tag:theconversation.com,2011:/global/topics/burkini-30611/articlesburkini – The Conversation2022-06-30T17:01:18Ztag:theconversation.com,2011:article/1849702022-06-30T17:01:18Z2022-06-30T17:01:18ZPiscine et nudité : le maillot de la discorde<p><em>Le sport et la politique entretiennent des liens ambigus. La pratique sportive et les compétitions peuvent être des lieux de lutte et d'émancipation mais aussi de contrôle social. Notre série d’été « Sport et politique : liaisons dangereuses ? » explore et décrypte la place qu’occupe aujourd’hui le sport dans nos sociétés.</em> </p>
<p><em>Après nous être penché sur les <a href="https://theconversation.com/dans-la-charte-olympique-de-la-politique-entre-les-lignes-164960">Jeux Olympiques</a>, sur le façonnement de la citoyenneté dans les <a href="https://theconversation.com/les-piscines-publiques-une-fabrique-a-citoyens-184960">piscines publiques</a>, sur la manière dont <a href="https://theconversation.com/le-sport-au-secours-de-la-politique-de-la-ville-183876">le sport est parfois utilisé directement par les politiques</a>, nous revenons dans ce quatrième épisode sur les débats à propos de la nudité dans les piscines.</em></p>
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<p>Depuis le premier mai 2022, la ville allemande de Göttingen autorise à titre d’essai les femmes à se baigner la <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/109181-004-A/allemagne-seins-nus-autorises-dans-les-piscines-de-goettingen/">poitrine nue dans les piscines municipales</a>. À quelques jours de cette décision, le 16 mai précisément, c’est au tour de la ville de Grenoble de légiférer à propos du costume de bain. Cette fois, c’est le port du burkini, un maillot de bain couvrant intégralement le corps, qui fait l’objet d’un <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/05/17/a-grenoble-le-burkini-est-autorise-dans-les-piscines-municipales-au-terme-d-un-long-debat-sur-la-laicite_6126409_3224.html">vote favorable</a>. L’histoire pourrait s’arrêter là. Mais les esprits s’échauffent.</p>
<p>En France, le vote du conseil municipal de Grenoble nourrit le débat politique sur la laïcité dans le <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/05/18/la-region-auvergne-rhone-alpes-peut-elle-couper-ses-subventions-a-grenoble-apres-l-autorisation-du-port-du-burkini_6126664_4355770.html">contexte des élections législatives de juin 2022</a>. Le tribunal administratif de Grenoble en suspend l’application, ce qui conduit la ville à porter l’affaire devant le Conseil d’État.</p>
<p>Ces deux exemples laissent entrevoir les enjeux de premier plan, relatifs <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-corps-feminin-xviiie-XIXe-si%C3%A8cle-le-travail-des-apparences-philippe-perrot/9782020126465">au contrôle social des apparences</a> et à la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/une-histoire-politique-du-pantalon-christine-bard/9782021004076">mise en scène du genre</a> notamment, qui se cachent derrière la plus ou moins grande nudité des corps dans l’espace public. Car c’est bien de nudité, féminine en l’occurrence, dont il est question ici. D’un côté, face à la pression des usagers, les pouvoirs publics autorisent son extension, de l’autre sa réduction.</p>
<p>Pour aller plus loin, ces choix divergents interrogent sur la place et le rôle conférés à la nudité dans nos sociétés, en <a href="https://www.cairn.info/revue-clio-femmes-genre-histoire-2019-1-page-326.htm">fonction du genre des individus</a> notamment. Comment expliquer la puissance transgressive de la nudité féminine encore de nos jours ? Enfin, quelle position les municipalités ont-elles adoptée au cours du temps pour faire face aux différentes formes de maillot, et donc de nudité, qui ont trouvé leur place dans les piscines publiques ?</p>
<h2>La nudité : une question de regard</h2>
<p>Comme on a pu s’en rendre compte, la nudité est avant tout une question de perception, de représentations qui se construisent au travers d’un cadre politique et socioculturel précis. Dans des sociétés de <a href="https://www.fayard.fr/pluriel/linvention-de-soi-9782818500897">plus en plus individualisées</a>, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/une_societe_fragmentee_-9782707127310">fragmentées</a>, cette donnée explique la diversité des positions défendues et les affrontements qui en résultent.</p>
<p>En 2004, la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/08/16/petite-histoire-du-burkini-des-origines-aux-polemiques_4983599_4355770.html">création du burkini</a> par la créatrice australienne Aheda Zanetti est venue ainsi répondre à la demande d’une partie de la communauté musulmane. L’objectif revendiqué était de permettre aux femmes musulmanes « actives » d’accéder à des espaces auxquels elles avaient renoncé en raison d’un dévoilement du corps jugé <a href="http://editionslesperegrines.fr/fr/books/les-dessous-du-maillot-de-bain">contraire aux valeurs islamiques</a>.</p>
<p>À Grenoble, s’affrontent ainsi dans les piscines nudité « religieuse », limitée aux visages et aux mains avec le burkini, et nudité « républicaine », séculaire. Face à la polémique, la réponse de la mairie est de faire valoir le respect de la liberté individuelle : burkini et seins nus doivent ainsi <a href="https://www.liberation.fr/politique/grenoble-du-burkini-aux-seins-nus-les-elus-donnent-leur-feu-vert-a-la-liberte-vestimentaire-a-la-piscine-20220516_7APGAXG5A5H27C634CMWKGZQ2A/">cohabiter dans les piscines communales</a>. Ce respect s’inscrit également dans la volonté d’œuvrer en faveur de l’égalité hommes femmes, en s’émancipant d’injonctions différenciées de genre.</p>
<h2>Naturaliser la nudité</h2>
<p>On déduit de cet exemple que c’est le regard qui, <em>in fine</em>, habille ou déshabille le corps, même s’il est déjà dépourvu de vêtement. Et, pour aller plus loin, c’est le regard qui « sexualise » ou non la nudité, cette sexualisation motivant l’injonction à la cacher plus ou moins.</p>
<p>Ce fait met en lumière le combat mené par les mouvements naturistes depuis le XIX<sup>e</sup> siècle pour « naturaliser » la <a href="https://bibliopac.ens-rennes.fr/bib/10311">nudité</a>, c’est-à-dire la normaliser dans un cadre collectif voire public, en l’émancipant des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-du-jeudi-21-avril-2022-7354127">considérations sexuelles</a>.</p>
<p>Ce raisonnement nous amène donc à un second constat : la nudité est plus qu’une perception, elle est aussi une sensation qui renvoie à la pudeur, un sentiment de soi se construisant dans la relation <a href="http://editionsducygne.com/editions-du-cygne-nudite.html">aux autres et à soi-même</a>. C’est ce qui fait dire à Francine Barthe Deloisy que la nudité est <a href="https://journals.openedition.org/cybergeo/937">« toujours en situation »</a>, en contexte. Se sentir nu est donc à la fois subjectif et social. Au vu de ses éléments, il est d’ailleurs plus juste de parler de nudité au pluriel qu’au singulier.</p>
<h2>Le pouvoir de la nudité</h2>
<p>La nudité est donc, avant tout, un construit culturel témoignant de l’évolution des sociétés. Comme le <a href="https://www.puf.com/content/Dictionnaire_du_corps">souligne Claire Margat</a>, c’est finalement le port du vêtement qui est naturel car, « quelle que soit la culture, un vêtement même minime se superpose au corps […] ». Et :</p>
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<p>« plus nos vêtements s’interposent entre nos corps nus et la bienséance qu’exige notre apparence sociale, plus la nudité fait scandale ».</p>
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<p>Hormis dans la sphère artistique, le fait qu’elle soit le plus souvent cachée au quotidien, en particulier du XIX<sup>e</sup> siècle <a href="https://www.fayard.fr/pluriel/histoire-de-la-pudeur-9782818501344">aux années 1960</a>, lui confère une forte puissance transgressive. Cette dernière s’apprécie également au regard d’un cadre juridique qui la sanctionne lourdement lorsqu’elle est en public en la qualifiant d’outrage à la pudeur, d’atteinte aux bonnes mœurs, ou, plus récemment, d’exhibition sexuelle. La nudité s’est ainsi constituée en attrape-regard, en attrape-rêves, plus encore en attrape-fantasmes.</p>
<p>Ce faisant, elle se prête non seulement aux polémiques mais aussi à des usages militants. C’est parce qu’elle suscite le scandale qu’elle peut être mise au service d’une cause et devenir le support d’un message politique interpellant les pouvoirs publics. Les <em>Femen</em> en ont fait ainsi le pilier de leurs actions « sextrémistes » visant notamment à dénoncer les <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/paris/stop-feminicide-femen-manifestent-colonnes-buren-au-palais-royal-1678077.html">violences faites aux femmes et les stéréotypes de genre</a>). Les manifestations écologistes jouent régulièrement de <a href="https://actu.fr/ile-de-france/paris_75056/des-cyclistes-nus-vont-rouler-dimanche-dans-les-rues-de-paris_36070507.html">cette corde</a>. On pensera encore à l’usage qu’en fait Corinne Masiero, lors de la 46<sup>e</sup> cérémonie des Césars, afin de dénoncer la situation dramatique que traverse le secteur culturel.</p>
<p>Rompant avec le sentiment de honte et donc de <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/pudeurs-feminines-jean-claude-bologne/9782020979900">fragilité</a>, la nudité devient le symbole et le moyen d’un <em>empowerment</em>. Les féministes y trouvent le biais pour rompre avec un corps féminin érotisé, assigné à la sexualité, au profit d’un corps avant tout politique qui prend en otage le <a href="https://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2014-2-page-213.htm">regard du public</a>.</p>
<p>Ces derniers éléments viennent éclairer les enjeux et usages de la nudité, notamment transgressifs, qui se déploient dans les piscines au travers du choix du costume de bain.</p>
<h2>La piscine, miroir de l’évolution des mœurs</h2>
<p>Du point de vue de la nudité, la piscine est un lieu à part. Elle autorise et rend naturel un dévoilement public des corps relevant habituellement du domaine privé ou de la médecine. Dès lors, en tant qu’espace organisant des formes diverses de nudités collectives, elle se présente comme un point d’observation privilégié pour saisir les évolutions d’une société, que celles-ci concernent les loisirs, la mode, le genre mais aussi la <a href="https://theconversation.com/les-piscines-publiques-une-fabrique-a-citoyens-184960">politique</a>. Cet intérêt ne fait que se renforcer avec le XIX<sup>e</sup> siècle et l’essor des bassins municipaux. Leur vocation hygiénique, héritière d’une longue tradition, est première. Pour autant, elle se voit progressivement concurrencée par une perspective sécuritaire, liée à l’apprentissage de la nage, puis sportive <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-naissance_et_diffusion_de_la_natation_sportive_thierry_terret-9782738427687-4854.html">à partir de 1898</a>.</p>
<p>Les bassins de natation succèdent aux bains publics. D’espaces le plus souvent aménagés dans un cours d’eau, on en vient à des structures fermées aux dimensions strictement définies (25m, 50m). Depuis les années 1960, les espaces aquatiques n’ont de cesse de diversifier et de se spécialiser. Les piscines deviennent des complexes aquatiques, disposant de multiples bassins (ludique, sportif, balnéo, etc.) mais aussi de « plages extérieures ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-piscines-publiques-une-fabrique-a-citoyens-184960">Les piscines publiques, une fabrique à citoyens</a>
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<p>Différents types d’usagers et d’usages se côtoient donc dans les piscines au fil du temps. Différents enjeux et pouvoirs s’y expriment, comme en témoignent les multiples réglementation dont elles font l’objet. Soumis à la norme sociale, les piscines sont non seulement régies par les lois de la République française, notamment <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/277621-loi-separatisme-respect-des-principes-de-la-republique-24-ao%C3%BBt-2021">celle du 24 août 2021</a>, le code du Sport, le code des collectivités territoriales, mais sont aussi soumises à des arrêtés préfectoraux et municipaux. Elles sont, par là même, des lieux où s’exerce de façon renforcée le contrôle social des apparences et où se manifeste, au travers des tenues autorisées, l’ordre social et moral. En conséquence de quoi ces espaces aquatiques sont aussi des lieux de contestation et de renégociation des normes, notamment celles relatives <a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/construction-identite-sexuee">aux identités sexuées</a>.</p>
<h2>Cacher ce corps que je ne saurai voir</h2>
<p>L’évolution du costume de bains féminins au sein des piscines, et les polémiques qui l’accompagnent, témoignent ainsi de l’émancipation progressive des femmes vis-à-vis de normes de genre différentialistes, structurant la hiérarchisation des sexes.</p>
<p>À un corps empêché et quasi intégralement dissimulé par un costume de bain aux multiples couches lors du XIX<sup>e</sup> siècle succède, principalement à partir de l’entre-deux-guerres, un corps « actif », caractérisé par un maillot dévoilant bras et jambes tout en épousant les formes afin de faciliter la nage. Ce maillot féminin se rapproche alors de la tenue des hommes, couvrant également la poitrine jusqu’aux aisselles. Pour autant, avec les années 1930, les maillots masculins sans haut et les maillots deux pièces féminins font irruption sur les plages.</p>
<p>Ces évolutions ne manquent pas de susciter la réprobation des représentants de l’Église catholique soutenus par les ligues de défense de la famille et de la moralité publique. À l’instar de <a href="https://www.fayard.fr/histoire/la-mise-au-pas-des-ecrivains-9782213666105">l’abbé Bethléem</a>, celles-ci font pression sur l’état et les municipalités afin d’en finir avec le « libertinage des costumes » (<em>Revue des lectures</em>, 15 avril 1934, p. 521-528) laissant apparaître toujours plus de chair.</p>
<p>Dans les communes « réactionnaires », comme à la Rochelle dans les années 1930, les agents municipaux veillent donc à ce que les maillots de bain remontent jusqu’aux aisselles. À Deauville, ils vérifient même qu’un peignoir est bien enfilé une fois sorti de l’eau. Comme le rapporte Audrey Millet, entre 1925 et 1935, près de 250 règlements sont promulgués pour <a href="http://editionslesperegrines.fr/fr/books/les-dessous-du-maillot-de-bain">codifier les comportements balnéaires</a>).</p>
<p>Outre-Atlantique c’est la politique du <a href="https://recollections.biz/blog/swimsuit-police-to-the-rescue/">« mètre mesureur »</a> qui est appliquée. En effet, sur certaines plages, comme au bord du bassin de Tidal (Washington) ou à Coney Island (New-York), la législation locale définit précisément l’écart autorisé entre le costume de bain et le genou, 15 centimètres maximum. Les représentants de l’ordre ont dû ainsi ajouter un nouvel accessoire à leur panoplie afin que force reste à la loi : un mètre ruban.</p>
<h2>Bikini et rififi</h2>
<p>La commercialisation à grande échelle du bikini <a href="https://parkstone.international/2022/05/20/bikini-ou-burkini-l-histoire-du-bikini/">dans les années 1950</a> est loin de mettre fin aux polémiques. Le bikini se déploie alors avant tout dans les piscines privées qui échappent aux arrêtés municipaux. Le corps des femmes reste donc sous contrôle dans l’espace public alors que celui des hommes s’expose toujours plus : le slip de bain masculin est désormais légitime. Il faut attendre la libération des corps et des mœurs qui accompagne les <a href="https://www.scienceshumaines.com/mai-1968-et-la-liberation-des-moeurs_fr_22190.html"><em>sixties</em></a> pour que les seuils de pudeur se décalent sensiblement concernant les femmes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Extrait du « Gendarme de St Topez » 1964, Un film de Jean Girault, musique composée par Raymond Lefevre.</span></figcaption>
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<p>L’essor des seins nus à partir des plages tropéziennes vient ainsi banaliser le bikini dans les espaces aquatiques tout en signifiant la perte d’influence de la morale chrétienne sur la société française. Il témoigne de la volonté des femmes de reprendre le pouvoir sur leur corps. Reste que la pratique des seins nus ne franchit pas la porte des piscines municipales couvertes en tant que régime normal. Une exception cependant : avec la reconnaissance d’utilité publique de la <a href="https://ffn-naturisme.com/educ-pop-upn/">Fédération Française de Naturisme</a> en 1983, certaines associations naturistes locales bénéficient de créneaux réservés. En 2022, cette offre concerne <a href="https://ffn-naturisme.com/wp-content/uploads/2019/10/NNN31_FFN.pdf">24 piscines urbaines</a> en France.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, perdure dans les piscines une notable disparité entre hommes et femmes. Celle-ci est entretenue par la mode qui tend à sexualiser à outrance les <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/2011-v43-n1-socsoc1522461/1003531ar/">maillots féminins</a> et donc à érotiser les corps qu’ils recouvrent. De fait, alors que le maillot masculin se voit réglementé par souci d’hygiène, avec l’interdiction des shorts de bains, ce sont des préoccupations morales qui président, principalement, à la codification des maillots de bains féminins par les municipalités.</p>
