tag:theconversation.com,2011:/global/topics/capitalisme-23342/articlescapitalisme – The Conversation2023-11-14T18:55:05Ztag:theconversation.com,2011:article/2101402023-11-14T18:55:05Z2023-11-14T18:55:05ZSi écologie et capitalisme sont incompatibles, comment « re-naturer » les humains ?<p>« Des forêts, pas des faux rêves », ont inscrit les militants qui luttent contre le <a href="https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/211023/les-opposants-l-a69-reussissent-leur-ramdam">projet de l’A69 Toulouse-Castres</a> à l’entrée de la nouvelle zone à défendre, la Cremzade, qu’ils ont créée le 21 octobre dernier, avant d’être délogés dès le lendemain. Ce jour-là, plusieurs milliers de personnes ont rejoint la grande mobilisation « Ramdam sur le macadam » pour réclamer l’arrêt des travaux. Écologie contre capitalisme, capitalisme contre écologie, une fois de plus.</p>
<p>Depuis 2022, <a href="https://www.stockholmresilience.org/download/18.8615c78125078c8d3380002197/ES-2009-3180.pdf">six des neuf limites planétaires</a> qui définissent un espace de développement sûr pour l’humanité sont dépassées, notamment le changement climatique et l’intégrité de la biosphère, contre <a href="https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acs.est.1c04158">trois en 2009</a>. Face à ce constat, dans notre système capitaliste, quelle entreprise n’affirme pas participer à l’objectif de <a href="https://unfccc.int/fr/a-propos-des-ndcs/l-accord-de-paris">l’accord de Paris</a> de maintenir nettement en dessous de 2 °C la hausse des températures mondiales d’ici 2100 ? Partout foisonnent des pratiques de développement durable dont l’engagement écologique constitue l’un des trois piliers (avec la dimension économique et la dimension sociale). Pourtant, la crise écologique continue de mettre à mal la légitimité du capitalisme et les initiatives pour y répondre ne suffisent pas à entériner les désastres.</p>
<p>Des initiatives comme les <a href="https://theconversation.com/les-zad-et-leurs-mondes-89992">ZAD</a>, ou des mouvements tels que les Soulèvements de la Terre, Extinction Rebellion, ou Attac s’indignent, se révoltent et luttent pour mettre en évidence l’antagonisme entre capitalisme et écologie. Mais quelle est la nature cet antagonisme ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/extinction-rebellion-a-la-clusaz-quand-la-zad-gagne-la-montagne-174358">Extinction Rebellion à La Clusaz, quand la ZAD gagne la montagne</a>
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<h2>Une incompatibilité matérielle</h2>
<p>Le capitalisme est décrit en 1999 par les sociologues français <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Le-nouvel-esprit-du-capitalisme">Luc Boltanski et Eve Chiapello</a> comme un processus d’accumulation du capital dénué de justification propre, mais qui est toujours parvenu à se justifier et à mettre en place des pratiques « correctives » pour répondre aux critiques qui lui étaient adressé, et pour, in fine, qu’elles ne constituent plus un danger pour la légitimité et la longévité du capitalisme.</p>
<p>Comme le développe quelques années plus tard <a href="https://academic.oup.com/book/12730">Eve Chiapello</a>, la critique écologique apparaît d’une autre nature : elle interroge la capacité du système capitaliste à garantir l’avenir de l’humanité, à commencer par sa reproductibilité et dénonce le capitalisme comme potentiellement destructeur pour notre civilisation.</p>
<p>La question écologique invite effectivement à s’interroger sur les limites structurelles du capitalisme. En mettant en exergue le fait que les ressources naturelles sont limitées, la crise écologique pointe du doigt l’incompatibilité matérielle entre l’écologie et le capitalisme, un système d’accumulation sans limite.</p>
<p>La notion de <a href="https://doi.org/10.3917/mouv.063.0099">« capitalisme vert »</a> comporte alors une contradiction matérielle fondamentale. Mais l’antagonisme entre écologie et capitalisme est-il uniquement matériel ? Ou plutôt, que traduit la vision matérialiste de la nature des sociétés capitalistes ? Au-delà de l’évidente incompatibilité matérielle entre écologie planétaire et capitalisme, comment interpréter l’opposition entre écologie et capitalisme ?</p>
<h2>Une nature « ressource » ou une nature « vivante » ?</h2>
<p>Dans le système capitaliste, la nature est majoritairement appréhendée, à travers <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/13505084221098249">sa fonction pour l’entreprise</a>, comme un ensemble de ressources. Son caractère vivant n’est pas nécessairement nié mais les pratiques organisationnelles visent à gérer la ressource, à l’exploiter, voire à la protéger, dans un contexte de crise écologique.</p>
<p>Cette appréhension de la nature comme une ressource séparée et à la disposition de l’homme, bien qu’engageant la <a href="https://editions.flammarion.com/le-principe-responsabilite/9782081307698">responsabilité morale</a> de ce dernier, notamment pour assurer la survie des générations futures, continue de séparer humanité et nature et conserve une distance entre ce qui devrait pourtant être rapproché dans un contexte de crise écologique.</p>
<p>Parallèlement à la multiplication des ZAD et des luttes écologiques, le contexte de crise écologique favorise l’émergence en Occident d’initiatives qui invitent à <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/13505084221098249">revoir radicalement l’appréhension de la nature dans les entreprises</a>. En particulier, certaines agroécologies, comme la permaculture, la biodynamie ou certaines agricultures biologiques ou durables, s’appuient sur la croyance en une nature vivante, variable et singulière, qui inclut et met en relation les hommes, les plantes, les animaux, les minéraux au sein d’écosystèmes non hiérarchisés et communicants.</p>
<h2>Les agroécologies en Occident : des expériences de re-naturation de l’homme</h2>
<p>Les agroécologies prônent des solutions techniques, elles refusent les intrants chimiques, leur préférant le compost, le fumier ou les assemblages bénéfiques entre plantes et animaux dans une logique d’équilibre interne de la ferme. Mais aussi et surtout, elles proposent une approche des organisations humaines qui permettent de ré-inclure l’homme dans le vivant, de le <a href="http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=2862">« re-naturer »</a>, c’est-à-dire de restaurer sa conscience qu’il n’est pas séparé de la nature mais qu’il en fait partie.</p>
<p>Par exemple, les agriculteurs de la biodynamie, méthode agricole alternative à l’origine de l’agriculture biologique née en 1924 dans les pays germaniques, considèrent la <a href="https://www.demeter.fr/wp-content/uploads/2023/03/Cahier-des-charges-Demeter-France-version-2023.pdf">ferme comme un organisme vivant</a> auquel les hommes, les plantes et les animaux contribuent de manière collaborative. La vache se nourrit de l’herbe et produit à son tour de la bouse qui est travaillée et répandue par l’homme pour nourrir le sol et les cultures. Cette approche de la ferme comme organisme vivant implique de conserver des parcelles « à taille humaine ».</p>
<p>À l’inverse des tendances agricoles au <a href="https://theconversation.com/climat-biodiversite-le-retour-gagnant-des-arbres-champetres-174944">remembrement</a>, c’est-à-dire à la constitution de plus grandes exploitations agricoles d’un seul tenant dans le but de faciliter l’exploitation des terres, les fermes agroécologiques ont tendance à préférer les fermes de petite taille et des modes de croissance par essaimage, c’est-à-dire par l’acquisition de petites parcelles autonomes plutôt que par l’agrandissement d’une parcelle unique.</p>
<p>Ainsi, les agriculteurs travaillent la terre sur des lieux singuliers, dans lesquels ils peuvent <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/1556349">s’ancrer écologiquement</a>, connaître le lieu et ses spécificités, les êtres vivants qui le composent, s’y identifier et développer à leur égard un attachement, cet ancrage écologique étant favorisé par la petite taille. <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/AMBPP.2020.11608abstract">L’essaimage</a> permet en outre à la ferme de travailler des terroirs diversifiés et de se prémunir contre les aléas naturels en répartissant les risques sur plusieurs parcelles indépendantes.</p>
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<p>Enfin, le rapport sensible à la terre, aux plantes et aux animaux est fondamental dans ces fermes. L’agriculteur déambule sur ses parcelles, il observe, il sent, il écoute. Le temps passé dans ces lieux à l’éprouver par ses sens est à la fois un outil de diagnostic avant la prise de décisions agricoles, un moyen de collecter de l’information et de connaître de lieu, mais aussi un facteur d’approfondissement de la relation et de l’attachement au vivant. Les agroécologies convoquent ainsi la corporalité de l’homme à travers l’expérience d’une relation sensorielle à une nature non séparée et non étrangère à lui. Une expérience quotidienne par laquelle <a href="http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=2862">l’homme se reconnait comme faisant partie de la nature</a>. Une expérience qui lui révèle ou lui rappelle l’impossibilité du vivant à s’adapter à des formes d’organisation industrielle et capitaliste.</p>
<h2>Quelles définitions de l’homme et de la nature ?</h2>
<p>La crise écologique ne soulève pas uniquement la question de savoir ce qui est juste, mais aussi de savoir ce qui est. Autrement dit, quelles définitions de l’homme et de la nature souhaitons-nous adopter ? La conception de l’homme et de la nature véhiculée par les agroécologies, et les pratiques qu’elles proposent, amènent à questionner la distinction supposée fondamentale en Occident entre <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Sciences-humaines/Par-dela-nature-et-culture">nature et culture</a> et à envisager d’autres modes d’identification et de lien. Prenant la question écologique à sa racine, elles permettent d’envisager des façons d’habiter la terre radicalement autre.</p>
<p>Les agroécologies proposent des expériences concrètes d’inclusion des hommes dans le vivant au sein des organisations agricoles. La posture écologique des êtres humains peut certes être alimentée par l’indignation et les luttes face aux désastres écologiques, mais les métamorphoses du capitalisme prennent également leur source dans la multiplication d’expériences sensibles, situant l’homme dans sa relation avec les êtres vivants non humains et avec les écosystèmes auquel il appartient. Au-delà des solutions techniques et matérielles, la ré-intégration de l’homme dans la nature comporte un fondement sensible et une portée radicale qui questionne les définitions capitalistes de la nature et de l’homme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210140/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire-Isabelle Roquebert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le contexte de crise écologique favorise l’émergence d’initiatives qui invitent à revoir radicalement le rapport entre les hommes et la nature.Claire-Isabelle Roquebert, Chercheuse en organisations - durabilité, ancrage écologique, responsabilité sociale de l'entreprise, agroécologies, Université de RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171512023-11-09T16:42:58Z2023-11-09T16:42:58ZLa Chine : de l’imitation à l’innovation ?<p>Le 1<sup>er</sup> mars 2023, plusieurs articles se sont fait l’écho d’une <a href="https://www.aspi.org.au/report/critical-technology-tracker">étude de l’Institut stratégique australien</a> qui affirme que dans 37 technologies émergentes sur 44, la <a href="https://theconversation.com/topics/chine-20235">Chine</a> dispose d’une « avance stupéfiante ». Ce texte reflète une crainte de plus en plus répandue dans les milieux occidentaux, à savoir que nos démocraties seraient sur le point d’être dépassées par le modèle de croissance chinois, fondé sur une alliance inédite entre <a href="https://theconversation.com/topics/capitalisme-23342">capitalisme</a> de marché et <a href="https://theconversation.com/topics/communisme-26345">régime politique communiste</a>.</p>
<p>Cette crainte est-elle fondée ? Si la Chine a réalisé des progrès considérables en matière d’innovation, nos <a href="https://www.college-de-france.fr/sites/default/files/media/document/2023-05/Does%20Chinese%20Research%20Hinge%20on%20US%20Coauthors%20Evidence%20from%20the%20China%20Initiative%20Philippe%20Aghion.pdf">travaux</a> montrent qu’elle reste dépendante de l’Occident et qu’elle devra surmonter plusieurs limites encore avant de pouvoir s’affirmer comme leader en matière d’innovation.</p>
<h2>Des capacités d’innovation accrues</h2>
<p>À partir de 1978, sous l’impulsion de Deng Xiaoping, le modèle chinois a d’abord privilégié les projets tournés vers l’exportation et le développement de substituts aux produits importés. Les autorités ont encouragé les investissements comportant d’importants transferts de technologie et une part élevée de composants fabriqués localement. En raison de l’avantage comparatif fondé sur le faible coût de sa main‑d’œuvre, la Chine est ainsi devenue l’atelier du monde, fondé sur la séquence importation – transformation – réexportation, grâce aux firmes multinationales qui ont participé au développement des activités d’assemblage.</p>
<p>Le succès du modèle de croissance chinois réside ainsi pour partie dans l’ampleur des transferts de technologie des pays développés. Au début des années 2000, les entreprises à capitaux étrangers ont contribué à près du tiers de la production manufacturière.</p>
<p>Depuis deux décennies, le développement des capacités d’innovation chinoises a été fulgurant : le nombre de citations de brevets chinois par les étrangers a connu une croissance de 33 % par an entre 1995 et 2005. Il a atteint <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/jep.31.1.49">51 % par an</a> entre 2005 et 2014. Comme le soulignent Antonin Bergeaud, professeur associé à HEC, et Cyril Verluise, chercheur associé au Collège de France, depuis deux décennies, la Chine a réalisé une <a href="http://longtermproductivity.com/perso/Techdiff.pdf">forte percée</a> dans sa contribution aux technologies de rupture : impression 3D, blockchain, édition du génome, vision artificielle, stockage de l’hydrogène et véhicules sans chauffeurs par exemple.</p>
<h2>La Chine, encore dépendante des États-Unis</h2>
<p>Cependant, si la Chine a réalisé des progrès significatifs en termes de qualité des brevets, son influence sur le développement des technologies considérées reste limitée. Cela vaut en particulier pour ce qui concerne la recherche fondamentale à l’origine des innovations de rupture, où les laboratoires américains continuent d’être leaders.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1706759603852128603"}"></div></p>
<p>Les <a href="https://www.college-de-france.fr/sites/default/files/media/document/2023-05/Does%20Chinese%20Research%20Hinge%20on%20US%20Coauthors%20Evidence%20from%20the%20China%20Initiative%20Philippe%20Aghion.pdf">travaux que nous menons au Collège de France</a> confortent l’idée d’une Chine qui se trouve dans une forme de dépendance asymétrique vis-à-vis des États-Unis. À partir de la base de données Scopus, nous avons analysé les effets sur la recherche de la <em>China Initiative</em> mise en place par Washington fin 2018 pour lutter contre l’espionnage technologique chinois. Dans la pratique, celle-ci s’est traduite par des procédures administratives plus complexes ainsi que par des financements plus restreints pour des projets communs entre chercheurs chinois et américains, allant même jusqu’à interdire la poursuite de certains projets.</p>
<p>Si notre étude confirme bien une tendance au rattrapage technologique des États-Unis par la Chine, elle conforte également la vision d’un Empire du Milieu pour longtemps encore dépendant de son rival : en résumé, les chercheurs chinois ont davantage besoin de collaborer avec des chercheurs américains que l’inverse.</p>
<p>Nous constatons notamment que la <em>China Initiative</em> a fait sensiblement baisser la qualité moyenne des publications des chercheurs chinois ayant préalablement travaillé avec des co-auteurs américains. Cet effet négatif a été plus marqué sur les sujets dominés par les États-Unis avant le choc. Par ailleurs, la <em>China Initiative</em> a obligé ces chercheurs chinois à se réorienter vers des partenariats scientifiques hors des États-Unis, notamment vers l’Europe, mais cela ne leur a pas permis de maintenir la qualité de leurs publications.</p>
<p>Comme l’écrit Gérard Roland, professeur à l’Université de Berkeley, la Chine produit certes de nombreux brevets, mais ils concernent essentiellement des <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674270367">innovations incrémentales</a> et non des innovations de rupture. Entre 1998 et 2018, <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11127-020-00850-1">aucune des nouvelles molécules découvertes dans l’industrie pharmaceutique</a> ne l’a été en Chine, contre 56 % aux États-Unis.</p>
<h2>Des faiblesses persistantes</h2>
<p>En Chine, l’État est à la fois directement entrepreneur et planificateur, un modèle radicalement différent du modèle schumpétérien occidental dans lequel l’innovation repose sur des d’entrepreneurs et un écosystème favorisant l’initiative privée. Autant le modèle chinois apparaît-il efficace pour combler le retard technologique dans une économie en rattrapage, autant celui-ci implique plusieurs faiblesses qui empêchent la Chine de devenir un leader en matière d’innovation.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/557842/original/file-20231106-21-jqrqq3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/557842/original/file-20231106-21-jqrqq3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/557842/original/file-20231106-21-jqrqq3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/557842/original/file-20231106-21-jqrqq3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/557842/original/file-20231106-21-jqrqq3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/557842/original/file-20231106-21-jqrqq3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/557842/original/file-20231106-21-jqrqq3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/557842/original/file-20231106-21-jqrqq3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La centralisation du pouvoir et le manque de liberté individuelle ne contribuent pas à attirer les talents et les capitaux étrangers – contrairement aux États-Unis. Comme le montre notre <a href="https://www.college-de-france.fr/sites/default/files/media/document/2023-05/Does%20Chinese%20Research%20Hinge%20on%20US%20Coauthors%20Evidence%20from%20the%20China%20Initiative%20Philippe%20Aghion.pdf">étude</a>, le développement de collaborations scientifiques avec des chercheurs américains jusqu’en 2018 avait permis aux chercheurs chinois, non seulement de profiter de l’excellence académique américaine, mais également de bénéficier à travers leurs coauteurs d’une liberté qu’ils ne trouvaient pas chez eux. Par ailleurs, le système éducatif chinois encourage peu à la créativité.</p>
<p>La méthode chinoise, où l’État investit massivement en R&D avec le secteur privé, peut se révéler efficace dans une économie de rattrapage. Cependant, stimuler les dépenses n’est pas suffisant pour permettre l’innovation. L’omniprésence de l’État dans le système bancaire chinois engendre une allocation non optimale du capital en favorisant le financement des entreprises publiques et liées à l’État – y compris les entreprises non rentables – au détriment des entreprises privées. En Chine, les entreprises qui investissent en R&D ont la <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/economie-et-finance/pouvoir-de-la-destruction-creatrice_9782738149466.php">même croissance que celles qui ne le font pas</a>.</p>
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<p>Enfin, la Chine pâtit d’une insuffisante protection des droits de propriété intellectuelle et de faibles normes de qualité : en 2023, elle se situe au <a href="https://www.internationalpropertyrightsindex.org/country/china">50ᵉ rang (sur 125 pays) pour l’indice international de la propriété intellectuelle</a>. Or, les réformes économiques améliorant la protection des investisseurs et l’indépendance du système judiciaire sont des conditions préalables pour nourrir une économie de l’innovation.</p>
<p>Si elle a connu un développement technologique plus affirmé que certains ne le prévoyaient il y a encore deux décennies, la Chine n’a pas encore atteint le stade où elle peut pleinement jouer le rôle de leader scientifique et technologique. Pour devenir une économie capable d’initier des innovations de rupture, la Chine doit s’ouvrir davantage au lieu de se fermer. Elle risque sinon de connaître le « syndrome argentin », celui des économies qui, à l’issue d’un rattrapage très dynamique, s’arrêtent au milieu du gué.</p>
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<p><em>Cette contribution à The Conversation France est publiée en amont des Jéco 2023 qui se tiendront à Lyon du 14 au 16 novembre 2023. Retrouvez ici le <a href="https://www.journeeseconomie.org/affiche-conference2023">programme complet</a> de l’événement.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217151/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Par imitation, la Chine a su rattraper son retard technologique à une vitesse vertigineuse ; son modèle économique l’empêche néanmoins encore d’émerger comme un leader en matière d’innovation.Philippe Aghion, Professeur à l'INSEAD, professeur invité à la LSE et titulaire de la Chaire Économie des institutions, de l'innovation et de la croissance, Collège de FranceCéline Antonin, Chercheur à Sciences Po (OFCE) et chercheur associé au Collège de France, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2014122023-03-16T11:24:52Z2023-03-16T11:24:52ZLa sobriété énergétique, tellement plus qu’une collection d’écogestes !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/515719/original/file-20230316-14-oh3wlb.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C2263%2C1175&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Préparation du repas à l’aide d’un four solaire. </span> <span class="attribution"><span class="source">Violeta Ramirez</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Si la notion de « sobriété énergétique » était encore récemment réservée aux prospectivistes, aux bureaux d’étude et conseil, et aux chercheurs et partisans de la décroissance, ce terme est aujourd’hui utilisé partout. Y compris dans les directives managériales des institutions les plus engagées sur le terrain de la croissance économique, qui demandent à présent aux employés de réduire la consommation énergétique liée à leurs déplacements, à leur confort thermique, etc.</p>
<p>La vitesse à laquelle la notion s’est vulgarisée et banalisée ne laisse de surprendre ceux qui travaillent depuis des années sur la question.</p>
<p>Si la diffusion du terme et des recommandations à la frugalité et l’anti-gaspillage sont antérieurs, le grand « décollage » de la sobriété énergétique a eu lieu très récemment, en 2022, suite au déclenchement de la guerre en Ukraine. Pour montrer la solidarité avec ce pays et, en même temps, pouvoir passer l’hiver, les dirigeants européens ont fait un appel à la réduction de la consommation d’énergie, permettant de pallier la réduction des importations énergétiques.</p>
<h2>Régulation de la consommation d’énergie et innovation technique</h2>
<p>En France, le gouvernement d’Élisabeth Borne a <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/286643-elisabeth-borne-06102022-plan-de-sobriete-energetique">annoncé en octobre 2022 son plan de sobriété énergétique</a>, demandant aux Français de réduire leur consommation d’énergie pour éviter au gouvernement d’imposer des mesures de rationnement et des coupures électriques.</p>
<p>Dans les communiqués officiels – reproduits ensuite par les collectivités, les entreprises et les institutions –, la sobriété énergétique fait désormais référence à un ensemble de technologies de fabrication et de gestes du quotidien tels que la réduction de la consommation électrique individuelle et publique, la limitation du chauffage et de l’autosolisme, la rénovation thermique des bâtiments, l’équipement en technologies plus efficaces (thermostats intelligents, ampoules LED)… </p>
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<figcaption><span class="caption">Sobriété énergétique : annonce des premières mesures par le gouvernement. (France 24/Youtube, octobre 2022)</span></figcaption>
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<p>On rassemble ainsi dans cette définition de la sobriété énergétique des solutions relevant tantôt du changement de comportement des consommateurs, tantôt de l’innovation technique des industriels permettant de maintenir le même niveau de confort avec une moindre consommation d’énergie.</p>
<h2>Écarter les dimensions transformatrices</h2>
<p>Si la diffusion de la notion au-delà du cercle d’experts est une bonne chose, son acception institutionnalisée pose de nombreuses questions.</p>
<p>Premièrement, la confusion, volontairement entretenue par le gouvernement entre « sobriété » et « efficacité » énergétiques, lui permet de faire cohabiter de manière fallacieuse, dans un seul et même discours, des orientations opposées : la sobriété et la croissance.</p>
<p>Deuxièmement, l’utilisation de cette notion à fort potentiel contestataire, pour faire référence à une somme de gestes – présentés comme provisoires et relevant en partie de l’innovation technique –, permet d’éviter la remise en question de la trajectoire de la société contemporaine et ses conséquences dévastatrices pour l’habitabilité de la planète.</p>
<p>On le comprend, l’enjeu majeur de cette institutionnalisation réside dans la dépossession des catégories pouvant nommer et aider à construire des alternatives sociales.</p>
<h2>Sobriété énergétique : de quoi parle-t-on exactement ?</h2>
<p>En tant que modération ou autolimitation des besoins et des désirs, la sobriété est une vertu reconnue dans les civilisations anciennes – Aristote fait ainsi l’éloge de la modération en tant que pratique de la juste mesure –, ayant intégré de nombreuses philosophies, religions et systèmes de croyances.</p>
<p>Dès le XVIII<sup>e</sup> siècle, l’avènement du capitalisme industriel s’accompagne de multiples formes de dissidence à l’égard de la société productiviste, qui contestent l’objectif de croissance et réclament une modération de la production et de la consommation.</p>
<p>Rappelons que cet objectif de croissance trouve notamment son origine dans le fait que les grandes machines industrielles n’étaient rentables que si de grandes quantités de biens étaient produites, conduisant au primat de l’offre sur la demande.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/redecouvrir-la-pensee-de-jacques-ellul-pionnier-de-la-decroissance-80624">Redécouvrir la pensée de Jacques Ellul, pionnier de la décroissance</a>
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<p>Des mouvements sociaux, toujours marginalisés, se sont opposés au règne de la machine (à l’image des briseurs de machines), à l’augmentation de la productivité et à la séparation du travailleur et du consommateur.</p>
<p>D’autres ont opté pour prendre leurs distances par rapport à l’économie industrielle et expérimenter un mode de vie à contre-courant où les besoins reconnus se limitent au « nécessaire de vie », selon l’expression du philosophe Henry David Thoreau.</p>
<h2>Pauvreté volontaire, simplicité, frugalité, décroissance</h2>
<p>Les multiples discours sociaux revendiquant une modération de la production et de la consommation qui se sont succédé depuis le XVIII<sup>e</sup> siècle n’ont pas toujours utilisé le terme de sobriété.</p>
<p>Parfois, d’autres termes traduisant le principe d’autolimitation volontaire et de suffisance ont été utilisés : « pauvreté volontaire », « simplicité volontaire », « frugalité » ou « décroissance ».</p>
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<img alt="Une personne se prépare à planter" src="https://images.theconversation.com/files/514226/original/file-20230308-26-kgwf7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514226/original/file-20230308-26-kgwf7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514226/original/file-20230308-26-kgwf7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514226/original/file-20230308-26-kgwf7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514226/original/file-20230308-26-kgwf7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514226/original/file-20230308-26-kgwf7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514226/original/file-20230308-26-kgwf7u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Faire pousser ses futurs aliments.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Violeta Ramirez</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<img alt="Un enfant tient une matière compostée dans ses mains" src="https://images.theconversation.com/files/514228/original/file-20230308-20-na46z7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514228/original/file-20230308-20-na46z7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514228/original/file-20230308-20-na46z7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514228/original/file-20230308-20-na46z7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514228/original/file-20230308-20-na46z7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514228/original/file-20230308-20-na46z7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514228/original/file-20230308-20-na46z7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Composter ses déchets.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Violeta Ramirez</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Ces discours ont contesté l’objectif de croissance (produire et consommer toujours plus) avec des arguments écologiques, politiques, moraux et mathématiques. Ils ont non seulement critiqué cette orientation productiviste de la société moderne, mais ont également proposé des alternatives sociotechniques : produire localement avec des technologies simples et des énergies renouvelables, respecter les cycles de recyclage de la matière, etc.</p>
<h2>Un changement durable chez les individus</h2>
<p>Au XXI<sup>e</sup> siècle, juste avant son institutionnalisation, la notion de sobriété énergétique était utilisée pour désigner des stratégies et choix de réduction de la consommation matérielle et énergétique en vue de l’adaptation des modes de vie aux limites planétaires. </p>
<p>Elle nommait ainsi un processus réflexif, réalisé individuellement et/ou collectivement, consistant à interroger les besoins et à réévaluer les consommations selon un critère énergétique et environnemental, et pas seulement économique.</p>
<p>À la différence de son acception institutionnalisée, qui appelle à des comportements provisoires résultant d’un contexte conjoncturel, le processus d’apprentissage et d’adoption des valeurs et pratiques qu’implique l’engagement dans la sobriété énergétique transforme durablement l’individu, peu enclin par la suite à retomber dans une « ébriété » énergétique.</p>
<h2>Quoi au bout de la spirale de descente énergétique ?</h2>
<p>Les démarches de sobriété énergétique peuvent être portées collectivement, mais elles relèvent, d’abord, d’un engagement et d’un questionnement individuel. Par quels moyens et avec quels résultats les personnes parviennent-elles à l’objectif de réduire leur consommation énergétique ?</p>
<p>L’étude ethnographique d’initiatives de sobriété volontaire montre que le souci de réduire son impact environnemental donne lieu à un processus de transformation qui commence par le questionnement, la limitation et la redéfinition de ses besoins ; il peut aller jusqu’à la remise en question et la [transformation des formes de travail].</p>
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<img alt="Une femme découpe une planche de bois" src="https://images.theconversation.com/files/514229/original/file-20230308-795-ze5ziu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514229/original/file-20230308-795-ze5ziu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514229/original/file-20230308-795-ze5ziu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514229/original/file-20230308-795-ze5ziu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514229/original/file-20230308-795-ze5ziu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514229/original/file-20230308-795-ze5ziu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514229/original/file-20230308-795-ze5ziu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">S’affranchir du « travail professionnel » pour prendre le temps de bricoler, par exemple, permet de gagner en autonomie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Violeta Ramirez</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Pour une bonne partie des personnes engagées dans la sobriété énergétique, l’objectif vise à réduire les coûts environnementaux liés aux modes de vie ; cette réduction a des effets sur la manière de satisfaire les besoins concernant le logement (construire et bricoler son habitat), l’alimentation (produire sa nourriture ou la glaner), l’équipement (fabriquer, récupérer et réparer des objets, vêtements et outils), l’énergie et les ressources (produire son énergie et collecter son eau, traiter et transformer ses déchets).</p>
<p>« Faire soi-même » apparaît comme la meilleure façon de contrôler les conditions et les conséquences de son mode de vie. Certaines personnes décident ainsi de réduire leur temps de travail professionnel et augmenter le temps de travail « pour soi », afin de produire elles-mêmes ce dont elles ont besoin.</p>
<p>Consommer autrement amène ainsi à travailler autrement et vice-versa, dans une spirale par laquelle le sujet gagne en autonomie : il acquiert des connaissances qui lui permettent de se passer du marché de biens, de services et du travail.</p>
<p>On le comprend, ces différents enjeux associés à la définition de la sobriété énergétique défendue ici (en récupérant et en élaborant des connaissances pour s’émanciper du marché capitaliste et de sa culture consumériste), diffèrent significativement de ceux associés à la notion désormais institutionnalisée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201412/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Violeta Ramirez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le processus d’apprentissage et d’adoption des valeurs et pratiques qu’implique l’engagement dans la sobriété énergétique transforme durablement les individus.Violeta Ramirez, Anthropologue, chercheur postdoctoral sur la transition et la sobriété énergétiques, Université Savoie Mont BlancLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1954082022-12-22T15:20:57Z2022-12-22T15:20:57ZLe père Noël dans l’imaginaire collectif : entre profane et sacré<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/502550/original/file-20221222-18-d432yn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C1%2C991%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour que l'idée d'un père Noël sacré survive dans l'esprit des enfants, il nous faut compter sur la complicité et la solidarité de tous les adultes, que ce soit à la maison, à l'école, dans les médias, dans les commerces ou dans les œuvres de culture populaire.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Doit-on laisser nos enfants croire au père Noël ou serait-il plus prudent de leur expliquer, dès leur plus jeune âge, qu’un tel personnage <em>n’existe pas</em> ?</p>
<p>C’est une question à laquelle plusieurs parents trouveront certainement des réponses pertinentes dans les écrits de la <a href="https://naitreetgrandir.com/fr/etape/1_3_ans/viefamille/fiche.aspx?doc=bg-naitre-grandir-croire-pere-noel">psychologie pédiatrique</a>. En adoptant toutefois la perspective de l’<a href="https://www.cas-sca.ca/fr/a-propos-d-anthropologie/qu-est-ce-que-l-anthropologie">anthropologie culturelle</a>, ma question est un peu différente. Je me demande pourquoi nous acceptons tous, un jour ou l’autre, de nous faire les complices de ce mystère sur la réalité du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A8re_No%C3%ABl">père Noël</a>, qu’on le voit comme un <a href="https://theconversation.com/coca-cola-is-coming-to-town-ou-lepopee-publicitaire-de-santa-128412">personnage fictif du soft power américain</a> ou plutôt comme une icône des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/No%C3%ABl">fêtes chrétiennes de la Nativité</a>.</p>
<p>Deux sous-questions doivent être formulées. La première concerne le besoin que nous, occidentaux, avons d’incarner l’esprit religieux de Noël sous la forme d’un vieillard costumé plutôt que de lui conserver son essence mythique originelle. Et la seconde concerne notre volonté encore plus naïve de sublimer l’image de ce personnage folklorique en feignant de ne pas remarquer ses écarts de conduite lorsqu’il s’en donne la licence morale, notamment dans les films ou les chansons pour enfants.</p>
<p>Dans une <a href="https://professeurs.uqam.ca/professeur/genest.sylvie/">perspective universitaire</a> et sur la base de mes intérêts pour la culture populaire et sa construction dans un contexte capitaliste, je me réfère principalement aux écrits du philosophe <a href="https://www.puf.com/Auteur:Jean-Jacques_Wunenburger">Jean-Jacques Wunenburger</a>, éminent spécialiste de l’image et du sacré, pour aborder ce thème de l’ambivalence qui caractérise notre expérience du père Noël.</p>
<h2>L’expérience infantile du « numineux »</h2>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/C3UcwuX7VAo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Des enfants prennent des photos, assis sur les genoux du père Noël.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ce que nous enseigne d’abord Wunenburger, c’est que le sacré dispose fondamentalement d’un statut paradoxal. C’est-à-dire qu’en tant qu’il fixe un seuil entre le naturel et le surnaturel, le sacré constitue à la fois un « interdit à ne pas transgresser » et une « invitation à enfreindre les limites », notamment celles de la matérialité du monde. Devant ce paradoxe, il est normal d’être en proie à des sentiments ambivalents : d’un côté, nous ressentons une « peur panique devant la grandeur incommensurable de l’inconnu » ; et de l’autre, une « attraction irrésistible vers quelque chose de supérieur, de merveilleux et de solennel ». C’est ce que le théologien Rudoplf Otto a appelé l’expérience du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Numineux"><em>numineux</em></a>.</p>
