tag:theconversation.com,2011:/global/topics/criminalite-35315/articlescriminalité – The Conversation2024-03-20T16:00:56Ztag:theconversation.com,2011:article/2262522024-03-20T16:00:56Z2024-03-20T16:00:56ZMarseille vue de l’intérieur : une exploration de la violence urbaine<p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué et que le président de la République s'y est rendu le 19 mars 2024, annonçant <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/19/a-marseille-emmanuel-macron-annonce-plus-de-82-interpellations-dans-le-cadre-d-une-operation-sans-precedent-contre-le-trafic-de-drogue_6222863_823449.html">« une opération sans précédent »</a> pour lutter contre le trafic de drogue.
Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône.</em></p>
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<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-1-4-la-mauvaise-reputation-220875">La mauvaise réputation</a></h2>
<p>Les représentations des cités marseillaises comme lieux de violence tributaires du trafic de drogue nourrissent des imaginaires masquant d’autres formes de violences structurelles.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-2-4-des-trafics-pas-si-juteux-des-morts-complexes-220893">Des trafics pas si juteux, des morts complexes</a></h2>
<p>Il existe de profondes contradictions et ambiguïtés concernant le trafic de la drogue à Félix-Pyat, qu'il est nécessaire saisir dans son contexte social, économique, et culturel pour véritablement le comprendre.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-34-des-murs-devant-les-yeux-221139">Des murs devant les yeux</a></h2>
<p>Certains aménagements des infrastructures du territoire à Marseille peuvent être vus comme une forme de violence, dont les effets sont tout aussi insécurisants que les activités du trafic de drogue.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-44-etat-partout-etat-nulle-part-221195">État partout, État nulle part ?</a></h2>
<p>Les habitants de cités comme Félix-Pyat ne se perçoivent plus comme vivant au sein d’espaces bénéficiant d’un état de droit, mais plutôt dans des lieux d’exception devant être disciplinés et punis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226252/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark</span></em></p>À partir du quartier Félix Pyat à Marseille, deux anthropologues ont choisi de comprendre le contexte de violence au-delà du phénomène de trafic de drogue qui mine la cité phocéenne.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211392024-03-13T15:56:04Z2024-03-13T15:56:04ZMarseille : immersion dans la cité Félix-Pyat (3/4) - Des murs devant les yeux<p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué. Les médias ont été nombreux à couvrir ce <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/visuel/2024/01/12/un-mort-par-semaine-a-marseille-les-ravages-de-la-guerre-de-la-drogue_6210524_4500055.html">phénomène</a> qui semble dépasser les pouvoirs publics. Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône. L’une de ses caractéristiques : un parc urbain défaillant et dangereux.</em></p>
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<p>La violence du trafic de la drogue est souvent perçue comme faisant partie intégrante de la vie dans les cités de Marseille. Nous l’avons constaté un après-midi d’avril 2022, lorsque nous avons parcouru la cité avec Nadia, une femme d’une trentaine d’années qui est née et a grandi dans le quartier.</p>
<p>Pendant notre marche, elle nous a parlé de la transformation du quartier au fil des ans, et notamment <a href="https://www.calameo.com/books/007482417572bb6428aec">d’un plan de rénovation urbaine qui eut lieu entre 2001 et 2005</a>. Celui-ci avait impliqué la démolition de plusieurs bâtiments afin « d’aérer » la cité, c’est-à-dire créer des espaces ouverts entre les bâtiments construits à l’origine de manière très rapprochée, et rendre la cité architecturalement moins opprimante. Même s’il y avait eu des oppositions à cette initiative à l’époque, Nadia pensait qu’en fin de compte cela avait bien amélioré la vie quotidienne dans la cité.</p>
<p>Ceci étant dit, plusieurs endroits de la cité mettaient néanmoins Nadia mal à l’aise. Parmi ces derniers, la piste de pétanque qui, selon elle, était « un espace très masculin », mais aussi et surtout, les lieux proches des points de vente de drogue connus. Plus particulièrement, la place centrale à l’entrée du quartier qu’elle nous disait avoir peur de traverser.</p>
<p>Elle nous a notamment expliqué qu’elle l’évitait régulièrement en raison des « petits » qui y traînaient souvent. « Je préférerais qu’ils ne soient pas là », nous dit-elle, malgré le fait qu’elle les connaissait presque tous, car eux aussi étaient originaires de la cité.</p>
<h2>« les petits » et « les grands »</h2>
<p><a href="https://www.theses.fr/2022PA100107">Comme c’est le cas dans de nombreuses autres cités à Marseille et ailleurs</a>, les personnes qui participent au trafic de drogue à Félix-Pyat peuvent être catégorisées en groupe d’âge. Il y a « les petits », généralement âgés de 14 et 18 ans, et « les grands », qui ont plutôt entre 19 et 25 ans.</p>
<p>Ces groupes d’âge ont des rôles différents au sein de l’organisation du trafic – les « petits » sont des « guetteurs » ou des « rabatteurs » (qui dirigent les clients vers le point de vente), et les « grands » sont des « charbonneurs » (vendeurs), ou bien des « gérants » de point de vente.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-marseille-lespace-public-vu-par-ceux-et-celles-qui-sinjectent-des-drogues-209646">À Marseille, l’espace public vu par ceux et celles qui s’injectent des drogues</a>
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<p>Les « petits » sont très visibles dans les rues de la cité, soit individuellement, soit en groupe. Beaucoup d’habitants de Félix-Pyat – de toutes générations – nous ont dit au cours de nos recherches qu’ils étaient devenus « incontrôlables ». Ils faisaient notamment la comparaison avec quelques années auparavant, quand « ils respectaient les grands », et les habitants de la cité plus généralement.</p>
<blockquote>
<p>« Ils rendaient service… ils ne nous embêtaient pas, sauf en fumant ou en encombrant les escaliers, mais maintenant ils nous menacent », nous a raconté Noémie, une ancienne habitante qui a longtemps vécu dans de la cité et qui y revient souvent.</p>
</blockquote>
<p>Faisant explicitement écho au malaise de Nadia et Noémie, deux autres jeunes femmes de la cité âgées d’une vingtaine d’années, que nous appellerons Mariama et Jeanne, ont souligné lors d’un entretien :</p>
<blockquote>
<p>« On les connaît tous – on a grandi avec ! – mais on ne passe pas à côté d’eux. Il vaut mieux éviter… Ils sont imprévisibles et c’est dangereux… On ne sait pas ce qu’ils pensent, on ne sait pas ce qu’ils disent… Ils ne sont pas bienveillants, on va dire, et ils sont… ils s’en foutent !… Il vaut mieux prendre des distances… »</p>
</blockquote>
<p>D’autres habitants nous ont relaté souffrir des menaces et des insultes répétées. Ils nous ont dit aussi devoir périodiquement justifier leur présence dans les espaces publics de la cité.</p>
<p>Nous en avons d’ailleurs nous-mêmes fait l’expérience, lors de nos recherches. Plusieurs fois, un ou plusieurs jeunes de ce groupe de « petits » nous ont interpellé, demandant de manière menaçante ce que nous faisions là, nous disant que nous n’avions rien à faire dans la cité, ou bien nous accusant d’être des policiers et nous sommant de partir.</p>
<h2>La lettre</h2>
<p>En mai 2023, après une série de fusillades dans la cité liée à la guerre entre <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/08/17/a-marseille-la-rivalite-entre-deux-bandes-de-trafiquants-de-drogue-de-plus-en-plus-meurtriere_6185612_3224.html">deux réseaux du trafic de drogue</a> qui a ensanglanté la ville, un groupe de mères de Félix-Pyat a organisé des marches pour protester contre l’insécurité ambiante.</p>
<p>Ces marches ont été accompagnées d’une forte présence policière qui a considérablement perturbé le trafic de drogue, effrayant les clients et freinant les livraisons.</p>
<p>Après la troisième marche, la lettre suivante a été affichée un peu partout dans la cité :</p>
<p>C’est la première fois qu’une telle initiative était menée à Félix-Pyat, même si ce genre de message a déjà été observé dans d’autres cités en France. La lettre ressemblait d’ailleurs fortement à une lettre similaire qui avait été affichée en banlieue parisienne et qui a circulé sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Selon les témoignages que nous avons pu recueillir, cette lettre a marqué un tournant dans les relations avec les « jeunes du quartier ».</p>
<p>Même si certains habitants ont été choqués par sa nature menaçante – certains parlant même de la « honte » de voir « des fils menacer leurs mères » – la plupart ont jugé cette lettre de manière plus positive, soulignant que les « jeunes » s’excusaient et proposaient d’essayer de minimiser l’impact du trafic de drogue sur la vie quotidienne du quartier.</p>
<p>Aamira nous a dit, par exemple :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai rigolé pour les fautes d’orthographe… C’est un avertissement, mais ils ont aussi dit qu’il ferait un effort, c’est du donnant-donnant – les jeunes essayent de faire propre, ils respectent les parents, ils nettoient… C’est uniquement menaçant si on ne respecte pas l’avertissement. »</p>
</blockquote>
<p>Comme nous l’a dit un autre de nos interlocuteurs, Abu, « ils ont fait un effort et se sont responsabilisés ! », notant en particulier que « les jeunes » allaient tenter de « sécuriser » les rues contre les fusillades après celles ayant sévi dans Félix-Pyat au cours des derniers mois.</p>
<p>Ces derniers ont de facto placés des bennes à ordures à des points stratégiques dans les rues de la cité afin de faire office de barrage et de ralentir les voitures. Même si certains habitants s’en plaignaient – notamment parce qu’il avait été stipulé de façon claire qu’ils n’avaient pas le droit de bouger ces conteneurs – beaucoup voyaient cette initiative d’un bon œil.</p>
<p>Par exemple, lors d’une conversation avec une personne travaillant pour une association locale, nous avons observé ensemble des CRS venus remettre les bennes à leur place, et celle-ci a remarqué :</p>
<blockquote>
<p>« la police nous enlève le peu de sécurité que nous avons, elle rend l’endroit ouvert aux attaques en enlevant les conteneurs ».</p>
</blockquote>
<h2>L’ambiguïté de la gouvernance criminelle</h2>
<p>Ces différents exemples illustrent bien comment le trafic de drogue impacte l’organisation urbaine de Félix-Pyat et influence la vie quotidienne des habitants de la cité, tantôt de manière négative, mais aussi parfois plus positivement (même si, bien sûr, la défense de la cité à travers la réorganisation de bennes d’ordures ne peut être vue que comme une action assez désespérée et ponctuelle…).</p>
<p>La plupart des médias ont tendance à décrire ce phénomène de <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/perspectives-on-politics/article/abs/conceptualizing-criminal-governance/0105EC32BB9F26830179CF0B16917B02">« gouvernance criminelle »</a> à Marseille comme étant uniquement dérogatoire à l’ordre public, parlant de l’émergence de <a href="https://www.laprovence.com/article/actualites/2628570/marseille-existe-t-il-des-cites-interdites.html">« cités interdites »</a>.</p>
<p>Le problème avec cette vision des choses trop étroite est qu’elle situe la dynamique d’agencement urbain des cités marseillaises comme étant uniquement liée aux impulsions d’acteurs locaux, tels que les trafiquants de drogues d’un quartier.</p>
<p>Plus particulièrement, l’idée des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ms4LVcABjiI">« cités interdites »</a> place la responsabilité de l’interdiction au sein des cités, ce qui n’est que partiellement le cas. En fait, ces actes d’agencement urbain découlent souvent d’éléments qui sont extérieurs à la cité, comme nous venons de le montrer. Dans le cas de la violence à laquelle étaient confrontés les habitants du quartier en 2023, elle était due à une guerre de réseaux de drogues plus larges que le petit trafic dans le quartier.</p>
<h2>Que deviendra le bâtiment B ?</h2>
<p>La nature problématique de ce type de représentation devient encore plus claire en se penchant sur une autre forme d’organisation des espaces urbains : les processus d’aménagement du territoire (qu’ils soient portés par des institutions étatiques ou privées).</p>
<p>La question du futur du bâtiment B à Félix-Pyat est souvent revenue dans nos conversations avec les habitants et acteurs du quartier, par exemple.</p>
<p>Plus grand immeuble de la cité – avec 20 étages, 146 appartements, et plus de 600 habitants – c’est aussi l’un des plus insalubres : les vide-ordures sont remplis à ras bord, les murs couverts de graffiti, les appartements prennent régulièrement feu, et les ascenseurs sont généralement en panne.</p>
<p>Depuis des années, il fait l’objet de rumeurs concernant sa destruction imminente. Bien que cette dernière ait été <a href="https://marsactu.fr/a-felix-pyat-la-tour-b-va-tomber/">actée par l’Agence nationale de rénovation urbaine</a> (ANRU), le déficit budgétaire du bailleur social propriétaire de la majorité des appartements, <a href="https://marsactu.fr/marseille-habitat-face-a-un-mur-de-dettes-a-cause-de-471-parkings-hors-de-prix/">Marseille Habitat</a>, ainsi que le refus par les quelques propriétaires individuels de vendre leurs appartements à des prix inférieurs au marché, empêche sa mise en œuvre.</p>
<p>Aucune information officielle n’a cependant filtré sur l’état d’avancement ou pas de la destruction auprès des habitants, comme nous avons pu le constater lors de multiples réunions organisées par divers acteurs locaux dans la cité. De nombreuses personnes y présentaient des signes d’exaspération et d’énervement.</p>
<p>Certains habitants propriétaires d’appartements dans l’édifice se demandaient s’ils seraient expropriés sans recevoir une compensation adéquate. D’autres, locataires, <a href="https://www.cairn.info/revue-negociations-2023-1-page-5.htm">s’inquiétaient à l’idée de devoir être relogés loin de la cité</a>. Tous en tout cas partageaient le sentiment que « personne ne sait rien », mais aussi que c’était une stratégie voulue afin de créer de l’incertitude et du stress, dans le but d’épuiser les habitants et de faciliter la destruction de l’édifice.</p>
<p>Ces inquiétudes concernant la destruction du bâtiment B viennent aussi s’additionner à d’autres incertitudes liées à l’initiative de rénovation urbaine baptisée <a href="https://www.euromediterranee.fr/">Euroméditerranée</a>. Lancé en 1995, ce partenariat public-privé de 7 milliards d’euros vise à <a href="https://www.theses.fr/2019EHES0135">remodeler une vaste zone</a> située immédiatement au nord du centre-ville de Marseille. Felix-Pyat ne fait pas partie de la zone, mais la borde, et constitue donc un site de développement immobilier potentiel de premier ordre.</p>
<p>Certains habitants de Félix-Pyat avec qui nous avons discuté nous ont explicitement exprimé leur anxiété – « tout le monde est stressé » – face à cette gentrification potentielle, Selim nous disant même carrément :</p>
<blockquote>
<p>« Je pense que ce quartier, il est voué à être détruit. Parce que là, le projet Euromed… il y a plein d’échos qui disent qu’il y a plein de plans différents et parmi ces plans-là, Félix-Pyat n’existe pas… Donc, je pense qu’ils veulent détruire Félix-Pyat… Enfin, le détruire pour le reconstruire et ramener d’autres personnes, en fait, d’autres, euh… on va dire d’autres catégories de personnes… »</p>
</blockquote>
<h2>Détruire le quartier pour le reconstruire</h2>
<p>Ces craintes sont devenues particulièrement apparentes autour de l’aménagement dans le cadre de l’initiative Euroméditerranée d’un espace vert, le parc Bougainville, en bordure nord de la cité Félix-Pyat. Les travaux, <a href="https://www.euromediterranee.fr/projets/parc-bougainville">prévus en deux étapes</a>, ont commencé en 2022, et dureront jusqu’en 2027. <a href="https://madeinmarseille.net/155624-parc-municipal-bougainville-ouvre-public/">Une fois terminé</a>, le parc comprendra entre autres des jardins thématiques, des espaces pour différents sports de plein air, un parc aquatique, un hectare de « prairie sauvage », une rivière réhabilitée, des jardins potagers collectifs, ainsi qu’un « jardin pédagogique ».</p>
<p>Quand le parc Bougainville sera finalisé, un grand mur le séparera de Félix-Pyat, et il n’existera qu’un seul accès au Parc à partir de la cité, comme le montre l’image ci-dessous.</p>
<p>Cette architecture particulière du côté sud du Parc contraste brutalement avec le côté nord plus ouvert, une situation que de nombreux habitants de Félix-Pyat ne manquaient pas de noter lors de nos échanges avec eux en 2022, se plaignant aussi plus généralement d’un manque de concertation avec eux. En même temps, beaucoup avaient néanmoins l’espoir que le projet leur soit bénéfique.</p>
<h2>Une clôture grillagée</h2>
<p>Des représentants de la politique de la ville avec qui nous avons effectué des entretiens en 2022 nous avaient cependant déclaré que « le parc Bougainville n’est pas prévu pour eux [<em>ndlr, les habitants de la cité Félix Pyat</em>] ». C’est donc sans surprise qu’au fur et à mesure que le projet s’est mis en place, les discours des habitants de Félix-Pyat ont évolué.</p>
<p>Lors de notre retour à la cité en 2023, presque plus personne ne parlait positivement du parc. Un nouvel élément particulièrement dérangeant pour les habitants de la cité était apparu : une grande clôture grillagée érigée au-dessus du mur séparant la cité du parc, ostensiblement afin de minimiser le jet de déchets venant des édifices bordurant le parc.</p>
<p>« C’est comme si on était des animaux qu’on met en cage » nous a commenté laconiquement une personne travaillant pour une association locale de Félix-Pyat.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La clôture grillagée. À noter que la tombée du mur de l’autre côté fait plus de 3 mètres.</span>
<span class="attribution"><span class="source">D. Rodgers, S. Jensen</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce dernier commentaire reflète bien les effets psychosociologiques négatifs que ce genre d’aménagement du territoire exclusif peut avoir. Cela peut potentiellement contribuer à la normalisation de visions ségrégationnistes de la société, et c’est pour cela que dans d’autres contextes, par exemple à <a href="https://www.jstor.org/stable/43497506">Managua</a> au Nicaragua, des initiatives de rénovation urbaine analogues à l’Euroméditerranée ont été qualifiées de « violence infrastructurelle », pour souligner comment elles peuvent être intrinsèquement oppressives.</p>
<p>Toute proportion gardée – le contexte nicaraguayen étant plus violent et autoritaire – on pourrait se demander dans quelle mesure l’aménagement des infrastructures du territoire à Marseille peut lui aussi être vu dans certains cas comme une forme de violence, dont les effets sociospatiaux sont tout aussi déstabilisants que ceux des activités du trafic de la drogue.</p>
<p>Pour les habitants des cités telles que Félix-Pyat en tout cas, il s’agit de se confronter à un autre type de stress émotionnel qui ne fait que renforcer leur sentiment d’isolation et de mise à l’écart.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221139/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark
</span></em></p>Certains aménagements des infrastructures du territoire à Marseille peuvent être vus comme une forme de violence, dont les effets sont tout aussi insécurisants que les activités du trafic de drogue.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2208752024-03-11T16:14:07Z2024-03-11T16:14:07ZMarseille : immersion dans la cité Félix-Pyat (1/4) – La mauvaise réputation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/572905/original/file-20240201-15-ld5s43.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C28%2C6287%2C3416&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Grands ensembles à Félix Pyat, Marseille, 3e arrondissement, 2021.
</span> <span class="attribution"><span class="source">D.Rodgers & S. Jensen</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué. Les médias ont été nombreux à couvrir ce <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/visuel/2024/01/12/un-mort-par-semaine-a-marseille-les-ravages-de-la-guerre-de-la-drogue_6210524_4500055.html">phénomène</a> qui semble dépasser les pouvoirs publics. Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Une image difficile à déconstruire mais qui masque aussi des violences structurelles tenaces.</em></p>
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<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le film <em>BAC Nord</em>, sorti en 2021.</span>
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<p>Une course-poursuite s’engage entre policiers et trafiquants de drogues. Trois agents de la Brigade anticriminalité (BAC) de Marseille s’engouffrent dans une cité afin d’y kidnapper un trafiquant, puis s’échappent en franchissant une barricade de deux mètres de haut, poursuivis par une horde de jeunes hommes cagoulés et armés sur des motos, tout en faisant face à une véritable pluie de détritus jetés depuis les tours environnantes par les habitants hostiles de la cité. Cette scène rocambolesque ouvre le film Bac Nord. Sorti en salle en 2021, il traite plus largement du trafic de drogue et de la corruption policière à Marseille.</p>
<p>Promu sous le label « inspiré par des faits réels », le film articule un ensemble de discours médiatiques et politiques reflétant un imaginaire violent censé caractériser Marseille. Un sujet qui a été rapidement instrumentalisé en politique comme en témoigne par exemple un <a href="https://twitter.com/MLP_officiel/status/1433132385214816278">tweet</a> de Marine Le Pen daté du 1<sup>er</sup> septembre 2021 :</p>
<blockquote>
<p>« BAC Nord : alors que le président va faire un show médiatique à <a href="https://twitter.com/hashtag/Marseille">#Marseille</a>, la réalité c’est ce film ! Allez le voir ! Prenez conscience de cette terrible réalité et de l’urgence à reprendre la main. »</p>
</blockquote>
<p>Plus récemment, le ministre de l’intérieur <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/a-marseille-gerald-darmanin-vise-uber-shit-et-les-consommateurs-de-drogues-des-beaux-quartiers-20240104">Gérald Darmanin</a> a évoqué la cité phocéenne, en mettant l’accent sur ses « points de deal » à « nettoyer » et la responsabilité des consommateurs de drogues issus des « beaux quartiers ».</p>
<h2>Des représentations symboliques violentes</h2>
<p>Il est en fait commun d’entendre des expressions telles que « Marseille, c’est Chicago », « Marseille, c’est le Far West », ou bien « Marseille, la capitale du crime français ». Comme l’ont analysé <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100397430">Cesare Mattina et Nicolas Maisetti</a>, ce genre de représentation constitue une forme de stigmatisation et de violence symbolique, au sens où elles s’inscrivent durablement dans nos schémas de perception à propos du monde d’une manière qui dépasse les statistiques.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=872&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=872&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=872&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Peut-on vraiment qualifier Marseille de « French Chicago » ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">myretroposter</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Marseille – comme d’autres villes telles que Glasgow, Naples, ou Chicago – est, dans notre imaginaire, une métropole gangrénée par la violence, <a href="https://www.laprovence.com/actu/en-direct/5159567/marseille-est-la-ville-la-plus-dangereuse-deurope-selon-un-site-americain.htm">« la plus dangereuse d’Europe »</a>, après certains médias. Pourtant, statistiquement parlant, les niveaux de violence à Marseille ne sont souvent pas plus élevés qu’à Paris. Le chercheur Laurent Mucchielli l’avait déjà souligné en 2013 dans son rapport <a href="https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/drupal_fjj/publication-print/mucchielli_marseille.pdf">« Délinquance et criminalité à Marseille : fantasmes et réalités »</a>. Et les statistiques récentes concernant les crimes et délits sur <a href="https://ville-data.com/delinquance/classement-des-villes-les-plus-dangereuses-de-france">d’autres villes françaises</a> le confirment encore : Marseille arriverait 13<sup>e</sup> derrière Paris.</p>
<p>Il faut de plus distinguer délinquance, vols avec violence armée ou non, criminalité organisée et <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/insecurite-nantes-paris-marseille-les-villes-francaises-devissent-dans-le-classement-mondial-des-villes-les-plus-sures-20220923">sentiment d’insécurité</a>, autant de critères qui <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/cartes-delinquance-a-paris-lyon-ou-marseille-les-arrondissements-centraux-ou-touristiques-sont-les-plus-cibles_5702228.html">peuvent faire varier les statistiques</a>.</p>
<p>Ainsi, les représentations de la violence à Marseille sont souvent liées à des effets de loupe ou à des distorsions, des perceptions, et des expériences très variées.</p>
<p>La scène d’ouverture du film Bac Nord est particulièrement pertinente à ce niveau là, car elle a été tournée à Félix-Pyat, une cité dans laquelle nous avons effectué un travail de terrain de sept mois entre 2021 et 2023, ce qui nous permet d’affirmer avec certitude que sa réalité quotidienne ne correspond absolument pas aux images véhiculées par le film.</p>
<h2>Du Parc Bellevue à Félix-Pyat</h2>
<p>La cité Félix-Pyat – aussi connue comme le <a href="https://recitsdevie.org/projet_au-143-rue-felix-pyat.htm">« Parc Bellevue »</a> – a été construite en copropriété entre 1958 et 1961 pour accueillir les colons Pieds-noirs revenant d’Algérie et du Protectorat français de la Tunisie. Au cours de la décennie qui a suivi la construction de la cité, une deuxième vague d’immigrants est arrivée, principalement d’Afrique du Nord. Cette population maghrébine a lentement, puis plus rapidement, remplacé les premiers habitants de la cité. Cependant, au lieu de vendre leurs appartements, beaucoup de ces derniers ont commencé à les louer aux nouveaux arrivants.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Félix Pyat, 2010.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/44359189@N08/5096826992">Catherine Champerneau/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Dès lors, un grand nombre de propriétaires, parce qu’ils n’habitaient plus à Félix-Pyat, ont cessé de payer les services et les charges de la copropriété, qui s’est lourdement endettée. Les édifices se sont peu à peu dégradés et un cercle vicieux s’est enclenché : ceux qui ont pu se le permettre ont déménagé le plus rapidement possible, alors que ceux qui sont restés étaient les plus paupérisés.</p>
<p>Dès les années 1980, la cité se caractérise par une pauvreté croissante. A partir des années 1990, l’immigration maghrébine est remplacée par les arrivées de réfugiés bosniaques et kurdes, mais aussi albanais et surtout, une nouvelle immigration comorienne. De fait, Félix-Pyat est aujourd’hui connue comme la <a href="https://www.routledge.com/The-Diaspora-of-the-Comoros-in-France-Ethnicised-Biopolitics-and-Communitarisation/Fritsch/p/book/9780367627942">« capitale des Comores »</a> à Marseille, qui concentre elle-même le plus grand nombre de Comoriens en dehors des Comores.</p>
<p>Félix-Pyat se distingue aussi par le fait que, géographiquement, c’est le soi-disant « Quartier Nord » le plus central de Marseille, située dans le III<sup>e</sup> arrondissement de la ville, dans le quartier de Saint-Mauront. La cité est donc beaucoup plus accessible depuis et vers le reste de la ville que d’autres cités plus au nord comme La Castellane ou bien Frais Vallon à l’Est.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte Google de la cité Félix Pyat dans Marseille, IIIᵉ arrondissement" src="https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte Google de la cité Félix Pyat dans Marseille, IIIᵉ arrondissement.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.com/maps/search/felix+pyat+marseille+cit%C3%A9/@43.3179808,5.3438843,13.89z?hl=fr&entry=ttu">Google maps</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 2022, nous avons mené une « enquête de ménage » – porte à porte – auprès d’un échantillon représentatif de 228 des 605 ménages que compte la cité dont les résultats seront publiés dans un livre en cours de rédaction. Notre objectif était à la fois de collecter des données socio-économiques sur la population de la cité, mais aussi à propos des perceptions concernant la violence et l’insécurité dans la cité.</p>
<p>La population de la cité est d’environ 3,500 habitants, avec un ratio moyen de 5,8 personnes par ménage, réparties dans des logements de taille variables. La population de la cité est en générale jeune ; l’âge moyen est de 28 ans. Elle se partage de manière plus ou moins égale en termes de sexes.</p>
<p>Une majorité des ménages de la cité disent s’identifier avec « la communauté comorienne » : 57 % de la population, contre 30 % s’identifiant avec « la communauté maghrébine », et 13 % s’identifiant avec une autre communauté. Notre enquête de ménage confirme aussi que Félix-Pyat reste une cité pauvre : 63 % des chefs de famille gagnent moins de 1,000 euros par mois.</p>
<p>En parallèle, Félix-Pyat concentre aussi de nombreuses organisations associatives, et il existe clairement un tissu social et culturel collectif très fort, qui se mobilise de façon visible lors des célébrations de <a href="https://www.persee.fr/doc/diasp_1637-5823_2009_num_15_1_1195">« grands mariages »</a>, autour de la religion, ou bien lors de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quipe_des_Comores_de_football_%C3%A0_la_Coupe_d%27Afrique_des_nations_2021">l’épopée sportive de l’équipe de foot des Comores à la CAN 2021</a> par exemple, quand les matchs furent projetés en plein air sur la place principale de la cité.</p>
<p>On vit, on rit, on aime, on pleure à Félix-Pyat, dont l’histoire, en fin de compte, est une « histoire plurielle et emblématique de l’évolution de la société française durant les cinq dernières décennies », comme l’ont très bien décrit Marie d’Hombres et Blandine Scherer dans leur superbe livre <a href="https://recitsdevie.org/projet_au-143-rue-felix-pyat.htm">« Au 143 rue Félix Pyat »</a>, recueillant textes, propos, et témoignages d’habitants du quartier.</p>
<h2>« Tout se passe là-bas, rien ici »</h2>
<p>Nous ne voulons pas, pour autant, minimiser ni la présence ni la violence du trafic de drogue à Félix-Pyat. Les deux y sont indéniablement manifestes. Mais compte tenu des représentations sensationnalistes qui abondent autour du phénomène, nous tenons à remarquer en premier lieu que les activités liées à la drogue sont bien plus visibles dans d’autres cités de la ville que nous avons pu visiter. Il est important de réaliser que le trafic de la drogue à Marseille est un phénomène très variable, comme cela est par ailleurs très bien décrit dans une étude sur <a href="https://theses.hal.science/tel-01955264/">« La concentration du crime et les caractéristiques de l’aménagement de l’espace urbain à Marseille »</a>.</p>
<p>Ceci étant dit, sur les murs de l’un des premiers bâtiments que l’on croise en entrant dans la cité Félix-Pyat, un graffiti suggère que « tout se passe là-bas, rien ici », avec une flèche indiquant le bâtiment suivant, où se trouverait le « charbon », c’est-à-dire un point de vente de la drogue. On voit régulièrement une clientèle variée s’y rendre pour acheter de la drogue, le plus souvent en soirée, mais aussi pendant la journée.</p>
<p>Les « guetteurs » sont aussi une présence régulière aux coins des rues de la cité, qu’ils barricadent à intervalles réguliers afin de faciliter les livraisons de drogue, tandis que plusieurs habitants nous ont raconté comment les cages d’escalier d’immeubles pouvaient aussi être barricadées pour ralentir la police en cas de descente.</p>
<p>Un interlocuteur, que nous nommerons Tarek, nous a précisé :</p>
<blockquote>
<p>« mais quand une vieille dame arrive, ils enlèvent les barricades pour qu’elle puisse passer ». Après une petite pause, il ajouta, « en fait, non, je blague. Ils ne sont pas gentils ».</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Tout se passe là-bas, rien ici. »</span>
<span class="attribution"><span class="source">D. Rodgers & S. Jensen</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il y a aussi eu plusieurs <a href="https://www.laprovence.com/article/edition-marseille/6009924/relaxe-par-la-justice-tue-a-felix-pyat.html">meurtres</a> liés au trafic de drogue dans la cité au cours des dernières années, ainsi que de multiples <a href="https://www.laprovence.com/actu/en-direct/58910306011716/marseille-des-tirs-a-felix-pyat-cette-nuit-quatre-blesses-dont-trois-graves">blessés</a>.</p>
<p>Félix-Pyat a en outre fait les titres des journaux début septembre 2023 pour un cas de <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/ce-qu-il-faut-savoir-sur-le-proces-des-agresseurs-presumes-de-l-adolescent-sequestre-et-torture-au-chalumeau-a-marseille-2835617.html">torture d’un jeune trafiquant</a> de drogue extérieur à la cité qui avait voulu y vendre indépendamment du trafic local.</p>
<h2>D’abord la saleté, la pauvreté et ensuite la peur</h2>
<p>L’angoisse des parents de jeunes dans la cité, qu’ils soient impliqués dans le trafic ou pas, était souvent palpable lors de beaucoup des entretiens que nous avons effectués.</p>
<p>Certains habitants ont aussi exprimé le sentiment plus général de « vivre avec la peur » à cause de la délinquance et du trafic de drogue, même si celle-ci variait clairement en fonction des personnes ainsi que de leur relation avec différents espaces de la cité : paradoxalement, ceux qui vivaient plus prêt d’un point de vente exprimaient moins de peur que ceux dont les appartements étaient plus éloignés, à cause vraisemblablement d’un effet de familiarisation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/serie-drogues-en-france-loin-des-cliches-204829">Série : Drogues en France, loin des clichés</a>
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<p>Beaucoup de jeunes femmes ont néanmoins souligné qu’elles évitaient de passer par certaines zones de la cité, en particulier lorsqu’elles y voyaient des attroupements de « guetteurs ». Les jeunes hommes, par contre, exprimaient plus de peur face aux risques de violence policière lors des descentes de CRS cherchant à perturber et interrompre le trafic de drogue.</p>
<p>Cependant, les résultats de notre enquête de ménage rapportent que la violence et la délinquance ne sont pas perçues comme étant le problème le plus important auquel les habitants de la cité sont confrontés au quotidien. Lors des entretiens, la « saleté », la « pauvreté », « l’état des bâtiments » et la « santé » sont des préoccupations qui sont apparues en premier comme l’indique le tableau ci-dessous.</p>
<p>Il ne fait aucun doute que la saleté est un problème réel à Félix-Pyat. Le mistral fait fréquemment voler les ordures non ramassées dans les rues de la cité, qui sont peuplées de rats et de gabians agressifs qui se battent entre eux pour les déchets alimentaires.</p>
<p>La même chose vaut pour la pauvreté : 54 % des ménages dépendent de l’assistance sociale. L’insalubrité des bâtiments de la cité est évidente et leur détérioration telle qu’elle se constate sur le plan visuel, sonore ou même olfactif. Les infrastructures de la cité – routes, parcs, bâtiments scolaires – sont généralement en mauvais état, en raison du manque d’entretien. Les bâtis endommagés par les incendies fréquents – plusieurs se sont déclarés lors de notre travail de terrain – sont rarement réparés et souffrent d’un vandalisme constant.</p>
<p>Beaucoup des habitants de Félix-Pyat sont aussi clairement en mauvaise santé. Certains par exemple souffrent de maladies respiratoires pour des raisons très certainement liées aux conditions environnementales ambiantes, <a href="https://marsactu.fr/legionelle-273-habitants-dair-bel-poursuivent-leur-combat-hors-norme-au-tribunal/">comme cela a été le cas dans d’autres cités marseillaises</a>.</p>
<h2>De quelles violences parle-t-on ?</h2>
<p>Les résultats de notre enquête de ménage nous permettent donc de remettre la violence associée à la délinquance et au trafic de drogues à Félix-Pyat à sa juste place parmi d’autres préoccupations au quotidien.</p>
<p>Dans d’autres contextes, ces préoccupations auxquelles sont confrontés la population de la cité sont souvent caractérisées comme des formes de violences – la pauvreté comme de la <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520243262/pathologies-of-power">« violence structurelle »</a>, le délabrement des bâtiments et espaces publics comme de la <a href="https://www.jstor.org/stable/43497507">« violence infrastructurelle »</a>, ou bien la saleté comme de la <a href="https://global.oup.com/academic/product/flammable-9780195372939">« violence environnementale »</a> – qui s’enchevêtrent et se renforcent.</p>
<p>À Félix-Pyat également, ces phénomènes s’auto-alimentent et créent un environnement qui impacte de manière systémique la vie quotidienne de la population de la cité. Vu ainsi, il ne suffit pas de décrire Félix-Pyat comme une cité violente du fait du trafic de drogue pour comprendre – encore moins résoudre – quoi que ce soit. Au contraire, ce constat peut masquer – et potentiellement légitimer – la situation plus large d’oppression structurelle dans laquelle vivent ses habitants, et dont les dynamiques dépassent le seul contexte de la cité.</p>
<p>Il nous parait dès lors opportun de mobiliser une autre notion de violence pour penser à la manière dont la situation globale dans les cités telles que Félix-Pyat est perçue, qui est celle de la violence « épistémique », mise en avant par <a href="https://monoskop.org/images/b/b7/Foucault_Michel_L_archeologie_du_savoir.pdf">Michel Foucault</a>.</p>
<p>Celle-ci caractérise une forme de violence à travers laquelle est imposée une <em>épistémè</em>, ou autrement dit, des règles de production du savoir qui déterminent les limites de nos connaissances. La violence épistémique fonctionne donc en imposant un cadre de pensée préétabli, dans le cas présent en focalisant le regard sur certains processus comme des formes de violences au détriment d’autres.</p>
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<figcaption><span class="caption">Visite de Félix Pyat : quartier défavorisé de Marseille (avec le rappeur Yassta) par le reporter GabMorrison, YouTube, 2022.</span></figcaption>
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<p>Appréhender la violence dans les cités de Marseille uniquement à partir de la violence liée au trafic de drogue et limiter son analyse à l’échelle des cités constituent donc une violence épistémique qui empêche de réfléchir autrement.</p>
<p>Afin de la contrecarrer, nous avons clairement besoin d’un nouveau vocabulaire concernant la violence. Il faudrait en particulier parler de violences au pluriel, pour nous permettre de montrer la nature systémique du phénomène, mais aussi de comparer les effets de différentes formes de violence.</p>
<p>Ce n’est qu’en élargissant notre regard et en analysant ensemble plutôt que séparément différentes violences que nous pourrons faire place à de nouvelles idées et changer l’optique des discussions contemporaines concernant la violence dans les cités de Marseille, qui va bien au-delà de la criminalité et la délinquance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220875/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark </span></em></p>Les représentations des cités marseillaises comme lieux de violence tributaires du trafic de drogue nourrissent des imaginaires masquant d’autres formes de violences structurelles.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2195782023-12-14T19:05:21Z2023-12-14T19:05:21ZComment la « double peine » du projet de loi immigration renforce la confusion des pouvoirs<p>Objet de la crise politique majeure de cette fin d’année, le projet de loi sur l’immigration doit être examiné en commission mixte paritaire ce 18 décembre 2023.</p>
<p>Alors que le dissensus entre le gouvernement et les parlementaires de la droite porte sur certaines mesures à haute visée symbolique (régularisation des travailleurs sans papiers dans les métiers dits « en tension », suppression de l’aide médicale de l’État, etc.), l’entente semble plus grande sur le renforcement de la « double peine ». Pourtant, ces mesures n’en sont pas moins inquiétantes pour ce qu’elles disent des rapports entre les pouvoirs exécutif et judiciaire, et plus largement du lien entre peine et expulsion.</p>
<h2>« Méchant avec les méchants »</h2>
<blockquote>
<p>« L’aménagement de peine n’est possible que pour les Français qui, sortant de prison, veulent ou doivent se réintégrer à la société française. Ce qui n’est pas la vocation de l’étranger, qui lui doit quitter le territoire ».</p>
</blockquote>
<p>La messe était dite par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, vendredi 1<sup>er</sup> décembre 2023, lors de l’examen du projet de « loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » par la commission des lois de l’Assemblée nationale.</p>
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<figcaption><span class="caption">Gérald Darmanin, 1ᵉʳ décembre 2023.</span></figcaption>
