tag:theconversation.com,2011:/global/topics/anorexie-36257/articlesanorexie – The Conversation2023-11-20T17:15:39Ztag:theconversation.com,2011:article/2140282023-11-20T17:15:39Z2023-11-20T17:15:39ZPeut-on soigner l’anorexie par l’activité physique adaptée ?<p>L’anorexie mentale, parfois appelée anorexie par le grand public, est un trouble du comportement alimentaire qui apparaît le plus souvent à l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/adolescence-32383">adolescence</a>, avec une prévalence de <a href="https://journals.lww.com/co-psychiatry/abstract/2016/11000/epidemiology_of_eating_disorders_in_europe_.5.aspx">1 à 4 % chez les femmes</a> et de <a href="https://journals.lww.com/co-psychiatry/fulltext/2021/11000/incidence,_prevalence_and_mortality_of_anorexia.2.aspx">0,3 % chez les hommes</a>. Les principaux symptômes sont une privation alimentaire stricte et volontaire sur une longue période, conduisant à une perte de poids extrême et potentiellement dangereuse pour la santé, ainsi qu’une <a href="https://www.cairn.info/lanorexie-mentale--9782100721849-page-153.htm">perception déformée de son corps</a>, amenant souvent les personnes touchées à se voir en surpoids.</p>
<h2>Un risque de complications et de suicides</h2>
<p>L’anorexie mentale est considérée comme une <a href="https://bmcpsychiatry.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12888-020-2433-8">maladie psychiatrique particulièrement mortelle</a>. Selon les sources, <a href="https://journals.lww.com/co-psychiatry/fulltext/2021/11000/incidence,_prevalence_and_mortality_of_anorexia.2.aspx">5 à 9 %</a> des personnes malades décèdent, du fait principalement des complications somatiques ou suite à un suicide.</p>
<p>En effet, outre ses principaux symptômes, une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29437020/">série de troubles psychologiques</a> vient alourdir le tableau clinique. En premier lieu, on trouve la dépression, qui entraîne l’émergence de pensées négatives, le retrait social et la perte d’intérêt pour les activités autrefois appréciées.</p>
<p>De plus, des troubles anxieux peuvent se développer, générant des inquiétudes excessives concernant la nourriture, le poids et l’image corporelle. Les troubles de l’humeur et les fluctuations émotionnelles sont également fréquents, et peuvent altérer davantage les interactions sociales et la perception de soi. Enfin, les problèmes de sommeil sont souvent présents, et se manifestent principalement par des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1389945718301606">nuits agitées ou des insomnies</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-croissance-du-cerveau-pourrait-expliquer-pourquoi-de-nombreux-troubles-mentaux-emergent-a-ladolescence-157554">La croissance du cerveau pourrait expliquer pourquoi de nombreux troubles mentaux émergent à l’adolescence</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>L’anorexie mentale a également des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0985056208000034">conséquences importantes</a> sur le plan physique et physiologique. Celles-ci sont très souvent liées à la perte de poids et à la dénutrition, et peuvent se caractériser par une diminution de la masse et de la capacité musculaire, une fragilisation des os, des troubles cardiaques, des carences multiples, une perte des cheveux, des problèmes rénaux et intestinaux, etc.</p>
<p>Quand ils deviennent chroniques, tous ces troubles entraînent un appauvrissement de la vie relationnelle et affective, avec à un retentissement sur la vie scolaire ou professionnelle. De plus en plus considérée comme une pathologie grave de l’adolescence, l’anorexie mentale constitue un enjeu de santé publique majeur en France, qui nécessite de nouvelles stratégies thérapeutiques plus efficaces.</p>
<h2>L’activité physique adaptée pour aider à guérir</h2>
<p>Ainsi, afin de traiter les principaux symptômes de la maladie et de prévenir ou réduire au mieux les différents troubles associés, il est nécessaire de proposer une <a href="https://www.cairn.info/lanorexie-mentale--9782100721849-page-153.htm">prise en charge précoce et pluridisciplinaire</a>. Si la pratique d’activité physique a longtemps été proscrite, en particulier dans les cas de dénutrition avancée ou chez des patientes présentant une <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0143352">hyperactivité physique</a> voire une dépendance à l’activité physique, elle peut aussi contribuer à la guérison de l’anorexie, à partir du moment où elle est adaptée aux caractéristiques des patientes.</p>
<p>On parle alors d’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/activite-physique-adaptee-apa-146288">activité physique adaptée</a> (APA), qui peut être définie comme un moyen permettant la mise en mouvement de personnes qui, en raison de leur état physique, mental ou social, ne peuvent pratiquer une activité physique dans des conditions habituelles. La <a href="https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2022-08/synthese_prescription_apa_vf.pdf">pratique d’une activité physique adaptée</a> nécessite, au préalable, de consulter un médecin.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lactivite-physique-adaptee-pour-rester-durablement-en-bonne-sante-171979">L’activité physique adaptée, pour rester durablement en bonne santé</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans le cas de l’anorexie mentale, l’APA peut constituer une réponse adaptée aux besoins spécifiques des patientes, à la fois physiques et émotionnels, et jouer un rôle crucial dans le processus de guérison. Cette thérapie non médicamenteuse doit se dérouler dans un cadre sécurisé, et être supervisée par un professionnel formé en APA. Cela évite ainsi les pièges du surentraînement tout en ciblant les objectifs thérapeutiques.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>Des études montrent une diminution des symptômes</h2>
<p>Différents travaux de recherche clinique ont démontré le rôle majeur de l’activité physique adaptée dans le traitement de l’anorexie. Il a notamment été montré qu’une pratique régulière d’APA sur une durée de 8 à 16 semaines pouvait induire une diminution des symptômes principaux de l’anorexie, ainsi qu’une <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyt.2022.939856">amélioration de la santé physique et mentale</a>. De plus, les résultats ont permis d’observer que selon la nature des activités physiques pratiquées, des améliorations s’observent plus particulièrement sur les dimensions ciblées par les exercices effectués.</p>
<p>Ainsi, les programmes intégrant exclusivement des exercices en endurance permettent d’améliorer principalement la capacité cardiorespiratoire des patientes, même s’ils sont susceptibles d’entraîner une dépendance à l’activité physique. Les programmes centrés sur le renforcement musculaire contribuent davantage à une amélioration de la force et de la masse musculaire.</p>
<p>Les pratiques de bien-être telles que le yoga, le tai-chi ou le Pilates, ont un impact plus important sur la réduction des symptômes de la maladie, des préoccupations corporelles et des troubles anxiodépressifs, et permettent de restaurer un rapport plus sain à l’activité physique (c’est-à-dire une baisse de la dépendance à l’exercice physique). Enfin, il a été montré que les programmes d’APA combinant des exercices mixtes, semblent être les plus favorables à une reprise du poids.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-lhumain-est-il-si-vulnerable-au-risque-de-depression-126065">Pourquoi l’humain est-il si vulnérable au risque de dépression ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Aucune recommandation officielle</h2>
<p>Malgré tous ces bienfaits dans le traitement de l’anorexie mentale, dans les pratiques cliniques de terrain, l’activité physique adaptée n’est pas prescrite de manière systématique, et aucune recommandation nationale ou internationale n’existe à ce jour. Néanmoins, l’APA devient de plus en plus reconnue et pratiquée dans les <a href="https://academic.oup.com/nutritionreviews/article/74/5/301/1752217">centres de soins</a>. Malgré son retard par rapport à d’autres pays comme les États-Unis, le Canada ou l’Australie, la France compte aujourd’hui quelques centres hospitaliers qui intègrent l’APA dans leur protocole de soin courant, tels que le CHU Paul-Brousse à Villejuif, le CHU de Nantes et l’hôpital Saint Vincent de Paul à Lille.</p>
<p>Ce manque de recommandation et d’intégration de l’APA au projet thérapeutique du patient est principalement lié au caractère novateur de la recherche dans ce domaine. En effet, même si quelques études ont été publiées au début des années 2000, ce n’est que depuis les 15 dernières années que des protocoles expérimentaux sont menés de façon plus fréquente.</p>
<h2>Un protocole innovant lancé au CHU de Caen</h2>
<p>Ainsi, aujourd’hui, on commence à considérer le réel potentiel de l’activité physique adaptée dans le traitement de l’anorexie mentale. De façon récente, des protocoles innovants laissent entrevoir des résultats prometteurs. C’est notamment le cas de l’étude « APAREXIM’Pilot » réalisée auprès de jeunes patientes atteintes d’anorexie mentale, suivies au service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHU de Caen en Normandie, que nous menons en tant qu’enseignants-chercheurs au laboratoire <a href="http://comete.unicaen.fr/">COMETE</a> (UMR-S 1075 Inserm/UNICAEN – Mobilités : Vieillissement, Pathologies, Santé) de l’Université de Caen Normandie. Cette étude pilote, intitulée « APAREXIM’Pilot », est soutenue par le Pr. Fabian Guénolé, chef de ce service ainsi que les Dr. Delphine Nimal et Marine Hamon-Marie, exerçant au sein de ce service.</p>
<p>Cette étroite collaboration entre chercheurs et cliniciens a permis la mise en place de ce protocole novateur auprès de 30 patientes mineures, visant à évaluer les effets à court et moyen terme d’un programme d’APA supervisé en visioconférence sur les symptômes principaux de l’anorexie mentale, ainsi que sur la santé mentale, la santé physique et le sommeil.</p>
<h2>Un programme supervisé par visioconférence</h2>
<p>L’intérêt de la visioconférence est de promouvoir une meilleure accessibilité aux soins et une continuité thérapeutique plus efficace pour le plus grand nombre de patientes, quelles que soient leur localisation géographique et leurs conditions socio-économiques, et ainsi réduire les inégalités sociales de santé. Le programme est dispensé sur une durée de 8 semaines, à raison de 2 séances hebdomadaires d’une heure, composées d’exercices de renforcement musculaire et de yoga, d’intensité légère à modérée.</p>
<p>Les résultats préliminaires concernant les 15 premières participantes de cette étude sont positifs. Les bénéfices principaux obtenus par les patientes à l’issue du programme d’APA sont une amélioration de la force et de l’endurance musculaire ainsi qu’une amélioration de l’efficacité du sommeil, qui se traduit par un sommeil plus stable, plus réparateur et moins fragmenté par les réveils nocturnes.</p>
<p>Ces résultats préliminaires seront prochainement présentés lors de congrès nationaux et internationaux et feront l’objet de publications scientifiques, afin de mettre en avant la faisabilité et l’efficacité d’un programme d’APA en distanciel dans le traitement de l’anorexie mentale. De plus, cette étude pilote devrait permettre d’établir des recommandations de bonnes pratiques permettant d’innover et de diversifier l’offre de soin dédiée à l’anorexie mentale.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214028/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Toutain a reçu le prix Puyoo de l'entreprise Aresato. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Antoine Gauthier a reçu le prix Puyoo de l'entreprise Aresato</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pascale Leconte a reçu le prix Puyoo de l'entreprise Aresato</span></em></p>Dans les situations d’anorexie, la pratique sportive a longtemps été proscrite. Mais des travaux de recherche clinique récents suggèrent qu’une activité physique adaptée peut aider à la guérison.Marc Toutain, Docteur en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives - Laboratoire COMETE UMR-S 1075 INSERM/Unicaen, Université de Caen NormandieAntoine Gauthier, Professeur des Universités, UMR UNICAEN/INSERM U1075 - COMETE "Mobiltés : Vieillissement, Pathologie, Santé", Université de Caen NormandiePascale Leconte, Maître de Conférence, Université de Caen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2009522023-08-30T13:11:27Z2023-08-30T13:11:27ZLes troubles de l’alimentation peuvent causer la mort : de quoi s’agit-il, qui est à risque et que peut-on faire ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/516077/original/file-20230317-20-pfk0m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C2%2C992%2C663&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Chaque année, plus de 100 000 Canadiens reçoivent un diagnostic de trouble de l’alimentation.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Les troubles de l’alimentation tels qu’anorexie, boulimie et hyperphagie boulimique entraînent des risques graves pour la santé et peuvent représenter un danger pour la vie. Ils sont <a href="https://www.doi.org/10.1037/0021-843X.116.2.422">fréquents</a>, surtout chez les adolescentes.</p>
<p>Chaque année, <a href="https://www.doi.org/10.1097/YCO.0000000000000739">plus de 100 000 Canadiens</a> de 15 ans et plus reçoivent un diagnostic de trouble de l’alimentation. Ce trouble apparaît généralement chez des personnes âgées de <a href="https://doi.org/10.1016/j.chc.2014.08.003">14 à 19 ans</a> et se trouve au troisième rang des maladies chroniques en termes de fréquence chez les adolescents.</p>
<p>C’est également à l’adolescence que les troubles de l’alimentation ont le plus d’effets négatifs sur la santé. En Amérique du Nord, <a href="https://doi.org/10.1016/S0140-6736(09)61748-7">5 % de la population</a> souffrira d’un trouble alimentaire au cours de sa vie, mais peu de gens cherchent à se faire soigner. La prévalence de ces troubles et les difficultés à obtenir de l’aide mettent en évidence la nécessité d’accroître la sensibilisation et de <a href="https://doi.org/10.3390%2Fnu13082834">combattre la stigmatisation</a>.</p>
<h2>Causes et facteurs de risque</h2>
<p>Le sexe est le principal facteur de risque des troubles alimentaires. Ceux-ci sont <a href="https://www.doi.org/10.1037/0003-066X.62.3.181">dix fois plus fréquents</a> chez les femmes que chez les hommes. Toutefois, des facteurs génétiques, biologiques, psychologiques et culturels peuvent également influencer l’évolution du trouble de l’alimentation.</p>
<ul>
<li><strong>Génétique :</strong></li>
</ul>
<p><a href="https://doi.org/10.1038/npp.2011.108">Des gènes ont été associés</a> à l’anorexie et à la boulimie, et des études sur des jumeaux indiquent que les troubles alimentaires sont à forte composante héréditaire, avec des taux estimés de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3010958/">50 % à 83 %</a>. Le risque d’hériter d’un trouble du comportement alimentaire est plus élevé si la mère a été <a href="https://www.doi.org/10.1001/archpsyc.63.1.82">exposée à des facteurs de stress ou à des complications</a> peu avant ou après la naissance.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une icône de femme découpée en papier se reflète beaucoup plus grande dans un miroir" src="https://images.theconversation.com/files/512745/original/file-20230228-2070-jyl1wo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512745/original/file-20230228-2070-jyl1wo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512745/original/file-20230228-2070-jyl1wo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512745/original/file-20230228-2070-jyl1wo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512745/original/file-20230228-2070-jyl1wo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512745/original/file-20230228-2070-jyl1wo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512745/original/file-20230228-2070-jyl1wo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les personnes souffrant de dysmorphie corporelle (obsédées par les défauts perçus de leur corps) courent un risque accru de développer des troubles alimentaires.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<ul>
<li><strong>Biologie :</strong> </li>
</ul>
<p>Des <a href="https://doi.org/10.1016/S0140-6736(09)61748-7">facteurs biologiques</a>, tels que des anomalies de la structure ou de la chimie du cerveau, peuvent être à l’origine de troubles alimentaires. Un cinquième des personnes anorexiques sont atteintes de troubles du développement tels qu’autisme ou TDAH. Des troubles de l’humeur tels que la dépression ou l’anxiété sont associés à l’hyperphagie boulimique et à la boulimie.</p>
<ul>
<li><strong>Psychologie :</strong> </li>
</ul>
<p>Les troubles de l’alimentation sont plus fréquents chez les personnes perfectionnistes, qui ont des tendances obsessionnelles compulsives, des stratégies d’adaptation évitantes et qui souffrent d’anxiété. Les personnes qui ont beaucoup d’émotions négatives, une faible estime de soi et qui <a href="https://doi.org/10.1002/eat.22300">s’inquiètent beaucoup ou se focalisent sur leurs problèmes</a> risquent de souffrir de troubles de l’alimentation, tout comme les personnes dépendantes et vulnérables à l’échec. Les personnes avec une dysmorphie corporelle (obsédées par les défauts perçus de leur corps) sont également susceptibles de développer des troubles alimentaires.</p>
<ul>
<li><strong>Société et culture :</strong> </li>
</ul>
<p>Les troubles alimentaires sont plus fréquents dans les <a href="https://doi.org/10.1111/j.1460-2466.2000.tb02856.x">cultures qui valorisent la minceur</a>. <a href="https://doi.org/10.1002/eat.22459">Les sociétés dont les idéaux corporels</a> sont irréalistes (en termes de forme et de taille) encouragent les gens à comparer défavorablement leur corps à celui des autres et à avoir une mauvaise estime de soi. Ces sociétés promeuvent une culture de la critique et de l’intimidation en matière de poids. <a href="https://doi.org/10.1002/(SICI)1099-0968(199712)5:4%3C270::AID-ERV212%3E3.0.CO;2-3">La maltraitance, la négligence ou toute forme d’adversité</a> augmentent le risque de développer un trouble de l’alimentation.</p>
<p>Les troubles alimentaires ont tendance à s’autoentretenir. Ils modifient la perception de la nourriture et du corps. De plus, la privation de nourriture rétrécit le cerveau et provoque des problèmes tels que rigidité, dysrégulation émotionnelle et difficultés sociales qui perpétuent la maladie. Les effets du manque de nourriture sont particulièrement exacerbés à l’adolescence, car il s’agit d’une période de croissance et de vulnérabilité.</p>
<h2>Effets sur la santé</h2>
<p>Les troubles alimentaires sont chroniques, éprouvants et ils nuisent à la capacité de fonctionner. Ils <a href="https://doi.org/10.1002/eat.22105">augmentent les risques</a> de dépression, de trouble anxieux, de trouble obsessionnel compulsif, de trouble de la personnalité, de toxicomanie, de morbidité et d’obésité future.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Emballages vides de bonbons et de snacks" src="https://images.theconversation.com/files/512746/original/file-20230228-22-fwrcra.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512746/original/file-20230228-22-fwrcra.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512746/original/file-20230228-22-fwrcra.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512746/original/file-20230228-22-fwrcra.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512746/original/file-20230228-22-fwrcra.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512746/original/file-20230228-22-fwrcra.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512746/original/file-20230228-22-fwrcra.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les personnes avec une hyperphagie boulimique sont souvent stigmatisées à cause de leur poids, risquent de connaître d’importantes variations de poids, de souffrir d’obésité clinique et de dépression.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les personnes atteintes de troubles alimentaires courent <a href="https://doi.org/10.1016/j.psychres.2014.05.002">six fois plus de risques</a> de mourir que la population générale et <a href="https://doi.org/10.1016/j.genhosppsych.2014.01.002">cinq fois plus de risques</a> de faire une tentative de suicide. En fait, l’anorexie a un <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/fullarticle/1107207">taux de mortalité particulièrement élevé par rapport à d’autres maladies psychiatriques</a>.</p>
