tag:theconversation.com,2011:/global/topics/parlement-27625/articlesparlement – The Conversation2023-12-25T20:23:05Ztag:theconversation.com,2011:article/2203012023-12-25T20:23:05Z2023-12-25T20:23:05ZComment la loi immigration souligne de graves dysfonctionnements démocratiques<p>Le 19 décembre, la <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/video/loi-immigration-apres-l-arret-du-debat-majorite-et-oppositions-plus-dechirees-que-jamais_226892.html">majorité s’est déchirée</a> lors du vote du projet de loi immigration. Le texte, est désormais <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/23/loi-immigration-le-conseil-constitutionnel-saisi-par-les-deputes-de-gauche_6207371_823448.html">examiné par le Conseil Constitutionnel</a>. Rappelons les votes : sur les 170 députés du groupe Renaissance 131 ont voté pour, 17 se sont abstenus, 20 ont voté contre et deux n’ont pas participé au vote.</p>
<p>Cette posture est celle des <a href="https://www.mareetmartin.com/livre/les-usages-de-la-tradition-dans-le-droit">Présidents des Assemblées</a> qui par tradition, ne déposent ni proposition de loi ni amendement et ne participent ni aux débats ni aux votes. C’est la traduction de l’impartialité du Président de l’Assemblée qui « n’a pas de parti quand il préside ».</p>
<p>Cela signifie que la couleur politique des élus n’est pas prise en compte dans les solutions apportées par la Présidence de l’Assemblée. Il en va de la légitimité de ses décisions qui sont réputées n’être adoptées que dans l’intérêt de l’Assemblée et non dans l’intérêt de la majorité à laquelle le Président appartient.</p>
<p>Or le 19 décembre 2023 la Présidente de l’Assemblée Yaël Braun-Pivet n’a pas respecté cette neutralité et a tenu à soutenir le projet de loi. Certes, d’autres avant elle ont opéré une <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2008-4-page-733.htm">« descente de fauteuil »</a>. Proposant des textes législatifs, mais il s’agissait de s’appuyer sur le statut présidentiel pour formuler un texte apartisan, ou participant aux votes en cas de majorité serrée, pour éviter l’échec du Gouvernement. Ainsi, le 11 décembre 2023, la Présidente de l’Assemblée a participé au scrutin relatif à la motion de rejet préalable afin de soutenir le texte gouvernemental. Soutien insuffisant, la motion ayant été adoptée par 270 voix contre 265… l’absence de 9 députés de la majorité ayant conduit au rejet du texte immigration.</p>
<p>Le 19 décembre, aucune des conditions qui ont jusqu’alors excusé la mise entre parenthèses de l’impartialité n’est présente. D’une part, le texte n’est pas consensuel. D’autre part, les calculs gouvernementaux ne pouvaient croire que le vote serait serré, les 88 députés RN ayant annoncé leur volonté de voter le texte.</p>
<h2>Quel débat parlementaire ?</h2>
<p>La voix de la présidente n’était donc pas nécessaire et sa descente de fauteuil amènera à contester l’impartialité des décisions à venir. Mais ce manquement au fonctionnement démocratique de nos institutions n’est pas le plus important.</p>
<p>Contrairement à ce qu’ont affirmé les oppositions, ces irrégularités ne résident ni dans le maintien du ministre de l’Intérieur, ni dans celui du texte malgré l’adoption d’une motion de rejet préalable. Celle-ci vise en effet à faire reconnaître que le texte n’est pas conforme aux attentes de l’Assemblée ou à la Constitution, mais rien n’interdit au Gouvernement de poursuivre la navette au besoin en répondant aux doutes de l’Assemblée.</p>
<p>De ces points de vue, pas d’atteinte au droit. En revanche il est possible de constater que l’adoption de la loi immigration contrevient au principe de sincérité du débat parlementaire.</p>
<p>Ce principe, de rang constitutionnel, postule que les règles entourant la tenue du débat doivent être respectées. Même si le Conseil constitutionnel a pris soin de ne jamais le définir, on peut déduire de sa formulation qu’il impose également que les arguments avancés par le Gouvernement afin d’obtenir le soutien d’une majorité ne soient ni faux, ni fallacieux, ni trompeurs. L’adoption de la loi immigration a conduit à la violation des deux dimensions de ce principe.</p>
<h2>Ce qui s’est passé</h2>
<p>S’agissant de la procédure encadrant le débat, il convient de rappeler que la <a href="https://www.senat.fr/connaitre-le-senat/role-et-fonctionnement/la-commission-mixte-paritaire.html">Commission mixte paritaire</a> (CMP) est réunie par le Gouvernement – ou par la conférence des présidents des deux assemblées s’agissant d’une proposition de loi – afin de formuler un compromis acceptable par l’Assemblée et le Sénat.</p>
<p>Puis le gouvernement sort de l’équation, les parlementaires investis dans l’examen du texte ****, dont le rapporteur et les présidents des commissions se retrouvent seuls. Le secret qui encadre les négociations, y compris pour les autres élus, conduit à qualifier la CMP de boîte noire… dont le Gouvernement est lui-même tenu à l’écart, même s’il peut utiliser les parlementaires de sa majorité pour relayer ses volontés.</p>
<p>Il ne retrouve un pouvoir qu’une fois le travail de la CMP terminé, soit pour soumettre le texte issu de la négociation aux assemblées, soit pour refuser ce compromis s’il lui semble trop éloigné de sa volonté, soit enfin pour proposer des amendements au texte qu’il soumettra aux assemblées.</p>
<p>Le 18 décembre, certes, le gouvernement n’était pas physiquement présent lors des réunions de la CMP. Cependant, les négociations ont été menées depuis Matignon, la Première ministre <a href="https://www.liberation.fr/politique/loi-immigration-elisabeth-borne-recoit-les-chefs-de-lr-ce-mercredi-pour-trouver-un-accord-20231213_NX4UXT6VVVBZTJXWIZMYYFQ6JQ/">recevant les leaders LR</a> pour s’entendre avec eux sur les termes d’un accord.</p>
<p>Ce procédé est bien loin du conclave à 14 permettant à chacun de mesurer ses prétentions et d’accepter des compromis. Les élus de la CMP ont été marginalisés des négociations au profit des seuls parlementaires LR, dont les voix étaient nécessaires au Sénat dominé par le groupe conservateur et à l’Assemblée, le gouvernement tablant sur l’hostilité des 88 députés RN.</p>
<p>Les armes constitutionnelles offraient pourtant au Gouvernement le moyen de retravailler le compromis trouvé sans lui par les élus, mais cela aurait réclamé du temps et il semble que cette donnée ait <a href="https://www.sciencespo-lille.eu/sites/default/files/recherche/programme_livret_18-19dec.pdf">soudain manqué</a>. La précipitation de l’exécutif a conduit à l’adoption d’un texte dont il n’est pas douteux qu’il comporte des dispositions inconstitutionnelles.</p>
<h2>Une atteinte cruciale à notre démocratie parlementaire</h2>
<p>Il s’agit là de l’atteinte la plus importante à notre démocratie parlementaire. Qu’un ministre de l’Intérieur défende un texte à la tribune d’une des assemblées en reconnaissant sa probable inconstitutionnalité est une innovation. Qu’un Président affirme lors <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/20/loi-immigration-les-mesures-susceptibles-d-etre-censurees-par-le-conseil-constitutionnel_6206980_3224.html">d’une émission télévisée</a> que certaines dispositions seront contournées l’est tout autant.</p>
<p>Ces prises de parole questionnent la sincérité de la négociation, le Gouvernement consentant des concessions à LR tout en sachant que les décrets d’application permettront de les laisser lettre morte ou que le Conseil constitutionnel ne permettra pas leur intégration au texte final.</p>
<h2>Une relativisation de la Constitution</h2>
<p>Un tel constat avait déjà été formulé lors des débats sur le projet de loi de réforme des retraites, le Gouvernement essayant de se concilier les votes LR en acceptant des cavaliers sociaux dont il savait que le Conseil constitutionnel les censurerait. On se souvient ainsi que le Conseil avait <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/04/14/retraites-ce-que-le-conseil-constitutionnel-a-garde-ou-ecarte-des-differentes-saisines_6169591_4355770.html">refusé l’index senior</a>, visant à favoriser l’emploi des salariés les plus âgés, au motif que cette disposition n’avait pas de lien avec l’objet principal de la loi de financement de la sécurité sociale rectificative.</p>
<p>Ici l’inconstitutionnalité qui a permis le vote de la loi porte sur le fond, son contenu, et non sur la forme, sa procédure. Juridiquement, la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19550-la-place-de-la-constitution-dans-la-hierarchie-des-normes-juridiques">Constitution est la norme fondamentale</a> qui protège nos droits et libertés contre le pouvoir enclin à augmenter son emprise sur nos quotidiens.</p>
<p>En conduisant le Parlement à adopter une loi contraire à la Constitution, le Gouvernement la relativise. Elle devient une norme à laquelle on peut porter atteinte pour satisfaire des intérêts politiques et l’instrumentalisation se répétant au gré des besoins, l’atteinte devient habituelle et substantielle.</p>
<h2>Un renforcement de la défiance citoyenne</h2>
<p>Laisser nos représentants adopter des textes qui sont manifestement contraires à la Constitution est inquiétant. Rien en effet ne garantit que le Président ne promulguera pas immédiatement la loi, rendant impossible toute saisine du Conseil constitutionnel, sauf à provoquer par la suite une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette dernière permet, à l’occasion d’un litige, de <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19560-quest-ce-que-la-question-prioritaire-de-constitutionnalite-qpc">contester</a> la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution d’une loi déjà promulguée, mais combien d’atteintes au droit auront alors déjà été commises ?</p>
<p>La situation est à ce point paradoxale que c’est le Président qui va saisir le Conseil constitutionnel, certes rien d’inconstitutionnel ou d’inédit, le Président utilisant cette prérogative de l’article 61 <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-decisions/decision-n-2015-713-dc-du-23-juillet-2015-saisine-par-president-de-la-republique">depuis François Hollande</a>.</p>
<p>Mais il s’agissait alors d’offrir un visa de constitutionnalité à un texte contesté, non de l’expurger de ses dispositions manifestement inconstitutionnelles. En choisissant cette voie, le Président de la République redirige vers le Conseil constitutionnel le mécontentement populaire, alimentant la défiance envers la justice.</p>
<p>Demain, cette défiance portera sur la Constitution elle-même, les oppositions n’hésitant pas à s’appuyer sur la « volonté populaire », qui a aujourd’hui justifié l’adoption d’un texte inconstitutionnel, afin d’appeler à la révision d’une norme fondamentale trop protectrice <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/entre-les-lignes/nouveau-projet-de-loi-sur-l-immigration-un-humanisme-de-facade_5504469.html">« des méchants »</a>.</p>
<p>Sans doute le Conseil constitutionnel censurera-t-il les dispositions violant les droits et libertés que la Constitution protège. On osera formuler un autre vœu, qu’il en censure la totalité pour manquement au principe de sincérité du débat parlementaire et impose en cela à l’exécutif une éthique de la négociation, afin d’affirmer que la recherche du compromis ne doit jamais se faire aux dépens de la Constitution.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220301/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’adoption de la loi immigration contrevient au principe de sincérité du débat parlementaire et par les paradoxes de la procédure, alimente le mécontentement citoyen et la défiance envers la justice.Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202252023-12-20T19:57:59Z2023-12-20T19:57:59ZGérald Darmanin, symbole des illusions perdues du macronisme ?<p>Le projet de loi sur l’immigration était annoncé comme un moment décisif pour les différents acteurs de la vie politique française et en particulier pour Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur. Il constitue sans doute un tournant important pour l’homme politique et illustre a plusieurs égards les difficultés auxquelles font face Emmanuel Macron, le macronisme et le système politique français dans son ensemble.</p>
<p>Les derniers événements ont été particulièrement difficiles pour le ministre même si celui qui a remis <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/info-franceinfo-vote-de-rejet-de-la-loi-immigration-gerald-darmanin-a-propose-sa-demission-refusee-par-le-president-lors-d-un-entretien-lundi-soir-a-l-elysee_6237198.html">sa lettre de démission, refusée par l’Élysée</a> (suite au vote de la motion de rejet de la loi sur l’immigration) <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/en-direct-loi-immigration-nous-sommes-plus-pres-d-un-accord-que-d-un-desaccord-affirme-darmanin-20231218">se félicite</a> aujourd’hui de la séquence politique qui a vu l’adoption de cette même loi.</p>
<p>L’homme politique est-il pour autant renforcé de cet épisode et que nous dit-il de l’état du macronisme ?</p>
<h2>Une image d’homme de droite</h2>
<p>Si Gérald Darmanin a pu publiquement <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/presidentielle-2027-gerald-darmanin-estime-qu-edouard-philippe-est-le-mieux-place-mais-s-interroge-sur-son-envie_6109053.html">interroger sa volonté</a> de se positionner dans la course pour le poste de président de la République, il fait très clairement parti des personnes qui pourraient prétendre à la succession d’Emmanuel Macron.</p>
<p>Darmanin s’est construit une image d’homme de droite attaché au respect de l’ordre et son rôle de ministre de l’Intérieur a donné corps à ce positionnement. Mais plusieurs ratés (<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/16/gerald-darmanin-doit-tirer-les-lecons-du-chaos-au-stade-de-france_6162045_3232.html">incidents du Stade de France</a>, <a href="https://www.lexpress.fr/societe/terrorisme-islamiste-darmanin-plaide-pour-une-injonction-de-soins-FJ5FEWIDYZCEVKUAN3CSTXHOG4/">attaques terroristes</a>…) et polémiques (<a href="https://www.lepoint.fr/societe/gerald-darmanin-maintient-ses-propos-sur-karim-benzema-25-10-2023-2540792_23.php#11">affaire Karim Benzema</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/accusations-de-viol-a-l-encontre-de-gerald-darmanin-le-non-lieu-en-faveur-du-ministre-de-l-interieur-est-confirme-en-appel_5620133.html">accusation de viol</a>…) ont écorné sa réputation d’efficacité et de rigueur. Le rejet de « son » projet de loi sur l’immigration porte un coup certain à ses ambitions personnelles qui s’appuyaient en grande partie sur sa légitimité en matière de sécurité.</p>
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<p>Difficile pourtant de prévoir ce qu’il adviendra des ambitions présidentielles de Darmanin tant la période qui s’ouvre est inédite sous la V<sup>e</sup> République. <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/la-ve-republique/les-grandes-etapes-de-la-ve-republique">Pour la première fois</a>, un président encore jeune quittera la présidence sans avoir été battu… alors que la possibilité qu’<a href="https://fr.news.yahoo.com/emmanuel-macron-pourrait-il-se-representer-en-2032-151353458.html?guccounter=1&guce_referrer=aHR0cHM6Ly93d3cuZ29vZ2xlLmNvbS8&guce_referrer_sig=AQAAAEKnCJD-4Puu94CtwDzyqMxOwQpDP1vGFHerRERgF4B1jyXWISobCd63hHgltqw3Oh95r1Db3-hkKua6TWiKp0H1yAoVvvxfn1Yr3jSxxiXfgw8aSkHR0_DL6ujHfEb48njeoWtcR5S6knPk_DbXa0vZG6669MwJO4f0YDYY0TT3">il puisse se représenter de manière non consécutive</a> n’est pas écartée.</p>
<p>Jamais, une telle situation n’était arrivée et la succession d’Emmanuel Macron risque donc de réserver des stratégies et des montages politiques nouveaux.</p>
<p>Pour la première fois, la <a href="https://www.lejdd.fr/politique/presidentielle-2027-marine-le-pen-caracole-en-tete-edouard-philippe-favori-du-camp-macroniste-dapres-un-sondage-139319">favorite des sondages</a> et de l’élection présidentielle pourrait être Marine Le Pen, la candidate du parti représentant l’extrême droite française. Dans ce contexte, le positionnement d’homme de droite de Darmanin et sa connaissance des dossiers régaliens, légitimés par son passage place Beauvau, seront sans doute recherchés par ceux qui décideront de se lancer dans la bataille face à Marine Le Pen.</p>
<h2>Pas de vrai virage politique, sauf vers la droite</h2>
<p>Lors de sa première élection présidentielle, Emmanuel Macron s’était fait élire en promettant de <a href="https://theconversation.com/la-gauche-et-la-droite-font-elles-encore-sens-en-france-178181">dépasser le clivage droite/gauche</a>.</p>
<p>Les sujets mis en avant, à l’image de l’immigration, et les mesures prises, comme dans le cadre de la réforme des retraites, semblent entériner l’idée que le parti présidentiel penche désormais fortement <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-lheritier-cache-de-nicolas-sarkozy-178669">à droite</a>.</p>
<p>Le départ d’anciens alliés issus de la gauche, à l’instar tout récemment de <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/daniel-cohn-bendit/europeennes-daniel-cohn-bendit-rompt-avec-macron-et-appelle-les-ecologistes-a-rejoindre-glucksmann-1f927344-9804-11ee-b5ab-4c9dbbc4ce19">Daniel Cohn Bendit</a>, parait d’ailleurs confirmer ce virage.</p>
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<figcaption><span class="caption">Immigration : le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale le 19 décembre 2023, HuffPost.</span></figcaption>
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<p>Lors de la seconde élection, il avait déclaré que le résultat morcelé du premier tour l’obligeait à faire de la politique autrement et qu’il avait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SMHd9uYD5H8">compris le message</a>. L’épisode des échanges et négociations entre Darmanin et Les Républicains (LR) lors de la loi sur l’immigration donne pourtant l’image de manœuvres politiciennes peu en accord avec l’idée de nouvelles pratiques politiques et de la recherche d’un consensus autour d’un projet commun. Alors que certains en appellent à une <a href="https://books.openedition.org/putc/157?lang=fr">VIᵉ république</a>, la façon dont les jeux de pouvoir s’organisent sous et autour d’Emmanuel Macron rappelle en tous points celles des époques précédentes.</p>
<p>La loi sur l’immigration symbolise à plusieurs égards la « politique à l’ancienne » que l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron devait faire disparaître. En ce sens, elle illustre l’échec de la tentative de faire de la politique autrement. La <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/un-parlement-en-toc-l-amertume-d-une-deputee-macroniste-decidee-a-ne-pas-se-representer-a-l-assemblee-5879426">décision de certains élus macronistes</a> de ne pas rempiler suite au premier quinquennat, avaient déjà en partie mis en exergue ce phénomène. Force est constater que l’utilisation répétée du 49.3 semble témoigner des <a href="https://www.lopinion.fr/politique/les-deputes-macronistes-doivent-encore-apprendre-a-perdre">difficultés du camp présidentiel</a> à <a href="https://theconversation.com/macron-incarnation-de-la-theorie-des-paradoxes-et-de-ses-limites-195300">co-construire, à négocier, à convaincre</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/changer-de-constitution-pour-changer-de-regime-180160">Changer de constitution pour changer de régime ?</a>
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<h2>Un décalage profond avec les électeurs</h2>
<p>L’incapacité de parvenir à mettre en place de nouvelles pratiques politiques illustre un phénomène plus profond pour la V<sup>e</sup> République et le système démocratique : celui du décalage entre la façon dont les décideurs politiques comprennent les messages des urnes et des élections et la réalité des aspirations des électeurs et de la population. L’affaire de la loi sur l’immigration vient rappeler que le macronisme n’est pas parvenu à combler ce décalage… qui s’est sans doute amplifié au cours des dernières années suite à des scandales comme <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/dossier/affaire-benalla-macron-garde-du-corps-video-manifestant">l’affaire Benalla</a> ou la crise des <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/qui-sont-les-gilets-jaunes-et-leurs-soutiens.html">« gilets jaunes »</a>.</p>
<p>Mais l’épisode de la loi sur l’immigration est aussi un tournant politique car la motion de rejet de la loi sur l’immigration a donné lieu à un vote uni de <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/loi-immigration-et-integration-ce-quil-faut-savoir-1902727">LR, du Rassemblement national (RN) et de la gauche</a>. Cette alliance, bien que de circonstance, montre à quel point le Rassemblement national est devenu un <a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-premier-courant-politique-francais-182977">parti comme les autres</a> au sein de la vie politique française.</p>
<h2>Un parfum de fatalité ?</h2>
<p>Le Front Républicain contre l’extrême droite s’est transformé en un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/13/l-arc-republicain-un-concept-destine-a-exclure-certains-du-champ-de-la-legitimite-politique_6205527_3232.html">Arc Républicain</a> visant tous les extrêmes. Et les partis « traditionnels » s’allient désormais de plus en plus avec le RN au hasard des circonstances. La <a href="https://www.lopinion.fr/politique/la-strategie-de-la-cravate-du-rn-fonctionne-t-elle">stratégie de Marine Le Pen</a> visant à cultiver une image sérieuse et modérée à l’Assemblée Nationale semble donc porter ses fruits, d’autant plus qu’elle positionne son groupe parlementaire en complète opposition avec la <a href="https://www.leparisien.fr/politique/la-on-va-dans-le-mur-au-sein-de-lfi-la-strategie-de-la-bordelisation-fait-debat-16-12-2023-SOHC2BQIXBDGXHV45XZP6OGKZE.php">stratégie volontiers provocatrice</a> et belliqueuse de LFI et de certaines personnalités de gauche.</p>
<p>Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron, qui avait affirmé qu’il parviendrait à faire baisser l’extrême droite en France, ne parvient pas à empêcher l’expansion du RN. Les figures comme Gérald Darmanin semblaient pourtant <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1182443/article/2022-05-20/gerald-darmanin-l-atout-droite-pop-de-macron-rempile-l-interieur">destinées à élargir le spectre du parti présidentiel</a> et devaient faire barrage au parti d’extrême droite en se positionnant sur ses thématiques et ses idées. Les déboires du ministre de l’Intérieur illustrent au contraire les limites des stratégies de lutte contre l’extrême droite visant à s’appuyer sur des personnalités censées reprendre et représenter leurs idées pour attirer les électeurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-rn-trou-noir-du-paysage-politique-francais-219757">Le RN, « trou noir » du paysage politique français</a>
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<p>Mais l’expansion du RN est à mettre en perspective avec les succès des partis d’extrême droite dans plusieurs pays d’Europe comme en <a href="https://fr.euronews.com/2023/10/22/giorgia-meloni-un-an-a-la-tete-de-litalie">Italie</a> ou au <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/24/extreme-droite-aux-pays-bas-l-original-triomphe-toujours-de-la-copie_6202071_3232.html">Pays Bas</a> ou par exemple en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/20/en-argentine-le-choc-et-les-interrogations-apres-l-election-triomphale-de-javier-milei-a-la-presidence_6201228_3210.html">Argentine</a>. L’exemple français n’est pas exceptionnel et ces succès donnent un parfum de fatalité à l’incapacité d’Emmanuel Macron et du camp présidentiel à contrer l’expansion du parti présidé par Jordan Bardella.</p>
<p>La période de turbulences économiques, sociales, géopolitiques et environnementales actuelle est aussi un terrain particulièrement fertile pour la montée des extrêmes et des populismes. Dans le cas de la France, cette montée ne pourra être un tant soit peu contenue que si des personnes comme Gérald Darmanin et Emmanuel Macron parviennent à éviter des séquences comme celle de la loi sur l’immigration tant elles mettent en lumière les illusions perdues de leur aventure politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220225/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment Gérald Darmanin incarne l’échec d’une « nouvelle façon » de faire de la politique.Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200882023-12-19T19:23:58Z2023-12-19T19:23:58ZLe casse-tête de la loi immigration : et si l’on se trompait d’interlocuteurs ?<p>Attendu depuis près d’un an, le <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287993-projet-de-loi-immigration-integration-asile-2023">projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration</a>, objet d’un débat houleux, a provoqué une crise politique majeure pour la présidence d'Emmanuel Macron. Suite à son adoption par la commission mixte paritaire, saisie le lundi 18 décembre, le <a href="https://theconversation.com/le-rn-trou-noir-du-paysage-politique-francais-219757">Rassemblement National</a> a décrété <a href="https://www.lemonde.fr/politique/live/2023/12/19/en-direct-projet-de-loi-immigration-la-commission-mixte-paritaire-trouve-un-accord-le-rn-annonce-qu-il-votera-le-texte_6206507_823448.html">« une victoire idéologique »</a> et le parti Les Républicains a montré que sa formation faisait désormais office de <a href="https://theconversation.com/rejet-de-la-loi-sur-limmigration-une-crise-previsible-et-fondamentale-219951">pivot</a> au sein du gouvernement.</p>
<p>Sur le fond, ce projet de loi ne se distingue pas beaucoup des 29 lois déjà adoptées sur le sujet depuis 1980. Mais il propose un tour de vis supplémentaire – en ayant envisagé par exemple la <a href="https://theconversation.com/loi-immigration-quel-sort-pour-laide-medicale-de-letat-ce-que-nous-dit-la-recherche-scientifique-219943">suppression de l’aide médicale d’État</a> et un accès plus compliqué aux allocations familiales – tout en cherchant <a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-des-etrangers-sert-les-agendas-politiques-217141">à combler la pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs</a>, avec l’éventuelle régularisation de certains travailleurs sans-papiers.</p>
<p><a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/grand-entretien-projet-de-loi-sur-l-immigration-les-flux-migratoires-ne-sont-pas-tellement-affectes-quelle-que-soit-la-legislation_6195285.html">Cette loi ne va sans doute pas affecter les flux migratoires</a>, et elle va encore moins résoudre <a href="https://theconversation.com/comment-la-double-peine-du-projet-de-loi-immigration-renforce-la-confusion-des-pouvoirs-219578">« les problèmes »</a> posés par l’immigration, ou <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/11/14/la-loi-immigration-dernier-element-d-une-longue-serie-de-117-textes-depuis-1945_6199984_4355770.html">apaiser les débats sur le sujet</a>.</p>
<p>Il est donc logique que les débats se soient concentrés sur la forme, c’est-à-dire sur le processus d’adoption de cette loi, et sur les difficultés éprouvées par le gouvernement à obtenir une majorité législative sans recourir à l’article 49.3.</p>
<p>Mais au-delà des <a href="https://theconversation.com/rejet-de-la-loi-sur-limmigration-une-crise-previsible-et-fondamentale-219951">péripéties de l’actualité politique</a>, ce laborieux processus invite à s’interroger plus largement sur la manière dont il conviendrait d’adopter une telle loi.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
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<h2>Une omniprésence du ministère de l’Intérieur</h2>
<p>Commençons par rappeler l’omniprésence du ministère de l’Intérieur. Ce n’est pas une nouveauté : depuis les années quatre-vingt-dix, les lois sur l’immigration sont communément appelées du nom de ‘leur’ ministre de l’intérieur, depuis les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lois_Pasqua-Debr%C3%A9">lois Pasqua Debré</a> jusqu’à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_du_10_septembre_2018_pour_une_immigration_ma%C3%AEtris%C3%A9e,_un_droit_d%27asile_effectif_et_une_int%C3%A9gration_r%C3%A9ussie">loi Collomb</a> en passant par la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Circulaire_Valls">circulaire Valls</a> ou les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_du_24_juillet_2006_relative_%C3%A0_l%27immigration_et_%C3%A0_l%27int%C3%A9gration">lois Sarkozy</a>.</p>
<p>Mais il n’en a pas toujours été ainsi : jusque dans les années 80, <a href="https://www.histoire-immigration.fr/politique-et-immigration/1945-1984-legislation-et-politique-migratoire">c’est le ministère du Travail qui avait la main</a>. Ce dernier était d’ailleurs initialement impliqué dans le projet de loi actuel, mais <a href="https://www.liberation.fr/politique/olivier-dussopt-lhomme-invisible-du-projet-de-loi-immigration-20231121_JGPONZXHFVDUNG7UFNLNDBJBZA/">il a progressivement disparu</a> de la scène. Même remarque pour le ministère de la Santé, malgré l’important volet santé du projet de loi, et pour le ministère de l’Enseignement supérieur, alors que les étudiants étrangers représentent un enjeu crucial pour <a href="https://www.liberation.fr/societe/education/une-insulte-aux-lumieres-les-universites-francaises-sopposent-au-projet-de-loi-immigration-20231218_W7GUZKST7ZD2TDPGXDGKTYQU5E/">l’attractivité et la qualité des universités françaises</a>.</p>
<p>Par ailleurs, et comme son intitulé l’indique, le ministère de l’Intérieur ne traite pas du contexte international – malgré le caractère évidemment international des enjeux migratoires.</p>
<p>Rappelons que la France et le Maroc traversent une crise diplomatique depuis 2021, consécutive entre autres à la décision du gouvernement français de réduire l’accès aux visas pour les <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/10/05/entre-la-france-et-le-maroc-les-frontieres-de-la-discorde_6192560_3212.html">citoyens marocains</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">France-Maroc : fin d’une relation exceptionnelle ? Tel Quel, 2022.</span></figcaption>
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<p>De même, en septembre 2023, une <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/09/15/projets-culturels-avec-le-sahel-il-n-est-pas-question-d-arreter-d-echanger-avec-les-artistes-et-les-lieux-culturels-assure-la-ministre-de-la-culture_6189489_3246.html">polémique à propos de la venue en France d’artistes africains</a> a illustré à quel point le rayonnement culturel du pays dépend de la circulation des artistes du Sud, et donc de leur accès aux visas.</p>
<h2>Deux ministères aux abonnés absents</h2>
<p>Mais on cherche en vain la position des ministères des Affaires étrangères et de la Culture sur le sujet, de même que les débats n’ont fait aucune référence à l’Europe – alors que l’Union européenne est engagée depuis 2020 dans l’adoption du <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/que-contient-le-pacte-europeen-sur-la-migration-et-l-asile/">Pacte européen sur la migration et l’asile</a>, un texte qui aura des implications pour tous les États membres, dont la France.</p>
<p>La mise en œuvre d’une politique migratoire requiert pourtant la coopération d’autres États. C’est par exemple le cas des expulsions de migrants en situation irrégulière : la France a le droit de les exclure de son territoire, mais il faut pour cela qu’ils soient réadmis par leur État d’origine. C’est pourquoi, du début des années 2000 jusqu’aux coups d’état de 2020 et 2021, la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/03/05/la-france-negocie-avec-le-mali-le-retour-des-migrants-irreguliers_5431822_3212.html">France négociait avec le Mali</a> un accord de réadmission destiné à faciliter l’expulsion des sans-papiers, lequel s’est toutefois heurté à la réticence du gouvernement malien.</p>
<p>De ce point de vue, c’est tout autant au Parlement malien qu’à l’Assemblée nationale que le gouvernement français doit trouver une majorité. Alors certes, la France est un pays souverain : elle est donc fondée à décider en toute autonomie de sa politique migratoire et c’est aux citoyens français (et à leurs représentants démocratiquement élus) de déterminer la manière dont ils souhaitent accueillir les étrangers.</p>
<p>Mais si cette approche fait consensus, elle pose aussi quelques problèmes. Dans une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0003122413487904">étude sur les sans-papiers mexicains aux États-Unis</a>, Emily Ryo montre par exemple que ces derniers violent les lois américaines, mais ne perçoivent pas cela comme une faute. À leurs yeux, la politique migratoire des États-Unis est injuste et peu crédible, car elle ferme les yeux sur le rôle essentiel des clandestins sur le marché du travail, tout en occultant la responsabilité des pays du Nord dans la situation économique du Mexique.</p>
<p>Si les pays occidentaux ont a priori le droit de gouverner l’immigration comme bon leur semble, la valeur morale ou politique d’une loi sur l’immigration n’en est pas moins importante, car elle contribue à sa crédibilité – et donc aux chances qu’elle soit respectée par les premiers concernés, c’est-à-dire les migrants eux-mêmes.</p>
<h2>Le principe des intérêts affectés</h2>
<p>Cela pose la question de la validité démocratique de décisions prises par un État, mais qui s’appliquent aux citoyens d’un autre État. Selon un <a href="http://editions.ehess.fr/ouvrages/ouvrage/le-dilemme-des-frontieres/">principe de théorie politique dit « principe des intérêts affectés »</a> (ou <em>all-affected principle</em>), une décision n’est réellement démocratique que si toutes les personnes qui sont affectées par cette décision sont consultées.</p>
<p>En d’autres termes, tout le monde s’accorde sur les vertus de la démocratie, mais encore faut-il s’entendre sur le périmètre du <em>demos</em>, c’est-à-dire sur les personnes reconnues comme des citoyens et autorisées à prendre part aux décisions.</p>
<p>Ce n’est pas qu’une question théorique : certains serpents de mer du débat politique, comme <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/le-debat-sur-le-droit-de-vote-a-16-ans-relance-1300385">l’abaissement de la majorité à 16 ans</a> ou le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_de_vote_des_%C3%A9trangers_en_France">droit de vote des étrangers aux élections locales</a> (promis par le Parti socialiste depuis 1981), concernent précisément cette redéfinition du <em>demos</em>.</p>
<p>De façon plus générale, le personnel politique est aussi friand de mécanismes de démocratie dite <a href="https://www.decitre.fr/livres/pour-en-finir-avec-la-democratie-participative-9782845979864.html">« participative »</a>, dont l’objectif affiché est d’inclure le plus grand nombre dans la prise de décisions (conventions citoyennes, budgets participatifs, consultations en ligne, grands débats, etc.).</p>
<p>Ce souci d’inclusion ne s’applique manifestement pas aux politiques migratoires. Mais si on prend au sérieux le principe des intérêts affectés, alors il faut s’interroger sur le paradoxe qui les caractérise, et qui voit le peuple français prendre seul des décisions qui ne concernent pourtant que les non-Français et qui affectent la vie de millions de personnes dispersées aux quatre coins de la planète.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/democratie-participative-une-enquete-inedite-livre-les-enseignements-du-grand-debat-national-212292">Démocratie participative : une enquête inédite livre les enseignements du grand débat national</a>
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<h2>Le déficit de crédibilité des politiques migratoires</h2>
<p>Et même si on conserve le principe de souveraineté sur les flux migratoires, il faut s’interroger sur le déficit de crédibilité des politiques migratoires, et sur l’impact de ce déficit sur des migrants peu enclins à respecter des lois qu’ils jugent édictées par l’Occident, et dans son seul intérêt.</p>
<p>Dans une version maximaliste du principe des intérêts affectés, il conviendrait donc d’organiser une consultation mondiale à propos du projet de loi sur l’immigration.</p>
<p>Cette consultation serait ouverte à toutes les personnes concernées – c’est-à-dire à tous les individus qui ont migré vers la France ou qui envisagent d’y migrer à l’avenir : toutes ces personnes sont, ou seront, affectées par les politiques migratoires françaises, et devraient donc faire partie du <em>demos</em>.</p>
<p>Une telle démarche paraît quelque peu irréaliste : le nombre de participants est potentiellement très important et on voit mal quelle instance pourrait se charger de cette consultation, et avec quelles modalités.</p>
<h2>Consulter les gouvernements des pays de départ ?</h2>
<p>On peut donc se rabattre sur une seconde option, qui consiste à ne pas consulter les populations, mais leur gouvernement. C’est nettement plus faisable, et c’est ce que font les États lorsqu’ils élaborent des principes communs de politique migratoire. En 2018, ils ont par exemple adopté, sous l’égide des Nations unies, un <a href="https://refugeesmigrants.un.org/sites/default/files/180711_final_draft_0.pdf">Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières</a> (dit aussi ‘Pacte de Marrakech’), qui définit les contours de ce que pourrait être une politique migratoire mondiale respectueuse des intérêts et des priorités de chacun (le développement du Sud, les droits fondamentaux des migrants, l’accès à la main d’œuvre étrangère au Nord, la sécurité de tous, etc.).</p>
<p>Cette démarche n’est pas sans intérêt, mais elle souffre de plusieurs faiblesses. Ces accords ne sont pas contraignants et leur formulation est suffisamment vague pour faire l’objet d’<a href="https://theconversation.com/le-pacte-mondial-pour-les-migrations-des-polemiques-et-des-avancees-108350">interprétations divergentes</a>. Rien ne dit par ailleurs que les États agissent dans l’intérêt de leur propre population : les discussions ont lieu dans des enceintes intergouvernementales assez déconnectées des populations et des mécanismes démocratiques en vigueur dans chaque pays.</p>
<p>Surtout, la sincérité du débat n’est pas garantie, tant les rapports de force entre États sont en défaveur de certains d’entre eux : pour reprendre l’exemple franco-malien, la France a réagi au refus du Mali en coupant certains programmes de développement, et il n’est donc pas simple pour les pays pauvres de dialoguer sur un pied d’égalité avec les pays riches.</p>
<h2>Les principes d’un « espace public » ?</h2>
<p>Si le débat international est difficile, une troisième option consisterait peut-être à appliquer à la prise de décision nationale les principes d’un « espace public ». Ce concept, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sph%C3%A8re_publique">généralement associé à Jürgen Habermas</a>, postule que les décisions démocratiques doivent s’insérer dans un <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782073012289-espace-public-et-democratie-deliberative-un-tournant-jurgen-habermas/">débat public fondé sur la critique et la raison</a>, au sein duquel chacun peut défendre sa position et écouter celles des autres.</p>
<p>C’est en ce sens que des appels à une <a href="https://www.nouvelobs.com/debat/20231115.OBS80873/faut-il-organiser-une-convention-citoyenne-sur-l-immigration.html">« convention citoyenne sur la migration »</a> ont été lancés, afin de permettre des débats sereins et dépassionnés, sur le temps long, d’une manière qui ne serait pas instrumentalisée par les partis politiques, mais associerait l’ensemble des acteurs concernés (employeurs, société civile, experts, etc.).</p>
<p>Plus fondamentalement, cette exigence de débat et de raison oblige l’État à convaincre le plus largement possible de la pertinence de ses orientations politiques. Son droit de décider souverainement ne le dispense pas de justifier ses choix – et ce d’autant plus qu’en l’absence de conviction, la coercition est la seule manière de faire appliquer ses décisions.</p>