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<p>Pour anodines qu’elles paraissent, ces déclarations résument en réalité la teneur du projet politique réservé aux étrangers auteurs d’infractions, et plus largement l’ambition affichée par le ministre d’être <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/bfm-story/story-1-immigration-des-gentils-et-des-mechants-02-11_VN-202211020616.html">« méchant avec les méchants »</a>.</p>
<p>Une sévérité justifiée par une criminalité étrangère prétendument endémique, pourtant démentie tant par la <a href="http://www.cepii.fr/PDF_PUB/lettre/2023/let436.pdf">recherche</a> que par la <a href="https://www.justice.gouv.fr/condamnations">statistique pénale</a>. Cette dernière établit notamment qu’en plus de ne représenter que 16 % des condamnations, les étrangers sont dans près de 98 % des cas auteurs de délits le plus souvent liés à une plus forte précarité socio-économique.</p>
<h2>Délinquant étranger, étranger délinquant</h2>
<p>Pour s’assurer qu’à la sanction pénale suive l’expulsion – ce qu’une vaste <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/11/21/des-associations-partent-en-campagne-contre-la-double-peine_4150738_1819218.html">campagne associative</a> a popularisé comme « double peine » au début des années 2000 –, le gouvernement entend faire voter plusieurs dispositifs qui soulignent l’incompatibilité entre les objectifs du pouvoir exécutif et ceux de l’institution judiciaire. Car cette dernière ne fait, à tout le moins officiellement, aucune distinction à raison de la nationalité dans les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000029363621">fonctions de la peine</a>.</p>
<p>De façon assez inédite, est donc clairement assumée l’idée d’un dédoublement de la finalité punitive : réhabilitatrice pour les uns, relégatoire pour les autres. Ainsi s’achève la mue, déjà entamée par un empilement de normes répressives ces dernières décennies, du délinquant étranger – à réinsérer tant bien que mal – en étranger délinquant – à expulser coûte que coûte.</p>
<p>Il est, dans ce contexte, saisissant de relire Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, affirmer en <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2002-2003-extra/20031008.asp">2003</a> à l’Assemblée nationale que :</p>
<blockquote>
<p>« ce n’est pas parce qu’une personne n’a pas la nationalité française […] que ses chances de réinsertion doivent être à jamais compromises et que sa famille doit être punie avec elle. Un même délit doit entraîner une même peine pour tous, ni plus ni moins. »</p>
</blockquote>
<p>Accusé à tort d’avoir aboli la double peine, le ministre n’avait en réalité fait qu’introduire dans la loi de nouvelles catégories d’étrangers pouvant s’en prémunir. Des garanties qui, pourtant pensées pour protéger la vie privée et familiale, sont aujourd’hui menacées jusque dans leur principe même.</p>
<h2>Instrumentalisation du pénal</h2>
<p>Alors qu’existent depuis <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000319514">1981</a> une série de protections (dites « relatives » ou « quasi-absolues ») contre l’arrêté d’expulsion, étendues en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000322095">1989</a> à l’interdiction judiciaire du territoire français (ITF), la loi actuellement en vigueur prévoit qu’une partie d’entre elles (celles « relatives » en matière d’expulsion) peuvent être écartées lorsque l’étranger a été condamné à une peine de cinq années d’emprisonnement.</p>
<p>Or par une subtilité qui aura échappée au plus grand nombre, le projet de loi non seulement étend cette exception à l’ensemble des protections contre l’arrêté d’expulsion et l’ITF, mais surtout l’applique en cas de condamnation pour une infraction punie de cinq ans d’emprisonnement (ou dix ans pour les protections « quasi-absolues ») ainsi qu’en cas de violences intrafamiliales. Et ce, quel que soit la durée et le type de sanction réellement décidés par le juge au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale.</p>
<p>Cette atteinte à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000029370560">individualisation de la peine</a> est d’autant plus préoccupante que l’écart entre les peines prononcées et celles encourues est massif en matière délictuelle. Selon l’économiste <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/interview/qu-est-ce-qui-influence-prononce-des-peines-0">Arnaud Philippe</a> en effet, « les peines prononcées ne représentent en moyenne que 8 % de l’encouru, 4 % si on ne prend que la partie ferme ».</p>
<p>Pour prendre exemple sur l’ex-président de la République susmentionné, la loi autorisait la Cour d’appel de Paris à prononcer une peine de dix ans d’emprisonnement plutôt que celle de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/05/17/proces-des-ecoutes-nicolas-sarkozy-condamne-en-appel-a-trois-ans-de-prison-dont-un-an-ferme_6173682_3224.html">trois ans, dont un ferme</a>, finalement décidée.</p>
<h2>L’appel d’air de la répression</h2>
<p>Fatalement, ce passage d’un registre des peines prononcées à celui des peines encourues fait également entrer dans le spectre répressif immensément plus de personnes : en 2021, 853 étrangers ont été condamnés à cinq ans de prison (ou plus), mais plus de 30 000 pour une infraction punie d’au moins autant (contre plus de 116 000 Français). Le spectre pourrait s’étendre encore davantage en cas d’abaissement du seuil de l’encouru à trois ans (et cinq ans pour les protections « quasi-absolues »), comme l’avait décidé la commission des lois du Sénat.</p>
<p>Un terrain d’entente doit également être trouvé sur l’extension des délits permettant au juge de prononcer une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038313436">ITF</a>. Alors que le gouvernement en ajoutait trois (violences légères à l’encontre du conjoint, violences à l’encontre des forces de l’ordre, vol avec une circonstance aggravante) à une liste déjà longue de plusieurs centaines d’infractions, le Sénat a souhaité inclure tous ceux punis de trois ans ou plus d’emprisonnement. Quelle que soit l’option retenue, est encore exalté le potentiel bannissant de l’infraction et détournée la finalité de la peine.</p>
<h2>Ordre public et arbitraire</h2>
<p>La perte en puissance du pénal semble dans le même temps bénéficier à l’administration, qui verrait sa faculté de mobiliser la « menace pour l’ordre public » à l’appui d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), ouverte en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000032164264">2016</a>, encore débridée.</p>
<p>Dénuée de toute définition juridique, cette notion est laissée à la libre appréciation des préfets et présente donc un réel risque d’arbitraire. Des faits de corruption active, par exemple, pourront dans certains cas être considérés comme menaçant l’ordre public, mais pas un vol simple (ou inversement). Si sa validité constitutionnelle tient notamment à la satisfaction théorique d’une double exigence de proportionnalité et de motivation, le Conseil d’État estime pour sa part, de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007656164/">longue date</a>, que la « menace pour l’ordre public » ne peut se fonder sur la seule existence d’une condamnation pénale, mais doit prendre en compte la situation actuelle de l’individu dans sa globalité.</p>
<p>Toutefois, le caractère nébuleux de l’ordre public permet au préfet d’invoquer une telle menace de façon à la fois stéréotypée et automatisée à la moindre interaction avec la justice pénale – <a href="https://www.bondyblog.fr/societe/droit-des-etrangers-comment-la-menace-a-lordre-public-est-elle-instrumentalisee/">parfois même en l’absence d’infraction</a>. C’est ainsi qu’un <a href="https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=TA_PARIS_2023-11-03_2310732">ressortissant bangladais</a> à récemment fait l’objet d’une telle qualification suite à une peine d’un mois d’emprisonnement avec sursis pour des faits de vente à la sauvette, et d’une amende de 640€ pour conduite sans permis. Les exemples sont légion.</p>
<h2>L’OQTF détournée de son objet initial</h2>
<p>Néanmoins certains garde-fous limitaient encore un tant soit peu son usage excessif. En 1989, les protections contre l’expulsion furent également étendues à la reconduite à la frontière (<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-pieds-sur-terre/oqtf-1833900">ancêtre de l’OQTF</a>) et ne souffrent depuis d’aucune exception. Ainsi, les parents d’enfants français, les étrangers entrés en France avant 13 ans ou encore ceux gravement malades ne peuvent, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043982303">parmi d’autres</a>, jamais faire l’objet d’une OQTF – l’administration devant se retrancher sur l’arrêté d’expulsion si elle parvient à justifier une menace « grave » pour l’ordre public.</p>
<p>Le projet de loi entend désormais faire table rase de l’ensemble de ces protections (à l’exception des mineurs) au profit d’un examen global du droit au séjour de la personne.</p>
<p>Celui-ci serait réalisé lorsque le préfet envisage de prendre une OQTF, et tiendrait inévitablement compte de l’existence d’une menace pour l’ordre public (comme l’impose le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042776874">code des étrangers</a> à l’occasion d’une demande de titre de séjour). La commission mixte paritaire pourrait s’accorder sur une mention explicite à une telle menace pour écarter le bénéfice des protections. Quoi qu’il en soit, cet élément reste hautement dommageable en ce qu’il prévaut sur tous les autres : vie privée et familiale en France, situation professionnelle, durée de présence sur le territoire, etc. Et quand bien même le juge administratif restera en charge du contrôle de la légalité de l’OQTF, leur notification – qui a lieu le plus souvent en prison quelques jours avant la libération de l’étranger – continueront à se dérouler dans des conditions <a href="https://oip.org/wp-content/uploads/2017/12/rapport_oqtf_en_detention_dec_2017.pdf">peu compatibles</a> avec le droit au recours effectif, notamment les délais.</p>
<h2>Vers une double peine sans peine ?</h2>
<p>À l’arrivée, ces changements achèveraient la mutation progressive d’une mesure initialement pensée pour acter, dans des cas précis, la situation irrégulière d’un individu et permettre son éloignement, en véritable instrument discrétionnaire de répression.</p>
<p>Le même risque d’arbitraire se retrouve avec les conséquences tirées d’une violation des « principes de la République » qui seraient nouvellement introduits, et dont la qualification juridique des faits échapperait là encore à l’institution judiciaire (laquelle n’est déjà pas exempte de subjectivité).</p>
<p>Demain, l’administration pourra-t-elle, sans autre forme de procès, refuser ou retirer un titre de séjour à une personne qu’elle considère avoir bafoué les « symboles de la République » (et par suite l’expulser) ? Tout porte à le croire. Sur la base de quels critères ? De quel socle de valeurs communes ? Dit autrement, allons-nous vers une double peine sans peine ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219578/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Fischmeister est membre de la section française de l'Observatoire international des prisons et du Gisti.</span></em></p>Les mesures portant sur la « double peine » inquiètent sur ce qu'elles disent du rapport entre les pouvoirs exécutif et judiciaire, et plus largement du lien entre peine et expulsion.Julien Fischmeister, Doctorant en droit, Université Grenoble-Alpes, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2185702023-12-12T16:15:39Z2023-12-12T16:15:39ZProjet Montréal continue d’augmenter le budget de son service de police. Voici pourquoi<p>En novembre, Projet Montréal a présenté son budget pour 2024. Certains auront une impression de déjà-vu. Comme l’an dernier, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) s’apprête à dépasser son budget d’au moins <a href="http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/COMMISSIONS_PERM_V2_FR/MEDIA/DOCUMENTS/PR%C9SENTATION_SPVM_BUDGET2024_20231110.PDF">36,9 millions de dollars</a>. </p>
<p>Une fois de plus, Projet Montréal se contente de couvrir les dépenses extraordinaires du SPVM et d’augmenter son budget pour l’année à venir — tout en demandant à la Société de transport de Montréal (STM) de combler son déficit budgétaire en réduisant ses dépenses en 2024.</p>
<p>Mes recherches portent sur les politiques de sécurité publique dans les villes canadiennes. J’ai ainsi suivi l’évolution des budgets des dix plus grandes polices urbaines du Canada au cours des cinq dernières années. Les résultats de cette recherche, j’espère, permettront de placer le débat budgétaire actuel à Montréal dans un contexte plus large.</p>
<h2>De plus en plus d’argent pour la police</h2>
<p>Les largesses de Projet Montréal à l’égard de la police n’est pas nouvelle. Au cours des cinq dernières années, le SPVM a dépassé son budget de <a href="https://theconversation.com/canadian-cities-continue-to-over-invest-in-policing-217344">35,7 millions de dollars par année</a>. Au total, ce sont 178,6 millions de dollars que le SPVM s’est octroyé — une somme que la Ville aurait pu consacrer à d’autres priorités.</p>
<p>Aucune autre grande ville du Canada ne permet de tels dépassements budgétaires. Celle qui s’en rapproche le plus est Vancouver, qui tolère que son service de police excède son budget de <a href="https://theconversation.com/canadian-cities-continue-to-over-invest-in-policing-217344">2,5 millions de dollars par année</a> — soit 15 fois moins.</p>
<p>Projet Montréal a également octroyé des augmentations budgétaires sans précédent au SPVM. La majoration de 45 millions de dollars du budget du SPVM en 2022 était la plus importante de l’histoire de la Ville, jusqu’à ce que l’augmentation de 60 millions de dollars pour 2023 établisse un nouveau record. Il s’agit là aussi d’un cas unique au Canada. Depuis 2020, <a href="https://theconversation.com/canadian-cities-continue-to-over-invest-in-policing-217344">Montréal a injecté plus d’argent frais dans la police que n’importe quelle autre grande ville canadienne</a> — 35 millions de dollars de plus que Toronto, la deuxième ville la plus dépensière.</p>
<p>En octroyant au SPVM une nouvelle augmentation dans le budget municipal 2024, une somme de 35 millions de dollars, Projet Montréal continue à agir comme la division de collecte de fonds de la police.</p>
<h2>Le transport en commun, le grand perdant</h2>
<p>Ces dépenses sont difficiles à défendre, et Projet Montréal a fait très peu d’efforts pour les justifier. </p>
<p>De son côté, le SPVM fournit des excuses. Au cours des trois dernières années, il évaluait que le service <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2023-11-27/spvm/deux-fois-plus-de-temps-supplementaire-que-prevu-en-2023.php">manquait d’effectifs et devait recourir aux heures supplémentaires</a> (beaucoup plus coûteuses) pour combler le manque de ressources. Pourtant, Montréal est la ville qui compte déjà le <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2020001/article/00015-fra.htm">plus de policiers par habitant au Canada</a>. D’autres services de police (notamment celui de Toronto) accumulent <a href="https://theconversation.com/canadian-cities-continue-to-over-invest-in-policing-217344">plus d’heures supplémentaires, tout en respectant leur budget</a>.</p>
<p>Il est par ailleurs encore plus difficile d’expliquer comment le SPVM n’a pas réussi à embaucher les 124 policiers supplémentaires en 2023 — l’estimation la plus optimiste est une <a href="https://www.journaldemontreal.com/2023/12/04/spvm-enfin-une-annee-ou-le-recrutement-fonctionne">augmentation de 80 à 90 policiers</a> — mais qu’il a quand même dépassé son budget et veut maintenant une autre augmentation pour embaucher 107 policiers de plus.</p>
<p>Il est peut-être ironique que Projet Montréal prétende prioriser le transport en commun — la « ligne rose » étant l’une de ses principales promesses lors de l’élection de 2017 — alors que l’administration municipale force la STM à réduire ses dépenses et ses effectifs, tout en redistribuant au SPVM les économies ainsi réalisées. </p>
<p>En 2023, la STM a été forcée de <a href="https://montrealgazette.com/news/local-news/montreal-budget-stm-finances">réaliser 51,6 millions de dollars d’économies</a>, alors que le SPVM a été autorisé à augmenter ses dépenses de 65 millions de dollars. Au cours de la prochaine année, la STM sera forcée de <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2023-11-15/transport-collectif/la-stm-devra-supprimer-120-postes-pour-eviter-le-pire.php">réduire ses dépenses d’encore 50 millions de dollars</a>, alors que le SPVM sera autorisé à augmenter ses dépenses de 35 millions de dollars. Résultat : <a href="https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/803010/transport-collectif-bus-bondes-usagers-insatisfaits-repentigny">250 effectifs de moins pour le STM</a> et 107 de plus pour le SPVM.</p>
<h2>Des alternatives à la police</h2>
<p>On pourrait rétorquer que la sécurité publique est une dépense essentielle, car des vies sont littéralement en jeu. Mais la sécurité publique n’est pas qu’une question de police. Ce qui distingue Montréal des autres grandes villes dans son approche est son incapacité de considérer comment les investissements dans d’autres services et programmes peuvent mieux prévenir la violence, mieux répondre à certaines catégories d’appels au 911 et, en fin de compte, donner moins de travail à la police. </p>
<p>À Toronto, par exemple, le <a href="https://www.toronto.ca/wp-content/uploads/2023/01/8e71-Toronto-Community-Crisis-Service-Jan-2023-Evaluation-Reportaccessible.pdf">Community Crisis Service</a> a été lancé en 2022 comme réponse non policière aux appels d’urgence impliquant la santé mentale. Ce service fait appel à des professionnels de la santé, qui relèvent généralement de la compétence des provinces, mais est <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/toronto-community-crisis-service-report-expansion-city-council-committee-1.7007108">financé par la Ville</a> au motif qu’il permet de réduire le recours à la police. Montréal pourrait bien suivre l’exemple de Toronto, ce que le <a href="https://www.ledevoir.com/politique/montreal/772079/fady-dagher-promet-un-equilibre-entre-la-repression-et-la-prevention?">directeur du SPVM, Fady Dagher, semble soutenir</a>.</p>
<p>Fady Dagher soutient aussi, par ailleurs, les demandes de la communauté de <a href="https://journalmetro.com/actualites/montreal/3115353/le-spvm-voudrait-reduire-sa-presence-dans-les-ecoles/">retirer les policiers « socio-communautaires » des écoles</a>, où leur présence cause un sentiment d’insécurité à de nombreux élèves. La Ville pourrait saisir cette opportunité et réaffecter l’argent actuellement alloué aux « socio-comms » à des professionnels mieux outillés à répondre aux besoins des élèves. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les écoles de Toronto, d’Hamilton, d’Ottawa et de Vancouver.</p>
<p>Parmi les nombreuses questions que nous devrions poser pendant cette saison budgétaire, est celle de savoir si Projet Montréal croit que le SPVM devrait avoir un plus grand rôle dans la ville — ou si on pourrait finalement mettre un terme à son sur financement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218570/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ted Rutland a reçu des financements de Conseil de recherches en sciences humaines.</span></em></p>Le Service de police de la Ville de Montréal s’apprête à dépasser son budget encore une fois cette année. Aucune autre grande ville du Canada ne permet de tels dépassements budgétaires.Ted Rutland, Associate professor, Geography, Planning and Environment, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094292023-07-27T19:38:48Z2023-07-27T19:38:48ZLes dealers, des professionnels de la distribution comme les autres ?<p>Le trafic de drogues est-il une voie professionnelle sans issue ? Oui, si on le pense selon un cadre moral, opposant vertu et infâme. Oui, aussi, si les activités criminelles étaient improvisées et s’opposaient aux activités professionnelles, organisées et planifiées. Pourtant, à bien des égards, les <a href="https://www.emerald.com/insight/publication/issn/1746-5680/vol/15/iss/3">organisations criminelles sont comparables à beaucoup d’autres</a>. Leurs besoins opérationnels s’incarnent dans les compétences que leurs membres développent. Or, pour beaucoup d’acteurs, comme les dealers rencontrés dans le cadre d’une recherche menée au cœur de plusieurs quartiers populaires français, le cadre illicite est le seul connu.</p>
<p>Ainsi, cet interlocuteur, reprenant contact avec l’un de nous :</p>
<blockquote>
<p>Contact dealer : Salut Thomas, comment vas-tu ?</p>
<p>Moi : Très bien et toi ? Cela fait un bail… Que faisais-tu ?</p>
<p>Contact dealer : Ah, bah tu sais je suis tombé, j’étais au placard pendant quelque temps…</p>
<p>Moi : Que vas-tu faire maintenant ?</p>
<p>Contact dealer : que veux-tu que je fasse ? La « stup », je ne sais faire que ça !</p>
</blockquote>
<p>Dans ce contexte, comment transférer ces compétences dans un environnement légal ?</p>
<h2>Des compétences comme les autres dans des organisations aux mêmes besoins</h2>
<p>Dans l’imaginaire populaire, <a href="https://theconversation.com/trafic-de-stupefiants-comment-leconomie-legale-se-rend-co-responsable-208311">l’économie criminelle</a> n’est régie que par l’opportunisme : les menaces de répression judiciaire contraindraient les individus à des actions rapides, audacieuses et peu reproductibles.</p>
<p>Effectivement, les activités illégales sont majoritairement issues d’alliances de circonstances engendrées par la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0002716208330490">proximité géographique ou familiale</a>. Certains groupes, pourtant, survivent et prospèrent malgré la répression judiciaire. Ceux-là se sont transformés en organisations durables. Cette pérennité est rendue possible par des mécanismes qui accordent les <a href="https://www.researchgate.net/publication/311519626_Network_closure_and_integration_in_the_mid-20th_century_American_mafia">enjeux opposés d’efficacité et de sécurité</a>. L’efficacité suppose des communications nombreuses pour faciliter l’action. La sécurité requiert l’inverse : confidentialité, cloisonnement et faible interconnaissance sont nécessaires. Les réseaux pérennes sont donc devenus des organisations évoluées, structurées par une ligne hiérarchique et des liens d’interdépendance qui permettent la circulation d’informations, le commandement et la sécurité.</p>
<p>Les menaces de répression pèsent sur le fonctionnement de ces organisations, mais leur activité est un autre facteur organisant tout aussi important. Le trafic de drogues est un commerce. Il implique des stocks, des points de vente et des clients. Outre le caractère illicite des produits en cause, la revente de drogues est un commerce comme un autre.</p>
<p>En conséquence, les membres de ces réseaux développent des ressources communes avec celles des employés de la distribution. Gérer un stock et anticiper les besoins des clients, valoriser des produits, négocier, mettre en œuvre des actions de marketing ou mener des ventes sont parmi ces ressources. Si la revente de drogues est un commerce comme un autre, les revendeurs sont des commerçants comme les autres. Mais il est évident que les trajectoires vers l’emploi légal sont difficiles à mener.</p>
<h2>Quelle reconversion ?</h2>
<p>La participation à des activités délictueuses est rarement investie sur un mode pérenne. Elle est intrinsèquement une source de risques et de menaces pour les individus. Et, malgré les propos régulièrement avancés sur le sort enviable que pourraient connaître les délinquants dans certains territoires, les criminels demeurent stigmatisés par leurs activités.</p>
<p>La délinquance est parfois <a href="https://www.cairn.info/revue-securite-globale-2012-2-page-11.htm">excusée</a> : l’exclusion de jeunes issus de certains territoires rendrait tolérable ce qui peut s’assimiler à <a href="https://theconversation.com/se-debrouiller-face-a-une-precarite-qui-nen-finit-plus-183991">l’économie de la débrouille</a>. Mais les revendeurs de drogues ne sont pas des parrains : très en bas dans l’échelle hiérarchique, très exposés à la répression policière mais très peu protégés par leurs chefs, ils ne tirent aucun statut de leurs activités délictueuses. La question de l’évolution vers un emploi légal est un sujet de préoccupation quotidien. Et, avec elle, se pose la question du transfert des compétences.</p>
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<p>Cette question est, au fond, banale. Tout candidat est confronté au <a href="https://psycnet.apa.org/doi/10.5465/AMJ.2006.22798174">paradoxe de carrière</a>. En un mot : nul n’est candidat à son propre remplacement. Chaque poste à pourvoir est éloigné un peu ou beaucoup des ressources de ceux qui y postulent. Le rôle du candidat est donc de développer des tactiques pour convaincre le recruteur de la faiblesse de ces écarts. Celui du recruteur, réciproquement, est de s’assurer que cet écart est modeste ou, au moins, résorbable.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539062/original/file-20230724-23-mx45a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Chiffre d’affaires d’une journée de deal pour un détaillant.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Thomas Sorreda</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le cas des revendeurs est évidemment atypique. Comment faire part de ressources acquises dans des contextes illégaux ? Le paradoxe de carrière prend ici une autre forme. Le candidat peut exhiber ses expériences dans l’activité illégale ; il pourra alors se montrer compétent mais malhonnête. Il peut, à l’inverse, taire son expérience dans l’économie informelle. Il évitera d’exposer ses activités illégales et de recevoir les stigmates associés, mais il omettra des pans significatifs de ses compétences et aura peu de chances d’être recruté. Pour faire face à ce paradoxe, les individus peuvent mobiliser trois tactiques : le différemment, le contournement ou la médiation.</p>
<h2>Trois tactiques de réinsertion</h2>
<p>Le différemment correspond à une stratégie d’attente dans laquelle le revendeur va reporter son insertion professionnelle légale à une date ultérieure. Dans ce cas, l’individu attend un moment ou un moyen propice. Les activités illégales sont prolongées de semaine en semaine. Cette tactique est motivée par les opportunités de revenus et par les demandes de consommateurs qui, s’adressant à leur même contact, le maintiennent dans le trafic. Elle est surtout causée par l’absence d’alternatives : dans ce cas, le paradoxe demeure une énigme impossible à résoudre.</p>
<p>Le contournement est une pratique consistant à choisir un emploi distinct des compétences acquises dans la revente de drogues, mais dont l’accès est plus simple. L’impossibilité de prendre appui sur les ressources acquises dans l’économie illégale renvoie les individus vers d’autres acquis, plus modestes mais plus faciles à utiliser.</p>
<p>Devenir chauffeur de VTC est un parfait exemple de cette tactique : le permis de conduire est une ressource facile à obtenir ; il donne accès facilement à la licence de chauffeur et à l’affiliation aux applications qui proposent des courses. <a href="https://www.leparisien.fr/yvelines-78/yvelines-faux-vtc-mais-vrais-livreurs-d-herbe-ils-ecopent-de-deux-mois-ferme-08-06-2020-8331990.php">Ce parcours est plutôt connu des revendeurs</a> : chacun a un ami ou une connaissance qui l’a emprunté. De tels modèles permettent de résoudre le paradoxe de carrière. Mais cette tactique n’est pas sans défauts, dont la renonciation à des acquis et à un projet professionnel. Être chauffeur de VTC c’est, aussi, pouvoir stocker, transporter et livrer des substances ou des biens illicites. Le revenu modeste apporté par la conduite au regard du temps passé peut inciter à conserver quelques activités illégales.</p>
<p>La médiation correspond à un processus dans lequel une tierce partie vient négocier la relation entre un individu et un employeur. La légalité et la légitimité du tiers, qui se pose d’abord au service de l’entreprise, prend comme en relais les déficits de crédibilité des candidats. Les agences d’emploi jouent ce rôle. La contribution majeure de ces acteurs tiers ne se limite pas à être une caution. Leur expertise du marché du travail et des clés de décision des entreprises leur permet de reformuler les candidatures sous des formes acceptables et pertinentes : elle rend les candidatures conventionnelles. Ce processus est le plus efficace pour permettre l’insertion durable dans l’économie légale.</p>
<h2>Les limites de la métaphore marchande</h2>
<p>Les entreprises illégales restent une voie de recherche peu explorée du fait de la difficulté d’accès au terrain, les personnes s’adonnant à la pratique d’un commerce illégal voyant d’un mauvais œil le regard tourné vers eux par des journalistes ou des chercheurs.</p>
<p>Dans la conduite de leurs travaux, des chercheurs comme <a href="https://www.amazon.fr/Gang-Leader-Day-Sociologist-Crosses/dp/0713999934">Sudhir Venkatesh</a> ou <a href="https://www.managementtoday.co.uk/why-need-think-criminal-risk/food-for-thought/article/1461860">Bertrand Monnet</a> ont même été kidnappés. Pourtant, l’étude d’organisations situées au-delà de frontières sociales permet de caractériser ces frontières. Ici, on redécouvre les limites de la métaphore marchande pour comprendre le recrutement.</p>
<p>Trouver un emploi n’est pas marchander sa force de travail. C’est manipuler des conventions sociales en matière de force de travail. Les rhétoriques des compétences, des qualifications ou des expériences transférables sont de ces conventions qui construisent l’accès à l’emploi. Elles en sont donc, aussi, les frontières.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209429/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Outre le caractère illicite des produits en cause, la revente de drogues est un commerce comme un autre mais transférer ses compétences dans le secteur légal demeure difficile.Thomas Sorreda, Professeur de Management, EM NormandieJean Pralong, Professeur de Gestion des Ressources Humaines, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2101462023-07-24T18:35:37Z2023-07-24T18:35:37ZLa France au cœur des trafics de drogue : un regard géopolitique<p>« Narco-État » : le terme est désormais très répandu pour qualifier un territoire où de colossales sommes d’argent issues du trafic de drogue structurent l’économie criminelle. Cette formule est parfois employée pour désigner certains pays européens, y compris la <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/stupefiants-le-senat-veut-eviter-que-la-france-ne-devienne-un-narco-etat-20">France</a>, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/anvers-face-a-l-explosion-du-trafic-de-coke-5207660">Belgique</a> et les <a href="https://www.europe1.fr/international/drogue-pourquoi-les-autorites-francaises-qualifient-les-pays-bas-de-narco-etat-4177348">Pays-Bas</a>.</p>
<p>Certes, au regard des milliards d’euros produits par les entreprises, ces trois pays sont loin d’être des narco-États où tout l’appareil de production serait dédié à une activité criminelle. Il n’en demeure pas moins que le crime organisé est en plein essor en <a href="https://www.europol.europa.eu/publications-events/main-reports/socta-report">Europe</a> et en <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/18/laure-beccuau-procureure-de-paris-l-infiltration-de-nos-societes-par-les-reseaux-criminels-depasse-toutes-les-fictions_6150397_3224.html">France</a>.</p>
<p>La drogue reste le premier facteur d’accumulation de richesse du crime organisé. Quelles sont les raisons qui font de la France un pays situé au cœur de la majorité des trafics sur le continent européen ?</p>
<h2>France : augmentation continue du trafic et de la consommation</h2>
<p>Pour dresser un état des lieux du trafic de drogue, les chercheurs s’appuient sur trois indicateurs : les saisies, les surfaces de production et les enquêtes de consommation. Ces informations peuvent être croisées avec les déclarations des trafiquants qui témoignent devant les tribunaux ou dans des <a href="https://crimhalt.org/1971/06/21/truand-mes-50-ans-dans-le-milieu-corso-marseillais/">livres</a>.</p>
<p>À l’échelle mondiale, le cannabis est de loin la drogue la plus consommée, mais la consommation de cocaïne augmente de manière significative, le <a href="https://www.unodc.org/unodc/en/data-and-analysis/world-drug-report-2022.html">nombre de saisies ayant explosé dans le monde depuis 2014</a>. Le marché de l’héroïne est relativement stable, tout comme celui des drogues de synthèse. La grande nouveauté est <a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/sante-publique/lobservatoire-europeen-des-drogues-sinquiete-de-lexplosion-des-produits-de-synthese">l’essor des opioïdes de synthèse</a>.</p>
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<p>La situation de la France, notamment en <a href="https://insightcrime.org/wp-content/uploads/2023/03/2023-02-DP-BILAN-2022-LUTTE-CONTRE-LES-DROGUES.pdf">termes d’augmentation des saisies</a> (cf. tableau ci-dessous), est en cohérence avec la géopolitique mondiale des drogues.</p>
<p><iframe id="8PRr6" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/8PRr6/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ces 20 dernières années, l’offre de cocaïne s’est « démocratisée » et a fortement augmenté dans les quartiers urbains populaires comme dans les territoires ruraux. On observe une <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/thema/la-cocaine-un-marche-en-essor-evolutions-et-tendances-en-france-thema/">hausse de la consommation de cocaïne proportionnellement aux autres drogues</a>.</p>
<p>Les prix médians de toutes les drogues sont relativement stables, mais la pureté des produits est de plus en plus élevée. Le cannabis consommé aujourd’hui en France contient <a href="https://www.europe1.fr/sante/de-plus-en-plus-fort-en-thc-le-cannabis-comporte-plus-de-risques-quavant-4038196">4 à 5 fois plus de THC que celui consommé il y a 20 ans</a>. Le nombre de personnes interpellées pour trafic de stupéfiants en France est en forte augmentation depuis 20 ans (doublement de 2005 à 2009). 44 000 personnes ont été interpellées en 2020.</p>
<p>Le secteur de la drogue générerait en France environ 3 milliards d’euros de gains par an et impliquerait <a href="https://www.la-croix.com/France/La-drogue-genere-23-milliards-deuros-chiffre-daffaires-France-2016-11-02-1200800282#">240 000 personnes pour le seul trafic de cannabis</a>. Un des principaux moyens de distribution des drogues en France demeure le consommateur-revendeur. Une partie d’entre eux constituent une multitude de petits réseaux d’usagers-revendeurs qui s’approvisionnent via un trafic de « fourmis », en particulier aux Pays-Bas ou en Espagne. Le reste de la drogue consommée en France est acheminée par des réseaux criminels qui profitent de la mondialisation de l’économie.</p>
<h2>Géopolitique des drogues en France : des contraintes structurelles</h2>
<p>Produites au Sud, les drogues sont consommées au Nord. Ni la France, ni la Belgique, ni les Pays-Bas ne sont en capacité de stopper leur arrivée. Le cannabis provient avant tout du Maroc, qui est l’un des principaux producteurs de résine de cannabis au monde. Cette production est un facteur de stabilité sociale dans la région du Rif, traditionnellement rebelle, très pauvre, où le <a href="https://le-cartographe.net/m/publications/89-atlas-des-mafias">cannabis fait vivre des centaines de milliers de personnes</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538492/original/file-20230720-19-krb4te.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La culture du cannabis, une activité répandue au nord du Maroc.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://le-cartographe.net/m/publications/89-atlas-des-mafias).">Carte Fabrizio Maccaglia, Atlas des mafias, ed. Autrement, 2014, p. 47</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Si le cannabis marocain arrive si aisément en France, c’est dans une vaste mesure parce que Paris et Rabat ont des intérêts géopolitiques communs dont la préservation se fait au détriment de la lutte contre le trafic. Les forces de l’ordre sont tributaires de ces intérêts géopolitiques qu’elles ne maîtrisent pas. D’une part, une partie de l’élite politique et administrative marocaine est <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2004-1-page-63.htm">impliquée dans le trafic de drogue à travers des schémas de corruption</a> ; mais, d’autre part, le Maroc est un allié important de la France dans la <a href="https://ladepeche.mr/?p=4644">lutte contre le djihadisme</a> en Afrique du Nord et dans la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/04/20/madrid-salue-le-role-essentiel-du-maroc-en-matiere-migratoire_6170295_3212.html">lutte contre l’immigration clandestine</a>. C’est pourquoi, en dépit d’actions représsives dans les deux pays (éradication des plants de cannabis au Maroc et saisies en France), le trafic de cannabis perdure.</p>
<p>Notons également que, depuis cinq ans, le <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/749599/politique/maroc-la-nouvelle-route-de-la-cocaine/">Maroc est devenu un hub pour la cocaïne</a>, bien qu’il n’en soit pas producteur.</p>
<p>La cocaïne arrive en France par différents moyens. La voie maritime du commerce mondial demeure prégnante. La drogue voyage par conteneurs, avec la complicité de sociétés de transport ou à leur insu selon la technique du <em>rip off</em>. Les saisies de cocaïne dans le port du Havre sont passées de 2,8 tonnes en 2019 à 3,8 tonnes en 2020 puis 11 tonnes en 2021. Les ballots de cocaïne peuvent aussi être largués en mer et récupérés par des trafiquants, selon une <a href="http://www.annecoppel.fr/wp-content/uploads/1996/01/ATLAS-intro-XXIII.pdf">technique mise en place par les clans galiciens</a> dans les années 1980.</p>
<p>Aujourd’hui, <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/cocaine-les-antilles-guyane-zone-de-rebond-du-trafic-selon-un-rapport-de-l-ofdt-1380154.html">15 à 20 % du marché français de cocaïne est alimenté par la Guyane</a> et 55 % des quantités de cocaïne saisies à l’entrée en métropole <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/plus-de-la-moitie-de-la-cocaine-saisie-dans-l-hexagone-en-2022-provenait-des-antilles-guyane-1370926.html">proviennent des Antilles et de la Guyane réunies</a>. En 2021, le nombre de passeurs interpellés en Guyane a augmenté de 75 % par rapport à 2017 : 608 passeurs avaient été interpellés en 2017, pour 921 kilos saisis, contre <a href="https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/epfxco2d3.pdf">1 065 passeurs et 2 tonnes en 2021</a>. 50 passagers par avion en provenance de Kourou sont potentiellement des « mules » !</p>
<p>En outre, le trafic vers la France passe par les <a href="https://crimhalt.org/1971/06/21/crime-trafics-et-reseaux-geopolitique-de-leconomie-parallele/">zones de stockage mises en place par les trafiquants dans les années 2000</a> en Afrique subsaharienne (500 kilos saisis en 1997, 5 tonnes en 2007), puis dans les Caraïbes. Les trafiquants français installés dans les Caraïbes ont créé une « autoroute de la cocaïne par voilier » comme le démontrent les saisies de cocaïne depuis 10 ans.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538493/original/file-20230720-17-q4oxxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les zones de transit de la cocaïne dans les Caraïbes et en Afrique. Carte de Pascale Perez, dans <em>Crime trafics et réseaux</em>, Ellipes, 2012, p. 61.</span>
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<p>De nouvelles routes s’ouvrent en envoyant la cocaïne par bateau en Russie et en Ukraine. Cette cocaïne revient ensuite sur le marché occidental par camion, comme en témoignent les saisies de cocaïne impliquant des <a href="https://www.lepoint.fr/monde/un-reseau-de-cocaine-demantele-un-coup-porte-au-milieu-des-balkans-25-07-2019-2326877_24.php">organisations serbes et monténégrines</a>. La guerre actuelle semble toutefois avoir provisoirement interrompu cette route.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538494/original/file-20230720-29-3io5fn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La route « Amérique du Sud-Europe de l’Est » pour livrer la cocaine en Europe de l’Ouest. Carte Pascale Perez dans Crime trafics et réseaux, ed. Ellipes, 2012, p. 61.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>La France est également le terminal de la route de la soie… de l’héroïne. Fabriquée essentiellement en Afghanistan, l’héroïne <a href="https://espace-mondial-atlas.sciencespo.fr/fr/rubrique-strategies-des-acteurs-internationaux/carte-3C42-production-et-trafic-des-principales-drogues-(hors-cannabis)-situation-au-milieu-des-annees-2010.html">traverse toute l’Europe pour arriver en France à travers Milan puis la Suisse</a>.</p>
<p>Enfin, en ce qui concerne les drogues de synthèse, le trafic est moins documenté mais il fait l’objet d’un « trafic de fourmis », en particulier en provenance des Pays-Bas (et de la province belge du Limbourg) devenus le <a href="https://www.leparisien.fr/paris-75/ecstasy-la-viet-connection-decapitee-a-paris-apres-lincarceration-du-gros-et-une-saisie-de-120-kg-02-04-2023-IDAEDD7NPJCYBN7SSPIFSR6XK4.php">principal producteur d’ecstasy au monde</a>.</p>
<h2>La force des organisations criminelles françaises</h2>
