tag:theconversation.com,2011:/fr/topics/troubles-bipolaires-31272/articlestroubles bipolaires – The Conversation2022-11-21T19:25:57Ztag:theconversation.com,2011:article/1925402022-11-21T19:25:57Z2022-11-21T19:25:57ZTroubles mentaux : quand la stigmatisation d’aujourd’hui reflète les conceptions d’hier<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/490394/original/file-20221018-8262-hh0fi5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C117%2C859%2C563&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le regard très normé que pose la société sur les personnes « différentes » reste très stigmatisant (œuvre brute d'August Natterer, ayant une schizophrénie, début XXe siècle).</span> <span class="attribution"><span class="source">August Natterer/Wikipedia</span></span></figcaption></figure><p>Aujourd’hui, selon l’Organisation mondiale de la santé, un trouble mental se caractérise par une <a href="https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mental-disorders">altération significative de l’état d’une personne sur un plan qui peut être cognitif, émotionnel et/ou comportemental</a>. Il s’accompagne généralement d’un sentiment de détresse, de souffrance psychique et de difficultés dans la gestion du quotidien qui peut toucher les sphères relationnelles, professionnelles, personnelles, sociales, etc.</p>
<p>Objets d’intérêt de la médecine, les troubles mentaux sont aussi un champ d’intérêt public et sociétal, et les personnes concernées sont <a href="https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/etude_sante_mentale_institut_montaigne.pdf">trop souvent (et encore) stigmatisées</a>. Bien sûr, d’autres personnes ayant une maladie ont eu à faire face au poids du regard : les personnes atteintes de cancer ou de certains virus tels le Sida ont connu des périodes marquées par la peur et la mise à l’écart. Pour autant, les troubles mentaux restent un modèle de longévité en matière de stigmatisation…</p>
<p>La stigmatisation est le processus par lequel un attribut, socialement ou culturellement dévalorisé et discréditant, est appliqué à un individu ou un groupe d’individus par un autre groupe. Ce dernier se distinguant du groupe marqué – il y a les « nous » et les « eux », <a href="https://www.simonandschuster.com/books/Stigma/Erving-Goffman/9780671622442">généralement réduits à ce seul signe considéré comme distinctif</a>, ainsi que le soulignait déjà en 1963 le sociologue précurseur Erwin Goffman.</p>
<p>D’où proviendrait cette si longue discrimination ?</p>
<p>Une rapide traversée de l’histoire française des troubles mentaux suffit à comprendre à quel point des représentations, parfois millénaires, imprègnent encore nos conceptions « modernes ». Une brève rétrospective sur cet héritage apparaît comme un préalable à tout chantier visant à diminuer cette stigmatisation.</p>
<h2>Expliquer « la folie » à travers l’histoire</h2>
<p>Au cours de l’Antiquité grecque, Hippocrate (460-370 av. J.- C.), « père de la médecine » occidentale, et ses continuateurs développent la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/quand-la-medecine-reposait-sur-la-theorie-des-humeurs-du-medecin-antique-hippocrate-8289260">« théorie des humeurs »</a> pour expliquer les maladies.</p>
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<img alt="Le dessin montre les quatre humeurs : flegmatique, sanguin, etc." src="https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La théorie des quatre humeurs d’Hippocrate va marquer la conception de la santé, et de la santé mentale notamment, pendant plus de deux mille ans (gravure, XVIᵉ s.).</span>
<span class="attribution"><span class="source">« Quinta Essentia », de Leonhart Thurneisser</span></span>
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<p>Quatre substances (les humeurs), chacune liée à un élément et une qualité, auraient composé notre corps : la bile noire (liée à la terre, sèche et froide), la bile jaune (feu, sèche et chaude), le sang (air, humide et chaud) et la lymphe (eau, humide et froide). En chacun de nous dominerait l’une ou l’autre de ces humeurs – soit, d’une certaine façon, une première tentative de modélisation de la notion des tempéraments. Tout déséquilibre aurait provoqué un état de maladie, physique ou mentale.</p>
<p>L’imprégnation de cette conception, qui va rester en vigueur jusqu’au Moyen Âge, est telle qu’elle est encore perceptible de nos jours, deux mille ans plus tard. Lorsque nous associons un type de personnalité et un trouble mental, comme le pessimisme et la dépression par exemple, nous perpétuons ainsi à notre insu cette théorie aujourd’hui reconnue infondée.</p>
<p>Au Moyen Âge, d’autres types d’explication du trouble mental viennent s’ajouter. La conception religieuse sera la plus développée : selon saint Thomas d’Aquin, les personnes seraient comme sous l’emprise du démon qui les dépossède de leur raison, ce qui leur vaudrait l’attribut de « fou ». <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Histoire-de-la-folie-a-l-age-classique">Ils sont alors plutôt considérés comme étant du ressort de l’Église</a>. De nos jours, le qualificatif de « possédé » est encore employé par certains pour qualifier une personne au comportement considéré comme étrange ou rapportant des idées dites délirantes (hors réalité).</p>
<p>Le discours théologique s’empare notamment de la mélancolie. Déjà décrite par Aristote, elle était alors un apanage des êtres d’exception ; désormais, elle « attire le diable et le retient ». On parle de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-psychotherapies-2013-2-page-71.htm">acédie de certains moines</a>, qui tombent dans un état de profonde oisiveté et de désespoir. Le traitement est « priez et travaillez »…</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Tableau où différents personnages (moines, etc.) sont installés autour d’une table sur une petite barque avec un arbre" src="https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1119&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1119&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1119&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1407&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1407&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1407&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le fou, qui agit hors des cadres sociaux, fascine et inquiète notamment au Moyen Âge (Nef des fous, J. Bosch, XVᵉ s.).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Louvre</span></span>
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<p>Sans explication satisfaisante, le « fou », tel qu’on le nomme, dérange autant qu’il fascine si bien que la <a href="https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1977_num_98_392_2537">société médiévale hésite sur la façon de le considérer</a>.</p>
<p>Traité différemment sur le plan juridique, social ou relationnel, ses biens peuvent être gérés par ses proches, son droit au mariage limité ; il est également pénalement irresponsable. Parfois paria, il peut, à l’inverse, aussi être considéré comme celui qui a une liberté de parole, capable de crier ce que les autres taisent…</p>
<p>De plus, sans prise en charge adaptée, les manifestations des troubles mentaux pouvaient être aiguës et spectaculaires ce qui a, là encore, marqué durablement nos représentations collectives. Ne dit-on pas à un enfant qui s’agite ou à quiconque agit hors des normes sociales en vigueur : « Arrête de faire le fou » ?</p>
<h2>Vers une (lente) rationalisation</h2>
<p>L’explication psychologique des troubles mentaux émerge dès le XII<sup>e</sup> siècle, alors que certains savants proposent que les « passions de l’âme » puissent rendre « fou ». Il existe des écrits sur les causes (étiologie), l’expression, les mécanismes et l’évolution des troubles mentaux ; pourtant, la psychopathologie en tant que discipline (du grec <em>psukhê</em>, âme, et <em>pathos</em>, maladie, soit la « science de la souffrance psychique ») mettra encore plusieurs siècles à s’imposer…</p>
<p>Le discours médical commence à prendre de l’ampleur au XVII<sup>e</sup> siècle, alors que la perception de certains « états d’âme » est toujours très associée aux artistes, caractérisant ainsi nombreux peintres et écrivains. Cette association entre folie et créativité a traversé le temps et persiste dans les représentations actuelles (on parle de « l’artiste tourmenté », de « folie créative »…).</p>
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<p>Les connaissances médicales explosent toutefois, et les troubles mentaux deviennent des affections à soigner : on les étudie, on les inventorie, on les catégorise. Ainsi en 1798, le réputé <a href="https://blogs.univ-jfc.fr/vphn/figures-et-evenements/philippe-pinel-et-la-naissance-de-la-psychiatrie-2018/">aliéniste Philippe Pinel</a> publie sa <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k85084p">« Nosographie philosophique ou méthode de l’analyse appliquée à la médecine »</a>. Refusant à ce stade le questionnement étiologique (sur les causes), il s’exerce à classer les personnes, nommées cette fois les « aliénés », en recherchant des caractères distinctifs extérieurs pour tenter d’identifier différentes variétés de « folie » (hypochondrie, mélancolie, manie et hystérie).</p>
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<img alt="Pinel se tient debout au milieu des « fous » dans la cour de l’hôpital, qui le remercie" src="https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« [Philippe] Pinel, médecin en chef de la Salpêtrière, délivrant les aliénés de leurs chaînes en 1795 » (tableau de 1876).</span>
<span class="attribution"><span class="source">hôpital de la Pitié-Salpétrière</span></span>
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<p>Par sa méthode analytique et ses observations, Pinel a posé les premières pierres de ce qui serait l’étude scientifique des troubles mentaux et leur classification. Il faut attendre encore un siècle, en 1883, pour que soit publié le « Traité de psychiatrie » du psychiatre Emil Kraepelin. Dans sa classification des troubles mentaux, le fondateur de la psychiatrie scientifique moderne décrit la <em>dementia praecox</em> au côté de la psychose maniaco-dépressive – une entité clinique à part entière.</p>
<p>Si aujourd’hui la psychiatrie est bien reconnue comme une spécialité médicale, son lourd passé stigmatisant se traduit encore aujourd’hui par sa mise à l’écart du reste de la médecine. En France, de nombreuses villes ont d’ailleurs des centres hospitaliers psychiatriques qui ne sont pas intégrés au sein des centres hospitaliers dits généraux ou « somatiques ».</p>
<h2>De la « folie » à la « maladie »</h2>
<p>Alors que le « fou » ou « aliéné » devient un « malade », on va, à partir du XIX<sup>e</sup> siècle, le prendre en charge en asile psychiatrique.</p>
<p>Interné, isolé, l’aliéné est alors physiquement mis à l’écart de la société où persiste l’idée d’incurabilité. Il y est visité par les professionnels <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1037/a0014200">comme on visite un zoo</a>.</p>
<p>Les pratiques mises en place vont ici encore laisser des traces dans nos représentations par leur violence et les conséquences sur les personnes concernées, telles la lobotomisation (retrait d’une partie du cerveau) ou la contention forcée. « Se faire lobotomiser« et « être fou à lier » sont deux expressions communes issues de ces pratiques. Durant cette période asilaire (qui s’est étirée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale), des progrès médicaux sont certes réalisés, mais souvent au prix d’atteinte à l’éthique et aux personnes derrière les troubles.</p>
<p>Toutefois, les malades, considérés sous le prisme de la conception médicale, ont désormais des droits. La <a href="https://www.cnle.gouv.fr/le-XIXe-si%C3%A8cle-la-loi-de-1838-et-l.html">loi de 1838</a> stipule par exemple que leur admission en asile doit se faire sur certificat médical, et qu’ils doivent recevoir des soins – la possibilité de guérison, et donc de sortie, est également mentionnée.</p>
<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19766718/">Jean-Martin Charcot et Guillaume Duchenne</a> fondent la neurologie (étude des atteintes du système nerveux) et proposent de nouvelles formes de thérapie, fondée sur l’hypnose, l’électricité, etc. Ainsi, certaines de ces méthodes, par exemple les électrochocs, viennent colorer nos représentations de la psychiatrie. Pourtant ces pratiques d’hier ne reflètent plus celles d’aujourd’hui. L’<a href="https://www.cambridge.org/core/journals/the-british-journal-of-psychiatry/article/electroconvulsive-therapy-for-depression-80-years-of-progress/EA419A2EDF02EB803D8417B437779060">électroconvulsivothérapie</a> (ECT ou sismothérapie, induction de convulsions par l’électricité chez le malade) souffre nettement de ce lourd héritage.</p>
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<img alt="Leçon clinique de Jean-Martin Charcot à la Pitié-Salpêtrière, qui tient une jeune femme sous hypnose" src="https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le XIXᵉ siècle voit émerger de nouvelles formes de thérapie, comme l’hypnose, notamment promue par le neurologue Jean-Martin Charcot (ici, lors d’une séance à la Salpêtrière).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Université Paris Descartes</span></span>
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<p>Le poids de l’histoire des prises en charge des maladies mentales pèse encore aujourd’hui. Les services d’urgences psychiatriques accueillent toujours des personnes en état de détresse importante, n’ayant pas consulté auparavant par <a href="https://theconversation.com/les-soins-psychiatriques-sans-consentement-quels-enjeux-en-france-185943">peur d’être « internées »</a>… Beaucoup craignent d’être attachées physiquement, « assommées » chimiquement voire enfermées. La démarche de consulter un professionnel de santé mentale est donc lourde et associée à de nombreux freins.</p>
<p>Le difficile recours aux soins en santé mentale est un problème de santé publique. D’où l’importance de partager l’évolution des connaissances concernant la santé mentale au plus grand nombre – et de modifier les pratiques de soin et d’accompagnement des personnes en accord avec ces évolutions.</p>
<h2>Vers un retour dans la société ?</h2>
<p>Les traitements médicamenteux continuent d’évoluer et prouvent leur efficacité pour modifier, diminuer voire supprimer certaines manifestations des troubles (ou symptômes). Pour exemple, l’arrivée des neuroleptiques ou antipsychotiques de nouvelle génération vers 1950 a pu participer à améliorer l’état de santé psychique des personnes atteintes de schizophrénies, de manies ou de crises suicidaires. Des effets secondaires persistent néanmoins, souvent lourds mais de plus en plus pris en compte par les professionnels de santé mentale.</p>
<p>Les manifestations externes (et internes) des troubles amoindries, on assiste à un vaste mouvement de désinstitutionnalisation poussant à réintégrer les personnes concernées dans la société, en tant que citoyen à part entière. En atteste le développement des centres médico-psychologiques et d’hôpitaux de jour permettant de réduire les durées d’hospitalisation et d’inscrire la question de la santé mentale dans la cité.</p>
<p>Le risque serait de tomber dans l’objectif de rendre tout un chacun plus adapté à la société, plus dans la « norme » au sens de « comme la plupart des gens » (avoir un travail, une vie de famille, des enfants, etc.)… Et ce au détriment d’une recherche d’acceptation de l’autre par la société elle-même, fût-il différent, tout autant qu’une acceptation de soi-même.</p>
<p>On peut interroger ici le rôle des personnes indirectement concernées par le trouble mental. En effet, pour accepter quelqu’un dans son entourage proche (dans la famille, professionnellement, amicalement, etc.) ou encore considérer la personne derrière le trouble quand on est professionnel de santé mentale, il est plus facile de reconnaître en lui les caractéristiques qui nous sont familières.</p>
<p>Petit à petit, la conception médicale intègre aussi une conception psychosociale des troubles mentaux. Les prises en charge deviennent de plus en plus orientées vers une pratique de <a href="https://centre-ressource-rehabilitation.org/qu-est-ce-que-la-rehabilitation-psychosociale">réhabilitation psychosociale</a>, au-delà du traitement médicamenteux et en s’appuyant sur les compétences des personnes concernées par le trouble mental. Les besoins et projets des personnes sont considérés en faveur de leur <a href="https://theconversation.com/le-retablissement-en-sante-mentale-quand-les-patients-redeviennent-des-personnes-188263">rétablissement</a>. Ces conceptions de la personne au-delà du trouble mental offrent alors la nécessité de développer de nouvelles représentations collectives centrées sur l’individu.</p>
<h2>Revoir l’humain derrière le trouble</h2>
<p>Finalement, même au XXI<sup>e</sup> siècle, parler de trouble mental reste complexe. Évoquer les <a href="https://psychiatry.org/psychiatrists/practice/dsm">troubles du spectre de la schizophrénie, les troubles bipolaires ou encore les troubles dépressifs</a>, c’est potentiellement activer un panel d’émotions allant de la peur à la fascination, en passant par la compassion, la colère, la pitié, le mépris ou encore la surprise.</p>
<p>Ces émotions qui peuvent parfois sembler légitimes sont malheureusement bien souvent basées sur nos représentations erronées des troubles, issues des conceptions et pratiques passées. <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/jasp.12323">Émotions comme représentations s’entretiennent</a> et se renforcent, ayant pour conséquence d’alimenter la stigmatisation.</p>
<p>Pour exemple, la peur ressentie à l’évocation d’une personne ayant une schizophrénie renverrait au sentiment de dangerosité infondé et véhiculé par les représentations collectives – notamment dans les médias. Ce qui renvoie au besoin de mise à l’écart existant à l’époque asilaire voire aliéniste.</p>
<p>Les ressentis sont pluriels mais ce qui est souvent commun c’est le sentiment d’étrangeté, au sens de différence de soi : le trouble mental parait loin de nous. Toute société est constituée de normes et de symboles favorisant le sentiment d’appartenance au groupe et guidant notre image de nous-mêmes et des autres. Ce qui parait en dehors des normes fait alors l’objet d’un traitement cérébral spécifique et nous impose de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/11029900/">nous questionner sur l’attitude à avoir</a>.</p>
