tag:theconversation.com,2011:/global/topics/droit-des-societes-48619/articlesdroit des sociétés – The Conversation2020-10-25T16:44:35Ztag:theconversation.com,2011:article/1477692020-10-25T16:44:35Z2020-10-25T16:44:35ZDu Maghreb au Liban : L’heure des sociétés civiles ?<p>Après la destruction partielle de la ville de Beyrouth par <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/04/un-mois-apres-l-explosion-au-port-de-beyrouth-l-enquete-pointe-la-negligence-des-autorites_6050916_3210.html">l’explosion</a> de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, l’État libanais éprouve bien des difficultés à répondre aux injonctions de la communauté internationale qui lui intime de se réformer. Depuis près d’un an, le pouvoir en place est pris pour cible dans de nombreuses manifestations de rue, jusqu’à faire du pays des cèdres, une potentielle poudrière, qui vient résonner de manière singulière avec les soulèvements du <a href="https://theconversation.com/larmee-algerienne-a-lepreuve-du-mouvement-citoyen-du-hirak-131798">Hirak</a> en Algérie, mais aussi les mouvements observés au <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/revue-de-presse-internationale/la-revue-de-presse-internationale-emission-du-mardi-19-mai-2020">Chili</a>, en <a href="https://www.lesechos.fr/monde/ameriques/equateur-la-contestation-samplifie-la-distribution-de-petrole-touchee-1138881">Équateur</a>, à <a href="https://www.leparisien.fr/international/hongkong-cinq-minutes-pour-comprendre-le-retour-de-la-contestation-01-07-2020-8345499.php">Hongkong</a>, en <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1233502/en-egypte-une-reprise-de-la-contestation-dans-plusieurs-grandes-villes.html">Égypte</a> et en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/10/24/en-guinee-la-contestation-anti-troisieme-mandat-ne-s-eteint-pas_1759534">Guinée</a> en 2019 et, un peu plus loin dans le temps, les <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02277919/document">printemps arabes</a> de 2011.</p>
<p>Assurément, la succession des mouvements de protestation qui secouent la planète, par leurs rapprochements et parfois similarités, interroge de plus en plus fortement la place et le rôle des sociétés civiles, qui expriment aussi bien un profond raz-le-bol vis-à-vis de leur situation que la nécessité d’agir solidairement pour faire face aux difficultés.</p>
<p>Assiste-t-on à un virage dans le fonctionnement des sociétés, qu’elles soient démocratiques ou non ? Faut-il y voir un épiphénomène ou des changements plus profonds sur lesquels se fonder pour lire autrement l’évolution du monde ?</p>
<h2>Les sociétés civiles au cœur de l’action locale</h2>
<p>La recherche que nous venons de terminer au Maghreb, et qui vient de donner lieu à la sortie d’un livre, <a href="http://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/la-face-cachee-des-societes-civiles-au-maghreb/"><em>La face cachée des sociétés civiles au Maghreb</em></a> aux éditions de l’Aube, révèle des <a href="https://journals.openedition.org/regulation/7787">sociétés civiles</a> de plus en plus actives : non seulement elles s’opposent aux régimes en place, mais elles montrent aussi une capacité certaine à se prendre en main pour mener des actions dans les domaines socio-économique, culturel et environnemental, et suppléer, de fait, aux déficiences de l’État. Ainsi en est-il des collectifs d’habitants et d’un grand nombre d’associations que nous sommes allés observer.</p>
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<p>Dans l’éducation, les associations sont nombreuses à investir le champ du préscolaire, de la socialisation des jeunes dans les quartiers périphériques des grandes villes, là où les politiques publiques sont absentes ou quasi absentes. Dans le domaine de l’aide à l’emploi, des associations sont également là pour accompagner la formation professionnelle, faciliter l’insertion socio-économique des jeunes et des femmes, surtout. En matière de solidarités locales, de multiples initiatives existent à l’échelle de l’îlot, du quartier, de la commune, pour tenter d’accompagner les plus démunis, les exclus, les personnes en situation de handicap, etc. Il en est de même dans le secteur environnemental, avec la gestion et le recyclage des déchets ou la sensibilisation à l’éco-citoyenneté. Certaines des actions menées, avec ou sans l’aide des pouvoirs publics ou des acteurs de la coopération internationale, ont même pris de telles dimensions qu’elles seraient en capacité de préfigurer ou, à défaut, d’inspirer des politiques publiques. C’est le cas, par exemple de bien des actions de socialisation et d’accompagnement vers la formation ou l’emploi des jeunes dans les quartiers populaires, qui font parfois mieux que certains volets de la politique de la ville, telle qu’on peut l’observer en France, par exemple.</p>
<p>Même si ces actions sont loin, très loin, de répondre à l’immensité des besoins, elles sont révélatrices des bouleversements en cours, des besoins à satisfaire et des manques de l’État. Reflets des évolutions en cours de ces sociétés, elles sont pour certaines innovantes, mues par l’esprit démocratique, sensibles à l’avenir de la planète mais aussi, pour d’autres, orchestrées, manipulées, obscurantistes, soucieuses de restaurer les conservatismes du passé.</p>
<h2>Questionner les systèmes politiques actuels</h2>
<p>Nul ne peut dire ce qu’il adviendra à long terme de ces mouvements capables de se révolter contre les pouvoirs en place, de se structurer, de s’organiser pour pallier les déficiences des pouvoirs publics dans de nombreux domaines. En attendant, l’histoire des sociétés civiles mais aussi leur actualité récente révèlent les différentes perspectives sociétales qui s’offrent à nous, entre progressisme, laisser-faire et conservatisme, tout en allant dans le sens d’une affirmation sans cesse grandissante de l’acteur qu’elles représentent, et donc d’une vérification potentielle de leur force et organisation face ou sans les pouvoirs en place. De tels phénomènes qui prennent de l’ampleur, dans les régimes démocratiques comme autoritaires, suggèrent de nouvelles pistes de réflexion.</p>
<p>D’abord, il apparaît que la lecture que l’on fait généralement de la nature des régimes politiques pour expliquer ce qui relève ou non de la modernité ou du progressisme est de moins en moins opérante pour interpréter la nature et l’ampleur des mouvements sociaux, prouvant, si jamais cela était nécessaire, que nos démocraties occidentales dites « développées » sont elles aussi atteintes d’un véritable malaise, celui de ne plus savoir privilégier le bien-être du plus grand nombre, comme de veiller aux valeurs fondamentales de la solidarité et de l’égalité entre tous. Est-ce à dire que l’idéal démocratique, issu du siècle des Lumières et de la Révolution française, serait définitivement mort ? Assurément pas. Au contraire, ce qu’on a observé au Maghreb, en <a href="https://theconversation.com/lautre-visage-des-revoltes-en-tunisie-une-societe-civile-de-plus-en-plus-forte-et-affirmee-90865">Tunisie</a> et au Maroc d’abord, en <a href="https://theconversation.com/en-algerie-la-longue-marche-de-la-societe-civile-113396">Algérie</a>, ensuite, comme ce qui se passe aujourd’hui dans bien des pays, dont le Liban et la France, en est la preuve.</p>
<p>Ensuite, on constate que le modèle de développement économique libéral qui est le nôtre, partout sur la planète, est sans doute l’élément explicatif le plus probant de la crise globale du politique, de son incapacité à répondre aux maux de nos sociétés, et du coup, de la montée en puissance des sociétés civiles comme bouclier aux dérives du système. Et ce que révèle un peu plus la crise sanitaire, c’est bien les lacunes d’un modèle de développement qui a négligé l’humain, privilégié l’économique, oublié la planète, avec un démantèlement progressif de l’État-providence dans les démocraties occidentales.</p>
<p>A partir de là, ce que suggère la crise que nous traversons, dans la continuité de ce que le monde vit depuis quelque temps, c’est la capacité des sociétés civiles non seulement à se révolter, mais aussi à s’organiser et à se structurer pour sauver des vies et surmonter les épreuves. Seule l’histoire le dira, mais il est peu probable que les pouvoirs politiques ressortent partout grandis de la gestion de cette crise, notamment parce qu’elle aura révélé au grand jour leurs responsabilités, dans la gestion de la crise peut-être, mais aussi et surtout dans les dérives de notre modèle de développement qui sévit depuis les années 1980, dont ils portent la responsabilité en tant que partenaires des intérêts économiques dominants.</p>
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<p>Nous formulons donc l’hypothèse que si les États se révèlent incapables de procéder à la <a href="https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1998_num_96_1_7069">révolution copernicienne</a> qu’il leur faut réaliser, le monde sera de plus en plus divisé entre des forces conservatrices arc-boutées sur leurs privilèges et des mouvements potentiellement révolutionnaires, parfois violents, parfois pacifistes, mais aussi – la crise actuelle le montre – de plus en plus solidaires face aux pouvoirs en place.</p>
<h2>De l’espoir ?</h2>
<p>Nous formulons aussi un souhait. Avec ce que certains pans des sociétés civiles indiquent aujourd’hui de leur capacité de résilience, il y a de quoi être inspiré pour donner naissance à un monde fondamentalement nouveau, où la démocratie n’est pas que la question de la participation, mais aussi celle des valeurs, où l’économie locale sait résister aux sirènes de la mondialisation, où les entreprises partent du territoire pour penser leurs stratégies.</p>
<p>Le nouveau système est là, dans une pensée renouvelée de la vie en société à partir du local, mais aussi dans un ré-enchantement du politique, qui ne s’attacherait qu’à valoriser cette dimension et à s’assurer de la bonne marche du monde, sur la base d’États et d’une gouvernance mondiale déconnectée des lobbies et des logiques du système actuel.</p>
<p>En cela, le chemin parcouru si rapidement par les sociétés civiles au Maghreb, en écho à la montée des <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2013-4-page-49.htm">sociétés civiles au Liban</a> et ailleurs dans le monde, représente, dans un temps très court de l’histoire, un des révélateurs les plus probants de la conscientisation de la situation, de l’urgence d’agir et des soubresauts de ce que peut être le monde de demain, un monde où la politique redeviendrait la <em>Res publica</em>, et les gouvernants, les premiers partenaires des citoyens. </p>
<p><em>Fatima Chahid, juriste spécialisée dans la gouvernance locale au Maroc, et Martin Péricard, chef de projet à l’Agence française de développement (AFD), ont contribué à la rédaction de cet article.</em></p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147769/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Matteudi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La montée en puissance des sociétés civiles au Maghreb et au Liban s’explique dans une large mesure par les carences des politiques publiques.Emmanuel Matteudi, Professeur des universités en urbanisme, IMéRALicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1480642020-10-18T15:56:10Z2020-10-18T15:56:10ZBonnes feuilles : « La face cachée des sociétés civiles au Maghreb : un espoir pour demain ? »<p><em>En Afrique du Nord comme en de nombreux autres points du globe, les sociétés civiles revendiquent leurs droits, exigent davantage de justice, s’engagent dans un dialogue souvent difficile avec les autorités, s’investissent dans le quotidien et l’avenir de leurs pays. Emmanuel Matteudi, professeur à l’Institut d’urbanisme et d’aménagement régional d’Aix-Marseille et responsable de la chaire <a href="https://www.chaire-mediterranee-transitions.fr/">« Sociétés civiles, transitions urbaines et territoriales en Méditerranée »</a> (Fondation AMIDEX-AMU), Fatima Chahid, juriste spécialisée dans la gouvernance locale au Maroc, et Martin Péricard, chef de projet à l’Agence française de développement (AFD), décryptent, dans leur ouvrage intitulé : <a href="http://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/la-face-cachee-des-societes-civiles-au-maghreb/">La face cachée des sociétés civiles au Maghreb : un espoir pour demain ?</a>, paru aux éditions de l’Aube en septembre 2020, les actions menées par les sociétés civiles au Maghreb. De la Tunisie au Maroc en passant par l’Algérie, ce travail d’enquête éclaire notre compréhension de l’engagement citoyen dans le cadre de la reconstruction de la société maghrébine à la suite du printemps arabe.</em></p>