<p>L’émergence des organisations trafiquantes des quartiers populaires est confirmée. Investies dans la vente de tous les stupéfiants soit en gros, soit en détail, elles gèrent <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/drogue/drogue-l-office-anti-stupefiants-a-permis-l-identification-de-pres-de-4000-points-de-deal-450-ont-ete-demanteles_4336949.html">4 000 grands points de deal en France</a> dans les grandes métropoles comme dans les villes moyennes.</p>
<p>Ces dernières années, on observe <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/288921.pdf">leur mainmise croissante sur le marché de la cocaïne</a>, la diversification des produits revendus dérivés du cannabis (variétés hybrides, huiles, résines, concentrés) et le recours de plus en plus fréquent aux livraisons à domicile via des « centrales d’achat » recourant aux <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/trafic-de-drogue-sur-snapchat-des-pubs-et-des-promos-comme-dans-l-economie-legale-3858056">techniques propres au marketing direct</a> (packaging, promotions, carte de fidélité…) par l’entremise des réseaux sociaux.</p>
<p>Pour protéger leur système, les coteries trafiquantes françaises n’hésitent plus désormais à <a href="https://crimhalt.org/1971/06/21/a-armes-illegales-le-trafic-darmes-a-feu-en-france/">employer des armes de guerre</a> lors des règlements de comptes. Les enlèvements et séquestrations liés au trafic de stupéfiants sont devenus une pratique courante en France : 129 en 2020, 128 en 2022, soit une fois tous les trois jours, les chiffres réels étant sans doute plus élevés, toutes les victimes ne se signalant pas au regard de leurs activités.</p>
<p>La violence systémique déjà évoquée s’accompagne parfois d’une véritable <a href="https://www.lexpress.fr/societe/une-demi-tonne-de-cannabis-dans-un-local-municipal-debut-du-proces-lundi-a-bobigny_2070266.html">force de corruption</a>. À <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/drogue/trafic-de-drogue-une-maire-normande-et-son-adjoint-mis-en-examen-pour-complicite_5299789.html">Canteleu</a>, dans la banlieue de Rouen, une bande avait acquis un tel pouvoir d’intimidation qu’elle exerçait des pressions sur la mairie afin que celle-ci ferme les yeux sur ses activités. Les affaires de <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/trafic-jusqua-deux-ans-de-prison-pour-danciens-responsables-des-douanes-coupables-de-derives-avec-un-informateur-20220929_HWNCIRGQJJGNRHDN2SJZJ6CRAI/">corruption des forces de l’ordre</a> se succèdent. Sur la corruption du personnel politique, nous manquons de données judiciaires mais des <a href="https://crimhalt.org/1971/06/21/la-france-des-caids/">sources existent</a>.</p>
<h2>Les narco-comptoirs du nouveau banditisme français</h2>
<p>Les réseaux dits « de cité » sont <a href="https://www.autrement.com/atlas-des-mafias/9782746739604">très organisés</a> et efficaces en matière de logistique. Ils ne sont plus les petites mains des anciens gangsters français, qui dépendaient de l’approvisionnement de ces derniers. Dans les années 1990/2000, les caïds des cités devaient <a href="http://www.mafias.fr/2009/11/17/etats-generaux-de-lantimafia-2009/">se rendre en Espagne</a> pour discuter avec un narco-courtier de l’ancienne génération pour obtenir du cannabis. Depuis vingt ans, les narco-bandits des cités ont acquis une <a href="https://crimhalt.org/1971/06/25/la-guerre-de-lombre-2/">dimension transnationale</a> en s’approvisionnant directement en Colombie et au Maroc, où ils sont <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/12/17/le-caid-marseillais-hakim-berrebouh-extrade-et-mis-en-examen-pour-trafic-de-drogue_6106377_3224.html">parfois propriétaires des champs de cannabis</a>.</p>
<p>Des barons français du narcotrafic sont présents à Saint-Domingue, à Dubaï ou au Maroc, et <a href="https://www.20minutes.fr/monde/3304163-20220608-maroc-baron-francais-drogue-recherche-interpol-enfin-arrete">gèrent leur trafic à distance</a>. Aujourd’hui, les cartels colombiens peuvent même envoyer des chimistes en France pour <a href="https://www.lejdd.fr/societe/info-jdd-cocaine-des-colombiens-arretes-dans-laisne-133540">reconstituer la cocaïne dans un laboratoire de fortune</a>.</p>
<p>Enfin, les narcos français scellent des alliances avec des mafias internationales, comme dans le cas de <a href="https://www.20minutes.fr/societe/1970243-20161128-reseaux-mafia-italienne-france">« joint-ventures » entre les gangs des cités et la mafia calabraise</a> ou avec des <a href="https://www.lejdd.fr/societe/info-jdd-cocaine-des-colombiens-arretes-dans-laisne-133540">cartels internationaux de la drogue</a>.</p>
<p>Ce phénomène d’alliance est favorisé par le fait que la France est aussi une terre de repli, de blanchiment et parfois de trafic de drogue pour les organisations étrangères. Par exemple, la mafia albanophone joue un rôle important dans le trafic d’héroïne, particulièrement dans la région Rhône-Alpes, <a href="https://www.ledauphine.com/faits-divers-justice/2021/06/13/pays-de-savoie-quand-les-mafias-albanaises-inventent-le-uberheroine">où elle tient 90 % du trafic d’héroïne</a>.</p>
<p>Les données analysées ici révèlent la <a href="https://www.causeur.fr/face-a-la-drogue-la-confiscation-261291">relative inefficacité du dispositif répressif en France</a>. En plus du débat sur la légalisation des drogues, une des pistes qui pourrait être privilégiée est la <a href="https://crimhalt.org/2023/06/29/crimhalt-partenaire-du-projet-rinse-research-and-information-sharing-on-freezing-and-confiscation-orders-in-european-union/">confiscation des avoirs criminels générés par le trafic</a>.</p>
<hr>
<p><em>Cet article, rédigé à l’aide de la revue de presse quotidienne du site <a href="https://crimorg.com/">crimorg.com</a> a été co-écrit avec Mehdi Ajerar, spécialiste de la géopolitique du crime organisé et du terrorisme. Mehdi Ajerar a rédigé, à l’Université Paris 8, un mémoire de géopolitique sur les représentations criminelles du trafic de drogue à Saint-Ouen à l’Université Paris 8. Il est titulaire d’un <a href="https://formation.cnam.fr/rechercher-par-discipline/master-criminologie-securite-defense-renseignement-cybermenaces-1085602.kjsp">master 2 de criminologie au CNAM</a> et membre de l’association <a href="https://crimhalt.org/">Crim’HALT</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210146/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Rizzoli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>S’il est exagéré de qualifier la France de « narco-État », le pays ne s’en trouve pas moins au cœur de nombreux trafics de drogue, celle-ci provenant aussi bien des Amériques que d’Afrique et d’Asie.Fabrice Rizzoli, Spécialiste des mafias et président de l'association Crim'HALT. Enseignant en géopolitique des criminalités., Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2009642023-03-02T20:01:05Z2023-03-02T20:01:05ZMediator : un procès dans l’indifférence, un scandale pourtant exemplaire<p>C’est dans une forme d’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/dans-le-pretoire/dans-le-pretoire-du-vendredi-24-fevrier-2023-2379071">indifférence</a> que se poursuit en appel le procès du Mediator depuis le 9 janvier 2023, si ce n’est pour dénoncer la remise récente de la Légion d’honneur à une lobbyiste des laboratoires Servier. C’est le parquet qui avait <a href="https://www.liberation.fr/societe/sante/affaire-du-mediator-le-parquet-de-paris-fait-appel-de-la-relaxe-partielle-des-laboratoires-servier-20210406_Z7WUHSFD5JBL3LTLKKD34PBDPU/">interjeté appel</a> du jugement rendu le 29 mars 2021 par le tribunal correctionnel de Paris.</p>
<p>Certes, le groupe pharmaceutique avait été reconnu coupable de « tromperie aggravée » et d’« homicides et blessures involontaires » en commercialisant un coupe-faim pour traiter le diabète en dépit du fait qu’il connaissait ses conséquences sur la santé et les risques cardio-vasculaires engendrés. La relaxe partielle pour obtention indue d’autorisation de mise sur le marché et escroquerie a néanmoins été jugée trop clémente par le procureur de la République.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1630614255471935499"}"></div></p>
<p>La salle qui accueillait auparavant le procès des attentats du 13 novembre 2015 s’est certes remplie le mardi 14 février pour l’audition de la lanceuse d’alerte Irène Frachon sans laquelle le produit continuerait peut-être toujours à faire des ravages. Les victimes se sont, elles, exprimées les jours suivants devant des bancs quasi déserts.</p>
<p>Et pourtant, l’affaire, aux dires de professionnels du secteur du médicament, tiraillés entre éthique et recherche de profit, marquerait un <a href="https://theconversation.com/soigner-la-population-ou-son-chiffre-daffaires-un-dilemme-pour-les-marketeurs-de-lindustrie-pharmaceutique-164180">tournant</a>. Discret, le procès n’en marquerait pas moins une frontière entre un avant et un après.</p>
<p>Pourquoi un tel paradoxe ? Comme le montrent nos travaux sur la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1056492615579081">criminalité en col blanc</a>, différents ressorts interviennent en fait : un crime en col blanc se trouve souvent caché et euphémisé, notamment car il s’avère bien délicat de faire la part des choses entre responsabilités individuelles et organisationnelles et car il est toujours possible de se réfugier derrière une défaillance des organismes de contrôle. Le cas du Mediator s’avère en fait une parfaite illustration des principaux enseignements de la littérature scientifique sur la question.</p>
<h2>Faillite de surveillance</h2>
<p>Le laboratoire Servier, 2<sup>e</sup> groupe pharmaceutique français, a conçu et vendu un médicament, le Mediator, de 1976 à 2009 alors que celui-ci était su toxique pour la santé au moins depuis 1995. Il aura fallu le courage d’Irène Frachon, pneumologue lanceur d’alerte, pour le dénoncer. Son ouvrage <em>Mediator 150 mg</em> avait même vu son sous-titre <em>Combien de morts ?</em> censuré un temps après un procès en référé intenté par le laboratoire.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/512963/original/file-20230301-2006-m3xm7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/512963/original/file-20230301-2006-m3xm7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512963/original/file-20230301-2006-m3xm7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=933&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512963/original/file-20230301-2006-m3xm7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=933&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512963/original/file-20230301-2006-m3xm7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=933&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512963/original/file-20230301-2006-m3xm7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1173&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512963/original/file-20230301-2006-m3xm7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1173&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512963/original/file-20230301-2006-m3xm7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1173&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Plusieurs éléments caractérisent la criminalité en col blanc. Apparaît bien souvent en premier lieu <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300033182/white-collar-crime/">l’ampleur des conséquences</a>. Durant les 33 ans de sa commercialisation, le Médiator a été prescrit à plus de 5 millions de personnes en France et aurait entraîné la mort de 1000 à 2000 personnes. Le coût pour la sécurité sociale a, lui, été chiffré à <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/05/04/01016-20110504ARTFIG00652-le-mediator-a-coute-au-moins-12-milliard-a-la-secu.php">plus d’un milliard d’euros</a>.</p>
<p>Si les conséquences sont telles, expliquent les chercheurs, c’est bien souvent en raison d’un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/9781118775004.ch11">manque de surveillance</a>. L’affaire Servier a ainsi permis de mettre en exergue les profondes déficiences des autorités françaises de contrôle. Des comparaisons avec nos voisins sont mobilisées à l’appui, ce même si un débat existe autour du retrait plus précoce du produit en Espagne et en Italie, respectivement, 2003 et 2004 : était-ce à l’<a href="https://sante.lefigaro.fr/actualite/2010/11/22/10565-2003-lespagne-retire-mediator-marche">initiative du laboratoire</a> pour en raison d’une demande insuffisante ou bien une initiative des autorités qui observaient de premiers cas de valvulopathie ?</p>
<p>Dès 2011, un <a href="https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/Synthese_MEDIATOR.pdf">rapport</a> de l’Inspection générale des Affaires sociales, ainsi que <a href="https://www.apmnews.com/documents/rapport-mission-refonte-systeme-controle-medicaments-160311.pdf">celui</a> remis au président de la République par les professeurs Bernard Debré et Philippe Even pointait une <a href="https://www.apmnews.com/documents/rapport-mission-refonte-systeme-controle-medicaments-160311.pdf#page=77">« faillite »</a> du système du système de pharmacovigilance français, et en particulier de l’Agence sanitaire des produits de santé :</p>
<blockquote>
<p>« <a href="https://www.apmnews.com/documents/rapport-mission-refonte-systeme-controle-medicaments-160311.pdf#page=48">Pourquoi</a> l’honneur d’avoir dénoncé le Mediator est-il revenu au seul Dr Frachon, finalement aidé par C. Hill et par le Dr A. Weill (suspendu pour l’avoir aidé !) et non à une agence de 1 000 personnes ? », questionnent les seconds.</p>
</blockquote>
<p>Le scandale du Médiator est bien aussi la faillite du système de pharmacovigilance français, argument mobilisé par la défense. Lors de son audition par la mission d’information parlementaire en mars 2011, le fondateur de l’entreprise, Jacques Servier (décédé depuis) rappelait déjà que son groupe disposait de toutes les autorisations nécessaires pour la commercialisation de son produit coupe-faim.</p>
<h2>Pour éviter un bis repetita</h2>
<p>Si la criminalité économique peut perdurer, c’est aussi car des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1745-9125.12206">mécanismes d’apprentissage</a> transmettent les techniques des fraudeurs, transformant alors un crime de quelques individus en <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1745-9125.1996.tb01211.x">criminalité organisationnelle</a>. Vendre un tel médicament sur une aussi longue période nécessite de fait l’implication de nombreuses personnes en interne et externe.</p>
<p>Le temps passant, les protagonistes du lancement de ce produit néfaste ont été obligés de transmettre les techniques nécessaires à cette infraction à d’autres cadres du groupe. Selon les criminologues, ils ont aussi dû leur expliquer les mobiles du groupe Servier, donner des justifications permettant de moins de sentir coupable et fournir les contacts avec les réseaux nécessaires pour faire perdurer les ventes.</p>
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<p>Cela fait que les criminels ont souvent, à tort ou à raison, un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01639625.2018.1491696">faible sentiment de culpabilité</a>. C’est sans doute en partie pour cela que le numéro 2 du groupe Servier, Jean-Philippe Seta déclarait à la cour d’appel au mois de janvier :</p>
<blockquote>
<p>« Nous nous sommes trompés dans l’évaluation du risque. Nous avons fait une erreur sévère, sérieuse, dont les conséquences ont été gravissimes pour les victimes ».</p>
</blockquote>
<p>Le laboratoire, avaient cependant estimé les <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/pharmacie-sante/mediator-retour-sur-un-scandale-sanitaire-1897243">juges</a> en première instance, « <em>disposait à partir de 1995, de suffisamment d’éléments pour prendre conscience des risques mortels</em> ». Le scandale sanitaire est ici présenté une « erreur », technique rhétorique d’euphémisation qui a pour objectif de se sentir moins coupable et d’anesthésier l’opinion et la justice.</p>
<p>C’est pourtant une réaction vigoureuse de la justice qui est maintenant nécessaire, aussi bien envers les acteurs individuels que la personne morale (le groupe Servier). L’un des premiers enseignements du père fondateur de la sociologie française, Émile Durkheim, repris maintes fois par les chercheurs, est en effet <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/de-la-division-du-travail-social--9782130619574.htm">l’importance des peines</a> pour fixer les normes acceptables de comportement dans une société.</p>
<p>Ainsi, aux États-Unis, le groupe Servier a-t-il été impliqué dans la vente d’un médicament similaire, le <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2011/06/08/dementi-de-servier-accuse-d-avoir-menti-aux-americains-pour-vendre-l-isomeride_1533361_3222.html">Redux</a>, aux effets tout aussi néfastes. En 2005, son partenaire Wyeth a été obligé de provisionner plus de <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2011/06/08/dementi-de-servier-accuse-d-avoir-menti-aux-americains-pour-vendre-l-isomeride_1533361_3222.html">20 milliards de dollars</a> pour faire face aux frais d’avocats et aux indemnisations des patients. Si la justice américaine est capable de punir justement et lourdement, pourquoi pas celle aussi de l’hexagone ?</p>
<p>Le tribunal correctionnel de Paris a condamné en 2021 le groupe Servier à 2,7 millions d’euros soit <a href="https://servier.com/wp-content/uploads/2022/08/servier-rapport-annuel-2020-21-1.pdf#page=34">0,4 % de son bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements</a>. Pour qu’un scandale du type Médiator ne survienne pas une nouvelle fois en France, il faudrait sans doute une peine plus dissuasive, à hauteur, par exemple, du bénéfice annuel de l’entreprise. Il serait souhaitable que le groupe Servier soit aussi condamné à rembourser le coût pour la sécurité sociale de ce médicament néfaste, soit plus d’un milliard. Sans peine exemplaire, il ne faudra pas s’étonner au prochain scandale sanitaire français. Une partie de notre santé future semble bien se trouver dans les mains des juges.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200964/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Venard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le procès en appel des laboratoires Servier suscite peu d’intérêt. Il présente pourtant tous les traits d’une criminalité en col blanc pour laquelle une condamnation vigoureuse semble nécessaire.Bertrand Venard, Professeur / Professor, AudenciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1943642022-11-24T22:28:25Z2022-11-24T22:28:25ZHaïti : État en faillite ou État en retrait ?<p>Le 25 septembre 2022, un cadre du ministère haïtien de l’Éducation <a href="https://rezonodwes.com/?p=291184">a été enlevé</a> du côté de Delmas (département de l’Ouest). Un mois plus tard, ce fut le tour d’un <a href="https://rezonodwes.com/?p=294866">ancien ministre de la Planification</a>. Ces deux événements ne sont pas isolés, loin de là.</p>
<p>Le kidnapping est devenu un <a href="https://www.connectas.org/especiales/violencia-secuestro-en-haiti/fr/">phénomène fréquent dans le pays</a>. Partout, les gangs gagnent du terrain, notamment dans le département de l’Ouest, où la <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/sep/18/haiti-violence-gang-rule-port-au-prince">grande criminalité</a> ainsi que la violence sous toutes ses formes sont à leur paroxysme et font quotidiennement des victimes, au premier rang desquelles les <a href="https://www.cetri.be/Haiti-%C3%89tat-des-gangs-dans-un-pays">femmes et les enfants</a>. La société est en miettes et <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/country/haiti/overview">l’extrême pauvreté</a> ne cesse de progresser.</p>
<p>Haïti est en proie à une <a href="https://onu.delegfrance.org/haiti-traverse-aujourd-hui-une-crise-tres-grave">crise totale et multiforme</a> (sociale, politique, humanitaire mais aussi symbolique), à tel point que le socio-géographe Jean-Marie Théodat qualifie le pays de <a href="https://www.jstor.org/stable/48631257">véritable « trou noir » dans la Caraïbe</a>.</p>
<p>Comment expliquer une telle descente aux enfers ? Serait-ce la résultante de l’effondrement d’un État en faillite, devenu incapable d’assumer ses fonctions régaliennes ? Ne faudrait-il pas plutôt y voir la conséquence de l’attitude d’indifférence et de retrait adoptée par un État uniquement désireux de garder par-devers soi les maigres ressources disponibles et de capter la rente issue de l’aide internationale ainsi que des transferts effectués par les <a href="https://docplayer.fr/113647923-La-raison-rentiere-monde-et-societe-alain-gilles.html">communautés diasporiques</a> ?</p>
<h2>Comment qualifier l’État haïtien ?</h2>
<p><a href="https://journals.openedition.org/cal/3093?lang=pt">« État failli »</a>, <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/letat-haitien-situation-de-faillite-economique-politique-env/00100219">« État en faillite »</a>, <a href="https://transparans.net/actualites/martisant-miroir-dun-etat-en-defaillance-totale/">« État en défaillance »</a>, telles sont – entre autres – les expressions utilisées dans les domaines du développement et de la géopolitique internationale pour qualifier l’État haïtien.</p>
<p>Les auteurs mobilisant ces cadres conceptuels s’accordent au moins sur un ensemble de caractéristiques pour définir ce type d’État : absence quasi totale de services publics, perte de contrôle du territoire, corruption généralisée. À la vérité, il ne vendrait à personne l’idée de remettre en cause le constat selon lequel l’État haïtien ne parvient pas à exercer le monopole de la violence légitime, pas plus qu’il ne réussit à s’imposer comme seul principe d’organisation du corps social sur tout le territoire national.</p>
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<p>Force est de constater toutefois que ces concepts ne sont opératoires que dans le cadre d’une approche normative de l’État, laquelle consiste à définir l’État à partir de ce qu’il devrait être, à lui attribuer des fonctions a priori, telles assurer des prérogatives internes, des fonctions de base comme la sécurité intérieure et extérieure. Une telle approche – bien que permettant de construire des indices et des classements internationaux – s’interdit de saisir les <a href="https://doi.org/10.4000/cal.3131">transformations de l’État haïtien</a> et d’avoir une compréhension nuancée de la fragilité de celui-ci.</p>
<h2>Un gouvernement humanitaire parallèle</h2>
<p>Trois facteurs expliquent, selon nous, l’attitude de retrait de l’État haïtien et, corrélativement, son manque de volonté politique.</p>
<p>D’abord, l’application, à la fin des années 1980, des plans néolibéraux qui ont contribué au démantèlement des principaux services publics stratégiques. Ce processus de privatisation s’est fait au <a href="http://www.cadtm.org/Construire-ou-reconstruire-Haiti,6647">« détriment de l’État et de l’intérêt général »</a> et c’est suite à cela que l’État, en train de s’atomiser et de se désinstitutionnaliser, commence à adopter une attitude de retrait pour mieux tirer profit de sa collusion – au détriment des masses pauperisées – avec les sociétés transnationales, telles, entre autres la société United Parcel Service (UPS), la société transnationale Monsanto, la société financière internationale (branche du groupe Banque mondiale). Le détricotage progressif des secteurs stratégiques du service public par les Plans de réajustement structurels induit en même temps des transformations et de nouveaux rapports à l’État, celui-ci fonctionnant selon la raison rentière, pour reprendre la notion du sociologue Alain Gilles.</p>
<p>Ensuite, la montée en puissance, à partir des années 1990, d’un <a href="https://doi.org/10.4000/cal.3090">« gouvernement humanitaire parallèle »</a> pousse l’État à se tenir de plus en plus en retrait par rapport à moult décisions qui devraient pourtant relever de la souveraineté nationale. Ainsi, malgré les efforts qui ont été déployés, au cours des années 1980, pour contrôler leur installation, les ONG ont fini par s’implanter comme de véritables <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/PIERREETIENNE_Sauveur/Haiti_invasion_ONG/Haiti_invasion_ONG.html">« États dans l’État »</a>. </p>
<p>En témoigne la pléthore d’ONG qui se sont implantées suite au séisme de janvier 2010, souvent à l’insu de l’État et dont certaines(par exemple l’ONG confessionnelle américaine Samarithan’s Purse), étant donné les moyens dont elles disposent, sont <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2011/01/WARGNY/20059">plus puissantes que l’État lui-même</a>. Ce « système d’action publique transnationalisé » a eu de nombreuses conséquences parmi lesquelles la recomposition de l’institution étatique et, par conséquent, une nouvelle forme de gouvernementalité.</p>
<p>Enfin, les liaisons de l’État avec les gangs depuis la fin des années 1990 – liaisons qui sont devenues de plus en plus intenses et visibles. L’exemple le plus emblématique à ce jour reste l’alliance (bien documentée) passée entre la Police nationale et la <a href="https://insightcrime.org/caribbean-organized-crime-news/g9-family-profile/">fédération de gangs « G9 en famille et alliés »</a> dans l’objectif de combattre un autre gang appelé <a href="https://www.ofpra.gouv.fr/sites/default/files/atoms/files/2109_hti_gang_400_mawozo_154025_web.pdf">« 400 Mawozo »</a> (en créole « mauvais garçons ne s’intéressant pas aux femmes »).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1591131664499245057"}"></div></p>
<p>Loin d’être une preuve de sa faiblesse ou de son absence, ces liaisons traduisent les transformations profondes d’un État patrimonial qui, après avoir atteint <a href="https://journals.openedition.org/plc/569">son paroxysme</a>, en vient à se mettre en repli sous l’effet d’une multitude d’individualités égocentriques (nantis, parlementaires, politiciens, acteurs transnationaux).</p>
<p>Celles-ci se livrent à des luttes de factions politico-économiques et constituent le plus souvent de véritables micro-États dans l’État. Plus qu’un déficit d’État, il faut y voir une forme de <a href="https://www.cairn.info/milieux-criminels-et-pouvoirs-politiques--9782811100179-page-127.htm">Shadow State</a> (au sens de William Reno), qui se résume à des jeux d’acteurs, des rivalités économiques inter-individuelles (politiciens, entrepreneurs, intermédiaires de tout poil) sur fond de violence et de grande criminalité, comme le montre l’analyse du dessous du <a href="https://lenouvelliste.com/article/238148/laboule-12-les-dessous-dun-conflit-sanglant">conflit sanglant</a> survenu du côté de Laboule 12 (Commune de Petion-Ville).</p>
<p>Dans une telle configuration, par le truchement d’une hybridation du formel et de l’informel, du licite et de l’illicite, l’État recourt de plus en plus à la <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-1998-4-page-151.htm">décharge</a> c’est-à-dire qu’il intervient par procuration, notamment dans les quartiers populaires, en déléguant aux bandits les basses besognes afin de ne pas avoir à répondre de ses actes. Le <a href="https://haitiantimes.com/2020/12/11/us-cherizier-two-ex-government-officials-sanctioned-for-plotting-la-saline-massacre/">massacre perpétré en novembre 2018 à La Saline</a> (commune de Port-au-Prince) est une illustration criante de cette stratégie d’intervention par proxy.</p>
<h2>Retrait de l’État ou État en retrait ?</h2>
<p>Examiner l’État du point de vue de son attitude permet de mieux comprendre le laisser-aller qui est le sien vis-à-vis de la société et de produire une lecture plus nuancée de sa « défaillance ».</p>
<p>Son attitude de retrait et d’indifférence, qui trouve son principe d’explication dans la mise en place d’un gouvernement transnational parallèle <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1846080/haiti-ambassades-core-group-democratie-gouvernement">(Banque mondiale, FMI, ONG, Core Group)</a> et la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2012-1-page-3.htm">redéfinition de la place de l’État dans l’action publique</a> n’est, du moins dans de nombreux cas, qu’une posture adoptée pour faire croire, selon les enjeux du moment, à sa faiblesse structurelle.</p>
<p>Car l’État sait faire preuve d’une grande capacité de négociation lorsque ses intérêts, notamment économiques, sont en jeu comme on a pu le constater dans le cas du projet du <a href="https://journals.openedition.org/cal/3131#ftn1">Parc industriel de Caracol</a> dans le département du Nord-Est, ce fameux projet financé par la Banque interaméricaine de développement (BID) à hauteur de 224 millions de dollars américains et qui devait faire d’Haïti le Taïwan de la Caraïbe.</p>
<p>Si l’État reste en retrait, c’est que l’intérêt général n’est plus sa priorité et qu’il n’a plus intérêt à se penser comme principe organisateur du monde social, même s’il lui arrive, par moments, de mobiliser des stratégies rhétoriques pour faire croire à sa neutralité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194364/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lukinson Jean ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’État haïtien, souvent présenté comme étant failli, voire inexistant, dispose en réalité de certaines capacités… qu’il n’emploie guère pour promouvoir l’intérêt général.Lukinson Jean, PhD in Social Sciences, GReSCo, Université de Limoges, LADIREP, Professor at the State University of Haiti, Université de LimogesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1924072022-11-02T19:39:04Z2022-11-02T19:39:04ZCyberattaques des hôpitaux : que veulent les hackers ?<p>Le 20 août 2022, le Centre Hospitalier Sud Francilien (CHSF) de Corbeil-Essonnes a été <a href="https://www.liberation.fr/societe/sante/hopital-pirate-en-essonne-des-hackers-russophones-revendiquent-lattaque-20220912_ZS2FG5FIM5EKVL2ORDTQFDJZ7Q/?redirected=1">victime d’une cyberattaque</a>. Pour le vice-amiral Arnaud Coustillère, chargé de la cyberdéfense française, la <a href="https://theconversation.com/comment-lutter-contre-les-cyberattaques-192346">cyberattaque</a> se définit comme « une action volontaire, offensive ou malveillante, menée au travers du cyberespace et destinée à provoquer un dommage aux informations et aux systèmes qui les traitent, pouvant ainsi nuire aux activités dont ils sont le support ».</p>
<p>De son côté, l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information <a href="https://www.ssi.gouv.fr">(ANSSI)</a> définit la cyberattaque comme « une tentative d’atteinte à des systèmes d’information réalisée dans un but malveillant. Elle peut avoir pour objectif de voler des données (secrets militaires, diplomatiques ou industriels, données personnelles bancaires, etc.), de détruire, endommager ou altérer le fonctionnement normal de systèmes d’information (dont les systèmes industriels) ».</p>
<h2>Le cas du CHU de Corbeil</h2>
<p>Dans le cas du <a href="https://www.tf1info.fr/justice-faitsdivers/cyberattaque-au-chu">CHSF de Corbeil</a>, il s’agissait de voler et chiffrer (c’est-à-dire coder) une partie des données traitées par le Centre hospitalier, ce qui a eu pour effet de bloquer le système informatique. Les cybercriminels ont ensuite exigé le paiement d’une rançon pour débloquer le système et ses ressources nécessaires au bon fonctionnement des services et à la prise en charge des patients.</p>
<p>S’en est suivie une certaine désorganisation, malgré le souci du CHU et du personnel d’assurer la pérennité des soins. Le CHSF a déposé une plainte dès le 21 août 2022 et l’enquête a été confiée au Centre de lutte contre les criminalités numériques, le service compétent de la gendarmerie nationale. Une notification de violation de données à caractère personnel a été effectuée auprès de la <a href="https://www.cnil.fr/">Commission nationale informatique et libertés</a> (CNIL) le 22 août 2022, conformément à <a href="https://gdpinfo.eu/fr/fr.article33">l’article 33</a> du Règlement général sur la protection des données.</p>
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<p>Le 12 septembre 2022, les rançonneurs ont lancé un ultimatum de diffusion en masse des données volées en exfiltrant certaines données. Le CHSF a refusé de céder au chantage. Le 23 septembre, les cybercriminels ont divulgué pour l’exemple certaines données. Ces dernières portent sur des éléments afférents à des informations d’identité, tels nom, prénom, date et lieu de naissance, genre, numéro de sécurité sociale, les données de contact, tels les adresses postales et électroniques, les coordonnées téléphoniques, les informations résultant du passage des patients dans le CHU, comptes rendus médicaux, résultats d’examens, hospitalisation, ordonnances, etc.</p>
<h2>Comment sont traitées les données sensibles ?</h2>
<p>Le premier danger résulte dans l’éventuelle divulgation de données de santé. Ces dernières sont des données à caractère personnel, et des <a href="https://www.cnil.fr/fr/definition/donneesensible">données dites sensibles</a> selon le <a href="https://www.economie.gouv.fr/entreprises/reglement.general">Règlement général sur la protection des données</a> (RGPD) européen.</p>
<p>Les données personnelles permettent d’identifier ou de rendre identifiables, directement ou indirectement, des personnes physiques. Les données sensibles sont les données relatives à l’origine ethnique, aux opinions politiques, syndicales, religieuses, philosophiques, les données de santé, afférentes à la vie sexuelle, et depuis le RGPD, les données des fichiers biométriques et génétiques.</p>
<p>Les données sensibles ne sont pas censées être stockées, et quand le stockage est autorisé pour des raisons tenant à l’intérêt général, elles ne doivent en aucun cas être cédées, à titre gracieux ou onéreux (par exemple, un parti politique possède un fichier de ses adhérents, mais la <a href="https://www.cnil.fr/fr/elections/obligations-des-partis">vente de ce fichier est un délit</a>).</p>
<p>En ce qui concerne la santé, les données sont stockées, car elles sont nécessaires aux soins, et, en période d’épidémie, à l’intérêt public ; il existe aussi une finalité gestionnaire. La non-divulgation des données de santé est fondée sur le secret professionnel des soignants et <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F530">l’obligation de discrétion</a> à laquelle sont tenus les gestionnaires de santé.</p>
<h2>La jurisprudence « Jacques Brel »</h2>
<p>La santé s’attache à l’intimité de la personne. Cette intimité est tout particulièrement protégée dans les centres hospitaliers, maillons du système social français qui ne considère pas la santé comme un bien commercial, contrairement à ce qui s’impose aux <a href="https://www.cairn.info/revue-journal-du-droit-de-la-sante-et-de-l-assurance-maladie-2018-3-page-30.htm">États-Unis</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, la divulgation des données de santé est protégée contre les intrusions, qu’il s’agisse de cyberattaques ou de photographies « dérobées » sans l’accord d’un malade.</p>
<p>Les journaux « people » ont gardé en mémoire la jurisprudence d’octobre 1978 : Jacques Brel, atteint d’un cancer en phase terminale, avait été photographié au téléobjectif sans son consentement et les clichés avaient fait l’objet d’une publication, révélant indiscrètement les ravages causés par la maladie à ce célèbre auteur-compositeur-interprète. La saisine en référé d’un tribunal avait abouti au retrait de la vente des exemplaires incriminés de <em>Paris Match</em>.</p>
<p>Le CHSF est donc particulièrement sensible à cette cyberattaque et il a informé individuellement les patients dont les données ont été prises en otage, avec communication de liens, et exemplaire d’une lettre de plainte.</p>
<h2>Le hameçonnage</h2>
<p>Une autre risque encouru par les patients dont les données sont diffusées pourrait être le <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/hameconnage">hameçonnage</a>. Le hameçonnage correspond à une usurpation d’identité. Grâce aux données personnelles indûment obtenues, un SMS ou un courriel sont envoyés à une personne physique, sous couvert d’une identité médicale ou de la Sécurité sociale, pour obtenir de nouvelles informations ou un paiement non justifié.</p>
<p>Le CHSF de Corbeil a invité ses patients à faire preuve de vigilance après cette fuite de données. Il s’agit de vérifier que l’expéditeur du message est bien légitime et en rapport avec le sujet abordé, de ne jamais fournir d’informations confidentielles, telles des données bancaires (exemple : numéro de la carte bancaire), un ou des mots de passe, de ne pas ouvrir des pièces jointes qui pourraient être piégées. Il convient aussi de suivre de près les comptes associés à un numéro de Sécurité sociale, et de changer ses mots de passe au moindre doute.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ukraine-la-guerre-se-joue-egalement-dans-le-cyberespace-178846">Ukraine : la guerre se joue également dans le cyberespace</a>
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<p>Si malgré ces recommandations, des personnes sont victimes d’escroqueries, elles sont invitées à porter plainte. La plainte sera en phase avec <a href="https://www.cybermalveillance.gouv.fr/tous-nos-contenus/actualites/violation-donnees-chsf-formulaire-lettre-plainte-electronique">l’enquête préliminaire</a> diligentée sur les instructions du Parquet de Paris, en cours au Centre de lutte contre les criminalités numériques, pour infractions d’accès et maintien dans un système de traitement automatisé de données (STAD), introduction frauduleuse de données dans un STAD, modification frauduleuse de données contenues dans un STAD, entrave au fonctionnement d’un STAD, extorsion en bande organisée et association de malfaiteurs en vue de commettre un crime ou un délit punis de cinq ans au moins d’emprisonnement.</p>
<p>Les plaignants qui se constituent partie civile pourront aussi saisir la commission d’indemnisation des victimes d’infraction, conformément aux <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038312693/">articles 706-3</a> ou 706-14 du code de procédure pénale. Ils pourront ensuite espérer obtenir réparation du préjudice subi par voie d’indemnisation, notamment en cas d’escroquerie. Rappelons que pour l’heure, les polices d’assurance civile font rarement apparaître une clause « hameçonnage ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192407/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claudine Guerrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les cybercriminels ont exigé le paiement d’une rançon pour débloquer le système informatique nécessaire au bon fonctionnement des services et à la prise en charge des patients.Claudine Guerrier, Professeur à l'Institut Mines-Télécom Business School, Institut Mines-Télécom Business School Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1867072022-07-09T06:50:01Z2022-07-09T06:50:01ZAssassinat de Shinzo Abe : une histoire de la violence politique au Japon<p>La réaction à l’attaque contre l’ancien premier ministre japonais <a href="https://www.efe.com/efe/espana/deportes/shinzo-abe-el-primer-ministro-que-rescato-los-jjoo-de-la-pandemia/10006-4847030">Shinzo Abe</a> a été marquée par le choc et l’incrédulité. Une frénésie d’analyses a suivi pour tenter de donner un sens aux événements, alors que les informations n’étaient pas encore confirmées. Jusqu’à ce que la mort de Shinzo Abe soit annoncée quelques heures plus tard.</p>
<p>À première vue, l’assassinat d’Abe nous ramène aux années 1920 et 1930, lorsque les assassinats de premiers ministres et d’anciens premiers ministres (Hara Kei, Hamaguchi Osachi, Inukai Tsuyoshi, Takahashi Korekiyo, Saitō Makoto) étaient une caractéristique de la politique japonaise. Ce fut moins le cas après la guerre avec l’avènement d’un Japon démocratique et pacifiste.</p>
<p>Dès lors, il n’est pas surprenant que de nombreux commentaires se soient étonnés d’une violence politique qualifiée de <a href="https://www.bbc.co.uk/sounds/play/m0018xjq">« presque impensable »</a> au Japon. Cependant, comme dans de nombreux autres pays, les actes de violence politiques et extrêmes ne sont pas sans précédent.</p>
<h2>Actes de violence individuels</h2>
<p>Au cours du deuxième mandat d’Abe au pouvoir (2012-2020), l’une des initiatives les plus controversées du premier ministre a été la réaffirmation du droit du Japon à l’<a href="https://muse.jhu.edu/article/646942">autodéfense collective</a>, ce qui a été interprété comme un virage vers un Japon plus militarisé. Cela a provoqué l’immolation par le feu de deux personnes en <a href="https://www.nytimes.com/2014/06/30/world/asia/japanese-protester-sets-himself-on-fire-in-tokyo.html">juin</a> et <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-asia-30015841">novembre</a> 2014 en signe de protestation. Dans le dernier cas, la personne est décédée.</p>
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<p>Lors du premier mandat d’Abe (2006-2007), le <a href="https://www.nytimes.com/2007/04/17/world/asia/17iht-nagasaki.5.5325169.html">maire de Nagasaki Itō Icchō</a> a également été abattu par un membre du <em>Yamaguchi-gumi</em>, le plus grand syndicat du crime organisé du Japon. Celui-ci était mécontent car la ville n’avait pas voulu le rembourser après des dommages faits à sa voiture sur un chantier municipal.</p>
<p>En 1990, le prédécesseur d’Itō, <a href="https://www.latimes.com/archives/la-xpm-1990-01-18-mn-323-story.html">Motoshima Hitoshi</a>, avait aussi fait l’objet d’une tentative d’assassinat ratée par un extrémiste de droite pour des commentaires publics qu’il avait faits sur la responsabilité durant la guerre de l’empereur Hirohito.</p>
