tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/trader-22014/articlestrader – The Conversation2024-01-08T16:57:00Ztag:theconversation.com,2011:article/2205082024-01-08T16:57:00Z2024-01-08T16:57:00ZFaire carrière dans la finance : eldorado ou prison dorée ?<p>Une belle opportunité pour les néo-diplômés, de hauts niveaux de salaires, une ambiance de travail jeune et une évolution de carrière très rapide… Telle est la <a href="https://start.lesechos.fr/travailler-mieux/classements/linkedin-publie-son-top-25-des-entreprises-qui-offrent-les-meilleures-carrieres-1936076">façon dont sont souvent dépeintes les carrières</a> dans le <a href="https://theconversation.com/topics/finance-20382">monde de la finance</a>. Un discours qui attire semble-t-il : de nombreuses écoles de commerce, d’ingénieurs ou des universités proposent ces filières spécialisées prisées par les étudiants. Plus précisément, les métiers de <a href="https://theconversation.com/topics/trader-22014">traders</a> et de vendeurs sur les marchés, d’analystes financiers également promettent des rémunérations pour la première embauche particulièrement lucratives qui font rêver un certain nombre de jeunes hommes et femmes. Afin de démarrer leur carrière avec des revenus très élevés, les jeunes banquiers d’affaires <a href="https://journals.openedition.org/lectures/421">ne craignent pas de travailler de nombreuses heures</a> en début de carrière.</p>
<p>Des discours qui ne suffisent plus toujours. Beaucoup de nouveaux arrivants sur le marché du travail ont leur exigence, que ce soit en termes de <a href="https://www.lefigaro.fr/decideurs/emploi/horaires-ecologie-qualite-de-vie-les-nouvelles-exigences-des-jeunes-loups-de-la-finance-20230912">qualité de vie</a> ou d’<a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/lengagement-climatique-du-secteur-financier-un-critere-de-plus-en-plus-important-pour-les-jeunes-diplomes-2040678">engagement environnemental</a> par exemple. Une face sombre du secteur a également été mise en avant au cours de la dernière décennie par les publications de l’ancien trader <a href="https://theconversation.com/topics/jerome-kerviel-22012">Jérôme Kerviel</a> présentant l’ <a href="https://www.decitre.fr/livres/l-engrenage-9782081238862.html">« engrenage »</a> dans lequel il s’est trouvé pris.</p>
<p>Nos <a href="https://agrh2021.sciencesconf.org/data/pages/Communication_AGRH_2021_Lescoat_De_Becdelievre.pdf">travaux</a> auprès de professionnels des marchés financiers pour la plupart expatriés dans les grandes capitales internationales questionnent ainsi le rêve que peuvent constituer ces professions sur le moyen et le long terme. Nous avons suivi une cohorte et interrogé une quarantaine de financiers qui exercent des métiers parmi les plus rémunérateurs (plus de 100 000 € les années les plus fastes) : traders, analystes <em>sell-side</em> et vendeurs. Ils semblent suivre un mouvement en deux étapes.</p>
<h2>Essoufflés après cinq années</h2>
<p>Dans les premiers temps, les traders expriment un véritable engouement pour l’activité et le contexte où elle se déroule. L’un d’entre eux revient pour nous sur ses cinq premières années d’expérience :</p>
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<p>« J’ai bien aimé l’équipe, l’ambiance, les tâches et c’est pour cela que j’en suis arrivé là. »</p>
</blockquote>
<p>Tous paraissent très motivés par leur nouvel emploi et s’en disent très satisfaits. Dans cette première phase, le travail semble permettre à l’individu de trouver un certain bonheur personnel. Il y prend du plaisir et cela le conduit à être productif. La littérature qualifie parfois ces réflexions de « <a href="https://www.elgaronline.com/edcollchap/edcoll/9781782547020/9781782547020.00006.xml">sustainable career</a> », la carrière durable, un processus par lequel l’individu ajuste son travail et ses opportunités pour y trouver du sens. Le plaisir d’un travail intellectuellement stimulant, l’ambiance internationale des banques et le salaire élevé grisent les jeunes banquiers qui arrivent sur le marché du travail. La carrière dans la finance est pensée comme un eldorado à la fois pour l’argent et pour le prestige.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1496421550295330817"}"></div></p>
<p>Au bout de 5 à 7 ans de carrière, ce mouvement positif et les certitudes laissent cependant place à des difficultés et à des questionnements. Surinvestissement, exigences et horaires de travail démesurés valent-ils le coup ? La moyenne d’heures de travail selon nos enquêtés s’élève de 10 à 12 heures par jour, avec parfois des pics à 14 ou 15 heures dans les cas par exemple d’un travail sur une introduction en bourse. Les nuits de sommeil sont parfois courtes comme nous l’explique un analyste avec cinq ans d’expérience :</p>
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<p>« Je me suis endormi à 1h du matin et me suis levé à 4h30, et je ne peux pas faire de sieste au travail. »</p>
</blockquote>
<p>Les banquiers ont aussi beaucoup de mal à bien se nourrir. Ils mangent souvent sur le pouce et tard, au point que certains banquiers soucieux de leur santé n’hésitent pas à payer une personne pour leur faire à manger :</p>
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<p>« Jusqu’à il y a un mois, mon manager payait une dame de 70 ans pour lui faire à manger… »</p>
</blockquote>
<p>Les financiers mettent aussi en avant une compétition toujours plus intense sur le marché du travail, avec des exigences toujours plus élevées d’année en année :</p>
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<p>« L’employabilité a beaucoup changé, tu es beaucoup plus sur la défensive, on exige beaucoup plus de toi, il y a beaucoup plus de stress de réussite… »</p>
</blockquote>
<p>Les femmes sont sujettes à des difficultés spécifiques dans ce milieu très masculin. Persiste une représentation traditionnelle de la femme où devenir mère est considéré comme un <a href="https://journals.openedition.org/lectures/54506">désengagement de la compétition</a> car cette étape de vie nécessiterait obligatoirement un temps passé avec les enfants qui pourrait être utilisé pour signer des contrats ou entretenir une relation client. Une vendeuse de six ans d’expérience le suppose du moins :</p>
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<p>« Peut-être que quand tu as des enfants, tu es moins investie, tu déjeunes moins souvent avec les clients, tu restes moins souvent le soir. »</p>
</blockquote>
<p>Si l’on peut s’attendre à une évaluation claire du travail de chacune et chacun, corrélée aux performances financières, les bonus semblent en fait peu expliqués et laissés à l’appréciation du manager. Dans le cas d’une erreur ou d’une mauvaise gestion, c’est le ou la moins gradé qui en paiera les conséquences. Le système d’évaluation par objectifs, censé apporter une neutralité par le chiffre n’est en fait pas égalitaire car si le calcul d’une performance est objectif, son interprétation est subjective et peut être soumise à des biais, notamment en termes de <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt7rz99">genre</a>.</p>
<p>Une forte insatisfaction apparaît alors : il ne suffit pas de travailler beaucoup pour être bien évalué et bien rétribué. C’est le mythe de la méritocratie qui s’effondre.</p>
<h2>Partir… pour rester ?</h2>
<p>À moyen terme, cet ensemble de contraintes provoque une baisse de la motivation. Le jeune banquier se questionne sur son rapport au travail, sur sa carrière et sur le sens qu’il peut lui donner. La reconversion reste cependant difficile ne sachant pas où se diriger, certains banquiers quittent la banque pour finalement y revenir dans le même type de poste :</p>
<blockquote>
<p>« Mon année sabbatique m’a donné un peu plus de recul par rapport à ce job. Elle m’a permis de comprendre plus pourquoi je l’ai fait et surtout pourquoi j’y suis retourné : c’est essentiellement parce que je ne sais pas ce que je veux faire, que ça ne nuit pas sur un CV et que ça paye bien »</p>
</blockquote>
<p>Par ailleurs, alors que l’on pourrait penser que l’hyperconsommation ferait partie de cette culture financière, nos enquêtés préfèrent en fait vivre confortablement sans excès. Ils épargnent dans l’éventualité d’un changement de poste qui serait par exemple moins rémunérateur. L’accès à la propriété, peu évident dans les grandes capitales internationales pousse aussi à épargner. Rester dans ces grandes villes, en particulier Londres, est une motivation pour conserver un emploi dans la finance.</p>
<p>Certains cherchent des solutions intermédiaires, un poste en banque moins exposé ou mettent à profit leurs connaissances fines des produits financiers dans d’autres secteurs d’activité. Un équilibre de sens dans la carrière semble être trouvé quand l’individu accepte certaines contraintes pour rester heureux dans sa vie personnelle et professionnelle grâce à une rémunération confortable qui lui permet de profiter des nombreux restaurants et bars et d’avoir un accès à la propriété.</p>
<p>À l’opposé de cette stratégie de sortie, certains font le choix de ne pas construire de vie personnelle. Le travail devient un « lifestyle », un mode de vie. Tout doit être orienté dans le temps non travaillé vers une optimisation afin de dégager le plus de temps possible pour le travail. Le reste est mis de côté et le corps est beaucoup sollicité. Un analyste dans le secteur depuis sept ans se questionne :</p>
<blockquote>
<p>« Ton boss, il est marié ? Comment tu veux qu’il garde une nana avec le travail qu’il fournit… »</p>
</blockquote>
<p>Celles et ceux qui restent sont les personnes qui trouvent une gratification dans l’activité et dans la démonstration de leur capacité de travail. Ou bien souhaitent-ils offrir à leur famille une bonne éducation et un logement confortable, en particulier à Londres ? La perte de leur travail, ou une baisse significative de la rémunération signifierait un retour en France (retour par ailleurs non vécu comme un échec).</p>
<p>Si l’on peut penser cela antinomique avec le travail des traders, nos travaux montrent au contraire que, quel que soit le métier, l’individu cherche à donner du sens à son travail et à se construire une carrière durable. Après onze ans d’exercice, un professionnel nous explique :</p>
<blockquote>
<p>« C’est beaucoup plus amusant qu’avant : je décide de mes horaires, de l’orientation à donner, des produits à développer, des sites clients à prioriser… C’est beaucoup plus intéressant ! »</p>
</blockquote>
<p>La carrière en finance apparaît ainsi comme un eldorado qui peut se transformer un temps en prison dorée. Les plus heureux semblent celles et ceux qui prennent en compte la courte durée de ces carrières dans la finance et se questionnent régulièrement sur « l’après-salle de marché ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220508/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cette enquête est issue d'un travail de terrain financé en partie par une bourse de doctorat de l'ESCP Europe.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pauline de Becdelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au bout de cinq années d’exercice, les professionnels de la finance à qui l’on promettait monts et merveilles lorsqu’ils étaient étudiants déchantent souvent. De là à quitter le secteur ?Pierre Lescoat, Professeur Assistant, Neoma Business SchoolPauline de Becdelièvre, Maître de conférence/ enseignant-chercheur, École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1770022022-02-21T21:06:26Z2022-02-21T21:06:26ZL’éthique a-t-elle sa place chez les traders ?<p>Depuis une trentaine d’années, les scandales financiers n’en finissent de faire la Une des journaux. Parmi les plus retentissants, on retrouve les fraudes commises au sein de la <a href="https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2015-4-page-89.htm">Barings en 1995</a>, la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1996/06/15/sumitomo-corp-est-victime-d-un-operateur-indelicat-sur-le-marche-du-cuivre_3729989_1819218.html">Sumitomo Bank en 1996</a>, <a href="https://www.nouvelobs.com/economie/20110919.OBS0651/ubs-kweku-adoboli-le-jerome-kerviel-de-l-annee-2011.html">UBS en 2011</a> ou encore <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2015/09/08/a-londres-bruno-michel-iksil-echappe-aux-poursuites_4681260_3234.html">JPMorgan en 2012</a>. En France, la plus célèbre affaire reste celle de la Société Générale, qui, le 24 janvier 2008, a rendu publique une perte de 4,9 milliards d’euros due à des transactions non autorisées réalisées par un jeune trader, Jérôme Kerviel. Cette perte est l’une des plus importantes subies par un seul trader dans l’histoire financière.</p>
<p>Cependant, depuis ce qui est devenu <a href="https://theconversation.com/fr/topics/jerome-kerviel-22012">« l’affaire Kerviel »</a>, il semblerait que les comportements des traders au sein des salles de marché (salles se situant au cœur du système financier) n’aient guère changé, et ce malgré une régulation accrue des marchés et des institutions financières.</p>
<p>Ces comportements ont attiré beaucoup d’attention de la part des médias, des régulateurs, des marchés financiers, des universitaires, des managers et d’un public plus large peu familier avec le monde du trading. Certains auteurs caractérisent les comportements des traders dans la banque d’investissement comme des <a href="https://www.researchgate.net/publication/321755058_Can_a_Good_Person_be_a_Good_Trader_An_Ethical_Defense_of_Financial_Trading">comportements contraires à l’éthique</a>.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.researchgate.net/publication/353194509_Organized_Decoupling_of_Management_Control_Systems_An_Exploratory_Study_of_Traders%27_Unethical_Behavior">article</a> académique récent, nous montrons l’importance du contexte organisationnel et du secteur dans ces comportements éthiques.</p>
<h2>La non éthique, une « qualité »</h2>
<p>La plupart des recherches en éthique financière adoptent une perspective relativement étroite sur les comportements contraires à l’éthique en se concentrant sur la conformité et le respect des normes juridiques et morales. Cette perspective se concentre sur les actions individuelles et ne parvient pas à appréhender le contexte institutionnel plus large de la banque d’investissement.</p>
<p>Par ailleurs, certains chercheurs avancent que les traders seraient par nature, des personnes non éthiques qui seraient attirées par une industrie elle-même dépourvue de toute sorte d’éthique. Selon d’autres, les vertus morales seraient même <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315548067-5/irrelevance-ethics-alasdair-macintyre">contraires à ce qui est exigé des traders</a> dans le secteur financier.</p>
<p>Il nous semble pourtant important de dépasser ces deux perspectives, pour d’une part considérer le contexte plus large de la banque d’investissement, et d’autre part pour s’intéresser aux conditions qui favoriseraient le comportement non éthique des traders. En effet, la banque d’investissement serait selon certains travaux un secteur plutôt <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0018726718799404">propice aux comportements non éthiques</a>. Ce qui est considéré comme non-éthique en dehors du secteur de la banque d’investissement serait en fait une « qualité » au sein de celles-ci.</p>
<p>Adoptant cette perspective, nous suggérons que si les systèmes de contrôles, sans cesse renforcés, ne semblent pas fonctionner, c’est qu’ils ne sont peut-être pas censés limiter l’action des traders. En effet, dans notre recherche, nous montrons que les systèmes de contrôle des activités des traders ne sont pas conçus pour contrôler les comportements éthiques des traders.</p>
<p>Selon nous, la conception des systèmes de contrôles comporte trois écueils ne leur permettant pas de contrôler leurs comportements de traders. Nous caractérisons ces écueils sous le terme de distance physique, technique et sociale.</p>
<p>La <strong>distance physique</strong> est le fait que les contrôleurs sont physiquement distants des traders, et ce pour respecter le principe de séparation des taches et d’indépendance. Il y a également une <strong>distance technique</strong> entre traders et contrôleurs, puisque les seconds maîtrisent rarement les aspects techniques de l’activité des premiers. Enfin, la <strong>distance sociale</strong> entre contrôleurs et traders tient au fait que le statut social (prestige, rémunération et légitimité) des contrôleurs est perçu, au sein des banques d’investissement, comme inférieur à celui des traders.</p>
<p>Notre recherche met en évidence que la manière dont les systèmes de contrôles sont conçus ne leur permettent pas de contrôler efficacement les comportements de traders mais qu’ils permettent en revanche, de donner l’illusion d’un contrôle interne et externe. Nos conclusions soulèvent des doutes quant au rôle des systèmes de contrôles dans la surveillance des activités de trading.</p>
<h2>Contrôles inopérants</h2>
<p>Alors que cet état de fait se poursuit malgré le renforcement des réglementations et les affirmations des banques que de telles dérives appartiennent au passé, quelques pistes d’amélioration peuvent être envisagées.</p>
<p>La première est de mieux distinguer les différents types de contrôles. Nous proposons de distinguer les formes de contrôles que l’on peut qualifier de « primaires », des formes dites « secondaires ».</p>
<p>Les formes primaires cumulent les trois facteurs cités ci-dessus, la distance physique, technique et sociale. Les formes de contrôles secondaires présentent une ou plusieurs de ces trois distances. Dans la banque d’investissement, elles regroupent notamment la gestion du risque et de la compliance. Ces formes secondaires n’ont que peu d’impact sur la conduite des opérations et donc sur le comportement des traders. Or, les évolutions de la réglementation sont principalement destinées à ces formes de contrôles secondaires.</p>
<p>Il existe d’autres formes de contrôle, qui revêtent des formes moins formelles et juridiques et plus sociales. Ces contrôles primaires prennent place au cœur des activités de marché, dans la salle de marché elle-même. Ils impliquent les responsables des desks ainsi que les autres traders et la manière dont ils se comportent les uns vis-à-vis des autres.</p>
<p>Pourtant, toutes les études ethnographiques menées en salle de marché soulignent que le contrôle social qui s’exerce alors repose principalement sur la <a href="https://www.dukeupress.edu/liquidated">compétition, la course à la performance financière</a>, avec assez peu de considération pour les risques encourus.</p>
<p>L’affaire Kerviel fournit un parfait exemple de l’importance de ce type de contrôle. Dans cette affaire, un premier supérieur direct avait détecté des comportements frauduleux et l’avait rappelé à l’ordre, ce qui pointe l’importance, dans ce contexte, d’un rôle accru des responsables de desk, qui peuvent contrôler les opérations et détecter les anomalies. Ces responsables agissent en tant qu’experts, en tant que pairs, mais aussi comme managers ayant la proximité physique, la connaissance technique, et l’autorité pour effectuer un contrôle effectif.</p>
<p>Néanmoins, cette supervision technique reste insuffisante lorsque le responsable manque d’expertise, expertise indispensable à la compréhension et la supervision directe du trading. Ce fut le cas avec le responsable suivant en charge du desk sur lequel opérait Kerviel, qui ne réalisa pas la nature et l’amplitude des anomalies.</p>
<h2>Un contrôle par les pairs ?</h2>
<p>Un autre élément important est la culture des salles de marchés, qui est permissive, et valorise la rentabilité, et la prise de risque, plus que le respect scrupuleux de la réglementation ou de l’éthique. Renforcer les contrôles primaires implique donc une évolution à la fois de la formation et de la socialisation des traders, en d’autres termes de la culture des salles de marché.</p>
<p>Cette évolution permettrait de développer une forme supplémentaire de contrôle primaire, un contrôle exercé non pas par les supérieurs immédiats mais pas les pairs. En l’état des pratiques, un tel contrôle existe, au sens où un contrôle social s’exerce entre des traders qui s’observent les uns les autres.</p>
<p>Toutefois, ce contrôle mutuel porte principalement, voire essentiellement, sur la performance financière et la capacité de chacun·e à faire mieux que les autres en termes de profit. De fait, ce contrôle mutuel s’avère permissif, voire « pousse au crime ». Au lieu d’inciter à la modération, il incite les traders à se mettre en avant et à prendre plus de risques, pour eux-mêmes et pour autrui. Il s’agit de pouvoir se vanter d’être meilleur, c’est-à-dire souvent d’avoir moins de scrupules, que d’autres comme dans le cas de l’autoproclamé « Fabulous Fab ».</p>