<p>Les troubles alimentaires peuvent avoir des conséquences à long terme en raison de leurs effets sur le squelette (par exemple, retard de croissance et ostéoporose), le système reproducteur et le cerveau.</p>
<ul>
<li><strong>Anorexie mentale</strong></li>
</ul>
<p><a href="https://www.merckmanuals.com/fr-ca/accueil/troubles-mentaux/troubles-des-conduites-alimentaires/anorexie-mentale">Les personnes anorexiques</a> peuvent avoir des changements hormonaux, des problèmes cardiaques, des déséquilibres électrolytiques, une baisse de la fertilité, une perte de densité osseuse, de l’anémie et des idées suicidaires. Certains de ces effets peuvent être mortels.</p>
<p>Faute d’un apport calorique suffisant, l’organisme est contraint de réduire ses activités pour économiser de l’énergie. Les personnes anorexiques se plaignent souvent de crampes d’estomac, de constipation, de reflux gastriques, de ralentissement du rythme cardiaque, de gonflement des extrémités, d’irrégularités menstruelles, de difficultés à fonctionner, d’étourdissements, de troubles du sommeil et d’un affaiblissement de l’immunité et de la cicatrisation.</p>
<p>Les déficits nutritionnels peuvent causer des problèmes dentaires, une peau sèche, des cheveux et des ongles secs et cassants, des cheveux clairsemés et une diminution de la force musculaire.</p>
<p>Les personnes anorexiques sont souvent frileuses et des poils fins apparaissent sur leur corps pour conserver la chaleur. Elles sont également souvent <a href="https://doi.org/10.1016/j.chc.2014.08.003">hyperactives (excès d’entraînement)</a> et, dans ce cas, elles présentent des taux de rechute élevés, une survenue précoce du trouble, une psychopathologie plus grave, un IMC plus faible, une plus grande insatisfaction à l’égard de leur corps et une moins bonne réponse au traitement.</p>
<ul>
<li><strong>Boulimie</strong></li>
</ul>
<p>Comme la boulimie se caractérise par des épisodes de compulsion alimentaire suivis d’épisodes de purge ou de privation de nourriture, les personnes boulimiques souffrent de conséquences similaires à celles de l’anorexie. En outre, <a href="https://www.msdmanuals.com/fr/professional/troubles-psychiatriques/troubles-du-comportement-alimentaire/boulimie">elles ont souvent des variations</a> importantes de poids ou font de la rétention d’eau.</p>
<p>Les vomissements provoqués peuvent entraîner des coupures et des callosités sur le dessus des articulations des doigts, un gonflement des glandes salivaires, des lésions œsophagiennes, des caries ou une décoloration des dents.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1016/S0140-6736(09)61748-7">La boulimie est associée</a> à l’automutilation, à l’abus de substances psychoactives, aux fausses couches, au suicide et aux comportements impulsifs.</p>
<ul>
<li><strong>Hyperphagie boulimique</strong></li>
</ul>
<p>Les personnes souffrant <a href="https://www.msdmanuals.com/fr/professional/troubles-psychiatriques/troubles-du-comportement-alimentaire/hyperphagie-boulimique">d’hyperphagie boulimique</a> sont souvent stigmatisées à cause de leur poids, ont d’importants cycles de variations de poids, souffrent d’obésité clinique et de dépression. Elles courent près de <a href="https://www.doi.org/10.1001/2013.jamapediatrics.12">deux fois plus de risques</a> de devenir obèses ou en surpoids que la population générale et ont deux fois plus de risques de développer une dépression sévère.</p>
<h2>Traitements</h2>
<p>Malgré la fréquence, la chronicité et les problèmes que posent les troubles de l’alimentation, peu de personnes cherchent à se faire soigner. Pourtant, il existe des <a href="https://doi.org/10.1002/14651858.CD000562.pub3">traitements efficaces</a>. De nombreux effets comportementaux, psychologiques et physiques d’un régime hypocalorique disparaissent une fois le poids repris et la masse cérébrale restaurée.</p>
<p>Pour l’anorexie, on recommande une approche qui aborde les aspects médicaux, nutritionnels, sociaux et psychologiques. Pour la boulimie et l’hyperphagie boulimique, une <a href="https://www.cochranelibrary.com/cdsr/doi/10.1002/14651858.CD003385/full">thérapie cognitivo-comportementale</a> (qui consiste à reconnaître, à évaluer et à modifier les schémas de pensée nocifs) peut fonctionner, tout comme des médicaments tels que le stimulant Vyvanse (lisdexamfétamine).</p>
<p>Les troubles alimentaires sont graves et peuvent être dangereux pour la santé, mais il existe des traitements efficaces. Il y a de l’espoir. La sensibilisation aux troubles alimentaires permet de combattre la stigmatisation et d’encourager les gens à chercher de l’aide.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200952/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Simon Sherry reçoit des fonds du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Il est également propriétaire de CRUX Psychology, un cabinet privé de psychologie.</span></em></p>Le taux de mortalité des personnes souffrant de troubles alimentaires est six fois plus élevé que celui de la population générale.Simon Sherry, Clinical Psychologist and Professor in the Department of Psychology and Neuroscience, Dalhousie UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1710542021-11-08T20:35:21Z2021-11-08T20:35:21ZAbus sexuels, anorexie… Derrière la magie des podiums, le mal-être bien réel des mannequins<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/429768/original/file-20211102-29670-nit90m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C22%2C1255%2C818&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Trois pommes, le régime quotidien de Victoire Maçon-Dauxerre lorsqu’elle défilait.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/pomme-trois-fruit-pommes-2173865/">b1-foto/Pixabay </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En 2016, l’ex-mannequin Victoire Maçon-Dauxerre publiait un récit criant de vérité et d’atrocité. Dans son livre <em>Jamais Trop Maigre. Journal d’un Top Model</em> (éditions Les Arènes), elle expliquait son quotidien de modèle au cours de sa fulgurante carrière dans le mannequinat. <a href="https://madame.lefigaro.fr/societe/jamais-assez-maigre-la-passe-de-cintre-de-victoire-110116-111679">Trois pommes par jour</a>, tel était son régime quotidien. Elle racontait, avec une sincérité faisant froid dans le dos, comment elle avait failli mourir de défiler.</p>
<p>Depuis la sortie de son livre, Victoire a été invitée dans plusieurs émissions, on l’a écoutée, on a pleuré, on s’est indigné. Son livre a été traduit <a href="https://www.standard.co.uk/culture/books/size-zero-my-life-as-a-disappearing-model-by-victoire-dauxerre-with-valerie-peronnet-translated-by-andy-bliss-review-a3457291.html">dans plusieurs langues</a>. Ce dernier, ainsi que ses interventions médiatiques qui ont suivi, a eu un immense impact jusqu’à la dimension juridique.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hvDuZ4Na5Vc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Interview de Victoire Maçon-Dauxerre à l’occasion de la publication de son livre « Jamais assez maigre » (TV5 Monde, 2016).</span></figcaption>
</figure>
<p>En effet, en 2017, <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/nutrition/regimes/loi-mannequins-un-decret-publie-pour-lutter-contre-l-extreme-maigreur_112942">deux décrets d’applications de la loi « mannequins »</a> ont été adoptés pour lutter contre l’anorexie et la maigreur dans les défilés de mode. Tout le monde a applaudi des deux mains et <a href="https://www.leparisien.fr/laparisienne/actualites/la-loi-mannequins-entre-en-application-ce-samedi-05-05-2017-6919191.php">d’autres pays ont suivi l’exemple</a> français.</p>
<h2>« Marche ou crève »</h2>
<p>Pourtant, la maigreur et le mal-être sont toujours présents sur les podiums. Une équipe universitaire franco-britannique a récemment publié un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/17569370.2021.1969754">travail de recherche</a> auquel j'ai participé soulignant le mal-être des mannequins. On y décrit une approche qui relève davantage de celle du business du corps que du glamour des paillettes.</p>
<p>Comme le révèle le témoignage que nous avons recueilli de Marie* :</p>
<blockquote>
<p>« Pour ce qui est de ma carrière, j’ai vécu plusieurs moments heureux, surtout quand je décrochais un boulot […]. Pour moi, le mannequinat, c’était du business, c’était avant tout gagner de l’argent. »</p>
</blockquote>
<p>Ou encore celui d’Amandine :</p>
<blockquote>
<p>« Le grand public considère ce travail comme très glamour, quelque chose que seules des personnes parfaites peuvent faire. Mais l’industrie elle-même est plus dure, sans cœur. »</p>
</blockquote>
<p>Notre recherche met en évidence une industrie de type « marche ou crève », une industrie où les mannequins doivent résister à une pression et des rythmes infernaux. Si elles ne tiennent pas, une file d’attente avec d’autres mannequins toutes aussi jolies attendent pour les remplacer.</p>
<p>Damien, un agent de modèles, le souligne :</p>
<blockquote>
<p>« C’est une industrie assez brutale. Les mannequins sont “jetables”, il y a un gros turnover. Ainsi, une fille pourrait avoir une saison de défilés incroyable, puis la saison suivante… personne ne veut d’elle. Pour gérer ça, vous devez absolument avoir une base très solide en termes de famille et d’amis. »</p>
</blockquote>
<p>En effet, derrière la beauté des podiums se cache un univers sombre où l’objectification des corps fait loi. Marylin, mannequin, déplore cette déshumanisation :</p>
<blockquote>
<p>« En séance de shooting et en défilé, les gens vont toujours parler de toi, de ta coiffure, de ton corps en face de toi mais sans te considérer, comme si tu n’étais pas là […]. Ils font des commentaires les plus étranges à propos de ton apparence ou de ton corps juste devant toi. »</p>
</blockquote>
<p>Cette objectification entraîne de graves problèmes, que Victoire Maçon-Dauxerre décrit dans son livre et qui sont toujours de mise. Le spectre de ces problèmes reste large, touchant à la fois le psychique et le physique, du déficit d’estime de soi aux troubles alimentaires. Betty décrit la réalité de ces conséquences :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai beaucoup de problèmes avec ma propre estime, notamment avec la perception de mon corps. Entendre constamment des commentaires du type “tu as des grosses et belles fesses”, c’est difficile puisque moi, je me dis constamment “je veux être un bâton”. En fait, j’évalue constamment ma valeur par rapport à mon poids. Par exemple, je n’aime pas le sentiment d’être rassasiée… Cela me donne l’impression que je fais quelque chose de mal. C’est profondément psychologique. »</p>
</blockquote>
<p>Betty souligne également que, pour chaque défilé, chaque photoshoot, il y a beaucoup d’appelées mais peu d’élues :</p>
<blockquote>
<p>« Tous les rejets qui arrivent dans cette carrière… On essaie de s’y habituer, mais ça nous affecte forcément. »</p>
</blockquote>
<p>Sans oublier l’exposition potentielle aux abus sexuels. La publication de notre article universitaire, en septembre 2021, fait ainsi sombrement écho à l’actualité. Une <a href="https://www.sudouest.fr/france/d-anciennes-mannequins-accusent-de-viols-gerald-marie-l-ancien-patron-de-l-agence-elite-5704519.php">enquête préliminaire visant l'ancien patron européen de l’agence Elite</a> a en effet été ouverte à ce moment-là.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1434165257270923264"}"></div></p>
<p>Il est accusé de viols et d’agressions sexuelles par une quinzaine de mannequins.</p>
<h2>« Traitées comme des cintres »</h2>
<p>Fin octobre, plusieurs mannequins <a href="https://www.info-flash.com/info-flash/actualites/france/ile-de-france/paris/30438-paris/9837579-information.html">ont trouvé en TikTok</a> une plate-forme pour expliquer leur quotidien. Selon les posts, sous les paillettes des défilés, sous le glamour des photoshoot, se cache un sombre univers de pression pour maigrir, de cocaïne, mais aussi d'abus sexuels. Marie, mannequin encore en activité, nous l’a confirmé :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai vécu une expérience vraiment dégoûtante. À un moment, pendant le photoshoot, tout le monde est parti, le photographe continuait de prendre des photos, j’étais sur le dos, et soudainement, il s’est retrouvé sur moi. Je n’ai pas compris ce qu’il se passait, j’ai paniqué. »</p>
</blockquote>
<p>Les pistes d’une saine évolution sont pourtant à portée de main : considérer les mannequins comme des êtres humains et non « comme des cintres », comme le déplore un mannequin sur TikTok, ou encore se baser sur l’humain et non sur le vêtement. Ces étapes sont basiques mais malheureusement largement ignorées. Or, comme l’a écrit Victoire Maçon-Dauxerre dans son livre : « ce sont les vêtements qu’ils regardent, pas toi… ! ».</p>
<hr>
<p><em>*Les prénoms figurant dans cet article sont des noms d’emprunt</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171054/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurore Bardey ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les top-modèles exercent leur profession sous la menace constante d’être remplacées par d’autres si elles ne parviennent pas à résister à une pression déshumanisante.Aurore Bardey, Associate Professor in Marketing, Burgundy School of Business Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1627162021-06-18T17:17:14Z2021-06-18T17:17:14ZHuit façons de gérer l’anxiété corporelle post-confinement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/407076/original/file-20210617-16-mphtb4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=27%2C9%2C6151%2C4085&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le fait de fréquenter des personnes qui vous acceptent et vous apprécient comme vous êtes peut vous aider à vous sentir plus en paix avec votre apparence.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Hinterhaus Productions/DigitalVision via Getty Images)</span></span></figcaption></figure><p>Le fait de pouvoir retrouver une vie sociale après le confinement peut susciter l’enthousiasme, mais ce retour à une certaine normalité peut aussi accroître l’anxiété liée à notre image corporelle.</p>
<p>Je suis une psychologue qui <a href="https://scholar.google.com/citations?hl=en&user=7kHjzaEAAAAJ">étudie l’image corporelle</a> depuis plus de 20 ans, et j’ai vu comment la pandémie de Covid-19 pouvait <a href="https://doi.org/10.1016/j.bbi.2020.05.048">affecter la santé et le bien-être des gens</a> de nombreuses façons, y compris en ce qui concerne la <a href="https://www.eatingrecoverycenter.com/article/pandemic-body-image">perception qu’ils ont de leur corps</a>.</p>
<p>Les centres de conditionnement physique ayant été fermés pendant plusieurs mois, les bonnes habitudes ont peut-être été délaissées en raison du stress, des difficultés de la conciliation travail-famille et des contraintes financières. La pandémie a également fait disparaître des moyens importants pour les gens de prendre soin d’eux : le soutien social et les contacts physiques.</p>
<p>Le stress causé par la pandémie a conduit de nombreuses personnes à se tourner vers d’autres mécanismes d’adaptation, dont certains sont néfastes pour la santé. Dans une étude portant sur 5 469 adultes en Australie, <a href="https://doi.org/10.1002/eat.23317">35 %</a> des répondants ont signalé une augmentation de la <a href="https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/vie-frenesie-alimentaire-trouble-comportement-alimentaire-plus-commun-10387/">frénésie alimentaire</a>, un trouble alimentaire qui consiste à consommer de grandes quantités de nourriture en peu de temps, durant la pandémie.</p>
<p>Dans une autre étude portant cette fois sur 365 adultes, en Italie, <a href="https://doi.org/10.1016/j.appet.2021.105122">25,7 %</a> des participants ont dit s’être réconfortés en avalant des aliments néfastes pour la santé au cours de la période de confinement. Et dans une étude portant sur 3 000 adultes aux États-Unis, <a href="https://www.apa.org/news/press/releases/stress/2021/one-year-pandemic-stress">61 % d’entre eux ont connu des variations de poids non souhaitées</a> depuis le début de la pandémie. Il n’est donc pas étonnant que les gens se sentent anxieux devant leur nouvelle apparence et ce que les autres en penseront.</p>
<h2>La perception de son corps</h2>
<p><a href="https://doi.org/10.1016/S1740-1445(03)00011-1">L’image corporelle</a> se définit comme la vision qu’une personne a – ou ses sentiments, perceptions, pensées et croyances – à propos de son corps. L’image corporelle peut être positive, neutre ou négative, et elle peut varier. Les situations qui provoquent une image corporelle négative – ne plus rentrer dans des vêtements autrefois confortables, remarquer des changements d’apparence liés à l’âge, voir une photo peu flatteuse de soi ou comparer son corps à un influenceur sur les médias sociaux – sont des <a href="https://doi.org/10.1016/j.jpsychores.2004.07.008">menaces pour l’image corporelle</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DoDzwM0gybg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’ancien mannequin Mary Jelkovsky suggère de considérer son corps comme une expérience.</span></figcaption>
</figure>
<p>Pour de nombreuses personnes, la pandémie de Covid-19 a représenté une menace à l’image corporelle. Elle a entraîné une augmentation des <a href="https://doi.org/10.1016/j.appet.2020.105062">difficultés à manger</a>, des exagérations ou des carences alimentaires, des préoccupations et de l’anxiété liées au poids et à la forme du corps.</p>
<p>Heureusement, il existe des moyens sains de gérer l’anxiété corporelle et de cultiver une image corporelle positive au sortir de cette pandémie.</p>
<h2>1. Concentrez-vous sur ce que vous aimez</h2>
<p>Plutôt que de vous concentrer sur ce qui a changé ou sur ce que vous n’aimez pas dans votre corps, concentrez-vous sur <a href="https://doi.org/10.1016/j.bodyim.2020.11.006">ce que votre corps vous permet de faire</a>. Par exemple, mes bras me permettent de faire des câlins à mes chiens, mes jambes me permettent de les emmener en promenade, mon estomac me permet de digérer les aliments pour avoir de l’énergie et mon cerveau m’a aidé à écrire cet article. Votre corps vaut bien plus que son apparence. Appréciez-le pour les services essentiels qu’il vous rend afin de cultiver une image corporelle positive.</p>
<h2>2. Entourez-vous de gens bien dans leur peau</h2>
<p>Choisissez les personnes avec lesquelles vous voulez passer du temps après la pandémie. Commencez par celles qui <a href="https://doi.org/10.1016/j.bodyim.2020.11.007">s’acceptent comme elles sont</a>. Ces personnes risquent moins de vous déprécier, de se déprécier elles-mêmes ou de déprécier les autres sur leur apparence puisqu’elle ne s’en préoccupe pas. L’image que nous avons de notre propre corps s’améliore au contact de personnes <a href="https://doi.org/10.1016/j.bodyim.2020.06.006">qui ont une bonne image du leur</a>. Vous aussi pouvez tenter <a href="https://doi.org/10.1016/j.bodyim.2010.01.001">d’être un exemple</a> d’acceptation de soi pour les autres.</p>