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<p>À la lumière des événements actuels, observer les sociétés civiles et leurs formes d’expression est plus que jamais nécessaire, notamment parce qu’il y a des effets de résonance dans les événements que nous vivons, bien plus que de déconnexion, qui indiquent aux gouvernants l’obligation d’agir au plus vite.</p>
<p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=oK8ud2wOdY0">Les sociétés civiles</a> se réveillent, offrent un visage que l’on méconnaissait, sous-estimait, pour dénoncer les inégalités et les injustices, ainsi que la maltraitance de notre planète, quand un virus révèle par ailleurs la voie à suivre pour sortir d’un modèle capitaliste arrivé à bout de souffle. Sommes-nous dès lors conviés à un rendez-vous essentiel de notre histoire ? C’est à supposer. Et surtout à espérer. En attendant, les sociétés civiles disent et révèlent des choses qu’il nous faut plus que jamais considérer. D’où l’absolue nécessité, particulièrement à la lumière de la crise que nous traversons, de les observer et de les considérer dans leur profondeur historique comme dans les différentes dimensions de leur expression actuelle.</p>
<p>Ainsi, parmi les mouvements qui ont connu une ampleur sans précédent dans l’histoire récente, capables de faire tomber ou bousculer les régimes en place, au risque ou au point de provoquer des guerres civiles, il y a les <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02277919/document">printemps arabes</a>, qui, en 2011, ont secoué le monde et remis en question bien des certitudes vis-à-vis de la capacité des régimes en place à imposer leur carcan idéologique et à contrôler la liberté de chacun. Ce qui s’est alors déroulé sous nos yeux au Maghreb est venu nous interpeller, d’abord parce que personne ne semblait s’y attendre, ensuite parce que les événements ont eu un impact retentissant, et alimenté bien des analyses sur les causes et les effets de ces révolutions. Enfin, parce que les suites des printemps nécessitent une prise de recul que l’actualité ne permet pas d’avoir.</p>
<p>Ce livre trouve ainsi ses origines dans la recherche d’une meilleure compréhension de ce qui s’est passé, mais aussi dans des interrogations teintées d’inquiétude et d’espoir vis-à-vis de l’avenir du Maghreb et la place des sociétés civiles dans cette transformation. Comment expliquer que de tels événements se soient répandus comme une traînée de poudre en 2011 pour le Maroc et la Tunisie, puis en 2019 pour l’Algérie ? Que signifient-ils dans l’évolution de chacun des pays et de la volonté des citoyens de voir changer les choses ? Qu’en est-il aujourd’hui des changements provoqués sur le plan sociétal ? Comment appréhender ce que révèlent les situations économique et politique d’un côté, inscrites dans un temps court, visible et médiatisé de l’histoire, et ce qui se passe de manière profonde et parfois cachée, dans les « entrailles » des sociétés de chacun des pays ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Printemps arabe : 7 ans après, quel bilan ?</span></figcaption>
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<p>Habités par le sentiment que les questions posées ne trouvaient pas toujours de réponse, et ce malgré une littérature et des éclairages parfois passionnants des spécialistes de cette région sur la situation politique et les enjeux de la démocratisation réussie ou avortée des sociétés concernées par les printemps arabes, nous avons eu le désir d’apporter à la connaissance du Maghreb un travail d’investigation centré sur des dynamiques encore insuffisamment étudiées à ce jour, dans les domaines de l’éducation, de l’emploi, de la gestion locale des problématiques environnementales et/ou de la protection sociale : des dynamiques, en dehors de l’expression citoyenne sur l’espace public, susceptibles d’éclairer « autrement » les soubresauts les plus récents de l’histoire de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie.</p>
<p>[…]</p>
<p>Au travers de notre entrée « singulière » sur la société civile, nous voilà donc animés par le désir d’explorer les dynamiques parfois « invisibles » ou non prises en compte jusqu’alors dans l’observation des évolutions récentes des pays du Maghreb, sur des registres autres que la dimension politique de la citoyenneté. Nous voilà également intéressés et interpellés par la capacité de la société civile à faire bouger les lignes sur les questions sociales et environnementales à l’heure du réchauffement climatique et des limites du modèle de développement qui a prévalu jusqu’alors.</p>
<p>[…]</p>
<p>Bien des expériences menées à l’échelle locale montrent que la <a href="https://theconversation.com/les-societes-civiles-des-rives-sud-de-la-mediterranee-un-espoir-pour-demain-68944">société civile</a> est en capacité d’innover et d’expérimenter là où on ne l’attendrait pas forcément. D’abord, dans des secteurs sociaux vitaux comme le préscolaire, la socialisation des jeunes, la formation professionnelle et l’accompagnement vers l’emploi des plus démunis, que ce soit par le salariat ou l’entrepreneuriat individuel et collectif. Ensuite, dans des domaines essentiels du vivre-ensemble comme la gestion environnementale de proximité, à l’échelle d’un quartier, par des collectifs d’habitants, mais aussi des expériences de gouvernance locale démocratique ou encore de lutte pour les droits et la participation citoyenne à la vie publique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1192105936296595462"}"></div></p>
<p>Au regard des modes d’approche, ce sont souvent des expériences dans des domaines où les pouvoirs publics n’interviennent pas ou sont largement déficients. Ce sont aussi des porteurs de projets qui innovent, font des trouvailles pour lutter contre les difficultés du quotidien et prendre en compte les particularités du contexte dans lequel leurs actions sont menées. Et puis, il y a une perspective inédite pour certaines expériences, celle de s’autonomiser, notamment parce qu’à côté du modèle associatif classique qui a besoin des subsides de l’État ou des acteurs de la coopération internationale pour mener à bien ses projets sociaux, il y a parfois l’existence d’un modèle entrepreneurial qui permet de dégager des revenus, et donc, de faire vivre ce qu’on expérimente par ailleurs à perte.</p>
<p>Ces découvertes sont donc assurément les signes d’une évolution très intéressante et de changements inédits, suggérant que la manière de considérer l’appui ou le partenariat avec la société civile ne soit plus à faisceau unique (aide financière) ou à double entrée (aide financière et renforcement de capacités) mais à multiples configurations, dont celle du partenariat, en fonction des modèles qui se présentent aux pouvoirs publics comme aux bailleurs de fonds.</p>
<p>[…]</p>
<p>Reste maintenant à voir s’il est possible d’aller plus loin, d’abord pour comprendre et mesurer plus précisément ce qui se passe dans le tréfonds de nos trois sociétés, mais aussi, pour évaluer leur capacité à ne pas revenir en arrière.</p>
<p>Ce qui est clairement perceptible à ce jour, c’est d’abord, l’existence de sociétés en pleine mutation, et donc potentiellement instables, avec la montée des conservatismes religieux. Ce sont ensuite des ruptures générationnelles de plus en plus marquées entre les jeunes associations ou collectifs et les associations « historiques » dans tous les domaines observés : des ruptures qui sont d’ailleurs davantage liées aux manières de faire, à l’utilisation des réseaux sociaux et du numérique, plutôt qu’aux valeurs sociales, culturelles et écologiques qui les habitent. C’est encore le génie à l’œuvre sur lequel il faut compter, notamment au sein d’une société civile qui témoigne de sa capacité à créer, innover et surprendre. Quand une association développe un modèle hybride au modèle classique, combinant stratégie entrepreneuriale et valeurs associatives, quand une initiative citoyenne porte une action capable de préfigurer une politique publique ou qu’elle développe un projet en capacité d’être force de proposition pour les acteurs de la coopération internationale, il y a là, quelque chose d’un renversement paradigmatique qui témoigne de la maturité grandissante de la société civile, de sa capacité à s’autonomiser et à être l’aiguillon qui peut orienter le politique.</p>
<p>Et puis, on ne peut faire fi, au travers des ruptures qui se dessinent sous nos yeux, des formes d’expression montantes, mais aussi des acteurs potentiellement incontournables de demain. Parmi les formes d’expression, ce sont les collectifs qui se constituent de manière informelle et éphémère pour défendre une cause, un droit, une personne, une terre ou mener un projet à l’échelle locale, etc. Tout montre, à ce propos, que de plus en plus de changements passent par eux.</p>
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<figcaption><span class="caption">Tunisie : Retour sur le Nobel de la Paix 2015.</span></figcaption>
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<p>Parmi les acteurs potentiellement incontournables de demain, il y a les syndicats dont on sait qu’ils ont marqué l’histoire et l’actualité récente, au moins pour la Tunisie, avec <a href="https://www.cairn.info/revue-tumultes-2012-1-page-71.htm">l’UGTT</a> (Union générale du travail tunisienne) qui a joué un rôle essentiel dans le déroulé des événements et ses suites.</p>
<p>Au travers de ces formes d’expression et d’organisation, c’est une autre confrontation entre conservatisme et innovation, entre anciennes et nouvelles formes d’expression sur l’espace public qui est potentiellement au rendez-vous, mais c’est aussi la problématique de la médiation et des « interfaces » avec les pouvoirs publics, et au-delà, la manière dont ils sont susceptibles de produire ou d’accompagner les changements étudiés dans les domaines sociaux et environnementaux.</p>
<p>[…]</p>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « La face cachée des sociétés civiles au Maghreb : un espoir pour demain », d’Emmanuel Matteudi, Fatima Chadid et Martin Péricard qui vient de paraître aux éditions de l’Aube.</span>