<p>Le contexte actuel, où le gouvernement n’est même pas capable de convaincre une poignée de parlementaires, pourrait donc être mis à profit pour répondre différemment, et mieux, à la question de qui doit adopter une loi sur l’immigration.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220088/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Pécoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le laborieux processus d’adoption de la loi immigration interroge la façon même dont la société s’empare de ce sujet.Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162102023-10-29T18:12:12Z2023-10-29T18:12:12ZPropos polémiques : les parlementaires peuvent-ils perdre leur immunité ?<p>Les propos de la députée La France Insoumise (LFI) <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/10/18/daniele-obono-qualifie-le-hamas-de-mouvement-de-resistance-gerald-darmanin-saisit-la-justice-pour-apologie-du-terrorisme_6195084_823448.html">Danièle Obono</a> au sujet du Hamas sur <a href="https://www.sudradio.fr/politique/daniele-obono-peut-elle-etre-poursuivie-pour-apologie-du-terrorisme">micro de Sud Radio</a>, ont créé un véritable remue-ménage au sein du monde politique.</p>
<p>Le parquet a ainsi été saisi par le ministre de l’Intérieur, estimant qu’ils relèvent de l’apologie du terrorisme, infraction sanctionnée à l’article 421-2-5 du code pénal. De son côté, Eric Ciotti, député Les Républicains (LR), a demandé la levée de l’immunité parlementaire de la députée. Cette proposition est-elle recevable ? Que sait-on sur le statut pénal des parlementaires ?</p>
<p>Consacrée dès 1789 et <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/quel-est-le-statut-penal-d-un-parlementaire,https://www.senat.fr/lc/lc250/lc250_mono.html">définie à l’article 26 de la Constitution</a>, <a href="https://www.labase-lextenso.fr/revue/LPA/2021/05">l’immunité parlementaire</a> assure aux membres du Parlement un régime juridique dérogatoire du droit commun dans leurs rapports avec la justice.</p>
<p>Celui-ci consacre l’immunité comme l’une des traductions du principe de séparation des pouvoirs, elle protège à travers ses membres l’Assemblée contre les intrusions du pouvoir judiciaire, voire du pouvoir exécutif qui pourrait instrumentaliser les poursuites afin d’exercer des pressions sur le Parlement. Elle ne doit donc pas être perçue comme une atteinte à l’égalité devant la loi, mais comme une protection de l’indépendance des parlementaires, garante de l’État de droit : si leur vote était soumis à pression, la loi ne serait plus l’expression de la volonté générale et des règles satisfaisant des intérêts particuliers pourraient s’imposer à tous.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chef-de-letat-ministres-parlementaires-et-si-limmunite-etait-levee-153690">Chef de l’État, ministres, parlementaires : et si l’immunité était levée ?</a>
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<h2>Irresponsabilité</h2>
<p>Traditionnellement, cette immunité recouvre deux réalités : l’irresponsabilité et l’inviolabilité. La première interdit de rechercher la responsabilité juridique d’un parlementaire à raison des opinions politiques exprimées au sein de la chambre :</p>
<blockquote>
<p>« aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions » (art. 26 al. 1).</p>
</blockquote>
<p>Elle est permanente : les propos et votes émis dans l’exercice des fonctions ne peuvent jamais donner lieu à poursuites ni à condamnation. Elle est également absolue : elle concerne tous les actes accomplis par le parlementaire « dans l’exercice de ses fonctions ».</p>
<p>Cela concerne tous les propos tenus dans l’Assemblée. L’élu qui abuserait de sa liberté de parole pour tenir des propos racistes, antisémites, homophobes… serait toutefois sanctionné par le Président ou le Bureau, pour insulte ou provocation au tumulte, comme l’ont récemment démontré les sanctions adoptées contre les <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/assemblee-nationale-le-depute-rn-gregoire-de-fournas-ecope-de-la-sanction-la-plus-lourde-1876022">députés Grégoire De Fournas</a> (RN) et <a href="https://www.bfmtv.com/politique/parlement/exclusion-du-depute-thomas-portes-comment-le-bureau-de-l-assemble-a-opte-pour-la-sanction-maximale_AN-202302100785.html">Thomas Portes</a> (LFI).</p>
<h2>L’importance du cadre des propos</h2>
<p>La Cour de cassation a estimé que seuls les propos qui peuvent se rattacher aux titres IV et V de la Constitution consacrés respectivement au parlement et aux relations entre le parlement et le gouvernement, sont protégés et non pas les propos tenus dans un autre cadre politique : meeting, interview…</p>
<p>L’irresponsabilité protège le mandat et donc les fonctions parlementaires attachées à l’exercice de la souveraineté. Les propos émis par les parlementaires dans le cadre de leur fonction législative bénéficient de cette irresponsabilité, tout comme ceux tenus dans le cadre de l’activité de contrôle, qu’il s’agisse par exemple des propos tenus dans le cadre des questions au Gouvernement, des commissions d’enquête ou missions d’information.</p>
<p>En revanche, ne sont pas couverts par l’irresponsabilité des propos tenus à l’extérieur de l’Assemblée puisque ceux-ci ne peuvent être rattachés à l’une de ces missions, quand bien même le parlementaire aurait tenu ces propos es qualité. Cela a été le cas pour l’affaire Christian Vanneste – même si ensuite la condamnation du député a été annulée par la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2008/11/12/propos-homophobes-christian-vanneste-blanchi-en-cassation_1117829_3224.html">Cour de Cassation</a>.</p>
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<p>Les discours prononcés en dehors des assemblées ne bénéficient donc pas de l’irresponsabilité et sont ainsi susceptibles d’être réprimés s’ils constituent une injure, une diffamation, une incitation à la haine, à la violence, voire l’apologie du terrorisme, et outrepassent les limites fixées à la liberté d’expression qui, comme le rappelle la Cour de cassation, sont d’interprétation stricte.</p>
<h2>Inviolabilité</h2>
<p>L’immunité garantit également l’inviolabilité de l’élu :</p>
<blockquote>
<p>« aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet en matière criminelle ou correctionnelle d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n’est pas requise en cas de crime flagrant ou de condamnation définitive » (art. 26 al. 2).</p>
</blockquote>
<p>La protection offerte n’est pas une impunité, elle n’empêche pas la poursuite du parlementaire ni la recherche d’éléments visant à établir sa culpabilité.</p>
<p>Ainsi, en 2019, aucune intervention préalable de l’Assemblée n’a été requise avant de poursuivre Jean-Luc Mélenchon, député LFI, pour « actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire, rébellion et provocation », <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/03/10/perquisition-au-siege-de-lfi-en-2018-l-enquete-visant-plusieurs-cadres-du-parti-dont-melenchon-classee_6072633_823448.html">suite à la perquisition houleuse</a> des locaux de son parti en octobre 2018.</p>
<p>Mais le dispositif soumet à un examen de la chambre parlementaire la décision de limiter la liberté du parlementaire par une garde à vue, un contrôle judiciaire, voire une détention préventive. En effet, de telles mesures en restreignant sa liberté éloignent l’élu de l’Assemblée et l’empêchent d’exercer son mandat.</p>
<p>Contrairement à l’irresponsabilité, l’inviolabilité n’est pas absolue. D’une part, elle cède devant la flagrance ou face à une décision devenue définitive. D’autre part, l’Assemblée peut lever l’immunité de l’un de ses membres.</p>
<p>Elle n’agit pas de sa seule initiative, mais doit être saisie. Les dispositions de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006530070">l’article 9 bis de l’ordonnance du 17 novembre 1958</a> relative au fonctionnement des assemblées parlementaires sont claires.</p>
<blockquote>
<p>La demande doit être « formulée par le procureur général près la Cour d’appel compétente et transmise par le garde des sceaux, ministre de la Justice, au président de l’Assemblée intéressée ».</p>
</blockquote>
<h2>Un dispositif qui protège le mandat et non l’individu</h2>
<p>Il faut aussi noter que le parlementaire ne peut réclamer lui-même d’être privé de son immunité. Celle-ci protège non l’individu, mais le mandat et la fonction parlementaire associée à l’exercice de la souveraineté. Elle échappe à l’individu et ne peut faire <a href="https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?library=ECHR&id=001-96008&filename=001-96008.pdf">l’objet d’une renonciation</a> (CEDH 3 décembre 2009 Kart contre Turquie). La demande doit « indique[r] précisément les mesures envisagées ainsi que les motifs invoqués ».</p>
<p>La levée de l’immunité ne sera valable que pour ces faits. Cette précision, autant que celle les mesures restrictives de liberté envisagées, doivent permettre au Bureau de se prononcer sur le caractère sérieux, loyal et sincère de la demande. Il ne se prononce ni sur la qualification pénale ni sur la réalité des faits, qui ne relèvent que du juge. La décision est donc adoptée par une entité pluraliste, les différentes formations politiques de l’Assemblée étant représentées au sein du Bureau.</p>
<p>Cela permet d’éloigner le doute sur les motivations de la décision : elle n’est pas une mesure politique mais une décision adoptée dans l’intérêt de l’Assemblée par une instance qui reflète la composition de celle-ci et fait donc intervenir des membres de l’opposition et de la majorité. Des députés de l’opposition comme de la majorité peuvent donc voir leur immunité levée par l’Assemblée. Le 24 mai 2023, l’immunité parlementaire de Damien Abad, député apparenté au groupe Renaissance, a <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/05/24/l-immunite-parlementaire-de-damien-abad-accuse-de-viol-levee_6174602_823448.html">ainsi été levée</a>. Par le passé, des députés d’opposition ont également pu être concernés.</p>
<p>Le 18 mars 2015, le Bureau <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/Balkany-l-Assemblee-leve-son-immunite-parlementaire-723382r">a décidé la levée de l’immunité de Patrick Balkany</a>, député d’opposition, mis en examen pour corruption passive et blanchiment de fraude fiscale. Sa mise en garde à vue a dès lors été possible, tout comme son placement sous contrôle judiciaire.</p>
<p>Le fait que le ministre de l’Intérieur, membre de la majorité soit à l’initiative de l’action en justice n’a donc pas d’incidence sur le fond de la décision du Bureau, qui n’est pas lié par les actions du Gouvernement.</p>
<h2>Danièle Obono peut-elle être poursuivie ?</h2>
<p>Maintenant que l’état du droit est éclairé, nous pouvons nous demander si les propos tenus par la députée Obono au micro de Jean-Jacques Bourdin le 17 octobre peuvent être poursuivis. La question n’est pas ici de savoir s’ils sont constitutifs du délit d’apologie du terrorisme, mais si les poursuites sont possibles.</p>
<p>D’une part, les propos tenus en dehors de l’assemblée ne se rattachant pas aux missions législative et de contrôle du Gouvernement ne peuvent être protégés par l’inviolabilité. La responsabilité pénale de la députée peut donc être recherchée.</p>
<p>D’autre part, Eric Ciotti peut-il réclamer la levée de l’immunité parlementaire de la députée ? À notre connaissance le député n’est pas procureur général auprès d’une cour d’appel, il n’est donc pas compétent pour introduire cette demande.</p>
<p>Seul le procureur peut apprécier l’opportunité des poursuites et la nécessité de demander la levée de l’immunité s’il lui faut limiter la liberté d’aller et venir de la députée, soit avant le jugement par exemple par une garde à vue, soit après le jugement par une mesure privative de liberté.</p>
<p>En revanche, la convocation du juge aux fins d’audition, d’interrogation ou de mise en examen, voire la perquisition du domicile du parlementaire ou la fouille de son véhicule ou même sa condamnation à une peine n’entraînant aucune privation de liberté peuvent être prononcées sans qu’il soit nécessaire d’obtenir au préalable la levée de l’immunité. À tel point que certains <a href="https://blog.juspoliticum.com/2017/11/22/immunites-et-statut-des-deputes-vers-une-suppression-de-linviolabilite-par-cecile-guerin-bargues">s’interrogent sur la nécessité</a> aujourd’hui de maintenir l’inviolabilité des parlementaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216210/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Eric Ciotti, député LR, a demandé la levée de l’immunité parlementaire de la députée Obono pour des propos tenus sur le conflit israélo-palestinien. Cette proposition est-elle recevable ?Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2123882023-09-24T15:36:18Z2023-09-24T15:36:18ZRetour sur une année disciplinaire à l’Assemblée nationale : les députés ont-ils perdu la raison ?<p>Le 16 mars 2023, dans le contexte tendu de la réforme des retraites, de nombreux députés brandissent dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale une pancarte « 64 ans, c’est non » à l’occasion de l’une des applications du célèbre article 49 alinéa 3 de la Constitution. Tous ces députés feront <a href="https://lcp.fr/actualites/tenue-des-debats-a-l-assemblee-des-deputes-sanctionnes-de-nouvelles-regles-a-l-etude">l’objet d’une sanction disciplinaire</a>.</p>
<p>Depuis les élections législatives intervenues après la réélection d’Emmanuel Macron en mai 2022, le <a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-de-lassemblee-nationale-sest-invite-dans-le-quotidien-207071">parlement</a> est devenu un Janus à deux visages : le Sénat semble participer paisiblement à l’élaboration de la loi alors que l’Assemblée nationale ressemble à un lieu de tumultes donnant parfois à l’hémicycle du Palais Bourbon les airs d’une <a href="https://www.sudouest.fr/politique/assemblee-nationale-cour-de-recreation-ou-camp-disciplinaire-14095582.php">cour de récréation</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-de-lassemblee-nationale-sest-invite-dans-le-quotidien-207071">Comment le travail de l’Assemblée nationale s’est invité dans le quotidien</a>
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<p>Comme à l’école, les <a href="https://theconversation.com/comment-pour-la-deuxieme-fois-de-son-histoire-lassemblee-nationale-exclut-un-depute-193986">sanctions disciplinaires</a> doivent alors parfois être prises afin de maintenir l’ordre dans le chahut.</p>
<p>S’il n’est pas nouveau qu’une sanction soit prise par l’Assemblée nationale contre l’un de ses députés, il faut toutefois insister sur la particularité de la situation actuelle découlant à la fois de la fréquence et de la nature des sanctions prononcées depuis les élections législatives de 2022.</p>
<h2>Des sanctions de plus en plus fréquentes</h2>
<p>Leur fréquence d’abord : la Présidence et le Bureau de l’Assemblée nationale ont été amenés à prononcer un nombre inédit de sanctions disciplinaires à l’encontre d’un ou plusieurs députés en l’espace d’un peu plus <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/07/21/a-l-assemblee-nationale-un-nombre-record-de-sanctions-depuis-la-reelection-d-emmanuel-macron_6182897_4355770.html">d’une année</a>.</p>
<p>Du point de vue de leur nature ensuite : ces mesures disciplinaires sont diverses mais ont abouti à deux sanctions d’une particulière gravité consistant à des exclusions temporaires prononcées respectivement pour des paroles et la diffusion d’un tweet ayant tous les deux provoqué une scène tumultueuse <a href="https://lcp.fr/actualites/assemblee-nationale-deja-dix-sanctions-a-l-encontre-de-deputes-depuis-le-debut-de-la">dans l’hémicycle</a>.</p>
<p>Au-delà de ces deux exemples, toutes les sanctions visent le comportement d’un ou plusieurs députés. On retrouve pêle-mêle et sans exhaustivité un député insultant un de ses collègues ; un autre député procédant à un enregistrement streaming de la séance sur la plate-forme Twitch ou encore un député ne respectant pas les règles de communication fixées par l’Assemblée à l’occasion de la diffusion d’un reportage télévisé.</p>
<p>Ces situations de tension, parfois insolites, parfois graves, renvoient à des enjeux profonds qu’il apparaît important de mettre en <a href="https://bdr.parisnanterre.fr/theses/internet/2019/2019PA100120/2019PA100120.pdf">exergue</a>. Derrière le fait d’actualité, relayé par les médias, se jouent l’autorité et la légitimité de l’Assemblée nationale.</p>
<h2>Une discipline nécessaire des députés</h2>
<p>Dans toute institution, la bonne tenue des débats exige une discipline : le débat n’est pas l’invective. L’Assemblée nationale n’échappe pas à la règle, et ce pour deux raisons.</p>
<p>En premier lieu, à l’Assemblée, la discipline est d’autant plus nécessaire que les députés, au regard de leur statut, jouissent d’une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527491">irresponsabilité</a> dans l’exercice de leurs fonctions. Cette protection statutaire, prévue par la Constitution <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/constitution.asp#:%7E:text=Article%2026&text=Aucun%20membre%20du%20Parlement%20ne,assembl%C3%A9e%20dont%20il%20fait%20partie">(article 26)</a>, est une conséquence du principe de la séparation des pouvoirs. Ce dernier implique que le parlementaire « ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».</p>
<p>Si dans le cadre de ses fonctions, le député échappe à tout contrôle (en particulier d’un juge), les débats ne peuvent se tenir sans cadre : des règles collectives pour débattre sont nécessaires. L’instauration de règles disciplinaires ménage alors la chèvre de la séparation des pouvoirs et le chou de la bonne tenue des débats : ce n’est ni le pouvoir exécutif (le Gouvernement) ni l’autorité judiciaire qui vont assurer la discipline des députés, mais l’Assemblée nationale elle-même dans son règlement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-crise-democratique-peut-elle-etre-resolue-par-la-reforme-des-institutions-208248">La crise démocratique peut-elle être résolue par la réforme des institutions ?</a>
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<p>Le chapitre XIV de ce règlement intitulé « Discipline, immunité et déontologie » met en place un système disciplinaire autonome. Son article 70 énumère exhaustivement les motifs justifiant l’adoption d’une mesure disciplinaire. L’article 72 indique les autorités compétentes pour adopter ces sanctions. Selon sa gravité, la sanction sera prononcée soit par la Présidence de l’Assemblée, par le Bureau de l’Assemblée ou par <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/divers/texte_reference/02_reglement_assemblee_nationale">l’ensemble des députés</a>.</p>
<p>En second lieu, le contexte politique de majorité relative favorise le recours à des sanctions disciplinaires. En effet, en ne disposant pas de plus de la moitié des 577 sièges de l’Assemblée nationale, le groupe de la majorité – le groupe « Renaissance » – n’est pas en situation de majorité absolue. Les oppositions sont dès lors en position de force pour exprimer leurs revendications. Ce contexte politique est ainsi propice à la survenance de tensions particulièrement fortes dans l’hémicycle pouvant aboutir à la tenue de propos qu’il convient de limiter pour garantir la sérénité des débats.</p>
<h2>Une discipline complexe des députés</h2>
<p>Nécessaire, l’instauration de règles disciplinaires à l’Assemblée nationale n’en est pas pour autant aisée.</p>
<p>Le principe de la séparation des pouvoirs implique l’impossible contrôle de l’organe chargé de prendre la sanction disciplinaire. Dans la plupart des ordres professionnels dans lesquels des sanctions disciplinaires peuvent être prononcées, à l’instar de l’ordre des médecins ou des avocats, la sanction infligée à un de ses membres pourra être contrôlée par un juge, en <a href="https://www.conseil-etat.fr/decisions-de-justice/jurisprudence/dossiers-thematiques/le-juge-administratif-et-les-sanctions-administratives">particulier administratif</a>.</p>
<p>Concernant l’Assemblée nationale, ces sanctions ne peuvent être contrôlées (comme le relève une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000047881653">décision</a> du Conseil d’État en ce sens). Cette absence de contrôle fragilise l’acceptation des sanctions par les députés qui peuvent, avec plus ou moins de mauvaise foi, contester la partialité politique des sanctions prononcées par des organes politiques. Ainsi, à propos d’une sanction aboutissant à l’exclusion temporaire d’un député pour avoir provoqué une scène tumultueuse après avoir prononcé les mots « qu’il retourne en Afrique », certains membres du groupe politique du député sanctionné affirmaient qu’il s’agissait d’une « procédure où on est jugé par <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/sanction-contre-le-depute-rn-intenses-debats-et-atmosphere-pesante-au-bureau-de-lassemblee-1876068">nos adversaires politiques</a> ».</p>
<h2>Une juridicisation de la procédure disciplinaire ?</h2>
<p>Ce soupçon omniprésent de partialité est la principale difficulté à laquelle est confrontée la fonction disciplinaire à l’Assemblée (le fameux « c’est une décision politique »). Afin d’écarter ce soupçon, certains députés ont proposé d’encadrer davantage la procédure disciplinaire en vue de renforcer son impartialité. À l’instar de ce qui existe pour tout ordre professionnel, l’instauration d’une procédure contradictoire respectée par un organe collégial permettrait à coup sûr de renforcer l’impartialité de la sanction. L’objectif serait ainsi de juridiciser la discipline de l’Assemblée.</p>
<p>Néanmoins, dans le contexte particulier d’une assemblée parlementaire, cette solution prend la forme d’un pis-aller. Les députés sont des acteurs politiques qui disposent d’une protection statutaire nécessaire pour garantir leur pleine liberté d’expression et de vote au sein de l’hémicycle. L’instauration d’une procédure juridique lourde et contraignante aboutirait à limiter cette liberté et appesantir les débats autour de considérations futiles : la sanction appliquée à un député s’adressant à un de ses collègues en employant le mot « ta gueule » doit-elle être plus faible que la sanction infligée à un autre député qualifiant un ministre de « lâche » ?</p>
<p>En se concentrant sur ces comptes d’apothicaires, la juridicisation de la procédure disciplinaire ne ferait pas taire les critiques sur l’existence d’un possible « deux poids deux mesures », mais conduirait, au contraire, à davantage les exprimer et fragiliserait encore plus l’institution parlementaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/linsulte-arme-incontournable-du-politique-149290">L’insulte, arme incontournable du politique</a>
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<h2>Le primat de la responsabilité collective des députés</h2>
<p>Alors comment assurer la discipline à l’Assemblée sans se voir opposer l’existence d’un « deux poids deux mesures » ?</p>
<p>In fine, en l’absence de possibles recours à un juge pour contrôler la sanction, la dimension politique de la sanction disciplinaire est inévitable. Seulement, cette dimension politique n’implique pas nécessairement la partialité de la sanction.</p>
<p>D’un point de vue statistique, si les sanctions semblent avoir été majoritairement infligées à des députés de l’opposition (Nupes et Rassemblement National), il n’en demeure pas moins que la majorité a pu être également concernée.</p>
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<p>Les vice-présidents, dont certains représentent les groupes d’opposition Nupes et RN, ont d’ailleurs aussi prononcé des sanctions disciplinaires (V. par ex. respectivement pour les groupes Nupes et RN, la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2022-2023/troisieme-seance-du-jeudi-16-mars-2023.pdf">3ᵉ séance du 16 mars 2023</a> et la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2022-2023/premiere-seance-du-lundi-13-fevrier-2023.pdf">1ère séance du 13 février 2023</a>). L’adoption d’une sanction disciplinaire ne relève pas d’une logique partisane, mais institutionnelle. Il ne s’agit pas de protéger un parti politique (celui de la majorité) mais l’autorité de l’institution (l’Assemblée nationale) dont la seule raison d’être est celle de débattre sereinement.</p>
<p>Au fond, la solution pour l’Assemblée nationale est la même que pour toute institution : son bon fonctionnement exige que les personnes qui la composent, malgré leurs divergences politiques profondes, jouent le jeu de la délibération.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212388/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeremy Martinez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La fréquence et de la nature des sanctions prononcées depuis les élections législatives de 2022 interrogent l’image et la légitimité de l’Assemblée nationale.Jeremy Martinez, Maître de conférences, droit public, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2070712023-06-06T19:54:25Z2023-06-06T19:54:25ZComment le travail de l’Assemblée nationale s’est invité dans le quotidien<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/530299/original/file-20230606-25-sfan3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C124%2C5198%2C3773&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">49.3 RAISONS DE TOUT PÉTER, à Saint-Étienne, le 30 mars 2023. Les règles et procédures de débat au parlement ont été intégrées dans les modes de contestation.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:49.3_RAISONS_DE_TOUT_P%C3%89TER.jpg">Touam Hervé Agnoux/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>La réforme des retraites s’est transformée en querelle procédurale, comme l’a encore montré la dernière proposition de loi déposée par le groupe LIOT, en <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/retraites-ce-sera-un-seisme-politique-si-le-texte-du-groupe-liot-visant-a-abroger-la-reforme-des-retraites-est-juge-irrecevable_5867534.html">examen le 8 juin à l’Assemblée nationale</a>. Ce phénomène est vrai tant du côté du gouvernement que des oppositions et met en lumière la place centrale des règles au sein de l’Hémicycle et de ce que cela dit du parlementarisme à la française.</p>
<p>Au sortir des élections législatives de juin 2022, avec une Assemblée nationale éclatée en 10 groupes parlementaires et une majorité relative, il était bon de croire à une <a href="https://www.lexpress.fr/politique/etienne-ollion-l-assemblee-nationale-connait-un-retour-en-grace-politique-et-mediatique_2178177.html">reparlementarisation</a> de la vie politique française, où le gouvernement minoritaire devrait négocier chaque texte avec les divers groupes.</p>
<h2>Une difficile reparlementarisation</h2>
<p>Cependant, c’était sans compter sur les outils de rationalisation parlementaire dont dispose le gouvernement grâce à la Constitution de la V<sup>e</sup> République. Ces dispositions constitutionnelles permettent à l’exécutif de faire adopter ses textes <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/29/le-parlementarisme-rationalise-cet-outil-de-la-v-republique-qui-vise-a-renforcer-l-executif-est-de-moins-en-moins-tolere_6167356_3232.html">sans l’emprise du parlement</a>. </p>
<p>À l’automne dernier, Elisabeth Borne avait déjà fait adopter le budget, sans vote, avec le célèbre art. 49 al. 3 de la Constitution. Elle y a eu recours pour la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/03/17/comment-fonctionne-l-article-49.3-utilise-pour-la-onzieme-fois-par-elisabeth-borne_6146430_4355771.html">11ᵉ fois</a> lors de la réforme des retraites, en combinant d’autres outils de rationalisation tels que le passage par un texte budgétaire rectificatif et dans un délai réduit (art. 47-1 C) ainsi que le vote restreint, au Sénat, aux seuls amendements retenus par le gouvernement (art. 44 al. 3 C).</p>
<p>Si la situation de gouvernement minoritaire montre finalement l’exacerbation du parlementarisme rationalisé, l’Assemblée nationale <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/26/le-parlement-bouge-encore-et-c-est-au-fond-une-bonne-nouvelle_6171036_3232.html">« bouge »</a> encore et ne reste pas sans ressources.</p>
<h2>Maintenir le débat, ralentir le processus</h2>
<p>La séquence des retraites montre que les parlementaires redoublent d’efforts pour maintenir le débat, mais surtout de ralentir le processus législatif en ayant recours à divers outils procéduraux. Il y a eu la tentative d’obstruction par le <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-comment-les-parlementaires-tentent-de-rassembler-leurs-troupes-199262">dépôt massif d’amendements</a>, les <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/quest-ce-quune-motion-de-rejet-prealable-4140337">motions de rejet préalable</a> (qui permet de rejeter le texte avant qu’il ne soit proposé au vote), les <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/reforme-des-retraites-l-assemblee-nationale-examinera-la-motion-referendaire-du-rassemblement-national-plutot-que-celle-de-la-nupes-qui-crie-au-scandale_5632475.html">motions référendaires</a>, les <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/motion-de-censure-elisabeth-borne-echappe-a-la-sanction-de-l-assemblee-nationale_215483.html">motions de censure</a> (dans le cadre du 49 al. 3) puis les propositions de <a href="https://www.la-croix.com/France/Reforme-retraites-Conseil-constitutionnel-rejette-referendum-dinitiative-partagee-2023-05-03-1201265957">référendum d’initiative partagée</a> finalement rejetée par le Conseil constitutionnel.</p>
<p>Enfin, c’est la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/abrogeant_recul_retraite">proposition de loi</a> (PPL) du groupe LIOT visant à abroger la réforme des retraites qui <a href="https://lhemicycle.com/2023/06/02/lhemicycle-confidentiel-30/">fait l’objet d’ingénierie procédurale de la part des oppositions et de la majorité</a>.</p>
<h2>Pourquoi les règles importent ?</h2>
<p>L’éminent politologue finlandais Kari Palonen, spécialiste du parlementarisme, posait la question <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-90533-4_3">« What makes of an assembly a parliament ? »</a> (qu’est ce qui fait d’une assemblée un parlement ?).</p>
<p>Un parlement est donc un lieu de délibération où les règles jouent un rôle essentiel dans la vie d’assemblée car elles déterminent son organisation et son fonctionnement. En cela, les règles établissent les organes clefs (présidence, Bureau de l’Assemblée, commissions parlementaires, groupes parlementaires), leur attribue des compétences et des obligations ainsi que la manière dont le travail parlementaire doit être mené (quorum, amendements, modalité de vote, etc.).</p>
<p>En résumé, les règles mettent en forme et mettent des formes pour situer un ordre symbolique comme l’expliquait le sociologue <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1986_num_64_1_2335">Pierre Bourdieu</a>. Par ailleurs, ces règles régulent les comportements – par exemple, la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/divers/texte_reference/04_instruction_generale_bureau">(bonne) tenue vestimentaire des députés</a> – afin d’en réduire leur variabilité dans la mesure où « la fixité de la règle rétablit l’ordre, introduit la prévisibilité dans les actions tout en prévenant les contestations futures » selon le professeur de science politique <a href="https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_1992_num_5_20_1547">Dominique Damamme</a>.</p>
<h2>Un lieu où l’on parle</h2>
<p>Il ne faut pas oublier qu’un parlement est avant tout un lieu où l’on parle. Outre le rôle de représentation, le parlement est l’institution où des représentants délibèrent et légifèrent.</p>
<p>Ainsi, les règles et procédures déterminent les conditions du débat, alors inévitable dans une démocratie pluraliste. C’est pourquoi Kari Palonen évoque la pertinence des procédures de « <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-90533-4_3">dissensus</a> », c’est-à-dire des procédures qui mettent en confrontation les idées et avis contraires entre une majorité et une opposition, comme condition nécessaire à la délibération et, in fine, à la légitimité du travail législatif.</p>
<p>Enfin, la définition des règles est précieuse pour leurs auteurs (en l’occurrence la majorité) car cela permet de distribuer les ressources législatives (par exemple le temps de parole, les postes clefs dans l’assemblée, amendements) entre les acteurs (députés et groupes parlementaires) et donc établit leur capacité d’action.</p>
<h2>Celui qui dirige les procédures, dirige la Chambre</h2>
<p>Comme l’a résumé l’ancien chef du groupe Républicain à la Chambre des Représentants du Congrès des États-Unis : <a href="https://assets.cambridge.org/97805218/32533/excerpt/9780521832533_excerpt.pdf">« Who rules House procedures rules the House »</a> (celui qui dirige les procédures, dirige la Chambre). La situation diffère néanmoins entre les États-Unis et la France en ce qui concerne l’élaboration des règles.</p>
<p>Dans le premier cas, chaque texte fait l’objet d’une détermination de règles spécifiques par le comité chargé des règles, ce qui donne un pouvoir considérable à la majorité. À l’Assemblée nationale, il n’existe pas de tel organe, il est toutefois possible d’interpréter les règles et de constituer des « précédents ». Un précédent, en droit parlementaire, est « toute application du règlement même si le texte en cause ne pose aucun problème d’interprétation » expliquait le juriste <a href="https://scholar.google.com/scholar?hl=fr&as_sdt=0%2C5&q=L%E2%80%99interpr%C3%A9tation+du+r%C3%A8glement+de+l%E2%80%99Assembl%C3%A9e+nationale+par+les+pr%C3%A9c%C3%A9dents+%C2%BB%2C+RDP%2C+1988%2C+p.+1108&btnG=">Bernard Luisin</a>. Il suffit d’une seule application de l’interprétation de la règle écrite, c’est-à-dire du Règlement de l’Assemblée nationale (RAN), à partir d’une situation concrète pour constituer un précédent. Cette interprétation doit par ailleurs être acceptée par l’ensemble des membres de l’Hémicycle et correspondre à « <a href="https://books.google.ca/books/about/De_la_proc%C3%A9dure_parlementaire.html?id=EM80S5vtLNYC&redir_esc=y">l’esprit du moment</a> » comme l’expliquait Eugène Pierre, père du droit parlementaire français. </p>
<h2>Un précédent ?</h2>
<p>Concernant la PPL Liot, elle a d’une part présenté une situation de conflit d’interprétation du RAN relative <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/institutions/abrogation-de-la-reforme-des-retraites-tout-comprendre-a-la-bataille-autour-de-larticle-40-de-la-constitution">à sa recevabilité financière</a> (compétence pour la prononcer ; tradition de la levée du « <a href="https://www.francetvinfo.fr/vrai-ou-fake/vrai-ou-fake-la-proposition-de-loi-liot-pour-abroger-la-reforme-des-retraites-est-elle-contraire-a-la-constitution-comme-l-affirme-le-gouvernement_5842736.html">gage tabac</a> »). D’autre part, un précédent semble s’être créé durant l’examen du texte en Commission des affaires sociales (saisie au fond).</p>
<p>Alors que le texte venait d’être vidé de sa substance par la suppression de l’article 1er (âge légal de départ en retraite à 62 ans), plusieurs députés de l’opposition ont déposé <a href="https://www.lemonde.fr/blog/cuisines-assemblee/2023/06/02/retraites-lauto-obstruction-comme-sauvetage-du-texte/">une série de sous-amendements en quelques minutes</a>.</p>
<p>Face à cette tentative d’obstruction, la présidente de la commission, Fadila Khattabi (Renaissance) a décidé de ne pas les étudier ni de les soumettre au vote en se fondant sur l’article 41 du RAN qui prévoit sa compétence pour organiser les travaux de la commission. Cette lecture extensive du RAN pourrait alors créer une pratique à l’Assemblée, déjà faite au Sénat quelques semaines plus tôt et <a href="https://twitter.com/PJanuel/status/1663880971031019521">validée par le Conseil constitutionnel</a>, suscitant un débat parmi les aficionados du #DirectANsur Twitter.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1663860365413761024"}"></div></p>
<h2>Pourquoi les règles intéressent ?</h2>
<p>Tout un courant de la science politique – l’institutionnalisme – s’intéresse aux règles et procédures des assemblées parlementaires, car elles influencent le comportement des élus et font aussi l’objet d’un jeu politique, comme la réforme des retraites l’a montré.</p>
<p>La connaissance approfondie des règles et procédures parlementaires ne se limite cependant pas aux universitaires. Quand bien même il faut « vivre » le droit parlementaire pour le connaître, selon le <a href="https://www.google.ca/books/edition/Trait%C3%A9_d_%C3%A9tudes_parlementaires/SuxjDwAAQBAJ?hl=fr&gbpv=0">constitutionnaliste et homme politique Marcel Prélot</a>, on assiste depuis quelques années à sa démocratisation.</p>
<p>Cela passe par rendre transparente l’activité des parlementaires avec le <a href="https://projetarcadie.com/">Projet Arcadie</a>, la visite des <a href="https://www.lemonde.fr/blog/cuisines-assemblee/">« cuisines »</a> de l’Assemblée, via le journal Le Monde, ou plus largement par l’explication de la vie politique et parlementaire sur les <a href="https://twitter.com/malopedia">réseaux sociaux</a>, parfois <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/reportage-backseat-lemission-sur-twitch-qui-veut-reconcilier-les-jeunes-avec-la-politique-5ad4de2e-c4d3-11ed-93d7-4c4cd65beb9c">avec succès</a>.</p>
<p>Ainsi, les querelles procédurales des dernières semaines pourront peut-être susciter un regain d’intérêt pour la vie parlementaire parmi les citoyens, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2009-3-page-397.htm">après celui des universitaires</a>.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Jean-François Godbout.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207071/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Robin a reçu des financements du département de science politique de l'Université de Montréal. Il est également assistant de recherche au Centre Jean Monnet Montréal.</span></em></p>Le rejet de la proposition centriste visant à abroger la retraite à 64 ans montre aussi comment les querelles procédurales de l’Hémicycle infusent désormais le débat public.Julien Robin, Doctorant en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1992622023-02-06T18:09:45Z2023-02-06T18:09:45ZRéforme des retraites : comment les parlementaires tentent de rassembler leurs troupes<p>La réforme des retraites engagée par le gouvernement Borne met en lumière les diverses dynamiques internes à l’Assemblée nationale. À gauche, la <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-quelle-strategie-pour-les-partis-de-gauche-198565">stratégie de mobilisation de l’opinion</a> complète celle de l’obstruction avec le dépôt massif d’amendements – près de <a href="https://lcp.fr/actualites/reforme-des-retraites-la-bataille-des-amendements-commence-a-l-assemblee-164156">6 000 amendements</a> en commission des Affaires sociales et <a href="https://twitter.com/wallybordas/status/1621182468425453570">près de 18 000 amendements</a> en séance publique. </p>
<p>À droite, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/01/30/reforme-des-retraites-les-republicains-tentent-d-imposer-leurs-nouvelles-conditions_6159823_823448.html">Les Républicains sont en position de faiseurs de roi</a> en votant avec la majorité en échange de concessions sur l’âge de départ les carrières longues. Au Rassemblement national, discret sur le sujet, on se targue d’avoir obtenu (par tirage au sort) <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/reforme-des-retraites-l-assemblee-nationale-examinera-la-motion-referendaire-du-rassemblement-national-plutot-que-celle-de-la-nupes-qui-crie-au-scandale_5632475.html">l’examen de sa motion référendaire</a> sur le projet de réforme.</p>