<h2>3. Pratiquez la bienveillance</h2>
<p>Nous venons de vivre le choc d’une pandémie. Il est important de faire preuve de bienveillance envers soi et son corps, même s’il n’a plus la même apparence. <a href="https://doi.org/10.1080/15298860309032">L’autocompassion</a> consiste à être aussi bienveillant avec soi-même que vous le seriez avec un être cher qui traverse une période difficile. De nombreuses études ont montré que l’autocompassion est liée à une <a href="https://doi.org/10.1016/j.cpr.2020.101856">image corporelle positive plus élevée</a>, et que l’autojugement est lié à une image corporelle négative plus élevée. Soyez attentif à vos sentiments sans vous juger et sachez que vous n’êtes pas seul lors des moments difficiles.</p>
<h2>4. Bougez en pleine conscience</h2>
<p>Si vous en êtes capable, <a href="https://doi.org/10.1093/med-psych/9780190841874.003.0009">bougez</a> selon ce qui est bon pour vous et soyez à l’écoute de votre corps.</p>
<p>Chacun a des capacités différentes, et un mouvement qui fait du bien à l’un n’est peut-être pas bon pour vous. Il a été démontré que certaines activités, <a href="https://doi.org/10.1080/10640266.2020.1738909">comme le yoga</a>, favorisent une image corporelle positive, à condition qu’elles ne soient pas axées sur l’apparence. Concentrez-vous sur le plaisir de bouger plutôt que sur votre apparence pendant le mouvement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/405479/original/file-20210609-14856-9953zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Personne souriante et donnant la main à une amie pendant qu’elle fait de l’exercice" src="https://images.theconversation.com/files/405479/original/file-20210609-14856-9953zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/405479/original/file-20210609-14856-9953zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/405479/original/file-20210609-14856-9953zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/405479/original/file-20210609-14856-9953zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/405479/original/file-20210609-14856-9953zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/405479/original/file-20210609-14856-9953zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/405479/original/file-20210609-14856-9953zm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une activité physique qui vous amène à vous concentrer sur la façon dont votre corps bouge peut vous aider à vous connecter à votre corps.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/photo/smiling-woman-giving-high-five-to-her-friend-after-royalty-free-image/1220401267">Luis Alvarez/DigitalVision via Getty Images</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>5. Prenez soin de vous</h2>
<p><a href="https://doi.org/10.1007/s12671-017-0759-1">Soyez attentif aux besoins de votre corps</a> tous les jours. Le corps a besoin d’un apport régulier de « carburant », d’hydratation, de relaxation, de stimulation et de sommeil. Il peut être difficile de prendre soin de soi dans un horaire chargé, mais il est très important d’y prévoir des activités qui vous permettent de vous retrouver.</p>
<h2>6. Entrez en contact avec la nature</h2>
<p><a href="https://doi.org/10.1289/EHP1663">L’interaction avec la nature</a> est associée à de nombreux avantages pour la santé, notamment une <a href="https://doi.org/10.1016/j.bodyim.2020.06.004">image corporelle positive plus élevée</a>. Les activités exercées en nature, comme la randonnée, peuvent vous aider à détourner votre attention de votre apparence pour vous concentrer sur le fonctionnement de votre corps. Contempler les beautés de la nature est un bon moyen de prendre soin de soi, de bouger en pleine conscience et de se regénérer.</p>
<h2>7. Évitez de vous comparer aux autres</h2>
<p>Il est fréquent de se comparer aux autres. Cependant, lorsque l’on <a href="https://doi.org/10.1016/j.beth.2006.06.004">compare fréquemment notre apparence</a> à celle d’autres personnes perçues comme plus attirantes, notre image corporelle en prend un coup. On peut être amené à se comparer à de nombreuses occasions et non seulement sur les réseaux sociaux. Cela peut aussi se produire à la plage, au supermarché et à l’école. Lorsque vous vous surprenez à vous comparer aux autres et que vous commencez à vous sentir mal dans votre peau, essayez l’une des stratégies ci-dessus pour retrouver une image corporelle positive.</p>
<h2>8. Résistez aux diètes à la mode</h2>
<p>Des études montrent que les <a href="https://www.npr.org/sections/thesalt/2015/06/01/411217634/in-eating-lab-psychologist-spills-secrets-on-why-diets-fail">diètes ne fonctionnent pas</a> : elles ne sont <a href="https://doi.org/10.1136/bmj.m696">pas associées à une perte de poids à long terme</a> et diminuent souvent le bien-être en général. Au lieu de cela, concentrez-vous à nourrir votre corps lorsque vous avez faim, avec des aliments qui lui fournissent une énergie durable. Manger de <a href="https://doi.org/10.1016/j.appet.2015.07.004">manière intuitive</a> – c’est-à-dire en vous fiant à vos signaux naturels de faim, d’appétit et de satiété pour déterminer quand, quoi et en quelle quantité manger – est lié à la santé et au bien-être.</p>
<h2>Sortir de la pandémie en toute confiance</h2>
<p>Il existe de nombreuses stratégies permettant de se forger une image corporelle positive, et des <a href="https://promotionsante.chusj.org/fr/conseils-et-prevention/sante-des-ados/Une-image-corporelle-positive">ressources sont disponibles</a> pour vous aider. Pour les personnes qui luttent contre un trouble alimentaire ou un grave problème lié à l’image corporelle, l’aide d’un professionnel est la meilleure solution.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1016/j.bodyim.2015.04.001">Être satisfait de son image corporelle</a> ne consiste pas seulement à aimer son apparence – il s’agit aussi d’accepter et d’aimer son corps, quelle que soit son apparence, et de prendre soin de soi pour répondre à ses besoins. Mettez régulièrement en pratique ces stratégies afin de promouvoir et de maintenir une image corporelle positive lorsque vous reprendrez votre vie sociale en toute sécurité et avec confiance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162716/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tracy Tylka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après plus d’un an à manger sous l’effet du stress et à ne se voir qu’à travers des écrans, l’anxiété liée aux changements d’apparence physique peut rendre le retour à socialisation intimidant.Tracy Tylka, Professor of Psychology, The Ohio State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1538492021-01-29T14:55:53Z2021-01-29T14:55:53ZAnorexie en temps de pandémie : le difficile défi de soigner à distance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/380581/original/file-20210125-19-1lovh9c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les cas d'anorexie chez les adolescentes ont augmenté considérablement durant la pandémie. Un médecin nous dit comment le confinement a bouleversé sa pratique.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Nous vivons un moment historique sans précédent en étant confinés en raison d'une pandémie planétaire. Elle vient bouleverser en profondeur nos façons de faire acquises au fil des années et de nos expériences personnelles.</p>
<p>Depuis les 25 dernières années, ma pratique médicale exclusive auprès des adolescentes anorexiques était déjà particulière, originale, exigeante, contestée par certains pour ce qui est, entre autres, du choix de l'approche clinique que j'ai pris soin d'expliquer dans deux livres : le premier paru en 2012 aux PUM, <a href="https://www.pum.umontreal.ca/catalogue/adolescentes-anorexiques"><em>Adolescentes anorexiques, Plaidoyer pour une approche clinique humaine</em></a>, et le deuxième, <a href="https://editions.lapresse.ca/products/jean-wilkins"><em>Le doc des ados</em></a>, paru en 2019 aux Éditions La Presse, écrit avec Katia Gagnon.</p>
<p>La pandémie, le télétravail, la télémédecine, la privation de la présence en réel de l'adolescente, entre autres, ont bouleversé mes habitudes, mes manières de travailler et de pratiquer.</p>
<p>Ce que j'exprime dans ce texte est le résultat d'une observation clinique auprès d'une clientèle adolescente accueillie en grand nombre depuis la fin de l'été 2020.</p>
<h2>Le besoin de voir</h2>
<p>En mars 2020, comme bien d'autres évidemment, j'ai été mis en confinement en raison de mon âge afin de me protéger, de protéger les autres et de protéger la société en général.</p>
<p>J'ai adhéré au télétravail et à la télémédecine. J'étais privilégié, puisque je pouvais compter sur la présence d'une infirmière clinicienne demeurée en poste à la clinique et à qui je pouvais référer l'adolescente si celle-ci nécessitait une évaluation en présentiel.</p>
<p>J'ai passé beaucoup d'heures à faire des appels téléphoniques, les adolescentes collaboraient très bien. Il fallait appeler «aux heures adolescentes» soit en fin d'après-midi ou en début de soirée et parfois, plus tard en soirée. Tout a bien été. J'ai vite réalisé que mes appels sécurisaient les adolescentes et les parents. Une adolescente, suivie par la DPJ et habitant dans une région éloignée m'a dit un jour qu'avoir mon numéro de cellulaire dans sa liste de contacts la sécurisait. J'ai été touché par les paroles de cette ado avec qui il était difficile d'établir un lien.</p>
<p>Mais, moi est-ce que j'étais sécurisé ? Ma réponse bien franche est : non ! De tout temps, ma pratique médicale est basée sur l'accueil, la rencontre, l'observation, le questionnaire en tête-à-tête et l'examen physique. Maintenant j'étais amputé de cette base essentielle d'une pratique médicale telle qu'on me l'avait enseigné et que j'ai enseigné comme professeur à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.</p>
<p>Et sur un autre point, j'étais amputé d'un modèle organisationnel et opérationnel très précieux et très utile que j'avais contribué à créer moi-même à la clinique de médecine de l'adolescence. J'ai mon théâtre et j'en ai besoin.</p>
<h2>Des observations précieuses</h2>
<p>Le modèle de médecine de l'adolescence développé depuis 1974 est interdisciplinaire et se vit dans un même lieu physique favorisant les observations et les interactions entre les intervenants.</p>
<p>Lorsque l'adolescente anorexique se présente avec un parent ou les deux, elle est déjà connue en partie par nos services puisqu'il y a eu au préalable une évaluation téléphonique complétée par l'infirmière clinicienne. On voit l'adolescente, comment elle réagit à l'inscription, comment elle se comporte dans la salle d'attente, comment elle réagit à l'appel de son nom, etc.</p>
<p>Avec le télétravail j'étais privé de ces observations précieuses. L'absence de l'examen physique, l'impossibilité d'observer précisément l'état d'émaciation de la patiente et des répercussions physiologiques de la dénutrition au niveau cutané et au plan des signes vitaux, tout cela me manquait énormément afin de poser un diagnostic avec certitude et pour évaluer la gravité de l'état clinique de la patiente. Ceci m'insécurisait, et je me dis tant mieux, puisqu'il faut être exigeant pour soi-même dans notre pratique médicale.</p>
<p>Je pense toutefois avoir réussi à accompagner correctement mes patientes et leurs parents à travers ce premier confinement. Je distingue ces adolescentes anorexiques connues et déjà suivies par nous de celles que nous recevrons après, en pleine pandémie.</p>
<h2>Les adolescentes anorexiques du confinement</h2>
<p>Ce sous-groupe, je les rencontre à mon retour en présentiel à partir de la mi-août 2020. <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/10/25/explosion-de-cas-de-troubles-alimentaires-1">Nous avons reçu beaucoup de demandes depuis l'été 2020, plus que d'habitude</a>, et nous n'avons pas encore été capables d'en établir le nombre exact, faute de temps et d'une certaine confusion dans les statistiques.</p>
<p>Nous avons pris l'habitude de fixer une première rencontre en clinique dans un délai maximal de trois semaines à partir de la demande. Depuis le retour en présentiel, nous ne pouvions pas respecter ce délai. Ceci a entraîné un afflux de nouveaux cas à la salle d'urgence et d'hospitalisations non planifiées, c'est-à-dire non inscrites dans leur plan de soins.</p>
<p>Alors que nous disposons d'une unité distincte pour les soins en milieu hospitalier des adolescentes anorexiques, on les retrouvait sur d'autres unités de soins non adaptées à leur état clinique.</p>
<p>Comment ces adolescentes issues du confinement sont-elles différentes ? Y a-t-il une différence ? Je me questionne à ce propos et à vrai dire, je ne sais pas.</p>
<p>Si on questionne adolescentes et parents sur le début de la maladie, tous diront qu'elle a débuté avec le confinement, devenu l'élément déclencheur identifié, la référence temporelle.</p>
<p>Dans l'histoire naturelle de cette maladie, le début de la conduite anorexique date toujours d'environ quatre à six mois avant l'arrivée en clinique. Mais durant le confinement, les choses ont changé. J'ai été impressionné par une patiente dont la conduite anorexique a démarré avec le confinement et qui m'a dit : «j'avais plus de temps pour me scruter et me trouver des défauts».</p>
<p>Effectivement, tout d'un coup, les adolescentes avaient plus de temps seules dans leur chambre pour se regarder. Leur chambre devenait leur lieu de vie et leur exil. Leur temps de socialisation était réduit, tout comme leur lieu de socialisation. Souvent il ne fallait pas déranger le ou les parents installés en télétravail.</p>
<p>Elles sont allées sur le Web afin de trouver un programme d'exercices approprié à la section du corps qu'elles souhaitaient modifier. Je ne savais pas qu'il existait autant de choix sur YouTube ou des applications spécifiques qu'il est possible de télécharger gratuitement.</p>
<p>La conduite anorexique totale s'amorce ainsi en privé et sera menée avec rigueur, répétitions, en toute tranquillité et l'adolescente espérera sortir de sa chambre différente ! Parce qu'elle fait de l'exercice durant le confinement, elle sera félicitée, elle mangera plus santé et là aussi elle sera félicitée. Cela prend toujours un certain temps avant que la maigreur apparaisse.</p>
<p>Lorsque les parents s'inquiètent, il y a une course à la consultation. Malgré la réouverture des services à l'été et à l'automne 2020, trouver une ressource appropriée pour ce type de problème n'est pas facile.</p>
<p>Bien des choses se faisaient encore à distance sans l'évaluation en présentiel de l'adolescente. Elles sont fines ces «petites filles» et savent s'adapter pour éviter d'être piégée dans un plan de soins qu'elles ne veulent pas. Un grand nombre de celles-ci étaient placées sous médication en attendant une consultation dans un milieu spécialisé, sans avoir été examinées, sans la prise des signes vitaux, sans que la perte de poids ait été vraiment évaluée. Je considère cette pratique médicale risquée.</p>
<h2>Soigner et examiner en temps de pandémie</h2>
<p>Pour l'instant il est trop tôt pour déceler des particularités de l'évolution de cette phase de la maladie que l'on pourrait attribuer au confinement. Est-ce que leur temps de maladie sera plus bref, plus long, plus compliqué ? C'est à suivre.</p>
<p>Mais certaines difficultés particulières sont apparues, découlant des mesures sanitaires.</p>
<p>Les masques, d'abord, que nous portons tous. Il y a bien évidemment la barrière de son. On n'entend pas toujours bien ce que l'autre dit. On ne peut pas répéter vingt fois nos questions ni demander que l'on répète vingt fois les réponses ! Il y a des choses qui se perdent dans l'échange verbal.</p>
<p>Les adolescentes anorexiques du confinement sont parfois surprises et indisposées par l'examen physique nécessaire pour statuer sur leur état clinique. Tout ayant été réalisé en virtuel jusqu'à ce moment, il faut expliquer qu'un examen physique est nécessaire. L'appréciation de leur vascularisation périphérique et de la froideur des téguments, la prise des signes vitaux, ça ne peut se faire en virtuel. On doit aussi voir leur visage, brièvement, pour évaluer sa maigreur.</p>
<p>Avec le retour en classe en mode hybride, j'ai cru nécessaire d'offrir des rendez-vous pour leur suivi soit le jour où elles sont en classe, soit le jour où elles sont à distance. Je n'ai pas été surpris que la majorité ait souhaité s'absenter le jour de l'école à distance : les adolescentes anorexiques réussissent bien à l'école et elles aiment bien ne rien manquer. Pour celles qui optent pour manquer les cours en présentiel, le fait de ne pas avoir à socialiser avec les autres leur plaisait davantage. Des caractéristiques intéressantes.</p>
<p>Et pour celles rendues au moment de leur maladie au cours duquel elles reprennent du poids via des épisodes boulimiques, être isolées à la maison facilite et amplifie ces moments de fringales. La prise de poids peut devenir dramatique pour elles.</p>
<h2>Le mot en A</h2>
<p>Depuis le début de la pandémie, un mot revient sans arrêt dans les conversations avec les parents, les référents et les patientes, parfois : anxiété. J'ai l'impression que l'on abuse de ce mot. Dès qu'il est utilisé, un diagnostic devient posé et une médication apparaîtra à la première consultation. Je n'ai pas à poser le diagnostic, il l'est déjà par plein de gens autour de la patiente. Ça me rappelle le TDAH il y a vingt ans.</p>
<p>Je ne suis pas très populaire lorsque je dis que bientôt l'usage de ce mot qui commence par un A ne sera plus autorisé dans mon bureau de consultation. On sait depuis longtemps que le recours à une médication est peu utile dans le traitement de l'anorexie et qu'une reprise de poids, bien souvent, fait disparaître ce problème d'anxiété. Un peu court me diront certains, mais ne nuisons pas au traitement de l'anorexie en déviant vers un autre problème.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153849/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean Wilkins ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Spécialiste des jeunes anorexiques, ce médecin a dû changer profondément, durant la pandémie, sa pratique basée sur l'accueil, la rencontre, l'observation, le questionnaire et l'examen physique.Jean Wilkins, Pédiatre, médecine de l'adolescence, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1369342020-04-27T17:51:04Z2020-04-27T17:51:04ZConfinement des personnes âgées : attention au syndrome de glissement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/330158/original/file-20200423-47841-spvlj7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Chimiothérapie</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/WMuFH_0rlWg">National Cancer Institute - Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Agée de 95 ans, Odette avait déjà lutté plus de 10 jours contre le Covid-19. Elle avait vaillamment surmonté le confinement dans sa chambre, la toux épuisante, la fièvre qui monte et descend en un V caractéristique. Les soignants étaient confiants, rassurant même la famille par téléphone sur son état somatique. L’espoir renaissait. Mais brutalement, alors que son corps ne présentait plus de signes inquiétants, tout se précipita. On allait la perdre… Et ce qui la mettait en danger, c’était le chagrin de ne plus voir les siens.</p>
<p>Odette fermait les yeux, la bouche, tous les contacts et ouvertures possibles vis-à-vis des soins prodigués avec patience et d’infinies précautions compte tenu du danger potentiel de contamination par les soignants masqués, « charlottés », gantés, en blouse et surblouse. Rien n’y faisait. Elle se laissait mourir. De façon active, en arrachant la perfusion posée pour son hydratation. De façon passive, en refusant toutes les tentatives prises pour la nourrir comme un bébé – espérant que le réflexe de succion perdure, nous lui donnions des petites potions enrichies à boire, à téter. Le chagrin l’emportait. Elle se laissait glisser vers la mort.</p>