<p>En 2006, la maison du politicien du Parti libéral démocrate Katō Kōichi a été la cible d’un <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2007/06/01/national/kato-home-arson-nets-rightist-eight-year-term/">incendie criminel</a> allumé par un autre extrémiste de droite en colère contre les critiques émises par Katō après la visite du premier ministre Koizumi Junichirō au sanctuaire Yasukuni. Le sanctuaire a longtemps été un symbole controversé de l’héritage de guerre du Japon.</p>
<p>Quant au <a href="https://theconversation.com/japans-most-famous-writer-committed-suicide-after-a-failed-coup-attempt-now-new-photos-add-more-layers-to-the-haunting-act-151903">coup d’État</a> raté de l’écrivain de renommée mondiale Yukio Mishima en 1970, qui a choqué le Japon, il était enraciné dans ses opinions politiques ultra-nationalistes.</p>
<p>Deux ans avant le coup d’État, Mishima avait fondé la société paramilitaire Shield Society, recrutant ses membres parmi des membres d’extrême droite qui voulaient restaurer les pouvoirs politiques de l’empereur. Mishima s’est ensuite suicidé de façon rituelle lorsque la <a href="https://www-jstor-org.sheffield.idm.oclc.org/stable/311983?seq=1">tentative de coup d’État a échoué</a>.</p>
<p>1960 a été une année tumultueuse dans l’histoire japonaise d’après-guerre à la suite de la révision du traité de sécurité entre les États-Unis et le Japon. Le propre grand-père d’Abe, <a href="https://www.japantimes.co.jp/opinion/2020/07/13/commentary/japan-commentary/assassination-attempt-nobusuke-kishi/">Kishi Nobusuke</a>, a été victime d’une tentative d’assassinat ratée en juillet de la même année.</p>
<p>Toujours en 1960, le chef du Parti socialiste japonais <a href="https://www.theguardian.com/world/2016/oct/13/inejiro-asanuma-japan-politician-assassinated-1960">Asanuma Inejirō</a> a été poignardé à mort par un étudiant ultra-nationaliste radical. Ce dernier était un critique virulent des liens du Japon avec les États-Unis et avait recherché des relations plus étroites avec les états communistes d’Asie. Une <a href="https://www.worldpressphoto.org/collection/photo-contest/1961/yasushi-nagao/1">photographie</a> de l’attaque a remporté le prix Pulitzer.</p>
<h2>Violence politique organisée</h2>
<p>Tous ces exemples représentent des actes de violence individuelle. Mais le Japon n’est pas étranger à la violence politique organisée. L’incident le plus dévastateur d’après-guerre fut sans aucun doute l’attaque au gaz sarin à Tokyo en mars 1995. Au nom d’un culte religieux, <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-asia-35975069">Aum Shinrikyō</a>, plusieurs stations de métro furent attaquées avec pour objectif affiché d’initier la fin du monde. L’agent neurotoxique a fait 14 morts et blessé plus de 1 000 personnes. Le chef de la secte, Asahara Shōkō, et plusieurs de ses leaders, ont été exécutés en 2018.</p>
<p>Au cours des années 1970 et 1980, le Japon a aussi été témoin d’un terrorisme domestique du fait d’un certain nombre de groupes révolutionnaires de gauche. Le plus célèbre d’entre eux était l’Armée rouge japonaise, qui a détourné des <a href="https://www.nytimes.com/1977/10/04/archives/japanese-hijackers-free-hostages-and-give-themselves-up-in-algiers.html">avions</a>, <a href="http://news.bbc.co.uk/1/hi/world/asia-pacific/1013172.stm">attaqué des ambassades et des entreprises</a>, <a href="https://www-tandfonline-com.sheffield.idm.oclc.org/doi/abs/10.1080/1467271042000184607">et</a> des <a href="http://news.bbc.co.uk/onthisday/hi/dates/stories/may/29/newsid_2542000/2542263.stm">civils</a>. Des affiches présentant les visages d’éminents militants de l’Armée rouge continuent d’apparaître dans les gares japonaises, et la police de Tokyo a récemment réalisé des <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2022/02/11/national/tokyo-police-video-red-army/">vidéos</a> rappelant aux gens que leurs membres sont toujours en fuite.</p>
<p>Les chiffres montrent que la <a href="https://www.theweek.co.uk/news/world-news/asia-pacific/957290/shinzo-abe-shooting-how-common-is-gun-crime-in-japan">criminalité armée est rare au Japon</a>, ce qui rend la violence politique choquante. Cela ne signifie pas pour autant, comme nous venons de le démontrer, que c’est quelque chose d’inédit.</p>
<p>L’attaque contre Shinzo Abe n’est que la dernière d’une longue série d’attaques à motivation politique. Malheureusement, le fait que les procédures pénales japonaises soient largement publiques offre au acteurs d’actes violents la possibilité de promouvoir et de propager leurs idées. D’autres évenéments similaires récents en Europe et aux États-Unis, notamment l’affaire <a href="https://www.newyorker.com/magazine/2015/05/25/the-inexplicable">Breivik</a> en Norvège, montrent que le processus judiciaire peut être détourné pour mieux pousser des agendas extrémistes. C’est un risque qui existe aussi au Japon.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186707/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le contrôle des armes à feu au Japon est très strict et les niveaux de violence sont parmi les plus bas au monde. Le pays a toutefois une longue histoire de violence politique.Hugo Dobson, Professor of Japan's International Relations, University of SheffieldKristian Magnus Hauken, Teaching Associate in East Asian Studies, University of SheffieldLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1810872022-05-01T16:45:53Z2022-05-01T16:45:53ZLe trafic d’armes, pierre angulaire de la criminalité au Mexique<p>Andrés Manuel López Obrador (gauche) a été <a href="https://www.france24.com/fr/20180628-mexique-amlo-andres-manuel-lopez-obrador-gauche-favori-presidentielle-morena">élu président du Mexique en 2018</a> à l’issue d’une campagne au cours de laquelle il avait promis à ses concitoyens de réduire significativement la <a href="http://www.scielo.org.co/scielo.php?script=sci_abstract&pid=S0121-51672019000100286&lng=en&nrm=iso&tlng=es">corruption, l’impunité et l’insécurité</a>. Des thèmes correspondant aux préoccupations des Mexicains : en septembre 2017, un sondage avait montré que <a href="https://www.pewresearch.org/global/2017/09/14/mexicans-are-downbeat-about-their-countrys-direction/">84 % d’entre eux considéraient</a> que la criminalité et la corruption étaient les principaux problèmes du pays.</p>
<p>L’une des principales stratégies de lutte contre la corruption et le crime a été résumée dans une phrase fameuse du film <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=3690.html"><em>Les Hommes du président</em></a> (1976) (consacré à l’affaire du Watergate), invitant à cesser de se concentrer sur les personnes impliquées en bout de chaîne et, plutôt, à suivre la piste de l’argent : « Follow the money ». Ce phénomène a été étudié dans de nombreux travaux, notamment consacrés aux <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-richesse-cachee-des-nations-gabriel-zucman/9782021375688">paradis fiscaux</a>.</p>
<p>S’inspirant de ce principe, la présente contribution se propose, pour mieux comprendre le <a href="https://urbanviolence.org/the-micro-geopolitics-of-organised-crime/">phénomène de la criminalité au Mexique</a>, de ne pas suivre la piste des criminels, mais des armes, puisque la quantité d’armes en circulation est directement liée à celle des homicides et autres crimes. Dans les faits, il y a plus d’homicides de civils au <a href="http://www.pbs.org/wgbh/frontline/article/the-staggering-death-toll-of-mexicos-drug-war/">Mexique qu’en Afghanistan ou en Irak</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mexique : fusils d’assaut et véhicules blindés, la démonstration de force d’un puissant cartel – Le Parisien.</span></figcaption>
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<h2>L’afflux d’armes achetées aux États-Unis</h2>
<p>En 2010, le Mexique a <a href="http://armsglobe.chromeexperiments.com/">dépensé</a> 47 878 654 USD pour importer des armes à feu militaires, civiles et munitions, dont plus de <a href="https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/16805">50 % provenaient des États-Unis (67 % des munitions)</a>. Cela représentait 0,45 % du PIB et, en 2020, le pourcentage passe à près de <a href="https://datos.bancomundial.org/indicador/MS.MIL.XPND.GD.ZS?end=2020&locations=MX&start=2000&view=chart">0,57 %</a>.</p>
<p>Cependant, il existe tout un marché invisible, facilité par les politiques étatsuniennes. Les États-Unis sont les <a href="https://www.sipri.org/media/press-release/2020/new-sipri-data-reveals-scale-chinese-arms-industry">plus grands producteurs d’armes au monde</a>, et le port d’armes y est <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2021/09/13/key-facts-about-americans-and-guns/">considéré comme un droit constitutionnel</a>. À l’inverse, le Mexique a des politiques prohibitives sur le port d’armes. Or, il existe une concentration de <a href="https://www.mcclatchydc.com/news/nation-world/world/article24726304.html">magasins d’armes</a> dans les <a href="http://fileserver.idpc.net/library/Informe%20de%20pol%C3%83%C2%ADtica%20del%20IDPC%20Mexico.pdf">États du sud des États-Unis qui bordent le Mexique</a>, bien que de récentes études montrent que ce n’est pas « toute la frontière » qui est concernée, mais plutôt certains <a href="https://www.animalpolitico.com/el-blog-de-causa-en-comun/la-venta-de-armas-en-la-frontera-sur-de-los-eu/"><em>hotspots</em> d’armes</a>. Une proportion importante des armureries étatsuniennes <a href="https://academic.oup.com/joeg/article-abstract/15/2/297/929819">dépend</a> de la demande croissante en provenance du Mexique, et 14 % des armes destinées à entrer illégalement au Mexique sont interceptées par les autorités des deux pays (12 % par les Mexicains et 2 % par les États-Uniens). En d’autres termes, le contrôle des armes à la frontière est totalement inefficace, aussi bien du côté mexicain qu’étatsunien.</p>
<p>L’une des explications de cette inefficacité tient probablement au fait que les deux gouvernements ont élaboré en 2009 une stratégie secrète appelée <a href="https://www.washingtonpost.com/investigations/us-anti-gunrunning-effort-turns-fatally-wrong/2011/07/14/gIQAH5d6YI_story.html">« Fast and furious »</a> visant à arrêter les trafiquants de drogue. Des traceurs avaient été intégrés à cette fin aux armes illégales que les trafiquants achetaient aux États-Unis et avec lesquelles ils traversaient la frontière. Le président mexicain Felipe Calderón (droite, 2006-2012) a ainsi accepté que ces armes à feu entrent au Mexique – et y fassent donc des victimes –, estimant que cela permettrait d’arrêter un certain nombre de narcotrafiquants.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le Mexique inculpe sept personnes dans le cadre de la stratégie « Fast and furious » (Fox 10 Phoenix).</span></figcaption>
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<p>Depuis le <a href="https://www.theguardian.com/news/2016/dec/08/mexico-war-on-drugs-cost-achievements-us-billions">début de la « guerre contre la drogue »</a> en 2007, les groupes trafiquants sont devenus plus violents, se sont multipliés et ont commencé à obtenir des revenus d’autres activités, si bien qu’ils ont pu être qualifiés de <a href="https://www.redalyc.org/pdf/767/76746670008.pdf">« criminels géopolitiques »</a>. Comme l’indique un <a href="https://ioangrillo.substack.com/p/who-is-really-killing-mexican-journalists?s=r">spécialiste de la criminalité organisée au Mexique</a>, les cartels se sont depuis longtemps transformés en réseaux d’affaires organisant de multiples types d’escroqueries : des fraudes financières (blanchiment d’argent ou utilisation de paradis fiscaux) au trafic de personnes (migrants), en passant par le vol de pétrole, l’extorsion de mines d’or, le très rentable trafic de médicaments ou encore, évidemment, le trafic d’armes de gros calibre.</p>
<p>La frontière entre les États-Unis et le Mexique est poreuse pour tout ce qui va vers le sud et hermétique pour tout ce qui va vers le nord. Il est vrai que les réalités sont extrêmement contrastées en termes de <a href="https://www.amazon.fr/Why-Nations-Fail-Origins-Prosperity/dp/1846684307">confiance dans les institutions</a> ou de salaires (5 dollars par jour dans l’une et 7 dollars par heure dans l’autre).</p>
<h2>Un procès qui pourrait changer la donne</h2>
<p>Si l’on replace ce phénomène dans le contexte d’un État mexicain aux faibles capacités ; d’un système judiciaire <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03503523/document">dysfonctionnel</a> ; d’une société marquée par de <a href="https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/21569">grandes inégalités et des conditions de travail épouvantables</a> ; d’une guerre contre la drogue ratée depuis 2007 ; des décennies de présence criminelle ; et de <a href="https://ioangrillo.substack.com/p/who-is-really-killing-mexican-journalists?s=r">l’incapacité de la société dans son ensemble à faire face à ces problèmes</a>, on constate sans surprise que la situation est conforme à ce que de multiples études ont révélé à l’échelle planétaire : les <a href="https://www.jstor.org/stable/10.5749/j.ctt6wr830">cellules criminelles</a> sont entretenues et reproduites par les jeunes de 16 à 24 ans défavorisés sur le plan socio-économique, <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4057578">et le Mexique ne fait pas exception</a>.</p>
<p>Cependant, depuis son élection en 2018, Andrés Manuel López Obrador n’est pas resté les bras croisés. En août 2021, le gouvernement mexicain, représenté par son ministre des Affaires étrangères Marcelo Ebrard, a intenté à Boston un procès aux fabricants d’armes Smith & Wesson, Beretta, Century Arms, Colt, Glock et Ruger, les <a href="https://www.theguardian.com/world/2011/dec/08/us-guns-mexico-drug-cartels">accusant d’être des facilitateurs d’armes pour les cartels mexicains</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1513799583167836164"}"></div></p>
<p>Un <a href="https://www.gob.mx/sre/documentos/nota-informativa-relaciones-exteriores-no-16">document officiel</a> présenté par le Mexique lors de ce procès affirme qu’entre 70 et 90 % des armes découvertes sur les scènes de crime au Mexique ont fait l’objet d’un trafic illégal depuis les États-Unis et que l’industrie étatsunienne « sait comment fabriquer et vendre des armes pour éviter ce commerce illégal », puisque son propre gouvernement lui a recommandé depuis 2001 de contrôler et de superviser la vente d’armes, ce qu’elle a refusé.</p>
<h2>L’indispensable contrôle de l’industrie américaine de l’armement</h2>
<p>Il est clair que le marché de l’armement des États-Unis a <a href="https://igarape.org.br/en/the-way-of-the-gun-estimating-firearms-traffic-across-the-us-mexico-border/">besoin de la demande mexicaine pour survivre</a>. On estime que <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/aug/04/mexico-guns-us-manufacturers-lawsuit">2,5 millions d’armes</a> sont entrées illégalement au Mexique au cours des dix dernières années : le crime organisé mexicain a donc largement contribué à la bonne santé financière de l’industrie étatsunienne des armes pendant cette décennie.</p>
<p>Les deux pays ont évidemment intérêt à ce que leurs citoyens cessent d’être tués par des armes à feu aux mains d’éléments criminels, et donc que ces armes à feu soient nettement plus contrôlées. De fait, <a href="https://edition.cnn.com/2022/02/06/us/mexico-lawsuit-us-gun-manufacturers/index.html">treize États</a> des États-Unis ont soutenu le procès du gouvernement mexicain. Parce qu’elle alimente la violence armée, la politique de commercialisation est selon eux inacceptable, y compris aux États-Unis mêmes.</p>
<p>Réduire ces flux d’armes aurait un impact évident sur le taux d’homicides au Mexique – qui <a href="https://dataunodc.un.org/content/Country-profile ?country=Mexico">atteignait en 2018</a> le scandaleux niveau de 29,1 victimes pour 100 000 habitants –, et aux États-Unis – <a href="https://worldpopulationreview.com/country-rankings/murder-rate-by-country">4,9</a>, parmi le plus élevé des pays du G7. Sans collaboration, aucune politique publique ne pourra réduire efficacement la violence, les inégalités et la criminalité dans ces deux pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181087/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jaime Aragon Falomir ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La circulation non contrôlée d’armes à feu, en provenance essentiellement des États-Unis, fait du Mexique un des pays comptant le plus d’homicides volontaires au monde. Comment y remédier ?Jaime Aragon Falomir, Maître de conférences en civilisation latino-américaine, Université des AntillesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1643362021-11-15T20:44:38Z2021-11-15T20:44:38ZUn gang new-yorkais pris dans le tourbillon de l’écriture<p>Des gangs new-yorkais on imagine et parfois fantasme les trafics, les crimes et les règlements de comptes. On pense aussi aux arrestations massives et aux politiques d’éradication de la violence urbaine, à l’image de ce qu’a connu New York au cours des années 1990 sous la houlette du maire de l’époque, Rudolph Giuliani. Récemment encore, la police new-yorkaise <a href="https://www.justice.gov/usao-sdny/pr/leader-latin-kings-set-sentenced-19-years-prison">a arrêté un chef de gang célèbre</a>, Carmelo Velez, leader des Latin Kings, un gang latino-américain notoire sur l’ensemble de la région de New York. Mais derrière ces images de violence qui collent à la peau des différents gangs américains se trouvent aussi des histoires bien plus profondes, mêlant revendications politiques, processus identitaires et quête spirituelle.</p>
<p>C’est ainsi que le gang des Los Ñetas, qui connaîtra un destin international entre Porto Rico, New York, Guayaquil et Barcelone, et que j’ai suivi pour <a href="https://www.theses.fr/2015EHES0673">mon travail de thèse</a>, a développé un véritable récit autour de son fondateur, le Portoricain Carlos Ramon Torres Iriarte, alias Carlos La Sombra.</p>
<p>C’est à la suite de l’assassinat de ce prisonnier de droit commun, proche du milieu indépendantiste portoricain, le 30 mars 1981, que le gang s’est structuré. Loin de l’image du bandit cruel et sanguinaire, Carlos incarne pour les Ñetas un modèle de vie de gangster.</p>
<h2>La rue, la drogue, les guerres de gangs</h2>
<p>Au cours des années 1980 et 1990, la ville de New York est asphyxiée, entre une épidémie de crack et de fortes violences.</p>
<p>Subdivisés en groupes locaux, les <em>chapters</em>, avec à leur tête des présidents, les Ñetas profitent de cette économie de la drogue, implantant des points de vente dans leur <em>turf</em> – les territoires qu’ils contrôlent. Les membres de <em>La Asociación</em>, l’autre nom des Ñetas, font ainsi partie des petites mains de ce trafic et travaillent pour le compte des <em>bichotes</em>, les barons de la drogue, en écoulant leur stock dans la rue. Afin de contrôler les divers points du narcotrafic dans les rues du Bronx ou de Brooklyn, les Ñetas entrent en guerre avec d’autres gangs tel les Latin Kings, les Zoulous ou la Familia.</p>
<p>Au milieu des années 1990 s’ouvre pourtant une deuxième période dans le développement de <em>La Asociación</em> à New York, lorsqu’une <em>junta</em> centrale est créée, regroupant les 2 000 Ñetas new-yorkais. Sorte de super structure dirigeante, celle-ci s’impose peu à peu dans le paysage des Ñetas en intervenant directement sur leur organisation et leur vie quotidienne.</p>
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<figcaption><span class="caption">Podcast, « Secrets de Terrain », Martin Lamotte.</span></figcaption>
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<p>L’un de ses chefs, Bebo, que j’ai rencontré en 2011, a 19 ans lorsqu’il devient membre des Ñetas et 22 ans lorsqu’il est élu président de la <em>junta</em>. Dès son accession au pouvoir, il propose de réorganiser l’ensemble du gang, en restructurant les <em>chapters</em> et en transférant l’autorité de leurs présidents au sein de la <em>junta</em>.</p>
<p>Cette centralisation représente un basculement dans l’organisation des Ñetas à New York : ils passent d’une structure de type gang de rue à un système centralisé et hiérarchisé. Mais cette prise de pouvoir fait entrer le gang dans des conflits internes et une profonde crise existentielle qui conduit au départ d’une partie de ses membres.</p>
<p>Cette transformation interne est aussi fortement corrélée à la structure politico-économique fluctuante de New York à cette même époque. En 1993, le nouveau maire de la ville, Rudolph Giuliani, <a href="http://www.homme-moderne.org/societe/socio/wacquant/montoler.html">« déclare la guerre »</a> aux gangs de rues et traque, entre autres, les Ñetas. Son action s’accompagne d’une lutte contre le trafic de drogues et d’une politique de tolérance zéro.</p>
<p>Parallèlement, le marché du crack, pourtant si florissant depuis le milieu des années 1980, connaît un net ralentissement, voire une forte dépression. Les Ñetas doivent ainsi s’adapter à un nouveau contexte marqué par la répression accrue de leur organisation, la présence massive de policiers dans les rues et la métamorphose d’un marché de la drogue qu’ils ne maîtrisent plus. C’est dans ce moment critique que Bebo s’impose et propose aux membres un autre récit de soi.</p>
<h2>L’écriture d’un livre et l’émergence d’une figure</h2>
<p>En se basant sur la figure tutélaire de Carlos La Sombra, Bebo pousse à un retour aux racines de <em>La Asociación</em> en lançant un important chantier, l’écriture du <em>Liderato</em>, le livre Ñeta, et de l’histoire de Carlos.</p>
<p>Bebo signe de son propre nom plusieurs textes du <em>Liderato</em>, ce qui valide de facto les documents ensuite distribués à l’ensemble des Ñetas. Secrets et sacrés, réunis sous forme de livre, les textes du <em>Liderato</em> contiennent l’histoire de Carlos, celle du gang, mais aussi la philosophie des Ñetas, les règles du Grito – le rituel organisé en l’honneur de Carlos tous les 30 du mois – et celles de La Asociación. En connaître certains passages choisis permet d’assurer l’entrée dans le gang, à la suite d’un processus d’initiation appelé la Convivencia.</p>
<p>Ce détour par l’écriture de l’histoire de Carlos aide Bebo à rediriger La Asociación vers un activisme politique plus prononcé et à sortir de l’illégalité. Désormais, les Ñetas constituent le service d’ordre des <em>Racial Justice Days</em>, les grandes manifestations organisées par plusieurs associations new-yorkaises contre les violences policières.</p>
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<figcaption><span class="caption">South Bronx, vieo YouTube, Peter Santinello, octobre 2020.</span></figcaption>
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<p>Ils travaillent aussi directement pour des partis politiques et participent au recrutement des habitants du South Bronx sur les listes électorales en 1993 puis en 1997.</p>
<p>Certes, cette transformation ne se fait pas sans heurts au sein du gang ; néanmoins, Bebo réussit à imposer une ligne politique pro-indépendantiste (portoricaine), abolitionniste du système pénitentiaire et radicale, qu’il attribue à Carlos, tout en proposant en même temps une nouvelle figure du chef ñetas : celui qui, toujours suivant le modèle de Carlos, fait la paix.</p>
<h2>Les mues de la figure du chef</h2>
<p>Écrite dans des moments de crise existentielle, la trajectoire du récit de la vie de Carlos donne à voir les polarités de ce gang, les différentes visions qui s’affrontent au sein des Ñetas avec leurs lots de violences et enfin l’émergence de figures de chef mobilisant de nouvelles formes d’autorité.</p>
<p>La communauté Ñetas est traversée de relations de pouvoir, d’autorité et de contrôle. Si les Ñetas cessent les guerres de gang au moment où Bebo commence à écrire le Liderato, la violence ne disparaît pas pour autant de leur registre d’action. Ainsi, l’héroïsation de Carlos et l’écriture de son récit sont liées à un processus de pacification interne qui renvoie à une nouvelle économie politique violente.</p>
<p>L’histoire de ce récit de Carlos est aussi celle d’un chef qui réussit, au regard de l’évolution du contexte économico-politique, à reconfigurer le socle même de son autorité. Alors que le président des Ñetas n’était jusqu’alors qu’un chef de guerre, tirant sa légitimité de sa capacité à rayonner dans une économie prédatrice – drogue, guerre de territoires –, Bebo ancre son autorité dans sa capacité à mobiliser un savoir autour de Carlos.</p>
<p>C’est notamment en investissant une économie du lien avec le milieu politico-associatif qu’il parvient à s’imposer chez les Ñetas. Quand la plupart des chefs mafieux, <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=26661">gangsters ou autres boss</a>, fondent leur autorité sur leur capacité à faire usage de la violence, Bebo semble aller en sens inverse.</p>
<p>Ce type d’écrit, tant par son degré d’élaboration que par sa formalisation, est unique en son genre dans l’univers des gangs. Il n’est pourtant pas rare que ces groupes fassent circuler en leur sein des récits oraux de leurs origines. Cependant, à ma connaissance, seuls les Latin Kings, <a href="http://cup.columbia.edu/book/the-almighty-latin-king-and-queen-nation/9780231114196">officiant à la même période que les Ñetas</a>, ont développé un <em>manifesto</em> de la même ampleur que le <em>Liderato</em>. Le processus de pacification est plus courant, du moins à l’échelle de New York qui connut dans les années 1960 la grande trêve des gangs de rue, immortalisés dans le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3b4b9g7ddbA"><em>Warriors</em></a>.</p>
<p>Cependant, ce réinvestissement politique collectif est rare et si les Ñetas ont su se pacifier et transformer leur groupe en une organisation de rue politique plus ou moins formelle, il reste marginalisé sur le plan politique et criminalisé par l’administration new-yorkaise.</p>
<hr>
<p><em>Ce texte fait écho à l’article plus long de l’auteur paru sous le titre <a href="https://journals.openedition.org/terrain/21173">« Pour l’amour de Carlos. Modèles de vie et figures de chef chez les Ñetas »</a> dans « Brigands », le numéro 74 de la revue Terrain.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164336/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Martin Lamotte ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le fondateur d’un gang latino-américain peut-il être un « bon gangster » ? Chez les Ñetas, la figure du chef véhicule aussi bien des valeurs morales que le souci d’écrire l’histoire.Martin Lamotte, Anthropologue, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1694382021-10-08T15:26:56Z2021-10-08T15:26:56ZRecevoir des millions pour cacher des billions : les Pandora Papers démasquent aussi les facilitateurs du crime financier<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/425525/original/file-20211008-23697-x8c68q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=27%2C0%2C3072%2C2041&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les plus riches de ce monde seraient incapables de protéger leur fortune des autorités fiscales sans leurs complices.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Piqsels)</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.icij.org/investigations/pandora-papers/about-pandora-papers-investigation/">L’enquête sur les Pandora Papers</a> du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) – une salle de presse et un réseau de journalistes sans but lucratif basés à Washington (D.C.) – a révélé qu’il existe toujours quelques paradis fiscaux pour ceux qui cherchent à cacher leur richesse.</p>
<p>Ceux dont on ne parle toutefois pas autant dans la couverture médiatique des Pandora Papers, ce sont les facilitateurs, ceux qui s’emploient à aider les mieux nantis à s’enrichir encore plus et à transmettre leur patrimoine en évitant ou en fraudant le fisc. Ils permettent ainsi aux criminels et aux cleptocrates de blanchir leurs avoirs mal acquis.</p>
<p>Ils ne sont peut-être pas aussi riches que leurs clients, mais ils reçoivent des millions pour cacher des billions.</p>
<h2>L’industrie de la défense de la richesse</h2>
<p>Il existe depuis longtemps une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/13563467.2020.1816947">« industrie de la défense de la richesse »</a> bien établie formée de divers professionnels – conseillers, banquiers, avocats, comptables, notaires, agents immobiliers et autres – qui se servent de sociétés-écrans, de bureaux de gestion de patrimoine, de comptes à l’étranger et de fiducies pour aider les gens les plus riches du monde à protéger leur patrimoine des percepteurs d’impôts.</p>
<p>Ces « facilitateurs » hautement rémunérés aident les oligarques, les dictateurs et les criminels du monde entier.</p>
<p>Les médias grand public ont déjà <a href="https://ici.radio-canada.ca/dossier/1007919/pandora-papers">beaucoup parlé</a> des crimes, des abus et des méfaits financiers d’États étrangers malveillants et de riches particuliers, mais qu’en est-il des intermédiaires du système financier qui s’occupent des détails et qui fournissent les mécanismes d’évasion aux criminels ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un groupe d’hommes autour d’un stand à journaux" src="https://images.theconversation.com/files/424852/original/file-20211005-25-44kucm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424852/original/file-20211005-25-44kucm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424852/original/file-20211005-25-44kucm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424852/original/file-20211005-25-44kucm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424852/original/file-20211005-25-44kucm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424852/original/file-20211005-25-44kucm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424852/original/file-20211005-25-44kucm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des Kenyans lisent dans les journaux du matin une déclaration du président Uhuru Kenyatta en réponse à son inclusion parmi les 330 politiciens identifiés dans les Pandora Papers comme bénéficiaires de comptes financiers secrets.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Brian Inganga)</span></span>
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<p>Certains membres des élites paient des professionnels et des entreprises de renom pour leur ouvrir des portes politiques, faire pression contre des sanctions, mener des batailles juridiques ou blanchir de l’argent et des réputations. Ce faisant, ces institutions et ces particuliers repoussent les limites de la loi et portent atteinte aux principes de notre démocratie.</p>
<p>Selon le <a href="https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/in/Documents/finance/Forensic/in-forensic-AML-Survey-report-2020-noexp.pdf">rapport d’enquête 2020 de Deloitte sur la préparation à la lutte contre le blanchiment d’argent</a>, on estime que le montant total d’argent blanchi chaque année serait l’équivalent de 2 à 5 % du PIB mondial, soit entre 800 milliards et 2 billions de dollars US.</p>
<p>Les <a href="https://www.icij.org/investigations/fincen-files/">dossiers FinCEN</a> de l’ICIJ nous offrent un aperçu sans précédent d’un monde secret de banques internationales, de clients anonymes et, dans bien des cas, de criminalité financière.</p>
<p>Ils montrent comment les banques font aveuglément transiter de l’argent par leurs comptes pour des personnes qu’elles ne sauraient identifier, ne signalent qu’après plusieurs années des transactions qui présentent toutes les caractéristiques du blanchiment d’argent et font même affaire avec des clients impliqués dans des fraudes financières et des scandales de corruption publique.</p>
<h2>Les ravages de « l’argent occulte »</h2>
<p>La corruption et les malversations financières sont de par leur nature secrètes et souvent très complexes. <a href="https://www.opensecrets.org/dark-money/basics">L’argent occulte</a>, ou argent noir, (essentiellement, les sommes dépensées afin d’influencer les résultats politiques sans que soit divulguée la source de l’argent) achète <a href="https://www.opensecrets.org/news/2020/01/dark-money-10years-citizens-united/">l’accès aux tribunaux et aux politiciens</a>, rendant ainsi la société moins juste et moins équitable.</p>
<p>Ce qui distingue souvent les riches ordinaires des membres de <a href="https://www.journaldunet.fr/business/dictionnaire-economique-et-financier/1198987-oligarchie-definition-traduction-et-synonymes/#:%7E:text=L%E2%80%99oligarchie%20est%20un%20r%C3%A9gime,classe%20sociale%20de%20la%20population.&text=Fr%C3%A9quente%20dans%20l%E2%80%99Antiquit%C3%A9%2C%20l,mais%20qui%20est%20souvent%20instable.">l’oligarchie</a>, c’est que les oligarques investissent dans la défense de la richesse. Ils utilisent leur pouvoir et leur richesse pour en accumuler encore plus, pour faire pression sur les politiciens et pour truquer les règles du jeu afin qu’elles leur conviennent.</p>
<p>L’un des défis de la lutte contre le crime financier est la course mondiale vers le bas qui se déroule entre les paradis fiscaux, chacun tentant d’attirer des clients en offrant des incitations plus lucratives et un plus haut niveau de confidentialité pour les entreprises. Les facilitateurs de l’industrie de la défense de la richesse élaborent et commercialisent des stratégies, des structures et des systèmes qui permettent d’éviter les obligations fiscales et les contrôles réglementaires.</p>
<p><a href="https://www.openownership.org/blogs/modelling-beneficial-ownership-data/">Les bases de données sur la propriété effective</a>, conçues pour lutter contre le blanchiment d’argent, sont des <a href="https://www.osler.com/en/blogs/risk/april-2021/canada-s-budget-introduces-long-awaited-beneficial-ownership-registry-to-combat-money-laundering">mesures de plus en plus populaires</a> dans le monde entier <a href="https://www.icij.org/investigations/panama-papers/five-years-later-panama-papers-still-having-a-big-impact/">depuis la publication des Panama Papers</a>, qui ont attiré l’attention de la communauté internationale sur les impacts sociaux de l’anonymat des entreprises.</p>
<p>Si cette tendance se poursuit, on peut espérer que le nombre toujours croissant de gouvernements qui instaurent des initiatives en matière de propriété effective et de transparence fiscale obligera les paradis extraterritoriaux restants, comme les Bermudes, les <a href="https://www.businesswire.com/news/home/20191009005517/fr/">îles Caïmans</a> et Malte, à suivre le pas pour éviter d’être exclus du système financier mondial.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Deux personnes marchent sur une plage de sble blanc" src="https://images.theconversation.com/files/424855/original/file-20211005-20911-y7w6j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424855/original/file-20211005-20911-y7w6j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424855/original/file-20211005-20911-y7w6j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424855/original/file-20211005-20911-y7w6j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424855/original/file-20211005-20911-y7w6j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424855/original/file-20211005-20911-y7w6j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424855/original/file-20211005-20911-y7w6j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des touristes marchent sur la Plage de sept milles de l’île Grand Caïman.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/David McFadden)</span></span>
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<h2>Des signes prometteurs</h2>
<p>Pendant ce temps, de nombreux territoires continuent d’échapper aux organismes d’application de la loi qui suivent les pistes de l’argent des fraudeurs fiscaux et des criminels.</p>
<p>Malgré des lacunes évidentes sur les plans de la réglementation et de son application, ainsi que l’absence apparente de volonté politique pour résoudre ces lacunes dans la pratique, certains signes encourageants laissent penser que les gouvernements du monde entier se sentent désormais contraints d’agir.</p>
<p>La demande mondiale pour la transparence et la responsabilité ne cesse de s’intensifier. À celle-ci s’ajoutent des <a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/inequality/">appels à la lutte contre l’inégalité croissante de la richesse</a> ainsi que des <a href="https://www.lapresse.ca/affaires/finances-personnelles/2020-09-27/l-investissement-responsable-a-la-cote.php">pressions de la part des investisseurs en vue de l’adoption de principes ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance)</a>.</p>
<p>Bien que ces facteurs contribuent à éveiller l’attention des hauts responsables politiques, la cynique réalité est que la motivation première de ces dirigeants n’est probablement rien d’autre que la sérieuse et alarmante <a href="https://www.oecd.org/fr/fiscalite/les-recettes-fiscales-dans-l-ocde-ont-diminue-legerement-avant-la-pandemie-de-covid-19-mais-une-baisse-bien-plus-importante-de-ces-recettes-est-a-prevoir-en-particulier-pour-les-impots-sur-la-consommation.htm">tendance à la baisse des recettes fiscales</a>. L’approbation du concept d’un <a href="https://www.eurotopics.net/fr/262345/g7-une-etape-decisive-vers-une-justice-fiscale-mondiale">taux d’imposition mondial minimum de 15 %</a> par les chefs politiques du G7 lors de leur sommet de juin 2021 est une indication claire qu’un vent de changement commence à souffler.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Boris Johnson pose devant d’autres leaders du G7 sur une plage" src="https://images.theconversation.com/files/424849/original/file-20211005-30173-ycuwu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424849/original/file-20211005-30173-ycuwu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424849/original/file-20211005-30173-ycuwu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424849/original/file-20211005-30173-ycuwu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424849/original/file-20211005-30173-ycuwu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424849/original/file-20211005-30173-ycuwu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424849/original/file-20211005-30173-ycuwu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les dirigeants des pays du G7 posent pour une photo à Cornwall, en Angleterre, en juin 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Leon Neal/Pool Photo via AP)</span></span>
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</figure>
<p>Le modèle actuel n’est pas viable. Les réalités fiscales, ainsi que la pression et la nécessité politiques, obligeront les dirigeants à agir. Leurs discours sur l’inégalité de la richesse et le déséquilibre du pouvoir ne suffiront bientôt plus, car ils permettent à l’industrie de la défense de la richesse et à ses clients de contourner le système et d’éviter de payer leur juste part.</p>
<p>Une plus grande transparence et une plus grande responsabilité sont requises pour démasquer les facilitateurs et réduire les failles qui permettent aux criminels, aux riches particuliers et aux entreprises d’agir en toute impunité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169438/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Tassé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des « facilitateurs » grassement rémunérés, tels que des experts financiers, avocats ou comptables, aident les oligarques, les dictateurs et les criminels du monde entier à s’enrichir illégalement.Marc Tassé, Professor, Accounting, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1678512021-09-28T18:46:09Z2021-09-28T18:46:09ZVingt ans de guerre à l’opium en Afghanistan : retour sur une déroute américaine<p>Le 7 octobre 2001, les États-Unis, suite aux attentats du 11 septembre précédent, lançaient, avec leurs alliés de l’OTAN, l’opération <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/09/26/l-operation-change-de-nom-et-devient-8220-liberte-immuable-8221_226216_1819218.html">« Enduring freedom »</a>. Celle-ci visait à détruire les infrastructures d’Al-Qaïda en Afghanistan et le régime des talibans, jugé coupable de les abriter et de les protéger.</p>
<p>En dehors de la mise en avant du thème de la <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/FD001270.pdf">« guerre contre le terrorisme »</a>, très vite, la propagande, consubstantielle à toute opération de cette envergure, a mobilisé celui de la lutte contre la drogue, en présentant les talibans <a href="https://2001-2009.state.gov/p/inl/rls/rm/sep_oct/5210.htm">comme de vulgaires « narco-terroristes »</a>, trafiquant l’opium et l’héroïne afin, notamment, de détruire la jeunesse occidentale. Dès 2002, le premier ministre britannique, Tony Blair, le plus fidèle allié des États-Unis, <a href="https://frontline.thehindu.com/world-affairs/the-narco-politics-of-afghanistan/article30246131.ece">déclarait</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les armes que les talibans achètent sont payées avec les vies des jeunes Britanniques qui achètent leur drogue dans les rues britanniques. C’est un autre aspect de leur régime que nous devons détruire. »</p>
</blockquote>
<p>L’agitation de cette thématique permettait de conférer un supplément d’âme à l’opération et de justifier un investissement guerrier de longue durée contre des talibans qui, chassés du pouvoir, n’en allaient pas moins se réorganiser très rapidement pour mener la lutte armée contre le nouveau régime mis en place par la coalition occidentale.</p>
<h2>L’opium comme arme de guerre</h2>
