tag:theconversation.com,2011:/global/topics/patriarcat-40225/articlespatriarcat – The Conversation2024-03-06T16:08:29Ztag:theconversation.com,2011:article/2230422024-03-06T16:08:29Z2024-03-06T16:08:29ZLa charge mentale masculine existe-t-elle vraiment ?<p>La charge mentale des hommes – en particulier des pères de famille – est-elle une réalité ? Ces dernières semaines, cette question a fait les titres de plusieurs magazines tels que <em>Le Figaro</em> et <em>Le Point</em>, évoquant cette <a href="https://www.lefigaro.fr/decideurs/management/la-charge-mentale-des-peres-de-famille-ce-sujet-tabou-dont-on-ne-parle-qu-en-coulisses-20240114">« réalité taboue »</a> de notre époque, particulièrement décuplée chez les <a href="https://www.lepoint.fr/societe/la-charge-mentale-des-hommes-existe-t-elle-21-01-2024-2550293_23.php">classes moyennes et supérieures</a> à la suite du premier confinement. Si les sondages menés par Ipsos mettent en exergue la présence d’une charge mentale excessive chez <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/charge-mentale-8-femmes-sur-10-seraient-concernees">14 % des hommes en 2018</a>, ils soulignent que ce taux reste de 9 points plus élevé chez les femmes.</p>
<p>Les travaux de la sociologue <a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1984_num_26_3_2072">Monique Haicault</a> explorent dès 1984 l’idée d’une <a href="https://theconversation.com/penser-a-tout-pourquoi-la-charge-mentale-des-femmes-nest-pas-pres-de-salleger-221659">charge mentale</a> liée à la double charge de travail – salarié et domestique – pour les femmes au sein du couple hétérosexuel. La charge mentale est une notion qui n’englobe pas simplement l’exécution pratique des tâches domestiques, telles que faire le ménage, préparer les repas, ou s’occuper des enfants. Elle prend aussi en compte <a href="https://theconversation.com/charge-mentale-au-travail-comment-la-detecter-et-la-combattre-89329">le travail d’organisation</a> et de coordination de ces tâches, nécessaire à la vie du foyer, ainsi que la responsabilité de leur réalisation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/charge-mentale-comment-eviter-une-surchauffe-du-cerveau-222843">Charge mentale : comment éviter une surchauffe du cerveau ?</a>
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<p>Alors que dans la sphère salariée, penser l’organisation du travail est valorisé économiquement et symboliquement, puisque relevant de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1467-6486.00149">l’activité de management</a>, au foyer, la charge mentale demeure invisible, non rémunérée et <a href="https://hal.science/hal-02881589">supposée naturelle pour les femmes</a>.</p>
<p>Cependant, depuis 2017 et le mouvement #MeToo, déclencheur d’une résurgence des combats féministes, la notion de charge mentale, autrefois réservée au cercle universitaire, a fait son apparition dans la sphère publique. Les travaux de la dessinatrice <a href="https://emmaclit.com/2017/05/09/repartition-des-taches-hommes-femmes/">Emma</a> ont joué un rôle crucial dans sa diffusion, grâce à une bande dessinée virale sur les réseaux sociaux.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/BssNQ_Ngh9M/?hl=fr","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<h2>« Je fais largement mes 50 % »</h2>
<p>Cette mise en lumière de la charge mentale des femmes a suscité une réaction importante de la part des hommes, inquiets que leur contribution à l’organisation du foyer ne soit pas reconnue à sa juste valeur. Parmi les commentaires sous la BD d’Emma, <a href="https://emmaclit.com/2017/05/09/repartition-des-taches-hommes-femmes/">sur son site</a>, on peut par exemple lire :</p>
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<p>« Il ne faudrait pas faire croire non plus que les femmes seraient les seules à subir une charge mentale. »</p>
</blockquote>
<p>De la même façon, dans une recherche en cours <a href="https://theconversation.com/profiles/edwige-nortier-1503170">d’une des autrices</a>, l’idée d’un partage de la gestion du travail domestique est revendiquée par les pères interrogés. L’un d’eux affirme ainsi qu’il « fait largement [ses] 50 % », et défend être à domicile à 18h30 « pour relayer » son épouse en prenant notamment en charge les devoirs, avant de « retourner bosser » pendant que sa femme gère le repas et le coucher. Plus largement, divers témoignages d’hommes dans la <a href="https://www.lefigaro.fr/sciences/qui-sont-les-nouveaux-peres-20230725">presse</a> semblent indiquer une volonté d’implication croissante des pères dans les tâches du foyer. Cette évolution s’inscrit notamment dans le cadre de la flexibilisation du travail pendant la crise sanitaire, ainsi que les réformes récentes du congé paternité (actuellement de 25 jours en France depuis juillet 2021).</p>
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<h2>Une amélioration grâce aux confinements ?</h2>
<p>Il semblerait toutefois que la réalité soit <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/letat-des-lieux-du-sexisme-en-france">plus contrastée</a> que les discours des hommes sur leur implication dans le foyer. Les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281050?sommaire=2118074">dernières données</a> relevées par l’Insee en 2010 montraient que les femmes consacraient en moyenne 3h26 de leur journée aux tâches domestiques, contre 2h pour les hommes. Si leur mise à jour n’a lieu qu’en 2025, des études intermédiaires, notamment lors des confinements de 2020, soulignent que les femmes continuent d’assumer <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797670?sommaire=4928952#titre-bloc-29">l’essentiel des tâches domestiques et parentales</a>. Dans ce contexte de <a href="https://theconversation.com/pour-les-femmes-la-flexibilite-des-horaires-de-travail-se-paye-au-prix-fort-143702">télétravail</a> imposé, le changement de répartition du travail domestique n’a été que très marginal. Il s’est fait principalement <a href="https://blog.insee.fr/sur-les-taches-domestiques-l-homme-est-remplacant/">autour des courses</a> – qui, il faut le rappeler, étaient à ce moment-là un des rares moyens de sortir du domicile. Ainsi, en <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797670?sommaire=4928952#titre-bloc-29">mai 2020</a>, alors que plus de la moitié des femmes déclaraient consacrer minimum 2h aux tâches domestiques chaque jour, les hommes n’étaient que 28 %. De même pour le temps quotidien consacré aux enfants : 58 % des femmes déclaraient y consacrer au minimum 4h pour seulement 43 % des hommes.</p>
<p>Par ailleurs, l’utilisation accrue d’outils tels que les calendriers ou les <em>to-do</em> listes pour se répartir les tâches pendant cette période a en fait maintenu la charge mentale <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/AAAJ-08-2020-4880/full/html">sur les femmes</a>. Dans la même lignée, une <a href="https://academic.oup.com/sf/advance-article-abstract/doi/10.1093/sf/soad125/7301284">étude menée sur 10 ans</a>, montre que même lorsque les hommes bénéficient d’horaires aménagés, ils ne prennent pas plus en charge les responsabilités familiales au sein des couples hétérosexuels.</p>
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<h2>Le congé paternité : facteur de changement ?</h2>
<p>Le congé paternité cristallise tout particulièrement ce déséquilibre de charge mentale. L’une de nos études montre que les hommes auraient tendance à <a href="https://publications.aaahq.org/accounting-horizons/article-abstract/doi/10.2308/HORIZONS-2022-099/11576/Men-s-Experiences-of-Paternity-Leaves-in">organiser ce congé</a> non pas autour de la naissance de leurs enfants mais autour de leurs obligations professionnelles. L’un des hommes interrogés dans cette recherche explique avoir coupé son congé en deux pour pouvoir :</p>
<blockquote>
<p>« prendre une période plus longue sans que ça impacte trop [son] activité [professionnelle] ».</p>
</blockquote>
<p>Sa femme avait une vision différente : pour elle, le congé paternité ne devrait pas être « un gros break à Noël » mais un temps pour être présent dans l’éducation des enfants.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/penser-a-tout-pourquoi-la-charge-mentale-des-femmes-nest-pas-pres-de-salleger-221659">« Penser à tout » : pourquoi la charge mentale des femmes n’est pas près de s’alléger</a>
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<p>Ces stratégies opérées par les hommes peuvent s’expliquer en partie par une culture du lieu de travail et par des contraintes professionnelles qui <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0003122414564008">n’encouragent pas la prise complète du congé</a> lors de la venue d’un enfant, mais aussi par la crainte d’être stigmatisé par ce choix. De nombreux hommes perçoivent encore le congé paternité comme un heurt à leur carrière, et certains managers tentent même parfois de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/gwao.12904">dissuader leurs collègues</a> d’y avoir recours alors qu’ils en ont eux-mêmes bénéficié.</p>
<p>Le lieu de travail est pensé et organisé pour et par les « joueurs masculins » qui ont « créé les règles du jeu » pour reprendre la métaphore des sociologues <a href="https://doi.org/10.1177/017084069201300107.">Alvesson et Billing</a>. Dans ce contexte, tout écart par rapport aux attentes traditionnelles de genre est perçu comme un risque pour les employés – ce qui met en lumière la rigidité des rôles de genre au sein des espaces de travail.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-travail-invisible-une-lutte-sans-fin-pour-les-femmes-203284">Le travail invisible, une lutte sans fin pour les femmes</a>
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<h2>De quelle charge mentale parle-t-on ?</h2>
<p>L’exemple du congé paternité met en évidence un décalage notable entre la définition académique de « charge mentale » chez les femmes, et son emploi dans les discours publics pour caractériser l’expérience des hommes. L’<a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/charge-mentale-8-femmes-sur-10-seraient-concernees">étude Ipsos</a> de 2018 permet déjà de souligner cette distinction. Celle-ci indique que pour une femme sur deux l’apparition de la charge mentale est liée à l’arrivée d’un enfant, alors qu’un homme sur deux l’associe à l’entrée dans la vie active.</p>
<p>En 2024, en France, <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/letat-des-lieux-du-sexisme-en-france">70 % des hommes</a> estiment encore qu’ils doivent être le soutien financier de leur famille pour être valorisés socialement. La sphère professionnelle prime ainsi dans les activités des hommes, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1097184X01004001001">même quand ils deviennent pères</a>. Leur « charge mentale » reste majoritairement pensée dans la continuité d’un rôle de « breadwinner » (principal pourvoyeur de revenus pour la famille).</p>
<p>Pourtant, la proportion de ménages où les deux partenaires subviennent également aux besoins du foyer ou de ménages où la femme est la principale « breadwinner » est en <a href="https://www.demographic-research.org/articles/volume/35/41/">augmentation</a> dans de nombreux pays d’Europe. En France, cette dernière catégorie représente un <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/document-travail/are-female-breadwinner-couples-always-less-stable/">couple sur quatre</a> en 2017, contre un <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281400">couple sur cinq</a> en 2002.</p>
<p>Cette augmentation ne s’accompagne néanmoins pas forcément d’un changement significatif de répartition des tâches ménagères et des soins aux enfants. Dans une étude menée par la sociologue <a href="https://www.unine.ch/socio/home/collaborateurs/nuria-sanchez.html">Núria Sánchez-Mira</a> en 2016 en <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/gwao.12775">Espagne</a>, lorsque la femme devient « breadwinner » pour son foyer, aucun des couples étudiés n’atteint une répartition équitable. La participation des hommes n’augmente donc que de manière limitée, et la séparation genrée des tâches persiste. Par ailleurs, cette recherche espagnole souligne que les discours et la réalité autour de cette séparation diffèrent :</p>
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<p>« Si l’on compare les récits des hommes à ceux de leurs partenaires, on constate dans certains cas une surestimation de leur contribution réelle. Les hommes semblent se livrer à un exercice d’ajustement de la réalité pour correspondre à un discours politiquement correct de co-responsabilité dans les tâches ménagères et les soins aux enfants ».</p>
</blockquote>
<h2>Charge mentale : les hommes font-ils une crise ?</h2>
<p>Le discours autour de la charge mentale des hommes s’inscrit dans une expression plus large d’une <a href="https://theconversation.com/la-crise-de-la-masculinite-ou-la-revanche-du-male-96194">« crise de la masculinité »</a>, c’est-à-dire le sentiment qu’il serait <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/letat-des-lieux-du-sexisme-en-france">difficile d’être homme</a> dans la société actuelle du fait d’une remise en cause des rôles genrés traditionnels, particulièrement depuis 2017 et le mouvement #MeToo. De fait, en 2024, 37 % des hommes disent considérer que le féminisme menace leur place et leur rôle, et qu’ils sont en train de perdre le pouvoir. Le HCE souligne que <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/letat-des-lieux-du-sexisme-en-france">ces résultats</a> indiquent un retour préoccupant des injonctions conservatrices qui réassignent les femmes à la sphère domestique.</p>
<p>Comme l’explique le professeur de sciences politiques <a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/la-crise-de-la-masculinite-francis-dupuis-deri/9782757892268">Francis Dupuis-Déri</a>, cette notion de crise de la masculinité n’est pas récente. Elle est régulièrement invoquée pour expliquer et justifier l’(in) action des hommes et les inégalités de genre. Il souligne que cette idée relève du mythe plus que de la réalité empirique :</p>
<blockquote>
<p>« Les hommes ne [seraient] pas en crise, ils [feraient] des crises quand les femmes refusent le rôle […] qui leur est assigné. »</p>
</blockquote>
<p>Le débat sur la « charge mentale » des hommes peut être considéré comme une marque de la « crise » en cours, signalant une résistance aux luttes féministes. En effet, elle relève d’une tentative de symétriser dans le discours l’implication des femmes et des hommes au foyer. Cela invisibilise la permanence d’une <a href="https://theconversation.com/inegalites-femmes-hommes-tout-ce-que-les-chiffres-ne-nous-disent-pas-171040">inégale répartition du travail domestique</a>.</p>
<p>Il est bien sûr important de reconnaître que les hommes <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1303232?sommaire=1303240">s’impliquent davantage</a> dans le foyer depuis ces 25 dernières années, notamment sur l’éducation des enfants. Toutefois, dans le contexte actuel, la notion de « charge mentale des hommes » relève d’une subversion du concept originel aux dépens de sa politisation féministe initiale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223042/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Certains articles soulignent que, comme les femmes, les hommes ressentiraient une charge mentale. Est-ce vraiment le cas ? De quelle charge mentale parle-t-on ?Edwige Nortier, Assistant Professor Comptabilité, Contrôle, Audit, EM Lyon Business SchoolElise Lobbedez, Lecturer (assistant professor), University of EssexJuliette Cermeno, Docteure en sciences de gestion - théorie des organisations, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2184092023-11-23T17:55:45Z2023-11-23T17:55:45ZConversation avec Christelle Taraud : « Le féminicide est un crime de possession »<p><em>Historienne spécialiste des questions de genre, autrice du livre <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/feminicides-9782348057915">« Féminicides : une histoire mondiale »</a> (éditions la Découverte, 2022), Christelle Taraud lors des Tribunes de la presse 2023, a insisté sur le caractère systémique de ces crimes, leur traitement médiatique et son engagement féministe.</em></p>
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<p><strong>Pourquoi avez-vous décidé d’intervenir aux Tribunes de la presse sur le thème des passions ?</strong></p>
<p><strong>Christelle Taraud</strong> : Je ne suis pas venue sur le thème des passions, mais pour discuter des féminicides. La question « Peut-on encore parler de crime passionnel ? » était posée de manière provocatrice. L’idée était de dire que pendant des années, voire des siècles, on a parlé de crime passionnel. Aujourd’hui, on a bien compris que cela n’existe pas, que ce n’est qu’une <a href="https://theconversation.com/feminicide-a-lorigine-dun-mot-pour-mieux-prevenir-les-drames-162024">construction issue des systèmes patriarcaux</a>. C’est une expression extrêmement problématique qui est en train de disparaître du paysage social, mais aussi du paysage médiatique.</p>
<p>Les exécutions très médiatisées de <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/sohane-morte-brulee-vive-dans-une-banlieue-parisienne-il-y-vingt-ans-1302548">Sohane Benziane</a> et de <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/feminicides/meurtre-de-marie-trintignant-20-ans-apres_5983646.html">Marie Trintignant</a> en 2002 et en 2003 ont marqué le caractère systémique de ces crimes. Les deux sont présentées comme des crimes passionnels dans la presse, alors que ce n’est pas du tout ce dont il s’agit. Quand Marie Trintignant est opérée en urgence et que le chirurgien explique la nature des blessures dont elle a été victime, on comprend que ce n’est pas du tout une petite claque « comme ça ». Elle ne s’est pas cognée contre un meuble, elle a le crâne totalement défoncé, le visage en miettes. Son meurtre est un acte de contrôle.</p>
<p>Sa mère m’a confié que, juste avant d’être tuée, Marie Trintignant avait précisé à Bertrand Cantat qu’elle mettait fin à leur relation. On est donc tout à fait dans le modus operandi du <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/02/feminicides-la-rupture-premier-declencheur-du-passage-a-l-acte_6041468_3224.html">féminicide qui survient à la rupture</a>. Toutes les amies de Marie Trintignant racontent depuis, de manière récurrente, le contrôle coercitif qu’elle subissait dans sa relation avec Bertrand Cantat. Elle était obligée de mettre, même quand elle tournait, son téléphone portable dans sa chaussette pour pouvoir entendre le téléphone vibrer, parce que si elle ne répondait pas, il devenait extrêmement violent. Que l’on s’appelle Sohane Benziane ou Marie Trintignant, on meurt du fait de la violence misogyne des hommes.</p>
<p>Lorsque les hommes tuent, c’est un crime de possession. Leur joujou leur échappe, donc ils le tuent. Ce crime est dû au fait que pendant très longtemps, les hommes se sont sentis autorisés à penser que les femmes étaient leur propriété. En France, cela remonte au début du XIX<sup>e</sup> siècle avec la <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/la-femme-mariee-avait-le-statut-de-mineure-au-meme-titre-que-les-enfants">mise en place du code civil napoléonien</a>. Il dit que la femme doit obéissance à son mari et qu’elle est la propriété de l’homme. Cette idée que nous ne sommes pas des individus à part entière a conduit à un régime qui autorise la violence des hommes et qui leur assure une impunité. Pour sortir de cela, il faut que nous travaillions à être des individus à part entière et à ne pas nous laisser enfermer, à être des extensions d’autre chose.</p>
<p><strong>Dans les années 90, vous militiez au sein du collectif Les Marie Pas Claire. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser au féminisme ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : Le féminisme est dans mon ADN ! J’ai toujours été féministe et je le serai toujours. C’est essentiel de l’être, parce que c’est la meilleure défense que nous avons pour construire une société véritablement égalitaire. J’ai été éduquée par une mère seule qui a vraiment planté le germe de la révolte. À cette époque, la violence était un truc de mecs. Il ne fallait surtout pas être violente, agressive, avoir des opinions trop tranchées, parce que sinon on sortait de la féminité. Les <a href="https://www.liberation.fr/vous/1995/11/25/zarmazones-et-marie-pas-claire-reinventent-la-lutte-choisissant-les-rythmes-funk-ou-l-humour-elles-r_148876/">Marie Pas claire</a> est le premier groupe féministe radical non mixte qui émerge dans l’héritage du <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/le-mlf-histoire-d-un-combat-feministe">Mouvement de libération des femmes</a>, aussi bien dans la radicalité politique que dans l’organisation.</p>
<p>C’est un militantisme horizontal, inclusif et égalitaire. J’ai participé à cette formidable expérience collective qui était une véritable sororité. C’était extrêmement fondateur ! J’ai appris à parler, à écrire et à me défendre. La première chose qu’on a mis en place, ce sont des stages d’autodéfense. On y a appris à crier, parce que quand les femmes sont victimes de violence, elles sont souvent sidérées. Cela est très dangereux car les hommes et la société en général utilisent le fait que nous ne disons rien. Par exemple, en cas de viols, on demande souvent aux filles si elles ont dit non ou si elles se sont défendues, mais la grande majorité des filles sont dans un état de sidération qui interdit cela. Si on veut contrecarrer cette logique qui consiste à dire « vous ne dites rien, vous ne faites rien, donc vous consentez », il faut donc commencer par dire clairement non.</p>
<p><strong>C’est donc votre mère qui a inspiré votre militantisme ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : Oui, ma mère était une femme très en colère contre le monde tel qu’il était, en particulier vis-à-vis des relations très inégalitaires qu’elle a subies en tant que femme. Elle m’a toujours dit : « il faut être libre, il faut être indépendante, il faut travailler ». L’indépendance économique est un point très important : beaucoup de femmes sont obligées de rester dans des situations coercitives <a href="https://www.coe.int/fr/web/gender-matters/socio-economic-violence">car elles n’ont pas les moyens de s’émanciper économiquement</a>. On trouve aussi des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-zoom-de-la-redaction/violences-conjugales-dans-les-milieux-favorises-5476881">femmes au plus haut niveau de la hiérarchie socio-économique</a> de nos sociétés qui sont victimes de féminicide. Si vous êtes une femme <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/les-femmes-pauvres-plus-battues-que-les-autres_1632389.html">pauvre</a>, <a href="https://www.amnesty.be/campagne/droits-femmes/viol/article/intersectionnalite-violences-sexuelles">racisée</a>, en <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/etudes-et-resultats/les-personnes-handicapees-sont-plus-souvent-victimes-de-violences">situation de handicap</a>, <a href="https://www.slate.fr/story/195551/violences-conjugales-personnes-agees">âgée</a>, <a href="https://www.slate.fr/story/195551/violences-conjugales-personnes-agees">dans un territoire rural</a>, <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2022/01/try-listening-to-the-people-who-actually-know-whats-going-on/">travailleuse du sexe</a> ou encore <a href="https://www.terrafemina.com/article/femmes-transgenres-l-activiste-lexie-pointe-les-violences-faites-aux-femmes-trans_a356078/1">transgenre</a>, vous êtes encore plus impactée.</p>
<p><strong>Vous dites que ce n’est pas en envoyant des hommes en prison qu’on règle le problème des féminicides, mais en les éduquant différemment. Comment peut-on les éduquer différemment ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : Par une éducation égalitaire. Il faut éduquer les hommes différemment, mais il faut aussi éduquer les filles différemment. Le problème essentiel des femmes est le fait qu’elles ont complètement incorporé, par des politiques de dressage, le fait que la violence est une composante de leur vie. <a href="http://developpement.ccdmd.qc.ca/fiche/identite-de-genre">Dès 18 mois, on prend conscience qu’on a un sexe</a>, et on y associe des droits et des devoirs. Le dressage, inconscient, commence alors. Il est incorporé <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2010-2-page-55.htm">dans la famille</a> et dans toutes les instances de socialisation, <a href="https://www.enfant-encyclopedie.com/genre-socialisation-precoce/selon-experts/le-role-de-lecole-dans-la-differenciation-precoce-des">notamment à l’école</a>. C’est ce que j’appelle une guerre de basse intensité qui est menée contre les femmes.</p>
<p>En plus, elles vont hiérarchiser les violences : il y aurait des violences excusables et d’autres qui ne le sont pas. C’est pour cela que le continuum féminicidaire est un outil formidable, qui montre que les choses graves sont le produit direct des choses jugées pas graves. Imaginez qu’un homme vous insulte dans l’espace public. Si vous l’arrêtez et qu’il comprend que c’est inacceptable, vous avez peut-être une chance qu’au bout de la chaîne de la violence, il ne tue pas sa compagne. Si vous ne l’arrêtez pas, vous l’acclimatez au fait que la violence sexiste est normale, que c’est un régime d’impunité.</p>
<p><strong>Dans un entretien accordé à Médiapart, vous expliquiez que chaque moment de révolte des femmes se traduit par un pic de violence. Si, même lorsque les femmes se défendent, elles reçoivent de la violence en retour, quelles solutions nous reste-t-il et comment sort-on de ce cercle vicieux ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : De toute façon, que l’on se révolte ou pas, la violence est là. La révolte montre que nous faisons avancer la société dans le bon sens. Nous ne sommes pas dans des sociétés d’égalité réelle, même si l’égalité formelle est là : on a par exemple fait passer des lois d’égalité salariale, mais, depuis le 6 novembre, les <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/inegalites-salariales-a-partir-de-ce-lundi-11h35-les-francaises-travaillent-gratuitement-2026856">femmes en France travaillent gratuitement</a>. Il faut donc mener des luttes partout, tout le temps ! C’est un peu épuisant, mais totalement nécessaire. Alors, comment faire ? Je crois beaucoup au concept de sororité inclusive, qui constitue des sororités mixtes. S’il y a des femmes qui collaborent avec le patriarcat, il y a des hommes qui le combattent.</p>
<p>Donc, quand les hommes acceptent d’abandonner le privilège masculin, qui est un privilège exorbitant, ils sont les bienvenus dans nos sororités ! Il faut ensuite plusieurs choses pour changer le monde. D’abord, une politique des femmes. On voit à quel point le monde aurait besoin aujourd’hui d’une diplomatie féministe et de femmes au pouvoir. Nous ne sommes pas des êtres naturellement angéliques, bienveillants, doux, mais nous avons été socialisées comme cela. Cette socialisation fait tenir la société. Donc, si on veut construire une autre société, je pense qu’il faut que les hommes deviennent des femmes.</p>
<p>Évidemment, ils auront toujours des différences physiologiques. Mais le comportement est induit par la construction sociale et n’est pas induit par le fait que nous ayons des pénis ou des utérus. On peut très bien devenir une femme sociale en gardant son pénis ! Mais si les femmes se mettent à adhérer aux valeurs de la masculinité hégémonique, nous sommes foutus. Les sociétés sont de plus en plus violentes, parce que cette masculinité se construit par la violence, l’agressivité, la possession, la conquête, le ravage. Heureusement pour nous, nos grands mâles blancs ont déjà prévu une échappatoire, puisqu’ils ont prévu de coloniser des planètes étrangères après avoir ruiné celle-ci, pourtant magnifique !</p>
<p><strong>Dans le même entretien, vous dites, à propos des féminicides : « Je ne crois pas que parler de quelque chose permette de changer immédiatement, comme par magie, les mentalités. » À quoi sert alors la presse qui s’empare de ces questions ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : Je ne crois pas qu’en parler suffise. Mais en parler avec les bons termes est important ! Le problème est que les terminologies « crime passionnel » ou « crime d’honneur » <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/02/feminicides-le-crime-passionnel-un-si-commode-alibi_6041444_3224.html">accréditent de manière positive la violence</a>. Derrière cela, la réalité, ce sont des exécutions de femmes. Quand on écrit un article, on ne dit pas « la femme est morte », on dit « la femme a été exécutée ». Cela ne dit pas la même chose. Une femme meurt d’un cancer du sein. Mais si ton compagnon te tire une balle dans la tête, asperge ton corps d’essence, après t’avoir violée, coupé la tête et enlevé l’utérus, tu n’es pas morte : il t’a exécutée. C’est un sur-meurtre.</p>
<p>Ensuite, qu’on arrête de parler de violences conjugales ou de violences domestiques ! Ce sont des euphémismes qui accréditent la symétrie de la violence. Alors qu’en réalité, on sait que <a href="https://www.actu-juridique.fr/theorie-sociologie/la-masculinite-est-un-facteur-central-des-violences-conjugales/">l’essentiel de cette violence est produite par les hommes</a> contre les femmes, contre les enfants et contre d’autres hommes qui dérogent. Si les agresseurs sont des hommes, il faut le dire ! Les récits ont un grand pouvoir, et les mots tuent. Les femmes sont tuées une première fois dans leur corps, dans leur identité. Ensuite, elles sont tuées dans le récit qu’on fait de leur mort. Pendant très longtemps, on évoquait d’ailleurs très peu la victime en général, et seulement pour la blâmer. Il y a alors une inversion de la responsabilité. La presse a un rôle tout à fait déterminant à jouer dans ce processus et on arrivera, j’espère bientôt, à un code de déontologie.</p>
<p><strong>Libération a publié le 10 novembre dernier une tribune <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/pour-la-reconnaissance-dun-feminicide-de-masse-en-israel-le-7-octobre-20231110_EMTPN3H2EBDLJBMLLTZ2SRLY6A/">« Pour la reconnaissance d’un féminicide de masse en Israël le 7 octobre »</a>. Est-ce que vous l’avez signée ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : On ne m’a pas demandé de la signer. Évidemment, les violences qui sont dirigées contre les femmes en Israël, qui sont le fait du Hamas, constituent un crime. Ce crime de masse, ce féminicide, il faut le condamner avec la plus grande vigueur. <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2017-4-page-9.htm?ref=doi">La violence de guerre est bien sûr une violence genrée</a>. Il s’agit de misogynie. Dans les conflits, il y a toujours une animalisation, une déshumanisation du corps de l’ennemi. Elle est maximisée quand il s’agit de femmes.</p>
<p><strong>Si les massacres de guerre sont relayés par les médias, le sort spécifique que subissent les femmes est peu évoqué. Quel est votre regard là-dessus ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : Cela est de plus en plus évoqué. On a toujours tendance à considérer que la violence touche tout le monde de la même manière dans un couple, une guerre ou un génocide, mais c’est faux. Je trouve par exemple très désolant que la question du <a href="https://www.unwomen.org/sites/default/files/Headquarters/Media/Publications/UNIFEM/EVAWkit_06_Factsheet_ConflictAndPostConflict_fr.pdf">viol comme arme de guerre</a> ne soit pas utilisée systématiquement dans les analyses des conflits. C’est pourtant une arme de destruction massive. J’invite donc les médias à avoir un peu de subtilité quand ils parlent des conflits.</p>