<p>C’est sans doute ce que ressentent nos enfants lorsque nous, parents, les asseyons sur les genoux d’un père Noël inconnu en plein milieu d’un centre commercial. Par ce geste, nous les soumettons à ce type d’expérience en permettant que soit entretenue, en eux, une grande confusion de sentiments. D’une part, ils éprouveront une peur effroyable envers cet étranger flamboyant qui les empoigne ; et, d’autre part, ils nourriront cette espérance ardente à laquelle nous les raccrochons en leur faisant miroiter de jolis présents d’ordinaire inaccessibles.</p>
<h2>Sacraliser notre expérience du profane</h2>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/TjFhil4yHcc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le défilé du père Noël, à Montréal, en 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>Aussi, pour que l’étrange bonhomme soit <em>plus</em> qu’une image dans un cahier à colorier, il nous faut mettre en place des stratégies visant à en instituer le caractère sacré. Comme nous en instruit Wunenburger, il s’agit dès lors de structurer notre expérience « par le symbole, le mythe et le rite ».</p>
<p>Parmi les rites de Noël les plus pratiqués dans les métropoles industrielles, il y a celui qui consiste à assister, les enfants sur les épaules, à un long défilé de chars allégoriques au terme duquel l’apparition du père Noël produit généralement l’émoi escompté. D’autres rites plus intimes consistent par exemple à laisser des indices du passage du père Noël dans nos maisons, que ce soit en disposant des biscuits grignotés, des verres de lait à moitié bus ou des cadeaux sous le sapin, le tout à l’insu des enfants endormis.</p>
<p>Afin de donner au père Noël son caractère sacré, les créateurs de la fête capitaliste en ont par ailleurs engendré les mythes de sorte à lui octroyer des pouvoirs magiques, des connaissances secrètes et des privilèges merveilleux.</p>
<p>Quant aux symboles de la sacralité du père Noël, on les a empruntés au domaine du religieux. Il s’agit notamment de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Crosse_%C3%A9piscopale">crosse épiscopale</a>, de la <a href="https://articlesreligieux.fr/vetements-du-clerge/2482-barrette-rouge-avec-pompon.html">barrette à pompon</a> et de la couleur pourpre portée par les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cardinal_(religion)">cardinaux</a>, un rouge flamboyant symbolisant le pouvoir, le prestige et l’autorité de ces hauts dignitaires de l’Église catholique.</p>
<h2>Profaner notre expérience du sacré</h2>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/zGoISPHVTxU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Extrait du film The Santa Clause.</span></figcaption>
</figure>
<p>Dans son goût pour le paradoxe, l’industrie du divertissement ne craint pas, par ailleurs, d’avilir l’image de son père Noël en produisant des œuvres qui en exposent certains travers. Dans la scène où il boit du chocolat chaud préparé par une jeune elfe (ci-dessus), le père Noël en pyjama flirte librement avec elle : « je dois dire que tu es très bien pour ton âge ! » Cet extrait compte parmi les plus embarrassants qu’ait tourné Disney pour sa série <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Super_No%C3%ABl"><em>The Santa Clause</em> (ou Sur les traces du père Noël, en français)</a>.</p>
<p><em>The chimney song</em> (ci-dessous), interprétée par une fillette, est un autre exemple de propos à caractère pédophile exploitant la figure sacrée du père Noël.</p>
<blockquote>
<p>Il y a quelque chose de coincé dans la cheminée</p>
<p>et je ne sais pas ce que c’est, mais c’est resté là toute la nuit.</p>
<p>J’ai attendu le père Noël toute la nuit de Noël</p>
<p>mais il n’est jamais venu et ça ne semble pas normal…</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yQS5nAesfGk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">The chimney song.</span></figcaption>
</figure>
<h2>L’idée théorique du père Noël</h2>
<p>L’anthropologue Gregory Bateson a proposé une métaphore intéressante à propos du sacré et, surtout, de la place que celui-ci occupe dans l’<a href="https://www.seuil.com/ouvrage/vers-une-ecologie-de-l-esprit-gregory-bateson/9782020532334#">écologie de l’esprit humain</a>. En comparant les idées à des êtres vivants, Bateson a montré comment celles-ci naissent, vivent, se reproduisent et meurent pour créer autour de nous un écosystème de communication à la fois riche, sensible et vulnérable. Comme les espèces qui luttent ou coopèrent pour leur survie dans des conditions qui leur sont parfois favorables, parfois hostiles, les idées s’assemblent, se coordonnent, s’embrouillent ou s’entrechoquent dans une compétition qui n’est pas toujours loyale.</p>
<p>Ainsi, pour que l’idée d’un père Noël sacré survive dans l’esprit des enfants, il nous faut compter sur la complicité et la solidarité de tous les adultes, que ce soit à la maison, à l’école, dans les médias, dans les commerces ou dans les œuvres de culture populaire.</p>
<p>En revanche, pour que ce mensonge reste socialement acceptable, il est nécessaire que les adultes se mentent à leur tour à eux-mêmes quant à la réalité obscène que recouvre le personnage fictif du père Noël. En tant que complices de cette manipulation du sacré, nous devons en quelque sorte fermer les yeux sur la licence morale qu’accorde au père Noël l’industrie du divertissement lorsqu’elle met en scène la réalité de l’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=M8GcjB6WnPY">homme ordinaire qui en endosse le costume</a>.</p>
<p>Nous signons alors un pacte avec le diable en faisant semblant de croire en l’existence d’un père Noël capable de prendre des enfants sur ses genoux sans avoir de pulsions sexuelles ; de se montrer généreux avec eux sans ruiner leurs parents ; de leur promettre des cadeaux sans exiger quelque service en retour ; qui ne voit rien d’obscène à s’introduire dans l’intimité des familles en pénétrant leur cheminée trop étroite et pas assez profonde ; ni rien de louche à se trouver dans la chambre des tout-petits.</p>
<p>Or, c’est un secret de polichinelle que ce sont des hommes de chair et de sang qui donnent vie aux pères Noël. Considérant la dualité de la nature humaine, se rendre complice de leurs mauvais penchants ne me semble pas, dès lors, très avisé.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="représentation illustrée d’un père noël penché sur le lit d’une fillette endormie" src="https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Doit-on laisser nos enfants croire au père Noël ou serait-il plus prudent de leur expliquer, dès leur plus jeune âge, qu’un tel personnage n’existe pas ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/195408/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Genest ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Doit-on laisser nos enfants croire au père Noël ou serait-il plus prudent de leur expliquer, dès leur plus jeune âge, qu’un tel personnage n’existe pas ?Sylvie Genest, Professeure à la Faculté des arts, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1961562022-12-12T18:35:37Z2022-12-12T18:35:37ZLa parenthèse du néolibéralisme financier est-elle en train de se fermer ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/499515/original/file-20221207-4043-frkdm0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C88%2C1169%2C873&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Depuis la crise de 2007-08, les banques centrales, comme la Réserve fédérale (Fed) aux États-Unis (photo), endossent un rôle de plus en plus politique.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/87913776@N00/6928222486">Futureatlas.com/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La longue séquence de libre circulation des capitaux et de déréglementation des systèmes financiers, ouverte au début des années 1970-80 sous l’impulsion nord-américaine, britannique puis européenne, va-t-elle prochainement toucher à sa fin ?</p>
<p>Ce processus de libéralisation et de financiarisation de l’économie, qui s’est considérablement étendu durant les décennies suivantes, avait déjà failli marquer un coup d’arrêt après la grande crise immobilière et bancaire de 2007-08. Beaucoup ont alors cru alors qu’en raison des dégâts économiques (la grande récession) et de l’immense gâchis de capital provoqué par le séisme financier, la parenthèse néolibérale allait se refermer, tant il était devenu vital d’en finir avec ce que le président Nicolas Sarkozy qualifiait à l’époque de « <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2010/01/27/04016-20100127ARTFIG00769-a-davos-sarkozy-fustige-les-derives-du-capitalisme-.php">dérives du capitalisme financier</a> ».</p>
<p>Quinze ans plus tard, rien ne de tel n’est arrivé, évidemment…</p>
<h2>Croyance persistante…</h2>
<p>Lors de cet épisode, le pragmatisme des banques centrales et des États avait permis d’endiguer, à coup de milliers de milliards, les risques d’illiquidité et/ou d’insolvabilité des systèmes financiers. Il fallait, à juste titre, assainir les bilans bancaires en les délestant de leurs actifs sans valeur pour éviter le chaos de l’activation d’un risque systémique.</p>
<p>Le G20, notamment celui du sommet de Washington du 15 novembre 2008, avait certes pointé du doigt la responsabilité des insuffisances comptables, de l’opacité de certains produits de titrisation, des malversations diverses, de la défaillance des agences de notation ou encore des politiques monétaires permissives dans l’éclatement de la crise. <a href="https://tnova.fr/economie-social/finances-macro-economie/10-ans-apres-bilan-des-reformes-bancaires-et-financieres-depuis-2008-avancees-limites-propositions/">Quelques processus de (re)réglementation</a> avaient ensuite été initiés… Mais globalement, la croyance en l’efficacité des mécanismes de marché dans l’allocation du capital n’a jamais été ébranlée, ni même véritablement remise en question.</p>
<p>Or, cette croyance constitue le fondement même du système néolibéral de régulation par le marché qui s’est déployé depuis plus de 40 ans. Elle repose sur l’idée hayékienne selon laquelle toute l’information nécessaire à la prise de décision économique est <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-economie-politique-1-2002-2-page-47.htm">contenue dans les prix</a>.</p>
<p>Ainsi que le rappelle l’économiste <a href="https://www.lemonde.fr/crise-financiere/article/2011/12/05/il-faut-definanciariser-l-economie_1613552_1581613.html">André Orléan</a>, dans ce cadre conceptuel :</p>
<blockquote>
<p>« Chaque agent n’a qu’une connaissance locale, limitée à son environnement, et il revient aux prix d’agréger toutes ces informations locales pour produire une vision globale cohérente. »</p>
</blockquote>
<p>La version moderne de cette théorie des prix a été développée dans les années 1970 et est connue sous le nom <a href="http://efinance.org.cn/cn/fm/Efficient%20Capital%20Markets%20A%20Review%20of%20Theory%20and%20Empirical%20Work.pdf">d’hypothèse d’efficience des marchés financiers</a>. La concurrence qui y règne et les vertus autorégulatrices dont les marchés seraient dotés y produiraient de « justes prix », constituant des signaux fiables pour les investisseurs.</p>
<p>Mis en compétition, ces derniers seraient capables d’évaluer objectivement les risques et de faire converger les prix de marché vers leur valeur fondamentale (efficience informationnelle) et ainsi de garantir une allocation optimale de l’épargne (efficience allocative). Cette conception néo-hayékienne a offert un fondement idéologique et une puissante légitimation au processus de déréglementation financière.</p>
<h2>… mais fausse</h2>
<p>Or, l’histoire économique de ces quarante dernières années montre que les marchés financiers ne sont pas autorégulateurs. En situation <a href="https://www.persee.fr/doc/cep_0154-8344_1987_num_13_1_1047">d’incertitude radicale sur le futur</a>, le principe selon lequel les actifs financiers seraient dotés d’une valeur fondamentale, identifiable <em>ex-ante</em>, et dont le prix serait un bon estimateur, n’est plus tenable.</p>
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<p>Même si tous les investisseurs disposent, à un moment donné, d’un même ensemble d’informations, rien n’assure qu’ils partagent pour autant le même modèle d’interprétation des fondamentaux. Chacun se détermine alors, non pas à partir de son estimation de la valeur fondamentale, mais <a href="https://www.cairn.info/revue-reflets-et-perspectives-de-la-vie-economique-2004-2-page-35.htm">à partir de ce qu’il pense que les autres vont faire</a>.</p>
<p>Les prix de marché ne font alors que traduire des conjectures sur l’avenir, des scénarios parmi d’autres, par nature instables car reposant sur des <a href="https://www.researchgate.net/publication/254454075_Croyances_representations_collectives_et_conventions_en_finance">croyances collectives</a> versatiles. En l’absence de valeur d’ancrage, les investisseurs s’accrochent à des opinions instables et des croyances autoréférentielles. Selon l’ingénieur et philosophe <a href="https://www.persee.fr/doc/reco_0035-2764_1989_num_40_2_409143">Jean-Pierre Dupuy</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les rumeurs les plus absurdes peuvent polariser une foule unanime sur l’objet le plus inattendu, chacun trouvant la preuve de sa valeur dans le regard ou l’action de tous les autres ».</p>
</blockquote>
<p>Dans ce contexte, les bulles spéculatives (ces dynamiques mimétiques soutenues par telle ou telle opinion sur un futur hypothétique) se succèdent et explosent à chaque retournement de la croyance dominante (bulle Internet, bulles immobilières, des matières premières et marchés énergétiques, bulles obligataires, des <a href="https://theconversation.com/le-cours-du-bitcoin-condamne-a-toujours-plus-de-volatilite-163997">cryptoactifs</a>, etc.). L’identification d’un nouveau point d’équilibre (un prix plancher) peut donc s’avérer durablement hors de portée de marchés qui échouent à produire la moindre évaluation. Le système des prix peut disparaître et l’intervention d’un acteur extérieur (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/banque-centrale-45337">banque centrale</a> et/ou autorités publiques) est dans ce cas seule à même de fournir un cadre exogène de valorisation susceptible de stabiliser les projections.</p>
<p>La volatilité financière trouve ici une explication rationnelle. Elle ne peut plus être perçue comme une anomalie, fruit de l’irrationalité de collective. Elle doit au contraire être comprise comme la résultante de l’instabilité intrinsèque du processus d’évaluation en vigueur sur les marchés, instabilité que quatre décennies de financiarisation ont déployée à grande échelle, y compris sur l’immobilier ou les matières premières alimentaires, minérales et énergétiques.</p>
<h2>Le retour des prix administrés ?</h2>
<p>Alors, pour faire face à ces multiples troubles financiers, sanitaires, énergétiques et environnementaux, et comme elle l’avait fait durant de nombreuses années précédant la déréglementation, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/finance-20382">finance</a> s’est mise à nouveau à fonctionner en grande partie à partir de prix administrés.</p>
<p>C’est le cas en particulier pour ce qui est du coût de l’argent, les taux d’intérêt. Ainsi que l’indique l’économiste <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-declin-et-chute-du-neoliberalisme-192691">David Cayla</a> dans son récent livre <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807338616-declin-et-chute-du-neoliberalisme"><em>Déclin et chute du néolibéralisme</em></a> (De Boeck Supérieur, 2022) :</p>
<blockquote>
<p>« Les politiques de taux zéro adoptées dans les pays développés à la suite de la crise financière de 2008, mais surtout les pratiques non conventionnelles dites d’assouplissement quantitatif ont permis aux banquiers centraux d’intervenir directement au sein des marchés financiers et les ont transformés en véritables acteurs politiques[…] »</p>
</blockquote>
<p>La <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/fed-et-bce-deux-rythmes-mais-une-meme-strategie-contre-l-inflation-922244.html">hausse récente de leurs taux directeurs</a> et l’arrêt des programmes structurels de rachats d’actifs pourraient laisser croire que les banques centrales tendent à sortir du jeu (en laissant à nouveau le champ libre aux marchés).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-declin-et-chute-du-neoliberalisme-192691">Bonnes feuilles : « Déclin et chute du néolibéralisme »</a>
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<p>Cependant, elles ne prendront pas pour autant le risque d’une « volckerisation » de la politique monétaire (en référence à la politique de forte hausse des taux directeurs du président de la Réserve fédérale américaine, Paul Volcker, qui avait <a href="https://theconversation.com/inflation-ou-hausse-des-taux-le-dilemme-des-banques-centrales-na-rien-dineluctable-194859">réduit l’inflation mais cassé la croissance</a>). Les autorités monétaires s’accommoderont sans doute, de ce fait, d’une certaine dose d’inflation. Elles n’hésiteront pas non plus à faire preuve d’interventionnisme en cas de <a href="https://www.agefi.fr/financements-marches/actualites/quotidien/20220928/banque-d-angleterre-intervient-en-urgence-contrer-350317">tensions sur le financement</a> de l’économie notamment, continuant ainsi, sans doute longtemps, à soustraire les taux d’intérêt à l’arbitrage des marchés financiers.</p>
<h2>Choix politique</h2>
<p>Mais il nous faut maintenant aller au-delà. Face aux crises sanitaires, environnementales et sociales, il devient indispensable de sortir également l’énergie, les matières premières, métaux, minerais, l’immobilier, les liquidités, les épargnes retraites et les financements des entreprises de la sphère d’influence des marchés financiers (et donc de les soustraire aux logiques d’optimisation des couples rendement/risque inhérentes au paradigme de la valeur actionnariale).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-finance-na-jamais-pu-etre-verte-et-comment-la-verdir-enfin-124020">Pourquoi la finance n’a jamais pu être verte (et comment la verdir enfin)</a>
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<p>Sans pour autant revenir forcément à un système de prix entièrement contrôlé par les puissances publiques, tel qu’elles le pratiquaient avant la déréglementation (système nationalisé de crédit, taux de change fixes, secteurs publics des transports, de l’eau et de l’énergie, régulation collective des salaires, prix régulés des matières premières agricoles…), cela suppose d’avoir recours à des logiques d’évaluation alternatives à celles des marchés (promues par les États, collectivités publiques, structures de l’Économie sociale et solidaire, secteur associatif, ONG, assemblées citoyennes locales), et donc de promouvoir, sous une forme ou sous une autre, une socialisation du système de régulation des prix.</p>
<p>Cela passera également par une extension des prérogatives des banques centrales en matière de <a href="https://theconversation.com/politique-monetaire-verte-un-grand-pas-pour-la-bce-un-petit-pas-pour-le-climat-186686">financements de projets verts</a>, le verdissement de la <a href="https://institut-rousseau.fr/repenser-le-financement-des-entreprises-vertueuses-et-les-politiques-prudentielles-en-integrant-la-solvabilite-socio-environnementale/">réglementation prudentielle</a>, la refonte les <a href="http://tankona.free.fr/theretlemoine20.pdf">circuits de financement de l’économie et des États</a>, voire la <a href="https://blog.mondediplo.net/2009-01-05-Pour-un-systeme-socialise-du-credit">socialisation de l’investissement et du crédit</a>.</p>
<p>Ce choix politique est vital si nous voulons faire face aux crises énergétiques et sanitaires à venir et nous engager clairement dans le financement de la rupture écologique et sociale dont nous avons cruellement besoin. Ce faisant, nous en profiterions alors pour refermer définitivement la parenthèse du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/neoliberalisme-64628">néolibéralisme</a> financier.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196156/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Bourghelle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les marchés financiers se déterminent aujourd'hui en grande partie en fonction des politiques des banques centrales – comme avant le mouvement de libéralisation de l'économie débuté il y a 40 ans.David Bourghelle, Maître de conférences en finance, laboratoire LUMEN, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1957602022-12-06T19:02:23Z2022-12-06T19:02:23ZDes mots du capitalisme aux maux de la terre : « Les Mille et Une Nuits du management »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/498475/original/file-20221201-20-z6c0dr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=40%2C5%2C1168%2C868&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_Les Mille et Une Nuits_, de Vittorio Zecchin (musée d’Orsay, Paris).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/dalbera/17333391312">Flickr/Jean-Pierre Dalbéra</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Dans la plupart des travaux d’économie, le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/capitalisme-23342">capitalisme</a> est tout entier calcul instantané ou alors <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/dialectique/25177">dialectique</a>. Dans le premier cas, le conflit se résout dans l’immédiateté d’un calcul : celui équilibrant offre et demande si les <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/concurrence-economie/1-le-marche-de-concurrence-pure-et-parfaite/">conditions de concurrence pure et parfaite</a> sont réunies. Dans le second cas, l’économique s’inscrit dans une temporalité plus incertaine et conflictuelle. Le prolétaire s’oppose au propriétaire. L’innovation frictionne avec les routines. L’exploration doit s’accommoder de l’exploitation. À certains moments, une synthèse ou une rupture radicale peuvent s’installer. Grand soir ou nouveau régime, elles incarnent alors un monde nouveau.</p>
<p>Pourtant, de plus en plus de recherches en économie et en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sciences-de-gestion-27976">gestion</a> montrent la <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251452814/apocalypse-manageriale">nature surtout narrative de notre capitalisme</a>. Celui-ci n’est pas simplement une logique accouchant pas à pas d’un monde différent. Il n’est pas non plus une simple lutte binaire entre pôles à réconcilier. Il n’est pas davantage un pur calcul spéculatif ou une croyance. Il est une longue histoire d’histoires parfois entremêlées, souvent divergentes, incarnant le politique dans la force même des récits et des agencements. Depuis les années 1940, avec la rencontre entre marché et digital ou <a href="https://theconversation.com/fr/topics/management-20496">management</a> et digital, le capitalisme est devenu un ensemble de processus organisationnels type <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/galland/mille-nuits"><em>Mille et Une Nuits</em></a>.</p>
<h2>Les Shéhérazade de nos propres vies</h2>
<p>Bien sûr, des innovateurs et des spécialistes de la communication ou du marketing promettent et fixent des habitudes pour mieux les défaire. Mais au-delà de cela, la matière même du capitalisme est une force sans cesse interrompue et incomplétée afin de nourrir les désirs d’après. Le capitalisme managérial nous raconte des histoires faites de mots mais également d’images, de gestes, de mélodies, de rythmes et d’objets plus ou moins matériels. Il pousse concrètement de l’avant vers l’arrière chacun des moments de notre vie. Il agence des désirs au cœur même de ses valeurs. Il programme et cultive l’obsolescence.</p>
<p>L’infinité temporelle de ses narrations suppose l’infinité de plus en plus problématique de la spatialité de notre terre. Comme le disait Bruno Latour, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-chemins-de-la-philosophie/les-chemins-de-la-philosophie-du-jeudi-24-mars-2022-4958723">cette terre est alors « américaine »</a> par l’étendue de son horizon et de son sol. Comme le suggérait également le sociologue-philosophe, il nous faut aujourd’hui questionner cette spatialité, la <a href="https://www.ledevoir.com/societe/le-devoir-de-philo-histoire/766421/le-devoir-de-philo-penser-l-habitabilite-de-la-planete-au-lieu-de-son-exploitation">reconsidérer profondément dans sa fragilité et son habitabilité</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ZDSpwjxZGf0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Leçon inaugurale du cours « Transformations du Travail et Numérique » (TTN) : « Les Mille et Une Nuits de nos apocalypses managériales » (Transformations du Travail, septembre 2022).</span></figcaption>
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<p>Sur ce chemin, le management et ses processus doivent devenir ou redevenir des phénomènes pleinement politiques. Au-delà de la seule posture sacrificielle, il nous faut réinventer et réenchanter le monde en respectant tout ce qu’il a de vivant. Nous devons explorer un management producteur de sens et cultiver une <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251452814/apocalypse-manageriale">éthique véritable du voyage</a>, au travail et comme dans le management.</p>
<p>Nous avons trop souvent été les touristes de nos propres organisations. Nous avons trop systématiquement été des individus en attente de récits à consommer. À nous de travailler et de gérer en inscrivant nos histoires dans la fragilité des lieux où elles se déroulent. À nous d’être, ensemble, les Shéhérazade de nos propres vies.</p>
<h2>Collaborations inédites</h2>
<p>Au-delà de l’étrange compétition en cours entre les mieux-disants pour sauver le monde, il faudrait sans doute mettre en place de grands forums afin que les écoles de management et les universités collaborent véritablement à la construction de stratégies communes sur les futurs durables du travail. L’enjeu est de taille à l’heure où le management représente <a href="https://www.challenges.fr/education/le-succes-phenomenal-des-ecoles-de-commerce_835517">plus de 20 % de l’effectif des étudiants du supérieur</a> et la quasi-totalité de nos futurs décideurs économiques.</p>
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<p>Il faudrait également que nos entreprises mettent en place des collaborations inédites au service d’une grande cause écologique suspendant les compétitions et leurs modes habituels de régulation. Que pourraient faire ensemble Google, Facebook, Amazon, Apple et d’autres pour aider l’humanité à faire face à la crise climatique ? Il faudrait également que les pouvoirs publics s’intéressent enfin au sujet du management en le considérant comme l’un des grands orchestrateurs des narrations consommatrices de ce monde.</p>
<p>Où est le monsieur ou la madame management de notre gouvernement ? Quelle place a le management dans les discussions de nos mairies, de notre assemblée nationale, de l’Union européenne, des Nations unies ou de l’Unesco ? Quel rôle joue-t-il dans les espaces plus participatifs, notamment les tiers lieux ? Faut-il s’en remettre à des chercheurs éclairés ou à des consultants en management pour discuter des modes de gestion de la crise de l’anthropocène et des formes de notre capitalisme ? Peut-être faut-il enfin faire du management l’un des modes d’existence ou de non-existence de nos démocraties…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195760/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François-Xavier de Vaujany est président-élu du think tank RGCS, collectif étudiant et expérimentant des nouvelles formes ouvertes d'organisation du travail. </span></em></p>La recherche en économie et en gestion s’intéresse de plus en plus à la nature narrative de notre capitalisme, dont la forme actuelle résulte d’un entremêlement de divers récits.François-Xavier de Vaujany, Professeur en management & théories des organisations, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1935682022-11-11T17:13:37Z2022-11-11T17:13:37ZSortir du capitalisme, condition nécessaire mais non suffisante face à la crise écologique<p><em>Alors que les impératifs de sobriété et de décarbonation se font de plus en plus pressants, les pays restent dans leur immense majorité extrêmement dépendants des ressources fossiles, dont la combustion à l’échelle mondiale aggrave et accélère la crise climatique. Dans « L’Emballement du monde », <a href="https://ecosociete.org/livres/l-emballement-du-monde">qui vient de paraître aux éditions Écosociété</a>, l’ingénieur et économiste Victor Court propose d’explorer les liens historiques entre énergie et domination au sein des sociétés humaines. L’extrait que nous vous proposons ci-dessous se consacre plus particulièrement à l’examen critique du concept de « Capitalocène », proposé par le chercheur et militant suédois Andreas Malm, pour identifier les responsables du réchauffement climatique.</em></p>
<hr>
<p><a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-a-comme-anthropocene-146440">Le concept d’Anthropocène</a> suggère que toutes les actions humaines peuvent être instantanément subsumées sous une activité globale dont l’empreinte affecte la biogéosphère. Il fabrique ainsi une humanité abstraite, aussi uniformément concernée que responsable.</p>
<p>Ce grand discours est problématique, car, s’il est certain que tous les humains vont subir les conséquences du dérèglement climatique et de l’effondrement de la biodiversité (dans des proportions très différentes cependant), il est impossible au regard de l’histoire d’affirmer que tous les membres de l’humanité partagent le même degré de responsabilité dans ce désastre.</p>
<p>Un Nord-Américain ne peut pas être aussi responsable des bouleversements du système Terre qu’un Kenyan qui consomme en moyenne 30 fois moins de matières premières et d’énergie que lui.</p>
<p>C’est principalement en raison de cette défaillance conceptuelle qu’<a href="https://lafabrique.fr/lanthropocene-contre-lhistoire/">Andreas Malm</a> a proposé, l’un des premiers, la notion de « Capitalocène » comme solution de remplacement.</p>
<p>L’humanité évoluerait dans cette époque depuis environ 200 ans, au moment de la mise en place du capital fossile – un système défini par Malm, rappelons-le, comme « la production de valeur d’échange et la maximisation des profits au moyen de l’énergie fossile ».</p>
<p>Bien qu’elle soit très enrichissante sur le plan intellectuel, cette idée n’est pas non plus exempte de défauts.</p>
<h2>L’avènement du capitalisme fossile</h2>
<p>Tout d’abord, si le concept de Capitalocène sert à désigner une nouvelle époque géologique qui aurait commencé avec la révolution industrielle, alors il souffre d’un problème de dénomination, car le capitalisme ne désigne pas un mode d’organisation économique que l’on peut restreindre aux 200 dernières années. […]</p>
<p>Il a existé en Europe un capitalisme marchand que l’on peut qualifier de « <a href="https://www.cairn.info/une-histoire-du-monde-global--9782361060299-page-231.htm">concentré</a> » à partir du XII<sup>e</sup> siècle environ. De plus, les premiers indices d’acquisition de terres par quelques riches familles datent du milieu du III<sup>e</sup> millénaire avant l’ère commune à Sumer, tandis que la propriété privée lucrative – concept qui fonde probablement plus que tout autre la notion de capitalisme – est avérée depuis les Romains.</p>
<p>Comme le synthétise l’archéologue <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/une_histoire_des_civilisations-9782707188786">Dominique Garcia</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’accumulation du capital couplée à la recherche de profit s’est d’abord développée avec l’appareil d’État et les institutions des palais et des temples. » […]</p>
</blockquote>
<p>La question de l’origine antique ou médiévale du capitalisme est très complexe, et il n’est pas question ici de tenter d’y répondre convenablement. Malgré tout, il faut admettre que le capitalisme marchand du second Moyen Âge et du début de la période moderne a été suivi à partir du XIX<sup>e</sup> siècle par un capitalisme fossile, auquel on peut d’abord ajouter le qualificatif d’« industriel », mais qui serait peut-être mieux désigné aujourd’hui par le terme « financier » – même si l’industrie reste forcément le soubassement sur lequel la finance et les services s’appuient pour activer leurs processus d’accumulation du capital.</p>
<p>Il est même clair qu’à partir du XVI<sup>e</sup> siècle, le capitalisme marchand a préparé le terrain pour que le capitalisme industriel s’exprime pleinement par la suite, notamment par le biais du système colonial des plantations esclavagistes.</p>
<p>En effet, nous disent <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-evenement-anthropocene-jean-baptiste-fressoz/9782757859599">Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’Anthropocène n’est pas sorti tout armé du cerveau de James Watt, de la machine à vapeur et du charbon, mais d’un long processus de mise en relation économique du monde, d’exploitation des hommes et du globe, remontant au XVI<sup>e</sup> siècle et qui a rendu possible l’industrialisation. »</p>
</blockquote>
<p>La dénomination de Capitalocène n’est donc pas adaptée pour désigner les 200 dernières années du capitalisme fossile, comme Andreas Malm et d’autres souhaitent le faire. Si Capitalocène il y a, celui-ci remonte au XVI<sup>e</sup> siècle, voire au début du second Moyen Âge (XII<sup>e</sup> siècle), et peut-être même à l’Antiquité dans des formes plus diffuses.</p>
<h2>Des régimes non capitalistes extrêmement extractivistes</h2>
<p>Ensuite, le terme Capitalocène tend à évincer un fait majeur du XX<sup>e</sup> siècle, à savoir que des régimes non capitalistes – ou en tout cas n’autorisant pas la propriété privée – ont été extrêmement extractivistes et polluants. Tout comme les sociétés capitalistes, ces régimes d’inspiration socialiste prenant la forme de collectivismes bureaucratiques et totalitaires ont massivement eu recours aux énergies fossiles, tout en engendrant des désastres écologiques comparables à ceux du capitalisme occidental.</p>
<p>Partant de ce constat, le philosophe <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_age_productiviste-9782707198921">Serge Audier</a> écrit :</p>
<blockquote>
<p>« Si l’on décidait de parler de « capitalocène », peut-être faudrait-il alors se résoudre à parler également, en un certain sens, de « socialocène » et surtout de « communistocène », ce que curieusement personne ne se risque à faire. Aussi pénible que soit la reconnaissance du rôle majeur joué dans la crise écologique non seulement par les régimes communistes, mais aussi, beaucoup plus largement, par le socialisme et la gauche dans leur axe majoritaire, cette responsabilité historique doit être pleinement assumée. »</p>
</blockquote>
<p>Andreas Malm reconnaît cette objection et il propose d’ailleurs de désigner par « stalinisme fossile » ce type de système économique qui se définit par « la maximisation du pouvoir bureaucratique au moyen des combustibles fossiles ». Pour autant, Malm ne conclut pas que cette réalité invalide sa proposition d’utiliser le concept de Capitalocène pour désigner l’époque où l’humanité est devenue une force agissante d’ampleur tellurique.</p>
<p>Ses arguments consistent à dire que « chronologiquement, causalement, historiquement, le lien entre l’économie fossile et le capitalisme semble plus étroit » et que « surtout, le stalinisme est mort ».</p>
<p>Certes, le stalinisme n’est plus, et allons même jusqu’à admettre l’intensité moindre de son lien avec l’énergie fossile par rapport au capitalisme (hypothèse hautement contestable qu’il s’agirait de démontrer). Cela n’enlève strictement rien au problème : il a existé des économies fossiles ne reposant pas sur le capitalisme (de propriété privée) au XX<sup>e</sup> siècle, et il faut reconnaître que les doctrines socialistes et communistes ne se sont réellement souciées des contraintes écologiques qu’assez récemment.</p>
<p>Ceci renforce l’idée que le concept de Capitalocène est inadapté pour correctement qualifier la période pendant laquelle les activités humaines ont fait sortir la Terre de l’Holocène.</p>
<h2>Un jour, la fin de l’accumulation infinie ?</h2>
<p>En plus de son incapacité à capter la réalité du passé, le concept de Capitalocène pourrait être aussi inopérant dans le futur.</p>
<p>Même s’il est difficile de le définir, le capitalisme a bien eu un début et par extension il est fort probable qu’il aura une fin – même s’il nous paraît parfois <a href="https://newleftreview.org/issues/ii21/articles/fredric-jameson-future-city">plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme</a>.</p>
<p>En vérité, on peut être absolument certain que la fin du capitalisme arrivera un jour pour une raison très simple : dans un monde où les limites physiques sont par définition finies, l’accumulation infinie du capital est logiquement impossible […].</p>
<p>Cette fin du capitalisme ne correspondra sûrement pas à une chute brutale. Comme son origine, elle sera issue d’un long processus qui impliquera qu’au bout d’un moment, à force de mutations, le mot « capitalisme » recouvrira une réalité trop différente pour que les politologues et les économistes continuent d’utiliser cette notion.</p>
<p>Dans ce futur hypothétique, les humains vivront peut-être dans des sociétés non capitalistes, mais en soi cela n’implique pas automatiquement que les activités humaines ne perturberont plus l’environnement à une échelle planétaire. Dans un monde où la propriété (privée ou étatique) aurait disparu – ou en tout cas ne serait plus une source de domination et d’exploitation comme aujourd’hui –, il faudrait encore parvenir à empêcher la mise en place d’autres formes d’accaparement sauvage de l’énergie et des matières premières pour que les humains ne poursuivent pas leur entreprise de destruction massive de la biogéosphère.</p>
<h2>L’hypothèse d’un communisme réel</h2>
<p>Plutôt que de réfléchir à cette question par un voyage dans le futur, tentons de voyager dans le passé. Imaginons qu’à partir du XVI<sup>e</sup> siècle, le monde ait emprunté une trajectoire différente.</p>
