tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/theatre-24403/articlesthéâtre – The Conversation2024-03-19T16:57:01Ztag:theconversation.com,2011:article/2233822024-03-19T16:57:01Z2024-03-19T16:57:01ZIl y a 150 ans, Glasgow était « the place to be » pour la jeunesse<p>Il y a 150 ans, à Glasgow, loin des jeux vidéos, d’internet et des réseaux sociaux, la jeunesse populaire avait sa propre manière de se divertir. Des établissements de loisir aux attractions foraines, un large choix de divertissements se développait et allait forger, progressivement et non sans heurts, la notoriété actuelle de Glasgow en tant que capitale écossaise du loisir et de la culture.</p>
<p>Pour comprendre comment la jeunesse a participé à la construction de cette notoriété, il faut se replonger dans la société victorienne de Glasgow des années 1850 à 1900, alors en pleine mutation.</p>
<h2>Une société qui se transforme</h2>
<p>La période victorienne (1837-1901) marque un tournant décisif dans l’histoire sociale et culturelle de Glasgow. Étant le cœur industriel de l’Écosse, la ville attire une population de plus en plus nombreuse et hétérogène.</p>
<p>Dans les années 1850, les Irlandais d’Ulster arrivent en masse dans le port de Glasgow, poussés par la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-fabrique-de-l-histoire/la-grande-famine-en-irlande-1845-1851-8496022">Grande Famine</a> et à la recherche de meilleures conditions de vie. De même, les habitants des Highlands sont victimes de la famine, mais ils subissent aussi la réforme agraire, qui les pousse à quitter leurs campagnes. Puis pour des raisons économiques, des immigrés des pays baltes, des pays de l’Est et enfin d’Italie <a href="https://www.johngraycentre.org/about/archives/brief-history-emigration-immigration-scotland-research-guide-2/">viennent petit à petit s’établir dans la ville</a>.</p>
<p>Entre 1851 et 1901, le nombre d’habitants passe alors de 329 097 à presque 800 000, dont quasiment la moitié d’entre eux sont âgés de moins de 25 ans. Grâce à cet afflux de main-d’œuvre étrangère, jeune, peu qualifiée et donc peu onéreuse, Glasgow devient ainsi la plus grande ville d’Écosse et, du point de vue économique, la Seconde Ville de l’Empire britannique.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Néanmoins, la ville n’est pas prête à accueillir si rapidement une telle population et les nouveaux arrivants s’entassent à la hâte dans des logements exigus et insalubres. Au centre de la ville, les égouts à ciel ouvert se jettent dans les eaux polluées du fleuve Clyde et la pauvreté ajoute au tableau noir des fumées des usines, les conflits communautaires et religieux, les <a href="https://www.theglasgowstory.com/story/?id=TGSD0">épidémies, l’alcoolisme, la corruption, le crime, la délinquance et la prostitution</a>.</p>
<p>C’est au cœur de cette décrépitude urbaine et sociale que va se réinventer progressivement, au-delà des différences culturelles de chacun, un outil fédérateur porté par la jeunesse : le divertissement populaire.</p>
<h2>Le divertissement comme moyen d’émancipation</h2>
<p>Le besoin de se divertir n’est pas un phénomène <a href="https://www.researchgate.net/publication/308709630_Sports_et_Loisirs_Une_histoire_des_origines_a_nos_jours">propre à la seconde moitié du XIXᵉ siècle</a>. Mais dans la société victorienne de Glasgow, affectée par tant de bouleversements socio-économiques, le développement du divertissement est nécessaire. Il contribue à restaurer des repères sociaux pour la population issue de quartiers populaires, qui trouve dans le divertissement un exutoire à son quotidien difficile.</p>
<p>C’est d’autant plus vrai pour les adolescents, dont le temps de travail est peu à peu réduit par la promulgation des lois qui régulent le travail des femmes et des enfants en usine, les <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Factory_Acts">Factory Acts</a>. Pour la plupart nés ou ayant grandit sur le sol glasgvégien, ces adolescents profitent de ce nouveau temps libre pour se regrouper, loin du fardeau du rejet social et de la discrimination que portent, pour un grand nombre d’entre eux, leurs parents pauvres ou/et immigrés.</p>
<p>Parmi les lieux les plus prisés de la jeunesse, il y a tout d’abord les music-halls et les théâtres à scène ouverte, appelés « free-and-easy ». Puis viennent les cabarets dansants, qui constituent des lieux privilégiés de rencontre et d’échange à travers la musique et la danse. Les « penny theatres », quant à eux, offrent aux jeunes gens la possibilité d’assister à des pièces de théâtre un peu plus sophistiquées que celles qui se jouent dans les rues.</p>
<p>Se développant considérablement à partir des années 1860 afin de répondre à la demande, ces établissements ont en commun la particularité de proposer des tarifs d’entrée à très bas prix toute l’année. À l’inverse, l’entrée des « pubs hybrides » est gratuite. Par compensation, les tarifs des boissons sont plus élevés au sein de ces pubs, dont le nom <a href="https://www.google.fr/books/edition/Scotland_and_the_Music_Hall_1850_1914/hn1kuc21R8cC?hl=fr&gbpv=1&dq=paul+maloney+pubs+hybrides&pg=PA37&printsec=frontcover">suggère que les arrière-salles sont transformées pour recevoir du public</a>.</p>
<p>Enfin, l’un des événements annuels qui attirent le plus la jeunesse des quartiers populaires est la foire de Glasgow, qui prend peu à peu des allures de fête foraine. De nombreux manèges et cirques y font leur apparition dans les années 1870 : les swing-boats (nacelles suspendues à des fils), les lions de Miss Lily Day, Willie Campbell « le Géant de Glasgow », Mr. Tche Mah « le Nain chinois ». Ces attractions incarnent autant de sujets de curiosité, de fantasme et de rêve que s’approprie la jeunesse des quartiers pauvres de Glasgow.</p>
<p>Pour les adolescents, en passe de devenir adultes, l’entrée dans la sphère sociale publique est un moyen de se dissocier de la cellule familiale et d’affirmer leur individualité au sein de la société. Ces sorties représentent alors une opportunité de découvrir les autres et de se découvrir eux-mêmes. Les jeunes hommes construisent leur masculinité par la séduction, la consommation d’alcool ou quelques fois par la violence, lors de conflits durant lesquels ils s’opposent physiquement <a href="https://www.google.fr/books/edition/The_Moral_Statistics_of_Glasgow_in_1863/X31GAAAAYAAJ">aux figures de l’autorité ou à leurs pairs</a>.</p>
<p>À l’inverse, les jeunes femmes construisent leur féminité en s’émancipant des contraintes morales que la société impose aux femmes. Par la danse, la consommation d’alcool ou encore la promiscuité avec le sexe opposé, elles bravent les interdits et s’affirment en tant que femmes indépendantes. Ainsi portée par le vent du changement, la jeune génération ouvrière revendique à travers une nouvelle culture urbaine et cosmopolite son émancipation à l’autorité d’un monde qu’elle considère comme révolu.</p>
<h2>Entre contrôle et pérennisation de la culture populaire</h2>
<p>À partir des années 1860, les classes aisées et les associations religieuses, notamment protestantes, commencent à s’inquiéter de voir se développer ces nouveaux lieux de divertissement, qu’ils considèrent comme les lieux de débauche de la jeunesse populaire. Parce que cette jeunesse doit garantir le devenir économique et social de la ville, ils entendent donc contrôler la façon dont elle se divertit.</p>
<p>Par exemple, les directeurs de la Magdalene Institution – où sont internées les jeunes femmes perçues comme déviantes –, se soulèvent contre le Parry’s Theatre, qu’ils considèrent comme l’établissement le plus dangereux du centre-ville. Celui-ci est alors fermé, puis racheté par John Henderson Park qui, à la tête de l’institution, convertit ce « temple vil du diable » en <a href="https://www.theses.fr/2023GRALL016">lieu de prière pour les classes populaires</a>.</p>
<p>En 1863, J.H. Park et les membres de la Glasgow Temperance Mission – association contre l’alcoolisme – tentent aussi de faire interdire la foire de Glasgow, qui sera délocalisée dans le quartier de Parkhead. Le motif est que les spectacles sont de caractère douteux et que la gestion des manèges est entre les mains de personnes issues de la communauté des gens du voyage, jugées « non fréquentables », tel qu’en témoigne un article publié dans le <a href="https://britishnewspaperarchive.co.uk/"><em>Glasgow Herald</em> en 1869</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les pères mènent une vie d’oisiveté et de dissipation, les mères possèdent peu de qualités maternelles, et leurs enfants sont élevés sans éducation et parfaitement ignorants de la différence entre le bien et le mal. »</p>
</blockquote>
<p>Dans les années 1870, les classes aisées dénoncent quant à elles l’attitude des femmes étrangères qui se produisent sur les planches de la scène glasvégienne. Leurs costumes frivoles et leur maquillage sont jugés vulgaires et indécents. Ainsi, les spectacles de french cancan proposés par le music-hall Whitebait en 1875 soulèvent un tollé dans la presse locale et la municipalité interdit leur représentation.</p>
<p>Malgré ces efforts mis en œuvre pour contrôler la façon dont se divertit la jeunesse, la municipalité ne peut totalement bannir de Glasgow les lieux de divertissement populaires, car ils sont économiquement indispensables à l’épanouissement d’une société qui, par le développement des voies ferrées et du tourisme, s’ouvre peu à peu au monde. Aujourd’hui encore, cette culture urbaine et cosmopolite se lit sur les devantures des pubs et des théâtres. Elle se vit à l’occasion des concerts et des festivals bouillonnants que la municipalité propose tout au long de l’année.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223382/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fanette Pradon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des établissements de loisir aux attractions foraines, la notoriété actuelle de Glasgow en tant que capitale écossaise du loisir et de la culture est un héritage du XIXᵉ siècle.Fanette Pradon, doctorante en civilisation britannique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2252032024-03-07T16:17:42Z2024-03-07T16:17:42ZBradley Cooper, Cillian Murphy et le mythe de la méthode Stanislavski<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580100/original/file-20240301-26-y48ck5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C11%2C2544%2C1812&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bradley Cooper as Leonard Bernstein and Carey Mulligan as Bernstein's wife, Felicia Montealegre, in 'Maestro.'</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://media.newyorker.com/photos/6580a0cc97c77278da928c1c/master/pass/Maestro_20220928_20662r.JPG">Jason McDonald/Netflix</a></span></figcaption></figure><p>Cette année, les candidats au titre d’Oscar du meilleur acteur <a href="https://www.imdb.com/name/nm0614165/">Cillian Murphy</a> – qui a incarné le physicien nucléaire J. Robert Oppenheimer dans le film <a href="https://www.imdb.com/title/tt15398776/"><em>Oppenheimer</em></a> – et <a href="https://www.imdb.com/name/nm0177896/">Bradley Cooper</a>, qui a interprété le rôle de <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2008/12/15/the-legend-of-lenny">Leonard Bernstein</a> dans le biopic <a href="https://www.imdb.com/title/tt5535276/"><em>Maestro</em></a> font beaucoup parler d’eux non seulement pour leurs performances, mais aussi pour la manière dont elles ont été préparées.</p>
<p>Murphy, déjà mince, a perdu environ 10 kilos et s’est mis à fumer de fausses cigarettes pour imiter l’apparence et les habitudes du vrai Oppenheimer. Sa préparation pour le rôle <a href="https://www.vanityfair.com/hollywood/2023/07/inside-cillian-murphy-intense-oppenheimer-prep-i-didnt-go-out-much">aurait été si intense</a> qu’il s’isolait de l’équipe pendant le tournage du film.</p>
<p>Pendant ce temps, Cooper aurait <a href="https://variety.com/2023/film/features/bradley-cooper-spike-lee-maestro-no-chairs-set-method-acting-1235821551/">passé six ans à s’entraîner</a> à l’art de la direction d’orchestre afin de filmer une séquence clé de <em>Maestro</em>. Dans un épisode de décembre 2023 du podcast « SmartLess », la candidate à l’Oscar de la meilleure actrice <a href="https://podcasts.musixmatch.com/podcast/smartless-01gttmmw40q3na01cxg9j6kp91/episode/carey-mulligan-01hhxzwj46vx83k5ne3vfhv53p">Carey Mulligan</a> a raconté que Bradley Cooper l’avait appelée et lui avait parlé avec la voix de Leonard Bernstein des années avant le début du tournage de <em>Maestro</em>.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Les reportages sur la préparation des acteurs font souvent référence à la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sans-oser-le-demander/methode-stanislavski-faut-il-souffrir-pour-etre-un-bon-acteur-5834197">Méthode Stanislavski</a>, une approche psychologique de l’interprétation destinée à rendre le personnage plus réel et plus crédible.</p>
<p><a href="https://www.holycross.edu/academics/programs/theatre/scott-malia">Mais en tant que professeur de théâtre depuis plus de 20 ans</a>, j’ai constaté qu’une grande partie de ce qui est dit ou écrit sur cette méthode perpétue un certain nombre de mythes. Il est parfois difficile de savoir si les acteurs se préparent réellement pour un rôle ou s’ils se contentent de « jouer » voire de surjouer leur préparation pour, les médias et le public.</p>
<h2>Les origines de « La méthode »</h2>
<p>La méthode Stanislavski – parfois appelée « la Méthode » tout court – dérive du « système », une approche du jeu développée par l’acteur et metteur en scène russe <a href="https://www.goodreads.com/book/show/94675.An_Actor_Prepares">Konstantin Stanislavski</a>, qu’il décrit dans le livre de 1936 <a href="https://archive.org/details/2015.126189.AnActorPrepares"><em>La Formation de l’acteur</em></a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/579257/original/file-20240301-48072-drn68t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Peinture d’un homme d’âge moyen aux cheveux gris" src="https://images.theconversation.com/files/579257/original/file-20240301-48072-drn68t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/579257/original/file-20240301-48072-drn68t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/579257/original/file-20240301-48072-drn68t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/579257/original/file-20240301-48072-drn68t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/579257/original/file-20240301-48072-drn68t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/579257/original/file-20240301-48072-drn68t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/579257/original/file-20240301-48072-drn68t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les techniques de Konstantin Stanislavski ont eu une influence considérable sur la formation des acteurs européens et américains.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/portrait-of-the-actor-konstantin-sergeyevich-stanislavsky-news-photo/1144560864?adppopup=true">The Print Collector/Getty Images</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sans-oser-le-demander/methode-stanislavski-faut-il-souffrir-pour-etre-un-bon-acteur-5834197">Stanislavski demande aux acteurs</a> d’identifier les forces qui motivent leurs personnages. Ce faisant, l’acteur s’efforce d’être dans l’instant avec les autres acteurs, réagissant comme le ferait son personnage dans des circonstances imaginaires.</p>
<p><a href="https://www.imdb.com/name/nm0000008/">Marlon Brando</a> a fait connaître cette méthode d’interprétation au grand public. Pour se préparer à son rôle dans <a href="https://www.imdb.com/title/tt0042727/"><em>C’étaient des hommes</em></a>, dans lequel il incarne un vétéran paralysé, Brando aurait <a href="https://www.slashfilm.com/846709/marlon-brando-only-broke-method-once-during-his-intense-prep-for-the-men/">passé du temps dans un hôpital pour vétérans</a> en fauteuil roulant, sans révéler aux autres patients qu’il n’était en réalité pas handicapé. Pendant le tournage, il serait également resté dans son fauteuil roulant entre les prises.</p>
<p>Au cours des décennies qui ont suivi, la méthode Stanislavski a été associée à des acteurs qui se perdent dans leur personnage, comme Daniel Day-Lewis <a href="https://screenrant.com/daniel-day-lewis-wild-method-acting-stories/">qui se fait nourrir à la cuillère</a> pour se préparer à son rôle de peintre atteint d’infirmité motrice cérébrale dans <a href="https://www.imdb.com/title/tt0097937/"><em>My Left Foot</em></a> (1989).</p>
<h2>Des extrêmes ridicules</h2>
<p>Malgré tout l’intérêt que ces histoires suscitent, certains des extrêmes auxquels les acteurs se livrent auraient probablement fait rire Stanislavski lui-même.</p>
<p>La pièce <em>La Formation de l’acteur</em> est construite autour d’un cours d’art dramatique fictif dans lequel un professeur – très probablement un double de Stanislavski lui-même – lutte contre les mauvaises habitudes de ses acteurs et leur enseigne les fondements du système.</p>
<p>La plupart des exercices conçus par le professeur ont pour but d’aider les acteurs à imaginer ce qu’ils pourraient faire s’ils se trouvaient dans la même situation que leurs personnages, et non de recréer ces circonstances dans la vie réelle.</p>
<p>En cours de route, le professeur de Stanislavski se moque régulièrement des acteurs qui vont jusqu’à des extrêmes un peu bidon pour atteindre ce qu’ils pensent être l’authenticité.</p>
<p>Tout comme Brando et Day-Lewis <a href="https://theconversation.com/on-screen-and-on-stage-disability-continues-to-be-depicted-in-outdated-cliched-ways-130577">qui s’approprient un handicap</a>, l’un des acteurs du livre de Stanislavski adopte des approches racistes ahurissantes, y compris le <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/a-l-origine-du-blackface-9452303"><em>blackface</em></a>, alors qu’il se prépare à jouer Othello.</p>
<p>Des décennies plus tard, on retrouve des échos de cette critique dans le travail de Robert Downey Jr, <a href="https://www.indiewire.com/features/general/robert-downey-jr-tropic-thunder-blackface-regrets-1202204722/">qui se grime en Noir</a> dans une évocation ironique mais néanmoins problématique de la méthode d’interprétation de Stanislavski dans <a href="https://www.imdb.com/title/tt0942385/"><em>Tonnerre sous les tropiques</em></a> (2008).</p>
<h2>Transformations physiques</h2>
<p>Une grande partie du débat autour de <a href="https://time.com/6240001/the-whale-fatsuit-controversy/">celui qui a remporté l’Oscar du meilleur acteur l’an dernier, Brendan Fraser</a>, était lié au fait qu’il portait des prothèses (ce qu’on appelle « fat suit ») pour jouer le rôle de Charlie, un professeur atteint d’obésité morbide, dans <a href="https://www.imdb.com/title/tt13833688/"><em>The Whale</em></a>.</p>
<p>Il convient de noter que Cillian Murphy ne se réclame pas de la méthode Stanislavski, pas plus que Day-Lewis. Murphy a refusé de divulguer comment <a href="https://www.vanityfair.com/hollywood/2023/07/inside-cillian-murphy-intense-oppenheimer-prep-i-didnt-go-out-much">il avait perdu du poids</a> pour son rôle dans <em>Oppenheimer</em>. Pourtant, l’une de ses covedettes, Emily Blunt, a dit à demi-mot que Murphy mangeait une amande par jour pour rester maigre pendant le tournage.</p>
<p>Ce qu’un acteur fait de son corps ne regarde que lui et son médecin ; cependant, il y a des implications médicales et éthiques majeures lorsque la perte et le gain de poids sont considérés comme la preuve d’un engagement discipliné envers son métier.</p>
<p>Stanislavski n’a jamais demandé aux acteurs de prendre du poids ou de suivre un régime draconien pour leurs rôles ; en fait, au début de <em>An Actor Prepares</em>, le professeur d’art dramatique réprimande ses élèves parce qu’ils s’entraînent devant des miroirs et qu’ils se concentrent trop sur leur apparence extérieure. Plus loin dans le livre, le professeur met également en garde contre ce qu’il appelle une approche exhibitionniste du jeu, dans laquelle l’acteur essaie de montrer au public à quel point il travaille dur dans son métier.</p>
<h2>« Come at me, bro »</h2>
<p>Et puis il y a aussi ces histoires d’acteurs qui taquinent un peu trop leurs partenaires de jeu pour essayer de susciter des réponses authentiques.</p>
<p>Au plus fort du mouvement #MeToo, une <a href="https://people.com/movies/meryl-streep-dustin-hoffman-slapping-overstepping/">histoire concernant le tournage</a> de <a href="https://www.imdb.com/title/tt0079417/"><em>Kramer contre Kramer</em></a> (1979) a refait surface. Meryl Streep a rappelé que son partenaire Dustin Hoffman l’avait giflée avant le tournage d’une de leurs scènes afin d’obtenir une réponse de sa part. Ces actes auraient fait partie d’un comportement plus large et de relations tendues entre les deux acteurs pendant le tournage du film.</p>
<p>De même, lors du tournage de <a href="https://www.imdb.com/title/tt1386697/"><em>Suicide Squad</em></a> (2016), Jared Leto aurait envoyé des cadeaux à ses coéquipiers de la part de son personnage, le Joker, qui comprenaient des animaux morts et des préservatifs usagés. <a href="https://www.eonline.com/news/1309072/jared-leto-defends-his-gag-gifts-to-castmates-says-he-never-crossed-any-lines">Leto a tour à tour approuvé et rejeté</a> les histoires concernant ces farces.</p>
<p>Ce genre de facéties n’a rien à voir avec façon dont Stanislavski conçoit le travail avec des partenaires de jeu : selon lui, il s’agit de créer une communion et de s’engager dans une écoute active. Il considérait comme égoïste de contrarier les autres acteurs, que ce soit au service d’une scène ou dans le cadre de leur propre stratégie pour « rester dans le personnage ».</p>
<h2>Non, un acteur n’a pas à « se perdre dans son rôle »</h2>
<p>Depuis la publication du livre de Stanislavski, un certain nombre d’approches de l’acteur ont émergé qui favorisent le type d’investissement psychologique personnel qui semble brouiller la frontière entre l’acteur et le personnage, notamment celles du professeur d’art dramatique et metteur en scène américain <a href="https://newyorkimprovtheater.com/2023/09/28/the-legacy-of-lee-strasberg-stella-adler-and-sanford-meisner-shaping-american-acting-methods-derived-from-stanislavski/">Lee Strasberg</a>.</p>
<p>Cependant, dans le chapitre 8 de <em>La Formation de l’acteur</em>, Stanislavski fait une distinction claire entre ce qui est vrai et réel pour l’acteur et ce qui est vrai et réel pour le personnage qu’il joue. En d’autres termes, il ne souscrivait pas à l’idée qu’un acteur puisse se perdre dans son rôle.</p>
<p>Oui, les médias adorent ce genre d’histoires, qui peuvent démontrer un certain type d’engagement. Mais ils peuvent aussi dépeindre les acteurs comme des artistes trop <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2021/12/13/on-succession-jeremy-strong-doesnt-get-the-joke">choyés et prétentieux</a>. Un acteur qui lutte pour payer ses factures n’a pas le luxe, par exemple, d’insister pour que tout le monde s’adresse à lui par le nom de son personnage…</p>
<p>En fait, ces récits sur la méthode d’interprétation peuvent aller dans l’autre sens : une grande partie des louanges entourant le rôle de Ryan Gosling dans <em>Barbie</em> repose sur l’idée qu’un acteur « sérieux » soit prêt à devenir blond, gaffeur et à adopter une approche résolument non méthodique, attitude que <a href="https://www.vulture.com/article/ryan-gosling-ken-casting.html">l’acteur a embrassé avec effronterie lors de la présentation du film à la presse</a>.</p>
<p>Ainsi, lorsque les Oscars de l’interprétation seront décernés, espérons que les votants auront adhéré aux performances des acteurs, et non pas à un méta-récit sur leur comportement hors écran.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225203/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Scott Malia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les lauréats des Oscars seront-ils choisis parce que les votants ont cru aux performances des actrices et des acteurs ?Scott Malia, Associate Professor of Theatre, College of the Holy CrossLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204822024-01-08T17:06:37Z2024-01-08T17:06:37ZAffaire Depardieu : « En France, il existe une immunité spécifique liée au culte du monstre sacré »<p><em>Professeure en esthétique et politique des arts vivants, Bérénice Hamidi est enseignante-chercheuse à l’Université Lumière Lyon 2. Elle nous livre aujourd’hui son analyse sur les freins à la reconnaissance des violences sexistes et sexuelles dans le milieu artistique français.</em></p>
<hr>
<p><strong>Est-ce un hasard si le mouvement #MeToo a débuté dans le milieu du cinéma ?</strong></p>
<p><strong>Bérénice Hamidi</strong> : Ce n’est pas du tout un hasard si le mouvement #MeToo a débuté dans le milieu du cinéma. La notoriété et l’accès aux médias des personnes qui ont dit publiquement avoir été victime ont beaucoup participé à la visibilité du hashtag #MeToo. Si les milieux artistiques, et celui du cinéma en particulier, sont surexposés aux violences sexistes et sexuelles, c’est d’abord parce qu’une grande précarité touche les acteurs et actrices qui sont de facto, lorsqu’ils et elles cherchent à être retenus pour un film, dans un rapport de dominé/dominant avec les producteurs et réalisateurs.</p>
<p>On observe aussi dans ces milieux une forte confusion entre les procédures de sélection et des dynamiques de séduction, et de plus, les connexions physiques et psychiques sont au cœur des processus de travail. Autre facteur de risque, ces milieux se voient peu comme des mondes du travail, et donc les usages habituels du droit de travail peinent à s’appliquer aussi bien du côté des victimes que des personnes qui commettent ces agressions. Tous ces facteurs, qui se cumulent et font système, expliquent que le cinéma, et plus largement les secteurs professionnels artistiques, sont fortement exposés aux violences sexuelles et qu’elles y sont plus impunies qu’ailleurs.</p>
<p><strong>Comment réagissez-vous au statut de « monstre sacré » ? Est-ce qu’en France il y a des personnes intouchables ?</strong></p>
<p><strong>B.H.</strong> : Il faut rappeler qu’avant tout, ces « monstres sacrés » sont des hommes de pouvoir qui cumulent un fort capital économique, symbolique, social, culturel et médiatique. Parmi les personnes qui disent ne pas avoir vu leurs actes, qui les minimisent voire qui les défendent, un certain nombre le fait aussi par peur d’être à leur tour blacklistées, exclues, comme les victimes le sont.</p>
<p>Les artistes auteurs de violence bénéficient également de l’« himpathy », cette empathie pour les hommes qui agressent, que la philosophe australienne Kate Manne a bien analysée. Dans nos sociétés encore largement sexistes, car structurées par des valeurs patriarcales, on autorise les hommes, ou plutôt les hommes qui honorent le « mandat masculin » consistant à conquérir et dominer socialement, à exercer des formes de violence à l’égard des personnes et groupes en position dominée, en particulier les femmes. Cette autorisation sociale, le plus souvent inconsciente, passe par un refus collectif de croire qu’ils puissent commettre des violences et, quand ce n’est plus possible, par une tendance à euphémiser leurs actes et à les excuser au motif qu’ils seraient victimes de leur propre violence. Ces hommes captent donc l’empathie sociale dont les victimes sont pour leur part privées.</p>
<p>Mais, si le cinéma est particulièrement touché par ce phénomène, c’est aussi parce que les acteurs bénéficient d’une empathie spécifique, qui vient renforcer cette culture de l’excuse. Elle tient au fait que règne encore l’idée que la création artistique serait le fruit d’une connexion aux forces obscures de l’âme humaine, que les artistes auraient besoin de souffrance et de violence pour créer, ce qui vient redoubler une croyance encore prédominante dans notre société encore imbibée par la culture du viol, qui voudrait que l’amour fasse mal et que le sexe et le désir aient forcément partie liée avec la violence et la mort. Exemple frappant, les <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/commerce/luxe/johnny-depp-signe-un-contrat-dun-montant-record-avec-dior-en-tant-quegerie-masculine-b7a972f4-f322-11ed-91b9-949f1ff48cf9">ventes du parfum Sauvage ont augmenté</a> depuis les accusations de violences conjugales à l’encontre de son égérie, Johnny Depp. Les images du poète maudit, du bad boy, sont encore trop souvent glamourisées et représentées comme des figures d’hommes désirables.</p>
<p>En France, il existe enfin une immunité spécifique liée au culte de ces figures de l’artiste maudit et du monstre sacré. L’idée est la même : il faut transgresser pour créer, mais s’ajoute la croyance que les lois ordinaires qui valent pour le commun des mortels ne sauraient s’appliquer aux Grands Hommes, ces hommes extraordinaires. Cette idée s’est exprimée dans l’affaire Depardieu à travers certains témoignages, avec la formule rapportée dans l’article de Médiapart « ça va, c’est Gérard » ou dans le discours du Président de la République : « Depardieu c’est Cyrano […] c’est la fierté française ». L’échelle de valeurs est claire : la vie des femmes ne vaut rien face au talent d’un génie. Mais il y a autre chose, aussi, dans ce discours, presque une forme de transfiguration de ces personnes réelles en personnages hors de la réalité, et selon cette logique, ces êtres de fiction ne sauraient être soumis au système judiciaire qui vaut pour les personnes réelles.</p>
<p><strong>Est-ce que cette reconnaissance des violences sexistes et sexuelles est une question de génération ?</strong></p>
<p><strong>B.H.</strong> : Je suis assez nuancée sur cette question. D’abord, parce qu’il y a parmi les dénonciateurs de violences des femmes de plus de cinquante ans, qui payent un lourd tribut, qu’il s’agisse d’anonymes, de victimes ou d’actrices connues.</p>
<p>Ensuite, parmi les personnes qui soutiennent les agresseurs de façon systématique, on retrouve toutes les catégories d’âges. Le dernier <a href="https://haut-conseil-egalite.gouv.fr/stereotypes-et-roles-sociaux/travaux-du-hce/article/rapport-2023-sur-l-etat-du-sexisme-en-france-le-sexisme-perdure-et-ses">rapport sur l’état du sexisme en France en 2023</a> invite d’ailleurs à un certain pessimisme puisque les hommes qui ont aujourd’hui entre 18 et 25 ans sont plus nombreux que leurs aînés à penser que quand une femme dit « non », elle pense « oui ». Il ne faut donc pas tout attendre des nouvelles générations car le cœur du problème c’est la culture du viol, et tant qu’elle reste la culture hégémonique dans laquelle nous vivons toutes et tous, elle continuera à se transmettre génération après génération.</p>
<p><strong>Justement, comment peut-on définir cette notion de culture du viol ?</strong></p>
<p>Cette notion, élaborée par des chercheuses nord-américaines dès les années 1970 (Noreen Connell et Cassandra Wilson, Rape : the first sourcebook for women, New American Library, 1974), est aujourd’hui mobilisée par des acteurs publics dans différents pays ainsi que par des organisations internationales comme la commission <a href="https://www.unwomen.org/fr/news/stories/2019/11/compilation-ways-you-can-stand-against-rape-culture">« condition de la femme » de l’ONU</a>.</p>
<p>Elle se caractérise avant tout par un refus de voir le caractère massif et systémique des violences sexuelles, structurellement subies par les femmes et les enfants et structurellement commises par les hommes. Cette phrase choque et parait difficile à croire. Pourtant, quelques chiffres suffisent à la prouver de manière difficilement discutable :</p>
<ul>
<li><p>en 2017, <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-faites-aux-femmes/reperes-statistiques/">219 000 femmes majeures</a> déclarent avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint sur une année.</p></li>
<li><p>« En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui au cours d’une année sont victimes de viols et/ou de tentatives de viol <a href="https://arretonslesviolences.gouv.fr/je-suis-professionnel/chiffres-de-reference-violences-faites-aux-femmes">est estimé à 94 000 femmes</a>. De la même manière que pour les chiffres des violences au sein du couple présentés ci-dessus, il s’agit d’une estimation minimale. Dans 91 % des cas, ces agressions ont été perpétrées par une personne connue de la victime. Dans 47 % des cas, c’est le conjoint ou l’ex-conjoint qui est l’auteur des faits. »</p></li>
<li><p>s’agissant des enfants, « <a href="https://www.ciivise.fr/le-rapport-public-de-la-ciivise/">60 000 enfants sont victimes</a> de violences sexuelles chaque année, 5,4 millions de femmes et d’hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance, l’impunité des agresseurs et l’absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d’euros chaque année en dépenses publiques.>></p></li>
<li><p>Du point de vue des auteurs des actes, il s’agit dans l’immense majorité des cas d’hommes : <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-faites-aux-femmes/reperes-statistiques/">91 % des personnes mises en cause pour des actes sexistes</a> (allant de l’outrage sexiste jusqu’au viol) sont des hommes.</p></li>
</ul>
<p>Il y a donc un décrochage énorme entre nos représentations et la réalité statistique. L’image la plus répandue du viol est celle d’un acte sauvage commis par un individu sanguinaire au fond d’un parking. Cette image est à la fois repoussante et rassurante, parce qu’elle exotise le viol comme un fait extraordinaire qui ne nous regarde pas (on ne connaît ni la victime ni l’agresseur) et qui ne nous concerne pas (on n’a rien fait – de mal – et on ne peut rien faire – donc on n’a pas à se reprocher notre inaction). La réalité statistique est bien différente : le viol est le plus souvent le fait d’un <a href="https://www.slate.fr/story/200742/violences-sexuelles-familiales-inceste-enfants-realite-donnees-chiffres-france">proche issu du cercle familial, affectif ou social</a>, ce qui fait que nous connaissons tous des victimes mais aussi des agresseurs, autrement dit, nous sommes directement impliqués dans la scène des violences et cela devrait nous impliquer directement dans la lutte contre ces violences.</p>
<p>La culture du viol n’est pas qu’une culture du déni, c’est aussi une culture de la normalisation de formes de violence des hommes à l’égard des femmes qui vont de formes d’humour humiliantes jusqu’aux féminicides. Toutes les personnes qui travaillent sur les violences de genre utilisent la notion indispensable de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/12/dans-l-intention-de-rabaisser-et-de-controler-les-femmes-un-continuum-de-violences_6145482_3232.html">continuum sexiste</a>, qui va des faits les plus spectaculaires que sont les féminicides et les viols, jusqu’aux stéréotypes sexistes. La culture du viol est une culture de l’euphémisation et de la déformation des faits de violences sexuelles (dire « main baladeuse » pour parler de ce qui est qualifiable par le droit comme une agression sexuelle ou parler de « drague lourde » au lieu d’outrage sexiste, un autre délit).</p>
<p>Le caractère systémique des violences, prouvé par les statistiques, s’explique en grande partie par ces représentations mentales que l’on peut synthétiser via l’expression culture du viol. Or, ces représentations mentales sont largement conditionnées par nos représentations culturelles, et particulièrement par la valorisation de l’asymétrie et des rapports de pouvoir, qui restent au cœur des scénarios de séduction et de relation amoureuses diffusés dans les œuvres, qu’il s’agisse de la pop culture ou du patrimoine classique, littéraire, pictural, cinématographique. Même les comédies romantiques perpétuent la culture du viol avec le schéma de l’homme qui conquiert et de la femme qui cède du terrain, la résolution de l’intrigue étant qu’elle finit par dire oui après avoir longtemps dit non. Changer nos représentations est donc essentiel, à la fois pour comprendre les défauts de prise en charge institutionnelle des violences sexistes et sexuelles, tant sur le plan juridique que judiciaire, thérapeutique et social, mais aussi pour espérer les améliorer. C’est cette articulation que la juriste Gaëlle Marti et moi avons mise au cœur du <a href="https://passagesxx-xxi.univ-lyon2.fr/activites/archives-des-manifestations/colloque-repair-violences-sexuelles-">programme de recherche-création interdisciplinaire REPAIR</a> « violences sexuelles : changer les représentations, repenser les prises en charge », qui se déploie aussi sous la forme <a href="https://www.pointdujourtheatre.fr/saison/notre-proces">d’un procès fictif sur la culture du viol</a>.</p>
<p><strong>Le théâtre est-il aussi perméable que le cinéma face aux violences sexistes et sexuelles ?</strong></p>
<p><strong>B.H.</strong> : Le secteur du théâtre public est tout autant surexposé que celui du cinéma, et il n’existe aucune plus-value éthique ou déontologique au fait qu’il relève d’une <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjjvo2wwMODAxXBRKQEHc5qA5gQFnoECA0QAw&url=https%3A%2F%2Fwww.culture.gouv.fr%2Ffr%2FMedia%2FMissions%2Frapport-financement-du-spectacle-vivant.pdf&usg=AOvVaw3fO4xAJrLJHBNALYaE19MO&opi=89978449">économie largement subventionnée</a> et dont on pourrait attendre que la législation soit d’autant plus rigoureuse puisqu’il s’agit d’argent public, qui n’est pas censé servir des pratiques discriminatoires. On y retrouve exactement les mêmes mécanismes évoqués concernant la surreprésentation des violences sexistes et sexuelles et cette même réticence à leur reconnaissance.</p>
<p><strong>Quelles sont les réponses des institutions culturelles aujourd’hui en France ? Sont-elles suffisantes ? ?</strong></p>
<p>Les choses sont quand même en train de changer dans les milieux artistiques depuis quelques années, du fait d’un certain volontarisme étatique et de certaines organisations professionnelles, qui aboutit à la mise en place de chartes, de cellules d’écoute, ou encore à la création du métier de <a href="https://www.cnc.fr/cinema/actualites/decryptage--questce-que-la-coordination-dintimite_2066812">coordinateur d’intimité</a>, encore très timide en France, mais qui s’est beaucoup développé aux États-Unis.</p>
<p>Il existe donc désormais toute une série d’outils. Mais ils ne suffisent pas en soi : il faut en utiliser plusieurs à la fois et surtout, il manque encore souvent une volonté sincère de les utiliser. Si je prends l’exemple des chartes et des cellules d’écoute, elles sont mises en place par les directeurs de lieux de production/diffusion ou d’écoles d’art parce qu’elles leur sont imposées, et ils n’y voient comme seul intérêt que la protection juridique de leur institution, parce qu’un élève ou un employé victime d’une agression pourrait se retourner non seulement contre son agresseur mais aussi contre l’institution qui aurait manqué à son devoir de protection.</p>
<p>Les cellules d’écoute servent trop souvent à externaliser le problème. Quant aux chartes, il y a parfois un discours d’invalidation par les instances qui les ont mises en place. Ce paradoxe vient du fait que les personnes qui aujourd’hui dirigent les institutions culturelles et sont donc en position de mettre en place ces outils et de changer les choses ont construit leur carrière dans un contexte où ces violences étaient à la fois normalisées et invisibilisées. Il est donc logique qu’elles aient du mal à accepter ces nouvelles politiques. Ce malaise aboutit d’ailleurs parfois à des formes de violences pédagogiques au sein des écoles.</p>
<p>Le droit du travail offre aussi toute une panoplie d’outils pour lutter contre les violences que les directeurs et directrices d’institutions ignorent souvent <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/des-fois-je-n-ai-pas-vu-des-directeurs-de-theatre-se-forment-aux-violences-sexistes-et-sexuelles-6362142">avant de suivre des formations spécifiques</a>. On réduit trop souvent le droit au droit pénal, en brandissant le respect de la présomption d’innocence et la nécessité de laisser la justice faire son travail. Mais, pour toutes les accusations liées à des faits qui auraient été commis sur les plateaux, un des leviers de la lutte contre les violences sexuelles est l’obligation de l’employeur d’offrir un cadre de travail sécurisé à ses employés. De plus, le droit du travail n’obéit pas au même régime de la preuve : le faisceau d’indices concordants suffit, et parmi ces indices, il y a par exemple la multiplicité des accusations et des témoignages, qui peuvent suffire à éloigner une personne des tournages en raison d’un principe de prévention. Certaines expérimentations sont en cours, qui montrent qu’il est possible de combiner l’impératif de sécuriser le cadre de travail et le souci de finaliser un projet artistique déjà entamé <a href="https://www.telerama.fr/cinema/le-realisateur-samuel-theis-accuse-de-viol-enquete-sur-un-tournage-devenu-invivable-7018759.php">sans (trop) pénaliser l’ensemble d’une équipe pour le comportement d’un seul individu</a>.</p>
<h2>Où en est le mouvement #MeToo ?</h2>
<p><strong>B.H.</strong> : Si on considère que #MeToo est une révolution, alors je dirais qu’on est comme au XIX<sup>e</sup> siècle, dans un moment de conflit entre deux paradigmes qui s’affrontent : le paradigme de l’Ancien Régime qui continue à défendre le droit de cuissage et à légitimer la violence des puissants et un nouveau paradigme qui tente de mettre en place un ordre des choses démocratique et républicain, respectueux de notre devise « liberté, égalité, fraternité ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220482/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bérénice Hamidi a reçu des financements de l'IUF. </span></em></p>Au cours de cet entretien, Bérénice Hamidi évoque avec nous les freins à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les milieux artistiques français.Bérénice Hamidi, Professeure en esthétiques et politiques des arts vivants, , Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2144102023-11-22T17:19:47Z2023-11-22T17:19:47ZSarah Bernhardt, l’actrice qui sut imposer son genre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561069/original/file-20231122-25-ydxzg0.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1220%2C823&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait de Sarah Bernhardt par Félix Nadar, vers 1864. Détail.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:F%C3%A9lix_Nadar_1820-1910_portraits_Sarah_Bernhardt.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>L’exposition consacrée cette année <a href="https://www.petitpalais.paris.fr/expositions/sarah-bernhardt">par le Petit Palais</a> à l’éclectique actrice Sarah Bernhardt (1844-1923) à l’occasion du centenaire de sa mort le démontrait magistralement : être actrice, c’est savoir être autre, se prendre au jeu des identités plurielles, parfois contradictoires. Cette faculté de changer de peau – acquise, et non sans souffrances –, ce pouvoir de métamorphose et la grisante liberté qu’il offre, Sarah Bernhardt, qui par son jeu et sa personnalité bouleversa le monde du théâtre et pour qui Jean Cocteau forgea l’expression de « monstre sacré », les raconte et les analyse dans son autobiographie au titre expressif, <em>Ma Double vie</em> (1907) et ce qu’elle concevait comme son testament théâtral <em>L’Art du théâtre : la voix, le geste, la prononciation</em> (1923, posth.). C’est le romancier Marcel Berger, un de ses familiers, qui, après sa mort, rassembla et ordonna les textes épars qu’elle avait dictés ou écrits sur le sujet.</p>