<h2>Le <em>topless</em> : nouvelle étape dans la mobilisation féministe</h2>
<p>Les polémiques accompagnant les arrêtés de Göttingen et de Grenoble ne sont finalement que les derniers avatars d’une histoire déjà étoffée des réactions épidermiques accompagnant l’évolution du maillot de bain autorisé dans les espaces aquatiques. Ces épisodes réactualisent les débats et les enjeux qui ont jalonné cette transformation.</p>
<p>Ils témoignent ainsi d’une nouvelle étape de la mobilisation féministe, dans un contexte marquée par la dénonciation des violences faites aux femmes (#me-too et #balance ton porc, etc.). La revendication du droit pour les femmes à ne porter qu’un bas de maillot s’inscrit dans une perspective plus large <a href="https://lepoing.net/agora/convoquee-devant-le-tribunal-pour-avoir-enleve-son-haut-de-maillot-dans-une-piscine-petition/">d’égalité entre les sexes</a>. Il s’agit également, point nouveau, de rompre avec la bicatégorisation des genres qu’impose les règlements, afin de s’ouvrir à la diversité sans discrimination aucune.</p>
<p>À Göttingen, le changement est intervenu après que soit dénoncée l’exclusion d’une personne non binaire, mais assimilée par le personnel de la piscine à une femme, pour ne pas avoir voulu mettre un haut de maillot.</p>
<p>Pris entre hypersexualisation et décence, entre émancipation des normes de genre et respect de valeurs religieuses, entre pratique sportive et loisirs, le costume de bain est au carrefour d’injonctions et de motivations contradictoires conduisant les municipalités à chercher en permanence le point d’équilibre, dans le respect du cadre républicain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184970/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Villaret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment les affaires de ‘burkini’ à la piscine nous interrogent sur le rapport que nous entretenons avec la nudité.Sylvain Villaret, Maître de conférence en histoire du sport et de l'éducation physique, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/772222017-05-06T00:03:11Z2017-05-06T00:03:11ZUn catholicisme otage de la campagne présidentielle<p>Genou délibérément dénudé de Marine Le Pen sur son affiche de campagne pour le deuxième tour en signe de résistance au machisme islamique, polémique sur l’<a href="http://www.rtl.fr/actu/politique/presidentielle-2017-pourquoi-l-uoif-s-est-retrouvee-au-coeur-des-debats-7788362811">appel de l’UOIF</a> à voter en faveur d’Emmanuel Macron, débat au sein de la « cathosphère » déclenché par le refus de l’épiscopat de s’opposer au vote FN et les appels au « tout sauf Macron » de la Manif pour tous ou au « ni-nisme » de Sens commun : l’entre-deux-tours aura confirmé, s’il en était besoin, la place que tient la religion dans la campagne des présidentielles.</p>
<h2>La repolitisation du religieux</h2>
<p>Entre l’affaire du burkini et la participation de plusieurs candidats LR aux offices du 15 août, le ton avait été donné, à l’été 2016, dès avant l’entrée en campagne des primaires de la droite et du centre. Cette repolitisation du religieux – qui ne semble pas être <a href="http://www.ipsos.fr/decrypter-societe/2017-03-22-presidentielle-2017-place-religion-et-laicite-dans-l-election-presidentielle">du goût de la majorité des Français</a> – n’a d’ailleurs pas manqué de susciter quelques mouvements d’humeurs chez certains des candidats. On se souvient du « fichez-moi la paix avec votre religion ! » de Jean‑Luc Mélenchon à l’adresse de Marine Le Pen.</p>
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<p>Que la question religieuse apparaisse dans une campagne présidentielle n’est pas en soi nouveau : l’islam et la laïcité comptent depuis le début des années 2000 parmi les thématiques incontournables des programmes et engagements des candidats. Rappelons-nous la polémique sur le halal dans la campagne de 2012 et la radicalisation de Nicolas Sarkozy sur la sujet dans l’entre-deux tours.</p>
<p>Comme on pouvait s’y attendre, l’islam et ses dérives radicales comptent en 2017 parmi les enjeux phares depuis les primaires, un enjeu à partir duquel les candidats ont cherché à se démarquer les uns des autres, même si sous l’<a href="https://theconversation.com/la-droitisation-des-valeurs-de-la-droite-francaise-69379">effet d’une droitisation</a> du débat, l’écart de positionnement s’est singulièrement rétréci.</p>
<h2>Le « vote catho » attise les convoitises</h2>
<p>L’inédit dans la repolitisation de la question religieuse vient d’ailleurs. Il réside dans les convoitises sans précédent suscitées par le prétendu vote catholique. Bien que les votes des électeurs catholiques soient ventilés sur tout le spectre d’options politiques et qu’il est malaisé de cerner le poids de la variable religieuse dans le choix des électeurs concernés, la croyance dans l’existence d’un tel vote l’a imposé comme l’un des paramètres clefs de la campagne.</p>
<p>À l’évidence, il y a ici une conséquence de la mobilisation catholique contre le mariage pour tous dont Sens commun constitue l’un des sous-produits politiques. Ce dernier s’est profilé comme le représentant d’un électorat catholique susceptible de faire la différence dans les urnes. Une partie des électeurs de confession catholique sont ainsi devenus malgré eux, quels que soient leur ancrage politique et leur position sur ladite loi, l’objet d’un marchandage politique auprès des candidats de la droite contre un éventuel retrait de la loi Taubira. <a href="http://lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/04/26/les-electeurs-catholiques-de-fillon-ecarteles-pour-le-second-tour_5117530_4854003.html">La chimère d’un « vote catho »</a> – étant entendu par là un vote homogène en faveur de la droite – a d’autant mieux fonctionné que, comme cela a été <a href="http://www.esprit.presse.fr/actualites/yann-raison-du-cleuziou/succes-de-francois-fillon-le-vote-ou-les-votes-catholiques-486">mis en évidence par Yann Raison du Cleuziou</a>, nombre de médias l’ont souvent reprise à leur compte.</p>
<p>Le succès inattendu de François Fillon aux primaires rallié par Sens commun a pu sembler – au vu de l’importante mobilisation des catholiques pratiquants en sa faveur – valider cette lecture. L’analyse serrée d’Hervé Le Bras et de Jérôme Fourquet invite pourtant à relativiser cette lecture : le candidat a bénéficié d’un soutien important au sein de la catégorie des catholiques pratiquants, qui ne représente qu’un segment du catholicisme. Mais <a href="https://jean-jaures.org/nos-productions/la-guerre-des-trois-la-primaire-de-la-droite-et-du-centre">il n’y a pas eu de « surmobilisation » catholique</a> à son égard.</p>
<p>Qu’on ait ici affaire à une « bulle médiatique », comme l’a écrit Yann Raison du Cleuziou ou à une « illusion d’optique » comme le défend Hervé Le Bras, n’empêche pas que cette repolitisation de l’enjeu catholique ait été diablement efficace à en juger par les déplacements qu’elle a générés. Le plus spectaculaire est sans doute la manière dont les candidats se sont mis, tour à tour, à publiciser leurs convictions (ou absences de convictions) religieuses, comme si décliner son identité en matière religieuse allait désormais de soi.</p>
<p>Le rapport à la religion des personnalités politiques n’avait bien sûr rien d’un mystère auparavant. On savait que de Gaulle allait à la messe. Nul n’ignorait la spiritualité déiste d’un François Mitterrand ou l’ancrage protestant d’un Michel Rocard. Mais les choses restaient dans l’implicite, à l’exception de quelques personnalités politiques, telles que Christine Boutin, qui tentaient de faire fond sur son positionnement catholique. Ce code de conduite a été singulièrement bousculé.</p>
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<p>C’est François Fillon, qui a ouvert le bal en rompant dans son livre <em>Faire</em>, publié en 2015, avec la discrétion dont il avait fait montre jusque-là sur ses convictions religieuses. L’affichage de sa catholicité a été constant : de sa participation à la fête de l’Assomption à l’abbaye de Solesmes cet été à sa visite à la vierge du Puy-en-Velay à la veille du premier tour, en passant par ses déclarations de « gaulliste, de surcroît chrétien ». Sans oublier la croix arborée par sa porte-parole, Valérie Boyer, dont on a peine à penser qu’elle ait été tout à fait fortuite.</p>
<h2>Assaut de bonne catholicité</h2>
<p>Mais François Fillon n’a pas été le seul à miser sur l’électorat catholique. La captation de cet électorat a constitué un enjeu pour les finalistes des primaires de la droite. Les deux candidats ont fait assaut de « bonne catholicité ». Alain Juppé n’a ainsi pas hésité à faire référence au pape pour disqualifier le catholicisme rétrograde de son adversaire et faire valoir sa sensibilité plus sociale. Emmanuel Macron, dont l’électorat a découvert qu’il s’était converti au catholicisme à l’âge de 12 ans, lui a emboîté le pas, lorsque durant le week-end pascal, <a href="http://www.la-croix.com/France/Politique/Emmanuel-Macron-Francois-Fillon-envoient-messages-catholiques-2017-04-17-1200840110">à l’occasion d’une visite d’un centre d’hébergement du Secours catholique</a> à Paris il a, à son tour, taclé François Fillon sur le terrain religieux :</p>
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<p>« Être catholique, c’est défendre les droits des plus pauvres, ce n’est pas se battre pour retirer des droits à des hommes et des femmes. »</p>
</blockquote>
<p>Les candidats aux primaires de gauche n’ont pas été en reste dans ce « grand déballage religieux » dénoncé Vincent Peillon. Nombreux sont ceux, en effet, qui ont décliné leur positionnement personnel par rapport à la religion. La plupart ont certes fait acte de distance avec celle-ci. Mais certains – tel <a href="http://www.famillechretienne.fr/politique-societe/presidentielle-2017/presidentielle-2017-rencontre-avec-benoit-hamon-215733/portrait-benoit-hamon-breton-et-fier-de-ses-origines-215740">Benoît Hamon</a> – ont revendiqué l’héritage malgré l’éloignement de la foi de leur enfance et se sont mis, eux aussi, à faire référence au pape François.</p>
<p>De manière plus inattendue encore, on a entendu <a href="http://www.famillechretienne.fr/politique-societe/presidentielle-2017/je-suis-de-culture-catholique-je-connais-la-maison-!-212179">Jean‑Luc Mélenchon</a>, dont on a découvert le passé d’enfant de chœur, évoquer avec respect « la brûlure de la foi ». Malgré son anti-cléricalisme revendiqué, le candidat de La France insoumise s’est prévalu de convergences avec le Pape sur le terrain de la lutte contre la pauvreté. Marine Le Pen n’a pas fait exception, elle non plus. Tout en se déclarant profondément croyante, elle a marqué sa distance avec l’institution catholique à laquelle elle reproche de trop se mêler de politique.</p>
<h2>La droite n’a pas le monopole du vote catholique</h2>
<p>Cette manière qu’ont eue la plupart des candidats de faire état, <em>a minima</em>, de leur socialisation catholique n’est évidemment pas totalement dénuée de calculs électoralistes. Si tel est le cas, c’est qu’ils ont saisi que le catholicisme était loin de constituer l’apanage des électeurs de droite et que des conquêtes étaient possibles dans d’autres segments du catholicisme. Auraient-ils retenu les <a href="http://www.la-croix.com/Religion/France/Qui-sont-vraiment-catholiques-France-2017-01-11-1200816414">enseignements livrés par de récents travaux sociologiques faisant voler en éclat l’assimilation simpliste des catholiques</a> à un électorat de droite, <em>a fortiori</em> lorsqu’ils sont pratiquants (curseur d’analyse de moins en moins pertinent) ?</p>
<p>Quoi qu’il en soit, le premier tour de la présidentielle est à cet égard instructif. Avec 56 % des voix catholiques se partageant entre Fillon (28 %), Dupont-Aignan (6 %) et Marine Le Pen (22 %), il a certes incontestablement montré le tropisme catholique pour la droite, <em>a fortiori</em> chez les catholiques les plus pratiquants. Mais s’arrêter à ce seul constat, bien connu de la sociologie électorale, serait incomplet.</p>
<p>Tout d’abord, cette prédominance de droite ne doit pas faire oublier que non seulement <a href="http://www.pelerin.com/A-la-une/Sondage-exclusif-Vote-et-religions">22 % des électeurs de confession catholique</a> ont apporté leur suffrage à Emmanuel Macron, mais aussi 14 % à Jean‑Luc Mélenchon, et 4 % à Benoît Hamon.</p>
<p>Ensuite, ce premier tour a clairement montré qu’il existait différentes variantes du catholicisme de droite. Ce dernier est partagé entre d’une part une orientation démocrate-chrétienne séduite lors de la primaire par Juppé et aujourd’hui par Macron, d’autre part par une droite catholique traditionaliste et héritière de Maurras encline à donner ses voix à Debout la France ou au FN, et enfin une droite républicaine incarnée par un François Fillon qui n’a finalement drainé que 28 % des catholiques, quels que soient leur degré d’engagement.</p>
<h2>Les lignes de fractures se multiplient</h2>
<p>La défaite de François Fillon a laissé orpheline une bonne partie des catholiques conservateurs et, parmi eux les pratiquants, qui lui avaient largement apporté leurs suffrages. Mais ceci est également vrai, quoique dans une moindre mesure, du côté gauche de l’échiquier et notamment parmi les électeurs catholiques qui ont voté Jean‑Luc Mélenchon et Benoît Hamon.</p>
<p>Depuis les résultats du premier tour, le débat sur le report des voix fait rage au sein du catholicisme français dont les lignes de fractures se multiplient. Ce débat est exacerbé par le <a href="http://www.lavie.fr/religion/catholicisme/que-retenir-du-message-des-eveques-de-france-pour-l-entre-deux-tours-24-04-2017-81633_16.php">refus de l’épiscopat</a> de se prononcer clairement contre le FN, à la différence de 2002. L’enjeu pour les évêques, qui se sont contentés de donner des éléments de discernement et d’en appeler aux consciences individuelles, n’est certes plus le même. Il était plus aisé de préconiser un ralliement à Chirac qu’à un candidat qui, pour beaucoup incarne, la continuité avec le quinquennat qui a légalisé le mariage entre partenaires de même sexe et une posture progressiste sur les questions de PMA et de fin de vie. Sans compter que les suites politiques données à la Manif pour tous ont profondément divisé le corps épiscopal.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/168095/original/file-20170505-21024-1xd9bfu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/168095/original/file-20170505-21024-1xd9bfu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/168095/original/file-20170505-21024-1xd9bfu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/168095/original/file-20170505-21024-1xd9bfu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/168095/original/file-20170505-21024-1xd9bfu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/168095/original/file-20170505-21024-1xd9bfu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/168095/original/file-20170505-21024-1xd9bfu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Christine Boutin (ici en 2013) a rallié le FN sans hésiter.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/stanjourdan/8523269862/in/photolist-dZaZbE-dZ5gHR-ocRLNP-8ak1XK-89kHc9-oeVZqz">Stan Jourdan/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>La décision de Christine Boutin de rallier le Front national, le « tout sauf Macron » de la présidente de la Manif pour tous, et de son ancienne égérie, Frigide Barjot, le ni-ni de Sens commun n’ont pas changé la donne, bien que quelques évêques soient sortis de la langue de bois pour en appeler explicitement à un vote anti-FN.</p>
<p>On assiste, en revanche, depuis le 24 avril, à un déferlement d’appels de personnalités, clercs ou laïcs, et de mouvements catholiques en faveur d’un vote Macron. Chacun y va de sa tribune, lettre ouverte, pétition tandis que les médias chrétiens – progressistes et conservateurs – jouent un rôle important dans l’animation du débat en cours. Beaucoup parmi ces appels émanent du catholicisme de gauche, tels que la <a href="http://latribunedessemaines.fr/lettre-ouverte-a-la-manif-pour-tous/">lettre ouverte de Jérôme Vignon</a> (l’un des anciens présidents des Semaines Sociales de France), et Bernard Devert, président d’Habitat et humanisme, la tribune du père Christian Delorme ou encore, l’<a href="http://www.temoignagechretien.fr/articles/edito-pourquoi-tc-votera-macron">éditorial de la rédactrice de <em>Témoignage Chrétien</em></a>.</p>
<p>De nombreuses voix du catholicisme de droite font écho. À commencer par certains des protagonistes de la Manif pour tous – <a href="http://www.famillechretienne.fr/politique-societe/presidentielle-2017/jean-christophe-fromantin-je-vote-aujourd-hui-macron-pour-choisir-demain-mon-adversaire-217675">tel le maire de Neuilly (DVD) Jean‑Christophe Fromantin</a> – qui ne se reconnaissent ni dans le positionnement de Ludovine de La Rochère ni dans celui de Sens commun.</p>
<h2>Dédiabolisation du FN et discrets appels du pied d’Emmanuel Macron</h2>
<p>Entre les deux présidentiables, la question religieuse continue d’affleurer. C’est toutefois davantage la question musulmane qui occupe le premier plan, comme l’ont montré, lors du débat télévisé du 3 mai, les invectives de Marine Le Pen sur le prétendu penchant communautariste d’Emmanuel Macron et ses liens – tout aussi fantasmés – avec l’UOIF.</p>