<p>Celui-ci proposait des titres structurés vendus à des clients en leur dissimulant que l’architecte des titres, le fonds Paulson & Co Inc, avait pris des positions <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0007681319300254">contre ce portefeuille de valeurs</a>. C’est aussi ce besoin de briller qui peut expliquer pour partie le comportement de Jérôme Kerviel, opérant sur des produits dérivés à la rentabilité assez faible, et méprisé par les traders opérant sur des produits plus rentables.</p>
<p>Un changement dans ces attitudes, vers moins de recherche effrénée de la rentabilité aurait un effet décisif sur les risques que les traders font encourir à leurs employeurs, leurs clients et plus généralement l’économie lorsque les sommes en jeu constituent un risque systémique comme dans le cas des subprimes. Ce qui est en cause ici n’est pas seulement la culture interne d’une banque ou d’un fonds en particulier, mais plus probablement une <a href="https://www.edhec.edu/fr/edhecvox/economie-finance/apres-milken-keating-madoff-kerviel-revisiter-l-ethique-dans-l-industrie-financiere">culture professionnelle</a> partagée par les acteurs de l’industrie qui place la recherche du profit nonobstant le risque au-dessus de toute autre considération. Dès lors, le changement souhaitable impliquerait qu’au-delà des individus, qui servent parfois de boucs émissaires, les banques elles-mêmes soient incitées à changer. On en est encore loin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177002/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Un article de recherche récent souligne l’importance d’un contexte organisationnel qui encourage les transgressions dans la finance, rendant les dispositifs de contrôle actuels inopérants.Aziza Laguecir, Professeur, EDHEC Business SchoolBernard Leca, Professeur en sciences de gestion, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1302572020-01-26T18:26:42Z2020-01-26T18:26:42Z« La finance a besoin de plus de superviseurs », conversation avec Joseph Stiglitz<p><em>Joseph Stiglitz, lauréat du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel en 2001, était l’invité d’une conférence exceptionnelle à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sur le thème « finance et société ». Interrogé par Gunther Capelle-Blancard, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Anne-Laure Delatte, conseiller scientifique au CEPII, et les étudiants de l’École d’économie de la Sorbonne, il a notamment été question du rôle et de la place de la finance, de la taxation des transactions financières et de la finance durable. Voici un bref résumé des échanges.</em></p>
<hr>
<p><strong>Dans votre nouvel <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Peuple,_pouvoir_&_profits-576-1-1-0-1.html">ouvrage</a>, vous vous livrez à une analyse profonde des problèmes économiques et sociaux actuels, et de ses causes. Il y est notamment question de la finance, qui « a éminemment contribué à créer le malaise économique, social et politique actuel »…</strong></p>
<p>Ces dernières décennies, la part du secteur financier dans le PIB est passé de 2,5 % à 8 % aux États-Unis. Il est certes impossible d’avoir une économie qui fonctionne bien sans un système financier efficace. Mais l’essor du secteur bancaire et financier ne s’est pas traduit par une économie plus performante. Nous avons dû subir en 2008 une grave crise financière, et ces dernières années ont été marquées par une croissance faible et une forte hausse des inégalités. Pendant ce temps, les salaires dans la finance ont <a href="http://pages.stern.nyu.edu/%7Etphilipp/papers/pr_rev15.pdf">considérablement augmenté</a>, et les banques se sont rendues coupables de pratiques abusives, en particulier auprès des populations les plus pauvres.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/310964/original/file-20200120-69559-1sjinsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310964/original/file-20200120-69559-1sjinsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310964/original/file-20200120-69559-1sjinsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310964/original/file-20200120-69559-1sjinsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310964/original/file-20200120-69559-1sjinsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310964/original/file-20200120-69559-1sjinsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310964/original/file-20200120-69559-1sjinsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310964/original/file-20200120-69559-1sjinsh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Depuis 2008, les salaires dans la finance ont considérablement augmenté ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=bkef0pY_-zY&t=2152s">Capture d'écran Youtube.</a></span>
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<p>L’essentiel du débat porte sur la régulation et vise à limiter les préjudices causés par le secteur financier. Mais presque personne ne parle d’un point pourtant fondamental : quelle est l’utilité du secteur financier ? Il faut revenir aux fonctions essentielles, à savoir collecter l’épargne des ménages et fournir des financements aux entreprises pour qu’elles puissent croître et créer plus d’emplois.</p>
<p>Le secteur bancaire et financier n’a pas rempli correctement ses fonctions. Les autorités de régulation ont également failli. En Europe, avant la crise, le président de la Banque centrale européenne d’alors, Jean‑Claude Trichet, s’inquiétait de salaires trop élevés, et son successeur Mario Draghi un poids excessif de l’État providence. Mais la crise n’est pas due à de salaires trop élevés ou à un État trop fort !</p>
<p><strong>On parle beaucoup depuis la crise du poids excessif de la finance. Dans une société idéale, faudrait-il davantage de banquiers ou d’ingénieurs ? Avez-vous un message particulier à adresser aux étudiants qui se destinent à travailler dans la finance ?</strong></p>
<p>Une société a besoin des deux, des banquiers et d’ingénieurs. Mais surtout, il faudrait davantage de superviseurs.</p>
<p>Si j’ai un message à faire passer, c’est au sujet de la turpitude dans le milieu bancaire. Une <a href="https://www.researchgate.net/publication/268787112_Business_culture_and_dishonesty_in_the_banking_industry">étude en économie expérimentale</a> montre que les individus, lorsqu’ils revêtent leurs habits de banquiers, deviennent malhonnêtes.</p>
<p>L’expérience est la suivante : vous lancez un dé et devez annoncer le résultat obtenu que vous êtes le seul à observer ; vous recevez alors le montant indiqué par le dé. Si vous annoncez que le dé tombe sur 1 vous gagnez 1 dollar, sur 2, vous gagnez 2 dollars et ainsi de suite sauf pour 6 où vous ne gagnez rien. Cette expérience a été réalisé à de nombreuses reprises et les individus ont en général tendance à mentir sur le résultat. Mais surtout l’étude montre que c’est encore plus vrai pour les individus qui se présentent comme banquiers.</p>
<p><strong>Il y a 30 ans déjà, vous avez publié un <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-94-009-2193-1_2">article de référence</a> sur la taxation sur les transactions financières. Quelle est votre opinion sur ce sujet aujourd’hui ?</strong></p>
<p>Un des principes de base de la fiscalité est qu’il vaut mieux taxer les mauvaises choses que les bonnes ; c’est pourquoi il vaut mieux avoir des taxes sur la pollution que taxer le travail, par exemple. Il faut créer des effets incitatifs tout en décourageant les mauvais comportements. Et puis, l’un des effets positifs est bien sûr de collecter des recettes pour financer les dépenses publiques.</p>
<p>Par ailleurs, une grande partie de l’activité sur les marchés financiers est improductive, voire néfaste. C’est le cas notamment du trading à haute fréquence, qui peut totalement désorganiser les marchés boursiers, comme en 2010 où des milliers de milliards de dollars ont été <a href="https://www.lesechos.fr/2016/01/flash-crash-du-6-mai-2010-le-jour-ou-le-temps-sest-arrete-a-wall-street-191771">effacés de la bourse américaine en quelques minutes</a>, sans que cela ne repose sur quoi que ce soit de concret…</p>
<p>J’ai fait partie d’une commission constituée après ce <em>flash crash</em>, où j’ai proposé de mettre en place une règle simple pour enrayer ce phénomène en fixant la durée minimale des ordres de bourse à dix millisecondes. On m’a alors répondu : « tu veux retourner à l’âge de pierre ? »</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/310957/original/file-20200120-69535-1a5pas4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310957/original/file-20200120-69535-1a5pas4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310957/original/file-20200120-69535-1a5pas4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=285&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310957/original/file-20200120-69535-1a5pas4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=285&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310957/original/file-20200120-69535-1a5pas4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=285&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310957/original/file-20200120-69535-1a5pas4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=358&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310957/original/file-20200120-69535-1a5pas4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=358&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310957/original/file-20200120-69535-1a5pas4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=358&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« On m'a accusé de vouloir retourner à l'âge de pierre lorsque j'ai proposé de fixer la durée minimale des ordres de bourse à dix millisecondes ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=bkef0pY_-zY&t=2152s">Capture d'écran Youtube.</a></span>
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<p>Il n’y aucune utilité sociale dans le fait d’avoir des marchés qui vont si vite. Aucune décision rationnelle ne se prend en une milliseconde, ou même en dix. Une taxe sur les transactions financières bien conçue pourrait corriger cette situation. Je pense qu’il y a des chances que cette mesure soit mise en place si un président démocrate arrivait au pouvoir. Ne serait-ce qu’en raison des recettes possibles. L’estimation est que cette taxe générerait environ 800 milliards de dollars de recettes aux États-Unis entre 2019 et 2028… Ce n’est pas immense, mais c’est mieux que rien. Vous pouvez déjà faire beaucoup avec cet argent.</p>
<p><strong>Pour conclure, pouvons-nous faire confiance aux banques dans la lutte contre le changement climatique ?</strong></p>
<p>L’un des rares avantages du changement climatique est que si Manhattan devait finir sous les eaux, ce serait la fin de Wall Street ! C’est une boutade évidemment…</p>
<p>Plus sérieusement, de nombreuses initiatives sont à saluer. Les banques commencent à orienter leurs activités pour répondre au défi du changement climatique, même si cela risque de prendre du temps ; les obligations « vertes » (green bonds) vont également dans la bonne direction ; les banques centrales commencent à s’intéresser au risque systémique engendré par l’exploitation des énergies fossiles ; plusieurs pays exigent désormais que les entreprises et les fonds de placement communiquent sur le risque carbone ; enfin, il faudrait des banques publiques « vertes », car il est probable que le secteur privé n’agisse pas assez vite. L’État de New York en a d’ailleurs créé <a href="https://greenbank.ny.gov/">une</a>, et celle-ci fonctionne très bien.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/bkef0pY_-zY?wmode=transparent&start=2152" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Version intégrale de la conférence de Joseph Stiglitz à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, le 23 octobre 2019.</span></figcaption>
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<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit avec la participation des étudiants du Master CIEF (Communication et information économique et financière) de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130257/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Pour le prix « Nobel » d’économie 2001, une « grande partie de l’activité sur les marchés financiers est improductive, voire néfaste ».Gunther Capelle-Blancard, Professeur d'économie (Centre d'Economie de la Sorbonne et Paris School of Business), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneAnne-Laure Delatte, Directrice Adjointe au CEPII, responsable du programme de recherche Macroéconomie et finance internationales, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1208032019-07-26T11:02:12Z2019-07-26T11:02:12ZPodcast : 21 millisecondes dans les salles des marchés (2/5)<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/285167/original/file-20190722-11364-mwskbe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C2%2C962%2C663&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La peur d’être déconsidéré et rejeté par les autres traders explique certains comportements dans les hautes sphères de la finance.</span> <span class="attribution"><span class="source">Monkey Business Images / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/284978/original/file-20190719-116547-1frlbjz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/284978/original/file-20190719-116547-1frlbjz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/284978/original/file-20190719-116547-1frlbjz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/284978/original/file-20190719-116547-1frlbjz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/284978/original/file-20190719-116547-1frlbjz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/284978/original/file-20190719-116547-1frlbjz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/284978/original/file-20190719-116547-1frlbjz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Espace, salles des marchés, haute-montagne… Cet été, Christophe Haag, professeur à l’EM Lyon Business School et chercheur en psychologie sociale, vous explique comment les émotions se propagent entre individus en milieu extrême. Au travers des témoignages qu’il a recueillis et analysés au prisme des dernières recherches scientifiques, vous découvrirez les cheminements inattendus de cette « particule de Dieu », ainsi que quelques astuces pour gérer ces émotions, bénéfiques comme toxiques, qui se diffusent d’un humain à l’autre en… 21 millisecondes seulement ! Interviews menées par Thibault Lieurade, chef de rubrique Économie + Entreprise.</em></p>
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<p>Un animal à sang-froid, le trader ? Rien n’est plus faux tant les émotions sont omniprésentes dans les salles de marchés. La peur, mais aussi l’avidité, la nervosité, la déception, ou encore l’exubérance se propagent avec une telle intensité qu’elles vont jusqu’à engendrer des comportements étonnamment moutonniers chez ces traders pourtant réputés brillants. Ce « surrégime émotionnel » n’est pas non plus sans faire de dégâts sur ces individus, dont les témoignages collent finalement assez bien à l’image dépeinte par les grands films sur ce monde très particulier de la finance…</p>
<hr>
<h2>Pour aller plus loin</h2>
<p><strong>L’ex-trader Jean‑Marc T. présente le livre « La contagion émotionnelle »…</strong></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/285155/original/file-20190722-11343-1fscf3c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/285155/original/file-20190722-11343-1fscf3c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/285155/original/file-20190722-11343-1fscf3c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=858&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/285155/original/file-20190722-11343-1fscf3c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=858&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/285155/original/file-20190722-11343-1fscf3c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=858&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/285155/original/file-20190722-11343-1fscf3c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1078&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/285155/original/file-20190722-11343-1fscf3c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1078&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/285155/original/file-20190722-11343-1fscf3c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1078&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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<p><strong>… dont vous pouvez lire les bonnes feuilles ci-dessous</strong></p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1137968906923139072"}"></div></p>
<p><strong>Extrait du film « Le loup de Wall street » dans lequel les deux traders (le gourou et l’élève) entonnent le chant guerrier</strong></p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/tAhIg5Dy3uA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><em>Un grand merci à toute l’équipe du <a href="https://www.scandleparis.com">Scandle</a>, 68 rue Blanche dans le IX<sup>e</sup> arrondissement de Paris, pour l’accueil dans son studio, à Sonia Zannad pour la lecture des témoignages, et à Julian Octz pour le visuel du podcast.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120803/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Haag ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quand on s’intéresse à la contagion émotionnelle, on réalise que le trader n’est pas l’animal à sang froid décrit parfois. Au contraire. Explications dans ce deuxième numéro de « 21 millisecondes ».Christophe Haag, Professeur en comportement organisationnel, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1084362018-12-09T20:08:10Z2018-12-09T20:08:10ZVidéo : « La responsabilisation de la Société Générale dans le volet civil du procès Kerviel »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/249418/original/file-20181207-128190-1q6s5al.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C3%2C842%2C475&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"></span> </figcaption></figure><p>Dans cette lettre <a href="http://t.crm.xerfi.com/nl/jsp/m.jsp?c=%40EyMCEZjzYCmoTxe%2FNUlaibg6rowBjgX8MLjJlJ6%2FMzM%3D">« Fenêtres ouvertes sur la gestion »</a> », datée du 8 décembre, Jean‑Philippe Denis, Professeur de sciences de gestion à l’Université Paris-Sud et Rédacteur en chef de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion.htm"><em>Revue Française de Gestion</em></a>, reçoit Oussama Ouriemmi et Benoît Gérard, respectivement enseignant-chercheur à l’ISG Paris et maître de conférences à l’Université Paris Dauphine, pour parler de la responsabilisation de la Société Générale dans le procès Kerviel.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-management-au-pretoire-impacts-manageriaux-de-la-responsabilisation-de-la-societe-generale-90745">Le management au prétoire : impacts managériaux de la responsabilisation de la Société Générale</a>
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</em>
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<p>Toutes les émissions <a href="https://www.xerficanal.com/fog/">« Fenêtres ouvertes sur la gestion »</a> peuvent être consultées sur Xerfi canal.</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/298556689" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/108436/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Philippe Denis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La reconstitution des faits et de la procédure judiciaire permet de mettre en évidence un revirement de la jurisprudence en matière de responsabilité civile de l’organisation. Explications.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1072372018-11-21T20:48:48Z2018-11-21T20:48:48ZEn 2008, la finance piégée par l’illusion de la disparition du risque<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/246252/original/file-20181119-76134-u8alpr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=31%2C39%2C5137%2C3390&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La crise de 2008 invite à reconsidérer la causalité entre mathématiques financières et pratiques financières.</span> <span class="attribution"><span class="source">Jakub Krechowicz/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><em>Cette contribution est la suite d’un premier article, publié dans ces colonnes, intitulé <a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-cupidite-ne-suffit-pas-a-expliquer-la-crise-de-2008-104704">« Pourquoi la cupidité ne suffit pas à expliquer la crise de 2008 »</a> qui s’intéressait aux modèles mentaux des acteurs de la finance.</em></p>