<p>Enfin, au sein de la majorité présidentielle, le défi est de mobiliser les troupes et d’assurer une cohésion de vote. Il y a alors lieu de comprendre le rôle clef des groupes politiques à l’Assemblée, tant pour assurer une cohésion idéologique que de bénéficier des avantages stratégiques liées à la création d’un groupe.</p>
<h2>Les groupes politiques et leur cohésion</h2>
<p>Comme dans tout parlement, l’Assemblée nationale se compose de « groupes politiques », où les députés se regroupent généralement par affinité (souvent issus du même parti politique), animés par la défense d’un intérêt commun (le groupe <a href="https://www.groupeliot.fr/">« Groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires »</a> défend les territoires et leurs identités) ou encore pour des raisons techniques, c’est-à-dire constituer un groupe sans attache partisane, dans le but de bénéficier des avantages d’un groupe politique. Ce dernier cas est apparu à plusieurs reprises, en 1959 avec la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1958/12/12/les-deputes-d-algerie-forment-un-groupe-administratif-provisoire_2306955_1819218.html">« Formation administrative des élus d’Algérie et du Sahara »</a>, en 1993 avec le groupe « Liberté et République » ou encore en 2018 avec le groupe « Liberté et Territoires », l’ancêtre de l’actuel groupe LIOT.</p>
<p>Pour les groupes de la majorité et de l’opposition, il est important de montrer cohérence et unité. Pourtant, le système électoral français devrait inciter à cultiver un vote personnel des députés (étant donné qu’il n’y a qu’un seul siège par circonscription). Ce ne serait sans compter sur l’augmentation de la cohésion et de la discipline de parti sous la V<sup>e</sup> République <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01402380802670602">comme le rappelait le professeur de science politique Nicolas Sauger</a>. Cette discipline de vote est possible puisque plusieurs prérogatives relèvent des groupes (c’est-à-dire sa présidence) et non du bon vouloir des députés, comme la répartition dans les commissions, du temps de parole… et même la place dans l’hémicycle (être dans l’axe des caméras de l’Hémicycle peut être un atout pour montrer sa visibilité). </p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UXZl4NJUmr8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le meilleur et le pire de l'Hémicycle, Huffington Post, 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>Le manque de solidarité envers le groupe peut se solder par une exclusion du député. Il est également possible pour le président de la République de discipliner indirectement les plus réfractaires de sa majorité avec l’arme de la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19442-la-dissolution-de-lassemblee-nationale-une-arme-presidentielle">dissolution de l’Assemblée</a>. C’est ce que le général de Gaulle avait répliqué à la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1962/10/06/la-chute-du-ministere-pompidou-entrainera-la-dissolution-de-l-assemblee_2358682_1819218.html">censure du Gouvernement Pompidou en 1962</a>. Une telle option serait alors possible en cas d’indiscipline des députés de la majorité sur le sujet des retraites puisqu’<a href="https://www.europe1.fr/politique/info-europe-1-emmanuel-macron-envisage-une-dissolution-de-lassemblee-avant-2027-4164259">il se murmure qu’Emmanuel Macron envisagerait de dissoudre à son tour l’Assemblée</a>.</p>
<h2>De l’intérêt d’avoir son groupe parlementaire</h2>
<p>Disposer d’un groupe politique octroie des avantages non négligeables en raison du Règlement de l’Assemblée nationale (RAN) qui oblige les organes à reproduire la configuration politique de l’Assemblée. Cela concerne entre autres la répartition du temps de parole, du nombre de sièges dans les commissions, des responsabilités du Bureau de l’Assemblée (vice-président, secrétaire, questeur) ou des rapporteurs. De plus, chaque président de groupe politique participe à la <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/la-conference-des-presidents">Conférence des présidents</a>, l’organe chargé de déterminer l’agenda de l’Assemblée, dont le nombre de voix est égal au nombre de membres de son groupe.</p>
<p>Dans un contexte où le parti présidentiel ne dispose pas de la majorité absolue des sièges à l’Assemblée, former son propre groupe à l’Assemblée (d’au moins 15 députés) est d’autant plus intéressant pour le MoDem et Horizons afin de peser auprès de l’Exécutif pour les raisons développées ci-haut.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2013-3-page-57.htm">L’introduction du statut de « minoritaire » en 2008</a> permet par ailleurs à des groupes politiques comme le MoDem et Horizons de se positionner en appui au parti présidentiel Renaissance tout en reflétant un pluralisme de la majorité et en conservant une certaine liberté de vote. À ce sujet, en matière de cohésion de vote, les <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/fp.2013.17">politologues Jean-François Godbout et Martial Foucault</a> constatent qu’en cas de coalition gouvernementale, les membres du plus petit groupe de l’alliance sont plus susceptibles de s’opposer au gouvernement (en raison d’incitations électorales ou idéologiques).</p>
<h2>S’appuyer sur sa majorité… et sa droite</h2>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/01/30/retraites-les-reticences-de-la-majorite-un-risque-pour-l-adoption-de-la-reforme_6159812_823448.html">Plusieurs députés de la majorité</a> ont exprimé leur hésitation à soutenir le projet de réforme des retraites. On <a href="https://twitter.com/datapolitics_fr/status/1620086848994549764/photo/1">y retrouve</a> aussi bien des députés de Renaissance, du MoDem et d’Horizons. Le défi de la cohésion de vote pour la majorité se heurte aussi bien à une pluralité idéologique qu’à la capacité de faire pression sur le gouvernement.</p>
<p>Cette incertitude de la majorité renforce la position du groupe Les Républicains qui, avec ses 61 députés (dont deux apparentés, <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2022-5773-an-du-3-fevrier-2023-communique-de-presse">après l’annulation de l’élection de Meyer Habib</a>), a un rôle pivot pour l’adoption de la réforme. En situation de gouvernement minoritaire, ce type de groupe pivot détient une influence disproportionnée par rapport à leur force absolue comme le démontre le <a href="https://academic.oup.com/book/44640/chapter/378660538">politologue Olivier Rozenberg sur la période 1988-1993</a>. Effectivement, le groupe de droite ne représente que 10 % de l’Hémicycle en étant le 4<sup>e</sup> groupe politique en effectifs, mais il faudrait une défection d’une vingtaine de députés LR pour qu’il n’y ait pas de majorité sur ce texte. <a href="https://datan.fr/statistiques/groupes-cohesion">Or, le groupe LR est celui avec le moins de cohésion de l’Assemblée (0,82)</a>.</p>
<p>Reste à voir comment Les Républicains voteront lorsque le projet de réforme passera au Sénat, <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-par-quels-moyens-legislatifs-le-gouvernement-peut-il-la-faire-adopter-197929">où la droite y est majoritaire</a>.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Jean-François Godbout.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199262/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Robin a reçu des financements du département de science politique de l'Université de Montréal. Il est également assistant de recherche au Centre Jean Monnet Montréal.</span></em></p>Les séquences politiques importantes comme celle de la réforme des retraites illustrent les mécanismes politiques et les failles des groupes parlementaires.Julien Robin, Doctorant en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1939862022-11-06T16:28:53Z2022-11-06T16:28:53ZComment, pour la deuxième fois de son histoire, l’Assemblée nationale exclut un député<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/11/03/la-presidente-de-l-assemblee-nationale-met-fin-a-la-seance-apres-des-propos-a-teneur-raciste-d-un-depute-rn-dans-l-hemicycle_6148382_823448.html">L’incident survenu à l’Assemblée nationale (AN)</a> jeudi 3 novembre, qui a entendu Grégoire de Fournas, député Rassemblement Nation (RN) tenir des propos à teneur insultante et raciste durant la prise de parole d’un autre député, Carlos Martens Bilongo, de la France Insoumise (LFI), a conduit à une suspension immédiate de séance et en <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/11/04/quelles-sont-les-sanctions-encourues-par-le-depute-gregoire-de-fournas_6148505_823448.html">urgence, à une réunion du bureau</a> de l’AN. Celle-ci a décidé <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/11/04/le-bureau-de-l-assemble-nationale-demande-d-exclure-le-depute-rn-gregoire-de-fournas-pendant-quinze-seances-apres-ses-propos-a-teneur-raciste_6148541_823448.html">d’exclure pendant quinze jours</a> l’auteur des propos.</p>
<p>La théorie constitutionnelle postule que les représentants de la Nation doivent pouvoir débattre librement afin de faire émerger l’intérêt général. Leur liberté de parole au sein des Assemblées ne saurait être réduite. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527491/2019-07-01">L’article 26 al. 1 de la Constitution</a> leur garantit ainsi une irresponsabilité absolue :</p>
<blockquote>
<p>« Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. »</p>
</blockquote>
<p>Aucun des propos tenus à l’intérieur des assemblées – contrairement à des propos insultants tenus à l’extérieur, lors d’un meeting ou d’un entretien médiatique qui peuvent donner lieu à poursuite – ni aucun des votes émis ne peut, même après son mandat, engager la responsabilité du parlementaire devant un juge.</p>
<p>Il est ainsi admis que l’arène parlementaire n’est pas un lieu comme un autre, la parole devant y être la plus libre possible, ce qui justifie une réglementation spéciale de l’insulte au sein du <a href="https://www.senat.fr/reglement/reglement_mono.html">Senat</a> et de <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/divers/texte_reference/02_reglement_assemblee_nationale">l’Assemblée nationale</a>. </p>
<h2>Une liberté de parole qui n’est pas absolue</h2>
<p>Ainsi, en France, l’interdiction de l’injure, qui résulte de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006070722/">loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881</a>, n’est pas applicable à l’intérieur des Assemblées. Les élus revendiquent d’ailleurs un droit à la vivacité des débats, qui ne doit pas laisser penser que leur liberté de parole serait absolue au sein des assemblées. Ses abus sont sanctionnés, les règlements des Assemblées confiant la police des débats à leurs Présidents. Ainsi, le président seul accorde et retire la parole, nul ne peut parler s’il n’y a pas été invité, et il peut également prononcer des sanctions contre les élus qui proféreraient des insultes. Ainsi <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/divers/texte_reference/02_reglement_assemblee_nationale">l’article 70 du RAN</a> dispose :</p>
<blockquote>
<p>Peut faire l’objet de peines disciplinaires tout membre de l’Assemblée : […]<br>
● 2° Qui se livre à une mise en cause personnelle, qui interpelle un autre député ou qui adresse à un ou plusieurs de ses collègues des injures, provocations ou menaces ;<br>
● 3° Qui a fait appel à la violence en séance publique ;<br>
● 4° Qui s’est rendu coupable d’outrages ou de provocations envers l’Assemblée ou son président ;<br>
● 5° Qui s’est rendu coupable d’injures, de provocations ou de menaces envers le Président de la République, le premier ministre, les membres du gouvernement et les Assemblées […]</p>
</blockquote>
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<figcaption><span class="caption">Le député LFI Carlos Martens Bilongo a été interrompu par les propos à teneur raciste d’un député RN en session à l’Assemblée nationale le 3 novembre 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>Et l’article 71 établit l’échelle des sanctions :</p>
<blockquote>
<p>Les peines disciplinaires applicables aux membres de l’Assemblée sont :<br>
● 1° Le rappel à l’ordre ;<br>
● 2° Le rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal ;<br>
● 3° La censure ;<br>
● 4° La censure avec exclusion temporaire.</p>
</blockquote>
<p>Le président, appuyé par le Bureau, instance collégiale qui réunit autour du président, les vice-présidents, les secrétaires et les questeurs, assurant ainsi la représentation de la pluralité des courants d’opinion à l’Assemblée, examine les faits et prononce la sanction ou la propose à l’Assemblée dans les cas les plus graves. Cette sanction ne doit pas être perçue comme une décision politique ; elle doit rester une mesure disciplinaire et impartiale, prononcée à l’encontre d’un parlementaire qui a abusé de sa liberté d’expression.</p>
<h2>Une multiplication des abus</h2>
<p>De tels abus se sont multipliés ces dernières années : propos où comportements sexistes à l’égard des députées : <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2013/10/09/incident-sexiste-a-l-assemblee-les-deputees-boycottent-l-ouverture-de-seance_3492707_823448.html">caquètements de poule en octobre 2013</a>, <a href="https://www.lepoint.fr/politique/des-cris-de-chevre-ou-de-mouton-a-l-assemblee-nationale-04-08-2017-2147995_20.php">bêlements de chèvre en août 2017</a>, « poissonnière » en <a href="https://www.lepoint.fr/societe/poissonniere-un-depute-lrem-sanctionne-pour-injures-sexistes-09-02-2021-2413178_23.php">février 2021</a> ou refus de s’adresser à la présidente de séance en féminisant sa fonction en octobre 2014.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qngnvdcmlUI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Madame « le » Présidente : le député UMP Julien Aubert persiste à refuser la féminisation du titre de présidente d’Assemblée nationale à Sandrine Mazetier (2014).</span></figcaption>
</figure>
<p>Mais en 64 ans d’existence, l’Assemblée nationale <a href="https://isidore.science/document/10670/1.iip87t">n’avait connu qu’une seule censure</a> avec exclusion temporaire contre un député qui avait pris à partie pour un motif futile – voitures qui bloquaient sa sortie – deux ministres auditionnés <a href="https://www.mareetmartin.com/livre/les-usages-de-la-tradition-dans-le-droit">dans le cadre de la catastrophe de Fukushima</a>.</p>
<p>Cette sanction interdit à l’élu de paraître à l’Assemblée et de prendre part à ses travaux pendant 15 jours ; elle emporte également pendant deux mois privation de la moitié de l’indemnité parlementaire <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/divers/texte_reference/02_reglement_assemblee_nationale#D_Article_73_193">(article 73 alinéa 3 du RAN</a>). C’est cette sanction qui peut frapper le député RN suite aux propos à teneur raciste tenus en séance 3 novembre 2022. En suspendant immédiatement la séance et en renvoyant l’examen des faits au Bureau qui s’est réuni de manière extraordinaire le 4 novembre à 14h30, la présidente a refusé d’adopter seule la sanction.</p>
<h2>Trois enseignements</h2>
<p>Ce choix emporte trois enseignements : la présidente estime que les propos méritent une sanction plus lourde que le rappel à l’ordre simple ou avec inscription au procès-verbal qu’elle peut prononcer seule. Ce que le Bureau a confirmé en demandant à l’Assemblée de prononcer une censure avec exclusion temporaire.</p>
<p>Deuxième enseignement : en convoquant le Bureau, elle ouvre une procédure contradictoire permettant au député de présenter, personnellement ou par un représentant, les arguments et peut-être d’échapper à la sanction.</p>
<p>Cette procédure contradictoire assure, quand bien même elle ne pourrait être contestée devant aucun juge en vertu de la séparation des pouvoirs, la conformité de la sanction <a href="https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/docx/pdf?library=ECHR&id=002-10164&filename=CEDH.pdf">à la Convention Européenne des Droits de l’Homme</a>.</p>
<p>Enfin, la Présidente éloigne la critique d’une mesure partiale, alors que le RN use déjà de la rhétorique de la victimisation. Ainsi, l’auteur des propos évoque-t-il une <a href="https://www.tf1info.fr/politique/propos-racistes-a-l-assemblee-nationale-qu-il-retourne-en-afrique-le-depute-rn-gregoire-de-fournas-ecrit-a-son-homologue-lfi-carlos-martens-bilongo-et-se-dit-navre-de-l-incomprehension-2237548.html">« manipulation politique »</a>.</p>
<p>La sanction ne doit en effet pas pouvoir être perçue comme la décision de la seule présidente de l’Assemblée, membre éminent de la majorité. Afin d’éloigner toute contestation, la procédure doit associer les différentes forces de l’Assemblée. Ce que la réunion du Bureau permet. Les élus RN seront ainsi associés à la procédure, le groupe détenant deux vice-présidents siégeant en cette qualité au Bureau. De même, les présidents de groupe, et donc celui du RN, sont associés aux décisions du Bureau (même s’ils ne peuvent participer à l’adoption de celles-ci puisqu’ils ne disposent pas de droit de vote dans cette instance).</p>
<p>Cette association à l’examen des faits et à l’audition du député mis en cause permet ensuite, lorsque la censure est requise, comme c’est le cas en l’espèce, de procéder à l’adoption de la sanction par l’Assemblée sans que celle-ci puisse débattre, en application de <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/divers/texte_reference/02_reglement_assemblee_nationale#D_Article_72_192">l’article 72 al 5 du règlement de l’Assemblée nationale</a>. La sanction est ensuite adoptée par assis et levée, qui rend plus facile la comptabilisation des voix qu’un simple vote à main levée, mais ne permet pas de connaître le sens des votes adoptés par les députés. On peut toutefois estimer que seuls les élus du RN auront cherché à s’opposer à la sanction.</p>
<p>Pour la deuxième fois de son histoire, l’Assemblée a ainsi choisi de censurer l’un de ses membres. Sanction grave puisqu’elle le prive du droit de défendre ses positions à l’Assemblée, frappant des propos particulièrement offensants qui ne sauraient être tolérés dans le temple de la démocratie. Sanction temporaire, le député politiquement irresponsable ne pouvant être contraint à la démission en raison des propos, même à teneur raciste, tenus à l’Assemblée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193986/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les élus revendiquent un droit à la vivacité des débats, leur liberté de parole n’est pas absolue au sein des assemblées.Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1921922022-10-11T19:18:23Z2022-10-11T19:18:23ZMenace de dissolution de l’Assemblée nationale : quand le président concurrence le Parlement<p>Alors que les <a href="https://theconversation.com/comment-les-groupes-parlementaires-structurent-la-vie-politique-francaise-186104">députés</a> viennent de faire leur rentrée le lundi 3 octobre, une menace pèse sur l’Assemblée nationale, celle de la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/09/30/retraites-l-executif-fait-peser-la-menace-de-la-dissolution-pour-assurer-le-passage-de-sa-reforme-au-parlement_6143775_823448.html">dissolution</a>. Le président de la République a brandi cette arme dissuasive en cas de vote d’une motion de censure du Parlement. Depuis, les nombreuses passes d’armes renvoient dos à dos le déni de démocratie auquel se livre Emmanuel Macron en l’absence de majorité absolue et l’incapacité de l’Assemblée nationale à trouver un large consensus.</p>
<p>Cette tension exacerbée s’inscrit pourtant dans un contexte plus large à la fois d’évitement du Parlement (par le déploiement d’institutions nouvelles comme le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/10/03/conseil-national-de-la-refondation-les-premieres-consultations-citoyennes-lancees_6144225_823448.html">Conseil national de la refondation</a> ou le passage de textes sans débat législatif par l’usage de l’article 49.3 et des ordonnances) mais aussi de tentative de transformation de son fonctionnement.</p>
<p>Ces changements étaient notamment exposés dans le <a href="https://www.gouvernement.fr/action/projet-de-loi-constitutionnelle-pour-une-democratie-plus-representative-responsable-et">projet de loi porté en 2018</a> afin de la rendre plus représentative, plus responsable et plus efficace, pour « une démocratie plus représentative, responsable et efficace » qui se donnait l’ambition de « rénover le fonctionnement de la démocratie ». Il ciblait alors à la fois les modalités d’accès à l’institution parlementaire, son fonctionnement ordinaire et son rôle législatif en prévoyant notamment une loi constitutionnelle resserrant les délais des discussions législatives, une loi organique diminuant les effectifs parlementaires de 30 % et une loi ordinaire établissant une dose de proportionnelle dans le scrutin législatif.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ce-que-les-elections-legislatives-de-juin-2022-nous-apprennent-de-notre-vision-du-parlement-186356">Ce que les élections législatives de juin 2022 nous apprennent de notre vision du Parlement</a>
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<p>Si ce projet de loi est actuellement suspendu, il résonne avec la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000034924758/">loi pour la confiance dans la vie politique</a> votée en 2017 qui encadre aussi bien l’activité de conseil par les parlementaires, les emplois familiaux au sein de l’Assemblée, que les « dérives clientélistes » par l’usage abusif de la réserve parlementaire désormais supprimée. Sans juger de la pertinence de telles réformes actées ou archivées, elles sont le reflet d’une mise en accusation désormais routinière du fonctionnement et de l’activité des parlementaires.</p>
<h2>Des députés jugés « godillots » ou « bloqueurs »</h2>
<p>Au cours du premier mandat d’Emmanuel Macron, c’est l’inutilité du Parlement qui était dénoncée. Favorisée par le fait majoritaire, l’écrasante majorité des députés rencontrait de nombreuses moqueries pour son soutien sans faille au nouveau président de la République et à son gouvernement dont ils votaient l’ensemble des propositions de loi tels des <a href="https://www.humanite.fr/politique/larem/larem-la-godille-en-crise-lassemblee-684224">« godillots »</a> ou des <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2018/10/12/25001-20181012ARTFIG00124-quand-francois-ruffinlfi-fustige-les-marcheurs-playmobil-de-l-assemblee.php">« Playmobil »</a>. Une fidélité permise par l’arrivée en 2017 de <a href="https://www.puf.com/content/Les_candidats">72 % de novices</a> ayant coupé la longue file d’attente politique jusqu’alors organisée par les partis politiques.</p>
<p>Du fait de la structure de leur capital – par leurs études de droit ou de science politique mais aussi par leurs professions de cadres supérieurs – <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/la-fin-du-clivage-gauche-droite/">ces nouveaux députés</a> ont alors eu d’autant plus « tendance à considérer les problèmes de législation sous un angle plus technique et économique qu’ils ont eu par le passé moins d’activités militantes et politiques ».</p>
<p>En rupture avec cette dépolitisation des débats parlementaires, majorité relative oblige depuis 2022 pour ce second mandat présidentiel, les parlementaires sont cette fois accusés tantôt de bloquer ou d’obstruer les projets de loi gouvernementaux, tantôt de privilégier les coups d’éclats dans l’hémicycle au détriment du « sérieux » du travail législatif.</p>
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<p>Dans les deux cas, le pouvoir exécutif définit le Parlement comme une institution qui doit accompagner son activité sans jamais le déranger. Cette <a href="https://www.cahiers.jaures.info/document.php?id=810">mise au pas du parlement</a> et ces critiques d’ordre <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2013-3-page-23.htm">antiparlementaire</a> ne sont pas nouvelles. Elles ont traversé les siècles dans l’iconographie et les écrits politiques et reposent, sans distinction, sur les circonlocutions d’une Assemblée prétendue inefficace et soumise à d’incessants bavardages inutiles. Elles sont surtout le signe d’une concurrence historique entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.</p>
<h2>Une Constitution qui tranche en faveur du président</h2>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2010-2-page-125.htm?contenu=article">droit constitutionnel</a> et électoral tranche en faveur du chef de l’État par la constitution de 1958, par l’élection du président de la République au suffrage universel direct en 1962 et par l’inversion du calendrier électoral en 2002. Ce parlementarisme dit « rationalisé » de la V<sup>e</sup> République tend, toujours davantage, à se renforcer par une <a href="https://silogora.org/sur-la-presidentialisation-des-regimes-politiques/">présidentialisation accrue du pouvoir</a>.</p>
<p>En témoigne le retour à la surface d’une tradition lointaine marquant cette concurrence : l’ouverture des sessions parlementaires par le chef d’État. Par deux reprises, le 3 juillet 2017 et le 9 juillet 2018, en prenant la parole en début de session parlementaire pour présenter sa politique générale, Emmanuel Macron s’adresse directement au Parlement réuni en Congrès. En s’inspirant des discours du Trône au Royaume-Uni, en Norvège, <a href="https://www.karthala.com/recherches-internationales/3370-tisser-le-temps-politique-au-maroc-9782811127657.html">au Maroc</a>, ou du discours sur l’état de l’Union que prononce chaque année le président des États-Unis devant le <a href="http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/IMG/pdf/benoit_a_la_guillaume.pdf">Congrès américain</a>, le chef d’État annonce : « tous les ans, je reviendrai donc devant vous pour vous rendre compte » afin de « fixer le sens du quinquennat et c’est ce que je suis venu faire devant vous ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OdYfBAexdBY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Quand Emmanuel Macron réunit les parlementaires au Congrès de Versailles. YouTube.</span></figcaption>
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<p>S’il s’agissait d’une première pour la V<sup>e</sup> République – rendue possible par la <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/268318-la-reforme-de-2008-sur-la-modernisation-des-institutions">révision constitutionnelle de 2008</a> – cette promesse n’a pour l’heure pas été tenue. Mais ces cérémonies protocolaires, dont l’usage historique diffère, ont un fort symbole. En effet, elles mettent en scène autant qu’elles contribuent à ratifier l’autorité supérieure d’une institution et la <a href="https://www.cairn.info/revue-la-pensee-2022-3-page-57.htm">soumission de sa principale concurrente</a>. Elles théâtralisent une concurrence d’institutions disposant d’une même prétention : celle de représenter la nation.</p>
<h2>Un conflit pour le monopole à représenter les électeurs</h2>
<p>Cette concurrence pour le monopole à représenter les électeurs s’inscrit dans un rapport de force, dans une relation conflictuelle, s’aménageant en fonction de la position relative de chaque institution dans la configuration politique. Par exemple, sous la II<sup>e</sup> République, le président de la République prononçait un serment devant les députés « en présence de Dieu et devant le peuple français, représenté par l’Assemblée nationale ». Cette reconnaissance de la seule légitimité des députés à représenter les électeurs est, à l’inverse, totalement déniée dans les <a href="https://www.cairn.info/revue-la-pensee-2022-3-page-23.htm?contenu=article">configurations impériales</a>.</p>
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<img alt="L’empereur Napoléon Iᵉʳ dans son cabinet de travail en 1807" src="https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=782&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=782&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=782&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’empereur Napoléon Iᵉʳ dans son cabinet de travail en 1807.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span></span>
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<p>Ainsi, Napoléon I<sup>er</sup> comme Napoléon III ne voyaient dans le rôle du parlementaire que celui d’une <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62954782/f148.image">« assistance »</a>, d’un « soutien » de la part d’élus « dévoués » assurant une <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5409588t.texteImage">« coopération loyale »</a>. Les députés impériaux plus à même de seconder le chef de l’État que de représenter les électeurs se présentaient alors comme de simples <a href="https://www.pur-editions.fr/product/638/la-candidature-officielle">candidats officiels</a> sous le Second Empire. Ne mettant plus en avant leurs qualités propres ou leur parcours, les candidatures sont dépersonnalisées au point de ne se présenter comme un simple représentant naturel du pouvoir exécutif sur le territoire <a href="https://silogora.org/se-presenter-pour-representer-le-chef-detat/#_ftnref8">« prêt à le seconder dans son entreprise politique »</a>.</p>
<p>Mais cette situation ne saurait-elle pas rappeler la situation contemporaine ? En 2017, les candidats de la République en Marche sont le fruit d’une sélection par un <a href="https://www.20minutes.fr/elections/2064619-20170509-legislatives-peut-devenir-candidat-parti-macron">appel à candidatures</a> avec curriculum vitae et lettre de motivation au sein d’une commission d’investiture du parti. Telle une offre d’emploi, ces candidats novices ont ainsi mis en avant dans <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02170828/document">leurs professions de foi leur inexpérience politique</a>, leur nouveauté, comme gage de qualité politique. Leur position dépendant pleinement d’un pouvoir exécutif dont ils tirent leur légitimité, ces candidats ont même, au cours des élections de 2022, mobilisé la notion de « candidat officiel d’Emmanuel Macron ». Employant une notion datée de cent soixante-dix ans, se présenter comme candidat « de » interroge le rôle attendu d’un parlementaire désormais représentant naturel local d’un chef d’État que l’on seconde.</p>
<p>La logique de la V<sup>e</sup> République encourage et renforce cette redéfinition de l’activité d’un député qui n’est plus exclusivement consacrée à la représentation des électeurs, mais à la mission délégative que le chef d’État a pu lui offrir. Dès lors, l’actuelle configuration politique marquée par le regain de l’opposition parlementaire bouscule cette stabilité et réveille, avec elle, une concurrence historique entre deux institutions ayant la même prétention représentative. La menace présidentielle d’une dissolution en est le signe et résonne alors comme un rappel à l’ordre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192192/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tardits ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’actuelle configuration politique marquée par le regain de l’opposition parlementaire réveille une concurrence historique entre deux institutions ayant la même prétention représentative.Nicolas Tardits, Doctorant en science politique, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1863562022-07-12T18:33:44Z2022-07-12T18:33:44ZCe que les élections législatives de juin 2022 nous apprennent de notre vision du Parlement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/473406/original/file-20220711-12-azpdr2.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C628%2C417&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Kad Merad joue Philippe Rickwaert, député de gauche dans Baron Noir, saison 1 (2019), ici représenté en bleu de travail pour interpeller les parlementaires. Mais la fiction caricature souvent la réalité politique.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/series/ficheserie-19344/photos/detail/?cmediafile=21612089">Allociné/Jean-Claude Lother/KWAI</a></span></figcaption></figure><p>Le décret du 4 juillet 2022 a actualisé la composition du Gouvernement Borne nommé le 20 mai 2022 afin de tenir compte des résultats des élections législatives. Faute d’avoir pu conclure un accord de coalition durable pour toute la législature, le président a choisi d’augmenter le poids des fidèles d’Edouard Phillipe et de François Bayrou, sans davantage ouvrir aux autres partis de gouvernements comme le PS ou LR. <a href="https://theconversation.com/legislatives-la-vie-politique-bouleversee-par-un-scrutin-inattendu-185375">Les situations inédites se succèdent</a> : premier président de la République réélu hors situation de cohabitation depuis 1958, première fois que la démission du Gouvernement à l’issue des élections législatives est refusée par le président, et surtout, la première fois depuis 1988 que la majorité parlementaire sur laquelle le gouvernement est assis n’est que relative.</p>
<p>Certes, le groupe (ou plus exactement les groupes) sur lequel le Gouvernement s’appuie est le plus important de l’Assemblée, mais le nombre de sièges détenus par celui-ci est inférieur à 289, seuil de la majorité absolue. Et si tous les autres groupes se coalisent contre le Gouvernement, ils peuvent le renverser.</p>
<p>Toutes ces nouveautés ont permis aux Français de se rappeler que la V<sup>e</sup> République est un régime parlementaire. Contrairement à tout ce que les Français ont pris l’habitude de croire depuis l’élection du président au suffrage universel direct en 1962 et l’inversion du calendrier électoral en 2000, le siège du pouvoir ne se trouve donc pas à l’Élysée mais à l’Assemblée. Le Parlement ne leur apparaît désormais plus comme le supplétif d’un président fort, soumis, politiquement ou juridiquement à ses injonctions. Il semble redevenir digne d’intérêt : une institution à part entière et non plus celle que l’on avait pris l’habitude de voir à travers le regard d’un autre.</p>
<h2>Faire émerger l’intérêt général</h2>
<p>Pourtant le 1<sup>er</sup> alinéa de l’article 24 de la Constitution <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241014/">ne peut pas être plus clair</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le Parlement vote la loi. Il contrôle le Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. »</p>
</blockquote>
<p>La première mission qui lui est assignée relève de l’évidence, la loi se définissant comme l’acte général et impératif voté par le Parlement.</p>
<p>Toutefois, elle mérite des explications. Si le Parlement est ainsi légitime à imposer aux citoyens des comportements en définissant ceux qui sont interdits, c’est d’une part parce que ses membres sont élus par ces mêmes citoyens.</p>
<p>D’autre part, l’intérêt général est censé émerger de leurs délibérations. La confrontation des idées et des opinions politiques doit permettre de définir les contours de la loi la meilleure pour tous, non pas seulement pour une majorité, non pas uniquement pour le moment présent, mais conforme à l’intérêt général.</p>
<p>Dès lors que l’intérêt général s’impose au Parlement grâce à la discipline de vote à laquelle la majorité se soumet, consciente que son rôle est dorénavant de réaliser le programme du président sur la base duquel elle a été élue, l’institution est déconsidérée. Finis <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/histoire/7e.asp">l’éloquence parlementaire</a> et les grands orateurs.</p>
<h2>Une discussion précipitée</h2>
<p>Il faut dorénavant faire vite et voter la loi présentée par le Gouvernement. C’est donc à travers ce prisme que les Français ont appris à regarder leur Parlement : une étape obligée dans l’adoption d’une décision. Or on cherche à court-circuiter cette chambre. En recourant aux ordonnances (article 38 de la Constitution) ou en escamotant le débat grâce aux procédures de rationalisation du parlementarisme.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/legislatives-2022-un-regain-dinteret-pour-le-parlement-182689">Législatives 2022 : un regain d’intérêt pour le Parlement ?</a>
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<p>Le vote bloqué (article 44 alinéa 3) qui contraint l’assemblée saisie à se prononcer par un seul vote sur tout ou partie du texte, dans les limites fixées par le Gouvernement en est un exemple. Cette technique a provoqué la colère des députés le 17 juin 2021 lorsque le gouvernement les a contraints à abandonner un article transpartisan qui permettait de déconjugaliser le calcul des revenus dans le cadre de <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/allocation-adulte-handicape-le-gouvernement-recourt-au-vote-bloque-20210617">l’allocation aux adultes handicapés (AAH)</a>. </p>
<p>Autre moyen : la procédure accélérée qui permet d’écourter la navette (utilisée à 224 reprises sous la <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/statistiques-de-l-activite-parlementaire-sous-la-xve-legislature">législature précédente</a>) avant de convoquer la commission mixte paritaire, étape nécessaire afin de donner le dernier mot à l’Assemblée si le désaccord avec le Sénat persiste (article 45). Sans oublier la procédure d’adoption sans vote qui permet cette fois-ci de se passer de l’accord de l’Assemblée (<a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/l-article-49.3-comment-ca-marche">article 49 al. 3</a>).</p>
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<p>À travers ces procédures, le Parlement est perçu comme un frein qui gêne l’action du Gouvernement et le débat parlementaire comme un inconvénient qu’il faut accélérer. Vision trompeuse d’un Parlement transformé en chambre d’enregistrement, alors que les amendements parlementaires permettent d’améliorer l’écriture de la loi, même s’ils ne peuvent plus en dicter le contenu. Cette vision biaisée de notre Parlement est-elle appelée à changer à la suite de cette prise de conscience ?</p>
<p>On peine à le croire. Au lendemain des élections, la plupart des éditos nationaux et internationaux <a href="https://www.courrierinternational.com/article/politique-legislatives-la-crainte-d-une-france-ingouvernable">regrettaient</a> « Une France ingouvernable ». Une fois encore, on propose aux Français de regarder leur Parlement à travers un objectif déformant : celui d’un gouvernement assis sur une majorité relative.</p>
<p>Certes, dans le régime parlementaire, l’un des rôles premiers du Parlement est de créer un gouvernement, notre vision du Parlement part donc toujours du <a href="https://theconversation.com/politique-une-histoire-de-confiance-186487">réel</a>. Constat qui vaut également pour les représentations fictionnelles du Parlement, qui confirment que notre vision est toujours filtrée et déformée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-groupes-parlementaires-structurent-la-vie-politique-francaise-186104">Comment les groupes parlementaires structurent la vie politique française</a>
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<h2>Un exécutif dans la tourmente</h2>
<p>Les axes dramatiques des séries politiques françaises (<em>Baron Noir</em>, <em>Les hommes de l’ombre</em>, <em>L’État de Grâce</em>) donnent à voir un exécutif dans la tourmente, confronté à un Parlement qui cherche à retrouver son rôle de faiseur de gouvernements des 3<sup>e</sup> et IV<sup>e</sup> Républiques, n’hésitant pas pour cela à renverser le Gouvernement ou à utiliser la procédure de destitution à l’encontre d’un président minoritaire.</p>
<p>On se souvient ainsi qu’en 3 saisons de la série télévisée Baron Noir, pour ne citer que cet exemple récent des représentations fictionnelles, deux présidents ont été l’objet d’une procédure de destitution.</p>
<p>La série a par ailleurs mis en scène une présidente paralysée par son refus d’utiliser l’article 49 alinéa 3 et contrainte de recourir au référendum. Le héros offre également une vision biaisée du Parlement : être parlementaire n’est plus une fin, mais un moyen d’obtenir un poste plus prestigieux (ministre, chef de gouvernement, chef d’État).</p>