<p>Le processus de stigmatisation tend à réduire une personne à ses manifestations en décalage à la norme, jusqu’à lui <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00224545.2019.1671301">retirer une part d’humanité</a>. Lutter contre la stigmatisation, c’est aider à percevoir l’autre de manière plus globale en tant que personne, à le réhumaniser en ne le réduisant plus à son trouble. Redevenu plus humain, c’est admettre qu’il est plus proche de soi-même.</p>
<p>Par conséquent, changer de regard serait accepter l’idée que l’on est en réalité tous concernés (directement ou par le biais d’un proche). Cela signifierait avoir moins peur de ce que l’on peut être, de ce que l’on peut voir, ressentir sur soi mais aussi pour l’autre. Pour mémoire, l’<a href="https://apps.who.int/iris/handle/10665/42390">OMS estime qu’une personne sur quatre connaîtra d’ailleurs un trouble psychique au cours de sa vie</a> et le <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2019/suicide-et-tentative-de-suicides-donnees-nationales-et-regionales">suicide reste un risque important</a>.</p>
<hr>
<p><em>Pour citer cet article : M’bailara, K., Munuera, C. et Follenfant, A. (2022). « Troubles mentaux : quand la stigmatisation d’aujourd’hui reflète les conceptions d’hier », The Conversation.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192540/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caroline Munuera a reçu une bourse doctorale du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alice Follenfant et Katia M'bailara ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Aucun trouble n’est aussi stigmatisé que le trouble mental. Pour comprendre l’origine de ce rejet lourd de conséquences pour les individus touchés, et le dépasser, un rappel historique est nécessaire…Katia M'bailara, Maitresse de conférences et psychologue, Université de BordeauxAlice Follenfant, Enseignante-chercheure en psychologie, Université de BordeauxCaroline Munuera, Psychologue clinicienne spécialisée en Psychopathologie et doctorante en Psychologie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1882632022-10-19T17:07:32Z2022-10-19T17:07:32ZLe rétablissement en santé mentale : quand les « patients » redeviennent des personnes<p>Qu’est-ce qu’un trouble mental, ou quel que soit le nom qu’on lui a donné au fil des siècles (folie, maladie mentale, etc.) ? Les idées sur la question n’ont cessé d’évoluer… mais il faut bien reconnaître que pour explorer le sujet, on ne demandait généralement pas l’avis des premiers concernés.</p>
<p>Pire, sitôt un individu estampillé schizophrène ou bipolaire, il se trouvait souvent réduit à ce trouble, et son humanité dans toute sa complexité disparaissait derrière le diagnostic posé – selon un processus dit d’essentialisation. Préjugés, commentaires et autres comportements entretiennent toujours les idées reçues et participent à la stigmatisation de ces personnes.</p>
<p>La stigmatisation reste très présente dans notre société, aussi bien en population générale qu’<a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0165178120303024?via%3Dihub">au sein des professionnels de santé du domaine</a>. Pour autant, approches et pratiques de soin évoluent. Désormais, l’idée forte est d’accompagner les personnes ayant reçu un diagnostic de trouble mental vers leur <a href="https://psycnet.apa.org/record/1993-46756-001">« rétablissement »</a> : non vers un état antérieur à la pathologie, mais vers une vie satisfaisante, riche de sens pour la personne. Nous vous présentons ici cette pratique encore trop peu connue.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’un trouble mental ?</h2>
<p>Pour comprendre cette démarche, il convient de revenir un instant sur ce qu’est un trouble mental dans une approche biomédicale.</p>
<p>Classiquement, les troubles mentaux sont conceptualisés sur la base de ce qui, dans les comportements, les émotions, le rapport aux autres, etc. est considéré comme un décalage à la norme. Un trouble est décrit et identifié par une association donnée de signes cliniques et symptômes distinctifs (selon l’approche dite « nosographique », telle que décrite notamment dans le <a href="https://www.elsevier-masson.fr/dsm-5-manuel-diagnostique-et-statistique-des-troubles-mentaux-9782294739293.html">Manuel diagnostique et statistique des troubles DSM-5</a>).</p>
<p>Sur la base de ces associations sont distingués les troubles anxieux et dépressifs, du spectre de la schizophrénie, bipolaires ou encore liés à l’usage de substance (addictions). L’origine des troubles est surtout considérée comme biologique, mais également psychologique et/ou sociale (modèle biopsychosocial).</p>
<p>De ce fait, l’objectif des prises en charge psychiatriques sera de traiter les causes afin de réduire voire de supprimer les symptômes caractérisant le trouble afin d’obtenir un retour à un état plus proche du fonctionnement « normal » de la personne.</p>
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<img alt="Flacon renversé avec des gélules qui sont tombées" src="https://images.theconversation.com/files/490410/original/file-20221018-8349-9zgruh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490410/original/file-20221018-8349-9zgruh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490410/original/file-20221018-8349-9zgruh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490410/original/file-20221018-8349-9zgruh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490410/original/file-20221018-8349-9zgruh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490410/original/file-20221018-8349-9zgruh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490410/original/file-20221018-8349-9zgruh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les traitements médicamenteux (ici un antidépresseur) ont longtemps été privilégiés comme moyen thérapeutique principal.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tom Varco/Shutterstock</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Dans le cadre des troubles bipolaires, il s’agira par exemple d’améliorer l’humeur en la stabilisant à l’aide d’un régulateur (<a href="https://www.vidal.fr/maladies/psychisme/trouble-bipolaire/medicaments.html">traitement dit thymorégulateur, tels les sels de lithium</a>. Il peut s’agir aussi d’aider la personne à identifier les premiers symptômes d’une phase de manie (humeur haute) ou de dépression (humeur basse) afin d’endiguer la crise au plus vite et d’en réduire les conséquences (éducation thérapeutique).</p>
<p>Lorsque les symptômes sont atténués, absents ou trop peu nombreux pour caractériser le trouble, on parle de rémission symptomatique ou clinique.</p>
<p>En France, la conception a évolué depuis les années 2000. On ne cherche plus seulement à supprimer la cause du mal-être (donc obtenir la seule rémission symptomatique) mais également à en traiter les conséquences sur le fonctionnement quotidien de la personne – on parle cette fois de rémission fonctionnelle.</p>
<p>Dans cette approche, la réhabilitation psychosociale a pour objectif de diminuer le handicap causé par le trouble dans de nombreux domaines de la vie quotidienne : l’autonomie (faire ses courses seul, prendre soin de soi), les relations sociales (développer des amitiés, entretenir de bonnes relations avec ses proches), la vie professionnelle (être en emploi, accomplir les tâches demandées), le fonctionnement cognitif/cérébral (mémoire, concentration), les finances (gérer les comptes, dépenser de façon équilibrée) ou encore les loisirs (avoir une activité physique, des passe-temps).</p>
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<h2>Du trouble à la personne</h2>
<p>Lorsqu’un diagnostic de trouble mental est posé, les professionnels accompagnent désormais la personne vers une rémission clinique et fonctionnelle.</p>
<p>Mais qu’en est-il de la perception du principal concerné ? Est-il gêné par ses symptômes ou ses difficultés ? Leur réduction à tout prix est-elle importante et a-t-elle du sens pour lui ?</p>
<p>Prenons l’exemple de Maxime, 27 ans, qui a un trouble bipolaire caractérisé notamment par des fluctuations de l’humeur. Maxime a des difficultés pour se faire à manger. Ainsi, dans l’objectif d’améliorer sa qualité de vie, les soignants de l’hôpital de jour lui proposaient d’intégrer un atelier cuisine… ce qu’il a refusé. Le jeune homme utilisait des préparations toutes faites à mettre au four à micro-ondes, une solution qui lui convenait d’autant mieux qu’il n’aime pas cuisiner.</p>
<p>Ainsi, ce qui correspond objectivement à une difficulté du quotidien n’est pas un problème pour Maxime de façon subjective. Et quelques mois plus tard, c’est Maxime lui-même qui demande à intégrer l’atelier cuisine : il a rencontré une jeune femme et a pour projet de l’inviter à partager un dîner fait maison. Apprendre à cuisiner devient alors un objectif pour Maxime, et l’atelier cuisine prend alors tout son sens.</p>
<p>Cet exemple illustre la distinction entre une prise en charge centrée sur le trouble et ses conséquences, et un accompagnement centré sur la personne, sur ses besoins, ses envies et ses projets.</p>
<p>Cette transformation des conceptions est défendue par les usagers de la psychiatrie eux-mêmes depuis les années 1970. En réaction aux pratiques psychiatriques de l’époque vécues comme traumatisantes, stigmatisantes et infantilisantes, les usagers se sont réunis au sein du « C/S/X movement » (<a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/027795369400179W">Mental Health Consumers/Survivors/eX-Patients</a>) pour militer pour le respect de leurs droits et parole.</p>
<p>En France, il faut néanmoins attendre le début des années 2000 pour que la voix des usagers se fasse entendre et qu’un changement commence à s’opérer, aussi bien dans les conceptions du trouble mental que dans les pratiques. Il s’agit de la bascule que nous évoquions précédemment, vers une approche moins portée sur les troubles et plus centrée sur la personne.</p>
<h2>L’approche du rétablissement</h2>
<p>L’approche du rétablissement repose sur la considération de la personne et non du seul trouble diagnostiqué. Son droit à une vie satisfaisante, riche de sens est pris en compte, au-delà du trouble vécu. C’est un <a href="https://psycnet.apa.org/doiLanding?doi=10.1037%2F0735-7028.36.5.480">changement de paradigme</a> : on ne soigne plus un malade, on accompagne une personne ayant reçu un diagnostic en tenant compte de sa complexité et de son intégrité. Maxime n’est pas bipolaire dans le sens où il « n’est pas » son trouble : il est chef d’équipe dans son entreprise, il est également passionné de rugby, aime sortir avec ses amis, est amoureux… Ce sont tous ces éléments qui le définissent réellement.</p>
<p>Au cœur de la notion de rétablissement, il y a la volonté de se centrer sur l’identité de la personne dans toutes ses dimensions. Ce regard global permet, entre autres, de combattre les effets néfastes de l’étiquette de « patient psychiatrique » (comme l’idée reçue d’incurabilité), et la stigmatisation qui y reste associée.</p>
<p>La perspective du rétablissement apporte une vision positive et optimiste : ce chemin peut être emprunté par toutes et tous, à leur rythme et selon leur personnalité, leurs envies, besoins et projets. Ce qui fait que chaque parcours est unique : ce n’est pas un état à atteindre, mais un chemin non linéaire. Il ne s’agit pas de redevenir la personne que l’on était avant le trouble (sans symptômes et sans handicap fonctionnel), mais de tendre vers un nouvel état d’équilibre satisfaisant pour soi.</p>
<p>Toutefois, si chaque parcours de rétablissement est unique, des points communs ont été identifiés (<a href="https://www.cambridge.org/core/journals/the-british-journal-of-psychiatry/article/conceptual-framework-for-personal-recovery-in-mental-health-systematic-review-and-narrative-synthesis/9B3B8D6EF823A1064E9683C43D70F577">modèle CHIME</a>), concernant les étapes de ce chemin et les processus psychologiques impliqués. Pour exemple, le <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/14511087/">stade de Conscience</a> se caractérise par la prise de conscience que son rétablissement est possible (processus d’espoir).</p>
<p>Les modèles théoriques du rétablissement peuvent ainsi constituer une grille de lecture pour la personne concernée et un guide pour le professionnel de santé.</p>
<p>Enfin, l’évaluation du rétablissement peut se faire à l’aide d’outils comme le Questionnaire sur le processus de rétablissement, créé avec des usagers de la psychiatrie (le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/17522430902913450">QPR, ou Questionnaire about the Process of Recovery</a>) et sur la version française duquel nous travaillons. Ce questionnaire s’intéresse aux processus psychologiques sous-jacents au travers de 22 questions.</p>
<h2>La valorisation des savoirs des usagers de la psychiatrie</h2>
<p>Le rétablissement suscite un intérêt croissant et fait même partie des recommandations internationales pour les politiques de santé mentale (<a href="https://news.un.org/fr/story/2021/06/1097902">Organisation mondiale de la santé</a>, Commission de la santé mentale du Canada, National Institute of Health Sciences du Royaume-Uni, Australian Health Minister). Cette approche novatrice a émergé en réponse à un besoin de transformation sociétale, qui implique une évolution tant des conceptions des troubles mentaux que des pratiques professionnelles et institutionnelles.</p>
<p>Cette approche reste relativement peu développée à l’échelle nationale. Pourtant, le rétablissement est encouragé par la législation (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000035315389">Décret n° 2017-1200 du 27 juillet 2017</a>) mais il n’existe pour l’heure en France aucun guide de bonnes pratiques pour sa mise en place dans les services de santé mentale.</p>
<p>Usagers de la psychiatrie et professionnels de santé sont toutefois sensibilisés au sujet et sont désormais des acteurs dynamiques de cette transformation. Les mouvements d’usagers ont notamment permis la reconnaissance du savoir tiré de leur expérience, ouvrant la porte à une relation plus symétrique avec les professionnels. Des collaborations s’engagent, qui permettent de définir ensemble les objectifs d’accompagnement.</p>
<p>De plus, la valorisation du savoir expérientiel se traduit par la professionnalisation de la pair-aidance, c’est-à-dire de l’aide mutuelle que s’apportent des personnes ayant l’expérience d’un trouble mental. Les médiateurs de santé pairs (titulaires d’une licence universitaire) sont des professionnels de l’accompagnement dont le regard et la posture sont complémentaires aux autres professionnels de santé mentale.</p>
<p>De même, sur le plan scientifique, les projets de recherche pour mieux caractériser et comprendre le rétablissement se développent comme à l’université de Bordeaux (pour exemple, les travaux des équipes de <a href="https://labpsy.u-bordeaux.fr/Membres/Membres-titulaires-et-associes/M-bailara-Katia">Katia M’bailara</a> et du <a href="https://labpsy.u-bordeaux.fr/Membres/Membres-titulaires-et-associes/Prouteau-Antoinette">Pr. Antoinette Prouteau</a>). Il faut encourager la collaboration entre usagers, professionnels de santé et chercheurs pour progressivement transformer les conceptions et améliorer l’accompagnement en santé mentale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188263/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caroline Munuera a reçu une bourse doctorale du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Katia M'bailara et Simon Felix ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>L’approche des troubles mentaux évolue en France depuis une vingtaine d’années : l’usager de psychiatrie est enfin plus pris en compte en tant que personne. Quel changement pour leur prise en charge ?Caroline Munuera, Psychologue clinicienne spécialisée en Psychopathologie et doctorante en Psychologie, Université de BordeauxKatia M'bailara, Maitresse de conférences et psychologue, Université de BordeauxSimon Felix, Neuropsychologue, doctorant en psychologie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1889132022-08-22T18:21:26Z2022-08-22T18:21:26ZComment la chaleur perturbe notre santé mentale<p>Les vagues de chaleur ont un <a href="https://theconversation.com/lesquels-de-nos-organes-sont-les-plus-menaces-par-la-canicule-119563">impact considérable sur notre santé physique</a> et <a href="https://theconversation.com/comment-la-canicule-detraque-notre-sommeil-119253">mentale</a>. Les médecins les redoutent généralement, car les salles d’urgence se remplissent rapidement de patients souffrant de déshydratation, de délire et d’évanouissement…</p>
<p>Des études récentes indiquent en effet une <a href="https://journals.lww.com/md-journal/fulltext/2018/12280/the_impact_of_a_heat_wave_on_mortality_in_the.50.aspx">augmentation d’au moins 10 % des visites aux urgences des hôpitaux</a> les jours où les températures atteignent ou dépassent les 5 % supérieurs de la fourchette de températures normales. Et certaines personnes sont plus vulnérables que d’autres.</p>
<h2>Les impacts en cas de troubles mentaux</h2>
<p>La hausse des températures peut aggraver les symptômes des personnes souffrant de troubles mentaux.</p>
<p>Les vagues de chaleur, ainsi que d’autres phénomènes météorologiques tels que les inondations et les incendies, ont été ainsi associées à une augmentation de leurs symptômes chez les personnes souffrant de dépression et chez celles touchées par des <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7699288/">troubles anxieux généralisés</a> – un trouble où les personnes se sentent anxieuses la plupart du temps.</p>
<p>Il existe également un lien entre une température élevée quotidienne et le <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-021-01448-3.pdf">suicide et les tentatives de suicide</a>. On peut dire que, de façon générale, pour chaque augmentation de 1 °C de la température moyenne mensuelle, les <a href="https://reader.elsevier.com/reader/sd/pii/S0160412021001586?token=AF1C762449F57D572A59A53820D3F0C5524528E761DB7E26AFBA18F7008432A5910D76AAD1B3E0DB861E6F48DC5365A6&originRegion=eu-west-1&originCreation=20220711125358">décès liés à la santé mentale augmentent de 2,2 %</a>.</p>
<p>Les pics d’humidité relative entraînent également une <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-021-01448-3.pdf">augmentation des cas de suicide</a>.</p>
<p>L’humidité et la température – <a href="https://theconversation.com/avec-le-rechauffement-climatique-letre-humain-va-atteindre-ses-limites-de-resistance-a-la-chaleur-169882">qui augmentent toutes deux en raison du changement climatique provoqué par l’être humain</a> – ont toutes deux été associées à une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0213616321000173">augmentation des épisodes maniaques chez les personnes souffrant de troubles bipolaires</a>. Cette phase de la maladie est particulièrement dommageable et peut entraîner une hospitalisation pour psychose ainsi que des pensées suicidaires.</p>