<p>Au lieu de prendre la voie du capitalisme moderne en allant exploiter les Amériques et l’Afrique, l’Europe aurait choisi celle d’un communisme réel – donc très loin des expériences soviétiques et chinoises de collectivisme d’État que nous avons connues au XX<sup>e</sup> siècle. On parle ici d’un communisme libertaire tel que celui imaginé par <a href="https://wildproject.org/livres/l-ecologie-sociale">Murray Bookchin</a> dans les années 1970-80, ou plus récemment par <a href="https://ladispute.fr/catalogue/en-travail-conversation-sur-le-communisme/">Bernard Friot et Frédéric Lordon</a>. On pourrait aussi évoquer l’écosocialisme d’<a href="https://www.seuil.com/ouvrage/leur-ecologie-et-la-notre-andre-gorz/9782021451863">André Gorz</a> et d’<a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-convivialite-ivan-illich/9782757842119">Ivan Illich</a>.</p>
<p>Maintenant, quels arguments peut-on avancer pour établir que, dans ce genre de configuration, les combustibles fossiles n’auraient pas été exploités ? Bien sûr, les penseurs que nous venons de citer ont justement formulé leurs propositions pour nous aider à sortir des combustibles fossiles – et plus largement à rester à l’intérieur des limites du système Terre.</p>
<p>Mais est-on certain que ces intellectuels auraient fait preuve du même égard pour le climat et la biodiversité s’ils avaient vécu au XVIII<sup>e</sup> ou au XIX<sup>e</sup> siècle ? Et en dehors de ces individus, en quoi les sociétés dans leur ensemble auraient-elles été mieux positionnées pour choisir délibérément de renoncer à l’abondance matérielle associée à la manne fossile ? Honnêtement, on ne voit pas bien comment élaborer un argumentaire convaincant.</p>
<p>Tout au plus peut-on imaginer que les ressources fossiles auraient été exploitées un peu moins frénétiquement, et sûrement aussi avec plus d’équité. Mais on peut penser que le résultat en matière de déstabilisation du système Terre aurait été <em>grosso modo</em> le même, le désastre environnemental que nous connaissons aujourd’hui serait seulement arrivé un peu plus tard.</p>
<p>Ainsi, si on peut être certain de la nature intrinsèquement destructrice du capitalisme – et qu’en cela les souhaits de développement durable, de croissance verte et d’économie circulaire s’inscrivant dans ce cadre ne pourront jamais être autre chose que de vaines incantations –, rien ne dit qu’une économie non capitaliste conduirait automatiquement à une société plus soutenable.</p>
<h2>Exploitation, accaparement, pillage</h2>
<p>Mettre le capitalisme à l’arrêt est donc une condition nécessaire, mais non suffisante pour instaurer un vivre humain qui demeurerait à l’intérieur des limites du système Terre. Si les géologues du présent entérinent finalement la sortie de l’Holocène et nomment Capitalocène l’époque géologique actuelle, ceux du futur se retrouveront dans une situation très embarrassante si le capitalisme vient à disparaître, mais qu’en même temps les humains maintiennent leur emprise destructrice sur la planète.</p>
<p>Enfin, comme le concept d’Anthropocène, celui de Capitalocène entraîne un problème d’identification des responsabilités.</p>
<p>Il pourrait tout d’abord laisser penser à certains que les capitalistes – c’est-à-dire les détenteurs des moyens de production – sont les seuls coupables. Nul doute que par le pouvoir et la richesse qu’ils détiennent, certains capitalistes, sinon la plupart, sont individuellement responsables d’un grand nombre d’actions néfastes pour l’humanité.</p>
<p>La réalité est tout de même plus complexe […], et chaque individu peut comprendre qu’il participe lui aussi à la perpétuation du capitalisme fossile, ne serait-ce que par ses choix de consommation – ou plutôt par son non-choix de changer radicalement son mode de vie –, sans oublier bien sûr la responsabilité énorme qui revient aux dirigeants politiques à cause de leur inaction. […]</p>
<p>C’est bien parce que tous ces acteurs sont interconnectés aux processus de production et de consommation – très souvent au travers de relations antagonistes – que nous avons tant de mal à renoncer aux énergies fossiles.</p>
<p>Mais quoi qu’il en soit, avec le concept de Capitalocène, ce que Malm et d’autres penseurs souhaitent désigner comme le vrai responsable des maux de l’humanité correspond plutôt au capital, c’est-à-dire le rapport social d’exploitation qui existe entre les capitalistes et les travailleurs ne détenant pas les moyens de production.</p>
<p>La source de la propension destructrice de certaines sociétés humaines – dans lesquelles se trouve la quasi-totalité de l’humanité aujourd’hui – se situerait donc non pas dans le fait qu’il existe des capitalistes en tant que tels, mais dans le fait que ces derniers – comme d’autres avant eux – sont en mesure d’exploiter leurs semblables, notamment en rétribuant leur force de travail à une valeur inférieure à celle produite réellement par ce travail, afin de créer une plus-value qu’ils peuvent accaparer.</p>
<p>En fin de compte, la logique du capital renvoie à un phénomène plus large que chacun peut observer dans l’histoire et surtout dans sa vie quotidienne : l’existence protéiforme et omniprésente de relations de domination entre les individus […]. Et l’existence d’une domination institutionnalisée qui traverse la totalité de la société n’est pas une exclusivité des 200 à 300 dernières années.</p>
<p>[…]</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/494752/original/file-20221110-16-vihmxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/494752/original/file-20221110-16-vihmxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/494752/original/file-20221110-16-vihmxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=896&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/494752/original/file-20221110-16-vihmxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=896&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/494752/original/file-20221110-16-vihmxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=896&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/494752/original/file-20221110-16-vihmxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1126&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/494752/original/file-20221110-16-vihmxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1126&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/494752/original/file-20221110-16-vihmxh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1126&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« L’Emballement du monde » est paru aux éditions Écosociété le 10 novembre 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Finalement, malgré ses qualités indéniables, le concept de Capitalocène souffre d’insuffisances à la fois trop nombreuses et trop importantes pour être un substitut pertinent du concept d’Anthropocène. L’exploitation de la majorité par une minorité pour accaparer des surplus tout en pillant les ressources de la nature n’a pas attendu le capitalisme moderne pour exister.</p>
<p>Le capitalisme n’est donc pas en soi la cause ultime de la destruction de notre environnement global, même s’il faut reconnaître qu’il fait preuve d’une efficacité redoutable dans ce domaine, en particulier depuis qu’il est basé sur l’énergie fossile. </p>
<p>[…]</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193568/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Victor Court est membre de la chaire « Énergie & Prospérité » et chercheur associé au Laboratoire Interdisciplinaire des Energies de Demain (LIED, Université Paris Cité). Les opinions exprimées dans ces pages n’engagent que leur auteur, elles ne reflètent en aucun cas le point de vue des institutions auxquelles il est affilié.</span></em></p>Peut-on vraiment dire que le capitalisme industriel des 200 dernières années est le responsable du réchauffement climatique ?Victor Court, Enseignant-chercheur en économie à IFP School, IFP Énergies nouvelles Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1877172022-09-26T20:36:05Z2022-09-26T20:36:05ZÀ la recherche des classes moyennes : une chasse aux fantômes ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/480819/original/file-20220824-26-7t5io0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=81%2C0%2C5381%2C3637&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’appartenance à la classe moyenne est un élément-clé de la vision du monde de la plupart des citoyens, malgré de grandes différences de revenus, de conditions de vie et de travail.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La « classe moyenne » fait partie des notions les plus utilisées et les plus floues dans les discours politiques et sociaux. À l’image d’une moyenne mathématique, « moyen » pourrait indiquer que cette « classe » représente ce qui est considéré comme normal.</p>
<p>On peut, bien sûr, statistiquement construire une tranche de revenus moyens autour du <a href="https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5367857/tableau/50_MTS/53_SRA">salaire moyen</a> (en France, 2 340 euros net par mois en 2022), sans rendre compte des multiples différences, par exemple entre hommes et femmes. La « classe moyenne » ne se réduit cependant pas à une tranche de revenus. Bien plus importante que ces aspects financiers est l’identification répandue avec la « classe moyenne ».</p>
<p>Environ la moitié des Français se considère comme membres de la classe moyenne, comme l’enquête menée par <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/le-grand-malaise-enquete-sur-les-classes-moyennes/">Jérôme Fourquet</a> et son équipe, le montrent.</p>
<p>La masse que l’on appelle et qui s’appelle elle-même la « classe moyenne » s’est constituée grâce à sa <a href="https://editions-croquant.org/livres-numeriques/352-livre-numerique-au-dela-de-la-crise.html">mobilisation pour le projet du capitalisme néolibéral</a>, c’est-à-dire pour le bien-être et la reconnaissance par le consumérisme, la réussite professionnelle, la concurrence et la compétitivité, etc. qui, de ce fait, est devenu un véritable « capitalisme populaire ». <a href="https://www.lesbelleslettres.com/contributeur/margaret-thatcher">Margaret Thatcher</a>, premier ministre britannique et libérale convaincue l’a résumé ainsi : </p>
<blockquote>
<p>« Le capitalisme populaire n’est rien d’autre qu’une croisade destinée à permettre au plus grand nombre de participer de plein droit à la vie économique de la nation. »</p>
</blockquote>
<h2>Une vieille idée</h2>
<p>L’idée d’une société capitaliste « nivelée au milieu » est ancienne. Elle est vivement discutée dans les sciences sociales aux États-Unis depuis les années 1940. Le politologue américain <a href="https://www.worldcat.org/title/managerial-revolution-what-is-happening-in-the-world/oclc/522956">James Burnham</a> a particulièrement influencé ce débat et ses reprises en Europe.</p>
<p>Néanmoins, c’est surtout en Allemagne et sous la plume du sociologue allemand Helmut Schelsky que la conception de la « Nivellierten Mittelstandsgesellschaft », la société nivelée de la classe moyenne, a eu une énorme influence scientifique et politique.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>Schelsky (qui avait, par ailleurs un <a href="https://www.cambridge.org/core/books/abs/german-intellectuals-and-the-nazi-past/1968-and-its-aftermath/95D43AD64EB44C656C70FC84662FC381">passé nazi</a>) appuie son analyse non seulement sur l’atomisation du mouvement ouvrier par le nazisme mais également sur le fait que sous le nazisme, la bourgeoisie a laissé les décisions politiques à l’appareil de l’État nazi. Ce développement s’inscrit, selon lui, dans une tendance générale vers des « sociétés industrielles bureaucratiques », comme Burnham l’avait déjà proclamé. La mobilité ascendante et descendante que connaissent désormais les sociétés, par exemple grâce au système scolaire et aux carrières professionnelles, a pour résultat, entre autres, « le développement du même comportement social et du même statut social : une classe sociale socialement instable, nivelée, petite-bourgeoise-classe moyenne ».</p>
<p>Le sociologue austro-américain <a href="https://www.routledge.com/The-New-Society-The-Anatomy-of-Industrial-Order/Drucker/p/book/9781560006244">Peter Drucker</a> décrit cette société comme une société nivelée grâce à sa confiance d’être sur le chemin vers une classe moyenne généralisée au-delà de la tension entre les classes supérieures et inférieures. C’est pour cette raison que les théoriciens peuvent constater non seulement un nivellement du statut économique et politique mais surtout l’uniformisation des comportements sociaux et culturels ainsi que du mode de vie. Ceci est le résultat du nivellement de la consommation tout comme de la production de masse industrielle et médiatique qui produisent le sentiment et la volonté d’être inclus dans cette société.</p>
<h2>Disparition des antagonismes de classe ?</h2>
<p>Les auteurs qui traitent de la classe moyenne y voient la disparition des antagonismes de classe surtout grâce à l’ascension des ouvriers et des employés à la couche sociale supérieure mais aussi grâce au remplacement des propriétaires privés par des gestionnaires et managers. Ce processus entraînerait un changement qualitatif du capitalisme vers une société sans classes sociales. Les contradictions du capitalisme trouvent ainsi une (voie de) solution interne. Le capitalisme serait donc indépassable ; il n’y aurait pas de raison de vouloir le dépasser.</p>
<p>Les mêmes phénomènes ont fait l’objet des critiques par exemple du sociologue américain C.Wright Mills, de l’École de Francfort et de beaucoup d’autres auteurs qui y voient la victoire (peut-être définitive) du capitalisme qu’il déplorent car le capitalisme n’est pas ce qu’il prétend être : libre, raisonnable, relativement « nivelé » et juste. <a href="https://books.google.fr/books/about/Les_cols_blancs.html?id=2-oPAQAAIAAJ&redir_esc=y">C. Wright Mills</a> avait déjà dans les années 1940 et 1950 analysé dans une perspective critique aux États-Unis, cette « classe moyenne » américaine, constituée par sa mobilisation pour le capitalisme de son époque, une mobilisation qui donne aux États-Unis une véritable stabilité sociale et politique.</p>
<p>Georges Perec a décrit, mieux que beaucoup de sociologues, le vécu du début de ce processus dans la France des années 1960 dans son roman « Les Choses ». Un résultat de ce processus est une véritable massification sociale, culturelle, idéologique et politique portée par l’industrie culturelle.</p>
<h2>Luttes des places</h2>
<p>Cette massification cache pourtant de plus en plus mal la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6036907">polarisation sociale</a> réelle, par exemple le fait bien connu de la polarisation entre les plus riches, qui deviennent toujours plus riches, et les pauvres, qui s’appauvrissent de plus en plus. Néanmoins, l’identification avec « la classe moyenne » persiste. Ces acteurs se situent dans la société telle qu’elle est et selon des critères établis, sans pour autant pouvoir se situer positivement : ni riche ni pauvre.</p>
<p>Ils se livrent à de véritables « luttes des places » au sein de cette société, des luttes pour leur intégration souvent appelée « démocratisation », par exemple de la consommation, de la culture ou du mode de vie. La démocratisation signifierait cependant que le « demos » (le peuple) maîtrise l’objet de son action, qu’il a le pouvoir de le développer selon sa volonté et ses désirs, mais c’est le contraire qui est le cas. Le pouvoir s’est déplacé vers des élites fonctionnelles, la gouvernance, de plus en plus déracinées et coupées du reste de la société (le FMI, la Banque Mondiale, les institutions de la Communauté européenne, etc.).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/breve-histoire-dune-longue-defiance-entre-le-peuple-francais-et-les-elites-159153">Brève histoire d’une longue défiance entre le peuple français et les élites</a>
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<p>Cette tendance n’est pas récente. Le sociologue <a href="https://editions.flammarion.com/la-revolte-des-elites/9782081518575">Christopher Lasch</a> l’a déjà analysée aux États-Unis dans les années 1970. La rationalité et la fonctionnalité selon les critères de la logique marchande dominent et les sujets doivent s’y soumettre, qu’ils le veuillent ou non. Non seulement la devise qui y règne est « marche ou crève » ; il y règne également la concurrence omniprésente qui produit les « gagnants » et les « perdants » de la compétition (selon les termes désormais habituels) et qui radicalise l’individualisation.</p>
<p>En revanche, il n’y a pas de place pour tous dans le projet d’une « société de la classe moyenne ». Ce projet produit nécessairement des « surnuméraires », pour reprendre l’expression du sociologue français <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/les-metamorphoses-de-la-question-sociale-9782213594064">Robert Castel</a>, qui n’ont qu’une très faible visibilité et pas de reconnaissance sociale. C’est pour cette raison que la grande masse de cette « classe moyenne » oscille sur le plan politique, d’un côté, entre la rancœur et la haine des autres considérés comme les coupables de l’impossibilité de leur intégration dans la société. Ce phénomène n’est pas récent. <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-montee-des-incertitudes-robert-castel/9782020510424">Robert Castel</a> l’a analysé dans le contexte du néolibéralisme. De l’autre côté, il émerge sporadiquement des révoltes qui expriment des demandes de reconnaissance, comme les « gilets jaunes » par exemple et, enfin, très souvent, c’est la résignation du <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/plus-rien-a-faire-plus-rien-a-foutre/9782221198667">« plus rien à faire, plus rien à foutre »</a> qui prend le dessus.</p>
<h2>Une nouvelle classe écologique ?</h2>
<p>Nous avons vu que l’identification avec « la classe moyenne » correspond à un projet de société pour lequel les « cols blancs » (Mills) se mobilisent. <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/memo_sur_la_nouvelle_classe_ecologique-9782359252187">Bruno Latour et Nikolaj Schultz</a> ont ébauché la possibilité et, selon eux, la nécessité de « la nouvelle classe écologique » comme noyau d’un nouveau projet de société qui ferait émerger la société « post crise écologique ».</p>
<p>L’idée que cette classe pourrait remplacer la « classe moyenne » comme noyau de la société à venir est séduisante. Il reste néanmoins la question de savoir quel mouvement social pourrait dépasser la dépolitisation, pour quelles raisons elle mènerait à la constitution de cette nouvelle classe et, enfin, si cette classe permettrait aux citoyens de maîtriser les forces sociales et de développer la société selon leur conception d’un avenir meilleur.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-fin-de-labondance-une-chance-pour-renouer-avec-notre-humanite-190599">La « fin de l’abondance », une chance pour renouer avec notre humanité</a>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/187717/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jan Spurk a reçu des financements de l'ANR/DFG. </span></em></p>La « classe moyenne » fait partie des notions les plus utilisées et les plus floues dans les discours politiques.Jan Spurk, Professeur de sociologie, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1905992022-09-15T18:12:21Z2022-09-15T18:12:21ZLa « fin de l’abondance », une chance pour renouer avec notre humanité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/484492/original/file-20220914-15-iojezt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C7%2C1192%2C833&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Depuis l’effondrement du mur de Berlin, le monde a vécu dans la conviction qu’il n’y avait pas d’alternative au «&nbsp;technologisme&nbsp;» de notre temps.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/christopherdombres/23265152514">Flickr/Christopher Dombres</a></span></figcaption></figure><p>Lors du conseil des ministres du 24 août dernier, le président de la République Emanuel Macron a évoqué « la fin de l’abondance », « la fin de l’évidence » et <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/macron-prepare-les-esprits-a-la-fin-de-l-abondance-et-de-l-insouciance-928491.html">« la fin de l’insouciance »</a>. Ces propos ont suscité de <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/la-fin-de-l-abondance-la-formule-du-president-macron-ne-passe-pas-pour-l-opposition_5325610.html">vives indignations</a>, bien évidemment en particulier de la part de ceux qui représentent les parties de la population les plus démunies.</p>
<p>Il y a en effet de quoi éprouver un sentiment de scandale voire de naïveté à une telle annonce : qui vit de nos jours dans l’abondance, dans l’insouciance, dans l’évidence, à part les classes sociales les plus riches, de <a href="https://theconversation.com/portrait-s-de-france-s-alerte-sur-laggravation-des-inegalites-francaises-175539">plus en plus riches</a>, et de moins en moins nombreuses (dans un contexte où disparaissent les classes moyennes) ?</p>
<p>Le propos du chef de l’État n’est cependant pas dénué de sens. Mais c’est au terme d’« évidence » plutôt qu’à ceux d’« abondance » et d’« insouciance » qu’il faut s’arrêter pour y réfléchir à deux fois.</p>
<h2>« There is no alternative »</h2>
<p>Depuis l’effondrement du mur de Berlin, le monde a en effet vécu dans la conviction de plus en plus dominante qu’il n’y avait pas d’alternative au <a href="https://theconversation.com/fr/topics/liberalisme-22579">libéralisme</a>, au <a href="https://theconversation.com/fr/topics/capitalisme-23342">capitalisme</a>, au « technologisme » de notre temps. Et l’arrière-plan fondamental de cette présupposition est que nous – les humains – allions mettre sous contrôle la nature – humaine et non humaine. Et la mise sous contrôle, disons du monde entier, allait garantir notre sécurité et notre paix civiles.</p>
<p>Nous pourrions enfin jouir de tout dans l’insouciance et une abondance généralisée. Cela avait été annoncé par l’usage incantatoire qu’avait fait en son temps la première ministre britannique Margaret Thatcher de l’acronyme « TINA » : « il n’y a pas d’alternative » (« There Is No Alternative »). Un seul monde est viable, le monde libre du capitalisme libéral adossé aux sciences et aux technologies.</p>
<p>Or, nous n’avons pas fini de croire à ce monde-là. Malgré la crise du Covid-19, l’on ne cesse d’entendre que nous allons revenir à la « normale » – c’est-à-dire au monde d’« avant ». Au monde d’avant le Covid. Laquelle pandémie a été la seule à même de nous faire un peu lever le nez du guidon ou sortir la tête de dessous la terre.</p>
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<a href="https://theconversation.com/le-retour-a-la-normale-une-notion-denuee-de-sens-138309">Le retour « à la normale », une notion dénuée de sens</a>
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<p>Jusque-là, depuis 1989, le monde entier faisait l’autruche, malgré les crises gravissimes dont il était affecté. Les attentats du 11-Septembre et leurs suites, la crise financière de 2008, la catastrophe de Fukushima, et j’en passe. Non pas qu’une partie toujours insupportablement importante de la population mondiale ne souffrît pas de faim, de précarité, d’exil et de violences. Mais l’on continuait de faire « comme si » on allait mettre un terme à tout cela, en mettant tout sous contrôle et maîtriser.</p>
<p>Il a fallu les confinements pour que l’on se réveille de la torpeur post-guerre froide, mais nous persistons à rêver que le monde d’« avant » revienne sur scène, comme si de rien n’avait été.</p>
<p>Confronté à un <a href="https://theconversation.com/fr/environnement">été catastrophique sur le plan climatique</a>, sur le fond de la guerre plus du tout froide imposée par la Russie à l’Ukraine, avec en arrière-plan la crise du Covid qui menace et menacera de reprendre à chaque changement de saison, le président <a href="https://theconversation.com/fr/topics/emmanuel-macron-30514">Emmanuel Macron</a> a sans doute raison d’attirer notre attention sur la fin peut-être pas de l’abondance, mais en tout cas de l’insouciance et des évidences.</p>
<p>Le monde n’est plus « évident ». Il ne se « dévide » plus comme si de rien n’était. Nous ne le tenons pas sous contrôle. Quoi qu’on en ait, notre paix et notre sécurité civiles ne sont pas garanties. On ne peut plus, on ne peut en rien les tenir pour acquises.</p>
<h2>Pourquoi vouloir la 5G ?</h2>
<p>Cela a-t-il cependant jamais été le cas ? Les guerres et les crises se sont-elles vraiment arrêtées depuis l’effondrement du mur de Berlin ? Avons-nous lucidement vécu les quelques décennies passées ? Fascinés par les nouvelles technologies et les potentiels gigantesques qu’elles laissent imaginer, obnubilés par les start-up, frénétiquement accrochés au profit et à la surconsommation, souhaitant oublier que la mort est toujours le lot de notre <a href="https://theconversation.com/fr/topics/humanite-46876">humanité</a> mortelle et potentiellement malade, avons-nous vraiment cultivé notre conscience du monde où nous vivons ? Il faut sans doute reconnaître que non.</p>
<p>Nous avons voulu faire comme si nous pouvions vivre dans l’insouciance, dans l’abondance, dans les évidences de notre monde. Y compris les classes sociales les plus démunies, dont le but principal est toujours, si l’on en croit les analyses les plus averties de la vie sociale et politique comme le sont celle d’un Alexis de Tocqueville, de se hausser au niveau de possessions, de richesse, d’abondance, des classes sociales les plus nanties. La pauvreté est toujours relative, au sens où manquer de ce dont les autres jouissent augmente significativement le sentiment de dénuement.</p>
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<p>Les affirmations de notre président ont quelque chose d’indéniable : l’évidence, ou les évidences, sur le fond desquelles nous vivions ou voulions vivre ne sont plus de mise. Il nous faut tout remettre sur le métier. Il nous faut interroger ce que nous voulons, pourquoi nous le voulons, comment nous le voulons.</p>
<p>Par exemple – et c’est symptomatique – faut-il vraiment vouloir un nouvel iPhone, la 5G, de nouveaux logiciels, qui ont pour condition de leur mise en œuvre la fabrication de nouveaux ordinateurs, téléphones, tablettes, etc, rendant les précédents caducs, et conduisant à l’épuisement des ressources comme les métaux rares ? Nous devons bien évidemment nous demander de manière générale vers quoi et pourquoi nous courons. C’est ça la mise en question des évidences, de l’insouciance, de l’abondance.</p>
<p>Pour bien l’entendre, il faut interpréter le propos d’Emmanuel Macron sur le plan fondamentalement humain de notre capacité à interroger le réel et à nous mettre en question. Or, nous savons toutes et tous interroger le réel et nous-mêmes. Nous savons toutes et tous faire un pas de côté. On pourrait dire que c’est même le propre de ce qui fait notre commune humanité. Voyons en quoi et à quoi cela nous engage au quotidien.</p>
<h2>Mis en demeure</h2>
<p>Depuis que nous nous sommes mis debout, nous humains, sommes faits à la fois d’une capacité et d’un désir de contrôle de notre monde à proportion de ce que la verticalisation a rendu possible : une vue au loin, une maîtrise de notre environnement, la prévention contre les prédateurs, l’identification de nos proies, etc. De l’autre côté, la position debout nous rend significativement plus vulnérables à la chute que lorsque nous vivions à quatre pattes.</p>
<p>La dynamique de la marche le signale clairement : marcher c’est commencer par tomber en avançant le pied, et rattraper le déséquilibre en reposant le pied au sol. La marche n’est pas seulement une image utile. Elle est à la fois une métaphore et la réalité de nos vies lorsque nous vivons des vies véritablement humaines. Se tenir debout sur un sol stable symbolise parfaitement le fait d’être posé sur des évidences que nous n’interrogeons pas.</p>
<p>Insouciance et abondance.</p>
<p>Elles sont ce que l’on tient pour acquis, à partir de quoi nous pouvons nous élancer vers des tas d’autres choses – à partir de quoi nous levons le pied pour aller « ailleurs ». Le problème est que nous avons une sérieuse tendance à rester immobiles sur le sol stable sur lequel nous sommes posés, dans nos « zones de confort ». Tous les humains, président ou pas.</p>
<p>Depuis 1989, notre sol stable était symbolisable par l’acronyme « TINA ». Aucun autre monde n’était possible ni même imaginable. Voilà qu’au travers de crises aussi radicales et graves que celle du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/Covid-19-82467">Covid-19</a>, du climat, et des guerres, nous sommes mis en demeure de nous mettre à marcher. À lever le pied de nos évidences.</p>
<h2>Du monde à l’« immonde »</h2>
<p>Nous l’avons suggéré plus haut : l’abondance (relative), l’insouciance et les évidences tiennent du même registre. Être posé sur des évidences que l’on n’interroge jamais, c’est à proprement parler de l’insouciance. C’est n’avoir en vue que de jouir de l’abondance qui nous est accessible, quelle que soit la classe sociale à laquelle on appartient. Alors que notre humanité est faite d’une tension constitutive entre évidence – se tenir debout immobile sur un sol solide et stable – et mise en question – ou élan vers autre chose toujours d’abord inconnu. Marcher, c’est d’abord prendre le risque de tomber dans l’inconnu.</p>
<p>Si elle est entière, notre humanité est faite à la fois d’évidences, de désirs d’abondance et d’insouciance, et de mises en question du réel, de pauvreté, de « souci ». Et vouloir n’être que l’un – qu’évidences, abondance (encore une fois, toujours strictement relative) insouciance – ou n’être que dans l’autre – n’être que dans le doute, la pauvreté, le souci – nous déshumanise ou nous rend fou.</p>
<p>Nous étions en train de nous déshumaniser depuis « TINA ». Il ne s’agit en aucun cas de se réjouir de la situation dramatique actuelle. Mais si cette situation est propre à nous faire sortir nos têtes de sous la terre, c’est une chance pour notre humanité. Se tenir immobile debout sur un sol solide dont on ne démord jamais tient de la plus grande bêtise voire de la plus profonde brutalité.</p>
<p>Comme le dit le dicton, « il n’y a que les c… qui ne changent jamais d’avis ». Gardons cependant clairement à l’esprit que si le monde n’est que mise en doute, qu’interrogations, que soucis, que pauvreté ou manque, ce n’est plus un « monde ». Cela devient, comme le dit si clairement le mot, « immonde ». C’est le chaos et c’est invivable.</p>
<h2>Courage</h2>
<p>Comment faire alors ? Comment vivre dans une crise permanente ? Cela revient à ne faire que tomber, à ne plus avoir de sol. C’est à proprement parler invivable.</p>
<p>La bonne nouvelle est que tant qu’on n’est pas mort, on a toujours un sol. Le sol minimum que nous ne voyons pas parce que nous sommes posés dessus, le plus souvent exclusivement poussés par nos envies et nos désirs, est la vie même. Infinie richesse si l’on y prend garde. Car la vie est toujours faite d’un minimum d’évidences, de choses que l’on tient pour acquises, et qui restent possibles.</p>
<p>Ces choses que nous tenons pour acquises et qui restent possibles tiennent des apprentissages les plus archaïques que nous faisons dès l’enfance : celui d’une langue que l’on parle, celui de la manière de se vêtir, de parler, d’échanger avec les autres, de faire communauté. Notre appui fondamental, c’est tout ce que l’on a appris à faire depuis l’enfance.</p>
<p>Ce que nous avons appris à faire depuis l’enfance, qu’il faut sur certains plans, à certains moments, remettre en question, constitue tout autant le sol solide sur lequel nous sommes posés. Encore faut-il, pour vivre de manière pleinement humaine, sans cesse trier entre ce que nous pouvons – voire que nous devons – garder et qui restera sol solide – et ce qu’il faut quitter, abandonner, changer.</p>
<p>À ce compte, vivre en acceptant l’idée que c’est la fin de la (seule) évidence, de la (seule) abondance, de la (seule) insouciance, c’est sans cesse remettre sur le métier de séparer le grain de l’ivraie. L’ivraie est faite de ce qu’il faut quitter. Le grain, de ce qu’il faut garder. Plus, qu’il faut aider à germer.</p>
<p>Cela demande du courage, de la détermination, de la lucidité, d’une aide qui s’appelle éducation. Nous avions simplement oublié de le faire. Depuis trente ans. Il est temps de s’y remettre tous ensemble, dûment aidés par celles et ceux qui ont déjà appris à le faire, ou qui l’ont jamais oublié de le faire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190599/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Bibard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà des polémiques, les propos d’Emmanuel Macron laissent entrevoir dans la crise climatique une opportunité de rompre avec les errances des systèmes qui prévalent depuis 30 ans.Laurent Bibard, Professeur en management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1849592022-07-27T19:26:18Z2022-07-27T19:26:18ZDébat : L’écologie est-elle soluble dans les démocraties capitalistes ?<p>Suite aux élections législatives de 2022, la toute récente <a href="https://theconversation.com/legislatives-2022-un-regain-dinteret-pour-le-parlement-182689">reparlementarisation de la vie politique française</a> pourrait faire évoluer la place des questions écologiques et environnementales, tout en soulignant les tensions qui existent entre urgence climatique et choix démocratiques et politiques. Le tout dans un contexte qui montre que les événements liés à l’urgence climatique deviennent désormais la norme, en France comme ailleurs.</p>
<p>À ce titre, plusieurs travaux ont montré que les programmes des partis situés à gauche du spectre politique étaient plus cohérents avec les <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/programmes-election-presidentielle-2022/programmes-climat/exclusif-crise-climatique-on-a-epluche-les-programmes-des-candidats-a-la-presidentielle-pour-voir-s-ils-respectent-l-accord-de-paris_5033276.html">accords de Paris</a>, notamment EELV et LFI.</p>
<p>Au-delà de ce contexte, il est important de se poser cette question : une démocratie capitaliste est-elle compatible avec une politique écologique ambitieuse, susceptible de répondre aux effets du changement climatique ?</p>
<p>Cette question est d’autant plus pertinente, lorsqu’on sait à quel point il peut être difficile de prendre des décisions radicales, capables de répondre aux urgences, dans un moment où les positions hégémoniques du néolibéralisme font pression pour conserver une politique des « petits pas ».</p>
<p>Le philosophe et juriste <a href="https://www.elgaronline.com/view/edcoll/9781786438751/9781786438751.00008.xml">Sam Adelman</a> a ainsi montré que le principe même du « développement durable » repose sur des objectifs de croissance économique, rigoureusement incompatibles avec les défis de l’urgence climatique.</p>
<h2>Changer de modèle</h2>
<p>Si la question peut paraître un brin provocatrice, remettre en question le modèle économique de croissance basé sur un <a href="https://sysdiscours.hypotheses.org/36">extractivisme matérialiste</a> qui transforme biens, vivants et humains en ressources, semble nécessaire. D’autant que dans beaucoup de cas, lorsque l’écologie est prise en considération, elle relève du <a href="https://sysdiscours.hypotheses.org/308">greenwashing</a>. Ou, pour le dire autrement, l’écologie elle-même devient une ressource pour la communication et le marketing, avant d’être transformée en politique ambitieuse.</p>
<p>Pour le professeur Pieter Leroy, qui enseigne la politique environnementale aux Pays-Bas, la réponse est claire : notre organisation politique ne nous permettrait pas de pouvoir répondre dignement <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/06/14/l-urgence-climatique-est-elle-soluble-dans-la-democratie_5476075_3232.html">aux effets liés au changement climatique</a>. Même lorsque des grands conglomérats proposent de <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/les-francais-doivent-reduire-immediatement-leur-consommation-denergie-plaident-totalenergies-edf-et-engie-1440036">baisser la consommation d’énergie</a> par exemple, cela sert d’abord des buts économiques et financiers.</p>
<h2>Démocratie vs capitalisme ?</h2>
<p>En réalité, la question est peut-être mal posée : il n’y a pas de démocratie contemporaine qui fonctionne en dehors du régime économique capitaliste, comme l’avait d’ailleurs identifié l’économiste <a href="https://www.journalofdemocracy.org/articles/capitalism-democracy-the-missing-link/">Francis Fukuyama</a> il y a 30 ans ; alors que l’inverse est vrai, puisque plusieurs régimes autoritaires prospèrent dans le monde, tout en adoptant une économique capitaliste.</p>
<p>S’agit-il d’un hasard ou d’un lien consubstantiel ? Sommes-nous incapables de rendre une démocratie fonctionnelle sans idéologie de croissance ni prédation économique ? Et, dans ce cas de figure, quelle peut être la véritable place de l’écologie dans un tel système, qui définit la planète, l’environnement, le vivant et l’humain comme un ensemble de ressources à exploiter ?</p>
<p>En réalité, cette <a href="https://web.archive.org/web/20070824165808id_/http://www.eci.ox.ac.uk/%7Edliverma/CV/Liverman%20and%20Vilas%20in%20ARER.pdf">question</a> est loin d’être nouvelle puisqu’elle date du début des années 2000 à tout le moins ; mais à l’heure où chaque mois compte pour tenter de rendre le changement climatique le moins catastrophique possible, il est intéressant de se pencher sur ces questions qui lient succès démocratique et essor de l’économie de marché capitaliste.</p>
<h2>Rester critique</h2>
<p>Il y a 30 ans déjà, la philosophe américaine Nancy Fraser expliquait que le succès du modèle démocratique libéral ne devait pas nous faire oublier qu’aucun modèle politique n’est parfait, et que la critique est <a href="https://www.cairn-int.info/journal-hermes-la-revue-2001-3-page-125.htm">toujours saine et indispensable</a>.</p>
<p><em>[Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.]</em></p>
<p>Pour Nancy Fraser, cette critique met notamment en exergue le fait qu’une démocratie fonctionnelle dispose d’un espace public libre, dans lequel chacun est libre de donner un avis, débattre et exercer son droit au désaccord – mais que cet espace public peut être saturé de lobbies et de groupes d’intérêt qui vont influencer les décisions politiques et les opinions publiques.</p>
<p>Pour le dire simplement, ces espaces de liberté peuvent être des sources d’émancipation, ou bien de redoutables terrains où prospère l’inaction climatique.</p>
<h2>Contre le capitalisme néo-libéral</h2>
<p>En 2004, la politiste Wendy Brown associe les difficultés et les écueils des démocraties contemporaines <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2004-4-page-86.htm">à l’essor du capitalisme néolibéral</a>, en expliquant notamment que :</p>