<hr>
<p><em>Propos recueillis par Lisa Défossez et Agathe Di Lenardo, étudiantes en master professionnel de journalisme à l’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218409/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christelle Taraud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au cours de cet entretien, Christelle Taraud nous parle du traitement médiatique des féminicides et de son parcours militant.Christelle Taraud, Historienne, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2103052023-07-25T17:53:29Z2023-07-25T17:53:29ZStéréotypes de genre : les hommes qui publient beaucoup sur les réseaux sociaux sont-ils vraiment « moins virils » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539278/original/file-20230725-17-hnflje.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=58%2C2%2C1718%2C1188&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les hommes limitent-ils la fréquence de leurs publications en raison des préjugés sexistes? </span> <span class="attribution"><span class="source"> A-Digit/DigitalVision Vectors via Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>Malgré l’évolution des mentalités, une grande partie de nos activités sont encore classées selon des critères de genre : les magasins de vêtements ont des sections pour les hommes et les femmes, certains aliments sont considérés comme <a href="https://theconversation.com/how-steak-became-manly-and-salads-became-feminine-124147">plus masculins ou plus féminins</a>, et même les instruments de musique ont un genre.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1108/EJM-12-2022-0883">Nos recherches récemment publiées</a> montrent que même les médias sociaux sont un terrain propice à la propagation de stéréotypes sexistes rigides.</p>
<p>Plus précisément, nous montrons que les hommes qui publient souvent sur les médias sociaux sont considérés comme féminins, un phénomène que nous appelons le « stéréotype de la féminité associé à la publication fréquente ». Nous avons observé ce biais dans le cadre de quatre expériences auxquelles ont participé plus de 1 300 personnes aux États-Unis et au Royaume-Uni.</p>
<h2>Publier, c’est être perçu comme non masculin</h2>
<p>En tant que chercheurs en comportement des consommateurs, nous nous intéressons depuis longtemps aux contradictions, aux particularités <a href="https://doi.org/10.1037/a0029826">et aux restrictions</a> <a href="https://www.nytimes.com/2018/09/14/upshot/gender-stereotypes-survey-girls-boys.html">associées à la masculinité</a>.</p>
<p>Ces dynamiques ont des implications considérables dans le monde du marketing. Il est bien connu, par exemple, que le Coca Zéro a été créé pour remplacer le Coca Light, un produit dont les hommes se détournaient notoirement en <a href="https://www.forbes.com/sites/hbsworkingknowledge/2013/11/13/gender-contamination-why-men-prefer-products-untouched-by-women/?sh=4df9d0898f0b">raison de ses liens perçus avec les femmes désireuses de perdre du poids</a>. Il existe même une <a href="https://doi.org/10.1086/711758">tendance à penser qu’il n’est pas viril de dormir beaucoup</a>, car le besoin de repos est associé à la faiblesse et à la vulnérabilité.</p>
<p>Nous avons réfléchi à la manière dont certaines de ces notions peuvent entrer en jeu sur les médias sociaux. Les sondages suggèrent que les hommes et les femmes utilisent les plates-formes de médias sociaux de manière très différente : par exemple, les hommes ont tendance à être présents sur <a href="https://www.pewresearch.org/internet/fact-sheet/social-media/?tabId=tab-45b45364-d5e4-4f53-bf01-b77106560d4c">moins de plates-formes dans l’ensemble</a> et ne publient pas aussi souvent que les femmes sur des <a href="https://www.theatlantic.com/technology/archive/2016/06/why-are-more-women-than-men-on-instagram/485993/">applications comme Instagram</a>.</p>
<p>Nous nous sommes demandé si les préjugés sexistes avaient quelque chose à voir avec ces comportements. Les hommes sont-ils jugés différemment lorsqu’ils partagent des informations sur les médias sociaux ?</p>
<p>Pour répondre à cette question, nous avons mené une série d’expériences dans laquelle les personnes interrogées devaient évaluer un homme qui publie fréquemment ou rarement sur les médias sociaux. Pour donner une image plus concrète, nous avons décrit cet homme comme quelqu’un qui publie en ligne pour le plaisir et qui a un nombre modéré de followers.</p>
<p>Les personnes interrogées ont systématiquement jugé l’homme plus féminin lorsqu’il était décrit comme un utilisateur fréquent des médias sociaux. Cela était vrai indépendamment des hypothèses faites sur l’âge, l’éducation, la richesse et la plate-forme de médias sociaux préférée de l’homme en question. Nous avons également contrôlé le sexe, l’âge, les convictions politiques et l’utilisation des médias sociaux des personnes qui ont participé à l’étude.</p>
<p>Nous avons utilisé un scénario identique pour décrire le comportement de publication d’une femme – et sa fréquence de publication n’a pas eu d’effet sur le degré de féminité que les gens lui attribuaient.</p>
<h2>Une aversion à montrer que l’on a besoin des autres</h2>
<p>Comment expliquer alors cet effet quelque peu inhabituel ?</p>
<p>Nous avons découvert que toute personne qui publie fréquemment, quel que soit son sexe, passe pour une personne qui recherche l’attention et la validation. Mais ce sentiment de besoin projeté ne se traduit par une perception connotée négativement uniquement lorsqu’il s’agit d’hommes.</p>
<p>Cela répond à une certaine logique. Après tout, la recherche a montré que le rejet de la féminité est crucial pour <a href="https://psycnet.apa.org/doi/10.1037/a0029826">celles et ceux qui s’attachent à une forme conventionnelle de virilité</a>, alors que l’évitement des marqueurs associés habituellement à la la masculinité n’est pas nécessairement crucial pour celles et ceux qui sont attachés à une forme conventionnelle de féminité.</p>
<p>En réalité, le « stéréotype de la féminité associée à la publication fréquente » s’est avéré encore plus tenace que nous l’avions prévu.</p>
<p>Deux de nos expériences ont tenté, sans succès, de réduire ce biais.</p>
<p>Tout d’abord, nous avons cherché à savoir si les hommes étaient jugés différemment lorsqu’ils partageaient du contenu sur d’autres personnes plutôt que sur eux-mêmes, l’idée étant que cette forme de publication serait considérée comme prévenante et non comme une recherche de validation. Ensuite, nous avons cherché à savoir si les influenceurs masculins, qui publient essentiellement pour des raisons professionnelles, étaient confrontés au même stéréotype.</p>
<p>Dans les deux cas, et à notre grande surprise, le fait de poster fréquemment a incité les participants à considérer ces utilisateurs de médias sociaux comme plus féminins.</p>
<h2>Élargir la définition de la virilité</h2>
<p>Il y a beaucoup de choses qui restent mystérieuses quant à la prééminence de ce préjugé.</p>
<p>Par exemple, on ne sait pas exactement dans quelle mesure le stéréotype de la féminité associée aux publications fréquentes affecte la manière dont les hommes sont jugés dans différentes cultures. Bien que les hommes du monde entier soient souvent considérés comme <a href="https://doi.org/10.1016/s0277-9536(99)00390-1">moins masculins lorsqu’ils réclament l’attention ou l’aide des autres</a>, notre recherche n’a porté que sur des participants du Royaume-Uni et des États-Unis.</p>
<p>Tout aussi important : comment en finir avec cette association entre l’affichage fréquent de publications et une forme de dévalorisation ? Nos recherches suggèrent que ce lien est durable et qu’il reflète une dynamique de genre persistante.</p>
<p>Néanmoins, il est intéressant d’étudier comment les plates-formes peuvent limiter ces préjugés par le biais de leur conception. Par exemple, <a href="https://www.insider.com/what-is-bereal-app-how-does-it-work-2022-4">BeReal</a> est une application qui invite les utilisateurs à partager rapidement une photo non éditée de ce qu’ils font à un moment aléatoire de la journée. De telles fonctions semblent mettre l’accent sur l’authenticité, la routine et la communauté. S’agit-il de la recette nécessaire pour modifier l’association entre l’affichage et la recherche de validation ?</p>
<p>Aujourd’hui, les hommes connaissent des <a href="https://www.americansurveycenter.org/research/the-state-of-american-friendship-change-challenges-and-loss/">taux historiques d’isolement social</a>, ce qui a des <a href="https://ofboysandmen.substack.com/p/some-news-i-cant-wait-to-share">conséquences désastreuses sur la santé mentale</a>. Cette crise est probablement exacerbée par des préjugés omniprésents qui donnent aux hommes l’impression qu’ils <a href="https://doi.org/10.1007/s11199-022-01297-y">ne peuvent pas parler de leurs problèmes ou demander de l’aide</a>. Le stéréotype de manque de virilité associé à la publication fréquente sur les réseaux sociaux révèle que les hommes sont jugés négativement lorsqu’ils tentent de s’exprimer et d’établir des liens sociaux – ce qui évidemment ne les incite pas à le faire.</p>
<p>Comme l’écrivait la correspondante du <em>New York Times</em> <a href="https://www.nytimes.com/2018/09/14/upshot/gender-stereotypes-survey-girls-boys.html">Claire Cain Miller</a> en 2018, en s’appuyant sur une étude qui s’intéressait aux adolescentes et adolescents, il y a « plusieurs façons d’être une fille, mais une seule façon d’être un garçon ».</p>
<p>Il est plus que temps d’élargir notre définition de la virilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210305/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une nouvelle étude montre que les hommes qui publient beaucoup sur les réseaux sociaux sont jugés négativement, révélant des stéréotypes de genre encore solidement ancrés dans notre société.Andrew Edelblum, Assistant Professor of Marketing, University of DaytonNathan B. Warren, Assistant Professor of Marketing, BI Norwegian Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2102612023-07-24T18:35:54Z2023-07-24T18:35:54ZLe film « Barbie » est-il vraiment féministe ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/538830/original/file-20230723-201527-grm0uz.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=77%2C14%2C1783%2C933&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Barbie (Margot Robbie) dans le film _Barbie_, 2023. Réalisé par Greta Gerwig.</span> <span class="attribution"><span class="source">Warner Bros./Mattel</span></span></figcaption></figure><p>Depuis la révélation le 27 avril 2022 des <a href="https://twitter.com/wbpictures/status/1519098004992512002">premières images du film <em>Barbie</em></a>, réalisé par Greta Gerwig, <a href="https://twitter.com/wbpictures/status/1537102719525081089">et de celles qui ont été diffusées</a> jusqu’à sa sortie officielle, une vague de rose semble déferler sur les univers de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/mode-23119">mode</a> et de la décoration : la tendance <a href="https://www.vogue.fr/mode/article/tendance-mode-barbiecore-rose-megan-fox-mgk-kim-kardashian-margot-robbie">Barbiecore</a>. Une tendance qui devrait durer encore quelques mois si l’on en croit le succès du film, qui a généré <a href="https://www.20minutes.fr/arts-stars/cinema/4046595-20230723-barbie-realise-meilleur-lancement-annee-2023-etats-unis">155 millions de dollars de recettes</a> durant le week-end de sa sortie aux États-Unis, réalisant ainsi le meilleur lancement de l’année 2023.</p>
<p>La poupée – qui n’est pourtant pas si jeune –, alimente de nouveau de vives passions et est <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/comment-la-poupee-barbie-s-est-jouee-des-stereotypes-sexistes-pour-devenir-un-symbole-feministe_5919542.html">érigée au rang d’icône féministe</a>. Retour sur son histoire et sur le succès du film – et attention : <em>spoilers</em> !</p>
<p>La première Barbie a été commercialisée par l’entreprise Mattel en 1959 : elle est la création de Ruth Handler, femme de l’un de ses fondateurs – dont l’histoire est rappelée dans le film. Ce que ne dit toutefois pas le long-métrage, c’est que <a href="https://journals.openedition.org/clio/446">Barbie a été conçue d’après Lilli</a>, un personnage de bédé du quotidien allemand <em>Bild Zeitung</em>, décliné en poupées de collection. Rapidement, Barbie a remporté un succès retentissant auprès des filles américaines, puis du monde entier – plus d’un milliard de poupées vendues à ce jour –, la physionomie adulte de la poupée rompant avec les traditionnels poupons jusque-là proposés aux enfants.</p>
<p>Barbie a dès le départ été critiquée pour son apparence, car elle incarne tous les stéréotypes de la beauté dite « occidentale » (peau claire, cheveux blonds…) et se distinguait au départ des autres poupées par ses mensurations hypertrophiées, notamment sa poitrine développée et sa taille trop fine.</p>
<p>Néanmoins, elle fut aussi rapidement présentée comme une « femme émancipée », propriétaire de sa propre « maison de rêve » et d’une voiture de luxe assortie à ses tenues (une Corvette Stingray 1956 rose dans le film), exerçant aussi bien des métiers considérés comme « féminins » – top-modèle, hôtesse de l’air, baby-sitter… –, que d’autres dits « masculins » – chirurgienne, conductrice de train, astronaute…</p>
<p>La réalisatrice Greta Gerwig et Mattel introduisent d’ailleurs le film en martelant l’argument-clef de la franchise : <em>Barbie can be anything !</em> Barbie réussit ainsi à concilier une apparence très féminine où le rose, <a href="https://theses.hal.science/tel-03579107">couleur du féminin par excellence</a>, est omniprésent, tout en offrant aux filles la possibilité de se projeter dans une diversité de professions qu’elles pourraient exercer une fois adultes.</p>
<p>Barbie est alors devenue un objet de débats sur la conception et la perception de la féminité, opposant les personnes qui l’estiment sexiste à celles qui la trouvent féministe. Cela ne l’a pas empêchée de devenir une icône populaire – au contraire – inspirant des maisons de couture (<a href="https://www.vogue.com/fashion-shows/spring-2015-ready-to-wear">Moschino</a>, <a href="https://fr.balmain.com/fr/experience/balmain-x-barbie">Balmain</a>…), ou des artistes, qui l’encensent (<a href="https://youtu.be/Xwnp20EMGVk">Arielle Dombasle</a>, <a href="https://drouot.com/fr/l/20676894-%E5%AE%89%E8%BF%AA%E6%B2%83%E9%9C%8D%E5%B0%941928-1987%E5%9C%A8%E8%8A%AD">Andy Warhol</a>…) ou la critiquent (<a href="https://www.luisacallegari.com/kinkbarbie">Luisa Callegari</a>, <a href="https://youtu.be/sOmR8ivXJ18">Lio</a>…).</p>
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<figcaption><span class="caption">Arielle Dombasle, « Barbiconic » (Nicolas Pradeau, 2022).</span></figcaption>
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<h2>Barbie, de Barbie Land au monde réel</h2>
<p>Dans le film de Gerwig, toutes les Barbie vivent libres et heureuses à Barbie Land, pays idyllique et rose, dans lequel elles occupent des postes importants (physiciennes, juges, présidentes…), tandis que les Ken passent leur temps à « plager » au bord de l’eau (c’est-à-dire à ne rien faire).</p>
<p>L’affiche du film met d’ailleurs en exergue l’opposition entre Barbie qui « peut tout faire » (<em>She’s everything</em>) et Ken qui se contente d’être lui-même, sans avoir d’activité particulière (<em>He’s just Ken</em>). <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-des-etats-unis-barbie-cette-allusion-sexuelle-sur-l-affiche-du-film-fait-jaser-les-francais">La version française ajoute une critique ironique du rôle d’homme-objet de Ken</a> en traduisant le slogan associé à Ken par « Lui, c’est juste Ken », un jeu de mot sur « Ken », qui est aussi le verlan de « niquer », nous menant à entendre « Lui sait juste ken ».</p>
<p>Si la Barbie héroïne (incarnée par Margot Robbie) est le cliché parfait de la poupée (d’ailleurs qualifiée de « Barbie stéréotypée »), les autres Barbie sont toutes différentes en termes de taille, de poids, de race ou de handicap, faisant écho aux poupées de la gamme <a href="http://barbiemedia.com/news/detail/140.html">« Barbie Fashionistas »</a>, commercialisée par Mattel en 2016.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538844/original/file-20230723-109707-q3mmw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538844/original/file-20230723-109707-q3mmw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538844/original/file-20230723-109707-q3mmw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538844/original/file-20230723-109707-q3mmw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538844/original/file-20230723-109707-q3mmw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538844/original/file-20230723-109707-q3mmw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538844/original/file-20230723-109707-q3mmw4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ken (Ryan Gosling) et Barbie (Margot Robbie) dans <em>Barbie</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Warner Bros./Mattel</span></span>
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<p>Un jour, Barbie est assaillie de pensées mortifères et doit alors quitter sa vie parfaite à Barbie Land pour retrouver la fille qui joue avec elle dans le monde réel et qui semble souffrir. Sans cela, elle risquerait d’être malmenée et de finir en « Barbie Bizarre ».</p>
<p>Elle part seule dans sa voiture rose, mais Ken (Ryan Gosling) – dépeint comme stupide et ne pouvant vivre sans Barbie – s’incruste dans ce périple. Dans le monde réel, Barbie découvre les violences sexistes et sexuelles (VSS) et la réification de son corps au travers du <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/male-gaze/">regard masculin</a>. Ken découvre de son côté un <a href="https://www.cairn.info/sexe-genre-et-sexualites--9782130827511-page-139.htm">patriarcat</a> qui le valorise en tant qu’homme, système qu’il décide d’instaurer à Barbie Land.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538845/original/file-20230723-194413-zzrvqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538845/original/file-20230723-194413-zzrvqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538845/original/file-20230723-194413-zzrvqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538845/original/file-20230723-194413-zzrvqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538845/original/file-20230723-194413-zzrvqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538845/original/file-20230723-194413-zzrvqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538845/original/file-20230723-194413-zzrvqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Barbie en route vers le monde réel dans Barbie. Warner Bros./Mattel. Capture d’écran de la bande annonce.</span>
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<p>Aidée par Gloria (America Ferrera), sa propriétaire retrouvée, Barbie doit donc désormais apprendre à « jouer de ses charmes » et exploiter la « faiblesse des hommes » pour reconquérir Barbie Land, ce qu’elle fait en se jouant de Ken et ses acolytes, puis décide de devenir humaine pour vivre dans le monde réel.</p>
<h2>Quand Barbie devient femme</h2>
<p>L’argument « féministe » du film repose sur l’<a href="https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2013-3-page-25.html">empouvoirement</a> des Barbie, capables d’occuper n’importe quel poste sans renoncer à leur féminité, à la mode, au maquillage ou au rose, ce qui est déjà un <a href="https://dspace.wlu.edu/handle/11021/16290">argument employé pour promouvoir la poupée</a> et contrer les critiques qui verraient en Barbie un modèle stéréotypé de féminité et un idéal corporel fantaisiste, <a href="https://psycnet.apa.org/record/2006-03514-007">source de complexe pour les filles</a>.</p>
<p>Conciliant la féminité avec des compétences d’ordinaire associées au masculin, Barbie serait donc une alliée possible du féminisme. Toutefois, Mattel réaffirme aussi sans cesse la féminité de sa poupée, dont les <a href="https://www.researchgate.net/publication/263611015_Boys_Can_Be_Anything_Effect_of_Barbie_Play_on_Girls%E2%80%99_Career_Cognitions">instruments de travail ou les tenues sont presque toujours « féminisés »</a> – ce qui passe notamment par l’ajout de rose – lorsqu’elles occupent des postes scientifiques ou techniques.</p>
<p>Être féminine apparaît ainsi comme la « compétence » première de Barbie, ce qui amenuise celles véritablement nécessaires dans l’exercice de sa profession, tout en rendant plus exceptionnelle la présence de femmes dans certaines carrières.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538846/original/file-20230723-206544-grm0uz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538846/original/file-20230723-206544-grm0uz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538846/original/file-20230723-206544-grm0uz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538846/original/file-20230723-206544-grm0uz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538846/original/file-20230723-206544-grm0uz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538846/original/file-20230723-206544-grm0uz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538846/original/file-20230723-206544-grm0uz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Clinique vétérinaire de Barbie. Capture d’écran d’une publicité française.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.telerama.fr/debats-reportages/feminisme-washing-femvertising-quand-le-militantisme-devient-un-argument-de-vente-6857552.php">Mattel</a></span>
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<p>En soulignant ainsi la particularité féminine de Barbie, Mattel insiste <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2010-4-page-107.htm">sur son appartenance au groupe des « femmes »</a>, distinct de et opposé à celui des « hommes » que représente Ken. Dans le monde réel, ces deux catégories sociales entretiennent des rapports de genre hiérarchisés (les hommes sont supérieurs aux femmes), qui reposeraient prétendument sur des différences « naturelles » liées au sexe. Une telle justification ne devrait pas exister dans le monde de Barbie : les poupées étant dépourvues d’appareils génitaux – ce qui fait l’objet de plusieurs scènes comiques dans le film –, il est impossible de faire reposer l’opposition entre femmes et hommes sur la différence des sexes.</p>
<p>C’était sans compter sur la réalisatrice, qui conclut son œuvre par un rendez-vous gynécologique de Barbie, devenue humaine. Si l’effet comique est évident, cette scène finale vient naturaliser la féminité de Barbie et réduire les relations sociales entre les Barbie et les Ken, calquées sur celles entre femmes et hommes, à une spécificité biologique. Or, comme l’explique la sociologue féministe <a href="https://www.feministes-radicales.org/wp-content/uploads/2010/11/Colette-Guillaumin-Question-de-diff%C3%A9rence-1979.pdf">Colette Guillaumin</a>, les inégalités entre femmes et hommes ne sont pas déterminées par la biologie mais par les rapports sociaux subis ; elles sont donc un problème de société et de droits (lutte contre les VSS, égalité salariale…) indépendant du sexe.</p>
<h2>Barbie Power ( ?)</h2>
<p>Pour la sociologue anglaise, spécialiste des questions de genre <a href="https://www.springerprofessional.de/en/the-contradictions-of-successful-femininity-third-wave-feminism-/7219154">Shelley Budgeon</a>, considérer la féminité comme une source de pouvoir fait partie de la rhétorique post-féministe, sur laquelle s’appuie de toute évidence le film.</p>
<p>Phénomène médiatique et culturel plus que mouvement militant, le post-féminisme est incarné par la « troisième vague féministe » des années 1990, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2022-3-page-78.htm">prônant l’autonomie individuelle des femmes et la conciliation entre féminité et pouvoir</a>, qui se caractérise dans la culture populaire par <a href="https://books.openedition.org/pufr/9062?lang=fr">l’apparition de films et de séries télévisées mettant en scènes des femmes fortes et féminines</a> (<em>Buffy contre les vampire</em>, <em>Alias</em>…).</p>
<p>Mais si les Barbie sont puissantes, c’est que Barbie Land est un matriarcat qui n’a fait qu’inverser les rôles du patriarcat. Pourtant, <a href="https://queereducation.fr/monique-wittig-la-pensee-straight/">Monique Wittig</a> expliquait bien que de telles stratégies n’améliorent en rien la question des inégalités de rapports de genre : « seul le sexe de l’oppresseur change ». C’est pourquoi la penseuse féministe plaidait pour la construction d’un modèle social indépendant des normes de genre.</p>
<p>De plus, en exprimant leur puissance par la séduction des Ken qui veulent introduire le patriarcat à Barbie Land, les Barbie reconduisent <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2015-2-page-64.htm">l’hégémonie du couple hétérosexuel</a> comme unique modèle d’épanouissement pour les femmes.</p>
<p>Barbie doit ainsi « faire avec » le patriarcat, condamnée à son destin de femme : lorsqu’elle décide de devenir humaine, le fantôme de sa créatrice Ruth Handler (Rhea Perlman) lui fait entrevoir une vie faite d’enfants, de mariages et de femmes enceintes. Si Barbie peut être qui elle veut, ce n’est donc qu’à condition de remplir <em>ses</em> rôles de femme : employée modèle, mais aussi épouse, mère et maîtresse de maison.</p>
<h2>Rose comme… marketing</h2>
<p>Après une première partie truffée de références aux modèles de Barbie dénonçant les biais sexistes du jouet comme ceux produits par Mattel, la seconde se veut pédagogique. Barbie prend ainsi conscience des rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes, mais <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/feminisme-washing-lea-lejeune/9782021467208">l’ambition féministe ne va pas plus loin</a>.</p>
<p>Les Barbie parviennent en effet à sauver leur royaume non pas en combattant le patriarcat, mais en usant de la séduction, de l’empathie et de la résilience. L’héroïne en vient même à pardonner Ken son ambition de domination dont elle devrait porter la culpabilité, car elle ne lui aurait pas suffisamment prêté attention…</p>
<p>Ainsi, si Mattel – qui coproduit le film et dont on sent la grande participation à l’écriture du scénario – revient avec ironie sur ses échecs commerciaux, comme le couple <a href="https://www.womenshealthmag.com/life/a44611311/pregnant-barbie-midge/">Midge et Alan</a> – comparses de Barbie et Ken, dont la commercialisation en 2002 d’une version enceinte de Midge a fait scandale car vue comme la promotion de la grossesse adolescente – son organisation dirigée par des hommes, ou sur le consumérisme de Barbie, le film de Gerwig n’est ni plus ni moins qu’une opération marketing de grande ampleur.</p>
<p>Le film s’inscrit donc dans une campagne de <a href="https://theconversation.com/no-gender-body-positivisme-le-femvertising-bouscule-t-il-vraiment-les-codes-du-genre-156248"><em>femvertising</em></a>. Contraction des termes « feminism » et « advertising » (publicité), ce terme renvoie à la réappropriation de concepts (empouvoirement, diversité…) et de figures féministes pour améliorer une image de marque et/ou conquérir une nouvelle clientèle.</p>
<p>Face à la concurrence des poupées <a href="https://go.gale.com/ps/i.do?p=AONE&u=googlescholar&id=GALE%7CA190197239&v=2.1&it=r&sid=googleScholar&asid=2e1732b8">Bratz</a> et <a href="https://muse.jhu.edu/article/249761/pdf">American Girls</a> qui lui ont fait <a href="https://www.latimes.com/business/la-fi-mattel-slump-20180131-story.html">perdre de lourdes parts de marché</a>, Mattel tente de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/2319714520914210">redorer l’image de Barbie en la rendant plus inclusive</a>, avec en 2016 la collection « Barbie Fashionistas », qui intègre depuis dans ses rangs un <a href="https://shopping.mattel.com/fr-fr/products/barbie-barbie-et-son-fauteuil-roulant-grb93-fr-fr">modèle en fauteuil roulant</a>, un <a href="https://shopping.mattel.com/fr-fr/products/poupee-barbie-fashionistas-187-protheses-auditives-hbv19-fr-fr">avec un appareil auditif</a> et, cette année, un <a href="https://corporate.mattel.com/news/barbie-introduces-its-first-doll-with-down-syndrome-further-increasing-representation-in-the-toy-aisle">porteur du syndrome de Down (ou trisomie 21)</a>.</p>
<p>Le <em>cast</em> et la bande-son du film intégrant de nombreuses icônes <a href="https://www.cairn.info/les-dessous-des-tendances--9782340066199-page-302.htm">pop-féministes</a> comme l’actrice franco-britannique(<a href="https://research.birmingham.ac.uk/en/publications/complex-female-characters-the-makings-of-maeve">Emma Mackey</a> vue dans la série <em>Sex Education</em>, la chanteuse-star <a href="http://repository.unj.ac.id/13143/1/COVER.pdf">Dua Lipa</a>, la rappeuse <a href="https://digitalcommons.calpoly.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1111&context=comssp">Nicki Minaj</a>…) s’inscrit alors dans le prolongement de cette stratégie marketing.</p>
<p>Greta Gerwig ayant signé des films ouvertement féministes comme <a href="https://youtu.be/cNi_HC839Wo"><em>Lady Bird</em></a> et <a href="https://youtu.be/AST2-4db4ic"><em>Little Women</em></a>, il semble néanmoins que la démarche féministe de la réalisatrice soit sincère, même si elle a certainement dû procéder à des arrangements trop nombreux pour convenir au cahier des charges de Mattel, vidant le film de son ambition politique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538848/original/file-20230723-15-1rjnqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538848/original/file-20230723-15-1rjnqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538848/original/file-20230723-15-1rjnqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538848/original/file-20230723-15-1rjnqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538848/original/file-20230723-15-1rjnqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538848/original/file-20230723-15-1rjnqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538848/original/file-20230723-15-1rjnqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les rappeuses Nicki Minaj et Ice Spice (avec Aqua) interprètent « Barbie World » (2023).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Hannah Lux Davis/London Alley/WMG</span></span>
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<h2>Derrière les paillettes du « féminisme Barbie »</h2>
<p>Alors que la <a href="https://artreview.com/the-politics-of-barbiecore/">tendance Barbiecore est présentée comme « féministe »</a>, elle n’en a en réalité que le qualificatif, laissant miroiter aux femmes que porter des vêtements hyperféminins (jupes courtes, talons hauts…) ou <a href="https://www.konbini.com/lifestyle/tout-existe-en-barbie-meme-un-barbie-burger-chez-burger-king/">manger un hamburger rose en référence à Barbie, comme le propose une célèbre chaîne de fast-food</a> seraient une forme de revendication.</p>