<h2>Des conséquences sur les traitements</h2>
<p>D’autres problèmes sont posés par le fait que, en cas de fortes chaleurs, certains traitements peuvent avoir plusieurs types d’effets secondaires dramatiques :</p>
<ul>
<li><p>L’<a href="https://www.cambridge.org/core/journals/european-psychiatry/article/abs/psychotropic-drugs-use-and-risk-of-heatrelated-hospitalisation/54FC76B216AB19AEFFAE4F30A21E1D99">efficacité de médicaments importants utilisés pour traiter les maladies psychiatriques peut être réduite</a> ;</p></li>
<li><p>De nombreux médicaments augmentent le risque de décès lié à la chaleur. C’est par exemple le cas des antipsychotiques, qui peuvent <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/european-psychiatry/article/abs/psychotropic-drugs-use-and-risk-of-heatrelated-hospitalisation/54FC76B216AB19AEFFAE4F30A21E1D99">supprimer la sensation de soif et entraîner une déshydratation</a> ;</p></li>
<li><p>D’autres agissent différemment selon la température corporelle et le degré de déshydratation de la personne. C’est le cas du lithium, un <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/european-psychiatry/article/abs/psychotropic-drugs-use-and-risk-of-heatrelated-hospitalisation/54FC76B216AB19AEFFAE4F30A21E1D99">stabilisateur de l’humeur</a> très puissant et largement utilisé, fréquemment prescrit aux personnes souffrant de troubles bipolaires.</p></li>
</ul>
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<h2>Des conséquences même en l’absence de troubles mentaux antérieurs</h2>
<p>La chaleur peut également <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fphys.2015.00372/full">affecter la santé mentale et la capacité de réfléchir et de raisonner des personnes ne souffrant pas de troubles mentaux</a>.</p>
<p>Des recherches montrent clairement que les zones du cerveau responsables de l’<a href="https://journals.plos.org/plosmedicine/article?id=10.1371/journal.pmed.1002605">élaboration et de la résolution de tâches cognitives complexes sont altérées par le stress thermique</a>.</p>
<p>Une étude menée auprès d’étudiants de Boston a révélé que ceux qui se trouvaient dans des pièces sans climatisation pendant une <a href="https://journals.plos.org/plosmedicine/article?id=10.1371/journal.pmed.1002605">vague de chaleur obtenaient des résultats inférieurs de 13 %</a> à ceux de leurs camarades lors de tests cognitifs. Ils avaient de surcroît un temps de réaction 13 % plus lent.</p>
<p>Ne pas avoir les idées claires à cause de la chaleur peut avoir d’autres conséquences. Il est alors plus probable que cela entraîne une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s40641-019-00121-2">frustration, ce qui, à son tour, peut conduire à des comportements plus agressifs</a>.</p>
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<img alt="Un conducteur fait un doigt par la fenêtre de sa voiture" src="https://images.theconversation.com/files/473589/original/file-20220712-16-7vncyh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/473589/original/file-20220712-16-7vncyh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/473589/original/file-20220712-16-7vncyh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/473589/original/file-20220712-16-7vncyh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/473589/original/file-20220712-16-7vncyh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/473589/original/file-20220712-16-7vncyh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/473589/original/file-20220712-16-7vncyh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le sentiment de frustration causé par la chaleur peut conduire à plus d’agressivité.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/attractive-woman-shows-obscene-gesture-car-648177022">Marian Weyo/Shutterstock</a></span>
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<p>Il existe des preuves solides établissant un lien entre la chaleur extrême et une augmentation des crimes violents : une simple augmentation d’un ou deux degrés Celsius de la température ambiante peut ainsi entraîner une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5533778/#CR10">hausse de 3 à 5 % des agressions</a>. Les conséquences ne sont pas anecdotiques.</p>
<p>D’ici 2090, on estime en l’occurrence que le changement climatique pourrait être à l’origine d’une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0095069613001289">augmentation de 5 % de toutes les catégories de crimes au niveau mondial</a>. Les raisons de cette hausse impliquent une interaction complexe de facteurs psychologiques, sociaux et biologiques. Par exemple, une substance chimique du cerveau appelée <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-017-06720-z.pdf">sérotonine qui, entre autres, permet de contrôler les niveaux d’agressivité, est affectée par des températures élevées</a>.</p>
<p>Les journées chaudes peuvent également <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2667278222000050#bib0024">exacerber l’écoanxiété</a>. Au Royaume-Uni <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2542519621002783">60 % des jeunes interrogés ont déclaré être très inquiets ou extrêmement inquiets du changement climatique</a>. Plus de 45 % des personnes interrogées ont déclaré que leurs sentiments à l’égard du climat affectaient leur vie quotidienne.</p>
<p>Il y a encore beaucoup de choses que nous ne comprenons pas sur l’interaction complexe et les boucles de rétroaction entre le changement climatique et la santé mentale – en particulier les effets des vagues de chaleur. Mais ce que nous savons, c’est que nous jouons un jeu dangereux avec nous-mêmes et avec la planète… Les vagues de chaleur et leurs effets sur la santé mentale nous rappellent que la meilleure chose que nous puissions faire, pour nous-mêmes et les générations futures, est d’agir sur le changement climatique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188913/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’impression est connue : quand il fait chaud, on serait plus irritable, moins patient… La science le confirme, et prouve que les effets de la chaleur sur notre santé mentale sont bien plus graves.Laurence Wainwright, Departmental Lecturer and Course Director, Smith School of Enterprise and the Environment, University of OxfordEileen Neumann, Postdoctoral research associate, University of ZurichLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1843342022-06-07T18:17:17Z2022-06-07T18:17:17ZTrouble bipolaire et Covid : le double effet bénéfique des médicaments à base de lithium<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/466802/original/file-20220602-26-bm1yjh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C116%2C3673%2C2653&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les sels de lithium, utilisés notamment dans le traitement des troubles bipolaires, ont un effet antiviral et anti-inflammatoire.</span> <span class="attribution"><span class="source">Sonis Photography / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Lithium est aujourd’hui surtout associé dans les esprits à un usage industriel, puisqu’il est un des constituants clefs des batteries… Ce qui est moins connu, c’est que ce métal mou a également de nombreux usages biologiques.</p>
<p>Prescrit sous forme de sels, il s’est ainsi installé depuis les années 1970 comme le chef de file des traitements « thymorégulateurs » (ou régulateurs de l’humeur). Mais en cette période de pandémie, ce sont ses propriétés anti-inflammatoires et antivirales qui ont particulièrement suscité de l’intérêt dans la communauté scientifique.</p>
<p>Découverts il y a deux siècles, les sels de lithium sont utilisés au milieu du XIX<sup>e</sup> siècle contre les rhumatismes, les épisodes de « manie aiguë » ou comme sédatifs… Mais ces débuts sont également marqués par des accidents, leur niveau de toxicité n’étant pas connu. Il faut en effet attendre les années 1950 pour que le seuil permettant un usage médical sans danger pour les patients soit établi, et qu’ils soient autorisés par la Food and Drug Administration américaine.</p>
<p>Ils s’imposent dès lors rapidement pour le traitement des épisodes dépressifs ou maniaques des troubles bipolaires et la prévention des rechutes, comme pour la réduction du risque suicidaire. Leur <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32388507/">rôle bénéfique sur la plasticité neuronale</a> découlerait de leur capacité à améliorer la communication entre les neurones au niveau de la substance grise de notre cortex.</p>
<h2>Un effet antiviral pour les sels de lithium</h2>
<p>Mais d’où proviendrait leur effet antiviral ?</p>
<p>De très nombreuses études ont suggéré que les sels de lithium pouvaient bloquer le cycle de réplication de plusieurs virus, dont certains coronavirus. Dès 1979, des chercheurs avaient montré que des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/481544/">patients bipolaires infectés par le virus de l’herpès</a> et traités avec du lithium pour leur trouble mental présentaient des signes de rémission clinique.</p>
<p>Les données les plus récentes soulignent même que l’effet antiviral du lithium est particulièrement marqué sur les <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fphar.2020.557629/full#B28">virus à ARN et ADN</a>.</p>
<p>Après plus de deux années marquées par le Covid, l’identification de molécules conférant une protection contre l’infection par le SARS-CoV-2 ou limitant les risques de développer une forme grave de la maladie continue d’être une priorité. Notamment afin de limiter les risques pour les personnes les plus vulnérables.</p>
<p>Or, les grandes études internationales, dont les nôtres, ont toutes démontré que les patients affectés par des maladies mentales présentaient un surrisque d’être infecté : près de huit fois plus que la population générale. Mais, surtout, ils montraient un <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34274033/">risque deux fois plus élevé de développer une forme grave de Covid-19</a>, ou de ne pas recevoir une prise en charge adéquate.</p>
<p>Dans ce contexte, la possibilité d’identifier un médicament faisant déjà partie de l’arsenal thérapeutique de certains troubles psychiatriques et qui conférerait une protection contre le virus constitue une perspective séduisante.</p>
<p>En l’occurrence, plusieurs travaux publiés depuis le début de la pandémie ont déjà fait état d’un éventuel <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34719789/">effet protecteur de plusieurs antidépresseurs</a> dont la fluoxétine et la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33623808/">fluvoxamine</a>. Les données scientifiques sont encore toutefois insuffisantes, et l’agence du médicament française exclut pour le moment la Fluvoxamine de l’arsenal thérapeutique de lutte contre le Covid.</p>
<p>De plus, d’autres travaux semblent mettre en évidence des effets négatifs pour d’autres traitements (comme la Clozapine, un antipsychotique utilisé dans le cas de schizophrénie, qui <a href="https://www.psychiatrictimes.com/view/clozapine-and-severe-covid-19-infection">semble aggraver le pronostic en cas de Covid</a>).</p>
<p>D’où l’importance d’investiguer en conditions réelles tous les effets de cet arsenal thérapeutique, utilisé dans le cadre de la santé mentale, afin d’estimer ses possibles bénéfices antiviraux mais aussi les risques inattendus.</p>
<h2>Une réduction du risque réelle</h2>
<p>Nos travaux, qui viennent de faire l’objet d’une <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/the-british-journal-of-psychiatry/article/abs/association-between-serum-lithium-level-and-incidence-of-covid19-infection/C10A4E115ECCB30AA8FAC30220D1E240">publication dans The British Journal of Psychiatry</a>, sont les premiers à apporter des données concluantes, issues de la « vie réelle », que la prise de lithium à dose thérapeutique est aussi associée à un risque réduit d’être infecté.</p>
<p>Nous avons étudié les données de 26 554 individus, issues d’une large base de données anonymisées américaines. Nous disposions pour ces personnes d’informations relatives à leurs niveaux sériques (dans le sérum sanguin) de lithium ainsi qu’à des diagnostics de Covid-19 et/ou des résultats de tests PCR (un à six mois après dosage).</p>
<p>En analysant ces données, nous avons montré que les personnes prenant du lithium avec un taux sanguin thérapeutique avaient un risque plus faible d’avoir eu un diagnostic de Covid-19 et un test PCR positif. Et ce indépendamment de leur diagnostic de trouble psychiatrique ou de leur statut vaccinal.</p>
<p>Notre échantillon d’individus traités avec du lithium était néanmoins trop faible pour déterminer si le médicament avait un effet bénéfique pour réduire le risque de formes graves chez les patients infectés par le SARS-CoV-2. Toutefois, une incidence plus faible de la maladie telle que constatée dans notre étude est probablement associée à un risque moindre de complications dans cette population.</p>
<h2>Vers une explication du phénomène ?</h2>
<p>Les mécanismes expliquant les effets antiviraux du lithium ne sont pas encore élucidés. Cependant, quelques pistes se dessinent : des études <em>in vitro</em> ont indiqué que ce médicament inhibe la réplication de l’ARN du virus.</p>
<p>Nous avons aussi trouvé dans l’échantillon de population analysé que les effets du lithium sont particulièrement puissants sur le SARS-CoV-2 mais moins sur d’autres virus respiratoires : ce qui suggère des mécanismes biologiques propres à ce coronavirus. Des efforts de recherche doivent donc être poursuivis afin de consolider les connaissances sur le sujet.</p>
<p>S’il n’est pas envisageable de repositionner le lithium comme un médicament accessible à la population générale pour lutter contre le Covid-19, du fait de ces effets secondaires (hypothyroïdie, tremblements, problèmes rénaux…), nos résultats doivent être mis dans la balance au moment où un clinicien évalue les risques et les bénéfices de prescrire ce traitement à des patients atteints de troubles bipolaires, particulièrement fragiles en période de pandémie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184334/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marion Leboyer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Être atteint de pathologie mentale multiplie les risques face au Covid. Or des études démontrent que les médicaments psychorégulateurs au lithium offrent une certaine protection face au SARS-CoV-2.Marion Leboyer, Professeur de Psychiatrie, Directeur du Département Médico-Universitaire de Psychiatrie et d’Addictologie des Hôpitaux Henri Mondor, AP-HP, Université Paris Est Créteil (UPEC), InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1632202021-08-12T13:05:05Z2021-08-12T13:05:05ZTDAH chez l’adulte : le difficile diagnostic – et la vie avec ce trouble<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/407753/original/file-20210622-25-wfd4jv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4709%2C3135&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">On estime que plus de 1,3 millions d'adultes Canadiens sont atteints de TDAH.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Beaucoup d’entre nous pensent que le <a href="http://tdah.ca/">Trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité</a> (TDAH) est un trouble lié à l’enfance. Mais un nombre croissant d’adultes <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/652085/tdah-adulte-diagnostic">reçoivent un diagnostic de ce trouble</a> et partagent maintenant leur expérience.</p>
<p>Les médias sociaux ont joué un rôle à cet égard. Des gens se sont rendues chez leur médecin après avoir pris connaissance de vidéos de personnes parlant de leurs symptômes <a href="https://www.fr24news.com/fr/a/2021/05/les-createurs-du-tdah-repandent-la-prise-de-conscience.html">sur TikTok ou d'autres réseaux sociaux</a>. En fait, on estime que <a href="https://www.infotdah.ca/">plus de 1,3 million d’adultes canadiens</a> sont atteints de TDAH. Nous-mêmes souffrons de TDAH et avons eu un diagnostic à l’âge adulte.</p>
<p>Pourtant, malgré cette prise de conscience croissante, de nombreux adultes doivent encore se battre pour obtenir un diagnostic.</p>
<p>Le TDAH est un trouble génétique du développement neurologique, dans lequel le cerveau présente un déséquilibre dans la production des <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7880081/">substances chimiques spécifiques</a> impliquées dans le plaisir et la récompense.</p>
<p>Cela signifie que le cerveau des personnes atteintes du TDAH cherche souvent des moyens de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2626918/">stimuler ces substances chimiques</a>, ce qui explique pourquoi les personnes concernées peuvent être inattentives, hyperactives et impulsives.</p>
<p>Les <a href="https://www.nhs.uk/conditions/attention-deficit-hyperactivity-disorder-adhd/diagnosis/">traits communs du TDAH</a> sont :</p>
<ul>
<li><p>ne pas persévérer dans des tâches plus longues (ou ne pas les commencer) ;</p></li>
<li><p>se laisser distraire par d’autres tâches ou pensées ;</p></li>
<li><p>rechercher le risque ou les activités qui procurent une récompense immédiate ;</p></li>
<li><p>se sentir agité ou s’agiter ;</p></li>
<li><p>interrompre les autres involontairement.</p></li>
</ul>
<p>Les symptômes se ressemblent chez les adultes et les enfants, bien que certains éléments diffèrent ou changent avec l’âge. Par exemple, l’inattention est le symptôme le plus persistant chez les adultes.</p>
<p>Le TDAH peut être envahissant. Il affecte la qualité de vie et augmente les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33549739/">probabilités</a> d’avoir des problèmes de consommation d’alcool ou de drogues, de se retrouver au chômage ou de se blesser accidentellement. Les risques de suicide et de mort prématurée sont aussi plus élevés chez les adultes souffrant du TDAH. En outre, le TDAH peut coûter cher en traitements médicaux.</p>
<p>Le TDAH est également souvent associé à un large éventail de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21432612/">comorbidités</a> chez les adultes.</p>
<p>Par exemple, la dépression est presque <a href="https://chadd.org/about-adhd/co-occuring-conditions/">trois fois plus fréquente</a> chez les adultes atteints de TDAH. Et près de la moitié des adultes atteints de TDAH souffrent également de <a href="https://bmcpsychiatry.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12888-017-1463-3">trouble du spectre bipolaire</a>.</p>