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<p>Dans l’ouvrage <em>Individus, institutions et marchés</em> publié en 2008, le philosophe grec Chrysostomos Mantzavinos met en avant le fait que les institutions sociales et les processus d’échange de marché peuvent être analysés dans un <a href="https://www.puf.com/content/Individus_institutions_et_march%C3%A9s">cadre théorique commun</a>, un cadre qui définit un modèle de comportement individuel pour affronter l’incertitude. Mantzavinos insiste sur le rôle des « modèles mentaux partagés » pour expliquer l’émergence des normes et des institutions, ainsi que les règles de fonctionnement des marchés, par exemple les marchés financiers. Il voit dans ces modèles mentaux (ces « croyances ») la manière de résoudre le problème de <a href="https://la-philosophie.com/philosophie-hobbes">Thomas Hobbes</a> de l’instauration de l’ordre social.</p>
<p>Dans une <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2018/10/10/mathematiques-financieres-on-m-a-accusee-d-avoir-fait-entrer-le-loup-dans-la-bergerie_5367506_4401467.html">interview récente</a> sur les rapports entre les mathématiques financières et la crise, la mathématicienne Nicole El Karoui affirme que « la crise de 2008 est d’abord une crise de la finance et seulement partiellement de la modélisation ». Par rapport à cette position positiviste, et utilisant la notion de modèle mental au sens de Mantzavinos, je dirais plutôt : « la crise de 2008 est d’abord une crise d’un modèle mental partagé particulier, qui a imprégné aussi bien la finance que la modélisation », sans séparer le monde de la finance (pour reprendre la désormais <a href="http://www.europe1.fr/politique/hollande-mon-adversaire-c-est-le-monde-de-la-finance-915181">célèbre expression</a> du candidat Hollande) et le monde de la modélisation financière mathématisée.</p>
<h2>Principe de continuité</h2>
<p>Comme les modèles mentaux façonnent les enjeux normatifs des agents, ma proposition est ici de considérer que, tant les professionnels de la finance (banquiers, opérateurs de marchés, <a href="https://www.andlil.com/le-metier-danalyste-quantitatif-160850.html">« quants »</a> etc.) que les professionnels de la recherche (enseignants-chercheurs en mathématiques financières) ont été influencés (façonnés ?) par un modèle mental particulier, à savoir le principe de continuité. Le principe de continuité est un principe de philosophie naturelle postulant que, dans la nature, les choses changent graduellement. Sa formulation la plus compacte s’exprime dans le célèbre adage latin <em>Natura non facit saltus</em> (« la nature ne fait pas de sauts ») que l’on doit au scientifique allemand Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716).</p>
<p>Le principe de continuité fut à l’origine du <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/calcul-infinitesimal-histoire/">calcul infinitésimal</a> (qui comprend le calcul différentiel et le calcul intégral) par Leibniz puis par le physicien Isaac Newton (1643-1727). On remarquera l’ambiguïté originelle de ce principe, qui peut être compris comme mathématique ou métaphysique. Ce principe fut également au fondement des réflexions du naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778) sur la classification des espèces, puis de Charles Darwin (1809-1882) pour la théorie de l’évolution (1859). Il fut ensuite repris par l’économiste britannique Alfred Marshall (1842-1924) qui en fit l’exergue de ses <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/principes-d-economie-politique/">« Principes d’économie politique »</a> (1890). Marshall voulait ainsi montrer que le calcul infinitésimal était l’instrument mathématique fondamental pour développer la science économique.</p>
<h2>Le risque financier disparaît comme par magie</h2>
<p>Ce principe irrigua par la suite toute la pensée économique néoclassique dont est issue la finance contemporaine. La théorie financière modélisée mathématiquement à partir de 1952 s’inscrit dans le sillage de ce principe de continuité, dont l’un des plus grands succès fut la possibilité d’<a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/fischer-black/">évaluer les produits dérivés</a>, avec les formules de Fisher Black, Myron Scholes et Robert Merton en 1973, puis avec le théorème fondamental de l’<a href="https://books.google.fr/books?id=mgiZEtvJuXgC&pg=PA99&lpg=PA99&dq=Michael+Harrison,+Daniel+Kreps+et+Stanley+Pliska+%C3%A9valuation&source=bl&ots=2zsx0o_Yt9&sig=snFySrkLVQbwWfXKa0K7OPiJr3k&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwim0avz4ODeAhUqLcAKHUt7C-kQ6AEwCXoECAcQAQ#v=onepage&q=Michael%20Harrison%2C%20Daniel%20Kreps%20et%20Stanley%20Pliska%20%C3%A9valuation&f=false">évaluation des actifs financiers</a>, issu de la voie ouverte par Michael Harrison, Daniel Kreps et Stanley Pliska entre 1979 et 1981.</p>
<p>Le principe de continuité fut le modèle mental qui gouverna l’intuition des chercheurs dans l’écriture mathématique des risques financiers, dans les travaux de recherche puis dans l’enseignement de la finance. Le principe de continuité est ainsi devenu le soubassement d’une représentation du probable en finance qui contenait des modes de raisonnements pour les pratiques professionnelles, appuyées sur des mathématiques financières qui reposaient sur le même principe. Avec une représentation mentale s’appuyant sur la continuité, le risque financier disparaît comme par magie, puisque, comme les choses changent graduellement et de manière régulière, on peut toujours prévoir leur évolution et s’en protéger par les techniques des instruments financiers dérivés, qui reposent toutes sur le principe de continuité.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MsShVerWL1s?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Crises, krachs : attention à la fausse sécurité des modèles financiers », interview de Christian Walter pour Xerfi canal, novembre 2018.</span></figcaption>
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<h2>La science économique à l’écart</h2>
<p>Au XX<sup>e</sup> siècle, ce principe a été mis en défaut par les sciences physiques (avec l’existence de <a href="http://www.diffusion.ens.fr/vip/pageB03.html">niveaux d’énergie discrets</a> en mécanique quantique) puis par la génétique. La prise en compte de discontinuités fit progressivement partie du nouveau paradigme qui se forma contre l’ancienne manière de comprendre la nature. Mais la science économique resta à l’écart de cette contestation, et la finance moderne se construisit en l’ignorant. La <a href="https://gestion-de-patrimoine.ooreka.fr/astuce/voir/648723/gestion-indicielle">gestion indicielle</a> ou les techniques d’<a href="http://financedemarche.fr/definition/assurance-de-portefeuille">assurance de portefeuilles</a> sont des traces visibles de la prégnance de ce principe à la fois dans les pratiques professionnelles financières et dans les travaux de modélisation mathématique de la finance. Dans l’ouvrage collectif intitulé <a href="https://epistemofinance.hypotheses.org/2577">« La fabrique de la finance »</a> (The Making of Finance, 2018), nous avons retracé (au chapitre 8) les controverses scientifiques qui ont surgi à la suite de l’usage illimité de ce principe de continuité dans les pratiques financières et les mathématiques financières.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mobiliser-les-sciences-sociales-pour-repenser-la-finance-103473">Mobiliser les sciences sociales pour repenser la finance</a>
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<p>Notre propos ici n’est donc pas de revenir sur les débats usés qui prennent position pour ou contre les mathématiques financières, mais de proposer de reconsidérer la causalité entre mathématiques financières et pratiques financières. Considérer qu’un modèle mental comme le principe de continuité a façonné les enjeux des agents, chacun dans leur domaine respectif, permet aussi bien de dépasser la classique accusation des mathématiques financières (« c’est à cause des modèles mathématiques que la crise a eu lieu ») que la classique défense des mathématiques financières (« nos modèles sont conçus pour des états de marché hors crise, et c’est leur mauvais usage qui les rend dangereux »). Ces deux positions sont symétriquement <a href="https://la-philosophie.com/positivisme-auguste-comte">positivistes</a> car elles mettent face-à-face modèles mathématiques et monde réel (le face-à-face étant la marque philosophique du positivisme). Mais elles occultent le fait que, comme le montre l’ouvrage collectif mentionné plus haut, la finance se « fabrique », au moyen, justement, de modèles mentaux partagés, qui rendent poreuse la frontière entre mathématiques financières et pratiques financières. Le principe de continuité a irrigué chaque composante de cette fabrique de la finance.</p>
<p>S’il fallait pour conclure trouver un signe de la prégnance de principe, on pourrait relever les propos d’Alan Greenspan, président de la FED de 1987 à 2006, qui avait écrit dans une <a href="https://www.ft.com/content/edbdbcf6-f360-11dc-b6bc-0000779fd2ac">tribune publiée par le Financial Times</a> en 2008 : « nous ne pourrons jamais anticiper toutes les discontinuités des marchés financiers ». Le mot « discontinuité » est clair : pour Greenspan, la nature financière ne fait pas de sauts, la dynamique « naturelle » des marchés est continue. Pas facile de se débarrasser de ce principe de continuité…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107237/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Walter est titulaire de la chaire "Ethique et Finance" du Collège d'études mondiales de la Fondation Maison des sciences de l'homme (FMSH). Le Collège d'études mondiales finance les activités de la chaire. </span></em></p>Contrairement à d’autres disciplines, la science économique n’a jamais pris en compte les discontinuités, réduisant ainsi la place du risque dans les modèles mentaux des acteurs.Christian Walter, Titulaire de la chaire « Éthique et Finance » du Collège d’études mondiales de la FMSH., Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1047042018-10-10T16:34:01Z2018-10-10T16:34:01ZPourquoi la cupidité ne suffit pas à expliquer la crise de 2008<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/240022/original/file-20181010-72127-wztnfp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=65%2C103%2C6159%2C4037&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les modèles mentaux auraient favorisé les comportements dangereux en minimisant le risque.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Sirtravelalot/ Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>C’était entendu : une fois passés les commentaires économiques sur la dette et le secteur immobilier, l’élément explicatif de la crise se résumait à des considérations comportementales sur les acteurs, ce qui appelait à une refondation déontologique de la finance. Dans la plupart des cas, on a parlé et on parle encore de l’avidité ou de la cupidité des financiers, assimilés à d’horribles requins qui sucent le sang de l’économie et qui seraient évidemment incapables par nature de refréner leur insatiable appât du gain. Ajoutez à cela une innovation financière débridée, une complexité mathématique incontrôlée, la puissance des lobbys financiers ou bancaires, et vous avez tous les ingrédients qui ont précipité le système financier dans la chute cathartique que l’on a connue.</p>
<p>Un constat qui avait inspiré au candidat François Hollande sa désormais fameuse tirade : « mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance » car, « en 20 ans, la finance a pris le contrôle de nos vies et s’est affranchie de toute règle, de toute morale, de tout contrôle », avait-il lancé dans son discours du 22 janvier 2012 au Bourget. Depuis, on a retrouvé (et on trouve encore) cette antienne déclinée un peu partout avec des variantes diverses selon les lieux d’origine où elle est prononcée.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ZE8pE2t__pc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Extrait du discours de François Hollande au Bourget, le 22 janvier 2012.</span></figcaption>
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<p>Cette chute à la fois financière et morale appelle donc à une refondation morale du capitalisme (ou de la finance) afin d’éviter que cela recommence à nouveau. C’est le domaine de l’éthique déontologique et des codes de bonne conduite, ou transformation de soi par des principes supposés « bons ». C’est le domaine de l’éthique de l’action et des valeurs. C’est le domaine des recommandations religieuses à l’origine de la <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/de-l-apport-de-la-finance-chretienne-500591.html">finance chrétienne</a> ou de la <a href="https://theconversation.com/comment-la-finance-islamique-peut-nous-apprendre-a-revenir-a-une-finance-sociale-71512">finance islamique</a>, qui se présentent comme une « autre » finance face à la finance occidentale folle.</p>
<h2>Pourquoi 2008 et pas 2004 ou 2012 ?</h2>
<p>Pourtant, une fois l’émotion et la colère passées, ce diagnostic n’est pas suffisant. Cette caractéristique de la pensée unique sur la crise revient à fournir une explication exclusivement individuelle de l’emballement ayant conduit à la débâcle. Imaginons en effet que l’avidité et la cupidité soient des composantes inhérentes de la nature humaine engagée dans la sphère financière. Imaginons que ces moteurs affectifs se mettent en route dès qu’il est question d’argent. Une question vient alors immédiatement : si ces travers sont présents de tout temps, comment expliquer la date de crise ? Pourquoi à ce moment-là, et pas avant, ni plus tard ? Pourquoi 2008 et pas 2004 ou 2012 ? Et pourquoi pas 2020 ou 2022 ?</p>
<p>On pourrait objecter que, précisément, déjà en <a href="http://premium.lefigaro.fr/flash-eco/2012/10/19/97002-20121019FILWWW00596-le-krach-de-1987-c-etait-il-y-a-25-ans.php">1987</a>, en <a href="https://www.marianne.net/debattons/billets/la-crise-financiere-russe-d-aout-1998">1998</a>, ou encore en <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/2000-leclatement-de-bulle-Internet/00064727">2000</a> avec les déboires de la « nouvelle économie », on avait vu des bulles financières se former et exploser. Cela montre bien, s’il en fallait encore une preuve, que l’avidité est au centre du système de la finance sui generis. Mais alors, répondra-t-on à nouveau, pourquoi ces moments et pas d’autres ? Qu’est-ce qui cause le déclenchement de la crise ? Si l’avidité est une constante psychologique de la nature humaine, alors il faut que, sur ce terrain d’une humanité imparfaite, un élément extérieur apparaisse pour provoquer la chute des marchés et la débâcle financière.</p>
<p>Pour tenter d’apporter quelques éléments de réponse, considérons de plus près la population des professionnels de la gestion des risques. N’est-ce pas curieux que ceux-là même dont le métier est de soupeser les risques aient été à ce point aveuglés ? On dira : ils ont été aveuglés par l’appât du gain ! On dira : il y avait des conflits d’intérêts avec les agences de notation ! Mais est-ce si simple ?</p>
<h2>L’impact des modèles mentaux</h2>
<p>Il semble donc nécessaire de considérer un autre moteur dans le déclenchement de la crise. Aux comportements qualifiés d’avides ou de cupides se sont très certainement ajoutés des modèles mentaux. En psychologie cognitive, le modèle mental désigne la façon dont un individu se représente le monde, ce qui lui permet d’anticiper les conséquences d’une action. Par exemple, dans une course en montagne sur un sentier escarpé, on se représente mentalement les caractéristiques d’un risque (chute de pierres, chute dans un précipice, dangerosité d’un passage, etc.) pour anticiper les résultats d’une action qu’on fera (aller plus vite, ralentir, etc.). Le modèle mental du risque pourra ainsi conduire à une attitude de prudence (on ne court pas sur une vire étroite).</p>
<p>Dans la finance, les modèles mentaux ont, semble-t-il, favorisé des comportements aux effets nocifs car le risque était mal intégré. Pour citer Tom Savage, le président d’AIG Financial Products, « les modèles suggéraient que le risque (des <em>credit default swaps</em>, produits dérivés à l’origine de la crise) était très lointain. Les commissions devenaient alors une rémunération quasi gratuite… Il suffisait de noter les risques <a href="https://www.washingtonpost.com/business/credit-default-swaps-are-insurance-products-its-time-we-regulated-them-as-such/2012/03/05/gIQAAUo83R_story.html?noredirect=on&utm_term=.ef7028efab5e">puis de profiter de l’argent</a> ».</p>
<p>Soyons clairs. Il ne s’agit surtout pas ici d’innocenter les comportements irresponsables qui ont provoqué la catastrophe financière, ni de minimiser la défaillance morale complète de certains acteurs majeurs du système financier. Il s’agit plutôt de souligner que le diagnostic, véhiculé par la pensée unique sur la crise, reste incomplet. Il me paraît donc important de souligner la limite de l’argumentation explicative purement affective (avidité et cupidité) pour y ajouter une explication cognitive, car les modèles mentaux ont renforcé ces enjeux affectifs.</p>
<p>Si l’on veut que les choses bougent, l’éthique financière ne doit plus ignorer l’impact des modèles mentaux dans le fonctionnement du système de marché. Surtout si ces représentations mentales favorisent une démesure comme celle dont les effets ont été observés en 2008. Je propose donc de considérer la modélisation mathématique du risque comme un modèle mental en lui-même, dans la mesure où cette modélisation a été l’une des causes de la catastrophe de 2008.</p>
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<p><em>Nous vous proposerons très prochainement la suite de cet article qui cherchera à décrire précisément ces modèles mentaux qui ont conduit la profession financière dans son ensemble à l’illusion de la disparition du risque.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104704/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Walter est titulaire de la chaire "Ethique et Finance" du Collège d'études mondiales de la Fondation Maison des sciences de l'homme (FMSH). Le Collège d'études mondiales finance les activités de la chaire.</span></em></p>Une analyse psychologique des acteurs de la finance apporte un nouvel éclairage sur les causes du krach qui a secoué les marchés il y a 10 ans.Christian Walter, Titulaire de la chaire « Éthique et Finance » du Collège d’études mondiales de la FMSH., Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/762772017-06-19T19:49:37Z2017-06-19T19:49:37ZNeurosciences : vos décisions, vous les prendrez avec ou sans émotions ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/168170/original/file-20170505-19116-k47mu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quand il s'agit de faire un choix difficile, notre ressenti entre en jeu. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/Gkf6_gNdSUM">Christopher Campbell/Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>On pense encore trop souvent que prendre une décision rationnelle nécessite de s’extraire de ses émotions. De les faire taire. Elles ne seraient là que pour nous faire dévier du chemin indiqué par la raison. Cette perspective dite cartésienne – car inspirée de la pensée du philosophe René Descartes – a pourtant été remise en cause par trois décennies de recherches sur le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cerveau-21903">cerveau</a>.</p>
<p>Dans une perspective anticartésienne, en effet, la meilleure décision est celle qui évalue correctement ce qui nous est bénéfique en faisant appel à un ressenti de type émotionnel ou affectif. Sans ce ressenti, impossible de prendre une décision juste. Cette approche a été popularisée dans les années 1990 par le neuroscientifique Antonio Damasio à travers son livre <a href="http://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences/neurosciences/erreur-de-descartes_9782738117137.php"><em>L’erreur de Descartes</em></a> (Odile Jacob).</p>
<p>Et si la réalité, en fait, se situait… entre les deux ? La somme des travaux menés en sciences cognitives montre aujourd’hui que nos émotions, si elles peuvent nous guider vers la décision la meilleure compte-tenu de nos expériences passées, peuvent aussi nous leurrer. Des limites dont nous pouvons tenir compte au moment de faire des choix importants – à condition d’en être averti.</p>
<h2>Le cas Phineas Gage</h2>
<p>Dans son livre au sous-titre explicite, « la raison des émotions », Antonio Damasio appuie son argumentation sur un cas historique, celui d’un américain ayant vécu au milieu du XIX<sup>e</sup> siècle. Selon la légende, Phineas Gage était un contremaître sérieux et sans histoire travaillant à la construction des voies de chemin de fer est-ouest. Un jour, une barre à mine a été propulsée au travers de son crâne, accident spectaculaire qui allait faire de lui un « cas » médical.</p>