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<p>Les adresses à l’électorat catholique ont été davantage confiées à leurs lieutenants ou gardes rapprochées. Au FN, c’est surtout Marion Maréchal–Le Pen qui est montée au créneau en chevauchant le thème de la « marchandisation de l’humain » et faisant miroiter la promesse de l’abrogation de la loi Taubira au profit d’un Pacs amélioré. C’est, de <a href="http://www.famillechretienne.fr/politique-societe/presidentielle-2017/edouard-tetreau-emmanuel-macron-n-est-ni-francois-hollande-ni-pierre-berge-217391">manière plus discrète</a>, que le candidat d’En Marche ! a envoyé des signaux aux catholiques – un éventuel moratoire sur toutes les questions touchant au début et à la fin de vie – par le truchement de la presse confessionnelle.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-BzHL6FLWeE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Cette levée de boucliers catholique contre les adeptes du « tout sauf Macron », les <a href="http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/05/03/l-eglise-catholique-plus-divisee-que-jamais-avant-le-second-tour-de-la-presidentielle_5121273_4854003.html">violentes critiques adressées à la Conférence épiscopale de France</a> témoignent de résistances tenaces à l’égard d’une mise en équivalence des candidats FN et d’En Marche !, ou du vote en faveur de l’extrême droite. Mais seule l’analyse des résultats du second tour nous permettra de mesurer dans quelle mesure cette mobilisation aura permis ou non d’endiguer la dédiabolisation du FN au sein du catholicisme – dédiabolisation à laquelle contribuent, en dépit de quelques voix dissidentes, l’épiscopat et la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=CLu6aka7qUM">surprenante euphémisation du Pape François</a> qualifiant le FN de « droite forte ».</p>
<p>Quoi qu’il en soit, s’il est une leçon électorale à retenir de cette présidentielle, qui pourrait bien laisser des cicatrices durables au sein d’un catholicisme français aussi divisé que la société française, c’est que « le » vote catholique existe moins que jamais.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77222/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire de Galembert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis le premier tour, le débat sur le report des voix fait rage au sein du catholicisme français dont les lignes de fractures se multiplient. « Le » vote catholique n’est-il pas une chimère ?Claire de Galembert, Sociologue CNRS, École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/651662016-09-22T04:46:24Z2016-09-22T04:46:24ZDu burkini au bikini, la femme libre ne se réduit pas à ce qu’elle porte<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/138299/original/image-20160919-11090-1ikuv3f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue à la Ciotat (en 2009).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/neilhester/3814895565/in/photolist-6P7kxt-ain1He-7yagVZ-gwDk1-4kKZZo-gmMcyX-6hGAWh-9Nv8dj-bfhiE2-bFSrUv-qRhtSM-ptwNYh-aDdknM-8pZ1gu-b61kfT-7xiiyv-nY4uxD-m1EzMY-bH3hZD-s9fQz9-EiU9CF-bpDxBp-f53ZFN-9NC5eF-sqPrvz-2n1aZC-4ZwAbf-dDxCtf-nKd7oM-dDsfyn-9UNK1q-dDxCHj-dDxDaN-6RVzsS-8pFwX3-8cQkes-dDxCT9-8CmR3b-2yde27-agQ6RR-7vwPLT-5oLRxN-nKXXiq-824t76-hcan82-dzLdTW-oZaBeB-aXo24k-am27mf-9aFb3P">Neil Hester/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>À plusieurs reprises, le premier ministre Manuel Valls a déclaré que la femme en France était libre, mettant en opposition, d’un côté, la femme française libre sans voile et en bikini, et de l’autre, certaines femmes de religion musulmane soumises et en burkini. Mais la liberté de la femme ne se réduit pas à ce qu’elle porte et les propos du premier ministre opposant le burkini au bikini voilent la réalité de la liberté conditionnelle dont souffrent les femmes en France, cette liberté se déclinant selon la classe sociale, la sexualité, la religion et l’ethnicité.</p>
<p>La liberté est définie comme la situation d’une personne qui se détermine en dehors de toute pression extérieure ou de tout préjugé. Toute personne qui ne possède pas les pleins pouvoirs pour exprimer cette liberté est donc en liberté conditionnelle. C’est le cas des femmes en France, leur liberté étant conditionnée par les préjugés de la société française.</p>
<h2>Un état des lieux peu glamour</h2>
<p>Clamer que les femmes françaises qui portent le bikini sont libres cache une réalité moins glamour.</p>
<p>Sur le plan de la représentation politique, tout d’abord, les femmes sont sous-représentées. Malgré la loi sur la parité promulguée en 2000, il n’y a guère que 26.86 % de femmes à l’Assemblée nationale en 2016. Ce déficit de représentation politique est dû aux <a href="http://aaws07.org/english3/pdf/WW05_Report_Eng.pdf">préjugés sexistes</a> du corps politique, les principaux partis politiques – le PS et les Républicains – préférant être sanctionnés financièrement pour ne pas avoir inscrit un nombre égal de femmes et d’hommes sur les listes électorales plutôt que de respecter la loi. Le calvaire des femmes ne s’arrête pas une fois qu’elle sont au pouvoir : les <a href="http://www.liberation.fr/video/2013/10/09/sexisme-a-l-assemblee-l-incident-en-images_938202">insultes sexistes</a> sont communes à l’Assemblée nationale tout comme les soupçons de <a href="http://www.lemonde.fr/affaire-baupin/article/2016/05/30/harcelement-sexuel-cinq-nouveaux-temoignages-mettent-en-cause-denis-baupin_4928702_4916429.html">harcèlement sexuel</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/137219/original/image-20160909-13342-cxy79s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/137219/original/image-20160909-13342-cxy79s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/137219/original/image-20160909-13342-cxy79s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=267&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/137219/original/image-20160909-13342-cxy79s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=267&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/137219/original/image-20160909-13342-cxy79s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=267&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/137219/original/image-20160909-13342-cxy79s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=335&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/137219/original/image-20160909-13342-cxy79s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=335&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/137219/original/image-20160909-13342-cxy79s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=335&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Dans le monde du travail, ensuite, les femmes souffrent d’une discrimination largement répandue, liée aux préjugés. Alors que les femmes semblent être, en général, moins au chômage (9.7 % des femmes et 10 % des hommes sont au chômage), elles occupent plus souvent que leurs homologues masculins des emplois de mauvaise qualité. Par ailleurs, 8 % des femmes salariées sont en situation de temps partiel subi (contre 2.8 % pour les hommes), selon les chiffres de l’<a href="http://www.inegalites.fr/spip.php?article1400">Observatoire des inégalités</a>. Tous temps de travail confondus, les femmes touchent au total un salaire 24 % moins élevé que celui des hommes (voir tableau ci-dessus). À poste et expérience équivalents, les femmes touchent 9 % de moins. L’inégalité des salaires entre hommes et femmes est la plus forte chez les cadres (29.1 % de moins). Ces inégalités se perpétuent jusqu’à la retraite car un travail plus précaire, moins bien payé et en temps partiel subi se solde mécaniquement par une plus faible retraite.</p>
<p>Toujours dans le monde du travail, les femmes ne sont que 25 % dans les conseils d’administration. Dans un échantillon de 471 salariés représentatif de la population française, un salarié sur trois a déclaré se sentir <a href="http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/definitions.pdf">harcelé moralement</a> sur son lieu de travail.</p>
<p>Dans la sphère privée, les femmes consacraient de 10 à 12 heures de plus que les hommes par semaine aux tâches domestiques en 2015 (voir tableau ci-dessous). Avec l’arrivée d’un enfant, ce partage inégal perdure, voire se creuse. Dans la rue, dans le métro, selon un rapport du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, 100 % des femmes disent avoir été victimes de <a href="http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/04/16/harcelement-de-rue-quand-on-est-une-femme-en-france-on-est-seule_4617354_3224.html">harcèlement</a> au moins une fois dans leur vie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/137211/original/image-20160909-13371-18dd7i7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/137211/original/image-20160909-13371-18dd7i7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/137211/original/image-20160909-13371-18dd7i7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/137211/original/image-20160909-13371-18dd7i7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/137211/original/image-20160909-13371-18dd7i7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/137211/original/image-20160909-13371-18dd7i7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/137211/original/image-20160909-13371-18dd7i7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">Atlas des Femmes, 2015/Ined</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La violence conjugale sévit en France comme dans le monde. En 2014, 118 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en France. Ce chiffre varie entre 50 et 100 en Australie pour la même période. Cette variation se justifie par la non-résolution de toutes les affaires de violence conjugale à l’heure où cet article est écrit.</p>
<p>De surcroît et selon le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, en moyenne et chaque année, on estime que 223 000 femmes âgées de 18 à 75 ans sont victimes de violence conjugale dans ses formes les plus graves. Selon l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, entre 25 et 30 % des femmes en France sont victimes de violence conjugale durant leur vie. On observe la même proportion en Grande-Bretagne. En Allemagne, ce taux se situe entre 20 et 25 % alors qu’en Finlande, 30 à 32 % des femmes déclarent avoir été victimes de violence physique et/ou sexuelle de la part d’un(e) partenaire. Il est cependant important de noter que la différence de pourcentage entre les différents pays en matière de violence conjugale peut être le résultat de politiques publiques différentes. Ainsi, un taux de violence conjugale plus important peut résulter de politiques publiques qui ont permis de lever les tabous et la stigmatisation des femmes victimes de violence.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/138489/original/image-20160920-12453-19jwe0e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/138489/original/image-20160920-12453-19jwe0e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/138489/original/image-20160920-12453-19jwe0e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/138489/original/image-20160920-12453-19jwe0e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/138489/original/image-20160920-12453-19jwe0e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/138489/original/image-20160920-12453-19jwe0e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/138489/original/image-20160920-12453-19jwe0e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">DR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ces violences ont des conséquences graves et à long terme. En France, les victimes estiment à 68 % que ces violences ont eu des répercussions plutôt ou très importantes sur leur santé psychologique et, pour 54 % d’entre elles, qu’elles ont entraîné des perturbations dans leur vie quotidienne. Toujours selon le Haut Conseil, chaque année, on estime que <a href="http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-de-genre/reperes-statistiques-79/">84 000 femmes âgées de 18 à 75 ans</a> sont victimes de viols ou de tentative de viol. L’État français a le devoir de garantir la sécurité de tous.</p>
<h2>Colmater les brèches ne suffit pas</h2>
<p>L’état des lieux de la condition de la femme en France montre qu’il y a beaucoup à faire pour que les femmes puissent atteindre le niveau de liberté dont jouisse leur partenaire masculin. Il ne fait aucun doute que l’État s’est construit un arsenal juridique pour pallier les discriminations, mais cet arsenal colmate des brèches au lieu d’affronter les préjugés sexistes enracinés dans la société. Le déficit de représentation politique reflète ce paradoxe libéral. Comme nous l’avons vu, l’État a fait voter une loi pour garantir l’équilibre entre les sexes dans la représentation politique, mais cette loi ne règle pas les préjugés sexistes qui mènent à cette sous-représentation parlementaire et dont les femmes sont victimes une fois dans l’hémicycle.</p>
<p>Les discriminations liées aux préjugés empêchent donc les femmes de pleinement se déterminer. Ils trouvent leur origine dans les différences que la société a artificiellement créées entre les hommes et les femmes. Or la société continue de perpétuer <a href="http://www.ipu.org/pdf/publications/womenwork_fr.pdf">ses a priori dans la sphère publique</a>.</p>
<p>Afin que toutes les composantes de la société puissent jouir pleinement de ce qu’offrent les démocraties libérales, le gouvernement doit mener conjointement avec elles des politiques et des campagnes visant à éliminer la source des préjugés. C’est uniquement à ce moment que le gouvernement pourra déclarer la femme en bikini libre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/65166/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maryse Helbert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les propos de Manuel Valls voilent la réalité de la liberté conditionnelle dont souffrent les femmes en France, qui se décline selon la classe sociale, la sexualité, la religion et l’ethnicité.Maryse Helbert, Assistant Lecturer/Sessional Academic, The University of MelbourneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/652952016-09-19T04:43:10Z2016-09-19T04:43:10ZL’affaire du burkini au miroir de l’histoire de France<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/137759/original/image-20160914-4968-pmxf8g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’école laïque et gratuite. Fresque à l’école de St.-Martin-Lestra (Loire).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/42250269@N06/7687272838/in/photolist-et4yuC-cHihoS-cHibWo-oB9M2X-55JBZe-7A33yJ-FkF9L-4dTJmh">Gilles Péris y Saborit/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>L’affaire est donc entendue et la seule véritable urgence, à présent, est d’avoir la certitude que tout projet d’une loi sur le port du burkini soit bel et bien enterré. Mais non cependant sans tirer quelques enseignements de la séquence, ne serait-ce que pour mieux aborder les prochaines affaires, car il y en aura d’autres, et sous des formes et dans des termes qui ne manqueront sans doute pas de nous surprendre.</p>
<p>Peut-on, tout d’abord, encore parler du voile au singulier et en général ? Il est bien clair, désormais, qu’entre le port d’un simple foulard et celui d’une véritable tenue islamique – ou se voulant telle –, la différence n’est pas seulement vestimentaire, elle se situe aussi dans l’ordre du symbolique et peut-être de plus en plus, dans celui du politique – ce qu’il va falloir prendre en considération. La nature du vêtement n’est d’ailleurs pas la seule à présenter des variations.</p>
<p><a href="http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Musulmanes_et_modernes-9782707140678.html">Sociologues et anthropologues</a> mènent, depuis des années, de nombreuses études qui montrent que les femmes qui portent le voile le font en lui donnant un sens qui peut s’avérer très différent de l’une à l’autre. Différences d’interprétation qui tiennent toutes à l’affirmation d’un choix, c’est-à-dire d’une liberté. Certes, mais n’est-ce pas précisément dans les sociétés démocratiques ouvertes qu’une telle possibilité de choix peut être garantie ? Et si la voix de ces femmes – et de leurs pères, frères et époux – doit être entendue, n’est-on pas aussi en droit d’attendre de chacun qu’il ou elle prenne en compte les fondements spécifiques des sociétés au sein desquelles il vit ?</p>
<h2>Singularité française</h2>
<p>Il se trouve, justement, que sur ces questions, et s’agissant particulièrement de la sensibilité à l’expression religieuse dans la sphère publique, la France affiche une vraie singularité issue de son histoire et par conséquent présente dans l’héritage qu’il nous revient de partager aujourd’hui.</p>
