tag:theconversation.com,2011:/global/topics/crise-des-migrants-39573/articlescrise des migrants – The Conversation2023-10-22T15:16:29Ztag:theconversation.com,2011:article/2159082023-10-22T15:16:29Z2023-10-22T15:16:29ZComment Lampedusa incarne les mythes migratoires européens<p>Le 3 octobre 2023 a marqué le dixième anniversaire du naufrage survenu au large de Lampedusa, qui a provoqué la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Naufrage_du_3_octobre_2013_%C3%A0_Lampedusa">mort de plus de 300 migrants en 2013</a>, et qui constitue encore aujourd’hui un des épisodes les plus meurtriers et emblématiques de la <a href="https://theconversation.com/mort-de-migrants-en-mer-la-veritable-responsabilite-incombe-aux-politiques-mises-en-place-par-les-etats-europeens-210371">crise des migrants et des réfugiés</a> en Méditerranée.</p>
<p>Ironie de l’histoire, quelques jours avant ce triste anniversaire, l’île a connu un nouvel épisode de crise migratoire lorsque, en septembre 2023, une <a href="https://actu.fr/societe/migrants-a-lampedusa-retour-jour-par-jour-sur-la-crise-qui-touche-l-italie-et-l-europe_60104385.html">dizaine de milliers de migrants sont arrivé en quelques jours</a>, saturant les capacités d’accueil et provoquant l’habituelle série de réunions d’urgence, visites de responsables politiques, annonce de nouvelles mesures, etc.</p>
<p>Ce type d’événement relève désormais d’une forme de jour sans fin. À intervalles réguliers, les mêmes problèmes se posent, à Lampedusa ou ailleurs. Et à chaque fois, les États européens y réagissent dans l’urgence, en refaisant <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/00027642231182889">exactement la même chose que lors du précédent épisode de crise</a> : ils renforcent le contrôle des frontières, intensifient la coopération avec les pays tiers, durcissent leur législation, promettent de lutter contre les passeurs et <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/leffet-lampedusa-ou-comment-se-fabriquent-des-politiques-migratoires-repressives-20230917_23WCBIMHNBHOFJRRL3HLUXEEZU/">d’accroître les expulsions, etc.</a></p>
<p>En France, la même impression de surplace se dégage de l’actualité politique. Rappelons que le <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/immigration-29-lois-depuis-1980-pour-quel-bilan-20221215">gouvernement travaille actuellement à la 30ᵉ loi sur l’immigration depuis 1980</a> : au rythme de presque une nouvelle loi par an, le pays est engagé dans un processus continu et probablement sans fin, de nature sisyphéenne, qui voit une nouvelle loi chasser la précédente sans que le « problème » posé par les migrations ne soit d’une quelconque manière résolu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/loi-immigration-pour-une-veritable-evaluation-de-notre-politique-dasile-213674">Loi immigration : pour une véritable évaluation de notre politique d’asile</a>
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<h2>« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde »</h2>
<p>Il en va de même des discours politiques. En septembre 2023, <a href="https://www.leparisien.fr/politique/on-ne-peut-pas-accueillir-toute-la-misere-du-monde-lhistoire-derriere-la-celebre-phrase-de-rocard-reprise-par-macron-24-09-2023-NZXNP7IPRFC2PFYEYZDCA2KWEA.php">Emmanuel Macron a repris la célèbre phrase prononcée par Michel Rocard en 1989</a> : « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Laquelle phrase avait été déjà reprise par Manuel Valls en 2012, et par Macron lui-même à plusieurs reprises depuis 2017.</p>
<p>En 1989, François Mitterrand évoquait une politique migratoire alliant <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/137997-allocution-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republique-sur-la">sévérité aux frontières et humanité</a>, soit presque la même expression (humanité et fermeté) que le gouvernement actuel emploie pour <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1263404/article/2022-12-06/loi-immigration-fermete-et-humanite-pari-du-camp-presidentiel-pour-seduire-l">justifier la nouvelle loi en cours d’élaboration</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Bateau de migrants à l’approche de Lampedusa, Italie. En septembre 2023 une dizaine de milliers de migrants sont arrivés en quelques jours.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/194913085@N07/53201458968">Fellipe Lopes/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Cette répétition sans fin des mêmes propos est d’autant plus frappante qu’ils n’ont aucun sens. Personne n’a en effet jamais suggéré que la France accueille toute la misère du monde : on voit donc mal pourquoi il est nécessaire de continuellement exclure ce scénario. Et si on comprend à peu près en quoi consiste la fermeté des États, personne n’a jamais réussi à définir ce à quoi ressemblerait une politique migratoire ferme et humaine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sante-maternelle-les-femmes-migrantes-sont-plus-a-risque-y-compris-dans-leur-pays-daccueil-213090">Santé maternelle : les femmes migrantes sont plus à risque, y compris dans leur pays d’accueil</a>
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<h2>L’appel d’air, un vrai faux argument</h2>
<p>On pourrait faire la même observation à propos de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/11/immigration-le-mythe-de-l-appel-d-air_6157358_3232.html">l’argument de l’appel d’air</a>, selon lequel un accueil décent des migrants et des réfugiés serait incompatible avec la maîtrise de l’immigration irrégulière car il les encouragerait à venir en France. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/04/francois-heran-sur-l-immigration-abandonnons-les-vieilles-rengaines-et-prenons-la-mesure-du-monde-tel-qu-il-est_6192352_3232.html">Cela n’a jamais été démontré</a>, mais le concept est devenu un mot magique, repris de manière pavlovienne par tous les gouvernements successifs de gauche comme de droite.</p>
<p>Les politiques migratoires reposent ainsi sur des croyances inchangées depuis plusieurs décennies. Du point de vue de la raison, c’est incompréhensible : un gouvernement qui constate l’échec de sa politique devrait, en toute logique, remettre en cause les postulats de son action et réévaluer sa stratégie.</p>
<p>Mais malgré l’échec de leurs politiques, les États européens continuent de croire dans ce qu’il faut bien qualifier de <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/migrations-la-politique-europeenne-en-3-minutes/">monde imaginaire</a> : dans cet univers parallèle, les frontières sont bien contrôlées, la distinction entre migrants et réfugiés est claire pour tout le monde, les migrants économiques viennent docilement combler les besoins de main-d’œuvre dans les secteurs dits « en tension », les pays tiers font preuve de bonne volonté pour aider l’Europe à prévenir l’immigration irrégulière, l’aide au développement est judicieusement allouée pour réduire la pression migratoire dans les pays du Sud, etc.</p>
<p>Il n’y a aucune chance que tout cela se produise dans le monde réel. Mais cet horizon inatteignable est tellement désirable qu’on ne cesse de l’invoquer en espérant le faire advenir. Il n’est donc pas surprenant que des responsables politiques prononcent exactement la même phrase à près de quarante ans d’intervalle : c’est précisément la manière dont les mythes fonctionnent, avec la répétition rituelle des mêmes mantras hérités de nos ancêtres, que chaque génération se répète et transmet à la suivante.</p>
<h2>Un rapport complexe à la réalité</h2>
<p>Rappelons que le mythe entretient un rapport complexe à la réalité. Il ne perd pas son pouvoir d’attraction, même lorsque la réalité ne cesse de le démentir. Dans la mesure où le mythe sert à unir et rassurer une société, il devient au contraire d’autant plus précieux et valable que cette réalité s’avère <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2006-2-page-427.htm">menaçante ou échappe au contrôle</a>. Chaque nouvelle « crise » migratoire constitue ainsi une raison de plus pour les sociétés européennes de réitérer leur croyance dans un horizon utopique qui les verrait atteindre leur objectif de <a href="https://www.vie-publique.fr/dossier/20160-la-politique-dimmigration-la-maitrise-des-flux-migratoires">« maîtrise des flux migratoires »</a>.</p>
<p>La croyance dans le mythe s’accommode aussi de quelques contradictions. Dans un livre célèbre, Paul Veyne se demande si les Grecs de l’Antiquité <a href="https://books.google.fr/books?id=ZX6BAAAAQBAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false">croyaient à leurs mythes</a> et il avance l’hypothèse qu’il existe différents « programmes de vérité », qui cohabitent au sein des sociétés et en chacun d’entre nous. Comme le malade qui espère un miracle à Lourdes mais n’en prend pas moins ses médicaments, cela nous permet tout à la fois de croire et de ne pas croire, ou de croire tout en adoptant des comportements peu conformes avec nos croyances.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sante-mentale-des-migrants-prevenir-et-agir-est-une-question-de-sante-publique-211757">Santé mentale des migrants : prévenir et agir est une question de santé publique</a>
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<h2>L’exemple italien</h2>
<p>C’est ainsi qu’en Italie, le gouvernement actuel se montre à la fois intransigeant et souple dans sa politique migratoire. Issue de l’extrême droite où l’immigration est systématiquement présentée comme une <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230920-europe-pour-les-extr%C3%AAmes-droites-ue-doit-%C3%AAtre-un-outil-pour-juguler-les-crises-migratoires">« invasion »</a>, et élue sur la promesse d’un « blocus » maritime contre l’immigration irrégulière, Giorgia Meloni <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/24/italie-georgia-meloni-admet-qu-elle-esperait-faire-mieux-en-matiere-de-migration_6190785_3210.html">reconnaît ainsi que ses objectifs sont difficiles à atteindre</a>, sans pour autant changer de discours.</p>
<p>Par ailleurs, son gouvernement continue de régulariser des sans-papiers pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre dans un pays vieillissant, et <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/crise-migratoire-a-lampedusa-qu-a-fait-giorgia-meloni-face-a-l-immigration-depuis-son-arrivee-au-pouvoir-en-italie_6073092.html">prévoit même d’accroître l’immigration de travail</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2Q43VfCwWgo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Lampedusa, l’échec de Meloni ? France 24, septembre 2023.</span></figcaption>
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<p>On peut n’y voir qu’un double discours, ou l’illustration du cynisme de dirigeants qui font des promesses électorales auxquelles ils ne croient pas eux-mêmes. La frontière ne serait alors plus qu’un théâtre, où les États européens mettent en scène leur volonté insincère de contrôle de l’immigration, à la seule fin de rassurer leurs concitoyens et de détourner leur attention.</p>
<h2>Concilier l’inconciliable ?</h2>
<p>Mais c’est oublier que les politiques migratoires soulèvent de véritables dilemmes, et qu’une des fonctions des mythes est précisément de dépasser les contradictions qui sont au cœur de l’expérience humaine. De même que le Minotaure est à la fois humain et animal, les mythes migratoires concilient l’inconciliable, du moins sur le plan symbolique. La formule incantatoire « fermeté et humanité » promet ainsi de concilier ouverture et fermeture, générosité et sévérité, exclusion et solidarité, etc.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De même que le Minotaure est à la fois humain et animal, les mythes migratoires concilient l’inconciliable, du moins sur le plan symbolique. Astérion le Minotaure dans les rues de Toulouse, géant de la compagnie « La Machine » – (novembre 2018).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/98/Le_Minotaure.jpg/1024px-Le_Minotaure.jpg">Mrniko/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>De façon plus fondamentale, l’Europe est l’héritière de deux croyances antinomiques. Depuis les Lumières, elle se pense comme le berceau <a href="https://institutdelors.eu/publications/de-quelle-universalite-les-valeurs-europeennes-sont-elles-le-nom/">des droits humains, de l’universalité, du progrès et de l’égalité</a> – d’où la référence à l’humanité. Mais de par son histoire coloniale, elle est de longue date structurée autour d’une opposition entre « eux » et « nous », qui fonde une différence structurelle de traitement entre Européens et non-Européens, et qui motive sa « rage à marquer sa différence contre le reste du monde », pour reprendre l’expression d’Achille Mbembe dans <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/de_la_postcolonie-9782348057502"><em>De la postcolonie</em></a>.</p>
<p>La contradiction réapparaît à chaque nouveau naufrage. L’Europe est choquée, elle se désole, se mobilise et exprime sa solidarité. Mais dans le même temps elle ne change rien à ses politiques, et s’accommode finalement de voir ses frontières transformées en une fosse commune pour non-Européens.</p>
<p>On conçoit que dans le monde réel il ne soit pas simple de concilier ces deux héritages, et qu’il est donc tentant de se réfugier dans un monde magique où la contradiction disparaîtrait. Cela se fait bien sûr au détriment d’une refondation pourtant nécessaire des politiques migratoires : mais après tout, de même que la religion est l’opium qui maintient le peuple dans le statu quo, les mythes tendent à être du côté de l’ordre établi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215908/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Pécoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les politiques migratoires semblent reposer sur des croyances inchangées depuis plusieurs décennies. Comment comprendre que ces dernières perdurent ?Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2000272023-03-02T20:03:04Z2023-03-02T20:03:04ZAu Liban, la périlleuse traversée de la Méditerranée, seule issue pour des milliers de personnes désespérées<p>Le 6 février 2023, à l’occasion de la <a href="https://www.liberation.fr/societe/journee-de-commemoration-pour-les-morts-aux-frontieres-on-veut-migrer-pour-vivre-pas-pour-mourir-20230207_6IBCSHNYMRBYRMQ5TB22G2JFPI/">Journée internationale de la commémoration des morts et des disparus en mer et aux frontières</a>, j’ai assisté à Tripoli, au Liban, à un rassemblement et à une réunion organisés par un certain nombre d’organisations de la société civile locales et internationales.</p>
<p>Celles-ci ont rappelé à cette occasion le <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/au-moins-71-migrants-partis-du-liban-meurent-noyes-au-large-de-la-syrie-20220923_6FTKKQH22JG2RAINI3TIH4ETVY/">destin tragique qu’ont connu de nombreux migrants illégaux</a> ayant voulu rejoindre l’Europe par la mer Méditerranée au cours de ces dernières années.</p>
<p>En effet, chaque année, des centaines de Libanais, mais aussi de Syriens et de Palestiniens réfugiés au Liban, prennent la mer sur des embarcations souvent très fragiles afin d’échapper aux <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Liban-chronologie-dune-crise-bancaire-financiere-nen-finit-pas-2023-02-17-1201255646">très difficiles conditions économiques</a> que subit actuellement le pays. Ils cherchent de l’espoir, un avenir meilleur, une stabilité, mais surtout et avant tout la dignité.</p>
<p>Cet article présente une tentative d’analyse anthropologique de cette immigration particulière. Sans juger les familles qui risquent leur vie et celle de leurs enfants, il s’agit de comprendre leurs motivations dans une dimension cognitive. Les dimensions politiques, économiques et sociales, ainsi que les réseaux des passeurs méritent une autre étude.</p>
<h2>Une litanie de catastrophes</h2>
<p>Un récent rapport de l’UNICEF estime que, au Liban, <a href="https://www.unicef.org/media/112421/file/2022-HAC-Lebanon.pdf">2,3 millions de Libanais vulnérables</a>, de réfugiés palestiniens et de migrants essentiellement syriens, dont 700 000 enfants, sont confrontés à une crise humanitaire et à des privations multiples. Il ressort également de cette enquête que 30 % des jeunes Libanais (âgés de 15 à 24 ans) ont abandonné leurs études pour chercher un emploi, tandis qu’environ 41 % d’entre eux estiment que ce n’est qu’en s’installant à l’étranger qu’ils pourront trouver du travail.</p>
<p>Le nombre de Libanais cherchant à quitter le pays est en constante augmentation depuis le <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2022/01/24/lebanon-s-crisis-great-denial-in-the-deliberate-depression">début de la crise économique en 2019</a>. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/45814/le-naufrage-dun-bateau-de-migrants-au-large-du-liban-fait-deux-morts-200-personnes-secourues">38 bateaux transportant plus de 1 500 passagers</a> ont quitté illégalement le pays par la mer en 2021.</p>
<p>Le 23 avril 2022, un bateau transportant environ 84 personnes <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/09/le-naufrage-d-un-bateau-de-migrants-suscite-la-colere-a-tripoli_6125371_3210.html">a coulé au large de Tripoli, au Liban</a>. L’armée libanaise a recueilli 45 survivants et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/09/le-naufrage-d-un-bateau-de-migrants-suscite-la-colere-a-tripoli_6125371_3210.html">sept corps ont été retrouvés</a>, dont un bébé de 40 jours, tandis que les passagers restants sont toujours portés disparus à ce jour.</p>
<p>Le 21 septembre 2022, un bateau transportant environ 150 personnes a coulé près de l’île d’Arwad, au large de Tartous en Syrie au nord du Liban. Les opérations de recherche et de sauvetage ont confirmé <a href="https://www.lecourrierdelatlas.com/naufrage-au-large-de-la-syrie-au-moins-94-morts-et-plusieurs-disparus/">qu’au moins 70 personnes ont trouvé la mort dans le naufrage</a>.</p>
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<p>Le 31 décembre 2022, l’armée libanaise, en coopération avec la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), a secouru plus de 200 migrants après qu’un bateau les transportant a coulé au large de la région de Selaata au Liban, dont la plupart seraient des Syriens. Après avoir été secourus, la plupart d’entre eux ont <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/01/lebanon-syrians-who-survived-boat-sinking-allegedly-deported/">été illégalement expulsés et remis aux autorités syriennes</a>.</p>
<h2>Une crise économique dévastatrice</h2>
<p>La crise économique et financière qui a débuté en octobre 2019 a été exacerbée par le double impact de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1285850/le-liban-touche-par-une-nouvelle-vague-de-la-pandemie.html">l’épidémie de Covid-19</a> et de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/liban/explosions-a-beyrouth/explosion-a-beyrouth-les-dessous-du-drame_4067889.html">l’explosion du port de Beyrouth en août 2020</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-port-de-beyrouth-symbole-detruit-dune-ville-en-crise-144093">Le port de Beyrouth, symbole détruit d’une ville en crise</a>
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<p>Selon le <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/394741622469174252/pdf/Lebanon-Economic-Monitor-Lebanon-Sinking-to-the-Top-3.pdf">Lebanon Economic Monitor</a> du printemps 2021, la crise économique et financière du Liban se classe parmi les pires crises économiques mondiales depuis le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle. Le PIB nominal a chuté de près de 52 milliards de dollars en 2019 à un montant estimé à 23,1 milliards de dollars en 2021. La contraction économique prolongée a entraîné une baisse marquée du revenu disponible. Le PIB par habitant a chuté de 36,5 % entre 2019 et 2021, et le Liban, pays à revenu intermédiaire supérieur depuis près de 25 ans, a été <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1304933/le-liban-passe-dans-la-categorie-revenu-moyen-inferieur-dun-classement-de-la-banque-mondiale.html">reclassé par la Banque mondiale</a> dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire inférieur.</p>
<p>Dans ce contexte, les droits sociaux et économiques de la majorité des Libanais ne sont plus garantis, les familles à faible revenu étant les premières victimes. Une étude de Human Rights Watch met en lumière les <a href="https://al24news.com/fr/hrw-met-en-garde-contre-les-niveaux-alarmants-de-pauvrete-et-dinsecurite-alimentaire-au-liban/">niveaux alarmants de pauvreté et d’insécurité alimentaire au Liban</a> en raison de la baisse de l’activité économique, de l’instabilité politique et de l’augmentation du coût de la vie. Selon HRW, la réponse des autorités ne garantit pas le droit de chacun à un niveau de vie suffisant, y compris le droit à l’alimentation, alors que 90 % des foyers libanais vivent avec <a href="https://icibeyrouth.com/liban/165438">moins de 377 dollars par mois</a>. Le système de protection sociale du Liban est très fragmenté, laissant la plupart des travailleurs informels, les personnes âgées et les enfants sans aucune protection, et renforçant les inégalités sociales et économiques.</p>
<h2>L’émigration comme échappatoire</h2>
<p>La notion de crise, en tant qu’expérience dans des domaines recouvrant tous les registres de la vie individuelle ou sociale, réclame une analyse susceptible de dégager les caractéristiques et les dynamiques qui la spécifient. Dans son article <a href="https://cpp.numerev.com/pdf/articles/revue-14/395-crises">« Crise(s) »</a> paru dans <em>Les Cahiers de psychologie politique</em>, la spécialiste de psychologie sociale Jacqueline Barus-Michel décortique les différentes phases de la crise économique de 2008, caractérisées par un brusque retour du refoulé entraînant défaillance de symbolisation et déferlement d’un imaginaire négatif incontrôlable. Elle indique que la crise a des effets de contamination sur les unités sociales ou les systèmes affectés de proche en proche par la dérégulation. Les symptômes psychiques et sociaux de l’anomie se manifestent sur les modes dépressifs et violents.</p>
<p>Les crises sociales, politiques et économiques ne sont crises que parce que chaque fois elles affectent des personnes, des groupes, des populations dans leur vie matérielle, psychique et relationnelle. Dans le cas libanais, l’intervention des événements déclencheurs de l’explosion du port, de la crise de Covid-19 et de la crise économique a signé l’irruption d’une réalité refoulée « contredisant l’imaginaire et le mode de fonctionnement qui en découlait ». Au niveau des sujets, la crise s’est manifestée par une désorientation et une transgression qui a donné lieu à ces vagues d’émigration par la mer. Au niveau de l’unité sociale, elle a suscité le désinvestissement, un sentiment d’insécurité, des conduites au coup par coup, dans l’immédiateté, le défaut de projet, et le développement de l’esprit de fuite.</p>
<p>Les conséquences psychologiques de la crise sont partagées par les Libanais et les réfugiés syriens et palestiniens. Devant cette réalité, l’appartenance nationale s’efface. Leurs intérêts convergent dans la recherche d’une sortie digne pour une vie digne. Ces individus et familles ne trouvent plus leur place au Liban et vont à la recherche d’autres places ailleurs, optant pour une stratégie de risque dans une <a href="https://editions.flammarion.com/la-societe-du-risque/9782081218888">« société du risque »</a> (Beck, 1992) où prime le sentiment d’insécurité. Pour Ulrich Beck, le risque peut être défini comme une façon systématique de traiter les dangers et insécurités induits et introduits par la modernité elle-même.</p>
<p>Cette migration illégale comme sortie logique est choisie par ces populations, au risque de perdre la vie. Elles sont ainsi vues par leurs pairs et les détenteurs de pouvoir comme produisant leurs propres (nouveaux), risques, dangers, contingences et formes d’insécurité. Sur le plan social et politique, elles semblent réclamer une nouvelle forme de relation entre le pays (ou le lieu de résidence) et l’ailleurs. La crise a produit un processus d’individualisation croissant à la suite duquel les individus se sont réunis en <a href="https://www.editionslatableronde.fr/le-temps-des-tribus/9782710390305">nouveaux réseaux</a> revendiquant une plus grande marge de liberté et d’autonomie. Ces voyageurs illégaux aspirent à une émancipation par un passage à l’acte risqué, mais conscient. Leur conviction qu’il existe une vie meilleure ailleurs donne un sens à leur acte.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200027/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Kortam ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi autant de Libanais et de réfugiés palestiniens et syriens au Liban prennent-ils la mer vers l’Europe au péril de leur vie ?Marie Kortam, Chercheure associée à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO – Beyrouth) et membre du Conseil arabe des sciences sociales, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1792202022-03-17T19:33:42Z2022-03-17T19:33:42ZRéfugiés : le double discours de l’Europe<p>Depuis l’invasion de l’Ukraine par le régime de Vladimir Poutine, en 18 jours de guerre, <a href="https://data2.unhcr.org/en/situations/ukraine">plus de 3 millions de réfugiés</a> ont quitté le pays. La Pologne, la Moldavie et la Roumanie s’organisent pour les accueillir, les <a href="https://en.ocalenie.org.pl/">associations</a> se mobilisent, la société civile s’engage. L’Union européenne active une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000338958">directive de 2001</a>, jamais utilisée auparavant, qui permet d’accorder un statut de protection temporaire pour garantir un <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/284183-ue-ukraine-protection-temporaire-pour-les-refugies-fuyant-la-guerre">accès rapide aux droits</a> : un droit au séjour, l’accès au marché du travail, l’accès au logement, l’aide sociale et l’aide médicale.</p>
<p>Des compagnies ferroviaires dans plusieurs pays (par exemple en <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/guerre-en-ukraine/guerre-en-ukraine-la-sncf-offre-le-train-gratuit-aux-refugies-ukrainiens-5ecc84ec-98cd-11ec-a212-1f68235c1350">France</a>, <a href="https://www.railjournal.com/regions/europe/europe-continues-to-support-ukrainian-refugees/">aux Pays-Bas, en Belgique, en Autriche</a>) annoncent la gratuité des transports. Face aux souffrances du peuple ukrainien, les politiques nationales et européennes en matière d’asile et d’accueil semblent, enfin, se hisser à la hauteur de la tragédie d’un peuple confronté à la guerre. L’absolu contraste avec les politiques d’asile et d’accueil mises en place jusqu’ici est flagrant. Dans nos recherches auprès de femmes exilées, menées depuis plusieurs années, nous avons en effet constaté un abandon social à l’arrivée en France.</p>
<h2>L’absence d’hébergements, fabrique de violences sexuelles</h2>
<p>En 2020, nous avons rencontré en région parisienne des femmes demandeuses d’asile venues de RDC, du Mali et de Côte d’Ivoire dans le cadre de <a href="https://gbvmigration.cnrs.fr">deux</a> <a href="https://www.fondation-croix-rouge.fr/wp-content/uploads/2022/03/fcrf_pdlf36_sahraoui.pdf">recherches</a> portant sur les violences de genre en contexte de migration.</p>
<p>Ces femmes ont toutes fui des violences dans leur pays d’origine et ont souvent été victimes de violences pendant leur voyage. Mais aucune protection ne leur est offerte à leur arrivée en France. Des associations comme la <a href="https://agir.lacimade.org/JMR2020">Cimade</a> décrivent depuis plusieurs années le manque structurel de places d’hébergement pour les demandeurs et demandeuses d’asile. En 2019, ce sont environ <a href="https://www.lacimade.org/premier-bilan-de-la-demande-dasile-en-france/">deux tiers</a> des demandeurs d’asile qui n’ont accès à aucune forme d’hébergement. Se retrouver à la rue, pour les femmes demandeuses d’asile, cela signifie être constamment exposées à un risque accru de violences sexuelles.</p>
<p>Une <a href="https://theconversation.com/les-femmes-migrantes-face-aux-violences-sexuelles-en-france-138896">recherche quantitative réalisée en 2012-2013</a> avait déjà identifié l’insécurité administrative et l’insécurité résidentielle comme facteurs directs de violences sexuelles et de risque accru d’infection au VIH, les femmes ayant fui des violences dans leur pays d’origine étant 3,7 fois plus nombreuses à déclarer avoir été victimes de viols en France que les femmes migrantes venues pour raisons professionnelles.</p>
<p>Toutes les associations constatent en outre une dégradation des conditions d’accueil ces dernières années. Les femmes que nous avons rencontrées se sont retrouvées à la rue pendant plusieurs mois, parfois en plein hiver, pour certaines avec des enfants en bas âges, quelques-unes en situation de grossesse avancée. L’absence de places disponibles est telle que les associations qui font des maraudes dans la capitale n’ont pas de solutions, même pour les publics a priori « prioritaires ». Dans ce contexte, les femmes en situation d’exil sont parfois contraintes à des relations sexuelles transactionnelles en échange d’un toit. Dans d’autres cas, les solutions d’hébergement sont en elles-mêmes des lieux d’insécurité : de nombreux cas de violences ont été signalés dans les hôtels sociaux selon nos interlocutrices.</p>
<p>Une jeune malienne explique qu’elle s’abrite dans des gares, toujours assise, jamais allongée, pour ne surtout pas attirer l’attention, prétendre qu’elle attend, et tenter de protéger son intégrité physique en ne donnant pas à voir sa situation de rue. Elle s’assoupit mais ne dort jamais. La rue n’offre aucun moment de répit. Plusieurs années de suite, les services des hôpitaux publics deviennent le dernier rempart face à l’abandon et l’isolement de ces femmes. Les associations orientent parfois, faute d’autre alternative, les femmes enceintes vers les salles d’attente des hôpitaux pour qu’elles ne passent pas la nuit dans le froid.</p>
<h2>Dégradation intentionnelle des conditions d’accueil</h2>
<p>Les recherches de ces dernières années mobilisent les concepts de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/anti.12325">« nécropolitique »</a>, de <a href="https://journals.openedition.org/revdh/4238">« défaillance systémique »</a>, de <a href="https://www.routledge.com/Impoverishment-and-Asylum-Social-Policy-as-Slow-Violence/Mayblin/p/book/9781032084411">« violence lente »</a> ou encore de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0306396819850986">« dégradation intentionnelle »</a> des conditions pour qualifier ces processus de militarisation des frontières et d’abandon social aux conséquences mortifères. Il existe peu d’études sur le sujet, mais les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1362480612464510">données disponibles</a> indiquent que les frontières sont particulièrement meurtrières pour les femmes et que les <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2020-4-page-29.html">implications nécropolitiques</a> de la répression des migrations sont genrées.</p>
<p>Ces concepts montrent comment les États qui clament le droit de « contrôler leurs frontières », exercent leurs pouvoirs politiques et sociaux en laissant mourir les personnes « autres », « étrangères » de par l’abandon systématique de ces personnes et le déni structurel des droits (logement, nourriture, statut légal, accès à la santé) essentiels à leur survie. Notre recherche éclaire plus particulièrement la production institutionnelle de violences genrées en ce que le non-accueil, souvent analysé comme une <a href="https://academic.oup.com/jrs/article-abstract/32/Special_Issue_1/i162/5289520">politique de la dissuasion</a>, engendre de manière systématique des violences sexuelles et de genre et présente donc une dimension structurelle.</p>
<h2>Des représentations racistes et genrées de l’exil</h2>
<p>Après des décennies de politiques de fermeture et de rejet, <a href="https://missingmigrants.iom.int/">causant plus de 23 500 morts en Méditerranée depuis 2014</a>, nombre d’éditorialistes et d’<a href="https://www.hrw.org/news/2022/03/09/eus-generous-response-ukraine-refugees-shows-another-way-possible">ONG</a> célèbrent l’accueil absolument vital des réfugiés ukrainiens tout en constatant un double standard, un <a href="https://www.facebook.com/baam.asso">asile à deux vitesses</a>, et, indéniablement, une <a href="https://www.theguardian.com/world/commentisfree/2022/mar/10/europe-compassion-refugees-white-european">logique raciste</a>, dans ce revirement des politiques d’asile.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/452460/original/file-20220316-25-he7t0q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452460/original/file-20220316-25-he7t0q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=455&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452460/original/file-20220316-25-he7t0q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=455&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452460/original/file-20220316-25-he7t0q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=455&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452460/original/file-20220316-25-he7t0q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452460/original/file-20220316-25-he7t0q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452460/original/file-20220316-25-he7t0q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nombre de personnes ayant disparu ou étant mortes en mer Méditerranée par année. Missing Migrants Project, (IOM).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://missingmigrants.iom.int/region/mediterranean">missingmigrants.iom.int/region/mediterranean</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si le contraste n’échappe à personne, en tentant d’expliquer ces différences, plusieurs journalistes verbalisent une vision suprématiste selon laquelle les réfugiés ukrainiens méritent davantage d’être accueillis que les réfugiés du Moyen-Orient et d’Afrique, couleur de peau et religion étant explicitement nommés comme critère légitime de hiérarchisation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1500297614784229378"}"></div></p>
<p>Les discours soulignant le fait que les personnes fuyant l’Ukraine sont en grande majorité des femmes et des enfants mettent en avant la « vulnérabilité » de ces réfugiées. Or, cette idée d’une <a href="https://papelesceic.identidadcolectiva.es/04-Papeles-CEIC-2019.html">« vulnérabilité »</a> essentielle des femmes, renforce des stéréotypes de genre selon lesquels les femmes n’auraient pas elles-mêmes leurs propres stratégies et pouvoir d’agir.</p>
<h2>Un droit d’asile à géométrie variable</h2>
<p>Hommes et femmes politiques s’empressent aujourd’hui d’opérer un revirement radical de leurs discours quant aux politiques à déployer à l’encontre des personnes réfugiées. <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elections/presidentielle/ukraine-afghanistan-syrie-les-candidats-ont-ils-change-d-avis-sur-l-accueil-des-refugies_AN-202203030005.html">Emmanuel Macron</a> qui s’engage à accueillir les réfugiés ukrainiens déclarait au moment de la prise de pouvoir des talibans en août 2021 :</p>
<blockquote>
<p>« Nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants qui mettraient en danger ceux qui les empruntent, et nourriraient les trafics de toute nature ».</p>
</blockquote>
<p>Or l’OIM enregistre en 2021 plus de 700 personnes de nationalité afghane décédées en migration, soulignant de plus qu’il est difficile de compiler ces données et que la plupart des décès ne sont probablement pas documentés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1494280475166363652"}"></div></p>
<p>Dans la région de Calais où toutes les activités humanitaires ont été de plus en plus criminalisées dans le contexte de la politique du <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/30227/letat-severement-critique-pour-sa-gestion-des-migrants-a-calais-et-grandesynthe">« zéro point de fixation »</a>, la maire <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1146987/article/2022-03-01/calais-quand-natacha-bouchart-accueille-des-migrants-ukrainiens-en-mairie">Natacha Bouchart</a> reçoit publiquement une famille de réfugiés ukrainiens pour symboliser son soutien et se dit choquée par le refoulement des Ukrainiens par les autorités anglaises, alors que les autres réfugiés tentant de rejoindre l’Angleterre sont refoulés depuis des années <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/s41253-018-0071-z">par les autorités françaises comme par les britanniques</a>.</p>