<blockquote>
<p>« la rationalité néo-libérale […] soumet chaque aspect de la vie politique et sociale au calcul économique : plutôt que de se demander, par exemple, ce que le constitutionnalisme libéral permet de défendre, ce que les valeurs morales et politiques protègent et ce dont elles préservent, on s’interrogera plutôt sur l’efficacité et la rentabilité promues – ou empêchées – par le constitutionnalisme. »</p>
</blockquote>
<p>Dans cette optique, où le constitutionnalisme libéral est à entendre comme l’exaltation des libertés individuelles face au pouvoir étatique, le politique ne devient qu’un instrument au service de la rentabilité – rendant de facto toute réforme écologique et environnementale difficile à implanter, à partir du moment où elle menace des intérêts économiques et financiers immédiats.</p>
<p>Un peu plus tard, en 2009, la professeur de science politique Jodi Dean va encore plus loin dans un ouvrage qui propose une critique de la <a href="https://www.dukeupress.edu/democracy-and-other-neoliberal-fantasies/">version néolibérale des démocraties</a>. Selon elle, les démocraties se retrouvent menacées par une confusion entre libre expression et stratégies de communication ; en d’autres termes, rien ne permet de distinguer les intérêts de celles et ceux qui utilisent leur droit à la liberté d’expression dans la sphère publique.</p>
<p>Ainsi, la sphère publique démocratique représente un véritable marché de la liberté d’expression où se mêlent tendances énonciatives, stratégies de persuasion, fabrication du consentement, opinions privées, argumentations élaborées et influences médiatiques. Cette confusion ne devient compréhensible et lisible qu’à l’aide d’un réel outillage critique, qui peut permettre à chacune et chacun d’exercer ses droits citoyens ; hélas, cet outillage n’est pas accessible à tous et il est difficile de l’appliquer dans le bruit ambiant.</p>
<p>Au sein de ce marché de la libre expression émerge alors non plus une démocratie réelle, mais une illusion de démocratie, réduite à une incarnation simpliste de liberté d’expression publique et d’abondance de production de messages. Cette analogie du marché n’est pas innocente : elle témoigne, une nouvelle fois, de la gémellité entre économie de marché capitaliste et démocraties contemporaines, soulignée entre autres par le politologue allemand <a href="http://www.pte.pl/pliki/2/1/ZfVP2014Iscapital.pdf">Wolfgang Merkel</a>, dans un article particulièrement lumineux paru en 2014.</p>
<h2>L’enjeu du changement climatique</h2>
<p>Quid alors de l’urgent besoin de réaction face à l’incroyable violence des changements climatiques à venir ?</p>
<p>Si le modèle démocratique présente autant de dangers ou de vicissitudes liés à sa consanguinité avec l’économie de marché capitaliste, il est aisé de voir que les mesures écologiques nécessaires pour changer de modèle de société semblent littéralement vouées à l’échec.</p>
<p>Comment faire voter des individus contre l’intérêt propre de leur confort personnel en termes de consommation, ou empêcher des groupes d’intérêt de peser lorsque leurs propres intérêts financiers sont en jeu ? Comment permettre à des partis politiques et aux femmes et aux hommes qui les représentent de proposer un programme qui ira à l’encontre d’un certain nombre de partis-pris économiques habituels de l’économie de marché capitaliste – notamment la fameuse idéologie de croissance ?</p>
<p>Avec de telles limites, il semble difficile, voire impossible de pouvoir mettre en place une réelle transition écologique, au sens plein du terme, dans un système démocratique contemporain. Le fait qu’économie et démocratie fonctionnent en miroir sur un certain nombre de paramètres exploitables de l’environnement, que ceux-ci soient externes (ressources minières, terres à cultiver, animaux à élever, etc.) ou internes (ressources cognitives et affectives des individus, besoins anthropologiques élémentaires) n’est vraisemblablement pas le fruit du hasard ; ceci montre, comme je le développe dans <a href="https://editions-croquant.org/actualite-politique-et-sociale/740-ecoarchie.html"><em>Ecoarchie</em></a>, qu’économie capitaliste et démocratie contemporaine, dans la version que nous connaissons, partagent en réalité un ADN commun.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184959/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Albin Wagener ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Faire face au changement climatique semble compromis dans le cadre de nos organisations politiques contemporaines.Albin Wagener, Chercheur associé l'INALCO (PLIDAM) et au laboratoire PREFICS, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1837382022-05-27T15:50:56Z2022-05-27T15:50:56ZQuel « monde d’après » pour le tourisme ?<p><a href="https://www.lefigaro.fr/societes/tourisme-l-ete-s-annonce-radieux-en-france-20220426">52 000 arrivées</a> en avion à Paris pour le week-end de Pâques, annoncées sept fois plus nombreuses qu’en 2021 pour la période de mai à juillet… la reprise du tourisme semble réelle. Au niveau mondial, elle est observée depuis quelque temps par l’Organisation mondiale du tourisme. Les voyageurs étaient en janvier déjà <a href="https://www.unwto.org/fr/taxonomy/term/347">2,3 fois plus nombreux</a> qu’au même mois un an plus tôt.</p>
<p>Pour certains professionnels, ce retour laisse <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/04/24/a-paris-le-retour-du-tourisme-du-monde-d-avant-covid_6123415_3234.html">entrevoir un été radieux</a>. Il est estimé qu’en 2022 les fréquentations atteindront des <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/tourisme-la-france-se-prepare-au-grand-retour-des-vacanciers-1402285">records</a> et apporteront des recettes tant attendues après des mois de pandémie. En 2021, à l’échelle du monde, le nombre de touristes internationaux a baissé de <a href="https://www.unwto.org/tourism-data/global-and-regional-tourism-performance">71 %</a> par rapport à 2019 (de 1 468 millions à 421 millions) et en <a href="https://www.unwto.org/tourism-data/international-tourism-and-covid-19">France de 72 %</a>.</p>
<p>Cette reprise du tourisme de masse suscite l’intérêt des chercheurs. Deux scénarios, correspondant à deux champs de recherche, semblent d’ailleurs émerger. D’une part, celui de la reprise du tourisme poursuivant une logique de croissance ; d’autre part, sa redéfinition.</p>
<h2>Relance ou « détouristification » ?</h2>
<p>Certains universitaires encouragent ainsi l’élaboration de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/epub/10.1080/02508281.2020.1805933">stratégies de relance</a> pour permettre au secteur de retrouver le « business as usual » dès que possible. Des <a href="https://mdpi-res.com/d_attachment/tourismhosp/tourismhosp-03-00026/article_deploy/tourismhosp-03-00026.pdf?version=1651148659%20">travaux récents</a> concluent d’ailleurs au retour et au maintien du tourisme tel qu’il existait dans le « monde d’avant ». </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/465008/original/file-20220524-16-kxrxgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465008/original/file-20220524-16-kxrxgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465008/original/file-20220524-16-kxrxgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465008/original/file-20220524-16-kxrxgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465008/original/file-20220524-16-kxrxgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465008/original/file-20220524-16-kxrxgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465008/original/file-20220524-16-kxrxgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465008/original/file-20220524-16-kxrxgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">À Venise, un tag réclame le retour des touristes.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette perspective surfe également sur la propagation d’un « <em><a href="https://www.researchgate.net/profile/Girish-Vg/publication/356086459_COVID-19_pandemic_and_the_emergence_of_revenge_travel/links/618b97723068c54fa5c88b59/COVID-19-pandemic-and-the-emergence-of-revenge-travel.pdf%20">revenge travel</a></em> ». Par cette expression sont désignés les effets qui résultent de la combinaison des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S016073832100150X">désirs de rencontres et de déplacements</a> déclenchés par la distanciation sociale et le confinement imposés par la pandémie. D’autant que nombre de ménages ont pu se constituer une épargne durant les mois de confinement.</p>
<p>Le risque d’un surtourisme, chargé en externalités négatives, apparaît cependant. Dégradations de l’environnement, du cadre de vie des résidents, nuisances et pollutions aérienne, visuelle ou sonore… Avant la pandémie, le tourisme avait déjà fait l’objet de <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-36342-0_34">rejets</a>. Des mouvements « <a href="https://theconversation.com/chers-touristes-cassez-vous-cette-contagion-sociale-a-lorigine-de-la-tourismophobie-122556">tourismophobes</a> » ont été initiés par des habitants de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/espagne-tourismophobie-quand-les-vacanciers-derangent">Barcelone</a>, de Venise ou d’Amsterdam, obligeant les autorités à implémenter de nouvelles régulations. Leur <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/leurope-se-mobilise-contre-le-surtourisme-1041097">enjeu</a> : maintenir la qualité de la vie et, pour cela aussi, la manne financière issue du tourisme.</p>
<p>C’est pourquoi d’autres recherches invitent à rejeter le modèle du tourisme de masse qui valorise l’exploitation des ressources naturelles, humaines ou culturelles comme moteur de la croissance. Leurs auteurs plaident pour une réinvention du tourisme afin de sortir de la logique du « toujours plus », <a href="https://editionsdufaubourg.fr/livre/reinventer-le-tourisme">incompatible avec le besoin de durabilité</a>.</p>
<p>Il s’agit, dans un souci d’écologie, de privilégier la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-est-temps-de-reinventer-le-tourisme-138447">proximité plutôt que l’ailleurs</a> et de placer les habitants au cœur du système touristique afin qu’ils bénéficient d’interactions positives. Des travaux exposent même l’idée d’une décroissance du tourisme ou « <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/09669582.2019.1679822">détouristification</a> ». Ils encouragent le développement d’un tourisme alternatif proposant des offres compatibles avec les <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-36342-0_34">valeurs environnementales et sociétales</a> de la région d’accueil, ce tourisme devant être « <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/14616688.2020.1768434">régénérateur</a> ».</p>
<h2>Trois systèmes</h2>
<p>D’un point de vue théorique, ce modèle alternatif peut reposer sur le concept d’ « <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/14616688.2020.1768434?download=true">économie diversifiée</a> ». Il a été introduit en 1996 par les géographes économistes féministes Katherine Gibson et Julie Graham dans leur ouvrage <em>The End of Capitalism (As We Knew It)</em>, en réaction notamment à la valorisation du capitalisme néolibéral. Celle-ci se fait au détriment d’autres systèmes existants de production, d’échanges et de distribution. Nos travaux en cours, fondés sur nos <a href="https://hal-univ-bourgogne.archives-ouvertes.fr/hal-01882972">précédentes publications</a> liant tourisme et bien-être, transposent la notion à ce secteur.</p>
<p>Selon cette théorie, le paysage économique serait composé d’une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0309132508090821">multitude de pratiques et d’organisations cachées</a> qui exercent un impact potentiellement plus élevé sur le bien-être social que le capitalisme et qui peuvent contribuer à la régénération environnementale au sens large. Très schématiquement, cette théorie s’intéresse à cinq types de relations développés dans le cadre du capitalisme, du capitalisme alternatif et du non-capitalisme.</p>
<p><iframe id="EPivl" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/EPivl/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/14616688.2020.1768434">Dans le cadre du tourisme</a>, on observe une coexistence de systèmes alternatifs et non capitalistes avec le système capitaliste dominant, celui des tour-opérateurs. En France, plusieurs initiatives peuvent être mentionnées. Pour ce qui est des pratiques alternatives, <a href="https://www.terresdesandes.org">Terres des Andes</a> est, par exemple, une société coopérative et participative qui propose un tourisme en immersion, co-construit avec les habitants locaux et assurant une juste rémunération aux guides et aux familles d’accueil. </p>
<p>Pour ce qui est des pratiques non capitalistes, outre le <a href="https://wwoof.fr/fr/">WWOOFing</a>, l’association des <a href="https://internationalgreeter.org/fr">greeters</a> regroupent des guides locaux bénévoles proposant des visites aux touristes. Pour sa part, la plate-forme coopérative de voyages <a href="https://lesoiseauxdepassage.coop/">Les oiseaux de passage</a> réunit les deux pratiques précédentes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465009/original/file-20220524-16-38ix0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465009/original/file-20220524-16-38ix0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465009/original/file-20220524-16-38ix0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465009/original/file-20220524-16-38ix0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465009/original/file-20220524-16-38ix0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465009/original/file-20220524-16-38ix0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465009/original/file-20220524-16-38ix0v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À Venise toujours, des drapeaux sont aussi de sortie contre certaines formes de tourisme.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Prendre en compte cette théorie peut ainsi permettre d’identifier de nouvelles formes de tourisme. Cela suggère notamment de développer des initiatives valorisant les collaborations entre parties prenantes pour penser des offres touristiques impliquant des pratiques économiques diversifiées. Elle peut aussi aider à élaborer des offres combinant de façon équilibrée le marchand, le marchand alternatif, voire même le non marchand.</p>
<p>Ces recherches pourraient d’ailleurs intégrer les apports des travaux consacrés à l’« <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782743651367-l-abondance-frugale-comme-art-de-vivre-bonheur-gastronomie-et-decroissance-serge-latouche/">abondance frugale</a> » pour proposer des solutions permettant de faire, de vivre et de (faire) voyager mieux avec moins. Il s’agirait de privilégier l’eudémonisme et moins l’hédonisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183738/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Graillot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Relancer le secteur pour qu’il retrouve une dynamique de croissance ou bien saisir l’opportunité offerte par la crise pour le repenser autrement, à partir de concepts économiques hétérodoxes ?Laurence Graillot, Maître de conférences en Sciences de gestion (marketing) - HDR, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1798572022-03-23T19:24:18Z2022-03-23T19:24:18ZLa guerre en Ukraine est-elle une conséquence de la crise financière de 2008 ?<p>Les parallèles historiques sont toujours troublants. Une dizaine d’années après l’une des deux crises financières les plus dévastatrices du capitalisme moderne, un terrible conflit débute en Europe et menace d’entraîner le monde entier dans le chaos. Jusqu’à présent, la guerre en Ukraine reste évidemment d’un tout autre ordre que la Seconde Guerre mondiale, mais le choc des idéologies semble tout aussi fondamental.</p>
<p>À nos yeux, si un tel parallèle entre les conséquences de 1929 et 2008 n’a pas tellement était établi, c’est parce qu’à première vue, il n’a pas beaucoup de sens : les grandes crises financières et les guerres restent avant tout symptomatiques de problèmes structurels plus profonds dans les sociétés, qui sont autant de mouvements tectoniques qui créent des fractures en surface.</p>
<p>Vers la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, un bouleversement important est survenu dans le capitalisme. Jusqu’alors, l’humanité menait une vie précaire. L’offre de biens était soumise aux aléas climatiques, et la demande ne posait généralement pas de problème. Cela a changé avec la <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9780203498569/scientific-management-frederick-winslow-taylor">méthode scientifique de production</a> dans l’agriculture et l’industrie manufacturière, qui a introduit des éléments tels que les engrais et les machines puissantes. D’abord aux États-Unis, qui étaient les pionniers de la technologie, puis ailleurs, il y eut alors trop de biens pour un nombre restreint de personnes capables de les acheter.</p>
<h2>Luttes idéologiques</h2>
<p>Cette situation a fondamentalement déstabilisé le capitalisme, créant des situations dans lesquelles les prêteurs étaient surendettés alors que les producteurs, qui ne trouvaient pas assez de clients, ne remboursaient pas leurs dettes.</p>
<p>Les États-Unis ont connu depuis de <a href="https://www.federalreservehistory.org/essays/banking-panics-of-the-gilded-age">nombreuses paniques financières</a> à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle et au début du XX<sup>e</sup> siècle, jusqu’à la crise de 1929 qui fut la plus spectaculaire. Selon ce que l’on appelle la théorie française de la régulation, l’offre excédentaire de biens était bien là au cœur du problème.</p>
<p>On peut dire que la Seconde Guerre mondiale a été une bataille colossale entre <a href="http://lipietz.net/ALPC/LIV/LIV_MiragesMiracles/LIV_Mirages01.pdf">quatre modèles industriels</a> qui proposaient chacun leur propre solution à cette offre excédentaire :</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/453310/original/file-20220321-12763-mulh2b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Joseph Stalin en 1925" src="https://images.theconversation.com/files/453310/original/file-20220321-12763-mulh2b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/453310/original/file-20220321-12763-mulh2b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=858&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/453310/original/file-20220321-12763-mulh2b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=858&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/453310/original/file-20220321-12763-mulh2b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=858&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/453310/original/file-20220321-12763-mulh2b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1078&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/453310/original/file-20220321-12763-mulh2b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1078&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/453310/original/file-20220321-12763-mulh2b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1078&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Staline a refusé de s’associer au modèle impérial britannique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Joseph_Stalin#/media/File:Ordzhonikidze,_Stalin_and_Mikoyan,_1925.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<ul>
<li><p>La solution britannique consistait à essayer de recréer l’économie impériale d’avant la Première Guerre mondiale, centrée sur la Grande-Bretagne, en imposant notamment des droits de douane élevés au-delà de l’empire pour se protéger.</p></li>
<li><p>Au début des années 1920, peu après la révolution russe, les Britanniques, pour lesquels l’Ukraine et la Russie jouaient jusqu’alors le rôle de producteurs de céréales, avaient offert aux Soviétiques la possibilité de réintégrer cette vision d’un système commercial mercantile. Cette proposition a finalement été rejetée lors du débat qui a suivi en Russie. Cependant, le débat a en partie conduit au modèle de socialisme « <a href="https://www.marxists.org/history/etol/writers/curtiss/1941/11/staltheory.html">dans un seul pays</a> » du dirigeant soviétique Joseph Staline (par opposition à l’opinion de Karl Marx selon laquelle le communisme nécessitait une révolution mondiale). Le système stalinien est en effet celui d’une économie planifiée où l’offre et la demande de biens industriels sont organisées par l’État.</p></li>
<li><p>En Allemagne, les national-socialistes ont développé un modèle différent : une <a href="https://www.nber.org/system/files/chapters/c9476/c9476.pdf">économie semi-planifiée</a>, essentiellement capitaliste, mais les industries clés étaient nationalisées, ainsi que les syndicats.</p></li>
<li><p>Une autre variante est venue des États-Unis, avec le <a href="https://www.khanacademy.org/humanities/us-history/rise-to-world-power/great-depression/a/the-new-deal">New Deal</a>. Ce modèle combinait des services publics, des systèmes de défense, d’éducation et de retraite nationalisés avec une économie d’entreprise planifiée gérée par de grands conglomérats, mais tous construits autour des droits de propriété privée. Il existe de nombreuses similitudes avec le modèle allemand, bien que le modèle américain soit finalement fondé sur la démocratie.</p></li>
</ul>
<p>En 1939, ces quatre systèmes différents sont entrés en guerre. La quatrième version a gagné. Elle a été quelque peu adaptée dans les années qui ont suivi, mais nous dire que cette victoire s’est traduite, en gros, par la mondialisation. Cette mondialisation est maintenant contestée, ce qui est au cœur de la lutte idéologique équivalente aujourd’hui.</p>
<h2>D’hier à aujourd’hui</h2>
<p>La crise de 2008 n’a pas été aussi dévastatrice que celle de 1929, mais elle a gravement endommagé le modèle dominant d’économie capitaliste dirigée par le marché. Pendant des décennies, ce modèle a été présenté aux électeurs comme étroitement lié à la notion de « liberté », c’est-à-dire à la primauté de la propriété privée associée à la liberté de choix des consommateurs. Ce modèle a conduit à un « marché libre » dominé par des conglomérats multinationaux se déplaçant librement dans le monde entier tout en évitant les impôts et les responsabilités des personnes et des entreprises.</p>
<p>Une autre forme de capitalisme apparue à la fin du XX<sup>e</sup> siècle ne partageait que quelques-unes de ces hypothèses. La Russie est revenue au capitalisme dominé par l’État après un flirt ruineux avec l’économie néolibérale dans les années 1990. Cette « solution » est devenue l’un des socles de la popularité et du pouvoir du président Vladimir Poutine.</p>
<p>La Chine, quant à elle, a <a href="https://www.cambridge.org/core/books/chinas-great-economic-transformation/BD126A197B16634501EA12F594D528DF">prudemment ouvert son économie</a> depuis la fin des années 1970 afin d’éviter l’effondrement. S’inspirant peut-être de l’expérience de la Russie dans les années 1990, elle s’est montrée beaucoup plus prudente, veillant à ce que sa version du capitalisme reste sous la tutelle du parti communiste.</p>
<p>Dans une troisième variante, les États du Golfe ont encouragé l’entreprise privée et des milliards de dollars d’investissements dans leurs pays, mais toujours sous le contrôle de quelques cheikhs et de leurs familles dirigeantes. Pour eux, cette approche autoritaire reflète fondamentalement ce qu’ils ont toujours été – et ce qu’ils seront certainement à l’avenir.</p>
<p>La crise financière mondiale de 2008 a ébranlé la conviction que les marchés avaient la capacité de résoudre les problèmes, sapant ainsi la confiance dans la classe politique et la démocratie elle-même. Les banques ayant été renflouées alors que la population subissait l’austérité, il était alors facile de penser, dans les années qui ont suivi, que la Chine, la Russie ou un certain populisme occidental pourrait représenter l’avenir.</p>
<p>Jusqu’à présent, chaque courant du capitalisme autoritaire ressemblait à un îlot isolé, ne se reliant qu’occasionnellement à un autre. Or, la guerre actuelle pourrait changer la donne si le conflit se transforme rapidement en une guerre par procuration entre les démocraties autocratiques et libérales. La Chine, les États du Golfe, peut-être l’Inde – et les républicains pro-Trump aux États-Unis – sont au mieux ambivalents face à la guerre en Ukraine, alors que le reste du monde ne l’est pas.</p>
<p>Qui va gagner ? La Russie rencontre peut-être des difficultés militaires en Ukraine, mais cette bataille par procuration pour l’avenir du capitalisme ne sera pas être remportée à coup de missiles Stinger.</p>
<p>Étrangement, le problème est que l’Occident, mené par les États-Unis et l’Union européenne, a réussi à faire en sorte que la crise de 2008 ne soit pas aussi dévastatrice qu’elle aurait pu l’être. Pour ce faire, les gouvernements ont combiné l’austérité, la réduction des taux d’intérêt à zéro et l’augmentation massive de la masse monétaire grâce aux politiques d’assouplissement quantitatif (quantitative easing).</p>
<p>Le prix à payer de ces politiques est aujourd’hui élevé. Les inégalités <a href="https://inequality.org/facts/income-inequality/">ne cessent de s’aggraver</a>, et la récente flambée de l’inflation les creuse encore davantage. Une fois de plus, nous sommes confrontés à un problème de demande : si les acteurs économiques n’ont pas les moyens d’acheter les biens et services que les producteurs vendent, l’instabilité s’accentuera.</p>
<p>Ainsi, si l’autoritarisme peut sembler moins attrayant maintenant que Poutine démolit l’Ukraine, les conditions qui favorisent le populisme ne font que se renforcer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179857/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ronen Palan a reçu des financements du Conseil européen de la recherche. Il est conseiller principal du Réseau pour la justice fiscale.</span></em></p>Les blocs qui s'opposent aujourd'hui présentent des modèles de capitalisme spécifiques. Comme lors du krach de 1929, dix ans avant l'éclatement de la Seconde Guerre mondiale.Ronen Palan, Professor of International Politics, City, University of LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1788412022-03-10T20:28:47Z2022-03-10T20:28:47ZIndustrie, croissance, travail : ce que les socialistes français du XIXᵉ siècle nous disent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/450870/original/file-20220309-19-1y3ukny.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=330%2C213%2C867%2C623&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">«&nbsp;Grand laminoir pour réduire en feuilles les blocs de caoutchouc purifié&nbsp;», extrait de la série «&nbsp;Les merveilles de l’industrie, ou description des principales industries modernes&nbsp;», par Louis Figuier [1873-1877].
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/fdctsevilla/4726596383/">Fondo Antiguo de la Biblioteca de la Universidad de Sevilla</a></span></figcaption></figure><p>Que nous apprend l’héritage philosophique des socialistes français du XIX<sup>e</sup> siècle ? À un mois d’une élection présidentielle où la gauche s’avance, selon les sondages, en <a href="https://www.sudouest.fr/elections/presidentielle/presidentielle-macron-toujours-en-progression-devant-le-pen-pecresse-et-zemmour-selon-un-sondage-9559705.php">position minoritaire</a>, plusieurs couches de ce bassin culturel souvent oublié peuvent être exploitées. Taxés d’utopiques, ces auteurs avaient en effet formulé des propositions qui peuvent s’inscrire dans nos préoccupations actuelles.</p>
<p>Les <a href="http://www.sudoc.abes.fr/cbs/xslt/DB=2.1//SRCH?IKT=12&TRM=111087066">recherches</a> que nous avions menées sur ces penseurs orientent les interrogations notamment sur la société industrielle, la croissance, le travail et l’éducation.</p>
<p>D’abord, la société industrielle s’identifie à un effort collectif de création produisant des choses et des hommes. C’est son « seul but raisonnable et positif », précise le philosophe, économiste et militaire français Saint-Simon dans <em>L’Industrie</em>.</p>
<p>Une telle société doit se doter d’un système d’institutions qui favorisent la dissémination de l’information et la communication. La société n’est pas un cadre où se réalise automatiquement le développement économique. L’évolution économique est soumise au système de décision de la société. Il ne peut y avoir de transformation économique et sociale sans que soit élaborée une théorie du changement.</p>
<p>Pour Saint-Simon, il s’agit de « revoir toutes les idées pour les asseoir sur les principes de l’industrie, pour rapporter toute la morale à la production », morale centrée sur la satisfaction de tous les besoins des membres du corps social. La progressivité d’une société est définie par rapport à un certain nombre d’objectifs à établir en commun et à leur acceptation, notamment par « la classe la plus nombreuse et la plus pauvre ».</p>
<p>Le mouvement n’est pas synonyme de progrès (« l’on n’a pas le moins du monde prouvé qu’une chose est en progrès quand on a montré qu’elle se meut » précise, le théoricien révolutionnaire Proudhon). Poser la création comme la résultante d’un projet émanant de tous les groupes sociaux résonne fortement dans nos sociétés de plus en plus fragmentées dans lesquelles les taux de pauvreté sont loin de diminuer.</p>
<h2>Processus d’insoutenabilité</h2>
<p>L’action de l’homme sur la nature est d’abord une lutte contre la rareté. D’où la nécessité d’un nouveau paradigme reposant sur une « philosophie inventive et organisatrice » (Saint-Simon) qui a une dimension à la fois quantitative et qualitative. Certes, les besoins sociaux sont tels qu’il faut accroître fortement la production, mais les auteurs considèrent que les transformations sont globales et liées, les relations entre les variables stratégiques importent plus que leur croissance isolée.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/450707/original/file-20220308-23-2118kp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450707/original/file-20220308-23-2118kp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=836&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450707/original/file-20220308-23-2118kp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=836&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450707/original/file-20220308-23-2118kp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=836&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450707/original/file-20220308-23-2118kp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1051&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450707/original/file-20220308-23-2118kp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1051&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450707/original/file-20220308-23-2118kp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1051&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Claude de Rouvroy de Saint-Simon.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/saint-simon-claude-de-rouvroy-de-519b87">Österreichische Nationalbibliothek</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Telle est, semble-t-il, la signification de la notion d’industrie chez Saint-Simon qui est un phénomène à la fois scientifique, technique, productif et social, qui requiert une transformation des habitudes d’esprit et des comportements. Les aspects structurels et mentaux peuvent donc entraver le développement économique et les transformations qui l’accompagnent.</p>
<p>Proposition d’actualité au moment où les sociétés affrontent les problèmes de la réindustrialisation et de la transition écologique.</p>
<p>De là découlent plusieurs processus d’insoutenabilité. Le premier est que la transformation de la société a une dimension politique, elle requiert une transformation du cadre institutionnel pour que le développement technique et économique apparaisse comme un résultat.</p>
<p>De même, la croissance n’est pas soutenable lorsque les efficacités de production sont séparées des problèmes de consommation et des questions de répartition qu’elles autorisent, ou dans lesquels elles trouvent leur caractère légitime. Comme le souligne Proudhon :</p>
<blockquote>
<p>« Qu’importe en effet que la richesse totale augmente si la répartition est telle que le grand nombre soit plus pauvre qu’auparavant. »</p>
</blockquote>
<p>On sait combien le thème des inégalités s’inscrit dans les travaux économiques récents.</p>
<p>Les socialistes du XXI<sup>e</sup> siècle relevaient également que la croissance était un phénomène instable. Il y a insoutenabilité lorsque le capital productif s’accumule de façon déséquilibrée entre les différentes activités, ce qui accroît le chômage technologique en raison des « perfectionnements industriels » qui créent « une tendance constante à… éliminer de la production les travailleurs ».</p>
<p>Pour atténuer ce phénomène, Proudhon envisage d’élaborer une « prévoyance sociale », c’est-à-dire une politique de formation reposant sur une « organisation intégrale de l’apprentissage… comme loi organique de transition applicable à tous les cas possibles ». Il ajoute que le travail de déclassement et de reclassement dans la société est continuel, ce qui exige d’élever le niveau de formation de la main-d’œuvre et la qualité de l’intervention humaine en faisant « passer le [travail] de la pratique spontanée à la science ».</p>
<h2>Nouveaux blocages</h2>
<p>Au moment où le thème de la valeur-travail imprègne la réflexion politique, il n’est pas inutile de rappeler combien ces auteurs insistent sur l’importance du travail qualifié dans la création des richesses. Le nombre et la qualité des personnes éduquées restent la source majeure de la croissance de la production. La dynamique économique et sociale repose sur les connaissances et les compétences du chercheur, du technicien, de l’ouvrier, des cadres et des chefs de l’industrie. La période de constitution du capital humain qualifié est longue.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/450708/original/file-20220308-13-myuhll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450708/original/file-20220308-13-myuhll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450708/original/file-20220308-13-myuhll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450708/original/file-20220308-13-myuhll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450708/original/file-20220308-13-myuhll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450708/original/file-20220308-13-myuhll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450708/original/file-20220308-13-myuhll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pierre-Joseph Proudhon.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/home_of_chaos/48078354203">Thierry Ehrmann/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Proudhon admet que « le capital social accumulé [dans l’homme de talent]… crée une capacité productive envisagée comme un bien de production lui-même produit qui a un certain coût… qui représente la somme égale à ce qu’il a coûté de produire ».</p>
<p>Si la France devait perdre subitement ses ressources en main-d’œuvre qualifiée, « il [lui] faudrait au moins une génération entière pour réparer ce malheur » admet Saint-Simon dans sa <em>Parabole</em>. Près de 150 ans plus tard, l’économiste français Alfred Sauvy insistera sur l’importance décisive de la capacité technique et des idées par rapport aux actifs matériels.</p>
<p>Au final, la propriété privée des moyens de production crée des rapports de domination entre les groupes sociaux. Cependant, la relation de propriété n’a qu’un caractère abstrait si ne sont pas prises en compte la dimension politique du pouvoir dans l’entreprise (la participation directe des salariés aux décisions, selon Proudhon, ou l’adhésion des salariés aux choix proposés par la direction, selon Saint-Simon).</p>
<p>La socialisation des moyens de production ne peut donc opérer une réduction des aliénations dans le travail qu’à la condition que les entreprises transforment leur processus de décision et recomposent le travail selon une visée de psychosociologie en intégrant l’analyse des groupes et des motivations.</p>
<p>Si la détention des moyens de production n’est pas à l’ordre du jour, la question de la démocratie économique au sein des entreprises et celle de la fracturation des collectifs de travail dans de nombreuses activités par la transformation algorithmique des tâches et le télétravail constituent aujourd’hui des blocages sociaux et psychologiques d’une importance majeure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178841/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Guilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les propositions formulées par Saint-Simon ou encore Proudhon entrent en résonnance avec les préoccupations actuelles sur plusieurs thématiques économiques.Bernard Guilhon, Professeur de sciences économiques, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1773922022-03-06T17:08:48Z2022-03-06T17:08:48ZMéditation en entreprise : les critiques sont les mêmes que celles visant la RSE il y a 20 ans<p>La méditation de pleine conscience qui trouve ses origines dans de <a href="https://mindfulnessinschools.org/wp-content/uploads/2017/09/Mindfulness-APPG-Report_Mindful-Nation-UK_Oct2015-1.pdf">multiples traditions spirituelles</a>, a fait son entrée dans les entreprises ces dernières années, et pourrait apporter des éléments de réponse à une société qui se serait emballée dans une course effrénée managériale où la croissance continue et les pressions temporelles sont devenu des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14766086.2017.1418413">défis majeurs de la vie moderne</a>.</p>
<p>Récemment, nous avons mené une <a href="https://doi.org/10.1002/cjas.1655">étude</a> où nous avons pu explorer à la fois les bénéfices et les écueils de l’intégration de cette pratique en entreprise (que nous avons nommée « corporate mindfulness »).</p>
<p>D’abord, plusieurs types de bénéfices, physiologiques et psychologiques, ont pu être identifiés. Par exemple, il a été démontré que les interventions basées sur la pleine conscience dans les entreprises <a href="https://psycnet.apa.org/record/2016-51155-008">réduisent le stress perçu et l’anxiété</a> liée aux traits de caractère des employés. La méditation de pleine conscience permettrait aux salariés de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25584730/">mieux réguler leurs émotions</a>, d’améliorer leur <a href="https://www.jstor.org/stable/30040689">capacité de prise de décision</a>, et enfin de permettre une <a href="https://www.researchgate.net/publication/263069357_Enhancing_Readiness_for_Change_by_Enhancing_Mindfulness">meilleure résistance au changement</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-preuve-par-trois-la-meditation-va-vous-faire-du-bien-139630">La preuve par trois : la méditation va vous faire du bien</a>