<p>Dans l’histoire française, la liberté des cultes a été chose durement conquise. L’expression religieuse dans l’espace partagé des villes et des campagnes, espace qui ne s’appelait pas encore « public », a été le lieu d’âpres combats. Car à partir du temps dit des « guerres de religion », il est devenu un enjeu crucial. La religion catholique a voulu y imposer sa seule présence, et elle a réussi. Les autres pratiques religieuses, celle des protestants et, dans une moindre mesure, celle des juifs, ont été confinées dans une véritable invisibilité, qui s’étendait d’ailleurs aux manifestations sonores, le son des cloches des églises rythmant seul le temps de tous.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/137626/original/image-20160913-4948-jasa3v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/137626/original/image-20160913-4948-jasa3v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=922&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/137626/original/image-20160913-4948-jasa3v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=922&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/137626/original/image-20160913-4948-jasa3v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=922&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/137626/original/image-20160913-4948-jasa3v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1158&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/137626/original/image-20160913-4948-jasa3v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1158&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/137626/original/image-20160913-4948-jasa3v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1158&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La laïcité, une singularité issue de l’histoire de France.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nayezpaspeur/5595457292/in/photolist-9wsbvA-5oPnFL-4jMwxL-9wkbWP-afN4Gj-bo32L4-bo32Vz-9qmFJx-7kkb7K-bo32R2-9wocKo-9wkcD4-9wocvU-9wkcM2-9wocRj-9wodsQ-9wkd4e-pUtZTj-4uEAPW-qyURnC-dqw4Zi-kvnknx-7UsAM5-kqEiV2-9gnK84-bGG8ZZ-9wodwN-9wkcH4-9wocFs-mjpcC8-9wkchB-9wkccT-qTLS1N-qCAXR2-8nvADs-bzqMQM-qBi31C-dty8a9-gwkbJR-hpVm4k-gwjHrB-v1DTkE-4pnSy-9fzvAB-9gqPJh-axEDmT-qyUSN3-9fCDQS-7q147a-ChzKWd">Philippe Martin/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Loin d’avoir été balayés par la Révolution française, de tels enjeux s’y sont parfois trouvés portés plus encore à l’incandescence, et le XIX<sup>e</sup> siècle a vu une interminable suite de conflits sur le sujet. Sur tout le territoire mais particulièrement dans les régions de présence protestante ancienne du Sud-Est, on s’est littéralement battu pour briser la suprématie catholique sur la rue. Conflits qui se sont très souvent judiciarisés, passant des juridictions locales aux plus hautes du pays, suscitant l’intervention des plus grands orateurs du temps, et provoquant de fortes émotions dans l’opinion. Tel <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/la-separation-des-eglises-et-de-l-etat-genese-et-developpement-d-une-idee-1789-1905-jacqueline-lalouette/9782020611466">Odilon Barrot</a> plaidant en 1818 et 1819 en Cour de cassation contre le jugement qui avait condamné un habitant de Lourmarin pour avoir refusé de décorer la façade de sa maison lors de la procession du Saint-Sacrement de la Fête-Dieu,</p>
<h2>Une neutralisation progressive de l’espace public</h2>
<p>C’est à travers de telles crises que s’est peu à peu affirmée la liberté de tous et surtout l’égalité entre les fidèles des différentes confessions et également ceux et celles qui ne se reconnaissent dans aucune. Et ceci s’est fait dans un mouvement progressif de neutralisation d’un espace public peu à peu soustrait à toute mainmise. Toute expression religieuse n’en a pas été proscrite pour autant, mais elles ont toutes été soumises au contrôle de l’autorité publique et une forme de retrait, de discrétion s’est installée, acceptée par tous, quoi qu’il ait pu en coûter à certains.</p>
<p>Cette neutralisation, c’est la dynamique même de la laïcité française, telle qu’elle s’est affirmée dès la Révolution avec la création d’un état des personnes dit « civil » tenu par des services publics hors de toute autorité religieuse et, lors de l’affirmation de la République, avec la création de l’école laïque (et gratuite), mais aussi dans le domaine hospitalier ou judiciaire comme dans tant de domaines de la vie des citoyens.</p>
<p>Une neutralisation religieuse pour fonder une autre solidarité, celle-là universelle et toute politique. C’est ce qu’évoquait Edgar Quinet :</p>
<blockquote>
<p>« Ce qui fait le fond de notre société, ce qui la rend possible, ce qui l’empêche de se décomposer, est précisément un point qui ne peut être enseigné avec la même autorité par aucun des cultes officiels. Cette société vit sur le principe de l’amour des citoyens les uns pour les autres, indépendamment de leur croyance. » (« L’enseignement du Peuple » en juin 1850, un enseignement qu’il décrivait comme « laïque »).</p>
</blockquote>
<p>Quinet citant sur ce point Condorcet et lui-même repris à son tour par Ferry, en une ligne de force continue de la culture républicaine française. Quinet qui ne voyait d’ailleurs là aucunement une solution idéale dans l’absolu, mais une voie nécessaire et incontournable au regard de la situation propre à la France.</p>
<p>Voilà pourquoi nous sommes, sans plus vraiment en avoir conscience, si sensibles en ce pays, – tellement plus à l’évidence que chez la plupart de nos voisins –, à la manifestation voyante, que nous tenons pour « ostensible » des appartenances religieuses. </p>
<h2>« Indivisible, laïque et sociale »</h2>
<p>Et il y a là bien plus encore. Car ce n’est que lorsqu’elle a été acceptée de tous que la laïcité a pu n’apparaître que comme un ensemble de règles de droit régissant la situation des cultes dans l’espace français. Elle a d’abord été – et pendant bien longtemps – avant tout un projet politique, et elle l’est toujours. Elle reste aussi l’un des piliers de toute une série de choses bien concrètes et auxquelles nous sommes à raison attachés, quelle que soit par ailleurs notre appartenance religieuse ou notre non-appartenance. Parmi elles, le système français de solidarité, considéré à juste titre comme l’un des plus généreux et des plus protecteurs au monde.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/137763/original/image-20160914-4963-ng320b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/137763/original/image-20160914-4963-ng320b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/137763/original/image-20160914-4963-ng320b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/137763/original/image-20160914-4963-ng320b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/137763/original/image-20160914-4963-ng320b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/137763/original/image-20160914-4963-ng320b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/137763/original/image-20160914-4963-ng320b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La laïcité, un héritage de crises successives au cours de l’histoire de France.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/sunfox/4983502420/in/photolist-8AnKDw-3pdnWX-9m5zHf-qqs6EW-fZuxD-2PPHMy-8AnCr5-dJxAGH-8xvGX2-7UKCo5-4AfpCf-9m5B4W-e8dgxW-saWAfD-9ny1Xw-c9qb7L-8xN1rw-9m5vnf-a7eJjj-poXexb-9EPwLK-9m5b2s-fxUVf7-ew7EDN-9kerLy-ensKeG-c7Ljyj-arfvtG-bwxncX-6utfBC-fZuaR-bwxmzH-bBYJWz-fKDc7R-a86QZ5-9ny1Qw-9ExZmo-99UkJv-9kerR5-9kerrW-8xyJHW-bwxmcR-7buqNG-7bf5f9-9m2vVk-9nuYKe-8Sy2sh-99XtvJ-9nuYHK-9m5fYU">Sunny Ripert/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Car quand la Constitution dit que la République française est « indivisible, laïque et sociale », elle ne parle pas en vain. Ce n’est certainement pas un hasard si laïcité et système de solidarité se sont affirmés de concert dans la France de l’après–Seconde Guerre mondiale. L’État providence s’appuie sur la participation consentie des citoyens, à commencer par leur consentement à l’impôt. Qui est prêt renoncer à cela ? Et ne doit-on pas prêter attention aux réticences, aux sensibilités, qu’expriment, même si c’est de façon très peu réfléchie et argumentée, et parfois sous des formes franchement déplaisantes, nombre de citoyens et citoyennes ?
Solidarité sociale et différenciation symbolique, les deux impératifs s’affirment en effet ici de façon très catégorique. Mais connaît-on beaucoup de sociétés dans le monde qui aient réussi à vraiment concilier les deux ?</p>
<p><em>Rita Hermon-Belot a publié « Aux sources de l’idée laïque. Révolution et pluralité religieuse » (Odile Jacob) en octobre 2015.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/65295/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rita Hermon-Belot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La forte sensibilité de la France face à l’expression religieuse s’explique par son histoire singulière. Le pays a traversé une série de crises avant d’aboutir à la neutralisation de l’espace public.Rita Hermon-Belot, Historienne, directrice d’études (Centre d’études en sciences sociales du religieux), École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/651672016-09-19T04:43:08Z2016-09-19T04:43:08ZQue se cache-t-il derrière le burkini ?<p>Provocation politique de la part des islamistes pour les uns, comportement aussi anodin que peu fréquent qui fait l’objet d’une instrumentalisation anti-musulmane pour les autres, le port du burkini a suscité un <a href="https://theconversation.com/panique-morale-autour-du-burkini-64410">débat qui a quelquefois pris un tour hystérique</a>. Mais n’est-il pas aussi l’occasion de poser de très sérieuses questions, portant sur le « vivre ensemble » ?</p>
<p>Un ancien élu au conseil municipal de Nice a déclaré en ce sens qu’avec la question du burkini sonnait « l’heure de vérité » (<em>Le Monde</em> du 19 août 2016). Comme lui, nous pensons que cette question dépasse le dérisoire, et mérite bien plus qu’une simple polémique fiévreuse. Entre autres, peut-être, parce que, comme l’a fait justement observer <a href="http://www.francetvinfo.fr/societe/religion/laicite/polemique-sur-le-burkini/4-verites-melenchon-sur-le-burkini-je-ne-suis-pas-du-tout-persuade-que-dieu-se-soit-preoccupe-des-poils-et-des-cheveux_1794750.html">Jean-Luc Mélenchon</a>, on peut douter que le prophète ait jamais donné la moindre consigne concernant les bains de mer !</p>
<p>Que signifie donc ce curieux mélange de mode et de religion, à propos d’une activité sociale en apparence anodine ? Poser la question de savoir pour qui, et pour quoi, sonne l’heure de vérité, peut alors nous aider à saisir les enjeux réels de ce que certains ont voulu considérer comme de simples « enfantillages » ayant provoqué des « réactions démesurées ».</p>
<h2>Trois questions adressées à l’islam de France</h2>
<p>C’est d’abord l’islam de France que le burkini met à l’épreuve, en le plaçant devant trois questions liées, auxquelles il serait bienvenu d’apporter des réponses franches et claires.</p>
<p><strong>La première est celle d’un nécessaire « devoir de discrétion ».</strong></p>
<p>C’est la question de la juste place du religieux dans la vie sociale. <a href="http://www.sudouest.fr/2016/08/15/burkini-voile-chevenement-conseille-la-discretion-aux-musulmans-2468160-710.php">Jean-Pierre Chevènement</a> l’a affrontée sans trembler, en conseillant aux musulmans de se faire discrets dans l’espace public, par souci de paix civile et d’intégration sociale. Le vivre-ensemble impliquerait un minimum de discrétion pour ce qui concerne, entre autres, les appartenances religieuses. Car la proclamation constante et systématique de ses convictions installe dans une confrontation aux effets mortifères.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/137714/original/image-20160914-4972-1xt1tcf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/137714/original/image-20160914-4972-1xt1tcf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/137714/original/image-20160914-4972-1xt1tcf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/137714/original/image-20160914-4972-1xt1tcf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/137714/original/image-20160914-4972-1xt1tcf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/137714/original/image-20160914-4972-1xt1tcf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/137714/original/image-20160914-4972-1xt1tcf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vue depuis la cour intérieure de la Grande mosquée de Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/youssef-flickr/10997995304/in/photolist-hKRAQG-5mZVnT-ry5u1W-riNEmL-5Gmr6k-5GqJKG-5GmqPR-5GmqXZ-5GqJW7-5GmqF4-5GqHD7-5GqHv5-kHizfk-9TuZ-kNFGdV-7HNo4t-8yLFf5-4XLhMM-kFmC6K-3bqWFj-5EEKxL-kFrg3y-ehA77f-8yHA2p-qDzJ7t-qDnrnm-iJVDU6-iJWjMY-fGBtTL-a4qNF8-fGBuh7-dwu9Xv-rfbydm-qzKZ1m-rdr3Fr-rdrupk-rdrxui-rfiVEX-rfbYqb-rusPnS-rdrkPK-qzYi6p-rfiXb2-rfisPn-rwKysK-kHkBVf-6dmkcY-kFoehL-ohmm4f-9yNoXs">youssef errami/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Certes, cette notion de devoir de discrétion soulève des problèmes. N’est-il pas paradoxal d’adresser aux musulmans ce qui ressemble à une injonction à l’invisibilité alors même qu’on les somme de se rendre visibles pour condamner le terrorisme islamiste ? Et, à trop vouloir étendre l’espace où s’applique ce devoir d’invisibilité, ou de neutralité, ne restreint-on pas abusivement l’espace public où doivent pouvoir s’exercer les libertés fondamentales ?</p>
<p>Il n’empêche : la liberté d’exercice du culte (quel qu’il soit) repose sur l’acceptation d’une loi républicaine, qui prévaut. La discrétion exigée pour l’exercice extérieur du culte n’est rien d’autre que le signe par lequel on manifeste la reconnaissance de cette prévalence, sans laquelle il n’y a pas de liberté de culte. L’heure n’est-elle pas alors venue pour l’islam d’affirmer ouvertement son acceptation de la prévalence, dans la cité terrestre, du légal sur le religieux ?</p>
<p><strong>La deuxième question, qui prolonge et spécifie la première, est celle du « droit d’affichage de ses convictions » : jusqu’où s’étend-il ?</strong></p>
<p>Le libre exercice du culte comprend le droit « de manifester, par ses pratiques, sa conviction religieuse en public » (arrêt du Conseil constitutionnel de novembre 2004). La liberté de conscience (garantie par la loi de 1905) implique le droit d’exprimer ses convictions religieuses. L’arrêt rendu par le Conseil d’État, le 26 août dernier, rappelle précisément que la liberté d’aller et de venir, la liberté de conscience, et la liberté personnelle (de s’habiller à sa guise), sont des libertés fondamentales.</p>
<p>Mais « exprimer » se réduit-il à afficher ? La liberté de conscience trouve-t-elle son plus haut degré d’expression dans l’affichage extérieur ? Est-ce que seul l’habit fait le moine ? Et ne devrait-on pas s’étonner de voir la liberté vestimentaire érigée en garante et protectrice de la liberté d’expression religieuse ? Si le droit de se baigner avec un burkini est de même nature que le droit de teindre ses cheveux en rouge, cela ne rabaisse-t-il pas la religion à un phénomène superficiel qui risque alors de perdre toute dimension spirituelle ?</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/137715/original/image-20160914-4980-18x151y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/137715/original/image-20160914-4980-18x151y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/137715/original/image-20160914-4980-18x151y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/137715/original/image-20160914-4980-18x151y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/137715/original/image-20160914-4980-18x151y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/137715/original/image-20160914-4980-18x151y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/137715/original/image-20160914-4980-18x151y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Exprimer se réduit-il à afficher ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mosaaberising/7786115778/in/photolist-cS2SXu-4hGTDr-JSsv-dhERCC-c6nBko-9jvVnf-EqDAEV-8X2x5q-f6Pj7c-7cqxMc-9DcmCo-qs5p7r-81aZYs-zkow-qsfg9r-32rTqK-6BAHR4-47TxA3-8K8bR9-aYsrGe-k3chR-5n4yCA-dnYENS-jaJaN-4kfug1-96y1qg-47TxA7-doKac-8TTbZc-256vjZ-cmYSN-qie8iD-gMwRin-JSoF-47TxAb-dnYDbA-6rXQyv-817UBB-8Vbkaq-gLekna-6ESdAb-cUqMZ1-9Dcmwh-81b2vN-f5Umzs-8DhFQr-4c25DZ-cbMBmd-f8LEA3-82KfUv">Mosa’ab Elshamy/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Autrement dit, la question essentielle nous paraît être ici moins celle du trouble apporté à l’ordre public que celle de la conception de la religion que reflète le zèle, alors préoccupant, à défendre le burkini. L’heure n’est-elle pas venue pour l’islam de dire que l’affichage extérieur de la foi n’est ni un signe, ni une dimension, essentiels, de celle-ci ?</p>
<p><strong>La troisième question, vers laquelle convergent finalement les deux premières, peut être exprimée ainsi : « Qu’est-ce qui fait l’essence et la valeur de la religion islamique ? »</strong></p>
<p>Christian Jambet, dans son travail sur « _ Le Gouvernement divin <em> » (_Le Monde</em> du 28 mai 2016), nous invite à distinguer religion intérieure – celle qui habite le cœur des croyants – et religion des règles – celle du respect formel de règles qui régentent l’extériorité des comportements. Toute religion est en tension entre ces deux pôles.</p>
<p>Mais ne devrait-il pas être vite évident que la religion intérieure surpasse absolument la religion des règles ? Car enfin, si Dieu est grand (plus que grand, puisqu’il est par définition l’Absolu), n’est-ce pas le réduire à la dimension ridicule d’un sergent-chef (que ceux-ci me pardonnent !), que de penser qu’il puisse régenter la présence et la longueur de poils au menton, ou la tenue adéquate pour les bains de mer ? L’heure n’est-elle pas venue pour l’islam d’affirmer la suprématie absolue de la religion intérieure ?</p>
<h2>Trois questions adressées à la société française</h2>
<p>Mais le burkini n’interpelle pas simplement l’islam. Car la société française est tout autant mise à l’épreuve, dans la mesure même où la bataille pour le burkini montre que l’islam a d’une certaine façon trop bien intégré certains travers de notre vie sociale, pourtant incontestablement républicaine et laïque. C’est alors aussi pour notre République que sonne l’heure de vérité. Autour de trois questions.</p>