<p>Redite plus <em>flashy</em> de la <a href="https://hal.science/hal-02188255v2">tendance <em>millennial pink</em></a> de 2016 – nommé d’après la génération de <em>millennials</em> (né·e·s entre les années 1980 et 2000) à laquelle elle s’adresse, et qui s’appuyait sur la même rhétorique post-féministe de féminité puissante –, elle consiste en réalité à reproduire des clichés sexistes et à réaffirmer une prétendue « différence sexuée » qui ne porte préjudice qu’aux femmes, en les invitant à porter des tenues contraignantes et à dépenser toujours plus d’argent dans des accessoires pour (ré)affirmer leur identité féminine.</p>
<p>Si le film <em>Barbie</em> se moque parfois de cette injonction consumériste à la féminité, il ne parvient que difficilement à en proposer une critique solide, et encourage même au contraire l’achat de nombreux produits dérivés issus du film, dont <a href="https://shopping.mattel.com/fr-fr/collections/barbie-the-movie">plusieurs poupées à l’effigie des acteurs et actrices</a>, alors déshumanisés pour devenir à leur tour des hommes et des femmes-objets…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210261/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kévin Bideaux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Barbie est-elle sexiste ou féministe ? Le débat est relancé par la sortie du film, précédée d’une redoutable campagne marketing. Retour sur l’imaginaire véhiculé par la célèbre poupée de Mattel.Kévin Bideaux, Chercheurɛ en arts et en études de genre, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1996252023-02-19T17:02:55Z2023-02-19T17:02:55Z« L’envers des mots » : Male gaze<p>Le concept de <em>male gaze</em> a été élaboré en 1975 par la chercheuse britannique Laura Mulvey dans un <a href="https://www.debordements.fr/Plaisir-visuel-et-cinema-narratif">article</a> publié par la revue de théorie du cinéma <a href="https://academic.oup.com/screen/article-abstract/16/3/6/1603296?redirectedFrom=fulltext"><em>Screen</em></a>, dans le contexte du mouvement de contestation des savoirs académiques mené par les chercheuses et chercheurs marxistes du <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Centre_for_Contemporary_Cultural_Studies">Center for Contemporary Cultural Studies</a> de Birmingham depuis les années 1960.</p>
<p>Laura Mulvey y articulait les apports du marxisme et de la psychanalyse pour analyser le cinéma hollywoodien dominant comme une construction idéologique où le regard masculin derrière la caméra serait relayé par le regard des personnages masculins dans la fiction, eux-mêmes vecteurs d’identification pour le regard des spectateurs masculins dans la salle de cinéma. Les films en question proposent des histoires dans lesquelles un sujet masculin exerce son regard et son pouvoir sur un ou des personnages féminins passifs. Ceux-ci se trouvent réduits à l’état de corps morcelés, érotisés et fétichisés.</p>
<p>Voyeurisme, sadisme, fétichisme et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Scopophilie">scopophilie</a> caractérisent pour Laura Mulvey ce cinéma dont elle analysait <a href="https://www.debordements.fr/Plaisir-visuel-et-cinema-narratif-Laura-Mulvey">deux variantes</a> dans les films d’Hitchcock et dans les films de Sternberg. Cet article et les nombreux commentaires qu’il a suscités dans les milieux militants et académiques anglophones marquent les débuts des études féministes sur le cinéma. Ces études ont connu un <a href="http://cinemaction-collection.com/produit/cinemaction-n67-20-ans-de-theories-feministes-cinema/">développement</a> considérable depuis lors outre-Manche et outre-Atlantique, alors que les milieux cinéphiles et académiques français lui opposaient une <a href="https://www.cairn.info/revue-diogene-2009-1-page-126.htm">résistance</a> farouche qui s’explique entre autres par le culte de « l’auteur » (masculin) tel qu’il s’est institué depuis la <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/arts-et-essais-litteraires/la-nouvelle-vague/">Nouvelle Vague</a> et règne encore à l’Université comme dans les institutions culturelles (Cinémathèque française, Festival de Cannes…).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-image-davantage-quun-sujet-les-femmes-dans-le-cinema-de-jean-luc-godard-190574">« Une image davantage qu’un sujet » : les femmes dans le cinéma de Jean-Luc Godard</a>
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<p>Les critiques adressées au concept de <em>male gaze</em> (y compris par <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.1086/421883">Mulvey</a> elle-même) comportaient plusieurs aspects. D’une part, le concept faisait l’impasse sur les <a href="https://openlibrary.org/books/OL1402967M/Star_gazing">spectatrices réelles</a> et leurs capacités de négociation et de braconnage (au sens de <a href="https://archive.org/details/linventionduquot0000cert/page/7/mode/1up">Certeau</a>) qui consiste à s’approprier les films en les interprétant dans une optique différente de celle qui est dominante. D’autre part, le concept manquait d’<a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2014-2-page-197.htm">historicité</a>, comme si la domination masculine était une donnée intemporelle.</p>
<p>Par ailleurs, il ignorait le cas des <a href="https://archive.org/details/homeiswhereheart0000unse_k3p9"><em>women’s films</em></a>, ces mélodrames féminins et/ou maternels qui exploraient les souffrances des femmes sous le patriarcat, ou les <a href="https://www.jstor.org/stable/1212060">soap operas</a>, ces feuilletons télévisés qui s’adressaient d’abord à un public féminin. Par la suite, des analyses plus approfondies des <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-hitchcock_et_la_theorie_feministe_les_femmes_qui_en_savaient_trop_tania_modleski-9782747525824-10142.html">films d’Hitchcock</a> ou de <a href="https://www.google.fr/books/edition/In_the_Realm_of_Pleasure/d7BKMXhgfO4C?hl=fr">Sternberg</a> ont mis en lumière les contradictions et les failles du <em>male gaze</em>. Plus récemment enfin, la notion d’<a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2005-2-page-51.htm">intersectionnalité</a> a montré la nécessité d’articuler les questions de genre et de sexualité avec les <a href="https://journals.openedition.org/map/6026">questions de classe et de race</a>.</p>
<p>Restés longtemps confidentiels en France, ces débats autour du <em>male gaze</em> sont devenus publics grâce au mouvement #MeToo qui a mis en évidence la réalité de la domination masculine, blanche et hétérosexuelle dans le milieu du cinéma et dans les représentations filmiques et audiovisuelles. Ce <a href="https://collectif5050.com/">mouvement militant</a> pour l’égalité femme/homme dans le monde professionnel s’accompagne d’un foisonnement réflexif à travers des revues en ligne (<a href="https://journals.openedition.org/ges/"><em>Genre en séries</em></a>), des ouvrages (<a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/le-regard-feminin-iris-brey/9782757887998"><em>Le regard féminin</em></a>) des sites (<a href="https://www.genre-ecran.net/">Le Genre et l’écran</a>, <a href="https://www.sorocine.com/">Sorociné</a>) et des vidéos (<a href="https://www.youtube.com/channel/UC2_IrMwxhXRc24x9O85gDEw">cinéma et politique</a>.</p>
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<p>La notion de <em>male gaze</em> renvoie dans ces textes à plusieurs niveaux d’analyse : le niveau narratif, le niveau esthétique et la question du casting. Fondé sur trois questions (l’œuvre comporte-t-elle au moins deux personnages féminins ayant un nom ? Qui parlent ensemble ? D’un sujet sans rapport avec les hommes ?), le <a href="https://bechdeltest.com/">test de Bechdel</a> s’est popularisé pour mettre en évidence l’inégalité de traitement des personnages masculins et féminins dans les histoires racontées.</p>
<p>Le <em>male gaze</em> passe aussi par des conventions formelles (cadrage, éclairage, découpage) qui fétichisent et érotisent les corps féminins. Enfin, les films réalisés par des hommes proposent le plus souvent un casting masculin d’une grande diversité tout en réservant aux actrices une portion congrue et discriminatoire en termes <a href="https://aafa-asso.info/tunnel-comedienne-50-ans/">d’apparence physique et d’âge</a>.</p>
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<p><em>Cet article s’intègre dans la série <strong>« L’envers des mots »</strong>, consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?</em></p>
<p><em>De <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-validisme-191134">« validisme »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-silencier-197959">« silencier »</a>, de <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-bifurquer-191438">« bifurquer »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-degenrer-191115">« dégenrer »</a>, nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public.</em></p>
<p><em>À découvrir aussi dans cette série :</em></p>
<ul>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-quantique-196536"><em>« L’envers des mots » : Quantique</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-flow-195489"><em>« L’envers des mots » : Flow</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-neuromorphique-195152"><em>« L’envers des mots » : Neuromorphique</em></a></p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/199625/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Geneviève Sellier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Restés longtemps confidentiels en France, les débats autour du « male gaze » et la manière dont le regard masculin s’impose dans le cinéma sont devenus publics grâce au mouvement #MeToo.Geneviève Sellier, Professeure émérite en études cinématographiques, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1757992022-05-26T13:57:42Z2022-05-26T13:57:42ZInégalités de genre : les contradictions de la loi 21<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/459113/original/file-20220421-26-ymoc29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3000%2C2025&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'enseignante de maternelle Haniyfa Scott enseigne à son groupe, à Montréal, en avril 2019. Le projet de loi 21 interdit le port de symboles religieux aux nouveaux enseignants.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span></figcaption></figure><p>Où en est le Canada en ce qui concerne les inégalités de genre ? La question semble surannée, les hommes et femmes <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aeri.20190542">étant égaux</a> devant la loi canadienne.</p>
<p>Hélas, une telle conclusion serait prématurée. Depuis 2006, le Forum Économique Mondial mesure les inégalités de genre dans le monde. En matière de participation et d’opportunités économiques, nos progrès vers moins d’inégalités ont ralenti, voire reculé. Le Canada est classé <a href="https://www.weforum.org/reports/global-gender-gap-report-2021">40ᵉ</a> de 156 pays, moins bien qu’en 2006 (classé 10<sup>e</sup>).</p>
<p>Comment se fait-il que, malgré l’égalité juridique des genres, les inégalités réelles perdurent ? C’est que ces inégalités découlent d’un système complexe qui inclut des éléments autres que les lois, ce qui rend tout changement difficile.</p>
<p><a href="https://www.claudinemangen.com">Professeure associée</a> à l’Université Concordia, je dirige depuis 2017 un programme de recherche sur les inégalités de genre dans les organisations, basé sur des interviews avec des dirigeantes au Canada.</p>
<h2>Système complexe</h2>
<p>Les inégalités de genre découlent de l’institution du genre. <a href="https://tidsskrift.dk/KKF/article/view/128517">Dans une étude</a>, je définis cette institution comme l’ensemble des croyances, pratiques, et règles qui persistent et sont liés à la façon dont on est et agit en tant que femme et homme.</p>
<p>Par exemple, nous pouvons croire que les femmes sont plus aptes à s’occuper des enfants et les hommes, à diriger des entreprises.</p>
<p>Nos croyances se reflètent dans nos pratiques. Ainsi, on peut écarter une femme d’une promotion quand on la perçoit comme indisponible, car elle élève des enfants. Une dirigeante que j’ai interviewée a observé qu’on se posait la question suivante sur une collègue : « Est-ce que nous allons considérer lui donner une promotion, car elle vient de se marier et elle va probablement vouloir des enfants ? »</p>
<p>Nos croyances sont aussi reflétées dans nos règles et lois. Par exemple, les règles concernant les <a href="https://journals.library.ualberta.ca/cjs/index.php/CJS/article/view/29504">congés de maternité et de paternité</a> sont différents à travers le Canada, les congés maternité étant généralement plus longs. Au Québec, <a href="https://www.rqap.gouv.qc.ca/fr/accueil">on parle plutôt de congé parental</a>.</p>
<p>L’institution du genre inclut toutes les différences entre femmes et hommes reflétées dans nos croyances, pratiques et règles. Très souvent, ces différences sont hiérarchisées : par exemple, quand nous croyons qu’un homme est plus apte à être leader qu’une femme. Cela donne lieu à des inégalités. Ainsi, <a href="https://www.ledevoir.com/societe/610263/la-discrete-place-des-femmes-a-la-tete-des-entreprises">seulement 4,6 % des entreprises canadiennes cotées à la Bourse de Toronto</a> ont des femmes à leur tête, selon un récent rapport des Autorités canadiennes en valeurs mobilières.</p>
<h2>La Loi 21 comme exemple</h2>
<p>Les croyances, pratiques et règles sous-jacentes aux inégalités de genre sont connectées, rendant difficile leur changement.</p>
<p>Considérons la <a href="http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-21-42-1.html">Loi 21 sur la laïcité de l’État</a>, en vigueur au Québec depuis 2019. Elle interdit aux personnes en position d’autorité (enseignants, juges et policiers) de porter des signes religieux.</p>
<p>Traditionnellement, les femmes étaient confinées à la sphère privée et les hommes avaient un accès exclusif à la sphère publique. Aujourd’hui encore, davantage d’hommes sont dans des positions de <a href="https://www.rosenzweigco.com/media-1/the-16th-annual-rosenzweig-report">pouvoir</a> et davantage de femmes responsables des <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/89-503-x/2015001/article/54931-eng.htm">tâches domestiques</a>.</p>
<p>Comment une loi comme la Loi 21 affecte-t-elle le clivage genré entre les sphères publiques et privées ? Pour répondre à cette question, il faut considérer comment la loi interagit avec les autres éléments sous-jacents aux inégalités de genre, soit les croyances et pratiques.</p>
<p>Considérons les pratiques. Les femmes sont surreprésentées dans certaines professions visées par la Loi 21, comme l’enseignement, à <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2019-05-15/laicite-pas-plus-d-impact-sur-les-femmes-dit-quebec">80 % féminin</a>. La Loi 21 est donc plus restrictive pour les femmes et leur rend <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1748556/laicite-etat-loi-21-proces-discrimination-quebec-defenseurs">l’accès à la sphère publique plus difficile</a>. En agissant sur les pratiques, la Loi 21 contribue à maintenir le clivage genré entre sphères publiques et privées.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458250/original/file-20220414-26-lrzqqc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458250/original/file-20220414-26-lrzqqc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458250/original/file-20220414-26-lrzqqc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458250/original/file-20220414-26-lrzqqc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458250/original/file-20220414-26-lrzqqc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458250/original/file-20220414-26-lrzqqc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458250/original/file-20220414-26-lrzqqc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une enseignante, à l’Académie internationale Marymount, le 17 novembre 2020 à Montréal. Les femmes sont surreprésentées dans certaines professions visées par la Loi 21, comme l’enseignement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cet exemple illustre comment les lois interagissent avec les autres éléments sous-jacents aux inégalités de genre et ainsi façonnent leur évolution. Cette interaction peut contribuer, comme dans mon exemple, à maintenir ces inégalités ou, au contraire, à les perturber.</p>
<p>Ainsi en est-il des réactions que la Loi 21 a provoquées en ce qui concerne les droits de femmes.</p>
<h2>Deux manières de voir la Loi 21</h2>
<p>Sur ce sujet, la Loi 21 a généré des débats intenses. Ses adeptes expliquent que les signes religieux portés par les femmes sont des <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1748556/laicite-etat-loi-21-proces-discrimination-quebec-defenseurs">symboles sexistes</a> qui n’ont pas leur place dans la sphère publique, notamment l’école, car ils en entravent la neutralité. Les adeptes estiment que la Loi 21 <a href="https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2021-12-17/loi-sur-la-laicite-de-l-etat/une-loi-resolument-feministe.php">« résolument féministe »</a> est <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/682989/libre-opinion-droit-des-femmes-et-laicite">nécessaire</a> pour en <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/599553/loi-sur-la-laicite-de-l-etat-quand-un-symbole-du-sexisme-religieux-devient-un-droit-fondamental">finir avec les inégalités de genre</a>.</p>
<p>De l’autre côté, les opposants à la Loi 21 expliquent qu’elle enfreint la <a href="https://ccla.org/fr/major-cases-and-reports/bill-21/">liberté d’expression des femmes</a> et les empêche de <a href="https://www.journaldequebec.com/2019/05/16/laicite-derniere-journee-de-consultations">faire leurs choix en ce qui concerne leurs corps</a> à moins qu’elles acceptent d’être <a href="https://liguedesdroits.ca/memoire-consultations-pl21-laicite/#titre1">exclues de certaines professions</a>. Les opposants déclarent que la Loi 21 porte atteinte <a href="https://www.leaf.ca/fr/news/leaf-et-la-federation-des-femmes-du-quebec-en-cour-dappel/">à l’égalité</a> des <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2020/12/01/la-loi-21-violerait-les-droits-fondamentaux-1">sexes</a> et fait reculer les <a href="https://lactualite.com/actualites/loi-21-un-recul-pour-les-droits-des-femmes-selon-lopposition-liberale/">droits des femmes</a>.</p>
<p>Ces débats génèrent une prise de conscience plus large sur les inégalités de genre et leurs implications. Ils peuvent conduire à des recours en justice. <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2021-05-06/loi-21/deux-groupes-font-appel-de-la-decision.php">Différents acteurs</a> ont fait des pas dans cette direction. <a href="https://ccla.org/fr/major-cases-and-reports/bill-21/">L’Association canadienne des Libertés civiles</a> s’est engagée contre la Loi 21 devant la justice en déposant un mémoire, en décembre 2021, devant la Cour d’appel du Québec. Ce mémoire fait suite à la décision de la Cour supérieure du Québec, en avril 2021, de <a href="https://www.journaldemontreal.com/2021/04/20/la-loi-sur-la-laicite-de-letat-demeure-en-vigueur-juge-la-cour-superieure-du-quebec">maintenir la Loi 21 en partie</a> toute en reconnaissant qu’elle limite les libertés.</p>
<h2>Changement difficile</h2>
<p>Il n’est jamais simple de prédire comment une loi, prise isolément, va influencer les inégalités de genre ancrées dans un système complexe qui inclut aussi des croyances et pratiques. Tout effort pour redresser ces inégalités demande que l’on porte attention à trois facteurs.</p>
<p>1) Il convient de se méfier des solutions toutes faites qui veulent changer les inégalités de genre pour de bon. Il est difficile de prévoir comment elles vont interagir avec les éléments du système complexe formé par les croyances, pratiques et règles.</p>
<p>2) Si on veut redresser les inégalités de genre, il faut prendre une approche globale et considérer à la fois les croyances, pratiques et règles.</p>
<p>3) Il faudra être patient. Les initiatives pour changer les inégalités mettront du temps à porter leurs fruits, vu la complexité du système sous-jacent aux inégalités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175799/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claudine Mangen a reçu des financements du Conseil de Recherche en Sciences Humaines (CRSH) du Canada.</span></em></p>Les inégalités entre les hommes et les femmes découlent d’un système complexe qui inclut des éléments autres que les lois, ce qui rend les changements difficiles.Claudine Mangen, RBC Professor in Responsible Organizations and Associate Professor, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1797762022-03-24T18:41:33Z2022-03-24T18:41:33ZLe conflit russo-ukrainien est aussi une question de regard sur les sexualités<p>La « Lettre du dimanche » du 12 mars dernier publiée par <em>Le Grand Continent</em>, revue éditée par le Groupe d’études géopolitiques, association indépendante domiciliée à l’École normale supérieure et reconnue d’intérêt général, commençait entre autres par ceci :</p>
<blockquote>
<p>« À l’issue de la messe du dimanche de la Saint-Jean, le 6 mars dernier, le patriarche Kirill a prononcé un sermon justifiant l’invasion militaire de l’Ukraine – toujours euphémisée et réduite à des opérations d’aide aux pro-Russes du Donbass – et endossant l’argumentaire négationniste de Poutine sur l’Ukraine. Mais le chef de l’Église orthodoxe de Russie va plus loin. Dans une rhétorique aussi fleurie en anathèmes qu’un retable de l’Apocalypse, il dénonce une guerre des civilisations, et fait notamment de l’homosexualité l’emblème du vice démocratique qui voudrait corrompre la nation russe. La “parade de la gay pride” serait à ses yeux le test suprême que l’Occident ferait passer aux sociétés pour les soumettre à son esprit de décadence. Face à ce péril, la Russie resterait la garante des valeurs traditionnelles, qu’elle contribue implicitement à maintenir en venant en aide à la population ukrainienne, pour laquelle, Carême oblige, il faudrait demander “pardon” au Seigneur ».</p>
</blockquote>
<p>L’attention portée au discours du patriarche Kirill est essentielle. Il y a bien quelque chose de « vertigineux » dans la prise de position du chef de l’Église orthodoxe. Pour en mesurer les enjeux et faire de cette prise de position une force pour notre compréhension des choses et pour aider à sortir de la crise, il est indispensable de ne pas s’en tenir à notre indignation. Il faut déplacer le problème.</p>
<h2>« Valeurs traditionnelles »</h2>
<p>L’intégration officielle des homosexualités, et plus largement la reconnaissance des mouvements LGBTQIA+ dans les débats publics prennent leurs racines dans les féminismes et les études de genre, dont l’origine est indéniablement occidentale, et en particulier américaine. Il est donc aisé, si l’on veut observer à grands traits, d’imputer l’ensemble de ces mouvements à l’« Occident ».</p>
<p>On peut dire que ce qui y est en jeu est la notion essentielle de liberté. Qu’il faille y voir une corruption provocatrice et destructrice de l’« Occident » à l’égard de ce que l’« Occident » n’est pas est autre chose. La difficulté est que des propos comme ceux du patriarche Kirill trouvent un écho positif chez des populations qui ne sont pas convaincues de la revendication de liberté que nous connaissons de ce côté-ci du conflit russo-ukrainien.</p>
<p>La difficulté s’accroît lorsque l’on constate que tout le monde n’est pas totalement convaincu, en « Occident » même, de la pertinence de toutes les revendications LGBTQIA+. Le problème, tel qu’il est posé par le patriarche Kirill si l’on en croit la <em>Lettre du dimanche</em>, est celui de la conservation des « valeurs traditionnelles ». Sous ces termes, qui sont en passe de ne plus rien vouloir dire de quelque côté que ce soit du conflit russo-ukrainien, se signale un enjeu humain fondamental. On peut le présenter sommairement de la manière suivante.</p>
<p>Aussi lents soient ses progrès, l’évolution de la culture « occidentale » a quelque chose de majoritairement « féminin », en ce sens qu’elle est de toute évidence une culture de la libération. Libération des femmes, libération des genres, libération des humains eu égard à tout donné naturel – « essentiel » au sens de la philosophie classique – qui serait censé borner le vouloir. On veut pouvoir tout vouloir, par définition sans limite.</p>
<p>La notion de libération appartient prioritairement au champ du « féminin ». Si l’on part du principe simple que le féminin est à l’origine la certitude de pouvoir faire ce que le féminin fait – porter un enfant –, alors le féminin est d’abord continuité du vivant donné. À partir de là, puisque l’on désire ce que l’on n’est pas et n’a pas, le féminin est ouverture à l’inconnu, au non-donné. Il est dynamique de libération par rapport au donné initial. Et la réciproque est vraie. Le masculin est de facto discontinuité d’avec la matrice maternelle – féminine –, et donc désir de recouvrer continuité, identité ou un « sol » ferme et stable.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sexualites-un-regard-philosophique-le-feminin-et-le-masculin-cles-de-comprehension-du-monde-161126">« Sexualités, un regard philosophique » : le féminin et le masculin, clés de compréhension du monde</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>« Féminin » et « masculin » ne sont pas superposables à « femmes » et « hommes ». Ils constituent deux manières d’être au monde irréductibles, qui contribuent à circonscrire le domaine de la « fin de l’Histoire » dont il a été question dans un précédent article. La « fin de l’Histoire » concerne bien l’avènement de l’idée et, partout où cela se présente, de la réalité de l’État de droit. Mais l’aventure humaine continue, en particulier du fait que nous sommes toutes et tous faits de deux manières d’être au monde irréductibles, qui dépendent totalement l’une de l’autre et s’entrelacent sans cesse, de façon plus ou moins heureuse selon les cas et circonstances.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1504969987903172611"}"></div></p>
<p>De l’« autre » côté, qu’artificiellement le patriarche Kirill institue comme étant le « bon », le côté russe, l’on défend des « valeurs traditionnelles », par exemple l’importance accordée au fait « naturel » de l’existence de deux sexes initiaux constitutifs des êtres humains.</p>
<p>Si l’« Occident » tel qu’entendu ici est bien « féminin » dans son évolution, il s’opposerait alors à une posture « masculine » devenant archaïque, s’adossant à – si ce n’est s’arc-boutant sur – l’existence de deux sexes, à l’origine de la possibilité des humains. Dans un tel horizon, les homosexualités représentent les comportements déviants reprochés par le patriarche Kirill.</p>
<h2>Du plus petit au plus grand</h2>
<p>Il est évident que, dans le contexte de la guerre offensive faite à l’Ukraine par la Russie, aussi justifiée sur le plan géopolitique soit cette guerre aux yeux des Russes, le « masculin » dont il s’agit est dévoyé, car instrumentalisé dans le cadre d’un conflit frontal avec son autre – avec un « féminin » jugé corrompu et corrupteur.</p>
<p>Dans ce qui est ici en jeu, nous ne sommes cependant pas confrontés à un simple conflit entre « Orient » et « Occident », dont la question des sexualités ne serait qu’un instrument. Se joue dans ce conflit, d’une façon aussi dévoyée soit-elle, une tension entre deux manières d’être au monde constitutives de tous les humains, à quoi s’adossent les conflits, les extrémismes, les radicalisations de tous ordres, et ceci depuis bien longtemps, comme nous le montrions dans <em>Terrorisme et féminisme, Le masculin en question</em> (Éditions de l’Aube, 2016).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5gcXSsV5vN8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Terrorisme et féminisme, le masculin en question (TV5 Monde, 2016).</span></figcaption>
</figure>
<p>Et ceci se joue indépendamment des sexes biologiques de chacune et chacun, et donc par-delà femmes et hommes. Il s’agit d’une « tension » au sens de la « tension artérielle » entre féminin et masculin considérés comme deux manières d’être au monde dont le monde entier est habité.</p>
<p>Deux observations pour finir.</p>
<p>Même si nous nous reproduisons grâce aux sciences et aux techniques, en pouvant désormais si nous le voulons nous passer de relations hétérosexuelles, nous sommes toutes et tous issus de deux types de gamètes, des gamètes mâles et des gamètes femelles. Ce qui veut dire que nous portons toutes et tous en nous et féminin (gamètes femelles) et masculin (gamètes mâles).</p>
<p>S’il y a donc quelque chose comme du « féminin » et du « masculin » qui nous constitue toutes et tous, cela se joue au niveau le plus petit – chaque individu quel que soit son sexe –, et au niveau le plus grand, à l’échelle de conflits comme celui auquel nous sommes malheureusement confrontés.</p>
<p>Que soient invoqués des enjeux comme ceux des mouvements LGBTQIA+ dans le cadre de conflits susceptibles de mettre en danger l’existence de l’humanité entière signale que l’enjeu des sexualités que nous effleurons ici est tout sauf secondaire. Et loin de seulement s’indigner, l’on doit toutes et tous, si l’on veut y comprendre quelque chose et si l’on veut contribuer à l’apaisement, se demander ce qui, de part et d’autre de la situation, à la fois s’y joue et y est dévoyé. Pour creuser la question, on pourra se rapporter à la <em>Phénoménologie des sexualités, la modernité et la question du sens</em>, publiée en janvier 2021 chez L’Harmattan.</p>
<p>Si nous voulons contribuer un tant soit peu à l’apaisement au cœur de la crise, nous devons impérativement continuer d’identifier ce qui de la mondialisation fait sens et inversement. Et les relations entre les sexualités jouent sur la question un rôle déterminant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179776/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Bibard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le chef de l’Église orthodoxe a soutenu le conflit en Ukraine, invoquant une guerre des civilisations et faisant de l’homosexualité l’emblème du vice démocratique qui veut corrompre la nation russe.Laurent Bibard, Professeur en management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1701602022-02-23T18:35:01Z2022-02-23T18:35:01ZPourquoi le voilement du corps des femmes est au cœur du projet des islamistes<p>Au Maghreb, durant l’année 2021, des cérémonies incitant les adolescentes et les étudiantes à se voiler ont été organisées. En <a href="https://www.businessnews.com.tn/D%C3%A9sormais,-en-Tunisie,-le-port-du-voile-%C3%A7a-se-f%C3%AAte-!537,109467,3">Tunisie</a> et en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=bEYIV9DwHiE">Algérie</a> des jeunes filles fraîchement voilées ont été récompensées dans une ambiance festive.</p>
<p>Une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/11/03/une-campagne-du-conseil-de-l-europe-celebrant-la-diversite-et-la-liberte-dans-le-hijab-retiree_6100773_823448.html">campagne pro-hijâb</a> a également été récemment mise en place au sein du Conseil de l’Europe par les <a href="https://dial.uclouvain.be/downloader/downloader.php?pid=boreal%3A91446&datastream=PDF_01">organisations fréristes</a> (<a href="https://www.lepoint.fr/debats/tribune-la-propagande-pro-hidjab-du-conseil-de-l-europe-est-inacceptable-03-11-2021-2450445_2.php">Frères musulmans</a>) européennes.</p>
