tag:theconversation.com,2011:/global/topics/fiscalite-23513/articlesfiscalité – The Conversation2024-03-12T16:06:25Ztag:theconversation.com,2011:article/2253072024-03-12T16:06:25Z2024-03-12T16:06:25ZLa France, un paradis fiscal… pour le Qatar ?<p><a href="https://www.capital.fr/economie-politique/en-visite-en-france-lemir-du-qatar-sort-le-gros-cheque-pour-investir-dans-notre-economie-1492913">10 milliards d’euros</a>. Telle est la somme que l’émir du <a href="https://theconversation.com/topics/qatar-39492">Qatar</a>, lors de sa récente visite à Paris, a annoncé vouloir investir d’ici à 2030 dans l’économie française.</p>
<p>Le montant n’a pas manqué de faire réagir. La venue de l’émir intervenait alors que le dossier du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/06/qatargate-l-enquete-belge-risque-l-enlisement_6209394_3210.html">« Qatargate »</a> n’est pas clos : l’État du Golfe est accusé <a href="https://www.touteleurope.eu/institutions/le-qatargate-est-une-affaire-criminelle-et-n-a-aucun-rapport-avec-le-lobbying/">d’avoir tenté de corrompre des parlementaires européens</a>. Il est également suspecté de <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/cll7nmeev6eo">financer des organisations classées terroristes</a>, dont le Hamas, qui est inscrit sur la <a href="https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:151:0045:0050:EN:PDF">liste de l’Union européenne</a>.</p>
<p>Sans compter les pratiques de <em>soft power</em> mises à jour par les différents <a href="https://www.tallandier.com/livre/le-qatar-en-100-questions/">ouvrages</a> des journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot. Il serait ainsi naïf de croire que les <a href="https://theconversation.com/topics/investissement-20236">investissements</a> du Qatar sont dénués de toute intention politique. Une autre question se pose également : ces investissements vont-ils rapporter de l’argent à l’État français ? L’analyse non exhaustive de la <a href="https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/10_conventions/qatar/qatar_convention-avec-le-qatar_fd_2100.pdf">convention fiscale France-Qatar</a> montre que cela est loin d’être évident.</p>
<h2>Tout commence par l’immobilier</h2>
<p>La presse s’est déjà fait l’écho d’<a href="https://photo.capital.fr/ces-fleurons-francais-desormais-aux-mains-du-qatar-17024#les-hotels-carlton-martinez-et-majestic-de-cannes-303176">acquisitions immobilières impressionnantes</a>, en particulier à Cannes, réalisées par des sociétés ou des familles qatariennes. À partir du moment où le patrimoine immobilier situé en France a une valeur supérieure à 1,3 million d’euros, un non-résident est théoriquement assujetti à l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI), mais cela sous réserve des conventions internationales.</p>
<p>En l’occurrence, l’<a href="https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/10_conventions/qatar/qatar_convention-avec-le-qatar_fd_2100.pdf#page=11">article 17</a> de la convention France-Qatar stipule :</p>
<blockquote>
<p>« La fortune constituée par des biens immobiliers visés à l’article 5, que possède un résident d’un État et qui sont situés dans l’autre État, est imposable dans cet autre État si la valeur de ces biens immobiliers est supérieure à la valeur globale des éléments suivants de la fortune possédée par ce résident. »</p>
</blockquote>
<p>Ces « éléments » sont principalement des obligations et des actions de sociétés cotées résidentes. Il résulte ainsi du texte que des actions de sociétés cotées situées en France ne seront pas considérées comme un bien immobilier pour un Qatarien (et réciproquement) même en ce qui concerne les sociétés détenant essentiellement des actifs immobiliers. Cet investissement n’entrera donc pas dans le calcul de la valeur des biens immobiliers : autrement dit, pour éviter d’être assujettis à l’IFI, les Qatariens sont incités à investir dans des sociétés cotées ou dans des obligations d’État.</p>
<p>Les cas d’exonération sont encore plus larges dans les faits : l’administration fiscale a même <a href="https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/949-PGP.html/identifiant=BOI-INT-CVB-SAU-20200122">précisé</a> qu’il fallait tenir compte des actions cotées sur un marché boursier d’un État membre de l’Union européenne et non uniquement de celles cotées sur le marché français ainsi que des créances sur les États membres de l’UE, leurs collectivités territoriales ou institutions publiques. Les établissements de crédit résidents d’un État membre de l’UE n’ont, eux, pas besoin d’être cotés en bourse.</p>
<h2>Puis, il y a les dividendes</h2>
<p>On peut par ailleurs lire à l’article 8 de la Convention :</p>
<blockquote>
<p>« Les dividendes payés par une société qui est un résident d’un État à un résident de l’autre État ne sont imposables que dans cet autre État si la personne qui reçoit ces dividendes en est le bénéficiaire effectif. »</p>
</blockquote>
<p>Les dividendes versés par des sociétés françaises détenues par des Qatariens, personnes physiques ou morales, sont ainsi imposés au Qatar. Ce mécanisme classique, et usuel, en fiscalité internationale comprend néanmoins plusieurs nuances non négligeables dans ce cas.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_BzT5zSNusU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Tout d’abord, contrairement à ce qui est prévu dans de nombreuses conventions fiscales signées avec d’autres pays – par exemple entre la France et le Luxembourg –, la France ne s’est pas réservé la possibilité d’imposer les dividendes qui partent pour le Qatar.</p>
<p>Comme il n’y a pas d’imposition prenant pour assiette les dividendes au Qatar, il est tentant pour un investisseur français de vendre son action à un investisseur qatarien qui reçoit les dividendes et est exonéré de taxes. Il restitue ensuite l’action et les dividendes à l’investisseur français qui, ayant échappé à la taxe, n’a plus qu’à lui verser une commission pour le service rendu. <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/dividendes-les-conventions-fiscales-avec-les-pays-du-golfe-dans-le-viseur-des-deputes-1360190">Les parlementaires se sont saisis de la question</a> mais il est difficile de penser que des modifications seront introduites dans la Convention fiscale après l’annonce par le Qatar qu’il s’apprête à investir 10 milliards d’euros en France.</p>
<p>Enfin, la convention précise que les revenus immobiliers, les dividendes ou les gains de capital qui sont réalisés en France par des sociétés qatariennes et partent ensuite au Qatar ne subissent pas la retenue usuelle à la source de 30 %.</p>
<p>Bref, les sociétés qatariennes sont incitées à investir en France en parallèle à leurs acquisitions immobilières et elles bénéficient alors également, en matière de dividendes, d’un traitement dérogatoire.</p>
<h2>Puis, il y a les intérêts</h2>
<p>Imaginons désormais une société française qui s’endette auprès d’une société mère qatarienne. Ce mode de financement aboutit à réduire le bénéfice imposable de la société française qui doit acquitter les mensualités d’emprunt et à enrichir la société qatarienne qui récupère les intérêts. Là encore, contrairement à ce qui a pu être stipulé dans d’autres conventions ratifiées par la France – par exemple, la convention entre la France et Israël –, dans ses relations avec le Qatar, la France ne dispose d’aucune possibilité, selon l’article 9, d’imposer de tels flux financiers.</p>
<p>Imaginons que cet emprunt conclu auprès d’une société étrangère aboutisse à l’acquisition d’une immobilisation pour la société française. Celle-ci sera en droit d’amortir son coût sur plusieurs années et de réduire d’autant son bénéfice en application des règles comptables et fiscales en vigueur en France, qui est en outre le lieu de situation de l’immeuble. Dans cette hypothèse théorique, d’une part le flux financier emprunté n’est pas fiscalisé et la société qatarienne encaisse « net d’impôt » les remboursements, et d’autre part, en France, la société française réduit le montant de son imposition.</p>
<p>Reprécisons que ce mécanisme n’est pas spécifique aux entreprises détenues par des fonds ou des sociétés qatariennes, mais il se cumule avec tout un ensemble d’exonérations.</p>
<h2>Puis, les redevances et enfin, les plus-values</h2>
<p>Outre l’immobilier, les dividendes et les intérêts, il faut regarder du côté des redevances. Les redevances sont les sommes que doit acquitter une société pour pouvoir exploiter un brevet ou une image. Si ces droits sont détenus par une société étrangère, la société française qui souhaite les exploiter doit passer un contrat avec cette société et la rémunérer en contrepartie. Conformément à l’article 10 de la convention France-Qatar, et contrairement par exemple à la convention France-Espagne, ces sommes permettent de réduire le bénéfice imposable en France. Une société qatarienne qui verse une redevance à la France verra son assiette d’imposition réduite d’autant. Dans l’autre sens, la redevance perçue par une société du Golfe ne sera-t-elle pas imposée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1657468591254405120"}"></div></p>
<p>Pour ce qui concerne enfin les plus-values, celles provenant de la vente de biens immobiliers (ou de droits dans une société dont l’actif est constitué pour plus de 80 % d’immeubles) situés en France sont en principe imposables en France selon l’article 11. C’est oublier que la convention a été complétée par des avenants. Celui du <a href="https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/10_conventions/qatar/qatar_avenant-a-la-convention-avec-le-qatar-du-14.01.2008_fd_4587.pdf">14 janvier 2008</a> prévoit notamment l’exonération des plus-values de cession réalisées par l’autre État, sa banque centrale ou une institution financière publique mais également les gains provenant de l’aliénation de parts d’une société dont l’actif est constitué pour plus de 80 % de biens immobiliers.</p>
<p>En résumé, l’investissement de 10 milliards d’euros pourrait bien bénéficier d’une rentabilité maximale. Mais ce n’est pas tout. Les entreprises qatariennes, comme toutes les entreprises exploitées en France, utilisent pleinement les crédits d’impôt, dont <a href="https://www.strategie.gouv.fr/publications/evaluation-credit-dimpot-recherche-rapport-cnepi-2021">l’efficacité est loin d’être démontrée</a>, mais qui assurent avec certitude aux entreprises un apport en trésorerie. Si, comme annoncé, le Qatar investit dans l’intelligence artificielle, il profitera pleinement du crédit impôt-recherche.</p>
<p>Enfin, une partie des sommes annoncées a vocation à être gérée par la BPI en dépit des poursuites en cours en raison de soupçons de <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/bpifrance-enquete-ouverte-pour-des-soupcons-de-prise-illegale-d-interets-978059.html">prise illégale d’intérêts</a>. Pour le dire autrement, l’État du Golfe suspecté d’être à l’origine du plus grand scandale de corruption en Europe va investir en France via une structure dont la déontologie est remise en question. Des élus, à l’instar de la sénatrice Anne-Catherine Loisier qui a déposé à ce sujet une <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2018/qSEQ181208007.html">question écrite</a> le 6 décembre dernier, interpellent déjà l’exécutif sur le manque à gagner entraîné par les « avantages fiscaux » accordés au Qatar.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225307/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le Qatar a certes promis 10 milliards d’euros d’investissement en France d’ici 2030, mais il bénéficie d’une convention fiscale bilatérale particulièrement avantageuse.Jacques Amar, Maître de conférences HDR en droit privé, CR2D, Université Dauphine-PSL, docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSLArnaud Raynouard, Professeur des universités en droit, CR2D, Université Dauphine-PSL, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2254692024-03-11T16:12:40Z2024-03-11T16:12:40ZDépenses publiques : la fin de 44 années de hausse ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580916/original/file-20240311-16-2ihkhg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=164%2C0%2C1763%2C1035&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a annoncé début mars que les recettes fiscales seraient moins élevées d'escomptées en 2024.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/iaea_imagebank/51716438624">Flickr/IAEA</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le <a href="https://theconversation.com/comment-les-nouvelles-regles-budgetaires-europeennes-contraindront-les-depenses-publiques-francaises-223905">18 février 2024</a>, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a annoncé revoir sa prévision de croissance de l’économie française à 1 % pour 2024. Le budget prévisionnel de l’État étant bâti sur une hypothèse de croissance de 1,4 % dans la <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/291190-loi-du-29-decembre-2023-de-finances-pour-2024-budget-plf">loi de finances pour 2024</a> Bercy a en même temps décrété un gel de 10 milliards d’euros des dépenses étatiques pour compenser la perte de recettes fiscales et respecter l’engagement d’un déficit public de 4,4 % du PIB en 2024.</p>
<p>Auditionné par les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat le 6 mars, Bruno Le Maire a dû reconnaître un déficit public 2023 <a href="https://www.budget.gouv.fr/reperes/loi_de_finances/articles/la-loi-de-finances-de-fin-de-gestion-2023">« significativement au-delà »</a> des 4,9 % du PIB inscrit dans la loi de finances de fin de gestion 2023 du fait de <a href="https://videos.assemblee-nationale.fr/video.14755974_65e87523b3d8e.commission-des-finances--m-bruno-le-maire-ministre-de-l-economie-des-finances-et-de-la-souverain-6-mars-2024">recettes fiscales moindres qu’espérées en fin d’année dernière</a>.</p>
<p>Pour respecter l’engagement européen d’un déficit limité à 3 % en 2027, la loi de finances pour 2025, qui vise un déficit de 3,7 %, devra présenter une réduction de l’ensemble des dépenses publiques non pas de 12 milliards mais de 20 milliards, soit 0,7 point de PIB.</p>
<h2>La fin des « Quarante-quatre dispendieuses » ?</h2>
<p>Dans une <a href="https://www.ericpichet.fr/assets/files/pdf/actualites/doctrine-du-quinquennat-RDF-25janvier-2017.pdf">étude</a> parue dans la Revue de droit fiscal de janvier 2018, nous avions qualifié les années 1981 à 2017 de « Trente-six dispendieuses », en prenant pour base l’exercice 1980, soit la dernière année de quasi-équilibre des finances publiques (avec un endettement de seulement 20 % du PIB).</p>
<p>Nous rappelions alors que les années 1980 avaient été marquées par une envolée des dépenses et des déficits publics, la dette publique montant à 35 % en 1990, les années 1990 par une douce insouciance budgétaire et les années 2000 par diverses stratégies de procrastination budgétaire. Enfin les années 2010 consécutives à la crise financière de 2008 ont encouragé un endettement public massif. Cette tendance a été favorisée par la diminution régulière de la charge de la dette, puisque les obligations qui arrivaient à échéance versant du 5 % d’intérêt étaient remplacées par de nouvelles obligations à intérêt nul, voire négatif.</p>
<p>Au tournant des années 2020, la crise du Covid a contraint les pouvoirs publics à soutenir l’activité « quoi qu’il en coute », en propulsant le déficit à un niveau jamais atteint en temps de paix de 9 % en 2020. Conséquence inévitable de cette envolée des déficits, l’endettement public a atteint un <a href="https://www.fipeco.fr/pdf/NiveauEvolutionDette.pdf">record de 115 du PIB %</a>, et a franchi la barre des 3 000 milliards d’euros en 2023. La dette publique par habitant de la France se situait alors au même niveau que celle de l’Italie, autour de 40 000 euros, et bien <a href="https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/les-chiffres-de-la-dette-publique-depuis-1978">au-delà de la moyenne de l’Union européenne (UE) de 31 000 euros</a>.</p>
<p><iframe id="mH5tB" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/mH5tB/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Si 2023 a vu une réduction progressive des mesures de soutien au pouvoir d’achat des ménages, l’année a également connu la plus forte hausse de l’emploi public depuis 2013, avec la création de 60 000 postes (1 % des postes), soit <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/7929052">plus du double de l’augmentation de l’emploi privé à 91 000 emplois (0,4 %)</a>.</p>
<p>Les annonces de Bruno Le Maire laissent ainsi entendre que 2025 sera une année charnière qui pourrait mettre un terme à cette période des « quarante-quatre dispendieuses ». En effet, ne pas imposer de contraintes aux dépenses publiques aujourd’hui, c’est accepter de subir une inévitable contrainte qui nous sera demain imposée par Bruxelles et/ou par les marchés obligataires.</p>
<h2>Une prise de conscience de l’opinion publique</h2>
<p>Depuis deux ans les ménages ont constaté la fin de cette période d’« argent gratuit » (pour désigner des taux d’emprunt proches de zéro) avec la brutale remontée des taux des prêts immobiliers, passés de <a href="https://www.banque-france.fr/fr/publications-et-statistiques/statistiques/panorama-des-prets-lhabitat-des-menages">1 % fin 2021 à 4 % aujourd’hui</a>. Parallèlement, le taux des obligations d’État est passé de 0 % à 3 %, ce qui a accéléré la prise de conscience par l’opinion publique des dangers de la dette publique. De fait, un récent sondage indique que 80 % de Français considèrent désormais que la dégradation de la dette devient un sujet urgent (et même très urgent pour 32 % d’entre eux), soit un <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/sondage-exclusif-pour-reduire-la-dette-les-francais-ciblent-les-depenses-chomage-et-les-allocations-familiales-2081254">bond de 8 points depuis juin 2023</a>.</p>
<p><iframe id="Z4ACz" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Z4ACz/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Or, avec un déficit et un <a href="https://www.senat.fr/rap/l23-128-1/l23-128-12.html">endettement parmi les plus élevés de la zone euro</a> ainsi qu’un taux de prélèvement obligatoire de 46 % du PIB (soit le plus élevé des pays développés), envisager d’importantes hausses d’impôts n’est plus une option, d’autant plus qu’elles contribueraient à ralentir un peu plus la croissance et à réduire le taux d’emploi.</p>
<p>Comme le signale dans un récent entretien au <em>Monde</em> Olivier Blanchard, ancien chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), réduire le déficit trop rapidement alors que l’activité freine risque d’accentuer le ralentissement la France mais on ne peut désormais plus échapper à « un <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/03/04/olivier-blanchard-il-faut-etre-pret-a-soutenir-encore-l-economie_6219898_3234.html">plan crédible d’ajustement et de baisse des dépenses</a> sur cinq à huit ans ».</p>
<h2>Quelles coupes ?</h2>
<p>Comme nous le signalions dans un <a href="https://theconversation.com/comment-les-nouvelles-regles-budgetaires-europeennes-contraindront-les-depenses-publiques-francaises-223905">article</a> publié le 19 février, si les dépenses publiques françaises dépassent de 8 points (58 % du PIB contre 50 %) la moyenne de l’Union européenne (50 %) c’est principalement du fait des dépenses de protection sociale (33 % du PIB contre 27 %).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-nouvelles-regles-budgetaires-europeennes-contraindront-les-depenses-publiques-francaises-223905">Comment les nouvelles règles budgétaires européennes contraindront les dépenses publiques françaises</a>
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<p>Dans les prochaines années, les dépenses contraintes concerneront principalement la charge des intérêts car la facture continuera à gonfler mécaniquement sous le double effet de l’inertie des déficits publics et de la hausse des taux des obligations après la période d’« argent gratuit ». En outre, la transition écologique nécessitera de lourds investissements, de l’ordre de 2,3 % du PIB chaque année, et les dépenses militaires doivent atteindre au moins 2 % du PIB dès 2025 pour tenir compte du nouveau contexte géopolitique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ue-les-regles-budgetaires-sont-elles-compatibles-avec-les-objectifs-du-pacte-vert-222546">UE : les règles budgétaires sont-elles compatibles avec les objectifs du Pacte vert ?</a>
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<p>Pour atteindre le plein-emploi, soit un taux de chômage autour de 5 % visé par le président de la République Emmanuel Macron depuis 2017, le plan exposé par Bruno Le Maire le 6 mars dernier prévoit un <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/06/bruno-le-maire-je-crois-a-un-etat-fort-mais-pas-a-un-etat-qui-se-disperse-et-devient-une-pompe-a-fric_6220387_823448.html">nouveau tour de vis sur les prestations chômage</a>. Ces économies permettront à L’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unédic), qui administre le régime d’assurance chômage, de dégager les excédents destinés à rembourser une dette d’environ 60 milliards d’euros et à supporter les ponctions de l’État pour financer l’apprentissage et France travail (anciennement Pôle emploi).</p>
<p>Les actifs seront également mis à contribution probablement via un ticket modérateur de 100 euros sur l’utilisation de leur Compte personnel de formation (CPF). Une baisse des subventions aux centres d’apprentissage est également planifiée, sans toutefois remettre en cause un dispositif plébiscité par les étudiants et les employeurs qui s’avère in fine très rentable pour les bénéficiaires, l’économie et… les finances publiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/apprentissage-une-depense-publique-importante-pour-un-rendement-economique-et-social-eleve-220700">Apprentissage : une dépense publique importante pour un rendement économique et social élevé</a>
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<p>Dans le champ de l’assurance-maladie, une revue des dépenses de santé ciblera plus particulièrement les remboursements des transports médicaux (5,7 milliards par an). Le plan prévoit en outre un contrôle plus sévère des arrêts maladie (17 jours par an dans les collectivités locales contre 10 dans le privé). Bercy veut également s’attaquer à la prise en charge à 100 % des soins des affections de longue durée, qui coûtent 110 milliards à la Sécurité sociale, <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/sante/budget-2025-le-gouvernement-se-penche-sur-la-prise-en-charge-des-affections-longue-duree">soit 66 % des dépenses d’assurance maladie</a>.</p>
<p>Enfin le ministre de l’Économie a évoqué le chantier de la restructuration de la sphère publique à l’horizon 2032. Le gouvernement souhaiterait réduire l’empilement des échelons dans les administrations locales, la <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/documents/63643">refonte des régions de 2015 n’ayant pas eu les effets budgétaires escomptés</a>. Une simplication massive des formalités administratives qui pèsent sur les entreprises et les ménages prévoit également la <a href="https://www.tf1info.fr/politique/administrative-choc-de-simplification-le-ministre-de-l-economie-bruno-le-maire-annonce-la-suppression-definitive-des-formulaires-cerfa-2288425.html">suppression de l’ensemble des 1800 formulaires Cerfa d’ici 2030</a> et un grand nettoyage dans les quelque 7 000 articles du code de commerce.</p>
<h2>Des ponctions à venir sur les retraites ?</h2>
<p>Plus généralement, le gouvernement s’interroge sur l’équité d’un système de sécurité sociale qui est aujourd’hui largement financée par les actifs. Pour limiter le coût des pensions dans le PIB, la solution est connue pour avoir été <a href="https://www.capital.fr/votre-retraite/comment-le-pouvoir-dachat-des-retraites-a-decroche-depuis-10-ans-1417342">pratiquée régulièrement dans le passé</a> : il suffit de limiter la hausse du coût des retraites en deçà de celle des salaires et de l’inflation pour réaliser des économies importantes et assez indolores.</p>
<p>Au nom de l’équité et malgré le <a href="https://www.lexpress.fr/societe/les-plus-de-60-ans-font-l-election-ils-ont-amene-emmanuel-macron-au-second-tour_2171565.html">poids électoral très lourd des retraités</a>, il semble, à notre sens, inévitable d’aligner le taux de CSG des inactifs sur celui des actifs rien ne justifiant qu’un retraité qui touche 6 000 euros par mois ne paie que 8,3 % de Contribution sociale généralisée (CGS) alors qu’une personne au smic paie 9,2 %. De même, le fameux <a href="https://theconversation.com/loi-pinel-fifa-et-titres-restaurant-trois-symboles-des-contradictions-de-la-gestion-des-niches-fiscales-218624">abattement pour « frais professionnels » (sic) des retraités devrait finir par être remis en cause</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225469/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Pichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La révision des prévisions de croissance à la baisse contraint Bercy à un nouveau tour de vis budgétaire dans un contexte où les marges de manœuvre apparaissent de plus en plus limitées.Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2196422023-12-12T18:47:44Z2023-12-12T18:47:44ZL’attractivité économique du pays est aussi une question de fiscalité<p>La dernière étude du cabinet de conseil EY sur l’attractivité des pays européens confirme la primauté de la France pour la 4<sup>e</sup> année consécutive. Le pays comptait en 2022 plus de 1250 projets d’investissement industriels ou technologiques annoncés, soit <a href="https://www.economist.com/europe/2023/11/21/why-german-bosses-are-heaping-unexpected-praise-on-france">plus que le Royaume-Uni (900) et l’Allemagne (800)</a>, destinations longtemps privilégiées. Le Spiegel va même jusqu’à titrer en une, dans un étonnant renversement : <a href="https://www.spiegel.de/wirtschaft/wirtschaftsstandort-frankreich-das-bessere-deutschland-a-610d0d84-da0c-478d-8322-ae67303993e5">« la France aujourd’hui : une meilleure Allemagne »</a>.</p>
<p>Illustrant le retour en grâce du pays, quelques exemples d’investissements massifs ont frappé les esprits : celui du danois Novo Nordisk à Chartres pour plus de 2 milliards ; les gigantesques usines de super batteries dans les Hauts-de-France, <a href="https://www.hautsdefrance.fr/prologium-technology-sinstalle-en-hauts-de-france/">à hauteur de 5,2 milliards euros d’ici 2030</a> du taiwanais Prologium ; ou encore la start-up italienne Newcleo, créée en 2021, qui a prévu d’investir <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/nucleaire-l-italo-britannique-newcleo-veut-investir-3-milliards-en-france-pour-son-petit-reacteur-et-une-usine-de-combustibles-962338.html">3 milliards d’ici 2030</a> dans les réacteurs nucléaires de faible et moyenne capacité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1728029413713846680"}"></div></p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1687341641298767872"}"></div></p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1658450711741448196"}"></div></p>
<p>Tout aussi significatif de l’attractivité retrouvée de l’Hexagone, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/06/27/finance-paris-savoure-ses-reussites-post-brexit_6179343_3234.html">Paris distance désormais largement ses rivales</a> (Francfort, Luxembourg, Dublin et Amsterdam) dans la féroce compétition pour devenir la grande place financière européenne. Aux atouts traditionnels liés au prestige de la Ville-Lumière et à un vaste marché d’emplois qualifiés s’est ajouté un rocambolesque coup de pouce du destin qui a <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2017/11/20/european-banking-authority-to-be-relocated-to-city-country/">transféré l’Autorité bancaire européenne de Londres à La Défense</a> (au détriment de Dublin), lors d’un vote des 27 États restants de l’Union européenne (UE) post-Brexit qui s’est achevé par… un <a href="https://www.lesechos.fr/2017/11/autorite-bancaire-europeenne-comment-paris-la-emporte-188882">tirage au sort</a> le 20 novembre 2017.</p>
<h2>Liberté et stabilité</h2>
<p>Si l’attractivité d’un pays se définit comme sa <a href="https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2010-1-page-27.htm">capacité à attirer les facteurs mobiles de production</a> (capital et travail), la France répondait déjà, avant l’arrivée d’Emmanuel Macron à L’Élysée en 2017, à nombre des <a href="https://www.8advisory.com/2023/12/06/rapport-de-competitivite-eight-2023/">critères de la compétitivité internationale</a>.</p>
<p>L’économie était déjà diversifiée et robuste, la liberté d’entreprendre garantie par un régime politique stable depuis 1958 et les cadres d’entreprise formés par des écoles de management très bien classées dans le prestigieux <a href="https://rankings.ft.com/rankings/2948/masters-in-management-2023">classement du <em>Financial Times</em></a>. En outre, grâce à son modèle social très redistributeur, le pays était <a href="https://www.economist.com/films/2019/10/01/poverty-in-america">l’un des plus égalitaires</a> au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).</p>
<h2>Président VRP</h2>
<p>Lors de sa prise de fonction, le président de la République a mis sur pied un gouvernement ouvertement <a href="https://www.challenges.fr/monde/europe/la-politique-probusiness-de-la-france-fait-rever-les-patrons-allemands_876460">probusiness</a> focalisé sur la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/reindustrialisation-86098">réindustrialisation</a>. Cette politique a même connu une accélération spectaculaire juste après le Covid et les <a href="https://theconversation.com/medicaments-une-penurie-si-previsible-137124">pénuries de médicaments</a> fabriqués en Asie, l’exécutif cherchant à renforcer notre base industrielle au-delà des domaines d’excellence traditionnels comme l’aéronautique, le luxe ou l’agroalimentaire.</p>
<p>Le plan France 2030 lancé en octobre 2021 vise ainsi à faire émerger les champions de demain dans une poignée de secteurs clés liés à la qualité de vie : la transition environnementale, l’énergie, les transports, l’alimentation ou encore la santé. Le montant total de l’enveloppe s’élève à <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/12/11/france-2030-ce-qu-il-faut-retenir-des-annonces-d-emmanuel-macron-sur-l-innovation_6205226_3234.html">54 milliards</a>, dont la moitié versée fin 2023.</p>
<p>L’acteur clé est ici Bpifrance, banque publique des entrepreneurs créée à parité en 2012 par L’État et la Caisse des dépôts et consignations. Initialement destinée à soutenir l’économie française en prenant des participations dans des entreprises stratégiques pour le développement local, l’institution a élargi son périmètre d’intervention en gérant les prêts garantis par l’État (PGE) aux entreprises pendant les confinements et surtout en finançant l’innovation notamment au travers du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/french-tech-56370">label « French Tech »</a>.</p>
<p>En parallèle, Emmanuel Macron s’est présenté dès 2018 en « super VRP » de la nation en lançant le sommet annuel « Choose France », destiné à présenter aux grandes multinationales les réformes menées pour stimuler l’activité économique : un raout annuel très médiatique dans le cadre royal du château de Versailles.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1658167152686276608"}"></div></p>
<p>Le premier sommet a permis de récolter quelque 3,5 milliards en investissement en 2018 et la dernière édition, en mai 2023, a battu les records avec la promesse de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/05/15/au-sommet-choose-france-une-moisson-record-d-investissements-etrangers_6173369_3234.html">13 milliards d’euros d’investissement</a> et de 8 000 créations d’emplois annoncés auprès de 200 multinationales.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1657944795522772995"}"></div></p>
<p>Cette bonne performance s’explique également par la loi de finances pour 2018, qui a significativement <a href="https://www.ericpichet.fr/assets/files/pdf/actualites/doctrine-du-quinquennat-RDF-25janvier-2017.pdf">amélioré la compétitivité fiscale</a> du pays. L’introduction d’une « flat tax » à 30 % sur tous les revenus du patrimoine des particuliers (intérêts, dividendes et plus-values des particuliers) a réduit et simplifié la fiscalité du capital, tout comme le remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en un impôt sur la fortune limité aux seuls biens immobiliers (IFI).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-suppression-de-lisf-commence-a-produire-ses-premiers-effets-positifs-193811">La suppression de l’ISF commence à produire ses premiers effets positifs</a>
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<p>Six ans après ces mesures, le <a href="https://www.strategie.gouv.fr/publications/comite-devaluation-reformes-de-fiscalite-capital-rapport-final">rapport</a> final du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital de France stratégies constate des effets positifs, comme nous l’avions anticipé même si l’ensemble des prélèvements sur les ménages et les entreprises au titre d’une détention, d’un revenu ou d’une transmission de patrimoine demeure toujours l’un des plus élevés dans le monde.</p>
<h2>L’emploi résiste au ralentissement</h2>
