militante</h2>
<p>À travers ces romans, le héros traverse de multiples péripéties : agressions, meurtres, vols, viols… le tout dans des lieux parfois insolites au cœur de villes célèbres – Alger, Marseille, Paris. En suivant les pérégrinations de l’inspecteur Martinez, les lecteurs découvrent des paysages anciens reproduits fidèlement et touchent de près à la notion de <a href="https://theconversation.com/dans-la-valise-des-chercheurs-lhistoire-des-violences-politiques-100559">violence militante</a>, cette forme très particulière de la violence politique où les militants s’affrontent aussi bien symboliquement (injures, discours, menaces et autres) que physiquement (agressions, bagarres générales, homicides, etc.).</p>
<p>Lors de ses missions, Paco Martinez est confronté à l’usage décomplexé de la violence politique (aussi bien physique que symbolique) de l’OAS, du SAC et de la Gauche Prolétarienne (GP). Les militants ont des personnalités et des motivations variées, peuvent être en proie au doute, pardonnent difficilement aux « traîtres » et se méfient des éléments étrangers. <a href="https://www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=6286&menu=4">La GP</a> mène des vols et réalise quelques saccages, mais elle est également la cible d’organisations hostiles – sans parler de possibles violences policières. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/30/histoire-du-sac-les-gaullistes-de-choc-portrait-des-sulfureux-grognards-de-de-gaulle_6078599_3232.html">Le SAC</a> mène des missions d’infiltration dans les rangs des « gauchistes » et vit les événements de 1968 avec appréhension. L’OAS organise des attentats aveugles et des assassinats ciblés. Face à tant de violences, les lecteurs ne peuvent que compatir pour le héros, s’attacher à certains personnages et détester ou mépriser les organisations politiques mises en lumière dans ces romans. Et c’est là que la saga connaît ses limites : superbement écrite et très immersive, elle exagère les faits jusqu’à en devenir caricaturale.</p>
<h2>Des faits à prendre avec précaution</h2>
<p>Il convient de reconnaître à l’auteur sa volonté d’être le plus crédible possible en s’appuyant sur des travaux d’universitaires et de journalistes pour construire son univers. Globalement réaliste, la saga permet aux lecteurs de se faire une idée du contexte et des mentalités de l’époque. Pourtant, les romans ne sont pas exempts d’approximations : les militants sont souvent décrits comme des brutes épaisses, certains présentent des troubles psychiatriques (on compte plusieurs psychopathes et paranoïaques), ou sont dépeints comme des criminels assoiffés de richesse et de pouvoir.</p>
<p>Maurice Attia semble s’inspirer grandement des <a href="https://www.decitre.fr/livre-pod/histoire-du-sac-service-d-action-civique-9782234056299.html">légendes noires</a> qui entourent le SAC et l’OAS. La première organisation a la réputation d’être une officine (officieuse) de barbouzards anti-OAS servant loyalement (et brutalement) le pouvoir gaulliste, n’hésitant pas à faire appel à des criminels sans foi ni loi pour atteindre leurs objectifs. Ces derniers seraient en retour couverts par les gaullistes qui veilleraient à ce que rien n’arrive à leurs hommes de main, même lorsqu’ils commettent des crimes atroces. <a href="https://www.amazon.fr/Histoire-S-C-dOmbre-Gaullisme/dp/2234056292">Tout cela est faux</a> et a été déconstruit par les chercheurs depuis longtemps.</p>
<p>Certes, des <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3328857w.texteImage">délinquants pouvaient participer</a> aux activités de ces organisations, mais ils restaient marginaux. Les services qu’ils pouvaient rendre étaient parfois récompensés par une certaine mansuétude des autorités, mais il fallait rester très discret et ne pas commettre de crime grave. <a href="https://item.univ-pau.fr/fr/activites-scientifiques/productions/cahier-d-histoire-immediate/cahier-54.html">La légende noire qui s’est construite autour de ces groupements</a> leur prête au contraire une protection sans faille pour un ensemble d’activités criminelles aussi dangereuses qu’effrayantes : corruption des agents des forces de l’ordre, trafic de drogue, tortures et assassinats d’opposants à tout va, règlements de compte entre gangsters dans l’espace public en toute impunité, etc.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/411751/original/file-20210718-15-1ormltp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/411751/original/file-20210718-15-1ormltp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=792&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/411751/original/file-20210718-15-1ormltp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=792&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/411751/original/file-20210718-15-1ormltp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=792&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/411751/original/file-20210718-15-1ormltp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=995&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/411751/original/file-20210718-15-1ormltp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=995&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/411751/original/file-20210718-15-1ormltp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=995&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le SAC est toujours présenté comme une organisation barbouzarde.</span>
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<p>De son côté, l’OAS est réputée fascisante, voire fasciste, également sans scrupule, composée uniquement de militaires et de gangsters racistes ayant des intérêts personnels à défendre dans la préservation de l’Algérie française. <a href="https://www.riveneuve.com/catalogue/verites-et-legendes-dune-oas-internationale/">Une vision là encore erronée et trop simpliste</a> : s’il est vrai que des <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01244341/document">éléments de l’OAS pouvaient être des militaires racistes</a> qui défendaient avant tout l’Algérie française dans leur propre intérêt, la plupart s’engageaient dans une <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-soldats-perdus-des-anciens-de-l-oas-racontent-vincent-quivy/9782020530934">lutte idéologique et patriotique sincère</a>. Avec l’indépendance de l’Algérie actée, les plus radicaux vont poursuivre la lutte clandestine à l’étranger. Les autres, amers, vivent en exil ou sont emprisonnés. Désirant tourner la page, le général de Gaulle signe <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-de-la-justice-2005-1-page-271.htm">plusieurs lois d’amnistie</a> dont la plus importante fut celle de juin 1968. L’été qui suit voit alors <a href="https://journals.openedition.org/criminocorpus/1777">l’autodissolution de l’organisation</a>.</p>
<h2>Un penchant pour les légendes noires</h2>
<p>L’auteur s’avère plus original dans son approche de la GP. Décriée par les contemporains pour sa fureur et ses actions spectaculaires, elle devient ici un groupuscule de jeunes idéalistes déphasés et peu violents. Les lecteurs ont droit à un traitement plus fidèle des faits, même si là encore, il y a des exagérations inattendues : la plupart des militants de la GP paraissent ridicules dans leurs attitudes, soit parce qu’ils portent une vision décalée de la société, soit parce qu’ils sont risibles dans leurs actes. Seul un personnage se détache clairement du groupe, pour tomber dans le stéréotype du militant paranoïaque souffrant de délires mystiques…</p>
<p>Malgré ce penchant de l’auteur pour les légendes noires, le monde dans lequel évolue Paco Martinez reste crédible dans son ensemble. Il serait intéressant de voir si d’autres romanciers ou romancières ont écrit des œuvres de fiction sur les violences militantes. L’actualité hexagonale regorge d’événements militants spectaculaires (voire violents). De multiples groupes à la <em>praxis</em> militante musclée existent, et certains sont connus. Les Blacks Blocs et l’ex-Génération identitaire sont les plus médiatisés ces dernières années. Les « gilets jaunes » ont également pu marquer les esprits. Des auteurs comme Maurice Attia pourraient bien transporter le lecteur dans des questions d’actualités brûlantes en le plongeant au cœur de ces univers fascinants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164670/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bryan Muller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Lire ou relire les polars historiques de Maurice Attia pour essayer de comprendre la violence politique issue des tensions entre France et Algérie dans les années 60.Bryan Muller, Doctorant en Histoire contemporaine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1559092021-03-24T19:32:49Z2021-03-24T19:32:49ZCulture vivante : le Louvre, haut lieu et personnage central dans « La Reine Margot »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/391431/original/file-20210324-17-1lmydbp.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C0%2C1739%2C1121&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Paris vu de la colonnade du Louvre, gravure ancienne, XIXè siècle. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.ebay.fr/itm/333199512899?mkevt=1&mkcid=1&mkrid=709-53476-19255-0&campid=5338722076&toolid=10001">ebay</a></span></figcaption></figure><p><em>En ces temps si troublés pour le monde culturel, les chercheuses et chercheurs en sciences sociales se mobilisent pour parler d’œuvres qu’ils aiment (littérature, théâtre, cinéma, musique…) à travers notre série d’articles « Culture vivante » : parce que la culture nourrit toutes les disciplines et qu’elle irrigue autant la réflexion académique que l’imaginaire collectif.</em></p>
<hr>
<p>Immense roman populaire <a href="https://theconversation.com/culture-vivante-la-reine-margot-ce-manifeste-feministe-sombre-et-flamboyant-155908">vivement contemporain par son féminisme</a>, <em>La Reine Margot</em> est d’une modernité certaine pour une deuxième raison : la centralité d’un personnage qui est un lieu. Ce lieu, c’est le Louvre. Attention toutefois : le Louvre de <em>La Reine Margot</em> n’est ni un décor ni une simple scène (comme il l’est en ce moment dans la série <em>Lupin</em> pour le plus grand bonheur des spectateurs contraints à l’ascétisme urbain et muséal par la Covid-19). Il y est un « haut lieu ».</p>
<p>Dans <em>La Reine Margot</em>, Dumas préfigure sans la théoriser la <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/haut-lieu-geosymbole">notion de « haut lieu »</a> que le géographe <a href="https://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1993_num_22_1_3123">Bernard Debarbieux a forgé</a> à partir du Mont-Blanc :</p>
<blockquote>
<p>« Un haut lieu a le double statut de lieu et de symbole. En tant que lieu, il est l’intersection entre un espace qui le contient et un objet dont il est l’emplacement […] En tant que symbole, il matérialise des valeurs abstraites qu’il est convenu de lui associer. »</p>
</blockquote>
<h2>Le Louvre, lieu de mémoire devenu haut lieu</h2>
<p>Rappelons brièvement en quoi le Louvre actuel est un haut lieu pour saisir comment le personnage du Louvre l’est dans <em>La Reine Margot</em> de Dumas. Le Louvre actuel est un haut lieu car, lieu parisien et français, il est devenu un emblème et une forme-sens de plusieurs valeurs qui font système : non seulement la <a href="https://histoire-image.org/fr/etudes/creation-grand-louvre">culture et le patrimoine universels</a>, mais aussi la <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/globales-mondiales-villes">ville mondiale</a> et Paris qui en est une figure elle-même mondialement reconnue ; mais encore l’historicité et le passé monarchique de toute société ; ainsi que le politique, la tradition et la modernité. Au-delà même de ses collections, cet ensemble fait du Louvre le musée par excellence. C’est pourquoi la <a href="https://www.europe1.fr/culture/cest-le-meilleur-le-louvre-reste-le-musee-le-plus-visite-au-monde-3941002">fréquentation du Louvre</a> est très internationale. En dehors des Français ou des Parisiens nombreux sont les individus de tout autre lieu du monde qui peuvent <a href="https://fr.slideshare.net/lapizmina/observatoire-des-publics-du-louvre">s’identifier au Louvre</a>.</p>
<p>Le Louvre actuel a ainsi construit une fonction symbolique qui dépasse les notoriétés de sa localisation, de sa matérialité architecturale et urbaine, de ses collections et de ses fonctions d’usage (palais royal, maison, siège du gouvernement, musée).</p>
<p>Si le Louvre des contemporains de Dumas, en 1845, n’est pas encore un haut lieu, il est déjà un lieu de mémoire, c’est-à-dire selon l’historien Pierre Nora, un objet ou un espace <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lieu_de_m%C3%A9moire#Table_des_mati%C3%A8res_des_%C2%AB_Lieux_de_m%C3%A9moire_%C2%BB">investi émotionnellement et chargé de sens par une communauté nationale</a>. C’est toujours le cas : depuis près de deux siècles, on se représente en France le Louvre comme musée pensé pour le peuple et chantier de <a href="https://www.louvre.fr/une-histoire-mondiale-du-musee">prestige et de rayonnement</a> de la France.</p>
<p>Ce musée est porteur, depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, de cette visée universelle si caractéristique de la nation française post révolutionnaire : s’adresser à tous, démocratiser l’art, <a href="https://www.cairn.info/le-louvre-abu-dhabi--9782130586708-page-45.htm?contenu=article">présenter l’art de l’humanité</a>. Dans les yeux du lecteur de Dumas, le Louvre est déjà ce célèbre musée, lieu de mémoire de la France.</p>
<h2>Le Louvre, métaphore de l’espace public et du Monde</h2>
<p>Le Louvre auquel se réfère <em>La Reine Margot</em> est ce palais royal du dernier tiers du XVI<sup>e</sup> siècle, des derniers Valois et des guerres de religion. Comme on le voit en bleu pâle et en vert sur le plan ci-dessous, ce Louvre est encore très ramassé. C’est en mobilisant cette double réalité, symbolique (le musée lieu de mémoire du XIX<sup>e</sup> siècle) et historique (le palais des rois de France), qu’Alexandre Dumas individualise le Louvre comme personnage à part entière de son roman et comme haut lieu.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391428/original/file-20210324-21-wnjuwq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391428/original/file-20210324-21-wnjuwq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=529&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391428/original/file-20210324-21-wnjuwq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=529&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391428/original/file-20210324-21-wnjuwq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=529&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391428/original/file-20210324-21-wnjuwq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=664&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391428/original/file-20210324-21-wnjuwq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=664&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391428/original/file-20210324-21-wnjuwq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=664&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p>Intuitivement, le lecteur s’attend à ce que le Louvre de Charles IX soit impénétrable. S’il est en effet gardé, on comprend progressivement que les points de contact entre l’espace du Louvre et l’espace extérieur sont plus des interfaces que des séparations. Les fameux guichets du Louvre y sont moins des verrous que des passages.</p>
<p>Venu du Béarn et face au Louvre pour la première fois de son existence, « La Mole regardait avec un saint respect ces ponts-levis, ces fenêtres étroites et ces clochetons aigus… » Quand La Mole, jeune et beau noble protestant désargenté, futur amant de la reine Margot demande : « Comment puis-je entrer au Louvre ? », de Mouy, qui en sort, lui répond : « Rien de plus facile que d’entrer au Louvre Monsieur ». Une fois dans la place, La Mole s’étonne : « On va et on vient dans ce palais comme sur une place publique ». (chapitre 5, <em>Du Louvre en particulier et de la vertu en général</em>).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391497/original/file-20210324-17-16958zg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391497/original/file-20210324-17-16958zg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391497/original/file-20210324-17-16958zg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391497/original/file-20210324-17-16958zg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391497/original/file-20210324-17-16958zg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391497/original/file-20210324-17-16958zg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391497/original/file-20210324-17-16958zg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Louvre tel qu’il était sous Henri IV quand Louis XIII reprend le chantier.</span>
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<p>Le roman installe ainsi rapidement le Louvre comme une métaphore du Monde : qui maîtrise le fonctionnement et le sens de cet espace comprend l’ensemble du roman. « Maintenant, si le lecteur est curieux de savoir […], il faut qu’il ait la complaisance de rentrer avec moi dans le vieux palais des rois […] écrit Dumas au début du chapitre 6. Dans le roman, le Louvre est l’espace public par excellence : il est ouvert à tous les personnages, de même qu’à tous les lecteurs qui se succèdent à travers le temps ; et il est le cœur de l’action.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391443/original/file-20210324-17-17wtcs6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391443/original/file-20210324-17-17wtcs6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=482&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391443/original/file-20210324-17-17wtcs6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=482&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391443/original/file-20210324-17-17wtcs6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=482&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391443/original/file-20210324-17-17wtcs6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=606&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391443/original/file-20210324-17-17wtcs6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=606&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391443/original/file-20210324-17-17wtcs6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=606&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Façade de la colonnade de Perrault au Louvre. Photographie d’Edouard Baldus, entre 1852 et 1862. Musée Carnavalet.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/facade-de-la-colonnade-de-perrault-au-louvre-1er-arrondissement-paris#infos-principales">Site du musée Carnavalet</a></span>
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<p>Dans <em>La Reine Margot</em>, les mots de passe qui soi-disant filtrent l’entrée au Louvre circulent avec une rapidité et une fluidité déconcertantes ; chaque parisien et chaque sujet du royaume de France parle du Louvre comme si ce palais était chez lui – le Louvre intimide, mais il est complètement familier. Le narrateur fait pénétrer à de multiples reprises le lecteur dans les corridors, les galeries, les salles, les multiples chambres du palais ; chaque chambre est elle-même la forme sens de l’intériorité comme du projet de société des principaux protagonistes : du roi Charles IX ; de la reine mère Catherine de Médicis ; de la reine Margot (Marguerite de Valois), leur sœur et fille ; de Henri de Navarre, époux de cette dernière et futur Henri IV ; du duc d’Alençon, frère cadet de Margot ; de La Mole.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/promenade-du-louvre-royal-a-la-concorde-republicaine-98907">Promenade du Louvre royal à la Concorde républicaine</a>
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<p>C’est dans le Louvre que se déroulent la plupart des actions du roman et que s’y prennent les décisions essentielles, dans une atmosphère et une coloration à chaque fois dédiée. Les pièces du Louvre ne sont pas des décors passifs, mais des actrices importantes du récit. Dumas <a href="https://journals.openedition.org/ress/647?lang=en#article-647">préfigure ainsi la géographie moderne</a>, voyant dans la distance entre les individus la mesure des relations et des situations sociales, et dans la spatialité la structure et les configurations qui rendent comptent de la société.</p>
<p>De la façon dont les personnages de <em>La Reine Margot</em> appréhendent les multiples dimensions du Louvre, et de leurs positions spatiales relatives les uns par rapport aux autres dans le palais, on peut déduire l’une des caractérisations de la géographie moderne ici <a href="http://journals.openedition.org/traces/4854">énoncée par Michel Lussault</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Chaque opérateur construirait donc sa propre géographie, celle qui lui permet d’agir au mieux des contextes situationnels et de ce que lui autorise sa position sociale ».</p>
</blockquote>
<p>La course éperdue de La Mole pour sauver sa vie la nuit de la Saint Barthélemy permet à elle seule cette déduction (chapitre 8 <em>Les massacrés</em>). La Mole n’a alors pénétré dans le Louvre qu’une seule fois. Sanguinolent, « comme le cerf aux abois », il parvient pourtant à y entrer et à trouver, au terme d’un parcours complexe au milieu des assassins, refuge dans les appartements de Marguerite de Valois. Ici encore le Louvre <em>est</em> la société : on y massacre, on s’y affronte, on s’y défend, on s’y cache, on s’y soigne, on y meurt – ce « Louvre, sombre, immobile, mais plein de bruits, sourds et sinistres » (chapitre 8) incarne la guerre civile. La nuit de la Saint Barthélémy, le Louvre de <em>La Reine Margot</em> est un monde complet ; pour tous les personnages, de chaque individu au roi, en maîtriser l’espace et les codes permet de tuer comme de se sauver. Le Louvre signifie l’importance qu’il y a à posséder un capital spatial pour réussir à trouver sa place dans la société et à en maîtriser les codes.</p>
<h2>Le Louvre, personnage littéraire acteur de l’urbanité</h2>
<p>On voit par là que le Louvre de Dumas et par Dumas est déjà ce haut lieu que collectivement nous fabriquons aujourd’hui. Comme dans le roman de Dumas, le Louvre actuel est pour tous le palais de chacun (dimension à laquelle n’accède aucun musée comparable comme le Prado, l’Hermitage, la National Gallery…).</p>
<p>C’est le tour de force du Grand Louvre aménagé par Pei : chaque visiteur du Louvre s’y sent aussi à l’aise que chez lui, que dans sa ville et que dans tout espace urbain rempli d’urbanité. L’architecte fait du Louvre des rues et des jardins de Paris – sous la Pyramide, cour Puget et cour Marly, le long et sur les terrasses de l’aile Denon. Il a également transformé des rues de Paris en éléments du Louvre : les <a href="https://www.louvre.fr/departments/sculptures">statues de l’aile Richelieu du Louvre</a></p>
<p>deviennent des piétons de la rue de Rivoli, tandis que les passants de la rue de Rivoli se mêlent temporairement aux statues.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391441/original/file-20210324-15-2kjizh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391441/original/file-20210324-15-2kjizh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391441/original/file-20210324-15-2kjizh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391441/original/file-20210324-15-2kjizh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391441/original/file-20210324-15-2kjizh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391441/original/file-20210324-15-2kjizh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391441/original/file-20210324-15-2kjizh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La cour Marly dans l’aile Richelieu du musée du Louvre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b7/La_cour_Marly_dans_l%27aile_Richelieu_du_mus%C3%A9e_du_Louvre.jpg"> Margotte02/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>De façon paradoxale, puisque c’est un musée du passé, visiter le Louvre, y déambuler, s’y perdre durant des heures (ce qu’on fait inévitablement, même si on n’en a pas le projet), c’est être un habitant de l’urbanité.</p>