<p><strong>(1) L’heure n’est-elle pas venue de se dresser contre le diktat de la visibilité ?</strong></p>
<p>La religion devrait comprendre et affirmer que l’essentiel est invisible. Mais, quand elle succombe à l’hypertrophie de l’ostentatoire, la religion musulmane fait-elle autre chose que reproduire et singer le dévoiement de l’intime tel qu’il se manifeste, par exemple, sur les réseaux sociaux ? Ceux-ci ne sont-ils pas devenus un espace privilégié pour la communication effrénée des images de soi, affichage qui touche aujourd’hui à l’obsessionnel ? Si chacun se croit autorisé à placarder sur son « mur », (pour que cela soit « partagé » !), ce qui relève de sa plus stricte intimité, et jusqu’à sa vie sexuelle, n’accepte-t-on pas alors, de fait, la dictature de l’extériorité ?</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/137712/original/image-20160914-4968-zfmaas.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/137712/original/image-20160914-4968-zfmaas.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/137712/original/image-20160914-4968-zfmaas.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/137712/original/image-20160914-4968-zfmaas.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/137712/original/image-20160914-4968-zfmaas.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/137712/original/image-20160914-4968-zfmaas.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/137712/original/image-20160914-4968-zfmaas.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’affaire du burkini a déclenché une forme de panique morale.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/bellmon/28598356043/in/photolist-6E1MdD-p3frgQ-6QgAHC-6QgBVG-5gBzWm-eQiE8w-8ighQ3-9RCvTK-9xqMhE-eQiDMs-pREb8b-eQiEp9-9VujT7-LnpeeG-Lnpe8E-LnpdyU-LNT8Xt-KRWADX-KRHKTW-LNT8gi-LjuwWy-Kz93Uc-LuicJH-LeetYR-LN8jjL-JVwpZE">bellmon1/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>La valeur individuelle se réduirait-elle à ce qui peut être étalé à l’extérieur de soi ? Le discours religieux aura beau jeu de dénoncer, sur ce point, la vacuité du monde occidental… en se comportant comme lui, et en utilisant, pour se faire entendre plus fort et plus vite, les armes qu’il lui offre ! Autrement dit, en matière de discrétion, la société dans son ensemble devrait sans doute balayer d’abord devant sa porte. Retrouver le sens du privé ne serait-il pas la meilleure façon de préserver l’espace public ?</p>
<p>S’il peut donc s’avérer nécessaire d’exiger que l’islam se réforme, dans le sens esquissé plus haut, ne faudrait-il pas que la société qui exige cette réforme commence à se réformer elle-même, et à se reprendre, en retrouvant le sens de l’intime ? Le burkini aurait alors eu le grand mérite de nous faire comprendre que l’homme se perd en se diluant dans l’affichage externe, et que l’essentiel est dans le cœur des hommes, non dans la forme, la couleur, ou l’ampleur de ses vêtements.</p>
<p><strong>(2) L’heure n’est-elle pas venue de tenter de surmonter la crise du lien qui nous mine ?</strong></p>
<p>Abdennour Bidar a fait judicieusement observer récemment que « toutes nos crises contemporaines, à tous les niveaux de la civilisation, sont des crises du lien » (<em>Le Monde</em> du 20 août 2016). Il souligne la rupture contemporaine du lien entre classes, cultures et croyances. Et déplore en particulier que se délite notre lien à autrui, « ce lien de solidarité, de compassion, de fraternité et d’amour au-delà de toutes les frontières d’identité ».</p>
<p>Si le burkini nous émeut tant, c’est sans doute parce qu’il peut être le signe d’une politique de conquête visant à imposer la présence de l’islam dans le moindre espace de vie publique. Mais sans doute aussi parce que l’altérité nous effraie en tant que telle, et que nous perdons le sens de l’ouverture à l’autre, comme le démontre par ailleurs notre frilosité dans l’accueil des migrants.</p>
<p>L’heure ne serait-elle pas venue de s’interroger, et d’écouter le récent rappel à l’ordre du pape François : nous enfermer n’est pas la meilleure manière de nous protéger ! La diversité n’est pas a priori une menace, mais représente une opportunité. La crispation sur l’identité est stérile, si elle fait oublier que l’identité se nourrit, aussi, de l’altérité. Le choc provoqué par le burkini peut se révéler salutaire pour notre société s’il contribue à la prise de conscience de la valeur libératrice du lien à autrui, pour vaincre l’enfermement dans les « frontières d’identité ».</p>
<p><strong>(3) L’heure n’est-elle pas venue de travailler à l’émergence d’un idéal commun ?</strong></p>
<p>Nous avions conclu une <a href="https://theconversation.com/la-cite-les-termes-du-debat-3-besoin-dethique-56105">réflexion sur la laïcité</a> en disant que celle-ci n’est qu’un cadre, qui laisse un grand vide. Elle est le rappel des conditions qui permettent de vivre ensemble. Mais elle laisse béante la question du sens : vivre ensemble pour faire quoi ? L’idéal laïque n’apporte pas de réponse. Les nouveaux fanatismes politico-religieux qui se sont engouffrés dans ce vide, doivent, à l’évidence, être combattus. Mais ce combat ne peut être mené, et gagné, que si l’on est capable de proposer une réponse à la question du sens. Réponse aujourd’hui cruellement absente.</p>
<p>Le combat se déroulera sur le terrain des valeurs. Nous avons plus que jamais besoin d’une éthique qui donne sa juste place au besoin de spiritualité, que notre temporalité à tendance à méconnaître, sinon à dénier. Mais il ne suffira pas de dire, par exemple : liberté, égalité et fraternité. Il faudrait dire aussi, concrètement, dans quel modèle de vie collective s’incarnent ces valeurs. Proposer un programme régulateur pour notre vie de Français, un peu à la manière de celui élaboré par le Conseil National de la Résistance après la dernière guerre mondiale.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/7Y9MNlsjMC4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Pour faire _quoi _souhaitons-nous vivre ensemble, nous les Français d’aujourd’hui, que nous soyons musulmans, chrétiens, juifs, ou athées ? Que nous habitions dans des quartiers « sensibles », ou à Neuilly ? Que nous vivions en centre-ville, ou dans un petit village ? Peut-être, pour faire que nos différences ne soient pas synonymes de discrimination. Peut-être, simplement, pour vivre en paix, les uns avec les autres ; et par exemple, profiter tous, librement, des bains de mer en été ! Puisqu’en définitive, comme le notait Guy Béart dans sa chanson « Couleurs » :</p>
<blockquote>
<p>« La mer est bleue pour tout le monde<br>
Pour les peaux brunes les peaux blondes »</p>
</blockquote>
<p>Alors, comme nous y invitait <a href="http://www.aldebaransoft.es/Teatro-Escritos/cimetiere%20marin.htm">Paul Valéry</a>, que ce soit en burkini, en monokini, voire sans maillot :</p>
<blockquote>
<p>« Courons à l’onde en rejaillir vivant ! »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/65167/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà d’une polémique estivale, l’affaire de ce vêtement « islamique » est l’occasion de réfléchir sur les contours du vivre-ensemble aujourd’hui.Charles Hadji, Professeur émérite (Sciences de l'education), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/646182016-09-06T18:24:07Z2016-09-06T18:24:07ZÉgalité homme-femme et actes juridiques : les risques du genre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/136589/original/image-20160905-4762-prti63.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">«Regards», une sculpture à Copenhague.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/dartemis/199733025/in/photolist-iDFER-9wSQff-7EsJKm-ep78JH-6BUfSF-aToPcx-x8KX7c-9fCt1L-jAYN5G-pVfJFD-9AfRzo-Gz1DCC-qutL3X-7xf3Aq-5z161R-6tGdoi-GdVtKd-7CZTRA-vUeW7-gJsn4p-8gUSGh-p4ZU7D-dHwvNh-4UKc11-KfQXC-qXYayX-bWbtVg-4annS2-vU98b-vUeV3-4Qxr9i-GPjFcx-9kit8H-8uNtt4-ksHKi6-7SmMzA-JDL4QK-5z5cPS-9siE7E-omPcUo-oCPvfe-fuW9Cf-c1HcJw-JFopD4-r2jxaK-8HAyHa-5qtRiN-e6fDR7-6YqWdG-goKwgs">dartemis/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 25 août 2016, le <a href="http://www.francetvinfo.fr/societe/religion/laicite/polemique-sur-le-burkini/video-pour-manuel-valls-le-burkini-est-un-symbole-d-asservissement-de-la-femme_1794630.html">premier ministre Manuel Valls</a> déclarait sur une chaîne de télévision que le burkini était un « symbole de l’asservissement de la femme » et qu’il fallait donc interdire le port de cet habit dans l’espace public (notamment les plages) par des actes législatifs et juridiques afin de promouvoir l’égalité homme-femme. Cette déclaration, comme celles qui ont suivi, a suscité le débat sur la capacité à légiférer sur les tenues vestimentaires, sur l’<a href="https://theconversation.com/panique-morale-autour-du-burkini-64410">islamophobie rampante</a> qui se développe en France et aussi sur la norme de ce qu’est la femme et notamment son droit à choisir ses vêtements.</p>
<p>Au-delà, cette déclaration interroge sur deux points :</p>
<ul>
<li><p>la vision de la femme et de l’homme qui est véhiculée par ces textes de lois et actes administratifs sur l’égalité homme-femme.</p></li>
<li><p>l’efficacité de ces textes et actes pour promouvoir l’égalité. L’exemple de la mise en œuvre des dispositifs pour promouvoir cette égalité dans le monde du travail permet de réfléchir aux conséquences sociales de ce type d’actes sur le long terme.</p></li>
</ul>
<h2>Le monde du travail comme révélateur</h2>
<p>Personnellement, j’ai découvert que le fait d’être femme pouvait être un problème seulement lorsque j’ai commencé à travailler. Même si j’avais bien perçu dans mon enfance et ma scolarité qu’hommes et femmes (garçons et filles) n’étaient pas toujours traités de façon semblable socialement, j’ai probablement eu la chance de me construire en me disant qu’à compétences égales, hommes et femmes se valaient.</p>
<p>Lorsque je suis entrée dans le monde professionnel, j’ai commencé à vivre les différences. Imperceptiblement. Je me suis rendu compte que certains hommes avaient du mal à travailler avec les femmes, et vice-versa. Je me suis rendu compte qu’il n’était pas toujours facile de travailler avec une personne d’un autre genre. Mais très honnêtement, les difficultés que j’ai eues pendant longtemps avec les collègues au travail étaient beaucoup moins liées à leur genre qu’à leur personnalité. Je ne peux pas travailler avec certaines femmes comme je ne peux pas travailler avec certains hommes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/136621/original/image-20160905-4762-bspo6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/136621/original/image-20160905-4762-bspo6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/136621/original/image-20160905-4762-bspo6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/136621/original/image-20160905-4762-bspo6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/136621/original/image-20160905-4762-bspo6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/136621/original/image-20160905-4762-bspo6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/136621/original/image-20160905-4762-bspo6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">À l’Assemblée, lors du débat sur l’égalité homme-femme en 2014.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>Ces dernières années, toutefois, les tensions autour du fait que j’étais une femme au travail se sont accrues. Sous l’influence des dispositifs et mesures pour la parité (les dernières en date sont la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029330832&categorieLien=id">loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes</a> ainsi que la loi sur le dialogue social), j’ai constaté que la question du genre était devenue une problématique constante, voire obsédante dans les collectifs de travail. Pourquoi ?</p>
<h2>Du salarié à l’individu, un changement de vision</h2>
<p>D’abord parce que l’acte juridique n’est pas un acte anodin. C’est un acte performatif (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Langshaw_Austin#Quand_dire.2C_c.27est_faire">Austin, 1962</a>). Les discours juridiques créent un nouvel état. C’est le cas avec les textes qui cadrent l’égalité homme-femme. En posant qu’il faut lutter contre les inégalités homme-femme au travail, on pose le genre. On pose que les salariés ne sont pas des individus mais des hommes ou des femmes.</p>
<p>Aussi, au fil des années, le cadre législatif pour améliorer la diversité a-t-il eu cet effet inattendu de nous poser en tant qu’individu au travail dans un débat genré. Depuis quelques années, il faut composer des comités, des commissions, des groupes de travail qui soient à parité. Ceci pour inciter les femmes à prendre des positions et à « déverrouiller » les positions prises par les hommes.</p>
<p>Car ces normes administratives instituent aussi une certaine vision de la femme et de l’homme au travail. Elles partent du postulat que les hommes dans les entreprises sont les grands méchants et qu’ils brident les positions de pouvoir : qu’ils ne veulent pas lâcher le pouvoir. Comme si le genre posait l’attirance au pouvoir. C’est une image très particulière des hommes qui est véhiculée par ces textes. Une image qui nie totalement toutes les avancées sur la compréhension du psychisme humain et la diversité des possibles et envies en termes de relation aux autres.</p>
<p>C’est aussi une image très particulière de la femme. La femme doit être protégée et valorisée parce qu’elle est femme et que c’est dur pour elle dans le monde du travail. Pour les femmes ceci est assez condescendant, voire méprisant. Une femme n’aurait-elle pas la capacité à se dire elle-même ? À affirmer son identité et son envie d’implication et d’engagement professionnel ? Personnellement, je n’ai pas du tout besoin d’être protégée. J’ai juste besoin d’être reconnue dans mon travail comme n’importe quel individu.</p>
<h2>La normalisation au risque de l’uniformisation</h2>
<p>Cette institutionnalisation du genre par les actes juridiques pose un problème. Elle accentue les différences au lieu de les faire disparaître. Cette situation est bien connue en Théorie des organisations. À partir du moment où vous définissez une règle autour d’un problème qui auparavant s’autorégulait socialement, vous prenez le risque de faire porter toute l’attention sur ce problème. Ce qui n’en était pas toujours un peut en devenir un. L’instrument de gestion – la règle – institue le problème. Il ne fait pas que le rendre visible pour le combattre, il peut aussi le créer.</p>
<p>Par exemple, les normes qualités dans les entreprises ont été mises en place pour lutter contre les dysfonctionnements et faire que les collectifs de travail soient plus efficaces. Elles ont certainement aidé à améliorer certains processus, mais elles ont aussi dit ce qui était le « bien travailler » et le « mal travailler ». Ainsi, elles ont normalisé le travail et ont conduit à casser des processus de travail qui fonctionnaient dans certaines entreprises.</p>
<p>Impossible, alors, de sortir de ce cadre, d’agir différemment. Il faut se conformer pour être vue comme une bonne entreprise (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_n%C3%A9o-institutionnelle">Meyer et Rowan, 1977</a>), même si ceci peut conduire l’entreprise à l’inefficacité voire la faillite. L’acte juridique en disant ce qu’est la femme et l’homme au travail et en disant ce qu’est l’égalité homme-femme normalise et uniformise des individus au travail au lieu de reconnaître leur diversité.</p>
<h2>Un long travail de déconstruction</h2>
<p>Pour beaucoup de femmes dans le travail la position est aujourd’hui très dure à tenir. Si je prends mon exemple, lorsqu’on me sollicite pour faire une action au travail ou pour me valoriser, je ne peux que m’interroger : est-ce parce que je suis moi ou parce que je suis du genre féminin ? Ceci d’autant plus que comme il y aurait peu de femmes dans mon monde professionnel, on me sollicite beaucoup en me disant que c’est justement parce que je suis une femme et qu’il faut la parité sur les listes électorales, dans les commissions de recrutement… Je dois donc lutter pour ne pas faire que cela et finir en symbole de la femme au travail au lieu de faire mon métier.</p>