<p>Environ 70 % des adultes atteints de TDAH souffrent également de <a href="https://bmcpsychiatry.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12888-017-1463-3#Sec1">dysrégulation émotionnelle</a>, ce qui peut rendre plus difficile le contrôle des réponses émotionnelles. On pense également que <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/dhe.31047">presque tous les adultes atteints de TDAH</a> présentent une <a href="https://www.webmd.com/add-adhd/rejection-sensitive-dysphoria">dysphorie de sensibilité au rejet</a>, un état dans lequel le rejet ou la critique perçus peuvent provoquer une douleur émotionnelle extrême.</p>
<p>En outre, les adultes atteints de TDAH peuvent avoir des problèmes de <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-020-64678-x">mémoire à court terme</a> – comme l’incapacité de se souvenir d’une courte liste de courses – et une <a href="https://chadd.org/adhd-in-the-news/what-is-time-blindness-and-do-you-have-it/#:%7E:text=Time%20blindness%20is%20un%20terme,ability%20to%20track%20its%20passing">incapacité à percevoir le temps</a>.</p>
<p>Certains peuvent également présenter un <a href="https://www.additudemag.com/oppositional-defiant-disorder-in-adults/#:%7E:text=Adultes%20avec%20un%20troubleoppositionnelavecprovocation,comply%20with%20rules%20and%20laws">trouble oppositionnel avec provocation</a>, ce qui signifie qu’ils réagissent souvent mal aux consignes ou aux règles.</p>
<p>Bien qu’aucune de ces comorbidités ne soit utilisée pour diagnostiquer le TDAH, elles peuvent rendre le TDAH d’autant plus difficile à vivre.</p>
<h2>Être diagnostiqué</h2>
<p>Obtenir un diagnostic de TDAH pour un adulte peut être difficile. Seul un spécialiste (<a href="https://cliniquepsychologiequebec.com/tdah-adulte/#diagnostic">neurologue ou psychologue spécialisé</a>) peut le faire. Mais même avec une référence à un spécialiste, une personne doit prouver qu’elle a tous les traits du TDAH, et ce depuis l’enfance, et que ceux-ci ont un impact sérieux sur sa vie (problèmes au travail ou dans ses relations personnelles).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Jeune femme attendant seule dans le bureau d’un médecin, tandis que deux médecins se consultent en arrière-plan" src="https://images.theconversation.com/files/407454/original/file-20210621-35622-1skaszi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407454/original/file-20210621-35622-1skaszi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407454/original/file-20210621-35622-1skaszi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407454/original/file-20210621-35622-1skaszi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407454/original/file-20210621-35622-1skaszi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407454/original/file-20210621-35622-1skaszi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407454/original/file-20210621-35622-1skaszi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La difficulté d’obtenir un diagnostic est chose courante pour les adultes atteints de TDAH.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/woman-patient-waiting-hospital-doctors-room-796833799">(Roman Kosolapov/Shutterstock)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Notre propre expérience du diagnostic du TDAH n’est pas si différente de celle d’autres adultes…</p>
<p>Comme beaucoup de gens, j’ai (Alex) été diagnostiqué avec un TDAH « par accident », après avoir été orienté vers un psychiatre pour obtenir de l’aide pour (ce que je sais maintenant) une automédication par l’alcool. En raison de mon TDAH, mon cerveau exige des stimulations assez extrêmes la plupart du temps.</p>
<p>Ironiquement, j’ai <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/ajmg.b.30632">publié des articles scientifiques</a> <a href="https://link.springer.com/content/pdf/10.1007/s12402-010-0040-0.pdf">sur le TDAH</a> et – probablement en raison d’un manque de conscience de soi classique du TDAH – il ne m’est pas venu à l’esprit que je pouvais en être atteint. Cette « étiquette » m’a depuis aidé à comprendre mon comportement.</p>
<p>Mes principaux défis restent la hiérarchisation des tâches en fonction de leur importance (au lieu de leur caractère excitant) et un comportement anti-autorité assez extrême (parfois appelé défiance oppositionnelle). Je suis également un terrible spectateur, qui a du mal à assister à des conférences ou à rester assis au théâtre – cela peut même être ressenti comme une douleur physique.</p>
<p>De mon côté, j’ai (James) été diagnostiqué assez rapidement parce que j’ai eu recours à une clinique privée – bien qu’il y ait eu une longue attente pour les médicaments. Pourtant, je savais depuis cinq ans que j’avais probablement un TDAH, mais je m’en étais bien accommodé jusqu’à la pandémie. La pression supplémentaire de l’isolement et l’augmentation de la charge de travail ont eu un impact sur ma santé mentale, et j’ai donc consulté pour obtenir un diagnostic.</p>
<p>Maintenant que j’ai été diagnostiquée et que je suis sous traitement, la vie est de plus en plus facile, même si je dois encore relever de nombreux défis chaque jour. Je ressens souvent de l’anxiété pour des choses banales, comme parler à un ami, mais passer à la télévision ne pose aucun problème.</p>
<p>Au quotidien, j’oublie beaucoup de choses simples, comme l’endroit où j’ai laissé mes clés ou de fermer le robinet lorsque je remplis la baignoire. J’ai énormément de mal à contrôler mes émotions, et en particulier le rejet. Par exemple, lorsque personne n’a ri à une blague que j’ai faite sur mon TDAH dans un groupe de messagerie pour cadres supérieurs, j’ai voulu quitter mon emploi. Je suis tout à fait incapable de garder l’attention lors de réunions ou de séminaires et je fais des achats impulsifs.</p>
<p>Bien que le TDAH soit de plus en plus reconnu chez les adultes, de nombreuses personnes vivent encore avec ce trouble sans avoir été diagnostiquées parfois parce qu’elles ne sont même pas conscientes de ce qu’elles vivent.</p>
<p>Il est essentiel de comprendre ce trouble chez l’adulte, de le prendre plus au sérieux, de le faire connaître et d’investir dans des services permettant d’améliorer les délais de diagnostic. Le diagnostic ouvre la voie au traitement, qui peut avoir un <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1087054719841129">impact considérable</a> sur la vie avec le TDAH, notamment en améliorant l’estime de soi, la productivité et la qualité de vie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163220/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>James Brown est cofondateur de ADHDadultUK, un groupe de soutien dirigé par des pairs pour les adultes atteints de TDAH.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alex Conner est cofondateur de ADHDadultUK, un groupe de soutien dirigé par des pairs pour les adultes atteints de TDAH.
</span></em></p>Les symptômes du TDAH se ressemblent chez les adultes et les enfants, mais certains éléments diffèrent ou changent avec l’âge. L’inattention est le symptôme le plus persistant chez les adultes.James Brown, Associate Professor in Biology and Biomedical Science, Aston UniversityAlex Conner, Reader in Biomedical Science Communication, University of BirminghamLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1145262019-03-29T16:12:45Z2019-03-29T16:12:45ZTroubles de l’humeur, troubles de la personnalité : ne les confondez plus<p>Chaque nouvelle version du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le célèbre et très utilisé DSM, qui en est à sa <a href="https://www.elsevier-masson.fr/dsm-5-manuel-diagnostique-et-statistique-des-troubles-mentaux-9782294743382.html">cinquième itération</a>, voit augmenter nombre de troubles mentaux recensés. La dernière version de cet ouvrage de référence en inventorie environ 300. Pour compliquer les choses, bon nombre d’entre eux ont des caractéristiques communes. C’est, par exemple, le cas de la dépression et de l’anxiété.</p>
<p>Ce manuel constitue un guide très utile pour les médecins et les chercheurs, mais il ne permet pas de faire de l’art du diagnostic une science exacte. Et étant donné que les experts eux-mêmes débattent encore de la catégorisation des troubles mentaux, il n’est pas surprenant que des idées fausses au sujet de certaines de ces affections se propagent dans la population.</p>
<p>Nos connaissances sur les troubles mentaux sont acquises de diverses façons : nous pouvons côtoyer quelqu’un qui en a été victime, ou en avoir fait nous-mêmes l’expérience. Nous pouvons aussi avoir lu des ouvrages sur le sujet, ou l’avoir vu traité à la télévision. Or, films et séries dépeignent souvent les personnes atteintes de maladies mentales comme des individus dangereux, effrayants et imprévisibles. Les représentations (fausses) les plus populaires sont celles de personnages aux personnalités multiples, ou d’individus atteints de troubles bipolaires, de schizophrénie ou souffrant de troubles de la personnalité.</p>
<p>Bien que les médias soient une source importante d’information sur les maladies mentales, ils peuvent donc aussi, s’ils les présentent de façon inexacte, désinformer le public, favorisant ainsi la stigmatisation et perpétuant les mythes. C’est ce que montre la recherche : les images négatives véhiculées dans les médias (fictifs et non fictifs) engendrent des croyances <a href="http://www.mindframe-media.info/for-media/reporting-mental-illness/evidence-and-research/evidence-about-mental-illness-in-the-media?a=6322">négatives et inexactes sur la maladie mentale</a>.</p>
<h2>Trouble de la personnalité multiple</h2>
<p>Le « trouble de la personnalité multiple » est une expression familière désignant le <a href="https://blogterrain.hypotheses.org/3752">« trouble dissociatif de l’identité »</a> . Bien qu’étant le qualifie communément de trouble de la personnalité, cette affection est en fait un trouble dissociatif.</p>
<p>Un trouble de la personnalité est caractérisé par une façon de penser, de ressentir et de se comporter s’écartant, sur le long terme, de ce qui est attendu au sein de la culture de la personne qui en est atteinte. Dans le trouble dissociatif de l’identité, en revanche, au moins deux personnalités alternatives (ou alters) prennent régulièrement le contrôle du comportement de l’individu. Celui-ci est généralement incapable de se souvenir de ce qui s’est passé lorsque l’autre (ou l’un des autres) alter ego a pris le relais : sa mémoire comporte des trous perceptibles, ce qui peut être extrêmement pénible.</p>
<p>La série télévisée « United States of Tara » (« Tara dans tous ses états ») dépeint plutôt bien un tel trouble dissociatif. Le personnage principal, doté d’une série d’alters, est victime de trous de mémoire récurrents.</p>
<p>Alors qu’il était autrefois considéré comme rare, on estime aujourd’hui que le trouble dissociatif de l’identité touche <a href="https://www.uptodate.com/contents/dissociative-identity-disorder-epidemiology-pathogenesis-clinical-manifestations-course-assessment-and-diagnosis#H1244373">1 % de la population générale</a> et qu’il est généralement lié à un traumatisme précoce (comme le fait d'avoir été victime de violences durant l’enfance). Les gens confondent souvent ce trouble avec la schizophrénie. Mais contrairement à la schizophrénie, l’individu n’imagine pas de voix extérieures et n’est pas victime d’hallucinations visuelles : une personnalité laisse littéralement sa place, et une autre la prend.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YBCEeLl_RxQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Trouble de la personnalité limite</h2>
<p>Le <a href="https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/sante-mentale-maladie-mentale/trouble-de-la-personnalite-limite/">trouble de la personnalité limite</a> (ou <a href="https://www.psychologies.com/Moi/Problemes-psy/Troubles-Maladies-psy/Articles-et-Dossiers/Borderline-des-cles-pour-comprendre">« borderline »</a>) est généralement mal interprêté. Les personnes qui en sont affectées sont souvent présentées comme manipulatrices, destructrices et violentes. En réalité, ces comportements sont motivés par la douleur émotionnelle : la personne atteinte n’a jamais appris à demander correctement ce dont elle a besoin, ou ce qu’elle veut.</p>
<p>On suppose également souvent que le terme « limite » signifie que la personne souffre « presque » d’un trouble de la personnalité. Le terme « borderline » crée ici une certaine confusion. Introduit pour la première fois <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK55415">aux États-Unis en 1938</a>, il a été utilisé par les psychiatres pour décrire les patients que l’on croyait à la « frontière » entre les diagnostics (surtout entre la psychose et la névrose). Le terme « limite » a perduré dans les diagnostics, mais les causes, les symptômes et le traitement sont maintenant beaucoup mieux compris.</p>
<p>Les personnes souffrant d’un trouble de la personnalité limite ont des difficultés à réguler leurs émotions. Cela contribue non seulement à déclencher des accès de colère, mais aussi à générer de l’anxiété et à favoriser la dépression, ce qui rend les relations avec les autres difficiles. Le trouble de la personnalité limite est souvent en lien avec des traumatismes (comme ceux résultant de violences ou de négligences subies pendant l’enfance).</p>
<p>Nombre des actions que s’inflige une personne atteinte de trouble de la personnalité limite (telles qu’automutilation ou overdose) le sont par désespoir, en vue d’essayer de gérer des émotions douloureuses et intenses.</p>
<h2>Les troubles bipolaires</h2>
<p>Bien que le trouble de la personnalité limite et le trouble bipolaire puissent sembler similaires (troubles de l’humeur, comportement impulsif et pensées suicidaires), <a href="https://journals.lww.com/co-psychiatry/Citation/2014/01000/Clinical_differentiation_of_bipolar_II_disorder.4.aspx">plusieurs différences clefs</a> les distinguent.</p>
<p>Le <a href="https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2014-06/troubles_bipolaires_reperage_et_diagnostic_en_premier_recours_-_note_de_cadrage_2014-06-13_10-53-16_714.pdf">trouble bipolaire</a> se caractérise par des sautes d’humeur extrêmes, allant de graves dépressions à des périodes de grande activité, d’énergie et d’euphorie. Ces différents états d’humeur peuvent ressembler à un changement de personnalité, mais le retour au « moi habituel » se produit une fois que l’humeur se stabilise.</p>
<p>Bien que la dépression se retrouve à la fois dans le trouble de la personnalité limite et dans le trouble bipolaire, les personnes atteintes de trouble bipolaire connaissent aussi des périodes d’expansion de l’humeur, qualifiées de « manie » dans le trouble bipolaire I et d’« hypomanie » (manie moins intense) dans le trouble bipolaire II.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-kanye-west-a-mariah-carey-quand-la-culture-pop-sempare-du-trouble-bipolaire-97720">De Kanye West à Mariah Carey : quand la culture pop s’empare du trouble bipolaire</a>
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<p>Par ailleurs, dans le trouble bipolaire, les épisodes <a href="http://www.cnrtl.fr/definition/thymique//1">thymiques</a> durent plus longtemps (quatre jours ou plus pour les « hauts » et deux semaines ou plus pour les « bas »), entrecoupés de périodes de bien-être (« intervalles libres »), et sont moins susceptibles d’être déclenchés par des événements externes. De plus, le trouble bipolaire est davantage susceptible d’être familial, de perturber les habitudes de sommeil et d’engendrer des symptômes psychotiques (délires, hallucinations) au cours des épisodes thymiques.</p>
<p>Nous avons tous des hauts et des bas, mais le trouble bipolaire va bien au-delà de cela. Il se traduit par des épisodes thymiques extrêmes et récurrents, qui sont non seulement pénibles, mais ont un impact significatif à long terme sur certains aspects clefs de la vie des personnes qui en sont atteintes. Heureusement, avec un traitement adapté, une vie de bonne qualité est tout à fait possible, malgré la persistance des symptômes.</p>
<h2>La schizophrénie</h2>
<p>La schizophrénie, du grec « esprit divisé », est souvent confondue avec un trouble dissociatif de l’identité. Cependant, dans le cas de la schizophrénie la « scission » ne se réfère pas à des personnalités multiples, mais à une « scission » de la réalité. Les personnes atteintes de schizophrénie peuvent avoir du mal à discerner si leurs perceptions, leurs pensées et leurs émotions sont fondées sur la réalité ou non.</p>
<p>Les hallucinations auditives (« entendre des voix ») font partie des symptômes courants, tout comme voir, sentir, ressentir ou goûter des choses que les autres ne peuvent percevoir. Également courantes sont les croyances inhabituelles (délires), y compris certaines qui ne peuvent pas être réelles, telles que la croyance que l’on est doté de pouvoirs particuliers. La désorganisation de la pensée fait également souvent partie du tableau clinique. La personne passe d’un sujet à l’autre aléatoirement, ou établit d’étranges associations dépourvues de sens entre différentes choses qui n’ont rien à voir. Les personnes schizophrènes peuvent aussi avoir des comportements étranges, ce qui inclue des accès de colère socialement inappropriés ou le port de vêtements inadaptés aux circonstances.</p>
<p>D’autres symptômes de la schizophrénie, comme l’incapacité d’éprouver du plaisir, la mise en retrait sociale et la démotivation, ressemblent beaucoup à ceux de la dépression. Les symptômes dépressifs sont également présents dans la schizophrénie, mais ils sont légèrement différents, en ce sens qu’il s’agit davantage d’une atténuation de l’émotion plutôt qu’une humeur dépressive <em>per se</em>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-schizophrenie-un-concept-qui-a-fait-son-temps-83241">La « schizophrénie », un concept qui a fait son temps</a>
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<h2>Les troubles mentaux, des affections difficiles a cerner</h2>
<p>Contrairement aux atteintes physiques, aucun test biologique ne permet de déterminer dans quel état mental se trouve quelqu’un. Les praticiens en santé mentale doivent donc suivre une formation rigoureuse afin de pouvoir reconnaître les divers profils de symptômes, un diagnostic judicieux permettant ensuite de déterminer le traitement le plus approprié.</p>
<p>Ainsi, les traitements de première ligne de la schizophrénie et du trouble bipolaire sont souvent axés sur la prise de médicaments, alors que les troubles dissociatifs de l’identité et les troubles de la personnalité limite sont traités principalement par la psychothérapie.</p>