<p>Le 7 mars 2022, le Comité exécutif du Réseau des Nations unies sur les migrations, publie, avec d’autres organisations, un <a href="https://migrationnetwork.un.org/fr/statements/agir-maintenant-pour-sauver-des-vies-et-prevenir-la-disparition-de-migrants">appel solennel</a> aux États pour agir et éviter les décès des personnes migrantes. Les politiques mises en place pour l’accueil des Ukrainiens sont essentielles pour protéger les vies des civils fuyant la guerre. Elles peuvent aussi servir d’exemple pour éviter plus de morts aux frontières, et devraient nous rappeler l’obligation d’offrir un accueil digne à toutes les personnes exilées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179220/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ces recherches ont été soutenues par la Fondation Croix Rouge française, le programme Gender Net Plus et l'Institut Convergences Migrations.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Cette recherche a été financé par le programme GenderNet Plus de l'Union européenne, et par l'Institut Convergences Migrations. </span></em></p>Les représentations racistes et genrées servent à justifier une différence de traitement dans l’accueil des personnes fuyant les guerres.Nina Sahraoui, Post-doctorante en sociologie, CRESPPA, CNRS, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Jane Freedman, Professeur de sociologie, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1793842022-03-17T19:26:39Z2022-03-17T19:26:39ZProscrits, déplacés, réfugiés : ce que révèle le vocabulaire de la migration contrainte<p><em>Émigrés</em> et <em>proscrits</em>, <em>migrants</em> et <em>exilés</em>, <em>demandeurs d’asile</em> et <em>réfugiés</em>. Le vocabulaire utilisé pour désigner celles et ceux qui subissent les migrations contraintes est révélateur des représentations contrastées qui leur sont attachées.</p>
<p>Si les médias ont beaucoup usé du terme <a href="https://theconversation.com/voyons-nous-les-migrants-comme-etrangers-a-lhumanite-176176"><em>migrants</em></a> pour désigner les personnes fuyant sous la contrainte le sud de la Méditerranée et la corne de l’Afrique vers l’Union européenne au cours des années 2010, le mot n’est quasiment jamais appliqué aux millions d’exilés ukrainiens auxquels l’Union européenne accorde à si juste titre la protection temporaire.</p>
<p>Un détour par l’histoire montre tout l’intérêt qu’il y a d’étudier les phénomènes d’exil en <a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/4130#xd_co_f=ZjMxNmY0OWYtOGJlZi00YjI2LTlkNzgtNDhmNDU5ZmQ0MGU1%7E">tenant compte du vocabulaire qui leur est appliqué</a>. C’est l’un des fils directeurs de mon ouvrage <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/En-exil"><em>En exil. Les réfugiés en Europe de la fin du XVIIIᵉ siècle à nos jours</em></a>, qui se propose de remettre en perspective l’histoire européenne et contemporaine de l’exil.</p>
<p>Ce terme renvoie à la fois à un arrachement à sa patrie, à une situation forcée d’attente, et à une position depuis laquelle peuvent s’affirmer de nouvelles formes de mobilisation et d’engagement.</p>
<h2>« Exilés » et « proscrits » après les guerres napoléoniennes</h2>
<p>L’acte final du <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/congres-de-vienne-en-bref/">Congrès de Vienne</a>, en 1815, a mis un terme aux guerres napoléoniennes. Il s’agissait pour les monarques européens de redécouper le continent et d’y assurer la paix.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/452762/original/file-20220317-15-pnf4qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452762/original/file-20220317-15-pnf4qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452762/original/file-20220317-15-pnf4qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452762/original/file-20220317-15-pnf4qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452762/original/file-20220317-15-pnf4qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452762/original/file-20220317-15-pnf4qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452762/original/file-20220317-15-pnf4qq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Congrès de Vienne par Jean Godefroy d’après l’œuvre de Jean‑Baptiste Isabey.</span>
<span class="attribution"><span class="source">CC BY-SA 3.0</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Le nombre d’opposants alors chassés de leur pays pour des motifs politiques a augmenté et ceux-ci ont été de plus en plus fréquemment qualifiés en français d’« exilés » ou de « proscrits ».</p>
<p>Comme l’écrivit plus tard Victor Hugo dans les <a href="https://beq.ebooksgratuits.com/vents/Hugo-travailleurs.pdf"><em>Travailleurs de la mer</em></a>, le vocabulaire lui-même contribuait alors à distinguer les exils de patriotes et de libéraux – les « proscriptions » – des mouvements migratoires qui avaient affecté les contre-révolutionnaires durant la Révolution française – les « émigrations ».</p>
<p>Au début des années 1820, dans l’Europe des Restaurations monarchiques, alors même que Napoléon Bonaparte terminait sa vie banni sur l’île de Sainte-Hélène, les révolutions survenues en Europe méridionale ont <a href="http://www.editionsdelasorbonne.fr/fr/livre/?GCOI=28405100872050">jeté sur les routes de l’exil Grecs, Italiens et Espagnols</a>.</p>
<p>Au cours de la décennie suivante, les révolutions réprimées <a href="https://www.herodote.net/29_novembre_1830-evenement-18301129.php">à Varsovie</a> et en Italie centrale en 1831 ont encore amplifié ces mouvements. C’est dans un contexte où les <a href="https://asileurope.huma-num.fr/ressources-iconographiques/jean-baptiste-madou-souvenirs-demigration-polonaise-1834">patriotes polonais</a> fuyant la répression russe arrivaient par milliers en France – 7 000 d’entre eux étaient secourus par le gouvernement en 1832 – que la monarchie de Juillet a adopté une première loi sur les « étrangers réfugiés ».</p>
<p>Ce texte d’avril 1832, encore flou sur la façon de les définir, a été complété par une abondante réglementation ministérielle qui a précisé les contours de ce groupe particulièrement contrôlé (voir le corpus de circulaires ministérielles rassemblé sur le <a href="https://asileurope.huma-num.fr/circulaires-sur-les-refugies">site du programme ANR AsileuropeXIX)</a>.</p>
<p>Le « réfugié » s’imposait alors en Europe occidentale comme une nouvelle catégorie administrative, ce qui n’empêchait pas les personnes parties sous la contrainte de revendiquer d’autres appellations : celle d’exilé en français, <em>exile</em> en anglais ou <em>esule</em> en italien (voir <a href="https://asileurope.huma-num.fr/le-vocabulaire-de-lexil">l’ébauche de lexique européen de l’exil et de l’asile pour le XIXᵉ siècle</a> proposé par le site du programme ANR AsileuropeXIX).</p>
<h2>L’exilé politique mal accueilli à la fin du XIXᵉ siècle</h2>
<p>Le dernier tiers du XIX<sup>e</sup> siècle a marqué un nouveau point de bascule dans la façon dont les personnes contraintes de quitter leur pays pour leurs idées étaient considérées et traitées à travers le continent européen.</p>
<p>Ainsi, les milliers d’hommes et de femmes partis à cause de la répression de la <a href="https://communards-1871.fr/index.php">Commune de Paris au printemps 1871</a> ont été particulièrement mal accueillis dans les pays d’asile qui se contentaient de les tolérer – Grande-Bretagne, Suisse, notamment – et où ils se voyaient parfois dénoncés comme étant de potentiels terroristes.</p>
<p>Ce mouvement s’est confirmé à la fin du siècle, avec <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/l%E2%80%99europe-politique/les-mod%C3%A8les-politiques-pour-faire-l%27europe/les-mouvements-anarchistes-europ%C3%A9ens-fin-XIXe-d%C3%A9but-XXe-si%C3%A8cle">l’intensification des circulations transnationales d’anarchistes</a> : l’exilé politique était de moins en moins le bienvenu et se trouvait plus fréquemment assimilé à la figure du criminel qu’à celle du héros.</p>
<p>Avec les <a href="https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2012-3-page-1.htm">deux guerres balkaniques (1912-1913)</a> puis les deux guerres mondiales, le XX<sup>e</sup> siècle a fait entrer le continent dans une ère où, plus que les répressions d’insurrections et de révolutions, les conflits armés sont devenus la principale cause de départ forcé à l’étranger.</p>
<p>L’exil ne concernait plus seulement les opposants politiques, mais des groupes entiers de civils visés par la progression de combats ou par des politiques de déportation de masse.</p>
<h2>Les « personnes déplacées » de l’après Seconde Guerre mondiale</h2>
<p>En 1945, la crise migratoire provoquée par la Seconde Guerre mondiale fut loin d’avoir été interrompue par l’armistice. En Europe de l’Ouest, l’exil, entendu comme arrachement à son foyer, représentait une expérience de masse, subie dans les années d’après-guerre par des millions de « personnes déplacées » (<em>displaced persons</em>).</p>
<p>Cette catégorie forgée par les Alliés leur permettait de désigner tous les individus en situation de déracinement au lendemain de la guerre : rescapés des camps de concentration en transit, anciens travailleurs forcés, prisonniers de guerre libérés, mais aussi expulsés des territoires de l’Est.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/452824/original/file-20220317-27-1mog02g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452824/original/file-20220317-27-1mog02g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452824/original/file-20220317-27-1mog02g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452824/original/file-20220317-27-1mog02g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=486&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452824/original/file-20220317-27-1mog02g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452824/original/file-20220317-27-1mog02g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452824/original/file-20220317-27-1mog02g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=611&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des personnes déplacées allemandes attendent dans la gare d’Anhalter à Berlin en 1945.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Everett Collection</span></span>
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<p>Parmi ces personnes dites « déplacées », se trouvaient aussi des groupes entiers qui, pour des raisons politiques, refusaient de rentrer dans leur patrie, comme ce fut le cas de nombreux réfractaires au retour en URSS.</p>
<p>Alors que l’immédiat après-guerre avait vu cette catégorie des « personnes déplacées » s’imposer, la création par les Nations unies du « Haut-Commissariat aux réfugiés » en 1950, puis la signature de la convention de Genève l’année suivante, allaient contribuer à placer de nouveau le « réfugié » sur le devant de la scène.</p>
<p>Cette convention de 1951 était la première à proposer une définition juridique et internationalement reconnue de ce statut, en se fondant sur le critère de la persécution individuelle.</p>
<p>Si son attribution a été généreuse en Europe occidentale au temps des Trente Glorieuses, sans toujours tenir compte en pratique de ce critère de la persécution individuelle, les années 1980 ont marqué un tournant en la matière.</p>
<p>Dans tous les pays grands pays d’asile européens, le taux d’accord du statut de réfugié a alors baissé drastiquement.</p>
<h2>Les « exilés » et « migrants » des « Printemps arabes »</h2>
<p>Avant même l’année 1989, tournant géopolitique majeur avec la chute du mur de Berlin, les pays d’Europe refermaient leurs frontières aux « demandeurs d’asile ».</p>
<p>De manière significative, cette expression était alors de plus en plus fréquemment employée pour renvoyer à celles et ceux qui sollicitaient le statut de réfugiés, sans être désormais certains de l’obtenir. La chercheuse Karen Akoka évoque dans son livre, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_asile_et_l_exil-9782707198792"><em>L’Asile et l’exil. Une histoire de la distinction réfugiés/migrants</em></a>, l’entrée dans « le régime des demandeurs d’asile » avec les années 1980.</p>
<p>C’est bien plus tard, à la faveur des nouveaux exils Sud-Nord produits par les « Printemps arabes » et par les guerres civiles dans la corne de l’Afrique, que le mot « migrant » s’est imposé.</p>
<p>Il permettait de désigner les personnes en situation d’exil cherchant à trouver refuge en Europe mais aussi ailleurs, puisque le continent n’était pas, de loin, le premier à les accueillir.</p>
<p>En français, ce terme avait déjà été employé dans les années 1960 <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2005-4-page-26.htm">pour désigner les Algériens venus en France</a> après l’indépendance de leur pays, mais il se trouvait ainsi chargé de nouvelles significations et placé au centre de l’attention médiatique.</p>
<p>Dans le même temps, le terme <em>migrant</em> était aussi utilisé dans les médias anglophones, mais son usage a fait l’objet à partir de l’été 2015 de vives critiques.</p>
<p>Plusieurs voix – celles de journalistes, de chercheurs, de politiques – se sont élevées contre l’usage de ce mot qui véhiculait une vision déshumanisante des étrangers tentant au péril de leur vie la traversée de la Méditerranée. Outre cette connotation négative et presque animale, le terme « migrant », en français comme en anglais, les enfermait dans une forme de mouvement perpétuel. Il tendait enfin à les disqualifier dans leurs efforts pour demander l’asile et pour obtenir le statut de réfugiés.</p>
<p>À travers l’histoire européenne de l’exil, on comprend donc que les termes utilisés pour désigner les personnes contraintes au départ ne sont ni évidents, ni neutres. Ils proposent une certaine vision, et parfois même supposent une explication, une légitimation ou au contraire un rejet de ces mouvements migratoires générés par la répression et par la guerre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179384/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Diaz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Constamment en Europe, des personnes ont dû fuir, pour échapper à la guerre ou chercher une vie meilleure. Mais la manière de les désigner n’a cessé de varier, au gré des représentations véhiculées.Delphine Diaz, Maîtresse de conférences en histoire, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1761762022-02-09T20:50:30Z2022-02-09T20:50:30ZVoyons-nous les « migrants » comme étrangers à l’humanité ?<p>Les discours médiatiques et politiques concernant ceux que l’on nomme les <a href="https://www.ofpra.gouv.fr/fr/asile/les-mineurs-non-accompagnes">« Mineurs non accompagnés »</a> amènent à s’interroger sur la place <a href="https://www.parislibrairies.fr/livre/9782367177335-voyager-avec-les-mineurs-non-accompagnes-reperes-pour-une-pratique-decentree-en-protection-de-l-enfance-daniel-derivois/">qu’ils occupent dans l’imaginaire collectif</a>. L'expérience traumatique de <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/athletisme/athletisme-le-champion-olympique-mo-farah-revele-etre-arrive-en-grande-bretagne-sous-une-fausse-identite_5251495.html">Mo Farah</a>, quadruple champion olympique d'athlétisme sous la bannière britannique, qui raconte dans un documentaire diffusé <a href="https://www.bbc.com/news/uk-62123886">par la BBC le 13 juillet</a> comment il est arrivé illégalement et mineur au Royaume-Uni illustre ce propos.</p>
<p>La question mérite d’être posée dans un XXI<sup>e</sup> siècle où la figure du « migrant » fait l’objet de nombreuses projections dans les sociétés d’accueil. Elle est d’autant plus cruciale que ces jeunes – « sans représentant légal » dans le pays d’accueil – sont tantôt perçus comme une menace extérieure, tantôt comme des individus sans histoire qu’il faudrait civiliser, assimiler. Ils sont parfois utilisés comme de la main-d’œuvre pas chère à exploiter <a href="https://www.infomie.net/spip.php?article2943">sous forme d’esclavage moderne</a>.</p>
<h2>Étudier les « autres »</h2>
<p>Quand, au XIX<sup>e</sup> siècle, l’épistémologie occidentale était confrontée à la nécessité d’étudier les « autres », deux grandes disciplines avaient vu le jour : <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-orientalisme-l-orient-cree-par-l-occident-edward-w-said/9782020792936">l’Orientalisme</a> pour étudier les « Grandes civilisations » et l’Anthropologie pour étudier les cultures des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/comprendre_le_monde-9782707157454">peuples soumis et opprimés</a>. </p>
<p>Cette anthropologie – historiquement antérieure à <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/nous_n_avons_jamais_ete_modernes-9782707148490">« l’anthropologie symétrique »</a> ou <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/le-renversement-du-ciel/">« réciproque »</a> – qui allait servir et renforcer les idéologies raciales, esclavagistes et colonialistes a notamment <a href="http://nousetlesautres.museedelhomme.fr/">fabriqué un « autre »</a> « inférieur », amputé de son humanité. Au cours du temps, cet « autre » va être incarné par plusieurs figures notamment celle de « migrant » au XXI<sup>e</sup> siècle. Le terme <em>migrant</em>, tel qu’on l’entend dans l’imaginaire occidental ambiant recouvre surtout les ressortissants des peuples anciennement <a href="https://www.chroniquesociale.com/seismes-identitaires--trajectoire-de-resilience__index--1011992%E2%80%933009480%E2%80%931012241--cata------3008211--catalogue.htm">colonisés par les sociétés d’accueil occidentales</a>.</p>
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<p>Un « migrant » allemand, anglais ou américain en France n’est pas perçu de la même manière qu’un « migrant » sénégalais, syrien ou algérien, par exemple. Un « Occidental » qui migre vers un « pays du Sud » n’est pas désigné comme « migrant », mais comme « expatrié ». Bref, le choix des mots véhicule des signifiés implicites qui déterminent les relations entre les peuples du monde.</p>
<p>Ainsi, si on fait l’hypothèse que le signifiant « migrant » véhicule des restes d’une anthropologie coloniale, une réflexion s’impose sur les signifiés « esclave » et « étranger » avec lesquels ce signifiant peut résonner.</p>
<h2>Une figure familière et non menaçante</h2>
<p>Si le « migrant » renvoie à un esclave, c’est probablement un devenu familier. Autrefois, certaines sociétés esclavagistes rendaient esclave celui qui était étranger à leur territoire, mais à partir du moment où il était devenu esclave, il quittait le statut d’étranger pour devenir familier. « Le propre de l’esclave est son caractère d’extériorité à la parenté, qui permet sa domestication, sa familiarité, y compris son assimilation fictive à la famille comme d’autres dépendants du chef de famille (les enfants, les femmes célibataires, etc.), voire l’entretien de relations affectives, qui ne mettront jamais en danger l’ordre social établi. L’esclave peut volontiers faire l’objet d’un attachement, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/un-monde-en-negre-et-blanc-aurelia-michel/9782757880050">dès lors que celui-ci n’est pas la menace d’une transgression sociale</a> ». Domestiqué, l’esclave peut alors servir de main-d’œuvre facile. Il est toujours déshumanisé, mais n’est plus perçu comme une menace identitaire.</p>
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<p>Aujourd’hui, dans nos sociétés d’accueil, certains patrons ont des attitudes ou comportements envers les mineurs migrants qui semblent <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/35072/mineurs-de-ceuta-et-melilla--le-piege-de-lexploitation-par-le-travail">relever de l’héritage de l’esclavage</a>. Comme ces jeunes sont dans des conditions précaires (sans papier, détresse psychologique…), ils constituent pour eux de la main-d’œuvre facile à exploiter au détriment du respect des droits du travail.</p>
<p>Dans un établissement qui accueille des Mineurs non accompagnés dans une région de France, les équipes éducatives rapportent le cas d’un jeune qui travaille 7 jours sur 7, de 7h à 19h, sans pause et sans fiche de paie. Ce jeune est persuadé d’avoir toutes les chances de son côté pour « obtenir des papiers ». « Viens travailler gratuitement 4 samedis par mois, dit un autre patron à un autre jeune de ce même établissement, et je te ferai une attestation pour la préfecture ». Un autre patron en boulangerie va jusqu’à menacer un jeune d’appeler la préfecture ou son école s’il n’accepte pas les conditions de travail. On peut citer aussi <a href="https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2019/06/17/uber-eats-deliveroo-quand-des-travailleurs-precaires-profitent-d-autres-plus-precaires-encore_5477543_4832693.html">ces jeunes sans-papiers à qui des livreurs (livraison de repas à domicile) sous-louent leur compte</a>.</p>
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<a href="https://theconversation.com/lexil-ou-la-mort-pour-une-politisation-de-la-question-migratoire-166707">L’exil ou la mort ? Pour une politisation de la question migratoire</a>
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<p>Beaucoup de jeunes acceptent de travailler dans ces conditions pour avoir un lien privilégié avec un adulte (figure parentale), une activité professionnelle, un pécule, et quand c’est possible des fiches de paie pouvant étoffer leurs dossiers pour avoir un titre de séjour à leur majorité. Ces jeunes sont ainsi coincés entre leurs motivations et les conditions de travail. Leur statut d’adolescent ou de jeune est occulté par la condition d’un migrant-esclave devenu familier.</p>
<h2>Un danger fantasmé</h2>
<p>Si,dans l’imaginaire, le « migrant » renvoie davantage à un étranger, c’est fantasmatiquement un ennemi, quelqu’un de potentiellement dangereux, voire un terroriste, qui vient de l’extérieur, et <a href="https://www.icmigrations.cnrs.fr/2021/04/07/mineurs-non-accompagnes-et-delinquance-deconstruire-les-infox-et-prejuges/">dont il faut se méfier</a>. <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/un-monde-en-negre-et-blanc-aurelia-michel/9782757880050">En effet</a> : </p>
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<p>« L’esclave n’a pas le même rôle que l’étranger qui ferait l’objet d’une xénophobie, d’un rejet ou d’une agressivité structurelle. Car, en même temps qu’il est symboliquement et définitivement exclu, l’esclave est aussi le familier, le domestique, dont on sait, comme le chien, qu’il restera à la place qu’on lui a assignée. »</p>
</blockquote>
<p>L’étranger, lui, fait l’objet de nombreux fantasmes. Servant parfois de bouc émissaire pour une société en mal de penser sa cohésion ou <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Etrangers-a-nous-memes#">« son inquiétante étrangeté »</a>, il alimente tous les amalgames jusqu’à faire passer des mineurs en danger à protéger pour des <a href="https://www.ouest-france.fr/medias/ouest-france/courrier-des-lecteurs/mineurs-isoles-pas-d-amalgame-7189702">mineurs dangereux à exclure de la communauté des hommes</a>.</p>
<p>Le passage, avec la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000032205234/">Loi du 14 mars 2016</a> (loi n°2016-297), de l’expression « mineur isolé étranger » à celle de « mineur non accompagné » nécessite ainsi de profondes réflexions sur les signifiés potentiels véhiculés derrière ces expressions utilisées pour désigner ces jeunes enfants et adolescents migrants dans nos sociétés mondialisées. Suffit-il de changer de mot pour changer la place qui leur est attribuée dans la fantasmatique sociétale et institutionnelle ?</p>
<p>À quoi donc pourrait renvoyer dans l’inconscient collectif occidental, le terme <em>migrant</em> ? Quand on voit l’exploitation de certains jeunes par certains patrons dans la société d’accueil, quand on voit la façon dont certains jeunes sont vendus aux enchères en Libye ou sont exploités dans des réseaux proxénètes dans les sociétés de départ, de transit et d’accueil, il y a lieu de mettre au travail l’hypothèse selon laquelle ils représenteraient dans l’imaginaire collectif un esclave.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/z08zUFaF740?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Quand on voit que dans le contexte de la multiple crise sanitaire, sociale, économique et sécuritaire certains médias et politiques pointent du doigt les « Mineurs non accompagnés » comme de potentiels terroristes, il y a lieu de mettre au travail l’hypothèse selon laquelle ils représenteraient des étrangers dangereux dans une partie de la psyché collective des sociétés d’accueil.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-travail-pour-autrui-survivance-de-lesclavagisme-dans-nos-economies-150317">Le « travail pour autrui », survivance de l’esclavagisme dans nos économies</a>
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<p>Ces deux hypothèses (le migrant comme esclave domestiqué et le migrant comme étranger dangereux) méritent d’être mises à l’épreuve dans le travail social et dans la société en général. Leur élaboration peut amener à mieux se positionner dans la dynamique relationnelle et transférentielle. En tout cas, qu’ils soient perçus comme esclaves-main d’œuvre facile ou comme étrangers dangereux, il se pose un hiatus dans la généalogie de l’Homme. C’est comme s’il y avait deux parties de l’Humanité qui n’arrivaient pas à s’articuler. Une humanité amputée d’une partie d’elle-même. Percevoir le migrant comme étranger à l’Humanité, c’est ne pas le considérer comme étant de la grande famille humaine. Le percevoir et le traiter comme esclave c’est tout autant lui ôter son humanité. Mais il faut être <a href="https://www.chroniquesociale.com/seismes-identitaires--trajectoire-de-resilience__index--1011992%E2%80%933009480%E2%80%931012241--cata------3008211--catalogue.htm">suffisamment déshumanisé pour déshumaniser à son tour un autre être humain</a>.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/un-monde-en-negre-et-blanc-aurelia-michel/9782757880050">essai historique sur l’ordre racial</a>, A. Michel a montré comment les Européens avaient du mal à reconnaître entre les esclaves et eux-mêmes un lien de parenté. Cet élément en dit long sur la difficulté des sociétés d’accueil (États, professionnels, citoyens ou autres) à accueillir les jeunes migrants comme étant leurs semblables, et devant bénéficier des mêmes droits que tout être humain. Il en dit long également sur la difficulté de certains professionnels de la protection de l’enfance à voir d’emblée chez les jeunes de simples adolescents qui pourraient être leurs enfants, leurs frères, sœurs, neveux ou nièces. Serait-ce du aux implicites d’esclave et d’étranger à notre humanité commune qui fonctionnent en « off » dans le vocable « Mineur non accompagné » ?</p>
<p>Comme le dit prix Nobel de littérature <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/lorigine-des-autres">Toni Morrison</a>, « Il n’existe pas d’étrangers. Il n’existe que des versions de nous-mêmes, auxquelles nous n’avons pas adhéré pour beaucoup et dont nous voulons nous protéger pour la plupart ».</p>
<p>Nous devons alors nous interroger sur les raisons pour lesquelles nous continuons à les appeler « Mineurs non accompagnés » alors même que nous disons commencer à les accompagner, une fois leur minorité évaluée et admis dans le système de la protection de l’enfance. Nous devons nous interroger sur l’héritage de l’anthropologie coloniale dans notre regard sur ces jeunes. Devant la violence de cette appellation en contradiction avec la mission d’accompagnement, ne devrions-nous pas les appeler « mineurs nouvellement accompagnés » ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176176/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Derivois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le terme « migrant » véhicule les restes d’une anthropologie coloniale qui renvoie tantôt à la catégorie d’esclave ou à celle d’étranger dangereux.Daniel Derivois, Professeur de psychologie clinique et psychopathologie. Laboratoire Psy-DREPI (EA 7458), Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1741312022-01-09T17:11:03Z2022-01-09T17:11:03ZLittérature et indignation : vous avez dit « swiftien » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/438659/original/file-20211221-13-os6lys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C0%2C2142%2C1616&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Négriers jetant par-dessus bord les morts et les mourants - un typhon approche, 1840. Musée des Beaux-Arts de Boston. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_N%C3%A9grier#/media/Fichier:Slave-ship.jpg">Wikipédia. </a></span></figcaption></figure><p>Il en va des polémistes comme de la langue d’Esope. Ils sont la pire des choses, quand ils portent le venin dans la plume. A contrario, quand l’humeur belliqueuse qu’ils affichent dans leurs écrits – on l’oublie, mais un polémiste a toujours la guerre en tête – se révèle pour ce qu’elle est : un puissant antidote aux agents de corruption à l’œuvre sur les esprits comme sur la langue, la postérité leur réserve le meilleur de ce qu’elle peut leur offrir.</p>
<p>L’homme d’église mais aussi de plume que fut Jonathan Swift (1667-1745) aura jeté toutes ses forces dans les combats de son temps : querelle des Anciens et des Modernes (<em>La Bataille des livres</em>, 1704), mais aussi conflits à répétition entre Lilliputiens (Anglais) et Bflefusciens (Français).</p>
<p>Mais qu’on n’aille pas croire que ces batailles appartiennent à un passé révolu. Deux événements récents, à propos desquels l’opinion continue de s’écharper, à savoir le Brexit et la crise migratoire, ont vu resurgir des traits swiftiens dans le traitement littéraire et fictionnel qui leur a été réservé. Sans prétendre égaler le maître, Ian McEwan, dans <em>Le Cafard</em>, et Éric Fottorino, avec sa nouvelle intitulée <a href="https://le1hebdo.fr/journal/migrants-sommes-nous-encore-humains/377/article/la-pche-du-jour-5044.html">« La Pêche du jour »</a>, n’ambitionnent pas moins de rendre à César, en l’occurrence à Swift, ce qui lui revient. D’où la question : y aurait-il une actualité Swift ? Et si oui, quels seraient les traits définitoires du génie swiftien ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1471247446072180736"}"></div></p>
<p>Reconnaissons d’emblée que, transparente pour un lectorat anglophone, l’appellation « swiftien » ne parle guère au public français. Et ce, alors que d’autres adjectifs formés sur le même modèle, comme kafkaïen ou ubuesque, sont passés, eux, dans le langage commun, pour désigner des situations assez comparables, où l’absurde le dispute à l’intolérable.</p>
<p>À l’évidence, <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Les-noms-d-epoque">à la bourse des noms d’époque</a> ou d’auteurs, la cote de Jonathan Swift ne brille pas du même éclat que celle de Kafka ou d’Alfred Jarry, l’auteur de l’impayable <em>Ubu Roi</em>.</p>
<h2>Une réception biaisée et tronquée</h2>
<p>Pourtant, Swift n’est pas le premier venu. Il est vrai que sa réception, en France, est un cas d’école en matière de réception culturelle biaisée ou tronquée. De lui, on retient une formule, « Nul homme n’est une île », prononcée en chaire, à la Cathédrale St Patrick de Dublin, ainsi qu’un personnage de fiction, Lemuel Gulliver (littéralement Lemuel le Pigeon, ou le Jobard). C’est beaucoup… et c’est peu.</p>
<p>Très tôt traduit en français, par l’abbé Desfontaines en 1727, <em>Les Voyages de Gulliver</em> a laissé dans l’ombre ses pamphlets, dont la nature il est vrai topique, liée au contexte intellectuel et idéologique de l’époque, ne facilite pas leur compréhension immédiate. De surcroît, si la figure de Gulliver est devenue populaire urbi et orbi, sa perception, en France, demeure celle d’un personnage de la littérature pour la jeunesse. Or, le <em>Voyage</em> se veut avant tout un conte philosophique pour adultes avertis, ce que montre en particulier le quatrième et dernier périple, accompli au pays des chevaux dotés de raison. À son retour, car tout dans ce type de littérature de voyage est affaire, non de départ mais bien de retour, <a href="https://www.presses.ens.fr/465-offshore-revenir-devenir-gulliverou-l-autre-voyage.html">comme l’a compris Jean Viviès</a>, Gulliver se mue en un personnage atrabilaire et misanthrope, vomissant la race humaine et reniant femme et enfants pour trouver refuge auprès des chevaux de son écurie. Pour un peu, au risque de brouiller les pistes, on qualifierait volontiers le récit de voltairien, tant un lecteur francophone y trouverait des traces de l’ironie présidant à l’écriture de <em>Candide</em> ou de <em>Zadig</em>.</p>
<h2>Un maître du pamphlet</h2>
<p>Objectivement, toutefois, le qualificatif de voltairien ne fait pas beaucoup avancer la compréhension du phénomène. Ce qu’il y a de plus swiftien, chez Swift, c’est sa veine polémiste, alimentée par les querelles, principalement religieuses et politiques, de l’époque. Ainsi, avec son <em>Argument contre l’abolition du christianisme</em>, ou son <em>Conte du Tonneau</em>, Swift s’y prend si bien, ou si mal, c’est selon, qu’il se met à dos tous les belligérants, anglicans, dissidents, catholiques. C’est clairement dans ce sillage-là que s’inscrit <em>Le Cafard</em> de Ian McEwan. Rendu amer par le succès du Brexit dans les urnes, le fabuliste contemporain se plaît à camper Boris Johnson et la classe britannique anglaise sous les traits de repoussants cafards, ourdissant sous les feux de la rampe l’absurde scénario du « Reversalisme ». S’il paraît donner des gages à Kafka, l’auteur de la <em>Métamorphose</em>, la filiation demeure swiftienne, tant le furieux débat entre partisans et adversaires de la sortie du Royaume-Uni n’a rien à envier, en matière de bêtise et de pulsion suicidaire, eu égard à ce que sont les véritables enjeux géopolitiques, aux vaines querelles entre « petis boutiens » et « gros boutiens ».</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1051&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1051&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1051&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1321&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1321&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1321&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Modeste proposition… » de Swift, édition de 1729.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Modeste_Proposition#/media/Fichier:A_Modest_Proposal_1729_Cover.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>En 1729, Swift, toujours lui, ferraillait cette fois contre les Anglais et leur politique du pire en terre irlandaise. À preuve, sa <em>Modeste Proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public</em>, au titre trop explicite pour être honnête. Un physiocrate de l’époque – on parlerait aujourd’hui d’un technocrate –, y prend la plume, censément pour se fendre d’une proposition à même de régler le problème récurrent de la pauvreté et de la famine sévissant en Irlande, terre natale de Swift, patriote sourcilleux, répétons-le.</p>
<p>Mais <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-archives-de-lete/lhumour-noir-de-jonathan-swift">l’ironie du propos</a> réside justement dans la dissociation ménagée entre la figure de l’économiste et celle de l’auteur. Le premier prévoit d’ôter aux parents impécunieux leurs nourrissons et de les confier à des nourrices entretenues sur des fonds privés. Une fois engraissés, ces innombrables enfants de sujets catholiques seront vendus aux riches propriétaires terriens, Anglais dans leur immense majorité, qui les consommeront sous forme de ragoût ou de fricassée à déguster toutes affaires cessantes. Quand le cannibalisme se pare de vertus philanthropiques ! À condition de passer par pertes et profits le préalable indispensable à la réalisation d’un projet aussi monstrueux : l’interdit qui pèse sur la chair humaine, qu’on ne saurait manger sans enfreindre un tabou majeur et constitutif de l’idée même de famille et de société humaine. Sous ses apparences de provocation « hénaurme » (adjectif, pour le coup, rabelaisien), l’insensibilité du physiocrate, à rebours de l’empathie de Swift, vise à changer la nature de l’indignation qui gagne à la lecture du traité.</p>
<p>Rejeter la « proposition » en poussant des cris d’orfraie, c’est se tromper de cible. Le vrai scandale est ailleurs, dans la réalité d’une île livrée sans défense à la colonisation britannique, rien moins qu’authentiquement cannibale, pour le coup. Il aura donc fallu en passer par les pouvoirs de l’horreur pour réveiller les consciences…</p>
<p>En conséquence de quoi sera décrété swiftien tout énoncé à la fois dérangeant et éveillant, apte à laisser un goût amer en bouche, car procédant à grand renfort d’humour noir, ou de paradoxes insoutenables, et n’hésitant pas à piétiner, le plus allègrement du monde, les codes du bon goût et de la décence.</p>
<h2>Consentements au meurtre</h2>