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<p>Ces mécanismes individuels <a href="https://ideas.repec.org/a/jda/journl/vol.53year2019issue2pp229-238.html">renforceraient le leadership</a> dans les organisations et la <a href="https://psycnet.apa.org/record/2018-20753-012">pleine conscience des équipes</a>, des ingrédients clés pour favoriser une entreprise apprenante, plus résiliente et avec une plus grande capacité d’adaptation dans un monde mouvant.</p>
<h2>« Business as usual » ?</h2>
<p>Notre étude s’intéresse également au courant critique de la corporate mindfulness pour qui la méditation de pleine conscience en entreprise est une démarche néolibérale qui viendrait au contraire <a href="https://www.huffpost.com/entry/beyond-mcmindfulness_b_3519289">renforcer les problèmes engendrés par le capitalisme</a>. Comme nous le relevons, ces critiques font écho aux débats plus anciens sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE).</p>
<p>Il y a vingt ans, le débat portait sur la question suivante : la RSE était-elle un simple <a href="https://hbr.org/2006/12/strategy-and-society-the-link-between-competitive-advantage-and-corporate-social-responsibility">outil de plus pour rendre l’entreprise plus performante</a> ? Ou, au contraire pouvait-elle être considérée comme un <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/09534819910282171/full/html?skipTracking=true">objet éthique</a> et à vocation transformationnelle pour l’entreprise et la société ?</p>
<p>Le même débat fait rage aujourd’hui à propos de la corporate mindfulness. Pour beaucoup, elle est un instrument des ressources humaines (RH) qui permet aux salariés d’être plus agiles, <a href="https://psycnet.apa.org/record/2018-34189-002">plus justes dans leurs décisions</a>, plus habiles dans leurs relations interpersonnelles, plus motivés par leur entreprise et donc plus performants.</p>
<p>Cette façon d’appréhender la corporate mindfulness semble soutenir un paradigme du « business as usual », c’est-à-dire un paradigme ou la performance économique dominerait toutes les autres valeurs. La corporate mindfulness aurait même été qualifiée récemment comme une manière de créer un <a href="https://ideas.repec.org/a/eee/bushor/v64y2021i5p697-709.html">avantage concurrentiel durable</a> pour l’entreprise.</p>
<p>La posture critique voit au contraire la corporate mindfulness comme une pratique appauvrie et décontextualisée de ses racines bouddhistes, une simple technique reproduisant les inégalités managériales et aidant à <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1056492614532315">maintenir des cultures organisationnelles toxiques</a>.</p>
<p>Ces critiques appellent à une vision plus éthique et pour certains cela implique de retrouver une proximité aux racines religieuses, de manière à ce qu’une véritable transformation en profondeur des modes de relations entre les managers et leurs salariés, entre les humains et leur relation à la nature, puisse opérer. Cette nouvelle approche plus éthique et non instrumentale permettrait de favoriser un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09640568.2017.1394819">monde plus juste et moins destructeur de l’environnement</a>.</p>
<h2>Dépasser le débat éthique/instrumental</h2>
<p>Dans le domaine de la RSE, le débat n’a jamais été totalement tranché entre ceux pour qui les pratiques d’innovations sociales et environnementales doivent se faire pour des raisons éthiques (« the right thing to do », la bonne chose à faire) et ceux pour qui il est impossible de séparer l’éthique de l’objectif économique. En 1995, le chercheur américain Thomas D. Jones expliquait par exemple que la moralité n’est pas une fin en soi, mais un <a href="https://www.jstor.org/stable/258852">moyen de maximiser la profitabilité</a> de la firme et son efficience.</p>
<p>Pour un éthicien, ce genre de raisonnement paraît sûrement incohérent. Le courant pragmatique peut être une solution au débat. Ainsi, au lieu d’ausculter les motivations profondes des acteurs pour comprendre si les motivations sont de l’ordre éthique ou instrumental, l’invitation est simplement d’observer les programmes RSE mis en place par les entreprises afin d’établir si leurs impacts sur les bénéficiaires désignés <a href="https://www.jstor.org/stable/3556659">répondent efficacement aux problèmes</a> sociétaux et environnementaux.</p>
<p>Ainsi, en appliquant une approche pragmatique à la corporate mindfulness, nous pourrions nous demander simplement si les entreprises qui intègrent des programmes de méditation de pleine conscience pour leurs salariés sont aussi des entreprises dont la culture organisationnelle est <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14697017.2013.768431">plus intègre, plus agile et apprenante</a>.</p>
<p>Ce serait également un moyen d’évaluer si les parties prenantes (salariés, sous-traitant, consommateurs, etc.) sont plus heureuses, paisibles, équilibrées, et si les sujets environnementaux et sociétaux sont véritablement intégrés au sein de la chaîne de valeur de l’entreprise.</p>
<p>Une approche pragmatique pourrait ainsi permettre de dépasser le débat éthique/instrumental. Il semble en effet qu’il apparaît compliqué de pouvoir décrypter les intentions profondes des managers et il n’est pas forcément nécessaire de renouer avec les racines bouddhistes de la mindfulness pour que celle-ci soit éthique.</p>
<p>Plusieurs pistes semblent ici <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/cjas.1655">possibles</a>. Premièrement, les entreprises peuvent encadrer la pleine conscience dans un cadre humaniste qui n’est <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14766086.2017.1418413">pas nécessairement spirituel</a> ou lié au bouddhisme. Deuxièmement, les entreprises peuvent remplacer une manière instrumentale et autoritaire d’entrer en relation avec le monde par une <a href="https://www.academia.edu/40075495/Hartmut_Rosas_Sociology_of_the_Relationship_to_the_World">approche d’écoute et relationnelle</a>.</p>
<p>Troisièmement, les entreprises peuvent mettre en œuvre la pleine conscience dans un cadre où les employés sont encouragés à cultiver l’authenticité, l’honnêteté et la prise de risque de manière à favoriser une approche collective et non individualiste des sujets environnementaux et sociaux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-mediter-mene-sur-la-voie-de-la-consommation-ethique-141483">Quand méditer mène sur la voie de la consommation éthique</a>
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<p>La corporate mindfulness offre de multiples bénéfices pour les entreprises, les salariés et potentiellement pour la société de manière plus large, mais il reste important d’entendre les voix critiques qui s’élèvent contre une instrumentalisation trop importante de la corporate mindfulness.</p>
<p>Cependant, le risque de cette critique est de nier la possibilité qu’une innovation normative et non instrumentale puisse faire son entrée dans l’entreprise. Il y a 20 ans, nous parlions de RSE, aujourd’hui les B-Corp ont fait leur apparition ainsi que les entreprises à mission. Le mouvement B-Corp vise à allier à la fois l’éthique et l’économique au cœur de la mission de l’entreprise et à démontrer qu’il est possible de manier des équilibres parfois compliqués et hybrides.</p>
<p>Certes, cette voie n’est pas facile mais elle reste la voie la plus intéressante à poursuivre. De la même façon, une approche pragmatique de la corporate mindfulness a le mérite de nous permettre d’être constructif pour favoriser plutôt que freiner l’expérimentation de pratiques hybrides au sein des entreprises, facilitant ainsi les modifications profondes et nécessaires de notre société face aux mutations sociales et environnementales en cours.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177392/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Et si la « corporate mindfulness » n’était qu’un outil au service de la performance économique ? Cette question fait écho aux premiers débats autour de la responsabilité sociale des entreprises.Julie Bayle-Cordier, Professeure de RSE, IÉSEG School of ManagementAzadeh Savoli, Assistant Professor, Management of Information Systems, IÉSEG School of ManagementJoão Vieira da Cunha, Research Director, Management of Information Systems LEM Member, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1755622022-02-03T17:45:05Z2022-02-03T17:45:05Z« Restons couchés », ou comment mieux comprendre la nature du régime chinois à travers un mouvement contestataire<p>Beaucoup d’observateurs affirment que la Chine d’aujourd’hui a <a href="https://esprit.presse.fr/article/jean-philippe-beja/xi-jinping-ou-le-retour-du-totalitarisme-43089">pris le chemin du totalitarisme</a> et donc, si l’on se réfère à l’analyse <a href="https://www.cairn.info/histoire-des-idees-politiques-aux-temps-modernes--9782130627333-page-1357.htm">arendtienne</a>, place ses pas dans ceux de l’Allemagne nazie ou de l’URSS stalinienne. Affirmation paradoxale puisque Hannah Arendt déclare elle-même dans la préface à l’édition française de son <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-systeme-totalitaire-hannah-arendt/9782020798907"><em>Système totalitaire</em></a> : « Tout ce que nous savons de la Chine d’une manière certaine indique des différences essentielles avec le totalitarisme. »</p>
<p>Alors, la Chine de Xi Jinping aurait-elle été plus loin que la Chine de Mao ? Serait-elle en voie de détruire la réalité humaine et les structures sociales ? Le PCC exerce-t-il un pouvoir total sur la société, y compris dans les domaines de l’intime et de la vie privée ?</p>
<h2>Le terme « totalitarisme » est-il approprié ?</h2>
<p>Il n’est pas question de nier que le système politique chinois est une dictature. La Chine a un régime politique à parti unique, les détracteurs de ce régime sont pourchassés. De plus, le gouvernement applique une <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2006-3-page-257.htm">politique coloniale</a> dans certaines provinces. Pour autant, aucun des traits fondamentaux qui définissent le totalitarisme d’après Arendt ne se retrouve en Chine.</p>
<p>D’une part, le système politique est très institutionnalisé et basé sur le « gouvernement par la loi ». Le pouvoir de Xi Jinping ne ressemble en rien à celui fluctuant, caché et capricieux du Chef charismatique qui est le seul dont les désirs, les fantasmes, conscients ou inconscients et, parfois, les plus ou moins vagues ordres secrets sont écoutés et interprétés.</p>
<p>D’autre part, la Chine ne connaît pas de mobilisation constante de masses largement désocialisées. Non seulement l’objectif du Parti n’est pas la destruction de toute relation sociale, mais les intérêts des classes et des individus n’ont pas disparu au profit d’une idée centrale explicative de tout. Au contraire, même, ces intérêts ont pris une importance centrale : le contrat social (prospérité et protection contre parti unique) est au cœur des relations entre le Parti et la population.</p>
<p>Ce maintien de l’« intérêt », crucial dans l’analyse arendtienne, peut être aussi paradoxalement illustré par l’activité de certains mouvements d’opinion qui contestent les normes et valeurs et, jusqu’à un certain point, le contrat social en cours depuis le début des années 1990.</p>
<h2>Une contestation des normes et valeurs de la « société des réformes »</h2>
<p>L’existence de ces courants démontre la vitalité de la société chinoise, loin de l’image de société « laminée » que l’on en donne parfois. Ils se caractérisent en particulier par une critique forte de ce qui fait l’essence même de l’éthique de la société qui a émergé des réformes dans les années 1990, à savoir une volonté insatiable de réussir et de progresser (individuellement, familialement et collectivement) dans le cadre d’une compétition de tous contre tous.</p>
<p>Des jeunes gens des classes moyennes, mais aussi parfois des ruraux, migrants de la deuxième génération, ne veulent plus « jouer le jeu ». Ils ressentent une « involution » (<em>xiaojuan</em>) du système ; le sentiment que la compétition pour l’argent, le pouvoir, le statut social n’a plus de sens, ne mène nulle part. L’évolution vers un monde meilleur est remplacée par un processus dans lequel la société tourne à vide. Cet « à quoi bon » s’appuie sur une lassitude physique et mentale, mais aussi sur le constat qu’à l’heure actuelle les efforts des individus ne débouchent que sur des gains minimes. Le jeu n’en vaut plus la chandelle.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"14185846612535746625"}"></div></p>
<p>L’idéologie du <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-china-58381538">996</a> (travail de 9 heures du matin à 9 heures du soir, six jours sur sept) perd de son attrait, et l’on a vu apparaître des mouvements culturels très fortement relayés et amplifiés par les réseaux sociaux comme <a href="https://www.scmp.com/news/china/society/article/2109776/why-chinas-gloomy-millennials-have-got-authorities-worried"><em>Sang</em></a> (littéralement funérailles mais ici plutôt deuil ou perte), où les individus sont incités à renoncer à la compétition pour se « vautrer » dans une vie dégagée des obligations sociales.</p>
<p>Mais c’est le mouvement <a href="https://www.scmp.com/comment/letters/article/3136920/chinas-youth-are-lying-flat-fear-so-might-their-futures"><em>Tangping</em></a> (qui est apparu en 2020 mais qui a pris son envol à partir de quelques mots postés en mai 2021 sur un réseau social) qui a révélé le phénomène au grand jour.</p>
<p>Le terme <em>tangping</em> peut être traduit littéralement par « allonger à plat », mais son sens profond est proche de l’expression « restons couchés ». Il s’agit de ne plus participer au jeu social, de travailler juste ce qu’il faut pour survivre et profiter de la vie, de ne pas se marier ou avoir des enfants, de ne pas acheter d’appartement ou de voiture pour éviter les responsabilités. Le phénomène n’est pas individuel, à la façon des <a href="https://www.nationalgeographic.fr/voyage/les-hikikomori-ces-japonais-qui-senferment-chez-eux-cause-de-la-crise"><em>hikikomori</em></a> japonais. Il est au contraire l’expression d’une identité sociale forte qui se cristallise à travers les réseaux sociaux et qui cherche à imaginer une autre société.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1401488103118753792"}"></div></p>
<p>La presse non chinoise a rendu compte de ce mouvement, mais sous un jour essentiellement <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/06/16/la-jeunesse-chinoise-reclame-un-droit-a-la-paresse_6084398_3210.html">« folklorique »</a> et parfois, mais beaucoup plus rarement, en insistant sur sa <a href="https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/3153362/what-lying-flat-and-why-are-chinese-officials-standing-it">charge critique</a>. Dans le premier cas, il a été vu comme une curiosité dans une société jugée sous « total contrôle ». Dans le deuxième cas, ce fut une nouvelle occasion de rappeler que la population chinoise est supposée être vent debout contre le Parti.</p>
<p>Or, comme très souvent dans la Chine contemporaine, la contestation ne débouche pas sur une mobilisation visant le Parti. Ces jeunes Chinois ne remettent pas en cause le système politique mais le système social et, plus précisément, sa logique capitaliste. Dans ce contexte, la lecture d’une dizaine d’articles parus dans des revues académiques chinoises (en chinois) permet de mieux saisir les raisons d’un tel phénomène, ses ambiguïtés et les points communs avec le présent ou le passé récent d’autres sociétés.</p>
<h2>Les « Restons couchés » vus par les chercheurs chinois</h2>
<p>Ces chercheurs ne sont ni des dissidents ni des fonctionnaires du Parti. Ils sont enseignants dans des universités chinoises et ne publient ni dans des brûlots ni dans des publications du Parti, mais dans des revues scientifiques. Souvent jeunes, ils ont à la fois les compétences, l’âge et la curiosité nécessaires pour s’intéresser et « comprendre » ces nouveaux phénomènes. Pour eux, la croissance fulgurante de l’économie enregistrée depuis les années 1990 a complètement transformé la société.</p>
<p>Des années 1990 aux années 2010, les individus et les classes sociales ont profité de larges, bien qu’inégalement réparties, <a href="https://link.springer.com/book/10.1057/978-1-137-39339-5">opportunités de croissance des revenus et d’ascension sociale</a>. Grâce au travail, dont la qualité et le faible coût ont longtemps donné un avantage majeur à la Chine, beaucoup ont pu changer de vie. Les hauts cadres du parti et du gouvernement sont devenus de judicieux hommes d’affaires. Les urbains ont tiré parti du développement de l’enseignement supérieur et de l’augmentation considérable de l’emploi qualifié, notamment dans le secteur tertiaire. En quittant leur campagne, les ruraux migrants ont eux aussi changé de vie et accru leur revenu, même si cela s’est produit en échange d’une exploitation de leur travail digne parfois de celle qui prévalait pendant la première révolution industrielle en Europe. D’où la domination de la valeur travail, de la norme de l’ascension sociale sans fin et de la compétition généralisée.</p>
<p>Or, ce modèle, nourri d’investissements massifs étrangers et chinois, d’exportations à bas prix, et du développement considérable des infrastructures, s’épuise.</p>
<p>Le renchérissement du coût du travail et des coûts environnementaux rend la Chine moins séduisante <a href="https://www.scmp.com/article/topics/invest-china/1786520/shift-manufacturing-china-lures-foreign-investment-red-hot-services-sector">pour l’industrie manufacturière internationale comme chinoise</a> et <a href="https://www.scmp.com/business/china-business/article/3160806/china-property-crisis-if-last-year-was-bad-likes-evergrande">l’immobilier est en crise</a>.</p>
<p>La <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01138458/document">difficulté</a> qu’éprouve la Chine à créer des emplois très qualifiés à hauteur du nombre considérable de nouveaux diplômés qui sortent chaque année de l’université rend encore plus violente la concurrence à l’intérieur de la classe moyenne.</p>
<p>Notons ensuite que l’imaginaire de la croissance du niveau de vie et de la distinction sociale conduit à des vies aberrantes. Les classes moyennes se doivent d’être propriétaires d’appartements dont le prix augmente sans cesse. Faire partie de la classe moyenne, c’est aussi dépenser beaucoup pour <a href="https://www.la-croix.com/Monde/En-Chine-familles-rusent-ruinent-leducation-enfants-2022-01-17-1201195270">assurer à sa progéniture la meilleure éducation</a> et pour satisfaire des besoins de santé au coût de plus en plus élevé et globalement de moins en moins couverts par les systèmes de protection sociale.</p>
<p>Cette course au statut social conduit de nombreux Chinois à une logique de <a href="https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/3158753/chinas-expanding-middle-class-starting-look-lot-us-its-not">surendettement</a> qui les pousse à toujours travailler plus et plus intensément, pour toujours moins de satisfaction. Ils ont le sentiment d’être emprisonnés dans une logique qui leur échappe. C’est le terme « aliénation » qui vient à l’esprit du lecteur de ces articles.</p>
<p>En bref, la société dynamique qui, pendant deux décennies, a fourni des opportunités d’ascension sociale à beaucoup est devenue une société plus rigide où il est de plus en plus difficile de grimper ou même de se maintenir sur l’échelle sociale.</p>
<h2>Les enseignements de l’ambiguïté</h2>
<p>L’intérêt du mouvement « Restons couchés » dans la compréhension de la société chinoise réside aussi dans ses ambiguïtés. Au départ, les choses semblaient assez claires. Dès l’explosion digitale du mouvement, en mai 2021, les autorités ont réagi en <a href="https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/3153362/what-lying-flat-and-why-are-chinese-officials-standing-it">dénonçant sa portée négative</a>. Comment la Chine pourrait-elle devenir prospère et puissante si les Chinois renoncent à travailler d’arrache-pied ?</p>
<p>Des personnalités du monde des affaires ou du monde académique ont dit tout le mal qu’elles pensaient d’une telle attitude : la jeunesse semble ne plus avoir d’ambitions. Pourtant, bon nombre de chercheurs chinois ont un discours différent, sans être censurés pour autant, ce qui, en Chine, témoigne d’une attitude ambiguë du Parti lui-même à l’égard du mouvement. D’ailleurs, certains articles notent que les rejetons des classes dominantes ne sont pas touchés par le sentiment d’involution puisqu’ils n’ont guère besoin de se remuer pour préserver leur solide statut social…</p>
<p>Si, dans ces travaux, les traits négatifs du « restons couchés » – la passivité, le refus de l’effort et de la créativité, le manque d’ambitions – sont mis en évidence, ce sont pourtant les points positifs qui l’emportent.</p>
<p>D’abord, les chercheurs considèrent que la critique de la réussite à tout prix et du consumérisme sans limite est bénéfique aux nouvelles orientations économiques qui privilégient une <a href="https://merics.org/en/report/greening-china-analysis-beijings-sustainable-development-strategies">croissance verte</a>, une <a href="https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/3146271/what-chinas-common-prosperity-strategy-calls-even">meilleure répartition de la richesse</a> et <a href="https://www.ethicaltrade.org/blog/motivating-workplace-cooperation-china-what-companies-should-note">plus de collaboration entre les employés et entre les entreprises</a>. Les résultats de beaucoup d’entreprises chinoises pâtissent de la guerre de tous contre tous, d’une hiérarchie étouffante dans laquelle chacun défend et exploite son territoire. Cette absence de collaboration et des relations tendues conduisent à l’inefficacité et à des pertes majeures. Les individus ne veulent plus faire d’efforts démesurés pour des gains minimes et les entreprises déploient une énergie immense en pure perte.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1489191669752897541"}"></div></p>
<p>Ensuite, des ambitions sociales et financières plus raisonnables amélioreraient le climat social en atténuant l’anxiété et l’angoisse du « déclassement » chez les classes moyennes. Le « blues » des classes moyennes est un phénomène que de nombreux chercheurs chinois mettent en avant. Enfin, le mouvement <em>Tangping</em> pourrait contribuer à un reflux de la tension dans les secteurs de l’éducation, de l’immobilier et de la santé. Moins d’ambition pour ses enfants, moins d’exigence en matière de logement et sans doute moins de problèmes de santé car moins de stress : tout cela pourrait assainir le climat socio-économique.</p>
<p>Les chercheurs chinois ne militent pas pour une version radicale du <em>tangping</em>. Ils considèrent que beaucoup de jeunes alternent les périodes de forte activité et les moments où ils « restent couchés » ou diminuent leur participation. Mais rares sont ceux qui se retirent du jeu social. Il s’agit donc d’effectuer un rééquilibrage, de promouvoir un modèle modéré pouvant contribuer à une évolution vers une économie plus « saine » et une société plus collaborative.</p>
<h2>Critique sociale et critique politique</h2>
<p>L’analyse de ces mouvements qui traversent la société chinoise montre que cette dernière est bien éloignée de l’image qui en est donnée. Comment une société totalitaire pourrait-elle laisser se développer de tels phénomènes qui lui échappent et même y trouver un certain intérêt alors qu’ils remettent en cause le contrat social ? Le Parti peut contrôler les opinions et les expressions politiques ; il peut aussi contrôler le comportement des individus quand ils sont publics ; mais il ne peut contrôler leur mode de vie parce que la prospérité capitaliste, située au cœur de la relation entre le Parti et la population, suppose de larges marges de manœuvre dans la sphère privée.</p>
<p>Comment surveiller, voire mettre en camp de travail des millions de jeunes qui ne veulent plus « perdre leur vie à la gagner » mais continuent néanmoins d’être des consommateurs ? Une telle action remettrait en cause l’économie politique de la Chine d’aujourd’hui et donc à la fois le contrat social et la puissance de la Chine.</p>
<p>Certes, on peut décider d’utiliser d’autres définitions du totalitarisme que celle d’Arendt et, par exemple, s’inspirer de <a href="https://www.heritage.org/asia/commentary/china-totalitarian">Zbigniew Brzezinski</a>. Pour lui, un État totalitaire comporte six caractéristiques : une idéologie officielle ; un parti unique ; celui-ci étant dirigé par un Leader ; une police secrète ; le contrôle du Parti sur les médias ; et une économie centralisée. Cela correspond bien à la Chine, mais aussi à la quasi-totalité des dictatures.</p>
<p>Dès lors, qualifier la Chine de « totalitaire », c’est faire fi des travaux ayant conceptualisé le totalitarisme dans une situation historiquement située et s’interdire de décrypter la spécificité du régime chinois contemporain. Mais c’est aussi faire l’impasse sur toute lecture critique des sociétés dites occidentales avec lesquelles, pourtant, la société chinoise est de plus en plus interdépendante. En effet, si le <em>Tangping</em> ne semble guère en mesure de déboucher sur une remise en cause du Parti, la focalisation des observateurs sur la question du régime politique fait oublier que beaucoup des motivations de ce mouvement sont <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/5559?lang=en">présentes dans les sociétés occidentales</a> depuis les années 1960. De ce point de vue, la question du régime politique – démocratique ou dictatorial – est peut-être moins importante qu’un commun refus des normes et valeurs du capitalisme et d’une certaine modernité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175562/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Louis Rocca ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Chine est incontestablement une dictature. Pour autant, elle n’est pas un totalitarisme, comme le montre le rejet, par une parie de la jeunesse, du consumérisme que promeut le Parti.Jean-Louis Rocca, Sociologue et économiste, spécialiste de la Chine, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1746562022-01-27T19:15:00Z2022-01-27T19:15:00ZLes économistes jouent-ils au Monopoly sans le savoir ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/442965/original/file-20220127-6269-ovwzz0.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=44%2C13%2C1394%2C700&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le plateau du « Landlord's game » en 1906. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/52/Landlords_Game_1906_image_courtesy_of_T_Forsyth_owner_of_the_registered_trademark_20151119.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Les dés roulent sur un chapeau haut de forme. Ils s’arrêtent sur « chance ». C’est un billet aller simple pour la Rue de la Paix. J’ai 10 ans et je viens de gagner au Monopoly pour la première fois, mais bizarrement, je ne m’en réjouis pas. Certes, je suis riche, très riche. Je suis le seul propriétaire des maisons, hôtels et terrains laissés par les membres d’une société fictive dont je suis le dernier survivant.</p>
<p>À cette époque, je soupçonnais déjà que la vraie leçon du jeu du Monopoly résidait dans le fait que le capitalisme – dans sa version la plus radicale – conduit au mieux à la solitude et au pire à la faillite, pour la plupart des individus.</p>
<p>Or, peu de gens le savent, mais c’est bien ce que la créatrice du jeu souhaitait nous dire.</p>
<h2>La naissance du géorgisme</h2>
<p>Dans sa première version, née en 1903, le Monopoly fut appelé « le jeu du propriétaire foncier » (<a href="https://landlordsgame.info/">The Landlord’s Game</a>). Ce jeu mettait en garde contre les méfaits du capitalisme. Comme dans le Monopoly moderne, on jouait jusqu’au dernier souffle et jusqu’au dernier hôtel.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/442555/original/file-20220125-21-sqtdpg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442555/original/file-20220125-21-sqtdpg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=895&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442555/original/file-20220125-21-sqtdpg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=895&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442555/original/file-20220125-21-sqtdpg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=895&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442555/original/file-20220125-21-sqtdpg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1125&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442555/original/file-20220125-21-sqtdpg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1125&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442555/original/file-20220125-21-sqtdpg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1125&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Première planche brevetée, en 1904 aux États-Unis, du jeu The Landlord’s Game.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Elizabeth_Magie#/media/Fichier:BoardGamePatentMagie.png">US National Archives./Wikimedia</a></span>
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<p>Toutefois, cette version permettait à deux joueurs, frustrés et mécontents de cette brutale expérience sociale, de s’allier. Il pouvaient ainsi révolutionner le cours des choses et établir des règles différentes : nationaliser la banque, transformer la prison en école, ouvrir à tous les stations, l’eau et l’électricité, désormais propriété de l’État. Ne vous méprenez pas, il ne s’agissait certainement pas de la révolution prolétarienne : chacun restait propriétaire de ses hôtels, de ses maisons, de ses biens dans une sorte d’équilibre entre l’État et la propriété privée.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/442549/original/file-20220125-21-ljw4hs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442549/original/file-20220125-21-ljw4hs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442549/original/file-20220125-21-ljw4hs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442549/original/file-20220125-21-ljw4hs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442549/original/file-20220125-21-ljw4hs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442549/original/file-20220125-21-ljw4hs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442549/original/file-20220125-21-ljw4hs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Carte postale géorgiste/trouver date.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Georgisme#/media/Fichier:Everybody_works_but_the_vacant_lot_(cropped).jpg">New York Public library/Wikimedia</a></span>
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<p>L’utopie ainsi créée, peu connue de nos jours mais autrefois en vogue aux États-Unis, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Georgisme#:%7E:text=Le%20g%C3%A9orgisme%20se%20fonde%20sur,un%20imp%C3%B4t%20sur%20la%20terre">s’appelait le géorgisme</a>.). Elle préconisait la possibilité d’un monde où la chance de réussite individuelle et du rêve américain restaient tangibles et réelles, mais dans lequel le contre-pouvoir de l’État empêchait la naissance de grands monopoles et redistribuait les richesses. Le géorgisme prônait un impôt unique, frappant la rente foncière, les mines et les héritages, ce qui aurait laissé à chacun le fruit de ses efforts et de son travail, tout en confisquant les rentes. C’était bien le but du jeu : montrer que les monopoles engendrent misère et pauvreté, et qu’une gestion économique qui en empêche la naissance assure le bien-être et la prospérité de chacun. Gagner, dans un monde georgiste, implique s’enrichir, sans pour cela provoquer la faillite d’autrui.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/442552/original/file-20220125-17-cozo88.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/442552/original/file-20220125-17-cozo88.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442552/original/file-20220125-17-cozo88.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442552/original/file-20220125-17-cozo88.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442552/original/file-20220125-17-cozo88.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442552/original/file-20220125-17-cozo88.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442552/original/file-20220125-17-cozo88.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442552/original/file-20220125-17-cozo88.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Henry George, dont les écrits et le plaidoyer forment la base du géorgisme.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Georgisme#/media/Fichier:Henry_George.png">Wikimedia</a></span>
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<h2>Elisabeth Magie, pionnière de la justice sociale</h2>
<p>Le jeu du propriétaire foncier est une invention d’Elizabeth Magie, militante géorgiste, féministe, brillante mais méconnue. Son histoire et celle de son jeu ont été racontées dans un ouvrage écrit par une journaliste américaine, <a href="https://www.marypilon.com/monopoly">Mary Pilon</a>. Grâce à elle, nous savons que Magie n’a jamais récolté le fruit de sa brillante création, et que son nom a été oublié depuis longtemps. Le jeu de Magie ne fut ni vendu ni promu correctement. Toutefois, il fut joué avec conviction par ceux qui, comme elle, croyaient aux idéaux georgistes. Il se répandit le long de l’East Coast, parmi les militants et les passionnés qui en copièrent le modèle et en transmirent oralement les règles. Le jeu fut joué dans les universités, les parcs et les fumoirs, et enfin dans les salles de classe universitaires. Le long de son parcours, il changea de nom : il devint le jeu du Monopoly.</p>
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<p>Ce jeu comparait le capitalisme et le géorgisme en termes concrets, à travers des sommes d’argent tangibles, des billets de banque et des biens. Qui sait combien de jeunes esprits, étudiants à Princeton et à Columbia, eurent l’occasion d’expérimenter cette nouvelle rhétorique de nombres et de chiffres. Parmi eux figurait certainement Harold Hotelling, brillant statisticien, économiste hors pair, futur directeur de thèse de deux prix Nobel et <a href="https://read.dukeupress.edu/hope/article-abstract/53/5/925/174115/Rescuing-Henry-GeorgeOptimization-Welfare-and-the?redirectedFrom=fulltext">partisan du géorgisme</a>.</p>
<p>Hotelling aimait jouer au Monopoly avec sa famille, avec les étudiants, même seul, dans ses rêveries qui précédaient l’arrivée de Morphée. Il jouait à la version originale, géorgiste. À un moment donné, il se mit à intégrer ce jeu – sans doute inconsciemment – dans les modèles économiques sur lesquels il travaillait, devenus célèbres par la suite. Les <a href="https://books.google.fr/books?id=vZfbBwAAQBAJ&pg=PA15&lpg=PA15&dq=darnell+hotelling+papers">articles de Hotelling</a> traitent des sujets les plus disparates : fiscalité, ressources non renouvelables, économie géographique, bien-être social. La structure de ses écrits est très similaire.</p>
<h2>L’optimum social selon Hotelling</h2>
<p>Tout d’abord, Hotelling définit un modèle de société et propose d’étudier les résultats qui peuvent être obtenus en appliquant une politique capitaliste. Il compare cette dernière à certaines alternatives, comme la gestion socialiste. Il rapporte le <a href="https://theothereconomy.com/fr/fiches/la-regle-de-hotelling/">tout à un « optimum social »</a>, le choix politique avec lequel on parvient à atteindre ce qu’il y a de mieux pour la société dans son ensemble.</p>
<p>Ce qu’on essaye d’optimiser dépend du problème auquel on fait face : le bien-être maximum, la répartition géographique la plus efficace, ou encore l’exploitation optimale des ressources. Peu importe le problème, dans les modèles étudiés par Hotelling, l’optimum social s’avère correspondre toujours à une politique géorgiste. Soyons clairs : Hotelling n’utilise jamais le mot géorgisme dans ses articles, masquant son idéologie derrière des démonstrations mathématiques rigoureuses. Dans ses écrits ses idées s’expriment par des sommes d’argent qui s’additionnent, ne laissant la place à rien d’autre qu’à la logique, et tout est comparé en termes de bien-être social. Cependant, d’un article à l’autre, l’on retrouve l’idée ludique et ingénieuse qui consiste à comparer différentes utopies sociales en les reproduisant dans un petit modèle stylisé de société, un jeu de table.</p>
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<p>Hotelling est un chercheur infatigable et sa réputation grandit rapidement dans le monde académique américain et atteint enfin un niveau international. Le point culminant de sa carrière d’économiste arrive en 1938 : cette fois, il s’intéresse aux monopoles naturels. Les monopoles naturels sont des biens pour lesquels il est extrêmement difficile, voire impossible, de créer une concurrence. Cela se produit généralement parce que les investissements initiaux sont si coûteux qu’il est presque impossible et décidément peu pratique que deux entreprises investissent pour se concurrencer. Exemples ? Le chemin de fer, l’électricité, l’eau potable. Oui, il s’agit des mêmes entreprises présentes dans le jeu du Monopoly et <a href="https://read.dukeupress.edu/hope/article-abstract/53/5/925/174115/Rescuing-Henry-GeorgeOptimization-Welfare-and-the?redirectedFrom=fulltext">non, il ne s’agit pas d’une coïncidence</a>.</p>
<p>Par un <a href="https://www.jstor.org/stable/pdf/1907054.pdf">calcul sophistiqué</a>, qui compare le bien-être engendré par différents modèles sociétaux, Hotelling parvient à montrer dans quelle mesure il faudrait financer le coût des billets de train, de l’eau potable ou de l’électricité afin que cela soit au service du bien commun. Une fois de plus, Hotelling compare d’abord une société capitaliste puis l’optimum social. Une fois de plus, l’idée d’Elizabeth Magie prend forme dans un modèle économique.</p>
<h2>Une idée qui fait florès</h2>