<p>Les hommes, quant à eux, sont aux aguets. Tous actes qui les confrontent ou les associent aux femmes leurs posent la question de leurs interprétations : une réaction à l’action menée par une femme va très vite être interprétée comme une réaction genrée. Face à l’évolution/valorisation d’une femme professionnellement, ils en viennent également – légitimement – à se demander si ce n’est pas lié à son genre. Insidieusement, ces actes juridiques ont ainsi conduit dans certains milieux professionnels à opposer hommes et femmes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/136624/original/image-20160905-4787-nt386l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/136624/original/image-20160905-4787-nt386l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/136624/original/image-20160905-4787-nt386l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/136624/original/image-20160905-4787-nt386l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/136624/original/image-20160905-4787-nt386l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/136624/original/image-20160905-4787-nt386l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/136624/original/image-20160905-4787-nt386l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Assistant de puériculture, un métier très peu masculin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/valdemarne/8691690681/in/photolist-K5firm-4QjQJK-98bscd-ef9TNL-nLQrrC-ef4bPT-ef4bEH-o8rhnK-ef4aBV-dZC16S-dZC12E-dxsm9h-nWPDeB-nPaACj-8JdZkv-DG89UC-8JdZfe">Service photo du Département du Val-de-Marne/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le problème de l’égalité homme-femme est un problème profond, social, ancré dans des pratiques et des cultures. Les schémas mentaux à déconstruire prendront des années, des générations. On est certes encore loin d’une résolution de ce problème. Quand un jeune cadre à haut potentiel d’une grande entreprise française m’explique qu’il ne peut pas demander du télétravail sous peine de sabrer sa carrière parce que le télétravail est considéré comme un dispositif pour les femmes qui ont des enfants, je me dis que le travail sera encore long. Quand un jeune homme me raconte qu’il voudrait être assistant de puériculture mais qu’il ne peut pas se lancer dans ce métier car il sait que les crèches ne voudront pas l’embaucher, je me dis qu’il faut encore travailler.</p>
<h2>Éducation, formation, sensibilisation</h2>
<p>Il est évidemment nécessaire que l’État et le législateur agissent pour aider à cette transformation culturelle et sociale. Ces mesures ont le mérite de mettre en lumière l’importance de ce sujet pour notre société. En revanche, la solution n’est pas seulement dans l’acte juridique et les dispositifs législatifs qui posent l’égalité homme-femme. Elle est beaucoup plus à chercher autour de l’éducation, de la formation, de la sensibilisation et du dialogue. De la sanction, aussi, quand une femme ou un homme est traité différemment parce qu’il est femme ou homme.</p>
<p>Cet apprentissage double-boucle (<a href="https://books.google.fr/books?vid=ISBN0201001748&redir_esc=y">Argyris et Schön, 1978</a>) qui remet profondément en cause nos cadres de pensée est long, mais bien plus efficace que des actes législatifs qui finissent par opposer plutôt que de comprendre l’autre. Trop peu a été fait sur ce volet-là en France. On a considéré que la loi et l’acte juridique réglaient le problème. Il pourrait bien s’avérer que c’est le contraire…</p>
<p>Dans le débat sur le burkini, nous héritons du même discours et de la même façon d’agir pour lutter contre les inégalités de traitement entre les hommes et les femmes. En partant d’une volonté salutaire (promouvoir l’égalité homme-femme), ces mesures instituent peu à peu ce qu’est une femme « normale » et par opposition ce qu’est un homme « normal ». À force de jouer cette petite musique du genre, nous pourrions bien en arriver, sans nous en apercevoir, à étouffer toute diversité et à dessécher tout ce qui fait la beauté de la personnalité humaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/64618/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurélie Dudézert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment promouvoir l’égalité homme-femme ? La solution est moins dans la multiplication des normes et des lois, qui opposent, que dans le dialogue, l’éducation et la sensibilisation.Aurélie Dudézert, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, IAE de Poitiers, Laboratoire CEREGE, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/645652016-09-06T18:24:01Z2016-09-06T18:24:01ZLe juge et le politique face aux vides juridiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/136309/original/image-20160901-1061-4z317u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le siège du Conseil d’Etat, à Paris. Une institution récemment sollicitée sur l’affaire du « burkini ».</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/linobento/6511921025/in/photolist-aVrifr-3cKzQw-7esMvm-zXXpdJ-2wwVHS-8yLotX-99JPek-dDyXGm-fsc2P-4NWmD5-CoX6dP-4BdvJC-CHegz1-4B9ewz-hFDVg9-bwydDz-4B9eFn-fheQcd-fd81xn-eBA2Vq-7RTXTN-cCLj2w-4x9Acg-5FtgRS-F3mXV-psMr6v-DdCdMU-cRHBfU-qdgLeB-re23rM-saFao1-7og52N-5EaB5m-pnPUh6-pjDRe1-4tEH5S-e9L9So-p6k8D4-f8GiHc-6Fx6Bk-fdkQnq-gW89n8-hnMfHP-49aiBD-53Fiso-9cyZQQ-CHehqj-DwtDk2-eaw8Hw-eykE7S#undefined">Lino Bento/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Quand cela a-t-il commencé ? En tout cas, une chose est sûre : ces dernières années, le phénomène s’est intensifié : il y a de plus en plus de vides juridiques médiatisés. Qu’on en juge avec la série d’exemples qui suit.</p>
<p>Pouvait-on interdire le port de signes religieux dans les écoles avant la loi de 2004 ? C’est un <a href="http://www.conseil-etat.fr/content/download/635/1933/version/1/file/346893.pdfhttp://www.conseil-etat.fr/content/download/635/1933/version/1/file/346893.pdf">avis du Conseil d’État de 1989</a> qui tenait lieu de « jurisprudence » jusqu’à l’intervention de la loi. Au mépris du principe d’égalité, les règlements intérieurs des établissements scolaires variaient alors d’une commune à l’autre.</p>
<p>Pouvait-on interdire le spectacle de Dieudonné afin de prévenir des troubles à l’ordre public ? Le Conseil d’État a <a href="http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Selection-des-decisions-faisant-l-objet-d-une-communication-particuliere/Ordonnance-du-9-janvier-2014-Ministre-de-l-interieur-c-Societe-Les-Productions-de-la-Plume-et-M.-Dieudonne-M-Bala-M-Bala">dit « oui » en 2014</a>, mais <a href="http://www.conseil-etat.fr/Actualites/Communiques/Spectacle-de-Dieudonne">« non » en 2015</a> (le contenu des représentations était différent).</p>
<p>Était-il possible d’interrompre les soins vitaux d’une personne dans le coma n’étant pas <em>stricto sensu</em> en fin de vie, comme le prévoit apparemment la loi Leonetti de 2005 (complétée depuis par la loi du 2 février 2016) ? Dans l’affaire <a href="http://www.echr.coe.int/Documents/FS_Euthanasia_FRA.pdf">Lambert, le Conseil d’État et la Cour européenne des droits de l’homme</a> ont jugé qu’il n’y avait pas d’atteinte au droit à la vie.</p>
<p>Si le Code civil autorise le mariage entre conjoints de même sexe et l’adoption pour les couples homosexuels, il ne leur permet pas la procréation médicalement assistée. L’épouse d’un couple marié peut-elle adopter un enfant né par insémination artificielle légalement réalisée à l’étranger par sa conjointe ? Un <a href="https://www.courdecassation.fr/IMG/Communique_avis_AMP_140923.pdf">avis</a> de la Cour de cassation a répondu positivement.</p>
<p>Un couple ayant conçu légalement un enfant à l’étranger dans le cadre d’une gestation pour autrui (prohibée en France) peut-il obtenir la transcription de son acte de naissance sur les registres de l’état civil français ? La solution, possible à certaines conditions, a été imposée par la <a href="http://www.revuegeneraledudroit.eu/blog/2014/09/15/la-france-contrainte-de-faire-primer-linteret-superieur-de-lenfant-issu-dune-gpa/">Cour européenne des droits de l’homme</a> sur le fondement du droit au respect de la vie privée de l’enfant.</p>
<p>Peut-on avoir recours à une insémination artificielle <em>post mortem</em> ? La loi l’interdit, mais le Conseil d’État l’a autorisée, pour des raisons d’équité, <a href="http://www.conseil-etat.fr/Actualites/Communiques/Insemination-post-mortem">dans un cas</a> précis très exceptionnel.</p>
<p>Un officier d’état civil peut-il inscrire la mention « sexe neutre » à l’état civil dans le cas d’une personne intersexuée ? Oui pour un <a href="http://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/adieu-sexe-neutre/h/686fd7f20643e5c43ac5a5f8eea1efd9.html">TGI, non pour la Cour statuant en appel</a>, rien dans la loi de très explicite. Pour une réponse définitive, il faudra encore attendre… une loi ou une décision de justice.</p>
<p>Un simple arrêté municipal peut-il limiter la liberté d’expression religieuse en interdisant le « burkini » afin de prévenir des troubles à l’ordre public ? Rappelons que juridiquement, cette affaire n’a rien à voir avec le principe de laïcité qui ne s’applique pas dans l’espace public aux particuliers. Le Conseil d’État <a href="http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/08/26/le-conseil-d-etat-suspend-l-arrete-anti-burkini-de-villeneuve-loubet_4988472_3224.html">a répondu par la négative</a>.</p>
<h2>« La bouche de la loi »</h2>
<p>Reconnaissons-le : ces exemples sont du pain bénit pour les médias (qui parleront moins de l’achat des fournitures scolaires), les partis populistes (qui auront l’occasion de trouver de nouveaux coupables), mais aussi pour les professeurs de droit (qui disposeront d’exemples médiatiques pour illustrer des règles parfois arides). En outre, cela n’est pas choquant pour les juristes qui savent bien que le rôle principal de nos juridictions suprêmes (Cour de cassation et Conseil d’État) est d’harmoniser l’interprétation de nos lois nécessairement incomplètes ou floues.</p>
<p>En revanche, ces exemples sont aussi contrariants : ils peuvent être source d’incompréhension.</p>
<p>Dans notre système juridique (dit de droit écrit), ainsi que le préconisait Montesquieu, le juge doit se contenter d’être la « bouche de la loi », de l’appliquer mécaniquement tel un automate : le juge ne doit pas créer de règle. Bien entendu, en pratique cela est impossible. Non seulement la loi ne peut pas tout prévoir, mais en plus, elle contient toujours (volontairement ou non) des notions floues : qu’est-ce qu’une faute justifiant un licenciement ? Qu’est-ce que l’ordre public justifiant une interdiction quelconque attentatoire à nos libertés fondamentales prise par un maire ou un préfet ? Il est donc naturel que le juge complète la loi par son interprétation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/136302/original/image-20160901-1054-1ran3co.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/136302/original/image-20160901-1054-1ran3co.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/136302/original/image-20160901-1054-1ran3co.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/136302/original/image-20160901-1054-1ran3co.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/136302/original/image-20160901-1054-1ran3co.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/136302/original/image-20160901-1054-1ran3co.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/136302/original/image-20160901-1054-1ran3co.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour Montesquieu, le juge doit être « la bouche de la loi ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/yalelawlibrary/5474602262/in/photolist-fFL9MA-9kLLwb-6osJzF-6owNch-6owS1G-6osDEK-6osErV-6owP7U-fZq7zf-HwyurG-dwzfku-aW8Cvp-5e4dHw-fZqee8-fZqkVq-fZqk5Y-fZqG2K-fZqGtM-3jivQp-91DGwE-67SfZY-syjwJc-aW8Bq6-fZqFuT-fZqF8R-fZqGka-fZqf7F-fZq7aY-fZqe36-KgExvC#undefined">Yale Law Library/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cela, les anglo-saxons (système juridique dit de <em>common law)</em> l’ont compris plusieurs siècles avant nous. Mais dans ces pays, la justice bénéficie d’un prestige et d’une légitimité qui semblent lui faire défaut dans notre pays, pour des raisons historiques notamment. Sous l’Ancien Régime, certaines cours de justice pouvaient rendre des décisions arbitraires non fondées sur la loi, mais sur l’équité. Ces arrêts pouvaient avoir une portée générale (« arrêts de règlement » qui devaient s’appliquer à des affaires similaires postérieures) alors que selon la philosophie des Lumières le droit ne pouvait être issu que de la loi expression de la volonté générale, c’est-à-dire du Parlement. De nos jours, on dit souvent que notre justice manque de moyens, mais elle manque aussi de considération.</p>
<p>Alors, est-ce à la justice ou au pouvoir politique de résoudre ces questions qui nous passionnent ? Qui doit combler les « vides juridiques » ?</p>
<h2>Inflation législative</h2>
<p>Dans certains cas, le pouvoir politique n’a pas souhaité légaliser (GPA) ou semble avoir oublié de traiter certains « détails » (PMA à l’étranger). Dans d’autres, il est intervenu et a tranché définitivement (loi de 2004 sur les signes religieux) tout en laissant une marge de manœuvre aux autorités d’application. Parfois, il laisse au juge le soin de trancher (maîtrise de la notion de troubles à l’ordre public) ou de s’incliner suite à une condamnation par la justice européenne (<a href="http://www.echr.coe.int/Documents/FS_Gender_identity_FRA.pdf">modification de l’état civil des transsexuels</a>). D’autres fois enfin, il n’a pas eu le courage de légiférer ou, inversement, il a eu la sagesse de ne pas le faire. À l’approche de la prochaine élection présidentielle, les candidats ont déjà des « idées législatives » (voir par exemple <a href="http://www.lemonde.fr/politique/article/2016/08/24/sarkozy-mene-la-charge-contre-le-burkini_4987534_823448.html">Nicolas Sarkozy le 24 août</a> à propos du burkini).</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/136305/original/image-20160901-1023-12ykvcx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/136305/original/image-20160901-1023-12ykvcx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/136305/original/image-20160901-1023-12ykvcx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/136305/original/image-20160901-1023-12ykvcx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/136305/original/image-20160901-1023-12ykvcx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/136305/original/image-20160901-1023-12ykvcx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/136305/original/image-20160901-1023-12ykvcx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nicolas Sarkozy (ici en 2012) a déjà plein d’idées législatives.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/ump-photos/6893053018/in/photolist-bv7GvG-bEeepu-fvSmoC-bYCTSL-7VfGCP-8HJNba-7PBRZY-7PxTfa-rPaDfH-61vYYu-aBA6JJ-7PxTev-7PBRXy-2vGHMG-9Li5ES-61vYSQ-9rijq9-KhS9W-5W854q-dkxjf8-518NwF-9h9eHn-KCca3-4zU8fN-8Aqas8-225sZ8-aBunc9-KPVR1-aBubFU-bWagw1-aBrvxR-aBunQS-9UM8hj-amiP5W-epEdHV-K6gwc-46uZse-aBubPU-KPSjY-e5ygHw-buc6Bg-57PGGD-7VfFip-8dQiDs-9LWWne-7ViWeo-bEeewY-bLzkWX-8dM47g-fWtHhc#undefined">UMP/Flickr</a></span>
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<p>Doit-on légiférer sur tout quitte à susciter des tensions, sachant que ce sont parfois elles qui amènent le pouvoir politique à réglementer ? Les médias étrangers ne se privent pas de moquer notre réflexe pavlovien consistant à légiférer frénétiquement. C’est mal connaître notre système comme on vient de le voir, mais ce n’est pas tout à fait faux non plus : depuis longtemps les chercheurs, relayés par les journalistes, dénoncent une inflation législative. Il y a de plus en plus de lois qui sont de plus en plus « bavardes » et vétilleuses.</p>
<p>Où la démocratie doit-elle se jouer ? Dans le prétoire ou au Parlement ? Ou peut-être ailleurs ? Alors que les révolutionnaires ont entendu interdire tous les corps intermédiaires (syndicats, corporations…) pour fabriquer notre unité nationale, serait-il opportun que le droit, qui les a déjà revalorisés (syndicats dans les litiges de travail, associations dans les conflits familiaux..), les habilite à résoudre dans le respect de la loi, davantage de conflits ?</p>
<p>Les réponses à ces questions peuvent être embarrassantes. Un vide juridique sera souvent source d’inégalités car les réponses données dépendront d’une application localisée des règles (juridictions, administrations…). Par exemple, dans l’affaire du burkini, les communes dont les arrêtés d’interdiction n’ont pas été suspendus pour le moment par la justice pourront encore les appliquer. Dès lors, pour certains enjeux de société en matière de libertés fondamentales, il semble qu’une loi soit nécessaire pour, c’est selon les convictions, autoriser, interdire ou concilier (GPA, PMA par exemple). Mais pour d’autres enjeux, il serait peut-être plus sage de laisser passer l’orage médiatique.</p>
<p>À cet égard, et après les nombreuses controverses ayant précédé la <a href="http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Etudes-Publications/Rapports-Etudes/Etude-relative-aux-possibilites-juridiques-d-interdiction-du-port-du-voile-integral">loi de 2010 « anti-burka »</a>, on pourrait penser que la question n’est pas tant de savoir s’il faut interdire le burkini, mais plutôt de savoir pourquoi elle se pose.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/64565/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>William Benessiano ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Où la démocratie doit-elle se jouer : dans le prétoire ou au Parlement ? L’actualité ne manque pas d’exemples de ces affaires où la justice ou les parlementaires sont appelés à la rescousse.William Benessiano, Maître de conférences en droit public, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/645732016-09-01T04:40:31Z2016-09-01T04:40:31ZLe burkini, entre stratégie de sidération et de mystification<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/135929/original/image-20160830-28213-1ornyrh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le burkini, cet obscur objet du débat public. Et demain : les crèches de Noël dans les mairies et les repas de substitution dans les écoles?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/bellmon/28598356043/in/photolist-6E1MdD-p3frgQ-6QgAHC-6QgBVG-eQiE8w-8ighQ3-9RCvTK-9xqMhE-eQiDMs-pREb8b-eQiEp9-9VujT7-Kz93Uc-LuicJH-LeetYR-JVwpZE-5gBzWm">bellmon1/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Comment ne pas être sidéré par les débats qui émaillent cette rentrée politique ?</p>
