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Diplo-focus : politiques étrangères

François Fillon, au risque de la politique étrangère

François Fillon, le 27 novembre 2016, au soir de sa consécration aux primaires. Thomas Samson / AFP

Dans sa campagne pour les primaires de la droite et du centre, François Fillon a esquissé une ligne de politique étrangère. L’initiative est louable dans un débat national insuffisant en la matière. Mais elle est risquée : il y a souvent plus de coups à prendre que de points à gagner, pour qui évoque les sujets internationaux en campagne électorale.

Il est toujours difficile d’anticiper ce que serait, en cas de victoire, la politique étrangère d’un candidat à la présidence. Cette difficulté tient d’abord à des raisons classiques. Tant que les entourages ne sont pas connus (pour les conseillers), ni encore moins nommés (pour les futurs postes clefs, comme le ministre des Affaires étrangères, le conseiller diplomatique de l’Élysée, etc.), le tableau reste trop incomplet pour donner lieu à des prédictions sérieuses. Ensuite, la politique étrangère consiste, en grande, partie à réagir à des événements internationaux non prévus, à la lumière desquels des facettes nouvelles des décideurs apparaissent. Pour ces raisons entre autres, les propos de campagne ne sont pas nécessairement indicatifs de ce que serait le comportement de l’individu une fois en fonctions.

Mais l’incertitude, ici, tient également à la personnalité de François Fillon lui-même, et aux débats que sa posture relance. En convoquant abondamment trois thèmes – le gaullisme, le rang, le rôle – dont l’inscription dans les relations internationales actuelles ne va pas de soi, l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy ouvre des débats utiles, mais épineux.

Qu’est-ce que le gaullisme de politique étrangère en 2017 ?

Dans sa déclaration de candidature à Sablé-sur-Sarthe, le 28 août 2016, reconnaissant le besoin de clarifier la notion de gaullisme (« Tout le monde est gaulliste aujourd’hui ! Encore faut-il s’entendre sur ce que cela signifie »), François Fillon estime que « notre alignement sur la politique étrangère américaine […] notre soumission au processus délétère de décision européen […] ne sont pas compatibles avec les aspirations des Français […] ». « En juillet 2012, j’ai appelé François Hollande à se rapprocher de la Russie […] en Syrie. J’ai prévenu que la stratégie occidentale à laquelle la France s’est rangée conduirait au désastre. Nous y sommes. » Gaullisme rimerait donc, notamment, avec non-atlantisme et avec Europe des Nations, mais à un moment où l’atlantisme est remis en cause aux États-Unis mêmes (par Donald Trump), et où le projet européen est en crise.

Le thème de la Russie, plus particulièrement, talonne le candidat depuis sa marche à la victoire des primaires. Dans le passé, François Fillon ne s’est pas contenté de constater que « la Russie est un grand pays ». Il a soutenu la vente des navires Mistral après l’annexion de la Crimée, soutient la levée des sanctions contre Moscou (liées au dossier ukrainien), est entouré de personnages politiques abondamment cités dans les travaux sur les réseaux d’influence russe en France (comme Thierry Mariani), et sa victoire aux primaires a été saluée publiquement par Vladimir Poutine.

Il suscita même un malaise au sein de son parti en 2013 (notamment chez Nathalie kosciusko Morizet) en critiquant publiquement la politique française aux côtés de Vladimir Poutine. Cette image, le candidat a tenté de la corriger ou de la remettre en perspective, notamment en évoquant, dans Le Monde daté du 25 novembre 2016, « l’interventionnisme unilatéral et meurtrier des forces russes » en Syrie. Il insiste désormais sur la nécessité d’une relation de confiance avec Washington comme avec Moscou, jugeant inutile de fustiger leurs deux leaders (Trump et Poutine), alors que leur aide sera incontournable sur plusieurs dossiers internationaux (ce qui n’est pas faux). Mais le gaullisme de politique étrangère peut-il consister encore simplement à refuser une logique des blocs qui n’existe plus ? Et suffit-il d’inquiéter ses alliés pour être gaulliste ?