<h2>Une attention particulière à la condition féminine</h2>
<p>Alors qu’elle retrace sa vie, Sarah Bernhardt se montre singulièrement attentive aux difficultés auxquelles sont confrontées les femmes. Sans doute son enfance et son adolescence n’y sont-elles pas étrangères. Envoyée d’abord à la pension de Mme Fressard à Auteuil dès l’âge de sept ans, elle entre ensuite, deux ans plus tard, au couvent de Grand-Champs à Versailles. Là, elle développe une admiration sans bornes pour la mère supérieure, Sainte-Sophie, et un esprit de camaraderie féminine qui ne se démentira pas tout au long de sa vie.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/XFy6MloNlWs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Dès le récit de ces années de jeunesse, l’on est frappé par la beauté savoureuse des portraits de femmes qu’elle brosse et qui étayent ensuite son autobiographie. De chapitre en chapitre, elle rend des hommages appuyés aux femmes qui ont compté dans sa vie, sans pour autant les idéaliser, comme sa chère vieille institutrice Mlle de Brabender, à laquelle elle ne fait pas grâce de la description, sur son lit de mort, de son visage déformé par le retrait de son dentier, déposé dans un verre.</p>
<p>Souvent pleins de tendresse et d’admiration, ces portraits n’en sont pas moins d’un réalisme qui semble encore la marque d’une affection sincère : le prosaïsme des caractères comme des corps aimés ne la rebute pas. Elle en donnera une excellente illustration avec sa sculpture <a href="https://nmwa.org/art/collection/apres-la-tempete-after-storm/"><em>Après la tempête</em></a>, qui lui valut une mention honorable au Salon de 1876, et qui représente une grand-mère tenant dans ses bras le corps noyé de son petit-fils.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/561081/original/file-20231122-23-w3q90p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561081/original/file-20231122-23-w3q90p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561081/original/file-20231122-23-w3q90p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561081/original/file-20231122-23-w3q90p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561081/original/file-20231122-23-w3q90p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561081/original/file-20231122-23-w3q90p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1136&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561081/original/file-20231122-23-w3q90p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1136&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561081/original/file-20231122-23-w3q90p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1136&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Sarah Bernhardt, <em>Après la tempête</em>, ca. 1876.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://nmwa.org/art/collection/apres-la-tempete-after-storm/">National Museum of Women in the Arts</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Après sept ans de pensionnat, de retour dans son foyer à 14 ans, Sarah Bernhardt se trouve à nouveau entourée de femmes : sa mère Judith-Julie Bernhardt, ses tantes Rosine Berendt et Henriette Faure, ses sœurs Jeanne et Régina, son institutrice Mlle de Brabender, Mme Guérard, « la dame du dessus » (surnommée ensuite « mon petit’dame » et qui ne la quittera plus) composent le nouveau gynécée dans lequel elle évolue.</p>
<p>Sarah Bernhardt perd son père l’année de ses 13 ans ; un père dont l’identité est longtemps restée incertaine – elle ne le nomme jamais dans son autobiographie – avant d’être établie en la personne d’Édouard Viel (1819-1857).</p>
<p>Non que les hommes soient tout à fait absents autour de la future actrice : au « conseil de famille » qui décidera de son avenir figurent par exemple son parrain Régis Lavolie – détesté – et son oncle Félix Faure – très aimé –, M. Meydieu – vieil ami de la famille –, le duc de Morny et le notaire de feu son père. C’est le duc de Morny, ami de sa mère, qui la vouera au théâtre, sur « une parole lancée du bout des lèvres ».</p>
<h2>Changer l’image des actrices</h2>
<p>Sarah Bernhardt n’accueille pas avec joie ce projet d’entrer au Conservatoire, et cela tient à l’image qu’elle a des actrices. Comme elle l’explique à sa mère, les <a href="https://www.comedie-francaise.fr/fr/artiste/mlle-rachel">actrices, « c’est Rachel »</a>. Et Rachel, c’est une femme « qui [fait] un métier qui la [tue] » selon la sœur Sainte-Appoline du couvent de Grand-Champs et à laquelle « une petite fille […] avait tiré la langue ». Or pour Sarah Bernhardt, hors de question qu’on lui tire la langue quand elle sera « une dame ». </p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/561071/original/file-20231122-17-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561071/original/file-20231122-17-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561071/original/file-20231122-17-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=719&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561071/original/file-20231122-17-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=719&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561071/original/file-20231122-17-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=719&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561071/original/file-20231122-17-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=903&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561071/original/file-20231122-17-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=903&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561071/original/file-20231122-17-mn9kzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=903&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Madame R. ou Rachel dans le rôle de Camille, vers 1850, Collections de la Comédie-Française, Paris, France. Huile sur toile par Édouard Dubufe.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rachel_F%C3%A9lix#/media/Fichier:Rachel_par_Edouard_Dubufe.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le choix de ce terme pour marquer le passage de l’adolescence à l’âge adulte fait sens : il ne s’agit pas pour elle de devenir simplement une « femme » (être de sexe féminin adulte) mais bien une « dame » (femme des classes sociales supérieures, donc respectée). Dans cet emploi de « dame » se loge, par omission et par contraste, tout ce que ne sont pas, aux yeux du plus grand nombre, les actrices.</p>
<p>Pourtant, ces actrices, Sarah Bernhardt va considérablement en changer l’image. Avec un plaisir évident, dans son autobiographie comme dans son art théâtral, elle bat en brèche l’idée d’une rivalité à mort entre celles-ci, affirmant tout le contraire. Au sujet de son succès inattendu le soir de la Cérémonie de retour à la Comédie française après sa tournée londonienne, elle note :</p>
<blockquote>
<p>« Quelques artistes furent très contents, les femmes surtout, car il est une chose à remarquer dans notre art : les hommes jalousent les femmes beaucoup plus que les femmes ne se jalousent entre elles. »</p>
</blockquote>
<p>Cette jalousie masculine, elle l’explique par l’idée que le théâtre serait un « art essentiellement féminin ». Un « féminin » qu’elle définit, en accord avec l’imaginaire collectif de l’époque, comme la maîtrise de la séduction :</p>
<blockquote>
<p>« Farder sa figure, dissimuler ses vrais sentiments, chercher à plaire, vouloir attirer les regards, sont les travers qu’on reproche aux femmes et pour lesquels on montre une grande indulgence. »</p>
</blockquote>
<p>Sarah Bernhardt transforme ces défauts prêtés aux femmes en atout maître puisqu’il assure leur suprématie au théâtre, « seul art où les femmes peuvent parfois être supérieures aux hommes ». Pour elle, les peintresses (comme <a href="https://awarewomenartists.com/artiste/madeleine-lemaire-jeanne-magdelaine-lemaire-dite/">Madeleine Lemaire</a>, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/il-etait-une-femme/rosa-bonheur-l-histoire-etonnante-d-une-artiste-peintre-du-XIXe-si%C3%A8cle-adulee-pour-son-talent-et-sa-fougue-6380052">Rosa Bonheur</a>, <a href="https://awarewomenartists.com/artiste/louise-abbema/">Louise Abbéma</a>), compositrices (comme <a href="https://www.presencecompositrices.com/compositrice/holmes-augusta/">Augusta Holmès</a> et <a href="https://www.presencecompositrices.com/compositrice/chaminade-cecile/">Cécile Chaminade</a> et poétesses (comme Mme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=QeVVcjclMmw">Desbordes-Valmore</a>, <a href="https://www.liberation.fr/culture/livres/louise-ackermann-satan-feminin-et-poetesse-trop-libre-pour-son-si%C3%A8cle-20220506_V53EY7J2WRFCHD7NI2QRDYVMXI/">Louise Ackermann</a>, <a href="https://www.dailymotion.com/video/x7y63hh">Anna de Noailles</a>, <a href="https://www.liberation.fr/culture/livres/les-mille-et-une-vies-de-lucie-delarue-mardrus-20220816_EWNCS6GMRVGPXGG3GCCAVZNWIA/">Lucie Delarue-Mardrus</a>) de son époque, pourtant connues et reconnues, sont encore loin d’égaler leurs homologues masculins. </p>
<p>Au contraire, au théâtre, les noms de Mlle Duclos, Adrienne Lecouvreur, Mlle Clairon, Mlle de Champmeslé, Mlle Georges, Mlle Mars, Rachel ne se voient opposer que ceux de Baron, Talma et Mounet-Sully. Que l’on adhère à ce point de vue ou qu’on le récuse, Sarah Bernhardt tient à redorer l’image des actrices, qui sont pour elle les artistes féminines les plus accomplies.</p>
<p>Poursuivant cette logique, elle s’attache à démentir la légende noire d’une compétition acharnée entre <a href="https://www.comedie-francaise.fr/fr/artiste/sophie-croizette">Sophie Croizette</a> et elle, la décrivant comme fabriquée de toutes pièces par l’extérieur : « La guerre était déclarée, non pas entre Sophie et moi, mais entre nos admirateurs et détracteurs respectifs ». À elle cependant les admirateurs les plus sympathiques : « tous les artistes, les étudiants, les mourants et les ratés », à Sophie Croizette, « tous les banquiers et tous les congestionnés ». Il faut dire qu’elle n’avait pas, contrairement à son amie, le physique d’une actrice, tel qu’il était alors perçu, c’est-à-dire tout en courbes et rondeurs.</p>
<h2>Un « manque de féminité » mis à profit</h2>
<p>En effet, ses « cheveux de négresse blonde », tels que les qualifia le coiffeur qui les lui massacra le jour du concours de tragédie du Conservatoire, et surtout sa maigreur d’« os brûlé », selon le mot d’une spectatrice un soir de représentation de <em>Mademoiselle de Belle-Isle</em> – un drame d’Alexandre Dumas joué par Sarah Bernhardt en 1872, lui valent de nombreux reproches et caricatures : à peine est-elle arrivée en Amérique pour sa tournée triomphale, qu’elle est aussitôt croquée en « squelette coiffé d’une perruque frisée » par un jeune dessinateur.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/561066/original/file-20231122-21-54v81x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561066/original/file-20231122-21-54v81x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561066/original/file-20231122-21-54v81x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=874&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561066/original/file-20231122-21-54v81x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=874&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561066/original/file-20231122-21-54v81x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=874&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561066/original/file-20231122-21-54v81x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1099&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561066/original/file-20231122-21-54v81x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1099&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561066/original/file-20231122-21-54v81x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1099&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Sarah Bernhardt dans Hamlet, 1899.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sarah_Bernhardt#/media/Fichier:Bernhardt_Hamlet2.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Elle évoque tant de fois au cours de son autobiographie cette maigreur dont elle a d’abord souffert et qui « alimentait les faiseurs de chansons rosses et les albums de caricaturistes », que celle-ci finit par devenir le signe physique de son exception, s’imposant a posteriori comme un avantage.</p>
<p>Car c’est ce physique atypique qui la révèle, en lui offrant la possibilité d’endosser des rôles particuliers : ceux de personnages masculins. Non qu’elle soit la première femme à jouer des hommes, d’autant qu’à l’opéra, pour certains personnages confiés à des mezzo-sopranos, la pratique des rôles en « travesti » était courante comme pour Chérubin dans <em>Les Noces de Figaro</em> de Mozart – que Sarah Bernhardt interpréta dans la pièce de Beaumarchais en 1872. Mais c’est avec le rôle du troubadour Zanetto dans <em>Le Passant</em> de François Coppée (créé trois ans plus tôt au théâtre de l’Odéon), qu’elle rencontre son premier vrai succès.</p>
<p>Ces rôles masculins, Pierrot en 1883 dans <em>Pierrot assassin</em> de Jean Richepin, Hamlet en 1886 et en 1899 dans la pièce de Shakespeare, Lorenzaccio en 1896 dans la pièce de Musset, le duc de Reichstadt dans <em>L’Aiglon</em> d’Edmond Rostand en 1900 ou encore Pelléas en 1905 dans <em>Pelléas et Mélisande</em> de Maeterlinck, marquent son public et sont pour elle l’occasion d’explorer une nouvelle palette de sentiments dont elle se délecte.</p>
<p>Elle consacre à cette question un chapitre dans son <em>Art du théâtre</em>, expliquant son amour pour le personnage d’Hamlet :</p>
<blockquote>
<p>« Il n’est pas de caractère féminin qui n’ait ouvert un champ aussi large pour les recherches des sensations et des douleurs humaines que ne l’a fait celui d’Hamlet. […] Je puis dire que j’ai eu la chance rare, et je crois unique, de jouer trois Hamlet : le noir Hamlet de Shakespeare, l’Hamlet blanc de Rostand, l’Aiglon, et l’Hamlet florentin d’Alfred de Musset, Lorenzaccio ».</p>
</blockquote>
<p>Mais elle précise aussitôt les conditions impératives pour qu’une femme s’empare d’un rôle masculin :</p>
<blockquote>
<p>« Une femme ne peut interpréter un rôle d’homme que lorsque celui-ci est un cerveau dans un corps débile. Une femme ne pourrait pas jouer Napoléon, Don Juan ou Roméo. Méphisto… oui, parce que c’est en vérité un ange déchu, l’esprit malin qui accompagne Faust ».</p>
</blockquote>
<p>Le rôle de Méphisto constitue un tournant dans sa réflexion car il s’agit d’un « ange », être insexué, d’un « esprit », être asexué. Or justement, elle considère que des rôles masculins comme ceux des « trois Hamlet » sont en réalité des rôles insexués : « il faut que l’artiste [qui voudrait jouer ces rôles] soit dépouillé de virilité » car Hamlet est « un fantôme amalgamé des atomes de la vie et des déchéances qui conduisent à la mort ». Et de conclure </p>
<blockquote>
<p>« que ces rôles gagneront toujours à être joués par des femmes intellectuelles qui seules peuvent leur conserver leur caractère d’êtres insexués, et leur parfum de mystère ». </p>
</blockquote>
<p>Certes Sarah Bernhardt semble oublier que toutes les actrices n’ont pas son physique singulier, ni féminin, ni masculin, sorte de troisième genre sans sexe (et non d’androgyne, qui réunit traits féminins et masculins) mais c’est une façon de conclure à son avantage : Sarah Bernhardt impose son genre.</p>
<p>Cette réflexion sur les rôles masculins découle d’une comparaison entre héroïnes cornéliennes (qualifiées de « raisonneuses hystériques ») et héroïnes raciniennes, qui se solde au profit de ces dernières. Selon Sarah Bernhardt, seules les héroïnes raciniennes (dont Phèdre est pour elle l’emblème, unique rôle féminin à égaler celui d’Hamlet) sont réellement « féminine[s] » car elles tentent jusqu’au bout de dissimuler ce qu’elles ressentent véritablement, ne faisant éclater le corset social qu’en désespoir de cause.</p>
<p>À sa façon donc, en discutant de la vraisemblance et de l’intérêt des rôles féminins, Sarah Bernhardt rejette des clichés liés à une pseudo-nature féminine (non, les femmes ne sont ni des furies, ni des hystériques) pour considérer un fait historique et social (la nécessité pour elles de dissimuler leur for intérieur) qui lui apparaît comme déterminant pour la construction des caractères féminins, réels comme fictifs.</p>
<p>Cette nécessité de dissimuler va de pair pour Sarah Bernhardt avec l’aptitude des femmes à l’assimilation, comme elle l’explique dans son Art du théâtre : « On peut faire en quelques années une adorable duchesse d’un trottin parisien. On ne pourra jamais faire un duc d’un maraud ou d’un bourgeois ».</p>
<p>Ce faisant, elle remarque aussi combien il est difficile de s’émanciper de l’imaginaire collectif qui détermine une image générale de « la » femme, des images particulières de « types » de femmes mais aussi des images intemporelles de l’héroïsme féminin.</p>
<h2>La création d’un héroïsme à soi</h2>
<p>C’est un premier prix manqué lors du concours de comédie du Conservatoire qui semble à l’origine de sa réflexion sur la difficulté, en tant qu’actrice, de (re)créer des personnages féminins. Alors que le premier prix de comédie est remis à son amie Marie Lloyd, Sarah Bernhardt ne reçoit que le second. Mais pour elle, les dés étaient pipés :</p>
<blockquote>
<p>« C’était un prix de beauté que l’on avait décerné à Marie Lloyd ! […] [M]algré […] l’impersonnalité de son jeu, elle avait remporté les suffrages : parce qu’elle était la personnification de Célimène […]. Elle avait réalisé, pour chacun, l’idéal rêvé par Molière. »</p>
</blockquote>
<p>Par cette anecdote, Sarah Bernhardt signale combien nombre de personnages de fiction ont une image préétablie et combien il est difficile, voire vain dans certains cas, de vouloir leur en substituer une autre, en accord avec son physique et son caractère propres. Certes, à elle aussi apparaît d’abord, comme à tout lecteur, une « vision matérialisée » du personnage mais elle effectue ensuite un travail pour essayer de le percevoir tel que l’a conçu l’auteur, quitte à aller contre l’image, parfois ancienne, que le public en a.</p>
<p>Elle concède toutefois qu’il lui semble impossible de détruire le « côté légendaire » d’un personnage devenu mythique, quand bien même les travaux des historiens en ont rétabli la vérité. Elle énumère en guise d’exemples aussi bien des personnages masculins que féminins mais s’arrête sur le cas de Jeanne d’Arc (qu’elle a jouée en 1890 dans la pièce de Jules Barbier et en 1909 dans celle d’Émile Moreau) :</p>
<blockquote>
<p>« Nous ne voulons pas que Jeanne d’Arc soit la fruste et gaillarde paysanne repoussant violemment le soudard qui veut badiner, enfourchant comme un homme le large percheron, riant volontiers des gaudrioles des soldats, et, soumise aux promiscuités impudiques de son époque encore barbare […]. Elle reste, dans la légende, un être frêle, conduit par une âme divine. Son bras de jeune fille qui tient le lourd étendard est soutenu par un ange invisible ».</p>
</blockquote>
<p>En analysant l’image publique de Jeanne d’Arc, Sarah Bernhardt approche la question de l’héroïsme féminin et remarque combien il est indissociable d’une apparence physique éthérée, de gestes élégants, d’une pureté corporelle qui s’apparie mal avec la réalité. Il y a là un frein à son goût pour le réalisme contre lequel elle renonce à lutter.</p>
<p>La prise de rôle d’un personnage féminin se complique encore lorsqu’on y ajoute les visages réels qui y ont été associés au fil des siècles. Et, si l’on adopte le credo de Sarah Bernhardt selon lequel, au théâtre, les noms des actrices se gravent plus aisément dans les mémoires que ceux des acteurs, alors le défi de reprendre un rôle dans lequel une actrice s’est illustrée n’en est que plus grand.</p>
<p>Ainsi du rôle de Phèdre qui fut pour elle une épreuve car Rachel – son aînée d’une vingtaine d’années – avait imposé ses traits à cette héroïne en 1843 et son souvenir était encore vif lorsqu’elle-même en obtint le rôle trente-et-un an plus tard, sachant pertinemment que les comparaisons ne manqueraient pas.</p>
<p>Pourtant, cette fois-là, Sarah Bernhardt triomphe et ne mentionne dans son autobiographie qu’un seul article défavorable, celui de Paul de Saint-Victor, dont elle précise qu’il était « lié avec une sœur de Rachel », façon bien sûr de souligner la partialité du critique.</p>
<p>De même, en 1880, lorsqu’elle joue le rôle <a href="https://www.comedie-francaise.fr/fr/artiste/adrienne-lecouvreur">d’Adrienne Lecouvreur</a> (s’affrontant déjà à une première image d’actrice !) dans la pièce (portant son nom) que lui consacrent Ernest Legouvé et Eugène Scribe à Londres, c’est encore à Rachel – qui avait créé le rôle en 1849 – qu’elle est comparée par le critique du <em>Figaro</em>, Auguste Vitu, « regrettant [qu’elle n’eût] pas suivi les traditions de Rachel » mais admirant aussi chez elle, dans l’acte V, « une puissance dramatique […] une vérité d’accents qui ne sauraient être surpassées » et « une science de composition qu’elle n’avait jamais révélée jusque-là ».</p>
<p>À ces comparaisons, Sarah Bernhardt oppose chaque fois la même objection : elle n’a jamais vu Rachel jouer ces rôles, ce qui, malgré la notoriété de celle-ci, lui laissait une nécessaire liberté de création.</p>
<p>La réputation d’une prédécesseuse, lorsqu’elle est plus lointaine, peut cependant également être source d’inspiration. Pour le rôle de Phèdre par exemple, Sarah Bernhardt confie s’être appuyée sur la renommée de <a href="https://www.comedie-francaise.fr/fr/artiste/champmesle-mademoiselle">Mlle de Champmeslé</a> (1642-1698), se souvenant « qu’elle était au dire des historiens, une créature de beauté et de grâce, et non une forcenée », ce qui confortait son interprétation de Phèdre comme étant « la plus touchante, la plus pure, la plus douloureuse victime de l’amour ».</p>
<p>Toutes ces réflexions sur la création des personnages féminins se révèlent avoir nourri, comme autant d’ébauches, la pensée de Sarah Bernhardt quant à la création de sa propre « personnalité ». Elle semble en effet avoir conjugué étude des rôles qui lui étaient confiés et introspection, construction de soi.</p>
<p>Très tôt au cours de son autobiographie, elle fait part d’un désir d’affirmation de soi et de rayonnement auprès des autres qu’elle aurait éprouvé dès l’enfance et dont la première réalisation remonte au temps du couvent de Grand-Champs : « Enfin, j’étais devenue une personnalité, et cela suffisait à mon orgueil d’enfant », écrit-elle.</p>
<h2>La création d’une personnalité</h2>
<p>Ce mot de « personnalité » est un terme important pour elle, qui en use à plusieurs reprises au cours de son récit : conformément à ses deux sens principaux, il définit à la fois ce qu’elle est déjà – une individualité forte qui se démarque des autres – et ce qu’elle veut être – une personne importante.</p>
<p>Elle l’emploie ainsi souvent dans ce double sens, comme lorsqu’elle attend, inquiète et cependant sûre d’elle, qu’on lui attribue une « part » (et non un « rôle », pièce religieuse oblige) dans la pièce <em>Tobie recouvrant la vue</em> que les élèves du couvent doivent jouer à l’occasion de la visite de l’archevêque de Paris, Monseigneur Sibour.</p>
<p>Mais cette double acception du mot est plus clairement exprimée encore après son premier succès public et social, à savoir sa réussite au concours d’entrée du Conservatoire : « Je sentais le besoin de me créer une personnalité. Ce fut le premier éveil de ma volonté. Être quelqu’un, je voulus cela ».</p>
<p>De fait, le titre de son autobiographie, <em>Ma Double vie</em>, ne fait pas uniquement référence à cette vie partagée entre la scène et la ville dont elle décrit en détail le mécanisme lors d’une représentation de <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90066393"><em>Mademoiselle de Belle-Isle</em></a>.</p>
<p>Il fait aussi écho à la guerre qui a souvent opposé ses deux « moi », comme lorsqu’elle attend, fébrile, le résultat du concours de comédie du Conservatoire :</p>
<blockquote>
<p>« Il se livrait dans mon frêle cerveau de jeune fille le combat le plus fou, le plus illogique qu’on puisse rêver. Je me sentais toutes les vocations vers le couvent, dans ma détresse de mon prix manqué ; et toutes les vocations pour le théâtre, dans l’espoir du prix à conquérir ».</p>
</blockquote>
<p>Mais ces deux « moi » se réconcilient dans l’ambition puisqu’il ne s’agit rien de moins que de devenir dans un cas « la mère Présidente du couvent de Grand-Champs » et dans l’autre, « la première, la plus célèbre, la plus enviée » des actrices.</p>
<p>Si le dilemme intérieur est assez vite tranché – elle sera actrice –, cette vie aux identités multiples qu’elle embrasse ne se cantonne pas aux planches : à la ville aussi Sarah Bernhardt multiplie les rôles. Et c’est sur ce kaléidoscope identitaire, autant que sur son talent, qu’elle bâtit sa célébrité : Sarah Bernhardt infirmière et patriote – transformant l’Odéon en ambulance lors de la guerre de Prusse, soutenant le moral des soldats de 1914 –, Sarah Bernhardt aventurière – voyage en ballon, descente dans la crevasse de l’« Enfer du Plogoff », tournée dans la sauvage Amérique –, Sarah Bernhardt sculptrice, Sarah Bernhardt peintresse, Sarah Bernhardt goule dormant dans un cercueil, etc.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561076/original/file-20231122-21-kv4tz7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561076/original/file-20231122-21-kv4tz7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561076/original/file-20231122-21-kv4tz7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561076/original/file-20231122-21-kv4tz7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561076/original/file-20231122-21-kv4tz7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=347&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561076/original/file-20231122-21-kv4tz7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=347&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561076/original/file-20231122-21-kv4tz7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=347&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Boucq (Meurthe et Moselle), Le théâtre aux armées, en 1916. Sarah Bernhardt, 72 ans (à gauche), joue pour les Poilus. A 60 ans passés, l’actrice se blesse au genou droit en sautant du parapet dans la scène finale de Tosca. La gangrène s’installe : dix ans plus tard, l’actrice est amputée.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://imagesdefense.gouv.fr/sarah-bernhardt-actrice-patriote-theatre-aux-armees">Images défense</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’actrice défraie la chronique, même si elle se défend de le faire sciemment, ne prétendant qu’à vivre librement et selon sa fantaisie. Son impresario américain, Edward Jarrett est, lui, bien décidé à tirer parti de l’aura et du nom de Sarah Bernhardt qu’il vend, autant dans le monde du spectacle que dans celui de la publicité.</p>
<p>Revers de la médaille, l’actrice sent plusieurs fois son image lui échapper, se fait parfois piéger, comme <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/569154/autopsie-d-une-baleine">lors de l’épisode de la baleine de Boston</a> où un certain Henry Smith, propriétaire de bateaux de pêche, l’entraîne presque de force sur le dos du cétacé mourant dont il lui fait arracher un fanon pour ensuite en tirer une affiche et des réclames publicitaires, faisant de l’animal moribond (voire déjà mort !) une juteuse attraction touristique.</p>
<p>Sarah Bernhardt est si coutumière de ces jeux autour de ses différents « moi » que même dans son autobiographie, elle ne livre d’elle que des morceaux choisis. D’un côté, elle veille à attester précautionneusement de la véracité de son récit (parfois dans une perspective apologétique), prenant soin de citer à l’appui, comme autant de preuves, la « quantité de documents » conservés « précieusement » par Mme Guérard ou les « petits cahiers » dans lesquels son secrétaire avait « ordre de découper, et de coller […], tout ce qui s’écrivait en mal ou en bien » sur elle.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/on1H3mid6gw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>De l’autre, elle se réserve le droit à l’omission (au mensonge par omission diraient certains), ne révélant que peu de choses de son intimité :</p>
<blockquote>
<p>« Mais je veux mettre de côté dans ces Mémoires tout ce qui touche à l’intimité directe de ma vie. Il y a un “moi” familial qui vit une autre vie, et dont les sensations, les joies et les chagrins naissent et s’éteignent pour un tout petit groupe de cœurs. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561097/original/file-20231122-23-6bva6z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561097/original/file-20231122-23-6bva6z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561097/original/file-20231122-23-6bva6z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561097/original/file-20231122-23-6bva6z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561097/original/file-20231122-23-6bva6z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561097/original/file-20231122-23-6bva6z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561097/original/file-20231122-23-6bva6z.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Encrier sculpté par Sarah Bernhardt, Autoportrait en chimère, 1880. Musée Carnavalet.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Autoportrait_en_chim%C3%A8re,_S3375(4).jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Certes, Sarah Bernhardt narre <a href="https://www.cairn.info/vocabulaire-des-histoires-de-vie-et-de-la-recherch--9782749265018-page-28.htm">« l’histoire de sa personnalité »</a> mais telle qu’elle l’a inventée et sculptée et telle qu’elle souhaite la donner à voir : sphinx et chimère, à l’image de cet encrier qu’elle avait façonné à son effigie et dans lequel elle semble avoir trempé sa plume et dilué ses mystères.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214410/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ambre-Aurélie Cordet est membre de "Philomel", fédération des études de genre au sein de Sorbonne Université.</span></em></p>Sarah Bernhardt, par son jeu d'actrice et sa personnalité, bouleversa le monde du théâtre. On lui reprochait son « manque de féminité » : elle en fit une force.Ambre-Aurélie Cordet, ATER - Docteure en Littératures comparées, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2121472023-08-31T18:21:12Z2023-08-31T18:21:12Z« Yannick » de Quentin Dupieux, une fable habile sur le mépris social<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/545263/original/file-20230829-28218-p7066c.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C1140%2C840&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quand un spectateur s'insurge contre ce qui lui est proposé. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-315119/photos/detail/?cmediafile=22017826">Allociné / Chi-Fou-Mi Productions</a></span></figcaption></figure><p>C’est peu dire que le cinéma de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Quentin_Dupieux">Quentin Dupieux</a>, réalisateur singulier mais aussi compositeur de musique électronique, constitue une expérience à part. Ses films, étranges par leur forme autant que par leurs sujets, sont imprégnés d’un humour noir qui oscille entre l’absurde et le surréalisme. Mais qu’est-ce que son cinéma atypique peut nous apprendre sur la fragilité des institutions, la fonction de l’art dans les conflits sociaux, ou encore la dynamique du mépris dans les sociétés contemporaines ? C’est dans le but d’explorer ces questions, et avec une approche volontairement éclectique, empruntant autant à la psychologie sociale qu’à la philosophie ou la littérature, que j’analyserai le film de Quentin Dupieux sorti récemment, <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=315119.html"><em>Yannick</em></a>.</p>
<p>Ainsi débute l’intrigue : Yannick, gardien de nuit sur un parking, est venu assister à une représentation de théâtre, plus exactement un vaudeville, afin de s’évader d’un quotidien morose. Or, visiblement, la représentation du soir à laquelle assiste Yannick paraît fort poussive, c’est le moins qu’on puisse dire ; les comédiens se montrant peu soucieux de la qualité de ce qu’ils sont en train d’interpréter. Une soirée gâchée. Au fond, tout pourrait s’arrêter là.</p>
<p>Mais par son initiative, Yannick fait entendre une parole dissonante et qui détraque les règles du jeu du théâtral, interpellant de vive voix les comédiens, sidérés et rendus incrédules par tant d’audace et d’inconscience. Yannick se défend : cette pièce n’était-elle pas censée lui remonter le moral ? N’était-il pas venu ici pour passer un bon moment ? Qui lui remboursera sa journée de congé et ses deux heures de transport ?</p>
<p>Cette prise de parole naïve coïncide avec une première rupture qui traduit la profondeur de l’incompréhension mutuelle entre la troupe de comédiens et Yannick. Ce dernier rappelle la dureté de ses conditions de vie et de travail, cependant que de leur côté, les comédiens se contentent de rappeler Yannick à l’ordre, c’est-à-dire, d’une part de lui remettre en mémoire les « règles du jeu » – un spectateur n’intervient pas dans une pièce en cours –, et d’autre part d’insister sur le fait que « l’art » n’a rien à voir avec les déboires personnels ou les attentes de divertissement de chacun. Premier moment de tension qui suscite un certain malaise et une crispation.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4UWGbR3r7EU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>La spirale du mépris</h2>
<p>De nombreuses interprétations sont bien sûr possibles, dont celle, que je trouve particulièrement intéressante, issue d’une critique du <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/08/01/yannick-de-quentin-dupieux-ou-la-revolte-du-strapontin_6184052_3246.html"><em>Monde</em></a>, par Mathieu Macheret :</p>
<blockquote>
<p>« Par son déraillement, Yannick laisse entrevoir des facettes troubles, une étrange férocité, un penchant obsessionnel. Ce qui fait retour avec lui dans l’espace codifié du théâtre, c’est une certaine violence sociale refoulée <a href="https://theconversation.com/podcast-assister-a-un-match-de-foot-ou-aller-a-lopera-est-ce-vivre-la-meme-experience-esthetique-195674">par les us culturels</a>. »</p>
</blockquote>
<p>Mon interprétation s’accorde avec cette idée, mais tend plutôt à lire le film comme une fable cruelle sur l’expérience du mépris en général, qui met en lumière les refoulés non seulement culturels mais surtout sociaux de nos façons de vivre et communiquer.</p>
<p>Par sa forme même, le film figure de façon schématique mais très juste la dynamique décrite par le philosophe allemand <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Axel_Honneth">Axel Honneth</a> lorsqu’il parle d’une « lutte pour la reconnaissance » en jeu dans la société. Résumée succinctement, l’idée consiste à dire que les expériences de mépris subies par les individus et groupes sociaux doivent mener les institutions en place à interroger en retour les normes qui régulent la vie en commun, cela afin de mener à une compréhension mutuelle élargie.</p>
<p>Ces luttes, qui n’ont pas à être violentes, se déroulent la plupart du temps au sein de l’espace public afin d’acquérir la reconnaissance institutionnelle qui avait été initialement refusée. Si elle peut paraître abstraite, cette théorie permet néanmoins de comprendre la mobilisation de nombreux mouvements sociaux, en particulier, comme l’indique le sociologue français <a href="https://usbeketrica.com/fr/article/comment-sortir-de-la-societe-du-mepris">Pierre Rosanvallon</a>, celle exceptionnelle des « gilets jaunes » qui a profondément marqué le paysage politique et social français : </p>
<blockquote>
<p>« Si la caractérisation des “gilets jaunes” en termes de catégories socio-professionnelles reste ainsi problématique, il y a un autre type de lien qui les a indubitablement réunis : celui d’avoir eu le sentiment d’être méprisés. »</p>
</blockquote>
<p>Autrement dit, l’expérience du mépris suscite un affect violent, qui peut s’étendre à tout un groupe social, et entraîner une situation hors de contrôle et de crise violente – soit ce que vient illustrer la dynamique du film de Dupieux.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/545261/original/file-20230829-9973-gxz9n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/545261/original/file-20230829-9973-gxz9n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/545261/original/file-20230829-9973-gxz9n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/545261/original/file-20230829-9973-gxz9n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/545261/original/file-20230829-9973-gxz9n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/545261/original/file-20230829-9973-gxz9n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/545261/original/file-20230829-9973-gxz9n4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Yannick, interprété par Raphaël Quenard.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Chi-Fou-Mi Prod/Quentin Dupieux 2023</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Du mépris à la situation de crise violente</h2>
<p>En un sens, la scène aurait pu s’interrompre après l’exclusion de Yannick, par les comédiens. Mais c’est que, non contents d’être parvenus à exclure le spectateur récalcitrant de l’espace de la scène suite à sa prise de parole, un peu comme certains groupes sociaux dérangeants se voient refuser l’accès à toute parole et visibilité dans l’espace public, les comédiens épris de triomphe se prennent à singer cruellement et de façon méprisante les propos de Yannick – sous l’hilarité générale du public qui pis est ! Sous le coup d’un mépris violent, revenu sur scène avec une arme, celui-ci en vient à passer à l’acte et prend en otage toute la salle. Il s’agit ni plus ni moins pour Yannick que de réécrire la pièce dans son ensemble afin que celle-ci puisse retranscrire plus fidèlement son expérience de vie.</p>
<p>Ce moment marque un réel basculement, tant dans le rapport de forces, puisque Yannick prend le dessus sur l’art grâce à son arme, mais également dans l’équilibre des relations sociales au sein de la salle. Il est à noter en effet que par sa gouaille, son humour incongru et ses manières maladroites, Yannick gagne progressivement l’affection de la salle, qui, prise en otage, bascule en sa faveur. L’idée d’y voir un <a href="https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2009/revue-medicale-suisse-201/syndrome-de-stockholm">« syndrome de Stockholm »</a> (soit un retournement des sentiments de terreur à l’égard du ravisseur en affection) serait tentante, quoi qu’un peu facile.</p>
<p>Car ce qui se met en place à mon avis, c’est plutôt une réécriture d’ensemble des règles de la scène théâtrale, et, plus largement, des règles du jeu de l’institution elle-même afin de décider ce qui a le droit ou non d’être représenté et considéré comme un art légitime. Le passage à l’arme devient ici un recours visant à prendre le pouvoir pour effectuer un saut brutal sur la scène et entamer un passage à l’art. Autrement dit, il s’agit au sens propre d’une révolution (symbolique) figurée ici en miniature par le personnage de Yannick. Soit, comme l’écrivait <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/manet-une-revolution-symbolique-pierre-bourdieu/9782021135404">Bourdieu</a> à propos de l’œuvre du peintre impressionniste <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89douard_Manet">Manet</a>, une tentative visant à transformer les structures à travers lesquelles nous percevons une œuvre d’art, sa légitimité et par extension l’ensemble des règles sociales qui lui correspondent.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dionysos-vs-apollon-experiences-esthetiques-et-milieux-sociaux-98605">Dionysos vs Apollon : expériences esthétiques et milieux sociaux</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Cette « prise d’otage » du public fait par ailleurs écho à la virulence avec laquelle les œuvres de Manet, et plus globalement des impressionnistes, furent reçus par une partie du public et de la critique. Rappelons à ce titre, ironie de l’histoire, que le terme <a href="https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/et-monet-fit-grande-impression-16-08-2016-6043373.php">« impressionniste »</a>, lancé par un critique, visait d’abord à railler et disqualifier cette nouvelle forme de peinture qui se trouvait pour la première fois exposée !</p>
<p>De ce fait, ce second temps de la prise d’otage à laquelle on assiste dans Yannick illustre un moment de cris marqué par l’incertitude. Ces situations, comme l’a montrée la <a href="https://www.cairn.info/vocabulaire-de-psychosociologie--9782749229829-page-110.htm">psychosociologie</a>, se définissent par : « une rupture des dynamiques et équilibres antérieurs et à une incapacité présente à réguler ou à stabiliser le jeu des relations pour assurer une suffisante stabilité. » C’est d’ailleurs tout la dynamique qui préoccupe une grande partie du film, Yannick s’efforçant d’attirer la sympathie des spectateurs en cherchant à les convaincre du bien-fondé de son action – certes l’arme au poing, comme lui fera remarquer un spectateur.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/545262/original/file-20230829-29-vqey6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/545262/original/file-20230829-29-vqey6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/545262/original/file-20230829-29-vqey6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/545262/original/file-20230829-29-vqey6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/545262/original/file-20230829-29-vqey6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/545262/original/file-20230829-29-vqey6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/545262/original/file-20230829-29-vqey6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Confrontation entre un comédien et le spectateur mécontent.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Chi-Fou-Mi Productions/Quentin Dupieux</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>De l’art à l’arme, et inversement</h2>
<p>De fait, après un moment de latence et plusieurs revirements, Yannick finit par imposer sa pièce aux comédiens. En dépit des maladresses d’expression littéraire de Yannick, ou peut-être grâce à celles-ci, le public y trouve de l’humour, et même un certain réconfort. Les rires fusent. Il faut dire que la pièce écrite par Yannick relate l’histoire d’un homme dont on croyait qu’il était dans le coma mais qui souffre en réalité d’un « mal d’amour ». Rien que ça ! La blague de Dupieux est bien entendu énorme, mais c’est là toute l’ambiguïté et l’intelligence de son cinéma qui point derrière ses facéties et son humour noir.</p>