<h2>Un état de grande déstabilisation somatique et psychique</h2>
<p>Ce <a href="https://www.em-consulte.com/en/article/253286">syndrome de glissement</a> ne nous est pas inconnu : il a été décrit en 1956 par Jean Carrié, dans sa <a href="https://data.bnf.fr/11343564/jean_carrie/">thèse de médecine</a>. Partant de ses observations dans un hospice pour personnes âgées, ce gériatre remarque que certains processus de fin de vie s’apparentent à un « glissement », une sorte de « processus d’involution et de sénescence porté à son état le plus complet ». D’autres médecins ont ensuite précisé le propos. À l’instar d’Yves Delomier, qui lors du 4<sup>e</sup> congrès international francophone de gérontologie, en 1990, en donne une définition plus restrictive.</p>
<p>Selon ce gériatre, un tel syndrome spécifique de personnes âgées, fragiles et polypathologiques, marque un état de grande déstabilisation somatique et psychique d’évolution gravissime. Il y voit une décompensation aiguë (infectieuse, traumatique, vasculaire, chirurgicale, choc physique, etc.) qui fait suite à un facteur déclenchant physique ou psychique – ici le Covid-19, maladie fragilisante en elle-même et ayant qui plus est imposé des mesures de confinement pouvant être vécu de la part des personnes âgées comme un abandon familial.</p>
<p>Touchant de <a href="https://www.doctinews.com/index.php/archives/39-dossier/2178-syndrome-de-glissement-analyse-du-concept-a-travers-une-etude-clinique">1 à 4 %</a> des personnes âgées hospitalisées, ce syndrome peut conduire à la mort en quelques jours à un mois, à travers des troubles biologiques et neuropsychiques sévères, si un traitement n’est pas mis en route suffisamment tôt : suivant les études, le décès survient dans 80 à 90 % des cas. S’il est mal défini dans la classification internationale des maladies, plusieurs signes physiques et psychiques doivent l’évoquer. À savoir, l’anorexie et l’absence de soif (adipsie), la dénutrition et la déshydratation, des troubles sphinctériens (atonie intestinale et vésicale), mais aussi un repli sur soi, le mutisme, le fait de vouloir rester au lit, le refus de s’alimenter et d’être soigné. Mais que sait-on précisément des origines de ce syndrome ?</p>
<h2>Plusieurs hypothèses psychopathologiques</h2>
<p>Si l’on ne dispose pas encore de véritable étiologie, différentes hypothèses psychopathologiques ont été avancées, qui mettent en avant la <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/c_1739917/fr/episode-depressif-caracterise-de-l-adulte-prise-en-charge-en-premier-recours">dépression</a> avec une dimension suicidaire, une conduite régressive, un état post-traumatique ou un état de désorganisation psychosomatique. Certaines font de la dépression l’un des facteurs déclenchants, quand d’autres évoquent un état « confusodépressif » ou « asthénodépressif », ou encore une forme de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1627483005825929">dépression sévère</a>, dépression différente dans ses manifestations de ce qu’elle est chez les personnes plus jeunes, la tristesse y étant rarement exprimée tandis que sont bien présentes l’irritabilité et l’opposition, avec refus de s’alimenter. C’est notamment ce que tend à prouver une <a href="https://www.doctinews.com/index.php/archives/39-dossier/2178-syndrome-de-glissement-analyse-du-concept-a-travers-une-etude-clinique">enquête portée à la connaissance du public en 2012</a> et menée dans une maison de retraite de la région de Rabat.</p>
<p>Soixante hommes et femmes âgés en moyenne de 73 ans ont répondu à un questionnaire visant à établir la sévérité de la dépression associée à leur syndrome de glissement. Tous étaient délaissées par leurs proches et bon nombre avaient des antécédents médicaux ou chirurgicaux susceptibles d’avoir déclenché un syndrome de glissement : 57 % avaient souffert de pneumopathies, 43,5 % de cardiopathies, 15 % un antécédent d’AVC (accident vasculaire cérébral) et 78,33 % des endocrinopathies, en particulier du diabète. Ils ont répondu à un questionnaire connu sous le nom de <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/canadian-journal-on-aging-la-revue-canadienne-du-vieillissement/article/etude-psychometrique-de-lechelle-de-depression-geriatrique/63EBC6941706CDCD18184432745F11BC"><em>geriatric depression scale</em></a> (GDS) – en français échelle de dépression gériatrique (EDG) – et composé de 30 items permettant d’établir un score donnant la gravité de la dépression. Or quels résultats ont obtenu les chercheurs ? Pour 61,66 % des patients, la dépression était légère à modérée (score de 15 à 22), mais elle était sévère chez un tiers d’entre eux.</p>
<p>Pour ces auteurs, si le syndrome de glissement est parfois considéré comme une forme de dépression, « il ne s’agit pas d’une véritable pathogénie, mais d’une polypathologie infra-clinique ». En clair, ils soulignent la présence d’une insuffisance rénale (liée à la déshydratation et à l’anorexie), d’un débordement des systèmes de défense par la maladie initiale, de déficits hormonaux exacerbés, ou encore de carences restant à un stade infra-clinique jusqu’à la décompensation entraînée par la maladie aiguë. Et ils considèrent que « ce syndrome, dont le pronostic est réservé, revêt la forme d’un suicide, et nécessite une prise en charge multidisciplinaire. »</p>
<h2>Ne pas se contenter d’antidépresseurs</h2>
<p>En pratique, il est en effet fréquent que l’on se contente de diagnostiquer un épisode dépressif majeur, voire une dépression sévère à tonalité mélancolique, et que des antidépresseurs soient prescrits en intraveineux. Mais comme le notent ces chercheurs, quelle que soit la molécule prescrite, dans 30 % des cas les patients ne répondent pas au traitement par antidépresseurs. Et plusieurs auteurs ont par ailleurs rapproché le syndrome de glissement de certaines dépressions du bébé, ou encore du concept anglo-saxon de <a href="https://www.drugs.com/cg/failure-to-thrive-in-older-adults.html"><em>failure to thrive</em></a>, <a href="https://academic.oup.com/gerontologist/article-abstract/28/6/809/647040?redirectedFrom=fulltext">issu de la pédiatrie</a> et correspondant à « un échec, une défaillance à croître, à prospérer, à bien se porter. »</p>
<p>Séparé de sa mère et manquant d’affection, le tout jeune enfant peut en effet sombrer dans état dépressif décrit en 1945 par le psychanalyste <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Spitz">René Spitz</a> et qualifié d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hospitalisme">hospitalisme</a>. Or de quoi s’agit-il ? De bébés qui, privés de lien affectif, se mettent à pleurer, à rester en retrait et détachés, avant de maigrir, d’être sujets aux infections, puis de voir s’altérer leur développement psychique et moteur : après cinq mois de carence effective, le développement s’arrête et les troubles peuvent conduire au décès.</p>
<p>Les analogies sont nombreuses. Chez le bébé victime d’hospitalisme comme chez la personne âgée souffrant du syndrome de glissement, les manifestations cliniques sont à la fois comportementales et somatiques, et les symptômes marqués par la passivité et le retrait, rendant les soins difficiles. Qui plus est, dans les deux cas, on note au départ l’alternance entre des phases d’apathie et d’agitation, et la succession de phases de détresse, puis de désespoir et enfin de détachement.</p>
<p>À l’évidence, les antidépresseurs ne sont donc en aucun cas suffisants. Il faut bien davantage pour retrouver le chemin de la vie. La prise en charge se doit en effet d’être médicale, infirmière, diététique, physiothérapique et psychique. Avec aussi et surtout, des mots doux, des caresses, des paroles tendres et affectueuses, et tout simplement les visites des personnes aimées… ce qui est malheureusement difficile à mettre en musique, en temps de Covid-19.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136934/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Véronique Lefebvre des Noettes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comme le nourrisson qui en situation de carence affective peut tomber dans un grave état dépressif, la personne âgée malade et ne recevant plus de visites risque de souffrir d’un dangereux syndrome.Véronique Lefebvre des Noettes, Psychiatre du sujet âgé, chercheur associé au Laboratoire interdisciplinaire d'étude du politique Hannah Arendt, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1066382018-11-08T23:32:05Z2018-11-08T23:32:05ZTroubles des conduites alimentaires : soigner l’esprit en manipulant le corps<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/244655/original/file-20181108-74769-bshnup.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C3930%2C2610&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les massages font partie de la trousse à outils des soignants qui pratiquent l'approche corporelle pour traiter les TCA.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/hBLf2nvp-Yc">Toa Heftiba / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est publié dans le cadre de la <a href="https://www.billetweb.fr/3e-journee-des-paramedicaux-du-reseau-tca-francilien">3e journée des paramédicaux du Réseau TCA francilien</a>, dont la MGEN est partenaire.</em></p>
<hr>
<p>Classés parmi les affections psychiatriques, les <a href="http://www.reseautca-idf.org/images/stories/f58tca.pdf">troubles des conduites alimentaires</a> s’expriment de diverses façons : anorexie mentale, boulimie nerveuse et autres formes boulimiques, ou formes atténuées de ces pathologies.</p>
<p>Ces troubles débutent essentiellement à l’adolescence pour l’anorexie mentale et en début de vie adulte pour la boulimie. Ils touchent donc des personnes jeunes, en plein développement de leur vie. Autre drame de santé publique, seule la moitié des malades est actuellement prise en charge. Pour remédier à cette situation, les professionnels, et les usagers (familles et patients) concernés par les TCA se mobilisent depuis une vingtaine d’années pour tenter de mieux répondre à la demande de soins, animer des formations, des recherches et mobiliser les pouvoirs publics. </p>
<p>Dans ce contexte, les approches corporelles, qui visent à aider les patients à reconstruire une image réaliste de leur corps en s’appuyant notamment sur des pratiques telles que la danse, le yoga, la relaxation, la confrontation par vidéo et miroir ou les exercices physiques ont largement démontré leur efficacité. </p>
<h2>Des troubles connus de longue date</h2>
<p>Identifiés depuis la moitié du XIX<sup>e</sup> siècle pour l’anorexie mentale et dans les années 1980 pour la boulimie (avec ou sans contrôle du poids), ces syndromes sont désormais mieux connus. Pourtant, peu de gens savent qu’il s’agit des troubles psychiques qui présentent la plus grande mortalité, par dénutrition, carences ou suicides. Les premières études sur le sujet sont d’ailleurs relativement récentes, puisqu’elles datent de la fin des années 1990 en Angleterre. D’autres ont été menées ultérieurement, avec les mêmes résultats.</p>
<p>Les troubles alimentaires (tous degrés confondus) touchent 10 % des femmes, et l’on considère que 30 % des adolescents sont régulièrement soumis à des crises de boulimie ou d’hyperphagie. L’anorexie mentale se manifeste quant à elle typiquement pendant l’adolescence et principalement chez les filles. Elle est caractérisée entre autres par une sérieuse perte de poids et par des troubles de l’image du corps. Par ailleurs, 50 % des patients TCA, qu’ils soient anorexiques ou boulimiques, rapportent des antécédents conscients d’abus sexuel, de maltraitances ou de négligences.</p>
<p>Les formes mineures de TCA peuvent être le prélude à une aggravation et à l’installation d’une forme clinique caractérisée, avec risque de chronicisation. De plus la morbidité de ces troubles est importante, et se traduit par des complications médicales, des <a href="http://www.em-consulte.com/en/article/83318">comorbidités psychiatriques</a> et des conséquences délétères sur l’insertion et l’adaptation sociale.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/rtaCNPRluPs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Restaurer une sécurité de base défaillante</h2>
<p>La problématique des TCA est bien résumée par Vincent Dodin, psychiatre à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul et professeur à la faculté catholique de médecine de Lille. Selon lui,</p>
<blockquote>
<p>« La naissance est une métamorphose qui nécessite que le tout petit développe, à l’intérieur de lui, une “ sécurité de base ” supportée par une forme de conscience de soi forte et stable, sur laquelle il pourra s’appuyer tout au long de son parcours socioaffectif. La qualité de cette sécurité interne dépendra aussi de la qualité des interactions corporelles et affectives tout au long du développement de l’enfant et lors de son adolescence. » </p>
</blockquote>
<p>Dans l’anorexie et la boulimie, cette sécurité de base est défaillante et doit être restaurée. Toujours d’après Vincent Dodin, cette restauration passe par</p>
<blockquote>
<p>« une prise en charge plurimodale où les thérapies à médiations sensorielles jouent un rôle essentiel. Les attentes sont le changement d’un rapport au corps qui ferait passer de la maltraitance à la bienveillance par une prise de conscience des éprouvés et des besoins corporels. » </p>
</blockquote>
<p>Les limites de cette approche seraient, toujours selon le Pr Dodin, « les résistances du patient, mais aussi des soignants, ainsi que les difficultés à intégrer ces approches corporelles dans une vraie synergie avec les autres modalités du soin. »</p>
<h2>Le travail avec et par le corps, une approche en expansion</h2>
<p>La psychiatre allemande Hilde Bruch fut la première à mettre en évidence la dissonance entre la réalité anatomique et l’image du corps chez les patientes atteintes d’anorexie mentale. Elle définit cette expérience aberrante du corps comme un désordre de l’image corporelle, de l’interprétation perceptive et cognitive du corps, accompagné d’un sentiment d’inefficacité pour soi-même. Depuis lors, l’anorexie mentale est considérée comme un exemple typique de l’image perturbée du corps. Une condition indispensable au rétablissement des patientes souffrant de désordre alimentaire est donc la reconstruction d’une image réaliste et positive de leur corps. </p>
<p>Les thérapies psychomotrices, intégrées dans un traitement multidimensionnel, sont une des voies possibles pour rétablir cette image. En France, depuis une dizaine d’années, de nombreuses approches thérapeutiques ont été développées, basées sur des pratiques de relaxation, des exercices de respiration, de confrontation par vidéo et miroir, des exercices physiques, de la danse…</p>
<h2>Prendre de la distance avec le mental exclusif</h2>
<p>Il est maintenant tout à fait établi et vérifié par les cliniciens spécialisés que les approches corporelles doivent faire partie du projet thérapeutique dans les troubles des conduites alimentaires.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/244656/original/file-20181108-74769-yhn9go.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/244656/original/file-20181108-74769-yhn9go.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=892&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/244656/original/file-20181108-74769-yhn9go.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=892&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/244656/original/file-20181108-74769-yhn9go.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=892&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/244656/original/file-20181108-74769-yhn9go.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1121&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/244656/original/file-20181108-74769-yhn9go.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1121&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/244656/original/file-20181108-74769-yhn9go.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1121&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Chez les personnes atteintes de TCA, l’image du corps est perturbée.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/1CsfTx0DuLs">Jairo Alzate / Unsplash</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces pratiques visent à améliorer l’image du corps, toujours perturbée. Elles influent aussi sur la projection de l’image de soi, ou le contact avec soi-même par les ressentis et perceptions. Elles permettent de ce fait une prise de distance avec le mental exclusif, et diminuent le contrôle intellectuel des pensées et la répression des pulsions. C’est particulièrement le cas <a href="https://documentation.ch-mazurelle.fr/index.php?lvl=notice_display&id=27541">pour les formes adultes chronicisées</a>, qui bénéficient de la prise en compte de l’hyperactivité, des ressentis corporels, des soins du corps ou des pratiques autodestructrices.</p>
<p>De nombreux travaux apportent aujourd’hui des arguments complémentaires en faveur de ces approches. C’est en particulier le cas de ceux qui objectivent, grâce à l’imagerie cérébrale, les <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/le-corps-noublie-rien-9782226393869">séquelles fonctionnelles et psychologiques des traumatismes</a> : isolement des émotions traumatiques de la parole (l’imagerie révélant que le centre du langage reste éteint quand il y reviviscence du souvenir) et grande diminution de la conscience de soi et de la capacité à prendre soin de soi. Ils démontrent la nécessité des approches corporelles, quelles qu’elles soient, non seulement celles ciblées sur les traumas, comme la <a href="https://theconversation.com/effacer-les-traumatismes-dun-clin-doeil-la-surprenante-technique-emdr-99975">technique EMDR</a>, mais aussi le psychodrame, le yoga, etc.</p>
<h2>Des approches corporelles en pleine diversification</h2>
<p>En 1985 déjà, beaucoup d’entre nous avaient été frappés par le très beau chapitre sur les massages d’adolescentes anorexiques, signé Agnès Lauras Petit et publié dans un ouvrage collectif précurseur sur l’anorexie mentale. Une impression confirmée quelques années plus tard par la rencontre avec le psychomotricien Michel Probst, exerçant au sein d’un service spécialisé TCA réputé en Belgique. En 1992, celui-ci était venu partager son expertise démonstratrice avec l’équipe des approches corporelles de l’<a href="https://www.mgen.fr/etablissements/etablissements-de-sante-mentale/la-verriere-78/">Institut Marcel Rivière-MGEN</a>. Le centre psychiatrique de la Verrière avait déjà une tradition importante en termes de soins kinésithérapiques et psychomoteurs grâce au soutien de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Sivadon">Paul Sivadon</a>, les équipes ont donc intégré facilement ces outils dans les prises en charge des pavillons spécialisés TCA, qui se partagent désormais en un service pour adolescents et un service pour adultes.</p>
<p>L’origine multifactorielle des TCA impose des projets de soins multidisciplinaires, prenant en compte la dimension somatique parfois gravissime et la diversité nécessaire des approches psychothérapiques en groupe ou individuel. Le travail avec la famille est également indispensable, en particulier chez les plus jeunes.</p>
<p>Depuis 2008, un groupe de travail Corps et TCA est très actif au sein de l’association nationale française des professionnels TCA et organise des colloques spécifiques. Des équipes de toute la France y participent et échangent à propos d’approches aussi diverses que l’image du corps, le toucher thérapeutique, la relaxation individuelle et en groupe, les massages, les soins esthétiques, la danse thérapie, les approches corporelles en hôpital de Jour ou en hospitalisation temps plein, etc.</p>