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<figcaption><span class="caption">Saison 3 de <em>Baron Noir</em>, Canal+.</span></figcaption>
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<p>Ainsi, la représentation de son action au Parlement est-elle minimaliste. Et si la série offre un moment d’éloquence parlementaire, lorsque Philippe Rickwaert enfile un bleu de travail pour critiquer le texte d’un gouvernement qu’il est censé soutenir, la réalité parlementaire est déformée pour permettre cette instrumentalisation du Parlement.</p>
<p>En effet, l’article 9 de l’instruction générale du bureau de l’Assemblée nationale impose que la tenue du député doive rester neutre et s’apparenter à une tenue de ville. Il est difficile, par ailleurs, de croire que le groupe majoritaire aurait laissé l’un de ses membres turbulents, qui dirige la fronde contre l’exécutif, <a href="https://u-paris.fr/%C3%A9v%C3%A8nement/baron-noir-la-science-politique-a-lepreuve-de-la-fiction/">poser une question</a> au Gouvernement. Derrière la caricature, on retiendra l’image d’un Parlement instrumentalisé, rarement vu pour lui-même.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/elections-pandemie-populisme-quand-les-series-lancent-lalerte-156396">Élections, pandémie, populisme : quand les séries lancent l’alerte</a>
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<h2>Le Parlement n’est pas un miroir fidèle de la société</h2>
<p>Depuis le 19 juin 2022, notre regard du Parlement aurait pu être attiré par le rajeunissement de l’Assemblée, dont la moyenne d’âge est de 48 ans et demi. Sa féminisation, certes relative : 215 députées en 2022 contre 224 en 2017, mais pour la première fois sous la V<sup>e</sup> République, l’Assemblée est présidée par une femme et les trois principaux groupes parlementaires (LREM, RN et LFI) sont dirigés par des femmes.</p>
<p>Peu d’observateurs ont d’ailleurs relevé que les ouvriers faisaient leur retour à l’Assemblée – certes seulement 0,9 % de l’ensemble des <a href="https://www.bfmtv.com/politique/ouvriers-salaries-pourquoi-la-france-populaire-peine-a-s-implanter-a-l-assemblee-nationale_AN-202206280245.html">577 députés</a> – et qu’y entraient des députées femmes de ménage de profession comme Rachel Kéké ou Lisette Pollet <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1195986/article/2022-06-21/femme-de-menage-chauffeur-ex-boxeur-ces-profils-inhabituels-de-deputes-l">mais aussi des chauffeurs ou anciens boxeurs</a>. Certains pourraient nous reprocher, à travers ce constat, de développer une nouvelle vision partiale de l’Assemblée.</p>
<p>Centrée sur sa composition, elle s’interrogerait non plus sur son rôle mais sur sa représentativité, alors que le Parlement représente les citoyens sans avoir à être le miroir fidèle de la société.</p>
<p>Il nous sera possible de leur répondre que la manière dont le Parlement exerce son rôle est fondamentalement liée à sa composition ; qu’il s’agisse de l’appartenance socioprofessionnelle des députés, de leur appartenance politique, du nombre de groupes qui se sont constitués…</p>
<p>Finalement, nous sommes toujours tributaires de la personne qui nous donne à voir le Parlement, lui-même se mettant peu en lumière. Notre vision de cette institution est ainsi toujours soumise à des filtres dont la multiplication trouble notre rapport à la réalité. Il est permis d’espérer que le récent coup de projecteur porté sur le Parlement lui permette de se présenter lui-même comme le cœur vivant de notre démocratie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186356/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier est maître de conférences à sciences po Lille et est membre du CERAPS, laboratoire de l'université de Lille</span></em></p>Les situations inédites issues des élections législatives et le regain d’intérêt pour le Parlement permettent de se pencher sur la façon dont celui-ci est vu et compris par les citoyens.Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1857912022-07-07T18:11:51Z2022-07-07T18:11:51ZLa nouvelle Assemblée nationale française va-t-elle devenir une caisse de résonance pour les voix pro-russes ?<p>La forte diversité des opinions représentées à la nouvelle Assemblée parlementaire française – et avec elle la multiplicité des partis présents dans l’hémicycle – est un bon signe pour le renouvellement de la démocratie, même si elle comporte également des risques étant donné la présence de forces d’extrême droite.</p>
<p>L’hémicycle va se transformer en champ de bataille sur des enjeux de politique intérieure, principalement les questions sociales liées aux retraites, salaires et pouvoir d’achat.</p>
<p>Mais on ne saurait oublier les questions de politique étrangère : en effet, entre le Rassemblement national (RN) et La France Insoumise (LFI), l’Assemblée pourrait s’ouvrir à des voix bien plus favorables à la Russie que ce que l’Élysée et l’administration macronienne prônent. La décision française de continuer un dialogue <em>a minima</em> avec Moscou est critiquée par certains partenaires européens bien plus virulents dans leur dénonciation de la Russie, comme la <a href="https://www.aa.com.tr/en/politics/nobody-negotiated-with-hitler-poland-rebukes-frances-macron-for-talks-with-putin/2555754">Pologne</a> ou la <a href="https://www.mirror.co.uk/news/politics/liz-truss-warns-west-against-27071437">Grande-Bretagne</a>. Cependant, elle reste modérée et en accord avec le <a href="https://www.lemonde.fr/en/international/article/2022/05/20/the-franco-german-tandem-s-struggle-over-war-in-ukraine-raises-questions-for-eu-foreign-policy_5984115_4.html">consensus ouest-européen global</a> en comparaison de certaines voix qui vont dorénavant émerger de l’hémicycle.</p>
<h2>Une gauche divisée sur la question russe</h2>
<p>À gauche, les opinions sont divisées. La coalition Nupes pourrait rapidement se trouver en difficulté sur son positionnement envers Moscou et la guerre en Ukraine. En effet, les écologistes et les socialistes sont bien plus négatifs sur la Russie que ne l’est LFI et en particulier son leader Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci a, à plusieurs reprises, <a href="https://www.marianne.net/politique/jean-luc-melenchon-ce-qu-il-vraiment-dit-sur-la-russie-poutine-et-la-syrie">critiqué</a> la politique de sanctions mise en place depuis 2014 contre la Russie et incriminé l’OTAN, qu’il considère comme l’agresseur dans la guerre russo-ukrainienne actuelle, tout en soutenant l’Ukraine dans son droit à défendre sa souveraineté.</p>
<p>La supposée « russophilie » de certains des dirigeants de LFI est en réalité très circonscrite et ponctuelle : elle est dictée par la volonté de prendre ses distances envers les États-Unis, l’OTAN et le poids des complexes militaro-industriels sur la politique étrangère. Cependant, LFI, y compris son leader, se trouvent en désaccord avec Moscou sur les questions relatives aux valeurs de société : le positionnement de Moscou comme héraut des valeurs conservatrices chrétiennes, sa politisation de l’homophobie et son antimulticulturalisme contredisent directement LFI sur la question du <a href="https://laec.fr/section/5/une-republique-laique?q=la%C3%AFcit%C3%A9">sécularisme</a>, de la défense des <a href="https://laec.fr/section/56/une-nouvelle-etape-des-libertes-et-de-lemancipation-individuelle?q=LGBTI">droits des homosexuels</a> et de la célébration de la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/notre-peuple-s-est-creolise-5-questions-autour-de-ce-concept-repris-par-jean-luc-melenchon-3633660">« créolisation »</a> de la France.</p>
<h2>À droite, une russophilie nuancée par la guerre, mais bien présente</h2>
<p>Chez Les Républicains, les voix pro-russes qui s’étaient fait entendre autour de François Fillon en 2017 se sont mises en sourdine avec la guerre. Vingt-quatre députés LR sur les 62 de leur nouveau groupe sont membres du <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/instances/tableau/OMC_PO733412/2022-06-21">groupe d’amitié France-Russie</a>, dont plusieurs avec des positions plutôt favorables à Moscou. Certains ont par exemple <a href="https://www.europe1.fr/politique/russie-pecresse-devrait-balayer-dans-son-propre-camp-juge-un-depute-allie-de-la-majorite-4096336">participé</a> à des délégations parlementaires en Russie ou en Crimée (Eric Ciotti, Olivier Marleix, <a href="https://www.lepoint.fr/politique/une-elue-les-republicains-du-jura-poursuivie-par-la-justice-ukrainienne-02-10-2015-1970247_20.php">Marie-Christine Dalloz</a>). Si les LR divergent sur la question de leur orientation géopolitique (Eric Ciotti était pour sortir du commandement intégré de l’OTAN, Valérie Pécresse était bien plus atlantiste), ils partagent largement le discours russe sur les <a href="https://www.cnews.fr/france/2021-12-23/presidentielle-2022-valerie-pecresse-defend-les-racines-chretiennes-de-leurope">valeurs chrétiennes</a>.</p>
<p>À l’extrême droite également, les voix prorusses se sont tassées depuis l’invasion de l’Ukraine : le RN a voté les sanctions contre la Russie mais propose de ne pas en ajouter de nouvelles, souhaite limiter le soutien militaire à l’Ukraine, quitter le commandement intégré de l’OTAN, et dès que la paix est possible entre Moscou et Kiev, relancer un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=MX59QEqsVDk">« rapprochement stratégique entre l’OTAN et la Russie »</a>. Les convergences idéologiques et d’intérêts avec Moscou existent toujours et pourraient réapparaître progressivement une fois la vague d’émotions pro-ukrainiennes passée.</p>
<p>En effet, depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, les députés européens RN ont <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/04/20/quels-sont-les-liens-de-marine-le-pen-avec-la-russie-de-vladimir-poutine_6122903_4355770.html">défendu</a> le régime russe en votant presque systématiquement contre les résolutions du Parlement européen condamnant les violations du droit international par Moscou.</p>
<p>Idéologiquement, rien ne vient freiner le soutien à la Russie : l’alliance géopolitique (anti-atlanticisme, critique de l’OTAN) se trouve démultipliée par l’alliance de valeurs (l’héritage chrétien de l’Europe, la défense de la famille hétérosexuelle, une politique antimigratoire, etc.).</p>
<p>À cela s’ajoute des liens personnels d’amitié : la famille Le Pen est très bien <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/pas-de-region-pour-la-famille-le-pen-grande-amie-de-la-russie-de-poutine_3066301.html">connectée</a> à la droite russe depuis les années 1960 et toutes les générations sont concernées, de Jean-Marie à Marion Maréchal via Marine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/entre-le-rassemblement-national-et-la-russie-une-longue-lune-de-miel-181633">Entre le Rassemblement national et la Russie, une longue lune de miel</a>
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<h2>Relations de dépendance</h2>
<p>Il existe également des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/04/20/quels-sont-les-liens-de-marine-le-pen-avec-la-russie-de-vladimir-poutine_6122903_4355770.html">relations de dépendance</a>, principalement financières : le RN doit encore rembourser le prêt russe pour les élections de 2017, ce qu’il pourra dorénavant faire étant donné les sommes qui vont lui être versés par l’État, proportionnelles à ses résultats. Les contacts d’affaires sont tout aussi importants : de nombreuses figures proches des Le Pen ou membres du RN mènent des <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/largent-russe-du-rassemblement-national">activités commerciales ou de conseil en Russie</a>. Ces liens d’amitiés et d’affaires laissent présager une position politique plus favorable à la Russie, en particulier sur la question sensible de la levée des sanctions.</p>
<p>Certains députés RN comme <a href="https://desk-russie.eu/2021/05/12/voyage-organise-en-crimee.html">Hélène Laporte</a>, la nouvelle vice-présidente de l’Assemblée, <a href="https://desk-russie.eu/2021/10/08/de-faux-observateurs-inernationaux.html">Frédéric Boccaletti</a>, Julie Lechanteux, ou encore <a href="https://www.liberation.fr/politique/thierry-mariani-tres-amical-observateur-des-elections-a-letranger-20210702_TWBQAKXZJVBR5BXOI4UH462BWM/">Bruno Bilde</a>, ont été invités en Russie pour observer des élections ou le référendum de 2020, et plusieurs sont membres des groupes de collaboration France-Russie (Alexandra Masson au Bureau du business club France-Russie, Nicolas Meizonnet au groupe d’amitié France-Russie à l’Assemblée).</p>
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<h2>Quel impact réel sur la prise de décision ?</h2>
<p>Quelles seront les conséquences pour l’Assemblée nationale ? On peut bien évidemment s’attendre à des discours plus nuancés sur la Russie au sein de l’hémicycle dans les mois à venir, d’autant plus que le conflit s’installe dans la durée. Mais quelles répercussions en termes de décision politique ? La politique étrangère reste le domaine réservé du président. Au quotidien, les choix sont faits par les conseillers de l’Élysée, le cabinet du ministre des Affaires étrangères, le Quai d’Orsay.</p>
<p>À défaut d’influencer directement la politique étrangère française au plus haut niveau, certaines des nouvelles voix pro-russes de l’Assemblée vont se recentrer sur les institutions clés que sont la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée et celle de la Défense, les groupes parlementaires et autres structures d’amitié francorusses, et la diplomatie parlementaire.</p>
<p>On risque ainsi de voir émerger des dissonances sur les questions russes entre l’Élysée et le Palais Bourbon, dans un style similaire (avec des rôles renversés) aux <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13569775.2019.1617655">disparités</a> de l’administration américaine et de la Maison Blanche durant la présidence de Donald Trump.</p>
<p>Le nouveau visage de l’Assemblée représente le choix légitime des Françaises et des Français. En outre, la plupart des entreprises du CAC40 souhaite retourner sur le marché russe dès qu’elles auront une meilleure visibilité de la situation politique et du climat d’investissements. La présidence Macron va donc devoir trouver un difficile équilibre entre de multiples voix demandant à revisiter les sanctions contre Moscou et rétablir le dialogue avec le Kremlin et le maintien du cap décidé à l’Élysée et à Bruxelles d’un soutien politique et militaire à Kiev inscrit dans la longue durée.</p>
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<p><em>Périne Schir effectue <a href="http://www.theses.fr/s300079">sa thèse</a> sous la direction d’Emmanuel Faye (Université de Rouen) et Marlene Laruelle (George Washington University).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185791/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’Assemblée nationale pourrait s’ouvrir à des voix bien plus favorables à la Russie que ce que l’Élysée et l’administration macronienne prônent.Marlene Laruelle, Research Professor and Director at the Institute for European, Russian and Eurasian Studies (IERES), George Washington UniversityPérine Schir, Research fellow at the Illiberalism Studies Program, the George Washington University ; PhD student in political philosophy, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1864872022-07-06T18:16:47Z2022-07-06T18:16:47ZPolitique : une histoire de confiance ?<p>Dès le remaniement de son gouvernement effectué, Élisabeth Borne a annoncé qu’elle ne solliciterait pas de l’Assemblée un <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/elisabeth-borne-ne-sollicitera-pas-le-vote-de-confiance-des-parlementaires-annonce">vote de confiance</a>, se contentant de présenter ce mercredi une déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale et le Sénat.</p>
<p>Elle a ainsi fait usage de l’article 50.1 de la Constitution introduit par la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19582-revision-du-23-juillet-2008-un-changement-de-republique">révision constitutionnelle</a> du 23 juillet 2008 et qui permet au Premier ministre de faire une déclaration devant l’une ou l’autre des Assemblées, suivie ou non d’un vote qui ne peut engager sa responsabilité politique. Confrontée à une majorité relative, la Première ministre a donc choisi de s’appuyer sur le <a href="http://juspoliticum.com/article/Vers-la-fin-du-parlementarisme-negatif-a-la-francaise-439.html">parlementarisme négatif</a>, qui caractérise la V<sup>e</sup> République dans lequel la confiance est présumée.</p>
<h2>La confiance, au cœur du régime parlementaire</h2>
<p>Ces deux termes méritent explicitation : la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/regime-presidentiel/">confiance</a> est LE principe du régime parlementaire. Elle unit les représentés-citoyens aux représentants et notamment les députés. Aussi, lorsque ceux-ci se dotent d’un gouvernement, ils doivent à leur tour l’investir de leur confiance, habituellement en exprimant celle-ci grâce à un vote qui peut prendre la forme d’une investiture (Italie, Portugal, Grèce, République tchèque…) ou d’une élection (Allemagne, Hongrie, Slovénie, Estonie, Finlande…).</p>
<p>Ce qui explique que nos <a href="https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2020-26-page-5.htm">voisins belges</a> (494 jours après les élections de 2019) ou allemands (172 jours en 2017) doivent au lendemain des élections mener de <a href="https://www.bundesregierung.de/breg-fr/actualites/questions-et-r%C3%A9ponses-concernant-la-formation-d-un-nouveau-gouvernement-319694">longues phases de négociation</a> avant qu’un gouvernement ne puisse se présenter devant les députés. Certains régimes parlementaires se dispensent de cette procédure et fonctionnent sur la confiance présumée comme on le voit par exemple au Danemark, sujet bien présent dans la série <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/RC-021645/borgen-une-femme-au-pouvoir/"><em>Borgen, une femme au pouvoir</em></a>.</p>
<p>Dans ce cas, le Gouvernement bénéficie d’une présomption de confiance : ce n’est plus à lui d’apporter la preuve qu’il jouit bien de la confiance de l’Assemblée. C’est à celle-ci, si elle estime que cette confiance n’existe pas, de démontrer son hostilité.</p>
<p>Aucune disposition de la Constitution de la V<sup>e</sup> République ne rend obligatoire l’investiture du Gouvernement, qui peut donc se contenter d’une confiance présumée. Certes, la rédaction de l’article 49 alinéa 1 est sujette à interprétation :</p>
<blockquote>
<p>« Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement une déclaration de politique générale ».</p>
</blockquote>
<p>Il est en effet habituel que dans les textes juridiques l’indicatif vaille impératif. Le « engage » pourrait donc avoir un caractère obligatoire. D’ailleurs, <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782226034571-gouverner-memoires-t-3-1958-1962-michel-debre/">Michel Debré</a>, premier Premier ministre de la Cinquième a sollicité la confiance de l’Assemblée nationale le 15 janvier 1959, quand bien même il n’était soutenu que par une majorité relative (le vote lui a tout de même été largement favorable : 453 députés ont voté la confiance et seuls 56 l’ont refusé).</p>
<p>Ce n’est qu’en 1966 que le Gouvernement Pompidou est entré en fonction indépendamment de tout vote de confiance de l’Assemblée (3<sup>e</sup> gouvernement Pompidou nommé le 8 janvier 1966, puis le 4<sup>e</sup> Gouvernement Pompidou entré en fonction le 6 avril 1967. À sa suite, M. Couve de Murville nommé le 10 juillet 1968 ne sollicitera pas non plus la confiance de l’Assemblée). Il s’agissait pour le Premier ministre de démontrer que dorénavant le Président de la République était la <a href="https://www.theses.fr/2011LIL20010">source de l’équilibre institutionnel</a> et que sa confiance, manifestée par les décrets de nomination du Gouvernement et de son chef, était suffisante à légitimer son action.</p>
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<h2>Une obligation relative</h2>
<p>Si à l’époque l’Assemblée nationale avait adopté une motion de censure démontrant au Gouvernement que son interprétation de la Constitution était incorrecte, le droit constitutionnel aurait retenu que la procédure du vote de confiance était obligatoire. En effet, les arguments tirés de l’exégèse du texte, en faveur du caractère facultatif ou obligatoire de la procédure, se neutralisent.</p>
<p>Pour les premiers, l’absence de délai rend l’obligation toute relative, le Premier ministre pouvant repousser l’engagement initial de sa responsabilité tant et si bien qu’il ne l’ait finalement pas engagé avant de quitter ses fonctions. D’autres font remarquer que la Constitution sait utiliser le verbe « devoir » quand elle doit expliciter une obligation. Comme dans l’article 50 qui tire les conséquences d’un vote négatif lors de l’engagement de responsabilité :</p>
<blockquote>
<p>« Le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission de son gouvernement ».</p>
</blockquote>
<p>À quoi il est répondu que la Constitution sait également insister sur le caractère facultatif des procédures, l’article 49 alinéa 3 prévoyant que le Premier ministre « peut… engager » ou l’article 49 alinéa 4 indiquant qu’il « a la faculté de demander au Sénat l’approbation d’une déclaration de politique générale ».</p>
<p>Faute de cela, la recherche de l’expression initiale de la confiance est depuis devenue facultative et c’est à l’opposition de renverser la présomption en adoptant une motion de censure. Toutefois, les procédures ne sont pas équivalentes.</p>
<p>On remarque en effet que l’article 49 alinéa 1 ne fait mention d’aucune majorité nécessaire à accorder où refuser la confiance. Or il ne peut exister en droit de majorité absolue sans texte. La confiance de l’article 49 alinéa 1 est donc accordée ou refusée à la majorité relative : c’est l’option (oui/non) qui a remporté le plus de voix qui remporte le suffrage.</p>
<p>De manière caricaturale, si 100 députés seulement sont présents et que cinquante-et-un votent contre le Gouvernement alors que 50 ont décidé de le soutenir, ce dernier est mis en minorité. La confiance, élément fondamental du régime parlementaire, n’est pas accordée et le Gouvernement doit démissionner.</p>
<h2>La motion de censure en question</h2>
<p>L’encadrement de la motion de censure est moins favorable aux parlementaires puisque pour être adoptée, la censure doit recueillir le soutien de la majorité absolue des membres, soit 289 voix favorables. Dans ce cas, seuls les votes favorables à la motion de censure sont recensés, les abstentions sont ainsi réputées favorables au Gouvernement.</p>
<p>L’adoption d’une motion de censure est donc devenue quasi illusoire, ce qui explique qu’une seule ait été adopté sous la V<sup>e</sup> République, en 1962, lorsque le général de Gaulle opéra un « contournement de la Constitution » afin de permettre l’élection du Président de la République <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/paul-reynaud-et-georges-pompidou-4-octobre-1962">au suffrage universel direct</a>.</p>
<p>Certes, dans le cadre d’un gouvernement soutenu par une majorité relative, mathématiquement, si toutes les oppositions se coalisent, elles détiennent plus que la majorité absolue des sièges. Toutefois et même dans le contexte actuel où l’Assemblée compte 10 groupes, chacun cherche à défendre son identité et sauf événement imprévu, il semble difficile de croire que l’opposition républicaine joigne ses voix à une motion de censure du Rassemblement national, ou que l’opposition de droite joigne les siennes à une motion de censure de la gauche.</p>
<p>La motion de censure déposée dans la foulée de la déclaration politique de la Première ministre a donc peu de chance de recueillir les 289 voix nécessaires, les quatre groupes de la Nupes ne détenant que 151 sièges, soit bien moins que la majorité absolue exigée par l’article 49 alinéa 2.</p>
<p>Paradoxalement, en cherchant à affirmer son leadership sur l’opposition de gauche, LFI, qui a initié cette motion de censure, joue le jeu du régime parlementaire négatif. Certes, le Gouvernement n’aura pas obtenu expressément la confiance, mais l’Assemblée aura démontré son incapacité à lui exprimer sa défiance. L’échec de la motion de censure va ainsi, quelques jours seulement après le remaniement, légitimer le premier gouvernement minoritaire de la V<sup>e</sup> République depuis 1991.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186487/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment l’échec de la motion de censure va quelques jours seulement après le remaniement, légitimer le premier gouvernement minoritaire de la Vᵉ République depuis 1991.Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1861042022-07-03T17:04:06Z2022-07-03T17:04:06ZComment les groupes parlementaires structurent la vie politique française<p>Remous provoqués par la scission de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) en quatre groupes politiques, interrogations autour de l’attribution aux groupes d’opposition de certains postes-clés à l’Assemblée nationale (vice-présidences, questures, présidence de la – très stratégique – commission des finances), réception des présidents des groupes par le président de la République au lendemain des élections, puis par la Première ministre à quelques jours de son discours de politique générale… La situation politique inédite résultant des élections législatives des 12 et 19 juin dernier met en lumière l’importance des groupes parlementaires, structures assez largement méconnues du grand public, ainsi que les enjeux liés à leur formation.</p>
<p>Les groupes parlementaires (également dénommés groupes politiques) sont des formations intérieures des assemblées qui rassemblent des parlementaires par affinités politiques. Prolongement parlementaire d’un parti politique, ces groupes existent dans toutes les démocraties représentatives qui comportent des assemblées délibérantes.</p>
<h2>Des groupes constitués dès la Révolution française</h2>
<p>Si les premiers « regroupements » de parlementaires, qui ne sont pas encore des groupes structurés tels que nous les connaissons aujourd’hui, apparaissent en France dès la Révolution française, la <a href="http://www.parlements.org/parlements/num0_7_LeBeguec.pdf">naissance de formations</a> proches des groupes contemporains (d’abord dans la pratique institutionnelle) <a href="http://juspoliticum.com/article/E-Lemaire-dir-Les-groupes-parlementaires-2019-1371.html">date de la IIIᵉ République</a>.</p>
<p>Depuis, les groupes représentent un rouage central de l’organisation et du fonctionnement du Parlement. Dès le début de la V<sup>e</sup> République, ils sont d’ailleurs présents à l’Assemblée nationale comme au Sénat, le nouveau régime s’inscrivant de ce point de vue-là <a href="https://www.lgdj.fr/les-groupes-parlementaires-en-france-9782275050515.html">dans la continuité des pratiques parlementaires antérieures</a>. Toutefois, la Constitution de 1958 n’en faisait aucune mention avant sa révision de 2008, qui a notamment eu pour objet la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/13/projets/pl0820.asp">valorisation des groupes minoritaires et d’opposition</a>.</p>
<p>Du Parlement, le grand public connaît principalement la séance publique (ou plénière). La séance publique correspond juridiquement à la formation permettant aux députés et aux sénateurs d’exercer les compétences attribuées au Parlement par la Constitution, à savoir le vote de la loi, le contrôle de l’action gouvernementale et l’évaluation des politiques publiques.</p>
<p>Mais les décisions prises en séance plénière sont préparées en amont, au sein de formations plus restreintes, parmi lesquelles il faut compter les groupes politiques. Ces derniers déterminent aussi, très largement, la composition des principaux organes de l’Assemblée nationale et du Sénat.</p>
<h2>Un double impératif</h2>
<p>L’existence des groupes au sein des assemblées délibérantes obéit en effet à un double impératif : politique d’une part, organisationnel d’autre part. Sur le plan politique, les groupes permettent aux parlementaires qui partagent les mêmes idées et des valeurs communes de discuter, de décider de l’attitude à adopter face à un texte, ou encore de la conduite à tenir par rapport au gouvernement, en amont de la séance publique.</p>
<p>Concernant l’organisation des assemblées, les groupes participent à la composition des principaux organes de l’Assemblée nationale et du Sénat, et parfois même la déterminent. Ainsi de la Conférence des présidents, qui est l’organe compétent pour déterminer l’ordre du jour des assemblées en application de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241057">l’article 48</a> de la Constitution et où désormais, la majorité présidentielle n’étant plus majoritaire (à l’Assemblée), l’inscription de textes d’origine gouvernementale pourrait être, dans l’hypothèse d’une alliance entre les oppositions, en partie entravée… Ainsi également des commissions parlementaires, rouages essentiels du travail parlementaire, où chaque groupe dispose d’un nombre de sièges proportionnel à son effectif, de façon à ce que chaque commission reflète fidèlement la composition politique de la chambre.</p>
<p>Les groupes interviennent également dans le fonctionnement de chaque chambre, tant dans le processus d’élaboration des lois que dans le contrôle du gouvernement (répartition du temps de parole, répartition des questions, etc.). Ils disposent en la matière de prérogatives parfois importantes, comme la possibilité (reconnue aux groupes minoritaires et d’opposition) de fixer prioritairement, en application de l’article 48 de la Constitution précité, l’ordre du jour d’une journée de séance par mois. Les présidents des groupes minoritaires et d’opposition disposent également d’un « droit de tirage » qui leur permet d’obtenir la création d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information une fois par session ordinaire.</p>
<p>On comprend, dans ces circonstances, que les trois formations de l’alliance électorale portée par Jean-Luc Mélenchon (en plus de La France insoumise) aient souhaité ne pas se « fondre » dans un groupe unique : il s’agissait bien entendu de conserver des prérogatives qui, autrement, auraient été dissoutes dans un groupe unique, dans lequel les socialistes, les écologistes et les communistes auraient d’ailleurs été minoritaires.</p>
<h2>Un nombre de groupes fluctuant</h2>
<p>Le nombre de groupes, parfois très important sous les III<sup>e</sup> et IV<sup>e</sup> Républiques (il y avait ainsi <a href="https://www.france-politique.fr/assemblee-nationale-1936.htm">16 groupes</a> à la Chambre des députés en 1936), a été progressivement réduit par l’augmentation du nombre de parlementaires nécessaires pour créer un groupe, afin d’éviter la dispersion entre une multitude de formations, qui risquait d’entraver le bon fonctionnement des chambres. Cette tendance, stable jusqu’en 1959 (il fallait alors 30 députés pour constituer un groupe à l’Assemblée nationale), a été depuis remise en cause, <a href="https://blog.juspoliticum.com/2020/06/05/un-dixieme-groupe-a-lassemblee-risque-dembolie-pour-la-democratie-parlementaire-par-jean-felix-de-bujadoux-alexis-fourmont-et-benjamin-morel/">au gré des conjonctures politiques</a>.</p>
<p>Le règlement de l’Assemblée nationale prévoit aujourd’hui un minimum de 15 députés pour former un groupe (et celui du Sénat un minimum de 10 sénateurs). Reflétant pour partie la recomposition politique majeure intervenue après l’élection de M. Macron à la présidence de la République en 2017, la XV<sup>e</sup> législature avait connu un <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/decouvrir-l-assemblee/effectifs-des-groupes-a-l-assemblee-nationale-depuis-1958">nombre record</a> (sous la V<sup>e</sup> République) de dix groupes.</p>
<p>La XVI<sup>e</sup> législature reflète, dès son ouverture, la situation inédite issue des élections législatives des 12 et 19 juin 2022 : <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/les-groupes-politiques">dix groupes</a> la composent déjà, et un onzième est annoncé pour l’automne. Le fonctionnement de l’Assemblée ayant été conçu, à l’origine, pour être optimal avec six groupes, la question se pose désormais sérieusement d’un risque de congestion à la chambre basse.</p>
<p>Parmi ces dix groupes, sept se sont <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045973971">déclarés</a> comme des groupes d’opposition. Le groupe « présidentiel » (Renaissance) comporte 172 membres ; en comptant les deux autres groupes issus de l’alliance électorale Ensemble ! – Horizons (30) et Démocrate (48) –, le président de la République ne pourra compter que sur une majorité relative de 250 députés (la majorité absolue étant à 289) pour mettre en musique son programme. Cette configuration institutionnelle est totalement inédite, dans la mesure où, hors les hypothèses de cohabitation et la majorité relative de la IX<sup>e</sup> législature (275 députés socialistes en début de législature), la V<sup>e</sup> République n’avait connu depuis 1962 que le « fait majoritaire », c’est-à-dire une situation dans laquelle une majorité compacte et disciplinée soutient de façon pratiquement inconditionnelle la politique présidentielle conduite par le gouvernement.</p>
<h2>Un renouveau du Parlement ?</h2>
<p>Sans pouvoir préjuger de l’avenir et à condition de se montrer raisonnablement optimiste quant à l’attitude des groupes d’opposition – qui se savent menacés par la dissolution dans l’hypothèse d’un blocage institutionnel –, il est possible de considérer, à rebours des projections alarmistes esquissées <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/15/l-hypothese-de-la-majorite-relative-impense-du-second-quinquennat-d-emmanuel-macron_6130430_823448.html">depuis 15 jours</a>, que cette situation institutionnelle nouvelle ne présente pas que des inconvénients.</p>
<p>Elle pourrait en effet conduire à un <a href="https://blog.juspoliticum.com/2022/06/24/ni-fait-majoritaire-ni-cohabitation-la-cinquieme-republique-dans-le-monde-dapres-par-denis-baranger/">renouveau du Parlement</a>, rouage fondamental de notre démocratie représentative. Affaibli par une victoire électorale en demi-teinte face à l’extrême droite et par le revers subi aux élections législatives, contraint de composer avec un Sénat dont la majorité lui est opposée, le président de la République n’est pas assuré de pouvoir faire adopter ses réformes. Même les députés de « sa » majorité (relative), désormais plus expérimentés et surtout moins redevables de leur élection au président de la République qu’il y a cinq ans, pourraient se montrer moins dociles. En un mot, pour « gouverner », Emmanuel Macron devra faire sienne la culture de la discussion et du compromis.</p>
<p>Longtemps tentée au forceps des révisions constitutionnelles successives (avec un succès très relatif), la revalorisation de l’institution parlementaire résultera peut-être, et plus simplement, de la configuration politique inédite de l’été 2022.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186104/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elina Lemaire est vice-présidente de l'Observatoire de l'éthique publique.</span></em></p>La situation politique inédite met en lumière l’importance des groupes parlementaires et leurs enjeux.Elina Lemaire, Maître de conférences, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1855542022-06-22T21:04:33Z2022-06-22T21:04:33ZAprès le bouleversement des législatives, quelle place pour le Sénat ?<p>Anomalie démocratique, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2004-0-page-33.htm">« assemblée du seigle et de la châtaigne »</a>, réunion de notables ou de privilégiés, les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/dimanche-et-apres/les-senateurs-indispensables-ou-depasses-9704730">qualificatifs négatifs</a> ne manquent pas pour désigner le Sénat, seconde chambre méconnue du Parlement.</p>
<p>Cette image, peu flatteuse, est liée à son <a href="http://www.senat.fr/role/senate.html">mode d’élection</a>. Les 348 sénateurs du Palais du Luxembourg sont en effet élus au suffrage universel indirect par un collège électoral composé essentiellement de délégués des conseils municipaux, ce qui explique, pour partie, sa composition politique majoritairement à droite et qu’il soit qualifié de « Grand conseil des communes de France ».</p>
<p>Or, au vu de la crise politique que traverse la France, l’attention politique pourrait bien désormais se porter sur les sénateurs de droite, qui, pour certains observateurs seraient les <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19507-quest-ce-quun-senateur-quel-est-le-role-dun-senateur">grands gagnants</a> de cette élection législative.</p>
<p>Au vu des défis qui s’annoncent pour le prochain quinquennat, il est important de revenir sur les prérogatives du Sénat ainsi que sur son rôle qui pourrait bien être renforcé et, dans le même temps et de façon inédite, affaiblir la verticalité du pouvoir.</p>
<h2>Deux principales missions</h2>
<p>Classiquement, le Sénat dispose de deux principales attributions : le contrôle du gouvernement et le vote de la loi. Celles-ci lui permettent d’être une chambre d’opposition, de modération et de contre-pouvoir.</p>
<p>Tout d’abord, la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19582-revision-du-23-juillet-2008-un-changement-de-republique">révision constitutionnelle du 23 juillet 2008</a> de modernisation des institutions attribue expressément au Parlement les fonctions de contrôle du gouvernement et d’évaluation des politiques (art. 24). Ce contrôle sur le gouvernement s’effectue en séance notamment par le biais des questions (orales ou écrites) posées aux membres du gouvernement.</p>
<p>D’ailleurs, les sénateurs n’hésitent à poser des questions écrites, orales ou d’actualité (leur nombre a été en forte augmentation avec <a href="https://www.senat.fr/dossiers-legislatifs/depots/depots-2020.html">580 questions</a> pour la session 2020-2021) pour contrôler l’action gouvernementale mais également alerter l’opinion publique.</p>
<p>Par exemple, les sénateurs et sénatrices ont posé des questions sur la <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2020/qSEQ200717281.html">surpopulation carcérale</a>, la <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ210623378.html">transparence des prix des médicaments</a> ou encore sur le dispositif <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ21111932S.html">Parcoursup</a>.</p>
<p>Cette mission de contrôle s’exerce aussi par le biais des délégations ou commissions. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs eu un fort retentissement médiatique. On se souvient sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron de la « mission d’information sur les conditions dans lesquelles des personnes n’appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l’exercice de leurs missions de maintien de l’ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements », dites <a href="https://www.senat.fr/rap/r18-324/r18-3240.html">« commission Benalla »</a> qui a fait couler beaucoup d’encre et élevé à leur paroxysme les tensions entre <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/200219/affaire-benalla-le-rapport-du-senat-met-directement-en-cause-l-elysee">l’Élysée et le Sénat en 2018</a>.</p>
<p>Cette commission d’enquête a eu des répercussions importantes tant sur le plan politique que juridique. En mettant en lumière de nombreux dysfonctionnements, cette commission a indirectement <a href="https://blog.juspoliticum.com/2018/09/23/laffaire-benalla-et-la-constitution-le-senat-organe-de-controle-politique-de-lexecutif/">remis en cause</a> la responsabilité du Président de la République et a permis la création de la Direction de la sécurité de la présidence de la République l’année suivante.</p>