<p>Dumas écrit tout cela alors que le Louvre est pourtant déjà devenu un gigantesque musée, et connu comme tel par ses lecteurs. Dans son roman, le Louvre est ouvert à tous vents, on y entre comme dans un moulin ou presque, <a href="https://www.ligneclaire.info/delacroix-meurisse-93686.html">c’est un lieu de vie et de la ville, et le lieu de l’héroïsme, du pouvoir, de la beauté, de l’amour, de la mort, du drame et du fantasme</a> – autant de valeurs représentées et symbolisées dans les collections du musée, que Dumas fréquentait assidûment.</p>
<p>Dans le roman, le Louvre devient un haut lieu car il est un personnage littéraire, un objet d’art qui nous donne accès à toutes ses dimensions en même temps. Seule la littérature peut réaliser un tel tour de force, surtout quand Dumas en est l’auteur.</p>
<h2>Le Louvre, haut lieu de pouvoir</h2>
<p>Le Louvre comme haut lieu l’est aussi en tant que symbole du pouvoir lui-même. Or, Dumas a fait de <em>La Reine Margot</em> un roman universel sur la nature profonde du pouvoir : un dédale, un fantasme, un désir, un oxymore, un réseau de pièces et de chambres qui canalise tant bien que mal la folie ou la névrose ordinaire d’une société. Dans <em>La Reine Margot</em>, le Louvre est l’épicentre de la Saint-Barthélémy en même temps que le dernier refuge pour échapper au massacre. Le Louvre, palais qui secrète les décisions politiques et quasi asile psychiatrique, chambre d’hôpital et cabinet de sorcellerie, prison et alcôve, théâtre du pouvoir et des dirigeants, flamboyants ou mesquins…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/theatre-du-pouvoir-la-communication-politique-a-travers-les-ages-99815">« Théâtre du pouvoir » : la communication politique à travers les âges</a>
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<p>À quinze mois de la prochaine élection présidentielle, on se rappelle le choix du Louvre fait par Emmanuel Macron le soir de son élection en 2017. De façon inconsciente ou prémonitoire, le tout nouveau président s’est inscrit dans la démonstration dumasienne.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/EWEQF7yKhRY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ce choix faisait du nouvel élu un personnage moins émancipé que romanesque, moins en surplomb et en maîtrise que cerné et enveloppé par un acteur global qui contient tous les acteurs – même les chefs d’État : le Louvre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155909/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Métaphore du monde, personnage littéraire à part entière et haut lieu de pouvoir : le Louvre de Dumas est tout cela à la fois.Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, docteur en géographie, Centre d'histoire de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1559082021-03-16T19:10:21Z2021-03-16T19:10:21ZCulture vivante : la Reine Margot, ce manifeste féministe sombre et flamboyant<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/389966/original/file-20210316-20-heywyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C1148%2C793&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Isabelle Adjani dans l'adaptation cinématographique de Patrice Chéreau (1994).</span> <span class="attribution"><span class="source">Allocine</span></span></figcaption></figure><p><em>En ces temps si troublés pour le monde culturel, les chercheuses et chercheurs en sciences sociales se mobilisent pour parler d’œuvres qu’ils aiment (littérature, théâtre, cinéma, musique…) à travers notre série d’articles « Culture vivante » : parce que la culture nourrit toutes les disciplines et qu’elle irrigue autant la réflexion académique que l’imaginaire collectif.</em></p>
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<p>Immense roman populaire, <em>La Reine Margot</em> d’Alexandre Dumas est cependant <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/12/27/de-harry-potter-a-voyage-au-bout-de-la-nuit-les-101-romans-preferes-des-lecteurs-du-monde_6024208_4355770.html">moins lu</a> que la trilogie des <em>Trois Mousquetaires</em> et l’hexalogie du <em>Comte de Monte Christo</em>.</p>
<p>Tout aussi vif, virevoltant et aiguisé, car tout autant construit par l’action que ces derniers (chez Dumas, la narration de l’action charrie tout : l’intrigue, le récit, le sens, les descriptions, les pensées, l’intériorité comme l’extériorité), il est plus sombre (l’antre de René ; les empoisonnements par Catherine), plus douloureux (le massacre de la Saint-Barthélemy que prolonge plusieurs assassinats), voire lugubre (la pendaison du cadavre de Coligny ; la torture et la décapitation subies par La Mole et Coconnas).</p>
<p>Épique et tragique, il est le roman d’une déchirure : celle de la condition féminine qu’incarne ici le personnage de la reine Margot. Cette dimension donne à ce roman historique des deux dernières années du règne de Charles IX son caractère universel et contemporain. Le sentiment qu’on éprouve de lire un roman d’une actualité et d’une modernité intense tient aussi à un fait moins immédiatement visible : le Louvre est l’autre principal personnage du livre et le principe actif du roman !</p>
<p>Voyons déjà ici comment <em>La Reine Margot</em> met en scène un personnage féministe en butte aux entraves de sa condition féminine.</p>
<h2>Une femme philosophe</h2>
<p>Dumas comme écrivain n’est pas particulièrement féministe. On trouve dans son œuvre des figures d’héroïnes de différents types dont certaines empruntent aux clichés sexistes. Si Geneviève Dixmer du <em>Chevalier de Maison Rouge</em> est déchirée entre sa cause royaliste et son amour pour un révolutionnaire, la célèbre Milady des <em>Trois Mousquetaires</em> a tous les traits de la sorcière et du cliché misogyne de la séduisante diabolique qui mérite d’être exécutée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/389834/original/file-20210316-17-glqgof.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/389834/original/file-20210316-17-glqgof.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/389834/original/file-20210316-17-glqgof.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/389834/original/file-20210316-17-glqgof.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/389834/original/file-20210316-17-glqgof.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/389834/original/file-20210316-17-glqgof.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/389834/original/file-20210316-17-glqgof.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Portrait de Marguerite de Valois, vers 1574. Anonyme.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Marguerite_de_France_(1553-1615)#/media/Fichier:Marguerite_de_Valois_vers_1574.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Le personnage de la reine Margot qui donne son titre au roman incarne lui la condition de la femme moderne confrontée au patriarcat. Dans le roman, Marguerite de Valois est une <a href="https://www.liberation.fr/debats/2019/08/29/feminisme-revenir-a-l-emancipation_1748090/">figure de l’émancipation féminine</a>.</p>
<p>Fille et sœur de rois de France, Marguerite de Valois est au cœur du premier cercle de la famille royale ; elle est socialement et économiquement privilégiée. Pourtant, on est frappé dès les premiers paragraphes du roman par la violence symbolique qui s’exerce sur la princesse. Celle-ci, âgée d’à peine vingt ans, est dans les mains de son frère Charles IX l’instrument de sa politique confessionnelle d’un pays déchiré entre catholiques et protestants : « Je prendrai moi-même Margot par la main et je la mènerai épouser votre fils en plein prêche » dit-il à la mère de Henri de Navarre, ajoutant publiquement : « En donnant ma sœur Margot à Henri de Navarre, je donne mon cœur à tous les protestants du royaume. » (chapitre 1)</p>
<p>Pour introduire son personnage auprès des lecteurs, le narrateur choisit de la nommer « Mme Marguerite de Valois », la posant d’entrée de jeu comme un individu autonome à part entière. Quelques pages plus loin, on comprend que ce statut est en butte à une situation dans laquelle cette autonomie est structurellement contestée : le roi signifie à sa sœur comme à tous la subordination et la condition d’objet dans laquelle il la tient en la réduisant à sa chose, en privé comme en public, par l’emploi constant du diminutif « Margot ».</p>
<p>« La Reine Margot » désigne la féminité en tant qu’elle est assignée à un rôle social et politique dans le mépris de l’individualité de la personne « Marguerite de Valois ». Loin d’être un cas particulier, le personnage de ce roman prend une valeur exemplaire et universelle dans la France et l’Europe de 1845 marquées par le désenchantement des promesses émancipatrices des Révolutions. Si la fille de la famille la plus puissante et la plus favorisée de France vit en mineure perpétuelle sous le joug du pouvoir patriarcal, c’est donc le cas de toutes les femmes du pays.</p>
<p>De fait, la condition de Princesse est très contrainte et Marguerite de Valois ne s’appartient pas : fille de France, Margot se doit d’être belle, attirante, agréable ; il est exigé d’elle qu’elle symbolise l’éclat de la couronne et de l’État. « Cette fiancée menée par son frère Charles IX, c’était la fille de Henri II, c’était la perle de la couronne de France, c’était Marguerite de Valois » (chapitre 1).</p>
<p>Toutefois, tout au long du roman, la reine Margot ne cesse de combattre pour conquérir son espace et son autonomie ; elle retourne comme une arme cette assignation à l’ornement et à l’allégorie : « Marguerite était non seulement la plus belle, mais encore la plus lettrée des femmes de son temps […] ». Elle apprend, se cultive, étudie avec force et passion, jusqu’à devenir une femme de lettres et une philosophe qui utilise son savoir pour imposer en latin et en grec le respect de la France aux ambassadeurs des rois européens qu’elle reçoit ès qualités tout en délivrant un message politique codé au bras droit de Henri de Navarre présent dans la salle (chapitre 43, <em>Les ambassadeurs</em>).</p>
<p>Elle utilise aussi ce savoir pour imposer le respect aux hommes – en particulier à ceux qui pensent avoir des droits sur elle, comme d’Alençon son jeune frère, ou le fougueux Henri de Guise, chef parisien du parti catholique et bientôt dirigeant de la Saint-Barthélemy.</p>
<p>Ce dernier est son amant ; d’emblée, la relation de Marguerite avec Henri de Guise avec qui elle communique en latin le jour de son mariage pour le cadrer et lui donner rendez-vous la nuit même de ses noces symbolise la liberté amoureuse qui caractérise Marguerite. On peut bien la forcer à se marier, elle se donne très tôt les moyens de mener en femme libre sa vie sentimentale et sexuelle.</p>
<p>Cette dernière est pourtant un terrible combat. Avant d’être mariée de force à un homme qu’elle ne désire ni ne connaît, elle a été dans son adolescence la proie sexuelle de sa fratrie. Lorsque Dumas compare Margot au « cœur » de Charles IX, il rappelle « quelques sourds scandales, dont la chronique de la cour avait déjà trouvé moyen de souiller la robe nuptiale de Marguerite de Valois ».</p>
<p>Dans son adaptation cinématographique du roman, Patrice Chéreau fit le choix d’expliciter cette évocation <a href="https://journals.openedition.org/doublejeu/871">par une scène de viol collectif de Marguerite par ses frères</a>.</p>
<h2>Une femme libre en amour</h2>
<p>Refusant de se cantonner à la fonction d’instrument politique que veut lui imposer sa mère la reine Catherine de Médecis, Margot se bat donc avec énergie pour vivre librement sa vie de femme amoureuse. Sa passion et sa liaison romantiques (en écho à la peinture de Delacroix à laquelle Dumas s’intéressa tant) pour et avec le comte de La Mole, un noble protestant désargenté monté à Paris pour le mariage et se mettre au service d’Henri de Navarre, est l’un des ressorts narratifs du roman de Dumas. Les personnages de Margot et de sa meilleure amie, Henriette de Nevers, entretiennent ainsi les lecteurs de leurs goûts amoureux et érotiques.</p>
<p>Ensemble, elles s’éprennent de deux jeunes hommes de leur âge devenus inséparables après s’être affrontés à l’épée, l’un et l’autre chevaleresques, La Mole donc, et Coconnas, un provençal catholique au sang chaud, qu’elles rencontrent nuitamment lors de forces courses poursuites semées d’embûches dans des lieux pittoresques de Paris – dont la chambre de Marguerite au Louvre.</p>
<p>C’est avec la même énergie que Marguerite cherche à tirer un parti politique et pour sa vie professionnelle de l’instrumentalisation dont elle est l’objet par sa mère et son frère. Sa mère Catherine de Médicis et son frère, le roi Charles IX, lui imposent-ils d’épouser Henri de Navarre, figure des protestants (et futur Henri IV) ? Marguerite n’est pas dupe longtemps : si la célébration en grande pompe de ce mariage à l’été 1572 scelle la pacification du royaume, elle permet surtout de rassembler le plus de protestants possible et tous leurs chefs à Paris pour quelques jours afin, sans doute, de <a href="https://www.lhistoire.fr/rebondissement-sur-la-saint-barth%C3%A9lemy">réaliser le sombre projet de décapitation du parti protestant</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/389835/original/file-20210316-15-p03i5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/389835/original/file-20210316-15-p03i5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=808&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/389835/original/file-20210316-15-p03i5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=808&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/389835/original/file-20210316-15-p03i5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=808&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/389835/original/file-20210316-15-p03i5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/389835/original/file-20210316-15-p03i5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/389835/original/file-20210316-15-p03i5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Scène de massacre de la Saint-Barthélemy, dans l’appartement de la reine de Navarre. Huile sur toile d’Alexandre-Évariste Fragonard, Paris, musée du Louvre, 1836.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Reine_Margot#/media/Fichier:Alexandre-%C3%89variste_Fragonard_-_Sc%C3%A8ne_du_massacre_de_la_Saint-Barth%C3%A9l%C3%A9my_(1836).jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Avant même le massacre de la Saint-Barthélemy durant lequel elle sauve la vie de Henri de Navarre, Marguerite s’entend avec son époux : elle passe avec lui un pacte rationnel. Celui-ci inclut pour chacune des deux parties la liberté de vivre sa vie sentimentale tout en donnant le change par des mensonges, des mises en scène et des artifices élaborés à deux. Le pacte porte aussi sur l’intérêt commun bien compris des deux jeunes têtes couronnées. Henri n’avait pas plus que Marguerite eu le choix de ce mariage dont il redoute les conséquences. En étant loyaux l’un à l’autre, Henri et Marguerite espèrent chacun finir par occuper une position de pouvoir. </p>
<p>Au risque d’être quittée par son amant, Marguerite prend ainsi le parti de mécontenter le duc de Guise qui est aussi le chef du parti catholique : « Monsieur, je puis ne pas aimer mon mari, mais personne n’a le droit d’exiger de moi que je le trahisse ». (chapitre 2, <em>La chambre de la reine de Navarre</em>). Un peu plus tard, Marguerite refuse de consentir au divorce que veut lui imposer la reine mère Catherine quand cette dernière veut se débarrasser de Henri dont elle craint qu’il ne finisse par accéder au trône de France en lieu et place de ses fils.</p>
<h2>Une femme politique</h2>
<p>Margot est enfin une femme qui travaille. Elle ne travaille pas pour subvenir à son existence, bien sûr. Son activité est celle d’une femme politique – en l’occurence épouse de roi, sœur de roi, fille de reine : un sacré job, surtout en temps troublés de guerres de religion.</p>
<p>L’activité professionnelle de la reine Margot occupe une place certaine du récit de Dumas, ce qui la distingue d’autres personnages féminins caractérisés par une seule dimension (Madame de Sauve incarne la femme-objet d’une passion amoureuse, celle d’Henri de Navarre ; Henriette de Nevers figure la confidente, l’amitié sororale et la gémellité). Catherine la reine mère est le sombre double de Margot la fille reine. Non seulement Catherine travaille à plein temps à l’exercice du pouvoir politique, mais elle exerce ce pouvoir pour assurer par elle-même le système de domination patriarcale, duquel sa fille ainsi que ses fils cherchent à s’émanciper.</p>
<p>Cette énergie et cette intelligence que déploie l’admirable Margot pour son autonomie ne mènent pas à la victoire, loin de là ! La Mole, son amant, est condamné à la question puis à la mort par sa mère et son frère. Dans un geste romantique qui résonne avec le <em>Radeau de la Méduse</em> de Géricault comme avec <em>La mort de Sardanapale</em> et <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/MERCURE-DE-FRANCE/Le-Petit-Mercure/Delacroix"><em>Scènes de massacres de Scio</em></a> de Delacroix, la reine de Navarre et la duchesse de Nevers de Dumas s’emparent des têtes des cadavres de leurs amants respectifs exécutés pour les transporter et les chérir dans les cabinets de leurs appartements.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/389832/original/file-20210316-15-u82927.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/389832/original/file-20210316-15-u82927.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/389832/original/file-20210316-15-u82927.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/389832/original/file-20210316-15-u82927.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/389832/original/file-20210316-15-u82927.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/389832/original/file-20210316-15-u82927.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/389832/original/file-20210316-15-u82927.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Eugène Delacroix, La Mort de Sardanapale.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Delacroix_-_La_Mort_de_Sardanapale_(1827).jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>« Marguerite donna l’exemple. Elle enferma dans un sac brodé de perles et parfumé des plus fines essences la tête de La Mole, plus belle encore depuis qu’elle se rapprochait du velours et de l’or, et à laquelle une préparation particulière, employée à cette époque dans les embaumements royaux, devait conserver sa beauté », écrit Dumas non sans écho à Mathilde et la tête de Julien dans <em>Le Rouge et le Noir</em> de Stendhal paru quinze ans plus tôt (chapitre 61).</p>
<p>De façon récurrente dans le roman, Marguerite doit vivre dans la peur des assauts incestueux de ses frères, en particulier du plus jeune d’entre eux, François, duc d’Alençon, aimanté par sa sœur, jaloux des hommes qui l’entourent et qui intrigue pour les en éloigner. L'historique Marguerite de Valois, <a href="http://www.elianeviennot.fr/Marguerite-vie.html">nous précise Eliane Viennot</a>, passe, après la mort de Henri IV, ses dix dernières années à Paris, de retour d'un long exil en Auvergne à l'écart des affaires du royaume. La Reine Margot de Dumas finit comme une simple enveloppe, une pure forme, une silhouette dont la vie se serait retirée : elle n’est plus que le rôle qu’on tient à lui faire jouer : « Plus pâle et plus belle que jamais, la reine entra vers dix heures du soir dans la grande salle du bal, la même où nous avons vu, il y a bientôt deux ans, s’ouvrir le premier chapitre de cette histoire. […] ».</p>
<p>Charles l’accueille et lui dit tout bas : « Prenez garde, vous avez au bras une tache de sang. Ah, qu’importe, Sire, dit Marguerite, pourvu que j’aie le sourire sur les lèvres ! » (chapitre 61).</p>
<p>Sur cette spectrale et mélancolique apparition, Margot disparaît tout à fait du roman qui porte son nom. Les cinq derniers chapitres voient mourir Charles IX et fuir sans gloire ni succès un Henri de Navarre oublieux de son pacte avec Marguerite.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/389837/original/file-20210316-13-1hotkvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/389837/original/file-20210316-13-1hotkvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/389837/original/file-20210316-13-1hotkvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=791&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/389837/original/file-20210316-13-1hotkvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=791&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/389837/original/file-20210316-13-1hotkvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=791&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/389837/original/file-20210316-13-1hotkvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=994&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/389837/original/file-20210316-13-1hotkvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=994&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/389837/original/file-20210316-13-1hotkvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=994&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Alexander Dumas père par Nadar, en 1855.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Dumas#/media/Fichier:Alexander_Dumas_p%C3%A8re_par_Nadar_-_Google_Art_Project.jpg">Google Arts/Wikimedia</a></span>
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<p>L’émancipation reste donc un combat difficile et une défaite – jusqu’à preuve du contraire. Dumas/Margot en coche toutes les cases : au final, la geste de l’héroïne n’est étincelante que pour dire combien la femme monnaie d’échange l’emporte sur la femme qui met tant d’énergie à travailler son intelligence ; combien la femme dominée triomphe de la femme émancipée ; combien la femme harcelée et sexuellement objectivée supplante la femme autrice et sujet de sa vie amoureuse et sexuelle ; combien la femme en prise à l’inceste et au joug du patriarcat (pour partie ici incarné par sa propre mère) étouffe la projection dans l’avenir d’une jeune femme autonome voulant mener carrière.</p>
<p>Sous couvert d’écrire un roman de princesses avec une super héroïne qui fait rêver les filles et tomber amoureux les garçons, Dumas écrit un manifeste féministe flamboyant et sombre, épique et atroce. Le combat pour l’émancipation du personnage de Margot a tous les traits de la femme moderne et émancipée. Si la modernité, l’énergie et l’autonomie de Margot finissent battues en brèche, c'est que le roman est dans son époque : la Restauration et de la Monarchie de Juillet sont celle des promesses de liberté et d’émancipation confisquées et non tenues. En ce début de XXI<sup>e</sup> siècle, la modernité du personnage de la reine Margot sonne juste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155908/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Épique et tragique, « La Reine Margot » est le roman d’une déchirure : celle de la condition féminine qu’incarne ici le personnage de la Reine Margot.Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1521562020-12-22T18:22:46Z2020-12-22T18:22:46ZRelire Harry Potter en confinement donne un nouveau sens aux aventures du jeune sorcier<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376286/original/file-20201221-17-16ibjly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=54%2C27%2C4530%2C3031&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les aventures d'Harry Potter, surtout celles du tome 7 (Les reliques de la mort), prennent une nouvelle signification quand on les relit pendant la pandémie actuelle de Covid-19.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La franchise à succès Harry Potter n’aura pas connu sa meilleure année en 2020. Les <a href="https://www.lesoleil.com/arts/livres/jk-rowling-fait-face-a-des-critiques-pour-ses-propos-sur-les-transgenres-da3040a649ef4543ae0a955ef2f09b67">commentaires transphobes de J.K. Rowling ont eu des retombées négatives</a> de même que le <a href="https://www.lesoleil.com/arts/animaux-fantastiques-3-mads-mikkelsen-prend-le-relais-de-johnny-depp-dd67888b1366b0d1d00b04f363be607f">remplacement de Johnny Depp</a>, de la saga <em>Animaux fantastiques</em>, à la suite de ses déboires avec la justice.</p>
<p>Bien sûr, 2020 n’aura pas été la meilleure année pour personne en raison des consignes sanitaires imposées pour contrer la pandémie de Covid-19. Que cette série si chère au cœur d’une génération de lecteurs soit soudainement montrée du doigt au moment même où la population mondiale est confinée est tout à fait fortuit. Mais les ressemblances entre la situation actuelle et certaines intrigues de l’histoire du jeune sorcier n’en sont pas moins intéressantes.</p>