<p>La fiscalité des entreprises a également été réduite et stabilisée : l’impôt sur les sociétés est tombé de <a href="https://www.impots.gouv.fr/international-professionnel/impot-sur-les-societes">34,4 % en 2018 à 25 % en 2023</a>. La baisse a surtout concerné à partir de 2021 les impôts de production, qui <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/les-impots-de-production-continuent-de-penaliser-les-entreprises-francaises-2027360">pénalisent l’investissement</a> même s’ils restent encore bien au-dessus de la moyenne européenne. Enfin, la niche du crédit d’impôt recherche (CIR), la plus coûteuse et sans doute la plus controversée des dépenses fiscales (alors qu’elle confère un avantage compétitif majeur au pays) a été <a href="https://www.aefinfo.fr/depeche/567344-cir-bruno-le-maire-confirme-la-sanctuarisation-du-dispositif-et-se-dit-ouvert-a-une-reflexion-sur-son-deplafonnement">sanctuarisée</a> en 2017.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-est-il-si-difficile-de-reformer-les-niches-fiscales-191801">Pourquoi est-il si difficile de réformer les niches fiscales ?</a>
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<p>Les investisseurs étrangers sont également sensibles aux nombreuses réformes du marché du travail qui ont renforcé la politique de l’offre amorcée en 2013 par le prédécesseur d’Emmanuel Macron à l’Élysée, François Hollande. Les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000035607388/">ordonnances du 22 septembre 2017</a> ont plafonné les indemnités licenciement. La loi du 5 septembre 2018 a <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/bascule-cotisations-csg-la-reforme-qui-doit-augmenter-les-salaires-nets-140488">supprimé les cotisations salariales du régime d’assurance-chômage</a> en y substituant un financement via la contribution sociale généralisée (CSG) à l’assiette plus large. Enfin la réforme de l’apprentissage avec la création du compte personnel de formation (CPF) et surtout le transfert du pouvoir sur l’utilisation des fonds des régions aux employeurs directement concernés a spectaculairement augmenté le nombre d’apprentis de <a href="https://www.managementdelaformation.fr/la-formation-en-chiffres/2023/03/07/1-million-apprentis-france/">300 000 en 2017 à plus 800 000</a> en 2022.</p>
<p>Toutes ces mesures ont eu un effet sur l’emploi puisque, malgré le ralentissement de la croissance de 0,5 % au second trimestre 2023, les créations nettes ont <a href="https://www.cadremploi.fr/editorial/actualites/actu-emploi/pourquoi-les-entreprises-creent-encore-des-emplois-alors-que-la-croissance-est-faible">progressé pour le dixième trimestre consécutif</a>. Encore un indicateur de dynamisme attractif aux yeux des investisseurs étrangers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219642/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Pichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’allègement de l’impôt sur les sociétés ou encore la sanctuarisation du crédit impôt recherche séduit les investisseurs étrangers.Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2186242023-11-28T17:11:30Z2023-11-28T17:11:30ZLoi Pinel, FIFA et titres-restaurant : trois symboles des contradictions de la gestion des niches fiscales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561829/original/file-20231127-17-vaazae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=100%2C0%2C1068%2C790&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 2022, le ministère de l'Économie et des Finances recensait plus de 450 niches fiscales.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Paris_-_Minist%C3%A8re_de_l%27%C3%89conomie_et_des_Finances_B%C3%A2timent_Sully_%2827835898915%29.jpg"> Fred Romero/Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La Cour des comptes a relancé le débat sur les niches fiscales en publiant en juillet 2024 une <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2023-07/20230707-note-thematique-Depenses-fiscales.pdf">note thématique</a> pour mieux évaluer et piloter les 465 dispositifs identifiés en 2022 par Bercy. Le manque à gagner des finances publiques est estimé à 86 milliards d’euros, soit 3,6 % du PIB ou 25 % de l’ensemble des recettes fiscales.</p>
<p>Les sages de la rue Cambon préconisaient un mécanisme de plafonnement de leur coût sur la période de la <a href="https://theconversation.com/deficit-public-pourquoi-les-objectifs-affiches-ne-sont-jamais-atteints-215168">loi de programmation des finances publiques 2023-2027</a>, une limitation de la durée des nouvelles mesures à quatre ans et une évaluation exhaustive de toutes les niches par l’Inspection générale des finances d’ici 2027.</p>
<h2>Le retour des carottes locatives ?</h2>
<p>Après avoir inscrit dans la loi de programmation 2023-2027 un plafond des nouvelles dépenses fiscales et leur bornage dans le temps, la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16t0178_texte-adopte-seance">loi de finances pour 2024</a>, adoptée via le 49.3 en première lecture le 7 novembre 2023, se contente finalement de demander au gouvernement la remise, avant le projet de loi de finances pour 2025, de plusieurs rapports sur le crédit d’impôt recherche (la plus coûteuse et la plus décriée des niches avec un coût de 7 milliards en 2023), le taux réduit d’impôt sur les sociétés (IS) pour les petites et moyennes entreprises (PME), les mesures d’exonération pour l’investissement en outre-mer, etc.</p>
<p>Nouvelle manifestation de l’ambivalence de la classe politique dans la gestion des niches le même texte proroge ou élargit de nombreux dispositifs dérogatoires comme l’exonération des pourboires, la réduction des dons de l’impôt sur le revenu et les réductions Malraux et Denormandie pour l’investissement immobilier.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-est-il-si-difficile-de-reformer-les-niches-fiscales-191801">Pourquoi est-il si difficile de réformer les niches fiscales ?</a>
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<p>Le <a href="https://www.economie.gouv.fr/cedef/pinel-investissement-locatif">dispositif Pinel</a> permet aux résidents fiscaux français – sous certaines conditions très strictes – de réduire leur impôt sur le revenu via l’acquisition d’un bien immobilier neuf à mettre en location. Pour un coût de 1,5 milliard d’euros par an, cette exonération constitue un cas d’école des contradictions insolubles de la gestion des niches dans le cadre de la fiscalité actuelle des particuliers.</p>
<p>En 2019, un <a href="https://www.igf.finances.gouv.fr/igf/pages-hors-navigation/liste-de-tous-les-rapports-de-mi/evaluation-du-dispositif-daide-f.html">rapport</a> commandé en 2019 par le gouvernement à l’Inspection générale des finances déconseillait la suppression de ce dispositif, car il favorise la mise à disposition de logements neufs pour les ménages, tout en militant pour sa limitation.</p>
<p>Par la suite, le rapport annexé au PLF pour 2022 prônait sa <a href="https://investir.lesechos.fr/placements/immobilier/vers-une-extinction-de-la-reduction-dimpot-pinel-des-la-fin-de-2023-1868951">disparition progressive</a> qui a finalement été actée dans le PLF pour 2024. Au plus mauvais moment. En effet, la politique du logement ayant été <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/02/01/un-quinquennat-qui-a-delaisse-le-logement_6111910_3224.html">largement délaissée</a> sous le premier quinquennat du président Emmanuel Macron, le nombre de logements mis en chantier est tombé de 437 000 (dont 113 000 dans le parc social) en 1915 à 358 000 en 2022 (dont 48 000 dans le parc social). Pour 2023, on attend encore à une chute de 30 % du fait notamment de la hausse des coûts de construction et des taux d’intérêt.</p>
<p>La France reste donc très loin des 350 000 nouveaux logements nécessaires chaque année pour éviter une crise majeure de l’offre de plus en plus visible chez les locataires et des 500 000 qui permettrait de résoudre la crise du logement. En effet, le <a href="https://www.fondation-abbe-pierre.fr/sites/default/files/2023-01/REML2023_CAHIER4_Les%20chiffresdumallogement.pdf">nombre de ménages mal logés s’élève à plus de 4 millions</a>, les demandeurs en attente d’un logement social atteignent le chiffre inédit de 2,42 millions, et les personnes sans domicile seraient environ 330 000.</p>
<p>Or, on peut d’ores et déjà parier sur la poursuite de la crise dans le secteur de la construction qui devrait perdre 180 000 emplois en 2024. Son poids dans l’économie étant de 5 %, une contraction de 20 % du secteur obérerait le PIB de 1 %, ce qui générerait des pertes fiscales sans commune mesure avec le coût du dispositif Pinel.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1723988486078828577"}"></div></p>
<p>C’est pourquoi une nouvelle niche fiscale compensant la fiscalité la plus lourde des pays riches sur l’immobilier des particuliers semble <a href="https://www.ericpichet.fr/assets/files/v1/Fiscalite-du-patrimoine-avril2016-PICHET.pdf">désormais inévitable</a>…</p>
<h2>Une niche dorée pour la FIFA</h2>
<p>Les avantages fiscaux accordés aux représentations d’États étrangers en France remontent à une longue tradition de courtoisie diplomatique réglementée pour la première fois au Congrès de Vienne en 1815, ville signataire des traités de 1961 et 1963 qui stipulent les exonérations fiscales accordées aux États.</p>
<p>Hormis les États, 23 organisations internationales basées en France ont négocié des privilèges fiscaux <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/emplois-stages-concours/travailler-dans-les-organisations-internationales/etre-ou-devenir-fonctionnaire-international/statut-de-fonctionnaire-international/article/statut-fiscal-des-fonctionnaires-internationaux">via des accords de sièges bilatéraux</a> comme le conseil de l’Europe en 1952, l’Unesco en 1954 ou Interpol en 1982. Tout comme les conventions fiscales bilatérales, ces dérogations fiscales sont approuvées par un traité dûment ratifié et ont dès lors une autorité supérieure aux lois de finances.</p>
<p>Dans ce cadre, un avantage fiscal destiné à la trentaine de fédérations sportives internationales reconnues par le Comité international olympique a été <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2023/10/19/le-cadeau-fiscal-de-la-majorite-aux-federations-sportives-internationales_6195460_3242.html">intégré en dernière minute au PLF 2024</a> le 18 octobre par voie d’amendement. Le Sénat a toutefois adopté, samedi 25 novembre, <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2023/11/25/les-senateurs-annulent-les-exonerations-fiscales-en-faveur-des-federations-sportives-internationales_6202314_3242.html">l’annulation de cette disposition</a> d’exonération fiscale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1715242428167307526"}"></div></p>
<p>Certes, ces privilèges peuvent être perçus comme peu populaires puisqu’ils s’appliquent à des associations sportives internationales richissimes et à la gouvernance <a href="https://www.novethic.fr/actualite/gouvernance-dentreprise/entreprises-controversees/isr-rse/la-fifa-pourtant-minee-par-la-corruption-leve-le-pied-sur-les-poursuites-146206.html">régulièrement critiquée pour leur opacité</a>. Pourtant, le contribuable peut y voir aussi une excellente affaire pour le pays et les finances publiques. En effet, en fixant leur centre de décision à Paris, l’écosystème de compétences directes et indirectes créé générerait de nouvelles rentrées fiscales, le tout en contribuant au rayonnement du pays.</p>
<h2>L’extension dommageable du domaine des titres-restaurant</h2>
<p>Les très populaires titres-restaurant, créés en 1967, sont en principe destinés à permettre aux salariés qui ne peuvent déjeuner chez eux le midi de pouvoir, en l’absence de cantine d’entreprise de <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F21059">se restaurer de manière modique</a> à proximité de leur lieu de travail.</p>
<p>Ils forment donc une véritable niche socio-fiscale puisque la contribution patronale, comprise selon les entreprises entre 50 et 60 % de la valeur faciale du titre, est exonérée de cotisations sociales dans la limite de 6,50 euros au 1<sup>er</sup> janvier 2023. En outre, cet avantage en nature est expressément <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000047770107">exonéré d’impôt sur le revenu</a> pour les 5 millions de bénéficiaires, le tout pour un coût annuel de 1,5 milliard pour les finances publiques.</p>
<p>Le confinement de 2020 et l’envolée du télétravail ont amené les pouvoirs publics à élargir jusqu’au 31 décembre 2023 le champ d’utilisation des tickets à des produits alimentaires pas directement consommables.</p>
<p>Pour lutter contre l’inflation alimentaire, l’Assemblée nationale a voté en urgence, hors loi de finances et à la quasi-unanimité (117 voix pour une contre) le jeudi 23 novembre une <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1870_proposition-loi">proposition de loi</a> prévoyant la prorogation jusqu’au 31 décembre 2024 de cette dérogation. Les députés pérennisent ainsi de facto un avantage légitime directement lié à la sujétion sur le lieu de travail en un dispositif de soutien au pouvoir d’achat des salariés – au détriment de la petite restauration qui souffre à la fois du télétravail mais désormais de la concurrence des grandes surfaces qui absorbent 28 % des tickets.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1726520635310887308"}"></div></p>
<h2>Traquer les niches illégitimes</h2>
<p>Dans notre <a href="https://univ-droit.fr/recherche/actualites-de-la-recherche/parutions/9505-theorie-generale-des-depenses-socio-fiscales"><em>Théorie générale des dépenses socio-fiscales</em></a>, nous qualifions de niche, ou de dépense socio-fiscale :</p>
<blockquote>
<p>« Toute disposition, législative, réglementaire ou administrative, dont la mise en œuvre entraîne pour les administrations publiques une perte de recettes, qui peut être remplacée par une dépense budgétaire et qui accorde, directement ou indirectement, à une catégorie de contribuables, un allégement de ses prélèvements obligatoires par rapport à ce qui serait résulté de l’application de la norme issue des principes généraux du droit et appliqué au segment spécifique de référence considéré. »</p>
</blockquote>
<p>Mais seules les mesures fiscales incitatives sont légitimes. Si elles ne le sont pas, il peut toutefois s’agir de simples modalités d’imposition justifiées par la prise en compte d’un préjudice. Par exemple : l’exonération de rentes d’invalidité ou pour simplifier le calcul de l’impôt comme l’abattement de 10 % pour frais professionnels.</p>
<p>À défaut, il faut les éliminer, travail qui reviendra au législateur éclairé par la littérature scientifique et les futurs rapports programmés de l’Inspection générale des finances. Il lui faudra toutefois garder à l’esprit la porosité de la frontière entre dépense fiscale illégitime et simple modalité d’imposition. Ainsi, il est peu probable que le plafond de 13 522 euros autorisé pour les frais professionnels des revenus 2022 (hors remboursement des frais inhérents à l’exercice de leur métier) au-delà d’un revenu annuel net de charges sociales de 135 220 soient vraiment dépensés par les cadres supérieurs conformément à leur objet…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218624/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Pichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plusieurs exonérations remises en cause dans le projet de loi de finances pour 2024 illustrent toute la difficulté à réformer les dispositifs existants.Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2161942023-11-26T15:37:16Z2023-11-26T15:37:16ZEn France, une taxation des terres agricoles qui favorise leur artificialisation<p>Dans le cadre de l’Union européenne (UE), malgré une politique commune ancienne et qui bénéficie aujourd’hui de <a href="https://agriculture.ec.europa.eu/common-agricultural-policy/financing-cap/cap-funds_en">32 % du budget européen</a>, malgré des directives sur l’environnement ou le marché intérieur, l’agriculture ne fait pas l’objet de processus d’harmonisation fiscale. Or, les <a href="https://theconversation.com/topics/fiscalite-23513">systèmes de taxation</a>, objet de nos <a href="https://fondationbiodiversite.fr/openpdf.php?pdf=https://www.fondationbiodiversite.fr/wp-content/uploads/2022/09/FRB_Taxation_terres_agricoles_Europe">travaux récents</a>, ne sont pas sans effet sur la rentabilité de l’<a href="https://theconversation.com/topics/agriculture-20572">agriculture</a>, l’adoption de telle ou telle pratique plus ou moins respectueuse de l’environnement et l’artificialisation des terres de culture ou d’élevage.</p>
<p>Sur ce dernier point, l’UE, les gouvernements de nombreux États membres et la profession agricole sont unanimes : l’artificialisation des terres est <a href="https://op.europa.eu/fr/publication-detail/-/publication/e9a42c93-0825-4fc0-8032-a5975c8df3c0">rapide</a>, particulièrement en France. C’est là un facteur d’<a href="https://www.ipbes.net/sites/default/files/2020-02/ipbes_global_assessment_report_summary_for_policymakers_fr.pdf">érosion de la biodiversité</a> voire de hausse des émissions de gaz à effet de serre avec l’étalement urbain.</p>
<p>Quelle solution pour freiner le phénomène ? Des travaux universitaires suggèrent deux pistes : <a href="https://www.ccsenet.org/journal/index.php/jsd/article/view/40299">renforcer la rentabilité de l’agriculture</a> et des terres agricoles et <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0264837716302526">augmenter le prix des terres</a>. Or, la fiscalité influe sur ces trois facteurs. Si la taxation est trop élevée, elle peut diminuer la rentabilité de l’agriculture et donc faciliter l’urbanisation des terres agricoles. De même, le prix d’un actif correspondant en général à la somme actualisée de ses revenus futurs, si une forte taxation des terres agricoles diminue leur revenu annuel, cela tirera leur prix vers le bas et favorisera leur urbanisation.</p>
<p>En moyenne en Europe, les terres agricoles sont moins imposées que d’autres actifs, historiquement pour des raisons économiques et sociales plus qu’environnementales : soutenir la continuité de l’activité agricole et les revenus des exploitants, moderniser les exploitations. Toutefois, la France se trouve dans une situation particulière. Au sein de l’UE, elle est le pays qui taxe le plus fortement les terres agricoles.</p>
<h2>Des taxes nettement plus élevées en France que dans le reste de l’UE</h2>
<p>Outre plusieurs taxes liées au revenu (impôt sur le revenu, prélèvements sociaux, plus-values immobilières), la France applique, sur les terres agricoles, cinq taxes qui ne lui sont pas liées : la taxe foncière, la taxe pour frais de chambres d’agriculture, des droits sur les mutations à titre onéreux, des droits sur les mutations à titre gratuit et, le cas échéant, l’impôt sur la fortune immobilière.</p>
<p>La France fait partie de la moitié de pays européens qui conservent une taxe foncière indépendante du revenu sur les terres agricoles. Elle leur applique le taux marginal d’imposition le plus élevé en Europe au titre de l’impôt sur le revenu, le deuxième taux marginal le plus élevé pour les droits de mutation à titre gratuit, le quatrième taux le plus élevé pour les droits de mutation à titre onéreux et le cinquième taux le plus élevé pour les plus-values immobilières, avec des abattements très lents et la durée de taxation la plus longue. Elle est l’un des quatre seuls pays dans lesquels un impôt sur la fortune s’appliquant aux terres agricoles existe. Elle est le seul pays dans lequel cet impôt s’applique uniquement au foncier, désavantageant ainsi les terres agricoles par rapport aux valeurs mobilières ou liquidités.</p>
<p>En outre, alors que, dans plusieurs pays européens, la suppression récente de certains impôts a allégé la pression fiscale sur les terres agricoles, leur taxation a augmenté en France ces dernières années qu’il s’agisse des plus-values immobilières, des droits de mutation à titre onéreux, de l’impôt sur le revenu ou de plusieurs prélèvements sociaux.</p>
<p>Ces taxes multiples s’additionnent et leur total aboutit à une pression fiscale lourde et beaucoup plus élevée que dans les autres pays de l’UE sur les terres agricoles. Or, les propriétaires doivent les acquitter avec un revenu des terres agricoles particulièrement faible.</p>
<h2>Des loyers fortement taxés et pourtant de plus en plus bas</h2>
<p>La France se caractérise ainsi par un schéma devenu aujourd’hui contreproductif : un niveau de taxation élevé des terres agricoles et de leur revenu, une part importante de ces taxes qui est indépendante du revenu et qui ne tient pas compte du niveau très faible de ce revenu.</p>
<p>De fait, les loyers de fermage, fixés par l’État en France, y sont nettement plus faibles qu’en moyenne dans l’UE. Ils y représentent environ la moitié de ce qu’ils sont dans les pays voisins (en moyenne 140 euros par hectares en France contre 250 à 300 euros dans les pays voisins).</p>
<p>En comparant la taxation de deux personnes percevant le même revenu mais de deux sources différentes, on constate à quel point la situation des détenteurs de foncier rural est très défavorable. M. Dupont, propriétaire d’actions d’entreprises qui distribue un revenu libre et entier de 100 euros paye un impôt au taux fixe de 30 % et rien d’autre. Il lui reste 70 euros.</p>
<p>M. Durand, détenteur d’un terrain agricole, au lieu de percevoir un revenu complet de 100, ne recevra que 50 euros. Mais il payera, lui, chaque année, sur la moitié du revenu qui lui reste une taxe sur le foncier non bâti, une taxe pour chambre d’agriculture, un impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux dont le taux marginal va jusqu’à 62,2 % et le cas échéant, un IFI. Bien que ne percevant que 50 % du revenu qu’il devrait percevoir, M. Durand est taxé comme s’il en avait perçu 100 %. La division par deux de son revenu, par l’État, n’est pas compensée par une taxation moindre. Au contraire, M. Durand est soumis à un taux global de taxation deux à trois fois plus élevé que M. Dupont qui, lui, perçoit 100 % de son revenu.</p>
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<p>Ce système institué à partir de 1945 avait, à l’origine, vocation à permettre aux exploitants agricoles un accès à la terre sans supporter les coûts notables de son acquisition et à soutenir le revenu de ces derniers. Il s’agissait d’inciter des non-agriculteurs à « porter » le foncier agricole pour épargner cette charge aux exploitants et leur permettre d’investir dans la modernisation de leurs exploitations. En échange, les bailleurs se contentaient d’un loyer modeste, permettant un rendement bas mais positif.</p>
<p>Le dispositif, qui a correctement fonctionné jusqu’aux années 60, a déraillé, peu à peu, à partir des années 70 pour plusieurs raisons. D’abord, les loyers de fermage, peu revalorisés, ont augmenté moins vite que l’inflation. Depuis 1950, ils <a href="https://www.cairn.info/revue-pour-2013-4-page-77.htm">reculent d’environ 1,2 % à 1,3 % par an en euros constants</a>. En parallèle, la taxation des revenus du foncier rural et des terres agricoles elles-mêmes s’est nettement accrue. On a donc assisté à un effet de ciseau : baisse des revenus et augmentation de la taxation.</p>
<h2>Artificialiser, seule porte de sortie ?</h2>
<p>Une telle combinaison aboutit tendanciellement à une rentabilité après impôt nulle voire négative des terres agricoles. Entre 1999 et 2019, le rendement locatif brut des terres agricoles a <a href="https://www.safer.fr/app/uploads/2023/06/2023-PDT2022-72p-BD.pdf">diminué de près de moitié</a>.</p>
<p>En outre, le <a href="https://www.le-prix-des-terres.fr/nos-publications/">prix des terres</a> agricoles qui avait progressé entre 1953 et 1978 a régressé après. À partir de cette date, l’appréciation du prix des terres n’a plus compensé l’érosion des loyers de fermage. Aujourd’hui, le prix réel moyen de l’hectare agricole est toujours inférieur de plus d’un tiers à sa valeur de 1978.</p>
<p>Les détenteurs de terres agricoles se sont donc trouvés placés dans une situation où, du fait de l’érosion puis de la disparition du rendement locatif net, la seule porte de sortie qui leur était laissée, pour tirer un revenu positif de leur actif, était d’en changer la destination : urbanisation, installation d’infrastructures d’énergies renouvelables.</p>
<p>Le mécanisme mis en place pour soutenir le revenu des agriculteurs aboutit donc, paradoxalement, à diminuer la quantité de leur premier facteur de production : la terre. Cette évolution n’est guère conforme à l’intérêt des exploitants agricoles qui sont peu nombreux à ne pas louer une partie au moins des terres qu’ils exploitent. Près des <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3676823?sommaire=3696937#graphique-figure2">deux tiers</a> des terres sont louées en France, contrairement au Royaume-Uni par exemple où la majorité des exploitants sont aussi propriétaires.</p>
<p>Elle semble par ailleurs contradictoire avec la maitrise de l’artificialisation aujourd’hui inscrite dans la loi et défavorable à la biodiversité et aux politiques climatiques. Les objectifs de zéro artificialisation nette en 2050 et de diminution du rythme d’artificialisation d’ici à 2030 ne règlent nullement ce problème. Les nouvelles normes règlementaires aboutiront probablement à diminuer la vitesse d’artificialisation des terres agricoles et des espaces naturels. On peut s’en réjouir. Mais ils ne modifient en rien la situation de rentabilité négative du foncier rural. Or, on voit mal comment les pouvoirs publics pourraient obliger les détenteurs d’espaces naturels et agricoles à conserver des actifs structurellement en perte. Si la règlementation n’évolue pas pour leur permettre d’atteindre une rentabilité minimale, même faible, leur artificialisation se poursuivra de manière déguisée. On le voit déjà avec la multiplication récente des projets d’installations photovoltaïques, très consommatrices d’espace et contraires à l’essence même du zéro artificialisation nette.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216194/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Sainteny participe à plusieurs think tank travaillant sur les sujets du développement durable.</span></em></p>Le prix des terres agricoles comme les loyers fixés par l’État diminuent quand les taxes augmentent. Leurs propriétaires sont ainsi incités à artificialiser.Guillaume Sainteny, Maitre de Conférences à AgroParisTech, Membre de l’Académie d’Agriculture de France, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2174722023-11-22T17:21:29Z2023-11-22T17:21:29ZResponsabilité sociale des entreprises : un droit fiscal à contre-courant ?<p>Les derniers étés se sont montrés propices aux déclarations fortes mettant en cause la portée des discours sur la <a href="https://theconversation.com/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">Responsabilité sociétale des entreprises</a> (RSE). L’an dernier, le magazine <a href="https://www.economist.com/weeklyedition/2022-07-23"><em>The Economist</em></a> titrait sur l’inconsistance des normes internationales ; cette année, les agences de notation ont annoncé qu’elles ne <a href="https://www.ft.com/content/9426937e-28d3-4846-8440-c30583524d4c">publieront plus d’indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance</a> (ESG) sur les crédits qu’elles évaluent. Déjà, fin 2022, Terrence Keeley, un ancien cadre du fonds d’investissement BlackRock et d’UBS, publiait <a href="https://cup.columbia.edu/book/sustainable/9780231206808"><em>Sustainable</em></a>, un livre dans lequel il indiquait que ces critères étaient « cassés ».</p>
<p>De <a href="https://www.economie.gouv.fr/files/files/2021/RAPPORT_ROCHER_EXE_PL.pdf">plus en plus de voix</a> réclament alors la mise en place d’un cadre normatif contraignant. Le <a href="https://theconversation.com/topics/droit-21145">droit</a> <a href="https://theconversation.com/topics/fiscalite-23513">fiscal</a>, notamment, semble ramer à contre-courant des enjeux environnementaux et sociaux en priorisant, comme le montreront ici quelques exemples, ce qui relève de la gestion commerciale sur la RSE.</p>
<p>De façon générale, le législateur a introduit avec la loi Pacte la possibilité pour les entreprises d’énoncer <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038589931">leur raison d’être</a>, voire d’obtenir la qualification d’<a href="https://www.economie.gouv.fr/cedef/societe-mission">entreprise à mission</a> pour informer le public de l’importance qu’elle accorde aux principes de responsabilité sociale. Cette mission doit être inscrite dans les statuts de la société et son suivi contrôlé tous les deux ans au moins par un organisme tiers indépendant. Par ce processus, les entreprises auraient vocation à modifier leur comportement envers leurs différentes parties prenantes et à contribuer ainsi à un meilleur respect des normes sociales et environnementales.</p>
<p>S’est alors posée la question : est-ce qu’une entreprise peut se prévaloir de son souci de respecter des normes ESG pour justifier des dépenses et déclarer une somme moindre aux impôts ? S’engager ainsi est-il fiscalement valorisé ?</p>
<h2>Rien que la gestion commerciale normale</h2>
<p>La <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ211125359.html">réponse ministérielle</a>, formulée en novembre 2021, est la suivante :</p>
<blockquote>
<p>« Conformément aux dispositions de l’article 39 du code général des impôts et à la jurisprudence constante du Conseil d’État, une charge n’est, de manière générale, déductible du résultat imposable que si elle est engagée dans l’intérêt direct de l’exploitation, ou si elle se rattache à la gestion normale de l’entreprise. Ainsi, sont admises en déduction du résultat imposable les charges effectivement supportées par l’entreprise, qui sont liées à l’exercice de son activité, et dont elle retire une contrepartie réelle, directe et proportionnée au montant engagé. À défaut, la dépense ne peut être déduite fiscalement, et doit être réintégrée au bénéfice imposable de l’entreprise. Les opérations réalisées ou les charges supportées en vue d’assurer sans contrepartie des avantages à des tiers ne correspondent pas, en principe, à une gestion commerciale normale. »</p>
</blockquote>
<p>Autrement dit, l’entreprise peut modifier son comportement ; fiscalement, cela ne change rien : seul compte le critère de la gestion commerciale normale.</p>
<p><a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000046082409?init=true&page=1&query=444942&searchField=ALL&tab_selection=all">Le Conseil d’État</a> adopte une position plus explicite encore sur les <a href="https://formation.lefebvre-dalloz.fr/actualite/fiscalite-la-renonciation-recettes-conforme-lobjet-social-de-lentreprise-est-elle-un-acte-de-gestion-normal#:%7E:text=Un%20acte%20effectu%C3%A9%20par%20une,revenus%20imposables%20de%20la%20soci%C3%A9t%C3%A9">renonciations à recettes</a>, c’est-à-dire les pertes de recettes volontaires sans que celle-ci ne concorde à l’activité commerciale de l’entreprise :</p>
<blockquote>
<p>« La circonstance qu’une renonciation à recettes par une société de capitaux au bénéfice de ses associés serait conforme à l’objet social de l’entreprise n’est pas à elle seule de nature à faire regarder cette renonciation comme étant dans l’intérêt propre de l’entreprise. »</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1551835368462368768"}"></div></p>
<p>La rédaction de l’objet social, c’est-à-dire ce qui décrit l’activité de l’entreprise, ne permet pas par principe de justifier des dépenses passées par l’entreprise. Si elle veut effectuer des dépenses dans une autre perspective que l’exercice pur de son activité, reste la possibilité de recourir au mécénat. Dans ce cas, le fisc ne manquera pas de vérifier si les dépenses engagées ne masquent pas en fait des pratiques de sponsoring, c’est-à-dire de parrainage, pour vérifier si l’entreprise est en droit se prévaloir des déductions fiscales prévues pour les dépenses de mécénat.</p>
<h2>Des justifications (mais des contradictions aussi)</h2>
<p>La solution se justifie, elle n’en est pas moins critiquable. En effet, si la jurisprudence administrative énonçait une position contraire, il suffirait pour les entreprises de modifier leur objet social pour faciliter les dépenses de l’entreprise et réduire ainsi le bénéfice imposable. Et par la même l’alimentation du budget de l’État et les finances publiques !</p>
<p>Si seul importe le critère d’une gestion commerciale normale, encore faudrait-il toutefois préciser les contours d’une telle gestion. Les associations de défense de l’environnement critiquent par exemple les <a href="https://www.novethic.fr/lexique/detail/proces-baillon.html">procédures baillons</a> menées par de grandes entreprises, les menaçant de procès longs et coûteux pour les dissuader de révéler leurs pratiques contraires à la protection de l’environnement.</p>
<p>Quand bien même les juges condamneraient ces pratiques procédurales en attribuant des dommages-intérêts aux associations sur le fondement de l’abus du droit d’agir en justice, l’ensemble de ces dépenses reste fiscalement déductible pour l’entreprise. La contradiction est ici patente : l’entreprise est sommée de se comporter de <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/leadership-management/sept-leviers-pour-rendre-votre-entreprise-citoyenne-1244409">façon citoyenne</a> mais seules les dépenses conformes à son intérêt commercial sont déductibles, même si elles relèveraient de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-humeur-du-matin-par-guillaume-erner/l-humeur-du-jour-emission-du-vendredi-18-novembre-2022-5381856">comportements de voyou</a>.</p>