<p>Plus récemment, les sénateurs ont enquêté sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés et autres acteurs du secteur privé sur les politiques publiques (<a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/04/06/affaire-mckinsey-le-parquet-national-financier-a-ouvert-une-enquete-preliminaire-pour-blanchiment-aggrave-de-fraude-fiscale_6120839_823448.html">qui a donné lieu à l’« affaire McKinsey »</a>) et suscité des interrogations relatives à la gestion par le gouvernement de la crise du Covid-19. Ces différentes initiatives attestent que le rôle du Sénat est important pour contrôler l’action du gouvernement et mettre à jour, à la manière d’un lanceur d’alerte, certains manquements.</p>
<h2>Un pouvoir législatif non négligeable</h2>
<p>Ensuite, le Sénat dispose du pouvoir législatif et, à ce titre, il vote et peut être à l’initiative des lois. Dans ce domaine, la Haute chambre joue également un rôle très important puisqu’il intervient, le plus souvent (sauf pour certains textes où le Sénat doit obligatoirement être saisi prioritairement à l’instar des lois visant les collectivités territoriales en application de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241026">l’article 39</a> de la Constitution) en seconde lecture.</p>
<p>Étant saisi en second dans le cadre de la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19521-quelles-sont-les-etapes-du-vote-dune-loi">navette parlementaire</a> (transmission et examen des projets et propositions de loi), les sénateurs et sénatrices voient arriver un texte déjà discuté, qu’ils peuvent perfectionner, amender.</p>
<p>C’est d’ailleurs une des qualités unanimement reconnues à la Haute chambre, celle de participer à l’amélioration de la loi. Chambre de réflexion, le Sénat, ne joue d’ailleurs pas toujours un rôle de simple opposant politique.</p>
<p>Sur la période 2020-2021, on peut s’apercevoir que trois textes sur quatre ont été adoptés dans les mêmes termes par les deux chambres. Cependant, il peut également se révéler être un contre-pouvoir offensif en refusant, même après la réunion d’une commission mixte paritaire, l’adoption de certains textes comme la loi relative à la bioéthique ou le projet de loi relatif au système universel de retraite, adopté grâce à l’utilisation de l’article 49.3 à l’Assemblée nationale mais qui a ensuite été abandonné.</p>
<p>Ce dernier exemple montre que le gouvernement peut neutraliser la seconde chambre en donnant le dernier mot à l’Assemblée nationale ce qui n’est pas le cas dans le cadre des révisions constitutionnelles.</p>
<h2>Un pouvoir absolu de blocage</h2>
<p>Le Sénat dispose, en effet, d’un pouvoir absolu de blocage en cas de désaccord concernant une révision constitutionnelle alors même qu’il ne peut être atteint par une dissolution, l’exécutif ne disposant de cette arme que face à l’Assemblée nationale en application de l’article 12 de la Constitution.</p>
<p>Inscrite à l’article 89 de la Constitution, la <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-legislatives/la-revision-de-la-constitution">procédure de révision</a> comprend trois phases : l’initiative, l’adoption et l’adoption définitive. S’agissant de l’initiative, elle relève soit de l’exécutif (le Premier ministre propose un projet de révision au Président de la République) soit des parlementaires (il s’agira alors d’une proposition de révision).</p>
<p>Ensuite, chaque assemblée doit adopter, le projet ou la proposition, en termes identiques. A ce stade, il faut bien souligner que contrairement au vote classique de la loi, le gouvernement ne peut ni utiliser l’article 49.3 ni donner le dernier mot à l’Assemblée nationale. On comprend dès lors que le Sénat a la possibilité, dès cette seconde phase, d’empêcher une révision constitutionnelle.</p>
<p>Si le vœu de révision est adopté en termes identiques, le référendum est la seule voie possible d’adoption définitive concernant les propositions de révision. S’il s’agit d’un projet, le Président peut le soumettre également au référendum ou contourner la voie de la démocratie directe en réunissant les deux assemblées en Congrès qui devront l’adopter à la majorité des 3/5<sup>e</sup> des suffrages exprimés soit un minimum de 555 votes favorables.</p>
<p>Cette procédure permet donc au Sénat de bloquer les révisions constitutionnelles ce qu’il a encore fait récemment en <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/07/06/climat-dans-la-constitution-le-senat-persiste-a-refuser-le-terme-garantit_6087154_823448.html">réécrivant</a> le projet de révision de l’article 1<sup>er</sup> de la Constitution qui avait pour objet d’introduire la protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique au rang des principes républicains ou encore en refusant en 2016 le projet présidentiel de la <a href="https://www.senat.fr/espace_presse/actualites/201602/inscrire_letat_durgence_et_la_decheance_de_nationalite_dans_la_constitution.html">déchéance de nationalité</a>.</p>
<p>Au regard de ses <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2016-4-page-5.htm">pouvoirs cités plus haut</a>, de sa composition politique et des résultats des législatives, le Sénat aura sans doute un rôle nettement décisif.</p>
<p>Si les LR perdent de nombreux sièges à l’Assemblée nationale, ils n’en sont pas moins courtisés par la majorité présidentielle comme l’a démontrée la sortie médiatique de Bruno Rétailleau. La Haute chambre, avec ses 146 sénateurs et sénatrices et son président Gérard Larcher pourrait très bien être amené à jouer un <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elections/legislatives/la-presidence-de-la-commission-des-finances-doit-revenir-au-rn-larcher-defend-le-respect-pour-les-elus-de-le-pen_AN-202206220138.html">rôle clef</a> dans les négociations à suivre.</p>
<p>Dès lors, s’ouvre pour le Sénat une nouvelle période au sein de laquelle sa qualification de point d’équilibre des institutions prend, à nouveau, tout son sens.</p>
<hr>
<p><em>A paraître, <a href="https://credespo.u-bourgogne.fr/toute-lactualite/808-le-senat-acteur-meprise-de-la-5e-republique.html">Le Sénat de la Vᵉ République, acteur méprisé ? Actes du colloque</a> qui s’est tenu au Palais du Luxembourg, les 21 et 22 octobre 2022, Dir. Nathalie Droin et Aurore Granero, à paraître aux éditions IFJD, Coll. Colloques et essais.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185554/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurore Granero est membre de l'Observatoire de l'éthique publique. </span></em></p>Si l’actualité politique se focalise sur l’Assemblée nationale, une autre partie pourrait se jouer à la seconde chambre du Parlement, le Sénat.Aurore Granero, Maître de conférence HDR en droit public, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1853752022-06-19T23:38:57Z2022-06-19T23:38:57ZLégislatives : la vie politique bouleversée par un scrutin inattendu<p>La campagne du second tour des élections législatives a mis aux prises deux programmes antagonistes – celui de la majorité présidentielle et celui d’une gauche rassemblée autour de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) – qui correspondent à deux visions radicalement différentes de la société et de la position de la France dans le monde.</p>
<p>Mais les résultats ont aussi désigné <a href="https://www.lemonde.fr/elections-legislatives-2022/article/2022/06/19/legislatives-2022-le-rassemblement-national-obtient-une-vague-historique-d-au-moins-80-deputes_6131115_6104324.html">très clairement et confirmé le poids</a> d’une troisième force plus discrète cette semaine : le RN qui obtient désormais un groupe parlementaire, événement historique depuis 1986, avec 89 députés élus. L’espoir d’une majorité absolue <a href="https://www.revuepolitique.fr/la-logique-implacable-des-elections-sequentielles/">comme en 2017</a> pour « Ensemble » dans la logique institutionnelle qui a dominé la V<sup>e</sup> République, est désormais enterré. Celui d’une cohabitation classique aussi.</p>
<p>Or la majorité relative qui se dessine, un <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/15/l-hypothese-de-la-majorite-relative-impense-du-second-quinquennat-d-emmanuel-macron_6130430_823448.html">« impensé » pour les macronistes</a>, va impulser de nouvelles stratégies d’alliances notamment entre la coalition présidentielle et Les Républicains (64 sièges). Avec un risque de paralysie évident.</p>
<p>La campagne de l’entre-deux-tours a ainsi été marquée par une incertitude inédite depuis les législatives de 1997, issue de la dissolution décidée par le président Chirac.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/resultats-elections/">Ces résultats</a> constituent aussi un revers pour les deux forces politiques qui ont dominé le débat public lors de ce scrutin : la coalition macroniste enregistre un recul de près de 100 sièges et se situe très loin de la majorité absolue ; la Nupes peine à amplifier la dynamique qui avait été la sienne au premier tour et n’atteint pas la barre symbolique des 150 sièges.</p>
<p>En revanche, le parti LR, très discret tout au long de la campagne, sauve 64 sièges grâce à l’implantation de ses élus locaux. Il est toutefois distancé par le RN qui est le seul vrai vainqueur du scrutin. La nouvelle Assemblée nationale est constituée de quatre blocs inégaux, le premier d’entre eux étant bien la coalition majoritaire qui détient une majorité relative.</p>
<h2>Une histoire de compromis ancienne</h2>
<p>La situation institutionnelle provoquée par ces résultats n’est pas totalement inédite. Une fois déjà, dans l’histoire de la V<sup>e</sup> République, les élections législatives ont abouti à l’émergence d’une majorité relative. C’était en 1988. Réélu président de la République après deux années de cohabitation qui lui avaient permis d’endosser un rôle d’arbitre, au-dessus de la mêlée politique, François Mitterrand avait fait le choix de dissoudre l’Assemblée nationale élue en 1986 et dominée par les deux principaux partis de droite (RPR et UDF).</p>
<p>Il espérait ainsi obtenir une majorité à l’appui de la politique d’« ouverture » au centre qu’il avait prônée au cours de sa campagne électorale et que son nouveau Premier ministre, Michel Rocard, devait incarner. Il ne souhaitait donc ni revenir à l’union de la gauche entre socialistes et communistes, qui constituait le socle du gouvernement « du changement » conduit par <a href="https://www.mitterrand.org/francois-mitterrand-les-annees-du.html">Pierre Mauroy entre 1981 et 1984</a>), ni s’appuyer, comme entre 1984 et 1986, sur une majorité constituée par le <a href="https://www.nouveau-monde.net/catalogue/mitterrand/">seul Parti socialiste</a>.</p>
<p>« Il n’est pas bon qu’un Parti gouverne seul » avait-il <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/139771-intervention-televisee-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republ">même déclaré</a> lors de la campagne des législatives de 1988, lors de la rituelle ascension de la roche de Solutré organisée comme chaque année lors du week-end de la Pentecôte.</p>
<p>Il espérait sans doute obtenir le ralliement d’une partie des centristes que rebutaient les positions jugées alors trop droitières de Jacques Chirac et de son parti le RPR. Le résultat des élections de juin 1988 semblait créer le contexte de <a href="https://www.cairn.info/michel-rocard-premier-ministre--9782724625608-page-71.htm">cette reconfiguration politique</a>. Avec 275 sièges à l’Assemblée, le PS échouait – à quatorze sièges près – à obtenir la majorité absolue. Mais il s’affirmait clairement comme le premier parti de France.</p>
<p>Il lui revenait clairement de structurer une majorité, en appui au président et à son gouvernement. La création d’un groupe centriste autonome – l’Union du centre –, distinct de celui de l’UDF, tout comme la bienveillance affichée par Raymond Barre à l’égard du président réélu et de son premier ministre, pouvait laisser penser qu’une coalition socialo-centriste permettrait de dégager une majorité absolue dans cette Assemblée. Il n’en fut pourtant rien.</p>
<h2>Un gouvernement difficile</h2>
<p>Les gouvernements conduits par Michel Rocard (1988-1991) puis par Édith Cresson (1991-1992) et Pierre Beregovoy (1992-1993) durent réunir des majorités pour faire adopter chaque texte de loi, tantôt avec les communistes, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-vif-de-l-histoire/13h54-le-vif-de-l-histoire-du-jeudi-16-juin-2022-2720059">tantôt avec les centristes et les non-inscrits</a>.</p>
<p>Le recours à l’article 49.3 de la Constitution permit aussi de sortir de certaines situations de blocage, puisqu’il permet au Premier ministre de faire adopter un projet de loi sans vote, à condition que les oppositions de droite et de gauche ne se rejoignent pas pour voter une motion de censure.</p>
<p>L’article 49.3 fut utilisé à 39 reprises pendant cette législature. En cinq ans, seul le budget 1989 a été adopté sans recourir à cet article. La procédure n’est pas sans risque. À deux reprises, le gouvernement a failli être renversé par une <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19523-la-motion-de-censure-493-veritable-moyen-de-controle">motion de censure</a>. En 1990, il a manqué cinq voix pour que Michel Rocard soit renversé lorsqu’il a mobilisé l’article 49.3 pour faire adopter la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/21973-quest-ce-que-la-csg-contribution-sociale-generalisee">Contribution sociale généralisée</a> (CSG). En 1992, le gouvernement de Pierre Bérégovoy a été confronté à une motion de censure sur la question de réforme de la Politique agricole commune, qui a failli être adoptée à trois voix près.</p>
<h2>Gouverner avec une majorité relative</h2>
<p>Gouverner avec une majorité relative n’est donc pas impossible. La législature ouverte en 1988 en <a href="https://www.cairn.info/michel-rocard-premier-ministre--9782724625608-page-89.htm">apporte l’exemple</a>. Elle fut marquée par une certaine stabilité ministérielle et par la mise en œuvre d’importantes réformes (RMI, CSG, éducation…) dans un contexte international en pleine mutation (effondrement du bloc communiste, signature du traité de Maastricht, première guerre du Golfe).</p>
<p>La gestion d’une majorité relative suppose toutefois, de la part de l’exécutif, un art consommé de la négociation parlementaire et un sens du compromis, dont surent faire preuve aussi bien le <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1988/05/14/relations-avec-le-parlement-m-jean-poperen-le-chiffon-rouge_4103422_1819218.html">ministre des Relations avec le Parlement</a>, un poste-clef dans ce contexte (occupé alors par Jean Poperen), que le conseiller parlementaire du Premier ministre, le constitutionnaliste Guy Carcassonne.</p>
<p>Elle conduit forcément à des renoncements et à demi-mesures qui furent assez nettement sanctionnés par les électeurs. Lors des législatives de 1993, le PS perdit sa majorité relative et obtint même le <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/legislatives-le-ps-en-pleine-berezina-3357869">pire résultat</a> de son histoire… jusqu’en 2017 !</p>
<h2>Une nécessaire culture du compromis</h2>
<p>Ce précédent historique peut éclairer la situation politique présente. Comme son lointain prédécesseur, le président peut difficilement espérer le ralliement d’un des groupes d’opposition pour constituer une majorité stable. Les partis de gauche sortent renforcés d’un scrutin dans lequel leurs électeurs ont montré leur attachement à une dynamique unitaire, clairement située dans l’opposition : il n’est donc pas dans leur intérêt de rejoindre le pouvoir. Les députés RN, qui sont susceptibles de constituer le premier groupe parlementaire d’opposition à l’Assemblée nationale, se situent dans une opposition frontale à un exécutif qui, depuis 2017, s’est construit en désignant l’extrême droite comme son adversaire principal. Aucun ralliement n’est donc à attendre de ce côté.</p>
<p>Quant à certains parlementaires LR qui, comme les centristes de 1988, pourraient être tentés de s’allier à une majorité dont ils ne sont séparés par aucun antagonisme fondamental, ils risquent fort de privilégier la logique de reconstruction d’une droite de gouvernement, dans la perspective de l’anti-macronisme. De son côté, le président n’incarne pas naturellement cette « culture du compromis » nécessaire dans un tel contexte, comme le souligne <a href="https://www.liberation.fr/politique/legislatives-la-majorite-relative-redonne-la-main-au-parlement-20220617_SP4U2GKSXRHZFAJNSKUAZHELN4/?redirected=1">l’historien Christian Delporte</a>. Et il ne dispose pas des mêmes atouts que ses prédécesseurs. En effet, depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le recours à l’article 49.3, critiqué comme le <a href="https://journals.openedition.org/revdh/8972#tocto2n4">rappelle le chercheur Francesco Natoli</a>, est très strictement limité. Ainsi, écrit Natoli, « hormis les projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, ce dispositif ne peut être mis en œuvre que sur un seul texte au cours d’une même session parlementaire ».</p>
<h2>Un système démocratique de plus en plus fragile</h2>
<p>Emmanuel Macron se trouve toutefois confronté à une situation plus délicate que François Mitterrand. Il doit faire face à des oppositions radicalisées, à gauche (avec la Nupes) comme à droite (avec le RN), qui n’ont aucun intérêt à ce qu’il mette en œuvre son projet. Sa majorité est surtout bien plus relative que celle de son lointain prédécesseur. Il lui manque en effet plus de 50 sièges pour obtenir une majorité absolue dans une Assemblée nationale dont on pourrait penser qu’elle a été élue au scrutin proportionnel, tant elle reproduit la tripolarisation de la vie politique à l’œuvre depuis le premier tour de la présidentielle de 2022. La majorité macroniste se retrouve ainsi dans une position inconfortable – celle d’un centre soumis à la double pression d’une gauche et d’une droite chacune dominée par son aile la plus radicale (LFI et le RN).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1538598227402010625"}"></div></p>
<p>La cohérence politique de cette majorité est aussi plus fragile que celle du PS de la fin des années 1980. Le parti présidentiel, désormais nommé « Renaissance », n’a pas la même implantation territoriale que le PS d’il y a trente ans, aussi bien termes de militants que de cadres et d’élus locaux. Et il doit compter sur des alliés – le MoDem de François Bayrou et Horizons d’Edouard Philippe – beaucoup plus jaloux de leur autonomie et de leur influence que ne l’étaient le Mouvement des radicaux de gauche ou Génération Écologie de Brice Lalonde.</p>
<p>Enfin, cette majorité relative intervient alors même que le système démocratique français est beaucoup plus fragile qu’il y a quarante ans et suscite une réelle défiance auprès d’une <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100861310">partie croissante de la population</a>.</p>
<p>La légitimité des élus et des institutions est affaiblie par la montée de l’abstention (30 % aux législatives de 1988, 52 % à celles de 2022). L’effondrement successif des partis qui avaient structuré la vie politique française dans la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle (le communisme, le gaullisme, le socialisme…) a laissé la place à un paysage politique fragmenté et changeant.</p>
<p>La montée de l’extrême droite (14,5 % aux présidentielles de 1988, plus de 30 % si l’on additionne les électeurs de Le Pen et Zemmour en 2022) est également l’un des symptômes de l’essor des populismes et de la crise que connaissent aujourd’hui les partis de gouvernement. Il ne faudrait pas qu’à ces problèmes multiples s’ajoute une crise du parlementarisme et des institutions démocratiques que pourrait engendrer le résultat d’un scrutin qui semble ressusciter le <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/268979-la-ive-republique-1944-1958">spectre de la IVᵉ République</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185375/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Bernard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les résultats des législatives ont abouti à un record de sièges historiques pour le RN et une polarisation encore plus appuyée de la vie politique au sein même de l’Assemblée nationale.Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1853772022-06-19T23:38:56Z2022-06-19T23:38:56ZQuand les ministres perdent l’arbitrage électoral<p>Les élections législatives n’ont pas seulement été l’enjeu pour Emmanuel Macron de disposer d’une majorité pour gouverner, elles ont aussi été un test personnel pour les membres du gouvernement qui s’y sont présentés. Le chef de l’État a indiqué qu’en cas de défaite, ses ministres-candidats <a href="https://www.lepoint.fr/elections-legislatives/legislatives-les-ministres-battus-devront-demissionner-22-05-2022-2476639_573.php">devraient remettre leur démission</a>. Cette règle s’appliquera donc pour Justine Bénin (secrétaire d’État à la Mer, La Réunion), Brigitte Bourguignon (ministre de la Santé, Pas-de-Calais), Amélie de Montchalin (ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Essonne), Richard Ferrand (président de l’Assemblée, Finistère) nationale défait·e·s dans leurs circonscriptions. Alors que cette pratique fut mise en place par Nicolas Sarkozy en 2007, que cela signifie-t-il pour la conception du pouvoir ministériel ?</p>
<p>Sous la V<sup>e</sup> République, détenir un mandat (local, national ou européen) n’est pas une condition nécessaire pour devenir ministre. Par ailleurs, les fonctions ministérielles et parlementaires sont incompatibles (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527487">art. 23 de la Constitution</a>). Alors, pourquoi un ministre se présente aux élections législatives ?</p>
<h2>Un mandat pour peser politiquement</h2>
<p>Se présenter à une élection pour un (ancien) membre du gouvernement permet de mesurer son poids politique et électoral. Le vote fait office de mise en responsabilité du détenteur d’un portefeuille ministériel : il peut être un vote sanction. <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/politique/legislatives-la-chute-est-brutale-pour-jean-michel-blanquer_AV-202206130163.html">L’échec de Jean-Michel Blanquer au premier tour de ces élections législatives</a>, alors un poids lourd des gouvernements du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, peut illustrer cette sanction électorale comme bilan de son passage à l’Éducation nationale.</p>
<p>La règle de la démission en cas de défaite aux élections législatives renforce l’idée selon laquelle un ministre est légitime à son poste puisqu’il a la confiance des électeurs en circonscriptions.</p>
<p>En détenant un mandat, le ministre a « une connaissance approfondie de l’engrenage social et surtout du mouvement et du fonctionnement de la machine politique » pour reprendre <a href="https://scholar.google.com/scholar?hl=fr&as_sdt=0%2C5&q=R.+Michels%2C+Les+partis+politiques.+Essai+sur+les+tendances+oligarchiques+des+d%8Emocraties%2C+Paris%2C+Flammarion%2C+1914&btnG=">l’expression du sociologue Roberto Michel</a>. Cette aptitude peut être utile pour un ministre alors inscrit dans un processus décisionnel qui tente d’obtenir des arbitrages favorables en exposant leur proximité avec le « terrain » mais aussi en étant des ténors de la majorité parlementaire.</p>
<p>Enfin, depuis la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241016/">réforme constitutionnelle de 2008</a>, les ministres quittant le gouvernement peuvent de nouveau retrouver leur siège de député. Cela permet de continuer à exercer une influence politique, même après le départ du gouvernement.</p>
<h2>Se présenter : un risque depuis 2007</h2>
<p>Se présenter constitue un risque depuis 2007 et la règle de la démission forcée peut expliquer certains renoncements aux candidatures, de peur de perdre sa place au gouvernement. En 2012, Najat Vallaud-Belkacem, ministre du droit des Femmes et porte-parole du gouvernement Ayrault <a href="https://www.lemonde.fr/m-styles/article/2012/05/18/najat-vallaud-belkacem-renonce-aux-legislatives_1703724_4497319.html">renonce à sa candidature dans la 4ᵉ circonscription du Rhône</a>, là où cinq auparavant son adversaire de droite l’avait largement emporté avec 56,57 % des voix.</p>
<p>Cette année, des poids lourds du gouvernement comme <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/legislatives/eric-dupond-moretti-n-est-pas-candidat-aux-legislatives-20220504">Éric Dupont-Moretti</a> et <a href="https://www.bfmtv.com/politique/legislatives-emmanuel-macron-a-dissuade-agnes-pannier-runacher-d-etre-candidate_AN-202205100391.html">Agnès Pannier-Runacher</a> ont renoncé à être candidat dans les Hauts-de-France aux législatives, malgré leurs intentions initiales. En effet, lors des élections régionales de juin 2021, ils avaient tous deux obtenu 8,67 % des suffrages.</p>
<p>En 2007, le nouveau Premier ministre François Fillon impose la démission à ses ministres en cas d’échec aux législatives en expliquant que lorsqu’« on n’a pas le soutien du peuple, on ne peut pas rester au gouvernement ». C’est alors qu’Alain Juppé, ministre de l’Écologie, avait dû démissionner après sa défaite dans la 2<sup>e</sup> circonscription de la Gironde. Une <a href="https://www.la-croix.com/France/Demission-ministres-battus-legislatives-regle-nombreuses-exceptions-2022-05-23-1201216491">règle quai-similaire avait été faite en 1988</a> par Michel Rocard, mais uniquement pour les ministres-députés sortants. À l’époque, Georgina Dufoix (ministre chargée des questions familiales) et Catherine Trautmann (secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires sociales et de l’Emploi) avaient démissionné.</p>
<h2>Une règle à la logique introuvable</h2>
<p>Le professeur de droit public, Bruno Daugeron, rappelle cependant que la règle de la démission avait été déjà prescrite en 1967. Outre le fait qu’il n’y ait aucun fondement juridique à cette injonction, il reproche une <a href="https://blog.juspoliticum.com/2017/06/13/pas-elu-pas-ministre-responsabilite-politique-ou-marketing-electoral-par-bruno-daugeron/">« logique introuvable »</a> à cette règle puisque tous les ministres ne se présentent pas lors des élections législatives et donc ne sont pas redevable du verdict des urnes.</p>
<p>À ce sujet, il est intéressant de voir l’évolution des candidatures ministérielles aux élections législatives depuis l’instauration et la réplication de cette règle depuis 2007.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/469623/original/file-20220619-11-1nvlml.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Tableau indiquant l’évolution des nominations et résultats aux élections législatives" src="https://images.theconversation.com/files/469623/original/file-20220619-11-1nvlml.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469623/original/file-20220619-11-1nvlml.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=214&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469623/original/file-20220619-11-1nvlml.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=214&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469623/original/file-20220619-11-1nvlml.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=214&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469623/original/file-20220619-11-1nvlml.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=269&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469623/original/file-20220619-11-1nvlml.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=269&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469623/original/file-20220619-11-1nvlml.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=269&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Tableau indiquant l’évolution des nominations et résultats aux élections législatives.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Légifrance (nominations des ministres), data.gouv (résultats des élections législatives), J. Robin</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On observe que la moyenne des ministres candidats depuis 2007 est d’environ 0,5 et qu’en 2017, il y a moins de candidatures ministérielles que l’on pourrait expliquer par le renouvellement de la classe politique.</p>
<p>À cette époque, plusieurs membres du gouvernement n’avaient jamais exercé de fonction politique (Agnès Buzyn, Sophie Cluzel, Laura Flessel, Françoise Nyssen ou Frédérique Vidal) ou étaient issues de la société civile (Nicolas Hulot, Marlène Schiappa, Muriel Pénicaud, Mounir Mahjoubi).</p>
<p>Par ailleurs, parmi les six ministres-candidats, seul Mounir Mahjoubi n’avait jamais exercé de mandat électif auparavant, les autres étant députés sortants (et députée européenne pour Marielle de Sarnez). Ce ne sont donc que des ministres déjà rompus à l’exercice électoral qui se soumit aux suffrages lors de ces élections législatives en 2017.</p>
<h2>Renforcer le rôle du président et la compétence technique</h2>
<p>Au-delà des candidatures, les politistes François Abel et Emiliano Grossman constatent une baisse sur le temps long du nombre de ministres occupant ou ayant occupé par ailleurs un <a href="https://laviedesidees.fr/Qui-sont-les-ministres-de-la-Ve-Republique.html">mandat de député</a>. Sur la période observée 1959-2012, ils observent qu’en moyenne 67 % des ministres ont connu un mandat parlementaire mais que cette pratique a connu d’importantes variations. Ils expliquent que sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le choix a été fait de ne pas s’appuyer sur des ténors de la majorité pour composer le gouvernement. Cela a participé au renforcement du rôle du chef de l’État comme le véritable chef de la majorité.</p>
<p>Enfin, la politiste Delphine Dulong explique que la V<sup>e</sup> République a porté la compétence technique comme <a href="https://books.google.fr/books/about/Moderniser_la_politique.html?id=_Ol-U0jxSmAC&redir_esc=y">nouveau répertoire de légitimation</a>. C’est ainsi que, comme le rappellent François Abel et Emiliano Grossman :</p>
<blockquote>
<p>« le général de Gaulle choisit de s’appuyer sur des hommes de confiance, essentiellement issus de la haute administration et de la Résistance, et rechigne, de ce fait, à recruter ses ministres parmi les députés, dont la plupart étaient déjà en fonction sous la IV<sup>e</sup> République »</p>
</blockquote>
<p>La nomination de personnes issues de la « société civile » ou de la haute fonction publique sans détenir un mandat parlementaire, ni un autre mandat – des ministres comme Emmanuel Macron, Éric Dupont-Moretti ou Nicolas Hulot ; des Premiers ministres comme Georges Pompidou, Raymond Barre, Dominique de Villepin ou plus récemment Élisabeth Borne – <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19464-comment-seffectue-la-nomination-des-membres-du-gouvernement">est devenue alors une pratique régulière des gouvernements depuis 1958</a>.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Jean-François Godbout</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185377/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Robin a reçu des financements du département de science politique de l'Université de Montréal. Il est également assistant de recherche au Centre Jean Monnet Montréal.</span></em></p>Sous la Vᵉ République, détenir un mandat n’est pas une condition nécessaire pour devenir ministre, pourtant nombreux sont celles et ceux qui s’y risquent parfois à leurs dépens.Julien Robin, Doctorant en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1850622022-06-16T20:41:55Z2022-06-16T20:41:55ZRecomposition de l’Assemblée : une occasion pour mieux évaluer les lois ?<p>La future Assemblée nationale pourrait aboutir à un rééquilibrage des pouvoirs entre le parlement et le gouvernement. Qu’il s’agisse des élus de l’opposition (qui siégeront en plus grand nombre) ou de ceux de la majorité (plus expérimentés qu’il y a cinq ans), nombreux sont les parlementaires qui pourraient vouloir se saisir pleinement de l’enjeu de <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-de-controle-et-l-information-des-deputes/le-controle-de-l-application-des-lois-et-l-evaluation-de-la-legislation-et-des-politiques-publiques">l’évaluation des lois</a> durant cette XVI<sup>e</sup> législature.</p>
<p>Jusqu’à présent, les tentatives parlementaires en matière d’évaluation, avant mise en œuvre de la loi ou dans les années suivantes, sont restées assez limitées, mais la composition de la nouvelle Assemblée pourrait rebattre les cartes et permettre des évolutions.</p>
<h2>Des études d’impact obligatoires depuis 2009</h2>
<p>Depuis la révision constitutionnelle de 2008, les parlementaires ont explicitement pour mission de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques (<a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/texte-integral-de-la-constitution-du-4-octobre-1958-en-vigueur">article 24 de la Constitution</a>). Pour cela, une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000022405347">loi organique de 2009</a> oblige désormais le gouvernement à produire une étude d’impact accompagnant tous les projets de loi qu’il soumet au parlement. À chaque projet de réforme, les cabinets ministériels et les administrations centrales s’activent donc pour produire une étude d’impact en plus du projet de loi, sous la responsabilité du ministre porteur du projet.</p>
<p>Cette étude d’impact doit renseigner <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4091_etude-impact.pdf">toute une série de critères</a> pour chaque article du projet : l’objectif poursuivi, l’option politique retenue parmi les différents choix possibles, les implications juridiques de la réforme, mais aussi ses conséquences attendues en termes d’impacts économiques, budgétaires, sociaux ou encore environnementaux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reforme-dupond-moretti-des-reductions-de-peine-quels-effets-en-attendre-157700">Réforme Dupond-Moretti des réductions de peine : quels effets en attendre ?</a>
</strong>
</em>
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<hr>
<p>Ainsi l’étude d’impact sur la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2623_etude-impact.pdf">réforme des retraites début 2020</a> avait créé de nombreux remous.</p>
<p>Dans l’esprit du constituant, cette obligation d’étude d’impact devait permettre d’améliorer la qualité de la loi et d’atteindre une plus grande efficience des politiques publiques. Les études d’impact avaient aussi vocation à enclencher une cercle vertueux de l’évaluation des lois, où une première étude <em>ex-ante</em> servirait ensuite de base pour des contrôles <em>in itinere</em> (pendant la mise en œuvre de la réforme) puis pour une évaluation <em>ex-post</em> complète de la réforme. On pouvait aussi s’attendre à ce qu’elles élèvent le niveau du débat public.</p>
<h2>Des études d’impact de qualité insuffisante</h2>
<p>Malheureusement, près de quinze ans après l’introduction de ces études d’impact dans la Constitution, leurs objectifs ne sont pas atteints. Le <a href="https://www.lecese.fr/travaux-publies/etude-dimpact-mieux-evaluer-pour-mieux-legiferer">Conseil économique, social et environnemental</a> et le <a href="https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/etudes/faire-de-l-evaluation-des-politiques-publiques-un-veritable-outil-de-debat-democratique-et-de-decision">Conseil d’État</a> ont réalisé des travaux récents sur le sujet. Le Conseil d’État émet un avis sur l’étude en même temps que sur le projet de loi avant le dépôt du texte ; la Cour des comptes a un rôle constitutionnel d’évaluation des politiques publiques. Ces deux organismes semblent partager le constat de la <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-etudes-dimpact-legislatives-dans-les-ministeres-sociaux">Cour des comptes</a> selon lequel les études d’impact sont « hétérogènes dans leur contenu et globalement peu éclairantes ».</p>
<p>Pire, elles sont souvent vues comme un moyen pour le gouvernement de « justifier techniquement une décision politique déjà prise », selon un <a href="https://www.senat.fr/rap/l17-317/l17-3171.pdf">rapport sénatorial</a> de 2018.</p>
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<p>C’est ce constat que nous avons voulu étayer dans le cadre <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2022-1-page-113.htm">d’un travail académique</a>) qui évalue, sur la période 2017-2020, une trentaine d’études d’impact produites sous le gouvernement Philippe (soit environ la moitié de la production législative sur la période).</p>
<p>Aidés par nos étudiants de Master sur plusieurs années successives, nous avons établi un barème de notation de chaque étude d’impact, article par article, sur l’ensemble des 18 critères d’évaluation indiqués dans la loi organique. Ces critères sont ensuite notés entre 0 et 20/20 et regroupés en trois grandes catégories : les aspects politiques de la loi (score politique), ses implications juridiques (score juridique), et ses conséquences en matière économique, sociale ou encore environnementale (score d’impact).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/468756/original/file-20220614-8082-47qvro.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/468756/original/file-20220614-8082-47qvro.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468756/original/file-20220614-8082-47qvro.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468756/original/file-20220614-8082-47qvro.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468756/original/file-20220614-8082-47qvro.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468756/original/file-20220614-8082-47qvro.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=278&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468756/original/file-20220614-8082-47qvro.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=278&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468756/original/file-20220614-8082-47qvro.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=278&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Des études d’impact souvent de faible qualité.</span>
<span class="attribution"><span class="source">du Marais et Monnery, Revue d’Économie politique, 2022</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les résultats, publiés dans la <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2022-1-page-113.htm">Revue d’Économie politique</a> et synthétisés dans les graphiques ci-dessus, montrent que la plupart des études d’impact que nous avons auditées sont satisfaisantes sur les aspects politiques (note médiane de 13/20), passables sur les aspects juridiques (8/20), et très insuffisantes sur les impacts (5/20).</p>
<p>En clair, les études d’impact produites par le gouvernement sont souvent trop rapides et imprécises sur les impacts que l’on peut anticiper de la réforme pour les différents acteurs touchés, les comptes publics ou l’environnement, que ces impacts soient directs ou indirects. Ce fut par exemple le cas avec la <a href="https://theconversation.com/reforme-dupond-moretti-des-reductions-de-peine-quels-effets-en-attendre-157700">réforme Dupond-Moretti sur les réductions de peine</a>.</p>
<h2>Des études d’impact largement ignorées par les parlementaires</h2>
<p>Notre étude montre aussi que les parlementaires, à l’Assemblée comme au Sénat, mobilisent très peu les études d’impact dans leurs travaux. En moyenne mensuelle, les études d’impact ne sont citées que dans une intervention orale sur 270 et dans moins de 2 % des amendements déposés.</p>
