tag:theconversation.com,2011:/global/topics/medecine-21223/articlesmédecine – The Conversation2024-03-25T13:47:48Ztag:theconversation.com,2011:article/2212022024-03-25T13:47:48Z2024-03-25T13:47:48ZEt si avoir des pieds plats était… normal ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/582329/original/file-20240316-24-z9ht8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C2%2C985%2C663&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Au fil des années jusqu'à aujourd'hui, de nombreux professionnels de la santé continuent de soutenir la théorie selon laquelle avoir les pieds plats est un facteur de risque majeur pour les troubles musculosquelettiques. </span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>L’idée selon laquelle les personnes ayant les pieds plats sont plus sujettes à développer divers problèmes a été largement répandue parmi les chercheurs, les professionnels de la santé et la population générale pendant de nombreuses décennies, voire des siècles.</p>
<p>Plus précisément, il était reconnu que d’avoir des pieds plats constituait une prédisposition future à des douleurs et autres problèmes musculosquelettiques (c’est-à-dire aux muscles, tendons et/ou ligaments).</p>
<p>Une sorte de bombe à retardement.</p>
<p>Or, dans un <a href="https://bjsm.bmj.com/content/57/24/1536">éditorial récent</a> publié par mon équipe de recherche dans le <em>British Journal of Sports Medicine</em>, nous remettons en question ce mythe. Nous y démontrons que la théorie selon laquelle avoir des pieds plats conduit inévitablement à des douleurs ou à d’autres problèmes musculosquelettiques est infondée.</p>
<p>Chercheur en médecine podiatrique à l’Université du Québec à Trois-Rivières, j’étayerai ici les faits saillants de notre étude.</p>
<h2>D’où cette théorie provient-elle ?</h2>
<p>L’idée que les pieds plats posent problème remonte à plusieurs siècles.</p>
<p>Elle a été ravivée dans la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle par des podiatres américains, <a href="https://books.google.ca/books/about/Normal_and_Abnormal_Function_of_the_Foot.html?id=CI-KQgAACAAJ&redir_esc=y">Merton L. Root, William P. Orien et John H. Weed</a>, qui ont popularisé le concept de pieds « idéaux » ou « normaux ».</p>
<p>Ces cliniciens-chercheurs ont avancé que les pieds ne répondant pas à des critères spécifiques de normalité (par exemple, une arche plantaire bien définie, un talon droit et aligné avec le tibia) étaient considérés comme anormaux, moins performants et plus enclins aux blessures en raison de multiples compensations biomécaniques, telles qu’un affaissement plus important du pied lors de la marche.</p>
<p>Cette théorie est devenue centrale dans les programmes éducatifs des professionnels de la santé, bien qu’elle disparaisse progressivement avec la mise à jour des cursus modernes. Elle a toutefois été enseignée pendant près de cinq décennies à travers le monde, et ce, même si les fondements scientifiques étaient faibles. En fait, la science n’a jamais validé cette théorie, la laissant toujours au stade d’hypothèse.</p>
<p>Au fil des années jusqu’à aujourd’hui, de nombreux professionnels de la santé continuent de soutenir la théorie selon laquelle avoir les pieds plats est un facteur de risque majeur pour les troubles musculosquelettiques.</p>
<p>Conséquemment, cette idée est encore solidement ancrée dans les croyances de la population générale.</p>
<h2>Est-ce que pieds plats riment avec blessures musculosquelettiques ?</h2>
<p>Contrairement à la proposition de <a href="https://books.google.ca/books/about/Normal_and_Abnormal_Function_of_the_Foot.html?id=CI-KQgAACAAJ&redir_esc=y">Root et ses collègues</a>, des méta-analyses, le plus haut niveau d’évidence scientifique, ont révélé une absence de risque accru de développer la grande majorité des blessures musculosquelettiques chez les personnes avec des pieds plats.</p>
<p>Ces <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1186/s13047-014-0055-4">méta-analyses</a> ont seulement identifié des liens faibles entre avoir des pieds plats et le risque de développer un syndrome de stress tibial médial (douleurs au niveau du tibia), un syndrome fémoro-patellaire (douleurs autour de la rotule), ainsi que des blessures non spécifiques de surutilisation des membres inférieurs.</p>
<p>C’est tout.</p>
<p>Par ailleurs, une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s40279-019-01110-z">revue systématique</a> et une <a href="https://sportsmedicine-open.springeropen.com/articles/10.1186/s40798-022-00416-z">méta-analyse</a> ont conclu que les coureurs avec les pieds plats ne sont pas plus à risque de se blesser que ceux avec des pieds plus droits.</p>
<p>Ces analyses remettent en question l’idée selon laquelle les pieds plats constituent un risque substantiel pour les troubles musculosquelettiques.</p>
<p>Cependant, malgré ces conclusions, diverses sources telles que la littérature grise, les sites Web professionnels, les forums et d’autres médias, laissent souvent entendre que les pieds plats présentent un risque élevé de blessure, voire nécessitent un traitement, même en l’absence de symptômes.</p>
<p>Malheureusement, cette situation conduit fréquemment à des interventions inutiles, telles que l’utilisation de chaussures orthopédiques ou d’orthèses plantaires sur mesure pour des pieds plats asymptomatiques, suscitant également d’importantes préoccupations chez les patients quant à l’apparence de leurs pieds.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/583293/original/file-20240321-16-al3tgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="goupe de personnes qui courent" src="https://images.theconversation.com/files/583293/original/file-20240321-16-al3tgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583293/original/file-20240321-16-al3tgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583293/original/file-20240321-16-al3tgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583293/original/file-20240321-16-al3tgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583293/original/file-20240321-16-al3tgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583293/original/file-20240321-16-al3tgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583293/original/file-20240321-16-al3tgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les coureurs avec les pieds plats ne sont pas plus à risque de se blesser que ceux avec des pieds plus droits.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure>
<h2>Remettre les pendules à l’heure</h2>
<p>Les pieds plats asymptomatiques ne nécessitent généralement pas l’intervention des professionnels de la santé. Selon les connaissances scientifiques actuelles, évaluer si une personne a les pieds plats pour déterminer son risque de blessure est inefficace et contre-productif.</p>
<p>Par contre, il est possible qu’une personne ayant les pieds plats développe une blessure musculosquelettique. Cela ne signifie pas nécessairement que les pieds plats ont causé la blessure.</p>
<p>Il est tout à fait possible que deux variables soient présentes en même temps sans qu’il y ait pour autant un lien de cause à effet. Il y a une différence importante entre un lien de cause à effet et une corrélation. Un lien de cause à effet implique qu’un changement dans une variable (la cause) entraîne un changement dans une autre variable (l’effet). Lorsque deux variables sont corrélées, des changements dans une variable peuvent être associés à des changements dans l’autre variable, mais cela ne signifie pas que l’une cause l’autre.</p>
<p>Prenons l’exemple suivant pour mieux illustrer le concept : nous soumettons 500 enfants âgés de 6 à 12 ans au même examen de mathématiques. En effectuant des tests de corrélation, nous constatons une tendance : plus les enfants ont de grands pieds, plus leur note finale à l’examen est élevée.</p>
<p>Cela soulève la question : est-ce que la taille des pieds influence réellement les compétences en mathématiques ? Bien sûr que non !</p>
<p>Une autre variable, non prise en compte, joue un rôle majeur dans cette corrélation : l’âge ! Comme les pieds grandissent en vieillissant, nous observons une corrélation forte mais inappropriée !</p>
<p>Le même principe s’applique aux pieds plats. Si une blessure musculosquelettique survient chez une personne aux pieds plats, les recherches actuelles indiquent que ces derniers ne sont pas nécessairement en cause, et d’autres facteurs doivent être explorés.</p>
<p>Il s’agit d’un lien de corrélation et non de cause à effet.</p>
<h2>Réduisons le surdiagnostic dans les soins de santé</h2>
<p>La réduction du surdiagnostic dans les soins de santé est devenue cruciale. Ce phénomène, défini comme le diagnostic d’une condition qui n’apporte aucun bénéfice net à l’individu, constitue un fardeau mondial entraînant des effets néfastes potentiels sur les plans <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(16)32585-5/abstract">physique</a>, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1836955317300164">psychologique et financier</a> des patients.</p>
<p>Sur le plan financier, il est facile de comprendre que la prescription d’orthèses plantaires sur mesure à plusieurs centaines de dollars pour prévenir les blessures musculosquelettiques associées aux pieds plats asymptomatiques a un impact négatif substantiel. Surtout dans l’optique où la présence de pieds plats n’augmente que très peu le risque de développer ces blessures.</p>
<p>Pour résoudre ce problème, les professionnels de la santé doivent contribuer à réduire le surdiagnostic des pieds plats en établissant une distinction plus claire pour leurs patients entre les variantes anatomiques inoffensives et les conditions potentiellement préoccupantes.</p>
<p>Étant donné que le surdiagnostic entraîne souvent un surtraitement, éviter les traitements non nécessaires contribuera à apaiser les inquiétudes des patients concernant leurs pieds plats.</p>
<p>Finalement, il est impératif d’abandonner l’idée dépassée, encore trop souvent répandue, selon laquelle avoir les pieds plats pose problème et expose les individus à un risque élevé de blessures musculosquelettiques. Il est temps de changer notre perspective et notre approche concernant l’importance des pieds plats, en reconnaissant leur diversité naturelle dans le contexte de la santé globale des pieds.</p>
<p>Mais surtout, il est temps de considérer les pieds plats asymptomatiques pour ce qu’ils sont… une simple variante anatomique !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221202/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel Moisan est membre de l'Ordre des Podiatres du Québec. Il a reçu des financements du conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), des Amputés de Guerre du Canada et du réseau provincial de recherche en adaptation-réadaptation (REPAR).</span></em></p>Avoir des pieds plats asymptomatiques n’est pas problématique et ne nécessite pas de traitement. Il y a un besoin important de déboulonner ce mythe important.Gabriel Moisan, Professeur, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2227142024-03-13T15:57:07Z2024-03-13T15:57:07ZJeux paralympiques : de la rééducation des blessés de guerre à la célébration de la diversité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/581627/original/file-20240313-30-nmds78.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C12%2C1339%2C876&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 1962, la délégation française s’apprête à défiler lors de l’ouverture des Jeux de Stoke Mandeville.</span> <span class="attribution"><span class="source">Fédération française handisport</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Pour la première fois, les Jeux olympiques et paralympiques <a href="https://www.paris2024.org/fr/paris-2024-un-embleme-unique/">ont un seul et unique logo</a>. Toutefois, si, selon les dernières informations sur le sujet, chaque événement devrait avoir sa cérémonie d’ouverture et de clôture, le paralympisme et l’olympisme semblent plus étroitement associés que jamais.</p>
<p>Pourtant cela était loin d’être évident. L’histoire des Jeux paralympiques est complexe, posant la question de la définition du handicap. À partir de Jeux sportifs uniquement organisés pour des personnes blessées de la colonne vertébrale en fauteuil roulant (créés en 1948), ils concernent peu à peu, à partir des années 1970, des personnes ayant d’autres types de déficiences.</p>
<p>La forme retenue pour les épreuves parisiennes de cet été avec 22 parasports (les sports au programme des Jeux paralympiques) résulte d’un long processus <a href="https://theconversation.com/les-jeux-paralympiques-comment-tout-commenca-il-y-a-70-ans-99390#:%7E:text=Les%20premiers%20Jeux%20de%20Stoke,un%20bus%20de%20transport%20adapt%C3%A9">qui commence le 29 juillet 1948</a>, quand est donné à Londres le coup d’envoi de la XIV<sup>e</sup> olympiade. À cette date, le <a href="https://www.dicolympique.fr/guttmann-ludwig-1899-1980-allemagne-grande-bretagne/">neurochirurgien Ludwig Guttmann</a> organise à l’hôpital de Stoke Mandeville tout proche une compétition de tir à l’arc entre 16 blessés de la colonne vertébrale en fauteuil roulant, vétérans de la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>D’origine allemande, Guttmann est l’inventeur de pratiques rééducatives à partir de jeux sportifs. Au fil des années 1950, ses Jeux de Stoke rassemblent de plus en plus de participants et commencent à s’internationaliser. Réservés aux paralysés en fauteuil roulant, ils se tiennent chaque été au sein de l’enceinte hospitalière. En 1952, ils accueillent une délégation néerlandaise, avec 5 compétitions au programme : tir à l’arc, netball, javelot, tennis de table et billard ; la natation fait l’objet de démonstrations. En 1953, des <a href="https://hal.science/hal-01681465">Français, Australiens, Canadiens, Finlandais, Israéliens et Sud-Africains rejoignent l’événement</a>.</p>
<p>Ces Jeux de Stoke continuent de s’inscrire dans une logique rééducative et Guttmann organise à cette occasion un congrès médical annuel <a href="https://theconversation.com/les-jeux-paralympiques-comment-tout-commenca-il-y-a-70-ans-99390">sur les avancées dans le traitement des blessés de la colonne vertébrale</a>.</p>
<h2>Logique médicale persistante</h2>
<p>C’est leur délocalisation à Rome en 1960, dans la foulée des JO, qui va partiellement changer la donne. Si la dimension sportive s’affirme davantage, ils restent inscrits dans l’univers de la rééducation des blessés de la colonne vertébrale. Cette délocalisation est rendue possible grâce aux liens entre Ludwig Guttmann et Antonio Maglio, un confrère italien qui a fondé un centre de rééducation pour paraplégiques proche de la capitale italienne. 400 sportifs, tous en fauteuil, originaires de 23 pays, concourent dans huit disciplines. Bénéficiant des infrastructures olympiques, ils quittent l’univers hospitalier, mais restent encadrés par une logique médicale. En témoignent les ministres venus soutenir les sportifs. Ces « Jeux para-olympiques » s’ouvrent en présence du ministre de la santé italien mais sans le ministre des sports. Ce sera la même chose quatre ans plus tard à Tokyo. Reste qu’une dynamique est alors enclenchée : elle aboutira en 1989 à la création du Comité international paralympique (CIP).</p>
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<p>Les Jeux paralympiques désignent alors un événement reconnu par le CIO impliquant des athlètes ayant divers types d’incapacités (en réalité « capable autrement »). Le para ne signifie plus « pour les paralysés », <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1466424007077348">mais « parallèles » aux Jeux olympiques</a>.</p>
<p>Mais avant d’en arriver là, bien des querelles devront être dépassées.</p>
<h2>Dynamique compétitive</h2>
<p>En effet, dans les années 60, des voix s’élèvent en faveur de l’ouverture aux amputés et aux aveugles, ce que désapprouve la fédération de Stoke qui reste centrée sur le sport en fauteuil roulant des personnes blessées de la colonne vertébrale. En 1964 à Tokyo, une rencontre sportive « tous handicaps » a lieu, en marge des Jeux para-olympiques, pour les non paralysés. En 1968, les Jeux para-olympiques ont lieu à Tel-Aviv et restent encore réservés aux seuls paralysés en fauteuil. Cependant, peu à peu l’objectif initial de rééducation cède la place au désir de se rapprocher du schéma compétitif olympique et de l’image du champion.</p>
<p>Bien que Guttmann soit opposé à cette perspective compétitive pour tous les types de déficience, l’objectif des athlètes et de certaines fédérations nationales – dont la France – s’oriente inexorablement vers la mise à distance de la tutelle médicale afin de se rapprocher de l’univers sportif et de ses instances nationales et internationales.</p>
<h2>Rapprochements progressifs</h2>
<p>Les années 1970 confirment ce basculement, les compétitions accueillant progressivement de nouveaux types de déficiences en catégorisant les athlètes selon leurs capacités.</p>
<p>Il s’agit de permettre leur participation, tout en assurant l’égalité des chances et la logique compétitive du sport. Ainsi, l’intégration de nouveaux sportifs dotés de caractéristiques spécifiques implique une réflexion sur la mise en place de classifications fonctionnelles au regard de leurs capacités et de l’incidence qu’elles ont sur leurs performances.</p>
<p>En 1972, lors des Jeux paralympiques de Heidelberg (les JO se déroulent à Munich), les déficients visuels sont autorisés à participer <a href="https://www.handisport.org/les-29-sports/goalball/">à des épreuves d’exhibition en goalball</a> et au 100 mètres sprint. Parallèlement, des amputés entrent sur le stade pour manifester leur mécontentement, comme le rappelle feu <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09523367.2014.931842">l’entraîneur d’athlétisme Christian Paillard</a> de la fédération française : « Qu’est-ce que je vois arriver ? Des amputés avec de grandes banderoles ! Ils ont fait un sit-in sur la piste en disant : « Nous aussi, on veut participer aux Jeux ! »</p>
<p>Il faudra attendre quatre années supplémentaires et les Jeux de Toronto en 1976 pour qu’amputés et déficients visuels soient officiellement autorisés à concourir. Soucieuse de visibilité, chaque catégorie de handicap fonde sa propre fédération internationale et en 1982, un comité (ICC) est créé pour les coordonner et opérer un rapprochement avec le Comité international olympique (CIO).</p>
<p>Aux JO de Los Angeles en 1984, des épreuves en fauteuil hors compétition figurent au programme, dans le but de promouvoir le sport pour handicapés. Cette première représentation des pratiques paralympiques lors des Jeux olympiques provoque la colère des amputés qui se sentent exclus. Elle fait planer un risque de scission sur le mouvement.</p>
<p>Malgré une situation de crise, les Jeux paralympiques sont maintenus en 1984, mais ils scindés en deux : les sportifs en fauteuils concourent à New York, et tous les autres à Stoke. En 1986, deux fédérations internationales s’agrègent au mouvement : celle des sportifs sourds et celles pour les sportifs ayant des déficiences intellectuelles.</p>
<p>Plus de deux décennies après Tokyo (1964), les Jeux de Séoul (1988) sont l’occasion de réunir de nouveau les JO et les Jeux paralympiques sur un même site. Du jamais vu depuis 1964.</p>
<p>En 1989, la création du Comité international paralympique (CIP) achève l’alignement sur l’olympisme et la projection vers un événement unique organisé en partenariat avec le CIO : les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) se tiendront désormais obligatoirement sur le même site. Cette obligation ne sera finalement appliquée qu’à partir de 1996 à Atlanta, les Jeux paralympiques de 1992 se déroulant à la fois à Barcelone (pour les déficients physiques) et à Madrid (pour les déficients intellectuels), alors que les JO se tenaient à Barcelone.</p>
<h2>Un désir de pratiquer comme les autres</h2>
<p>Le mouvement d’intégration n’est pourtant pas achevé et reste un motif de tensions. En 1995, la fédération des sportifs sourds fait le choix de se retirer pour préférer une pratique entre personnes sourdes affirmant leur culture singulière, ou, pour les plus performantes, au sein des JO. Les sourds n’ont finalement jamais participé aux Jeux paralympiques.</p>
<p>Parallèlement, si des déficients intellectuels intègrent pour la première fois les épreuves paralympiques en 1992, leur participation n’est pas sans poser problème. Lors du tournoi de basket-ball de Sydney (2000), il s’avère que plusieurs joueurs de l’équipe espagnole ayant remporté le tournoi <a href="https://www.liberation.fr/sports/2000/11/25/de-faux-handicapes-pour-de-vraies-medailles_345658/">n’ont en réalité pas de déficience cognitive</a>. La médaille d’or est restituée et, ne sachant pas comment assurer une sélection fiable de ce type de sportifs, le CIP suspend leur participation. Il faudra attendre Londres (2012) pour qu’ils soient réintégrés.</p>
<p>Le désir de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=tuAPPeRg3Nw">pratiquer « comme les autres »</a> produit une force agrégative qui conduit peu à peu à rompre le lien avec le monde médical. L’aspiration à la norme oblige, paradoxalement, à inventer des épreuves adaptées dans lesquelles chacun peut mettre en valeur ses capacités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222714/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Au cours des quinze dernières années, Sylvain Ferez a reçu des financements de l'ANR, l'ANRS, Sidaction, la Fondation de France, l'IReSP, la CNSA, la Fondation des maladies rares, l'Association Grégory Lemarchal et la Fédération Française Handisport pour mener ses travaux de recherche.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Dans les 20 dernières années, RUFFIE Sébastien a reçu des financements de la Fondation Maladies Rares, de la CNSA, DRESS/MIRE, de l'ANR, de l'ANRS et de la Fédération Française Handisport afin de mener ses travaux de recherche. </span></em></p>L’histoire des Jeux paralympiques est complexe, et pose la question de la définition du handicap.Sylvain Ferez, Maître de conférences (HDR), sociologie, Université de MontpellierSébastien Ruffie, Professeur des Universités en sciences sociales, Université des AntillesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216372024-03-13T15:55:28Z2024-03-13T15:55:28ZXénogreffe : pourra-t-on utiliser de la peau de porc en chirurgie ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/581666/original/file-20240313-18-h207ag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2400%2C1562&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour les greffes de peau, la xénotransplantation pourraient permettre de soigner même les patients chez qui l'on ne peut pas prélever de peau saine.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/homme-en-chemise-blanche-portant-des-lunettes-blanches-KrsoedfRAf4">National Cancer Institute/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Alors que plus de 10 000 personnes attendaient une greffe d’organe en France en 2023, la pénurie de dons pousse la recherche à trouver d’autres solutions. Ainsi, les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/xenotransplantation-115317">xénogreffes</a>, qui consistent à transplanter un organe d’un donneur dont l’espèce biologique est différente de celle du receveur, représentent une piste prometteuse. Le porc est considéré comme l’espèce donneuse de choix, du fait de nombreuses similarités physiologiques et morphologiques entre les organes humains et porcins.</p>
<p>Des avancées importantes ont notamment été réalisées récemment, avec en 2023 une greffe de rein chez un patient en état de mort cérébral, et une greffe de cœur chez un patient américain en vie mais inéligible pour une greffe humaine. Mais la xénogreffe représente aussi une piste en chirurgie reconstructive, pour fournir des greffons de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/peau-52915">peau</a>.</p>
<h2>Un espoir pour réparer les plaies les plus difficiles</h2>
<p>Si pour les organes comme le foie, le rein ou le cœur, la xénogreffe permettait de pallier la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/greffes-dorganes-23822">pénurie de greffons</a>, son application en chirurgie plastique présente d’autres enjeux. C’est le cas en particulier du traitement des plaies dites complexes, des plaies graves et qui ne peuvent être traitées avec des techniques simples, et ce sans agresser les tissus sains du patient. L’impact économique et social que représente aujourd’hui le traitement de ces plaies s’alourdit rapidement, en raison de l’augmentation des coûts des soins et du vieillissement de la population.</p>
<p>Ces plaies complexes surviennent dans des conditions très diverses : fractures de membres, retrait de cancers graves et étendus de la peau, plaies liées aux troubles vasculaires et neurologiques des patients atteints de diabète… Elles exposent parfois à l’air libre des structures dites « nobles » comme de l’os, des tendons et des vaisseaux. Dans le pire des cas, elles conduisent à l’amputation d’un membre ou à une infection généralisée dont le point de départ est la plaie, pouvant conduire au décès.</p>
<h2>Éviter le rejet de la greffe</h2>
<p>La seule solution pour traiter ces plaies et éviter les complications est parfois leur couverture par des tissus prélevés sur le patient lui-même, appelés lambeaux. Ces lambeaux impliquent alors le prélèvement de peau en zone saine, ce qui peut être à l’origine de conséquences néfastes importantes (réouverture de la plaie, perte d’une fonction musculaire, lésion nerveuse, douleur…). Le patient peut également manquer de zones de prélèvement de tissus sains, avec l’impossibilité de prendre du tissu adapté à la plaie à couvrir dans le cas de patients maigres, brûlés ou multiopérés. Utiliser des lambeaux tissulaires venant de porcs dans le cadre de xénogreffes serait une solution pour contourner ces problèmes.</p>
<p>Néanmoins, l’utilisation des xénogreffes est limitée par les barrières immunologiques interespèces. Dans la circulation sanguine humaine, des anticorps sont en effet chargés d’identifier les marqueurs non humains, appelés xénoantigènes, présents à la surface des cellules porcines. Cette réaction immunitaire est responsable d’un phénomène de rejet hyperaigu qui aboutit inexorablement à la perte du greffon en quelques minutes.</p>
<h2>Remplacer les cellules animales par les cellules du patient</h2>
<p>Une méthode pour éviter cette réaction immunitaire consiste à décellulariser puis à recellulariser les greffons. La décellularisation d’organes consiste à produire une matrice sans cellules (ou acellulaire), gardant la forme initiale de l’organe d’un patient ou animal donneur mais qui n’est plus constituée que du tissu conjonctif, qui structure les organes. La décellularisation permet donc d’éliminer les cellules du donneur, tout en préservant la forme et l’environnement nutritif pour les cellules, en traitant le tissu ou l’organe avec des détergents. Comme elle n’a pas de cellules, cette matrice ne provoque pas de rejet si elle est transplantée à un patient receveur.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Matrice décellularisée -- donc blanche -- de peau" src="https://images.theconversation.com/files/581021/original/file-20240311-21-dkuqnc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581021/original/file-20240311-21-dkuqnc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581021/original/file-20240311-21-dkuqnc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581021/original/file-20240311-21-dkuqnc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581021/original/file-20240311-21-dkuqnc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581021/original/file-20240311-21-dkuqnc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581021/original/file-20240311-21-dkuqnc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=662&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une matrice décellularisée de peau, prélevée sur l’aine d’un porc.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Elise Lupon/Université Côte d’Azur</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Des cellules du patient peuvent alors être cultivées sur cette matrice avant transplantation : c’est ce qu’on appelle la recellularisation. Ces matrices recellularisées peuvent être ensuite transplantées au receveur de manière à restaurer, maintenir ou améliorer la fonction de l’organe ou couvrir une plaie.</p>
<p>Ces matrices recellularisées sont reconnues par l’organisme du patient comme faisant partie « du soi » afin qu’il ne les rejette pas. Si un certain nombre de substituts de peau et de matrices dermiques simples et décellularisées ont été produits et commercialisés (valves cardiaques de porc, dermes artificiels bovins…), aucune greffe plus élaborée ne s’est intégrée chez un patient receveur, car les matrices requièrent dans ce cas cette étape de recellularisation.</p>
<h2>Des avancées, mais pas encore de tentative chez l’humain</h2>
<p>Alors que la décellularisation et la recellularisation ont montré un grand potentiel dans la transplantation d’organes comme le foie, le rein, le cœur ou le poumon, son application pour les lambeaux tissulaires n’a été étudiée que récemment. Avec mon équipe, nous avons ainsi développé et optimisé des modèles de matrices de lambeaux de peau décellularisées chez le porc. Toutes les procédures chirurgicales ont été approuvées par le comité d’éthique local.</p>
<p>Des lambeaux de peau ont été prélevés sur des porcs vivants et anesthésiés au bloc opératoire. Ces lambeaux ont ensuite été perfusés avec un détergent spécifique à des niveaux de concentration différents. Nous avons montré qu’il est nécessaire de garder cette concentration faible pour garder un environnement nutritif, indispensable pour accueillir de nouveau des cellules. Si la concentration de détergent est trop importante, la matrice devient toxique pour les cellules, qui ne survivent pas.</p>
<p>Nous avons vérifié que ces matrices de peau préservaient les propriétés mécaniques et chimiques de base de la peau porcine. Les protéines et les facteurs de croissance étaient présents en quantité suffisante dans les matrices pour que des cellules puissent y vivre. Nous avons finalement montré la possibilité de recellularisation des matrices acellulaires. Cependant, nous devons encore optimiser la stratégie de recellularisation, afin de pouvoir déposer un nombre très important de cellules sur les matrices.</p>
<p>Un tel traitement des greffes de lambeaux de porcs, n’induisant pas le rejet chez l’homme car contenant les cellules du patient à traiter, permettrait de s’affranchir des complications liées au prélèvement de tissu sur la peau saine du patient. Cette technologie résoudrait également les problèmes d’absence de site donneur sain. La poursuite de nos recherches est cruciale pour espérer un jour réaliser des xénotransplantation de lambeaux de peau chez l’humain sans rejet immédiat de ceux-ci.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221637/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elise Lupon a reçu des financements de la Fondation des Gueules Cassées et de la Fondation de la Vocation. </span></em></p>Si la xénotransplantation s’est récemment développée avec des greffes de cœurs ou de reins porcins, la chirurgie reconstructive espère aussi utiliser de la peau animale pour soigner les plaies les plus graves.Elise Lupon, Doctorante en recherche clinique et thérapeutique, Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2206942024-01-24T15:46:16Z2024-01-24T15:46:16ZSur la piste des 86, mémoires d’un crime nazi (4/5) : « L’affaire des restes découverts à Strasbourg »<p><em><a href="https://theconversation.com/sur-la-piste-des-86-memoires-dun-crime-nazi-episode-3-218952">Épisode précédent </a>: Au début des années 2000, l’historien et journaliste allemand Hans-Joachim Lang dévoile l’identité nominative des 86 victimes du Professeur Hirt. Il se met en quête des descendants des victimes. Sa découverte, qui couronne des années de recherches, semble ouvrir une nouvelle étape dans la mise en mémoire – jusqu’alors complexe – de ce crime. Mais c’est une autre découverte, très polémique, qui va véritablement induire un bouleversement dans le rapport local à ce passé.</em></p>
<hr>
<h2>Épisode 4 : « L’affaire des restes découverts à Strasbourg »</h2>
<p>En janvier 2015, un ouvrage paraît chez Stock, intitulé <a href="https://www.editions-stock.fr/livre/hippocrate-aux-enfers-9782234078031/"><em>Hippocrate aux enfers. Les médecins des camps de la mort</em></a>. L’auteur n’est pas un historien mais un médecin très médiatique, Michel Cymes, animateur de télévision et de radio depuis les années 1990 et <a href="https://www.lepoint.fr/video/michel-cymes-se-confie-sur-son-terrible-passe-familial-15-01-2018-2186796_738.php">personnellement concerné</a> par le passé sur lequel il se penche, ses deux grands-pères étant morts <a href="https://theconversation.com/heidegger-theoricien-et-acteur-de-lextermination-des-juifs-86334">en déportation à Auschwitz</a>.</p>
<p>Dans cet ouvrage, le médecin se fait « passeur de connaissances », pour tenter d’élucider une <a href="https://www.google.fr/books/edition/Hippocrate_aux_enfers/wfDqBQAAQBAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=hippocrate+aux+enfers&printsec=frontcover">question « naïve » et lancinante</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Comment peut-on vouloir épouser un métier dont le but ultime est de sauver des vies et donner la mort à ceux que l’on ne considère plus comme des êtres humains ? »</p>
</blockquote>
<p>D’un chapitre à l’autre, il fait le récit des expérimentations médicales glaçantes pratiquées par des <a href="https://theconversation.com/proces-dun-homme-de-100-ans-en-allemagne-pourquoi-juger-les-crimes-de-guerre-nazis-prend-si-longtemps-169485">médecins nazis</a> dans plusieurs camps de concentration. Il s’arrête notamment sur les crimes perpétrés par August Hirt à Strasbourg.</p>
<p>Sur la base de témoignages d’anciens étudiants en médecine, il déclare qu’il pourrait subsister des restes humains appartenant aux victimes juives du professeur Hirt dans les collections universitaires de la ville :</p>
<blockquote>
<p>« Il resterait donc des coupes de morceaux de corps, d’organes de ces malheureux qu’Hirt voulait exposer dans un musée des “races disparues” ! Comment est-ce possible ? Pourquoi personne n’a-t-il cherché à remettre ces restes aux familles ? Pourquoi n’ont-ils pas été enterrés lors d’une cérémonie officielle, près d’une stèle pour rappeler ce qui s’est passé ? »</p>
</blockquote>
<h2>Un scandale médiatique</h2>
<p>Portée par une personnalité publique, cette accusation est relayée dans la presse et déclenche un tollé. Quinze jours après la parution du livre, l’Université de Strasbourg réagit dans un <a href="https://www.unistra.fr/uploads/media/Hippocrates_aux_enfers_met_en_cause_notre_honnetete_intellectuelle.pdf">communiqué de presse</a>, déplorant le « manque de rigueur » de l’ouvrage, qui repose sur des « propos détournés », des faits avancés « sans preuve », des « rumeurs » et des « inexactitudes ».</p>
<p><a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/3005/Communique%CC%81_de_presse_Unistra_Janvier_2015.pdf?1705416918">Communiqué de presse de janvier 2015 publié par l’Université de Strasbourg déplorant certains propos publiés par Michel Cymes dans son ouvrage.</a></p>
<p>Dès les premières lignes, l’institution récuse toute responsabilité vis-à-vis du crime, rappelant « qu’entre 1941 et 1944, l’Université de Strasbourg était repliée à Clermont-Ferrand ».</p>
<p>Durant ces années, deux universités se réclamaient de Strasbourg : l’une, clermontoise, « légitime, française et résistante » ; l’autre « fondée par le régime hitlérien » dans la capitale alsacienne, à la suite de l’annexion de la ville par les nazis. Le contexte historique posé, l’Université dément formellement les allégations portées contre elle :</p>
<blockquote>
<p>« Les parties de corps des 86 Juifs déportés d’Auschwitz, gazés par Hirt au camp du Struthof et transférés à l’Institut d’anatomie de Strasbourg par ses soins, n’ont pas toutes été détruites par les nazis avant leur fuite. En décembre 1944, les médecins légistes de Strasbourg, le professeur Simonin et le docteur Fourcade, ont eu la terrible mission de faire l’expertise médico-légale des parties restantes des corps de ces victimes. Ces restes ont alors été enterrés au cimetière juif de Cronenbourg, à l’endroit où fut apposée il y a quelques années la stèle qui porte le nom des 86 victimes. Depuis septembre 1945, il n’y a donc plus aucune de ces parties de corps à l’Institut d’anatomie et à l’Université de Strasbourg. »</p>
</blockquote>
<p>Pour apaiser <a href="https://www.dna.fr/societe/2015/01/31/arretez-cette-paranoia">les vives tensions qu’a fait naître cette publication</a>, l’Université s’engage en outre à réaliser un « travail de mémoire » et à sensibiliser ses étudiants sur l’histoire de la Faculté de médecine durant la période d’annexion.</p>
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<h2>Juillet : une découverte polémique</h2>
<p>Or, quelques mois après la parution d’<em>Hippocrate aux enfers</em>, Strasbourg fait de nouveau l’actualité. En juillet 2015, la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2015/07/19/des-restes-de-victimes-d-un-anatomiste-nazi-decouverts-a-strasbourg_4689200_3224.html">presse nationale</a> et <a href="https://www.timesofisrael.com/remains-of-nazi-anatomy-profs-victims-found-at-french-forensic-institute">internationale</a> titre sur une <a href="https://www.washingtonpost.com/news/morning-mix/wp/2015/07/22/remains-of-holocaust-victims-used-as-guinea-pigs-found-at-french-forensic-institute/">découverte stupéfiante</a> : des restes de victimes juives d’August Hirt ont effectivement été retrouvés à l’Université.</p>
<p>C’est à un médecin et chercheur strasbourgeois, <a href="https://fresques.ina.fr/panorama-grand-est/fiche-media/GRDEST00062/des-restes-de-victimes-du-nazisme-retrouves-dans-les-collections-de-l-universite-de-strasbourg.html">Raphaël Toledano</a>, que l’on doit cette découverte.</p>
<p>Dès le milieu des années 1990, alors qu’il est lycéen à Strasbourg, Raphaël Toledano se passionne pour l’histoire du nazisme et de la Reichsuniversität, grâce notamment à l’action mémorielle du cercle Menachem Taffel.</p>
<p>Il est étudiant en médecine lorsqu’il assiste en 2003 au colloque « Strasbourg, l’horreur de la médecine nazie » au cours duquel Hans-Joachim Lang révèle le nom des 86 victimes juives. Dès lors, cette histoire <a href="https://auschwitz.be/images/_expertises/2019-van_praag-toledano.pdf">ne le « quitte plus »</a>.</p>
<p>Il entame ses recherches sur les expérimentations médicales au camp de Natzweiler-Struthof, qui donneront lieu à la soutenance d’une <a href="https://www.idref.fr/148917771">thèse en histoire de la médecine</a> en 2010, et à la co-réalisation d’un film documentaire, avec Emmanuel Heyd, intitulé <a href="https://www.dorafilms.com/article-723-le-nom">« Le nom des 86 »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mvPkZ2Lnu5U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Le nom des 86 », extrait (Dora Films).</span></figcaption>
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<p>Au cours de ses recherches dans les archives, Raphaël Toledano <a href="https://www.dna.fr/societe/2016/05/14/commission-scientifique-l-histoire-n-est-plus-a-un-an-pres">exhume une lettre</a> adressée par le professeur Camille Simonin, chargé de l’expertise des corps en 1945, au président du tribunal militaire de Metz. Dans ce courrier de 1952, Camille Simonin mentionne « deux bocaux » constitués par les légistes après la guerre et conservés au « musée de l’Institut de Médecine Légale de Strasbourg », l’un contenant « des prélèvements intéressants faits dans l’intestin et l’estomac d’une victime de la chambre à gaz », l’autre « des fragments de peau avec des traces impressionnantes de coups ».</p>
<p>Sur la base de ce document, le médecin-chercheur se rend à l’Institut de médecine légale de Strasbourg le 9 juillet 2015 ; avec l’aide du directeur de l’Institut, il retrouve les bocaux dans une armoire.</p>
<h2>À qui sont ces restes ?</h2>
<p>Rapidement médiatisée, la découverte provoque un vif émoi et donne lieu à plusieurs communiqués, du maire de Strasbourg comme du président de son Université, qui authentifient le 18 juillet 2015 « l’origine » des « pièces » mises à jour par Raphaël Toledano.</p>
<blockquote>
<p>« La correspondance entre les préparations retrouvées et la description qui en est faite dans la lettre de Camille Simonin de 1952 ne laissent place à aucun doute quant à l’origine commune des pièces. […].</p>
<p>« Les étiquettes identifient chaque pièce avec précision et font notamment état du matricule 107969, qui correspond au numéro qui fut tatoué au camp d’Auschwitz sur l’avant-bras de Menachem Taffel, une des 86 victimes du projet de collection de squelettes juifs voulu par August Hirt, comme cela est confirmé par les archives du camp d’Auschwitz »</p>
</blockquote>
<p><a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/3004/150718_CP_De__couvertes_IML_01.pdf?1705312528">Communiqué de presse de l’Université de Strasbourg, juillet 2015.</a></p>
<p>Parallèlement à cette reconnaissance publique, la découverte de ces restes ouvre une série de questions : que doit-on en faire ? Qui sont les personnes ou les collectifs légitimes pour statuer sur leur devenir ? Finalement, à qui appartiennent-ils ?</p>
<p>Pour Raphaël Toledano, le juste destin de ces restes humains va de soi ; parce qu’ils représentent des personnes ayant vécu et souffert, ils doivent être enterrés dans la dignité, suivant le rite juif, et rejoindre les fragments inhumés au cimetière de Cronenbourg. En 2023, il revient publiquement sur sa position pour l’éclairer :</p>
<blockquote>
<p>« Ce n’était pas approprié de les conserver dans un musée parce qu’ils ont été tués pour être mis dans un musée. » (Raphaël Toledano, juin 2023)</p>
</blockquote>
<p>D’autres voix se font pourtant entendre, à l’instar de celle d’un historien anglais, Paul Weindling, professeur d’histoire de la médecine à l’Université d’Oxford et spécialiste du nazisme. Lors d’un entretien en 2022, il m’explique sa réaction de l’époque :</p>
<blockquote>
<p>« Si on est juif orthodoxe, on doit enterrer le corps immédiatement. Mais le problème… Pour les travaux historiques, peut-être que c’est mieux de faire une reconstruction de provenance et quand on a fait vraiment une identification, quand on a vraiment documenté, qu’on a fait des photographies, tout ça… Ok, on peut enterrer. […]</p>
<p>Quand Raphaël Toledano a découvert les tissus de Menachem Taffel mais aussi les épluchures de pommes de terre [contenues dans l’estomac de la victime et conservées comme preuves des mauvais traitements infligés aux déportés], ce que les prisonniers mangeaient… À mon avis, et c’est très personnel, moi je trouverais préférable que ces épluchures soient au Musée du Struthof. Pour que les gens puissent comprendre comment on a traité les prisonniers. C’était aussi l’avis du président de l’Université […]. Et puis on ne sait pas qui était Menachem Taffel, s'il était juif orthodoxe ou non… » (Paul Weindling, mai 2022).</p>
</blockquote>