<p>Les problèmes de santé mentale sont des pathologies graves, qu’il s’agisse de troubles de la personnalité, de troubles de l’humeur ou de troubles intermédiaires. Une meilleure compréhension et une représentation plus juste de ces affections sont nécessaires que cesse la stigmatisation et la diffusion de conceptions erronées au sein de la population.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114526/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les médias ne véhiculent pas toujours des images justes des troubles mentaux tels que trouble bipolaire, schizophrénie ou trouble de la personnalité limite. À quoi correspondent-ils exactement ?Kathryn Fletcher, Postdoctoral Research Fellow, Swinburne University of TechnologyKristi-Ann Villagonzalo, Postdoctoral Research Fellow, Swinburne University of TechnologyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1043362018-10-03T18:06:09Z2018-10-03T18:06:09ZLes malades mentaux, une catégorie d’êtres à part ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/239162/original/file-20181003-52672-1c5t0k5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C1272%2C860&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les personnes souffrant de troubles mentaux ne sont pas forcément si différentes. Scène de _Vol au-dessus d'un nid de coucou_ (Miloš Forman, 1975).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://goo.gl/XVtA9o">Cinémathèque française / DR</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
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<p>Schizophrénie, bipolarité, autisme, déficience intellectuelle… La plupart du temps, les déviations à la norme sont perçues négativement et les individus ayant des troubles mentaux, surtout psychiatriques, sont souvent considérés comme appartenant à une catégorie d’êtres à part, n’ayant aucun point commun avec les autres, les gens normaux. Mais ont-ils vraiment si peu de points communs ?</p>
<h2>La personne normale n’existe pas</h2>
<p>La normalité désigne, au sens statistique, la majorité des individus. « Être normal » signifie donc « être comme la majorité ». Mais imaginons un homme qui soit de taille normale, cela suffit-il à faire de lui une personne normale ? Est-il aussi de poids normal ? D’une intelligence normale ? D’une couleur de cheveux normale ? D’une orientation sexuelle normale (c’est-à-dire similaire à celle de la majorité) ?</p>
<p>Et quand bien même il remplirait ces critères, nous ne pourrions jamais avoir la certitude que nous avons bien énuméré l’ensemble des caractéristiques possibles. Nous pourrions toujours en avoir oublié une, sur laquelle notre homme « normal » serait finalement anormal. Ainsi, la normalité constitue une référence à ce qui est majoritaire, et donc habituel, mais aucune personne ne peut être totalement normale. Dit autrement, la personne normale n’existe pas.</p>
<p>Dans son acceptation courante la normalité est souvent perçue comme une caractéristique souhaitable, <em>a contrario</em> de l’anormalité qui serait à éviter. Mais appartenir à la majorité n’est pas en soi un gage de qualité. Ainsi, avoir une coupe de cheveux normale ne signifie pas que votre coiffure est mieux que celle des autres, ni que celle des autres est moins bien que la vôtre. Dans certains cas la rareté statistique peut même être synonyme de plus-value, comme en ce qui concerne les personnes d’intelligence exceptionnellement élevée.</p>
<h2>Classifier les troubles mentaux</h2>
<p>Dans leur acceptation la plus large, les troubles mentaux renvoient aux perturbations de la cognition, de la régulation des émotions ou encore du comportement. Ils sont recensés dans des classifications telles que la <a href="http://apps.who.int/classifications/icd10/browse/2008/fr">CIM-10</a> ou le <a href="https://www.santementale.fr/actualites/le-dsm-v-est-paru.html">DSM-5</a> et renvoient à des affections psychiatriques (troubles bipolaires, schizophrénie, dépression, troubles anxieux, etc.) ou encore à des troubles neurodéveloppementaux (autisme, hyperactivité, dyslexie, etc.).</p>
<p>Les classifications telles que la CIM ou le DSM ne sont pas figées. Elles évoluent d’une époque à l’autre, tant en ce qui concerne les catégories définies que les critères à remplir pour y appartenir. Par exemple, en 1980, l’« autisme infantile » incluait uniquement des individus présentant d’importants déficits dans le développement du langage. En 1994 (DSM-IV), ce critère n’apparaît plus comme nécessaire pour le diagnostic du « trouble autistique », lequel est alors distingué du « syndrome d’asperger » et des « troubles envahissants du développement non spécifiés ». Puis en 2013, à l’entrée en vigueur du DSM-5, ces différents troubles ont été regroupés sous l’appellation <a href="http://www.psychomedia.qc.ca/autisme/2015-04-03/criteres-diagnostiques-dsm-5">« troubles du spectre autistique »</a>.</p>
<p>Les classifications constituent en fait un cadre artificiel destiné à la compréhension des individus. Elles permettent de cibler dans la population les personnes qui ont besoin d’un soutien particulier. Elles sont un prérequis nécessaire pour pouvoir ensuite proposer un suivi orthophonique aux dyslexiques, une éducation spécialisée aux enfants avec autisme, un traitement et/ou une éducation thérapeutique pour des personnes avec schizophrénie, bipolarité ou anxiété, etc.</p>
<p>Les classifications diagnostiques proposent une répartition des individus en deux catégories. D’un côté les personnes qui n’ont pas de troubles mentaux, celles qui entrent dans la norme, c’est-à-dire qui sont majoritaires ; de l’autre côté, la catégorie des personnes qui ont des troubles mentaux, la minorité qui s’écarte de la norme.</p>
<p>L’existence de ces classifications peut laisser croire à la présence d’une barrière nette entre ces deux catégories d’individus, telle que toute personne se classerait très facilement dans une case ou dans l’autre. Ces catégories étant mutuellement exclusives, une personne serait soit normale soit anormale, sans possibilité de recouvrement. Mais la frontière est-elle si nette ?</p>
<h2>Des critères fluctuants</h2>
<p>Les critères diagnostics des maladies mentales évoluent, et les modifications des classifications qui résultent de ces changements suscitent toujours des débats houleux entre experts. Ceci témoigne de leur caractère arbitraire et indique qu’il n’existe pas de frontière nette entre le normal et le pathologique.</p>
<p>Les caractéristiques mentales des individus constituent plutôt un spectre continu, à l’instar des couleurs du spectre lumineux. Bien qu’il n’existe pas de délimitation précise entre chacune des couleurs qui le composent, le spectre de la lumière peut néanmoins être découpé en plusieurs catégories : violet, bleu, vert, jaune, orange et rouge. Ces catégories de couleurs sont choisies arbitrairement comme en témoigne le découpage différent dans certaines cultures. Ainsi, le peuple kazakh ne fait pas de distinction entre le vert et le bleu, <a href="https://journals.openedition.org/asiecentrale/598">qui sont désignés par un même mot</a>.</p>
<p>De la même façon, des troubles mentaux peuvent être séparés ou regroupés de manière différente selon les classifications diagnostiques en vigueur, comme dans le cas de l’autisme. De plus, des caractéristiques <em>a priori</em> anormales, tel le fait d’entendre des voix, peuvent exister chez des personnes considérées « normales ». La forte ressemblance de certains troubles mentaux avec des états existant chez tout un chacun peut par ailleurs laisser penser aux autres, lors de l'aveu (souvent honteux) d’un tel diagnostic, que la personne concernée se cherche des excuses pour ne pas faire d’effort, ou souhaite attirer l’attention. Ainsi, il n’est pas rare pour une personne ayant une dépression de se voir conseiller de « se forcer un peu ». Ce qui reviendrait à suggérer à une personne asthmatique de respirer correctement…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dire-secoue-toi-un-peu-a-une-personne-deprimee-ca-ne-sert-a-rien-87199">Dire « Secoue-toi un peu » à une personne déprimée, ça ne sert à rien</a>
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<p>La stigmatisation des troubles mentaux trouve ses origines dans cette idée reçue selon laquelle les malades mentaux seraient des personnes à part. Au lieu d'être considérés comme deux entités distinctes, le normal et le pathologique devraient plutôt être perçus comme les extrémités d’un même spectre avec, entre les deux, toute une gamme de possibilités.</p>
<p>À l’heure où de nombreux moyens existent pour atténuer les troubles mentaux, être dépressif, schizophrène, bipolaire ou encore autiste ne devrait plus être une source d’exclusion. La personne n’est pas son trouble mental. Celui-ci devrait plutôt être vu comme un compagnon qui n’a pas été choisi, et avec lequel il faut faire au mieux pour vivre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104336/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Morgane Burnel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les troubles mentaux sont si dévalués que les individus concernés sont considérés comme à part, différents du reste de l’humanité. Mais ont-ils vraiment si peu en commun avec les gens « normaux » ?Morgane Burnel, Doctorante, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/977202018-07-05T21:24:35Z2018-07-05T21:24:35ZDe Kanye West à Mariah Carey : quand la culture pop s’empare du trouble bipolaire<p>L’annonce récente de la candidature à la présidence des États-Unis du rappeur américain Kanye West a laissé nombre de commentateurs perplexes. Précipitée, trop tardive pour avoir une chance de l’emporter et menée de manière conjointe à la sortie d’un album, cette entrée en politique intrigue.</p>
<p><a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/kanye-west-bipolaire-meeting-presidentielle_fr_5f1567aac5b619afc403dd9b">Le premier meeting de l’artiste</a>, vêtu d’un gilet pare-balles, en larmes et tenant des propos confus sur l’avortement, ainsi qu’une série des tweets dans lesquels il accuse sa femme Kim Kardashian de malveillance à son égard, ont suscité de l’incompréhension, et malheureusement des moqueries et rires sur les réseaux sociaux.</p>
<h2>Des réactions négatives sur les réseaux sociaux</h2>
<p>Le comportement récent de Kanye West a suscité beaucoup de commentaires négatifs et de plaisanteries douteuses. Avant elles, les réactions à la révélation de Mariah Carey sur le compte Twitter et la page Facebook du magazine People n’ont pas non plus été empreintes d’empathie. Depuis la parution de son témoignage, environ un tiers des messages sur ces réseaux sociaux sont de teneur négative, selon l’observation que nous avons réalisée. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/348609/original/file-20200721-21-1311ed8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/348609/original/file-20200721-21-1311ed8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/348609/original/file-20200721-21-1311ed8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1299&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/348609/original/file-20200721-21-1311ed8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1299&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/348609/original/file-20200721-21-1311ed8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1299&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/348609/original/file-20200721-21-1311ed8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1632&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/348609/original/file-20200721-21-1311ed8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1632&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/348609/original/file-20200721-21-1311ed8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1632&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sur Twitter, Kanye West a publié des messages incohérents.</span>
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<p>Le rappeur milliardaire est coutumier des polémiques et déclarations fracassantes. Il a par ailleurs témoigné à plusieurs reprises du trouble bipolaire dont il est atteint. Ce coming-out, comme celui de la diva Mariah Carey, sont autant d’occasions de mieux comprendre cette maladie. Elle peut, en l’absence de soins, exposer les patients à des troubles du comportement préjudiciables à leur carrières. </p>
<p>La chanteuse Mariah Carey, de son côté, annonçait en couverture du magazine américain <em>People</em>, le 23 avril 2018, <a href="http://www.parismatch.com/People/Mariah-Carey-souffre-de-troubles-bipolaires-1495631">son « combat contre le trouble bipolaire »</a>. </p>
<p>Ces artistes ont, l’un après l’autre, parlé publiquement de leur <a href="http://www.psycom.org/Site-mobile/Sante-mentale-de-A-a-Z2/Trouble-bipolaire">trouble bipolaire</a>, caractérisé par des variations anormales de l’humeur. Une telle médiatisation est à ce jour inédite dans le champ des troubles psychiques. Elle constitue une vraie chance pour diminuer la stigmatisation dont sont victimes les personnes concernées.</p>
<h2>Le trouble bipolaire, un trouble à la mode ?</h2>
<p>Certains détracteurs voient dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Coming_out">ces <em>coming out</em></a> (annonce volontaire d’une caractéristique personnelle habituellement jugée honteuse) de célébrités l’expression d’une mode, portée par une pathologie qu’on imagine récente. Pourtant, la maladie était <a href="https://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2009-10-page-16.htm">déjà évoquée par Hippocrate</a> et sa théorie des humeurs.</p>
<p>Par la suite, elle s’est fait connaître sous le nom de psychose maniaco-dépressive, dû à un psychiatre allemand de la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, Emil Kraepelin. Ce n’est que depuis 1980 et la troisième édition du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Manuel_diagnostique_et_statistique_des_troubles_mentaux">Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux</a> (DSM 3) qu’on parle de <a href="https://www.cairn.info/les-troubles-bipolaires--9782257205650-p-17.htm">trouble bipolaire</a>.</p>
<p>L’abandon du terme psychose maniaco-dépressive n’était pas expressément destiné à diminuer la stigmatisation lié à la maladie. Mais nombreux sont les patients à préférer son nom actuel.</p>
<h2>Des phases caractéristiques d’excitation ou d’euphorie</h2>
<p>Le trouble bipolaire se caractérise par des phases dites « maniaques » – rien à voir avec le sens courant, évoquant le goût extrême pour la propreté, l’ordre ou les habitudes. Le terme médical désigne des phases d’excitation et/ou d’euphorie qui durent quelques jours à quelques semaines.</p>
<p>Ces phases sont parfois plaisantes pour les patients, avec une estime de soi et une énergie augmentées. Mais elles peuvent être l’occasion de troubles du comportement et de mise en danger, avec des achats inconsidérés, des rixes, des rapports sexuels à risque, l’usage de substances psychoactives ou des infractions.</p>
<p>Concernant ces phases, les formes d’intensité modérée (qu’on appelle hypomanes) passent parfois inaperçues, n’amenant pas les personnes à consulter. Par contre, les troubles induits par les formes les plus intenses (dans lesquelles il y a parfois des symptômes délirants) peuvent être très impressionnantes. Chez les patients, y compris les célébrités, elles ont des conséquences néfastes, tant dans la vie professionnelle que personnelle.</p>
<p>En alternance de ces phases, des épisodes dépressifs peuvent être présents. On les identifie par une rupture du comportement habituel de la personne pendant au moins 15 jours, avec une humeur triste toute la journée ainsi que des symptômes associés comme un trouble de la concentration, du sommeil ou de l’appétit.</p>
<p>Dans l’édition la plus récente du DSM, le DSM 5, on distingue deux formes de trouble bipolaire, le type I en présence de phase maniaque, et le type II lorsqu’il y a uniquement des phases hypomanes.</p>
<h2>Un trouble tellement cinématographique</h2>
<p>Le trouble bipolaire exerce une fascination certaine, comme en atteste la présence de protagonistes touchés par cette maladie dans de nombreuses œuvres cinématographiques ou audiovisuelles, par exemple les séries à succès <a href="http://www.allocine.fr/series/ficheserie_gen_cserie=9285.html"><em>Homeland</em></a> et <a href="http://www.allocine.fr/series/ficheserie_gen_cserie=17208.html"><em>Empire</em></a>. Premier constat positif, les tableaux cliniques présentés dans ces fictions sont bien plus vraisemblables que pour d’autres troubles psychiques comme la schizophrénie. Par ailleurs, les phases du trouble bipolaire servent l’intrigue pour quelques épisodes seulement. Une fois stabilisé, le trouble en lui-même devient très périphérique dans l’histoire. Il n’est pas l’essence même du personnage, qui n’a pas l’étiquette de « malade mental ».</p>
<p>Dans la vraie vie aussi, le trouble bipolaire évolue par épisodes, entre lesquels les patients peuvent tout à fait retrouver une vie normale – c’est un aspect qui mérite d’être souligné.</p>
<p>Ainsi, dans le <em>soap opera</em> américain <em>Empire</em>, le personnage secondaire Andre Lyon présente une phase maniaque, qui l’amène à être hospitalisé. Son humeur s’équilibre ensuite avec un traitement. La stigmatisation envers les personnes touchées par le trouble bipolaire, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24135506">encore très fréquente</a>, y est représentée de manière simple mais réaliste. Il en est de même pour la composante héréditaire de la maladie, la grand-mère du personnage en étant également atteinte. La qualité des informations dispensées par la série est d’autant plus remarquable que celle-ci n’a aucune vocation médicale – elle est centrée sur le monde de la musique hip-hop à New York. Globalement, la mise en scène de la maladie dans cette fiction représente une <a href="https://medium.com/@theo.chapuis/la-pop-culture-est-passionn%C3%A9e-de-psychiatrie-et-cest-la-preuve-qu-elle-n-est-plus-si-tabou-que-e91225f18cec">avancée dans la lutte contre la discrimination des patients atteints</a>.</p>
<h2>Une maladie banalisée par sa médiatisation ?</h2>
<p>La médiatisation de la maladie a cependant pour effet dommageable sa banalisation aux yeux de certains. L’hebdomadaire <em>Le Nouvel Obs</em> l’avait ainsi qualifiée de « tendance » et « sexy », <a href="https://www.nouvelobs.com/le-dossier-de-l-obs/20130206.OBS7909/etes-vous-bipolaire-le-nouveau-mal-du-siecle.html">lui consacrant la couverture d’un numéro en 2013</a>. Que des célébrités soient touchées par le trouble bipolaire rendrait cette maladie « glamour », selon le raisonnement avancé dans l’article. Cela pousserait des personnes non concernées à revendiquer ce trouble, entraînant un phénomène de contagion. On entend fréquemment des poncifs comme « tout le monde se dit bipolaire maintenant ».</p>