<p>L’idée de 1938 connaîtra un succès inattendu. En France, l’économiste Maurice Allais, après une discussion houleuse, qui s’est soldée au final par une profonde amitié avec Hotelling, réussit à faire de cette idée un argument politique capable d’influencer la gestion de l’électricité et des chemins de fer français. Aux États-Unis, <a href="https://news.yale.edu/2020/03/10/giving-economist-nancy-ruggles-her-due">Nancy Ruggle</a> (une autre chercheuse dont le travail aurait mérité plus de visibilité) et une <a href="http://coin.wne.uw.edu.pl/mbrzezinski/teaching/HE4/BlaugWelfareTheorems2007.pdf">poignée d’autres économistes</a> transformeront progressivement l’argument d’Hotelling en ce que nous appelons maintenant le <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Fundamental_theorems_of_welfare_economics">deuxième théorème de l’économie du bien-être</a>.</p>
<p>Gérard Debreu, élève d’Allais, venu aux États-Unis grâce à Hotelling, inventa, en se basant sur les discussions de plus en plus complexes et passionnées entre ses deux amis, une nouvelle façon de penser le problème au cœur de l’idée de 1938 basée sur la topologie. Il l’appliquera plus tard au plus célèbre des théorèmes économiques : le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mod%C3%A8le_Arrow-Debreu">modèle Arrow-Debreu</a>. Kenneth Arrow, brillant élève de Hotelling, s’inspirera par la suite de l’idée de l’optimum social pour la développer davantage, et sera récompensé par un prix Nobel. Will Vickrey, un autre étudiant de Hotelling et lauréat lui aussi du prix Nobel, développera certaines des idées de son maître-penseur.</p>
<p>Hotelling lui-même ne connaîtra probablement jamais l’existence d’Elizabeth Magie mais il continuera, encore et encore, à jouer au Monopoly. À un moment donné ce jeu deviendra célèbre mais il deviendra aussi la référence cachée pour plusieurs modèles économiques. L’idéologie géorgiste deviendra une référence en économie en tant que « optimum social ». Le jeu du propriétaire foncier, le Monopoly, est donc en quelque sorte célébré et rappelé chaque jour par les économistes et les universitaires du monde entier. Ces derniers ne connaissent ni Magie, ni son jeu, ni se souviennent du géorgisme. Pourtant, ce jeu se glisse à leur insu dans leurs travaux, les manuels qu’ils consultent et écrivent et dans des classes universitaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174656/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Michael Mueller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le célèbre jeu, qui s’est écoulé à plus de 300 millions d’exemplaires depuis sa création, cache une histoire méconnue.Thomas Michael Mueller, Maître de conférence HDR en histoire de la pensée économique à l'Université Paris 8, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1744882022-01-12T20:35:55Z2022-01-12T20:35:55ZLa Chine, ou le paradigme du national capitalisme autoritaire<p>Au-delà de l’émergence d’une économie prétendant au premier rang mondial, la Chine de Xi Jinping impose le modèle d’un nouveau système international d’organisation politico-économique qui nourrit les reculs de la démocratie. Du fait de ses traits constitutifs, nous avons, dans un <a href="https://www.en-attendant-nadeau.fr/2021/06/30/capitalismes-illiberaux-henin-insel/">ouvrage coécrit avec Ahmet Insel</a>, qualifié de <a href="https://esprit.presse.fr/actualite-des-livres/hamit-bozarslan/le-national-capitalisme-autoritaire-une-menace-pour-la-democratie-de-pierre-yves-henin-et-ahmet-insel-43637">national capitalisme autoritaire</a> – ou NaCA –, ce système qui associe <a href="https://ideas.repec.org/p/mse/cesdoc/21001.html">autoritarisme politique, idéologie nationaliste et économie capitaliste</a>.</p>
<p>Certes, les NaCA comportent des <a href="https://www.iris-france.org/156883-le-national-capitalisme-autoritaire-une-menace-pour-la-democratie-3-questions-a-p-y-henin-a-insel/">modalités multiples</a>, des « démocraties illibérales » d’Europe centrale à la « dictature orwellienne » chinoise, de la <a href="https://www.open-diplomacy.eu/blog/henin-autoritarisme-economie-chine-russie-turquie">nostalgie de l’empire chrétien des tsars</a> cultivée par le président russe Vladimir Poutine à l’hybridation de l’Islam et du nationalisme dans la Turquie d’Erdogan. Cependant, la variété des expériences historiques ne saurait occulter la rationalité commune à ces régimes qui prennent une part croissante dans l’économie et la politique mondiales. Aux États-Unis mêmes, le <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2021-2-page-157.html">populisme de Donald Trump</a> illustrait l’attractivité du NaCA pour de larges secteurs de l’opinion dans un pays de vieille démocratie.</p>
<h2>Répression et légitimation</h2>
<p>Au soir de l’échec du putsch contre Mikhaïl Gorbatchev, à Moscou le 22 août 1991, le Comité central du Parti communiste chinois (PCC) se félicitait d’avoir pris les devants en réprimant sévèrement les manifestants de la place Tiananmen deux ans plus tôt. Le dirigeant d’alors, Deng Xiaoping, y ajoutait la satisfaction d’avoir évité le naufrage économique de l’URSS. Il attestait ainsi de sa perception des limites de la répression pour la pérennité d’un régime autoritaire ou totalitaire, dont la survie dépend d’abord d’un processus de légitimation assurant une adhésion, plus ou moins large, de la population.</p>
<p>Bien que le régime chinois déploie des dispositifs répressifs de plus en plus sophistiqués, la pérennité du système de parti-État repose essentiellement sur les trois piliers de légitimation que nous retrouvons mobilisés, dans des conditions et à des degrés divers, par tous les régimes de NaCA, comme nous l’avons <a href="https://ideas.repec.org/p/mse/cesdoc/21001.html">montré par ailleurs</a> : légitimation par les performances, légitimation procédurale et légitimation idéologique.</p>
<p>Le parti-État tire d’abord sa légitimité des performances économiques exceptionnelles qui ont propulsé la Chine au second rang des puissances mondiales, avec la perspective d’accéder prochainement au premier.</p>
<p>Ce résultat a permis d’atteindre, jusqu’à maintenant du moins, quatre objectifs : procurer une progression du niveau de vie assurant l’adhésion dans la durée de la population, procurer à une élite capitaliste la capacité de construire des empires industriels et financiers, maintenir un taux exceptionnel d’investissement, en particulier en infrastructure, et laisser à l’État les moyens d’une couteuse politique de sécurité.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/439713/original/file-20220106-25-1hvnycg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/439713/original/file-20220106-25-1hvnycg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/439713/original/file-20220106-25-1hvnycg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/439713/original/file-20220106-25-1hvnycg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/439713/original/file-20220106-25-1hvnycg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/439713/original/file-20220106-25-1hvnycg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/439713/original/file-20220106-25-1hvnycg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/439713/original/file-20220106-25-1hvnycg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Second piler du processus de construction de légitimité, la légitimation procédurale fait l’objet d’<a href="https://www.iris-france.org/113009-demain-la-chine-democratie-ou-dictature-3-questions-a-jean-pierre-cabestan/">affirmations de principe</a>. Ainsi, selon la constitution, « tout le pouvoir appartient au Peuple », mais les élections formelles, jusqu’au niveau de l’assemblée populaire nationale, s’effectuent au scrutin indirect – à l’exception du niveau local où le Parti veille à un contrôle étroit des candidatures. Au niveau des principes mêmes, la primauté du Parti est d’ailleurs posée comme primant sur toute autre considération. L’ordre juridique, selon un principe de « gouvernement par la loi » bien différent du principe occidental d’« état de droit », est aussi mobilisé comme facteur de légitimation procédurale.</p>
<p>Le troisième pilier de légitimation des autocraties est d’ordre idéologique. Alors que les dictatures de la Guerre froide mobilisaient des idéologies transversales, à prétention universelle, les autoritarismes contemporains prennent appui sur un socle de valeurs nationales, dont le périmètre peut être adapté par le pouvoir selon les impératifs politiques du moment.</p>
<p>Confronté à l’effondrement de la référence marxiste-léniniste dans les années 1980, le régime chinois a réactivé un nationalisme condamné dans la période maoïste comme déviation du patriotisme. Ce nationalisme « officiel » a accompagné le sursaut d’un nationalisme populaire, souvent xénophobe, en s’efforçant de le <a href="https://policyoptions.irpp.org/magazines/august-2016/les-trois-cercles-du-nationalisme-chinois-sous-xi-jinping/">maîtriser pour éviter des dérives politiquement gênantes</a>. Il nourrit le rejet des « valeurs occidentales », favorables aux droits de l’homme et à la démocratie, au profit des modalités « d’une démocratie aux caractéristiques chinoises ». Comme paradigme du NaCA, la Chine tire d’ailleurs une partie de son influence de sa défense d’un environnement international favorable aux autocraties nationales.</p>
<h2>Un national-capitalisme</h2>
<p>En 2017, le 19e Congrès du PCC inscrivait la pensée de Xi Jinping dans la perspective du « socialisme à caractéristiques chinoises » adoptée en 1992. Le Parti se dit toujours communiste, un beau paradoxe dans un pays qui ne compterait <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/la-chine-est-elle-encore-vraiment-communiste">pas moins de 62 milliardaires</a> en dollars. Quelques observateurs contestent encore le caractère capitaliste du système, en arguant du maintien d’une doctrine marxiste d’une part ainsi que du poids de l’État dans l’économie, qui conduit souvent à le qualifier de capitalisme d’État.</p>
<p>Pour notre part, nous pensons que le concept de capitalisme d’État ne rend pas bien compte des spécificités du capitalisme chinois, ni d’ailleurs de nombre des capitalismes autoritaires contemporains. Plus qu’une opposition entre propriété privée et publique, on assiste <a href="https://www.iris-france.org/156883-le-national-capitalisme-autoritaire-une-menace-pour-la-democratie-3-questions-a-p-y-henin-a-insel/">à un effacement des frontières entre sphère privée et publique</a>, et le contrôle, strict il est vrai, du secteur privé s’exerce plus par l’omniprésence de l’appareil du Parti que par le jeu de hiérarchies administratives. Ces frontières opaques ont longtemps favorisé la corruption que Xi Jinping a entrepris de combattre, dans une lutte largement instrumentalisée pour conforter son pouvoir sur le plan politique.</p>
<p>Comme nombre de NaCA, la Chine mène une politique néomercantiliste, mobilisant les marges d’action que lui procurent ses institutions pour développer ces « obstacles non tarifaires » à l’échange équilibré. Elle a pu ainsi construire un <a href="https://www.paperblog.fr/9406891/the-competitive-advantage-of-nations-de-michael-porter/">« avantage concurrentiel »</a>, au sens de Michael Porter, lui assurant le maintien d’excédents extérieurs importants et l’accumulation d’actifs étrangers. Dénoncée par divers organismes internationaux, l’étroite collusion de l’action des acteurs gouvernementaux et privés contribue à <a href="https://itif.org/publications/2019/11/18/china-ranks-worst-global-mercantilist-index-subverting-free-trade-and">l’importation rapide de nouvelles technologies</a>, rapidement déployées à l’exportation et sur le marché intérieur.</p>
<h2>Tensions, résilience ou fuite en avant ?</h2>
<p>Malgré l’annonce périodique de sa chute prochaine, le national capitalisme autoritaire chinois a réussi à hisser le pays au second rang parmi les puissances économiques et à maintenir la stabilité politique, garante du pouvoir du PCC.</p>
<p>Ce succès global ne va pourtant pas sans difficultés, sources de tensions qui interrogent sur la résilience du système. Au nombre des difficultés, on note le ralentissement de la croissance, malgré une fuite dans l’endettement qui menace la stabilité financière interne tandis que l’ambitieux programme des « nouvelles routes de la Soie » place la chine au sommet d’une pyramide de dettes internationales. La croissance ralentie rend plus visible et moins supportable l’extrême inégalité des revenus et des richesses, dont la perception peut fragiliser le régime.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/439704/original/file-20220106-13-ar2zpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/439704/original/file-20220106-13-ar2zpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/439704/original/file-20220106-13-ar2zpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=279&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/439704/original/file-20220106-13-ar2zpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=279&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/439704/original/file-20220106-13-ar2zpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=279&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/439704/original/file-20220106-13-ar2zpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=351&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/439704/original/file-20220106-13-ar2zpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=351&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/439704/original/file-20220106-13-ar2zpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=351&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le plan « Chine 2025 » marque-t-il un retour en arrière vers davantage de dirigisme ?</span>
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</figure>
<p>La politique menée par Xi Jinping a permis de consolider le régime en luttant contre la corruption et en veillant à la cohérence du Parti et à son contrôle sur l’Armée populaire. Son programme « Chine 2025 » et le 14<sup>e</sup> Plan quinquennal visent à équilibrer la <a href="http://www.prcleader.org/herrero">« double circulation »</a>, intérieure et extérieure, en développant le marché domestique et en rendant les chaînes de valeurs chinoises dans les domaines de hautes technologies moins dépendantes de l’étranger, un programme présenté comme <a href="http://french.xinhuanet.com/2021-03/09/c_139795249.htm">« gagnant-gagnant » par les médias chinois</a>.</p>
<p>L’action de Xi peut apparaître comme « une fuite en arrière » dans la restauration d’un régime stalinien, durcissant la répression en particulier aux marges de l’empire – Xinjiang et Hongkong – et en resserrant le contrôle sur les capitalistes, avec le double objectif de réduire les inégalités et de les <a href="https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/3148106/chinas-economic-buzzwords-explained-common-prosperity-dual">priver de toute position de pouvoir</a> pouvant déborder sur le terrain politique.</p>
<p>Comme nous l’avons montré plus haut, le recours accru à la répression signale un épuisement relatif des trois piliers de légitimation des pouvoirs autoritaires, mobilisés par les NaCA.</p>
<p>Deux questions interrogent le succès de cette réorientation politique : dans quelle mesure le renouveau dirigiste de l’économie sera-t-il compatible avec les exigences d’une société de l’innovation ? L’affirmation nationaliste et militaire, dont les États-Unis ne semblent pas disposés à s’accommoder, ne va-t-elle pas contribuer à un renforcement des tensions sur les ressources et de la polarisation de l’opinion publique ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174488/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Yves Hénin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’empire du Milieu construit aujourd’hui son influence en défendant un environnement international favorable aux régimes plus répressifs que les démocraties occidentales.Pierre-Yves Hénin, Professeur émérite en économie, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1734572021-12-12T20:50:48Z2021-12-12T20:50:48ZFaut-il arrêter de commercer pour sauver le climat ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/436412/original/file-20211208-27-1gzvr8e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C62%2C1189%2C808&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les émissions de gaz à effets de serre pour transporter une tonne de marchandises sur une longue distance s’élèvent à 537&nbsp;grammes par kilomètre avec un avion-cargo.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Avion_de_transport#/media/Fichier:FedEx_DC10.jpg">Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Face au défi climatique, le ralentissement des échanges internationaux de marchandises apparaît comme une piste prometteuse. Cependant, le lien entre moindre intensité du commerce mondial et baisse de l’empreinte carbone est moins évident qu’il n’y paraît. Explications avec Cecilia Bellora, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), en charge du programme scientifique Politiques commerciales, qui répond aux questions d’Isabelle Bensidoun, adjointe au directeur.</em></p>
<hr>
<p><strong>Beaucoup considèrent que le commerce est forcément nocif pour le climat. Si on arrêtait de commercer, et que tout était produit en France, cela ferait-il moins de dégâts sur l’environnement ?</strong></p>
<p>Parce que le commerce permet de dissocier le lieu de consommation d’un bien (ou d’un service) et son lieu de production, les émissions de gaz à effets de serre (GES) d’un pays peuvent être différentes de son empreinte carbone, c’est-à-dire les émissions liées à sa consommation. C’est le cas en France, où les émissions qui ont lieu sur notre territoire <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/estimation-de-lempreinte-carbone-de-1995-2020?rubrique=27&dossier=1286">ne représentent que la moitié de notre empreinte carbone</a>, une part importante de notre consommation (et de celle de nos entreprises) étant satisfaite par des biens qui sont produits à l’étranger et ensuite importés.</p>
<p>Pour autant, si l’on arrêtait de commercer notre bilan carbone serait-il meilleur ? Pas si simple, car le commerce a plusieurs effets sur l’environnement : des effets directs, d’autres indirects, des effets positifs, d’autres négatifs. Et leur quantification reste difficile : le bilan final et global des effets positifs et négatifs, est-il positif, négatif, nul ? On ne le sait toujours pas précisément aujourd’hui.</p>
<p><strong>Tout de même, lorsque l’on transporte des marchandises d’un bout à l’autre de la planète, cela occasionne nécessairement des émissions de GES ?</strong></p>
<p>Oui, le transport international de marchandises, effet direct du commerce sur le climat, <a href="https://www.itf-oecd.org/sites/default/files/docs/cop-pdf-06.pdf">contribue à hauteur de 7 % aux émissions mondiales de CO₂</a>. En 2010, cela représentait 2,1 gigatonnes, soit 7 mois <a href="https://www.eea.europa.eu/data-and-maps/data/data-viewers/greenhouse-gases-viewer">d’émissions de l’Union européenne</a> (UE), et un tiers des émissions du secteur des transports (c’est-à-dire des émissions causées par la combustion d’énergies fossiles pour les transports).</p>
<p>Le secteur des transports internationaux est donc un des grands émetteurs de GES. C’est aussi un des secteurs dont les émissions devraient le plus augmenter dans les années à venir. Or, ces émissions ne sont, paradoxalement, pas (ou très peu) régulées, au point qu’elles ne sont pas couvertes par les engagements pris dans l’Accord de Paris.</p>
<p>En outre, au-delà des GES, les transports internationaux émettent des particules fines et autres polluants. Ils dégradent aussi la biodiversité, parce qu’ils nécessitent des infrastructures dont le développement se fait au détriment des milieux naturels, en particulier pour les grands ports maritimes, et parce qu’ils sont le vecteur, certes involontaire, de diffusion d’espèces qui peuvent devenir invasives et d’agents pathogènes.</p>
<p><strong>Par conséquent, cet effet direct du commerce sur l’environnement est bien négatif ?</strong></p>
<p>Oui, les effets directs du commerce sur l’environnement, occasionnés par les transports internationaux, sont bien négatifs, sans doute importants, alors même que les émissions de GES du secteur restent peu régulées.</p>
<p>Toutefois, la quantité de GES émise par tonne de biens transportée apparaît faible, surtout pour le transport maritime, principal mode de transport international dont les <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Info%20GES_Guide%20m%C3%A9thodo.pdf">émissions de GES pour transporter</a> sur une longue distance une tonne de marchandises avec un bateau porte-conteneur de grande taille s’établissent à 10,2 g de CO<sub>2</sub> équivalent par kilomètre parcouru, contre 94 g avec un véhicule lourd porte-conteneur et 537 g avec un avion-cargo !</p>
<p>En outre, le mode de production compte souvent bien plus que le transport. Consommer des laitues cultivées localement, mais sous serre chauffée produit plus d’émissions que consommer des laitues cultivées en plein champ, par exemple en Espagne, et ensuite importées. Du seul point de vue des émissions, le slogan serait « consommer de saison » plutôt que « consommer local ».</p>
<p>Et il ne faut pas oublier les transports nationaux, qui ne disparaîtraient pas, bien au contraire, si on arrêtait les échanges internationaux. Or, souvent les émissions liées au « dernier kilomètre », celles de la dernière étape logistique (la livraison urbaine au particulier ou au commerçant, mais également le déplacement du consommateur vers le lieu d’achat) sont celles qui alourdissent le plus le bilan carbone des produits.</p>
<p><strong>Et qu’en est-il des effets indirects du commerce sur l’environnement mentionnés plus haut ? Impacts positifs ou négatifs ?</strong></p>
<p>On distingue 3 effets indirects :</p>
<ul>
<li><p>Les <strong>effets d’échelle</strong>, tout d’abord : sous l’effet du commerce, les niveaux agrégés de production et de consommation augmentent, et avec eux le niveau de pollution. Ceci dit, il y a quelques forces de rappel car en moyenne les revenus devraient croître à la suite d’une augmentation du commerce. Or, plus les revenus sont élevés, plus la demande pour des politiques environnementales ambitieuses est forte.</p></li>
<li><p>Les <strong>effets de composition</strong>, ensuite : sous l’effet du commerce, les économies se spécialisent selon leurs avantages comparatifs. Si ces avantages sont dans des secteurs polluants, alors l’impact sur l’environnement sera négatif. Au contraire, si les avantages sont dans des secteurs peu polluants, l’impact sera positif.</p></li>
<li><p>Enfin, les <strong>effets techniques</strong> : le commerce facilite la diffusion des technologies de production et rend ainsi les technologies les moins polluantes accessibles au-delà des pays dans lesquels elles sont mises au point.</p></li>
</ul>
<p>Des <a href="https://www.nber.org/papers/w28797">analyses récentes</a> tendent à montrer que les effets de composition sont faibles, que les effets techniques sont importants et peuvent tout compenser, surtout dans les pays riches, ou partie de l’impact négatif causé par l’effet d’échelle.</p>
<p><strong>Au-delà de ces effets, le commerce n’est-il pas un frein à la mise en place de politiques environnementales contraignantes, dans la mesure où tous les pays n’ont pas le même niveau d’ambition en la matière ?</strong></p>
<p>Le commerce est en effet le canal par lequel ont lieu ce que l’on appelle les fuites de carbone. Par exemple, pour limiter la consommation d’énergies fossiles, certains producteurs européens doivent acheter des droits à émettre (les quotas carbone). Cela rend leur production plus coûteuse et peut les inciter à la déplacer dans des pays où la politique climatique est moins contraignante, quitte à ensuite importer les biens produits à l’étranger. Ce sont les fuites directes.</p>
<p>À cela s’ajoutent des fuites indirectes, car limiter la consommation d’énergies fossiles, via ces quotas carbone, va également avoir tendance à pousser les prix internationaux de ces énergies à la baisse et donc inciter les pays qui n’ont pas de contrainte environnementale à en consommer davantage.</p>
<p>Ces effets de fuite, qu’ils soient directs ou indirects, restent aujourd’hui faibles, mais c’est parce que le prix du carbone dans l’UE est faible : moins de 30 euros la tonne de carbone émise jusqu’en 2019, 60 euros aujourd’hui. Or, les prix du carbone devraient augmenter et atteindre des niveaux proches de 200 euros la tonne dans une dizaine d’années. À ce niveau-là, sans autre politique, la moitié des émissions évitées par l’UE se produira dans d’autres pays.</p>
<p>De quoi montrer, s’il en était besoin, que le climat est un défi global qui réclame non pas d’arrêter de commercer, <a href="https://www.cae-eco.fr/Commerce-et-climat-pour-une-reconciliation">ce qui serait coûteux, mais aussi bien moins efficace</a> que des politiques environnementales ambitieuses non seulement dans l’Union mais aussi chez nos partenaires.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la série du CEPII « L’économie internationale en campagne » un partenariat CEPII – The Conversation</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173457/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le transport de marchandises contribue à hauteur de 7 % aux émissions mondiales de CO₂, mais la réduction de cette part entraînerait d’autres effets sur l’environnement.Cecilia Bellora, Economiste, programme "Politiques commerciales", CEPIIIsabelle Bensidoun, Adjointe au directeur, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1732712021-12-09T18:17:04Z2021-12-09T18:17:04ZSport : quand le corps devient une ressource à valoriser<p><em>Le sport et la politique entretiennent des liens ambigus. La pratique sportive et les compétitions peuvent être des lieux de lutte et d'émancipation mais aussi de contrôle social. Notre série d’été « Sport et politique : liaisons dangereuses ? » explore et décrypte la place qu’occupe aujourd’hui le sport dans nos sociétés.</em></p>
<p><em>Après nous être penché sur les <a href="https://theconversation.com/dans-la-charte-olympique-de-la-politique-entre-les-lignes-164960">Jeux Olympiques</a>, sur le façonnement de la citoyenneté dans les <a href="https://theconversation.com/les-piscines-publiques-une-fabrique-a-citoyens-184960">piscines publiques</a>, sur la manière dont le sport est parfois <a href="https://theconversation.com/le-sport-au-secours-de-la-politique-de-la-ville-183876">utilisé directement par les politiques</a> et sur les débats à propos de la <a href="https://theconversation.com/piscine-et-nudite-le-maillot-de-la-discorde-184970?notice=L%27article+a+%C3%A9t%C3%A9+mis+%C3%A0+jour.">nudité dans les piscines</a>, nous clôturons cette série d'été en décryptant les liens entre sport et capitalisme .</em></p>
<hr>
<p>La pandémie de Covid-19 a confirmé l’appétence des Françaises et des Français pour la pratique sportive. Lors des confinements en particulier, le sport exercé à proximité du domicile, mais surtout à domicile, a été largement plébiscité. Dans le dernier cas, les personnes ont pratiqué le plus souvent des exercices de musculation, de cardio ou de yoga, grâce à la reconfiguration de leur logement (des marques comme Décathlon ont ainsi largement équipé les ménages, proposant des kits d’entrainement faciles à utiliser chez soi ; de même, les cours proposés en ligne sur des plates-formes ont explosé). Quelle que soit la configuration choisie, l’envie et le besoin de faire « quelque chose de son corps » ont été au cœur de cette demande accrue de sport.</p>
<p>Cette préoccupation de l’exercice sportif du corps n’est pas un phénomène nouveau en soi. Les Françaises et les Français sont de longue date des adeptes des salles de sport, et plus particulièrement de fitness. Si l’on considère les <a href="https://www2.deloitte.com/fr/fr/pages/presse/2019/le-fitness-en-france-edition-2019.html">études récentes</a>, en 2019 six millions de personnes environ étaient affiliées à une des 4 370 salles de fitness présentes en France. En tendance, on considère que la progression de l’adhésion à ce type de salles est d’environ 4 % à 5 % par an.</p>
<p>Mais plus largement, ce souci du corps actuel est aussi le résultat d’un long processus historique de <a href="https://calmann-levy.fr/livre/la-civilisation-des-moeurs-9782702120361">« civilisation »</a>, entamé au XVIII<sup>e</sup> siècle particulièrement, promouvant progressivement l’idée que l’individu est au centre de la société. Avec l’effacement des grands repères idéologiques « imposés » comme le communisme politique ou l’adhésion à des grandes religions, l’individu est renvoyé à lui-même, et c’est à lui de se construire une identité. Ce processus implique une centration sur le corps, cette « ressource physique » directement accessible pour chaque individu.</p>
<h2>Quand le capitalisme structure notre vision du corps</h2>
<p>Dans la période contemporaine, cette tendance s’est accentuée avec les évolutions du capitalisme. S’il est certain qu’il n’existe pas un, mais des capitalismes, nous faisons ici référence au système économique en tant que modèle de production macroéconomique. Parmi d’autres caractéristiques, ce système est basé sur des principes structurants tels que la valorisation de la propriété privée, la sacralisation de l’organisation de la production, l’accumulation du capital, et la recherche d’un profit individuel valorisé socialement sur un marché.</p>
<p>Or, depuis les années 1980 tout particulièrement, ce capitalisme a été marqué par quatre grandes tendances qui ont exercé un impact sur notre vision du corps : (1) la sacralisation du modèle de l’entrepreneur, (2) la sportivisation de l’existence, (3) l’apparition puis la diffusion des « nouvelles » technologies de l’information, et (4) la progression des vulnérabilités.</p>
<p><strong>1. La sacralisation du <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/capitalisme-socialisme-et-d%C3%A9mocratie-9782228883177">modèle de l’entrepreneur</a></strong> renvoie à l’idée du self-made man/woman, qui prend des risques et qui, s’il/elle réussit, mérite une juste récompense. En plus des risques, il/elle doit pour cela s’organiser en rationalisant son plan de production, c’est-à-dire ne rien laisser au hasard, et privilégier le travail. En somme, la référence au modèle de l’entrepreneur participe au <a href="https://www.cairn.info/revue-staps-2018-1-page-81.htm">culte de la performance individualisée</a>, où le « corps-projet », produit du « no pain no gain », constitue une possibilité de concrétisation de cet esprit entrepreneurial.</p>
<p><strong>2. La sportivisation de l’existence</strong>, qui désigne la réalité où le sport est de plus en plus présent dans notre quotidien, est liée au premier principe. En effet, les injonctions sociales à promouvoir la santé individuelle par le sport, qui n’ont fait que croître depuis plus de 30 ans (« manger bouger », « manger 5 fruits et légumes par jour », etc.), ont participé à l’émergence d’un entrepreneuriat et d’une entreprise du corps. D’où le fait que le modèle de l’entrepreneur plébiscité est le/la « sportif/sportive », qui a réussi grâce aux sacrifices consentis dans le sport. La responsabilité individuelle à s’inscrire dans une telle logique est alors de « s’entreprendre » par son corps, ce qui revêt une dimension morale : il y a le « bon » corps et le « mauvais » corps, et l’individu est responsable de s’inscrire dans l’un ou dans l’autre. </p>
<p>S’il parvient à produire le « bon » corps, l’individu en tire un juste bénéfice, pour lui mais aussi la société. Pour paraphraser l’ancien Président américain J.F. Kennedy, par son investissement du corps, l’individu ne doit pas attendre de la société, mais au contraire contribuer à son bon fonctionnement à travers ses propres efforts. À l’inverse, le « mauvais » corps est stigmatisé pour ses coûts individuels et sociaux, et l’individu qui le porte glisse alors de la responsabilité à la culpabilité : pourquoi, dans une société où la production du corps désiré est présentée comme toujours possible, l’individu n’a pas relevé ce défi ? La condamnation économique et sociale de l’obésité illustre cette interrogation.</p>
<p><strong>3. Les technologies de l’information</strong> apparues et diffusées, depuis les années 1990 essentiellement, ont participé à la constitution d’un monde globalisé fonctionnant en réseaux et sacralisant l’immédiateté. Dans ce cadre, notamment via les médias sociaux, il s’agit en permanence de « faire voir » pour « se faire voir » par le plus grand nombre. Cette logique de miroir social virtuel repose sur la comparaison permanente de soi avec les autres, ce qui incite au « toujours plus » dans l’acte de consommation, pour satisfaire en apparence des besoins hédonistes. À nouveau, le corps est au cœur de ce processus, puisqu’il est cette « ressource physique » que l’on peut facilement exposer socialement : postures, vêtements, et performances sportives bien sûr. De fait, il se construit un imaginaire du corps sommé d’incarner que « tout est possible à condition de le vouloir », créant une démultiplication des désirs.</p>
<p><strong>4. Nous sommes entrés dans un capitalisme de vulnérabilités</strong> depuis les années 1980. Les <a href="https://www.researchgate.net/publication/326805024_Vulnerability_in_Health_Trajectories_Life_Course_Perspectives">vulnérabilités</a> font ici référence à des situations de vie dans lesquelles l’individu manque de ressources (économiques, sociales, de santé, etc.) pour affronter ces situations de vie et mener une existence inclusive à la société. Si les vulnérabilités liées à l’emploi ont souvent été mises en avant au cours de cette période, des vulnérabilités relatives au sentiment d’insécurité physique, à l’identité de genre, à la santé et à l’environnement prennent une place de plus en plus déterminante. Ces vulnérabilités s’accompagnent de peurs diverses : la peur d’être agressé·e, la peur de ne pas être « assez » homme ou femme, la peur d’être malade, la peur de mourir, et désormais la peur collective de voir l’espère humaine disparaître.</p>
<p>La conjonction de ces quatre grandes tendances nous a fait évoluer jusque-là vers un capitalisme néolibéral, dans lequel le corps est placé au centre. En effet, la production du corps est à la fois le reflet du système économique (à travers le corps comme lieu de la rationalisation et de l’augmentation du « lean » (muscle sans graisse) par exemple) comme son vecteur : appliquer les principes du capitalisme à son corps correspond à légitimer les règles du système, tout comme investir le corps entraîne l’émergence de nouvelles activités économiques qui constituent une nouvelle sphère d’accumulation du capital. À titre d’illustration, notons que le marché mondial des <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/11/18/le-boom-des-complements-alimentaires-ou-comment-je-suis-devenu-mon-propre-docteur_6102607_4500055.html">compléments alimentaires</a> est en plein essor : il est estimé qu’à l’horizon 2024, ce marché sera valorisé à hauteur de 220 milliards d’euros.</p>
<h2>Le corps-institution comme valeur ultime</h2>
<p>C’est dans ce contexte que nous parlons de « corps-institution » : il est perçu comme la valeur ultime, la voie de salut, la valeur refuge par excellence, dans un contexte de déconstruction de l’État-providence, d’un moindre impact des idéologies totales et de l’émergence de fréquentes crises mondialisées.</p>
<p>Le concept d’institution est mobilisé ici pour montrer combien le corps constitue une référence incontournable pour les actions sociales des individus, car le corps cristallise l’adhésion individuelle à tout un ensemble de règles validées socialement.</p>
<p>Comme si cette ressource physique était détachée de l’individu, le corps impose aux individus certes des règles d’entraînement sportif, mais plus largement des règles de vie : attitudes à privilégier, alimentation, vie sociale, etc. Ces règles sont perçues comme légitimes car elles offrent un ancrage visible et sensoriel dans un monde d’angoisses.</p>
<h2>Travailler son corps pour le produire et le valoriser</h2>
<p>D’où l’évolution des pratiques sportives permettant de produire le corps : par exemple, le bodybuilding est moins à la mode qu’il y a 20 ans, au contraire du fitness, du CrossFit et des sports de combat. Ce glissement montre qu’il s’agit moins d’accumuler quantitativement du capital corporel que de pouvoir l’utiliser au mieux pour être flexible, réactif, en mouvement, et donc s’adapter pour survivre. Le corps est considéré comme l’institution ultime qui nous permettra de « faire face » dans un monde d’incertitude.</p>
<p>C’est pourquoi, dans le capitalisme néolibéral tel que décrit, le « corps-institution » incite chaque individu à transformer la nature de ce corps, en la faisant évoluer de ressource physique à un capital directement valorisable sur un marché. Ce marché peut être économique (marché du travail) comme symbolique (l’acquisition d’un statut social à travers les interactions sociales, réelles ou virtuelles).</p>
<p>Certes, le capital corporel est particulier en cela qu’il est labile, non parfaitement transmissible à des héritiers et non directement valorisable a priori économiquement dans une économie dite « de la connaissance ».</p>
<p>Mais à y regarder de plus près, ce capital offre malgré tout des opportunités de substitution comme de complémentarité des <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-01258493">formes de capital</a> : par exemple, un cadre satisfait de son capital corporel peut se sentir plus performant au travail, accroissant ainsi ses perspectives de carrière. D’ailleurs, c’est moins l’essence que l’apparence du corps qui compte finalement – l’apparence de santé plus que la santé, en particulier : on envoie des signaux sociaux par le corps pour espérer en tirer un <a href="https://archive-ouverte.unige.ch/unige:92763/ATTACHMENT01">profit individuel</a>. De même, on voit fleurir de plus en plus de <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/10/23/luxe-calme-et-abdos-fessiers-dans-les-clubs-de-fitness-chics-on-sue-on-reseaute-on-travaille-entre-happy-few_6099600_4500055.html">salles de sport « chic »</a> où le développement du capital corporel est un moyen de développer son capital social.</p>
<p>Ce statut du « corps-institution » dans le capitalisme néolibéral n’est pas sans révéler des contradictions. On constate par exemple que la production du corps participe au brouillage de la frontière travail/loisir, puisque produire le corps désiré s’apparente à un véritable travail.</p>