<p>On assiste alors à l’afflux incroyable d’émotions qui soulèvent Yannick ; les larmes aux yeux, ce dernier assiste au triomphe de sa propre pièce inspirée de son mal-être et sa souffrance. Une réussite et un apaisement ? Mais voilà, les forces de l’ordre se sont rendues sur place et le film se clôt sur leur entrée imminente dans la scène du théâtre. La question reste donc entièrement en suspens : quel ordre sera rétabli, celui de Yannick ou celui des comédiens ? A moins qu’autre chose ne se prépare ? Je crois que c’est ici que le côté « méta » de la mise en scène de Dupieux atteint sa pleine portée symbolique.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Je trouve que le film prend ici une tonalité presque shakespearienne. La comparaison paraîtra moins improbable si l’on songe combien la métaphore du théâtre dans le théâtre, ou encore la guerre comme phénomène qui atteste de la fragilité de la vie sociale et politique sont des thèmes omniprésents chez Shakespeare. Plus fondamentalement, <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2011/03/10/richard-marienstras-angliciste_1491189_3382.html">l’universitaire britannique Richard Marienstras</a> spécialiste de Shakespeare écrivait que pour ce dernier « la violence appartient à l’ordre même des choses. » Or, c’est bien ce qui est visible dans le film : la crise violente vient rappeler à quel point les règles, qui paraissaient immuables, sont en fait précaires et réversibles.</p>
<p>Si le normal n’a plus rien de normal, si l’évidence n’a plus cours, alors cela nous conduit à nous interroger autrement sur notre environnement, à en décoder les impensés et les refoulés. La folie « normale » du monde éclate au grand jour, ainsi que le mépris violent qui a lieu au quotidien sans y prendre garde. Plus que son humour bizarre ou ses histoires fantasques, je crois que c’est là une raison importante qui explique le malaise suscité par les films de Dupieux au visionnage.</p>
<p>Car derrière ses faux-airs de film désinvolte, Yannick cache une véritable fable cruelle et un remarquable tour de force dont la portée morale tient à ce qu’elle place le spectateur – par la force même du cinéma – dans une situation ambiguë où toute forme de jugement tranché semble impossible et le pousse à interroger ses propres présupposés et jugements. Autrement dit, Dupieux place le spectateur face à un choix éthique difficile qui n’admet aucune réponse évidente. Enfin, il me semble que la grâce d’un film comme <em>Yannick</em> tient à ce mélange de fantaisie, d’humour et de générosité, tirant le meilleur parti d’un cinéma « populaire » (n’oublions pas Yannick était venu assister à un vaudeville, une pièce censée le divertir !) pour émouvoir son public tout en le portant à réfléchir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212147/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel Lomellini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans son dernier film, Quentin Dupieux nous interpelle : qu’est-ce qu’un art « légitime » ? Jusqu’où les règles du jeu social peuvent-elles être subverties ?Gabriel Lomellini, Assistant Professor, HR and Organizational Behavior, ICN Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1982522023-01-28T09:27:29Z2023-01-28T09:27:29ZFéminisme dans la fiction : quand Bechdel regarde Molière<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/506606/original/file-20230126-20-qiqmy2.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C3%2C1202%2C738&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Allison Bechdel et Jean-Baptiste Poquelin.</span> </figcaption></figure><p>Quel est le point commun entre <em>Toy Story 3</em>, <em>Singin’ in the Rain</em>, <em>La Ménagerie de verre</em> de Tennessee Williams et <em>Le Misanthrope</em> de Molière ? Chacune de ces œuvres passe avec succès le « test de Bechdel », nommé d’après la célèbre autrice de bandes dessinées Allison Bechdel.</p>
<p>Il consiste en trois questions, aussi simples qu’efficaces : l’œuvre a-t-elle 1) au moins deux personnages féminins, 2) qui parlent ensemble, 3) de quelque chose d’autre que des hommes (au moins une fois) ? Rien d’insurmontable… <em>a priori</em>.</p>
<p>Pourtant, parmi les presque 10 000 films répertoriés sur <a href="https://bechdeltest.com">bechdeltest.com</a>, seuls 57 % satisfont aux trois critères. Le constat souligne les biais de l’industrie culturelle : celle d’aujourd’hui… et celle d’autrefois.</p>
<h2>Non, Molière n’était pas féministe avant l’heure</h2>
<p><em>Quid</em> en effet de Molière, dont on fêtait les 400 ans en 2022 ? C’est la question posée dans <em>L’Atlas Molière</em>, ouvrage qui décrypte la carrière du dramaturge en récits et en infographies, auquel j’ai contribué. L’auteur de <em>L’École des femmes</em>, celui qui doit sa carrière à l’immense <a href="http://siefar.org/dictionnaire/fr/Madeleine_B%C3%A9jart">Madeleine Béjart</a>, met-il en scène des femmes qui parlent d’autre chose que des hommes ? De fait, fort peu.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/506591/original/file-20230126-18-2qa230.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/506591/original/file-20230126-18-2qa230.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506591/original/file-20230126-18-2qa230.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=886&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506591/original/file-20230126-18-2qa230.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=886&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506591/original/file-20230126-18-2qa230.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=886&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506591/original/file-20230126-18-2qa230.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1113&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506591/original/file-20230126-18-2qa230.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1113&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506591/original/file-20230126-18-2qa230.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1113&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’Atlas Molière.</span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>L’École des femmes</em>, par exemple, échoue à ce test. Le sujet de la pièce n’est d’ailleurs pas particulièrement progressiste : en ridiculisant le jaloux Arnolphe, Molière se range du côté de la majorité. Alors que l’émission « Secrets d’histoire » avait affabulé un Molière féministe, quitte à <a href="https://www.auroreevain.com/2022/01/13/la-contre-histoire-des-secrets-dhistoire-moliere-feministe-vraiment/">déformer les propos de ses invitées</a>, les trois questions de Bechdel nous forcent à regarder, de front, le rôle des femmes dans le théâtre de Molière.</p>
<h2>Aux origines, une critique de la culture mainstream</h2>
<p>Le test de Bechdel apparaît pour la première fois dans un épisode des « Dykes to watch out for » (« Lesbiennes à suivre »), une série de <em>strips</em> emblématiques de la contre-culture des années 1980 que l’autrice publie à partir de 1983. En 1985, dans « The Rule » (« La Règle »), l’une des deux protagonistes partage ses trois critères pour choisir un film : il faut qu’il y ait au moins deux femmes, et qui parlent ensemble, d’autre chose que des hommes. Incapables de trouver un film qui corresponde à ces critères, les deux amies préfèrent rentrer chez elles pour manger du pop-corn, sans cinéma.</p>
<p>Ce qu’on appelle aujourd’hui test de Bechdel n’est donc à l’origine ni un test, ni vraiment une mesure de féminisme, mais une critique piquante de la production culturelle <em>mainstream</em>.</p>
<p>Allison Bechdel rappelle d’ailleurs régulièrement <a href="https://www.independent.co.uk/arts-entertainment/films/news/please-stop-calling-it-the-bechdel-test-says-alison-bechdel-10474730.html">dans la presse</a> et <a href="https://dykestowatchoutfor.com/the-rule/">sur son blog</a> qu’elle n’a pas inventé cette règle, et se montre très dubitative face à l’usage tous azimuts qui en est fait. Car le <em>strip</em> est devenu entre temps une sorte de norme : on l’applique au cinéma, au théâtre, à la comédie musicale ou encore aux romans graphiques ; la règle a également été <a href="http://theangryblackwoman.com/2009/09/01/the-bechdel-test-and-race-in-popular-fiction/">adaptée aux questions raciales</a> par le blog <em>Angry Black Women</em>. L’enthousiasme est collectif, <a href="https://docs.google.com/spreadsheets/d/132TZ2nhpw2EuFwgfXBhfaMNoIuwsI2x8KWk-fSE1Sdk/edit#gid=0">collaboratif</a>, joyeux et fécond dans les <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/rechercheslmm/2020-v12-rechercheslmm05680/1073685ar/">débats qu’il suscite</a>.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/506571/original/file-20230126-25925-fk3erh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/506571/original/file-20230126-25925-fk3erh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506571/original/file-20230126-25925-fk3erh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506571/original/file-20230126-25925-fk3erh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506571/original/file-20230126-25925-fk3erh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506571/original/file-20230126-25925-fk3erh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506571/original/file-20230126-25925-fk3erh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506571/original/file-20230126-25925-fk3erh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">The Rule.</span>
<span class="attribution"><span class="source">dykestowatchoutfor.com/the-rule</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais la transformation d’un strip situé dans le temps en un label féministe général ne va pas sans poser de problèmes. Les trois critères n’ont pas pour vocation, et de loin, de couvrir les différentes représentations possible des femmes, ni de prendre en compte les questions fondamentales d’intersectionnalité. Par ailleurs, le test produit des <a href="https://www.theguardian.com/lifeandstyle/womens-blog/2016/aug/20/why-the-bechdel-test-doesnt-always-work">résultats parfois surprenants</a> : <em>Twilight</em>, film souvent considéré comme sexiste, satisfait presque par hasard aux trois critères, alors que <em>Gravity</em>, a priori plus progressiste, ne passe pas la rampe.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Pourtant, c’est bien cette simplicité radicale qui fait toute la force et la pertinence du test. Que l’on observe le théâtre ou le cinéma, qu’il s’agisse du XVII<sup>e</sup> siècle ou d’aujourd’hui, le fait de constater qu’aucune femme ne parle d’autre chose que des hommes ne peut pas être anodin, encore moins lorsque le constat se répète. Significatif, donc, mais pas péremptoire. Le résultat n’est ni une garantie de féminisme ni une condamnation pour sexisme. C’est plutôt un point d’entrée, une question évidente dès lors qu’on la formule : pourquoi tant de femmes représentées ne parlent-elles que d’hommes, alors que la réciproque – des hommes qui ne parleraient que de femmes – ne se vérifie pas du tout : <a href="http://doi.apa.org/getdoi.cfm?doi=10.1037/ppm0000436">95 % des films passent le test inversé</a>.</p>
<h2>Les pièces de Molière à l’épreuve</h2>
<p>Transposée à Molière, la problématique est féconde. <em>L’Atlas Molière</em> indique que seules 7 pièces sur 30 satisfont aux trois critères ; certes, mais encore faut-il comprendre pourquoi. Surprise : alors que la pièce ne parle que d’amour, <em>La Princesse d’Élide</em> passe presque le test – et le rate pour une raison particulièrement frappante. Au début de l’acte II, la princesse entourée de ses amies, profite de la campagne, loin des tracas de la cour :</p>
<blockquote>
<p>Oui j’aime à demeurer dans ces paisibles lieux,<br>
On n’y découvre rien qui n’enchante les yeux,<br>
Et de tous nos Palais la savante structure<br>
Cède aux simples beautés qu’y forme la nature.</p>
</blockquote>
<p>Des femmes, entre elles, qui profitent de la nature ? C’était sans compter sur Aglante qui lui reproche immédiatement de ne pas s’intéresser aux princes qui la courtisent :</p>
<blockquote>
<p>Mais à vous dire vrai dans ces jours éclatants<br>
Vos retraites ici me semblent hors de temps,<br>
Et c’est fort maltraiter l’appareil magnifique<br>
Que chaque Prince a fait pour la Fête publique.<br></p>
</blockquote>
<p>La dynamique à l’œuvre est claire : il faut parler des hommes ! Elle dialogue avec celle décrite par cette <a href="https://docs.google.com/spreadsheets/d/132TZ2nhpw2EuFwgfXBhfaMNoIuwsI2x8KWk-fSE1Sdk/edit#gid=1205144376">personne anonyme</a> à propos de la BD <em>Watchmen</em> : « est-ce que, vraiment, TOUTES les conversations de Laurie avec sa mère doivent traiter des garçons ? »</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/506572/original/file-20230126-25004-83vdgz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/506572/original/file-20230126-25004-83vdgz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506572/original/file-20230126-25004-83vdgz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506572/original/file-20230126-25004-83vdgz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506572/original/file-20230126-25004-83vdgz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506572/original/file-20230126-25004-83vdgz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506572/original/file-20230126-25004-83vdgz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506572/original/file-20230126-25004-83vdgz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le test de Bechdel selon L’Atlas Molière.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Clara DeAlberto, Jules Grandin, Christophe Schuwey, L’Atlas Molière, Paris, Les Arènes, 2022, p. 207</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Le Misanthrope</em> passe en revanche le test grâce à Célimène et Arsinoé, des personnages-types de coquette vedette et de fausse prude. Leur altercation, feu d’artifice rhétorique, révèle les deux personnages sous un jour brillant, remarquable de méchanceté et de finesse, où chacun ne parle que de l’autre et de ses comportements. Mais pourquoi ? Sur Twitter, la question s’est posée : si Célimène et Arsinoé se battent, c’est, au fond… à cause d’Alceste. Faut-il alors réduire leur brillante passe d’armes sous prétexte que c’est un homme qui alimente leur dispute ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1485279780098523138"}"></div></p>
<p>Les échecs répétés des pièces de Molière à passer le test avec succès – même les <em>Femmes Savantes</em> ne cherchent au fond qu’à impressionner Trissotin – appellent mieux que des réponses convenues. Ce n’est ni une simple affaire de convention théâtrale, ni simplement la culture du XVII<sup>e</sup> siècle ; ou plutôt, la convention théâtrale est bien plus qu’une affaire de théâtre. Si, malgré quatre cents ans d’écart, Molière et le cinéma s’en sortent aussi mal, c’est que le problème ne tient pas à l’époque ou au genre.</p>
<h2>Des impératifs de succès et de rentabilité</h2>
<p>Pour le cinéma, la productrice Jennifer Kesler relie le problème <a href="https://thehathorlegacy.com/why-film-schools-teach-screenwriters-not-to-pass-the-bechdel-test/">à la formation reçue</a>. Parmi les recettes du succès transmises aux scénaristes, « la règle empirique est de ne pas donner un rôle trop actif aux personnages féminins ». Or le théâtre du XVII<sup>e</sup> siècle est également une industrie, un commerce, et Molière, un brillant entrepreneur.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/series-les-hero-nes-ont-elles-le-droit-de-vieillir-163928">Séries : les héroïnes ont-elles le droit de vieillir ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Sa recette du succès, c’est de savoir saisir l’actualité et les sujets en vogue pour les mettre en scène. C’est pour cela qu’il peut produire tour à tour les <em>Précieuses ridicules</em>, comédie qui raille les prétentions émancipatrices des femmes, et <em>L’École des femmes</em> qui défend leur droit à choisir un époux. Pour assurer une production rapide et constante, il recourt à des recettes dramaturgiques prêtes à l’emploi, telle que le mariage empêché, qui prédispose les personnages féminins à ne parler que d’hommes.</p>
<p>Comme le cinéma hollywoodien, les pièces de Molière sont soumises aux impératifs de succès et de rentabilité. Il n’écrit pas des personnages, il organise les bons mots situations comiques entre des rôles types, afin de structurer au mieux la pièce. S’il donne à Célimène un rôle central dans le <em>Misanthrope</em>, c’est pour soutenir la dynamique de la pièce, non parce qu’il peint une femme forte.</p>
<p>À force de répétition, la norme emprisonne les représentations féminines dans des rôles convenus qui, manifestement, se sont propagés pendant 400 ans. C’est là, alors, que la simplicité radicale du test de Bechdel fait tomber les masques : autrefois comme aujourd’hui, il ne suffit pas d’intituler sa pièce <em>L’École des femmes</em> ou de donner le rôle principal à un personnage féminin pour faire acte de féminisme. S’il n’y a même pas l’espace pour que deux femmes s’entretiennent, entre elles, d’autre chose que des hommes, il y a tout de même un vrai un problème de représentation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198252/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Schuwey est, avec Clara Dealberto et Jules Grandin, le coauteur de l'Atlas Molière présenté dans cet article.</span></em></p>Chez Molière comme à Hollywood, les impératifs de rentabilité et de succès condamnent les personnages féminins à jouer encore et toujours les mêmes rôles.Christophe Schuwey, Maître de conférences en littérature du XVIIe siècle et humanités numériques, Université Bretagne SudLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1929652022-12-01T17:27:38Z2022-12-01T17:27:38ZQuand l’univers du « drag » français rencontre le grand public<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/497921/original/file-20221129-24-nwq8p.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C1%2C1180%2C774&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le phénomène « drag » en pleine lumière, et au pied d'un décor qui évoque la tour Eiffel. </span> <span class="attribution"><span class="source">Francetv</span></span></figcaption></figure><p>Le « drag » est une pratique artistique dans laquelle des personnes, en grande majorité LGBTQIA+, incarnent le temps d’une soirée ou d’une performance un personnage genré personnel et exubérant (féminin, masculin ou mélangeant les genres). Émergeant aux États-Unis au début du XX<sup>e</sup> siècle – ses origines précises restent floues – il constitue un moyen d’expression pour une communauté LGBTQIA+ fortement discriminée et stigmatisée. C’est avec l’apparition des mouvements de libération LGBTQIA+ dans la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle et un intérêt médiatique grandissant pour cette pratique que le drag devient progressivement un phénomène mondialisé. Plus récemment, l’apparition de la franchise <em>Drag Race</em> a propulsé l’art du « drag » sur la scène médiatique <em>mainstream</em>.</p>
<p>Aujourd’hui, le « drag » est présent dans la plupart des pays et s’est adapté aux contextes culturels dans lesquels il s’est implanté créant ainsi des scènes uniques prenant racine sur des pratiques de travestissement artistiques préexistantes. La scène « drag » française ne fait pas exception et prospère en s’inspirant de longues traditions nationales comme le cabaret, la mode ou le théâtre. Les drag-queens françaises sont par exemple réputées pour la qualité et la beauté de leurs tenues.</p>
<p>À mesure que le « drag » se développe, les pratiques se diversifient et repoussent les limites du corps ; les drag queens ultra féminines et les drag kings jouant de la masculinité côtoient désormais des créatures plus ou moins horrifiques ou fantastiques au genre indéfini et à l’humanité équivoque.</p>
<p>Si l’émission <em>Drag Race France</em> a connu un beau succès d’audience (près de 7 millions de téléspectateurs), elle a pourtant fait l’objet de polémiques au niveau des scènes drag locales avant sa diffusion en juillet 2022. À un fort enthousiasme se mêlent à ce moment-là de vives inquiétudes quant au portrait qui sera fait du « drag » et des personnes LGBTQIA+. Dans le milieu du « drag », certains expriment une certaine méfiance envers la chaîne de production et sa capacité à traduire leur art, leurs vécus, leurs combats dans une émission télévisuelle grand public. </p>
<p>Cette vive réaction est symptomatique d’un malaise plus général des personnes LGBTQIA+ concernant le risque de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/06/26/le-terme-de-pinkwashing-revet-une-dimension-negative-avec-l-idee-d-hypocrisie-des-marques_6085781_3224.html">« pinkwashing »</a> – qui désigne la réappropriation de leurs cultures par des institutions et médias <em>mainstream</em> à des fins marchandes. </p>
<p>À tout cela s’ajoute l’espérance que l’émission <em>Drag Race France</em> ne soit pas qu’un pastiche de la version étasunienne. Les drags souhaitent alors une adaptation du format qui met en avant leur art dans tout ce qu’il a d’unique et de pluriel mais qui éduque aussi le grand public sur les problématiques liées au vécu LGBTQIA+. Tous ces questionnements traduisent l’incertitude des effets positifs ou négatifs que produit la rencontre entre une culture alternative et les masses à la fois pour les artistes et le public.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Y_pq3OcET7A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2><em>Drag Race</em>, une success-story mondialisée</h2>
<p>Douze ans après son lancement aux États-Unis, le format télévisuel étasunien <em>Drag Race</em> a fait l’objet d’adaptations au Royaume-Uni, au Canada, en Espagne, aux Pays-Bas, en Italie, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Thaïlande, au Chili et aux Philippines. D’autres adaptations sont annoncées en Belgique, en Allemagne ou encore en Suède.</p>
<p>En France, la plupart des jeunes drags ont découvert cet univers à travers l’émission étasunienne, et en sont désormais des fans invétérés. De ce fait, la figure de proue de ce succès mondial, RuPaul, est encore perçue comme une figure tutélaire par beaucoup. La pratique de ces performeuses et performeurs est intimement liée à la franchise étasunienne et aux références qu’elle propose. L’une des participantes à l’émission française affirme ainsi : « Moi ce qui m’a donné envie de faire du drag c’est quand j’ai découvert <em>RuPaul’s Drag Race</em>. Donc je suis un pur produit <em>Drag race</em> ».</p>
<p>Notons cependant que l’émission ne fait pas l’unanimité chez les personnes LGBTQIA+ car considérée par certains – et avant même que le format s’exporte en France – comme <a href="https://tetu.com/2020/01/27/rupaul-sous-le-feu-des-critiques-apres-lannonce-du-casting-de-la-saison-12-de-rupauls-drag-race/">peu inclusive</a> et peu représentative des milieux queer ; alors très « téléréalité » le fait remarquer le drag king lyonnais Rico Loscopia. La directrice de l’unité des divertissements au sein du groupe France Télévisions affirme par exemple dans une <a href="https://www.francetvpro.fr/contenu-de-presse/34178383">interview</a> que le groupe est fier « avec Endemol France et Shake Shake Shake de proposer <em>Drag Race France</em>, l’adaptation du format iconique créé par RuPaul, une marque connue du monde entier qui met à l’honneur l’art du drag [et] qui permet de mettre en lumière la scène queer, sa réalité, sa richesse, et des sujets comme la transidentité ». </p>
<p>Si la production de l’émission en France s’inscrit dans un enjeu politique fort, elle ne peut toutefois pas se défaire du cadre marchand transnational dans lequel elle s’inscrit et des contraintes d’adaptations imposées par celui-ci ; le groupe France Télévisions, lorsqu’il s’empare des droits d’adaptation du format doit suivre une procédure de production précise imposée par le distributeur étasunien du format.</p>
<h2>Une version frenchie du format étasunien</h2>
<p>Depuis les années 1990, la plupart des émissions diffusées à la télévision française sont des adaptations de formats télévisuels provenant de systèmes médiatiques étrangers : l’une des premières en France étant par l’exemple l’émission <em>Questions pour un champion</em>, une adaptation du format britannique <em>Going for Gold</em> créé en 1987. Ainsi, un format télévisuel est une recette précise à suivre pour la production d’émissions. </p>
<p>Cela fait peu de temps que les liens entre un format et ses adaptations locales sont mis en avant pour le marketing de ces produits économiques, et dans ce contexte, l’émission <em>Drag Race France</em> ne fait pas exception : on peut lire par exemple sur le <a href="https://www.francetelevisions.fr/et-vous/notre-tele/a-ne-pas-manquer/drag-race-12387">site</a> de France Télévisions que « c’est avant tout l’histoire d’une réussite internationale [et que l’adaptation française] reprend les incontournables de sa grande sœur américaine ».</p>
<p>Précisons que pour l’adaptation d’un format pour le public local, les producteurs ne peuvent pas disposer librement de ce modèle de production. Dans une tension entre rigidité et flexibilité, la production d’un format adapté s’inscrit ainsi dans un cadre marchand qui standardise la production des adaptations locales. Cela dit, dans un effort de localisation, le pari a été d’adapter le format étasunien en restant très proche du concept original de l’émission « mais avec l’idée qu’on sache tout de suite qu’on est en France » comme l’explique le producteur dans une <a href="https://www.komitid.fr/2022/09/13/raphael-cioffi-auteur-de-drag-race-france-jai-ete-ultra-impressionne-par-linvestissement-de-chaque-queen/">interview</a>. </p>
<p>Pour promouvoir l’émission, les drag queens françaises prennent ainsi la pose à la place du roi dans une mise en scène versaillaise et arborent des tenues exubérantes rappelant celles de la cour au XVIII<sup>e</sup> siècle. Mais ce n’est pas tout. Un cocorico en guise de jingle, un remix de la marseillaise qui scande « aux glams citoyennes ! », ou encore un <a href="https://www.instagram.com/p/Cf1KqgeKkoH/">défilé</a> sur le thème « French clichés » viennent donner à l’adaptation française sa couleur locale et singularise le contenu de l’émission <em>Drag Race France</em> par rapport aux autres adaptations.</p>
<h2>À la conquête des publics (une émission mainstream mais pas trop)</h2>
<p>Le producteur de l’émission, Raphaël Cioffi, affirme par ailleurs dans une <a href="https://www.komitid.fr/2022/09/13/raphael-cioffi-auteur-de-drag-race-france-jai-ete-ultra-impressionne-par-linvestissement-de-chaque-queen/">interview</a> que ce qu’il aime faire « ce sont des choses fortes, qui plaisent autant à ses amis pédés qu’à ses parents ». Un pari réussi <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/09/17/comment-drag-race-a-seduit-le-grand-public-le-fait-de-les-voir-si-libres-et-si-puissantes-ca-donne-envie-de-l-etre-aussi_6142081_3224.html">selon le journal <em>Le Monde</em></a> qui déclare que les « reines » exubérantes de l’émission « ont conquis un public qui dépasse désormais le cercle LGBT+ ». </p>
<p>En effet, l’émission doit s’adresser au grand public tout en mettant en valeur la culture LGBTQIA+. Le drag king Rico Loscopia abonde dans ce sens en ajoutant que les drags français se sont sentis respectés et que l’émission a « autant été à la rencontre du public queer qu’à la rencontre d’un public de non habitués ». L’art du drag voit <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/01/15/les-drag-queens-de-l-underground-a-la-consecration_6109557_4500055.html">son public s’élargir à une audience plus « hétéro »</a>, autrement dit plus <em>mainstream</em>. Ainsi, à travers l’émission <em>Drag Race France</em>, le « drag » devient un objet culturel de masse qui rassemble divers publics, avec diverses attentes et sensibilités.</p>
<h2>Les scènes locales impactées</h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/498005/original/file-20221129-12-adhcij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/498005/original/file-20221129-12-adhcij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/498005/original/file-20221129-12-adhcij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/498005/original/file-20221129-12-adhcij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/498005/original/file-20221129-12-adhcij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/498005/original/file-20221129-12-adhcij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/498005/original/file-20221129-12-adhcij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les drags clermontoises de la House of Morningstar animant une soirée de visionnage de <em>Drag Race France</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Celala</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, ce nouvel engouement populaire impacte une scène présente partout en France (et ce depuis au moins les années 1980) en la rendant plus visible et plus accessible. Dans ce contexte, l’émission est par exemple devenue un moyen pour les artistes de se faire connaître auprès d’un large public et ce à travers toute la France. Le « drag » n’est donc plus la pratique confidentielle qu’elle était jusqu’alors et de nouvelles institutions et établissements s’y intéressent désormais, l’incluant de plus en plus dans leurs programmations. « On existe aussi ! » clame la drag queen lilloise Crystal Chardonnay lors de la soirée organisée à Lille après le spectacle <em>Drag Race France live</em>, insistant ainsi sur l’importance de soutenir les scènes locales, leur donner des opportunités, et ne pas seulement se contenter d’une version édulcorée offerte par l’émission. </p>
<p>Cela dit, l’une des drags de l’émission déclare quant à elle espérer que toutes les drags qui profitent de ce nouvel engouement populaire auront la possibilité d’occuper des espaces télévisuels variés, autres que l’émission <em>Drag Race France</em>, seule case destinée à donner une place médiatique centrale aux drag queens, et de facto aux personnes LGBTQIA+. Parmi les rares précédents en France, on ne peut citer qu’une émission sur MCM, <em>Drag Save The Queen</em>, diffusée avant <em>Drag Race</em>, en 2021.</p>
<p>Alors que « la folie <em>Drag Race</em> a gagné la France » pour citer un <a href="https://www.bfmtv.com/culture/apres-avoir-conquis-le-public-cet-ete-les-drag-queens-de-drag-race-france-partent-en-tournee_VN-202209060126.html">média populaire</a>, une deuxième saison de l’émission française a été annoncée. Plus nombreuses et nombreux qu’au casting de la première saison, d’autres drags ont décidé de postuler pour tenter de devenir « la prochaine reine du drag français ». Toutefois, des controverses subsistent encore autour de l’émission et la standardisation de cet art, diluant sa portée politique à des fins marchandes. L’émission <em>Drag Race</em> constitue désormais la référence mainstream du « drag » en France, créant de nouvelles attentes de la part du public français : attentes avec lesquelles les drags doivent composer.</p>
<p>Toutefois, la mondialisation des biens culturels oblige aussi les artistes à se réinventer et se fortifier localement tout en exploitant une popularité en hausse. La demande croissante en spectacles drags de la part du public et de certains lieux depuis la diffusion de l’émission amène de plus en plus de drag queens à penser leur professionnalisation et à se produire dans des contextes nouveaux, comme des bars et restaurants avec une clientèle moins queer ou des salles de spectacle importantes, plus institutionnelles.</p>
<p>Si le format étasunien semble s’être trouvé une place sur nos écrans de télévision et qu’il a sans nul doute diverses répercussions sur les scènes drag locales, il est intéressant d’observer comment l’émission provoque finalement l’émergence d’un « drag » à la française qui a son tour s’exporte a l’étranger. Celui-ci met en avant, comme l’a fait l’émission, à la fois certains clichés nationaux mais aussi des influences venues du cabaret et de la mode, qui font désormais l’objet de spectacles, dans un retour logique à la scène.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192965/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L'apparition de la franchise « Drag Race »a propulsé l'art du drag sur la scène médiatique mainstream.Aziliz Kondracki, Doctorante en anthropologie, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Elias Caillaud, Doctorant en Anthropologie , École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1933452022-11-14T16:53:22Z2022-11-14T16:53:22ZAu Québec, les arts littéraires flirtent avec les publics<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/495126/original/file-20221114-16-8kcuih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C2048%2C1529&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Autour du rose enfer des animaux », un spectacle issu du Laboratoire des Nouvelles Technologies de l’Image, du Son et de la Scène.</span> <span class="attribution"><span class="source">Carole Bisenius-Penin</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Depuis 2019, le milieu littéraire québécois parvient à rendre visible la question des arts littéraires sur son territoire et participe ainsi <a href="https://theconversation.com/au-quebec-et-au-canada-les-arts-litteraires-se-reinventent-113442">à une certaine institutionnalisation de la notion</a>.</p>
<p>Ce phénomène s’inscrit dans certains lieux emblématiques, du côté des acteurs culturels, comme la <a href="https://slo.qc.ca/la-maison-des-arts-litteraires/">Maison des arts littéraires de Gatineau</a> (MAL, 2020), vitrine annuelle de diffusion en arts littéraires imaginée en complément du <a href="https://slo.qc.ca/">salon du livre de l’Outaouais</a> ou encore le festival <a href="https://www.quebecentouteslettres.com">« Québec en toutes lettres »</a>.</p>
<p>Du côté de la recherche, un récent dossier paru dans une revue franco-québécoise entend également faire le point sur ces pratiques littéraires contemporaines privilégiant une <a href="https://journals.openedition.org/recherchestravaux/4655">poétique de la convergence et de l’hybridité</a>.</p>
<p>Sur le terrain et sur le plan de la réception, on peut donc s’interroger sur la façon dont les arts littéraires entretiennent avec leurs publics un rapport en tension, entre participation et déstabilisation, à travers une création littéraire plurielle, médiatisée et spectacularisée. Notre analyse porte sur ces formes au sein d’un cadre de médiation et de médiatisation de la littérature spécifique et éphémère <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2015-1-page-108.htm">celui de la manifestation festivalière</a>)</p>
<h2>Une littérature médiatisée, entre dispositif numérique interactif et cartomancie</h2>
<p>Au sein de la Maison de la littérature, se niche durant le festival « Québec en toutes lettres », l’installation « Clairvoyantes » empruntant à l’univers de la fête foraine son décor et à la cartomancie, cet art divinatoire recourant au tirage de cartes. Après avoir pénétré dans ce chapiteau intimiste et sombre, l’utilisateur face au miroir et à l’écran tactile pose sa question à l’oracle virtuelle, qui l’invite à tirer trois cartes (un personnage, un lieu et un objet) correspondant à des fragments littéraires visuels et sonores.</p>
<p>Cette combinatoire interactive imaginée par une autrice (<a href="https://atelier-wilhelmy.com">Audrée Wilhelmy</a>) et une maison d’édition atypique disposant de <a href="https://editionsalto.com">son propre laboratoire éditorial</a>) entremêle les textes de quinze écrivaines québécoises selon le parcours de chaque utilisateur et des supports iconiques (figures féminines, lieux, objets) particulièrement esthétiques qui revisitent le tarot et favorisent l’immersion des publics.</p>
<p>Cet oracle littéraire qui croise les médiums offre une littérature médiatisée par les technologies du numérique qui, au-delà de sa dimension ludique, vise à reconfigurer les pratiques créatives issues des arts littéraires et à capter d’autres publics. De la même manière, le dispositif de l’oracle a été pensé dans cette transmédialité, d’une part sous la forme d’un objet, un coffret comprenant quarante-cinq cartes et un livre d’interprétation, et d’autre part, <a href="https://clairvoyantes.com/fr">grâce à une plate-forme numérique</a>) prolongeant en ligne l’expérience littéraire. L’intérêt de ce dispositif réside dans le processus d’hybridation mené.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/495138/original/file-20221114-11-a0gj3p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/495138/original/file-20221114-11-a0gj3p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=268&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/495138/original/file-20221114-11-a0gj3p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=268&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/495138/original/file-20221114-11-a0gj3p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=268&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/495138/original/file-20221114-11-a0gj3p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=336&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/495138/original/file-20221114-11-a0gj3p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=336&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/495138/original/file-20221114-11-a0gj3p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=336&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le dispositif immersif et multimédia « Clairvoyantes » invite le spectateur à s’installer pour bénéficier d’un oracle littéraire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Carole Bisenius-Pénin</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Cabinet de consultation poétique : de l’adaptation au spectacle de contes revisité et performé</h2>
<p>Loin d’une adaptation théâtrale classique, le dispositif de la compagnie Théâtre à corps perdus (<a href="https://www.acorpsperdus.com/?page_id=2653">« Rx : contes-gouttes »</a>) a été pensé comme un cabinet de consultation poétique éphémère et intime qui distille au compte-gouttes des extraits de contes issus des œuvres de l’auteur québécois <a href="https://nac-cna.ca/fr/bio/martin-bellemare">Martin Bellemare</a>, en fonction d’un jeu d’échanges entre un comédien en blouse médicale et un participant ayant pris place sur une table de consultation revisitée pour l’occasion.</p>
<p>Ce parcours sur mesure déployé à partir d’un questionnaire à choix multiple repose sur une matrice combinatoire à la manière du <a href="https://www.oulipo.net/fr/contraintes/conte-a-votre-facon"><em>Conte à votre façon</em></a> de R. Queneau et relève d’une véritable prouesse mémorielle : le comédien doit mettre en récit et performer, selon les choix de chaque participant, les nombreux extraits mobilisés durant le spectacle (une trentaine de contes).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/495136/original/file-20221114-20-jq9hz7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/495136/original/file-20221114-20-jq9hz7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/495136/original/file-20221114-20-jq9hz7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/495136/original/file-20221114-20-jq9hz7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/495136/original/file-20221114-20-jq9hz7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/495136/original/file-20221114-20-jq9hz7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/495136/original/file-20221114-20-jq9hz7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un comédien vous attend pour une consultation littéraire sur mesure.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Carole Bisenius-Pénin</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette consultation, sorte de « posologie sur mesure » d’une vingtaine de minutes décline, à travers cette proximité, ce face-à-face potentiellement déstabilisant, une littérature parfois chuchotée à l’oreille du participant-patient qui donne à entendre d’une autre manière le conte et nécessite une participation active des publics, sollicitant fortement une implication corporelle et sensorielle au sein du dispositif.</p>
<p>Outre la singularité du texte littéraire choisi et l’originalité de l’installation détournant le cadre médicalisé, cette forme spectacularisée de <a href="https://www.cairn.info/vocabulaire-des-histoires-de-vie-et-de-la-recherch--9782749265018-page-236.htm">« médecine narrative »</a>) interroge également une des tendances actuelles, la « littérature du care » selon Alexandre Gefen ou celle du « soin à voix haute » sous l’angle de la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=I9_pKjEjUlA">bibliothérapie prônée par Régine Détambel</a>.</p>
<h2>Dramaturgie plurielle : avatars technologiques et participation active</h2>
<p>Spectacle issu du Laboratoire des nouvelles technologies de l’image, du son et de la scène (<a href="http://www.lantiss.ulaval.ca">LANTISS</a> de l’université de Laval, la proposition du collectif DTT, intitulé <em>Autour du rose enfer des animaux (AREA)</em> est également une adaptation de la pièce <em>Le rose enfer des animaux</em> du poète et dramaturge Claude Gauvreau, digne représentant du mouvement artistique québécois, dit de l’automatisme s’inspirant du surréalisme et source inépuisable de métaphores poétiques affleurant à la conscience.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-quand-les-livres-rembourses-par-la-securite-sociale-112046">À quand les livres remboursés par la Sécurité sociale ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Le recours aux arts littéraires croisant texte théâtral et divers outils interactifs (mapping vidéo, voix de synthèse générées en temps réel) correspond certes à la volonté de ces jeunes créateurs de rendre hommage avec jubilation à Claude Gauvreau, tout en questionnant la fonction du poète, mais plus spécifiquement encore de positionner les publics dans une véritable posture performative.</p>
<p>En effet, cette forme de littérature spectacularisée est avant tout envisagée sous une modalité participative car elle invite 8 personnes du public à endosser des personnages de l’œuvre sous un masque et à s’installer sur scène « au festin virtuel et déjanté de Domitien Dolmansay, gorille robotisé et hôte de la soirée ». Au prisme de leurs avatars technologiques et animaliers, les volontaires peuvent au choix suivre ou refuser les directives affichées dans leur assiette, selon les tableaux vidéo et sonores élaborés. Ils deviennent ainsi de véritables co-auteurs du spectacle.</p>