<p>Ces divergences quant au devenir légitime des restes retrouvés traduisent des conceptions différenciées de la manière dont ils sont appréhendés : sont-ils des personnes ? Des outils pédagogiques permettant la transmission des horreurs passées ? Des témoignages historiques ? Des preuves judiciaires ? En dépit de ce statut <a href="https://laviedesidees.fr/Des-restes-humains-trop-humains">problématique et incertain</a>, la décision est prise de remettre ces pièces à la communauté juive de Strasbourg, afin d’organiser leur inhumation.</p>
<h2>Inhumer les restes, exhumer le passé</h2>
<p>Deux mois après leur découverte, les restes retrouvés à l’Institut de Médecine légale de Strasbourg sont inhumés <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/bas-rhin/strasbourg-0/restes-victimes-juives-du-nazi-august-hirt-enterres-strasbourg-800625.html">au cimetière juif de Cronenbourg</a>, où reposent déjà les corps des 86 victimes.</p>
<p>En ce jour symbolique de Yahrzeit où la communauté juive honore la mémoire de ses morts, c’est le Grand Rabbin de Strasbourg <a href="http://judaisme.sdv.fr/histoire/rabbins/gutman/index.htm">René Gutman</a> qui officie. Durant des décennies « la communauté [juive] ne se sentait pas concernée » par ce crime, m’explique-t-il plusieurs années après, en juillet 2022.</p>
<p>Les victimes étaient anonymes, venues de toute l’Europe, extérieures aux réseaux d’interconnaissance locaux, et la société alsacienne peu prompte au souvenir de ce passé « honteux » :</p>
<blockquote>
<p>« On a peu su de cet épisode pendant longtemps. L’Université – et d’ailleurs elle l’a reconnu – avait couvert d’une chape ce qui s’était passé. On a dû considérer que cette affaire relevait uniquement du fameux docteur Hirt et des médecins nazis, et que finalement, ça ne concernait pas directement la conscience locale. » (René Gutman, juillet 2022)</p>
</blockquote>
<h2>La naissance d’espérances</h2>
<p>Ce dimanche 6 septembre 2015, ce sont pourtant près de 300 personnes, membres de la communauté juive pour l’essentiel, qui sont réunies pour assister à l’émouvante cérémonie où se retrouvent tous ceux qui, depuis des années ou plus récemment, se sont engagés pour la mémoire de ce crime.</p>
<p>Aux côtés de Raphaël Toledano, sont présents les membres du cercle Menachem Taffel, Hans-Joachim Lang, Michel Cymes, le président de l’Université de Strasbourg et le maire de la ville, Roland Ries.</p>
<p>Cette cérémonie et la polémique qui la précède font naître des espérances.</p>
<h2>Une commission pour éclairer le passé</h2>
<p>Au nom du cercle Taffel, Georges Yoram Federmann forme le vœu que l’Université puisse prendre en charge la transmission de cette histoire et son actualisation pour les générations présentes et à venir :</p>
<blockquote>
<p>« Ce à quoi on est attachés maintenant, si cette cérémonie a du sens, c’est de faire en sorte qu’on transmette à des jeunes, notamment les étudiants en médecine et dans les filières paramédicales, la manière dont les soignants ont pu adhérer au nazisme. Qu’on décortique l’adhésion au nazisme, la participation des médecins au nazisme. Et [qu’on réfléchisse à] comment – en mémoire de Taffel – on peut soigner les Juifs d’aujourd’hui. Comment faire en sorte de reconnaître les Juifs d’aujourd’hui, non pas pour les laisser se noyer en Méditerranée, mais pour qu’ils soient les bienvenus, et qu’ils le sachent, dans nos cabinets médicaux. […] Ce serait ça, l’espoir. ». (G.Y. Federmann à la presse locale, septembre 2015)</p>
</blockquote>
<p>En septembre 2016, un an après l’inhumation des restes, une commission historique internationale et indépendante est constituée sur proposition d’Alain Beretz, alors président de l’Université de Strasbourg.</p>
<p>Aux 12 experts réunis, l’Université demande de conduire des recherches « aussi complètes que possibles, sans restriction et sans partialité » sur l’histoire de la Reichsuniversität Straßburg, et notamment de la Faculté de médecine, entre 1941 et 1944. Il s’agit également d’éclairer les « continuités et discontinuités entre la Reichsuniversität Straßburg et l’Université de Strasbourg ». Très attendu, le rapport de la commission sera présenté six ans plus tard, en mai 2022. Que va-t-il provoquer sur la mémorialisation de ce crime ?</p>
<hr>
<h2>Accédez au dernier épisode :</h2>
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<p><strong>Épisode 5/5</strong> : <a href="https://theconversation.com/sur-la-piste-des-86-memoires-dun-crime-nazi-episode-5-220900"> Notre histoire ?</a></p>
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<h2>Accédez aux épisodes précédents :</h2>
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<p><strong>Épisode 1/5</strong> : <a href="https://theconversation.com/sur-la-piste-des-86-memoires-dun-crime-nazi-15-une-sinistre-decouverte-216667">« Une sinistre découverte »</a></p>
<p><strong>Épisode 2/5</strong> : <a href="https://theconversation.com/sur-la-piste-des-86-memoires-dun-crime-nazi-episode-2-217294">« Zakhor : Souviens-toi ! »</a></p>
<p><strong>Épisode 3/5</strong> : <a href="https://theconversation.com/sur-la-piste-des-86-memoires-dun-crime-nazi-episode-3-218952">L’étrange matricule 107969 et la quête d’un journaliste allemand</a></p>
</blockquote>
<hr><img src="https://counter.theconversation.com/content/220694/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeanne Teboul a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche et du CIERA pour la conduite de cette recherche. Elle participe en outre à un groupe de travail sur la mémoire de la Reichsuniversität Strasbourg. Projet ANR N°-23-CE27-0015-01 Faire siens les morts incertains. Matérialités, identités et affects dans le traitement des restes humains problématiques en contextes post-violences.</span></em></p>Au début des années 2000, l’historien et journaliste allemand Hans-Joachim Lang dévoile l’identité nominative des 86 victimes du Professeur Hirt. Il se met en quête des descendants des victimes.Jeanne Teboul, Anthropologue, Maîtresse de conférences à l'Université de Strasbourg, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2189452023-12-14T19:10:51Z2023-12-14T19:10:51Z40 ans de lutte contre le VIH en Afrique : de la tragédie à l’espérance<p>La commémoration des <a href="https://www.pasteur.fr/fr/journal-recherche/actualites/40-ans-decouverte-du-vih-virus-responsable-du-sida-est-identifie-20-mai-1983">40 ans de la découverte du virus d’immunodéficience humaine</a> (VIH) invite à jeter un regard rétrospectif sur quatre décennies de lutte contre ce fléau dans l’Afrique au sud du Sahara. Cette région <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/lafrique-region-du-monde-la-plus-touchee-par-le-vih-virus-responsable-du-sida_3738733.html">a payé le plus lourd tribut</a> à la pandémie.</p>
<p>Au début des années 2000, les trois quarts des adultes mourant du sida et 80 % des enfants vivant avec le VIH étaient des Africains. La création en 2001-2002 du <a href="https://www.theglobalfund.org/fr/about-the-global-fund/history-of-the-global-fund/">Fonds mondial</a>, à l’initiative du secrétaire général de l’ONU, le Ghanéen Kofi Annan, va contribuer à l’accès universel au traitement et à désamorcer la bombe du sida. Lors du lancement officiel du Fonds mondial à New York en 2001, moins de 1 % des patients africains ont accès aux traitements. À cette époque où des chercheurs militants parlent de <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(02)11722-3/fulltext">« crime contre l’humanité »</a> pour dénoncer l’apathie de la communauté internationale face à la pandémie, la naissance du Fonds inaugure une <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2009-4-page-84.htm">réponse d’envergure au niveau mondial</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, l’Afrique subsaharienne abrite 65 % du nombre total de personnes vivant avec le VIH dans le monde, soit 25,6 millions d’individus sur 39 millions. Le continent a également connu des progrès non négligeables en matière d’accès au traitement : les trois quarts des personnes vivant avec le VIH en Afrique subsaharienne <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/07/07/sida-en-afrique-le-temps-de-l-espoir_6133771_3212.html">suivent désormais un traitement antirétroviral</a>.</p>
<p>Au cœur des drames causés par la maladie dite du syndrome d’immunodéficience acquise (sida), l’Afrique subsaharienne a aussi contribué à faire avancer la connaissance et à générer des mobilisations collectives inédites, associatives et politiques, certains de ses médecins et chercheurs ayant mené leurs combats jusqu’au sommet des programmes internationaux. La lutte contre le sida en Afrique représente un combat global, transnational, auquel ont significativement contribué quelques personnalités parfois insuffisamment connues.</p>
<h2>Premières années : le tout-prévention</h2>
<p>Le virus d’immunodéficience humaine est officiellement découvert en 1983 par une équipe de l’Institut Pasteur (pour cela, Françoise Barré-Senoussi et Luc Montagnier seront récompensés par le prix Nobel de médecine 25 ans plus tard, <a href="https://www.librairie-ledivan.com/ebook/9782705906375-sida-les-secrets-d-une-polemique-bernard-seytre/">après moult controverses)</a>. Initialement diagnostiqué en France et aux États-Unis dans les milieux gays, le VIH va se propager et devenir une pandémie.</p>
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<p>L’Afrique subsaharienne va vite devenir la région du monde la plus touchée par cette maladie. La mise à disposition du <a href="https://www.futura-sciences.com/sante/dossiers/medecine-sida-vaincre-vih-1696/page/8/">test diagnostique Elisa</a> intervient en 1985 et la majorité des pays peut déclarer officiellement les premiers cas de sida. Pour autant, quelques cas sont détectés avant la généralisation du test Elisa grâce à des réseaux d’instituts de recherche, notamment la présence d’antennes américaines du Center for Disease Control (CDC) dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, au Sénégal et en Côte d’Ivoire par exemple. Les premiers cas sont également diagnostiqués au sein de la communauté homosexuelle en Afrique du Sud. Des ONG vont aussi permettre de diagnostiquer des cas de sida, <a href="https://books.google.fr/books/about/Politiques_publiques_du_sida_en_Afrique.html?id=DyUgAQAAIAAJ&redir_esc=y">comme la Croix-Rouge dans l’ex-Zaïre</a>.</p>
<p>Des médecins travaillant sur les maladies infectieuses dans les hôpitaux des grandes villes africaines seront les précurseurs de la lutte contre le sida dans leurs pays, en mettant en place des comités de suivi ou des ersatz de veille épidémiologique, avec ou sans l’aide de partenaires internationaux, suivant les concours de circonstances. Ils deviendront des fers de lance officiels de la riposte au sida dans leurs pays lorsque l’OMS mettra en place le premier programme mondial de lutte contre le sida, le <a href="https://data.unaids.org/pub/report/2008/jc1579_first_10_years_en.pdf">Global Programme on AIDS</a> (GPA), en 1986.</p>
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<p>Sous la direction d’un professeur de santé publique de l’Université de Harvard, Jonathan Mann, le GPA va inciter à la mise en place des Programmes nationaux de lutte contre le sida (PNLS) en Afrique. Le Sénégal en Afrique de l’Ouest et l’Ouganda en Afrique australe seront parmi les premiers pays à mettre en place ces PNLS, dès 1986. Ils vont également illustrer, de manière différente, le rôle du leadership politique et le <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781351147880-3/patterns-mobilization-political-culture-fight-aids-fred-eboko-babacar-mbengue?context=ubx&refId=21a1a383-0d35-40a1-8d58-673a41eef0c0">lien entre les sommets des États et les associations</a>.</p>
<p>En l’absence de traitements efficaces et du fait des moyens modiques affectés à la riposte dans cette première décennie des années sida, les PNLS vont être tournés vers le « toute prévention ». La thématique des « populations à risque » va orienter le ciblage des campagnes de prévention : les « prostituées », rebaptisées plus tard « les professionnelles du sexe » ; les transporteurs par car, réputés comme étant vulnérables au « risque sida » du fait de leur surexposition aux relations sexuelles non protégées ; et plus largement « les jeunes ».</p>
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<p>Après une petite période de relativisation ou de déni politique de la maladie, les slogans vont passer à la vitesse supérieure dès la fin des années 1980. Ils mettent alors en avant la lutte contre « le vagabondage sexuel » et s’accompagnent de discours catastrophistes. Les campagnes de prévention affichent des images de malades du sida en phase terminale accompagnées du message abrupt : « Le sida tue. » Ces pratiques vont se heurter à la réalité cognitive des représentations des plus jeunes : personne ne s’infecte avec des malades squelettiques en phase terminale.</p>
<p>Les précurseurs africains évoqués plus haut vont avoir un rôle pionnier et des carrières connectées aux réseaux internationaux, entre hasard et nécessité. L’histoire du jeune docteur Pierre M’Pelé est aussi emblématique qu’elle est peu connue au-delà des spécialistes.</p>
<h2>Pierre M’Pelé du Congo-Brazzaville, au cœur du combat initial</h2>
<p>Après des études de médecine à la faculté des sciences de la santé de Brazzaville, en République du Congo, Pierre M’Pelé poursuit sa formation à Paris, dans un service de maladies infectieuses et de médecine tropicale. Au sein de l’Hôpital de la Salpêtrière à Paris, il intègre le département de médecine tropicale et de santé publique au moment même où apparaissent les premiers cas de sida en France.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/564520/original/file-20231208-19-w2cwvp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/564520/original/file-20231208-19-w2cwvp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/564520/original/file-20231208-19-w2cwvp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/564520/original/file-20231208-19-w2cwvp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/564520/original/file-20231208-19-w2cwvp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/564520/original/file-20231208-19-w2cwvp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/564520/original/file-20231208-19-w2cwvp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/564520/original/file-20231208-19-w2cwvp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Pierre M’Pelé a raconté son parcours dans un ouvrage paru en 2019.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.editions-maia.com/livre/itineraire-dun-medecin-africain/">Éditions Maïa</a></span>
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<p>Sous la direction du professeur Marc Gentilini, il sera confronté à cette « nouvelle » maladie qui ne faisait partie ni de son projet de formation ni des activités de ce service. Il va donc vite découvrir l’expérience de la prise en charge du VIH/sida en même temps que ses pairs médecins, notamment les docteurs Willy Rozenbaum et Jean-Claude Chermann et leur patron Marc Gentilini.</p>
<p>C’est à partir d’un prélèvement effectué par Willy Rozenbaum sur le ganglion d’un patient que Françoise Barré-Senoussi va isoler ce qui sera désigné comme étant le VIH. Pierre M’Pelé est présent dans l’équipe, avec laquelle il travaille au quotidien. Dans un <a href="https://www.editions-maia.com/livre/itineraire-dun-medecin-africain/">ouvrage publié en 2019</a>, il revient sur l’histoire de la découverte du VIH :</p>
<blockquote>
<p>« C’est Willy qui orienta les biologistes de l’Institut Pasteur à la recherche étiologique d’origine virale de la maladie chez BRU, les trois premières lettres de ce jeune malade français, fébrile, épuisé mais sympathique, admis dans le service depuis quelques semaines et dont le ganglion adressé à l’équipe du Pr Luc Montagnier permettra la découverte en 1983 du rétrovirus “LAV-BRU” responsable du sida. Bru mourut en 1988 […]. »</p>
</blockquote>
<p>Au-delà du cycle de la découverte du VIH, le docteur M’Pelé effectuera une autre découverte dont sa paternité est connue et peu reconnue en tant que telle.</p>
<p>Il commence à distinguer des symptômes spécifiques aux patients originaires d’Afrique, précisément du Zaïre (actuelle République démocratique du Congo) et du Congo-Brazzaville. Par rapport aux autres patients, il révèle une prédominance de la coïnfection avec la tuberculose et une faible prédominance chez les patients africains d’une pathologie pulmonaire fréquente chez les autres patients, le <em>Pneumocystis carinii</em>.</p>
<p>La revue de référence <em>Lancet</em> ne publiera pas son article alors que ces spécificités vont être reconnues par ailleurs autour de ce qui sera appelé « le sida africain », dont la présentation a été effectuée en 1985 lors d’une conférence organisée à Bangui (en République centrafricaine), sous la houlette de Françoise Barré-Senoussi. M’Pelé explique que le <em>Lancet</em> n’a pas publié son article, « peut-être parce que venant d’un Africain inconnu, premier sur la liste des auteurs sur ce constat qui différencie le sida des Américains, des Européens de celui des Africains et c’est dommage et injuste ».</p>
<p>Fort de cette expérience, M’Pelé rentre à Brazzaville en juin 1986 et devient le « Monsieur sida du Congo » comme d’autres pionniers africains, <a href="https://www.routledge.com/Public-Policy-Lessons-from-the-AIDS-Response-in-Africa/Eboko/p/book/9780367616250">riches de leurs collaborations internationales dans leurs pays respectifs</a>.</p>
<h2>Abdourahmane Sow, un précurseur de Dakar à Genève</h2>
<p>Dans la majorité des pays africains, les premiers cas de sida sont diagnostiqués à partir de 1985, date de la mise à disposition par l’OMS des tests Elisa. Dans certains pays, comme le Sénégal, des relations entretenues avec les partenaires internationaux, dont le Center for Disease Control, vont permettre de reconnaître plus tôt la présence du VIH. C’est dans cette logique qu’à l’issue d’une recherche clinique menée par une équipe sénégalaise du Pr. Souleymane M’Boup de l’hôpital Le Dantec à Dakar, une équipe française et une équipe américaine révèlent dès 1984 l’existence en Afrique de l’Ouest d’un second sous-type du VIH, le VIH2, diffèrent du sous-type 1 (le VIH1, le plus répandu dans le monde) et présent au Sénégal, au Cap-Vet et en Guinée-Bissau. Le VIH2 se révèle moins pathogène et moins virulent que le VIH1.</p>
<p>Abdourahmane Sow est un médecin formé à la faculté de médecine de Dakar puis à Paris, où il est lauréat du concours d’agrégation en maladies infectieuses et tropicales. Il fait partie des jeunes médecins qui diagnostiquent les premiers cas de sida au Sénégal, au CHU de Dakar. Il prend la tête de la lutte contre le sida en tant que chef du service des maladies infectieuses de Dakar en 1986. Il est appelé à Genève en 1989, suite à la création du Global Programme on AIDS en 1986. Ce programme est dirigé par un professeur de santé publique issu de l’école de santé publique de Harvard, le professeur Jonathan Mann, qui s’entoure d’une petite équipe d’une dizaine de spécialistes venus du monde entier.</p>
<p>Le Pr. Sow s’inscrit dans cette dynamique internationale où il est question de répondre à un péril mondial avec des moyens thérapeutiques d’une grande modicité jusqu’au milieu des années 1990. Au sein de cette équipe, il va s’impliquer dans la mise en place des PNLS en Afrique, notamment au Togo, au Bénin et au Gabon. Il restera au GPA jusqu’à la fin de cette structure, qui sera remplacée par l’organisation inter-agences des Nations unies sur le sida (ONUSIDA) en 1996.</p>
<p>Au Sénégal, dont les bases de la riposte au sida ont été fixées par le Pr. Sow, la relève sera assurée par le docteur Ibra Ndoye, qui restera à la tête du PNLS sénégalais de 1986 à son départ à la retraite en 2014. Un record de longévité en Afrique dans la lutte contre le sida, et un mandat marqué par la mise en place dès 2002 du <a href="http://mediatheque.lecrips.net/docs/PDF_GED/S43720.pdf">premier programme d’accès aux ARV en Afrique francophone</a>.</p>
<h2>Une distribution inégale du VIH en Afrique</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/564521/original/file-20231208-19-8vc3y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/564521/original/file-20231208-19-8vc3y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/564521/original/file-20231208-19-8vc3y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=630&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/564521/original/file-20231208-19-8vc3y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=630&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/564521/original/file-20231208-19-8vc3y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=630&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/564521/original/file-20231208-19-8vc3y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=792&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/564521/original/file-20231208-19-8vc3y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=792&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/564521/original/file-20231208-19-8vc3y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=792&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Prévalence du VIH en Afrique, 2021. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Origine_du_virus_de_l%27immunod%C3%A9ficience_humaine#/media/Fichier:HIV_Prevalence_Africa_2021.png">Polaert/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>À la fin des années 1980, <a href="https://www.karthala.com/accueil/1705-lepidemie-du-sida-en-afrique-subsaharienne-regards-historiens-9782845867833.html">explique Philippe Denis</a>, « l’épidémie était solidement installée dans les territoires “pionniers” (Côte d’Ivoire, République centrafricaine, Rwanda, Burundi, Ouganda, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe)_ ». Il poursuit : « La décennie 1990 vit l’embrasement de l’Afrique australe. Alors que le nombre de cas nouveaux semblait plafonner dans plusieurs sites d’Afrique centrale, orientale et occidentale, il explosait au sud où des taux inégalés étaient atteints. »</p>
<p>En 2003, la géographe française <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2003-4-page-117.htm">Jeanne-Marie Amat-Roze</a> montre de manière magistrale cette distribution et cette progression inégales de la maladie sur le continent africain. L’Afrique australe va constituer l’épicentre de la maladie. L’Afrique du Sud compte à ce jour près de 9 millions de personnes vivant avec le VIH, mais également un des <a href="https://doi.org/10.3917/polaf.156.0021">taux d’accès aux médicaments parmi les plus élevés en Afrique</a>.</p>
<h2>Du sida sans médicaments à l’accélération de l’accès aux antirétroviraux en Afrique</h2>
<p>L’annonce officielle de l’efficacité des molécules antirétrovirales (ARV), les trithérapies, intervient lors de la Conférence mondiale sur le sida à Vancouver en 1996, peu après la promulgation, en janvier 1995, de <a href="https://www.wto.org/french/tratop_f/trips_f/trips_f.htm">l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce</a> (ADPIC) qui protège ces médicaments sur 20 ans. L’ADPIC est la première résolution adoptée par l’Organisation mondiale du Commerce, créée en 1994. La bonne nouvelle de l’efficacité des ARV rend amers les militants pour l’accès aux médicaments et aux soins en Afrique. Le slogan employé ces militants lors de la Conférence mondiale de Genève en 1998 est clair : « Les médicaments sont au Nord, les malades sont au Sud. » C’est la thématique du <a href="https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000145646">« droit contre la morale »</a>.</p>
<p>Après bien des atermoiements et de <a href="https://journals.openedition.org/apad/195">vraies-fausses concessions des laboratoires pharmaceutiques</a> sur l’élargissement de l’accès aux médicaments pour les patients du Sud, dont la Côte d’Ivoire et l’Ouganda vont être les “pilotes” en Afrique dans les années 1990, le combat va se poursuivre au niveau international. L’ambassadeur américain à l’ONU, Richard Holbrooke, <a href="https://doi.org/10.3917/ris.046.0129">inscrit la question du sida en Afrique à l’agenda du Conseil de Sécurité en janvier 2000</a>. L’oligopole de 39 laboratoires pharmaceutiques qui avaient déposé des plaintes contre le Brésil et l’Afrique du Sud pour non-respect des brevets est contraint de retirer ses plaintes en avril 2001 sous la pression des ONG internationales, dont MSF et Act’Up, qui rebaptisent les laboratoires en question « Marchands de mort ».</p>
<p>Sous la houlette du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, le <a href="http://journals.openedition.org/faceaface/1214">Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose</a> est fondé en 2001 et les premières subventions sont accordées avec les contributions des pays du G8 en 2002 à Gênes en Italie. Les copies des médicaments antirétroviraux fabriqués avant 2005 peuvent être distribuées via des financements du Fonds mondial et le passage à l’échelle <a href="https://journals.openedition.org/amades/1335">peut devenir réalité sur le continent africain</a>. Entre 2002 et 2012, la prévalence et la mortalité liées au VIH chutent de manière significative en Afrique. Et le Fonds mondial peut se targuer d’avoir sauvé plusieurs dizaines de millions de vies depuis sa création. Le programme américain, lancé en 2003 sous la houlette du président George W. Bush (<a href="https://www.state.gov/pepfar/">President Emergency Plan fo AIDS relief – PEPFAR</a>), suit la cadence. Les présidents Lula et Chirac lancent en 2006 un fonds complémentaire, <a href="https://unitaid.org/">l’Unitaid</a>.</p>
<p>Les années 2000-2010 vont représenter une remarquable inversion de paradigme qui rend effective la prise en charge des patients africains vivant avec le VIH.</p>
<p>Dans ce registre, le président du Botswana, Festus Mogae, va incarner un <a href="https://michelfortin.leslibraires.ca/livres/prendre-soin-de-sa-population-fanny-chabrol-9782735117390.html">modèle achevé d’engagement pour l’accès universel aux ARV</a>. Il lance en 2000 le premier programme d’accès gratuit aux ARV en Afrique avec 80 % des financements domestiques. C’est <a href="https://www.routledge.com/Public-Policy-Lessons-from-the-AIDS-Response-in-Africa/Eboko/p/book/9780367616250">« l’État militant »</a>.</p>
<p>Reste la question des maladies non transmissibles qui posent la question de « la santé globale ». Celle-ci vise à promouvoir, au niveau international, l’inscription sur les agendas internationaux des <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520271999/reimagining-global-health">principaux chocs épidémiologiques et des questions majeures de santé</a>. Autrement dit, il s’agit de rompre avec la « biopolitique » définie par Michel Foucault comme <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/-il-faut-defendre-la-societe-michel-foucault/9782020231695">« le droit de faire vivre et de laisser mourir »</a> pour privilégier ce que Didier Fassin nomme <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-vie-didier-fassin/9782021374711">« les politiques de la vie »</a>. C’est encore un autre chantier.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218945/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fred Eboko ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le VIH a été découvert il y a 40 ans. Retour sur quatre décennies d’efforts de la communauté internationale et des chercheurs du continent en Afrique, continent particulièrement affecté.Fred Eboko, Directeur de Recherche. Sociologie politique. Politiques de santé en Afrique. Représentant de l'IRD en Côte d'Ivoire, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2143482023-12-11T16:34:17Z2023-12-11T16:34:17ZCombien de temps vivra un être cher ? La réponse est difficile à entendre, mais ne pas savoir est encore pire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550115/original/file-20230922-27-gg4746.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=201%2C70%2C6508%2C4054&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Même pour un professionnel de la santé expérimenté, estimer l'espérance de vie d'un patient atteint d'une maladie grave est un défi.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Il est difficile pour les personnes atteintes d’une maladie qui limite l’espérance de vie de planifier leur avenir. Les cliniciens, en fonction de leur expérience, peuvent donner une estimation générale du temps qu’il reste à vivre à une personne — de quelques jours à quelques semaines, de quelques semaines à quelques mois, ou de quelques mois à quelques années. </p>
<p>Cependant, les patients et leurs partenaires de soins souhaitent souvent obtenir une estimation plus précise pour pouvoir prendre les dispositions et les décisions nécessaires en matière de soins.</p>
<p>Une prédiction précise de l’espérance de vie peut devancer la tenue de discussions sur les préférences et les souhaits en fin de vie, ainsi que la mise en place des soins palliatifs.</p>
<p>Mais même pour un clinicien expérimenté, <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0161407">il peut être difficile d’estimer l’espérance de vie</a> d’un <a href="https://doi.org/10.1136/bmj.320.7233.469">patient atteint d’une maladie grave</a>. Cette évaluation doit reposer non seulement sur de grandes quantités de données, mais aussi sur une compréhension de la relation entre l’état de santé de base du patient, la complexité de ses problèmes de santé et la façon dont il réagit au traitement ou évolue sous celui-ci. </p>
<p>Voilà où les algorithmes prédictifs peuvent être utiles.</p>
<h2>Un outil pour avoir des discussions et planifier en temps opportun</h2>
<p><a href="https://www.projectbiglife.ca/respect-elder-life">RESPECT (Risk Evaluation for Support : Predictions for Elder life in their Communities Tool) est un outil de communication sur les risques</a> qui est alimenté par des algorithmes de prédiction estimant l’espérance de vie d’une personne — c’est-à-dire combien de temps cette dernière vivra. Cet outil a été mis au point par l’équipe de recherche du projet Big Life, et validé <a href="https://doi.org/10.1503/cmaj.200022">au moyen des données de soins de santé recueillies sur près d’un million d’aînés ayant reçu des soins à domicile et en milieu communautaire</a>, ou dans une maison de soins en Ontario.</p>
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<figcaption><span class="caption">RESPECT a pour but d’aider les gens à planifier leurs soins palliatifs et leurs soins de fin de vie.</span></figcaption>
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<p>RESPECT a été conçu en tenant compte des besoins des patients en matière d’information et dans l’intention de donner aux patients et à leurs partenaires de soins les moyens d’agir. En leur fournissant des données sur l’espérance de vie et les expériences d’autres personnes ayant connu un parcours semblable, cet outil peut aider les patients à comprendre la trajectoire de leur maladie, à devancer les discussions concernant leurs préférences et leurs souhaits, et à demander le soutien dont ils ont besoin. </p>
<h2>Un outil pour les patients, les partenaires de soins et les cliniciens</h2>
<p><a href="https://www.projectbiglife.ca/respect-elder-life">RESPECT</a> a été lancé publiquement sur ProjectBigLife.ca en juillet 2021. <a href="https://www.projectbiglife.ca/">Ce site web</a> présente plusieurs calculateurs santé mis au point par l’équipe de recherche pour traduire les données probantes en outils susceptibles d’aider les Canadiens à réfléchir à leur santé et à planifier leurs soins.</p>
<p>Les gens doivent répondre à 17 questions sur leur santé et leur capacité à prendre soin d’eux-mêmes. RESPECT utilise ensuite les réponses fournies pour leur donner une estimation de leur espérance de vie, et ce, sur la base de renseignements recueillis sur des personnes présentant des caractéristiques semblables aux leurs. Les aînés peuvent utiliser le calculateur pour mieux comprendre leur déclin. Il en va de même pour leurs partenaires de soins et les professionnels de la santé qui ne peuvent prédire avec certitude l’espérance de vie d’une personne atteinte d’une maladie grave.</p>
<p>En plus de donner une estimation de l’espérance de vie, RESPECT fournit des mesures du déclin fonctionnel — par exemple, si le patient est capable de se déplacer dans sa maison et de se livrer aux activités de la vie quotidienne, comme se laver et cuisiner, sans aucune aide.</p>
<p>Un patient peut utiliser ces renseignements pour discuter de ses besoins en matière de soins avec ses partenaires de soins et ses fournisseurs de soins de santé. De même, les fournisseurs de soins de santé peuvent utiliser cet outil pour discuter avec leurs patients de ce à quoi ils peuvent s’attendre en fin de vie, et prévoir les mesures de soutien appropriées.</p>
<p>RESPECT est également utilisé activement dans les maisons de retraite et les foyers de soins de l’Ontario. De nombreux résidents de ces établissements ont une espérance de vie inférieure à deux ans. Lorsque les discussions sur les objectifs et les souhaits des aînés au regard du chemin qu’il leur reste à parcourir ont lieu en temps opportun, l’équipe de soins peut offrir aux personnes dont elle s’occupe la meilleure qualité de vie et de soins possible.</p>
<h2>Infrastructure durable</h2>
<p>L’un des objectifs de RESPECT est de fournir une infrastructure durable pour l’étude, l’apprentissage et l’amélioration de la façon dont nous utilisons les algorithmes prédictifs dans la prestation des soins de fin de vie.</p>
<p>Malgré les avantages qui sont observés dans le cadre des premières utilisations de RESPECT, de nombreuses questions subsistent en ce qui concerne le meilleur moment pour l’utiliser et la meilleure manière de le faire. Par exemple, une faible capacité de calcul — c’est-à-dire la compréhension des chiffres, des mathématiques et des statistiques — pourrait entraîner une mauvaise interprétation de l’estimation fournie par RESPECT. Bien que les ressources à l’appui de RESPECT aient été élaborées en collaboration avec les patients et leurs partenaires de soins, davantage de recherches sont encore nécessaires pour réduire ces inconvénients potentiels.</p>
<p>Pour assurer l’optimisation des avantages qui peuvent être tirés des algorithmes de prédiction tels que RESPECT, les épidémiologistes cliniques Douglas Manuel et Justin Presseau, ainsi que les co-auteurs du présent article, ont créé le système de santé apprenant RESPECT — un réseau de partenaires de soins, de chercheurs et de professionnels de la santé qui collaborent pour surmonter ces défis. Nous combinons la recherche et la pratique pour étudier et améliorer durablement les soins et l’expérience de fin de vie grâce à des algorithmes prédictifs.</p>
<h2>Prendre conscience de la situation n’est que le début</h2>
<p>Seulement <a href="https://www.cihi.ca/sites/default/files/document/access-to-palliative-care-in-canada-2023-report-fr.pdf">58 % des gens qui meurent au Canada</a> reçoivent une forme de soins palliatifs avant de mourir. Peu de personnes (13 %) ont la possibilité de mourir chez elles, avec le soutien d’une équipe de soins palliatifs à domicile.</p>
<p>Grâce à l’amélioration de notre compréhension de la fragilité et du déclin, RESPECT pourrait aider les cliniciens, les patients et leurs partenaires de soins à se préparer à un mauvais pronostic, et à élaborer un plan personnalisé en matière de soins.</p>
<p>Cependant, pour améliorer la prestation des soins de fin de vie au Canada et permettre aux Canadiens de mourir dans la dignité, il faut investir davantage dans notre système officiel de soins de santé pour répondre aux besoins des personnes en fin de vie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214348/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lysanne Lessard reçoit des fonds des Instituts de recherche en santé du Canada pour des recherches liées au système d'apprentissage en santé RESPECT. Elle est membre de l'Institut de recherche LIFE de l'Université d'Ottawa.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Amy T. Hsu reçoit des fonds des Instituts de recherche en santé du Canada pour la recherche liée au calculateur RESPECT.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Peter Tanuseputro reçoit des fonds des Instituts de recherche en santé du Canada pour la recherche liée au calculateur RESPECT.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sampath Bemgal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une prédiction précise de l’espérance de vie peut devancer la tenue de discussions sur les préférences et les souhaits de fin de vie, ainsi que la mise en place des soins palliatifs.Lysanne Lessard, Associate Professor, Telfer School of Management, L’Université d’Ottawa/University of OttawaAmy T. Hsu, Brain and Mind-Bruyère Research Institute Chair in Primary Health Care in Dementia, L’Université d’Ottawa/University of OttawaPeter Tanuseputro, Associate Professor, Division of Palliative Care, Department of Medicine, L’Université d’Ottawa/University of OttawaSampath Bemgal, Assistant Professor, Information Systems, University of New BrunswickLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2132672023-10-25T16:01:34Z2023-10-25T16:01:34ZCe que vos mains disent de votre santé<p>Nos mains en disent beaucoup sur l’état de notre santé, c’est un fait connu au moins depuis l’époque d’Hippocrate.</p>
<p>Au V<sup>e</sup> siècle avant notre ère, le célèbre philosophe et médecin grec, considéré comme le « père de la médecine moderne », décrivit pour la première fois une malformation digitale qui porte aujourd’hui son nom, <a href="https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/14401/1/Hippocratisme.rmdl.pdf">l’hippocratisme digital (ou clubbing, pour les anglo-saxons)</a>. Il avait remarqué la forme étrange des doigts de l’un de ses patients, par ailleurs atteint d’<a href="https://www.chuv.ch/fr/chirurgie-thoracique/cht-home/patients-et-famille/affections-du-thorax/infections-pleuro-pulmonaires/empyeme-pleural">empyème pleural</a> (une infection de la cavité pleurale, qui se traduit par la présence de pus dans l’espace situé entre les poumons et la membrane qui les entoure). Les ongles du malade ressemblaient à des cuillères posées à l’envers (<em>les dernières phalanges des personnes atteintes d’hippocratisme digital sont épaissies, et leurs ongles sont bombés et luisants, en « verre de montre », ndlr</em>).</p>
<p>Aujourd’hui encore, cette apparence est reconnue comme une caractéristique associée à diverses maladies : le doigt en baguette de tambour est associé non seulement à l’empyème, mais aussi <a href="https://my.clevelandclinic.org/health/symptoms/24474-nail-clubbing">à la fibrose kystique, à la cirrhose du foie et à des problèmes de thyroïde</a>.</p>
<p>Une autre modification de l’ongle qui peut être symptomatique d’une maladie est celle dite des « ongles de Lindsay » (ou <a href="https://www.larevuedupraticien.fr/image/ongles-equisegmentes-ou-ongles-de-lindsay">ongles équisegmentés</a>). Ces ongles sont à moitié blancs et à moitié brun rougeâtre. Environ <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/ccr3.4426">50 % des personnes atteintes de maladie rénale chronique</a> présentent ce type d’ongles, mais cette apparence peut aussi être un signe de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8183706/">cirrhose du foie</a> ou de la <a href="https://journal.chestnet.org/article/S0012-3692(15)41065-7/fulltext">maladie de Behçet</a>, une affection rare se traduisant notamment par une inflammation des vaisseaux sanguins.</p>
<p><a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/13153107/">Les ongles de Terry</a> sont une autre modification d’apparence des ongles pouvant être associée à diverses pathologies, telles que la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6025669/">cirrhose du foie</a>, le diabète de type 2, l’insuffisance rénale ou encore l’infection par le VIH. Dans ce cas, un <a href="https://www.ccjm.org/content/ccjom/81/10/603.full.pdf">ou plusieurs ongles</a> des patients prennent un aspect de « verre dépoli ».</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Les ongles de Terry" src="https://images.theconversation.com/files/539806/original/file-20230727-23-j6jvf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539806/original/file-20230727-23-j6jvf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539806/original/file-20230727-23-j6jvf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539806/original/file-20230727-23-j6jvf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539806/original/file-20230727-23-j6jvf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539806/original/file-20230727-23-j6jvf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539806/original/file-20230727-23-j6jvf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Aspect typique de verre dépoli des ongles de Terry.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=22101599">Hojasmuertas/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si les « ongles de Lindsay » ou les « ongles de Terry » évoquent davantage une enseigne de salon de manucure que la salle d’attente d’un généraliste, avec les <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK559136/">« ongles de Muehrcke »</a>, plus de doute possible, nous sommes bien dans le domaine médical… Cette dénomination désigne des ongles traversés par une ou plusieurs lignes horizontales. Ces marques sur les ongles, qui indique une diminution de la concentration de protéine la plus abondante du sang, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK459198/">l’albumine</a>, peuvent être indicatrices, là encore, d’une <a href="https://www.amjmed.com/article/S0002-9343(10)00297-4/fulltext/%22">maladie rénale</a>.</p>
<p>Mais pas de panique : il arrive que les changements de couleur et de motif des ongles ne soient pas associés à de sinistres pronostics, et ne fassent que traduire le vieillissement. C’est par exemple le cas des <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3038811/">ongles napolitains</a>, ainsi dénommés en raison de la présence de trois zones de couleur distinctes. Souvent observés chez les personnes de plus de 70 ans, ils ne sont pas source de préoccupation.</p>
<h2>Les paumes de la main</h2>
<p>Les ongles ne sont pas la seule partie de nos mains à même de révéler un état de santé dont il faut se préoccuper. Les paumes de nos mains ont aussi parfois des histoires à nous raconter.</p>
<p>Si vous constatez que vos paumes deviennent moites sans que vous ne vous sentiez particulièrement nerveux, sans avoir fait d’exercice physique, ou alors que les températures ambiantes ne sont pas particulièrement élevées, le problème vient peut-être de vos glandes sudoripares, et plus précisément des signaux nerveux qui les activent. Cela peut être bénin, auquel cas on parle d’<a href="https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2017/revue-medicale-suisse-556/evaluation-et-prise-en-charge-de-l-hyperhidrose">hyperhidrose primaire</a>. Mais des paumes anormalement moites – en parallèle d’une sudation excessive du visage, du cou et des aisselles – peuvent être le signe de problèmes thyroïdiens.</p>
<p><a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK279480/">L’hyperthyroïdie</a> est une affection résultant d’une production trop importante de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK500006/">thyroxine</a>, une hormone produite par la glande thyroïde, située à la base du cou. Un excès de thyroxine accélère les processus physiologiques, et peut être la cause de paumes trop moites. Heureusement, c’est facilement traité en administrant les bons médicaments.</p>