<p>Comme tout travail, il peut créer des repères, mais aussi le « mal de l’infini » pour citer le sociologue <a href="https://www.puf.com/content/De_la_division_du_travail_social">Émile Durkheim</a> : dans ce dernier cas, l’individu ne parvient plus à borner ses désirs et devient alors insatisfait et malheureux. Cette contradiction est notamment le résultat du décalage entre la production du corps – reposant sur le temps long – et la consommation du corps – soumise au culte de l’immédiateté et des désirs illimités. Cette contradiction fragilise le « corps-institution », interrogeant alors notre philosophie de l’humain : est-ce qu’« être » c’est « avoir » toujours plus et toujours mieux ? Car dans cette quête du « corps-institution », parfois à tout prix, se joue finalement le statut de l’humain : nier les faiblesses du corps, n’est-ce pas nier l’humain ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173271/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Vallet a reçu en 2021 une bourse Fulbright pour mener des recherches aux Etats-Unis sur l'Ere Progressiste. </span></em></p>La pratique du sport et l’injonction à prendre soin de son corps s’inscrivent dans un processus historique qui tend à faire de soi-même et de son enveloppe charnelle une ressource à valoriser.Guillaume Vallet, Maître de conférence, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1711472021-11-05T14:43:28Z2021-11-05T14:43:28Z« Squid Game » : quand la manga survivaliste rencontre le fléau de l’endettement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/430374/original/file-20211104-22501-w9a32e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=50%2C0%2C5568%2C3709&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Cette fantaisie violente émerge du désespoir de l’endettement chronique.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><em>Avis au lecteur : Cet article dévoile des éléments d’intrigue de « Squid Game ».</em></p>
<hr>
<p>La série coréenne « Squid Game », qui fait sensation sur Netflix, est-elle une <a href="https://www.nme.com/reviews/tv-reviews/squid-game-review-netflix-k-drama-3056718">allégorie du capitalisme actuel</a> ? La réaction qu’il produit évoque une forme ancienne de théâtre, les <a href="https://books.google.ca/books/about/Le_th%C3%A9%C3%A2tre_au_Moyen_%C3%82ge.html?id=z-saApnKK94C&redir_esc=y">moralités médiévales</a>, qui martelaient la menace de la damnation éternelle par les sept péchés capitaux.</p>
<p>En tant que professeure de littérature spécialisée dans le cinéma et les médias vidéo, je suis généralement à la recherche de <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/19416520.2016.1162421">« contradictions constitutives »</a> – c’est-à-dire les hypocrisies propres aux sociétés ultra-capitalistes, démocratiques et prétendument justes et qui défient la règle de droit et le bon sens.</p>
<p>Je suis donc indécise sur la manière d’interpréter l’allégorie dans la parodie d’élections au deuxième épisode de la série. Ce serait une allégorie dans la mesure où la trame narrative véhiculerait un sens profond ou caché que l’auditoire doit décoder – auquel cas, c’est sa réaction qui produit l’allégorie. Mais peut-être aussi qu’il n’y a aucune allégorie et que « Squid Game » ne fait que mettre à nu le mal et l’hypocrisie, de manière particulièrement graphique et crue.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CULt3blMFii","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<h2>Un capitalisme sans alternative</h2>
<p>En neuf épisodes, cette série-coup de poing expose le <a href="https://www.babelio.com/livres/Fisher-Le-realisme-capitaliste-ny-a-t-il-aucune-alterna/1073246">« réalisme capitaliste »</a>. Cette expression du philosophe Mark Fisher décrit l’impossibilité d’imaginer qu’il y ait quoi que ce soit hors du système politico-économique en place, ni même une alternative à ce système.</p>
<p>Or, quand on demande au créateur de la série Hwang Dong-hyuk s’il a délibérément entrepris d’exposer le capitalisme actuel à travers son côté inhumain et mortel, celui-ci se moque de l’idée même que sa série puisse comporter un message ou un sens « profond ». Il déclarait au <em>Guardian</em> :« La série est motivée par une idée simple : <a href="https://www.theguardian.com/tv-and-radio/2021/oct/26/squid-games-creator-rich-netflix-bonus-hwang-dong-hyuk">nous nous battons pour nos vies même si les dés sont pipés</a>. »</p>
<p>La série s’inspire de ses expériences personnelles durant la <a href="https://www.banqueducanada.ca/2014/11/heritage-crise-financiere/">récession mondiale de 2009</a>. Le financement public pour ses projets de films s’était alors tari, le contraignant lui, sa mère et sa grand-mère, à s’endetter.</p>
<p>Séduit par les jeux survivalistes extrêmes dépeints dans les manga japonais et sud-coréens, Hwang s’est demandé jusqu’à quelle outrance il pourrait aller pour se maintenir en vie, lui et sa famille. Il n’a pas eu besoin de chercher bien loin pour trouver des récits édifiants.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Le créateur de Squid Game, Hwang Dong-hyuk, a été influencé par le manga japonais Battle Royale, qui a également inspiré le film culte éponyme.</span></figcaption>
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<h2>Des événements réels</h2>
<p>L’histoire du héros de la série, Seong Gi-hun, est une <a href="https://www.thenation.com/article/culture/squid-game-review/">transposition d’un conflit violent – et réel – chez le fabricant automobile SsangYong en 2009</a>. Suite au licenciement de 40 % des 2 600 employés, les 1 000 grévistes avaient tenu tête pendant 77 jours au service de sécurité privé de l’entreprise allié à la police coréenne et une trentaine d’entre eux y ont perdu la vie – souvent par suicide.</p>
<p>Sous l’effet du sous-emploi et du chômage chronique et des pertes matérielles (<a href="https://www.bloomberg.com/graphics/2021-coronavirus-global-debt/">aggravées par la pandémie</a>), le niveau de la dette personnelle des Sud-Coréens <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/oct/08/squid-game-lays-bare-south-koreas-real-life-personal-debt-crisis">a grimpé à 105 % du PIB</a> en 2021. Au Canada, la dette moyenne des ménages a explosé pour <a href="https://tradingeconomics.com/canada/households-debt-to-gdp">atteindre 112 % au premier trimestre de 2021, avant de retomber à 109 % au deuxième trimestre</a>.</p>
<p>« Squid Game, c’est le monde où nous vivons », a déclaré Hwang Dong-hyuk au Guardian, sans prétention ni exagération.</p>
<h2>Carcan financier</h2>
<p>Dans son rôle de Seong Gi-hun, l’acteur Lee Jung-jae incarne l’homme ordinaire qui joint les rangs des millions de travailleurs déplacés et rejetés. Pris au piège des jobines de service, réduit à travailler comme chauffeur après la faillite du restaurant où il travaillait, ce joueur compulsif au visage attachant et expressif est étranglé de dettes bancaires et usuraires.</p>
<p>Son ex-femme s’est remariée avec un homme avec une belle situation et qui prévoit s’installer aux États-Unis, avec elle et leur fille. Le nouveau mari peut se permettre de célébrer l’anniversaire de sa belle-fille dans un « steakhouse » (prononcé en anglais pour plus d’emphase), tandis que Seong Gi-hun avale un hot-dog et une galette de poisson à la cantine et ne trouve à offrir qu’un présent ridicule remporté à la galerie de jeux.</p>
<p>Joueur invétéré et éternel optimiste, Seong Gi-hun s’imagine toujours sur le point de gagner le Gros Lot – quand il parie l’argent de sa mère ou quand il <a href="https://lepetitjournal.com/seoul/a-voir-a-faire/comment-jouer-ddakji-jeu-papier-squid-game-322550">joue au ddakji</a> dans une station de métro de Séoul.</p>
<p>Mais comme tous les jeux de hasard, il est clair que cette partie de ddakji est truquée dès le départ. Il est également clair que les 456 concurrents du « jeu du calmar » (Gi-hun est le no 456) mettent leur vie en jeu dans une bataille ultime avec l’espoir de rafler le grand prix en argent, dans un suspense où les défis et les risques augmentent de jeu en jeu. Cette intrigue n’est pas sans rappeler le récit japonais <em>Battle royale</em>, <a href="https://variety.com/2021/global/asia/squid-game-director-hwang-dong-hyuk-korean-series-global-success-1235073355/">dont s’est explicitement inspiré Hwang</a>.</p>
<h2>Contradictions</h2>
<p>Ce qui est moins clair – et source de contradictions constitutives et d’ironies à gogo –, c’est la raison pour laquelle tant de téléspectateurs suivent cette série. « Squid Game » <a href="https://www.lapresse.ca/arts/television/2021-10-12/netflix/squid-game-fracasse-un-record-a-sa-sortie.php">fracasse tous les records chez Netflix</a>, devançant même le succès de la série la plus populaire, Bridgerton. <em>Bloomberg News</em> estime que « Squid Game » a rapporté <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/squid-game-un-pactole-a-900-millions-de-dollars-pour-netflix-1355775">900 millions de dollars américains</a> jusqu’à présent.</p>
<p>Cependant, sa réalisation n’a <a href="https://www.premiere.fr/Series/News-Series/Squid-Game-na-coute-que-21-millions-de-dollars-a-Netflix">coûté qu’environ 21 millions de dollars</a>, et son créateur Hwang Dong-hyuk, qui y a perdu six dents à cause du stress, ne touche aucune redevance. Et il espère d’être reconnu pour autre chose un jour.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/429792/original/file-20211102-39236-6iqujn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une vue aérienne de Séoul, avec ses gratte-ciel" src="https://images.theconversation.com/files/429792/original/file-20211102-39236-6iqujn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429792/original/file-20211102-39236-6iqujn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429792/original/file-20211102-39236-6iqujn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429792/original/file-20211102-39236-6iqujn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429792/original/file-20211102-39236-6iqujn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429792/original/file-20211102-39236-6iqujn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429792/original/file-20211102-39236-6iqujn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le niveau d’endettement personnel des Sud-Coréens a grimpé à 105 % du PIB en 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>Un livreur coréen non identifié a déclaré au <em>Guardian</em> : « Il faut payer pour regarder [l’émission] et je ne connais personne qui me laissera utiliser son compte Netflix… De toute façon, quel intérêt à suivre une bande de types écrasés de dettes ? <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/oct/08/squid-game-lays-bare-south-koreas-real-life-personal-debt-crisis">J’ai juste à me regarder dans le miroir</a>. »</p>
<p>Pourquoi, en effet, un téléspectateur avec les mêmes difficultés financières que les personnages voudrait-il regarder « Squid Game » ? J’ai recherché sur Internet pour déterminer quelle part des 142 millions de foyers ayant visionné la série avait souscrit à la période d’essai gratuit. Je n’ai pas trouvé la réponse.</p>
<p>Hwang Dong-hyuk négocie <a href="https://www.hollywoodreporter.com/tv/tv-news/squid-game-creator-season-2-meaning-1235030617/">avec les bonzes de la diffusion en continu pour une éventuelle suite</a> ainsi que d’autres projets de films. <a href="https://www.zdnet.fr/blogs/digital-home-revolution/300-millions-d-abonnes-a-la-svod-en-2025-aux-etats-unis-39900143.htm">Compte tenu de la croissance prévue du secteur</a>, qu’est-ce que les téléspectateurs sont prêts à payer ou à sacrifier pour continuer de visionner « Squid Game » ?</p>
<p>Plus précisément, pourquoi le feraient-ils ? Je pense que la réponse à la question de l’allégorie du capitalisme actuel dépend de ce que les spectateurs voient se refléter à l’écran. Un spectateur se reconnaîtra dans un personnage, alors qu’un autre y percevra une souffrance qu’il n’imaginait même pas.</p>
<p>Ces vecteurs d’identification divergents peuvent déterminer s’il y a ou non un sens profond ou caché à « Squid Game ». Ils pourraient influencer la création de nouveaux jeux de hasard, de manipulation et de survie toujours plus affreux. Mais pour le découvrir, il faudra rester à l’écoute.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171147/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elaine Chang ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La popularité inattendue de l’émission coréenne « Squid Game » met en lumière notre rapport à la dette et au capitalisme, mais les contradictions vont au-delà de l’émission elle-même.Elaine Chang, Associate Professor, English and Theatre Studies, University of GuelphLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1673422021-09-22T22:24:21Z2021-09-22T22:24:21ZArt contemporain : Damien Hirst, un pas de deux avec le capitalisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/422627/original/file-20210922-13-1cxq4d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C3%2C1017%2C677&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Damien Hirst en juillet 2021, à la Fondation Cartier. </span> </figcaption></figure><p>Mauvais garçon, provocateur, vaniteux, égocentrique, arrogant, vulgaire, cynique, excessif, showman… tout a été écrit au sujet de cet artiste. À Paris, la Fondation Cartier pour l’art contemporain lui offre sa première exposition institutionnelle en France ; on y voit pas moins de trente tableaux sur les 107 toiles que comprend une série réalisée dans son atelier londonien.</p>
<p>Sur des toiles grand format préalablement peintes d’un bleu sans nuage, l’artiste s’est déchaîné pendant trois ans, avant et pendant la période de confinement ; monté toute la journée sur une échelle, il a tamponné de la matière picturale au bout d’un grand bâton. Bombardement intense, violent mais joyeux. Usage débridé de la couleur. Giclées de peinture à la verticale. Sur fond bleu, des milliers de tâches verdâtres, marrons caca d’oie, blancs sales, bleus lavés, rouges sang noir. De près, on y voit des ronds plus ou moins ronds et plus ou moins épais, encore frais, en voie de séchage – référence, peut-être, aux <a href="https://www.damienhirst.com/texts1/series/spots">« spot paintings »</a> qui ont rendu Hirst célèbre à la fin des années 80 et clin d’œil à l’« action painting » ; en prenant du recul ce sont des cerisiers en fleurs. Le visiteur est clairement invité à se perdre dans la peinture en écho aux émotions fulgurantes de l’artiste, qui annonce :</p>
<blockquote>
<p>« Les cerisiers en fleurs sont tape-à-l’œil, désordonnés et fragiles, et grâce à eux je me suis éloigné du minimalisme pour revenir avec enthousiasme à la spontanéité du geste pictural ».</p>
</blockquote>
<h2>A quoi joue Damien Hirst ?</h2>
<p>Le travail de Damien Hirst suscite la controverse, inutile donc d’en rajouter au sujet du « plus riche de tous les artistes vivants » ; je souhaite plutôt me demander : à quoi joue Damien Hirst et à quoi jouons-nous en allant voir ses expositions ?</p>
<p>Hirst connaît les règles du jeu du capitalisme et sait parfaitement en jouer. Quand, tout jeune, on lui demande ce qui le pousse à devenir artiste, il répond sans hésiter « pour gagner de l’argent », réponse assez inattendue de la part d’un jeune diplômé du prestigieux Goldsmiths College of Art, comme si le nom même de son collège, renvoyant aux montres de luxe et au métier de joailler, lui avait indiqué la voie à suivre. D’ailleurs, il achètera à Londres un crâne du XVIII<sup>e</sup> siècle, crâne sur lequel il fera sertir pas moins de 6 601 diamants avec à l’avant du crâne un diamant rose de 52 carats ; cette vanité moderne, <em>For the love of God</em>, sera vendue à un mystérieux consortium pour la modeste somme de 50 millions de livres. Pour Hirst, l’argent a une vertu, celle d’assurer son autonomie.</p>
<p>Ayant vécu une jeunesse difficile et tourmentée dans un milieu assez pauvre, gagner de l’argent pour réaliser ses idées les plus folles relevait de l’urgence. Très vite, l’artiste comprend <a href="https://www.cairn.info/revue-terrains-et-travaux-2003-1-page-162.htm">ce que le sociologue Mark Granovetter veut dire</a> lorsqu’il découvre, il y a cinquante ans, la force des liens faibles ;le sociologue oppose en effet les liens forts noués au sein de la famille et des amis proches aux liens faibles qui se nouent lors de réunions entre connaissances comme les vernissages, la force de ces liens faibles étant de pouvoir rentrer dans des cercles sociaux et d’opérer des recoupements.</p>
<p>Hirst ne se vit pas comme un artiste maudit sûr de son génie qui, un jour, finirait par être découvert par les vrais amateurs d’art. Encore étudiant et avec quelques camarades d’atelier, il peint sur un mur d’un hangar désaffecté du port de Londres des ronds de couleur qui attireront l’attention du monde de l’art contemporain à la recherche d’artistes rebelles qui déclarent vouloir changer le monde.</p>
<h2>Consommation ostentatoire</h2>
<p>L’artiste est à l’aise avec les acteurs qui font le monde de l’art et des médias ; avec l’aide d’assistants, il entreprend des projets d’envergure qui peuvent durer plusieurs années, ce qui permet ensuite de raconter une histoire. Hirst est autant artiste que chef d’une entreprise <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/08/20/malgre-les-aides-et-sa-fortune-damien-hirst-licencie-le-petit-personnel_6091938_4500055.html">qu’il gère dans le plus pur style ultralibéral</a>. Il comprend parfaitement la loi du marché, celle de l’offre et de la demande, et plus particulièrement un mécanisme étonnant mis en lumière par l’économiste et sociologue Thorstein Veblen à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle dans <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Theorie-de-la-classe-de-loisir"><em>Theory of the Leisure Class</em></a> (1899).</p>
<p>Hirst n’a peut-être pas lu Veblen mais l’a compris par expérience. Veblen s’intéressait en effet à ce qu’il nomme la consommation ostentatoire (« conspicuous consumption ») et démontre que plus les prix des produits ostentatoires sont élevés et plus leur demande augmente. Une contre – intuition bien assimilée par l’artiste qui comprend parfaitement que ce mécanisme est au cœur du fonctionnement de l’industrie du luxe. L’acquisition d’une toile à un prix élevé est un indicateur de prestige social, tout comme un sac plastifié mais griffé d’une marque reconnue mondialement ; le prix élevé de la toile devient une barrière à franchir qui procure un niveau de jouissance, la jouissance d’exposer une position sociale privilégiée.</p>
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<p>Lors du vernissage à Venise – événement mondain mondialisé – de son exposition « Treasures from the wreck of the unbelievable » au Palazzo Grassi et à la Punta della Dogana (2017), Damien Hirst est au sommet de son art et de son empire ; l’art a besoin du luxe, et le luxe a besoin de l’art. Quelques années auparavant, l’artiste-entrepreneur avait fait une autre découverte, celle de la chaîne de valeur en économie, <a href="https://www.artsy.net/article/artsy-editorial-damien-hirsts-200-million-auction-symbol-pre-recession-decadence">et déposé ses propres œuvres en salles de ventes</a> au risque de se mettre à dos les galeries qui vivent du fait de la longueur de la chaîne. Les intermédiaires n’aiment pas les circuits courts. Damien Hirst, enfin, a ouvert son propre musée à Londres, la <a href="https://www.newportstreetgallery.com/">Newport Street Gallery</a>. Toujours cette soif d’autonomie.</p>
<h2>A quoi jouent les visiteurs ?</h2>
<p>Vient maintenant la question du regardeur, celui qui finalement fait le tableau pour reprendre Marcel Duchamp. À quoi jouons-nous en allant voir Damien Hirst ? Au second degré, il y a le regard de qui s’émerveille du talent de l’artiste quant à sa capacité de provoquer un système. La force du capitalisme est en effet de <a href="https://journals.openedition.org/lectures/1699">métaboliser les contradictions sous des formes subtiles d’appropriation</a>. Oui, voir les liens entre l’artiste et le capitalisme et la façon dont les institutions muséales digèrent ses provocations, c’est un spectacle en soi.</p>
<p>Mais s’extasier devant la capacité de l’artiste à nous berner finit par lasser, et le risque de blaser le visiteur menace aussi l’artiste. En <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-L%E2%80%99Homme_unidimensionnel-2186-1-1-0-1.html">suivant Marcuse</a> dans son analyse de la société unidimensionnelle, on pourrait dire que Hirst illustre la perte de la fonction critique de l’art, celle de rendre visible les contradictions d’une société et que son travail a une fonction d’aveuglement. Or, ce que nous recherchons finalement lorsque nous allons au musée, c’est de ressentir une expérience esthétique. C’est Adorno <a href="https://www.philomag.com/articles/esthetique-195859-de-theodor-adorno">qui nous met sur la voie</a> :</p>
<blockquote>
<p>« On devrait définir le comportement esthétique comme la faculté de ressentir quelque effroi comme si la chair de poule était la première image esthétique Ce qu’on appelle plus tard subjectivité, qui se libère de la peur aveugle de l’effroi, en est en même temps le déploiement […] Mais cet effroi, où se meut une subjectivité qui n’en est pas encore une, est le fait d’être touché par l’autre. »</p>
</blockquote>
<p>Hirst nous effrayait lorsqu’il nous donnait à voir la vache et son veau (<em>Mother and Child Divided</em>) <a href="https://www.tate.org.uk/art/artworks/hirst-mother-and-child-divided-t12751">découpés en tranche et plongés dans des bains de formol</a>, aujourd’hui ses milliers de taches rondes encore fraîches projetées sur des toiles grand format nous en mettent plein la vue mais ne nous effraient plus, et ne nous touchent pas vraiment – même si le culot de l’artiste fascine toujours.</p>
<p>Mais alors, pourquoi allons – nous voir Damien Hirst ? Est-ce un simple marqueur social valorisant lors de conversations entre ami.es et destiné à alimenter nos réseaux sociaux ? Il s’agit plutôt de suivre le travail d’un artiste qui a tout essayé, et qui au bout de longues années revient sur ses extravagances et ses provocations pour nous dire qu’il est temps pour lui de retourner à la peinture et aussi qu’à l’âge de 56 ans, il peut s’accorder une pause. Pause pour retrouver l’inspiration des pointillistes mais aussi pause pour s’interroger sur le sens de tout cet argent accumulé, produit de la vente de ses tableaux et de ses sculptures dont, dixit l’artiste, « les prix sont devenus complètement dingues ».</p>
<h2>Rapports entre l’art et l’argent</h2>
<p>Se coiffant d’un chapeau d’économiste, l’artiste infatigable ouvre un nouveau champ d’investigation, il s’interroge aujourd’hui sur la signification d’un billet de banque, vulgaire bout de papier qui repose sur la confiance (<em>fides</em>), les économistes parlent d’ailleurs de monnaie fiduciaire. Hirst observe que la confiance du détenteur d’un billet de banque résonne avec la confiance du collectionneur qui achète ses tableaux. Son nouveau projet, « The Currency », est une véritable expérimentation sociale à grande échelle.</p>
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<p>Il aborde le rapport entre l’art et l’argent d’une tout autre manière qu’Andy Warhol et ses « dollar signs » ou que Salvador Dali, si obsédé par l’argent qu’il était surnommé Avida Dollars (une anagramme trouvée par André Breton). Il s’agit de se questionner sur la valeur de la monnaie, en n’hésitant pas à dialoguer <a href="https://www.courrierinternational.com/article/art-contemporain-currency-et-damien-hirst-entre-dans-la-danse-des-nft">avec l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre</a> : sortant en quelque sorte de son domaine de compétence, il se lance dans la création… monétaire.</p>
<p>À cette fin, avec l’aide de ses assistants, Damien Hirst a peint non pas des cerises mais des ronds de couleur, reprenant ses célèbres « spot paintings » ou « dot paintings » sur pas moins de 10 000 feuilles papier A4 ; chaque feuille, datée et griffée par l’artiste, est vendue 2 000 euros. Son idée est de proposer ensuite à chaque acheteur le « deal » suivant et cela seulement au bout de six mois : soit vous gardez votre original, soit vous le transformez en jeton non fongible qui sera alors gardé dans un coffre numérique, votre original étant alors détruit. Le but du jeu est de savoir qui de la propriété physique d’un bien l’emportera sur la propriété digitale, pari qui semble fasciner Damien Hirst. Ce n’est plus l’argent qui corrompt l’art mais l’art qui vient corrompre l’argent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167342/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Saussois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’exposition présentée à la fondation Cartier représente-t-elle une exception dans une carrière marquée par des liens étroits avec le monde de la finance et du luxe ?Jean-Michel Saussois, Professeur émérite HDR en sociologie, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1635332021-08-03T19:40:31Z2021-08-03T19:40:31ZLe « vol du temps » : questions pour sortir indemne de la pandémie<p>« Extinctions en cascade, maladies, sécheresses, montées des eaux… les effets du changement climatique s’accélèrent et deviendront de plus en plus évidents au cours de ces prochaines décennies, d’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) », rapporte un <a href="https://sciencepost.fr/giec-changement-climatique-avenir-humanite/">article de SciencePost</a>, publié peu après la diffusion d’un projet de rapport de l’organisation particulièrement alarmant par l’AFP, en juin dernier.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1419583955112800257"}"></div></p>
<p>La pandémie du Covid-19, au regard de ce qui nous attend, semble tout à la fois dérisoire et cataclysmique. Que n’avons-nous pas su saisir des <a href="https://www.franceinter.fr/environnement/les-catastrophes-naturelles-ont-double-en-20-ans-sous-l-effet-du-rechauffement-climatique">drames précédents</a> ? Quels enseignements pouvons-nous tirer de cette crise, de nos difficultés à y faire face, que ce soit sur les scènes nationales ou globalisées ? Il est aujourd’hui indispensable d’oser regarder en face ce qui nous sidère à tel point que nous préférons faire l’autruche pour éviter de nous heurter à une violente prise de conscience, alors que nous nous trouvons déjà au cœur de l’urgence.</p>
<p>Comme le dit Julie Hermesse dans un <a href="https://www.editions-academia.be/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=66524">ouvrage collectif</a> d’anthropologues sur la pandémie :</p>
<blockquote>
<p>« Ce n’est qu’en considérant que le pire est définitivement certain qu’il est possible de trouver une solution ou une bifurcation. […] L’émergence de la Covid-19 et sa propagation ne constituent-elles pas un point de rupture historique qui nous permettrait d’éviter un fatum apocalyptique d’ordre tant socio-économique qu’écologique ? »</p>
</blockquote>
<p>Si une seule leçon devait être tirée de cette année singulière, c’est bien celle de <a href="https://www.lci.fr/sante/coronavirus-epidemie-covid-19-pourquoi-la-france-est-en-penurie-de-masques-ffp2-2148489.html">notre impréparation</a>. Effrayante, mais peut-être salutaire, impréparation. Réveil indispensable face aux enjeux environnementaux et à la dégradation des conditions d’existence sur l’ensemble de la planète. Notre système économico-politique a montré ici non seulement ses failles, sa violence, ses limites, mais aussi son incapacité à gérer le monde en devenir et les catastrophes dont le présent et l’avenir sont et seront émaillés. Comme l’énonce le militant écosocialiste Daniel Tanuro dans <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/trop_tard_pour_etre_pessimistes">son essai</a> <em>Trop tard pour être pessimistes !</em> :</p>
<blockquote>
<p>« La pandémie est un événement historique parce qu’elle jette une lumière crue sur les inégalités et l’incapacité des membres de « l’élite » autoproclamée à assurer la protection de tous.tes »</p>
</blockquote>
<h2>Ce que l’anthropologie politique peut pour nous</h2>
<p>Dans un ouvrage intitulé <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-dans_l_oeil_de_la_pandemie_face_a_face_anthropologique_jacinthe_mazzocchetti_pierre_joseph_laurent-9782806106070-70095.html"><em>Dans l’œil de la pandémie. Face à face anthropologique</em></a>, paru cette année, nous nous sommes attelés à ces interrogations depuis une position singulière, celle de la discipline anthropologique : nous nous y questionnons sur la manière dont l’<a href="https://www.puf.com/content/Georges_Balandier_un_anthropologue_en_premi%C3%A8re_ligne">anthropologie politique</a>, articulant les dimensions locales et globales <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807302143-introduction-l-anthropologie-du-politique">avec une attention particulière aux rapports sociaux</a> peut nous aider à comprendre les bouleversements vécus, à penser autrement ce qui nous arrive, à saisir comment les populations font face dans leur diversité, et à penser l’avenir.</p>
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<p>Notre réponse se décline en trois niveaux. L’importance <a href="https://journals.openedition.org/sociologie/1767">d’ethnographier</a>, tout d’abord, c’est-à-dire littéralement de garder trace de façon précise et systématique de cette période singulière. Décrire le quotidien « par le bas », observer depuis nos places d’anthropologues et de citoyens, directement touchés dans nos corps, nos vies professionnelles et privées, nos familles, raconter les oublié·e·s, leur donner la parole afin de saisir les troubles tout autant que les débrouilles et les résiliences.</p>
<p>Nous nous sommes en particulier intéressés à la transformation des relations sociales au travers des mises à distance que sont les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/11/coronavirus-le-port-du-masque-defigure-le-lien-social_6039261_3232.html">masques</a> et les écrans, à l’accroissement des inégalités préexistantes, ainsi qu’aux effets de sidération et de colère. Ceux-ci ont pour conséquences notables l’exacerbation des sentiments de défiance et le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/17/l-epidemie-de-covid-19-revelatrice-de-la-poussee-des-theories-complotistes-en-france_6060009_823448.html">basculement vers le complotisme</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/relations-sociales-le-numerique-peut-il-compenser-le-manque-dechanges-directs-158984">Relations sociales : le numérique peut-il compenser le manque d’échanges directs ?</a>
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</em>
</p>
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<p>Mais l’anthropologie, c’est aussi comparer à partir d’études de cas fouillées, trianguler pour saisir la complexité et en ce cas précis, aller au-delà des chiffres pour comprendre le poids des contextes et des représentations sociales dans les arbitrages réalisés dans chaque pays entre santé et économie.</p>
<p>Enfin, les cadres de pensée de l’anthropologie politique nous permettent une approche plus globale, visant à réinscrire la pandémie et sa gestion dans une analyse sociétale critique. Chaque période de crise est porteuse de mutations, de changements. Tenter de les repérer, c’est se donner les moyens de ressentir les lignes de force du monde en devenir. L’ouvrage, en plus de proposer une photographie complexe de nos vécus, présente une réflexion sur les potentiels scénarios de sortie de crise, en prenant conscience qu’elle n’est probablement que le <a href="https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2015-3-page-226.htm">sommet de l’iceberg des catastrophes</a> à venir en lien avec les changements climatiques, la montée des inégalités, le vieillissement. Le prix du statu quo (augmentation de la dette, des inégalités, de la défiance, des modes de gouvernement autoritaires…) donne crûment à voir la nécessité de transformation radicale de nos manières d’être.</p>
<h2>La pandémie, révélatrice du « vol du temps » capitaliste</h2>
<p>Le philosophe Pierre Zaoui, dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2010-4-page-29.htm">article</a> intitulé « Le capitalisme comme vol du temps », s’interroge sur trois types de temporalités suspendues par notre mode de production et de vie capitaliste : « l’utopie, l’immédiat et l’horizon de l’histoire ». Voici donc ce qui nous est volé et nous empêche, non pas de ruser et d’agir, mais de comprendre et d’imaginer. Vol du temps de l’utopie, vol de la possibilité de déconstruire le discours du <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-inenarrable-effet-t-i-n-a-883065.html">TINA (There Is No Alternative)</a> – slogan politique couramment attribué à Margaret Thatcher lorsqu’elle était Première ministre du Royaume-Uni. Car il est indispensable de rêver grand pour se projeter à nouveau dans un autre mode de vie que celui de la prédation. Nous avons besoin de petits et de grands récits qui nous portent et ouvrent nos imaginaires.</p>
<p>Si <a href="https://www.rts.ch/info/culture/10485413-catastrophe-climatique-surveillance-guerres-les-dystopies-ont-la-cote.html">l’imaginaire dystopique fleurit</a>, ainsi que les pensées de l’effondrement et les mouvements survivalistes, leurs points communs sont bien souvent l’impossibilité de sortir du gouffre dans lequel nous sommes pris et l’incapacité à inventer un lieu radicalement autre. Lieu qui ne serait ni celui des travers du monde contemporain poussés à leur paroxysme, ni des modalités de survie en situation de catastrophe annoncée. Si l’une des grandes forces des récits dystopiques est de nous confronter au pire, confrontation – comme énoncée en début d’article – indispensable, ils participent à rendre l’imaginaire, ici entendu en termes à la fois politiques et littéraires, prisonnier de la pensée unique. Ce qui se cauchemarde ou se rêve ne trouve plus d’autre lieu que celui dans lequel nous vivons.</p>
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<p>Vol du temps de l’immédiateté, ensuite. L’enjeu, ici, serait de retrouver le sens de l’urgence, de reprendre conscience que tous les événements ne s’équivalent pas en termes de temporalité d’action, mais aussi d’impact sociétal, de sortir de la course effrénée qui nous empêche de penser et de poser des choix qui ne soient pas uniquement court-termistes.</p>
<p>À ce titre, la pandémie aura tout de même permis un <a href="https://esprit.presse.fr/actualites/sebastian-roche/le-coronavirus-l-exception-et-la-culture-politique-des-elites-42766">certain retour de l’immédiateté</a>. Confrontés à l’épidémie, agir vite est une obligation. Chose exceptionnelle, les conséquences de l’inaction portent sur <a href="https://www.cairn.info/revue-pole-sud-2006-2-page-71.htm">l’horizon temporel des élus</a>, sur leurs mandats et leurs responsabilités. En cela, la pandémie a remis en marche forcée les sociétés. Pourtant, la Covid-19 ne fait que replacer le problème dans une question de perspective : perspective immédiate pour la pandémie, de long terme pour les questions de justice sociale, d’environnement, de climat. La responsabilité alors peut être postposée, faute de conscience de l’immédiateté de ces urgences.</p>
<p>Vol du temps de l’histoire, enfin. Le nez dans le guidon, nous sommes pris dans la course infernale des échéances, des évaluations et des crises incessantes. Cet enchaînement ininterrompu nous coupe d’une analyse globale d’une part, <a href="https://www.cairn.info/introduction-a-la-socio-histoire--9782707147233.htm">socio historique</a>, de l’autre, qui nous permettrait de penser l’avenir. Pourtant, un diagnostic, même rapide, même partiel, de l’état du monde ne peut nous mener qu’à la constatation d’autres catastrophes à venir et à la nécessité de cesser d’être attentistes.</p>
<p>Malgré les mises en garde du GIEC, notamment, qui révèlent au monde le dérèglement climatique et ses conséquences, dans ce domaine, l’inaction ou l’action ne semblent pas avoir d’impact notoire à l’échelle d’un mandat politique. Prises dans une <a href="https://www.lemonde.fr/tant-de-temps/article/2017/01/06/nicole-aubert-nos-societes-ont-cree-des-individus-a-flux-tendus_5058551_4598196.html">logique anhistorique et court-termiste</a> qui isole les problèmes, incapables de formuler des réponses qui ne soient pas locales face à ces questions globales, les sociétés contemporaines se retrouvent en incapacité d’anticiper, de penser et d’agir sur les dérèglements sociaux, économiques et environnementaux en cours, et sur leurs conséquences multiples.</p>
<h2>Le virus, un salutaire coup de fouet ?</h2>
<p>Dès lors, comment la pandémie, entre traumatisme et coup de semonce, peut-elle nous permettre d’inverser ces dynamiques de « vol du temps » ? D’une part, à travers une conscientisation de la nécessité de revaloriser les recherches scientifiques, y compris celles menées en sciences humaines et sociales, qui nous amènent à proposer des <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03036192/document">scénarios de sortie de crise</a> complexes, mais réalistes, au sein desquels les populations ne sont pas oubliées dans leurs disparités en termes de vécus, mais surtout en termes sociologiques (différences de genre, de classe, d’âge, ethnoraciales…).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1351501333879279616"}"></div></p>
<p>Un retour du sens de l’urgence dans les politiques publiques, déjà amorcé lors de la pandémie, est également crucial. Il suppose d’une part une <a href="https://www.lefigaro.fr/decideurs/emploi/metiers-du-grand-age-300-000-postes-seront-necessaires-dans-les-prochaines-annees-selon-brigitte-bourguignon-20210512">revalorisation des métiers de service</a> (santé, éducation, culture…), et d’autre part un <a href="https://www.francetvinfo.fr/meteo/climat/temoignages-c-est-carrement-deprimant-des-fonctionnaires-en-charge-de-la-lutte-contre-le-dereglement-climatique-disent-leur-depit_4654199.html">refinancement des secteurs publics</a>. La fulgurance de la pandémie a contraint les décideurs à agir. Ils ont été confrontés à l’impuissance de l’humanité et à des arbitrages majeurs entre l’économie et la protection de la population. La crise sanitaire a ainsi, potentiellement, jeté les bases d’une pensée politique qui articulerait justice sociale, sécurité, climat, vieillissement et migration.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163533/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jacinthe Mazzocchetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pierre-Joseph Laurent ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’anthropologie politique peut nous aider à utiliser les leçons tirées de la pandémie pour traiter les autres grandes urgences de notre temps.Jacinthe Mazzocchetti, Professeure d'anthropologie, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Pierre-Joseph Laurent, Professeur en anthropologie, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1562622021-05-09T18:19:30Z2021-05-09T18:19:30ZLe surf, antidote au capitalisme technologique ?<p>Le succès grandissant du surf est indiscutable : compétitions toujours plus nombreuses, vagues toujours plus hautes, <a href="https://www.theinertia.com/surf/how-the-surfing-industry-has-experienced-both-boom-and-bust-during-the-pandemic/">tourisme associé au surf</a> en plein boom… Certains passionnés bravent même la <a href="https://www.beachbrother.com/news/surf/les-spots-surf-plus-froids-monde-938149625.html">rigueur des pays froids afin de retrouver un environnement sauvage</a>. Fictions et documentaires sur le sujet ne cessent de se multiplier depuis les années 60, et des entreprises telles que <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/le-surf-une-vague-mondiale-34-une-nouvelle-vague-de-surfeuses">Quicksilver, Billabong ou Roxy ont développé leur marché autour du surf et du mode de vie associé</a>.</p>