<p>Pour conclure, les arts littéraires sous leur forme festivalière offrent une opportunité d’appréhender la perception des publics à l’égard de la création littéraire dont ils sont habituellement exclus et « de mieux approcher d’autres types de publics par les croisements disciplinaires effectués » selon Valérie Lambert, directrice de la Maison de la littérature de Québec, afin de comprendre comment les formes de socialisation littéraire induites peuvent aussi participer à la transformation des pratiques culturelles et au renouvellement des publics.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193345/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carole Bisenius-Penin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le festival « Québec en toutes lettres » déploie des dispositifs originaux pour favoriser la rencontre entre littérature et publics, à la frontière du spectacle et en utilisant divers supports.Carole Bisenius-Penin, Professeur d'Université en Sciences de l'information et de la communication, CREM, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1913762022-10-02T16:33:02Z2022-10-02T16:33:02ZAu musée Jacquemart-André, explorer notre part d’ombre avec Füssli<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/487592/original/file-20221002-3041-k4x57w.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C51%2C1096%2C900&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825), Le Cauchemar, après 1782, huile sur toile, 31,5 × 23 cm.</span> <span class="attribution"><span class="source"> The Frances Lehman Loeb, Art Center, Vassar College, Poughkeepsie, New York, photo : Frances Lehman Loeb Art Center, Vassar, Poughkeepsie, NY / Art Resource, NY</span></span></figcaption></figure><p>Au musée Jacquemart André, à Paris, se tient actuellement une <a href="https://www.musee-jacquemart-andre.com/">exposition consacrée au peintre anglais d’origine suisse, J. H. Füssli</a> (1741-1825). La dernière rétrospective de ce type, en France, remontait à près de cinquante ans. C’est dire la portée de l’événement. L’occasion est donc toute trouvée de formuler deux propositions. La première porte sur la capacité qu’aura eue un artiste étranger de se fondre dans le creuset de l’art anglais, en surmontant pour cela une double résistance : résistance du peintre que son tempérament ne portait pas à l’assimilation, et résistance d’une nation volontiers xénophobe, mais qui n’en oublie cependant pas que ses grands peintres ont souvent été d’origine étrangère. Ainsi que l’écrivait Jean-Jacques Mayoux, auteur en 1969 d’une histoire de <em>La peinture anglaise</em> qui n’a pas pris une ride : « De Holbein à Lucien Pissaro, tout étranger ‘s’anglicise’, tout apport étranger est intégré. Une force, dont on serait tenté de dire qu’elle est plus naturelle et instinctive que culturelle se met à l’œuvre et assure cette intégration, par-delà les inévitables réactions de défense organique. »</p>
<h2>Faire parler de soi</h2>
<p>C’est en 1779 que le natif de Zurich, que son père destinait à la profession de pasteur, est de retour à Londres, après diverses péripéties qui l’ont conduit, d’abord à Berlin puis à Paris, où il fait la connaissance de Jean-Jacques Rousseau, et enfin à Rome, pour y découvrir Michel Ange. Commence alors une série de coups de force artistiques, dont l’exposition rend compte dans le détail. Ambitieux, il entreprend de concurrencer sur son propre terrain nul autre que <a href="https://www.nationalgallery.org.uk/artists/sir-joshua-reynolds">Joshua Reynolds</a>, Président de la Royal Academy, qui lui avait pourtant mis le pied à l’étrier, dès 1768. Avec sa propre version de <em>La mort de Didon</em> (1781), Füssli se démarque du même motif peint par Reynolds quelques mois auparavant. D’instinct, il a compris que pour percer dans la profession, il faut faire parler de soi. De fait, tous les regards écarquillés s’étaient immédiatement tournés vers l’impudent trublion… pour ne plus le lâcher des yeux. Il faut dire que jusqu’à sa mort, l’amoureux impénitent, s’éprenant de chacune de ses modèles, dont l’écrivain féministe <a href="https://www.slate.fr/societe/femmes-de-dessein/mary-wollstonecraft-ecrivaine-philosophie-badass-lumieres-fondatrice-feminisme-anticonformiste">Mary Wollstonecraft</a>, la mère de la future autrice de <em>Frankenstein</em>, n’aura cessé de porter la contestation au cœur de l’Establishment, quand bien même ce dernier le nourrissait.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487594/original/file-20221002-27186-syk3mn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487594/original/file-20221002-27186-syk3mn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487594/original/file-20221002-27186-syk3mn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487594/original/file-20221002-27186-syk3mn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487594/original/file-20221002-27186-syk3mn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487594/original/file-20221002-27186-syk3mn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487594/original/file-20221002-27186-syk3mn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Johann Heinrich Füssli, La mort de Didon, détail.1781.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection, New Haven</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’art de l’appropriation</h2>
<p>Mais l’essentiel de la stratégie menée par cet étranger nommé Johann Heinrich Füssli, et qui lui vaudra d’être renommé John Henry Fuseli, tient dans un mot, aujourd’hui malvenu, mais c’était moins vrai hier : appropriation. Füssli s’approprie sans vergogne Milton, Shakespeare, Cowper, etc. Certes, il prend aussi son inspiration chez Homère, Wieland ou les légendes nordiques. Mais c’est en illustrant les grandes gloires britanniques qu’il devient plus anglais que les Anglais. Ses motifs, il les puise à des sources autochtones, ce qui est bien utile pour se faire accepter. Mais Füssli ne s’encombre pas plus de flatterie que d’utilité. Sa quête est autre : l’intensité, d’où qu’elle vienne, l’excentricité, le bizarre, la fantaisie entre « rêve et fantastique », la folie, voilà ce qui le sollicite. Il est bien plus que l’interprète de génie d’une littérature qui lui est a priori étrangère, il en l’unique et véritable héraut, le médium halluciné. Shakespeare le « Barde » parle par son intermédiaire comme il ne l’a jamais fait depuis les élisabéthains. Füssli se découvre ainsi des filiations, des ascendances qui se seront imposées à lui, et dans lesquelles il se sera coulé, avec l’apparence de la facilité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487595/original/file-20221002-6015-n34jhn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487595/original/file-20221002-6015-n34jhn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=756&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487595/original/file-20221002-6015-n34jhn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=756&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487595/original/file-20221002-6015-n34jhn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=756&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487595/original/file-20221002-6015-n34jhn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=950&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487595/original/file-20221002-6015-n34jhn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=950&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487595/original/file-20221002-6015-n34jhn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=950&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Johann Heinrich Füssli, Autoportrait, 1780-1790, Pierre noire sur papier.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Victoria and Albert Museum, Londres</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il faut dire que l’étrangeté qu’il apporte dans ses bagages, et c’est souvent la clef d’une intégration réussie, rejoint celle de la terre d’accueil, en l’espèce une terre de brumes et de précipices surgis « au milieu du salon » (Annie Le Brun). </p>
<p>Mais qu’on ne se méprenne pas. À regarder de près son <em>Autoportait</em> (1780-1790), on mesure les tourments intérieurs de qui n’a d’autre patrie, d’autre asile, en vérité, que celle, celui, que lui offrent ses songes. Et puis il y a cet aveu paradoxal, sous forme d’aphorisme : « Nature puts me out »/« La nature me déroute ». C’est dire si on ne trouvera pas grand-chose, chez lui, qui doive à la <em>mimesis</em>, à l’imitation du réel, de la Nature, telle que l’ont théorisée Platon et Aristote, plus positivement chez le second que chez le premier. Une fois encore, Füssli navigue à contre-courant de la tradition, en l’espèce paysagiste, pastorale, mais également empiriste et positiviste, de la peinture anglaise.</p>
<p>Au risque de dérouter le commun des mortels, mais il n’en a cure, il fait des incubes, succubes et autres démons maléfiques ses fidèles compagnons de route. Loin de les mettre en fuite, il les invite à partager sa couche. Ou plutôt celle des femmes plongées dans le sommeil, et qu’il se plaît à représenter, dans les toiles reprises du <em>Cauchemar</em> de 1781, en proie à une forme de funeste et suintante incubation. S’y manifeste sourdement, par grimaçant incube interposé, l’imminence d’un viol, désiré autant que craint.</p>
<h2>Le choix de la noirceur</h2>
<p>La deuxième proposition touche à son choix, pour le moins radical, de la noirceur. Elle saute aux yeux, quand on emprunte le parcours tracé au sein de l’œuvre. Elle se veut autant idéologique que tactique. Qui dit noir, en effet, se déclare par la même occasion en guerre ouverte contre les phénoménales prétentions nourries par le siècle dit des Lumières, de <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-germaniques-2012-3-page-507.htm">l’Aufklärung kantienne</a> et autre. Avec Füssli, c’est l’imposture d’un mode artistique conçu comme exclusivement diurne qui vole en éclats. Hors de la terreur, de l’effroi, de la noirceur, hors du « nocturne » donc, point de salut. Les thèses <a href="https://www.youtube.com/watch?v=BvzG_p_sdOQ">sur le sublime de l’Irlandais Edmund Burke</a> – encore un étranger assimilé –, formulées en 1757, Füssli les adopte, comme personne avant lui. Sous ses coups de butoir, l’empire de la raison soi-disant émancipatrice et du sens commun froid et tempéré – néoclassique en cela – s’effondre, laissant place à un romantisme de la nuit et de l’excès des plus forcenés. Avec Füssli, un vent de sorcières, un cortège de « femmes à la puissance invaincue » dirait de nos jours Mona Chollet, emporte tout sur son passage, à l’image de la très horrifique <em>Sorcière de la nuit rendant visite aux sorcières de Laponie</em> (1796).</p>
<p>Nombreuses d’ailleurs sont les figures sur ses toiles, s’efforçant, mais en pure perte, de repousser les assauts des puissances de la Nuit. Parfois, c’est une paume de main tendue à la verticale, celle de <em>Lady Macbeth somnambule</em> (1784) par exemple, qui oppose un dérisoire obstacle à la nuit qui vient. Ailleurs, ce sont au contraire des doigts, d’une longueur démesurée, qui se tendent, comme pour mieux pointer et appréhender, à tous les sens du terme, les ténèbres. À chaque fois, le motif surgit de l’obscurité, au prix d’un arrachement, d’un décollement de ce qu’on pourrait presque appeler une peau, l’épiderme du jour tiré loin en arrière.</p>
<p>L’écarlate rideau de scène – Füssli avait une vraie fascination pour la gestuelle, le jeu, la dramaturgie des acteurs et actrices de son temps – se déchire, et au travers de la brèche s’engouffre le fantasme, érigé en nouveau maître des lieux. Il s’impose sans l’ombre d’une résistance, à l’image d’un autre rapt, celui perpétré dans <em>Achille saisit l’ombre de Patrocle</em>, aquarelle datant de 1810. Il n’est pas de barrage qui tienne contre la marée montante de la « matière noire », ainsi que la qualifierait Annie Le Brun. Pour mémoire, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-heure-bleue/annie-le-brun-recherche-ce-qui-n-a-pas-de-prix-1387416">Annie Le Brun</a>, essayiste restée proche des surréalistes, poète, spécialiste de Sade et du roman gothique anglais, a fait du noir sa couleur de prédilection. En cela, elle se réclame de Victor Hugo : « L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement, l’homme qui médite vit dans l’obscurité. Nous n’avons que le choix du noir. » (<em>William Skakespeare</em>, 1864).</p>
<p>Sans cette nouvelle lumière paradoxalement surgie des profondeurs « pour redessiner le paysage poétique, dramatique, social et politique », insiste Le Brun, « le corps reste prisonnier de son existence organique ». Pis, sans le noir, l’organisme est soustrait « à ses pouvoirs érotiques, symboliques et métaphoriques. » L’apport de Füssli, rejoint en cela par son ami, l’artiste visionnaire William Blake, c’est d’avoir compris en quoi le rêve nocturne agit comme le ferait une thérapie à libération prolongée. Il élève, en délivrant de la gravité, de la pesanteur (<em>Le rêve de la reine Catherine</em>, 1781). Il répare l’infirmité de l’homme et de la femme amputés de leur part d’ombre.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487596/original/file-20221002-7902-uaxnem.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487596/original/file-20221002-7902-uaxnem.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=763&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487596/original/file-20221002-7902-uaxnem.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=763&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487596/original/file-20221002-7902-uaxnem.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=763&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487596/original/file-20221002-7902-uaxnem.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487596/original/file-20221002-7902-uaxnem.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487596/original/file-20221002-7902-uaxnem.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Johann Heinrich Füssli,Roméo et Juliette, 1809.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Collection particulière (en dépôt au Kunstmuseum à Bâle)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Füssli s’abandonne au noir chimiquement pur, au noir contrastant avec le blanc le plus éclatant (<em>Roméo et Juliette</em>, 1809), comme il s’abandonne au rêve. Et il faut savoir gré au scénographe Hubert le Gall d’avoir voulu faire de la dernière salle de l’exposition un laboratoire, grandeur nature, de l’onirisme füsslien. Le dispositif adopté y est frontal, comme cela se fait au théâtre. Chacun sur son mur, et se faisant face, deux bergers endormis, en proie à leurs rêves. À gauche, occupant tout l’espace ou presque, une ronde de jeunes femmes diaphanes, en état de lévitation et se tenant par le bras (<em>Le songe du berger</em>, 1793) ; à droite, rien d’autre au-dessus de la tête prostrée de Lycidas (1799) que le vide, le néant d’une nuit sans lune, ou presque. Au trop-plein de visions (érotiques, comprend-on) s’oppose l’absence. Tout se passe comme si Füssli avait fini par se ranger du côté de la litote, après avoir beaucoup sacrifié à l’hyperbole. En donnant moins à voir, le peintre n’en sollicite que davantage le spectateur, appelé à se faire sa propre représentation, à tourner son propre cinéma intérieur. Et si l’invisible, tout compte fait, ne se voyait jamais mieux… qu’en ne se montrant pas ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487597/original/file-20221002-12-6lu4ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487597/original/file-20221002-12-6lu4ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=758&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487597/original/file-20221002-12-6lu4ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=758&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487597/original/file-20221002-12-6lu4ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=758&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487597/original/file-20221002-12-6lu4ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=953&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487597/original/file-20221002-12-6lu4ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=953&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487597/original/file-20221002-12-6lu4ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=953&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Johann Heinrich Füssli, Lycidas, 1796-1799.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Collection particulière Studio Sébert Photographes</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Aux sources de la psychanalyse</h2>
<p>Étrangement ou pas, d’ailleurs, tout le temps que dure la visite, c’est à Freud que l’on pense. Sigmund Freud, dont le patronyme commence aussi par un F. Freud, dont la <em>Traumdeutung</em> (interprétation du rêve), les leçons sur la psychanalyse, la découverte de l’inconscient, la science des jeux de mots, souvent d’ordre sexuel, en <a href="https://www.cairn.info/revue-savoirs-et-cliniques-2002-1-page-75.htm">lien avec le Witz</a>, n’auraient sans doute jamais vu le jour ( !) sans les toiles de Füssli (dont le nom en allemand signifie « petit pied »). On ne sort de la confusion, de l’ambiguïté, qu’à ses dépens, dit-on.</p>
<p>La rétrospective du Musée Jacquemart André est l’exception qui confirme la règle. S’y voit mis en abyme le recouvrement du nom de Füssli par celui de Freud, et vice-versa, tant l’ironie voudrait que le premier ait eu, lui, le second sur le bout de la langue. Nulle toile mieux que <em>Les trois sorcières</em> (1783), inspiré du <em>Macbeth</em> de Shakespeare, n’en fait la démonstration. Le « trouble » dans l’anatomie (ainsi que dans le genre, mais cela est une autre histoire) y est tel qu’on ne sait trop si c’est un doigt, ou un gros bout de langue rose et pendante, vaguement obscène, qu’au moins l’une des trois femmes à barbe porte à la bouche. Ce sont sans aucun doute et l’un et l’autre, preuve, si besoin était, que Füssli en connaissait, lui aussi, un rayon sur la question du <em>lapsus linguae</em>. De la langue qui trébuche et, ce faisant, en dit long sur le fonctionnement du psychisme et de ce qui le préoccupe, à l’insu de la raison claire. Si elles sont loin de n’être que ça, ce qui serait assurément réducteur au regard de l’histoire de la peinture anglaise, les toiles de Füssli, certaines plus que d’autres en tout cas, s’emploient à traduire, moyennant une transposition visuelle, les énoncés échappés de cette « bouche d’ombre » qu’est l’inconscient (Hugo, encore, <em>Les Contemplations</em>, Livre VI, XXVI).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/486843/original/file-20220927-22-zczgu0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486843/original/file-20220927-22-zczgu0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486843/original/file-20220927-22-zczgu0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486843/original/file-20220927-22-zczgu0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486843/original/file-20220927-22-zczgu0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486843/original/file-20220927-22-zczgu0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486843/original/file-20220927-22-zczgu0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les trois sorcières. Inspirée du célèbre Macbeth, cette peinture, réalisée vers 1783, est une huile sur toile (H. 65 ; L. 91,5 cm) conservée aujourd’hui à la Kunsthaus Zürich (Suisse).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>En sortant de l’exposition, à l’instar d’un Roland Barthes <a href="https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1975_num_23_1_1353">« sortant du cinéma »</a>, on se retrouve à marcher au hasard dans les rues, ne comprenant pas grand-chose à ce qui se passe autour de soi. Invoquera-t-on l’hypnose (« vieille lanterne psychanalytique », précise Barthes) ou l’expérience du rêve éveillé ? C’est à la fois plus simple, et plus retors : Füssli vous a jeté un sort et vous cheminez désormais en somnambule dans l’ombre d’un géant. Qui s’en plaindra ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191376/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Peintre de l’intensité, du bizarre et du fantastique, Füssli sut se fondre dans le creuset de l’art anglais et explorer en images les plus sombres méandres de l’âme humaine.Marc Porée, Professeur émérite de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1904722022-09-12T22:46:47Z2022-09-12T22:46:47ZCes reines (et ces rois) qui trônent sur le roman anglais<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/484046/original/file-20220912-14-boun80.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C12%2C582%2C479&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Qu'on lui coupe la tête (1907), illustration de Charles Robinson pour Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Reine_de_c%C5%93ur_%28Alice_au_pays_des_merveilles%29#/media/Fichier:Alice's_Adventures_in_Wonderland_-_Carroll,_Robinson_-_S008_-_'Off_with_her_head!'.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Dans quelques jours, le 19 septembre prochain, le cortège funéraire portant le cercueil d’Elizabeth II cheminera à travers les rues de Londres, avant de gagner la dernière demeure de feu la reine, à Windsor. On ne le sait pas, mais la scène a déjà été vécue, déjà écrite surtout. En 1823. Par un certain <a href="https://xn--rpubliquedeslettres-bzb.fr/quincey.php">Thomas de Quincey</a>, l’auteur des <em>Confessions d’un mangeur d’opium anglais</em>. Son évocation commence ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« S’il a jamais été présent dans une vaste métropole le jour où quelque grande idole nationale était menée en pompe funèbre à sa tombe, et s’il est arrivé que, marchant près de l’itinéraire suivi par elle, il ait senti puissamment, dans le silence et la désertion des rues et la stagnation de toute affaire courante, le profond intérêt qui, à ce moment-là, possède le cœur de l’homme […] »</p>
</blockquote>
<p>C’était à l’occasion des funérailles de la Princesse Charlotte Augusta, fille du Prince régent, le futur George IV, morte en couches en 1817, à l’âge de 21 ans. L’affliction à Londres avait été considérable, et <a href="https://theconversation.com/byron-et-delacroix-aux-avant-postes-de-linternationale-romantique-163918">Lord Byron</a>, autre témoin capital, l’avait également rapportée au chant IV de son poème autobiographique, « Childe Harold ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484091/original/file-20220912-5769-3rxqjv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La princesse Charlotte Augusta.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Charlotte_de_Galles_(1796-1817)#/media/Fichier:Charlotte_Augusta_of_Wales.jpg">Wikipédia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Matériau romanesque</h2>
<p>D’une « idolâtrie », l’autre. En dépit de ce qui rapproche le deuil « national » d’hier de celui d’aujourd’hui, nous sommes loin, avec De Quincey, de nos séries télévisées (<em>Royals</em>, <a href="https://theconversation.com/the-crown-saison-4-un-soap-opera-cruel-envers-linstitution-monarchique-151264"><em>The Crown</em></a>…) et de leur scénarisation addictive. Loin des deux modalités quasi obligées du discours contemporain autour de la famille royale, lequel a décidément du mal à échapper aux séductions (tentaculaires) du storytelling, d’un côté, du conte de fées de l’autre. Implacable machine à raconter, la « Firme » royale arraisonne cyniquement les carrosses (en feignant d’oublier qu’ils peuvent à tout moment redevenir citrouilles). Sans voir qu’à force d’exploiter jusqu’à plus soif, par marketing et « infodivertissement » interposés, l’exceptionnel matériau romanesque que la dynastie des Windsor génère à son corps défendant, elle va tuer la poule aux œufs d’or.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Vendre du rêve, tel n’est a priori pas le job des hommes et femmes de lettres, outre-Manche. C’est même souvent sans révérence particulière qu’ils « regardent » la royauté en face. « A dog may look at a king » (« Un chien regarde bien un roi » ; là où le français traduit par « Un chien regarde bien un évêque »), entend-on dire en Grande-Bretagne, au moins depuis 1563. Il faut dire que, depuis ses lointaines origines, la royauté britannique abreuve dramaturges et poètes d’intrigues et de décorum, de guerres de succession et de « villains » d’exception.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/macbeth-une-source-dinspiration-sans-fin-48783">« Macbeth », une source d’inspiration sans fin</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>William Shakespeare leur doit <a href="https://www.cairn.info/revue-commentaire-2009-1-page-244.htm">ses <em>history plays</em></a>, il est vrai non exemptes de visées propagandistes, et son personnage de Richard III, monstre de séduction ; Edmund Spenser, son long poème épico-patriotique, « The Faerie Queene » (1590), empreint de l’imagerie chrétienne et martiale portée par Elizabeth 1<sup>re</sup> d’Angleterre. Tard-venus, se défiant du snobisme fustigé par <a href="https://xn--rpubliquedeslettres-bzb.fr/thackeray.php">W.M. Thackeray</a> dans son influent <em>Book of Snobs</em> (1848), les romanciers finiront, au fil du temps et de l’évolution de la monarchie moderne, par prendre leurs désirs pour des réalités. En cherchant à détourner rois et reines fictifs de leurs engagements officiels. Pour mieux les entraîner sur leur terrain à eux, écrivains : celui des livres, de la lecture. Et de la possibilité de devenir auteur/autrice de sa vie, en laissant derrière soi le protocole.</p>
<h2>Un prétexte à la satire</h2>
<p>Avec <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/swift/voyages-gulliver"><em>Les Voyages de Gulliver</em></a> (1721), Jonathan Swift ne fait pas que parodier la littérature de voyage, si populaire en son temps. Il fait œuvre d’imagination, d’une part, et d’autre part il endosse le costume du satiriste, doublé d’un politiste qui connaît ses théories sur le bout des doigts. En toute partialité, Swift convoque sur le ring deux figures royales, pour un affrontement sans merci.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=447&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=562&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=562&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484092/original/file-20220912-1734-35q5w8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=562&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le roi des Brobdingnag et Gulliver, Gravure anglaise du 10 février 1804 dans Estampes relatives à l'Histoire de France. Tome 147, par James Gillray (1757-1815), graveur, Londres, 1804.</span>
<span class="attribution"><span class="source">BnF, département des Estampes et de la photographie.</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>A sa droite, le roi de Lilliput, minuscule et risible incarnation de la monarchie absolue. A sa gauche, le grand roi (au moins par la taille) de Brobdingnag, son exacte antithèse. Le premier surveille et punit, se mêle de tout et de rien, et n’a que la guerre en tête. Le second, pacifique, a priori tempéré, s’informe auprès de Gulliver sur la conduite des affaires en Europe, et tout particulièrement en Angleterre. Il perdra cependant son calme en apprenant l’usage qui y est fait de la poudre et des canons, et de l’universelle destruction qui en découle. Tout comme il s’offusquera de la corruption et de l’iniquité qui, à en croire Gulliver, mais ce dernier est-il un observateur fiable ? gangrènent la société britannique. Au miroir déformant de la fiction, la frontière se brouille entre royautés proches et royautés lointaines, couronnes réelles et couronnes imaginaires.</p>
<p>Avec <a href="https://www.youtube.com/watch?v=72-wePCkHJs&t=1s">Lewis Carroll</a>, on assiste à un retour en force de l’absolutisme royal, qui n’est pourtant qu’un lointain souvenir, en 1865, lorsque paraît <em>Alice au pays des merveilles</em>. Dans ce texte qui baigne dans la <a href="https://theconversation.com/alice-a-lasile-60457">fantaisie la plus débridée</a>, c’est paradoxalement une figure de reine qui incarne le principe de réalité. La carte représentant la « Reine de Cœur » s’y montre sans cœur, ordonnant à tout bout de champ qu’on procède à des exécutions capitales. Sur la base de jugements arbitraires, cela va sans dire. « Qu’on lui/leur coupe la tête ! » est l’expression récurrente dans sa bouche.</p>
<p>Les contemporains de Carroll prirent un malin plaisir à lui trouver des traits de caractère possiblement empruntés à la reine Victoria, pour ne pas la nommer. Il faut dire qu’elle est l’omniprésente souveraine du temps présent, et cela ne saurait échapper, même au plus distrait des mathématiciens d’Oxford ! On peut sans doute expliquer par la misogynie l’invention d’une figure aussi grossièrement « genrée », à l’autoritarisme autant hystérique qu’inefficace, dès lors que ses ordres ne sont jamais mis à exécution, et qu’elle ne fait même pas peur à ses valets. Ce serait oublier, toutefois, que c’est à une petite fille, et non à un garçonnet, que revient le soin de faire s’écrouler le château de cartes, d’un revers de la main. La reine est nue, donc, objet par ailleurs de plus d’un fantasme…</p>
<h2>Revisiter l’histoire</h2>
<p>C’est en 1814 que paraît <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070116195-waverley-et-autres-romans-walter-scott/"><em>Waverley</em></a>, sans mention d’auteur. Le récit revient, plus de soixante ans après les faits, sur le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9bellions_jacobites">soulèvement jacobite de 1745</a>, après l’échec du premier, en 1715. Il s’agit de la dernière tentative des partisans des partisans des Stuarts pour renverser le roi George II de Hanovre, et rétablir sur le trône d’Angleterre et d’Écosse leur « Prétendant ». Rien de tel qu’un roi, qu’un prétendant au trône en tout cas, pour consolider un genre encore balbutiant, pour insuffler au nouveau genre fictionnel (<em>novel</em>, en anglais) la noblesse, le prestige, qui lui manquaient. Le jeune et bouillant Bonnie Prince Charlie (Charles Edward Stuart) illumine ainsi de sa présence quelques pages du roman, mais elles sont rares.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=791&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=791&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=791&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=993&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=993&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/484093/original/file-20220912-20-5gbnef.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=993&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Portrait équestre du prince jacobite Charlie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_%C3%89douard_Stuart#/media/Fichier:Jacobite_broadside_-_Prince_Charles_Edward_Stewart.jpg">Wikipédia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si « élévation » il devait y avoir, dans l’esprit de Walter Scott, poète devenu romancier, et dont l’influence sur le roman européen sera considérable, celle-ci devait passer par une grandeur de silhouette, de préférence à une grandeur de plein exercice. Son <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_whig_(Royaume-Uni)#:%7E:text=Le%20parti%20whig%20d%C3%A9signe%20un,l'origine%20un%20brigand%20%C3%A9cossais.">idéologie whig</a> s’accommodant de la doctrine de la monarchie constitutionnelle, Scott fait du roman historique le fruit d’un compromis entre l’imagination cavalière, qui finit écrasée à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=y_0tzSfKc9w">la bataille de Culloden</a> (jamais nommée dans le roman), et un pragmatisme petit-bourgeois, plutôt terre-à-terre. Quitte à ce que le panache de la royauté y perde une bonne part de son éclat…</p>
<p>Un siècle plus tard, l’histoire se fait uchronique et/ou dystopique avec H. H. Munro (dit Saki). Paru en 1913, <a href="https://www.letemps.ch/culture/litterature-guillaume-vint"><em>Quand Guillaume vint, Portrait de Londres sous les Hohenzollern</em></a>, imagine l’invasion de l’Angleterre par les « Boches », au terme d’une campagne éclair. Contraint de vider les lieux, le roi prend la route de l’exil : ce sera l’Inde et Delhi. Le Kaiser allemand, lui, s’empare du trône avec gourmandise, tandis que les sujets de son ex-Majesté collaborent, peu ou prou, dans un royaume sous occupation teutonne. Au reste, les mauvaises langues, et il n’en manquera pas, ne se priveront pas de fustiger les origines germaniques de la dynastie des Windsor, anciennement Maison de Saxe-Coburg et Gotha. </p>
<p>En amont cette fois de la deuxième guerre mondiale, un procès sera d’ailleurs instruit contre certains aristocrates, proches de la cour royale, accusés d’intelligence avec l’ennemi nazi, ce qu’un roman comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=2hiwl76qZwM"><em>Les Vestiges du jour</em></a> (1989), de Kazuo Ishiguro, rappelle encore, fût-ce discrètement.</p>
<h2>Inventer d’autres destins aux figures royales</h2>
<p>Devant l’image partout répandue d’une reine entièrement consacrée à son devoir, de longues décennies durant, les romanciers, c’est plus fort qu’eux, se prennent à douter. Et de se livrer à leur sport favori : la spéculation, l’invention d’une contre-réalité, tout à la fois fictive et plus « vraie » que ce que les faits donnent à voir. Une reine d’apparence lisse et institutionnellement mutique ne peut pas, en son for intérieur, être que cela. A charge pour les romanciers de traquer sa part d’ombre, de pointer la faille dans la cuirasse. Après tout, il se dit bien que, pour se consoler du chagrin consécutif à la mort de son époux, c’est la reine Victoria qui aurait rédigé <em>Alice au pays des merveilles</em>, en lieu et place de son auteur « officiel », Lewis Carroll ! Le bobard est avéré, mais sur le Net, légendes et complots ont la vie dure.</p>
<p>En 1992, cinq ans avant la mort de Lady Di, la romancière Sue Townsend bouleverse de fond en comble le casting monarchique. <em>La Reine et moi</em> se place dans l’hypothèse farfelue selon laquelle, aux élections législatives de la même année, le parti républicain remporte tous les suffrages. Dans la foulée, le nouveau Premier ministre fait voter l’abolition de la royauté, et contraint les « royaux » à troquer le palais de Buckingham contre l’équivalent d’une HLM dans un quartier populaire. Le prince Charles s’y découvre une passion pour le jardinage, mais le duc d’Edimbourg, lui, refuse de se raser et de quitter son lit. Quant à Diana, elle pleure sa Mercedes confisquée et se plaint du manque de place pour loger sa princière garde-robe. La reine mère dilapide son argent aux courses… Il n’y a, au final, que Mrs Windsor, ex-Elizabeth II, pour s’accommoder de son nouveau statut de roturière, opposant même un refus ferme quoique poli à ceux qui lui parlent de revenir au pouvoir. C’est drôle, mais si tout cela n’était qu’un rêve, mauvais ou bon, en fonction des opinions de chacun ?</p>
<p>En 2007, le très caustique Alan Bennett, ancien professeur d’histoire médiévale devenu acteur et dramaturge, fait paraître <em>The Uncommon Reader</em> (traduit en français par <em>La Reine des lectrices</em>). Sous un titre démarqué du <em>Common Reader</em>, recueil d’essais rédigés par Virginia Woolf, Bennett imagine une reine découvrant, par le plus grand des hasards la littérature et les livres. Et s’entichant de la lecture, au point de se détourner des affaires de l’État, auxquelles elle cesse de trouver le moindre intérêt. Elle finira même par abdiquer, à la dernière page du livre. Plaisamment métafictive, la parabole de Bennett est un vibrant plaidoyer pour la lecture.</p>
<p>Politiquement, le récit dit quelque chose de la démocratie littéraire : les livres vous regardent, confie la reine à son journal de bord, et <a href="https://theconversation.com/comment-sexplique-le-boom-des-book-clubs-150699">ils n’ont que faire de votre identité</a>, de votre statut social. Reine ou paysanne, c’est tout comme, de leur point de vue. En retour, ils changent votre horizon d’attente, ouvrent des portes qu’on pensait à jamais closes. Il faut donc imaginer la reine heureuse… de ne plus l’être ! Dans la même veine, mais avec moins d’appétence pour l’ironie, William Kuhn signe en 2012 <em>Mrs Queen Takes the Train</em> (non traduit) : Elizabeth s’ennuie tellement dans l’exercice de ses fonctions qu’elle choisit la fuite, direction les champs de courses, la passion de sa vie, et le port d’attache du <em>Queen Mary</em>, l’ancien paquebot de la famille royale. En lui faisant prendre le train, en lui offrant, dans le contexte cette fois des Jeux Olympiques de Londres, l’occasion de sauter en parachute (pour de faux) au bras de James Bond, la littérature en liberté émancipe la royauté. A elle de ne pas rater le coche…</p>
<h2>L’esprit de royauté</h2>
<p>On finira comme on avait commencé – dans les rues de la capitale londonienne. Une explosion retentit. Il pourrait s’agir d’une détonation occasionnée par l’éclatement d’un pneu, ou d’un gaz d’échappement. Voire, honni soit qui mal y pense, d’un vent (!) échappé d’une auguste paire de fesses. Une limousine vient de s’arrêter le long d’un trottoir de Bond Street, suscitant un grand émoi. A son bord, à peine entrevu, un grand de ce monde.S’agit-il de la reine (Mary reine consort), du Premier Ministre (Stanley Baldwin) surpris en train de faire leurs courses ? L’incertitude est totale et les spéculations vont bon train. Dans le sillage de la grandeur masquée qui passe à portée de main du commun des mortels, s’exhale « un souffle de vénération ». Et la séquence de s’achever comme se clôt la rencontre avec le Chat du Cheshire, dans <em>Alice au pays des Merveilles</em>. Par un lent effacement du visage (et du sourire) de la Reine. Laquelle ne disparaît que pour mieux se graver dans les mémoires, individuelles et collectives.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quels-sont-les-noms-qui-rayonnent-dans-la-litterature-lesbienne-175402">Quels sont les noms qui rayonnent dans la littérature lesbienne ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Rien de tel qu’un roman (moderniste) pour retenir dans ses filets une matière aussi radioactive. Ce roman, c’est <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-culture-change-le-monde/mrs-dalloway-de-virginia-woolf-roman-qui-change-le-monde-8297970"><em>Mrs Dalloway</em></a> (1925), de Virginia Woolf. Ce quelque chose d’imperceptible dans l’air, c’est l’esprit de royauté, comme on parle d’esprit-de-vin. Mais le roman ne saurait être courtisan. Tout en recueillant la précieuse part des anges, à savoir cette composante de l’« aura » royale qui peut s’apparenter à une mystique, Woolf s’emploie à saper l’ordre patriarcal. En effet, par ses valeurs de fluidité flottant au sein d’un « courant de conscience », la matière royale en mouvement s’affranchit de tout ce qui pèse et en impose, à commencer par la gravité qui fait de nous des « sujets » par trop assujettis.</p>
<p>Régnant sans gouverner, les rois et reines <em>made in England</em> ont ceci de grand qu’ils trônent, oui, mais in abstentia.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190472/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De Shakespeare à Virginia Woolf, les rois et les reines n’ont cessé d’inspirer la littérature anglaise, dans une veine souvent irrévérencieuse.Marc Porée, Professeur émérite de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1774732022-02-28T19:32:38Z2022-02-28T19:32:38ZCes comédies de Molière qu’on étudie encore et toujours à l’école<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/447802/original/file-20220222-15-k6qkdt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C17%2C1198%2C892&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une scène du Bourgeois Gentilhomme, par William Powell Frith </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/1b/William_Powell_Frith%2C_A_Scene_from_%27Le_Bourgeois_Gentilhomme%27.jpg">WilPublic domain, via Wikimedia Commons</a></span></figcaption></figure><p>« Au voleur ! Au voleur ! À l’assassin ! Au meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné, on m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon argent » : composée en 1668, la célèbre tirade de <em>L’Avare</em> résonne encore dans des théâtres du monde entier. Et dans les classes des collèges.</p>
<p><a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/10/12102020Article637380845099200146.aspx">Dans les manuels scolaires</a> du XXI<sup>e</sup> siècle, Molière est en effet toujours très présent, et les pièces qu’on fait lire aux élèves demeurent en grande partie celles qui étaient étudiées par les générations précédentes. Au-delà de <em>L’Avare</em>, les parents retrouvent ainsi dans les classeurs de leurs enfants collégiens des cours sur <em>Les Fourberies de Scapin</em>, <em>Le Médecin malgré lui</em>, <em>Le Malade imaginaire</em>, ou encore <em>Le Bourgeois gentilhomme</em> pour le collège.</p>
<p>Au lycée, ce sont plutôt des textes de <em>L’École des femmes</em>, <em>Dom Juan</em>, <em>Le Misanthrope</em>, ou du <em>Tartuffe</em> qui sont proposés. Pourquoi étudie-t-on encore et toujours ces comédies en cours de lettres ? Retour sur la <a href="https://www.fabula.org/actualites/i-calleja-roque-moliere-un-heros-national-de-l-ecole_96748.php">scolarisation de ces comédies</a> et son histoire.</p>
<h2>Un corpus assez stable</h2>
<p>Depuis les premiers programmes scolaires, rédigés en 1803, Molière est présenté comme une figure incontournable de la littérature française. Jusqu’en 1880, seules trois pièces y sont présentées : <em>Le Misanthrope</em>, <em>L’Avare</em> et <em>Les Femmes savantes</em> et leur étude, de 1880 à la fin du siècle, se renforce. Mais, c’est aussi au cours de cette période, alors qu’en 1880, Jules Ferry est au pouvoir, que le français comme discipline se développe au lycée.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-lecole-a-faconne-notre-image-de-moliere-175671">Comment l’école a façonné notre image de Molière</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans ce cadre, le panel d’œuvres de <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Biographies/Moliere">Molière</a> pris en considération s’ouvre de façon manifeste. Trois nouvelles comédies entrent alors dans le répertoire des classes : <em>Le Tartuffe</em>, <em>Le Malade imaginaire</em> et <em>Le Bourgeois gentilhomme</em>. En 1900, le corpus canonique des œuvres de Molière est donc constitué de six pièces. Trois d’entre elles sont manifestement réservées aux grandes classes : <em>Le Misanthrope</em>, <em>Le Tartuffe</em> et <em>Les Femmes savantes</em>. Les trois autres sont les comédies que l’école républicaine estime être les mieux adaptées à la formation des jeunes élèves.</p>
<p>Si ce n’est l’introduction des <em>Précieuses ridicules</em>, en 1941, sous le gouvernement de l’État français, c’est surtout dans le dernier quart du XX<sup>e</sup> siècle que le corpus va s’étendre à de nouvelles pièces. Cette ouverture qui débute à la fin des années 1970, peut certainement être mise en lien avec l’impact que le film <em>Molière</em> d’Ariane Mnouchkine, sorti sur les écrans en 1978, va avoir sur le grand public.</p>
<figure>
<iframe src="https://player.vimeo.com/video/249261754" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Extrait du Molière d’Ariane Mnouchkine (Théâtre du Soleil).</span></figcaption>
</figure>
<p>La nouveauté réside d’abord dans l’introduction de la farce dans les petites classes du collège. En 1977, <em>Le Médecin malgré lui</em> et <em>Les Fourberies de Scapin</em> entrent respectivement en sixième et en cinquième. Les textes officiels de 2008 confirment l’ouverture du corpus farcesque avec l’apparition de nouveaux titres en classe de sixième, comme <em>Le Médecin volant</em>, <em>Le Sicilien ou l’Amour peintre</em>, <em>L’Amour médecin</em>.</p>
<p>En ce qui concerne le lycée, les programmes de 1987 introduisent <em>L’École des femmes</em>. Parmi les pièces étudiées actuellement, seule <em>Dom Juan</em> n’a jamais été officiellement inscrite aux programmes alors qu’elle recueille tous les suffrages des auteurs des manuels du second cycle depuis les années 1980. Longtemps mise au purgatoire, elle est aujourd’hui l’objet de toutes les attentions.</p>
<h2>Relecture des personnages</h2>