<p>Les approches corporelles se sont considérablement étoffées et diversifiées au cours du temps. Lors des colloques régulièrement organisés, des ateliers d’expérimentation et de sensibilisation très démonstratifs autour des différentes techniques ont été mis en place. Y sont développés l’expression par le jeu, la <a href="https://theconversation.com/dix-minutes-de-meditation-par-jour-ameliorent-lefficacite-du-cerveau-103740">mindfullness</a>, l’<a href="https://www.cairn.info/revue-adolescence-2012-3-p-603.htm">enveloppement multisensoriel</a>, la balnéothérapie, l’ostéopathie, la <a href="https://www.santemagazine.fr/medecines-alternatives/therapies-manuelles/fasciatherapie-177003">fasciathérapie</a>, les danses thérapies diverses, la voix, le rythme, les contes, les jardins thérapeutiques, l’<a href="https://c3rp.fr/bulletin-de-lunafam-paris-n91-sport-adapte/">activité physique adaptée</a> voire plus récemment l’<a href="http://www.psychologies.com/Therapies/Toutes-les-therapies/Therapies-breves/Videos/Premiere-seance-d-equitherapie">équithérapie</a>. La respiration, la posture de repos et d’action, la gestuelle permettent d’aborder les notions de <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/corps-schema-corporel-et-image-de-soi/2-pathologie-du-schema-corporel/">schéma corporel</a> et d’image du corps, ainsi que la prise de conscience du lien étroit entre nos états toniques et nos émotions.</p>
<h2>Un avenir moins sombre</h2>
<p>Les questions de la temporalité de ces soins, de la rencontre avec le patient et du partage des éprouvés corporels et émotionnels sont également prises en compte dans ces approches. Grâce à elles, des changements notables ont pu advenir dans l’esprit des soins procurés à ces patients. Des progrès ont été accomplis dans de nombreux domaines. Le respect de chacun, l’absence de rapport de force et la collaboration très active avec patients et familles deviennent la règle. Le rôle des associations de professionnels et d’usagers, en constante interaction, a été déterminant pour l’aboutissement de ce travail de réflexion et sa mise en pratique.</p>
<p>Par ailleurs, les mobilisations multiples ont porté leurs fruits. Les ministères soutiennent désormais une meilleure organisation des soins. En dehors de déserts médicaux toujours à déplorer, les projets de soins sont devenus plus faciles à mettre en place autour des grands centres spécialisés TCA, du fait des réseaux formels et informels qui se sont progressivement créés. Il nous semble que le pronostic de nos patients est aujourd’hui moins sombre qu’il y a quelques années. On peut affirmer que leur rétablissement est de plus en plus fréquent, voire qu’une guérison complète peut être espérée.</p>
<hr>
<p><em>Pour en savoir plus :</em><br></p>
<p><em>- le site de la <a href="https://fna-tca.org/">FNA-TCA</a> ;</em><br>
<em>- le site de la <a href="http://www.fondationsandrinecastellotti.org/">Fondation Sandrine Castellotti</a> ;</em><br>
<em>- le site de l’<a href="http://www.anorexieboulimie-afdas.fr/">association nationale des professionnels TCA</a>, qui fédère les réseaux parisiens et régionaux (lesquels ont chacun leur site).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106638/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Brigitte Remy a reçu des financements de la Fondation de France. Elle est membre de la FFAB et le Réseau TCA Francilien. </span></em></p>En aidant les patients atteints de troubles des conduites alimentaires, comme l’anorexie ou la boulimie, à rebâtir une image réaliste de leur corps, les approches corporelles sont d’un grand secours.Brigitte Remy, Praticien Hospitalier, Université Claude Bernard Lyon 1Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/718932017-06-22T19:43:44Z2017-06-22T19:43:44ZAnorexie : quand les patientes refusent d’être soignées<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/175033/original/file-20170621-30161-1y4ajv5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/saline-iv-drip-bottle-provided-patient-569336002?src=4l7tDYChiYiNxTdVfL4nKw-3-47">De Beer5020/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>L’anorexie mentale est une maladie grave et fréquente qui concerne 1 à 3 % de la population. La majorité des personnes touchées en guérissent, à la condition de bénéficier d’une prise en charge adaptée. Cependant, parmi les troubles psychiatriques, l’anorexie reste celui <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23771148">dont la mortalité est la plus élevée</a>. Il combine restriction alimentaire volontaire, amaigrissement, déni des troubles et de leurs conséquences, et perturbation de l’image du corps.</p>
<p>Dans certains cas, cette maladie au retentissement à la fois psychiatrique et physique prend une forme si sévère que les patients – généralement des patientes – refusent d’être soignés, en dépit d’une dénutrition extrême mettant en jeu leur pronostic vital. Les soignants et les familles se trouvent alors devant un dilemme éthique et moral. Peut-on, et faut-il, hospitaliser la personne anorexique contre son gré ? L’obliger à s’alimenter ou à être nourrie par une sonde, quitte à utiliser la contrainte ? Ou alors considérer jusqu’au bout que la liberté individuelle prime, au risque de la mort ?</p>
<p>Ces questions cruciales sont au centre d’une réflexion dont nous avons présenté les prémices lors de la <a href="http://www.anorexieboulimie-afdas.fr/images/pdf/20161209programmefinal.pdf">journée de rencontres publiques</a> qui s’est tenue le 9 décembre 2016 sur le thème « Troubles des conduites alimentaires (TCA), contraintes de la maladie, contraintes des soins, quelle articulation ? » Ces échanges, organisés par l’<a href="http://www.anorexieboulimie-afdas.fr/">AFDAS TCA</a>, association regroupant des spécialistes des TCA et des patients, et la mutuelle MGEN, se poursuivent dans l’idée de proposer, à terme, des recommandations pour de meilleures pratiques.</p>
<h2>La contrainte, sujet tabou dans les troubles des conduites alimentaires</h2>
<p>La contrainte reste un sujet largement tabou dans les TCA. Elle est plus fréquemment mise en œuvre dans d’autres troubles psychiques comme la schizophrénie qui, de fait, <a href="http://www.irdes.fr/recherche/2017/questions-d-economie-de-la-sante.html#n222">suscite la majorité des décisions de soins sans consentement</a>. Aujourd’hui, notre société prône la <a href="http://www.telerama.fr/monde/l-internement-d-office-une-prison-sur-ordonnance,159313.php">défense des libertés individuelles</a>, tout en imposant des contraintes réglementaires de plus en plus lourdes. Dans ce contexte paradoxal, la question des soins sans consentement dans les TCA mérite d’être posée collectivement.</p>
<p>À l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP), nos deux services hospitaliers accueillent les formes les plus graves de ces troubles. Un partenariat s’est ainsi construit depuis plusieurs années entre l’unité de réanimation nutritionnelle de l’hôpital Raymond Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine) et l’unité psychiatrique spécialisée des TCA de l’hôpital Paul Brousse de Villejuif (Val-de-Marne). Cette collaboration nous a amenés à réfléchir sur les réponses à apporter au refus de soins dans les TCA et à partager nos expériences, non seulement avec d’autres professionnels de santé, mais également avec l’ensemble des citoyens.</p>
<p>Difficile d’évaluer avec précision le recours actuel aux soins sans consentement en France pour les TCA. Les données les plus récentes datent de 2010 – avant les modifications de la loi intervenues en 2011 puis en 2015. Cette année-là, la contrainte a été utilisée chez 4 patients sur 1 000 hospitalisés pour cette maladie, selon le Recueil d’informations médicalisées en psychiatrie. Pour certains, l’expérience <a href="http://www.leparisien.fr/societe/psychiatrie-internee-et-attachee-de-force-elle-denonce-des-traitements-inhumains-06-04-2017-6829122.php">s’est avérée traumatisante</a>. D’autres – et parfois les mêmes – considèrent avec le recul que la contrainte leur a sauvé la vie. Globalement, les personnes anorexiques s’expriment peu sur le sujet, alors qu’elles nous semblent avoir beaucoup à dire.</p>
<h2>Le ressenti des patients, celui des proches et des soignants</h2>
<p>Connaître le ressenti des proches, également, sera capital pour une réflexion approfondie sur la contrainte car ce sont eux, bien souvent, qui sont amenés à demander l’hospitalisation sans consentement. Les équipes soignantes, enfin, se trouvent en première ligne car la décision finale d’imposer, ou non, des soins leur revient. Recueillir leurs expériences peut également éclairer les débats.</p>
<p>Aussi, nous souhaitons proposer aux patients, ex-patients, proches, et soignants, un espace de témoignage et de réflexion sur la problématique des soins contraints dans les TCA. Nous avons associé le média indépendant The Conversation à cette démarche relevant des sciences participatives. À cet effet, la rédaction a créé une adresse mail que chacun peut utiliser pour faire part de son expérience personnelle et de son point de vue. Les courriels reçus (qui ne feront pas l’objet d’une réponse individuelle) nous seront transmis par la rédaction, en respectant l’anonymat de leurs auteurs. Ils seront intégrés, sous forme d’extraits ou de synthèse, à la parution d’un second article que nous consacrerons à ce sujet sur The Conversation.</p>
<p>Les personnes souhaitant apporter leur contribution peuvent écrire à : temoignage.contrainte.TCA@gmail.com</p>
<h2>Alternance de conscience et de déni de la maladie</h2>
<p>Dans l’anorexie, la conscience de la gravité de la maladie alterne souvent avec son déni, conduisant un même patient à réclamer les soins autant qu’à s’y opposer. Les femmes concernées par les formes sévères et ou <a href="http://pepite.univ-lille2.fr/notice/view/UDSL2-workflow-1289">chroniques</a>, en particulier, sont ambivalentes par rapport aux soins, demandant de l’aide puis la refusant.</p>
<p>Ce contexte conduit souvent les proches à solliciter les équipes soignantes pour les aider à mettre en place une prise en charge. C’est ce qui s’est passé pour Magali (le prénom a été changé), ancien petit rat de l’opéra, âgée aujourd’hui de 48 ans. Son témoignage a été lu lors de la journée de rencontres publiques. « Ma maladie a duré 23 ans, raconte-t-elle. Mon poids a dégringolé jusqu’à 15 kg pour 1m61, j’étais entre la vie et la mort. J’avais quitté mon emploi, j’étais revenue habiter chez mes parents. Ils ont sollicité mon hospitalisation sous contrainte, pour la deuxième fois, et cette deuxième fois a été la dernière. Les ambulanciers m’ont attrapée dans la cuisine. J’ai été sauvée, cela fait maintenant 11 ans que je suis guérie ».</p>
<p>D’autres fois, la famille ne souhaite pas ou ne parvient pas à s’impliquer. Ainsi, nous avons connaissance du cas d’une femme de 40 ans, qui avait été admise pour dénutrition sévère mais refusait toute prise en charge. Elle a donc quitté l’établissement. Trois mois plus tard, la patiente s’est trouvée hospitalisée une seconde fois, dans un état physique plus grave encore. À nouveau, elle a refusé les traitements proposés, alors même que l’engagement de son pronostic vital lui avait été clairement signifié. Aucune démarche de son entourage qui aurait pu enclencher des soins « sans consentement » n’a été mise en œuvre. La patiente est de fait rentrée chez elle, conformément à sa volonté. Elle y décédera quelques semaines plus tard.</p>
<h2>Respect de la volonté individuelle ou non-assistance à personne en danger</h2>
<p>Cette issue dramatique a suscité, au sein de nos équipes, des questionnements douloureux. Dans le contexte particulier des TCA, en effet, la notion de respect de la volonté individuelle peut se heurter à celle de la non-assistance à personne en danger. La contrainte aurait-elle dû être utilisée, bien que les proches ne se soient pas manifestés ? En effet, la loi prévoit que la contrainte peut être prescrite en l’absence de demande d’un tiers <a href="http://www.psycom.org/Espace-Presse/Sante-mentale-de-A-a-Z/Soins-sans-consentement-controles-et-recours">s’il y a « péril imminent »</a>. Là encore, on peut s’interroger. Dans cette situation de péril imminent, est-il acceptable que la mesure de soins sous contrainte repose seulement sur l’avis des médecins et la décision du juge de la liberté et de la détention ?</p>
<p>La justice fixe un cadre, mais ne donne pas de réponse pour des patients dont l’histoire est chaque fois singulière. Ainsi, le droit pour le patient de donner son consentement à un traitement médical « revêt le caractère d’une liberté fondamentale », comme l’a rappelé le Conseil d’État <a href="http://www.rajf.org/spip.php?article1192">dans une décision rendue en 2002</a>. Toutefois, les médecins n’y portent pas atteinte si, « après avoir tout mis en œuvre pour convaincre un patient d’accepter les soins indispensables, ils accomplissent, dans le but de tenter de le sauver, un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état », indique la même institution.</p>
<p>Dans <a href="http://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis087.pdf">son avis de 2005</a> sur le refus de traitement et l’autonomie de la personne, le Comité consultatif national d’éthique a relevé que le « refus de nourriture » doit s’apprécier au regard de la capacité de jugement de la personne concernée. De son côté, la Haute Autorité de Santé (HAS) a rappelé dans <a href="http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_985715/fr/anorexie-mentale-prise-en-charge">ses recommandations sur l’anorexie élaborées en 2010</a>, que les soins contraints sont réservés à des situations où la gravité physique ou psychique impose des soins immédiats.</p>
<p>La loi de 2011, revue en 2015, est venue définir les modalités de la contrainte aux soins en psychiatrie, mettant en place une nouvelle disposition, celle de la contrainte <a href="http://www.psycom.org/Droits-en-psychiatrie/Connaitre-ses-droits/Droits-des-usagers-soignes-sans-leur-consentement#mdssc">dans le cadre d’un programme de soins ambulatoires</a>. Il s’agit d’une option qui permet de réaliser des soins sous contrainte sans que le patient soit hospitalisé à temps plein. Dans la pratique, cela permet son retour au domicile.</p>
<h2>Entre négligence et acharnement thérapeutique</h2>
<p>Dans le quotidien de nos services, nous tentons de tracer un chemin entre deux écueils : la négligence, si nous respectons le souhait du patient de ne pas s’alimenter ; et l’acharnement thérapeutique, si nous choisissons d’agir contre son gré. Il faut prendre le temps d’interroger les proches, les amis, d’analyser le contexte de vie, de prendre en compte la temporalité de la maladie dans le parcours du patient. Enfin, si celui-ci a désigné une personne de confiance, comme <a href="http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/la_personne_de_confiance.pdf">prévu par le législateur</a>, son avis sera sollicité.</p>
<p>S’il doit y avoir contrainte, il faut que celle-ci s’appuie sur une réflexion éthique raisonnable. En Europe, l’éthique médicale a beaucoup évolué ces vingt dernières années. L’épidémie de sida, notamment, a remis le patient au centre de la décision. Le respect de son autonomie s’impose et n’est plus discuté. Ce contexte devrait permettre d’aborder plus sereinement les situations où la maladie psychiatrique exerce son emprise sur l’individu et le prive, temporairement, de son autodétermination.</p>
<p>Quand la contrainte est retenue comme option thérapeutique, notre objectif en tant qu’équipe médicale n’est pas seulement que la personne reprenne du poids, mais qu’elle puisse progressivement élaborer un consentement aux soins et poursuive son traitement librement. Nous tentons de l’amener à prendre conscience de ses troubles et de leurs conséquences, et de la possibilité de résilier ceux-ci – autrement dit, d’une rémission. Nous essayons de construire avec elle une « alliance thérapeutique » à chaque étape des soins.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/71893/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Claude Melchior a reçu des indemnisations pour inscription à des congrès du prestataire de soins à domicile LVL Medical Paris et Nord.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Damien Ringuenet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Certains troubles du comportement alimentaire peuvent être sévères, au point de mettre en danger la vie des personnes touchées. Peut-on utiliser la contrainte pour obliger un patient à s’alimenter ?Jean-Claude Melchior, professeur de médecine, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Damien Ringuenet, Psychiatre, responsable de l'Unité spécialisée des troubles des conduites alimentaires à l'hôpital Paul Brousse, AP-HPLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/702252017-04-24T21:14:22Z2017-04-24T21:14:22ZEvolution (ou révolution) dans la santé mentale : le pouvoir aux usagers<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/165280/original/image-20170413-25859-1i4tho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Mad Pride, à Paris. La quatrième édition de ce défilé des personnes touchées par des troubles psychiques aura lieu le 10 juin.</span> <span class="attribution"><span class="source">Juliette48</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La psychiatrie évolue, son vocabulaire en atteste. Le patient est désormais considéré comme un « usager » des services de santé mentale. Un brin consumériste, cette reconnaissance de l’usager est une petite victoire pour des associations militantes qui, les premières, ont utilisé ce terme.</p>
<p>Aussi lorsque la ministre de la Santé, Marisol Touraine, crée le <a href="http://social-sante.gouv.fr/ministere/acteurs/partenaires/article/conseil-national-de-sante-mentale">Conseil national de la santé mentale</a> et envoie au sociologue Alain Ehrenberg, son président, <a href="http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/lettre_de_mission_cnsm_pr_ehrenberg.pdf">sa lettre de mission</a>, elle désigne sous le nom « d’usagers » les personnes vivant avec des troubles psychiques. Et leur réserve une place dans cette nouvelle instance se revendiquant de la démocratie participative.</p>
<p>Le rapport que la société entretient avec la souffrance psychique a changé. En même temps que les patients de la psychiatrie ont été institutionnalisés comme des « usagers », on a assisté à leur « empowerment ». Ce mot difficile à traduire de l’anglais comprend à la fois l’autonomisation, le pouvoir d’agir et l’émancipation. Il désigne la capacité pour les personnes vivant avec un trouble psychique (dépression, trouble bipolaire, troubles du comportement alimentaire, schizophrénie…) de sortir d’un état de « passivité-captivité » qui caractérise leur statut de longue date, depuis le milieu du XVII<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Refuser l’enfermement, la contention</h2>
<p>L’enjeu est de taille : il s’agit pour les patients de valoriser leurs compétences et de faire valoir leurs droits alors même que l’institution psychiatrique s’est constituée autour d’un « pouvoir-savoir » qui les néglige. Sortir du silence, refuser l’enfermement, la <a href="http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2751206/fr/limiter-les-mesures-d-isolement-et-de-contention-en-service-psychiatrique">contention</a> et la camisole chimique ainsi que dénoncer les attitudes discriminantes et stigmatisantes, voilà les promesses portées par ce mouvement d’empowerment.</p>
<p>Il est en cours de réalisation. Depuis quelques années, des usagers prennent la parole dans le paysage institutionnel et médiatique. Initialement portées par les associations d’usagers, ces prises de parole se sont amplifiées et émancipées grâce au développement d’Internet et des réseaux sociaux. Ces derniers ont permis la multiplication des témoignages et récits de vie qui proviennent souvent <a href="https://blogschizo.wordpress.com/">d’usagers « survivants » de la psychiatrie</a>, pour reprendre un mot très utilisé en Amérique du Nord.</p>