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<p>N’oublions pas non plus que la question écologique nécessite plus que jamais pour la Méditerranée, qui représente un des principaux hotspots planétaires du réchauffement climatique, que l’on soit à l’écoute des initiatives de la société civile dans le domaine environnemental, puis l’accompagnement des innovations qui peuvent être trouvées, et potentiellement démultipliées à grande échelle, avec/par les pouvoirs publics. Certaines des expériences observées dans chacun des trois pays nous convient déjà au rendez-vous des solutions potentielles. Gageons que la direction qu’elles indiquent fasse office de modèle pour les transitions à mettre en œuvre, et qu’elles permettent de mettre en acte l’espoir qu’elles représentent… pour le mieux vivre ensemble de demain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148064/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Comment les actions menées par les sociétés civiles au Maghreb se traduisent-elles concrètement ? Pour quels résultats ? Le Maghreb, un exemple de la reconstruction citoyenne.Emmanuel Matteudi, Professeur des universités en urbanisme, Aix-Marseille Université (AMU)Martin Péricard, Chef de projet (éducation, formation, sociétés civiles), Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1349272020-03-27T17:40:09Z2020-03-27T17:40:09ZÊtre toujours du côté des « opprimé·e·s » : relire le philosophe Paulo Freire en temps de crise éthique<p>Plusieurs articles alimentent depuis plus d’une semaine différentes réflexions autour de l’idée de triage des patients. Il faut pourtant rester extrêmement prudent face à cette question. C’est ce que peut nous aide à mettre en lumière l’éthique de la critique du philosophe et pédagogue <a href="https://theconversation.com/les-enseignements-de-paulo-freire-un-pedagogue-toujours-actuel-73079">Paulo Freire</a>.</p>
<h2>De la dignité de la personne humaine</h2>
<p>Dans sa contribution <a href="https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/reponse_ccne_-_covid-19_def.pdf">Covid-19 du 13 mars 2020</a>, le Conseil Consultatif National d’Éthique reprend le principe qu’il avait déjà souligné dans son <a href="https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis_106.pdf">avis 106</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Néanmoins, les décisions qui seront prises, “quelle qu’en soit la nature, doivent répondre à l’exigence fondamentale du respect de la dignité humaine”, c’est-à-dire que la valeur individuelle de chaque personne doit être reconnue comme absolue. »</p>
</blockquote>
<p>C’est ce que rappelle un <a href="https://news.un.org/fr/story/2020/03/1065132?123">groupe d’experts de l’ONU</a> concernant la gestion de la crise sanitaire :</p>
<blockquote>
<p>« Tout le monde, sans exception, a droit à des interventions vitales et cette responsabilité incombe au gouvernement. La rareté des ressources […] ne devrait jamais être une justification pour discriminer certains groupes de patients. »</p>
</blockquote>
<p>Il est nécessaire de rappeler que le droit international depuis 1948, article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que : « Tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits » et affirme ainsi le principe de dignité de la personne humaine. Ce principe a valeur constitutionnelle depuis 1994 en lien avec le <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/19234-les-questions-de-bioethique">droit de la bioéthique</a> en France.</p>
<h2>Lutter contre toute forme de marchandisation de l’être humain</h2>
<p>L’importance du principe de dignité de la personne humaine a été fort bien montré entre autres par le philosophe Lucien Sève, <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2020/03/24/la-mort-du-philosophe-marxiste-lucien-seve_6034266_3382.html">décédé cette semaine du Covid-19</a>, ancien membre du Comité Consultatif National d’Éthique, et notamment <a href="https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2009-2-page-27.htm">auteur</a> de l’ouvrage <a href="https://www.payot.ch/Detail/quest_ce_que_la_personne_humaine_-lucien_seve-9782843031328"><em>Qu’est-ce que la personne humaine ?</em></a>.</p>
<p>Il s’agissait en particulier pour lui de lutter contre toute forme de marchandisation de l’être humain. De ce fait, il est important de bien rappeler que le principe premier qui oriente la bio-éthique en France n’est pas l’utilitarisme, mais le respect de la dignité humaine.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jW8Hk6he3nk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Entretien avec Lucien Sève, philosophe marxiste (<em>L’Humanité</em>, 2018).</span></figcaption>
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<p>L’importance accordée à la dignité de la personne humaine est également au cœur de la philosophie de Paulo Freire comme le souligne cet <a href="https://iresmo.jimdofree.com/2019/06/27/r%C3%B4le-de-l-%C3%A9ducation-dans-l-humanisation/">extrait</a>, issu d’un résumé des conférences tenues à Santiago sous le parrainage de l’OEA, du Gouvernement chilien et de l’Université du Chili :</p>
<blockquote>
<p>« Si nous le [l’être humain] considérons comme une “chose”, notre action éducative se déroule en termes mécanistes, entraînant une domestication croissante de l’être humain. Si nous le regardons comme une personne, notre action sera chaque fois plus libératrice. »</p>
</blockquote>
<p>Paulo Freire est ainsi reconnu comme un des grands inspirateurs de la <a href="https://books.openedition.org/pupo/3831?lang=fr">pédagogie des droits humains</a>.</p>
<h2>Se méfier du fatalisme néolibéral</h2>
<p>La particularité de l’éthique de Paulo Freire est d’inscrire celle-ci dans la prise en compte des conditions sociohistoriques. Pour Paulo Freire, si l’être humain n’est pas déterminé, il est conditionné par sa situation sociohistorique. Son approche éthique s’inscrit dans ce que certains <a href="https://www.acelf.ca/c/revue/pdf/XXIX_2_266.pdf">auteurs nord-américains</a> appellent l’éthique de la critique qui se situe dans la continuité de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_Francfort">École de Francfort</a>, un groupe de philosophes marxistes hétérodoxes allemands.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/323579/original/file-20200327-146699-17g2qj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/323579/original/file-20200327-146699-17g2qj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/323579/original/file-20200327-146699-17g2qj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/323579/original/file-20200327-146699-17g2qj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/323579/original/file-20200327-146699-17g2qj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/323579/original/file-20200327-146699-17g2qj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/323579/original/file-20200327-146699-17g2qj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Au sein de l’École de Francfort, on trouvait notamment Max Horkheimer (au premier plan, à gauche), Theodor Adorno (au premier plan, à droite), et Jürgen Habermas en arrière-plan, à droite, en 1965 à Heidelberg.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_Francfort#/media/Fichier:AdornoHorkheimerHabermasbyJeremyJShapiro2.png">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Paulo Freire a invité à se méfier du « fatalisme néolibéral » comme il l’écrit dans <a href="https://www.cairn.info/pedagogie-de-l-autonomie--9782749236391.htm"><em>Pédagogie de l’autonomie</em></a>. Cela signifie qu’avant d’en arriver à penser que nous sommes dans une situation de pénurie de ressources de soins qui imposent un triage des patients, il faut réellement s’assurer que toutes les ressources possibles ont été mises à disposition.</p>
<p>Par exemple, il y a eu des propositions telles que de recourir aux cliniques privées : d’après le président de la Fédération de l’hospitalisation privée, Lamine Gharbi, ces dernières seraient <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-les-cliniques-privees-demandent-etre-requisitionnees-6789549">sous-utilisées</a>. Ou encore renforcer la mise en place d’innovations comme les <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-un-tgv-medicalise-a-transporte-vingt-premiers-malades-pour-soulager-les-hopitaux-du-grand-est_3886333.html">TGV médicalisés</a>.</p>
<h2>Les ressources du volontarisme politique</h2>
<p>Un des travers de l’éthique peut être d’avoir une réflexion détachée des conditions sociales. Or il ne faut pas négliger les ressources du volontarisme politique. On l’a vu la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-chine-ouvre-un-hopital-en-10-jours-contre-le-coronavirus-04-02-2020-2361114_24.php">Chine a construit un hôpital neuf en 10 jours</a> tout comme la <a href="https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200318.OBS26235/les-russes-construisent-un-hopital-prefabrique-pour-les-malades-du-coronavirus-comme-en-chine.html">Russie</a>, qui a opté pour cette solution. Certains <a href="https://www.lyonmag.com/article/106557/coronavirus-une-intersyndicale-de-l-hopital-edouard-herriot-reclame-un-depistage-systematique">syndicats en France</a> demandent la réquisition des usines capables de fabriquer des respirateurs artificiels.</p>
<p>Il faut être attentif à ne pas rendre inévitables les situations de pénuries en cas de catastrophes humanitaires. Elles ont pu être le fait de choix politiques malencontreux pris bien auparavant ou quelques semaines avant. De même, les ressources dont disposent un pays pour faire face à une catastrophe sanitaire ne peuvent pas être vues comme limitées en soi ne serait ce que parce qu’elles peuvent être accrues par l’aide internationale. On a vu ainsi des malades français transportés dans des hôpitaux allemands.</p>
<p>Il faut bien évidemment distinguer le triage lié au refus de l’obstination déraisonnable (ou acharnement thérapeutique) d’un triage qui est la conséquence d’une pénurie de moyens liés à des choix politiques. C’est ce que rappelle le CCNE dans son avis de mars 2020 :</p>
<blockquote>
<p>« L’émergence de l’épidémie Covid-19 se déroule aujourd’hui dans des conditions de tension dans les structures hospitalières publiques qu’il ne faut pas sous-estimer, liées à des restrictions budgétaires, des fermetures de lits et une insuffisance du nombre de personnels soignants, conduisant à des pratiques qualifiées parfois de « dégradées ». Des moyens pérennes supplémentaires sont désormais une absolue nécessité, plus particulièrement pour faire face à la crise sanitaire en cours. »</p>
</blockquote>
<h2>Principes de justice et risques de discriminations</h2>
<p>On a pu lire dans des articles de presse ces derniers temps accolés au terme de « triage » celui de <a href="https://theconversation.com/triage-medical-quelle-justice-face-a-lexigence-democratique-134442">« justice »</a> ou de <a href="https://www.espace-ethique.org/ressources/editorial/covid-19-des-choix-ethiques-redoutables-attendent-les-equipes-medicales">« juste »</a>.</p>
<p>Là encore, il faut faire preuve de la plus grande prudence comme le rappelle l’usage par le CCNE non pas de la notion de critères justes, mais d’une situation qui conduit au choix de critères toujours « contestables » :</p>
<blockquote>
<p>« Ainsi, lorsque des biens de santé ne peuvent être mis à la disposition de tous du fait de leur rareté, l’équité qui réclame une conduite ajustée aux besoins du sujet se trouve concurrencée par la justice au sens social qui exige l’établissement des priorités, parfois dans de mauvaises conditions et avec des critères toujours contestables. »</p>
</blockquote>
<p>En affirmant qu’il peut y avoir des critères de triage « justes » en soi, on risque d’affaiblir l’idéal d’égale dignité des personnes. Il n’est jamais juste au regard de ce principe d’établir des critères de qui a le droit de vivre ou de qui a le droit de mourir. On peut tout au plus parler de degrés d’injustice : il s’agit de trouver des critères qui sont les moins injustes. Mais, il n’y a pas de critères justes au regard du principe absolu d’égale dignité des personnes humaines. Ainsi, le critère de l’âge ou du « score de fragilité » peuvent conduire à une forme de discrimination des personnes âgées ou des personnes en situation de handicap et/ou atteintes de polypathologies.</p>