<p>Sur la XV<sup>e</sup> législature, ce sont d’ailleurs surtout les députés de l’opposition de gauche qui mentionnaient les études d’impact alors qu’ils représentaient à peine plus de 10 % des sièges à l’Assemblée, ils cumulaient plus de 40 % des mentions aux études d’impact entre 2017 et 2020. À l’inverse, les élus de la majorité avaient une forte tendance à les ignorer.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/468795/original/file-20220614-2525-nhdo00.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/468795/original/file-20220614-2525-nhdo00.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468795/original/file-20220614-2525-nhdo00.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468795/original/file-20220614-2525-nhdo00.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468795/original/file-20220614-2525-nhdo00.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468795/original/file-20220614-2525-nhdo00.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468795/original/file-20220614-2525-nhdo00.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468795/original/file-20220614-2525-nhdo00.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des études d’impact surtout mobilisées à gauche.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Du Marais et Monnery, Revue d’Économie politique, 2022</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce relatif désintérêt est-il la cause de la qualité médiocre des études d’impact, ou sa conséquence ? Probablement les deux. En effet, notre étude montre que lorsque les études d’impact sont mieux documentées, elles sont ensuite plus mobilisées par les parlementaires dans leurs travaux. En parallèle, le gouvernement tend à fournir plus d’efforts sur l’étude quand celle-ci <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2187_etude-impact.pdf">concerne un projet politiquement plus sensible comme la loi bioéthique, par exemple</a>.</p>
<p>Une étude d’impact très documentée peut lui permettre de se prémunir contre des critiques et de fournir des éléments utiles à la défense du projet par le ministre, le rapporteur du texte ou les élus de la majorité.</p>
<h2>Comment donner aux études d’impact tout leur potentiel ?</h2>
<p>Depuis son introduction, le dispositif des études d’impact semble donc bloqué dans un cercle vicieux : souvent préparées dans l’urgence et de faible qualité, les études sont peu mobilisées par les parlementaires, ce qui n’incite pas le gouvernement à changer d’attitude. De plus, les contrôles institutionnels de ces études d’impact, par le Conseil Constitutionnel ou le Conseil d’État, sont <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02335948/document">limités</a>, voire <a href="https://hal-paris1.archives-ouvertes.fr/tel-01850072/fr/">inefficaces</a>. Dans ce contexte, la recomposition en cours de l’Assemblée nationale lors de ces élections législatives pourrait permettre des évolutions positives en termes d’évaluation des lois.</p>
<p>D’abord, une perte de majorité absolue pour la coalition « Ensemble » se traduirait par un changement des équilibres politiques à la <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/la-conference-des-presidents/(block)/42495">Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale</a>. Celle-ci pourrait alors refuser d’examiner un texte dont l’étude d’impact serait insatisfaisante, une arme très dissuasive qui n’a été utilisée qu’une seule fois, <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2014/201412FNR.htm">au Sénat en 2014</a> concernant le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.</p>
<p>Ensuite, au moment de l’examen d’un projet de loi en commission, l’absence d’hégémonie d’un groupe parlementaire sur les autres l’obligerait à rassembler des coalitions sur chaque texte, en s’appuyant pour partie sur des éléments de l’étude d’impact, qui retrouverait de son intérêt. Les oppositions pourraient également imposer des débats portant spécifiquement sur l’étude d’impact, qui serait plus exposée à la critique politique et médiatique.</p>
<p>Dans ce domaine, un Parlement équilibré aurait tout intérêt à beaucoup plus s’appuyer sur les capacités de contre-expertise venues de la société civile et des chercheurs, pour évaluer la crédibilité des impacts annoncés par l’exécutif et <a href="https://theconversation.com/reforme-dupond-moretti-des-reductions-de-peine-quels-effets-en-attendre-157700">discuter d’effets indésirables que l’étude d’impact passe sous silence</a>.</p>
<p>Une autre bonne pratique pour cette XVI<sup>e</sup> législature pourrait également consister à demander au ministère porteur d’une réforme de s’engager sur des objectifs chiffrés et des indicateurs pertinents pour évaluer les effets au cours du temps, et financer systématiquement une évaluation scientifique indépendante des réformes.</p>
<hr>
<p><em>Nous tenons à remercier nos étudiants de Master 2 à l’Université Paris Nanterre (« Préparation aux concours de la fonction publique » et « Droit de l’économie ») qui, au fil des années, ont permis de collecter des données de qualité sur les différentes études d’impact du Gouvernement. L’étude complète est à retrouver auprès de la <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2022-1-page-113.htm">Revue d’Économie politique</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185062/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Monnery a reçu des financements de l'Agence Nationale de Recherche pour un projet de recherche intitulé POLIT-ECON : Comportements politiques et contrôle citoyen (ANR-18-CE26-0004).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Bertrand du Marais est également membre du Conseil d'Etat: il s'exprime ici à titre purement personnel et académique et ses propos n'engagent pas les institutions auxquelles il appartient. </span></em></p>La future Assemblée nationale pourrait aboutir à un rééquilibrage des pouvoirs entre le parlement et le gouvernement et donner un rôle central aux parlementaires dans l’évaluation des lois.Benjamin Monnery, Maître de conférences en économie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresBertrand du Marais, Chargé d'enseignement de droit, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1849462022-06-13T06:53:08Z2022-06-13T06:53:08Z1ᵉʳ tour des législatives : entre désintérêt électoral et recomposition politique<p>Au soir du premier tour des élections législatives, la majorité présidentielle (Ensemble) recueillerait la majorité des suffrages (25,75 %), au coude à coude avec la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale) obtenant 25,66 % des suffrages et devant Rassemblement avec 18,68 % des voix. Alors, au regard de ces résultats, dont le décompte méthodologique <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/13/legislatives-2022-nupes-ou-ensemble-en-tete-du-scrutin-les-raisons-de-la-divergence-entre-le-monde-et-le-ministere-de-l-interieur_6130066_823448.html">demeure discuté</a> selon les étiquetages de certains candidats, quelles sont les clefs de lecture de ce premier tour ?</p>
<p>Le premier tour de ces élections législatives se solde d’abord par une forte abstention, atteignant les 52,61 %, soit 1,3 point de plus qu’en 2017. Ce niveau d’abstention s’inscrit dans une tendance de fond, avec une hausse continue depuis les élections législatives de 1993.</p>
<p>Une des raisons de la croissance abstentionniste aux législatives peut être institutionnelle. La réforme de <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/268319-la-reforme-constitutionnelle-de-2000-sur-le-quinquennat-presidentiel">2000 sur le quinquennat</a>, alignant les mandats présidentiels et législatifs, conjuguée à l’inversion du calendrier électoral (la présidentielle précédant les législatives) <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=SCPO_DUHAM_2019_01_0027&download=1">ont renforcé la présidentialisation du régime</a> et affaiblit la place du Parlement.</p>
<p>Une autre raison peut être conjoncturelle. Comme le rappelle le journaliste Gérard Courtois, depuis 1981, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-esprit-public/100-jours-de-guerre-en-ukraine-la-campagne-des-legislatives-8537577">logique politique</a> voulait que dans la lignée de l’élection présidentielle, il fallait donner une majorité à l’Assemblée nationale pour le président nouvellement élu (François Mitterrand ayant <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19442-la-dissolution-de-lassemblee-nationale-une-arme-presidentielle">dissout</a> l’Assemblée nationale après ses deux élections présidentielles en 1981 et en 1988). Or, cette année, les deux camps arrivés en tête à la présidentielle (LREM devenu Renaissance et le Rassemblement national) ont mené une campagne législative quasi inexistante.</p>
<p>D’un côté, le président Macron semble avoir opté pour une <a href="https://www.nouvelobs.com/chroniques/20220530.OBS59077/macron-et-les-legislatives-la-strategie-du-chloroforme.html">« stratégie du chloroforme »</a> en se faisant discret lors de cette campagne, mais aussi en temporisant la nomination d’un nouveau gouvernement (trois semaines après sa réélection). De l’autre, Marine Le Pen semblait s’avouer déjà vaincue en <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/legislatives/marine-le-pen-jure-vouloir-battre-la-campagne-plutot-que-battre-en-retraite-20220524">ne visant qu’une soixantaine de députés RN à l’Assemblée</a> et était devenue moins visible dans les médias, <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/legislatives-ou-est-passee-marine-le-pen-211521">à tel point que l’on s’est demandé où elle était passée</a>.</p>
<p>En conséquence, cette <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/legislatives-seulement-15-des-francais-trouvent-la-campagne-interessante-213113">campagne législative n’aura intéressé que 15 % des Français</a> et n’aura pas été marquée par un thème central lors des débats.</p>
<h2>Qui arrive en tête ?</h2>
<p>La création de la Nupes a rappelé les grandes heures de la gauche unifiée (le Front populaire de 1936 ou le Programme commun de 1972) et a tenté d’insuffler une nouvelle dynamique pour ces législatives. Le slogan <a href="https://www.nouvelobs.com/elections-legislatives-2022/20220427.OBS57710/elisez-moi-premier-ministre-le-nouveau-cap-de-melenchon.html">« Jean-Luc Mélenchon Premier ministre »</a> adopté par la coalition aura personnifié et nationalisé ces élections et la stratégie du <a href="https://www.france24.com/fr/france/20220424-pr%8Esidentielle-le-pen-et-m%8Elenchon-d%8Ej%88-tourn%8Es-vers-le-troisi%8Fme-tour-des-l%8Egislatives">« troisième tour »</a> suit finalement la <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=SCPO_PERRI_2007_01_0017&download=1">logique de présidentialisation du régime</a>.</p>
<p>La forte mobilisation (<a href="https://www.leparisien.fr/elections/legislatives/legislatives-pourquoi-la-nupes-a-t-elle-eu-la-moitie-du-temps-de-parole-radio-et-tele-en-mai-08-06-2022-343IEHEOHNEFHIL56BFC52FFHQ.php">notamment médiatique</a>) de la Nupes conjuguée à une campagne en demi-teinte de la majorité présidentielle peuvent alors expliquer la surprise de cette élection : pour la première fois sous la V<sup>e</sup> République, le camp présidentiel n’obtient pas une franche majorité des suffrages exprimés lors du premier tour des élections législatives. Dès lors, il se pourrait que la « macronie » ne dispose pas de la majorité absolue au soir du second tour de cette élection.</p>
<h2>Quelles perspectives pour la vie politique ?</h2>
<p>Les Républicains obtiennent quant à eux leur plus faible score aux élections législatives avec près de 13,6 %. Là encore la campagne a été plus effacée au niveau national, la stratégie choisie étant de se concentrer au niveau des circonscriptions en se présentant comme un « parti des territoires ». Cependant, les estimations donnent une baisse du nombre de députés LR passant de la <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/infographies-premier-tour-des-legislatives-2022-voici-a-quoi-pourrait-ressembler-la-future-assemblee-nationale-selon-notre-estimation-ipsos-sopra-steria_5193349.html">centaine à environ 50 à 80 sièges</a>.</p>
<p>Pour le Rassemblement national, au contraire, le nombre de députés grimperait entre 20 et 45 selon les résultats à venir la semaine prochaine. En résumé, on observe un lent déclin de LR depuis 2017 (voire 2012) et une installation confirmée du RN sur les bancs de l’Assemblée nationale.</p>
<p>Selon les estimations, le camp présidentiel disposerait d’une majorité à l’Assemblée nationale, avec un peu moins de 300 députés, soit un recul puisque celui-ci disposait de 346 sièges jusqu’à présent. Le risque serait même de ne pas disposer de la majorité absolue (de 289 sièges).</p>
<p>Le pari de la Nupes sera non plus d’obtenir la majorité mais le plus grand nombre de sièges pour tenir le rôle de premier groupe d’opposition à l’Assemblée. La perspective d’une cohabitation avec Jean-Luc Mélenchon comme chef du gouvernement est dès lors compromise. Même si la nomination du leader de la France insoumise n’aurait pas été automatique en <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elections/legislatives/nomination-du-premier-ministre-que-prevoit-la-loi-en-cas-de-cohabitation_AN-202206060348.html">cas de victoire de la Nupes</a> puisque la Constitution (art. 8) ne précise pas les critères de nomination du premier ministre. Cependant ce dernier doit s’assurer d’une majorité afin d’éviter la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19523-la-motion-de-censure-493-veritable-moyen-de-controle">censure</a> par l’Assemblée nationale (art. 49).</p>
<p>Au-delà même d’une majorité, le risque pour la Nupes est la <a href="https://www.lemonde.fr/elections-legislatives-2022/article/2022/06/13/legislatives-2022-a-gauche-la-nupes-reussit-son-pari-mais-fait-maintenant-face-au-front-anti-melenchon_6130043_6104324.html">fronde « anti-Mélenchon »</a> de la part des autres formations politiques, en raison de la personnalité et des positions clivantes de son leader, par exemple concernant la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/05/10/qu-impliquerait-la-desobeissance-aux-regles-europeennes-promue-par-la-nupes_6125509_4355770.html">désobéissance des traités européens</a> ; sa position à l’<a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-brief-politique/presidentielle-jean-luc-melenchon-handicape-par-ses-prises-de-position-sur-la-russie_4988445.html">égard de la Russie</a> ou encore <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/melenchon/la-police-tue-comment-la-polemique-sur-le-refus-d-obtemperer-s-est-deplacee-sur-le-terrain-politique_5184763.html">ses récents propos sur la police</a>.</p>
<p>Si elle veut incarner ce rôle de leader de l'opposition, la coalition devra maintenir sa cohérence à l’Assemblée <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/05/30/programme-de-la-nupes-aux-legislatives-les-points-de-convergence-et-de-desaccord-entre-lfi-eelv-le-ps-et-le-pcf_6128161_4355770.html">malgré les désaccords programmatiques</a> et <a href="https://www.leparisien.fr/elections/legislatives/direct-legislatives-la-gauche-se-lance-unie-pour-la-conquete-de-lassemblee-06-05-2022-A47XOF3Z5BA43HD5QMTUOYM6JQ.php">l’absence d’un seul groupe parlementaire</a>.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Jean-François Godbout</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184946/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Robin a reçu des financements du département de science politique de l'Université de Montréal. Il est membre du centre de recherche Jean Monnet de Montréal.</span></em></p>Abstention record, coalition de gauche bien installée face à la coalition présidentielle : ce qu’il faut retenir de ce premier tour des législatives.Julien Robin, Doctorant en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1835602022-05-29T15:32:24Z2022-05-29T15:32:24ZLes principaux enseignements des élections législatives libanaises<p>Le dimanche 15 mai 2022 se sont tenues les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/17/au-liban-percee-significative-de-l-opposition-aux-elections-legislatives_6126477_3210.html">élections législatives au Liban</a>, premier scrutin électoral depuis le début des <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/au-liban-le-mouvement-du-17-octobre-fait-le-bilan-1256751">contestations populaires</a>, le 17 octobre 2019.</p>
<p>Quels sont les principaux enseignements des résultats de ces élections ? Annoncent-elles un changement important dans le pays ? Avant de tenter de répondre à ces interrogations, il est nécessaire de revenir sur quelques caractéristiques pour mieux comprendre les spécificités politiques du Liban.</p>
<h2>Le poids du confessionnalisme et du clanisme</h2>
<p>D’une superficie de 10 452 km<sup>2</sup>, inférieure à celle de la région Île-de-France, le Liban est une république indépendante depuis 1943. Encadré par 376 km de frontières terrestres avec la Syrie sur ses façades nord et est, ainsi que 79 km avec Israël au sud, le territoire libanais a continuellement vu son destin dépendre de ses deux voisins, et d’autres puissances étrangères.</p>
<p>Le système politique du Liban, où coexistent dix-sept communautés religieuses, est <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2013-4-page-25.htm">basé sur le confessionnalisme</a>, conformément aux préceptes du Pacte national. Cet <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Pacte-National-libanais.html">accord non écrit</a> datant de 1943 indique que le président de la République doit être un chrétien maronite, le premier ministre un musulman sunnite et le chef du Parlement un musulman chiite.</p>
<p>Ce pacte est élargi en 1989 avec l’<a href="https://libnanews.com/liban-accords-de-taef-constitution/">accord de Taëf</a>. Marquant la fin de la guerre civile, celui-ci oblige le Parlement à être composé pour moitié de députés chrétiens, et pour l’autre moitié de députés musulmans. Les élections législatives se déroulent alors tous les quatre ans sous forme de quotas alloués proportionnellement à chacune des communautés des deux confessions, selon une <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2018-2-page-151.htm">loi électorale précise</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Liban : l’espoir d’un renouveau ? – Le Dessous des cartes (Arte, 18 mai 2022).</span></figcaption>
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<p>Trente ans après la fin de la <a href="https://www.linternaute.fr/actualite/guide-histoire/2576344-guerre-du-liban-resume-de-la-guerre-civile-de-1975-a-1990/">guerre civile</a>, les partis politiques traditionnels sont toujours dirigés par des personnes ayant participé à ce conflit, ou faisant partie de leurs familles. Ce partage clanique du pouvoir rend difficile tout changement politique important et accroît considérablement <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/corruption-au-liban-je-n-imaginais-pas-l-ampleur-de-ce-fleau-explique-la">toute sorte de corruption dans le pays</a>. Ainsi, les dernières élections législatives avant celles qui viennent d’avoir lieu ont été organisées en 2018 ; elles auraient dû se tenir en 2013 mais avaient été reportées durant cinq années de suite.</p>
<h2>Les enjeux des élections législatives du 15 mai 2022</h2>
<p>Puisqu’elles sont les premières depuis le début du mouvement contestataire en octobre 2019, ces élections étaient très attendues dans le pays. Face aux attentes suscitées ce mouvement, les principaux enjeux du scrutin se résumaient aux <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1290268/les-cinq-grands-enjeux-des-legislatives-libanaises.html">cinq principales interrogations suivantes</a> :</p>
<ul>
<li><p>Est-ce que le taux de participation sera-t-il plus important que lors des élections législatives précédentes ?</p></li>
<li><p>Quel sera le poids des forces issues du mouvement contestataire initié en octobre 2019 dans le nouveau Parlement ?</p></li>
<li><p>Une alliance politique obtiendra-t-elle la majorité absolue ?</p></li>
<li><p>L’équilibre des forces va-t-il être bouleversé à l’intérieur du camp chrétien ?</p></li>
<li><p>Comment va se structurer le camp sunnite après l’appel au boycott lancé par son principal parti, le Courant du Futur ?</p></li>
<li><p>L’ensemble des députés chiites seront-ils issus du Hezbollah et de ses alliés ?</p></li>
</ul>
<p>À travers la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/07/au-liban-debut-de-campagne-electorale-en-vue-des-legislatives_6121007_3210.html">campagne électorale</a> débutée début avril, les partis traditionnels, qui constituent jusqu’alors l’écrasante majorité des députés, toutes confessions confondues, ont voulu conforter leur légitimité. Face à ces partis traditionnels, les candidats issus de la contestation n’ont pas réussi à avancer unis, multipliant le nombre de listes concurrentes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1525828323401682949"}"></div></p>
<h2>Aucune grande alliance n’a obtenu la majorité absolue</h2>
<p>La simple tenue de ces élections peut être vue en soi comme une réussite, tant leur report était envisagé. Pour autant, même si le déroulement du vote a été globalement salué par les observateurs, les élections ont été entachées de tensions, de fraudes ou encore d’irrégularités comme l’expliquent le <a href="https://fr.euronews.com/2022/05/17/l-union-europeenne-tres-severe-sur-le-deroulement-des-elections-au-liban">rapport préliminaire de la mission de l’UE</a> et la <a href="https://www.francophonie.org/declaration-preliminaire-de-la-mission-electorale-de-la-francophonie-loccasion-des-legislatives-au">déclaration de la mission électorale de la Francophonie</a>.</p>
<p>Au regard des résultats officiels, plusieurs constats importants peuvent être faits. En premier lieu, avec un taux de 49 %, la participation est égale à celle des dernières élections de 2018. Cela constitue un taux à la fois satisfaisant en considération de l’appel au boycott du Courant du Futur, et décevant compte tenu de l’importance de ces élections.</p>
<p>Autre chiffre très attendu, le <a href="https://www.rfi.fr/en/international/20220517-elections-in-lebanon-independents-win-at-least-13-seats-results">nombre de députés issus de la contestation s’élève à 13</a> sur 128 députés au total, un résultat honorable au vu des divisions internes au mouvement. Ce groupe de députés, faisant parti du <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220517-l%C3%A9gislatives-au-liban-le-d%C3%A9gagisme-a-jou%C3%A9-en-partie-mais-pas-assez-pour-bouleverser-le-syst%C3%A8me">mouvement du 17 octobre</a>, aura incontestablement à exercer un rôle de premier ordre dans cette nouvelle législature.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1526490270929502208"}"></div></p>
<p>En effet, <a href="https://www.lavie.fr/actualite/geopolitique/au-liban-les-elections-legislatives-redistribuent-les-cartes-82462.php">aucune alliance politique n’a pu obtenir une majorité absolue</a>. Alors que la coalition dirigée par le parti chiite Hezbollah et le Courant Patriotique Libre (CPL) chrétien avait jusqu’alors la majorité avec 71 sièges, elle n’en récolte plus que 58 – quand 65 sont requis pour obtenir la majorité. Il ne fait donc pas de doute que cette alliance constitue le grand perdant de ces élections.</p>
<p>Pour autant, l’autre grande alliance, dirigée par le parti chrétien des Forces libanaises et le parti progressiste socialiste druze, n’a pas non plus réussi à obtenir la majorité, obtenant seulement 41 sièges.</p>
<p>Les 29 sièges restants se partagent donc entre les députés indépendants, qui sont au nombre de 16, et les 13 députés issus de la contestation. Ce seront donc ces députés qui pourront faire basculer la majorité en faveur d’une alliance ou d’une autre.</p>
<p>La régression de l’alliance qui était au pouvoir s’explique notamment par l’échec du Courant Patriotique Libre (CPL), dont le nombre d’élus passe de 24 à 17. Il a été devancé, auprès de l’électorat chrétien, par le parti des Forces libanaises, dont le nombre de sièges est passé de 15 à 19. Ce dernier ressort comme le <a href="https://libnanews.com/nous-sommes-le-plus-grand-bloc-du-parlement-et-nous-assumerons-notre-responsabilite-en-consequence-estime-samir-geagea-qui-annonce-la-candidature-de-hasbani-comme-vice-president-du-parlement/">grand gagnant de ces élections</a>, devenant le parti chrétien disposant du plus grand nombre de sièges au Parlement.</p>
<p>Concernant la confession musulmane, les forces sunnites se retrouvent plus que jamais divisées, sans leadership. Le boycott décidé par le Courant du Futur et de son chef Saad Hariri n’a finalement pas permis de faire émerger un nouveau dirigeant politique qui aurait comblé ce vide. Cela a pour principale conséquence de marginaliser davantage la représentation sunnite dans les prises de décision. Enfin, même si la quasi-totalité des sièges alloués aux chiites a été remportée par le Hezbollah et le parti Amal, autre parti chiite allié, il est à noter que deux candidats chiites indépendants ont réussi à se faire élire. Même si il s’agit d’une première depuis trente ans, ces deux partis vont pour autant continuer à représenter cette communauté confessionnelle d’une manière incontestable.</p>
<h2>Les perspectives d’avenir pour le Liban</h2>
<p>Pour le Liban, le <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20220518-tense-times-ahead-for-lebanon-after-elections">plus difficile reste à venir</a>. La situation actuelle du pays nécessite la mise en œuvre urgente de réformes en vue de débloquer une importante <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/le-fmi-fait-miroiter-un-plan-daide-de-3-milliards-de-dollars-au-liban-1399347#:%7E:text=Enjeux%20Internationaux-,Le%20FMI%20fait%20miroiter%20un%20plan%20d%E2%80%99aide%20de%203,pour%20le%20pays%20en%20crise.">aide financière de la part du FMI</a> et de la communauté internationale. Il s’agit avant tout de faire sortir progressivement le Liban de ses multiples crises actuelles, d’ordres économique, social et politique, et de lui éviter une aggravation de celles-ci.</p>
<p>Un nouveau gouvernement représentatif des résultats électoraux doit être rapidement constitué. Le maintien de l’actuel premier ministre <a href="https://www.cnews.fr/monde/2021-07-26/qui-est-najib-mikati-le-nouveau-premier-ministre-libanais-1109793">Najib Mikati</a> est l’option la plus privilégiée sachant que la désignation d’un nouveau premier ministre et la constitution d’un gouvernement pourraient prendre plusieurs mois, comme cela a été le <a href="https://information.tv5monde.com/info/liban-le-premier-ministre-najib-mikati-annonce-la-composition-du-nouveau-gouvernement-423875">cas ces dernières années</a>.</p>
<p>Quant à la présidence de la république, le mandat de <a href="https://www.lejdd.fr/International/legislatives-au-liban-michel-aoun-symbole-dune-classe-politique-immuable-4111387">Michel Aoun</a> prenant fin en octobre, il est nécessaire que les députés élisent un nouveau président au plus tard en septembre. Au-delà de cette date, le Liban connaîtra un vide présidentiel.</p>
<p>Il est à noter que le pays a connu deux périodes de vide présidentiel ces dernières années : le premier d’une durée de <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/liban-probablement-pas-de-president-avant-2008_468596.html">six mois entre 2007 et 2008</a>, et le second de <a href="https://araprism.org/2016/04/13/de-quoi-le-vide-presidentiel-libanais-est-il-le-nom/">29 mois entre 2014 et 2016</a>. La probabilité d’une nouvelle période de vide présidentiel est malheureusement actuellement élevée.</p>
<p>Même si les élections législatives du 15 mai ont été porteuses d’un espoir inattendu, le sort du Liban est toujours essentiellement aux mains des partis traditionnels et des grandes puissances régionales et internationales. En effet, l’alliance dirigée par le Hezbollah est actuellement sous une forte influence de l’Iran, de la Syrie et de la Russie, alors que l’alliance dirigée par les Forces libanaises est principalement sous l’influence des puissances occidentales et de l’Arabie saoudite. Dans ce contexte, les résultats des <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2022-05-13/reprise-des-negociations-sur-le-nucleaire-iranien.php">pourparlers entre la communauté internationale et Téhéran sur le nucléaire iranien</a> d’un côté, ainsi que ceux du <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-entente-est-proche-entre-l-iran-et-l-arabie-saoudite-selon-l-irak-20220430">dialogue entre l’Arabie saoudite et l’Iran</a> de l’autre auront indéniablement des retombées, positives ou négatives, sur l’évolution de la scène politique libanaise. Les prochains mois seront cruciaux pour l’avenir du Liban.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183560/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Zakka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aucune grande alliance n’a remporté la majorité absolue, laissant la place aux députés indépendants et au parti chrétien des Forces libanaises.Antoine Zakka, Enseignant-chercheur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l'Institut Catholique de Lille, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1814252022-04-19T16:41:03Z2022-04-19T16:41:03ZRéviser la Constitution par référendum : la pratique peut-elle contredire le texte ?<p>On dit souvent que la constitution française adoptée en 1958 a été taillée pour le général de Gaulle. Cela est <a href="https://books.openedition.org/pan/312?lang=fr">vrai</a>. Mais Charles de Gaulle n’est pas le seul à avoir su s’en servir pour parvenir à ses fins.</p>
<p>En plus de 60 ans, on s’est aperçu que chaque président de la République a adapté la constitution dans son intérêt soit en la modifiant directement (de Gaulle, Chirac, Sarkozy), soit en l’interprétant par un usage original (De Gaulle, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Macron notamment). Il n’y a donc pas de raison qu’il en aille différemment à l’avenir et ce, quelle que soit la configuration politique.</p>
<iframe frameborder="0" marginheight="0" marginwidth="0" scrolling="no" src="https://fresques.ina.fr/de-gaulle/export/player/Gaulle00020/512x384" width="100%" height="434" allowfullscreen=""></iframe>
<p><em>Le 4 septembre 1958, le général de Gaulle présente le projet de constitution que le gouvernement vient d’adopter et qui sera soumis à l’approbation des Français par voie de référendum le 28 septembre.</em></p>
<p>Lors de la présentation de son programme à la suite des résultats du premier tour du scrutin, Marine Le Pen a annoncé vouloir adopter de nombreuses mesures par voie de <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/13/presidentielle-2022-marine-le-pen-veut-gouverner-par-referendum-en-contournant-le-parlement-et-le-conseil-constitutionnel_6121897_6059010.html">référendum</a>.</p>
<p>Celles-ci sont autant des mesures de niveau législatif (introduire une élection proportionnelle pour deux tiers des députés avec prime majoritaire) que de niveau constitutionnel (introduire la priorité nationale dans la constitution ou le référendum d’initiative citoyenne).</p>
<p>Dans tous les cas, Marine Le Pen dit pouvoir s’appuyer sur le recours au référendum prévu à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241004/">article 11</a> de la constitution (référendum législatif), à la place du référendum constitutionnel prévu à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019240655/">article 89</a>, qui ne peut être organisé qu’après le vote d’un même texte par les deux chambres du Parlement.</p>
<p>L’argument selon lequel la constitution saurait l’en empêcher n’est pas convaincant.</p>
<h2>Le référendum : un outil à la disposition du président</h2>
<p>La particularité de la constitution française est qu’elle offre une panoplie de pouvoirs spécialement dédiée à la présidence de la République afin que, dans tous les cas de figure, la fonction présidentielle puisse se déployer complètement.</p>
<p>Le référendum législatif d’initiative présidentielle prévu à l’article 11 fait partie de cet arsenal <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000006527470/1958-10-05/#LEGIARTI000006527470">depuis 1958</a> ; il a été pensé pour instaurer un lien privilégié entre le président et le peuple.</p>
<p>Précisément, le but du référendum législatif tel que défini dans l’article 11 est de faire du peuple une instance décisive en matière législative et ce, à la place du gouvernement et du Parlement.</p>
<p>Rappelons que les lois sont le fruit d’une coopération entre le gouvernement, emmené par le premier ministre, qui les propose le <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/statistiques-de-l-activite-parlementaire#prettyPhoto">plus souvent</a>, et le Parlement qui les discute et les vote.</p>
<p>En donnant au président l’initiative et le pouvoir discrétionnaire d’en appeler au peuple pour voter des lois d’organisation des pouvoirs publics, de réformes économiques, sociales ou environnementales, ainsi que des lois autorisant la ratification de traités internationaux, l’article 11 de la Constitution évite au chef de l’État d’avoir à négocier avec d’autres institutions politiques.</p>
<p>Cette procédure permet d’éviter le gouvernement sur des terrains qui relèvent notamment de la politique intérieure, habituellement laissée à la gestion du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000006095823">premier ministre</a>. Elle permet surtout de contourner le Parlement puisqu’en conférant au peuple, par voie d’exception, le pouvoir de voter la loi à sa place, il l’efface littéralement du jeu politique. Autrement dit, il le court-circuite.</p>
<p>L’usage de ce référendum via l’article 11 a fait partie de la stratégie du président de Gaulle pour modifier l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000006527460/1958-10-05/#LEGIARTI000006527460">article 6</a> de la constitution en <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2004-3-page-23.htm">1962</a> et introduire la désignation du président au suffrage universel direct.</p>
<p>Ce qui a pu poser problème – aux <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1962/09/04/iii-la-forme-et-le-fond_2370732_1819218.html">analystes</a> et <a href="https://www.mitterrand.org/le-coup-d-etat-permanent-465.html">adversaires</a> plus qu’aux dirigeants de l’époque – est que la constitution, d’après une interprétation littérale, ne permet de recourir à ce référendum que pour voter une loi, pas pour modifier la Constitution.</p>
<p>Autrement, l’article 89, situé dans le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000042418213">titre XVI</a> consacré à la révision de la Constitution, serait superflu.</p>
<p>C’était l’un des arguments brandis par les députés pour faire voter la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/france/AN1962censure.htm">motion de censure</a> qu’ils ont opposée au gouvernement de l’époque face à la volonté de Gaulle d’imposer l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Mais rien n’y fit. La lettre de la Constitution est une chose, la pratique politique des institutions en est une autre.</p>
<p>La pratique du général de Gaulle a consisté à préférer, en 1962, le référendum de l’article 11 pour éviter l’étape législative préalable au référendum que l’article 89 impose. Il a donc mobilisé l’article 11 pour faire voter le peuple sans passer par le parlement, qui avait fait savoir qu’il était radicalement hostile à la réforme. C’est ainsi que Marine Le Pen envisage de procéder si elle était élue à l’issue du 2<sup>e</sup> tour.</p>
<h2>Un improbable contrôle par le Conseil constitutionnel</h2>
<p>L’un des problèmes ici est que, quoiqu’on en dise, réviser la Constitution via l’article 11 n’est ni impossible techniquement, ni improbable politiquement, à moins d’ignorer délibérément l’histoire constitutionnelle de notre pays.</p>
<p>Une telle situation pourrait se produire en cas d’hostilité avérée du Parlement – ne serait-ce que du Sénat – à la présidence de la République.</p>
<p>Pour réviser la Constitution, il y aurait toujours la possibilité de procéder comme de Gaulle en son temps. Les obstacles constitutionnels seraient en effet assez faibles.</p>
<p>Le premier auquel on pense est le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-conseil-constitutionnel">Conseil constitutionnel</a>. Cette institution a été <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-decisions/decision-n-62-20-dc-du-6-novembre-1962-saisine-par-president-du-senat">saisie</a> en 1962 par le président du Sénat, Gaston Monnerville, foncièrement opposé à la réforme constitutionnelle voulue par le chef de l’État, pour contrôler la constitutionnalité de la loi soumise au référendum.</p>
<p>Mais le Conseil constitutionnel a <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1962/6220DC.htm">déclaré</a> le 6 novembre 1962 son incompétence à contrôler le fruit de la volonté du peuple exprimée directement. S’il n’est pas impossible que cet organe revienne sur sa position – il n’est pas lié par ses propres décisions –, il reste que cette jurisprudence existe et était parfaitement claire sur les motivations du Conseil à ne pas toucher à la volonté du peuple souverain exprimée directement.</p>
<p>On <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/04/13/marine-le-pen-et-le-referendum-sur-l-immigration-une-revision-de-la-constitution-difficilement-realisable_6122005_4355770.html">insiste</a> ces derniers jours sur le contrôle que le Conseil constitutionnel pourrait exercer sur les référendums souhaités par Marine Le Pen, en convoquant une jurisprudence <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2000/200021REF.htm">Hauchemaille</a> de 2000 du même Conseil.</p>
<p>Mais là encore la tentative semble compromise car tout éloigne ce cas de celui d’un usage de l’article 11 pour réviser la constitution.</p>
<p>D’abord, l’affaire de 2000 se situait dans le cadre d’un contentieux électoral et non de constitutionnalité. Ensuite, la requête consistait à demander au Conseil constitutionnel de déclarer l’irrégularité du décret décidant de soumettre un projet de révision de la constitution au référendum en raison de l’absence du contreseing de deux ministres.</p>
<p>Enfin, le référendum auquel il s’agissait de faire obstacle était un référendum constituant, déclenché sur le fondement ordinaire de l’article 89. Il s’agissait de la révision constitutionnelle visant à réduire le mandat présidentiel de sept ans à cinq ans, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000219201">adoptée</a> le 2 octobre 2000 à la suite du référendum du 28 septembre.</p>
<p>Au bout du compte, pour résoudre ce cas, le Conseil constitutionnel s’est déclaré compétent, non pour examiner le contenu de la question posée, encore moins pour vérifier la constitutionnalité de la réponse donnée par le peuple, mais pour décider si le décret soumettant ce projet de révision au référendum était conforme aux exigences formelles imposées.</p>
<p>Le requérant, M. Hauchemaille, a perdu, le référendum s’est tenu et la révision a eu lieu. D’où vient l’idée que cette jurisprudence pourrait servir de précédent pour empêcher la présidence de la République de réviser la constitution par l’article 11 ?</p>
<p>L’alinéa 3 de l’article 11 consacre depuis 2008 le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241004">référendum d’initiative partagée</a> et confère au Conseil constitutionnel le pouvoir de contrôler le contenu de la proposition de loi proposée par un cinquième des parlementaires et soutenue par un dixième des électeurs.</p>
<p>En particulier, le Conseil constitutionnel est habilité par une <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/fondements-textuels/referendum-d-initiative-partagee-les-textes-legislatifs">loi organique</a> à vérifier que l’objet de la proposition de loi entre bien dans le domaine délimité par l’article 11 et surtout qu’elle n’est pas contraire à la Constitution.</p>
<p>Une révision constitutionnelle ne pouvant être que contraire à la Constitution, elle sortirait immédiatement du champ d’application de cet article.</p>
<h2>L’autonomie du Conseil constitutionnel pose question</h2>
<p>Cette habilitation du Conseil à contrôler l’objet d’un référendum d’initiative partagée pourrait-elle, par une sorte d’analogie, fonder un pouvoir de contrôle de l’objet des référendums d’initiative présidentielle ? Si le Conseil constitutionnel le voulait vraiment, peut-être ; mais au prix d’un redoutable bras de fer avec la présidence de la République mettant en jeu la légitimité déjà fragile de cette institution.</p>