<p>Pourtant, cette volonté affichée de lutter contre l’opium n’avait pas toujours été de mise de la part des États-Unis. Au contraire, Washington avait <a href="https://apjjf.org/-Peter-Dale-Scott/3145/article.html">longtemps fermé les yeux</a> sur l’explosion de la production dans les années 1980, consécutive à l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979.</p>
<p>Quand l’Armée rouge franchit la frontière, si l’opium est connu depuis des siècles dans le pays et fait l’objet d’une consommation régulière, notamment dans les populations baloutches, la <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/periodiques/drogues-enjeux-internationaux/opium-afghan-20-ans-de-suprematie-mondiale-numero-5-juin-2013/">production est faible</a>, estimée par les spécialistes à 180-200 tonnes par an, tandis que la fabrication de l’héroïne est inexistante.</p>
<p>Cette production est rapidement dynamisée, sous l’effet d’une double nécessité : financer le djihad lancé contre l’occupant, et faire face aux conséquences des destructions infligées par la politique de la terre brûlée mise en œuvre par les Soviétiques.</p>
<p>Dès 1981, plusieurs fatwas prononcées par des chefs religieux appartenant à la résistance afghane appellent les paysans à développer les plantations de pavot. Des appels immédiatement entendus par des cultivateurs qui voient leur cadre de vie bouleversé par la guerre. La culture du pavot est en effet particulièrement bien adaptée au temps de désolation que traversent les campagnes du pays.</p>
<p>Économe en eau dans un contexte où les systèmes d’irrigation sont largement détruits, exigeant une main-d’œuvre abondante à un moment où la population surnuméraire explose et plus lucrative que le blé, la culture de l’opium se développe rapidement. Collecté et acheté par les seigneurs de la guerre, il est transformé en héroïne dans les zones tribales du Pakistan. Le tout sous la supervision des services secrets pakistanais, qui voient dans le développement du trafic un moyen de soutenir financièrement la guérilla contre les Russes.</p>
<p>On retrouve là une utilisation des drogues qui n’est pas sans rappeler la situation qui prévalait en Asie du Sud-Est une dizaine d’années plus tôt, quand la <a href="http://www.organized-crime.de/revmcc01.htm">CIA couvrait les trafics d’héroïne au Laos</a> destinés à financer les guérillas anticommunistes. À ceci près qu’il semble que, en Afghanistan, les Américains ne sont pas impliqués directement, mais par l’intermédiaire de <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2002-2-page-126.htm">leurs alliés pakistanais</a>, ce qui ne va pas sans provoquer des tensions entre la Drug Enforcement Agency (DEA) et la CIA, laquelle, au nom de la realpolitik, décourage toute velléité d’intervention de l’agence chargée de la lutte contre la drogue.</p>
<p>Zbigniew Brzezinski, le conseiller de Jimmy Carter sur les affaires afghanes et architecte de l’alliance avec les moudjahidines, <a href="http://thenation.s3.amazonaws.com/pdf/la_nouvel_observateur_brzezinski.pdf">déclarera bien des années plus tard</a> que cette stratégie n’était qu’un moindre mal à côté de l’effondrement de l’URSS auquel le djihad afghan avait largement contribué.</p>
<p>En 1989, quand l’Armée rouge quitte l’Afghanistan, le pays produit 1 200 tonnes d’opium soit 35 % de la production mondiale. Ce départ, malheureusement pour la population, ne signifie pas la fin des conflits. Après la chute du régime communiste de Najibullah en 1992 sous les coups des moudjahidines, une guerre civile s’engage entre les alliés d’hier pour la prise du pouvoir, accélérant encore le chaos dans le pays et favorisant un nouvel essor de l’opium et de la corruption qui va avec.</p>
<p>Entre 1989 et 1996, année de la prise de Kaboul par les talibans, la production double et atteint plus de 2 000 tonnes. Par une ironie certaine, ce sont ceux-là mêmes que l’administration Bush accusera de « narco-terrorisme » qui mettent provisoirement un frein à la production. <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/les-talibans-ont-eradique-le-pavot-19-08-2001-2002376555.php">Suite à une fatwa de juillet 2000</a>, celle-ci retombe aux niveaux d’avant l’intervention soviétique, soit 185 tonnes. Les superficies de culture du pavot passent alors de 82 000 hectares à 8 000.</p>
<p>Il semble que le nouveau régime ait pu faire appliquer cette décision sans trop recourir à la coercition du fait de la popularité dont il jouit auprès d’une partie de la paysannerie. Celle-ci reconnaît aux talibans le mérite d’avoir mis fin au chaos de la guerre civile entre factions et d’avoir rétabli un certain ordre dans le pays. Cependant, l’interdiction et les pertes de revenus qu’elle fit subir aux plus vulnérables des paysans (métayers, ouvriers agricoles, petits propriétaires) leur fit perdre une partie de leur base sociale.</p>
<p>Ironie supplémentaire, quelques mois avant l’invasion de l’Afghanistan par la coalition occidentale, en mai 2001 précisément, une <a href="https://www.nytimes.com/2001/05/20/world/taliban-s-ban-on-poppy-a-success-us-aides-say.html">délégation américaine saluera la politique anti-drogue</a> du nouveau régime et Colin Powell, à la tête du département d’État, décidera d’allouer près de 43 millions de dollars pour aider les agriculteurs, dans un contexte où la sécheresse sévit, à opérer la transition…</p>
<h2>Faillite du State building</h2>
<p>La chute du régime des talibans va relancer la production d’opium dans le pays pour la simple raison que l’intervention américaine remet au pouvoir les anciens seigneurs de la guerre qui étaient au cœur de tous les trafics depuis les années 1980, tandis que les paysans, notamment les fermiers et les métayers, faute d’alternatives, consacrent au pavot une partie croissante de leurs parcelles.</p>
<p>Cela d’autant plus que la stabilité économique n’est pas au rendez-vous avec, à partir de 2004, la montée en puissance, notamment dans le sud du pays, des talibans chassés du pouvoir. Dans les zones qu’ils contrôlent, pour ne pas s’aliéner les paysans, ils tolèrent les cultures du pavot, sur lesquelles ils prélèvent des taxes. À l’époque, toutes les factions, qu’elles soient proches du gouvernement de Kaboul ou dans l’opposition armée, sont peu ou prou impliquées dans les <a href="https://www.fayard.fr/1001-nuits/afghanistan-opium-de-guerre-opium-de-paix-9782842058975">trafics d’opium et d’héroïne</a>.</p>
<p>Certains spécialistes estiment toutefois que c’est du côté du gouvernement prooccidental plutôt que des talibans que la <a href="https://www.telegraph.co.uk/world-news/2021/08/22/learned-taliban-will-fund-decades-studying-afghanistans-opium/">corruption par l’argent des trafics est la plus grande</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lechec-du-nation-building-en-afghanistan-166580">L’échec du « nation building » en Afghanistan</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>En 2005, 9 tonnes d’opium sont retrouvées dans la résidence du gouverneur du Helmand, qui passera du côté des talibans après sa destitution. La corruption est gigantesque et <a href="http://www1.rfi.fr/actufr/articles/103/article_69004.asp">affecte l’entourage proche du président Hamid Karzai</a>. Pourtant, les Américains ne se focalisent que sur les talibans. En cela, ils ne font qu’utiliser une technique éprouvée de diabolisation déjà essayée sur d’autres terrains, par exemple en Colombie avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), <a href="https://vih.org/20150511/la-guerre-a-la-cocaine-a-lepreuve-de-leffet-ballon/">qualifiées de « narco guérilla » par leur ambassadeur en 1984</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UEr_5gFx_cc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Le trafic de drogue est certainement l’une des principales sources de revenu au sein même du gouvernemnt », France 24, 21 août 2009.</span></figcaption>
</figure>
<p>Pourtant, les travaux de terrain montrent que les revenus que tirent les talibans de l’opium ne sont pas grand-chose à côté de ceux qu’ils tirent des taxes sur les marchandises qui transitent dans les régions où ils sont présents. Une <a href="https://www.unodc.org/documents/mexicoandcentralamerica/publications/CrimenOrganizado/Global_Afghan_Opium_Trade_2011-web.pdf">étude</a> évalue en 2009 leurs revenus tirés de la drogue à 155 millions de dollars, soit une petite partie de l’argent engendré par le trafic de drogues dans le pays, à savoir 2,5 milliards de dollars.</p>
<p>Ce sont donc bel et bien les alliés des États-Unis dans la guerre contre la terreur qui sont au cœur des trafics illicites. À partir de 2004, les Américains, qui avaient <a href="https://rusi.org/explore-our-research/publications/rusi-newsbrief/fighting-uks-war-drugs-afghanistan">délégué la lutte contre l’opium et l’héroïne à leur allié britannique</a>, vont reprendre la main en mettant au cœur de leur discours le lien entre terrorisme et trafics. Robert B. Charles, secrétaire adjoint de l’<em>International Narcotics and Law Enforcement Affairs</em>, un service du département d’État chargé de la lutte internationale contre les drogues, <a href="https://2001-2009.state.gov/p/inl/rls/rm/31039.htm">déclarait alors</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Couper l’approvisionnement en opium est essentiel pour établir une démocratie sûre et stable, ainsi que pour gagner la guerre mondiale contre le terrorisme. »</p>
</blockquote>
<h2>Bilan de faillite</h2>
<p>Entre 2002 et 2015, on estime que 8 milliards de dollars ont été dépensés dans la guerre à la drogue en Afghanistan, surtout dans les zones du sud du pays tenues par les talibans. Les méthodes employées sont variées : épandages, arrachages manuels… jusqu’aux <a href="https://www.lse.ac.uk/united-states/Assets/Documents/Heroin-Labs-in-Afghanistan-Mansfield.pdf">bombardements aériens de laboratoires d’héroïne</a>. Cette politique, qui privilégie la force au détriment d’autres stratégies comme le développement alternatif, ne remportera que des succès très relatifs.</p>
<p>En 2020, l’Afghanistan produit <a href="https://www.unodc.org/res/wdr2021/field/WDR21_Booklet_3.pdf">85 % de l’opium mondial</a> et est le premier producteur mondial d’héroïne. <a href="https://www.unodc.org/unodc/en/frontpage/2018/May/last-years-record-opium-production-in-afghanistan-threatens-sustainable-development--latest-survey-reveals.html">20 à 30 % du PIB</a> serait engendré par le commerce de l’opium et de l’héroïne et la production d’opium a été multipliée par 30 entre 2001 et 2020. De plus, l’Afghanistan est en train de devenir un acteur important du marché de la résine de cannabis, tandis que la <a href="https://www.emcdda.europa.eu/news/2020/11/emerging-methamphetamine-industry-in-afghanistan-worrying-says-new-emcdda-study_en">production de méthamphétamine</a> se développe.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/09/qui-dira-que-cette-guerre-a-ete-menee-en-vain-les-afghanistan-papers-revelent-l-ampleur-des-dysfonctionnements-du-conflit-en-afghanistan_6022261_3210.html">Comme l’a reconnu Douglas Lute</a>, l’actuel représentant des États-Unis à l’OTAN et ancien conseiller adjoint à la sécurité nationale pour l’Irak et l’Afghanistan de George W. Bush et Barack Obama, « nous n’avions aucune compréhension fondamentale de l’Afghanistan. Nous ne savions pas ce que nous faisions.[…] Par exemple sur l’économie. Nous devions établir “un marché florissant”. Nous aurions dû spécifier : “un marché de la drogue florissant”, car c’est la seule partie qui fonctionne. »</p>
<p>Dans ce contexte, certains chercheurs estiment qu’il est douteux que les talibans, malgré une volonté affichée, <a href="https://asia.nikkei.com/Politics/International-relations/Afghanistan-turmoil/Afghanistan-s-vast-narcotics-trade-likely-to-continue-under-Taliban">renouvellent l’interdiction de 2000</a>. L’économie liée à l’opium est devenue trop importante dans les stratégies de survie d’une proportion importante de la population, dans un contexte où, du fait du retrait des États-Unis, les flots d’argent que leur présence engendrait vont s’arrêter, aggravant la situation économique.</p>
<p>La <a href="https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/Studies/Illicit_DT_through_SEE_REPORT_2014_web.pdf">route des Balkans</a> de l’héroïne qui alimente l’Europe n’est probablement pas près de se tarir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167851/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Gandilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Contrairement aux affirmations récurrentes de Washington, ce ne sont pas les talibans, mais les alliés afghans des États-Unis qui ont, depuis vingt ans, été les principaux trafiquants d’opium.Michel Gandilhon, Chargé d'enseignement, master de criminologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1647522021-07-22T23:39:22Z2021-07-22T23:39:22Z« Secrets de Terrain » : Martin et le livre secret du gang des Ñetas<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/412190/original/file-20210720-23-lsqt5a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C799%2C586&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dos tatoué d'un 'Latin King', membre d'un gang ennemi des Ñetas, gang politique né dans les prisons américaines. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Latin_King.jpg">Wikimedia/ Javier Ramirez</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><iframe src="https://embed.acast.com/60d195a7bd48f300133e720d/60d19c634eef9f0014c2164b" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-593" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/593/60623770d32fd45e2499f2207291a9821793cfa3/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Quand on pense « gangs » on pense <em>The Wire</em> ou <em>Gangs of New York</em>. Le monde des gangs semble indissociable de l’Amérique, essaimant dans les films, les livres et la culture populaire.</p>
<p>Ces gangs dont l’histoire est intimement liée à celle des états unis et du monde latino-américain sont régulièrement cités pour leurs crimes, proxénétisme, braquages, trafics de drogue, meurtres. Parmi les nombreux gangs agissant à New York, celui des Ñetas, l’Asociación, a une histoire particulière. Il a été fondé au début des années 1980 dans une prison portoricaine autour d’un chef charismatique, Carlos Torres Irriarte, aussi connu sous le nom de La Sombra, l’Ombre. </p>
<p>À son assassinat en 1981, le gang s’étend aux États-Unis mais aussi à Porto Rico et à Barcelone. L’anthropologue Martin Lamotte s’est rapproché de <a href="http://www.theses.fr/2015EHES0673">plusieurs membres de ce gang à New York</a> au tournant des années 2010. Il découvre les différents cultes et rituels secrets qui animent le gang au quotidien. Un jour de printemps 2012, lors d’un déménagement, Martin Lamotte ouvre un tiroir.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4F06blriGRQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Yo Tengo Un Angel Se Llama La Sombra, tego carderon.</span></figcaption>
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<hr>
<p><strong>Pour aller plus loin</strong><br>
● <a href="https://journals.openedition.org/terrain/21128">Pour l’amour de Carlos, Modèles de vie et figures de chef chez les Ñetas</a>, revue <em>Terrain</em> n°74.<br>
● <a href="http://www.theses.fr/2015EHES0673">Le Monde des Ñetas : un « gang » global entre New York, Barcelone et Guayaquil</a>.</p>
<p><strong>Références sonores et extraits musicaux</strong></p>
<p><em>Mix dans l’introduction</em><br>
● Frankie Cutlass, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GKXWn47uw8k">« Puerto Rico »</a><br>
● Fat Joe, <a href="https://thesource.com/2020/07/27/today-in-hip-hop-history-fat-joe-released-his-debut-album-represent-27-years-ago/">« FlowJoe »</a><br>
● Just Ice, Gun Talk, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lf7BM7thdJs">« Gangster Style Rap »</a><br>
● Syko, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=KkvMoR_ZBnI">« Ten Cuidado »</a><br>
● Tego Calderon, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=E3qF8VdYZIE">« Abayarde »</a><br>
● Chinx Drugz Ft. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=mManoNguCkI">« French Montana, I’m a Coke Boy »</a></p>
<p><em>Extraits sonores</em><br>
● 3 min 08 : Capone-N-Noreaga, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=fYYJ6HFqlLI">« TONY (Top of New York) »</a>.<br>
● 4 min 11 : King ace D'general, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xGqkCuWxETM">« King Side »</a>
● 5 min 41 : Fat Joe, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=C5YOlZRHMto">« Terror Squadians »</a><br>
● 7 min 05 : Immortal technique, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=qggxTtnKTMo">« Dance with the Devil »</a><br>
● 8 min 54 : Calle 13 <a href="https://www.youtube.com/watch?v=67JzZ5uFMzQ">« »La CremaØ »</a><br>
● 11 min 02, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xRCtAHuRao0&t=38s">« Occupy Wall Street »</a>
<br>
● 12 min 27 : Grito, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=iwVd8jlHLyY">« Asociación Pro derechos Del Confinado Ñeta »</a>, avril 2109<br>
● 14 min 58 : Ghetto Brothers, <a href="https://musikplease.com/ghetto-brothers-power-fuerza-29263">« Power Fuerza »</a><br>
● 16 min 33 : Daddy Yankee Yankee, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=sGIm0-dQd8M">« Dura »</a><br>
● 18 min 07 : Tego Calderon, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=E3qF8VdYZIE">« Abayarde »</a><br>
● 20 min 06 : Schoolly D, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=F3qt3-g6ZZc">« Gangster Boogie »</a><br>
● 21 min 02 : Syko, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=KkvMoR_ZBnI">« Ten Cuidado »</a><br>
● 22 min 25 : Brian Campos, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=FU38Qoz6Q4Y">« Somos Los Ñetas »</a><br>
● 24 min 21 : Asociación Pro Derechos Del Confinado Ñeta Quito, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=37TEQicBjjk">« Ecuador »</a><br>
● 25 min 26 : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=DDTOGcoYwHI">« Los netas del Ecuador »</a><br>
● 26 min 48 : <a href="https://soundcloud.com/marinareyes/conferencia-de-carlos-la">Voix conférence Carlos</a> (fourni par l’auteur).<br>
● 28 min 54 Yo Tengo Un Angel, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4F06blriGRQ">« Tego Calderon »</a></p>
<p>Jingle : Boginoo duu : voix chantée, vièle à deux cordes [enregistrement sonore]/Hamayon, Roberte (collectrice), Mongolie, environs de Ulan Bator, population Khalkha, 1973. Remerciements : Roberte Hamayon.</p>
<p>Consultation publique en ligne sur le site du <a href="https://archives.crem-cnrs.fr/archives/items/CNRSMH_I_1973_008_002_17">CREM</a>. Provenance : Archives sonores CNRS/Musée de l’Homme gérées par le Centre de Recherche en Ethnomusicologie (LESC UMR 7186, CNRS/Université Paris Nanterre) avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/408368/original/file-20210625-13-1qh3j0p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/408368/original/file-20210625-13-1qh3j0p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=197&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/408368/original/file-20210625-13-1qh3j0p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=197&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/408368/original/file-20210625-13-1qh3j0p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=197&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/408368/original/file-20210625-13-1qh3j0p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=248&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/408368/original/file-20210625-13-1qh3j0p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=248&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/408368/original/file-20210625-13-1qh3j0p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=248&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>« Secrets de Terrain » est un podcast conçu et animé par Clea Chakraverty, réalisé et monté par Vanessa Tubiana-Brun (CNRS-Nanterre/MSH Mondes). Il est produit par The Conversation France et la revue d’anthropologie et de sciences sociales <a href="https://journals.openedition.org/terrain/"><em>Terrain</em></a>.</em></p>
<p><em>L’illustration « Secrets de Terrain » a été gracieusement accordée par le dessinateur <a href="https://www.adriafruitos.com/">Adrià Fruitos</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164752/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Vivre au plus près d'un gang américain permet de déceler des rapports au secret et au politique insoupçonnés.Martin Lamotte, Anthropologue, Université de ToursClea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1647282021-07-20T22:59:25Z2021-07-20T22:59:25ZSalvador : le pari à haut risque du président sur le bitcoin<p>Lors du <em>Bitcoin 2021</em>, principale conférence annuelle consacrée aux cryptoactifs réunie les 4 et 5 juin 2021 à Wynwood, un quartier branché de Miami, Nayib Bukele, président du Salvador depuis 2019, a créé la surprise en annonçant dans une vidéoconférence que son pays allait <a href="https://www.nbcmiami.com/news/local/we-own-our-money-its-no-longer-in-centralized-banking-2021-bitcoin-conference-in-miami-is-the-biggest-yet/2466879/">adopter le bitcoin comme monnaie légale</a>. Une décision immédiatement actée par une loi <a href="https://www.letemps.ch/economie/bitcoin-devient-une-monnaie-officielle-salvador">approuvée le 9 juin</a> par 64 parlementaires sur 82. Le 7 septembre, le Salvador sera ainsi le premier pays à s’engager dans cette voie.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/411871/original/file-20210719-21-io700y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/411871/original/file-20210719-21-io700y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/411871/original/file-20210719-21-io700y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=698&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/411871/original/file-20210719-21-io700y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=698&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/411871/original/file-20210719-21-io700y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=698&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/411871/original/file-20210719-21-io700y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=877&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/411871/original/file-20210719-21-io700y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=877&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/411871/original/file-20210719-21-io700y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=877&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.businessinsider.fr/voici-les-etats-qui-interdisent-ou-sopposent-au-bitcoin-dans-le-monde-187885">Statista</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
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<p>Cette annonce a effectivement de quoi surprendre. Tout d’abord, ce qui se passe au Salvador s’inscrit à rebours des décisions d’autres États, et non des moindres, qui non seulement limitent fortement mais interdisent même parfois l’usage du bitcoin en tant que moyen de paiement (comme la Bolivie, le Maroc, l’Algérie, l’Égypte, le Népal et le Bangladesh, l’Indonésie, la Turquie et le Vietnam) ou dans les transactions bancaires (comme la Chine, le Cambodge, le Canada, l’Équateur, le Nigeria, l’Arabie saoudite et la Jordanie).</p>
<p>Ensuite, bien souvent, les pays dont un pourcentage significatif de la population adopte le bitcoin comme moyen de paiement sont soumis à une forte inflation (tels le Liban, le Nigeria ou le Venezuela). Ce n’est en rien la situation du <a href="https://data.worldbank.org/indicator/FP.CPI.TOTL.ZG?locations=SV">Salvador</a>, où la hausse des prix, en rythme annuel, après avoir été négative au second semestre 2020, a été depuis <a href="https://fr.tradingeconomics.com/el-salvador/inflation-cpi">cantonnée au-dessous de 3 %</a>.</p>
<p>En outre, pour ce qui est de l’usage, on peut douter que le Salvador, où l’exclusion bancaire frappe <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/le-salvador-veut-adopter-le-bitcoin-comme-monnaie-legale-une-premiere-dans-le-monde-1321365">70 % des habitants</a> et où plus de <a href="https://information.tv5monde.com/info/presidentielle-au-salvador-pauvrete-et-violence-au-coeur-du-scrutin-283306">30 % de la population</a> vit sous le seuil de pauvreté, soit seul capable de créer les conditions techniques d’un usage généralisé du bitcoin et son acceptation sociale.</p>
<h2>La population peu convaincue</h2>
<p>Pour favoriser l’usage de la principale cryptomonnaie, le gouvernement a décidé que celui ou celle qui s’enregistrera sur <a href="https://siecledigital.fr/2021/06/28/salvador-bitcoin-2/">l’app Chivo</a> (un portefeuille électronique) permettant de payer en bitcoin et d’en recevoir, verra son compte crédité l’équivalent de 30 dollars… en bitcoin.</p>
<p>On peut remarquer que ceux et celles qui ouvriront ce compte pourront immédiatement demander sa conversion… en dollars. Peut-être doit-on douter de l’efficacité de la mesure en termes de changement des habitudes de paiement ; mais non de son coût pour les finances publiques… à moins que l’initiative doive être comprise comme une mesure de relance économique par la demande… une sorte de revenu universel via le bitcoin !</p>
<p>D’ailleurs, l’annonce du président n’a pas convaincu : selon la Chambre de Commerce du Salvador, 92 % de plus de 1 600 enquêtés ont déclaré leur <a href="https://coinacademy.fr/bitcoin/bitcoin-au-salvador-airdrop-massif-au-peuple-et-membre-du-congres-recalcitrant/">hostilité à l’acceptation du bitcoin</a> et 93,5 % ont déclaré qu’ils ne voulaient pas être payés en bitcoin, devise qui se distingue par sa <a href="https://theconversation.com/le-cours-du-bitcoin-condamne-a-toujours-plus-de-volatilite-163997">forte volatilité</a>.</p>
<p>Selon une <a href="https://news.chastin.com/le-comite-regional-de-lonu-met-en-garde-contre-les-risques-de-blanchiment-dargent-en-vertu-de-la-loi-bitcoin-au-salvador/">étude</a> menée par le Francisco Citizens Research Center (CEC) à l’Université de Gavidia, 53,5 % des Salvadoriens pensent en outre que les mesures visant à établir le bitcoin comme monnaie légale ne sont « pas du tout correctes » et pour 24 % elles sont juste « un peu correctes ».</p>
<p>Pourquoi le pays se lance-t-il dès lors dans l’inconnu en adoptant la cryptomonnaie comme devise officielle ? L’un des principaux arguments du gouvernement salvadorien est que la mesure vise à <a href="https://www.elfinanciero.com.mx/opinion/isabel-cruz/2021/07/06/el-bitcoin-no-abarata-el-costo-de-transferir-remesas/">réduire le coût des transferts</a> des migrants. En 2019, ils représentaient 20,9 % du PIB dans le principal pays du Sud en matière de transferts des migrants. Ces transferts bénéficient à un million de familles qui reçoivent en moyenne 195 dollars par mois.</p>
<p>Il y a 20 ans, le pays avait d’ailleurs <a href="https://www.letemps.ch/economie/salvador-abandonne-monnaie-profit-dollar">abandonné sa monnaie nationale</a> au profit du dollar américain (comme l’<a href="https://www.letemps.ch/economie/lequateur-abandonne-sucre-profit-dollar">Équateur</a>) en raison de l’importance des <em>remesas</em>, les fonds envoyés par les migrants salvadoriens installés <a href="https://unsacsurledos.com/le-salvador-une-histoire-de-migrations-et-despoirs/">principalement aux États-Unis</a> (en particulier à Washington, Los Angeles, Houston et New York).</p>
<p>Or, ce coût pourrait au contraire <a href="https://www.elfinanciero.com.mx/opinion/isabel-cruz/2021/07/06/el-bitcoin-no-abarata-el-costo-de-transferir-remesas/">doubler voire tripler</a> par rapport aux méthodes traditionnelles d’envoi. Cela tient à ce que l’usage interne du dollar fait qu’à la commission d’envoi (en moyenne 2,85 %, soit la plus basse d’Amérique latine et des Caraïbes et l’une des plus basses au monde) ne s’ajoute aucune commission de change en monnaie nationale vu l’usage interne du dollar. Et la commission de change du dollar en bitcoin est à minima de 5 %.</p>
<h2>L’ombre de la mara salvatrucha</h2>
<p>Selon le gouvernement, l’adoption du bitcoin doit également doper l’économie du pays alors que les dépenses publiques pour l’éducation ont diminué de <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SE.XPD.TOTL.GD.ZS?name_desc=true&locations=SV">4,6 % à 3,6 % du PIB</a> depuis 2010… et que les dépenses pour la santé sont tombées de 8,24 % du PIB à 7,1 %.</p>
<p>Encore faut-il pour cela que les infrastructures soient à la hauteur des exigences technologiques pour le fonctionnement d’une cryptomonnaie. Seulement <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/07/04/le-jour-ou-le-salvador-s-est-converti-au-bitcoin_6086923_3234.html">45 % de la population</a> salvadorienne a aujourd’hui accès à Internet et il n’existe dans tout le pays que deux bornes pour changer les bitcoins en dollars ou acquérir des bitcoins contre dollar.</p>
<p>En 2019, El Zonte, une station balnéaire connue sous le nom de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/07/04/le-jour-ou-le-salvador-s-est-converti-au-bitcoin_6086923_3234.html">Bitcoin beach</a>, avait adopté le bitcoin comme moyen local de paiement. Mais le succès n’a pas été à la hauteur des espérances des promoteurs, notamment en raison d’un accès à Internet très défectueux.</p>
<p>Le gouvernement a toutefois annoncé engager une dépense d’un million de dollars pour <a href="https://www.numerama.com/tech/722634-le-salvador-va-installer-des-distributeurs-adaptes-au-bitcoin.html">l’installation de 1 500 bornes</a> afin de faire face à la demande de change en bitcoins. On peut donc considérer avant tout dans l’immédiat l’annonce de Nayib Bukele, 39 ans, comme un coup de pub pour apparaître branché. Mais il est aussi possible de le soupçonner, comme Washington, d’avoir scellé un pacte avec les gangs locaux.</p>
<p>Le 1<sup>er</sup> juillet, les États-Unis, qui accusent <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/5/18/five-of-salvadoran-presidents-allies-accused-of-corruption-us">cinq proches de Nayib Bukele de corruption</a>, ont ainsi mis en garde le pays contre les risques du bitcoin, s’appuyant notamment sur l’exemple de la cyberattaque et demande de rançon dont venait d’être victime la compagnie pétrolière <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/colonial-pipeline-a-accepte-de-verser-une-rancon-de-4-4-millions-de-dollars-aux-cybercriminels.N1094744">Colonial Pipeline</a> quelques semaines plus tôt.</p>
<p>Le Salvador présente en effet un taux de criminalité parmi les plus élevés au monde, hors conflits armés : <a href="https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2017/01/13/11-janvier-2017-premiere-journee-sans-meurtres-au-salvador-depuis-deux-ans_5062506_4832693.html">81,2 meurtres pour 100 000 habitants en 2016</a>. Un sombre record, mais un <a href="https://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/2020-01-02/salvador-forte-chute-du-nombre-des-homicides-en-2019">chiffre en baisse continue depuis</a>. Le président du Salvador est en effet soupçonné de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/criminalite-salvador-le-president-bukele-aurait-aussi-negocie-avec-les-gangs">négocier secrètement</a> avec le principal gang, la <em>mara salvatrucha</em>, qui se livre localement au racket et au trafic de drogue tout en ayant de nombreuses ramifications internationales, pour faire baisser le nombre d’homicides.</p>
<p>C’est ce qui expliquerait l’appui politique dont le président a pu bénéficier lors des dernières <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/01/au-salvador-nayib-bukele-revendique-la-victoire-aux-legislatives_6071593_3210.html">élections législatives de février 2021</a> et sa large popularité actuelle dans le pays.</p>
<p>Début juillet, Alicia Bárcena, secrétaire exécutive de la CEPALC, la Commission régionale des Nations unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes, a mis en garde le gouvernement du Salvador contre les risques macroéconomiques, financiers et juridiques, mais aussi de <a href="https://journalducoin.com/actualites/onu-met-en-garde-salvador-bitcoin/">blanchiment d’argent</a> que pouvait constituer l’adoption du bitcoin comme monnaie légale. La commission régionale de l’ONU a en particulier souligné qu’aucune analyse technique n’avait été réalisée pour évaluer l’impact de cette adoption du bitcoin.</p>
<p>Quant à la Banque mondiale, elle a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/la-banque-mondiale-refuse-d-aider-le-salvador-a-adopter-le-bitcoin-20210617">refusé d’apporter l’aide demandée</a> par le pays afin de mettre en place la généralisation de son usage. En réponse à la dénonciation du <a href="https://www.institut-rousseau.fr/le-bitcoin-mirage-monetaire-et-desastre-ecologique/">caractère énergivore du bitcoin</a>, le président a annoncé l’utilisation d’électricité « propre » pour miner le bitcoin dans le pays grâce à la géothermie des volcans. Le pays pourra en effet sans doute rapidement bénéficier du bannissement du bitcoin de Chine, pays qui réalisait jusqu’à ce printemps <a href="https://investir.lesechos.fr/marches/bitcoin-cryptomonnaies/minage-du-bitcoin-ce-qui-se-passe-en-chine-est-pour-nous-une-opportunite-folle-1969085.php">65 % du minage de la cryptomonnaie</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164728/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Servet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré les réticences de la population et les mises en garde internationales, le pays d’Amérique centrale deviendra le premier à adopter officiellement la cryptomonnaie le 7 septembre prochain.Jean-Michel Servet, Honorary professor, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1606452021-06-16T17:39:37Z2021-06-16T17:39:37ZToujours plus de prisons : pour quoi faire ?<p>Dans une interview accordée au <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/emmanuel-macron-au-figaro-je-me-bats-pour-le-droit-a-la-vie-paisible-20210418"><em>Figaro</em></a>, inaugurant un tournant « sécuritaire » en vue de sa campagne présidentielle, le Président de la République a annoncé un nouveau plan de construction de prisons, visant à équiper la France de 15 000 places supplémentaires à l’horizon 2027. 7 000 d’entre elles sont déjà engagées, <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/le-gouvernement-devoile-les-huit-sites-retenus-pour-la-construction-de-nouvelles-prisons-1618861629">8 000 restent à construire</a>.</p>
<p>La surenchère quant aux places de prison, au nombre de centres, aux durées des peines s’inscrit aussi parmi les thèmes fétiches des candidats aux élections régionales, de <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/regionales-en-ile-de-france-valerie-pecresse-mise-sur-la-continuite-1622648855">Valérie Pécresse</a> (Libres !) pour la Région Ile de France à <a href="https://www.nicematin.com/politique/regionales-pour-renaud-muselier-le-candidat-du-rassemblement-national-est-le-specialiste-des-rumeurs-et-des-mensonges-694222">Renaud Muselier</a> (LR) en PACA.</p>
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<p>Après le plan 13 000 de 1987, le 4 000 de 1995, le 13 200 de 2002, tous issus de gouvernements clairement <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/248917-declaration-de-m-albin-chalandon-ministre-de-la-justice-sur-la-politi">partisans</a> de politiques <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/034000655.pdf">répressives</a>, voici donc aujourd’hui celui d’Emmanuel Macron.</p>
<h2>Des chiffres qui interrogent</h2>
<p>Pourquoi 15 000 ? L’énumération des différents plans qui se sont succédé depuis 25 ans montre que le chiffre de 13 000 places supplémentaires est devenu la norme, celui qui permettrait de résoudre la lancinante question de la <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/273154-prisons-une-surpopulation-chronique-la-france-condamnee-par-la-cedh">surpopulation carcérale</a>. Ce nouveau plan, mûri depuis environ 10 ans, est en fait conçu pour répondre à l’objectif final de 80 000 places de prisons. Comment ce chiffre a-t-il été déterminé ?</p>
<p>Il repose peut-être sur une projection prévisionnelle de la population carcérale, s’appuyant sur les tendances passées. Cela suppose que la criminalité soit toujours de même nature, que la même politique pénale continue d’être menée, et que les arrestations, condamnations et durées de peine soient similaires. Or, ces hypothèses, au moins les deux dernières, se transforment souvent en prophéties autoréalisatrices, ce que confirment les <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00742172">observations</a> sur le terrain.</p>
<h2>Une hausse des incarcérations, mais pour de petits délits</h2>
<p>Ce n’est pas toujours la hausse de la criminalité qui nécessite la construction de nouvelles prisons, mais la décision de construire de nouvelles prisons qui va favoriser des exécutions de peines plus dures concernant la petite délinquance. En d’autres termes, l’inauguration de nouveaux établissements pénitentiaires entraîne une hausse des incarcérations.</p>
<p>En fait, la population carcérale croît de façon régulière depuis 2002. Plus près de nous, on a compté <a href="http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Cahiers_etudes_penitentiaires_et_criminologiques_n50_mai2020_.pdf">4 500 détenus supplémentaires</a> en 5 ans entre 2015 et 2020, augmentation due à la fois à la hausse des entrées en détention, et à l’allongement de la durée des peines. Dans la plupart des cas, il s’agit de « petits » délits. Deux catégories d’infraction, les vols et les atteintes à la législation sur les substances illicites, concernent à elles seules près de la moitié des personnes détenues (46 % au 1<sup>er</sup> janvier 2020).</p>
<p>Le choix d’une politique de construction ne correspond pas à un besoin d’incarcérer plus pour lutter contre la criminalité, logique dont les effets concrets n’ont jamais été démontrés. La dernière étude publiée sur la récidive des sortants de prison montre ainsi que 59 % des personnes sont recondamnées dans les 5 ans après <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00742799">leur libération</a>. L’annonce du « toujours plus de prisons » correspond à une volonté d’afficher une politique plus répressive : on répond à de petits délits en incarcérant plutôt qu’en orientant les auteurs vers d’autres types de sanctions.</p>
<h2>Réduire le nombre de prisonniers ?</h2>
<p>Pourtant, il est possible de réduire le nombre de détenus. Les <a href="https://oip.org/analyse/pays-bas-une-decroissance-carcerale-en-trompe-loeil/">Pays-Bas l’ont montré</a>. Certains <a href="https://www.coe.int/fr/web/human-rights-rule-of-law/-/europe-s-imprisonment-rate-continues-to-fall-council-of-europe-s-annual-penal-statistics-released">pays</a> n’exécutent pas les petites peines.</p>
<p>En France, alors que l’accroissement des personnes incarcérées semblait inéluctable depuis 2002, y compris sous le ministère Taubira, pourtant engagé sur le <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2018-3-page-557.htm">sujet</a>, la crise du Covid nous a montré que les magistrats pouvaient faire sortir rapidement des condamnés sans mettre le pays dans tous ses états. La menace d’une infection massive parmi les détenus a stoppé net une progression qui paraissait inéluctable. En trois mois, leur nombre a chuté de plus de 13 000 personnes. On a pu soulager les établissements de 10 à 20 % de leurs résidents sans problème ni hausse de la délinquance. Il y a ainsi eu une diminution spectaculaire du nombre de détenus entre mars et juin 2020, de <a href="http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Statistique_etablissements_personnes_ecrouees_France_2104.pdf">71 400 à 58 079</a>.</p>
<p>Derrière cette chute se cache une démarche simple : des mesures permettant la sortie anticipée de certains condamnés, ceux considérés comme non dangereux et au faible reliquat de peine, ont été prises pour éviter d’exposer la population carcérale et le personnel de surveillance à des conditions risquées pour leur santé, du fait de la pandémie de Covid-19.</p>
<h2>140 détenus pour 100 places</h2>
<p>Le virus est venu rappeler qu’en France, au 1<sup>er</sup> avril 2021, on compte une moyenne de 125 détenus pour 100 places en maison d’arrêt. Ce taux était beaucoup plus élevé avant la crise, soit 140 détenus pour 100 places au 1<sup>er</sup> janvier 2020. Cette situation avait contraint les établissements à recourir à l’installation de matelas au sol, dans des cellules dont la superficie n’est pas adaptée, afin de parer au dépassement de capacité de la prison.</p>
<p>Or, ce nombre de matelas est en hausse constante, passant de 1 006 au 1<sup>er</sup> janvier 2015 à 1 614 au 1<sup>er</sup> janvier 2020. Malgré les mesures exceptionnelles prises du fait de la pandémie, la densité est restée élevée en maison d’arrêt et on comptait toujours plus de 830 matelas au sol au 1<sup>er</sup> avril 2021.</p>
<p>Si la surpopulation s’est améliorée, le rattrapage, c’est-à-dire le recours croissant aux incarcérations, s’effectue de manière rapide, comme si les risques liés au Covid et à la promiscuité <a href="http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Statistique_etablissements_personnes_ecrouees_France_2104.pdf">avaient disparu</a>.</p>
<p>La <a href="http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Statistique_etablissements_personnes_ecrouees_France_2104.pdflash/cedh-france-condamnee-pour-ses-prisons-indignes">Cour européenne des droits de l’homme</a> nous l’a rappelé, la surpopulation carcérale engendre des conditions de détention indignes, désocialisantes, où règnent les violences, et où le travail d’insertion devient de moins en moins possible.</p>