<p>Qu’en est-il de la <a href="https://obvil.sorbonne-universite.fr/projets/projet-moliere">fortune de ces comédies</a> ? Leur mobilisation est-elle la même au fur et à mesure que les années passent ? Si l’on excepte <em>Les Femmes savantes</em>, les autres comédies ne cessent d’être remises en avant dans les manuels. Seule cette pièce, victime d’une lecture axiologique trop restrictive, témoigne d’un retour de fortune. Son héroïne Henriette, considérée par l’école républicaine comme l’égérie de la femme française, focalise pendant des décennies toutes les lectures et l’exploitation de la pièce se sclérose dans cette image de la femme idéale.</p>
<p>La comédie ne résistera pas à la révolution féministe des années 1980 détrônée par l’ingénue Agnès de <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-theatrales-2006-2-page-57.htm?contenu=plan"><em>L’École des femmes</em></a>, plus en phase avec les valeurs d’une société qui prône l’égalité des sexes. La disparition des <em>Femmes savantes</em> dans les manuels témoigne ainsi du lien étroit qui unit la littérature scolaire à la société. Elle reflète les changements sociaux qu’opère le dernier quart du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Les textes littéraires ne sont désormais plus considérés comme les garants d’une éducation morale ; ils s’inscrivent plutôt dans une tradition humaniste, une culture ouverte, libératrice, qui se doit d’être le reflet de la société de son temps.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/447798/original/file-20220222-21-1m18u8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/447798/original/file-20220222-21-1m18u8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/447798/original/file-20220222-21-1m18u8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/447798/original/file-20220222-21-1m18u8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/447798/original/file-20220222-21-1m18u8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/447798/original/file-20220222-21-1m18u8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/447798/original/file-20220222-21-1m18u8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le Malade imaginaire vu par Honoré Daumier.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Philadelphia Museum of Art, Public domain, via Wikimedia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En ce qui concerne l’analyse des pièces, elle varie peu au cours des temps. C’est toujours en tant que critique sociale et/ou morale qu’une comédie de Molière est appréhendée. On constate aussi que les ouvrages scolaires ont souvent modélisé la lecture qui en est faite. Ainsi, les anthologies ont fait du <em>Bourgeois gentilhomme</em> l’archétype de la comédie-ballet et du <em>Médecin malgré lui</em> celui de la satire de la médecine.</p>
<p>En règle générale, ce sont toujours les mêmes morceaux choisis qui sont sélectionnés, et ce, depuis plus d’un siècle. Par exemple, c’est toujours la première scène de l’acte I du Misanthrope qui constitue le morceau privilégié des anthologies du second cycle pour illustrer les caractéristiques de la scène d’exposition.</p>
<p>C’est surtout dans l’approche du personnage et non dans la lecture globale de la pièce que l’on peut constater des évolutions. À chaque époque correspond sa vision des « héros » moliéresques.</p>
<p>Ainsi, Harpagon est exploité pendant longtemps comme un contre-exemple à proposer à la jeunesse pour ancrer les sacro-saintes valeurs de la famille. Jusqu’au milieu du XX<sup>e</sup> siècle, dans une perspective axiologique, c’est son côté odieux et inquiétant qui intéresse les auteurs des manuels. La lecture s’inverse ensuite en donnant à lire avant tout le personnage comme un rôle comique.</p>
<p>L’exemple de Dom Juan est, lui aussi, très révélateur. Jusque dans les années 1970, on le stigmatise en contre-exemple et on condamne le « grand méchant homme ». À partir des années 1980, la tendance s’inverse et les manuels interrogent la complexité du personnage qui incarne la volonté de puissance de l’être humain, un désir forcené et désabusé de liberté qui fascine.</p>
<h2>L’angle de la représentation théâtrale</h2>
<p>La modification du regard institutionnel sur la visée de l’enseignement de la littérature à l’école n’est cependant pas la seule explication à cette modification du point de vue sur l’analyse des personnages. Elle va de pair avec l’importance accrue, depuis le début du XXI<sup>e</sup> siècle, de <a href="https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2013-1-page-27.htm">l’étude du théâtre</a> en lien avec la représentation.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/TUc233HKEeE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« L’Avare » à la Comédie Française, en 2000 (INA Culture).</span></figcaption>
</figure>
<p>C’est l’intérêt de plus en plus croissant porté au <a href="https://www.comedie-francaise.fr/fr/expositions_virtuelles/moliere-en-scene#">travail du plateau</a> qui permet le renouvellement dans les manuels de la lecture du personnage moliéresque. En effet, c’est souvent dans la confrontation des mises en scène d’une pièce à différentes époques que se situe la richesse de l’analyse d’une comédie de Molière. Cette constatation illustre le fait qu’aujourd’hui, la lecture scolaire d’une pièce de Molière ne peut être dissociée de ce qui en fait une œuvre théâtrale.</p>
<p>La lecture du théâtre de Molière passe toujours par le prisme du penseur par le rire mais l’image du dramaturge est celle d’un artiste complet. Aux côtés de mises en scène classiques, on montre aux élèves des choix scénographiques qui transposent les comédies de Molière dans un autre univers que celui de sa création initiale. Par ces photographies, le texte de Molière entre en résonance avec le monde d’aujourd’hui.</p>
<p>Ainsi, dans les manuels, depuis plus d’un siècle, les mêmes comédies demeurent toujours très présentes ; mais, elles ne peuvent être accessibles à la jeunesse que si elles sont actualisées par des photographies de mises en scène qui permettent aux adolescents de comprendre que la lecture de Molière est toujours d’actualité parce qu’il nous parle de problèmes qui nous concernent encore.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177473/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Calleja-Roque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>« Les Fourberies de Scapin » en classe de cinquième, « L’Avare » en quatrième, « Le Misanthrope » au lycée… Les pièces de Molière au programme ont peu changé, mais la manière de les aborder a évolué.Isabelle Calleja-Roque, Chercheuse en didactique de la littérature, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1756712022-02-01T19:12:08Z2022-02-01T19:12:08ZComment l’école a façonné notre image de Molière<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/442727/original/file-20220126-17-oe9sn2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C107%2C2041%2C1554&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Molière et Goudouli, par Édouard Debat-Ponsan, peinture exposée au Capitole de Toulouse.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/9e/Capitole_Toulouse_-_Salle_du_Conseil_municipal_-_Moli%C3%A8re_et_Goudouli_-_Debat-Ponsan_1907_-_Detail.jpg">Public domain, via Wikimedia Commons</a></span></figcaption></figure><p>Dans les manuels scolaires d’aujourd’hui, deux images de Molière coexistent souvent : d’un côté celle du <a href="https://art.rmngp.fr/en/library/artworks/charles-antoine-coypel_antoine-coypel_moliere-a-sa-table-de-travail">Molière écrivant</a> de Charles-Antoine Coypel, de l’autre celle du <a href="https://art.rmngp.fr/en/library/artworks/claude-simonin_le-vray-portrait-de-mr-de-moliere-en-habit-de-sganarelle_estampe-technique">Molière en habit de Sganarelle</a> de Claude Simonin.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/442680/original/file-20220126-21-j5llmq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442680/original/file-20220126-21-j5llmq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442680/original/file-20220126-21-j5llmq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442680/original/file-20220126-21-j5llmq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442680/original/file-20220126-21-j5llmq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442680/original/file-20220126-21-j5llmq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442680/original/file-20220126-21-j5llmq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Molière selon Antoine Coypel.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Molier_(dzie%C5%82a)_Portret.png">Antoine Coypel, Public domain, via Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La première iconographie permet de vénérer la <a href="https://journals.openedition.org/recherchestravaux/934?lang=de">double image de Molière</a> : celle du grand auteur français, représentant de notre pays, donné à voir en plein travail, la plume à la main ; et celle d’un homme dont les traits réguliers seraient censés refléter les qualités de l’âme. La seconde iconographie représente l’acteur en plein travail, le comédien qui endosse le rôle grimaçant du personnage de Sganarelle.</p>
<p>Si la première image s’est longtemps imposée dans les salles de classe, sa juxtaposition actuelle avec celle de <a href="https://moliere2022.org/">Molière</a> dans un rôle de valet comique nous rappelle combien la représentation de cet auteur majeur a évolué depuis la fin du XIX<sup>e</sup> siècle <a href="http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/10/12102020Article637380845099200146.aspx">dans les programmes scolaires</a>. En quoi le <a href="https://www.fabula.org/actualites/i-calleja-roque-moliere-un-heros-national-de-l-ecole_96748.php">Molière enseigné</a> à nos parents et grands-parents n’est-il plus tout à fait le même que celui que découvrent les élèves d’aujourd’hui ? Quelques éclairages historiques alors qu'on commémore la disparition de Molière, décédé <a href="https://www.lepoint.fr/c-est-arrive-aujourd-hui/1673-moliere-ne-meurt-pas-en-scene-escroc-17-02-2012-1432293_494.php">17 février 1673</a>. </p>
<h2>Molière écrivain</h2>
<p>Pour les auteurs des manuels d’avant 1880, <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Biographies/Moliere">Molière</a> est déjà considéré comme le plus grand comique français ; il est la référence de la comédie classique, et s’il est incontournable, c’est en tant que représentant du rôle éducatif que celle-ci peut avoir pour la jeunesse, le rire moliéresque n’étant exploité que pour sa valeur axiologique, suivant la célèbre devise de la comédie « castigat ridendo mores » (corriger les mœurs par le rire).</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/510331/original/file-20230215-5104-rsg1mx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/510331/original/file-20230215-5104-rsg1mx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=732&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/510331/original/file-20230215-5104-rsg1mx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=732&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/510331/original/file-20230215-5104-rsg1mx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=732&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/510331/original/file-20230215-5104-rsg1mx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=920&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/510331/original/file-20230215-5104-rsg1mx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=920&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/510331/original/file-20230215-5104-rsg1mx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=920&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Molière en costume de Sganarelle, Claude Simonin, 1660.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Moli%C3%A8re_as_Sganarelle.jpg">Claude Simonin (1635-1721), via Wikimedia Commons</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une première image du dramaturge est déjà mise en place : celle d’un portraitiste de grand talent. On le loue pour le naturel et la vivacité de son écriture, qu’il nous montre les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Fourberies_de_Scapin">stratagèmes d’un Scapin</a>, les hypocrisies d’un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Tartuffe_ou_l%27Imposteur">Tartuffe</a> ou la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27%C3%89cole_des_femmes">naïveté d’une Agnès</a>, et on voit en lui un grand observateur des mœurs de son temps. Ainsi, il est une valeur sûre du Grand siècle : son génie, c’est son écriture, et c’est en cela qu’il est un grand homme que loue l’école d’avant la grande réforme de 1880.</p>
<p>Ce sont les lycées républicains qui, à travers l’enseignement de la littérature, vont canoniser Molière comme le dramaturge classique par excellence. La naissance de l’enseignement de la littérature rejoint ainsi la constitution d’un patrimoine littéraire national dont Molière devient une des figures incontournables ; son œuvre, avec sa promotion de l’image de l’« honnête homme », apparaît alors comme un réservoir des vertus louées par la jeune République.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-lit-on-autant-les-fables-de-la-fontaine-a-lecole-161521">Pourquoi lit-on autant les « Fables » de La Fontaine à l’école ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>C’est à cette époque que <a href="https://www.fabula.org/actualites/i-calleja-roque-moliere-un-heros-national-de-l-ecole_96748.php">Molière devient un « bien national »</a>, un personnage clé de l’histoire identitaire de la France, dans le sens où il est le miroir de l’identité nationale et de l’idéal démocratique. Son œuvre est mise au service de la fonction à la fois éducative et patriotique de l’enseignement de la littérature, dont la visée première demeure la formation morale des élèves.</p>
<h2>Molière libre penseur</h2>
<p>Au cours de la période qui couvre les années 1925-1963, <a href="https://obvil.sorbonne-universite.fr/projets/projet-moliere">l’image de Molière</a> se consolide et évolue. Désormais, il devient un véritable personnage. On ne se contente plus de vénérer le plus grand comique français, on admire aussi, selon l’expression de Des Granges dans son <a href="https://www.abebooks.fr/rechercher-livre/titre/precis-de-litterature-francaise/auteur/des-granges/">Précis de littérature</a> de 1946 « l’homme de cœur », tolérant, fidèle, courageux et volontaire. On vante ses mérites à la manière de ceux d’un véritable héros.</p>
<p>À travers lui se cristallisent les caractéristiques de la visée humaniste qui imprègne le système éducatif de cette époque. Molière, en tant qu’homme, devient l’incarnation des valeurs patriotiques. En lui, se trouve illustré le pouvoir civilisateur de la littérature.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BP8wiE8Y5rg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Il y a 400 ans, naissait Molière : sur les traces du plus célèbre dramaturge français – avec une interview du professeur Georges Forestier et un reportage sur la mise en scène de Molière au Sénégal.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il est donné comme un parfait exemple permettant de développer, comme on le dit encore dans les instructions officielles de 1953, « courage, honneur, loyauté, justice, tolérance, générosité, bonté, sagesse ». Véritable icône, héros à la réalité vivante, il incarne l’idéal de l’homme digne d’admiration, modèle éducatif donné en pâture à la jeunesse. Quant à son théâtre, il est toujours l’incarnation de valeurs éthiques.</p>
<p>Mais ce qui change, c’est que, maintenant, ses personnages, tout comme l’auteur, servent d’exemples pour analyser des situations de la vie réelle, susceptibles de déboucher sur une réflexion à tonalité éducative.</p>
<p>On admire Molière libre penseur. <em>Des Précieuses ridicules</em> à <em>Tartuffe</em>, de <em>L’Avare</em> au <em>Malade imaginaire</em>, on vante sa sagesse tout empreinte de naturel et de sincérité. On vénère son œuvre parce qu’elle est l’expression d’une leçon de morale sociale dont la famille est le centre de gravité. Les manuels de cette période ont fait de lui un être de chair et de sang, pour lequel ils provoquent l’empathie. Par-delà l’auteur patrimonial, figure identitaire de l’idéal démocratique, Molière est quasiment devenu un personnage romanesque.</p>
<h2>Molière homme de théâtre</h2>
<p>Au cours de la période qui couvre des années 1963 jusqu’à aujourd’hui, dans les manuels, Molière demeure le plus grand comique français, le maître de la comédie, incarnant à lui seul le rire du XVII<sup>e</sup> siècle. Sur les fondations de l’ancien mythe, s’est cependant greffée une nouvelle image, plus en accord avec l’évolution d’une histoire littéraire différente, laquelle s’intéresse à la vie quotidienne des hommes et à leurs pratiques culturelles.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1481967437616758792"}"></div></p>
<p>Désormais, Molière n’est plus l’homme mélancolique, le contemplateur cher à l’époque romantique. À travers la référence à sa vocation précoce, à ses années d’errance et à sa mort « en scène », ce qu’on admire avant tout, c’est le praticien du théâtre. Figure identitaire de la France, l’auteur du <em>Bourgeois gentilhomme</em> l’est toujours, mais depuis la fin du XX<sup>e</sup> siècle, ce qu’on célèbre en lui, c’est l’écrivain qui incarne l’homme de théâtre par excellence ; c’est l’acteur populaire, le génial farceur qui a su séduire le Roi-Soleil, ainsi que le rappelle la <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/le-cinema-des-cineastes-ariane-mnouchkine-pour-son-film-moliere-1ere-diffusion-01101978-0">fresque d’Ariane Mnouchkine</a> sortie en 1978.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ces-comedies-de-moliere-quon-etudie-encore-et-toujours-a-lecole-177473">Ces comédies de Molière qu’on étudie encore et toujours à l’école</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>À travers lui, c’est <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/moliere-le-chien-et-le-loup/episode-2-l-esprit-de-troupe">l’image du comédien</a> qui est réhabilitée. C’est en tant que tel qu’il est sacralisé dans les manuels d’aujourd’hui, sa vie étant placée sous le signe du rire farcesque.</p>
<p>En lien avec cette nouvelle image, l’analyse des textes moliéresques s’est ouverte vers l’approche de la mise en scène et vers le jeu des acteurs. Depuis la fin du XX<sup>e</sup> siècle, c’est entre classicisme et modernité que se situe l’étude de Molière. On continue à prendre son œuvre comme support à une réflexion axée sur l’édification morale de l’élève mais la vision qu’on a de l’homme, de l’artiste qu’il était, a profondément changé.</p>
<p>Réhabilité en tant que comédien, génie du rire, depuis la fin du XX<sup>e</sup> siècle, le grand dramaturge devient dans les manuels un être quasiment atemporel, exemple parfait de l’artiste complet.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Calleja-Roque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le 17 février 1673 disparaissait Molière. Ses pièces continuent de résonner dans les écoles, mais le Molière qu'on enseigne aujourd'hui n'est plus tout à fait celui de nos grands-parents.Isabelle Calleja-Roque, Chercheuse en didactique de la littérature, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1710622022-01-31T19:06:57Z2022-01-31T19:06:57ZLe théâtre forain ambulant, un art populaire oublié<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/443484/original/file-20220131-118117-1utfjre.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C231%2C5465%2C3759&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les comédiens sur scène.</span> <span class="attribution"><span class="source">Archives Carrière Léon</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Peut-être n’avez-vous jamais entendu parler de théâtre démontable ambulant forain. Il s’agit pourtant d’une forme théâtrale originale qui dévoile un <a href="http://www.musee-theatre-forain.fr/">pan captivant de l’histoire du théâtre en France</a>. Forains par leur itinérance, démontables par leur structure, ces théâtres familiaux, sans attaches, ont circulé près de deux siècles dans les campagnes françaises, transmettant un art devenu désuet et incompris – sauf pour ceux qui l’ont connu.</p>
<p>À ne pas confondre avec le <a href="http://cethefi.org/">théâtre de foire parisien du XVIIIᵉ siècle</a>, les théâtres démontables sont apparus pour la première fois en province à l’aube du XIX<sup>e</sup> siècle. Ils proposaient un éventail riche et complet de différentes pièces de théâtre : célèbres mélodrames, vaudevilles, comédies militaires, drames, hautes comédies, opéras et opérettes pour les troupes lyriques. Malgré cette hégémonie théâtrale dans la province française pendant plus de deux siècles, cette forme particulière sera volontairement ignorée, délaissée par les pouvoirs publics et <a href="https://fresques.ina.fr/rhone-alpes/parcours/0003/de-la-decentralisation-culturelle-theatrale-a-la-globalisation.html">mise à l’écart de la décentralisation théâtrale annoncée</a>). À sa mort, dans les années 1960, le théâtre démontable tombe dans l’oubli et laisse des traces sensibles pour ces acteurs de toujours.</p>
<p>« Si tu ne vas pas au théâtre, le théâtre viendra à toi » <a href="https://www.idref.fr/030879779">proclame Jeanine Camp</a>, artiste. Telle pourrait être la devise des théâtres ambulants démontables forains ! Ces artistes ne se contentent pas de proposer des spectacles sur de simples tréteaux en extérieur, mais ils se déplacent avec leur propre structure théâtrale. À la cadence d’environ quatre villes par an, un théâtre ambulant démontable rayonne dans toutes les régions de France. Entre 1918 et 1939, 200 théâtres étaient recensés, pour cinq villes annuellement traversées. Selon Lucien Caron, ancien artiste forain, dans la brochure des amis du théâtre démontable :</p>
<p>« Nous avons mille localités visitées. Chaque année ! Faites le compte pour seulement un demi-siècle. […] Combien de représentations données ? Faites le compte : quelques millions ! Combien de spectateurs touchés ? Des dizaines de millions ! Dont beaucoup ignoreraient tout du théâtre », </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/443485/original/file-20220131-17-x24pw5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/443485/original/file-20220131-17-x24pw5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/443485/original/file-20220131-17-x24pw5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/443485/original/file-20220131-17-x24pw5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/443485/original/file-20220131-17-x24pw5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/443485/original/file-20220131-17-x24pw5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/443485/original/file-20220131-17-x24pw5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Théâtre Cavalier.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives de la famille Cavalier</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les grandes familles des théâtres démontables</h2>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, en France, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2043674.texteImage">on retrouve tous types de théâtres ambulants</a>. Il est possible de croiser sur les routes du pays des <a href="https://webmuseo.com/ws/musees-regioncentre/app/collection/expo/145">« baraques » géantes et d’autres bien plus modestes</a>) La famille est la base de ces troupes itinérantes, la dimension des établissements varie en fonction de la taille de celle-ci. Le théâtre est transmis de génération en génération, porté par de grandes dynasties : les <a href="https://webmuseo.com/ws/musees-regioncentre/app/collection/expo/152">Delamarre, les Creteur-Cavalier, les De Blasiis, les Durozier…</a></p>
<p>Imaginez une construction imposante, rectangulaire, faite de panneaux verticaux en bois, de dimensions variables. (12 à 30 mètres de long et jusqu’à 10 mètres de large, pour les plus grandes). Au centre de la façade se trouve « le contrôle » un espace réservé à la billetterie, et à l’entrée du public. Le contrôle est toujours soigneusement orné de l’enseigne portant le nom de la famille. A côté de cela, autour de la « baraque », on peut voir s’installer les caravanes d’habitations, ainsi que le convoi.</p>
<p>À l’intérieur de la salle, la scène se dresse sur l’un des côtés. L’espace principal est composé d’un plancher incliné rempli de gradins, ou chaises de confort variable pour accueillir le public. En fonction de la taille du dispositif, la salle accueille de 200 à 1 000 spectateurs. Les déménagements, démontages, voyages, montages, leurs imposaient environ cinq jours de relâche.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/443486/original/file-20220131-17-1qsziof.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/443486/original/file-20220131-17-1qsziof.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/443486/original/file-20220131-17-1qsziof.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/443486/original/file-20220131-17-1qsziof.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/443486/original/file-20220131-17-1qsziof.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/443486/original/file-20220131-17-1qsziof.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/443486/original/file-20220131-17-1qsziof.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Montage en 1934 à Remiremont.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archive Lamarche</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des enfants de la balle</h2>
<p>La famille Creteur/Cavalier est l’une de ces grandes familles itinérantes. Au moins 3 ou 4 générations de Creteur se sont vouées corps et âme au métier de comédien itinérant. « Toute une vie de SDF au vrai sens du terme, passée à rouler et à jouer », résume Jean. (Jean Creteur, <em>Mon théâtre forain</em>) À son apogée, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, leur établissement prend vie et se déplace à la faveur d’un convoi de 12 à 15 caravanes, pour transporter jusqu’à 20 personnes, 700 costumes, et une multitude de décors. L’organisation est millimétrée, chacun avec un rôle définit, le hasard n’a pas sa place. « Il fallait savoir tout faire : bricoler, réparer, peindre, gérer et jouer, explique Jean. Notre arrivée pouvait faire peur aux riverains. À la fin, ils ne voulaient plus nous laisser partir ! ».</p>
<h2>Un répertoire polémique</h2>
<p><em>Mon curé chez les riches</em>, <em>Tire au flanc</em>, <em>La dames aux camélias</em> ! : autant de titres qui nous donnent une idée du répertoire des théâtres forains. Un mélange de mélodrames populaires, de drames classiques, de comédies et d’opérettes. Loin de la programmation des théâtres parisiens, les pièces des théâtres ambulants peuvent paraître moins sérieuses et plus légères, mais dès lors que l’on prend connaissance de la popularité de ces théâtres, il est indéniable que ces pièces trouvaient un écho auprès des spectateurs.</p>
<p>Si nous prenons encore l’exemple de Jean Creteur, célèbre banquiste : il a joué dans plus de 170 pièces et il comptabilise plus de 400 rôles dans sa vie. Quel comédien aujourd’hui pourrait se vanter d’un tel répertoire ?</p>
<p>D’autant qu’à cette époque, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) censurait de façon arbitraire certains théâtres provinciaux, il leur était interdit de monter des pièces modernes. Sans motif, elle refusait ce répertoire, sans doute jugé trop réputé pour être joué par des « saltimbanques ». Toutefois, le public n’en est pas moins nombreux, celui-ci étant ravi de pouvoir <a href="https://www.idref.fr/030879779">apprécier des pièces dans lesquelles il peut s’identifier</a>.</p>
<h2>Une popularité inégalable</h2>
<blockquote>
<p>« À la jonction de l’ancien et du nouveau siècle. Il y avait très peu de voitures, pratiquement pas de moyen de locomotion, hormis le train. Le théâtre démontable est né dans un contexte où il avait toutes ses chances pour que cela fonctionne. » (Lucien Caron)</p>
</blockquote>
<p>Il faut bien se mettre dans l’ambiance de l’époque. La télévision n’existe pas encore, un théâtre arrive dans notre ville, les places sont à un prix dérisoire, nous y allons une première fois par curiosité et puis le théâtre reste deux mois sur la place, alors, chaque soir nous retournons afin de voir dans quelles nouvelles histoires vont se retrouver les comédiens. Tout comme notre série préférée, ou le téléfilm du dimanche, les théâtres démontables étaient la seule distraction des habitants du village : un art populaire à l’état pur. Mais qu’est-ce que le théâtre populaire ?</p>
<p>« Ni plus ni moins que le théâtre du peuple, qui concerne le peuple, qui appartient au peuple. » proclame Lucien Caron dans la brochure des amis du théâtre démontable.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/443491/original/file-20220131-19-1kwgdha.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/443491/original/file-20220131-19-1kwgdha.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/443491/original/file-20220131-19-1kwgdha.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/443491/original/file-20220131-19-1kwgdha.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/443491/original/file-20220131-19-1kwgdha.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/443491/original/file-20220131-19-1kwgdha.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/443491/original/file-20220131-19-1kwgdha.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Théâtre Lamarche, intérieur.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives Lamarche</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La fin du théâtre démontable</h2>
<p>Le théâtre démontable forain est né en France dans une période postrévolutionnaire propice à la nouveauté. Leur mise à l’écart, le rejet des institutions dites classiques n’empêchent pas son âge d’or. Durant près de deux siècles, des familles foraines apportent une vie théâtrale sur tout le pays. Au sommet de son apogée, le théâtre forain sera confronté à de nombreux obstacles : les deux guerres mondiales, les nouvelles normes de sécurité, et sans doute le plus fatal, l’arrivée de la télévision. Ces difficultés le mettent à mal et entraînent sa fin dans les années 60.</p>
<p>Avec les trente glorieuses, la société est en plein essor et la politique de décentralisation permet le développement et la diffusion du théâtre dans les régions. Pourtant, on ne se soucie pas du théâtre démontable forain qui propose déjà des spectacles populaires dans l’ensemble du pays depuis deux siècles et qui est en pleine agonie. Une agonie, le mot est fort, mais représente parfaitement le traumatisme subi par la majorité des familles de « démontables ».</p>
<p>De façon indéniable, le théâtre ambulant a été un fait de société, son histoire fait partie de l’histoire universelle du théâtre. Il est impossible de le nier. Simplement parce que cette forme d’activité artistique était liée aux « gens du voyage », aux forains, on tend à la considérer comme un art mineur par rapport au « vrai théâtre », entendu comme le théâtre légitime socialement. On insiste souvent sur l’idée que la France était dépourvue de tout théâtre en province avant la fameuse décentralisation théâtrale d’après-guerre, mais les théâtres forains ambulants démontrent qu’il n’en était rien.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171062/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loli Jean-Baptiste ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur un pan important mais oublié de l’histoire du théâtre en France.Loli Jean-Baptiste, Doctorante en arts du spectacle, Université de Franche-Comté – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1726322022-01-21T17:28:13Z2022-01-21T17:28:13ZLire un texte à haute voix aide-t-il à le comprendre ?<p>La lecture à haute voix est largement pratiquée dans les salles de classe et les familles pendant les premières années d’apprentissage de la lecture (CP et CE1). Elle permet aux adultes d’évaluer les progrès des enfants dans cet apprentissage. Malheureusement, quand la lecture des enfants devient fluide, avec la maitrise du décodage, cette pratique cède le plus souvent la place à la lecture individuelle et silencieuse.</p>
<p>Pourtant, des initiatives comme les <a href="https://www.lespetitschampionsdelalecture.fr/">« Petits champions de la lecture »</a> demandent à des élèves plus âgés, de CM1 ou CM2, d’apprendre à lire des textes pour un public. S’agit-il seulement d'une performance théâtrale ou ce type d’exercice a-t-il un intérêt pour aider les élèves à améliorer leurs compétences en lecture ? Comment ces petits champions s’y prennent-ils pour travailler ces lectures ?</p>
<h2>La musique de la lecture à voix haute</h2>
<p>Un bon lecteur qui lit à voix haute semble raconter une histoire. Il lit comme il parle. On peut entendre des pauses, des variations de rythme, de mélodie et d’intensité qui vont donner vie au discours et permettre à celui qui écoute de le comprendre. Cette musique du langage, c’est ce qu’on appelle la prosodie.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelques-pistes-pour-donner-envie-de-lire-aux-enfants-148675">Quelques pistes pour donner envie de lire aux enfants</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Le premier élément fondamental de la prosodie est le phrasé. Le lecteur va placer des pauses et varier son intonation pour mettre en valeur les frontières du texte, c’est-à-dire là où il est nécessaire de s’arrêter pour bien comprendre. On va par exemple s’arrête à un point pour marquer la fin de la phrase, ou entre deux propositions pour en marquer la limite. Ainsi le phrasé permet de découper le texte pour mieux le comprendre.</p>
<p>Changer la place d’une pause peut changer le sens du texte ou empêcher de le comprendre. Exemple : « La petite […] brise la glace » n’a pas le même sens que « la petite brise […] la glace ».</p>
<p>Le deuxième élément fondamental de la prosodie est l’expressivité, c’est-à-dire les variations de volume, d’intensité et de rythme de la voix. L’expressivité permet de faire passer des émotions, une ambiance. Elle capte et retient l’attention de l’auditeur. Exemple : « Ce gâteau est délicieux » ne sera pas compris de la même manière s’il est dit avec entrain ou une grimace de dégoût.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cu6q67l1kN4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les Petits champions de la lecture en finale à la Comédie-Française (France 3 Bourgogne-Franche-Comté, 2019).</span></figcaption>
</figure>
<p>Ces deux éléments, indispensables à un bon lecteur, sont donc par essence très liés à la compréhension. Produire un phrasé approprié nécessite une compréhension de la syntaxe du texte. Produire une expressivité appropriée nécessite une compréhension fine du texte, d’inférer par exemple les sentiments des personnages.</p>
<p>Par ailleurs, le phrasé est également un élément indispensable à la compréhension du discours. Si ce phrasé disparait (ton monocorde et monotone), il est très difficile à l’auditeur de comprendre son interlocuteur. C’est ce phrasé qui, en découpant le flot continu de parole, <a href="http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/8410/MURS_1998_35_3.pdf">va permettre au bébé</a> d’apprendre ses premiers mots. Cette musique de la voix est donc indispensable à la compréhension.</p>
<h2>Comprendre des textes écrits</h2>
<p>Est-ce également le cas avec un texte écrit ? Oraliser un texte permettrait-il de mieux le comprendre ?</p>
<p>Les enfants ont encore besoin de <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=HWaYAgAAQBAJ">s’appuyer sur les indices mélodiques</a> de la voix pour comprendre la structure du langage quand ils apprennent à lire et qu’on leur demande alors de produire du langage à partir de cette structure grammaticale. Un exercice compliqué ! Il est donc indispensable que l’apprentissage de la lecture passe par l’oralisation du texte. C’est vrai également au-delà des premières années d’apprentissage.</p>
<p>Confronté à une phrase ambiguë ou à un texte particulièrement complexe, on s’est tous surpris à reprendre le texte mal compris en lisant à haute voix. On retrouve cette stratégie de la lecture à voix haute aussi bien <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2016.00319/full">chez les adultes</a> que <a href="https://ila.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1598/RRQ.45.4.2">chez les enfants</a>.</p>
<p>Ces études ont également montré que la lecture à haute voix de ces passages difficiles différait de celle des passages standards. Nous faisons plus de pauses, plus longues, et nous accentuons les variations mélodiques de notre voix pour nous aider à comprendre. D’une façon plus générale, les enfants <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/02702711.2015.1055869">comprennent mieux</a> en lisant à voix haute que dans leur tête.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/6-liE_84Lts?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Daniel Pennac sur la lecture à voix haute (C à vous, 2015).</span></figcaption>
</figure>
<p>Ce lien entre prosodie et compréhension a été très étudié. De nombreuses études dans différentes langues ont montré que la prosodie dans la lecture orale <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11145-019-09968-1">est liée à la compréhension</a> et que ce lien se renforce au cours du temps. En effet, le lien est <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/03004279.2018.1449880">plus fort chez les collégiens</a> que chez les élèves de primaire.</p>
<p>La question qui intéresse maintenant les chercheurs est la direction de ce lien. Est-ce qu’on comprend parce qu’on est expressif à l’oral ou est-on expressif car on a compris le texte ? L’hypothèse actuellement privilégiée est que ce lien fonctionne dans les deux sens. Lire à voix haute en ajoutant de l’expressivité demande d’avoir compris le texte mais permet aussi de mieux comprendre ce texte.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/partager-des-histoires-avec-ses-enfants-pour-les-preparer-a-la-lecture-111299">Partager des histoires avec ses enfants pour les préparer à la lecture</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Chez les plus jeunes lecteurs, l’enfant va plus chercher à comprendre le texte en le lisant à haute voix, pour mettre le ton. Chez les lecteurs plus âgés, et plus débrouillés, la lecture à haute voix va permettre, par le biais d’une accentuation de la prosodie, de comprendre des textes plus complexes. Une étude <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03164266/">que nous avons menée</a> pendant 3 ans auprès d’enfants du CE1 au CM1 a pu mettre en évidence que les enfants qui mettent le plus d’expressivité et de phrasé dans leur lecture orale en CE1 et CE2 sont aussi ceux qui comprennent le mieux en CM1, qu’ils lisent vite ou moins vite.</p>
<h2>Lire à voix haute avec les enfants</h2>
<p>Ces recherches montrent l’importance que revêt la lecture à haute voix dans la compréhension des textes lus. Ce n’est pas un exercice si trivial. Être un bon lecteur ne s’improvise pas, cela nécessite de l’entraînement. Et c’est ce que font les petits champions de la lecture : ils s’entraînent. En s’entraînant, ils travaillent leur performance orale, mais pour cela doivent travailler également leur compréhension du texte choisi.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cYfRDNFbFtw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Victoire de Cathy Mvogo, gagnante du concours de lecture à voix haute sur France 5 (France 3 Nouvelle-Aquitaine, 2020).</span></figcaption>
</figure>
<p>Comment peut-on s’entraîner à lire à voix haute ? Il existe deux grandes techniques : le modelage – j’écoute un lecteur expert pour comprendre comment il fait et éventuellement l’imiter – et l’indiçage – j’annote mon texte, avec ou sans aide, avec tout ce qu’il faut pour mettre le ton correctement (pauses, sentiments à exprimer, ralentissement, accélération, volume…)</p>
<p>Voici trois exemples d’activités pour s’entraîner :</p>
<p><strong>La lecture en duo avec les parents ou un lecteur expert</strong></p>
<p>Dans cette activité partagée autour d’un livre entre parents et enfants, chacun à son tour lit un passage du livre, de longueur adaptée au niveau de lecture de l’enfant, pour l’autre. Au-delà du lien affectif, cette activité donne un modèle à l’enfant d’une lecture orale, qu’il va chercher à imiter. L’intonation prise par le parent va guider la compréhension du texte par l’enfant, il peut également donner des explications si besoin et aider l’enfant en cas de mots difficiles ou inconnus.</p>
<p>Cette activité peut se pratiquer à tous les niveaux de lecture et avec tous types de support : album, roman, revue, BD… On peut commencer par de petits albums pour les débutants pour gagner en aisance. Avec des plus grands, cela peut aussi être un moyen de les faire rentrer dans des romans plus compliqués avant qu’ils ne continuent seuls.</p>
<p><strong>En autonomie, avec les livres audio</strong></p>
<p>Les enfants peuvent aussi faire des activités de lecture à haute voix seuls, avec des livres ou revues audio. Ces lectures enregistrées par des acteurs offrent un très bon modèle de lecteur expert que les enfants pourront s’amuser à imiter. Au-delà de l’écoute pure du livre en suivant le texte, l’enfant peut aussi s’essayer à la lecture synchronisée : il écoute le modèle et lit le texte à haute voix en même temps ou en alternance avec le livre audio.</p>
<p>Cette activité en autonomie permet également de se libérer de l’écoute d’un auditeur (parents, enseignants, camarades…) et donc de se sentir plus libre d’essayer, ce qui facilitera les progrès, notamment des lecteurs les plus en difficulté qui souvent n’osent pas lire devant les autres.</p>
<p><strong>La lecture théâtralisée</strong></p>
<p>Le but de la lecture théâtralisée est de préparer une lecture pour la présenter à un public. Les enfants vont alors travailler leur voix, leur mise en scène et répéter pour présenter leur lecture à quelqu’un d’autre. Le but n’est plus de lire mais de lire pour quelqu’un, de faire un spectacle.</p>
<p>Pour cela, les petits champions de la lecture cités plus haut sont amenés à travailler sur la compréhension du texte, réfléchir à l’intention à faire passer, annoter, essayer différentes interprétations, débattre de la plus adaptée et répéter pour s’entraîner. La lecture théâtralisée est très utilisée dans les pays anglo-saxons et à montrer des bénéfices importants à tous les âges (du CP à l’université) particulièrement avec les lecteurs en difficulté.</p>
<p>Pour conclure, ces quelques activités permettent de s’entraîner à lire à haute voix et donc d’améliorer la qualité de la lecture et la compréhension en lecture. Mais elles présentent également un autre avantage non négligeable. Elles ramènent du plaisir dans la lecture pour que celle-ci ne reste pas uniquement un exercice scolaire mais redevienne une activité agréable qu’on la partage avec un parent, un public ou juste pour s’amuser tout seul à créer des voix de personnages. Ce plaisir de la lecture est certainement le meilleur moteur du progrès !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172632/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span> Une partie de mes travaux de thèse et mon postdoctorat ont été financés sur le projet Fluence, financé par l’état dans le cadre du volet e-FRAN du programme d’investissement d’avenir (PIA2) opéré par la Caisse des Dépôts et Consignations.