<p>Paulo Freire assigne un rôle aux éthiciens et aux éthiciennes, celui d’être toujours du côté des « opprimé·e·s ». Cela signifie que leur rôle actuellement doit être avant tout de visibiliser la situation des personnes en risque de subir des discriminations et de faire l’objet d’inégalités de traitement et non pas de justifier le triage des patients.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134927/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Irène Pereira est membre du Syndicat Sud Education, de la Fondation Copernic et de la LDH. </span></em></p>En affirmant qu’il peut y avoir des critères de triage « justes » en soi, on risque d’affaiblir l’idée d’égale dignité des personnes.Irène Pereira, Professeur de philosophie, chercheuse en philosophie et sociologie, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/906652018-01-30T21:20:37Z2018-01-30T21:20:37ZFaut-il vraiment changer le statut de l’entreprise ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/203584/original/file-20180126-100896-1259oy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Qui sont les parties prenantes ? Que font-elles ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/4131/">VisualHunt</a></span></figcaption></figure><p>Le gouvernement d’Emmanuel Macron a missionné deux personnalités pour <a href="http://bit.ly/2CLw8Uf">repenser la place de l’entreprise dans la société</a>. Il s’agit de Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT et de Jean‑Michel Senard, patron de Michelin. Selon la ministre du travail, <a href="http://lemde.fr/2Bv5OZ1">Muriel Pénicaud</a>, « il nous faut aujourd’hui faire évoluer le droit pour permettre aux entreprises qui le souhaitent de formaliser, voire amplifier leur contribution à l’intérêt général ».</p>
<p>Selon le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, il s’agit de <a href="http://bit.ly/2ndOYcR">« faire grandir les entreprises françaises »</a> et de mieux associer les salariés aux résultats). Un objectif connu et plus modeste néanmoins que celui qui vise à réformer l’objet social des entreprises. Rappelons que selon le code civil, toute société privée doit « être constituée dans l’intérêt commun des associés », autrement dit de ses actionnaires.</p>
<p>Mais pour certains politiques comme pour certains chercheurs en sciences de gestion, l’objet social ne peut se réduire au simple intérêt des actionnaires et leurs profits. Il faut élargir la mission et prendre davantage en compte les femmes et les hommes qui y travaillent ainsi que les autres parties prenantes, y compris l’environnement.</p>
<h2>La réforme de l’entreprise : une histoire française ancienne</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/203587/original/file-20180126-100915-a7cdaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203587/original/file-20180126-100915-a7cdaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203587/original/file-20180126-100915-a7cdaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=855&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203587/original/file-20180126-100915-a7cdaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=855&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203587/original/file-20180126-100915-a7cdaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=855&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203587/original/file-20180126-100915-a7cdaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1075&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203587/original/file-20180126-100915-a7cdaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1075&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203587/original/file-20180126-100915-a7cdaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1075&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>La question de la réforme du statut de l’entreprise n’est pas nouvelle en France ; un pays qui a toujours eu du mal avec le capitalisme et l’économie de marché. Rappelons-nous du rapport de l’inspecteur des finances François Bloch-Lainé <a href="http://bit.ly/2Bxf3rQ">« Pour une réforme de l’entreprise »</a> publié en 1967. Ce rapport s’attaquait déjà au statut juridique de l’actionnaire en distinguant les « simples épargnants » des « commanditaires véritables ». Il préconisait notamment de « limiter l’assemblée aux seuls actionnaires qui prendraient la position de commanditaires, en se liant à l’entreprise ». Pour avoir la qualité de commanditaire, « il faudrait sortir de l’anonymat, posséder des titres nominatifs et accepter de ne céder ces titres qu’avec l’accord de la majorité de ses pairs ».</p>
<p>Bref, une refonte totale du droit des actionnaires, notamment des milliers d’anonymes qui investissent et apportent leur épargne aux entreprises. Ces propositions n’ont jamais vu le jour.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/203586/original/file-20180126-100893-1e9b7xo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203586/original/file-20180126-100893-1e9b7xo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203586/original/file-20180126-100893-1e9b7xo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=994&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203586/original/file-20180126-100893-1e9b7xo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=994&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203586/original/file-20180126-100893-1e9b7xo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=994&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203586/original/file-20180126-100893-1e9b7xo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1249&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203586/original/file-20180126-100893-1e9b7xo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1249&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203586/original/file-20180126-100893-1e9b7xo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1249&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Quelques années plus tard, en <a href="http://bit.ly/2rIXXaz">1975, Pierre Sudreau</a> publiait son rapport sur « La réforme de l’entreprise ». Ce rapport préconisait entre autres d’adapter « le droit des sociétés aux réalités d’aujourd’hui ». Ce rapport préconisait de « renforcer l’attrait des investissements en valeurs mobilières » mais également « d’instituer une représentation du personnel au niveau des groupes et holdings ». Conscient des changements à venir, le rapport reconnaissait cependant que « l’entreprise, sous peine de voir son existence menacée, se doit de répondre constamment aux impératifs du marché ».</p>
<p>En 1981, le programme commun de la gauche voulait aussi transformer l’entreprise, surtout la grande, en la nationalisant. On sait ce qu’il advint de ces nationalisations qui devaient « créer les meilleures conditions pour que puisse s’épanouir l’esprit d’entreprise et d’initiative appliquées à la production » (<a href="http://bit.ly/2DOzkhx">Projet socialiste pour la France des années 80</a>).</p>
<p>Depuis cette époque, les initiatives pour réformer la gouvernance des entreprises n’ont pas cessé. De nombreux chercheurs en économie et gestion se sont emparés du sujet, notamment avec la perspective de la gouvernance partenariale généralement opposée à la gouvernance actionnariale, censée n’agir que dans le seul intérêt des actionnaires.</p>
<h2>Les propositions récentes de réforme de la gouvernance des entreprises</h2>
<p>Plusieurs économistes et gestionnaires français se sont récemment attelés à revisiter la gouvernance des entreprises en voulant réduire l’importance des actionnaires au profit des salariés, voire de toutes les autres parties prenantes (clients, fournisseurs, créanciers, pouvoirs publics, etc.).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/203590/original/file-20180126-100915-mro5fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203590/original/file-20180126-100915-mro5fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203590/original/file-20180126-100915-mro5fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203590/original/file-20180126-100915-mro5fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203590/original/file-20180126-100915-mro5fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203590/original/file-20180126-100915-mro5fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1109&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203590/original/file-20180126-100915-mro5fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1109&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203590/original/file-20180126-100915-mro5fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1109&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Comment expliquer que la gouvernance reste dominée, malgré les critiques, par une approche davantage actionnariale que partenariale s’interrogent <a href="http://bit.ly/2DFbPbE">Segrestin et Hatchuel (2011)</a> ? Selon eux, cette rémanence s’expliquerait par une insuffisance du droit des sociétés qu’il conviendrait de réformer. En effet, c’est parce que les actionnaires sont propriétaires du capital de la société qu’ils choisissent les dirigeants « pour faire fructifier leur richesse en leur nom ».</p>
<p>Ce mandat a été largement étudié par la théorie de l’agence développée par <a href="http://bit.ly/2FE9HhH">Jensen et Meckcling (1976)</a>. Il faudrait le rééquilibrer pour promouvoir un « projet pluraliste ». Pourtant selon <a href="http://bit.ly/2Bn7Wa9">Tirole (2001)</a> le partage du contrôle des entreprises serait doublement inefficace : non seulement les managers devraient répondre à des attentes contraires, mais surtout les parties ne seraient plus incitées à contrôler la gestion de l’entreprise du mieux possible.</p>
<p>Rejetant la théorie de l’agence et ses propositions collatérales, nos critiques nous invite à « reconsidérer les droits des différentes parties prenantes, à restaurer le rôle de la société en tant que personne morale distincte des parties et à rappeler l’importance critique de la latitude managériale ». C’est ainsi qu’Hatchuel et Segrestin en arrivent à proposer de remplacer le statut de la société anonyme par celui d’« entreprise de progrès collectif ».</p>
<p>Parmi les différentes propositions de réforme, notons celle qui propose que « l’actionnaire restitue à l’entreprise une part de la plus-value qu’il réalise lorsqu’il revend son action avant un certain délai ». Cette règle limiterait, selon eux, la spéculation et accroîtrait le potentiel collectif.</p>
<p>On ignore ce que serait la réaction des actionnaires, notamment internationaux, face à une telle règle ? Déjà que nos entreprises manquent de fonds propres et d’actionnaires. De plus, rien n’est proposé en cas de moins-value, voire de faillite. En cas de pertes, devrait-on faire appel aux salariés ?</p>