<p>L’argument, pourtant, est difficilement recevable. Des patients arrivent parfois en consultation chez un psychiatre avec ce diagnostic, qui s’avère erroné. C’est alors au médecin de poser un nouveau diagnostic. Les patients réellement atteints, eux, vivent comme une double peine d’entendre que leur trouble – fréquemment sévère, chronique et invalidant – puisse être considéré comme enviable.</p>
<p>Rappelons que le trouble bipolaire est associé, dans la littérature scientifique, à une santé physique moins bonne, une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25846854">espérance de vie plus courte</a> et un <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26388529">risque suicidaire 20 fois plus élevé</a> que dans la population générale.</p>
<p>Revendiquer un trouble dont on ne serait pas atteint ? Dans les faits, le discrédit jeté par la maladie sur les patients bien réels est tel… qu’il ne leur viendrait pas à l’idée de s’en vanter. Il est d’ailleurs extrêmement rare qu’ils puissent faire connaître leur diagnostic <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24135506">à leur entourage familial, amical et professionnel</a>. Quand c’est le cas, ils se heurtent bien souvent à la méconnaissance voire même négation de la souffrance endurée. Les célébrités n’échappent pas plus que les autres à ce phénomène.</p>
<h2>Un cas clinique nommé Mariah Carey</h2>
<p>Star <a href="https://www.billboard.com/articles/columns/chart-beat/7736592/mariah-carey-top-40-biggest-billboard-hot-100-hits">extrêmement populaire aux États-Unis</a> – et ailleurs dans le monde – Mariah Carey a évoqué son trouble bipolaire (de type 2) à la une d’un magazine très diffusé dans son pays. Elle y évoque notamment son déni de la maladie au moment où le diagnostic a été posé – une réaction fréquente chez les patients. Elle aborde aussi la rémission, obtenue à l’aide d’un traitement alliant médicaments et psychothérapie.</p>
<p>Il est déjà rare qu’une personnalité de cette envergure aborde publiquement un problème de santé mentale. Et plus encore, qu’elle parle de l’aide apportée par les soins et de la notion de rétablissement. L’annonce faite par Mariah Carey a eu un impact certain sur ses concitoyens. Celui-ci est même mesurable puisqu’il s’en est suivi, aux États-Unis, un <a href="https://trends.google.fr/trends/explore?date=today%205-y&geo=US&q=%2Fm%2F01g2q">pic de requêtes sur le moteur de recherche Google</a>, le record sur quatre ans, pour les mots « trouble bipolaire ».</p>
<p>De la même façon, l’actrice hollywoodienne Angelina Jolie avait évoqué en 2013 sa double mastectomie (ablation des seins) à titre préventif. Elle est en effet porteuse d’une mutation génétique l’exposant à un risque élevé de cancer du sein. Sa courageuse tribune dans le quotidien américain <em>The New York Times</em> a permis une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25341112">augmentation importante des connaissances de tout un chacun sur le sujet</a> et aussi une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25510853">amélioration de la prise en charge en cancérologie du sein</a> aux États-Unis. Un « effet Angelina Jolie » devrait être possible dans le champ de la santé mentale.</p>
<h2>Des réactions négatives sur les réseaux sociaux</h2>
<p>Pourtant, les réactions à la révélation de Mariah Carey sur le compte Twitter et la page Facebook du magazine <em>People</em> n’ont pas toutes été empreintes d’empathie. Depuis la parution de son témoignage, environ un tiers des messages sur ces réseaux sociaux sont de teneur négative, selon l’observation que nous avons réalisée.</p>
<p>Des messages accusent par exemple la star de se donner l’excuse d’un trouble psychique pour justifier des écarts dans son comportement. D’autres moquent le fait qu’elle porterait depuis longtemps déjà des stigmates de ses difficultés psychiques.</p>
<p>« Is this supposed to be a secret ? » (C’est censé être un secret ?), ironise une internaute en réponse à un tweet du magazine annonçant la révélation du trouble de Mariah Carey.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"984025515731357696"}"></div></p>
<p>Ce sont d’ailleurs deux des stéréotypes attribués aux personnes atteintes de trouble bipolaire, à l’origine de mécanismes de discrimination. De telles idées reçues légitiment, s’il le fallait, que des célébrités prennent la parole sur ces sujets, permettant ainsi de les démonter.</p>
<p>De son côté, Kanye West revendique avec humour sa qualité de bipolaire sur la couverture de son dernier album, taguée de la phrase pleine de contradiction « I hate being bi-polar it’s awesome » (je déteste être bipolaire c’est super). Il va même au-delà avec le titre « Yikes », dans lequel il revendique sa bipolarité comme un « superpouvoir » et non un « handicap » : « That’s my superpower, nigga ain’t no disability ».</p>
<p>Le rappeur est l’une des premières vedettes à recevoir des soins psychiques dans l’ère de l’ultra-médiatisation. Rappelons qu’il est aussi le mari de Kim Kardashian, vedette avec sa famille d’une émission américaine de télé-réalité et incarnation de la célébrité comme lucratif art de vivre. A ce titre, il est particulièrement intéressant de voir comment Kanye West s’approprie le diagnostic dans une démarche entre opération de communication et émancipation militante. On peut faire le parallèle avec d’autres discriminations, raciales ou sexuelles, qui ont subverti l’injure en se la réappropriant. C’est encourageant pour l’avenir, même si on déplore encore le manque d’exemple d’un tel <em>empowerment</em> dans la culture pop française.</p>
<p>Et si ces exemples pouvaient aider les autres personnes touchées ? En effet, une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/29843003">étude</a> a montré que la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0003448714003801">psychoéducation</a> des patients atteints de trouble bipolaire était un vecteur de diminution du stigma. La psychoéducation consiste à leur délivrer de l’information sur la maladie et à leur donner des outils pour y faire face. Dans notre service de psychiatrie à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, nous proposons ainsi, depuis 2017, un groupe de psychoéducation enrichi du thème « Trouble bipolaire et médias ».</p>
<p>Nous utilisons l’exemple de personnalités comme figures positives auxquels s’identifier. Le même effet est recherché à travers un échange autour de la comédie hollywoodienne <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9KIqvwcc1e0">« Happiness Therapy »</a> évoquant le trouble bipolaire. Le film peut aussi se révéler par la suite un support pour les patients, afin d’évoquer plus facilement la maladie avec leur entourage.</p>
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<p>La culture pop pourrait ainsi devenir un moyen puissant, ludique et novateur dans la lutte contre la discrimination des personnes atteintes de troubles psychiques et dans leur émancipation.</p>
<hr>
<p>_Pour en savoir plus :</p>
<p><em>Cycle de conférences au MK2 Beaubourg à Paris, <a href="https://www.mk2.com/evenements/culture-pop-psychiatrie">« Culture Pop et Psy » à partir d'Octobre 2020</a></em></p>
<p><em>Blanc J.-V. (2019) « Pop & psy : Comment la Pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques », éditions PLON.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97720/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Victor Blanc a reçu ces trois dernières années des financements ( invitations à des réunions scientifiques) des laboratoires pharmaceutiques Otsuka Pharmaceutical France, MSD France, Lundbeck, Individior. Il est membre du comité de rédaction du magazine pour jeunes médecins What's Up Doc. </span></em></p>Plusieurs artistes ont déclaré être atteints de trouble bipolaire. En assumant publiquement leur maladie, ils contribuent à la rendre moins stigmatisante.Jean-Victor Blanc, Psychiatre, praticien hospitalier, chargé de cours en faculté de médecine, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/877022017-11-20T20:51:59Z2017-11-20T20:51:59ZMédicament connecté : qui a demandé le consentement du patient ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/195504/original/file-20171120-18525-f0axeh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le premier médicament connecté au monde est un antipsychotique. Il contient à la fois la substance active et un capteur (photo d'illustration).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/woman-taking-pill-cropped-image-young-368015510?src=Zm9RGhAKuYbZ-cE7vzqIsQ-1-26">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le premier comprimé connecté au monde, Abilify MyCite, sera disponible aux États-Unis en janvier prochain. Ce médicament antipsychotique a été approuvé <a href="https://www.fda.gov/NewsEvents/Newsroom/PressAnnouncements/ucm584933.htm">par l’autorité sanitaire américaine, la Food and Drug Administration</a> (FDA) le 13 novembre. Meilleure observance du traitement par le malade, suivi en direct du patient par le médecin, importantes économies générées pour les assurances santé, cette version numérique d’un médicament existant, l’aripiprazole, semble présenter de nombreux avantages. Quels en sont les enjeux éthiques ?</p>
<h2>Plus qu’un médicament connecté : un système de traitement intelligent</h2>
<p>Présenter Abilify MyCite comme un médicament « connecté » est un raccourci pratique qui désigne une réalité bien plus complexe. Selon la <a href="https://www.otsuka-us.com/media/static/ABILIFY-MYCITE-MEDGUIDE.pdf">notice disponible</a> sur le site du laboratoire pharmaceutique Otsuka, le système comporte quatre éléments : le comprimé et son marqueur d’ingestion, le patch (capteur externe) qui détecte le signal du marqueur et envoie l’information au téléphone mobile, l’application mobile qui montre que le médicament a été ingéré et le portail Internet pour les professionnels de santé. L’application mobile doit être téléchargée avant la première prise et le patient doit suivre ses instructions lorsqu’il utilise ce système de traitement, qu’il s’agisse de la mise en place du patch ou de la prise du médicament. Le médecin prescripteur doit montrer au patient le fonctionnement du système avant qu’il puisse l’utiliser seul.</p>
<p>Plus précisément, le patient avale son comprimé entier, sans le couper, ni le mâcher. Ce comprimé intègre un capteur qui déclenche un signal électrique lors du contact avec les sucs gastriques ; celui-ci est capté et enregistré dans le « MyCite patch » (à changer toutes les semaines) porté par le patient sur la partie supérieure gauche de l’abdomen ; il est ensuite transmis par liaison Bluetooth à l’application mobile « MyCite App ». La collecte de données comprend la date et l’heure d’ingestion du médicament, mais aussi son niveau d’activité. Le patient peut ajouter via l’application son état d’humeur et son nombre d’heures de sommeil. L’ensemble de ces informations soulève des craintes quant à la surveillance qui pourrait ainsi être exercée sur les patients.</p>
<p>En effet, les fonctions de l’application permettant la traçabilité de l’ingestion du médicament sont les seules à avoir été approuvées par la FDA. Or le site de la société de médecine numérique Proteus, co-développeur du médicament, mentionne que le patch détecte et enregistre <a href="http://www.proteus.com/press-releases/otsuka-and-proteus-announce-the-first-us-fda-approval-of-a-digital-medicine-system-abilify-mycite/">« certaines données physiologiques telles que le niveau d’activité »</a> et les transmet à l’application mobile. Il existe un manque de transparence sur la nature des données de santé collectées, leur fréquence mais aussi la finalité de leur transmission. Cette discrétion ne peut qu’éveiller la suspicion, notamment sur la réutilisation des données à des fins secondaires qui ne seraient pas explicitement approuvées par le patient.</p>
<p>Le <a href="https://www.abilifymycite.com/">site Internet</a> dédié à cette solution explique son fonctionnement <a href="https://www.abilifymycite.com/media/Infographic.pdf">dans une infographie détaillée</a>. Mais il n’apporte aucun élément concernant l’intégrité et la sécurité offertes pour le stockage des données médicales, ni les droits des patients afférents à ces données. Or, ces éléments sont indispensables pour éviter tout <a href="https://www.cairn.info/revue-journal-international-de-bioethique-2017-3-p-51.htm">mésusage des méga-données de santé</a>, notamment à des fins de <a href="https://theconversation.com/les-paradoxes-du-big-data-en-sante-65124">marketing ciblé</a>. La préservation de l’intimité et de la vie privée du patient doit rester un préalable.</p>
<h2>Un bénéfice thérapeutique pour le patient non démontré</h2>
<p>Le patient doit être clairement informé du fonctionnement du dispositif mais aussi de la collecte opérée sur ses données de santé, qualifiées de « sensibles » sur le plan juridique. Le choix d’un tel traitement doit par ailleurs rester volontaire. Si Alibify MyCite devait être autorisé par la suite en France, le consentement libre et éclairé devrait être recueilli par écrit par le médecin et comporter la liste des personnes habilitées à accéder à ses données. Ici, le patient peut approuver l’accès à cinq personnes telles que les membres de la famille et le médecin prescripteur. Le patient peut supprimer cet accès à des tiers à tout moment via son application mobile. Mais dans ce cas, la technologie n’a plus aucune utilité… puisque son intérêt est dans le partage des données !</p>
<p>À qui est prescrit, d’ordinaire, l’aripiprazole ? Ce médicament est destiné à des patients souffrant de <a href="http://www.psycom.org/Espace-Presse/Sante-mentale-de-A-a-Z/Depression">dépression</a> sévère, à des personnes <a href="http://www.psycom.org/Espace-Presse/Sante-mentale-de-A-a-Z/Schizophrenie-s">schizophrènes</a> et des personnes atteintes de <a href="http://www.psycom.org/Espace-Presse/Sante-mentale-de-A-a-Z/Trouble-bipolaire">troubles bipolaires de type 1</a>, anciennement connue sous le nom de psychose maniaco-dépressive. Ces maladies peuvent s’accompagner de fortes angoisses, d’idées délirantes impliquant, entre autres, le sentiment <a href="https://theconversation.com/quand-un-proche-fait-une-crise-de-parano-82741">d’être épié et surveillé</a>. Or, on parle ici d’un cachet qui envoie, en quelque sorte, des SMS depuis l’intérieur du corps. L’idée d’ingérer un tel « mouchard » peut ainsi faire écho, chez certains patients, à leurs propres tourments. De plus, pour l’ensemble des patients concernés, le fait que la prise du comprimé puisse être contrôlée en direct par leur médecin peut être vécu comme une <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/pharmacie-sante/030871598382-les-etats-unis-autorisent-le-premier-medicament-connecte-2130115.php">forme de pression psychologique</a> à suivre le traitement.</p>
<p>Il est surprenant que le premier médicament connecté au monde soit proposé dans le domaine de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sante-mentale-22629">la santé mentale</a> et pour une catégorie de patients particulièrement fragiles, qui plus est susceptibles d’être soignés d’office, c’est-à-dire de recevoir des soins contre leur gré. Parmi les symptômes possibles dans les maladies concernées figurent une désorganisation de la pensée, des difficultés de concentration, une perception erronée de la réalité, un déni des troubles entraînant un refus du traitement.</p>
<p>Dès lors, comment s’assurer que le patient est pleinement conscient des implications de son choix thérapeutique, s’agissant d’un dispositif inédit et relativement complexe ? Et si le consentement est donné, comment être certain que l’état du patient lui permettra, par la suite, de gérer correctement l’application mobile et ses multiples paramètres ? Il appartiendra au médecin prescripteur de s’assurer que son patient est apte, tout d’abord à prendre une telle décision, et ensuite, à utiliser le système sans risque pour lui-même.</p>
<h2>Le patient n’est pas un consommateur comme les autres</h2>
<p>Le PDG de Proteus, Andrew Thomson, <a href="http://www.proteus.com/press-releases/otsuka-and-proteus-announce-the-first-us-fda-approval-of-a-digital-medicine-system-abilify-mycite/">a estimé dans le communiqué à la presse</a> que « Otsuka permet aux personnes souffrant de maladies mentales sévères de s’impliquer avec leur équipe de soin dans leur traitement d’une nouvelle façon ».</p>
<p>Ce « mouchard » médical paraîtra sans doute un progrès et une solution positive aux yeux de quelques geeks sous le charme du côté ingénieux du dispositif. Mais pour le patient atteint de troubles psychiques, censé en être le bénéficiaire, il évoquera avant tout un outil de coercition. Certains patients présentant des délires de persécution se méfient même de leur médecin. Le risque existe qu’ils s’inquiètent : « Le gouvernement peut-il utiliser ces données pour me surveiller ? » D’où une question importante, à laquelle les concepteurs du système n’apportent pas de réponse : le remède ne va-t-il pas entretenir le mal qu’il est censé traiter ?</p>
<p>Par ailleurs, le fait qu’aux États-Unis, les assureurs encouragent l’utilisation de ce système par un meilleur remboursement pose lui aussi question. Le consentement du patient peut-il être considéré comme libre et éclairé, dans de telles conditions ? Enfin l’acceptation du médicament connecté ne doit pas non plus devenir une condition pour la sortie de l’établissement psychiatrique, voire pénitentiaire, et encore moins pour accéder à un emploi – autant d’utilisations potentielles problématiques.</p>
<h2>Une amélioration de l’observance du traitement non démontrée à ce jour</h2>
<p>La molécule contenue dans Abilify MyCite, l’aripiprazole, est devenue récemment accessible aux fabricants de médicaments génériques. Mais le fabricant Otsuka conserve des droits exclusifs sur sa version numérique créée grâce à la technologie de Proteus. Le patient pourrait donc légitimement s’attendre à un service médical supplémentaire en vertu de cette avancée technologique. En effet, une prise régulière du médicament limite le risque de rechute et d’hospitalisation, avec prise d’un traitement sous forme d’injection. Le <a href="https://www.nytimes.com/2017/11/13/health/digital-pill-fda.html">coût de ces hospitaliations est estimé entre 100 et 300 milliards de dollars</a> par an aux États-Unis. Pourtant, l’amélioration de l’observance du traitement n’est absolument pas prouvée pour le moment, bien que cet argument soit le principal utilisé par ses concepteurs.</p>