Je suis actuellement en poste dans le projet Pégase, lauréat de l’appel à projet PIA3 et financé par la Caisse des Dépôts et Consignations. </span></em></p>Si la lecture à haute voix est très pratiquée en classe et en famille pendant les premières années d’apprentissage de la lecture, elle s’efface ensuite devant la lecture silencieuse. À tort ?Erika Godde, Ingénieure recherche en expérimentation en éducation, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1691902021-10-12T17:50:58Z2021-10-12T17:50:58ZParler de laïcité à l’école en 2021 : la piste du théâtre-forum<p>Consacrée par la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, la <a href="https://theconversation.com/la-la-cite-un-principe-au-fondement-de-lecole-de-la-republique-148567">laïcité</a> est une valeur fondatrice et un principe essentiel de la République française. Elle est néanmoins aujourd’hui confrontée au développement de demandes de pluralité culturelles et religieuses, mais aussi des demandes d’égalité notamment adressées à l’école.</p>
<p>De nombreux événements ont fait intrusion ces dernières années dans l’espace de neutralité dessiné par ce modèle : débats autour du port des signes religieux, question de l’enseignement du fait religieux à l’école, débats sur la nourriture halal dans les cantines, constat des discriminations ethniques à l’école … Puis est venu le choc des attentats terroristes successifs, des <a href="https://www.franceculture.fr/theme/charlie-hebdo">attaques</a> contre <em>Charlie hebdo</em> à <a href="https://theconversation.com/lettre-aux-enseignants-en-premiere-ligne-pour-defendre-les-valeurs-de-la-republique-148315">l’assassinat de Samuel Paty le 16 octobre 2020</a>.</p>
<p>Par-delà les réponses institutionnelles et la multiplication des textes, lois et pratiques dans l’école, force est de constater que beaucoup d’enseignants sont démunis, face une formation initiale et continue insuffisante et inadaptée. </p>
<p>Comment parler de laïcité à l’école, comment former les enseignants autour de cette question vive ?</p>
<h2>Laïcité et altérité</h2>
<p>Arrêtons-nous d’abord sur la <a href="https://www.education.gouv.fr/lancement-d-une-campagne-nationale-de-promotion-de-la-laicite-l-ecole-324737">récente campagne de communication</a> ministérielle sur la laïcité. Permet-elle vraiment de clarifier les termes du débat actuel ou brouille-t-elle les pistes ? On y repère des élèves en classe, à la piscine, en cours de sport, à la bibliothèque, en récréation et on lit : « Permettre à Milhan et Aliyah de rire des mêmes histoires. C’est ça la laïcité », « Tout faire pour que Imrane, Axelle et Ismail pensent par eux-mêmes. C’est ça la laïcité », ou encore « Permettre à Sacha et Neissa d’être dans le même bain. C’est ça la laïcité ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1435171780486914048"}"></div></p>
<p>On ne voit pas de professionnels de l’éducation sur ces affiches. La laïcité serait-elle donc une question qui concerne seulement les élèves – de manière centrale les enfants issus de l’immigration, les personnages choisis y faisant en majorité référence ? Le message réassigne alors ces élèves à leurs identités… Élèves dont on sait par ailleurs qu’ils sont <a href="http://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/fatima-moins-bien-notee-que-marianne/">moins bien traités</a> par l’école.</p>
<p>On sait depuis des années que, sous les effets de la spécialisation sociale et culturelle du territoire, discriminations, inégalités et injustices <a href="https://www.afae.fr/produit/n-166-ecole-migration/">marquent encore plus</a> les expériences scolaires d’enfants d’immigrés, comme le montrent des chercheurs.</p>
<p>Enfin, cette campagne d’affichage sur la laïcité de la rentrée 2021 oblitère les concepts centraux de la laïcité que sont la liberté de conscience et la neutralité de la puissance publique. Elle relaie aussi le déni des appartenances plurielles qui ont ponctué la nation française, laissant à penser par l’utilisation des images et des prénoms que l’École doit uniformiser… Et que la diversité ne doit exister que dans la sphère privée.</p>
<p>Rappelons quand même que la liberté de pensée, de conscience et de religion est un droit fondamental, consacré par de nombreux textes nationaux et internationaux. Au plan européen, le texte majeur en la matière est, assurément, l’article 9 de la <em>Convention européenne des Droits de l’Homme</em> :</p>
<blockquote>
<p>« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »</p>
<p>« 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »</p>
</blockquote>
<h2>Confronter les représentations</h2>
<p>Si les enseignants ne figurent pas sur les affiches de la campagne de communication du ministère, la formation à la laïcité qui leur est apportée est essentielle d’autant qu’il s’agit d’une « question socialement vive ». Le cadre réduit de cet article ne permet pas d’en faire l’analyse qu’elle mérite. Mais nous mettrons en avant un outil, <a href="https://iea.u-cergy.fr/fr/manifestations-scientifiques/missions/conferences-et-workhops/conferences-et-workshops-2019/universite-des-artistes.html">l’Université des artistes</a>, mis en place à CY PARIS Université, qui en renouvelle l’approche.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/nbH1l5gYMOY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Colloque organisé par le laboratoire Bonheurs les 17 et 18 avril 2019.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ce dispositif expérimental mobilise le vécu des sujets grâce à la forme artistique pour construire et réinventer les modalités d’un « vivre-ensemble » dans l’établissement scolaire, en s’appropriant la laïcité. C’est un mode expérimental de formation des professeurs (stagiaires et statutaires) qui avait pour objet de penser autrement le rapport à l’altérité que produit la musique dans un « espace apprenant » inédit.</p>
<p>Tous les acteurs ont été conviés à discuter de travaux et/ou de pratiques en éducation autour de la laïcité, à partir de formes originales d’échanges : communications scientifiques, extraits de spectacles, rencontre avec des artistes, dialogue avec les chanteurs, documentaire, théâtre-forum, présentation de dispositifs mis en œuvre dans les établissements scolaires mais aussi les centres sociaux et une protection judiciaire de la jeunesse. Ce projet hybride de recherche-formation questionne les situations de « déséquilibre » que peuvent générer certaines situations scolaires.</p>
<p>Dans un mode républicain ancré sur l’abstraction d’un citoyen sans appartenance, et dans une forme scolaire qui en est l’incarnation, quand le dialogue peine à s’ouvrir, les injonctions moralisatrices sont souvent sans effet. Il s’agissait donc de proposer un dispositif où la parole des élèves comme celles de professeurs soit entendue au moyen d’une médiation par la forme artistique.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-cite-comment-les-enfants-la-percoivent-ils-151860">Laïcité : comment les enfants la perçoivent-ils ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>La thématique en était « la musique pour penser la laïcité : les musiques de la diversité peuvent-elles constituer des leviers d’apprentissage ? » Par musiques de la diversité, on entendait toutes les formes musicales qui se confrontent d’une manière ou d’une autre aux questions d’altérité : rap, reggae, chansons populaires, etc.</p>
<p>Le pari pédagogique était d’utiliser les objets de la culture adolescente » pour penser, pour apprendre le vivre-ensemble tout en permettant aux professeurs de se décaler de l’injonction pour relativiser leur propre mode d’appréhension de la « culture de l’autre » par un rôle de « spect-acteurs ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/GZ0EnJHUShk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les principes du théâtre-forum, à travers l’expérience d’une troupe à Montpellier (France 3 Occitanie, 2017).</span></figcaption>
</figure>
<p>En amont des deux journées, trente dispositifs ont été travaillés de concert par chercheurs et professionnels pendant un an. Il pouvait s’agir de la réalisation d’un film par des élèves, de la mise en œuvre de dispositifs de narration de soi grâce au rap ou à la chanson grâce à des ateliers biographiques, pensés pour donner du sens à la laïcité. Certains élèves ont pu ainsi écrire et enregistrer un CD avec un rappeur.</p>
<p>Pendant les deux journées, au-delà d’une rencontre-débat avec les artistes et d’un colloque scientifique classique, le théâtre-forum a été utilisé comme mode d’expression de soi des professeurs stagiaires et des élèves. Mise au point dans les années 1960 par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Augusto_Boal">Augusto Boal</a>, dans les favelas de São Paulo, cette technique permet aux sujets d’improviser à partir de situations problématiques de la réalité. Les scènes sont jouées devant un public qui va mettre en débat les situations. De quoi ouvrir des perspectives nouvelles dans un cadre sécurisant, permettant la circulation de la parole.</p>
<p>Des lycéens et jeunes d’une maison de quartiers, issus pour une grande partie des migrations postcoloniales, et un groupe de professeurs de l’INSPE (débutants ou en poste) ont ainsi joué des scènes inspirées de leur vécu quotidien de la laïcité.</p>
<p>En proposant deux modèles interprétatifs, la socialisation de récits d’expériences par le théâtre est propice à la compréhension et l’interprétation de ses propres expériences et de celles des autres. Chaque groupe est alors à l’écoute de la narration produite par l’autre groupe mais aussi par la salle (élèves,étudiants, éducateurs, parents, CPE, proviseurs, inspecteurs, chercheurs, artistes…).</p>
<p>Engager des élèves dans une confrontation de leurs représentations avec celles de leurs pairs et celles de professeurs est favorable à l’élaboration de leur point de vue, car ils sont d’emblée considérés comme des interlocuteurs à part entière, participant de façon active au processus d’appropriation et de construction de connaissances.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169190/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Beatrice Mabilon-Bonfils ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un an après l'assassinat de Samuel Paty, beaucoup d’enseignants sont démunis pour aborder la « question socialement vive » de la laïcité. L’université des artistes leur offre de nouveaux appuis.Beatrice Mabilon-Bonfils, Sociologue, Directrice du laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1610332021-05-18T17:31:23Z2021-05-18T17:31:23ZLe crowdfunding peut-il sauver le spectacle vivant ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/401028/original/file-20210517-19-2mz5ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C12%2C2035%2C1352&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Hellfest, 180&nbsp;000&nbsp;spectateurs lors de ses dernières éditions, n’aura pas lieu pour la deuxième année de suite.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Wikimedia Commons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Alors qu’il n’avait pas encore pris la décision d’annuler le festival pour une deuxième année consécutive, Ben Barbaud, le président du Hellfest, rendez-vous annuel incontournable pour tous les amateurs de métal qui compte dans le <a href="https://www.touslesfestivals.com/actualites/le-bilan-des-festivals-de-lannee-2019-191219">top 10 des festivals en termes de fréquentation</a> en 2019, n’excluait pas d’avoir recours au lancement d’une campagne de crowdfunding dans une <a href="https://www.lefigaro.fr/musique/ben-bardaud-patron-du-hellfest-le-risque-d-annuler-les-festivals-en-2021-est-important-20201001">interview</a> accordée au <em>Figaro</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Vu la fidélité et la loyauté du public, je pense que si je dois passer par une opération de ce type, il répondrait présent. »</p>
</blockquote>
<p>Les professionnels du monde du spectacle ont en effet souvent recours à cette méthode pour porter leurs projets. Citons ici aussi l’exemple de la RB Dance Company, troupe de danseurs claquettistes qui a financé par ce moyen le lancement de leur spectacle Stories, puis, tout récemment, de leur série de vidéos Barbarians.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4UVBOQ43tC4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Barbarians : on a besoin de vous ! (RB Dance Company, 10 avril 2021).</span></figcaption>
</figure>
<p>Le crowdfunding, ou financement participatif (l’expression se traduit littéralement par « financement par la foule »), peut être défini comme un effort collectif de personnes qui se rassemblent et donnent des fonds, en échange de contreparties ou non, dans le but de soutenir un projet créé par d’autres personnes ou organisations. Cette piste pourrait ainsi être envisagée pour faire face aux pertes générées par les confinements et la limitation à <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/covid-19-la-culture-se-deconfine-a-partir-du-19-mai-d-apres-le-calendrier-fixe-par-emmanuel-macron_4604359.html">35 % des capacités d’accueil</a> à partir du 19 mai.</p>
<p>Cette pratique de financement, alternative aux banques, est aujourd’hui bien établie et ses règles de fonctionnement sont maintenant bien comprises par les différents acteurs économiques. La barre <a href="https://financeparticipative.org/le-crowdfunding-depasse-le-milliard-en-2020/">du milliard d’euros</a> de financement a ainsi été dépassée en 2020, ce qui représente une hausse considérable de 62 % par rapport à 2019. Une partie de cette hausse s’explique par la mise en ligne d’un grand nombre de projets de solidarité suite à la crise sanitaire.</p>
<p>Un grand nombre de secteurs d’activités a recours au financement participatif, allant des industries culturelles aux nouvelles technologies en passant par la gastronomie. Cependant, le spectacle vivant possède un certain nombre de caractéristiques qui peuvent constituer des obstacles à la réussite d’une campagne de levée de fonds de ce type.</p>
<h2>L’éphémère, l’émotion et les contreparties</h2>
<p>Si la foule peut être tentée d’investir dans un projet durable comme la création d’une entreprise, un projet immobilier ou encore un nouveau produit technologique, la dimension éphémère du spectacle vivant peut en effet freiner de potentiels investisseurs.</p>
<p>De plus, le spectacle vivant reste un bien d’expérience dont l’évaluation repose plus sur l’émotion que sur des faits tangibles. Réussir à convaincre des individus de financer un projet de spectacle vivant en se fondant sur une description factuelle sans possibilité de le vivre se révèle être un challenge supplémentaire pour les porteurs de tels projets.</p>
<p>Enfin, le spectacle vivant reste majoritairement une activité à but non lucratif, ce qui peut limiter la mise en place de contreparties possiblement attractives pour les investisseurs en échange de leur don.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BFEbtWdZBzA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Présentation de l’orchestre des Petites Mains Symphoniques (janvier 2015).</span></figcaption>
</figure>
<p>Certains projets ont réussi avec succès leur campagne comme l’orchestre des Petites Mains Symphoniques qui a récolté plus de 33 000 euros en 2016. L’ensemble des éléments précités pose néanmoins la question des facteurs de réussite d’une campagne de financement participatif dans le domaine particulier du spectacle vivant.</p>
<h2>Rassembler les individus</h2>
<p>Dans nos recherches, nous nous sommes penchés sur le sujet en prenant le cas plus précis des festivals. Notre analyse de 364 projets dans tous les domaines (musique, danse, théâtre, arts de la rue, etc.) met en évidence, en premier lieu, <a href="https://rfg.revuesonline.com/articles/lvrfg/abs/2020/03/rfg00435/rfg00435.html">l’absence d’effet de réputation</a>. Un nouveau projet de festival a autant de chance d’obtenir son financement qu’un festival qui serait déjà bien établi et reconnu.</p>
<p>Ce résultat peut s’expliquer d’une part par le fait que les investisseurs potentiels ne portent leur attention que sur le projet de festival en question, sans prendre en considération les éventuelles précédentes éditions. D’autre part, un festival déjà établi peut donner l’impression qu’il n’a pas besoin d’aide pour se financer.</p>
<p>Les festivals qui ont le plus de chances de réussir leur campagne de collecte de fonds semblent posséder une forte dimension communautaire. Ils visent davantage à rassembler les individus plutôt que la célébration d’un art en particulier.</p>
<p>Par ailleurs, plus importante imagine-t-on la taille du festival, plus l’objectif de financement possède-t-il de chance d’être atteint. Le festival interceltique de Lorient, plus important festival organisé chaque année en France, réfléchissait d’ailleurs, avant la crise, <a href="https://www.ouest-france.fr/bretagne/lorient-56100/festival-interceltique-550-000-eu-recoltes-par-le-fonds-de-dotation-6470434">au fait d’y avoir recours</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/401027/original/file-20210517-19-yo556p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/401027/original/file-20210517-19-yo556p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/401027/original/file-20210517-19-yo556p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/401027/original/file-20210517-19-yo556p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/401027/original/file-20210517-19-yo556p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/401027/original/file-20210517-19-yo556p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/401027/original/file-20210517-19-yo556p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le Festival interceltique de Lorient réfléchit actuellement aux moyens d’attirer de nouveaux soutiens.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Étienne Valois/FlickR</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous montrons également que la proposition de contreparties n’a pas d’impact sur la décision des investisseurs potentiels. Celle-ci est davantage motivée par l’envie d’aider un projet que par la perspective de recevoir quelque chose en échange.</p>
<h2>Une opportunité à saisir</h2>
<p>L’ensemble de ces résultats amène à identifier certaines spécificités du crowdfunding dans le domaine du spectacle vivant. Contrairement à beaucoup de formes de financement participatif, où les internautes décident d’investir dans les projets qui leur paraissent les plus solides et offrant un maximum de garanties, le crowdfunding dans le spectacle vivant apparaît comme étant davantage <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S088390261300058X">guidé par l’affect et les émotions</a>. Plutôt que de chercher le projet avec le meilleur potentiel, les investisseurs espèrent avant tout aider un projet qui les touche.</p>
<p>Cette dimension solidaire semble plus importante encore dans le contexte de la crise de la Covid-19. Malgré les aides de l’État, certaines structures de l’industrie de la culture et du spectacle vivant se retrouvent dans une situation financière difficile qui peut aller jusqu’à remettre en cause leur existence.</p>
<p>Le financement participatif semble, dans ce contexte, constituer une opportunité à saisir pour les professionnels. La méthode avait par exemple contribué à sauver le <a href="https://www.helloasso.com/associations/motocultor-fest-prod/collectes/soutenez-le-motocultor-festival-1">Motocultor, festival breton de métal, en 2017</a>. Le baromètre du financement alternatif en France réalisé par Mazars et l’association Financement Participatif France atteste d’ailleurs de la très forte hausse des dons effectués au profit du spectacle vivant, passé d’environ 7 millions d’euros en 2019 <a href="https://financeparticipative.org/barometres-crowdfunding/">à plus de 20 millions en 2020</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161033/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Alors que le secteur subit fortement les effets de la crise, ce mode de financement pourrait apporter une aide précieuse.Damien Chaney, Professor, EM NormandieBruno Pecchioli, Professeur associé, ICN Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1595822021-05-11T17:58:18Z2021-05-11T17:58:18ZCes gestes qui comptent pour l’apprentissage des langues<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/398352/original/file-20210503-19-1yh5mq2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C1908%2C1258&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les gestes renforcent les messages que l'on transmet et aident au décodage de l'information.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/femme-en-manteau-noir-et-gris-portant-des-ecouteurs-rouges-3783110/">Andrea Piacquadio /Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Il vous est certainement déjà arrivé de discuter avec quelqu’un dans une langue que vous maitrisiez mal. Dans ce genre de situation, l’un des réflexes pour mieux comprendre ce qui se dit est de se baser sur les gestes ou les mimiques de son interlocuteur. Peut-être même celui-ci aura-t-il fait l’effort de souligner ou d’illustrer son discours par des gestes pour vous faciliter la tâche.</p>
<p>La majorité des professeurs de langue ont l’habitude de ce type de communication. En effet, lorsqu’ils parlent à leurs élèves dans la langue enseignée, ils ajoutent fréquemment des gestes de pointage, des mimes ou des expressions faciales à leurs propos. <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/j.0023-8333.2005.00320.x">Ces éléments kinésiques</a> facilitent le décodage des informations et l’accès au sens en langue étrangère.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-corps-a-t-il-encore-sa-place-dans-lenseignement-a-distance-157915">Le corps a-t-il encore sa place dans l’enseignement à distance ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Il n’est pas nécessaire de mimer chacun des mots que l’on prononce en langue étrangère, cela chargerait inutilement le discours et serait contre-productif. Il s’agit surtout d’illustrer les mots-clés, à partir desquels pour que les apprenants vont reconstituer le sens global de leurs énoncés.</p>
<p>Cela fonctionne aussi bien pour les adultes que pour les enfants à condition, pour ces derniers, que les gestes ne soient pas abstraits ou difficiles à décoder. Par exemple, un geste communément utilisé pour illustrer l’action de boire est de porter le pouce tendu vers sa bouche avec les autres doigts de la main repliés. Pour un adulte, cette configuration de la main représente une bouteille dont le pouce est le goulot. Or, pour des enfants de maternelle, ce geste peut être interprété comme signifiant <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00371029">« sucer son pouce »</a> puisqu’imaginer une bouteille relève d’un niveau d’abstraction trop complexe.</p>
<h2>Confiance et mémorisation</h2>
<p>Outre un effet positif sur la compréhension des énoncés, le recours à des gestes en classe peut aider à la mémorisation. Celle-ci <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00375251">est renforcée</a> lorsque l’enseignant produit des gestes avec de nouveaux mots de vocabulaire. Et lorsque les apprenants reproduisent ces gestes en répétant le lexique à apprendre, l’effet est <a href="https://www.researchgate.net/publication/244991432_Effects_of_imitating_gestures_during_encoding_or_during_retrieval_of_novel_verbs_on_children%27s_test_performance">encore plus important</a>. Cela fonctionne également pour l’apprentissage de <a href="https://4b2d29c6-5096-47fc-a118-e32fdd210bd5.filesusr.com/ugd/7dfab3_15427845831a44eca3ce91e474f725b9.pdf">la grammaire</a> et de <a href="https://moodle.umontpellier.fr/pluginfile.php/1252161/mod_resource/content/1/00_soulaine-2016-Interaction-Lairdil-EDLn%C2%B027-2017.pdf">la phonétique</a>.</p>
<p>Pourquoi cet effet ? Tout simplement parce qu’une information est mieux mémorisée si elle est encodée plusieurs fois, et de différentes manières. Si on ajoute un geste à un élément verbal et qu’on le fait en plus reproduire par les élèves, on crée un triple codage – auditif, visuel et moteur – ce qui <a href="https://moodle.umontpellier.fr/pluginfile.php/1252161/mod_resource/content/1/00_soulaine-2016-Interaction-Lairdil-EDLn%C2%B027-2017.pdf">consolide considérablement</a> la mémorisation à court terme et à long terme. De plus, impliquer le corps des apprenants apparait essentiel pour le maintien de l’attention et la mémorisation.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398346/original/file-20210503-19-qcs9ke.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398346/original/file-20210503-19-qcs9ke.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398346/original/file-20210503-19-qcs9ke.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398346/original/file-20210503-19-qcs9ke.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398346/original/file-20210503-19-qcs9ke.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398346/original/file-20210503-19-qcs9ke.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398346/original/file-20210503-19-qcs9ke.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Oser s’exprimer dans une langue qu’on maitrise mal peut s’apprendre par des techniques qui impliquent le corps.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Marion Tellier</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En effet, s’exprimer dans une langue étrangère devant d’autres personnes (ses camarades de classe ou des étrangers) est, pour beaucoup d’apprenants, une épreuve difficile à surmonter. Avoir peur de faire des erreurs, de prononcer mal, de bafouiller, de ne pas arriver à s’exprimer ou de ne pas être compris peut être un moment stressant, décourageant, voire paralysant. Savoir surmonter sa peur de parler devant les autres et oser s’exprimer dans une langue qu’on maitrise mal peut s’apprendre par des techniques qui impliquent le corps.</p>
<p>En effet, avant de poser des mots en langue étrangère, on apprendra à prendre confiance corporellement avant d’ajouter le verbal à son expressivité. De nombreuses initiatives pédagogiques et projets de recherche mettent en avant les bienfaits de ces techniques corporelles pour l’apprentissage des langues que ce soit par la <a href="https://moodle.umontpellier.fr/pluginfile.php/1252161/mod_resource/content/1/00_soulaine-2016-Interaction-Lairdil-EDLn%C2%B027-2017.pdf">danse</a> ou par le <a href="https://moodle.umontpellier.fr/pluginfile.php/1252161/mod_resource/content/1/00_soulaine-2016-Interaction-Lairdil-EDLn%C2%B027-2017.pdf">théâtre</a>, par exemple.</p>
<h2>Un rôle de chef d’orchestre</h2>
<p>Si l’implication du corps en général est bénéfique pour l’apprentissage, elle l’est aussi pour l’enseignement. Car la gestuelle est un véritable outil pédagogique pour l’enseignant et peut <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00371029">remplir différentes fonctions</a>. La première fonction est celle d’information. Lorsque l’on enseigne une langue, on transmet des informations sur le lexique, la grammaire, la prononciation ou encore la façon de communiquer dans la langue. La gestuelle pédagogique utilisée par l’enseignant permet d’illustrer ces éléments : par exemple en mimant des verbes d’action pour les faire comprendre ou encore en montrant la position des lèvres pour prononcer un son ou en faisant des mouvements ascendants ou descendants pour indiquer une intonation.</p>
<p>La deuxième fonction est celle d’animation qui comprend à la fois les gestes utilisés pour donner des consignes (montrer trois avec ses doigts en disant « vous allez travailler par groupes de trois » par exemple) et les gestes pour réguler les prises de parole (pointer vers un apprenant pour l’interroger, faire un geste de la main paume vers le ciel pour lui demander de parler plus fort ou encore un chut avec l’index sur la bouche en direction d’élèves bavards).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398347/original/file-20210503-21-1ondlk2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398347/original/file-20210503-21-1ondlk2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398347/original/file-20210503-21-1ondlk2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398347/original/file-20210503-21-1ondlk2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398347/original/file-20210503-21-1ondlk2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=432&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398347/original/file-20210503-21-1ondlk2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=432&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398347/original/file-20210503-21-1ondlk2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=432&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La gestuelle de l’enseignant permet de transmettre des informations.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Marion Tellier</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Enfin, la dernière fonction est celle d’évaluation. Elle sert à donner un retour sur une intervention d’un apprenant en l’encourageant sans l’interrompre verbalement (par des sourires et des hochements de tête par exemple) ou en lui signalant une erreur pour qu’il s’autocorrige (par un froncement de sourcils ou encore un index levé). Dans ces différentes fonctions, le geste peut être redondant avec la parole mais peut aussi la compléter, voire s’y substituer (dans le cas où on ne veut pas interrompre l’apprenant par exemple).</p>
<p>Dernier aspect intéressant, l’enseignant <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00371029">utilise également son corps</a> pour se démultiplier. Dans la classe, il doit gérer simultanément plusieurs actions. À la manière d’un chef d’orchestre, il peut réguler les prises de parole : pointer de la main droite vers une apprenante qu’il interroge, tout en indiquant de la main gauche à un autre apprenant qu’il doit attendre son tour, en scrutant le reste de la classe du regard pour s’assurer de son attention.</p>
<h2>Des ressources à intégrer</h2>
<p>On peut sans peine imaginer comment la crise sanitaire que nous traversons actuellement bouleverse la gestuelle pédagogique de l’enseignant de langue. Tout d’abord, le visage masqué rend la compréhension orale et la prononciation particulièrement complexes lorsqu’on ne voit pas les lèvres de l’enseignant. Il se doit donc de compenser avec le regard ou des indications manuelles. Les initiatives pédagogiques évoquées plus haut impliquant la danse ou le théâtre sont difficiles à mettre en œuvre au temps de la distanciation sociale et on incite plutôt les élèves à rester assis dans leur bulle sanitaire plutôt qu’à se déplacer dans la classe.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398348/original/file-20210503-13-hw5rn1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398348/original/file-20210503-13-hw5rn1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398348/original/file-20210503-13-hw5rn1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398348/original/file-20210503-13-hw5rn1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398348/original/file-20210503-13-hw5rn1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398348/original/file-20210503-13-hw5rn1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398348/original/file-20210503-13-hw5rn1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La gestuelle pédagogique peut avoir une fonction d’animation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Marion Tellier</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Quant à l’enseignement à distance en visioconférence, il complique également les choses : impossible de pointer vers un élève, difficile de jouer sur les regards et obligatoire de produire des gestes dans le cadrage restreint de la webcam.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/enseigner-avec-un-visage-masque-un-defi-137728">Enseigner avec un visage masqué : un défi ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Pour conclure, la question de la formation des enseignants se pose. Comme pour leurs apprenants, prendre la parole devant un groupe, accepter les regards scrutateurs des élèves sur soi, oser mimer de manière ostensible et exagérer ses mimiques faciales pour théâtraliser son corps <a href="https://journals.openedition.org/apliut/6079">ne va pas toujours de soi</a> pour les enseignants novices.</p>
<p>De la même façon que l’on forme les acteurs à exprimer avec leur corps, on doit former les enseignants (et pas seulement les enseignants de langue), en utilisant par exemple des pratiques théâtrales et de la vidéoscopie. Cela ne signifie pas formater les enseignants en leur imposant une gestuelle à adopter mais plutôt les aider à optimiser leurs ressources. Un professeur souriant, bien dans son corps, avec une gestuelle illustrative et visible et un regard englobant tous ses élèves sera plus efficace dans son métier et saura capter l’attention. «»</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159582/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marion Tellier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quand on parle de s’initier à l’anglais, l’allemand ou encore à l’espagnol, on se préoccupe souvent des questions d’accent. Mais la gestuelle intervient aussi dans l’acquisition d’une nouvelle langue.Marion Tellier, Professeure des Universités en didactique des langues, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1577542021-03-31T19:49:27Z2021-03-31T19:49:27ZCulture vivante : « West Side Story » ou le crépuscule des caïds<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/392849/original/file-20210331-21-of66gd.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C11%2C946%2C487&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Détail de l'affiche du film, 1961. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.senscritique.com/film/West_Side_Story/461677/images">senscritique</a></span></figcaption></figure><p><em>En ces temps si troublés pour le monde culturel, les chercheuses et chercheurs en sciences sociales se mobilisent pour parler d’œuvres qu’ils aiment (littérature, théâtre, cinéma, musique…) à travers notre série d’articles « Culture vivante » : parce que la culture nourrit toutes les disciplines et qu’elle irrigue autant la réflexion académique que l’imaginaire collectif.</em></p>
<hr>
<p>Pour bien des boomers, les années 60 ont commencé sur un air de <em>West Side Story</em> : « Maria » pour les plus romantiques, « I Feel Pretty » pour les amateurs de mélodies entraînantes. Sorti pour Noël, le 13 décembre 1961, après une Première new-yorkaise à grand retentissement mi-octobre, arrivé en France le 2 mars 62, le film de Robert Wise ne s’est pas contenté de rafler dix Oscars : il a marqué toute une génération, il lui a « parlé » selon l’expression consacrée. Que lui racontait-il pour plaire autant ?</p>
<h2>De Broadway à Hollywood</h2>
<p>Avant d’être un film, <em>West Side Story</em> est une comédie musicale créée le 26 septembre 1957 au Winter Garden Theatre, sur Broadway, où elle occupe l’affiche pendant 732 représentations avant de partir en tournée dans tous les USA et de triompher à Londres. Écrit par Stephen Sondheim et Arthur Laurents, chorégraphié par Jerome Robbins sur une musique de Leonard Bernstein, le spectacle transpose Roméo et Juliette dans l’univers des gangs new-yorkais. Le conflit des Montaigu et des Capulet cède le pas à la rivalité des Jets et des Sharks pour le contrôle de leur quartier.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/392845/original/file-20210331-17-116uimm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/392845/original/file-20210331-17-116uimm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/392845/original/file-20210331-17-116uimm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/392845/original/file-20210331-17-116uimm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/392845/original/file-20210331-17-116uimm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/392845/original/file-20210331-17-116uimm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/392845/original/file-20210331-17-116uimm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Entrée du Winter Garden Theatre pendant la saison 1957.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le livret s’empare ainsi d’une actualité tellement brûlante que Jerome Robbins, lors des répétitions, tapisse les murs de coupures de journaux pour communiquer aux danseurs la rage des combats de rue. L’œuvre s’inscrit dans une préoccupation d’époque à l’égard de la délinquance juvénile. Trois grands films s’y étaient intéressés dans les années précédentes : <em>The Wild One</em> (<em>L’Équipée sauvage</em>) avec Marlon Brando en 1953, <em>Blackboard Jungle</em> (Graine de violence) de Richard Brooks en 1955 et, la même année, <em>Rebel Without a Cause</em> (<em>La Fureur de vivre</em>) avec James Dean. Broadway emboîte le pas à Hollywood et renouvelle au passage un genre très codé en intégrant la culture urbaine avec l’écho des sifflements ou les claquements de doigts, et bien sûr son décor de briques et de stades grillagés. <em>West Side Story</em> est d’emblée un spectacle hybride, à mi-chemin de l’idéalisation propre à la scène lyrique et du réalisme du cinéma.</p>
<p>Helen Smith a bien montré comment le scénario s’affranchit des règles de la comédie musicale en dotant les rôles secondaires d’une véritable identité ; et aussi de quelle manière, tout en respectant assez la tragédie shakespearienne, il décentre discrètement le sujet du couple principal à la représentation de la ville. Tout le monde reconnaît la scène du balcon quand les amoureux entonnent « Tonight » en duo ; mais transposée sur des escaliers de secours new-yorkais, elle permet un jeu avec les barreaux qui souligne à quel point le pittoresque même de Manhattan les sépare.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/392844/original/file-20210331-15-1pxnus0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/392844/original/file-20210331-15-1pxnus0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=245&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/392844/original/file-20210331-15-1pxnus0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=245&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/392844/original/file-20210331-15-1pxnus0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=245&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/392844/original/file-20210331-15-1pxnus0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=308&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/392844/original/file-20210331-15-1pxnus0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=308&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/392844/original/file-20210331-15-1pxnus0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=308&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Même l’architecture de Manhattan semble vouloir les séparer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Carlotta films</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une histoire américaine</h2>
<p>Le drame de la délinquance se greffe sur la question de l’émigration. Si les Jets méprisent les Sharks, c’est parce qu’ils se considèrent comme de vrais Américains par opposition à ces Portoricains, originaires d’une île qui avait acquis en 1952 le statut ambigu d’État libre associé aux États-Unis.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/392852/original/file-20210331-19-1vijnua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/392852/original/file-20210331-19-1vijnua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=827&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/392852/original/file-20210331-19-1vijnua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=827&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/392852/original/file-20210331-19-1vijnua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=827&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/392852/original/file-20210331-19-1vijnua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1040&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/392852/original/file-20210331-19-1vijnua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1040&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/392852/original/file-20210331-19-1vijnua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1040&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Couverture du programme de théâtre pour la pièce d’Israël Zangwill, The Melting Pot, 1908.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/The_Melting_Pot_(play)#/media/File:TheMeltingpot1.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Leur querelle interroge le mythe du creuset culturel par lequel l’Amérique s’est longtemps définie. En 1947, Jerome Robbins avait envisagé d’aborder les tensions liées à l’antisémitisme. Le spectacle serait venu démentir l’optimisme de <em>The Melting Pot</em>, la pièce d’Israel Zangwill qui avait popularisé l’expression en 1908. Le chorégraphe pensait mettre en scène l’East Side. Le déplacement de l’intrigue l’a rendue plus actuelle.</p>
<p>Par-delà la couleur de peau qui, même à l’époque, a valu quelques critiques à Robert Wise sur son manque d’acteurs hispaniques – seule Rita Moreno est portoricaine –, Jets et Sharks s’opposent par l’hétérogénéité de leurs milieux. Les premiers se rassemblent pour compenser la défaillance des structures familiales dans lesquelles ils ont grandi. La chanson « Gee, Officer Krupke » dresse avec un humour caustique le diagnostic de la maladie sociale (« social disease ») dont ils souffrent.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/j7TT4jnnWys?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Comme Riff, leur leader, le déclare dans la « Jet Song » du début, le gang leur donne des frères et une famille. Les seconds ont tout cela à l’envi. Chez eux, c’est la prégnance du patriarcat qui fait des ravages : la tutelle autoritaire que Bernardo exerce sur sa sœur Maria est mise en avant ; le père de cette dernière intervient à plusieurs reprises lorsque Tony vient la retrouver dans la ruelle.</p>
<p>En revanche, les deux communautés partagent une même logique d’exclusion. Au rejet des Jets répond, chez les Sharks, un refus de l’assimilation qu’ils expriment dans « America ». Sur ce point néanmoins, l’air orchestre une totale divergence de point de vue entre les filles et les garçons. Tandis que les premières célèbrent l’American Way of Life et la société de consommation, les seconds se montrent attachés à leur identité et focalisés sur le racisme des blancs.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YhSKk-cvblc?wmode=transparent&start=67" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Si l’union de Tony et de Maria apparaît impossible à tout le monde, sauf à eux, c’est que pour chacun des deux gangs, elle relève de l’exogamie, alors qu’elle va précisément dans le sens de la mixité ethnique que devrait favoriser le melting pot.</p>