<p>On se souvient des <a href="https://blog.juspoliticum.com/2022/02/23/le-cru-2022-des-nominations-au-conseil-constitutionnel-en-dessous-du-mediocre-par-patrick-wachsmann/">débats</a> autour des trois dernières nominations au Conseil. Le Conseil constitutionnel est en effet composé de neuf membres nommés pour un tiers par le p`résident de la République, un tiers par le président du Sénat et un tiers par le président de l’Assemblée nationale.</p>
<p>Le choix portant le plus souvent sur des femmes et hommes politiques plutôt que sur des experts de droit constitutionnel, la compétence constitutionnelle et par conséquent l’autonomie de cet organe vis-à-vis du pouvoir politique posent question.</p>
<p>Il faudrait en effet beaucoup d’autorité à ses membres pour se doter d’un pouvoir de contrôle de l’objet du référendum d’initiative présidentielle que le texte de la constitution ne lui attribue pas. Il en faudrait doublement pour s’opposer à la volonté de la présidence de la République, le référendum de l’alinéa 1 étant précisément conçu pour ne dépendre que de la volonté présidentielle.</p>
<p>L’absence de contrôle de constitutionnalité du texte soumis au référendum par le président contraste donc opportunément avec le contrôle prévu pour un texte proposé par des parlementaires. Cette différence marque le souci de préserver le pouvoir discrétionnaire du chef de l’État et, par là même, la cohérence du texte de la constitution qui a voulu, par l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527482">article 19</a>, dispenser l’initiative présidentielle du référendum de toute ingérence.</p>
<p>Il n’y a donc pas de garantie quant à l’étendue du contrôle que le Conseil est susceptible d’exercer. Car même s’il ne fait pas de doute que le rôle du Conseil constitutionnel a évolué depuis 1962, notamment du point de vue de la garantie des droits et libertés avec la jurisprudence de <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1971/7144DC.htm">1971</a> (dans laquelle le Conseil constitutionnel élargit le <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/275483-quest-ce-que-le-bloc-de-constitutionnalite">bloc de constitutionnalité</a> aux droits fondamentaux) et en 2008 avec la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decisions/la-qpc">question prioritaire de constitutionnalité</a>, rien n’indique qu’il changerait aujourd’hui sa position de 1962, qui fut de refuser de contrôler les lois référendaires.</p>
<p>Une constitution n’est que le reflet de la volonté des personnes et des institutions chargées de l’interpréter et de l’appliquer. Comme de Gaulle le disait après avoir présenté le contenu de la constitution de 1958, le <a href="https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00020/discours-place-de-la-republique.html">« reste, c’est l’affaire des hommes »</a>.</p>
<p>Il s’agit d’un texte juridique, certes fondamental, mais qui ne protège par lui-même ni les droits et les libertés, ni l’équilibre entre les pouvoirs. Aussi, avant de confier à ces personnes le droit d’en disposer, mieux vaut-il bien y réfléchir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181425/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charlotte Girard est membre du Think tank "Intérêt général. La fabrique de l'alternative"</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Eleonora Bottini ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si elle est élue, Marine Le Pen souhaite contourner le Parlement en recourant au référendum. Notre constitution le permet plus qu’on ne le croit si on considère la pratique passée des présidents.Charlotte Girard, Maîtresse de conférences en droit public, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresEleonora Bottini, Professeure de droit public, Directrice de l'Institut caennais de recherche juridique, Université de Caen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1753032022-02-01T18:45:45Z2022-02-01T18:45:45ZIl faut en finir avec l’état d’urgence au Québec<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/443810/original/file-20220201-15-fnojjs.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C0%2C2964%2C2205&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le premier ministre du Québec, François Legault, s'adresse aux médias lors d'un point de presse sur la COVID-19 à Montréal, mardi 25 janvier 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Graham Hughes</span></span></figcaption></figure><p>Déclenché le 13 mars 2020 à l’arrivée de la Covid-19 au Québec, <a href="https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/sante-services-sociaux/publications-adm/lois-reglements/decret-1-2022.pdf">l’état d’urgence a depuis été renouvelé près d’une centaine de fois par le gouvernement caquiste</a>, soit chaque semaine depuis son implantation. Depuis près de deux ans, l’Assemblée nationale est donc essentiellement exclue des décisions relatives à la gestion de la pandémie.</p>
<p>L’état d’urgence permet en effet au gouvernement d’adopter <a href="http://www.assnat.qc.ca/fr/patrimoine/lexique/decret.html">par décrets</a>, soit sans débats, toute mesure qu’il juge nécessaire pour faire face à la crise, les soustrayant à la surveillance de l’Assemblée nationale. Ce mode de gouvernance crée, de ce fait, un contexte propice à l’adoption de restrictions qui portent indûment atteinte aux droits et libertés.</p>
<p>Doctorante à l’Université McGill spécialisée en droit constitutionnel, je souhaite faire écho aux <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1794339/negociations-syndicat-pandemie-covid-19-gouvernement-legault-quebec">nombreuses critiques</a> sur la gestion de crise par décrets privilégiée par le gouvernement. J’estime, <a href="https://liguedesdroits.ca/declaration-fin-etat-urgence-quebec/">tout comme la Ligue des droits et libertés</a>, que l’adoption de mesures sanitaires sans consulter l’Assemblée nationale n’a plus sa raison d’être.</p>
<p>Le degré d’urgence, bien que variable selon l’évolution de la pandémie, n’est plus le même qu’au printemps 2020. Il est difficilement justifiable qu’après 22 mois de pandémie, les mesures sanitaires soient toujours le résultat d’un <a href="https://liguedesdroits.ca/declaration-fin-etat-urgence-quebec/">processus décisionnel opaque et centralisé</a>, entre les mains du gouvernement.</p>
<h2>Un terrain glissant pour la protection des droits et libertés</h2>
<p>En vertu de la <a href="http://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/s-2.2">Loi sur la santé publique</a>, le gouvernement peut déclarer l’état d’urgence en présence d’une menace grave à la santé de la population. Cette mesure exceptionnelle, valable pour une durée de 10 jours, lui permet d’adopter, par décrets, des mesures qui auraient autrement dû être approuvées par l’Assemblée nationale. Le gouvernement contourne ainsi le processus législatif habituel. Cela lui permet d’implanter rapidement toute restriction jugée nécessaire pour faire face à la crise sanitaire.</p>
<p>Toutefois, les décisions adoptées par décrets sont prises à portes closes et protégées par la confidentialité ministérielle. Il revient donc au gouvernement de décider s’il rend publics les motifs de ces décisions, ce à quoi <a href="https://theconversation.com/gestion-de-la-pandemie-au-quebec-confinement-severe-resultats-mitiges-153026">s’est généralement opposé le gouvernement caquiste</a>. Il est donc difficile, voire impossible, de connaître la nature des informations consultées par le gouvernement, les décisions prises sur le fondement de ces informations, et la considération donnée au respect des droits et libertés.</p>
<p>Bien sûr, l’urgence sanitaire peut légitimer l’implantation de restrictions qui seraient autrement considérées en contravention avec les droits et libertés. Toutefois, l’état d’urgence ne donne pas carte blanche au gouvernement. Les pouvoirs spéciaux du gouvernement restent <a href="https://www.ledevoir.com/non-classe/624177/de-quels-droits-quebec-impose-t-il-les-mesures-sanitaires">délimités par les chartes canadiennes et québécoises</a>, et toute violation doit demeurer justifiable.</p>
<h2>Des délibérations parlementaires essentielles</h2>
<p>Dans une démocratie parlementaire comme le Québec, la chambre législative constitue une institution clé pour protéger les droits et libertés. À travers le processus d’adoption des lois, elle étudie les mesures proposées par le gouvernement et les approuve – ou non – par vote. Même en situation de gouvernement majoritaire, les délibérations parlementaires exposent ces mesures à un examen dont le caractère public contribue à tenir le gouvernement imputable pour ses décisions.</p>
<p>Une fois introduites à l’Assemblée nationale, les mesures proposées sont analysées et débattues par les représentants élus. Les partis d’opposition peuvent questionner le gouvernement sur leur pertinence et leur proportionnalité à la lumière des droits et libertés. Ils peuvent également proposer des alternatives qu’ils considèrent mieux fondées. Même si ces alternatives sont rejetées par le gouvernement, ce dernier aura tout de même été tenu de défendre publiquement celles qu’il privilégie. Bien que les partis d’opposition puissent questionner le gouvernement sur la pertinence des mesures proposées pendant les périodes de questions, cela n’équivaut pas à l’examen en chambre et en commission parlementaire qui caractérise le processus habituel d’adoption des lois.</p>
<p>Plusieurs mesures sanitaires implantées depuis le début de la pandémie ont un caractère restrictif et coercitif. Certaines sont également soumises au contrôle policier et accompagnées d’amendes salées en cas de non-respect. Comme elles tendent à affecter de manière disproportionnée les <a href="https://theconversation.com/gestion-de-la-pandemie-au-quebec-confinement-severe-resultats-mitiges-153026">membres de groupes déjà vulnérables</a>, – incluant les personnes moins nanties, les familles monoparentales, les femmes et les jeunes, – il est primordial qu’une analyse raisonnée et publique de ces mesures soit effectuée.</p>
<p>Par ailleurs, si le virus demeure imprévisible, les connaissances scientifiques sur sa transmission et ses effets ont évolué. Plusieurs mesures sanitaires ont été testées ici et ailleurs. Leurs impacts sur la situation épidémiologique et sur le bien-être de la population sont mieux connus. L’existence de ces données justifie d’autant plus le besoin, pour le gouvernement, de défendre le fondement scientifique des restrictions privilégiées parmi la gamme de mesures disponibles.</p>
<h2>L’Assemblée nationale doit avoir son mot à dire dans la gestion de la pandémie</h2>
<p>L’absence de délibérations parlementaires qui caractérise la gouvernance par décret privilégié par le gouvernement créant un contexte propice au non-respect des droits et libertés, <a href="https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2021-10-20/etat-d-urgence-sanitaire/les-droits-de-la-personne-mis-a-mal.php">il est plus que temps</a> de revoir la place de l’Assemblée nationale dans la gestion de la pandémie.</p>
<p>S’il considère nécessaire de maintenir l’état d’urgence, le gouvernement devrait tout de même soumettre certaines mesures sanitaires à l’examen de l’Assemblée nationale, comme il le fait pour la <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/634800/projet-de-loi-quebec-veut-interdire-les-manifs-dans-un-rayon-de-50-m-des-ecoles-et-hopitaux#:%7E:text=L%E2%80%99Assembl%C3%A9e%20nationale%20a%20adopt%C3%A9,et%20des%20h%C3%B4pitaux%20du%20Qu%C3%A9bec.&text=Il%20sera%20en%20outre%20interdit,organiser%20une%20manifestation%20%C2%BB%20antimesures%20sanitaires.">loi encadrant les manifestions antivaccins</a>. Cela vaut particulièrement pour les mesures dont la conformité aux droits et libertés apparaît problématique.</p>
<p>De plus, bien que le renouvellement continuel par décrets ait été <a href="https://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/2022/2022qcca85/2022qcca85.html">jugé légal par la Cour d’appel du Québec</a>, il serait <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1782015/gouvernance-decret-quebec-covid19-etat-urgence-sanitaire-droit">bénéfique</a> qu’il soit dorénavant soumis à l’approbation de l’Assemblée nationale. Cette pratique, prévue par la Loi sur la santé publique, obligerait le gouvernement à débattre publiquement des raisons pour lesquelles il considère nécessaire de conserver ses larges pouvoirs discrétionnaires.</p>
<p>Vu la continuité probable de la pandémie et du besoin de mesures sanitaires, il serait certainement pertinent de prévoir un cadre législatif pour la gestion de la pandémie. Cette loi baliserait les pouvoirs spéciaux requis par le gouvernement, lui permettant de conserver une certaine flexibilité, sans devoir maintenir l’état d’urgence. À cet égard, il est possible de s’inspirer de l’<a href="https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/quebec-solidaire-propose-une-loi-transitoire-pour-mettre-fin-a-letat-durgence-31980">idée de loi transitoire mise de l’avant par Québec solidaire</a> en juin dernier. L’objectif de cette proposition était de préparer la transition du Québec vers la fin de l’état d’urgence tout en reconnaissant que la pandémie pourrait requérir l’implantation de nouvelles mesures dans le futur.</p>
<p>Dans tous les cas, vu l’apparente légalité du maintien continuel de l’état d’urgence, il reviendra au gouvernement d’accepter de partager ses pouvoirs de gestion avec l’Assemblée nationale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175303/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stephanie Pepin a reçu des financements du FRQSC.</span></em></p>Le renouvellement continuel de l’état d’urgence crée un climat propice à l’adoption de mesures sanitaires dont la nécessité est difficilement justifiable.Stéphanie Pepin, Doctorante en droit, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1581702021-04-06T18:40:26Z2021-04-06T18:40:26ZDébat français sur l’euthanasie : leçons d’Allemagne, du Portugal et d’Espagne<p><em>Texte écrit en collaboration avec Éva Stahl, étudiante à Sciences Po Paris.</em></p>
<hr>
<p>La pandémie a rappelé avec force le tabou de la mort. La mort doit être évitée, elle est un échec ultime, et mérite notre indignation. Mais est-ce la mort elle-même qui est un problème, ou bien ses causes inacceptables et ses conditions qui nous paraissent inhumaines ? Le débat est en cours, notamment au niveau législatif, dans plusieurs pays européens, y compris en France.</p>
<p>Alors que l’Assemblée nationale <a href="https://www.lepoint.fr/politique/la-difficile-question-de-l-euthanasie-entre-enfin-en-debat-au-parlement-23-03-2021-2418989_20.php">se prépare à débattre</a> (à partir du 8 avril 2021) de quatre nouvelles propositions de loi relatives à la fin de vie (après que le <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/le-senat-rejette-la-proposition-de-loi-ps-pour-le-droit-a-mourir-dans-la">Sénat en a rejeté une</a>), trois autres pays européens vivent des révolutions dans leur rapport à la mort et à la possibilité de prendre des décisions dans ce domaine. L’Allemagne, le Portugal et l’Espagne ont récemment repensé le rapport entre la mort volontaire et le droit. Leurs expériences posent des défis intellectuels, moraux et juridiques fascinants.</p>
<h2>De quoi est-il question, exactement ?</h2>
<p>Les propositions de loi françaises parlent toutes d’<em>assistance médicalisée active à mourir</em>. Il s’agit d’une évolution du vocabulaire : les formules <em>euthanasie</em> et <em>suicide assisté</em> ne semblent plus exprimer de façon adéquate la demande du patient et sa relation avec le médecin, même si elles sont encore parfois citées pour préciser les différences techniques entre les procédures.</p>
<p>Le processus de mourir est regardé en face, et c’est bien sa solitude jusqu’à présent assumée qui n’est plus perçue comme une nécessité. La mort médicalement assistée se présente non seulement comme une mort choisie et sans souffrances, mais surtout comme un départ qui peut être accompagné par des proches, réunis au chevet du malade.</p>
<p>Il existe plusieurs définitions de l’euthanasie. Celle dont il est question ici est qualifiée d’<em>active</em> : il s’agit d’une mort douce donnée par le médecin (le plus souvent par injection d’un produit létal) à la demande explicite du patient. Ce dernier se trouve parfois dans l’impossibilité physique de se donner la mort lui-même, mais il peut aussi <em>préférer</em> être accompagné par le médecin dans ses derniers moments. Quant au suicide assisté, il s’agit de la possibilité offerte au patient de se donner la mort seul, grâce à un produit sûr prescrit par un médecin (une boisson létale), accompagné ou non par un médecin.</p>
<p>Toutes les propositions de loi récemment déposées à l’Assemblée souhaitent encadrer ces deux procédures. La première a été avancée par <a href="http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl20-131.html">Marie-Pierre de la Gontrie</a>, juriste et sénatrice, membre du Parti socialiste. Élaborée avec l’aide de <a href="https://www.admd.net/">l’Association pour le droit de mourir dans la dignité</a>, elle a été inscrite à l’ordre du jour au Sénat juste après la mort de <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2021/03/08/la-mort-de-paulette-guinchard-kunstler-ancienne-secretaire-d-etat-aux-personnes-agees_6072339_3382.html">Paulette Guinchard-Kunstler</a> début mars 2021. </p>
<p>Paulette Guinchard-Kunstler fut une députée PS, secrétaire d’État aux personnes âgées dans le gouvernement Lionel Jospin et vice-présidente de l’Assemblée nationale. Elle souffrait du syndrome cérébelleux, une maladie neurodégénérative incurable. Elle a décidé de se rendre en Suisse, où le suicide assisté est autorisé, pour y mourir – en faisant en même temps de son décès un geste militant en faveur de la modification de la <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/findevie/ameliorer-la-fin-de-vie-en-france/article/loi-fin-de-vie-du-2-fevrier-2016">loi française sur la fin de vie</a>, qui ne permet pas au médecin d’abréger intentionnellement la vie de la personne qui souffre. Le cœur de la proposition <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/le-senat-rejette-la-proposition-de-loi-ps-pour-le-droit-a-mourir-dans-la">a été rejeté</a> par la Haute Chambre le 11 mars, et son auteure l’a donc retirée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1369896515087577089"}"></div></p>
<p>Les quatre propositions suivantes ont été déposées par des députés de tous bords politiques, et semblent avoir toutes la même motivation : encadrer des pratiques soutenues par la grande majorité des Français (<a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/ethique/euthanasie-96-des-francais-y-sont-favorables">96 %</a> d’entre eux seraient favorables à l’euthanasie d’après un sondage d’avril 2019) et les rendre non seulement accessibles, mais aussi transparentes et contrôlables.</p>
<p>Le premier projet, qui sera débattu le 8 avril 2021, a été soumis en 2017 par le professeur d’histoire et membre du groupe Libertés et territoires (divers gauche) <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b0288_proposition-loi">Olivier Falorni</a>. Cette même année 2017, l’aide-soignante <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b0517_proposition-loi">Caroline Fiat</a> (FI) a déposé son texte. Deux autres ont été présentés en 2021, par la juriste <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3755_proposition-loi">Marine Brenier</a> (LR) et par le médecin <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3806_proposition-loi">Jean‑Louis Touraine</a> (LREM).</p>
<p>Les projets diffèrent par la tonalité de l’exposé de leurs motifs – ils insistent particulièrement sur l’inégalité devant les conditions de mourir (FI), sur l’absence de moyens juridiques (LR), sur les mauvaises conditions de la mort assistée en France (LREM) ou sur le fait que le droit de mourir relève de « la liberté ultime » (Falorni). Ils sont toutefois tous d’accord sur le fond : si une personne, adulte et capable, souffrant d’une maladie grave, incurable et en phase avancée, exprime le désir de mourir, elle devrait avoir le droit d’être aidée activement par un médecin. Plusieurs projets insistent sur le côté actif, parfois sans préciser – volontairement – s’il s’agit d’une simple prescription d’un comprimé ou d’une boisson létale (pour le suicide assisté), ou d’une injection d’une telle substance (pour l’euthanasie). Les souffrances citées dans les projets ne doivent pas être nécessairement physiques – il peut s’agir de souffrances psychiques qui rendent la vie insupportable.</p>
<p>Tous les projets proposent également différents moyens de s’assurer que le patient ne subit pas de pressions, que sa décision est réellement autonome, et que son état de santé ne laisse pas espérer une amélioration. Ces moyens incluent notamment la consultation de médecins indépendants, de membres de l’entourage qui n’ont aucun intérêt moral ou matériel au décès et, quand cette précaution a été prise, la lecture des <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F32010">directives anticipées</a> laissées par le malade s’il n’est pas en mesure de s’exprimer. La création d’une commission de contrôle est également prévue, tout comme l’assurance de l’accès universel aux soins palliatifs et l’existence d’une clause de conscience pour le médecin.</p>
<p>Les différences entre les projets sont minimes. Ils ne copient pas les projets internationaux – par exemple, contrairement à la <a href="https://www.justifit.be/b/droit-euthanasie-belgique/">loi belge</a>, ils excluent tous l’application de la loi aux mineurs. Cette relative unanimité des projets devrait d’ailleurs conduire à l’élaboration d’un texte commun reflétant le soutien massif des citoyens français à une nouvelle législation. Mais cette perspective est pour l’instant lointaine : le 8 avril, quelques députés LR, <a href="https://www.la-croix.com/Euthanasie-3-000-amendements-deposes-Assemblee-compromettant-adoption-2021-04-03-1301149218">qui ont déposé 3 000 amendements</a> au texte d’Olivier Falorni, risquent de bloquer l’examen même du projet. Pourtant, le soutien à la tenue de ce débat est transpartisan au sein de l’Assemblée, comme en témoigne une tribune de 270 députés <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/lappel-de-270-deputes-sur-la-fin-de-vie-nous-voulons-debattre-et-voter-4036064">publiée le 4 avril</a>.</p>
<p>Le projet d’<a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b0288_proposition-loi">Olivier Falorni</a> a la spécificité d’avoir été co-écrit avec l’écrivaine <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/la-derniere-lettre-danne-bert-euthanasiee-lundi-en-belgique-3452399">Anne Bert</a> qui, souffrant de sclérose latérale amyotrophique, a choisi en 2017 de partir en Belgique pour y bénéficier de l’euthanasie. Dans son dernier livre, <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/le-tout-dernier-ete-9782213705521"><em>Le tout dernier été</em></a>), elle invite à « apprendre à penser la mort », et témoigne de ses motivations. L’exposé des motifs du projet qui sera débattu à l’Assemblée le 8 avril contient une lettre d’Anne Bert, qui précise notamment :</p>
<blockquote>
<p>« Non, la loi française n’assure pas au malade son autodétermination et elle n’est pas garante d’équité. Chaque équipe médicale agit, <em>in fine</em>, selon ses propres convictions et non selon les vôtres. »</p>
</blockquote>
<p>Ce même exposé souligne aussi que « le droit à l’euthanasie ne s’oppose pas aux soins palliatifs », contrairement à ce qui est <a href="https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Leuthanasie-soins-palliatifs-sont-ils-compatibles-2018-11-28-1200986030">souvent affirmé</a>.</p>
<p>Si les projets de loi cités insistent sur le rôle actif du médecin, c’est parce qu’ils jugent insatisfaisante la procédure connue sous le nom d’<em>euthanasie passive</em>. Cette dernière assume qu’il est parfois permis de suspendre le traitement et de permettre à un patient de mourir sans pour autant prendre de mesures directes visant à abréger sa vie. Elle semble de facto autorisée par la loi en vigueur en France depuis <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000446240?r=Kd28XBu5rt">2005</a> ou <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/findevie/ameliorer-la-fin-de-vie-en-france/article/loi-fin-de-vie-du-2-fevrier-2016">2016</a>, et en Allemagne, via des arrêts de la Cour fédérale de justice (BGH), depuis <a href="https://www.hrr-strafrecht.de/hrr/3/96/3-79-96.php3">1996</a>.</p>
<p>Toutefois, plusieurs voix se sont élevées contre cette distinction jugée hypocrite. Le philosophe américain James Rachels pense par exemple que puisqu’il s’agit dans les deux cas de provoquer la mort du patient, ce qui diffère est la méthode, et non pas le fond. Dans le cas de la procédure active, on s’assure que le patient ne souffre pas, et dans la procédure passive on le laisse mourir faute de soins, ce qui peut <a href="https://www.nejm.org/doi/pdf/10.1056/NEJM197501092920206">sembler plus cruel</a>. Si l’on accepte la possibilité d’arrêter l’acharnement thérapeutique, on devrait permettre aussi la fin de vie plus apaisée, comme dans le contexte de l’euthanasie active.</p>
<h2>L’actualité ibérique</h2>
<p>Depuis une vingtaine d’années, le Portugal a voté une série de lois dont la modernité surprend. D’abord, en 2001, la <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2016-2-page-151.htm">dépénalisation de toutes les drogues</a>. Puis, en 2007, ce pays pourtant catholique a légalisé <a href="https://www.scielo.br/scielo.php?pid=S0102-311X2020001300502&script=sci_arttext&tlng=en">l’accès à l’avortement</a>. Enfin, en janvier 2021, son Parlement <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/01/29/au-portugal-le-parlement-legalise-l-euthanasie_6068124_3210.html">a voté en faveur</a> de l’accès à l’euthanasie et au suicide assisté, en reprenant un projet de loi de février 2020 proposé par la gauche, les écologistes et les libéraux (136 voix pour, 78 contre, et 4 abstentions).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/A_xMtCqfGaA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Quelques semaines plus tard, en mars 2021, la Cour constitutionnelle a pourtant temporairement bloqué la loi, à la demande du président Marcelo de Sousa qui la trouvait <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/18/au-portugal-la-cour-constitutionnelle-annule-la-loi-autorisant-l-euthanasie_6073641_3210.html">imprécise</a>. Les juges ont noté qu’ils comprenaient bien l’existence d’une tension, au sein de la Constitution, entre le devoir de protéger la vie et le respect de l’autonomie personnelle, tout en reconnaissant que cette tension peut être traitée à l’aide des moyens législatifs. </p>
<p>La loi sur l’euthanasie n’est donc <a href="https://www.jn.pt/nacional/lei-da-eutanasia-chumbada-pelo-constitucional-13459769.html">pas contraire à la Constitution <em>a priori</em></a>. Néanmoins, dans sa formulation actuelle, elle ne définit pas assez clairement la notion de « souffrance intolérable », laquelle serait pourtant au moins partiellement déterminable à l’aide des critères médicaux. Les députés se pencheront donc sur le texte, en y ajoutant très probablement le critère de la « maladie terminale », qui exclurait notamment de la loi les personnes handicapées. Notons que cette dernière limitation n’existe pas en Belgique et aux <a href="https://www.alliancevita.org/2017/11/leuthanasie-aux-pays-bas-2-2/">Pays-Bas</a> : dans ces deux pays, les personnes lourdement handicapées peuvent demander une aide à mourir, et celle-ci peut être acceptée.</p>
<p>Au même moment (18 mars 2021), en Espagne, le Parlement <a href="https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/espagne-la-depenalisation-de-l-euthanasie-entre-les-mains-du-senat-1945.html">a approuvé définitivement</a> la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté (202 voix pour, 141 contre et 2 abstentions). La loi, qui entrera en vigueur en juin, ne précise pas si la personne qui formule la demande doit être en fin de vie. Il faut en revanche qu’elle souffre « d’une maladie grave et incurable ou d’une maladie grave, chronique et invalidante » provoquant « des souffrances intolérables ».</p>
<p>Aussi bien au Portugal qu’en Espagne, des mouvements d’opposition existent. Plusieurs organisations militant pour un accès plus large aux soins palliatifs – qui diminuent la douleur – maintiennent que ces derniers suffisent face à la souffrance potentielle de la fin de vie. Néanmoins, le soutien populaire à cette mesure est important dans les deux pays. Au Portugal, <a href="https://www.lusa.pt/article/UsrRdIrU_ZwTiNeR6mVBbTMSZM5iuSI1/portugal-over-half-favour-euthanasia-survey">plus de 50 %</a>de la population veut une législation permettant l’euthanasie ; en Espagne, le soutien atteint <a href="https://elpais.com/sociedad/2021-03-18/espana-aprueba-la-ley-de-eutanasia-y-se-convierte-en-el-quinto-pais-del-mundo-en-regularla.html">87 %</a>.</p>
<h2>L’Allemagne entre droits fondamentaux et absence du droit</h2>
<p>En Allemagne, la question de a légalisation de l’euthanasie active, appelée « aide à mourir », <em>Sterbehilfe</em> (le mot <em>Euthanasie</em> n’est plus utilisé à cause des précédents historiques), se pose bien moins aujourd’hui que celle du suicide assisté. Interdit en décembre 2015 à travers <a href="https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Entscheidungen/DE/2015/12/rk20151221_2bvr234715.html">l’article 217 du code pénal</a>, il est revenu, de façon inattendue, sur le devant de la scène. Cette fois-ci, toutefois, ce n’est pas le Bundestag qui s’est prononcé, mais la <em>Bundesverfassungsgericht</em>, la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe.</p>
<p>Le 26 février 2020, la Cour de Karlsruhe <a href="https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Entscheidungen/DE/2020/02/rs20200226_2bvr234715.html">a déclaré</a> que l’interdiction de l’aide à un individu pour mettre fin à sa vie est anticonstitutionnelle. Ce jugement revient de facto à légaliser la procédure du suicide médicalement assisté dont l’interdiction va, aux yeux des juges, à l’encontre du <a href="https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Pressemitteilungen/DE/2020/bvg20-012.html">droit fondamental à disposer de soi-même</a> (<em>Selbstbestimmungsrecht</em>). Aujourd’hui, et selon la loi, chaque citoyen allemand a le droit de demander une aide médicale au suicide à tout moment de sa vie, et pas seulement en cas de maladie incurable. Si le droit à disposer de soi-même se trouve au centre de la Constitution allemande (<a href="https://www.bundestag.de/resource/blob/189762/f0568757877611b2e434039d29a1a822/loi_fondamentale-data.pdf">article 2</a>) et domine depuis de longues années le principe de non-abandon, c’est en partie pour protéger la population d’une quelconque rechute totalitaire. Le fait que chaque citoyen ait le droit de décider librement du déroulement de sa vie, sans ingérence de quiconque (et surtout pas de l’État), est l’une des conditions du processus de <a href="https://www.cairn.info/usages-de-l-oubli%20--%209782020100502-page-49.htm">reconstruction nationale allemande</a>.</p>
<p>La décision de la Cour de Karlsruhe a été <a href="https://www.zeit.de/politik/deutschland/2020-02/paragraf-217-bundesverfassungsgericht-kippt-sterbehilfe-gesetz">vivement critiquée</a> – on craignait notamment la banalisation du suicide. Or il n’y aucune raison de croire que l’autorisation du suicide assisté ferait augmenter le nombre de cas. En Suisse, pays où l’aide au suicide est autorisée depuis 1942, une <a href="https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/sante/etat-sante/mortalite-causes-deces/specifiques.assetdetail.3902306.html">étude de 2016</a> montre que le nombre de suicides (tous types confondus) comptabilisés par an a clairement diminué entre 1995 et 2003 et reste stable depuis, alors qu’en parallèle, celui des suicides assistés a fortement progressé, notamment entre 2008 et aujourd’hui. Le nombre total de suicides violents continue donc à diminuer.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1004511611166646272"}"></div></p>
<p>Certaines craintes sont infondées, mais le malaise persiste. Un an plus tard, la décision juridique de la Cour de Karlsruhe demeure un espace vide. L’interdiction est levée, mais aucune loi encadrant les pratiques n’est pour l’instant prévue. La question de l’achat de médicaments (<em>pentobarbital</em> notamment) nécessaires a été posée au ministre de la Santé plutôt conservateur Jens Spahn (CDU), mais reste non résolue.</p>
<p>Il existe trois associations qui peuvent aider la personne en souffrance : la <a href="https://www.dghs.de/">Société allemande pour la mort humaine</a>, l’association <em>Dignitas</em> Allemagne (la branche allemande de la célèbre association suisse, dont 43 % de clients <a href="http://www.dignitas.ch/images/stories/pdf/statistik-ftb-jahr-wohnsitz-1998-2019.pdf">viennent d’Allemagne</a> et l’association <a href="https://www.deutschlandfunkkultur.de/gewerbliche-sterbehilfe-wir-haben-eine-vernuenftig.1008.de.html ?dram :article_id=486253"><em>Sterbehilfe</em></a> de l’ancien sénateur de Hambourg pour la justice, Roger Kusch. Elles ont aidé depuis février 2020 une centaine de personnes, de façon plutôt artisanale, sans véritablement disposer de codes de conduite reconnus, le jugement de la Cour de Karlsruhe <a href="https://www.sueddeutsche.de/politik/sterbehilfe-suizid-medizin-bundesverfassungsgericht-1.5197390">ne précisant pas les détails</a>. </p>
<p>Deux projets de loi ont été déposés par les députés libéraux et de gauche d’un côté et par les Verts de l’autre, en <a href="https://www.lto.de/recht/hintergruende/h/sterbehilfe-neuregelung-gesetzentwuerfe-abgeordnete-aerzte-freier-wille-minderjaehrige-toedliche-medikamente-beratung/">janvier 2021</a>. Ils visent à encadrer davantage la procédure (en précisant que sont concernées uniquement des personnes adultes, et que le médecin prescripteur doit avoir eu les moyens de s’assurer de la liberté de la prise de décision), à former du personnel, à définir les réglementations relatives à la publicité des institutions concernées, et à mettre en place des mesures renforcées en matière de prévention des suicides.</p>
<p>Les deux projets différent sur un point important : faut-il réserver la procédure exclusivement à des personnes gravement malades ? Les Verts pensent que la question devrait être posée et que l’État devrait y répondre par avance ; l’autre proposition de loi laisse ouverte cette possibilité à toute personne qui en fait une demande libre et consciente. Dans tous les cas, le temps d’attente serait imposé, et le médecin pourrait refuser de faire l’ordonnance demandée.</p>
<h2>Reprise de contrôle en temps de pandémie ?</h2>
<p>Cet engouement européen – même s’il s’agit souvent de projets de loi qui ont commencé à être rédigés bien avant la pandémie – témoigne de la volonté de reprendre le contrôle sur sa vie, et sur les conditions de sa mort.</p>
<p>L’une des violences les plus insupportables de la pandémie de Covid-19 est celle de la solitude des victimes âgées, mourant isolées dans les Ephad et dans des hôpitaux. L’aide médicale à la mort, qu’il s’agisse de l’aide au suicide ou de l’euthanasie, permet de faire sortir de la solitude de la fin de vie. S’éteindre entouré par des proches, au moment voulu, ne semble pas être cette mort médicalisée que tant craignaient, mais un moment où les humains se confrontent ensemble à leur finitude.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158170/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anna C. Zielinska ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que l’Assemblée nationale s’apprête à examiner plusieurs projets de loi sur l’euthanasie, que nous apprend l’exemple des pays européens qui ont récemment légiféré sur la question ?Anna C. Zielinska, MCF en philosophie morale, philosophie politique et philosophie du droit, membre des Archives Henri-Poincaré, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1551582021-02-21T17:21:47Z2021-02-21T17:21:47ZRéintroduction des pesticides néonicotinoïdes : comment nos députés ont-ils voté et pourquoi ?<p>L’Assemblée nationale a voté, en octobre 2020, la réintroduction partielle des pesticides néonicotinoïdes. 59 % des députés se sont prononcés en faveur du projet de loi autorisant les producteurs de betteraves sucrières à utiliser, à titre dérogatoire, des semences traitées avec des <a href="https://theconversation.com/interdiction-des-insecticides-neonicotino-des-pourquoi-a-t-il-fallu-attendre-plus-de-20-ans-95759">pesticides pourtant interdits depuis 2018</a>. Une enquête du <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/02/19/neonicotinoides-des-derogations-fondees-sur-une-erreur-de-calcul_6070521_3244.html"><em>Monde</em></a> a révélé récemment que ce projet de loi s'est fondé, en partie, sur des calculs erronés, interrogeant la façon dont sont pris les arbitrages en la matière.</p>
<p>Le texte, qui a <a href="https://theconversation.com/pesticides-les-alternatives-existent-mais-les-acteurs-sont-ils-prets-a-se-remettre-en-cause-146648">suscité de nombreux débats</a>, a été soutenu par les députés des groupes du centre et de la droite – La République en Marche, Les Républicains, Mouvement Démocrate et Agir Ensemble.</p>
<p>Ce vote a provoqué un cas de conscience chez nombre d’élus de ces formations, qui étaient tiraillés entre leur loyauté à leur parti ou au gouvernement, les intérêts de leur circonscription, et leurs propres convictions. Concrètement : comment les députés ont-ils voté et comment expliquer leur choix ?</p>
<h2>L’importance du groupe parlementaire à l’Assemblée nationale</h2>
<p>Dans toutes les démocraties parlementaires, l’appartenance à un groupe politique détermine largement le sens du vote des députés. C’est notamment le cas à l’Assemblée nationale, où les élus suivent le plus souvent ligne arrêtée par leur groupe.</p>
<p>Cette discipline s’explique d’abord par la cohésion idéologique : les membres d’un groupe ont des positions politiques similaires et ont fait campagne sur le même programme. Plus prosaïquement, dans les régimes politiques où la polarisation de la vie politique est la norme, les parlementaires appartiennent à la majorité ou à l’opposition, et acceptent l’idée qu’ils doivent s’employer à soutenir ou à contrer l’action du gouvernement. Les présidents de groupe disposent aussi de ressources pour discipliner leurs élus, en récompensant les plus loyaux et en sanctionnant les dissidents.</p>
<p>Dans le système politique français, la cohésion des groupes parlementaires a permis de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01402380802670602">stabiliser les institutions</a> de la V<sup>e</sup> République. Elle aide aussi les citoyens à comprendre le jeu politique qui se déploie à l’Assemblée nationale et au Sénat.</p>
<p>Ceci étant, les députés se désolidarisent parfois de leur groupe, notamment lorsque des divergences politiques apparaissent. Celles-ci peuvent aboutir à de vrais divorces, comme cela a été plusieurs fois le cas parmi les députés LREM <a href="https://theconversation.com/apres-trois-votes-de-confiance-la-majorite-presidentielle-serode-t-elle-a-lassemblee-nationale-143426">depuis 2017</a>.</p>
<p>Plus périodiquement, les députés votent contre la ligne de leur groupe, notamment pour faire prévaloir leurs convictions personnelles ou les <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674187887">intérêts de leur circonscription</a>. Depuis 2017, de nombreux députés LREM ont dévié de la ligne du groupe sur plusieurs sujets clés, notamment le <a href="https://datan.fr/votes/vote_2952">renforcement du droit à l’avortement</a>, le <a href="https://datan.fr/votes/vote_2856">projet de loi bioéthique</a>, ou encore la <a href="https://datan.fr/votes/vote_2059">ratification de l’accord de libre-échange avec le Canada</a> (CETA).</p>