<p>La technologie de Proteus, financée par Novartis et Medtronic pour un total de 400 millions de dollars, ne semble pas tenir toutes ses promesses. En effet, le comprimé est en principe détecté dans les trente minutes suivant la prise, mais il peut s’écouler jusqu’à deux heures avant que l’application mobile et le portail Internet ne reçoivent le signal du capteur interne ; voire que le signal ne soit pas du tout reçu comme l’indique la notice du médicament.</p>
<p>Celle-ci prévoit d’ailleurs <a href="https://www.otsuka-us.com/media/static/ABILIFY-MYCITE-MEDGUIDE.pdf">que si le médicament n’est pas détecté</a>, il ne faut pas reprendre de médicament et qu’en cas de surdose le patient appelle de toute urgence le centre antipoison. Enfin, son efficacité et sa sécurité sur les patients mineurs sont inconnues.</p>
<p>En fonction des résultats obtenus avec Abilify MyCite, d’autres médicaments courants pourraient être proposés sous forme connectée. Des versions embarquées de capteurs de pression artérielle pourraient équiper le lisipronil, utilisé dans la prise en charge de l’hypertension artérielle, l’insuffisance cardiaque et l’infarctus du myocarde ; ou encore la metformine, utilisée dans le diabète.</p>
<h2>Le consentement : un défi majeur pour les technologies de santé</h2>
<p>L’arrivée de ce médicament connecté est l’occasion de s’interroger, à l’ère du numérique, sur l’autonomie du patient et sur son consentement, deux notions intrinsèquement liées si l’on vise son autodétermination. L’aptitude du patient à comprendre l’information délivrée par le médecin a des répercussions sur sa conscience de faire ou ne pas faire un choix, et donc sur la réalité de sa volonté. Or, le traitement des données de masse est si vaste et si complexe que cela rend impossible, pour les citoyens, une véritable prise de décision sur tous les usages de leurs données à caractère personnel.</p>
<p>Cela conduit à une perte d’autonomie avec pour conséquence une perte de contrôle et de liberté quant aux décisions prises par l’environnement technologique (intelligence artificielle) ou les processus automatisés (algorithmes). L’usage secondaire possible de ces données peut d’autant moins être anticipé qu’il implique le rapprochement de données provenant de sources variables (objets connectés, applications mobiles, réseaux sociaux), dont la nature peut être médicale ou non. Pourtant, un consentement spécifique est nécessaire pour un traitement secondaire de ces données : c’est là un principe essentiel pour garantir leur confidentialité.</p>
<p>Le consentement est devenu une question problématique en particulier dans le domaine des applications mobiles, y compris de santé, et dans celui des réseaux sociaux. L’information délivrée à l’usager/patient apparaît en petits caractères sur nos téléphones mobiles, parfois sans réelle alternative au refus pur et simple. Le procédé consistant à recueillir un consentement sur ce support numérique (et non sur un format papier) mène souvent l’usager à un clic immédiat, sans avoir pris le temps de faire un choix éclairé. Les « conditions d’utilisation » sont trop longues et difficiles à comprendre pour la plupart d’entre nous et sont rarement lues jusqu’au bout.</p>
<p>L’entrée en vigueur prochaine du règlement européen sur la protection des données à caractère personnel devrait corriger ce déséquilibre, notamment par l’introduction du principe de protection de la vie privée dès la conception de la technologie. Les développeurs d’applications mobiles et objets connectés de santé auront à standardiser leurs procédures afin d’intégrer cette dimension dès le départ. La confiance des usagers, clients, patients, n’est pas infinie… Aussi les entreprises devraient d’ores et déjà reconsidérer les processus de collecte et traitement déjà en place, car ils devront de toute façon en rendre compte à l’avenir.</p>
<p>La nécessité d’un consentement éclairé laisse penser que le médicament connecté proposé par le laboratoire pharmaceutique Otsuka serait plus utile – et plus éthique – dans d’autres domaines que la santé mentale. On pourrait tout à fait l’imaginer pour la surveillance du dosage des médicaments postopératoires comme les antidouleurs les plus forts à base d’opiacés, par exemple la morphine ; ou pour mieux contrôler les essais cliniques. S’agissant de patients atteints de maladies psychiatriques en quête d’autonomie, la pilule restera toujours difficile à avaler.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/87702/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Un cachet qui envoie des SMS depuis l’intérieur du corps, pourquoi pas ? Mais quelle idée de proposer cette solution à des personnes ayant des troubles psychiatriques…Nathalie Devillier, Professeur de droit, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/768762017-05-30T23:06:19Z2017-05-30T23:06:19ZLe microbiote intestinal dicte-t-il notre humeur et nos comportements ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/171033/original/file-20170525-23241-1kf3puq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les chercheurs étudient si les micro-organismes peuplant notre intestin pourraient jouer un rôle dans la dépression. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/BuNWp1bL0nc">Nik Shuliahin/Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Les scientifiques commencent seulement à prendre véritablement la mesure du rôle de notre <a href="https://theconversation.com/fr/topics/microbiote-30806">microbiote</a>, ces innombrables micro-organismes qui vivent sur et dans notre corps. Le tube digestif abrite à lui seul plus de 10 000 milliards de bactéries – majoritairement anaérobies, c’est-à-dire qui n’ont pas besoin d’oxygène pour vivre. Sans compter les virus, les levures et les champignons. L’influence du microbiote de l’intestin sur la <a href="https://www.inserm.fr/thematiques/physiopathologie-metabolisme-nutrition/dossiers-d-information/microbiote-intestinal-et-sante">régulation de nos fonctions vitales</a> aurait ainsi été considérablement sous-estimé jusqu’à la publication des travaux décisifs de ces cinq dernières années.</p>
<p>La découverte la plus frappante est sans doute celle de liens entre les perturbations de cette flore intestinale et des troubles psychiatriques comme l’anxiété, la dépression, les troubles bipolaires, la schizophrénie, ou encore un trouble neurodéveloppemental comme l’autisme. Il est trop tôt, à ce stade, pour affirmer qu’il s’agit d’une cause, et non pas d’une conséquence de ces troubles. Néanmoins, l’hypothèse selon laquelle la communauté microbienne abritée par notre intestin détermine en partie notre humeur et nos comportements mérite d’être étudiée. Si elle venait à être confirmée, cela ouvrirait <a href="http://www.jle.com/en/revues/ipe/e-docs/les_traitements_ciblant_le_microbiote_intestinal_et_leurs_applications_en_psychiatrie_308666/article.phtml">des perspectives de prévention ou de traitement</a> inédites en santé mentale.</p>
<h2>Les trois premières années de la vie, période clé</h2>
<p>Le microbiote intestinal se forme au cours des trois premières années de la vie. Il reste ensuite relativement stable au cours de la vie mais peut être transitoirement modifié, par exemple par un nouveau régime alimentaire, une infection intestinale ou un traitement antibiotique. Le rôle de cet écosystème est fondamental dans la motricité intestinale, c’est-à-dire la progression des aliments dans le système digestif. Il l’est aussi dans le développement du système immunitaire, protégeant l’individu contre l’agression de certaines pathogènes. Il l’est, enfin, dans le système métabolique, participant à la digestion, influençant l’absorption et la distribution des nutriments voire, en cas de maladie, des médicaments.</p>
<p>On estime actuellement que <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26653939">90 % des maladies</a> pourraient avoir un lien avec des perturbations du microbiote, les unes causant les autres ou inversement. On parle de « dysbiose », pour des situations dans lesquelles une altération de la biodiversité du microbiote peut occasionner des effets négatifs pour l’individu. La « paucibiose » fait référence à la perturbation quantitative du microbiote, c’est-à-dire une baisse du nombre total de bactéries, indépendamment du nombre d’espèces différentes.</p>
<p>Les effets de telles perturbations sur les comportements ont été mis en évidence, pour l’instant, par des études sur des modèles animaux. Ainsi <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21054680">des chercheurs ont fait naître des rats par césarienne, dans des conditions stériles</a>, pour qu’ils aient le moins de contacts possible avec des micro-organismes présents chez leur mère ou dans l’environnement. Ces rongeurs développent rapidement des troubles comportementaux évoquant des maladies psychiatriques : le repli sur soi, une perte de poids, des troubles du sommeil, de l’anxiété, la perte de l’hygiène voire des automutilations.</p>
<p>Or ces troubles s’avèrent réversibles si on administre à ces mêmes rats des probiotiques (des bactéries bonnes pour leur santé) au cours des six premières semaines de leur vie. Au-delà, les troubles deviennent irréversibles, suggérant que le microbiote joue un rôle crucial dans la période de développement du système nerveux central.</p>
<h2>Comment le microbiote influence le cerveau</h2>
<p>Qu’en est-il chez l’homme ? Notre microbiote peut influencer notre cerveau par plusieurs voies. Il peut modifier la perméabilité intestinale (c’est-à-dire le passage des molécules à travers la paroi de l’intestin vers la circulation sanguine et de là vers le cerveau), moduler l’inflammation au niveau de l’intestin et dans le sang, l’absorption de nutriments bénéfiques ou essentiels pour le cerveau, et influencer le système nerveux autonome responsable des réactions d’éveil et de fuite. Ces phénomènes semblent être à l’œuvre dans plusieurs types de troubles.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"836235479662067712"}"></div></p>
<p>À ce jour, les chercheurs ont surtout étudié le lien entre la perturbation du microbiote intestinal et l’autisme, un trouble neurodéveloppemental caractérisé par la diminution des interactions sociales et de la communication, avec des comportements stéréotypés et répétitifs. L’autisme s’accompagne très fréquemment de troubles digestifs. Les enfants autistes, comparés aux non-autistes, auraient dix fois plus de bactéries de type Clostridium, une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28222761">augmentation des Bacteroidetes et Desulfovibrio, et une diminution des Firmicutes et Bifidobacterium</a>.</p>
<p>Une augmentation de la perméabilité intestinale (l’intestin jouant moins bien son rôle de filtre retenant les pathogènes) a <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28222761">également été décrite dans l’autisme</a>, ainsi qu’une élévation de marqueurs d’inflammation dans le sang. De nombreuses autres anomalies au niveau de la paroi de l’intestin et de la composition des selles chez ces enfants <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24130822">ont également été rapportées</a>.</p>
<h2>Le syndrome de l’intestin irritable associé à l’anxiété</h2>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/136087/original/image-20160831-30786-1riajwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/136087/original/image-20160831-30786-1riajwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=626&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/136087/original/image-20160831-30786-1riajwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=626&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/136087/original/image-20160831-30786-1riajwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=626&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/136087/original/image-20160831-30786-1riajwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=787&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/136087/original/image-20160831-30786-1riajwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=787&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/136087/original/image-20160831-30786-1riajwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=787&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Schéma de l’intestin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Schema_intestin.png">William Crochot/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À l’inverse, des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, comme le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/?term=FOND+G+irritable">syndrome de l’intestin irritable</a>, sont associées à des taux très élevés d’anxiété et de dépression. De tels taux ne sont pas retrouvés dans d’autres maladies chroniques non-inflammatoires pourtant tout aussi difficiles à vivre au quotidien.</p>
<p>Chez les patients souffrant de troubles dépressifs majeurs, une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/18422970">faible sécrétion d’acide gastrique a été rapportée</a>. Cette diminution de l’acidité gastrique a été associée à la croissance (réversible) du microbiote au niveau de l’intestin grêle, ce qui peut entraîner des troubles digestifs, une augmentation de la perméabilité intestinale, de la malabsorption des nutriments, des épisodes de diarrhée ou de constipation.</p>
<p>Une autre observation plaide en faveur du rôle du microbiote intestinal dans la régulation ou le déclenchement des troubles anxio-dépressifs. Des bactéries <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25468489">sécrètent des substances qui sont aussi des neurotransmetteurs</a>, c’est à dire des composés chimiques produits par les neurones pour agir comme messager en direction des autres neurones. Ainsi, certaines souches de <em>Lactobacillus</em> et de <em>Bifidobacterium</em> produisent de l’acide gamma-amino-butyrique (GABA). Les genres <em>Escherichia</em>, <em>Bacillus</em>, et <em>Saccharomyces</em> produisent de la noradrénaline ; <em>Candida</em>, <em>Streptococcus</em>, <em>Escherichia</em>, et <em>Enterococcus</em> produisent de la sérotonine ; alors que <em>Bacillus</em> et <em>Serratia</em> peuvent produire de la dopamine. Tous ces neurotransmetteurs jouent un rôle majeur dans les mécanismes de la dépression.</p>
<p>La schizophrénie et les troubles bipolaires, des maladies psychiatriques chroniques sévères, ont également fait l’objet de travaux. <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23746484">Une étude récente</a> s’est intéressée aux marqueurs de translocation bactérienne anormale, des molécules qui, en temps normal, doivent être trouvées seulement à l’intérieur de l’intestin. Quand ces molécules sont trouvées dans le sang, cela peut être le signe d’une augmentation de la perméabilité de l’intestin. Ce phénomène a précisément été observé chez des personnes touchées par ces deux maladies.</p>
<p>La recherche sur le rôle du microbiote et son influence sur nos comportements en est à ses balbutiements. Ce champ de recherche apparaît aujourd’hui comme un possible chaînon manquant pour expliquer comment se déclenchent ou perdurent certaines maladies mentales. Des probiotiques, des prébiotiques (des substrats favorisant la croissance de souches de bactéries bénéfiques) et des approches nutritionnelles spécifiques sont utilisés actuellement dans certaines pathologies intestinales. Pourraient-ils trouver, un jour, une utilité dans le domaine de la santé mentale ? De nouvelles études seront nécessaires avant de pouvoir confirmer, ou infirmer, l’efficacité de telles interventions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76876/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Fond a reçu ces trois dernières années des financements (pour des conférences ou collaborations scientifiques) des laboratoires pharmaceutiques Janssen Cilag, Otsuka Pharmaceutical France, AstraZeneca, Lundbeck, Servier, Tadeka France, et des sociétés d'études de marché Uluru Santé, IMS Medical Radar, Kantar health, A+A, M3 Global Research. </span></em></p>De nombreuses études montrent un lien entre les micro-organismes présents dans l’intestin et des troubles psychiatriques comme l’anxiété ou la dépression. Une voie qui mérite d’être explorée.Guillaume Fond, Psychiatre, intervenant, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/702252017-04-24T21:14:22Z2017-04-24T21:14:22ZEvolution (ou révolution) dans la santé mentale : le pouvoir aux usagers<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/165280/original/image-20170413-25859-1i4tho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Mad Pride, à Paris. La quatrième édition de ce défilé des personnes touchées par des troubles psychiques aura lieu le 10 juin.</span> <span class="attribution"><span class="source">Juliette48</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La psychiatrie évolue, son vocabulaire en atteste. Le patient est désormais considéré comme un « usager » des services de santé mentale. Un brin consumériste, cette reconnaissance de l’usager est une petite victoire pour des associations militantes qui, les premières, ont utilisé ce terme.</p>
<p>Aussi lorsque la ministre de la Santé, Marisol Touraine, crée le <a href="http://social-sante.gouv.fr/ministere/acteurs/partenaires/article/conseil-national-de-sante-mentale">Conseil national de la santé mentale</a> et envoie au sociologue Alain Ehrenberg, son président, <a href="http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/lettre_de_mission_cnsm_pr_ehrenberg.pdf">sa lettre de mission</a>, elle désigne sous le nom « d’usagers » les personnes vivant avec des troubles psychiques. Et leur réserve une place dans cette nouvelle instance se revendiquant de la démocratie participative.</p>
<p>Le rapport que la société entretient avec la souffrance psychique a changé. En même temps que les patients de la psychiatrie ont été institutionnalisés comme des « usagers », on a assisté à leur « empowerment ». Ce mot difficile à traduire de l’anglais comprend à la fois l’autonomisation, le pouvoir d’agir et l’émancipation. Il désigne la capacité pour les personnes vivant avec un trouble psychique (dépression, trouble bipolaire, troubles du comportement alimentaire, schizophrénie…) de sortir d’un état de « passivité-captivité » qui caractérise leur statut de longue date, depuis le milieu du XVII<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Refuser l’enfermement, la contention</h2>
<p>L’enjeu est de taille : il s’agit pour les patients de valoriser leurs compétences et de faire valoir leurs droits alors même que l’institution psychiatrique s’est constituée autour d’un « pouvoir-savoir » qui les néglige. Sortir du silence, refuser l’enfermement, la <a href="http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2751206/fr/limiter-les-mesures-d-isolement-et-de-contention-en-service-psychiatrique">contention</a> et la camisole chimique ainsi que dénoncer les attitudes discriminantes et stigmatisantes, voilà les promesses portées par ce mouvement d’empowerment.</p>