<p>« La pêche du jour », par Éric Fottorino, remonte tout cela dans ses filets, et bien plus encore. Un dialogue s’y engage entre un pêcheur et un client potentiel, attiré par la promesse de poisson frais. En matière de fraîcheur, le pêcheur ne craint personne : sur son étal trônent, à côté de la bonite et du requin, « du » Malien », « du » Somalien, ou bien encore « de » l’Erythréen. Les cadavres de migrants naufragés lors de leur tentative de traversée de la Méditerranée constituent en effet l’essentiel de sa pêche miraculeuse. Son salut économique en dépend, à lui l’ancien professeur d’humanités gréco-latines ( !), désormais réduit à se faire pêcheur au lendemain de la crise de la dette publique grecque. Et de vanter les mérites d’une denrée ô combien nourrissante, allant même jusqu’à reprocher aux navires humanitaires, type Aquarius, de lui ôter le pain de la bouche, en sauvant de la noyade les malheureux dont il se fait, lui, le « nettoyeur » anthropophage. En son temps, déjà, Montaigne faisait observer, sur le mode non de la fiction mais de l’argumentation, que les soi-disant « Cannibales » n’étaient pas ceux qu’on croyait, et qu’en Occident « nous les surpassons en toute sorte de torture ».</p>
<p>Ce que Fottorino réunit, c’est à la fois une précision extrême dans le rendu d’une situation historique, qui est aussi un naufrage de l’humanité tout entière, et une déconnexion totale d’avec ce qui fait l’ordinaire d’une poissonnerie, bien sûr, mais surtout l’ordinaire des réactions émotionnelles. En lieu et place du sentiment d’horreur attendu, priment, au pire, le cynisme, au mieux l’indifférence polie. Et Fottorino de stigmatiser, de la plus rude, mais salutaire des façons, nos trop fréquents « consentements au meurtre », <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/7924/le-consentement-meurtrier">pour parler comme Marc Crépon</a>. Notre coupable renoncement à l’humain, d’un mot.</p>
<h2>Cogner fort pour faire réagir</h2>
<p>Non content de rappeler la macabre scène d’ouverture de <em>Our Mutual Friend</em> (<em>L’Ami commun</em>, 1865), de Charles Dickens, dans lequel le personnage de Jesse Hexam récupère les cadavres flottant sur la Tamise à l’aide de sa gaffe, pour leur faire les poches, Fottorino va jusqu’à exhumer l’écho lointain d’une controverse historique, qui avait beaucoup agité en son temps l’opinion publique, britannique en l’occurrence.</p>
<p>En 1781, en route pour la Jamaïque, le capitaine du négrier Zong avait donné l’ordre de jeter par-dessus bord 142 esclaves en piètre état sanitaire, de façon à pouvoir prétendre toucher la prime d’assurances pour « pertes en mer ». Rendue publique, l’affaire avait ulcéré les consciences, et ce durablement, au point qu’en 1840, le peintre J.M.W. Turner avait représenté la scène, dans un tableau devenu célèbre, <em>Le Négrier jetant par-dessus bord les morts et les mourants</em> – un typhon approche, prêtant ainsi main forte à la cause abolitionniste.</p>
<p>De même, « La Pêche du jour » fend-elle à grands coups de hache les eaux glacées et désespérantes de l’égoïsme, imposant, entre autres traits swiftiens, l’animalisation de l’humain, le cynisme comme principe de dévoilement, ou bien encore l’aptitude à énoncer l’intolérable, voire l’innommable, sans en paraître le moins du monde affecté. Il faut avoir l’estomac bien accroché pour pousser aussi loin le compagnonnage avec l’atroce :</p>
<blockquote>
<p>« La chair des enfants est un must. Nous avons parfois un bébé mort-né dans le ventre de sa mère. On ouvre. Une viande très appréciée. J’ai un client d’origine brésilienne. Tous les deux ou trois jours, il me demande si j’ai ce qu’il veut. Il prétend que, sous la dent, le fœtus est aussi tendre que la bosse du zébu. […]
Il arrive aussi qu’une femme sur le point d’accoucher perde les eaux en pleine mer. Un sens aigu de l’à-propos, vous ne trouvez pas ? »</p>
</blockquote>
<p>Rien de plus nécessaire, pourtant, si l’on veut que swiftien, au même titre que sadien, devienne le plus astringent des ferments, le plus actif des révulsifs. Et rime, même imparfaitement, avec contemporain. Swift, plus que jamais notre contemporain, chaque fois que, face à la vulnérabilité et à la mortalité d’autrui, le secours et la sollicitude attendus font défaut. Et que s’impose, sans complaisance aucune, la nécessité d’un prompt (<em>swift</em>, en anglais) retour aux fondamentaux de l’humanité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174131/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Transparente pour un lectorat anglophone, l’appellation « swifitien », en littérature, ne va forcément de soi pour le public français.Marc Porée, Professeur de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1729762021-12-13T18:32:48Z2021-12-13T18:32:48ZDébat : Peut-on en finir avec la « crise » des migrants dans les médias ?<p>Le 24 novembre 2021, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/journal-de-8-h/journal-de-08h00-margot-delpierre-du-jeudi-25-novembre-2021">27 personnes meurent</a> dans un naufrage au large de Calais alors qu’elles espéraient traverser la Manche pour rejoindre l’Angleterre.</p>
<p>Dans les heures qui suivent, l’événement fait la une et les journalistes se mettent à la recherche d’« experts » à inviter à la radio et à la télévision. Rebelote quelques jours plus tard, cette fois pour commenter l’annonce du ministre de l’Intérieur d’appeler en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/direct-crise-des-migrants-suivez-la-conference-de-presse-de-gerald-darmanin_4863487.html">renfort Frontex</a>, l’agence européenne de contrôle des frontières.</p>
<p>Il se trouve qu’à l’instar de nombre de mes collègues, je fais partie des chercheurs et universitaires considérés comme « spécialistes des migrations ». C’est à chaque fois pareil : les journalistes cherchent un invité pour parler durant quelques minutes ; il y a urgence car l’émission est prévue pour le soir même, ou le lendemain matin au plus tard ; et comme tout le monde prévoit de parler de Calais, les « spécialistes » sont sur-sollicités, renvoient à d’autres collègues, les journalistes enchaînent les coups de fil, l’agitation croît au fil de la journée – parfois jusqu’à l’absurde.</p>
<h2>Nous disons tous la même chose</h2>
<p>Les collègues qui finissent par passer à l’antenne disent tous la même chose. Non, les passeurs ne sont pas les seuls responsables de ces drames, ce sont les États qui condamnent les migrants à prendre des risques insensés. Non, le traitement inhumain infligé aux migrants, que ce soit à Calais, ailleurs en Europe ou encore en Libye, ne décourage personne, mais ne fait que perpétuer une impasse qui aboutit aux tentatives les plus désespérées. Oui, il est possible d’accueillir décemment ces exilés, en garantissant leur droit de demander l’asile ou en reconnaissant qu’ils occupent les emplois dont personne ne veut. Et non, une telle politique ne créerait pas l’appel d’air tant redouté, mais ne ferait que respecter les principes les plus élémentaires d’un continent qui se prétend un <a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/150/an-area-of-freedom-security-and-justice-general-aspects">« espace de liberté, de sécurité et de justice »</a>.</p>
<p>De telles séquences ne sont malheureusement pas nouvelles. Depuis des décennies les migrants meurent <a href="https://theconversation.com/compter-les-morts-aux-frontieres-qui-comment-pourquoi-59095">aux frontières</a> de l’Europe. Et depuis des décennies les États européens accusent les passeurs et renforcent le contrôle des frontières. Qui se souvient qu’au début des années 2000, l’Espagne réclamait déjà <a href="http://migreurop.org/article1073.html">« bateaux et avions »</a> pour empêcher les arrivées de migrants sur les îles Canaries ?</p>
<p>Certains chercheurs font donc le tour des plateaux, pour l’adrénaline du direct et le narcissisme inhérent à l’exercice, bien sûr, mais aussi pour de très bonnes raisons : apporter un éclairage au débat public, valoriser l’utilité des sciences sociales, défendre des valeurs, et contrer les propos xénophobes qui saturent <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/frederique-matonti-il-ny-a-plus-de-digues-pour-empecher-lextreme-droite-dimposer-sa-vision-du-monde-20211107_PZ77IOQ4H5F2DDENAZEIDXS5BU/">l’espace public</a>, a fortiori en ce début de campagne présidentielle.</p>
<p>D’autres chercheurs sont plus hésitants. Question de tempérament, d’expérience des médias, et aussi de rigueur car force est d’avouer qu’on ne connaît pas toujours grand-chose du sujet du jour, et qu’on a de toute manière pas le temps de se préparer. Pour ma part, bien que « spécialiste des migrations », je n’ai jamais étudié la situation à Calais et n’ai aucune connaissance particulière sur le sujet (de même que je connais pas grand-chose non plus sur la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/crise-des-migrants-a-la-frontiere-pologne-bielorussie/">frontière entre la Pologne et la Biélorussie</a>, sujet sur lequel mes collègues et moi-même sommes aussi sollicités).</p>
<p>Ce n’est pas vraiment un problème car je maîtrise bien les quelques généralités qu’on me demande d’énoncer. Mais cette superficialité n’en est pas moins un peu insatisfaisante, voire parfois aliénante. Et puis il y a le problème de la disponibilité, avec des émissions de très bon matin ou vers 19-20 heures, quand ce n’est pas le dimanche à midi – autant dire des horaires défavorables à la vie de famille.</p>
<h2>Des questions de fond</h2>
<p>Au-delà de ces petits débats entre collègues, le traitement médiatique des migrations pose des questions de fond. Avec la crise des migrants et des réfugiés en Europe, la manière dont la presse couvre des événements comme les naufrages en Méditerranée a fait l’objet de beaucoup de réflexions. On s’accorde à considérer que les médias jouent un rôle clé et qu’ils ont une responsabilité particulière. L’Unesco, par exemple, <a href="https://fr.unesco.org/themes/medias-situation-crise-catastrophe/couverture-mediatique-migration">travaille avec les médias</a> pour qu’ils fournissent « des informations vérifiées, des opinions éclairées ainsi que des récits équilibrés ».</p>
<p>De même, Amnesty International déconseille l’usage de termes qui <a href="https://www.amnesty.fr/migration-analyser-les-discours-des-medias">« déshumanisent »</a> les migrants comme : clandestins, illégaux, ou flux migratoires.</p>
<p>On se souvient aussi qu’en 2015 la chaine Al Jazeera <a href="https://www.aljazeera.com/features/2015/8/20/why-al-jazeera-will-not-say-mediterranean-migrants">écartait le terme de migrant</a> et ne parlait que de réfugiés, pour insister sur les raisons impérieuses et légitimes qui motivent leur départ (là où de nombreux médias européens faisaient le contraire).</p>
<p>Il existe également un <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782804163730-couvrir-les-migrations">manuel</a> destiné aux journalistes qui travaillent sur le sujet, tandis que l’association France Terre d’asile organise des séances de formation à <a href="https://www.france-terre-asile.org/actualites/actualites-choisies/comment-ameliorer-le-traitement-de-la-question-migratoire-par-les-medias">leur intention</a>.</p>
<p>C’est là aussi le sens des invitations aux « spécialistes des migrations », lesquels fourniraient un éclairage aux journalistes (et, à travers eux, à leur public). Mais on peut s’interroger sur ce besoin d’instruire les médias. Les quelques journalistes que j’ai eu l’occasion de rencontrer connaissent tout aussi bien que moi les arguments sur les impasses des politiques migratoires actuelles. S’ils m’invitent, ce n’est donc pas pour mes connaissances. Ce n’est pas étonnant : à force d’inviter des chercheurs, les journalistes sont devenus familiers de leurs explications. Le « spécialiste » ne fait donc que redire ce que tout le monde sur le plateau sait déjà.</p>
<h2>Une médiatisation qui renforce le climat de crise</h2>
<p>Ce que je constate surtout, c’est que les interactions entre médias et « spécialistes » sont pernicieuses car elles renforcent paradoxalement le climat de « crise » qui caractérise la perception des migrations.</p>
<p>En ce qui me concerne, j’expliquerais volontiers qu’un naufrage comme celui de Calais ne relève pas d’une « crise », mais d’une forme de routine – une routine certes tragique et inacceptable, mais une routine quand même. Cette routine est la conséquence directe de la manière dont les États gouvernent les migrations, et il ne faut donc pas s’en étonner. C’est là le travail des universitaires (et des sciences sociales) : prendre du recul par rapport à l’actualité brûlante, mettre l’événement en perspective, rappeler des précédents historiques, etc.</p>
<p>Mais comment exposer de tels arguments si, précisément, on ne parle des migrations qu’à l’occasion de naufrages ? En matière de communication, la forme prend souvent le pas sur le fond. Et naturellement, plus on évoque les migrations sous l’angle d’une crise, plus les responsables politiques seront fondés à ne présenter les naufrages que comme des événements imprévus et tragiques, et à les traiter à grands coups de réunions d’urgence et de mesures ad hoc – perpétuant ainsi un cycle de crise et d’urgence qui dure depuis près de trente ans.</p>
<p>On objectera que les lamentations sur les biais médiatiques sont aussi anciennes que les médias eux-mêmes, et que face à l’urgence il faut se lancer dans l’arène sans hésitation ni cynisme, et avec toute l’indignation qui sied aux circonstances. Éternel débat, auquel il n’existe probablement aucune réponse satisfaisante. Mais tout de même, comment se fait-il qu’en 2021, alors que la barre des <a href="https://news.un.org/fr/story/2020/03/1063431">20 000 décès</a> de migrants en Méditerranée a été franchie depuis 2020 déjà, on continue à solliciter en urgence des « spécialistes » à chaque naufrage, pour qu’ils interviennent le soir même et commentent un événement qui, hélas, n’en est pas un ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172976/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Pécoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’instar de nombreux collègues, je suis régulièrement invité par les médias comme « spécialiste des migrations ». Nous disons tous la même chose mais rien ne change. Pourquoi ?Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1704962021-11-18T21:32:39Z2021-11-18T21:32:39ZMigrants : plus de 10 millions de Français vivent dans une commune accueillante<p>Les événements à la <a href="https://theconversation.com/crise-migratoire-entre-la-bielorussie-et-lue-tragique-geopolitique-171885">frontière biélorusse</a> illustrent une nouvelle fois à quel point l’agenda des États européens sur les migrations reste guidé par des considérations sécuritaires. À contre-courant des politiques nationales, des municipalités s’efforcent, dans la mesure de leurs moyens et de leurs compétences, à développer une autre approche des migrations.</p>
<p>En septembre 2021, 73 maires du monde entier, de Marseille à Los Angeles, de Freetown à Mannheim, ont signé une déclaration commune affirmant que leurs villes se tiendraient prêtes à accueillir des <a href="https://www.mayorsmigrationcouncil.org/welcomeafghans">réfugiés afghans</a>. Le 21 octobre, le <a href="https://globalparliamentofmayors.org/summit2021/">Parlement Global des Maires</a> s’est réuni à Palerme pour discuter des migrations climatiques. Ces événements récents reflètent une tendance de fond observable partout dans le monde.</p>
<p>En Europe, mais aussi en Amérique du Nord et Latine, des municipalités mettent en place des politiques destinées à améliorer les conditions de vie des migrants en situation de vulnérabilité. Elles le font d’abord pour des raisons pragmatiques : on ne peut laisser dans la rue des populations sans droit, ne serait-ce que pour des raisons sanitaires, humanitaires ou de sécurité. Aux États-Unis, 12 millions de sans-papiers habitent et travaillent dans le pays sans aucun droit. En Europe, ils seraient entre 3 et 4 millions à vivre dans la <a href="https://www.pewresearch.org/global/2019/11/13/europes-unauthorized-immigrant-population-peaks-in-2016-then-levels-off/">marginalité</a>. Elles le font ensuite pour faciliter à long terme une intégration dans le tissu social et économique local en favorisant l’accès au logement, à l’emploi ou encore en déconstruisant les préjugés sur l’immigration.</p>
<p>À <a href="https://picum.org/wp-content/uploads/2017/11/CityOfRights_Health_EN.pdf">Düsseldorf</a>, une clinique associative est ouverte pour assurer un accès aux soins aux migrants en situation irrégulière ; San Francisco demande à ces fonctionnaires municipaux de ne pas demander leur titre de séjour afin de construire une relation de confiance avec ces populations ; <a href="https://cmsny.org/new-york-city-offers-municipal-id-for-all-new-yorkers-including-unauthorized-immigrants/">New York</a> délivre une carte d’identité municipale ouvrant un accès à une multiplicité de services ; Villeurbanne s’appuie sur ses associations et le centre d’action sociale pour trouver des solutions en matière de logement, d’alimentation ou de soin ; et <a href="https://www.compas.ox.ac.uk/wp-content/uploads/SR19-Netherlands-country-report.pdf">Amsterdam</a> développe un programme avec sa police municipale pour permettre aux sans-papiers de déposer plainte lorsqu’ils sont victimes d’une infraction… Toutes ces mesures furent initiées ou soutenues par les mairies et/ou les collectivités régionales (länders, États fédéraux, etc.).</p>
<h2>750 villes européennes accueillantes</h2>
<p>Pour rendre compte de ces initiatives méconnues, des ONG allemandes ont mis en ligne une <a href="https://moving-cities.eu/">carte recensant près de 750 villes européennes</a> qui auraient pris des initiatives similaires. On en compte 123 en France : au total, plus de 10 millions de Français vivent dans une commune qui met en œuvre une politique pour l’accueil et l’intégration des migrants. Ils sont 23 millions en Allemagne et 32 millions en Grande-Bretagne.</p>
<p>De fait, une grande partie de la population européenne et américaine a élu un maire, un élu régional ou un député qui agit en faveur des migrants.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/432348/original/file-20211117-17-1pd57ay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte des villes française ayant pris des mesures pour accueillir des personnes immigrées" src="https://images.theconversation.com/files/432348/original/file-20211117-17-1pd57ay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432348/original/file-20211117-17-1pd57ay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432348/original/file-20211117-17-1pd57ay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432348/original/file-20211117-17-1pd57ay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432348/original/file-20211117-17-1pd57ay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432348/original/file-20211117-17-1pd57ay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432348/original/file-20211117-17-1pd57ay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">43 villes françaises ont pris des initiatives pour accueillir dans des conditions décentes des personnes immigrées.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ces idées circulent… À la Chaux-de-Fonds, en Suisse, le conseil municipal a voté en faveur de la création d’une <a href="https://www.letemps.ch/suisse/sanspapiers-auront-carte-didentite-chauxdefonds">carte d’identité municipale</a>. Cette carte permettrait d’emprunter des livres à la bibliothèque, faire une demande de logement à la gérance de la ville, de servir de monnaie locale ou encore de titre de transport. La ville de <a href="https://www.rts.ch/info/regions/autres-cantons/12462456-la-ville-de-zurich-veut-creer-une-city-card-pour-ses-sanspapiers.html">Zurich</a> pourrait aussi suivre cet exemple.</p>
<p>Ces dernières années, la constitution d’associations et de réseaux de municipalités abordant les questions d’accueil et d’intégration s’est multipliée. Ainsi, en France, l’<a href="https://www.anvita.fr">Association Nationale des Villes et Territoires Accueillants</a>, fondée en 2016, propose un modèle alternatif d’accueil fondé sur le <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2021-3-page-99.htm">principe d’inconditionnalité</a>. Selon ce principe, adopté dans la charte de l’organisation, les membres de l’association s’engagent sur l’accès des migrants à l’hébergement, la nourriture, l’hygiène, la santé ou l’éducation, quel que soit leur statut, y compris les personnes en situation de transit.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/lhJl_imvxZk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo réalisée et diffusée par l’ANVITA, décembre 2020.</span></figcaption>
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<p>L’association constitue un espace d’échange entre municipalités sur des thématiques aussi variées que l’hébergement d’urgence, la participation citoyenne des exilés ou encore les cartes d’identité locales.</p>
<p>Ailleurs en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique, en Amérique du Nord et Latine, d’associations similaires sont créés. Au total, on en dénombre une <a href="https://journals.openedition.org/e-migrinter/2281">soixantaine de réseaux de villes</a> dans le monde. Dans les pays du Sud, ces réseaux sont le plus souvent soutenus par des organisations internationales ou régionales, à l’image de l’Unesco qui finance le la coalition des villes africaines contre le racisme et la discrimination. Mais l’on trouve également des regroupements de villes qui se sont spontanément créés à la suite d’une situation migratoire préoccupante. C’est le cas au <a href="https://academic.oup.com/jrs/article/34/1/596/5553803?login=true">Brésil</a>, où l’État et la ville de Sao Paulo sont en pointe sur l’accueil des réfugiés venus d’Haïti ou du Vénézuela depuis le début des années 2000 : la loi fédérale sur l’immigration votée en 2017 s’appuie largement sur les recommandations formulées par la mairie de Sao Paulo.</p>
<h2>De la mer à la ville</h2>
<p>Lors de l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/09/un-incendie-se-declare-dans-le-camp-de-migrants-de-moria-a-lesbos_6051482_3210.html">incendie d’un camp sur l’île grecque de Lesbos</a> le 9 septembre dernier, et face aux conditions de vie insalubres dans les camps surpeuplés des îles grecques, Munster, Hanovre, Amsterdam, Barcelone ou encore Düsseldorf ont invité les États à accélérer les <a href="https://eurocities.eu/latest/moria-fire-cities-ready-to-take-in-refugees/">réinstallations</a> et se sont dites prêtes à recevoir des exilés en fonction de leur capacité d’hébergement. Dans les semaines qui suivirent, sur les 12 000 migrants dans le camp au moment de l’incendie, <a href="https://ec.europa.eu/home-affairs/news/one-year-after-fires-lesvos-relocations-more-efficient-asylum-procedures-and-new-reception_en">4000 ont été déplacés en Europe</a>, notamment 1 500 accueillis en Allemagne.</p>
<p>Un autre exemple de solidarité nous est donné par le projet <a href="https://fromseatocity.eu/">« From the Sea to the City »</a> porté par une soixantaine de villes dont font partie Palerme, Barcelone, Utrecht, Marseille ou Kiel. A l’origine de ce projet, le refus par le gouvernement italien, en juin 2018, de laisser le <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/migrants/20180611.OBS8011/la-terrible-epopee-de-l-aquarius-le-bateau-de-migrants-rejete-par-l-italie.html">navire Aquarius</a> affrété par SOS Méditerranée de débarquer les 600 migrants qu’il avait recueillis à son bord.</p>
<p>Cet incident a suscité une discussion entre ONGs de sauvetage en mer, villes portuaires méditerranéennes et villes allemandes prêtes à accueillir les migrants débarqués dans les ports méditerranéens. <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/10/11/leoluca-orlando-il-faudrait-abolir-le-permis-de-sejour-c-est-la-peine-de-mort-de-notre-temps_5011787_3212.html">Leoluca Orlando</a>, le maire de Palerme, a su réactiver des <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20150624-italie-palerme-leoluca-orlando-plaide-cause-refugies">liens de solidarité</a> entre la Méditerranée et l’Allemagne tissés lors de l’arrivée massive d’immigrants en 2015.</p>
<p>À de nombreux endroits dans le monde, les élus mettent en avant leurs capacités d’accueil et les besoins du marché du travail local pour justifier la mise en place de <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-des-etudes-du-developpement-2020-1-page-65.htm">corridors humanitaires</a> entre villes qui reçoivent et villes qui souhaitent accueillir des migrants.</p>
<p>Une source d’inspiration est notamment le programme <a href="http://www.couloirshumanitaires.fr/index.html">Mediterranean Hope</a>, initié par la communauté de San’Egidio en Italie : sur la base d’un accord avec le gouvernement italien, l’ONG protestante a fait venir plus de 2000 réfugiés depuis 2016 vivant dans les camps libanais, ensuite accueillis par différentes associations et paroisses partout en Italie (Latium, Piémont, Sicile et Toscane).</p>
<h2>Les villes dessinent une autre politique migratoire</h2>
<p>On le voit à travers cette diversité d’actions : les villes dessinent les contours d’une politique migratoire basée sur les capacités d’accueil locales plutôt que sur le contrôle des frontières.</p>
<p>D’une part, elles négocient la mise en place de corridors humanitaires mettant en relation les espaces où se trouvent les migrants et les espaces de leur accueil. D’autre part elles s’appuient sur leurs ressources propres, mais aussi sur les associations et habitants pour proposer hébergement, accès aux droits et insertion économique. Forts de cet agenda, les acteurs locaux cherchent à peser sur la formulation des politiques migratoires au niveau national et international.</p>
<p>En Europe, le réseau <a href="https://eurocities.eu/">Eurocités</a> milite pour la création d’instruments de financements de l’Union qui bénéficieraient directement aux municipalités sans passer par la médiation des États. Autre exemple, celui du programme <a href="https://www.uia-initiative.eu/fr">« Urban Innovative Action »</a> qui attribue des financements directs aux villes sous la forme de bourses, de transferts de fonds, ou de financements de partenaires locaux pour la mise en place de politiques innovantes en matière d’accueil et d’intégration.</p>
<p>Mais les villes reçoivent aussi le soutien de l’ONU. Ainsi, elles ont pu, grâce à l’appui de plusieurs réseaux de villes signataires de la <a href="https://www.uclg.org/sites/default/files/mechelen-declaration-final.pdf">déclaration de Mechelen</a> qui revendique un plus grand rôle dans la gouvernance des migrations, peser sur la rédaction du <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/277029-quest-ce-que-le-pacte-de-marrakech-sur-les-migrations">Pacte de Marrakech sur les migrations</a> : l’objectif 15 relatif à l’accès aux droits à la santé et à l’éducation intègre le principe d’inconditionnalité. Cet objectif enjoint les pouvoirs publics de garantir l’accès aux services dans discrimination de genre, d’origine ou de statut légal.</p>
<h2>Une autre façon de gérer les migrations</h2>
<p>Les villes possèdent aujourd’hui leurs organes de représentation dans le système onusien : le Forum des maires pour la mobilité et le développement, le <a href="https://www.mayorsmechanism.org/">Mécanisme des maires</a> et le <a href="https://www.mayorsmigrationcouncil.org">conseil des maires sur les migrations</a> avec lequel l’ANVITA et ses membres collaborent régulièrement.</p>
<p>Loin des lumières médiatiques, les villes mettent en résonance leurs initiatives pour proposer une autre façon de gérer les migrations. Vont-elles parvenir à contrebalancer les politiques nationales en la matière ? La mise en cause judiciaire des acteurs locaux de l’accueil montre que le rapport de force avec les États a commencé.</p>
<p>Les <a href="https://www.nicematin.com/faits-divers/cedric-herrou-interpelle-et-place-pour-la-11e-fois-en-garde-a-vue-425924">multiples interpellations</a> de Cédric Herrou, l’agriculteur militant de la Roya, ont mis en évidence la façon dont les pouvoirs publics peuvent chercher à bloquer l’action des acteurs de terrain. Il en va de même pour les maires qui s’impliquent en faveur des migrants.</p>
<p>En octobre, Domenico Lucano, le maire de la petite commune calabraise de Riace écope d’une peine de treize années de <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/crise-migratoire-en-italie-le-maire-de-riace-condamne-a-une-lourde-peine-de-prison-20210930_ZM2C3R46UBCIFEFOKSUY7QFT6I/">prison ferme</a>, deux fois les réquisitions du procureur. Il avait été poursuivi une première fois en octobre 2018 pour aide à l’immigration clandestine alors que le leader d’extrême droite, Matteo Salvini, était au pouvoir. Son tort ? Tenter de répondre à la désertification de son village en proposant à des familles de migrants d’occuper les logements abandonnés. Après 18 mois d’assignation à domicile, puis d’exil hors de sa commune, il fut reconnu non coupable. En septembre 2021 un nouveau procès le condamne pour association de malfaiteurs visant à aider l’immigration irrégulière et mariage de convenance pour des déboutés du droit d’asile. Nul ne doute que derrière sa condamnation, c’est le <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/260921/mimmo-lucano-il-faut-defendre-cet-autre-monde-possible-face-la-violence-du-populisme ?onglet=full">« modèle de Riace »</a> de l’accueil qui était visé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170496/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Lacroix a reçu des financements de Institut convergences Migration. </span></em></p>Loin des images de policiers chassant les migrants, des murs et des barbelés, des municipalités s’organisent pour accueillir des exilés vulnérables et leur donner accès à des droits.Thomas Lacroix, Directeur de recherche CNRS, CERI SciencePo, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1718852021-11-15T20:44:40Z2021-11-15T20:44:40ZCrise migratoire entre la Biélorussie et l’UE : tragique géopolitique<p>La crise migratoire qui se déroule actuellement à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne était en préparation depuis de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/29/en-pologne-la-crise-des-refugies-a-l-est-relance-le-debat-migratoire_6092667_3210.html">nombreuses semaines</a>. Tout le monde en était conscient et l’issue était prévisible : le régime de Minsk avait décidé de générer artificiellement une pression migratoire sur le sol européen en réponse aux <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A02012D0642-20210625&qid=1636968256233">quatre paquets de sanctions</a> adoptés par l’Union européenne.</p>
<p>Cette nouvelle crise migratoire, à la différence des précédentes et notamment de celle liée à la guerre en Syrie <a href="https://www.erudit.org/en/journals/ei/1900-v1-n1-ei04251/1055690ar/">survenue en 2015</a>, ne concerne pas les frontières du sud de l’Europe, mais de l’est. À la frontière biélorusse, en face de <a href="https://www.rts.ch/info/monde/12409490-la-lituanie-veut-eriger-une-barriere-de-fer-a-la-frontiere-de-la-bielorussie.html">Lituanie</a> ou de la Pologne, s’amassent des <a href="https://twitter.com/TadeuszGiczan/status/1457620404172902401?s=20">milliers</a> de migrants, presque tous en provenance <a href="https://www.themoscowtimes.com/2021/11/12/ill-camp-all-winter-if-i-have-to-onboard-a-flight-to-belarus-with-iraqi-migrants-a75531">d’Irak ou de Syrie</a>.</p>
<p>Il ne fait guère de doute aujourd’hui que l’arrivée subite en Biélorussie de ressortissants de ces pays bénéficiant d’un visa touristique ne doit rien au hasard. Les témoignages se <a href="https://www.themoscowtimes.com/2021/11/13/in-minsk-migrants-have-become-part-of-daily-life-and-a-business-opportunity-for-some-a75540">multiplient</a> et attestent que cette nouvelle route migratoire a été ouverte délibérément par la Biélorussie et donc, bien évidemment, avec l’aval d’Alexandre Loukachenko.</p>
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<figcaption><span class="caption">Biélorussie : comment les migrants se sont retrouvés pris au piège aux portes de l’Europe. France 24, 10 novembre 2021.</span></figcaption>
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<p>Ces migrants, qui tranchent avec une population biélorusse peu accoutumée à une immigration issue du Proche-Orient, sont hébergés en plein centre de Minsk, dans des hôtels soviétiques au charme passé mais aujourd’hui décatis. Ils y attendent que leur réseau de passeurs, avec probablement la <a href="https://www.rferl.org/a/belarus-poland-migrant-crisis-syria/31549911.html">complicité des autorités biélorusses</a>, les accompagne vers le poste-frontière polonais de Kuźnica-Bruzgi, avec essentiellement l’Allemagne pour destination.</p>
<h2>L’embarras européen</h2>
<p>Face à cette attitude biélorusse, les réactions européennes sont contrastées.</p>
<p>Du côté polonais, la ligne politique est claire : il n’est pas question de montrer le moindre signe de faiblesse à l’égard de la Biélorussie et d’autoriser les migrants à passer. Elle est aussi brutale. La Pologne aurait massé à la frontière <a href="https://information.tv5monde.com/info/migrants-la-pologne-accuse-le-belarus-de-terrorisme-d-etat-431999">près de 15 000 militaires</a>, outre ses gardes-frontières, et envisage de construire un <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20211029-le-parlement-polonais-approuve-un-mur-anti-migrants-%C3%A0-la-fronti%C3%A8re-bi%C3%A9lorusse">mur anti-migrants</a>. En septembre dernier, le gouvernement de Varsovie a même <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/16/en-pologne-une-zone-de-non-droit-sous-couvert-d-etat-d-urgence_6098656_3210.html">décrété l’état d’urgence</a> dans cette zone frontalière, <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-du-lundi-15-novembre-2021">interdisant aux journalistes et aux ONG d’y accéder</a>.</p>
<p>Dans la gestion des crises humanitaires, la Pologne se fait ainsi le chantre de la manière forte, mettant de côté les engagements qu’elle a contractés en ratifiant, le 27 septembre 1991, la <a href="https://treaties.un.org/pages/ViewDetailsII.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=V-2&chapter=5&Temp=mtdsg2&clang=_fr">Convention relative aux réfugiés de 1951</a> qui établit notamment le principe du non-refoulement.</p>
<p>Cette inflexibilité polonaise met l’UE dans une position inconfortable.</p>
<p>Du point de vue du droit de l’asile, l’importance du principe de non-refoulement a été soulignée, il y a longtemps, par le <a href="https://www.europarl.europa.eu/summits/tam_fr.htm">Conseil européen de Tampere</a> des 15 et 16 octobre 1999, qui a ouvert la voie à un régime commun de l’asile, établi notamment par la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32011L0095">directive du 13 décembre 2011</a>. En somme, l’hostilité de la Pologne à l’égard des migrants débarquant sur son sol ne pouvait qu’appeler à une condamnation européenne, au moins politique, pour violation de ses engagements en tant qu’État membre de l’Union. Ceci d’autant plus que Bruxelles et Varsovie sont engagées <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3607788">depuis plusieurs années</a> dans un contentieux sur l’indépendance de la justice et sur la protection de l’État de droit – un débat encore envenimé depuis peu par la décision qu’a rendue le <a href="https://blog.leclubdesjuristes.com/la-pologne-et-le-respect-de-letat-de-droit-quelques-reflexions-suscitees-par-la-decision-k-3-21-du-tribunal-constitutionnel-polonais">Tribunal constitutionnel polonais</a> remettant en cause la primauté du droit européen sur la Constitution nationale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bras-de-fer-entre-bruxelles-et-varsovie-comprendre-la-strategie-des-autorites-polonaises-169665">Bras de fer entre Bruxelles et Varsovie : comprendre la stratégie des autorités polonaises</a>
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<p>Pourtant, les institutions européennes se montrent, sur le dossier de la crise migratoire, tout à fait clémentes envers Varsovie. Dès le <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2021/07/30/belarus-declaration-of-the-high-representative-on-behalf-of-the-eu-on-the-instrumentalisation-of-migrants-and-refugees-by-the-regime/">30 juillet 2021</a>, Josep Borrell, le haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères, condamnait l’instrumentalisation des migrants et des réfugiés par le régime biélorusse, condamnations réaffirmées le <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2021/08/08/belarus-declaration-by-the-high-representative-on-behalf-of-the-eu-on-the-first-anniversary-of-the-9-august-2020-fraudulent-presidential-elections-in-belarus/">9 août 2021</a>.</p>