<p>Identité nationale, burkini, islam de France, et demain, à n’en point douter, une résurgence de la place des menus de substitution dans les cantines scolaires ou celle des crèches de Noël dans les mairies… Sans oublier une surenchère sécuritaire frénétique qui semble emporter la plupart de la classe politique dans un tourbillon sans fin de <a href="http://www.francetvinfo.fr/societe/religion/laicite/polemique-sur-le-burkini/video-sarkozy-nous-ne-voulons-pas-de-signes-exterieurs-d-appartenance-a-une-religion-dans-notre-pays_1798185.html">propositions chocs</a> destinées à alimenter le buzz.</p>
<h2>Amoncellement de nuages</h2>
<p>Pour un peu, on en oublierait presque que des nuages bien plus tenaces et menaçants continuent de s’amonceler au-dessus des maisons française et européenne. Que la timide embellie sur le front de l’emploi masque, en réalité, un décrochage continu en matière de qualité de celui-ci. Que la réforme urgente du marché du travail, à l’heure où le modèle traditionnel de l’entreprise est remis en cause par les <a href="https://theconversation.com/uberisation-turc-mecanique-economie-a-la-demande-ou-va-le-capitalisme-de-plateforme-64150">plateformes d’uberisation et autres « turcs mécaniques »</a>, se fait toujours attendre.</p>
<p>Et aussi qu’une poignée de multinationales parvient à <a href="http://www.huffingtonpost.fr/2016/08/11/airbin-impots-pouquoi-seulement-70000-euros-france-2015_n_11446930.html">s’exonérer toujours davantage de l’impôt</a>, certaines (ab)usant de savants mécanismes d’évasion fiscale quand d’autres négocient habilement sur fond de chantage à l’emploi. Que des multinationales (parfois les mêmes) bravent quotidiennement la souveraineté numérique des États, participent à leur espionnage industriel et diplomatique, tout en faisant fi de toute forme de <a href="http://www.theverge.com/2013/11/20/5125922/vint-cerf-google-Internet-evangelist-says-privacy-may-be-anomaly">respect de la vie privée des individus</a>.</p>
<p>Que la politique monétaire de la Banque Centrale européenne, à force d’abuser du <em>quantitative easing</em> (par excès de crainte de voir éclater une bulle), trahit une vision (ultra) court-termiste qui ne cesse <a href="http://www.xerficanal-economie.com/emission/Olivier-Passet-Les-degats-de-l-argent-gratuit-(ou-presque)">d’ébranler les fondations du système bancaire</a>. Que les dettes souveraines des pays émetteurs atteignent de tels sommets que la stabilité du système financier international ne tient plus qu’au crédit que les fonds accordent en la capacité des États à renouer – un jour – avec la croissance. Et que les effets économiques du Brexit se font encore attendre alors que le front politique et social européen montre d’inquiétants signes de désunion…</p>
<h2>Un moment décisif</h2>
<p>Ces sujets sont autant de défis – immenses – auxquels nos sociétés sont tenues d’apporter des réponses structurelles, par le droit, mais aussi par des choix politiques clairs et résolus. N’en doutons pas : les dirigeants de toute l’Europe sont face à un moment décisif et leurs arbitrages en matière de politique économique auront un impact tangible et durable sur la vie quotidienne des citoyens français et européens.</p>
<p>On pourrait alors s’attendre à voir ces sujets traités avec tout le sérieux et la pédagogie nécessaires pour en faire saisir les enjeux au plus grand nombre à quelques mois d’échéances électorales majeures ? ! Non, Françaises, Français, <a href="http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/08/26/comment-le-burkini-est-devenu-la-polemique-du-mois-d-aout_4988517_4355770.html">vous mangerez du burkini jusqu’à l’écœurement</a>. Et il y a une raison de stratégie électorale à ce battage médiatique : sidérer l’opinion pour mieux la mystifier.</p>
<p>Il faut justement se rappeler que la sidération rend compte d’un état dans lequel un individu (ou une société) se trouve plongé(e) suite à un fort bouleversement psychique ou émotionnel qui entrave, pour un temps, sa capacité à raisonner et à agir. Les stratèges de tous bords l’ont bien compris et théorisé : sidérer l’adversaire, c’est disposer d’une fenêtre temporelle durant laquelle il est possible de prendre un avantage décisif.</p>
<p>Ce constat s’est souvent vérifié dans le <a href="http://www.atlantico.fr/decryptage/comprendre-secrets-fabrication-strategie-sideration-ei-pour-resister-redoutable-efficacite-alexandre-del-valle-1895406.html">domaine militaire</a> ou en matière de stratégie concurrentielle. Il n’en va pas autrement en politique. Sidérer l’opinion, c’est lui faire prendre des faits divers pour des questions prioritaires de constitutionnalité, nécessitant urgemment une refonte du droit, tandis que les sujets à dimension stratégique avérée sont relégués aux calendes grecques, voire débattus en catimini dans des hémicycles vidés de 95 % des parlementaires…</p>
<h2>L’exécutif et l’opposition, des sparring-partners</h2>
<p>Après le temps de la sidération vient alors celui de la mystification qui consiste à entraîner l’attention de toute une société dans la direction souhaitée, pendant que la véritable mystification s’opère dans l’ombre, à l’abri des regards. Jusqu’au moment de la révélation finale, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6L9ZAH09En4">que les magiciens nomment « le prestige »</a>, qui repose sur un résultat inouï, improbable, et donc imprévisible, de ceux qui mystifient le public jusqu’à lui faire croire en l’irrationnel.</p>
<p>Dans le cas qui nous intéresse, la direction empruntée en cette rentrée des classes politique dénote une convergence d’intérêts flagrante entre des belligérants à l’allure de <em>sparring partners</em> : à l’exécutif, elle permet de masquer – le temps que durera l’effet de sidération – les carences évidentes de son action sur les plans économiques et sociaux ; à l’opposition, elle offre l’occasion (espérée) de déplacer le débat public sur des thèmes de prédilection, qui renforcent (voire qui donnent l’illusion du bien-fondé de) la <a href="http://www.20minutes.fr/politique/1912255-20160823-presidentielle-2017-pourquoi-nicolas-sarkozy-souhaite-placer-identite-ur-campagne">ligne du désormais ex-chef de parti</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/135806/original/image-20160829-17847-siinni.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/135806/original/image-20160829-17847-siinni.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=588&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/135806/original/image-20160829-17847-siinni.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=588&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/135806/original/image-20160829-17847-siinni.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=588&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/135806/original/image-20160829-17847-siinni.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=739&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/135806/original/image-20160829-17847-siinni.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=739&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/135806/original/image-20160829-17847-siinni.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=739&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">burkini NYT.</span>
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<p>La mystification sera totale si les deux camps, dans un esprit de coopétition de bon aloi, parviennent à maintenir suffisamment longtemps l’effet de sidération, pour proposer en 2017 un remake du second tour de 2012… dont, si l’on en croit les sondages, les <a href="http://www.lepoint.fr/politique/presidentielle-2017-les-francais-ne-veulent-ni-de-sarkozy-ni-de-hollande-07-07-2016-2052827_20.php">Français ne veulent pas</a> ! En somme, le jeu stratégique politique de la rentrée donne une saveur toute particulière au morceau <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ACVFK4F-4Xc">« L’engreneur »</a> du rappeur Passi. Morceau choisi :</p>
<blockquote>
<p><em>Je lance le missile, grimpe ma côte,</em><br>
<em>Les gens achètent, donc votent.<br></em>
<em>Patriote, ma voix pilote, le peuple j’emporte,<br></em>
<em>Dans le pays je grignote, comme un virus dans une culotte.<br></em>
<em>Je suis l’engreneur, ma tête est mise à prix,<br></em>
<em>T’as compris ? Prie pour celui qui s’approprie les esprits !</em></p>
</blockquote>
<p>Et pendant que tout ce beau monde truste les espaces médiatiques complices – car participant du même écosystème – pour concrétiser leur stratégie, il se pourrait bien que dans la cacophonie ambiante, l’éditorial le plus clairvoyant ait été l’œuvre du <a href="http://www.nytimes.com/2016/08/19/opinion/frances-burkini-bigotry.html"><em>New York Times</em></a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/64573/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Pillot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ou l'on comprend, à travers quelques artefacts des sciences de gestion, pourquoi la rentrée politique se fait sur fond de surenchère identitaire. Et pourquoi ça risque de durer…Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie et Stratégie (Inseec U.) / Pr. et Chercheur associé (U. Paris Saclay), INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/643982016-08-30T04:28:21Z2016-08-30T04:28:21ZBurkini, une polémique qui survient au pire moment<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/135333/original/image-20160824-30216-13g6377.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C51%2C668%2C394&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur la Côte d'Azur.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/javinovo/1477807208/in/photolist-3fA9AC-75nUgs-9cGGcE-eqvBx-c4ksSb-9euhBN-9euhqC-eC13w-euMZFX-ac3M47-5vEFiw-4PjTK-eV9aKu-6JmGp8-6Cxmtj-uaejM-abZUvr-2MGbGX-eBZZm-EWqps-6eSAtp-s6d8h-GA7usk-njkq5j-8SEryW-eBZYk-9XMhuy-3gBRR3-79DQB6-H6Cko-uaewD-2bdov-uae6C-8F4RMb-6A4DT6-4YmBZP-57gtdt-7pNzPt-2bRi8-7dMAj5-nFKRSv-yvQXex-oZSWQG-eBZZM-7ZGRQK-7vVgmz-d5hq3s-7dMuDy-7ZGREx-fJ5cHw">Javier Novo Rodríguez/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Après que le maire de Cannes David Lisnard eut décidé d’interdire le <a href="https://theconversation.com/banning-the-burkini-reinforces-a-single-story-about-muslim-women-they-need-saving-64180">burkini</a> des plages de sa ville, pas moins de <a href="https://www.theguardian.com/world/2016/aug/19/nice-becomes-latest-french-city-to-impose-burkini-ban">15</a> stations balnéaires lui ont emboîté le pas, avant que le Conseil d'État suspende ces arrêtés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/135484/original/image-20160825-6604-1d5bd7o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/135484/original/image-20160825-6604-1d5bd7o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=634&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/135484/original/image-20160825-6604-1d5bd7o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=634&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/135484/original/image-20160825-6604-1d5bd7o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=634&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/135484/original/image-20160825-6604-1d5bd7o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=796&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/135484/original/image-20160825-6604-1d5bd7o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=796&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/135484/original/image-20160825-6604-1d5bd7o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=796&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p>Au-delà de cette bataille juridique, les arguments en faveur d’une telle interdiction se répartissent en trois catégories principales. Premièrement, on invoque la défense de la laïcité. Deuxièmement, cette tenue résulte d’une doctrine profondément misogyne qui perçoit le corps des femmes comme quelque chose de honteux. Le Premier ministre, Manuel Valls, n'en continue pas moins à utiliser<a href="http://www.francetvinfo.fr/societe/religion/laicite/polemique-sur-le-burkini/arrete-anti-burkini-invalide-pour-manuel-valls-la-decision-du-conseil-d-etat-n-epuise-pas-le-debat_1796891.html%E2%80%8B"> cet argument</a>. Enfin, le burkini est érigé en menace à l’ordre public.</p>
<p>Mais aucun de ces arguments ne résiste véritablement aux critiques des militants des droits de l’Homme, qui qualifient cette interdiction de <a href="http://www.alternet.org/grayzone-project/burkini-ban-frightening-new-stage-frances-descent-islamophobia-fanaticism">fondamentalement islamophobe</a>.</p>
<h2>Les subtilités de la laïcité</h2>
<p>Le décret pris par la mairie de Cannes invoquait explicitement les valeurs laïques. Il interdisait à quiconque qui ne serait pas <a href="http://www.nytimes.com/2016/08/13/world/europe/cannes-muslims-burkini-ban.html">« habillé d’une manière respectueuse de la laïcité »</a> d’accéder à des plages publiques. Or l’État français a uniquement banni les symboles religieux « ostentatoires » <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071191&idArticle=LEGIARTI000006524456&dateTexte=20160818">dans les écoles et dans les administrations</a> au nom du principe de laïcité (la stricte séparation entre l’État et la sphère religieuse). Dans l’espace public, la laïcité est censée garantir le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;?idArticle=LEGIARTI000019240997&cidTexte=LEGITEXT000006071194">respect</a> du pluralisme religieux. L’<a href="https://twitter.com/ObservLaicite/status/763848066319474688">Observatoire de la laïcité</a> a ainsi rappelé, dans un tweet, qu’une telle interdiction ne peut « se fonder sur le principe de laïcité ».</p>
<p>Si les voiles couvrant l’ensemble du visage – tels que la burqa ou le niqab – ont été décrétés <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000022911670&categorieLien=id">illégaux</a>, ce n’est pas en vertu du principe de laïcité mais pour une question de sécurité : ces vêtements ne permettent pas d’identifier la personne qui les porte. Or ce n’est pas le cas du burkini.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"763848066319474688"}"></div></p>
<p>En confiant à la police le soin de faire respecter cette interdiction du burkini, les autorités de Cannes ont ainsi conforté l’idée selon laquelle le <a href="http://foreignpolicy.com/2016/04/07/the-battle-for-the-french-secular-soul-laicite-charlie-hebdo/">« fondamentalisme laïc »</a> serait devenu un vecteur d’exclusion des musulmans de la société française.</p>
<h2>Attitudes néo-coloniales</h2>
<p>D’autres responsables politiques, comme <a href="http://www.latimes.com/world/europe/la-fg-france-burkini-debate-snap-story.html">Laurence Rossignol</a>, la ministre des droits des femmes, assure que le burkini reflète une « vision profondément archaïque de la place de la femme dans la société », sans tenir compte du point de vue des femmes musulmanes qui affirment le porter de <a href="http://www.liberation.fr/france/2016/08/16/se-baigner-en-robe-c-est-pas-pratique-ce-burkini-est-une-liberation_1472853">leur plein gré</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/135200/original/image-20160823-30212-y3abm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/135200/original/image-20160823-30212-y3abm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/135200/original/image-20160823-30212-y3abm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/135200/original/image-20160823-30212-y3abm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/135200/original/image-20160823-30212-y3abm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/135200/original/image-20160823-30212-y3abm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/135200/original/image-20160823-30212-y3abm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un burkini en vente.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/landahlauts/15121655242/in/photolist-6E1MdD-p3frgQ-6QgAHC-6QgBVG-5gBzWm-eQiE8w-8ighQ3-9RCvTK-9xqMhE-eQiDMs-pREb8b-eQiEp9-9VujT7-JVwpZE-LeetYR">Landahlauts</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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</figure>
<p>Ces propos traduisent la persistance d’une attitude de type colonial chez de nombreux politiciens français non-musulmans, qui se sentent en droit de dicter aux femmes musulmanes ce qui est le mieux pour elles. Auparavant, <a href="http://www.liberation.fr/france/2016/03/30/laurence-rossignol-et-les-negres-qui-etaient-pour-l-esclavage_1442820">Laurence Rossignol</a> avait comparé les femmes qui portent le voile par choix <a href="https://www.theguardian.com/world/2016/mar/30/french-womens-rights-minister-laurence-rossignol-accused-racism-negro">aux « nègres américains qui étaient pour l’esclavage »</a>.</p>
<p>Loin de soutenir les droits des femmes, l’interdiction du burkini ne ferait que nourrir un sentiment de persécution chez les femmes qui le portent. Il en irait de même pour celles qui n’ont pas eu voix au chapitre : une telle interdiction ne leur serait d’aucun secours. Car cette mesure ne défie en rien l’autorité patriarcale exercée sur les corps féminins dans un foyer. Bien au contraire, elle restreint encore davantage la vie des femmes voilées en lui substituant l’autorité de l’État dans l’espace public.</p>
<h2>Ouvrir la boîte de l’islamophobie</h2>