<p>Un changement plus préoccupant d’apparence des paumes des mains est l’apparition de petites zones de décoloration rouge ou violette, qui peuvent aussi être constatées sur les doigts. Ces traces peuvent être un signe d’<a href="https://www.nhs.uk/conditions/endocarditis/">endocardite bactérienne</a> (une inflammation de l’endocarde, la couche de cellules la plus interne du cœur), une maladie dont le <a href="https://bmccardiovascdisord.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12872-021-01853-6/%22">taux de mortalité est élevé</a>.</p>
<p>Ces décolorations se présentent sous deux formes : les <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3603816/">nodosités d’Osler</a> et les <a href="https://www.ahajournals.org/doi/10.1161/CIRCULATIONAHA.112.127787/">lésions de Janeway</a>. Les <a href="https://www.academie-medecine.fr/le-dictionnaire/index.php">nodosités d’Osler</a> sont typiquement douloureuses, de couleur rouge et mesurent de 1 à 10 mm. Elles apparaissent sur les doigts durant quelques heures à quelques jours. Les lésions de Janeway sont quant à elles de <a href="https://www.academie-medecine.fr/le-dictionnaire/index.php?q=Janeway%20%28l%C3%A9sions%20de%29">forme irrégulière et de tailles variables</a>. On les observe typiquement sur les paumes durant quelques jours à quelques semaines, et elles ne sont pas douloureuses.</p>
<p>Ces deux modifications d’apparence des paumes des mains doivent être prises très au sérieux, et nécessitent de consulter rapidement son médecin.</p>
<h2>Fourmillements</h2>
<p>Des fourmillements dans la main qui ne passent pas peuvent être un signe de <a href="https://www.nhs.uk/conditions/carpal-tunnel-syndrome/">syndrome du canal carpien</a>. Cet inconfort est le signe que le nerf médian, un nerf majeur passant dans le poignet, est comprimé, ce qui provoque <a href="https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/syndrome-canal-carpien/comprendre-syndrome-canal-carpien">engourdissements, picotements ou douleurs</a>.</p>
<p>Le syndrome du canal carpien s’améliore généralement sans traitement, mais porter une attelle de poignet peut aider à soulager la pression qui s’exerce sur le nerf. Les personnes en surpoids ou enceintes sont plus à risque développer ce syndrome.</p>
<p>Les fourmillements de la main peuvent également être un signe de diabète. L’élévation du taux de sucre dans le sang qui survient dans cette pathologie provoque en effet des <a href="https://www.webmd.com/diabetes/peripheral-neuropathy-risk-factors-symptoms/">lésions nerveuses</a> se manifestant par des <a href="https://www.nature.com/articles/s41572-019-0092-1/%22">picotements ou des engourdissements</a> au niveau des extrémités des membres (« neuropathie diabétique »).</p>
<p>Tout le monde peut, à un moment donné, ressentir des fourmillements dans les mains. Mais si cela se produit fréquemment, ou si les fourmillements persistent dans le temps, il faut consulter un médecin.</p>
<h2>Longueur des doigts ?</h2>
<p>La longueur des doigts pourrait donner certaines indications sur le risque qu’un individu peut avoir de développer certaines maladies au fil du vieillissement.</p>
<p>Le ratio entre la longueur de l’index et celle de l’annulaire diffère en effet entre hommes et femmes. Chez les femmes, ces deux doigts sont de longueur sensiblement égale. Chez les hommes, en revanche, l’annulaire est généralement plus long que l’index. Certains auteurs ont émis l’hypothèse que cela pourrait être le résultat de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5296424/">différences d’exposition hormonale au cours du développement dans l’utérus</a>.</p>
<p>(<em>très débattue, <a href="https://twitter.com/jsmoliga/status/1471215934585151504">cette théorie est désormais contestée</a>, les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/15113628/">travaux initiaux</a> qui l’ont fondée <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-developmental-origins-of-health-and-disease/article/abs/digit-ratio-2d4d-and-amniotic-testosterone-and-estradiol-an-attempted-replication-of-lutchmaya-et-al-2004/6405DAB5B8788F047685858C1436CD44">n’ayant pas pu être répliqués</a>, ndlr</em>)</p>
<p>Cette relation annulaire plus longue que l’index pourrait être associée à de meilleures performances dans un <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16403410/%22">certain nombre de sports</a>, chez les hommes comme chez les femmes. Mais elle pourrait aussi être associée à un risque plus élevé, chez les femmes uniquement cette fois, de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18163515/">développer une ostéoarthrite du genou et de la hanche</a>.</p>
<p>Vous ne pouvez rien faire pour changer la longueur de vos doigts, mais vous pouvez limiter le risque de survenue de l’ostéoarthrite en veillant à maintenir un poids de forme, en pratiquant de l’activité physique, et en surveillant votre taux de sucre sanguin. Ces conseils de prévention sont d’ailleurs également valables pour la plupart des maladies…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213267/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adam Taylor ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Déjà à l’époque d’Hippocrate, les médecins examinaient les mains de leurs patients pour détecter certaines maladies. Aujourd’hui encore, elles peuvent refléter notre état de santé.Adam Taylor, Professor and Director of the Clinical Anatomy Learning Centre, Lancaster UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2136252023-10-24T14:20:09Z2023-10-24T14:20:09ZUne visite au musée, la nouvelle pilule bien-être ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/554090/original/file-20231016-28-1a079n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C1%2C986%2C655&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Est-ce que le simple fait d'être en contact avec de l'art a des effets spécifiques ?</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Nous sommes samedi matin. Tasse de café à la main, à peine réveillé, votre regard se perd vers l’horizon. Il pleut. Vous venez de vous décider. Cet après-midi, pour vous, ce sera le musée.</p>
<p>Et si, sans le savoir, vous veniez de prendre une bonne décision pour votre santé ?</p>
<p>C’est l’hypothèse qu’a émis l’association des <a href="https://www.medecinsfrancophones.ca/a-propos/lassociation/">Médecins francophones du Canada</a> en 2018, en lançant le <a href="https://www.mbam.qc.ca/fr/actualites/prescriptions-museales/">programme de prescriptions muséales</a> en partenariat avec le Musée des beaux-arts de Montréal. Aujourd’hui terminé, ce projet a permis à des milliers de patients de recevoir une ordonnance de leur médecin pour une visite au musée, en solo ou accompagné. La prescription visait à favoriser le rétablissement et le bien-être de patients pouvant, par exemple, être atteints de maladie chronique (hypertension, diabète), neurologique, ou encore de trouble cognitif ou de santé mentale. Le choix de prescrire était laissé à la discrétion du médecin.</p>
<p>Cinq ans plus tard, cette initiative pionnière a fait des petits, et nous voyons aujourd’hui fleurir de plus en plus d’activités muséales bien-être allant du <a href="https://www.mnbaq.org/en/activity/museo-yoga-1211">muséo-yoga</a> aux <a href="https://www.mam.paris.fr/fr/contempler-meditation-guidee-en-ligne">méditations guidées</a> avec les œuvres d’arts, en passant par la pratique de la <a href="https://www.beaux-arts.ca/magazine/votre-collection/lart-de-la-contemplation-lente-une-peinture-de-jean-paul-riopelle">contemplation lente</a> ou <em>slow looking</em>. </p>
<p>Les offres ne manquent pas et font grandir en chacun la même conviction : l’art nous fait du bien.</p>
<h2>Au-delà de la première impression</h2>
<p>Ces initiatives ont récemment fait la manchette dans des médiats nationaux des deux bords de l’Atlantique, tant en <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/museotherapie-je-crois-que-nous-sommes-dans-un-moment-de-bouillonnement-2414180">France</a> qu’au <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/gravel-le-matin/segments/entrevue/90530/visite-gratuite-musee-beaux-arts-montreal-ordonnance-medecin-sante">Canada</a>, et gagnent en visibilité auprès du grand public. Comme une conséquence de cette popularité, on peut lire de plus en plus d’affirmations parlant de la visite au musée comme un « antistress puissant », un « remède miracle contre le stress », ou encore comme ayant des « effets incroyables ».</p>
<p>Enthousiasmant !</p>
<p>En bonne neuroscientifique, je ne peux toutefois m’empêcher de me demander pourquoi, au vu des extraordinaires effets relaxants annoncés, les foules ne se bousculent pas aux portes de nos musées quotidiennement. </p>
<p>Autant de raisons pour aller jeter un œil aux rapports et études scientifiques récemment publiés sur le sujet.</p>
<h2>L’art fait du bien ? De l’intuition à l’observation</h2>
<p>En 2019, l’Organisation mondiale de la Santé publiait un épais rapport colligeant des éléments de preuve concernant le rôle des activités artistiques et culturelles <a href="https://apps.who.int/iris/handle/10665/329834">pour favoriser la santé et le bien-être</a>. De façon remarquable, les auteurs de ce rapport tentent de s’affranchir d’une vision unifiée des bienfaits de l’art qui, tel un remède de grand-mère, constituerait une solution universelle aux problèmes de santé. </p>
<p>A la place, ceux-ci encouragent de nouvelles approches plus précises et rigoureuses, orientées sur l’observation des réponses psychologiques, physiologiques ou encore comportementales induites par certaines composantes spécifiques de l’activité artistique (engagement esthétique, stimulation sensorielle, activité physique).</p>
<h2>Acteur ou spectateur ?</h2>
<p>La spécificité de la visite au musée est d’être une activité artistique dite réceptive – c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas ici de produire de l’art (peindre, dessiner, composer). Elle présente toutefois l’avantage d’être accessible et déjà bien ancrée dans nos habitudes collectives, ce qui en fait une bonne candidate pour la prévention en santé.</p>
<p>La question est alors de savoir s’il suffit d’être exposé à de l’art pour bénéficier de ses bienfaits. Autrement dit, est-ce que le simple fait d’être en contact avec de l’art a des effets spécifiques ?</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/554091/original/file-20231016-15-yh6rw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="femme dans un musée" src="https://images.theconversation.com/files/554091/original/file-20231016-15-yh6rw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554091/original/file-20231016-15-yh6rw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554091/original/file-20231016-15-yh6rw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554091/original/file-20231016-15-yh6rw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554091/original/file-20231016-15-yh6rw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554091/original/file-20231016-15-yh6rw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554091/original/file-20231016-15-yh6rw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Être exposé à l’art permettrait de vieillir en meilleure santé ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des consommateurs de culture en meilleure santé</h2>
<p>Des recherches ont été conduites en Angleterre sur des échantillons de plusieurs milliers d’individus dont on a suivi les indicateurs de santé à long terme, et à qui on a demandé pendant 10 ans de rapporter leurs habitudes en <a href="https://www.elsa-project.ac.uk">termes d’activités culturelles et artistiques</a>.</p>
<p>Ces travaux montrent que les individus fréquentant régulièrement (tous les deux, trois mois et plus) les lieux de culture (théâtres, opéras, musées, galeries) présentent un risque de <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/the-british-journal-of-psychiatry/article/cultural-engagement-and-cognitive-reserve-museum-attendance-and-dementia-incidence-over-a-10year-period/0D5F792DD1842E97AEFAD1274CCCC9B9">démence</a> et de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6429253/">dépression</a> divisé par deux, et un risque de développer un <a href="https://academic.oup.com/psychsocgerontology/article/75/3/571/5280637">syndrome de fragilité gériatrique</a> (phénomène de déclin de la santé lié au vieillissement et associé à une perte de l’indépendance fonctionnelle) réduit d’environ 40 %.</p>
<p>Être exposé à l’art permettrait donc de vieillir en meilleure santé ?</p>
<p>Peut-être, mais il reste à confirmer que l’engagement culturel est la cause de l’amélioration des indicateurs de santé observés dans ces travaux. Pour cela, des études de cohorte et <a href="https://cihr-irsc.gc.ca/f/48952.html">essais cliniques contrôlés randomisés</a> sont nécessaires. Or, ce type d’étude est encore rare dans le domaine.</p>
<h2>À la recherche des principes actifs</h2>
<p>Par ailleurs, il reste une question, et de taille ! Celle du pourquoi… </p>
<p>Pourquoi l’art, et notamment l’art visuel, me ferait du bien. Qu’est ce qui se passe dans mon corps lorsque j’entre en contact avec une œuvre, comment ce contact me transforme et contribue à me maintenir en meilleure santé. Si tel est le cas.</p>
<p>C’est la question que s’est posée Mikaela Law chercheuse en psychologie à Université d’Auckland en Nouvelle-Zélande, et ses collaborateurs en 2021. Ces chercheuses et chercheurs ont <a href="https://bmjopen.bmj.com/content/11/6/e043549.abstract">exploré la littérature scientifique</a> en quête d’études disponibles adressant la réponse physiologique aux arts visuels et son effet sur le stress rapporté par l’individu. </p>
<p>Certaines des études répertoriées dans ce travail montrent que le contact avec une œuvre est à même de diminuer la pression artérielle, la fréquence cardiaque et le cortisol sécrété dans la salive. De telles modifications traduisent une diminution de l’état de tension du corps, que l’on appelle aussi le stress. Un changement qui semble perçu par l’individu et se traduit par une diminution du stress dont il témoigne après l’exposition.</p>
<p>D’autres études, à l’inverse, n’observent rien. </p>
<p>Ainsi, si le contact avec l’art visuel est susceptible de provoquer la détente physique et psychologique du spectateur, celui-ci pourrait ne pas constituer une condition suffisante.</p>
<p>Cette conclusion nous invite donc à nuancer le discours et à approfondir la réflexion sur ce qui se passe au moment de la rencontre avec l’œuvre qui conditionne ses effets sur le psychisme de l’individu.</p>
<p>Aujourd’hui, nous sommes samedi…</p>
<p>Vous irez au musée c’est décidé. </p>
<p>Il est probable que cette décision soit une bonne décision pour votre santé. </p>
<p>Il est également probable que cela dépende du musée et de la façon dont vous visiterez. </p>
<p>Une chose est certaine par contre, c’est que vous augmentez fortement vos chances de passer une agréable journée !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213625/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emma DUPUY travaille en partenariat avec le musée des beaux-arts de Montréal et a reçu des financements de MITACs, de l'Université de Montréal, et des Fonds de Recherche du Québec.</span></em></p>Une visite au musée pour lutter contre la grisaille mentale ? Voici ce qu’en dit la science.Emma Dupuy, Postdoctoral researcher, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2125002023-10-05T17:50:00Z2023-10-05T17:50:00ZÀ la fin du XIXᵉ siècle, l’usage de la cocaïne a transformé les consultations chez le dentiste<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552085/original/file-20231004-16-tkx3nb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C615%2C479&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Edouard Vuillard, Le Docteur Georges Viau dans son cabinet dentaire, 1914
</span> <span class="attribution"><span class="source">Musée d'Orsay</span></span></figcaption></figure><p>En 1884, la cocaïne produit une « révolution » dans l’histoire de la médecine : pour la première fois, il est possible, grâce à cette substance, de pratiquer des anesthésies locales, et les dentistes vont particulièrement bénéficier de cette découverte.</p>
<p>En cette fin du XIX<sup>e</sup> siècle, aller chez un ou une dentiste reste un moment angoissant et douloureux. On peut par exemple se rendre compte de la terreur qui saisissait les patients et patientes lors des extractions de dents grâce <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5820319m/f23.item.r=poitrine%20serree">aux observations d’Henri Rodier en 1890 dont voici quelques extraits</a> :</p>
<blockquote>
<p>Femme de 26 ans : « Malaise général à la vue de l’instrument. Larmes, sanglots. Attaque d’hystérie légère. Yeux convulsés. Pupilles contractées. Jambes paralysées et insensibles. Pouls, 116. Respiration forte avec contraction et dilatation alternatives des narines. »</p>
<p>Femme de 22 ans, couturière : « Sueurs profuses. Grande émotion. Pleurs. Anéantissement et trépidation générale. Jambes paralysées. Angoisse précordiale. Pouls accéléré. »</p>
<p>Homme de 32 ans « très faible » : « Agitation. Poitrine serrée, angoisse précordiale. Sueurs froides. Tête lourde, étourdissement, envie de vomir. »</p>
</blockquote>
<p>Cette spécialité a encore une forte aura de charlatanisme. Il n’existe pas d’école pour former les futurs dentistes, pas non plus de diplôme obligatoire. Dans ces conditions, n’importe qui pouvait se déclarer dentiste.</p>
<p><a href="https://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhad/actes/les-dentistes-americains-a-paris-au-XIXe-si%C3%A8cle/">Un diplôme de chirurgien-dentiste existait bien depuis 1699</a>, mais la plus grande partie de la population ne pouvait pas se payer les services de ces spécialistes.</p>
<p>Dans l’imaginaire collectif d’ailleurs, la population ne faisait pas de distinction entre les « dentistes-experts » et les autres. Ce corps de métier était donc méprisé mais il était impossible de s’en passer. Les praticiens et praticiennes se déplaçaient de ville en ville pour proposer leurs services lors des marchés et des foires, s’entourant parfois de musiciens pour couvrir les cris des malades. Ils annonçaient leur présence dans des publicités publiées dans la presse locale :</p>
<p>Leur travail principal était en fait d’arracher les dents, sans anesthésie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552089/original/file-20231004-19-rzsouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552089/original/file-20231004-19-rzsouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552089/original/file-20231004-19-rzsouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552089/original/file-20231004-19-rzsouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552089/original/file-20231004-19-rzsouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=614&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552089/original/file-20231004-19-rzsouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=614&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552089/original/file-20231004-19-rzsouq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=614&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Jean Veber – L’Arracheuse de dents, 1904.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8577598v?rk=21459;2">Gallica</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On trouve à l’époque des dentistes femmes, comme Hélène Purkis (en image) ou Marie Delpeuch, <a href="https://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhad/cabinet-dentaire/deux-personnages-insolites-helene-purkis-dentiste-pour-dames-georges-fattet-dentiste-des-gens-du-monde/">cette dernière obtenant en 1827 le droit pour toutes les femmes d’exercer le métier</a>.</p>
<p><a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k76124805/f2.item">Elles sont au moins quarante en 1900 à Paris selon Hubertine Auclert</a>, qui explique combien cette profession est désormais perçue comme « honorable », une « carrière de rêve » pour les jeunes filles. Que s’est-il donc passé pour que les représentations sur la profession changent ainsi si rapidement ? À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, la possibilité de supprimer la douleur des opérations va transformer en quelques années la pratique de cette profession.</p>
<h2>La cocaïne, médicament prometteur</h2>
<p>À partir de 1884, les dentistes disposent en effet désormais de la cocaïne, permettant de réaliser des anesthésies locales en quelques minutes. La substance, synthétisée par le chimiste allemand Nieman dès 1859, coûtait jusque là trop cher pour être utilisée.</p>
<p>Avec l’amélioration des moyens de transport pour acheminer plus rapidement les feuilles de coca en Europe, les médecins en explorent les propriétés ; la substance n’est alors pas considérée comme une “drogue” : il s’agit d’un médicament très prometteur, notamment grâce à ses vertus stimulantes.</p>
<p>En septembre 1884, l’ophtalmologue Carl Koller publie une découverte révolutionnaire pour la médecine de l’époque : la cocaïne peut insensibiliser pour quelques dizaines de minutes de petites zones du corps. Les dentistes sont parmi les premiers à s’en emparer. Des publicités fleurissent dans la presse populaire pour annoncer la découverte et l’emploi de l’anesthésique, fautes d’orthographe comprises !</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552092/original/file-20231004-23-jenzcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552092/original/file-20231004-23-jenzcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=180&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552092/original/file-20231004-23-jenzcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=180&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552092/original/file-20231004-23-jenzcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=180&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552092/original/file-20231004-23-jenzcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=226&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552092/original/file-20231004-23-jenzcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=226&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552092/original/file-20231004-23-jenzcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=226&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Publicité parue dans le Courrier de Saône-et-Loire le 25 avril 1887, p. 3.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.retronews.fr/journal/courrier-de-saone-et-loire/25-avril-1887">Retronews/Gallica</a></span>
</figcaption>
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<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552097/original/file-20231004-25-wj1kpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552097/original/file-20231004-25-wj1kpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552097/original/file-20231004-25-wj1kpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552097/original/file-20231004-25-wj1kpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552097/original/file-20231004-25-wj1kpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552097/original/file-20231004-25-wj1kpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552097/original/file-20231004-25-wj1kpe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Publicité parue dans le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 23 août 1885.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.retronews.fr/journal/memorial-de-la-loire-et-de-la-haute-loire/23-aout-1885/231/1749481/3%20%22%22">Retronews</a></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552100/original/file-20231004-19-9ypi1g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552100/original/file-20231004-19-9ypi1g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=193&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552100/original/file-20231004-19-9ypi1g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=193&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552100/original/file-20231004-19-9ypi1g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=193&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552100/original/file-20231004-19-9ypi1g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=243&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552100/original/file-20231004-19-9ypi1g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=243&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552100/original/file-20231004-19-9ypi1g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=243&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Publicité parue dans Le Petit Marseillais, 30 mars 1885, p. 4.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.retronews.fr/journal/le-petit-marseillais/30-mars-1885/437/2221985/4%20%22%22">Retronews</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’usage de la cocaïne va leur apporter une légitimité inespérée auprès de la population. Il leur suffit de badigeonner la gencive et de placer le coton imbibé de cocaïne dans le creux de la dent pour voir la zone presque immédiatement insensibilisée. On peut aussi injecter directement la cocaïne dans la gencive. Les malades « même les plus douillets » sont enchantées par l’effet « extraordinaire » de la substance. <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56085227/f10.item.texteImage">Les dentistes quant à eux se réjouissent de ce que leurs clients et clientes ne craignent plus leur spécialité</a>.</p>
<p>C’est également à partir de l’usage de la cocaïne que la posture d’examen chez les dentistes va évoluer : on passe ainsi de la position assise à allongée pour éviter les syncopes dues à l’injection. Or cette position, nouvelle pour les malades comme pour les praticiens, n’allait pas de soi. En 1898, le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57302822/f19.item">docteur L. O’Folowell décrit ses difficultés à allonger ses malades, en particulier les hommes</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Nous avons vu des malades souffrant atrocement d’une dent cariée venir en réclamer l’extraction. Ils s’installent dans le fauteuil, nous examinons la dent malade et jugeant que l’avulsion sera très douloureuse, nous décidons d’anesthésier le sujet. Nous faisons alors jouer la vis qui incline le dossier, à peine le malade est-il tombé en arrière qu’il se redresse et l’air inquiet demande ce qu’on va lui faire. – Une simple piqûre sur la gencive pour que vous ne souffriez pas ; allons, couchez-vous. Le malade proteste, prétend celle position inutile et, pensant qu’on veut l’étendre parce que l’on craint de lui une faiblesse, vous assure qu’il est plein de courage. Vous donnez des explications, vous insistez, peine perdue. Le plus souvent, ou vous êtes obligé d’opérer sans anesthésie, ou le malade refuse l’extraction. »</p>
</blockquote>
<p>Le premier fauteuil permettant au dentiste d’opérer en position horizontale (avec la tête au même niveau que le tronc) est présenté en <a href="https://archive.org/details/BIUSante_PF092x1893/page/291/mode/2up?q=fauteuil">1893 à la Société d’Odontologie par le professeur de l’École dentaire de Paris, Paul Martinier, qui l’a fait réaliser par la maison Billard</a>. Cette innovation technique est directement et expressément liée à l’usage de la cocaïne.</p>
<p>Auparavant, les fauteuils s’inclinaient en même temps que le siège ou ne s’inclinaient pas suffisamment. En cas de syncope, les dentistes devaient coucher la personne sur le sol.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552094/original/file-20231004-27-qps83o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552094/original/file-20231004-27-qps83o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=158&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552094/original/file-20231004-27-qps83o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=158&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552094/original/file-20231004-27-qps83o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=158&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552094/original/file-20231004-27-qps83o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=199&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552094/original/file-20231004-27-qps83o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=199&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552094/original/file-20231004-27-qps83o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=199&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fauteuils de dentistes, années 1860 et 1890.</span>
</figcaption>
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<p><a href="https://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhad/cabinet-dentaire/le-cabinet-dentaire-de-green-vardiman-black/">Fauteuils de dentistes, années 1860 et 1890</a> :</p>
<p>Mais cet usage de la cocaïne par des professionnels est vécue comme une concurrence déloyale par les médecins pratiquant la dentisterie. Ils parviendront à obtenir le monopole de l’usage de cocaïne en 1892 suite à un lobbying intense au sein de la presse médicale pour dénoncer de supposés abus et accidents parfois mortels.</p>
<p>Le professeur Reclus, fervent défenseur de la cocaïne, condamne quant à lui une entreprise de diabolisation de la substance. Après une étude méticuleuse menée entre 1889 et 1892 au sujet des 126 prétendus accidents mortels causés par la cocaïne au niveau international, il parvient à les réfuter un par un et déclare : <a href="https://archive.org/details/lacocaneenchirur00recl/page/46/mode/2up?view=theater">« l’alcaloïde n’est pas responsable des méfaits commis en son nom »</a>.</p>
<p>En réalité, la plupart des « empoisonnements » répertoriés sont des intoxications « légères » n’ayant pas causé la mort ; les quelques cas de décès sont liés à des usages inappropriés de la substance ou à des malades ayant une pathologie grave. Bien employée, la cocaïne est selon lui d’une parfaite innocuité.</p>
<p>Il souligne d’ailleurs qu’étant donné le grand nombre de dentistes qui l’emploient chaque jour, comme <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56013246/f20.item.r=(prOx:%20%22dentiste%22%2010%20%22coca%C3%AFne%22)">Bouchart, dentiste à Lille, qui déclare avoir depuis six ans retiré plus de 5 000 « dents ou chicots » grâce à la cocaïne en 1890</a>, le nombre d’accidents rapporté est bien faible.</p>
<p>Reclus insiste : les médecins eux-mêmes sont en fait bien plus souvent en cause que les dentistes, tel <a href="https://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/resultats/index.php?do=page&cote=90182x1889x06&p=204">ce médecin de Philadelphie qui injecte d’un coup 3,60g de cocaïne dans l’urètre de son patient</a>, soit 40 fois la dose normale ! (Ici le patient est bien décédé mais Reclus considère – à juste titre – que c’est le médecin et non la cocaïne qui est à condamner).</p>
<p>En 1892 donc, les dentistes perdent malgré tout le droit d’utiliser la cocaïne s’ils ne sont pas accompagnés d’un docteur en médecine. Dans la foulée, un diplôme de chirurgien-dentiste est enfin créé, légitimant définitivement cette profession. <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5729041z/f100.item">Ces nouveaux praticiens et praticiennes reçoivent dès lors une formation spécifique concernant l’anesthésie à la cocaïne</a>, qui aura donc tant marqué la pratique de la dentisterie qu’elle l’aura fait passer du domaine du charlatanisme à celui de la médecine officielle !</p>
<p>Elle révolutionne par ailleurs à la même époque d’autres disciplines médicales en permettant des opérations jusqu’alors impossibles, en ophtalmologie ou en laryngologie par exemple. Son usage permettra en 1901 d’inventer la péridurale. De nos jours, bien qu’étant désormais très rarement employée, la cocaïne fait toujours partie de la pharmacopée française.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212500/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Zoë Dubus ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À partir de 1884, les dentistes disposent de la cocaïne, permettant de réaliser des anesthésies locales en quelques minutes.Zoë Dubus, Post docorante en histoire de la médecine, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2055312023-10-05T13:26:38Z2023-10-05T13:26:38ZLa Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada : une mine d’or pour la recherche sur les maladies du cerveau<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552342/original/file-20231005-26-rmh9lm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4000%2C1508&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les méthodes expérimentales à notre disposition aujourd’hui permettent ni plus ni moins de « déconstruire » le cerveau en ses composantes élémentaires afin d’en comprendre les fonctions et les dysfonctions.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le cerveau fascine les humains depuis toujours. </p>
<p>Mais nos connaissances scientifiques sur ces quelques 1,3 kg de substance fragile enchâssée dans la boîte crânienne ont longtemps été fragmentaires. Or, les percées techniques fulgurantes des dernières années ont inauguré en quelque sorte l’âge d’or des neurosciences moléculaires. </p>
<p>Ces percées ont aussi été permises grâce aux banques de cerveaux, qui conservent des cerveaux humains dans les meilleures conditions pour la recherche scientifique. Nous avons ici à Montréal l’une des plus importantes au monde, la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada (BCDBC), qui a été <a href="https://douglasbrainbank.ca/fr/a-propos">fondée en 1980 à l’Hôpital Douglas</a>. </p>
<p>La BCDBC, qui reçoit plusieurs cerveaux chaque mois, a récolté à ce jour plus de 3 600 spécimens. Son équipe traite chaque année des dizaines de requêtes de tissus provenant de scientifiques du Québec, du Canada, et de l’étranger, préparant ainsi environ 2 000 échantillons pour la recherche. </p>
<p>Ces efforts ont permis, au cours des 40 dernières années, un nombre considérable de découvertes sur différentes maladies neurologiques et psychiatriques. </p>
<p>Professeur titulaire au Département de psychiatrie de l’Université McGill, chercheur au Centre de recherche Douglas et directeur de la BCDBC depuis 2007, je travaille en étroite collaboration avec le <a href="https://douglas.research.mcgill.ca/fr/gustavo-turecki-2/">Dr Gustavo Turecki</a>, codirecteur de la BCDBC et responsable du volet consacré aux maladies psychiatriques et au suicide.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/552153/original/file-20231004-17-mdh992.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C2%2C1535%2C1231&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="hémisphère cérébral" src="https://images.theconversation.com/files/552153/original/file-20231004-17-mdh992.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C2%2C1535%2C1231&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552153/original/file-20231004-17-mdh992.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=475&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552153/original/file-20231004-17-mdh992.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=475&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552153/original/file-20231004-17-mdh992.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=475&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552153/original/file-20231004-17-mdh992.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552153/original/file-20231004-17-mdh992.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552153/original/file-20231004-17-mdh992.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada, qui reçoit plusieurs cerveaux à chaque mois, a récolté à ce jour plus de 3 600 spécimens.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Naguib Mechawar)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Une petite histoire de la recherche sur le cerveau humain</h2>
<p>Ce n’est que vers la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle que les scientifiques commencent à identifier les éléments microscopiques qui composent le cerveau.</p>
<p>À cette époque, on le conserve pour la première fois dans le formol, une solution qui préserve les tissus biologiques afin de pouvoir les manipuler plus facilement et de les garder à long terme. </p>
<p>Parallèlement, on développe des instruments de précision et des protocoles permettant d’examiner les caractéristiques microscopiques du tissu nerveux. </p>
<p>Jusqu’au milieu du XX<sup>e</sup> siècle, on se contente surtout de conserver des cerveaux de patients, prélevés à l’autopsie, dans le but d’identifier de possibles changements macroscopiques ou microscopiques en lien avec leurs symptômes neurologiques ou psychiatriques. </p>
<p>C’est notamment ce que fait le neurologue allemand Alois Alzheimer, qui analyse le cerveau d’une de ses patientes atteintes de démence. En 1906, il décrit alors, pour la première fois, les lésions microscopiques qui caractérisent la maladie portant aujourd’hui son nom. </p>
<p>Ainsi, jusqu’à la fin des années 1970, de nombreuses collections de spécimens de cerveaux conservés dans le formol se bâtissent dans des milieux hospitaliers, un peu à la façon des anciens cabinets de curiosités. </p>
<p>Vers la fin du XX<sup>e</sup> siècle, les approches expérimentales permettant l’analyse à haute résolution de cellules et de molécules au sein de tissus biologiques se multiplient. </p>
<p>Il devient alors nécessaire de recueillir et de conserver des cerveaux humains, obtenus grâce au consentement de la personne ou de sa famille, dans des conditions compatibles avec les techniques scientifiques modernes.</p>
<p>On se met à congeler l’un des hémisphères cérébraux afin, notamment, de pouvoir en mesurer les différentes composantes moléculaires. L’autre hémisphère est fixé dans le formol pour des études anatomiques macroscopiques et microscopiques.</p>
<p>C’est dans ce contexte que fut créée la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/552154/original/file-20231004-25-z5k7jp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Les locaux de la BCDBC" src="https://images.theconversation.com/files/552154/original/file-20231004-25-z5k7jp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552154/original/file-20231004-25-z5k7jp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552154/original/file-20231004-25-z5k7jp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552154/original/file-20231004-25-z5k7jp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552154/original/file-20231004-25-z5k7jp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552154/original/file-20231004-25-z5k7jp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552154/original/file-20231004-25-z5k7jp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">À Montréal se trouve l’une des plus importantes banques de cerveaux au monde, la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada, qui fut fondée en 1980 à l’Hôpital Douglas.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Naguib Mechawar)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<h2>De nouvelles approches expérimentales qui portent fruit</h2>
<p>Des chercheurs de pointe de nombreuses universités à travers le monde bénéficient des échantillons de la BCDBC pour faire progresser leurs recherches. Cela inclut, il va sans dire, plusieurs équipes québécoises.</p>
<p>C’est ainsi que le <a href="https://douglas.research.mcgill.ca/fr/judes-poirier-2/">Dr Judes Poirier</a>, du Centre de recherche Douglas, affilié à l’Université McGill, et son équipe ont découvert que le gène APOE4 constitue un <a href="https://doi.org/10.1016/0140-6736(93)91705-Q">facteur de risque de la maladie d’Alzheimer</a>. Plus récemment, l’équipe du <a href="https://crhmr.ciusss-estmtl.gouv.qc.ca/fr/chercheur/gilbert-bernier">Dr Gilbert Bernier</a>, professeur au Département de neurosciences de l’Université de Montréal, a découvert que les lésions caractéristiques de cette maladie sont associées à une <a href="https://doi.org/10.1038/s41598-018-37444-3">expression anormale du gène BMI1</a>.</p>
<p>Du côté des maladies psychiatriques, et plus particulièrement de la dépression, des progrès importants ont été réalisés tout récemment par le <a href="https://douglas.research.mcgill.ca/fr/groupe-mcgill-detudes-sur-le-suicide/">Groupe McGill d’Études sur le Suicide</a>. </p>
<p>Ainsi, en utilisant des méthodes de pointe permettant d’isoler et d’analyser les cellules du cerveau humain, l’équipe du Dr. Turecki est parvenue à identifier précisément les types de cellules dont la fonction est affectée chez des hommes <a href="https://doi.org/10.1038/s41593-020-0621-y">ayant souffert de dépression majeure</a>, puis de découvrir que les types cellulaires en cause dans cette maladie diffèrent <a href="https://doi.org/10.1038/s41467-023-38530-5">entre les hommes et les femmes</a>. </p>
<p>Ces approches expérimentales donnent lieu à des ensembles de données gigantesques pouvant être interrogés dans le cadre d’études subséquentes. C’est le cas, par exemple, de travaux menés dans mon laboratoire et ayant identifié des signes de changements persistants dans la neuroplasticité au sein du cortex préfrontal de personnes ayant un historique de <a href="https://doi.org/10.1038/s41380-021-01372-y">maltraitance infantile</a>. En effet, les études citées ci-dessus nous ont permis de découvrir au moins un des types cellulaires impliqués dans ce phénomène. </p>
<p>En somme, les méthodes expérimentales à notre disposition aujourd’hui permettent ni plus ni moins de « déconstruire » le cerveau en ses composantes élémentaires afin d’en comprendre les fonctions et les dysfonctions.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/552155/original/file-20231004-27-62uc6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Hémisphères cérébraux conservés dans le formol" src="https://images.theconversation.com/files/552155/original/file-20231004-27-62uc6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552155/original/file-20231004-27-62uc6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552155/original/file-20231004-27-62uc6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552155/original/file-20231004-27-62uc6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552155/original/file-20231004-27-62uc6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552155/original/file-20231004-27-62uc6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552155/original/file-20231004-27-62uc6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des chercheurs de pointe de nombreuses universités à travers le monde bénéficient des échantillons de la BCDBC pour faire progresser leurs recherches.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Naguib Mechawar)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<h2>Identifier, prévenir, dépister et traiter</h2>
<p>C’est grâce au travail acharné et au dévouement de toute l’équipe de la BCDBC, ainsi qu’au soutien indéfectible de tous ses partenaires, de mécènes (souvent anonymes) et d’organismes subventionnaires, et particulièrement le FRQS et son <a href="https://reseausuicide.qc.ca/fr/">Réseau québécois sur le suicide, les troubles de l’humeur et les troubles associés</a>, que cette ressource inestimable a non seulement réussi à survivre, mais à se développer et à se hisser au rang des plus importantes banques de cerveaux au monde. </p>