<p>Ce soutien à la position polonaise s’est révélé plus solide encore après sa déclaration du <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2021/11/10/belarus-declaration-by-the-high-representative-on-behalf-of-the-european-union-on-the-situation-at-the-european-union-border/">10 novembre</a>, dans laquelle l’UE qualifie les actes biélorusses d’« inhumains » et affirme que les institutions européennes sont « pleinement solidaires avec les États membres qui subissent cette attaque hybride ».</p>
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<figcaption><span class="caption">L’UE accuse la Biélorussie d’instrumentaliser les migrants « comme un voyou » • France 24, 9 novembre 2021.</span></figcaption>
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<p>Ce n’est qu’à la toute fin, presque par politesse, que la déclaration fait une référence timorée aux valeurs européennes qui, selon Josep Borrell, « continueront à guider nos actions, en particulier en ce qui concerne la protection des droits de l’homme des migrants ». De son côté, le Parlement européen, pourtant fervent défenseur des droits de l’homme, ne fait aussi que très timidement référence à la nécessité de protéger les droits des demandeurs d’asile <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0420_FR.html">dans sa résolution du 7 octobre 2021</a>. L’importance de la protection des réfugiés passe donc largement au second plan.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1460625652286119938"}"></div></p>
<h2>La fébrilité biélorusse</h2>
<p>La presse biélorusse officielle s’est bien évidemment fait l’écho de ces contradictions. Elle insiste sur la réponse quasi militaire apportée par la Pologne face à la détresse humaine de ces migrants. Elle parle ainsi de <a href="https://ont.by/news/pyatyj-den-pod-dulami-avtomatov-gumanitarnaya-katastrofa-nabiraet-masshtaby-glavnoe-o-situacii-na-granice-s-polshej">« catastrophe humanitaire »</a>, s’indigne du non-respect des droits de l’homme de la part des Polonais, qu’elle n’hésite pas à qualifier de <a href="https://www.tvr.by/news/obshchestvo/prava_cheloveka_brosheny_v_topku_svoikh_interesov_ili_kak_polsha_otvlekaet_vnimanie_ot_svoego_krizis/">« barbares »</a>. Elle souligne les violations, par Varsovie, de la Convention de 1951 sur les réfugiés et relaye volontiers les critiques émises à cet égard par les <a href="https://ont.by/news/dejstviya-varshavy-osuzhdayut-ne-tolko-pravozashitniki-i-prostye-lyudi-no-i-zhurnalisty">défenseurs des droits de l’homme et les journalistes européens</a>.</p>
<p>À l’inverse, les <a href="https://www.tvr.by/news/obshchestvo/podderzhat_bezhentsev_v_lager_priekhal_senator_dmitriy_baskov_/">autorités biélorusses</a> sont présentées comme étant prévenantes et généreuses, apportant l’aide humanitaire nécessaire aux migrants : des biens de première nécessité, du bois pour se chauffer ou du lait pour les enfants en bas âge. Alexandre Loukachenko, de son côté, s’indigne également de cette <a href="https://tass.ru/mezhdunarodnaya-panorama/12894547">catastrophe humanitaire</a> s’émouvant en particulier du sort « des femmes et des enfants ». Fidèle à son caractère bravache, il n’a pas hésité, lors d’une <a href="https://oborona.ru/product/zhurnal-nacionalnaya-oborona/my-zdes-nadezhno-derzhim-nashu-oboronu-42850.shtml">interview réalisée le 13 novembre</a>, à déclarer qu’« aucun avion de Belavia n’a transporté de migrants », alors même que de nombreuses preuves attestent du contraire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1459920813163876354"}"></div></p>
<p>Par ce comportement, la Biélorussie entend réagir aux sévères sanctions européennes adoptées suite à la réélection frauduleuse d’Alexandre Loukachenko d’août 2020 et aux répressions politiques qui s’en sont suivies ; sanctions qui n’ont d’ailleurs eu de cesse de s’aggraver. Elle souhaite aussi démontrer que son <a href="http://minskdialogue.by/en/research/opinions/can-belarus-become-a-success-story-of-european-security">discours traditionnel</a>, selon lequel elle est le <a href="https://www.europeanleadershipnetwork.org/commentary/belarus-can-help-europe-to-stop-procrastinating-on-risk-reduction/">principal pourvoyeur de sécurité</a> en Europe, devait être pris au sérieux : l’Union, explique Minsk, aurait tout intérêt à ne guère critiquer le régime en place car sans lui, elle risquerait de porter atteinte à sa propre sécurité. Le pouvoir biélorusse se présentait ainsi comme un rempart contre toute forme d’insécurité et de trafics, qu’il s’agisse de drogues, d’êtres humains ou d’armes.</p>
<p>Les événements de ces derniers jours, préparés depuis de longues semaines, concrétisent cette ancienne ligne politique. Certes, cela ne trompe personne tant il est vrai que l’actuelle crise migratoire a été artificiellement créée par la Biélorussie elle-même. Mais ce discours s’inscrit dans la rhétorique politique biélorusse et satisfait apparemment aux impératifs de continuité et de cohérence de sa politique étrangère.</p>
<p>Pour autant, la situation de la Biélorussie et en particulier celle d’Alexandre Loukachenko, est loin d’être confortable. Malgré ses coups de menton, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/bielorussie-le-chef-de-la-diplomatie-russe-fustige-l-ingerence-occidentale-20201126">malgré le soutien russe</a>, tant politique qu’économique, on ne peut s’empêcher de noter une certaine fébrilité.</p>
<p>D’abord, cette crise génère de l’instabilité, ce qui n’est jamais souhaitable pour un régime autoritaire, mal équipé pour la contenir sans porter atteinte à une paix sociale déjà chancelante.</p>
<p>Ensuite, si le soutien russe est réel, il n’est pas un chèque en blanc et les menaces biélorusses de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/12/bielorussie-moscou-promet-que-les-livraisons-de-gaz-a-l-europe-continueront-malgre-les-menaces-de-minsk_6101849_3210.html">coupure du gaz</a> à l’UE ne seront probablement pas soutenues indéfiniment par Moscou.</p>
<p>Enfin, cette crise a été l’occasion de tester la cohésion politique européenne et sa capacité d’agir. En mettant l’UE à l’épreuve, la Biélorussie a donné l’occasion à l’Union de s’affirmer en tant qu’acteur politique, lui permettant de renforcer son unité, si souvent absente lorsqu’elle est confrontée à des enjeux géopolitiques majeurs.</p>
<h2>Le chantage des valeurs : quand la politique prime le droit</h2>
<p>L’objectif de la Biélorussie était de placer l’UE face à ses propres contradictions. Comment réagir face à un régime qui instrumentalise la situation des migrants alors que l’on se présente comme le principal promoteur des droits de l’homme à travers le monde ? La dialectique des intérêts et des valeurs traverse l’Union depuis quelques années déjà, et cette crise migratoire les met sous tension. Le choix européen, cette fois-ci, fut clair : face à un régime pour lequel la règle de droit n’est jamais un paramètre primordial, il est parfois nécessaire de s’écarter de ses propres engagements.</p>
<p>Ce voile pudique mis sur la protection des migrants et le principe de non-refoulement est d’ailleurs tout à fait commode pour Bruxelles. C’est la Pologne qui, <a href="https://www.ledauphine.com/societe/2021/11/11/crise-avec-le-belarus-pourquoi-la-pologne-refuse-les-moyens-humains-de-l-ue">ne faisant pas appel à Frontex</a>, militarise le conflit et se charge de répondre à la Biélorussie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1458690098325688324"}"></div></p>
<p>Politiquement et symboliquement, l’Union « délègue » en quelque sorte à la Pologne le soin de violer son propre droit.</p>
<p>Paradoxalement, c’est grâce à la Pologne – en partie tout du moins – que l’Union s’impose comme un acteur politique qui considère que, parfois, imposer sa puissance doit se faire au mépris du droit. Ce positionnement européen reste cependant difficile à assumer, tant on sait que la construction européenne a d’abord été conçue comme un projet juridique et économique davantage que politique. Et l’on ne s’y trompe pas, le 15 novembre Josep Borrell a présenté aux États membres sa <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/15/l-ue-propose-sa-boussole-strategique-sur-fond-de-crise-bielorusse_6102071_3210.html">« boussole stratégique »</a> pour l’Union qui vise à établir les principes fondamentaux du futur « Livre blanc » en matière de sécurité et de défense européennes. La <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/speech_19_6408">« Commission géopolitique »</a> voulue par la présidente de la Commission européenne trouve donc dans cette crise une certaine raison d'être. Mais à quel prix ? Au prix d’un drame humanitaire pour des milliers de migrants pris entre deux feux. Tragique géopolitique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171885/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Flavier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les milliers de migrants qui se pressent aux frontières entre la Biélorussie et l’UE sont instrumentalisés dans la complexe confrontation géopolitique Minsk-Varsovie-Bruxelles.Hugo Flavier, Maître de conférences en droit public, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1703092021-11-01T18:27:24Z2021-11-01T18:27:24ZLa France est-elle aujourd’hui un grand pays d’immigration ?<p><em>Le thème de l’immigration s’impose comme le <a href="https://www.20minutes.fr/politique/3141723-20211006-presidentielle-2022-pourquoi-immigration-impose-comme-sujet-debut-campagne">sujet du début de campagne présidentielle</a> – bien qu’il ne soit pas parmi les préoccupations principales des Français. Pour démêler le vrai du faux et décrypter au mieux le débat public, Anthony Edo, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), dresse un panorama de l’immigration en France et de ses récentes évolutions. Il répond aux questions d’Isabelle Bensidoun, économiste et adjointe au directeur du CEPII.</em></p>
<hr>
<p><strong>Quelle est l’ampleur du flux migratoire en France par rapport à nos voisins européens ?</strong></p>
<p>Avec environ <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/6b4c9dfc-fr.pdf?expires=1635846174&id=id&accname=ocid35103460&checksum=CF8E24C3EC21CF2A68CCC1662A330F41">277 000</a> entrées d’immigrés permanents en 2018 pour <a href="https://data.oecd.org/fr/pop/population.htm">67 millions</a> d’habitants, le taux d’immigration en France s’établit à 0,4 %. Proportionnellement à sa population, la France accueille ainsi deux fois moins d’immigrés que l’Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas, et trois fois moins que la Suède ou l’Autriche. Elle se trouve donc au bas du classement des pays d’Europe occidentale, au même niveau que l’Italie et le Royaume-Uni.</p>
<iframe title="Taux d'immigration par pays" aria-label="Graphique en colonnes" id="datawrapper-chart-AIcvU" src="https://datawrapper.dwcdn.net/AIcvU/5/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100% !important; border: none;" height="400" width="100%"></iframe>
<p>Concernant les <a href="https://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/show.do?dataset=migr_asyappctza&lang=en">demandes d’asile</a>, depuis la crise des réfugiés en 2015 et jusqu’en 2019, la France a enregistré en moyenne 1 650 demandes pour 1 million d’habitants chaque année, soit un taux de demandes d’asile équivalent à 0,17 % de sa population. Ce qui la place en deçà de la Belgique, et surtout loin derrière l’Allemagne et la Suède dont les demandes d’asile ont été respectivement deux à trois fois plus élevées, mais devant d’autres pays d’Europe de l’Ouest comme l’Espagne ou le Royaume-Uni.</p>
<p><strong>Pour autant, les entrées d’immigrés augmentent. À quel rythme ?</strong></p>
<p>En effet, d’après l’<a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3633212">Insee</a>, la France accueillait 211 000 immigrés (définis comme des personnes nées étrangères à l’étranger) en 2010 ; elle en accueille 272 000 en 2019, soit une croissance annuelle de 3 % en moyenne sur la dernière décennie.</p>
<p>Mais pour porter un regard objectif sur la situation migratoire française et retrouver le sens des proportions, il est important de tenir compte des immigrés qui décident de quitter le territoire chaque année. En France, le solde migratoire (entrées – sorties des immigrés) est passé de 142 000 en 2010 à 198 000 en 2017, ce qui correspond à un taux d’immigration net de 0,22 % en 2010 et de 0,30 % en 2017. Une augmentation qu’il faut évidemment constater, mais qui reste pour le moins modeste.</p>
<iframe title="Taux d'immigration net" aria-label="Graphique en barres empilées" id="datawrapper-chart-jsZYk" src="https://datawrapper.dwcdn.net/jsZYk/2/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="352" width="100%"></iframe>
<p><strong>Cette augmentation est-elle tirée par l’accueil d’un plus grand nombre de réfugiés depuis la crise des migrants de 2015 ?</strong></p>
<p>En partie seulement, puisque le nombre de <a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Derniers-chiffres-cles">premiers titres de séjours</a> délivrés pour motif humanitaire, qui a doublé depuis 2010 pour s’établir à près de 40 000 en 2019, a suivi exactement la même progression que ceux accordés pour raisons économiques. La hausse des entrées d’immigrés extra-communautaires en France est donc aussi liée à la montée de l’immigration économique.</p>
<iframe title="Admission au séjour par motif des ressortissants extra-communautaires" aria-label="Graphique en barres empilées" id="datawrapper-chart-I9r09" src="https://datawrapper.dwcdn.net/I9r09/3/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="488" width="100%"></iframe>
<p>Mais ce sont surtout les titres de séjour accordés aux étudiants étrangers ressortissants de pays extra-communautaires qui ont contribué à la croissance des nouvelles admissions au séjour délivrées depuis 2010. Cette progression porte même le nombre de titres « étudiants » délivrés en 2019 à 90 500, soit à hauteur de celui des titres pour motif « familial »qui représente historiquement la plus grande part des flux d’entrées d’étrangers extra-communautaires.</p>
<p><strong>Le principal motif d’immigration est donc lié au regroupement familial ?</strong></p>
<p>Non, car il ne faut pas confondre immigration pour motif familial et regroupement familial. La différence entre ces deux termes fait constamment l’objet de confusions dans le débat public. Le regroupement familial n’est qu’une composante de l’immigration pour motif familial : il permet à un ressortissant étranger d’un pays extra-communautaire régulièrement installé en France d’être rejoint, sous réserve de remplir certaines conditions (de logement et de ressources), par les membres de sa famille (son conjoint et ses enfants mineurs).</p>
<p>Les chiffres du regroupement familial ne comptabilisent donc pas les titres de séjour délivrés à des membres de famille de Français ou de ressortissants de l’Union européenne.</p>
<p>D’ailleurs sur les 90 068 nouveaux titres de séjour délivrés en <a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Actualites/Focus/Les-chiffres-cles-de-l-immigration-2019-en-28-fiches">2019</a> au titre de l’immigration familiale, le regroupement familial n’en constitue qu’une part très limitée : un peu plus de 12 000 personnes, soit 13 % du total des titres « familiaux » (et 4 % du total des premiers titres de séjour).</p>
<p>C’est bien l’entrée des familles de Français sur le territoire national qui demeure le flux le plus important de l’immigration familiale représentant plus de la moitié des admissions au séjour pour motif familial.</p>
<p><strong>Tout ce qui vient d’être évoqué concerne les flux d’immigrés. Qu’en est-il en matière de présence immigrée ? Comment se situe la France par rapport aux autres pays européens ?</strong></p>
<p>En <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3633212">2020</a>, l’Insee a recensé 6,8 millions d’immigrés en France, soit 10,2 % de la population totale. Ces chiffres sont les plus élevés que la France ait connus depuis le recensement de la population française de <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1374014?sommaire=1374025">1911</a>. Parmi eux, 4,3 millions sont de nationalité étrangère et 2,5 millions, soit 36 % des immigrés, ont acquis la nationalité française à la suite de leur naturalisation.</p>
<p>Pour mener des comparaisons en matière migratoire, les instituts internationaux comme l’OCDE adoptent une définition légèrement différente de celle de l’Insee : ils définissent les immigrés comme des individus nés à l’étranger (incluant ainsi les enfants d’expatriés nés français à l’étranger). Selon cette définition, la part des immigrés dans la population française est de 11,7 % en <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/9789264309234-fr.pdf">2017</a>, ce qui place la France au niveau de l’Espagne et des Pays-Bas, mais derrière l’Allemagne (16,1 %), la Belgique (14,0 %) ou la Suède (20,5 %).</p>
<iframe title="Part des immigrés dans la population en 2017" aria-label="Graphique en colonnes" id="datawrapper-chart-yLkbY" src="https://datawrapper.dwcdn.net/yLkbY/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="319" width="100%"></iframe>
<p>Comparée à ses voisins européens, la France se caractérise donc par des flux d’immigrés modérés et une part d’immigrés dans sa population relativement modeste.</p>
<p><strong>La France étant un vieux pays d’immigration, quelle en est l’incidence sur l’origine de sa population ?</strong></p>
<p>Parce que la France est un vieux pays d’immigration et que son immigration familiale s’est développée depuis le milieu des années <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1374014?sommaire=1374025">1970</a>, elle a la particularité d’être l’un des pays d’Europe avec la plus forte proportion d’enfants d’immigrés. Même un apport migratoire modéré peut donc, comme c’est le cas en France depuis <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4238437?sommaire=4238781#titre-bloc-27">45 ans</a>, conduire sur plusieurs décennies à modifier les origines de la population du pays d’accueil.</p>
<p>Ainsi, en 2017, 15,1 % de la population française est composée de personnes nées en France d’un ou deux parents nés à l’étranger ; une proportion plus forte qu’en Belgique (11,4 %) ou en Suède (10,1 %) et deux fois plus élevée qu’en Allemagne (7,7 %).</p>
<iframe title="Part des descendants d'immigrés dans la population en 2017" aria-label="Graphique en colonnes" id="datawrapper-chart-xzMdP" src="https://datawrapper.dwcdn.net/xzMdP/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="319" width="100%"></iframe>
<p>La France est même l’un des rares pays de l’OCDE (avec Israël et quelques pays d’Europe de l’Est ayant appartenu au bloc soviétique) dont la part des personnes nées sur place d’au moins un parent né à l’étranger est supérieure à celle des personnes nées à l’étranger. Au total, plus d’un quart de la population française est ainsi immigré ou descendant direct d’immigré.</p>
<p>Dans ce contexte, l’un des enjeux majeurs de la campagne présidentielle sera de s’interroger sur les politiques publiques à mettre en œuvre pour atteindre un haut niveau d’intégration économique et sociale, une condition indispensable à la cohésion nationale.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la série du CEPII « L’économie internationale en campagne », un partenariat CEPII – The Conversation</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170309/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Si le nombre de titres de séjour délivrés en France progresse, c’est principalement parce qu’elle accueille de plus en plus d’étudiants étrangers.Anthony Edo, Economiste, CEPIIIsabelle Bensidoun, Économiste, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1702382021-10-25T17:49:49Z2021-10-25T17:49:49ZLe sauvetage en mer au défi de la sécurisation des frontières : le cas de la Manche<p>Cinq ans après le démantèlement de la « Jungle », en <a href="https://www.cairn.info/la-jungle-de-calais--9782130800637-page-165.htm?contenu=resume">octobre 2016</a>, Calais se trouve, une fois encore, au centre de l’<a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/manche-sauvetage-de-213-migrants-qui-tentaient-de-rejoindre-l-angleterre-20211018">attention politique et médiatique</a>, en France et au Royaume-Uni. </p>
<p>À l’aune de l’essor des traversées sur des petites embarcations surchargées, le terme de <a href="https://www.bbc.com/news/topics/c008ql151wrt/calais-migrant-crisis">« crise »</a> a fait sa réapparition. Si ces embarcations ne sont pas pour autant devenues l’unique mode d’accès à l’Angleterre, comme l’a sombrement rappelé le <a href="https://www.liberation.fr/societe/vie-et-mort-de-yasser-abdallah-20-ans-fauche-a-calais-sur-la-route-de-lexil-20211012_TO7DZXHI7ZGBRD6O5DNEDDPUDY/">décès de Yasser</a>, jeune soudanais mort après avoir été percuté par un camion, la maritimisation des migrations dans cette zone de l’Europe suscite de <a href="https://www.nytimes.com/2021/09/25/world/europe/uk-migrants-london-england.html">vives réactions</a>. </p>
<p>La mort en mer d'au moins 27 migrants le mercredi 24 novembre, alors qu’ils tentaient de rejoindre le Royaume-Uni en traversant la Manche à bord d’un bateau gonflable, a de nouveau relancé le débat. </p>
<p>Jusqu’à présent, le sauvetage rapide des embarcations en difficulté demeure la norme en Manche. </p>
<p>Pourra-t-il le rester, dans un contexte européen de sécurisation des frontières ?</p>
<h2>Faire frontière</h2>
<p>« Rendre la Manche <a href="https://www.lavoixdunord.fr/849592/article/2020-08-09/immigration-le-royaume-uni-veut-rendre-impraticable-la-traversee-de-la-manche">impraticable</a> pour les traversées de petites embarcations » : telle est l’intention de Priti Patel, Ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni. Afin de <a href="https://www.politicshome.com/thehouse/article/priti-patel-home-secretary">préserver la vie humaine</a>, l’enjeu serait de réaffirmer l’existence des frontières, de dissuader les entrées irrégulières en les criminalisant.</p>
<p>Le projet de loi <a href="https://theconversation.com/uk-nationality-and-borders-bill-qanda-how-will-it-affect-migration-across-the-english-channel-164808">Nationality and Borders</a> de la ministre prévoit ainsi que les entrées irrégulières, par embarcation par exemple, soient passibles de <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/oct/12/priti-patel-borders-bill-breaches-law-human-rights">quatre ans d’emprisonnement</a>.</p>
<p>Malgré tout, les traversées continuent à augmenter selon les dernières statistiques disponibles : durant le <a href="https://www.bbc.com/news/uk-england-kent-58713999">seul mois de septembre</a> 2021, ce sont 4 638 personnes qui ont réussi à traverser la Manche, sur quelque 160 embarcations surchargées. À la fin de ce même mois, le nombre de personnes arrivées par bateau sur les côtes anglaises depuis le début de l’année 2021 a déjà atteint le double du total de l’année précédente. </p>
<p>Au-delà de cette hausse rapide, les zones de départ des traversées semblent, en 2021, s’être davantage étalées le long du littoral, comme en témoignent les interventions de secours au nord de <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/seine-maritime/dieppe/dieppe-les-33-migrants-secourus-en-mer-sont-appeles-a-quitter-le-territoire-francais-1992856.html">Dieppe</a>, dans la baie de <a href="https://premium.courrier-picard.fr/id229022/article/2021-09-09/des-migrants-tentent-une-traversee-de-la-manche-saint-quentin-en-tourmont">Somme</a>, ou autour du <a href="https://www.premar-manche.gouv.fr/communiques-presse/operations-de-recherche-et-de-sauvetage-de-plusieurs-embarcations-dans-le-detroit-du-pas-de-calais-6160ab56be388">Touquet</a>, entre autres.</p>
<p>Pourquoi ce mode de franchissement s’est-il tant intensifié, depuis fin 2018 ? Pour les <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/migrants-a-calais-les-autorites-confrontees-a-la-multiplication-des-small-boats-pour-traverser-la-manche_4753845.html">acteurs associatifs locaux</a>, comme pour le <a href="https://mobile.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-des-communiques-de-presse/2019-Communiques/Lancement-d-un-plan-zonal-et-departemental-d-action-pour-prevenir-et-lutter-contre-les-traversees-de-la-Manche-par-des-migrants">gouvernement français</a>, la sécurisation progressivement mise en place dans le Calaisis – largement financée par le Royaume-Uni, qui investit depuis plusieurs années dans ce contrôle aux frontières extra-territorialisé – est en partie responsable.</p>
<h2>Une « scène de théâtre politique idéale »</h2>
<p>À Calais, les accès aux ports, au site de l’Eurotunnel et à la rocade sont clôturés, hérissés de barbelés et vidéosurveillés. Et depuis 2019, un <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2021-2-page-7.htm">équipement</a> <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2021-2-page-7.htm">high-tech</a> est déployé pour surveiller cette partie du littoral : les patrouilles sont dotées de drones à caméras thermiques, de lunettes infrarouges, de remorques éclairantes… Ce renforcement des moyens de surveillance rend plus difficiles, d’une part, les passages clandestins par camions et ferries, et d’autre part, toute forme de départ de Calais.</p>
<p>Paradoxalement, ces mesures de sécurisation destinées à faire disparaître les traversées irrégulières ont participé à une visibilité accrue des passages de frontière : contrairement aux passages en ferries et camions, les arrivées en embarcations de <a href="http://www.exils.org/channel-crossings/publication-channel-crossings/">plus en plus surchargées</a> se déroulent à ciel ouvert.</p>
<p>Investi par des groupes et individus prônant, les uns le rejet des personnes arrivant, les autres des voies de passage sûres, le littoral britannique réincarne une <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2021-2-page-7.htm">« scène de théâtre politique idéale »</a>. Et face aux arrivées qui se multiplient, la promesse du Brexit de <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2021-2-page-11.htm">« reprendre le contrôle des frontières »</a> est mise à l’épreuve.</p>
<p>Ainsi, les récents exercices de refoulement (push-backs) pratiqués par les forces frontalières britanniques, <a href="https://twitter.com/ChannelRescue/status/1437378134261780481">documentés et diffusés</a> sur les réseaux sociaux par l’association Channel Rescue, semblent être un énième ressort de spectacularisation d’une frontière qui <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2021-2-page-11.htm">se veut ferme</a>, et fermée.</p>
<h2>Des sauvetages aux « push-backs » et « pull-backs » ?</h2>
<p>Repousser des embarcations précaires et non adaptées à la navigation en Manche mettrait gravement en danger les personnes à bord. De plus, les sauvetages des embarcations de personnes migrantes (qui pour certaines, souhaitent demander l’asile) sont régis par un double cadre légal rendant les refoulements difficilement justifiables juridiquement.</p>
<p>Ces interventions sont régulées à la fois par des accords bilatéraux – le <a href="https://www.premar-manche.gouv.fr/page/cooperation-fr-uk-manche-plan">Manche Plan</a> de 1978 prévoit les procédures de coopération lors des opérations SAR (<em>search and rescue</em>) – et par des conventions internationales, qui affirment d’une part l’obligation de porter assistance aux personnes en danger en mer, et d’autre part la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0010836718780175">responsabilité</a> des États côtiers dans la coordination des interventions de sauvetage.</p>
<p>Et si, en mer, le droit des personnes réfugiées évolue dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2017-3-page-49.htm175">« vacuum juridique »</a>, les demandeurs d’asile se trouvant sous la juridiction d’un État sont, selon la CEDH et l’arrêt <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22languageisocode%22:%5B%22FRE%22%5D,%22appno%22:%5B%2227765/09%22%5D,%22documentcollectionid2%22:%5B%22CLIN%22%5D,%22itemid%22:%5B%22002-103%22%5D%7D">Hirsi Jamaa</a>, protégés contre tout refoulement. Ainsi, en cas de sinistre impliquant des personnes migrantes dans les eaux territoriales françaises ou britanniques, les pays sont tenus de coordonner des sauvetages en faisant appel aux moyens maritimes disponibles, et ne peuvent procéder à des refoulements collectifs.</p>
<p>Pour comprendre la multiplicité des acteurs impliqués dans les sauvetages en Manche, l’exemple d’une intervention, le 24 septembre, est édifiant. L’association <a href="http://www.utopia56.com/fr">Utopia 56</a>, présente à Calais depuis 2016, reçoit, dans la nuit, un appel d’un bateau « sur le point de couler ». <a href="https://www.premar-manche.gouv.fr/communiques-presse/operations-de-recherche-et-de-sauvetage-de-plusieurs-embarcations-dans-le-detroit-du-pas-de-calais-6099">« Une soixantaine de personnes »</a> serait à bord, à proximité de Dunkerque. Informé, le CROSS Gris-Nez engage les navires de la Douane, des Affaires maritimes, de la station SNSM de Dunkerque, mais également un hélicoptère de l’Armée belge : plusieurs personnes sont tombées à la mer. Certaines rejoignent les côtes par leurs propres moyens, tandis que deux sont hélitreuillées.</p>
<p>C’est finalement le moyen britannique qui porte assistance aux personnes restées à bord de l’embarcation, qui a continué sa trajectoire. Ainsi, une unique embarcation a transporté des personnes dont certaines ont réussi et d’autres ont échoué à traverser. L’intervention déclenchée a par ailleurs mobilisé des acteurs d’organisations différentes, de trois pays.</p>
<h2>Un rôle ambivalent</h2>
<p>Parmi ces acteurs, l’un occupe une position particulière : la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) qui, contrairement à ce que son nom pourrait indiquer, ne dépend pas directement de ministères nationaux. Alors que les navires de la Douane, de la Marine et de la Gendarmerie nationale mènent des actions de <a href="https://mobile.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-des-communiques-de-presse/2019-Communiques/Lancement-d-un-plan-zonal-et-departemental-d-action-pour-prevenir-et-lutter-contre-les-traversees-de-la-Manche-par-des-migrants">surveillance</a>, qui <a href="https://www.chasse-maree.com/actualites/la-snsm-au-secours-des-migrants-en-manche/">peuvent se transformer en sauvetage</a> en cas de péril imminent, l’intervention de la SNSM, association composée de bénévoles mais reconnue d’utilité publique et assurant une mission de service public, est strictement limitée aux sauvetages.</p>
<p>Or, les bénévoles voient dans certaines de leurs interventions une participation aux « opérations de police en mer », comme <a href="https://www.chasse-maree.com/actualites/la-snsm-au-secours-des-migrants-en-manche/">l’a expliqué récemment à la revue <em>Le Chasse-Marée</em></a> le président de la station dunkerquoise. Certains des bénévoles des stations de Berck-sur-Mer, Boulogne-sur-Mer, Calais, Gravelines et Dunkerque affirmaient ainsi au <a href="https://fr.calameo.com/snsm/read/0007029189c0baca1d193">magazine <em>Sauvetage</em></a> la position ambivalente des équipiers, face à des personnes migrantes pour lesquelles un sauvetage dans les eaux françaises correspond aussi à un échec de leur tentative de traversée.</p>
<p>Ces bénévoles pourraient-ils être amenés à terme, à réaliser des actions d’empêchement des traversées, en retenant les bateaux du côté des eaux territoriales françaises (pull-backs) ? Sous pression britannique, les moyens maritimes français ont-ils vocation à réaliser des interceptions telles que le font déjà certains pays voisins de l’Europe ?</p>
<h2>La Manche dans l’Europe</h2>
<p>Il est en effet difficile de s’intéresser aux enjeux du sauvetage en Manche sans les resituer dans le contexte européen de politique migratoire. D’autant plus que des liens directs entre les situations à Calais et en Mer Méditerranée sont établis par les responsables politiques eux-mêmes : en <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2021-2-page-3.htm">2014</a>, le Premier ministre français rapportait ainsi que les sauvetages en Méditerranée avaient contribué à créer des « points de fixation » dans le nord de la France.</p>
<p><a href="https://mobile.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-des-communiques-de-presse/2019-Communiques/Lancement-d-un-plan-zonal-et-departemental-d-action-pour-prevenir-et-lutter-contre-les-traversees-de-la-Manche-par-des-migrants">En 2019</a>, le ministre de l’Intérieur énonçait en retour que si la France laissait des campements s’installer, des « migrants irréguliers » seraient attirés sur le littoral français. Tour à tour, les actions de la France et des pays européens sont ainsi présentées comme pouvant créer des « appels d’air ».</p>
<p>Ces liens se retrouvent également dans les partages de pratiques et de moyens : <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/migrants-on-vous-explique-la-polemique-entre-la-france-et-le-royaume-uni-au-sujet-des-traversees-de-la-manche_4802147.html">Gérald Darmanin</a> a promis l’intervention en Manche de moyens aériens de Frontex, l’agence européenne de garde-côtes, <a href="https://www.hrw.org/news/2020/11/09/eu-probe-frontex-complicity-border-abuses">objet de nombreuses controverses</a>, d’ici « la fin de l’année ». Son homologue britannique s’est quant à elle récemment rendue en Grèce pour discuter de <a href="https://news.sky.com/story/priti-patel-visits-greece-for-discussions-with-counterparts-about-tackling-illegal-migration-12373198">« défis communs »</a> et observer les méthodes de prévention des traversées mises en œuvre.</p>
<h2>Des perspectives d’évolution inquiétantes</h2>
<p>D’un point de vue comparatif, la situation en Mer Égée est particulièrement intéressante. Comme en Manche, les traversées entre la Grèce et la Turquie se déroulent dans les eaux territoriales de deux pays considérés comme <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2016-3-page-32.htm">sûrs</a>, sur des distances relativement peu étendues. Mais alors que Priti Patel explore des solutions pour garantir l’<a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2021/oct/13/uk-border-force-could-be-given-immunity-over-refugee-deaths ?CMP=Share_iOSApp_Other">immunité des forces frontalières</a> en cas de décès de personnes migrantes en mer, il apparaît crucial d’alerter sur une transposition en Manche du recours systématique à la violence qui a pu être observé en Mer Égée.</p>
<p>De nombreux rapports, de médias et d’ONG documentent depuis plusieurs mois les refoulements menés par les garde-côtes turques, grecs et européens. Refoulements réalisés dans l’illégalité, parfois par des <a href="https://www.lighthousereports.nl/investigation/unmasking-europes-shadow-armies/">personnes masquées</a>, et accompagnés de démonstrations de force violentes et humiliantes (voir le rapport de l’ONG <a href="https://daten.mare-liberum.org/s/4HdxAPACaPsqzEx">Mare Liberum</a>).</p>
<p>Dans un contexte de violence systématisée, comment le rôle des bénévoles de la SNSM pourrait-il évoluer ? De l’autre côté de la Méditerranée, le cas des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14650045.2021.1973438 ?journalCode=fgeo20">garde-côtes espagnols</a> montre comment en quelques années, une institution civile, non-militarisée, la SASEMAR, a pu être contrainte à passer d’une mission de sauvetage à une logique de gestion des frontières.</p>
<p>Comme l’écrit la chercheuse Luna Vives, les contentieux politiques autour de la Manche et du sauvetage confirment le rôle des frontières en tant qu’<a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14650045.2021.1973438 ?journalCode=fgeo20">« espace critique de ré-articulation de la souveraineté »</a>. Ceci aux dépens des acteurs associatifs locaux, mais surtout des personnes tentant les traversées. Ainsi, il semble que nous assistions ici à un tournant. En dépit du droit international et dans un objectif de performance de frontières fermes, les actions de sauvetage en Manche risquent de ne plus être considérées comme un devoir, mais comme un <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0967010614557512">« acte de charité »</a>, susceptible d’être suspendu.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170238/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Martel réalise un doctorat de géographie à l’Université Le Havre Normandie sur la maritimisation des migrations en Manche et les enjeux de sauvetage.
Elle est contributrice à l'Observatoire des Camps de Réfugiés. Elle a également dans le passé été bénévole dans l'association Utopia 56, au camp de Grande-Synthe en juillet 2016 et ponctuellement à Paris en 2017.