<h2>Jeter plutôt que recycler ?</h2>
<p>La réglementation est ainsi loin d’être cohérente. Un autre exemple est celui de l’économie circulaire. Le législateur a introduit toute une série de dispositions pour la développer et pour limiter la consommation et le gaspillage des ressources et la production des déchets. Il est à ce titre prévu des dispositions pour encourager les dons des invendus non alimentaires (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043975010#:%7E:text=%2DTout%20manquement%20aux%20obligations%20de,%E2%82%AC%20pour%20une%20personne%20morale">art. 541-15-8 Code de l’environnement</a>). L’objectif est louable, mais sa mise en œuvre critiquable.</p>
<p>Tout d’abord, contrairement à ce que pourrait laisser penser la présentation ministérielle, nous ne sommes en présence que d’une interdiction très relative de jeter ou détruire des produits non alimentaires invendus. L’obligation de réemploi ne concerne que les produits d’hygiène et de puériculture. Une entreprise peut donc parfaitement continuer de détruire ses invendus et même y trouver un gain financier.</p>
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<p>En effet, lors de l’acquisition des biens, l’entreprise déduit la TVA ; lorsqu’elle les revend, elle collecte la TVA. A la fin du cycle, l’entreprise doit alors acquitter auprès de l’administration fiscale la différence entre la TVA collectée et la TVA déduite. Si elle préfère détruire son stock avec constat d’huissier, conformément àla <a href="https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/1660-PGP.html/identifiant%3DBOI-TVA-DED-60-30-20200826#:%7E:text=La%20d%C3%A9duction%20de%20la%20TVA,vol%20ou%20d%E2%80%99un%20d%C3%A9tournement">doctrine fiscale de l’administration</a>, l’entreprise n’a pas à reverser le montant de la TVA qu’elle a pu déduire. Si elle accorde des réductions de prix pour écouler son stock, non seulement elle risque de porter atteinte à sa réputation – argument avancé par les entreprises de luxe pour justifier les destructions de leurs marchandises – mais en plus elle collectera un montant de TVA moindre. La facture fiscale est alors plus élevée que sans la réduction, mais aussi potentiellement plus élevée qu’en détruisant les produits.</p>
<p>Pratiquement, il peut être ainsi plus rentable et conforme à une meilleure gestion commerciale pour une entreprise de détruire ses invendus. Soyons cyniques : même si s’applique la sanction administrative de 15 000 euros pour non-respect de la réglementation en matière de recyclage, l’entreprise n’a fiscalement pas vraiment intérêt à être socialement responsable à partir du moment où l’application de la doctrine administrative peut se révéler plus rémunératrice.</p>
<p>En résumé, la mise en œuvre des principes de responsabilité sociale n’est pas dissociable d’une réflexion d’ensemble sur les mécanismes fiscaux qui encadrent la vie des entreprises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217472/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le droit fiscal n’encourage pas les entreprises à s’engager en matière de RSE. Des règles de déduction de charges ou de calcul de la TVA semblent même les pousser dans une direction opposée.Jacques Amar, Maître de conférences HDR en droit privé, CR2D, Université Dauphine-PSL, docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSLArnaud Raynouard, Professeur des universités en droit, CR2D, Université Dauphine-PSL, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175762023-11-19T16:33:00Z2023-11-19T16:33:00ZLa suppression de la CVAE, une mesure de relance de l’industrie française mal ciblée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559046/original/file-20231113-23-5mabib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=32%2C39%2C1138%2C738&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ne concerne actuellement qu’environ 400&nbsp;000 entreprises sur les près de 5&nbsp;millions recensées.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/pe_wu/15394754783">Pe_Wu/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>La loi de finances pour 2023 a prévu la <a href="https://entreprendre.service-public.fr/actualites/A16251">suppression de la Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises</a> (CVAE), dans l’objectif de soutien à l’activité économique et de reconquête industrielle. La contribution des entreprises a été diminuée de moitié en 2023 et devait être intégralement supprimée en 2024, date <a href="https://www.banquedesterritoires.fr/la-cvae-ne-sera-finalement-supprimee-dans-son-integralite-quen-2027">finalement décalée à 2027</a>, mais ce report n’aura pas d’effet pour les collectivités locales.</p>
<p>La suppression de cette taxe s’inscrit dans le cadre de la politique <em>pro-business</em> du gouvernement consistant à <a href="https://www.cae-eco.fr/Les-impots-sur-ou-contre-la-production">renforcer la compétitivité des entreprises</a> à travers la diminution des impôts dits « de production ». À ce stade, elle se traduit surtout par la suppression d’une ressource fiscale régulièrement critiquée ces dernières années alors que, lors de son instauration en 2008, elle était considérée comme particulièrement bien conçue.</p>
<p>Les représentants d’entreprises se sont félicités de cette politique mise en œuvre sans aucune étude d’impact préalable, étape pourtant obligatoire d’après la constitution. Elle a d’ailleurs été décidée rapidement et sans réelle consultation des collectivités locales dont la CVAE constitue une ressource non négligeable. </p>
<p>On peut se demander quels sont les principaux bénéficiaires de cette politique ? Et quels sont les implications et enjeux pour les collectivités locales ?</p>
<h2>L’industrie et les ETI, grandes gagnantes ?</h2>
<p>À quelques <a href="https://shs.hal.science/halshs-03795061/document">exceptions</a> près, la littérature scientifique ne s’est que peu penchée sur la CVAE. Toutefois, un <a href="http://www.rexecode.fr/public/Analyses-et-previsions/Documents-de-travail/La-fiscalite-locale-de-production-un-facteur-d-ecart-de-competitivite-entre-la-France-et-les-autres-pays-europeens">rapport</a> récent (septembre 2023) de <a href="http://www.rexecode.fr/public">Rexecode</a>, institut privé d’analyse et de prévision de conjoncture économique, a tenté d’identifier les principaux bénéficiaires. Selon les calculs effectués, les grands gagnants seraient :</p>
<p>1/L’industrie manufacturière et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui représentent respectivement 22 et 39 % des recettes de CVAE ;</p>
<p>2/Les ETI qui bénéficieraient davantage de la réforme que les très petites entreprises (TPE) et les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/petites-et-moyennes-entreprises-pme-21112">petites et moyennes entreprises</a> (PME).</p>
<p>Il est trivial de conclure que les ETI sont plus avantagées que les PME et TPE car la CVAE reste très concentrée ; elle ne concerne en effet que 400 000 entreprises environ sur les près de 5 millions enregistrées. En effet, seules les entreprises dont le chiffre d’affaires (CA) annuel hors taxe est supérieur à 500 000 euros y sont soumises, ce qui exclut la très grande majorité des TPE et PME.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1722256848878027103"}"></div></p>
<p>De plus, le <a href="https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F23546">taux de CVAE est progressif</a> en fonction du CA de l’entreprise, ce qui accroît mécaniquement la part des ETI dans les recettes de CVAE. Une comparaison avec les grandes entreprises offrirait une perspective différente. Ainsi, les premiers résultats de nos recherches, dans le cadre d’un projet pour le réseau Finances locales (réseau FiL), indiquent que les grandes entreprises, contribuant pour plus de 50 % des recettes de CVAE, sont les grandes gagnantes de cette réforme et non les autres catégories d’entreprises.</p>
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<p>Les conclusions sur l’industrie manufacturière interrogent également. En effet, en ne représentant que 22 % des recettes de CVAE, les autres secteurs bénéficient pour presque 80 % de la suppression, dont une partie relève d’un pur effet d’aubaine. Par ailleurs, nos premiers résultats suggèrent que le commerce et la finance sont les plus avantagés. Les effets à attendre sur la balance commerciale et l’emploi risquent alors d’être modestes, car les entreprises opérant dans ces secteurs n’exportent quasiment pas mais préfèrent créer des filiales à l’étranger.</p>
<p>Au-delà de ces résultats sur le tissu productif, la suppression de la CVAE interroge la situation et les capacités financières des collectivités dans le futur.</p>
<h2>Des pertes pour les collectivités locales</h2>
<p>L’impact de la réforme sur les finances des collectivités locales pourrait être non négligeable : par rapport à 2022, la disparition partielle de cet impôt engendre un manque à gagner de <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/826539/supprimer-la-cvae-doit-il-concerner-les-collectivites-avant-2025/">4,99 milliards d’euros pour les intercommunalités et 3,7 pour les départements</a>.</p>
<p>La question de la compensation de ces pertes de ressources fiscales a fait l’objet de nombreux débats. L’accord de principe retenu est l’affectation d’une partie du produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en 2023, avec une compensation « à l’euro près ». La question reste toutefois de savoir qui va compenser le manque à gagner pour l’État. En effet, cette suppression représente pour ce dernier une dépense nette de l’ordre de 4,5 milliards d’euros.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1573264977925922818"}"></div></p>
<p>Cette nouvelle exonération totale d’un impôt sur les entreprises va accroître le déséquilibre de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fiscalite-23513">fiscalité</a> entre ménages et <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-20563">entreprises</a>. Les ménages contribuent déjà majoritairement aux recettes fiscales et sont soumis à une <a href="http://www.ires.fr/index.php/etudes-recherches-ouvrages/etudes-des-organisations-syndicales/item/6572-un-capitalisme-sous-perfusion-mesure-theories-et-effets-macroeconomiques-des-aides-publiques-aux-entreprises-francaises">pression fiscale supérieure à celle des entreprises</a>. La compensation prévue pour la suppression de la CVAE accentue donc la tendance à la croissance de la contribution des ménages au budget des collectivités locales.</p>
<p>Cette suppression pourrait également entraîner des conséquences importantes sur les équilibres territoriaux. La compensation est en effet calculée sur la base de la situation actuelle. Or rien ne garantit que l’évolution du montant perçu soit cohérente avec celle du tissu local d’entreprises. De plus, le remplacement de la CVAE par la TVA érode davantage l’autonomie fiscale des collectivités. Ces dernières perdent ainsi les quelques marges de manœuvre dont elles disposaient pour accroître l’assiette fiscale en accueillant de nouveaux projets d’entreprises.</p>
<h2>Le débat sur l’autonomie fiscale ravivé</h2>
<p>Les associations représentatives des collectivités locales considèrent que la suppression de la CVAE était inopportune au regard même de l’action sur le développement économique et des politiques d’attractivité des entreprises. Cela pourrait en effet désinciter les intercommunalités à investir pour attirer des entreprises et créer un contexte local favorable à l’emploi et à la création de richesses.</p>
<p>Cette idée, héritée de l’économiste américano-canadien John Kenneth Galbraith dans <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Le-Nouvel-%C3%89tat-industriel"><em>Le Nouvel État Industriel</em></a> (1967), que les services publics bénéficient aux entreprises s’applique également à l’échelle locale. C’est pourquoi les collectivités locales s’attachent à créer un environnement <em>pro-business</em>. Or, à court ou moyen terme, les dépenses d’investissement des collectivités locales pourraient diminuer en raison de la baisse des ressources financières potentielles liée à la déconnexion entre les montants de TVA réaffectés et le développement économique local.</p>
<p>Par ailleurs, les collectivités locales doivent faire des économies pour atteindre l’équilibre budgétaire. Ce recul des dépenses d’équipement en faveur de la création d’un environnement favorable à l’activité des entreprises aurait des effets délétères sur ces dernières dont la croissance reste plus sensible à l’investissement public qu’à la pression fiscale, lorsque celle-ci est plafonnée.</p>
<p>Contrairement aux objectifs visés par la suppression de la CVAE, les plus grands bénéficiaires ne semblent donc pas être forcément ceux espérés. Par ailleurs, au-delà de l’identification des principaux gagnants, la réforme a ravivé le débat sur le principe d’autonomie fiscale, pendant de l’autonomie financière des collectivités selon de nombreux élus. Enfin, considérer qu’il y a des marges de manœuvre sur les dépenses est discutable car beaucoup de dépenses sont contraintes ou hors de la maîtrise des collectivités locales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217576/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nadine Levratto a reçu des financements de Réseau Finances Locales dans le cadre de l'Appel à Manifestations d'Intérêt n°3.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Philippe Poinsot a reçu des financements de Réseau Finances Locales dans le cadre de l'Appel à Manifestations d'Intérêt n°3.</span></em></p>L’allègement fiscal prévu dans le projet de loi finances 2023 renforce la compétitivité des grandes entreprises mais ne concerne qu’une minorité du tissu économique. Décryptage.Nadine Levratto, Directrice de Recherche au CNRS, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresPhilippe Poinsot, Maître de conférences, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152722023-10-09T17:45:11Z2023-10-09T17:45:11ZProjet de loi de finances : la fausse bonne idée d’une taxation des rachats d’actions<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552729/original/file-20231009-19-gj5rrx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C45%2C992%2C694&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le député MoDem Jean-Paul Mattei propose de «&nbsp;mettre en place une taxe sur les programmes de rachats d’actions à un taux de 1&nbsp;% de l’opération&nbsp;».
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.rawpixel.com/image/5926718/stock-graph-free-public-domain-cc0-image">Rawpixel</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Dans le cadre de la discussion parlementaire du budget 2024, le chef de file des députés MoDem, Jean-Paul Mattei, a remis sur la table une proposition d’amendement qu’il avait déjà formulé l’an dernier. Il plaide pour taxer davantage les opérations de rachats d’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/actions-26034">actions</a>, ces mouvements financiers par lesquelles les entreprises rachètent leurs propres actions sur le marché.</p>
<p>Dans l’exposé des motifs de son amendement, Jean-Paul Mattei note que :</p>
<blockquote>
<p>« les rachats d’actions […] ont considérablement augmenté en France et à l’international ces dernières années et ont quasi doublé sur un an. »</p>
</blockquote>
<p>C’est ainsi que le MoDem souhaite :</p>
<blockquote>
<p>« Mettre en place une taxe sur les programmes de rachats d’actions à un taux de 1 % de l’opération et qui serait acquittée par les entreprises procédant au rachat. Seules les entreprises cotées dont le chiffre d’affaires excéderait 1 milliard d’euros seraient concernées par cette taxe. »</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1710021095280005381"}"></div></p>
<p>Pour justifier cette nouvelle taxation des actionnaires, il est affirmé que :</p>
<blockquote>
<p>« Ces opérations servent dans les faits en grande partie des objectifs de court terme : rémunérer les actionnaires en complément du versement de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/dividendes-46099">dividendes</a>, soutenir le cours de la bourse ou encore augmenter le bénéfice par action. »</p>
</blockquote>
<p>Or, rien de tel n’est malheureusement exact.</p>
<h2>Eviter des investissements non rentables</h2>
<p>Premier point contestable : racheter ses actions n’est pas forcément faire preuve de court-termisme. En effet, il peut arriver qu’une entreprise dispose de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304405X05000528">trop de liquidités en trésorerie</a> et qu’elle n’ait pas forcément d’opérations d’investissements rentables à faire. Il s’agit souvent d’entreprises matures dont les opportunités d’investissements ne lui paraissent pas créatrices de valeur.</p>
<p>Dans ces conditions, rendre l’argent aux investisseurs qui le souhaitent n’est pas forcément une preuve de court-termisme, bien au contraire. Le rachat d’action peut dans ce cas éviter de se lancer dans des projets d’investissements destructeurs de valeur.</p>
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<p>Autre argument réfutable : les <a href="https://theconversation.com/dividendes-et-rachats-dactions-nenrichissent-pas-les-actionnaires-56562">rachats d’actions n’enrichissent pas les actionnaires</a>. On pourrait penser qu’en réduisant le nombre d’actions en circulation, cette pratique augmenterait la valeur des actions du fait de l’augmentation mécanique du bénéfice par action (BPA). Or, il ne suffit pas d’augmenter mécaniquement le BPA (du fait d’un nombre d’actions réduit) pour créer de la valeur actionnariale.</p>
<p>En effet, cette opération, strictement inverse à l’augmentation de capital en numéraire, ne constitue pas un enrichissement des actionnaires. Si cela était le cas, il faudrait considérer que l’augmentation de capital représente une opération destructrice de valeur pour les actionnaires. Bien sûr, il n’en est rien : contre un apport de cash, les actionnaires reçoivent des titres. Dans le cas du rachat d’actions, les actionnaires reçoivent du cash contre leurs actions.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/B0fAeoF-eng?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les rachats d’actions ne créent pas de valeur (Michel Albouy pour Xerfi canal, 2020).</span></figcaption>
</figure>
<p>Mais attention, l’augmentation de capital ne sera créatrice de valeur que si les fonds récoltés sont investis dans des projets d’investissement à valeur actuelle positive (rentabilité supérieure au coût du capital). Inversement, le rachat d’actions sera créateur de valeur, si au lieu d’investir le cash dans des projets non rentables, il est rendu aux actionnaires.</p>
<p>Le député explique également que les rachats d’action permettent de soutenir le cours de bourse. L’idée derrière cette affirmation est que l’entreprise créerait un courant acheteur qui va valoriser le titre. Encore une fois, la <a href="https://www.finance-gestion.com/vox-fi/les-rachats-dactions-font-ils-monter-les-cours-de-bourse/">recherche en finance montre qu’il n’en est rien</a>. C’est un peu comme les États qui croient qu’en rachetant leurs devises sur les marchés, ils vont soutenir le cours de leur monnaie. Malheureusement dans ce cas, la valeur de la devise va s’ajuster en fonction des fondamentaux de leurs économies, comme pour les actions qui dépendent <em>in fine</em> de la valeur de l’entreprise. Si celle-ci diminue du montant des rachats et des dividendes versés, sa valeur s’ajuster en conséquence.</p>
<h2>Une vision limitée de la finance en entreprise</h2>
<p>Pour les tenants d’une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fiscalite-23513">fiscalité</a> accrue des dividendes et des rachats d’actions se trouve non seulement l’idée que ces versements enrichissent indûment les actionnaires mais également l’idée que ces versements se feraient à l’encontre de l’intérêt de l’entreprise, de sa croissance et de ses salariés.</p>
<p>L’idée que les rachats d’actions conduiraient à réduire le montant des investissements revient à dire que les entreprises seraient soumises à un rationnement du capital et qu’elles devraient donc amputer leurs budgets d’investissements pour satisfaire l’appétit des actionnaires.</p>
<p>Cependant, cette affirmation ne tient pas si on considère les niveaux extrêmement élevés des trésoreries des grandes entreprises. Cela est <a href="https://www.cairn.info/revue-finance-2020-2-page-53.htm?ref=doi">bien renseigné par la recherche en finance</a>.</p>
<p>Enfin, le dividende et surtout les rachats d’actions permettent de limiter l’accumulation de liquidités et donc de réduire les marges discrétionnaires des dirigeants qui, selon la <a href="https://www.cairn.info/analyse-economique-de-la-firme--9782200291204-page-101.htm">théorie de l’agence</a>, peuvent ne pas toujours investir dans l’intérêt de leurs actionnaires.</p>
<p>Au bilan, les dividendes et les rachats d’action constituent des moyens de réallocation du capital dans l’économie, des outils de gestion financière des entreprises, et non un enrichissement net des actionnaires au détriment de l’entreprise. Dans ces conditions, faut-il vraiment taxer encore davantage les entreprises via ce levier ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215272/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Albouy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La proposition d’une taxe supplémentaire sur les grands groupes qui rachètent leurs propres titres en bourse repose sur une série d’idées reçues sur ces opérations.Michel Albouy, Professeur émérite de finance, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2133002023-09-13T19:52:34Z2023-09-13T19:52:34ZHausse de la taxe foncière : vers l’infini et au-delà ?<p>La seule véritable incertitude avec un « marronnier », ce n’est naturellement pas sa survenance, mais bien la taille des marrons. Et cette année, en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB pour les intimes), ils sont d’un fort beau gabarit. La presse économique n’hésite pas à parler d’une <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/la-taxe-fonciere-explose-51-25-dans-certaines-villes-pour-les-proprietaires-974414.html">« explosion »</a> de cet impôt, avec dans certaines grandes villes des augmentations à deux chiffres dépassant très largement le niveau de l’inflation (+51,9 % à Paris, +31,5 % à Grenoble, +21,2 % à Troyes, +20,5 % à Metz, +19,6 % à Issy-les-Moulineaux, etc.).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1696923699419529427"}"></div></p>
<p>Même si la <a href="https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/9_statistiques/data_colloc/analyse_fdl/2023/taux_votes_2023_communes_epci_synthese.pdf">communication</a> de la Direction générale des finances publiques publiée en août dernier nous rappelle bien que des augmentations spectaculaires et médiatisées ne font pas statistiquement une tendance, il se passe incontestablement quelque chose du côté de cet impôt. Retour sur les ressorts d’une hausse qui pourrait bien être tendancielle.</p>
<h2>Une assiette prise en étau</h2>
<p>Attention, nous ne parlerons ici que de votre seule taxe foncière sur les propriétés bâties, qui ne représente, aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, qu’une partie de la somme à payer figurant sur la première page de votre avis d’imposition. En effet, d’autres prélèvements sont effectués avec la TFPB : la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (à l’objet éponyme), la <a href="https://investir.lesechos.fr/placements/impots/quest-ce-que-la-taxe-gemapi-qui-fait-gonfler-les-prelevements-fonciers-1925514">taxe dite Gemapi</a> (visant à financer la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations), certaines taxes spéciales d’équipement… Ces impôts annexes ont leur propre dynamique, et contribuent de leur côté à la hausse de la facture globale.</p>
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<figcaption><span class="caption">Gemapi, c’est quoi ? (Communauté de Communes du Briançonnais, 2020).</span></figcaption>
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<p>Concernant votre taxe foncière sur les propriétés bâties, son mode de calcul est assez simple : elle est le résultat du produit d’une assiette, en l’espèce l’estimation de la valeur de votre bien <a href="https://theconversation.com/fr/topics/immobilier-23232">immobilier</a>, par un taux d’imposition. La responsabilité de l’évolution annuelle de ces deux composantes est, cela ne vous surprendra pas, partagée :</p>
<p>La valeur locative cadastrale (l’estimation évoquée plus haut, dans son appellation administrative) fluctue chaque année en fonction d’un indice de révision qui, jusqu’à récemment, était voté par les parlementaires dans le cadre de la loi de finances.</p>
<p>Le taux lui relève, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000886764">depuis le début des années 1980</a>, des collectivités locales récipiendaires de l’impôt (aujourd’hui, les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/communes-78900">communes</a> et les intercommunalités), qui le votent chaque année en parallèle de l’adoption de leur budget primitif.</p>
<p>En 2023, l’assiette de la taxe foncière sur les propriétés bâties a augmenté de <a href="https://www.banquedesterritoires.fr/les-bases-des-impositions-locales-devraient-etre-revalorisees-de-71-en-2023">7,1 %</a>. Une hausse record, après une augmentation déjà inédite de 3,4 % en 2022. Pour mémoire, la hausse annuelle était en moyenne de 1,6 % entre 2005 et 2015. C’est là le premier ressort de la hausse de votre taxe foncière.</p>
<h2>Tant qu’il y aura de l’inflation…</h2>
<p>Comment expliquer une telle augmentation, alors que l’on pourrait pourtant imaginer les parlementaires soucieux de préserver le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/pouvoir-dachat-33467">pouvoir d’achat</a> de leurs concitoyens ? Depuis le début des années 1980, comme on l’a dit, les parlementaires déterminaient l’indexation annuelle de cette assiette : officiellement <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038686806">« en tenant compte de la variation des loyers »</a>, en réalité en étant toujours attentif au contexte économique et social.</p>
<p>Dans le cadre de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000033734169">loi de finances pour 2017</a>, les parlementaires, dans une démarche positiviste qui collait bien à l’esprit (initial) de la législature, ont fait le choix d’automatiser et donc de dépolitiser cette hausse : elle se fera désormais sur la base de l’indice des prix à la consommation. S’il était impossible à l’époque d’anticiper le retour de l’inflation que nous connaissons aujourd’hui, on peut reconnaître que les parlementaires ont été bien malheureux de renoncer à l’époque à cette prérogative (discutable certes) qui était historiquement la leur.</p>
<p>Tant qu’il y aura de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/inflation-28219">l’inflation</a>, dans le cadre réglementaire actuel, l’assiette de votre taxe foncière continuera donc d’augmenter.</p>
<h2>Une hausse plus ou moins justifiée</h2>
<p>On pourrait légitimement se dire que, si l’assiette augmente au niveau de l’inflation comme nous venons de le voir, le taux de la taxe foncière pourrait lui rester stable. Il n’en est rien, pour plusieurs raisons.</p>
<p>D’une part, parce que les autres recettes de fonctionnement des communes et de leurs intercommunalités augmentent elles bien moins vite que l’inflation. Les dotations versées par l’État, qui, rappelons-le, augmentaient il y a encore une quinzaine d’années <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/218454-lionel-jospin-09071998-contrat-de-croissance-et-de-solidarite">du niveau de l’inflation et d’une partie de la croissance</a>, se stabilisent après avoir connu quelques années de baisse (contribution du secteur local à la maîtrise des finances publiques).</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>D’autre part, parce que nous sommes encore dans la première partie du bien connu <a href="https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwi7-sL-pqCBAxV1T6QEHdfaAIIQFnoECB8QAQ&url=https%3A%2F%2Fwww.cairn.info%2Fload_pdf.php%3Fdownload%3D1%26ID_ARTICLE%3DECOP_174_0113&usg=AOvVaw0flGQzyzp4HHWudmXm9F2y&opi=89978449">cycle électoral</a> pour les communes. Les maires élus en 2020, rééligibles en 2026, ont naturellement augmenté les taux des impôts locaux en 2022 ou en 2023 pour financer la mise en œuvre de leurs programmes… et ne pas avoir à le faire à une ou deux années de leur retour devant les électeurs.</p>
<p>Enfin, parce que la taxe d’habitation a disparu, comme une décennie avant elle la taxe professionnelle. Bien qu’elle ait été <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/285505-suppression-de-la-taxe-dhabitation-quel-effet-sur-les-finances-locales">compensée à l’euro près</a> dans les budgets locaux, <a href="https://theconversation.com/suppression-de-la-taxe-dhabitation-sur-les-residences-principales-les-impenses-de-la-reforme-168770">aucun nouveau levier fiscal n’est venu combler le vide qu’elle laissait</a>. Résultat, quand il s’agit d’augmenter les ressources budgétaires, les exécutifs locaux ne peuvent plus mettre en œuvre de réelle stratégie fiscale (quelle catégorie de contribuables solliciter davantage cette année ?) et n’ont presque plus qu’une seule option : augmenter la taxe foncière. En football, c’est un peu comme de passer de Pep Guardiola à Igor Tudor…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1446014066321813511"}"></div></p>
<p>Et ce ne sont là que les principales explications. Nécessité mettre les investissements publics au niveau des attentes des citoyens, restaurer les équilibres budgétaires après quelques années de <a href="https://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/Finances%20locales/OFGL_cap_sur_17_effet_crise_Covid_sur_fin_locales_22-06-2022.pdf">« quoi qu’il en coûte » à la sauce locale</a>, absorber les augmentations budgétaires imposées par l’État comme la <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/818721/point-dindice-comment-compenser-la-hausse/?abo=1">hausse de la rémunération des fonctionnaires</a>… Autant de raisons, plus ou moins légitimes, que les <a href="https://www.ledauphine.com/economie/2023/08/31/isere-grenoble-votre-taxe-fonciere-vient-de-tomber-eric-piolle-explique-la-hausse">élus locaux</a> mobilisent pour justifier la hausse des taux qu’ils ont décidée.</p>
<h2>Et demain ?</h2>
<p>Alors, 2023 sera-t-il une année record ou bien une étape de plus dans la hausse tendancielle de votre taxe foncière ? Soyons prudents en matière de prévision, même les meilleurs s’y cassent les dents (on rappellera que, lorsqu’on lui a annoncé la fin de la guerre froide pendant son sommeil hypothermique, <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=10367.html">Austin Powers</a> s’exclama « Enfiiin ! Ces porcs capitalistes vont payer pour leurs crimes ! N’est-ce pas <em>tovarisch</em> ? »…).</p>
<p>Dans le cadre réglementaire actuel, c’est-à-dire sans révision des modalités de calcul et d’évolution des valeurs locatives cadastrales (aux dernières nouvelles, ce ne sera pas avant 2028) et <a href="https://tnova.fr/economie-social/territoires-metropoles/quel-avenir-pour-limpot-local-quel-financement-des-services-publics-locaux/">sans changement dans les leviers à la disposition des élus locaux pour moduler leurs ressources</a>, il est peu probable que la facture ne s’alourdisse pas dans les prochaines années. Notamment parce que les mairies et leurs intercommunalités, plus encore que les autres strates de collectivités, sont face à un mur d’investissement pour adapter à moyen terme nos villes aux conséquences du changement climatique. À suivre…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213300/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Eisinger est administrateur de l'AFIGESE (réseau de professionnels des collectivités territoriales en finances publiques locales, gestion publique locale et évaluation des politiques publiques)</span></em></p>Privées du levier fiscal de la taxe d’habitation, les communes et les intercommunalités se tournent notamment vers les propriétaires pour trouver des recettes de fonctionnement.Thomas Eisinger, Professeur associé en droit, gestion financière et management des collectivités, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2113672023-08-20T20:00:41Z2023-08-20T20:00:41ZTaxer plus fortement les alcools en France : une affaire de symbole plus que de recettes<p>Mi-juillet, le gouvernement français laissait entrevoir un projet d’<a href="https://www.lefigaro.fr/conso/le-gouvernement-envisage-d-augmenter-les-taxes-sur-l-alcool-a-la-rentree-20230718">augmentation des taxes sur les alcools</a>, une évolution qui serait discutée à la rentrée dans le cadre de l’examen du budget de la Sécurité sociale. La colère dans la filière <a href="https://theconversation.com/topics/vin-20325">vin</a> et spiritueux a été immédiate. Les 44 députés du <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/taxes-sur-lalcool-le-gouvernement-temporise-face-a-la-fronde-des-deputes-1967928">groupe d’étude « Vignes et Vins »</a>, notamment, dont certains sont membres de la majorité, ont interpellé le ministre de l’Agriculture pour l’exhorter à faire machine arrière.</p>