<p>À la surprise générale, Phileas Gage n’était pas mort. Et en plus, il parlait toujours. Il ne semblait avoir perdu ni ses capacités intellectuelles, ni ses capacités motrices. Par contre, il avait changé de personnalité ! Il était devenu grossier, bagarreur, impulsif et prenait beaucoup de mauvaises décisions. « Phineas Gage n’est plus Phineas Gage », disait son médecin.</p>
<p>Un siècle plus tard, Antonio Damasio a reconstitué la trajectoire de la barre à mine dans le cerveau de Gage. Le chercheur a montré que le métal avait traversé les régions orbitaires médianes du cortex préfrontal. Pour expliquer les changements observés chez Gage après son accident, il estime que cette région est le siège de sensations corporelles liées au ressenti affectif. Ainsi, la mémoire de nos expériences passées serait soutenue par des repères émotionnels qualifiés de « marqueurs somatiques ». Ceux-ci entrent en jeu lorsque nous considérons différentes options avant de prendre une décision.</p>
<h2>Une sensation déplaisante, option rejetée</h2>
<p>Au moment de faire un choix, nous prenons en compte plusieurs options possibles, et chacune va susciter des sensations particulières dans notre corps – ce dont nous n’avons pas forcément conscience. C’est le « marquage somatique », produit de notre histoire personnelle. Cette phase nous oriente vers une option privilégiée, celle associée à la sensation la plus positive. Une option associée à une sensation déplaisante au niveau du corps est interprétée comme néfaste par notre cerveau, et automatiquement rejetée.</p>
<p>Dans une perspective cartésienne relevant de la théorie de la décision standard en économie, la prise de décision intervient différemment. Confronté à plusieurs options, l’individu assigne une valeur à chacune, sur une même échelle. Il peut ensuite comparer les valeurs entre elles. L’option affichant la plus grande valeur attendue emporte alors sa décision.</p>
<p>Il est probable, à la lumière des travaux les plus récents, que des modes de prise de décision cartésien et non cartésien se combinent dans notre cerveau. Le modèle dessiné par la communauté internationale des chercheurs s’affine et s’affinant… il devient plus complexe. Aussi, l’<a href="https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2010-3-page-15.htm">apport de la théorie des perspectives</a> s’avère important. Élaborée par deux professeurs israélo-américains de psychologie, Daniel Kahneman et Amos Tversky, elle a valu au premier le prix Nobel d’économie en 2002 – le second étant décédé.</p>
<h2>Voir les gains potentiels, ou bien les pertes</h2>
<p>Cette théorie s’efforce de décrire le comportement des individus face à des choix risqués. Si elle a trouvé son application majeure dans la finance, elle décrit des ressorts qui ne sont pas spécifiques à la bourse et aux traders. En fait, les expériences réalisées par ses deux fondateurs montrent que, pour un même problème, la décision prise diffère selon la manière dont le problème est présenté : sous l’angle de ses gains potentiels, ou celui de ses pertes, là aussi potentielles. Selon que l’individu adopte l’une ou l’autre de ces perspectives, pourtant équivalentes, il n’aboutit pas à la même décision.</p>
<p>Derrière ce paradoxe, il y a une explication. Lorsqu’un individu calcule la valeur de chaque option avant de prendre une décision, ces valeurs ne sont pas objectives. Il se produit un certain nombre de distorsions qui les rendent subjectives. Et dans ces distorsions, les émotions entrent en jeu, selon Daniel Kahneman et Amos Tversky.</p>
<p>Une première expérience, vue sous l’angle des gains, a été réalisée par les deux chercheurs et <a href="http://science.sciencemag.org/content/211/4481/453">publiée dans la revue Science en 1981</a>. La question y est posée ainsi : vous êtes un médecin et avez le choix entre deux possibilités, soit sauver 200 personnes à coup sûr, soit sauver 600 personnes mais avec seulement une chance sur trois de réussir.</p>
<h2>Une aversion pour le risque</h2>
<p>Quand la problématique est présentée sous l’angle des gains – ici les personnes sauvées – la plupart des sujets favorisent le sauvetage de 200 personnes à coup sûr, plutôt que de prendre un risque. Cela met en évidence leur aversion pour le risque.</p>
<p>Le même principe s’applique pour des loteries avec des gains monétaires : entre toucher 50 euros à coup sûr, ou une chance sur deux de gagner 100 euros, la majorité des sujets choisissent 50 euros à coup sûr.</p>
<p>La troisième expérience des deux chercheurs amène les sujets à regarder un choix sous l’angle des pertes. La question est posée de la manière suivante : vous avez le choix entre deux possibilités, tuer 400 personnes à coup sûr, ou tuer 600 personnes mais avec seulement deux chances sur trois que cela arrive vraiment.</p>
<p>Quand la problématique est présentée sous l’angle des pertes, les sujets n’acceptent pas la perte certaine. La majorité choisit les 2 chances sur 3 de tuer 600 personnes.</p>
<p>L’explication avancée par Daniel Kahneman et Amos Tversky se situe au niveau des émotions. L’idée de tuer est trop rebutante sur le plan émotionnel, ce qui explique le changement d’option de la majorité des sujets. Le fait d’exprimer tantôt une préférence tantôt une autre, selon la façon dont le problème est formulé, est un cas flagrant d’irrationalité, selon les deux psychologues.</p>
<h2>L’amygdale activée lors de la prise de décision</h2>
<p>Des expériences de neuroimagerie réalisées dans des IRM ont montré que l’amygdale, une région du cerveau impliquée dans les réactions émotionnelles, s’active lorsque le sujet prend des décisions. Cette dernière découverte, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16888142">rapportée dans la revue <em>Science</em> en 2006</a>, constitue un argument en faveur d’un rôle important des émotions dans la prise de décision.</p>
<p>Il existe sans aucun doute des variations selon les individus. Ainsi, des études intégrant la réaction face au risque ont été menées en comparant les traders et la population générale. Les traders <a href="http://www.pnas.org/content/106/13/5035.full">ont une aversion au risque moins grande</a> – une caractéristique qui serait liée à des réactions émotionnelles moindres. Ainsi, il semble que plus les réactions émotionnelles sont intenses, plus les personnes ont une aversion marquée pour le risque.</p>
<p>Des travaux en cours à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) testent l’hypothèse selon laquelle notre humeur influence la façon dont nous pondérons les gains et les pertes. Un peu comme dans la parabole du verre à moitié vide et à moitié plein… Une personne de bonne humeur mettrait davantage l’accent sur les gains alors qu’une personne de mauvaise humeur aurait tendance à mettre l’accent sur les pertes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VwwZB7cX3Ww?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En attendant d’autres avancées dans la connaissance, comment prendre des décisions en tenant compte de nos émotions, mais sans les laisser nous « berner » pour autant ? À nous de jouer finement sur la régulation émotionnelle. Une technique consiste à se convaincre, au moment de prendre la décision, que c’est seulement une parmi beaucoup d’autres, pour ne pas se laisser gagner par l’émotion. C’est ce qu’aurait sans doute conseillé René Descartes…</p>
<p>Attention, toutefois, à ne pas basculer dans l’excès inverse. Trop de froideur, trop d’indifférence ne sont pas non plus la solution, comme l’a rappelé Antonio Damasio. Trouvons une voie moyenne en prenant conscience de notre ressenti émotionnel pour pouvoir prendre des décisions en conséquence, sans verser dans des réactions automatiques qui s’avèrent très souvent inadaptées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76277/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Pessiglione a reçu des financements de fondations publiques de soutien à la recherche, l'Agence nationale pour la recherche, l'Ecole doctorale "Cerveau, Cognition, Comportement" et de la Fondation pour la recherche médicale.</span></em></p>Face à un choix difficile, il n'est pas bon de se couper de son ressenti. Ni de lui laisser entièrement le contrôle. Voici ce qu'on sait du fonctionnement du cerveau au moment de la décision.Mathias Pessiglione, Chercheur en sciences cognitives, psychologue clinicien, Inserm, Institut du Cerveau (ICM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/751822017-04-25T19:25:39Z2017-04-25T19:25:39ZNeurofinance : une nouvelle manière d’appréhender les dérives des traders<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/164425/original/image-20170407-29396-gsetak.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Geralt/Pixabay</span></span></figcaption></figure><p>Que sait-on du métier de trader ? Emblématique par le montant des sommes en jeu et la multitude des échéances judiciaires, l’affaire Kerviel ne nous a guère éclairé. Quels sont les ressorts qui l’ont poussé à agir ? Quand on sait que deux affaires similaires se sont produites depuis, l’une chez <a href="https://www.mediapart.fr/journal/dossier/france/les-carnets-ubs">UBS</a>, l’autre chez <a href="http://www.la-croix.com/Actualite/Economie-Entreprises/Economie/JPMorgan-Chase-2-ex-traders-poursuivis-dans-l-affaire-de-la-baleine-de-Londres-2013-08-14-998309">JP Morgan</a>, mieux les cerner s’avère essentiel. Et de ce point de vue, la <a href="http://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences/neuroeconomie_9782738124449.php">neuroéconomie</a> peut s’avérer fort utile. Entre autres, s’agissant de comprendre ce qu’est la prise de décision dans un contexte particulier d’accélération du temps.</p>
<p>Cette accélération, on le sait, est rendue possible par les technologies, notamment algorithmiques, qui caractérisent aujourd’hui les marchés financiers. Or la capacité qu’a notre cerveau de traiter un très grand nombre d’informations qui se succèdent à grande vitesse a des limites – comme l’explique fort bien dans un ouvrage paru en 2009 le neuroscientifique suédois Torkel <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-overflowing-brain-9780195372885?cc=fr&lang=en&">Klingberg</a>. Et l’on conçoit donc qu’il y ait des risques de dérapages, s’agissant de décisions boursières.</p>
<p>Un point se doit d’être précisé. Comme la finance comportementale, la neurofinance a pour point de départ l’observation des comportements d’opérateurs financiers. Mais elle n’interprète pas ses résultats en se référant aux hypothèses classiques de la rationalité économique. Ses explications, elle les trouve au niveau du fonctionnement cérébral lui-même. Et de manière générale, ses recherches ont
permis de mettre en évidence que la rationalité ne s’oppose pas nécessairement à l’émotion dans la prise de décision. Tout au contraire, l’émotion constitue une dimension nécessaire à toute prise de décision raisonnée, comme l’a montré le neurologue António <a href="http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/107385849500100104">Damasio</a> dès 1995.</p>
<h2>Illusion monétaire</h2>
<p>De manière plus précise, le <a href="http://science.sciencemag.org/content/275/5306/1593">mécanisme mental</a> qui sous-tend cette prise de décision s’appuie sur un système baptisé « circuit de la récompense ». Les bases neuronales de ce <a href="http://www.cell.com/neuron/abstract/S0896-6273(02)%2000967-4">circuit</a> sont bien connues. On sait qu’il s’appuie sur un messager chimique circulant de neurone en neurone : la dopamine. Une fois sécrété, ce neurotransmetteur agit sur une région précise du cerveau – le striatum – que l’on sait associée aux émotions positives (agrément, bonheur…). Mais d’autres régions cérébrales, comme le cortex préfrontal médian, sont également activées par le circuit de la récompense. Or il semble que ce cortex préfrontal médian soit sensible à l’<a href="http://www.pnas.org/content/106/13/5025">« illusion monétaire »</a>, c’est-à-dire la tendance à réfléchir en termes de valeur nominale plutôt qu’en termes de valeur réelle. Voilà sans doute pourquoi les choix du trader obéissent à l’attente d’une double récompense : un gain matériel et la satisfaction personnelle d’avoir pris la bonne décision.</p>
<p>D’une certaine manière, le Procureur Marin a validé cette explication. Car pour lui, Kerviel voulait apparaître « comme un trader <a href="http://www.la-croix.com/Actualite/Economie-Entreprises/Economie/Jerome-Kerviel-voulait-apparaitre-comme-un-trader-d-exception-_NG_-2008-01-28-667814">d’exception</a> ». Or l’existence du circuit de la récompense permet bien de comprendre que l’excitation du trader ne se réduit pas au montant des gains, mais aussi au côté « performance » de ses résultats. Et cette seconde dimension est d’autant plus importante qu’elle se manifeste dans une salle de marchés, donc devant les autres traders.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/164432/original/image-20170407-29365-10gh2an.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/164432/original/image-20170407-29365-10gh2an.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/164432/original/image-20170407-29365-10gh2an.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/164432/original/image-20170407-29365-10gh2an.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/164432/original/image-20170407-29365-10gh2an.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/164432/original/image-20170407-29365-10gh2an.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/164432/original/image-20170407-29365-10gh2an.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Marché boursier.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Squeeze/Pixabay</span></span>
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<p>Une telle performance comporte deux types de risques. D’abord, celui d’un biais de surestimation dans l’évaluation, observé dans de <a href="https://academic.oup.com/qje/article-abstract/116/1/261/1939000/Boys-will-be-Boys-Gender-Overconfidence-and-Common?redirectedFrom=fulltext">nombreuses</a> <a href="http://www.jstor.org/stable/116990?seq=1#page_scan_tab_contents">expériences</a>, et qui pourrait être à l’origine de bulles spéculatives. Ensuite, celui de l’addiction due à l’affaiblissement de l’effet « récompense », en raison de la répétition. Un mécanisme pervers que <a href="http://www.nature.com/neuro/journal/v8/n11/full/nn1105-1442.html">certains chercheurs</a> qualifient d’« anti-circuit de la récompense », et qui conduit naturellement le trader à prendre davantage de risques, pour retrouver le plaisir recherché. Un type d’addiction d’autant plus insidieux qu’il revêt pour le trader une certaine forme de <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?download=1&ID_ARTICLE=PSYT_204_0071">rationalité</a>.</p>
<p>Dans les faits, ce risque d’addiction frappe de manière privilégiée des traders relativement expérimentés. Est-ce vraiment paradoxal ? S’agissant de Kerviel, le mécanisme récompense/émotion qui a été décrit a certainement imprimé la mémoire du trader lors de son premier gros gain, en 2005. Des études récentes ont en effet mis en évidence le biais optimiste qu’un tel gain peut engendrer, tout en soulignant ses autres impacts. Les propos de Kerviel sont là pour en témoigner : « Ma joie de réaliser de tels gains le disputa au malaise qui m’envahit ». Et ils ne sont pas sans résonance avec les événements qui ont suivi : un résultat de 2007 (55 millions d’euros) cinq fois supérieur à l’objectif, un gain total pour cette même année s’élève à près de 1,5 milliard d’euros, et un engagement durant les premiers jours de 2008 de 50 milliards d’euros…</p>
<p>Observe-t-on ces mêmes phénomènes d’addiction chez tous les traders ? Qu’en est-il dans les compagnies d’assurance, dans la négociation de matières premières ? Il serait intéressant d’élargir la perspective neuroéconomique que nous venons d’esquisser pour les négociateurs des banques à d’autres catégories de traders, peut être moins connus et moins emblématiques, mais tout aussi importants pour le fonctionnement de nos économies.« Ça a été Jérôme Kerviel, ça aurait pu être un autre » <a href="http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/industrie-financiere/20120617trib000704299/jerome-kerviel-est-le-fils-spirituel-de-daniel-bouton-son-fils-maudit.html">confiait</a> Maître Daniel Richard lors de l’audience du 25 juin 2012, en soulignant l’importance des éléments qui échappent largement au contrôle du trader dans ses choix. Et c’est précisément pour aller plus avant dans l’analyse des prises de décision de cette profession que des chercheurs issus des universités de Dauphine, Lyon3 et Grenoble ont décidé d’unir leurs efforts.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/75182/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le cerveau des traders dévoile certains de ses mystères : derrière les dérives, voire les fraudes, des mécanismes biochimiques impliquant le circuit de la récompense…François Delorme, Maître de conférences en sciences de gestion, chercheur associé CERAG, membre du WIKISGK, Université Grenoble Alpes (UGA)Christian Schmidt, Professeur émérite à l'Université Paris-Dauphine, Université Paris Dauphine – PSLMarcel Grattesol, Associate professor, Université Jean-Moulin Lyon 3Marco Heimann, Maître de conférences à l'Institut d'Administration des Entreprises, Université Jean-Moulin Lyon 3Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/761322017-04-17T18:40:36Z2017-04-17T18:40:36ZConversation avec Ariell Reshef : à quoi tient la progression des salaires dans la finance ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/165341/original/image-20170413-25882-15o0un8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Finance…</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f/photo/5706051453/8dc541409b/">Aero Pixels via Visual Hunt </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est publié dans le cadre de la série du CEPII « L’économie internationale en campagne », un partenariat CEPII–La Tribune–The Conversation–Xerfi–Canal. Ariell Reshef est directeur de recherche au CNRS, membre associé à la Paris School of Economics et conseiller scientifique au CEPII. Il répond aux questions d’Isabelle Bensidoun et Jézabel Couppey-Soubeyran.</em></p>
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<p><strong>Les rémunérations dans la finance font souvent les gros titres des journaux. Sont-elles vraiment plus élevées que dans les autres secteurs ?</strong></p>
<p>Au début des années 1980 pas tant que ça, mais à la veille de la crise, clairement. En France, alors qu’en 1980 les salaires dans la finance étaient 30 % plus élevés que ceux des autres secteurs, ils l’étaient en 2008 de 60 %. Aux États-Unis, où la croissance des salaires dans le secteur financier relativement aux autres secteurs a connu la progression la plus marquée, on est passé de salaires dans la finance 10 % plus élevés que dans les secteurs non financiers en 1980 à près de deux fois plus hauts en 2008 ! Sur cette période, la croissance des salaires dans le secteur financier a été bien plus vive que dans les secteurs non financiers. C’est ce qu’il ressort d’une <a href="http://parisschoolofeconomics.com/reshef-ariell/papers/BGR_finwage_RoF_published.pdf">étude</a> portant sur 23 pays développés : en moyenne, les salaires dans le secteur financier y ont augmenté, entre 1980 et 2008, de 36 % de plus que dans le secteur non financier. À partir de la crise financière, un pic a été atteint et l’on assiste depuis à une stabilisation (graphique).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/164926/original/image-20170411-26733-510pj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/164926/original/image-20170411-26733-510pj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/164926/original/image-20170411-26733-510pj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/164926/original/image-20170411-26733-510pj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/164926/original/image-20170411-26733-510pj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/164926/original/image-20170411-26733-510pj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/164926/original/image-20170411-26733-510pj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/164926/original/image-20170411-26733-510pj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><strong>Mais cette augmentation plus rapide des salaires dans la finance n’est-elle pas liée à un accroissement de l’intensité en travailleurs qualifiés plus forte dans la finance que dans les autres secteurs ?</strong></p>