<p>Il est en cours de réalisation. Depuis quelques années, des usagers prennent la parole dans le paysage institutionnel et médiatique. Initialement portées par les associations d’usagers, ces prises de parole se sont amplifiées et émancipées grâce au développement d’Internet et des réseaux sociaux. Ces derniers ont permis la multiplication des témoignages et récits de vie qui proviennent souvent <a href="https://blogschizo.wordpress.com/">d’usagers « survivants » de la psychiatrie</a>, pour reprendre un mot très utilisé en Amérique du Nord.</p>
<p>La parole se développe aussi, toujours sur Internet, dans le cadre de « communautés de patients » constituées d’individus réunis autour d’une même cause <a href="http://www.agorafolk.fr/">relative à une maladie le plus souvent chronique</a>. Adossées à des associations de patients, parfois relayées par des sites web à but lucratif, ces communautés partagent les mêmes missions : information sur les maladies et leurs traitements, échanges d’expériences, entraide et témoignages. La propagation des opinions qu’elles défendent sur Internet leur permet petit à petit de trouver une place singulière dans les débats. Le début de la reconnaissance du savoir des malades est bien là.</p>
<h2>La production d’une parole critique</h2>
<p>L’usager produit désormais lui-même du discours, ce qui amène le pouvoir politique à prendre en compte son point de vue. Par exemple, c’est la mobilisation des associations d’usagers, et particulièrement du <a href="https://psychiatrie.crpa.asso.fr/">Cercle de réflexion et de proposition sur la psychiatrie (CRPA)</a>, qui, par la production d’une parole critique et le recours au moyen juridique de la question prioritaire de constitutionnalité, a entraîné la révision de la loi de 1991 sur les hospitalisations psychiatriques.</p>
<p>Il émerge en France un mouvement qui compte bien faire valoir la parole des usagers en santé mentale : la <a href="https://lamadpride.fr/">Mad Pride</a>. Ce défilé de rue à caractère festif et revendicatif tiendra sa 4<sup>e</sup> édition le 10 juin à Paris. Il est loin de faire consensus parmi les usagers. Mais il permet à ceux qui y participent aux côtés de leurs proches et de militants associatifs d’affirmer leur droit d’aller et venir, et de recouvrer la liberté d’expression.</p>
<h2>La réhabilitation de la folie</h2>
<p>Alors qu’ils étaient jadis enfermés dans les asiles et qu’ils ne sont toujours pas aujourd’hui suffisamment intégrés au sein de la société, les usagers des services de psychiatrie tiennent dans la rue mais aussi dans les médias des discours ayant trait à la réhabilitation de la folie et à la dénonciation du « pouvoir-savoir » psychiatrique.</p>
<p>La multiplication des discours des usagers intéresse notamment le Psycom, organisme public d’information, de formation et de lutte contre la stigmatisation en santé mentale, qui assure une veille sur ce sujet. Ainsi, le Psycom relaye depuis 2013 à travers sa newsletter des témoignages d’usagers et de leurs proches diffusés sur Internet. Plus de 500 ont été recensés en trois ans. Par ailleurs, une centaine d’ouvrages relevant là aussi du témoignage sont listés <a href="http://www.psycom.org/Comment-agir/Mediatheque">dans sa médiathèque en ligne</a>. Le recueil de la parole émergente des usagers tel qu’opéré par le Psycom atteste de l’importance du phénomène.</p>
<h2>Une question de pouvoir</h2>
<p>L’empowerment a vocation à modifier les relations de pouvoir au sein desquelles évoluent les personnes vivant avec un trouble psychique. Il se manifeste à l’échelle de l’individu, mais aussi de manière collective. Cette dernière dimension est essentielle dans la mesure où elle positionne la question de la souffrance psychique sur le plan politique et social.</p>
<p>L’usager, placé sous le regard de l’opinion, s’attache à modifier les représentations négatives dont il est l’objet. Il fait également face à l’État en dénonçant les injustices subies et en revendiquant l’inclusion sociale qui repose sur le principe de l’adaptation de la société aux personnes en difficulté psychique. Un tel empowerment, alliant l’individuel et le collectif, peut être qualifié de « radical » car il poursuit l’objectif d’une émancipation sociale et politique d’une population marginalisée et exclue.</p>
<h2>Entre optimisme et scepticisme</h2>
<p>L’empowerment concerne tous les patients, y compris ceux affectés par des maladies physiques. Bien que né d’initiatives de terrain, il voit son développement encouragé dans différents pays par les politiques publiques de santé. Ainsi l’Organisation mondiale de la santé (OMS) soutient l’empowerment depuis 1978 en l’associant à la promotion de la santé de manière générale. L’implication de certaines autorités sanitaires satisfait les défenseurs de la démarche… mais alimente aussi les critiques.</p>
<p>Des voix s’élèvent, considérant que l’empowerment s’est institutionnalisé, le vidant de son objectif premier d’émancipation. Les rangs des chercheurs et des militants associatifs comptent aussi des sceptiques pour lesquels l’empowerment ne serait qu’une tentative cachée de <a href="https://humapsy.wordpress.com/2016/12/01/les-pieges-de-lempowerment/">soumettre les malades à des valeurs néolibérales d’autonomisation et de responsabilisation</a>.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, la situation de la France illustre parfaitement ce passage du terrain à l’institutionnel. L’empowerment des patients s’y concrétise dans les années 1990, sous l’impulsion notamment de personnes atteintes du VIH-sida. Leur pouvoir d’agir devient statutaire avec la loi de 2002 relative aux droits des malades. Il est ensuite renforcé par la loi de 2005 reconnaissant le handicap psychique et créant les Groupes d’entraide mutuelle (GEM), où les usagers se retrouvent entre eux. Enfin, en 2010, la loi Hôpital, patient, santé, territoires (HPST) donne un cadre législatif à l’éducation thérapeutique des patients, en promouvant l’élaboration de programmes si possible développés en coopération avec eux.</p>
<h2>Des usagers cantonnés à une posture de patient</h2>
<p>Même si l’empowerment reçoit le soutien des pouvoirs publics, il demeure très difficile, pour un grand nombre d’usagers des services de santé mentale, de s’engager dans une telle démarche. Le frein principal tient au cantonnement à une posture de « patient » qui charrie avec elle le discrédit de sa parole et de ses opinions personnelles par les professionnels de santé, selon l’<a href="http://www.mheducation.co.uk/9780335262762-emea-a-sociology-of-mental-health-and-illness">ouvrage (non traduit) des sociologues britanniques Anne Rogers et David Pilgrim</a>. La relation soignant-soigné demeure essentiellement descendante, loin d’une démarche partenariale ou de la reconnaissance du savoir expérientiel (c’est à dire issu de l’expérience du patient), ce qui prive l’usager de ses capacités.</p>
<p>Selon ces mêmes auteurs, trois figures d’usager réussissent cependant à acquérir un certain pouvoir d’agir. Premièrement, « l’usager-consommateur » des services de santé mentale. Il connaît un début d’empowerment lorsque son choix et sa satisfaction deviennent une priorité pour le système de soins. Deuxièmement, « l’usager-survivant ». Ce dernier développe un discours et une action critiques à l’égard du « pouvoir-savoir » psychiatrique, ce qui valide l’effectivité de son empowerment.</p>
<p>Enfin, « l’usager-provider ». Il exerce son pouvoir d’agir lorsqu’il devient leader dans l’analyse du système de soins ou sa transformation. En Grande-Bretagne, la posture de cet « usager-provider » s’applique aux usagers qui intègrent des équipes de recherche pour produire des recherches académiques. En France, elle est une posture si récente qu’elle en est difficilement traduisible… Cette figure est cependant incarnée par le médiateur de santé pair, ou pair aidant. Ex-patient aujourd’hui rétabli, ayant suivi une formation, le <a href="http://www.ccomssantementalelillefrance.org/?q=programme-%C2%AB%C2%A0m%C3%A9diateur-de-sant%C3%A9pairs%C2%A0%C2%BB">médiateur de santé pair</a> œuvre au sein même de l’institution psychiatrique pour des relations apaisées entre soignants et soignés.</p>
<p>Au moment où l’empowerment se réalise dans le champ de la santé mentale, il est difficile de prévoir la manière dont l’opinion publique va se positionner et l’attitude que va adopter le corps médical. Le jaillissement du « dire » et de « l’agir » de l’usager peut en effet mettre fin à certains mécanismes ancestraux du « pouvoir-savoir » psychiatrique. Face à ce mouvement d’émancipation, les rapports vont nécessairement se reconfigurer. De quelle manière ? La question est aujourd’hui pleinement ouverte.</p>
<hr>
<p><em>L’article paru dans la revue <a href="http://www.santementale.fr/"><em>Santé mentale</em></a> en novembre 2016, « L’empowerment : un défi politico-médiatique », de Virginia Gratien et Aude Caria, propose une analyse plus pointue sur le même sujet.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/70225/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginia Gratien ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les personnes touchées par des maladies psychiques comme le trouble bipolaire ou la dépression prennent en main leur destin de patient. Un phénomène « d’empowerment » de plus en plus flagrant.Virginia Gratien, Doctorante en sciences de l'information et de la communication, Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/654872016-09-19T04:43:11Z2016-09-19T04:43:11ZAprès le Mediator, la Depakine ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/137916/original/image-20160915-30619-hzqin0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C47%2C2000%2C1191&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le risque de la Depakine chez les femmes enceintes est connu depuis 1968.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mika_razafimbelo/11509905065/in/photolist-ix6gM4-nMMgrU-o5gKyZ-o5aBEG-nPqo8D-nvwJkN-9xR7D9-o4YvEg-o8wSRV-ebj5ei-dF2Ref-o4HoDY-agbNHc-o4YtHk-tTXFyD-o73V9x-9xNaa2-nMMiUD-7CeCuV-CcFqe8-9SE42Y-r8LHAK-o5asDL-o4YtQV-7CeCy2-7Cis8S-o5gMs8-o5amWf-4yhTzn-sWFWrj-c2P5FL-9xN6g8-9xN6S4-qdN7vm-9xN6xa-9xR8Co-9xNuc8-qdN7k1-9xRskL-9xR5P9-9xN7jZ-9xN7Fa-4pX5wd-djwako-9xR827-dgCRSd-pWpXHi-bufADM-qdN7hf-9xR6Lm">Mika Razafimbelo/Flickr</a></span></figcaption></figure><p><em>Dans le livre <a href="https://www.tallandier.com/livre-9791021020856.htm">Les médicaments en 100 questions</a> (Editions Tallandier) dont nous publions ci-dessous un extrait, le constat de l’auteur, professeur de pharmacie, est sans appel : les malformations et les retards de développement provoqués par le médicament anti-épileptique Depakine chez les fœtus ont été signalés bien trop tard aux patientes et aux médecins. Une mise en perspective utile, alors qu'un fonds d’indemnisation des victimes <a href="http://www.lemonde.fr/sante/article/2016/11/16/depakine-l-assemblee-donne-son-feu-vert-au-fonds-d-indemnisation_5031759_1651302.html">vient d'être voté par l'assemblée nationale</a>.</em></p>
<p>Est-on à l’abri de nouvelles affaires comme le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_du_sang_contamin%C3%A9">« sang contaminé »</a> ou le <a href="http://www.lefigaro.fr/sante/scandale-du-mediator.php">« Mediator »</a> ? Pour répondre à cette question, il faut remettre en perspective ces deux scandales. Dans l’affaire du sang contaminé, pour des raisons commerciales, on a voulu mettre en vente des médicaments dont on savait qu’ils étaient porteurs d’une contamination dont on n’avait pas su (ou pas voulu) mesurer la dangerosité. On souhaitait « écouler les stocks » de médicaments notamment antihémophiliques qui avaient été préparés à partir de dons « contaminants ». Beaucoup de scientifiques, parmi les plus éminents, à l’époque, avaient sous-estimé le risque !</p>
<p>Pour le Mediator, les choses sont différentes puisqu’on a là un véritable mensonge délibéré et prolongé de la part de l’industriel qui savait depuis plusieurs décennies que son médicament était une amphétamine, qu’il comportait un risque, et qu’il a organisé un véritable système mêlant corruption et silences coupables entre des décisions administratives sans cesse repoussées et des experts sanitaires placés sous influence.</p>
<p>Chaque drame présente ses caractéristiques, les acteurs varient et l’histoire n’a pas toujours le recul nécessaire pour autoriser un jugement. L’<a href="http://www.apesac.org/">affaire Depakine</a> en illustre la difficulté. De quoi s’agit-il ? Ce médicament a été mis sur le marché en 1967 comme <a href="http://eurekasante.vidal.fr/maladies/systeme-nerveux/epilepsie.html?pb=medicaments">anti-épileptique</a>. C’est un médicament efficace et habituellement bien tolère qui a « glissé », en France, vers une prescription majoritairement psychiatrique (<a href="http://www.psycom.org/Troubles-psychiques/Troubles-bipolaires">troubles bipolaires</a>) pour plus de 80 %.</p>
<h2>Première alerte dès… 1968</h2>
<p>Des 1968, on lisait dans le <a href="http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/4177489">prestigieux journal <em>Lancet</em></a> : « Avant de créer l’anxiété à propos de médicaments utiles, il serait pertinent de savoir si d’autres personnes ont rencontré cette association [entre la Depakine et une malformation] avant d’inclure les antiépileptiques dans la liste des causes de becs-de-lièvre et de fente palatine ». Il y avait déjà un doute. Les anomalies de fermeture du tube neural (spina bifida) <a href="http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/6126782">ont été décrites en 1982</a>, toujours dans la revue <em>Lancet</em>. Cette malformation, très sévère, nécessite de
nombreuses interventions chirurgicales pendant l’enfance. Et pendant plus de quarante ans les alertes se sont succédé… de plus en plus démonstratives, de plus en plus évidentes !</p>
<p>En 1974 la mention de « tics » apparaît dans la rubrique des effets indésirables. En 1984, on définit un syndrome de retard mental ou d’autisme chez des enfants exposes <em>in utero</em>. En 1985, il est signalé : « En cas de grossesse, réévaluer la balance bénéfice/risque. » Dix ans plus tard, on note un renforcement des mises en garde dans la « notice patient » avec la mention de cas de polymalformations et de dysmorphies faciales. Enfin, en 2004, l’accumulation des signaux justifie des mesures d’information à l’attention des prescripteurs et des patients.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"775229311288836100"}"></div></p>
<p>Alors qu’en 2005 les risques malformatifs sont spécifiquement attribués au médicament, en revanche, les retards de développement et l’autisme font dire à l’industriel que les résultats des études sont « contradictoires ». C’est en 2006, seulement, que le Résumé des caractéristiques
du produit (RCP, véritable carte d’identité du médicament, <a href="http://base-donnees-publique.medicaments.gouv.fr/affichageDoc.php?specid=67623734&typedoc=R">précisant ses caractéristiques en termes d’indications, de contre-indications, d’interactions médicamenteuses et de précautions d’emploi</a>) mentionne ces retards : « Pas de diminution du QI global mais légères diminutions des capacités verbales et de hausse du recours à l’orthophoniste. » Le médicament est « déconseillé » aux femmes enceintes.</p>
<h2>Un rétropédalage délicat</h2>
<p>Pourtant, la haute autorité de Santé indiquait en 2010 « qu’aucun effet indésirable nouveau et grave n’était signalé depuis 2004 ». C’était évidemment inexact et le rétropédalage s’est révélé délicat. Ainsi, en 2011, le RCP indiquait que ce médicament ne devait pas être utilisé pendant la grossesse et chez les femmes en âge de procréer, « sauf en cas de réelle nécessite ».</p>
<p>En 2013, le comité européen chargé d’étudier les risques liés aux médicaments statuait que la <a href="http://www.ema.europa.eu/ema/index.jsp?curl=pages/medicines/human/referrals/Valproate_and_related_substances/human_referral_prac_000032.jsp&mid=WC0b01ac05805c516f">Depakine devait être considérée comme le plus tératogène</a> (qui peut être parfaitement
bien toléré, mais qui, chez une femme enceinte, peut être à
l’origine de malformations du fœtus parfois dramatiques, conduisant,
soit à la constitution d’un fœtus non viable et donc une fausse couche,
soit d’un fœtus viable mais porteur de malformations pouvant compromettre
le pronostic vital) des médicaments anti-épileptiques et régulateurs de l’humeur !</p>
<p>Bref, encore une fois, peu de réactivité, peu d’initiatives, le doute bénéficie à la firme, pas au malade… malheureusement.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/137915/original/image-20160915-30600-1a5af2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/137915/original/image-20160915-30600-1a5af2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=923&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/137915/original/image-20160915-30600-1a5af2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=923&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/137915/original/image-20160915-30600-1a5af2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=923&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/137915/original/image-20160915-30600-1a5af2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1160&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/137915/original/image-20160915-30600-1a5af2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1160&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/137915/original/image-20160915-30600-1a5af2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1160&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Couverture du livre, paru le 15 septembre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tallandier</span></span>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/65487/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Chast est l'un des signataires du Manifeste des 30, publié le 26 août 2015, par lequel des personnalités appellent les professionnels de santé à ne plus recevoir de financement du laboratoire Servier pour leurs activités. Le manifeste invoque l'attitude "contraire à l'éthique scientifique et pharmaceutique" de Servier vis à vis des victimes de son médicament, le Mediator. </span></em></p>Le drame de la Depakine, ce médicament responsable de malformations chez les fœtus, a un point commun avec celui du Mediator. Le doute a profité au fabricant, pas au patient.François Chast, Professeur de pharmacie, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.