<p>La réforme envisagée par le gouvernement n’est pas encore précisément connue. Le projet devrait cependant s’inspirer de celle qui a touché le <a href="https://theconversation.com/topics/tabac-21029">tabac</a> au 1<sup>er</sup> janvier 2023 en ne touchant pas à la <a href="https://theconversation.com/topics/taxe-sur-la-valeur-ajoutee-tva-112419">TVA</a> mais à des taxes particulières que l’on appelle les droits d’accise. Ils concernent les biens générant des externalités sociales négatives (tabac, produits pétroliers, alcools) et dont on souhaite limiter la consommation. En économie, on parle aussi de <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ae/2009-v85-n4-ae3958/045070ar/">« biens tutélaires »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1687092128575373312"}"></div></p>
<p>Quatre arguments peuvent justifier un alourdissement de la <a href="https://theconversation.com/topics/fiscalite-23513">fiscalité</a> sur les <a href="https://theconversation.com/topics/alcool-26411">alcools</a> : générer des recettes fiscales supplémentaires, améliorer la <a href="https://theconversation.com/topics/sante-publique-23257">santé publique</a>, harmoniser la fiscalité au sein de l’Union européenne ou harmoniser la fiscalité des alcools avec celle du tabac. À y regarder de près, il semble que c’est bien le dernier argument qui paraît le plus saillant. L’enjeu derrière cette réforme semble bien symbolique et interroge la façon dont notre société perçoit en particulier les vins et alcools. Faut-il y voir un produit similaire au tabac ou bien un élément de notre <a href="https://theconversation.com/topics/patrimoine-20390">patrimoine</a> qui justifierait des exceptions ?</p>
<h2>Des augmentations de recettes limitées</h2>
<p>Les droits d’accise sur les alcools sont donnés chaque année par les <a href="https://www.douane.gouv.fr/fiche/droits-des-alcools-et-boissons-alcooliques">douanes</a>. Pour les vins tranquilles, ces droits sont aujourd’hui fixés à 3,98 euros par hectolitre, soit environ 3 centimes par bouteille de 75cl. Ils s’élèvent à 9,85€/hl pour les vins mousseux. Pour la bière, ils sont plus élevés : 7,82€/hl/degré d’alcool soit environ 40 centimes pour un litre à 5° d’alcool. Ce sont pour les spiritueux qu’ils sont les plus importants avec 1884,4€/hl d’alcool pur, soit plus de 8,25€ pour un litre à 45° d’alcool. Une exception s’applique aux rhums des territoires d’outre-mer qui sont moitié moins taxés.</p>
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<p>Jusqu’ici, le droit d’accise augmente tous les 1<sup>er</sup> janvier en fonction de l’inflation constatée à l’année N-2. L’augmentation en 2023 s’est ainsi faite proportionnellement à l’inflation observée en 2021. Le plafond d’augmentation reste toutefois fixé à 1,75 %. Pour le tabac, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000046791778">nouvelle formule de calcul</a> a fondé le calcul sur l’année N-1 (quand l’inflation commençait à se faire sentir) et le plafond a été porté à 3 %.</p>
<p>Si l’année de référence était modifiée et le plafond supprimé pour les alcools, la hausse des droits d’accise au 1<sup>er</sup> janvier 2024 s’établirait, selon les <a href="https://publications.banque-france.fr/projections-macroeconomiques-juin-2023">projections d’inflation en 2023 de la Banque de France</a>, à 5,6 % contre 1,75 % sans réforme fiscale.</p>
<p>Il est alors possible de chiffrer l’impact de la réforme sur le prix des alcools et sur le surplus de recettes fiscales. Celui-ci paraît somme toute assez marginal. Si le gain sur les spiritueux n’est pas négligeable, tout en restant très limité au regard des enjeux budgétaires, il apparaît dérisoire sur le vin.</p>
<p>En fonction des <a href="https://fr.statista.com/themes/3787/l-alcool-en-france/#editorsPick">dernières données</a> de consommation d’alcool, les gains pour l’État se répartiraient ainsi : pour le vin, les droits d’accise augmenteraient d’environ 5 millions d’euros. Pour la bière le gain de la réforme se situerait autour de 35 millions d’euros. L’essentiel du gain proviendrait des spiritueux avec un surcroît de recettes attendu de près de 100 millions d’euros.</p>
<p>Ce calcul demande à être affiné en fonction des degrés d’alcool et complété car ne sont concernées que les trois grandes catégories d’alcool dans notre calcul. Il y manque par exemple les cidres et les produits dérivés. Cela donne néanmoins des ordres de grandeur réalistes. Bercy parle d’environ 300 millions d’euros, il sera intéressant de connaître le calcul qui mène à ce montant. Sans doute une hausse de la cotisation de sécurité sociale sur les alcools à plus de 18° doit également être envisagée pour parvenir à ce résultat.</p>
<h2>Santé publique, harmonisation européenne : des arguments peu crédibles</h2>
<p>L’argument de santé publique s’analyse, lui, à partir de l’élasticité-prix de la consommation d’alcool. Cet indicateur mesure de combien diminue la consommation lorsque le prix augmente de 10 %. Elle serait de l’ordre de <a href="https://fiscalite-comportementale.org/leffet-prix-sur-la-consommation-dalcool-est-il-reel/">4 %</a>, un chiffre qui n’est toutefois pas uniforme. C’est une moyenne. Dans le cas de cette réforme, une hausse du prix du vin inférieure à 1 centime peut n’avoir aucun impact sur la consommation.</p>
<p>Les <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/09/26/prix-du-tabac-une-hausse-limitee-quand-on-la-compare-avec-l-inflation_6143295_4355770.html">études sur le tabac</a>, notamment, montrent que les hausses doivent être marquées pour créer un effet psychologique chez le consommateur. Même pour les spiritueux, malgré une hausse nettement plus forte, l’effet risque d’être dilué par une absorption de la fiscalité dans les marges des producteurs et distributeurs. Dire que cet alourdissement de la fiscalité est dicté par un enjeu sanitaire n’est donc pas crédible. En particulier pour le vin, dont la <a href="https://www.bfmtv.com/economie/consommation/face-a-la-chute-continue-de-la-consommation-de-vin-les-vignerons-sonnent-l-alarme_AN-202306290047.html">consommation baisse</a> déjà en tendance séculaire en France.</p>
<p>Un autre argument qui ne peut être invoqué est celui de l’harmonisation européenne. Néanmoins, la législation des 27 ne fixe que des <a href="https://europa.eu/youreurope/business/taxation/excise-duties-eu/paying-excise-duties/index_fr.htm">minimas</a> laissant à chaque pays la liberté de taxer davantage, ce dont la France ne se prive pas. En <a href="https://administracion.gob.es/pag_Home/Tu-espacio-europeo/derechos-obligaciones/empresas/impuestos/especiales/alcohol.html">Espagne</a>, par exemple, les droits sont nuls sur le vin, et près de deux fois moins élevés sur les spiritueux.</p>
<h2>Le vin, patrimoine ou équivalent du tabac ?</h2>
<p>En définitive, l’enjeu de la réforme pourrait surtout être symbolique. Appliquer la même formule d’augmentation des droits d’accise au tabac et au vin, ce serait mettre sur un même plan ces deux produits.</p>
<p>Au regard d’externalités négatives comparables, ce choix semble cohérent. Toutefois, il paraît contradictoire avec la <a href="https://www.larvf.com/,vins-hommes-de-annee-laurent-fabius-oenotourisme,4428234.asp">position</a> énoncée par Laurent Fabius en 2015, alors ministre des Affaires étrangères, qui présentait le vin comme un art de vivre à la française. Le président Macron, élu <a href="https://www.liberation.fr/societe/sante/designe-personnalite-de-lannee-2022-par-la-revue-du-vin-de-france-macron-a-le-rose-aux-joues-20220104_YG3FFOILBJB3BJPQFV3TU3IBRY/">personnalité de l’année 2022 par la Revue du Vin de France</a>, semblait s’inscrire dans cette lignée en s’affichant toujours comme un défenseur du vin comme élément de la culture française.</p>
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<p>La doctrine serait-elle en train de changer ? Difficile à dire, mais ce projet donne un sentiment de confusion là où la doctrine Fabiusienne était claire et suivie par les gouvernements postérieurs. Thomas Cazenave personnalise cet été le malaise suscité par ce projet de réforme. En tant qu’élu, il connait tous les déboires liés au climat traversés par les viticulteurs chaque année. Cet été c’est le mildiou qui est en train de détruire la vigne et qui rend la filière extrêmement nerveuse. Défenseur de la filière vin en tant que député de Gironde, signataire d’un courrier mettant en garde contre l’alourdissement de la fiscalité sur le vin, il pourrait paradoxalement porter ce projet en tant que ministre délégué aux Comptes publics.</p>
<p>Tout le débat semble ainsi de savoir s’il faut aller au bout de la doctrine du vin et des alcools à base de vins (Cognac et Armagnac notamment) en tant que patrimoine culturel français en leur octroyant un statut fiscal spécial, les soustrayant aux droits d’accise comme dans les autres grands pays producteurs européens.</p>
<hr>
<p><em>L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211367/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Marie Cardebat est Président de la European Association of Wine Economists. </span></em></p>Recettes limitées, raisons de santé publique peu crédibles… le projet de hausse de la fiscalité des vins semble surtout interroger notre rapport à ce produit comme élément de notre patrimoine.Jean-Marie Cardebat, Professeur d'économie à l'Université de Bordeaux et Prof. affilié à l'INSEEC Grande Ecole, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2108222023-08-08T17:03:13Z2023-08-08T17:03:13ZGrève au JDD : et si certains dispositifs fiscaux étaient à réformer ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540423/original/file-20230801-27-z4z9qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C18%2C2048%2C1345&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La rédaction du JDD est en grève depuis le 22 juin pour protester contre la nomination d'un nouveau directeur de la rédaction. </span> <span class="attribution"><span class="source">JDD</span></span></figcaption></figure><p>Quarante jours durant, la rédaction du Journal Du Dimanche, plus communément appelé « JDD », a fait <a href="https://theconversation.com/topics/greves-32819">grève</a>. Chaque non-parution se serait traduit par <a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/culture-loisirs/malgre-la-greve-geoffroy-lejeune-prendra-la-tete-du-jdd-le-1er-ao%C3%BBt_AD-202307250045.html">500 000 euros de perte</a> pour la société éditrice du journal sans que cela n’ait semblé ébranler le choix de nommer une nouvelle direction, à l’origine d’un mouvement à la durée inédite dans le monde des médias français. Le 23 juin, Arnaud Lagardère, dont le groupe de médias a été racheté à 58 % par Vivendi et son actionnaire majoritaire Vincent Bolloré, annonçait la nomination de Geoffroy Lejeune, réputé d’extrême droite, comme directeur de la rédaction. Celui-ci a pris ses fonctions le 1<sup>er</sup> août.</p>
<p>Au-delà de tout aspect idéologique, c’est la rationalité économique de l’opération que nous souhaitons ici interroger et un mécanisme en particulier, celui de l’intégration <a href="https://theconversation.com/topics/fiscalite-23513">fiscale</a>. Avec la grève, la perte apparente d’argent n’exclut pas qu’elle se matérialise par une réduction d’impôt par une logique des vases communicants. Cela explique en partie pourquoi, au cours de pareils mouvements, les chances des salariés d’obtenir gain de cause sont fiscalement très réduites. Au moment où une <a href="https://www.liberation.fr/politique/greve-au-jdd-une-proposition-de-loi-transpartisane-pour-renforcer-lindependance-des-redactions-20230717_5XADZDXLCVFJ5CERIT56QRQ5VA/">proposition de loi</a> sur l’<a href="https://theconversation.com/topics/liberte-de-la-presse-62602">indépendance des rédactions</a> a été déposée au Parlement et où des <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/07/13/lancement-des-etats-generaux-de-linformation">États généraux de l’information</a> doivent s’ouvrir en septembre, il y a là, sans doute, matière à réflexion.</p>
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<h2>Une grève qui ne coûte pas si cher</h2>
<p>Le régime de l’<a href="https://bpifrance-creation.fr/encyclopedie/fiscalite-lentreprise/fiscalite-transmissionreprise/integration-fiscale">intégration fiscale</a> répond aux problèmes particuliers des groupes de société. Juridiquement un groupe de société n’existe pas comme entité : chaque entreprise reste indépendante juridiquement. Il en résulte qu’un même bénéfice risque d’être taxé deux fois : une fois au niveau de la filiale et une seconde lorsqu’ils « remontent » vers la société mère. L’idée de l’intégration est de permettre une taxation unique au travers d’une seule structure, la société mère ou la holding.</p>
<p>Plus précisément, ce régime permet à une société mère qui détient au moins 95 % du capital de ses filiales de globaliser le versement de l’impôt sur les sociétés. Imaginons, une filiale qui perd de l’argent et une autre qui en gagne, les deux appartenant à la même société mère. Les pertes d’un côté viennent réduire les bénéfices constatés de l’autre.</p>
<p>Si l’on repart de l’organigramme du groupe Lagardère tel qu’il apparaît dans le <a href="https://www.lagardere.com/rapport_annuel_2019/documents/document_enregistrement_universel_2019_fr/accesible/site/presentation-du-groupe/organigramme-liste-des-filiales-importantes.html">rapport annuel de 2019</a>, il apparaît que le JDD est détenu par la société <a href="https://www.lejdd.fr/divers/Mentions-Legales">Lagardère News</a>, société également détentrice de <a href="https://www.lejdd.fr/divers/Mentions-Legales">Paris-Match</a> et d’Europe 1. Lagardère News est elle-même détenue à 100 % par Lagardère Active SASU. Cette dernière peut donc opter pour l’intégration fiscale. Ainsi les conséquences financières de la grève peuvent-elles s’avérer limitées par le fait qu’elles peuvent contribuer à réduire le montant d’ensemble déclaré.</p>
<h2>Et Bolloré dans tout cela ?</h2>
<p>L’intégration fiscale est l’une des raisons qui expliquent l’intérêt des investisseurs pour le secteur des médias. Non seulement, il s’agirait d’un secteur rentable, du moins c’est ce qu’affirmait <a href="https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220117/ce_medias.html">Vincent Bolloré auditionné par le Sénat en janvier 2022</a> (« les médias sont le deuxième secteur le plus rentable après le luxe »), mais encore, en cas de perte, les investisseurs ne sont pas forcément perdants. Sans évoquer bien sûr les <a href="https://www.bbc.com/news/business-45550747">motivations</a> (jeu d’ego, influence, enjeux politiques, accès aux cercles d’influence…) que procure un tel investissement en termes d’images et de respectabilité pour le dirigeant.</p>
<p>Bien évidemment, une telle stratégie ne peut durer indéfiniment. Si la société n’est finalement pas viable, la société mère décidera de mettre en redressement judiciaire la filiale qui, si elle se solde par une liquidation, lui permettra de déduire l’intégralité du passif sur son résultat : c’est l’un des enjeux d’une détention de 100 % du capital.</p>
<p>La société <a href="https://www.lepoint.fr/economie/fin-de-la-commandite-lagardere-va-devenir-une-societe-normale-28-04-2021-2424065_28.php">Vivendi, elle, est devenue actionnaire</a> de la société anonyme Lagardère, anciennement la SCA Lagardère sur l’organigramme. Compte tenu de l’étendue des participations et des activités du groupe, une perte dans le secteur des médias n’a strictement aucun impact sur les finances du groupe. Vincent Bolloré l’a lui-même admis, toujours, devant le <a href="https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220117/ce_medias.html">Sénat</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Notre segment de l’information est absolument insignifiant tant en chiffre d’affaires que dans le poids du pays. »</p>
</blockquote>
<p>Dans ce cadre, la grève ne pouvait pas avoir l’impact souhaité.</p>
<h2>Un dispositif à revoir ?</h2>
<p>Alors qu’une <a href="https://www.ouest-france.fr/medias/la-greve-au-jdd-reconduite-des-deputes-vont-deposer-une-proposition-de-loi-pour-proteger-les-medias-8545c64a-2541-11ee-bf48-f73cfda37352">loi pour l’indépendance des médias</a> est en discussion au Parlement, quelles solutions pourrait-on imaginer en la matière ? Une piste radicale serait de mettre fin au régime de l’intégration fiscale pour les groupes détenant des organes de presse. La Cour des comptes qui, encore récemment, <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2023-07/20230707-note-thematique-Depenses-fiscales.pdf">dénonçait les niches fiscales</a> s’est, cependant, bien gardée d’analyser le régime d’intégration fiscale. En 2018, sa réforme avait été <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/reforme-de-l-impot-vers-une-suppression-de-trois-niches-fiscales-des-entreprises-766781.html">envisagée</a> puis abandonnée.</p>
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<p>Certes, la réduction de l’imposition au niveau de la société mère contribue à l’enrichissement de ses actionnaires, même s’il est évident que l’intégration fiscale n’a pas cette vocation : elle permet aussi de favoriser l’investissement (et donc de maintenir l’activité). Elle est également considérée comme un moyen de lutte contre <a href="https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Fiches/2016/FI14_evitement%20fiscal.pdf">l’évitement fiscal</a>, comportement auquel pousserait une application trop stricte de l’autonomie des entités composant le groupe.</p>
<p>Si le législateur supprime le régime d’intégration fiscale, il est en outre fort probable qu’il se heurte à une résistance inédite du monde des affaires et que les sociétés disposant de trésorerie se détournent de tout investissement dans la presse. Par ailleurs, le régime de l’intégration fiscale se retrouvant dans d’autres pays, cela porterait atteinte à l’attractivité de la France.</p>
<h2>Une alternative au droit d’agrément</h2>
<p>Dans le secteur de la presse néanmoins, comme l’illustre le cas du JDD, cette possibilité de compensation entre les bénéfices et les déficits devient problématique quand elle interfère avec un comportement critiquable de la part d’une direction en ce qu’elle diminue l’efficacité d’un mouvement de grève.</p>
<p>Une solution intermédiaire alors ? La proposition de loi imagine de conditionner le versement des aides à la presse pour une rédaction à l’octroi d’un droit d’agrément à ses journalistes sur la nomination du directeur ou de la directrice de l’information. Pourquoi pas ? Mais cela ne changera rien au fait qu’en cas de refus d’agrément, l’actionnaire principal peut arrêter de financer le journal et transformer les pertes en réduction d’impôt au niveau de la société mère. Les journalistes peuvent toujours s’obstiner, cela n’aura pas forcément l’impact financier escompté.</p>
<p>Peut-être faut-il ainsi refuser que la société mère puisse déduire les pertes ou les indemnités de licenciement lorsqu’elles sont la conséquence d’une grève des journalistes. Certes, c’est moins noble que le droit d’agrément. Néanmoins, et quand bien même il apporte avec lui le risque d’une instrumentalisation de la grève, cela aurait le mérite d’entraîner un véritable coût financier pour la société mère et la contraindre peut-être à négocier.</p>
<p>Si l’objectif primordial est de garantir la diversité d’opinions des médias, sans doute faut-il mieux réfléchir aux effets de la fiscalité… au-delà de la fiscalité elle-même.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210822/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Pour qu’une grève dans la presse, comme celle du JDD, pousse un propriétaire à négocier, sans doute faudrait-il faire évoluer des dispositifs fiscaux qui en limitent les conséquences financières.Jacques Amar, Maître de conférences HDR en droit privé, CR2D, Université Dauphine-PSL, docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSLArnaud Raynouard, Professeur des universités en droit, CR2D, Université Dauphine-PSL, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2105032023-07-31T16:18:39Z2023-07-31T16:18:39ZUnion européenne et marché de l'électricité : des principes à revoir pour rester compétitive<p>La modification du contexte géopolitique et la perspective d’un monde moins ouvert ont remis sur le devant de la scène le concept de <a href="https://theconversation.com/batteries-lue-cherche-lequilibre-entre-ouverture-aux-marches-et-souverainete-technologique-210005">souveraineté</a>. <a href="https://theconversation.com/topics/reindustrialisation-86098">Relocaliser</a> de nombreuses <a href="https://theconversation.com/topics/industrie-21143">productions industrielles</a>, considérées comme stratégiques (molécules pharmaceutiques ou chimiques, semi-conducteurs, construction automobile, voire certaines matières premières comme le lithium par exemple) fait partie de l’agenda public. Les groupes industriels concernés ne seront cependant enclins à rapatrier leur production que dans la mesure où les investissements permettent de rester <a href="https://theconversation.com/topics/competitivite-21451">compétitif</a> sur leurs marchés.</p>
<p>Stabilité de l’environnement règlementaire, qualité des infrastructures, niveau d’éducation de la population, possibilité de disposer de subventions, tous ces paramètres entrent en ligne de compte au moment de prendre pareille décision. D’autres facteurs sont de nature plus économique, parmi lesquels, dans le cas précis de l’industrie, le coût de l’<a href="https://theconversation.com/topics/electricite-23762">électricité</a> et sa maîtrise sur le long terme.</p>
<p>La France et l’Allemagne l’avaient bien compris en optant chacun pour une solution garantissant sur plus de 20 ans, des prix bas de l’électricité via la construction du parc électro nucléaire en France et l’accès au gaz russe en Allemagne. Cet équilibre a été brutalement rompu par le déclenchement de la guerre en Ukraine.</p>
<p>Or, le conflit ne semble pas une simple parenthèse : deux tendances de fond sont en effet d’ores et déjà à l’œuvre. D’une part, la transition écologique accélérée dans laquelle s’est engagée l’<a href="https://theconversation.com/topics/union-europeenne-ue-20281">Europe</a> va entrainer une <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/pourquoi-la-demande-delectricite-devrait-exploser-dici-a-2050-1358134">hausse de 35 % environ de la demande au-delà de 2030</a>, ce qui suppose à la fois une augmentation des capacités, le passage à une production décarbonée, et une adaptation du réseau de transport.</p>
<p>D’autre part, les concurrents économiques de l’Europe investissent massivement pour garantir la compétitivité de leurs industries. Les États-Unis ont, par exemple, opté pour l’option la plus simple qui consiste à attribuer des subventions massives, dans le cadre notamment de <a href="https://theconversation.com/inflation-reduction-act-comment-lunion-europeenne-peut-elle-repondre-aux-incitations-fiscales-americaines-201425">l’<em>Inflation Reduction Act</em></a>. Pour rester dans le jeu, l’Union européenne est donc aujourd’hui contrainte de réagir.</p>
<h2>Plusieurs composantes de prix</h2>
<p>Plusieurs facteurs déterminent le prix de l’électricité. Une partie a trait aux infrastructures. On note, par exemple, un effet d’expérience en cas de passage du prototype à un ensemble d’unités. Dans le cas des réacteurs pressurisés européens (EPR), l’Ademe estime le coût du mégawattheure à <a href="https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/nucleaire-vs-eolien-offshore-quest-ce-qui-coute-le-moins-cher/">110-120 euros pour le seul site de Flamanville</a>, susceptible d’être ramené à 70 euros à compter de la 4<sup>e</sup> unité mise en service.</p>
<p>L’innovation intervient également. Par exemple, l’évolution technologique des éoliennes a permis de multiplier leur puissance par 60 entre 1985 et 2015. Il en résulte une baisse régulière du prix de production moyen de <a href="https://www.connaissancedesenergies.org/etat-des-lieux-du-marche-de-leolien-offshore-220218">130-190 euros en 2000 à 60-110 euros actuellement</a>.</p>
<p>Outre le coût des matières premières, l’état de santé financière des opérateurs joue également. Ce sont néanmoins des évolutions de nature fiscale qui ont le plus fait varier le prix du mégawattheure au cours de la dernière décennie.</p>
<p><iframe id="8H6i6" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/8H6i6/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>À 15 ans, les <a href="https://www.europarl.europa.eu/ftu/pdf/fr/FTU_2.1.9.pdf">différents scénarios</a> anticipent une accélération de la croissance de la demande en électricité résultant d’une part de la transition énergique (habitat, transport) et d’autre part de la relocalisation industrielle. De là résulterait une inadéquation durable entre l’offre et la demande compte tenu des incertitudes inhérentes au déploiement des nouvelles infrastructures (en termes de coûts et de délais), d’autant plus que la transition énergétique requiert principalement de l’électricité décarbonée.</p>
<h2>Limiter la volatilité</h2>
<p>Ces scénarios laissent anticiper à la fois une hausse tendancielle des prix mais également une forte augmentation de la volatilité. Mettre en place les conditions d’une offre d’électricité durablement compétitive suppose donc de maîtriser ces deux risques.</p>
<p>Une faible volatilité des prix permet aux producteurs de pouvoir garantir sur le très long terme le remboursement des dettes destinées à financer les infrastructures. Il s’agirait donc d’une invitation à investir, notamment pour une transition verte. Pour les clients consommateurs, cela permet de mieux prévoir et donc de maîtriser leurs dépenses.</p>
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<p>Pour la limiter, plusieurs options sont ouvertes : diversifier le mix de production en faveur des capacités dont la part de coût variable est la plus faible possible, développer des solutions de « stockage » de l’électricité, ou surdimensionner la capacité de production par rapport à la demande attendue. Toutes ont en commun une mise en œuvre longue et complexe, et le risque d’accroitre sensiblement les coûts de production. La meilleure solution consiste donc à améliorer les mécanismes du marché actuel, en particulier avec le développement sa composante à long terme (maturités supérieures à 2 ans)</p>
<h2>Deux postulats à revoir</h2>
<p>Pour ce qui est du niveau des prix, deux aspects nous paraissent source de réflexion. Le premier a trait à l’<a href="http://ses.ens-lyon.fr/articles/une-analyse-de-la-politique-europeenne-de-la-concurrence-i-du-traite-de-rome-au-marche-unique">ouverture à la concurrence</a>, impulsée par une directive de 1996. Le postulat consiste à considérer qu’une concurrence accrue présente un impact positif sur les prix à long terme. Il a poussé à réduire la position des opérateurs historiques pour faire place à de nouveaux entrants. En France, par exemple, avec <a href="https://theconversation.com/electricite-pourquoi-une-telle-flambee-des-prix-malgre-louverture-a-la-concurrence-183751">« l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique »</a> (Arenh), les concurrents d’EDF peuvent accéder à la rente issue de la production des centrales nucléaires à des conditions fixées par l’administration.</p>
<p>Le bilan s’avère globalement négatif. En premier lieu, l’évolution du prix moyen de vente du mégawattheure à l’industrie en Europe depuis 1991 démontre qu’il n’y a pas de relation significative entre niveau de la concurrence et prix, puisque ce dernier reste avant tout conditionné par des facteurs de nature conjoncturelle. Ensuite, en cas de crise, la volatilité est hors de contrôle. Enfin, la situation financière de l’opérateur historique est fortement pénalisée et handicape d’autant sa capacité à investir.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1552641963983265792"}"></div></p>
<p>L’autre postulat suppose une optimisation de la capacité de production, donc que la réponse à une demande supplémentaire provienne de la dernière unité mise en production – en l’espèce pour des raisons techniques, des centrales thermiques et soit donc valorisée sur la base du coût marginal de cette dernière unité. Or c’est justement ce mode de calcul qui est à l’original de l’envolée du prix du mégawattheure et de l’explosion de la volatilité. Il convient donc de mettre en œuvre un autre mode de calcul à défaut de quoi le coût de la volatilité viendra gonfler de manière disproportionnée, l’inflation induite par la hausse de la demande.</p>
<h2>Pour une rémunération au coût réel</h2>
<p>Parmi les solutions envisageables, outre les changements relatifs à l’organisation de la production décrits précédemment, certains acteurs ont formulé des propositions au moment de l’invasion de l’Ukraine. Le gouvernement grec, notamment, a soumis en juillet 2022 à l’Union européenne, un modèle visant à <a href="https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/les-grecs-proposent-un-nouveau-modele-de-marche-europeen-de-lelectricite/">segmenter le marché de gros en deux compartiments distincts</a>.</p>
<p>D’un côté, il y aurait les centrales à coûts marginaux faibles mais à coûts fixes élevés, produisant lorsqu’elles sont disponibles (nucléaires et énergie renouvelables). De l’autre côté, les centrales à coûts variables élevés (qui produisent à partir des combustibles fossiles), qui produiraient à la demande et contribueraient à équilibrer le marché en complément des productions évoquées précédemment. Les premières ne seraient plus rémunérées sur la base des coûts marginaux, mais recevraient un prix couvrant leur coût moyen de long terme, appelé Levelized Cost of Electricity. Le prix payé par le consommateur résulterait d’une moyenne pondérée des prix observés dans chacun des deux compartiments du marché.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/batteries-lue-cherche-lequilibre-entre-ouverture-aux-marches-et-souverainete-technologique-210005">Batteries : l’UE cherche l’équilibre entre ouverture aux marchés et souveraineté technologique</a>
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<p>Ce système présente l’avantage de rémunérer les producteurs en fonction de leur coût réel de production, plutôt que de se baser sur le coût des centrales fossiles et provoquer ainsi une baisse du coût moyen de l’électricité. De plus, en lissant les anticipations des prix futurs, elle devrait mécaniquement réduire la volatilité potentielle.</p>
<p>Voilà pourquoi, pour faire de la maîtrise du prix de l’énergie un socle de la compétitivité industrielle, il parait nécessaire de remettre en cause des postulats qui ont prévalu à l’organisation de la production sur les 20 dernières années et qui ont eu pour effet d’affaiblir les anciens monopoles sans véritable contrepartie mesurable sur le plan économique. Et ce alors que le défi de la transition énergétique passe par un effort d’investissement colossal, dont le succès repose, au-delà du cadre que nous venons de décrire, sur une parfaite coordination sur les plans technique, industriel et institutionnel. Si les acteurs privés ont leur place dans le dispositif, le rôle du maître d’œuvre sera déterminant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210503/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Attirer des industriels requiert des prix de l’électricité stables et peu élevés, ce que la libéralisation et la tarification au coût marginal, piliers de la politique de l’UE, ne garantissent pas.Jean Pascal Brivady, Professeur, EM Lyon Business SchoolAbdel Mokhtari, Economiste, Chargé de cours, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2103152023-07-27T19:37:58Z2023-07-27T19:37:58ZAcheter des passeports ou quand la « nationalité de papier » est affaire de fiscalité<p>« Français de papier » : depuis la Première Guerre mondiale, cette expression ressurgit périodiquement dans le débat et encore tout récemment dans les discussions du <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/emmanuelle-menard-evoque-des-francais-de-papier-la-gauche-scandalisee_220886.html">projet de loi « Reconstruction »</a>, consécutives aux <a href="https://theconversation.com/topics/emeutes-66638">émeutes</a> qui ont éclaté la première quinzaine de juillet.</p>
<p>L'expression, utilisée alors par la droite et l'extrême-droite et qui a provoqué de vives remous dans l'hémicycle, vise à critiquer les règles d’acquisition de la <a href="https://theconversation.com/topics/nationalite-22010">nationalité</a> française et à stigmatiser l’<a href="https://theconversation.com/topics/immigration-21314">immigration</a> comme source de tous les maux. Certaines personnes seraient françaises, mais sans attaches viscérales à la France : disposant d’un <a href="https://theconversation.com/topics/passeport-100743">passeport</a>, elles réduiraient la nationalité à un bout de papier.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1681942730883121157"}"></div></p>
<p>Schématiquement, l’acquisition de la nationalité d’un pays dépend en général soit du droit du sol, soit du droit du sang. Dans le premier cas, la nationalité est attribuée à la personne qui naît sur un territoire donné, principe retenu par les pays d’immigration afin de favoriser l’intégration ; dans le second, les enfants héritent à leur naissance de la nationalité de leurs parents, principe cette fois favorisé par les pays d’émigration.</p>
<p>La pratique a néanmoins développé une autre technique : l’achat de passeport. Il existe ainsi une catégorie de personnes disposant d’une ou de plusieurs nationalités de papiers pour des raisons davantage fiscales que fondées sur un amour immodéré de la patrie.</p>