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<figcaption><span class="caption">France Inter, 18 mai 2021.</span></figcaption>
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<p>Ce constat a d’ailleurs poussé le Conseil Constitutionnel à exiger une <a href="https://www.franceinter.fr/justice/conditions-de-detention-indignes-le-conseil-constitutionnel-exige-une-loi-pour-y-mettre-fin">loi pour y remédier</a>.</p>
<h2>Un cadre déshumanisé</h2>
<p>L’un des arguments avancés par les promoteurs des nouvelles prisons est que la population carcérale va bénéficier d’une amélioration notable de ses conditions de vie. Il est indéniable que les nouveaux établissements offrent un meilleur hébergement, par un accès facilité aux douches, par exemple. Cependant, ils n’offrent pas de solution pérenne à la suroccupation, puisque leur inauguration, en l’absence d’une politique volontariste de freinage, produira un appel d’air conduisant à <a href="http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/coordination-des-politiques-publiques-de-scurit-larticulation-des-politiques-policires-judiciaires-et-pnitentiaires">davantage d’incarcérations</a>.</p>
<p>De plus, pour des raisons d’économies, les établissements se construisent de <a href="https://www.apij.justice.fr/nos-projets/les-operations-penitentiaires/centre-penitentiaire-du-havre">plus en plus loin des villes</a>.</p>
<p>Les liens familiaux déjà brisés par l’incarcération sont ainsi péniblement maintenus, du fait des difficultés de visite liées à l’éloignement.</p>
<p>Faire une heure de car, attendre deux ou trois heures avec de jeunes enfants pour une entrevue de quinze ou vingt minutes avec un proche, tel est le prix à payer pour les familles. Et si les établissements sont ultramodernes, c’est avant tout pour renforcer la sécurité et limiter le nombre de surveillants, conduisant parfois à un <a href="https://www.liberation.fr/societe/2010/02/16/nouvelles-prisons-ultramoderne-solitude_610271/">cadre déshumanisé</a>.</p>
<p>Si l’on veut éviter cela, établissons un numerus clausus afin de garantir aux détenus les conditions d’incarcération prévues par la loi, dont <a href="https://www.cglpl.fr/2014/sur-lencellulement-individuel-dans-les-etablissements-penitentiaires-avis-du-24-mars-2014/">l’encellulement individuel</a>, voté depuis 1875, et <a href="https://www.senat.fr/rap/l99-449/l99-44916.html">sans cesse repoussé</a>. Cette condition remplie, peut-être le discours sur des prisons plus humaines sera-t-il pertinent.</p>
<h2>Qui est incarcéré ?</h2>
<p>Si l’on regarde les chiffres des cinq dernières années, la part des personnes prévenues, c’est-à-dire des prisonniers en attente de jugement, est l’une des causes principales de la hausse du nombre de détenus.</p>
<p>En effet, celui-ci a augmenté de 27,3 % entre 2015 et 2020 en raison d’un nombre toujours plus grand de placements en détention provisoire et, dans une moindre mesure, de l’allongement de la durée de ce type de détention. L’organisation du travail dans les <a href="http://www.gip-recherche-justice.fr/publication/coordination-des-politiques-publiques-de-scurit-larticulation-des-politiques-policires-judiciaires-et-pnitentiaires">tribunaux</a> explique cette situation.</p>
<p>Et ce ne sont plus les accusés de crimes graves qui constituent la majeure partie de ces détenus « en attente ». En 2019, 50 % des placements en détention provisoire correspondent à des comparutions immédiates qui concernent des affaires de flagrants délits peu graves, les plus sérieuses devant faire l’objet d’enquêtes au long cours par un juge d’instruction. Beaucoup de ces prévenus sont là « seulement » pour quelques jours, parce que les audiences correctionnelles sont regroupées.</p>
<p>En maison d’arrêt, ces auteurs supposés de délits plus ou moins graves, du vol simple (sans violences) à la détention de stupéfiants, sont confrontés à des colocataires autrement plus « intégrés » dans les carrières délinquantes, ce qui les amène à subir les exigences de ces derniers, voire à les côtoyer pour le meilleur et surtout pour le pire. La prison peut se révéler l’un des lieux propices à la <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2010-4-page-135.htm">constitution de réseaux de délinquance</a>.</p>
<p>Les prévenus représentaient près de <a href="http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Statistique_etablissements_personnes_ecrouees_France_2104.pdf">30 % des détenus</a> au 1<sup>er</sup> avril 2021, et ce chiffre n’a quasiment pas baissé lors de la crise du Covid.</p>
<p>Par ailleurs, à rebours de l’opinion publique et des discours médiatiques catastrophistes sur la délinquance et la prison comme solution miracle, ce ne sont pas les criminels, auteurs de viols ou d’homicides, qui constituent la majorité de la population incarcérée.</p>
<p>Au 1<sup>er</sup> janvier 2020, les auteurs d’homicide représentaient 12 % de la population carcérale. Les auteurs de viol et d’agression sexuelle toutes catégories totalisaient également 12 %. Les auteurs de vols et autres atteintes aux biens formaient en revanche 27 % des incarcérés, ceux coupables d’atteintes à la législation sur les substances illicites, 19 %, les responsables de violences et autres atteintes à la personne, 18 %.</p>
<p>Et si l’on raisonne en flux (nombre d’entrants) plutôt qu’en « stocks » (nombre de personnes en prison à un moment T donné), les chiffres sont encore plus parlants. Les premiers restent évidemment longtemps en prison, alors que les « petits délits » y restent moins. On incarcère ainsi plus, pour des durées plus courtes, les délinquants de moindre importance.</p>
<p>La durée moyenne des détentions était de <a href="https://www.radars-auto.com/actualite/actu-radars-general/des-peines-de-plus-en-plus-severes-pour-les-degradations-de-radars-1601">10,7 mois en 2019</a>. 35 % des détenus passent <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/18530-trente-ans-de-legislation-antiterroriste">moins de trois mois sous les verrous</a>, alors même que dans tous les domaines, les peines se sont <a href="https://www.ladepeche.fr/2021/01/19/loi-anti-squatteurs-sanctions-alourdies-procedures-ce-que-dit-le-texte-examine-par-le-senat-9320369.php">alourdies</a>. Être en prison n’est donc pas un état qui dure longtemps dans la plupart des cas, mais un temps, plus ou moins bref, dans un parcours de vie. Ainsi, en 2019, 101 824 personnes sont entrées en prison, et 98 962 en sont sorties.</p>
<h2>La prison, seule réponse à la délinquance ?</h2>
<p>Avant de lancer des politiques de construction très coûteuses pour les <a href="https://www.senat.fr/rap/a19-146-7/a19-146-73.html">finances publiques</a>, il eut été intéressant de relancer des politiques alternatives. Or, les libérations conditionnelles (LC) disparaissent, les personnes sous surveillance électronique, en placement à l’extérieur, ou en semi-liberté stagnent ou baissent. En 2020 comme en 2015, on compte un peu plus de 10 000 personnes en détention domiciliaire sous surveillance électronique, 600 placées à l’extérieur et 1600 semi-libres ; ces aménagements n’ont pas évolué en 5 ans. La part et le nombre de libérations conditionnelles diminuent fortement (plus de 2000 LC en moins en 2018 qu’en 2015, une légère reprise en 2019). Les LC concernaient seulement 6 % des détenus en 2019.</p>
<p>Dans les discours politiques simplistes traitant de la prison, rares sont les propositions visant à expliciter les objectifs de l’incarcération. Ils évitent ainsi les questions qui dérangent : l’impact de la prison sur la récidive ou sur la désocialisation des détenus, ses effets pervers, ou la question de la détention provisoire et de sa durée.</p>
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<p>Il faudrait aussi réfléchir à une éventuelle dépénalisation de certains délits, notamment pour les consommateurs de stupéfiants, qui occupent une place importante tant dans les tribunaux que les prisons sans trouver de réponse efficace.</p>
<p>L’annonce de la construction de nouvelles prisons ne permet pas d’ouvrir tous ces débats. En cette période de surenchère sécuritaire, l’emprisonnement apparaît faussement comme une solution miracle. Si son efficacité est présupposée malgré un manque de preuves concrètes, ses effets pervers, eux, restent oubliés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160645/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Mouhanna a reçu des financements du GIP Justice pour ses recherches. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Annie Kensey est aussi Cheffe du bureau des études et de la prospective (PMJ5), direction de l’administration pénitentiaire
</span></em></p>L’annonce du « toujours plus de prisons » correspond à une volonté d’afficher une politique plus répressive, en incarcérant plutôt qu’en orientant les auteurs vers d’autres types de sanctions.Christian Mouhanna, Chercheur au CNRS, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Annie Kensey, Démographe, chercheure associée au CNRS, associée au CESDIP, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1606542021-05-11T17:53:03Z2021-05-11T17:53:03ZAux origines de l’irresponsabilité pénale des fous<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/399950/original/file-20210511-15-1qaques.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C2029%2C1131&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tête de Claude ou de Néron, souvent désigné comme 'l'empereur fou'. Bronze, plâtre, milieu du 1er siècle après J-C. Découvert à Rendham.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b8/T%C3%AAte_de_Claude_ou_de_N%C3%A9ron_03.jpg/2048px-T%C3%AAte_de_Claude_ou_de_N%C3%A9ron_03.jpg">Scailyna/wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Le mercredi 14 avril, la décision de la Cour de cassation consécutive à l’assassinat de Sarah Halimi semait la stupéfaction. L’auteur d’un crime antisémite commis sous l’emprise de la drogue ne serait pas condamné, parce qu’il ne serait pas jugé. Dans la foulée de cette décision, le chef de l’État, qui avait déjà évoqué <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/25/tolle-dans-le-monde-de-la-justice-apres-les-propos-de-macron-sur-l-affaire-halimi_6027173_3224.html">« un besoin de procès »</a>, annonçait par la voix de son ministre de la justice une réforme imminente de l’irresponsabilité pénale des fous.</p>
<p>Ce principe, qui a motivé une décision judiciaire perçue comme scandaleuse par une partie de l’opinion, est pourtant un principe essentiel <a href="https://www.nonfiction.fr/article-10770-agamben-la-condition-coupable-de-lhomme-moderne.htm">du droit et de la morale de tradition romaine</a>, tels qu’ils prennent forme dans l’Antiquité et dont notre code pénal est le dernier héritier.</p>
<p>Faire retour sur son moment fondateur est à la fois un moyen de mieux le comprendre et de constater qu’il a toujours suscité frictions politiques et révoltes intellectuelles.</p>
<h2>« Folie » : les mots et la chose</h2>
<p>A Rome, le principe selon lequel les fous ne sont pas maîtres de leurs actes est affirmé dans l’un des tout premiers documents écrits qu’on ait pu reconstituer : la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/loi-des-douze-tables/">loi des XII Tables</a>, rédigée et promulguée au V<sup>e</sup> siècle avant notre ère par la toute jeune République.</p>
<p>Ce principe est formulé au sujet des affaires privées, mais il résonne avec ce que l’on sait de la prise en compte de l’intention criminelle dans le droit pénal de la même époque.</p>
<p>Si le contexte actuel permet d’observer un surprenant retour en faveur de la notion de « folie », si large et confuse qu’on aurait pu la croire irrémédiablement disqualifiée, le droit romain fait usage d’un lexique précis qui renvoie à des notions proprement juridiques. Pour désigner le fou, le texte des XII Tables emploie le terme <em>furiosus</em> : littéralement, « qui a du <em>furor</em> ».</p>
<p>Sur le plan linguistique, pour parler comme Ferdinand de Saussure, on ne peut qu’être frappé par le fait que cette notion de <em>furor</em> a la même <a href="http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/logphil/notions/langage/convers/textes/saussure/signe.htm">« image acoustique »</a> que le verbe « ravir » à la première personne de la voie passive (<em>furor</em>). De même que l’équivalent le plus fréquent de <em>furiosus</em> dans le droit, à savoir <em>demens</em>, a la même image acoustique que le verbe « enlever » (<em>demere</em>) au participe présent.</p>
<p>Dans une société de communication orale comme la société romaine du V<sup>e</sup> siècle et des siècles suivants, une telle homophonie résonne sans doute puissamment avec une autre expression parfois employée pour désigner le fou : « celui dont l’esprit est saisi » (<em>mente captus</em>).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/399947/original/file-20210511-15-6w9csi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/399947/original/file-20210511-15-6w9csi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/399947/original/file-20210511-15-6w9csi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=815&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/399947/original/file-20210511-15-6w9csi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=815&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/399947/original/file-20210511-15-6w9csi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=815&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/399947/original/file-20210511-15-6w9csi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1024&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/399947/original/file-20210511-15-6w9csi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1024&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/399947/original/file-20210511-15-6w9csi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1024&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Punition de la folie, Bonasone Giulio, 1570, Bibliothèque Municipale de Lyon. Collection Europeana.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/punition-de-la-folie-e86914">Europeana/Picryl</a></span>
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<p>En somme, toute la phénoménologie historique de la notion originelle de « folie » qui est en cause dans le droit romain incite à la concevoir comme une forme d’absence, voire de ravissement ou de rapt : bref, comme une véritable « aliénation » mentale, au sens simultanément spatial et propriétaire du terme.</p>
<p>Or, cette qualification juridique d’« aliénation » (<em>furor</em>) ne se confondra jamais parfaitement avec la notion commune de « maladie mentale » (<em>insania</em>), qui deviendra un concept médical. Les médecins ont leur métier, qui est de prévenir ou guérir la maladie, et les juristes ont le leur, qui requière une forme de raisonnement différente de celle du thérapeute.</p>
<p>Face à un spectre de la « maladie mentale » potentiellement très large, les juristes restreignent la levée de la responsabilité à des situations de délire bien délimitées. Dans ce sens, la question de l’imputabilité est donc relativement indifférente au concept de la maladie concernée, si bien que les très rares fois où les juristes s’aventurent sur le terrain des classifications médicales, c’est pour en dénoncer la pertinence sur le plan juridique. Les « experts médicaux » qui interviennent probablement dans les procès romains n’ont qu’à attester la réalité du trouble du discernement.</p>
<h2>L’irresponsabilité, entre droit et politique</h2>
<p>Dans les plus anciens droits de Babylone (Code de Hammurabi), de l’ancien Israël (premier livre de Samuel), de Grèce (loi de Dracon) comme de Rome (<em>leges regiae</em>), la modulation de la responsabilité en fonction de l’intention criminelle naît de l’invention même de l’État.</p>
<p>Elle est un principe congénital du « droit de la cité », dont les règles et les procédures organisent les relations entre les familles qui se réunissent pour former une société politique. Elle est consubstantielle à l’institution d’une justice publique, chargée de juger de la « culpabilité » et substituée à la <a href="https://cours-de-droit.net/l-histoire-du-droit-penal-avant-le-nouveau-code-penal-a121604314/">justice privée, dont le ressort est la « vengeance » à proprement parler</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AMQQonopuOk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Code de Hammurabi, droit babylonien, Musée du Louvre.</span></figcaption>
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<p>Dans ces droits archaïques, l’équilibre politique dicte de tenir ensemble deux impératifs : conditionner la violence légitime de la peine à l’intention malveillante, mais aussi, consacrer la nécessité du rituel pour rétablir l’unité et la paix dans la communauté.</p>
<p>Les anciennes lois de Rome prévoient par exemple que l’homicide volontaire doit donner lieu à l’offrande d’un ou de plusieurs béliers à la famille du défunt et que ce don d’une victime sacrificielle (le bélier) doit être fait « en public ». Si on peut y voir une compensation matérielle, on doit surtout y voir une prescription sacrificielle destinée à organiser une reconnaissance sociale et une compensation symbolique du fait criminel.</p>
<p>Par la suite, à la fin de la République et sous l’Empire, aux siècles où l’État romain se complexifie, la multiplication des textes relatifs aux crimes des fous dans la jurisprudence reflète l’étoffement de l’appareil judiciaire et l’<a href="https://cours.unjf.fr/repository/coursefilearea/file.php/154/Cours/02_item/indexI0.htm">intensification</a> de la mise à l’écrit du droit.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/399948/original/file-20210511-21-hnu827.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/399948/original/file-20210511-21-hnu827.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/399948/original/file-20210511-21-hnu827.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/399948/original/file-20210511-21-hnu827.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/399948/original/file-20210511-21-hnu827.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/399948/original/file-20210511-21-hnu827.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/399948/original/file-20210511-21-hnu827.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Présentation du taureau à sacrifier. L’exécutant (<em>popa</em> ou <em>victimarius</em>), debout du côté gauche (<em>pars sinistra</em>) de la victime, torse nu, tient la « hache pontificale » (<em>securis pontificalis</em> ou <em>sacena</em>) avec laquelle il va abattre la victime d’un coup frappé sur la tête. Bas-relief IIᵉ siècle av. J.-C., Libye.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sacrifice#/media/Fichier:Theater_Sabratha_14.JPG">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>La compétence de la justice publique s’étend progressivement à de nouveaux types d’actes criminels : ce n’est par exemple que <a href="https://droitromain.univ-grenoble-alpes.fr/Francogallica/cornelia_iniuriis_fran.html">sous Sylla, en 81 av. n. è</a>, que les agressions, les coups et la violation de domicile tombent sous le coup des institutions civiques. Or, jusque dans les cas des crimes regardés comme particulièrement ignominieux tels que le <a href="http://www.slate.fr/story/156203/parricide-terrorisme-crimes-monstreux-droit">« parricide »</a>, le <em>furor</em> « ex-cuse » : littéralement, il « dé-judiciarise ».</p>
<p>Celui qui en souffre est réputé innocent, non pas au sens où il ne saurait faire le mal, mais au sens où il ne saurait le vouloir. Mais à cette époque avancée, plus aucun rite sacrificiel ne vient prendre acte du fait qu’il a pu commettre.</p>
<h2>Un texte clef</h2>
<p>Face à ce scandale pour la morale, les plus techniciens des juristes se sentent parfois tenus de justifier l’irresponsabilité par des fictions qui assimilent les fous criminels à des victimes – de leurs propres agissements, écrit le juriste Ulpien au début du III<sup>e</sup> siècle, ou d’un destin tragique, écrit le juriste Modestin quelques années après.</p>
<p>Leurs curieux arguments font écho à ceux d’un empereur du siècle précédent : Marc Aurèle. A la différence des juristes, essentiellement soucieux de technique juridique, ce prince, comme tout législateur, est responsable de la loi qu’il édicte. Et c’est à lui qu’il échoit, pour la première fois à notre connaissance, de rendre compte en détail de l’étendue et de la limite de l’irresponsabilité des fous. Il le fait dans un rescrit transmis par le juriste Macer (<em>Digeste</em> 1, 18, 14) et promulgué entre 177 et 180, précisément à la suite d’une affaire de parricide, <a href="https://www.academia.edu/12170584/Il_furor_di_Elio_Prisco_Macer_2_iud_publ_D_1_18_14">qui ébranle la société et appelle une intervention du pouvoir</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/399951/original/file-20210511-17-a8unsa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/399951/original/file-20210511-17-a8unsa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/399951/original/file-20210511-17-a8unsa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/399951/original/file-20210511-17-a8unsa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/399951/original/file-20210511-17-a8unsa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/399951/original/file-20210511-17-a8unsa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/399951/original/file-20210511-17-a8unsa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/399951/original/file-20210511-17-a8unsa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Marc-Aurèle, 161-180 après J.-C.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/23416307@N04/9217838434/in/photostream/">Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le texte précise d’abord que si, jusque dans des cas pathologiques parmi les plus graves, on ne délire ni toujours, ni selon la même intensité, la levée de la responsabilité est limitée aux cas dans lesquels l’abolition du discernement est continue et profonde. Le doute, qui tourmente la société, ne saurait bénéficier à l’accusé, surtout à une époque où des philosophes nourrissent la confusion en distribuant trop généreusement le label de « fou ».</p>
<p>Conscient de manipuler une matière politique hautement inflammable, le législateur se sent aussi tenu de justifier l’irresponsabilité sur le plan moral, au moyen d’une fiction juridique : la folie constituerait déjà une « peine » suffisante, et préalable au crime (« satis furore ipso puniatur ») !</p>
<p>Aberration juridique, cette justification toute politique n’est qu’un baume passé sur le scandale moral de l’impunité, qui confirme en retour la nécessité inébranlable du dispositif de l’irresponsabilité des fous dans l’ordre juridique. La formule de compromis inventée par Marc Aurèle n’en constitue pas moins une réponse indispensable à une demande pressante des justiciables, au point qu’elle inspirera les avis d’Ulpien et Modestin au III<sup>e</sup> siècle, et qu’elle continuera a être invoquée par les <a href="https://www-cairn-info.buadistant.univ-angers.fr/juger-les-fous-au-moyen-age--9782130749516-page-173.htm">juristes du Moyen Âge confrontés au même dilemme</a>.</p>
<p>Bien des brumes se lèvent ainsi sur ce texte lorsqu’on prend en compte la fonction politique et religieuse du chef de l’État (romain), qui doit assumer l’existence d’un privilège scandaleux en même temps que nécessaire.</p>
<p>Mais c’est toute l’institution judiciaire qui doit ensuite tenir cet équilibre, dans la réalité de la pratique des tribunaux. Lorsqu’ils se saisiront de la loi de Marc Aurèle, les juristes laisseront ainsi la question des temporalités du délire à l’appréciation des juges et des experts ; mais ils donneront aussi un sens concret à la « fiction de peine » des fous meurtriers en systématisant leur incarcération au titre de la sûreté publique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160654/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Henri Ortiz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’irresponsabilité pénale des fous est un principe essentiel du droit et de la morale de tradition romaine à l’origine du code pénal français contemporain.Pierre-Henri Ortiz, Maître de conférences en histoire romaine, Université d'AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1569182021-04-05T16:29:17Z2021-04-05T16:29:17ZIdentifier les mécanismes de la pédocriminalité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/393256/original/file-20210402-19-bjxr93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C11%2C1270%2C946&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment faire pour prévenir le passage à l'acte des pédocriminels ?</span> <span class="attribution"><span class="source">andreasfuchs8732 / pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En France, une nouvelle commission sur l’inceste et les violences sexuelles a récemment <a href="https://www.humanite.fr/violences-sexuelles-une-commission-sur-linceste-et-la-pedocriminalite-701334">vu le jour</a> suite à plusieurs affaires très médiatiques, mettant en cause des personnalités du monde intellectuel, à l’instar des révélations de Vanessa Springora et de Camille Kouchner. Plus récemment, l’Eglise catholique a <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/pedocriminalite-leglise-catholique-devoile-une-premiere-plaque-hommage-aux-victimes-de-pretres_fr_604e5e82c5b672fce4ed8d98">fait poser une plaque</a> en Vendée commémorant les noms des victimes de prêtres pédocriminels.</p>
<p>Au Canada, la prévalence criminelle baisse globalement pour la majorité des infractions au cours des dernières années, sauf pour les <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2019001/article/00013-fra.htm">infractions sexuelles</a> qui augmentent. La Fondation OAK a décidé de subventionner massivement un <a href="https://www.leroyal.ca/actualites/le-royal-et-le-centre-moore-pour-la-prevention-des-abus-sexuels-sur-les-enfants-recoivent-une-subvention-de-103-millions-usd-pour-lancer-une-initiative-de-prevention-lechelle-mondiale">programme de prévention</a> des agressions sexuelles à l’encontre des enfants. En France, l’État prend des <a href="https://www.france24.com/fr/france/20210126-les-mesures-de-lutte-contre-la-p%C3%A9docriminalit%C3%A9-en-france-jug%C3%A9es-insuffisantes">mesures</a> pour améliorer la lutte contre la pédocriminalité.</p>
<p>Inceste, pédophilie, pédocriminalité : des termes qui interrogent, qui recouvrent des réalités diverses, souvent mal ou peu comprises et qui nécessitent pour une meilleure prévention de ces violences une meilleure connaissance des mécanismes à l’œuvre, mais aussi la prise en charge des auteurs, parallèlement à celle des victimes.</p>
<h2>Définir les termes</h2>
<p>La pédocriminalité est la criminalité à l’encontre des enfants. C’est un terme encore peu utilisé qui inclut la pédophilie, l’inceste et l’exploitation sexuelle des enfants (prostitution infantile, pédopornographie).</p>
<p>La pédophilie est définie comme une préférence sexuelle pour les enfants (généralement d’âge prépubère ou au début de la puberté, c’est-à-dire de moins de 13 ans).</p>
<p>Il s’agit d’une paraphilie (qu’on appelait avant une « perversion sexuelle ») qui est définie comme un intérêt sexuel « atypique » ou « déviant » (désirs, fantasmes récurrents, extrêmes ou non conformes à la société), spécifique et constant (durée d’au moins six mois), nécessaire à l’excitation et la satisfaction sexuelles de la personne pédophile.</p>
<p>On parlera de <a href="https://www.theravive.com/therapedia/pedophilic-disorder-dsm--5-302.2-(f65.4)">trouble pédophilique</a> lorsque la personne est passé à l’acte ou que la paraphilie provoque une altération importante de plusieurs domaines de sa vie (familial, scolaire ou professionnel, social), avec une détresse (souffrance, désarroi) ou qu’elle présente un risque de nuire à autrui.</p>
<p>La pédophilie concerne des auteurs de violences sexuelles adultes (sujets de plus de 16 ans et d’au moins 5 ans de plus que la victime), mais l’intérêt sexuel déviant (paraphilie) existe souvent depuis l’adolescence (notion de « déviance sexuelle »). Sa prévalence est <a href="https://doi.org/10.1037/11639-000">estimée à 3 à 5 %</a>.</p>
<p>Elle concerne presque exclusivement des hommes (plus de 95 %), dont l’activité peut être exclusive (10 %) ou compatible avec une activité sexuelle dite conventionnelle. La pédophilie ne s’accompagne pas nécessairement de passages à l’acte sexuel. Elle peut se limiter par exemple à des visionnages d’images pédopornographiques (les liens entre <a href="https://doi.org/10.7202/013128ar">pornographie juvénile et pédophilie</a> restent complexes).</p>
<p>La pédophilie rend compte d’une hétérogénéité clinique importante, notamment en fonction de l’âge des victimes ou de leur sexe. <a href="https://nyaspubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1749-6632.2003.tb07303.x">Le risque de récidive sexuelle</a> pour l’ensemble des auteurs d’infraction à caractère sexuel est de 14 % sur 5 ans, 20 % sur 10 ans, 24 % sur 15 ans et 27 % sur 20 ans.</p>
<p>En cas de pédophilie, le risque de récidive augmente, particulièrement pour la pédophilie dite homosexuelle (c’est-à-dire avec une victime du même sexe que l’auteur) : de l’ordre de 35 % sur 5 ans.</p>
<h2>Inceste et pédophilie ?</h2>
<p>L’<a href="https://theconversation.com/ces-climats-familiaux-qui-favorisent-linceste-153954">inceste</a> se définit par des relations sexuelles au sein de la famille (entre parents très proches, c’est-à-dire des personnes d’une même famille dont le degré de parenté ou d’alliance ne permet pas le mariage). Si on distingue habituellement les agresseurs d’enfants intrafamiliaux (qualifiés d’agresseurs incestueux) des agresseurs d’enfants extrafamiliaux (pédophiles), il serait préférable de parler plutôt de <a href="https://doi.org/10.1002/car.649">pédophilie intra ou extrafamiliale</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/XVnxwGtmqso?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Podcast d’Arte radio sur l’inceste et la pédocriminalité.</span></figcaption>
</figure>
<p><a href="https://doi.org/10.1097/00131746-200209000-00004">Les agresseurs d’enfants intrafamiliaux (incestueux)</a> qui représentent 20 % des pédophiles ont plus d’antécédents de difficulté dans l’enfance (carences affectives précoces, maltraitance, perturbations familiales avec séparations, survenue d’évènements traumatiques, faible attachement aux figures parentales, etc.). Leurs passages à l’acte pourraient être favorisés par des situations de pertes affectives ou de situations aversives (deuil des parents, décès d’un enfant, « crise » conjugale, rupture, chômage ou accident grave). Les deux tiers de ces agresseurs incestueux ont aussi pu agresser un enfant en dehors du cadre familial.</p>
<p>Les <a href="https://doi.org/10.1016/j.cpr.2015.04.001">agresseurs d’enfants extrafamiliaux</a> (pédophiles) présentent généralement un niveau plus élevé de paraphilie pédophillique, une plus grande difficulté de régulation sexuelle, plus de déni et de distorsions cognitives (croyances erronées relatives à la sexualité des enfants).</p>
<p>Ils présentent également plus de traits antisociaux et ils ont plus souvent affaire à la Justice. Près d’un quart d’entre eux a aussi agressé une victime au sein de leur famille.</p>
<h2>Facteurs déterminants ?</h2>
<p>Les déterminants sont probablement multiples : biologiques, expérientiels (antécédents), d’ordre psycho-environnemental, etc. Le trouble paraphilique (pédophilique) tel que défini au début, autrement dit la « maladie » (équivalence du terme anglais « disorder ») qui implique généralement une souffrance ou détresse psychologique ou des dysfonctions majeures de la vie quotidienne reste sans doute rare, à l’inverse de la paraphilie (attrait sexuel à l’égard des enfants) qui pourrait être plus fréquente. Les causes de la pédophilie sont encore mal connues.</p>
<p>Le risque de passage à l’acte sexuel contre les enfants est lié de manière générale à l’attrait sexuel envers les enfants. La genèse de cette paraphilie (« déviance sexuelle ») est difficile à expliquer. Elle peut être en lien avec des violences sexuelles subies (environ 1/3 des cas chez tous les auteurs de violences sexuelles, mais jusqu’à 42 % en cas de pédophilie).</p>
<p>Un <a href="https://doi.org/10.1375/pplt.14.2.251">homme sur deux ayant subi des violences sexuelles</a> dans l’enfance agressera à son tour des victimes des deux sexes et parfois de plusieurs groupes d’âges différents. Elle peut aussi résulter d’autre types de rencontres précoces et inappropriées avec la sexualité et être plus largement favorisée par des carences, des maltraitances physique et psychologiques.</p>
<p>Le rôle des <a href="https://doi.org/10.1080/10683160601060564">distorsions cognitives</a> est majeur. Elles vont à la fois (i) justifier la paraphilie (« les enfants ont aussi le droit à une sexualité »), (ii) voire le passage à l’acte pédophile en mettant en avant que c’est l’enfant ou le préadolescent qui était demandeur d’une relation sexuelle (« il/elle m’a séduit » ; « il/elle m’a sollicité » ; « il/elle semblait curieux(se) »), mais aussi (iii) contribuer à minorer la responsabilité de l’auteur une fois l’infraction réalisé (« je ne lui ai pas fait mal » ; « il ne s’agissait que de caresses », etc.).</p>
<h2>Des troubles d’ordre neuropsychologique</h2>
<p>Il a été mis en évidence des <a href="https://doi.org/10.1177/1079063213482842">troubles d’ordre neuropsychologique</a>, en particulier un dysfonctionnement exécutif (impulsivité comportementale, difficulté d’inhibition). Des régions cérébrales pourraient être impliquées (cortex frontal et certaines régions sous-corticales temporales, notamment le complexe amygdalien) dans l’absence d’inhibition des comportements pédophiles. Un <a href="https://doi.org/10.1177/107906320101300205">déficit d’empathie</a> a également été mis en évidence chez les agresseurs d’enfants.</p>
<p>Il faut distinguer le niveau d’<a href="https://doi.org/10.1016/j.lpm.2016.09.004">empathie cognitive</a> (qui réfère à la capacité de se mettre à la place d’une autre personne) qui serait normal, voire élevé et qui pourrait servir une capacité d’identification aux enfants, de compréhension et d’anticipation de leurs besoins (dans le but d’établir avec eux des relations de séduction et d’emprise) du niveau d’empathie affective (qui réfère à la capacité de ressentir les mêmes émotions qu’une autre personne, de souffrir avec elle par exemple) qui serait abaissé.</p>
<p>On doit questionner plus largement la difficulté des sujets présentant une paraphilie (pédophillique) à établir des relations « sécurisées » avec les autres adultes (qui sont perçus comme hostiles) et le fait qu’ils <a href="https://doi.org/10.1177/107906320501700406">préféreraient porter leur attention sur des enfants</a> (ressentis comme moins menaçants, plus manipulables).</p>
<p>Cela pourrait être en lien avec des difficultés des habiletés sociales, une moins bonne image de soi (dévalorisation, sentiment de ne pas mériter l’amour d’autrui), des troubles anxio-dépressifs et pose plus largement la question des difficultés de construction de soi et une auto-centration sur ses besoins affectifs et sexuels.</p>
<h2>Prise en charge de la pédophilie</h2>
<p>La paraphilie pédophilique (attrait sexuel à l’égard des enfants, préférence sexuelle) va demeurer présente toute la vie du sujet, mais on peut l’aider à réduire son intensité et ses conséquences et tenter d’éviter les passages à l’acte ou leur récidive.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gCCTZSTBNsU?wmode=transparent&start=213" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Témoignages de pédophiles recueillis par l’AFP dans le cadre d’un reportage.</span></figcaption>
</figure>
<p>Les traitements des troubles paraphiliques pédophiliques associent habituellement des prises en charge d’ordre psychothérapeutique (indiquée dans tous les cas) et médicale. Une prise en charge pharmacologique peut être recommandée, notamment pour réduire les fantasmes sexuels déviants et/ou l’activité sexuelle.</p>
<p>Ces <a href="https://doi.org/10.3109/15622971003671628">traitements sont codifiés</a>. Il peut s’agir d’antidépresseurs pour leurs effets secondaires de réduction de la libido ou des <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01766814/document">traitements dits anti-hormonaux</a> (anti-androgènes ou agonistes de la GnRH) pour les cas les plus sévères (niveau de risque élevé de récidive). Ces traitements requièrent l’accord du sujet et ils ont des effets secondaires importants.</p>
<p>La prise en charge des personnes présentant un trouble paraphilique (pédophilique) se fait le plus souvent dans un cadre de soins pénalement ordonnés, c’est-à-dire après une condamnation à une injonction de soins, avec suivi socio-judiciaire assuré par un conseiller du Service pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP).</p>
<p>Il est aussi important d’aider les personnes ayant une paraphilie (attrait sexuel) n’étant jamais passé à l’acte. C’est dans ce cadre qu’en France, la <a href="https://www.ffcriavs.org/accueil/">Fédération des CRIAVS</a> (Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles) a mis en place un dispositif de prévention sous la forme d’un numéro de téléphone unique pour les personnes attirées sexuellement par les enfants : 0806 23 10 63.</p>
<hr>
<p><em>Pour les enfants victimes de violences ou d’abus, appelez le 119</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156918/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Joyal a reçu des financements de l'Office des Personnes Handicapées du Québec (OPHQ) et du Conseil de Recherches en Sciences Humaines (CRSH) du Canada. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Robert Courtois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Inceste, pédophilie, pédocriminalité : des termes recouvrant des réalités diverses, nécessitant d'être mieux compris pour la prévention mais aussi prise en charge des victimes comme des auteurs.Robert Courtois, Psychiatre à temps partiel au CHU de Tours, Maître de conférences - HDR en psychologie, Université de ToursChristian C. Joyal, Professeur, Département de Psychologie, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1553842021-02-22T17:42:48Z2021-02-22T17:42:48ZCyberattaques et kidnapping des données : comment protéger les organisations des rançongiciels ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/385562/original/file-20210222-17-16yu7f4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C9%2C1268%2C649&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les nombreuses attaques sur données de collectivités ou entreprises inquiètent les autorités du fait de leur rapide évolution.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/illustrations/bleu-%C3%A0-la-main-cyber-attaque-2228501/">BrownMantis/Pixabay </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Après Rouen en 2019, Dax dans les Landes puis <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/02/15/apres-celui-de-dax-l-hopital-de-villefranche-paralyse-par-un-rancongiciel_6070049_4408996.html">Villefranche</a> dans la Saône et désormais la <a href="https://www.sudouest.fr/france/une-cyberattaque-touche-la-ville-et-l-agglomeration-de-chalon-sur-saone-1397048.ph">ville de Chalon-sur-Saône</a> : ces centres hospitaliers ou leurs collectivités ont été victimes de logiciels malveillants, paralysant leur système informatique.</p>
<p>Entre <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/02/15/plusieurs-entites-francaises-ont-ete-touchees-par-une-cyberattaque-entre-2017-et-2020_6070057_4408996.html">2017 et 2020</a>, plusieurs collectivités et entreprises françaises ont été sujettes à des attaques, souvent suivies de demandes de rançon. Le kidnapping de données immobilise parfois des secteurs extrêmement périlleux, comme les hôpitaux, déjà bien affaiblis par la crise sanitaire.</p>
<p>Ailleurs <a href="https://www.ictjournal.ch/news/2020-02-05/la-cyberattaque-contre-bouygues-construction-affecte-aussi-ses-filiales-suisses">Bouygues</a>, <a href="https://www.ictjournal.ch/news/2020-06-10/une-cyberattaque-paralyse-plusieurs-usines-de-honda">Honda</a>, <a href="https://www.ictjournal.ch/news/2020-06-02/piratage-de-stadler-rail-les-hackers-publient-les-premieres-donnees-update">Stadler rail</a> (une entreprise suisse), <a href="https://www.ictjournal.ch/news/2020-08-07/canon-aurait-ete-victime-dune-cyberattaque">Canon</a>, <a href="https://www.ictjournal.ch/news/2020-10-27/sopra-steria-lhypothese-dune-attaque-eclair-combinant-ryuk-et-zerologon">Sopra Steria</a> et tout récemment <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/cyberattaque/plus-de-trois-milliards-de-logins-et-mots-de-passe-gmail-et-hotmail-voles-puis-mis-en-ligne-7152404">Gmail/Hotmail</a> ont aussi subi ce type d’attaques.</p>
<p>Une nouvelle modalité d’extorsion des données <a href="https://secure2.sophos.com/en-us/medialibrary/Gated-Assets/white-papers/sophos-the-state-of-ransomware-2020-wp.pdf">semble d’ailleurs</a> émerger. Il s’agit d’une forme d’extorsion numérique plus rapide, sans cryptage de données, mais toujours avec le paiement d’une rançon. Les <a href="https://secure2.sophos.com/en-us/medialibrary/Gated-Assets/white-papers/sophos-the-state-of-ransomware-2020-wp.pdf">pays les plus touchés</a> sont notamment le Nigéria, la Colombie, l’Afrique du Sud, la Chine, la Pologne, la Belgique et les Philippines.</p>