<p>Autant d’évènements qui semblent témoigner d’une recrudescence de l’activisme islamiste qui fait du voile son fer de lance. Le voilement des femmes est en effet au fondement de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/egypte/egypte-quand-nasser-se-moquait-du-voile-c-etait-il-y-a-plus-de-50-ans_3066035.html">l’idéologie islamiste</a> qui se développe après la naissance, en 1928 en Egypte, de l’association des Frères musulmans fondée sur la revendication de la création d’un <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/Le-Prophete-et-Pharaon">État islamique</a> basé sur la « loi islamique » (<em>charî’a</em>).</p>
<p>Pour ne pas tomber dans le travers de la rhétorique islamiste, assimilant toute critique du voile à de l’islamophobie, il nous paraît utile d’adopter une <a href="https://lemonde-arabe.fr/15/10/2018/leila-tauil-feminisme-arabe-maroc-tunisie/">approche historique</a> du phénomène du voile, en contextes musulmans et ailleurs, en vue d’en comprendre sa complexité.</p>
<h2>Les premières féministes arabes anticoloniales et anti-voile</h2>
<p>Les premières associations féministes arabes et maghrébines, qui apparaissent durant les années 1920-1930 dans un contexte de colonisation, s’engagent en faveur de l’accès à l’éducation et aux fonctions sociales et politiques des femmes tout en s’investissant systématiquement dans le combat anticolonial.</p>
<p>Elles s’opposent également avec force au voilement de la gent féminine – <a href="https://www.letemps.ch/culture/leyla-belkaid-une-femme-voiles">voile social</a> dénué de connotation religieuse sous la forme d’un drapé, à l’image du haïk et du safsari au Maghreb, porté indistinctement par les femmes musulmanes, chrétiennes et juives en contextes islamiques – car elles comprennent l’enjeu de la place du corps des femmes dans l’espace public.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/442010/original/file-20220121-13-zo0zm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442010/original/file-20220121-13-zo0zm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=832&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442010/original/file-20220121-13-zo0zm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=832&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442010/original/file-20220121-13-zo0zm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=832&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442010/original/file-20220121-13-zo0zm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1045&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442010/original/file-20220121-13-zo0zm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1045&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442010/original/file-20220121-13-zo0zm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1045&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Leyla Belkaïd, Voiles, Ed. Vestipolis, 2009.</span>
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<p>Elles décident de s’inscrire dans un rapport d’égalité avec les hommes qui ne font pas l’objet de la même contrainte vestimentaire. A l’image du dévoilement spectaculaire de la féministe égyptienne <a href="https://www.persee.fr/doc/mcm_1146-1225_1998_num_16_1_1184">Huda Sharawi</a> en 1923, suivi par une vague de dévoilement, ces pionnières transgressent les normes patriarcales en s’engageant publiquement débarrassées de leurs voiles comme la tunisienne Bchira Ben Mrad et la marocaine Malika Al Fassi qui créent les premiers <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-feminismes_arabes_un_si%C3%A8cle_de_combat_les_cas_du_maroc_et_de_la_tunisie_leila_tauil-9782343146430-59538.html">mouvements de femmes</a> durant les années 1930.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/442011/original/file-20220121-19-yaectt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/442011/original/file-20220121-19-yaectt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/442011/original/file-20220121-19-yaectt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/442011/original/file-20220121-19-yaectt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/442011/original/file-20220121-19-yaectt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/442011/original/file-20220121-19-yaectt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/442011/original/file-20220121-19-yaectt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Leyla Belkaïd, Voiles, Ed. Vestipolis, 2009.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Face au phénomène de dévoilement apparaît dès la fin des années 1920, dans les milieux de l’islam conservateur et de l’islam politique naissant, un nouveau type de discours sur le voile, le hijâb, fondé sur un argumentaire religieux. Ce dernier n’a toutefois qu’un impact restreint au sein de la population et est surtout arboré par les premières femmes islamistes telles que l’égyptienne <a href="https://experts.illinois.edu/en/publications/an-islamic-activist-zaynab-al-ghazali">Zaynab al-Ghazali</a> qui crée, en 1936, l’Association des Femmes musulmanes, aile féminine de la confrérie des Frères musulmans.</p>
<p>En réaction à cette volonté conservatrice de contrôler religieusement le corps des femmes, des féministes se positionnent courageusement. Parmi elles, la libanaise druze Nazîra Zayn al-Dîn qui fait preuve d’une audace intellectuelle subversive, dans la lignée des théologiens réformistes, en publiant en 1928 un ouvrage, <a href="https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2010-2-page-123.htm">Voile et dévoilement (al-Sufûr wa-l-hijâb)</a> qui déconstruit théologiquement le postulat du voile obligatoire et provoque durant une vingtaine d’années des débats sociétaux féconds entre féministes et autorités religieuses.</p>
<p>Au moment des indépendances, l’abandon progressif et généralisé du voile social traditionnel se banalise dans les sociétés travaillées par le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/histoire-des-peuples-arabes-albert-hourani/9782020200011">panarabisme de gauche</a> – projet politique prônant l’unité du monde arabe incarné par le président égyptien Gamal Abdel Nasser – où de nombreuses femmes jusque dans les années 1980 occupent l’espace public, la tête nue, comme en témoignent de nombreuses archives.</p>
<h2>La visibilité politique des courants islamistes</h2>
<p>C’est à partir des années 1980 que le succès de l’islamisme (islam politique) et de la <a href="http://www.sudoc.abes.fr/cbs/xslt/DB=2.1//SRCH?IKT=12&TRM=003007812">réislamisation</a> (islamisation des mœurs), après l’échec du panarabisme fondé sur une modernisation mais sans démocratisation, s’accompagnent d’un <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2006-4-page-89.htm">voilement massif des femmes</a>. Dès lors, le port du nouveau voile (hijâb) garantit « la visibilité politique des courants islamistes ».</p>
<p>En une vingtaine d’années, les acteurs islamistes et de la réislamisation ambitionnent de <a href="https://www.histoire-immigration.fr/opac/38079/show">contrôler le corps</a> – assimilé à une nudité à cacher – d’une grande partie de la gent féminine en diffusant à grande échelle et de manière récurrente le postulat du voile obligatoire en associant « la femme voilée » à « la bonne musulmane », via les associations, les mosquées, les chaînes satellites et les réseaux sociaux.</p>
<p>A l’image de <a href="https://www.worldcat.org/title/global-mufti-the-phenomenon-of-yusuf-al-qaradawi/oclc/611131071">Youssef Al-Qaradawi</a>, ténor de la confrérie des Frères musulmans ayant contribué à la réislamisation frériste de la « masse orthodoxe » en animant une émission religieuse sur la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/08/30/al-qaradawi-l-islam-a-l-ecran_377155_1819218.html">chaîne Al-Jazira</a> suivie par plusieurs millions d’arabophones, qui participe explicitement au voilement massif des femmes musulmanes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Dans cette vidéo, cheikh Qaradawi explique le caractère « obligatoire » du hijab.</span></figcaption>
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<p>Les femmes non-voilées, à partir des années 1980 font l’objet d’une <a href="https://journals.openedition.org/ema/1473">disqualification</a> islamiste banalisée et répandue, au sein des sociétés musulmanes et ailleurs, qui les assimile à des mutabarijât – concept coranique désignant les femmes païennes préislamiques aux « mœurs légères » – entraînant un voilement tant des militantes réislamisées que des femmes « ordinaires ».</p>
<p>Nos <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=65477">recherches de terrain</a>, entre 2006 et 2011, portant sur les discours des acteurs fréristes et salafistes influents d’Europe et du monde arabe, montrent que le phénomène du voilement massif des jeunes filles et des femmes est directement lié à <a href="https://www.academia.edu/43926061/Entretien_avec_Le%C3%AFla_Tauil_sur_lactualit%C3%A9_de_son_ouvrage_Les_femmes_dans_les_discours_fr%C3%A9ristes_salafistes_et_f%C3%A9ministes_islamiques_Une_analyse_des_rapports_de_force_genr%C3%A9s">l’activisme des tenants de l’islamisme et de la réislamisation</a> en contextes musulmans et ailleurs.</p>
<p>En effet, le <a href="https://irel.ephe.psl.eu/ressources-pedagogiques/comptes-rendus-ouvrages/femmes-au-miroir-lorthodoxie-islamique">voilement du corps de la gent féminine</a> s’inscrit dans le projet de société islamiste – ayant pour modèle de société la période médinoise mythifiée du VII<sup>e</sup> siècle – fondé sur une morale sexuelle patriarcale, une assignation des femmes à l’espace privé – en qualité d’épouses et de mères – avec un accès à l’espace public conditionné par le port du voile et la revendication du primat de la « loi islamique » (la charî’a) qui légalise et sacralise l’infériorité de la gent féminine.</p>
<p>A l’image de <a href="https://www.cairn.info/islam-politique-sexe-et-genre--9782130587927.htm">Khomeyni</a> qui contraint les femmes à porter le tchador dès son investiture en 1979, les talibans qui accèdent au pouvoir en Afghanistan en août 2021, imposent le voile et remplacent le ministère des affaires féminines par le ministère de la promotion de la vertu et de la prévention du vice.</p>
<p>En <a href="https://www.karthala.com/2028-les-freres-musulmans-des-origines-a-nos-jours-9782811101688.html">Egypte</a>, terre mère de l’islamisme, la réislamisation par le bas – activisme islamiste visant à islamiser les mœurs via notamment les associations et les universités –, aboutit à un <a href="https://www.lemonde.fr/m-moyen-format/article/2015/06/17/l-egypte-tout-voile-dehors_4655971_4497271.html">voilement généralisé</a> – environ 90 % de femmes sont désormais voilées.</p>
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<figcaption><span class="caption">Manifestation des femmes égyptiennes, 2011.</span></figcaption>
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<p>L’argument d’autorité religieuse relatif au voile obligatoire, mobilisé par tous les acteurs islamistes et de la réislamisation, se fonde sur deux versets coraniques – évoquant la tenue vestimentaire des femmes – qui ne stipulent pourtant nullement la tête à couvrir. De plus, dans l’exégèse coranique médiévale, le voile constitue un signe de distinction sociale entre femmes libres, sommées de le porter, et femmes esclaves, contraintes de l’enlever comme l’attestent les sources scripturaires citées ci-dessous.</p>
<h2>Le voile : signe de distinction sociale entre femmes libres et femmes esclaves</h2>
<p>Le corpus coranique contient 6236 versets dont seuls deux font allusion au vêtement féminin et ne mentionnent aucunement la tête à couvrir, à savoir :</p>
<blockquote>
<p>« Prophète, dis à tes épouses, à tes filles, aux femmes des croyants de revêtir leurs mantes (jalabîbihinna), sûr moyen d’être reconnues et d’échapper à toute offense. Dieu est toute indulgence, Miséricordieux. » (33 : 59)</p>
<p>« Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté, et de ne montrer de leurs atours que ce qu’il en paraît et qu’elles rabattent leur voile (khumurihinna) sur leurs poitrines. » (24 : 31)</p>
</blockquote>
<p>A propos du verset 59 de la sourate 33, l’ensemble des exégètes médiévaux, à l’image du célèbre commentateur At-Tabarî (m. 923), lui confèrent exclusivement une fonction de distinction sociale entre les femmes libres, priées de se revêtir d’une mante, et les femmes esclaves, sommées de s’en défaire en pouvant faire hélas l’objet d’agressions sexuelles.</p>
<blockquote>
<p>« [P]orter la mante montre aux hommes qu’elles ne sont pas des esclaves, ce qui leur éviterait d’être blessées par un dire ou un exposé à une convoitise malsaine. » <a href="https://books.google.ch/books?id=Y09iDwAAQBAJ">(At-Tabarî, m. 923) Ibn Jarir Al Tabary (224-310 H./839-923 J.C.)</a></p>
</blockquote>
<p>Aussi, les femmes voilées dans leur grande majorité, convaincues de se soumettre à une injonction religieuse coranique, ignorent – comme d’ailleurs les <a href="https://www.lesinrocks.com/actu/question-voile-divise-t-feministes-76486-08-04-2016/">féministes post-coloniales</a> qui défendent le droit pour les femmes de porter le voile – la fonction discriminante initiale du voile des femmes libres à l’égard des femmes esclaves présente pourtant dans les sources scripturaires médiévales. En effet, ces dernières comprennent des récits décrivant la violence exercée sur les femmes esclaves, qui osent arborer le voile des femmes libres, par le deuxième calife de l’islam et compagnon du prophète Umar Ibn Khattâb (m. 644).</p>
<blockquote>
<p>« <a href="https://www.lalibrairie.com/livres/encyclopedie-de-la-femme-en-islam-la-tenue-vestimentaire-et-la-parure-de-la-femme-musulmane-vol--4_0-48371_9782909469263.html">Ibn Taymiyya</a> (m. 1328) a dit : ‘‘ Le voile est spécifique aux femmes libres à l’exclusion des esclaves. La pratique des croyants du temps du Prophète et des Califes était ainsi que les femmes libres se voilent tandis que les esclaves restaient découvertes. Lorsque ‘Omar ibn al-Khattâb (que Dieu soit satisfait de lui) voyait une esclave portant le voile, il la frappait en lui disant : ‘‘Sotte, tu t’habilles comme les femmes libres !’’ »</p>
</blockquote>
<p>Par ailleurs, la posture des acteurs de l’islam idéologique, qui assimilent le voile à un acte de foi, est également démentie par les sources religieuses car l’imam Mâlik (m. 796), fondateur d’une des quatre écoles juridiques sunnites, autorise la femme musulmane esclave à prier sans voile.</p>
<blockquote>
<p>« L’imam Malik a dit à propos de la servante qui prie sans voile : ‘‘ Telle est sa tenue habituelle’’. »</p>
</blockquote>
<p>La fonction de distinction sociale du voile entre femmes libres et femmes esclaves, explicitement décrite dans les <a href="https://pdfprof.com/PDF_Doc_Telecharger_Gratuits.php?q=les+causes+et+les+circonstances+de+la+r%C3%A9v%C3%A9lation+des+versets+coraniques/-26PDF30542-">sources scripturaires</a>,est complètement passée sous silence par les acteurs islamistes et de la réislamisation au profit du voile religieusement obligatoire car ils savent pertinemment que, dans la logique chariatique, l’absence d’éléments d’application (ici l’abolition de l’esclavage) entraîne la disparition d’une pratique.</p>
<h2>Fer de lance</h2>
<p>Les acteurs islamistes et de la réislamisation, dans leur projet de société, font du voile leur fer de lance pour, d’une part, contrôler le corps de la gent féminine et, d’autre part, rendre visible l’islamité sur l’espace public dont seules les femmes sont sommées de manifester.</p>
<p>Au-delà du fait que nous respectons la liberté individuelle des femmes voilées, souvent animées par des convictions religieuses sincères, il nous semble important de mettre en lumière le patriarcat sacralisé de l’ensemble des gestionnaires contemporains de l’islam orthodoxe et idéologique. En effet, ces derniers – en dehors des jihâdistes – entretiennent un rapport à géométrie variable avec le corpus coranique acceptant, par exemple, d’historiciser les nombreux versets explicites sur l’esclavage (cf. notamment verset 71 de la sourate 16), le combat armé, le jihâd, (cf. notamment verset 5 et 29 de la sourate 9) mais refusent catégoriquement de discuter du statut du voile, dont les versets sont pourtant plus que discutables, tout en sacralisant et absolutisant les versets relatifs à l’autorité maritale (verset 34 de la sourate 4), à la polygamie (verset 3 de la sourate 4), à l’inégalité successorale (verset 11 de la sourate 4) en vue de maintenir les privilèges masculins.</p>
<p>Enfin, dans les sociétés à majorité musulmane, traversées par l’islamisme et la réislamisation, il existe des féministes qui se positionnent explicitement et publiquement sur cette contrainte vestimentaire touchant exclusivement la gent féminine, à l’image de l’Association tunisienne des femmes démocrates qui déclare : « s’opposer au voile n’est pas rejeter les femmes qui le portent, mais <a href="https://www.vie-publique.fr/catalogue/277874-femmes-et-republique">refuser le voile pour horizon politique pour les femmes</a> ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170160/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Leïla Tauil ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plusieurs événements semblent témoigner d’une recrudescence de l’activisme islamiste qui fait du voile son fer de lance.Leïla Tauil, Enseignante-chercheure, Université de GenèveLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1676472021-11-18T21:33:06Z2021-11-18T21:33:06ZConnaissez-vous Françoise d’Eaubonne, la pionnière de l’écoféminisme ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/432613/original/file-20211118-26-1r79vz1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait de la penseuse écoféministe en 1964. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7oise_d%27Eaubonne#/media/Fichier:Fran%C3%A7oise_d'Eaubonne_wikip%C3%A9dia.jpg">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En France, la découverte de l’« écoféminisme » est pour beaucoup récente, se manifestant ces derniers mois <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/sep/23/eco-feminist-sandrine-rousseau-shocks-french-politics-in-bid-for-greens-presidency">sous les traits de Sandrine Rousseau</a>, la candidate à la primaire du parti EELV.</p>
<p>Si l’on attribue souvent ce mouvement au monde anglo-saxon – où il s’est largement développé depuis les années 1970 – c’est cependant une figure française, Françoise d’Eaubonne, qui est à l’origine du terme et du concept. Cette penseuse est aussi, et surtout, comme la plupart des figures du mouvement d’ailleurs, une femme d’action.</p>
<h2>Une infatigable militante</h2>
<p>Née en 1920 au sein d’une famille bourgeoise, désargentée et fortement politisée, elle est d’abord autrice de romans et d’essais qu’elle écrit dès l’âge de 13 ans ; elle en publiera plus d’une centaine.</p>
<p>Infatigable militante, elle s’engage au Parti communiste après la Seconde Guerre mondiale, pour le quitter dix ans plus tard, s’insurgeant contre la <a href="https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social1-2015-2-page-75.htm?contenu=resume">position du parti préconisant aux soldats de rester dans les rangs de l’armée mobilisée lors de la guerre d’Algérie</a>. Elle signera en 1960 le Manifeste des 121, pour le droit à l’insoumission.</p>
<p>Fortement influencée par Simone de Beauvoir qui deviendra son amie, elle participe dans les années 1970 à la création du Mouvement de libération des femmes (MLF), signe le manifeste des 343 appelant à la légalisation de l’avortement, co-fonde le Front homosexuel d’action révolutionnaire et participe à l’attentat contre la centrale de Fessenheim.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/432620/original/file-20211118-26-yj3fd0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/432620/original/file-20211118-26-yj3fd0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432620/original/file-20211118-26-yj3fd0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=867&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432620/original/file-20211118-26-yj3fd0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=867&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432620/original/file-20211118-26-yj3fd0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=867&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432620/original/file-20211118-26-yj3fd0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1090&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432620/original/file-20211118-26-yj3fd0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1090&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432620/original/file-20211118-26-yj3fd0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1090&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les éditions Le Passager clandestin ont réédité l’ouvrage de Françoise d’Eaubonne en 2020.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 1974, elle publie <a href="https://www.lepassagerclandestin.fr/catalogue/boomerang/le-feminisme-ou-la-mort/"><em>Le Féminisme ou la mort</em></a> dans lequel elle emploie pour la première fois le terme d’« écoféminisme ».</p>
<p>Elle crée dans la foulée le Front féministe, rebaptisé plus tard Écologie et féminisme. Elle peaufine sa pensée écoféministe dans <a href="https://libre-solidaire.fr/Ecologie-et-Feminisme-Revolution-ou-mutation"><em>Écologie et féminisme. Révolution ou mutation ?</em></a>, démontrant la proximité et l’imbrication des causes environnementales et féministes au sens large.</p>
<h2>L’écoféminisme, une pensée en action</h2>
<p>Le parcours de vie et l’œuvre de Françoise d’Eaubonne témoignent du profond engagement intellectuel et politique que réclame l’écoféminisme : au-delà de l’élaboration conceptuelle, il est surtout question d’agir pour la cause des femmes, des minorités et de l’environnement.</p>
<p>Dans ce contexte, le corps occupe une place centrale : elle en souligne l’importance dans un texte court, <a href="https://www.persee.fr/doc/grif_0770-6081_1978_num_20_1_1293"><em>De l’écriture, du corps et de la révolution</em></a> où l’on peut lire :</p>
<blockquote>
<p>« Les coups, les opérations à vif, l’avortement, l’accouchement, il a tout vécu en défiant l’ennemi et se redressait en chantant. »</p>
</blockquote>
<p>Il s’agit d’incarner la connexion de l’être humain avec la nature, reconnaître que nous ne sommes pas en dehors ni au-dessus du monde naturel ; comme le souligne la philosophe Terri Field dans un <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1086026600131002">article de mars 2000</a> : « Il est de l’intérêt des philosophes de l’environnement de commencer à théoriser l’incarnation avec une perspective spécifiquement écoféministe ».</p>
<p>L’incarnation, le corps, constituent les éléments centraux de cette approche : ils sont les moyens par lesquels nous, humains, nous connectons, ressentons, comprenons et in fine prenons soin – ou non – de notre environnement.</p>
<h2>Répondre aux urgences sociales et environnementales</h2>
<p>En 1965, un <a href="https://www-legacy.dge.carnegiescience.edu/labs/caldeiralab/Caldeira%20downloads/PSAC,%201965,%20Restoring%20the%20Quality%20of%20Our%20Environment.pdf">rapport scientifique</a> alertait déjà la Maison Blanche d’un potentiel dérèglement climatique et de graves problèmes environnementaux.</p>
<p>Dès 1972, Françoise d’Eaubonne annonçait les prémices de sa théorie écoféministe en concluant dans son ouvrage <em>Le Féminisme : Histoire et actualité</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Le prolongement de notre espèce est menacé aujourd’hui grâce à l’aboutissement des cultures patriarcales, par une folie et un crime. La folie : l’accroissement de la cadence démographique. Le crime : la destruction de l’environnement. »</p>
</blockquote>
<p>La principale thèse de l’autrice peut se résumer ainsi : la double exploitation de la femme et de la nature par l’homme – entendu respectivement comme genre masculin et genre humain – a généré une « bombe démographique » qui conduira à la destruction de notre environnement.</p>
<p>Pour elle, ni le socialisme ni le capitalisme n’ont réussi à offrir de véritables résultats dans la protection de l’environnement, parce que ni l’un ni l’autre ne remettent en cause le sexisme universel qui sous-tend l’ordre des sociétés.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/atcUk7ioWKk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Extrait de l’émission « Apostrophes » avec Françoise d’Eaubonne. (Vincent Cespedes/Youtube, 2021).</span></figcaption>
</figure>
<p>Pour elle, la solution consisterait en une prise totale de pouvoir des femmes sur leur pouvoir de procréation pour limiter drastiquement la croissance démographique et par conséquent les besoins de production et d’exploitation des ressources naturelles.</p>
<p>C’est cette attention centrale portée aux femmes en tant que « procréatrices » qui cristallisera les nombreuses critiques des mouvements féministes et environnementalistes, <a href="https://muse.jhu.edu/article/448630/summary">qui taxeront Françoise d’Eaubonne d’essentialiste</a>.</p>
<p>Ces attaques témoignent d’une mécompréhension de la complexité de la tâche que s’est fixée Françoise d’Eaubonne : reconnaître une réalité naturelle (ce sont les femmes qui portent et mettent les enfants au monde), tout en les désessentialisant (elles ne sont pas naturellement faites pour devenir mères).</p>
<p>Pour elle, l’assignation à la procréation et à la maternité relève bien d’une construction sociale ; le contrôle démographique par les femmes elles-mêmes les <a href="https://scholar.google.com/scholar?output=instlink&q=info:gwRR3hGJowgJ:scholar.google.com/&hl=en&as_sdt=0,5&scillfp=8274182088153763540&oi=lle">libérerait du « “handicap” de la grossesse »</a>.</p>
<h2>L’épineuse question démographique</h2>
<p>Les positions de Françoise d’Eaubonne sont souvent présentées comme néo-malthusiennes et vivement critiquées à ce titre : les politiques de contrôle démographique apparaissent comme des répressives, réduisant les libertés, notamment celle d’avoir des enfants.</p>
<p>La thèse selon laquelle le contrôle démographique viendrait pallier l’épuisement des ressources est également depuis longtemps réfutée par nombre d’économistes, selon lesquels le <a href="https://web.archive.org/web/20141030234332/http:/bora.cmi.no/dspace/bitstream/10202/304/1/WP%201997_16%20Catherine%20Marquette-07112007_1.pdf">progrès technologique apporterait la solution au problème</a>.</p>
<p>De nombreux travaux scientifiques (comme <a href="https://www.bmj.com/content/337/bmj.39575.691343.80">ici en 2008</a> et <a href="https://www.researchgate.net/profile/Simone-Marsiglio-3/publication/349882478_Population_growth_and_climate_change_A_dynamic_integrated_climate-economy-demography_model/links/6045ebcc92851c077f249183/Population-growth-and-climate-change-A-dynamic-integrated-climate-economy-demography-model.pdf">là en 2021</a>) montrent cependant que des politiques démographiques bien menées seraient plus efficaces que d’autres mesures, comme la réduction technologique des émissions de gaz à effet de serre par exemple.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/8-milliards-dhumains-sommes-nous-trop-nombreux-sur-terre-81225">8 milliards d’humains : sommes-nous trop nombreux sur Terre ?</a>
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<p>Les autrices et auteurs ne s’aventurent toutefois pas à dévoiler le contenu de telles politiques démographiques : la question reste centrale mais personne n’ose l’aborder tant elle est épineuse et cela à double titre. Premièrement, d’un point de vue historique <a href="https://www.routledge.com/Earth-Follies-Feminism-Politics-and-the-Environment/Seager/p/book/9780367190477">comme le souligne la géographe Joni Seager</a>, « le contrôle de la population est un euphémisme pour le contrôle des femmes ».</p>
<p>Deuxièmement, d’un point de vue idéologique, cette approche remet en cause les institutions et l’ordre social établi. Si Malthus prônait le retardement de l’âge du mariage et l’imposition de limites au nombre d’enfants par famille, se situant ainsi dans une structure patriarcale, d’Eaubonne propose la prise en main totale des femmes sur la procréation, renversant l’ensemble du système.</p>
<p>Il s’agirait d’opérer une « mutation de la totalité », une révolution féministe qui comprendrait la disparition du salariat, des hiérarchies compétitives et de la famille, promouvant un « nouvel humanisme ».</p>
<p>Pour d’Eaubonne, <a href="https://www.lepassagerclandestin.fr/catalogue/boomerang/le-feminisme-ou-la-mort/">« ce grand renversement »</a> ne serait « pas le “matriarcat”, certes, ou le “pouvoir aux femmes”, mais la destruction du pouvoir par les femmes. Et enfin l’issue du tunnel : la gestion égalitaire d’un monde à renaître (et non plus à “protéger” comme le croient encore les doux écologistes de la première vague). Le féminisme ou la mort. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167647/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Vial est également chercheure associée à l'Institut d'Asie Orientale, Ecole Normale Supérieure de Lyon.</span></em></p>En 1974, la penseuse et militante française publie « Le Féminisme ou la mort », où apparaît pour la première fois le concept d’écoféminisme. Retour sur un parcours littéraire et politique singulier.Virginie Vial, Professeure d'économie, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1683982021-10-20T19:33:51Z2021-10-20T19:33:51ZQuand les séries historiques turques épousent la vision du pouvoir<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/422893/original/file-20210923-25-1gpfnkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1504%2C1004&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_Diriliş: Ertuğrul_ raconte la vie du chef turc qui a posé les bases de l'Empire ottoman au XIIIe siècle. La série en fait une métaphore des luttes de la nation turque contemporaine.</span> <span class="attribution"><span class="source">TRT</span></span></figcaption></figure><p>Des pays du Moyen-Orient à ceux d’Amérique latine, en passant par les Balkans et l’Asie, les <a href="https://www.researchgate.net/publication/271625312_Neo-Ottoman_Cool_Turkish_Popular_Culture_in_the_Arab_Public_Sphere">feuilletons turcs inondent les écrans de télévision</a>. La production est variée : soap operas, thrillers… et, souvent, séries historiques.</p>
<p>Si celles-ci apparaissent au début des années 2000, il faut attendre 2011 pour assister à l’explosion des séries en costume traitant du passé impérial de la Turquie.</p>
<p><a href="https://www.rts.ch/info/culture/cinema/9922180-le-si%C3%A8cle-magnifique-soap-opera-inspire-par-la-vie-de-soliman-ier.html"><em>Le Siècle Magnifique</em></a> (<em>Muhteșem Yüzyıl</em>), un feuilleton relatant l’époque du sultan Soliman (XVI<sup>e</sup>) et diffusé à partir de 2011, qui atteint en 2015 le chiffre record de 250 millions de spectateurs repartis à travers 70 pays différents, fait office de précurseur. Non seulement par sa large diffusion mais, aussi, par les réactions très contrastées que la série suscite – des réactions qui reflètent la vivacité des débats sur l’histoire turque et parmi lesquelles on distingue celles du pouvoir en place, soucieux de nourrir un récit historique très précis. Un peu plus tard, deux autres séries diffusées par la télévision publique donneront, elles, pleinement satisfaction à Recep Tayyip Erdoğan et à son parti, l’AKP.</p>