<p>Les intrigues des six premiers livres de la série Harry Potter se déroulaient à <a href="https://harrypotter.fandom.com/wiki/Hogwarts_School_of_Witchcraft_and_Wizardry">l’école de sorcellerie et de magie de Poudlard</a>, un internat enchanté où règnent le danger, le mystère et la magie. Mais dans le septième livre, <em>Harry Potter et les Reliques de la Mort</em>, l’auteure a choisi de sortir Harry, Hermione et (parfois) Ron de leur cadre habituel, les coupant de leur routine quotidienne. Ils souffrent alors de solitude, du manque de ressources, de claustrophobie, de frustration et le nouvel ordre mondial auquel ils font face est terrifiant.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HgZZsnleZJQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La bande annonce de Harry Potter et les Reliques de la Mort – Partie 1.</span></figcaption>
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<h2>Transformer les symboles</h2>
<p>En rétrospective, pour qui la relirait aujourd’hui, cette histoire publiée en 2007 présente d’étonnantes similitudes avec l’année 2020 – dont elle a tout, sauf les masques chirurgicaux.</p>
<p>Ces ressemblances peuvent sembler anecdotiques, mais elles renvoient à certaines théories littéraires, notamment à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Mots_et_les_Choses">théorie de l’épistémè</a> du philosophe français Michel Foucault, au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/N%C3%A9o-historicisme">néo-historicisme</a> de l’historien littéraire américain Stephen Greenblatt et à la <a href="https://www.routledge.com/Multimodality-A-Social-Semiotic-Approach-to-Contemporary-Communication/Kress/p/book/9780415320610">théorie des ressources sémiotiques</a> du sémioticien britannique Gunther Kress. Ces auteurs soulignent tous (d’une manière ou d’une autre) que le sens d’un texte dépend du contexte culturel qui l’entoure.</p>
<p>Le monde a changé et la signification culturelle de Harry Potter a changé avec lui.</p>
<p>Dans une société marquée par une pandémie, des phrases comme celle-ci : « L’immensité pure et sans couleur du ciel s’était étendue au-dessus de lui, indifférente à lui et à sa douleur », prennent une nouvelle dimension. Nous pouvons mieux nous identifier à Harry et comprendre son sentiment d’isolement et son anxiété. Les étudiants en 2020 sont particulièrement bien placés pour comprendre la détresse psychologique ressentie par le jeune sorcier du fait d’être coupé de sa vie à Poudlard.</p>
<p>L’interruption de son éducation, de son adolescence et de son cheminement vers le monde des adultes n’est que trop bien connue du collégien d’aujourd’hui, qui ne s’attendait certainement pas à ce que ses études soient bouleversées par un virus, pas plus que Harry aurait pu s’attendre à perdre sa dernière année à Poudlard à cause d’un coup d’État de Voldemort.</p>
<p>À la lumière de notre propre isolement, nous pouvons encore mieux comprendre et ressentir également chacune des victoires de Harry comme sa joie de retourner à Poudlard, de renverser Voldemort ou encore la profondeur de son amitié avec Hermione qui l’a soutenu dans les moments les plus difficiles.</p>
<h2>La littérature revisitée</h2>
<p>Ce phénomène n’est pas nouveau. Prenez par exemple le livre <em>La Ferme des animaux</em>, de George Orwell, un traité sur les dangers du communisme, et le roman <em>1984</em>, une mise en garde contre la surveillance gouvernementale et le totalitarisme. Au plus fort de la guerre froide, <em>La Ferme des animaux</em> critiquait vertement l’hypocrisie des régimes communistes, une critique qui trouvait un écho auprès d’un public occidental confronté à la soi-disant <a href="https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/desautels-le-dimanche/segments/entrevue/157050/livre-la-peur-rouge-histoire-de-l-anticommunisme-au-quebec-1917-1960-hugues-theoret">« peur rouge »</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376223/original/file-20201221-57963-16exzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376223/original/file-20201221-57963-16exzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376223/original/file-20201221-57963-16exzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376223/original/file-20201221-57963-16exzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376223/original/file-20201221-57963-16exzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376223/original/file-20201221-57963-16exzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376223/original/file-20201221-57963-16exzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le roman de George Orwell 1984 continue de prendre de l’importance, même si son contexte original n’est pas familier aux lecteurs contemporains.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Le potentiel immersif du roman <em>La Ferme des animaux</em>, qui se lit davantage comme une fable animalière pour un public peu connaissant de l’ex-URSS, s’est évanoui avec la fin de la guerre froide. Quant à <em>1984</em>, le livre a connu un regain de popularité pendant la présidence de George W. Bush avec <a href="https://www.msnbc.com/thomas-roberts/trending-fears-orwellian-society-msna60352">l’adoption du Patriot Act et les initiatives de surveillance qu’il contenait</a>.</p>
<p>Le fait est que la longévité d’une histoire et l’héritage de son auteur sont profondément dépendants du contexte historique. Et comme l’auteur ne peut pas prévoir l’avenir, nous devons reconnaître le rôle du hasard en tant que « coauteur » de certains des ouvrages les plus aimés. Même Shakespeare lui-même a eu sa part d’<a href="https://www.bbc.com/culture/article/20140422-shakespeare-the-worlds-writer">heureuses coïncidences</a>.</p>
<p>La relecture d’Harry Potter relèverait-elle du même phénomène littéraire ? Les œuvres de Shakespeare et d’Orwell acquièrent toutes deux de nouvelles significations au fur et à mesure que les temps changent, tout comme l’œuvre de J.K. Rowling témoigne d’un monde fictif et hors du temps, mais à la fois dynamique et engageant.</p>
<p>La perception du parcours de Harry Potter par chaque génération d’amateurs change et continuera de changer au rythme du monde qui nous entoure. L’idée selon laquelle les textes sont des entités immuables est une illusion.</p>
<p>C’est comme si Harry Potter avait été touché lui aussi par la pandémie et en avait été changé comme nous tous. Coincés à la maison, nous pouvons voir cette occasion comme un bon prétexte pour revisiter une œuvre autrefois aimée et la voir sous un nouveau jour.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152156/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>J. Andrew Deman ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Relire Harry Potter pendant la pandémie, c’est trouver de nouvelles façons de s’identifier aux personnages, surtout dans le septième livre, alors qu’Harry se retrouve confronté à l’isolement.J. Andrew Deman, Professor of English, University of WaterlooLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1480162020-11-26T20:02:58Z2020-11-26T20:02:58ZLectures : La comtesse de Ségur ou la petite fabrique du genre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/370336/original/file-20201119-22-peob3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1597%2C1065&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les livres de la Comtesse de Ségur encouragent-ils les petites filles à rester sages comme des images ? (Adaptation des "Malheurs de Sophie" par Christophe Honoré, en 2016).</span> <span class="attribution"><span class="source">Copyright Jean-Louis Fernandez / LFP- Les Films Pelléas - Gaumont - France 3</span></span></figcaption></figure><p>Les romans de la comtesse de Ségur et plus particulièrement la célèbre trilogie, <em>Les malheurs de Sophie</em>, <em>Les petites filles modèles</em>, <em>Les vacances</em>, publiée en 1858 et 1859, ne sont pas tombés dans l’oubli – comme tant d’autres. Régulièrement, à l’occasion d’une réédition, ces textes « font peau neuve ». Ainsi début 2020, les éditions Hachette ont-elles proposé dans la fameuse <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Biblioth%C3%A8que_rose">Bibliothèque Rose</a> un coffret des trois œuvres cultes relookées par l’illustratrice Margaux Motin.</p>
<p>Que nous racontent donc ces textes qui bénéficient de toute l’attention des éditeurs ? Que nous disent ces récits que nombre de lectrices et de lecteurs se passent de génération en génération avec gourmandise ?</p>
<p>Ce sont tout bonnement des histoires de petites « Sophie » et de petits « Paul » qui s’amusent et font des bêtises, répondra-t-on. Mais, à y regarder de plus près, on découvre assez vite que ces romans nous racontent des <a href="http://presses.univ-lyon2.fr/produit.php?id_produit=413&id_collection=43">histoires… d’éducation</a>. Ils nous racontent comment on éduque les petites filles, bien sûr, mais les petits garçons aussi. Ils nous signifient en quelque façon comment le rôle féminin ou masculin de chacune et de chacun s’apprend. Autrement dit, comment se construit l’identité de genre.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/370341/original/file-20201119-21-1dxp9p6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/370341/original/file-20201119-21-1dxp9p6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/370341/original/file-20201119-21-1dxp9p6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/370341/original/file-20201119-21-1dxp9p6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=302&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/370341/original/file-20201119-21-1dxp9p6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=379&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/370341/original/file-20201119-21-1dxp9p6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=379&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/370341/original/file-20201119-21-1dxp9p6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=379&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La Bibliothèque Rose, nouvelles éditions illustrées par Margaux Motin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Hachette Livre</span></span>
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<p>Pour répondre à cette question, nous allons privilégier trois aventures qui reviennent systématiquement dans chacun de nos romans, trois épisodes forestiers où filles et garçons vont devoir <a href="https://www.canal-u.tv/video/campus_condorcet_paris_aubervilliers/l_invisible_initiation_devenir_filles_et_garcons_dans_les_societes_rurales_d_europe.17599">se comporter</a> comme il se doit.</p>
<h2>La forêt, lieu interdit ?</h2>
<p>Ces trois aventures se déroulent dans un même lieu : la forêt toute proche qui jouxte le château et le parc qui l’entoure. La forêt est un espace ouvert. C’est exactement le double inversé du parc qui lui est un lieu clôturé et domestiqué, un lieu familier et familial où l’on cultive des fruits délicieux, où le regard protecteur des mères et des domestiques veille sur la pièce d’eau comme sur la mare du potager. Alors que la forêt est habitée par des bêtes sauvages, et semée de bûches et d’embûches. Il ne faut pas s’éloigner du chemin. On y voit bel et bien des loups « aux yeux brillants et féroces » et « à la gueule ouverte » dans <em>Les malheurs de Sophie</em>.</p>
<p>C’est pourquoi, pour les petites filles, la forêt est une zone dangereuse. Elle leur est d’ailleurs en principe interdite un peu comme dans les contes de fées. Elles ne sauraient s’y aventurer qu’à leurs risques et périls. Comme <em>Le Petit Chaperon rouge</em>… Cet héritage littéraire est d’autant moins surprenant que la comtesse de Ségur a commencé sa carrière d’écrivaine en publiant un premier livre intitulé <em>Les nouveaux contes de fées</em>.</p>
<p>Les trois récits suggèrent eux-mêmes ce détour par la forêt des contes. On se souvient du <em>Petit Poucet</em> quand madame de Réan, la maman de Sophie, l’avertit qu’elle marche vite et lui demande de « ne pas se mettre en arrière ». On pense en effet au <em>Petit Chaperon rouge</em> quand un peu plus tard, Sophie risque de se faire manger par le loup, tout occupée qu’elle est à cueillir des fraises à l’écart du chemin.</p>
<p>La forêt, dans les romans de la comtesse comme dans les contes d’autrefois met toujours les fillettes en danger… en danger de mort. Et pourtant, alors que les mamans les ont mis en garde, elles y retournent irrésistiblement…</p>
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<span class="caption">Sophie et les loups.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Illustration de Castelli, Hachette, 1958</span></span>
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<p>L’appel de la forêt commence très tôt. À peine âgée de 4 ans, la petite Sophie en fait la première expérience – cruelle. On s’en souvient peut-être. Le lendemain de son anniversaire, sa maman la juge assez grande pour la suivre lors de ses grandes promenades du soir dans les bois. Mais Sophie est si gourmande et les fraises si appétissantes ! Elle voudrait bien entraîner son cousin Paul avec elle. Et devant son refus, elle le traite de poltron !</p>
<p>Voilà bien notre Sophie qui veut faire le garçon en se dotant du courage des aventuriers réservé au masculin. La frayeur sera à la mesure de sa méprise : elle sentira les crocs du loup s’enfoncer dans ses jupons et échappera de justesse au pire. Bien évidemment de retour au château, tout le monde « blâma Sophie de sa désobéissance ».</p>
<p>Dans <em>Les petites filles modèles</em>, Sophie a bientôt 8 ans et cette fois elle veut secourir une pauvre petite vieille qui vit dans une maisonnette – « en sortant de la forêt ». Elle décide d’y aller sans l’aide de personne. Néanmoins, elle parvient à convaincre la petite Marguerite de l’accompagner, l’accusant d’avoir peur « que le loup ne (la) croque ! » Les deux fillettes vont se perdre, connaître la frayeur de l’obscurité de la nuit qui arrive. Terrorisées, elles vont éviter de justesse les défenses acérées d’un sanglier qui protège ses petits. Un arbre, par bonheur accueillant, les met hors de toute attaque.</p>
<p>De nouveau, Sophie se trompe : le courage n’est pas féminin… Grimper aux arbres non plus d’ailleurs. Le texte prend bien soin de nous préciser que les branches traînaient presque par terre ! En présence de la maman de Marguerite, Sophie fera son mea culpa et madame de Réan dotera à l’avenir sa fille d’un chaperon. Un redoublement de la clôture qui entoure le parc en quelque sorte !</p>
<p>Dans les premières pages des <em>Vacances</em>, une grande partie de cache-cache a lieu entre adultes et enfants. Et elle se déroule dans la forêt bien sûr ! Pour se cacher mieux que les autres, Sophie enfreint la règle qui interdit de grimper aux arbres. Notre petite héroïne aperçoit un arbre tentateur « dont les branches très basses permettaient de grimper dessus » (sic). Hélas, l’arbre est pourri. Sophie tombe dans un grand trou sombre et étouffant comme un tombeau. Nouvel échec !</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/371014/original/file-20201124-15-1rys3h6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/371014/original/file-20201124-15-1rys3h6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/371014/original/file-20201124-15-1rys3h6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/371014/original/file-20201124-15-1rys3h6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/371014/original/file-20201124-15-1rys3h6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/371014/original/file-20201124-15-1rys3h6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/371014/original/file-20201124-15-1rys3h6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sophie dans l’arbre creux – Les Vacances.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bertall, Hachette</span></span>
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<p>Par trois fois, les petites filles ont renouvelé cette expérience transgressive. Malgré les échecs et les punitions, elles sont parties dans la forêt profonde où souffle un vent de liberté : pouvoir être une petite fille indépendante, à l’écoute de ses envies. Mais dans le dernier roman de la trilogie, cet espace qui semblait ouvrir à des possibles attrayants doit être définitivement refermé.</p>
<p>Aussi Marguerite s’écriera-t-elle après la dernière tentative : « Pauvre Sophie, cette forêt nous est fatale. » La fillette a tout compris. Le destin des petites filles (et des femmes) est bien de rester fatalement dans des lieux protégés et clos. C’est leur fatum, c’est leur destin, historique et culturel s’entend. Loin du vaste monde.</p>
<h2>Les garçons et la forêt</h2>
<p>Si la forêt est un terrain d’apprentissage féminin particulièrement éprouvant, il n’en va pas de même pour les garçons. Ils y jouent en général le rôle de valeureux sauveurs. Quand Sophie est attaquée par les loups, son cousin Paul, aidé des chiens, sera le premier à s’élancer à son secours. Un bâton à la main, il fera un rempart de son corps pour protéger les femmes terrifiées.</p>
<p>Aussi sera-t-il récompensé de son courage : il recevra un uniforme complet de zouave. Ainsi vêtu, il fera d’abord peur à Sophie puis l’ayant reconnu, elle le trouvera charmant ! Le partage homme/femme est clair, aucun trouble dans le genre…</p>
<figure class="align-left ">
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<span class="caption">Paul en costume de zouave – Les malheurs de Sophie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dessin de Castelli/Hachette</span></span>
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<p>Dans <em>Les petites filles modèles</em>, c’est le boucher Hurel qui découvre Sophie et Marguerite perchées dans l’arbre et incapables de descendre. Il les ramènera au château dans sa charrette et ne manquera pas de se moquer de leur escapade « Ah ! ah ! on fait l’école buissonnière ! » Cette fois encore, l’ordre genré est rappelé sans ambiguïté. Et c’est la profession d’Hurel qui va permettre ce rappel. En effet, les mamans expliquent aux petites filles : « pour être boucher il faut courir le pays […] et puis une femme ne peut pas tuer ces pauvres animaux ; elle n’en a ni la force, ni le courage. »</p>
<p>Enfin dans <em>Les vacances</em>, ce sont les cousins Jean et Jacques qui sauveront Sophie de l’arbre creux. Agiles, ils grimpent rapidement. Ils savent également faire preuve d’initiative et attachent leurs deux vestes ensemble pour ramener Sophie à l’air libre. À la fin du roman, les garçons se seront définitivement approprié la forêt. Ils entreprennent la domestication et mieux l’exploitation de cet espace ensauvagé interdit aux filles. Ils le transforment en espace marchand : « Monsieur de Rosbourg achetait au nom de Paul d’Aubert des forêts… »</p>
<p>Tout au long de nos textes, le courage semble naturellement masculin. Si Sophie entend un faible « miaou », elle a peur aussitôt. Paul se précipite dans un buisson pour en retirer un petit chat. Si Camille et Madeleine entendent des branches craquer et sont inquiètes, Jean se place devant elles pour les protéger, un maillet à la main.</p>
<p>Dans ces conditions, il est bien difficile pour un garçon de faire preuve de lâcheté ! Léon souffre d’ailleurs cruellement de cette situation, si éloigné qu’il est du lion courageux que semble promettre son prénom… Ses cousins et cousines se moquent de lui. Son père et son oncle cherchent à lui faire « honte de sa poltronnerie. »</p>
<p>Mais, aidé de Paul « le brave des braves », Léon finira par se battre vaillamment contre de grands garçons pour défendre le « pauvre Relmot l’idiot ». Ainsi, devenu le lion qu’il doit et se doit d’être, il se sentira plus fort, plus fier : « Je me sens homme », s’exclamera-t-il, soulagé et ému. Le garçon est fait et bien fait : il n’est plus peureux… comme un fille, il est devenu courageux. Adulte, il sera un général couvert de décorations !</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1237860648861630475"}"></div></p>
<p>Si la forêt permet aux garçons de montrer leur courage et devenir hommes, il faut donc que les filles y soient et s’y sentent en danger pour devenir femmes. Cette traversée prend ainsi la forme d’un <a href="https://www.persee.fr/doc/genes_1155-3219_1997_num_29_1_1772_t1_0167_0000_2">trajet initiatique</a> : l’épreuve malheureuse vécue par les fillettes devient la preuve ‘évidente’ de leur assignation à un autre destin social que celui des garçons.</p>
<p>Tel est l’enjeu de ces aventures forestières pour les unes et pour les autres. C’est dans ce même temps d’éducation enfantine et juvénile – très XIX<sup>e</sup> siècle on l’aura compris – que le jeune garçon doit définitivement refouler sa « part » féminine et que les toutes petites Sophie doivent sacrifier leur irrépressible « part » masculine. Ce fut… un genre d’éducation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148016/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Christine Vinson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Qui n’a jamais entendu parler des « Malheurs de Sophie » ? Au-delà d’aventures du quotidien, ce classique souvent réédité nous raconte comment on éduquait les petites filles et les petits garçons…Marie-Christine Vinson, Maître de conférences en littérature, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1477662020-10-15T19:52:51Z2020-10-15T19:52:51ZLivres de jeunesse : « Le Jardin secret », un classique revisité par le cinéma<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/363492/original/file-20201014-17-1xjco7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C19%2C1597%2C1046&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Image tirée de l'adaptation du "Jardin secret" par Marc Munden (2020).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm-248084/photos/detail/?cmediafile=21698274">Copyright 2020 Studiocanal S.A.S</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.goodreads.com/book/show/2998.The_Secret_Garden"><em>Le Jardin secret</em></a> de Frances Hodgson Burnett a pu être décrit comme l’un des romans pour la jeunesse les plus importants du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Publié pour la première fois en 1911, après une publication en feuilleton dans <em>The American Magazine</em>, le livre avait été qualifié par un critique de l’époque de « trop simple » et dépourvu d’enthousiasme. En réalité, il s’agit d’une histoire sensible et complexe, montrant comment le lien avec la nature peut favoriser notre bien-être physique et émotionnel.</p>
<p>Lu par des générations d’enfants, ce roman fait partie des incontournables de l’édition jeunesse et a inspiré différentes adaptations au cinéma. <a href="https://www.imdb.com/title/tt2702920/">Un film</a> avec Colin Firth, Dixie Egerickx et Amir Wilson, dont la sortie est prévue fin octobre, revisite cette histoire pour le public d’aujourd’hui.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kbPXu7_7DwU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du film de 2020.</span></figcaption>
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<p>Le roman commence alors que Mary Lennox est retrouvée seule, dans sa maison en Inde, après la mort de ses parents lors d’une <a href="https://theconversation.com/the-eerily-similar-pandemic-we-could-have-learned-from-but-didnt-138">épidémie de choléra</a>. Dans le livre, l’Inde n’est montrée que comme un décor empreint de maladie et de lassitude :</p>
<blockquote>
<p>« Les cheveux et les yeux de Mary étaient jaunes. Née en Inde, elle avait toujours été malade, d’une manière ou d’une autre. »</p>
</blockquote>
<p>Mary est « désagréable », « contrariante », « égoïste » et « cruelle ». Elle fait de futiles tentatives de jardinage en plantant des feuilles d’hibiscus dans des monticules de terre. La gouvernante chargée de s’occuper d’elle et des autres serviteurs « lui a toujours obéi et donné ce qu’elle voulait ».</p>
<p>A la mort de ses parents, elle est envoyée chez son oncle Archibald Craven, qui vit reclus au manoir de Misselthwaite, dans le Yorkshire. L’arrivée en Angleterre est un choc pour elle. La brusque franchise des serviteurs l’oblige à contrôler son comportement. Martha Sowerby, une jeune femme de chambre au franc-parler, offre à Mary une corde à sauter pour jouer : un geste qui aide à dépasser le malaise de Mary.</p>