<p>Il est permis de croire que la BCDBC aura dans les années à venir un rôle important à jouer dans l’identification de plus en plus précise des causes biologiques des maladies du cerveau, et donc de nouvelles cibles en vue de meilleures approches de prévention, de dépistage et de traitement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205531/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Naguib Mechawar a reçu des financements des IRSC, du CRSNG, de HBHL (Apogée) et du FRQS (ERA-NET NEURON et RQSHA). </span></em></p>À Montréal se trouve l’une des plus importantes banques de cerveaux au monde, la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada. Elle permet des découvertes sur différentes maladies neurologiques et psychiatriques.Naguib Mechawar, Neurobiologiste, Institut Douglas; Professeur titulaire, Département de psychiatrie, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2087922023-09-28T19:14:48Z2023-09-28T19:14:48ZLe striptease de la momie au XIXᵉ siècle ou la fascination de l’Occident pour les dépouilles antiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539309/original/file-20230725-19-w5id6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C7%2C792%2C577&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Illustration de Martin Van Maële : la momie de la nouvelle fantastique "Lot n°249"(1892) d’Arthur Conan Doyle.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Mummy_%28undead%29">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Le 25 juin 1882, le <em>New York Times</em> publie un article intitulé <a href="https://www.nytimes.com/1882/06/25/archives/mummies-as-bricabrac.html">« Mummies as Bric-a-Brac »</a> rapportant que certes, l’homme moderne se doit de voyager et découvrir l’Égypte, mais qu’il est recommandé, en plus, d’en ramener une momie en souvenir.</p>
<blockquote>
<p>« Le voyageur moderne ne se contente pas de collectionner des perles, des statuettes funéraires d’autres objets de ce genre. Il doit ramener chez lui un ancien Égyptien in propria persona. »</p>
</blockquote>
<p>Pourquoi inciter à un tel comportement ? Par-delà l’aspect d’un simple témoignage archéologique, quels attributs, quels pouvoirs confère-t-on aux momifiés, à l’époque ?</p>
<h2>La momie et ses vertus thérapeutiques</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550638/original/file-20230927-29-zeb8bw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550638/original/file-20230927-29-zeb8bw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1039&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550638/original/file-20230927-29-zeb8bw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1039&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550638/original/file-20230927-29-zeb8bw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1039&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550638/original/file-20230927-29-zeb8bw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1306&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550638/original/file-20230927-29-zeb8bw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1306&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550638/original/file-20230927-29-zeb8bw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1306&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un pot pharmaceutique du XVIIIᵉ siècle, supposé contenir des matières issues de momies.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Albarello_MUMIA_18Jh.jpg">Bullenwhächter/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si la présence de momies en Égypte n’était pas un fait inconnu des Occidentaux, c’est seulement à partir de l’époque médiévale que les Européens s’intéressent aux substances utilisées pour la momification. Cette possibilité de conserver les morts durant des siècles va conférer à cette pratique une nouvelle dimension : on prête à la momie des vertus thérapeutiques.</p>
<p>Le mot <em>momie</em> est une dérive du latin médiéval <em>mumia</em> désignant une <a href="http://ducange.enc.sorbonne.fr">« substance extraite des corps embaumés, utilisée comme drogue médicinale »</a>, lui-même issu de l’arabe <em>mūmiyā</em> désignant un « mélange de poix et de bitume servant à embaumer les morts ». Ainsi, dès le XIIᵉ siècle, <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/46052?lang=fr">les momies sont utilisées comme remèdes pharmaceutiques</a>. Le bitume utilisé par les anciens Égyptiens pour préserver le corps, afin qu’ils puissent selon les croyances antiques revivre dans l’au-delà, était alors utilisé pour soigner divers symptômes par les médecins orientaux et occidentaux.</p>
<p>Si l’on en croit le <a href="https://en.wikisource.org/wiki/Sir_Thomas_Browne%27s_works,_volume_3_(1835)/Hydriotaphia">médecin anglais Sir Thomas Browne, en 1658</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La momie est devenue une marchandise […] et Pharaon est vendu pour des baumes. »</p>
</blockquote>
<p>Progressivement, l’utilisation de corps momifiés devient une nécessité pour la pharmacopée médiévale. Les momies étaient démembrées, broyées et importées en Europe afin de produire <a href="https://www.biusante.parisdescartes.fr/pare/08-08.htm">« une poudre de momie »</a> consommée au travers d’onguents, comme médicament ou calmant traitant les blessures, abcès ou problèmes intestinaux.</p>
<p>On prêtait aux momies une fonction curative, en référence à une Égypte mystique capable par sa magie de guérir les maladies. Cet aspect se double d’une fonction mercantile : elle est vendue à prix d’or et le marché de la momie est en pleine expansion au Moyen-âge, non sans dérives : certains marchands se vantaient de détenir de la poussière de momie royale !</p>
<p>Face à la demande exponentielle d’un marché européen en plein essor, le pillage de nécropoles égyptiennes s’intensifie. Les momies devenant rares et coûteuses, les faussaires font leur apparition avec des momies d’animaux, des momies de morts prématurés de maladies, voire des modèles en cire. Malgré les malversations l’engouement pour la poudre de momie « rédemptrice » n’a pas disparu. Hier encore (1998), la poussière de momie – ou pseudo – se vendait sur les étagères des <a href="https://www.academia.edu/3265928/1998_The_Mummy_in_Ancient_Egypt_Equipping_the_Dead_for_Eternity_London_Thames_and_Hudson">boutiques occultes de New York et Philadelphie</a>.</p>
<h2>Momie peinture et momie papier</h2>
<p>Les momies suscitent un enthousiasme certain dans le domaine artistique au XIX<sup>e</sup> siècle. Ce siècle du romantisme et de l’orientalisme qui s’ouvre en Europe comme aux États-Unis pousse les artistes peintres à utiliser d’autres matériaux et notamment le « caput mortuum » ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Brun_momie">« brun de momie »</a> pigment rouge contenant à l’origine des morceaux broyés de momies, de résine blanche et de myrrhe.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550649/original/file-20230927-27-ti73gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550649/original/file-20230927-27-ti73gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=481&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550649/original/file-20230927-27-ti73gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=481&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550649/original/file-20230927-27-ti73gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=481&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550649/original/file-20230927-27-ti73gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=604&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550649/original/file-20230927-27-ti73gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=604&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550649/original/file-20230927-27-ti73gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=604&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cet <em>Intérieur d’une cuisine</em> de Martin Drôlling (1815) aurait été peint à base de brun de momie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010065880">Louvre</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Produit pour la peinture à l’huile, son utilisation s’est étendue à d’autres techniques comme l’aquarelle. Utilisé pour donner aux œuvres d’art une dimension exotique et éternelle, son emploi n’a connu qu’un succès mitigé. Les artistes émettaient des réserves quant à sa fiabilité :</p>
<blockquote>
<p>« Bitume momie, couleur brun roux, origine bitume naturel, le plus néfaste des pigments. Ne sèche jamais. » (André Béguin, Mémento pratique de l’artiste peintre, 1979)</p>
</blockquote>
<figure class="align-right ">
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<span class="caption">Une page du livre du <em>Jubilé de Norwich</em> (1859) imprimé sur du papier fabriqué à partir des enveloppes de momies égyptiennes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://mummymania.omeka.net/exhibits/show/mummy-paper-no-longer-an-urban/item/95">Mummy mania</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les réserves quant à son utilisation se justifient également par une question éthique notamment en ce qui concerne la fabrication de cette poudre avec des morceaux de momies. Si cette question était ignorée à l’époque par certains artistes au vu des intérêts commerciaux, d’autres au contraire s’insurgent et en 1881, l’artiste peintre préraphaélite Lauwrence Alma Tadena décide d’enterrer ses tubes de peinture après avoir appris que <a href="https://archive.org/details/memorialsofedwar02burn/page/114/mode/2up">les couleurs avaient été obtenues à partir d’une momie</a> !</p>
<p>Dans le domaine industriel, aux États-Unis, les momies trouvent aussi une utilisation bien singulière. On s’en sert pour pallier le coût des fibres de chiffon, dans la réalisation du papier moderne. Les papeteries américaines ont ainsi utilisé le linceul de nombreuses momies afin de fabriquer du papier, comme ce fut le cas, en 1862, de la papeterie américaine du <a href="https://www.academia.edu/35561637/Mummies_in_Maine_pdf">Maine d’Augustus Stanwood</a> pour confectionner son papier d’emballage. Signe de mauvais augure, la légende veut que l’ensemble de ses ouvriers soient morts du choléra.</p>
<p>On peut lire sur une affiche de célébration de Jubilé à Norwich, en 1859 :</p>
<blockquote>
<p>« Ce papier est fabriqué par la Chelsea Manufacturing Company de Greenville, la plus grande usine de papier au monde. Le matériau qui le compose a été apporté d’Égypte. Il a été prélevé dans d’anciennes tombes où il avait été utilisé pour l’embaumement de momies ».</p>
</blockquote>
<h2>Des bizarreries qui attisent la curiosité</h2>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, l’Égypte antique est perçue comme la mère des civilisations. Le vestige égyptien était gage de sagesse pour son propriétaire. Toutefois, seule une infime partie de la population américaine, souvent aisée, pouvait faire ce genre d’acquisition. Faire découvrir les richesses de l’Égypte à l’immense majorité de la population devient dès lors une source de profits pour les entrepreneurs du spectacle.</p>
<p>Avant d’être exposées dans les musées, les momies étaient promenées de ville en ville dans les carnavals et cirques itinérants et expositions de fortune. La momie, au même titre que les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Freak_show">« freak shows »</a>, était avant tout un objet de divertissement, une bizarrerie humaine.</p>
<p>Parallèlement, d’autres spectacles sont organisés et touchent une frange plus érudite de la population. Ce fut le cas des démaillotages de momies. En effet, dans une perspective scientifique, les momies étaient « déshabillées » et étudiées en public. Le médecin <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Pettigrew">Thomas Joseph Pettigrew</a> en Angleterre et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Robin_Gliddon">George Robin Gliddon</a> aux États-Unis sont les plus célèbres examinateurs de momie. Véritables spectacles aux États-Unis, les démaillotages étaient un moyen de montrer à un public passionné des exemples réels de sauvetage et d’analyse des vestiges du passé et, en outre, d’imprégner les esprits sur <a href="https://theconversation.com/egypte-blanche-egypte-noire-histoire-dune-querelle-americaine-197119">l’évolution raciale présentant les « caucasiens » comme descendant des Égyptiens</a>. Ces démaillotages étaient suivis par des conférences sur le thème de la momification.</p>
<p>On peut lire dans le <em>Baltimore Patriot</em>, en 1830 :</p>
<blockquote>
<p>« Ces vénérables vestiges de l’antiquité présentent à l’œil du spectateur une image saisissante de trois mille ans, et constituent incontestablement la plus grande curiosité jamais offerte à un public américain. »</p>
</blockquote>
<h2>La malédiction des momies</h2>
<p>Dans l’élan impérialiste et colonialiste du XIX<sup>e</sup> siècle et début XX<sup>e</sup>, l’archéologie et la fiction populaire transforment la momie en une figure féminine séduisante et maléfique.</p>
<p>La quête scientifique objectivant la momie et sa marchandisation fait naître dans les romans victoriens, comme ceux de H.D. Everett, <a href="https://books.google.fr/books/about/Iras.html?id=10rSzQEACAAJ&redir_esc=y"><em>Iras. A Mystery</em></a> (1896) Rider Haggard, <a href="https://books.google.fr/books/about/She.html?id=84jebkn7E90C&redir_esc=y"><em>She</em></a> (1887) ou encore de Bram Stoker, <a href="https://www.google.fr/books/edition/The_Jewel_of_Seven_Stars/eO1BEAAAQBAJ"><em>The Jewel of Seven Stars</em></a> (Le Joyau des sept étoiles, 1903), une réincarnation de la figure de la momie présentée comme humaine et séduisante.</p>
<p>Victime directe des recherches archéologiques et de la profanation des tombeaux, elle se réincarne sous la forme d’une beauté orientale vengeresse. Les châtiments que la momie inflige sont aussi liés aux démaillotages publics et aux examens réalisés par les archéologues, perçus comme une forme d’agression sexuelle.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Une annonce de démaillotage de momie, à Boston, en 1850, sous la houlette de George Gliddon, premier égyptologue américain.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://echoesofegypt.peabody.yale.edu/mummy-mania/broadsheet-announcement-mummy-unwrapping">Yale</a></span>
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<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550635/original/file-20230927-23-1viyn1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550635/original/file-20230927-23-1viyn1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550635/original/file-20230927-23-1viyn1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550635/original/file-20230927-23-1viyn1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550635/original/file-20230927-23-1viyn1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550635/original/file-20230927-23-1viyn1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550635/original/file-20230927-23-1viyn1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Page de titre de l’ouvrage de Jane Webb Loudon (1828), l’une des premières histoires à traiter d’une « malédiction de la momie ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Mummy!#/media/Fichier:The_Mummy!_1828_second_ed%20ition.jpg">Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>En effet, les démaillotages relatés dans les premiers romans d’époque victorienne renvoient à la conquête occidentale de l’Orient, personnifiée par la momie, symbole d’une femme vierge étrangère soumise aux envahisseurs. Cette femme orientale est détaillée, déballée, et pénétrée comme devait l’être l’Égypte coloniale. L’exposition du corps momifié, le retrait des bandages de lin, laissant apparaître un corps nu sans défense, dévoile un fantasme érotique comparable au viol. L’objet archéologique (la momie) devient un objet sexuel.</p>
<p>Cette sexualisation de la momie trouve également un écho dans le pillage des tombes égyptiennes. S’intensifiant au XIX<sup>e</sup> siècle, les pillages de tombeaux et l’accaparement des momies reflètent également le concept sexualisé de la pénétration et du viol. Très présente dans la littérature victorienne, la malédiction de la momie incarne la notion de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vagina_dentata">vagina dentata</a> : les momies revenues à la vie se vengent du viol de la pénétration du tombeau (<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Lost_in_a_Pyramid;_or,_The_Mummy%27s_Curse">Louisa May Alcott, <em>Lost in Pyramid or, The Mummy’s Curse</em></a>, 1869).</p>
<p>Dans le <em>Roman de la Momie</em>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Roman_de_la_momie">Thépophile Gautier écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai l’idée que nous trouverons […] un tombeau qui n’a jamais été altéré […] mais qui nous livrera, intactes, toutes les richesses de son mystère vierge. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550644/original/file-20230927-21-dnpvu6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550644/original/file-20230927-21-dnpvu6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1022&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550644/original/file-20230927-21-dnpvu6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1022&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550644/original/file-20230927-21-dnpvu6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1022&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550644/original/file-20230927-21-dnpvu6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1284&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550644/original/file-20230927-21-dnpvu6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1284&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550644/original/file-20230927-21-dnpvu6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1284&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Albert Robida, illustration pour le <em>Roman de la momie</em> de Théophile Gautier (1858).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Roman_de_la_momie#/media/Fichier:Albert_Robida_-_Le_Roman_de_la_momie.jpg">Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>Ainsi, bien avant la découverte du tombeau de Toutankhamon (1922), l’idée de malédiction par une momie vengeresse trouve écho dans la profanation des tombes égyptiennes et l’absence de culpabilité des archéologues qui violent les tombeaux. L’une des plus célèbre momies vengeresses est <a href="https://www.britishmuseum.org/collection/object/Y_EA22542">« The Unlucky Mummy » conservée au British Musuem (BMEA22542)</a> : elle aurait porté malheur à l’ensemble de ceux qui l’ont rencontrée et aurait même, d’après une légende, fait couler le <em>Titanic</em>.</p>
<h2>La momie face aux chrétiens</h2>
<p>Ces déballages, ces exhibitions de momie dénotent une certaine curiosité malsaine, forme de voyeurisme à l’égard du défunt et de la mort. Dans cette période victorienne où la mort est omniprésente, la curiosité face à des corps enveloppés et momifiés l’emporte sur la pudeur et la dignité. Mais cette curiosité se pare aussi d’un esprit religieux et scientifique marqué par la volonté de prouver les évènements bibliques.</p>
<p>Le démaillotage de momies posait également la question des richesses contenues dans les sépultures des momies. En effet, l’austérité prônée par la religion chrétienne était en totale contradiction avec l’abondance de richesses que contenaient certains tombeaux ou momies égyptiennes. Cette profusion de richesses amena certains à émettre l’hypothèse que les Égyptiens étaient incapables de reconnaitre la valeur des objets enfouis avec leurs morts.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550651/original/file-20230927-17-mnqkoz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550651/original/file-20230927-17-mnqkoz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=752&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550651/original/file-20230927-17-mnqkoz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=752&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550651/original/file-20230927-17-mnqkoz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=752&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550651/original/file-20230927-17-mnqkoz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=945&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550651/original/file-20230927-17-mnqkoz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=945&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550651/original/file-20230927-17-mnqkoz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=945&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans La Tombe de la Momie (1942), un film d’horreur de Lon Chaney. Le héros est assassiné par une momie venue pour se venger de la profanation de la tombe d’Ananka.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Tombe_de_la_Momie">Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>Dans un esprit de charité et de ferveur chrétienne et bien que les Égyptiens soient polythéistes, un nombre important de momies ont été réenterrées dans de nouvelles sépultures chrétiennes. La momie <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Amum-Her-Khepesh-Ef">d’Amun-Her-Kepesh-Ef vendue à Henry Sheldon</a> en 1886 pour son musée de Middlebury (Vermont) a été redécouverte dans le grenier du musée par le conservateur George Mead en 1950. La momie fut incinérée et enterrée au West Cemetery (Vermont) <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Encyclopedia_of_Mummies.html?id=rdmONAAACAAJ&redir_esc=y">avec une croix chrétienne sur sa pierre tombale</a> – une manière de se soucier de la dignité et de l’âme du défunt.</p>
<p>Tombeaux violés, momies transformées en onguent médicinal, en peinture, démaillotées en public : le XIX<sup>e</sup> siècle marque une certaine déshumanisation des momies. Pillées et séparées des biens avec lesquels elles avaient été enterrées, les momies ont perdu une part de leur identité, de leur intégrité et de leur caractère mystique.</p>
<p>Le XXI<sup>e</sup> siècle offre un nouveau regard sur les momies. Les travaux archéologiques et scientifiques ont apporté de nombreuses réponses et une meilleure compréhension concernant les sépultures égyptiennes, les techniques d’embaumement et par la même des momies. De nouvelles fouilles, comme celle de Saqqarah et la découverte d’une momie de plus de 4 000 ans, enrichissent toujours l’histoire de cette civilisation. Mais la fascination pour les momies, elle, n’est pas prête de s’éteindre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208792/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Vanthournout ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Entre pseudo vertus thérapeutiques, usages insolites et fascination morbide, pourquoi les momies exhumées en Égypte ont connu un destin hors du commun.Charles Vanthournout, Professeur d'histoire-géographie et Doctorant en égyptomanie américaine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2115702023-09-01T13:14:34Z2023-09-01T13:14:34ZVoici comment vous débarrasser de vos pellicules, selon la science<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/542623/original/file-20230706-25-n7njvh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C995%2C667&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les pellicules sont principalement causées par la levure _Malassezia_. Cette levure vit sur la peau de la plupart des gens, soit à la surface, soit dans l’ouverture du follicule pileux, la structure qui entoure la racine et la mèche d’un cheveu.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/dander-that-causes-itching-scalp-373934782">(Shutterstock)</a></span></figcaption></figure><p>Les pellicules peuvent être sèches, comme des flocons de neige, ou grasses, avec des amas jaunes. Jusqu’à la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK551707/">moitié</a> des adultes ont souffert de cette affection du cuir chevelu à un moment ou à un autre ; vous connaissez donc certainement ces squames et les démangeaisons qu’elles provoquent. </p>
<p>Les pellicules peuvent être <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1439-0507.2008.01624.x">embarrassantes</a>. Elles peuvent affecter de nombreux aspects de la vie des gens, tels que leurs relations sociales, la façon dont ils se coiffent et les vêtements qu’ils portent.</p>
<p>Ce problème ne date pas d’aujourd’hui. En fait, les pellicules existent depuis des millénaires et ont été <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/2181905/">décrites</a> par des médecins grecs. Nous ne savons pas avec certitude si nos ancêtres étaient aussi gênés par les pellicules que nous le sommes maintenant. Mais ils se sont intéressés aux causes de cette affection.</p>
<h2>Qu’est-ce qui cause les pellicules ?</h2>
<p>Les pellicules sont principalement causées par la levure <a href="https://www.cell.com/cell-host-microbe/pdf/S1931-3128(19)30106-4.pdf"><em>Malassezia</em></a>. Cette levure vit sur la peau de la plupart des gens, soit à la surface, soit dans l’ouverture du follicule pileux, la structure qui entoure la racine et la mèche d’un cheveu.</p>
<p>La levure se nourrit de sébum, l’hydratant naturel sécrété par les glandes sébacées pour empêcher le dessèchement de la peau. Ces glandes sont attachées à chaque follicule pileux et les cheveux fournissent un micro-environnement sombre et couvert, idéal pour la prolifération de la levure.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/543334/original/file-20230817-41912-ipasla.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Schéma d’une coupe transversale de la peau montrant le follicule pileux et d’autres structures cutanées" src="https://images.theconversation.com/files/543334/original/file-20230817-41912-ipasla.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543334/original/file-20230817-41912-ipasla.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543334/original/file-20230817-41912-ipasla.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543334/original/file-20230817-41912-ipasla.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543334/original/file-20230817-41912-ipasla.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543334/original/file-20230817-41912-ipasla.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543334/original/file-20230817-41912-ipasla.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La levure responsable des pellicules vit à la surface de la peau et dans l’ouverture du follicule pileux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En se développant, la levure libère des molécules qui irritent la peau et perturbent son processus normal de renouvellement. Les cellules se regroupent et apparaissent sous forme de flocons blancs. En cas d’excès de sébum, celui-ci peut se mélanger aux cellules et donner aux pellicules un aspect jaune.</p>
<p>Le lien entre les pellicules et la levure a été établi il y a près de 150 ans. La première personne à avoir identifié et décrit cette levure en <a href="https://www.cell.com/cell-host-microbe/pdf/S1931-3128(19)30106-4.pdf">1874</a> est Louis-Charles Malassez (dont elle porte le nom).</p>
<h2>Pourquoi ai-je des pellicules ?</h2>
<p>Comme la <em>Malassezia</em> est présente chez la plupart des gens, pourquoi certaines personnes ont-elles des pellicules et d’autres non ? Cela dépend d’une série de facteurs.</p>
<p>Il s’agit notamment de la qualité de la barrière cutanée. La levure peut pénétrer plus profondément si la peau est endommagée d’une manière ou d’une autre, par exemple en cas de coup de soleil. D’autres facteurs incluent votre immunité et des causes externes, tels que les produits de soins capillaires que vous utilisez.</p>
<p>La façon dont la <em>Malassezia</em> se développe dépend également de l’<a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4864613/">équilibre</a> des autres micro-organismes qui vivent sur votre peau, tels que les bactéries.</p>
<h2>Comment se débarrasser des pellicules ?</h2>
<p>Les pellicules sont principalement traitées avec des shampooings <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0939641123000292?via%3Dihub">antifongiques</a> et des traitements du cuir chevelu pour freiner la croissance de la <em>Malassezia</em>. Ces shampooings contiennent le plus souvent de la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34575891/">pyrithione de zinc</a> (ou ZnPT). Le sulfure de sélénium, le kétoconazole et le goudron de houille sont d’autres antifongiques couramment présents dans les shampooings. </p>
<p>Vous pouvez également traiter les pellicules à l’aide de masques et de gommages qui contribuent à restaurer la barrière du cuir chevelu en réduisant l’inflammation et l’irritation. Mais comme ces produits n’ont pas d’action antifongique, les pellicules risquent de réapparaître.</p>
<p>Les remèdes maison <a href="https://www.healthline.com/nutrition/ways-to-treat-dandruff#7.-Omega-3s">comprennent</a> l’huile d’arbre à thé, la noix de coco ou d’autres huiles, et le miel. Il existe des preuves à l’appui de leur utilisation, principalement des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35642120/">études</a> qui montrent que les extraits d’ingrédients botaniques peuvent réduire la croissance de la levure en laboratoire. Mais la qualité et la composition de ces ingrédients varient considérablement.</p>
<p>Il subsiste également un risque d’aggraver le problème en fournissant davantage d’huiles que la levure appréciera, ce qui déséquilibrera encore plus les micro-organismes du cuir chevelu et entraînera une plus grande irritation.</p>
<p>Il est donc préférable de s’en tenir aux produits commerciaux.</p>
<h2>Pourquoi mes pellicules reviennent-elles ?</h2>
<p>Vos pellicules risquent de réapparaître si les principes actifs de votre shampooing n’atteignent pas le bon endroit, à la bonne concentration, pendant le temps nécessaire pour tuer la levure. </p>
<p>Nos <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36842718/">recherches</a> sur les produits à base de pyrithione de zinc ont montré que ceux-ci parvenaient à atteindre la surface de la peau. En revanche, ils se retrouvent de manière moins fiable dans les follicules pileux, un endroit plus difficile d’accès.</p>
<p>Nous avons constaté que la pyrithione de zinc semblait <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35631659/">cibler</a> la partie supérieure des follicules plutôt que leur profondeur. </p>
<p>Ce phénomène peut donc permettre d’expliquer pourquoi les pellicules reviennent sans cesse. Il se peut que le principe actif de votre shampooing soit incapable d’atteindre la levure à l’origine de vos pellicules.</p>
<p>Nous ne savons pas encore comment faire en sorte que les formulations existantes pénètrent plus profondément.</p>
<h2>Qu’en est-il des traitements futurs ?</h2>
<p>Nous verrons probablement de nouvelles formulations de shampooings antipelliculaires et de traitements du cuir chevelu qui délivreront mieux le principe actif là où il est requis, c’est-à-dire au cœur des follicules pileux.</p>
<p>Nous pouvons aussi nous attendre à de nouvelles substances actives, telles que les enzymes <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28766952/">anhydrases carboniques</a>. Celles-ci pourraient cibler la croissance de la levure d’une manière différente des principes actifs actuels.</p>
<p>Nous commençons également à assister à la mise au point de crèmes et de lotions visant à renforcer l’équilibre de la flore cutanée, à l’instar de produits similaires pour l’intestin. Il s’agit notamment de prébiotiques (compléments ou nutriments pour la flore cutanée) ou de probiotiques (produits qui contiennent de la flore cutanée). Cependant, nous avons encore <a href="https://www.mdpi.com/2079-9284/8/3/90/htm">beaucoup à apprendre</a> sur ces types de formulations.</p>
<h2>En bref</h2>
<p>Les pellicules sont gênantes, le traitement est efficace, mais il peut nécessiter des séances répétées. Nous espérons pouvoir mettre au point des shampooings améliorés qui délivrent mieux le principe actif là où il est requis.</p>
<p>Mais nous devons trouver un équilibre. Nous ne voulons pas éliminer tous les micro-organismes de notre peau.</p>
<p>Ceux-ci sont importants pour notre immunité, notamment en empêchant les microbes pathogènes de s’installer. Ils aident également la peau à produire des peptides antimicrobiens (protéines courtes) qui nous protègent de ces agents pathogènes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211570/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sean Mangion est également étudiant en médecine à l'Université de Sydney.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lorraine Mackenzie ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les pellicules existent depuis des milliers d’années. Voici comment vous débarrasser des vôtres.Lorraine Mackenzie, Associate Professor, Clinical and Health Sciences, University of South AustraliaSean Mangion, PhD Candidate, University of South AustraliaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2098422023-08-03T21:33:44Z2023-08-03T21:33:44ZLa sinueuse histoire des remèdes aux morsures de serpent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537589/original/file-20230715-82493-nlny8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C926%2C669&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Aujourd’hui, plus question d'aspirer le venin en cas de morsure de serpent.</span> <span class="attribution"><span class="source">State Library of NSW / Hood</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>En Australie comme dans d’autres endroits où vivent ces reptiles, l’été est traditionnellement la saison des morsures de serpents, car à cette époque leur activité s’accroît, tout comme celle des êtres humains. Fort heureusement, le nombre de décès résultant d’une rencontre avec ces animaux est aujourd’hui remarquablement bas. Mais cela n’a pas toujours été le cas.</p>
<p>Bien que les statistiques de la période coloniale soient très peu fiables, il semblerait qu’en Australie, entre 1882 à 1892, on enregistrait chaque année aux alentours de 11 décès suite à des morsures de serpents. Depuis lors, la population du continent est passée de 2,2 millions à 24,3 millions. Pourtant, chaque année entre 2001 et 2013, en moyenne, deux victimes seulement sont décédées suite à une rencontre avec un serpent.</p>
<p>Si les améliorations des transports, des communications et des services d’ambulance ont contribué à cette diminution du nombre de morts, les progrès en matière de premiers secours et de moyens médicaux disponibles pour contrer les venins de serpent ont également joué un rôle.</p>
<h2>À l’époque coloniale, des remèdes complexes</h2>
<p>La prise en charge de John Brownn suite à une envenimation (injection de venin), durant l’année 1868, illustre bien la complexité des remèdes de l’époque coloniale, ainsi que l’énergie du désespoir qui animait ceux qui les mettaient en œuvre. Chef de gare de son état, John Brown officiait à la gare d’Elsternwick lorsque des travailleurs des chemins de fer victoriens lui ont lancé le cadavre d’un serpent brun qu’ils venaient de tuer. </p>
<p>Soit le serpent n’était pas tout à fait mort, soit Brown a effleuré ses crochets lorsqu’il a frappé le corps du reptile « dans un geste d’énervement ». Toujours est-il que le chef de gare a rapidement montré des symptômes d’envenimation : vomissements, faiblesse physique, puis paralysie suivie de coma. Sa mort semblait inévitable.</p>
<p>Le chef de gare fut transporté précipitamment à Balaclava (dans la banlieue de Melbourne). Là, le chirurgien George Arnold lui posa un garrot sur le bras avant de découper le site de la morsure, espérant ainsi éliminer le venin. Il versa ensuite de l’ammoniac (un produit chimique dangereux, utilisé aujourd’hui pour le nettoyage) sur la plaie afin de neutraliser tout venin restant, puis encouragea Brown à boire 175 ml de cognac pour stimuler sa circulation sanguine.</p>
<p>Le médecin agita aussi des sels sous son nez, puis appliqua en cataplasme une sorte de pommade pâteuse à base de moutarde, sur ses mains, ses pieds et son abdomen, afin de soulager la congestion interne. Des chocs électriques furent aussi administrés au malheureux chef de gare pour le stimuler, tandis que, chancelant et semi-conscient, il était promené de long en large afin qu’il reste éveillé – et en vie. Malgré tous ces efforts, son état continua de se détériorer.</p>
<p>Arnold fit alors venir en urgence le seul professeur de médecine de la colonie, <a href="http://adb.anu.edu.au/biography/halford-george-britton-3693">George Halford, de l’Université de Melbourne</a>. Celui-ci accepta à contrecœur d’utiliser sur Brown son nouveau remède contre les morsures de serpent. Il ouvrit une veine du bras du chef de gare et lui injecta de l’ammoniac directement dans le sang. Ce dernier reprit rapidement connaissance, ce qui amena un autre médecin à affirmer que « l’injection d’ammoniac avait sauvé la vie de l’homme » (un conseil : ne tentez pas cela chez vous).</p>
<h2>Nommez votre poison</h2>
<p>Si bon nombre des interventions de 1868 nous semblent aujourd’hui étranges, voire dangereuses, prises dans leur contexte historique, elles avaient néanmoins un sens. Le traitement administré à John Brown suivait en effet un schéma bien connu, appliqué en Australie des années 1800 aux années 1960. Il faut savoir que jusqu’au milieu du XX<sup>e</sup> siècle, les traitements mis en œuvre pour lutter contre les morsures de serpent alternaient entre trois approches fondamentales.</p>
<p>La plupart des colons européens, ainsi que les membres de nombreuses cultures autochtones, considéraient le venin comme un « poison » externe se déplaçant à travers le corps. C’est ce qui explique que des mesures « physiques » telles que le garrot ou la succion étaient courantes : elles visaient à expulser le venin ou limiter sa circulation.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/154020/original/image-20170124-8067-n1jkov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/154020/original/image-20170124-8067-n1jkov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/154020/original/image-20170124-8067-n1jkov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/154020/original/image-20170124-8067-n1jkov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/154020/original/image-20170124-8067-n1jkov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=910&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/154020/original/image-20170124-8067-n1jkov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/154020/original/image-20170124-8067-n1jkov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/154020/original/image-20170124-8067-n1jkov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1144&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les personnes qui étudiaient les morsures de serpent n’hésitaient pas à recourir à l’auto-expérimentation, quitte à se mettre en danger.</span>
<span class="attribution"><span class="source">State Library of NSW</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une deuxième catégorie de remèdes, allant des cataplasmes de moutarde aux injections d’ammoniac, cherchait à s’opposer aux effets néfastes du venin dans le corps, à le contrer, souvent en stimulant la fonction cardiaque et la circulation sanguine.</p>
<p>Enfin, la troisième approche consistait à neutraliser directement le venin lui-même, par exemple en versant de l’ammoniac sur la morsure.</p>
<p>Jusqu’aux années 1850, les mesures physiques ont dominé. Puis, durant les 50 années suivantes, ce fut l’apogée des traitements d’opposition. Lorsque l’ammoniac intraveineux de Halford tomba en disgrâce (car il semblait ne pas fonctionner), il fut remplacé, dans les années 1890, par des injections d’un autre poison notoire : la strychnine. Initialement plus populaire que l’ammoniac, ce poison végétal hautement toxique a fini par être accusé d’avoir tué plus de patients qu’il n’en aurait sauvés.</p>
<p>Au final, le remède colonial le plus populaire, tant auprès des praticiens que des patients, était de boire d’abondantes quantités d’alcool, en particulier du cognac…</p>
<p>La troisième approche, la neutralisation directe du venin, était à la base à la fois de « remèdes » populaires très prisés en Australie et d’une nouvelle technologie, « l’antivenin », développée dans les années 1890.</p>
<h2>La lente émergence des antivenins</h2>
<p>Aujourd’hui, les antivenins sont généralement créés en injectant du venin à des chevaux, ce qui provoque chez eux une réponse immunitaire. Les anticorps qu’elle induit sont ensuite purifiés à partir du sang des animaux, pour être ultérieurement injectés aux patients mordus par les serpents produisant ce venin. </p>
<p>(<em>le premier antivenin a été mis au point <a href="https://www.revuebiologiemedicale.fr/images/Biologie_et_histoire/349_BIO_HIST_CALMETTE.pdf#page=4">en 1893 par le médecin et bactériologiste français Albert Calmette</a>, ndlr</em>)</p>
<p>En Australie, la gestation des antivenins a été lente. Le premier d’entre eux, ciblant le venin de serpent noir, a été développé en 1897. En 1902, un antivenin expérimental contre le serpent tigre a été élaboré. Mais les antivenins sont des produits difficiles à produire, à distribuer et à stocker. Ils se sont également révélés difficiles à administrer, provoquant parfois des réactions allergiques graves et potentiellement mortelles (chocs anaphylactiques). </p>
<p>En conséquence, ce n’est qu’en 1930 que <a href="https://discovery.wehi.edu.au/timeline/snakebite-antivenom">l’antivenin contre le serpent tigre</a> a été commercialisé sur le marché australien. D’autres injections ont ensuite suivi, ciblant un plus large éventail d’espèces de serpents. Mais l’antivenin « polyvalent », efficace contre plusieurs sortes de venins, n’a émergé qu’à partir du milieu des années 1950.</p>
<p>Dans le même temps, d’autres mesures de premiers secours étaient encore administrées, tels que la pose de garrots ou l’application sur la morsure de cristaux de Condy dans l’espoir d’inactiver le venin (du permanganate de potassium, utilisé pour nettoyer les plaies).</p>
<h2>Deux sempiternelles questions</h2>
<p>La prise en charge des morsures de serpent ne s’est stabilisée sous sa forme actuelle qu’à partir des années 1980. Deux développements clés ont joué un rôle : la mise au point de tests rapides permettant d’identifier le venin injecté, et le développement d’une nouvelle stratégie de premiers secours.</p>
<p>Le scientifique <a href="https://www.mja.com.au/journal/2002/177/3/struan-keith-sutherlandao-mb-bs-md-dsc-fracp-frcpa">Struan Sutherland</a> a été un pionnier de la « technique d’immobilisation sous pression ». Afin de ralentir la propagation du venin, il recommande d’enrouler étroitement un bandage autour de la région mordue, d’ajouter une attelle et de minimiser les mouvements.</p>
<p>Éviter de laver ou d’inciser le site de la morsure laisse par ailleurs la possibilité de récupérer ultérieurement un échantillon de venin, ce qui en facilite l’identification et permet de choisir l’antivenin le plus approprié.</p>
