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Fuir les grandes villes : une dynamique relancée par le confinement ?

Le 17 mars 2020, gare Montparnasse, un afflux de voyageurs partant se confiner hors de Paris.

Cet article est publié dans le cadre du Festival des idées Paris, dont la cinquième édition se déroule en ligne les 20 et 21 novembre. L’événement, organisé par l’ASPC (Alliance Sorbonne Paris Cité), a pour thème les « nouvelles normalités ». Le 21 novembre à 11h, Yankel Fijalkow dialoguera avec la démographe Véronique Dupont et l'essayiste Jean‑Laurent Cassely, lors de la table ronde intitulée « Il faut fuir les grandes villes », en partenariat avec The Conversation. Inscriptions ouvertes sur le site du festival.


A lire les agents immobiliers et certains urbanistes, les métropoles aux densités étouffantes, polluées et goudronnées vont bientôt disparaitre. Avec les confinements successifs, au printemps puis à l’automne 2020, dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de coronavirus, un renversement de normes serait à l’agenda des citadins, lassés de payer très cher le plus court chemin pour aller travailler, se distraire et circuler, et préférant la santé et le bien-être à la proximité. Malgré leurs efforts pour reverdir la ville, les grands élus des métropoles seraient incapables de regagner le cœur des fuyards.

Cette représentation binaire n’est pas nouvelle. Dès le début du vingtième siècle, l’urbanisation de la planète a engendré de telles dynamiques de pensée, opposant la chaleur de la communauté rurale à la froideur mécanique de la société urbaine. Au début du XXe siècle Paris intra-muros frôle les trois millions d’habitants, Berlin les deux millions, Londres et New York chacune 4 millions.

Courants réactionnaires vs Mai 68

Si les premiers sociologues, Durkheim, Simmel et Halbwachs ont longuement discuté l’opposition radicale entre l’urbain et le rural, cette théorie nostalgique n’en a pas moins frappé les esprits militants. Dans les années 1920, la désurbanisation est prônée par des architectes de la jeune URSS projetant une architecture étalée, déconcentrée et plus égalitaire.

En Allemagne, le courant Völklich est porté par le mythe des origines et du retour à la nature « authentique ». En France, un courant issu de l’hygiénisme, n’a de cesse de mettre en relation « l’urbanisation et la détérioration de la race », et prône le décongestionnement des villes ainsi qu’une politique de l’habitation ouvrière pour vivre à la campagne, grâce aux moyens de transport. Le célèbre Paris et le désert Français, de Jean‑François Gravier (1947) dénonce « la centralisation de la richesse et le pullulement des improductifs et des parasites autour d’elle » (p 193).

On ne saurait confondre ce courant nostalgique et réactionnaire avec celui du retour à la nature qui mobilise après 1968 nombre de jeunes citadins assoiffés de vie communautaire. Des chercheurs comme Danièle Léger et Bertrand Hervieu ont analysé l’arrivée massive, dans les déserts ruraux, de groupes de jeunes gens, le plus souvent d’origine urbaine et issus des classes moyennes aisées. La production agricole ne constituait pas leur but essentiel mais la fuite devant les servitudes de la ville capitaliste et la création de communautés étaient considérées comme l’antidote de la famille traditionnelle.

Années 70 : les néoruraux sortent de terre (Franceinfo INA).

Le folklorisme anti-urbain y était central. Cependant Hervieu et Léger expliquent aussi comment ces anciens « marginaux » sont devenus, dans les régions désertifiées, les porteurs de la politique d’aménagement de l’espace rural substituant à une politique productiviste, la recherche de l’innovation, du développement territorial et de l’animation locale.

Nouvelles tendances

La dynamique contemporaine, amplifiée lors du confinement, est d’un autre ordre. La recherche de la nature y est moins présente que la fuite de situations résidentielles bloquées liées aux marchés immobiliers tendus. L’urbanisation a considérablement modifié le sens de ce que nous appelons milieu rural.

La notion de « marge de la métropolisation », de « grand péri-urbain », ou de « campagne urbaine » décrit une campagne gagnée par l’extension et le mode de vie urbain. On y croise des paysans qui voient la ville arriver, de nouveaux ruraux qui fuient la ville avant qu’elle ne les rattrape, des nouveaux banlieusards, arrivés au hasard d’une opération immobilière moins chère qu’ailleurs, des artisans et travailleurs indépendants faisant la navette avec la grande ville.

Cependant, l’image nostalgique du village perdu et menacé de déclin perdure, alors même que des mouvements sociaux comme les « gilets jaunes » illustrent ce que représente la nouvelle périphérie des métropoles.

On tient peu compte des évolutions démographiques liées au vieillissement de la population qui, dans les métropoles, conduit les générations approchant de l’âge de la retraite à pratiquer la double résidence. Ce phénomène va certainement s’amplifier avec le développement du temps partiel et du télétravail.

Pour illustrer ces dynamiques, nous avons mis en œuvre une enquête par questionnaire lors du confinement du printemps 2020, pour savoir comment les ménages se sont confinés et ont adapté leur usage du logement. La population active de l’échantillon est assez peu au chômage et fortement diplômée (soit 3792 individus). Elle correspond, compte tenu de la méthode de collecte des données par Internet, à des couches moyennes élevées. Cependant, les villages et les villes de moins de 15 000 habitants représentent un bon tiers des lieux de confinement des personnes qui se sont déplacées.

La différence entre les personnes qui se sont déplacées ou non pour se confiner tient à plusieurs caractéristiques. Les premières ont une moyenne d’âge moins élevée (37 ans contre 44 ans). Il s’agit moins souvent de couples avec enfants, avec une grande variété de situations d’hébergement. Elles ont amplement mobilisé leurs réseaux familiaux et amicaux pour se confiner si bien que certains ont pu développer des petites communautés avec des amis ou de la famille plus éloignée.

Enfin, il est remarquable que cette population se soit plutôt dirigée vers les petites villes à l’écart de la capitale et des métropoles régionales et ait plutôt opté vers la maison individuelle que l’appartement collectif. Quant aux raisons de leur déplacement, le terme de « nature » y apparaît peu, sauf s’il est associé à d’autres motifs comme la campagne, le rapprochement avec la famille, la présence d’une grande maison et d’un jardin. En tout état de cause, des stratégies de rapprochement avec les proches et l’échelle locale semblent avoir été déterminantes.

Ces éléments historiques et sociologiques montrent que si les récits de la fuite des villes semblent se répéter, ils n’obéissent pas aux mêmes causes et n’agissent pas dans le même contexte. Le retour à la campagne supposé par les médias et les agents immobiliers n’est pas celui qu’on attendait au début du vingtième siècle ou en 1970. Méfions nous du rapprochement trop rapide des constats, qui participe au récit répétitif de la ville malade, et empêche d’imaginer d’autres manières de fabriquer l’urbain.

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