<p>D’après une étude récente de Xerfi cette forme de cybercriminalité aurait coûté aux entreprises dans le monde environ 350 milliards d’euros en 2017 et 885 milliards d’euros en <a href="https://www.xerfi.com/presentationetude/Le-marche-mondial-des-services-numeriques_20XSAE01">2020</a>.</p>
<p>Le cabinet <a href="https://www.accenture.com/_acnmedia/Thought-Leadership-Assets/PDF/Accenture-Securing-the-Digital-Economy-Reinventing-the-Internet-for-Trust.pdf">Accenture</a> évalue d’ailleurs, pour la projection de période 2019-2024, le coût de la cybercriminalité pour les entreprises à l’échelle mondiale à 4 600 milliards d’euros.</p>
<p>Alors comment fonctionne ce type d’attaques ? Et comment s’en prémunir ?</p>
<h2>Des modes opératoires proches des kidnappings de personnes</h2>
<p>Mes <a href="https://www.researchgate.net/publication/341042613_L%27organisation_face_au_kidnapping_Technologie_de_securite_et_interaction_humaine_en_milieu_hostile">recherches</a> sur le kidnapping et l’extorsion montrent des modes opératoires assez similaires entre le rançonnage « physique » impliquant directement des personnes et le kidnapping dit « virtuel » ou « immatériel ».</p>
<p><a href="https://dn.revuesonline.com/article.jsp?articleId=12664">L’instantanéité</a> des <a href="https://ebizzwatchblog.wordpress.com/2019/11/11/atawad-anytime-anywhere-any-device/">échanges d’informations</a> toujours plus rapides et volumineuses dans l’entreprise comme dans la société trouve un écho chez les <a href="http://europia.org/RIHM/V20N2/2-RIHM20(2)-Lollia.pdf">cybercriminels</a>.</p>
<p>Ces derniers utilisent des <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/video/2021/02/17/comment-fonctionnent-les-cyberattaques-aux-rancongiciels-qui-ont-cible-des-hopitaux_6070246_4408996.html">logiciels</a> aux noms comme Darkside, Ryuk, Egregor, DoppelPaymer, REvil ou bien encore <a href="https://www.zataz.com/ransomware-un-operateur-de-ryuk-et-avaddon-raconte/">Avaddon</a>. Ils capturent les données en les cryptant, en échange d’une rançon plutôt sous forme de cryptomonnaie en contrepartie d’une clef de déchiffrement permettant de récupérer les données.</p>
<p>Certaines organisations commerciales ont ainsi dû verser jusqu’à un million de dollars pour une seule attaque, alors que d’autres ont subi des pertes de plusieurs <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s41125-019-00039-8">centaines de millions de dollars</a>.</p>
<p>Une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s41125-019-00039-8">étude</a> récente montre l’impact économique des logiciels de rançon sur les entreprises, entre les sommes versées et la perte de revenus liée à l’arrêt de l’activité et de la production.</p>
<p>Depuis 2018, il est estimé que le coût de la cybercriminalité mondiale a atteint plus de <a href="https://www.mcafee.com/enterprise/en-us/assets/reports/rp-hidden-costs-of-cybercrime.pdf">1 000 milliards de dollars</a>. Le record actuel du montant du rançonnage est de <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/02/17/attaques-aux-rancongiciels-les-autorites-tentent-de-contenir-la-deferlante_6070220_4408996.html">34 millions de dollars</a>. Il est attribué à une entreprise dont l’identité est encore sous anonymat.</p>
<h2>Évolution du ransomware</h2>
<p><a href="https://www.researchgate.net/profile/Aws_Jaber/publication/320837526_A_Short_Review_for_Ransomware_Pros_and_Cons/links/5b7db174a6fdcc5f8b5c526b/A-Short-Review-for-Ransomware-Pros-and-Cons.pdf">Les recherches</a> montrent que le <em>ransomware</em> a connu une évolution importante et progressive. Nous sommes très rapidement passés des logiciels paralysant les données (<em>locker ransomware</em>) contre rançon aux logiciels capturant les données en les cryptant (<em>cryptoransomware</em>) en échange d’une rançon souvent sous forme de cryptomonnaie s’illustrant par le bitcoin.</p>
<p>On observe aujourd’hui une utilisation conjointe du cryptoransomware et du bitcoin, notamment pour le versement d’une rançon, car ce mode de paiement se veut indétectable et permet de faire des transferts d’argent sans passer par une <a href="https://doc.rero.ch/record/323720/files/Misini_Leutrim_TDB.pdf">autorité tierce</a>.</p>
<p>Dans le monde réel, le kidnapping contre rançon est tout aussi diversifié.</p>
<p>Il existe le <em>bossnapping</em>, (séquestration de patron) ou la « balade au millionnaire », le kidnapping express, le kidnapping terroriste ou le <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=JSjgDwAAQBAJ">kidnapping crapuleux</a>.</p>
<p>Le <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/sequestration-de-patron-ou-bossnapping-a-chaque-pays-sa-methode_44979">bossnapping</a> est une pratique qui consiste à ne kidnapper que des chefs d’entreprises notamment par des employés en échange du retour d’une cause demandée par une organisation telle que les syndicats. Pensons ici au cas de <a href="http://www.wk-rh.fr/actualites/upload/CDRH153_sequestration.pdf">Fernando Ruzza</a>, directeur général de la filière de la filiale Omnia Network SPA. Ce dernier avait été séquestré par ses employés suite à leurs licenciements alors que l’entreprise avait augmenté ses profits.</p>
<p>Le kidnapping express, qui consiste à kidnapper une personne devant un distributeur de billets de banque est par exemple très répandu en <a href="https://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/2019-11-28/le-kidnapping-une-plaie-mexicaine">Amérique latine</a>.</p>
<h2>Quelles conséquences pour les auteurs et l’entreprise ?</h2>
<p>Le fait d’introduire frauduleusement des données dans un système de traitement automatisé ou de supprimer ou de modifier frauduleusement les données qu’il contient, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende (art. 121-3 du CP). Ensuite, concernant l’atteinte au système le fait d’entraver ou de fausser le fonctionnement d’un système de traitement automatisé de données est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.</p>
<p>Même si juridiquement l’infraction est bien caractérisée par la législation française (art. 121-3 du CP), on note, selon Europol, une certaine inefficacité à les appliquer. Par exemple, en France un seul mis en cause a été jugé dans une affaire en octobre. S’il a été condamné pour des faits de blanchiment, il a en revanche était relaxé pour les <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/02/17/attaques-aux-rancongiciels-les-autorites-tentent-de-contenir-la-deferlante_6070220_4408996.html">faits liés aux affaires de rançongiciel</a>.</p>
<p>Comme le confirme dans le journal <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/02/17/une-operation-de-police-vise-des-pirates-lies-au-rancongiciel-egregor_6070329_4408996.html"><em>Le Monde</em></a>, <a href="https://cybercercle.com/bios/catherine-chambon/">Catherine Chambon</a>, sous-directrice de la lutte contre la cybercriminalité à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), les interpellations pour des faits liés aux rançongiciels demeurent très rares.</p>
<p>En effet, les rançongiciels ont pris de vitesse les autorités, impuissantes à juguler le phénomène. C’est donc, selon elle, extrêmement compliqué de trouver les auteurs. D’autant plus que contrairement au monde réel, il n’est pas possible de compter sur les informations des services de renseignements contrairement au terrorisme.</p>
<p>Ce qui donne plus d’envergure au travail effectué par les services d’Europol dans le <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-europol-casse-le-redoutable-botnet-emotet-avec-un-appui-policier-81784.html">démantèlement d’Emotet</a>, l’un des plus grands réseaux d’ordinateurs infectés et utilisés par certains rançongiciels pour faire des victimes.</p>
<p>Mais également de l’équipe à l’origine du rançongiciel Egregor <a href="https://www.zdnet.fr/actualites/ransomware-des-operateurs-d-egregor-interpelles-en-ukraine-39917907.htm">interpellée</a> récemment en Ukraine par les mêmes services.</p>
<p></p>
<p>Selon les <a href="https://www.lesechos.fr/pme-regions/pays-de-la-loire/les-cyberattaques-doublent-le-risque-de-defaillance-pour-les-entreprises-1280251">études</a>, il ressort que le risque de défaillance (répercussions et risques d’atteintes à l’entreprise) peut augmenter de 50 % dans les trois mois qui suivent l’annonce de l’incident.</p>
<p>Ce risque peut aller jusqu’à 80 % pour les entreprises françaises. À cela s’ajoute une perte de valorisation de 8 à 10 % après l’annonce, sans compter des dommages immatériels liés à la réputation de l’entreprise. Tout ceci s’effectue dans un contexte où la progression des attaques de rançongiciels est de <a href="https://www.franceinter.fr/amp/justice/cybersecurite-des-pirates-egregor-a-l-origine-de-l-attaque-contre-ouest-france-interpelles-en-ukraine">255 %</a> en 2020.</p>
<h2>Le ransomware comme « service commercial »</h2>
<p>Le marché noir du ransomware fonctionne « as a service » c’est-à-dire comme une offre de service. Les logiciels ransomware sont fabriqués par des opérateurs qui recrutent ce que le jargon nomme des « affiliés », des opérationnels, qui vont hacker et ensuite partager le magot en pourcentage avec les opérateurs (créateurs du logiciel).</p>
<p>Ce sont ces affiliés qui vont infiltrer le réseau des victimes via le rançongiciel. La rançon qui sera obtenue fera ensuite l’objet d’un partage entre les affiliés et le vendeur du logiciel à des taux variables selon des critères qui peuvent dépendre de l’appartenance au groupe par exemple.</p>
<p>Il est d’ailleurs d’usage que certains affiliés décident de ne pas travailler avec certains opérateurs dans la mesure où il estime que le pourcentage de <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/02/17/le-business-du-ransomware-comment-s-organise-la-vente-des-attaques-aux-rancongiciels_6070264_4408996.html">rétrocession</a> est trop important.</p>
<p>Ce processus est à comparer avec le kidnapping contre rançon dans le monde réel, situation que Dorothée Moisan, journaliste d’investigation décrit dans son ouvrage <a href="https://booknode.com/rancons_enquete_sur_le_business_des_otages_01084844"><em>Le business des otages</em></a></p>
<h2>Qui sont ces cyber-extorsionnistes ?</h2>
<p>Le processus repose par ailleurs sur un triptyque récurrent : crypter les données empêchant leur utilisation par l’usager, obtenir le paiement et décrypter les données.</p>
<p><a href="https://secure2.sophos.com/en-us/medialibrary/Gated-Assets/white-papers/sophos-the-state-of-ransomware-2020-wp.pdf">Les résultats des études menées à l’échelle mondiale</a> au niveau des organisations montrent que dans 73 % des cas, les cybercriminels ont réussi à crypter les données, alors que dans 24 % des cas, l’attaque a échoué, empêchant le cryptage des données. Plus particulièrement en France, on observe que 17 % des attaques ont été stoppées avant que les données ne soient attaquées au sein des organisations.</p>
<p>Concernant la localisation géographique on observe que la plupart des hackers proviennent de pays tels que la <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/02/17/attaques-aux-rancongiciels-les-autorites-tentent-de-contenir-la-deferlante_6070220_4408996.html">Russie et ceux de l’Europe de l’Est comme l’Ukraine</a> dans la mesure où le codage se fait le plus souvent sur les créneaux horaires de ces pays avec des écritures en alphabet cyrillique.</p>
<h2>Les failles de l’usager</h2>
<p>Les <a href="https://doc.rero.ch/record/323720/files/Misini_Leutrim_TDB.pdf">recherches</a> à ce sujet montrent par ailleurs que la plupart des particuliers manquent de rigueur et de connaissances informatiques. Il s’agit là d’une faille importante, car les hackers se servent de cette négligence pour injecter le virus dans le système informatique via un mail en général ou tout autre moyen d’ingénierie sociale.</p>
<p>Le particulier a tendance à utiliser des antivirus gratuits moins performants, et à négliger la mise à jour de son logiciel ou les protections de base telles que le proxy ou le pare-feu. On constate la transmission du virus par l’introduction d’une manière innocente de clef USB au sein d’un des ordinateurs de l’entreprise.</p>
<p>Aussi, deux types d’attaques sont constatées : les <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/video/2021/02/17/comment-fonctionnent-les-cyberattaques-aux-rancongiciels-qui-ont-cible-des-hopitaux_6070246_4408996.html">attaques à l’aveugle et les attaques ciblées</a>.</p>
<ul>
<li><p>Les attaques opportunistes ou aveugles correspondent aux attaques en volumes sans cible fixe. Leur objectif serait de ramener plusieurs rançons (généralement de faibles quantités).</p></li>
<li><p>Les attaques ciblées, quant à elles, visent une cible particulière ayant les moyens de payer une rançon conséquente. Il s’agit en général de personne morale telle que les entreprises, les banques et les organisations.</p></li>
</ul>
<h2>Le problème du paiement de la rançon</h2>
<p>Qu’il s’agisse d’un kidnapping d’un humain ou de données, la question primordiale est de savoir si, finalement, la rançon doit être payée.</p>
<p>C’est une question complexe qui fait débat et dont la réponse diffère selon les cas. Dans le monde physique, les recherches montrent que la solution dépend du type de kidnapping. Par exemple, dans le cas d’un kidnapping terroriste, certains États paient la rançon, alors que d’autres, comme les États-Unis <a href="https://www.amazon.fr/Lentreprise-risque-denlevement-risques-securitaires-ebook/dp/B00PDTSKL4">refusent catégoriquement</a> de le faire.</p>
<p>D’autres encore affirment publiquement qu’ils ne céderont pas, mais versent quand même la rançon par <a href="https://www.amazon.fr/Lentreprise-risque-denlevement-risques-securitaires-ebook/dp/B00PDTSKL4">l’intermédiaire</a> d’ONG.</p>
<p>Dans le monde des cyberattaques, là encore les <a href="https://discovery.ucl.ac.uk/id/eprint/1541227/1/Stringhini_defense %20against %20cryptographic %20ransomeware.pdf">recherches</a> montrent des avis divergents sur la question.</p>
<h2>Quelles solutions ?</h2>
<p>De nombreuses entreprises victimes tentent d’éviter d’évoquer publiquement les affaires de cyberattaque, pour ne pas détériorer leur image et la confiance de leurs clients, fournisseurs et partenaires. Mais depuis quelque temps on <a href="https://www.silicon.fr/hub/hpe-intel-hub/limpact-du-vol-de-donnees-sur-limage-de-lentreprise">observe</a> une évolution.</p>
<p>Les entreprises privilégient davantage la communication et la transparence auprès de leurs clients et partenaires afin justement de ne pas perdre leur confiance tout en tentant d’expliquer comment l’organisation a fait face et a réussi à gérer la situation.</p>
<p>Reste que les principales techniques utilisées par les hackers reposent sur les failles de l’usager et sa méconnaissance des <a href="https://doi.org/10.5539/mas.v14n3p68">courriers électroniques et des liens malveillants</a>. Il est ainsi préconisé de faire des sauvegardes régulières des données en les conservant dans un espace non connecté à l’infrastructure de l’entreprise afin d’éviter tout chiffrage en cas d’attaques.</p>
<p>Comme le montrent les <a href="http://www.ccsenet.org/journal/index.php/mas/article/view/0/42123">recherches scientifiques</a>, les meilleures solutions pour lutter contre le kidnapping par ransomware peuvent se résumer en trois points : l’éducation des utilisateurs, une politique de sécurité stricte, et des procédures et stratégies de sauvegarde.</p>
<p>Enfin, il est essentiel de déposer plainte auprès des services de police nationale ou gendarmerie et de s’adresser aux services spécialisés notamment le service cybermalveillance, le portail NoMoreRansom et les recommandations de <a href="https://www.ssi.gouv.fr/entreprise/principales-menaces/comment-se-premunir-de-ces-menaces/">l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155384/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Parallèlement à son activité de chercheur, Fabrice LOLLIA est fonctionnaire de police dans un service spécialisé de protection des personnes.</span></em></p>Plusieurs organismes ont été sujettes à des demandes de rançon par kidnapping de données. Comment les assaillants procèdent-ils et comment s’en prémunir ?Fabrice Lollia, Docteur en sciences de l'information et de la communication, chercheur associé laboratoire DICEN Ile de France, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1548662021-02-09T19:30:33Z2021-02-09T19:30:33ZFemmes dealeuses : des profils atypiques, mal identifiés et méconnus<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/383220/original/file-20210209-15-mi1osi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C10%2C1385%2C687&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_Weeds_, la série de Jenji Kohan diffusée en 2005 a connu un succès fulgurant: la protagoniste est une dealeuse bien intégrée socialement...</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/personne/fichepersonne-14517/photos/detail/?cmediafile=18784034">Randy Tepper/.Allocine/Showtime</a></span></figcaption></figure><p>Alors que l’Assemblée nationale a récemment mis en ligne une <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/actualites-accueil-hub/consultation-citoyenne-sur-le-cannabis-dit-recreatif">consultation citoyenne sur le cannabis dit « récréatif »</a>, il apparaît nécessaire de s’interroger sur nos représentations des drogues et de ceux qui les vendent.</p>
<p>C’est un aspect de mon travail de thèse en sociologie, intitulé <a href="https://durkheim.u-bordeaux.fr/Notre-equipe/Doctorant-e-s/CV/Sarah-Perrin">« Les mondes cachés de la drogue. L’invisibilité des femmes insérées socialement »</a>, qui s’intéresse aux trajectoires de femmes en logement, en emploi ou en études dans les « mondes de la drogue », à savoir les milieux des ventes et des usages, les institutions sanitaires, les institutions répressives et les politiques publiques.</p>
<p>Dans cet article, les résultats s’appuient sur des entretiens réalisés avec 26 femmes consommatrices et/ou vendeuses de drogues insérées socialement et avec 10 policiers, à Bordeaux, et présentent des portraits inattendus bien loin de l’image type associée au dealer.</p>
<h2>Des femmes sous-représentées dans les statistiques policières</h2>
<p>Dès lors qu’on commence à questionner la pertinence d’une légalisation de certaines drogues en France, apparaît l’argument selon lequel cette légalisation entraînerait une <a href="https://metropolitiques.eu/Comment-legaliser-le-cannabis-sans-embraser-les-cites.html">paupérisation des banlieues</a>.</p>
<p>S’il est vrai que certains quartiers de France sont en grande partie alimentés par le trafic de drogues, il est intéressant de constater à quel point nous rattachons la vente de drogues aux zones périphériques urbaines, au masculin et aux « classes dangereuses », selon l’expression employée par Michel Kokoreff dans son article <a href="https://www.cairn.info/journal-multitudes-2011-1-page-119.htm">« Drogues, trafics, imaginaire de la guerre. Des quartiers aux cartels »</a> paru dans la revue <em>Multitudes</em> en 2011.</p>
<p>L’image du dealer est celle d’un jeune homme vivant en cité, issu de l’immigration, intégré dans des réseaux structurés et hiérarchisés de groupes criminels. Cette image est aussi celle qui nous est renvoyée par les statistiques policières : 92 % des interpellés pour Infraction à la Législation sur les Stupéfiants (ILS) sont des hommes.</p>
<p>Les femmes seraient donc sous-représentées au sein des individus mis en cause pour ILS, puisqu’elles sont 16 % dans la population totale des mis en cause, toutes infractions confondues, selon la <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01628202/document">thèse de Kathia Barbier</a> datant de 2017.</p>
<p>Les statistiques policières ne sont cependant pas représentatives de la réalité, et sont davantage le reflet des pratiques policières qui criminalisent certaines catégories de la population (jeunes, racisées, masculines, précaires) et en ignorent d’autres. Certains policiers interrogés admettent qu’ils se dirigent d’eux-mêmes vers ces profils où ils savent qu’ils trouveront des « clients » (c’est-à-dire, dans ce contexte, des vendeurs de drogues et autres délinquants).</p>
<h2>Des trajectoires spécifiques pour des femmes peu ciblées</h2>
<p>Il est frappant de constater à quel point les policiers rencontrent peu de femmes dans les affaires liées aux drogues. Tous les policiers interrogés s’accordent pour dire que les femmes représentent une infime part des mis en cause pour ILS, en partie car elles ne correspondent pas au profil type des populations qu’ils ciblent.</p>
<p>Quand elles sont impliquées, c’est en tant que mules (c’est-à-dire des personnes transportant sur elles des drogues, qui sont le plus souvent étrangères et en situation de grande pauvreté), nourrices (des personnes gardant chez elles des drogues, soit car elles sont sous contrainte, soit en échange d’une rémunération) ou complices (le plus souvent cette catégorie concerne les femmes de trafiquants qui bénéficient du trafic sans y participer directement). Des rôles subalternes et passifs, donc, quasiment perçus comme des victimes du trafic, mais qui peuvent tout de même faire l’objet de poursuites.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383097/original/file-20210208-17-1rne2y7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383097/original/file-20210208-17-1rne2y7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383097/original/file-20210208-17-1rne2y7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383097/original/file-20210208-17-1rne2y7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383097/original/file-20210208-17-1rne2y7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383097/original/file-20210208-17-1rne2y7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383097/original/file-20210208-17-1rne2y7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Weeds</em>, série phare des années 2005-2012 mettant en scène une jeune femme « comme il faut » vendeuse d’herbe.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/personne/fichepersonne-14517/photos/detail/?cmediafile=18784023">Allociné</a></span>
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</figure>
<p>Les femmes dealeuses que j’ai rencontrées sont pourtant bien éloignées des figures préalablement décrites. Elles se présentent comme volontaires dans leur choix de vendre des drogues. Leurs trajectoires sont bien différentes de celles des dealers de cités qui expliquent le plus souvent vendre des drogues par manque d’opportunités professionnelles licites.</p>
<h2>Des usagères-revendeuses bien insérées dans la société</h2>
<p>Les femmes interrogées sont toutes insérées socialement : elles ont des diplômes, des revenus, un habitat stable, une vie sociale qui ne se cantonne pas à la marginalité et la déviance. Elles vivent dans des appartements, seules, en couple ou en colocation, dans des zones du centre-ville ou de calmes banlieues pavillonnaires. Leurs revenus sont majoritairement issus de leurs activités professionnelles licites (bourses étudiantes, revenus salariés, etc.).</p>
<p>Si elles vendent des drogues, c’est d’abord parce qu’elles en consomment. Elles s’inscrivent dans une trajectoire d’usage-revente : toutes ont commencé par consommer du cannabis, puis parfois d’autres drogues (le plus souvent de la cocaïne et des amphétamines, parfois aussi des hallucinogènes), dans des contextes de sociabilité juvénile.</p>
<p>Cette consommation ayant un coût (le gramme d’herbe coûte en moyenne 7 euros, le gramme de cocaïne 80 euros et le gramme de MDMA 60 euros), les interrogées ont cherché à le limiter. Pour cela, il leur suffisait d’acheter davantage de produits (le prix des drogues étant inversement proportionnel à la quantité de drogues achetée : plus on achète, moins c’est cher), puis d’en revendre une partie, afin de consommer gratuitement.</p>
<p>Certaines se sont arrêtées là, d’autres ont choisi d’intensifier leurs pratiques de revente pour en tirer des bénéfices économiques : on sort alors du modèle de l’usage-revente.</p>
<p>Leurs clients sont essentiellement des amis, des partenaires de consommation ; leur nombre est restreint, la confiance étant un élément essentiel pour limiter les risques liés à cette activité illicite. Elles vendent chez elles, ou dans des espaces festifs ; jamais dans la rue. On est bien loin de l’image du dealer en bas de sa tour vendant au tout-venant.</p>
<p>Ces pratiques d’usage-revente ne sont pas propres aux femmes, et concernent une part importante de consommateurs insérés socialement. Être une femme vendeuse de drogues comporte néanmoins des spécificités qui méritent d’être soulignées.</p>
<h2>Prouver qu’on a sa place</h2>
<p>Le milieu du deal est, comme on l’a dit, rattaché à la violence, au danger, à la force, à des valeurs virilistes. Quand on est une femme, il faut prouver qu’on y a sa place. En effet, plusieurs stéréotypes pèsent sur les femmes dans les mondes de la drogue : on les pense moins aptes à négocier et à s’imposer, on les juge moins crédibles.</p>
<p>Des clients et fournisseurs peuvent tenter des approches oscillant tantôt entre drague et harcèlement sexuel, puisqu’une femme qui consomme et vend des drogues est forcément une femme de mauvaise vie, amorale et donc disponible sexuellement. Fiona Hutton, dans son article <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/1369857042000275641">« Up for it, mad for it ? Women, drug use and participation in club scenes »</a>, publié en 2004 dans la revue <em>Health, Risk and Society</em>, analyse ce cliché de la femme droguée qui veut forcément avoir des rapports sexuels, et la manière dont la drogue fournit une excuse aux hommes pour justifier la pression sexuelle qu’ils font subir aux femmes.</p>
<p>On imagine aussi les dealeuses fragiles et innocentes, et donc moins capables de réagir face à des menaces de violences. Les femmes interrogées rapportent ainsi des stratégies pour s’imposer, affirmer leurs connaissances des produits qu’elles vendent, leurs capacités à ne pas se laisser impressionner par de fréquentes démonstrations de virilité. Il s’agit de faire preuve de répartie, de « tchatche », mais aussi parfois d’agressivité. Certaines expliquent se masculiniser au maximum, à travers l’habillement, la manière de parler, de se tenir, pour contrer le stigmate de genre.</p>
<p>Mais être une femme qui vend des drogues peut aussi comporter des avantages, et il serait réducteur d’imaginer les femmes dealeuses comme dépourvues de ressources. Elles peuvent aussi retourner le stigmate de genre pour en tirer parti.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383224/original/file-20210209-15-1docvcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383224/original/file-20210209-15-1docvcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383224/original/file-20210209-15-1docvcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383224/original/file-20210209-15-1docvcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383224/original/file-20210209-15-1docvcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383224/original/file-20210209-15-1docvcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383224/original/file-20210209-15-1docvcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De nombreuses dealeuses opèrent dans des espaces festifs, boites de nuit, bars et festivals (image d’illustration).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/femmes-prendre-photo-2240763/">Martin Lopes/Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Certaines interrogées expliquent ainsi profiter des tentatives de séduction de leurs interlocuteurs masculins pour vendre plus cher ou acheter moins cher, selon le contexte. Elles vont jouer de leur stéréotype d’innocence et de fragilité pour escroquer, misant sur le fait qu’on n’imagine pas une femme arnaquer car elle aurait forcément peur des représailles.</p>
<p>Le fait d’être une femme est aussi un avantage certain face à la police : aucune femme interrogée n’a été mise en cause pour ILS, mais toutes connaissent des hommes qui ont eu affaire à la police pour usage ou vente de drogues.</p>
<p>Pour passer inaperçues, elles s’habillent de manière féminine lorsqu’elles transportent des drogues dans l’espace public. En cas de contrôle, plusieurs interrogées m’ont rapporté avoir singé le stéréotype de la fille naïve et innocente, en feignant d’être impressionnées face aux forces de l’ordre, voire parfois en rentrant dans un jeu de séduction avec les agents.</p>
<p>Comprendre les trajectoires de femmes dans le deal permet de mieux saisir la réalité des trafics, bien plus diversifiée que le laissent à penser nos représentations.</p>
<hr>
<p><em>L’autrice réalise sa thèse sous la direction d’Emmanuel Langlois et Karine Bertrand.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154866/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sarah Perrin a reçu des financements de l'Université de Bordeaux (France) et de l'Université de Sherbrooke (Canada)</span></em></p>L’image type du dealer est celle d’un jeune homme vivant en cité, issu de l’immigration, intégré dans des réseaux criminels. Pourtant, de nombreuses femmes sont impliquées activement dans ce trafic.Sarah Perrin, Docteure en sociologie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1538992021-01-27T18:31:00Z2021-01-27T18:31:00ZAffaire Grégory : la stylométrie permettra-t-elle enfin d’identifier le corbeau ?<p>Trente-six ans plus tard, l’affaire Grégory est une nouvelle fois relancée : de <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/affaire-du-petit-gregory/affaire-gregory-la-justice-accepte-de-nouvelles-expertises-adn-selon-l-avocate-de-la-famille-villemin_4273451.html">nouvelles analyses génétiques vont être réalisées</a>, dans l’espoir d’identifier enfin le coupable. Cette affaire, peut-être l’une des plus célèbres de France, <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/01/24/affaire-gregory-les-corbeaux-planent-toujours-sur-la-vologne_6027127_4500055.html">attend toujours d’être résolue</a>. Pour ce faire, les enquêteurs ont toujours à disposition quelques pistes, à savoir de multiples dénonciations, des brins d’ADN, quelques enregistrements et cinq lettres de menaces mal écrites par un mystérieux corbeau.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/380844/original/file-20210127-17-yfnccw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Lettre du Corbeau" src="https://images.theconversation.com/files/380844/original/file-20210127-17-yfnccw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/380844/original/file-20210127-17-yfnccw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=580&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/380844/original/file-20210127-17-yfnccw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=580&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/380844/original/file-20210127-17-yfnccw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=580&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/380844/original/file-20210127-17-yfnccw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=728&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/380844/original/file-20210127-17-yfnccw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=728&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/380844/original/file-20210127-17-yfnccw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=728&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Lettre du corbeau postée le jour du crime.</span>
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<p>Ces lettres de menaces pourraient-elles finalement aider à résoudre l’affaire, grâce à une méthode <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/28/l-affaire-gregory-et-l-intrigante-stylometrie_6064632_3232.html">récemment découverte par le grand public</a> : la stylométrie ? Quand l’analyse graphologique scrute la forme des lettres, la stylométrie propose d’analyser la syntaxe et de compter les mots (ou parfois les lettres) d’un texte pour potentiellement en identifier l’auteur. C’est bien cette expertise stylométrique qui avait été commandée par la précédente magistrate instructrice en charge de l’affaire Gregory à une <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/affaire-du-petit-gregory/36-ans-apres-la-mort-du-petit-gregory-la-stylometrie-peut-elle-permettre-didentifier-le-corbeau_4252033.html">entreprise suisse</a>, en l’absence d’experts reconnus par la justice en France.</p>
<p>La stylométrie offre en effet une piste prometteuse pour identifier le corbeau, et offre plus généralement de nouvelles perspectives pour l’expertise judiciaire.</p>
<p>Mais l’utilisation de cette méthode n’est pas sans soulever de nouvelles questions ; car identifier un potentiel criminel, c’est aussi pouvoir identifier n’importe qui, et derrière ce processus d’identification, c’est bien notre droit à l’anonymat qui est en jeu.</p>
<h2>Une intuition</h2>
<p>L’idée est simple : de la même manière que l’on séquence un ADN pour en retrouver son propriétaire, il est possible de découper un texte en petites unités dont l’utilisation est propre à chacun. Si certaines personnes ont les yeux bleus, d’autres utilisent abondamment les adverbes. De la même manière que l’agrégation du matériel génétique forme un génome unique, <a href="https://doi.org/10.1093/llc/17.3.267">l’agrégation des fréquences lexicales forme un style unique que l’on est donc capable d’identifier</a>.</p>
<p>Le cas le plus célèbre et le plus ancien, devenu depuis un marronnier des études stylométriques, est celui des <em>Federalist papers</em>, une série de courts essais publiés à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle par trois auteurs américains (James Madison, Alexander Hamilton et John Jay) sous un pseudonyme unique (Publius). Prolongeant la <a href="https://www.jstor.org/stable/1921883?refreqid=excelsior%3A7a337415d763945ca677822913b9a360&seq=1">remarque de Douglass Adair</a>, qui avait noté que Madison préférait <em>while</em> là où Hamilton utilisait <em>whilst</em>, <a href="https://www.jstor.org/stable/2283270?seq=1">David Mosteller et David Wallace</a> ont décidé de répertorier et compter tous les mots à l’aide d’un ordinateur pour comparer les essais entre eux, et retrouver ceux écrits par le même auteur.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/380848/original/file-20210127-17-suslf3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/380848/original/file-20210127-17-suslf3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/380848/original/file-20210127-17-suslf3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=585&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/380848/original/file-20210127-17-suslf3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=585&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/380848/original/file-20210127-17-suslf3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=585&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/380848/original/file-20210127-17-suslf3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=735&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/380848/original/file-20210127-17-suslf3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=735&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/380848/original/file-20210127-17-suslf3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=735&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Représentation de la distance entre deux textes sur la base des fréquences de deux mots.</span>
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</figure>
<p>Si nous prenons l’exemple fictif d’une langue composée uniquement de deux mots <em>x</em> et <em>y</em> : chaque texte a pour « code stylométrique » la fréquence de l’un et l’autre mot (<em>x-y</em>, soit par exemple 4-1, 1-4…). De telles séries peuvent alors être représentées graphiquement en remplaçant en abscisse la fréquence du mot <em>x</em> et en ordonnée celle du mot <em>y</em>.</p>
<p>Ce faisant, nous venons de faire apparaître, en plus de l’identité de chaque texte, la distance qui les sépare les uns des autres.</p>
<h2>L’attribution d’auteur</h2>
<p>Le principal domaine d’application de la stylométrie, l’attribution d’auteur, propose de former des groupes de textes à partir de cette distance : les textes les plus proches sont considérés comme étant d’un même auteur. Une telle méthode a bien évidemment éveillé l’intérêt des littéraires, régulièrement confrontés au cas d’écrits anonymes ou sous pseudonyme, comme ceux d’<a href="http://www.padovauniversitypress.it/system/files/preview/9788869381300.pdf">Elena Ferrante/Domenico Starnone</a>, de <a href="https://advances.sciencemag.org/content/5/11/eaax5489">Corneille/Molière</a> ou de <a href="https://academic.oup.com/dsh/article/30/suppl_1/i100/363234">Robert Galbraith/J. K. Rowling</a>.</p>
<p>Ces exemples ne sont cependant pas sans soulever quelques questions. Dans le cas de Domenico Starnone, celui-ci dément fermement être la personne derrière Elena Ferrante. A-t-on le droit de révéler l’identité d’un auteur <a href="https://www.letemps.ch/culture/enigme-elena-ferrante-une-start-up-valaisanne-revele-un-nouveau-nom">contre sa volonté</a>, alors qu’il n’a rien à se reprocher d’autre que d’avoir écrit un livre à succès ? La question se pose d’autant plus sérieusement que l’erreur est possible…</p>
<p>C’est précisément le cas pour le deuxième exemple. L’affaire Corneille/Molière est ainsi le prototype de l’erreur d’attribution : les auteurs d’une première étude ont contribué à populariser <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00137675">l’idée fausse</a> selon laquelle Molière serait le prête-nom de Corneille. Des <a href="http://moliere-corneille.huma-num.fr/">analyses traditionnelles</a> sont venues battre en brèche cette théorie, qui a été définitivement invalidée par les <a href="https://advances.sciencemag.org/content/5/11/eaax5489">travaux stylométriques de Florian Cafiero et Jean‑Baptiste Camps</a>. Mais il est plus facile de faire naître un doute que de le faire disparaître : d’anciennes convictions sont difficiles à déconstruire, et l’idée d’une supercherie littéraire persiste, en dépit des efforts de nombreux chercheurs.</p>
<p>S’il est impossible de confronter Corneille et Molière, morts depuis longtemps, il est possible de le faire pour les auteurs vivants, qui peuvent alors invalider les résultats – comme Domenico Starnone –, mais aussi les valider. C’est notamment le cas pour notre dernier exemple, J.K. Rowling ayant reconnu être la personne se cachant derrière Robert Galbraith. La stylométrie est donc une méthode d’analyse capable de succès certains, mais n’est pas encore infaillible…</p>
<h2>Applications “pratiques”</h2>
<p>Cette application littéraire n’est cependant que la vitrine glamour de l’attribution d’auteur, régulièrement utilisée à des fins bien moins poétiques. Ainsi, quand il ne tente pas de débusquer l’autrice de Harry Potter dans des écrits sous pseudonyme, le professeur Patrick Juola officie comme associé d’une <a href="http://juolaassociates.com">entreprise de criminalistique</a> qui collabore avec la justice américaine.</p>
<p>Si l’utilisation de la stylométrie dans des affaires juridiques est une nouveauté sur le sol français, la <em>Computer forensics</em>, ou « informatique légale », est depuis longtemps devenue un champ d’application de la stylométrie, notamment aux États-Unis. Elle a ainsi été utilisée dans diverses affaires, dont certaines sont restées célèbres comme celle d’<em>Unabomber</em>. Le terroriste américain avait en effet pour particularité d’avoir rédigé un long manifeste, <em>Industrial Society and Its Future</em>, dont les particularités lexicales ont fini par le trahir. Mis sur la piste linguistique par un américain croyant reconnaître un trait caractéristique des écrits de son frère, le <a href="http://scholar.google.fr/scholar_url?url=http://periodicos.ufjf.br/index.php/veredas/article/download/25242/14267&hl=fr&sa=X&ei=aR4RYIgUh8-YAZvEtogL&scisig=AAGBfm18lQQysNjxPcIiZ9MuWwoDYuH2TQ&nossl=1&oi=scholarr">FBI a pu identifier Ted Kaczynski</a> en comparant le style du manifeste avec la totalité des écrits disponibles sur l’Internet d’alors.</p>
<p>S’il y a tout lieu de se réjouir qu’un terroriste responsable de nombreux morts et attentats soit arrêté, il faut bien s’arrêter sur la définition de « terroriste ». Dans un article présentant un cas aussi fictif que plausible, Patrick Juola propose ainsi l’exemple d’un requérant d’asile poursuivi pour ses écrits politiques dans son pays et cherchant refuge aux États-Unis : la stylométrie pourrait <a href="https://brooklynworks.brooklaw.edu/jlp/vol21/iss2/2">permettre de confirmer</a> qu’il est bien l’auteur des textes qu’il prétend avoir écrit et lui offrir un asile mérité. L’histoire est belle, mais <em>quid</em> d’un gouvernement oppressif qui chercherait à identifier des opposants politiques pensant s’exprimer anonymement sur la toile ? La méthode comme l’objectif sont exactement les mêmes…</p>
<p>Évidemment, la question d’Internet est ici centrale. Depuis quelques années, les chercheurs tentent ainsi de <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-27433-1_12">relier les comptes de diverses plates-formes</a> entre elles, comme Facebook et Twitter. Il est évident que les techniques requises pour ce type de tâche sont amenées à se développer dans les années qui viennent, et leur précision devrait permettre des applications industrielles et sécuritaires qui posent question.</p>
<h2>Des dangers</h2>