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<p>Les méthodes de prise en charge contemporaines sont cependant encore en cours d’évaluation. Les venins et les traitements mobilisés actuellement continuent en effet à poser divers défis aux cliniciens, notamment en raison des réactions graves qu’ils peuvent provoquer et des dommages à long terme qui peuvent résulter d’une envenimation.</p>
<p>Aujourd’hui comme en 1868, deux questions demeurent cruciales après une morsure de serpent : était-ce réellement un serpent dont le venin est mortel, et si tel est le cas, l’animal en a-t-il injecté suffisamment pour tuer ?</p>
<hr>
<p><strong><em>Pour en savoir plus :</em></strong></p>
<ul>
<li>Les recommandations sur la <a href="https://www.ameli.fr/assure/sante/urgence/morsures-griffures-piqures/morsure-serpent">conduite à tenir en cas de morsure de serpent</a> sur le site de l’Assurance Maladie.</li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/209842/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Peter Hobbins a reçu un Australian Postgraduate Award afin entreprendre son doctorat sur le sujet des morsures de serpent dans l'Australie coloniale. Il est le Merewether Fellow 2016 à la State Library of New South Wales (ce qui implique des recherches sur un sujet similaire).</span></em></p>Les traitements des morsures de serpent ont beaucoup évolué depuis deux siècles. Si les plus anciens nous semblent étranges aujourd’hui, ils avaient un sens dans le contexte historique de l’époque.Peter Hobbins, Head of Knowledge, Australian National Maritime Museum and Honorary Affiliate, University of SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2098432023-07-25T17:53:12Z2023-07-25T17:53:12ZInverser la mort : l’étrange histoire de la réanimation<p>La plupart d’entre nous savent probablement – plus ou moins – comment réanimer l’un de nos semblables. Même si vous n’avez pas suivi de cours de <a href="http://www.cfrc.fr/">réanimation cardio-pulmonaire (RCP)</a>, vous avez probablement vu la technique de nombreuses fois à la télévision ou au cinéma.</p>
<p>Les premiers moments de l’histoire de la réanimation étaient, à bien des égards, dramatiques. Ainsi, le 1<sup>er</sup> juin 1782, un journal de Philadelphie rapportait la dernière prouesse en matière de réanimation : un enfant de cinq ans avait été ramené à la vie après s’être noyé dans la rivière Delaware.</p>
<p>Le petit Rowland Oliver jouait sur l’un des quais animés qui avaient été construits lorsque l’industrialisation s’était propagée sur les rives du Delaware lorsqu’il est tombé à l’eau. Il a lutté pendant 10 minutes, puis s’est retrouvé inerte. Un ouvrier l’a sorti de l’eau et l’a ramené chez lui.</p>
<p>Bien que l'enfant ait été rendu visiblement sans vie à sa famille, le journal rapportait que ses parents se sont aperçus qu’il était seulement « mort en apparence ». Cela les a galvanisés, et ils sont passés à l’action. Ils « lui ont immédiatement enlevé tous ses vêtements, l’ont giflé » et « l’ont frotté avec des chiffons de laine trempés dans de l’alcool ».</p>
<p>Le médecin, arrivé peu après, a fait la même chose. Ils ont également plongé les pieds du petit Rowland dans de l’eau chaude et lui ont administré un agent émétique (vomitif) par voie orale. Après environ 20 minutes, la vie est revenue dans le corps du petit garçon. Une petite saignée a été pratiquée, pour atténuer d’éventuels effets secondaires, et le jeune Rowland a vite retrouvé sa vivacité habituelle.</p>
<h2>Sociétés humanitaires</h2>
<p>Ce récit n’était qu’une illustration parmi d’autres des nombreuses histoires de réanimations réussies diffusées dans les journaux par les <a href="https://www.rcpe.ac.uk/sites/default/files/jrcpe_49_2_mccabe.pdf">sociétés humanitaires</a> nouvellement créées à cette époque.</p>
<p><a href="https://royalhumanesociety.org.uk/the-society-history-and-archives/history/">Ces sociétés</a> ont émergé au milieu du XVIII<sup>e</sup> siècle à Amsterdam, ville notoirement connue pour ses canaux… dans lesquels un nombre croissant de personnes se noyaient. Leur but était d’éduquer le public sur le fait que la mort – du moins par noyade – n’était pas forcément absolue, et que les passants avaient le pouvoir d’empêcher les noyés apparemment morts de rejoindre réellement l’au-delà.</p>
<p>À Philadelphie, la résurrection du petit Rowland a rendu ces idées crédibles, et a inspiré la société humanitaire locale : celle-ci a installé le long des rivières de la ville des kits contenant des médicaments, des outils et des instructions pour ranimer les noyés.</p>
<p>Les méthodes ont évolué au fil du temps, mais jusqu’au XIX<sup>e</sup> siècle, les efforts de réanimation consistaient essentiellement à stimuler le corps pour le remettre en mouvement mécaniquement parlant. Les sociétés humanitaires recommandaient souvent de réchauffer la victime de la noyade et de pratiquer une respiration artificielle. Quelle que soit la méthode, le plus important était de redémarrer la machine corporelle.</p>
<p>La stimulation externe – les frottements et les massages pratiqués par les parents du jeune Rowland – était essentielle. De même, la stimulation interne, généralement par l’introduction de rhum ou d’une autre concoction stimulante dans l’estomac, était courante. Mais une autre méthode destinée à exciter l’intérieur du corps était plus étonnante : les sociétés humanitaires proposaient en effet de procéder à une <a href="https://www.resuscitationjournal.com/article/S0300-9572(19)30500-3/fulltext">« fumigation au tabac »</a> du côlon des victimes de noyade. Oui, vous avez bien lu : les efforts de réanimation exigeaient de souffler de la fumée de tabac dans l’anus d’un noyé apparemment morte.</p>
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<img alt="Une femme noyée est réanimée par un lavement à la fumée de tabac" src="https://images.theconversation.com/files/430009/original/file-20211103-21-3hjyf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/430009/original/file-20211103-21-3hjyf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/430009/original/file-20211103-21-3hjyf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/430009/original/file-20211103-21-3hjyf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/430009/original/file-20211103-21-3hjyf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/430009/original/file-20211103-21-3hjyf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/430009/original/file-20211103-21-3hjyf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Illustration : une femme noyée est réanimée par un lavement à la fumée de tabac.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wellcome Collection</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Au XX<sup>e</sup> siècle, d’autres dangers ont émergé, eux aussi potentiellement mortels. Tout comme les noyades se sont multipliées au XVIII<sup>e</sup> siècle, en raison de l’utilisation accrue des voies navigables résultant de l’industrialisation, l’avènement de l’électricité généralisée – et des lignes électriques – ainsi que des automobiles notamment, ont ajouté l’électrocution et l’intoxication au gaz aux causes de mort possibles…</p>
<h2>Un nouveau lieu de stimulation</h2>
<p>Les méthodes de réanimation ont également évolué, les efforts se concentrant de plus sur la stimulation du cœur. Pour cela, il arrivait de manipuler un corps apparemment mort afin de le disposer dans différentes positions. Les compressions thoraciques et les techniques de respiration artificielle sont aussi devenues de plus en plus courantes.</p>
<p>Mais ces modifications de techniques n’ont pas enlevé à la réanimation son caractère « démocratique » : elle pouvait être pratiquée par quasiment n’importe qui. Ses applications restaient cependant spécifiques à certaines circonstances. En effet, la mort apparente ne pouvait résulter que d’un nombre limité de situations…</p>
<p>Les choses ont changé au milieu du XX<sup>e</sup> siècle. À cette époque, la réanimation a commencé à acquérir une réputation de traitement miraculeux, utilisable pour toutes sortes de « morts ». Les personnes capables de prodiguer ces traitements sont devenues plus spécialisées, et la réanimation s’est bientôt limitée aux professionnels médicaux ou intervenants d’urgence. De nombreuses raisons expliquent ce changement, mais une en particulier a joué un rôle crucial dans cette mutation : la reconnaissance du fait que les accidents chirurgicaux causaient eux aussi des morts apparentes.</p>
<p>Lorsque le chirurgien américain <a href="https://www.researchgate.net/publication/271915780_Never_a_Simple_Choice_Claude_S_Beck_and_the_Definitional_Surplus_in_Decision-Making_About_CPR">Claude Beck</a> parlait de ses propres tentatives de refonte de la réanimation, au milieu du XX<sup>e</sup> siècle, il évoquait souvent ce qu’était cette discipline lorsqu’il était encore en formation, à la fin des années 1910.</p>
<p>À l’époque, se souvenait-il, si le cœur d’un patient s’arrêtait sur la table d’opération, les chirurgiens ne pouvaient rien faire d’autre que d’appeler les pompiers et d’attendre qu’ils apportent un « pulmotor », le précurseur des respirateurs artificiels que nous connaissons aujourd’hui. Comme si tout le monde pouvait pratiquer la réanimation, sauf les professionnels médicaux…</p>
<p>Trouvant cela inacceptable, Beck s’est lancé à la recherche d’une méthode de réanimation adaptée aux dangers particuliers de la chirurgie.</p>
<p>Les nouvelles techniques que Beck, et d’autres chirurgiens avec lui, ont expérimentées alors reposaient toujours sur la stimulation. Mais elles s’appuyaient quelque chose dont les chirurgiens bénéficiaient plus ou moins exclusivement : l’accès à l’intérieur du corps. L’une de ces nouvelles méthodes consistait à appliquer de l’électricité directement sur le cœur (défibrillation). Une autre consistait à plonger la main dans la poitrine du patient, et à masser manuellement son cœur en était une autre.</p>
<p>Beck considérait ses premiers succès au bloc opératoire comme une promesse que ses techniques pourraient voir leur efficacité encore étendue. En conséquence, il a élargi sa définition de ce qu’était un patient ranimable. Il a ajouté à la catégorie relativement restreinte des personnes « apparemment mortes » toutes celles qui n’étaient pas « absolument et indiscutablement mortes ».</p>
<p>Beck a réalisé plusieurs films témoignant de ses succès. L’un d’eux, <em>The Choir of the Dead</em> (« Le chœur des morts »), montrait les 11 premières personnes que Beck était parvenu à réanimer se tenant debout, maladroitement côte à côte, tandis qu’il leur demandait tour à tour, sur un ton étonnamment jovial : « De quoi êtes-vous mort ? »</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1375084086256091136"}"></div></p>
<p>« Le chirurgien Claude Beck posant aux côtés de ses patients ressuscités »</p>
<p>Les techniques mises en place dans les espaces médicaux découlaient directement de la réanimation pratiquée ailleurs, elles en constituaient une extension, en quelque sorte. Il est cependant rapidement devenu évident que ces méthodes médicales, privilégiant l’accès à l’intérieur du corps, ne pourraient pas être facilement démocratisables.</p>
<p>Cela ne signifie pas que Beck n’a pas essayé de faire en sorte qu’elles sortent du cercle médical. Il imaginait même un monde où ceux qui étaient formés à ses méthodes transporteraient un scalpel de chirurgien sur eux, toujours prêts à ouvrir une poitrine pour masser un cœur et le faire repartir…</p>
<p>Mais la communauté médicale s’est révoltée, vent debout contre cette idée. Elle était non seulement inquiète de voir émerger des « civils-chirurgiens », mais aussi soucieuse de maintenir son monopole professionnel sur l’intérieur du corps.</p>
<p>Ce n’est qu’avec l’avènement, plusieurs années plus tard, de la méthode, moins choquante, de compression thoracique que l’imprimatur démocratique de la réanimation a été rétabli.</p>
<p>La vision de Beck selon laquelle la mort est généralement réversible a persisté. Elle a atteint son apogée en 1960, lorsque des études médicales déclarèrent que le taux de survie de la réanimation s’établissait à <a href="https://jamanetwork.com/journals/jama/article-abstract/328956">« plus de 70 % »</a>. Des études ultérieures <a href="https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/656324">ont corrigé cette conclusion trop optimiste</a>, mais la réputation de la réanimation en tant que traitement largement applicable et extrêmement efficace était déjà établie. Et il semblerait <a href="https://www.bmj.com/company/newsroom/patients-overestimate-the-success-of-cpr/">qu’elle persiste encore aujourd’hui, si l’on en croit des rapports récents</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209843/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caitjan Gainty dirige le projet Healthy Scepticism financé par le Wellcome Trust.</span></em></p>La réanimation a heureusement beaucoup évolué depuis les premières tentatives à base de lavements à la fumée de tabac.Caitjan Gainty, Senior Lecturer in the History of Science, Technology and Medicine, King's College LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2073372023-07-04T20:11:25Z2023-07-04T20:11:25ZMédecine : comment serons-nous soignés dans 50 ans ?<p>La <a href="https://theconversation.com/fr/topics/Covid-19-82467">pandémie</a> n’a pas seulement modifié notre façon de penser en termes de santé, elle a aussi révélé les failles de nos systèmes de soins. Elle a soulevé des questions concernant le rôle de la technologie, ainsi que des préoccupations éthiques liées à la répartition des richesses et à son impact sur la <a href="https://theconversation.com/topics/sante-20135">santé</a> mondiale. Comment cette « prise de conscience » collective que nous avons connue « grâce » au Covid-19 influencera-t-elle les prochaines années et décennies ? Tel a été l’objet de notre récente <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0016328723000010?via%3Dihub">recherche</a> sur l’avenir de la médecine.</p>
<p>Nous avons sollicité 22 professionnels de sept pays européens, issus de divers domaines tels que la médecine, le monde universitaire et l’élaboration de politiques, et les avons questionnés sur le rythme des évolutions du secteur.</p>
<p>Leurs réponses articulent divers éléments, l’évolution des connaissances de la <a href="https://theconversation.com/topics/medecine-21223">médecine</a>, les inégalités et l’adaptation du secteur au <a href="https://theconversation.com/topics/changement-climatique-21171">dérèglement climatique</a> notamment.</p>
<p>Nous avons appliqué une technique d’analyse dite <a href="https://www.spiral.uliege.be/cms/c_5216973/fr/spiral-la-methode-delphi">« Delphi à trois tours »</a>, une méthode éprouvée qui permet de construire un consensus entre des groupes d’experts pour conduire à une meilleure compréhension d’un sujet donné. Les experts ont pu consulter les résumés de leurs pairs et ont ajusté leurs réponses sur la base de ces informations supplémentaires.</p>
<p>Il en résulte un aperçu clair des principales tendances anticipées, et ce à différents horizons.</p>
<h2>1 à 2 ans : bêta et données</h2>
<p>Alors que nous restons dans la « bêta éternelle » (un état dans lequel les produits ou les médicaments sont testés par leur utilisation active par un large public), les ventes d’appareils électroniques intelligents portatifs continueront à augmenter grâce aux progrès des capteurs, à l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/intelligence-artificielle-ia-22176">intelligence artificielle</a> (IA) et à la prolifération de la technologie 5G. Les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/donnees-23709">données</a> générées par les appareils personnels seront également de plus en plus transférées vers des appareils professionnels. Cela permettra aux médecins de traiter leurs patients de manière plus globale et d’éclairer leurs prescriptions.</p>
<h2>2 à 5 ans : le privé contre-attaque, tensions liées au climat</h2>
<p>Les systèmes de santé financés par l’État étant de plus en plus soumis à des tensions considérables, les acteurs et systèmes de santé privés gagneront en importance dans de nombreuses régions du monde. On peut s’attendre à ce que ces derniers stimulent l’innovation dans le secteur privé, en s’appuyant sur des capteurs intelligents, des registres facilement accessibles, ou des technologies blockchain et des dossiers numériques individuels.</p>
<p>Nos experts s’attendent également à ce que l’impact du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/changement-climatique-21171">changement climatique</a> crée de nouveaux problèmes de santé, en particulier dans les régions les plus vulnérables du monde. Les prestataires de soins devront s’attaquer à la malnutrition et au manque d’eau potable à plus grande échelle, car le changement climatique accentuera les migrations locales et internationales.</p>
<h2>5 à 10 ans : des innovations qui entraînent des inégalités</h2>
<p>La poursuite des découvertes sur le génome humain devrait conduire à une accélération du développement de la médecine personnalisée. Les médecins pourront ainsi mieux anticiper les pathologies de leurs patients et se préparer à la probabilité que se déclenche une maladie génétique.</p>
<p>Certaines avancées notables laissent entrevoir son potentiel. Par exemple, le développement de thérapies ciblées contre le cancer, comme <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/c_2637981/fr/herceptin-trastuzumab-anticorps-monoclonal-traitement-du-cancer-du-sein-precoce-her2">l’utilisation du trastuzumab (Herceptin)</a> pour des patientes atteintes d’un cancer du sein HER2-positif et présentant un patrimoine génétique spécifique.</p>
<p>Un autre exemple est l’utilisation de la pharmacogénomique, l’étude de la façon dont les gènes affectent la réponse d’une personne aux médicaments. En tenant compte du profil génétique du patient, les médecins peuvent ajuster le dosage du médicament pour une efficacité maximale et des effets secondaires minimaux. La <a href="https://www.cairn.info/revue-hegel-2016-1-page-10.htm">warfarine</a>, un anticoagulant utilisé pour prévenir les crises cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux et les caillots sanguins, est par exemple déjà prescrit de la sorte.</p>
<p>Les nouvelles technologies permettront également aux spécialistes de traiter avec finesse des parties très réduites du corps humain, ce qui réduira considérablement les effets secondaires et les complications liés à des traitements moins localisés. Il est en particulier attendu que l’utilisation de nanoparticules pour le microdosage en tant que moyen d’administration de médicaments personnalisés prolifère.</p>
<p>Ces remèdes très efficaces auront toutefois un prix et les soins de santé de haute technologie seront réservés à ceux qui peuvent se les offrir. À mesure qu’elles s’accroîtront, les disparités risquent d’entraîner des conflits sociaux. Cette tendance persistera à mesure que le changement climatique mondial s’accentuera.</p>
<h2>10 à 30 ans : le changement climatique au centre du jeu</h2>
<p>Le réchauffement climatique, qui pourrait selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) coûter la vie à environ <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-54746-2_1">250 000 personnes par an d’ici à 2030</a>, risque d’accentuer les inégalités d’accès aux soins de santé. En effet, différentes catastrophes (inondations, vagues de chaleur, etc.) touchent de manière disproportionnée les populations défavorisées qui n’ont pas les ressources nécessaires pour y faire face. Cela pourrait mettre à rude épreuve les infrastructures de soins de santé existantes, entraînant des disparités dans l’accès aux soins.</p>
<p>En outre, le réchauffement climatique pourrait entraîner des migrations forcées, ce qui ferait peser une charge supplémentaire sur les systèmes de santé dans les régions qui accueillent les migrants climatiques et créerait des difficultés d’accès aux soins pour ces migrants en raison de barrières sociales, économiques et linguistiques. Ces scénarios potentiels soulignent la nécessité de mettre en place des stratégies de soins de santé suffisamment solides et flexibles pour répondre à ces nouveaux défis.</p>
<p>De surcroît, les experts prévoient que, d’ici 10 à 15 ans, les avancées technologiques pourraient être moins efficaces pour répondre aux besoins des groupes de patients issus des minorités raciales et ethniques. En effet, le manque de diversité dans les essais cliniques, sujet aujourd’hui <a href="https://france-science.com/la-diversite-dans-les-essais-cliniques-un-point-dalerte-pour-une-medecine-fiable-et-equitable/">largement débattu aujourd’hui dans la recherche médicale</a>, pourrait contribuer à une moindre efficacité des médicaments sur une large population.</p>
<p>Le médicament BiDil contre l’insuffisance cardiaque en est un exemple. Ce médicament a d’abord été testé, sans succès, sur une population majoritairement blanche pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. Cependant, lorsqu’il a été utilisé par la suite sur une population plus large, il s’est avéré plus efficace chez les Afro-Américains. Si bien que le BiDil est devenu, en 2005, le premier médicament « racial » <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/sante/la-premiere-pilule-raciale-approuvee-aux-etats-unis_22791">approuvé par la Food and Drug Administration américaine</a>.</p>
<p>De même, il est de plus en plus reconnu que les différences biologiques entre les hommes et les femmes peuvent influencer les symptômes, la progression et la réponse au traitement. Par exemple, la recherche a montré que certains médicaments, comme le <a href="https://plus.lapresse.ca/screens/48d18950-1ef3-4985-8fbd-f9eeecbf5608%7CERu0cuGMYocE.html">zolpidem (utilisé pour l’insomnie)</a>, peuvent nécessiter des dosages différents pour les hommes et les femmes en raison de différences dans la façon dont le médicament est métabolisé.</p>
<p>Les experts anticipent néanmoins que cette tendance s’estompera progressivement au cours des 20 à 30 prochaines années. Ils pensent que les entreprises de soins de santé adapteront progressivement leurs traitements aux personnes ayant un statut socio-économique défavorisé et aux groupes ethniques minoritaires. Des technologies de suivi portatives plus efficaces pour ces patients feront leur apparition sur le marché, de même qu’une approche plus « prédictive » des soins de santé.</p>
<h2>30 à 50 ans : bond en avant</h2>
<p>Enfin, si l’on se projette d’ici un demi-siècle, les experts prévoient l’apparition de traitements très efficaces et même de remèdes pour des maladies telles que le VIH et l’hépatite C. Sans aucun doute, des progrès considérables ont été réalisés dans la prévention, le diagnostic et le traitement des maladies, en particulier du cancer.</p>
<p>Les experts de notre étude prévoient un bond en avant significatif dans ces domaines. Ils n’envisagent pas nécessairement une guérison complète de tous les types de cancers ou une éradication des maladies, mais prévoient des progrès dans les méthodes diagnostiques et thérapeutiques qui permettront de traiter avec succès un pourcentage plus élevé de patients à un stade précoce.</p>
<p>Dans ce contexte de progrès, les experts soulignent néanmoins que la résistance aux antibiotiques reste un véritable défi à relever. Il est vrai que le développement de nouvelles molécules antibiotiques reste aujourd’hui relativement lent. Cependant, de nombreux laboratoires et instituts de recherche cherchent activement des solutions à ce problème. Nos experts attirent notre attention sur certaines initiatives qui se concentrent sur la modification des antibiotiques existants pour vaincre la résistance, quand d’autres explorent l’utilisation de bactériophages, ou encore étudient des classes d’antibiotiques entièrement nouvelles. Il existe également des programmes, comme le <a href="https://www.prnewswire.com/news-releases/carb-x-finance-la-3e-phase-du-programme-d-antibiotiques-cibles-de-debiopharm-destine-a-lutter-contre-les-infections-causees-par-la-superbacterie-n-gonorrhoeae-879991358.html">partenariat mondial CARB-X</a>, qui financent et encouragent la recherche de nouveaux antibiotiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/laboratoires-pharmaceutiques-une-industrie-aujourdhui-encore-plus-reactive-que-prospective-174624">Laboratoires pharmaceutiques : une industrie, aujourd’hui encore, plus réactive que prospective</a>
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<p>Les progrès technologiques et l’accélération du rythme de vie continueront à peser sur notre santé mentale, peut-être même de plus en plus, les troubles de l’humeur devenant largement répandus. Nous pourrions également assister à une augmentation des dépressions et de certains troubles de la personnalité (tels que les troubles de l’attention et les troubles schizotypiques). Cela obligerait les patients et les médecins à recourir à des médicaments préventifs, voire à une « pilule magique », pour guérir les troubles mentaux.</p>
<p>En outre, le problème des maladies métaboliques chroniques telles que les affections cardiovasculaires, le diabète et l’obésité devrait encore s’aggraver. Les facteurs qui y contribuent sont notamment la prévalence croissante des modes de vie sédentaires, les régimes alimentaires malsains et le vieillissement de la population.</p>
<p>De nouvelles recherches commencent d’ailleurs à révéler les <a href="https://www.frm.org/upload/publications/recherche-et-sante/2022/rs-171.pdf">liens entre ces maladies et l’exposition continue aux polluants environnementaux</a>. Notre environnement est de plus en plus saturé de substances nocives, notamment de polluants de l’air et de l’eau, de pesticides et de déchets dangereux. Ces polluants peuvent interférer avec les processus métaboliques de notre organisme, provoquant une inflammation et un stress oxydatif, ce qui peut entraîner des maladies métaboliques.</p>
<p>Ainsi, l’incidence du cancer du pancréas a augmenté fortement ses dernières années. Les chercheurs attribuent cette situation non seulement à des facteurs liés au mode de vie, tels que le tabagisme, l’obésité et une mauvaise alimentation, mais aussi à l’exposition à long terme à certains polluants environnementaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1628272738337972225"}"></div></p>
<p>C’est pourquoi la compréhension et la prise en compte de ces liens entre santé et environnement deviennent cruciales pour l’avenir des soins de santé.</p>
<h2>Le défi du vieillissement</h2>
<p>Enfin, le vieillissement de la population représente un autre défi important qui aura un impact considérable sur les systèmes de santé, et pas seulement sur les systèmes occidentaux. La prévalence des maladies liées à l’âge, telles que les troubles neurodégénératifs, l’ostéoporose et certains types de cancers, devrait s’accroître.</p>
<p>Cette évolution va non seulement faire peser une charge considérable sur les services de santé, mais aussi nécessiter des changements importants dans la manière dont les soins de santé sont dispensés. L’accent devra ainsi être mis sur les mesures préventives, le dépistage précoce et la gestion des maladies chroniques, ainsi que sur des environnements et des services de soins de santé adaptés aux personnes âgées.</p>
<p>En résumé, au fur et à mesure que nous avançons dans le temps, nous imaginons un progrès dans l’utilisation de la technologie. Alors que certains d’entre nous se verront offrir les moyens de prolonger leur longévité et d’améliorer leur qualité de vie, d’autres pourraient cependant souffrir d’inconvénients sanitaires importants, résultant notamment du changement climatique.</p>
<p>Les médecins généralistes auront une vue transversale sur l’état de santé global d’un patient, tandis que les spécialistes seront en mesure de fournir des traitements plus ciblés. Les soins personnels deviendront ainsi un sujet encore plus brûlant, car le choix du mode de vie sera le reflet des ressources financières et du statut social d’une personne. Cela permettra à une industrie commerciale de prospérer sur les défis de la vie moderne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207337/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Changement climatique, inégalités, évolution des connaissances… Des experts ont été sondés et un consensus se dégage quant à ce qu’il faut attendre des effets de ces éléments dans le domaine médical.René Rohrbeck, Professor of Strategy, Director EDHEC Chair for Foresight, Innovation and Transformation, EDHEC Business SchoolAhmed Khwaja, Professor of Marketing, Business & Public Enterprise, Head of the Marketing Subject Group, Cambridge Judge Business SchoolHeikki Karjaluoto, Professor of Marketing, University of JyväskyläIgnat Kulkov, Postdoctoral researcher, EDHEC Business SchoolJoel Mero, Assistant professor of marketing, University of JyväskyläJulia Kulkova, Adjunct professor, University of TurkuShasha Lu, Associate Professor in Marketing, Cambridge Judge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2071982023-06-26T17:21:15Z2023-06-26T17:21:15ZPartout dans le monde, la résilience des systèmes de santé affaiblie par les réformes néolibérales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/532365/original/file-20230616-19-wyhese.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=35%2C26%2C5955%2C3961&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’épuisement des soignants n’est que l’un des nombreux effets des réformes conduites dans de nombreux pays du monde.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/frightened-doctor-infectious-diseases-having-mental-1709102851">eldar nurkovic/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les systèmes de santé sont avant <a href="https://www.ijhpm.com/article_3902.html">tout des systèmes sociaux</a>. La manière dont ils fonctionnent aujourd’hui s’inscrit dans une histoire politique nationale mais aussi dans la diffusion d’idées et de croyances à l’échelle internationale concernant la manière dont ils devraient être organisés. Or, depuis plusieurs décennies, en de nombreux lieux de la planète, ce sont les idées néolibérales qui ont le vent en poupe et qui ont inspiré les réformes des systèmes de santé. </p>
<p>Un débat organisé par la revue internationale <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277953623000989?via%3Dihub"><em>Social Science & Medicine</em></a> a notamment permis de mettre en exergue les effets qu’ont eus les réformes néolibérales des systèmes de santé sur la <a href="https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/346527/WHO-UHL-PHC-SP-2021.02-fre.pdf">résilience de ceux-ci</a>, c’est-à-dire sur leur capacité à s’adapter aux chocs auxquelles ils sont exposés.</p>
<p>Les crises récentes, à commencer par la pandémie de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/Covid-19-82467">Covid-19</a>, ont mis à rude épreuve cette résilience, déjà mise à mal par les réformes des années précédentes.</p>
<h2>Des systèmes de santé « néo-libéralisés »</h2>
<p>Les exemples ne manquent pas, dans de nombreux pays du monde.</p>
<p>En France, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2022/12/LONDON/65370">Nicolas Da Silva</a> montre parfaitement comment, au cours de l’histoire des réformes successives du système de santé, on a de plus en plus laissé le service privé et la pratique privée de la médecine se développer, y compris au sein des hôpitaux publics. Alors que les soins concernent d’abord les malades, ceux-ci ont été mis à l’écart des prises de décisions qui affectent directement leur vie.</p>
<p>Au Mali et au Sénégal, les thèses de <a href="https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/24405">Lara Gautier</a> et de <a href="https://theses.hal.science/tel-02336956">Jean-Hugues Caffin</a> ont explicité comment les organisations internationales cherchent à imposer la mise en œuvre de réformes néolibérales des systèmes de santé nationaux, à commencer par l’indexation du financement sur la performance.</p>
<p>L’objectif, le plus souvent, est d’inciter à l’utilisation d’instruments politiques issus de la « nouvelle gestion publique » (<a href="https://www.cairn.info/revue-gestion-et-management-public-2012-2-page-1.htm">New Public Management</a>, NPM) où l’État est censé réduire ses actions au profit d’acteurs privés, soi-disant plus efficaces.</p>
<p>Dans le domaine des réformes hospitalières, cela se traduit par une demande de plus d’autonomie pour les établissements, d’approches contractuelles où les hôpitaux ont des objectifs à atteindre pour obtenir des financements, de séparation des fonctions entre l’acheteur et le fournisseur de soins, de paiement direct de la part des patients ou d’incitations liées à l’atteinte d’objectifs de performance.</p>
<p>Dans les années 1990, des <a href="https://link.springer.com/book/10.1057/9780230599819">études</a> conduites au Ghana, au Zimbabwe, au Sri Lanka, en Inde et en Thaïlande avaient déjà mis en évidence les effets catastrophiques de ces approches sur le fonctionnement des hôpitaux et l’accès aux soins. En France, les réformes de l’hôpital public ont été qualifiées par des spécialistes de <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/la-casse-du-si%C3%A8cle/">casse du siècle</a>. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-racines-de-la-crise-de-lhopital-128341">Les racines de la crise de l’hôpital</a>
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<p>Au <a href="https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2011-1-page-57.htm">Québec</a>, une analyse portant sur 50 années (1961-2010) de réformes s’appuyant sur le NPM constate qu’elles ont abouti à « l’omniprésence de l’idéologie managériale » et eu un impact profondément négatif sur le système de santé. Une synthèse mondiale du recours des approches fondées sur le paiement à la performance dans les systèmes de santé montre <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/JHOM-04-2020-0161/full/html">qu’il n’existe pas de théorie</a> permettant de justifier scientifiquement cette approche et que son application doit plus à l’idéologie du NPM qu’à son efficacité concrète pour mieux soigner les malades.</p>
<p>Dans la revue du MAUSS, <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2013-1-page-77.htm">Batifollier</a> montre aussi combien en France, <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/front-matter/introduction/">comme en Afrique d’ailleurs</a>, la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/15/la-marchandisation-des-soins-et-la-financiarisation-de-la-sante-s-opposent-a-l-ideal-d-un-systeme-solidaire-equitable-et-de-qualite_6177809_3232.html">marchandisation</a> des soins s’est développée au détriment de la solidarité, de l’accès aux soins et des relations de soins. </p>
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<p><a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2022-2-page-5.htm">Gelly et Spire</a> ont rendu compte des effets délétères de la présence du privé dans les hôpitaux publics français sur l’égalité de traitement pour les patients mais aussi sur les conditions de travail des soignants.</p>
<h2>Aux racines d’une crise organisationnelle</h2>
<p>C’est dans ce contexte, dont un <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/front-matter/introduction/">résumé concernant l’Afrique est présenté ailleurs</a>, qu’il faut appréhender la façon dont les systèmes de santé contemporains réagissent aux crises. Que ces crises soient internes (changements de personnel, mode de financement, modalité de gestion) ou externes (épidémie, attaque informatique ou terroriste, ouragan, etc.), de forte ou de basse intensité, de courte ou de longue durée, anticipées ou non, il est essentiel de comprendre comment les systèmes y font face.</p>
<p>L’enjeu n’est évidemment pas seulement scientifique ou conceptuel : il suffit de penser aux épidémies ou aux événements liés aux changements climatiques (canicules, inondations, etc.) pour comprendre qu’il est indispensable de tirer les leçons de ces expériences afin de se préparer à réagir au mieux face à d’autres événements similaires. Comment expliquer l’absence de préparation du système de santé français à la pandémie de Covid-19 alors qu’il disposait de plans, de comités, et d’expériences, avec par exemple la canicule de 2003, les attentats de 2015 ou la lutte contre le VIH ? </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/democratie-sanitaire-en-france-les-lecons-de-la-pandemie-de-covid-19-200369">Démocratie sanitaire en France : les leçons de la pandémie de Covid-19</a>
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<p>Le concept de résilience est très ancien et, évidemment, ses critiques sont nombreuses et <a href="https://academic.oup.com/heapol/article/32/suppl_3/iii88/4210464?login=false">très connues</a>. D’abord utilisé dans le monde de la physique et de la <a href="https://www.ecologyandsociety.org/vol21/iss4/art44/">biologie</a>, puis développé dans celui de la psychologie, il a été mobilisé plus récemment dans le champ de la <a href="https://bmchealthservres.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12913-023-09242-9">recherche sur les systèmes de santé</a>.</p>
<p>Il convient, en employant ce concept, de ne pas se laisser emporter par le mésusage politicien d’une résilience néolibérale comme cela a été le cas de nombreux pays durant la pandémie de Covid-19. Le terme a été instrumentalisé à des fins politiques, afin de cacher les enjeux de pouvoir, les inégalités structurelles et surtout les réformes de ces dernières décennies qui ont contribué, comme nous venons de l’expliciter, à <a href="https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2022-3-page-215.htm">fragiliser les systèmes de santé</a>. En quelques jours, les politiciens de presque tous les pays ont trouvé des moyens presque infinis pour répondre à la crise alors qu’ils n’en trouvaient pas pour renforcer les systèmes de santé et qu’ils les avaient fragilisés avec des instruments néolibéraux, justifiés par… le manque de financement et leur efficience théorique.</p>
<h2>La négligence des soins de santé primaires en temps de crise</h2>
<p>On se rappellera qu’en 2008, le <a href="https://apps.who.int/iris/handle/10665/43951">apport mondial de la santé de l’OMS</a> mettait en avant trois principales tendances nuisant à l’orientation des systèmes de santé envers les soins de santé primaires : l’hospitalo-centrisme, la marchandisation, la fragmentation. Cela explique certainement pourquoi <a href="https://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_files/EB152/B152_5-en.pdf">l’Assemblée mondiale de la santé de mai 2023</a> a mis l’accent sur le fait que les soins de santé primaires sont la fondation de la résilience des systèmes de santé, dont il faut s’occuper en urgence. </p>
<p>Quinze ans après ce rapport, nos études ont montré que ce contexte de réformes néfastes avait contraint les établissements de santé lorsqu’il a fallu faire face à la pandémie de Covid-19. C’est le cas aussi bien au <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/23288604.2023.2186824">Québec</a>, qu’au <a href="https://gh.bmj.com/content/7/Suppl_9/e010683.info">Mali</a>, dans le <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2021-6-page-971.htm?ref=doi">Nord-Est du Brésil</a>, à <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/23288604.2023.2175415">Tokyo</a>, au <a href="https://gh.bmj.com/content/7/Suppl_9/e010062">Sénégal</a> ou <a href="https://gh.bmj.com/content/1/1/e000056">au Burkina Faso</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/senegal-un-modele-dassurance-sante-resilient-en-temps-de-covid-19-143116">Sénégal : un modèle d’assurance santé résilient en temps de Covid-19</a>
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<p>Ces exemples tirés d’études scientifiques confirment que l’étude de la résilience n’empêche évidemment pas une <a href="https://odi.org/en/publications/applied-political-economy-analysis-a-problem-driven-framework/">analyse d’économie politique</a>, au cœur, depuis longtemps, de la recherche sur les systèmes de santé.</p>
<h2>Comprendre la résilience</h2>
<p>En outre, à l’aide d’une <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4255090">démarche systématique et consensuelle</a>, les travaux menés par notre équipe ont permis de tirer des leçons opérationnelles et de les valider auprès des différentes parties prenantes. Certaines suggèrent par exemple de fournir aux équipes médicales un encadrement plus réactif en matière de prévention et de contrôle des infections, ou encore d’améliorer la coordination et la numérisation des systèmes d’information par les autorités sanitaires afin de faciliter le partage de l’information et la prise de décision rapide par la direction de l’hôpital. Mais évidemment, tout cela n’est possible que si les enjeux d’économie politique et de contexte local sont pris en compte dans la mobilisation de ces leçons des crises passées.</p>
<p>Ainsi, la résilience n’est finalement qu’un mot, qu’un concept, dont on voit bien que chacun <a href="https://gh.bmj.com/content/8/1/e010895.abstract">peut l’interpréter dans le sens qu’il le souhaite</a>. </p>
<p>Pour des raisons idéologiques, certains peuvent vouloir ne pas l’utiliser car ils l’interprètent dans une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17441692.2023.2212750">perspective néolibérale</a>, bien loin de son origine, de son usage possible et de son utilité pour la recherche sur les systèmes de santé. Ce qui est certain, c’est que « la poursuite de l’économie néolibérale ne résoudra pas les problèmes d’inégalité et de changement climatique, et ne fera pas de la santé un droit humain fondamental », <a href="https://www.bmj.com/content/381/bmj.p1178">comme viennent de l’affirmer Michael Marmot et Paulo Buss</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207198/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valery Ridde a reçu des financements de l'ANR, des IRSC et de l'AFD pour les études évoquées dans cet article. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christian Dagenais a reçu des financements des IRSC et de l'ANR pour les études évoquées dans.cet article.</span></em></p>Ayant subi des années de réformes néolibérales, les systèmes de santé de nombreux pays du monde ont vu leur résilience face aux crises se réduire significativement.Valery Ridde, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Christian Dagenais, Professeur, département de psychologie, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2062412023-06-13T13:07:43Z2023-06-13T13:07:43ZDemandes anticipées d’aide médicale à mourir : voici comment d'autres pays l'encadrent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/531301/original/file-20230612-172706-a8bd44.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=60%2C0%2C6720%2C4476&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">C'est une question de mois avant que les demandes anticipées d'aide médicale à mourir soit légalisées au Québec, avec des critères bien définis. D'autres pays le permettent déjà. Comment balisent-ils cette aide? </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/s-32.0001">L’aide médicale à mourir</a> (AMM) présentement en vigueur au Canada est administrée à une personne apte à y consentir. Elle consiste en l’administration, par un médecin, de médicaments qui causera la mort dans les prochaines minutes.</p>