<p>La décision de l’intégrer aux JO de 2020 à Tokyo signe définitivement le succès planétaire de ce sport. Au cœur d’une <a href="http://www.slate.fr/story/151538/underground-pop-culture-histoire-surf">nouvelle pop culture</a> assortie d’une <a href="https://www.arkhe-editions.com/livre/histoire-du-surf/">« idéologie moderne de la glisse »</a>, la pratique du surf représente un véritable phénomène contemporain.</p>
<h2>Une quête spirituelle</h2>
<p>L’esprit de contemplation occupe une part centrale dans l’expérience du surf. <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/lecriture-est-un-sport-comme-les-autres/sigolene-vinson-et-le-surf">« Le surf, c’est une sorte de philosophie stoïque, c’est accepter qu’on n’a pas le pouvoir sur les choses »</a>, nous dit Sigolène Vinson. De fait, les meilleures applications météo ne permettent pas de prévoir <a href="http://www.librairie-maritime.com/livres/l-instinct-glisse-petit-hymne-surf-aux-vagues-liberte-9782361570194.html">s’il sera possible de surfer ou non</a>.</p>
<p>À l’origine, le surf constitue une activité spirituelle profondément ancrée dans la religion et la culture de différentes îles du Pacifique, <a href="https://www.arkhe-editions.com/livre/histoire-du-surf/">notamment à Hawaï</a> où elle était liée à la célébration du Dieu Lonos, le <a href="https://journals.openedition.org/eps/6051">dieu de la fertilité</a>. S’il était à l’époque réservé aux personnalités de haut rang, certains surfeurs ont conservé <a href="http://www.librairie-maritime.com/livres/l-instinct-glisse-petit-hymne-surf-aux-vagues-liberte-9782361570194.html">cet état d’esprit d’osmose avec la nature</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Ces surfeurs dans l’âme, on les surnomme “soul surfeurs”. Ils explorent la facette imperceptible de la discipline, rêvant de la précieuse équation entre l’homme et l’élément, celle qui poussait Duke Kahanamoku, pionnier du surf hawaïen, à s’élancer sur des murs d’eau colossaux muni d’une antique planche d’acacia. Pour eux, la glisse n’est ni un vecteur d’esbroufe ni un enchaînement de manœuvres spectaculaires, mais un art de vivre, une philosophie. Ils y voient même parfois une croyance apparentée à l’animisme, dans laquelle les éléments naturels – en particulier l’océan – sont dotés d’une force vitale ».</p>
</blockquote>
<h2>Reconquérir sa liberté</h2>
<p>Un <em>soul surfeur</em> ou <em>free surfeur</em> oriente toute sa vie autour de cette pratique, dans une société où la liberté est de plus en plus compromise, le rapport à la nature souvent inexistant, <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/lage-du-capitalisme-de-surveillance">l’aliénation par les technologies toujours plus forte</a>. Cette sensation d’être pleinement présent à ce que l’on fait est devenue rare – sauf peut-être dans les sports extrêmes qui permettent d’atteindre ce type d’intensité. Le surf pratiqué par les <em>soul surfeurs</em> c’est cet idéal des <a href="http://nationalhumanitiescenter.org/pds/gilded/empire/text1/turner.pdf">pionniers en quête de liberté</a> largement <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/F/bo3773600.html">repris par la contre-culture américaine des années 60</a> avant qu’elle ne soit absorbée par le capitalisme.</p>
<p>Le surf représente une manière d’être libre dans un monde où l’intelligence artificielle et ses algorithmes laissent de <a href="https://www.casilli.fr/publications-2/">moins à moins de place au libre arbitre et au hasard</a>. C’est l’apothéose du besoin de se soustraire au système, de se recentrer sur soi. L’engouement pour le yoga ou la méditation, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0001839221993475">devenues des industries victimes de leur succès</a> s’inscrit d’ailleurs dans la même quête de spiritualité et de liberté.</p>
<h2>Un antidote à la technologie toute-puissante</h2>
<p>Le surf apporte une touche de poésie au temps du capitalisme technologique. La vague à surfer représente la déroute de l’intelligence artificielle. Pour faire dire à une IA comment prendre la vague, il faudrait lui avoir montré toutes les vagues du monde et selon toutes les conditions météo possibles. Et quand bien même une IA aurait intégré toutes ces données, elle serait en défaut de prédire comment aborder le déferlement suivant. C’est ce qui rend ce moment d’attente si précieux et unique : il est proprement imprédictible.</p>
<p>Au milieu des flots, conscient de sa condition face aux éléments naturels, le surfeur observe, sent, décide et fait. L’océan indomptable le remet sa juste place d’être humain. Pas au-dessus de la nature, pas au-dessus du monde, mais bien en dessous. Les promesses de la société capitaliste se heurtent à cette paroi impénétrable. C’est pour cela que dans la pratique du surf, quelque chose résiste au capitalisme qui aspire sa critique.</p>
<p>Dans un monde où les transhumanistes ambitionnent d’utiliser les technologies pour sauver l’humanité, <a href="https://time.com/574/google-vs-death/">voire à tuer la mort</a>, le surf rappelle l’homme à son insignifiance vertigineuse face à la force incoercible que constitue l’océan – et la nature de manière générale. C’est pourquoi le capitalisme ne va pas cesser de tenter de l’absorber, <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_2001_num_42_1_5341">tant il tient à ingérer sa critique, sans jamais y parvenir</a>.</p>
<p>Même le meilleur surfeur peut se retrouver pris dans la houle, au milieu de l’océan, incapable d’affronter l’élément qui se tient devant lui. C’est aussi de cette mise en danger et de cette humilité face aux éléments que l’homme tire sa liberté.</p>
<h2>Une pratique qui résiste à la récupération commerciale</h2>
<p>La multiplication des écoles de surf, des magazines, des compétitions, des films, de la musique, de la mode du surf en témoigne : le <em>soft power</em> du surf n’a jamais été aussi fort. Certains chefs d’entreprises vont même jusqu’à souligner l’importance de « laisser leurs employés surfer », comme <a href="https://eu.patagonia.com/lv/fr/product/let-my-people-go-surfing-revised-paperback-book/BK067.html">Yves Chouinard, fondateur de la marque Patagonia</a>.</p>
<p>Pourtant, quelque chose résiste. Le capitalisme ne peut s’emparer de ce moment unique et solitaire où le surfeur doit faire fi de tout ce qu’il connaît pour ne pas se faire emporter, pour finalement prendre la vague et ressentir un sentiment d’osmose avec un élément indomptable et puissant.</p>
<p>Comme le rappelle <a href="http://www.librairie-maritime.com/livres/l-instinct-glisse-petit-hymne-surf-aux-vagues-liberte-9782361570194.html">Lodewijk Allaert</a> :</p>
<blockquote>
<p>« ceux qui l’ont compris n’ont que faire du simulacre commercial, du fétichisme vestimentaire ou de la mauvaise météo. Ils savent qu’au-delà du corps, au-delà de la pensée et des mots, un lien infrangible et primitif les unit à l’élément liquide. Une sorte d’alchimie entre l’homme et la vague qui inexorablement encourage à y revenir. »</p>
</blockquote>
<h2>Une médecine douce ?</h2>
<p>Le surf se révèle une médecine de l’âme particulièrement efficace face à la <a href="https://www.college-de-france.fr/site/anne-fagot-largeault/inaugural-lecture-2001-03-01.htm">dérive technoscientifique croissante de la médecine</a>, <a href="https://www.cairn.info/journal-dix-septieme-siecle-2002-4-page-675.htm">comme le souligne Romano</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La médecine objective qui réduit le malade à une courbe de température sur un lit d’hôpital ne peut manquer de susciter une médecine subjective, douce, naturelle ou parallèle pour faire pendant à la déshumanisation qu’elle enveloppe à titre de prémisse méthodique. »</p>
</blockquote>
<p>Si certains hôpitaux mettent en place des <a href="https://www.association-mindfulness.org/membre-instructeur.php?id=184">programmes de méditation laïcisés afin d’apaiser des patients souffrant de maladies chroniques ou de dépression</a>, d’autres sont parvenus à utiliser le surf à des fins thérapeutiques pour véritablement guérir par exemple des <a href="https://twitter.com/resurfacemovie">vétérans souffrant de troubles post-traumatiques</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/l8W1yvrPA-U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>L’océan comme frontière irréductible</h2>
<p>À l’heure de la pandémie de Covid-19, de nombreuses personnes ont <a href="https://marielauredjelic.wixsite.com/mlsallesdjelic/post/le-temps-aux-temps-du-coronavirus">remis en cause leur mode de vie</a> – <a href="https://www.sortiraparis.com/actualites/a-paris/articles/221411-avec-le-deconfinement-les-demenagements-cartonnent-en-france">déménagement</a>, <a href="https://theconversation.com/la-crise-de-la-covid-19-remet-en-question-le-sens-que-lon-donne-a-son-travail-136895">changement de travail</a> ou <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-55675237">divorce</a>. </p>
<p>La société dit avoir « pris conscience » de sa faiblesse face à ce virus, et tout est mis en place pour lutter contre cette pandémie. La limitation des libertés, que ce soit par les règles imposées par le gouvernement afin de limiter la propagation du virus comme le port du masque, le couvre-feu, la fermeture de lieux publics, couplée à la multiplication des applications destinées à contrôler le déplacement des citoyens, ont largement affecté les libertés individuelles.</p>
<p>Certains vont même jusqu’à qualifier de telles mesures <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/lage-du-capitalisme-de-surveillance">« d’excès d’orgueil démontré par le capitalisme de surveillance en réponse à la pandémie de Covid-19 »</a>. Si la contre-culture américaine avait conçu les <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/F/bo3773600.html">technologies comme une manière d’émanciper l’individu des contraintes de l’establishment</a>, <a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/09/28/the-social-dilemma-ou-comment-des-repentis-des-reseaux-sociaux-investissent-netflix_1800737/">celles-ci sont aujourd’hui de plus en plus critiquées</a>.</p>
<p>Le surf est peut-être susceptible de prodiguer cet affranchissement, d’offrir des moments hors des radars. Selon Jérémy Lemarié : </p>
<blockquote>
<p>« Les surfeurs sont souvent présentés comme des conquérants qui voyagent au gré de leurs envies, des nouvelles vagues à découvrir, fuyant les vicissitudes de la vie moderne : […] Aujourd’hui, la mer est leur seule échappatoire dans la surpopulation et le cloisonnement de la vie moderne. L’océan est leur dernière frontière. »</p>
</blockquote>
<p>Si en 1945 Vannevar Bush présentait au gouvernement américain la <a href="https://www.nsf.gov/od/lpa/nsf50/vbush1945.htm">science comme la nouvelle frontière à conquérir</a>, il semble que son souhait ait été exaucé. Les technologies promettent en effet aujourd’hui de dépasser les limites du temps – avec <a href="https://www.calicolabs.com">l’ambition transhumaniste de tuer la mort</a> – et de l’espace, avec la conquête spatiale. Dès lors, l’océan se pose peut-être <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-temps-de-la-consolation-michael-f-ssel/9782021183382">comme une dernière frontière irréductible à même de consoler l’homme face au désenchantement moderne</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156262/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yaëlle Amsallem a reçu des financements de ESCP Business School. </span></em></p>Comment s’explique l’engouement grandissant pour la pratique du surf ?Yaëlle Amsallem, Doctorante en sciences de gestion, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1534932021-04-15T20:31:00Z2021-04-15T20:31:00ZLe néolibéralisme est-il mauvais pour la santé ?<p>La nature des débats publics est parfois surprenante pour qui explore les sciences économiques ; s’il est bon de discuter des croyances et des dogmes, certaines idéologies semblent rarement faire l’objet de grands débats : c’est le cas du néolibéralisme.</p>
<p>Alors que la mentalité dite « libérale », <a href="https://www.college-de-france.fr/site/claudine-tiercelin/course-2017-03-01-14h00.htm">caractéristique de la tradition rationaliste des Lumières</a>, place au cœur des textes de notre Constitution les principes de liberté, d’égalité, de solidarité ou encore de démocratie, une idéologie semble avoir « furtivement » (selon les termes de la politologue Wendy Brown) mené sa révolution. Cette idéologie néolibérale, reposant sur une forme de rationalité marchande généralisée, est bien connue des chercheur·e·s en gestion.</p>
<p>Tout d’abord, pour comprendre le « néolibéralisme », Alain Supiot propose de débuter l’analyse par la lecture de la <em>Déclaration de Philadelphie</em> adoptée le 10 mai 1944 par la Conférence générale de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). <a href="https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---dgreports/---dcomm/documents/normativeinstrument/wcms_698995.pdf">Ce texte</a> d’inspiration libérale, visant à tirer profit des acquis du New Deal mis en œuvre par Roosevelt aux États-Unis, cherche à offrir un contre-modèle à l’idéologie de l’humain pensé comme ressource. Ainsi, cette déclaration promeut la justice sociale et repose sur la défense de quatre libertés fondamentales proclamées par Roosevelt : liberté d’expression, liberté de religion, libération du besoin et de la peur. Plus encore, l’OIT se donne pour objectif d’accompagner les programmes publics afin de permettre aux travailleurs d’accéder « à des occupations où ils aient la satisfaction de donner toute la mesure de leur habileté et de leurs connaissances et de contribuer le mieux au bien-être commun ».</p>
<h2>L’avènement de la compétition</h2>
<p>Cependant, comme le constate Supiot, si l’esprit de cette déclaration permet de placer la justice sociale au centre des réflexions sur le travail, un « grand retournement » a conduit à l’installation de l’idéologie néo-libérale. Sa première caractéristique est d’envisager l’humain comme une ressource que les lois de la science permettent d’organiser et de gérer. Ainsi, le travail est pensé comme une marchandise et la démocratie est abandonnée au profit des lois du marché, la justice sociale au profit de la compétition. <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1998/03/BOURDIEU/3609">Selon le sociologue Pierre Bourdieu</a>, au niveau des institutions, s’instaure alors « un monde darwinien de la lutte de tous contre tous, à tous les niveaux de la hiérarchie, qui trouve les ressorts de l’adhésion à la tâche et à l’entreprise dans l’insécurité, la souffrance et le stress ».</p>
<h2>Souffrons-nous personnellement de l’idéologie néolibérale ?</h2>
<p>Cette dernière affirmation du célèbre sociologue fait écho à une <a href="https://bpspsychub.onlinelibrary.wiley.com/toc/20448309/0/0">récente étude</a> menée par une équipe de chercheur·e·s en psychologie sociale et publiée dans <em>The British Journal of Social Psychology</em>. Si le néolibéralisme est devenu l’idéologie dominante par excellence sur la planète, elle n’a pourtant fait l’objet que de peu de recherches empiriques sur ses impacts sur la psyché. Les chercheurs ont pu démontrer que le néolibéralisme, en adoubant et cherchant à accroître l’esprit de compétition, tout en réduisant la sensation d’être connecté aux autres, augmente de ce fait le sentiment de solitude qui conduit au mal-être… et impacte donc la santé.</p>
<p>Des <a href="https://journals.plos.org/plosmedicine/article?id=10.1371/journal.pmed.1000316&mod=article_inline">recherches précédentes</a> avaient déjà montré que l’isolement social, la solitude (subie et non pas choisie) et le fait de vivre seul font partie des déterminants les plus puissants de la mortalité. <a href="https://psycnet.apa.org/record/2008-07755-000">D’autres travaux</a> ont montré que la solitude est liée aux hormones du stress, et impacte le bon fonctionnement immunitaire et cardiovasculaire. La solitude – quand elle est subie et non choisie – a donc un impact majeur sur la santé. En la favorisant, le néolibéralisme impacte la santé humaine. Bien entendu, la qualité subjective des liens sociaux importe aussi, au-delà de leur quantité.</p>
<p>Le néolibéralisme favorise et valorise l’individualisme et impacte donc la santé à travers deux mécanismes connexes, nous expliquent les auteurs. Le premier est le fait de considérer l’individu comme un entrepreneur en compétition avec les autres, qui doit assurer <em>seul</em> son développement personnel. La responsabilité du succès repose sur les seules épaules de l’individu isolé ; cela rompt les chaînes de solidarité, réduit le bien-être, accroît les sentiments d’insécurité, d’anxiété, de stress et de dépression.</p>
<p>En outre, le néolibéralisme éloigne les individus de la vie du groupe et de ses effets curatifs potentiels. En effet, le fait d’appartenir à un ou plusieurs groupes, d’être soutenu par eux, et le fait de posséder un sens aigu de l’identité sociale sont la base de ressources sociales et psychologiques aidant à améliorer la santé.</p>
<h2>Les fondements démocratiques de notre vie collective sont-ils menacés ?</h2>
<p>Toutefois, une telle approche semble insuffisante pour la théoricienne politique Wendy Brown de l’Université de Berkeley qui pense le néolibéralisme comme une « révolution furtive ». Dans son ouvrage <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/defaire-le-demos/"><em>Défaire le dèmos</em></a>, elle montre comment l’idéologie néolibérale s’est construite à travers la synthèse de pensées économiques (issues de l’<a href="https://www.cairn.info/la-nouvelle-raison-du-monde--9782707165022-page-187.htm">ordolibéralisme</a> austro-allemand et de l’École monétariste de Chicago) et sa mise en œuvre « furtive ». Pour Brown, la caractéristique principale du néolibéralisme est, non pas l’idéal concurrentiel comme logique supérieure de régulation du monde social mais, plus encore, l’idée que cette concurrence doit être produite par l’État. Dès lors, « la croissance est la raison d’État de l’État ».</p>
<p>Cela conduit alors à la diffusion progressive de la logique concurrentielle jusqu’à la gestion des affaires publiques ainsi qu’à un renforcement des autoritarismes. Ainsi, « la vie publique est réduite à la résolution de problèmes et à la mise en application de programmes – conception qui met entre parenthèse ou élimine la politique, le conflit et la délibération concernant les valeurs et les fins communes ». Plus encore, pour Wendy Brown comme pour Alain Supiot, l’idéologie néolibérale participe à un affaiblissement du droit qui se trouve lui-même soumis à des logiques économiques. <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/10/SUPIOT/58009">Pour Supiot</a> :</p>
<blockquote>
<p>« À l’État de droit (<em>rule of law</em>) est ainsi substitué le marché du droit (<em>law shopping</em>), en sorte que le droit se trouve placé sous l’égide d’un calcul d’utilité, au lieu que le calcul économique soit placé sous l’égide du droit. »</p>
</blockquote>
<h2>Une loi contre le « séparatisme » néolibéral ?</h2>
<p>Les différents travaux scientifiques cités dans cet article confortent bien la <a href="https://www.lesechos.fr/2008/07/la-fin-du-neoliberalisme-494055">conclusion de l’économiste Joseph Stiglitz</a> : « Le fondamentalisme néolibéral est une doctrine politique au service d’intérêts privés, il ne repose pas sur une théorie économique. Il est maintenant évident qu’il ne repose pas non plus sur une expérience historique. Cette leçon est le seul bénéfice à tirer de la menace qui pèse sur l’économie mondiale ». Que faire de cette leçon ? Une loi de lutte contre le « séparatisme néolibéral » ? En effet, les chercheur·e·s qui ont travaillé sur ce sujet ne manquent pas. Les quelques travaux d’éminent·e·s scientifiques, issus de disciplines diverses, nous montrent bien les risques que le néolibéralisme fait peser sur nos santés individuelles et sociales.</p>
<p>Pour le juriste, philosophe et professeur au Collège de France Alain Supiot, une voie de résolution possible se trouve dans la <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/10/SUPIOT/58009">réforme du droit du travail</a>. Face à la révolution informatique, le néolibéralisme a révélé son impuissance à offrir des normes d’organisation de la vie collective aptes à répondre aux enjeux de justice sociale et d’égalité. Le défi est alors « d’instaurer une certaine démocratie économique, sans laquelle la démocratie politique ne pourra que continuer à dépérir. » Pour cela, il invite à chercher à « conférer à chacun plus d’autonomie et de responsabilité dans la conduite de sa vie de travail, moyennant de nouvelles sécurités ».</p>
<p>Enfin, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1998/03/BOURDIEU/3609">selon le sociologue Pierre Bourdieu</a>, « c’est en réalité la permanence ou la survivance des institutions et des agents de l’ordre ancien en voie de démantèlement, et tout le travail de toutes les catégories de travailleurs sociaux, et aussi toutes les solidarités sociales, familiales ou autres, qui font que l’ordre social ne s’effondre pas dans le chaos malgré le volume croissant de la population précarisée ». Ainsi, la résistance face à l’idéologie néolibérale pourrait passer par la constitution de « collectifs orientés vers la poursuite rationnelle de fins collectivement élaborées et approuvées ».</p>
<p>Bref, comme le propose Wendy Brown et bien d’autres avant elle comme le philosophe Bertrand Russell ou le romancier Georges Orwell : un retour radical à la démocratie qui soumettrait nécessairement la rationalité marchande à une rationalité démocratique qui subordonnerait à la gouvernance par les nombres, la gouvernance par la délibération ; à la concurrence pour le profit, la confrontation des raisons pour la vérité et le bien commun.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153493/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ousama Bouiss est membre du groupe "Reliance en complexité" et consultant au sein du cabinet Hector Advisory. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Florence Rodhain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le néolibéralisme, en cherchant à accroître l’esprit de compétition tout en réduisant la sensation d’être connecté aux autres, augmente le sentiment de solitude qui peut conduire au mal-être.Ousama Bouiss, Doctorant en stratégie et théorie des organisations, Université Paris Dauphine – PSLFlorence Rodhain, Maître de Conférences HDR en Systèmes d'Information, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1554242021-02-17T19:57:20Z2021-02-17T19:57:20ZBonnes feuilles : « Idées reçues sur le Viêt Nam »<p><em>Le récent XIII<sup>e</sup> congrès du Parti communiste vietnamien, qui s’est déroulé sous le signe de la continuité et de <a href="https://theconversation.com/xiii-congres-du-parti-communiste-du-viet-nam-lart-de-ne-rien-changer-154662">l’unité</a>, a donné au parti au pouvoir l’occasion de se féliciter de la forte croissance économique du pays et de l’efficacité de sa gestion de la pandémie. Dans cet ouvrage qui <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/idees-recues-viet-nam/">vient de paraître aux éditions Le Cavalier Bleu</a>, Hiên Do Benoit, docteure en science politique de Sciences Po Paris, maître de conférences au Conservatoire national des Arts et Métiers et chercheure au Laboratoire interdisciplinaire de recherches en sciences de l’action (CNAM-LIRSA), s’intéresse à la société, à la culture ainsi qu’à l’histoire politique et économique du Viêt Nam et nous donne des clés de compréhension de cet État pas comme les autres. Nous présentons ici le chapitre qui traite de l’idée reçue selon laquelle le pays serait aujourd’hui encore pleinement communiste.</em></p>
<hr>
<p>On entend dire et voit écrire encore souvent qu’avec l’effondrement de l’Union soviétique, le Viêt Nam reste aux côtés de la Chine, de la Corée du Nord, du Laos et de Cuba le dernier observatoire du communisme.</p>
<p>Il faudrait tout d’abord se garder de confondre le communisme avec le Parti communiste (PC), effectivement <a href="https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1969_num_14_1_1755">parti unique</a> au pouvoir au Viêt Nam, un réseau tissé de 5,2 millions de membres en 2019, soit aux alentours de 5 % de la population. Mais au sein de ce régime politique monopartiste, le communisme en tant que doctrine sociale, basée sur l’abolition de la propriété individuelle et sur la mise en commun de tous les moyens de production, et tendant à substituer au régime capitaliste une forme de société égalitaire et fraternelle, est en voie de réformation complexe. Il n’est plus question aujourd’hui de parler de la lutte des classes ; l’« économie de marché suivant l’orientation socialiste » remplace officiellement l’économie planifiée et centralisée ; la propriété privée n’a jamais été aussi valorisée, en tant que moteur dans le processus de développement national. Alors, que reste-t-il du communisme et jusqu’où va le communisme vietnamien ?</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/journal-raisons-politiques-2001-3-page-37.htm">Le VIᵉ congrès</a> du Parti communiste du Viêt Nam en 1986 était bien la prise de conscience de la nécessité des « réformes » pour redresser l’économie en faillite et sortir le pays de l’hostilité, due au conflit au Cambodge, d’une bonne partie de la planète. Le choix du Viêt Nam était judicieux, au moins pour cette période-là : la volonté de maintenir l’équilibre du pouvoir, de renforcer la légitimité politique du régime allait dans le même sens que la priorité du développement économique. Un État ne peut généralement être politiquement pertinent sans bénéficier d’une situation économique saine et, corrélativement, tout effort en faveur du développement économique reste vain s’il n’est pas accompagné d’un environnement politique stable.</p>
<p>Ainsi, depuis le VI<sup>e</sup> congrès, le Parti communiste était-il prêt, non pas à remettre en cause son contrôle du pays, mais à corriger ses erreurs dans la construction du socialisme. C’est ce que son Premier ministre <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2008/06/19/vo-van-kiet-premier-ministre-vietnamien-de-1991-a-1997_1060354_3382.html">Vo Van Kiêt</a> a précisé au Forum économique mondial de <a href="https://www.cairn.info/revue-a-contrario-2003-2-page-67.htm">Davos</a> en février 1990 :</p>
<blockquote>
<p>« Rénover n’est pas faire table rase du passé, ce n’est pas non plus abandonner le socialisme, mais chercher à concevoir plus clairement un socialisme humain, perfectionné. »</p>
</blockquote>
<p>Encourageant la mobilisation politique autour des campagnes de critique et d’autocritique sans pour autant tolérer le pluralisme, les réformes de toute nature sont restées strictement contrôlées par le Parti. Le plat mijoté du renouveau ressemblait très probablement plus par son goût à une recette chinoise qu’à celle de la perestroïka russe. L’essentiel demeurait intact : le marxisme-léninisme, le centralisme démocratique, le monolithisme du régime politique. La dénomination « République socialiste » ayant été conservée, il était admis que le socialisme soviétique avait fait son temps et qu’il fallait redéfinir le socialisme.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le Vietnam en pleine mutation.</span></figcaption>
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<p>Ainsi au Viêt Nam, pour être « réformateur », on n’en demeurait pas moins fidèle au Parti, même s’il s’agissait d’un Parti qu’il fallait renouveler, moderniser, démocratiser. Il est intéressant d’observer que déjà en 1987, <a href="https://www.humanite.fr/node/6597">Nguyên Van Linh</a>, alors secrétaire général du PC, avait remis en cause la stratégie économique du « saut de l’étape capitaliste », qui était à ses yeux « irréaliste et nuisible ». Or, depuis les Luân cuong chinh tri (thèses politiques) présentées en octobre 1930 à Hongkong par Trân Phu, premier secrétaire général du Parti communiste indochinois, puis renforcées par l’économie de guerre et prolongées en 1977 par le IV<sup>e</sup> Plan, c’était cette mutation qui légitimait les fondements conceptuels du développement socialiste vietnamien. Avec les Thèses politiques, le Parti s’était donné une orientation économique proche du modèle soviétique de « développement par étapes » linéaires. Ce modèle se proposait, entre autres, de « sauter l’étape du développement capitaliste », c’est-à-dire de passer sans transition d’un mode de production « féodal » et « colonial » au mode de production « socialiste », nous rappelle l’ethno-historien Pierre-Richard Féray. S’ajoutait également à cette recette une idée-force érigée en dogme, en Asie, par Mao Zedong : placer l’idéologie au poste de commandement économique. Les réformes depuis 1986 tentaient d’inverser la tendance.</p>
<p>Le mode de pensée en politique internationale basé sur une vision du monde à travers les seuls critères idéologiques opposant socialisme et capitalisme avait longtemps suffi à permettre aux dirigeants d’obtenir une aide internationale sous la forme d’un soutien des « pays frères ». La crise de la fin des années 1980 leur a montré que les partenaires, mais aussi les critères d’éligibilité, avaient changé. Pour assurer le développement du Viêt Nam, mais aussi la pérennité du pouvoir qu’ils représentaient, les hommes de la guerre d’hier n’ont pas renoncé aux impératifs de « sécurité et d’indépendance » du pays. Ils se sont seulement efforcés pour ce faire de tenir compte du nouveau contexte afin de profiter de « conditions internationales favorables ». Si tous s’entendaient à considérer que le pragmatisme devait s’imposer, certains dirigeants semblaient penser que l’échec du socialisme n’était pas dû à la crise de la doctrine marxiste-léniniste, mais aux erreurs dans les « perceptions théoriques » et dans « l’application » du code doctrinal.</p>
<p>Visant l’industrialisation et la modernisation au service de l’objectif ultime, « un peuple prospère, un État puissant, une société équitable, démocratique et civilisée », la stratégie choisie a été formulée lors du X<sup>e</sup> congrès du Parti communiste (avril 2006) dans des termes apparemment clairs : continuer et renforcer « les réformes », perfectionner « l’économie de marché suivant l’orientation socialiste » et réussir « l’intégration économique internationale ». Précisant comme conditions premières de sa réussite une unité nationale fortement mobilisée et un environnement stable et sécurisant, cette stratégie globale, qui se concrétise par une double action à la fois interne et externe, ne va pourtant pas sans difficulté ni équivoque.</p>
<p>Comment devrait-on désormais gérer l’ouverture à la modernité et aux opportunités de développement, tout en préservant la souveraineté et l’identité nationales ? Comment faire pour ne profiter que des « points positifs » du capitalisme dans la poursuite de la construction du socialisme ? Tout en réitérant la ferme volonté vietnamienne de ne pas se laisser diluer dans la globalisation, le <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2013/10/04/le-general-giap-heros-de-l-independance-vietnamienne-est-mort_3490198_3382.html">général Vo Nguyên Giap</a> ne saurait dissimuler, dans une conversation avec l’ancien secrétaire d’État américain à la Défense Robert McNamara le 9 novembre 1995 à Ha Noi, la périlleuse épreuve de la réalité à laquelle le Viêt Nam est confronté :</p>
<blockquote>
<p>« Aujourd’hui, le Viêt Nam mène sa politique étrangère multilatérale. Il a ses propres identités culturelle et philosophique, mais son niveau technologique et de gestion économique laisse encore à désirer. Nous entendons bénéficier des précieuses connaissances et expériences de tous les pays sans pour autant mettre en cause notre culture, notre esprit d’indépendance et d’autonomie et nos traits de caractère vietnamiens. »</p>
</blockquote>
<p>En traçant les différentes étapes de ce qu’il appelle le « dialogue interculturel entre le Viêt Nam et l’Occident », <a href="https://journals.openedition.org/moussons/3002">l’intellectuel</a> Huu Ngoc révélait dans des termes encore plus précis tout l’enjeu dont les Vietnamiens devraient mesurer la portée :</p>
<blockquote>
<p>« Dans le dialogue culturel que nous menons avec l’Occident, nous ne sommes pas dans une position d’égal à égal à cause de notre niveau de développement économique […], il ne nous est nullement facile de préserver notre identité nationale. »</p>
</blockquote>
<p>Tout en s’abstenant de mettre en cause le socialisme, objectif à maintes reprises confirmé dans les documents importants du PC (XI<sup>e</sup> et XII<sup>e</sup> congrès du PC respectivement en 2011 et en 2016), on propose une sorte de pragmatisme économique qui ne vise qu’à rendre plus cohérente l’idéologie actuelle, en y injectant une forte dose de nationalisme. C’est bien à l’extérieur et par rapport à l’extérieur que le nationalisme vietnamien d’aujourd’hui trouve de nouveaux élans et de nouvelles sources d’inspiration. « Un peuple prospère », slogan qui prend l’allure de la fameuse formule « s’enrichir pour enrichir le pays », lancée par le Chinois Deng Xiaoping en janvier 1992, devient un quasi-néologisme pour exprimer le <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2004/01/21/la-construction-de-l-economie-socialiste-de-marche_349978_3234.html">patriotisme</a> dans le pays d’aujourd’hui. Le sommet symbolique en a probablement été les décisions prises lors du X<sup>e</sup> congrès du Parti communiste, qui a entériné les résultats d’un débat houleux depuis des années sur, d’un côté, la capacité et le droit de tout membre du Parti, en tant que citoyen, d’être « prospère » et de contribuer ainsi à la prospérité collective et, de l’autre, sur le possible glissement de la mise en valeur de ce droit vers le terrain du « capitalisme », contraire à la déontologie, voire à l’idéal du Parti. En tout cas, les membres du Parti communiste peuvent désormais – directement et officiellement – « faire de l’économie privée », tout en préservant « la qualité de membre du Parti et l’essence du Parti ».</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/384703/original/file-20210217-21-1xnoo5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/384703/original/file-20210217-21-1xnoo5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/384703/original/file-20210217-21-1xnoo5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1030&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/384703/original/file-20210217-21-1xnoo5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1030&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/384703/original/file-20210217-21-1xnoo5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1030&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/384703/original/file-20210217-21-1xnoo5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1294&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/384703/original/file-20210217-21-1xnoo5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1294&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/384703/original/file-20210217-21-1xnoo5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1294&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de <em>Idées reçues sur le Viêt Nam</em>, qui vient de paraître aux éditions Le Cavalier Bleu.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Editions Le Cavalier Bleu</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>En faveur d’une sécurité globale axée sur le pivot économique, l’unité nationale, le sens de la collectivité et le rôle consolidé de l’État et du Parti restent l’instrument clé pour faire barrage à ce que l’élite politique appelle « les forces hostiles » du socialisme. Citant les propos de Hô Chi Minh à l’anniversaire de la fondation du PC en février 2007, le secrétaire général Nông Duc Manh n’a pas hésité à condamner l’individualisme qui, faisant perdre l’unité nationale, était bien « nuisible aux intérêts de la révolution et du peuple ».</p>
<p>Au Viêt Nam, dit encore l’intellectuel Huu Ngoc, l’esprit communautaire, contraire à l’individualisme occidental, est « compris dans le sens d’esprit national, d’amour de la patrie ». Pour le <a href="https://www.humanite.fr/le-general-giap-stratege-de-la-liberte-est-mort">stratège</a> Vo Nguyên Giap :</p>
<blockquote>
<p>« La solidarité, le grand esprit d’unité, caractéristiques de la culture vietnamienne, ont donné à la Nation toute sa véhémente vitalité. »</p>
</blockquote>
<p>Cependant, dans ce pays où les premiers résultats économiques sont attribués aux valeurs asiatiques, qu’elles soient l’assiduité, le sens de la communauté, la stabilité de la famille, etc., certaines valeurs occidentales reconnues comme universelles y sont également jugées nécessaires. C’est alors au cours d’un séminaire international ayant pour thème « Les valeurs asiatiques et le développement du Viêt Nam dans une perspective comparative », organisé en mars 1999 à Ha Noi, que le génie vietnamien s’est particulièrement vu auréolé du savoir-faire, parce qu’il avait su garder une certaine stabilité, au-delà des « bouleversements économiques et sociaux à l’échelle internationale et nationale », non seulement « grâce au maintien partiel des valeurs traditionnelles », mais aussi « en adoptant avec mesure certaines valeurs occidentales comme droits de l’individu bien compris, démocratie, égalité des sexes, etc. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155424/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hien Do Benoit ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Viêt Nam est-il, comme on le résume souvent, un « pays communiste » ?Hien Do Benoit, Enseignante-Chercheure, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.