<p>Au manoir, elle va aussi rencontrer Colin, son cousin de 10 ans, dont on lui a caché la présente mais qu’elle découvre après l’avoir entendu crier la nuit. Colin est incapable de marcher et pense qu’il n’atteindra pas l’âge adulte. Cloîtré dans sa chambre, il terrorise les serviteurs par ses colères : il fait de véritables crises d’hystérie, comme on peut en lire dans des romans de style gothique.</p>
<h2>Magie de la nature</h2>
<p>L’image la plus célèbre associée au roman de Burnett est sans doute celle de la porte verrouillée qui mène au fameux jardin.</p>
<p>Ce jardin clos a appartenu autrefois à la mère de Colin, Lilias Craven. Quand elle est morte suite à un accident survenu dans le jardin, son mari, Archibald, a condamné le jardin et en a enterré la clé. Après avoir retrouvé ce précieux sésame, Mary commence à travailler dans le mystérieux jardin, envahi par la végétation, avec le frère de Martha, Dickon. Finalement, elle parvient à faire sortir Colin de sa chambre avec l’aide de Dickon, et le jardin aide le garçon à reprendre des forces.</p>
<p>Burnett s’appuie sur le lien culturel entre l’enfance et la nature, faisant ressortir les croyances édouardiennes sur <a href="https://www.goodreads.com/book/show/4013080-the-edwardian-garden">l’importance du jardin</a>. Comme d’autres textes de l’époque tels <a href="https://www.goodreads.com/book/show/5659.The_Wind_in_the_Willows"><em>Le vent dans les saules</em></a> (1908) de Kenneth Grahame ou Peter Pan à Kensington Gardens de J.M. Barrie, <em>Le Jardin secret</em> explore aussi l’intérêt des Anglais du tournant du siècle pour le paganisme et l’occultisme, qui s’exprime à travers la fascination du livre pour le dieu grec Pan.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du film de 1993.</span></figcaption>
</figure>
<p>La première fois qu’il apparaît dans le roman, Dickon, qui a des affinités avec les animaux et la nature, est présenté assis sous un arbre, en train de jouer avec une pipe en bois, qui rappelle la flûte de Pan.</p>
<p>Mary et Colin sont transformés physiquement et psychologiquement par le travail dans le jardin. Les pièces étouffantes et les passages étroits du manoir de Misselthwaite contrastent avec la liberté qui règne dans le jardin secret :</p>
<blockquote>
<p>« Au début, il semblait que la verdure ne cesserait jamais de se frayer un chemin à travers la terre, le sol, et même dans les crevasses des murs. Puis elle a commencé à montrer des bourgeons et les bourgeons ont commencé à se déployer et à se colorer, de toutes les nuances de bleu, violet, ou cramoisi. »</p>
</blockquote>
<p>Les enfants sont guéris par le jardinage dans le « vent frais de la lande ». Ils prennent tous deux du poids et des forces et perdent de leur pâleur. Le fait de jardiner renvoie à une maîtrise de l’espace lorsque Colin plante une rose – emblème de l’Angleterre.</p>
<p>Mary passe au second plan, car la guérison de Colin devient l’objet principal du texte. Le jeune héros recouvre la capacité de marcher et gagne même une course contre sa cousine.</p>
<h2>Contexte historique</h2>
<p><em>Le Jardin secret</em> s’attache au pouvoir de la pensée positive : « les pensées – de simples pensées – sont aussi puissantes que des batteries électriques – aussi bonnes pour l’un que la lumière du soleil, ou aussi mauvaises que du poison pour l’autre ».</p>
<p>Cette mise en avant du pouvoir de la pensée positive traduit <a href="https://thepsychologist.bps.org.uk/volume-26/edition-3/looking-back-rewriting-rest-cure-secret-garden">l’intérêt</a> de Burnett pour les courants de <a href="https://theconversation.com/why-you-should-know-about-the-new-thought-movement-72256">« la NouvelLe Pensée »</a> et de <a href="http://www.marybakereddylibrary.org/research/what-is-the-background-on-the-name-church-of-christ-scientist/">« la Science chrétienne »</a>. La « NouvelLe Pensée » estime que les gens peuvent améliorer leur vie en modifiant leurs schémas de pensée. Elle a été développée par Phineas Parkhurst Quimby au XIX<sup>e</sup> siècle, dont l’une des étudiantes était Mary Baker Eddy, la fondatrice de la « Science chrétienne ». Bien que Burnett n’ait adhéré à aucun de ces courants, elle a reconnu qu’ils avaient influencé son travail. Tous deux rejettent souvent la médecine traditionnelle.</p>
<p>La croyance dans le pouvoir salvateur des pensées se manifeste dans les chants de Colin autour de la « magie » du jardin :</p>
<blockquote>
<p>« Le soleil brille – le soleil brille. C’est de la magie. Les fleurs poussent – les racines s’agitent. C’est de la magie. Être vivant est magique – être fort est magique. La magie est en moi… Elle est en chacun de nous. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/363489/original/file-20201014-23-s1tyzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/363489/original/file-20201014-23-s1tyzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=861&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/363489/original/file-20201014-23-s1tyzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=861&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/363489/original/file-20201014-23-s1tyzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=861&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/363489/original/file-20201014-23-s1tyzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1083&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/363489/original/file-20201014-23-s1tyzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1083&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/363489/original/file-20201014-23-s1tyzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1083&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Couverture de l’édition Gallimard Jeunesse de 2010.</span>
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<p>Écrit lors de l’expansion de l’Empire britannique, <em>Le Jardin secret</em> manifeste les inquiétudes de l’époque autour de l’identité nationale. Toutefois, cet univers résonne toujours auprès du public contemporain. Cette nouvelle adaptation développe la « magie » associée au pouvoir des pensées, en introduisant un élément fantastique dans l’histoire lorsque Mary, Colin et Dickon entrent dans un jardin rempli de plantes exotiques.</p>
<p>La nouvelle adaptation du réalisateur Marc Munden semble également revenir sur l’accent colonialiste du texte de Burnett. Elle déplace à 1947, l’année de la partition de l’Inde, la période dans laquelle se déroule l’histoire. Alors que le texte de Burnett de 1911 considérait les relations de la Grande-Bretagne avec l’Inde à l’apogée de l’impérialisme britannique, l’adaptation de Munden situe le récit dans la période où l’Inde a obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne.</p>
<p>Avec ce changement de point de vue, le film témoigne d’un souci de mettre ce texte au diapason du public d’aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147766/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emma Hayes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Classique de la littérature de jeunesse, le roman de Frances Hodgson Burnett met en avant le pouvoir de la nature. Plusieurs fois adapté au cinéma, il a été l’objet d’une nouvelle version en 2020.Emma Hayes, Academic, School of Communication and Creative Arts, Deakin UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1413112020-06-25T18:13:56Z2020-06-25T18:13:56ZRelire l’œuvre d’Agatha Christie, romancière à succès et… économiste<p>En 1920 paraissait le premier roman d’Agatha Christie, <em>La Mystérieuse affaire de Styles</em>. Le centenaire de cette publication est l’occasion de mettre en exergue une dimension méconnue de l’œuvre de la reine du crime : son travail d’économiste.</p>
<p>Agatha Christie (1890-1976) est une auteure populaire à la <a href="https://www.lesechos.fr/2017/04/la-reine-du-crime-est-aussi-une-poule-aux-oeufs-dor-170305">bibliographie imposante</a> : 66 romans, 154 nouvelles, 20 pièces de théâtre, édités en 100 langues, vendus à deux milliards d’exemplaires et publiés dans 153 pays. Tout le monde l’a probablement déjà lue, la lira ou regardera un film ou une série tirés d’un de ses livres.</p>
<p>Pour autant, l’accessibilité et la simplicité apparente de son œuvre ne doivent pas occulter le fait qu’elle se prête à plusieurs lectures : ludique (un coupable qu’on ne découvre qu’à la fin), féministe (des réflexions sur la place des femmes dans la société), psychologique (une attention portée à la psyché humaine), médicale (une <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/MEM-UNIV-BORDEAUX/dumas-01116318">connaissance fine des poisons</a>), sociologique (une étude des comportements des classes supérieures britanniques), philosophique (un diagnostic posé sur la <a href="https://www.marianne.net/culture/pour-agatha-christie-les-meurtriers-cest-nous">question du mal</a>), politique (un anticommunisme viscéral), historique (une nostalgie de l’ère victorienne), patriotique (des considérations sur la place du Royaume-Uni dans le monde et sur les charmes de la langue anglaise), religieuse (des personnages empreints de morale chrétienne) et, à mes yeux, économique.</p>
<h2>Le criminel recherche son intérêt avant tout</h2>
<p>Certes, l’œuvre de Christie n’évoque pas les thématiques économiques traditionnelles que sont par exemple la croissance, le chômage, l’inflation ou les inégalités. Christie se concentre sur le crime. Or, c’est justement son approche du crime qui est économique.</p>
<p>Pour elle, tout un chacun est un criminel potentiel. Pourquoi ses personnages tuent-ils ? Par intérêt. Mais qui dit intérêt ne dit pas forcément matérialisme étroit.</p>
<p>Dans les romans de Christie, on trouve certes quantité de vols de bijoux, de meurtres motivés par un héritage ou de personnes éliminant un conjoint dont elles ne peuvent divorcer.</p>
<p>Mais comme on le voit dans <em>Dix petits nègres</em> ou <em>Le Crime de l’Orient-Express</em>, les motivations des protagonistes peuvent aussi être d’une autre nature.</p>
<p>Qu’est-ce que cela a d’économique ? Tout. Christie ne se penche pas sur le crime comme Conan Doyle ou Gaston Leroux, sous un angle purement analytique, voire rationaliste (le « whodunit », contraction de l’anglais « Who has done it ? », littéralement « Qui l’a fait ? »).</p>
<p>Elle ne l’aborde pas non plus comme le ferait un sociologue qui mettrait en avant l’influence des structures sociales. Le criminel n’est pas la victime d’une société injuste. Il n’est pas impliqué dans des conflits de classe. D’ailleurs, Christie élude tout déterminisme social dans ses romans. Le crime résulte d’un choix individuel et n’a pas de signification sociale.</p>
<p>Notons que pour Ernest Mandel, spécialiste d’économie politique, qui examine l’histoire du roman policier <a href="https://www.babelio.com/livres/Mandel-Meurtres-exquis--Une-histoire-sociale-du-roman-po/1016945">avec des lunettes marxistes</a>, c’est ce qui fait la faiblesse de son œuvre. Pour lui, les romans de Christie ne font que légitimer l’ordre bourgeois (opinion qu’elle n’aurait d’ailleurs probablement pas démentie).</p>
<p>On ne trouve pas non plus chez elle de criminels aux motivations parfois troubles et pour lesquels on pourrait avoir de la compassion (une des marques de fabrique de l’auteur belge Georges Simenon).</p>
<p>Pour Agatha Christie, l’acte criminel n’est pas non plus la conséquence de troubles mentaux. Aborder le problème sous cet angle mène à une impasse comme le démontre son héros Hercule Poirot dans le roman <em>ABC contre Poirot</em>.</p>
<p>Il convient de rappeler que, pour elle, le crime reste un choix conscient et délibéré. Le criminel est vu comme un être rationnel dont le choix est motivé par un calcul coût-bénéfice. Or, cette démarche est <a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1981_num_23_1_1671">éminemment économique</a>.</p>
<h2>La microéconomie éclaire la criminalité</h2>
<p>C’est ainsi que l’économiste américain Gary Becker et à sa suite d’autres membres de l’École de Chicago (groupe d’économistes libéraux, pour beaucoup en poste à l’université de Chicago) tels que <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/259646?mobileUi=0&">George Stigler</a>, <a href="https://pubs.aeaweb.org/doi/pdfplus/10.1257/jep.10.1.43">Isaac Ehrlich</a> et <a href="https://pricetheory.uchicago.edu/levitt/Papers/annurev.lawsocsci.2.081805.pdf">Steven Levitt</a> se sont attaqués à ce problème. En 1992, Becker était <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/economic-sciences/1992/summary/">nobélisé</a> « pour avoir étendu le champ de l’analyse microéconomique à un large éventail de comportements et interactions humains, y compris hors marché ».</p>
<p>Il avait appliqué les outils de l’économie standard à des comportements aussi divers que les discriminations, le mariage, le divorce, la décision de poursuivre ses études, mais aussi et surtout les <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/pdfplus/10.1086/259394">comportements délinquants</a> quels qu’ils soient et qu’il rangeait sous le vocable de crime.</p>
<p>L’être humain est rationnel et cherche à maximiser une fonction d’utilité sous contraintes (l’utilité étant la mesure de la satisfaction obtenue par la consommation). Il compare les bénéfices anticipés de son acte et les coûts et sacrifices qu’il exige de lui. Le criminel passe à l’acte si les premiers excèdent les seconds.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/343510/original/file-20200623-188926-1jezknk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/343510/original/file-20200623-188926-1jezknk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=460&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/343510/original/file-20200623-188926-1jezknk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=460&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/343510/original/file-20200623-188926-1jezknk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=460&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/343510/original/file-20200623-188926-1jezknk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=578&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/343510/original/file-20200623-188926-1jezknk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=578&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/343510/original/file-20200623-188926-1jezknk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=578&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Hercule Poirot, détective et personnage principal de nombreux romans d’Agatha Christie et d’une série britannique qui porte son nom.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/josecamoessilva/6395369869">Jose Camões Silva/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Bien sûr, il existe des personnes honnêtes et respectueuses des lois. Le capitaine Arthur Hastings, personnage des romans de Christie et partenaire du détective Hercule Poirot, en est un archétype. Mais, même lui est tenté de commettre un meurtre dans le roman <em>Hercule Poirot quitte la scène</em>.</p>
<p>Chacun peut donc être amené à faire certains choix pour peu que les circonstances l’y contraignent. Pour le dire dans le langage des économistes : l’individu réagit aux incitations.</p>
<p>Cette démarche se veut universelle, valable en tout lieu et à toute époque. Agatha Christie conçoit le comportement humain de la même façon. Miss Marple, détective intervenant dans 12 romans de Christie, ne répète-t-elle pas inlassablement que « la nature humaine est partout la même » ?</p>
<h2>La morale selon Agatha Christie</h2>
<p>Ainsi, à quarante ans d’intervalle, Agatha Christie (1890-1976) a plagié Gary Becker (1930-2014) « par anticipation », selon la <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Le_Plagiat_par_anticipation-2600-1-1-0-1.html">formule heureuse</a> du professeur de littérature française Pierre Bayard. C’est en effet la lecture de Becker qui permet de comprendre la spécificité de Christie qui a peut-être inspiré Becker tout en l’ayant lu.</p>
<p>Mais à vrai dire, on ne sait pas si, de même que Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, Christie faisait du Becker ou Becker faisait du Christie.</p>
<p>Cela dit, elle se démarque toutefois de lui sur un point. En bon utilitariste (doctrine qui prescrit d’agir de manière à maximiser le bien-être collectif), Becker raisonne de façon conséquentialiste et considère qu’il ne faut lutter contre le crime que si le <a href="https://www.wsj.com/articles/SB10001424127887324374004578217682305605070">coût social</a> de cette lutte n’est pas trop élevé.</p>
<p>Ce n’est pas le cas de Christie qui au comportement utilitariste du criminel oppose une éthique déontologique stricte. Chaque action humaine doit être jugée selon sa conformité à certains devoirs comme en témoigne cet échange dans le roman <em>Un, deux, trois…</em> :</p>
<ul>
<li><p>« Mais, Poirot, vous ne comprenez donc pas que, dans une très large mesure, la sécurité et le bonheur de la nation dépendent de moi ?</p></li>
<li><p>Je ne m’occupe pas des nations, Monsieur Blunt, mais des individus. Ce bien inestimable qui leur appartient, la vie, personne n’a le droit de le leur enlever ! »</p></li>
</ul>
<p>Pour finir, on peut aussi contester un élément de la vision du monde d’Agatha Christie. Il n’est pas certain que les motivations de l’acte criminel soient aussi claires qu’elle le dit. Et il n’est pas non plus certain que le crime n’ait que des causes rationnelles et objectives et soit dépourvu de signification sociale. C’est probablement le cas dans les classes favorisées où Christie situe ses intrigues. C’est moins évident pour les <a href="https://theconversation.com/debat-comprendre-la-culture-de-la-pauvrete-pour-remedier-aux-inegalites-122411">couches inférieures</a> de la société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141311/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ilyess El Karouni ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour l’autrice de « Dix petits nègres », qui publiait son premier roman il y a 100 ans, le crime reste un choix délibéré et résulte d’un calcul rationnel coût-bénéfice.Ilyess El Karouni, Economiste, enseignant et chercheur associé au Laboratoire d'Economie Dionysien (EA 3391), Université Paris 8, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1274612019-11-26T19:36:11Z2019-11-26T19:36:11ZDossier : Comment le goût des livres vient aux enfants<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/303756/original/file-20191126-112484-1hua1uo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=91%2C194%2C811%2C471&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">A l'ère des écrans, le papier reste un support essentiel pour découvrir la lecture et en percevoir la richesse.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Utilisez l’impératif, parlez de livres à vos enfants sous le seul angle de leurs bienfaits scolaires, et vous risquez fort de leur inculquer une aversion durable pour les librairies et les bibliothèques. Dans son essai <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/Comme-un-roman"><em>Comme un roman</em></a>, Daniel Pennac a déjà magistralement montré combien les injonctions à la lecture sont impuissantes à réveiller le goût du récit qui sommeille en chacun de nous.</p>
<p>En effet, il fut un temps où l’adolescent récalcitrant face aux explications de textes de Racine et Balzac vous réclamait à cor et à cri de lui relire ses histoires préférées. Et la recherche a montré que ce partage de découvertes en famille a un réel impact sur le goût qu’on portera plus tard à l’écrit. Comment maintenir et développer ce dialogue au fil du temps ? Comment réconcilier fantaisie et classiques ?</p>
<p>A l’occasion du <a href="https://slpjplus.fr/">Salon</a> du livre et de la presse jeunesse qui ouvre ce mercredi 27 novembre à <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/jeunesse/salon-du-livre-et-de-la-presse-jeunesse-de-montreuil-2019-le-mode-d-emploi-pour-un-salon-reussi-avec-vos-enfants-et-ados_3718321.html">Montreuil</a>, voici une sélection d’analyses autour des premières lectures, de la littérature de jeunesse, ou des arbitrages entre écrans et papier, à retrouver sur The Conversation.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-enfants-aiment-lire-et-relire-les-memes-histoires-108530">Pourquoi les enfants aiment lire et relire les mêmes histoires</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/249966/original/file-20181211-76989-1brgmv8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C4%2C991%2C661&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/249966/original/file-20181211-76989-1brgmv8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/249966/original/file-20181211-76989-1brgmv8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/249966/original/file-20181211-76989-1brgmv8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/249966/original/file-20181211-76989-1brgmv8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/249966/original/file-20181211-76989-1brgmv8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/249966/original/file-20181211-76989-1brgmv8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La répétition est une étape dans le processus de découverte du monde par l’enfant.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Chaque soir, votre enfant choisit le même album ou le même livre d’histoires. Faut-il s’inquiéter ? Pas du tout ! La répétition l’aide au contraire à enrichir son vocabulaire et ses connaissances.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/comment-la-lecture-enrichit-leducation-des-enfants-116309">Comment la lecture enrichit l’éducation des enfants</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/274982/original/file-20190516-69209-1bw9a24.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C4%2C997%2C658&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/274982/original/file-20190516-69209-1bw9a24.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/274982/original/file-20190516-69209-1bw9a24.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/274982/original/file-20190516-69209-1bw9a24.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/274982/original/file-20190516-69209-1bw9a24.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/274982/original/file-20190516-69209-1bw9a24.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/274982/original/file-20190516-69209-1bw9a24.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En prenant le temps de tourner les pages d’un livre avec leur enfant, les adultes les aident à considérer la lecture comme un plaisir et non une corvée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Ce n’est pas parce qu’un enfant sait désormais lire qu’il faut arrêter de lui raconter des histoires. Le point sur cinq effets positifs de ces moments partagés en famille.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/six-conseils-pour-encourager-les-garcons-a-lire-plus-105532">Six conseils pour encourager les garçons à lire plus</a></h2>