<p>Comme dans toutes interventions, le médecin a la responsabilité de s’assurer que la personne consent à ce traitement de manière libre et éclairée. Le <a href="https://educaloi.qc.ca/capsules/consentir-a-des-soins-de-sante-ou-les-refuser/#:%7E:text=Le%20consentement%20libre%20et%20%C3%A9clair%C3%A9&text=Un%20consentement%20est%20%C2%AB%20libre%20%C2%BB%20lorsqu,de%20la%20pression%20sur%20lui.">consentement</a> est considéré libre lorsqu’il est donné de plein gré, c’est-à-dire sans subir de pression d’une tierce personne. Il est considéré éclairé lorsque la personne connaît les risques et bénéfices du traitement, ainsi que ses alternatives. </p>
<p>Pour le moment, la <a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/s-32.0001">loi québécoise</a> ne permet pas de demander l’AMM de manière anticipée, par exemple à la suite d’un diagnostic de maladie d’Alzheimer qui rendra ultérieurement la personne inapte à consentir aux soins. <a href="https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/aide-medicale-a-mourir-le-projet-de-loi-sur-les-soins-de-fin-de-vie-adopte-48523">Cela changera d’ici deux ans</a>, tel qu’annoncé le 7 juin 2023 par la ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger. La ministre s’accorde effectivement ce délai pour mettre sur pied le processus de demandes anticipées d’AMM. </p>
<p>Nous sommes une équipe de recherche interuniversitaire comprenant des expertes en droit, en notariat, en soins palliatifs et en santé communautaire. Nous avons toutes réalisé des recherches empiriques et théoriques sur les enjeux complexes et interdisciplinaires entourant la prise de décision médicale anticipée.</p>
<p>En vue de contribuer aux discussions concernant le processus de demandes d’AMM anticipées, l’objectif de cet article est d’explorer brièvement comment les autres juridictions ayant légalisé cette pratique, soit les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la Colombie, l’encadrent. </p>
<h2>Notaires ou médecins ?</h2>
<p>Dans le cadre de l’étude détaillée du projet du projet de loi 11, la Chambre des notaires du Québec (CNQ) a recommandé, dans un <a href="https://www.cnq.org/publications-cnq/memoire-sur-le-projet-de-loi-no-11/">mémoire</a> déposé le 15 mars 2023, que les demandes anticipées d’AMM soient formulées uniquement par acte notarié. Selon la Chambre, cette manière de procéder atteste du consentement libre et éclairé du demandeur. </p>
<p>La recommandation de la CNQ tranche avec celle émise par le <a href="https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2019/19-828-04W.pdf">Groupe d’experts indépendants sur la question de l’inaptitude et l’aide médicale à mourir</a> en 2019. Ce comité a été constitué et mandaté par le ministre de la Santé et des Services sociaux pour examiner la délicate question de l’application éventuelle de l’AMM aux personnes devenues inaptes ayant préalablement fait une demande anticipée. Tel que rapporté dans <a href="https://theconversation.com/amm-voici-pourquoi-il-serait-injustifie-de-rejeter-les-demandes-anticipees-201636"><em>La Conversation</em></a>, le groupe d’experts a conseillé que la personne apte signe un formulaire prescrit par le ministre à la suite d’une consultation avec un médecin.</p>
<h2>Pays-Bas : compétent dès 16 ans</h2>
<p>Depuis le 1<sup>er</sup> avril 2002, aux Pays-Bas, l’article 2 du <a href="https://wfrtds.org/dutch-law-on-termination-of-life-on-request-and-assisted-suicide-complete-text/"><em>Termination of Life on Request and Assisted</em></a> stipule qu’un patient âgé de 16 ans ou plus qui est apte à consentir aux soins peut rédiger une demande anticipée d’euthanasie (selon les mots employés dans ladite loi). </p>
<p>Si, à un moment ultérieur, la personne n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté due à un état de conscience altéré ou à un coma, un médecin peut accepter la directive anticipée en tant qu’équivalent à un consentement. Le médecin doit s’assurer qu’il n’y a pas d’alternatives raisonnables à l’euthanasie. Finalement, un comité examinateur (médecin, éthicien, juriste) évalue dans chaque cas spécifique si l’euthanasie a été pratiquée conformément aux critères.</p>
<h2>Belgique : pour personnes inconscientes seulement</h2>
<p>En Belgique, la <a href="https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body.pl?language=fr&caller=summary&pub_date=02-06-22&numac=2002009590">loi du 28 mai 2002</a> relative à l’euthanasie permet à une personne apte de compléter une <a href="https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/formulaire_de_declaration_euthanasie.pdf">déclaration écrite</a> dans laquelle elle demande l’euthanasie de manière anticipée. Cette déclaration écrite suit un modèle prévu par la loi où sont désignés obligatoirement deux témoins et facultativement des personnes de confiance. </p>
<p>Toute personne capable d’exprimer sa volonté, qu’elle soit majeure ou mineure émancipée, peut rédiger une déclaration anticipée. L’euthanasie, demandée de manière anticipée alors que la personne était apte, ne peut être pratiquée que si la personne est dans un état d’inconscience irréversible et incapable d’exprimer sa volonté. Ainsi, les personnes souffrant de démence qui ne sont <a href="https://lop.parl.ca/sites/PublicWebsite/default/fr_CA/ResearchPublications/2015116E">pas inconscientes ne sont pas éligibles</a>.</p>
<p>Avant de pratiquer l’euthanasie, le médecin a l’obligation de consulter un autre médecin à propos du caractère irréversible de l’état de santé du ou de la patiente, ainsi que les personnes de confiance mentionnées sur la demande s’il y a lieu.</p>
<h2>Luxembourg : personne majeure et apte</h2>
<p>Au Luxembourg, la <a href="https://sante.public.lu/dam-assets/fr/publications/e/euthanasie-assistance-suicide-questions-reponses-fr-de-pt-en/euthanasie-assistance-suicide-questions-fr.pdf">loi du 16 mars 2009</a> sur l’euthanasie et l’assistance au suicide indique que toute personne majeure et apte peut manifester en avance ses dispositions de fin de vie et les circonstances et conditions dans lesquelles elle désire recevoir une euthanasie. </p>
<p>Les demandes doivent obligatoirement être enregistrées auprès de la Commission nationale de Contrôle et d’Évaluation. Le demandeur ou la demanderesse doit désigner une personne de confiance qui fera le lien avec un médecin traitant au moment opportun. Pour pouvoir avoir recours à l’euthanasie, le patient ou la patiente doit être dans une situation d’inconscience irréversible ou souffrir d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable. Ainsi, comme en Belgique, les personnes souffrant de démence qui ne sont <a href="https://lop.parl.ca/sites/PublicWebsite/default/fr_CA/ResearchPublications/2015116E">pas inconscientes ne sont éligibles</a>.</p>
<h2>Colombie : approbation d’un comité</h2>
<p>En Colombie, la <a href="https://www.minsalud.gov.co/Normatividad_Nuevo/Resoluci%C3%B3n%201216%20de%202015.pdf">résolution</a> reconnaît la valeur d’une demande anticipée d’euthanasie depuis 2015. </p>
<p>Lorsqu’une directive anticipée est indiquée sur un document approprié, le représentant ou la représentante de la personne visée peut faire la demande en son nom au moment jugé opportun. Malgré l’existence d’une telle directive, le représentant ou la représentante peut retirer cette demande et choisir une alternative. Dans tous les cas, avant de procéder à l’euthanasie, la demande doit être approuvée par un comité composé d’un médecin spécialisé dans la pathologie de la personne visée autre que le médecin traitant, d’un avocat et d’un psychologue clinicien ou d’un psychiatre.</p>
<h2>La juridiction diffère, mais la collaboration demeure</h2>
<p>Les lois encadrant le processus de demandes anticipées d’aide médicale à mourir diffèrent d’une juridiction à l’autre. Toutefois, dans tous les cas, la collaboration interdisciplinaire et intersectorielle est nécessaire. </p>
<p>Si Québec choisit de suivre la recommandation de la Chambre des notaires, à savoir que les demandes d’aide médicale à mourir sont complétées uniquement par leurs membres, il pourrait être judicieux que ces derniers aient, au minimum, accès à des formations spécifiques. Il faut en effet s’assurer que leur client ou cliente connaisse de façon juste et précise le traitement proposé, en occurrence l’aide médicale à mourir, ses risques et bénéfices et les alternatives.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206241/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ariane Plaisance a reçu des financements de la Chambre des notaires du Québec.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christine Morin a reçu des financements de la Chambre des notaires du Québec. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Diane Tapp est membre de l'Ordre des infirmiers et infirmières du Québec.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Louise Bernier et Sammy-Ann Lalonde ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>La loi québécoise ne permet pas les demandes anticipées d’aide médicale à mourir. Mais cela pourrait changer rapidement. Des pays l’appliquent déjà. Comment encadrent-ils cette pratique ?Ariane Plaisance, Stagiaire post-doctorale, Université du Québec à Rimouski (UQAR)Christine Morin, Professor, Université LavalDiane Tapp, Professeure titulaire, Université LavalLouise Bernier, Full Professor, Université de Sherbrooke Sammy-Ann Lalonde, Étudiante à la maîtrise en droit notarial, Université de Sherbrooke Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2054362023-05-28T15:36:04Z2023-05-28T15:36:04ZMaladies génétiques : comment un champignon comestible pourrait corriger notre ADN<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/528570/original/file-20230526-19-31uypm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4475%2C2965&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le clitocybe inversé (Lepista inversa) contient une molécule capable de corriger certains types de mutations.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Roodbruine_schijnridderzwammen_(Lepista_flaccida)._22-01-2021_(d.j.b.)_01.jpg">Dominicus Johannes Bergsma / Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Mucoviscidose, myopathies, hémophilies… <a href="https://www.plateforme-maladiesrares.org/presentation/les-maladies-rares.html">Les maladies génétiques touchent une personne sur vingt dans le monde</a>. En règle générale, elles apparaissent durant l’enfance, et sont liées à l’absence ou au dysfonctionnement d’une protéine. Leur issue est malheureusement souvent fatale, car les traitements permettant d’y remédier sont encore trop rares.</p>
<p>Nos travaux pourraient cependant ajouter une corde à l’arc des scientifiques qui cherchent à réparer certaines anomalies de l’ADN impliquées dans ces maladies. </p>
<p>Nous avons en effet identifié, dans un champignon commun qui pousse notamment dans les forêts françaises (le clytocybe inversé), une molécule capable <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29131862/">de corriger des mutations particulières appelées mutations « STOP »</a>, non seulement dans des cellules en culture, mais aussi chez la souris. Et peut-être, demain, chez l’être humain… Explications.</p>
<h2>Les mutations « STOP » ou mutations « non sens »</h2>
<p>Parmi les problèmes moléculaires qui peuvent mener au développement d’une maladie génétique figurent notamment certaines mutations particulières appelées mutations « non-sens » ou « STOP ». De telles mutations touchent environ 10 % des patients atteints de maladies génétiques. Or, à l’heure actuelle, aucun traitement ne permet de les soigner, même si quelques pistes thérapeutiques sont à l’étude.</p>
<p>Pour comprendre le problème, penchons-nous brièvement sur notre ADN. Celui-ci compose nos chromosomes ; il peut être considéré comme une longue chaîne constituée d’une succession de plus petites molécules, les nucléotides. Ces « maillons » sont de quatre types, symbolisés par les lettres A (Adénine), T (Thymine), G (Guanine) et C (Cytosine). L’enchaînement de ces quatre nucléotides constitue la « séquence » de l’ADN.</p>
<p>Certaines portions de cette séquence correspondent à des gènes, autrement dit des régions qui contiennent les informations nécessaires à la fabrication de protéines.</p>
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<p>En temps normal, la séquence d’un gène permet de produire une protéine qui fonctionne correctement. Mais il arrive que l’ADN soit endommagé ou modifié. Dans certains cas, les modifications de séquence des gènes (ou « mutation ») qui en résulte font que les protéines correspondantes ne peuvent plus être fabriquées correctement. C’est par exemple le cas lorsqu’une mutation « non sens » (aussi appelée mutation « STOP ») est introduite dans l’ADN.</p>
<p>Ce type de mutation fonctionne comme un signal d’arrêt : lorsque le gène muté est utilisé pour produire la protéine correspondante, la fabrication de cette dernière s’interrompt prématurément. Conséquence : soit la protéine n’est pas produite, soit elle est trop courte, et ne fonctionne pas correctement.</p>
<p>Or, les protéines jouent d’innombrables rôles dans notre organisme. Les hormones, les anticorps, les récepteurs cellulaires, les enzymes, entre autres, sont des protéines. Si certaines d’entre elles sont non fonctionnelles, absentes ou anormales, des maladies peuvent donc rapidement survenir.</p>
<h2>Corriger les mutations non-sens grâce à un champignon ?</h2>
<p>Créée en 2003, la <a href="https://chembiofrance.cn.cnrs.fr/fr/composante/chimiotheque">chimiothèque nationale</a> est à la chimie ce que la bibliothèque nationale est à la littérature : une immense collection de plus de 80 000 composés chimiques et 15 000 extraits naturels originaux, mis à la disposition des équipes de recherche.</p>
<p>En 2012, 20 000 extraits de plantes, micro-organismes et champignons issus de cette chimiothèque nationale ont été testés via un protocole permettant d’identifier les composés capables de corriger efficacement les mutations non-sens dans des cellules humaines cultivées en laboratoire.</p>
<p>Ce criblage a permis de détecter une activité correctrice de mutations non-sens intéressante <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29131862/">dans un extrait provenant de <em>Lepista inversa</em> (ou clitocybe inversé)</a>. Ce champignon commun, comestible quoique peu savoureux, peut être ramassé dans les forêts d’Europe, d’Amérique du Nord ou d’Afrique du Nord.</p>
<p>Suite à cette découverte, nous avons entamé une collaboration avec les scientifiques du Muséum national d’histoire naturelle de Paris (qui avaient initialement préparé cet extrait pour le mettre en collection) afin de purifier la molécule impliquée dans cette activité.</p>
<p>C’est ainsi que nous avons identifié la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7083880/pdf/41467_2020_Article_15140.pdf">2,6-diaminopurine, ou DAP</a>. Étonnamment, cette molécule n’était pas connue pour posséder une telle capacité de correction.</p>
<h2>La DAP, un puissant correcteur de mutations non-sens</h2>
<p>Après avoir purifié la DAP, nous avons comparé son activité à celle d’autres molécules correctrices de mutations non-sens déjà connues. La molécule de champignon s’est montrée bien plus efficace que ses concurrentes pour corriger des mutations dans des cellules en culture.</p>
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<img alt="Schéma de la 2,6-diaminopurine" src="https://images.theconversation.com/files/528700/original/file-20230528-23-1x5wxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528700/original/file-20230528-23-1x5wxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528700/original/file-20230528-23-1x5wxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528700/original/file-20230528-23-1x5wxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528700/original/file-20230528-23-1x5wxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528700/original/file-20230528-23-1x5wxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528700/original/file-20230528-23-1x5wxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La 2,6-diaminopurine présente la capacité de corriger les mutations « non-sens »</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/2,6-Diaminopurine">Yikrazuul / Wikimedia Commons</a></span>
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<p>L’étape suivante a été d’évaluer sa toxicité : bonne nouvelle, la DAP ne présente pas ou peu de toxicité sur les cellules en culture. Enfin, il a fallu élucider son mode d’action, autrement dit, la façon dont elle fonctionne. Ce dernier point est très important, car il permet d’anticiper de possibles effets secondaires.</p>
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<p>Nous avons découvert que la DAP inhibe l’activité d’une enzyme qui agit sur la machinerie cellulaire impliquée dans la fabrication des protéines. Sans entrer dans les détails : l’inhibition de cette enzyme a pour conséquence de rendre « lisible » la séquence de mutation « STOP ».</p>
<p>En absence de DAP, une telle séquence est perçue comme un signal d’arrêt par la machinerie cellulaire qui fabrique les protéines. Mais après l’ajout de DAP, la machinerie cellulaire qui fabrique les protéines n’est plus arrêtée par la présence d’une séquence « STOP ».</p>
<p>Point particulièrement intéressant, ce mécanisme fonctionne seulement lorsque la séquence « STOP » résulte d’une mutation. Les « stops » physiologiques, qui sont normalement présents à la fin des séquences destinées à produire les protéines, ne sont pas affectés par la DAP. La production des protéines « normales » ne devrait donc pas être modifiée.</p>
<p>Après ces premières recherches menées sur des cellules en culture, nous avons poursuivi l’étude de cette molécule. Nous avons notamment cherché à savoir si elle pouvait corriger des mutations non-sens responsables d’une maladie génétique, la mucoviscidose.</p>
<h2>La DAP comme approche thérapeutique de la mucoviscidose</h2>
<p>La mucoviscidose est une maladie génétique rare qui touche principalement les voies respiratoires et le système digestif. En France, et plus généralement dans les pays occidentaux, c’est l’une des maladies génétiques les plus fréquentes. Elle affecte environ <a href="https://www.inserm.fr/dossier/mucoviscidose/">6000 personnes dans notre pays, où 200 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année</a>.</p>
<p>La mucoviscidose est due à une mutation du gène qui permet de fabriquer la protéine CFTR. Présente dans la membrane des cellules de diverses muqueuses (muqueuse respiratoire, muqueuse digestive…), CFTR forme un canal qui permet la sécrétion d’ions chlorure vers l’extérieur des cellules. Chez les personnes atteintes de mucoviscidose, ce canal dysfonctionne.</p>
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<img alt="Photo d’une mère aidant un jeune enfant doté d’une chambre d’inhalation à l’utiliser." src="https://images.theconversation.com/files/528701/original/file-20230528-189676-31uypm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528701/original/file-20230528-189676-31uypm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528701/original/file-20230528-189676-31uypm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528701/original/file-20230528-189676-31uypm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528701/original/file-20230528-189676-31uypm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528701/original/file-20230528-189676-31uypm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528701/original/file-20230528-189676-31uypm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les poumons des malades atteints de mucoviscidose sont peu à peu détruits par une inflammation anormale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>En conséquence, les cellules sécrètent moins de chlorure et, surtout, moins d’eau. Moins hydraté, le mucus qui recouvre les muqueuses devient visqueux, collant, et ne remplit plus correctement sa fonction de protection vis-à-vis des microbes. Bactéries et champignons restent piégés dans les bronches, ce qui provoque des infections répétées et une inflammation durable qui dégrade peu à peu les poumons, entraînant des difficultés à respirer et, à terme, le décès des malades.</p>
<p>Avec l’aide de l’association <em>Vaincre la mucoviscidose</em>, nous avons dans un premier temps évalué le potentiel thérapeutique de la DAP sur des cellules en culture.</p>
<p>Nos résultats ont révélé que l’ajout de DAP corrige effectivement les mutations non-sens présentes dans le gène CFTR de telles cellules et permet de restaurer la fonction de la protéine correspondante. Sur des cellules de patients atteints de mucoviscidose due à une mutation non-sens, le rétablissement de la fonction de CFTR a été observé en moins de 24 heures.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mucoviscidose-pourquoi-les-femmes-sont-elles-plus-vulnerables-que-les-hommes-195467">Mucoviscidose : Pourquoi les femmes sont-elles plus vulnérables que les hommes ?</a>
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<p>L’étape suivante a consisté à tester la capacité de la molécule à corriger les mutations non-sens au sein d’une organisation cellulaire s’approchant de celle d’un organe.</p>
<h2>Des résultats encourageants</h2>
<p>Grâce à une collaboration avec l’équipe de Jeff Beekman, aux Pays-Bas, nous avons pu tester la DAP sur des <a href="https://www.inserm.fr/actualite/organoides-quelle-place-dans-recherche-demain/">organoïdes intestinaux</a>.</p>
<p>Ces <a href="https://theconversation.com/les-compagnons-biologiques-un-atout-pour-la-medecine-du-futur-109304">« mini-organes »</a> sont des assemblages de cellules dont l’organisation rappelle celle de l’organe dont ils sont issus (dans notre cas, l’intestin, car les cellules utilisées dérivaient de cellules issues d’une biopsie rectale). L’intérêt est d’obtenir une architecture et des fonctionnalités proches de celle de l’organe originel.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252235/original/file-20190102-32133-1nzat8f.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C175%2C1146%2C785&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252235/original/file-20190102-32133-1nzat8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=578&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252235/original/file-20190102-32133-1nzat8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=578&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252235/original/file-20190102-32133-1nzat8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=578&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252235/original/file-20190102-32133-1nzat8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=726&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252235/original/file-20190102-32133-1nzat8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=726&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252235/original/file-20190102-32133-1nzat8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=726&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Organoïde intestinal cultivé à partir de cellules souches Lgr5+</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://journals.plos.org/plosbiology/article?id=10.1371/journal.pbio.1002149">Meritxell Huch</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>L’ajout de DAP dans le milieu de culture de ces organoïdes a permis, là encore, de restaurer la fonction de la protéine CFTR. Et ce, avec une efficacité comparable à celle d’un médicament déjà utilisé pour traiter des patients atteints de formes de mucoviscidose dues à un autre type de mutation que des mutations non-sens.</p>
<p>Ce résultat corrobore l’hypothèse que la DAP pourrait constituer un candidat médicament pertinent pour le traitement des mucoviscidoses liées à des mutations non-sens.</p>
<p>Enfin, pour se rapprocher encore davantage de la physiologie rencontrée chez les patients, nous avons effectué des expérimentations chez la souris.</p>
<h2>La DAP est aussi efficace chez l’animal</h2>
<p>Chez ce rongeur, l’absence de protéine CFTR conduit à une forte mortalité non seulement durant la gestation, mais aussi pendant les premiers jours qui suivent la naissance.</p>
<p>En nourrissant quotidiennement avec de la DAP, trois jours durant, des souris adultes porteuses d’une mutation non-sens dans le gène CFTR, nous avons montré que nous effacions les conséquences de cette dernière : ce traitement a en effet permis de <a href="https://www.cell.com/molecular-therapy-family/molecular-therapy/fulltext/S1525-0016(23)0 0014-X">restaurer la production et la fonction de la protéine CFTR</a>.</p>
<p>De manière encore plus remarquable, ces travaux ont révélé qu’il est possible de restaurer l’expression et la fonction de CFTR chez le fœtus, en administrant de la DAP à une femelle gestante. À la naissance, la protéine CFTR était présente chez les souriceaux, et le pourcentage de souris porteuses de la mutation correspondait au pourcentage attendu pour une mutation non mortelle. Ces résultats indiquent que la DAP est donc capable de passer la barrière du placenta.</p>
<p>Nous nous sommes aussi aperçus que nous pouvions prolonger l’exposition des petits après la naissance en poursuivant le traitement de la mère. En effet, la DAP passe aussi dans le lait maternel. Les souriceaux sont donc exposés à la molécule pendant toute la période d’allaitement.</p>
<p>Enfin, la DAP est également connue pour sa capacité à traverser la barrière hémato-encéphalique, qui protège le cerveau, ce qui laisse entrevoir la possibilité de l’utiliser afin de traiter des mutations non-sens dans cet organe.</p>
<p>Ce type d’intervention n’est cependant pas encore à l’ordre du jour : plusieurs étapes restent à franchir avant de pouvoir envisager d’utiliser la DAP comme médicament chez l’être humain.</p>
<h2>Et maintenant ?</h2>
<p>On peut aujourd’hui raisonnablement considérer la DAP comme une candidate solide pour la mise au point d’un traitement des formes de mucoviscidose dues aux mutations non-sens. Cependant, elle ne peut pas encore être administrée en l’état à l’être humain. Avant d’en arriver là, deux étapes majeures doivent encore être franchies.</p>
<p>Il faudra tout d’abord trouver une formulation pharmacologique qui permettra de rendre la DAP facilement administrable, et qui optimisera sa distribution dans l’organisme au cours du traitement.</p>
<p>Surtout, il faudra tester sa toxicité potentielle chez l’animal et l’être humain. Des tests réglementaires permettront de déterminer si la DAP peut entrer en <a href="https://theconversation.com/essais-cliniques-pratiques-et-reglementation-en-france-53331">phase d’essais cliniques</a> (durant laquelle elle sera administrée à des patients) ou si elle est au contraire trop dangereuse pour être administrée aux malades.</p>
<p>Ces deux étapes nécessitant des budgets très importants, elles seront entreprises par une jeune start-up, Genvade Therapeutics.</p>
<p>Jusqu’à présent, seules deux molécules correctrices de mutations non-sens ont atteint la phase des essais cliniques (ataluren et ELX-02). Malheureusement, ni l’une ni l’autre n’a permis d’améliorer significativement les symptômes des patients. Une des raisons avancées pour expliquer cet échec est que l’efficacité de ces molécules pourrait être trop faible pour se traduire par un bénéfice thérapeutique.</p>
<p>La DAP présente toutefois un profil plus prometteur, puisque son efficacité est très largement supérieure à celle de ces composés. Si les espoirs qu’elle soulève s’avèrent fondés, elle pourrait en théorie être utilisée pour traiter d’autres maladies génétiques, comme la myopathie de Duchenne ou l’hémophilie par exemple. Mais pour cela, de nombreux travaux complémentaires seront nécessaires.</p>
<p>Une chose est certaine : quelle que soit l’issue de ces recherches, elles auront été riches d’enseignements. Elles nous auront notamment rappelé que la biodiversité qui nous entoure est une richesse à préserver. En effet, qui aurait pu prévoir qu’un champignon aussi banal que le clitocybe inversé abritait une molécule potentiellement capable de corriger notre ADN ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205436/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Lejeune est fondateur de la start-up Genvade Therapeutics. Fabrice Lejeune a reçu des financements de Vaincre la mucoviscidose, la Fondation maladies rares, la Fondation les Ailes, l'Agence Nationale de la Recherche et l'AFM-Téléthon. De plus, le laboratoire a reçu un financement du Contrat Plan Etat Région 2015-2020. </span></em></p>En cuisine, le clitocybe inversé, un champignon comestible de nos forêts, est médiocre. Mais son intérêt est ailleurs : capable d’agir sur l’ADN, il pourrait un jour soigner des maladies génétiques.Fabrice Lejeune, Chercheur Inserm au sein du laboratoire CANcer Heterogeneity, Plasticity and Resistance to THERapies (Inserm/ CNRS/ Université de Lille/Institut Pasteur de Lille/CHU Lille), Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2021752023-05-04T20:16:05Z2023-05-04T20:16:05ZRéalité virtuelle et santé mentale : exit le divan, place au casque ?<p>Selon le cabinet d’analyse Counterpoint, cité par le magazine économique L’Usine Nouvelle, les <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/les-ventes-de-casques-de-realite-virtuelle-et-augmentee-devraient-decupler-d-ici-a-2025.N1174082">ventes de casques de réalité virtuelle et augmentée pourraient décupler d’ici à 2025</a>, en raison notamment de l’arrivée d’Apple dans ce secteur.</p>
<p>Lorsque nous entendons « réalité virtuelle » (RV), nous pensons généralement « jeux vidéo ». Pourtant cette technologie n’est pas réservée aux loisirs, et ses domaines d’application se sont multipliés au fil des années.</p>
<p>Déjà utilisée comme outil de formation, dans des secteurs aussi différents que le <a href="https://reality-academy.fr/management-vr/">management et la vente</a> ou la <a href="https://www.liberation.fr/sciences/espace/la-realite-virtuelle-avancee-potentielle-pour-les-astronautes-20210421_FUQDRLKF7JEFZBWRWX7U4CFKXI/">formation des astronautes</a>, elle est encore mise à contribution pour <a href="https://www.u-bordeaux.fr/actualites/une-semaine-dimmersion-en-simulation-chirurgicale-luniversite-de-bordeaux">entraîner les chirurgiens</a> dans leur pratique.</p>
<p>Et, depuis quelques années, son potentiel pour traiter certains troubles mentaux est également exploré – avec des résultats très encourageants.</p>
<h2>Réalité virtuelle, réalité augmentée : de quoi parle-t-on ?</h2>
<p>Avant de développer ce dernier point, il convient de rappeler ce qu’est la réalité virtuelle.</p>
<p>Cette technologie consiste à immerger un utilisateur dans un monde virtuel au moyen de dispositifs dédiés (casques, visiocubes, grands écrans). Les casques par exemple permettent une immersion forte grâce au couplage des mouvements de la tête de l’observateur avec les images stéréoscopiques affichées sur deux petits écrans. Une fois équipé, l’utilisateur est immergé visuellement et auditivement. Il peut même interagir grâce à des « contrôleurs » rappelant les manettes de jeu vidéo afin d’effectuer des actions, de se déplacer, etc. Des dispositifs plus élaborés peuvent aussi mettre à contribution le corps entier.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/kXsErAGOits?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La réalité virtuelle permet donc de produire des expériences sensorielles de manière artificielle. Ces expériences peuvent concerner non seulement la vue et l’ouïe, mais aussi l’odorat ou le toucher – via des dispositifs « haptiques » (vibreurs essentiellement) pouvant procurer un retour sensoriel sur ses actions ou sa position dans l’espace.</p>
<p>Plus l’environnement virtuel sera immersif, plus l’utilisateur aura une sensation de « présence » élevée. Ladite présence peut être divisée en deux concepts distincts : <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rstb.2009.0138">l’illusion du lieu et l’illusion de plausibilité</a>. Un environnement virtuel bien réalisé et des retours sensoriels pertinents apportent de la crédibilité et donneront la sensation d’évoluer de façon similaire à ce qu’on connaît dans le monde réel.</p>
<p>En effet, si ce que nous voyons est cohérent avec nos mouvements, le cerveau va conclure qu’il s’agit de notre environnement (illusion du lieu). Et si l’environnement réagit à notre présence et à nos actions (illusion de plausibilité), ce sentiment est renforcé.</p>
<h2>Les thérapies d’exposition en santé mentale</h2>
<p>L’<a href="https://www.cairn.info/conduite-du-changement-concepts-cles--9782100769414-page-49.htm">apprentissage par l’expérience</a> est depuis longtemps une technique thérapeutique utilisée en santé mentale. C’est en 1984 que le théoricien de l’éducation David Kolb développe une application de sa théorie de l’apprentissage qui peut être divisée en quatre étapes : l’expérience concrète (immersion dans une situation réelle), l’observation réfléchie de cette expérience, la conceptualisation abstraite (où nous concevons une hypothèse explicative et de compréhension) et l’expérimentation active (qui permet de valider ou non l’hypothèse).</p>
<p>Si l’on simplifie les problèmes de santé mentale pour les considérer comme des difficultés à interagir dans le monde, le potentiel de la réalité virtuelle pour les traiter est énorme ! Par exemple, les personnes concernées pourraient bénéficier de niveaux élevés de présence dans des univers virtuels afin d’y expérimenter les situations qui les mettent en difficulté dans le monde réel afin d’apprendre à les gérer.</p>
<p>Les simulations peuvent également être graduées en difficulté et répétées jusqu’à ce que le bon apprentissage soit fait. Des situations problématiques difficiles à trouver dans la vie réelle peuvent facilement être mises en place virtuellement. Cela peut être par exemple, lors d’une phobie à l’idée de prendre l’avion : il est beaucoup plus facile de se retrouver à l’intérieur d’un avion virtuel que dans le monde réel.</p>
<p>Et le grand avantage de la RV est que les individus peuvent se souvenir qu’ils sont dans un environnement qui n’est pas réel : il leur est ainsi beaucoup plus facile de faire face à des situations qui leur posent problème, et elles seront en mesure d’essayer de nouvelles stratégies thérapeutiques.</p>
<p>Cet apprentissage peut ensuite être transféré dans le monde réel.</p>
<p>De plus, grâce à l’expérience de la RV, le thérapeute peut mieux démontrer au patient que ce qui lui semble être un fait est le résultat de son esprit, une « hypothèse individuelle inadaptée ». Une personne « hématophobe » peut associer la présence de sang à une blessure grave alors qu’elle n’est pas nécessairement le signe d’une hémorragie. Une fois ce concept compris, leur remise en question est plus simple.</p>
<h2>Les avantages de la thérapie « virtuelle »</h2>
<p>La <a href="https://www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2019-2-page-613.htm?contenu=article">thérapie par exposition à la réalité virtuelle</a> présente divers avantages par rapport à <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-10190-3_12">l’exposition réelle</a> :</p>
<ul>
<li><p>En termes de coût et de disponibilité : les situations redoutées ne sont pas toujours facilement accessibles, et l’exposition imaginaire (c’est-à-dire à des situations imaginées) est moins efficace ;</p></li>
<li><p>En termes d’engagement : l’immersion et l’interaction offertes par la RV peuvent améliorer l’engagement et l’adhésion des participants ;</p></li>
<li><p>En termes de contrôle : le contrôle de ce qui se passe dans le monde virtuel est presque total, y compris des éléments qui peuvent rendre la situation menaçante (animaux ou objets redoutés, hauteur des bâtiments, etc.). De plus, le thérapeute a un suivi complet, voit les éléments qui perturbent le plus le patient, etc. ;</p></li>
<li><p>En termes de réalisme et de présence : contrairement à l’exposition imaginaire (i·e on demande à la personne d’imaginer la situation), les utilisateurs de la RV se sentent présents et jugent leur situation comme réelle tout en sachant qu’elle ne l’est pas ;</p></li>
<li><p>En termes d’efficacité : La RV permet de construire des « aventures virtuelles » dans lesquelles la personne se sent compétente et efficace ;</p></li>
<li><p>En termes de sécurité : l’exposition réelle peut être très aversive et donner un sentiment d’insécurité, car il n’y a aucune garantie que quelque chose ne se passera pas mal (un ascenseur qui s’arrête…). Ce n’est pas le cas en réalité virtuelle, le contexte et le cadre étant contrôlés.</p></li>
</ul>
<h2>Quand la réalité virtuelle est-elle utile ?</h2>
<p>La RV peut être utilisée dans la <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/07/14/des-therapies-en-realite-virtuelle-pour-surmonter-ses-phobies_4969516_4408996.html">prise en charge des phobies</a> par exemple. Le patient y expérimente en toute sécurité et progressivement les situations sources d’anxiété ou peur : présence d’araignée, altitude, conduite… Ceci lui permet de s’y exposer pour, à terme, faire baisser son niveau d’anxiété.</p>
<p>La réalité virtuelle est aussi <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5964457/">utile dans le cas d’un délire de persécution (lutter contre la crainte d’être attaqué), d’addiction (résister à l’envie de prendre un autre verre), de troubles du comportement alimentaire</a>. Dans ces types de prises en charge, le rétablissement consiste à penser, à réagir et à se comporter différemment dans ces situations.</p>
<p>En mettant en place des activités sensori-motrices proches de ce qu’on expérimente dans la vie réelle, la RV permet d’évaluer de manière plus objective les processus cognitifs et symptômes en jeu chez les patients. Elle peut donc être utilisée comme un outil de détection précis des éléments perturbants. Ce qui peut être utile pour identifier un <a href="https://www.defense.gouv.fr/aid/actualites/stress-realite-virtuelle-au-service-detection-du-trouble-stress-post-traumatique">trouble du stress post-traumatique</a>.</p>
<p>Cet aspect de la RV plaide pour son emploi en « remédiation cognitive », qui a pour objectif de diminuer l’impact des difficultés d’un patient. La réalité virtuelle est alors utilisée comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=y8jo3Wlsv-U">outil d’entraînement</a>, en fournissant une représentation réaliste de son environnement et de ses activités quotidiennes.</p>
<p>Le logiciel de réalité virtuelle <a href="http://www.rehal-it.com/catalogue.html">R.O.G.E.R</a> permet par exemple d’explorer et de travailler les fonctions cognitives. Grâce à lui, l’utilisateur peut réaliser différentes activités de vie – tri de documents administratifs, etc. Cela permet d’exercer sa flexibilité (possibilité de passer d’une tâche à une autre pour s’adapter et adapter son comportement) et d’autres fonctions cognitives, tout en restant ancré dans le quotidien.</p>
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<h2>Une technologie en progrès, mais avec des limites</h2>
<p>La recherche psychologique et la pratique clinique ont fait d’énormes progrès ces dernières années, et les <a href="http://www.rehal-it.com/roger.html">outils</a> se développent et se démocratisent.</p>
<p>Au-delà des thérapies, des recherches portent également sur l’utilisation de la réalité virtuelle pour la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5727661/">sensibilisation</a> et la <a href="https://labpsy.u-bordeaux.fr/Membres/Theses-en-cours/Tison-Emma">formation</a> en santé mentale des étudiants (en médecine, psychologie, soins infirmiers). Ces derniers peuvent se « mettre dans la peau » de personnes atteintes de troubles psychiatriques, ce qui leur donne une meilleure compréhension de ce que peuvent vivre les usagers – et <a href="https://www.researchgate.net/publication/359962958_Innovative_Technology-Based_Interventions_to_Reduce_Stigma_Toward_People_With_Mental_Illness_A_Systematic_Review_and_Meta-Analysis">diminuer leur stigmatisation</a>.</p>
<p>Il paraît clair que la réalité virtuelle peut contribuer à améliorer l’accès à des traitements et thérapies psychologiques efficaces, et constituer une méthode de choix pour les thérapeutes et les patients. Attention toutefois : le facteur humain ne peut et ne doit pas disparaître, car la <a href="https://www.cairn.info/revue-approche-centree-sur-la-personne-2005-1-page-45.htm">présence du thérapeute est en elle-même déjà thérapeutique</a>.</p>
<p>Cette technologie présente toutefois encore des limites : les scénarios sont pour le moment restreints, pour des raisons techniques mais également parce que les thérapeutes ne sont pas programmeurs, tout comme le degré d’interaction sociale possible. De plus, le <a href="https://theconversation.com/la-cybercinetose-ou-le-mal-des-casques-de-realite-virtuelle-74900">« mal des simulateurs »</a>, cette sensation de nausée causée par des informations contradictoires reçues par nos systèmes sensoriels, n’est pas totalement solutionné.</p>
<p>Une autre limite est qu’<a href="https://theconversation.com/les-avatars-peuvent-ils-remplacer-notre-corps-164965">elle isole les utilisateurs dans un monde numérique</a>. Il peut donc être intéressant d’explorer des approches en <a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-la-re-alite-augmente-e-et-comment-fonctionne-t-elle-65585">réalité augmentée (RA)</a>, qui consiste à superposer des éléments virtuels à l’environnement réel. Au lieu d’isoler du monde réel, la réalité augmentée permet d’interagir avec des personnes réelles et non plus avec des avatars : il n’y a plus la distance sociale présente en RV. De plus, avec la RA, nous pouvons distordre la réalité et contrôler les stimuli, tout en mettant les utilisateurs dans le vrai monde physique.</p>
<p>Mais, qui sait… peut-être qu’un jour, pour certaines thérapies, nous pourrons dire <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5964457/">exit le divan, place au casque</a> !</p>
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<p><em>Emma Tison réalise actuellement sa thèse à l’Université de Bordeaux sous la direction de <a href="https://labpsy.u-bordeaux.fr/Membres/Membres-titulaires-et-associes/Prouteau-Antoinette">Antoinette Prouteau</a> et <a href="https://people.bordeaux.inria.fr/hachet/">Martin Hachet</a>. Ces derniers ont participé à la relecture de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202175/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emma Tison a reçu des financements de l'Université de Bordeaux. </span></em></p>La réalité virtuelle reste souvent associée au jeu vidéo. Elle a pourtant aujourd’hui de nombreuses applications, y compris en santé. Voilà comment elle pourrait bientôt soigner phobies, addictions…Emma Tison, Doctorante en psychologie, Psychologue spécialisée en neuropsychologie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1988072023-03-12T17:15:23Z2023-03-12T17:15:23ZCrise des systèmes de santé en Europe : comment expliquer les difficultés françaises ?<p>Les systèmes de santé de nombreux pays européens sont en difficulté. Au Royaume-Uni, le manque de moyens pour le National Health Service (NHS) est criant depuis des années. En Espagne, des manifestations d’ampleur à la fin de l’année dernière demandaient de meilleures conditions de travail pour les soignants. En Italie ou en Allemagne, la crise de recrutement des soignants prend des proportions inquiétantes. Au Québec, des voix s'élèvent <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1855525/rapport-final-commissaire-sante-bien-etre-pandemie-quebec">pour repenser en profondeur le système de santé</a>.</p>