<p>Au total, la ligne directrice de leurs propositions revient – on l’aura compris – in fine à réduire les droits des actionnaires et à faire en sorte que les salariés puissent peser davantage sur les choix de l’entreprise grâce à une réforme du droit des sociétés comme le montre <a href="http://journals.openedition.org/fcs/1437#bodyftn2">Albouy (2011)</a>. À noter que le client est toujours absent de leurs préoccupations. Tout se passe comme si l’organisation du pouvoir à l’intérieur de l’entreprise n’avait aucun impact sur sa capacité concurrentielle et son attractivité commerciale.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/203591/original/file-20180126-100926-1arzjrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203591/original/file-20180126-100926-1arzjrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203591/original/file-20180126-100926-1arzjrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=925&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203591/original/file-20180126-100926-1arzjrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=925&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203591/original/file-20180126-100926-1arzjrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=925&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203591/original/file-20180126-100926-1arzjrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1163&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203591/original/file-20180126-100926-1arzjrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1163&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203591/original/file-20180126-100926-1arzjrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1163&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Dans son ouvrage <a href="http://bit.ly/2nbvWTI">« Entreprises : la grande déformation »</a>, Favereau (2015) défend l’idée que l’entreprise est avant tout un lieu de coopération qui suppose une multiplicité d’acteurs engagés librement dans un ensemble de relations ordonné à l’obtention d’une fin commune.</p>
<p>Si on peut adhérer à l’idée que l’ensemble des acteurs doivent coopérer pour la réussite du projet de l’entreprise, il ne faut cependant pas être naïf et s’imaginer que les acteurs en question ne cherchent pas à défendre leurs intérêts bien compris dans le cadre juridique qui est le leur.</p>
<p>Cette position lui permet de rejeter l’idée que les actionnaires ne sont pas les propriétaires de l’entreprise. Il estime que : « le pouvoir des actionnaires, relayé par le développement de la sphère financière, pèse d’un poids extravagant » sur le gouvernement des entreprises et ses conséquences sont « toujours dévastatrices ». C’est ainsi qu’il faudrait « redistribuer le pouvoir en faveur du travail ». Encore une fois, le client et son comportement est absent de la réflexion. Tout se passe comme si les clients étaient toujours présents nonobstant la concurrence.</p>
<p><a href="http://bit.ly/2DjpWT6">Chassagnon et Hollands (2014)</a> s’interrogent également sur la propriété de la firme en opposant actionnaires et salariés. Pour ces auteurs il faudrait créer un « bicamérisme économique ». Pour ces économistes, « il n’y a plus aujourd’hui de bonne raison, ni en termes d’efficacité ni en termes de justice, de laisser dans les mains des seuls apporteurs en capitaux le droit de décider de la richesse des territoires, du développement des savoir-faire et de la dignité des salariés ». Pourquoi en effet, ne pas associer directement toutes les parties prenantes de l’entreprise et confier la tâche de direction aux seuls actionnaires ? On l’aura compris, les propositions de réformes du statut de l’entreprise sont multiples et variées mais vont cependant toujours dans le même sens : réduire le pouvoir des actionnaires.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/203597/original/file-20180126-100902-1v5ifr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203597/original/file-20180126-100902-1v5ifr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203597/original/file-20180126-100902-1v5ifr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203597/original/file-20180126-100902-1v5ifr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203597/original/file-20180126-100902-1v5ifr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203597/original/file-20180126-100902-1v5ifr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203597/original/file-20180126-100902-1v5ifr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203597/original/file-20180126-100902-1v5ifr2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ouvrier d’usine.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mateeas/3409496402/in/photolist-6chyuJ-j6BVu-6chE6d-6cd1bM-9dBDm6-cisinS-8UKRy6-VW9gtV-5J88GN-6cd4DZ-bc3yKF-VW9hWe-bPm5wH-vjWF8x-8jeNri-691yg6-bsFybD-6chhmq-dvSmzY-6Zt99J-UiKPpW-3g9SST-o7tLr5-bArsro-691LbR-bzNdw6-ajBoZh-bmTor1-bzNedn-aWmqEi-62cZcE-j5z2JG-j41QPB-j38ua2-tfTy3-76hVCa-UTJZ6x-WywFbw-EVATxH-bca752-j6D4j-Ey6VRV-j6BVw-bzNeYx-fJF5u7-6Zpdfx-6ZpdSg-pTtVVc-6ZpaQ8-bXfDe4">Matias Garabedian/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>La place privilégiée des actionnaires ne signifie pas que les salariés soient ignorés</h2>
<p>Même ses actionnaires ne sont pas juridiquement propriétaires de l’entreprise c’est bien in fine eux qui, directement ou indirectement, déterminent ses choix stratégiques via son Conseil d’administration et l’Assemblée générale. En effet, les actionnaires ne sont pas juridiquement les propriétaires de l’entreprise : ils ne sont propriétaires que de leurs actions et non de ses murs ou de ses actifs.</p>
<p>À titre d’exemple un actionnaire détenant 1 % du capital d’une société ne peut vendre 1 % des actifs de cette entreprise. Il ne peut vendre que ses actions à un autre actionnaire qui prendra sa place. Mais si l’actionnaire n’est pas le propriétaire de l’entreprise ses actions (titres de propriété) lui confèrent des droits qui lui permettent d’agir (directement ou indirectement via son agent) sur les décisions stratégiques de l’entreprise.</p>
<p>Pourquoi un tel droit qui paraît excessif à nos critiques par rapport à ceux des autres parties prenantes ? La raison fondamentale se trouve dans le fait que l’actionnaire n’est pas une partie prenante comme les autres : salariés, fournisseurs, clients, banquiers. Il est le créancier résiduel. Il est le seul à ne pas être rémunéré contractuellement par la société.</p>
<p>Sa rémunération – <a href="http://bit.ly/2nfBaxX">qui ne se réduit pas aux dividendes</a> mais intègre la plus ou moins-value de son capital – dépend de l’exécution de l’ensemble des contrats noués entre la société et ses parties prenantes. Il n’a pas de contrat avec l’entreprise contrairement aux autres parties prenantes. Ce faisant, il lui faut avoir un œil (directement ou par délégation) sur l’ensemble des décisions de gestion de l’entreprise.</p>
<p>Cet œil c’est justement le Conseil d’administration dont la mission, entre autres, est de contrôler l’action des dirigeants dans l’intérêt des actionnaires. Est-ce à dire que le Conseil d’administration ne doit pas se préoccuper du sort des salariés, des fournisseurs et des clients ? Bien évidemment non. Car comment créer de la valeur pour les actionnaires sans employés motivés et performants ?</p>
<p>Comment créer de la valeur sans fournisseurs de qualité ? Enfin, comment créer de la valeur sans clients satisfaits ? Tous sont indispensables et leurs intérêts doivent être pris en compte par les représentants des actionnaires dans leur propre intérêt bien compris. En fait, la partie prenante la plus exigeante avec l’entreprise est certainement le client car de son comportement va dépendre la première ressource financière de l’entreprise : son chiffre d’affaires. Que celui-ci vient à fondre et ce sont ses employés, ses créanciers et ses actionnaires qui en subiront les conséquences.</p>
<p>Nombreuses sont les entreprises, par exemple l’Air Liquide, qui ont compris cette exigence. Ainsi pour Benoît Potier, Président-Directeur Général d’Air Liquide : « Une entreprise performante est toujours connectée à son environnement, ses marchés, ses clients, ses partenaires et ses actionnaires ». Cela ne l’empêche pas d’intégrer dans ses décisions l’intérêt de ses actionnaires, de les fidéliser et d’afficher une très belle croissance en terme de chiffre d’affaires comme d’emplois crée sur longue période.</p>
<p>Tout dirigeant d’entreprise et particulièrement ceux des entreprises innovantes savent que leur société est exposée à la concurrence pour son personnel qualifié et aux défis que constituent la recherche et la rétention du personnel qualifié, dont le départ peut compromettre la capacité de la firme à mener et développer efficacement ses activités. Il est donc essentiel pour le Conseil d’administration de prendre en compte les aspirations du personnel.</p>
<p>Eh oui, le personnel n’appartient pas à l’entreprise et il est même libre de la quitter ! Il n’aura même pas l’obligation de trouver un remplaçant comme l’actionnaire qui vend son action. Sa seule obligation est de respecter son contrat de travail. Quant à l’entreprise, il lui incombe naturellement de respecter le droit du travail et les différentes institutions représentant le personnel. On pourrait en dire de même avec les fournisseurs, les clients et les pouvoirs publics qui exercent chacun à leur façon une pression sur l’entreprise.</p>
<p>Les limitations du pouvoir des actionnaires au bénéfice des salariés n’amélioreraient pas la gouvernance des entreprises et leurs performances. Le risque est grand comme Albouy (2002) le souligne d’éloigner les investisseurs des entreprises alors, qu’en tant qu’apporteur de fonds propres, l’actionnaire joue un rôle irremplaçable dans une économie de marché.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/203595/original/file-20180126-100919-10nbsg8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203595/original/file-20180126-100919-10nbsg8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203595/original/file-20180126-100919-10nbsg8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=299&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203595/original/file-20180126-100919-10nbsg8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=299&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203595/original/file-20180126-100919-10nbsg8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=299&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203595/original/file-20180126-100919-10nbsg8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203595/original/file-20180126-100919-10nbsg8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203595/original/file-20180126-100919-10nbsg8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Atelier d’usine.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/cjp24/14349101630/in/photolist-WUQw16-96YwuU-8rd9j4-a1JBgW-nFe9Bw-gY2cbK-naim3R-8psHpS-ohBkq3-8rgBCh-4yUmL1-88qRL4-8rU2Bp-dZyF7M-4FAZQ7-osmuLg-4uxvS1-p7eSk4-T6k4r7-rqu1HY-7sswMe-8rgJoL-96YAsh-fJ3ykZ-RRpk8T-f6hjsv-bN1eCe-gY1zJo-ce5ZvG-c2QDqm-bzJjwn-4FAiUq-USuaGQ-D1Mn68-f5R8ZG-5NtLHP-7QMuek-dNbbXa-ob9bnF-Vyb9fK-dRkvN2-ftMc2e-p1xNUN-7NJSCx-81NqhD-nRYTZY-uQSPfQ-5nqFHn-a23ZFG-dqTSLE">JPC24M/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>Quelle réforme du statut de l’entreprise ?</h2>
<p>Avec la réforme du code du travail voulue par le Président Macron, nombreux à gauche ont estimés qu’il fallait rééquilibrer le projet et corriger sa dérive libérale. C’est ainsi que pour les confédérations syndicales dites « réformiste », la CFDT attend des mesures susceptibles de « récompenser les efforts consentis ».</p>
<p>Bref, la réforme du statut de l’entreprise serait un donnant-donnant : plus de flexibilité sur le marché du travail contre plus de pouvoir à l’intérieur de l’entreprise et notamment son Conseil d’administration. Pour ces tenants d’une réforme, il faudrait ouvrir le Conseil d’administration (CA) des entreprises aux salariés, voire aux autres parties prenantes : clients, fournisseurs, créanciers, représentants des pouvoirs publics.</p>
<p>Avec de telles propositions, le CA risquerait fort de se transformer en tour de Babel. Comment en effet arbitrer entre les objectifs difficilement conciliables des différentes parties prenantes ? Par exemple, comment un tel CA pourrait prendre des mesures difficiles comme la fermeture d’un site, la délocalisation de la production, le changement de fournisseurs, etc. Si, in fine le pouvoir de décision appartient aux actionnaires majoritaires quel sera l’impact des représentants des salariés et éventuellement des autres parties prenantes sur la décision finale ? La représentation des salariés-actionnaires aux CA nous donne déjà une indication.</p>