<p>Non, en moyenne pour l’ensemble des pays, seule 20 % de cette évolution est attribuable à une augmentation de la différence d’intensité en travailleurs qualifiés entre la finance et les autres secteurs. En France, il est vrai que ce facteur est plus important puisqu’il explique 40 % de l’évolution. Mais, pour l’essentiel, cette augmentation provient d’un accroissement du salaire des travailleurs qualifiés bien plus rapide dans la finance qu’ailleurs.</p>
<p>D’ailleurs, alors que la part du secteur financier ne représente en moyenne que 6 % de l’emploi qualifié total, la progression des salaires des travailleurs qualifiés dans la finance explique à elle seule 31 % de l’augmentation moyenne des salaires des travailleurs qualifiés dans l’ensemble des économies entre 1980 et 2005. Plus particulièrement, la moitié de l’augmentation des salaires dans le secteur financier relativement aux autres secteurs provient des salaires versés aux traders, alors même que leurs activités ne représentent que 13 % de l’emploi dans ce secteur.</p>
<p>C’est donc pour beaucoup la prise de risque qui a été rémunérée, principalement sous forme de primes et bonus pour des performances de court terme, sans prise en compte de l’effet à plus long terme de ces activités sur la stabilité du secteur.</p>
<p><strong>Quels sont les facteurs qui peuvent expliquer ces écarts de salaires au profit du secteur financier ?</strong></p>
<p>La baisse du prix des technologies de l’information et de la communication (TIC) a d’abord constitué l’explication privilégiée. La finance faisant un usage intensif de ces technologies, la baisse de leur prix aurait conduit à ce qu’elles soient davantage utilisées, ce qui aurait permis une augmentation de la productivité des travailleurs qualifiés, et par conséquent de leur salaire, plus vive que dans les autres secteurs.</p>
<p>Cependant, en examinant leur usage de plus près, il s’avère que la forte augmentation de l’intensité en TIC dans la finance s’explique surtout par un élargissement de la gamme des activités bancaires à des activités risquées et complexes sur les marchés financiers (<em>trading</em>, <em>market making</em>, transferts de risques sur les marchés de produits dérivés, etc.), permis par la suppression de barrières réglementaires et un relâchement de la surveillance.</p>
<p>Cette complexité accrue de leurs activités a permis aux travailleurs qualifiés d’augmenter leur pouvoir de négociation et, par conséquent, d’<a href="http://parisschoolofeconomics.com/reshef-ariell/papers/PR_2012_QJE_published.pdf">extirper des sursalaires</a>.</p>
<p>La déréglementation a également favorisé l’internationalisation du secteur financier et l’augmentation de la taille des banques et des autres institutions financières. Ce faisant, le secteur bancaire est devenu plus concentré : le pouvoir de marché des opérateurs historiques s’est accru, leur permettant de réaliser des surprofits et de verser des sursalaires.</p>
<p>C’est d’ailleurs clairement au moment où la déréglementation financière s’amorce que les écarts de salaire entre secteurs financier et non financier commencent à se creuser et c’est aussi selon l’ampleur de la déréglementation que ces écarts varient entre les pays.</p>
<p>En France, par exemple, c’est au milieu des années 1980, quand la déréglementation du secteur bancaire est engagée, que les salaires dans la finance entament une progression plus rapide que dans les autres secteurs. Quant aux États-Unis, où la déréglementation financière a été beaucoup plus marquée que dans les autres pays, les écarts de salaire entre secteur financier et non financier sont bien plus prononcés.</p>
<p><strong>Est-ce une évolution favorable ou défavorable ?</strong></p>
<p>Il serait difficile de faire valoir que cette évolution a été favorable. Les augmentations de rémunérations indexées sur les performances à court terme, plutôt que sur des objectifs à long terme, ont incité à des prises de risque excessives qui ont débouché sur la crise financière de 2007-2008. En outre, les augmentations de salaire dans le secteur financier ont largement contribué au creusement des inégalités de revenus dans de nombreux pays, ce qui n’a pas manqué d’attiser les tensions sociales.</p>
<p>Le renforcement de la réglementation financière suite à la crise pouvait laisser envisager que les salaires dans la finance se stabiliseraient. L’amorce d’une déréglementation financière aux États-Unis risque bien de rebattre les cartes.</p>
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<p><em><strong>Pour aller plus loin</strong> : Boustanifar H., Grant E. et Reshef A. [2017], <a href="https://hal-paris1.archives-ouvertes.fr/hal-01472400">« Wages and Human Capital in Finance : International Evidence, 1970-2011 »</a>, working paper, Paris School of Economics.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76132/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Analyse des causes et des modalités des écarts de salaires des secteurs financiers par rapport aux autres secteurs.Isabelle Bensidoun, Économiste, CEPIIAriell Reshef, Économiste, Directeur de recherche CNRS, Conseiller scientifique au CEPII, Membre associé, Paris School of Economics – École d'économie de ParisJézabel Couppey-Soubeyran, Maître de conférences en économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et conseillère éditoriale, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/708342017-01-11T22:17:10Z2017-01-11T22:17:10ZRiz, café et pétrole : une plongée dans l’histoire des bourses de matières premières<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/151948/original/image-20170106-18647-oysqm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La bourse au riz de Dojima à Osaka (Japon) en 1835. Extrait de l’ouvrage « Images de sites célèbres à Osaka » du peintre japonais Utagawa Hiroshige. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://embarkkiosk.chazen.wisc.edu/VieO5413?sid=4955551&x=466252">Chazen Museum of Art</a></span></figcaption></figure><p>Le vendredi 30 décembre 2016 aura marqué la fin d’une époque : le New York Mercantile Exchange <a href="http://www.cmegroup.com/company/nymex.html">(NYMEX)</a>, principale bourse pétrolière mondiale, a définitivement basculé vers le tout électronique en fermant sa criée (<em>trading floor</em>).</p>
<p>Cette dernière rassemblait, depuis sa création en 1872, les différents acteurs du marché – les traders et les brokers – en un même lieu sur l’une des places financières pétrolières les plus actives après celle de l’<a href="https://www.theice.com/index">Intercontinental Exchange</a> (ICE) de Londres.</p>
<p>Pour mémoire, les principales transactions s’effectuaient à la criée de la bourse de Paris jusqu’à l’informatisation du système en 1987 et la mise en place du système CAC (pour « cotation assistée en continu »). La fin de la corbeille parisienne avait annoncé la révolution de l’informatisation des systèmes de cotations boursières et le développement massif des transactions financières.</p>
<p>Ces décisions ne font que refléter une réalité : en décembre 2016, les transactions à la criée sur les marchés d’options pétrolières ne représentaient plus que 0,3 % des transactions globales contre plus de 95 % en 2008 !</p>
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<figcaption><span class="caption">La fin de la «corbeille» parisienne (Ina Sciences, 2012).</span></figcaption>
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<h2>À l’origine des bourses de matières premières</h2>
<p>Durant le XIX<sup>e</sup> et le XX<sup>e</sup> siècles, la volatilité des prix n’était pas absente des marchés de matières premières et même plutôt commune sur les marchés de matières premières agricoles. Il n’y a ainsi rien d’étonnant à ce que la première bourse créée aux États-Unis, en 1848, le Chicago Board of Trade (CBOT), se soit spécialisée sur les marchés agricoles et alimentaires (blé, maïs, etc.), largement dépendants de la variable climatique, morcelés en matière de production et donc soumis à une grande variabilité de l’offre.</p>
<p>Fruit de la volonté de quelques hommes de rassembler les différents acteurs (producteurs, consommateurs et traders) au sein d’un même lieu d’échanges, les bourses de matières premières se sont développées. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=HFyk8byc9vA&list=FLLC4PuFlyKwK03Sc29YLEGQ">L’histoire du Chicago Mercantile Exchange (CME)</a> est à cet égard passionnante, la bourse ayant été créée par quelques hommes passant une annonce dans un journal local pour attirer des personnes intéressées par l’organisation d’une bourse de commerce !</p>
<p>Dans de nombreux cas, les bourses de commerce recèlent dans leur nom d’origine leur proximité avec le monde agricole : le Chicago Mercantile Exchange (CME), fondé en 1898 sous le nom de Chicago Butter and Egg Board ; le NYMEX créé par des laitiers de Manhattan s’appelait à l’époque de sa création le Butter and Cheese Exchange of New York avant de se spécialiser dans la pomme de terre de Boston dans les années 1960 et l’énergie à la fin des années 1970. On peut citer encore le New York Board of Trade (NYBOT) composé du New York Cotton Exchange (NYCE, 1870) et du Coffee Sugar and Cocoa Exchange (CSCE, 1882).</p>
<h2>Au commencement était le Japon</h2>
<p>Si les États-Unis revendiquent la naissance des bourses de matières premières sur leur territoire, l’histoire nous apprend que la naissance du CBOT en 1848 avait été précédée au XVII<sup>e</sup> siècle par la place boursière de Dojima d’Osaka au Japon.</p>
<p>Dès 1697, cette bourse de commerce organise la collecte des informations (prix, qualité) et innove dans la mise en place d’instruments modernes de gestion du risque (invention du contrat financier standardisé) pour le commerce et le stockage du riz.</p>
<p>Cette denrée alimentaire est essentielle dans le Japon de la période Edo, à la fois pour la sécurité alimentaire mais également pour le pouvoir des Shoguns qui le collectent sous la forme d’impôt. Pour lutter contre la très forte cyclicité du prix du riz, récolté à cette époque une seule fois l’an, la place de Dojima inventa les outils et la logistique de gestion du risque de prix sur les marchés de matières premières. Un lieu d’échange, une criée, a ainsi été créé pour permettre aux acteurs de réaliser leurs transactions d’achats ou de ventes de riz.</p>
<p>Pour pallier difficultés d’écoute et au brouhaha des transactions, on y inventa le langage des signes du trading qui fit la gloire de la filmographie américaine sur le sujet. Enfin, Dojima innova des métiers secondaires, comme ces <em>water men</em>, individus dont la fonction se résumait à arroser les acteurs qui continuaient à négocier après la fin de la séance journalière ! Ce système imaginatif ne fut malheureusement pas conservé, Dojima et les autres bourses de matières premières lui préférant l’utilisation de pétards, de gongs chinois ou d’une cloche comme à Wall Street pour signifier le début et la fin de chaque séance.</p>
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<figcaption><span class="caption">Des millions et des millions de gestes ! (Wall Street Journal, 2015).</span></figcaption>
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<h2>L’avènement du marché financier pétrolier</h2>
<p>Paradoxalement, alors que le pétrole est l’une des matières premières les plus échangées (en volume et en valeur), l’intérêt pour les contrats énergétiques est venu tardivement sur les bourses de matières premières.</p>
<p>Les rapports commerciaux observés jusqu’au premier choc pétrolier de 1973 expliquent largement ce paradoxe. En effet, dominée par des compagnies internationales intégrées (« les sept sœurs », Exxon, Mobil, Chevron, Texaco, Gulf, Royal Dutch Shell, BP) jusqu’à la fin des années 1960 et régie par des contrats pluriannuels, la filière n’offrait pas le facteur attractif pour les acteurs des bourses de matières premières, à savoir une forte volatilité des prix.</p>
<p>Les chocs pétroliers successifs de 1973 et de 1979 vont ainsi marquer une nouvelle ère pour les différents acteurs de l’économie mondiale avec l’introduction et la généralisation de l’instabilité et de la volatilité sur les marchés énergétiques.</p>
<p>En 1971, le New York Cotton Exchange a été la première Bourse de commerce à s’intéresser aux contrats à terme pour les matières premières énergétiques, avec le lancement d’un contrat sur le propane liquide. Cette tentative fut un échec en raison d’un volume de transactions limité.</p>
<p>Les marchés financiers n’offraient pas alors les garanties d’une gestion optimale du risque de prix. Mais la dynamique a toutefois été reprise par le NYMEX en 1978 avec le lancement simultané d’un contrat sur le fuel domestique et sur le fuel industriel et, au début des années 1980, avec le lancement d’un contrat sur l’essence (1981) et d’un contrat sur le pétrole brut (1983). Faute de transactions suffisantes, le contrat sur le fuel industriel disparut rapidement, les autres connurent un essor à partir de 1981 suite à la déréglementation des prix de l’énergie mis en place par l’administration Reagan et grâce à la libéralisation progressive des marchés financiers au début des années 1980.</p>
<h2>Déréglementation, fusion et tout électronique</h2>
<p>Les bourses de matières premières ont connu de nouvelles dynamiques durant les années 2000, ces dernières transformant progressivement leur fonctionnement. Elles ont ainsi enregistré un mouvement marqué de consolidation : en 2007, le Chicago Mercantile Exchange (CME) a racheté le CBOT puis le NYMEX en 2008 et le Kansas City Board of Trade (KCBT) en 2012 ; de son côté, l’ICE a consolidé ses activités en rachetant en 2007 le NYBOT et le Winnipeg Commodity Exchange puis l’European Climate Exchange (ECX) en 2010 et le NYSE Euronext en 2013.</p>
<p>Face à ces deux géants, la résistance s’organise et les contrepoids sont essentiellement asiatiques. Les transactions sur les marchés de matières premières ont ainsi explosé ces dernières années en Chine, en Inde, en Corée et à Singapour, mais également en Russie.</p>
<p>Les bourses de matières premières ont de même enregistré une double évolution liée à l’informatisation des systèmes. Si la dynamique des transactions électroniques a débuté en 1971 avec le début de l’informatisation du Nasdaq, la période actuelle est clairement celle de la fin d’une époque avec la fermeture des dernières criées et seuls certains pans d’activités (soja, maïs, etc.) ou de marchés financiers (S&P 500) voient encore s’affronter tous les jours acheteurs et vendeurs, traders et brokers sur les parquets des places boursières. En outre, ce mouvement s’accompagne d’une accélération du trading haute fréquence (HFT) à base d’algorithme traitant des milliers de transactions en quelques microsecondes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le trading haute fréquence (AFP, 2015).</span></figcaption>
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<p>Sur le seul CAC 40, l’Autorité des marchés financiers <a href="http://www.amf-france.org">(AMF)</a> estime que près de <a href="http://www.amf-france.org/Publications/Lettres-et-cahiers/Risques-et-tendances/Archives.html?docId=workspace%3A%2F%2FSpacesStore%2F0f6ebd5e-6c42-4a59-9a65-04ff1fdf1ac9">50 % des ordres</a> sont réalisés par le HFT et aux États-Unis, ce chiffre atteindrait près de 70 % !</p>
<p>Difficile d’anticiper les conséquences de cette dynamique sur la transparence de l’information entre tous les acteurs, la manipulation des cours ou la spéculation. La criée et le parquet étaient des lieux d’échanges d’information dans un milieu certes restreint d’acteurs mais ils illustraient parfaitement le concept de marché.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/70834/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Hache est chercheur associé et professeur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). </span></em></p>2016 aura vu la fin de la criée du NYMEX, principale bourse pétrolière mondiale. À l’heure du trading haute fréquence, retour sur les évolutions des bourses où s’échangent les matières premières.Emmanuel Hache, Économiste et prospectiviste, IFP Énergies nouvelles, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/702052016-12-18T21:23:28Z2016-12-18T21:23:28ZNeurofinance : qu’est-ce qui fait un bon trader ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/149424/original/image-20161209-31383-3a86mp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Qu’est-ce qui fait un bon _trader_ ?</span> </figcaption></figure><p>Le métier de <em>trader</em> ne laisse pas l’opinion publique complètement indifférente. Bien que les <em>traders</em> ne représentent qu’une infime partie du milieu bancaire, ils ont une place prépondérante dans l’imagerie populaire du milieu financier.</p>
<p>Si l’on croise les données de l’étude annuelle de la Fédération bancaire française qui estime à 371 000 le nombre de salariés du secteur bancaire français et celle de l’Association Française des Banques qui estime que 1,3 % des employés de ses adhérents sont des « opérateurs de marché », on obtient une estimation d’un peu moins de 5 000 <em>traders</em> en France.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/149537/original/image-20161211-31379-n7dd8n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/149537/original/image-20161211-31379-n7dd8n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/149537/original/image-20161211-31379-n7dd8n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/149537/original/image-20161211-31379-n7dd8n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/149537/original/image-20161211-31379-n7dd8n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/149537/original/image-20161211-31379-n7dd8n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/149537/original/image-20161211-31379-n7dd8n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le film <em>Trader Games</em>, 2010.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jan Thigis/Ciné Nominé–Caramel Films</span></span>
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<h2>Le trader, ce héros de cinéma</h2>
<p>Et pourtant, ce n’est pas moins de six films à gros budgets qui sont sortis depuis 2010 sur les <em>traders</em> professionnels. Il faut dire que le métier de <em>trader</em> implique bien souvent de prendre des décisions rapides sur d’importantes sommes d’argent : ce faible nombre de <em>traders</em> ne les empêche pas d’avoir un impact important sur les marchés financiers. La réputation sulfureuse du métier, principalement due aux excès de quelques individus à haute visibilité pendant les décennies précédentes, et les cas de moutons noirs fortement médiatisés, forment en effet un cadre propice à des productions cinématographiques.</p>
<p>En ce qui concerne les moutons noirs, on peut en particulier citer l’<a href="https://theconversation.com/affaire-kerviel-la-pomme-pourrie-et-le-tonneau-61938">affaire Kerviel</a> en France, qui continue de défrayer la chronique 8 ans après, avec la réduction de sa peine de 4.9 milliards à 1 million après le jugement en appel du 23 septembre. Un film sorti en 2016 dans les salles, <a href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=225647.html"><em>L’Outsider</em></a>, lui est d’ailleurs consacré.</p>
<p>La <a href="https://theconversation.com/debat-sur-la-science-economique-et-financiere-la-voie-de-la-neurofinance-65919">neurofinance</a>, une branche de la finance qui utilise des méthodes empruntées aux neurosciences pour répondre à des problématiques académiques financières s’est également intéressée à ce métier. En particulier, de nombreux travaux ont essayé de comprendre, via ces méthodes empruntées aux neurosciences, ce qui faisait un « bon <em>trader</em> ».</p>
<h2>Émotions</h2>
<p>Un premier domaine d’étude de la neurofinance ayant trait aux <em>traders</em> concerne les émotions. En effet, on sait depuis <a href="http://www.labsi.org/cognitive/Becharaetal1997.pdf">Bechara et al. (1997)</a> que gestion du risque et émotions sont plus intimement liées qu’il n’y paraît. Dans ce cas, il est intéressant d’étudier des sujets qui prennent des décisions comportant une composante de risque majeure sur une base journalière. Il ressort de deux études préliminaires que les <em>traders</em> ressentent en effet de fortes émotions durant les périodes de <em>trading</em>. Leur <a href="http://www.mitpressjournals.org/doi/abs/10.1162/089892902317361877">rythme cardiaque et la conductance de leur peau augmentent</a>, <a href="http://oro.open.ac.uk/34212/1/2012-0041R.pdf">leur variabilité cardiaque diminue</a> durant les périodes de fortes volatilités.</p>
<p>Cependant, ces émotions conduisent-elles les <em>traders</em> à prendre des décisions bénéfiques ou néfastes ?</p>