<p>La France, elle aussi, vit au rythme des crises de son système de santé. Elles ont précédé la pandémie de SARS-Cov-2, et reviennent régulièrement sur le devant de la scène. Cette fragilité, qui touche tous les secteurs, de l’hôpital au médico-social en passant par le secteur libéral. Quelles sont les raisons de cette situation de crise permanente ? </p>
<h2>Le système de santé français</h2>
<p>Les systèmes de santé qui ont été mis en place dans les pays occidentaux après la Seconde Guerre mondiale pouvaient à l’origine <a href="https://www.cairn.info/la-reforme-des-systemes-de-sante--9782715406711-page-22.htm">être classés en trois catégories</a> : les systèmes nationaux de santé (pays scandinaves, Royaume-Uni, Italie, Espagne…), les systèmes de santé basés sur l’assurance-maladie (France, Allemagne, Pays-Bas…), et les systèmes de santé libéraux (États-Unis, Suisse).</p>
<p>Le système français s'est construit selon les principes de la seconde catégorie : l’offre de services de santé est en partie publique (majeure partie du système hospitalier notamment), en partie privée, et financée dans une large proportion par des cotisations sociales. Son fonctionnement <a href="https://www.cleiss.fr/particuliers/venir/soins/ue/systeme-de-sante-en-france.html#ambulatoire">repose sur l’articulation de différentes structures</a>, qui assurent des niveaux d'attention aux personnes peu coordonnés entre eux : les soins « de ville » (notamment assurés par les professionnels libéraux, mais pas uniquement), l'accueil dans les établissements de santé, et les dispositifs d'accueil et de soutien médico-social et social (publics « fragiles », âgés ou porteurs de handicaps). Dans ce système, chaque patient peut en théorie choisir son médecin, généraliste ou spécialiste, et son établissement de santé.</p>
<p>Basé sur des principes d’universalité, d’égalité, d’accessibilité et de qualité, ce système est aujourd’hui en crise, même si c’est en France que le reste à charge des ménages est encore, en moyenne, le plus faible des pays de l’OCDE après le Luxembourg (<a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-documents-de-reference-communique-de-presse/panoramas-de-la-drees/CNS2022">8.9 % de la dépense courante, en incluant la part des complémentaires</a>).</p>
<p>Les difficultés de l’hôpital public sont sous le feu des projecteurs, mais les autres secteurs ne sont pas épargnés, comme le souligne la récente grève des médecins libéraux et <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/01/echec-de-la-convention-medicale-medecine-liberale-financement-public_6163723_3232.html">l’impasse de la négociation conventionnelle</a>.</p>
<h2>Une crise systémique</h2>
<p>En France, l’espérance de vie sans incapacité à la naissance continue à évoluer de façon positive : elle était estimée en 2021 <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/etudes-et-resultats/lesperance-de-vie-sans-incapacite-65-ans-est">à 67 ans chez les femmes et 65,6 ans chez les hommes</a>. Ce chiffre, qui se situe juste au niveau de la moyenne des pays européens, ne doit cependant pas être utilisé pour éviter de s’interroger sur la fragilité de notre système de santé. </p>
<p>En effet, <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/286468-l-etat-de-sante-de-la-population-en-france-edition-2022">certains indicateurs de l’état de santé sont préoccupants</a> : taux de mortalité infantile en hausse, évolution préoccupante du surpoids et de l’obésité (notamment en fonction des conditions sociales), taux de vaccination contre le papillomavirus faible, signant un déficit en prévention médicale, évolution préoccupante du surpoids et de l’obésité, toutes ces données accentuées par de fortes inégalités sociales.</p>
<p>Dans son avis n° 140, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) souligne d’ailleurs que la situation tendue de l’hôpital public est <a href="https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2022-11/Avis140_Final_0.pdf">« le symptôme le plus saillant de la crise du système de soin »</a>.</p>
<p>Mais l’hôpital n’est pas le seul secteur concerné. Le problème des « déserts médicaux » vient rappeler que l’organisation des soins dits « primaires », c’est-à-dire permettant le premier contact avec le patient, laisse une partie de la population sans solution d’accès aux services. </p>
<p>Une des conséquences, en France comme dans de nombreux pays, est que les urgences hospitalières deviennent de plus en plus le premier recours, ce qui contribue à l’engorgement de ces structures, dont certaines se retrouvent par ailleurs <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/A-lhopital-services-durgences-ferment-nuit-faute-soignants-2022-01-25-1201196712">contraintes de fermer la nuit, faute de personnels</a>.</p>
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<p>Enfin, le scandale Orpea, révélé suite à la parution, le 24 janvier 2022, du livre-enquête <em>Les Fossoyeurs</em>, du journaliste Victor Castanet, démontre que la question du vieillissement et de l’accompagnement des dépendances est loin d’être réglée dans notre pays. S’interroger sur la capacité de notre société à accompagner dignement les personnes les plus fragiles, les plus vulnérables passe non seulement par la valorisation et la reconnaissance des personnels qui travaillent auprès de ces publics, mais aussi par une réflexion sur le type de structures et services à développer et leur mode de financement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/deserts-medicaux-lacces-reel-des-patients-aux-soins-est-aussi-important-que-le-nombre-de-medecins-199703">Déserts médicaux : l’accès réel des patients aux soins est aussi important que le nombre de médecins</a>
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<p>Les raisons de cette situation dégradée, qui peut être qualifiée d’endémique, sont connues. Elles ne sont pas spécifiques à la France et se retrouvent dans toutes les sociétés, dans tous les pays. </p>
<h2>Trois raisons majeures à l’évolution des besoins de santé</h2>
<p>La crise du système de santé français est liée tout d’abord à une forte évolution des besoins de santé, caractérisée par trois éléments majeurs. </p>
<p>Deux d’entre eux sont connus depuis des décennies : la progression régulière <a href="https://www.cairn.info/revue-raison-presente-2022-3-page-121.htm?contenu=article">des maladies chroniques</a> (maladies cardiovasculaires, diabète, cancers, maladies neurodégénératives…) et le vieillissement de la population. </p>
<p>Ces deux facteurs modifient en effet le profil des patients, et demandent des approches plus transversales et globales. Ainsi, près de 4 millions de personnes vivent aujourd’hui avec un cancer dans notre pays. Il faut non seulement que le diagnostic soit le plus précoce possible, mais aussi que les patients bénéficient des meilleurs traitements pendant l’ensemble de leur parcours. Il faut aussi, pour pouvoir vivre avec cette maladie, garder une vie sociale ainsi qu’une inscription professionnelle.</p>
<p>Un troisième élément a un impact sur l’évolution des besoins de santé comme nous l’a brutalement rappelé la pandémie de Covid-19 : c’est le fait que nous sommes et resterons confrontés à notre environnement. Notre écosystème continuera à avoir un impact sur la santé des populations, que ce soit par la survenue d’épidémies, ou par les conséquences des évolutions de notre planète, en premier lieu les effets du changement climatique. Or, nos systèmes de soins et de santé publique ne sont pas prêts à prévenir et absorber de tels chocs dont la fréquence et la gravité risquent selon toute vraisemblance d’augmenter.</p>
<p>En outre, en regard de cette évolution des besoins, des changements dans la nature et le niveau des ressources professionnelles et dans les modes d’exercice sont en cours. </p>
<h2>La question des ressources humaines</h2>
<p>La France, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/27/crise-des-systemes-de-sante-en-europe-la-grande-penurie-de-soignants_6136283_3210.html">comme de nombreux pays</a>, fait face à une pénurie de professionnels de santé. Ce déficit se double d’un manque d’attractivité de ces professions. La récente alerte sur <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/01/31/pharmacie-la-penurie-de-diplomes-fait-craindre-la-catastrophe_6159908_4401467.html">l’effondrement des effectifs d’étudiants en pharmacie en est une illustration</a></p>
<p>Ce manque d’attractivité se retrouve également dans les fonctions d’encadrement et de management, comme le révèlent les statistiques de l’École des hautes Études en Santé publique. Ainsi, depuis plusieurs années, un pourcentage non négligeable de postes offerts pour les élèves directeurs d’établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux, directeurs de soins, attachés d’administration hospitalière ou inspecteurs de l’action sanitaire et sociale ne sont pas pourvus.</p>
<p>Par ailleurs, les modes d’exercice évoluent eux aussi fortement. Les jeunes professionnels ne souhaitent plus s’installer de manière isolée, et sont en demande d’une grande souplesse dans leur carrière. Ils et elles privilégient les exercices collectifs pluriprofessionnels, comme les maisons de santé pluriprofessionnelles, en pleine expansion (leur nombre a plus que doublé entre 2017 et 2022, avec 2251 maisons de santé au 31 décembre 2022) ou les centres de santé. Ils souhaitent concilier vie professionnelle et vie personnelle, et sont prêts à utiliser les avancées des nouvelles technologies. Mais avant tout, ils et elles demandent à retrouver du sens dans leur engagement professionnel.</p>
<h2>Un décloisonnement à améliorer</h2>
<p>Le cloisonnement des structures et l’organisation en silos sont une constante de nos systèmes de santé. Construits sur le paradigme dominant de l’hospitalo-centrisme au sortir de la 2e Guerre mondiale, ils n’ont, pour bon nombre d’entre eux, que peu évolué dans leurs fondements. </p>
<p>Ce modèle qui se reflète dans les types de recrutement des professionnels autant que dans les modes de financement. D’une part, les recrutements sont liés à une structure et deviennent de plus en plus spécialisés, chaque exercice se trouvant ainsi isolé. D’autre part les modes de financement privilégient l’activité (<a href="https://theconversation.com/hopital-financement-au-parcours-de-soins-lhumain-avant-loutil-101076">tarification à l’activité pour l’hôpital</a>, à l’acte pour le libéral) et non la continuité des services à la personne. Cette situation ne favorise pas la nécessaire coordination des interventions autour de la personne malade ou fragilisée, <a href="https://www.igas.gouv.fr/spip.php?article437">malgré les nombreux dispositifs empilés pour lutter contre ce cloisonnement</a>.</p>
<p>Pourtant des initiatives montrant des effets positifs en termes de décloisonnement existent. C’est par exemple le cas <a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/parcours-des-patients-et-des-usagers/article-51-lfss-2018-innovations-organisationnelles-pour-la-transformation-du/les-experimentations/article/experimentation-d-un-paiement-en-equipe-de-professionnels-de-sante-en-ville">du paiement en équipe de professionnels de santé en ville (PEPS)</a>, qui consiste à mettre en place, pour des médecins généralistes et infirmiers exerçant dans une structure de ville (maisons ou centres de santé par exemple), une rémunération forfaitaire collective à la place du paiement à l’acte. Mais ces dispositifs <a href="https://www.irdes.fr/recherche/seminaires-les-mardis-de-l-irdes-en-economie-de-la-sante.html">restent expérimentaux et se diffusent peu</a>.</p>
<h2>Des nouvelles technologies dont l’impact reste à évaluer</h2>
<p>Les nouvelles technologies sont souvent présentées comme une solution pour alléger la charge qui pèse sur le système de santé.</p>
<p>Elles pourraient certes permettre de mieux répondre aux besoins des personnes, sans aggraver les inégalités sociales et géographiques d’accès aux soins (grâce à la téléconsultation par exemple). Ou être utilisées pour améliorer le quotidien des patients (prothèses pour certains patients dépendants, nouveaux traitements…), des soignants (<a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/des-exosquelettes-pour-soulager-les-soignants">exosquelettes pour les assister</a> dans les gestes les plus pénibles…). Des évolutions majeures sont anticipées dans certaines spécialités (robots chirurgicaux, amélioration des diagnostics grâce à l’intelligence artificielle…). Le secteur biomédical est également concerné, avec la mise au point de nouvelles stratégies de développement des médicaments, ciblant des produits « de niche », personnalisés (mais très onéreux…).</p>
<p>Enfin, les nouvelles technologies contribuent aussi au développement d’outils de prévention individuelle, par la mise sur le marché de nombreuses applications, plus ou moins validées, plus ou moins utiles.</p>
<p>Cependant, l’impact réel de ces avancées sur le système de santé est pour l’instant difficile à appréhender, en raison du grand nombre de domaines concernés. Évaluer leur impact réel demandera un suivi attentif de toutes ces technologies dans les années à venir.</p>
<p>Un autre point devra faire l’objet de toutes les attentions : le devenir et la sécurisation de la quantité considérable de données de santé générées par les nouvelles technologies (ce que l’on appelle les « big data » ou données massives). Si lesdites données peuvent aider à améliorer les connaissances dans le domaine de la santé ou à mieux organiser les services, elles constituent une arme à double tranchant : très sensibles, elles peuvent être l’objet de cyberattaques. </p>
<p>Cette transformation numérique devra donc être appréhendée et réfléchie, notamment d’un point de vue éthique. Le Comité consultatif national d’éthique <a href="https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2021-02/avis_130.pdf#page=6">proposait dès 2019 12 recommandations</a> permettant d’y veiller.</p>
<h2>Une démocratie en santé à repenser et renforcer</h2>
<p>Le questionnement sur l’avenir de notre système de santé déborde du cercle des experts, et devient l’objet d’une préoccupation grandissante de la population. Le domaine de la santé est un enjeu politique et médiatique de plus en plus important, comme l’a montré de manière brutale la récente pandémie. </p>
<p>Celle-ci a bousculé une démocratie en santé qui s’était construite lentement, depuis plus d’une vingtaine d’années. Ce concept, qui se traduit par des démarches visant à <a href="https://www.ars.sante.fr/quest-ce-que-la-democratie-en-sante-3">« associer l’ensemble des acteurs du système de santé dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique de santé, dans un esprit de dialogue et de concertation »</a> (en créant par exemple des « conférences » traitant de la santé au niveau national, régional ou local, ou en permettant par exemple <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/03/28/droit-des-malades-la-democratie-sanitaire-victime-collaterale-du-covid-19_6119530_1650684.html">aux usagers d’être représentés dans les instances de santé publique et hospitalières</a>, devra probablement être revisité suite à la pandémie, car cette crise a figé des institutions fragiles. </p>
<p>Elle a montré d’une part une absence de maturité de ce dispositif, et d’autre part, une ambiguïté entre le rôle des associations et la place des collectivités territoriales.</p>
<h2>Une réponse insuffisante des pouvoirs publics</h2>
<p>Depuis 20 ans, face à ces évolutions majeures, la réponse des pouvoirs publics français s’est traduite par une succession de lois dont les intitulés semblent indiquer une préoccupation croissante pour l'avenir de notre système : loi de 2002 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000227015/">« relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé »</a> ; loi de 2004 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000787078/">« relative à la politique de santé publique »</a> ; loi de 2009 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000020879475">« Hôpital, patient, santé, territoires »</a> ; loi de 2016 dite de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000029589477/">« modernisation de notre système de santé »</a> ; loi de 2019 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038821260">« relative à l’organisation et à la transformation du système de santé »</a>.</p>
<p>Mais malgré des lois aux intitulés de plus en plus pressants, malgré les nombreuses expérimentations lancées au plan local pour initier plus de coordination et plus de souplesse, malgré le choc de la pandémie et les milliards débloqués pour l’hôpital, les fondements du système de santé français n’ont que très peu bougé, provoquant une désillusion croissante des professionnels de santé.</p>
<p>Cette inertie résulte probablement de la croyance que des « ajustements continuels » peuvent suffire, les lois se contentant de fournir une boite à outils complexifiant la technostructure.</p>
<p>Le débat public sur l’avenir de notre système de santé est toujours esquivé, toujours reporté. La question de la place de la prévention et la promotion de la santé est à ce titre emblématique. </p>
<h2>Un nécessaire changement de paradigme</h2>
<p>Promues depuis longtemps dans les discours, la prévention et la promotion de la santé pourraient être un puissant outil pour éviter l’entrée dans la maladie. </p>
<p>Mais dans les faits, elles stagnent dans leur soutien financier et reposent bien souvent sur un tissu associatif fragile. Selon les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-11/CNS2022MAJ%20Fiche%2024%20-%20Les%20d%C3%A9penses%20de%20pr%C3%A9vention.pdf#page=3">les dépenses de prévention n’ont augmenté qu’au rythme de 1,1 % par an entre 2013 et 2019</a>. </p>
<p>Par ailleurs, la promotion de la santé, qui recouvre des actions aussi diverses que les campagnes pour promouvoir la mobilité active, la promotion du <a href="https://theconversation.com/qualite-nutritionnelle-des-aliments-nutri-score-ou-en-est-on-conversation-avec-mathilde-touvier-158985">logo NutriScore</a>, le développement d’un urbanisme favorable à la santé (avec par exemple la lutte contre les îlots de chaleur), n’est jamais comptabilisée. Or bon nombre de ces actions sont souvent aux mains des collectivités locales, qui n’ont pas de compétence spécifique dans le domaine de la santé !</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/leurope-la-france-et-la-sante-publique-apres-la-covid-19-une-nouvelle-donne-168007">L’Europe, la France et la santé publique : après la Covid-19, une nouvelle donne ?</a>
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<p>En Europe, le système de santé se construit au niveau de chaque État, en fonction d’une histoire, d’une culture, d’un développement économique. Mais il est grand temps que l’Union européenne puisse intervenir pour défendre et promouvoir des bases communes. Et que cet ensemble soit ouvert aux enjeux mondiaux et planétaires colossaux en termes d’accès à la santé. </p>
<p>Rappelons que l’on estime que les besoins en professionnels de santé se situent - a minima - <a href="https://www.wma.net/fr/news-post/action-urged-to-meet-world-shortage-of-health-professionals/">autour de 18 millions de personnes</a>, au niveau mondial. Dans de nombreux pays, dont la France, le changement de paradigme nécessaire pour faire face aux évolutions en cours semble toujours être remis à demain. Une procrastination qui risque d’engendrer un réveil douloureux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198807/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Chambaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Hôpital, médecine de ville, secteur médico-social… Le système de santé français tout entier est en crise. Pourquoi ? Quelles pistes pour en sortir ?Laurent Chambaud, Médecin de santé publique, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1993582023-02-09T15:25:51Z2023-02-09T15:25:51ZPratiquer la médecine au Canada lorsque formé à l’étranger : un – incompréhensible – parcours du combattant<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/509224/original/file-20230209-20-e2n15h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C98%2C8192%2C5359&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Canada connaît une pénurie de médecins. Voilà pourquoi le fait de rendre difficile la pratique des médecins formés à l'étranger est incompréhensible.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les médecins formés à l’étranger sont mis de côté au Canada alors que <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1912232/sondage-reid-medecins-famille-acces">six millions de Canadiens</a> n’ont pas de médecin de famille.</p>
<p>Ces professionnels de la santé, qui ont terminé leurs études à l’extérieur du Canada ou des États-Unis, constituent un groupe diversifié de praticiens formés dans diverses spécialités. Plusieurs ont été <a href="https://fammedarchives.blob.core.windows.net/imagesandpdfs/pdfs/FamilyMedicineVol41Issue3Klein197.pdf">attirés au Canada</a> pour la promesse d’une vie meilleure.</p>
<p>La plupart ont même profité de l’« entrée express » dans le cadre du <a href="https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/immigrer-canada/entree-express/admissibilite/travailleurs-qualifies-federal.html">programme des travailleurs qualifiés</a> en vertu de leur formation de haut niveau.</p>
<p>Pourtant, ils se heurtent à de multiples obstacles tout au long du processus d’obtention du permis.</p>
<p>En octobre 2021, une équipe de recherche communautaire de l’Université Simon Fraser a examiné les <a href="https://radiussfu.com/programs/labs-ventures/refugee-newcomer-livelihood/">politiques canadiennes d’exclusion à leur endroit</a>.</p>
<p>Le projet est né de la réponse britanno-colombienne à la crise sanitaire, notamment de la campagne <a href="https://www.facebook.com/profile.php?id=100067180144234">Trained To Save Lives</a> sur les réseaux sociaux, qui portait sur le rôle des professionnels de la santé formés à l’étranger.</p>
<p>Nos entrevues auprès de 11 médecins britanno-colombiens formés à l’étranger mettent en évidence, selon nous, les obstacles auxquels ils font face partout au Canada.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/permis-dexercice-national-pour-les-professionnels-de-la-sante-au-canada-est-ce-possible-127963">Permis d'exercice national pour les professionnels de la santé au Canada : est-ce possible ?</a>
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<h2>Huit étapes</h2>
<p>Le processus canadien est complexe, car <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/sante/2022-09-16/pour-contrer-la-penurie-de-medecins/un-permis-de-pratique-national-a-l-etude.php">chaque province a son propre système de délivrance de permis</a>. En Colombie-Britannique, les exigences sont les suivantes :</p>
<ol>
<li><p>Les médecins formés à l’étranger doivent être diplômés d’une école agréée figurant dans le <a href="https://wfme.org/world-directory/">Répertoire mondial des écoles de médecine</a>.</p></li>
<li><p>Ils doivent fournir un certificat de compétence linguistique si la langue de leur diplôme n’est pas l’anglais et s’ils n’ont pas pratiqué en anglais.</p></li>
<li><p>Ils doivent réussir <a href="https://mcc.ca/fr/examens/eacmc-partie-i/">l’examen d’aptitude du Conseil médical du Canada, partie 1</a>, et <a href="https://mcc.ca/fr/examens/survol-cne/">l’examen clinique objectif structuré de la Collaboration nationale en matière d’évaluation</a> (CNE).</p></li>
<li><p>Ils doivent s’inscrire à un <a href="https://imgbc.med.ubc.ca/clinical-assessment/">programme d’évaluation clinique</a>.</p></li>
<li><p>Ils doivent compléter une résidence ou réussir au <a href="https://mcc.ca/fr/evaluations/evaluation-capacite-a-exercer/">programme d’évaluation de la capacité à exercer</a> de la CNE.</p></li>
<li><p>S’ils font une résidence, ils doivent <a href="https://practiceinbc.ca/practice-in-bc/img-au-irl-uk-usa-residency-ca/return-of-service">s’engager par contrat</a> à fournir des années de service.</p></li>
<li><p>Ils doivent obtenir le permis provincial (ici, du Collège des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique).</p></li>
<li><p>Enfin, les omnipraticiens doivent passer par les examens de certifications du Collège des médecins et chirurgiens provincial et les spécialistes, de même au Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada.</p></li>
</ol>
<h2>Le parcours du combattant</h2>
<p>Nos entretiens nous ont permis d’identifier plusieurs obstacles. L’un des principaux est l’examen clinique objectif structuré de la CNE (non requis pour les diplômés des facultés canadiennes et américaines). Cet examen, très coûteux, n’est offert que rarement chaque année.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/507892/original/file-20230202-5782-vp3d9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="un médecin ausculte les yeux d’un patient" src="https://images.theconversation.com/files/507892/original/file-20230202-5782-vp3d9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/507892/original/file-20230202-5782-vp3d9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/507892/original/file-20230202-5782-vp3d9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/507892/original/file-20230202-5782-vp3d9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/507892/original/file-20230202-5782-vp3d9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/507892/original/file-20230202-5782-vp3d9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/507892/original/file-20230202-5782-vp3d9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">S’ils veulent pratiquer au Canada, les médecins formés à l’étranger doivent satisfaire à des exigences différentes de leurs collègues canadiens et américains.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Pixabay)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’attente est parfois très longue. De plus, les conseillers en immigration sont souvent mal informés quant aux perspectives de carrière. Plusieurs se sont fait dire que leur éducation « ne valait rien » au Canada.</p>
<p>Les médecins formés à l’étranger ont souligné le manque de clarté des informations relatives à la délivrance des licences. Même s’ils s’attendaient à un processus ardu, rien ne les préparait aux difficultés rencontrées.</p>
<p>En dépit des <a href="https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/campagnes/immigration-ca-compte/systeme.html">prétentions du ministère fédéral de l’Immigration quant aux travailleurs qualifiés</a>, un grand nombre doit se contenter <a href="https://www.dovepress.com/ldquobrain-drainrdquo-and-ldquobrain-wasterdquo-experiences-of-interna-peer-reviewed-fulltext-article-RMHP">d’emplois précaires et mal payés</a> sans rapport à leur formation ou à leur expérience.</p>
<h2>Peu de places en résidence</h2>
<p>L’autre obstacle important, contre lequel les <a href="https://vancouversun.com/health/local-health/bc-has-a-doctor-shortage-and-yet-there-are-100s-of-physicians-here-who-arent-allowed-to-practise-medicine">médecins formés à l’étranger font pression</a>, est le nombre limité de postes de résidence ouverts pour eux.</p>
<p>La résidence est une <a href="https://imgbc.med.ubc.ca/">formation postuniversitaire</a> requise pour l’obtention du permis d’exercer. Le Service canadien de jumelage des résidents (CaRMS) <a href="https://journalhosting.ucalgary.ca/index.php/cmej/article/view/71790">divise les candidats entre deux catégories</a> : les diplômés en médecine canadiens et les autres.</p>
<p>Or, seulement <a href="https://www.canadianonpaper.com/">10 % des résidences sont ouvertes aux médecins formés à l’étranger</a>. La plupart concernent des spécialités en manque de candidat, comme la médecine familiale.</p>
<p>Un autre obstacle systémique tient aux contrats que doivent signer ceux qui obtiennent un poste de résident : ils doivent s’engager à pratiquer pendant deux à cinq ans dans une <a href="https://www.canadianonpaper.com/wp-content/uploads/2021/06/Fact-Sheet.pdf">communauté mal desservie</a> (sauf en Alberta et au Québec).</p>
<p>Cette obligation n’existe pas pour les diplômés des écoles de médecine canadiennes.</p>
<p>Tous ces obstacles ont un impact négatif sur la santé mentale et le bien-être des médecins formés à l’étranger.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un médeci, un stéthoscope autour du cou, regarde un téléphone" src="https://images.theconversation.com/files/507492/original/file-20230201-14-qtbg4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/507492/original/file-20230201-14-qtbg4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/507492/original/file-20230201-14-qtbg4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/507492/original/file-20230201-14-qtbg4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/507492/original/file-20230201-14-qtbg4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/507492/original/file-20230201-14-qtbg4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/507492/original/file-20230201-14-qtbg4i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les nombreux obstacles administratifs placés sur le chemin des médecins formés à l’étranger affecter bien souvent leur santé mentale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Unsplash)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Changements à venir</h2>
<p>Certaines provinces ont lancé des initiatives pour corriger ces problèmes. Un projet pilote du Collège des Médecins et Chirurgiens de l’Alberta <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/edmonton/alberta-now-offering-accelerated-licensing-for-internationally-trained-doctors-specialists-1.6717322">visera à lever certaines exigences</a> pour ceux qui arrivent de <a href="https://cpsa.ca/physicians/registration/apply-for-registration/additional-route-to-registration-imgs/">territoires désignés</a>, comme les États-Unis.</p>
<p>En Colombie-Britannique, le programme d’évaluation de la capacité passera de 32 à 96 places. La province leur offrira ce faisant une alternative à la résidence et un <a href="https://www.prabc.ca/">meilleur accès au permis d’exercice</a>.</p>
<p>Ces progrès importants ne règlent pas tous les obstacles systémiques. Si bien que notre système de santé, <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/bc-covid19-hospitalizations-jan-19-1.6320559">malmené</a>, ne peut absolument pas profiter de l’expertise de ces médecins qualifiés.</p>
<p>Le gouvernement fédéral a récemment lancé un <a href="https://www.newswire.ca/fr/news-releases/le-gouvernement-du-canada-lance-un-appel-de-propositions-pour-aider-les-professionnels-formes-a-l-etranger-a-travailler-dans-le-secteur-des-soins-de-sante-au-canada-867332389.html">appel à propositions afin d’y remédier</a>. Un effort significatif sera nécessaire pour intégrer les médecins formés à l’étranger au système de santé.</p>
<h2>Nous proposons de</h2>
<ol>
<li><p>Fournir des informations transparentes et claires sur les exigences requises avant l’immigration.</p></li>
<li><p>Offrir un meilleur soutien en santé mentale à l’arrivée et pendant le processus d’obtention du permis d’exercer.</p></li>
<li><p>Augmenter le nombre de postes de résidence et élargir la liste des spécialités médicales pour les médecins formés à l’étranger.</p></li>
</ol><img src="https://counter.theconversation.com/content/199358/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le Canada met sur la touche des médecins qualifiés alors que de nombreux citoyens n’en ont pas. Voici ce que nous pouvons et devons faire pour améliorer l’intégration des médecins formés à l’étranger.Simran Purewal, Research Associate, Health Sciences, Simon Fraser UniversityEvelyn Encalada Grez, Assistant Professor, Labour Studies, Simon Fraser UniversityPaola Ardiles, Senior Lecturer, Health Sciences, Simon Fraser UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1980242023-01-19T17:54:13Z2023-01-19T17:54:13ZLes vaccins à ARN, une nanotechnologie en plein essor<p>Mardi 17 janvier, Moderna a annoncé avoir obtenu des résultats préliminaires positifs lors d’un essai de phase 3 visant à évaluer l’efficacité, chez les personnes âgées, <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/sante/maladie-enfant/bronchiolite-moderna-annonce-des-resultats-intermediaires-positifs-pour-un-vaccin_168866">d’un vaccin à ARN messager (ARNm) dirigé contre le virus respiratoire syncytial (VRS)</a>, responsable de la bronchiolite.</p>
<p>La pandémie due au coronavirus SARS-CoV-2 avait déjà révélé le formidable potentiel de ce type de vaccins. Développés en quelques mois, ils ont rapidement permis de contenir les vagues successives de Covid-19, et de limiter leurs dégâts.</p>
<p>Au cœur de ce succès se trouve, bien entendu, la molécule d’ARNm. Mais tout le crédit ne lui revient pas : d’autres actrices, moins connues, contribuent largement à l’efficacité de ces vaccins. Il s’agit des nanoparticules lipidiques, qui non seulement « encapsulent » l’ARNm pour le protéger et le transporter, intact, à l’intérieur des cellules, mais exacerbent aussi la réponse immunitaire. Ce qui présente des avantages, mais également certains inconvénients. Explications.</p>
<h2>L’ARN ne fait pas tout</h2>
<p>Alors que les vaccins classiques contenaient des fragments du virus contre lequel on cherchait à « éduquer » le système immunitaire (ou bien ledit virus « inactivé » ou « atténué »), les vaccins à ARNm <a href="https://theconversation.com/comment-fonctionnent-les-vaccins-a-arn-et-a-adn-125267">ne contiennent qu’un « plan de montage »</a> : la molécule d’ARNm. Après injection, celle-ci pénètre dans les cellules où elle sera lue et utilisée pour fabriquer un fragment de virus qui stimulera les défenses immunitaires (l’« antigène », terme désignant un élément reconnu comme étranger par l’organisme). Ainsi « éduqué », le système immunitaire sera prêt à réagir s’il devait, plus tard, croiser le virus lui-même.</p>
<p>Les molécules d’ARNm sont donc centrales dans les vaccins à ARN. Mais seules, elles ne serviraient pas à grand-chose. Très fragiles, elles se dégradent en effet très rapidement, en particulier en présence d’enzymes, très nombreuses dans notre organisme.</p>
<p>Pour les protéger et s’assurer qu’elles arrivent à bon port après injection, les ARNm sont « emballés » dans de minuscules « nanocapsules » lipidiques. Les vaccins à ARN sont donc des « nanovaccins ». Précisons que ces nanoparticules lipidiques <a href="https://www.scientifique-en-chef.gouv.qc.ca/impacts/ddr-les-vaccins-a-arn-contiennent-des-nanoparticules-dangereuses-faux/">n’ont rien à voir avec les nanoparticules toxiques qui font actuellement débat</a>.</p>
<p><a href="https://www.mdpi.com/2076-393X/9/1/65">Les nanoparticules vaccinales sont constituées de quatre éléments essentiels</a> :</p>
<ul>
<li><p>des lipides ionisables, chargés positivement, qui se lient aux charges négatives de l’ARN messager ;</p></li>
<li><p>des phospholipides (des constituants essentiels des membranes cellulaires) ;</p></li>
<li><p>du cholestérol (autre constituant essentiel des membranes cellulaires, en association avec les phospholipides) ;</p></li>
<li><p>des lipides conjugués à des chaînes de polyéthylène glycol, qui stabilisent l’ensemble.</p></li>
</ul>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505210/original/file-20230118-11-a8h93s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505210/original/file-20230118-11-a8h93s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505210/original/file-20230118-11-a8h93s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=684&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505210/original/file-20230118-11-a8h93s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=684&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505210/original/file-20230118-11-a8h93s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=684&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505210/original/file-20230118-11-a8h93s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=859&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505210/original/file-20230118-11-a8h93s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=859&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505210/original/file-20230118-11-a8h93s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=859&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Structure d’une particule lipidique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.mdpi.com/2076-393X/9/1/65">Michael D. Buschmann M. D. et al (2021) « Nanomaterial Delivery Systems for mRNA » -- Vaccines</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>In vivo</em>, les lipides ionisables qui constituent les nanoparticules vaccinales permettent à celles-ci d’entrer dans la cellule en étant internalisées dans des sortes de vésicules appelées endosomes. Une fois dans la cellule, l’ARN est libéré, lu et traduit en protéines. Reconnues étrangères par l’organisme, ces dernières déclenchent la réponse vaccinale.</p>
<p>Les nanoparticules lipidiques protègent donc l’ARN d’une dégradation rapide et assurent sa captation par les cellules au site d’injection. Elles exercent aussi d’autres actions déterminantes pour l’efficacité des vaccins à ARN. Mais elles sont aussi impliquées dans certains de leurs effets indésirables.</p>
<h2>Effet adjuvant et stimulation des réponses immunes</h2>
<p>Comme tout vaccin, les vaccins à ARN doivent stimuler les cellules immunitaires appelées « cellules présentatrices d’antigène » pour qu’une réponse immune efficace se développe.</p>
<p>Dans les vaccins classiques basés sur des protéines antigéniques, cette action de stimulation des cellules présentatrices d’antigène est exercée par un adjuvant présent dans le vaccin. Les vaccins à ARN sont quant à eux dépourvus d’adjuvant, car <a href="https://www.cell.com/immunity/fulltext/S1074-7613(22)00555-6">ce rôle est joué par les lipides chargés positivement</a> qui font partie des nanoparticules.</p>
<p>L’effet adjuvant des nanoparticules lipidiques aboutit à une stimulation robuste des lymphocytes spécifiques de l’antigène dans les ganglions lymphatiques qui drainent le site d’injection. Ces réponses immunes <a href="https://www.cell.com/immunity/fulltext/S1074-7613(21)00490-8">sont plus puissantes que celles obtenues avec les adjuvants classiques</a> et impliquent notamment des cellules immunitaires appelées « lymphocytes T folliculaires », qui orchestrent la production d’anticorps capables de neutraliser le virus avec une très grande efficacité.</p>
<p>Des études menées chez des individus vaccinés ont révélé que ces lymphocytes T folliculaires spécifiques de l’antigène vaccinal <a href="https://www.cell.com/cell/fulltext/S0092-8674(21)01489-6?_returnURL=https%3A%2F%2Flinkinghub.elsevier.com%2Fretrieve%2Fpii%2FS0092867421014896%3Fshowall%3Dtrue">peuvent persister plusieurs mois dans les ganglions d’individus vaccinés</a>.</p>
<p>Les mécanismes précis de l’activité adjuvante des nanoparticules lipidiques n’ont été que partiellement élucidés pour l’instant. On sait qu’ils reposent notamment sur la stimulation de différentes populations de globules blancs, en particulier les cellules dendritiques qui présentent les antigènes aux lymphocytes T, et sur la production d’hormones du système immunitaire nécessaires à l’activation des réponses immunes (cytokines et de chimiokines).</p>
<p>Ces messagers chimiques entraînent en parallèle une réaction inflammatoire à l’origine d’effets indésirables, qui définissent la <a href="https://www.academie-medecine.fr/le-dictionnaire/index.php?q=r%C3%A9actog%C3%A9nicit%C3%A9">réactogénicité</a> du vaccin, autrement dit sa propension à produire des réactions adverses, le plus souvent bénignes et transitoires.</p>
<h2>Effets indésirables avérés et supposés</h2>
<p>La <a href="https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/nejmoa2034577">réactogénicité des vaccins à ARN</a> se traduit par des symptômes tels que douleur au site d’injection, fièvre, maux de tête, fatigue. Ils surviennent fréquemment, mais disparaissent en quelques jours.</p>
<p>Des travaux récents suggèrent que le polyéthylène glycol pourrait engendrer une réactogénicité plus importante, qui surviendrait chez des individus sensibilisés par une exposition préalable à ce composant via certains produits pharmaceutiques ou cosmétiques. Cependant, le <a href="https://www.nature.com/articles/s41565-021-01001-3">rôle du polyéthylène glycol dans de rares réactions allergiques graves est controversé</a>.</p>
<p>Il arrive aussi que la réaction inflammatoire au vaccin gagne les ganglions des aisselles et du cou qui drainent le site d’injection des vaccins à ARN messager. Ils sont alors le siège d’un gonflement perceptible et parfois gênant. Ce phénomène, très vraisemblablement attribuable aux nanoparticules lipidiques s’observe le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2468294222000375?via%3Dihub">plus fréquemment après la deuxième dose du vaccin Moderna</a>.</p>
<p>Dans la très grande majorité des cas, le gonflement disparaît en quelques jours. Lorsqu’il persiste plus de deux semaines, des examens complémentaires sont indispensables pour ne pas retarder le diagnostic <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fmed.2022.963393/full">d’une pathologie maligne préexistante</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/securite-des-vaccins-anti-sars-cov-2-pourquoi-il-ne-faut-pas-relacher-la-vigilance-172641">Sécurité des vaccins anti-SARS-CoV-2 : pourquoi il ne faut pas relâcher la vigilance</a>
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</p>
<hr>
<p>Enfin, la myocardite-post-vaccinale est une complication très rare des vaccins ARN anti-Covid-19, reconnue par les autorités réglementaires. <a href="https://www.thelancet.com/journals/lanres/article/PIIS2213-2600(22)00059-5/fulltext">Son pronostic est heureusement favorable, avec une guérison rapide dans la majorité des cas</a>. Si l’implication des nanoparticules lipidiques n’a pas été démontrée, elle est plausible. En effet, ces myocardites font intervenir une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s00392-022-02129-5">importante réaction inflammatoire et une infiltration du cœur par des lymphocytes T</a>. Il pourrait en être de même dans les <a href="https://www.journal-of-hepatology.eu/article/S0168-8278(22)00234-3/fulltext">quelques cas d’hépatite rapportés après vaccination</a>.</p>
<h2>Aux confins de la nanomédecine et de l’immunologie</h2>
<p>Les vaccins à ARN présentent de nombreux avantages. Ils peuvent être développés très rapidement et produits en masse dès que l’on a déterminé la séquence génétique permettant de produire l’antigène qu’ils contiennent. C’est ainsi que les nouveaux vaccins anti-Covid-19 dirigés contre des sous-variants du variant Omicron ont pu être rendus disponibles en quelques mois seulement.</p>