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<span class="caption">Les garçons apprécient bien plus la lecture de romans qu’on ne l’imagine souvent.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Si les jeunes garçons lisent moins que les filles, c’est dû à un certain nombre de clichés et d’habitudes quotidiennes. Quelques pistes pour inverser la tendance.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/lire-sur-papier-lire-sur-ecran-en-quoi-est-ce-different-112493">Lire sur papier, lire sur écran : en quoi est-ce différent ?</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/264625/original/file-20190319-60956-1ocvk4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C1000%2C661&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/264625/original/file-20190319-60956-1ocvk4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/264625/original/file-20190319-60956-1ocvk4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/264625/original/file-20190319-60956-1ocvk4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/264625/original/file-20190319-60956-1ocvk4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/264625/original/file-20190319-60956-1ocvk4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/264625/original/file-20190319-60956-1ocvk4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Forme, couverture du livre, odeur, nombre et épaisseur des pages aident notre cerveau à intégrer les informations qui lui parviennent.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Le type de support influence l'expérience du lecteur et donc la mémorisation des contenus.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/lectures-ces-classiques-quharry-potter-fait-decouvrir-a-vos-enfants-117719">Lectures : ces classiques qu’Harry Potter fait découvrir à vos enfants</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/282850/original/file-20190705-51297-vcwwfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C2%2C538%2C359&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/282850/original/file-20190705-51297-vcwwfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/282850/original/file-20190705-51297-vcwwfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/282850/original/file-20190705-51297-vcwwfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/282850/original/file-20190705-51297-vcwwfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/282850/original/file-20190705-51297-vcwwfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/282850/original/file-20190705-51297-vcwwfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nombre de créatures magiques de la saga viennent de la mythologie antique. (Ici, le héros apprivoisant un hippogriffe dans l’adaptation d’<em>Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban</em>).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm-46865/photos/detail/?cmediafile=18376416">Warner Bros</a></span>
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<p>La saga du célèbre sorcier n’est pas seulement une plongée dans un monde magique et un succès commercial. C’est aussi un voyage dans la littérature qui peut inspirer de nouvelles lectures aux jeunes.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/sept-livres-a-conseiller-absolument-aux-enfants-de-8-a-12-ans-113283">Sept livres à conseiller absolument aux enfants de 8 à 12 ans</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/263134/original/file-20190311-86693-13y9kh7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C11%2C865%2C612&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/263134/original/file-20190311-86693-13y9kh7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/263134/original/file-20190311-86693-13y9kh7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/263134/original/file-20190311-86693-13y9kh7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/263134/original/file-20190311-86693-13y9kh7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/263134/original/file-20190311-86693-13y9kh7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/263134/original/file-20190311-86693-13y9kh7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. », écrivait Marcel Proust.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>De « Tobie Lolness » à « La Cité des livres qui rêvent », en passant par « Sauveur et fils » ou l’incontournable « Harry Potter », revue de quelques titres conjuguant suspense et qualité littéraire.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/tolkien-vs-disney-eduquer-ou-divertir-125956">Tolkien vs Disney : éduquer ou divertir ?</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/298972/original/file-20191028-113953-xdolst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C28%2C998%2C752&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/298972/original/file-20191028-113953-xdolst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/298972/original/file-20191028-113953-xdolst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/298972/original/file-20191028-113953-xdolst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/298972/original/file-20191028-113953-xdolst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/298972/original/file-20191028-113953-xdolst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/298972/original/file-20191028-113953-xdolst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Décor du film de Peter Jackson, qui a adapté l’œuvre de Tolkien dans les années 2000.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/new-zealand-hobbiton-matamata-movie-set-1310210080?src=YnsbuwuvYbMXztUt0ZZsAQ-1-38">Shutterstock</a></span>
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<p>Retour sur deux conceptions du merveilleux et de l’enfance contemporaines, et pourtant très différentes.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/enfants-et-ados-neuf-romans-contre-les-stereotypes-de-genre-131885">Enfants et ados : neuf romans contre les stéréotypes de genre</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319134/original/file-20200306-118960-1614zch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C176%2C989%2C600&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319134/original/file-20200306-118960-1614zch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=521&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319134/original/file-20200306-118960-1614zch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=521&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319134/original/file-20200306-118960-1614zch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=521&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319134/original/file-20200306-118960-1614zch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=655&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319134/original/file-20200306-118960-1614zch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=655&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319134/original/file-20200306-118960-1614zch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=655&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Plutôt que de proposer une vision univoque du monde, la fiction peut amener les jeunes lecteurs et lectrices à interroger la société qui les entoure.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/two-children-reading-books-on-long-216611983">Shutterstock</a></span>
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<p>Depuis 20 ans, certains auteurs et autrices de livres jeunesse ont mis les stéréotypes et les identités sexuées au centre de la narration. Quelques exemples pour toutes les tranches d’âge.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127461/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
À l’occasion du Salon du livre et de la presse jeunesse qui ouvre ce mercredi 27 novembre, retrouvez les analyses de nos auteurs sur la découverte de la lecture et la littérature de jeunesse.Aurélie Djavadi, Cheffe de rubrique EducationLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1246202019-10-16T09:56:16Z2019-10-16T09:56:16ZLe polar est-il féministe ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/297152/original/file-20191015-98661-tbg6n2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C2%2C795%2C465&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Collection de romans Agatha Christie</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Collection_de_romans_Agatha_Christie.jpg">Wikimédia</a></span></figcaption></figure><p>On pourrait facilement avancer qu’en tant que genre, le polar, ou plus exactement le <a href="https://oxfordre.com/literature/literature/view/10.1093/acrefore/9780190201098.001.0001/acrefore-9780190201098-e-240"><em>detective novel</em></a>, le roman de détective, ou le roman d’enquête, fut un domaine non seulement conçu mais encore balisé et perfectionné par les Anglaises. Je postule en effet que le roman policier anglais aura été une affaire de femmes, soit qu’elles aient les premières incarné le personnage du détective, comme Anne Rodway, Mrs Gladden ou Valeria Macannan, soit qu’elles aient constitué le plus gros du bataillon des auteurs de polar, de Catherine Pirkis à la barone Orczy, d’Agatha Christie à Marjory Allingham, de Dorothy Sayers à Patricia Wentworth, de Ruth Rendell à Anne Perry, de P.D. James à Val McDiarmid.</p>
<p>Et si dès son premier roman, <em>Enquête dans le brouillard</em> (<em>A Great Deliverance</em>, 1988), l’Américaine Elizabeth George écrivait, à s’y méprendre, à l’anglaise, c’est selon moi qu’elle avait compris que se tramait de l’autre côté de l’Atlantique le secret des origines, que les personnages de détectives en jupons, telle la petite couturière cherchant à expliquer la mort de son amie, avaient été un phénomène prémonitoire de sa propre pratique.</p>
<p>Qu’est-ce à dire ?</p>
<p>Que Sherlock Holmes, qui ne les aimait guère, eut en réalité de nombreuses femmes autour de lui. Que la formule du « polar », sa structure, ses codes, furent inventés, fixés, établis, par ces femmes. Il suffit de convoquer ses souvenirs de lectures, ou de parcourir les rayons spécialisés d’une librairie, pour constater que, dès le début – on peut penser au <a href="https://www.actualitte.com/article/monde-edition/le-roman-gothique-des-spectres-des-pierres-hantees-et-quelques-demons/64000">« roman gothique »</a> ou au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Penny_dreadful">« roman à sensation »</a> –, le paysage est encombré par des romancières, à telle enseigne que les spécialistes de littérature britannique n’hésitent plus à parler d’elles comme des « reines du crime ».</p>
<h2>Les raisons du succès</h2>
<p>Je m’intéresse surtout, pour ma part, aux conditions de possibilité de l’émergence et du succès foudroyant du polar au féminin, pour ne pas dire du polar féministe, ce qu’il est pourtant très souvent. J’explique notamment que le terreau sur lequel devait s’épanouir le genre dut agréger :</p>
<ul>
<li><p>une tradition politique et intellectuelle (que je nomme la « dissidence »)</p></li>
<li><p>une crise de confiance démocratique (précipitée par certains dispositifs législatifs) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Josephine_Butler">Lois sur les maladies contagieuses</a></p></li>
<li><p>une veine littéraire déjà installée (le « gothique », le « roman à sensation »)</p></li>
<li><p>une mutation de la presse (la naissance de ce qui se nomma dans le Londres des années 1880 le <em>new journalism</em>)</p></li>
<li><p>l’exacerbation d’une sensibilité optique (le voyeurisme et le fétichisme)</p></li>
<li><p>la réactivation d’une procédure épistémologique négligée (l’intuition)</p></li>
<li><p>l’émergence de modèles de cristallisation, que je nomme des « figures » (le journaliste détective et l’enquêtrice en jupons)</p></li>
</ul>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297158/original/file-20191015-98670-1yusar4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297158/original/file-20191015-98670-1yusar4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=815&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297158/original/file-20191015-98670-1yusar4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=815&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297158/original/file-20191015-98670-1yusar4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=815&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297158/original/file-20191015-98670-1yusar4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1024&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297158/original/file-20191015-98670-1yusar4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1024&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297158/original/file-20191015-98670-1yusar4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1024&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Agatha Christie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Agatha_Christie_3.jpg">Wikipédia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais surtout, on peut penser que le polar ne put voir le jour et devenir une forme artistique majeure de notre modernité que parce qu’il permit d’articuler un malaise vis-à-vis des discours qui gouvernaient la représentation des femmes dans le monde, malaise que venaient accentuer à intervalles réguliers divers scandales, révélés par tel ou tel « fait divers » (un corps de femme retrouvé dans un canal par exemple). Or, le roman d’enquête venait remettre en cause le statu quo, proposant une vision plus éthique du monde, où le crime ne resterait plus impuni, mais surtout entrebâillant les portes d’une nouvelle esthétique. Quel était le fonctionnement caché, inavoué, officieux, du système patriarcal, de ses discours criminalisants, de ses instances d’autorité, de ses formes de pouvoir ? Qui étaient les véritables criminels, les véritables victimes, du système ? Et qui d’autres à part les femmes, à la fois dedans et dehors, anges au foyer et démons potentiels, pouvaient ouvrir cette enquête, toujours déjà classée sans suite par la société des hommes ?</p>
<h2>Le sexisme de l’histoire</h2>
<p>N’est-il pas troublant dès lors que l’histoire de la littérature anglaise ait choisi de faire croire, au mépris de l’évidence historique, statistique, empirique, que le polar anglais était doté de pères fondateurs <a href="https://www.worlds-best-detective-crime-and-murder-mystery-books.com/1841.html">Edgar Allan Poe</a> ? N’est-il pas temps d’ouvrir les yeux ? De se faire « féministe » donc, et de se demander si le canon officiel de la littérature de détection anglaise n’a pas fait en sorte de valoriser uniquement des auteurs et des enquêteurs hommes. Par exemple, lorsque l’on parle de Wilkie Collins, comment expliquer, autrement que par un sexisme implicite, que l’on cite systématiquement le personnage de son enquêteur, le sergent Cuff, tout en passant sous silence celui de son enquêtrice, Valeria Macallan ?</p>
<p>Il faut souligner ici le geste fort de P.D. James lorsqu’elle intitule son roman <em>An Unsuitable Job for a Woman</em> (<em>La proie pour l’ombre</em>, 1972). Le travail d’enquêtrice est <em>unsuitable</em> : c’est-à-dire qu’il « ne convient pas », a priori, à une femme. Pourtant c’est bien une femme, Cordelia Gray, souvent présentée comme la première détective moderne (on la retrouvera en 1982 dans <em>L’Île des morts</em> (<em>The Skull beneath the Skin</em>), qui résout l’énigme, identifie le meurtrier, alors même qu’elle n’est pas préparée à prendre la relève, et qu’elle ne sait que faire du pistolet qu’elle a hérité de son patron. Ne faudrait-il donc laisser le soupçon s’installer en nous que le sergeant Cuff et Sherlock Holmes, Wilkie Collins et Conan Doyle, furent érigés en modèles du genre précisément parce qu’ils étaient des exceptions masculines ? Qu’on alla chercher Poe comme vénérable ancêtre parce qu’il était homme ?</p>
<h2>La hantise du meurtre « légal »</h2>
<p>Lorsqu’au XIX<sup>e</sup> siècle le roman s’imposa comme la forme se prêtant le mieux aux analyses sociales, les auteures s’attaquèrent donc, et ce n’est pas un hasard, à ce que l’Angleterre avait de plus sacré dans le système patriarcal : le foyer domestique, et surtout la propriété de famille. Ce qui intéressait déjà Charlotte Brontë dans <em>Jane Eyre</em> (1847), drame romantique qu’il faut vraiment relire à la lumière du polar, ce n’est pas l’histoire d’amour d’une jeune préceptrice avec le riche propriétaire de Thornfield Hall. C’est le secret qui hante le Château (sens du mot Hall), et en vérité toute demeure anglaise : cette « folie » qui doit rester cachée pour que survive l’institution, ce meurtre fondateur de la première épouse, celle qui doit être dépouillée de sa fortune pour renflouer les caisses des Rochester, puis être déclarée irresponsable, et poussée en définitive au suicide. Un suicide ? Plutôt le crime parfait. Le meurtre sans coupable, sans trace d’intervention extérieure. Le meurtre légal en quelque sorte, véritable hantise de toutes les femmes au XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/297168/original/file-20191015-98657-1h5iviq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297168/original/file-20191015-98657-1h5iviq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297168/original/file-20191015-98657-1h5iviq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297168/original/file-20191015-98657-1h5iviq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297168/original/file-20191015-98657-1h5iviq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297168/original/file-20191015-98657-1h5iviq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297168/original/file-20191015-98657-1h5iviq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297168/original/file-20191015-98657-1h5iviq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Bertha Mason, personnage de Jane Eyre, après sa chute du toit lors de l’incendie de Thornfield Hall.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bertha_Mason#/media/Fichier:P413b.jpg">Dessin de F. H. Townsend</a></span>
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</figure>
<p>Daphne du Maurier ne s’y tromperait pas près de 100 ans plus tard, quand elle reprendrait ce schéma dans <em>Rebecca</em> (1938), qui s’affiche clairement cette fois comme ce polar que n’osait pas être tout à fait encore <em>Jane Eyre</em>. Le domaine de Manderley est de fait le quatrième personnage principal, celui qui projette son ombre immense sur le triangle amoureux qui occupe le devant de la scène, formé par le riche propriétaire et ses deux épouses, la morte et la vivante. Officiellement, Rebecca, la première épouse, se suicide, mais Maxim, la réincarnation de Rochester, est bien en réalité un meurtrier, qui tue sa femme pour se débarrasser d’elle. On apprend en effet qu’il a logé une balle dans le cœur de Rebecca, épouse réputée perverse et nymphomane, comme Bertha Mason, la première épouse de Rochester, avant elle. Le mobile réel ? La peur de perdre Manderley, qui dans le système juridique anglais serait revenu en héritage au fils illégitime de Rebecca. Dans le film de 1940, réalisé à Hollywood, Hitchcock et Selznic ne purent se résoudre à transposer cette fin et s’arrangèrent pour que Rebecca se cogne bêtement la tête au cours d’une dispute. Grossière trahison de l’œuvre, où les hommes tuent effectivement les femmes pour protéger leur nom et leur fortune.</p>
<hr>
<p><em>Frédéric Regard participe au premier <a href="https://www.sorbonne-universite.fr/newsroom/evenements/femmes-en-scene">Apéro d’idées</a> organisé ce mercredi 16 octobre par Sorbonne Université, sur le thème « Enquêter, chanter, jouer, danser… Quelle place prennent les femmes dans les pratiques artistiques ? », animé par Victoire Tuaillon.</em></p>
<p><em>Le dernier ouvrage de Frédéric Regard, « Le Détective était une femme. Le Polar en son genre », est paru aux PUF en 2018.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124620/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Regard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le roman policier anglais aura été une affaire de femmes en lutte contre le patriarcat.Frédéric Regard, Professeur de littérature anglaise, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1205172019-07-29T09:08:46Z2019-07-29T09:08:46ZLectures d’été : sept ouvrages à glisser dans les valises de vos enfants<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/285390/original/file-20190723-110166-1xo201s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C26%2C976%2C639&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Si l'été est la saison des découvertes, la lecture est une autre forme de voyage à proposer aux enfants.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/group-children-books-outdoors-summer-camp-1106190263?src=r2n9HHUX5S630BRkx7lU6A-1-30&studio=1">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Pourquoi ne pas profiter de l’été, saison du dépaysement, pour inciter vos enfants à renouer avec l’univers des livres, ou tout simplement, à diversifier leurs lectures ? Entre nouvelles, romans ou poèmes, voyages fantastiques, sagas familiales ou interrogations pleines d’humour du monde actuel, voici sept pistes à explorer avec un public de 5 ans à 15 ans.</p>
<h2>Pas si méchant</h2>
<p>Avec <em>Pas si méchant</em> (Ker Jeunesse éditions, 2015), <a href="https://www.franceculture.fr/personne-marie-aude-murail.html">Marie-Aude Murail</a> nous livre un recueil de trois histoires courtes à savourer. Un format parfait pour les histoires du soir, en lecture orale avec les enfants de 5 ans, ou en lecture autonome à partir de 7 ans. Et une très bonne entrée dans l’univers humoristique et décalé de cet <a href="https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=ETHN_061_0121">autrice incontournable</a> de la littérature de jeunesse.</p>
<p>Ces nouvelles sont emplies de jeux de mots (avec par exemple les ogres Boufpatan, Boufpatou et Boufpatro ou le lapin Tibou Nulantou), d’histoires drôles, mais aussi de moments de réflexion : les ogres doivent-ils être méchants ? Que se passerait-il si les enfants pouvaient décider à la place des adultes ? Ou encore comment savoir si nos parents nous aiment ?</p>
<h2>Bob le tamanoir</h2>
<p><a href="https://www.jerome-pace.com/">Jérôme Pace</a>, docteur en science des religions, travaille depuis plusieurs années dans les milieux de la presse et de l’édition ; il dirige notamment la collection <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=collection&no=1063">Lettres japonaises</a> chez L’Harmattan. Passionné de langue française et d’écriture, il a publié en 2010 ce recueil de poèmes en vers et en prose, où les mots rares ont la part belle.</p>
<p>Chacun des neuf poèmes de <em>Bob le tamanoir, drôles de mots, drôles d’histoires</em> (L’Harmattan, 2010) met en scène animaux ou créatures merveilleuses dont les aventures sont narrées dans un style enlevé, où le plaisir du langage est évident et contagieux.</p>
<p>La quatrième de couverture invite les enfants à découvrir des mots inconnus : un index riche mais clair permet à chacun de poursuivre sa lecture sans mal, et d’enrichir son vocabulaire. C’est une initiation aux joies de la langue que propose l’auteur : celles des mots oubliés, des sonorités, du rythme, et de la transmission des histoires.</p>
<h2>Les enfants parfaits</h2>
<p>Issu d’une <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-enfantines/les-enfants-parfaits-de-mariannick-bellot">création radiophonique</a> diffusée en 2010, publié en 2019 aux éditions Thierry Magnier, ce petit livre de quarante pages questionne les enfants sur la place des robots humanoïdes dans notre société.</p>
<p>L’histoire de <a href="https://www.franceculture.fr/personne-mariannick-bellot.html">Mariannick Bellot</a> commence lorsque Barnabé acquiert un robot pour le remplacer à l’école. Très vite, elle prend une tournure plus sombre quand le robot essaie de prendre sa place du héros dans sa famille. Facile à lire à partir de sept ans, cet ouvrage permettra aux enfants de se poser des questions philosophiques sur ce qui constitue leur humanité.</p>
<h2>Renversante</h2>
<p>Le monde de Léa, l’héroïne de ce petit roman, est un monde où les femmes ont le pouvoir : elles sont présidentes, ministresses, écrivaines, professeuses, magistrates, poétesses etc. Ce sont les hommes qui prennent des mi-temps pour s’occuper des enfants et de la maison et cela « depuis la nuit des temps » !</p>
<p>Dans cet univers renversé c’est bien le féminin qui l’emporte sur le masculin dans les livres de grammaire et le livre lui-même joue de façon <a href="https://books.openedition.org/pur/29657?lang=en">métatextuelle</a> sur cette règle en féminisant tous les noms et en accordant tout au féminin.</p>
<p><a href="http://florencehinckel.com/">Florence Hinckel</a> joue avec humour sur les clichés et stéréotypes de genres pour mieux démontrer leur caractère construit – et donc « déconstructible ». <em>Renversante</em> (L’Ecole des loisirs, 2019) est un livre pour les enfants mais aussi pour les adultes et qui peut être lu en autonomie à partir de neuf ans.</p>
<h2>Le Livre de Perle</h2>
<p>Pour les lecteurs adolescents, <a href="https://www.franceculture.fr/personne/timothee-de-fombelle">Timothée de Fombelle</a> offre un très bel ouvrage qui combine deux mondes, le nôtre et celui des contes de fée, avec plusieurs narrateurs qui permettent au lecteur de voyager entre les univers et les époques.</p>
<p>Du monde magique intemporel à notre société, des années 1930 à 1980, les histoires s’entremêlent et s’enchâssent, contant l’histoire d’amour entre une fée et un prince, qui se retrouvent exilés dans notre propre monde. Gagnant du prix des pépites du <a href="https://www.babelio.com/prix/67/Les-Pepites-du-Salon-de-Montreuil">roman adolescent européen</a> de 2014, écrit avec délicatesse, <em>Le Livre de Perle</em> (éditions Gallimard Jeunesse, 2014) enchantera les lecteurs férus d’aventure, de rebondissements et de magie.</p>