<p>Deux études académiques nous apportent des éléments de réponse. Sur un échantillon de 80 particuliers gérant des portefeuilles de 35 000 de dollars en moyenne et suivant une formation de <em>trading</em>, <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/000282805774670095">Lo et al.</a> prouvent à l’aide de questionnaires que les <em>traders</em> ayant des réactions émotionnelles plus fortes par rapport à leurs profits journaliers rencontraient un succès moindre.</p>
<p>Ceci est confirmé par une <a href="http://oro.open.ac.uk/31984/">étude qualitative</a> se basant sur des interviews. Les interviews en question, menées auprès de plus de 100 <em>traders</em> professionnels font émerger l’importance de la régulation des émotions dans le <em>trading</em>. Les <em>traders</em> avec plus d’expérience sur le marché y semblent d’ailleurs meilleurs. Un des thèmes ressortant de ces interviews est également celui de la fameuse « intuition » du <em>trader</em>.</p>
<h2>Théorie de l’esprit et intuition</h2>
<p>En ce qui concerne l’intuition, on peut citer les <a href="http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1540-6261.2010.01591.x/abstract">travaux très prometteurs</a> de Peter Bossaerts et son équipe du Caltech. Celui-ci a effectué une étude dans laquelle des sujets devaient observer un marché financier expérimental, où certains <em>traders</em> avaient une information privilégiée. Les sujets observateurs ne participaient pas au marché : ils devaient simplement tenter de prédire les prix. Les sujets passaient en même temps une IRM. L’équipe de chercheurs a réalisé qu’une zone du cerveau en particulier était activée – celle liée à la « Théorie de l’Esprit ». La théorie de l’esprit est développée chez les enfants à partir de 2 ans et permet de se représenter les intentions et états mentaux d’une autre personne. Elle est par extension utilisée pour les objets inanimés qui semblent posséder des intentions.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/149538/original/image-20161211-31367-aidpzu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/149538/original/image-20161211-31367-aidpzu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/149538/original/image-20161211-31367-aidpzu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=268&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/149538/original/image-20161211-31367-aidpzu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=268&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/149538/original/image-20161211-31367-aidpzu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=268&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/149538/original/image-20161211-31367-aidpzu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=336&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/149538/original/image-20161211-31367-aidpzu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=336&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/149538/original/image-20161211-31367-aidpzu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=336&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les bases anatomiques de la théorie de l’esprit.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.researchgate.net/figure/259067756_fig1_Figure-1-Les-bases-anatomiques-de-la-theorie-de-l'esprit">La théorie de l’esprit : aspects conceptuels, évaluation et effets de l’âge, Duval & al 2011</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les chercheurs de l’équipe de Peter Bossaerts ont alors mis en valeur que les sujets possédants une bonne théorie de l’esprit réussissaient mieux à prédire les cours futurs. Cela pourrait être l’origine de « l’intuition » du <em>trader</em>. Si vous voulez tester votre capacité en « théorie de l’esprit », vous pouvez suivre <a href="https://www.questionwritertracker.com/quiz/61/Z4MK3TKB.html">ce lien</a> (en anglais).</p>
<p>Cette première recherche sur la théorie de l’esprit a créé un véritable engouement dans le champ de la recherche expérimentale en finance. Ces premiers résultats auraient tendance à être tempérés par des papiers en cours de rédaction. <a href="https://www.chapman.edu/research-and-institutions/economic-science-institute/_files/WorkingPapers/what-makes-good-trader.pdf">Corgnet et al.</a> soulignent que la théorie de l’esprit n’a plus de réel impact une fois que l’on prend en compte la capacité à résister à des biais comportementaux communs. <a href="http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2832767">Hefti et al.</a>, de leur côté, soulignent que la théorie de l’esprit ne permet d’obtenir du succès en tant que <em>trader</em> que si l’on dispose également de capacités en analyse quantitative suffisantes. Ce dernier résultat irait dans le sens de ce que l’on observe dans la réalité sur les marchés financiers. On peut par exemple citer une <a href="http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/0022-1082.00130/full">étude publiée</a> dans le Journal of Finance, qui montre que les gérants de fonds provenant d’universités américaines ayant des exigences à l’entrée plus élevées performeraient mieux. La raison de cette performance reste peu claire : cela pourrait être dû à une meilleure capacité de sélection des actifs, une meilleure formation ou un meilleur réseau permettant d’obtenir des informations peu disponibles pour le public.</p>
<h2>Caractéristiques physiologiques</h2>
<p>Une dernière branche de la neurofinance a cherché à établir des liens entre performance des <em>traders</em> et caractéristiques physiologiques. On peut par exemple citer plusieurs études ayant trait à la testostérone. En effet, de nombreuses études en neuroéconomie tendent à montrer que de plus hauts niveaux de testostérone entraineraient une plus grande prise de risques financiers chez des étudiants.</p>
<p>La neurofinance s’est donc intéressée au niveau de testostérone des <em>traders</em>. Une première étude de Coates et al. a notamment montré qu’il y aurait un lien entre taux de testostérone matinal et profit sur <a href="http://www.pnas.org/content/105/16/6167.abstract">17 <em>traders</em> masculin londoniens</a>. D’après une <a href="http://www.pnas.org/content/106/2/623.abstract">autre étude</a> de l’auteur sur 44 <em>traders</em>, le ratio de la taille de l’annulaire par rapport à l’index (2D :4D, un indice du taux de testostérone reçu au stade fœtal) serait un prédicteur du nombre d’années sur les marchés et du profit à long terme. Dans un troisième <a href="http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0008036">article sur le sujet</a>, l’auteur réalise que le ratio 2D :4D prédit en réalité plutôt la quantité de risque prise par les <em>traders</em>, elle-même liée aux profits comme nous l’avons déjà vu. Si vous êtes curieux concernant votre propre ratio 2D :4D, il est en moyenne aux alentours de 0,947 pour un homme et 0,965 pour une femme – Les femmes recevant moins de testostérone au stade fœtal. Il convient de souligner que ce ratio reste une mesure très bruitée et imprécise, de l’aveu même des chercheurs en psychologie qui l’utilisent régulièrement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/149362/original/image-20161209-31375-1493ki7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/149362/original/image-20161209-31375-1493ki7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/149362/original/image-20161209-31375-1493ki7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=495&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/149362/original/image-20161209-31375-1493ki7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=495&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/149362/original/image-20161209-31375-1493ki7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=495&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/149362/original/image-20161209-31375-1493ki7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=622&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/149362/original/image-20161209-31375-1493ki7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=622&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/149362/original/image-20161209-31375-1493ki7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=622&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">le « doigté » d’un bon trader ?</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Enfin, une étude menée par <a href="http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0030844">Sapra et al. (2012)</a> montre que le nombre d’années de carrière à Wall Street serait lié à une combinaison de gènes qui entraînerait une prise de risque modérée. Un résultat potentiellement moins étonnant qu’il n’y paraît, quand on sait qu’environ <a href="http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0304405X10001777">25 % de nos comportements vis-à-vis du risque sont liés à notre génétique</a>.</p>
<p>Bien que les études sur le sujet soient encore peu nombreuses et demandent à être répliquées sur de plus gros échantillons il semblerait que certains <em>traders</em> pourraient peut-être avoir des prédispositions, observables ou mesurables grâce à des caractéristiques physiologiques précises, au même titre que certaines personnes ont des prédispositions pour certains sports. Toutes proportions gardées, la part de l’acquis (éducation, formation, expérience, etc.) joue certainement un rôle plus important que la part de l’inné dans la capacité à exercer le métier de <em>trader</em>. Cependant, l’inné ne doit pas être négligé, particulièrement dans la prise de risque lors de situations à très forte incertitude.</p>
<p>Nous avons présenté dans ce court article les derniers résultats de la recherche en neurofinance sur ce qui faisait un « bon <em>trader</em> ». Les résultats de ces recherches sont fascinants, en ce sens qu’ils changent grandement du traditionnel paradigme de la finance classique.</p>
<p>Cependant, il convient d’émettre quelques réserves de rigueur. Les études sur le sujet sont encore peu nombreuses, et du fait des coûts impliqués ont souvent utilisé de petits échantillons. Elles demandent donc à être répliquées. Il est de plus clair que, pour réussir sur les marchés financiers, tout n’est pas dans la taille de l’index par rapport à celle de l’annulaire !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/70205/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le métier de trader a une place prépondérante dans l’imagerie populaire. Mais quelles sont les caractéristiques d’un bon trader ? Les réponses de la neurofinance.Luc Meunier, Professeur de Finance et Doctorant, Grenoble École de Management (GEM)François Desmoulins-Lebeault, Professur de finances, Grenoble École de Management (GEM)Jean-François Gajewski, Professeur de Finance, Université Savoie Mont BlancLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/658022016-09-23T04:43:36Z2016-09-23T04:43:36ZAuditeurs, pourquoi vos solutions dans l’affaire Kerviel ne fonctionneront pas<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/138786/original/image-20160922-22527-grg6k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le PWC Building, 41st et Madison, New York. Et ce qui s'y reflète.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mmorgan8186/3814168654/in/photolist-6P3Bsw-dRE9eu-wJnMJR-eW7kpo-J8kCX-7VdrD-5j3ycm-rpaurS-7VdrE-oMgCdw-qThVbJ-5iYfLH-rvXVvv-rxGPRo-p7H3XT-2h4YX-nxgJhf-rQaXUS-qThV4Q-rvXVnp-dS77bB-buYiFD-o5jAEn-qnuXaN-pdPpdE-u3Wnh3-qFJ6Pe-s6jrLV-GaQPwr-dwb1Aw-qjAAhL-qjAAfb-qmPesC-wbLHsR-p5mtgU-buYiXT-pbj5bb-GaHJku-GWU8Zb-GWUawj-GWUad3-xFzjVE-cWLg2d-cWLgC9-rw7ZpM-qdrJPf-dRyAap-sYiuXB-pyu8zJ-q61EDb">Mark Morgan/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Chers auditeurs,</p>
<p>Face à la complexité de l’affaire Kerviel, je viens vous interroger puisque vous y êtes intervenus.</p>
<p>Auparavant, rappelons quelques faits déjà anciens : la Société Générale « découvre » en janvier 2008 des positions non autorisées prises par un de ses traders, Jérôme Kerviel. Cela se manifeste par un gain apparemment rendu invisible de 1,471 milliards d’euros au titre de l’année 2007. Des positions conséquentes, là encore non détectées, ont été créées en janvier 2008. Elles seront « débouclées » et matérialiseront une perte de près de 5 milliards, une fois déduits les gains de 2007.</p>
<h2>Qui savait quoi ?</h2>
<p>À partir de ce moment-là, commence un grand feuilleton judiciaire… qui n’est pas terminé : la banque cherche à mettre en avant qu’elle a été abusée et trompée, et le trader se défend en expliquant que ses agissements étaient connus.</p>
<p>Quelques éléments plus précis sont à souligner.</p>
<p>Le <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/l-enquete/l-enquete-01-juillet-2016">14 mai</a>, un document de travail interne au parquet met l’accent sur la nécessité d’une enquête sur la ristourne fiscale de plus de 2 milliards dont bénéficie la Société Générale au titre du traitement de la perte de 2008. Elle serait remise en cause en cas de mise en évidence d’insuffisance des services du contrôle.</p>
<p>Au même moment ou presque, la banque nous offre SA vision des agissements de Jérôme Kerviel par le biais de la <a href="https://www.societegenerale.com/sites/default/files/documents/green.pdf">mission Green</a>, rédigée par l’Inspection générale de la Société Générale. Ce service théoriquement redouté de <a href="http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/affaire-kerviel-la-societe-generale-que-j-ai-connue_1121937.html">la banque</a>… aurait dû, vues les compétences et attributions qui lui sont reconnues, découvrir tout fraudeur (et donc Kerviel) au premier faux pas. Le trader aurait donc trompé même les <a href="http://www.lesechos.fr/01/02/2008/LesEchos/20101-092-ECH_societe-generale---la-grande-hypocrisie-du-controle-interne.htm">plus aguerris</a>… (Cependant, la Commission bancaire a infligé une amende de 4 millions d’euros et un blâme à la banque pour « des carences graves du système de contrôle interne »).</p>
<h2>Le rapport du cabinet PWC</h2>
<p>Sur la base de ce document, discutable donc, le cabinet d’audit PWC établit des préconisations publiées le <a href="http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/0/32/13/25/Presse/SocGen_rapport_partie_2.pdf">23 mai 2008</a>.
Il fait une sorte de vérification accompagnée d’un plan de remédiation, et de transformation. Nous trouvons d’abord dans ce rapport un diagnostic des causes, fait de hausse d’activité et de moyens insuffisants, d’environnement devenu plus complexe et de procédures inadaptées. Du classique.</p>
<p>Le document commence toutefois par la phrase suivante : « pour faire suite à la fraude dont a été victime la Société Générale ». Le décor est planté, la banque est victime.</p>
<p>Il est particulièrement intéressant de noter page 7 :</p>
<blockquote>
<p>« les activités du front office se sont développées à partir d’une culture entrepreneuriale forte, basée sur la confiance ».</p>
</blockquote>
<p>On peut avoir deux lectures de cette phrase.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/138782/original/image-20160922-22502-9ayhx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/138782/original/image-20160922-22502-9ayhx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/138782/original/image-20160922-22502-9ayhx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/138782/original/image-20160922-22502-9ayhx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/138782/original/image-20160922-22502-9ayhx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/138782/original/image-20160922-22502-9ayhx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/138782/original/image-20160922-22502-9ayhx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/138782/original/image-20160922-22502-9ayhx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">« Topaze », Louis Jouvet.</span>
</figcaption>
</figure>
<ul>
<li><p>celle tirée de <em>Topaze</em> : « employons des mots innocents, ça nous fera la bouche fraîche » car à aucun moment, ni la « confiance », ni « la culture entrepreneuriale » ne ressortent dans les débats judiciaires. Ne restent alors que de beaux principes qui sont affichés…</p></li>
<li><p>soit une vision plus sociologique qui s’attacherait dans des organisations régies par les ratios, le reporting, les contrôles et les contrats à s’intéresser à ces critères de « confiance » et de « culture » par définition non quantifiables. Ceci nous amène à considérer la place de ces éléments – des conventions – dans les organisations contemporaines.</p></li>
</ul>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/138785/original/image-20160922-22521-18cryc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/138785/original/image-20160922-22521-18cryc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/138785/original/image-20160922-22521-18cryc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=825&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/138785/original/image-20160922-22521-18cryc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=825&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/138785/original/image-20160922-22521-18cryc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=825&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/138785/original/image-20160922-22521-18cryc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1037&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/138785/original/image-20160922-22521-18cryc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1037&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/138785/original/image-20160922-22521-18cryc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1037&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ferdinand Tonnies.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipedia</span></span>
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</figure>
<h2>Les communautés et les conventions</h2>
<p>Permettez-moi de développer cette notion a priori désuète qui fut pourtant une des premières étudiées par les pères de la sociologie. On doit à <a href="https://sociologie.revues.org/1820">Tönnies</a> l’opposition entre la convention (comportements partagés, intériorisés) et le contrat, chacun ayant sa forme organisationnelle, communauté (Gemeinschaft) et société (Gesellshaft). Parler de « communauté » peut faire sourire certains qui l’associent à des organisations de la fin des années 60, d’autres penseront aux « communautés de pratiques », en vogue plus récemment.</p>
<p>Elle est particulièrement incarnée par des organisations silencieuses guère étudiées, les ordres religieux. N’oubliez pas, chers auditeurs, que ces organisations ont été des pionniers de la gouvernance et du contrôle : l’abbaye de Cluny comptait au Moyen Âge jusqu’à de 10 000 moines, et 1 200 abbayes dans toute l’Europe. Comment faisait-elle donc sans reporting, sans Internet, sans ratios ?</p>
<p>Au sens contemporain du terme, la communauté est à la fois quelque chose de reçu et de construit à travers des références à des caractéristiques (âge, genre, religion, mœurs) partagées. Il existe un double processus d’identification de celles-ci et une identification du fait du regard porté par les autres : c’est l’autre qui identifie comme membre d’une communauté un acteur par son comportement. La communauté induit ainsi la construction des autres communautés de façon catalytique.</p>
<p>On s’aperçoit très bien de ce critère dans le regard que porte le <em>middle office</em> (services administratifs) sur les traders. L’attitude de ces derniers est mise en évidence par les premiers : « centre de profit » contre « centre de coût ». Cela permet-il l’existence des traders en tant que communauté ? Le critère de caractéristiques partagées n’est pas visible, il s’agit donc plutôt d’une « association » que d’une communauté. À quoi s’identifient les traders ? Qu’est-ce qui fait leur esprit de corps ? Certainement pas le bonus, puisque s’il est une préoccupation commune, il est strictement individuel.</p>
<h2>La règle et le code</h2>
<p>Deux séquences de l’affaire Kerviel illustrent cette méconnaissance et cette <a href="http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/banque/20100608trib000517576/jerome-kerviel-contre-la-societe-generale-suivez-le-proces-minute-par-minute-8.html">absence des conventions</a>.</p>
<blockquote>
<p>Christophe Mannié : « Quand on devient trader chez SocGen, on signe une charte de déontologie qui dit qu’on doit être loyal, transparent et respecter ses limites. »</p>
</blockquote>
<p>et</p>
<blockquote>
<p>Olivier Metzner : « alors pourquoi ne pas faire un code d’éthique qui appelle au « bon sens » ? Si les vraies limites ne sont pas définies, comment voulez-vous qu’un trader sache où sont ses limites ? »</p>
</blockquote>