<h2>Du <em>Siècle Magnifique</em> à <em>Payitahth : Abdülhamid</em></h2>
<p><em>Le Siècle Magnifique</em> <a href="https://www.georg.ch/the-historians-saison-2p.49">attire les critiques des franges nationalistes dans certains pays des Balkans</a> (autrefois sous le joug ottoman), et, aussi, de <a href="https://teleobs.nouvelobs.com/series/20130327.OBS5535/le-si%C3%A8cle-magnifique-la-serie-qui-defrise-le-gouvernement-turc.html">la partie la plus conservatrice</a> de la classe dirigeante et de la société civile turque. Des manifestations ont même lieu dans les rues d’Istanbul pour appeler au boycott. Alors Premier ministre, Recep Tayyip Erdoğan prend la parole pour condamner la diffusion de la série.</p>
<p>La raison de cet acharnement tient au fait que le scénario privilégie les intrigues du harem, orchestrées davantage par les personnages féminins, au lieu de l’histoire politique du sultan Soliman, présenté comme un homme faible, victime des femmes qui gravitent autour de lui et peu engagé dans les affaires militaires.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422885/original/file-20210923-20-mmdi7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422885/original/file-20210923-20-mmdi7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422885/original/file-20210923-20-mmdi7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422885/original/file-20210923-20-mmdi7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422885/original/file-20210923-20-mmdi7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422885/original/file-20210923-20-mmdi7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422885/original/file-20210923-20-mmdi7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Critiquée par les conservateurs turques pour l’image qu’elle donne du sultan Soliman, <em>Le Siècle Magnifique</em> n’est connaît pas moins un immense succès en Turquie et à l’international.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Star TV/Timur Savci</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Néanmoins, <em>Le Siècle Magnifique</em> s’impose sur les écrans de nombreux pays du monde car elle s’inscrit dans un phénomène transnational de nostalgie du passé qui se manifeste, ailleurs, dans des séries en costume telles que <em>The Tudors</em>, <em>The Borgia</em>, <em>Rome</em>, <em>Versailles</em>, etc.</p>
<p>Consciente du succès de ces dernières, et en ayant en tête les profits de <em>Le Siècle Magnifique</em> (qui avait été diffusé sur deux chaînes privées), la chaîne publique turque TRT (<em>Türkiye Radyo ve Televizyon</em>) décide de diffuser deux séries historiques beaucoup plus conformes à la vision de la droite nationaliste, <em>Diriliş : Ertuğrul</em> (2014-2019) et <em>Payitahth : Abdülhamid</em> (2017-2021), les deux ayant entre 150 et 155 épisodes de deux heures et demie chacun (une longueur exorbitante aux yeux du public occidental, mais fréquente en Turquie), diffusés en <em>prime time</em>.</p>
<h2>Le roman national fait série</h2>
<p><em>Dirilis</em> (Résurrection) porte sur la vie d’<a href="https://www.college-de-france.fr/media/gilles-veinstein/UPL65500_veinstein.pdf">Ertuğrul</a>, un personnage historique du XIII<sup>e</sup> siècle qui n’a laissé que très peu de traces, mais qui est communément considéré comme le père d’Osman, le fondateur de la dynastie ottomane.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5fJXATpIiUQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Resurrection Ertugrul S1 Épisode 1, sous-titres anglais.</span></figcaption>
</figure>
<p><em>Payitaht…</em> (Capitale), quant à elle, raconte l’histoire d’un sultan régnant au tournant du XX<sup>e</sup> siècle, à propos duquel les sources sont très controversées : si, d’après une large partie de l’historiographie européenne, <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Abdulhamid-II-sultan-ottoman-1876-1909.html">Abdülhamid II</a> est un despote, responsable des massacres des chrétiens de Bulgarie (1876) et des Arméniens (1894-1897), aux yeux de la droite musulmane turque il est une icône nationaliste, victime des conspirations et des entreprises expansionnistes d’une importante partie de l’Europe.</p>
<p>La particularité de ces séries tient principalement à deux facteurs. Il s’agit de deux grandes productions télévisuelles (en termes de longueur et d’investissements) qui, malgré le recours à des sources historiques lacunaires ou controversées, <a href="https://journals.openedition.org/tvseries/4042">prétendent relater la « vraie histoire » de la Turquie</a> et leur diffusion est largement appuyée par le gouvernement d’Ankara.</p>
<p>En témoigne le fait que <a href="https://tccb.gov.tr/en/news/542/32623/president-erdogan-visits-set-of-dirilis-ertugrul">Recep Tayiip Erdogan, devenu président en 2014, se rend sur le plateau de <em>Diriliş…</em></a> pour connaître la distribution. Par la suite, il ne manque pas d’affirmer que la série a « séduit le cœur de la nation » et qu’elle possède une grande valeur pédagogique et culturelle pour le peuple turc et étranger.</p>
<p><a href="https://www.trt.net.tr/francais/turquie/2018/02/11/la-serie-payitaht-abdulhamid-doit-etre-rapidement-exportee-vers-divers-pays-du-monde-908008">Un discours similaire</a> est prononcé à propos de <em>Payitaht…</em>, une série que le président évoque en 2018 lors de la commémoration du centième anniversaire de la mort du sultan Abdülhamid et lors d’un congrès de son parti l’AKP (le Parti de la justice et du développement, au pouvoir depuis 2002) : Erdogan encourage son audience à regarder <em>Payitaht…</em> pour avoir une version véridique du passé et mieux comprendre qui sont, depuis des siècles, les ennemis du peuple turc.</p>
<p>En outre, les vidéos des campagnes électorales d’avril 2017 et de juin 2018, ainsi que la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2016/05/29/01003-20160529ARTFIG00204-turquie-erdogan-commemore-en-grande-pompe-les-563-ans-de-la-prise-de-constantinople.php">commémoration de la prise de Constantinople en 2016</a> organisée par l’AKP intègrent des références aux deux séries.</p>
<p>Dans un contexte médiatique de plus en plus politisé, le fait que <em>Diriliş…</em> et <em>Payitaht…</em> soient souvent évoquées au sein des discours de l’AKP et que leur scénario puise sans hésitation dans la rhétorique populiste et religieuse du parti, en fait les séries phares du gouvernement turc. En témoigne leur insistance sur l’importance de défendre à tout prix les communautés dont sont issus les deux héros Ertuğrul et Abdülhamid – une tribu nomade dans le cas du premier et un empire séculaire dans le cas du deuxième –, qui servent de métaphore pour la nation turque contemporaine.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/89j8ne2smZ0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les valeurs de l’État selon <em>Payitaht : Abdülhamid</em>.</span></figcaption>
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<p>En outre, la présence constante d’un ennemi interne (qui incarne la figure du traître, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/fragilise-erdogan-lance-de-nouvelles-purges-en-turquie-1310048">particulièrement exploitée dans la Turquie post-coup d’État</a>) et externe, alimente la polarisation entre le « nous » et le « eux » typique des discours de l’AKP, alors que les nombreuses références à l’islam servent à revendiquer une supériorité spirituelle face aux ennemis non turcs ou non musulmans.</p>
<h2>Des épouses et des filles discrètes</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/422428/original/file-20210921-13-xdizbp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422428/original/file-20210921-13-xdizbp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422428/original/file-20210921-13-xdizbp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1067&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422428/original/file-20210921-13-xdizbp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1067&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422428/original/file-20210921-13-xdizbp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1067&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422428/original/file-20210921-13-xdizbp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422428/original/file-20210921-13-xdizbp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422428/original/file-20210921-13-xdizbp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Dans <em>Diriliş : Ertuğrul</em>, les femmes sont vêtues de manière bien plus conforme aux mœurs des conservateurs turcs que dans <em>Le Siècle Magnifique</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">TRT</span></span>
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<p>La rhétorique pieuse se manifeste à travers le langage, qu’il s’agisse des invocations d’Allah ou des citations du Coran, à travers le tournage de longues scènes de prière pouvant durer jusqu’à quatre minutes et à travers les costumes : les personnages féminins musulmans ont toujours la tête voilée et des tenues qui s’éloignent beaucoup des robes moulantes et décolletées qui avaient fait autant scandale dans le <em>Le Siècle Magnifique</em>.</p>
<p>En outre, les scènes d’amour et de séduction sont chastes et moins récurrentes, le contact physique entre les amoureux est réduit à des caresses ou à des câlins et les baisers sur les lèvres et la nudité sont bannis.</p>
<p>Ertuğrul et Abdülhamid sont des modèles de dévotion religieuse, ainsi que des héros tout-puissants. Ils incarnent une <a href="https://www.cairn.info/magazine-sciences-humaines-2011-11-page-29.html">masculinité basée sur la force physique</a> et sur la résilience dans le cas du premier et sur la sagesse et l’habileté à inventer des stratagèmes pour défaire les ennemis dans le cas du second.</p>
<p>Dans <em>Diriliş…</em> et <em>Payitaht…</em>, les femmes sont reléguées à des rôles plus marginaux : les intrigues basées sur leur rivalité au sein du harem existent, mais elles ne sont pas prépondérantes et sont fréquemment éclipsées par les scènes politiques et militaires dominées par les hommes. En outre, les deux séries insistent sur l’importance, pour les femmes des héros, de la maternité et du mariage comme marqueurs de féminité ainsi que sur l’importance de savoir rester à sa place et d’éviter de se mêler des affaires politiques.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/9gtwcqYE5jU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Tout comme la capitale est très importante pour l’État, les voiles de nos femmes sont tout aussi importants pour elles. ».</span></figcaption>
</figure>
<p>Et s’il arrive qu’une femme dépasse les bornes, un homme n’est jamais loin pour la remettre à sa place (même en la frappant dans le cas de <em>Diriliş…</em> – épisode 23), en lui rappelant que de telles attitudes sont une menace pour le salut de la communauté.</p>
<p>Ainsi, les deux séries alimentent un discours patriarcal qui intime aux femmes d’être des épouses et des filles discrètes, engagées dans des activités « typiquement » féminines (s’occuper du foyer ou du harem, les activités caritatives, la filature et le tissage) et conscientes de leur rôle au sein du couple et de la communauté.</p>
<h2>Des séries inspirantes… pour le gouvernement</h2>
<p>Malgré des scènes où l’on voit la mère d’Ertuğrul, Hayme, et l’épouse d’Abdülhamid, Bidar, tenir un rôle d’autorité suite à l’absence exceptionnelle, et très courte, du leader masculin, les personnages féminins arrivent rarement à s’imposer sur les hommes dans <em>Diriliş…</em> et <em>Payitaht…</em>.</p>
<p>Les séries en costume turques ont été principalement étudiées en fonction de leur valeur historique et de leur rapport avec le gouvernement d’Ankara : néanmoins, les critiques déclenchées par la diffusion du <em>Siècle Magnifique</em> évoquées précédemment et la manière dont le masculin et le féminin sont articulés au sein des séries phare de l’AKP prouvent que les questions de genre sont un prisme d’analyse également valide pour en saisir les enjeux politiques et sociaux.</p>
<p>À la différence de séries turques plus récentes produites par Netflix (<em>Atiye</em>, <em>Ethos</em>, <em>Fatma</em>), qui se lancent, elles, dans la création d’héroïnes intrépides qui contestent le système patriarcal et de personnages masculins vulnérables, les séries historiques diffusées par la chaîne étatique accordent une place d’honneur à des hommes aux traits historiques discutables transformés en de véritables héros et porteurs d’un type de masculinité nationaliste et religieuse servant à inspirer les partisans du gouvernement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168398/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ludovica Tua ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Succès internationaux, les séries turques en costume sont autant un outil de propagande manié par Erdoğan et l’AKP pour défendre leur vision de la nation qu’un miroir de leurs conceptions sociétales.Ludovica Tua, Doctorante en co-tutelle à l'Université Toulouse 2 Jean Jaurès, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1542882021-02-01T19:42:36Z2021-02-01T19:42:36ZLes Moso, cette minorité chinoise qui fait la part belle aux femmes<p>Ce 2 février, dans une série intitulée <em>Terres de femmes</em>, la chaîne Arte diffusera à 15h35 un <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/084691-002-A/terres-de-femmes/">documentaire</a> sur les Moso, aussi nommés Na. Dans les montagnes du Sichuan, Lizajui est l’un des derniers villages qui perpétuent leurs coutumes. Le film suit le quotidien de Naka, qui n’a que dix-huit ans. Deviendra-t-elle, suivant la tradition, la cheffe de sa lignée, <em>la dape</em> ou réalisera-t-elle son rêve de danser dans une troupe folklorique de la zone touristique qui se développe à quelques kilomètres de son village autrefois coupé du monde ?</p>
<p>Ce récit faussement anecdotique pose d’abord une question anthropologique. Cette minorité d’environ 30 000 individus – à laquelle Arte a déjà consacré un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lrefyzPPAFk">documentaire</a> il y a quelques années – est peu connue du monde occidental. Divers auteurs des dynasties Yuan et Ming (du XIII<sup>e</sup> au XVII<sup>e</sup> siècles) s’étonnaient déjà de leurs coutumes, également mentionnées par Marco Polo. Elles ont été étudiées à partir du milieu du XX<sup>e</sup> siècle surtout par des anthropologues chinois, notamment le <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/social-anthropology/article/abs/society-without-fathers-or-husbands-the-na-of-china-by-cai-hua-translated-by-asti-hustvedt-2001-new-york-zone-books-505-pp-pb-3300-isbn-1-890-951-1129/D80C721BB877A00B759947CD0D1CD54B">professeur Cai Hua</a>, qui a fait ses études à Paris et enseigne maintenant à Pékin. Un récent <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2019/10/11/les-societes-matriarcales-d-heide-goettner-abendroth-la-ou-le-pouvoir-est-aux-femmes_6015065_3260.html">ouvrage</a> de Heide Goettner Abendroth les signale également parmi les sociétés matriarcales existant encore dans le monde.</p>
<h2>Comprendre le système matrilinéaire des Moso</h2>
<p>Le terme <a href="https://www.cairn.info/les-grands-mythes--9782361064358-page-113.htm">matriarcal</a> est à vrai dire impropre pour définir la société Moso, dans la mesure où il serait le symétrique inverse du <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2011-2-page-103.htm">patriarcat</a>. Mieux vaudrait parler de société <a href="https://www.cairn.info/revue-le-divan-familial-2012-2-page-171.htm?contenu=resume">matristique</a>, un terme moins ambigu que celui de matriarcat. En effet, des sociétés où les femmes domineraient structurellement les hommes n’ont jamais existé. </p>
<p>En revanche, il en existe beaucoup dans lesquelles femmes et hommes se trouvent sur un pied relatif d’égalité : <a href="https://www.pointculture.be/magazine/articles/focus/les-minang-plus-grande-societe-matriarcale-du-monde/">Minangkabau</a> en Indonésie, <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/en-inde-chez-les-khasis-societe-matriarcale-les-hommes-reclament-l-egalite-210823">Khasi</a> en Inde, <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv9hj9pb.26">Ainu</a> au Japon, <a href="https://www.cairn.info/anthropologie-et-psychanalyse--9782130523772-page-97.htm">Trobriandais</a> en Mélanésie, <a href="https://matricien.wordpress.com/geo-hist-matriarcat/amerique-sud/arawak/">Arawak</a> en Amérique du Sud ; <a href="https://www.actu-congo.com/origines-dune-societe-matriarcale-rdc/">Bantous</a> en Afrique centrale, <a href="https://muse.jhu.edu/article/362961">Iroquois</a> en Amérique du Nord, <a href="https://esmaparis1.com/2018/04/01/les-societes-matriarcales-en-afrique/">Akan</a> en Afrique de l’Ouest, <a href="https://azititou.wordpress.com/2012/10/19/les-femmes-touaregues/">Touaregs</a> en Afrique du Nord…</p>
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<p>Les Han sont l’ethnie dominante en Chine. Or, leur système est patriarcal, comme le nôtre jusqu’à une date récente. Dans un système matrilinéaire comme celui des Moso et des sociétés matristiques, le plus proche parent mâle d’un enfant est non pas le mari de sa mère ou son père biologique, mais son oncle maternel. C’est lui qui est le père social de l’enfant. À sa naissance, un enfant fait automatiquement partie du groupe de sa mère. Ceux qui ont le même ancêtre féminin résident sous le même toit à chaque génération. Le terme de famille ne recouvre donc pas les mêmes réalités et diffère donc de la « famille nucléaire ».</p>
<h2>Mariage et sexualité chez les Moso</h2>
<p>D’autre part, le mariage n’est pas le mode de relation matrimonial le plus répandu chez les Moso. Il y en a plusieurs, plus ou moins complexes. Mais le plus répandu est celui de la visite furtive (<em>nana sésé</em>). Après avoir recueilli son consentement (de nos jours souvent au cinéma), un homme se rend tard dans la nuit dans la chambre d’une femme et la quitte à l’aube pour regagner son domicile (une femme peut recevoir deux ou trois visiteurs par nuit). Ce n’est jamais la femme qui rend visite à l’homme. Chaque femme peut avoir plusieurs partenaires ; c’est également le cas de l’homme. Des deux côtés, la beauté physique et la jeunesse sont des critères de choix déterminants. Cette relation est strictement privée, uniquement sentimentale, amoureuse et/ou sexuelle. Elle peut durer une nuit ou plusieurs années. La rupture est facile : il suffit de le dire à son partenaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Free Love | National Geographic.</span></figcaption>
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<p>Cela n’a rien à voir avec la prostitution : il n’y a pas d’échange d’argent. D’autre part, chaque partenaire est soumis à une stricte obligation de discrétion : rien à voir non plus avec la débauche. Les observateurs extérieurs se sont régulièrement étonnés de l’absence de jalousie entre les différents partenaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"802824288457916416"}"></div></p>
<p>Pour les Moso, il faut obéir avant tout à ses sentiments et à son attirance. La notion d’un engagement à long terme est très difficile à admettre, car les sentiments et l’attirance changent. Le serment de fidélité est honteux : c’est un négoce, un échange qui n’est pas conforme aux coutumes. Aucune relation sexuelle ne peut mener les amants à se promettre le monopole de la sexualité. La sexualité n’implique aucune contrainte mutuelle. C’est donc aussi une autre conception de la moralité.</p>
<h2>Des pratiques culturelles réprimées</h2>
<p>Ces données anthropologiques ont donné lieu à des problèmes politiques : selon <a href="https://www.cairn.info/marco-polo--9782262039585-page-157.htm">Marco Polo</a>, déjà le grand Khan avait interdit ces coutumes qui lui semblaient immorales. Une fois arrivés au pouvoir, les communistes chinois s’efforcent de mettre fin à certaines coutumes très répandues en Chine et jugées barbares, comme les pieds bandés ou les mariages arrangés, ce qu’il est difficile de leur reprocher. Les premières mesures contre les coutumes des Moso commencent avec la <a href="https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2016-4-page-138.htm">réforme agraire</a>, en 1956.</p>
<p>En 1958, lors du Grand bond en avant, le gouvernement local de la province du Yunnan* se prononce en faveur de la supériorité de la monogamie socialiste par rapport aux visites furtives. Les répressions s’intensifient avec la <a href="https://www.liberation.fr/planete/1996/05/16/il-y-a-trente-ans-la-revolution-culturelle-ces-trois-ans-de-violence-1966-1969-ont-laisse-une-cicatr_171490">Révolution culturelle</a> en 1966. Mao Zedong incite les Chinois à balayer les « Quatre vieilleries » : <a href="https://www.scienceshumaines.com/le-grand-desordre-chinois_fr_24291.html">anciennes coutumes</a>, anciennes habitudes, ancienne moralité et ancienne culture. Il lance des campagnes contre <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1974/06/15/i-pi-lin-pi-kong_2542083_1819218.html">Confucius</a>, aujourd’hui remis à l’honneur.</p>
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<p>La répression diminue à partir des années 1980. Mais, dans la pratique, les Moso ont toujours continué à observer les vieilles coutumes, avec plus ou moins d’intensité et de discrétion. Aujourd’hui, elles existent toujours bien qu’en diminution, même si la tentation est réelle pour les Moso de devenir une sorte d’<a href="https://www.erudit.org/en/journals/as/1900-v1-n1-as374/000232ar/">attraction touristique</a> : cela leur rapporte de l’argent. Environ 500 000 touristes chinois visitent les Moso chaque année et leur achètent les produits de leur artisanat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154288/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Norbert Rouland ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les Moso, ou Na, une minorité de quelque 30 000 individus résidant dans le sud-ouest de la Chine, fascine par un système social souvent qualifié de matriarcal.Norbert Rouland, Professeur de droit. Ancien membre de l'Institut universitaire de France (Chaire anthropologie juridique), professeur émérite, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1532362021-01-20T20:12:37Z2021-01-20T20:12:37ZFemmes au foyer et fières de l’être : féministes ou « réac » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/379288/original/file-20210118-15-117qipz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C32%2C1196%2C765&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Passer du temps chez soi avec ses enfants ou seule: une autre façon de reprendre contrôle sur sa vie ? </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/783773">pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Récemment les <a href="https://www.courrierinternational.com/article/le-mot-du-jour-tradwife-ces-femmes-qui-pronent-le-retour-de-la-femme-au-foyer-traditionnelle">réseaux sociaux</a> ont mis en avant la notion de <a href="https://www.dailymail.co.uk/femail/article-7920179/Tradwife-admits-pretended-feminist-outside-world-meeting-husband.html">« tradwives »</a> femmes traditionnelles en français, expression aussi apparue dans la <a href="https://www.telegraph.co.uk/women/life/proud-tradwife-dont-regret-paid-wife-bonus-husband/">presse anglo-saxonne</a>.</p>
<p>Elle désigne des femmes qui choisissent, malgré leur(s) diplôme(s), de renoncer à leur emploi et de <a href="https://fr.style.yahoo.com/nous-avons-rencontre-des-tradwives-fieres-detre-femmes-au-foyer-et-devouees-a-leur-conjoint-132302002.html">rester au foyer</a>.</p>
<p>En réifiant ces comportements et en les assimilant à une idéologie anti-moderniste (<a href="https://www.theguardian.com/fashion/2020/jan/27/tradwives-new-trend-submissive-women-dark-heart-history">retour à la tradition</a>) et <a href="https://www.terrafemina.com/article/-tradwife-le-mouvement-reac-des-femmes-au-foyer-parfaites_a352141/1">anti-féministe</a> (contre la libération de la femme), une analyse trop hâtive risque de considérer ces comportements comme autant d’actes étranges et irrationnels dictés par une soumission automatique aux hommes.</p>
<p>Or, certains d’entre eux ne peuvent-ils être motivés par des choix complètement rationnels et motivés par une autre conception féministe de la vie ?</p>
<h2>Un voile de suspicion</h2>
<p>La presse qui traite de ces nouveaux modes de vie adopte jusqu’ici une perspective critique, visant à dévoiler les motifs – a priori irrationnels – de ces femmes, leurs souffrances, et la signification rétrograde de leur comportement.</p>
<p>Le phénomène est présenté comme un mouvement anti-féministe, voire même <a href="https://www.opendemocracy.net/en/countering-radical-right/tradwives-sexism-gateway-white-supremacy/">d’extrême droite</a>, valorisant le retour au foyer de fashionistas dévouées à la lessive, à l’époussetage et à la cuisine dans le seul but de plaire à leurs maris.</p>
<p>Les réseaux sociaux favorisent la visibilité de cette attitude en offrant un espace de témoignage pour les <a href="https://www.ladn.eu/nouveaux-usages/usages-par-genre/tradwife-femmes-foyer-cuisine-mari/">tradwives blogueuses</a> rassemblées sous la bannière du <a href="https://twitter.com/hashtag/tradwife?lang=en">hashtag</a>.</p>
<p></p>
<p>Si anachroniques qu’ils puissent paraître, ces comportements s’inscrivent-ils tous dans un seul et même courant visant à détricoter les acquis d’une société moderne enfin libérée ? Le discours médiatique critique n’oublie-t-il pas de comprendre certaines raisons pouvant présider à des comportements hétérogènes ?</p>
<h2>Une réaction générationnelle</h2>
<p>Les femmes d’aujourd’hui sont les héritières d’un réel mouvement de libération sexuelle et professionnelle opéré entre les années 1970 et 1990. Elles connaissent depuis lors un meilleur accès aux emplois jusqu’alors réservés aux hommes : avocat·e·s, médecins, journalistes, architectes, ingénieur·e·s, élu·e·s politiques, professeur·e·s d’université, électricien·ne·s, fermières etc.</p>
<p>Les femmes des années 1970 et 1990 ont connu la croissance et la <a href="https://books.google.be/books?hl=en&lr=&id=oeLjvqx4WTUC&oi=fnd&pg=PA95&dq=Ir%8Fne+th%8Ery">mutation des modèles familiaux</a>. Plusieurs recherches prenant en exemple des femmes <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/e/9781315201245">italiennes</a> et <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2017-1-page-71.htm">suédoises</a> ont ainsi montré comment certaines privilégiaient leur carrière à la maternité, par désir ou nécessité.</p>
<p>Et si ces deux générations post-baby-boomers constituent un modèle pour les femmes d’aujourd’hui, on observe que certaines d’entre elles donnent désormais la <a href="https://theconversation.com/tradwives-the-women-looking-for-a-simpler-past-but-grounded-in-the-neoliberal-present-130968">priorité à leur vie familiale</a>. S’opposent-elles par-là aux générations précédentes qui ont libéré leur accès au travail ?</p>
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<figcaption><span class="caption">50 ans du MLF, INA.</span></figcaption>
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<p>Aujourd’hui, les configurations conjugales et du couple ont évolué, avec nombre de couples recomposés et de familles mono-parentales. Mais contrairement a ce qu’on pourrait croire, ces changements de modèles familiaux et l’accès libéré au monde du travail n’ont pas diminué l’importance primaire que les femmes (et les hommes) accordent à la famille dans leurs priorités de vie, comme le montrent des <a href="https://repositorio.iscte-iul.pt/bitstream/10071/4517/1/TrilogiaCIES03Ingles-MDG1.pdf">études européennes</a>.</p>
<p>D’ailleurs, on peut supposer que le choix de rester au foyer – posé par des femmes mais aussi par des hommes – est négocié au sein du couple, où la domination du <a href="https://www.researchgate.net/publication/236713262_Changing_Attitudes_toward_the_Male_Breadwinner_Female_Homemaker_Family_Model_Influences_of_Women%27s_Employment_and_Education_over_the_Lifecourse">« breadwinner »</a> n’est plus systématique, comme cela a davantage pu être le cas par le passé (l’homme qui soutenait la famille en termes économiques).</p>
<h2>Des carrières vécues différemment</h2>
<p>Les périodes d’engagements professionnels sont également plus courtes : on ne parle plus de carrière continue et linéaire et les contrats de travail sont de plus en plus flexibles, voire précaires.</p>
<p>Ces durées entre deux contrats de travail ou durant une reconversion professionnelle peuvent aussi être des périodes au foyer que certaines femmes (et hommes) peuvent vivre de manières différentes ; comme une période de reconstruction identitaire ou un <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-internationaux-de-sociologie-2005-2-page-311.htm">« turning point »</a> (un moment décisif dans la vie de basculement vers autre chose) autant pour la vie professionnelle que personnelle.</p>
<p>De plus, les femmes ont peut-être un maigre et rare privilège par rapport à leurs homologues masculins : leurs congés parentaux ne subissent pas la pression des <a href="https://www.persee.fr/doc/caf_2431-4501_2016_num_122_1_3163?pageid=t7_76">stéréotypes masculins</a> qui continuent de persister. Prendre un congé parental ou de paternité reste encore un tabou dans un monde du travail vorace.</p>
<h2>Le refus de participer à des organisations voraces</h2>
<p>Aujourd’hui, les étudiantes sont majoritaires sur les bancs des <a href="https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/9540ffa1-4478-11e9-a8ed-01aa75ed71a1">universités européennes</a>. Mais une fois dans l’emploi, on observe la permanence <a href="https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal%3A209191/datastream/PDF_01/view">d’un plafond de verre et d’un « sol gluant</a> ». Cela signifie que de nombreuses femmes ne parviennent pas à gravir les échelons hiérarchiques et restent figées dans des statuts précaires et dans des emplois peu valorisés.</p>
<p>Elles peuvent donc accéder aux métiers hautement qualifiés, mais sont souvent pénalisées en termes de <a href="https://www.rtbf.be/info/economie/detail_egalite-hommes-femmes-dans-le-milieu-professionnel-les-promotions-toujours-un-peu-plus-destinees-aux-hommes?id=10673175">promotion</a>, de statut et de responsabilité. Nombreuses sont celles qui font face à divers obstacles en matière d’intégration dans leurs unités de travail et à une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0001839219832310">surcharge de travail accrue</a>.</p>
<p>Malgré les progrès forgés par les générations précédentes, le monde de travail reste encore fortement marqué par une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1474904117701143">logique masculine</a>. Et nombre d’hommes souffrent aussi de cette surcharge de travail à l’heure où la technologie et le télétravail brouillent la frontière entre vie privée et vie <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1474904117701143">professionnelle</a>.</p>
<p>Les travailleurs sont désormais tenus d’être joignables en tout temps et en tout lieu, de <a href="https://www.cairn.info/revue-negociations-2016-1-page-119.htm">répondre</a> en temps réel aux <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/acceleration-9782707154828">accélérations</a> des projets et aux ordres des clients et des actionnaires.</p>