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Arnaud Banos est directeur de recherche CNRS à l'Université Le Havre Normandie. Il est également sauveteur en mer embarqué à la station SNSM du Havre, ainsi qu'auprès des ONG Refugee Rescue, Sea-Eye et Sea-Watch.</span></em></p>La sécurisation du Calaisis aurait conduit à l’essor des traversées de personnes migrantes en Manche. Dans un contexte de fermeture des frontières, les actions de sauvetage pourront-elles perdurer ?Camille Martel, Doctorante en géographie, UMR IDEES, Université Le Havre NormandieArnaud Banos, Géographe, directeur de recherche CNRS, UMR IDEES, Institut Convergences Migrations, Université Le Havre NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1654542021-08-09T17:41:48Z2021-08-09T17:41:48ZLa Biélorussie, d’État pivot à nouveau rideau de fer en Europe ?<p>La frontière orientale de l’Union européenne et, tout particulièrement, sa partie qui sépare la Pologne, la Lettonie et la Lituanie de la Biélorussie évolue progressivement en un lieu de confrontation.</p>
<p>Depuis l’arrivée au pouvoir d’Alexandre Loukachenko en 1994, les tensions ont été constantes entre l’UE et le régime de Minsk. Pour autant, la frontière était demeurée, bon an mal an, une fenêtre d’ouverture. Aujourd’hui, elle semble se fermer pour de bon. Trente-deux ans après la chute du mur de Berlin, trente ans après la disparition de l’Union soviétique, sommes-nous sur le point de voir émerger un nouveau rideau de fer en Europe ?</p>
<h2>Des longues décennies de tensions…</h2>
<p>Depuis 1994, les relations euro-biélorusses se caractérisent par d’incessantes vagues de mise à distance et de rapprochement.</p>
<p>Les tensions sont essentiellement liées à la confrontation de deux modèles opposés, démocratique et libéral du côté européen (bien que tout ne soit pas parfait à ce niveau), autocratique et interventionniste du côté biélorusse. Alexandre Loukachenko revendique lui-même ouvertement l’autoritarisme de son régime, tous les pouvoirs – exécutif, législatif et judiciaire – étant concentrés entre ses mains. En 27 ans, il a mis en œuvre un verrouillage flagrant du système politique avec, notamment, une mainmise sur la société civile dont témoignent entre autres les <a href="https://www.amnesty.org/fr/countries/europe-and-central-asia/belarus/report-belarus/">rapports successifs d’Amnesty International</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les médias, les ONG, les partis politiques et les rassemblements publics restaient soumis à des restrictions draconiennes imposées dans la loi. »</p>
</blockquote>
<p>L’existence d’un tel régime à sa frontière orientale est une épreuve pour l’Union, qui se veut une puissance <a href="http://ceriscope.sciences-po.fr/puissance/content/part2/soft-power-sens-et-usages-d-un-concept-incertain?page=show">« douce »</a> ou <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01167118/document">« smart power »</a>. Elle se trouve devant un véritable casse-tête pour trouver des moyens de pression sur le régime biélorusse, une quête qui s’est révélée peu efficace à ce jour.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1315999495029690368"}"></div></p>
<p>Le rapprochement, quant à lui, est souvent forcé et dicté en grande partie par des paramètres géographiques et historiques. Le positionnement de la Biélorussie sur le continent européen fait d’elle un <a href="https://theconversation.com/bielorussie-turquie-lunion-europeenne-a-lheure-des-etats-pivots-115080">État-pivot</a> – une notion qui se trouve au cœur de la pensée géopolitique contemporaine depuis les <a href="https://www.iwp.edu/wp-content/uploads/2019/05/20131016_MackinderTheGeographicalJournal.pdf">écrits de H. J. Mackinder</a>. L’actuel territoire de l’État biélorusse constitue, en effet, une <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/etat-tampon/">zone tampon</a> entre l’Union européenne et la Russie.</p>
<p>Cette situation de rencontre entre deux mondes se retrouve d’une part dans de nombreux caractères de la Biélorussie (son <a href="http://www.nouvelle-europe.eu/images/stories/ene_identite_bielorussie.pdf">identité</a>, ses références culturelles, la structure de ses <a href="https://wits.worldbank.org/CountrySnapshot/en/BLR">échanges commerciaux</a>). D’autre part, elle constitue le principal atout géopolitique d’Alexandre Loukachenko, comme on l’observe dans ses échanges aussi bien <a href="https://www.ng.ru/cis/2021-07-06/1_8191_belorussia.html">avec les Européens</a>, qu’avec les Russes (par exemple lors des négociations relatives au transit du gaz russe sur le territoire biélorusse en <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2006/12/29/minsk-menace-de-stopper-le-transit-du-gaz-russe-vers-l-ue_850333_3214.html">2006</a>, et à plusieurs reprises depuis).</p>
<h2>… à une crise sans précédent</h2>
<p>Depuis un an, la Biélorussie est plongée dans une crise sans précédent dans l’histoire post-soviétique de ce pays.</p>
<p>La <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/11/bielorussie-chronologie-de-la-crise-depuis-la-reelection-contestee-d-alexandre-loukachenko_6051843_3210.html">contestation</a> populaire consécutive aux fraudes massives ayant marqué l’élection présidentielle du 9 août 2020 ; l’<a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/manifestations-en-bielorussie-loukachenko-a-sous-estime-la-colere-du-peuple_2132861.html">extrême violence des répressions</a> dans les mois suivants ; l’<a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/la-bielorussie-interdit-a-la-plupart-de-ses-citoyens-de-quitter-le-pays_fr_60b6426ce4b04ddf13f2ed1f">interdiction de quitter le territoire national</a> faite aux ressortissants biélorusses en décembre dernier ; l’exacerbation des tensions suite au <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/24/detournement-d-un-vol-la-bielorussie-denonce-des-accusations-sans-fondement-de-la-part-de-l-europe-qui-reagit_6081264_3210.html">déroutement</a> en mai d’un vol commercial de la compagnie Ryanair afin d’arrêter un opposant au régime ; l’imposition de <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2021/06/24/eu-imposes-sanctions-on-belarusian-economy/">sanctions</a> par l’Union européenne en juin ; le <a href="https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/eu-reproves-belarus-walkout-from-the-eastern-partnership/">retrait</a> de la Biélorussie du Partenariat oriental, également en juin ; et la récente vague de confrontation liée à l’<a href="https://www.la-croix.com/Monde/Migrants-Lituanie-destabilisee-Bielorussie-2021-08-01-1201168870">afflux migratoire</a> de ressortissants des pays du Moyen-Orient en Europe via la Biélorussie… L’année qui vient de s’écouler aura été particulièrement agitée dans ce pays communément qualifié de <a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/bielorussie-lagonie-de-derniere-dictature-deurope">« dernière dictature d’Europe »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mizDuWgHGGE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le constat est d’autant plus sombre que cette période a été également marquée par la secousse économique et sociale due au Covid-19 (<a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/BY/indicateurs-et-conjoncture">contraction du PIB, inflation, chômage, endettement</a>) qui a profondément <a href="http://library.fes.de/pdf-files/bueros/ukraine/17415.pdf">impacté</a> la société biélorusse.</p>
<h2>D’une frontière-pont à une frontière-forteresse</h2>
<p>Malgré les tensions récurrentes, la frontière euro-biélorusse, un tronçon de 1 209 kilomètres depuis le « grand élargissement » de l’UE aux pays d’Europe centrale et orientale en <a href="https://www.cvce.eu/collections/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/3fb50eae-9f19-4d5b-abb3-1a3216bbb485">2004</a>, avait réussi à maintenir son rôle de pont entre les deux espaces concernés.</p>
<p>Désignée régulièrement sous la formule <a href="https://regard-est.com/les-belarusses-victimes-du-rideau-schengen">« rideau de Schengen »</a>, elle était « aussi loin d’un mur que la peau l’est d’un rideau étanche » (<a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre-eloge-des-frontieres-de-regis-debray.html">R.Debray</a>), le mur interdisant le passage, la frontière le régulant.</p>
<p>Cette frontière n’était, en effet, ni opaque, ni hermétique. Des territorialités transfrontalières s’esquissaient dans l’action des acteurs non étatiques (la création des <a href="http://www.beleuroregion.by/en/">Eurorégions</a>, l’activité de l’<a href="https://www.aebr.eu/">Association des Régions Frontalières d’Europe</a>, etc.). Les migrations transfrontalières, les échanges universitaires et les projets de <a href="http://www.espaces-transfrontaliers.org/en/bdd-borders/frontiers/frontier/show/bielorussie-pologne/">coopération transfrontalière</a> contribuaient à sa perméabilité. Le rôle de la Pologne, de la Lettonie et de la Lituanie était également fondamental dans la création d’un espace d’interface et de contact avec la Biélorussie. En outre, cet espace était le théâtre de petits trafics frontaliers et d’une incessante circulation de marchandises dans un sens comme dans l’autre.</p>
<p>Aujourd’hui, la frontière anciennement si poreuse s’apparente de plus en plus à une nouvelle ligne de démarcation. Une clôture de barbelés a été érigée à la frontière entre la Lituanie et la Biélorussie et la ministre lituanienne de l’Intérieur Agne Bilotaite a <a href="https://www.euractiv.com/section/politics/short_news/lithuania-to-spend-e41m-on-border-fence-with-belarus/">annoncé</a> la construction d’un véritable mur – une mesure très controversée, mais <a href="https://www.lefigaro.fr/international/les-nouveaux-murs-du-monde-contrecoup-de-la-mondialisation-20191107">tout à fait légale</a> puisque la Convention Schengen autorise à rétablir des contrôles en cas de crise. Ce nouveau rempart complèterait la liste des autres <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/11/08/en-2019-l-europe-compte-ses-murs_1762467/">murs</a> érigés pour faire obstacle à l’immigration illégale en Europe : les remparts de Ceuta et Melilla en Espagne, ceux de la Hongrie le long de la frontière avec la Serbie et de la Croatie, ceux de la Grèce et de la Bulgarie à leur frontière avec la Turquie, etc.</p>
<p>Dans le cas euro-biélorusse, la frontière-interface semble céder devant la frontière-barrière. Les moyens de dialogue politique paraissent épuisés. Bénéficiant du soutien de Kremlin, le régime de Loukachenko ne cesse de se <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/07/belarus-sweeping-crackdown-on-civil-society-organizations-must-be-stopped/">durcir</a> (arrestations des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/07/06/bielorussie-apres-les-opposants-politiques-les-chercheurs-independants-cibles-par-le-regime_6087261_3210.html">expertes indépendantes</a> Tatiana Kouzina et Valéria Kostygova, des membres du Centre des droits humains Viasna, etc.) et de transgresser des limites qui semblaient invraisemblables il y a encore un an, comme dans l’épisode de l’avion détourné. Les moyens de pression européens semblent épuisés. En dehors de son territoire, l’Union dispose de peu de capacités coercitives, y compris dans son voisinage proche. Triste bilan et trajectoire post-soviétique singulière pour ce pays de presque dix millions d’habitants qui se retrouvent désormais plus coupés que jamais d’une vaste partie du continent européen…</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165454/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Katsiaryna Zhuk ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La crise sans précédent que traverse la Biélorussie depuis un an, marquée par un net durcissement d'un régime déjà autoritaire, a durablement coupé ce pays de l'UE voisine.Katsiaryna Zhuk, Professeur en géopolitique et design informationnel, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1517052020-12-09T19:01:27Z2020-12-09T19:01:27ZLes (ac)crocs de Schengen : l’ombre portée du passé sur le projet français de réforme<p>« Ça ne peut plus durer. Schengen doit être repensé. » Ces propos ne sont pas ceux du président Emmanuel Macron exprimés à l’issue du Conseil européen du 10 décembre 2020, mais bien ceux du président Sarkozy formulés il y a neuf ans, le 1<sup>er</sup> décembre 2011.</p>
<p>En tant qu’espace de libre circulation, Schengen, <a href="http://www.gdr-elsj.eu/2015/11/25/frontieres/schengen-un-coupable-ideal/">« coupable idéal »</a>, cristallise les critiques et chaque crise voit son lot d’annonces de refonte : <a href="http://ceriscope.sciences-po.fr/content/part2/la-remise-en-cause-des-accords-de-schengen?page=1">2011</a> (Printemps arabe), <a href="http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr15-500.html">2015</a> (crises migratoire et terroriste) et <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/276363-vers-une-reforme-de-la-politique-europeenne-de-migration-et-dasile">2020</a> (crises sanitaire et terroriste).</p>
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<p><a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/11/05/je-suis-favorable-a-une-refondation-complete-de-schengen-deplacement-du-president-emmanuel-macron-dans-les-pyrenees-orientales">L’allocution</a> du président Macron formulée le 5 novembre 2020 lors d’un déplacement à la frontière franco-espagnole du Perthus reflète à cet égard l’intention d’une « refonte en profondeur ». Elle est précisée par une note du 1<sup>er</sup> décembre envoyée aux capitales européennes, qui esquisse les contours du projet que la France entend mener à bien lorsque viendra son tour d’assurer la présidence du Conseil de l’UE (janvier-juin 2022). Paris entend donner des crocs à Schengen : le système doit être capable de réagir plus rapidement aux pressions migratoires aux frontières extérieures de l’Union, de parer plus efficacement aux attaques terroristes et de répondre aux enjeux politiques liés au non-respect des règles par certains États membres.</p>
<h2>Enraciner Schengen dans un écosystème de gestion de la sécurité et des migrations</h2>
<p>Pour comprendre la réforme qui se dessine, il convient d’avoir à l’esprit le fait que les différents leaders politiques actuels de la zone Schengen souhaitent ancrer Schengen dans un écosystème de gestion de la sécurité et des migrations pour mieux structurer une réponse commune face à des crises graves susceptibles d’ébranler la construction européenne.</p>
<p>D’abord, l’annonce faite le 5 novembre 2020 par le président Macron s’inscrit dans un contexte sécuritaire tendu, puisqu’elle a été présentée à la suite des <a href="https://atalayar.com/fr/blog/macron-apr%C3%A8s-les-attentats-de-nice-et-de-vienne-repenser-schengen">attentats</a> du 29 octobre de la basilique Notre-Dame de Nice et de ceux de Vienne du 2 novembre. Mais un train peut en cacher un autre. Cette réforme Schengen se double d’un agenda sur la sécurité pour la période 2020-2024. Cette <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_1379">stratégie sur l’union de la sécurité</a> lancée en juillet 2020 vise à conférer à l’Union une capacité de riposte face aux attaques terroristes : modernisation d’Europol, achèvement de la réorganisation des systèmes européens de sécurité et de gestion des frontières, établissement d’un « code de coopération policière » européen, renforcement de la coordination policière en temps de crise.</p>
<p>Ensuite, le <a href="https://ec.europa.eu/france/news/20200923/nouveau_pacte_migration_et_asile_fr">« Pacte sur la migration et l’asile »</a> présenté par la Commission européenne le 23 septembre 2020 entend mieux anticiper les pressions migratoires, prévenir les crises politiques qui en découlent et réguler les flux secondaires, c’est-à-dire les mouvements non autorisés de migrants au sein de l’Union. Pour certains experts, le véritable homme malade est <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/affaires-etrangeres/affaires-etrangeres-emission-du-samedi-05-decembre-2020">Dublin et non Schengen</a>.</p>
<h2>Dublin, le véritable homme malade à soigner</h2>
<p>La réforme de Schengen ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. En dépit des multiples modernisations, c’est surtout <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/asile-et-migrations-en-europe-qu-est-ce-que-le-reglement-de-dublin.html">Dublin</a> (mécanisme de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande d’asile de tout migrant arrivé dans l’UE), qui dysfonctionne et ce, <a href="https://www.conseil-etat.fr/actualites/discours-et-interventions/le-droit-d-asile-saisi-par-le-droit-europeen">depuis de nombreuses années</a> et malgré les ajustements effectués. Autrement dit, la réforme de Schengen annoncée doit se comprendre avant tout comme un complément au projet de révision de Dublin tel que prévu dans le Pacte, à savoir le déploiement d’un arsenal de mesures de solidarité par les États membres sous forme de répartition dans l’UE des candidats à l’asile ou de parrainage en matière d’expulsion des demandeurs déboutés.</p>
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<p>Comme le <a href="http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20200406/europ.html">souligne</a> le Français Fabrice Leggeri, directeur exécutif de Frontex, « la pression migratoire est un défi de long terme pour l’Union européenne ». L’enjeu politique majeur porte donc essentiellement sur la concrétisation de ce Pacte qui ambitionne d’apporter une réponse structurée, notamment sous la forme de la mise en place de mécanismes communs de filtrage de toutes personnes débarquées. À ce propos, « 22 % des personnes qui entrent dans l’espace Schengen ne feraient actuellement l’objet d’aucun contrôle », selon la commissaire aux Affaires intérieures Ylva Johansson, reprenant les chiffres de Frontex.</p>
<h2>« Club des égoïstes » contre « club des laxistes »</h2>
<p>Les textes européens le rappellent à l’envi : la gestion des frontières extérieures relève des États membres seuls. Or cette compétence individuelle s’accommode mal d’un espace commun au sein duquel la qualité des contrôles effectués par un État affecte l’équilibre de l’ensemble.</p>
<p>Les crises migratoires de 2011 et de 2015 ont mis en évidence la difficulté, pour les États du Sud, d’assumer pleinement les contrôles sur leurs portions respectives des frontières extérieures. En résulte une cristallisation politique autour de deux pôles traduisant deux visions opposées de la répartition des rôles : il y a d’abord, les tenants de la « responsabilité », les pays du Nord, pour qui la tâche d’effectuer la surveillance des frontières incombe désormais aux pays du Sud. L’usage de la clause dite « d’ordre public » prévue par le <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/HTML/?uri=CELEX:32016R0399">Code Frontières Schengen</a> apparaît alors comme un moyen de riposte à l’égard des pays jugés « laxistes » manquant à leurs obligations. Il y a, ensuite, les partisans de la « solidarité », les pays du Sud, qui mettent en exergue le fait que le fardeau de la surveillance des frontières est inégalement réparti. Ils reprochent aux pays du Nord le fait de se montrer égoïstes, en tirant les bénéfices des contrôles sans apporter l’aide requise en cas de pression migratoire.</p>
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<p>Pour jeter un pont entre ce « club des égoïstes » critiquant les défaillances et ce « club des laxistes » réclamant davantage de soutien, plusieurs mesures ont été mises en place. Faute de solidarité « venant du bas » (entre États eux-mêmes), une solidarité venant d’en haut (fournie directement par l’Union) s’est structurée progressivement, par l’accroissement de l’enveloppe des subventions européennes (actuellement le fonds dit « <a href="https://fr.welcomeurope.com/subventions-europennes/fami-1-fonds-asile-migration-integration-839+739.html">FAMI</a> »), le <a href="https://www.etiasvisa.com/fr/actualites/reglamentations-frontex-renforcer-operations">renforcement des pouvoirs de l’Agence européenne Frontex</a> sous l’angle de l’appui apporté aux opérations d’expulsion de migrants illégaux et, plus récemment, la création du <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2019/11/08/european-border-and-coast-guard-council-adopts-revised-regulation/">Corps européen de garde-frontières</a> actuellement en cours de constitution.</p>
<h2>Remettre le « SCH-EVAL » en selle</h2>
<p>La deuxième série de mesures prises sous l’égide de la « responsabilité » consiste, entre autres, en la <a href="https://revue-jade.eu/article/view/1649">possibilité d’intervention d’initiative de Frontex</a> (c’est-à-dire sans avoir reçu de demande préalable) et surtout en la révision du mécanisme d’évaluation mutuelle. Depuis sa création, la <a href="https://www.cvce.eu/obj/convention_d_application_de_l_accord_de_schengen_19_juin_1990-fr-34df2451-3af1-48d1-bd61-132209a4e8e1.html">convention de 1990</a> prévoyait un système de contrôle mutuel visant à remédier aux carences concernant les contrôles effectués aux frontières extérieures. Un tel dispositif, le <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/council-eu/preparatory-bodies/working-party-schengen-matters/#">« SCH-EVAL » (Schengen Evaluation)</a>, du nom du groupe de travail chargé de cette tâche, avait montré de sérieuses faiblesses et la première réforme Schengen de <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20130607IPR11390/le-parlement-europeen-soutient-l-accord-sur-la-reforme-de-schengen">2013</a> a tenté d’y remédier. Reste que ce contrôle interétatique ne donne toujours pas les résultats escomptés. Par conséquent, l’annonce du président Macron vise à aller plus loin en étendant le pouvoir de la Commission européenne dans ces équipes.</p>
<p>Une telle réforme va de pair avec la révision de la « gouvernance Schengen » opérée en parallèle. Dans sa proposition, la Commission européenne avait préconisé initialement, en septembre 2011, une gouvernance de nature bureaucratique immédiatement rejetée par les États qui préfèrent, quant à eux, une gouvernance politique.</p>
<h2>Éviter que les barrières physiques ne débouchent sur des barrières mentales</h2>
<p>À l’image du bateau qui affronte pour la première fois la tempête, la crise de 2015 a fait chavirer cette gouvernance politique actée par la première réforme de Schengen de 2013 : face à l’afflux massif de migrants, de nombreux États ont fait usage de la <a href="https://www.senat.fr/questions/base/1997/qSEQ970702178.html">clause de sauvegarde</a> en prenant les mesures unilatérales de réinstauration des contrôles aux frontières au sein de l’espace Schengen. Ce rétablissement s’est opéré sans concertation, faisant d’une telle gouvernance politique un vœu pieux. Comme le <a href="https://www.franceculture.fr/geopolitique/politique-migratoire-europeenne-le-roi-est-nu">souligne</a> le chercheur Yves Pascouau : chaque État a son propre agenda et ses propres priorités, si bien que l’UE est impuissante. Le roi est nu.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1274682055960539136"}"></div></p>
<p>Les mêmes causes engendrant les mêmes conséquences, la crise sanitaire liée à la Covid-19 provoque des <a href="https://theconversation.com/schengen-a-lepreuve-du-coronavirus-134267">réflexes nationaux identiques</a>. Le recours au printemps 2020 à la clause de sauvegarde, qui s’apparente à un « sauve-qui-peut » généralisé, met en péril la pérennité du marché intérieur au sens où les flux économiques intra-UE se sont trouvés entravés par des frontières fermées entre États membres. Cela se conjugue, depuis 2011, à la multiplication des rétablissements ponctuels de contrôles aux frontières intérieures, ce qui crée une ambiance lourde de recloisonnement. Selon les circonstances et faisant parfois fi de la légalité, une réinstauration durable des contrôles s’opère dont l’intensité varie selon les circonstances du moment. Le risque est alors que, dans un tel climat, les <a href="https://theconversation.com/la-frontiere-franco-allemande-au-temps-du-covid-19-la-fin-dun-espace-commun-136467">frontières mentales</a> s’ajoutent aux frontières physiques, naturalisant l’idée d’un espace de nouveau et définitivement cloisonné.</p>
<h2>Du tout nouveau « Forum Schengen » au futur « Conseil de sécurité intérieure »</h2>
<p>Pour endiguer ce rétablissement permanent, la Commission européenne vient de mettre en place un <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_20_2232">« Forum Schengen »</a>. C’est le premier étage de la fusée institutionnelle. Il s’agit d’organiser entre parties prenantes, notamment des ministres nationaux de l’Intérieur et des députés du Parlement européen, une discussion politique sur des thèmes liés à Schengen. Quant au Conseil européen de sécurité intérieure évoqué par la note française du 1<sup>er</sup> décembre, il entend permettre cette gouvernance politique qui a fait actuellement cruellement défaut. Prenant la forme de réunions annuelles des chefs d’États et de gouvernement, il vise à assurer un pilotage au plus haut niveau. Certes, le Conseil européen joue déjà ce rôle, mais la création d’un tel Conseil, qui est le deuxième étage de la fusée institutionnelle, entend envoyer un signal politique fort : désormais, la coordination est un passage obligé, abordé au sommet et organisé de manière routinière.</p>
<h2>Réformer Schengen ou revenir aux sources du projet</h2>
<p>La réforme institutionnelle dans les tuyaux est l’avers de la structuration de la gouvernance politique de Schengen, le revers étant l’élaboration d’un Pacte de sécurité sur le modèle du Pacte de stabilité de la zone euro. Les contours de ce projet maillon de la réforme de Schengen souhaité par le président Macron, qui devrait être dévoilé ces prochaines semaines, est destiné à rénover le mécanisme d’évaluation mutuelle de manière à pouvoir infliger, en dernière extrémité, des sanctions aux pays vis-à-vis desquels il est relevé des manquements persistants en matière de surveillance de leur tronçon de frontières extérieures. Il s’agit de donner des crocs à Schengen : les dents du « SCH-EVAL » sont limées au sens où, pour l’heure, ce dispositif d’évaluation mutuelle ne débouche que sur des recommandations adressées aux pays inspectés.</p>
<p>Au final, cette réforme de Schengen a un mérite essentiel. Elle s’apparente à un <a href="http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20201109/europ.html">retour aux sources</a> en répondant à l’axiome « pas de liberté sans sécurité » qui avait présidé à la convention de 1990. La sécurité et la préservation des frontières extérieures de l’UE irriguent et vivifient l’espace de liberté. Ainsi que le <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Gilles-de-Kerchove-La-menace-terroriste-reste-severe-mais-les-%C3%89tats-ont-reduit-leurs-vulnerabilites-2015-03-21-1293763">résume le coordinateur européen pour la lutte antiterroriste</a> Gilles De Kerchove, « il est indispensable de préserver la libre circulation, un des plus beaux acquis de la construction européenne. Les accords de Schengen sont un ensemble de mesures compensatoires, adaptées en permanence pour tenir compte de l’évolution de la situation. Le renforcement du contrôle aux frontières extérieures en fait partie. La meilleure manière de préserver la libre circulation à l’intérieur, c’est d’affiner le dispositif à l’extérieur. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151705/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Berthelet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Emmanuel Macron souhaite réformer l’espace Schengen. Ce n’est pas la première fois que ce système est jugé insuffisant depuis sa création en 1990, loin de là…Pierre Berthelet, Docteur en droit (UE) & chercheur associé à l'Univ. Grenoble-Alpes (CESICE) & univ. Aix-Marseille (CERIC), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1466172020-09-28T18:19:40Z2020-09-28T18:19:40ZLes réfugiés syriens, grands oubliés de la crise libanaise<p>Ces dernières semaines ont été marquées par <a href="https://theconversation.com/que-peut-la-france-au-moyen-orient-145719">l’implication française</a> dans la réponse internationale aux <a href="https://theconversation.com/le-liban-peut-il-sortir-de-la-crise-142970">explosions du port de Beyrouth</a> du 4 août 2020.</p>
<p>Avant même la catastrophe du 4 août, le Liban était confronté à d’immenses défis : aggravation de la crise économique, remise en question du système politique par la <a href="https://theconversation.com/beyrouth-capitale-de-la-colere-144311">contestation sociale</a>, crise de la Covid-19… autant de sujets qui ont relégué au second plan une question cruciale, celle du sort du <a href="https://www.solidarites.org/fr/pays/liban/liban-la-crise-sans-fin-des-refugies-syriens/">million de réfugiés syriens</a> se trouvant actuellement dans le pays.</p>
<h2>Le Liban, terre meurtrie et terre d’asile</h2>
<p>Parmi les pays d’accueil de la région, le Liban se caractérise par la fragilité de son système politique, extrêmement <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2013-4-page-22.htm">polarisé sur la question des réfugiés syriens</a>. Devenu le pays où le pourcentage de réfugiés est le plus élevé au monde en proportion de sa population, le Liban accueillait dès 2015 plus d’un million de Syriens, selon le <a href="https://data2.unhcr.org/en/situations/syria/location/71">Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations unies</a> (UNHCR). Membre exécutif de l’UNHCR, l’État libanais n’est cependant pas signataire de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, et interdit cette même année 2015 à l’UNHCR de continuer à enregistrer l’arrivée de nouveaux réfugiés dans le pays. Cette mesure est prise dans le but de durcir les conditions de renouvellement du statut de résident de ceux que l’État libanais ne reconnaît pas comme « réfugiés » mais comme « déplacés », posant un <a href="https://reliefweb.int/report/lebanon/je-veux-un-endroit-s-r-les-r-fugi-es-de-syrie-d-racin-es-et-sans-protection-au-liban">défi majeur au plan de réponse de la communauté internationale et de l’Union européenne</a>.</p>
<p>Face aux difficultés liées à la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/01/au-liban-les-refugies-dans-le-collimateur-du-ministere-du-travail_5495519_3210.html">régularisation de leur situation</a>, le taux de réfugiés doté d’un statut légal <a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/73118.pdf">a continué de baisser</a> passant de 27 % en 2018 à 22 % en 2019. Leur vulnérabilité est d’autant plus grande que les <a href="https://www.euromed-france.org/temoignage-situation-refugies-syriens-liban-lextr%C3%AAme-vulnerabilite-femmes-enfants/">femmes et les enfants représentent</a> 81 % des réfugiés syriens au Liban.</p>
<p>Précédant la catastrophe du 4 août, la 4<sup>e</sup> <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/international-ministerial-meetings/2020/06/30/">« conférence de Bruxelles »</a> s’est tenue le 29 juin 2020 sous l’égide de l’UE et des Nations unies. Loin des questions liées à la reconstruction de la Syrie, elle s’inscrit dans la lignée des conférences humanitaires en rappelant l’urgence des besoins, promettant 2,3 milliards d’euros pour la période 2020-2021. Le Haut-Commissaire de l’UNHCR <a href="https://europa.eu/!kU96jk">Filippo Grandi</a> a souligné les conséquences de la récession économique sans précédent sur les conditions de vie des réfugiés dans les principaux pays d’accueil (Turquie, Liban, Jordanie, Irak).</p>
<p>Dans un Liban qualifié de pays emblématique de l’urgence humanitaire au Moyen-Orient, cette dégradation des indicateurs questionne l’avenir de la politique poursuivie jusqu’à présent, en particulier par l’UE. En juin 2020, le taux de la population libanaise vivant <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/26/le-liban-un-pays-en-banqueroute_6044321_3210.html">sous le seuil de pauvreté</a> est estimé à 45 % et 75 % des réfugiés syriens au Liban vivent désormais <a href="https://www.unhcr.org/news/stories/2020/8/5f45190d4">sous le seuil d’extrême pauvreté</a>.</p>
<h2>Une réorientation de l’effort de solidarité internationale</h2>
<p>Au Liban, l’Union européenne mène de front différentes négociations. La question des réfugiés, en tête de l’agenda politique en 2016, est désormais au second plan derrière celle de la mise en place de réformes économiques conditionnant les soutiens financiers promis par les bailleurs de fonds européens et internationaux. Lancée en 2018 sous l’égide de la France, la conférence internationale <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/liban/evenements/article/liban-conference-cedre-6-04-2018">C.E.D.RE</a> vise à soutenir le développement et le renforcement de l’économie libanaise à travers des réformes profondes qui <a href="https://orientxxi.info/magazine/once-again-lebanon-is-on-a-financial-tightrope,3224">se font encore attendre</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jean‑Yves Le Drian et le président du conseil des ministres libanais, M. Saad Hariri (CEDRE).</span></figcaption>
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<p>À la suite de la plus grande explosion de l’histoire du Liban le 4 août 2020, la solidarité internationale s’est mobilisée <a href="https://www.fr24news.com/fr/a/2020/08/macron-a-declare-a-la-conference-des-donateurs-au-liban-nous-devons-agir-rapidement.html">sous l’impulsion de la France</a> pour répondre aux besoins humanitaires des populations mais également pour rappeler l’urgence de ces plans de réformes.</p>
<h2>La résilience des réfugiés syriens en question</h2>
<p>Après une décennie de conflit, la réponse humanitaire internationale à la crise syrienne rend compte d’une certaine <a href="https://www.nytimes.com/2020/06/30/world/europe/syria-aid-refugees-united-nations.html"><em>fatigue de l’aide</em></a>. Au niveau européen, la pérennité des différents programmes d’aide reste également tributaire du <a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/eu-budget/long-term-eu-budget/2021-2027_en">nouveau budget pluriannuel 2021-2027</a> dont l’adoption a été retardée par la nécessaire prise en compte des défis intra-européens liés notamment à la pandémie de Covid-19. Premier bailleur de fonds international en réponse à la crise syrienne au Moyen-Orient, l’UE a alloué pour le seul cas du Liban 1,7 milliard d’euros dont <a href="https://ec.europa.eu/echo/where/middle-east/lebanon_fr">580 millions d’aide humanitaire</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1306684348867936258"}"></div></p>
<p>La « Résilience » est devenue l’un des maîtres mots de la politique étrangère de l’UE. Elle est définie dans la <a href="http://eeas.europa.eu/archives/docs/top_stories/pdf/eugs_review_web.pdf">nouvelle Stratégie globale de 2016</a> comme la capacité des États et des sociétés à se réformer eux-mêmes, en résistant et en se relevant des crises internes et externes. Né <a href="http://pure.iiasa.ac.at/id/eprint/26/1/RP-73-003.pdf">dans le courant de l’écologie politique et des crises écologiques</a> dans les années 1970, le concept renvoie à la capacité des systèmes à recouvrer leur état initial après un choc. Cette politique, parfaitement illustrée par la position française de <a href="https://www.lci.fr/international/liban-emmanuel-macron-de-retour-a-beyrouth-mardi-1er-septembre-2020-2163310.html">« l’exigence sans l’ingérence »</a>, gouverne désormais <a href="https://www.routledge.com/Resilience-The-Governance-of-Complexity/Chandler/p/book/9780415741408">l’action extérieure de l’ensemble de la communauté internationale</a> et marque une certaine rupture avec le modèle interventionniste des années 1990-2000. En réponse à la crise syrienne, elle est incarnée à la fois par la mise en place en 2014 d’un <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/fonds-madad-pour-la-syrie.html">fonds européen exceptionnel dit « MADAD »</a> et par le lancement du plan « 3RP » (<a href="http://www.3rpsyriacrisis.org">Regional Refugee & Re-silience Plan</a>) des Nations unies.</p>
<h2>Une génération sacrifiée pour construire la Syrie de demain ?</h2>
<p>La <a href="https://www.nolostgeneration.org/">réponse</a> aux besoins des réfugiés à travers leur intégration au secteur éducatif public a constitué l’un des axes de la politique de construction de la résilience du Liban. Le soutien extérieur au renforcement des systèmes nationaux existants doit permettre à l’État hôte de répondre aux besoins des populations les plus vulnérables. Près de 346 millions d’euros <a href="https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/sites/near/files/eu-support-to-lebanon-factsheet.pdf">ont été alloué par l’UE</a> au secteur éducatif et de la protection de l’enfance, dont une majeure partie au pilier dit « de l’accès » à l’éducation.</p>
<p>Mais dans la conjoncture actuelle, la fragilité des programmes d’aide s’accroît dangereusement, en particulier celle du programme d’envergure national <a href="http://racepmulebanon.com/index.php/features-mainmenu-47/race2-article">RACE</a>. lancé en 2014. Malgré les progrès avancés par l’État libanais et la communauté internationale, le constat reste alarmant puisqu’on estime qu’après quatre ans d’efforts <a href="https://data2.unhcr.org/en/documents/download/67380">46 % des enfants syriens</a> ne sont pas scolarisés au Liban. Alors que le secteur public accueille 30 % des libanais les plus vulnérables et que ses <a href="https://www.researchgate.net/publication/324744292_Who_shapes_education_reform_policies_in_Lebanon">multiples fragilités</a> préexistaient à l’arrivée des réfugiés syriens. La destruction de nombreuses écoles causée par les explosions du 4 août accélère la <a href="https://www.opendemocracy.net/en/north-africa-west-asia/how-generation-syrian-children-lebanon-were-robbed-their-education/">nécessité de repenser la réponse</a>.</p>
<p>Cette génération d’enfants déscolarisés est aussi celle qui devra reconstruire la Syrie. Force est de constater que l’intégration à travers l’accès aux services de base n’est <a href="https://data2.unhcr.org/en/documents/download/67380">pas une solution viable</a> mais que l’horizon du retour, invoqué par la <a href="https://orientxxi.info/magazine/liban-une-croisade-haineuse-contre-les-refugies-syriens-et-palestiniens,3228">classe politique libanaise</a> et consigné dans l’<a href="https://www.consilium.europa.eu/media/24224/st03001en16docx.pdf">accord UE-Liban</a> de 2016, <a href="https://www.crisisgroup.org/middle-east-north-africa/eastern-mediterranean/lebanon/211-easing-syrian-refugees-plight-lebanon">ne l’est pas non plus</a>. Face à ce discours diffusé par les élites, le mouvement de protestation populaire du 17 octobre 2019, rassemblant des milliers de Libanais à travers tout le pays et transcendant les divisions confessionnelles pour demander le changement profond d’un système à bout de souffle, s’est cependant distingué en <a href="https://wrmcouncil.org/events/crisis-in-lebanon/">faisant spontanément preuve de solidarité</a> avec les réfugiés syriens.</p>
<p>Construire la résilience des réfugiés pose le défi de les mettre effectivement en capacité de subvenir à leurs besoins. Au-delà, le bilan des politiques d’aide mises en œuvre rappelle également l’urgence de leur fournir des <a href="https://www.unhcr.org/protection.html">droits et une protection</a>, afin d’éviter de leur confier la responsabilité de leur propre exil.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146617/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lyla André a reçu des financements du Fonds pour la Recherche en Sciences Humaines (FRESH) du FNRS. </span></em></p>Le sort du million de réfugiés syriens au Liban reste incertain alors que le pays connaît une crise économique, politique et sociale sans précédent. Quelle réponse de la communauté internationale ?Lyla André, Doctorante en Relations internationales, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1342672020-03-23T18:45:12Z2020-03-23T18:45:12ZSchengen à l’épreuve du coronavirus<p>Dans son remarquable ouvrage <a href="https://www.fayard.fr/histoire/la-peur-en-occident-9782213005560"><em>La peur en Occident</em></a>, l’historien Jean Delumeau avait identifié, parmi les craintes structurant les comportements collectifs, celle de l’invasion et celle de la maladie. En l’espace de moins de cinq années, l’Europe s’est trouvée confrontée à ces deux peurs. Le parallèle entre les deux dangers – parlons ici des perceptions – est particulièrement saisissant.</p>
<h2>Crise des migrants et crise sanitaire : deux phénomènes rapides et de grande ampleur</h2>
<p>Il s’agit en premier lieu de la gravité et de l’ampleur du phénomène. En 2015, l’Union européenne a dû gérer une entrée massive et non autorisée de ressortissants non européens. La crise était inédite. D’après l’agence européenne Frontex, plus d’1,8 million de franchissements ont été comptabilisés au cours de cette année-là. Quant à l’épidémie du Covid-19, il est pour l’heure difficile de la chiffrer, eu égard au caractère évolutif de la situation. Toutefois, elle est, de par son ampleur, considérée comme une crise sanitaire <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_conseil_scientifique_16_mars_2020.pdf">qualifiée de grave par le Conseil scientifique français</a>.</p>
<p>Il s’agit en deuxième lieu de la rapidité du phénomène enregistré et du décalage dans la réaction politique. Le Parlement européen avait d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme sur la crise migratoire annoncée dans une résolution approuvée dans le sillage de la <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/european-council/2015/04/23/">réunion extraordinaire</a> du Conseil européen du 23 avril 2015. Il avait souligné à ce propos le caractère préoccupant de la situation et son aggravation rapide dans un futur proche. Or la mise en ordre de bataille institutionnelle ne s’est véritablement opérée qu’en septembre 2015. De surcroît, l’Union ne s’est substantiellement mobilisée qu’après la réunion informelle des chefs d’État et de gouvernement des 23 septembre 2015. Il a fallu attendre mi-octobre pour observer une structuration de l’action publique autour de la mise en place de mesures à court et à moyen terme (par exemple l’accélération du déploiement des centres de gestion de crise, les <em>hotspots</em>, en Grèce et en Italie).</p>
<p>Le phénomène du Covid-19 présente, du moins au premier abord, des traits de caractère semblables : d’un côté, un passage du stade pré-épidémique à une forme pandémique en quelques semaines seulement et, de l’autre, une réaction politique tardive marquée par une réunion des chefs d’État et de gouvernement de l’UE le 17 mars 2020, sur demande d’ailleurs du président de la République, ceci alors même que l’Italie avait instauré un régime de « zone protégée » visant quinze millions d’habitants le 9 mars 2020.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/non-le-modele-italien-nest-pas-celui-du-confinement-total-133894">Non, le modèle italien n’est pas celui du confinement total</a>