<h2>Puérilité des gangs</h2>
<p>Contrairement au conflit qui va dans le sens de l’actualité, la romance irait donc dans celui de la mythologie américaine. Pour cela, elle amorce et appelle de ses vœux une redéfinition des codes de la virilité qui prévalaient depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Les bandes de voyous qui, depuis <em>The Wild One</em>, faisaient figure de matrices de la masculinité – fût-ce, bien sûr, pour être moralement dénoncées en tant que telles – se retrouvent ici disqualifiées dans ce rôle. Elles apparaissent comme une étape juvénile du développement, visant à se rassurer. Leurs membres peuvent bien crâner, ce ne sont tous que des gosses.</p>
<p>Le personnage le plus mûr est incontestablement celui de Tony, qui a certes fondé les Jets mais qui les a quittés. Riff, son successeur et ami, ne comprend pas ce qui l’a poussé à préférer un emploi de commis dans la boutique de Doc. Mais la chanson qui nous le présente, « Something’s Coming », éclaire ses motivations : il attend mieux de la vie que les bagarres de rue. Il veut croire à un « miracle » dans son quotidien, il a délaissé la rage au profit de l’espoir et ne confond plus virilité et caïdat.</p>
<p>Son malheur est que le passé va le rattraper. Mais il ne tue Bernardo, le frère de Maria, que sous l’effet de la rage, pour venger Riff, après avoir essayé d’interrompre la rixe qui doit décider de la suprématie d’un camp sur l’autre. Son geste malheureux et, pour finir, sa propre mort viennent donner le poids d’une fatalité aux paroles de Riff, sur lesquelles s’ouvrent « Jet Song » : « When you’re a Jet/You’re a Jet all the way/From your first cigarette/To your last dyin’ day » (Quand t’es un Jet, t’es un Jet jusqu’au bout, de ta première cigarette à ton dernier souffle »). La logique des bandes est un piège et un engrenage mortifère. Elle empêche Tony de jouir de son miracle quand il advient sous les traits de Maria.</p>
<h2>Triomphe de l’amour</h2>
<p><em>West Side Story</em> achève une réorientation de la virilité engagée dans <em>Rebel Without a Cause</em>. Les deux succès sont d’ailleurs liés à plus d’un titre : James Dean avait été pressenti pour créer le rôle de Tony à Broadway et, à l’écran, Natalie Wood incarne aussi bien Judy que Maria, les héroïnes des deux films. Elle est le visage d’une féminité qui permet le plein épanouissement de la masculinité dans l’amour, non dans la haine et la peur de l’autre. Elle réussit là où Cathy échouait dans <em>The Wild One</em>, puisqu’à la fin Marlon Brando alias Johnny partait sans l’emmener.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DyofWTw0bqY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>En quatre années, entre la sortie de <em>The Wild One</em> en 1953 et la création de <em>West Side Story</em> en 1957, la sauvagerie mâle a perdu son prestige au profit d’une virilité apaisée par l’ouverture aux vertus féminines. Cathy restait fascinée par la force brute ; Judy, dans <em>Rebel Without a Cause</em>, frayait encore avec le gang de Buzz dont elle était la petite amie jusqu’à sa mort tragique ; Maria, elle, s’inscrit d’emblée en retrait des querelles ethniques. Elle ne songe qu’à se faire belle pour s’amuser au bal.</p>
<p>Le contraste avec son amie Anita est frappant. Celle-ci nourrit encore le culte de la violence. Elle n’hésite pas à vanter les prouesses amoureuses de Bernardo après ses batailles rangées. Pour son malheur, elle subit, hélas ! l’envers du machisme qui l’émoustille, quand elle se fait violenter par les Jets dans l’échoppe du Doc. Et le mensonge qu’elle profère alors par vengeance en annonçant la mort de Maria déclenche la tragédie finale. Elle est l’alliée objective d’un système dont elle est victime.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/392856/original/file-20210331-15-12m2bgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/392856/original/file-20210331-15-12m2bgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/392856/original/file-20210331-15-12m2bgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/392856/original/file-20210331-15-12m2bgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/392856/original/file-20210331-15-12m2bgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/392856/original/file-20210331-15-12m2bgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/392856/original/file-20210331-15-12m2bgr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Photo promotionnelle de la version de Steven Spielberg, annoncée pour 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">20th Century Fox</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Contrairement à elle, Maria ne se reconnaît pas dans la jeunesse belliqueuse, mais plaide en faveur des sentiments, de l’insouciance et du divertissement. Elle sonne la relève de l’amour pour une génération égarée par le culte de la virilité agressive. La mort de Tony, que Chino abat par vengeance autant que par jalousie, douche l’espoir d’une fin heureuse. Mais dans son rôle de veuve, coiffée d’un voile noir, Maria opère l’improbable réconciliation des clans ennemis autour de son cadavre. Dévastée, elle n’en triomphe pas moins sur le plan des valeurs.</p>
<p>Steven Spielberg et Disney, via 20th Century Studios, annoncent pour le mois de décembre prochain une nouvelle version de la comédie musicale. On guettera avec intérêt leur manière de traiter des sujets comme le racisme et le machisme, qui n’ont rien perdu de leur actualité. Mais ce sera aussi l’occasion de mesurer quelles vertus régénératrices notre époque prête encore à l’amour.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157754/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Chelebourg ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur une comédie musicale qui a marqué toute une génération.Christian Chelebourg, Professeur de Littérature française et Littérature de jeunesse, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1559832021-02-25T18:01:20Z2021-02-25T18:01:20Z« In extenso » : Le petit théâtre d’Emmanuel Macron<p><em><strong>« In extenso »</strong>, des podcasts en séries pour faire le tour d’un sujet.</em></p>
<hr>
<p>Erreurs ou exploits de communications, discours savants, usage du mensonge ou du silence, vagues médiatiques, mobilisation de l’opinion, émotions et réseaux sociaux : comment la politique joue – t-elle de nos affects ?</p>
<p>Bienvenue sur « En scène ! Dans les coulisses de la politique » le podcast qui décrypte quelques-uns des outils de la communication politique.</p>
<p>Difficile de ne pas aborder ces questions sans d’abord se tourner vers le premier des représentants de la nation, le président de République.</p>
<p>Comment Emmanuel Macron s’est-il mis en scène avant même le début de son quinquennat ? Comment son image a-t-elle évolué jusque parfois, à la contradiction ? Et comment tente-t-il de la maintenir en période de crises ?</p>
<p>Pour répondre à ces questionnements, j’ai le grand plaisir d’accueillir dans notre premier épisode, Bruno Cautrès, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po et fin observateur de la vie politique française.</p>
<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/60365ee12c4f464eb320912b?cover=true&ga=false" frameborder="0" allow="autoplay" width="100%" height="110"></iframe>
<p><a href="https://open.spotify.com/episode/42ZMz8lP3TgZhdxs0eCujJ?si=r-odi8N2RJ6Rxyq4Pa1BnA"><img src="https://images.theconversation.com/files/321535/original/file-20200319-22606-1l4copl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=183&fit=crop&dpr=1" width="268" height="70"></a> <a href="https://soundcloud.com/theconversationfrance/en-scene-dans-les-coulisses-de"><img src="https://images.theconversation.com/files/359064/original/file-20200921-24-prmcs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=218&fit=crop&dpr=2" alt="Listen on SoundCloud" width="268" height="70"></a> <a href="https://podcasts.apple.com/fr/podcast/en-sc%C3%A8ne-dans-les-coulisses-de-la-politique-1-6/id1552192784?i=1000510474810"><img src="https://images.theconversation.com/files/321534/original/file-20200319-22606-q84y3k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=182&fit=crop&dpr=1" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p>
<hr>
<p><em>Références musicales et extraits sonores/vidéos :<br>
- <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Z5wJjqkcfJI">Jimmysquare, Like Apollo</a><br>
- <a href="https://www.youtube.com/watch?v=YvMcAyfaZtM">Meeting à l’Accor Aréna</a>, 13 décembre 2016<br>
- <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3p4iZF6o9jE">Emmanuel Macron en déplacement à St Martin</a>, 2018<br>
- <a href="https://www.youtube.com/watch?v=FHMy6DhOXrI">Emmanuel Macron lors d’une rencontre avec un jeune horticulteur</a>, septembre 2018<br>
- <a href="https://www.youtube.com/watch?v=BhQhN7DUv9k">Visite d’État à Jérusalem</a>, janvier 2020<br>
- <a href="https://www.youtube.com/watch?v=aaW4lP4MeZw">Emmanuel Macron évoque Robinson Crusoé</a>, 6 mai 2020<br>
- <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9Rsf_gZxdmo">Emmanuel Macron fustige les 66 millions de procureurs</a>, Paris-Saclay, janvier 2021.</em></p>
<p><em>Références bibliographiques :<br>
- <a href="https://www.lesechos.fr/2017/07/14-juillet-macron-se-pose-en-pere-de-la-nation-remercie-les-etats-unis-et-larmee-176115">« Emmanuel Macron, se pose en père de la nation »</a>, Les Echos.</em></p>
<p><em>Références sur The Conversation :<br>
- <a href="https://theconversation.com/gouvernement-le-casting-a-tatons-de-macron-142218">« Gouvernement : le casting à tâtons de Macron »</a><br>
- <a href="https://theconversation.com/acte-ii-un-nouveau-macron-entre-en-scene-128030">« Acte II : un “nouveau Macron” entre en scène »</a><br>
- <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-quelles-valeurs-actuelles-126448">« Emmanuel Macron, quelles valeurs actuelles ? »</a><br>
- <a href="https://theconversation.com/jupiter-macron-tente-de-rejouer-la-carte-du-nous-avec-les-francais-109909">« “Jupiter” : Macron tente de rejouer la carte du “nous” avec les Français »</a>.</em></p>
<hr>
<p><em>Conception Clea Chakraverty. Production, Romain Pollet</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155983/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Comment Emmanuel Macron s’est-il mis en scène avant même le début de son quinquennat? Comment son image a-t-elle évolué jusque parfois, à la contradiction ?Clea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1551872021-02-16T19:26:28Z2021-02-16T19:26:28ZFaut-il rester à sa place en entreprise ? Des vertus de l’ultracrépidarianisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/384007/original/file-20210212-23-ft7laa.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C0%2C1196%2C900&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fresque du salon de la Casa Vasari en Toscane : Apelle et le cordonnier.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Casa_vasari_FI,_salone,_storie_di_apelle_02.JPG">Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Dans le film <a href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=52316.html"><em>The Machinist</em></a> réalisé par <a href="http://www.allocine.fr/personne/fichepersonne_gen_cpersonne=25177.html">Brad Anderson</a>, les spectateurs découvrent le personnage de Trevor Reznik joué par <a href="http://www.allocine.fr/personne/fichepersonne_gen_cpersonne=8471.html">Christian Bale</a>. Reznik est ouvrier dans une usine où règne un bruit assourdissant et où le moindre moment d’inattention peut avoir des conséquences dramatiques. Une attention que Reznik a bien du mal à maintenir, car il est très fatigué. En effet, il n’a pas dormi depuis un an.</p>
<p>À la sixième minute du film, les spectateurs font la connaissance de M. Tucker, un contremaître qui joue les petits chefs et qui excelle dans les formules sarcastiques. Il incarne à merveille le « sale con certifié » analysé par le professeur de management <a href="https://www.gsb.stanford.edu/faculty-research/faculty/robert-i-sutton">Robert Sutton</a> dans son ouvrage <a href="https://journals.openedition.org/communicationorganisation/403"><em>Objectif zéro-sale-con</em></a>.</p>
<p>Alors que le contremaître menace un des ouvriers de récupérer des minutes de retard sur son salaire, Reznik le rappelle à l’ordre en invoquant le règlement de l’usine. Résultat : le contremaître balaie d’un revers de la main la législation et Reznik est directement « blacklisté ». Par conséquent, Reznik a osé sortir de son pur travail d’exécutant et finit vilipendé par son supérieur.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yEPGTD5K5kM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du film <em>The Machinist</em> réalisé par Brad Anderson (Paramount Classics, 2004).</span></figcaption>
</figure>
<p>Dès lors, faut-il rester à sa place en entreprise ? Que faut-il penser du salarié qui expose à son manager une position divergente sur la gestion de son équipe ou plus largement sur ses choix stratégiques ? Ce salarié doit-il être remis à sa place par le manager ou doit-il lui laisser un espace de dialogue ouvert pour recueillir ses doléances ?</p>
<h2>L’obéissance comme principe de base au travail</h2>
<p>De prime abord, l’obéissance aux injonctions hiérarchiques fait partie des principes de base des relations entre les managers et leurs collaborateurs. L’existence d’un <a href="https://code.travail.gouv.fr/glossaire/lien-de-subordination">lien de subordination</a> est d’ailleurs un des critères essentiels pour définir une relation de travail. Il y a d’un côté ceux qui encadrent et de l’autre, ceux qui mettent à exécution.</p>
<p>En 1951, la philosophe <a href="https://www.franceculture.fr/personne-simone-weil.html">Simone Weil</a> évoquait déjà cette question dans <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/La-Condition-ouvriere"><em>La Condition ouvrière</em></a> lorsqu’elle distinguait le monde de la pensée du monde de l’automatisme manufacturier :</p>
<blockquote>
<p>« La pensée demande un effort presque miraculeux pour s’élever au-dessus des conditions dans lesquelles on vit [à l’usine]. Car ce n’est pas là comme à l’université, où on est payé pour penser ou du moins pour faire semblant ; là, la tendance serait plutôt de payer pour ne pas penser ».</p>
</blockquote>
<p>Cette dichotomie entre ceux qui pensent et ceux qui exécutent, entre ceux qui encadrent et ceux qui travaillent pose la question du respect des cadres, à la fois au sens des limites établies entre chaque métier et au sens des salariés investis d’une fonction de commandement ou de contrôle dans l’entreprise.</p>
<p>C’est en tout cas ce qu’interroge le philosophe <a href="https://www.franceculture.fr/personne/frederic-gros">Frédéric Gros</a> dans son ouvrage <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/desobeir-9782226395283"><em>Désobéir</em></a>. Pour lui, il semble opportun de désobéir uniquement par conviction ou par consentement plutôt que par habitude. En effet, il est nécessaire d’éviter de convertir l’insoumission en posture ou en règle de vie systématique afin de ne pas sombrer dans une désobéissance aveugle et sectaire.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/FPYKlOGEbxc?wmode=transparent&start=1" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Un manager doit savoir désobéir (Ghislain Deslandes, 2018).</span></figcaption>
</figure>
<p>Finalement, le pas de côté, la sortie du rang doivent se faire avec finesse pour éviter le dérapage incontrôlé et inopérant. De nouvelles formes organisationnelles, comme les <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/lentreprise-liberee-9782213705408">entreprises libérées</a> ou des évolutions managériales, comme les <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2013-4-page-32.htm">évaluations à 360°</a>, semblent annonciatrices d’une plus grande porosité entre les savoir-faire et d’un espace de dialogue possible entre les fonctions organisationnelles. Dès lors, que faut-il penser de cette possibilité offerte aux collaborateurs de sortir de leurs domaines d’expertise ?</p>
<h2>La question de l’ultracrépidarianisme</h2>
<p>Dans son <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2820810"><em>Histoire naturelle</em></a>, l’écrivain romain Pline l’Ancien rapporte l’histoire du peintre <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/apelle/">Apelle</a> et de son cordonnier. Alors que le peintre était en train de représenter une chaussure, il demanda au cordonnier si celle-ci était correctement réalisée. Le cordonnier s’approcha et lui signala une erreur dans la représentation de la sandale. Le peintre corrigea aussitôt son œuvre. C’est alors que le cordonnier entreprit de critiquer le reste du tableau et le peintre lui assena : « sutor, ne ultra crepidam » (« cordonnier, pas plus haut que la chaussure »).</p>
<p>En 1819, le terme <a href="https://dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/ultracrepidarian">« ultracrepidarian »</a> fait son apparition sous la plume de l’essayiste britannique <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/william-hazlitt/">William Hazlitt</a> dans une lettre adressée à <a href="https://data.bnf.fr/fr/10396314/william_gifford/">William Gifford</a>, alors rédacteur en chef de la revue <a href="https://www.oxfordreference.com/view/10.1093/oi/authority.20110803100357945"><em>The Quarterly Review</em></a>. Dans le même esprit que la citation latine originelle, l’ultracrepidarian désigne une personne qui émet un avis sur des sujets qui dépassent sa compétence.</p>
<p>Lors d’une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=s4lF9ExiR8s">prise de parole</a> en juin 2020, l’essayiste français <a href="https://idrissaberkane.org/index.php/fr/">Idriss Aberkane</a> est revenu sur l’origine de ce mot pour en souligner la connotation majoritairement péjorative. De façon générale, l’ultracrepidarian est l’archétype de l’idiot qui sort de son champ de compétences pour débiter des absurdités. C’est en tout cas ce que stipule le philosophe des sciences <a href="https://www.youtube.com/watch?v=f89WVeqWe-M">Étienne Klein</a> qui présente l’ultracrépidarianisme comme le fait de « parler avec assurance de choses que nous ne connaissons pas ». Qu’en est-il réellement ? Existe-t-il un ultracrépidarianisme positif ?</p>
<h2>Retour à Molière</h2>
<p>Dans un article précédent intitulé « Le manager malgré lui », l’objectif était de s’appuyer sur la caricature des médecins du Grand Siècle réalisée par Molière dans <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/etonnants-classiques/theatre/le-medecin-malgre-lui"><em>Le Médecin malgré lui</em></a> pour penser la bêtise dans les organisations.</p>
<p>La pièce était l’occasion de distinguer deux formes de bêtise. Tout d’abord, une bêtise première et essentielle qui est celle de l’inculte, de l’ignorant et de l’incompétent. Si on suit la lettre du texte de Molière, cette bêtise première est incarnée par Sganarelle, ce bûcheron ivrogne converti en médecin pour échapper aux coups de bâton.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1214013762610618369"}"></div></p>
<p>Tout au long de la pièce, il s’ingénie à dispenser de véritables consultations. Sa première patiente est la fille de Géronte. Feignant d’être souffrante pour échapper au mariage organisé par son père, la jeune femme se livre sans broncher à l’examen fantaisiste de ce faux médecin.</p>
<p>Pour comprendre le mutisme de sa fille, Géronte demande des explications à Sganarelle : « je voudrais bien que vous me pussiez dire d’où cela vient ». Sganarelle répond alors par un truisme : « il n’est rien plus aisé : cela vient de ce qu’elle a perdu la parole ». En pratiquant une médecine fantasque, Sganarelle incarne l’ultracrépidarianisme originel de l’ignare notoire qui sort de son domaine de compétence pour se complaire dans l’incurie la plus totale.</p>
<p>La deuxième forme de bêtise mise en lumière par Molière est beaucoup plus sournoise et pernicieuse. C’est celle de l’homme qui pense que l’intelligence est le meilleur moyen d’échapper à la bêtise. C’est ce que le philosophe <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Le-reel-et-son-double">Clément Rosset</a> appelle la « bêtise du second degré ». Il s’agit d’une bêtise intelligente mais foncièrement incurable puisque l’imbécile croit qu’il est déjà sauvé. Cette bêtise du second degré n’est plus une affaire de contenu mais bien une affaire de forme.</p>
<p>Dès lors, si on s’appuie sur l’esprit de la pièce de Molière, il faut dépasser le cas particulier de Sganarelle pour s’intéresser à la mentalité des médecins du Grand Siècle. Dans <em>Le Médecin malgré lui</em>, Molière pourfend tous ces médecins omnipotents qui brandissent les sentences latines comme gages de leur savoir inébranlable.</p>
<p>Les médecins de ce type n’hésitent pas à diviser le monde entre les élus qui savent et dont ils font partie et la masse grouillante des ignorants. Ce sont tous ces médecins qui traitent leurs patients de la même manière que le peintre Apelle rabroue son cordonnier. Lorsqu’un patient s’aventure à émettre des réserves ou à formuler des hypothèses divergentes, il se voit alors rétorquer la sentence ultime « mais vous n’êtes pas médecin ! ». Des formules de ce type ont d’ailleurs été brandies à tout-va pendant la crise du coronavirus.</p>
<p>En rhétorique, ce type de pratique s’appelle <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1760111">l’empoisonnement du puits</a>. Il s’agit de discréditer son interlocuteur pour ridiculiser tout ce qu’il va dire par la suite. La discussion devient alors impossible. Le médecin thaumaturge est en position de distribuer les bons ou les mauvais points intellectuels.</p>
<p>Face à ce type de pratiques, il n’est pas dit que l’ultracrepidarian qu’incarne le patient curieux soit un être stupide qui ferait mieux de rester à sa place. En effet, les médecins dénoncés par Molière n’ont pas saisi que la « vérité » scientifique qu’ils assènent est en réalité conjoncturelle et dépend avant tout de l’état des connaissances de leur époque.</p>
<p>Tel est le problème d’un ultracrépidarianisme pris au sens strict qui est intrinsèquement un dénigrement. Il s’agit de stipuler que toute personne qui s’exprime en dehors de son domaine ne peut qu’avoir tort.</p>
<h2>Vers un ultracrépidarianisme positif</h2>
<p>Dès lors, faut-il envisager le cas d’un ultracrépidarianisme positif ? Qu’il s’agisse de patients curieux ou de personnalités qui ont marqué l’Histoire, il semble que certaines personnes se soient exprimées en dehors de leurs domaines de compétence et eurent raison de le faire.</p>
<p>Ainsi, le cas de la mannequin et actrice austro-américaine <a href="https://www.letemps.ch/sciences/hedy-lamarr-letoile-dhollywood-inventa-bases-wifi-gps">Hedy Lamarr est devenu emblématique</a>. En effet, elle ne s’est pas seulement illustrée sur grand écran mais a également marqué l’histoire scientifique des télécommunications. En collaboration avec le pianiste <a href="https://www.francemusique.fr/emissions/relax/relax-du-mardi-24-septembre-2019-75897">George Antheil</a>, elle a inventé l’étalement de spectre par saut de fréquence qui est notamment utilisé aujourd’hui dans la technologie wifi.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/383873/original/file-20210211-15-v0hfsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383873/original/file-20210211-15-v0hfsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383873/original/file-20210211-15-v0hfsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383873/original/file-20210211-15-v0hfsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383873/original/file-20210211-15-v0hfsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383873/original/file-20210211-15-v0hfsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383873/original/file-20210211-15-v0hfsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383873/original/file-20210211-15-v0hfsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Publicité pour le film <em>Camarade X</em> avec les acteurs Hedy Lamarr et Clark Gable (1940).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pendant toute sa démarche, elle n’a évidemment pas été validée par ses pairs qui la catégorisaient comme une simple actrice. C’est seulement son résultat final qui a permis d’apporter quelque chose de significatif au monde scientifique.</p>
<p>Par conséquent, Hedy Lamarr a manifesté une véritable sortie de son territoire intellectuel et scientifique qui s’est avérée payante pour l’humanité. Telle est la leçon de ce cas d’ultracrépidarianisme positif : il ne faut pas nécessairement écouter les gens qui déclarent que la curiosité est un vice en soi et que toute prise de position en dehors de son domaine d’expertise est une tare.</p>
<hr>
<p><em>Article réalisé sous la supervision de Ghislain Deslandes, philosophe et professeur à ESCP Business School.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155187/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Simon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Et si la sortie du rang avait des vertus ? La réponse avec les leçons tirées du film de Brad Anderson, du Médecin malgré lui et de l’itinéraire surprenant d’Hedy Lamarr.Thomas Simon, PhD Scholar, chargé de cours en RH, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1507672020-11-27T16:37:12Z2020-11-27T16:37:12ZQuand Césaire revisite « La Tempête » de Shakespeare<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/371122/original/file-20201124-21-1a78rcu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C1400%2C903&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une fresque murale à Sarcelles, signée Jef Aerosol, qui représente Aimé Césaire. </span> <span class="attribution"><span class="source">Facebook</span></span></figcaption></figure><p><em>Ce podcast vous est proposé dans le cadre de notre série mensuelle « Les couleurs du racisme », un nouveau rendez-vous pour analyser les mécanismes de nos préjugés raciaux et leurs reproductions. <a href="https://mailchi.mp/1a0eb7b6f069/the-conversation-france">S’inscrire à la newsletter</a>.</em></p>
<hr>
<p>Dans le cadre de notre série « Les Couleurs du racisme », nous recevons aujourd’hui Véronique Corinus, maîtresse de conférences en littératures francophones et comparées à l’Université Lumière-Lyon 2.</p>
<p>Pour éclairer la façon dont les intellectuels se sont emparés de l’histoire de la domination coloniale, Véronique Corinus a choisi un extrait de la pièce de théâtre <em>Une Tempête</em>, signée par l’homme politique, poète et dramaturge martiniquais Aimé Césaire – celui qui a élaboré et défini, avec Léon-Gontran Damas et Léopold Sedar Senghor la notion de négritude.</p>
<iframe src="https://player.acast.com/5f9ace4de40fec5b6e4f0adf/episodes/revendiquer-son-identite-quand-cesaire-revisite-la-tempete-d?theme=default&cover=1&latest=1" frameborder="0" width="100%" height="110px" allow="autoplay"></iframe>
<p><a href="https://soundcloud.com/theconversationfrance/revendiquer-son-identit-quand"><img src="https://images.theconversation.com/files/359064/original/file-20200921-24-prmcs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=218&fit=crop&dpr=2" alt="Listen on Soundcloud" width="268" height="80"></a>
<a href="https://open.spotify.com/episode/0FKIb1KXGJdM15ZtJa6qSR?si=pV6TSuXGRnKVLl8-7l7A4A"><img src="https://images.theconversation.com/files/321535/original/file-20200319-22606-1l4copl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=183&fit=crop&dpr=1" width="268" height="70"></a>
<a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/revendiquer-son-identit%C3%A9-quand-c%C3%A9saire-revisite-la/id1538137657?i=1000500489693"><img src="https://images.theconversation.com/files/321534/original/file-20200319-22606-q84y3k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=182&fit=crop&dpr=1" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a> </p>
<p>Cette réécriture post-coloniale et anticolonialiste de <em>La Tempête</em> de William Shakespeare invite à réfléchir sur le pouvoir, l’oppression et la construction de l’ordre racial.</p>
<p>La pièce est centrée sur trois personnages : deux esclaves, Caliban et Ariel, et un maître, Prospero.</p>
<p>Dans cet extrait de la 2<sup>e</sup> scène de l’acte 1, Caliban affirme son désir d’être nommé « X » plutôt que de porter un nom dégradant choisi par le colonisateur.</p>
<hr>
<p><strong>Conception</strong> : Sonia Zannad, <strong>Montage</strong> : Kina Vujanic</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150767/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Pour éclairer la façon dont les intellectuels se sont emparés de l’histoire de la domination coloniale, Véronique Corinus a choisi un extrait de la pièce de théâtre « Une Tempête », d’Aimé Césaire.Véronique Corinus, Maîtresse de conférences en littératures francophones et comparées, Université Lumière Lyon 2 Sonia Zannad, Cheffe de rubrique Culture, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1502342020-11-23T20:31:25Z2020-11-23T20:31:25Z« Ubu manager » : quand la littérature éclaire les dérives « ubuesques » du management<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/369831/original/file-20201117-23-1l31wnd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C13%2C4460%2C3390&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Programme de la pièce de théâtre « Ubu Roi » d'Alfred Jarry (1896).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/17/Programme_for_the_premi%C3%A8re_of_Ubu_Roi.jpg">Wikimedia Commons</a></span></figcaption></figure><p>En 2008, un ancien cadre d’entreprise fait paraître sous le pseudonyme d’<a href="https://www.editions-zones.fr/auteurs/antoine-darima/">Antoine Darima</a> un <a href="https://www.editions-zones.fr/livres/guide-pratique-pour-reussir-sa-carriere-en-entreprise-avec-tout-le-mepris-et-la-cruaute-que-cette-tache-requiert/"><em>Guide pratique pour réussir sa carrière en entreprise avec tout le mépris et la cruauté que cette tâche requiert</em></a>. Le décor est planté : l’entreprise est présentée comme un univers impitoyable marqué par la cruauté et la brutalité des méthodes managériales. Dès lors, pour soigner sa carrière, il faut savoir passer maître dans « l’art de la guerre » professionnelle.</p>
<p>Plus récemment, les conférenciers <a href="https://mercimonstress.com/">Patrick Collignon</a> et <a href="https://www.eyrolles.com/Accueil/Auteur/chantal-vander-vorst-120827/">Chantal Vander Vorst</a> sont eux aussi revenus sur les dangers d’un <a href="https://www.editions-eyrolles.com/Livre/9782212556735/le-management-toxique">management devenu toxique</a>. Ils évoquent notamment le cas du « manager despote » qui règne sur son fief en multipliant les techniques de déstabilisation, d’oppression voire d’intimidation. Le professeur <a href="https://profiles.stanford.edu/robert-sutton">Robert Sutton</a> préfère quant à lui parler de <a href="https://www.littlebrown.co.uk/titles/robert-sutton/the-no-asshole-rule/9780749954031/">« sales cons certifiés »</a> pour désigner tous ces managers qui usent en permanence d’une attitude nocive envers leurs subordonnés.</p>
<p>Dans le cadre d’un travail de recherche en cours sur la façon dont les jeunes diplômés font face aux situations absurdes en entreprise, la question des personnalités toxiques a émergé au cours des entretiens.</p>
<p>Ainsi, Jules* est revenu sur son expérience effrayante en start-up :</p>
<blockquote>
<p>« En tout cas ce qu’on avait là-bas, ce n’était vraiment pas beau quoi. Et je pense que c’était ce choc-là qui a été le plus difficile à vivre dans cette expérience. Parce que bon voilà, en passant, les deux cofondateurs étaient complètement immoraux, mais il y en avait un autre qui était un gros pervers narcissique, qui était vraiment fou, il était fou. Je n’ai pas d’autre mot. […] C’était vraiment une drôle de découverte… à la découverte de l’âme humaine. »</p>
</blockquote>
<p>Dans un autre registre, Valentine est régulièrement confrontée aux déboires d’un management autoritaire de la part de celui qu’elle surnomme « l’ego junkie » :</p>
<blockquote>
<p>« Au niveau managérial, pour moi c’est vraiment compliqué à vivre. Il a un management que je trouve très directif […] c’est extrêmement rare que notre avis soit pris en compte […] donc en fait j’ai l’impression d’exécuter les ordres et ce n’était pas ça que je cherchais en start-up et donc ça me pose vraiment problème aujourd’hui. »</p>
</blockquote>
<h2>Les <em>Cannibales en costume</em></h2>
<p>Plus largement encore, l’investigation menée par le sociologue <a href="https://www.em-lyon.com/fr/faculte-recherche-enseignement-superieur/faculte-recherche-emlyon/faculte-permanente/Professeurs-permanents/David-COURPASSON">David Courpasson</a> dans son ouvrage intitulé <a href="https://www.bourin-editeur.fr/fr/books/cannibales-en-costume"><em>Cannibales en costume</em></a> laisse entendre que la violence est un des moteurs de la vie organisationnelle. Loin d’être un lieu pavé de bonnes intentions, l’entreprise décrite par Courpasson se présente plutôt comme un espace impitoyable où les rapports sociaux ressemblent à des actes de cannibalisme.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1184913584704442368"}"></div></p>
<p>Fort de 30 ans d’expérience sur le terrain, le sociologue présente volontiers les relations interpersonnelles comme des exutoires propices aux instincts primaires et aux pulsions guerrières où les salariés n’attendent qu’une seule chose : pouvoir se dévorer entre eux comme des animaux. Autrui est alors perçu comme un obstacle sur le chemin de la réussite : il faut en quelque sorte « bouffer » l’autre pour enfin triompher.</p>
<h2>Décoder les absurdités managériales avec <em>Ubu roi</em></h2>
<p>Toutes ces dérives managériales décrites par des auteurs et des chercheurs en sciences sociales ne sont pas sans rappeler le comportement cynique et tyrannique du Père Ubu.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/369825/original/file-20201117-15-18m1vvw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/369825/original/file-20201117-15-18m1vvw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/369825/original/file-20201117-15-18m1vvw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/369825/original/file-20201117-15-18m1vvw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/369825/original/file-20201117-15-18m1vvw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/369825/original/file-20201117-15-18m1vvw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/369825/original/file-20201117-15-18m1vvw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Alfred Jarry, poète, romancier, écrivain et dramaturge français (1873-1907).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Alfred_Jarry.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans un <a href="https://theconversation.com/le-manager-malgre-lui-quand-moliere-eclaire-la-betise-organisationnelle-128718">article précédent</a>, nous proposions de mobiliser la pièce de Molière <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/etonnants-classiques/theatre/le-medecin-malgre-lui"><em>Le Médecin malgré lui</em></a> afin de mieux comprendre la bêtise dans les organisations.</p>
<p>Dans le présent article, nous souhaitons nous appuyer sur la célèbre pièce <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/gf/litterature-et-civilisation/ubu-roi"><em>Ubu roi</em></a>, présentée pour la première fois en 1896 par l’écrivain <a href="http://www.gallimard.fr/Footer/Ressources/Entretiens-et-documents/Plus-sur-l-auteur/En-savoir-plus-sur-Alfred-Jarry/(source)/184047#">Alfred Jarry</a> afin d’analyser les travers autoritaires et les absurdités organisationnelles.</p>
<p>À n’en pas douter, <em>Ubu roi</em> est une farce truculente, un savant mélange de cynisme, de grotesque et d’extravagance. Véritable parodie de <a href="https://www.livredepoche.com/livre/macbeth-9782253183020"><em>Macbeth</em></a> du dramaturge <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/william-shakespeare/">William Shakespeare</a>, la pièce met en scène le personnage drolatique et éponyme du Père Ubu, devenu roi après avoir fomenté un assassinat contre Venceslas. Une fois sur le trône, Ubu se transforme en despote sanguinaire. Il fait tuer les nobles, les magistrats et les financiers, et impose au peuple de nouveaux impôts, qu’il va récolter lui-même pour être sûr de ne pas être volé.</p>
<p>Affublé de tous les vices les plus primaires, le personnage du Père Ubu est devenu proverbial en s’érigeant en symbole des délires du pouvoir et de l’absurdité des hiérarchies politiques. Il a notamment donné naissance en 1922 à l’adjectif <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ubuesque/80422">ubuesque</a> qui désigne tout être grotesque dont les traits de caractère sont semblables à ceux du Père Ubu.</p>
<p>Dans une lettre féroce datée de 1899, le peintre <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/paul-gauguin/">Paul Gauguin</a> épingle le personnage d’Ubu en rappelant que « désormais Ubu appartient au dictionnaire de l’Académie ; il désignera les corps humains qui ont une âme de cloporte. »</p>
<p>Dès lors, en quoi la personnalité du Père Ubu dépasse le simple cadre de la pièce d’Alfred Jarry pour incarner plus largement les travers d’un despotisme malhabile et d’une forfanterie outrancière ?</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/369648/original/file-20201116-13-u1n38f.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/369648/original/file-20201116-13-u1n38f.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/369648/original/file-20201116-13-u1n38f.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/369648/original/file-20201116-13-u1n38f.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/369648/original/file-20201116-13-u1n38f.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/369648/original/file-20201116-13-u1n38f.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/369648/original/file-20201116-13-u1n38f.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/369648/original/file-20201116-13-u1n38f.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Véritable portrait du Père Ubu par Alfred Jarry (1896).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/w/index.php?search=ubu+roi&title=Special%3ASearch&go=Go&ns0=1&ns6=1&ns12=1&ns14=1&ns100=1&ns106=1#/media/File:Jarry_-_Ubu_roi_(page_6_crop).jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il faut tout d’abord rappeler que le personnage d’Ubu est profondément polymorphe. En effet, il est inspiré de Félix Hébert, professeur de physique au lycée de Rennes où Alfred Jarry a étudié. Surnommé Père Heb, il est chahuté par ses élèves. Les lycéens décident alors d’écrire une chronique dont il devient le héros ridicule.</p>
<p>De plus, le Père Ubu a fait l’objet de reprises et de transpositions dans d’autres univers. C’est le cas par exemple avec <a href="https://prelia.hypotheses.org/115"><em>Ubu directeur</em></a>, véritable satire à l’encontre du directeur du <a href="https://www.theatredeloeuvre.com/">Théâtre de l’Œuvre</a> rédigée par le dramaturge <a href="https://data.bnf.fr/fr/12108574/pierre_veber/">Pierre Veber</a> en 1897. Dans le même esprit, il semble ici possible de transposer le Père Ubu dans un open-space. En quoi serait-il alors pertinent de parler d’un Ubu manager ?</p>
<h2>Du « merdre » à la novlangue managériale</h2>
<p>En premier lieu, il est possible de rapprocher les pratiques sanguinaires du Père Ubu de ce « cannibalisme en costume » dont nous parle David Courpasson. Si dans l’univers du Père Ubu, on assassine ses opposants pour accéder au pouvoir, dans l’entreprise de Courpasson, on « dévore » ses collègues pour obtenir une promotion.</p>
<p>On est alors très loin de cette <a href="https://www.cairn.info/revue-l-expansion-management-review-2010-3-page-120.htm">« managérialité »</a> dont nous parle le consultant et enseignant <a href="https://www.questions-de-management.com/a-propos/">Éric Delavallée</a> pour nommer le processus par lequel une personne devient manager.</p>
<p>Ainsi, « la managérialité est un processus de transformation qui […] comporte trois dimensions » : culturelle, sociale et psychologique. Pour Delavallée, le bon manager, c’est celui qui est capable d’accepter « qu’un de ses collaborateurs puisse faire mieux que lui. […] Il doit alors renoncer à sa toute-puissance, passer du stade de l’indépendance à celui de l’interdépendance. » En somme, le bon manager, c’est l’antithèse du Père Ubu.</p>
<p>Au-delà de la cruauté de l’univers ubuesque, Alfred Jarry nous propose avant tout un voyage linguistique avec les tribulations de son personnage impudent. Tel un feu d’artifice verbal, la pièce est un trésor d’inventivité lexicale. Dès le premier mot, Jarry remet en cause le théâtre classique et son langage calibré. Le Père Ubu lance un grand « Merdre », véritable symbole d’un humour potache qui fera la fortune de la pièce.</p>
<p>Le langage déployé par Jarry tout au long de son œuvre est particulièrement incongru puisqu’il mêle aux tournures archaïques et nobles un parler très familier où les grossièretés se multiplient.</p>
<p>En somme, <em>Ubu roi</em> est un formidable écrin pour mieux comprendre le rôle essentiel joué par le langage dans la production de situations absurdes. Les mots deviennent complètement arbitraires, incapables de porter un sens motivé.</p>
<p>Les <a href="https://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_1959_num_11_1_2155">fantaisies linguistiques</a> du Père Ubu font alors écho à cette <a href="https://www.editions-eres.com/ouvrage/4007/la-novlangue-manageriale">« novlangue managériale »</a> analysée par la socio-anthropologue <a href="http://www.lcsp.univ-paris-diderot.fr/Vandevelde-Rougale">Agnès Vandevelde-Rougale</a>. Si les trouvailles lexicales d’Alfred Jarry font exploser les conventions théâtrales, la novlangue managériale participe à l’inverse « au corsetage des imaginaires, au formatage des émotions [voire] à l’écrasement des intelligences individuelles et collectives. »</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pI7izYhRNIU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">David Abiker : La novlangue au bureau (Europe 1, 2013).</span></figcaption>
</figure>
<p>Dans son ouvrage intitulé <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/hors-collection/documents-temoignages-et-essais-d-actualite/socrate-au-pays-des-process"><em>Socrate au pays des process</em></a>, la philosophe <a href="https://www.franceculture.fr/personne-julia-de-funes">Julia de Funès</a> revient sur tous ces acronymes sibyllins qui recouvrent les fonctions managériales.</p>