<p>La <a href="https://www.lalibre.be/debats/opinions/l-ideologie-mobilitaire-51b8ba99e4b0de6db9bb09be">mobilité</a> est aussi devenue une norme exigeante.</p>
<p>L’expérience du travail peut alors entrer en tension avec diverses expériences familiales et personnelles (repos, jeunes enfants, parents âgés, proches souffrants, temps libre, etc.) et mener à des <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/souffrance-en-france-la-banalisation-de-l-injustice-sociale-christophe-dejours/9782020323468">souffrances</a> telles que le burn-out, <a href="https://www.rts.ch/info/economie/9972629-les-bullshit-jobs-le-brownout-ou-quand-le-travail-perd-tout-son-sens.html">brown out</a> (quand le travail perd son sens) etc. D’autant plus lorsque règnent sans partage les normes capitalistes de <a href="http://www.sciencepublishinggroup.com/journal/paperinfo?journalid=323&doi=10.11648/j.ash.20200602.13">productivité et d’omniprésence</a>.</p>
<h2>Une manière de dire non aux normes socio-économiques dominantes</h2>
<p>Si de plus en plus de femmes reviennent – temporairement au moins – au foyer, ne peut-on y voir un signe d’insatisfaction et de <a href="https://www.scienceshumaines.com/defection-et-prise-de-parole_fr_13077.html">défection</a> face aux normes socio-économiques dominantes, où la vie privée ne doit être qu’une variable d’ajustement ?</p>
<p>Par exemple, certaines femmes ayant quitté le monde universitaire indiquent avoir choisi de fuir des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/03612759.1974.9946454">institutions voraces</a> qui exigent un engagement exclusif au travail, empiétant sur la vie de couple et de famille, le temps de loisirs et de qualité.</p>
<p>Là où des emplois à temps partiels (<a href="http://www.epsilon.insee.fr/jspui/bitstream/1/3517/1/2002.02-08.2.pdf">réels et pas fictifs</a>) sont accessibles pour les femmes des classes moyennes et supérieures, une conciliation satisfaisante semble envisageable.</p>
<p>Ceci invite à considérer le retour au foyer comme un privilège réservé à celles qui peuvent se l’offrir… Notons par ailleurs que <a href="https://www.researchgate.net/profile/Andrea_Doucet/publication/242366828_It%E2%80%99s_Almost_Like_I_Have_a_Job_but_I_Don%E2%80%99t_Get_Paid_Fathers_at_Home_Reconfiguring_Work_Care_and_Masculinity/links/02e7e52a132277ff19000000.pdf">certains hommes</a> opèrent des choix similaires, mais sans les exposer sur le web.</p>
<h2>« Exit » et « Care » : deux attitudes critiques ?</h2>
<p>Que certaines femmes – et certains hommes – accordent la priorité à leur vie de famille et au <a href="https://journals.openedition.org/interventionseconomiques/2517">« care »</a> constitue-t-il systématiquement un frein à leur épanouissement personnel et à leur pouvoir d’achat ? Certains de ces choix ne peuvent-ils être appréhendés comme une critique de la modernité avancée ?</p>
<p>Nous supposons qu’il existe une diversité d’expériences qui s’accommodent mal des stéréotypes et des hashtag réifiants de « tradwives ». Pour éviter de tomber dans le piège de la victimisation de ces femmes, pourquoi ne pas postuler que leurs choix sont le plus souvent collectifs et proposés par des individus intelligent·e·s et stratégiques ?</p>
<p>Certaines femmes posent ce choix pour une variété de raisons. Certaines pour sortir (<em>exit</em>) d’un monde du travail trop vorace qui les obligerait à sacrifier leur vie privée et parentalité. D’autres pour favoriser une réorientation professionnelle ou individuelle, permettant de passer aussi plus de temps au foyer.</p>
<p>Mais ces choix politiques restent associés à la fois à un privilège probablement réservé à la classe moyenne ou supérieure, en nécessitant des revenus alternatifs (travail à temps partiel, <a href="https://www.rtbf.be/info/economie/detail_coronavirus-la-popularite-du-teletravail-a-augmente-de-50 ?id=10606478">télétravail</a>, épargne, ou revenu partagé en couple), et à un monde de travail inadapté aux besoins familiaux et personnels. Des études scientifiques qui associeraient ces dimensions pour creuser la question de ce choix du retour au foyer sont nécessaires.</p>
<p>La prudence invite à ne pas généraliser les craintes relatives à ces choix de vie, tout en essayant de saisir la dimension critique des choix étudiés. En outre, ne poser le regard que sur les femmes sortant de la vie professionnelle constitue une problématisation genrée, ce qui va à l’encontre d’un regard féministe et critique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153236/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Farah Dubois-Shaik ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une analyse trop hâtive du phénomène des « néo » ménagères risque-t-elle de rater les raisons profondes de choix de vie aussi rationnels que politiques ?Farah Dubois-Shaik, Sociologue du genre, de l'éducation et de la diversité, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1474942020-10-13T18:11:23Z2020-10-13T18:11:23Z« Dette de sexe » : pourquoi les femmes se sentent parfois obligées d’accepter des rapports non désirés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/362226/original/file-20201007-22-1x43u3q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=55%2C40%2C3289%2C2187&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les assignations et rôles de genre contraignent souvent les femmes à accepter les 'faveurs' ou propositions d'hommes sans avoir vraiment envie de s'engager dans un échange sexuel.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/restaurant-homme-costume-barre-4694280/">cottonbro/pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Un homme qui paye un verre ou un repas à une femme, ou lui offre l’hébergement à la suite d’une sortie en discothèque, a-t-il forcément des attentes sexuelles ? C’est en tout cas ce que pensent les jeunes femmes rencontrées dans le cadre d’une <a href="http://www.hets-fr.ch/fr/recherche/projets/projets-termines">recherche menée en Suisse sur les transactions sexuelles</a>, c’est-à-dire, des expériences d’ordre sexuel associées à un échange financier, matériel et/ou symbolique.</p>
<p>Face à de telles attentions, elles sont plusieurs à avoir parfois consenti à s’engager dans des expériences sexuelles (baisers, caresses, sexe oral, relation sexuelle) avec des hommes sans forcément en avoir envie, mais par sentiment de redevabilité. Ce sentiment de redevabilité a également été exprimé par quelques jeunes hommes dans le cadre de relations homosexuelles.</p>
<p>Dans cet article nous faisons cependant le choix de nous concentrer sur les relations hétérosexuelles, où cette logique est ressortie de façon plus marquée.</p>
<p>Les jeunes femmes rencontrées expliquent que, si elles ont accepté, ce n’est pas parce qu’elles n’arrivent pas à dire non, mais parce qu’elles auraient dû se douter qu’en acceptant ces faveurs, elles créeraient des attentes sexuelles chez eux.</p>
<h2>Des hommes toujours désirants et des femmes toujours sexuellement disponibles ?</h2>
<p>La sexualité, comme d’autres pratiques sociales, peut être comprise comme un espace où les rapports de sexe <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2013-1-page-93.htm">se matérialisent</a>.</p>
<p>Si les jeunes femmes interrogées se sentent davantage redevables de sexe que les jeunes hommes, c’est qu’elles et ils sont soumis à des attentes de comportements lié un système de représentations binaires de la sexualité appelé « l’hétéronormativité ».</p>
<p>Dans ce système, le sexe correspond au genre et l’<a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-trouble_dans_le_genre-9782707150189.html">hétérosexualité est la norme</a>.</p>
<p>Dans cette logique, les rôles sexuels des hommes et des femmes sont compris comme étant différents et complémentaires : la sexualité masculine est caractérisée par l’assertivité, la performance sexuelle, la virilité et le désir sexuel associé aux besoins physiologiques. La sexualité féminine, d’ordre relationnel, est liée à <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Enquete_sur_la_sexualite_en_France-9782707154293.html">l’affectivité et à la conjugalité</a>.</p>
<p>Plusieurs études montrent que ces représentations sont profondément encore aujourd’hui majoritaires dans nos sociétés.</p>
<p>Selon une <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Enquete_sur_la_sexualite_en_France-9782707154293.html">enquête française</a>, 73 % des femmes et 59 % des hommes français adhèrent à la croyance selon laquelle « par nature, les hommes ont plus de besoins sexuels que les femmes ». Toujours selon cette enquête, cette croyance a des incidences sur les pratiques sexuelles des femmes qui reconnaissent accepter davantage d’avoir des rapports sexuels sans en avoir envie.</p>
<p>Une recherche menée en Suisse auprès de jeunes âgé·e·s de 26 ans en moyenne révèle que 53 % des femmes interrogées ont accepté des relations sexuelles <a href="https://www.iumsp.ch/Publications/pdf/rds291_fr.pdf">sans désir</a>.</p>
<h2>Des « dettes » de sexes</h2>
<p>Les résultats de notre étude vont dans le même sens et mettent en exergue que l’ordre hétéronormatif engendre ce qu’on peut appeler des <a href="https://www.cairn.info/revue-journal-des-anthropologues-2019-1-page-197.htm">« dettes de sexe »</a>.</p>
<p>Du côté des jeunes femmes, nos analyses montrent que si elles se retrouvent plus souvent que les jeunes hommes à accepter des transactions sexuelles non-souhaitées, c’est parce que dans « l’ordre du genre », la sexualité féminine est posée comme une « dette de sexe » qui les amène à se sentir redevables face aux attentes sexuelles des hommes.</p>
<p>Or, en consentant à des transactions sexuelles sans forcément le désirer, les femmes confirment aux hommes leur propre « dette de sexe », qui est celle d’assurer une sexualité assertive, déterminée et désirante, et qui les amène parfois à faire preuve d’un (apparent) détachement face aux demandes des femmes.</p>
<p>Ainsi, femmes et hommes se rejoignent dans la complémentarité de leurs « dettes de sexe », mais dans un rapport hiérarchisé : les femmes pensent ne pas avoir d’autre choix que d’offrir leur sexualité en réponse aux attentes présumées des hommes, auxquels elles confirment qu’ils n’ont pas d’autre choix que de se montrer désirants, disponibles sexuellement et performants.</p>
<p>De ce fait, elles et ils reproduisent, sans forcément le vouloir, l’<a href="https://www.armand-colin.com/les-jeunes-et-lamour-dans-les-cites-9782200351151">« ordre du genre »</a>.</p>
<h2>Le consentement : un processus de négociation</h2>
<p>Les expériences sexuelles s’inscrivent dans un rapport de négociation réciproque où, selon la situation, tout n’est pas joué d’avance. Dans le cas que nous analysons, les jeunes conservent une certaine liberté, qui leur permet de négocier la suite de la transaction, malgré le sentiment de redevabilité qui peut intervenir.</p>
<p>Notamment, certaines jeunes femmes ont affirmé trouver quelques avantages à ces relations sexuelles non désirées, qui peuvent être d’ordre matériel (hébergement, nourriture, etc.) et/ou symbolique (sentiment de reconnaissance, protection, etc.). D’autres jeunes femmes refusent de se conformer aux attentes liées à leur genre et adoptent des comportements plutôt associés au genre masculin, en se montrant par exemple assertives à la fois sur le plan verbal et dans l’attitude ou encore en exprimant clairement leurs limites et en laissant peu de place à l’implicite et aux malentendus.</p>
<p>Ces stratégies n’ont toutefois souvent qu’un effet limité, car elles consistent à changer le comportement des femmes, sans remettre en question l’ordre hétérosexuel au sein duquel prennent place ces comportements.</p>
<p>Ces résultats montrent que le consentement sexuel est un processus complexe qui ne se réduit pas à dire « oui » ou « non » et que « accepter » ne signifie pas forcément « avoir envie ».</p>
<p>Ainsi, le sentiment de redevabilité est révélateur des logiques associées à un « ordre de genre » fondé sur l’hétéronormativité. Cela étant,le consentement sexuel ne relève pas de la seule responsabilité individuelle, notamment celle des femmes, d’affirmer ses droits. Nos conclusions invitent à comprendre le consentement sexuel comme un processus de négociation, entre conformité aux normes de genre et capacité de négocier des individus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147494/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myrian Carbajal receives funding from Oak Foundation.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Annamaria Colombo receives funding from Oak Foundation.</span></em></p>Une recherche récente montre que de nombreuses jeunes femmes consentent à un échange sexuel non par envie mais par sentiment de redevabilité.Myrian Carbajal, Professeure, Haute école du travail social , Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)Annamaria Colombo, Professeure, Haute école de travail social Fribourg, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1442432020-10-01T18:51:42Z2020-10-01T18:51:42ZLe supermarché, improbable lieu de pouvoir des Marocaines<p>Pour bon nombre de Françaises et femmes occidentales, faire ses courses au supermarché relève d’une <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/la-charge-mentale-le-syndrome-des-femmes-epuisees-d-avoir-a-penser-a-tout_1906874.html">charge mentale</a> venant s’ajouter aux nombreuses tâches domestiques qui égrenent leurs journées. Pourtant de l’autre côté de la Méditerranée, certaines femmes perçoivent cette activité peu valorisante comme un levier vers plus d’égalité entre les genres et plus de pouvoir au sein de leurs familles.</p>
<p>Au Maroc comme dans nombre de pays arabo-musulmans, les courses ménagères, <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Le_Sens_pratique-1955-1-1-0-1.html">activité importante</a>, incombent <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1470-6431.2012.01135.x">à l’homme</a>.</p>
<p>Traditionnellement, ce dernier se rend dans l’un des quelques milliers de souks <a href="https://www.jstor.org/stable/1816656">marchés hebdomadaires</a> qui constituent une institution puissante du paysage patriarcal marocain.</p>
<p>Dans le Maroc contemporain, les marchés traditionnels et les commerces de proximité couvrent 90 % du commerce de détail alimentaire. Ils sont importants dans la vie des foyers puisque les courses ménagères comptent pour <a href="https://www.hcp.ma/Etude-sur-les-classes-moyennes-au-Maroc_a780.html">80 % des dépenses d’un foyer</a>. Or, ces espaces restent <a href="https://www.upenn.edu/pennpress/book/998.html">dominés par les hommes</a>.</p>
<p>Certaines femmes se rendent cependant dans les magasins de proximité jouxtant leurs domiciles, mais il s’agit principalement de courses de dépannage. <a href="http://ourahou.e-monsite.com/medias/files/valeura474pages.pdf">62 % des Marocains</a> pensent que les hommes sont les principaux responsables des achats du foyer. Aujourd’hui encore, les hommes se chargent des <a href="https://aujourdhui.ma/societe/le-confinement-bouleverse-les-habitudes-des-menages">« grandes courses »</a>.</p>
<p>Au tournant des années 2000, l’arrivée des supermarchés a changé de manière graduelle l’ordre familial et conjugal traditionnel <a href="https://www.hcp.ma/attachment/480863/">dans un pays où 80 % des femmes sont « femmes au foyer »</a>. Certes, les femmes les plus éduquées appartenant aux classes aisées aiment promouvoir l’image d’une femme indépendante qui jouit d’une liberté de choix. Mais ces femmes ne représentent que <a href="https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/29498">1,8 % des femmes marocaines</a>.</p>
<p>Dans la culture marocaine, les femmes plus âgées bénéficient d’une certaine autorité. Les autres ont plus de peine à trouver leur place dans la société.</p>
<p>Ainsi, quand la première chaîne de supermarchés, Acima, ouvrait ses portes à Casablanca en 2002, les femmes voient dans ces nouveaux points de vente une opportunité pour s’investir dans les courses ménagères et, comme nous l’indiquons dans notre étude récente, doucement <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0276146720939170;https://digitalcommons.uri.edu/mgdr/vol3/iss2/2/">changer la répartition des tâches au sein du couple</a>. Les femmes acquièrent de nouvelles compétences pour faire leurs courses, et prennent confiance en leurs capacités.</p>
<h2>Développer de nouvelles compétences</h2>
<p>Ces supermarchés deviennent rapidement un espace que les femmes préfèrent aux marchés urbains et aux petits commerces de proximité. Elles y trouvent un accès facile aux produits grâce au libre service, et une propreté qui leur manquait souvent dans les petits commerces traditionnels. Les hommes voient dans les supermarchés un endroit sécurisé pour « leurs » femmes.</p>
<p>Mais, faire ses courses en supermarché est difficile pour toute personne qui n’a pas été habituée à cette activité pendant son enfance. Lakbira, une quadragénaire de Casablanca se souvient :</p>
<blockquote>
<p>« Mon mari m’amenait au supermarché. Il me montrait tout et les prix. Il me disait si c’était cher ou pas. Il m’a amenée plusieurs fois. Après, je me sentais plus à l’aise et j’ai commencé à y aller toute seule. »</p>
</blockquote>
<p>Petit à petit, Lakbira, comme de nombreuses femmes, est allée seule dans les supermarchés.</p>
<p>Les femmes ont développé des méthodes et compétences qui leur permettaient de respecter leur budget, ne pas oublier certains produits importants, de comprendre l’information sur les emballages ou de repérer les rayons spécialisés dans le supermarché.</p>
<p>Saïda, une jeune étudiante de droit, a trouvé une méthode pour respecter son budget. Elle commence toujours par déposer sur le tapis de la caisse les articles indispensables : « ce que l’on mange : le thé, le sucre, la farine. »</p>
<p>En fonction du montant annoncé par le caissier, elle dépose les « extras » qui gisent au fond de son caddie comme le shampoing qui « est la dernière chose qu’elle achète [quand il lui reste de l’argent] ».</p>
<p>Pour Fatima, il est indispensable de scruter l’emballage pour vérifier qu’il n’est pas endommagé. Amina lit la liste complète des ingrédients de tous les produits qu’elle dépose dans son caddie. Pour d’autres femmes, les informations sur les emballages sont difficiles à comprendre. Elles apprécient alors les produits en ouvrant les emballages, comme Aïcha qui explique « c’est l’odeur et le toucher qui me permet d’évaluer la qualité du produit » et Aziza de conclure « quand j’ouvre les paquets, je préfère… je sais ce que je ramène à la maison. »</p>
<p>En multipliant leurs visites dans les supermarchés, les femmes apprennent aussi à discerner les bonnes et mauvaises affaires. Ftouma, une femme illettrée, explique qu’une viande achetée en promotion peut mettre plus de temps à cuire qu’une viande vendue à un prix régulier. Bien qu’elle ne sache pas calculer, Ftouma a compris que la gestion d’un budget ménager devait adopter une perspective holistique des coûts.</p>
<p>Dans les supermarchés, les femmes marocaines découvrent un pouvoir de décision dans les achats du foyer, puisqu’elles gèrent un budget, et choisissent des produits.</p>
<h2>S’allier pour gagner en compétence</h2>
<p>Souvent, les femmes s’allient. Elles font les courses avec leurs meilleures amies, leurs mères ou sœurs, pour compenser certaines de leurs lacunes. Elles déchiffrent ensemble les ingrédients, ou les prix. Naima par exemple aime faire les courses avec sa sœur qui sait reconnaître les produits allégés :</p>
<blockquote>
<p>« Nous prenons les produits avec le moins de calories car nous sommes grosses toutes les deux. »</p>
</blockquote>
<p>Nadia fait les courses avec sa mère qui est illettrée. La mère choisit les produits, Nadia lit les prix. Nour achète en supermarché sous les conseils de sa mère qui reste au bout du fil pendant la durée des courses.</p>
<p>Dans ces alliances, la mère dispose de l’expérience nécessaire dans les produits. Elle a utilisé certaines marques achetées par son mari pendant plusieurs années. Maintenant, elle met à profit son expérience dans les marques qu’elle connaît. Les filles savent lire les étiquettes et calculer le montant des courses ou les réductions de prix ; ces compétences complémentent l’expérience des mères. Le duo mère-fille dispose ainsi à la fois d’expérience et de compétences en shopping.</p>
<h2>Un pas vers plus d’égalité</h2>
<p>Aujourd’hui, les femmes prennent du pouvoir dans leurs familles.</p>
<p>Dans les classes les plus modestes, les femmes vont faire les courses au supermarché, avec ou sans leurs époux. Leur pouvoir dans les achats familiaux augmente. Par exemple, Hassan avoue avoir acheté une yaourtière sous la pression de sa femme.</p>
<p>Une vaste majorité des femmes marocaines a redéfini le rôle de leur époux dans les courses ménagères. Wafaa laisse son mari au rayon hi-tech pendant qu’elle s’occupe des achats importants. Fatna laisse son mari et ses fils dormir devant la télévision pendant qu’elle va au supermarché. Si une lecture occidentale identifiait ce fait comme une charge en plus pour la femme, c’est aussi une mainmise sur une activité importante qui était attachée à l’homme.</p>
<p>Ito déclare ainsi : « Mon mari ? Il ne fait que payer à la caisse », réduisant ainsi le rôle de son époux à celui de simple payeur, et non de décideur.</p>
<p>De leur côté, les hommes semblent bien s’accommoder des courses de leurs épouses. Ils y voient un gain de temps, comme Walid un banquier ou Abdelmajid un professeur. Les tickets de caisse leur confèrent l’illusion de garder le contrôle sur les courses ménagères laquelle occupe 80 % des dépenses de leur foyer.</p>
<h2>Une nouvelle relation avec la belle-famille</h2>
<p>En faisant les courses en supermarché, les femmes marocaines redéfinissent également leurs relations avec les femmes de leurs belles-familles. Au Maroc, les <a href="https://www.upenn.edu/pennpress/book/14531.html">belles-mères et belles-sœurs</a> se font souvent le <a href="https://books.google.es/books/about/Au_del%C3%A0_de_toute_pudeur.html?id=00ahaQhbfBMC&hl=es">relais du pouvoir patriarcal</a>.</p>
<p>Au risque sinon de se voir refuser la sortie, Fatiha doit faire les courses avec sa belle-mère qui prend le rôle de chaperon, conseillère et contrôleuse des achats. Fatiha se plaint gentiment de sa belle-mère laquelle est illettrée et ne reconnaît donc pas les produits hallal (conforme à la religion musulmane).</p>
<p>D’autres femmes, plus âgées, se sont affranchies de leurs belles-familles. Elles achètent et cuisinent ce que bon leur semble comme Ghalia qui clame :</p>
<blockquote>
<p>« Au début de mon mariage, je faisais très attention [à ce que pensaient ma belle-mère et mes belles-sœurs]. J’étais jeune. Maintenant, ce m’est égal. Si mon mari est OK, cela me suffit. Le jour où il se plaindra, je changerai. »</p>
</blockquote>
<h2>Se forger une place dans sa famille et sa société</h2>
<p>À l’issue de cette recherche, nous mesurons comment les femmes marocaines se forgent ainsi doucement mais sûrement une place plus importante dans leurs familles et, de manière plus large au sein de leur société.</p>
<p>Les femmes marocaines prennent confiance en elles par leurs actions, en développant de nouvelles compétences, et en trouvant des alliées parmi leurs mères, sœurs et amies. Elles apprennent à faire des courses pour elles-mêmes, et gagner en estime de soi.</p>
<p>Des recherches supplémentaires pourraient examiner d’autres lieux tels que les centres commerciaux, les librairies, les centres sportifs, les cinémas, où les femmes pourraient développer de nouvelles compétences, et ainsi augmenter leur pouvoir dans leurs sociétés.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’appuie sur une recherche publiée dans le Journal of Macromarketing (2020) et dans le Markets, Globalization & Development Review (2018).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144243/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Lorsque faire ses courses rime avec indépendance et égalité de genre, le cas des Marocaines.Delphine Godefroit-Winkel, Professeur associé de marketing, TBS EducationLisa Peñaloza, Professor of Marketing, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1376632020-05-10T21:44:17Z2020-05-10T21:44:17ZAmérique latine : une victoire dans la lente marche vers la légalisation de l’avortement<p>Deux ans après le premier mouvement massif en faveur de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), qui s’était traduit par un rejet de la légalisation par le Sénat, les Argentines ont enfin obtenu le droit à l'avortement. </p>
<p>Le projet de loi soutenu par le président Alberto Fernandez <a href="https://www.courrierinternational.com/article/droits-des-femmes-largentine-legalise-lavortement-au-terme-dune-longue-bataille">légalisant l'IVG</a> a été approuvé avec 38 voix contre 29 dans la Chambre Haute. Le texte autorise l’IVG pendant les quatorze premières semaines de grossesse.</p>
<p>Ce sont donc des cris de joie et de soulagement qui ont retenti cette nuit en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/12/30/l-argentine-legalise-enfin-l-ivg-le-reste-de-l-amerique-latine-a-la-traine_1809910">Argentine</a>. </p>
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<figcaption><span class="caption">Le Congrès argentin adopte la loi légalisant l'avortement.</span></figcaption>
</figure>
<p>Cette victoire ne doit pas masquer pour autant la situation dans le reste de l’Amérique latine. Le sujet divise ces pays encore fortement empreints par le catholicisme et les femmes peinent toujours à faire valoir leurs droits. </p>
<h2>Des évolutions très lentes</h2>
<p>L’accès à l’avortement demeure à ce jour extrêmement inégal et légalement très restrictif. En 2017, il était ainsi totalement <a href="https://www.ined.fr/fichier/rte/41/population%202018-2/avortement_pop2018_2.pdf">interdit dans 6 pays</a> de la région (Haïti, Honduras, Nicaragua, République dominicaine, El Salvador et Suriname).</p>
<p>Il n’est totalement autorisé à la demande de la femme que dans quatre pays (Cuba, Porto Rico, Guyana et Uruguay), dans les territoires français d’outre-mer et depuis hier soir en Argentine. Les autres pays ne l’autorisent que dans des situations restrictives, c’est-à-dire pour protéger la vie de la mère (dans 10 pays) ou sa santé (seulement dans deux pays), et parfois en cas de malformation du fœtus, de viol ou d’inceste.</p>
<p>Le Mexique illustre bien l’hétérogénéité des règles en la matière, leur évolution et les discriminations d’accès qui existent. Dans ce pays fédéral, chacun des 32 États dispose d’une législation propre, définie par le code pénal. Dans l’ensemble du pays, l’avortement est en théorie autorisé en cas de viol mais, dans les faits, de nombreuses femmes se voient refuser l’accès à ce droit. Certains États mexicains l’autorisent par ailleurs pour préserver la vie et la santé de la femme ou en cas de malformation du fœtus.</p>
<p>Seuls deux États (celui de la <a href="https://elpais.com/internacional/2007/04/25/actualidad/1177452003_850215.html">ville de Mexico</a> et <a href="https://www.latimes.com/espanol/mexico/articulo/2019-09-25/en-uno-de-los-estados-mas-pobres-de-mexico-legalizan-el-aborto">l’État d’Oaxaca</a>) l’ont légalisé à la demande de la femme jusqu’à 12 semaines de grossesses. Une vingtaine d’autres ont au contraire ajouté récemment des clauses constitutionnelles protégeant le droit à la vie dès la conception, ce qui crée une confusion et une incertitude juridiques entre les dispositions de leur code pénal et leur Constitution.</p>
<p>Dans l’ensemble du sous-continent, les législations de l’avortement ont très peu évolué depuis les années 2000, et ce malgré des tentatives au Honduras, au Salvador ou en République dominicaine, à l'exception de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/12/30/en-argentine-un-vote-historique-en-faveur-de-l-avortement_6064817_3210.html">l'Argentine</a> où les femmes et le mouvement des foulards verts ont obtenu gain de cause.</p>
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<figcaption><span class="caption">L'Uruguay légalise l'avortement.</span></figcaption>
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<p>L’Uruguay, pays connu pour sa laïcité et ses avancées sociétales pionnières dans la région, a modifié sa loi pour autoriser l’avortement à la demande de la femme <a href="https://elpais.com/sociedad/2012/10/18/actualidad/1350515928_579435.html">jusqu’à 12 semaines de grossesse</a>. Les législations ont été assouplies en Colombie et à Sainte Lucie, où l’avortement n’est plus seulement possible pour sauver la vie de la femme, mais également pour des raisons de santé, et en cas de viol, inceste ou malformation du fœtus. </p>
<p>Au Chili, où l’avortement était totalement interdit de 1989 à 2017, il est <a href="https://www.minsal.cl/wp-content/uploads/2018/02/LEY_21030.pdf">désormais possible</a> pour préserver la vie de la mère, ainsi qu’en cas de viol et de malformation du fœtus. </p>
<p>Au Nicaragua, l’avortement thérapeutique a été <a href="https://www.elmundo.es/elmundosalud/2006/11/20/mujer/1164036226.html">totalement interdit en 2006</a>, alors qu’il y était auparavant légal pour des raisons médicales.</p>
<h2>Manque d'informations et fortes controverses</h2>
<p>Par ailleurs, à ces règles plus ou moins restrictives s’ajoutent d’autres obstacles auxquelles se heurtent bien souvent les femmes. Tout comme les personnels de santé, elles ne sont pas toujours bien informées des conditions de l’exercice de ce droit.</p>
<p>Elles peinent parfois à obtenir les autorisations nécessaires lorsqu’elles ont été violées ou revendiquent un avortement pour des raisons de santé. Le refus des personnels de santé reste également fréquent, certains invoquant leur droit à l’objection de conscience pour ne pas pratiquer cet acte jugé contraire à leur éthique professionnelle et à leur morale personnelle.</p>
<p>Enfin, la pression des autorités religieuses pèse lourdement sur ces femmes, leurs familles et les personnels de santé. Considérant l’avortement comme un crime, ils endurent parfois des menaces d’excommunication afin de les dissuader de pratiquer ou d’avoir une IVG.</p>
<p>Comme souvent, ces discriminations d’accès affectent plus particulièrement les jeunes femmes les moins instruites et les plus défavorisées, qui n’ont pas forcément accès à la contraception ni les ressources pour pratiquer un avortement dans un contexte d’illégalité.</p>
<p>En Amérique latine, la question de l’avortement demeure l’objet de débats et controverses virulents, <a href="https://www.ceped.org/IMG/pdf/realidades_y_falacias_lerner_guillaume_melgar.pdf">où s’affrontent des positions très polarisées</a>.</p>
<p>Les groupes favorables à la dépénalisation de l’avortement prônent le droit des femmes à disposer de leur corps, à choisir le moment de leur maternité et revendiquent un libre accès à l’avortement et à la contraception. Ce droit est considéré comme une question de justice sociale et un droit à la santé.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mu5vT69WpjI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Salvador : En prison pour fausse couche ou IVG.</span></figcaption>
