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(G)astronomie, ou la médiation scientifique revisitée

Une brioche expansée. Hervé Dole et Raphaël Haumont, Author provided

Les chefs sont étoilés. De leurs fourneaux, ils rêvent de briller et repoussent sans cesse l’horizon culinaire. À bord de l’ISS, les astronautes mangent de la comfort food pour retrouver les petits bonheurs terrestres et ce lien social si fort qu’offre la nourriture. Plus haut encore, les étoiles de l’univers consomment leur hydrogène pour briller : cuire un œuf, aller sur Mars ou former des étoiles demandent des conditions précises – et maîtrisées – de température et pression. Astronomie et Gastronomie sont finalement intimement liées, et les deux auteurs de cet article ont beaucoup à partager.

Une meringue sous vide. Hervé Dole et Raphaël Haumont, Author provided

L’un assiste aux conférences grand public de l’autre, et l’autre est fasciné par le sujet d’étude du premier. L’astrophysicien est un fin gourmet alors que le gastronome moléculaire s’inscrit à un vol parabolique pour expérimenter la microgravité… Dans son livre Physiologie du goût, Anthelme Brillat-Savarin écrivait en 1825 que « la découverte d’un mets nouveau fait plus pour le genre humain que la découverte d’une étoile ». Au début du XXe siècle, le physicien Jean Perrin semblait lui répondre : « C’est une bien faible lumière qui nous vient du ciel étoilé. Que serait, pourtant, la pensée humaine si nous ne pouvions pas percevoir ces étoiles […] ? » Aujourd’hui, nous avons décidé de montrer que les deux domaines peuvent émerveiller… et pourquoi pas ensemble !

Quel rapport entre une mousse au chocolat et l’expansion de l'univers ? Entre la soupe primitive des premières minutes de l’Univers et une sauce émulsionnée ? Entre la taille critique d’une planète et le croustillant d’une pâte sablée ? A priori aucun… Pourtant, de la microscopique suspension de notre crème anglaise à la naissance des amas de galaxies, il est question de pression, température, force centrifuge, gravité, énergie, interactions… Bref, de paramètres physiques. Les échelles de temps et d’énergie ne sont pas les mêmes, les objets ne sont évidemment pas de même taille, mais les lois physiques, elles, restent bien universelles ! Prenons quelques exemples.

Expansion et vide

Depuis quelques années, nous entendons les chefs parler de « cuisson sous vide » (à basse température). Il n’en est rien ! Ils ôtent l’air des préparations alimentaires en les plaçant dans des sacs étanches, mais ils cuisinent ensuite au bain-marie à pression atmosphérique. Quels seraient les impacts d’une véritable cuisson sous vide ? « Placez votre gâteau au chocolat thermostat 6 à 400 mbar » sera peut-être la consigne à suivre dans les recettes du futur. Nous testons déjà ce four prototype au Centre français d’innovation culinaire (CFIC) : nous obtenons des ultra-sponge cakes, des gâteaux sans levure chimique, ou encore des brioches ultra-aérées. Les bulles de gaz se dilatent sous l’effet de la dépression, et les gâteaux s’expansent… comme l’Univers, ou presque !

Simulation (calculées en France) de la distribution de matière dans un carré d'environ 500 millions d'années-lumière. La structure ressemble à celle d'une mie de brioche ! . DEUS Collaboration

La différence vient du contenant : le gâteau s’expand dans son moule, alors que l’Univers, à la fois contenant et contenu, est en expansion « dans » rien. On comprend la structure de l’Univers ainsi : l’espace-temps se dilate (aux très grandes échelles, laissant notre quotidien inchangé) et l’énergie dans l’Univers se dilue jusqu’à sa mort thermique. Dilué, l’Univers est ultravide : la densité moyenne est de l’ordre de 6 protons par mètre cube. Nous vivons, sur notre planète dans le Système solaire et dans notre galaxie, dans un environnement infiniment surdense par rapport à la moyenne. À très grande échelle (plusieurs millions d’années-lumière), la structure de la matière, principalement sous forme de galaxies et filaments de matière noire, ressemble sur une image… à la mie d’une brioche !