<blockquote>
<p>« De nos jours, quand on demande à quelqu’un ce qu’il fait dans la vie, on entend le chant du sigle : EX-CODIR, membre du COMEX en charge du CA et de l’EBITDA, PDG […] COO, CTO (c’est comme SDF, trois lettres et pas de visage). »</p>
</blockquote>
<p>Pour Julia de Funès, ce « chant du sigle » donne l’impression d’évoluer dans une nébuleuse où les mots finissent par ne plus coller aux choses qu’ils désignent.</p>
<p>Dans le <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-classique/Quart-livre"><em>Quart Livre</em></a> de l’humaniste <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/francois-rabelais/">François Rabelais</a> qui rapporte les aventures des pantagruélistes en quête de la Dive Bouteille, les mots aussi ont perdu leur sens mais l’écrivain tourangeau ne s’avoue pas pour autant vaincu. Il va réinventer le sens des mots à travers leur signifiant.</p>
<p>Le véritable sujet du <em>Quart Livre</em>, c’est peut-être moins la quête philosophique des personnages que la quête d’une parole. Le véritable voyage, c’est celui des mots. C’est grâce à l’invention littéraire qu’il devient possible de réenchanter un langage devenu morne et insipide. Le <em>Quart Livre</em> devient finalement le laboratoire d’une langue que Rabelais va réinventer par la poésie. Quelques siècles plus tard, Alfred Jarry reprendra le flambeau avec sa pièce devenue iconique : <em>Ubu roi</em>.</p>
<hr>
<p><em>* Les prénoms ont été modifiés.</em></p>
<p><em>Article réalisé sous la supervision de Ghislain Deslandes, philosophe et professeur à ESCP Business School.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150234/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Simon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si on invitait le Père Ubu, ce personnage despote de l’écrivain Alfred Jarry, dans un open space, qu’adviendrait-il ?Thomas Simon, PhD Scholar, chargé de cours en RH, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1421482020-09-21T15:37:42Z2020-09-21T15:37:42ZLes arts et la culture sont essentiels et il faut poursuivre leur déconfinement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/358190/original/file-20200915-16-14dkorg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des musiciens respectent la distanciation physique lors d'une pratique à Vancouver, en août. L'art et la culture sont essentiels au mieux-vivre ensemble.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Darryl Dyck</span></span></figcaption></figure><p>La rentrée est la plupart du temps en mode virtuelle cette année et nous vivons tous une <a href="https://www.lapresse.ca/covid-19/2020-03-29/combattre-les-impacts-psychologiques-de-l-isolement">certaine fatigue du « tout à distance »</a>.</p>
<p>Certes, un déconfinement culturel a eu lieu. Depuis le 3 août, les <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1721840/sante-covid-spectacles-cinemas-theatres-sports">rassemblements allant jusqu’à 250 personnes sont permis</a> dans les salles de spectacle, les théâtres et les cinémas de la province, ainsi que pour les matchs sportifs. Le secteur culturel a fait de <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1714999/pandemie-fete-nationale-balcons-cours-gens-pays-24-juin">bons coups virtuels</a>, notamment avec les spectacles du Canada et de la Fête nationale.</p>
<p>Mais les prochains mois seront cruciaux. Les changements de saison et les enjeux économiques engendrés par la première vague de la pandémie se feront sentir.</p>
<p>Mes co-auteurs et moi-même sommes membre de l’équipe de recherche de <a href="http://occah.uqam.ca/">l’Observatoire canadien sur les crises et l’aide humanitaire</a>. Nous travaillons sur <a href="https://occah.uqam.ca/en/art-et-culture-en-situations-postcrises/">l’art et la culture comme moyen de reconstruction émergent en contexte postcrise</a> et nous intéressons à la culture en temps de pandémie, ici et à travers le monde.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/se-relever-grace-a-lart-apres-une-crise-lexemple-cambodgien-139944">Se relever grâce à l’art après une crise : l’exemple cambodgien</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Une identité, une économie et un équilibre de santé</h2>
<p>François Legault l’a répété maintes fois : <a href="https://twitter.com/francoislegault/status/1267557439848628224">« la culture c’est l’âme du peuple québécois. On s’est ennuyé de nos artistes »</a>, écrivait-il sur les réseaux sociaux le 1<sup>er</sup> juin. Les arts et la culture, comme l’explique bien Simon Breault, PDG du Conseil des arts du Canada, <a href="https://policyoptions.irpp.org/fr/magazines/policy-optionsat-25/the-arts-and-culture-as-new-engines-of-economic-and-social-development/">sont des leviers de développement citoyen, communautaire, sociétal et économique</a>. Ils permettent au citoyen de développer sa créativité et une pensée transversale, à la communauté de se rassembler et de s’entraider, à la société de se transformer, d’évoluer et de bâtir son identité, et enfin à l’économie de croître par l’effet multiplicateur des dépenses culturelles.</p>
<p>En cherchant à mieux comprendre la manière dont certaines régions à travers le monde ont procédé, nous soulevons certains constats.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/358187/original/file-20200915-20-bsyfyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/358187/original/file-20200915-20-bsyfyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/358187/original/file-20200915-20-bsyfyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/358187/original/file-20200915-20-bsyfyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/358187/original/file-20200915-20-bsyfyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/358187/original/file-20200915-20-bsyfyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/358187/original/file-20200915-20-bsyfyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les joueurs de l’Impact célèbrent un but dans un stade désert, le 13 septembre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Jonathan Hayward</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des musées aux karaokés : à chaque région ses priorités</h2>
<p>Le déconfinement ne s’est pas fait de la même manière partout au monde. Le Canada et le Québec ont commencé par les musées, les cinéparcs, les bibliothèques et les studios d’enregistrement, suivi de la reprise des tournages à la mi-juin.</p>
<p>Au Japon et ailleurs en Asie du Sud-Est, ce fut d’abord les karaokés et les restaurants. Mais chez nous, les bars et les karaokés ont été les derniers déconfinés à la fin juin et risquent une fermeture au vu des récents événements d’éclosion qui ont eu lieu <a href="https://www.lapresse.ca/covid-19/2020-09-09/quebec-80-cas-de-covid-19-lies-a-deux-bars.php">notamment dans deux bars de Québec</a>.</p>
<p>À l’aube d’une 2<sup>e</sup> vague, le <a href="https://coalitionavenirquebec.org/fr/blog/editionspeciale/va-t-on-devoir-refermer-le-quebec/">Québec se questionne s’il ne devrait pas reconfiner certains secteurs</a>. En annonçant <a href="https://www.lesoleil.com/actualite/covid-19/quebec-serre-la-vis-trois-regions-passent-en-zone-dalerte-orange-77d3517e1fe95de11609e9d52f41e97e">que trois régions viraient en « zone orange »</a>, dimanche, de nouvelles restrictions ont été annoncées. Déjà, <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/09/10/une-claque-au-visage-des-karaokes">le gouvernement avait fermé les karaokés</a>. Dans le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1718402/monde-pays-bars-probleme-regles-coronavirus-deconfinement">sud des États-Unis</a>, le déconfinement des bars et cinémas a été de courte durée, tout comme en <a href="https://www.lesoleil.com/actualite/monde/seoul-ferme-bars-et-discotheques-de-peur-dune-nouvelle-vague-de-contamination-b87a05cd954cc2422c3ca5cb62e5c702">Corée du Sud</a>. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/358189/original/file-20200915-14-135rnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/358189/original/file-20200915-14-135rnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=487&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/358189/original/file-20200915-14-135rnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=487&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/358189/original/file-20200915-14-135rnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=487&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/358189/original/file-20200915-14-135rnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/358189/original/file-20200915-14-135rnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/358189/original/file-20200915-14-135rnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un bar de karaoké à Montréal. Plusieurs éclosions ont eu lieu dans ces bars et la pratique du karaoké est désormais interdite.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Quant à la reprise des tournages télévisuels, <a href="http://mi.lapresse.ca/screens/19ce1c86-cbc0-47e8-948c-fac49fe40949__7C___0.html">l’été a permis de mettre en place une variété de mesures</a> pour permettre la reprise des activités de ce secteur.</p>
<h2>Arts virtuels ou en présence : des enjeux d’éclosion</h2>
<p>La chanson et l’humour ont rapidement adopté le virtuel, alors que la musique classique, la danse, le théâtre ont dû attendre d’être déconfinés en juin, moment où ils ont majoritairement adopté la pratique de <a href="https://myscena.org/fr/la-scena-musicale-team/yannick-nezet-seguin-et-lorchestre-metropolitain-se-retrouvent-pour-celebrer-beethoven-a-la-salle-bourgie/">répéter et donner des prestations sans public</a>, enregistrées et diffusées sur diverses plates-formes. Ceci selon leur créativité, leurs ressources, mais surtout leur capacité financière ou les aides reçues.</p>
<p>Si certains pays ont les mêmes pratiques, [comme l’Espagne avec un « public végétal »] où les <a href="https://www.lapresse.ca/arts/musique/2020-06-22/apres-le-confinement-les-plantes-vont-a-l-opera">plantes remplacent les spectateurs</a>, d’autres ont rouvert leurs salles de spectacle et de cinémas dès le mois de mai comme l’Allemagne, la Chine ou la Norvège. Cependant, les <a href="https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/face-a-la-menace-d-une-seconde-vague-l-europe-durcit-ses-mesures-anti-covid-853046.html">signes annonciateurs de la deuxième vague</a> ont perturbé ces réouvertures et ont causé certaines fermetures de salles et de cinémas, entre autres.</p>
<p>Au Québec, les salles de spectacles et certains festivals ont préparé leur réouverture pour l’automne. Des sondages estivaux ont supporté ces décisions, comme ceux de <a href="https://habo.studio/fr/barometre-divertissement-mai-2020/">Habo</a> et de <a href="https://medias.quartierdesspectacles.com/documentation/rapport-leger-sondage-quartier-des-spectacles-mai2020-final.pdf">Léger</a>. <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1724836/salle-bourgie-musee-des-beaux-arts-de-montreal-reouverture">La salle montréalaise Bourgie</a>, par exemple, a ouvert ses ventes de billets en salle et certains <a href="https://www.ledevoir.com/culture/theatre/585694/rentree-culturelle-cocktail-de-formes-sur-la-scene-theatrale">théâtres ont lancé leur programmation à géométrie variable</a>, selon leur situation propre. Dans l’ensemble, la situation est précaire. Plusieurs salles sont en péril, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1716304/salles-spectacles-faillite-covid-19">plusieurs ayant annoncé leur fermeture</a> au cours de l’été, tout comme les restaurateurs, les petits commerçants et les propriétaires de bars. L’équilibre financier et sanitaire est délicat à maintenir dans ce contexte d’incertitude. <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/2020-09-12/le-12-septembre.php">On ignore quand cette pandémie prendra fin</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/358188/original/file-20200915-24-1k744az.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/358188/original/file-20200915-24-1k744az.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/358188/original/file-20200915-24-1k744az.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/358188/original/file-20200915-24-1k744az.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/358188/original/file-20200915-24-1k744az.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/358188/original/file-20200915-24-1k744az.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/358188/original/file-20200915-24-1k744az.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Masques obligatoires pour un cours de cuisine dans un marché de Montréal, le 13 septembre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Graham Hughes</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’aide gouvernementale au Canada et ailleurs : un levier indispensable pour le moment</h2>
<p>La majorité des travailleurs de ces industries sont des pigistes, des travailleurs autonomes œuvrant au sein d’organismes à but non lucratif et de PME, pour qui les rapides initiatives gouvernementales canadiennes pour les travailleurs ne cadraient pas.</p>
<p>Selon les données disponibles sur le site de <a href="https://en.unesco.org/creativity/covid-19">l’Unesco</a>, le Canada figure parmi les pays les plus proactifs et généreux en termes de mise en place de différentes mesures d’aide, de soutien et de développement pour les arts, les artistes, les artisans et les entreprises, avec plus de 400 millions de dollars canadiens versés au secteur.</p>
<p>Le Japon, de son côté, n’a débloqué que l’équivalent de 81,6 millions de dollars canadiens en mesures diverses, l’Espagne plus de 94,5 millions, jumelés à des prêts d’environ 1,82 milliard tandis que le gouvernement britannique semble avoir choisi de ne pas verser de sommes spécifiques aux secteurs culturels. Ces chiffres datent de la fin juin 2020.</p>
<h2>L’art et la culture : vecteur indispensable</h2>
<p>Nos recherches, dont une de <a href="https://www.egosnet.org/jart/prj3/egos/main.jart?rel=de&reserve-mode=active&content-id=1581807636341&subtheme_id=1542700474953">ses perspectives a été présentée à la conférence EGOS 2020</a> tendent à démontrer qu’à la suite d’une crise, qu’elle soit sanitaire, économique ou humanitaire, l’art et la culture sont des vecteurs indispensables tant pour la société que pour les communautés et les citoyens.</p>
<p>En effet, le partage de l’expérience est aussi important. Citons le travail de préservation et de transmission des arts khmers par le <a href="https://www.cambodianlivingarts.org">Cambodian Living Art</a> au Cambodge qui a contribué à la relève du génocide au pays. Ou encore celui du <a href="https://www.omhm.qc.ca/fr/actualites/une-sortie-au-theatre-pour-les-aines-sur-leur-balcon">théâtre de rue pour divertir</a> et briser l’isolement des ainés dans leur résidence au moment fort de la crise. Notons aussi le travail impressionnant des musiciens de <a href="https://www.google.com/search?client=safari&rls=en&q=el+sistema+greece&ie=UTF-8&oe=UTF-8">El sistema Greece</a> auprès des enfants réfugiés. Cet organisme, par l’enseignement de la musique et du chant choral, permet aux enfants de retrouver une identité, une dignité et une place dans la société. Ce sont des exemples parmi plusieurs où <a href="https://occah.uqam.ca/publications/en-quoi-une-intervention-artistique-contribuerait-elle-a-adresser-les-enjeux-des-equipes-virtuelles/">l’art soulage, transforme et développe</a> les populations locales et les citoyens.</p>
<p>Ce sont donc des initiatives qui permettent à l’art et à la culture de se manifester qu’il faudrait aussi privilégier « autrement », tout en conservant les règles de distanciation physique. Des spectacles diffusés dans les parcs, comme l’a proposé <a href="https://www.lapresse.ca/arts/musique/2020-06-15/le-festif-devoile-ses-immersions-musicales">Le Festif dans Charlevoix</a> cet été, ont connu un franc succès et pourraient faire l’objet d’une réflexion plus poussée à travers la province.</p>
<p>Il est temps de croiser les champs de la créativité et de l’innovation pour trouver des modèles d’affaires financièrement viables et socialement percutants, même en temps de rassemblements distanciés. Pour cela, il faut du leadership et des ressources financières pour permettre aux Québécois de vivre une expérience commune, forte, identitaire et de se rassembler autour de l’art et de la culture, enjeu vital pour notre santé psychologique et notre cohésion sociale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142148/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Après une crise, sanitaire, économique ou humanitaire, l’art et la culture sont des vecteurs indispensables tant pour la société que pour les communautés et les citoyens.Alexandre P. Bédard, Postdoctoral research associate, Department of Management, Université du Québec à Montréal (UQAM)Caroline Coulombe, Professeur, Département de management / Department of Management, Université du Québec à Montréal (UQAM)Karine Rajoelisolo Debergue, Doctorante en management, spécialiste en communication, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1422182020-07-07T21:38:21Z2020-07-07T21:38:21ZGouvernement : le casting à tâtons de Macron<p>Les lendemains de changement de gouvernement, nos écrans sont envahis par les cérémonies de passation de pouvoir entre anciens et nouveaux ministres.</p>
<p>La scénographie de ces scènes est bien réglée : sur un perron ou dans une cour du ministère, se succèdent les hommages réciproques entre l’ancien (qui prend toujours la parole en premier) et le nouveau ministre.</p>
<p>Les discours de l’ancien et du nouveau ministre sont remplis de marques d’affection réciproques (« cher Édouard », « chère Nicole », « cher Christophe », etc.), suivis ou précédés de tweets affectueux.</p>
<p>Tout est fait pour atténuer l’impression que celui qui part n’était pas nécessairement demandeur de partir et que celui qui arrive n’a pas tout fait pour arriver. Il s’agit également d’incarner la continuité du gouvernement et de l’État à travers les péripéties de la vie politique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1280449038467452928"}"></div></p>
<h2>De bien belles phrases</h2>
<p>A l’occasion de ces prises de paroles on entend souvent de bien belles phrases, comme si les deux principaux acteurs de cette scène voulaient se hisser à hauteur de la situation pour donner à cette passation de pouvoir le solennité de certains des attributs du pouvoir dans notre mémoire nationale : la hauteur de vue (on ne parle alors que de l’avenir du pays, des enjeux du ministère, de notre République qu’il faut préserver et protéger de tous les dangers), la syntaxe et l’habilité à manier la langue française, la référence à des grandes figures historiques ou l’emploi de mots savants.</p>
<p>Entre ces deux prises de paroles, l’ancien ministre rend un hommage appuyé à ses équipes de conseillers et à celles du ministère, cette « belle maison » qu’il ou elle a eu « l’honneur de diriger » et met l’accent sur les temps forts ou les principales réformes mises en œuvre.</p>
<p>Se glissent souvent dans ses propos, emplis de <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2005-3-page-31.htm">rituels républicains</a> parfaitement codés, de l’émotion tant chez celui ou celle qui part que chez celui ou celle qui arrive : les premiers ont l’air partagés entre la tristesse de quitter leurs fonctions et le soulagement de revenir vers une vie plus apaisée ; les seconds donnent souvent le sentiment d’une immense fierté d’en être arrivés là.</p>
<p>Les uns et les autres ajoutent souvent une note plus personnelle, notamment chez ceux ou celles qui arrivent : la figure mythique de « l’enfant de la République », issu des profondeurs du pays ou de son territoire, de souche populaire est fréquemment mises en exergue.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1280188228948156417"}"></div></p>
<p>Ces effusions accompagnent aujourd’hui de nombreuses interrogations chez ceux qui ont perdu le soutien présidentiel, remplacés peu ou prou à l’identique. En effet, la composition du nouveau gouvernement n’est (apparemment) pas exactement conforme aux annonces de « coup de blast », entretenues par l’entourage de l’Élysée dans les semaines qui ont précédé.</p>
<p>Le chef de l’État avait lui-même créé l’attente d’un changement de cap pendant la crise sanitaire.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/F92bxtzeWCw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Je vais changer » le 14 avril 2020.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il avait plus récemment pris soin de préciser que le « nouveau monde » de l’après-crise ne serait pas la remise en cause des fondamentaux du macronisme mais une adaptation aux dysfonctionnements parvenus pendant la crise, aux souffrances vécues alors et aux enjeux budgétaires et sociaux liés à la crise. Dans une récente <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/entretien-la-rentree-sera-tres-dure-il-faut-nous-y-preparer-annonce-emmanuel-macron-6892104">interview</a> le chef de l’État avait même expliqué que la crise sanitaire avait donné encore plus raison et davantage d’actualité son programme… !</p>
<h2>L’exécutif confirme son centre de gravité politique</h2>
<p>Par rapport à cet ambitieux objectif, on constate qu’une bonne proportion des membres du gouvernement Castex appartenait déjà au gouvernement Philippe et que les « surprises » promises concernent surtout quelques personnalités : par exemple Éric Dupond-Moretti, Roselyne Bachelot, Élisabeth Moreno, Alain Griset, Nadia Hai (Barbara Pompili étant moins une surprise). S’il ne fait pas de doute que ces nouvelles personnalités comptent des talents déjà fortement affirmés ou en potentiel, elles ne remettent pas en cause, pour le moment, le sentiment d’une confirmation d’un gouvernement de centre droit.</p>
<p>La composition du nouveau gouvernement confirme en effet largement la trajectoire de centre droit de l’exécutif : si des personnalités issues de la « société civile » sont toujours bien là, ainsi que peu de personnalités issues du centre gauche, il s’agit bel et bien d’un gouvernement à tendance de centre droit, avec certains ministres emblématiques de cette trajectoire dont le rôle est confirmé et renforcé : Gérald Darmanin et Bruno Le Maire, notamment.</p>
<p>La stratégie de « prise de guerre » de personnalités issues de la famille Les Républicains (LR) continue donc de s’affirmer (avec par exemple la nomination de la présidente du département du Haut Rhin, <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/qui-est-brigitte-klinkert-nouvelle-ministre-deleguee-a-l-emploi-20200707">Brigitte Klinkert</a>). Marcheurs, centristes et ex-LR sont en majorité relative dans ce gouvernement, dirigé une seconde fois par une personnalité venue des LR.</p>
<p>Cette stratégie illustre plutôt bien le fameux théorème du <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/The_Theory_of_Political_Coalitions">politiste américain William Riker</a>. En utilisant le cadre de la théorie des jeux, il montrait, dans son célèbre ouvrage publié en 1962 <a href="https://archive.org/details/theoryofpolitica0000rike"><em>The Theory of Political Coalitions</em></a>, que les coalitions politiques s’élargissent autant que nécessaire pour gagner mais pas plus.</p>
<p>En l’occurrence, il s’agit pour Emmanuel Macron de conforter le côté centre-droit de son gouvernement sans totalement basculer dans l’image d’un « gouvernement de droite » au risque d’éloigner définitivement l’électorat de centre gauche.</p>
<p>Ces éléments posent une question politique importante : qu’est-ce que tout cela traduit à propos d’Emmanuel Macron et de sa stratégie politique ?</p>
<h2>Trois interprétations stratégiques</h2>
<p>Premièrement, la composition du gouvernement pourrait être interprétée comme le signe qu’Emmanuel Macron ne dispose plus de la même capacité à mettre en œuvre le « et de gauche et de droite » du départ. A force de jouer la stratégie décrite par William Riker, le côté centre-droit aurait fini par peser trop lourd et par déséquilibrer l’édifice voulu au départ en 2016/2017.</p>
<p>L’affirmation d’une ligne plutôt de centre droit montrerait ainsi qu’Emmanuel Macron a déjà fait le choix de ses armes pour 2022 : opposer au Rassemblement national et à une gauche encore en convalescence mais « requinquée » par l’affirmation d’un axe rose-vert-rouge aux municipales, une coalition de centre droit quitte à tordre le bras aux LR ou à les obliger à s’aligner.</p>
<p>Cette stratégie s’apparenterait à une résurrection modernisée de la coalition… RPR/UDF ! En d’autres termes, Emmanuel Macron aurait achevé sa mue « giscardienne »…</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Uj5v_t3lVW0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">INA : vidéo retraçant en 1978 le bilan des fluctuations entre UDF et RPR.</span></figcaption>
</figure>
<p><a href="http://tnova.fr/rapports/la-republique-en-marche-anatomie-d-un-mouvement">L’enquête</a> que nous avions conduite, pour Terra Nova, auprès des Marcheurs avait montré que les centristes et les anciens sympathisants LR composaient bien une part non négligeable des adhérents de LREM.</p>
<p>Mais elle avait également montré qu’une partie des marcheurs venaient du centre gauche. Il n’est pas évident que la composition du nouveau gouvernement satisfasse pleinement ce segment des marcheurs ou les députés considérés comme « l’aile gauche » de la macronie.</p>
<p>Une seconde interprétation est possible : le projet de départ d’Emmanuel Macron aurait été terriblement mis à mal par la succession des crises (nous sommes en crise permanente depuis l’automne 2018) et le « macronisme » en serait simplement devenu un principe d’efficacité dans la gestion de la France.</p>
<p>Un changement de gouvernement avec changement de Premier ministre serait alors devenu indispensable. La crise sanitaire a mis en évidence des problèmes d’efficacité de l’action publique en France, l’opinion publique a jugé sévèrement la gestion de la crise par le gouvernement et il fallait que des têtes tombent même si l’opinion était beaucoup plus favorable à <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/la-cote-de-popularite-d-edouard-philippe-poursuit-son-envolee-20200619">Édouard Philippe</a> qu’à Emmanuel Macron.</p>
<p>La troisième interprétation est la plus délicate pour l’exécutif. La composition du nouveau gouvernement et la difficulté à lire le sens politique de ce changement serait lié au fait que le projet macroniste s’est progressivement dilué et qu’Emmanuel Macron ne dispose pas, au sein de sa majorité, des réserves nécessaires pour impulser fortement la fin de son mandat.</p>
<p>L’apport de ministres venus de la société civile ou des LR serait alors l’arbre qui cache la forêt ou, <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/sophie-coignard/coignard-gouvernement-l-avocat-qui-cache-la-foret-07-07-2020-2383271_2134.php">selon la belle expression</a> de Sophie Coignard journaliste au <em>Point</em>, « l’avocat qui cache la forêt ».</p>
<h2>Emmanuel Macron sait-il où il va ?</h2>
<p>Quelle que soit la pertinence ou la complémentarité de ces explications (sans doute non exhaustives), Emmanuel Macron a pris le risque de conforter dans l’opinion un sentiment apparu dès l’annonce d’un « acte II » à la sortie de la crise des « gilets jaunes » : donner l’impression qu’il ne sait plus où il va…</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/acte-ii-un-nouveau-macron-entre-en-scene-128030">Acte II : un « nouveau Macron » entre en scène</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans une enquête réalisée à <a href="https://www.bva-group.com/news/dilemme-cornelien-emmanuel-macron-mi-mandat/">mi-mandat par BVA</a>, on voyait en effet qu’une forte majorité de Français interrogés (58 %) pensaient qu’Emmanuel Macron « agit au jour le jour » tandis que seuls 42 % pensaient qu’il « savait là où il va » à propos de cet « acte II ».</p>
<p>L’enjeu pour lui est donc de faire « monter en puissance » très vite et très fort ce nouveau gouvernement tout en montrant l’actualité de son projet de départ. Une équation tout sauf simple car il ne reste même pas deux ans pour réaliser cet objectif…</p>
<p>À défaut, il se pourrait que dans l’opinion publique, le nouveau gouvernement Castex ne soit rapidement perçu que comme une opération de communication pour « faire du vieux avec du vieux » alors qu’il s’agissait, au départ, de faire être exactement le contraire.</p>
<p>N’allons pas trop vite en besogne pour figer nos analyses, attendons l’automne/hiver et sa triste réalité, celle de la prochaine loi de finances… Et attendons aussi de voir ce que donnent, à l’épreuve du pouvoir et des réalités ministérielles, les personnalités sur lesquelles Emmanuel Macron a fait un pari.</p>
<p>Nous verrons bien alors, cet automne, où sont les priorités affirmées concrètement, de quelle manière les nouveaux ministres ont su (ou pas) gagner les arbitrages budgétaires, véritable épreuve de vérité. Si la déception s’installait alors, on pourra dire que le fameux « coup de blast » n’était qu’un « effet casting ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142218/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bruno Cautrès a reçu des financements du CNRS, de Sciences Po, de l'Union européenne. Il collabore régulièrement avec des médias pour commenter la vie politique et avec des instituts de sondage pour analyser les tendances de l'opinion publique. </span></em></p>Pourquoi tant d’émotions au sujet de ce remaniement et pourquoi avoir changé de Premier ministre ? La stratégie d’Emmanuel Macron en trois interprétations.Bruno Cautrès, Chercheur en sciences politiques, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1384482020-06-04T17:56:50Z2020-06-04T17:56:50ZDébat : Entre théâtre et numérique, un malentendu persistant accentué par le confinement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/339748/original/file-20200604-67393-savj13.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=32%2C0%2C1441%2C715&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Compagnie Ex Voto et son théâtre confiné en réseau.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://theatre-confine-en-reseau.com/exvoto">Compagnie Ex voto</a></span></figcaption></figure><p>En 1881, Clément Ader met au point un dispositif ingénieux et novateur, le théâtrophone, qui permet aux parisiens d’écouter, depuis chez eux, ou depuis un lieu public (café, salon d’exposition), une représentation théâtrale donnée simultanément dans un théâtre de la capitale. Cette ingénieuse invention, qui nous fait sourire aujourd’hui, ne connut une existence qu’éphémère : les conditions d’écoute n’y étaient sans doute pas optimales, brouillant dans un même magma bruits de la salle et de la scène.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/339213/original/file-20200602-133851-1olxqy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/339213/original/file-20200602-133851-1olxqy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/339213/original/file-20200602-133851-1olxqy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=576&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/339213/original/file-20200602-133851-1olxqy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=576&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/339213/original/file-20200602-133851-1olxqy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=576&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/339213/original/file-20200602-133851-1olxqy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=723&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/339213/original/file-20200602-133851-1olxqy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=723&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/339213/original/file-20200602-133851-1olxqy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=723&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Publicité pour le theâtrophone.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.regietheatrale.com/index/index/thematiques/Severine-Mabille-theatre/Severine-Mabille-le-theatrophone.html">Régie théâtrale</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sans le savoir (ou peut-être si, après tout), c’est donc à un retour un peu plus d’un siècle en arrière que nous invitait le Théâtre de la Colline, en imaginant « # Au creux de l’oreille », lectures de textes faites par des comédiens et comédiennes au bout de votre fil. Première des grandes institutions théâtrales à « dégainer » des propositions dédiées, au lendemain de l’annonce du confinement, elle fut rapidement suivie par l’ensemble des théâtres nationaux ou municipaux, grands ou moins grands, qui maillent notre territoire.</p>
<p>Il ne s’agit pas ici d’évaluer la pertinence ou la qualité des propositions imaginées çà et là, dans l’urgence. Je souhaiterais plutôt revenir sur les réactions qu’ont pu susciter de telles propositions. Car tandis que concerts et ballets confinés se multipliaient sur les réseaux sociaux, le monde du théâtre s’agitait autour de quelques voix qui condamnaient fermement ce basculement vers la dématérialisation et le tout-enregistré, capté, diffusé <a href="https://blog.mondediplo.net/la-catastrophe-comme-produit-culturel">(voir entre autres : Thibaud Croisy, « La catastrophe comme produit culturel »</a>). Publications sur les réseaux sociaux, mises en ligne de captations de spectacles, programmations quotidiennes imaginées par les théâtres y sont désignées comme autant d’actions contraires à ce qui fait le théâtre même : la présence d’un être vivant face à un autre être vivant. Pourquoi ? Que disent ces réactions du milieu théâtral et de ses relations avec nos environnements numériques ?</p>
<h2>Mettre en ligne des « contenus » ou assurer la mémoire du théâtre ?</h2>
<p>L’un des gestes les plus visibles a sans aucun doute été la mise en ligne de « contenus » déjà existants, principalement des captations de spectacles. La différence radicale qui existe entre un enregistrement et une expérience théâtrale réelle, que je ne remettrai pas en cause, doit-elle conduire à se dispenser entièrement du visionnage de quelques spectacles ? Personne n’a jamais pensé, visionnant une captation théâtrale, en retirer le même plaisir qu’en allant au théâtre.</p>
<p>Nous ne sommes pas dupes et de la même façon que nous acceptons pour un soir les conventions de l’acte théâtral, nous acceptons pour quelques heures les contraintes de la captation. Cet argument fallacieux masque ainsi la seule question valable que soulèvent ces mises en ligne : celle de la mémoire du théâtre. Qui, parmi les jeunes générations d’artistes, parmi ceux qui transmettent aujourd’hui la pratique et l’histoire du théâtre peut se targuer d’avoir vu les spectacles de Pina Bausch des années 80 ou 90 ? Parvenons-nous vraiment aujourd’hui à imaginer la qualité du jeu d’Helene Weigel dans <em>Mère Courage</em>, mis en scène par B. Brecht et dont le Berliner ensemble propose <a href="https://www.berliner-ensemble.de/BE-at-home">depuis quelques jours la diffusion sur son site</a> ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335665/original/file-20200518-83397-1cuulnr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335665/original/file-20200518-83397-1cuulnr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335665/original/file-20200518-83397-1cuulnr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335665/original/file-20200518-83397-1cuulnr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335665/original/file-20200518-83397-1cuulnr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=555&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335665/original/file-20200518-83397-1cuulnr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=555&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335665/original/file-20200518-83397-1cuulnr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=555&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Sur le site du Berliner Ensemble.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.berliner-ensemble.de/BE-at-home">Berliner ensemble</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Certes, il s’agit là de grands noms de la scène théâtrale contemporaine, pour lesquels on s’accordera tous à saluer la disponibilité (enfin !) de leurs œuvres et leur valeur de patrimoine culturel. Mais soyons clairs et réalistes : refuser d’assurer la mémoire de son propre travail, c’est assumer sa disparition pure et simple, au profit essentiellement de ceux qui le font parce qu’ils en ont les moyens, c’est-à-dire parce qu’ils concentrent, déjà, entre leurs mains les moyens les plus importants en termes de représentation, de pouvoir, de moyens économiques, etc. L’histoire que l’on fait aujourd’hui du théâtre contemporain dans les universités, à quoi ressemble-t-elle ? C’est une histoire masculine des institutions les plus riches et subventionnées, qui valorisent les pratiques artistiques dominantes. Le confinement a ainsi révélé les vides mémoriels de l’histoire contemporaine du théâtre. En confrontant le théâtre à son passé immédiat, il lui a enfin donné l’occasion de s’en préoccuper ; saisissons cette occasion.</p>
<h2>Co-présences et maladresses du « live » : les échecs du théâtre contemporain</h2>
<p>Un autre geste a émergé progressivement sur les sites des théâtres et via leurs réseaux sociaux. La voix qui chuchote au téléphone, la mise en ligne pour un temps limité d’œuvres historiques, l’utilisation de plates-formes de live-streaming cherchaient à renouer avec le déficit de simultanéité et de co-présence que génèrent la fermeture des théâtres et l’arrêt brutal de toute représentation. Ces initiatives fragiles, maladroites, que l’on pourra juger inefficaces reflètent le désintérêt notable d’une partie de la profession pour la chose « numérique ». En effet, si les propositions faites aujourd’hui sont si fragiles, si naïves, si elles ont dû emprunter les codes les plus visibles, à portée de mains, n’est-ce pas tout simplement parce qu’il n’existait pas de précédent ?</p>
<p>Pourquoi, depuis la fin des années 90, le théâtre s’intéresse-t-il si peu à nos vies entremêlées, empêtrées dans nos environnements numériques ? Suffit-il d’affirmer que Netflix a gagné la bataille du loisir en ligne pour se désengager profondément de la moindre réflexion sur les enjeux d’une telle mutation de nos pratiques culturelles et artistiques ? Pourquoi sont-ils si peu visibles, aujourd’hui, ces artistes, pourtant nombreux et nombreuses, qui proposent un détournement de ces nouveaux usages, qui soit aussi et surtout une mise en jeu, une réflexion sur nos quotidiens connectés ? Emilie-Ana Maillet a imaginé un théâtre confiné en réseau (https://theatre-confine-en-reseau.com) tandis que Joris Mathieu proposait des <a href="http://www.tng-lyon.fr/hikikomori-adaptation-audio/">adaptations audiophoniques de ses spectacles</a> ; autant de façons, tout à la fois, de prolonger leur travail artistique intimement lié aux environnements techno-numériques, mais aussi d’interroger nos nouvelles modalités d’être au théâtre durant ce confinement.</p>
<p>C’est en effet un argument fort que formulent les détracteurs de ce basculement vers le numérique, lorsqu’ils évoquent l’inégalité du combat entre les grandes plates-formes de streaming et un théâtre subventionné, aux moyens incomparables. L’emploi récurrent dans leurs écrits du terme « contenu » inscrit cet argument dans une opposition stricte – pas franchement nouvelle – entre œuvre d’art et produit culturel ou médiatique. Mais plutôt que de se lamenter sur l’inéquité du combat, ne peut-on envisager, à la manière de Nicolas Bourriaud, qu’il y a là une occasion inédite pour le monde théâtral de répondre « à la multiplication de l’offre culturelle, mais aussi, plus indirectement, à l’annexion par le monde de l’art de formes jusque-là ignorées et méprisées » (<em>Postproduction</em>, Les Presses du réel, 2003, p. 5) ?</p>
<p>Si la maigreur et l’indigence des propositions faites aujourd’hui, sont le résultat de ce manque d’intérêt, l’écho médiatique donné aux réactions contre ces propositions est, lui, le reflet de la technophobie d’un milieu artistique qui par des voix dominantes masque les initiatives réelles et marginalisées de nombreux autres artistes ou compagnies en région, qui cherchent des moyens de poursuivre leur travail, malgré tout. Représentations bricolées sur Twitch (plateformes de live streaming), journal de création au jour le jour, « théâtre confiné en réseau » sont autant de façons d’expérimenter de nouveaux rapports à nos environnements numériques, d’y introduire du jeu.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/335667/original/file-20200518-83348-x8he2z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/335667/original/file-20200518-83348-x8he2z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/335667/original/file-20200518-83348-x8he2z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/335667/original/file-20200518-83348-x8he2z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/335667/original/file-20200518-83348-x8he2z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=439&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/335667/original/file-20200518-83348-x8he2z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=439&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/335667/original/file-20200518-83348-x8he2z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=439&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Capture d’écran du Théâtre confiné en réseau proposé par la Compagnie Ex voto.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Face à la menace qui plane sur le secteur de la culture, il est urgentissime de faire émerger des gestes qui pourront perdurer. À l’image de toutes les tentatives maladroites qui ont émergé ces derniers mois, continuons à nous agiter, à proposer des bribes de dialogues bancals, des débuts de gestes maladroits, à rater, puis à recommencer. Continuons à copier bêtement pour s’apercevoir que non, décidément, ce n’est pas ça. Continuons à explorer les impasses, à tenter de faire du neuf avec du vieux. Faisons ce que l’on a toujours fait et que nous ne sommes pas très nombreux à savoir faire : répétons !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138448/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julie Valero conseille et travaille régulièrement avec la compagnie tf2-Jean-François Peyret. </span></em></p>Alors que quelques voix s’élevaient pour dénoncer le basculement vers le numérique du monde théâtral, on aimerait ici prendre le temps de comprendre les raisons d’une telle réaction.Julie Valero, Maitresse de conférences en arts de la scène, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.