<p>Signer la charte de déontologie ne donne aucun pouvoir supplémentaire au caractère conventionnel. Le fait de se référer à un « code éthique » partagé exclurait de fait la <a href="https://theconversation.com/affaire-kerviel-la-pomme-pourrie-et-le-tonneau-61938">« pomme pourrie »</a> parce que ce qui est commun crée une coercition sociale qui limite ainsi les comportements déviants en excluant de la communauté. L’importance de la convention tient dans ce rapport entre les acteurs et la règle, plus efficace que la sanction. Les conséquences sont essentielles, parfaitement résumées par le Prieur dans le « Dialogue des carmélites » :</p>
<p>« ce n’est pas la règle qui nous garde, c’est nous gardons la règle »</p>
<p>Toutes les règles ne sont pas quantifiables, et certains comportements doivent être intériorisés, partagés, défendus par le groupe. Ainsi, la communauté se caractérise par la cohésion de ses membres, et par des dimensions informationnelles (fort degré d’interconnaissance des membres et conscience collective) et culturelles communes aux acteurs.</p>
<p>Il serait à ce titre intéressant de savoir comment a été mené le chantier décrit page 31 « rigueur, transparence, discipline, courage ». Grand-messe ? ou réelle volonté d’intérioriser des comportements ?</p>
<p>En conclusion, ne nous y trompons pas, la vie conventionnelle et communautaire n’est pas un idéal et il ne faut pas opposer contrat et convention. Elle doit nous faire réfléchir, au-delà du cas Kerviel, sur une certaine vision du « travailler ensemble » dans les organisations, trop faites de reportings et des contrôles, de ratios.</p>
<p>Si l’on s’intéresse au fameux 15 % de ROE (<em>return on equity</em>, ou rentabilité des capitaux propres), <a href="http://www.xerfi-precepta-strategiques-tv.com/emission/Nicolas-Berland-ROE-a-15-pourquoi-ce-n-est-plus-soutenable_3746.html">Nicolas Berland</a> nous explique que ce chiffre « magique » est caduque depuis bien longtemps et qu’il survit aussi parce qu’il y a des cas de « tricherie » pour atteindre un objectif devenu irréaliste. Tricher ne manque pas de nous interpeller dans l’affaire qui nous concerne car <em>in fine</em>, saurons-nous qui est le « tricheur » et ou est la « tricherie » ? et comment la tricherie serait-elle traitée dans une organisation incluant des conventions ?</p>
<p>Vous l’aurez compris, chers auditeurs, mon truc, c’est la sociologie, les colloques, les belles idées, la littérature, et je ne me fais pas trop d’idée sur le destin des conventions dans les banques….</p>
<p>Vous êtes rompus aux chiffres, et pour moi, la meilleure définition des chiffres vient d’Alfred Sauvy écrivant « ce sont des êtres fragiles qui, à force d’être torturés, finissent par avouer tout ce qu’on veut leur faire dire ». Pourriez-vous alors m’expliquer pourquoi l’ancien patron du <em>back office, _<a href="http://socgen-vs-jkerviel-revision-necessaire.over-blog.com/2016/02/pourquoi-il-faut-reviser-le-proces-de-jerome-kerviel.html">Philippe Houbé,</a> décrit de manière limpide comment le milliard et demi de gains de 2007 ne peut être camouflé par des _forwards</em> ? et pourquoi il est le seul à le dire ? Après tout, vous faites de l’audit…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/65802/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Delorme ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le 23 septembre, la Cour d’appel de Versailles a rendu son arrêt dans l'affaire Jérôme Kerviel. Est-ce pour autant la fin de l'histoire ? Quelques questions pour y voir plus clair.François Delorme, Chercheur associé, sciences de gestion, CERAG, membre du WIKISGK, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/643912016-08-31T04:38:48Z2016-08-31T04:38:48ZDe Zola à Kerviel : les banques changeront-elles un jour ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/135796/original/image-20160829-17859-p86l43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Une banque »</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/johnpx/8503106100/in/photolist-dXoDcA-cYp1GE-cYoVE7-cYoJ4o-cYp3HJ-cYorsJ-5STyys-cYoBFq-r5DzbR-cYoDr7-6PC7KX-4pXWVs-dZNKLR-qYf3Eg-8W34UV-5rXvBM-5rXvBD-aKZxQv-aukJMW-7oZ4EJ-9qDNYg-rCzYbV-rv3YGu-rKjPe1-2V37qY-5E9PZj-5J2aEb-cYoGyd-fhWdEj-odkNmn-ad93ng-rU7X2-aiq2y5-pbDE8d-dERkjJ-deX8Su-c2tiKq-q6v4Sz-9tW984-9eV8mb-Jp4tf2-fgeU4B-8bMHoW-8YdCfk-8bMHNA-8bMGVW-eHeALt-8bJpdk-7HsBoD-HJc3bp">John PX/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’Universel, la Barings, la Société Générale : trois banques, la première est fictive, élément central de « l’argent » de Zola, la deuxième a fait faillite, la troisième a été durement secouée par un scandale dont les échéances judiciaires courent toujours.</p>
<p>Quels sont les points communs entre ces trois banques ? Leurs « héros ».</p>
<h2>L’aveuglement et l’arrogance</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/135797/original/image-20160829-17845-1k0vk1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/135797/original/image-20160829-17845-1k0vk1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/135797/original/image-20160829-17845-1k0vk1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/135797/original/image-20160829-17845-1k0vk1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/135797/original/image-20160829-17845-1k0vk1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/135797/original/image-20160829-17845-1k0vk1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/135797/original/image-20160829-17845-1k0vk1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/135797/original/image-20160829-17845-1k0vk1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><em>L’Argent</em>, film le Marcel L’Herbier (1929).</span>
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</figure>
<p>Saccard, héros du roman de Zola, après des mésaventures immobilières dans le Paris du XIX<sup>e</sup> se lance dans la création d’une banque. De manipulation en spéculation, il conduira son projet à la faillite, et les épargnants à la ruine. Nick Leeson aveuglera de son succès à Singapour les hiérarques de la Barings, qui fera faillite. Jérôme Kerviel quant à lui poursuivra ses spéculations, jusqu’à leur découverte « par hasard » en janvier 2008. Les échéances courent toujours pour établir les responsabilités de chacun.</p>
<p>Dans les trois cas, la similitude des comportements est frappante. Mêmes pertes de repères face à de l’argent devenu facile.</p>
<blockquote>
<p>« Les bénéfices sont devenus spectaculaires : la Barings en a conclu qu’en fait il n’était pas très difficile de gagner beaucoup d’argent avec les titres » (« Le Trader Fou », Lattès, 1996).</p>
<p>« Les origines de sa royale fortune évaluée à trois cents millions, toute une vie de vols effroyables, non plus au coin des bois, à main armée, comme les nobles aventuriers de jadis, mais en correct bandit moderne, au clair soleil de la Bourse, dans la poche du pauvre monde crédule », (Zola « L’argent », p.93).</p>
</blockquote>
<p>Même fuite en avant des acteurs se sachant finis (justification par un faux mail de Kerviel, et un faux fax de Leeson), même « lecture » des règles et des codes.</p>
<blockquote>
<p>« Il s’agit seulement de transaction nulle. Une erreur. Un petit loupé du “back office”. Ne vous inquiétez pas » (« Le Trader Fou »).</p>
<p>« Si vous croyez que nous allons nous conformer aux chinoiseries du Code ! Mais nous ne pourrions faire deux pas, nous serions arrêtés par des entraves, à chaque enjambée, tandis que les autres, nos rivaux, nous devanceraient, à toutes jambes !… Non, non, je n’attendrai certainement pas que tout le capital soit souscrit ; je préfère, d’ailleurs, nous réserver des titres, et je trouverai un homme à nous auquel j’ouvrirai un compte, qui sera notre prête-nom » (Saccard, « L’Argent »).</p>
</blockquote>
<h2>Qui est responsable ?</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/135812/original/image-20160829-17851-1dmw14h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/135812/original/image-20160829-17851-1dmw14h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/135812/original/image-20160829-17851-1dmw14h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/135812/original/image-20160829-17851-1dmw14h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/135812/original/image-20160829-17851-1dmw14h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/135812/original/image-20160829-17851-1dmw14h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=543&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/135812/original/image-20160829-17851-1dmw14h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=543&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/135812/original/image-20160829-17851-1dmw14h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=543&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Nick Leeson.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si les hommes ne changent pas, peut-être les organisations évolueront-elles ? Cette permanence des comportements doit-elle nous faire désespérer de cette profession incapable d’aller plus loin que le bout de son nez (ou de son bonus…), et être condamné à attendre le prochain « mouton noir », la prochaine « pomme pourrie », ou… le prochain bug ?</p>
<p>En effet, il semble que la technologie, loin d’assurer une meilleure fiabilité soit aussi un facteur de risque. Revenons sur le « flash crash » de 2010. Rappelons que le 6 mai 2010, une dépêche de Reuters titrait : « Wall Street s’interroge sur les raisons du plongeon de jeudi ». L’indice Dow Jones avait subitement perdu près de 1 000 points en séance. Aucune explication n’a été fournie par les autorités.</p>
<p>Dans un premier temps, l’hypothèse d’un trader ayant confondu millions et milliards en passant un ordre a été avancée. D’autres pistes ont mené vers le rôle des programmes informatisés d’achats et de ventes qui réagissent en quelques millièmes de seconde. Plus de 50 personnes ont été mobilisées sur l’enquête au sein de la Securities and Exchange Commission et de la Commodities Futures Trading Commission. On parle alors de réactions informatiques en chaîne, déclenchant en quelques <a href="http://www.lesechos.fr/28/01/2016/lesechos.fr/021656618604_--flash-crash---du-6-mai-2010---le-jour-ou-le-temps-s-est-arrete-a-wall-street.htm">millièmes de seconde</a> une cascade d’ordres de vente.</p>
<p>Heureusement, en 2015, le responsable de ce crash <a href="http://www.lesechos.fr/22/04/2015/lesechos.fr/02123826498_-flash-crash----un-trader-haute-frequence-arrete-a-londres.htm">a été appréhendé</a>. Ouf. Pas besoin de se poser trop de questions…</p>
<p>Pourquoi s’en poser ? Cela aboutirait à chercher des responsables voire même des coupables parmi les hiérarques, ce qui à l’évidence serait moins commode et satisfaisant que la posture de l’irresponsabilité managériale conduisant à trouver une victime expiatoire. Les sujets de réflexion pourtant ne manquent pas, il suffit de les interroger.</p>
<h2>Les leçons des « organisations à haute fiabilité »</h2>
<p>À ce titre, que nous proposent les divers courants théoriques afin de s’assurer qu’une organisation soit fiable ? Le courant des HRO (<a href="http://amp.aom.org/content/15/3/70.short"><em>High reliability organizations</em> ou OHF</a>) comme les <a href="https://philippesilberzahn.com/2010/04/06/managing-the-unexpected-karl-weick-kathleen-sutcliffe/">travaux de Karl E. Weick</a> s’accordent sur l’importance de la dimension organisationnelle dans la gestion du risque. À savoir la nécessité d’envisager chaque incident ou accident comme une faillite du système. Une organisation qui souhaite maîtriser ses risques met en place des routines, des procédures, des mécanismes d’attention, une culture qui vont permettre de récupérer la négligence, la panne ou la malveillance avant qu’elle ne devienne catastrophique.</p>
<p>Les <a href="http://gestiondesrisquesetcrises.blogspot.fr/2010/11/hro-high-reliability-organisations.html">travaux sur les HRO</a> proposent une perspective organisationnelle et se focalise sur la compréhension des conditions dans lesquelles les systèmes complexes fonctionnent à des niveaux élevés de sécurité. Ils ont permis de mettre à jour plusieurs caractéristiques propres aux « Organisations à haute fiabilité » :</p>
<ul>
<li><p><strong>Le respect de l’expertise en situation d’urgence</strong> : en fonctionnement normal et routinier, le processus de prise de décision suit une logique hiérarchique au sein d’une structure dont les responsabilités sont clairement définies. En cas d’urgence, la prise de décision migre vers les personnes possédant une expertise sans considération de leur positionnement hiérarchique au sein de l’organisation.</p></li>
<li><p><strong>La gestion par exception</strong> : les managers contrôlent la mise en application des décisions sans intervenir sauf en cas d’écart imprévu. Ainsi les managers se concentrent sur les décisions stratégiques sans prendre part à la mise en œuvre des décisions opérationnelles.</p></li>
<li><p><strong>L’importance accordée à la formation</strong> <strong>continue</strong> afin d’améliorer et de maintenir le niveau de connaissances des opérateurs, de renforcer leurs compétences techniques, de leur permettre de repérer les dangers et de répondre de manière appropriée à des problèmes inattendus. La formation sert également à renforcer la confiance interpersonnelle et la crédibilité au sein du collectif de travail.</p></li>
<li><p><strong>De nombreux canaux d’informations</strong> servent à communiquer les informations critiques en matière de sécurité, et à s’assurer de la disponibilité des personnels experts, en particulier dans les situations d’urgence. Ils relient directement les principaux centres opérationnels – là où un accident peut survenir – avec les centres de décisions.</p></li>
<li><p><strong>Une redondance intégrée</strong> dans la structure organisationnelle qui inclut des systèmes de back-up en cas de panne, une double vérification des décisions et une surveillance continue des activités critiques en matière de sécurité. Les porte-avions nucléaires disposent d’un système de « jumelage » (<em>buddy system</em>).</p></li>
</ul>
<p>Karl E. Weick, dans <a href="http://eu.wiley.com/WileyCDA/WileyTitle/productCd-1118862414.html">ses travaux avec Sutcliffe</a>, y ajoute des caractéristiques qui viennent compléter le tableau :</p>
<ul>
<li><p>La <strong>préoccupation de la défaillance</strong> se réfère à l’attention constante portée aux défaillances et aux erreurs. Les incidents et quasi-accidents – des accidents évités de justesse – sont considérés non pas comme des faiblesses mais comme des indicateurs de la fiabilité d’un système. Les remontées d’informations sur les quasi-accidents et les défaillances sont valorisées et récompensées parce qu’ils sont considérés comme des moyens d’apprendre et de parvenir à une image réelle des opérations.</p></li>
<li><p>La <strong>résistance à simplifier</strong> concerne la capacité à collecter, analyser et hiérarchiser tous les signaux d’alerte d’une possible défaillance et ainsi d’éviter toute supposition sur les causes de l’échec. Les défaillances sont pensées comme de nature systémique plutôt que situées localement. Elles peuvent ainsi provenir d’un enchaînement d’événements aux conséquences catastrophiques.</p></li>
<li><p>La <strong>sensibilité à l’ensemble des activités</strong> recouvre la capacité d’opérer constamment une vue d’ensemble des opérations. Pour y parvenir, les points de vue des opérateurs de première ligne sont privilégiés afin d’obtenir une représentation réaliste de l’état des activités et des éventuels problèmes de sécurité au sein de l’organisation. Cette vision d’ensemble est partagée par l’ensemble des niveaux hiérarchiques.</p></li>
<li><p><strong>L’engagement dans la résilience</strong> distingue la faculté des HRO d’anticiper efficacement les erreurs, mais surtout celle de faire face et de se relever des erreurs et des événements imprévus. Cette caractéristique illustre la détermination des HRO à apprendre des erreurs et des expériences passées qui ont eu lieu au sein de l’organisation mais aussi dans d’autres industries.</p></li>
</ul>
<p>Ces principes sont-ils donc si compliqués ? Pourquoi alors les banques ignorent-elles les travaux des HRO alors même que ceux-ci ont permis des gains de sécurité dans des domaines tels que l’aéronautique, la médecine, le nucléaire ? Il faudrait aussi s’interroger sur les formations des « élites » de la finance et la présence de sociologie, des sciences de gestion… voire de la littérature dans les cursus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/64391/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Nick Leeson, Jérôme Kerviel et Siccard, le héros de Zola, sont-ils des figures incontournables du système bancaire ? Pas certain. Analyse de quelques leçons des « organisations à haute fiabilité ».François Delorme, Chercheur associé, sciences de gestion, CERAG, membre du WIKISGK, Université Grenoble Alpes (UGA)Laurence Ambil Ferrand, Doctorante, Ecole doctorale Droit et Sciences politiques, Economiques et de Gestion (Nice), Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/619382016-07-06T04:35:07Z2016-07-06T04:35:07ZAffaire Kerviel : la pomme pourrie et le tonneau<p>Largement documentée et pleine de rebondissements depuis maintenant huit ans, l’affaire Kerviel est loin d’être close : les surprises à venir ne manqueront pas !</p>
<p>La chronologie des faits est parfaitement établie : des jugements ont été prononcés, confirmés au pénal et en délibéré au civil, le tribunal des prud’hommes s’est lui aussi prononcé et le jugement est interjeté en appel… Bref, cette affaire restera certainement dans les annales pour les apprentis juristes.</p>
<h2>Pas une simple affaire de fraudeur</h2>
<p>Je voudrais revenir sur cette affaire en adoptant un tout autre point de vue, le point de vue du sociologue face à ce phénomène de réduction de complexité qui consiste à réduire l’affaire Kerviel à une simple affaire de fraudeur isolé mais astucieux, une <em>« rotten apple »</em> comme disent les Anglo-Saxons. Cette approche « pomme pourrie » peut paraître étrange pour un sociologue, mais elle se justifie à plusieurs titres.</p>
<p>D’abord, le droit a besoin du concept de responsabilité individuelle pour fonctionner, c’est-à-dire que les juges ont besoin d’avoir en face d’eux quelqu’un qui est responsable de ses actes et qui ne se défausse pas en invoquant le système ou _la hiérarchie-qui-était-au courant _ ; bref, une personne qui agit en parfaite connaissance de cause et qui doit en subir toutes les conséquences. Qui vole un œuf vole un bœuf. En l’occurrence, un bœuf qui se chiffre en milliards, des milliards qu’il faudra restituer à l’euro près à une autre fiction juridique, c’est à dire une personne morale.</p>
<p>Les juges pourront, bien sûr, avec l’aide de psychologues, évaluer une « <em>personnalité plus ou moins forte</em> » pour éventuellement proposer des circonstances atténuantes ; mais ils ne se poseront pas la seule question qui intéresse le sociologue, celle du pourquoi du pourrissement de cette pomme dans le tonneau.</p>
<p>Une question que ne se posent pas non plus les victimes supposées de l’escroquerie, car les dirigeants ne souhaitent pas aborder le fait qu’un homme seul, somme toute sans nom ni qualité, puisse dissimuler une position à hauteur de quelques cinquante milliards d’euros et cela, au nez et à la barbe de sa hiérarchie et des experts les plus réputés de la place.</p>
<h2>La partition de Daniel Bouton</h2>
<p>Pour les dirigeants de la banque, le maniement du raisonnement est le suivant : certes cette pomme est pourrie et nous nous en remettons à la justice pour punir le fraudeur à la hauteur de ses méfaits ; mais comme chacun sait que le risque zéro n’existe pas, il y aura, quels que soient les meilleurs dispositifs de contrôle, toujours une pomme pourrie, sachant que cette pomme pourrie est un fruit du hasard statistique.</p>
<p>La fraude existe depuis que les banques existent, fera remarquer Daniel Bouton <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/cr-cfiab/07-08/c0708071.pdf">devant la commission des finances</a> de l’Assemblée nationale. Autrement dit, une fois la pomme pourrie extraite du tonneau, tout revient en ordre. Cela montre bien que ce n’est pas une affaire de structure, mais bien une affaire de personnes. À l’avenir, il s’agira seulement d’affiner la sélection, voire même d’anticiper le vers dans le fruit.</p>
<p>Lors de son audition publique, Daniel Bouton indique, avec le plus grand sérieux, une piste possible : celle de demander au médecin du travail de détecter les comportements individuels potentiellement délictueux.</p>
<h2>L’individu et l’organisation</h2>