<p>Selon la garde des sceaux, Nicole Belloubet « il ne faut rien s’interdire, mais bien prendre en compte les conséquences juridiques » d’un tel changement. Serait-ce un appel à la prudence ? Oui, il faut y regarder à deux fois avant de détrôner les actionnaires et instituer la codétermination dans la gestion des entreprises. Certes il y a l’<a href="http://bit.ly/2DSgPJ4">exemple de l’Allemagne avec sa cogestion</a>, mais est-ce une raison pour changer notre code civil ?</p>
<p>Oui, la cogestion existe en Allemagne et les entreprises allemandes semblent bien s’en porter. Ceci étant, outre que la mise en place de ce mode de gouvernance est très daté historiquement (c-à-d, lié à l’histoire de l’Allemagne), il n’est pas évident qu’il permette une meilleure association des employés aux décisions stratégiques des entreprises et une meilleure éthique de gestion. Le cas du <a href="http://bit.ly/2DSjxyr">Diesel Gate de Volkswagen</a> est là pour nous rappeler que la participation des salariés à la gestion de l’entreprise ne suffit pas pour rendre la firme vertueuse et rendre ses employés plus heureux.</p>
<p>Contrairement à ce que l’on peut croire, une entreprise, même grande, n’est pas une institution politique mais économique dont le but est de produire et de fournir des biens ou des services à destination de clients. Contrairement à une Collectivité locale ou un État, une entreprise peut mourir, surtout si elle ne répond pas aux besoins de ses clients.</p>
<p>Pour être gouvernée efficacement dans un monde concurrentiel, l’entreprise a besoin d’une direction claire, assumée et validée par ses actionnaires. Celle-ci ne peut être partagée et faire l’objet de négociations politiques permanentes. De ce point de vue, l’idée de faire siéger des représentants des différentes parties prenantes au Conseil d’administration, comme certains le recommandent dans le but de promouvoir une meilleure démocratie dans l’entreprise, nous paraît contre-productive car le risque est alors grand de transformer ce conseil en forum de discussion.</p>
<p>Même dans un conseil municipal, le maire a besoin d’avoir une majorité claire pour pouvoir appliquer sa politique. Oui, comme le dit avec prudence dit Nicole Belloubet « il faut bien prendre en compte les conséquences juridiques d’un changement de statut de l’entreprise ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90665/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Albouy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour bien comprendre la réforme en cours, retour sur les projets successifs, les analyses des chercheurs et les attentes des diverses parties prenantes.Michel Albouy, Professeur senior de finance, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/905762018-01-25T21:21:05Z2018-01-25T21:21:05ZQuel rôle pour l’entreprise au XXIᵉ siècle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/203268/original/file-20180124-107946-1jsoefu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À qui profite la valeur produite par les entreprise ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/stock-exchange-board-210607/">Pixabay/Pexels</a></span></figcaption></figure><p>L’année 2018 s’est ouverte par un débat majeur pour les entreprises, et sans doute la société tout entière. Poussé par le gouvernement, il porte sur ni plus ni moins que la finalité de l’entreprise, et précède une possible évolution de son objet social au printemps dans le cadre de la <a href="http://www.gouvernement.fr/conseil-des-ministres/2017-10-25/plan-d-action-pour-la-croissance-et-la-transformation-des-en">loi PACTE</a> (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation de l’Entreprise).</p>
<h2>La place de l’entreprise dans la société : un débat ancien</h2>
<p>Les articles <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006444040">1832</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006444056&cidTexte=LEGITEXT000006070721">1833</a> du code civil, qui fondent la définition de l’entreprise, pourraient être modifiés en vue de rétablir la place des parties prenantes au sens large (salariés, clients, fournisseurs, collectivité, etc.) aujourd’hui clairement ignorées par les textes. Tels que rédigés actuellement, les articles mentionnés font en effet clairement des associés (ou actionnaires) les destinataires finaux de la valeur créée par l’entreprise.</p>
<p>Au fond, ces articles du code civil traduisent bien la confiance placée dans le concept de <a href="https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2009-4-page-28.htm">« main invisible »</a> développé quelques dizaines d’années avant leur rédaction par Adam Smith (1776). Ce dernier, postulant que la meilleure manière de contribuer à l’intérêt général consiste à se préoccuper avant tout de son intérêt particulier ou personnel, justifie la focalisation de la mission des entreprises sur la seule valeur apportée aux propriétaires ou actionnaires.</p>
<p>En dépit de remises en cause régulières, une telle vision demeurait relativement consensuelle et peu contestée jusqu’à la crise de 1929, qui aura notamment eu pour effet d’ébranler durablement la croyance selon laquelle le marché apporte toujours la meilleure solution aux problèmes les plus divers.</p>
<h2>Après-guerre, un capitalisme plus accommodant</h2>
<p>Le capitalisme qui se développe après-guerre se veut beaucoup plus conciliant et intégrateur des attentes des parties prenantes, qui ne sont pas encore nommées ainsi mais qui incluent déjà les salariés, les clients, les fournisseurs, la collectivité… Michel Aglietta (l’un des fondateurs de « l’école de la régulation » en France) qualifie ce capitalisme, qui trouve ses fondements dans la négociation collective et, partant, dans la reconnaissance de la diversité des attentes des parties prenantes, de <a href="http://www.cepii.fr/docs/CEPIICOLLOQUES/Materials/2017-09-06EM2018/AGLIETTA.pdf">« capitalisme contractuel »</a>.</p>
<p>Au cours des années 1970-1980, la crise remet en cause le bien-fondé d’un modèle qui n’a pas su protéger de l’émergence de nouveaux déséquilibres. La (<a href="http://www.lemonde.fr/economie/video/2017/10/13/favoriser-les-riches-pour-aider-les-pauvres-la-theorie-du-ruissellement-decryptee_5200215_3234.html">« théorie du ruissellement »</a> qui explique que la redistribution des richesses doit s’effectuer « par le haut » (autrement dit qu’en favorisant les profits, les retombées de ces derniers bénéficieront à tout le monde, grâce aux investissements qui seront réalisés et à l’emploi qui en découlera) pose les fondements du fameux <a href="http://www.atlantico.fr/decryptage/profits-aujourd-hui-sont-investissements-demain-et-emplois-apres-demain-40-ans-apres-quel-bilan-reel-pour-theoreme-helmut-2436009.html">« Théorème de Schmidt »</a>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203279/original/file-20180124-107974-uzlztl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203279/original/file-20180124-107974-uzlztl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=829&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203279/original/file-20180124-107974-uzlztl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=829&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203279/original/file-20180124-107974-uzlztl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=829&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203279/original/file-20180124-107974-uzlztl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1042&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203279/original/file-20180124-107974-uzlztl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1042&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203279/original/file-20180124-107974-uzlztl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1042&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le slogan du chancelier Helmut Schmidt « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » est devenu un théorème économique débattu.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Verteidigungsminister_Helmut_Schmidt.jpg">Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<h2>L’émergence des parties prenantes</h2>
<p>La formule de l’ancien chancelier ouest-allemand sera remise en cause par la <a href="https://www.cairn.info/la-theorie-des-parties-prenantes--9782707146533.htm">théorie des parties prenantes</a> développée aux États-Unis dans les années 1990 par Edward Freeman. Cette théorie postule que le bénéfice d’une entreprise ne constitue que le résultat d’un processus reposant sur la coopération des parties prenantes. Ce n’est donc pas la philanthropie, mais plutôt une logique de rationalité économique qui justifie ici l’attention portée à la satisfaction des parties prenantes, seule garante de leur engagement et du développement de leur contribution primordiale à l’entreprise.</p>
<p>Plus récemment, la vision que nous développons au sein de la <a href="https://theconversation.com/fr/search?utf8=%E2%9C%93&q=paix+%C3%A9conomique">Chaire Mindfulness, Bien-être et Paix Economique de GEM</a> consiste à considérer que le but de l’entreprise est en réalité double : créer des richesses et contribuer au bien commun en renforçant le tissu social de manière durable et respectueuse de la <a href="https://theconversation.com/le-corps-et-lame-de-la-paix-economique-72936">dignité humaine et de la nature</a>. L’entreprise, ainsi positionnée au cœur de la cité, se veut un acteur positif de son environnement, contribuant notamment à la paix, en cohérence avec le rôle qu’attribuait Montesquieu au « doux commerce » : réduire les incitations à la violence entre des acteurs économiques devenus dépendants et partenaires.</p>
<h2>Changements de vision, changements de pratiques</h2>
<p>La question des destinataires de la valeur créée par les entreprises n’est donc pas nouvelle. Elle dépasse de loin le cadre juridique puisque l’étude des pratiques des entreprises sur le siècle écoulé permet de constater une succession de modes managériales, qui se développent souvent avec un temps de retard plus ou moins important par rapport aux théories évoquées précédemment. Ces évolutions des pratiques témoignent de la capacité des différentes parties prenantes à faire entendre leur voix et valoir leurs intérêts.</p>
<p>De ce point de vue, l’évolution des outils de pilotage des performances est particulièrement révélatrice. Les premiers outils de contrôle de gestion qui se développent dans les années 1920 aux États-Unis sont clairement financiers (notamment le <a href="https://services-numeriques.emse.fr/content/glossaire#ROI">ROI ou retour sur investissement</a>) et traduisent bien la volonté des propriétaires de contrôler les décisions des managers salariés récemment propulsés à la tête des entreprises. Dans les années 1980, la valeur est clairement créée pour les clients et s’exprime bien plus en termes de rapport qualité – prix qu’en termes de rentabilité. Les années 1990 voient le « retour de l’actionnaire » (titre d’un <a href="http://www.lextenso-editions.fr/ouvrages/document/1551">ouvrage de Sophie L’Hélias</a> paru en 1997) : l’émergence d’acteurs au poids considérable remet les actionnaires en position d’imposer leurs attentes (l’indicateur principal devenant l’<a href="https://www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion-2005-3-page-43.htm#re1no34">EVA ou valeur économique ajoutée</a>).</p>
<h2>Rééquilibrer les relations</h2>