<h2>L’aube sera grandiose</h2>
<p>Nine, adolescente de quinze ans est amenée un soir par sa mère dans une cabane au bord d’un lac. Pendant toute la nuit sa mère va lui raconter sa propre histoire, l’histoire d’une saga familiale rocambolesque, touchante, drôle et triste.</p>
<p>Cette narration à deux voix, celle de Nine et celle de sa mère, est rythmée par les heures de la nuit et la tension qui grandit au fil de la lecture et du récit qui se tisse. Avec <em>L’aube sera grandiose</em> (Gallimard Jeunesse, 2017) <a href="https://bondoux.jimdofree.com/">Anne-Laure Bondoux</a>, lauréate du <a href="https://www.prixvendredi.fr/">prix Vendredi</a>, nous présente une histoire poétique qui garde le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page.</p>
<h2>La Belle Sauvage</h2>
<p>Dernière publication de <a href="http://www.philip-pullman.com/">Philip Pullman</a>, <a href="https://next.liberation.fr/livres/2017/11/24/philip-pullman-a-la-croisee-des-romans_1612308">La Belle Sauvage</a> est le premier volume d’une trilogie encore à paraître, qui prolonge sa célèbre trilogie pour la jeunesse <em>À la croisée des mondes</em>. Les nouveaux lecteurs y trouveront une introduction claire à son univers, et les initiés un riche approfondissement. Depuis l’auberge tenue par ses parents, le jeune Malcolm est témoin de la montée de l’autoritarisme et se retrouve entraîné dans des machinations politiques qui l’amèneront au cœur de la tourmente.</p>
<p><em>La Belle Sauvage</em> (Gallimard Jeunesse, 2017) est un récit de voyage, qui mêle fantasy, roman d’espionnage et contes de fées. La barque éponyme de Malcolm lui fait parcourir la Tamise, à travers les villes, les strates sociales, les genres littéraires et les mondes. Véritable initiation à la lecture, ce roman articule enjeux politiques et rencontres fantasmagoriques, et enjoint chacun à apprendre toujours plus et à utiliser son savoir pour changer le monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120517/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Entre nouvelles, romans ou poèmes, voyages fantastiques, sagas familiales ou interrogations pleines d’humour du monde actuel, voici quelques pistes pour diversifier les lectures des 5-15 ans.Eléonore Cartellier, Docteur en littérature britannique, Université Grenoble Alpes (UGA)Sibylle Doucet, Doctorante, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1183082019-06-30T20:18:23Z2019-06-30T20:18:23ZLittérature : s’approprier les classiques, un défi pour les lycéens<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/281155/original/file-20190625-81770-193ha8s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C1%2C995%2C529&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les exigences des programmes de lettres n’ont pas baissé ces dernières années et les jeunes de 15 ans et plus lisent plus que la moyenne des adultes.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/students-youth-adult-reading-education-knowledge-445213327?src=jREa8S6Vkfl5bTny-kNrAg-1-70&studio=1">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>« Les jeunes d’aujourd’hui ne lisent plus ! » Ponctué d’un soupir aigri, ce refrain bien connu est souvent complété par des considérations sur les méfaits d’Internet – sans envisager d’ailleurs une seconde que naviguer sur le Web puisse mobiliser des compétences de lecture. Ces propos peuvent aussi se conclure par une interrogation énervée : « Mais que font leurs professeurs de français ? »</p>
<p>Selon la <a href="https://www.centrenationaldulivre.fr/fichier/p_ressource/17602/ressource_fichier_fr_les.frana.ais.et.la.lecture.2019.03.11.ok.pdf">dernière étude</a> du Centre national du livre, les jeunes de plus de 15 ans lisent plus que la moyenne des adultes, et le taux de lecteurs dans cette tranche d’âge (91 %) a progressé de 9 points entre 2015 et 2019. 4 % des jeunes déclarent détester lire alors que 80 % lisent 3h par semaine, surtout des lectures scolaires mais aussi pour leurs loisirs.</p>
<p>Les exigences des programmes de lettres en matière de lecture n’ont pas baissé, loin de là. Sur le site de l’académie de Paris, nous pouvons consulter les <a href="https://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p2_815133/20-ans-de-listes-de-baccalaureat">archives</a> très intéressantes des descriptifs de baccalauréat en vue de l’épreuve orale de français de Ghislaine Dan, une enseignante expérimentée.</p>
<p>En 1991, les lycéens devaient lire deux œuvres intégrales (un roman et une pièce de théâtre) pour préparer cette épreuve, qui étaient complétées par la lecture d’extraits d’œuvres argumentatives et poétiques. En 2013, on passe à la lecture de 8 œuvres intégrales, en plus des extraits, et le descriptif s’est considérablement enrichi de documents complémentaires. Si je consulte mes propres archives, je fais exactement le même constat.</p>
<h2>Écritures créatives</h2>
<p>Les <a href="https://eduscol.education.fr/lettres/actualites/actualites/article/programme-national-doeuvres-en-cours-de-francais-des-classes-de-premiere-generale-et-de-premi.html">nouveaux programmes</a>, en vue du baccalauréat 2020, accentuent ces objectifs de lecture ambitieux, en choisissant de mettre en valeur la lecture d’œuvres complètes, lesquelles seront définies par un programme national : les lycéens de première vont tous avoir à lire huit livres (des classiques pour la plupart), à quoi il faudra ajouter encore des parcours associés à ces œuvres, composés d’extraits.</p>
<p>Pour l’instant, seules deux femmes, sur douze auteurs au choix, sont intégrées à ce qui va renforcer l’existence d’un « canon » littéraire officiel pour le bac général : Madame de La Fayette, et Marguerite Yourcenar. Mais l’injonction scolaire peut-elle suffire à faire lire tous nos élèves ? On se souvient de Daniel Pennac, qui dans <em>Comme un roman</em>, affirmait que le verbe lire ne se conjugue pas à l’impératif.</p>
<p>Les nouveaux programmes de français comportent un levier intéressant, dont les enseignants doivent s’emparer : les <a href="https://cache.media.education.gouv.fr/file/SP1-MEN-22-1-2019/93/0/spe575_annexe2_1062930.pdf">écrits d’appropriation</a>, qui permettent aux élèves, grâce à des projets d’écriture créative, d’accrocher plus facilement à la lecture. Cet élément des programmes s’inspire des travaux menés depuis des années sur le <a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=836">« sujet lecteur »</a> d’abord par Annie Rouxel et Gérard Langlade, puis par <a href="https://books.google.fr/books/about/Vers_un_enseignement_de_la_lecture_litt.html?id=YnBlngEACAAJ&redir_esc=y">Sylviane Ahr</a> avec <em>Vers un enseignement de la lecture littéraire au lycée</em> et enfin, plus récemment, Bénédicte Shawky-Milcent et <a href="https://www.puf.com/content/La_lecture_%C3%A7a_ne_sert_%C3%A0_rien">son essai</a> enthousiasmant <em>La lecture, ça ne sert à rien !</em></p>
<p>Cette dernière définit ainsi l’appropriation : « S’être approprié une œuvre, c’est bien l’avoir rendue « propre à soi », l’avoir transformée en une composante de ce que l’on est, en élément d’une culture personnelle, inscrit dans la mémoire. » Elle précise néanmoins que les conditions de conservation de ce bien intérieur sont très précaires. Si on apprécie un livre qu’on a dévoré, saurait-on en parler avec précision des mois plus tard ?</p>
<h2>Autoportraits</h2>
<p>Pour transformer nos élèves en sujets lecteurs, nous devons éviter de substituer d’emblée à la lecture subjective, personnelle, nos lectures savantes de professeur.es. Sylviane Ahr souligne l’opposition entre deux théories de la lecture en milieu scolaire. La théorie de l’effet, d’une part, suppose que le sens est programmé par le texte : il y a une lecture modèle, idéale, et l’élève doit reconnaître le sens attendu par le professeur. A l’opposé, la théorie de la réception suppose que la lecture est une rencontre entre un livre et un lecteur, elle n’est pas unique, c’est une expérience personnelle.</p>
<p>Ces deux théories illustrent deux conceptions de la lecture : l’une, commune à tous les lecteurs, serait une lecture objective, tandis que l’autre, variable à l’infini, est subjective, propre à chacun. Pour elle, les sujets-lecteurs reconfigurent l’œuvre lue. Au lycée, c’est la théorie de l’effet qui prévaut : il faut cependant faire une place au sujet-lecteur, mais comment ? Le but de tout professeur de français, au-delà des examens, c’est bien de transformer ses élèves en lecteurs pour la vie.</p>
<p>Sylviane Ahr et Bénédicte Shawky-Milcent préconisent le développement des autoportraits de lecteurs qui aident les professeur·e·s à mieux comprendre les difficultés ou les préférences de lecture des élèves. C’est une pratique qui m’a personnellement beaucoup apporté.</p>
<p>Ainsi, mes élèves en difficultés peuvent décrire très finement les obstacles qu’ils ressentent face aux livres, comme Alexandre en 2018 qui affirmait : « je ne ressens rien dans un livre alors que devant une animation j’arrive dans certains cas à être le héros, à ressentir comme lui », ou bien Lilian qui décrivait sa difficulté à mettre un visage sur les personnages d’un roman.</p>
<p>Il faut donc aider ces élèves à créer leurs propres images de lecteurs. Les carnets de lecteur, que l’on tient comme un journal de bord d’impressions personnelles, au fil de la lecture, peuvent constituer une aide précieuse.</p>
<h2>Projets de classe</h2>
<p>Les écrits d’appropriation autour de la lecture des œuvres complètes en lycée peuvent devenir de véritables aventures de classe, quand on en fait des projets collaboratifs, en mêlant à la lecture le plaisir de l’invention.</p>
<p>Cette année, j’ai proposé à mes élèves de seconde un défi : celui de « Sauver Boule de Suif » – prostituée héroïne de la célèbre nouvelle de Maupassant qui se sacrifie pour ses compagnons de voyage mais n’encourt que leur mépris. Il s’agissait pour les élèves d’écrire des dénouements alternatifs, à différents endroits de la nouvelle de Maupassant. Comment <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Boule_de_Suif">« Boule de suif »</a> aurait-elle pu résister ? C’est aussi à cet endroit un exercice qui pose des questions éthiques : pouvait-elle ne pas se laisser convaincre par le comte ? Pouvait-elle s’échapper pendant le baptême ?</p>
<p>Les élèves, interventionnistes, ont déterminé les points de fragilité de l’intrigue pour la faire dévier et sauver l’héroïne. L’ensemble a donné un <a href="http://www.scribaepub.it/play.html?ebook=16534">livre interactif</a> en ligne. L’an passé, avec fantaisie, nous nous étions demandé ce qui se serait passé si Internet avait existé au temps de <a href="http://www.scribaepub.it/play.html?ebook=13858">Bel-Ami</a>, le personnage de Maupassant : un projet qui a porté les élèves dans la lecture du roman. Ils ont créé des comptes de personnages sur les réseaux sociaux, ils ont entièrement transposé le roman dans le monde de l’ère numérique avec beaucoup de motivation.</p>
<p>Nous avons aussi créé avec des élèves de première les <a href="http://www.scribaepub.it/play.html?ebook=4609">vraies-fausses archives</a> de <em>Voyage au bout de la nuit</em>, de Céline : j’étais à vrai dire impressionnée devant la créativité des élèves. Une autre année, pour faciliter la création d’images personnelles dans la lecture des <em>Années</em> d’Annie Ernaux, nous avons créé un album d’images collaboratif, à partir de citations du livre, que nous avons ensuite envoyé à l’auteure. Et le plus merveilleux, c’est qu’elle nous a répondu.</p>
<p>Nous sommes nombreux à croire que les projets d’appropriation peuvent être des aides décisives à la lecture. Il suffit de consulter <a href="http://i-voix.net/">i-voix</a>, le blog merveilleux de Jean‑Michel Le Baut au lycée de l’Iroise, à Brest ou le superbe <a href="https://britannicusblog.wordpress.com/">Britannicus-blog</a> du lycée Charlie Chaplin de Décines.</p>
<p>Ces pratiques ne supposent aucune baisse des exigences, ni l’abandon des exercices canoniques du commentaire ou de la dissertation, bien au contraire, puisqu’elles permettent une lecture vivante des œuvres au programme, et favorisent donc le plaisir de lire, mais aussi la mémorisation des œuvres. Elles développent aussi une conscience esthétique et éthique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/118308/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Françoise Cahen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des années, des siècles après leur sortie, les romans d’Annie Ernaux, Maupassant ou Madame de Lafayette touchent-ils encore les jeunes ? Posons la question à l'occasion des nouveaux programmes du bac.Françoise Cahen, Professeure agrégée de lettres modernes, formatrice académique et doctorante, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1005572018-08-21T20:56:08Z2018-08-21T20:56:08ZDans la valise des chercheurs : « Titus n’aimait pas Bérénice »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/232555/original/file-20180819-165958-1gcgf2e.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C2%2C1973%2C1440&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bérénice, Illustration Dessenne et Girardet. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://libretheatre.fr/berenice-de-jean-racine/">BnF/ Gallica</a></span></figcaption></figure><p>Avec son sixième roman, <a href="http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=978-2-8180-3620-4"><em>Titus n’aimait pas Bérénice</em></a>, Nathalie Azoulai réussit un double exploit. D’une part, elle plonge le lecteur dans l’énigme que représente la rupture amoureuse ; d’autre part, elle le conduit dans la vie et l’œuvre de Jean Racine, en conjuguant brillamment approche biographique et réflexion sur le langage dramatique du plus grand poète du grand siècle.</p>
<p>La romancière nous introduit aux mystères de l’amour à partir de la tragédie de Racine, <em>Bérénice</em>. Celle-ci est, en effet, depuis plus de trois siècles, l’illustration la plus accomplie de l’expérience amoureuse dans ce qu’elle a de plus ordinaire et de plus intransmissible.</p>
<p>Avant d’être une héroïne de théâtre, Bérénice fut un personnage historique. Plus tard, au XX<sup>e</sup> siècle, elle devint une figure romanesque dessinée par Louis Aragon dans l’un des plus beaux romans d’amour de notre langue, <em>Aurélien</em>. La figure tragique de Bérénice s’est construite également sur la mémoire du théâtre, à partir des mises en scène contemporaines de la pièce de Racine. Aujourd’hui, le roman d’Azoulai ajoute une pierre nouvelle à cet édifice imaginaire. Cet apport relève d’une approche critique, au sens où le roman évoque les conditions et la nature de l’œuvre de Racine, à travers une écriture de fiction qui redonne vie à l’entourage intellectuel, politique et affectif de Racine.</p>
<p>La relation entre Titus, empereur de Rome, destructeur du deuxième temple de Jérusalem, initiateur de la catastrophe historique qui entraîne la dispersion du peuple juif au 1<sup>er</sup> siècle (70 apr. J.-C.), et Bérénice, reine de Judée, petite fille du roi Hérode qui l’a suivi par amour à Rome, donne un fondement historique à la pièce de Racine. Amour impossible entre celui qui a conduit la destruction de temple et le massacre de juifs de Judée et la reine de ce peuple.</p>
<h2>Le personnage de théâtre</h2>
<p>« Il ne s’agit plus de vivre, il faut régner », déclare Titus à Bérénice, au moment où Rome lui confie le pouvoir impérial, à la mort de son père, l’empereur Vespasien. Cet accès au pouvoir est aussi le moment où il signifie à sa bien-aimée qu’il faut se séparer.</p>
<p>La figure théâtrale de Bérénice trouve sa source dans l’histoire racontée par Suétone : Titus qui aimait passionnément Bérénice, et qui même, à ce qu’on croyait, lui avait promis de l’épouser, la renvoya à Rome, malgré lui, et malgré elle, dès les premiers jours de son empire.</p>
<p>Racine a conscience de fonder sa tragédie sur ce « presque rien », tel que l’exprime Bérénice dans les derniers vers de la pièce :</p>
<blockquote>
<p>« Je l’aime, je le fuis ; Titus m’aime, il me quitte. »</p>
</blockquote>
<p>Nathalie Azoulai, fait dire à Jean Racine, en réaction au propos de son ami, Nicolas Boileau, qui jugeait sa tragédie manquait d’action que :</p>
<blockquote>
<p>« Si vous parvenez à saisir tout ce qui se passe dans l’annonce d’une séparation, vous êtes au cœur de la condition humaine, ses désirs, sa solitude. »</p>
</blockquote>
<p>C’est parce que l’amour ronge le cœur des hommes et ne procure, au bout du compte, qu’un bonheur illusoire, comme l’éprouve l’âme sombre de Racine, que sa tragédie a pu faire pleurer les femmes de la cour de Louis XIV. Et pas seulement les dames : Louis XIV, dit-on, également.</p>
<p>« On ne quitte jamais impunément ce qu’on aimé » : c’est par ces mots que Nicolas Boileau aurait tenté de tempérer le chagrin de Racine troublé par toutes ces héroïnes abandonnées qu’il a créées.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/232558/original/file-20180819-165946-537jzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/232558/original/file-20180819-165946-537jzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/232558/original/file-20180819-165946-537jzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=768&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/232558/original/file-20180819-165946-537jzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=768&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/232558/original/file-20180819-165946-537jzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=768&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/232558/original/file-20180819-165946-537jzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=965&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/232558/original/file-20180819-165946-537jzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=965&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/232558/original/file-20180819-165946-537jzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=965&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Racine par François de Troy.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/51/Racine_par_Fran%C3%A7ois_de_Troy.jpg">Wikipédia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Aurélien ou l’amour impossible</h2>
<p>Le roman d’Aragon, <em>Aurélien</em>, raconte l’histoire d’un amour impossible. Celui que porte à Bérénice le personnage-titre du roman. Aurélien Leurtillois représente la génération d’anciens combattants de la guerre de 14, de retour au lendemain de l’armistice de 1918. Le roman, écrit entre 1942 et 1943, raconte un amour impossible entre le héros et une jeune femme provinciale venue rendre visite à sa cousine, une femme de la grande bourgeoisie parisienne, mariée à un ami proche d’Aurélien.</p>
<blockquote>
<p>« La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut enfin. Il n’aimait pas comme elle était habillée. »</p>
</blockquote>
<p>C’est ainsi que débute le roman d’Aragon. Aurélien ne s’est jamais remis de ses trois ans passés à la guerre ; il n’avait ni aimé ni vécu. Et cette Bérénice qu’il n’avait pas vraiment regardée, lorsqu’il la rencontre, vient pourtant hanter Aurélien, obsédé par un vers de la tragédie de Racine :</p>
<blockquote>
<p>« Je demeurai longtemps errant dans Césarée… »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/232556/original/file-20180819-165946-uo8xl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/232556/original/file-20180819-165946-uo8xl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=381&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/232556/original/file-20180819-165946-uo8xl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=381&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/232556/original/file-20180819-165946-uo8xl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=381&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/232556/original/file-20180819-165946-uo8xl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/232556/original/file-20180819-165946-uo8xl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/232556/original/file-20180819-165946-uo8xl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=478&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Aurélien</em> de Louis Aragon.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://classes.bnf.fr/ecritures/grand/p238.htm">BnF, Manuscrits, Nouv. acq. fr. 25559, f° 1 Bibliothèque nationale de France</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La rupture que fut la guerre de 14 dans la vie d’Aurélien pèse lourdement sur l’amour qu’il porte à Bérénice qui se trouve dans un tout autre état d’esprit. Et lorsque Aurélien et Bérénice se retrouvent, une vingtaine d’années plus tard, aux jours de l’exode et de la retraite, aux dernières heures de la guerre de 40, le divorce des vies des deux protagonistes et le divorce de leurs idées se manifestent avec force.</p>
<p>Aragon, en 1964, revient sur son roman sur lequel il a mis tant de lui-même. Dans un texte intitulé, « Voici le temps enfin qu’il faut que je m’explique », il affirme, qu’avec Aurélien, il a renoué avec le cycle romanesque du « Monde réel ». Et cette citation d’un vers de Racine – par lequel Titus s’interroge sur le destin que peut prendre son amour pour Bérénice alors que la voix publique s’oppose à leur union – est aussi une manière pour Aragon de renouer avec lui-même et son amour pour Elsa.</p>
<h2>Une Bérénice d’aujourd’hui</h2>
<p>En 2015, dans le roman de Nathalie Azoulai, Bérénice est une femme d’aujourd’hui. Abandonnée par son amant, l’expérience dévastatrice qui est la sienne est à l’opposé du cliché selon lequel l’épouse légitime est systématiquement quittée pour une femme plus jeune.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mbY7g4HD3xY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Titus est en effet revenu auprès de son épouse légitime, Roma, la mère de ses enfants. Cet abandon de la femme que Titus prétend aimer est l’entame du roman ; ce récit ne reprend qu’au deux tiers du roman, et ce sur une dizaine de pages. Pourtant, cette histoire de rupture n’est pas secondaire. La Bérénice d’aujourd’hui tente de comprendre ce qui lui arrive à partir des pièces de Racine où les héroïnes, Hermione, Phèdre, Bérénice, Andromaque vivent des amours contrariées. C’est là qu’elle recherche des échos à sa détresse.</p>
<p>« Racine, c’est le supermarché du chagrin d’amour » lance-t-elle à ses proches qui s’interrogent sur son intérêt soudain pour Racine. Grâce à lui, écrit Azoulai, « elle en arrive à se passer de confidents ».</p>
<p>Le livre est un roman d’apprentissage qui se développe sur deux plans. Le premier concerne la capacité de la littérature à nous renvoyer à nous-mêmes. N’est-elle pas, aussi, un recours, sinon à la peine, du moins à l’absence de compréhension de ce qui advient dans notre vie commune ? La perte de l’autre, le désamour, l’absence de reconnaissance, l’extinction d’un amour… qu’en saurions-nous sans la littérature ? Le temps qu’il faut pour cicatriser la blessure ; pour se remettre d’un chagrin d’amour ; pour sortir du schéma que Racine a tant de fois illustré : A aime B et B qui aime C alors que C ne sait pas s’il doit sacrifier à cet amour ou choisir un autre objet… La grandeur de la littérature est de nous faire sentir que « l’amour ronge le cœur des hommes et ne peut leur apporter qu’un bonheur illusoire ». C’est du moins ce que finit par comprendre la Bérénice de Nathalie Azoulai. N’a-t-on pas « toujours peur de perdre ce que l’on aime ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/232557/original/file-20180819-165940-2emzkf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/232557/original/file-20180819-165940-2emzkf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/232557/original/file-20180819-165940-2emzkf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=990&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/232557/original/file-20180819-165940-2emzkf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=990&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/232557/original/file-20180819-165940-2emzkf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=990&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/232557/original/file-20180819-165940-2emzkf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1244&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/232557/original/file-20180819-165940-2emzkf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1244&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/232557/original/file-20180819-165940-2emzkf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1244&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Frontispice de l’édition Claude Barbin (1671).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%A9r%C3%A9nice_(Racine)#/media/File:Berenice_1671_title_page.JPG">BnF</a></span>