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<h2>Quel rétablissement des frontières ?</h2>
<p>Le parallèle ne s’arrête pas là. Un autre constat est le mouvement désordonné de fermeture des frontières intérieures de l’espace Schengen, tant en 2015 qu’en 2020. Certes, le <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A32006R0562">code frontières Schengen</a>, qui régit le rétablissement des frontières intérieures, prévoit des hypothèses de réintroduction des contrôles et définit la « menace pour la santé publique » comme « toute maladie à potentiel épidémique telle que définie par le règlement sanitaire international de l’Organisation mondiale de la santé ». Néanmoins, le code ne prévoit pas en tant que tel le rétablissement des frontières pour ce motif.</p>
<p>Il reste que la Commission européenne, dans ses <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:OJ.CI.2020.086.01.0001.01.FRA&toc=OJ:C:2020:086I:TOC">lignes directrices</a> publiées le 16 mars 2020, accepte une interprétation sous l’angle de la santé publique, tout en rappelant l’importance, pour les États membres, de n’appliquer aucune mesure de nature à mettre en péril l’intégrité du marché unique des biens, notamment quant aux chaînes d’approvisionnement. Or la fermeture désordonnée et unilatérale des frontières intérieures à l’espace Schengen, c’est-à-dire sans concertation, est en contradiction avec l’interprétation – au demeurant souple – du Code. Là encore, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures en cascade et en ordre dispersé rappelle ceux de 2015, en violation des dispositions du Code révisé à l’issue de la crise migratoire de 2011.</p>
<h2>Sous-utilisation des moyens existants</h2>
<p>Mais il y a plus grave, et c’est encore un point de convergence supplémentaire entre les deux événements. Il s’agit de la sous-utilisation des instruments européens existants. En 2015, les États membres confrontés à l’afflux de migrants n’ont fait appel que tardivement aux outils européens, notamment en matière de protection civile. En 2020, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), qui constitue la structure européenne chargée d’assurer la détection précoce des menaces épidémiques émergentes pour l’UE, n’était pas suffisamment alimenté en données sanitaires par les États membres.</p>
<p>Cette attitude témoigne de la prévalence de la réponse individuelle et non coordonnée apportée par les États membres face à l’urgence sanitaire. L’Italie a déploré le refus de la France et de l’Allemagne concernant l’envoi de masques et a <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/03/14/covid-19-la-discrete-bataille-des-masques-entre-la-france-l-allemagne-et-l-italie_6033075_3234.html">dénoncé l’inertie des institutions européennes sur ce manque de solidarité</a>.</p>
<p>Là encore, l’histoire semble bégayer, puisque le recloisonnement de l’espace Schengen est le symptôme d’une gestion individuelle de la crise. En 2015, les États situés en aval de la route migratoire des Balkans, tour à tour la Macédoine du Nord, la Serbie et la Hongrie, laissaient les flux de migrants transiter sur leur territoire, abandonnant aux États situés en amont – par effet de vase communicants la Serbie, la Hongrie et l’Autriche, la responsabilité de régler la question migratoire. C’est ce que la Commission européenne avait qualifié de <a href="http://securiteinterieurefr.blogspot.com/2016/03/schengen-mettre-enfin-un-terme-la.html">politique du « laisser passer »</a>. En retour, ces États situés en aval des flux introduisaient des contrôles hermétiques de manière à bloquer ceux-ci en amont de leur frontière sud. Cette absence de coordination (initiale, car la fermeture de cette route s’est opérée par la suite en concertation) générait un goulot d’étranglement à la lisère de la frontière (le blocage le plus spectaculaire étant celui de la frontière hongroise), à charge pour l’État en amont (la Serbie dans l’exemple de la frontière hongroise) de gérer l’afflux massif de migrants à une portion de sa frontière nord.</p>
<h2>Quelle répartition des compétences entre l’UE et les États membres ?</h2>
<p>Cette absence de solidarité est aggravée par le fait que les politiques migratoires (au sens d’entrée et de séjour supérieur à trois mois) sont de la compétence individuelle des États membres au regard du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE). Or les États membres n’ont pas fait les mêmes choix. Ainsi, l’Allemagne avait, pour un temps du moins, opté en faveur d’une politique accueillante. En contraste, les pays du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) se montraient hostiles à toute forme d’admission des migrants.</p>
<p>De nouveau, un parallèle peut être fait avec la situation actuelle, puisque les compétences en matière de santé relèvent, au vu des dispositions du TFUE, avant tout des États membres. Autrement dit, ceux-ci conservent la <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/covid-19-ce-que-l-union-europeenne-peut-et-ne-peut-pas-faire.html">mainmise</a> sur les choix dans la réponse à apporter à la crise du Covid-19, l’Union ne pouvant leur imposer une option spécifique. Bien qu’il semble y avoir une certaine convergence de la gestion de la crise, il faut néanmoins relever une permanence d’approche différenciée entre États membres, les <a href="https://www.touteleurope.eu/revue-de-presse/revue-de-presse-covid-19-malgre-des-mesures-sanitaires-divergentes-l-union-europeenne-tente-un.html">Pays-Bas et la Suède</a> ayant opté en faveur de choix sanitaires distincts, au risque de mettre à mal les efforts menés par leurs partenaires.</p>
<p>Va-t-on dès lors vers une crise institutionnelle de même ampleur que celle de 2015 ? Il semble que non. Si la crise sanitaire est indéniable, il apparaît que l’Union a tiré les leçons de la crise migratoire. Il importe de relever, en effet, que le processus de structuration de la réponse de l’Union est plus rapide. En témoignent les mesures identifiées par le <a href="https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-6038-2020-INIT/fr/pdf">Conseil réunissant les ministres de la Santé le 13 mars 2020</a>, de même que les lignes directrices de la Commission adoptées le 16 mars, qui visent d’une part à protéger la santé publique en déployant un éventail de mesures sanitaires et, d’autre part, à renforcer les frontières extérieures en appliquant une restriction temporaire des déplacements à destination de l’UE <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:OJ.CI.2020.086.01.0001.01.FRA&toc=OJ:C:2020:086I:TOC">pour une période de 30 jours</a>. Cette limitation fait d’ailleurs partie des cinq priorités identifiées par le Conseil européen du 17 mars.</p>
<h2>Une réaction relativement rapide</h2>
<p>Le recloisonnement de l’espace Schengen apparaît donc comme la répétition d’une approche désordonnée de l’urgence sanitaire. Pour autant – et c’est l’élément central –, la grande différence entre la gestion des crises de 2015 et de 2020 réside dans la temporalité. Si la coordination entre États membres se fait encore attendre, l’action européenne se met en place progressivement, même si, on l’a vu, l’Union aurait dû se montrer encore plus réactive (à l’image des États membres au demeurant). Il apparaît par conséquent erroné de croire que l’UE reste passive face à la propagation de l’épidémie, un tel recloisonnement de l’espace Schengen s’apparentant à un « sauve-qui-peut » national.</p>
<p>Il convient de citer parmi les mesures prises (la liste n’étant pas exhaustive, puisqu’elles se renforcent au fil du temps) :</p>
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<li><p>la mobilisation du programme européen de recherche Horizon Europe ;</p></li>
<li><p>la montée en puissance du mécanisme d’échange d’information en cas de crise <a href="https://www.consilium.europa.eu/en/meetings/jha/2020/03/13/">(dispositif dit IPCR)</a> ;</p></li>
<li><p>le déblocage par la Commission européenne de 37 milliards d’euros pour soutenir l’économie ;</p></li>
<li><p>l’adoption par la BCE d’un vaste plan d’urgence dénommé « programme d’achat urgence pandémique » (ou PEPP) ;</p></li>
<li><p>la création d’une réserve stratégique de matériel médical (masques et ventilateurs) dans le cadre du dispositif européen de sécurité civile <a href="https://ec.europa.eu/echo/what/civil-protection/resceu_fr">rescEU</a> ;</p></li>
<li><p>l’activation du Mécanisme européen de protection civile pour aider au rapatriement des citoyens européens à l’extérieur de l’UE.</p></li>
</ul>
<p>Il faut surtout noter que cette réponse tend à s’organiser rapidement, ceci alors même que le cœur des compétences, non seulement en matière de santé, mais aussi en matière économique ou sécuritaire (au sens de la police de sécurité publique), reste national.</p>
<p>Pour conclure, les <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/03/18/charles-michel-cette-crise-va-nous-obliger-a-changer-nos-paradigmes-economiques-et-sociaux_1782261">propos</a> pertinents du président du président du Conseil européen, Charles Michel, méritent d’être révélés car la priorité demeure, en tout état de cause, l’urgence sanitaire :</p>
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<p>« Le débat n’est pas institutionnel : quand la maison brûle, on ne s’occupe pas de la facture d’eau ! On doit travailler avec les moyens existants pour sauver des vies et limiter l’impact économique et social de la crise. À l’avenir, il sera sans doute nécessaire de tirer les leçons institutionnelles de cette crise. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/134267/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Berthelet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quel parallèle peut-on tracer entre la gestion par les pays de l’espace Schengen de la crise des migrants en 2015 et leur réaction à l’actuelle épidémie sanitaire ?Pierre Berthelet, Docteur en droit (UE) & chercheur associé à l'Univ. Grenoble-Alpes (CESICE) & univ. Aix-Marseille (CERIC), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1325512020-03-01T16:53:58Z2020-03-01T16:53:58ZComprendre la politique d’accueil turque à l’égard des réfugiés syriens<p>En mars 2016, la Turquie et l’Union européenne signaient un <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/que-contient-l-accord-ue-turquie-sur-les-migrants.html">accord pour mettre fin aux traversées migratoires de la Turquie vers l’Europe</a>. Responsable depuis cette date du gardiennage des frontières européennes, le gouvernement turc, et à sa tête le président Recep Tayyip Erdogan, menace régulièrement les Européens d’ouvrir le « robinet migratoire ». Vendredi 28 février, la <a href="https://www.aljazeera.com/news/2020/02/turkish-soldiers-killed-air-raid-syria-idlib-200227211119672.html">mort de 33 soldats turcs</a> suite à des opérations aériennes du régime syrien marque un sérieux revers à la fois militaire et politique pour Ankara qui réclame le soutien de l'UE et de l'Otan. Pour mettre la pression sur les Occidentaux, les autorités d'Ankara viennent de conduire, ce week-end, plusieurs dizaines de milliers de réfugiés aux frontières grecque et bulgare. Un bras de fer s’engage autour de la question des réfugiés, complètement instrumentalisée par la politique turque. </p>
<p>Comment en est-on arrivé là ? Quels sont les ressorts de la politique turque sur ce dossier ?</p>
<h2>Comment la Turquie est devenue la première terre d’accueil au monde ?</h2>
<p>Début 2011, un vent de manifestations souffle en Syrie. De nombreux chercheurs et experts de la région <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Pas_de_printemps_pour_la_Syrie-9782707177759.html">analysent</a> alors ces mouvements dans la continuité des printemps arabes. Le gouvernement baasiste les perçoit-il comme des révoltes susceptibles de le renverser ? Ce qui est sûr, c’est que la <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/09/15/syrie-six-mois-de-revolte-et-de-repression_1572834_3218.html">répression est brutale</a>.</p>
<p>Dès le mois d’octobre, l’<a href="https://www.lemonde.fr/blog/syrie/2011/10/17/que-sait-on-de-l%E2%80%99armee-syrienne-libre/">Armée syrienne libre</a> se constitue. En lutte contre les forces du régime, elle prend le contrôle d’une partie du nord-ouest du pays. Ankara, pourtant engagée dans une politique de rapprochement avec Damas, <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2012-3-page-93.htm">se positionne contre son alliée</a>, soutient les rebelles et mène une politique qualifiée de <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2016-4-page-87.htm">« porte ouverte »</a> à l’égard des réfugiés venus de Syrie. Le gain potentiel est de taille pour la Turquie : en cas de chute du régime syrien, elle bénéficierait de la reconnaissance du nouveau pouvoir en place et d’un statut d’acteur humanitaire de premier plan. C’est sans compter avec les puissants alliés de Damas et l’<a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00841955/file/Syrie_Guerre_civile_et_internationalisation_du_conflit_2_.pdf">internationalisation du conflit</a> qui va l’inscrire dans la durée.</p>
<p>Dès 2013, plus de 200 000 Syriens ont trouvé refuge en Turquie ; ils seront 2,5 millions en 2015 et 3,6 millions en 2020. À partir de 2014, ces arrivées font de la Turquie le <a href="https://www.unhcr.org/56655f4e0.pdf">premier pays d’accueil au monde pour les réfugiés devant le Pakistan</a>. Ces statistiques issues des services migratoires turcs sont à prendre avec des pincettes, mais l’importante présence syrienne sur le territoire turc est indéniable.</p>
<p>À proprement parler, les Syriens ne sont pas des réfugiés, tel que l’entend la <a href="https://www.unhcr.org/fr/convention-1951-relative-statut-refugies.html">Convention de Genève de 1951</a>. Ils bénéficient d’un statut de « protection temporaire » qui leur donne accès gratuitement aux différents services d’État – hôpitaux, système éducatif… – et au marché du travail. Dans les faits, la situation est plus nuancée, nombre de Syriens travaillant de façon informelle et <a href="http://www.gam.gov.tr/files/5-2.pdf">dans des conditions parfois jugées indignes</a>.</p>
<h2>Au-delà de l’accueil, une politique d’intégration</h2>
<p>Depuis 2011, une faible proportion de Syriens choisit de s’installer dans les camps de réfugiés ouverts par le gouvernement, préférant les grandes villes du pays et leurs périphéries : Istanbul et Izmir à l’ouest, en raison de l’attractivité économique qu’elles suscitent ; la province d’Hatay, Kilis, Gaziantep et Şanlıurfa au sud, pour leur proximité géographique avec la Syrie.</p>
<p>Le facteur local joue un rôle important dans les conditions d’accueil. L’espace turc est vaste, d’une grande diversité ; aussi les situations diffèrent-elles fortement d’un endroit à un autre. À Kilis, ville située à la frontière turco-syrienne, la <a href="https://ahvalnews.com/refugees/kilis-police-take-arabic-lessons-migrants-exceed-local-population">population syrienne a dépassé en nombre la population turque</a>. Tout le contraire d’Antakya, située également à la frontière, où les Syriens sont globalement absents et installés dans des villes périphériques plus modestes. À Gaziantep, important pôle économique régional, les Syriens sont particulièrement visibles et participent au dynamisme économique de la ville. Dans les rues de Gaziantep, l’arabe est devenu aussi courant que le turc. À Izmir, les Syriens sont particulièrement rassemblés dans le district de Basmane, jusque-là peuplé majoritairement de Kurdes.</p>
<p>Balayeurs de rue, collecteurs de déchets, travailleurs saisonniers, employés, cadres et chefs d’entreprise, commerçants, restaurateurs, étudiants… À l’exception de la fonction publique nécessitant la nationalité turque, les Syriens sont présents dans les différentes couches de la société. En 2018, plus de 50 000 Syriens (le nombre a depuis augmenté) au profil d’ingénieurs, de médecins, d’entrepreneurs, parlant le turc et répondant à une liste de critères attestant de leur motivation à rester en Turquie, ont obtenu la nationalité turque. À noter que, au cours des entretiens pour l’obtention de la nationalité, il est par exemple demandé aux candidats s’ils ont pour projet de quitter le pays et, aux hommes célibataires, s’ils aimeraient épouser une femme turque.</p>
<p>Du côté de la population, la présence syrienne est perçue de manière de <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/growing-anti-syrian-sentiment-in-turkey">plus en plus mitigée</a>. Depuis 2016, le pays est victime d’une importante <a href="https://orientxxi.info/magazine/turquie-une-economie-ballotee,3105">crise économique</a> et traversé par de profonds <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-economie-turque-malmenee-par-l-instabilite-politique-18-06-2019-2319455_24.php">remous politiques</a>. La présence syrienne fait l’objet de tensions de plus en plus vives, la société turque n’échappant pas à ce réflexe universel qui consiste à désigner l’étranger comme responsable de tous les maux.</p>
<h2>L’imbrication de l’humanitaire et du militaire</h2>
<p>Le 9 octobre 2019, le lancement de l’<a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Dans-le-contexte-de-l-operation-militaire-turque-Source-de-paix-retour-sur-les.html">opération militaire « Source de paix »</a>, en réaction au départ des troupes américaines dans le nord-est syrien, interroge. Le pouvoir turc annonce vouloir instaurer un <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2019/02/23/97001-20190223FILWWW00169-syrie-erdogan-veut-une-zone-de-securite-sous-controle-turc.php">bandeau de sécurité</a> où seraient réimplantés 2 millions de Syriens présents sur son sol. L’enjeu pour Ankara est de nature purement sécuritaire.</p>
<p>L’objectif affiché étant d’anéantir les YPG – groupe armé kurde de Syrie perçu par Ankara comme l’extension du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, un mouvement considéré par la Turquie, les <a href="https://www.state.gov/foreign-terrorist-organizations/">États-Unis</a> et l’<a href="https://www.irishtimes.com/news/eu-puts-kurdish-pkk-iran-rebels-on-terror-list-1.422013">Union européenne</a> comme terroriste) –, les Syriens seraient un moyen de noyer démographiquement cette zone de peuplement kurde. Mais ce plan est-il seulement réaliste ? Dans le nord-est, la situation est pour l’instant figée. La ville de Kobané est toujours entre les mains des Kurdes. Dans l’ouest, en revanche, les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/syrie-environ-70-combattants-tues-dans-de-violents-affrontements-a-idleb-01-12-2019-2350660_24.php">violents affrontements pour le contrôle d’Idlib</a> opposant les Turcs et l’armée nationale syrienne d’un côté aux forces loyalistes du régime syrien et russes de l’autre a provoqué l’exode de 900 000 personnes aux portes de la frontière turque. L’ONU réclame un cessez-le-feu et l’installation d’un couloir humanitaire en réaction à la <a href="https://news.un.org/en/story/2020/02/1057551">plus grave crise depuis le début du conflit syrien</a>.</p>
<p>Depuis 2011, la politique d’accueil turque développée à l’égard des réfugiés originaires de Syrie est indéniablement l’une des plus élaborées dans le domaine. Les Nations unies n’ont par ailleurs pas manqué de saluer le volontarisme turc au cours des grands rassemblements humanitaires qui se sont tenus ces dernières années. Mais les derniers événements interrogent quant à la manière dont Ankara pourrait « utiliser » les réfugiés dans sa gestion des conflits en cours et montrent toute l’ambiguïté de sa politique humanitaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132551/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adrian Foucher a bénéficié d'un contrat doctoral de la part du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche et est membre du collectif de chercheur.e.s Noria.
Cet article a bénéficié de l'aide financière du Migration Media Award, prix journalistique récompensant des travaux dans le domaine des migrations, financé par l'Union européenne.
Cet article ne reflète que le point de vu de son auteur.</span></em></p>La Turquie est aujourd’hui la première terre d’accueil au monde : elle héberge sur son territoire des millions de Syriens ayant fui la guerre civile. Une politique qui n’est pas dénuée d’ambiguïtés.Adrian Foucher, Doctorant en géographie, membre de l'équipe Monde arabe et Méditerranée, UMR Citeres et membre de l'axe Migration et Mobilité de l'Institut français d'études anatoliennes à Istanbul, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1283612019-12-09T19:43:03Z2019-12-09T19:43:03ZVenezuela : bientôt la première crise migratoire mondiale<p><a href="https://r4v.info/es/situations/platform">4,6 millions de Vénézuéliens</a>, soit plus de 15 % de la population, ont quitté leur pays au cours de ces dernières années, un phénomène ancien qui augmente de manière exponentielle depuis 2017. En ampleur numérique, il s’agit du quatrième phénomène au niveau mondial, derrière les théâtres d’intervention étasuniens de ces dernières décennies (Syrie, Irak et Afghanistan), mais du premier en dehors des pays en guerre.</p>
<p>Cet exode s’accentue. Selon l’envoyé spécial de l’ONU sur les migrations vénézuéliennes, Eduardo Stein, ils seront <a href="https://www.unhcr.org/fr/news/press/2019/11/5dcc50fda/refugies-migrants-venezueliens-lancement-dun-plan-regional-daide-135-milliard.html">6,5 millions</a> dès l’année prochaine à être partis, provoquant la principale crise migratoire de la planète.</p>
<p>La population vénézuélienne est aujourd’hui disséminée dans plus de 90 pays dans le monde. 80 % des Vénézuéliens qui ont quitté leur pays se trouvent en Amérique latine : plus de 1,4 million dans la Colombie voisine, 0,9 million au Pérou à plusieurs milliers kilomètres du Venezuela, 0,4 million en Équateur et autant au Chili… Les Vénézuéliens sont donc sans surprise les plus nombreux à mourir sur les routes migratoires latino-américaines. Sur le premier semestre 2019, 89 d’entre eux ont ainsi perdu la vie en mer des Caraïbes, et 17 autres étaient morts d’hypothermie ou d’arrêt respiratoire en septembre 2018, en essayant de traverser le Páramo de Berlin, une zone de haute montagne à la frontière colombienne.</p>
<p>Ces chiffres apparaissent infinitésimaux au regard des tragédies que nous connaissons en Méditerranée, pour des raisons géographiques simples : la migration vénézuélienne s’opère essentiellement par voie terrestre. Mais les risques seront accrus si le phénomène, comme prévu, continue de prendre de l’ampleur.</p>
<h2>Une émigration à l’ampleur nouvelle</h2>
<p>Pour le Venezuela, cette émigration massive est d’autant plus déstabilisante que le pays était traditionnellement une terre d’accueil, pour les Latino-américains et pour les Européens fuyant les régimes autoritaires ou attirés par son abondance pétrolière. Le 18 février 1983, le <em>Viernes Negro</em> (vendredi noir), jour de la première dévaluation de la monnaie nationale, le bolívar, est le début d’une crise économique aiguë. Celle-ci se double d’une crise politique jusqu’à l’arrivée d’Hugo Chávez au pouvoir en 1999, qui inverse peu à peu les flux migratoires.</p>
<p>Sous Hugo Chávez, ce sont principalement les classes possédantes qui fuient le pays, en invoquant l’insécurité physique et les incertitudes politiques plus que des motifs économiques. Après l’accession à la présidence en 2013 de Nicolás Maduro, on constate une généralisation du phénomène, qui touche désormais tous les secteurs de la société, des plus aisés aux plus déshérités.</p>
<p>Des chercheurs qui ont étudié un échantillon de 12 957 migrants vénézuéliens à destination <a href="https://www.cpalsocial.org/documentos/830.pdf">du Pérou, de l’Équateur, de la Colombie et du Chili</a>, ont mis au jour les principales caractéristiques de ces émigrés. La majorité d’entre eux a moins de trente ans et leur motivation est principalement économique. 8 migrants sur 10 évoquent la recherche de meilleures opportunités de travail, et plus de 70 % d’entre eux souhaitent aider économiquement un proche.</p>
<p>L’invocation de causes politiques est plus rare. La moitié mentionne un manque d’accès à l’emploi, au logement ou à la retraite pour des raisons politiques et autour de 10 % évoquent des persécutions politiques à proprement parler. Pour les autres, l’émigration est purement économique.</p>
<h2>Un président aveuglé</h2>
<p>La réaction du gouvernement de Nicolás Maduro à cette crise peut être résumée en trois aspects : le mépris, l’euphémisation et la volonté de rapatriement. Le mépris se manifeste dans des phrases récurrentes des principaux responsables de l’exécutif vénézuélien, notamment du chef de l’État en personne <a href="https://www.youtube.com/watch?v=F9tkFDq-J_8">qui a notamment accusé les migrants vénézuéliens</a> d’être abusé par « l’offre fausse de la droite », assurant qu’ils partent pour « profiter des miels d’autres pays et terminent en récurant les toilettes, comme esclaves et mendiants ».</p>
<p>L’euphémisation peut être constatée dans l’une des rares estimations de Nicolás Maduro lors d’un entretien télévisé <a href="https://www.dailymotion.com/video/x71s5q5">début février 2019</a>, où il évalue l’émigration à entre 0,6 et 0,8 million de personnes. La volonté de rapatriement s’incarne dans la mise en place du plan « Vuelta a la patria » (retour à la patrie). Selon les données du gouvernement, 15 946 Vénézuéliens en auraient bénéficié, soit 0,3 % du total des migrations. Or le rythme de l’émigration est actuellement estimé à 5 000 partants par jour, c’est-à-dire que le solde migratoire du plan « Vuelta a la patria » est atteint en seulement trois jours.</p>
<p>Initialement, les migrants ont reçu dans les pays latino-américains voisins un accueil plutôt favorable, fidèle à la <a href="https://www.unhcr.org/fr/about-us/background/4b14f4a5e/declaration-carthagene-refugies-adoptee-colloque-protection-internationale.html">Déclaration de Carthagène</a> de 1984. Contrairement au Vieux Continent, on n’a pas vu émerger de forces politiques capitalisant électoralement sur la xénophobie ressentie par les locaux à l’égard de ces populations fraîchement arrivées. Aux élections municipales de Lima, le candidat Ricardo Belmont a expérimenté ce positionnement et l’a payé par une cuisante défaite, n’obtenant que 3,9 % des suffrages exprimés. Au Brésil, la campagne présidentielle victorieuse du dirigeant d’extrême droite Jair Bolsonaro s’est davantage fondée sur la lutte contre l’insécurité et la corruption que sur le rejet des migrants vénézuéliens.</p>
<h2>Des discriminations en hausse</h2>
<p>Si l’accueil initial apparaissait plus humaniste que le rejet constaté en Europe, on assiste depuis quelques mois à une tendance à la fermeture des frontières, principalement <a href="https://theconversation.com/comment-le-perou-a-ferme-la-porte-aux-migrants-venezueliens-126321">au Chili, en Équateur et au Pérou</a>, condamnant des milliers de Vénézuéliens à se déplacer dans l’illégalité.</p>
<p>Si la xénophobie ne s’exprime pas pour l’heure électoralement, les discriminations visant les « venecos » (surnom péjoratif attribué aux Vénézuéliens) se multiplient. On peut ainsi citer l’attaque en août 2018 d’un camp de migrants vénézuéliens à Pacaraima, à la frontière brésilienne, ou le vote sur l’expulsion des Vénézuéliens sous deux mois dans le district de Pichari au Pérou en octobre 2019. Des responsables politiques ont également tenu des propos inquiétants : Esther Saavedera, parlementaire péruvienne du parti fujimoriste (partisans de l’ancien autocrate Alberto Fujimori), <a href="https://www.youtube.com/watch?v=K1zzSsPWoAo">a déclaré en septembre 2019</a> : « Bons ou mauvais, ils doivent partir du Pérou ! » Le président équatorien Lenin Moreno <a href="https://www.elcomercio.com/actualidad/moreno-brigadas-control-venezolanos-ecuador.html">a quant à lui appelé</a> à « la formation immédiate de brigades pour contrôler la situation légale des immigrants vénézuéliens » quelques heures après un assassinat commis par un Vénézuélien en janvier 2019.</p>
<p>Au-delà de ces faits isolés, les entretiens du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés indiquent en octobre 2019, que <a href="https://apnews.com/9a87709dd6794ebb975bf770bc83f10e">46,9 % des Vénézuéliens se sont sentis discriminés à travers l’Amérique latine, contre 36,9 % au début de l’année</a>.</p>
<p>Aux États-Unis également, le sort des Vénézuéliens est un enjeu de discorde. Les sanctions économiques imposées depuis 2017 asphyxient encore davantage l’économie du pays. À l’instar de ce qui est imposé à l’égard de Cuba, ces mesures limitant le commerce sont généralement conjuguées à des facilités migratoires. Le statut de protection spéciale (<em>temporary protected status</em>, TPS) concède ainsi des permis de séjour de manière extraordinaire aux citoyens de nations affectées par des conflits ou des désastres naturels.</p>
<p>Une loi étendant ce dispositif aux Vénézuéliens a été votée en juillet 2019 par la Chambre des Représentants à majorité démocrate mais <a href="https://www.miamiherald.com/news/local/news-columns-blogs/andres-oppenheimer/article235948032.html">se heurte à l’opposition des républicains et de Donald Trump</a>, qui refusent toute concession sur la thématique de l’immigration si chère à leur électorat. L’ensemble des principaux candidats à la primaire démocrate se sont affirmés favorables à l’octroi du TPS aux Vénézuéliens, sujet qui ne manquera pas de devenir un enjeu de la prochaine élection présidentielle de 2020.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128361/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Posado est membre du Conseil d’Administration du Groupe d’Etudes Interdisciplinaires sur le Venezuela (GEIVEN), association loi 1901 rassemblant des chercheurs travaillant sur le Venezuela. </span></em></p>Depuis le début de la crise, le pays connaît un véritable exode, dont les raisons sont principalement économiques.Thomas Posado, Chargé de cours, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1135022019-03-18T19:33:35Z2019-03-18T19:33:35ZL’immigration représente-t-elle une menace pour les salaires et l’emploi ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/263658/original/file-20190313-123528-5rvofn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C8%2C995%2C657&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le cas de l'Europe entre 2014 et 2016 a permis d'enrichir les connaissances des conséquences économiques des migrations (photo prise en Slovénie en 2015).</span> <span class="attribution"><span class="source">Janossy Gergely/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/263632/original/file-20190313-123551-16gwazq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/263632/original/file-20190313-123551-16gwazq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/263632/original/file-20190313-123551-16gwazq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/263632/original/file-20190313-123551-16gwazq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/263632/original/file-20190313-123551-16gwazq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/263632/original/file-20190313-123551-16gwazq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/263632/original/file-20190313-123551-16gwazq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié à l’occasion du <a href="http://www.printempsdeleco.fr">« Printemps de l’économie 2019 »</a>, qui se déroule du 18 au 21 mars à Paris, et dont The Conversation France est partenaire. Anthony Edo, économiste au CEPII, participe à la table ronde <a href="http://www.printempsdeleco.fr/jeudi-21-mars-mairie-du-3e">« Immigration et emploi »</a>.</em></p>
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<p>L’arrivée de centaines de milliers de réfugiés en Europe entre 2014 et 2016 <a href="http://www.cepii.fr/BLOG/bi/post.asp?IDcommunique=654">a ravivé l’intérêt des économistes</a> et du grand public pour la question des effets de l’immigration sur le marché du travail. Cette situation migratoire exceptionnelle a suscité de nouvelles analyses dont les résultats ont enrichi notre connaissance des conséquences économiques des migrations. Des réponses à la fois plus précises et plus documentées ont ainsi été apportées aux questions concernant les effets de l’entrée de nouveaux travailleurs, et plus généralement de l’immigration, sur les salaires, l’emploi et le chômage.</p>
<h2>Population et emploi : quel lien ?</h2>
<p>Pour penser les effets de l’immigration sur le marché du travail, l’approche la plus intuitive est de considérer la population immigrée comme homogène et d’appréhender l’immigration comme une simple hausse de la population. Dans le cas où l’économie d’un pays serait composée d’un nombre fixe d’emplois à partager entre ses membres, une telle hausse devrait se traduire par une concurrence accrue sur le marché du travail et par une baisse des salaires. Le graphique 1 trace les évolutions de la population en âge de travailler et en emploi sur près d’un siècle en France.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/263651/original/file-20190313-123534-d9a0lr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/263651/original/file-20190313-123534-d9a0lr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/263651/original/file-20190313-123534-d9a0lr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/263651/original/file-20190313-123534-d9a0lr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/263651/original/file-20190313-123534-d9a0lr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/263651/original/file-20190313-123534-d9a0lr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/263651/original/file-20190313-123534-d9a0lr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Notes : la population en âge de travailler mesure la quantité de travail potentiel disponible dans une économie. Pour neutraliser l’accroissement du nombre de lycéens et d’étudiants depuis les années 1960, ceux-ci sont exclus de la population en âge de travailler à partir de 1962.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cahen (1953), Nizard (1971), Insee, INED.</span></span>
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<p>Si l’économie était composée d’un nombre d’emplois fixe, le niveau d’emplois devrait être stable et déconnecté des évolutions de la population en âge de travailler. Or, la population en emploi est passée de 21,2 millions en 1921 à 18,9 millions en 1954 (soit une baisse de 11 %), pour atteindre son plus haut niveau en 2014 à plus de 25 millions (soit une hausse de 30 % par rapport à 1954). En outre, population en emploi et en âge de travailler ont tendance à varier dans le même sens et selon la même ampleur. De quoi infirmer l’idée que le volume d’emplois serait fixe et qu’un accroissement du potentiel de travail dans une économie conduirait nécessairement à une baisse de salaires et/ou à une hausse du chômage.</p>
<h2>En moyenne, des effets négligeables</h2>
<p>Qu’en est-il des effets de l’immigration ? L’analyse précédente suggère que les conséquences économiques d’une hausse de la population induite par l’immigration ne peuvent se réduire à un accroissement de la concurrence sur le marché du travail. L’arrivée de nouveaux travailleurs stimule aussi l’activité économique par l’accroissement de la taille de marché qu’elle induit et exerce, en retour, des effets positifs sur les salaires et l’emploi.</p>
<p>Pour analyser de manière rigoureuse les effets de l’immigration sur les salaires et l’emploi, l’approche empirique dominante consiste à exploiter l’inégale répartition des immigrés entre les régions d’un pays afin de comparer l’évolution des salaires et de l’emploi des régions à forte immigration à celles des régions à faible immigration ayant des caractéristiques comparables. La plupart des études concluent que l’immigration n’a pas d’incidence sur le salaire ou l’emploi moyens des natifs (Edo, <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/em/abstract.asp?NoDoc=9251">2016</a>, <a href="http://www.cepii.fr/BLOG/bi/post.asp?IDcommunique=549">2018</a>, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/joes.12300">2019</a>). En accord avec le graphique 1, ce résultat implique que l’immigration n’induit qu’un changement d’échelle : une augmentation proportionnelle de la population, de l’emploi et de la production sans incidence sur le niveau du salaire moyen.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/263660/original/file-20190313-123551-jt17w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/263660/original/file-20190313-123551-jt17w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/263660/original/file-20190313-123551-jt17w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/263660/original/file-20190313-123551-jt17w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/263660/original/file-20190313-123551-jt17w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/263660/original/file-20190313-123551-jt17w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/263660/original/file-20190313-123551-jt17w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un accroissement du nombre de travailleurs dans une économie ne conduit pas nécessairement à une baisse de salaires et/ou à une hausse du chômage.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Richard Thornton/Shutterstock</span></span>
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<p>Ces résultats ne sont cependant pas généralisables à l’ensemble des contextes migratoires car ils portent majoritairement sur des épisodes d’immigration traditionnelle où les flux sont plutôt modestes, stables et parfaitement anticipés. Lorsque l’arrivée de migrants est massive, soudaine et imprévue, les effets initiaux de l’immigration sur le marché du travail peuvent différer des effets de plus long terme. C’est ce qu’indique une série d’études récentes analysant les réactions des salaires et de l’emploi à des épisodes d’immigration exceptionnelle, comme ce fut le cas en France et au Portugal après le rapatriement des 600 000 Français d’Algérie en 1962 (<a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/wp/abstract.asp?NoDoc=10369">Edo, 2017</a>) et des 500 000 Portugais d’Angola et du Mozambique en 1974-75 (<a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0014292117301241">Mäkelä, 2017</a>), en Turquie après l’arrivée des réfugiés syriens en 2012 (<a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.p20161065">Tumen, 2016</a>) ou en Allemagne après l’entrée imprévue de travailleurs tchèques dans le sud-est du pays en 1992 (<a href="https://academic.oup.com/qje/article-abstract/132/1/435/2724541">Dustmann et coll., 2017</a>). Ces études montrent que ces afflux de population ont eu tendance à réduire les salaires et/ou les opportunités d’emploi des natifs dans les premières années suivant le choc migratoire. Celle sur les rapatriés d’Algérie prolonge l’analyse et montre toutefois que ces effets dépressifs de court terme disparaissent à l’horizon de 10 à 15 ans.</p>
<h2>Des effets différenciés selon les qualifications</h2>
<p>Si l’immigration traditionnelle, celle qui concerne des flux modestes, stables et anticipés, n’a pas d’effet sur le salaire moyen, elle peut affecter la distribution des salaires et induire des effets redistributifs. En modifiant la structure de qualification de la population, les nouveaux arrivants pourraient détériorer les conditions salariales des travailleurs qui leur sont substituts (qualification similaire) et améliorer celles des travailleurs qui leur sont complémentaires (qualification différente). Ainsi, un afflux de travailleurs non qualifiés pourrait réduire le salaire des travailleurs non qualifiés et accroître celui des qualifiés. C’est ce que souligne un <a href="https://www.nap.edu/catalog/23550/the-economic-and-fiscal-consequences-of-immigration">rapport de 2017</a> très documenté de l’Académie nationale des sciences américaine sur les conséquences économiques et fiscales de l’immigration aux États-Unis.</p>
<p>Dans la mesure où les États-Unis connaissent depuis les années 1990 une immigration majoritairement peu qualifiée, les travailleurs immigrés déjà installés et les travailleurs natifs les moins qualifiés ont été les plus vulnérables face à l’accroissement de la présence immigrée. Plus précisément, l’immigration a eu tendance à accroître les inégalités salariales entre travailleurs très qualifiés et faiblement qualifiés. Ce résultat fait écho à ceux de l’économiste américain George Borjas sur les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0019793917692945?journalCode=ilra">conséquences économiques de l’afflux de plus de 125 000 réfugiés cubains</a> dans la ville de Miami en 1980 : 60 % de ces réfugiés étant sans diplôme, leur arrivée sur le marché du travail américain a eu pour conséquence de réduire le salaire des travailleurs natifs non qualifiés par rapport à celui des qualifiés.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/263661/original/file-20190313-123528-r5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/263661/original/file-20190313-123528-r5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/263661/original/file-20190313-123528-r5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/263661/original/file-20190313-123528-r5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/263661/original/file-20190313-123528-r5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/263661/original/file-20190313-123528-r5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/263661/original/file-20190313-123528-r5lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Aux États-Unis, l’immigration a eu tendance à accroître les inégalités salariales entre travailleurs très qualifiés et faiblement qualifiés depuis les années 1990.</span>
<span class="attribution"><span class="source">TravelStrategy/Shutterstock</span></span>
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<p>Ces résultats contrastent toutefois avec ceux des études menées au <a href="https://academic.oup.com/jeea/article-abstract/5/4/663/2295689">Canada</a> et en <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/roie.12163">France</a> où l’immigration des dernières décennies a surtout augmenté le nombre relatif de travailleurs qualifiés (<a href="https://academic.oup.com/jeea/article-abstract/5/4/663/2295689">Aydemir et Borjas, 2007</a> ; <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/roie.12163">Edo et Toubal, 2015</a>). Dans ces deux cas, l’immigration a réduit le salaire des travailleurs qualifiés et augmenté celui des faiblement qualifiés. Elle a donc redistribué la richesse des travailleurs qualifiés vers les travailleurs moins qualifiés et contribué à réduire les inégalités salariales.</p>