<p>Rendre compte de ce marché très particulier comme nous tentons de le faire dans nos <a href="https://univ-paris-dauphine.hal.science/hal-04001970/">travaux</a> et s’interroger sur sa portée en cas de contrôle fiscal pose plus largement la question des liens entre nationalité et <a href="https://theconversation.com/topics/fiscalite-23513">fiscalité</a>.</p>
<h2>Des passeports en promo</h2>
<p>Nombreux sont les États, dont la France, qui définissent des politiques visant à se rendre attractifs pour les personnes disposant de hauts revenus. L’idée est de permettre à ces individus de trouver dans les réglementations en vigueur des incitations à acquérir une autre nationalité.</p>
<p>Les stratégies peuvent être très diverses. Le premier pays à avoir adopté ce type de politique a été l’archipel de Saint-Christophe-et-Niévès (Saint Kitts and Nevis) en 1984. L’argument de vente, encore utilisé aujourd’hui, s’avère simple : en 2023, contre un versement de <a href="http://stkitts-citizenship.com/">170 000 dollars</a> au <a href="https://globalresidenceindex.com/sustainable-growth-fund-saint-kitts/"><em>Sustainable growth fund</em></a>, qui vise à développer la santé, l’éducation et les infrastructures sur les îles, un couple et deux enfants se voient attribuer un passeport qui leur permet de circuler librement dans tous les États du Commonwealth. Une « promotion » de 25 000 dollars court même jusqu’en février 2024.</p>
<p>Antigua et la Barbade ont adopté la même politique avec le même argument : ces politiques migratoires visent à compenser l’absence de ressources de ces États. Au Vanuatu, le commerce des passeports constitue une <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-50053933">source majeure de revenus pour l’État</a>.</p>
<h2>Des milliards de recettes, y compris pour l’Europe</h2>
<p>En <a href="https://laviedesidees.fr/Un-marche-europeen-des-nationalites.html">droit européen</a>, le résident d’un pays membre de l’espace Schengen peut y circuler librement et bénéficie pleinement des libertés fondamentales consacrées par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cela vaut notamment s’il décide de créer une entreprise ou de s’installer dans un autre État membre.</p>
<p>Certains États ajoutent même, afin d’attirer des personnes ne disposant pas de la nationalité d’un pays membre de l’espace Schengen, la possibilité d’acquérir un visa spécial qui fera office de permis de résidence. En contrepartie d’un investissement dans un pays qui propose ce type de visa – Belgique, Chypre, Espagne, Grèce, Italie, Malte, Portugal –, la personne ainsi que son conjoint et ses enfants obtiennent les mêmes droits que ceux d’un résident d’un État membre de l’espace Schengen.</p>
<p>Chaque pays <a href="https://www.etiasvisa.com/fr">pose ses conditions</a>. Par exemple, en Italie, il faut investir 250 000 euros dans une start-up italienne ou 500 000 euros (au lieu de 1 000 000 euros auparavant) dans une entreprise locale. En Autriche, la réglementation distingue l’acquisition du titre de résidence pour un montant minimum de 40 000 euros investis dans une entreprise autrichienne et l’acquisition directe de la nationalité en contrepartie d’un investissement de 10 millions d’euros dans une entreprise ou d’une contribution d’au moins 3 millions d’euros à un fonds de développement gouvernemental.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1507398460403822592"}"></div></p>
<p>Dans un <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20220211IPR23114/pour-l-interdiction-des-passeports-dores-et-des-regles-pour-les-visas-dores">communiqué de presse en date du 15 février 2022</a>, le Parlement européen indiquait que ces programmes ont bénéficié à près de 130 000 personnes entre 2011 et 2019, générant plus de 21,8 milliards d’euros de recettes pour les pays concernés. Le marché serait en pleine expansion ; en 2014, à l’échelle mondiale, il était évalué à <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2019-4.htm">25 milliards de dollars</a>.</p>
<p>Si le Parlement européen s’est prononcé pour l’interdiction de la vente de passeports de pays membres de l’espace Schengen, il ne remet pas en cause le principe de l’acquisition d’un statut de résident en contrepartie d’un investissement. En dépit de menaces de procédures européennes, les États membres peuvent considérer qu’il est <a href="https://www.eurotopics.net/fr/262817/visas-dores-chypre-ignore-les-rappels-a-l-ordre-de-l-ue">financièrement plus rémunérateur de poursuivre de telles politiques</a>.</p>
<p>Il aura fallu la guerre entre la Russie et l’Ukraine pour que l’Union européenne mette fin au programme des « visas dorés » tout simplement parce la volonté affichée de saisir des avoirs (dont notamment des biens immobilier ou mobilier de valeur, tels que des yachts de luxe) détenus par des personnes de nationalité russe visées nominativement est moins aisé à partir du moment où elles disposent d’un visa, voire d’une nationalité d’un pays de l’Union européenne.</p>
<h2>Nationalité ou résidence ?</h2>
<p>En droit français, l’imposition d’une personne dépend généralement de l’identification de son <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041464195/2023-07-20">domicile fiscal</a> et non de sa nationalité. Lorsqu’une personne dispose d’intérêts économiques entre deux pays liés par une convention fiscale, la nationalité n’intervient comme critère d’imposition qu’en dernier lieu, c’est-à-dire si les administrations fiscales n’ont pas réussi à identifier un lieu de résidence habituelle. En cas de double nationalité, il revient aux États de se mettre d’accord sur le lieu d’imposition de la personne, sans que cela n’exclue au passage une double imposition. En privilégiant la résidence sur la nationalité, il est apparemment sans conséquence pour l’État qu’une personne cumule plusieurs nationalités.</p>
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<p>Cependant, le fait de disposer de deux nationalités avec deux adresses distinctes crée mécaniquement un obstacle à la taxation. Il faut alors que l’administration fiscale identifie le lieu de résidence du contribuable et les flux de revenus pour pouvoir les imposer et qu’ensuite elle effectue une démarche auprès de l’autre État concerné. Un autre élément peut en outre compliquer fortement ces procédures : la possibilité que certains États offrent aux individus de changer complètement leur état civil.</p>
<p>Bien évidemment, il est possible de mettre à jour ce type d’artifice, mais à la double condition de renforcer les moyens de contrôle et que les États coopèrent en matière de transmission d’informations. Le fait que les États, à commencer par la France, simplifient les procédures pour modifier l’état civil offre incontestablement de nouvelles opportunités pour les personnes qui cherchent à éluder l’impôt.</p>
<h2>Une nationalité française moins « intéressante » ?</h2>
<p>La tentation est ainsi grande de chercher également en droit français à faciliter l’imposition des personnes non résidentes sur le territoire français à partir d’un critère de nationalité. Ce point a fait l’objet d’un débat parlementaire au printemps lors de la ratification de la <a href="https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/10_conventions/andorre/andorre_convention-avec-la-principaute-d-andorre-revenu-signee-le-2-avril-2013_fd_7522.pdf">convention fiscale entre Andorre et la France</a>, dont la rédaction est le décalque de celle de la convention France- États-Unis. En l’occurrence, cette convention stipule :</p>
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<p>« Nonobstant les dispositions de tout autre article de la présente Convention : la France peut imposer les personnes physiques de nationalité française résidentes d’Andorre comme si la présente Convention n’existait pas. »</p>
</blockquote>
<p>Cette évolution, rupture conceptuelle par rapport à l’approche classique fondée sur le lieu de résidence de la personne, si elle se généralisait pourrait entraîner une <a href="https://www.senat.fr/seances/s201412/s20141218/s20141218001.html">multiplication des demandes de renonciation à la nationalité française</a>.</p>
<p>En résumé, l’expression du désir d’appartenance à une Nation, l’adhésion aux valeurs nationales, à l’heure de la mondialisation dépendrait davantage du montant des impôts que la personne peut être amenée à acquitter. Libre à la personne de choisir sa nationalité en <a href="https://www.henleyglobal.com/passport-index">fonction des avantages qu’elle procure</a>. Nous arrivons ainsi à un stade où la nationalité n’échappe pas à la logique de marchandisation. Les « Français de papier » ne sont pas celles et ceux qui sont visés par ceux qui utilisent cette expression aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210315/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Des systèmes permettent à des individus fortunés d’acheter des passeports afin d’échapper à l’impôt. Avec des ruptures récentes, certains pourraient être tentés de renoncer à la nationalité française.Jacques Amar, Maître de conférences HDR en droit privé, CR2D, Université Dauphine-PSL, docteur en sociologie, Université Paris Dauphine – PSLArnaud Raynouard, Professeur des universités en droit, CR2D, Université Dauphine-PSL, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2090762023-07-05T17:32:29Z2023-07-05T17:32:29ZPourquoi le retour des politiques d’austérité peut être souhaitable<p>Que le <a href="https://theconversation.com/topics/budget-21031">budget</a> 2024 permette de réaliser « au moins 10 milliards d’euros d’économie » comme l’affirme le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire, la Cour des comptes semble en <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/29/finances-publiques-la-cour-des-comptes-sceptique-sur-les-objectifs-du-gouvernement_6179760_823448.html">douter</a>. Hypothèses économiques trop optimistes, <a href="https://theconversation.com/topics/fiscalite-23513">rentrées fiscales</a> qui diminuent, besoin de financer une transition verte, les magistrats financiers estiment les efforts promis insuffisants.</p>
<p>Quand on se penche sur les <a href="https://theconversation.com/topics/finances-publiques-24847">finances publiques</a> de la <a href="https://theconversation.com/topics/economie-francaise-20565">France</a>, le premier constat est l’accroissement spectaculaire du <a href="https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5367857/tableau/10_ECC/15_FIN">poids des dépenses dans le PIB</a>. Celui-ci est passé de 34,7 % en 1960 à 55,4 % en 2019, juste avant la pandémie de Covid-19 et à 59 % en 2021, année de l’après-confinement.</p>
<p>Cette hausse s’est accompagnée d’une détérioration régulière du solde budgétaire. Les périodes fastes des cycles économiques n’ont que partiellement été mises à profit pour apurer la situation. Lors de la récession de 1993, le déficit culminait à -6,3 % du PIB. Le redressement qui suit le ramène à -1,3 % en 2000. Puis la récession de 2009 le fait plonger à -7,2 %. Lors du redressement cyclique postérieur, il n’est ramené qu’à un niveau de -2,3 % en 2018. En 2020, il atteint -9 % du PIB et il reste à – 4,7 % en 2022.</p>
<p><iframe id="yV3dD" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/yV3dD/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Cela semble traduire un refus implicite de la population d’accepter la vérité de la facture publique ou tout au moins un refus explicite du gouvernement de la mettre face à la réalité. La conséquence la plus tangible est que la <a href="https://theconversation.com/topics/dette-20647">dette publique</a> ne cesse de s’accroître. Au premier trimestre 2023, elle a dépassé le seuil symbolique des <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/7638614">3 000 milliards d’euros</a>, soit 112 % du PIB. Au moment de l’entrée en vigueur de l’euro en 2002, elle était à 936 milliards ; elle a plus que triplé depuis.</p>
<p><iframe id="osvoS" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/osvoS/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Le keynésianisme en échec</h2>
<p>Or cette accumulation de dette n’a pas eu les effets positifs attendus. L’ <a href="https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/politiques-economiques/theories-economiques/multiplicateur-budgetaire/">« effet multiplicateur »</a> mis en avant par les théories keynésiennes qui associent déficit budgétaire et croissance économique ne paraît pas avoir agi. L’idée est, en théorie, la suivante : une augmentation de la dépense publique va stimuler la demande et par voie de conséquence la production ; les producteurs auront alors des revenus supplémentaires qu’ils pourront redistribuer, augmentant la demande et ainsi de suite. Le mécanisme génèrerait des impôts excédant le déficit initial.</p>
<p>Néanmoins, ce n’est pas ce que l’on observe empiriquement. Alors que la dette s’est accrue en moyenne de 5,7 % par an entre 2002 et 2022, la croissance moyenne en valeur du PIB n’a été que 2,5 %.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/535557/original/file-20230704-20-ujvwcw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535557/original/file-20230704-20-ujvwcw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535557/original/file-20230704-20-ujvwcw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535557/original/file-20230704-20-ujvwcw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535557/original/file-20230704-20-ujvwcw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535557/original/file-20230704-20-ujvwcw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535557/original/file-20230704-20-ujvwcw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535557/original/file-20230704-20-ujvwcw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Sans doute la population a-t-elle compris qu’une hausse des dépenses publiques aujourd’hui devra être financée plus tard. S’en suit un réflexe d’épargne pour affronter cet avenir fiscal rendu incertain : mieux vaut avoir des provisions au moment où un effort sera demandé. Cela conduit à une augmentation du prix des actifs. Les bulles immobilières ou le retour en force de l’or en sont les traductions les plus manifestes. Le <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2830268">taux d’épargne des ménages</a> qui était de 14,5 % en 2003 est désormais de 18,3 %.</p>
<p>Ce mécanisme, appelé « équivalence ricardienne », a été mis en évidence en 1974 par l’économiste américain Robert Barro dans un article intitulé <a href="http://piketty.pse.ens.fr/files/Barro1974.pdf">« Are Government Bonds Net Wealth ? »</a>. Il y énonce le « théorème de Barro-Ricardo » indiquant que « la désépargne publique – c’est-à-dire le déficit budgétaire – engendre un surcroît équivalent d’épargne privée ». Il conduit à anticiper un multiplicateur keynésien égal à 0.</p>
<h2>« Robin des bois à l’envers »</h2>
<p>L’endettement public ne semble ainsi pas avoir l’impact positif que certains lui attribuent. Il n’est pas neutre pour autant et présente deux principaux inconvénients.</p>
<p>Le premier tient à l’égalité entre l’offre et la demande. Toute dépense publique non financée par un prélèvement sur la dépense privée augmente la demande. Si cette augmentation se pérennise, elle entraîne soit un apport d’offre extérieure, c’est-à-dire un creusement du déficit de la balance des paiements courants, soit une possibilité offerte au système productif d’augmenter ses prix, c’est-à-dire une relance de l’inflation.</p>
<p>En pratique, la France a plutôt accumulé les déficits extérieurs. Son <a href="https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/tipsii10/default/table?lang=fr">avoir extérieur net</a>, c’est-à-dire la différence entre la valeur de ce que les Français détiennent à l’étranger et celle de ce que les étrangers détiennent en France, est de plus en plus négatif. Il est passé de – 40 milliards d’euros fin 2001 (2,7 % du PIB) à – 800 milliards fin 2021 (32 % du PIB). Cela induit une perte de souveraineté qui, bien que souvent ignorée, présente une menace sur la génération future.</p>
<p><iframe id="3OpQd" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/3OpQd/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le second est que la dette publique s’avère un mécanisme anti-redistributif. On qualifie cette situation de « Robin Hood reversed », l’État jouant un rôle inverse de celui de Robin des Bois qui prend aux riches pour donner aux pauvres. Ici, l’ensemble de la population paie des impôts pour que l’État verse des intérêts aux détenteurs de titres publics qui comptent en général parmi les plus fortunés. Avec la hausse en cours des taux d’intérêt, ce mécanisme va s’accentuer.</p>
<p>À ces éléments on pourrait ajouter l’étouffement progressif des marges de manœuvre de l’État obligé de consacrer de plus en plus de moyens à payer des intérêts, la perturbation dans le financement de l’économie due à la ponction sur l’épargne opérée par l’État et la fragilisation de nos rapports avec nos partenaires européens due au non-respect des traités faisant de l’équilibre structurel la règle à respecter.</p>
<h2>Les politiques d’austérité sont-elles légitimes ?</h2>
<p>Faut-il alors en revenir aux politiques de rigueur ? Historiquement, c’est le premier ministre socialiste Pierre Mauroy qui introduit cette expression en mars 1983. Alors qu’il se voit reprocher d’abandonner les promesses de 1981 pour mener une politique identique à celle de Raymond Barre, son prédécesseur plus libéral, il prétend qu’il n’en est rien. Selon lui, « la rigueur, c’est l’austérité, plus l’espoir ».</p>
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<p>Pareilles mesures, autrement appelées d’« austérité » semblent s’imposer dans le contexte actuel. L’enjeu porte plus sur leur contenu que sur leur principe. En 2017, traçant les perspectives dans son document intitulé <a href="https://www.oecd.org/fr/innovation/47747305.pdf#page=16"><em>Des politiques meilleures pour une vie meilleure</em></a>, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) écrivait :</p>
<blockquote>
<p>« L’assainissement budgétaire – le processus indispensable consistant à retrouver la maîtrise des budgets publics – implique des choix politiques difficiles concernant les dépenses et les recettes publiques. Cela signifie passer en revue les systèmes de protection sociale pour éviter les gaspillages et renforcer les incitations à travailler, et réduire les salaires des fonctionnaires. »</p>
</blockquote>
<p>Ayant étudié les redressements budgétaires de 24 pays entre 1978 à 2002 dans ses « <em><a href="https://www.oecd-ilibrary.org/economics/data/perspectives-economiques-de-l-ocde-statistiques-et-projections/perspectives-economiques-de-l-ocde-no-78_data-00088-fr">perspectives économiques</a></em> » de 2005, soit 85 périodes d’assainissement, l’OCDE constatait la chose suivante : si, en général, l’assainissement ralentit la croissance à court terme, elle se redresse assez vite tandis que la croissance de long terme s’améliore. Deux cas sont particulièrement mis en avant dans l’étude : le Danemark entre 1983 et 1986 et l’Irlande en 1987 pour lesquels l’assainissement s’est même accompagné d’emblée d’une accélération de la croissance.</p>
<p>Une des raisons de leur réussite est que l’austérité a été associée à des mesures en faveur de l’investissement privé qui a pris le relais de la dépense publique. Cela fonctionne à trois conditions. D’abord, il faut éviter de pénaliser les entreprises en augmentant leurs impôts. Cela vaut même aujourd’hui au moment de faire de l’outil fiscal un vecteur privilégié de la transition écologique : on doit alléger leur fiscalité tout en la « verdissant ». Ensuite, il faut compter sur les effets ricardiens concernant les ménages dont la volonté de désépargne se manifestera dès qu’ils auront conscience des effets positifs de la politique suivie. Enfin, la volonté de mener une politique d’assainissement budgétaire doit être suffisamment claire pour que la double dynamique de l’investissement des entreprises et de la désépargne des ménages s’affirme pleinement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209076/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Marc Daniel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La dette publique ne semble pas stimuler la croissance alors qu’elle pèse sur les déficits extérieurs de la France et accentue pour partie les inégalités.Jean-Marc Daniel, Emeritus associate Professor, Law Economics & Humanities, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2063072023-05-31T16:21:52Z2023-05-31T16:21:52ZUne taxe mondiale sur les transactions financières pourrait rapporter jusqu’à 400 milliards d’euros par an<p>Aux dires d'Emmanuel Macron, le <a href="https://nouveaupactefinancier.org/">Sommet pour un nouveau pacte financier mondial</a> s'est achevé vendredi 23 juin sur « <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/crise-climatique/direct-nouveau-pacte-financier-mondial-les-dirigeants-et-chefs-d-etat-presentent-leurs-conclusions-suivez-la-cloture-du-sommet_5904248.html">consensus complet</a> » pour « réformer en profondeur » le système financier mondial, trouver des moyens pour mieux accompagner les pays en développement dans la gestion de leur dette et intégrer davantage les enjeux climatiques. Parmi les <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/l-entretien/20230623-exclusif-suivez-en-direct-l-interview-d-emmanuel-macron-sur-france-24">outils évoqués</a> par le président de la République pour financer lutte contre la pauvreté et transition verte, on retrouve l'idée d'une taxe sur les billets d'avion, sur le transport maritime ou encore sur les transactions financières (TTF) </p>
<p>Cette dernière présente les atouts qui font un bon impôt : la TTF a peu d’impact sur la croissance (peu distorsive), les recettes fiscales sont potentiellement élevées et les frais de recouvrement minimes ; elle a en outre un effet redistributif. La généralisation des taxes française ou britannique existantes aurait ainsi des effets limités sur la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/finance-20382">finance</a> mondiale. Intégrer dans l’assiette le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/trading-haute-frequence-34668">trading haute fréquence</a> (qui consiste à passer une multitude d’ordres en un temps record à partir d’algorithmes et d’ordinateurs surpuissants), aujourd’hui exclu, pourrait également considérablement augmenter les recettes, tout en améliorant la transparence des marchés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1672139423864225793"}"></div></p>
<p>« Taxe Tobin », « Taxe Robin des bois » ou « TTF », quel que soit le nom qu’on lui donne, l’idée de taxer les transactions financières est très populaire, et son principe est simple : étant donné l’ampleur considérable des transactions réalisées sur les marchés financiers, il suffirait d’appliquer une microtaxe, à taux extrêmement faible, pour lever des recettes fiscales importantes, sans qu’il n’y ait d’incidences fâcheuses sur le fonctionnement des marchés ni sur l’économie. Une assiette large et un taux faible, deux ingrédients généralement attrayants. En outre, les partisans de la TTF y voient un moyen de freiner la spéculation à court terme.</p>
<p>Au Royaume-Uni, les transactions boursières sont taxées depuis le XVII<sup>e</sup> siècle. Plus de trois siècles après sa création, le <em>stamp duty</em> (droit de timbre) fait figure de modèle. En pratique, le Trésor britannique prélève une taxe de 0,5 % sur les achats d’actions émises par les sociétés britanniques, ce qui rapporte environ 4 milliards d’euros chaque année – sans que le développement de La City n’ait été entravé. Pratiquement tous les pays développés y ont eu recours, et encore aujourd’hui plus d’une trentaine de pays dans le monde taxent les transactions financières, parmi lesquels la Suisse, Hongkong ou Taïwan, ainsi que la France.</p>
<p>En France, la TTF a été (ré)introduite en août 2012. Cette taxe vise principalement les échanges d’actions, ou assimilés, des entreprises dont le siège social est situé en France et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000025509658">dont la capitalisation boursière dépasse 1 milliard d’euros</a>. Son taux est de 0,3 % ; le taux était initialement de 0,1 %, mais a été doublé avant sa mise en application en 2012, avant d’être augmenté de nouveau en 2017. Une centaine de sociétés sont assujetties.</p>
<h2>Jusqu'à 405 milliards d'euros par an</h2>
<p>Combien pourrait rapporter une TTF au niveau de la zone euro, de l’Europe, voire du monde ? Dans une récente note, <a href="https://centredeconomiesorbonne.cnrs.fr/gunther-capelle-blancard-la-taxation-des-transactions-financieres-une-estimation-des-recettes-fiscales-mondiales/">nous examinons deux scénarios</a>, selon que la TTF ne porte que sur les transferts de propriété (comme le <em>stamp duty</em> britannique ou la TTF française) ou inclut toutes les transactions (dont le trading haute fréquence), et pour chacun de ces scénarios, nous examinons deux taux : 0,3 % (comme en France) et 0,5 % (comme au Royaume-Uni). On fait par ailleurs l’hypothèse que les deux tiers des transactions sont intrajournalières, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. On suppose également que si la TTF est étendue à ces transactions intrajournalières, alors le volume de transactions sera réduit de moitié. Nous limitons également au cas des actions (les obligations, les dérivés, les changes sont donc exclus).</p>
<p><strong>Scénario 1</strong>. Si la TTF française était généralisée (avec un taux de 0,3 %), les recettes fiscales annuelles seraient de 17 milliards d’euros pour l’UE27, 26 milliards pour l’Europe, 86 milliards pour l’Amérique du Nord, 48 milliards pour l’Asie-Pacifique. Au niveau mondial, les recettes totales pourraient s’élever à 162 milliards d’euros par an, dont 65 % pour le G7, 22 % pour les BRICS et 96 % pour le G20. Si le <em>stamp duty</em> britannique était généralisé (avec un taux de 0,5 %), les recettes fiscales annuelles seraient de 29 milliards d’euros pour l’UE-27, 44 milliards pour l’Europe, 143 milliards pour l’Amérique du Nord, 80 milliards pour l’Asie-Pacifique, pour un total au niveau mondial de 270 milliards d’euros. Les estimations sont ici très prudentes et ne posent guère de problème, puisqu’il s’agit juste de connaître le montant des transactions, les autres paramètres étant bien connus.</p>
<p><strong>Scénario 2.</strong> Si on étendait la TTF aux transactions intrajournalières, en supposant une baisse des volumes de 50 %, les recettes fiscales pourraient s’élever entre 243 et 405 milliards d’euros par an (pour un taux de 0,3 % et de 0,5 %, respectivement). L’estimation est ici beaucoup plus délicate puisqu’on ignore quel serait l’effet d’une taxe sur le volume du trading haute-fréquence.</p>
<p><iframe id="SC5XI" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/SC5XI/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Des réticences, malgré une très forte hausse des transactions</h2>
<p>Depuis 2012, chaque année ou presque, l’élargissement de la TTF fait l’objet de débats au parlement. Pour rappel, elle ne s’applique qu’au transfert de propriété et les opérations intrajournalières, qui recouvrent notamment les activités de trading haute fréquence, sont exclues de l’assiette. L’entrée en vigueur de cette extension aux transactions intrajournalières avait été adoptée puis reportée, du 1<sup>er</sup> janvier 2017 au 1<sup>er</sup> janvier 2018. Entre-temps, le gouvernement issu des élections présidentielles de 2017 a préféré <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/exclusif-emmanuel-macron-l-europe-et-la-france-indispensables-l-un-l-autre-5130477">revenir sur cet élargissement</a> autant, semble-t-il, pour favoriser la compétitivité de la place financière de Paris post-Brexit, que pour éviter tout risque juridique.</p>
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<p>La TTF a également du mal à s’imposer dans d’autres pays. La Commission européenne avait présenté un ambitieux projet en 2011. Celui-ci avait suscité pas mal d’enthousiasme, mais, après des années d’âpres débats <a href="https://theconversation.com/taxe-sur-les-transactions-financieres-des-concessions-pour-relancer-le-projet-europeen-108284">il n’a toujours pas abouti</a>. Ce projet a été conçu pour s’adapter efficacement à la mondialisation financière et limiter les délocalisations, mais il se heurte au manque de coopération des États en matière fiscale.</p>
<p>Dans leur ensemble, les économistes se sont <a href="https://www.project-syndicate.org/commentary/the-wrong-tax-for-europe-2011-10">plutôt réticents</a> à l’idée d’imposer une taxe sur les transactions, que ce soit sur les changes ou les actions, la jugeant bien souvent contre-productive. L’argument le plus souvent avancé est qu’en augmentant les coûts de transaction, la TTF pourrait nuire à la liquidité des marchés, et ainsi provoquer une augmentation de la volatilité. Or, les études d’impact menées dans les pays où une TTF existe (ou a existé) révèlent que la taxe est <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1057521916301120">sans conséquence sur la liquidité des actions ou la volatilité</a> ; au mieux, les effets ne sont pas robustes. En France, l’augmentation du taux d’imposition en 2017 (de 0,2 % à 0,3 %) n’a pas eu, non plus, d’impact significatif.</p>
<h2>Un nouveau souffle pour la fiscalité</h2>
<p>Surtout, la taxe doit être mise en perspective avec l’essor considérable des transactions que l’on observe avec la libéralisation financière depuis la fin des années 1970. Au niveau mondial, tandis que le PIB a été multiplié par 15 et la capitalisation boursière par 50, le montant des transactions boursières a été multiplié par plus de 500 ! En cinquante ans, le rapport du montant total des transactions boursières sur le PIB est passé de 5 % à 200 %. Ces ratios sont des ordres de grandeur car il est devenu très difficile aujourd’hui, avec le développement des multiples plates-formes de trading de mesurer le montant total des transactions.</p>
<p><iframe id="NaP0f" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/NaP0f/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>À l’heure où les gouvernements cherchent à financer la lutte contre le changement climatique ou à l’aide au développement, la TTF apparaît donc comme un levier fiscal de choix. La TTF est aujourd'hui une source de revenus non négligeable pour de nombreux pays : 1,5 milliard d’euros en Suisse, près de 5 milliards d’euros au Royaume-Uni, et plus de 7 milliards d’euros en Corée du Sud, à Hongkong, ou à Taïwan ! En France, les recettes fiscales sont de près de 2 milliards d’euros.</p>
<p>En Europe, les débats sur le projet de TTF portent justement aujourd’hui sur la prise en compte des transactions intrajournalières, qui représentent la très grande majorité des volumes aujourd’hui, mais qui sont exemptées par les taxes en vigueur. Et non sans raison, quand on considère la manne fiscale qu’elles représentent. Toutefois, au-delà de la somme, il s’agit aussi, avec les avancées de la TTF, de réaffirmer la volonté de réformer le système financier, d’abandonner le dogme de l’efficience des marchés, et de <a href="http://www.amf-france.org/Publications/Lettres-et-cahiers/Revue-du-Conseil-scientifique/">donner un nouveau souffle</a> à la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fiscalite-23513">fiscalité</a> dans un monde globalisé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206307/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gunther Capelle-Blancard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La généralisation des modèles fiscaux français et britannique ainsi que la taxation des activités de trading haute fréquence génèreraient d’importantes ressources financières pour les États.Gunther Capelle-Blancard, Professeur d'économie (Centre d'Economie de la Sorbonne et Paris School of Business), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2048572023-05-03T20:48:18Z2023-05-03T20:48:18ZBaisse de l’impôt sur les sociétés : comment les entreprises ont pu doublement en profiter<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/523844/original/file-20230502-26-tiee4b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C1278%2C843&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Anticipant les baisses d’impôts annoncés par le législateur, des entreprises ont su décaler leur déclaration vers les années plus avantageuses.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/calculatrice-calcul-assurance-1044172/">Steve Buissinne / Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Dans les périodes d’incertitude comme celle que nous vivons actuellement – après la pandémie, la crise énergétique, l’inflation et la guerre en Ukraine – les gouvernements envisagent différentes politiques pour aider les entreprises à poursuivre leurs activités. L’une des mesures couramment envisagées par les gouvernements est la réduction de l’impôt sur le revenu des sociétés, dans le but d’aider les entreprises et, ainsi, de stimuler l’économie.</p>