<p>Aujourd’hui, bien que les actionnaires demeurent souvent les plus audibles des parties prenantes, la pérennité semble s’imposer un peu plus chaque jour comme un objectif complémentaire face aux problématiques environnementales (réchauffement climatique, pollution, tarissement des ressources) ainsi qu’à l’accélération des cycles économiques, qui réduisent la durée de vie moyenne des entreprises. Le <a href="https://www.canal-u.tv/video/canal_aunege/tableau_de_bord_strategique_balanced_scorecard.16580">Balanced Scorecard</a> ou le <a href="https://www.cairn.info/revue-vie-et-sciences-de-l-entreprise-2008-2-page-22.htm#pa44">Prisme de Performance</a> sont clairement des outils de pilotage qui traduisent cette ambition de concilier les attentes des parties prenantes les plus diverses.</p>
<p>Ce coup d’œil dans le rétroviseur permet également de constater que certaines entreprises ont su tirer leur succès et leur pérennité de leur capacité à ne jamais céder aux modes managériales décrites ci-dessus pour parvenir à préserver les intérêts de toutes leurs parties prenantes (celles qu’Antoine Frérot, PDG de Véolia, qualifie aujourd’hui de « critical friends »). Elles y ont parfois sacrifié un peu de rentabilité potentielle à une résilience accrue et à une pérennité avérée.</p>
<h2>Les difficultés de l’élargissement de l’objet social des entreprises</h2>
<p>L’objet social élargi de l’entreprise était l’une des propositions du manifeste <a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000625.pdf">pour une économie positive</a> dirigé par Jacques Attali en 2012. Elle reposait sur la reconnaissance de la pertinence de la théorie des parties prenantes. Une telle vision incite en effet fortement à élargir la définition de l’objet social de l’entreprise à des fins de pure pertinence économique. Bien que la pertinence du regard porté aux impacts de l’entreprise sur la société et l’environnement soit largement admise, y compris par le Medef, ce dernier, par l’intermédiaire de son Président Pierre Gataz, se montre hostile à toute modification du code civil qui ouvrirait la possibilité à de nombreux recours juridiques difficilement gérables par les entreprises. La campagne actuellement menée par les organisations patronales (Medef, Afep et Ansa) en défaveur des retouches évoquées en particulier sur l’article 1833 du code civil devrait fortement peser sur la décision qui sera prise dans quelques semaines, et qui commence d’ores et déjà à se dessiner.</p>
<h2>La voie du milieu, choix probable</h2>
<p>Une solution moins contraignante et portée par les organisations patronales consisterait à créer une nouvelle forme d’entreprise, « l’entreprise à mission » ou « à bénéfice public », s’inspirant des « public benefit corporations » américaines. Il s’agirait d’inclure dans les statuts de l’entreprise une mission sociale, scientifique ou environnementale qui viendrait compléter la recherche du profit. Les entreprises qui le souhaitent pourraient ainsi mieux prendre en compte l’intérêt général, ce dernier apparaissant clairement et sans ambiguïté comme l’une de leurs missions. Bien sûr certaines, par philanthropie ou par calcul, ne se privent pas de le faire dès à présent, mais le fait de l’écrire les rendrait plus légitimes et moins attaquables au moment de faire face aux reproches de certains actionnaires.</p>
<p>Il faut à ce sujet souligner à quel point il est caricatural de considérer que résultat et rentabilité constituent les seules attentes des actionnaires. Parmi ces derniers, nombreux sont ceux qui intègrent des critères de responsabilité et d’impact positif sur la société pour discriminer les entreprises qui recevront leurs investissements. Un <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/0301038612672-bourse-les-investisseurs-critiques-a-legard-des-dirigeants-juges-court-termistes-2139374.php">récent sondage du BCG</a>, réalisé auprès de 250 grands investisseurs, permet de constater que 88 % d’entre eux jugent que les dirigeants se focalisent trop sur le court-terme…</p>
<p>Si les débats restent ouverts, et risquent même de s’intensifier dans les semaines qui viennent, il y a de fortes chances qu’entre immobilisme et ambition controversée la voie du milieu ne finisse par s’imposer. D’autant plus qu’elle a aujourd’hui le vent en poupe grâce aux soutiens d’acteurs reconnus et engagés, notamment Antoine Frérot, PDG de Véolia, ou Emmanuel Faber, PDG de Danone. Dans ce cas, les résultats obtenus en termes de changement des comportements délétères seraient bien plus faibles que ceux initialement envisagés par les syndicats et le gouvernement. Le débat sur le rôle de l’entreprise dans la société n’en serait toutefois que légèrement reporté, et se verrait sans doute considérablement renforcé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90576/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugues Poissonnier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avant la présentation de la loi PACTE, en avril, le débat sur l’objet social de l’entreprise va s’intensifier. Avec, en creux, une question : qui doit bénéficier de la valeur produite ?Hugues Poissonnier, Professeur d'économie et de management, Directeur de la Recherche de l’IRIMA, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-Etre au travail et Paix Economique, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/894192018-01-16T21:22:46Z2018-01-16T21:22:46ZRedéfinir l’entreprise et sa finalité : une révolution en marche ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/201974/original/file-20180115-101514-15h0ufz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sociétés ? Entreprises ? Et pour quel objet ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/skyscrapers-in-city-against-sky-257856/">Pexels</a></span></figcaption></figure><p>Lors de ses vœux, le Président Macron a annoncé que le rythme des réformes n’allait pas faiblir avec pas moins de dix projets de loi attendus pour les prochains mois. Parmi ces projets, une révolution semble en marche sur la question de la gouvernance des entreprises et la participation des salariés.</p>
<p>Le gouvernement a ainsi confié à Nicole Notat (Vigeo) et Jean‑Dominique Senard (Michelin) une <a href="http://bit.ly/2DzfxAg">mission de réflexion sur l’articulation entre la finalité de l’entreprise et l’intérêt général</a>. Le gouvernement souhaite également inscrire dans la future <a href="http://bit.ly/2B41Q9I">loi PACTE</a> (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), présentée au printemps, des éléments allant clairement dans ce sens.</p>
<p>Cette initiative est précédée de l’action d’un groupe de députés socialistes qui a déposé une <a href="http://bit.ly/2Dzgp80">proposition de loi novatrice, discutée dès le 18 janvier 2018</a> à l’Assemblée. Pour le résumer simplement, cette proposition de loi vise ni plus ni moins à redéfinir le but des entreprises françaises et introduit également le concept de <a href="http://bit.ly/2FFVdO6">société à objet social étendu</a>. Décryptage des raisons et de la portée potentielle de cette proposition de loi et des éléments annoncés dans la future loi PACTE.</p>
<h2>Sortir de la seule logique du profit</h2>
<p>La première raison avancée tant par le gouvernement (dans la bouche de Bruno le Maire ou de Nicolas Hulot par exemple) est que le but (ultime) d’une entreprise ne pourrait se résumer à faire seulement du profit.</p>
<p>De nombreux observateurs ou experts ont eu l’occasion de dénoncer depuis de nombreuses années les dérives de cette idéologie largement répandue et qui consiste à ce que l’entreprise fasse le plus de profit possible (à le maximiser comme disent les économistes) : entreprises fermant des sites pourtant rentables, externalisation et focalisation sur le cœur de métier en vue de diminuer le coût du travail et d’augmenter les profits, focalisation exclusive sur la création de valeur actionnariale), stratégies d’optimisations fiscales et sociales, prolifération des externalités négatives dénoncées par une partie des patrons eux-mêmes…</p>
<p>Prenant acte de cette dérive qui remet en cause le pacte républicain et les équilibres écologiques, le gouvernement semble vouloir infléchir les pratiques et cette idéologie du tout profit en se faisant le promoteur d’un « capitalisme plus moral » qui ne se focaliserait plus uniquement sur le profit ou les dividendes des actionnaires mais qui aurait bien des objectifs plus larges permettant de prendre en considération d’autres parties prenantes (l’environnement, la société, les salariés).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/201977/original/file-20180115-101514-1ccgqxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201977/original/file-20180115-101514-1ccgqxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201977/original/file-20180115-101514-1ccgqxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201977/original/file-20180115-101514-1ccgqxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201977/original/file-20180115-101514-1ccgqxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201977/original/file-20180115-101514-1ccgqxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201977/original/file-20180115-101514-1ccgqxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201977/original/file-20180115-101514-1ccgqxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Milton Friedman a écrit le 13 septembre 1970 une tribune dans le <em>New York Times</em> intitulée « The Social Responsibility of Business Is to Increase Its Profits ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://reason.com/blog/2012/07/31/vid-happy-100th-birthday-to-milton-fried">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>La défense habituelle des défenseurs de la valeur actionnariale est désormais bien connue : à quoi bon imposer un nouveau lot de contraintes, alors que l’entreprise se préoccupe déjà des salariés et de la société, en versant des salaires et en payant des impôts. Et leur argument semble imparable : c’est justement parce que l’entreprise cherche à maximiser ses profits qu’elle peut verser des salaires décents et des impôts conséquents.</p>
<p>Cette position est fort bien résumée depuis 1970 dans la fameuse <a href="http://www.crsdd.uqam.ca/pages/docs/04-2013.pdf">tribune de Milton Friedman</a> : <a href="http://nyti.ms/2B21fVW">« La seule responsabilité de l’entreprise est de faire des profits »</a>. La position des partisans et des adversaires de cette position semble clairement irréconciliables comme l’explique par exemple <a href="http://bit.ly/2EK94C7">Alex Edmans</a>.</p>
<h2>La remise en cause du « tout pour l’actionnaire » en trois actes</h2>
<p>Depuis 1970, les mentalités et les idéologies sous-jacentes ont néanmoins évolué et une approche beaucoup plus inclusive de la gouvernance des entreprises se répand peu à peu. Elle dispose de très solides arguments pour rejeter dans un premier temps la mainmise des actionnaires sur l’entreprise et faire la promotion dans un second temps d’une approche plus partenariale de l’entreprise, sa performance et sa gouvernance.</p>
<p>Cette remise en cause s’effectue en trois actes.</p>
<p><strong>Acte 1</strong> : Le premier argument, connu des juristes depuis des décennies, est de dire que <strong>l’entreprise n’existe pas en droit</strong>. Pour le dire de façon imagée, le droit de l’entreprise n’existe pas, on parle seulement du droit des sociétés. Le droit ne connaît pas l’entreprise mais seulement la société : on parle en effet de société par actions, de société à responsabilité limitée ou de société anonyme mais jamais d’entreprise anonyme.</p>
<p>Or, le tour de force d’éminents économistes aura été de nous faire croire que l’entreprise (et non la société) appartenait aux actionnaires ! <a href="http://bit.ly/2FE9HhH">L’un des articles les plus célèbres et les plus repris</a> en finance et en économie propage depuis 1976 cette vision simpliste et erronée d’une entreprise, simple coquille juridique, appartenant aux seuls actionnaires.</p>