<p>L’ensemble de ces résultats montre toute l’importance de la structure de qualification des immigrés dans la détermination de leurs effets sur le marché du travail. Si les effets moyens de l’immigration sont négligeables, elle tend à générer des perdants et des gagnants au sein des pays d’accueil. Négliger ces effets redistributifs pourrait nous conduire à occulter la complexité des conséquences économiques de l’immigration et à nous empêcher de penser des politiques publiques adaptées qui pourraient permettre de compenser les pertes des travailleurs les plus vulnérables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/113502/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Edo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En moyenne, l’immigration a des effets négligeables. Le niveau de qualification des nouveaux travailleurs explique toutefois certaines disparités.Anthony Edo, Economiste, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1093222019-01-16T21:14:44Z2019-01-16T21:14:44ZDébat : Que peut-on vraiment attendre du Pacte mondial sur les migrations ?<p>Le <a href="http://undocs.org/fr/A/CONF.231/3">Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières</a> a été validé lundi 10 décembre 2018 à Marrakech par les représentants de 165 pays, puis adopté par 152 pays (sur 193) lors de l’assemblée générale de l’ONU le 19 décembre 2018. Un plébiscite large qui n’a pas fait oublier l’<a href="https://www.voaafrique.com/a/l-onu-ratifie-%C3%A0-une-tr%C3%A8s-forte-majorit%C3%A9-le-pacte-mondial-pour-les-migrations/4707611.html">absence d’une quarantaine de pays</a> (dont, en Europe, la <a href="https://www.reuters.com/article/us-europe-migrants-hungary-un/hungary-to-quit-un-migration-pact-shunned-by-washington-idUSKBN1K81BS">Hongrie</a>, l’<a href="https://www.huffpostmaghreb.com/entry/lautriche-se-retire-du-pacte-de-lonu-sur-les-migrations_mg_5bd98069e4b01abe6a1998f9">Autriche</a>, l’<a href="https://www.causeur.fr/pacte-marrakech-italie-salvini-m5s-157480">Italie</a> ou la <a href="https://www.lapresse.ca/international/crise-migratoire/201811/20/01-5204984-la-pologne-rejette-le-pacte-de-lonu-sur-les-migrations.php">Pologne</a>), ni la polémique autour des discours mensongers tenus par certains de leurs représentants hostiles à ce texte.</p>
<p>Lors du <a href="http://webtv.un.org/search/ant%C3%B3nio-guterres-un-secretary-general-migration-conference-marrakech-morocco-10-11-december-2018-/5977582689001/?term=antonio%20guterres&sort=date">discours d’ouverture</a> de la conférence, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est attaché à démentir ces « mythes », « malhonnêtetés » et « mensonges » propagés par les opposants au texte.</p>
<p>Rappelant que « tous les êtres humains doivent voir leurs droits humains respectés » indépendamment de leur situation administrative, il a appelé à faire barrage à la « lame de fond actuelle du racisme et de la xénophobie » et à ne pas « succomber à la peur et aux faux-discours » qui mènent tout droit sur « la voie de la déshumanisation et de l’horreur ».</p>
<p>Le contenu de ce discours est à l’image de celui du pacte lui-même : louable et consensuel. Mais aussi, à bien des égards, faussement naïf, car il laisse croire – ou fait espérer – qu’une manière de « gérer » les migrations internationales de façon informée et neutre est possible, notamment via l’application de procédures techniques. Or, si les discours sur les migrations se doivent d’être informés, au plus près de la réalité des faits grâce aux recherches en sciences humaines et sociales, la « gestion » des migrations ne peut qu’être politique et idéologique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Discours d’Antonio Gutteres, 2 janvier à l’ONU.</span></figcaption>
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<h2>Un pacte mondial mais non contraignant</h2>
<p>L’adoption de ce pacte aura-t-elle une incidence sur la situation des migrants dans le monde ? Peut-être, mais celle-ci sera sans doute limitée sachant qu’il s’agit d’un <a href="https://theconversation.com/le-pacte-mondial-pour-les-migrations-des-polemiques-et-des-avancees-108350">pacte non contraignant</a>. Les États qui l’ont adopté ne sont donc pas tenus d’en suivre les recommandations, et il est peu probable qu’ils les suivent, sauf lorsque celles-ci vont dans le sens de leurs politiques migratoires nationales.</p>
<p>Or, même les « menteurs » dénoncés par le secrétaire général de l’ONU ne rechignent pas à poursuivre une partie des vingt-trois objectifs du pacte. Notamment ceux qui encouragent à « Munir tous les migrants d’une preuve d’identité légale et de papiers » (objectif 4) ; « Renforcer l’action transnationale face au trafic de migrants » (objectif 9) ; « Prévenir, combattre et éliminer la traite de personnes » (objectif 10) ; mieux « gérer les frontières » (objectif 11) ; ou encore « faciliter le retour et la réadmission des migrants » (objectif 21).</p>
<p>Ces objectifs sont en effet déjà ceux de la plupart des gouvernements du monde, socio-démocrates, nationalistes ou libéraux.</p>
<p>Ce qui est intéressant, c’est justement que certains gouvernements n’aient pas souhaité faire partie des signataires de ce pacte en raison d’autres objectifs appelant à « faire en sorte que les filières de migration régulière soient accessibles » (objectif 5), à « assurer [aux travailleurs migrants] les conditions d’un travail décent » (objectif 6), ou encore à « ne recourir au placement en rétention administrative des migrants qu’en dernier ressort » (objectif 13).</p>
<p>Des objectifs jugés inacceptables car trop « laxistes » ou « pro-migrations » selon les opposants au pacte, dont la désertion de la conférence de Marrakech fut jugée regrettable voire honteuse par le reste de la communauté internationale.</p>
<p>Pour autant, tout en étant malhonnêtes dans leurs évocations des risques supposés qu’il y aurait à prendre part à ce pacte, les gouvernements qui y sont opposés (ou qui viennent de s’en retirer, comme le Brésil) ne seraient-ils pas les plus honnêtes dans leur manière de refuser de signer un texte dont ils savent qu’ils ne respecteront pas tous les objectifs ?</p>
<p>Quand on sait que pour « gérer » certains mouvements migratoires, de nombreux gouvernements signataires du pacte mondial pour les migrations ne respectent déjà plus la <a href="https://theconversation.com/au-sahara-voyager-devient-un-crime-96825">Convention internationale des droits de l’homme</a> ou le <a href="https://journals.openedition.org/remi/7106">droit maritime</a>, et contournent le <a href="http://www.reseau-terra.eu/IMG/pdf/Rejet_des_exiles_VALLUY.pdf">principe du droit de l’asile</a> ou le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0002716217744529">principe de présomption d’innocence</a>, on peut légitimement douter de leur volonté de s’astreindre à suivre un texte non contraignant.</p>
<h2>Ni vérité, ni nécessité</h2>
<p>Si certains objectifs de ce pacte ne seront probablement pas poursuivis par ses signataires, que penser du premier objectif, qui doit en principe orienter tous les suivants :</p>
<blockquote>
<p>« collecter et utiliser des données précises […] qui serviront à l’élaboration de politiques fondées sur la connaissance des faits » (objectif 1).</p>
</blockquote>
<p>Une évidence ? Rien n’est moins sûr. Car qui peut aujourd’hui affirmer que les politiques migratoires sont « fondées sur la connaissance des faits » ? Probablement pas les chercheurs en sciences humaines et sociales qui étudient depuis des décennies les migrations internationales et les incidences des politiques migratoires mises en œuvre de par le monde.</p>
<p>Si on prend l’exemple des migrations irrégulières de l’Afrique vers l’Europe : il a été montré à de nombreuses reprises que ces migrations sont marginales à l’échelle des deux continents et de l’ensemble des mobilités qui les animent ; qu’il n’y avait <a href="https://journals.openedition.org/remi/4889">ni exode ni invasion</a> il y a dix ans, pas plus qu’aujourd’hui, et que ce ne sera certainement pas non plus le cas <a href="https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/28441/558.population.societes.migration.subsaharienne.europe.fr.pdf">dans les décennies à venir</a>.</p>
<p>Et cela malgré la croissance démographique du continent africain et l’augmentation prévisible du nombre de migrants qui en partiront temporairement ou définitivement. Pour autant, les discours mensongers, tels ceux dénoncés par le secrétaire général de l’ONU, continuent de fleurir. Et l’industrie du contrôle des frontières et des migrations continue de se développer, entre <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520282520/illegality-inc">Afrique et Europe</a> notamment, animée par des acteurs <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Xenophobie_business-9782707174338.html">privés et publics</a>, <a href="https://academic.oup.com/rsq/article-abstract/37/2/204/4958746">européens</a> ou <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/anti.12176">internationaux</a>.</p>
<p>Des décennies de recherche en <a href="http://www.cnrseditions.fr/sociologie/7184-migrations-en-mediterranee.html">Méditerranée</a> et en <a href="https://www.springer.com/de/book/9783319695686">Afrique</a> montrent qu’il n’y a pas de lien direct et immédiat entre la connaissance scientifique que nous avons des phénomènes migratoires et de leurs incidences diverses, et les politiques migratoires mises en œuvre par les gouvernements nationaux ou <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1747-7379.2007.00061.x">au niveau de l’Union européenne</a>.</p>
<p>À niveau égal de « connaissance des faits », les « appréciations » des personnes comme des gouvernements varient, ainsi que ce qu’ils en déduisent. Il n’y a rien à redire à cela : il n’y a ni vérité ni nécessité en matière de politique migratoire, seulement des choix. Et ces choix sont avant tout idéologiques.</p>
<h2>Connaissances et idéologies</h2>
<p>Là se trouve l’évidence dans toute sa banalité : les politiques migratoires sont fondées sur des idéologies. Alors pourquoi est-il si courant, de l’ONU aux gouvernements, de voir des experts et des décideurs politiques plaider la « connaissance des faits » pour justifier leurs choix ?</p>
<p>Sans doute parce que tout le monde n’assume pas avec l’aisance de Donald Trump – qui fut l’un des premiers à retirer son pays des pourparlers de préparation du pacte – l’idée selon laquelle « la seule solution de long terme à la crise des migrations » est de faire en sorte que les gens restent « dans leurs pays d’origine » (<a href="https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/remarks-president-trump-73rd-session-united-nations-general-assembly-new-york-ny/">discours à l’assemblée générale des Nations unies</a>, New York, 25 septembre 2018). Une idée qui sous-tend pourtant une large part des politiques migratoires mises en œuvre de par le monde, ainsi qu’une partie des politiques sécuritaires et de développement.</p>
<p>Cette idée est généralement accompagnée de considérations économiques, sociales ou démographiques qui peuvent être plus ou moins honnêtes ou malhonnêtes selon les cas, les pays, les gouvernements, sans que cela n’ait de grande incidence. Car in fine, il n’y a pas lieu de chercher des raisons objectives, rationnelles ou scientifiques d’être pour ou contre l’ouverture, l’abolition ou la fermeture des frontières. Ou pour l’accueil d’un, de mille ou d’un million d’étrangers dans son pays. Ou pour leur expulsion. Ces positionnements sont avant tout d’ordre idéologique, philosophique, moral.</p>
<p>Pour le dire autrement : la question de l’hospitalité ne se résout pas par un calcul coût/bénéfice, inévitablement arbitraire. Ni par la mise en place de <a href="https://www.nouvelobs.com/edito/20190114.OBS8427/quota-annuel-sur-l-immigration-macron-reveille-le-grand-fantasme-de-la-droite.html">quotas</a>.</p>
<p>Si les sciences sociales ne peuvent interférer de manière directe et immédiate avec la dimension idéologique des politiques migratoires, elles peuvent proposer des discours rigoureux sur les faits migratoires eux-mêmes, afin de s’opposer à toute tentative de légitimation de politiques sur la base de <a href="https://laviedesidees.fr/Ou-va-la-fausse-science.html">descriptions mensongères</a> de la réalité. Et dans la durée, faire « évoluer la manière dont les migrations sont perçues » (objectif n°17).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109322/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Brachet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Pacte des migrations porte un discours louable et consensuel mais aussi faussement naïf. Car la question de l’hospitalité ne se résout pas par un calcul coût/bénéfice, inévitablement arbitraire.Julien Brachet, Anthropologue, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1085392018-12-19T15:50:07Z2018-12-19T15:50:07Z2018 en revue : janvier, racisme décomplexé en Europe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/249724/original/file-20181210-76959-txsnfi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C1%2C1268%2C839&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Matteo Salvini en 2018.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.quirinale.it/elementi/Continua.aspx?tipo=Foto&key=18357">Wikipedia / Presidenza della Repubblica</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>Le président de la N-VA, (parti nationaliste flamand), Bart De Wever, <a href="https://bit.ly/2URXSw0">dans une carte blanche publiée le 24 janvier 2018 dans le quotidien De Morgen</a>, estime qu’ouvrir les frontières aux migrants comme le préconise, selon lui, la gauche, mettra inévitablement la Sécurité sociale belge en péril. Le chef de file des nationalistes flamands entend alors réagir à la situation au parc Maximilien à Bruxelles, où aboutissent des migrants souhaitant rejoindre la Grande-Bretagne.</em></p>
<h2>Bart de Wever associe migration et mise en péril du système social belge.</h2>
<p>Ce lien n’est en aucun cas démontré. Mieux : les <a href="https://bit.ly/2G9m5dU">déclarations de Bart de Wever</a> vont même à contrecourant de ce que disent les études. La Banque nationale de Belgique a conclu dans un rapport de 2016 que les étrangers contribuent à la croissance économique, ils ne représentent absolument pas un coût pour l’économie belge. Notre centre de recherche, le GERME a, lui, montré que bien sûr, les réfugiés coûtent à l’État lorsqu’ils reçoivent le revenu d’intégration sociale au moment de l’acquisition de leur statut de séjour.</p>
<p>En revanche, la Belgique n’a pas payé leur scolarité puisqu’ils se sont formés dans leur pays d’origine et dès qu’ils travaillent et, pour certains se lancent dans une activité d’indépendant, les réfugiés contribuent à la croissance économique du pays et à l’accroissement du budget public et de la sécurité sociale. Les étrangers ou réfugiés ne mettent donc pas en danger notre système social ; ils contribuent même à en assurer son avenir.</p>
<p><a href="https://bit.ly/2PIG4Q0">La rhétorique de De Wever n’est pas vraiment neuve</a> ni limitée à la Belgique… En effet, toute société construit une hiérarchisation sociale où certains groupes sont stigmatisés, racialisés. Ces groupes changent, parfois, avec le temps mais la rhétorique reste stable : dans les années ‘20, les Juifs étaient qualifiés de profiteurs ; dans les années ‘60, ce seront les Italiens taxés de venir chez nous pour toucher la “moutouelle” ; puis, ce seront les Marocains qui, dit-on, perçoivent trop d’allocations familiales ; et aujourd’hui ce sont les Africains et les réfugiés qui sont accusés, à tort, de mettre en péril notre système social.</p>
<p>Dans ce processus, le groupe racialisé n’est pas simplement qualifié de différent, il est surtout infériorisé, minorisé. Les membres sont des “sous-citoyens” à qui on nie la légitimité de leur demande d’égalité de droit, de parole, d’estime. En outre, les descendants de migrants stigmatisés dans le passé reprennent souvent cette rhétorique raciste pour bien se démarquer des nouvelles figures de bouc émissaire, suivant l’adage le dernier ferme la porte.</p>
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<figcaption><span class="caption">Matteo Salvini, le 14 septembre 2018.</span></figcaption>
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<h2>Matteo Salvini encourage la natalité… italienne, contre l’immigration</h2>
<p>Avec une cinquantaine de collègues migrants ou issus de la 2<sup>e</sup> génération de migrants italiens, <a href="https://plus.lesoir.be/179287/article/2018-09-19/politique-migratoire-italienne-tirer-les-enseignements-du-passe-est">nous avons réagi aux propos de Matteo Salvini</a> disant que son pays n’avait pas besoin de migrants africains mais bien que les Italiens fassent plus d’enfants. Il oublie qu’entre 1946 et 1955, l’Italie a exporté 1,5 millions de travailleurs italiens, en majorité des jeunes, vers la France, l’Allemagne, le Bénélux et la Suisse. Si l’Italie s’est développée économiquement dans les années 60, c’est également parce que l’Italie a exporté une grande partie de sa misère, comme il en est aujourd’hui pour des pays africains.</p>
<p>Salvini a répondu à notre carte blanche sur son compte Facebook. Les posts se sont multipliés et très vite, j’ai reçu des insultes, des disqualifications, des intimidations… plutôt que des arguments. C’est difficile aujourd’hui de soutenir une controverse argumentée ou un débat citoyen face à une rhétorique raciste où l’histoire et les faits sont oubliés, voire niés.</p>
<h2>De Wever, Salvini, Orban, Trump ont-ils libéré la parole raciste ?</h2>
<p>Dans les années 80, pendant une courte période, des responsables politiques locaux ont eu recours à un discours politique raciste. Aujourd’hui, ce discours politique raciste devient une partie de la communication gouvernementale dans certaines démocraties européennes. Lorsque des politiques relaient des propos racistes, ils les légitiment ; ils changent la norme de ce qui est audible et dicible ; ils libèrent en effet la parole raciste dans les assemblées, dans les cafés, dans la rue, au travail, etc. Ces discours fonctionnent comme un algorithme de la pensée où migrant égale profiteur ou délinquant. La réalité est bien sûr bien plus complexe. L’Union européenne voulait devenir une société de la connaissance, mais nous plongeons dans une société de l’ignorance, ingrédient indispensable des régimes autoritaires.</p>
<h2>Comment s'articulent immigration et racisme</h2>
<p>Le groupe racisé n’est pas nécessairement celui qui migre ; les Aborigènes d’Australie ou les Indiens des Etats-Unis en sont de bons exemples. Nos sociétés sont hiérarchisées : à un moment donné, un groupe dominant contribue à stigmatiser une partie de la population et à lui nier des droits. Le groupe racisé est construit à partir de deux dimensions principales : la première est identitaire renvoyant aux traits ethniques et culturels ; la deuxième fait référence au statut d’infériorité dans la hiérarchie socio-économique.</p>
<p>Ainsi, un Polonais employé à la Commission européenne sera qualifié d’expat’ tandis qu’un Polonais qui travaille dans la construction, sera appelé migrant… Là aussi, ce n’est guère neuf : les pauvres n’ont pas la même manière de vivre et de mourir écrivait déjà Balzac, contribuant de la sorte à la racisation de la pauvreté.</p>
<hr>
<p><em>Retrouvez <a href="http://www.ulb.ac.be/ulb12mois12experts/">ici l’intégrale des articles de la rétrospective 2018</a> des enseignants-chercheurs de l’ULB.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108539/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Andrea Rea ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>A travers diverses déclarations qui ont marqué l'année 2018, analyse des discours racistes sur les réfugiés, les migrants et leur impact sociétal.Andrea Rea, Professeur de sociologie, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1084642018-12-07T20:39:29Z2018-12-07T20:39:29ZEn Allemagne, l'après-Merkel commence en douceur<p>L’élection de Annegret Kramp-Karrenbauer à la présidence de la CDU devrait donner un dernier nouveau souffle à Angela Merkel. Après une sorte de primaire au cours de laquelle ils se sont présentés devant les organisations internes du parti (telles que les Jeunes chrétiens-démocrates et les associations des femmes et du Mittelstand), ainsi que devant le public intéressé, à l’occasion de six conférences publiques régionales, les trois candidats en lice à la tête de la CDU ont été départagés, vendredi 7 décembre, à l’issue de deux tours de scrutin par le Congrès du parti chrétien-démocrate réuni à Hambourg.</p>
<p>Annegret Kramp-Karrenbauer se présentait en sa qualité de secrétaire générale du parti, appelée à cette fonction il y a seulement quelques mois par la chancelière. Son principal adversaire, Friedrich Merz, faisait allure de revenant, ayant quitté la vie politique en 2009 suite à des querelles internes. Il était toutefois devenu le chargé de mission pour le Brexit du gouvernement du Land de Rhénanie-du-Nord–Westphalie. Merz avait le soutien de Wolfgang Schäuble, l’actuel président du Bundestag, tous deux ayant en commun d’avoir une revanche à prendre sur Angela Merkel qui leur avait damé le pion en 1999-2000. </p>
<p>Le troisième candidat, Jens Spahn, ministre fédéral de la Santé, n’avait eu de cesse, ces derniers mois, de se profiler en tant qu’opposant à la politique migratoire de la chancelière. Il passait, vu son âge (38 ans), pour avoir peu de chance de l’emporter et vouloir avant tout prendre date.</p>
<h2>« AKK » n’est pas la copie conforme de Merkel</h2>
<p>Le résultat du deuxième tour de scrutin est à la fois net et serré. Annegret Kramp-Karrenbauer l’emporte par 517 voix contre 482 voix à Friedrich Merz. 999 délégués ayant participé au vote, <a href="https://www.t-online.de/nachrichten/deutschland/parteien/id_84912000/neue-cdu-chefin-kramp-karrenbauer-triumph-der-umarmerin.html">les pourcentages de voix sont faciles à calculer</a>.</p>
<p>Ils font apparaître un parti divisé entre les deux grandes tendances que représentent les deux candidats, malgré de nombreux points communs dans le détail de leur programme politique. Friedrich Merz aurait représenté un retour au conservatisme traditionnel qui caractérisait la CDU des années 1990. Malgré sa volonté d’apparaître plus moderne que sa réputation, il donnait, à la faveur de ses prises de position pendant la primaire, le sentiment de vouloir réorienter la CDU à droite. Merkel l’a ouverte vers un centre presque de gauche, comme l’a montré sa capacité à intégrer dans sa conception pragmatique de la politique les bonnes idées des Verts et des sociaux-démocrates. </p>
<p>Annegret Kramp-Karrenbauer, que beaucoup appelle « AKK » pour ne pas se tromper dans l’épellation de son nom, a dû surmonter le reproche d’être la copie conforme de la chancelière en tant que personne et en tant que politique. C’est ignorer sa volonté d’autonomie de pensée et faire peu de cas de sa longue expérience politique en Sarre comme ministre de l’Intérieur, ministre de la Famille et ministre des Affaires sociales. En tant que ministre-présidente de Sarre, elle n’a pas hésité, en 2012, à mettre un terme à une coalition dite « jamaïcaine » avec les libéraux et les Verts pour s’entendre ensuite avec le SPD et former avec lui une grande coalition. Ce qui a parlé en faveur d’« AKK », c’est aussi sa capacité à dialoguer et à réunir quand Friedrich Merz divisait davantage. </p>
<p>Après son échec, celui-ci devrait retourner dans le privé plutôt que de chercher à jouer un nouveau rôle politique. Où le pourrait-il, d’ailleurs, après une aussi longue absence sur la scène politique ? Pour lui, c’était président, puis chancelier… ou rien.</p>
<h2>La chancelière ira au bout de son mandat</h2>
<p>Assurément, l’élection d’Annegret Kramp-Karrenbauer est une victoire pour Angela Merkel, qui aurait sans doute eu beaucoup de mal à supporter un président nommé Merz, qui n’aurait eu de cesse de vouloir lui succéder à la chancellerie.</p>
<p>Le calcul de la chancelière semble aboutir au résultat escompté. Les revers électoraux de la CSU <a href="https://theconversation.com/apres-les-elections-en-baviere-une-scene-politique-allemande-en-pleine-ebullition-104994">en Bavière</a>, puis de la CDU <a href="https://theconversation.com/en-allemagne-le-declin-des-anciens-partis-pousse-angela-merkel-vers-la-sortie-105876">en Hesse</a>, au mois d’octobre dernier, l’avait convaincue qu’elle ne pouvait échapper à la pression de ses adversaires qu’en cessant de briguer un nouveau mandat de présidente pour mieux rebondir comme chancelière et aller jusqu’au bout de son mandat. </p>
<p>Annegret Kramp-Karrenbauer devrait le lui permettre ou, pour le moins, lui permettre de choisir elle-même le moment le plus opportun de se retirer. 57 % des personnes interrogées à la veille du Congrès de Hambourg se prononçaient pour qu’Angela Merkel aille jusqu’au bout de son mandat contre 39 % qui estimaient qu’elle devrait se retirer avant la fin de son mandat (<a href="https://www.tagesschau.de/inland/deutschlandtrend/">sondage dimap/ARD</a>). Les changements annoncés à la tête de la CDU profitent d’ailleurs à l’ensemble de la CDU/CSU, créditée désormais de 30 % des intentions de vote – soit 4 points de plus qu’une semaine auparavant.</p>
<h2>Pas d’aggiornamento en vue</h2>
<p>Dans son dernier discours en tant que présidente – qui lui a valu une standing ovation de près de 9 minutes à Hambourg – la chancelière a défendu son bilan, en particulier quand il a été contesté au sein de son propre parti : qu’il s’agisse <a href="https://theconversation.com/angela-merkel-face-a-leffritement-de-la-culture-de-laccueil-53341">de sa politique migratoire</a> à partir de 2015 ou de la suppression du service militaire obligatoire ou encore de l’abandon du nucléaire comme ressource énergétique.</p>
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<p>Elle s’est particulièrement félicitée du soutien apporté en son temps par son parti, alors dans l’opposition, aux réformes <a href="https://www.lesechos.fr/02/02/2015/LesEchos/21868-053-ECH_hartz-iv--la-clef-controversee-du-miracle-allemand.htm">« Harz IV »</a> du marché de l’emploi engagées par le SPD de Gerhard Schröder, de l’introduction d’un salaire minimum qu’elle a revendiquée comme un « grand moment dans l’histoire de la CDU » (qui y était pourtant passablement réfractaire) et de la gestion par le gouvernement fédéral des déficits publics. </p>
<p>Annegret Kramp-Karrenbauer pourra infléchir les lignes posées par Angela Merkel, elle ne les changera pas fondamentalement. Il n’y aura pas d’aggiornamento.</p>
<h2>Angela Merkel retrouve une liberté d’action</h2>
<p>Que signifie cette élection pour les autres partis ? Aujourd’hui comme hier, le SPD continuera de peiner à se distinguer par rapport à la CDU. Un président Merz lui aurait offert plus de chances d’opposer la démocratie sociale à son néo-libéralisme. </p>
<p>Les populistes de droite réunis au sein de l’AfD ne sont que partiellement privés de la « tête de turc » que la chancelière continuera de représenter pou eux. Mais ils auront, malgré tout, à compter avec une autre dirigeante chrétienne-démocrate, à la fois différente et semblable. </p>
<p>Quant aux Verts, il est intéressant de noter que selon le sondage qui donne 4 points de plus à la CDU-CSU, ils en perdent 3, même s’ils continuent de se situer à un niveau qui reste malgré tout enviable de 20 % des intentions de vote.</p>
<p>En retrouvant une certaine liberté d’action, Angela Merkel devrait quant à elle être disponible pour s’occuper davantage des affaires européennes et les faire progresser en tandem avec la France si, du moins, celle-ci, parvient à son tour à sortir de la crise pour saisir l’occasion.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108464/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Vaillant est est secrétaire général de l'Association pour la connaissance de l'Allemagne d'aujourd'hui (ACAA), directeur de la revue «Allemagne d'aujourd'hui» et membre du centre de recherche pour l'étude civilisations, lettres et langues étrangères (CECILLE) de l'Université de Lille Sciences humaines et sociales.</span></em></p>L'élection de Annegret Karen-Krampbauer à la présidence de la CDU devrait donner un dernier nouveau souffle à Angela Merkel.Jérôme Vaillant, Professeur émérite de civilisation allemande, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1078522018-11-30T15:01:22Z2018-11-30T15:01:22ZConversation avec Thomas Lacroix : « Sur les migrations, la logique des politiciens va radicalement changer »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/247985/original/file-20181129-170229-13vwnd6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C6%2C1036%2C723&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Civils fuyant la Libye en 2011.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/magharebia/5509678232/in/photolist-UVSs6t-9oSxoh-ii9bi-d6PbcW-9xR7D9-X6xse-cTmiMy-Ni4V6d-nEvWBP-nEuTSe-nEv8GE-XB5ev-S8WKsG-pkTpj2-gTv5uo-gTvatR-gTvR3t-9xN9C6-tzh66b-gTvjYb-wZKxVg-4vFTpa-9diham-9xN6g8-9LvMtF-9xN6S4-9xNuc8-9xN6xa-9xNaa2-DXdoB9-9xR6Lm-bXPMAm-nuYW7a-stRHZH-BFjYDe-9oSxko-9dfbv4-en8mmg-9EhpQR-FVqWZA-dLfK8x-nWGjaM-9oPsZP-en8mqP-adRQXh-sdhzrs-9a9nnd-9a6dRk-9dihbb-D39qP8">Magharebia / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>Intervenant aux <a href="http://tribunesdelapresse.org/">Tribunes de la Presse 2018 à Bordeaux</a>, docteur en géographie et en sciences politiques à l’université de Poitiers, Thomas Lacroix s’intéresse aux politiques migratoires européennes. Il est. D’après lui, celles-ci devront évoluer face au vieillissement démographique et au réchauffement climatique. Entretien.</em></p>
<hr>
<p><strong>Ces 20 dernières années, l’Union européenne a mis en place des normes communes en matière d’asile, qui comptent parmi les plus élevées au monde. Pensez-vous que cela ait changé quoi que ce soit ?</strong></p>
<p><strong>Thomas Lacroix :</strong> La politique migratoire est en voie d’européanisation depuis le traité d’Amsterdam de 1997. La compétence migratoire est donc devenue européenne et s’est imposée aux états. Cette politique change la donne dans la mesure où elle se veut sélective. Elle est construite sur la base d’une sélection des compétences. Les personnes qualifiées ont plus de facilités à s’installer en Europe. Mais, cela a restreint les possibilités de migration pour les moins qualifiées. Nous sommes rentrés dans une ère de politique réactive face à des flux migratoires qui ne correspondent pas aux règles établies.</p>
<p><strong>Est-ce cette politique européenne qui a fait que s’est imposée, à droite comme à gauche, une vision très ferme sur la migration ?</strong></p>
<p><strong>TL :</strong> Effectivement, à cause de cela, une vision réductrice et utilitariste s’est installée. Les migrations sont perçues uniquement comme des ressources pour l’économie européenne. On veut limiter et restreindre au maximum tout ce qui ne correspond pas à ce cadre. Or, les dynamiques migratoires sont spontanées et répondent à des motifs démographiques, économiques et sociaux. </p>
<p>Le dernier motif, le principal, est d’ordre familial. On vient en Europe pour rejoindre un conjoint ou un membre de sa famille. Il y a une gamme migratoire étendue mais la politique européenne ne s’intéresse qu’à une certaine catégorie de migrants et pour les autres, un nombre d’important de contraintes sont à contourner. Par exemple, pour éviter notamment l’afflux des demandeurs d’asile, a été mise en place une vérification de la validité des titres de séjour par les compagnies aériennes au moment de la montée dans l’appareil. On a donc externalisé le contrôle. Les migrants se sont retrouvés ainsi dans la difficulté de se déplacer en avion. En conséquence, depuis le début des années 2000, se sont développées des routes terrestres d’immigration.</p>
<p><strong>On évoque souvent une forte vague migratoire à venir à cause du réchauffement climatique. Les dirigeants européens n’ont pas pour autant changé leurs discours et leurs politiques. Sont-ils inconscients, cyniques ou démagogues ?</strong></p>
<p><strong>TL :</strong> Cette mobilité liée au réchauffement climatique ne préoccupe pas encore car elle va être très progressive. Elle va provoquer, dans un premier temps, des migrations de courtes distances, vers la région ou le pays d’à côté. Néanmoins, il est vrai que les migrations vont être de plus en plus multifactorielles. La question climatique sera un facteur supplémentaire.</p>
<p><strong>Dans ce rejet des migrants, n’y a-t-il pas au-delà du simple racisme, une confusion dans les esprits entre migration et mondialisation ? En rejetant un modèle économique qui n’épanouit pas les citoyens, on en vient aussi à rejeter les migrants ?</strong></p>
<p><strong>TL :</strong> C’était l’argumentaire de l’actuel Rassemblement national lors de la dernière campagne présidentielle. Les migrants sont des boucs-émissaires faciles, rendus responsables de transformations qui ne sont pas de leur fait comme, par exemple, la précarisation du marché du travail. Mais cette situation est davantage liée à l’Ubérisation du monde professionnel. On accuse aussi les migrants d’être à l’origine de changements culturels. Or, cette transformation arriverait même sans les migrants. Les mutations numériques et économiques du capitalisme expliquent ces évolutions culturelles.</p>
<p><strong>Les politiques d’immigration ne nécessitent-elles pas plus de temps et de concertation ? Or, les dirigeants politiques semblent davantage pris dans le temps court des élections qui se succèdent ?</strong></p>
<p><strong>TL :</strong> Les politiques migratoires sont essentiellement réactives comme je l’ai évoqué. Les politiciens ont peur de la montée des populismes et sur jouent la fermeté. Or historiquement, on voit que ce n’est pas la bonne stratégie. Lorsque les juifs ont commencé à être menacés par le régime nazi, les pays européens ne les ont pas accueillis. Cela n’a pas empêché le populisme de grandir. Il s’agit d’une politique de très court-terme car on sait que le vieillissement des sociétés européennes est en marche. On a aujourd’hui plus de 20 % de la population européenne au-dessus de 65 ans. En 2030, on sera à plus de 30 %. Les besoins en hommes vont être importants. Il y aura aussi de plus en plus de migrations Sud-Sud avec la question de la Chine. Ce pays aura de grandes attentes en termes de main-d’œuvre. Il va devenir le premier pays d’immigration au monde. La logique de tous les politiciens sera contrainte de changer radicalement.</p>
<p><strong>Aujourd’hui, on voit que l’Europe est de plus en plus divisée sur la question migratoire. Selon vous, quelles sont les causes de cette incapacité à agir d’une façon coordonnée au niveau des États européens ?</strong></p>
<p><strong>TL :</strong> Chaque pays de l’Union européenne a sa propre sensibilité historique. Les pays du groupe de Višegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) ont, par exemple, un rapport complexe avec la migration, celle-ci soulève chez eux la douloureuse question des minorités ethniques qui depuis le début du vingtième siècle, génère des conflits. L’Allemagne, au contraire, qui a connu son baby-boom avant la Deuxième Guerre mondiale, est confrontée au vieillissement démographique et doit se montrer plus ouverte. Néanmoins, en Europe, demeure cette préoccupation commune relative à la montée des populismes d’extrême droite.</p>
<p>Sur le plan médiatique, les positions sont exacerbées mais les pays européens en réalité s’accordent tous, plus ou moins, sur l’idée d’une faible immigration plutôt qualifiée. Le système de l’asile en paye le prix. L’asile est géré par la Convention de Genève de 1951. Les états signataires ne peuvent pas refuser l’entrée sur leurs terres d’un demandeur d’asile. L’enjeu de cette politique d’asile de l’Europe est donc de complexifier le plus possible l’accès aux territoires de l’Union européenne. Le dossier de l’immigration monopolise les esprits, et finalement, voile les véritables enjeux comme le vieillissement de la population.</p>
<hr>
<p><em>Propos recueillis par Matthias Hardoy et Mamadou Pathé Barry, étudiants en master de journalisme professionnel au sein de l’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA), sous la supervision de Marie-Christine Lipani maître de conférences habilitée à diriger des recherches à l’IJBA.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107852/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Christine Lipani ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>D’après Thomas Lacroix, les politiques d’immigration européennes devront évoluer face au vieillissement démographique et au changement climatique.Marie-Christine Lipani, Maitre de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication habilitée à diriger des recherches à l'Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA)-, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1043392018-10-28T20:23:24Z2018-10-28T20:23:24ZCe que cachent les mots de la migration<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/242052/original/file-20181024-115763-1lnyjbg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C19%2C1196%2C869&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Il faut se me fier des mots. Street art by Ben Vautier in Belleville. 24 avril 2010
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Il_faut_se_m%C3%A9fier_des_mots.jpg">Cadaverexquisito /Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Les querelles politiques et médiatiques portant sur les mots sont particulièrement révélatrices de changements, d’ajustements sémantiques qui témoignent du fait qu’une langue est une réalité sociale en mouvement.</p>
<p>Ces querelles sont particulièrement récurrentes sur un sujet sensible tel que l’immigration. Que l’on se souvienne seulement <a href="https://www.aljazeera.com/blogs/editors-blog/2015/08/al-jazeera-mediterranean-migrants-150820082226309.html">des débats en 2015</a> autour des dénominations <em>migrant</em> vs <em>réfugié</em>, qui ont eu un <a href="https://www.cairn.info/revue-langages-2018-2-p-105.htm">retentissement considérable</a>, contribuant certainement à attirer, avec d’autres évènements, l’attention de l’opinion publique sur ces situations dramatiques.</p>
<p>Cette polémique a fait l’objet de nombreuses réactions critiques, notamment de la part de chercheurs en sciences sociales. Certaines ont même été rassemblées dans un ouvrage collectif par l’<a href="https://laviedesidees.fr/Definir-les-refugies.html">anthropologue Michel Agier et la juriste Anne-Virginie Madeira</a>.</p>
<p>Les prises de position de linguistes, comme celle de <a href="https://vacarme.org/article2901.html">Cécile Canut</a> ou celle des auteurs du blog <a href="https://bling.hypotheses.org/1141">Bling</a>, soulignent que dans les discours publics, le plus souvent, cette polémique est posée de manière complètement décontextualisée, sans prise en compte ni de la mémoire de ces mots, ni de leur environnement proche (les mots voisins qui participent de la construction du sens).</p>
<p>Par ailleurs, poser la question de manière binaire selon la logique d’un « ou » exclusif – <em>migrant</em> ou bien <em>réfugié</em> ? – laisse penser que les mots seraient de simples étiquettes qu’on apposerait sur le réel : il suffirait de trouver la bonne. Cette représentation, ou métaphore du « mot juste », illustre ce que les linguistes appellent la théorie du reflet – au sens où le langage ne serait qu’un système d’étiquettes appliquées à la réalité.</p>
<p>Or, c’est loin d’être vrai : le langage construit la perception que l’on a du monde, même si cette action semble bien souvent transparente. Les querelles de nomination, en mettant l’accent sur les failles, font apparaître ce consensus et sa fragilité.</p>
<h2>Accéder au sens « réel » du mot</h2>
<p>Les débats portant sur les mots sont, pour le chercheur, une voie d’accès au sens, non pas au « vrai » sens du mot tel qu’il serait présenté dans un dictionnaire, mais au sens « réel » du mot tel que les locuteurs l’actualisent, c’est-à-dire, aussi, de la manière dont ils l’utilisent pour argumenter.</p>
<p>Notre ouvrage <a href="http://www.editions-academia.be/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=60793"><em>Penser les mots, dire la migration</em></a> réunit les contributions de chercheur·e·s qui, tou·te·s, quelle que soit leur discipline – linguistique, histoire, sociologie, sciences de l’information et de la communication ou sciences politiques –, se sont intéressé·e·s à des mots saillants dans les discours contemporains sur l’immigration et ont cherché à en <a href="http://liseuse.harmattan.fr/978-2-8061-0420-5">décrire les usages effectifs</a>. Ces chercheur·e·s mettent en pratique ce qu’on appelle une <a href="https://www.cairn.info/revue-langages-2018-2-p-35.htm">sémantique discursive</a>, c’est-à-dire qu’ils considèrent le sens comme étant non pas un donné mais au contraire le produit d’une situation sociale, historique, discursive particulière.</p>
<p>Pour résumer, on peut dire, avec le sociolinguiste <a href="https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2006-3-page-155.htm">Bernard Gardin</a>, que le sens ne se configure pas simplement par rapport à la réalité, comme le voudrait la « théorie du reflet », mais au carrefour de trois types d’influences : l’influence de l’autre (des autres) avec lesquels, contre lesquels on parle ; l’influence de la langue, du vocabulaire et de la grammaire partagés par une communauté ; et, bien sûr, l’influence du réel.</p>
<h2>Mots tabous</h2>
<p>Dans cet ouvrage nous abordons des mots tabous tels que <a href="https://www.cairn.info/revue-mots-2018-1.htm"><em>race</em></a> (Émilie Devriendt) ou <a href="http://www.editions-academia.be/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=60793"><em>français de souche</em></a> (Sonia Branca-Rosoff), qui sont si marqués par des discours et positionnements de l’extrême droite qu’ils en deviennent inutilisables pour quelqu’un qui voudrait se dégager de ces connotations. Ce phénomène n’est pas marginal, ce n’est pas une irrégularité du sens, mais au contraire son fonctionnement normal et régulier. Il trouve sa source dans le fait que tout acte langagier est nécessairement destiné à un autre, que cet autre soit présent ou non : on anticipe ses discours, on les reprend ou on s’y oppose et les mots finissent par porter la trace, la mémoire de ces interactions. C’est ce qu’on appelle le <a href="https://journals.openedition.org/praxematique/461">dialogisme</a>, la mémoire d’usages antérieurs telle qu’elle circule dans une communauté donnée, à une époque donnée.</p>