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<p>De l’autre côté, les groupes opposés à sa légalisation invoquent la défense d’un droit à la vie dès la conception et la protection du non-né, sans considération pour la liberté des femmes à poursuivre ou non une grossesse non désirée. Cette position, fortement influencée par les Églises (catholique et évangélique) et les pouvoirs conservateurs, cantonne la féminité à un rôle reproductif en valorisant la maternité au risque de perpétuer un modèle de société patriarcale.</p>
<h2>Avortements illégaux et conditions sanitaires</h2>
<p>Pourtant, interdire l’avortement n’a jamais empêché les femmes d’y recourir, comme on l’a constaté dans le monde entier : dans cette région, le taux d’avortement tourne autour de 44 pour 1 000 femmes entre 15 à 44 ans. Ce même taux est inférieur à 20 pour 1 000 dans les régions où il est légal, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27179755">comme en Europe de l’Ouest ou du Nord</a>.</p>
<p>Certaines femmes contournent les restrictions d’accès en migrant vers les pays ou les États aux lois plus permissives (par exemple les <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2006-1-page-19.htm?contenu=resume">pays des Caraïbes</a> ou le <a href="https://www.ceped.org/IMG/pdf/realidades_y_falacias_lerner_guillaume_melgar.pdf">Mexique</a>), quand d’autres avortent clandestinement, soit par elles-mêmes soit en recourant à des personnes non qualifiées, dans des conditions sanitaires inadéquates. Méthodes à base de plantes, produits chimiques dangereux pour la santé, médicaments inappropriés souvent surdosés… Ces pratiques employées pour interrompre la grossesse ne sont pas sans risque pour la santé de la mère. Alors qu’un avortement pratiqué dans un cadre légal n’est pas une procédure à risques.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/R1XFBTrwuM4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Brésil, le tabou des avortements illégaux.</span></figcaption>
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<p>En Amérique latine, la méthode la plus répandue consiste à utiliser du misoprostol. Ce médicament utilisé à l’origine pour le traitement des ulcères gastriques est connu pour ses propriétés abortives. Dans les pays où l’interruption de grossesse est légale, il est prescrit seul ou en association avec une autre molécule (la mifepristone) <a href="https://www.who.int/reproductivehealth/publications/unsafe_abortion/9789241548434/fr/">pour les avortements médicamenteux</a>.</p>
<p>Son efficacité est reconnue lorsqu’il est employé avec la posologie correcte et à un terme approprié de la grossesse. Ce n’est pas toujours le cas lorsque les femmes se le procurent à travers des réseaux informels sans qu’on leur fournisse les informations adéquates. L’utilisation massive de ce médicament a toutefois réduit les risques sanitaires <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28964589">associés aux avortements illégaux</a>.</p>
<h2>L’urgence de la dépénalisation</h2>
<p>La pénalisation a de fortes conséquences sur la vie, la santé et le statut juridique et social des individus impliqués. Sa pratique expose les femmes et les professionnels de santé qui les aident à de lourdes condamnations. Peines de prison, amendes ou obligation de réaliser des travaux d’intérêt public. Le personnel médical risque de son côté des suspensions d’activité.</p>
<p>À ces sanctions légales s’ajoutent souvent des discriminations et une forte stigmatisation sociale. Dans ce contexte, la dépénalisation apparaît comme la seule voie qui permettra d’éviter les risques associés aux avortements clandestins et, au-delà, de respecter les droits des femmes à préserver leur santé et de choisir leur sexualité et leur reproduction, à l'instar de l'Argentine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137663/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agnès Guillaume ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le droit à l’avortement a été approuvé en Argentine, une victoire pour des milliers de femmes. Il est pourtant loin d’être pleinement acquis en Amérique latine.Agnès Guillaume, Chercheuse, démographe spécialisée sur les questions de santé reproductive, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1246202019-10-16T09:56:16Z2019-10-16T09:56:16ZLe polar est-il féministe ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/297152/original/file-20191015-98661-tbg6n2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C2%2C795%2C465&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Collection de romans Agatha Christie</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Collection_de_romans_Agatha_Christie.jpg">Wikimédia</a></span></figcaption></figure><p>On pourrait facilement avancer qu’en tant que genre, le polar, ou plus exactement le <a href="https://oxfordre.com/literature/literature/view/10.1093/acrefore/9780190201098.001.0001/acrefore-9780190201098-e-240"><em>detective novel</em></a>, le roman de détective, ou le roman d’enquête, fut un domaine non seulement conçu mais encore balisé et perfectionné par les Anglaises. Je postule en effet que le roman policier anglais aura été une affaire de femmes, soit qu’elles aient les premières incarné le personnage du détective, comme Anne Rodway, Mrs Gladden ou Valeria Macannan, soit qu’elles aient constitué le plus gros du bataillon des auteurs de polar, de Catherine Pirkis à la barone Orczy, d’Agatha Christie à Marjory Allingham, de Dorothy Sayers à Patricia Wentworth, de Ruth Rendell à Anne Perry, de P.D. James à Val McDiarmid.</p>
<p>Et si dès son premier roman, <em>Enquête dans le brouillard</em> (<em>A Great Deliverance</em>, 1988), l’Américaine Elizabeth George écrivait, à s’y méprendre, à l’anglaise, c’est selon moi qu’elle avait compris que se tramait de l’autre côté de l’Atlantique le secret des origines, que les personnages de détectives en jupons, telle la petite couturière cherchant à expliquer la mort de son amie, avaient été un phénomène prémonitoire de sa propre pratique.</p>
<p>Qu’est-ce à dire ?</p>
<p>Que Sherlock Holmes, qui ne les aimait guère, eut en réalité de nombreuses femmes autour de lui. Que la formule du « polar », sa structure, ses codes, furent inventés, fixés, établis, par ces femmes. Il suffit de convoquer ses souvenirs de lectures, ou de parcourir les rayons spécialisés d’une librairie, pour constater que, dès le début – on peut penser au <a href="https://www.actualitte.com/article/monde-edition/le-roman-gothique-des-spectres-des-pierres-hantees-et-quelques-demons/64000">« roman gothique »</a> ou au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Penny_dreadful">« roman à sensation »</a> –, le paysage est encombré par des romancières, à telle enseigne que les spécialistes de littérature britannique n’hésitent plus à parler d’elles comme des « reines du crime ».</p>
<h2>Les raisons du succès</h2>
<p>Je m’intéresse surtout, pour ma part, aux conditions de possibilité de l’émergence et du succès foudroyant du polar au féminin, pour ne pas dire du polar féministe, ce qu’il est pourtant très souvent. J’explique notamment que le terreau sur lequel devait s’épanouir le genre dut agréger :</p>
<ul>
<li><p>une tradition politique et intellectuelle (que je nomme la « dissidence »)</p></li>
<li><p>une crise de confiance démocratique (précipitée par certains dispositifs législatifs) <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Josephine_Butler">Lois sur les maladies contagieuses</a></p></li>
<li><p>une veine littéraire déjà installée (le « gothique », le « roman à sensation »)</p></li>
<li><p>une mutation de la presse (la naissance de ce qui se nomma dans le Londres des années 1880 le <em>new journalism</em>)</p></li>
<li><p>l’exacerbation d’une sensibilité optique (le voyeurisme et le fétichisme)</p></li>
<li><p>la réactivation d’une procédure épistémologique négligée (l’intuition)</p></li>
<li><p>l’émergence de modèles de cristallisation, que je nomme des « figures » (le journaliste détective et l’enquêtrice en jupons)</p></li>
</ul>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297158/original/file-20191015-98670-1yusar4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297158/original/file-20191015-98670-1yusar4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=815&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297158/original/file-20191015-98670-1yusar4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=815&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297158/original/file-20191015-98670-1yusar4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=815&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297158/original/file-20191015-98670-1yusar4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1024&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297158/original/file-20191015-98670-1yusar4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1024&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297158/original/file-20191015-98670-1yusar4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1024&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Agatha Christie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Agatha_Christie_3.jpg">Wikipédia</a></span>
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<p>Mais surtout, on peut penser que le polar ne put voir le jour et devenir une forme artistique majeure de notre modernité que parce qu’il permit d’articuler un malaise vis-à-vis des discours qui gouvernaient la représentation des femmes dans le monde, malaise que venaient accentuer à intervalles réguliers divers scandales, révélés par tel ou tel « fait divers » (un corps de femme retrouvé dans un canal par exemple). Or, le roman d’enquête venait remettre en cause le statu quo, proposant une vision plus éthique du monde, où le crime ne resterait plus impuni, mais surtout entrebâillant les portes d’une nouvelle esthétique. Quel était le fonctionnement caché, inavoué, officieux, du système patriarcal, de ses discours criminalisants, de ses instances d’autorité, de ses formes de pouvoir ? Qui étaient les véritables criminels, les véritables victimes, du système ? Et qui d’autres à part les femmes, à la fois dedans et dehors, anges au foyer et démons potentiels, pouvaient ouvrir cette enquête, toujours déjà classée sans suite par la société des hommes ?</p>
<h2>Le sexisme de l’histoire</h2>
<p>N’est-il pas troublant dès lors que l’histoire de la littérature anglaise ait choisi de faire croire, au mépris de l’évidence historique, statistique, empirique, que le polar anglais était doté de pères fondateurs <a href="https://www.worlds-best-detective-crime-and-murder-mystery-books.com/1841.html">Edgar Allan Poe</a> ? N’est-il pas temps d’ouvrir les yeux ? De se faire « féministe » donc, et de se demander si le canon officiel de la littérature de détection anglaise n’a pas fait en sorte de valoriser uniquement des auteurs et des enquêteurs hommes. Par exemple, lorsque l’on parle de Wilkie Collins, comment expliquer, autrement que par un sexisme implicite, que l’on cite systématiquement le personnage de son enquêteur, le sergent Cuff, tout en passant sous silence celui de son enquêtrice, Valeria Macallan ?</p>
<p>Il faut souligner ici le geste fort de P.D. James lorsqu’elle intitule son roman <em>An Unsuitable Job for a Woman</em> (<em>La proie pour l’ombre</em>, 1972). Le travail d’enquêtrice est <em>unsuitable</em> : c’est-à-dire qu’il « ne convient pas », a priori, à une femme. Pourtant c’est bien une femme, Cordelia Gray, souvent présentée comme la première détective moderne (on la retrouvera en 1982 dans <em>L’Île des morts</em> (<em>The Skull beneath the Skin</em>), qui résout l’énigme, identifie le meurtrier, alors même qu’elle n’est pas préparée à prendre la relève, et qu’elle ne sait que faire du pistolet qu’elle a hérité de son patron. Ne faudrait-il donc laisser le soupçon s’installer en nous que le sergeant Cuff et Sherlock Holmes, Wilkie Collins et Conan Doyle, furent érigés en modèles du genre précisément parce qu’ils étaient des exceptions masculines ? Qu’on alla chercher Poe comme vénérable ancêtre parce qu’il était homme ?</p>
<h2>La hantise du meurtre « légal »</h2>
<p>Lorsqu’au XIX<sup>e</sup> siècle le roman s’imposa comme la forme se prêtant le mieux aux analyses sociales, les auteures s’attaquèrent donc, et ce n’est pas un hasard, à ce que l’Angleterre avait de plus sacré dans le système patriarcal : le foyer domestique, et surtout la propriété de famille. Ce qui intéressait déjà Charlotte Brontë dans <em>Jane Eyre</em> (1847), drame romantique qu’il faut vraiment relire à la lumière du polar, ce n’est pas l’histoire d’amour d’une jeune préceptrice avec le riche propriétaire de Thornfield Hall. C’est le secret qui hante le Château (sens du mot Hall), et en vérité toute demeure anglaise : cette « folie » qui doit rester cachée pour que survive l’institution, ce meurtre fondateur de la première épouse, celle qui doit être dépouillée de sa fortune pour renflouer les caisses des Rochester, puis être déclarée irresponsable, et poussée en définitive au suicide. Un suicide ? Plutôt le crime parfait. Le meurtre sans coupable, sans trace d’intervention extérieure. Le meurtre légal en quelque sorte, véritable hantise de toutes les femmes au XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/297168/original/file-20191015-98657-1h5iviq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297168/original/file-20191015-98657-1h5iviq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297168/original/file-20191015-98657-1h5iviq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297168/original/file-20191015-98657-1h5iviq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297168/original/file-20191015-98657-1h5iviq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297168/original/file-20191015-98657-1h5iviq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297168/original/file-20191015-98657-1h5iviq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297168/original/file-20191015-98657-1h5iviq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Bertha Mason, personnage de Jane Eyre, après sa chute du toit lors de l’incendie de Thornfield Hall.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bertha_Mason#/media/Fichier:P413b.jpg">Dessin de F. H. Townsend</a></span>
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<p>Daphne du Maurier ne s’y tromperait pas près de 100 ans plus tard, quand elle reprendrait ce schéma dans <em>Rebecca</em> (1938), qui s’affiche clairement cette fois comme ce polar que n’osait pas être tout à fait encore <em>Jane Eyre</em>. Le domaine de Manderley est de fait le quatrième personnage principal, celui qui projette son ombre immense sur le triangle amoureux qui occupe le devant de la scène, formé par le riche propriétaire et ses deux épouses, la morte et la vivante. Officiellement, Rebecca, la première épouse, se suicide, mais Maxim, la réincarnation de Rochester, est bien en réalité un meurtrier, qui tue sa femme pour se débarrasser d’elle. On apprend en effet qu’il a logé une balle dans le cœur de Rebecca, épouse réputée perverse et nymphomane, comme Bertha Mason, la première épouse de Rochester, avant elle. Le mobile réel ? La peur de perdre Manderley, qui dans le système juridique anglais serait revenu en héritage au fils illégitime de Rebecca. Dans le film de 1940, réalisé à Hollywood, Hitchcock et Selznic ne purent se résoudre à transposer cette fin et s’arrangèrent pour que Rebecca se cogne bêtement la tête au cours d’une dispute. Grossière trahison de l’œuvre, où les hommes tuent effectivement les femmes pour protéger leur nom et leur fortune.</p>
<hr>
<p><em>Frédéric Regard participe au premier <a href="https://www.sorbonne-universite.fr/newsroom/evenements/femmes-en-scene">Apéro d’idées</a> organisé ce mercredi 16 octobre par Sorbonne Université, sur le thème « Enquêter, chanter, jouer, danser… Quelle place prennent les femmes dans les pratiques artistiques ? », animé par Victoire Tuaillon.</em></p>
<p><em>Le dernier ouvrage de Frédéric Regard, « Le Détective était une femme. Le Polar en son genre », est paru aux PUF en 2018.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124620/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Regard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le roman policier anglais aura été une affaire de femmes en lutte contre le patriarcat.Frédéric Regard, Professeur de littérature anglaise, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1151662019-04-10T16:50:52Z2019-04-10T16:50:52ZL’œuvre d’Annie Ernaux à l’heure de la reconnaissance internationale<p>Annie Ernaux, autrice de la mémoire personnelle et collective, dont le travail mêle finement littérature autobiographique et observations sociologiques, a reçu le prix Nobel de littérature ce 6 octobre 2022.</p>
<p>Ernaux a publié son premier roman, <em>Les armoires vides</em>, en 1974. Elle y fait le récit fictionnalisé de son avortement illégal en 1964, à l’époque où, encore étudiante, elle s’éloignait progressivement de son milieu d’origine – une famille populaire de Normandie, avec des parents d’abord ouvriers, puis commerçants. Et même 25 ans après la publication du <em>Deuxième sexe</em> de Beauvoir, la société française était encore pétrie de jugements moraux et d’hypocrisie au sujet des droits des femmes en matière de reproduction. Avec <em>Les armoires vides</em>, Ernaux offrait un miroir aux nombreuses femmes issues d’un milieu populaire qui avaient dû recourir à des avortements clandestins, encourant un danger de mort.</p>
<p>Avec son style d’une grande sobriété (qu’elle qualifie elle-même d’« écriture plate »), Annie Ernaux a l’image d’une écrivaine intransigeante et honnête. Dans les années 1980 et 1990, elle s’impose grâce à des ouvrages autobiographiques tels que <em>La place</em>, où elle raconte la vie de son père ; ce livre lui vaut le Prix Renaudot en 1984. Elle est aujourd’hui considérée comme une autrice importante et ses textes sont largement enseignés dans les écoles et les universités.</p>
<p>Annie Ernaux est restée longtemps inconnue du grand public dans la plupart des pays anglophones – ses textes sont traduits depuis longtemps aux États-Unis, et sont étudiés depuis les années 1980-90 dans le monde universitaire anglophone. Mais cette injustice est en passe d’être réparée, grâce à la traduction récente de deux de ses œuvres majeures : <em>Les années</em>, une « autobiographie collective » couvrant six décennies d’histoire personnelle et sociale, en lice pour prix international Man Booker ; et <em>L’événement</em>, dans lequel Ernaux revient sur le sujet de l’avortement illégal, mais cette fois-ci sous forme d’autobiographie.</p>
<h2>Femmes et société</h2>
<p>Par son contenu ambitieux et sa forme narrative originale, <em>Les années</em> a été salué de façon quasi unanime au moment de sa publication. Le livre se situe à la jonction de l’autobiographie, de la sociologie et de la mémoire collective, utilisant alternativement les pronoms « elle » ou « nous » plutôt que « moi » pour souligner les profonds changements socioculturels dont l’écrivain a été le témoin depuis son enfance dans les années 1940 jusqu’à la fin du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/268333/original/file-20190409-2924-gu5d1x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/268333/original/file-20190409-2924-gu5d1x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/268333/original/file-20190409-2924-gu5d1x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=903&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/268333/original/file-20190409-2924-gu5d1x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=903&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/268333/original/file-20190409-2924-gu5d1x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=903&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/268333/original/file-20190409-2924-gu5d1x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/268333/original/file-20190409-2924-gu5d1x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/268333/original/file-20190409-2924-gu5d1x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><em>The Years</em>, 2008.</span>
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<p>Pour retracer l’inéluctable passage du temps, <em>Les années</em> puise dans des dictons, des chansons, des publicités, des objets iconiques, des événements historiques et des anecdotes personnelles. Ce faisant, le livre raconte l’évolution de la place des femmes dans la société française et leur lutte pour la liberté sexuelle et l’indépendance.</p>
<p>Les médias français ont réagi avec moins d’enthousiasme à la parution de <em>L’événement</em>, en 2000, qui traite de la situation de l’avortement et de ses conséquences avant sa légalisation en 1975. Certains critiques n’étaient manifestement pas à l’aise avec le sujet ni avec le style brut de l’écriture dont témoigne le passage suivant, qui décrit la faiseuse d’anges :</p>
<blockquote>
<p>Je suis parvenue à l’image de la chambre. Elle excède l’analyse. Je ne peux que m’immerger en elle. Il me semble que cette femme qui s’active entre mes jambes, qui introduit le spéculum, me fait naître. J’ai tué ma mère en moi à ce moment-là. </p>
</blockquote>
<p>Avec ce livre, Annie Ernaux a souhaité lever le voile sur ce que les lois sur l’avortement signifiaient en pratique, ce qui n’était jusqu'alors exprimé que par le non-dit :</p>
<blockquote>
<p>Si beaucoup de romans évoquaient un avortement, ils ne fournissaient pas de détails sur la façon dont cela s’était exactement passé. Entre le moment où la fille se découvrait enceinte et celui où elle ne l’était plus, il y avait une ellipse. </p>
</blockquote>
<p><em>L’événement</em> rompt ce silence : avec précision mais sans pathos, Ernaux y détaille l’atmosphère conservatrice qui régnait dans la France des années 1960, toute en jugements moraux, et son propre désespoir, sa solitude tandis qu’elle cherchait une solution à une époque où le mot même d’avortement n’avait « pas de place dans le langage ». Elle y raconte les conditions épouvantables de son avortement – après avoir finalement trouvé une faiseuse d’anges, elle a fait une fausse-couche dans sa résidence étudiante et a failli mourir suite à une hémorragie.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/268332/original/file-20190409-2912-1blwiqp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/268332/original/file-20190409-2912-1blwiqp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/268332/original/file-20190409-2912-1blwiqp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=655&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/268332/original/file-20190409-2912-1blwiqp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=655&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/268332/original/file-20190409-2912-1blwiqp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=655&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/268332/original/file-20190409-2912-1blwiqp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=823&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/268332/original/file-20190409-2912-1blwiqp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=823&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/268332/original/file-20190409-2912-1blwiqp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=823&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ernaux dans les années 1960.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.inventoire.com/ecrire-a-partir-de-memoire-de-fille-de-annie-ernaux/">Inventoire</a></span>
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</figure>
<p><em>L’événement</em> n’est pas seulement le récit de cette expérience personnelle, physiquement et psychologiquement traumatisante. Il y est aussi question du sens de cet événement. Annie Ernaux explore les réactions des hommes qui l’entourent, dans le contexte de son époque et sa condition sociale.</p>
<p>Les étudiants de son entourage y sont dépeints comme fascinés par son « état » de femme enceinte, et certains tentent même de profiter que « le mal est déjà fait » pour tenter de coucher avec elle. À l’hôpital, Ernaux est humiliée par un jeune médecin qui lui lance « Je ne suis pas plombier », avant de se radoucir en réalisant qu’elle est étudiante.</p>
<p>Aujourd’hui, <em>L’événement</em> est considéré comme un livre de référence sur le sujet de l’avortement. Le texte est d’ailleurs souvent cité ou mentionné lors des débats qui portent sur es lois sur l’avortement ou sur les droits des femmes. L’année dernière, par exemple, le jour du référendum sur l’avortement en Irlande, France Culture <a href="https://www.franceculture.fr/litterature/annie-ernaux-levenement">a sorti un article sur Annie Ernaux</a>.</p>
<h2>Écriture et mauvais goût</h2>
<p>Annie Ernaux a admis dans le livre :</p>
<blockquote>
<p>« Il se peut qu’un tel récit provoque de l’irritation, ou de la répulsion, soit taxé de mauvais goût. D’avoir vécu une chose, quelle qu’elle soit, donne le droit imprescriptible de l’écrire. Il n’y a pas de vérité inférieure. Et si je ne vais pas au bout de la relation de cette expérience, je contribue à obscurcir la réalité des femmes et je me range du côté de la domination masculine du monde. »</p>
</blockquote>
<p>L’autrice a en effet écrit sur de nombreux sujets rarement abordés dans la littérature classique, y compris le sexe, la maladie, le corps vieillissant, la démence et l’alcoolisme, toujours de façon très directe. On est loin de la réminiscence proustienne – Ernaux ne s’intéresse aux souvenirs que comme preuves que les événements ont bien eu lieu.</p>
<p>Pour Annie Ernaux, l’acte d’écrire permet de rendre visible et sensible l’expérience vécue, en particulier celle des femmes – et surtout de ne jamais prendre leurs droits pour acquis.</p>
<p>Au cœur de <a href="https://www.annie-ernaux.org">l’œuvre d’Annie Ernaux</a>, il y a la volonté de donner une voix à ceux qui sont réduits au silence. Dans une interview récente, elle parle de son soutien au mouvement #MeToo, mais aussi de ses affinités avec les mouvements des « gilets jaunes », qu’elle voit comme la manifestation de profondes injustices sociales et d’un mépris des élites envers la classe ouvrière et les chômeurs. Son « arrivée » dans le monde anglophone est donc particulièrement opportune… à l’âge de 78 ans.</p>
<p>Quand Simone Veil a disparu, en 2017, de nombreux tags <a href="https://www.ulule.com/merci-simone/">« Merci Simone »</a> ont fleuri dans les rues de Paris, saluant le rôle qu’elle a joué dans l’adoption des lois sur l’avortement en France. De même, beaucoup de lectrices et de lecteurs écrivent à Annie Ernaux pour la remercier, reconnaissant l’importance de ses écrits féministes dans leur propre parcours. Elle n’a pas volé sa place dans le club des grands écrivains français reconnus à l’international.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115166/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elise Hugueny-Léger a reçu des financements du Carnegie Trust for the Universities of Scotland.</span></em></p>Annie Ernaux est restée longtemps une illustre inconnue dans la plupart des pays anglophones. Mais cette injustice est en passe d’être réparée, grâce à la traduction récente de deux de ses œuvres.Elise Hugueny-Léger, Senior Lecturer, School of Modern Languages, University of St AndrewsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1127262019-03-07T18:58:58Z2019-03-07T18:58:58ZAlgérie : les femmes à la conquête de l’espace public<p>L’espace public n’est pas donné en Algérie, mais arraché ! Par des centaines de milliers d’Algérien·ne·s, depuis le 22 février dernier, et par les <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2014-2-page-136.htm">femmes</a> et les <a href="https://transhomosdz.org/">personnes LGBT</a>, au quotidien, pour surmonter les <a href="http://www.babelmed.net/article/3904-algerie-les-femmes-noccupent-pas-lespace-public-elles-le-traversent/">obstacles et les freins</a> rencontrés pour accéder et se mouvoir dans les <a href="https://books.openedition.org/pufr/388?lang=fr">espaces des « dehors »</a>.</p>
<p>A ce titre, la journée du 8 mars, rebaptisée « fête de la femme », revêt depuis plusieurs années un caractère d’exception par l’<a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/8mars2018-la-journee-des-femmes-en-algerie-sur-twitter-ou-facebook_3056211.html">investissement commercial important</a> visant une cible féminine (fêtes, concerts, spectacles et expositions), auquel s’ajoutent les [mobilisations féministes] organisées dès <a href="https://journals.openedition.org/clio/415">1965</a>.</p>
<p>Mais cette année, le rendez-vous des femmes algériennes ne prendra pas la forme d’un rassemblement marchand, mais d’une reconquête de l’espace public. <a href="https://theconversation.com/algerie-quand-la-societe-civile-renait-112638">La renaissance de la société civile</a> fait désormais émerger un nouvel horizon, pour tou·te·s, sur le plan des libertés individuelles.</p>
<p>L’espace public ne peut exister si les femmes et personnes LGBT ne trouvent pas des conditions hospitalières pour s’y engager. C’est pourquoi, leur participation aux manifestations depuis le 22 février est un signe du <a href="https://www.metropolitiques.eu/Entre-enserrement-et-desserrement-la-mobilite-spatiale-des-femmes-en-peripherie.html">« desserrement »</a> de l’espace politique des mains du régime, au profit de la société civile.</p>
<p>Si la journée de lutte pour les droits des femmes accroissait donc déjà leur visibilité dans les espaces urbains, cette année, elle a également vocation à légitimer leur appropriation de ces espaces, en tant que <a href="https://www.cairn.info/revue-naqd-2006-1.htm">citoyennes égales aux hommes</a>, reprenant en main leur destin individuel et collectif, en réclamant la dignité de leurs existences.</p>
<h2>Les cloisons tombent</h2>
<p>Mères de famille, jeunes actives ou retraitées sont entraînées par le mouvement de toutes celles qui sont déjà sorties : artistes, étudiantes, avocates, journalistes, <a href="https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/030319/djamila-bouhired-au-coeur-du-soulevement-j-ai-l-impression-de-revivre-la-revolution">anciennes combattantes</a>. Elles font corps commun, avec les hommes, en partageant l’expérience de leur puissance individuelle (marcher, crier, déclamer, chanter, danser, sauter, courir, se faufiler, etc) et collective (solidarité et co-responsabilité vis-à-vis du déroulement des marches).</p>
<p>Les cloisons qui retiennent les femmes dans l’espace domestique tombent peu à peu.</p>
<p>La libération et la légitimation de la parole collective contre le régime leur offre un espace pour incarner et exprimer le lien civil qui unit la société. Par leur capacité à non seulement « sortir » physiquement, mais surtout à dégager leur corps d’un imaginaire à l’intérieur duquel on les enferme, elles performent, face à l’enfermement autoritaire, cette voie de résistance non-violente qu’elles exercent déjà quotidiennement face à l’« enserrement » domestique.</p>
<h2>Se dérober à l’espace domestique pour s’aventurer « dehors »</h2>
<p>À partir d’une <a href="https://www.metropolitiques.eu/Entre-enserrement-et-desserrement-la-mobilite-spatiale-des-femmes-en-peripherie.html">enquête ethnographique à Alger</a>, menée entre 2014 et 2016, je me suis intéressée au poids de la structure familiale sur l’expérience et l’engagement dans la ville de femmes, résidant dans des quartiers à la <a href="https://journals.openedition.org/emam/1091">périphérie sud et est d’Alger</a>, ainsi que <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2011-4-page-151.htm">leurs choix de (style de) vie</a>.</p>
