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France, mère des arts, des lois… et du terrorisme

A Saint-Denis, le 18 novembre, des policiers prêts à intervenir. Eric Feferberg/AFP

Le terrorisme a-t-il une histoire ? La question peut sembler incongrue et même, au regard des récents attentats, oiseuse : pourtant, elle doit être posée, ne serait-ce que pour échapper au diktat de l’émotion, de la peur. Car c’est là la conséquence de cet effet de sidération recherché par les terroristes : une peur qui fige des individus, voire une société tout entière, afin de la déstabiliser et de la diviser. Mais si la force du terrorisme réside dans la capacité à multiplier les attentats, peut-être la grandeur d’une nation s’affirme-t-elle a contrario dans la résilience, dans sa capacité à surmonter la terreur et à « préserver son âme ». Et pour cela, le rappel de l’Histoire offre sans doute le recul nécessaire.

De la Terreur au terrorisme

Si la terreur est une émotion ancienne et universelle, le terrorisme est d’une nature différente, complexe : le terme renvoie tout à la fois à une tactique et à une stratégie, à un discours et à des pratiques. Il s’inscrit dans une histoire plus récente, une histoire qui débute dans la France révolutionnaire, celle de 1793 et de l’invention d’un régime politique où « la terreur est à l’ordre du jour ».

La France, « mère des Arts et des Lois », serait-elle également la mère du terrorisme ? La formule peut sembler provocatrice, mais il apparaît que c’est en France, et plus précisément dans la matrice de l’État révolutionnaire, que le concept émerge. En 1798, le terme fait son entrée dans le dictionnaire de l’Académie française : le terrorisme comme « régime de terreur » est né. Et presque immédiatement, à côté de cette définition officielle, une autre se forge, le 24 décembre 1800, à l’occasion de l’attentat de la rue Saint-Nicaise qui vise le premier Consul Bonaparte. Ce dernier, convaincu que l’attentat a été provoqué par des Jacobins, des partisans de la Terreur, les appelle des « terroristes »… Le mot reste et la violence des minoritaires est désormais qualifiée comme telle.

L’attentat de la rue Nicaise, le 24 décembre 1800. DR

Le XIXe siècle français est scandé par cette violence politique qui n’épargne aucun chef d’État, mettant un terme à la dynastie des Bourbons en 1820, puis visant à plusieurs reprises le roi Louis-Philippe, l’empereur Napoléon III (jusqu’à l’inciter à s’engager dans la cause de l’unité italienne) et bien des hommes politiques républicains jusqu’au président Sadi Carnot.

La mondialisation du terrorisme

Les attentats anarchistes qui terrifient la France dans les années 1890 trouvent des échos partout, tant la violence politique s’est mondialisée. En Russie, la mort du tsar Alexandre II (en 1881) annonce celle d’autres illustres victimes, un roi d’Italie, deux présidents américains, une impératrice d’Autriche, devenue icône médiatique. C’est le temps d’une première législation antiterroriste (en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis, etc.), d’une première conférence antiterroriste (1898) et l’idée d’un combat commun. Des « lois scélérates » françaises de 1895 à la loi sur le renseignement, de 2015, en passant par la création du parquet antiterroriste en 1983, la France développe des outils pour faire face à cette violence politique protéiforme.

Car le terrorisme mute, évolue, selon une logique presque darwinienne, en adaptant ses méthodes, ses tactiques, ses moyens. Au XXe siècle, la terreur d’État prend une nouvelle dimension avec les totalitarismes. En parallèle, le terrorisme des minoritaires s’affirme également, au nom de diverses idéologies et d’autant de combats. L’heure est à l’ambiguïté, et il est bon de se rappeler que la résistance européenne est assimilée, par l’Allemagne nazie comme par les divers gouvernements collaborateurs, au terrorisme : on saisit ainsi la nature complexe du phénomène, qui relève plus de l’arme rhétorique, utilisée par un État pour priver son adversaire de toute légitimité … et l’Histoire jugera !

Mais la paix n’éteint pas la violence politique : au nom de la décolonisation (avec le FLN) ou contre elle (avec l’OAS), pour l’indépendance de certains territoires (Corse, Pays basque) ou au nom d’un idéal révolutionnaire, le terrorisme a frappé la France de manière récurrente, et l’État ne s’est pas privé d’en employer, par moments, les méthodes, quand il ne les a pas exportées dans certaines dictatures sud-américaines.

Terrorisme domestique

Notre pays a également été la cible d’un terrorisme extérieur, autour de questions qui se sont mondialisées, comme la question palestinienne ou la reconnaissance du génocide arménien. L’émergence, dans la foulée de la guerre d’Afghanistan, et de la révolution iranienne, d’un islamisme jihadiste, dont l’universalisme s’oppose au nôtre, est un autre épisode, aux multiples avatars (du GIA à Daech, en passant par Al Qaeda) de ce terrorisme. À cet égard, les attentats de janvier et novembre 2015 renvoient à ceux de 1985-1986 : ils sont le reflet d’une guerre dans laquelle la France est impliquée (on se souvient que les attentats de 1985-1986 furent le fait du tout jeune Hezbollah, dans le contexte du conflit Iran/Irak).

Toutefois, la situation n’est pas identique, car la problématique à laquelle s’affronte la France est double. Tout d’abord, l’État islamique n’est pas le Hezbollah : il pose des questions nouvelles et appelle une réponse globalisée. En outre, la France est désormais confrontée à un terrorisme domestique – les terroristes sont de jeunes Français radicalisés – qui pose le problème de la radicalisation et des solutions que la société peut y apporter. C’est sans doute, en parallèle à l’indispensable volant sécuritaire, l’un des grands chantiers du contre-terrorisme.

Face à ce chaos de mouvements, d’idéologies, d’activistes et d’attentats, l’Histoire peut déjà offrir du recul, une vision plus large du phénomène, qui nous invite à nous dégager de l’instant présent et de l’émotion qui fige, prendre de la hauteur et donner un sens à cette violence absurde. Se dessine alors une généalogie de la violence, qui éclaire les racines du phénomène et la manière dont il s’imbrique dans notre histoire. Car le terrorisme ne se contente pas d’explications simplistes.

On pourrait, en guise de conclusion, en revenir à un grand historien, Marc Bloch, qui considérait que son rôle était de « comprendre le présent par le passé et surtout le passé par le présent ». Chaque attentat nous ramène à la défense d’un patrimoine qui nous est cher : nos valeurs et nos principes.

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