<p>La parole se développe aussi, toujours sur Internet, dans le cadre de « communautés de patients » constituées d’individus réunis autour d’une même cause <a href="http://www.agorafolk.fr/">relative à une maladie le plus souvent chronique</a>. Adossées à des associations de patients, parfois relayées par des sites web à but lucratif, ces communautés partagent les mêmes missions : information sur les maladies et leurs traitements, échanges d’expériences, entraide et témoignages. La propagation des opinions qu’elles défendent sur Internet leur permet petit à petit de trouver une place singulière dans les débats. Le début de la reconnaissance du savoir des malades est bien là.</p>
<h2>La production d’une parole critique</h2>
<p>L’usager produit désormais lui-même du discours, ce qui amène le pouvoir politique à prendre en compte son point de vue. Par exemple, c’est la mobilisation des associations d’usagers, et particulièrement du <a href="https://psychiatrie.crpa.asso.fr/">Cercle de réflexion et de proposition sur la psychiatrie (CRPA)</a>, qui, par la production d’une parole critique et le recours au moyen juridique de la question prioritaire de constitutionnalité, a entraîné la révision de la loi de 1991 sur les hospitalisations psychiatriques.</p>
<p>Il émerge en France un mouvement qui compte bien faire valoir la parole des usagers en santé mentale : la <a href="https://lamadpride.fr/">Mad Pride</a>. Ce défilé de rue à caractère festif et revendicatif tiendra sa 4<sup>e</sup> édition le 10 juin à Paris. Il est loin de faire consensus parmi les usagers. Mais il permet à ceux qui y participent aux côtés de leurs proches et de militants associatifs d’affirmer leur droit d’aller et venir, et de recouvrer la liberté d’expression.</p>
<h2>La réhabilitation de la folie</h2>
<p>Alors qu’ils étaient jadis enfermés dans les asiles et qu’ils ne sont toujours pas aujourd’hui suffisamment intégrés au sein de la société, les usagers des services de psychiatrie tiennent dans la rue mais aussi dans les médias des discours ayant trait à la réhabilitation de la folie et à la dénonciation du « pouvoir-savoir » psychiatrique.</p>
<p>La multiplication des discours des usagers intéresse notamment le Psycom, organisme public d’information, de formation et de lutte contre la stigmatisation en santé mentale, qui assure une veille sur ce sujet. Ainsi, le Psycom relaye depuis 2013 à travers sa newsletter des témoignages d’usagers et de leurs proches diffusés sur Internet. Plus de 500 ont été recensés en trois ans. Par ailleurs, une centaine d’ouvrages relevant là aussi du témoignage sont listés <a href="http://www.psycom.org/Comment-agir/Mediatheque">dans sa médiathèque en ligne</a>. Le recueil de la parole émergente des usagers tel qu’opéré par le Psycom atteste de l’importance du phénomène.</p>
<h2>Une question de pouvoir</h2>
<p>L’empowerment a vocation à modifier les relations de pouvoir au sein desquelles évoluent les personnes vivant avec un trouble psychique. Il se manifeste à l’échelle de l’individu, mais aussi de manière collective. Cette dernière dimension est essentielle dans la mesure où elle positionne la question de la souffrance psychique sur le plan politique et social.</p>
<p>L’usager, placé sous le regard de l’opinion, s’attache à modifier les représentations négatives dont il est l’objet. Il fait également face à l’État en dénonçant les injustices subies et en revendiquant l’inclusion sociale qui repose sur le principe de l’adaptation de la société aux personnes en difficulté psychique. Un tel empowerment, alliant l’individuel et le collectif, peut être qualifié de « radical » car il poursuit l’objectif d’une émancipation sociale et politique d’une population marginalisée et exclue.</p>
<h2>Entre optimisme et scepticisme</h2>
<p>L’empowerment concerne tous les patients, y compris ceux affectés par des maladies physiques. Bien que né d’initiatives de terrain, il voit son développement encouragé dans différents pays par les politiques publiques de santé. Ainsi l’Organisation mondiale de la santé (OMS) soutient l’empowerment depuis 1978 en l’associant à la promotion de la santé de manière générale. L’implication de certaines autorités sanitaires satisfait les défenseurs de la démarche… mais alimente aussi les critiques.</p>
<p>Des voix s’élèvent, considérant que l’empowerment s’est institutionnalisé, le vidant de son objectif premier d’émancipation. Les rangs des chercheurs et des militants associatifs comptent aussi des sceptiques pour lesquels l’empowerment ne serait qu’une tentative cachée de <a href="https://humapsy.wordpress.com/2016/12/01/les-pieges-de-lempowerment/">soumettre les malades à des valeurs néolibérales d’autonomisation et de responsabilisation</a>.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, la situation de la France illustre parfaitement ce passage du terrain à l’institutionnel. L’empowerment des patients s’y concrétise dans les années 1990, sous l’impulsion notamment de personnes atteintes du VIH-sida. Leur pouvoir d’agir devient statutaire avec la loi de 2002 relative aux droits des malades. Il est ensuite renforcé par la loi de 2005 reconnaissant le handicap psychique et créant les Groupes d’entraide mutuelle (GEM), où les usagers se retrouvent entre eux. Enfin, en 2010, la loi Hôpital, patient, santé, territoires (HPST) donne un cadre législatif à l’éducation thérapeutique des patients, en promouvant l’élaboration de programmes si possible développés en coopération avec eux.</p>
<h2>Des usagers cantonnés à une posture de patient</h2>
<p>Même si l’empowerment reçoit le soutien des pouvoirs publics, il demeure très difficile, pour un grand nombre d’usagers des services de santé mentale, de s’engager dans une telle démarche. Le frein principal tient au cantonnement à une posture de « patient » qui charrie avec elle le discrédit de sa parole et de ses opinions personnelles par les professionnels de santé, selon l’<a href="http://www.mheducation.co.uk/9780335262762-emea-a-sociology-of-mental-health-and-illness">ouvrage (non traduit) des sociologues britanniques Anne Rogers et David Pilgrim</a>. La relation soignant-soigné demeure essentiellement descendante, loin d’une démarche partenariale ou de la reconnaissance du savoir expérientiel (c’est à dire issu de l’expérience du patient), ce qui prive l’usager de ses capacités.</p>
<p>Selon ces mêmes auteurs, trois figures d’usager réussissent cependant à acquérir un certain pouvoir d’agir. Premièrement, « l’usager-consommateur » des services de santé mentale. Il connaît un début d’empowerment lorsque son choix et sa satisfaction deviennent une priorité pour le système de soins. Deuxièmement, « l’usager-survivant ». Ce dernier développe un discours et une action critiques à l’égard du « pouvoir-savoir » psychiatrique, ce qui valide l’effectivité de son empowerment.</p>
<p>Enfin, « l’usager-provider ». Il exerce son pouvoir d’agir lorsqu’il devient leader dans l’analyse du système de soins ou sa transformation. En Grande-Bretagne, la posture de cet « usager-provider » s’applique aux usagers qui intègrent des équipes de recherche pour produire des recherches académiques. En France, elle est une posture si récente qu’elle en est difficilement traduisible… Cette figure est cependant incarnée par le médiateur de santé pair, ou pair aidant. Ex-patient aujourd’hui rétabli, ayant suivi une formation, le <a href="http://www.ccomssantementalelillefrance.org/?q=programme-%C2%AB%C2%A0m%C3%A9diateur-de-sant%C3%A9pairs%C2%A0%C2%BB">médiateur de santé pair</a> œuvre au sein même de l’institution psychiatrique pour des relations apaisées entre soignants et soignés.</p>
<p>Au moment où l’empowerment se réalise dans le champ de la santé mentale, il est difficile de prévoir la manière dont l’opinion publique va se positionner et l’attitude que va adopter le corps médical. Le jaillissement du « dire » et de « l’agir » de l’usager peut en effet mettre fin à certains mécanismes ancestraux du « pouvoir-savoir » psychiatrique. Face à ce mouvement d’émancipation, les rapports vont nécessairement se reconfigurer. De quelle manière ? La question est aujourd’hui pleinement ouverte.</p>
<hr>
<p><em>L’article paru dans la revue <a href="http://www.santementale.fr/"><em>Santé mentale</em></a> en novembre 2016, « L’empowerment : un défi politico-médiatique », de Virginia Gratien et Aude Caria, propose une analyse plus pointue sur le même sujet.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/70225/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginia Gratien ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les personnes touchées par des maladies psychiques comme le trouble bipolaire ou la dépression prennent en main leur destin de patient. Un phénomène « d’empowerment » de plus en plus flagrant.Virginia Gratien, Doctorante en sciences de l'information et de la communication, Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/736192017-02-26T22:22:27Z2017-02-26T22:22:27ZPour une recherche et une médecine sexuellement différenciées : des faits biologiques irréfutables<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/158357/original/image-20170224-23004-1e5zyfi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C365%2C945%2C708&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Femmes et hommes.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmurawski/499278540">Jennifer Murawski/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Sous prétexte de parité, on a trop longtemps évité en France de reconnaître les différences biologiques liées au sexe (DLS), entre les hommes et les femmes, au nom de l’égalité mais au mépris des évidences scientifiques. Or certaines stratégies thérapeutiques ou préventives efficaces pour les individus d’un sexe <a href="http://www.slate.fr/story/91987/sexe-maladies">ne sont pas adaptées à l’autre sexe</a>. Ainsi, depuis des années, les essais cliniques incluent, de façon générale, beaucoup moins de femmes que d’hommes, et les femmes font près de deux fois plus d’accidents secondaires liés aux médicaments que les hommes.</p>
<p>Le coût humain et financier de cette ignorance, voire de cet aveuglement, est exorbitant ; il serait pourtant évitable à condition que les scientifiques et les médecins en prennent conscience pour alerter et agir en réparant enfin cette grave injustice médicale. Il est temps de rattraper plus de 10 ans de retard par rapport à nos voisins européens et de mettre en place une médecine différenciée dans l’intérêt même de la santé des femmes… et des hommes.</p>
<h2>Des différences sexuelles sous-estimées</h2>
<p>Dès 1905, Nettie Stevens, une chercheuse américaine, avait découvert le rôle du chromosome Y dans la détermination sexuelle. Sur un petit coléoptère du genre Tenebrio, elle avait repéré chez les mâles des cellules reproductrices avec deux chromosomes, soit un X, soit un Y, et chez celles des femelles un seul X ; elle en avait logiquement conclu que le sexe de la progéniture dépendait exclusivement des chromosomes paternels…</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/158356/original/image-20170224-23007-yb0tt9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/158356/original/image-20170224-23007-yb0tt9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/158356/original/image-20170224-23007-yb0tt9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/158356/original/image-20170224-23007-yb0tt9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/158356/original/image-20170224-23007-yb0tt9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/158356/original/image-20170224-23007-yb0tt9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/158356/original/image-20170224-23007-yb0tt9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Chromosomes sexuels.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une découverte longtemps considérée comme iconoclaste au nom d’une croyance, encore tenace, qui fit répudier tant de femmes, jugées « incapables » de donner naissance à un fils… Mais que plus personne ne conteste aujourd’hui… Où l’on se pose une autre question : avant même que le blastocyste (une centaine de cellules) ne s’implante dans l’utérus de la mère, pourquoi le petit embryon mâle, avec sa croissance accélérée, se distingue-t-il déjà d’un petit embryon femelle ? Pourquoi, alors que les hormones sexuelles n’ont pas encore fait leur apparition ?</p>
<p>Parce que toutes les cellules de l’embryon ont un sexe : XX pour les filles, XY pour les garçons, ce qui veut dire que la différenciation sexuelle apparaît dès la conception, dès la première cellule, indifféremment du genre, bien avant la différenciation des gonades qui conditionne l’apparition des hormones, 7 à 8 semaines plus tard, au cours de fenêtres développementales, génétiques et hormonales, aboutissant à des différences anatomiques dans tout notre corps, au niveau du cœur, des vaisseaux sanguins, du cerveau, mais aussi du système immunitaire ou digestif…</p>
<h2>La preuve par la génétique</h2>
<p>Notre vision de la différenciation sexuelle est aujourd’hui en pleine mutation à la faveur des avancées scientifiques. Notre génome (23 000 gènes) est réparti sur 46 chromosomes soit 23 paires de chromosomes, dont une paire de chromosomes sexuels (XX pour une fille ou XY pour un garçon). Le chromosome Y est présent uniquement chez l’homme.</p>
<p>Or, le sexe biologique a trop longtemps été nié dans notre pays au profit de la primauté du genre, au nom de l’égalité des sexes alors que, rappelons le, si la ressemblance, en termes de séquence d’ADN, entre deux hommes ou deux femmes est de 99,9 %, la ressemblance entre un homme et une femme n’est que de 98,5 %, du même ordre de grandeur qu’entre un humain et un chimpanzé, de même sexe…</p>
<p>Le séquençage du génome humain a pu répertorier une petite centaine de gènes sur le chromosome Y qui s’expriment uniquement dans les cellules d’un mâle. Quant au chromosome X il contient environ 1 500 gènes. On a longtemps cru que l’un des 2 chromosomes X était complètement inactivé au hasard dans toutes les cellules d’une femme, mais en fait environ 15 % échappent à cette inactivation et sont donc plus exprimés dans des cellules XX que dans des cellules XY.</p>
<p>Ainsi les facteurs génétiques qui rendent compte des différences entre mâles et femelles sont précisément d’une part les gènes du chromosome Y qui s’expriment uniquement dans les cellules d’un mâle, et d’autre part les gènes de l’X qui échappent à l’inactivation de l’X et qui sont donc plus exprimés chez une femelle que chez un mâle.</p>
<p>En outre, il existe une grande homologie entre certains de ces gènes de l’X et ceux portés par le chromosome Y. Une trentaine de gènes sont impliqués dans la régulation de l’expression des gènes portés par les autres chromosomes et des protéines et ont un <a href="http://www.nature.com/nature/journal/v508/n7497/full/nature13206.html">gène homologue sur le chromosome X</a> (les paralogues).</p>
<p>En effet, certains gènes de l’X et de l’Y, codent des enzymes spécifiques de la machinerie épigénétique qui s’expriment dès la mise en route du génome pour venir marquer certains gènes de leur sceau mâle, ou femelle, avec des marques épigénétiques spécifiques. Ces marques mâle- ou femelle-spécifiques permettent l’activation (ou l’inhibition) sélective par les hormones mâles ou les hormones femelles.</p>
<p>Il est bien connu que l’ablation hormonale ne parvient pas toujours à éliminer complètement les différences entre mâles et femelles, ni inversement la supplémentation hormonale à les recréer. Ce qui démontre les rôles organisationnels et activationnels des facteurs génétiques de l’Y et de l’X, au même titre que les hormones. Sachant que le génome est stable et définitif et identique dans chacune de nos cellules, comment expliquer que nos 23 000 gènes ne s’expriment pas de la même façon dans le foie, le rein ou le cerveau et avec notamment des différences selon le sexe ?</p>
<p>Il en découle, sans pouvoir encore toujours l’expliquer que « les maladies aussi ont un sexe ». Ainsi, le retard mental, l’autisme, les tumeurs du cerveau et du pancréas, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques sont plus masculins, comme les conduites à risque, les addictions et la violence. En revanche, la maladie d’Alzheimer, l’anorexie et autres troubles alimentaires, la dépression, l’ostéoporose, les maladies auto-immunes (maladies thyroïdienne – Hashimoto, Basedow – sclérose en plaques, lupus, etc.) et certains cancers (thyroïde) touchent plus les femmes.</p>
<h2>Dès la conception, les dés sont jetés…</h2>
<p>N’en déplaise à Simone de Beauvoir, on naît femme, on ne le devient pas… Les différences sexuelles n’apparaissent donc pas uniquement avec l’arrivée des hormones sexuelles, après la 8<sup>e</sup> semaine de gestation, en attendant qu’à partir de la naissance, les influences culturelles façonnent, de concert avec les hormones, notre genre. De nouvelles données scientifiques, largement validées, dont certaines datent tout de même de quelques décennies, bouleversent le schéma égalitariste et étayent un nouvel ordre au niveau cellulaire, attribuant de fait un sexe à toutes nos cellules et ce depuis la conception.</p>
<p>Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que les DLS, avec une paire de chromosomes sexuels (XX ou XY), apparaissent dès la conception, dès la première cellule, positionnant ces différences à un stade bien <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/14559357">antérieur à la différenciation des gonades</a> qui conditionne l’apparition des hormones. Dès le stade blastocyste (100 cellules) avant le 6<sup>e</sup> jour, avant même l’implantation de l’embryon dans l’utérus, 30 % des gènes y compris des gènes portés par les autres chromosomes s’expriment déjà différentiellement. Le chromosome Y, le plus petit de tous, a rétréci au cours de l’évolution. Certains de ses gènes sont impliqués, entre autres, dans <a href="http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(11)%2061453-0/abstract">des affections cardiovasculaires</a>.</p>
<h2>Le social influence le biologique et réciproquement</h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/158354/original/image-20170224-22986-q695oy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/158354/original/image-20170224-22986-q695oy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/158354/original/image-20170224-22986-q695oy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/158354/original/image-20170224-22986-q695oy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/158354/original/image-20170224-22986-q695oy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/158354/original/image-20170224-22986-q695oy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/158354/original/image-20170224-22986-q695oy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Définitions sexe et genre.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il est donc primordial de faire la distinction entre le « genre » et « sexe ». Quand on parle de « sexe », on se réfère uniquement aux caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des femmes ; le « genre », lui, désigne les rôles, comportements et attributs différenciés déterminés culturellement par le fait que la société les considère comme appropriés au masculin ou au féminin. Sexe et genre s’influencent l’un l’autre, rendant délicate une séparation claire entre les deux notions dans la pratique et les deux termes sont, hélas, souvent confondus. Certains articles scientifiques évoquent même le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/8888412">« genre » de rongeurs</a> !