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<p>La seconde dimension du roman d’apprentissage concerne la formation psychique, intellectuelle et littéraire de Jean Racine. Son rapport à sa vie d’orphelin élevé par les messieurs de Port Royal ses maîtres ; sa relation aux femmes ; au destin qu’il veut se construire. Et c’est sur ce plan que ce roman est le plus passionnant, le plus nouveau aussi. La question que pose la littérature est celle du rapport entre la fiction et la vie ; la poésie et la vie. Le roman tisse une trame fictionnelle largement inspirée par la connaissance de la vie et de l’œuvre de Jean Racine, les relations entre les mots et la réalité. L’amitié entre Jean Racine et son ami d’adolescence, le petit marquis, fondée sur une estime réelle et une distance sociale infranchissable ; la relation amoureuse entre Racine <a href="http://www.regietheatrale.com/index/index/thematiques/Severine-Mabille-theatre/Berenice-de-Racine.html">et ses interprètes</a> qui lui révèlent par leur sensibilité et leur talent le sens profond de ses vers.</p>
<p>Il reste une question que ce texte ne peut aborder : « Titus aimait-il Bérénice ? » La réponse appartient au spectateur de la représentation théâtrale. Et c’est la mise en scène qui introduit par le jeu des acteurs, leurs actions et la déclamation des vers de Racine… des éléments de réponse. C’est ce qu’il faudrait montrer à partir des mises en scène des artistes les plus importants des quarante dernières années : Planchon ; Vitez, Grüber, Wilson et bien d’autres. Ces différentes interprétations ne font que montrer que la vérité du texte de théâtral n’existe que dans le traitement qu’en donne la représentation.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/232559/original/file-20180819-165967-17gjc2u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/232559/original/file-20180819-165967-17gjc2u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=886&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/232559/original/file-20180819-165967-17gjc2u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=886&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/232559/original/file-20180819-165967-17gjc2u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=886&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/232559/original/file-20180819-165967-17gjc2u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1114&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/232559/original/file-20180819-165967-17gjc2u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1114&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/232559/original/file-20180819-165967-17gjc2u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1114&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le roman de Nathalie Azoulai.</span>
<span class="attribution"><span class="source">POL éditions</span></span>
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<p><em>A lire sur le blog de l'auteur, <a href="https://affiniteelective.wordpress.com/">un prolongement de cet article</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/100557/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean Caune ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Nathalie Azoulai réussit le double exploit de plonger le lecteur dans l’énigme que représente la rupture amoureuse et de le conduire dans la vie et l’œuvre de Jean Racine.Jean Caune, Professeur émérite en sciences de la communication, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/995602018-07-18T20:23:18Z2018-07-18T20:23:18ZDans la valise des chercheurs : et si vous (re)lisiez « Le Nom de la rose » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/228240/original/file-20180718-142423-jt9ezy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C8%2C1979%2C1131&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_Le Nom de la rose_, réalisé par Jean-Jacques Annaud (1986).</span> </figcaption></figure><p>Enquête policière, amour de la connaissance et plongée dans le Moyen Âge du XIV<sup>e</sup> siècle – tels pourraient être les trois mots d’ordre du roman <em>Le Nom de la rose</em>, écrit par le médiéviste et sémioticien Umberto Eco et paru en 1980. Deux ans après la disparition de l’auteur en 2016, j’aimerais rappeler combien ce livre est riche, passionnant et actuel.</p>
<h2>Crédibilité historique</h2>
<p>Parallèlement à ses nombreuses activités universitaires, Umberto Eco était animé par le besoin d’écrire : c’est de là qu’est partie la conception du <em>Nom de la rose</em>, selon les mots mêmes de l’auteur. Sa proximité avec le monde médiéval l’a conduit à choisir cette époque comme cadre à son histoire. Il dit en effet être plus familier avec le Moyen Âge, qu’il a appris à connaître par une longue et patiente fréquentation des sources historiques, qu’avec notre époque contemporaine, trop souvent résumée à grands traits à travers un écran de télévision. Plus encore, c’est l’idée d’une scène bien précise qui a inspiré Umberto Eco et lancé l’histoire du roman : il voulait raconter l’empoisonnement d’un moine.</p>
<p>Dès lors, il importait de rendre le cadre historique le plus crédible possible. L’auteur s’est abondamment informé sur les différents sujets abordés dans son roman. Il y a tout d’abord l’architecture de l’abbaye bénédictine où se déroule l’action. Cette abbaye fait l’objet de vivantes descriptions – en particulier son portique avec sa scène du Jugement dernier et ses monstres apocalyptiques – afin de plonger le lecteur dans l’atmosphère de la chrétienté médiévale du XIV<sup>e</sup> siècle. Il y a ensuite une restitution rigoureuse du mode de vie monastique, avec ses rituels, ses rythmes et ses obligations de prière et de travail.</p>
<p>Umberto Eco nous fait également découvrir les nombreuses querelles religieuses de l’époque. On retrouve le conflit entre les papes exilés à Avignon et ceux qui tentent de s’imposer à Rome, sans parler de l’empereur germanique qui cherche à être à la tête de la chrétienté. On découvre aussi la difficile émergence de l’ordre mendiant des Franciscains dont le héros du roman, Guillaume de Baskerville, est un représentant. Enfin, on se frotte à la question des hérésies – ces mouvements considérés comme déviants par l’Église romaine. À cet égard plane sur le roman la figure de l’hérétique Fra Dolcino, personnage historique ayant réellement existé, et de sa compagne, Margherita. Dépeints en héros tragiques en quête d’absolu religieux, ces deux protagonistes furent sauvagement exécutés quelques années avant le début de l’intrigue du livre. On retrouve certains de leurs disciples cachés dans le roman. Dans cette abbaye, c’est donc une guerre pour la pureté et pour la légitimité religieuse qui se déchaîne en arrière-plan de la narration, si bien que le lecteur se trouve pris au jeu infernal des moines tiraillés entre d’un côté l’enfer de leurs pulsions trop humaines de chair ou de savoir, et, de l’autre, le paradis de la vérité et de la pureté.</p>
<p>Enfin, il était fondamental pour Umberto Eco de créer un style d’écriture et des dialogues convaincants : pas question de faire dialoguer deux moines comme l’on parlerait aujourd’hui. À cet effet, le romancier, déjà grand lecteur et connaisseur des sources médiévales, s’est replongé dedans avant d’écrire son roman. L’objectif était de restituer au mieux le phrasé et le souffle des œuvres écrites du XIV<sup>e</sup> siècle. Ainsi le livre sonne-t-il toujours extrêmement juste, à travers une poétique qui offre aux non-spécialistes une première approche de la littérature médiévale.</p>
<figure>
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</figure>
<h2>Une enquête policière</h2>
<p><em>Le Nom de la rose</em> est une œuvre exigeante, pour son auteur comme pour son public. Umberto Eco fait le pari qu’il est possible d’écrire un roman historique crédible et vraisemblable tout en jouant sur le registre très contemporain de l’enquête policière. Cette enquête n’est d’ailleurs pas uniquement un simple prétexte narratif destiné à plaire au lecteur. Dans la forme, le romancier a travaillé le déroulement et la conclusion de cette enquête pour la rendre inattendue et ainsi faire réfléchir son public. Dans le fond, on se trouve aussi face à une véritable quête scientifique, qui rappelle celle de l’historien, du chercheur ou du journaliste dont le but final est moins la vérité immuable que la réflexion face à tout discours qui se présente comme vérité.</p>
<p>Nombre de personnages de cette quête sont soit attachants, soit terrifiants, soit un peu des deux – en tout cas, ils nous apparaissent comme hauts en couleur. Le jeune Adso est, tel le lecteur, celui qui ne sait rien de la vie mais qui va tenter d’apprendre au fil des pages. Son maître, Guillaume de Baskerville, véritable Sherlock Holmes du Moyen Âge, est au contraire un monument de savoir et de réflexion – du moins tant que son disciple ne parvient pas à le dépasser. Guillaume nous invite à questionner et interpréter mais aussi à faire preuve de dérision. Figure rassurante, il n’est pourtant pas exempt de défauts – le moindre d’entre eux étant son obstination à vouloir l’emporter dans un débat d’arguments.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/228242/original/file-20180718-142411-7cycox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/228242/original/file-20180718-142411-7cycox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/228242/original/file-20180718-142411-7cycox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=834&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/228242/original/file-20180718-142411-7cycox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=834&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/228242/original/file-20180718-142411-7cycox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=834&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/228242/original/file-20180718-142411-7cycox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1048&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/228242/original/file-20180718-142411-7cycox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1048&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/228242/original/file-20180718-142411-7cycox.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1048&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><em>Le Rire</em>, huile sur bois du XVᵉ siècle, anonyme.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Nom_de_la_rose_(roman)#/media/File:Court_jester_stockholm.jpg">Wikipédia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Du côté des inquiétants, comment ne pas mentionner le moine Salvatore, individu à mi-chemin entre l’homme et la bête, dont le parler étourdissant mélange plusieurs dialectes médiévaux. Il est le fou qui dit autant de vérités que de sornettes.</p>
<p>Parmi les nombreux moines, on peut aussi mentionner Jorge, rival intellectuel de Guillaume, au tempérament austère et implacable. La première confrontation métaphysique entre les deux hommes sur la place du rire dans la définition notre humanité est un grand moment du roman où l’on s’écharpe avec vivacité à coup d’auteurs médiévaux et antiques. Enfin, dans ce monde d’hommes en lutte contre leurs péchés réels ou imaginaires, on pourra remarquer combien la femme est à la fois absente et omniprésente – on la retrouve dans deux figures féminines quasi évanescentes et néanmoins obsédantes, ainsi que dans le titre même du livre à travers l’évocation énigmatique de la « rose », reflet de l’essence même des choses.</p>
<h2>Réalités médiévales et échos contemporains</h2>
<p>Le roman offre un aperçu saisissant des réalités médiévales. Il permet par exemple de comprendre la réalisation des parchemins au sein du <em>scriptorium</em> de l’abbaye, et de se représenter les enluminures envoûtantes qui y sont réalisées, comme celle « de renards et de fouines armés d’arbalètes qui escaladaient une ville garnie de tours et défendue par des singes » ou encore de visualiser les lettres en forme de serpent et de dragons. Le livre sait aussi frapper le lecteur par des passages contemplatifs ou oniriques extrêmement saisissants. On peut évoquer le rêve d’Adso dans les dernières pages du livre où se mélangent dans une scène de banquet orgiaque de nombreux personnages bibliques, véritable ancêtre de nos <em>cross-over</em> contemporains qui font se rencontrer les héros de nos mythologies actuelles. Enfin, la conclusion du livre, que nous garderons évidemment secrète, touche par son apparente simplicité qui cache en réalité de nombreuses réflexions sur le statut de la vérité.</p>
<p><em>Le Nom de la rose</em> revêt ainsi une grande actualité. Quelle est notre place face à la quête de la pureté ou de la vérité dans un monde où rien n’est sûr ni stable ? Comment tirer la meilleure part de notre humanité face aux folies d’une époque ? Les plus spécialistes pourront aussi trouver dans la description de la vie monastique ou dans la quête de pureté des échos à la récente parution du livre posthume de Foucault, <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Les-aveux-de-la-chair"><em>Les aveux de la chair</em></a>, où il est question de la production d’un discours sur soi afin de contrôler ses pulsions et ses passions.</p>
<p>Profitons donc de l’été pour nous aventurer avec Guillaume de Baskerville dans une abbaye ou crime et sainteté sont plus proches qu’on ne le croit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/99560/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Simon Hasdenteufel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le célèbre livre d’Umberto Eco livre un récit historique crédible et vraisemblable tout en jouant sur le registre très contemporain de l’enquête policière.Simon Hasdenteufel, Doctorant en histoire médiévale, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/999182018-07-16T19:24:09Z2018-07-16T19:24:09ZLe quidditch, l’autre Coupe du monde de l’été 2018<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/227748/original/file-20180716-44073-17jynyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1194%2C765&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'équipe américaine, vainqueur de la Coupe du monde 2018, en action.</span> <span class="attribution"><span class="source">Audrey Tuaillon Demésy</span></span></figcaption></figure><p>En plein mondial de football, s’est tenue à Florence, comme en écho, la Coupe du monde de quidditch. Du 27 juin au 2 juillet, l’Italie a accueilli cette compétition internationale d’un genre nouveau.</p>
<p>Le quidditch se présente comme un sport collectif mixte de contact, issu de la fiction <em>Harry Potter</em> et la référence au monde merveilleux fournit son esthétique à l’activité (les anneaux, le Vif d’or, les différents ballons, etc.). Ce cadre a permis la création d’une nouvelle pratique sportive, dont la Coupe du monde est devenue l’emblème.</p>
<h2>La Coupe du monde : une vitrine pour le quidditch</h2>
<p>Sur le terrain, deux équipes de sept joueurs s’affrontent dans un subtil mélange de handball, de dodge-ball mais aussi de rugby. L’objectif est de marquer des points en faisant passer le <em>souafle</em> (nom donné au ballon principal) dans les anneaux, tout en évitant les <em>cognards</em> (d’autres balles) adverses. La capture du Vif d’or (un joueur-arbitre neutre doté d’une balle de tennis) est appelée « catch ». Elle rapporte 30 points à l’équipe qui parvient à s’en saisir et met fin au match.</p>
<p>Le Coupe du monde a lieu tous les deux ans. Elle est organisée <a href="http://www.iqasport.com">par la Fédération internationale IQA</a> et elle donne l’occasion de communiquer sur ce sport émergent (créé aux USA il y a une douzaine d’années). En 2016, elle s’était déroulée à Francfort et avait vu la <a href="https://theconversation.com/le-quidditch-ce-sport-reel-venu-dharry-potter-64534">victoire des Australiens, devant l’équipe des USA</a>. La France avait alors terminé 5<sup>e</sup>. Cette seconde édition en Europe (qui correspond à la quatrième Coupe mondiale officielle) se veut une vitrine du quidditch à l’international.</p>
<p>Le dernier championnat s’est déroulé samedi 30 juin et dimanche 1<sup>er</sup> juillet. Il fut précédé d’un match d’exhibition (en centre-ville) le 27 juin, ainsi que d’une cérémonie d’ouverture et de temps d’ateliers la veille. L’objectif est de faire se rencontrer les meilleurs joueurs au niveau mondial, par le biais des équipes nationales.</p>
<p>De grandes disparités apparaissent pourtant puisque dans certains pays, tels que les USA, le quidditch est un sport universitaire et les joueurs présents à Florence étaient accompagnés de leurs deux coachs. À l’inverse, d’autres équipes, moins expérimentées, venaient avant tout pour échanger et vivre une compétition à un niveau international.</p>
<p>Il y a deux ans, 21 équipes avaient participé à la compétition en Allemagne. Cette année, 29 nations étaient représentées : Canada, Brésil, France, USA, Belgique, Corée du Sud, Vietnam, Hong-Kong, Malaisie, Mexique, Royaume-Uni, Suisse, Nouvelle-Zélande, Australie, Norvège, Slovénie, Slovaquie, Islande, Finlande, Turquie, Allemagne, Italie, Espagne, Catalogne, Pologne, Irlande, Autriche, Hollande et République tchèque.</p>
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<p>Les spectateurs ont pu bénéficier de places dans les gradins du stade de Florence, ce qui conférait une dimension formelle aux matchs, même si les supporters sont quelques fois venus occuper la pelouse du terrain. Dans son groupe, chaque équipe a rencontré trois autres nations. Les quarts de finale ont donné lieu à des matchs parfois serrés et les équipes ont parfois été départagées grâce au Vif d’or.</p>
<p>La finale a vu s’affronter les États-Unis et la Belgique. L’équipe américaine se positionne sur la première marche du podium grâce au <em>catch</em> du Vif d’or et reprend ainsi la place perdue il y a deux ans. Pour sa part, la France termine 6<sup>e</sup> du classement après avoir perdu son match contre la Belgique. Notons une belle remontée en 3<sup>e</sup> position de l’équipe turque, qui avait terminé 6<sup>e</sup> en 2016.</p>
<h2>Un sport différent ?</h2>
<p>Appréhender le quidditch d’un point de vue sociologique nécessite une bonne compréhension du sport en lui-même (les rôles, les règles, etc.), mais aussi une connaissance des joueurs et de la communauté qu’ils forment. Pour cette raison, une approche ethnographique permet d’occuper une place sur le terrain. Les analyses menées ici sont le résultats d’une approche qualitative de cette pratique émergente.</p>
<p>Plusieurs observations (directes ou participantes selon les cas) ont été menées (Coupes nationales, internationales, tournois amicaux, etc.), complétées par des entretiens. La Coupe du monde 2018 a été l’occasion de réaliser une observation directe, en immersion avec les supporters nationaux.</p>
<p>Le quidditch se présente comme un <a href="http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0193723514561549">sport alternatif</a> non conventionnel. Il se positionne, en effet, en dehors des pratiques physiques <em>mainstream</em>, notamment à travers certaines valeurs véhiculées, traduites dans les règles.</p>
<p>Ainsi en est-il de la règle du genre (<em>gender rule</em>) qui implique que les équipes soient nécessairement mixtes. Les <em>quiddkids</em> (nom que les joueurs se donnent entre eux) mettent en avant la dimension inclusive du quidditch, seul sport collectif mixte à reconnaître la non-binarité du genre et à construire une catégorie « a-genre ». Malgré tout, si le quidditch apparaît comme une réponse à une pratique dominante, il n’en reste pas moins en changement permanent.</p>
<h2>Un sport jeune et des règles en constante évolution</h2>
<p>La Coupe du monde est un moyen de saisir ces transformations qui transparaissent sous forme quantitative – de plus en plus d’équipes sont engagées dans cette compétition – et qualitative – la communication est de de plus en plus importante autour de l’événement, la diffusion des matchs se réalise en streaming sur Internet, etc..</p>
<p>Cette manifestation permet de comprendre le fonctionnement du quidditch à l’international : au niveau de l’organisation – chaque pays hôte gère ses propres bénévoles – et des règles, qui sont modifiées par la Fédération internationale pour les éditions suivantes en fonction de ce qui a pu poser problème. Le quidditch est ainsi un sport qui connaît un processus d’institutionnalisation relativement rapide et dont les règles sont retravaillées et éditées presque chaque année, afin de faciliter, entre autres, la mise en spectacle de l’activité.</p>
<p>Cette Coupe du monde révèle une autre particularité du quidditch : un attachement de certains participants au temps de l’enfance et à un certain « âge d’or ».</p>
<p>Les compétitions sont des moments festifs, rituels, qui ordonnent des façons d’être et de faire sur le terrain de sport. Au-delà de l’instant présent, les références au temps de l’enfance transparaissent dans les signes et les discours des quiddkids. Outre le fait que le quidditch soit un sport composé majoritairement de jeunes (en moyenne, 23 ans), les joueurs évoquent souvent avec humour un « syndrome de Peter Pan » et une volonté de rester de « grands enfants ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/227751/original/file-20180716-44085-1qbp43q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/227751/original/file-20180716-44085-1qbp43q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/227751/original/file-20180716-44085-1qbp43q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/227751/original/file-20180716-44085-1qbp43q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/227751/original/file-20180716-44085-1qbp43q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/227751/original/file-20180716-44085-1qbp43q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/227751/original/file-20180716-44085-1qbp43q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un sport directement inspiré par la saga Harry Potter.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Audrey Tuaillon Demésy</span></span>
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<p>Ce temps de l’enfance évoqué permet aux joueurs de revendiquer l’inscription de l’imaginaire dans le temps adulte. En outre, les quiddkids font partie de la génération qui a grandi avec les sorties successives des romans et des films <em>Harry Potter</em>, dont les valeurs sont transposées au quotidien.</p>
<p>À ce propos, une <a href="https://jhupbooks.press.jhu.edu/content/harry-potter-and-Millennials">étude menée par Anthony Gierzynski</a> montre que les fans d’Harry Potter aux États-Unis expriment des tendances politiques proches de celles véhiculées par les personnages de fiction : tolérance accrue à l’altérité, rejet de la violence physique, etc.</p>
<p>Faire du quidditch est ainsi un moyen de prolonger dans le temps présent des adultes un esprit fun qui caractérise cette pratique physique. En témoigne un jeu mis en place lors la Coupe du monde : les cartes « Firenze 2018 ».</p>
<p>Par ailleurs, ce temps de l’enfance est aussi à comprendre en référence à une certaine forme d’incertitude face au temps à venir. La mise en vie d’un univers fictionnel est un prolongement des littératures de genre (fantasy, SF) – que les quiddkids affectionnent – qui permettent l’immersion dans un autre monde. Le quidditch moldu est ainsi une façon de s’évader corporellement, par la re-création d’une pratique physique issue de l’imaginaire.</p>
<h2>La Belgique, vrai vainqueur ?</h2>
<p>La Coupe du monde 2018 se présente comme la face émergée de l’iceberg, en mettant en exergue la compétition internationale. Oscillant entre sport institué et activité physique revendiquant une opposition au sport <em>mainstream</em>, le quidditch repose sur une communauté de joueurs qui s’inscrivent entre recherche de <em>fun</em> et désir de performance sportive.</p>