Une mousse au chocolat expansée. Hervé Dole et Raphaël Haumont, Author provided

Bulles et vibrations

Espuma, mousse au chocolat, écume de lait… Autant de mousses alimentaires que l’on souhaite toujours plus légères et gourmandes. Un paradoxe car plus il y a d’air, moins il y a de molécules sapides à manger : une mousse très légère est condamnée à être insipide ! À moins que l’on utilise des gaz parfumés pour foisonner les liquides ou que l’on piège des molécules aromatiques (très souvent hydrophobes) dans le liquide, lesquelles se répartiront alors dans les interfaces.

Toujours est-il que nos mousses doivent « tenir » : faire survivre les bulles d’air au cœur du liquide est un vrai challenge physico-chimique. Un facteur mille sépare les densités de l’air et du liquide (le liquide draine et la mousse « retombe ») et un autre paramètre vient encore perturber l’affaire : l’agitation thermique ! Et là, ce sont les vibrations qui provoquent la coalescence des bulles.

Le rayonnement fossible (fond cosmologique) observé par le satellite européen Planck. D. Ducros/ESA/Planck

Les vibrations sont fréquentes dans l’Univers, par exemple à la surface des étoiles. Il ne s’agit pas ici de mousse, mais de plasma chaud qui vibre, tiraillé entre gravité et radiation. Ces vibrations – qui avaient également lieu durant les premiers instants de l’Univers et dont on voit encore la trace aujourd’hui dans le rayonnement fossile – ressemblent étrangement aux vibrations d’une bulle de savon géante. Comme pour un tambour, une cloche ou un violon, ces vibrations ne se produisent pas au hasard : elles s’effectuent selon des « modes propres » caractéristiques du milieu ou du matériau. Étudier ces modes propres de vibration revient à obtenir une carte d’identité presque complète de notre objet d’étude. C’est ainsi que les vibrations des étoiles, ou de l’Univers lui-même à ses débuts, permettent de comprendre la nature et l’état de la matière bien enfouie et invisible au cœur. Mousse au chocolat, bulle de savon et étoile : même combat pour les scientifiques !

Susciter la curiosité

La cuisine est palpable, les échantillons se mangent, alors que l’astrophysique est plus formelle, peut-être plus conceptuelle et certainement moins propice aux interactions avec l’objet d’étude. Il n’en demeure pas moins que ces deux disciplines partagent de nombreux points communs – comme nous venons de l’illustrer – et plus encore, une même démarche scientifique : universalité des lois, reproductibilité, objectivité, réfutabilité, allers-retours incessants entre expérience (et/ou mesures) et modèles ou théorie. Elles partagent aussi le même moteur de la recherche : la curiosité. C’est la fibre même d’un chercheur. On ne doit pas l’oublier. Mieux même, il faut l’entretenir, rêver, être libre, tester, proposer de nouvelles choses et rêver encore.

Rêver aussi de partager ses passions, de les enseigner. Formidable métier que celui de « donner l’envie de ». En effet, peu importe si nos étudiants deviennent physico-chimistes de la matière molle ou experts de la matière noire. C’est en ce sens que nous travaillons, et c’est pourquoi nous oeuvrons aussi dans la médiation et la diffusion de la culture scientifique. En effet, cet état d’esprit ne doit pas se limiter à nos étudiants : il doit s’étendre à la société tout entière.

Hervé Dole et Raphaël Haumont durant leur conférence-démonstration-expérimentation . C. Pérol, Paris-Sud

Desproges écrivit si justement que « l’ouverture d’esprit n’est pas une fracture du crâne ». Nous espérons que nos ouvrages de vulgarisation, que nos conférences « (G)astronomie » et que toutes les actions de médiation scientifique que nous menons dans les écoles, collèges, lycées, médiathèques, associations, à l’occasion d’événements, etc. œuvrent dans ce sens : s’éveiller, susciter la curiosité, avoir envie d’en savoir plus, aller au-delà des apparences, se questionner sur le monde, créer des passerelles entre les domaines.


Remerciements à Sophie Félix (Université Paris-Saclay) de nous avoir aidés dans la rédaction de cet article. Hervé Dole et Raphaël Haumont donneront leur conférence à deux voix « (G)astronomie » le dimanche 15 octobre 2017 à 16h à la Faculté des Sciences d’Orsay de l’Université Paris-Sud.

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