<p>L’ambition de la société suisse OrphAnalytics, qui espère retrouver le corbeau de l’affaire Grégory avec pour unique preuve cinq courtes lettres, rejoint ces dernières recherches sur les réseaux sociaux, dont les publications ne dépassent parfois pas 140 caractères. Cette ambition doit nous interpeller pour deux raisons. D’une part, avec l’abaissement du matériel écrit nécessaire, nos publications en ligne nous transforment tous en potentiels cas d’étude pour des recherches d’attribution. Les comptes Twitter anonymes relayant des avis de personnes tenues au devoir de réserve, ou ne souhaitant pas mêler vie professionnelle et convictions personnelles sont les premiers menacés, mais nous sommes tous concernés.</p>
<p>Le raccourcissement des textes analysés va cependant de pair avec une diminution de la fiabilité de la stylométrie. Une récente étude avec des textes du XIX<sup>e</sup> siècle a ainsi déterminé que <a href="https://academic.oup.com/dsh/article/32/suppl_2/ii4/3865676">5 000 mots</a> était un prérequis pour garantir la solidité des résultats. Mais si le nombre de mots à disposition n’est pas suffisant, la machine continue quand même de renvoyer un résultat, qu’il est tentant d’utiliser. À partir de quel taux de confiance le résultat d’une analyse stylométrique devient-il fiable ? Et, dans le cas d’un procès ou de la surveillance de masse, fiable est-il réellement suffisant ?</p>
<h2>Une issue ?</h2>
<p>À l’image du génome, qui depuis les années 60 permet d’identifier un être humain, la recherche a récemment découvert l’existence d’un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09296170500055350">« stylome »</a>, permettant d’identifier son code stylistique. Si l’on ne peut pas modifier son génome, en revanche il est possible d’altérer son stylome.</p>
<p><a href="https://aaai.org/ocs/index.php/IAAI/IAAI09/paper/view/257">De premières études</a> laissent en effet penser que des solutions aussi simples que faire attention à la manière dont on écrit, ou déguiser son style, pourrait garantir un certain niveau d’anonymat à l’auteur – la question du pastiche soulevant à son tour celle de l’usurpation d’identité. En d’autres termes, la simple connaissance de l’existence du stylome peut empêcher qu’il nous trahisse, et donc nous protéger de lui, c’est-à-dire de nous-mêmes.</p>
<p>Il n’est cependant pas certain que cela soit suffisant. À côté de l’attribution d’auteur se développe ainsi lentement un autre champ de recherche, qui est son corollaire logique : celui de l’<a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-642-24212-0_9">offuscation du signal autorial</a>, soit le brouillage volontaire du style d’une personne. Si l’on peut reconnaître un auteur, il devrait en effet être possible d’en dissimuler l’identité, pourquoi pas à l’aide de logiciel. Cette idée simple est cependant complexe à implémenter, et se dégage donc, pour quelques années au moins, une faille dans l’anonymat derrière lequel chacun pourrait se cacher. Terroristes, assassins, activistes ou simples citoyens sont désormais prévenus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153899/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Puren a reçu des financements d'Horizon 2020, programme de recherche de l'Union Européenne. Elle est membre de l'association Humanistica.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Simon Gabay a reçu des financements du FNS. </span></em></p>La stylométrie s’avère efficace pour connaître l’identité de l’auteur d’un texte, mais cette technique pose question, notamment sur la possibilité de rester anonyme.Marie Puren, Chercheuse en histoire et humanités numériques, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Simon Gabay, Maître-assistant en humanités numériques, Université de GenèveLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1523322020-12-30T22:40:35Z2020-12-30T22:40:35ZLes États-Unis, la France et la French Connection : retour sur les origines géopolitiques de la loi de 1970<p>La <a href="http://www.caat.online.fr/dossiers/loi1970.htm#:%7E:text=628%20du%20Code%20de%20la,fondamentalement%20comme%20une%20loi%20p%C3%A9nale.">loi de 1970</a> réprimant l’usage et le trafic de drogues, adoptée par la représentation nationale il y a cinquante ans, est trop souvent réduite à l’expression d’une « panique morale » affectant une classe politique <a href="https://www.pistes.fr/swaps/60_247.htm">affolée</a> par la progression de l’usage de drogues illicites dans la société française, ainsi que par la contestation politique et sociétale à l’œuvre dans des franges croissantes de la jeunesse depuis le mouvement de mai 1968.</p>
<p>Si cette dimension est bien réelle, les soubassements géopolitiques de la loi sont en revanche rarement mis en avant, notamment les pressions considérables exercées à l’époque par les États-Unis sur le gouvernement français. La France n’était pas loin, en effet, d’être considérée par Washington comme un vulgaire <a href="http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=2801">« État voyou »</a> puisqu’elle était non seulement l’allié le plus rétif du monde occidental, mais aussi la source principale de l’héroïne consommée en Amérique du Nord.</p>
<p>Pourtant, à la toute fin des années 1960, quand la loi est votée, l’épidémie d’héroïne n’en est qu’à ses débuts en France. Les usages sont encore marginaux : <a href="https://www.cairn.info/l-impossible-prohibition--9782262051570.htm">182 consommateurs seulement sont interpellés en 1969</a>. Mais aux États-Unis, il n’en va pas de même. Le pays, qui comptait 20 000 héroïnomanes à la fin de la Seconde Guerre mondiale, en recense, au milieu des années 1960, environ <a href="https://books.google.sm/books?id=4iIsUorX6wsC&hl=it">150 000</a>. Les consommations et le trafic se situent au cœur des métropoles américaines, notamment New York, et touchent particulièrement de jeunes hommes, y compris les <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2016-2-page-100.htm">engagés au Vietnam</a>, parmi lesquels ceux issus de la minorité noire sont surreprésentés. En 1971, Nixon déclare que l’abus de drogues est devenu <a href="https://www.youtube.com/watch?v=y8TGLLQlD9M">l’ennemi public numéro 1</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’Amérique du Nord a le triste privilège de compter le plus grand nombre d’héroïnomanes au monde. […] La toxicomanie aux États-Unis a maintenant pris l’allure d’une catastrophe nationale. Si nous ne venons pas à bout de ce fléau, c’est lui qui viendra à bout de nous. »</p>
</blockquote>
<h2>La France : « rogue state » ?</h2>
<p>Mais c’est la France, en réalité, qui est la cible de l’administration américaine. Celle-ci est, en effet, l’un des plus grands producteurs d’héroïne au monde grâce à ses filières corso-marseillaises. Dans les années 1960, elles produisent, selon le Bureau of Narcotics, l’ancêtre de la DEA, près de 75 % de l’héroïne consommée aux États-Unis, soit 8 à 10 tonnes par an. Et ce, dans l’indifférence à peu près générale de la classe politique locale et nationale. D’une part, parce que la production n’est pas destinée au marché hexagonal, les acteurs du trafic ne souhaitant pas attirer l’attention de la police, du gouvernement et de l’opinion sur leurs activités ; d’autre part, à cause des porosités entre le monde de la pègre et celui de la classe politique.</p>
<p>À Marseille, si la municipalité socialiste sait avoir recours, quand il le faut, aux services occasionnels rendus par la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=q_XY4ao426E">famille Guérini</a>, le gaullisme local a lui aussi des accointances avec le monde criminel, notamment par l’entremise de certains membres du Service d’action civique (SAC) recrutés, à la fin de guerre d’Algérie, pour lutter contre l’OAS, notamment dans le milieu proche de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1973/11/21/dossier-d-comme-drogue-d-alain-jaubert_2547466_1819218.html">Marcel Francisci, surnommé aux États-Unis « M. Heroin »</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ljsYxOzRSEE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Tous ces facteurs s’inscrivent dans un contexte plus large caractérisé par l’hostilité relative que le pouvoir politique éprouve pour les États-Unis considérés comme une « force d’occupation ». Les années 1960 sont en effet le théâtre de tensions entre les deux pays du fait de la politique de De Gaulle visant à débarrasser la France et l’Europe occidentale de la <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2018-10-page-127.htm">tutelle américaine</a>. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Raymond Marcellin, en témoigne dans ses <a href="https://www.amazon.fr/Limportune-verite-Raymond-Marcellin/dp/2259003516/ref=sr_1_2?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=raymond+marcellin&qid=1608108574&s=books&sr=1-2">Mémoires</a> : </p>
<blockquote>
<p>« La férocité de la campagne menée par la presse américaine contre la France, et relayée par certains journalistes français, n’avait pas seulement, pour principale raison, le trafic de l’héroïne. La politique extérieure française soulevait la colère d’un grand nombre d’Américains. La construction de la force atomique française, la défense tous azimuts, l’embargo sur les armes pour Israël, les attaques contre le dollar et le déficit de la balance des comptes américaine, tout cet ensemble ne nous faisait pas une très bonne presse dans une partie de l’opinion publique américaine. »</p>
</blockquote>
<h2>Au cœur du trafic, Marseille</h2>
<p>Pourtant, les trafics d’héroïne entre la France et l’Amérique ne datent pas d’hier. Les filières françaises sont actives depuis au moins les <a href="http://pur-editions.fr/detail.php?idOuv=2233">années 1930</a>. C’est à cette époque que les premiers laboratoires apparaissent dans la région parisienne et à Marseille, dont le port est en connexion avec l’Indochine coloniale, où l’opium est légal depuis la création de la <a href="http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/38260">régie de l’opium en 1881</a>, ou encore avec la Turquie et l’Iran. En 1937, trois laboratoires d’héroïne sont démantelés en France, dont un recelait 100 kg d’héroïne, une saisie énorme au regard de celles réalisées dans le monde à l’époque, soit 867 kg.</p>
<p>Après la Seconde Guerre mondiale, la demande aux États-Unis se développant, le trafic s’intensifie et les exportations d’héroïne française prennent la direction de l’Italie où Cosa Nostra se charge de la réexpédition outre-Atlantique. À l’époque, l’État américain ne réagit pas. La priorité du moment n’est pas de lutter contre le trafic d’héroïne, mais d’endiguer l’expansion du mouvement communiste, très puissant en France, et en particulier à Marseille où le PCF est influent sur les docks, lieux de passage obligés des marchandises américaines envoyées en Europe occidentale dans le cadre du plan Marshall. Dans la lutte anticommuniste, les organisations criminelles corses sont alors considérées par le <a href="https://www.amazon.fr/gp/product/B0714FD8ZS/ref=dbs_a_def_rwt_hsch_vapi_tkin_p1_i0">Deep State américain</a> comme des <a href="https://www.franceinter.fr/oeuvres/la-politique-de-l-heroine-l-implication-de-la-cia-dans-le-trafic-des-drogues">alliées</a>.</p>
<p>Renforcées et légitimées par la guerre froide en raison de leur participation à la croisade contre les « rouges », les filières corso-marseillaises sont, au début des années 1960, aptes à répondre à la demande croissante d’héroïne sur le marché étatsunien. Ce que les Américains dénomment à l’époque la <a href="http://thierry-colombie.fr/livre/la-french-connection/">French Connection</a> n’est rien d’autre qu’une appellation générique désignant une multitude d’équipes indépendantes, parfois rivales. La French Connection n’est pas une organisation pyramidale, comme Cosa Nostra en Sicile ou aux États-Unis. Structurée autour d’un financeur, appartenant aux hautes sphères du milieu, qui avance les fonds pour acheter la morphine-base en Turquie et les infrastructures techniques nécessaires à sa transformation, l’équipe comprend un ou deux chimistes, un assistant et une multitude d’hommes de main (guetteurs, approvisionneurs) dont une partie va se charger de l’acheminement du produit vers la <a href="https://editions.flammarion.com/quand-j-etais-gangster/9782081352797">côte Est des États-Unis</a>. Le plus souvent dans des voitures, acheminées par bateau directement ou indirectement via <a href="https://www.franceculture.fr/societe/presse-french-connection-marseille-montreal-new-york">Montréal au Canada</a> ou Vera Cruz au Mexique. </p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=968&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=968&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=968&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376690/original/file-20201228-49525-1d9rw6w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1216&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’animateur de télévision Jacques Angelvin (1914-1978) a raconté dans cet ouvrage publié chez Plon en 1968 ses cinq années de prison aux États-Unis. Condamné pour y avoir introduit une voiture contenant plus de 50 kilos d’héroïne, il affirme avoir été la victime d’une machination.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Plon</span></span>
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</figure>
<p>De plus, en France, les laboratoires sont disséminés dans des villas de l’arrière-pays marseillais, tout en étant extrêmement mobiles, ne servant le plus souvent qu’une fois. Le système est parfaitement cloisonné. Les investisseurs ne sont jamais en contact direct avec les organisateurs matériels du trafic et se contentent de toucher les dividendes de leurs investissements. En outre, les équipes marseillaises activent une diaspora d’acteurs aux origines très disparates : contrebandiers installés au Mexique ; commerciaux rattachés à la société Pernod-Ricard ; anciens collaborateurs en fuite en <a href="https://www.outrostempos.uema.br/index.php/outros_tempos_uema/article/view/604">Argentine en 1945</a>… ainsi que des « occasionnels » de rencontre, recrutés comme mules : des diplomates guatémaltèques corrompus, un <a href="https://www.amazon.fr/French-Connection-Narcotics-International-Conspiracy/dp/1592280447/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=french+connection+robin+moore&qid=1608237246&s=books&sr=1-1">présentateur abusé de l’ORTF</a>…</p>
<h2>Le Bureau des narcotiques à Paris et à Marseille</h2>
<p>La démission de De Gaulle, en 1969, et l’arrivée concomitante au pouvoir de Georges Pompidou et de Richard Nixon à la tête de l’administration américaine précipitent les choses.</p>
<p>Dès ses premiers mois d’exercice, Nixon décide en effet, après avoir écrit une lettre à son homologue français pour se plaindre de la passivité des pouvoirs publics hexagonaux, de renforcer en France la présence du Bureau des Narcotiques et des drogues dangereuses (BNDD). L’ambassade américaine à Paris devient le siège central de la région Europe pour la lutte contre les drogues, tandis que des agents fédéraux sont missionnés à Marseille, au consulat américain, pour mettre la pression sur une police locale jugée passive.</p>
<p>En outre, Nixon exige la tenue d’une réunion au sommet avec la direction de la police judiciaire française afin de lancer une coopération renforcée avec les services français. Des réunions trimestrielles des deux côtés de l’Atlantique sont instituées. Parallèlement, le ministère de l’Intérieur fait de la lutte contre l’héroïne une priorité en renforçant <a href="https://www.amazon.fr/bataille-French-connection-Honor%C3%A9-G%C3%A9vaudan-ebook/dp/B07M68CQGG/ref=sr_1_2?dchild=1&qid=1608109229&refinements=p_27%3AHonor%C3%A9+G%C3%A9vaudan&s=books&sr=1-2">l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants
(OCRTIS)</a> qui faisait jusque-là figure de parent pauvre, voire misérable, de la police judiciaire, avec ses 16 fonctionnaires. Une antenne est créée à New York, chargée de faire l’interface entre les services français et américains, tenus désormais de partager leurs renseignements. En 1971, un protocole de coopération franco-américain est signé à Paris.</p>
<h2>Grandeur et misère de la loi de 1970</h2>
<p>Si c’est un lieu commun aujourd’hui d’affirmer que la loi de 1970, dans son aspect concernant la répression de l’usage, a constitué un <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-catastrophe-invisible/">échec</a>, il semble incontestable qu’elle n’est pas restée sans effet sur l’offre et qu’elle a contribué au démantèlement et à la démobilisation des filières corso-marseillaises de l’héroïne.</p>
<p>Alors qu’avant l’adoption de la loi, la législation prévoyait une peine de cinq années de prison pour la production de drogues illicites, le quadruplement des peines - vingt, voire trente ans de prison en cas de récidive - va dissuader un certain nombre d’acteurs de poursuivre leurs activités. À cet égard, le <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2012-3-page-89.htm">cas de Joseph Cesari</a>, l’un des meilleurs chimistes de son temps, est édifiant.</p>
<p>Arrêté une première fois à Aubagne, au Clos Saint-Antoine, en 1964, avec deux de ses assistants, à la faveur du démantèlement d’un laboratoire où près de 100 kg de morphine-base et autant d’héroïne pure sont saisis, le Corse est condamné en correctionnelle à sept ans de prison. Après une libération anticipée pour raisons de santé en 1970, il reprend très vite ses activités. Réarrêté en 1972, alors que la législation a entretemps changé, il est condamné cette fois à vingt ans de prison et se suicide peu après dans une cellule des Baumettes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1331841672620150786"}"></div></p>
<p>En outre, la police est plus efficace comme l’illustre, en 1972, la saisie record de plus de 400 kg d’héroïne à bord du <em>Caprice des Temps</em> dans le port de Marseille. À l’époque, de nombreux acteurs estiment que les coûts en termes répressifs excèdent largement les bénéfices, et se retirent d’un secteur qui leur a permis, qui plus est, d’accumuler des capitaux considérables - plusieurs milliards d’euros, recyclés dans d’autres domaines d’activité. Le dernier laboratoire est démantelé en 1981 à Saint-Maximin, tandis que la répression s’accroît encore suite à <a href="http://thierry-colombie.fr/livre/mort-juge-michel/">l’assassinat du juge Michel</a> dans un contexte où le milieu marseillais est marqué par des guerres intestines qui voient s’affronter une nouvelle génération incarnée par Gaétan Zampa et Jacques Imbert.</p>
<p>Dès lors, après des tentatives de délocalisation ratées dans d’autres régions, comme les <a href="https://www.lamontagne.fr/chambon-sur-lignon-43400/actualites/le-retour-rate-de-la-french-connection-en-auvergne_11242914/">Cévennes</a>, illustrées par la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1980/03/11/dix-personnes-sont-arretees-apres-la-decouverte-d-un-laboratoire-d-heroine_2816986_1819218.html">saisie en 1980 du laboratoire de Chambon-sur-Lignon</a>, la production se déplace dans des contrées plus accueillantes, notamment en Italie, comme le montre l’arrestation d’Antoine Bousquet, ancien de la « French », à Palerme, en Sicile la même année, et au Liban, où la guerre civile va favoriser la production d’opium et d’héroïne.</p>
<p>Certains membres de la French Connection se lancent pour leur propre compte dans le <a href="https://theconversation.com/aux-origines-de-la-cocaine-connection-en-france-125787">trafic émergent de cocaïne</a> ou se mettent au service des cartels colombiens, forts de leurs compétences acquises dans le trafic d’héroïne. Les coups de bélier policiers franco-américains des années 1970, par un classique <a href="https://vih.org/20150511/la-guerre-a-la-cocaine-a-lepreuve-de-leffet-ballon/">« effet ballon »</a>, n’auront abouti qu’à la dispersion des équipes aux quatre coins du monde, favorisant la <a href="https://www.erudit.org/en/journals/dss/1900-v1-n1-dss02700/1037782ar/abstract/">globalisation des réseaux transnationaux de trafiquants</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152332/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Allocation de recherche doctorale (ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche - ENS Cachan, 2008-2011). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Michel Gandilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il y a cinquante ans, le 31 décembre 1970, la France votait une loi majeure réprimant l'usage et le trafic des drogues. Retour sur les circonstances géopolitiques de l'adoption de ce texte controversé.Michel Gandilhon, Chargé d'enseignement, master de criminologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Alexandre Marchant, Historien, enseignant, chercheur associé ISP , École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1431272020-07-30T20:41:18Z2020-07-30T20:41:18ZLa linguistique appliquée aux enquêtes criminelles, comment ça marche ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/350198/original/file-20200729-35-9kas0t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1917%2C1172&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">A l'université de Cergy, on apprend à comparer les écritures et à déceler la fraude documentaire.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.u-cergy.fr/_contents/ametys-internal%253Asites/www/ametys-internal%253Acontents/du-analyse-de-documents-article/_metadata/illustration/image/paper-623167_1920.jpg?objectId=defaultWebContent%3A%2F%2F97b2ea0d-350d-4437-8d8b-06aa063e95f7">Université de Cergy-Pontoise</a></span></figcaption></figure><p>Dans le dernier rebondissement de l'affaire du «petit Grégory», <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/affaire-du-petit-gregory-lenquete-relancee-par-de-nouvelles-analyses_fr_5fd9b4b1c5b663c3759af065">la stylométrie a été mobilisée</a>. </p>
<p>Cette discipline suscite beaucoup d'interrogations, voire de suspicions, de la part des commentateurs ou des avocats. Si elle a été réalisée par une société suisse, avec peu d'informations sur la méthodologie et les données, ce type de méthode, appliquée à l'analyse criminelle, est en France l'objet d'une <a href="https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/pjgn/actualite/actualites-scientifiques/premiere-semaine-de-formation-pour-le-du-analyse-de-documents">collaboration </a>entre l'Institut des humanités numériques (IDHN) de CY Cergy Paris université, et le département Documents de l'IRCGN (Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale).</p>
<h2>A qui appartient un texte?</h2>
<p>Le sujet de l’attribution d’auteurs n’est pas nouveau, notamment dans le champ des études littéraires. Il a été largement débattu <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2015-8-page-680.htm?contenu=resume">et remis en discussions depuis l’essor des technologies numériques</a>) et connaît une actualité certaine, notamment dans le cadre des études littéraires. </p>
<p>Actuellement, le <a href="http://www.dim-humanites-numeriques.fr/">DIM Sciences du texte et connaissances nouvelles</a> porte un projet (dirigé par Pierre Glaudes et Catherine Mayaux) à propos de l’œuvre critique de Barbey d’Aurevilly (projet PRADA : <a href="https://www-etis.ensea.fr/projet-prada/">Projet de Recherche en Attribution d’Auteur</a>).</p>
<p>Une des controverses les plus connues en France concerne les travaux de Dominique Labbé, chercheur spécialiste en statistique textuelle, qui a notamment publié <em>Si deux et deux sont quatre</em>, <em>Molière n’a pas écrit Don Juan</em>, ou encore l’article « <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00852089/document">Corneille dans l’ombre de Molière. Comment identifier un auteur ?</a> ».</p>
<p>Selon la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Paternit%C3%A9_des_%C5%93uvres_de_Moli%C3%A8re#%C3%89tude_statistique_de_Cyril_et_Dominique_Labb%C3%A9">page Wikipédia à propos de la paternité des œuvres de Molière</a> (et plus particulièrement la section consacrée à l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Paternit%C3%A9_des_%C5%93uvres_de_Moli%C3%A8re#%C3%89tude_statistique_de_Cyril_et_Dominique_Labb%C3%A9">Étude statistique de Cyril et Dominique Labbé</a>), Dominique Labbé serait arrivé à la conclusion que Corneille était la plume de seize des dix-huit comédies attribuées à Molière.</p>
<p>Plus récemment, deux chercheurs, Florian Cafiero et Jean‑Baptiste Camps ont publié un article intitulé « Why Molière most likely did write his plays » dans la revue <a href="https://advances.sciencemag.org/content/5/11/eaax5489"><em>Science Advances</em></a>. Cet article a reçu un écho important dans la communauté et dans les médias, si bien que France Culture a par exemple titré un article <a href="https://www.franceculture.fr/theatre/deux-chercheurs-prouvent-que-corneille-na-pas-ecrit-les-pieces-de-moliere">« Deux chercheurs prouvent que Corneille n’a pas écrit les pièces de Molière »</a>). La conclusion dudit article est en effet sans appel : </p>
<blockquote>
<p>« it is very unlikely that P. Corneille or his brother Thomas would have been Molière’s ghostwriters. As they were, after a century-old debate, the only option deemed plausible, these conclusions strongly substantiate the idea that Molière indeed wrote his own plays ». </p>
</blockquote>
<p>(« Il est très peu probable que P. Corneille ou son frère Thomas aient été les prête-plumes de Molière. Comme ils étaient, d’après un débat de 100 ans, les seuls autres auteurs plausibles, ces conclusions semblent appuyer l’idée que Molière est bien l’auteur de ses ouvrages »).</p>
<p>Mais la controverse ne s’arrête pas là, puisqu’à la suite de cet article, Dominique Labbé produit un nouveau texte, intitulé « Réponse à Florian Cafiero et Jean‑Baptiste Camps. Why Molière most likely did write his plays » (« Pourquoi Molière est très probablement bien l’auteur de ses ouvrages ») où il remet en question les méthodes utilisées par Cafiero et Camps.</p>
<p>Le débat à propos de <a href="https://www.francemusique.fr/emissions/histoires-de-musique/corneille-moliere-y-a-t-il-un-doute-75991">la paternité de ces œuvres</a> n’est donc pas clos, mais il peut nous interpeller puisque les méthodes et outils mobilisés dans ce contexte peuvent trouver une utilité dans d’autres domaines de la société. Aussi, le problème de l’attribution de la paternité d’un texte n’est plus un sujet exclusif au domaine littéraire. En particulier, ce champ de recherche, associé à de nouvelles techniques et au développement de travaux spécifiques, peut s’adapter aux besoins du système judiciaire.</p>
<h2>De la linguistique à la criminalistique</h2>
<p>La linguistique forensique est un champ de recherche de la linguistique appliquée dédié aux besoins du système de justice. Elle étudie la langue utilisée dans des contextes divers, notamment la langue des textes normatifs (lois, codes, règlements), la langue des procédures judiciaires (procès-verbaux, plaidoiries, débats devant un jury) et la langue en tant que trace ou en tant que preuve. Ce dernier comprend notamment les échantillons découlant de « délits langagiers » (par exemple la menace, le harcèlement, le plagiat, la diffamation ou le faux témoignage) ainsi que tout autre échantillon langagier présenté en tant que trace ou en tant que preuve. Très connue dans les pays de Common Law, où les techniques sont utilisées depuis les années 60 (Jan Svartvik, 1968), la linguistique forensique gagne de plus en plus du terrain en France.</p>
<p>La production linguistique, à l’image de toute communication, est un phénomène social qui s’adapte au contexte dans lequel il se produit. Il s’agit d’une tâche créative, très personnelle, qui prend forme non seulement grâce aux caractéristiques de l’auteur (son profil, ses préférences, ses habitudes), mais aussi à des éléments spécifiques à l’événement communicatif même : l’objectif du message, la nature de la relation entre l’auteur et le(s) destinataire(s), les conventions sociales du scénario en question et les conditions dans lesquelles la production a lieu.</p>
<h2>Le style comme source de variation</h2>
<p>Le résultat est donc un texte méticuleusement calibré par l’auteur (consciemment ou inconsciemment) selon ses habitudes et idiosyncrasies dans le contexte d’un scénario communicatif précis. Ce calibrage, possible grâce à la richesse et la souplesse propres à toute langue naturelle, permet d’avancer une même idée de différentes manières, sans que l’essentiel du message ne soit altéré. Sont des exemples de changements « non essentiels » les marqueurs de registre (l’utilisation de « tu » au lieu de « vous »), les marqueurs dialectaux (l’utilisation de « pain au chocolat » au lieu de « chocolatine ») et même les figures de style telles que la paraphrase ou la métaphore. Ces adaptations, qu’elles soient sémantiques, grammaticales, morphologiques, ou autre – peuvent contribuer aux différences existantes entre deux échantillons, sans pour autant toucher à l’idée centrale du message. Ce sont ces différences que l’on appelle, au sens large du terme, des éléments de variation linguistique.</p>
<p>Dans le cas de la stylistique, nous nous intéressons principalement aux éléments de variation « marqués », c’est-à-dire les variations qui divergent de la norme attendue dans un contexte précis. Par exemple, l’utilisation d’un mot peu fréquent lorsque d’autres synonymes, plus fréquents dans le contexte en question, sont possibles. D’autres marqueurs intéressants sont les tournures influencées par la connaissance d’une langue étrangère (l'utilisation du mot « expectative » à la place du mot ‘attente’ est assez fréquent chez les hispanophones, par exemple) ou des variantes régionales et dialectales qui divergent de la variante endémique. Le degré de dissonance entre les « normes » d’usage et les formes utilisées dans l’échantillon apportent aux mots leur degré de « markedness ».</p>
<p>Lorsqu’un élément de variation « marqué» devient habituel et inhérent à un auteur spécifique, il devient également un élément de ce que l’on appelle un idiolecte. L’idiolecte est un « dialecte personnel », propre à l’individu. Il est constitué de l’ensemble des habitudes linguistiques d’une personne, qu’elles soient à l’oral ou à l’écrit, et représente donc les particularités expressives que lui sont propres.</p>
<p>Bien que l’idiolecte soit inhérent à chaque personne, beaucoup de ses éléments sont loin d’être figés. Tout comme la langue, l’idiolecte est quelque chose de « vivant ». Il évolue avec le temps, il s’adapte à son contexte et il se voit influencé par des phénomènes sociaux, voire par le développement cognitif de la personne.</p>
<p>Le style d’un auteur, pour sa part, est la manifestation écrite de cet idiolecte. Défini par un ensemble d’éléments de variation, marqués et récurrents, ce sont les éléments stylistiques d’un auteur qui rendent ses textes uniques et originaux vis-à-vis d’autres textes de même nature : l’utilisation récurrente d’un mot lorsque des synonymes existent, l’utilisation de figures de style spécifiques dans des contextes particuliers ou alors une expression qui apparaît toujours dans le même contexte. Le style est donc au centre de l’intérêt du linguiste forensique.</p>
<h2>Défis de l’analyse de style</h2>
<p>Le style d’un texte est souvent idéalisé comme l’équivalent d’une empreinte digitale. Or, le style d’un auteur n’étant quelque chose de physique, il n’est pas judicieux d’assimiler la comparaison d’empreintes digitales à celle d’échantillons textuels. Par exemple, le style étant défini par les choix linguistiques « marqués » et habituels effectués par une personne dans le passé, il est quasiment impossible de l’analyser dans son intégralité (car il serait peu probable d’avoir un inventaire exhaustif de tous les choix linguistiques effectués par une personne). Une comparaison de style sera donc toujours une « comparaison d’empreintes partielles ».</p>
<p>Au-delà de ce problème d'échantillons parcellaires, l’analyse de style entraîne bien d’autres défis, notamment des problèmes concernant la comparabilité et la représentativité des échantillons. Bien que le style d’un auteur se veut unique et singulier, les éléments qui contribuent à cette singularité sont loin d’être statiques. L’idiolecte évolue avec le temps et varie selon le contexte communicatif. Cette variation temporelle et contextuelle suppose que les échantillons d’un même auteur ne sont pas toujours comparables (comment comparer une lettre anonyme écrite il y a 20 ans à un livre sorti récemment ?) ni représentatifs (quels éléments de style dans une liste de courses ?).</p>
<p>De façon analogue, l’identification des sources de variation n’est pas une tâche facile. Certaines variations sont plus liées aux besoins et conventions communicatives spécifiques à l’événement linguistique qu’au style d’un auteur particulier. Ceci est vrai pour les variations thématiques, les variations contextuelles et les variations liées aux conventions sociales. Par exemple, le style d’un auteur peut être restreint par une feuille de style. De façon similaire, tandis qu’une surreprésentation du mot « société » dans un message court et informel est peut-être remarquable, la surreprésentation du même mot dans un texte financier ne serait pas étonnant. Il est clair donc qu’un élément de variation ne constitue pas toujours un élément de style.
Pour ces raisons, la variation est un sujet très discutée en linguistique forensique. </p>
<h2>L’attribution d’auteur dans un contexte judiciaire</h2>
<p>Si l’attribution d’auteur est peu utilisée par les juridictions françaises, elle peut être utile. Ses méthodes permettent de vérifier la paternité d’une lettre d’adieu, d’analyser des textes supposés plagiés ou de comparer le style de lettres anonymes ou de textes de revendication d’actes terroristes à des textes d’auteurs connus. Dans ce cadre, le rôle du linguiste forensique est de trouver, quand cela lui est possible, les éléments permettant d’identifier la paternité d’un texte.</p>
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<p>Aujourd’hui les laboratoires de criminalistiques français analysent les documents sous les angles des supports (p. ex. le type de papier), des encres et des techniques d’impression. Par exemple, les <a href="https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/pjgn/IRCGN/Division-Criminalistique-Ingenierie-et-Numerique-DCIN/Departement-Documents-DCT">techniciens du département Documents</a> de l’Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale (IRCGN) conduisent des examens physico-chimiques pour déterminer la composition des supports papetiers et des encres et, le cas échéant effectuer des examens comparatifs. Ils recherchent des traces latentes de foulage, déterminent les techniques d’impression et authentifient des documents. Ils peuvent aussi tenter de déterminer quel type de matériel, et parfois quelle imprimante, a été utilisé pour produire l’impression.</p>
<p>Par technique d’impression, nous pensons généralement aux impressions faites par des machines. Toutefois, l’écriture et la signature manuscrites rentrent dans cette catégorie. Contrairement aux autres techniques d’impression, il s’agit donc de productions humaines personnelles et circonstanciées.</p>
<p>C’est sans doute, avec la voix, un des objets d’étude criminalistique qui s’approche le plus de la production linguistique. Chacun personnalise le modèle d’écriture qui lui a été enseigné et développe une écriture qui lui est propre. Cette écriture évolue dans le temps et selon les circonstances. Il n’est pas possible de déterminer a priori le degré de variabilité de l’écriture d’une personne. Ce dernier peut être plus ou moins important et seul l’examen approfondi d’un échantillon suffisant et comparable peut permettre au technicien de déterminer si un écrit litigieux a été produit par une personne donnée (le scripteur).</p>
<h2>La question de l’échantillonnage</h2>
<p>Une problématique commune aux deux disciplines concerne l’échantillonnage, en particulier la quantité et la qualité des échantillons. En effet, afin de déterminer l’étendue des examens possibles il est nécessaire de mettre en lumière toutes les limites qui pourraient empêcher le technicien de se prononcer, ou limiter son avis.</p>
<p>Les variations de l’écriture d’une personne peuvent être le résultat de facteurs multiples, dont certains contextuels (par exemple, l’espace disponible sur le support ou l’instrument d’écriture utilisé) et d’autres propres au scripteur. Ces derniers sont variés et peuvent aussi bien comprendre des pathologies, ou encore l’état d’esprit. De plus, les techniciens sont confrontés à des déguisements ou à des imitations ce qui peut être source de limites considérables à l’analyse. Il n’en demeure pas moins qu’il est parfois impossible de constituer un échantillon adapté.</p>
<h2>Les approches à l’attribution d’auteur</h2>
<p>L’attribution d’auteur est avant tout un problème de comparaison de style. Le linguiste identifie les éléments « marqués» et récurrents d’un texte et les compare ensuite à des échantillons dont la paternité est connue. Pour ce faire, plusieurs approches sont possibles, dont deux très utilisées actuellement : l’analyse axée sur l'expertise et la classification basée sur la reconnaissance de formes. Dans l'approche dite « d'expertise », le linguiste fait appel à son expérience et ses connaissances théoriques pour identifier les éléments potentiellement « marqués » de chaque échantillon. Les données ainsi obtenues passent ensuite par une étape de vérification et d’étayage où elles sont vérifiées ou rejetées selon les informations recueillies. Enfin, les éléments vérifiés de chaque ensemble de textes sont comparés et un avis sur la similarité ou dissimilarité des échantillons est donné. Anciennement ces analyses étaient effectuées de manière complètement manuelle. Aujourd’hui les linguistes se servent souvent d’outils informatiques tels que les concordanciers ou les corpus informatisés pour faciliter l’exploration des échantillons. </p>
<p>Le problème de l’attribution d’auteur peut également s’aborder comme un problème de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Reconnaissance_de_formes">reconnaissance de formes</a> – spécifiquement comme un problème de classification automatique de textes. Dans ce scénario, les auteurs deviennent les « classes » auxquelles les échantillons peuvent être attribués. Cette méthode gagne du terrain depuis l’essor de l’intelligence artificielle dans le traitement automatique de textes. Dans cette approche algorithmique, la qualité des résultats repose fortement sur l’échantillonnage, les caractéristiques analysées (« features ») et le classifieur sélectionnés par le linguiste.</p>
<h2>Perspectives en France</h2>
<p>L’attribution d’auteur est une tâche complexe qui demande une compréhension approfondie du fonctionnement de la langue et des différentes méthodes d’attribution utilisées. La linguistique forensique peut être un outil d’analyse concourant à la prise en compte d’un texte en tant que trace.</p>
<p>L’université de <a href="https://www.u-cergy.fr/fr/index.html">CY Cergy Paris</a>, à travers le <a href="https://www.u-cergy.fr/fr/laboratoires/agora.html">laboratoire AGORA</a> et l’<a href="https://www.u-cergy.fr/fr/laboratoires/idhn.html">Institut des humanités numériques</a>, avec l’aide des techniciens du <a href="https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/pjgn/IRCGN/Division-Criminalistique-Ingenierie-et-Numerique-DCIN/Departement-Documents-DCT">département Documents</a> de l’<a href="https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/pjgn/IRCGN">IRCGN</a>, travaille au développement d’une méthodologie d’attribution d’auteur adaptée aux contextes judiciaires. Pour plus d’informations sur les différents projets de l’Institut des humanités numériques, nous vous invitons à visiter <a href="https://www.u-cergy.fr/fr/laboratoires/idhn.html">notre site</a>.</p>
<hr>
<p><em>La Région Île-de-France finance des projets de recherche relevant de Domaines d’intérêt majeur et s’engage à travers le dispositif Paris Région Phd pour le développement du doctorat et de la formation par la recherche en cofinançant 100 contrats doctoraux d’ici 2022. Pour en savoir plus, visitez <a href="https://www.iledefrance.fr/des-aides-la-recherche-pour-13-domaines-dinteret-majeur">iledefrance.fr/education-recherche</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143127/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Longhi a reçu des financements de la Région Ile de France (par l'intermédiaire du Domaine d'intérêt majeur - DIM - Sciences du texte et connaissances nouvelles), de l'Agence Nationale de la recherche (via l'INEX dont CY est lauréat et qui permet le financement d'une thèse de doctorat sur le sujet de l'attribution d'auteur ; et via l'AAP générique 2017 pour le projet ANR TALAD), et de l'IUF (Institut universitaire de France) dont il est membre junior (promotion 2018). Il a également bénéficié d'un financement du ministère de l'intérieur dans le cadre de l'appel à projets CHEMI, en lien avec la problématique de l'attribution d'auteur et de la comparaison de documents.
Il est également secrétaire général de l'AFLA (Association française de linguistique appliquée).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alexandra Freeman et Cécile Jacob ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>La linguistique forensique est un champ de recherche de la linguistique appliquée dédié aux besoins du système de justice.Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, AGORA/IDHN, CY Cergy Paris UniversitéAlexandra Freeman, Doctorante en linguistique, CY Cergy Paris UniversitéCécile Jacob, Spécialiste en comparaison d'écritures manuscrites, Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale (IRCGN), Gendarmerie nationaleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.