Le candidat de la droite prône un rapprochement avec Poutine (ici en 2015, à Saint-Pétersbourg). Présidence russe/Google

Ne faisons pas de mauvais procès à François Fillon : on comprend ce qu’il entend par une posture gaulliste, à savoir une capacité à maintenir son autonomie d’analyse politique internationale (incluant une liberté de critique vis-à-vis de ses alliés), sa liberté de dialogue avec tous les pays, son indépendance dans l’action.

Des interrogations en découlent. La France peut-elle encore agir militairement seule, sans son allié américain ? Les cas récents, en Libye et ailleurs, ont semblé montrer le contraire. A-t-elle les moyens d’une expertise politique indépendante, à l’heure où si peu est fait pour définir une politique d’influence, et où l’expertise stratégique extérieure à l’État est dotée de si peu de moyens ? À cet effort d’indépendance retrouvée, il faudra donc donner les ressources adéquates. Ce gaullisme de politique étrangère, il faudra en chiffrer le coût, en plus d’en cerner mieux les applications concrètes.

Le rôle et le rang

François Fillon prône une « puissance d’équilibre » à l’appui de cette quête d’indépendance, qui rappelle la grandeur jadis recherchée par le général de Gaulle. Comment la définir ? Par une dialectique du rôle et du rang, semble-t-il répondre. Une dialectique qui intrigue tant le monde universitaire (voir entre autres les travaux de Lisbeth Aggestam, ou de Juliet Kaarbo), car ni le rang, ni le rôle, ne sont des concepts simples ni objectifs.

Ce rang à retrouver pourrait compter sur des attributs forts (la dissuasion nucléaire, un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies…), qu’il conviendrait de remobiliser avec volontarisme. Ce rôle, ce serait celui d’un intermédiaire respecté dans les affaires globales, et d’un leader naturel à l’échelle européenne. Le candidat propose à la fois un rapprochement avec la Russie sur le premier plan, et avec l’Allemagne sur le second, après une période estimée contre-productive et résignée en la matière.

L’obstacle qui apparaît rapidement ici est l’incompatibilité entre cette centralité recherchée dans une Union qui compte nombre de pays d’Europe centrale et orientale apeurés par la politique de Vladimir Poutine, et le rapprochement prôné avec ce dernier. La perception gênante pourrait naître, alors, qu’il est plus important aux yeux de Paris de plaire à Moscou que d’écouter ses propres partenaires de l’UE. Ni le rôle ni le rang ne se décrètent : ils n’existent que s’ils sont reconnus dans la perception des autres.

François Fillon, en déplacement dans le nord de l’Irak, assiste à une messe à Erbil en juin 2016. Safin Hamed/AFP

Un autre exemple de rôle esquissé et assumé par François Fillon, sur un enjeu plus spécifique, est celui de la France comme protectrice des chrétiens d’Orient. Cette préoccupation n’était pas absente – mais restait très prudente – dans le quinquennat Hollande, avec Laurent Fabius au Quai d’Orsay. La proximité chiraquienne avec Rafic Hariri, à l’inverse, avait à démontrer que Paris n’en était plus au « Liban chrétien ».

On mesure ici encore les avantages et inconvénients qu’aurait une telle prise de rôle. L’avantage serait dans l’occupation d’un créneau réel (la question des chrétiens d’Orient est loin d’être négligeable), et dans la tentative de formuler une politique régionale identifiable alors qu’elle est à bien des égards brouillée aujourd’hui. L’inconvénient serait la réduction possible de cette ligne à un prisme religieux étonnant, qui impliquerait Paris davantage encore dans des querelles inextricables, et qui pourrait dériver vers l’inacceptable pratique d’une « sécurité humaine sélective » : faudrait-il balayer les 400 000 morts syriens (et autres déplacés et vies ruinées) sous prétexte que Bachar al-Assad se prétend le protecteur des chrétiens ?

La définition d’un rôle en politique étrangère, pour clarifier le message français dans le monde est un exercice indispensable. Mais il ne renforce une diplomatie que si le choix en est compris par les principaux alliés et partenaires. À l’échelle française, l’invocation du général de Gaulle est toujours mobilisatrice sur ces questions. Mais le monde extérieur demandera davantage de précisions sur les dossiers sensibles de l’année 2017.

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