<p>La loi de finances française pour 2018 a ainsi mis en place des avantages fiscaux pour les entreprises qui ont bénéficié de <a href="https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/global/Documents/Tax/dttl-tax-alert-france-28-september-2017.pdf">réductions progressives de l’impôt sur les sociétés</a> afin de stimuler leurs investissements. So taux a évolué de <a href="https://www.legifiscal.fr/actualites-fiscales/1732-2018-is-28-500000-benefices.html">33 % en 2017 à 25 % en 2022</a>. Cette mesure pourrait expliquer une <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5418035">progression des investissements</a> en France, participant d’une reprise de la croissance du PIB de 7 % en 2021 après les confinements. C’est en tout cas souvent de cette façon que se justifient des réformes fiscales : des taux d’imposition plus bas peuvent libérer des ressources qui pourraient être utilisées pour <a href="https://www.jstor.org/stable/1818123">accroître l’investissement</a> des entreprises. Le <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/baisse-dimpots-les-profits-des-entreprises-taxes-a-25-en-2022-1348495">document</a> présenté au conseil des ministres indiquait alors de fait :</p>
<blockquote>
<p>« Cette réforme […] améliore la compétitivité des entreprises en général et bénéficie en particulier aux entreprises de taille intermédiaire du secteur industriel ».</p>
</blockquote>
<p>Des <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w4171/w4171.pdf">études antérieures</a> ont cependant montré que les entreprises profitent parfois des réformes fiscales qui réduisent les taux d’imposition des sociétés par le biais d’une pratique connue sous le nom de « transfert intertemporel de revenus ». Cette stratégie vise à transférer le revenu imposable de la période où le taux d’imposition est le plus élevé vers la période où le taux d’imposition est le plus faible, afin de réaliser des économies.</p>
<h2>Une stratégie fiscale effectivement employée</h2>
<p>Voyons cela à l’aide d’un exemple. Imaginons qu’une entreprise française ait un revenu imposable de 400 000 euros en 2017 et le même en 2018. Le taux d’imposition étant de 33 % en 2017 et de 28 % en 2018 pour cette somme, la dette fiscale totale de l’entreprise pour ces deux années serait de 132 000 + 112 000) = 244 000 euros.</p>
<p>Si cette société, en utilisant des stratégies fiscales, transfère 100.000 euros de revenus de 2017 à 2018, son revenu imposable deviendra 300 000 en 2017 et 500 000 en 2018. Ainsi, l’impôt total à payer par la société pour ces deux années serait de (100 000 + 140 000) = 240 000 euros. On voit comment, en transférant une partie de ses revenus, l’entreprise a réalisé une économie d’impôt de 4 000 euros.</p>
<p>Certes, le montant ne semble pas gigantesque. Les chiffres ont ici été retenus car différentes tranches d’imposition s’appliquaient au-delà de 500 000 euros, rendant le calcul plus complexe. Gardons néanmoins en tête que c’est tout de même près de 2 % d’économie d’impôts réalisée, et que cette stratégie a pu être déployée sur plusieurs années de baisses successives entre 2017 et 2022 par des entreprises aux bénéfices qui se chiffrent en millions.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<hr>
<p>Récemment, nous avons mené une <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3581685">étude</a> visant à déterminer si les entreprises non cotées d’un pays voisin, l’Espagne, qui a connu une réforme fiscale réduisant les taux d’imposition des sociétés, étaient, dans les faits, impliquées dans de telles stratégies. Les résultats empiriques ont confirmé que les entreprises non cotées ont utilisé la réforme fiscale pour mettre en œuvre des transferts intertemporels de revenus afin d’obtenir davantage d’économies d’impôts.</p>
<p>Les sommes correspondent en moyenne à 0,685 % des actifs totaux. Nos résultats indiquent également que les entreprises qui y ont eu recours ont utilisé les économies d’impôt pour augmenter les investissements dans l’emploi. Enfin, nous constatons également que ces investissements supplémentaires ont permis aux entreprises de conserver la main-d’œuvre nécessaire pour soutenir la croissance attendue de l’activité.</p>
<h2>Comment capter le manque à gagner ?</h2>
<p>Même si nos conclusions empiriques suggèrent que, à première vue, l’objectif de la réforme fiscale semble atteint, cela passe aussi par des mécanismes indirects. Les économies d’impôts supplémentaires, ne l’oublions pas, se font au prix d’une baisse supplémentaire de la collecte de recettes par le Trésor.</p>
<p><iframe id="YerGG" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/YerGG/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Récemment, une <a href="https://www.oecd.org/tax/tax-policy/corporate-tax-statistics-fourth-edition.pdf">étude</a> publiée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a montré que la part des recettes de l’impôt sur les sociétés dans les recettes fiscales totales était de 15 % en moyenne dans 115 pays contre à peine 6 % en France. Ces chiffres sont respectivement de 3 % et 2.5 % si l’on rapporte au PIB. Cela indique que, dans l’Hexagone, seule une petite partie des recettes provient de l’impôt sur les sociétés par rapport aux autres pays de l’OCDE.</p>
<p>La France n’est pourtant pas l’un des pays où le taux d’imposition des sociétés est le plus faible. La raison de ces écarts est que le gouvernement français tire davantage de recettes fiscales d’autres types d’impôts (TVA et impôt sur le revenu en tête) que de l’impôt sur les sociétés.</p>
<p>Par conséquent, même si une réduction du taux de l’impôt sur les sociétés peut être utile en période d’incertitude car les entreprises peuvent disposer de plus de liquidités pour des investissements efficaces, les autorités fiscales devraient prévenir les comportements de planification fiscale en accordant, par exemple, des avantages aux entreprises ayant des opportunités d’investissement ou en mettant en place un ensemble de contrôles tels que des audits fiscaux plus aléatoires, pour tenter de tromper le comportement cité. De cette manière, les entreprises seront moins motivées à transférer les revenus dans le temps afin d’accéder à des flux de trésorerie supplémentaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204857/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Non seulement elles ont pu bénéficier d’un taux plus avantageux, mais aussi, elles ont su mettre en place des stratégies de planification pour décaler des déclarations de revenus.Cinthia Valle Ruiz, Assistant Professor of Accounting and Tax, IÉSEG School of ManagementDomenico Campa, Associate Professor of Accounting, International University of MonacoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2045822023-05-02T20:22:46Z2023-05-02T20:22:46ZPartage de la valeur : faut-il taxer les rachats d’actions ?<p>Lors de son <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/rachats-dactions-le-patronat-entre-agacement-et-soulagement-apres-lannonce-demmanuel-macron-1918598">allocution du 22 mars dernier</a>, le président de la République Emmanuel Macron a évoqué la mise en place d’une contribution exceptionnelle imposée aux grands groupes qui procéderaient à des rachats d’actions, de plus en plus fréquents dans les <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/les-rachats-dactions-se-sont-envoles-en-france-lannee-derniere-1918329">grandes sociétés cotées</a> aux États-Unis et désormais en France.</p>
<p>Outre-Atlantique, le président Joe Biden souhaite également taxer ce type d’opération, qui consiste, pour une entreprise, à racheter ses propres parts aux actionnaires, tandis que l’investisseur et milliardaire américain <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/warren-buffett-prend-le-contrepied-de-la-maison-blanche-sur-les-rachats-dactions-1910105">Warren Buffet</a> considère que ce projet relève de la démagogie. Qui a raison ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1638597168717082624"}"></div></p>
<p>Sur un plan politique, taxer les rachats d’actions peut s’avérer payant car attaquer les actionnaires et les grandes entreprises est toujours populaire. Sur un plan économique pourtant, rendre plus coûteuses les distributions aux actionnaires aurait des conséquences néfastes. En effet, la taxation des rachats d’actions semble être une mauvaise réponse à une bonne question : l’amélioration du partage de la valeur entre <a href="https://theconversation.com/fr/topics/actionnariat-24609">actionnaires</a> et salariés.</p>
<h2>Corrélation n’est pas causalité</h2>
<p>Les rachats d’actions et les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/dividendes-46099">dividendes</a> sont l’objet de croyances infondées parmi les plus tenaces sur la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/finance-20382">finance</a>, croyances que j’ai confrontées aux contributions de la recherche dans mon livre <a href="https://www.puf.com/content/Cest_la_faute_des_actionnaires"><em>C’est la faute des actionnaires ! Fausses croyances et vrais débats</em></a> (Presses universitaires de France, 2023). Selon la doxa, les rachats d’actions viseraient à enrichir les actionnaires et à faire monter les cours de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/bourse-25542">bourse</a>, nuiraient à l’investissement et seraient une manifestation du court-termisme généralisé qui prévaut sur les marchés financiers. Ce qui ne se vérifie pas dans les faits.</p>
<p>En effet, contrairement aux apparences, les rachats d’actions n’enrichissent pas les actionnaires. C’est le principal moyen, avec le dividende, de leur distribuer des liquidités. Contrairement à une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/jofi.12785">croyance tenace</a>, ces distributions ne les enrichissent pas car distribuer des liquidités entraîne une baisse de la valeur de l’entreprise : l’actionnaire perd d’un côté ce qu’il gagne de l’autre.</p>
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<figcaption><span class="caption">Michel Albouy : pourquoi les dividendes n’enrichissent pas les actionnaires. (Xerfi Canal, 2019).</span></figcaption>
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<p>Prenons l’exemple d’une entreprise, détenue à égalité par trois actionnaires, qui opère une activité valant 8 millions d’euros et détient en plus 4 millions d’euros de liquidités. La valeur totale est donc de 12 millions d’euros, soit 4 millions par actionnaire. Imaginons qu’un actionnaire souhaite vendre ses parts et que l’entreprise les lui rachète. Que se passe-t-il ? Il reçoit 4 millions d’euros de liquidités mais n’a plus d’actions. Ses deux associés possèdent alors 50 % chacun d’une entreprise qui vaut maintenant 8 millions. Personne ne s’est ni enrichi ni appauvri. L’opération n’est donc nuisible pour personne tant que l’entreprise conserve une structure financière saine.</p>
<p>La recherche indique que l’effet des rachats d’actions sur le cours des sociétés cotées est en moyenne <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0378426614001435">faiblement positif et peu durable</a>. Il ne résulte pas, en général, du rachat en tant que tel mais d’autres facteurs comme le signal envoyé : l’annonce d’un rachat indique que les dirigeants sont confiants dans l’avenir ou que le cours actuel est sous-évalué, ce qui rassure les investisseurs.</p>
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<p>On lit souvent qu’un rachat d’actions fait mécaniquement monter le cours de bourse car il entraîne une hausse du bénéfice par action (BPA). Pourtant cette explication, souvent présentée comme une évidence, ne tient pas la route comme l’explique un récent numéro (148) de la <a href="http://www.vernimmen.com/Read/Vernimmen_letter.php">lettre Vernimmen</a> destinée aux professionnels et aux étudiants en finance. En effet, corrélation n’est pas causalité ! Les entreprises rachètent leurs actions lorsqu’elles sont en bonne santé, pas lorsqu’elles sont en difficulté. Observer simultanément un rachat d’actions et une hausse du cours n’indique pas que le premier a causé la seconde mais, simplement, que l’entreprise va bien.</p>
<p>La volonté de taxer les rachats d’actions repose sur une autre croyance très répandue : ils nuiraient également à l’investissement. Une telle causalité n’est pourtant nullement confirmée par la recherche, bien au contraire !</p>
<h2>Des entreprises solides et rentables</h2>
<p>Comme le montrent les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304405X05000528">enquêtes sur grand échantillon</a>, la grande majorité des chefs d’entreprise n’ont recours aux rachats d’actions que lorsqu’un surplus de liquidités est disponible <em>après</em> que les investissements aient été financés, pas avant. La décision financière (racheter des actions) vient après la décision industrielle (investir pour préparer l’avenir). La recherche montre que ce sont surtout les entreprises qui ont des <a href="https://www.jstor.org/stable/10.1086/209646">excès de liquidités</a> et peu d’opportunités d’investissements rentables qui rachètent leurs actions.</p>
<p>Ceci est cohérent avec la théorie financière, qui indique que la valeur d’une entreprise est déterminée par ses perspectives de bénéfice à long terme, lesquelles dépendent des investissements qu’elle engage pour rester compétitive. Dans une économie de concurrence, un actionnaire qui incite une entreprise à sous-investir pour accroître sa rémunération se tire une balle dans le pied car la performance et la valeur de l’entreprise baisseront.</p>
<p>De plus, les grandes entreprises visées par les projets de taxation des rachats d’actions sont le plus souvent solides et rentables. Ces sociétés peuvent en général investir tout en réalisant des distributions régulières à leurs actionnaires. Comment expliquer, sinon, les performances industrielles que réalisent depuis des décennies des sociétés du CAC 40 comme Air Liquide, Essilor Luxottica ou L’Oréal sur les marchés mondiaux ? Peut-on sérieusement soutenir qu’elles sous-investissent ?</p>
<p>Enfin, il convient d’élargir la perspective au-delà des seules entreprises qui font des distributions à leurs actionnaires. Les rachats d’actions, comme les dividendes, favorisent l’investissement en permettant la réallocation du capital vers les entreprises jeunes et en croissance car ils sont le plus souvent <a href="https://hbr.org/2017/09/the-case-for-stock-buybacks">réinvestis par les actionnaires</a>.</p>
<p>Les start-up, petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) en croissance ont besoin de lever des capitaux pour financer leur développement. Elles le font sur les marchés du non coté ou en bourse. Des sociétés comme Eurofins Scientific (bioanalyse), Neoen (énergies renouvelables) ou Soitec (semi-conducteurs) ont pu brillamment réussir grâce à des actionnaires qui leur ont fait confiance, ce qui a profité à leurs salariés et à l’économie française.</p>
<p>Pourquoi vouloir dissuader les grands groupes qui dégagent des surplus de distribuer leurs liquidités alors que d’autres entreprises en ont besoin pour croître et innover et que les distributions aux actionnaires permettent cette réallocation ?</p>
<h2>C’est le profit qui enrichit les actionnaires</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/523030/original/file-20230426-14-njuul9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/523030/original/file-20230426-14-njuul9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523030/original/file-20230426-14-njuul9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=954&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523030/original/file-20230426-14-njuul9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=954&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523030/original/file-20230426-14-njuul9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=954&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523030/original/file-20230426-14-njuul9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1199&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523030/original/file-20230426-14-njuul9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1199&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523030/original/file-20230426-14-njuul9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1199&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.puf.com/content/Cest_la_faute_des_actionnaires">Éditions PUF</a></span>
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<p>Les rachats d’actions sont souvent présentés comme une manifestation du court-termisme généralisé qui prévaudrait sur les marchés financiers. Selon cette vision les actionnaires, avides, auraient pour obsession de <a href="https://www.oxfamfrance.org/communiques-de-presse/profits-record-du-cac40-plus-des-deux-tiers-des-benefices-ont-ete-reverses-aux-actionnaires-depuis-2009/">priver les entreprises de leurs liquidités</a> pour se rémunérer, les empêchant d’investir et les rendant plus fragiles. Ce court-termisme n’est pourtant pas avéré, comme l’indique le récent <a href="https://global.oup.com/academic/product/missing-the-target-9780197625620?cc=us&lang=en&">ouvrage</a> de Mark Roe, professeur à Harvard, qui synthétise la recherche académique sur le sujet. Il devrait conduire, entre autres, à une baisse tendancielle des investissements et des liquidités des entreprises, ce qu’infirment les observations.</p>
<p>Focaliser le débat relatif au partage de la valeur sur les distributions aux actionnaires repose sur une erreur d’analyse : c’est seulement le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/profit-33648">profit</a>, mesuré par le bénéfice, qui enrichit les actionnaires, pas les dividendes ou les rachats d’actions. Il existe en France des mécanismes de partage du profit efficaces : participation, intéressement et plans d’actionnariat salarié. Les négociations entre partenaires sociaux, à l’initiative du gouvernement, ont abouti le 10 février dernier à des <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/epargne-salariale-laccord-sur-le-partage-de-la-valeur-signe-par-quatre-syndicats-sur-cinq-1910402">propositions</a> signées par une majorité de syndicats.</p>
<p>Outre une simplification des mécanismes existants, l’accord les élargirait aux employeurs de 11 à 49 salariés qui font des bénéfices et instaurerait l’obligation de négocier un dispositif de partage en cas de superprofit. Espérons que cet accord sera transcrit prochainement dans la loi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204582/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Bonnet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La recherche montre que les arguments en faveur d’un alourdissement de la fiscalité lorsque les entreprises rachètent leurs propres parts reposent sur plusieurs idées reçues.Christophe Bonnet, Professeur de finance, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2043842023-04-25T22:49:32Z2023-04-25T22:49:32ZLa réforme des retraites, un court répit pour les finances publiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/522573/original/file-20230424-23-xm8aau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=62%2C5%2C1113%2C792&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des hausses d’impôt sont-elles à prévoir&nbsp;?
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/129231073@N06/27734592992">Fred Romero/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Après une longue séquence de manifestations très majoritairement soutenue par la population et un parcours législatif particulièrement chaotique, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/reforme-des-retraites-82342">réforme des retraites</a> a été validée dans ses grandes lignes le 14 avril 2023 <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/loi-de-financement-rectificative-de-la-securite-sociale-pour-2023">par le Conseil constitutionnel</a>.</p>
<p>Le Conseil a d’abord jugé que le recours à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) n’était pas subordonné à l’urgence, à des circonstances exceptionnelles ou à un déséquilibre majeur des comptes sociaux. Sur le fond, concernant la mesure-phare du texte, le recul de l’âge légal de 62 ans à 64 ans, le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conseil-constitutionnel-25234">Conseil constitutionnel</a> a rappelé qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu assurer l’équilibre financier du système de retraite par répartition pour en garantir la pérennité.</p>
<p>Les « sages » de la rue de Montpensier ont également estimé que la réforme permettait des retraites anticipées pour les carrières longues, les personnes en incapacité au travail ou encore les travailleurs handicapés. Des mesures qui vont légèrement limiter la réponse au besoin de financement du système social français qui constituait l’un des objectifs de la réforme. Le président de la République, Emmanuel Macron, avait ainsi évoqué des « <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/03/16/reforme-des-retraites-macron-invoque-des-risques-financiers-trop-grands-pour-justifier-le-49.3_6165798_823448.html">risques financiers trop grands</a> » pour justifier le recours au 49.3 mi-mars.</p>
<h2>Une réforme un peu plus équitable que le projet initial</h2>
<p>Preuve de l’utilité du travail parlementaire, les débats des deux assemblées ont permis d’amender le projet de loi vers un peu plus d’équité sans trop en perturber l’équilibre financier global. Ainsi la revalorisation des petites retraites s’appliquera non seulement aux nouveaux retraités mais également à tous les retraités actuels qui ont eu une carrière complète. Un retraité qui a travaillé au smic toute sa vie touchera donc une pension de près de 1 200 euros brut, soit 85 % du salaire minimum net (sachant qu’aux environs du smic il n’y a <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A15517">pas ou peu de différence entre le brut et le net</a>). Selon le Sénat, <a href="https://www.senat.fr/rap/l22-375/l22-3751.pdf">1,8 million de retraités</a>, dont 60 % de femmes, bénéficieront d’une majoration pour un gain mensuel moyen de 33 euros. Parmi ceux-ci 125 000 retraités obtiendront une hausse de 100 euros par mois.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/retraites-lallongement-de-la-duree-du-travail-la-moins-mauvaise-des-solutions-198519">Retraites : l’allongement de la durée du travail, la moins mauvaise des solutions ?</a>
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<p>L’amélioration la plus significative par rapport au projet initial concerne les carrières longues. Celles et ceux qui auront commencé à travailler avant 16 ans pourront partir à taux plein dès 58 ans, à 60 ans pour un début de carrière entre 16 et 18 ans et à 62 ans entre 18 et 20 ans.</p>
<p>Quant aux personnes handicapées, elles pourront désormais solder leur retraite à 55 ans à taux plein dès que leur taux de handicap dépasse les 50 % (<a href="https://www.faire-face.fr/2023/03/21/reforme-retraites-peu-changements-travailleurs-handicapes/">contre 80 % actuellement</a>). Les personnes invalides ou inaptes pourront toujours partir à 62 ans voire à 50 ans pour celles qui ont été reconnues exposées à l’amiante.</p>
<p>Au nom de la politique familiale, la majoration de pension pour familles nombreuses d’au moins trois enfants est étendue aux professions libérales et les mères qui auront atteint la durée de cotisation nécessaire pour partir à taux plein dès 63 ans bénéficieront après cet âge d’une surcote pouvant aller jusqu’à 5 %.</p>
<h2>Des inégalités persistantes selon les secteurs</h2>
<p>Après cette réforme, la classe politique bénéficie toujours d’avantages exorbitants du droit commun. Même si leur régime est depuis 2018 aligné sur celui des fonctionnaires, les députés continueront de bénéficier d’un <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/folder/les-deputes/le-statut-des-deputes/la-remuneration-des-deputes2">droit à une pension mensuelle de 684 euros net</a> pour chaque mandat de 5 ans. Quant au président de la République, il touche dès la fin de son mandat une pension d’<a href="https://www.lopinion.fr/politique/retraite-macron-na-toujours-pas-mis-fin-au-privilege-presidentiel">environ 5 200 euros net mensuels</a>. Mais l’inéquité la plus extravagante est sans conteste la retraite des sénateurs qui reste une oasis intouchable. Leur régime est d’ailleurs tellement opaque que même les concernés <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/220323/retraite-secrete-des-senateurs-gerard-larcher-ne-lache-toujours-rien">ne peuvent en connaître les règles de calcul</a>.</p>
<p>D’autres corporations bénéficient également de régimes de faveur. C’est le cas du transport aérien, les contrôleurs aériens et les personnels navigants des compagnies aériennes ayant <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/comment-le-gouvernement-a-lache-sur-les-retraites-dans-le-transport-aerien-pour-assurer-la-paix-sociale-1922050">obtenu des garanties gouvernementales en amont de la réforme</a>. Si les régimes spéciaux les plus importants (RATP, Industries électriques et gazières) sont désormais mis en extinction, les salariés embauchés avant le 1<sup>er</sup> septembre 2023 conserveront leurs avantages.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/regimes-speciaux-quel-cout-pour-letat-128826">Régimes spéciaux : quel coût pour l’État ?</a>
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<p>Enfin les transporteurs routiers garderont jusqu’en 2030 leur congé de fin d’activité permettant de cesser le travail cinq ans avant l’âge légal en conservant de 80 à 100 % de leur salaire, pour un coût de <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/retraites-comment-le-gouvernement-a-evite-les-blocages-massifs-de-chauffeurs-routiers-1914033">l’ordre de 1 milliard d’euros par an</a>.</p>
<h2>Pas de forte réduction du déficit public</h2>
<p>Au bilan, selon l’analyse de l’Institut Rexecode publiée le 18 avril 2023, l’allongement de la durée du travail et l’accélération de la réforme de 2014 devraient réduire les dépenses des régimes de retraite de <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/retraites-comment-le-gouvernement-a-evite-les-blocages-massifs-de-chauffeurs-routiers-1914033">14 milliards d’euros en 2030</a> et les mesures d’exemption et d’accompagnement coûter 7 milliards, soit une économie d’environ 7 milliards d’euros. Le surplus de recettes pouvant être estimé à 6 milliards, l’effet de la réforme serait donc de 13 milliards d’euros en 2030, soit 0,4 % du PIB, ce qui assurerait à peu près l’équilibre du système.</p>
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<p>La réforme des retraites améliorera également les recettes publiques d’environ 18 milliards d’euros soit, après prise en compte de moindres dépenses de retraite de 4 milliards, une réduction du déficit de 22 milliards en 2030 ou 0,6 % du PIB. Cette économie reste toutefois très insuffisante pour réduire significativement le déficit structurel actuellement à 5 % du PIB soit <a href="https://theconversation.com/letrange-estimation-gouvernementale-du-deficit-structurel-francais-en-2020-155089">l’un des niveaux plus élevés en Europe</a>.</p>
<h2>Inévitables hausses d’impôts à venir ?</h2>
<p>Dans ces conditions, les prochains gouvernements vont devoir à la fois limiter les dépenses publiques et trouver de nouveaux prélèvements obligatoires pour faire fondre le déficit. La piste la plus vraisemblable est celle de la réduction des niches fiscales illégitimes à commencer par celle des retraités qui n’ont pas été mis à contribution avec cette réforme alors même que <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4922950">leur niveau de vie est supérieur à celui des actifs</a>.</p>
<p>Le relèvement de la CSG sur les pensions les plus élevées semble inévitable pour faire cesser l’injustice permettant à un retraité touchant une pension de 5 000 euros ou plus par mois de n’acquitter que 8,3 % de CSG alors qu’un salarié au smic verse 9,2 %. L’abattement pour frais professionnels (sic) de 10 % sur les pensions plafonné à 4 123 euros par foyer en 2022 est également une niche qui coûte 4,2 milliards d’euros par an à l’État, par nature régressive puisqu’elle ne profite qu’aux foyers imposables, et sans aucune légitimité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-est-il-si-difficile-de-reformer-les-niches-fiscales-191801">Pourquoi est-il si difficile de réformer les niches fiscales ?</a>
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<p>Enfin, les pensions des retraités fiscalement domiciliés hors de France qui échappent aux prélèvements sociaux (jusqu’à 10,1 % de la pension brute) pourraient voir leur cotisation d’assurance maladie (COTAM) actuellement de 3,2 % augmenter.</p>
<p>Concernant les actifs, déjà mis à contribution par la réforme, l’exonération fiscale et sociale des heures supplémentaires (environ 2 milliards de pertes de recettes publiques par an) dont la légitimité est plus que douteuse pourrait être remise en cause. Il en est de même de l’exonération des sommes versées au titre de la participation et de l’intéressement (également 2 milliards).</p>
<p>Quelles que soient les hypothèses démographiques et économiques, le maintien d’un très haut niveau de protection sociale voulu par les Français et qui se traduit toujours par l’espérance de vie en retraite la <a href="https://www.economist.com/graphic-detail/2023/03/27/retirement-has-become-much-longer-across-the-rich-world">plus élevée au monde</a> a un prix qu’il faudra bien payer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204384/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Pichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les nouvelles mesures devraient engendrer une réduction du déficit public de 0,6 % du PIB, bien loin des 5 % de déficit structurel qu’enregistre aujourd’hui la France.Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2039542023-04-18T15:36:49Z2023-04-18T15:36:49ZCumCum et CumEx : la perpétuelle transformation des techniques d’optimisation fiscale<p>L’optimisation fiscale est de nouveau au cœur de l’actualité à la suite des perquisitions, le 28 mars 2023, des banques Société Générale, BNP Paribas, Exane, Natixis et HSBC, soupçonnées de fraude fiscale aux dividendes, à la suite de la révélation en 2018 des <a href="https://www.lemonde.fr/long-format/article/2018/10/18/cumex-files-l-histoire-secrete-du-casse-du-si%C3%A8cle_5371029_5345421.html">« CumEx files »</a> par <em>Le Monde</em>, <em>Correctiv</em> et 17 rédactions européennes. La justice française enquête sur une pratique qui consiste à transférer temporairement la propriété des actions à un autre client résidant dans une juridiction à fiscalité réduite pour échapper à l’impôt sur les dividendes.</p>
<p>Cet épisode judiciaire fait suite à la déjà longue liste des scandales fiscaux internationaux, dont les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/luxleaks-20712">« LuxLeaks »</a> de 2014 ou les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/panama-papers-26373">« Panama Papers »</a> de 2016, et ce malgré la vigilance grandissante des médias, d’<a href="https://www.europe1.fr/economie/des-ong-denoncent-loptimisation-fiscale-des-banques-francaises-2694280">organisations non gouvernementales</a> (ONG), ainsi que le renforcement des règlements européens ou internationaux. Les entreprises du secteur numérique <a href="https://academie-des-sciences-commerciales.org/les-gafa-et-leur-strategie-doptimisation-fiscale/">notamment les Gafam</a> (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) restent ainsi régulièrement pointées du doigt pour leurs pratiques. Comme nous l’avons montré dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique-2018-4-page-399.htm">article</a> de recherche récent, l’adaptation des fiscalistes en la matière apparaît en effet sans limites.</p>
<h2>Un taux d’imposition effectif en baisse constante</h2>
<p>Ces dernières années, les montages fiscaux internationaux reposaient souvent sur le transfert d’actifs immatériels (brevets, marques, etc.), qui sont aisés à localiser juridiquement, dans les juridictions les plus avantageuses fiscalement. En 2016, le contentieux entre la Commission européenne et l’Irlande à propos de l’imposition sur les bénéfices réalisés par Apple en Europe avait par exemple fait apparaître que son taux d’imposition effectif pour 2014 <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/la-formule-magique-d-apple-pour-payer-0-005-d-impot-en-europe-1160006">avait été de 0,005 %</a>. </p>
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<p>Des ONG, des syndicats, des journalistes ont alors multiplié les initiatives pour sensibiliser l’opinion publique et les décideurs publics à la question de l’optimisation fiscale, à travers des rapports, des articles, des livres ou des documentaires. Ce changement de contexte s’est accompagné d’initiatives ambitieuses de réforme du cadre normatif applicable aux pratiques d’optimisation fiscale, émanant des <a href="https://press.un.org/fr/2022/ecosoc7073.doc.htm">Nations unies</a>, de la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32016L1164&from=FR">Commission européenne</a> ou encore de <a href="https://www.oecd.org/fr/fiscalite/beps/actions-beps.htm">l’Organisation de coopération et de développement économiques</a>.</p>