<p>Autre avantage : un même vaccin peut contenir plusieurs ARNs protégeant contre différents virus ou variants viraux. Ainsi, une équipe américaine vient de produire un vaccin contenant les ARNs codants pour 20 variants de l’hémagglutinine du virus influenza (la protéine qui lui permet de s’arrimer aux cellules qu’il infecte), <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.abm0271">ouvrant la voie vers un vaccin antigrippe universel</a>. Pour prévenir les infections respiratoires les plus fréquentes, un <a href="https://www.pharmacytimes.com/view/combination-flu-Covid-19-rsv-mrna-vaccine-could-change-immunizations-landscape">vaccin ARN qui protège simultanément contre le Covid-19, la grippe et le VRS</a> est aussi en développement.</p>
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<p>La capacité des vaccins ARN à induire des <a href="https://www.annualreviews.org/doi/abs/10.1146/annurev-med-042420-112725">réponses immunitaires puissantes</a> constitue un autre atout majeur. Cela permet d’envisager leur utilisation pour le contrôle de virus qui n’ont pu être maîtrisés par des vaccins traditionnels, comme le VIH et le cytomégalovirus. Pour cette même raison, les scientifiques espèrent qu’ils permettront aussi des avancées majeures dans la lutte contre le cancer. Des résultats très prometteurs <a href="https://www.merck.com/news/moderna-and-merck-announce-mrna-4157-v940-an-investigational-personalized-mrna-cancer-vaccine-in-combination-with-keytruda-pembrolizumab-met-primary-efficacy-endpoint-in-phase-2b-keynote-94/">contre le mélanome malin avancé ont d’ailleurs déjà été rendus publics</a>.</p>
<p>Les vaccins ARN anti-Covid ont donc ouvert une nouvelle ère en vaccinologie, celle des « nanovaccins ». Leur optimisation implique de nouvelles recherches, aux confins de la nanomédecine et de l’immunologie. Les vaccins déployés durant la pandémie de Covid-19 présentaient une balance bénéfice-risque indubitablement positive. Les futurs vaccins à ARN devront quant à eux continuer à faire l’objet d’une surveillance attentive, afin d’identifier les patients à risque de développer des réactions indésirables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198024/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Goldman est membre des conseils d'administration de la Tuberculosis Vaccine Initiative et de Friends of the Global Fund Europe. Il représente la Fédération Européenne des Académies de Médecine au Civil Society Forum de l'agence européenne HERA. Il a fondé l'Institut d'Immunologie Médicale de l'Université libre de Bruxelles en partenariat avec GlaxoSmithKline et a été directeur exécutif de l'Innovative Medicines Initiative. Il est membre de l'Advisory Board d'AstraZeneca sur les anticorps monoclonaux.</span></em></p>Les vaccins à ARN ont permis de rapidement modifier le cours de la pandémie de Covid-19. Leur efficacité est due non seulement à la molécule d’ARN, mais aussi aux nanocapsules qui la protègent.Michel Goldman, Président de l'institut I3h, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1961922023-01-04T14:17:03Z2023-01-04T14:17:03ZGreffe de matières fécales : on vous explique ce que c’est et à quoi ça sert<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/499655/original/file-20221207-12-cn92lf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C2%2C991%2C663&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La greffe de matières fécales consiste ni plus ni moins à remplacer le microbiote intestinal d'un receveur malade par du matériel fécal provenant d'un donneur sain. </span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Le corps humain abrite une variété considérable de microorganismes. Un grand nombre de bactéries, de champignons, de virus interagissent entre eux et avec notre organisme, coexistant sur les surfaces humaines et dans <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7043356/">toutes les cavités du corps</a>. Cette communauté microbienne complexe est appelée le microbiote. Et ce dernier joue un rôle essentiel dans les fonctions physiologiques globales et la santé de chaque individu.</p>
<p>Plus de 98 % des microorganismes présents chez l’humain résident dans le tractus gastro-intestinal. C’est ce qu’on appelle le microbiote intestinal. Si on le mettait sur une balance, il pèserait environ <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30567928/">2 kilogrammes</a>, soit presque le poids d’un organe. Le microbiote intestinal est impliqué dans la digestion des aliments, la régulation de la fonction des hormones intestinales et la signalisation neurologique. Il joue également un rôle dans la modification de l’action et du métabolisme des médicaments, l’élimination des toxines et la production de nombreux composés qui influencent l’hôte.</p>
<p>Chaque individu possède un microbiote intestinal qui lui est propre et qui est relativement stable et résilient dans le temps. Sa composition est influencée par le type d’accouchement (par voie vaginale ou par césarienne), le régime alimentaire du nourrisson, le mode de vie et les gènes.</p>
<p>Toutefois, certains facteurs environnementaux peuvent modifier sa composition au fil du temps. On parle par exemple de la consommation de probiotiques et de prébiotiques, du régime alimentaire, des infections virales et de la prise de médicaments (notamment les antibiotiques).</p>
<h2>Lorsque l’équilibre est perturbé, les problèmes commencent</h2>
<p>Lorsque le microbiote intestinal est perturbé ou que sa composition est inadéquate, une <a href="https://cdhf.ca/fr/dysbiose-et-syndrome-du-colon-irritable-sci/">dysbiose</a> se produit, entraînant des infections et des <a href="https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMra1600266">troubles métaboliques courants</a>. On parle notamment de l’obésité, du diabète de type 2, des maladies hépatiques non alcooliques et des maladies cardiovasculaires.</p>
<p>En réponse aux problèmes liés à la dysbiose intestinale, la <a href="https://crohnetcolite.ca/A-propos-de-ces-maladies/Parcours-de-la-MII/Traitement-et-medicaments/Greffedematierefecale">greffe de matières fécales</a> s’est avérée être une stratégie thérapeutique prometteuse. Elle consiste ni plus ni moins à remplacer le microbiote intestinal d’un receveur malade par du matériel fécal provenant d’un donneur sain.</p>
<p>L’ère moderne des études sur la greffe de matières fécales a débuté en 1958. Cette année-là, pour la première fois dans la littérature scientifique, on mentionnait son caractère prometteur. Le chirurgien américain Ben Eisman discutait du cas de quatre patients souffrant de diarrhée associée à des antibiotiques et dont l’état s’est rapidement amélioré à la suite de l’utilisation de lavements <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/13592638/">avec des matières fécales provenant d’un donneur sélectionné</a>.</p>
<p>Cette technique est particulièrement efficace pour traiter les infections récurrentes dues à la <a href="https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/maladies-infectieuses/fiche-renseignements-clostridium-difficile-difficile.html">bactérie <em>Clostridium difficile</em></a>, la fameuse <em>C. difficile</em>, lorsque les antibiotiques se sont révélés inefficaces. Ce microorganisme provoque une inflammation du côlon et des diarrhées mortelles – et son impact sur la santé publique est estimé très important.</p>
<p>Des données récentes indiquent qu’aux États-Unis, l’infection récurrente par la bactérie <em>Clostridium difficile</em> est à l’origine de <a href="https://www.cdc.gov/cdiff/what-is.html">près d’un demi-million d’infections</a> et de quelque 30 000 décès chaque année. Aux unités soins intensifs, elle entraîne des coûts annuels de soins de santé de <a href="https://bmcinfectdis.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12879-022-07594-x">4,8 milliards de dollars</a>.</p>
<h2>La greffe de matière fécale, étape par étape</h2>
<p>Lors d’une greffe de matières fécales, ces dernières doivent être traitées et préparées avant d’être transplantées chez le patient receveur. La méthode peut varier. Mais, en général, on recueille 100 à 150 grammes de matières fécales, auxquelles on ajoute une solution saline stérile pour une homogénéisation préliminaire afin d’obtenir une suspension fécale.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/WNQB8ujKoP4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La matière fécale peut être utilisée pour guérir des infections de la flore intestinale.</span></figcaption>
</figure>
<p>Les plus grosses particules, les fibres et les aliments non digérés sont ensuite éliminés par filtration à l’aide d’un tamis métallique. L’échantillon fécal frais liquide homogène peut être <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32326509/">transféré dans des seringues stériles</a>.</p>
<p>Récemment, la Food and Drug Administration (FDA) américaine a franchi une nouvelle étape en approuvant <a href="https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT03244644?term=NCT03244644&draw=2&rank=1">Rebyota</a>, le premier produit à base de microbiote fécal. Il est préparé à partir de fèces qui sont préalablement testées afin d’exclure une panoplie d’agents pathogènes transmissibles. Il est approuvé pour prévenir les infections récurrentes à <em>Clostridium difficile</em> chez les personnes de plus de 18 ans après l’échec d’une antibiothérapie, et est administré par voie rectale en une seule dose.</p>
<h2>La prudence avant tout</h2>
<p>Le traitement n’est pas sans risque. Comme il est fabriqué à partir de matières fécales humaines, il peut comporter un risque de transmission d’agents infectieux. En outre, le Rebyota peut contenir des allergènes alimentaires.</p>
<p>La greffe de matières fécales a démontré un taux remarquablement faible d’effets indésirables graves. Les essais cliniques suggèrent également qu’il s’agit d’une option thérapeutique efficace pour le traitement du <em>Clostridium difficile</em> et d’autres affections, telles que la colite ulcéreuse. Mais le transfert de microorganismes vivants de donneurs sains à des patients malades comporte des risques inhérents. On parle, par exemple, de la transplantation de bactéries multirésistantes qui peuvent entraîner de graves problèmes de santé, voire la mort du receveur.</p>
<p>À l’heure actuelle, il importe d’identifier les méthodes de traitement optimales et de définir les facteurs de risque. De cette manière, la greffe de matières fécales pourra être administrée de la manière la plus fiable possible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196192/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raúl Rivas González ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le transfert de microorganismes vivants de donneurs sains à des patients malades comporte certains risques.Raúl Rivas González, Catedrático de Microbiología, Universidad de SalamancaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1923602023-01-03T20:09:53Z2023-01-03T20:09:53ZLa disparition progressive des femmes médecins du Moyen Âge, une histoire oubliée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/499582/original/file-20221207-8673-qwv7pb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C343%2C1588%2C925&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'école de médecine de Salerne telle qu'elle apparaît dans une miniature du Canon d'Avicenne. L'image représente l'histoire légendaire de Robert, duc de Normandie. Mortellement blessé par une flèche, il fut héroïquement sauvé par sa femme qui aspira le poison comme l'avaient prescrit les médecins de Salerne.</span> <span class="attribution"><span class="source">Wikipédia</span></span></figcaption></figure><p>La plupart des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/la-chasse-aux-sorcieres-n-est-pas-le-fait-du-moyen-age-3679491">« sorcières »</a> persécutées en Europe à partir du XV<sup>e</sup> siècle étaient en réalité des sages-femmes et des guérisseuses, héritières d’une longue tradition d’exercice laïc de la médecine, plus pragmatique que théorique.</p>
<p>Mais pour <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27464406">raconter l’histoire</a> de ces expertes (avant qu’elles soient totalement évincées), les chercheurs se heurtent à plusieurs obstacles : les informations sont peu nombreuses et disparates, fragmentées en de nombreuses sources très différentes ; sources biographiques, par exemple, mais aussi sources économiques, judiciaires, administratives. Quelquefois ne subsistent que des prénoms ou des noms, comme ceux des femmes inscrits à l’<em>Ars Medicina</em> de Florence (un traité médical), ou celui de la religieuse apothicaire Giovanna Ginori, inscrite sur les registres fiscaux de la pharmacie dans laquelle elle travaillait pendant les années 1560.</p>
<p>Ces recherches permettent néanmoins de mieux comprendre comment les femmes ont peu à peu été exclues de la médecine, de sa pratique et de ses études, de par un système institutionnel et hiérarchique totalement dominé par les hommes.</p>
<h2>La Scola Salernitana</h2>
<p>Il faut d’abord évoquer la plus célèbre École de Médecine active au début du Moyen Âge, celle de Salerne, la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_m%C3%A9decine_de_Salerne">Scola Salernitana</a>. Elle comptait dans ses rangs plusieurs femmes médecins : <a href="https://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/biographies/?refbiogr=8138">Trota</a> (ou Trotula), pionnière de la gynécologie et chirurgienne, Costanza Calenda, Abella di Castellomata, Francesca di Romano, Toppi Salernitana, Rebecca Guarna et Mercuriade, <a href="https://www.treccani.it/enciclopedia/scuola-medica-salernitana_%28Federiciana%29/">qui sont assez connues</a> et aussi celles qu’on nommait les <em>mulieres salernitanae</em>.</p>
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<p>Contrairement aux femmes médecins de l’École, les <em>mulieres</em> travaillaient à un niveau plus empirique. Leurs remèdes étaient examinés par les médecins de l’École, qui décidaient ou non de les accepter, comme en témoignent le manuel <a href="https://ilpalazzodisichelgaita.wordpress.com/2016/09/30/scuola-medica-salernitana-istruzioni-per-luso-pubblicata-la-practica-brevis-di-giovanni-plateario/"><em>Practica Brevis</em></a> de <a href="https://www.treccani.it/enciclopedia/plateario_(Dizionario-Biografico)/">Giovanni Plateario</a> et les écrits de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23610222/">Bernard de Gordon</a>. A Salerne se croisaient savants chrétiens, juifs et musulmans ; différentes cultures y cohabitaient, faisant de l’École un lieu exceptionnel, vivier de rencontres et d’influences scientifiques.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/499594/original/file-20221207-4221-c4okzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/499594/original/file-20221207-4221-c4okzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=843&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/499594/original/file-20221207-4221-c4okzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=843&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/499594/original/file-20221207-4221-c4okzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=843&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/499594/original/file-20221207-4221-c4okzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1059&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/499594/original/file-20221207-4221-c4okzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1059&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/499594/original/file-20221207-4221-c4okzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1059&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un médecin femme, peut-être Trotula de Salerne, tenant un flacon d’urine. Miscellanea medica XVIII, Folio 65 recto (=33 recto), début du XIVᵉ siècle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_m%C3%A9decine_de_Salerne">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des femmes accusées d’exercer illégalement</h2>
<p>Cependant, dès 1220, la situation se complique car nul ne peut plus exercer la médecine s’il n’est pas diplômé de <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8539706t/f60.item">l’Université de Paris</a> ou s’il n’a pas obtenu l’accord des médecins et du chancelier de l’Université, sous peine d’excommunication. Citons l’exemple de Jacoba Felicie de Alemannia. Selon un document produit par l’Université de Paris en 1322, elle traitait ses patients sans connaître « vraiment » la médecine (c’est-à-dire sans avoir reçu d’enseignement universitaire) et était passible d’excommunication ; elle devait par conséquent payer une amende. Les actes du litige décrivent le déroulement d’un examen médical prodigué par cette femme : on apprend qu'elle analysait visuellement l’urine, prenait les pouls, palpait les membres du malade, et qu’elle soignait des hommes. C’est l’un des rares témoignages qui mentionne le fait que les femmes soignaient aussi des hommes.</p>
<p>Le procès de la jeune médecin a lieu pendant une période où l’on dénonçait et condamnait celles et ceux qui n’étaient pas diplômés de l’université. Avant elle, Clarice de Rouen avait été excommuniée pour l’exercice de la profession de médecin pour la même raison – avoir soigné des hommes – tandis que d’autres femmes expertes en médecine furent à nouveau condamnées en 1322 : Jeanne la converse de Saint-Médicis, Marguerite d’Ypres et la juive Belota.</p>
<p>En 1330, les rabbins de Paris sont également accusés d’exercer illégalement l’art de la médecine, ainsi que quelques autres « guérisseurs » qui se faisaient passer pour des experts sans l’être (selon les autorités) : on les taxait d'imposture, même s'ils étaient compétents. En 1325, le pape Jean XXII, opportunément sollicité par les professeurs de l’Université de Paris après l’affaire Clarice, s’adresse à l’évêque de Paris Stephen en lui ordonnant d’interdire aux ignorantes de la médecine et aux sages-femmes l’exercice de la médecine à Paris et dans les environs, en insistant sur le fait que ces femmes pratiquaient des sortilèges.</p>
<h2>La formalisation des études</h2>
<p>L’interdiction progressive de la pratique de la médecine pour le genre féminin a lieu parallèlement à la formalisation du canon des études, le début de contrôle minutieux par les hiérarchies d’enseignants et par les corporations, marginalisant toujours plus les femmes médecins.</p>
<p>Elles continuent pourtant d’exister et d’exercer – parmi les italiennes on connaît les Florentines Monna Neccia, mentionnée <a href="https://archiviodistatofirenze.cultura.gov.it/asfi/fileadmin/risorse/allegati_inventari_on_line/N91_Estimo.pdf">dans un registre fiscal, l’Estimo</a> de 1359, Monna Iacopa, qui a soigné les pestiférés en 1374, les dix femmes inscrites à la corporation des médecins de Florence – l’Arte dei Medici e degli Speziali – entre 1320 et 1444, ou les Siennoises Agnese et Mita, payées par la Ville pour leurs services en 1390, par exemple.</p>
<p>Toutefois, pratiquer la médecine devient très risqué pour elles, les soupçons de sorcellerie se faisant de plus en plus pesants.</p>
<p>Malheureusement, les sources officielles manquent de données au sujet des femmes médecins, car elles exerçaient dans une société dans laquelle seuls les hommes accédaient aux plus hautes fonctions.</p>
<p>Malgré tout, le cadre historique que l’on peut reconstituer montre l’existence non seulement de femmes qui étaient expertes et pratiquaient l’art de la médecine, mais aussi de femmes médecins qui ont étudié, souvent à titre non officiel – la plupart étaient instruites par leur père, leur frère ou leur mari.</p>
<h2>Les femmes médecins dans les sources littéraires</h2>
<p>Les sources non institutionnelles, comme les textes littéraires, sont très précieuses. Par exemple, Bocacce évoque une femme médecin dans le <em>Decameron</em>. Le narrateur, Dioneo, parle d’une certaine Giletta di Nerbona, une femme médecin intelligente qui parvint à épouser l’homme qu’elle aimait – Beltramo da Rossiglione – en récompense d’avoir guéri le roi de France d’une fistule à la poitrine. Boccacce fait dire à Giletta, qui perçoit bien le manque de confiance du souverain en elle, en tant que femme et jeune femme :</p>
<blockquote>
<p>« Je vous rappelle que je ne suis pas médecin grâce à ma science, mais avec l’aide de Dieu et grâce à la science de Maître Gerardo Nerbonese, qui fut mon père et un célèbre médecin de son vivant ».</p>
</blockquote>
<p>Boccace nous présente donc une femme experte en médecine d’une manière simple et naturelle : c’est peut-être un signe du fait qu’il se référait à des situations plus communes et connues par son public de lecteurs qu’on ne le croit généralement. Ce que dit Giletta au reflète une réalité de l'époque pour les femmes qui pratiquaient la médecine : ce qu’elle sait, elle l'a appris de son père.</p>
<p>Il existe en particulier beaucoup de données concernant les femmes médecins juives, actives en particulier dans le Sud de l’Italie et en Sicile, qui apprenaient l’art médical dans leur familles.</p>
<p>L’Université de Paris a joué un rôle très important dans le processus historique de normalisation et d’institutionnalisation de la profession médicale. Dans son article <a href="https://www.utpjournals.press/doi/abs/10.3138/cbmh.13.1.3">« Les femmes et les pratiques de la santé dans le Registre des plaidoiries du Parlement de Paris, 1364–1427 »</a>, Geneviève Dumas a bien montré l’importance des sources judiciaires parisiennes du XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècle, parce qu’on y trouve la <a href="https://journals.openedition.org/medievales/7977">mémoire des femmes</a> qui ont été condamnées pour avoir pratiqué illicitement la médecine ou la chirurgie. Dumas a publié deux procès : celui qui a été mené contre Perette la Pétone, chirurgienne, et contre Jeanne Pouquelin, barbier (les barbiers étaient aussi autorisés à pratiquer certains actes de chirurgie).</p>
<p>Tandis que l’enseignement de la médecine à l’Université de Paris devenait la seule formation valable en Europe et que l’École de Salerne perdait en influence, les femmes ont été peu à peu exclues de ces professions.</p>
<p>La disparition progressive des femmes médecins est à mettre en relation avec les interdictions ecclésiastiques, mais aussi avec la professionnalisation progressive de la médecine et avec la création d’institutions de plus en plus strictes telle que les Universités, les Arts et les Guildes, fondées et contrôlées par des hommes.</p>
<p>En Europe, il faudra attendre le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle pour que les premières femmes médecins diplômées <a href="https://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/presentations/entree-femmes-en-medecine.php">puissent exercer</a>, non sans essuyer de vives critiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192360/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabella Gagliardi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les femmes ont peu à peu été exclues de la médecine, de sa pratique et de ses études, par un système institutionnel et hiérarchique totalement dominé par les hommes.Isabella Gagliardi, Professeur Associé d’Histoire du christianisme, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1925402022-11-21T19:25:57Z2022-11-21T19:25:57ZTroubles mentaux : quand la stigmatisation d’aujourd’hui reflète les conceptions d’hier<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/490394/original/file-20221018-8262-hh0fi5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C117%2C859%2C563&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le regard très normé que pose la société sur les personnes « différentes » reste très stigmatisant (œuvre brute d'August Natterer, ayant une schizophrénie, début XXe siècle).</span> <span class="attribution"><span class="source">August Natterer/Wikipedia</span></span></figcaption></figure><p>Aujourd’hui, selon l’Organisation mondiale de la santé, un trouble mental se caractérise par une <a href="https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mental-disorders">altération significative de l’état d’une personne sur un plan qui peut être cognitif, émotionnel et/ou comportemental</a>. Il s’accompagne généralement d’un sentiment de détresse, de souffrance psychique et de difficultés dans la gestion du quotidien qui peut toucher les sphères relationnelles, professionnelles, personnelles, sociales, etc.</p>
<p>Objets d’intérêt de la médecine, les troubles mentaux sont aussi un champ d’intérêt public et sociétal, et les personnes concernées sont <a href="https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/etude_sante_mentale_institut_montaigne.pdf">trop souvent (et encore) stigmatisées</a>. Bien sûr, d’autres personnes ayant une maladie ont eu à faire face au poids du regard : les personnes atteintes de cancer ou de certains virus tels le Sida ont connu des périodes marquées par la peur et la mise à l’écart. Pour autant, les troubles mentaux restent un modèle de longévité en matière de stigmatisation…</p>
<p>La stigmatisation est le processus par lequel un attribut, socialement ou culturellement dévalorisé et discréditant, est appliqué à un individu ou un groupe d’individus par un autre groupe. Ce dernier se distinguant du groupe marqué – il y a les « nous » et les « eux », <a href="https://www.simonandschuster.com/books/Stigma/Erving-Goffman/9780671622442">généralement réduits à ce seul signe considéré comme distinctif</a>, ainsi que le soulignait déjà en 1963 le sociologue précurseur Erwin Goffman.</p>
<p>D’où proviendrait cette si longue discrimination ?</p>
<p>Une rapide traversée de l’histoire française des troubles mentaux suffit à comprendre à quel point des représentations, parfois millénaires, imprègnent encore nos conceptions « modernes ». Une brève rétrospective sur cet héritage apparaît comme un préalable à tout chantier visant à diminuer cette stigmatisation.</p>
<h2>Expliquer « la folie » à travers l’histoire</h2>
<p>Au cours de l’Antiquité grecque, Hippocrate (460-370 av. J.- C.), « père de la médecine » occidentale, et ses continuateurs développent la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/quand-la-medecine-reposait-sur-la-theorie-des-humeurs-du-medecin-antique-hippocrate-8289260">« théorie des humeurs »</a> pour expliquer les maladies.</p>
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<img alt="Le dessin montre les quatre humeurs : flegmatique, sanguin, etc." src="https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La théorie des quatre humeurs d’Hippocrate va marquer la conception de la santé, et de la santé mentale notamment, pendant plus de deux mille ans (gravure, XVIᵉ s.).</span>
<span class="attribution"><span class="source">« Quinta Essentia », de Leonhart Thurneisser</span></span>
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<p>Quatre substances (les humeurs), chacune liée à un élément et une qualité, auraient composé notre corps : la bile noire (liée à la terre, sèche et froide), la bile jaune (feu, sèche et chaude), le sang (air, humide et chaud) et la lymphe (eau, humide et froide). En chacun de nous dominerait l’une ou l’autre de ces humeurs – soit, d’une certaine façon, une première tentative de modélisation de la notion des tempéraments. Tout déséquilibre aurait provoqué un état de maladie, physique ou mentale.</p>
<p>L’imprégnation de cette conception, qui va rester en vigueur jusqu’au Moyen Âge, est telle qu’elle est encore perceptible de nos jours, deux mille ans plus tard. Lorsque nous associons un type de personnalité et un trouble mental, comme le pessimisme et la dépression par exemple, nous perpétuons ainsi à notre insu cette théorie aujourd’hui reconnue infondée.</p>
<p>Au Moyen Âge, d’autres types d’explication du trouble mental viennent s’ajouter. La conception religieuse sera la plus développée : selon saint Thomas d’Aquin, les personnes seraient comme sous l’emprise du démon qui les dépossède de leur raison, ce qui leur vaudrait l’attribut de « fou ». <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Histoire-de-la-folie-a-l-age-classique">Ils sont alors plutôt considérés comme étant du ressort de l’Église</a>. De nos jours, le qualificatif de « possédé » est encore employé par certains pour qualifier une personne au comportement considéré comme étrange ou rapportant des idées dites délirantes (hors réalité).</p>
<p>Le discours théologique s’empare notamment de la mélancolie. Déjà décrite par Aristote, elle était alors un apanage des êtres d’exception ; désormais, elle « attire le diable et le retient ». On parle de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-psychotherapies-2013-2-page-71.htm">acédie de certains moines</a>, qui tombent dans un état de profonde oisiveté et de désespoir. Le traitement est « priez et travaillez »…</p>
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<img alt="Tableau où différents personnages (moines, etc.) sont installés autour d’une table sur une petite barque avec un arbre" src="https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1119&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1119&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1119&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1407&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1407&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1407&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le fou, qui agit hors des cadres sociaux, fascine et inquiète notamment au Moyen Âge (Nef des fous, J. Bosch, XVᵉ s.).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Louvre</span></span>
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<p>Sans explication satisfaisante, le « fou », tel qu’on le nomme, dérange autant qu’il fascine si bien que la <a href="https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1977_num_98_392_2537">société médiévale hésite sur la façon de le considérer</a>.</p>
<p>Traité différemment sur le plan juridique, social ou relationnel, ses biens peuvent être gérés par ses proches, son droit au mariage limité ; il est également pénalement irresponsable. Parfois paria, il peut, à l’inverse, aussi être considéré comme celui qui a une liberté de parole, capable de crier ce que les autres taisent…</p>
<p>De plus, sans prise en charge adaptée, les manifestations des troubles mentaux pouvaient être aiguës et spectaculaires ce qui a, là encore, marqué durablement nos représentations collectives. Ne dit-on pas à un enfant qui s’agite ou à quiconque agit hors des normes sociales en vigueur : « Arrête de faire le fou » ?</p>
<h2>Vers une (lente) rationalisation</h2>
<p>L’explication psychologique des troubles mentaux émerge dès le XII<sup>e</sup> siècle, alors que certains savants proposent que les « passions de l’âme » puissent rendre « fou ». Il existe des écrits sur les causes (étiologie), l’expression, les mécanismes et l’évolution des troubles mentaux ; pourtant, la psychopathologie en tant que discipline (du grec <em>psukhê</em>, âme, et <em>pathos</em>, maladie, soit la « science de la souffrance psychique ») mettra encore plusieurs siècles à s’imposer…</p>
<p>Le discours médical commence à prendre de l’ampleur au XVII<sup>e</sup> siècle, alors que la perception de certains « états d’âme » est toujours très associée aux artistes, caractérisant ainsi nombreux peintres et écrivains. Cette association entre folie et créativité a traversé le temps et persiste dans les représentations actuelles (on parle de « l’artiste tourmenté », de « folie créative »…).</p>
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<p>Les connaissances médicales explosent toutefois, et les troubles mentaux deviennent des affections à soigner : on les étudie, on les inventorie, on les catégorise. Ainsi en 1798, le réputé <a href="https://blogs.univ-jfc.fr/vphn/figures-et-evenements/philippe-pinel-et-la-naissance-de-la-psychiatrie-2018/">aliéniste Philippe Pinel</a> publie sa <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k85084p">« Nosographie philosophique ou méthode de l’analyse appliquée à la médecine »</a>. Refusant à ce stade le questionnement étiologique (sur les causes), il s’exerce à classer les personnes, nommées cette fois les « aliénés », en recherchant des caractères distinctifs extérieurs pour tenter d’identifier différentes variétés de « folie » (hypochondrie, mélancolie, manie et hystérie).</p>
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<img alt="Pinel se tient debout au milieu des « fous » dans la cour de l’hôpital, qui le remercie" src="https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« [Philippe] Pinel, médecin en chef de la Salpêtrière, délivrant les aliénés de leurs chaînes en 1795 » (tableau de 1876).</span>
<span class="attribution"><span class="source">hôpital de la Pitié-Salpétrière</span></span>
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<p>Par sa méthode analytique et ses observations, Pinel a posé les premières pierres de ce qui serait l’étude scientifique des troubles mentaux et leur classification. Il faut attendre encore un siècle, en 1883, pour que soit publié le « Traité de psychiatrie » du psychiatre Emil Kraepelin. Dans sa classification des troubles mentaux, le fondateur de la psychiatrie scientifique moderne décrit la <em>dementia praecox</em> au côté de la psychose maniaco-dépressive – une entité clinique à part entière.</p>
<p>Si aujourd’hui la psychiatrie est bien reconnue comme une spécialité médicale, son lourd passé stigmatisant se traduit encore aujourd’hui par sa mise à l’écart du reste de la médecine. En France, de nombreuses villes ont d’ailleurs des centres hospitaliers psychiatriques qui ne sont pas intégrés au sein des centres hospitaliers dits généraux ou « somatiques ».</p>
<h2>De la « folie » à la « maladie »</h2>
<p>Alors que le « fou » ou « aliéné » devient un « malade », on va, à partir du XIX<sup>e</sup> siècle, le prendre en charge en asile psychiatrique.</p>
<p>Interné, isolé, l’aliéné est alors physiquement mis à l’écart de la société où persiste l’idée d’incurabilité. Il y est visité par les professionnels <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1037/a0014200">comme on visite un zoo</a>.</p>
<p>Les pratiques mises en place vont ici encore laisser des traces dans nos représentations par leur violence et les conséquences sur les personnes concernées, telles la lobotomisation (retrait d’une partie du cerveau) ou la contention forcée. « Se faire lobotomiser« et « être fou à lier » sont deux expressions communes issues de ces pratiques. Durant cette période asilaire (qui s’est étirée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale), des progrès médicaux sont certes réalisés, mais souvent au prix d’atteinte à l’éthique et aux personnes derrière les troubles.</p>
<p>Toutefois, les malades, considérés sous le prisme de la conception médicale, ont désormais des droits. La <a href="https://www.cnle.gouv.fr/le-XIXe-si%C3%A8cle-la-loi-de-1838-et-l.html">loi de 1838</a> stipule par exemple que leur admission en asile doit se faire sur certificat médical, et qu’ils doivent recevoir des soins – la possibilité de guérison, et donc de sortie, est également mentionnée.</p>
<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19766718/">Jean-Martin Charcot et Guillaume Duchenne</a> fondent la neurologie (étude des atteintes du système nerveux) et proposent de nouvelles formes de thérapie, fondée sur l’hypnose, l’électricité, etc. Ainsi, certaines de ces méthodes, par exemple les électrochocs, viennent colorer nos représentations de la psychiatrie. Pourtant ces pratiques d’hier ne reflètent plus celles d’aujourd’hui. L’<a href="https://www.cambridge.org/core/journals/the-british-journal-of-psychiatry/article/electroconvulsive-therapy-for-depression-80-years-of-progress/EA419A2EDF02EB803D8417B437779060">électroconvulsivothérapie</a> (ECT ou sismothérapie, induction de convulsions par l’électricité chez le malade) souffre nettement de ce lourd héritage.</p>
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<img alt="Leçon clinique de Jean-Martin Charcot à la Pitié-Salpêtrière, qui tient une jeune femme sous hypnose" src="https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le XIXᵉ siècle voit émerger de nouvelles formes de thérapie, comme l’hypnose, notamment promue par le neurologue Jean-Martin Charcot (ici, lors d’une séance à la Salpêtrière).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Université Paris Descartes</span></span>
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<p>Le poids de l’histoire des prises en charge des maladies mentales pèse encore aujourd’hui. Les services d’urgences psychiatriques accueillent toujours des personnes en état de détresse importante, n’ayant pas consulté auparavant par <a href="https://theconversation.com/les-soins-psychiatriques-sans-consentement-quels-enjeux-en-france-185943">peur d’être « internées »</a>… Beaucoup craignent d’être attachées physiquement, « assommées » chimiquement voire enfermées. La démarche de consulter un professionnel de santé mentale est donc lourde et associée à de nombreux freins.</p>
<p>Le difficile recours aux soins en santé mentale est un problème de santé publique. D’où l’importance de partager l’évolution des connaissances concernant la santé mentale au plus grand nombre – et de modifier les pratiques de soin et d’accompagnement des personnes en accord avec ces évolutions.</p>
<h2>Vers un retour dans la société ?</h2>
<p>Les traitements médicamenteux continuent d’évoluer et prouvent leur efficacité pour modifier, diminuer voire supprimer certaines manifestations des troubles (ou symptômes). Pour exemple, l’arrivée des neuroleptiques ou antipsychotiques de nouvelle génération vers 1950 a pu participer à améliorer l’état de santé psychique des personnes atteintes de schizophrénies, de manies ou de crises suicidaires. Des effets secondaires persistent néanmoins, souvent lourds mais de plus en plus pris en compte par les professionnels de santé mentale.</p>
<p>Les manifestations externes (et internes) des troubles amoindries, on assiste à un vaste mouvement de désinstitutionnalisation poussant à réintégrer les personnes concernées dans la société, en tant que citoyen à part entière. En atteste le développement des centres médico-psychologiques et d’hôpitaux de jour permettant de réduire les durées d’hospitalisation et d’inscrire la question de la santé mentale dans la cité.</p>
<p>Le risque serait de tomber dans l’objectif de rendre tout un chacun plus adapté à la société, plus dans la « norme » au sens de « comme la plupart des gens » (avoir un travail, une vie de famille, des enfants, etc.)… Et ce au détriment d’une recherche d’acceptation de l’autre par la société elle-même, fût-il différent, tout autant qu’une acceptation de soi-même.</p>
<p>On peut interroger ici le rôle des personnes indirectement concernées par le trouble mental. En effet, pour accepter quelqu’un dans son entourage proche (dans la famille, professionnellement, amicalement, etc.) ou encore considérer la personne derrière le trouble quand on est professionnel de santé mentale, il est plus facile de reconnaître en lui les caractéristiques qui nous sont familières.</p>
<p>Petit à petit, la conception médicale intègre aussi une conception psychosociale des troubles mentaux. Les prises en charge deviennent de plus en plus orientées vers une pratique de <a href="https://centre-ressource-rehabilitation.org/qu-est-ce-que-la-rehabilitation-psychosociale">réhabilitation psychosociale</a>, au-delà du traitement médicamenteux et en s’appuyant sur les compétences des personnes concernées par le trouble mental. Les besoins et projets des personnes sont considérés en faveur de leur <a href="https://theconversation.com/le-retablissement-en-sante-mentale-quand-les-patients-redeviennent-des-personnes-188263">rétablissement</a>. Ces conceptions de la personne au-delà du trouble mental offrent alors la nécessité de développer de nouvelles représentations collectives centrées sur l’individu.</p>
<h2>Revoir l’humain derrière le trouble</h2>
<p>Finalement, même au XXI<sup>e</sup> siècle, parler de trouble mental reste complexe. Évoquer les <a href="https://psychiatry.org/psychiatrists/practice/dsm">troubles du spectre de la schizophrénie, les troubles bipolaires ou encore les troubles dépressifs</a>, c’est potentiellement activer un panel d’émotions allant de la peur à la fascination, en passant par la compassion, la colère, la pitié, le mépris ou encore la surprise.</p>
<p>Ces émotions qui peuvent parfois sembler légitimes sont malheureusement bien souvent basées sur nos représentations erronées des troubles, issues des conceptions et pratiques passées. <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/jasp.12323">Émotions comme représentations s’entretiennent</a> et se renforcent, ayant pour conséquence d’alimenter la stigmatisation.</p>
<p>Pour exemple, la peur ressentie à l’évocation d’une personne ayant une schizophrénie renverrait au sentiment de dangerosité infondé et véhiculé par les représentations collectives – notamment dans les médias. Ce qui renvoie au besoin de mise à l’écart existant à l’époque asilaire voire aliéniste.</p>
<p>Les ressentis sont pluriels mais ce qui est souvent commun c’est le sentiment d’étrangeté, au sens de différence de soi : le trouble mental parait loin de nous. Toute société est constituée de normes et de symboles favorisant le sentiment d’appartenance au groupe et guidant notre image de nous-mêmes et des autres. Ce qui parait en dehors des normes fait alors l’objet d’un traitement cérébral spécifique et nous impose de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/11029900/">nous questionner sur l’attitude à avoir</a>.</p>
<p>Le processus de stigmatisation tend à réduire une personne à ses manifestations en décalage à la norme, jusqu’à lui <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00224545.2019.1671301">retirer une part d’humanité</a>. Lutter contre la stigmatisation, c’est aider à percevoir l’autre de manière plus globale en tant que personne, à le réhumaniser en ne le réduisant plus à son trouble. Redevenu plus humain, c’est admettre qu’il est plus proche de soi-même.</p>
<p>Par conséquent, changer de regard serait accepter l’idée que l’on est en réalité tous concernés (directement ou par le biais d’un proche). Cela signifierait avoir moins peur de ce que l’on peut être, de ce que l’on peut voir, ressentir sur soi mais aussi pour l’autre. Pour mémoire, l’<a href="https://apps.who.int/iris/handle/10665/42390">OMS estime qu’une personne sur quatre connaîtra d’ailleurs un trouble psychique au cours de sa vie</a> et le <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2019/suicide-et-tentative-de-suicides-donnees-nationales-et-regionales">suicide reste un risque important</a>.</p>
<hr>
<p><em>Pour citer cet article : M’bailara, K., Munuera, C. et Follenfant, A. (2022). « Troubles mentaux : quand la stigmatisation d’aujourd’hui reflète les conceptions d’hier », The Conversation.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192540/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caroline Munuera a reçu une bourse doctorale du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alice Follenfant et Katia M'bailara ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Aucun trouble n’est aussi stigmatisé que le trouble mental. Pour comprendre l’origine de ce rejet lourd de conséquences pour les individus touchés, et le dépasser, un rappel historique est nécessaire…Katia M'bailara, Maitresse de conférences et psychologue, Université de BordeauxAlice Follenfant, Enseignante-chercheure en psychologie, Université de BordeauxCaroline Munuera, Psychologue clinicienne spécialisée en Psychopathologie et doctorante en Psychologie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.