<p>Les partisans de l’interdiction affirment que, dans un contexte très tendu, suite aux récentes attaques terroristes, porter ce type de vêtement islamique serait une forme de provocation. C’est, notamment, ce qu’a expliqué Pierre-Ange Vivoni, le <a href="http://www.bbc.com/news/world-europe-37082637">maire (socialiste) de Sisco</a> (Corse), quand il a de décidé de bannir le burkini suite aux violents incidents survenus le 13 août sur le territoire de sa commune. Les premiers témoignages sur cette affaire ont fait état d’une <a href="http://www.liberation.fr/france/2016/08/15/corse-le-maire-ps-de-sisco-prend-un-arrete-anti-burkini-apres-les-violences-de-samedi_1472502">rixe</a> entre des habitants originaires de cette région et des personnes issues de l’immigration marocaine. Celle-ci aurait commencé lorsque des étrangers ont voulu photographier une femme vêtue d’un burkini. Le maire a alors expliqué que l’interdiction de cette tenue visait à préserver la sécurité de la population, y compris les habitants d’origine maghrébine.</p>
<p>Or ces premières « informations » se sont révélées totalement <a href="http://www.liberation.fr/france/2016/08/18/au-tribunal-l-affaire-lamentable-de-sisco-ramenee-aux-faits_1473281">fausses</a> : aucune des femmes impliquées dans cette affaire n’était vêtue d’un quelconque burkini au moment de l’incident. L’interdiction n’en a pas moins été maintenue à Sisco, comme ailleurs, avant que le Conseil d'État ne la suspende.</p>
<p>Se sentir « provoqué » par le burkini, c’est avant tout se sentir provoqué par la visibilité des musulmans. L’interdire revient à sanctionner les femmes musulmanes sur la base de préjugés des autres. En outre, une telle attitude ne tient pas compte de la possibilité de <a href="https://www.washingtonpost.com/news/worldviews/wp/2016/08/17/the-surprising-australian-origin-story-of-the-burkini/">consolider la cohésion sociale</a> en permettant aux femmes voilées d’accéder aux mêmes espaces que leurs compatriotes non musulmans.</p>
<p>Les discours tenus sur la nécessité de garantir l’ordre public ont eu, parfois, des accents ouvertement islamophobes. <a href="https://www.theguardian.com/world/2016/aug/11/cannes-mayor-bans-burqinis-beachwear-must-respect-secularism">Thierry Migoule</a>, le directeur des services municipaux à Cannes, a ainsi estimé indispensable d’interdire « les tenues ostentatoires » qui font « référence à une allégeance à des mouvements terroristes qui nous font la guerre », ignorant au passage sciemment les <a href="http://www.nytimes.com/2016/07/20/world/europe/nice-truck-attack-victims-muslims.html">victimes musulmanes</a> des attaques récentes. À peine un mois après que les musulmans venus rendre hommage à leurs amis et <a href="https://www.ajib.fr/2016/07/hanane-charrihi-mere-a-ete-tuee-a-nice-deux-agressions-lors-de-recueillement/">membres de leurs familles</a> tués à Nice, le 14 juillet, ont été la cible d’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=HFGeJ2BKpRg">insultes racistes</a>, ces propos sont non seulement détestables mais aussi irresponsables.</p>
<h2>Divisions accrues</h2>
<p>Feiza Ben Mohammed, la porte-parole de la Fédération des musulmans du Sud, <a href="http://www.thelocal.fr/20160812/riviera-burqini-ban-absurd-and-a-gift-for-isis-recruiters">redoute</a> qu’une telle stigmatisation fasse le jeu des recruteurs de l’État islamique. Cette crainte semble fondée : certains chercheurs mentionnent le <a href="http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/Daech-r-v-lateur-des-failles-et-crispations-de-la-soci-t-fran-aise-1699605917">sentiment d’exclusion</a> comme l’un des facteurs sous-tendant les phénomènes de radicalisation d’une minorité de musulmans français. L’interdiction du burkini ne peut qu’exacerber ce sentiment. Il convient, par ailleurs, de rappeler que la mise en place de mesures répressives visant les musulmans européens fait partie intégrante de la <a href="http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/islamic-state/12002726/The-grey-zone-How-Isis-wants-to-divide-the-world-into-Muslims-and-crusaders.html">stratégie de l’État islamique</a>.</p>
<p>Au lendemain des incidents à Sisco, d’importantes forces de police ont été déployées aux abords de Bastia pour empêcher une foule de quelque 200 personnes scandant des <a href="https://www.theguardian.com/world/2016/aug/15/corsica-mayor-bans-burkini-violence-beach-protests-sisco-france">« On est chez nous »</a> de pénétrer dans un quartier périphérique où résident de nombreuses personnes d’origine maghrébine. Compte tenu de la récente mise en garde du patron des services de sécurité intérieure (DGSI) concernant un <a href="http://www.ibtimes.co.uk/were-brink-civil-war-french-security-chiefs-chilling-warning-before-nice-terror-attack-1570820">risque</a> de confrontation entre « l’extrême droite et le monde musulman », ces scènes sont tout aussi préoccupantes.</p>
<p>Aujourd’hui plus que jamais, la France a besoin d’unité. Or le durcissement de la législation visant les femmes voilées ne pourrait que diviser davantage un pays l'est déjà fortement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/64398/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fraser McQueen reçoit des financement de l'Arts and Humanities Research Council à travers la Scottish Graduate School of Arts and Humanities. Il est membre du parti Labour.</span></em></p>Dans un contexte de fortes tensions, liées aux attentats, dicter aux femmes musulmanes la façon dont elles doivent s'habiller ne peut qu'exacerber les esprits.Fraser McQueen, PhD Candidate, University of StirlingLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/644102016-08-26T04:47:03Z2016-08-26T04:47:03ZPanique morale autour du « burkini »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/135376/original/image-20160824-30222-2u7ll0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans un parc aquatique, en Egypte en 2011.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/38659937@N06/5812487037/in/photolist-6E1MdD-p3frgQ-6QgAHC-6QgBVG-5gBzWm-eQiE8w-8ighQ3-9RCvTK-9xqMhE-eQiDMs-pREb8b-eQiEp9-9VujT7-LuicJH-LeetYR-JVwpZE">Frans Persoon/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>L’impact du terrorisme est immédiat. Mais le phénomène, dès qu’il est quelque peu durable et soutenu, exerce aussi ses effets en profondeur. C’est ainsi que dans la foulée du <a href="https://theconversation.com/attentats-comment-se-perd-la-bataille-culturelle-62578">carnage de Nice</a>(14 juillet 2016) et de l’égorgement du prêtre Jacques Hamel à Saint-Etienne-du Rouvray (26 juillet 2016), la question du « burkini » a embrasé la France, façonnant une panique morale qui s’est développée en trois temps. Rappelons rapidement les faits.</p>
<h2>1. Les ingrédients de la panique</h2>
<p>Tout d’abord, on apprend qu’un parc aquatique privé, le <a href="http://www.marianne.net/bouches-du-rhone-parc-aquatique-se-privatise-femmes-burkini-jilbeb-bain-100244780.html">Speedwater</a>, se prépare à accueillir lors d’une journée en septembre, à l’initiative de l’association musulmane « Smile » (pour : Sœurs Marseillaises Initiatrices de Loisirs et d’Entraide), un public de femmes qui devront porter un burkini ou un « jilbeb », bref, un maillot de bain islamique. Les enfants des deux sexes seront autorisés à participer à cette journée, jusqu’à 10 ans pour les garçons.</p>
<p>La droite et l’extrême droite relaient la polémique qui naît, et qui s’étend à toute la France <em>via</em> les réseaux sociaux et les médias classiques. Le maire (de gauche) des Pennes-Mirabeau, la commune concernée, fait connaître son projet d’interdire cette journée, et la direction du parc aquatique annonce qu’elle y renonce.</p>
<p>Étape suivante : le <a href="http://www.lexpress.fr/actualite/societe/le-maire-de-cannes-a-interdit-le-port-du-burkini-des-musulmans-s-insurgent_1820743.html">maire de Cannes</a>, puis ceux de plusieurs autres communes prennent un arrêté interdisant le « burkini » pour risque de « trouble à l’ordre public ». Le premier ministre, Manuel Valls, fait savoir qu’il soutient ces élus. La Ligue des droits de l’Homme et le Collectif contre l’islamophobie en France, par contre, déposent des recours contre ces arrêtés – ils sont dans un premier temps rejetés par la justice.</p>
<p>Enfin, le 13 août, une rixe, à Sisco, en Corse, oppose des villageois à quelques Maghrébins ayant « privatisé » un espace de la plage à leur profit. Cinq personnes sont blessées. Aussitôt, dans les réseaux sociaux et les médias qui s’enflamment, il est question de burkini, et quasiment de terrorisme – le cri « Allah Akbar ! » aurait été lancé par certains de ces Maghrébins. Il est question aussi, comme symétriquement, de racisme corse. Saisie, la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0lKojhs2Jik">justice établit assez rapidement la succession des faits</a> : il y a bien eu « privatisation » de la place, mais pas de « burkini », ni de cris de type « Allah Akbar ! ».</p>
<h2>2. Les logiques de l’hystérie</h2>
<p>La critique du « vêtement islamique » n’est pas neuve en France, et elle a suscité d’autres paniques morales, dès 1989 avec la première affaire de « foulard ». Elle trouve son inspiration en s’adossant sur trois logiques de fond, qui ne sont pas nécessairement contradictoires.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/135377/original/image-20160824-30216-chv1x7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/135377/original/image-20160824-30216-chv1x7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/135377/original/image-20160824-30216-chv1x7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/135377/original/image-20160824-30216-chv1x7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/135377/original/image-20160824-30216-chv1x7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/135377/original/image-20160824-30216-chv1x7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/135377/original/image-20160824-30216-chv1x7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans un magasin en Turquie, en 2014.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/landahlauts/15121655242/in/photolist-6E1MdD-p3frgQ-6QgAHC-6QgBVG-5gBzWm-eQiE8w-8ighQ3-9RCvTK-9xqMhE-eQiDMs-pREb8b-eQiEp9-9VujT7-LuicJH-LeetYR-JVwpZE">Landahlauts/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>La première est républicaine : une <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-jean-bauberot-comment-etre-la-que-dans-la-france-de-2016-59101">conception pure et dure de la laïcité</a> et des valeurs républicaines impose de cantonner la religion dans l’espace privé, et entend prohiber les signes religieux « ostensibles », comme dit la loi du 15 mars 2004, non seulement à l’école, mais bien au-delà.</p>
<p>Une deuxième logique est féministe : les vêtements islamiques sont à proscrire car ils signifieraient et accompagneraient l’aliénation ou la domination de la femme.</p>
<p>La troisième logique, qui a le mérite – si on peut dire – d’indiquer plus directement l’enjeu, est nationaliste et très explicitement anti-islam : le vêtement islamique ne serait qu’une des expressions du combat que mènerait l’islam contre la Nation française.</p>
<p>Ces trois logiques n’ont pas attendu l’été 2016 pour se déployer, et plusieurs personnalités sont même assez nettement identifiées à une ou même deux, voire trois d’entre elles. Elles dessinent un paysage politique qui ne peut assurément pas être lu à la lumière de l’opposition droite/gauche : qui oserait dire qu’Élisabeth Badinter et Marine Le Pen mènent le même combat ?</p>
<p>Et l’écho qu’elles suscitent dans l’opinion doit beaucoup à la façon dont le pouvoir, et tout particulièrement le premier ministre ou certains ministres, telle <a href="http://www.europe1.fr/politique/laurence-rossignol-denonce-le-burkini-profondement-archaique-2820898">Laurence Rossignol</a>, hystérisent la question, par des déclarations qui toujours vont dans le sens de la dramatisation : en soutenant par exemple les élus qui interdisent le « burkini », on en donne l’image d’un phénomène majeur, alors que sur certaines des plages concernées par des arrêtés d’interdiction, on n’en avait tout simplement pratiquement jamais vus. Et on en fait un élément dans une stratégie d’affrontement et de conquête politico-religieuse, ce qui n’est peut-être pas le principal ou le seul sens du port de ce vêtement – il faudrait ici des recherches, comme celle de <a href="http://www.persee.fr/doc/agora_1268-5666_1995_num_2_1_1519_t14_0131_0000_1">Françoise Gaspard et Farhad Khosrokhavar</a>, publiée il y a plus de vingt ans.</p>
<p>À quoi tiennent cet embrasement, ces passions, ces émotions si vives et immédiates ?</p>
<h2>3. L’espace politique de la panique morale</h2>
<p>Deux grandes familles d’analyse peuvent être ici envisagées. L’une, que les sociologues baptiseront de divers qualificatifs (interactionniste, intersubjective, pragmatique, etc.), examine l’enchaînement des faits, et les interactions successives au fil desquels des acteurs coproduisent par exemple des émotions sans cesse plus intenses, jusqu’à ce que le processus se dénoue.</p>
<p>Dans cette perspective, on pourrait, par exemple, examiner dans le détail la succession des interactions lors de la rixe de Sisco, et ensuite, ce qui peut apporter un éclairage sur les postures des uns et des autres, au moment de l’affrontement, sur le fonctionnement des réseaux sociaux et des médias classiques, ou sur le rôle de la justice. Ce type de démarche est au cœur notamment des propositions du sociologue américain Randall Collins pour l’<a href="http://cadis.ehess.fr/index.php?2471">analyse de la violence</a>.</p>
<p>Mais l’étude du jeu des acteurs en situation ne nous dit rien de leurs orientations générales, de leur subjectivité, du sens qu’ils peuvent mettre dans leurs propos et leurs actes au-delà du moment de l’action : les Maghrébins et les villageois, à Sisco, avaient bien leur conception de l’usage de la plage et du territoire, ou des relations entre Corses et personnes issues de l’immigration maghrébine, qui ne coïncidaient apparemment pas avec ce que l’opinion plus générale pouvait attendre dans le contexte du terrorisme islamique.</p>
<p>D’où l’utilité d’un autre type d’approche, qui s’intéresse, précisément, aux orientations ou à la subjectivité de ceux qui ont contribué à la panique morale, notamment en voulant donner crédit aux rumeurs nées de la rixe de Sisco. Si hystérie il y a eu, c’est parce qu’il était possible d’interpréter les faits – quitte à les déformer, à les dramatiser, à les amplifier – en s’inscrivant dans un paysage idéologique et politique dominé chez beaucoup par la hantise de l’islam.</p>
<p>C’est parce que, bien au-delà des faits observables, une lecture des évènements orientée et émotive plus que fondée en raison trouvait sa légitimité dans des hantises inscrites dans les évolutions en profondeur de la société. Si sur les réseaux sociaux, dans les médias, ou de la part d’une partie de la classe politique cette lecture a pu rencontrer un tel succès, c’est qu’il était concevable de transformer une journée privée (le parc aquatique), la perspective (non démontrée) de voir des femmes de plus en plus nombreuses en « burkini » sur les plages, ou une rixe plutôt banale en autant d’expressions d’un combat mené par un islam conquérant.</p>
<h2>Un sentiment de menace</h2>
<p>Ce n’est pas minimiser ou banaliser le risque terroriste que de dire que la distance est grande, et peut-être incommensurable, <a href="http://www.francetvinfo.fr/societe/religion/laicite/polemique-sur-le-burkini/pour-les-femmes-qui-le-portent-leburkiniest-un-compromis-entre-la-modernite-et-la-foi_1593515.html">entre le port du « burkini », et l’islamisme radical et violent</a>. Que dans certains cas, il s’agisse d’une provocation : c’est possible, et regrettable. Que dans d’autres, il y ait la marque d’une aliénation de la femme : c’est certain, et cette aliénation doit être combattue – on peut se demander si l’interdiction du « vêtement islamique » est la meilleure démarche.</p>
<p>Mais ce que la panique morale est venue nous dire, finalement, est autre chose : une partie importante de la population est convaincue de l’existence d’une continuité entre l’islam et l’islamisme radical, et se sent menacée non seulement par le terrorisme – qui ne le serait pas ? – mais aussi par la présence même de l’islam sur son territoire national. La panique morale vient exprimer ce sentiment de menace, et en appeler à une action politique pour, croit-on, combattre le danger.</p>
<p>Elle est l’expression infra-politique d’un mouvement qui prépare l’avènement de ce que j’ai appelé (dans <em>Libération</em>, le 16 août dernier) une <a href="http://www.liberation.fr/debats/2016/08/16/vers-une-deuxieme-guerre-des-deux-france_1472807">seconde « guerre des deux France »</a>, où s’opposent de plus en plus nettement les tenants d’une politique sécuritaire et dure vis-à-vis de l’islam, en général, à ceux qui plaident pour l’État de droit, le respect des lois et des libertés, la tolérance, et une conception ouverte de la laïcité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/64410/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Une partie importante de la population est convaincue de l’existence d’une continuité entre islam et islamisme radical, et se sent menacée par la présence même de l’islam sur le territoire national.Michel Wieviorka, Sociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.