<p>Les décisions de ces institutions entrent progressivement en vigueur, mais elles ne sont pour le moment pas suivies par d’un réel reflux de l’optimisation fiscale. Comme nous le montrons dans notre étude, l’évolution moyenne des taux d’imposition effectifs (ETR = <em>effective tax rates</em>) sur 108 pays (2004-2017) continue à diminuer régulièrement. Il ne semble donc pas exister de phénomène de virage dans les pratiques d’optimisation fiscale des multinationales, ou alors celui-ci n’est pas encore observable. Le cas des « CumEx files » en apporte aujourd’hui une nouvelle illustration.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521336/original/file-20230417-24-mjbt48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Taux d’imposition effectif moyen en baisse dans 108 pays entre 2004 et 2017" src="https://images.theconversation.com/files/521336/original/file-20230417-24-mjbt48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521336/original/file-20230417-24-mjbt48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521336/original/file-20230417-24-mjbt48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521336/original/file-20230417-24-mjbt48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521336/original/file-20230417-24-mjbt48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521336/original/file-20230417-24-mjbt48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521336/original/file-20230417-24-mjbt48.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Taux d’imposition effectif moyen dans 108 pays entre 2004 et 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique-2018-4-page-399.htm">Auteurs</a></span>
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<p>Une fois de plus, nous voyons que les entreprises et les fiscalistes s’adaptent face aux pressions légales et politiques. Comme nous l’avons montré dans notre <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique-2018-4-page-399.htm">travail de recherche</a>, l’environnement institutionnel a certes connu une évolution, mais la pratique de l’optimisation fiscale n’a pas disparu : elle s’est transformée.</p>
<p>Il n’est plus question d’échapper à l’impôt via l’utilisation d’actifs immatériels, comme cela se faisait au début des années 2010, de montages fiscaux reposant sur les <a href="https://www.paradisfiscaux20.com/optimisation-fiscale-prix-de-transfert.htm">prix de transfert</a> (facturation entre filiales d’un même groupe) ou des techniques aux noms exotiques comme le « <a href="https://youtu.be/NS4_mfvu7VM">double irlandais avec sandwich hollandais</a> », mais de s’adapter par une capacité à analyser l’environnement et à saisir les opportunités. C’est ainsi que nous voyons apparaître les techniques comme les CumEx et CumCum qui concernent les dividendes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/cumcum-et-cumex-quand-le-secteur-bancaire-defie-lesprit-des-lois-fiscales-203203">CumCum et CumEx : quand le secteur bancaire défie l’esprit des lois fiscales</a>
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<p>Les cabinets de fiscalistes qui conseillent les entreprises ont donc su s’adapter. Notre étude met en lumière les rapports entre l’évolution du cadre juridique et institutionnel et le comportement de ces acteurs sous l’angle de la <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/%28SICI%291097-0266%28199708%2918%3A7%3C509%3A%3AAID-SMJ882%3E3.0.CO%3B2-Z">« théorie des capacités dynamiques »</a>. Ces capacités permettent aux entreprises d’établir et de maintenir leur avantage concurrentiel sur le long terme, y compris dans un environnement turbulent.</p>
<p>L’histoire du <a href="https://www.lemonde.fr/long-format/article/2018/10/18/cumex-files-l-histoire-secrete-du-casse-du-si%C3%A8cle_5371029_5345421.html">cerveau des CumEx</a> est à ce titre édifiante. L’Allemand Hanno Berger, ancien haut fonctionnaire du fisc de Francfort, et, de ce fait, contrôleur de la Bourse et des banques, s’était reconverti en avocat fiscaliste. En 2006 ou 2007, juste avant la crise des subprimes, il avait identifié un filon : utiliser les crédits d’impôts qui résultent du versement des dividendes d’actions cotées en bourse. Il a analysé l’environnement et ses changements pour saisir une opportunité.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aPXomQaSMxU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">CumEx Files : comment arnaquer le fisc avec la Bourse (Le Monde, 2019).</span></figcaption>
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<p>Pour ce fiscaliste, il s’agissait d’une variante de l’arbitrage de dividendes, une stratégie d’optimisation fiscale fondée sur des méthodes similaires d’échanges rapides d’actions. Les banques ont adhéré en masse à cette pratique et la crise financière de 2008 ne les a pas arrêtés pas par la suite. Hanno Berger a ainsi reconfiguré les capacités.</p>
<p>L’Allemagne n’a ouvert les yeux qu’en 2012 sur la gigantesque perte fiscale liée à cette pratique. Les députés ont voté en urgence l’interdiction du « CumEx » cette année-là. La France a suivi quelques années plus tard avec la création par l’Assemblée nationale d’une mission d’information parlementaire qui aboutira à la rédaction par le Sénat d’un premier texte de dispositif antifraude. Lors de son adoption en 2018 par l’Assemblée nationale, des voix ont cependant alerté <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/12/20/cumex-files-les-deputes-ont-vide-le-dispositif-anti-fraude-de-sa-substance_5400294_4355770.html">sur le risque de son inefficacité</a> en raison d’une réécriture par les députés de la majorité.</p>
<p>Il n’est donc pas certain que le durcissement des pouvoirs publics se traduise dans les faits par un recul des pratiques d’optimisation fiscale. Les fiscalistes et les entreprises contribuables ne semblent pas avoir renoncé à des stratégies d’évitement de l’impôt. La remise en cause de l’optimisation fiscale aurait pourtant pu entraîner une perte d’influence des fiscalistes, mais ils ont visiblement su exploiter leur capacité à déceler dans l’évolution du contexte des opportunités de renouvellement de leur offre de services et démontrer ainsi leur capacité dynamique de résistance et d’adaptation. L’optimisation fiscale semble donc être toujours en phase de transformation, plutôt qu’en phase de régression, tout au moins pour le moment.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203954/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Jeny a reçu des financements du CERESSEC (Centre de recherche de l'ESSEC). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Bernard Leca et Hugues Bouthinon-Dumas ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les perquisitions menées fin mars en France dans cinq banques illustrent la capacité des fiscalistes qui conseillent les entreprises à adapter leurs pratiques en terme d'optimisation fiscale.Anne Jeny, Professor, Accounting Department, IÉSEG School of ManagementBernard Leca, Professeur en sciences de gestion, ESSEC Hugues Bouthinon-Dumas, Professeur associé de droit, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2032032023-04-10T19:24:32Z2023-04-10T19:24:32ZCumCum et CumEx : quand le secteur bancaire défie l’esprit des lois fiscales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/519075/original/file-20230403-24-ha2jkk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=70%2C5%2C1128%2C792&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Selon une enquête menée par un consortium de journalistes, certaines pratiques fiscales dans les banques auraient conduit à une perte de recettes de 150 milliards d'euros sur 15 ans en Europe.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/26373139@N08/5537894072">Ken Teegardin/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 28 mars dernier, cinq grandes banques (BNP Paribas, Société Générale, Natixis, HSBC et Exane, une filiale de BNP Paribas) ont été <a href="https://www.selexium.com/actualites/fraude-fiscale-dividendes/">perquisitionnées dans le cadre d’enquêtes préliminaires</a>, ouvertes en 2021, pour soupçons de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale. Ordonnées par le Parquet national financier (PNF), ces enquêtes ciblent des pratiques d’arbitrage de dividendes largement exploitées par les banques : le « CumCum » et le « CumEx ».</p>
<p>L’arbitrage de dividendes est une technique répandue d’optimisation fiscale qui profite aux actionnaires étrangers. Les banques transfèrent temporairement (juste avant la période de versement des dividendes) la propriété des actions d’un client à un autre client résidant dans une juridiction à fiscalité réduite. Les économies fiscales réalisées grâce à cette transaction sont ensuite <a href="https://www.wsj.com/articles/fed-questions-bank-maneuver-to-reduce-hedge-funds-dividend-taxes-1411952821">partagées entre la banque et le client</a>.</p>
<p>En France, le fisc retient jusqu’à <a href="https://www.demarches.interieur.gouv.fr/professionnels/fiscalite-distributions-dividendes">30 % d’impôts sur les dividendes</a> versés par les entreprises françaises aux actionnaires étrangers, selon la résidence fiscale de l’actionnaire. L’arbitrage de dividendes permet donc de réduire, voire d’échapper complètement, aux retenues fiscales françaises sur les dividendes. Poussé à l’extrême, il permet même à certains actionnaires étrangers de demander au fisc français des remboursements d’impôts qui n’ont pas été nécessairement retenus sur leurs dividendes.</p>
<h2>Le CumCum : Une pratique légale mais potentiellement abusive</h2>
<p>Le CumCum permet d’échapper à tout ou à une partie de l’impôt prélevé par l’État français sur les dividendes versés aux actionnaires étrangers d’une société française grâce à deux types de montages financiers. Le premier, interne, consiste à transférer les actions à un résident français, le plus souvent une banque, qui encaisse les dividendes avant de les reverser à l’investisseur étranger. En effet, les banques en tant que société bénéficient d’une fiscalité plus avantageuse que les particuliers.</p>
<p>Le second, externe, consiste à transférer les actions de l’investisseur étranger à un autre investisseur étranger, qui pourrait là aussi être une banque, résidant d’un pays avec lequel la France a signé une <a href="https://www.senat.fr/rap/r22-072/r22-07217.html">convention fiscale favorable</a>. Ces deux types de montages, dans lesquels les banques jouent un rôle clé, permettent à l’investisseur de réaliser des économies d’impôts et de n’avoir qu’à verser une commission en échange du service rendu.</p>
<p>Si l’optimisation fiscale via le CumCum n’enfreint pas la loi, l’usage abusif qui en est fait soulève des <a href="https://wwnorton.com/books/Something-for-Nothing/">questionnements éthiques</a>. À cet égard, des dispositions ont été prises en France, en 2019, qualifiant d’abus de droit, les transactions CumCum ayant un but « principalement » et non seulement « exclusivement » fiscal.</p>
<p>La France a également ratifié une convention multilatérale, développée sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), permettant de refuser les avantages des conventions fiscales dès lors que l’un des objets principaux du montage financier est d’obtenir un <a href="http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20211129/fin.html">avantage fiscal indu</a>. Réaliser une transaction CumCum dans un objectif essentiellement fiscal constitue donc, du moins depuis 2019, un « abus de droit » passible de sanctions.</p>
<h2>Du potentiellement abusif au certainement frauduleux : le CumEx</h2>
<p>Le CumEx permet quant à lui à plusieurs actionnaires étrangers de demander des remboursements d’impôts à l’État français (impôt qui n’a soit jamais été retenu, <a href="https://www.senat.fr/rap/r22-072/r22-07219.html">soit retenu une seule fois</a>). Le CumEx est possible en raison du nombre élevé d’échanges d’actions entre différentes personnes, peu de temps avant le versement des dividendes, rendant compliqué, voire quasi impossible, l’identification par le fisc du « véritable » propriétaire des actions. Concrètement, l’arbitrage des dividendes via le CumEx constitue donc une pratique illégale dont l’objectif principal est de duper l’administration fiscale.</p>
<p>En 2018, une <a href="https://correctiv.org/top-stories/2021/10/21/cumex-files-2/">enquête</a>, connue sous le nom de <em>CumEx File</em> et menée par un consortium international de journalistes (dont <em>Le Monde</em> et le quotidien allemand <em>Die Zeit</em>), avait exposé les transactions CumCum et CumEx au grand jour. Selon cette enquête, la perte de recettes sur 15 ans pour plusieurs pays européens (dont la France et l’Allemagne), s’élèverait à 150 milliards d’euros. Le préjudice pour l’État français s’élevait quant à lui à 33,4 milliards d’euros. Étant donné la complexité et la multiplicité des montages financiers, en utilisant notamment les ventes rapides à découvert, le CumEx <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00036846.2022.2141450">reste difficile à prouver</a>.</p>
<h2><strong>Comment distinguer le légal de l’abusif ?</strong></h2>
<p>Si la pratique d’arbitrage de dividendes en vue d’optimisation fiscale est légale, elle peut être considérée comme particulièrement limite d’un point de vue éthique. Les banques défendent leur recours aux transactions CumCum, largement répandues dans les milieux financiers, en plaidant pour leur strict respect des règles fiscales en vigueur. Selon Étienne Barel, directeur général délégué de la Fédération bancaire française, le prêt d’actions répond par ailleurs à un <a href="http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20211129/fin.html">réel besoin économique de financement des entreprises</a> ou de fluidité des marchés financiers.</p>
<p>Selon lui, imposer aux banques françaises des règles trop strictes sur ce type d’opérations, reviendrait à les affaiblir face à leurs concurrents étrangers, détériorant ainsi la compétitivité de la place de Paris. Nous pouvons imaginer que l’arbitrage de dividendes, fait dans un esprit éthique, peut en effet bénéficier à l’économie française en permettant un accès rapide et facilité aux ressources et de maintenir une certaine compétitivité mais cela ne semble pas constituer sa <a href="https://www.taxation.co.uk/articles/2011-06-10-25392-tax-arbitrage-trawling-international-tax-system">principale motivation</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, la question demeure de savoir comment distinguer le légal de l’abusif ? Surtout lorsqu’il s’agit d’un montage financier mobilisé tout au long de l’année et plus particulièrement dans les périodes précédant les versements de dividendes ? Le gouvernement dispose-t-il vraiment des moyens de contrôle nécessaires permettant de distinguer les ventes à visée fiscale et les autres ? Et puis si ce mécanisme reste reconnu comme légal, est-il pour autant moral ? Nos recherches démontrent que le respect des règles n’empêche pas la poursuite d’objectifs opportunistes ou le camouflage de réalités sous couvert de <a href="https://ideas.repec.org/a/kap/jbuset/v175y2022i4d10.1007_s10551-020-04576-4.html">conformité technique</a>.</p>
<h2>Comment prévenir ou sanctionner le CumEx ?</h2>
<p>S’agissant du CumEx, la question éthique se pose moins puisque la pratique en question est clairement frauduleuse et reflète une escroquerie pure et simple au fisc. Ici, l’enjeu est plutôt dans les aspects de contrôle. La pratique du CumEx est possible car la rapidité des outils technologiques, la complexité, le nombre de transactions et de juridictions fiscales font que l’administration fiscale n’est pas en mesure d’identifier le propriétaire réel des actions. Comment alors prévenir ou sanction]ner le CumEx ? Nos <a href="https://www.cairn-int.info/journal-accounting-auditing-control-2023-1-page-7.htm">recherches</a> montrent en effet que la numérisation des activités de trading et leur complexification, ont rendu non seulement leur <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1045235418303149">contrôle compliqué</a> mais aussi leurs <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-021-04741-3">condamnations morales</a>.</p>
<p>L’aspect limité des contrôles amène également à réfléchir aux conséquences des pratiques CumEx sur l’éthique professionnelle. En débit de leur illégalité, ces dernières peuvent en effet être perçues dans les banques ou les firmes spécialisées dans l’optimisation fiscale comme <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0018726718799404?journalCode=huma">communément admises</a>. Dans ce contexte, nous pouvons nous interroger aussi sur la volonté politique et les moyens nécessaires pour limiter leur prépondérance. La <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0929119920301383">recherche</a> établit que certaines évolutions technologiques pourraient aider à faire baisser l’incidence de fraude financière mais que d’autres – comme l’anonymat offert par certaines applications de la blockchain – réduiront le coût et augmenteront probablement la rentabilité et l’innovation en matière de fraude.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203203/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mouna Hazgui a reçu des financements de Conseil de recherches en sciences humaines. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Aziza Laguecir ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cinq grandes banques sont aujourd’hui dans le collimateur du Parquet financier français. Que leur est-il reproché ? Décryptage.Aziza Laguecir, Professeur, EDHEC Business SchoolMouna Hazgui, Associate professor, HEC MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2030142023-04-04T17:35:39Z2023-04-04T17:35:39ZTaxation des superprofits : un outil de redistribution des gagnants vers les perdants des crises ?<p>Les événements géopolitiques récents ont montré qu’une crise pour certains peut représenter une opportunité pour d’autres. Avec des entreprises affichant des résultats exceptionnels quand d’autres ont souffert de la pandémie puis du contexte inflationniste, des appels ont été émis pour redistribuer les bénéfices des « gagnants » vers les « perdants ».</p>
<p>En septembre 2022, la Commission européenne a ainsi mis en place une <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=COM%3A2022%3A473%3AFIN">contribution de solidarité</a> des entreprises de combustibles fossiles, qui correspond peu ou prou à une taxe sur les <a href="https://theconversation.com/topics/profit-33648">superprofits</a>. L’<a href="https://www.taxobservatory.eu/wp-content/uploads/2022/09/EUTO_WP5_A_Modern_Excess_Profit_Tax-1.pdf">Observatoire fiscal de l’Union européenne (UE)</a> a également proposé de taxer l’augmentation de la capitalisation boursière des entreprises énergétiques.</p>
<p>Lors de son interview télévisée, aux 13 heures de TF1 et France 2, le mercredi 22 mars, le président de la République, Emmanuel Macron a, lui, émis l’idée d’un mécanisme qui aille en direction des salariés :</p>
<blockquote>
<p>« On a de grandes entreprises qui font des revenus tellement exceptionnels qu’elles en arrivent à utiliser cet argent pour <a href="https://theconversation.com/rachats-dactions-face-aux-exces-des-marches-une-regulation-encore-trop-timide-191179">racheter leurs propres actions</a> ; je vais demander au gouvernement de travailler à une contribution exceptionnelle pour que leurs travailleurs puissent en profiter ».</p>
</blockquote>
<p>Il s’agirait, selon les précisions apportées ensuite par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, de <a href="https://www.sudouest.fr/economie/partage-des-superprofits-les-syndicats-sauf-la-cgt-prets-a-signer-un-accord-sur-la-repartition-des-benefices-14635358.php">renforcer les dispositifs d’intéressement</a>, non pas de consolider la taxation des superprofits en l’élargissant à d’autres firmes que celles du secteur de l’énergie. Le gouvernement s’est d’ailleurs souvent montré réticent à cette proposition, craignant que de grands groupes ne partent à l’étranger bénéficier d’une fiscalité plus avantageuse.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1638516806808641538"}"></div></p>
<p>Nos <a href="https://doi.org/10.1111/jpet.12589">recherches</a> suggèrent néanmoins que l’idée ne semble pas à abandonner.</p>
<h2>Concurrence imparfaite</h2>
<p>Notre <a href="https://doi.org/10.1111/jpet.12589">article</a> publié dans le <em>Journal of Public Economic Theory</em>, étudie les gains et les pertes encourues lors de la pandémie liée au coronavirus. L’épisode sanitaire et les mesures prises pour ralentir sa propagation ont eu un impact majeur sur l’activité économique.</p>
<p>La production mondiale a diminué de <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO/Issues/2021/03/23/world-economic-outlook-april-2021">3,3 % en 2020</a>, avec une baisse supérieure à 8 % pour des pays comme la France, le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Inde et l’Afrique du Sud. De nombreux gouvernements ont réagi rapidement pour soutenir les entreprises avec des initiatives englobant le report du paiement de l’impôt, des exonérations fiscales, des subventions salariales versées aux employeurs ainsi que des subventions non remboursables.</p>
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<p>Certaines ont tout de même profité du contexte, engrangeant des profits plus importants qu’en temps ordinaire. Elles ont pu bénéficier d’un changement de consommation causé par la pandémie, avec par exemple une demande accrue pour les produits d’hygiène. D’autres, opérant « en numérique », ont profité de la fermeture temporaire « physique » de leurs concurrents.</p>
<p>En utilisant les données de <em>S&P Compustat North America</em>, qui incluent environ 11 000 entreprises au cours de la période 2017-2020, nous avons pu mettre en évidence les effets économiques hétérogènes de la période d’un secteur à l’autre.</p>
<p>Des branches ont été clairement et globalement perdantes comme le transport aérien. À l’intérieur d’un même secteur, des hétérogénéités restent néanmoins visibles. Les entreprises les plus performantes dans les secteurs des produits chimiques, magasins de marchandises ou d’alimentation, ou encore des services aux entreprises ont amélioré, parfois considérablement, leur marge bénéficiaire pendant la pandémie. D’autres enregistraient des pertes dans le même temps. Cela suggère que les premières ont pu exploiter le contexte pour accroître leur pouvoir de marché et augmenter les prix.</p>
<p><iframe id="QKqzZ" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/QKqzZ/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Grâce à un modèle théorique de concurrence imparfaite dans un cadre d’équilibre partiel, nous montrons que les superprofits réalisés par quelques entreprises au cours de cette période auraient pu être taxés pour compenser au moins une partie des pertes subies par la majorité.</p>
<p>Considérons par exemple deux types d’entreprises : les entreprises en ligne (ou actives) et les entreprises hors ligne. Pendant le confinement, seules celles en ligne pouvaient vendre. Lorsque le nombre d’entreprises actives est faible, ces dernières peuvent exercer plus de pouvoir sur le marché, augmenter les prix et obtenir des bénéfices plus élevés. Ainsi, il devient possible de compenser les pertes par les gains générés par le confinement.</p>
<p>Même lorsque les entreprises en ligne sont en proportion telle que leur pouvoir de marché reste assez modéré (et par là même leur « surprofit »), on peut imaginer compenser les pertes de celles à l’arrêt par les gains des premières. Cela est rendu possible si la demande des consommateurs augmente avec le choc de manière significative.</p>
<h2>Une étape nécessaire</h2>
<p>À la pandémie a succédé le choc de l’invasion de l’Ukraine qui a bouleversé une économie mondiale encore convalescente. Elle a notamment entraîné une envolée des prix du pétrole et du gaz, pénalisant les consommateurs tout en profitant largement au secteur de l’énergie (Shell et Total ont triplé leurs bénéfices en 2022 par rapport à l’avant-guerre).</p>
<p>C’est pourquoi la Commission européenne a introduit sa <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=COM%3A2022%3A473%3AFIN">taxe sur les superprofits</a>, nommée contribution de solidarité. Elle correspond à un prélèvement supplémentaire de 33 % pour les entreprises des secteurs du pétrole, du gaz, du charbon et de la raffinerie situées dans l’UE dont les bénéfices en 2022 sont supérieurs de 20 % à la moyenne des bénéfices générés au cours des trois exercices précédents.</p>
<p>Jusqu’à présent, lorsqu’elle est mise en place, une taxe sur les superprofits est considérée comme une mesure temporaire et ne concerne que les entreprises du secteur énergétique et bancaire (dans le cas de l’Espagne par exemple). Ces dernières ne sont pourtant pas les seules à générer des superprofits, posant un problème d’inégalité de traitement des contribuables.</p>
<p>La difficulté est, en particulier, de tracer l’origine des superprofits. Elle pourrait être ignorée pour taxer tout superprofit s’apparentant à une rente économique, c’est-à-dire non lié à l’investissement, à l’innovation ou au risque pris par l’entreprise mais dû à des événements extérieurs inattendus. C’est d’ailleurs ce qui était effectué pendant les <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/09/01/d-ou-vient-la-notion-de-superprofit-et-que-signifie-t-elle-vraiment_6139741_4355770.html">Première et Seconde Guerres mondiales</a> : une taxe sur les superprofits était adoptée dans une douzaine de pays et pour tous les secteurs de l’économie.</p>
<p>Le mécanisme reposait sur une comparaison entre les profits « normaux » avant choc externe, avec ceux réalisés pendant ce choc ; la différence entre les deux correspondant à des superprofits. Une autre possibilité est de considérer tous les profits supérieurs à un certain taux de rendement du capital comme des superprofits.</p>
<p>Le changement climatique, avec un risque accru de conflits, de maladies infectieuses zoonotiques, de sécheresse et d’autres catastrophes naturelles, entraînera des opportunités conséquentes pour certains et des pertes pour d’autres. Une étape nécessaire pour aller vers une croissance inclusive et une transition écologique serait d’adopter une taxe permanente sur les superprofits dans tous les secteurs de l’économie. C’est <a href="https://www.imf.org/-/media/Files/Publications/WP/2022/English/wpiea2022187-print-pdf.ashx">ce que suggèrent d’ailleurs des chercheurs</a> du <a href="https://www.econpol.eu/sites/default/files/2023-03/EconPol-PolicyBrief_49.pdf">Fonds monétaire international</a> (FMI). Pour répondre aux problèmes de transferts de revenus vers des pays à faible imposition, cette taxe pourrait être calculée à partir du compte consolidé des entreprises multinationales en proportion des ventes par destination.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203014/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le président de la République a écarté l’idée de taxer les résultats records des entreprises malgré les atouts d’une telle mesure mais évoque un mécanisme de redistribution à l'intention des salariés.Rodolphe Desbordes, Professeur d'Economie, SKEMA Business SchoolCeline Azemar, Professeur d'économie et Doyenne Académique, Rennes School of BusinessJean-Philippe Nicolaï, Professeur des Universités, Institut polytechnique de Grenoble (Grenoble INP)Paolo Melindi-Ghidi, Associate professor en Economie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2020532023-03-19T16:17:05Z2023-03-19T16:17:05ZLes impôts sur la fortune individuelle favorisent la distribution de dividendes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/516018/original/file-20230317-3576-8o2zpl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C23%2C1198%2C761&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Environ 3,5 % de dividendes supplémentaires sont distribués les années où les actionnaires doivent payer plus d'impôts sur la fortune.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/pe_wu/15394754783">Flickr/ Pe_Wu</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>À l’ère de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociale des entreprises</a> (RSE), l’objectif d’<a href="https://www.forbes.com/sites/stevedenning/2022/03/21/why-the-pandemic-of-maximizing-shareholder-value-is-still-dominant/?sh=57e15c94381a">accroître la rentabilité pour les actionnaires demeure primordial</a> pour la direction des entreprises, en particulier lorsque les dirigeants sont également les actionnaires majoritaires. Mais en France, le débat sur la définition d’une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/19/cinq-deputes-de-la-nupes-dont-francois-ruffin-notre-economie-a-deux-vitesses-produit-un-salariat-a-deux-vitesses_6162452_3232.html">répartition équitable de la valeur créée par les entreprises reste</a> vif.</p>
<p>Dans ce contexte, certaines des plus grandes entreprises distribuent à leurs actionnaires des <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/budget-lassemblee-vote-une-taxe-sur-les-super-dividendes-1868505">« superdividendes »</a>, tels que définis par le chef de file des députés Modem, Jean-Paul Mattei, fin 2022. Ce dernier avait proposé de relever de 5 points, à 35 %, le prélèvement forfaitaire unique sur les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/dividendes-46099">dividendes</a> supérieurs de 20 % à la moyenne de ceux versés les années précédentes. L’article <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/superdividendes-la-majorite-presidentielle-reflechit-a-un-plan-b-1877987">n’a finalement pas été retenu dans le projet de loi de Finances</a> après un recours à l’article 49.3.</p>
<p>Le débat porte sur les conséquences d’un relèvement de la taxation sur l’ensemble de l’économie. Le gouvernement ne veut pas pénaliser les entreprises, mais il doit aussi trouver des fonds pour financer le système social ou rembourser les dettes publiques. Certaines conséquences apparaissent même involontaires au regard de l’objectif recherché. Par exemple, de fortes augmentations de l’impôt sur la fortune entraînent une hausse des versements de dividendes, en particulier dans les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-familiales-92864">entreprises familiales</a> étroitement détenues.</p>
<p>C’est ce que mes collègues Donald N’Gatta de MDE Business School, Gaizka Ormazabal de IESE Business School et moi-même avons découvert dans une <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4295842">étude qui sera publiée dans le numéro de septembre de <em>The Accounting Review</em></a>. Notre recherche, basée sur des données publiques provenant de 4 381 entreprises cotées en bourse dans 26 pays européens entre 2000 et 2017, a révélé des implications involontaires pour certaines décisions réelles et financières motivées par des impôts spécifiques visant les riches.</p>
<h2>Alternatives coûteuses</h2>
<p>Les impôts sur la fortune, tel que l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/impot-de-solidarite-sur-la-fortune-isf-63772">ISF</a> en France, sont des impôts annuels récurrents sur la « richesse nette » d’une famille ou d’un individu. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) définit cette <a href="https://data.oecd.org/fr/hha/richesse-nette-des-menages.htm">richesse nette</a> comme la valeur totale des actifs de l’individu, y compris l’immobilier, les comptes bancaires, les obligations, les actions, les fonds d’investissement, les assurances-vie et autres biens de luxe, moins leurs dettes en cours telles que les hypothèques ou les prêts.</p>
<p>Dans le cas des entreprises que nous avons examinées dans notre étude, la majorité de la richesse des propriétaires est liée à la valeur de leurs actions dans les entreprises qu’ils possèdent. Par conséquent, des augmentations significatives des cours des actions ont un impact direct sur leur facture d’impôt sur la fortune.</p>
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<p>Cependant, une augmentation de la richesse liée à leurs actions n’implique pas nécessairement une augmentation de leurs liquidités. Pour payer leurs impôts, les individus concernés par l’impôt ont différentes alternatives : adapter leur mode de vie – ce qui inclut le changement de résidence fiscale pour payer moins d’impôts à l’avenir –, obtenir un prêt auprès d’une institution financière ou vendre une partie de leurs actifs, y compris certaines de leurs actions.</p>
<p>Toutes ces alternatives sont coûteuses et, en particulier, la vente de leurs actions peut entraîner une perte de contrôle sur leur entreprise. Nos résultats montrent qu’en moyenne, ces actionnaires distribuent environ 3,5 % de dividendes supplémentaires les années où ils doivent payer des impôts sur la fortune supplémentaires.</p>
<h2>L’argument norvégien</h2>
<p>Étant donné que toutes les entreprises de notre étude sont cotées en bourse, le résultat le plus pertinent est que l’implication de cette augmentation des versements de dividendes est un échec de la gouvernance de l’entreprise. Nous avons constaté que la croissance du cours des actions était d’environ 50 points de base inférieure à ce qui pourrait être anticipé à la suite d’une annonce importante de dividendes. Notre recherche indique que ces versements plus élevés sont non seulement associés à des rendements boursiers plus faibles, mais nous avons également constaté que ces entreprises affichent des baisses d’investissements ultérieurs.</p>
<p>Bien que les augmentations de dividendes motivées par les impôts puissent aider à satisfaire l’obligation fiscale des actionnaires majoritaires et offrir une satisfaction à court terme aux actionnaires minoritaires recevant également des dividendes, cela ne peut pas être dans le meilleur intérêt de l’entreprise, car elle aurait pu utiliser ces fonds pour financer des projets rentables. Cet argument a été utilisé pour abolir l’impôt en <a href="https://www.ft.com/content/f9036af0-4009-11e9-9499-290979c9807a">Norvège</a>.</p>