<p>Le sociologue a une tout autre approche : il ne cherche pas le coupable, ni à savoir si Kerviel est un escroc, un simulateur, un manipulateur ou un manipulé, une victime consentante, un naïf, un brave soldat de la finance. Il va plutôt se focaliser, non pas sur la pomme, mais sur les conditions de son pourrissement sans pour autant juger de la nature de la pomme elle-même. Au départ, cette pomme devait être croquante, présentable. C’est le rapport entre la pomme et le bois du tonneau qu’il faut comprendre. Autrement dit, le sociologue observe qu’un comportement individuel s’inscrit dans une structure et répond à des normes incorporées au sein de l’organisation.</p>
<p>La structure renvoie à une division du travail entre le <em>front office</em> et le <em>back office</em>, c’est-à-dire entre les châtelains du domaine financier – ceux qui font gagner de l’argent – et les régisseurs du domaine – ceux qui comptent, qui pointent les écritures, qui s’assurent que les chasses financières se sont déroulées selon les règles en vigueur.</p>
<p>Kerviel est un ancien garde-chasse qui connaît par le menu les dispositifs de contrôle, ainsi que les pratiques des braconniers ; un garde-chasse qui a enlevé sa casquette pour se faire admettre dans le monde fermé des chasseurs de primes. Là, les normes changent, il découvre que ce qui est jugé important <em><strong>là-bas</strong></em> ne l’est pas <em><strong>ici</strong></em>. Les normes varient selon les mondes professionnels. Le comportement des individus ne peut pas ne pas tenir compte de ces normes, sauf à prendre le risque de l’isolement, c’est-à-dire du rejet.</p>
<h2>Les milliards de l’estime de soi</h2>
<p>Or le trader Kerviel va se révéler, pour ses chefs et ses collègues de la salle de marché, comme « une bonne gagneuse », compliment qui révèle le cynisme ambiant, mais aussi qui renvoie au rôle joué par l’or/argent mis en mots par Shakespeare : <a href="http://www.webphilo.com/textes/voir.php?numero=453061358">« cette putain commune à toute l’humanité »</a>. Voilà dévoilé le mécanisme de pourrissement de la pomme.</p>
<p>Pour gagner l’estime de soi et l’estime de ses collègues, il faut gagner de plus en plus d’argent, et surtout ne pas en perdre. Ne pas perdre <strong>publiquement</strong> l’estime de soi en affichant des pertes, voilà l’enjeu pour ce nouveau venu. Plusieurs fois, des alertes de ses anciens collègues régisseurs lui sont parvenues pour lui signaler les franchissements de ligne jaune, mais ces alertes – <a href="http://www.lexpress.fr/emploi/gestion-carriere/jerome-kerviel-contre-la-societe-generale-aux-prud-hommes-un-verdict-decisif_1799684.html">pas moins de 74</a> – sont jugées peu importantes lorsque la norme <strong>ici</strong> est de passer outre les injonctions de <strong>là-bas</strong>. Ce qui est important pour une salle de marché, ce sont les hausses et les baisses des cours, car l’information est de la différence qui crée en permanence de la différence, logique de flux et non logique de stock.</p>
<p>Le comportement individuel s’inscrit dans ce contexte organisationnel, et c’est ce dernier qu’il s’agit de mettre à jour, c’est-à-dire de comprendre. Dire que le comportement individuel s’inscrit dans ce contexte ne conduit pas à une excuse sociologique. Mais en réduisant la complexité de l’affaire à une affaire de pomme pourrie, les juges se mettent eux-mêmes dans une position difficile et exigent des dommages et intérêts dont le montant est certes cohérent par rapport au modèle de la responsabilité individuelle, mais tout à fait surréaliste par rapport au fonctionnement réel des organisations.</p>
<p>Il faudrait profiter de cette affaire pour faire rentrer le raisonnement sociologique dans les salles d’audience pour des affaires où s’enchevêtrent le collectif et l’individuel. La qualité du jugement serait assurée et le citoyen ainsi rassuré.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/61938/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Saussois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les juges pourront évaluer la personnalité de l'ancien trader, mais ne se poseront pas la question qui intéresse le sociologue : celle du pourquoi du pourrissement de cette pomme dans le tonneau.Jean-Michel Saussois, Professeur émérite HDR en sociologie, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/493082015-10-26T02:18:28Z2015-10-26T02:18:28ZSi @Kerviel_j est innocent, alors qui est le coupable ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/99555/original/image-20151024-27587-c7nbzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tour Société Générale</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/beberonline/4123167278/in/photolist-7hmiZ1-mos7cP-morota-motfh5-motfiN-mos9gi-morn4r-morp48-mos7WK-moroe2-mos9FX-morowM-motekf-oyXHdG-oRs5G8-5NHfQo-pD3qY7-pCZrQG-oYDgvM-cvFNKs-cvFQe9-morn9r-morn7n-mos6Nn-mos72i-motg4W-moteCj-mos9E4-moro6B-moroXM-motgm9-mos83B-mos78k-mos99V-mos9HF-morngR-motef5-mos7RV-morpB2-5KWtaH-pCWMzt-57M12e-diHuuF-4pfV3F-5Q13GA-oYDdSv-6sTQNG-qpDYth-7PFqM1-7PFpYQ">Bertrand Duperrin / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>En politique, c’est au choix : si vous cherchez à traverser la place de l’étoile à l’heure de pointe tout en évitant les gouttes, il vaut mieux avoir un bon scooter ; si vous naviguez dans les eaux troubles de l’industrie financière, alors soyez plutôt fuyant comme une anguille. Michel Sapin se trouve dans la seconde catégorie avec ce qu’il convient désormais d’appeler « l’affaire » dite de « la ristourne fiscale de la Société Générale ».</p>
<p>Le sujet est connu, on n’y revient pas. Le jeu du chat et de la souris continue, avec comme dernier rebondissement le rapport sur la légitimité de la « ristourne » que l’administration fiscale aurait commandé en 2012 et dont Julien Bayou, élu EELV, a demandé au Tribunal Administratif d’ordonner la publication.</p>
<blockquote>
<p>Cité par l’AFP, Michel Sapin a estimé que ce n’était « pas à l’administration fiscale de reconsidérer elle-même sa position ». Le ministre des finances a invité à attendre le procès civil en appel de <a href="https://theconversation.com/societe-generale-contre-jerome-kerviel-fin-du-game-47989">Jérôme Kerviel</a>, qui doit se dérouler du 20 au 22 janvier 2016, expliquant qu’on pouvait « reconsidérer [ce crédit d’impôt] mais dans le cadre d’une décision de justice ».</p>
</blockquote>
<p>Si vous souhaitez « en savoir plus » comme on dit, on vous renvoie à <a href="http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/10/15/affaire-kerviel-bercy-a-t-il-eu-tort-de-verser-2-milliards-d-euros-a-la-societe-generale_4789878_3234.html#ucw8gUhaqIJfWpb2.99">l’article du <em>Monde</em></a> publié jeudi 15 octobre 2015 dont cette citation est extraite.</p>
<p>L’affaire dite « Kerviel », dans le domaine du management « <a href="http://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2007-11-page-7.htm">on la connaît »</a> pour reprendre l’édito-choc qu’avait publié dès 2008 Jean-Marie Doublet dans les pages de la <em>Revue Française de Gestion</em> et paraphraser … le rappeur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Aq1PsFGssOg">Youssoupha</a>. Allons donc droit au but : si comme le pense Jean-Luc Mélenchon, <a href="http://www.jean-luc-melenchon.fr/2013/06/20/kerviel-est-innocent/">Jérôme Kerviel est innocent</a> de ce dont on l’accuse depuis début 2008, alors, qui est le coupable ? Cette question, ne cherchez pas, vous ne la trouverez dans aucun journal de presse, ni en France ni à l’étranger. Sujet très sensible oblige.</p>
<p>En ma qualité de chercheur en management, payé par le contribuable français pour mener mes travaux, j’ai librement et en conscience décidé en 2012 de prendre attache avec les conseils de Jérôme Kerviel. C’est ainsi que j’ai vécu, de l’intérieur, les audiences du procès en appel. Et que j’ai découvert, parmi tous les articles de presse, l'excellente couverture réalisée par <a href="http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/industrie-financiere/20120617trib000704299/daniel-bouton-m.-kerviel-a-transforme-la-societe-generale-en-banque-casino.html"><em>La Tribune</em></a>. Ainsi, le 21 juin 2012, j’ai vécu une journée particulière à l’audience de Daniel Bouton, où j'ai entendu, comme les autres, cette phrase de l’intéressé rapportée par <em>La Tribune</em> : « Vu le niveau où la chaîne des opérations sur les taux et la chaîne des produits dérivés se rejoignent, la personne qui peut être le comploteur, c’est moi, Citerne ou Mustier, si cette théorie (i.e., “du complot”) doit prospérer ».</p>
<p>Formulé ainsi, le « problème » invite donc à s’interroger sur les mobiles possibles des protagonistes si une telle théorie devait « prospérer », maintenant que la Cour de cassation a renvoyé le calcul et la répartition des responsabilités civiles en appel.</p>
<p>Commençons par Daniel Bouton. Brisé par cette « affaire » ont repris en choeur tous les médias. Sans doute. Mais l'on imagine que les gains amassés en tant que P.-DG et <a href="http://www.lefigaro.fr/societes/2009/03/31/04015-20090331ARTFIG00267-retraite-a-un-million-d-euros-par-an-pour-daniel-bouton-.php">les 730000 euros de retraite annuelle</a> (hors jetons de présence perçus en qualité de membre de divers conseils d’administration…) rapportés par <em>Le Figaro</em> ont aidé à cicatriser quelques-unes des blessures. Daniel Bouton, c’est la figure de la thèse – de moins en moins crédible – selon laquelle <a href="http://www.dailymotion.com/video/x26425i_audition-de-m-daniel-bouton-president-de-la-federation-bancaire-francaise-sur-la-crise-financiere-et_news">« la hiérarchie ne savait rien »</a>. </p>
<p>D’autant que comme Hugues Le Bret le rapporte lui-même p. 323-324 d'un ouvrage pourtant écrit à décharge, <a href="http://www.arenes.fr/spip.php?article1815"><em>La semaine où Jérôme Kerviel a failli faire sauter le système financier mondial</em></a>, la Société Générale sous présidence de Daniel Bouton a usé et abusé de cette héroïne managériale:</p>
<blockquote>
<p>En raccrochant, je me rappelle une conversation que j’ai eue, quelques années auparavant avec le prédécesseur de Daniel, Marc Viénot. J’étais tombé sur lui par hasard au sortir d’une réunion. Il était énervé. Je m’en suis étonné. Nous étions bien avant les crises. Les résultats étaient excellents. Marc sortait d’un conseil d’administration consacré, entre autres, aux parts variables des rémunérations des mandataires sociaux et des plus hauts salaires de la banque.</p>
<p>– Vous en faites une tête, c’est rare de vous voir dans cet état.</p>
<p>– C’est vrai, nous venons de passer un moment difficile.</p>
<p>– Je ne comprends pas, les résultats sont excellents.</p>
<p>– Le problème, c’est Daniel, il vient de nous faire une scène parce que nous avons maintenu sa rémunération au même niveau que l’an passé…
Silence de ma part. Je suis mal à l’aise. Marc reprend :</p>
<p>– Vraiment, je suis furieux, Daniel exagère… Vous comprenez, il gagne en euros ce que je gagnais en francs dix ans auparavant !
Marc poursuit son chemin en bougonnant, je l’entends répéter :</p>
<p>– Vraiment, il exagère !“</p>
</blockquote>
<p>On laissera le lecteur curieux poursuivre la lecture de l’ouvrage d’Hugues Le Bret. Comme on laissera la cour d’appel de Versailles juger sur cette base-ci, quand on a produit le rapport dit Bouton « pour un meilleur gouvernement des entreprises cotées », on aurait quoi qu’il advienne dû savoir. Surtout, on voit bien mal désormais, au vu de <a href="https://theconversation.com/societe-generale-contre-jerome-kerviel-fin-du-game-47989">tout ce que l’on sait</a> comment elle pourrait arbitrer autrement.</p>
<p>Second <em>usual suspect</em> présenté à la cour d’appel par Daniel Bouton le 21 juin 2012 : <a href="http://www.journaldunet.com/economie/organigramme/societe-generale-comite-executif-direction/2-philippe-citerne.shtml">Philippe Citerne</a>. Parti fin avril 2009 après 30 ans de maison, sur fond de scandale : un plan de <a href="http://www.latribune.fr/journal/archives/edition-du-0404/finance-bank-et-ass/176036/les-adieux-amers-de-philippe-citerne-a-la-societe-generale.html">stock-options</a> pour les dirigeants la Société Générale avait fait beaucoup de bruit. Philippe Citerne est indéniablement le moins « médiatisé » des <em>usual suspects</em> mais pas le plus inintéressant . Directeur général délégué (1999-2006), Directeur général délégué et administrateur (2006-09), il est aujourd’hui président non exécutif du groupe Accor. Un parfait protagoniste pour la seconde thèse, celle qu’invitent à instruire les sciences du management : plutôt qu’un raisonnement strictement substantif et binaire, et si on se demandait enfin qui savait quoi et quand de ce qui s’est passé à la Société Générale entre 2006 et 2009, des engagements de Jérôme Kerviel tout au long de l’année 2007, des innombrables alertes que personne n’a entendues, ou encore … de l’exposition aux subprimes ? </p>
<p>Le journal intime d’un banquier d’Hugues Le Bret débutant opportunément le 20 janvier 2008, il est à craindre que l’on doive se contenter de <a href="https://wikisgk.com/dossier-de-lautorite-des-marches-financiers/">l’enquête</a> qui a conduit à une amende de 4 millions d’euros. Et on regrettera simplement que les enquêteurs n’aient pas cru nécessaire – comme les membres de <a href="http://www.dailymotion.com/video/x26425i_audition-de-m-daniel-bouton-president-de-la-federation-bancaire-francaise-sur-la-crise-financiere-et_news">la commission d’enquête parlementaire</a> de l’Assemblée nationale d’ailleurs – de s’adjoindre les compétences des chercheurs en management, ils auraient sans doute découvert d’autres manières de poser les questions … et donc de trouver des réponses. On invitera dans tous les cas les magistrats de la cour d’appel de Versailles à conserver cet oubli en mémoire à l’heure d’imputer, sept ans après, les (ir)responsabilités passées.</p>
<p>Reste le troisième <em>usual suspect</em> cité par Daniel Bouton : Jean-Pierre Mustier. Pas un article qui ne glorifie l’ancien responsable des activités de marchés de la Société Générale, cette « star de la finance mondiale » qui, un jour, a prédit <a href="http://www.challenges.fr/finance-et-marche/20111205.CHA7793/quand-l-ex-patron-de-jerome-kerviel-prevoit-l-apocalypse.html">l’apocalypse</a>. Pas un article qui ne loue sa capacité de résistance à des stress extrêmes; tout en rappelant qu’il a été le maître concepteur et animateur des activités de la banque dans les produits dérivés. Pas un article qui n’omet de dire que du temps de la grandeur et de la (sur ?)valorisation boursière, une bonne part de celle-ci reposait sur le génie de Jean-Pierre Mustier. Un <em>usual suspect</em> idéal en somme pour cette thèse qu’inviteraient à instruire aussi les sciences du management : et si, après tout, certains membres de la hiérarchie savaient ? </p>
<p>Il faut dire qu’entre une vente des actions <a href="http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/20100701trib000526180/lourde-amende-pour-l-ancien-patron-des-marches-de-la-societe-generale.html">en août 2007</a> conduisant à une amende pour manquement d’initié ; une arrivée chez Unicredit (longtemps présentée comme mariée potentielle de la Société Générale) qui se traduira, coïncidence étonnante, un peu plus tard par pas moins de 14 milliards d’euros de provisions, action <a href="http://uk.reuters.com/article/2014/03/11/uk-unicredit-idUKBREA2A11420140311">jugée ainsi</a> par un analyste : « "This is a jaw-dropping clean-up”, said one banking analyst, who declined to be named ». Oui, décidément, le moins que l’on puisse dire c’est qu’en matière de milliards d'euros qui partent mystérieusement en fumée, certains ont l’air d’avoir désormais acquis une redoutable expérience professionnelle !</p>
<p>Jean-Pierre Mustier donc, dernier <em>usual suspect</em> mentionné par Daniel Bouton, qui a rejoint désormais <a href="http://www.challenges.fr/finance-et-marche/20150126.CHA2534/l-ex-patron-de-kerviel-toujours-star-de-la-finance.html">Tikehau IM</a>, entreprise qui ambitionne de devenir le Blackstone européen et qui a également recueilli M. Chodron de Courcel, après que celui-ci ait quitté ses fonctions chez BNP Paribas suite à l’affaire de l’amende américaine. La mission de Jean-Pierre Mustier ? Développer le « business » avec l’international en général, et l’Italie en particulier. Sans doute la raison pour laquelle il a jugé utile de conserver un pied dans le comité consultatif international de la banque Unicredit… Il est vrai que quand on se pratique depuis si longtemps, que l’on a même envisagé sérieusement les fiançailles du temps des folles années où tout allait bien à la Société Générale, pourquoi se quitter aujourd’hui ? Ou comment une certaine conception de l’éthique autorise a minima quelques interrogations autour de cette notion que beaucoup considèrent comme le vrai « problème » de la crise de 2007 : le <a href="http://www.lenouveleconomiste.fr/conflits-dinterets-sans-ethique-le-mal-du-siecle-25521/">« conflit d’intérêt »</a>.</p>
<p>Enfin, reste un <em>usual suspect</em> que Daniel Bouton n’a pas cité et pour cause puisqu’il l’a remplacé : <a href="http://www.societegenerale.com/fr/node/913">Frédéric Oudéa</a>. Un Directeur financier (et donc du contrôle de gestion entre 2003 et 2008) qui a connu une ascension fulgurante : directeur général délégué pour trois mois (mars-mai 2008), nommé directeur général en mai 2008 puis PDG en mai 2009, dans la foulée donc des départs de Daniel Bouton, Philippe Citerne et Jean-Pierre Mustier. Jusqu’en mai 2015 il aura tenu bon pour que sa société ne se résigne pas à mettre en œuvre cette « bonne pratique » de gouvernance dont sa banque était pourtant réputée championne : un conseil de surveillance et un directoire, plutôt que l’ensemble des pouvoirs dans les mains d’un seul. </p>
<p>En un titre, <em>Libération</em>, avait parfaitement résumé ce que tout le monde savait déjà, sans trop oser le crier trop fort pour ne pas chagriner l’annonceur : <a href="http://www.liberation.fr/portrait/2008/06/24/merci-kerviel_74788">« merci Kerviel ! »</a>. Sous-entendu : Jeune Jérôme K., la bande experte en organisation constituée des copains de promos de polytechnique, de l’ENA et de l’inspection des finances te salue bien ! Frédéric Oudéa, donc, dernier des <em>usual suspects</em>, peut-être devenu simplement un « as du tricot » depuis 2008 comme le rapperait peut-être <a href="https://youtu.be/16ubmu7qbJc">Jean Rochefort</a> dans une vidéo aussi exemplaire qu’hilarante au regard de l’affaire ici examinée.</p>
<p>Pour conclure sur ce sujet tout sauf drôle, qui sait si la justice française ne finira pas, un jour, par prendre le lapsus de Daniel Bouton au mot ; si elle n’ira pas confronter ces quelques <em>usual suspects</em>. Assurément, une autre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=BgkBpWc8ngI">Histoire</a> que celle contée depuis 2008 pourrait s’écrire sans doute plus en cohérence avec les enseignements des sciences du management. Si tel devait être le cas, que les magistrats n’oublient pas de consulter le numéro spécial de la <em>Revue Française de Gestion</em> consacré au thème <a href="http://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2005-6.htm">« Récits et management »</a> – paru en 2006, dix ans déjà ! – qui pourrait constituer une pièce maîtresse. </p>
<p>Puisque, pour filer le sublime scénario du film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9MjV4EwR7Mg"><em>The Usual Suspects</em></a>, on imagine sans peine la saveur du café qui a un jour taché la moquette du bureau du Juge Van Ruymbeke. Années et révélations passant, le regret a dû être lourd d’avoir laissé peut-être s’échapper la version française du scandale Enron ; et qui sait, peut-être, le grand <a href="https://youtu.be/XYXXhn9fMYs">Keyser Soze</a> lui-même ; à l’heure de la <a href="https://www.bcgperspectives.com/content/articles/management_two_speed_economy_ending_the_era_of_ponzi_finance/">« Ponzi Finance »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/49308/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Jean-Philippe Denis est membre fondateur et coordinateur (avec les Pr. Michel Kalika et Alain-Charles Martinet) de <a href="http://www.wikisgk.com">www.wikisgk.com</a> - Ce projet collaboratif de recherche vise à porter un regard neuf d’experts en sciences du management sur le cas Société Générale - Kerviel, lequel implique de très nombreuses problématiques managériales (Stratégique, Contrôle, gouvernance, Système d’information, Financière, Marketing, Ressources Humaines, etc.).
</span></em></p>Si Jérôme Kerviel a été manipulé, qui pourrait alors être coupable ? Tour de piste des « usual suspects » de cette sombre affaire, financière autant que managériale.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.