<p>Pour autant, malgré la victoire des USA en finale, c’est l’équipe perdante que le public acclame. Même si l’équipe états-unienne se distingue par ses compétences techniques et physiques, les joueurs présents à Florence plébiscitent davantage la dimension affinitaire, l’équipe des États-Unis semblant peu assimilée au quidditch européen. Les véritables vainqueurs de cette Coupe du monde, pour la communauté du quidditch, ne seraient-ils pas, finalement, les Belges ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/99918/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Audrey Tuaillon Demésy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Faire du quidditch est un moyen de prolonger dans le présent des adultes un temps de l’enfance qui caractérise cette pratique physique.Audrey Tuaillon Demésy, Docteure en sociologie, maître de conférences en STAPS, Université de Franche-Comté – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/859312017-10-25T19:52:38Z2017-10-25T19:52:38ZPortrait de chercheur : Carole Bisenius‑Penin, Exogénèse de l’écrivain<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/190827/original/file-20171018-32361-1rgvxz8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Carole Bisenius Penin par Sébastien Di Silvestro.</span> </figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.</em></p>
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<p>« En France, les droits d’auteurs ne représentent que 12 % des revenus des écrivains qui majoritairement doivent exercer un second métier. Paradoxe tricolore, la figure sacrée héritée du XVIII<sup>e</sup> siècle conditionne encore un enseignement de littérature, un système d’édition et de médiatisation qui refusent toujours d’envisager l’écriture en tant que métier ».</p>
</blockquote>
<p>Elle en a assez. Assez de ces illusions entretenues sur les écrivains par l’institution universitaire qui cire lentement d’intouchables figures de monuments aux morts. « Et ce fut une apparition », disait Flaubert, comme si la magie de la littérature pouvait se passer d’arcanes, de travail, de ficelles à dissimuler sous peine de ravaler le statut d’écrivain au rang de simple prestidigitateur.</p>
<p>La chose serait hélas entendue, académique : l’écrivain est vieux, un génie et un homme. Un démiurge, que dit-on, un Dieu, puisqu’il tire de lui-même sa propre origine du néant. Et la littérature, sa création, procéderait tout entière de la même mythologie. Elle serait pure vocation, innée, ou rien, « raus ». D’éminents sociologues garderaient encore le temple. Et gare à l’étudiant en lettres qui oserait souiller l’autel de sa prose.</p>
<p>Au pays des gloires de Voltaire, d’Hugo, de Proust et de Flaubert écrire n’est toujours pas un métier. Et donc écrire ne s’apprend pas. Même si toute la société moderne se nourrit de récits ciselés dans la matière écrite. Même à l’heure des réseaux sociaux, ces stéréotypes confits depuis le XIX<sup>e</sup> siècle sont encore servis à toutes les sauces.</p>
<p>Carole Bisenius-Penin aligne ces faits avec la distance de celle qui possède un pied dans les deux mondes. Au Québec, où elle a mené notamment des recherches sur les ateliers d’écriture, comme aux États-Unis, la question de la composition créative à l’université a été institutionnalisée depuis 30 ans. En France, le statut d’écrivain est au-dessus de tout et donc inatteignable. D’ordre posthume même du vivant. Quoi de plus normal quand le métier qui n’en est pas un ne permet pas à celui qui l’exerce de vivre. Une étude récente du Ministère de la Culture <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-comment-sauver-cette-espece-en-voie-de-disparition-lecrivain-53579">« propose une photographie inédite de la situation économique et sociale des auteurs du livre »</a>. La majorité doit exercer une seconde activité (souvent d’enseignant ou de journaliste), les droits d’auteurs ne représentant que 12 % de leurs revenus. Et 47 % d’entre eux gagnent moins que le smic. Malgré une tendance baissière entamée depuis quelques années, en gras, le secteur de l’édition se porte bien. D’ailleurs, son profil ressemble à s’y méprendre à un décalque du statut d’écrivain : on y figure en lettres d’or capitales ou à la marge.</p>
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<p>« Trois éditeurs réalisent à eux seuls 50 % du chiffre d’affaires total. »</p>
</blockquote>
<p>Et 80 % si on compte les 10 premiers éditeurs. Enfin, 20 % réalisent 90 % de dépôts de la Bibliothèque Nationale de France. Des chiffres qui posent de sérieuses questions sur le cercle vicié de la création. De questions sur sa nature contrôlée par une idéologie dominante et d’un système production, diffusion, médiatisation, génétiquement adapté. Si loin si proche est le domaine plus vaste de Carole Bisenius-Penin.</p>
<p>Sa carrière tout entière dresse avec minutie la cartographie vivante des caractérisations et possibles de l’écrivain, des contraintes et choix de sa production, de ses conditions environnementales, sociales, de ses besoins, de ses relations, de ses interactions avec le public, les médias, les dispositifs de financement et de création, les territoires, les institutions et la mémoire. Jusqu’à son activité cérébrale pendant l’écriture qu’elle ira mesurer. Carole Bisenius-Penin aligne les questions et avance des propositions qui en nourrissent d’autres… Elle dirige, initie, échange, produit, enseigne, écrit, décrit : une « science subtile » au mille et une vies de contraintes adressant leurs invitations oulipiennes au seul dépassement de l’imagination. <em>Because that’s the job</em>… Un métier, on vous dit.</p>
<p>Entre journalisme et enseignement, elle a longuement hésité. Autant dire que le métier d’écrivain lui collait à la peau. Comme cette autre carrière plus courte dans le temps que son diplôme de danse du Centre National de Danse de Lyon lui aurait permis d’embrasser. Si elle s’est construite et avec et ailleurs et autrement, ce chassé des possibles dit à quel point et depuis combien de temps Carole Bisenius-Penin fait corps avec les questions de contraintes.</p>
<p>Avec cette limite du corps qu’enseigne la danse classique au difficile respect de la règle chorégraphique. Là où tout au bout d’une stricte observance dressée sur pointe, le corps, la règle et l’expression fusionnent en une sorte de liberté sous contrainte qui n’est jamais que la forme gracieuse d’une liberté conquise, un porté vers une liberté pleine. De ce pas, elle est allée vers la littérature. Une voie qu’elle a dû débrouiller et construire au-delà de l’obstacle, l’autre contrainte d’une dyslexie.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/190828/original/file-20171018-32348-n5g1vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/190828/original/file-20171018-32348-n5g1vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/190828/original/file-20171018-32348-n5g1vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/190828/original/file-20171018-32348-n5g1vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/190828/original/file-20171018-32348-n5g1vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/190828/original/file-20171018-32348-n5g1vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/190828/original/file-20171018-32348-n5g1vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/190828/original/file-20171018-32348-n5g1vl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carole Bisenius Penin par Sébastien Di Silvestro.</span>
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<p>Dans la vallée des anges où elle est née, Carole Bisenius-Penin avait trouvé dans la bibliothèque maternelle une inspiration exigeant le grand écart. La rencontre avec le texte ne fût donc pas une « apparition » mais bien « un sport régulier », combatif, une hygiène de la fascination faite des grandes histoires classiques qu’elle décortique malgré la versatilité des lettres obstinées à s’inverser.</p>
<p>Les ramener au bercail, dans l’ordre des combinaisons sensées, aura sans doute exigé de Carole de plonger bien plus profondément dans la structure de l’écrit, armée de ses questions et représentations particulières. Elle ne dira rien de cet effort. Même s’il préface l’enchaînement de ses appuis. Grand jeté, l’enfant « un peu sauvage » et « livrovore » deviendra une spécialiste renommée de la théorie et de la contrainte littéraire.</p>
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<p>« À ses yeux, cette contrainte qu’elle tutoie aujourd’hui par habitude représente moins une entrave qu’une formidable « pompe à imagination » dont elle étudie et collectionne les mécaniques avancées. »</p>
</blockquote>
<p>Ses recherches s’attachent en partie à ces romans subordonnés à des règles aussi exigeantes que libératrices (par exemple : contraintes mathématiques pour Jacques Roubaud, ou alphabétiques pour Georges Perec), genres et sous-genres, méta-textualité, réécriture, ateliers d’écriture et Oulipo. L’Ouvroir de littérature potentielle créé par Raymond Queneau et François le Lionnais, qui se définit d’abord parce qu’il n’est pas : un mouvement littéraire, un séminaire scientifique, de la littérature aléatoire. Ce groupe de littéraires et de mathématiciens rejoint en nombre par des auteurs comme Perec et Calvino s’y définissent (avec un humour ciblant « les illusions du surréalisme et l’engagement de type sartrien » pour trouver de nouvelles formes littéraires), « comme des rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils cherchent à sortir ».</p>
<p>Carole Bisenius-Penin a beaucoup publié sur l’Oulipo et particulièrement sur <em>Si par une nuit d’hiver un voyageur</em> d’Italo Calvino. Un des grands vertiges littéraires du XX<sup>e</sup> siècle. Un livre infini qui s’adresse à son lecteur (et entretient une relation amoureuse avec une lectrice) et met en scène avec maestria son processus de lecture interne. Un livre qui comporte onze débuts de romans pastichant les catégories romanesques en révélant leur structure dans un fabuleux récit gigogne, fractal : roman d’espionnage dans le brouillard, roman russe « sordide », journal d’exilé politique, roman scabreux sur fond de guerre civile. Le goût et l’intérêt majeur de Carole Bisenius-Penin pour ces œuvres ouvertes font émerger de sa recherche professorale une aspiration plus intime à percer les processus de création de ses contemporains.</p>
<p>Elle écrit. Et a publié un roman. Son vert de jade assume sans ciller ce rôle de cavalière solitaire. Si elle étudie les règles, elle brise volontiers les dogmes. À commencer par la pratique de l’écriture qu’elle enseigne à ses étudiants au sein d’un système universitaire français qui commence à peine à tolérer cette sortie des seules études théoriques et historiques de la littérature (un projet a été déposé auprès de l’Agence Nationale de la Recherche, l’université de Paris 8 et les Beaux-Arts du Havre proposent des cursus ouverts sur la création). « J’essaie d’expliquer à mes collègues qu’un sculpteur a besoin de sculpter. Un musicien de jouer. Parce que dans ce pays on enseigne les lettres sans en faire ! », constate Carole, animée de ce pragmatisme d’outre-Atlantique permettant aux Québécois et aux Américains d’apprendre à écrire et même d’en faire un job prisé à déclinaisons multiples.</p>
<p>À ce stade, il convient de rappeler que l’étude de la littérature dans une société qui la reconnaîtrait pour telle ne conduirait pas nécessairement à l’enseignement. Information, contenus web, fictions, fictions interactives, storytelling, communication, toute la société moderne procède de l’écrit. Elle est compétence. Mais également passeport diplomatique pour la compréhension de l’autre et des composantes culturelles et sociales d’une époque. Parce qu’elle entre librement dans tous les sujets, elle est connaissance du monde.</p>
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<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/bisenius_penin_carole.pdf">« Carole Bisenius-Penin, Exogénèse de l’écrivain »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85931/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Parcours d’une chercheuse passionnée qui interroge encore et encore la place, l’image et le statut de l’écrivain dans la société.Carole Bisenius-Penin, Maître de conférences Littérature contemporaine, CREM, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/858022017-10-18T21:23:44Z2017-10-18T21:23:44ZPortrait de chercheur Nicolas Brucker : de l’ombre dans la lumière<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/190464/original/file-20171016-30962-s8poke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"> NICOLAS BRUCKER par Sébastien Di Silvestro</span> </figcaption></figure><p><em>Pour ses 10 ans, la <a href="http://msh-lorraine.fr/">Maison des Sciences de l’Homme Lorraine</a> a commandé à <a href="https://iwsy-face.com/">Sébastien Di Silvestro</a> un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : <a href="http://www.msh-lorraine.fr/actualites/details/ouvrage-anniversaire-de-la-msh-l-archipel-des-possibles/">L’Archipel des Possibles</a>. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.</em></p>
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<p>« Le nom de l’auteur de “La Belle et la Bête”, Marie Leprince de Beaumont avait été presque effacé des mémoires alors qu’elle figurait parmi les écrivains les plus lus de son temps. Parce qu’elle était femme et difficile à étiqueter, sa redécouverte s’apprête à faire revivre une époque de combats entre Lumières et Anti-Lumières à la frontière de pensées nettement moins tranchées que celles retenues par l’histoire. »</p>
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<p>Faut-il commencer par elles ou elle ou lui ? Chacun décrivant l’autre au point d’en être indissociable comme le halo de la flamme. Quand l’histoire devient le mythe entretenu du progrès rectiligne et que c’est le père Guillotin qui corrige la copie, les pensées et les têtes qui demeurent à la postérité ont voué toutes les autres au fil de la lame d’une époque qui a vigoureusement tranché. Elles sont les recherches de Nicolas Brucker, sur les antiphilosophes et leurs dialogues vipérins, enroulés jusqu’à l’étouffement avec ceux des lumières. La mémoire collective en retient le plus souvent les « jean-foutre », les satires et autres savoureuses invectives qui régalaient alors les gazettes, la poésie, le théâtre et les romans. Tout l’enfièvrement de la mutation, des valeurs et clivages d’un siècle, qui accoucherait d’une révolution dans ses dernières heures, façonne ce versant glissé dans l’ombre des passés.</p>
<p>Parce qu’on ne saute pas de l’ancien régime aux lumières comme d’une date à l’autre sur une frise. Parce qu’il fut un temps de combat pour et contre les points cruciaux des idées militantes, pour la liberté de conscience, le droit à l’égalité et à la liberté religieuse (dont la société actuelle conserve des manifestations descendantes), ces répliques intelligentes, d’intérêt littéraire et historique, enseignent la richesse d’équivoques autant que les abandons de ces temps révolus.</p>
<p>Elle est une incarnation de ce large spectre des lumières, des jaillissements et contractions, de ces luttes paradigmatiques pour la conquête de l’esprit du temps. La redécouverte de son parcours appelle à une révision de l’opposition traditionnelle tracée par l’historiographie française entre « lumières et antis ». Son nom, Marie Leprince de Beaumont a survécu par l’entremise d’une minuscule frange de son œuvre à la fabuleuse résonance.</p>
<p>L’auteure de « La Belle et la Bête » comptait au XVIII<sup>e</sup> siècle parmi les écrivaines les plus connues en France et d’un bout à l’autre de l’Europe. En dépit de cette condition féminine qui lui herse l’entrée d’une Société royale et de la renommée posthume, la vie exceptionnelle de cette journaliste, romancière, pédagogue, gouvernante, échappe à toutes les nomenclatures.</p>
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<p>« Son œuvre engagée distille « instruction et élévation » pour le progrès humain, la diffusion des connaissances, le droit de la femme au savoir et à l’égalité intellectuelle tout en menant des réflexions sur les hiérarchies sociales, les libertés et l’égalité. »</p>
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<p>La flamme d’une auteure de lumières. À ceci près qu’elle s’inspire largement des saintes Écritures et met en garde ses contemporains contre les légèretés du divertissement. Deux traits qui l’inscrivent à rebours dans le courant apologétique des antis. Trouble histoire d’une lueur brûlant conjointement du divin de la raison. Trois siècles plus tard, cette vie en actes qui renverse les catégories établies, attise la curiosité des chercheurs qui la reconstituent comme un puzzle au sein d’un splendide projet MSH regroupant des collaborations provenant des États-Unis, du Québec, d’Espagne, d’Angleterre, d’Allemagne et des Pays-Bas… Des thèses et des colloques s’enchaînent pour recomposer l’énigme d’une ample œuvre de dialogues moraux.</p>
<p>Et de la vie de cette femme qui connut et la misère et plusieurs mariages, une femme qui subvenait à ses propres besoins, aspirait aux plus hautes reconnaissances intellectuelles tout en se faisant pédagogue d’une jeunesse qu’elle imprimait de sa « dévotion éclairée ». Un tempérament qui s’illustre par Le triomphe de la vérité, son premier livre, qu’elle remit en main propre au roi Stanislas. Pourtant son nom ne réside plus qu’à la marge des productions Disney et dans les bonnes feuilles du Cabinet des fées. Ce projet sonne l’heure d’un nouvel avènement de cette auteure prérévolutionnaire. Une renaissance. Et c’est là qu’il intervient.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/190465/original/file-20171016-30971-phvwj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/190465/original/file-20171016-30971-phvwj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/190465/original/file-20171016-30971-phvwj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/190465/original/file-20171016-30971-phvwj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/190465/original/file-20171016-30971-phvwj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/190465/original/file-20171016-30971-phvwj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/190465/original/file-20171016-30971-phvwj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nicolas Brucker par Sébastien Di Silvestro.</span>
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<p>En première ligne de cette redécouverte. Sa passion pour les esprits fins et les formes affûtées des contre-argumentations a déjà tiré plusieurs de ces antihéros des limbes de la mémoire. Cette recherche doit assez peu au hasard. Comme elle (MLPB), Nicolas Brucker envisage la charge épanouie de sa vocation au service de la formation de consciences éclairées.</p>
<p>Le XVIII<sup>e</sup>, son siècle de spécialité, est parcouru tout entier de ces questions morales qui font les bagages aux voyages de la jeunesse. Encore faut-il que la thèse soit honnête et les questions embrassées dans leur complexité. L’ombre n’est que l’autre face de lumière. Il n’y a pas de belle sans la bête. Et inversement. Le conte, c’est peut-être ce que l’histoire illumine d’une trop grande clarté. Ce qui se perd, Nicolas Brucker va le rechercher.</p>
<p>Que peut attendre le chercheur à la veille de la résurrection publique d’une œuvre littéraire ? À la tentation du style, Nicolas Brucker rétorque en concédant au plaisir de la formule : « Mais nos espoirs sont les plus grands ! » Position détendue, regard droit. L’exultation d’une longue et fructueuse recherche qui approche de son terme traverse ce corps qui la contient avec élégance. En décembre, un colloque international fera émerger le portrait intégral de l’écrivaine éparpillée dans l’oubli. Dès après, un site Internet, des publications et des projets accompagnés seront proposés aux enseignants de nombreux pays.</p>
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<p>« La coulisse bruisse. Le livret est présenté comme majeur. »</p>
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<p>Habillé d’une veste en velours côtelé, d’une écharpe nouée en lavallière, mains fines et fortes, barbe taillée, jambes croisées, manières accortes, la présence de Nicolas Brucker révèle un goût prononcé pour les lignes de transitions subtiles. Il y a dans ce visage, quelque chose d’ancien, une ferme résolution brossée à la soie d’une bienveillance sensible. La part du marbre s’attache à restaurer la noblesse d’écriture de figures anti-lumières ravalées par l’histoire au rang de simples contradicteurs.</p>
<p>En 2006, Nicolas Brucker donnait le ton de sa direction de recherches en publiant une thèse sur <em>Le Comte de Valmont ou les égarements de la raison</em> de l’abbé Gérard. Ce roman qui avait fait grand bruit au XVIII<sup>e</sup> et au XIX<sup>e</sup> siècle, dresse dans le genre épistolaire, rien de moins que le récit de la conversion chrétienne du jeune Valmont parvenu aux limites essoufflées des idées subversives de son temps. Un tour de force et de « passe-passe décrétant la chrétienté des lumières ». « L’objet inclassable, le phénomène d’édition », sera salué par Chateaubriand comme « un exemple de roman chrétien ».</p>
<p>Nicolas Brucker n’aura de cesse de rétablir la connaissance des talents de cette veine qui lui vaudront son habilitation à diriger des recherches sur « lumières et religion ». D’autres que Marie Leprince de Beaumont lui doivent déjà leur reviviscence. À commencer par Élie Catherine Fréron le directeur de la célèbre <em>Année littéraire</em>, le journal de critique qui concourut à faire interdire l’Encyclopédie en 1759 et à retirer le privilège donné aux libraires-imprimeurs. Voltaire assurera au virulent et cependant courtois gazetier une postérité réduite à de violentes satires et pièces de théâtre que résume le dérisoire d’un surnom : le frelon. Nicolas Brucker rendra une justice contemporaine à la précision d’une pique qui ne perce pas sans idée.</p>
<p>Cependant, il faut se garder d’imaginer que l’inclination du chercheur pour tous ces grands réactionnaires dise quoi que ce soit d’immédiat de ses positions personnelles. Ses investigations dans le purgatoire de la mémoire n’absolvent en rien ces plumes remarquables de la faute d’opinion jugée par l’histoire. À l’inverse, elles dissertent une autre vision du récit au réalisme poétique des contours progressifs, des flous d’approche et couleurs en demi-teinte en lieu et place des grandes fresques dépeintes à coups de palettes flamboyantes. À dominante de rouge cocardier. Et voici que le marbre met à jour ses parties tendres. Car tous ces auteurs ferraillent contre un monde nouveau qui leur échappe autant qu’il les condamne à passer.</p>
<p>Nicolas Brucker explique… d’un regard qui voit s’effriter et se perdre l’or ancien d’une certaine majesté de plume :</p>
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<p>« Chacun d’eux reste attaché à une certaine notion du goût de la littérature. Le grand siècle est leur modèle ainsi que les grands auteurs : Boileau, Racine, La Fontaine. Leur combat était noble et ne visait qu’à faire exister encore ce monde des grands genres, d’une société plus hiérarchique qui offrait une autre place à l’artiste que celle qui était en train de voir le jour. Jusqu’alors, ils étaient pensionnés. Artistes d’État, payés pour louer la grandeur du monarque. Et les voici qui se retrouvent à devoir percer par leurs propres moyens. À devoir conquérir l’opinion publique. C’est l’irruption de la loi du marché face à la nostalgie du Versailles de Louis XIV. »</p>
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<p><em>Lisez la suite de cet article en téléchargeant <a href="http://www.univ-lorraine.fr/sites/www.univ-lorraine.fr/files/documents/MSH2017/brucker_nicolas.pdf">« Nicolas Brucker, De l’ombre dans la lumière »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85802/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Redécouvrir Marie Leprince de Beaumont, auteure de « La Belle et la Bête » à travers le parcours d'un chercheur en littérature spécialiste du XVIIIe siècle.Nicolas Brucker, Professeur, Langue et littérature françaises, Université de LorraineSylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.