<p>Nos résultats soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses. Une perspective de responsabilité sociale des entreprises nous pousse à examiner les implications sociales des actionnaires privilégiant leurs intérêts par rapport à ceux des autres parties prenantes, à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise.</p>
<h2>Imposition asymétrique</h2>
<p>D’un point de vue de gouvernance d’entreprise, nous pouvons nous interroger sur l’efficacité des conseils d’administration avec un actionnaire majoritaire et leur capacité à assurer une surveillance efficace. Cela souligne également l’importance d’avoir un contrôle excessif sur l’entreprise. Les actionnaires majoritaires peuvent préférer verser des dividendes, malgré les conséquences néfastes sur le cours des actions et la croissance future de l’entreprise, plutôt que de vendre d’autres actifs personnels pour maintenir le contrôle.</p>
<p>De plus, les implications fiscales d’une imposition asymétrique entre les différents actionnaires soulèvent des préoccupations quant à l’équité de la concurrence et l’impact sur la liquidité des investisseurs. En d’autres termes, il existe un lien direct entre la manière dont les actionnaires sont imposés et la prise de décision des entreprises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202053/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raul Barroso Casado a reçu des financements de LEM (Lille Economie & Management, UMR CNRS 9221).</span></em></p>Un travail de recherche démontre l’existence d’un lien entre hausse de la taxation des personnes fortunées et décisions favorables aux actionnaires dans les entreprises.Raul Barroso Casado, Assistant Professor in Accounting, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1966252023-01-23T15:48:02Z2023-01-23T15:48:02ZDix ans après leur implémentation dans les restaurants, l'enregistrement des transactions a mis à mal l'économie au noir<p>Le gouvernement du Québec a rendu obligatoire, il y a dix ans, dans tous les restaurants de la province, <a href="https://strpdv.com/produit/mev/">l’utilisation des modules électroniques des ventes (MEV)</a>. Cette mesure était rendue nécessaire en raison d’une particularité de cette industrie : 60 % des transactions sont en espèces, rendant les contrôles fiscaux plus ardus.</p>
<p>Connectés en permanence aux serveurs de Revenu Québec, les MEV enregistrent les transactions dès qu’elles se produisent et conservent leur historique pour des raisons de vérification. Comme chaque module est équipé d’un sceau de sécurité, cela rend la manipulation difficile. Les autorités fiscales savent immédiatement lorsque quelqu’un a trafiqué une machine. Les MEV réduisent ainsi la capacité d’un établissement à cacher les ventes, même lorsque les achats sont payés en espèces.</p>
<p>Quels impacts l’implantation de ces modules électroniques ont-ils eu dans le milieu de la restauration ? Tous deux professeurs en finance à HEC Montréal, nous en avons fait une analyse détaillée.</p>
<h2>Des technologies de suppression des ventes</h2>
<p>Les entreprises sont confrontées à de nombreuses sortes de taxes, redevances et impôts qui touchent différents aspects de leurs opérations, incluant leur politique d’investissement et de financement, leur forme organisationnelle, les prix de transfert et les décisions de rémunération.</p>
<p>En plus de payer des impôts fonciers et sur le revenu, et des taxes sur la masse salariale, les entreprises sont invitées à devenir des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.3982/ECTA9113">agents des autorités fiscales</a> en retenant une partie de l’impôt sur le revenu de leurs employés. On leur demande également de percevoir et de verser aux autorités fiscales les taxes de vente. Au total, les sociétés canadiennes (et américaines) payent, perçoivent ou versent environ <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.17310/ntj.2001.3.05">80 % de tous les impôts</a>.</p>
<p>Des entreprises peuvent être tentées de cacher les montants perçus en omettant de déclarer certaines ventes, réduisant du coup leur revenu imposable. La décision de ne pas verser aux autorités fiscales les taxes de vente est particulièrement attrayante dans le cas de <a href="https://law.stanford.edu/wp-content/uploads/sites/default/files/publication/259083/doc/slspublic/Morse%20Bankman%20Karlinsky%2020StanLPolyRev37.pdf">transactions en espèces</a>, puisque contrairement aux paiements par carte, elles n’apparaissent a priori <a href="https://bristoluniversitypressdigital.com/view/journals/jpfpc/34/1/article-p61.xml">nulle part</a>.</p>
<p>La surveillance des transactions en espèces nécessite d’avoir accès aux caisses enregistreuses des entreprises. Or, la capacité des autorités fiscales d’accéder aux caisses des restaurants est limitée par ce qu’on appelle des « technologies de suppression des ventes. » <a href="https://books.google.ca/books/about/Zappers_Phantom_ware.html?id=MCzejwEACAAJ&redir_esc=y">Ces technologies</a>, tels les « Phantomwares, » qui fonctionnent comme un menu caché dans la caisse enregistreuse, et les « Zappers, » qui fonctionnent à l’extérieur de la caisse enregistreuse, permettent de falsifier les registres des caisses. Ces technologies sont utilisées au Québec, au Canada, ainsi que dans plusieurs autres pays développés et en développement. Or la suppression des ventes est difficile à détecter, même lors d’exercices de vérification.</p>
<h2>L’Internet des objets au bénéfice du fisc</h2>
<p>L’industrie de la restauration est idéale pour étudier l’impact de la lutte contre l’utilisation des technologies de suppression des ventes.</p>
<p>Les gouvernements du monde entier ont reconnu que l’utilisation de ces <a href="https://www.oecd.org/tax/crime/technology-tools-to-tackle-tax-evasion-and-tax-fraud.htm">technologies de suppression des ventes était problématique</a>. Bien que de nombreux États ont légiféré contre leur utilisation, peu ont pris des mesures sérieuses contre ces dispositifs.</p>
<p>En utilisant des données fiscales anonymisées, nous avons comparé les ventes, les dépenses et l’emploi dans les restaurants du Québec à la suite de l’introduction des MEV, avec ceux des restaurants de l’Ontario et des provinces atlantiques. Les groupes « traitement » et « contrôle » sont relativement homogènes dans leurs opérations (ce ne sont que des restaurants), et l’affectation aux échantillons de contrôle ou de traitement ne dépend que de la province de domicile, et non des caractéristiques ou du choix du restaurant.</p>
<h2>Un montant annuel additionnel de 244 millions de dollars</h2>
<p>Les résultats de notre analyse sont triples.</p>
<p>Nous documentons d’abord une augmentation moyenne des ventes déclarées des restaurants du Québec de 5,8 % à 9,8 %. Cette augmentation est relativement plus importante pour les petits restaurants (pour lesquels elle peut représenter plus de 10 % des ventes) et les établissements indépendants.</p>
<p>Ces résultats confirment la présomption selon laquelle il est plus difficile de cacher les transactions dans les grands restaurants où plus d’employés doivent être mis au parfum d’un complot pour frauder le fisc.</p>
<p>Deuxièmement, nous constatons que même si les MEV ne visent que les ventes, leur introduction a entraîné une augmentation importante des débours des restaurants, incluant une augmentation de 4,9 % à 10,3 % des salaires versés par le biais d’une augmentation de 7,0 % à 10,9 % du nombre moyen d’employés déclarés.</p>
<p>Ces résultats fournissent des indications qu’avant les MEV, les ventes au comptant non déclarées étaient utilisées pour payer le travail non déclaré, ce qui permettait aux restaurants d’économiser sur les taxes sur la masse salariale et aux travailleurs, de recevoir un revenu qui n’était pas imposable.</p>
<p>Troisièmement, nous constatons que l’augmentation des dépenses déclarées est équivalente à l’augmentation des ventes déclarées, de telle sorte que le revenu imposable des restaurants n’a pas bougé. Cela fournit la preuve que même les systèmes fiscaux développés peuvent être sujets à de tels stratagèmes.</p>
<p>L’introduction des MEV dans les restaurants du Québec a permis de récolter en taxes et impôts un montant annuel additionnel de 244 millions de dollars, soit 105 millions en taxes de vente, 52 millions en charges sociales de l’employeur (taxes sur la masse salariale) et 87 millions en impôt et cotisations sociales des employés. Nous n’avons trouvé aucun impact sur les impôts des sociétés. Le coût de mise en œuvre a été d’environ 37 millions de dollars.</p>
<p>Sur une période de 5 ans, le fisc québécois a ainsi réussi à aller chercher près d’un milliard de dollars en contributions fiscales de toutes sortes auprès de l’industrie de la restauration québécoise ; c’est assurément une bonne affaire étant donné le coût initial de 37 millions de dollars de cette politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196625/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Martin Boyer a régulièrement reçu du financement d'organismes subventionnaires du gouvernement du Canada et du gouvernement du Québec. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Philippe d'Astous a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines et de HEC Montréal.</span></em></p>L’implantation obligatoire des modules électroniques des ventes dans les restaurants du Québec, il y a dix ans, a eu d’importants impacts, dont plus d’argent dans les poches de l’État.Martin Boyer, Professeur de finance, HEC MontréalPhilippe d'Astous, Professeur agrégé au département de Finance, HEC MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1955062023-01-19T16:00:09Z2023-01-19T16:00:09ZLa fiscalité, un outil précieux pour résoudre la crise du logement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/505177/original/file-20230118-16-izbt03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2995%2C2061&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des manifestants réclament davantage de logements sociaux et abordables à Montréal, le 24 avril 2021. Une des manières d'y parvenir serait grâce à la fiscalité.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span></figcaption></figure><p>La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) a adopté le 24 novembre dernier sa <a href="https://cmm.qc.ca/communiques/la-cmm-se-dote-dune-premiere-politique-en-habitation/">première politique d’habitation</a>.</p>
<p>Celle-ci arrive dans un contexte de <a href="https://www.nbc.ca/content/dam/bnc/taux-analyses/analyse-eco/logement/housing-affordability.pdf">dégradation importante de l’abordabilité du logement dans de nombreuses villes canadiennes</a>. En effet, les coûts supportés par les ménages pour se loger dans les grandes villes canadiennes, dont Montréal, augmentent bien plus vite que leurs revenus.</p>
<p>Face à cet enjeu, la CMM propose plusieurs mesures visant à accroître l’offre de logements aux ménages montréalais, dont l'insuffisance est de plus en plus souvent signalée comme une des <a href="https://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/lobservateur-du-logement/2022/retablir-labordabilite-dici-2030">causes de l’envolée de leurs prix</a>. Cette politique est donc bienvenue. Elle repose toutefois essentiellement sur la construction de nouveaux logements sociaux et privés, et sur la rénovation des logements plus anciens.</p>
<p>Professeur d’économie à l’ESG-UQAM et spécialiste des questions d’économie urbaine, je pense qu’une dimension importante est ignorée dans cette première politique métropolitaine d’habitation : l’utilisation de la fiscalité afin de s’assurer que tous les logements déjà existants soient effectivement mis à la disposition des Montréalais.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505178/original/file-20230118-7953-usmvs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505178/original/file-20230118-7953-usmvs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505178/original/file-20230118-7953-usmvs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505178/original/file-20230118-7953-usmvs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505178/original/file-20230118-7953-usmvs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505178/original/file-20230118-7953-usmvs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505178/original/file-20230118-7953-usmvs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une femme brandit une pancarte réclamant plus de logements sociaux et abordables lors d’une manifestation à Montréal, le 24 avril 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Construire et rénover des logements, pas si simple aujourd’hui</h2>
<p>Accroître le stock de logements de qualité en rénovant les anciens et en en construisant de nouveaux est sans aucun doute nécessaire. Mais dans le contexte actuel, <a href="https://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/lobservateur-du-logement/2022/offre-logements-dans-6-grandes-villes-canada">il s’agit d’une avenue difficile et incertaine</a>.</p>
<p>En effet, les pénuries de main-d’œuvre n’épargnent pas le secteur de la construction. De plus, l’inflation et les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement durant la pandémie ont engendré une augmentation importante des coûts de construction. Enfin, la hausse récente des taux d’intérêt risque de conduire les <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/230116/dq230116b-eng.htm">promoteurs à mettre certains projets sur la glace</a>.</p>
<p>Compte tenu des difficultés de recrutement dans le secteur de la construction, les <a href="https://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/salle-de-presse/news-releases/2022/penurie-logements-canada-capacite-main-doeuvre-qualifiee">estimations sont peu optimistes</a> : il sera impossible pour la Colombie-Britannique, l’Ontario et le Québec de rétablir l’abordabilité d’ici 2030. De plus, des <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2022-12-03/crise-de-l-habitation/des-chantiers-sur-pause-malgre-la-penurie.php">lenteurs dans les processus administratifs d’octroi des permis de construire et des freins mis par les municipalités</a> <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2022-12-03/crise-de-l-habitation/des-chantiers-sur-pause-malgre-la-penurie.php">à certains projets immobiliers</a> sont parfois à regretter. D’autres leviers doivent donc être mobilisés en parallèle de la construction de nouveaux logements.</p>
<h2>Des logements existants indisponibles pour les résidents</h2>
<p>Le recensement de la population permet d’identifier le nombre de logements qui ne sont pas occupés par des « résidents habituels » : cela inclut les logements inoccupés, ceux détenus par des personnes dont la résidence principale se situe ailleurs au Canada ou à l’étranger, ou encore offerts sur les plates-formes de location à court terme, telles Airbnb. À Montréal, ce sont <a href="https://censusmapper.ca/maps/3055#8/45.346/-73.943">7,1 % des logements qui seraient dans cette situation en 2021</a>.</p>
<p>Des <a href="https://financialpost.com/real-estate/busting-the-myth-of-canadas-million-or-more-vacant-homes">débats existent concernant la part de ces logements qui pourraient être réellement rendus disponibles pour les résidents</a>. On sait que certains propriétaires préfèrent ne pas mettre les logements qu’ils détiennent sur le marché locatif à long terme. À cela plusieurs raisons : ils occupent temporairement ces logements à titre de résidences secondaires, ils trouvent plus rentable de les louer pour des courtes périodes, ou ils ne souhaitent pas avoir à gérer les parfois difficiles relations propriétaire-locataire. Dans tous les cas, le retrait de ces logements de l’offre immobilière peut conduire à aggraver les problèmes d’abordabilité.</p>
<p>De nombreuses études montrent qu’à <a href="https://www.bde.es/f/webpi/SES/seminars/2019/Fich/sie20191210.pdf">Barcelone</a>, <a href="https://www.diw.de/documents/publikationen/73/diw_01.c.796620.de/dp1890.pdf">Berlin</a>, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0094119021000383">Los Angeles</a> et dans l’ensemble des <a href="https://marketing.wharton.upenn.edu/wp-content/uploads/2019/08/09.05.2019-Proserpio-Davide-Paper.pdf">villes américaines</a>, l’arrivée d’Airbnb a contribué à l’augmentation des loyers et du prix de vente des logements.</p>
<h2>La taxation des logements vacants, un outil qui a fait ses preuves</h2>
<p>Afin d’inciter les propriétaires à mettre leurs logements vacants en vente ou en location de long terme, plusieurs villes ou pays ont eu recours à la fiscalité.</p>
<p>Au Canada, <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/national/2022-11-26/ottawa-commence-a-taxer-les-logements-vacants.php">Ottawa vient de mettre en place</a> une taxe sur les logements vacants dont les recettes serviront à financer la construction de logements abordables. Toronto, où le <a href="https://www.theglobeandmail.com/business/article-vacant-homes-are-on-the-rise-in-toronto-census-indicator-suggests/">nombre de logements vacants tend à augmenter</a>, aura également une <a href="https://www.toronto.ca/services-payments/property-taxes-utilities/vacant-home-tax/">taxe de ce type en 2023</a>. <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047272719301409?fr=RR-2&ref=pdf_download&rr=7748ff1e28434bd1">L’évaluation d’une taxe sur les logements vacants mise en œuvre en France</a> à la fin des années 1990 montre qu’elle a permis de faire significativement baisser le taux de vacance.</p>
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<img alt="Vue extérieure d’un immeuble à condos" src="https://images.theconversation.com/files/505179/original/file-20230118-14-5sy7jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505179/original/file-20230118-14-5sy7jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505179/original/file-20230118-14-5sy7jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505179/original/file-20230118-14-5sy7jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505179/original/file-20230118-14-5sy7jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505179/original/file-20230118-14-5sy7jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505179/original/file-20230118-14-5sy7jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Plusieurs appartements montréalais restent vacants ou louer seulement sur des plates-formes comme Airbn. Afin d’inciter les propriétaires à mettre leurs logements vacants en vente ou en location de long terme, plusieurs villes ou pays ont eu recours à la fiscalité.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>Son impact a été particulièrement fort dans les villes où le taux de vacance était élevé et pour les logements qui étaient vacants depuis longtemps. En Colombie-Britannique, une taxe sur la spéculation et les logements vacants a été mise en place en 2018. La Ville de Vancouver a pris au même moment d’autres mesures sur les logements vacants et sur les locations à court terme. <a href="https://www.bcrea.bc.ca/wp-content/uploads/Speculation-and-Vacancy-Tax.pdf">Une étude montre un ralentissement des prix de l’immobilier peu de temps après</a>, surtout à Vancouver, où la situation était particulièrement critique.</p>
<h2>Taxer aussi les terrains vacants</h2>
<p>Par ailleurs, il arrive que les promoteurs immobiliers achètent des terrains, mais n'y construisent pas immédiatement. Ils attendent pour le faire des conditions de marché plus favorables afin de réaliser des profits plus élevés. C’est ce que l’on appelle le « land banking », et cela contribue également à aggraver la pénurie de logements.</p>
<p>Afin de contrer ce phénomène, une taxe exceptionnelle sur les terrains vacants pourrait être utile. De manière générale, une réforme de la fiscalité foncière conduisant à un <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/699180/point-de-vue-reformer-l-impot-foncier-pour-accroitre-l-offre-de-logements">taux de taxe (beaucoup) plus élevé sur les terrains que sur les bâtiments</a> stimulerait la <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/NTJ41789240">construction de logements et la densification de ces derniers</a>.</p>
<p>En effet, lorsque le taux de taxe sur les terrains est plus élevé, il devient avantageux de construire plus de logements sur chaque parcelle afin de répartir la taxation du terrain entre un nombre plus élevé de propriétaires. Cette évolution est préférable à la <a href="https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/773973/ces-villes-qui-taxent-la-densite">taxation majorée des immeubles de six étages ou plus que plusieurs municipalités du Grand Montréal mettent ou souhaitent mettre en œuvre</a>. Cette dernière décourage en effet la densification urbaine, qui est pourtant souhaitable pour accroître l’offre de logements tout en respectant au mieux les limites environnementales.</p>
<p>Il est certain que de tels changements de la fiscalité foncière ne feraient pas que des heureux. <a href="https://doodles.mountainmath.ca/blog/2020/12/07/what-to-expect-from-an-empty-homes-tax/">De plus, la fiscalité ne résoudra pas à elle seule la pénurie de logements</a>.</p>
<p>Mais taxer les logements et les terrains vacants est un moyen efficace de s’assurer que le stock de logements et de terrains existants est utilisé au mieux. La fiscalité fait partie des outils à activer pour créer un écosystème du logement qui favorise l’abordabilité. Cela permettrait par ailleurs, le temps que les propriétaires adaptent leur comportement, de dégager des ressources utiles pour le financement de nouveaux logements abordable pour les ménages.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195506/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florian Mayneris a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines. </span></em></p>Les coûts supportés par les ménages pour se loger dans les grandes villes canadiennes augmentent bien plus vite que leurs revenus. Une fiscalité innovante pourrait aider à résoudre la crise du logement.Florian Mayneris, Professor, Urban Economics, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1938112022-11-06T16:26:33Z2022-11-06T16:26:33ZLa suppression de l’ISF commence à produire ses premiers effets positifs<p>Plus encore que le prélèvement forfaitaire (<a href="https://www.capital.fr/votre-argent/flat-tax-1330031">« flat tax »</a>) à 30 % sur tous les revenus du patrimoine mobilier des particuliers (intérêts, dividendes et plus-values), la suppression de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/impot-de-solidarite-sur-la-fortune-isf-63772">l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF)</a> et son remplacement par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) limité aux seuls biens <a href="https://theconversation.com/fr/topics/immobilier-23232">immobiliers</a> constituait bel et bien en 2017 la mesure phare de la révolution de la fiscalité <a href="https://theconversation.com/fr/topics/patrimoine-20390">patrimoniale</a> du premier quinquennat du président de la République Emmanuel Macron.</p>
<p>Cette décision visait à réorienter l’épargne vers les investissements de l’économie réelle et l’emploi en renforçant l’attractivité du pays et en stoppant l’expatriation des grandes fortunes. Selon les dernières statistiques (de 2021 parues en juin 2022), le nombre d’assujettis à ce nouvel avatar de l’impôt sur la fortune française a logiquement diminué, avec <a href="https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/9_statistiques/0_etudes_et_stats/0_publications/dgfip_statistiques/2022/num08_06/dgfip_statistiques_08_2022.pdf">153 000 foyers imposables contre 358 000</a> pour la dernière année de l’ISF en 2017, les recettes chutant de 4,2 milliards d’euros à 1,37 milliard et l’actif net imposable total de 1 028 milliards d’euros avant la réforme à 373 milliards en 2021.</p>
<h2>Un impôt clivant</h2>
<p>Depuis sa création en 1981 sous l’intitulé d’impôt sur les grandes fortunes (IGF), qui fleurait bon la lutte des classes ; puis son rétablissement en 1988 sous la forme de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) destiné à financer le revenu minimum d’insertion (RMI) instauré au même moment, l’impôt sur la fortune a toujours été populaire, puisque moins de 1 % des foyers fiscaux le payait.</p>
<p>Il a également toujours été politiquement clivant. La droite conservatrice et libérale le dénonçait au nom de son inefficacité et de son caractère parfois spoliateur comme dans l’affaire des terrains de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2005/09/26/les-riches-pauvres-de-l-ile-de-re-et-la-reforme-de-l-isf-par-jean-louis-andreani_692817_3232.html">l’ile de Ré</a>, où des propriétaires modestes se voyaient assujettis à l’impôt en raison de la flambée du prix du foncier. Quant à la gauche, elle appelait à l’alourdir au nom de la justice sociale.</p>
<p>La littérature scientifique sur le thème s’est également rapidement divisée en deux cadres théoriques inconciliables. Pour les uns, comme les économistes Thomas Piketty et Gabriel Zucman, il s’agissait d’un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/10/07/thomas-piketty-la-suppression-de-l-isf-une-faute-historique_5197673_3232.html">instrument efficace de justice sociale</a> destiné à réduire les inégalités de patrimoine incontestablement beaucoup plus fortes que celles liées aux revenus : les <a href="https://www.inegalites.fr/inegalites-patrimoine">10 % les plus riches détenant 46 % de la richesse</a>, contre 25 % des revenus. Pour les autres, cet impôt entraînait une expatriation des plus fortunés et représentait in fine un coût élevé pour l’économie et même pour les recettes fiscales.</p>
<p>Dans un article publié dans <em>La Revue de droit fiscal</em> du 5 avril 2007 nous avions analysé les conséquences économiques de l’ISF. Selon nos conclusions, la fuite légale des capitaux à l’étranger depuis sa création en 1988 représentait alors <a href="https://www.ericpichet.fr/assets/files/pdf/publications/les-consequences-economiques-de-l-isf-rdf-avril-2007.pdf">environ 200 milliards d’euros</a> et une perte de recettes fiscales de 7 milliards d’euros par an, soit près du double des montants collectés. En outre, l’ISF réduisait probablement la croissance du PIB de 0,2 % par an, soit environ 3,5 milliards (l’équivalent de ce qu’il rapportait alors).</p>
<h2>Un impôt en voie de disparition</h2>
<p>En conclusion, dans un monde ouvert, l’ISF appauvrissait le pays et générait même un transfert de la charge fiscale des expatriés vers tous les autres contribuables, à l’exact opposé de la justice fiscale. Nous avions d’ailleurs participé dès 2016 au débat fiscal de la présidentielle 2017 en <a href="http://www.ericpichet.fr/assets/files/v1/Fiscalite-du-patrimoine-avril2016-PICHET.pdf">rappelant les effets nocifs de l’ISF</a> dans un environnement de fiscalité patrimoniale déjà très lourd en France.</p>
<p>La disparition progressive de l’impôt sur la fortune des systèmes fiscaux européens depuis 1994 pour des raisons d’efficacité économique et budgétaire est un fait incontestable qui corroborait notre hypothèse de nocivité de l’ISF.</p>
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<p>Ainsi les Pays-Bas, qui l’avait instauré en… 1894 l’ont supprimé en 2001, précédés par l’Autriche en 1994, le Danemark en 1995, l’Allemagne et l’Irlande en 1997 et suivies par la Finlande en 2006 et la Suède de 2007. Les motivations étaient diverses mais la fuite des capitaux, les distorsions dans l’allocation des ressources ou les questions d’équité dans la valorisation des différents biens (comme en Allemagne) étaient les plus fréquemment avancées.</p>
<p>Actuellement seule une poignée de pays conserve encore cet impôt mais dans un environnement fiscal globalement favorable au patrimoine, comme la Suisse, la Norvège ou le Liechtenstein. L’Espagne, qui l’avait supprimé en 2007, fait figure d’exception, l’ayant rétabli officiellement à titre temporaire pour des raisons budgétaires en 2011.</p>
<h2>Le retour des exilés fiscaux</h2>
<p>Cinq ans après son entrée en vigueur, on peut commencer à mesurer les effets positifs de la suppression de l’ISF. Le <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/cerfc-2022_page_html_actualisation_des_donnees_disponibles_20oct.pdf">rapport d’étape</a> du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital de France stratégies traite pertinemment la problématique de l’impôt sur la fortune dans le cadre global des prélèvements sur l’ensemble du capital – soit l’ensemble des prélèvements sur les ménages et les entreprises au titre d’une détention, d’un revenu ou d’une transmission de patrimoine – qui s’établissaient en 2020 au même niveau qu’en 2017 et qui demeuraient parmi les plus élevés dans le monde</p>
<p>Certes, les experts de France Stratégies notent « qu’il n’est toujours pas possible d’estimer […] si la suppression de l’ISF a permis une réorientation de l’épargne des contribuables concernés vers le financement des entreprises », ce qui était l’un des buts de la réforme, mais ce type d’impact ne peut se traduire qu’à long terme une fois la stabilité fiscale bien ancrée dans les esprits.</p>
<p>En revanche, l’organisme de réflexion relève que, « depuis le passage de l’ISF à l’IFI, on observe une baisse du nombre d’expatriations et une hausse du nombre d’impatriations fiscales de ménages français soumis à l’imposition sur le patrimoine, si bien que depuis 2018, le nombre de retours de foyers taxables à l’IFI dépasse le nombre de départs (380 versus 220 en 2020), alors que l’on constatait l’inverse pour les flux de contribuables à l’ISF (470 versus 1 020 en 2016) ».</p>
<p><iframe id="cvGAC" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/cvGAC/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le rapport de France Stratégies montre en outre que la « flat tax » à 30 % a provoqué une hausse des dividendes, ce qui a généré suffisamment de rentrées fiscales pour compenser le coût de la réforme. Enfin, « les ménages dont les dividendes ont crû très fortement en 2020 par rapport à 2017 n’ont en moyenne pas réduit leurs revenus d’activité » soumis à une fiscalité moins avantageuse, balayant ainsi les critiques d’une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/10/25/la-flat-tax-est-une-bombe-a-retardement-pour-les-finances-publiques_5205612_3232.html">réforme poussant à l’optimisation fiscale</a>.</p>
<h2>Une fiscalité immobilière toujours très lourde</h2>
<p>Même si la quasi-totalité des assujettis à l’ISF bénéficie de la nouvelle donne, avec l’IFI la <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-prelevements-obligatoires-sur-le-capital-des-menages">fiscalité de l’immobilier reste toujours particulièrement élevée</a> en France par rapport au reste de l’Europe, avec quatre des impôts sur l’immobilier progressifs (IFI, revenus fonciers, droits de succession et parfois même les plus-values). Le rendement locatif après impôts peut ainsi se révéler négatif pour les gros patrimoines, d’autant que le plafonnement de 75 % de l’IFI prend en compte l’ensemble des revenus du contribuable et non pas seulement les revenus fonciers.</p>
<p>Nous avions d’ailleurs relevé en 2019 le fait que la France restait le seul pays riche cumulant les <a href="https://www.ericpichet.fr/assets/files/pdf/publications/impot-sur-la-fortune-rfp-2019.pdf">six grands types d’imposition patrimoniale</a> aux différentes étapes du cycle économique : sur l’acquisition (et la vente) via les droits d’enregistrement, sur la détention avec les impôts fonciers et l’impôt sur la fortune, sur les revenus du patrimoine, sur les mutations avec les droits de succession et de donation, et enfin sur les plus-values.</p>
<p>En conséquence, la France est toujours aujourd’hui le pays de l’OCDE qui impose le plus l’immobilier, avec un <a href="https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/f85da28f-f5be-11ec-b976-01aa75ed71a1/language-en">record de 4,60 % du PIB en 2020</a>, devant la Belgique (3,51 %), la moyenne se situant à 2,26 % dans l’UE et à 1,33 % en Allemagne.</p>
<p><iframe id="mdGsj" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/mdGsj/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La suppression de l’ISF et son replacement n’a finalement que modérément affecté les prélèvements sur le patrimoine tout en révélant la lourdeur des impositions sur l’immobilier qui explique en grande partie le déficit de logements en France <a href="https://www.banquedesterritoires.fr/combien-de-logements-manquera-t-il-en-2030">évalué à 100 000 par an</a>. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, depuis des décennies <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/237486-declaration-de-m-paul-quiles-ministre-de-lurbanisme-du-logement-et-de">et notamment la loi Quilès de 1984</a>, les gouvernements successifs, quelle que soit leur obédience, usent de la carotte fiscale sous forme de baisse d’impôt sur le revenu pour inciter les particuliers à investir dans des logements neufs à louer. Plutôt que de créer des niches fiscales qui profitent d’abord aux intermédiaires, il serait plus judicieux de mettre en place une fiscalité simple et stable pour l’immobilier sur le modèle de la « flat tax ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193811/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Pichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un rapport de suivi de France stratégies confirme certains arguments qui ont conduit au remplacement de l’impôt sur la fortune par l’impôt sur la fortune immobilière en 2018.Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.