<h2>Mots et grammaire</h2>
<p>Mais le sens se construit aussi sur des significations partagées, sur le vocabulaire d’une langue ou sur la « grammaire » sous-jacente à certains mots. Le cas de <a href="https://www.persee.fr/doc/quad_0987-1381_1994_num_22_1_1065"><em>intégration</em></a> (Christine Barats) peut éclairer cette idée.</p>
<p>Ce nom est dérivé d’un verbe et cette transformation permet de ne pas dire qui intègre, à quoi et surtout qui s’intègre. Tout le monde est supposé le savoir. Mais s’agit-il de tous les exclus ? des étrangers ? des immigrés ? de certains d’entre eux ? de leurs descendants ? voire des descendants de leurs descendants ? Cette indétermination résulte là encore du fonctionnement normal de la langue, qui agit à la fois comme une ressource et une contrainte sur la production du sens. Mais cette construction révèle, en creux, ce qui est considéré comme une évidence connue de tous. Et les évidences peuvent et doivent être interrogées.</p>
<h2>Mots et histoire</h2>
<p>Si le rapport de la langue au réel peut paraître naturel, un point de vue historique sur le vocabulaire révèle bien vite que notre perception du réel est socialisée. Ainsi, nommer <em>exilés</em> les immigrants illustre une tentative de reporter sur les personnes les connotations à la fois politiques et humanistes que <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/2246">ce mot a eu au XIXᵉ siècle</a> (Sylvie Aprile) et d’échapper ainsi à la logique binaire évoquée plus haut, logique largement portée par le discours politique.</p>
<p>Ces différentes influences ne sont pas exclusives les unes des autres, comme le souligne la chercheuse en sciences politiques Karen Akoka dans son étude de la formation, au cours du XX<sup>e</sup> siècle, de la <a href="https://laviedesidees.fr/Crise-des-refugies-ou-des-politiques-d-asile.html">catégorie du réfugié</a>. On considère aujourd’hui comme centrale la persécution politique dans la définition de la catégorie de réfugié, mais Karen Akoka rappelle que cette orientation a émergé dans le cadre des rapports de force entre l’Est et l’Ouest pendant la Guerre froide, l’Union soviétique défendant plutôt une définition fondée sur la persécution économique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242053/original/file-20181024-48700-10mqby.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242053/original/file-20181024-48700-10mqby.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242053/original/file-20181024-48700-10mqby.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242053/original/file-20181024-48700-10mqby.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=483&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242053/original/file-20181024-48700-10mqby.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242053/original/file-20181024-48700-10mqby.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242053/original/file-20181024-48700-10mqby.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=607&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Quel était le sens des mots pour qualifier les grandes migrations dans l’histoire ? Tableau d’ Alexandre-François Bonnardel, Les Exilés,1916.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Alexandre-Fran%C3%A7ois_Bonnardel_-_Les_Exil%C3%A9s,_huile_sur_toile_(1916).jpg?uselang=fr">Xavier Caré/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les sources de flou</h2>
<p>Enfin, on voudrait pouvoir penser que le sens est fixe, lisse, délimité et dénué d’ambiguïté, ce qui n’est pas le cas. La polysémie, autre phénomène très courant, est une source de flottement possible du sens : l’<a href="http://www.editions-academia.be/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=60793">adjectif « multiculturel »</a> (Marie Veniard) renvoie à – au minimum – deux acceptions : une politique <em>multiculturelle</em> vs la <em>diversité</em> de fait d’une société, d’une ville.</p>
<p>Cette polysémie est une ressource pour les locuteurs dans leurs usages polémiques, ce qui permet à François Fillon, alors candidat à la primaire de la droite, de dire le 24 novembre 2017 que la <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/video/2016/11/25/francois-fillon-affirme-son-opposition-a-une-france-multiculturelle_5037612_4854003.html#4MJqCYM53IZT7ZLc.99">France n’est pas multiculturelle</a> et ne le sera pas, alors que le militant et journaliste Pouria Amirshahi affirme qu’<a href="https://www.bondyblog.fr/reportages/au-pouvoir/pouria-amirshahi-la-france-est-multiculturelle-et-cest-tant-mieux/">elle l’est (déjà)</a>. Le premier parle de l’existence d’une politique spécifique, tandis que le second parle de l’existence d’une population métissée, ce qui autorise tous les désaccords, la France <em>étant</em> et <em>n’étant pas</em> multiculturelle. Mais si la polysémie est reconnue, la polémique disparaît.</p>
<p>Par ailleurs, le sens évolue : un mot tel que <a href="http://www.editions-academia.be/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=60793">« diversité »</a> (Laura Calabrese), tel qu’on l’emploie aujourd’hui, déborde largement la définition donnée par le dictionnaire, qui est de désigner la variété (génétique, végétale, linguistique, etc.). Dans les usages contemporains, <em>diversité</em> désigne aussi l’altérité, voire dans certains cas un groupe particulier de personnes, ce qui permet d’expliquer que <em>issu de la diversité</em> puisse être synonyme de <em>issu de l’immigration</em>.</p>
<h2>Installer l’altérité, installer l’identité</h2>
<p>Un certain nombre de mots contribuent à installer, de façon plus ou moins explicite, la dichotomie identitaire « nous vs eux », tant l’identité ne se définit jamais aussi bien que par rapport à une altérité. <a href="https://journals.openedition.org/mots/21218">Etranger</a> (Benjamin Boudou), bien sûr, ou des mots désignant des personnes : les <a href="http://www.revues-plurielles.org/_uploads/pdf/6_93_7.pdf">sans-papiers</a> (Salih Akin) font exister en creux les « avec papiers », c’est-à-dire le groupe majoritaire ; les <em>Français de souche</em> (comme se nomment certains partisans des thèses de l’extrême droite) s’opposent aux <em>allochtones</em> (en Belgique, dans les discours administratifs mais aussi ordinaires, péjoratif).</p>
<p>Même le mot <a href="http://www.revue-interrogations.org/NOMS-COLLECTIFS-HUMAINS-UN-POINT">communauté</a> (Michelle Lecolle), qui a priori n’est pas destiné à marquer l’altérité, a évolué, sous l’influence de <em>communautarisme</em> et de ses emplois disqualifiants. Il est passé d’un lieu dans lequel on vit en commun vers une dénomination renvoyant à l’altérité par rapport au groupe englobant. Une telle dichotomisation favorise d’une part l’idée que de tels groupes existent, ce qu’on appelle la présupposition d’existence, et d’autre part l’idée qu’ils sont homogènes – le nous autant que l’eux.</p>
<p>Ces quelques éléments invitent à toujours penser les usages comme contextualisés, à reconnaître la « théorie du reflet » quand elle se présente et à prendre de la distance par rapport à la manière dont une « querelle d’étiquetage » est cadrée par les médias ou les acteurs politiques.</p>
<p>Ils nous rappellent fondamentalement trois choses : que la vie sociale est aussi faite de mots et de discours, que les mots ont des fonctionnements propres que les locuteurs peuvent (ou non) faire semblant d’ignorer dans leur <a href="https://journals.openedition.org/aad/2216">argumentation</a> et, enfin, que leur usage n’est pas une fatalité, car un locuteur peut toujours s’extraire des grandes tendances politico-médiatiques pour faire des choix alternatifs.</p>
<p>Dans le cas de la querelle migrant-réfugié, en disant <em>les exilés</em> ou <em>les demandeurs de l’asile</em> (par opposition au statut de demandeur d’asile), <em>les amis</em>, <em>les invités</em>, <em>les artisans</em>, <em>les migrants-réfugiés</em>. Toutes ces désignations sont attestées. Bref, il faut passer d’une logique du « ou » exclusif à une logique du « et » inclusif.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/241661/original/file-20181022-105773-1i2icxi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/241661/original/file-20181022-105773-1i2icxi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=984&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/241661/original/file-20181022-105773-1i2icxi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=984&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/241661/original/file-20181022-105773-1i2icxi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=984&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/241661/original/file-20181022-105773-1i2icxi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1236&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/241661/original/file-20181022-105773-1i2icxi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1236&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/241661/original/file-20181022-105773-1i2icxi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1236&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">Editions Academia</span></span>
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<p>L’ouvrage <a href="http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=60793"><em>Penser les mots, dire la migration</em></a> est paru le 12 septembre aux éditions Academia/L’Harmattan et comporte les contributions de Salih Akin, Karen Akoka, Sylvie Aprile, Julien Auboussier, Christine Barats, Benjamin Boudou, Sonia Branca-Rosoff, Laura Calabrese, Cécile Canut, Émilie Devriendt, Pierre Fiala, Ide Hekmat, Michelle Lecolle, Sandra Nossik, Antoine Roblain, Maryse Potvin, Marie Veniard.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104339/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les débats portant sur les mots sont, pour le chercheur, une voie d’accès au sens, le sens « réel » du mot tel que les locuteurs l’actualisent. Retour sur les mots de la migration.Marie Veniard, Maître de conférences en sciences du langage, fellow à l'Institut Convergences Migrations, Université Paris CitéLaura Calabrese, Professeure d’analyse de discours et communication, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/991702018-07-03T20:13:22Z2018-07-03T20:13:22ZLes dilemmes de l’Organisation internationale pour les migrations<p>Le 29 juin a eu lieu l’élection du nouveau directeur de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). <a href="https://www.iom.int/news/un-migration-agency-select-next-director-general-friday">Trois candidats étaient en lice</a> : l’Américain Ken Isaacs, le Portugais Antonio Vitorino et la Costaricaine Laura Thompson, actuelle directrice adjointe de l’OIM. Réuni à Genève, le Conseil de l’OIM, composé des représentants de 171 États, a élu <a href="https://www.iom.int/news/antonio-manuel-de-carvalho-ferreira-vitorino-elected-new-director-general-un-migration-agency">Antonio Vitorino</a> au poste de directeur général de cette organisation intergouvernementale.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225780/original/file-20180702-116135-b343jj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225780/original/file-20180702-116135-b343jj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=714&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225780/original/file-20180702-116135-b343jj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=714&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225780/original/file-20180702-116135-b343jj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=714&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225780/original/file-20180702-116135-b343jj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=897&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225780/original/file-20180702-116135-b343jj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=897&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225780/original/file-20180702-116135-b343jj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=897&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Antonio Vitorino, le nouveau patron de l’OIM.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/ea/Ant%C3%B3nioVitorino.png/512px-Ant%C3%B3nioVitorino.png">Lusa Agência de Notícias/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Antonio Vitorino, ancien Commissaire européen, a été ministre au sein du gouvernement portugais du premier ministre socialiste Antonio Guterres, actuel Secrétaire général des Nations unies. Il sera le dixième directeur de cette organisation.</p>
<p>Parmi ses neuf prédécesseurs, huit sont <a href="https://www.iom.int/dg-and-ddg">des citoyens des États-Unis</a>. Antonio Vitorino ne sera donc que le second directeur non-américain de l’histoire de cette organisation. Étant donné la grande proximité historique et politique entre l’OIM et le gouvernement américain, son élection – et la non-élection du candidat américain Ken Isaacs – est un véritable événement.</p>
<h2>L’épouvantail Ken Isaacs</h2>
<p>La campagne pour la direction de l’OIM a été marquée par les <a href="https://www.kenisaacs.com/">controverses autour de Ken Isaacs</a>, le candidat choisi par Donald Trump. Humanitaire de formation, Ken Isaacs travaille pour l’<a href="https://www.samaritanspurse.org/">association chrétienne évangélique Samaritan’s Purse</a>, active dans le développement et les réponses aux situations de crise.</p>
<p>Surtout, il a tenu d’innombrables propos pour le moins problématiques. Selon lui, les droits ne proviennent pas des États, <a href="https://www.letemps.ch/monde/ken-isaacs-candidat-controverse">mais de Dieu</a>. Il a qualifié l’islam de religion « violente » et a affirmé que, dans la guerre en Syrie, la <a href="http://www.france24.com/fr/20180507-ken-isaacs-candidat-controverse-oim-organisation-internationale-migrations-trump-islam">priorité devait aller aux réfugiés chrétiens</a>. À l’instar de l’actuelle administration américaine, <a href="https://edition.cnn.com/2018/05/08/politics/kfile-ken-isaacs-presser-answer/index.html">il ne croit pas au changement climatique</a>, alors que la plupart des spécialistes s’accordent sur les liens entre migrations et réchauffement de la planète.</p>
<p>Des rumeurs avaient fait état de la volonté de plusieurs cadres de l’OIM de démissionner afin de ne pas avoir à travailler sous sa direction. À l’heure où l’administration Trump sépare les enfants migrants de leurs parents et les place dans des cages, la possible proximité entre le gouvernement américain et le directeur de la principale organisation internationale dans le domaine des migrations ne pouvait en effet manquer de susciter la perplexité.</p>
<p>D’autres rumeurs ont fait état d’un possible renoncement de Ken Isaacs, mais il n’en a rien été et l’administration américaine a continué de le <a href="https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/statement-press-secretary-ken-isaacs/">soutenir vigoureusement</a>.</p>
<h2>Une convergence d’intérêts politiques</h2>
<p>Il reste à savoir quelles seront les conséquences de cette élection sur les relations entre l’OIM et les États-Unis. Cette relation est d’abord affaire de budget. En 2016, le gouvernement américain a financé cette organisation <a href="https://www.state.gov/documents/organization/267550.pdf">à hauteur de 477 millions de dollars</a> : les USA sont ainsi le plus gros contributeur et leur apport représente environ un <a href="https://www.cfr.org/article/funding-united-nations-what-impact-do-us-contributions-have-un-agencies-and-programs">tiers du budget total</a>.</p>
<p>Autant dire qu’il est difficile pour cette organisation de contester les orientations du gouvernement américain. Malgré les polémiques, dans un contexte où l’administration Trump n’a pas hésité à <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/jan/14/trump-cut-millions-united-nations-agency-palestinian-refugees">réduire drastiquement le financement de certaines agences internationales</a>, la plupart des observateurs prévoyaient donc l’élection du candidat américain Ken Isaacs.</p>
<p>Mais dans ce cas précis, les rapports entre l’OIM et les États-Unis s’inscrivent dans une histoire spécifique et une convergence d’intérêts politiques. L’OIM fut créée en 1951 sous le nom de <em>Provisional Intergovernmental Committee for the Movements of Migrants from Europe</em>. Sa mission était de résoudre le problème de ce qu’on appelait alors la « surpopulation » en Europe, c’est-à-dire la situation de toutes les personnes déplacées par la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>Les États-Unis finançaient alors la reconstruction de l’Europe avec le Plan Marshall et voyaient ces personnes comme des obstacles à la reprise économique, et comme des facteurs d’instabilité politique, susceptibles d’être attirés par la propagande communiste. Il convenait donc de les déplacer vers d’autres contrées. Entre 1952 et 1960, l’OIM aida plus d’un million de personnes à quitter l’Europe, notamment vers l’Amérique latine et l’Australie.</p>
<h2>Hors du système des Nations unies</h2>
<p>La tâche de venir en aide aux personnes déplacées par la guerre aurait pu échoir au Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), lequel avait été créé à peine une année avant l’OIM. Mais les États-Unis étaient sceptiques à l’égard du HCR. Dans un contexte de début de Guerre froide, il le soupçonnait d’être sous influence communiste. De plus, la Convention de Genève sur les réfugiés prévoyait avant tout la protection des personnes déplacées, alors que les États-Unis se souciaient plutôt de leur déplacement effectif vers d’autres régions.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225784/original/file-20180702-116147-12bhpf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225784/original/file-20180702-116147-12bhpf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225784/original/file-20180702-116147-12bhpf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225784/original/file-20180702-116147-12bhpf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225784/original/file-20180702-116147-12bhpf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225784/original/file-20180702-116147-12bhpf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225784/original/file-20180702-116147-12bhpf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des déplacés au Sud-Soudan pris en charge par le HCR (ici en 2012).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/dfid/6972528722">DFID/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>C’est pourquoi l’OIM fut placée hors du système des Nations unies. Cela signifiait notamment qu’elle n’était pas contrainte par le cadre normatif fixé par la Charte des Nations unies et la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Aujourd’hui, cette rivalité entre le HCR et l’OIM est toujours d’actualité : là où le premier protège les réfugiés sur place, la seconde se préoccupe moins de leurs droits et davantage de les déplacer ou de les contenir là où les gouvernements le souhaitent.</p>
<h2>Un prestataire de services en pleine croissance</h2>
<p>Après une histoire chaotique, l’OIM s’est massivement développée depuis les années 1990. En 1998, l’ONU comptait 188 États membres, mais l’OIM seulement 67. Vingt ans plus tard, en 2018, cette dernière en compte bientôt 171, contre 193 pour l’ONU. L’OIM dispose de plus de 400 bureaux dans 150 pays, pour un budget (en 2017) de 1,614 milliards de dollars, et de plus de 10 000 employés, dont la très grande majorité sont « sur le terrain ».</p>
<p>L’OIM a également massivement diversifié ses activités. Dans la plupart des cas, elle fonctionne comme un prestataire de services : les gouvernements la paient pour effectuer des tâches de gestion des migrations qu’ils externalisent ainsi à une agence spécialisée.</p>
<p>Il s’agit, par exemple, d’organiser les retours dits « volontaires » de migrants : aux quatre coins de la planète, l’OIM prend en charge des migrants en situation irrégulière et, moyennant une aide financière et quelques pressions psychologiques, leur propose de rentrer « volontairement » dans leur pays d’origine – ce qui est moins coûteux et plus présentable que de les expulser par la force.</p>
<p>L’OIM organise également des programmes de migration de main d’œuvre, gère des centres d’accueil ou de détention pour migrants, aide les gouvernements à réformer leur appareil législatif, lutte contre la traite et le trafic d’êtres humains, organise des services médicaux dans les lieux de détention, forme des douaniers, des garde-frontières, etc.</p>
<h2>Impliqué dans le contrôle des migrations</h2>
<p>Dans un contexte où les politiques migratoires des États sont largement axées sur la lutte contre l’immigration irrégulière, l’OIM est inévitablement impliquée dans des tâches de contrôle des migrations, voire dans le « sale boulot » que les gouvernements lui délèguent.</p>
<p>Cela l’expose à de nombreuses critiques. En 2003, <a href="https://www.amnesty.org/download/Documents/108000/ior300112003en.pdf">Amnesty International</a> affirma que l’OIM appliquait sa politique de « retour volontaire » à des personnes qui auraient dû bénéficier de la protection accordée aux réfugiés, les exposant ainsi à de graves risques dans leur pays d’origine. <a href="http://pantheon.hrw.org/legacy/backgrounder/migrants/iom-submission-1103.pdf">Human Rights Watch</a>, de son côté, s’alarma de la propension de l’OIM à enfermer des migrants dans des centres fermés, les privant ainsi de certains droits fondamentaux.</p>
<p>En 2013, le <a href="http://repository.un.org/bitstream/handle/11176/272693/A_68_283-FR.pdf?sequence=4&isAllowed=y">Rapporteur de l’ONU sur les droits des migrants</a> a exprimé des doutes quant au respect par l’OIM des droits des migrants et des réfugiés. Des activistes plus radicaux ont également lancé une campagne contre l’OIM, accusée d’être un mercenaire dans la guerre que les États livrent aux migrations irrégulières.</p>
<h2>Face à l’échec des politiques actuelles</h2>
<p>Cela n’a pas empêché l’OIM de prospérer et de devenir, en 2016, une <a href="https://www.iom.int/news/iom-becomes-related-organization-un">organisation apparentée aux Nations unies</a>. Depuis, l’OIM se présente comme « l’organisme des Nations unies chargé des migrations ». Ce rapprochement s’inscrit dans le cadre d’un ambitieux effort pour instaurer une approche multilatérale des questions migratoires.</p>
<p>Dans un contexte de crise des migrations en Méditerranée, l’ONU a proposé un <a href="https://www.un.org/sg/fr/content/sg/articles/2018-01-11/towards-new-global-compact-migration">Pacte mondial sur les migrations</a>, actuellement en cours de négociations, et dont le but est de promouvoir des politiques plus équilibrées en la matière.</p>
<p>L’OIM est la cheville ouvrière de ces négociations. Antonio Vitorino s’est déclaré favorable <a href="http://graduateinstitute.ch/home/research/research-news.html/_/news/corporate/2018/antonio-vitorino-global-compact">aux efforts de l’ONU en la matière</a>, tandis que l’une des premières décisions de l’administration Trump a, au contraire, été de <a href="https://www.nytimes.com/2017/12/03/world/americas/united-nations-migration-pact.html">s’en retirer</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225785/original/file-20180702-116120-11wj10k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225785/original/file-20180702-116120-11wj10k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225785/original/file-20180702-116120-11wj10k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225785/original/file-20180702-116120-11wj10k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225785/original/file-20180702-116120-11wj10k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225785/original/file-20180702-116120-11wj10k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225785/original/file-20180702-116120-11wj10k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Opération Triton en Méditerranée (juin 2015).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/99/LE_Eithne_Operation_Triton.jpg/640px-LE_Eithne_Operation_Triton.jpg">Irish Defence Forces/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Le dilemme est évident. En tant qu’organisation internationale et apparentée au système de l’ONU, l’OIM devrait œuvrer à des politiques migratoires dans l’intérêt de tous les États, respectueuses des droits fondamentaux, ainsi que des autres impératifs de la communauté internationale (lutte contre le changement climatique, développement, prévention des conflits, etc.).</p>
<p>Mais en tant qu’agence historiquement proche des États-Unis et des pays développés, et dans la mesure où elle dépend financièrement de ces États, l’OIM est au service de leur objectif de fermeture des frontières, dont les effets délétères sont innombrables : décès de migrants, inflation des réseaux de passeur, violations des droits fondamentaux, coopération avec des pays où l’État de droit inexistant, etc.</p>
<p>Il s’agit maintenant de savoir comment le nouveau directeur de l’OIM abordera ces défis, et comment cette organisation se positionnera face aux enjeux hautement sensibles que soulèvent les flux migratoires aujourd’hui. Face à la complexité de la question et à l’échec des politiques actuelles, le monde a sans aucun doute besoin d’une organisation spécialisée sur ce sujet. Mais il est à craindre que les contraintes qui pèsent sur l’OIM l’empêchent malheureusement de jouer ce rôle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/99170/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’OIM fonctionne comme un prestataire de services : les gouvernements la paient pour effectuer des tâches de gestion des migrations qu’ils externalisent ainsi à une agence spécialisée.Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordMariette Grange, Chercheuse, Global Detention ProjectLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/990532018-06-28T08:28:48Z2018-06-28T08:28:48ZEurope : le tandem franco-allemand à l’épreuve de la crise migratoire<p>Dans de nombreux discours – discours de la Sorbonne, de Berlin à l’université Humboldt, plus récemment, le 10 mai 2018, lors de la remise qui lui a été faite à Aix-la-Chapelle du prix Charlemagne –, Emmanuel Macron a exposé, précisé, adapté son projet pour relancer l’Europe.</p>
<p>Le comité qui attribue chaque année le prix à une personnalité particulièrement méritante en matière européenne a justifié son choix par la vision qu’E. Macron développe d’une refondation de l’Europe sur la base d’une « souveraineté européenne » et souhaité honorer tout particulièrement l’enthousiasme avec lequel celui-ci s’engage en faveur de l’Europe, contre toute forme de nationalisme et d’isolationnisme pour promouvoir une nouvelle forme de coopération entre les peuples et les nations. <a href="https://www.karlspreis.de/de/aktuelles/karlspreis-2018">Le comité a exprimé le souhait</a> que ses propositions inspirent ses partenaires européens et contribuent à renouveler le projet européen.</p>
<p>Les médias en France ont surtout retenu du discours du président français qu’il avait « égratigné » la chancelière quand il avait reproché à l’Allemagne son « fétichisme des excédents budgétaires et commerciaux ». Chargée de faire l’éloge du récipiendaire, A. Merkel a pu paraître agacée par ce reproche fait en public, mais elle a également annoncé les principaux éléments de réponse qu’elle s’apprêtait à fournir aux propositions françaises.</p>
<h2>Trouver « des chemins communs »</h2>
<p>Dans le contexte du centenaire de la Première Guerre mondiale, Angela Merkel rappelait dans un premier temps l’importance de l’Europe comme remède à la guerre et comme moteur de la paix, mais aussi de la démocratie et de l’état de droit. Elle a ensuite évoqué la méthodologie de la coopération franco-allemande, mettant la volonté d’arriver à des propositions communes au-dessus de la culture des différences entre les deux pays :</p>
<blockquote>
<p>« Nous avons des cultures politiques différentes, nous abordons les thèmes européens souvent à partir d’orientations différentes, mais nous parlons et écoutons l’autre et finalement nous trouvons des chemins communs. »</p>
</blockquote>
<p>Dans son discours d’Aix-la-Chapelle, la chancelière a nommé quatre domaines prioritaires de la coopération franco-allemande pour servir l’Europe :</p>
<ul>
<li><p>l’innovation pour renforcer l’économie à l’ère de la globalisation et de la numérisation ;</p></li>
<li><p>la politique migratoire passant par une réforme européenne du droit d’asile et une politique africaine commune ;</p></li>
<li><p>l’union bancaire et l’union des marchés financiers pour consolider la zone euro ;</p></li>
<li><p>la politique étrangère, de sécurité et de défense dans une période où il n’était plus possible de compter comme avant sur les États-Unis.</p></li>
</ul>
<h2>Un budget d’investissement pour l’Union, sous le contrôle du Bundestag</h2>
<p>Certes, les propositions d’Emmanuel Macron allaient plus loin mais celui-ci avait déjà réduit la voilure de son programme de réforme de l’Europe, admettant que l’Allemagne n’accepterait pas la création au sein de l’Union européenne d’une nouvelle institution parlementaire pour la seule zone euro et pas davantage la création d’un ministre des Finances.</p>
<p>S’il est en effet une constante de la politique européenne de l’Allemagne, c’est de chercher à entraîner l’ensemble des membres de l’Union. Autrement dit, les 27 sans la Grande-Bretagne, du moins si celle-ci la quitte effectivement. Ce à quoi l’Allemagne semble ne se résoudre que difficilement, Londres étant un partenaire politique et économique essentiel évoluant vers plus de marché et moins d’intégration.</p>
<p>Dans un entretien accordé à la <a href="http://www.faz.net/aktuell/politik/inland/kanzlerin-angela-merkel-f-a-s-interview-europa-muss-handlungsfaehig-sein-15619721.html"><em>Frankfurter Allgemeine Zeitung</em></a> le 3 juin 2018, Angela Merkel a concrétisé les débuts de réponse qu’elle avait faites à Emmanuel Macron à Aix-la-Chapelle.</p>
<p>Tous deux ont réaffirmé leurs engagements <a href="https://www.saarbruecker-zeitung.de/politik/themen/das-europa-signal-von-schloss-meseberg_aid-23512487">lors du conseil des ministres franco-allemand de Meseberg le 19 juin</a>. La chancelière accepte l’idée – à vrai dire prévue dans le contrat de coalition signé par la CDU-CSU et le SPD – d’un « budget d’investissement » de l’ordre de 1 à 2 dizaines de milliards d’euros pour permettre aux pays membres d’« atteindre plus rapidement une convergence économique ». Ce budget apparaît en Allemagne comme un complément aux effets redistributifs de l’aide apportée par l’Union européenne aux régions en difficulté.</p>
<p>Reste à préciser pour ce nouveau budget le calendrier de son introduction, sa place dans les structures européennes existantes et son contrôle parlementaire, en particulier par le Bundestag. Le mécanisme européen de stabilité (MES) est appelé à se transformer en véritable Fonds monétaire européen, à l’instar du FMI, afin de fournir à des pays membres en difficulté une aide financière remboursable de plus ou moins longue durée – mais sous condition, comme dans le cas du FMI, des réformes jugées nécessaires. Le Bundestag, conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral constitutionnel, devra être consulté.</p>
<p>La chancelière a également souhaité que le budget européen pour les années 2021-2027 soit bouclé avant les élections européennes de mai 2019 – un objectif raisonnable mais aussi une façon de remettre à plus tard des réformes qui nécessiteraient une révision des traités européens.</p>
<h2>En matière de défense, « rendre possible ce qui est nécessaire »</h2>
<p>Enfin, Angela Merkel a repris l’idée chère à Emmanuel Macron d’une initiative en matière de défense. Elle soutient la création d’une troupe d’intervention européenne mais, à l’inverse de Macron qui, pour des raisons de réactivité, souhaiterait la placer en dehors de la PESCO, celle-ci devrait être chapeautée par cette Coopération structurée permanente (Permanent Structured Cooperation en anglais).</p>
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<p>On retrouve dans l’ensemble des réponses faites par l’Allemagne à la France les éléments d’un compromis entre politiques et stratégies différentes des deux pays : les deux États avancent pas à pas vers une proposition commune à faire aux pays membres de l’Union. Mais ce n’est pas une initiative-choc susceptible d’emporter l’enthousiasme, plutôt la politique dont un ancien homme politique allemand social-démocrate, Herbert Wehner, disait qu’elle était « l’art de rendre possible ce qui est nécessaire », mais qu’elle consistait également à « percer des planches de bois dures ».</p>
<p>L’exemple de l’initiative de défense est exemplaire des approches différentes entre la France et l’Allemagne : la première vise une plus grande autonomie par rapport à l’OTAN et souhaite créer des capacités d’intervention à l’extérieur qui puissent intervenir vite ; l’Allemagne continue, malgré son souci de prendre en compte la nouvelle donne américaine, de tabler sur la pérennité du lien transatlantique et reste peu disponible pour une politique européenne de puissance en raison de son histoire.</p>
<p>Mais cet accord peut-il entraîner le reste de l’Europe ?</p>
<h2>Une force d’entraînement amoindrie</h2>
<p>S’il reste vrai que rien en Europe ne peut se faire contre l’Allemagne et la France, il n’est dans le contexte européen d’aujourd’hui nullement assuré que la tandem franco-allemand ait la force d’entraînement requise.</p>
<p>C’est dû au positionnement des pays dits de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) qui n’ont pas acquis, près de 30 ans après leur indépendance et plus de 15 ans après leur entrée dans l’Union européenne, la même culture occidentale des valeurs européennes en matière de démocratie et d’État de droit, et restent globalement attachés à la protection américaine contre une Russie perçue comme hégémonique et potentiellement dangereuse.</p>
<p>Et surtout, la question migratoire a creusé le fossé entre Europe de l’Est et Europe de l’Ouest. Sans parler de l’Italie dont le nouveau premier ministre, Giuseppe Conte, a déclaré qu’il ne se rendrait pas au mini-sommet informel prévu le 24 juin à Bruxelles à l’invitation du président de la Commission européenne sur une idée d’Angela Merkel s’il s’agissait <a href="https://nachrichten-aktuelle.com/2018/06/21/asylstreit-mini-gipfel-in-bruessel-csu-bleibt-unsicherheitsfaktor/">« de parler sur la base d’un document franco-allemand préparé d’avance »</a>.</p>
<p>À Meseberg, la France et l’Allemagne venaient de faire cause commune sur la question du renforcement de la zone euro, mais Emmanuel Macron avait également soutenu le point de vue de la chancelière sur la crise migratoire, à savoir de trouver une solution européenne pour éviter que les États nationaux recourent à des mesures séparées, la France s’engageant à reprendre des demandeurs d’asile séjournant en Allemagne mais enregistrés en France. Cette mise en garde montre assez les limites actuelles du tandem franco-allemand.</p>
<h2>Déchirements entre chrétiens-démocrates allemands sur la crise migratoire</h2>
<p>De plus, la crise migratoire rattrape l’Allemagne, et tout particulièrement l’Union chrétienne-démocrate, CDU et CSU s’entredéchirant sur des questions de fond comme de détail qui n’apparaissent pas toujours rationnelles.</p>
<p>Le ministre fédéral de l’Intérieur, Horst Seehofer, est également président de la CSU bavaroise et entend, à ce titre, parler d’égal à égal avec la chancelière, présidente de la CDU, comme si la politique de la grande coalition relevait d’un accord personnel entre eux sans tenir compte du partenaire social-démocrate. H. Seehofer menace de recourir à des mesures nationales séparées à la frontière bavaroise si la chancelière ne parvient pas à un accord européen à l’issue du sommet de Bruxelles.</p>
<p>Il entend faire appliquer la règle de Dublin et renvoyer à la frontière les demandeurs d’asile enregistrés dans un autre pays d’accueil, se targuant, au nom de son autonomie de gestion ministérielle, d’avoir le droit de prendre de telles mesures, au besoin contre l’avis de la chancelière.</p>
<h2>En Allemagne, un reflux drastique des demandes d’asile</h2>
<p>Certes l’Allemagne compte aujourd’hui 1,41 million de réfugiés contre 402 000 en France et 355 000 en Italie. De 442 000 en 2015, les demandes d’asile sont passées à 722 000 en 2016, mais elles sont retombées à 198 000 en 2017. Et depuis le début de l’année 2018, le nombre de demandes enregistrées est <a href="https://www.t-online.de/nachrichten/deutschland/gesellschaft/id_83984486/asyl-fakten-im-detail-so-viele-fluechtlinge-wurden-bereits-abgewiesen.html">inférieur à 70 000</a>. Par ailleurs, il ne se présente guère actuellement de réfugiés <a href="https://www.t-online.de/nachrichten/deutschland/innenpolitik/id_83991046/asylstreit-viel-stau-wenig-fluechtlinge-der-alltag-an-bayerns-grenze.html">aux trois postes-frontière bavarois</a> où le ministre fédéral de l’Intérieur voudrait exercer ses prérogatives.</p>
<p>La CSU a pourtant choisi de mettre la crise migratoire au sein du débat politique au point de menacer de faire exploser le gouvernement fédéral et son appartenance commune au groupe parlementaire chrétien-démocrate au Bundestag. Les prises de position de H. Seehofer s’expliquent par la crainte que la CSU perde sa majorité absolue en Bavière aux élections régionales du 14octobre prochain. Elle poursuit l’objectif fort incertain de récupérer des électeurs de l’Alternative pour l’Allemagne dont le succès s’explique par la crise migratoire depuis 2015.</p>
<p>Horst Seehofer est d’autant plus enclin à adopter une position jusqu’au-boutiste que, chassé du poste de ministre-président de Bavière par son rival, Markus Söder, il souhaite s’affirmer comme président du parti pour ne pas en être également écarté.
Par ailleurs, il y a dans l’affrontement Seehofer-Merkel un affrontement d’« egos » qui n’est pas sans rappeler celui entre Arnaud Montebourg et François Hollande en France en son temps.</p>
<h2>L’extrême droite allemande en embuscade</h2>
<p>Il reste que les objectifs poursuivis par Horst Seehofer d’une part et la CSU d’autre part ne sont pas clairs et certainement risqués. D’autant que la discorde entre les deux partis censés être frères semble leur nuire au plan national comme au plan local. Selon un sondage INSA du 26juin, la CDU-CSU ne récolterait pas plus de 29 % des suffrages des électeurs tandis que l’AfD passerait à 16 %. D’autres sondages sont, à vrai dire, <a href="http://www.wahlrecht.de/umfragen/index.htm">moins alarmistes</a>.</p>
<p>Quant aux élections bavaroises, le <a href="https://dawum.de/Bayern/">dernier sondage publié</a> met la CSU à 40,4 % et l’AfD à 13,2 %,soit une baisse de 1,5point par rapport au sondage du mois de mai pour la CSU et un progrès relatif de 0,8 point pour l’AfD, tandis que toutes les autres formations progressent légèrement, à l’exception du SPD qui reste stable dans les intentions de vote.</p>
<p>Ce sondage montre, en tous cas, que la rhétorique anti-migratoire de la CSU ne la fait pas remonter : elle reste loin des 47,7 % obtenus en 2013, et plus loin encore des 60,7 % de 1998. À noter qu’en 2003 déjà la CSU (43,4 %) avait été obligée de former une coalition avec le FDP (Libéraux) sous la direction de Horst Seehofer !</p>
<h2>Fin de partie pour Merkel ?</h2>
<p>Jusqu’à preuve du contraire, la discorde entre Seehofer et Merkel a déjà nui aux deux partis lors des élections fédérales du 24septembre 2017. Peut-être faut-il voir là la relative patience de la chancelière qui vient, par ailleurs, à la veille du sommet de Bruxelles, de recevoir un <a href="http://www.spiegel.de/politik/deutschland/frank-walter-steinmeier-fordert-kompromiss-in-der-asylpolitik-vor-eu-gipfel-a-1215296.html">soutien appuyé du Président fédéral, Frank-Walter Steinmeier</a>, qui plaide pour une solution européenne négociée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225279/original/file-20180628-112644-kl9u9k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225279/original/file-20180628-112644-kl9u9k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225279/original/file-20180628-112644-kl9u9k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225279/original/file-20180628-112644-kl9u9k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225279/original/file-20180628-112644-kl9u9k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=958&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225279/original/file-20180628-112644-kl9u9k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=958&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225279/original/file-20180628-112644-kl9u9k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=958&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La couverture du dernier numéro de l’hebdomadaire Spiegel.</span>
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<p>Quoi qu’il en soit et quels que soient les scénarios catastrophes qu’une telle situation ne peut qu’engendrer, la position de la chancelière est fortement fragilisée. Cela ne lui donne pas la liberté de manœuvre et la sérénité nécessaire pour envisager de grands projets en Allemagne comme en Europe. À ce point que le magazine hambourgeois <em>Der Spiegel</em> n’a pas hésité à faire sa couverture du 23juin sur le thème : « Endzeit » (Fin de partie), avec une Merkel représentée par ses mains formant un cœur. Tout en relativisant les choses dans la conclusion de l’article que cette couverture illustre : ce pourrait n’être que le début de son « crépuscule ».</p>
<p>Quant au premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, il a tenu à préciser qu’à Bruxelles on ne se rencontrait pas pour décider de l’avenir de la chancelière.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/99053/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Vaillant est secrétaire général de l'Association pour la connaissance de l'Allemagne d'aujourd'hui (ACAA), directeur de la revue «Allemagne d'aujourd'hui» et membre du centre de recherche pour l'étude civilisations, lettres et langues étrangères (CECILLE) de l'Université de Lille Sciences humaines et sociales.</span></em></p>Si rien en Europe ne peut se faire contre l’Allemagne et la France, il n’est pas assuré dans le contexte européen d’aujourd’hui que le tandem franco-allemand ait la force d’entraînement requise.Jérôme Vaillant, Professeur émérite de civilisation allemande, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.