<p><strong>Acte 2</strong> : L’entreprise n’existe pas, seule la société est reconnue en droit mais <strong>les actionnaires disposent-ils malgré tout de droits de propriété</strong> ? Là encore, la réponse des juristes est limpide. Les parts sociales ou les actions ne constituent et n’ont jamais constitué de titres de propriété en bonne et due forme. Il s’agit seulement de titres représentant des fractions de capital social offrant certains droits (droit de participer à l’assemblée générale, de pouvoir y voter, de toucher une partie des résultats de l’entreprise).</p>
<p>Les actions ou parts sociales ne constituent pas un quelconque titre de propriété. Un actionnaire ne pourrait en aucun cas rentrer dans une entreprise et en repartir avec une chaise ou un ordinateur au motif qu’il est propriétaire d’une fraction du capital. Ce serait assurément considéré comme de l’abus de bien social. Mais alors, à qui appartient l’entreprise ? Et bien justement à personne, comme nous l’expliquons dans un <a href="http://bit.ly/2DjpWT6">article publié en 2014</a>, car les actionnaires ne sont propriétaires de rien et sûrement pas de quelque chose qui n’existe pas !</p>
<p><strong>Acte 3</strong> : Une fois que l’on a examiné sérieusement cette question et conclu que les actionnaires ne sont pas propriétaires de l’entreprise, il reste à en déduire que la <strong>société est un être juridique autonome à part entière</strong>. À ce sujet, ne parle-t-on pas de personnes morales (dont certaines se font d’ailleurs condamner) pour désigner ces entités abstraites qui existent en droit ? Dès lors, si l’on considère que la société, personne morale, peut avoir des intérêts potentiellement différents des membres physiques qui la composent, on peut tout à fait admettre que l’intérêt des sociétés ne rejoint pas nécessairement celui de ses actionnaires, de ses dirigeants ou de ses salariés.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/201979/original/file-20180115-101511-ug8c93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201979/original/file-20180115-101511-ug8c93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201979/original/file-20180115-101511-ug8c93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201979/original/file-20180115-101511-ug8c93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201979/original/file-20180115-101511-ug8c93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201979/original/file-20180115-101511-ug8c93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=574&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201979/original/file-20180115-101511-ug8c93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=574&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201979/original/file-20180115-101511-ug8c93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=574&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Qui possède quoi ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/p-360201/?no_redirect">Pixabay</a></span>
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<p>Ainsi, des dirigeants peuvent verser des dividendes trop élevés alors que la situation de l’entreprise nécessiterait plutôt que la société investisse ! De la même manière, une entreprise trop généreuse avec ses salariés peut potentiellement se retrouver en difficultés dans le futur alors que ces ressources auraient pu être consacrées à l’investissement ou la recherche et développement. C’est donc l’intérêt de la société elle-même et la pérennité du projet économique de l’entreprise qui doivent orienter la gouvernance et en aucun cas l’intérêt d’une des parties prenantes qui dans cette situation réaliserait un hold-up sur la valeur créée collectivement.</p>
<h2>Une proposition de loi qui remet en cause l’article 1833 du code civil</h2>
<p>La <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/15/propositions/pion0476.asp">proposition de loi discutée le 18 janvier</a> défend clairement cette optique et propose ainsi de redéfinir la finalité et les objectifs de la société. C’est le sens de l’article n°1 qui entend compléter l’article 1833 du Code civil (« Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ») par la phrase suivante, lourde de conséquences : « La société est gérée conformément à l’intérêt de l’entreprise, en tenant compte des conséquences économiques, sociales et environnementales de son activité. »</p>
<p>En voulant modifier cet article du code civil, les promoteurs de cette proposition de loi entendent ainsi sanctuariser la notion d’intérêt social de l’entreprise qui agit comme un paravent à toute tentative d’accaparement de la société par une de ses parties prenantes. La société ne serait ainsi plus seulement gérée dans l’intérêt unique et corporatiste de ses seuls actionnaires mais dans un intérêt commun et nécessairement collectif faisant coïncider intérêt de l’entreprise et intérêt sociétal.</p>
<p>Au-delà de ce premier article, la proposition de loi avance également, au travers de son article 10, la proposition de société à objet social étendu, qui inclut ainsi les parties prenantes essentielles au développement des organisations. Cette autre proposition révolutionnaire vise à « mobiliser tous les acteurs de l’entreprise autour d’un objet social incluant un objectif social ou environnemental ». La « mission de la société devra être définie à la fois par les actionnaires (qui l’inscriront dans les statuts) et par les salariés (qui la valideront par voie d’accord d’entreprise) ».</p>
<p>Deux chercheurs français, Armand Hatchuel et Blanche Segrestin, ont directement inspiré la réflexion conduisant à proposer cette nouvelle forme de société. S’inspirant fortement des expériences étrangères (notamment la <a href="http://bit.ly/2FFVdO6">Social Purpose Corporation</a> qui a succédé à la Flexible Purpose Corporation), ils avaient dès 2012, publié un ouvrage prémonitoire et visionnaire, <a href="http://bit.ly/2mHjP1a"><em>Refonder l’entreprise</em></a>, qui résumait à la fois l’ambition et la portée de cette évolution. Sous l’impulsion d’Emmanuel Faber ce statut a été récemment adopté par la filiale américaine de Danone en avril 2017.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/201982/original/file-20180115-101492-1b9xlkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201982/original/file-20180115-101492-1b9xlkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201982/original/file-20180115-101492-1b9xlkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201982/original/file-20180115-101492-1b9xlkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201982/original/file-20180115-101492-1b9xlkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201982/original/file-20180115-101492-1b9xlkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201982/original/file-20180115-101492-1b9xlkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201982/original/file-20180115-101492-1b9xlkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Code civil Napoléon (Historisches Museum der Pfalz).</span>
<span class="attribution"><span class="source">DerHexer/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>Une évolution à mener sous deux conditions</h2>
<p>Si le gouvernement entend « moraliser » le capitalisme et offrir un autre horizon aux entreprises que la seule maximisation du profit, il faudra sans doute vaincre de nombreuses résistances, tant du côté du patronat que des salariés d’ailleurs. C’est à ce prix que l’on pourra véritablement faire entrer la société et l’entreprise dans l’économie du XXI<sup>e</sup> siècle, qui ne peut qu’être plus inclusive et plus responsable. Cette évolution de la loi appelle toutefois deux précautions qui si elles ne sont pas anticipées pourraient se retourner contre les promoteurs :</p>
<p><strong>1. Certains commentateurs ont souligné les risques de modifier les articles du Code civil ou du Code Commerce, qui d’après certains juristes ne sont pas à l’origine des dérives que tentent de corriger cette proposition de loi.</strong> Corriger ou modifier les articles 1832 et 1833 du Code civil ne permet pas de s’attaquer fondamentalement à la racine du problème, qui, d’après une partie du patronat est la financiarisation extrême du capitalisme moderne. L’un des meilleurs experts de cette question précise que ce n’est pas tant les articles du Code civil qui posent problème que les impératifs de maximisation de la valeur actionnariale qui conduisent peu à peu à des dérives stratégiques, managériales et environnementales de plus en plus inacceptables. Pour le dire autrement, ce n’est pas le droit qui pose problème mais bien l’idéologie économique actuellement en vigueur qui conduit à ces dérives et qui s’incarne à travers les codes de gouvernance comme le code Afep-Medef pour le cas spécifique de la France.</p>
<p><strong>2. Deuxième écueil possible : Le risque en s’attaquant au cœur du Code civil est d’assister à une levée de boucliers de la plupart des acteurs de ce dossier.</strong> Le patronat n’a objectivement aucun intérêt, hormis quelques voix « dissidentes », tel qu’Emmanuel Faber (Danone) ou Antoine Frerot (Veolia), à soutenir cette initiative. Les salariés pourraient également s’y opposer (et être sur la même ligne que le patronat), tant il peut apparaître dangereux pour eux d’être associés directement aux décisions stratégiques, comme celles consistant par exemple à licencier…</p>
<h2>Revoir la loi… mais aussi les <em>soft laws</em> de la gouvernance</h2>
<p>Réformer la gouvernance des entreprises françaises en s’attaquant à des articles essentiels du Code civil et du droit des sociétés est à la fois ambitieux mais potentiellement risqué. Reste que l’action conjointe de cette proposition de loi et de la future loi PACTE laisse de côté un élément essentiel de la gouvernance de nos entreprises. En effet, à aucun moment, il n’est envisagé de réécrire ou de réaliser une nouvelle mouture des principaux <a href="http://bit.ly/2mAOKeG">guides de gouvernance</a>, dont le code AFEP-Medef qui fait autorité.</p>
<p>Or, c’est bien souvent cette « soft law » qui fixe des règles et des pratiques qui ont cours au sein de nos entreprises. Ainsi, 118 entreprises des 120 plus grandes entreprises françaises font explicitement référence dans les rapports annuels au code AFEP-Medef alors que plusieurs dispositions de ce code sont discutables, voire juridiquement fausses, mais profitent toujours in fine à certaines catégories d’actionnaires toujours plus préoccupés par la capture de dividendes que les projets stratégiques de long terme.</p>
<p>Ainsi les prochaines semaines peuvent marquer un tournant décisif pour notre modèle de gouvernance d’entreprise, à condition que de nombreuses résistances soient vaincues et que l’ensemble des acteurs comprend qu’un changement de logiciel est nécessaire pour renforcer en même temps la compétitivité et la responsabilité des entreprises !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89419/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Valiorgue a reçu des financements de la fondation de l'Université Clermont Auvergne dans le cadre de la Chaire Alter-Gouvernance (<a href="http://www.alter-gouvernance.org">www.alter-gouvernance.org</a>).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Xavier Hollandts ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après les consultations achevées en décembre et d’autres en cours, le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, devrait aboutir à un projet de loi au printemps.Xavier Hollandts, Professeur de Stratégie et Entrepreneuriat, Kedge Business SchoolBertrand Valiorgue, Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises - co-titulaire de la Chaire Alter-Gouvernance, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.