Si l’<a href="http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/04/18/les-differences-sexuelles-meritent-mieux-que-des-caricatures_4904436_1650684.html">égalité en droit suppose une parfaite similitude de fait</a>, toute différence apparaît alors comme une entorse au cadre égalitaire républicain.</p>
<h2>Dépasser une vision binaire du sexe</h2>
<p>S’il existe des différences statistiquement significatives (parfois modestes et spécifiques) entre hommes et femmes ce n’est pas dire pour autant que chaque homme ou chaque femme correspond à un « type » particulier. En fonction du caractère étudié, les courbes de distribution pour les femmes chevauchent plus ou moins les courbes de distribution pour les hommes. La masculinité et la féminité ne se réduisent pas à un modèle binaire.</p>
<p>Par exemple, il est bien établi que les hommes sont en moyenne plus grands que les femmes, mais cela n’est évidemment pas applicable à chaque homme et chaque femme en particulier. La sourde inquiétude que toute différence soit systématiquement en défaveur des femmes n’est pas justifiée non plus : les garçons sont plus touchés par le retard mental et sont plus agressifs que les filles en moyenne, par exemple. De nombreuses DLS, biologiques, comportementales ou psychologiques, sont en effet <a href="http://www.scilogs.fr/raisonetpsychologie/tour-de-passe-passe-statistique-faire-disparaitre-les-differences-hommes-femmes/">bien établies</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/158355/original/image-20170224-23000-7i1tl8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/158355/original/image-20170224-23000-7i1tl8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/158355/original/image-20170224-23000-7i1tl8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/158355/original/image-20170224-23000-7i1tl8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/158355/original/image-20170224-23000-7i1tl8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/158355/original/image-20170224-23000-7i1tl8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/158355/original/image-20170224-23000-7i1tl8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tailles des hommes et des femmes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">CDC (USA)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="http://www.pnas.org/content/111/2/823.full">Des DLS existent donc dans toutes nos cellules</a> et dépassent largement celles uniquement liées à la reproduction, aux gonades et aux hormones – cela se manifeste plus tard par des différences biologiques plus générales (comme la taille ou la forme du visage) et des différences psychologiques, dépendant à la fois de la « culture » et de la « nature ».</p>
<p>Pour rechercher les différences et les mécanismes en jeu aptes à faire progresser les connaissances et la médecine, il faut en finir avec notre vision obsolète du sexe et admettre enfin que ce n’est pas en occultant les différences que l’on supprimera les discriminations, bien au contraire. Mieux vaut essayer de comprendre comment évolue dans la réciprocité le binôme sexe/genre. Ce sera l’objet de l’article qui paraîtra demain.</p>
<hr>
<p><em>Peggy Sastre, auteure de « Le sexe des maladies » (Éditions Favre 2014), et de « La domination masculine n’existe pas » (Éditions Anne Carrière 2015), nous a apporté une large contribution pour la réalisation de cet article et nous l’en remercions chaleureusement.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/73619/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En recherche fondamentale comme en médecine, les différences sexuelles sont souvent sous-estimées au prétexte de l’égalité homme-femme. Au prix de la santé des deux sexes.Claudine Junien, Professeur des Universités Université Versailles Saint Quentin, chercheuse épigénétique à l'INRA, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Nicolas Gauvrit, Chercheur au Laboratoire CHart (EPHE/Université Paris-Saint-Denis), Maître de conférences en mathématiques à l'ESPE Lille-Nord-de-France, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/685212016-11-17T01:13:54Z2016-11-17T01:13:54ZPerdre l’odorat, un handicap négligé mais non négligeable<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/146104/original/image-20161115-31123-bpgop8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C73%2C2592%2C1672&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une rose sans odeur serait-elle toujours aussi attirante ? </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/ocherdraco/4666274846/in/photolist-87kSWA-8UMREX-wpvia-muDBFv-6Q61cK-4AB2G6-cv45N1-2VWHcA-4voyGm-7XBhHr-668eC-kqX3V-6zazqB-B1iDj-82HF93-5yarhX-498Fs5-39zUoS-4EAv8G-JDTGJX-6eRBU3-aqffK4-7TXQ9S-rCUvW-5qZ3nT-5AEhLG-dm2hAK-Hevs1-4cSr1-bG778K-9TRjqT-7xN1Wv-4k6CKu-7EyXPg-9R8Yt-fE6EqZ-euMwVJ-cv45dG-9EBf7Y-bVgxR-76B5b6-e7a7Kb-8kfWoX-6kqYe-ynCs-8ec9bB-fFS67-8nQ7e3-e7pn9G-podgCc">Margaret Maloney/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Vous vous souvenez sans doute de Louis de Funès dans son film culte <a href="http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19463605&cfilm=47573.html"><em>L’Aile ou la cuisse</em></a>, en 1976. Il incarnait un éminent critique gastronomique dans l’incapacité d’exercer son métier après avoir perdu aussi bien le goût que l’odorat. Maintenant, tentez de vous imaginer incapable de détecter l’odeur du brûlé ou celle d’une fuite de gaz, incapable de sentir votre propre odeur et celle de votre petit(e) ami(e) ? Vous voilà inquiet. Ou alors déboussolé. Vous êtes, en fait, dans la peau d’une personne touchée par l’anosmie, c’est-à-dire dépourvue d’odorat, un handicap invisible et méconnu.</p>
<p>L’anosmie peut se manifester dès la naissance, ou bien survenir à l’occasion d’une autre pathologie. Elle se définit comme une déficience sensorielle entraînant la perte totale de l’odorat – une perte partielle de ce sens étant qualifiée d’hyposmie. La perte de l’odorat peut paraître anodine, comparée par exemple à la perte de la vue ou de l’ouïe. Il n’en est rien. L’absence de capacités olfactives complique les relations aux autres et pousse à l’isolement, entraînant souvent une désocialisation. Comment s’engager dans une relation avec quelqu’un que l’on ne peut pas « sentir », au sens premier du terme ? En fait, l’anosmie affecte profondément la vie quotidienne des personnes atteintes, au point que certaines ne sortent plus de chez elles. La maladie accroît le niveau de stress, augmente le sentiment de vulnérabilité physique et d’anxiété sociale.</p>
<p>On peut estimer la proportion de personnes touchées par l’anosmie ou l’hyposmie en France à 5 % de la population, en se référant aux <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25201900">données publiées en 2014 pour la Grande-Bretagne</a>. Parmi celles-ci, 57 % souffrent d’isolement et 54 % éprouvent des difficultés relationnelles. Plus sérieux encore, on compte 43 % d’anosmiques dépressifs, 45 % de fortement anxieux et 92 % qui présentent des troubles alimentaires, comme l’anorexie mentale. Et pourtant, en dépit de ces effets induits importants, la maladie demeure aujourd’hui largement ignorée.</p>
<h2>Plus fréquent avec l’âge</h2>
<p>Ainsi, il n’existe pour l’instant ni diagnostic fiable ni traitement pertinent. Et un petit nombre de médecins ORL seulement s’intéressent à cette pathologie. Les anosmiques se sentent à juste titre abandonnés car leur handicap n’est pas reconnu comme tel, alors qu’il provoque une forte détérioration de leur qualité de vie. Or l’anosmie pourrait devenir rapidement un problème important à l’échelle de la société, avec le vieillissement de la population. En effet, ce symptôme accompagne souvent les pathologies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer ou Parkinson. Plus fréquente à mesure qu’on avance en âge, l’anosmie ou l’hyposmie affectent 10 % des personnes jeunes et 40 % des personnes âgées <a href="http://link.springer.com/article/10.1007/s00405-015-3536-6">selon une étude publiée en 2015</a>.</p>
<p>Notre équipe à Grenoble École de Management s’intéresse à l’anosmie, et cela surprend souvent nos interlocuteurs. Il ne s’agit pas, pour nous, de lancer une action caritative, mais bien d’ouvrir un champ d’investigation nouveau dans notre discipline, la recherche en sciences de gestion. Selon nous, l’une des missions des écoles de management est de contribuer à l’amélioration de la société en formant les futurs acteurs socio-économiques pour qu’ils conçoivent et développent des activités et des organisations responsables. Créer un monde meilleur peut prendre plusieurs formes et se pencher sur le bien-être des personnes souffrant de maladies rares en est une.</p>
<p>Plus concrètement, notre objectif est de mettre à la portée des patients anosmiques des outils leur permettant de mieux vivre. Nous souhaitons réfléchir aux moyens de rendre disponibles des traitements ou des prothèses remplaçant l’odorat à des prix raisonnables, penser des modes d’actions collectives efficaces pour promouvoir la reconnaissance de ce handicap invisible. Autant de sujets relevant de la compétence de chercheurs en management qui, comme nous, s’attachent à donner corps à cet apparent paradoxe : rendre visible l’invisible.</p>
<h2>La première association de patients</h2>
<p>Avant d’être caractérisé, un phénomène doit d’abord être tangible et mesurable. Jusqu’à une période récente, il existait peu de données et il aura fallu attendre juillet 2015 pour voir se constituer la première association de patients atteints d’anosmie, l’<a href="http://www.afaa-sos-anosmie.com/">Association Française pour l’Anosmie et l’Agueusie (AFAA), ou SOS-Anosmie</a>. Association avec laquelle notre équipe échange désormais et dont nous avons rencontré les membres le 22 octobre, à Marseille, lors de leur dernière journée de « rencontres ».</p>
<p>Les nouvelles technologies connectées promettent la création d’un nez électronique universel. On peut donc imaginer qu’une prothèse pourrait être bientôt développée, autorisant de fait les médecins à diagnostiquer plus largement l’anosmie et la société, à mieux considérer et appréhender cette pathologie. L’innovation technologique est une condition au progrès social, cependant elle n’est pas suffisante. C’est aux futurs managers de s’en emparer pour la rendre accessible et utile pour les intéressés. Le défi consiste à satisfaire simultanément la juste rémunération de l’innovation et le besoin des anosmiques pour une assistance fiable et peu onéreuse. Le progrès technologique, d’accord. Mais pour quels usages ? Et sur la base de quels modèles économiques ?</p>
<p>Penser qu’une seule et même technologie remplaçant l’odorat conviendra pour tous est illusoire. Il est nécessaire de comprendre comment les anosmiques vivent la perte de ce sens – généralement associée avec celle du goût – pour apporter une réponse adaptée. Ainsi, les échanges que nous avons pu avoir avec des personnes touchées lors de la réunion de l’AFAA révèlent que la perte d’odorat n’est pas seulement un problème mécanique à résoudre. Restaurer ce sens ou le suppléer avec un capteur n’est pas forcément l’essentiel. Car humer, sentir est en fait un réflexe chargé d’affectif. Plus qu’une simple prothèse, l’anosmique recherche une interaction avec la machine qui puisse le guider dans une appréciation plus fine d’une odeur ou d’un goût. Il apprécierait, même, une certaine forme de dialogue. Le symbole d’un « smiley » souriant ou un « like » façon Facebook pourraient par exemple apparaître sur l’appareil électronique pour lui signifier qu’il sent bon, et donc qu’il peut sortir de chez lui.</p>
<h2>Un proche peut suppléer la perte d’odorat</h2>
<p>La plupart des personnes atteintes ont déjà trouvé, seules, des astuces pour identifier les odeurs environnantes – elles demandent par exemple à un proche de leur décrire ce qu’il sent. D’autres ont appris à se passer d’odorat en développant davantage leurs autres sens.</p>
<p>Ainsi, la démarche d’innovation, à laquelle participe le chercheur en management, confronte une technologie et un ensemble d’usages possibles, compte tenu des pratiques existantes ou anticipées. Avant toute théorisation, étudier l’anosmie et les anosmiques, c’est l’occasion de comprendre comment l’invisible – ici l’absence d’un sens et les diverses incompréhensions associées – peut être appréhendé pour définir ensuite des objets et des pratiques en adéquation avec les besoins. De rendre le problème enfin visible, pour mieux le résoudre. Si notre travail de recherche y contribue, alors ce que nous aurons expérimenté pourra être appliqué à d’autres maladies rares, avec le même objectif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/68521/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Colombero a reçu, sur des précédents sujets de recherche, des financements de l'Agence nationale de la recherche, du Danish Council for Independent Research, de la Fondation Mines ParisTech et de la Région Île-de-France.</span></em></p>La déficience sensorielle olfactive, appelée anosmie, touche aujourd’hui un nombre croissant de personnes. Des chercheurs en management s’emparent du sujet pour que leurs besoins soient satisfaits.Sylvain Colombero, Post-Doc - Lecturer, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/663442016-10-12T19:49:45Z2016-10-12T19:49:45ZLe phénomène « pro-ana ». Par-delà le mythe de l’apologie de la maigreur sur Internet<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/141391/original/image-20161012-8415-t9gxwq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C157%2C707%2C425&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Projet ANAMIA.</span> <span class="attribution"><span class="source">R. Clemente/ANAMIA</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Le parcours de la <a href="http://www.gouvernement.fr/action/la-loi-de-sante">Loi Santé</a> en 2015 a été marqué par de vives controverses, symptômes des difficultés actuelles de notre système de santé. S’y inscrivait la création d’un « délit d’incitation à la maigreur extrême », avec peines de prison et amendes pour les auteurs des sites web dits « pro-ana », accusés de faire l’apologie de l’anorexie et d’autres troubles des conduites alimentaires. Cette mesure a été retirée du texte adopté, après la mobilisation de professionnels de la santé, associations de patients et chercheurs. Parmi eux, les sociologues <a href="http://www.casilli.fr">Antonio Casilli</a> (Télécom ParisTech/EHESS) et <a href="https://databigandsmall.com/">Paola Tubaro</a> (CNRS), qui ont étudié ces communautés numériques à partir de 2010 dans le cadre du projet ANR <a href="http://www.anamia.fr/">ANAMIA</a>. Les résultats de leur étude restituent une image inattendue de ces communautés stigmatisées.</em></p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/141392/original/image-20161012-8411-rn949o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/141392/original/image-20161012-8411-rn949o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/141392/original/image-20161012-8411-rn949o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/141392/original/image-20161012-8411-rn949o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/141392/original/image-20161012-8411-rn949o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/141392/original/image-20161012-8411-rn949o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/141392/original/image-20161012-8411-rn949o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Presse des Mines</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Le texte qui suit est un extrait du premier chapitre de leur ouvrage <a href="http://www.pressesdesmines.com/le-phenomene-pro-ana.html"><em>Le phénomène « pro-ana » : troubles alimentaires et réseaux sociaux</em></a>, qui vient de paraître aux Presses des Mines.</em></p>
<p>Les contributeurs des sites web et forums que l’on appelle désormais « pro-ana » <em>[« pro-anorexie » dans le jargon d’Internet, NdR]</em> documentent leur quotidien marqué par la détresse et leur rapport problématique au corps et à la nourriture. Et, dans la mesure où ce malaise se manifeste au travers de textes, vidéos et images numériques, c’est aussi un rapport problématique aux usages technologiques qui est révélé par ces pages web.</p>
<p>Les troubles alimentaires mis en scène sur Internet sont indissociables d’un problème d’hygiène, pour ainsi dire, des contenus médiatiques. À la différence des articles de presse ou des débats télévisés de la même époque, qui compensaient les détails écœurants de ces histoires de vie en leur juxtaposant l’avis expert de médecins ou d’éducateurs, les figures d’autorités semblent être absentes de ces communautés en ligne.</p>
<p>Certains de ces sites, par ailleurs, iraient, selon les journalistes, jusqu’à affirmer que les troubles sont un choix plutôt qu’une maladie. Mais leur message est un véritable tissu d’incohérences et d’ambivalences.</p>
<p>Un autre article, paru à la même période dans le quotidien britannique <em>The Guardian</em>, révèle : « Leurs messages confus reflètent les contradictions de la maladie. Une page d’accueil commence, « L’anorexie est un mode de vie, pas une maladie », avant d’avertir que : « L’anorexie mentale est un trouble de l’alimentation grave, potentiellement mortel ». De nombreux sites disent des choses comme : </p>
<blockquote>
<p>« Si vous n’avez pas déjà un trouble alimentaire, partez maintenant. Si vous êtes dans un parcours de guérison, partez maintenant. L’anorexie est une maladie mortelle, et ne doit pas être prise à la légère » (Atkins 2002).</p>
</blockquote>
<p>La confusion est d’autant plus grande que les sites qui semblent glorifier l’anorexie sont devancés, dans le référencement des moteurs de recherche, par d’autres qui les ridiculisent et les condamnent. Saisir « pro-ana » dans Google peut réserver des surprises, comme l’explique une journaliste de <em>Libération</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Des contre-sites se sont montés. Sur Google US, le premier site indiqué pour une recherche “pro-anorexia” est un site de prévention et d’aide aux malades, Scared (Soutien, conseils et renseignements sur les troubles du comportement alimentaire), qui s’oppose aux “pro-ana” » (Pessel 2001).</p>
</blockquote>
<p>D’entrée, faire la part entre les contenus véritablement « pro-ana » et les « anti-pro-ana », ou encore les parodies, s’avère une tâche difficile. Reconnaître que les postures sont souvent variées, floues, et qu’elles évoluent dans le temps revient à démonter la narration journalistique. Et la presse, qui vient de découvrir ce nouveau sujet, n’est pas prête à y renoncer. Malgré l’ambiguïté des propos des jeunes auteurs de ces sites, donc, un autre journal britannique, The Times, n’hésite pas à contribuer à la création d’un climat d’effroi, en comparant les sites qui parlent d’« ana » à « ceux qui cautionnent le satanisme, la pédophilie ou d’autres activités illégales, telles que le terrorisme » (Kemp 2002).</p>
<p>Ces amalgames ne contribuent nullement à brider ce phénomène, bien au contraire. Alimentée par l’attention que lui ont porté les médias, affublée d’une étiquette de « mouvement pro-ana », la tendance a depuis connu une évolution soutenue, s’étendant du web anglophone à l’Amérique latine, pour arriver jusqu’en Europe et, en particulier, en France – où elle était restée quasiment inconnue jusqu’au milieu des années 2000.</p>
<p>L’utilisation quasi exclusive de l’anglais des débuts a été remplacée par l’usage actif d’une multiplicité de langues. Prenant initialement la forme d’un ensemble connecté de sites statiques, l’Internet des personnes « qui vivent avec ana et mia » s’est ensuite approprié les instruments du web social. Il s’est alors transformé en une constellation de blogs, profils de médias sociaux, et groupes dans les services de réseautage en ligne (Tumblr, Facebook, Pinterest, etc.). Si individuellement, ces pages sont souvent éphémères et très mobiles, leur présence d’ensemble, une fois établie, n’a plus diminué.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/141397/original/image-20161012-8405-i23jmc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/141397/original/image-20161012-8405-i23jmc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/141397/original/image-20161012-8405-i23jmc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/141397/original/image-20161012-8405-i23jmc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/141397/original/image-20161012-8405-i23jmc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/141397/original/image-20161012-8405-i23jmc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/141397/original/image-20161012-8405-i23jmc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Réseaux personnels de quatre participants de l’enquête ANAMIA sur les usages numériques des individus atteints de troubles alimentaires : haut gauche, troubles non spécifiés ; haute droite, anorexie mentale ; bas gauche, boulimie mentale ; bas droit, compulsions alimentaires.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Projet ANAMIA</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour autant, il est difficile de quantifier le phénomène. Le premier réflexe de tout analyste amateur d’Internet est de renseigner le mot-clé « pro-ana » dans un moteur de recherche et de s’adonner ensuite à un décompte sommaire sur ce corpus. Cette démarche restituerait, certes, des centaines de milliers de réponses, mais ces dernières seraient principalement des articles de presse, des pages de Wikipédia, des textes savants, des messages de mouvements et associations qui mettent en garde contre ces sites. En effet, à cause des règles de référencement des moteurs de recherche, toute requête d’un contenu « pro-ana » a de plus en plus de chances de restituer essentiellement une avalanche de sites anti–« pro-ana ». Jusqu’en 2006-2007, le service Google Trends montrait une hausse nette du nombre de recherches pour le terme « pro-ana », puis une baisse lente, pourtant accompagnée du foisonnement de termes de recherche alternatifs : « ana pro », « pro ana mia », etc.</p>