<p>En somme, les députés ne sont pas des élus « hors-sol » : sur des votes médiatiques, ils n’hésitent pas à voter contre leur groupe pour contenter les intérêts de leurs électeurs. Ceci est d’autant plus important en <a href="https://yalebooks.co.uk/display.asp?k=9780300105872">période électorale</a>, surtout dans un pays comme la France, où les élections législatives ont lieu à l’échelle de circonscriptions uninominales et qu’il existe, de fait, un un <a href="https://www.researchgate.net/publication/263559602_Attitudes_Towards_The_Focus_and_Style_of_Political_Representation_Among_Belgian_French_and_Portuguese_Parliamentarians">lien étroit</a> entre l’élu et son territoire.</p>
<h2>Le vote sur la réintroduction des néonicotinoïdes</h2>
<p>Le projet de loi sur la réintroduction des pesticides néonicotinoïdes visait à aider le secteur de la betterave sucrière, dont la production était affectée par la jaunisse, une maladie causant d’importantes <a href="http://www.itbfr.org/tous-les-articles/article/news/f-a-q-tout-savoir-sur-la-jaunisse/">pertes de rendement</a>.</p>
<p>Il a suscité de fortes mobilisations dans les deux camps et a été largement médiatisé. De vives dissensions sont apparues au sein des groupes du centre et de la droite qui entendaient soutenir la loi. Elles sont reflétées par le taux de cohésion des groupes, un <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/british-journal-of-political-science/article/abs/power-to-the-parties-cohesion-and-competition-in-the-european-parliament-19792001/C9DEC632B97560226F7208FC735C3C56">indicateur statistique</a> qui varie de 0 (chaos total) à 1 (parfaite cohésion), et se situe généralement autour de 0,90 à l’Assemblée nationale. Lors du <a href="https://datan.fr/votes/vote_2940">vote sur les néonicotinoïdes</a>, il s’est échelonné entre 0,20 à 0,60 pour les groupes du centre et de la droite, un score particulièrement faible.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383840/original/file-20210211-13-78neun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383840/original/file-20210211-13-78neun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383840/original/file-20210211-13-78neun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383840/original/file-20210211-13-78neun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383840/original/file-20210211-13-78neun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383840/original/file-20210211-13-78neun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383840/original/file-20210211-13-78neun.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Données du vote sur la réintroduction des néonicotinoïdes, par groupe politique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A.Marie, O.Costa, Datan</span></span>
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<p>À La République en Marche, 28 % des députés ont choisi de s’abstraire des consignes de vote du groupe. Pour savoir si ce choix s’explique par des enjeux locaux, et notamment par d’éventuelles pressions de la filière betteravière, nous avons croisé les données de vote avec les <a href="https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/SAANR_DEVELOPPE_2/detail/">chiffres de la production de betterave sucrière en 2019</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/383825/original/file-20210211-15-11r9xek.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383825/original/file-20210211-15-11r9xek.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383825/original/file-20210211-15-11r9xek.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383825/original/file-20210211-15-11r9xek.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383825/original/file-20210211-15-11r9xek.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383825/original/file-20210211-15-11r9xek.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383825/original/file-20210211-15-11r9xek.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383825/original/file-20210211-15-11r9xek.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte de la production de betteraves sucrières (données Agreste, Ministère de l’Agriculture).</span>
<span class="attribution"><span class="source">A. Marie, O.Costa</span></span>
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<p>Notre analyse montre que les députés élus dans des départements à forte production de betterave sucrière ont davantage voté en faveur de la réintroduction des néonicotinoïdes que les autres. Ainsi, alors que 87 % des députés LREM élus dans ces zones ont soutenu le projet de loi, cette proportion n’est que de 60 % pour les autres.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/383826/original/file-20210211-16-m6von.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383826/original/file-20210211-16-m6von.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383826/original/file-20210211-16-m6von.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383826/original/file-20210211-16-m6von.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383826/original/file-20210211-16-m6von.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383826/original/file-20210211-16-m6von.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383826/original/file-20210211-16-m6von.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383826/original/file-20210211-16-m6von.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dans chaque groupe, les députés venant de département où la filière betteravière est importante ont été davantage susceptibles de voter en faveur du projet de loi.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A. Marie, O. Costa, Datan</span></span>
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</figure>
<p>Les députés ont sans aucun doute été influencés par les intérêts liés au dossier des néonicotinoïdes. Les parlementaires élus dans les régions betteravières ont été sensibles aux positions des producteurs, qui ont des ressources financières et organisationnelles importantes, la faveur d’une partie de l’opinion et des relais solides dans la vie politique, économique et sociale. Les élus venant de territoires sans filière betteravière ont été davantage à l’écoute des défenseurs de l’environnement, qui soulignaient les incohérences de la majorité présidentielle, qui avait été à l’origine de l’interdiction de cette catégorie de pesticides.</p>
<h2>Les députés votent-ils « avec leur conscience » ?</h2>
<p>S’il est manifeste que les députés peuvent arbitrer entre la ligne de leur parti et les intérêts qui s’expriment dans leur circonscription, qu’en est-il de leurs convictions personnelles ? Leur vote n’est-il pas aussi guidé par leur conscience ?</p>
<p>Pour le déterminer, nous avons estimé la position moyenne des députés sur l’axe gauche-droite en analysant, au moyen de l’algorithme développé par les chercheurs</p>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/2111172?origin=crossref&seq=1">Keith Poole and Howard Rosenthal</a>, plus d’une centaine de scrutins de l’Assemblée nationale. Cette méthode permet de déterminer si un élu a tendance à être plus à gauche ou plus à droite que la position moyenne de son groupe.</p>
<p>Dans le cas de la réintroduction des néonicotinoïdes, les votes ont bien été influencés par les positions idéologiques. Dans chaque groupe politique, plus un élu se situe à droite, plus il a été susceptible de voter en faveur du texte, et inversement. Au sein des formations du centre et de la droite, les députés situés le plus à gauche se sont donc davantage opposés au gouvernement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/383829/original/file-20210211-22-1moyzp5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383829/original/file-20210211-22-1moyzp5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383829/original/file-20210211-22-1moyzp5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383829/original/file-20210211-22-1moyzp5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383829/original/file-20210211-22-1moyzp5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383829/original/file-20210211-22-1moyzp5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383829/original/file-20210211-22-1moyzp5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383829/original/file-20210211-22-1moyzp5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’échelle verticale indique le position idéologique des élus (-1 étant le plus à gauche, +1 le plus à droite) et l’échelle horizontale le vote des parlementaires sur la réintroduction des néonicotinoïdes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A.Marie, O.Costa, Datan</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des députés tiraillés entre trois logiques de représentation</h2>
<p>La représentation parlementaire est donc un mécanisme plus complexe qu’il n’y paraît. Les députés ne sont pas de simples rouages de leur parti, coupés des réalités socio-économiques de leur circonscription et dépourvus de libre arbitre. Il leur arrive de s’abstraire des consignes de vote pour privilégier des intérêts locaux ou leurs propres convictions. Nos données reflètent ainsi les tensions qui existent entre trois logiques distinctes, et qui ne sont pas toujours compatibles.</p>
<p>En premier lieu, la <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/folder/les-deputes/le-mandat-parlementaire/quel-est-le-sens-du-mandat-parlementaire-representer-la-nation-exprimer-la-volonte-generale-relayer-les-demandes-des-electeurs">tradition constitutionnelle française</a> de la « généralité » du mandat et de la souveraineté nationale voudrait que les députés, pris collectivement, représentent la Nation. En principe, ils ne peuvent affirmer agir au nom d’un territoire donné et sont appelés à se prononcer sans tenir compte d’intérêts particuliers, en leur âme et conscience.</p>
<p>La pratique institutionnelle et politique voudrait, en deuxième lieu, que les députés soient fidèles à leur groupe parlementaire. C’est là le <a href="https://www.jstor.org/stable/43205624?seq=1">projet des artisans de la Vᵉ République</a> : aboutir à une vie politique polarisée, où l’exécutif dispose d’une majorité claire et stable à l’Assemblée nationale, et où l’opposition remplit une fonction de contrôle et de mise en débat.</p>
<p>Concrètement, les partis peuvent exiger cette discipline de leurs élus, car ces derniers leur doivent le plus souvent leur élection. Certains députés attirent des voix sur leur nom, mais la plupart des électeurs votent aux élections législatives pour confirmer leur choix des présidentielles.</p>
<p>Ainsi, rares sont les députés LREM qui peuvent prétendre avoir été élus pour leurs qualités personnelles ; la plupart d’entre eux étaient des inconnus qui ont bénéficié de la dynamique électorale engendrée par l’élection d’Emmanuel Macron.</p>
<p>En troisième lieu, et même si cela est a priori contraire à la tradition constitutionnelle française, les citoyens entendent que leurs élus se montrent réactifs à leurs sollicitations et sensibles à leurs intérêts. Il convient ainsi que les députés soient présents dans leur circonscription et prennent part à la défense des intérêts qui s’y expriment.</p>
<p>Nos données confirment ce point : les députés élus dans des départements à forte production de betterave ont défendu les intérêts économiques d’une minorité. Ceci étant, ils pourraient arguer que la filière betteravière ne se résume pas à une poignée d’agriculteurs, et qu’elle irrigue largement l’économie des zones où elle est prédominante.</p>
<p>Les députés ne sont pas tiraillés au quotidien par ces différentes conceptions de la représentation. Dans la plupart des cas, ils se prononcent sur des textes qui ne suscitent pas de tension entre leurs convictions et les consignes de vote de leur groupe, n’ont pas de répercussions spécifiques pour leur circonscription, et sont faiblement médiatisés. Seuls quelques votes impliquent des choix cornéliens. Ils font inévitablement des insatisfaits – certains électeurs, le groupe ou l’éthique – mais sont la preuve que la représentation parlementaire n’est pas un mécanisme inerte, et que les élus ne sont pas des pions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155158/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Awenig Marié a co-fondé Datan. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Olivier Costa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le vote sur la réintroduction de pesticides néonicotinoïdes permet de montrer comment les élus sont tiraillés entre leurs partis, les intérêts de leur circonscription et leurs propres convictions.Olivier Costa, Directeur de recherche au CNRS, CEVIPOF / Directeur des Etudes politiques au Collège d'Europe, Sciences Po Awenig Marié, Doctorant au Centre d'étude de la vie politique (CEVIPOL), Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1539022021-01-27T18:35:14Z2021-01-27T18:35:14ZFact check US : L’obstruction parlementaire, l’un des obstacles majeurs à venir pour Joe Biden ?<p>Le 6 janvier 2021, le Sénat américain a basculé à majorité démocrate avec l’obtention des deux sièges de l’État de Géorgie. Mais cette victoire ne protège pas le camp démocrate de l’usage par leurs opposants du « filibuster », processus d’obstruction législative dont il va être question ici. Les 51 voix du camp présidentiel, en comptant celle de la vice-présidente Kamala Harris, lui offrent en effet la majorité simple. C’est insuffisant pour contrer un filibuster, à savoir l’action d’un élu, appartenant à la minorité dans la plupart des cas, décidant de bloquer le processus d’adoption d’une loi par une prise de parole sans interruption. Il faut alors les voix de soixante sénateurs, sur les cent qui composent la chambre haute, afin de suspendre cette manœuvre.</p>
<p>Devant l’accroissement de l’usage du filibuster depuis les années 2000, les projets de loi sont peu nombreux à être actés et ce, quel que soit le président. Ainsi en 2009, l’administration Obama avait-elle abandonné toute tentative de faire adopter le Clean Energy and Security Act, visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, devant les obstacles sénatoriaux qu’elle anticipait et alors que le texte avait été adopté sans coup férir à la chambre basse (<a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/limpossible-presidence-imperiale/">nous y revenons en détail dans cet ouvrage</a>).</p>
<p>Cet état de fait a été <a href="https://www.nytimes.com/2020/12/08/us/politics/tom-udall-farewell-speech-senate.html">dénoncé par Tom Udall</a>, sénateur du Nouveau-Mexique lors de son discours de départ à la retraite le 8 décembre 2020. Il y qualifie le Sénat de « cimetière du progrès » et appuie sur « la réalité du filibuster [qui est] une paralysie, une profonde paralysie ». Ce phénomène de blocage est redouté par une partie des démocrates pour les quatre années à venir. Certains appellent donc Joe Biden à en finir avec le filibuster, à l’instar d’Harry Reid, ancien sénateur du Nevada, au micro d’Associated Press en octobre 2020 : « Le temps viendra où [Joe Biden] devra intervenir et se débarrasser du filibuster. » L’obstruction législative représente-t-elle bel et bien un obstacle pour Joe Biden et sa politique ? Ce dernier a-t-il la volonté de supprimer le filibuster et en a-t-il les pouvoirs en tant que président ? Légalement, il n’en a pas les moyens. En outre, il n’en montre pas la volonté.</p>
<h2>Courte histoire du filibuster</h2>
<p>Pour comprendre l’importance de l’obstruction législative, revenons sur sa genèse. Le filibuster est une spécificité du Sénat américain, qui n’a aucun équivalent ni dans une autre chambre, ni à l’étranger. Cette procédure, apparue de manière involontaire lors d’une réforme du Sénat, au début du XIX<sup>e</sup> siècle, permet à un sénateur de s’exprimer aussi longtemps qu’il le souhaite, sans être interrompu. </p>
<p>Légitimé comme un moyen de préservation de la parole des minorités, le filibuster donne son identité institutionnelle au Sénat. Chaque sénateur a ainsi l’impression d’être un homme ou une femme d’envergure car cela leur confère le pouvoir d’arrêter une loi, même si elle est soutenue par les 99 autres sénateurs. À l’issue du discours, il pourrait être envisageable de remettre le projet de loi sur la table. Toutefois, face à un blocage, le Sénat, débordé de travail et caractérisé par une culture du respect des prérogatives sénatoriales, préfère abandonner le projet de loi en cours et passer au suivant. Le filibuster fonctionne en cela comme un véritable veto sur une proposition législative.</p>
<h2>Que peut le président face à l’obstruction législative</h2>
<p>Face au filibuster, le président n’a, lui, aucun veto. En raison de la séparation des pouvoirs aux États-Unis, il ne peut agir sur les règlements intérieurs du Congrès. Ainsi, seuls les sénateurs peuvent modifier le filibuster. Joe Biden pourrait inciter Chuck Schumer, leader démocrate au Sénat, à se charger de cette procédure. Mais le président élu est un institutionnaliste. Après avoir passé 20 ans en tant que sénateur, il est <a href="https://www.nytimes.com/2021/01/23/us/politics/joe-biden-senate.html">attaché aux traditions</a> de cette chambre et se montre <a href="https://www.newsweek.com/video-joe-biden-saying-filibuster-about-compromise-moderation-resurfaces-1564276">peu favorable</a> à la suppression du filibuster. D’autant plus qu’il ne pourra pas se permettre de perdre son temps dans un débat procédural qui n’intéresse pas beaucoup les Américains, en dehors des spécialistes de la question. C’est pourquoi il s’occupera plutôt de mettre en avant son programme afin de le faire adopter par le Congrès.</p>
<p>Si une partie du camp Biden souhaite la suppression du filibuster, c’est qu’il y a toutes les chances que l’obstruction législative soit utilisée régulièrement en raison des équilibres au sein du 117<sup>e</sup> Congrès. Le Sénat va fonctionner avec autant de démocrates que de républicains. La vice-présidente devra voter à chaque fois pour donner la majorité aux démocrates. Alors en infériorité numérique, les républicains déclencheront un filibuster comme dernière arme de résistance. </p>
<p>Depuis les années 2000, la baisse du nombre de projets de loi devenus lois s’accroît, en même temps que la polarisation partisane s’affirme. <a href="https://www.americanprogress.org/issues/democracy/reports/2019/12/05/478199/impact-filibuster-federal-policymaking/">L’exception est presque que la loi soit adoptée</a>. Il est très difficile pour les deux partis de collaborer dans des projets communs. Totalement opposés en termes politiques, la plupart des républicains suivent une logique de refus absolu de la collaboration, ce qui compliquera le mandat de Joe Biden.</p>
<h2>Vers un dépassement du filibuster</h2>
<p>C’est en tout cas le constat qui pouvait être fait avant l’invasion du Capitole, le 6 janvier 2020. Depuis, le Parti républicain est en déconfiture. Même Mitch McConnell, leader du groupe au Sénat, a <a href="https://www.nytimes.com/2021/01/19/us/politics/mcconnell-trump-capitol-riot.html">pris ses distances avec Donald Trump</a>. Le sénateur pourrait se montrer bienveillant envers Joe Biden. En tant que démocrate centriste, le président élu va essayer de dépasser le clivage partisan, à l’instar de Barack Obama. Ce dernier s’était heurté au mur républicain, en vain. Aujourd’hui, devant l’éclatement des soutiens trumpistes, certains sénateurs républicains pourraient accepter la main tendue de Joe Biden, faisant naître l’espoir d’une volonté bipartisane et consensuelle. Cette politique de la main tendue ne se fait pas sans arrière-pensée. Joe Biden a conscience qu’il lui est impossible d’obtenir la super majorité à soixante voix par son propre parti.</p>
<p>Dans le cas où les républicains resteraient fermés à toute coopération avec la majorité présidentielle, les démocrates pourraient déclencher des moyens procéduraux pour les contrer, comme ils l’ont fait sous Barack Obama. En premier, ils disposent de la mesure dite de « réconciliation », utilisée pour faire adopter l’Obamacare en 2010. Elle permet de faire adopter toute loi qui a un impact sur le budget national par le vote d’une majorité simple au Sénat. En second, la manœuvre un peu brutale de l’« option nucléaire », souvent évoquée sous George W. Bush, offre la possibilité au chef de la majorité sénatoriale d’empêcher l’usage du filibuster pour un certain type de loi. </p>
<p>Une mesure similaire a été utilisée en 2013 afin d’abroger le filibuster pour les nominations institutionnelles, <a href="https://eu.usatoday.com/story/news/factcheck/2020/10/01/fact-check-gop-ended-senate-filibuster-supreme-court-nominees/3573369001/">sauf à la Cour suprême</a>. Puis en 2017, les républicains ont également recouru à cette version limitée de l’option nucléaire afin de supprimer le filibuster pour la nomination de Neil Gorsuch comme juge à la Cour suprême, sachant pertinemment qu’il serait le cas échéant utilisé par les Démocrates.</p>
<p>Au-delà de la question de l’adoption des mesures de Joe Biden, il faut noter que le filibuster entraîne un immobilisme patent de l’institution législative qui risque de faire de l’actuel Congrès l’un des moins productifs de l’histoire. Les sondages montrent à quel point l’institution est d’ailleurs détestée par les Américains, seulement 10 % se disent satisfaits du travail de leur Congrès.</p>
<hr>
<p><em>Ce Fact check a été réalisé avec Lucie Diat et Émilie Chesné de l’École publique de journalisme de l’Université de Tours (EPJT).</em></p>
<p><em>La rubrique Fact check US a reçu le soutien de <a href="https://craignewmarkphilanthropies.org/">Craig Newmark Philanthropies</a>, une fondation américaine qui lutte contre la désinformation</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153902/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Vergniolle de Chantal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’usage immodéré du « filibuster », outil d’obstruction parlementaire, rend le Congrès américain inefficace. Est-ce, comme certains démocrates le craignent, l’un des obstacles majeurs face à Joe Biden ?François Vergniolle de Chantal, Professeur de civilisation américaine à l'Université de Paris (LARCA - CNRS/UMR 8225)., Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1506162020-11-30T18:35:07Z2020-11-30T18:35:07ZLe Pérou à la dérive ou sauvé du naufrage ?<p>Entre le 9 et le 16 novembre, le Pérou a connu trois présidents en l’espace d’une semaine. Le 9, Martin Vizcarra, en poste depuis mars 2018, était <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20201110-au-p%C3%A9rou-le-parlement-approuve-la-destitution-du-pr%C3%A9sident-martin-vizcarra">destitué</a> par ce qu’il faut bien appeler un coup d’État parlementaire. Le président du Parlement, Manuel Merino, a été intronisé à sa place, ce qui a suscité de grandes manifestations violemment réprimées par le nouveau pouvoir. Ce dernier n’a toutefois pas pu tenir longtemps : face à la contestation populaire, Merino a <a href="https://www.lepoint.fr/monde/au-perou-le-president-par-interim-manuel-merino-demissionne-15-11-2020-2401158_24.php">démissionné</a> dès le 16 novembre, cédant le poste au député Francisco Sagasti, chargé de gérer la transition jusqu’aux prochaines élections générales, prévues en avril 2021.</p>
<p>Comment en est-on arrivé là, et que peut-on attendre des prochains mois ?</p>
<h2>Un putsch immédiatement condamné de toutes parts</h2>
<p>Le soir même du coup d’État, l’archevêque de Lima, Carlos Castillo, a déclaré à la radio :</p>
<blockquote>
<p>« Je demande que les parlementaires rectifient la décision qu’ils ont prise. Nous avons besoin de personnes qui aient du discernement, de la sagesse et qui voient de manière stratégique les besoins de l’ensemble du pays. »</p>
</blockquote>
<p>Le prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa s’est exprimé lui aussi sans ambiguïté, dans une interview enregistrée le 13 novembre :</p>
<blockquote>
<p>« C’est une situation absolument lamentable de confusion et d’anarchie. [Le Parlement a agi] à l’encontre de la Constitution et de l’État de droit. […] Je pense que M. Merino – il faut le dire d’une façon catégorique – trahit les meilleures traditions du parti Action populaire. »</p>
</blockquote>
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<figcaption><span class="caption">Le Pérou et la démission de Manuel Merino autoproclamé président.</span></figcaption>
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<p>Les fausses informations visant à discréditer les protestations de rue ont circulé à tout-va, tandis que de nombreuses personnalités – la chanteuse Susana Baca, le ministre de la Culture Alejando Neyra, la présidente du CONCYTEC (équivalent du CNRS), démissionnaient, et les journalistes de la télévision publique dénonçaient les pressions exercées pour les empêcher de montrer les manifestations en cours.</p>
<h2>Un imbroglio inextricable</h2>
<p>L’objectif du calendrier électoral défini fin 2019 était de rétablir un ordre institutionnel avant les grandes élections du <a href="https://americanistes.hypotheses.org/tag/bicentenaire-de-lindependance">Bicentenaire</a> : le Pérou célébrera en 2021 les deux cents ans de son indépendance et des manifestations culturelles sont préparées dans tout le pays, depuis dix ans, dans un esprit d’unité et de fierté nationales. Le président qui doit être élu en 2021 sera investi précisément le jour de la célébration des deux cents ans de vie indépendante et républicaine, le 28 juillet 2021.</p>
<p>Mais, depuis des années, la situation du Pérou est un imbroglio inextricable. En 2016, le président Pedro Pablo Kuczcynski (droite libérale) a été élu avec une très faible avance (0,1 %) sur <a href="https://www.france24.com/fr/20160408-perou-elections-presidentielles-fujimori-alberto-keiko-tete-sondages">Keiko Fujimori</a> (droite nationaliste, fille de l’ancien président Alberto Fujimori, qui dirigea le pays d’une main de fer jusqu’en 2000). <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/03/21/perou-proche-de-la-destitution-le-president-pedro-pablo-kuczynski-demissionne_5274526_3222.html">Kuczcynski</a> a démissionné en 2018, alors qu’il était sur le point d’être destitué par le Parlement pour corruption.</p>
<p>C’est alors que <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20201114-p%C3%A9rou-accus%C3%A9-corruption-l-ex-pr%C3%A9sident-martin-vizcarra-interdit-quitter-le-pays">Martin Vizcarra</a>, son vice-président, a assumé la présidence, conformément à la Constitution. Son action a été constamment bloquée par le pouvoir législatif : les fujimoristes de Force populaire étaient majoritaires en 2016, avec 58 élus. Le président Vizcarra a été confronté à l’échec du vote de confiance sur le processus de désignation des juges du Tribunal constitutionnel après d’autres atermoiements, en septembre 2019, en particulier sur la réforme du système universitaire. Une commission permanente a géré les affaires courantes avant les élections anticipées de janvier 2020. Ce scrutin n’a pas éclairci la situation : neuf partis ont obtenu entre 6 à 10 % des voix, aucun parti n’a gagné les élections, la droite, le parti historique Action populaire est arrivé en tête (10 %, 25 députés), allié au fujimorisme et aux autres partis pour bloquer l’exécutif dans son action ; des élus d’un parti évangélique éloigné des traditions politiques péruviennes ont fait leur entrée dans l’hémicycle avec 15 élus (8 %). Le parlement a pris ses fonctions le premier jour du confinement pour cause de pandémie.</p>
<h2>La corruption dévore le pouvoir politico-judiciaire</h2>
<p>Les prédécesseurs de Kuczcynski (2016-2018), <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/05/01/corruption-l-ex-president-peruvien-ollanta-humala-et-son-epouse-ont-ete-liberes_5292892_3222.html">Ollanta Humala</a> (2011-2016), <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/04/17/perou-l-ex-president-alan-garcia-tente-de-se-suicider-juste-avant-son-arrestation_5451693_3210.html">Alan Garcia</a> (2006-2011) et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/07/17/l-ex-president-peruvien-alejandro-toledo-arrete-aux-etats-unis-en-vue-d-une-extradition_5490171_3210.html">Alejandro Toledo</a> (2001-2006), soit tous les présidents élus depuis 2000, ont été condamnés pour corruption. Les deux derniers ont été emprisonnés de même que la candidate à la présidence <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/01/au-perou-l-ancienne-chef-de-l-opposition-keiko-fujimori-obtient-sa-liberation-sous-caution_6038326_3210.html">Keiko Fujimori</a>.</p>
<p>Alan Garcia s’est suicidé et Alejandro Toledo, installé aux États-Unis, est sous le coup d’un mandat d’arrêt international. <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/alberto-fujimori-lancien-president-qui-divise-les-peruviens">Alberto Fujimori</a>, âgé de 82 ans, et son conseiller issu des services secrets, <a href="https://www.lalibre.be/international/les-casseroles-de-vladimiro-montesinos-51b8849be4b0de6db9aa817a">Vladimir Montesinos</a>, sont en prison depuis vingt-cinq ans, tout comme les leaders de la guérilla du <a href="https://lum.cultura.pe/cdi/video/reportaje-las-violaciones-de-los-derechos-humanos-por-sendero-luminoso">Sentier lumineux</a>, également octogénaires.</p>
<p>L’or et le cuivre sont les principaux <a href="https://journals.openedition.org/cal/3501">minerais</a> exportés du Pérou ; l’exploitation de ces ressources provoque la destruction de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=dekugZEYa_Y">l’environnement</a> comme au Brésil, voisin immédiat de l’Amazonie péruvienne.</p>
<p>Sous le mot de corruption, il faut comprendre les scandales des multinationales des travaux publics dont la Brésilienne <a href="https://www.france24.com/fr/20190624-focus-bresil-perou-affaire-corruption-scandale-lava-jato-odebrecht-btp-elections-alan-garci">Odebrecht</a>, les transports publics inefficaces, le blanchiment d’argent issu du trafic de cocaïne, le <a href="https://www.france24.com/fr/20180720-perou-manifestations-scandale-cour-supreme-corruption-justice-magistrat-pedophilie">trafic d’influence</a> auprès des juges et du parquet (334 magistrats inculpés dans l’affaire des « cols blancs » en 2018), les diverses mafias et les formes de traite humaine pour extraire les richesses du pays.</p>
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<figcaption><span class="caption">Pérou : le scandale de corruption Odebrecht qui fait trembler l’Amérique du Sud.</span></figcaption>
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<p>Un des négoces rentables stoppés par la Surintendance des Universités a été le fonctionnement de <a href="https://americanistes.hypotheses.org/1379">pseudo-universités</a> recevant des droits d’inscription juteux et sans qualité scientifique. Ces universités ont dû fermer et l’un des projets immédiats du pouvoir investi le 10 novembre a été de remettre en cause la réforme universitaire, grâce aux interventions de personnalités en faveur de ces <a href="https://peru21.pe/politica/ricardo-cuenca-ministro-de-educacion-telesup-no-tendra-mas-plazo-noticia/?tmp_ad=30seg">établissements</a>.</p>
<p>Le 15 novembre 2020, après les manifestations dans tout le pays et la mort de deux étudiants, les tractations ont été intenses pour qu’un nouveau chef d’État soit désigné, émanant du Congrès conformément à la Constitution. <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20201118-au-p%C3%A9rou-francisco-sagasti-devient-officiellement-le-nouveau-pr%C3%A9sident-par-int%C3%A9rim">Francisco Sagasti</a>, scientifique et parlementaire du Parti Violet (Morado), le seul parti qui se soit opposé en bloc au coup d’État, a finalement obtenu le vote requis pour proposer un gouvernement.</p>
<h2>Influences boliviennes ?</h2>
<p>La décapitation du pouvoir exécutif au Pérou est survenue le lendemain de l’investiture du nouveau président élu de la Bolivie, <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20201109-bolivie-luis-arce-le-dauphin-d-evo-morales-officiellement-investi-pr%C3%A9sident">Luis Arce</a>, qui fut ministre de l’Économie de Evo Morales. La victoire de Luis Arce a surpris : il a gagné avec une avance de 26 % sur le candidat de centre droit Carlos Mesa. La sénatrice <a href="https://www.france24.com/fr/20191113-bolivie-senatrice-jeanine-anez-proclame-presidente-interim-morales-mexique-coup-etat">Jeanine Añez</a>, présidente de la république autoproclamée (comme Manuel Merino) un an plus tôt, avait renoncé à être candidate dans les derniers mois du fait des accusations de corruption la visant dans sa gestion de la pandémie.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bolivie : Luis Arce, le dauphin d’Evo Morales, officiellement investi président.</span></figcaption>
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<p>Le retournement de situation en Bolivie peut avoir joué dans l’accélération des manœuvres à Lima, le nouveau régime bolivien issu des élections du 18 octobre étant aux antipodes des partis représentés par Merino et Añez.</p>
<h2>Le Pérou confronté à la Covid-19</h2>
<p>Les mesures de confinement prises au Pérou par Martin Vizcarra dès le 16 mars ont été drastiques. Du jour au lendemain, le pays a été confiné, le couvre-feu établi, les aéroports fermés, la circulation des véhicules interdite, les écoles et les universités en enseignement à distance jusqu’en mars 2021, tandis que le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/pandemie-pourquoi-le-perou-cumule-t-il-tant-de-victimes-du-covid-19">système sanitaire</a> se trouvait dans l’incapacité d’arrêter la contagion. Le gouvernement a distribué des bons pour aider les familles en situation de grande précarité. Cependant, la distanciation sociale imposée a été mise à mal lors des rassemblements pour recevoir des aides vitales et subvenir aux besoins des familles sans comptes bancaires.</p>
<p>Les Péruviens ont tout de suite commencé à porter des masques. Des respirateurs artificiels ont été conçus sur place dans l’urgence, tandis que tout un négoce autour des ballons d’oxygène se développaient avec des marchands ambulants attendant la clientèle. Des dizaines de milliers de provinciaux se sont mis en route pour essayer de rentrer à pied dans leurs villes d’origine et fuir l’épidémie tandis que les émigrants vénézuéliens se mettaient aussi en marche pour regagner Caracas, n’ayant même plus les ressources précaires des emplois de rue.</p>
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<figcaption><span class="caption">Covid-19 au Pérou : plus de 5 000 morts, l’oxygène est devenu une denrée rare.</span></figcaption>
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<p>En mai, 200 000 personnes étaient inscrites auprès des autorités pour être rapatriées dans les départements d’origine, tandis que l’ambassade de France faisait le maximum pour obtenir des vols retours, résultants de négociations éprouvantes avec les autorités locales afin de <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/perou-decollage-du-dernier-vol-de-rapatriement-de-francais-6815237">rapatrier</a> 2 300 Français d’un pays où les étrangers étaient devenus importuns ; les rares arrivants d’Europe restaient confinés, pendant une quatorzaine stricte, avant de regagner leurs domiciles.</p>
<p>Malgré les mesures sanitaires qui perdurent et l’état d’urgence prolongé jusqu’au 30 novembre (toute réunion qui implique la concentration de personnes est interdite, de sorte que les manifestations contre le coup d’État étaient illégales), le Pérou a affiché le <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/10/coronavirus-dans-le-monde-de-nouvelles-restrictions-a-berlin_6055563_3244.html">taux de mortalité</a> le plus élevé du monde (35 400 décès). La Chine a testé ses vaccins auprès de 9 000 volontaires. Les premières vaccinations sont attendues avec impatience pour décembre 2020.</p>
<h2>Les relations avec la Chine</h2>
<p>Le tourisme, qui a apporté au Pérou 4 milliards d’euros en 2019, a été l’agent propagateur du virus en plein été austral. Le Pérou a développé <a href="https://journals.openedition.org/teoros/2679">l’industrie touristique</a> au cours des vingt dernières années pour atteindre 4,5 millions de visiteurs en 2019. 50 000 touristes chinois étaient attendus en 2020, après l’arrivée d’un contingent de 47 000 Japonais en 2019, pour ouvrir de nouveaux circuits commerciaux avec l’Asie, après l’Europe. Fin novembre 2019, l’aéroport de Lima avait fini d’ajuster toute sa signalisation pour les nouveaux hôtes asiatiques.</p>
<p>La Chine est devenue le <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2011-1-page-177.htm">premier partenaire</a> commercial du Pérou : 24 % des importations arrivent de Chine et 21 % des États-Unis, 27 % des produits sont exportés en Chine, les États-Unis restant le second partenaire pour 16 %, loin devant les autres pays.</p>
<p>L’agriculture entière du Pérou est tournée vers <a href="https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=PAL_088_0055">l’exportation</a>. Des cultures sont introduites ou développées, destinées au marché extérieur, occupant les sols et les hommes dans des conditions d’exploitation intensive : les fruits de l’avocatier qui remplissent les étals français exigent des ressources en eau faramineuses (1 000 litres d’eau pour un kg d’avocats) dans un pays où l’eau manque ; les myrtilles récemment introduites sont exportées vers les États-Unis et l’Europe ; tandis que le quinoa, connu depuis des temps immémoriaux comme protéine végétale, a été acclimaté en France voilà une dizaine d’années, tout comme tant d’autres produits andins, et ne rapporte plus de devises au pays d’origine.</p>
<h2>Un nouvel espoir pour le Bicentenaire de l’Indépendance</h2>
<p>Manuel Merino, le parlementaire putschiste, est un agriculteur du nord du Pérou qui a produit du soja à partir de 1983, parallèlement aux produits agricoles traditionnels du Pérou tropical. Après l’échec d’une tentative de destitution de Martin Vizcarra pour corruption, le 11 septembre 2020, et la vaine demande d’un soutien de l’armée, les partis revenus au pouvoir à l’occasion des élections intermédiaires de janvier 2020 ont lancé un second assaut le 9 novembre, sans l’appui des forces armées dont le haut commandement a pourtant reçu des appels téléphoniques pressants du président du Congrès.</p>
<p>Il faut espérer que la vigilance de la population, le consensus qui s’est dessiné autour de Francisco Sagasti et de son gouvernement présidé par Violeta Bermudez, issue du mouvement féministe Manuela Ramos, permettront de gouverner dans l’intérêt de l’immense majorité, dans un pays où l’homophobie et la violence de genre sont monnaie courante.</p>
<p>Le délitement des institutions et la corruption à tous les étages s’annoncent comme des tâches prométhéennes. L’enthousiasme de la Génération du Bicentenaire et l’émergence de ministres de la société civile aux commandes du pays, dans un contexte de renouvellement international, seront des atouts pour le succès de la nouvelle donne péruvienne sur le chemin du Bicentenaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150616/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Tauzin-Castellanos est professeure des universités (Université Bordeaux Montaigne), membre de l'Institut Universitaire de France, porteuse d'un projet de recherche de la Région Nouvelle Aquitaine sur l'histoire de l'émigration en Amérique latine. </span></em></p>Au moment où il s’apprête à célébrer le bicentenaire de son indépendance, le Pérou est plongé dans la tourmente, entre coup d’État, corruption et crise sanitaire.Isabelle Tauzin-Castellanos, professeure des universités - Pérou - Amérique latine - XIXe-XXIe siècle, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.