<p>Le fait est que, malgré l’accusation répandue de faire du prosélytisme en ligne, les utilisateurs d’Internet concernés par les troubles alimentaires n’ont aucun intérêt à s’offrir de la visibilité auprès du grand public. Remplis de confessions intimes, de récits douloureux, de conversations où souvent la fragilité des interlocuteurs fait surface, les sites qui portent sur « ana et mia » renouvellent sans cesse leurs stratégies de dissimulation. Ils utilisent parfois des expédients techniques pour contourner l’indexation des moteurs de recherche. Ils adoptent un jargon cryptique, sans parler évidemment de leur recours habituel à des pseudonymes ou à des connexions protégées par des mots de passe.</p>
<p>Pour ces sites, la visibilité augmente le risque de censure, une préoccupation importante surtout dans les pays où des mesures législatives répressives ont été proposées (et rejetées) – notamment la France en 2008 (Assemblée nationale, Proposition de loi de Mme Valérie Boyer visant à combattre l’incitation à l’anorexie, n. 781, déposée le 3 avril 2008 – rejetée) et en 2015 (article 5 quinquies A du Projet de loi de modernisation de notre système de santé, voté le 14 avril 2015 à l’Assemblée Nationale, rejeté par le Sénat et par la Commission Mixte paritaire) et l’Italie en 2014 (proposition de loi n. 2472, présentée au Parlement le 19 juin 2014, retirée en novembre 2015). Au Royaume-Uni, la question a été discutée au Parlement (EDM 659 Anorexia Web Sites, UK Parliament, 3 février 2009).</p>
<p>Ce qui complique les choses est que les créateurs de ces sites ne sont pas exactement des malveillants cherchant délibérément à nuire à des personnes fragiles – généralement, ils sont eux-mêmes concernés. Il s’agit principalement (mais non exclusivement) des femmes, en grande partie adolescentes et jeunes adultes (avec pourtant une présence non négligeable des plus âgées) qui vivent avec des troubles de l’alimentation.</p>
<p>[…]</p>
<p>Toute interdiction apparaît donc comme hautement problématique. D’autant plus que, comme des psychologues le signalaient en 2003 déjà, les sites « pro-ana » peuvent aider la compréhension du ressenti et du quotidien de personnes atteintes de TCA :</p>
<blockquote>
<p>« Les docteurs Patrick Davies et Zara Lipsey notent que “l’examen et la lecture de ces sites nous donnent un meilleur aperçu de l’état d’esprit et des pensées des personnes impliquées. […] Il est intéressant que les individus trouvent acceptable de publier leurs pensées les plus intimes sur le moyen le plus public jamais créé, lorsqu’ils n’arrivent pas à exprimer ces pensées en face-à-face. […] Lire ces textes sur Internet est peut-être notre seul moyen de regarder dans l’esprit d’un patient ayant une anorexie”. Les deux professionnels croient qu’en ciblant ces sites, il est possible de développer une meilleure relation avec les personnes souffrant de troubles de l’alimentation. “Les problèmes d’image de soi peuvent obstruer la relation thérapeutique, et une extension des services d’information médecin-patient sur Internet peut être une façon de joindre les patients concernés par l’anorexie mentale, qui auraient autrement rejeté les services de santé standard” ». (Doward & Reilly, 2003)</p>
</blockquote>
<p>Les politiques publiques de prévention, soutien, traitement et suivi pour les personnes touchées par les troubles de l’alimentation bénéficieraient alors d’une approche scientifique globale des activités liées aux communautés Internet consacrées à l’anorexie nerveuse et aux autres troubles alimentaires. Une telle approche permettrait d’évaluer les risques réels que ces activités comportent, mais aussi les facteurs protecteurs qui peuvent y être associés et le rôle préventif qu’elles pourraient jouer si appréhendées de manière experte par les professionnels de la santé.</p>
<p>En particulier, il est essentiel de mieux connaître les effets et l’importance de la communication médiatisée par les plateformes numériques sur la santé des personnes souffrant d’anorexie ou de boulimie, par rapport à leurs interactions sociales en face-à-face ; en outre, l’effet de la fréquentation des sites ana-mia doit être évalué par rapport à la gamme complète des activités en ligne des utilisateurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/66344/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antonio A. Casilli a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche dans le cadre du projet ANAMIA (ANR-09-ALIA-001). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Paola Tubaro a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche dans le cadre du projet ANAMIA (ANR-09-ALIA-001).</span></em></p>Antonio Casilli et Paola Tubaro ont étudié les communautés web des personnes atteintes de troubles alimentaires. Extrait de « Le phénomène “pro-ana" : Troubles alimentaires et réseaux sociaux »Antonio A. Casilli, Associate professor Télécom ParisTech, research fellow Centre Edgar Morin (EHESS)., Télécom Paris – Institut Mines-TélécomPaola Tubaro, Chargée de recherche au LRI, Laboratoire de Recherche Informatique du CNRS. Enseignante à l’ENS, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/645292016-09-02T04:38:47Z2016-09-02T04:38:47ZPsychopathologie du 2ᵉ cerveau ou les souffrances du moi-ventre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/136085/original/image-20160831-30804-hvj7oa.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Navel#/media/File:Ombelico.JPG">Stefano Bolognini/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Le succès durable et mondial du best-seller de Giulia Enders (<a href="http://www.actes-sud.fr/catalogue/e-book/le-charme-discret-de-lintestin-epub"><em>Le charme discret de l’intestin</em></a>) est un signe évident de la fascination universelle de l’homo sapiens moderne pour son tube digestif et ses turpitudes. Fascination, mais aussi préoccupation voire, pour certains, obsession. Il faut dire que les plus grands scientifiques contribuent aujourd’hui à cette passion planétaire, étudiant sous toutes ses facettes et dans tous ses diverticules le « deuxième cerveau ».</p>
<p>Beaucoup de chercheurs et de médecins y voient en effet une des causes de maladies parmi les plus fréquentes et les plus graves, de l’obésité à l’hypertension artérielle en passant par le diabète et différents cancers. De nombreux travaux portent également sur le rôle des perturbations de la flore intestinale (<a href="http://www.inserm.fr/thematiques/physiopathologie-metabolisme-nutrition/dossiers-d-information/microbiote-intestinal-et-sante">microbiote</a>) et du système digestif dans l’apparition de différents troubles psychiques comme la dépression, les addictions, la schizophrénie ou l’autisme. Même si beaucoup de choses restent encore à démontrer dans ce domaine, ces hypothèses sont intéressantes et déboucheront peut-être prochainement sur de nouvelles pistes pour la prévention ou le traitement de ces maladies.</p>
<h2>Connections intestinales</h2>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/136087/original/image-20160831-30786-1riajwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/136087/original/image-20160831-30786-1riajwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=626&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/136087/original/image-20160831-30786-1riajwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=626&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/136087/original/image-20160831-30786-1riajwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=626&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/136087/original/image-20160831-30786-1riajwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=787&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/136087/original/image-20160831-30786-1riajwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=787&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/136087/original/image-20160831-30786-1riajwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=787&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Schéma de l’intestin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Schema_intestin.png">William Crochot/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>A l’origine, deux réalités mises en lumière grâce aux techniques de recherche modernes : l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_nerveux_ent%C3%A9rique">intestin est un organe très fortement connecté au système nerveux</a>, et notamment à l’encéphale, et il intègre même des neurones et des neurotransmetteurs comme le vrai « premier cerveau » ; les parois du système digestif constituent une interface essentielle entre le dedans et le dehors, avec un rôle de filtre décisif contre différentes agressions pouvant perturber l’ensemble de l’organisme, dont à nouveau le cerveau. Il est aidé en cela par une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Microbiote_intestinal">flore intestinale</a> imposante, qui contient plus de bactéries que le corps comporte de cellules humaines, dont on sait maintenant qu’elle intervient grandement dans de nombreuses fonctions vitales du corps, système nerveux compris.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/136091/original/image-20160831-30780-1sqwgbe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/136091/original/image-20160831-30780-1sqwgbe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/136091/original/image-20160831-30780-1sqwgbe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/136091/original/image-20160831-30780-1sqwgbe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/136091/original/image-20160831-30780-1sqwgbe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/136091/original/image-20160831-30780-1sqwgbe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/136091/original/image-20160831-30780-1sqwgbe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Escherichia coli est l’une des bactéries qui composent la flore intestinale humaine.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Fecal_microbiota_transplant#/media/File:E_coli_at_10000x,_original.jpg">Eric Erbe/Wikipédia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces populations de bactéries très diverses sont souvent gravement perturbées par le mode de vie occidental moderne, du fait d’une alimentation déséquilibrée surtout, mais aussi de toxiques biologiques de l’environnement et peut-être du stress psychologique. Tous ces éléments peuvent expliquer que le système digestif et son contenu jouent un rôle important, notamment via des processus inflammatoires, dans l’apparition de maladies neurologiques et mentales.</p>
<h2>Moi-ventre</h2>
<p>Mais longtemps avant d’avoir eu accès à ces connaissances nouvelles et passionnantes, les médecins et les psychiatres connaissaient l’importance du ventre et des « tripes » dans les souffrances psychiques. On pourrait passer en revue, dans presque toutes les pathologies psychiatriques, les signes digestifs qui en sont plus ou moins caractéristiques. Nous nous contenterons ici d’insister sur les plus importantes et les plus insolites.</p>
<p>À l’instar du <a href="https://paradoxa1856.wordpress.com/2008/05/25/le-moi-peau-didier-anzieu/">moi-peau décrit par les psychanalystes (Anzieu)</a>, il existe un moi-ventre, reflet à la fois de notre identité et de notre vie émotionnelle. On peut se représenter le système digestif comme une gigantesque peau internalisée, qui partage d’ailleurs beaucoup de similarités embryonnaires avec le revêtement cutané (épithélium), mais avec une surface de contact beaucoup plus étendu et une fonctionnalité beaucoup plus riche et complexe. Pas étonnant alors que les intestins occupent encore plus, et plus douloureusement parfois, notre espace psychique que le derme, même s’ils sont (en général) moins visibles pour autrui.</p>
<h2>Sueur aux tripes</h2>
<p>Les premiers coupables potentiels dans les souffrances du ventre (ou « bidalgies » pour certains) sont les émotions. On pense bien sûr surtout à la peur et à ses divers avatars, anxiété, angoisses, phobies et terreurs diverses, celles qui prennent les tripes sous forme de douleur intense, sensation de torsion et répercussions diverses sur le transit intestinal. Il peut s’agir de signes très intenses et violents, lors d’une crise d’angoisse ou d’une attaque de panique, mais aussi de douleurs plus lancinantes et durables que l’on attribue souvent au stress ou à une anxiété chronique (les fameux troubles psychosomatiques).</p>
<p>Preuve que tout cela n’est pas que « dans la tête », le stress intense peut provoquer des ulcères de l’estomac, que l’on se fait fort de prévenir par exemple dans les services de réanimation en prescrivant des pansements gastriques aux malades hospitalisés sur des temps longs avec des soins invasifs. Le stress et l’anxiété jouent un rôle aussi important dans l’expression des très fréquentes colites spasmodiques (dites aussi colopathie fonctionnelle ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_de_l%27intestin_irritable">syndrome du « colon irritable »</a>), qui se manifestent par des douleurs abdominales répétées accompagnées de troubles du transit. Le mot irritable en dit long sur la symbolique émotionnelle et relationnelle attribuée à cet organe.</p>
<p>D’autres émotions s’expriment aussi par le ventre : le dégoût peut donner envie de vomir, la tristesse et la mélancolie peuvent engendrer de la constipation (c’est le cas souvent dans les véritables dépressions), et beaucoup d’émotions fortes coupent l’appétit. Les liens entre tube digestif et émotions, et plus globalement les styles de personnalité, sont tellement classiques qu’on parle couramment du tempérament constipé d’une personne, ce qui en général n’est pas un compliment. Plus rarement, certains états dépressifs se manifestent par des douleurs extrêmement fortes et réfractaires de la bouche et notamment de la langue (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Glossodynie">glossodynie</a>).</p>
<h2>Apopathodiaphulatophobie</h2>
<p>D’autres pathologies psychiques comportent un excès de préoccupation pour le système digestif. Beaucoup de formes d’hypocondrie, avec ou sans dépression, conduisent à une focalisation obsédante sur le bon fonctionnement de cet organe, et surtout du transit quotidien. La phobie de la constipation (<a href="https://fr.wiktionary.org/wiki/apopathodiaphulatophobie">apopathodiaphulatophobie</a>, incasable au Scrabble) est un grand classique de la médecine des personnes âgées, mais pas uniquement, et se traduit par une surveillance continue du nombre, de la quantité et de la qualité des selles, avec des demandes répétées de solutions thérapeutiques diverses en cas de besoin (ou justement non…).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/136097/original/image-20160831-30801-14puk3y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/136097/original/image-20160831-30801-14puk3y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/136097/original/image-20160831-30801-14puk3y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/136097/original/image-20160831-30801-14puk3y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/136097/original/image-20160831-30801-14puk3y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/136097/original/image-20160831-30801-14puk3y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/136097/original/image-20160831-30801-14puk3y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La constipation est un bon créneau.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/matthigh/2771216069">mlhradio/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En psychiatrie, nous connaissons le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_de_Cotard">syndrome de Cotard</a> qui est un signe de dépression très grave dans lequel les malades sont convaincus que leurs organes, et notamment leur système digestif, ne fonctionnent plus du tout, sont détruits, pourris, ont totalement disparu. Il faut alors intervenir très vite car ce symptôme témoigne d’une souffrance intense qui s’accompagne fréquemment de conduites suicidaires.</p>
<p>D’autres préoccupations maladives pour le tube digestif rentrent dans le cadre des troubles du comportement alimentaire, boulimie, mais surtout <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Anorexie">anorexie</a>. Les personnes qui en souffrent ont souvent la volonté quasi-délirante de faire disparaître leur ventre et son contenu, en maigrissant, mais aussi en abusant des produits laxatifs visant à « vider » les intestins et à supprimer tout risque de constipation même minime. L’anorexie mentale est une pathologie grave et complexe, qui repose notamment sur une perturbation de l’image du corps dans son ensemble et souvent du ventre de manière spécifique.</p>
<h2>Fixation sur le tour de taille</h2>
<p>À un degré moindre, beaucoup de personnes souffrent de « dysmorphophobies », c’est-à-dire de fixations obsédantes sur des défauts physiques souvent imaginaires et en tout cas très exagérés. Ces défauts peuvent les déranger pour elles-mêmes (et la notion de fragilité de l’identité est alors bien présente), et/ou pour l’image qu’elles donnent à voir aux autres. Car, même en dehors de l’exhibition du ventre sur une plage, le tour de taille est un élément important de la silhouette, visible par autrui dans presque toutes les circonstances.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/136102/original/image-20160831-30797-7zrw7k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/136102/original/image-20160831-30797-7zrw7k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/136102/original/image-20160831-30797-7zrw7k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/136102/original/image-20160831-30797-7zrw7k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/136102/original/image-20160831-30797-7zrw7k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/136102/original/image-20160831-30797-7zrw7k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/136102/original/image-20160831-30797-7zrw7k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">À la plage, certains craignent de montrer leurs rondeurs.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cannes_Plage.JPG">Florian Pépellin/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans ces préoccupations dysmorphophobiques abdominales (d’autres touchent le nez, le front ou le volume des muscles), la personne trouve son ventre trop gros ou trop gras, laid, avec de graves anomalies esthétiques liées à des cicatrices, vergetures ou autres bourrelets. Rien d’inquiétant si ça en reste à de simples plaintes passagères et minimes, conduisant juste à de légers régimes ou habitudes de camouflage ; mais des degrés élevés de souffrance et de retentissement peuvent être atteints, avec comme conséquences des restrictions alimentaires drastiques, des demandes de chirurgie correctrice abusive et un repli sur soi majeur se compliquant de dépression. Certaines évolutions sociétales et médiatiques peuvent amplifier ces obsessions et les angoisses qui en découlent, comme la mode des t-shirts découvrant le ventre ou celle des fameuses « tablettes de chocolat » qui font rêver tant d’adolescents.</p>
<h2>Bruits de ventre</h2>
<p>Mais le ventre ne fait pas que se voir, il peut parfois s’entendre ! Et, pour certains anxieux, cela peut également créer de nouvelles idées fixes : la peur de produire des bruits digestifs qui les feraient remarquer par les autres. C’est une forme de phobie sociale assez rare, mais que l’on peut rencontrer chez certains adolescents ou jeunes adultes qui sont hantés par ce risque d’attirer l’attention et les moqueries de leurs camarades en classe ou d’autres personnes dans les lieux publics et silencieux, avec la crainte de se faire remarquer ou tout simplement de déranger autrui. Cette peur est spécialement décrite au Japon et dans les pays asiatiques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/136104/original/image-20160831-30780-1oh8fsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/136104/original/image-20160831-30780-1oh8fsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/136104/original/image-20160831-30780-1oh8fsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/136104/original/image-20160831-30780-1oh8fsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/136104/original/image-20160831-30780-1oh8fsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=707&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/136104/original/image-20160831-30780-1oh8fsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=707&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/136104/original/image-20160831-30780-1oh8fsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=707&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Au Japon, des toilettes sophistiquées font de la musique pour cacher les bruits lors de la satisfaction des besoins.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Toilets_in_Japan#/media/File:Wireless_toilet_control_panel_w._open_lid.jpg">Chris 73/Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>S’y apparente un autre type de peur liée aux manifestations du système digestif, celle de dégager de mauvaises odeurs. Celles-ci peuvent être réelles ou imaginaires, et l’on parle alors de <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Olfactory_reference_syndrome">« syndrome de référence olfactive »</a> (conviction fausse de sentir mauvais) qui est une pathologie apparentée aux TOC, à la phobie sociale et parfois à certaines psychoses.</p>
<p>Ce rapide panorama des troubles psychiques issus des intestins et du ventre montre à quel point les préoccupations digestives peuvent être prégnantes dans notre imaginaire et dans notre intimité. Pas très étonnant, en plus des données biologiques évoquées précédemment, si on se souvient que nous ne serions pas sur terre sans bouche et sans estomac, et donc sans intestin. Et que, plus globalement, « l’homme est une intelligence contrariée par des organes » (Talleyrand).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/64529/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine PELISSOLO est l'auteur de « Retrouver l’espoir. Abécédaire de psychiatrie positive », éditions Odile Jacob, 2016.</span></em></p>Si l'intestin est notre deuxième cerveau, rien d'étonnant alors qu'il puisse nous faire souffrir lorsque nos émotions nous submergent ou que notre psyché souffre de maladies.Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie, Inserm, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.