<p>Pour cela, j’ai suivi leur mouvement du « dedans » vers les « dehors » : que leur ménage soit constitué d’une famille nucléaire ou élargie, leur intégration dans des réseaux informels de famille et de voisinage tente généralement de les dissuader de quitter l’espace domestique, en raison d’enjeux matrimoniaux : en tant que « temple » de l’<a href="https://www.cairn.info/publications-de-Fatma-Oussedik--22344.htm">honneur du groupe familial</a>, leurs corps doivent être mis à part, pour préserver la valeur de leur famille sur le <a href="https://journals.openedition.org/cedref/171">« marché aux femmes »</a>.</p>
<p>Ainsi, je rencontre des étudiantes qui inventent des stratégies pour se dégager de l’emprise de leur famille. Certaines prétendent avoir cours ou un voyage scolaire, afin de se rendre en ville ou de partir en escapade, alors que de jeunes femmes, bénéficiant d’un revenu, prétextent des séminaires ou formations, lorsqu’elles souhaitent partir en WE ou en voyages sans chaperon. Elles sont couvertes vis-à-vis de la famille, et du voisinage, car elles ont des raisons jugées légitimes pour s’absenter.</p>
<p>Le sont-elles pour autant vis-à-vis de la société ?</p>
<p>Les lynchages de femmes vivant sans tuteur dans plusieurs villes d’Algérie, comme à <a href="https://www.maxmilo.com/produit/laissees-pour-mortes/">Hassi Messaoud</a>, le <a href="http://www.algerieinfos-saoudi.com/2017/10/harcelement-sexuel-en-algerie-le-tabou-est-tombe.html">harcèlement sexuel</a>, en public ou privé, est quotidien et les discours religieux diabolisant les femmes « dévergondées » comme source de déliquescence morale de la société, indiquent tout le contraire.</p>
<p>C’est ainsi qu’en décembre 2013, la chaîne Ennahar TV avait fait grand bruit avec un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=KiOS8PiZv_A">reportage consacré aux étudiantes résidant dans plusieurs cités universitaires d’Algérie</a>, filmées en caméra cachée en train de quitter la résidence après le couvre-feu de 19h, de boire de l’alcool ou de fumer. S’en est suivi une protestation de la part des étudiantes, qui a donné lieu à un débat avec les deux femmes journalistes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/n8BFigZ2-LE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Un reportage en 2013 a créé la polémique sur les femmes se dérobant des cités universitaires le soir.</span></figcaption>
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<h2>Corps sous haute surveillance</h2>
<p>En amont des stratégies pour se déplacer et s’approprier les espaces extra-domestiques, les femmes intériorisent donc, dès l’enfance, des représentations du « dehors » (spatial et familial) comme un lieu de danger, particulièrement hostile pour elles en tant que « fille de bonne famille ».</p>
<p>Représentées comme fragiles, elles y sont pourtant perçues comme des intruses, et placées à la marge par un dispositif de surveillance et de contrôle. Sommées de donner des gages à l’ordre patriarcal, quant au but de leur présence, mieux vaut qu’elles restent dans le cadre si elles ne souhaitent pas basculer dans l’indésirabilité (et la violence).</p>
<p>Culpabilisation, menace, chantage affectif : les femmes qui accèdent aux espaces du « dehors » en paient le prix, celui de la suspicion d’immoralité des « filles des rues ».</p>
<p>Leur mise sous tutelle juridique, qui les maintient dans une <a href="https://www.syllepse.net/l-ennemi-principal-_r_62_i_584.html">économie politique patriarcale</a>, est légitimée par le <a href="https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal:185313?site_name=UCL">discours religieux</a> qui fabrique leur vulnérabilité, ce qui accroît leur précarité face à la <a href="https://www.ciddef-dz.com/pdf/autres-publications/balsam2012.pdf">violence sexuée</a> : inversion de la culpabilité lors des récits de violence en raison de la nature tentatrice de la femme (« tu lui as ouvert l’œil… »), ou revendication du rappel à l’ordre <a href="https://www.cairn.info/genre-violences-et-espaces-publics--9782724610833.htm">« public »</a> comme conséquence légitime d’une <a href="http://boysen.berry.edu/title/judith-butler-du-genre-a-la-non-violence/oclc/989060027">déviance morale</a> (« La société a le droit de savoir où elle va… »).</p>
<p>Si l’espace domestique a pour fonction de maintenir la frontière entre le « dedans » et les « dehors », nécessaire à la <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/l-apres-patriarcat-eric-mace/9782021201529">reproduction des « arrangements de genre » patriarcaux</a>, ce sont les familles qui fixent les cadres légitimes pour la sortie non-accompagnée des femmes : limitation des horaires en journée, interdiction de lieux peu fréquentés ou non exclusivement par des femmes (comme le stade), imposition d’un accompagnateur (enfant, membre masculin de la famille ou groupe de parentes), etc.</p>
<p>D’autres « cloisons » s’érigent également dans les lieux des « dehors » pour éviter la mixité avec les hommes, par les nombreuses salles « familiales » ou réservées aux femmes (salle d’attente chez le médecin, bureaux de vote ou restaurants), la prescription des comportements d’évitement (se déplacer rapidement, dissimuler son corps par le vêtement – islamique – et « rester groupées » lorsqu’elles se déplacent).</p>
<h2>De la honte et la culpabilité, à la révolte et la joie !</h2>
<p>En arrachant l’espace public par l’engagement de leurs corps, les femmes se placent aujourd’hui au centre de la société civile : elles remettent en cause les récits qui les sexualisent pour les exclure de la sphère de représentation et re-signifient la vulnérabilité censée les incapaciter socialement, en une reconnaissance d’une situation commune d’oppression entre concitoyen·ne·s.</p>
<p>En rendant visible et audible ce qui ne devrait pas l’être, elles se dégagent de la culpabilité des liens patriarcaux et recouvrent la souveraineté sur leur propre corps. La matrice émotionnelle de la honte se transforme alors en révolte. Ce faisant, elles affirment le principe du respect de la vie – à travers la reconnaissance de leur dignité – et proposent une éthique alternative à la guerre : celle reconnaissant <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2003-2-page-21.htm">« aux femmes une dignité et une indépendance analogues à celles des hommes, en leur accordant le droit à disposer d’elles-mêmes »</a>.</p>
<p>Légitimes, leur présence est accueillie et encouragée par l’attention et le soin que s’accordent les manifestant·e·s. Reprenant et partageant le pouvoir, les femmes sont les premières à entonner les slogans appelant à une Algérie libre et démocratique. Ce 8 mars 2019 est donc doublement symbolique pour les femmes algériennes, qui se réapproprient l’espace public par leurs corps, et leur puissance grâce à leur citoyenneté.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/112726/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ghaliya Djelloul a reçu des financements du Fonds Baillet Latour, Chaire Islams contemporains au Centre interdisciplinaire d'études de l'islam dans le monde contemporain (IACCHOS/ UCLouvain). </span></em></p>Le réveil de la société civile prend un autre tour pour les femmes algériennes et fait désormais émerger un nouvel horizon sur le plan des libertés individuelles.Ghaliya Djelloul, Sociologue, chercheuse au Centre interdisciplinaire d'études de l'islam dans le monde contemporain (IACCHOS/UCL), Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1055142018-11-28T20:33:07Z2018-11-28T20:33:07ZDéraciner le patriarcat : genre et agriculture urbaine en Afrique du Sud<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/241834/original/file-20181023-169804-17jzo6k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C0%2C2032%2C1361&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Ferme urbaine au Rwanda. En Afrique, les femmes constituent la majorité des agriculteurs urbains.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/106872707@N03/40395772851/in/photolist-24xCTUg-bUBfWv-aoadJY-zRqoW-cbMF3Q-pMRYoh-21MCYBG-55s2hZ-21MDmy7-7r6eUi-dRaW8U-dRawjq-dR52vD-dR5icM-dRaaRo-WcavPP-dR5gbv-dRbjxN-dR444B-dekFWQ-dRaMnE-dR4mht-dRa2vL-9BiETN-q2GfZv-bUAAZz-7yfBCT-ETrZZp-bZzApE-h9Zm7t-K3F211-9BirHJ-dib3C3-bUAF7F-9gXMwP-cbXKMb-gSoZ8E-24tFmHh-pcCti1-CyjGxq-gHrQpL-VbPcEG-dR9PLd-dRa7RJ-dR4AGt-24tFnTo-278UbUu-ETs18k-dR5yMk-qu12xV">International Potatoe Center Sub Saharian Africa</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les discussions autour de l’agriculture urbaine en Afrique se concentrent souvent sur la pauvreté, la faim ou l’accès à la nourriture. De fait, près de 40 % de la population urbaine africaine pratique une forme d’<a href="http://www.ruaf.org/urban-agriculture-what-and-why">activité</a> agricole. Si la grande majorité cultive des <a href="https://www.google.co.za/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=5&cad=rja&uact=8&ved=0ahUKEwjnv_vCm7HLAhWGj3IKHaBVAtsQFgg3MAQ&url=http%3A%2F%2Fwww.fao.org%2Fdocrep%2F016%2Fi3002e%2Fi3002e.pdf&usg=AFQjCNEOOrz6TQORfVoHO66QEp8wnsdKKQ&sig2=0xbbD_7zHnA5OeDZZLnAqA&bvm=bv.116274245,d.bGs">légumes</a>, certains produisent aussi des oeufs, du lait ou des fruits.</p>
<h2>Une voie d’insertion pour les plus marginalisés</h2>
<p>Dans des pays comme le Cameroun, le Malawi ou le Ghana, plus d’un quart des ménages fait pousser ses <a href="https://www.google.co.za/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&uact=8&ved=0ahUKEwiZtuGp3a7LAhXEE5oKHQdABwMQFggbMAA&url=http%3A%2F%2Fwww.fao.org%2Fdocrep%2F016%2Fi3002e%2Fi3002e.pdf&usg=AFQjCNEOOrz6TQORfVoHO66QEp8wnsdKKQ&sig2=R6z4ywgShCR6ICO4Qgakew">légumes</a>, se protégeant ainsi des pénuries saisonnières ou des hausses de prix alimentaires. Afin de s’assurer une viabilité de long terme, il leur est toutefois nécessaire de développer des réseaux communautaires et des liens relationnels solides. En d’autres termes, du <a href="http://staskulesh.com/wp-content/uploads/2012/11/prosperouscommunity.pdf">capital social</a>, c’est-à-dire l’ensemble des relations et des réseaux qui se créent au sein d’une société et sont la condition à son bon fonctionnement.</p>
<p>En partageant leur production, les agriculteurs construisent un réseau, sur lequel ils s’appuient en cas de besoin – pour la recherche de travail, de nourriture ou d’un <a href="https://www.researchgate.net/profile/Courtney_Gallaher/publication/257511452_Urban_agriculture_social_capital_and_food_security_in_the_Kibera_slums_of_Nairobi_Kenya/links/54ad5e6e0cf24aca1c6f26ee.pdf">coup de main</a>. Des bénéfices sociaux qui aident les plus pauvres à rebondir face aux chocs économiques, à la suite d’inondations, de restrictions budgétaires ou de maladies.</p>
<p>Cet aspect concerne tout particulièrement les femmes, qui constituent la majorité des <a href="https://www.google.co.za/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=5&cad=rja&uact=8&ved=0ahUKEwjnv_vCm7HLAhWGj3IKHaBVAtsQFgg3MAQ&url=http%3A%2F%2Fwww.fao.org%2Fdocrep%2F016%2Fi3002e%2Fi3002e.pdf&usg=AFQjCNEOOrz6TQORfVoHO66QEp8wnsdKKQ&sig2=0xbbD_7zHnA5OeDZZLnAqA&bvm=bv.116274245,d.bGs">cultivateurs</a> urbains d’Afrique. Réduire l’agriculture en ville à sa dimension de maximisation économique est donc insuffisante, voire nuit au processus d’émancipation de ces <a href="http://www.jstor.org/stable/525171?seq=1#page_scan_tab_contents">agricultrices</a>.</p>
<p>La formation au capital social est indispensable pour ces femmes souvent marginalisées économiquement. En tenir compte dans le développement d’initiatives communautaires intégrant de l’agriculture urbaine est donc essentiel.</p>
<h2>À Cape Town, des mesures favorables aux agricultrices</h2>
<p>La ville côtière de Cape Town, en Afrique du Sud, offre un exemple inédit de reconnaissance des bénéfices et des défis spécifiques aux agricultrices urbaines. La ville a mis en œuvre une <a href="http://www.capetown.gov.za/en/Policies/All%20Policies/Urban%20Agricultural%20Policy%20for%20the%20City%20of%20Cape%20Town%20-%20approved%20on%2007%20December%202006.pdf">politique</a> de culture urbaine ciblant ces femmes qui travaillent en majorité dans les Cape Flats, ces larges plaines situées à l’est de la ville. Ces mesures aident à leur fournir des infrastructures, des ressources et du matériel.</p>
<p>La zone des <a href="https://www.google.co.za/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=2&cad=rja&uact=8&ved=0ahUKEwidt8L18rDLAhWI0RQKHdu9D2cQFggkMAE&url=http%3A%2F%2Frepository.uwc.ac.za%2Fxmlui%2Fbitstream%2Fhandle%2F10566%2F296%2FPuoaneUrbanPoverty2005.pdf%3Fsequence%3D4&usg=AFQjCNFFrjQs7Nf6fHlrhMHYA8l7H8TfFw&sig2=kCGBy0REbUbiw_s2ECZPRA&bvm=bv.116274245,d.bGs">Cape Flats</a> connaît en effet des taux de chômage plus importants et un accès aux services basiques significativement plus bas que les banlieues voisines du nord et du sud. <a href="http://mg.co.za/article/2015-12-03-daily-brutality-numbs-the-misery-of-cape-flats-living">Dans cette région</a>, le quotidien des femmes est marqué par des problèmes sociaux profondément ancrés, parmi lesquels la violence conjugale.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YCKijG-rTGs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La région des Cape Flats, en Afrique du Sud, compte près de 6 000 agriculteurs urbains.</span></figcaption>
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<p>La majorité des 6 000 <a href="https://www.google.co.za/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=2&cad=rja&uact=8&ved=0ahUKEwiHmIa04a7LAhVDJ5oKHdiLBOgQFggsMAE&url=http%3A%2F%2Fscholar.sun.ac.za%2Fbitstream%2Fhandle%2F10019.1%2F96907%2Folivier_physical_2015.pdf%3Fsequence%3D1&usg=AFQjCNFLgpuPyM7E-_ePBX2JxT4_poMbsw&sig2=MQPMZbXFnXF4knllJLWepQ">agriculteurs</a> urbains que comptent les Cape Flats sont des femmes. La plupart d’entre elles cultivent à toute petite échelle, dans leur propre jardin ; d’autres s’organisent en groupes et vendent une part de leur surplus.</p>
<h2>Les agricultrices urbaines assurent la sécurité alimentaire locale</h2>
<p>Selon une <a href="http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/10130950.2008.9674996#aHR0cDovL3d3dy50YW5kZm9ubGluZS5jb20vZG9pL3BkZi8xMC4xMDgwLzEwMTMwOTUwLjIwMDguOTY3NDk5NkBAQDA">étude menée en 2011</a> dans la région, les agricultrices utilisent davantage leur production pour nourrir leur famille que ne le font les agriculteurs.</p>
<p>Elles choisissent souvent de donner une portion significative de leur surplus, plutôt que de la vendre, contribuant ainsi à la sécurité alimentaire locale. Les groupes d’agricultrices donnent en moyenne 25 % de leur production aux crèches, aux cliniques et aux écoles, et en conservent 40 % pour nourrir leur famille.</p>
<p>À l’inverse, les membres de l’un des rares groupes composés exclusivement d’agriculteurs ne gardent que 20 % de leur <a href="http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/10130950.2008.9674996#aHR0cDovL3d3dy50YW5kZm9ubGluZS5jb20vZG9pL3BkZi8xMC4xMDgwLzEwMTMwOTUwLjIwMDguOTY3NDk5NkBAQDA=">récolte</a> pour leur famille, et vendent la majorité de leurs produits. Les aliments cultivés par les femmes sont ainsi bien plus accessibles à ceux qui n’ont pas les moyens de les payer.</p>
<p>Partager ainsi la nourriture est une contribution puissante à la <a href="https://www.researchgate.net/publication/257511452_Urban_agriculture_social_capital_and_food_security_in_the_Kibera_slums_of_Nairobi_Kenya">formation</a> du capital social, qui joue un rôle vital dans le développement des communautés. Pour les agriculteurs urbains, ce capital diminue la vulnérabilité en créant des réseaux d’entraide et en élargissant les opportunités – formation, accès à la terre ou contributions d’ONG. Ces réseaux permettent de développer des liens entre fermiers et de construire des relations solides avec les organisations de la <a href="https://www.researchgate.net/profile/Courtney_Gallaher/publication/257511452_Urban_agriculture_social_capital_and_food_security_in_the_Kibera_slums_of_Nairobi_Kenya/links/54ad5e6e0cf24aca1c6f26ee.pdf">région</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/241879/original/file-20181023-169804-1pas5xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/241879/original/file-20181023-169804-1pas5xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/241879/original/file-20181023-169804-1pas5xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/241879/original/file-20181023-169804-1pas5xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/241879/original/file-20181023-169804-1pas5xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/241879/original/file-20181023-169804-1pas5xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/241879/original/file-20181023-169804-1pas5xw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La prévalence des femmes dans l’agriculture urbaine sud-africaine bénéficie à la sécurité alimentaire locale.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/soilforlife/photos/a.10150256776720650/10152182365220650/?type=3&theater">Soil for Life/Facebook</a></span>
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<h2>Un outil d’émancipation pour les femmes</h2>
<p>Pour les agricultrices, se réunir est aussi l’occasion de défier des normes patriarcales très enracinées, allant de la violence sexiste à l’accès inégal aux ressources. À Cape Town, un de ces groupes a aidé l’une de ses membres à poursuivre en justice son <a href="http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/03768350120097478#aHR0cDovL3d3dy50YW5kZm9ubGluZS5jb20vZG9pL3BkZi8xMC4xMDgwLzAzNzY4MzUwMTIwMDk3NDc4QEBAMA==">mari</a> qui abusait d’elle sexuellement.</p>
<p>Dans un autre <a href="http://abalimi.org.za/wp-content/uploads/2014/03/NL37.pdf">groupe</a> d’agriculteurs, mixte cette fois, où les hommes intimidaient les femmes pour obtenir leur obéissance, elles se sont alliées pour les évincer de la coopérative.</p>
<p>Ces exemples soulignent combien l’oppression patriarcale y est généralisée et intériorisée par les hommes comme une norme. Ils soulignent aussi les moyens de défense qu’offre aux femmes l’agriculture urbaine en renforçant leur capital social.</p>
<p>Elles y trouvent une voie d’accès à leurs droits et la capacité d’élever leur famille dans des conditions saines. Ces avancées ne sont toutefois possibles que si l’environnement institutionnel encourage spécifiquement les femmes.</p>
<p>À Cape Town, les ONG et le gouvernement local ont mis en place une série de mesures, parmi lesquelles un accès facilité à la terre, des ressources, des formations, ainsi que des services de vulgarisation, dont le rôle est d’intervenir auprès des agriculteurs pour les aider à maximiser leur rendement et mettre en place de nouvelles techniques agricoles. Elles permettent à toutes les femmes, y compris les plus marginalisée économiquement, d’accéder via l’agriculture urbaine à des moyens de subsistance viables.</p>
<h2>Des obstacles à surmonter</h2>
<p>La ville de Cape Town et les ONG locales ont fait en ce sens des progrès considérables depuis 1984, lorsque le gouvernement a commencé à tenir compte de l’agriculture urbaine dans les Cape Flats. Désormais, des milliers de femmes ont été formées et soutenues, et de nouvelles ONG se sont établies dans la région.</p>
<p>Celles-ci emploient prioritairement des femmes des communautés locales, et souvent à des postes-clés : agents de vulgarisations, gestionnaires de projets, <a href="http://scholar.sun.ac.za/handle/10019.1/96907">directrices</a> de groupes agricoles ou de programmes.</p>
<p>À Cape Town, l’avenir de l’agriculture urbaine et son rôle auprès des femmes suppose encore de surmonter certains obstacles. Il faudrait, entre autres, faciliter l’accès à la terre aux personnes peu éduquées et en difficulté face à la bureaucratie, et stabiliser les budgets des ONGs, très volatiles du fait de leur dépendance aux donateurs.</p>
<p>Il existe un potentiel réel pour créer des modes de subsistance résilients chez les ménages de Cape Town les plus marginalisés économiquement. Pour cela, il faudra développer l’agriculture urbaine à plus grande échelle.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par <a href="https://theconversation.com/profiles/nolwenn-jaumouille-578077">Nolwenn Jaumouillé</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105514/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David W. Olivier est chercheur au sein d'un programme de la Africa Climate Change Adaptation Initiative (ACCAI) intitulé "Co-produire de la connaissance sur les systèmes alimentaires pour le développement en Afrique". Ce programme est financé par l'Open Society Foundation, via le Global Change and Sustainability Research Institute. Les résultats empiriques présentés dans l'article sont basés sur une recherche financée par la National Research Foundation.</span></em></p>En Afrique du Sud, les réseaux d’entraide créés grâce à l’agriculture urbaine sont devenus un outil d’émancipation pour les femmes.David W. Olivier, Postdoctoral Research Fellow, Global Change Institute, University of the WitwatersrandLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1044472018-10-08T16:32:57Z2018-10-08T16:32:57ZLa « femme dangereuse », cette construction culturelle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/239728/original/file-20181008-72103-mghoj5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C942%2C624&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_Ulysse et les sirènes_, par William Etty, 1837</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Sir%C3%A8nes_et_Ulysse#/media/File:The_Sirens_and_Ulysses_by_William_Etty,_1837.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Alors que les <a href="https://www.challenges.fr/societe/mexique-plus-de-7-femmes-assassinees-en-moyenne-chaque-jour-en-2016_519999">violences faites aux femmes</a> ont souvent pour but de maintenir leur soumission à un ordre patriarcal, à quand remonte la vision négative de la femme <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2018/10/01/01003-20181001ARTFIG00251-irak-une-mysterieuse-serie-d-assassinats-de-femmes-libres.php">échappant au contrôle masculin</a> ?</p>
<h2>La féminité source de vie</h2>
<p>Dans l’Égypte ancienne, la féminité est exaltée, jamais méprisée ni condamnée, comme le montre le culte de la déesse Hathor, principe féminin essentiel. Les Égyptiens de l’époque des pharaons concevaient la virilité et la féminité comme deux puissances différentes et complémentaires, mais <a href="http://theconversation.com/les-pretresses-de-legypte-ancienne-entre-erotisme-et-religion-91511">nullement subordonnées l’une à l’autre</a>.</p>
<p>Bien sûr, la féminité pouvait être violente. La <a href="https://theconversation.com/pourquoi-sekhmet-deesse-lionne-et-femme-feline-nous-fascine-autant-88745">déesse féline Sekhmet</a> était là pour le rappeler. Cependant, même sous cet aspect sanguinaire, elle est envisagée de manière positive. Elle est redoutable, mais sa cruauté ne frappe que les coupables. Sekhmet fait de l’excès de zèle, si bien que les hommes et même les pharaons la craignent, mais ils n’ont qu’à bien se tenir !</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239729/original/file-20181008-72106-1nu7zau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239729/original/file-20181008-72106-1nu7zau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1435&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239729/original/file-20181008-72106-1nu7zau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1435&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239729/original/file-20181008-72106-1nu7zau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1435&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239729/original/file-20181008-72106-1nu7zau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1803&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239729/original/file-20181008-72106-1nu7zau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1803&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239729/original/file-20181008-72106-1nu7zau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1803&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Statuette de déesse nue, sans doute Ishtar. Albâtre, IIIᵉ siècle av.-IIIᵉ siècle apr. J.-C.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d3/Statuette_Goddess_Louvre_AO20127.jpg">Musée du Louvre.</a></span>
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<p>C’est en Mésopotamie qu’apparaît pour la première fois la figure de la femme fatale, ce danger féminin qui hante encore notre imaginaire contemporain, notamment à travers la bande dessinée et la chanson, où ce thème est parfois repris de manière humoristique. On pense à Britney Spears : <em>Oops ! I did it again</em>.</p>
<p>Dans la seconde moitié du IV<sup>e</sup> millénaire av. J.-C., les habitants d’Uruk, cité-Etat du sud de la Mésopotamie, se disaient protégés par une grande déesse nommée Inanna ou Ishtar. Une divinité de la fertilité, source de toute vie, garante de la reproduction des hommes et des animaux. Les rois <a href="https://www.babelio.com/livres/Kramer-Lerotisme-sacre/444260">se prétendaient les amants de cette déesse</a>. Leur union est décrite, dans les textes sumériens, comme un véritable mariage, remontant à une figure royale mythique : le berger Dumuzi, premier époux humain d’Ishtar et premier roi. Les souverains successifs prenaient ensuite la place de Dumuzi auprès de la déesse.</p>
<p>Mais ce rôle d’Ishtar fut ensuite considéré comme dérangeant, sans doute à partir du début du deuxième millénaire av. J.-C. Les souverains préfèrent alors se choisir des dieux protecteurs de sexe masculin et le thème de l’union avec la déesse disparaît du discours officiel.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239736/original/file-20181008-72100-1pathqb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239736/original/file-20181008-72100-1pathqb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239736/original/file-20181008-72100-1pathqb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239736/original/file-20181008-72100-1pathqb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239736/original/file-20181008-72100-1pathqb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239736/original/file-20181008-72100-1pathqb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239736/original/file-20181008-72100-1pathqb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>L’Epopée de Gilgamesh</em>, bande dessinée de Julien Blondel et Alain Brion, 2010.</span>
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<h2>L’invention de la femme fatale</h2>
<p>La célèbre <a href="https://www.ecoledesloisirs.fr/livre/recit-gilgamesh">épopée de Gilgamesh</a>, roi légendaire d’Uruk, rend compte de ce renforcement du patriarcat. L’œuvre, dans sa version plus récente qui pourrait dater du XI<sup>e</sup> siècle av. J.-C., est connue par une copie retrouvée sur une série de tablettes cunéiformes dans le palais de Ninive, au nord de l’Irak actuel.</p>
<p>Dans la tablette VI, Ishtar est présentée sous un jour extrêmement négatif. Elle demande en mariage le héros Gilgamesh qui la repousse violemment. Il lui lance à la face une série d’insultes : elle est un brasier qui s’éteint lorsqu’il fait froid, une porte battante qui ne retient pas les courants d’air, une chaussure qui blesse le pied qu’elle devrait protéger, un palais qui s’écroule sur ses fidèles gardiens, un éléphant qui provoque la chute de son cornac… Bref, elle est l’incarnation d’une féminité défectueuse qui met en danger la vie d’autrui.</p>
<p>De là à considérer les femmes comme un problème social, il n’y a qu’un pas. D’autant plus que Gilgamesh associe à ces défauts l’idée d’une souillure : Ishtar est comme du bitume qui colle à la peau et salit celui qui le touche.</p>
<p>Mais la pire des accusations est qu’elle provoque l’impuissance, voire la mort de ses amants. Déesse de la procréation et de la vie sans cesse renouvelée, Ishtar devient une divinité pourvoyeuse de mort. Gilgamesh dresse la liste des amants qu’elle a anéantis. Un bel oiseau multicolore, symbole phallique, qu’elle a amputé de ses ailes. Un vigoureux lion, autre image de la virilité, qu’elle a tué en le faisant tomber dans le piège qu’elle avait elle-même creusé. Un magnifique étalon auquel elle a fait subir toutes sortes d’humiliations.</p>
<p>La dernière des victimes d’Ishtar se nomme Ishullanu, un brave jardinier, que la méchante a transformé en crapaud. Encore une métaphore de la castration. Le jardinier était chargé d’arroser et de fertiliser le sol. <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/Sexe-et-amour-de-Sumer-a-Babylone">Eau et sperme étant étroitement liés dans la poésie sumérienne</a>.</p>
<p>Devenu crapaud, Ishullanu est réduit à l’impuissance. « Tu l’as condamné à demeurer dans son jardin, qu’il ne peut désormais ni fertiliser ni arroser », s’écrie Gilgamesh. Le jardin va disparaître. Vie et régénération sont anéanties par la déesse.</p>
<p>Ce passage de l’épopée de Gilgamesh retourne systématiquement dans un sens négatif les qualités prêtées auparavant à la déesse. L’idée d’une féminité dangereuse s’impose.</p>
<p>Finalement, Gilgamesh triomphe de la déesse en tuant le taureau qu’elle a lâché sur lui pour se venger de ses insultes. « Regagne donc ta place dans l’ombre du mur », lance-t-il à la femme vaincue. Il regrette seulement de n’avoir pu la tuer : « Si je t’avais attrapée, je t’aurais fait la même chose (qu’au taureau) et je t’aurais couverte des entrailles de la bête ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239737/original/file-20181008-72127-ez73e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239737/original/file-20181008-72127-ez73e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1056&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239737/original/file-20181008-72127-ez73e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1056&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239737/original/file-20181008-72127-ez73e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1056&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239737/original/file-20181008-72127-ez73e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1327&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239737/original/file-20181008-72127-ez73e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1327&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239737/original/file-20181008-72127-ez73e0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1327&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pandore par John William Waterhouse, 1896.</span>
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<h2>Le fléau féminin</h2>
<p>Une véritable idéologie misogyne est également à l’œuvre dans la mythologie grecque. Pandore, première femme de l’humanité, est décrite comme une malédiction, conçue par Zeus, le roi des dieux, pour punir les hommes qui espéraient s’émanciper de la domination divine. Ils avaient découvert l’usage du feu. Ce progrès technique devait absolument être compensé par une régression, un handicap nouveau pour l’humanité : la femme.</p>
<p>Elle est « l’engeance maudite », le « terrible fléau installé au milieu des hommes », écrit le poète grec Hésiode (<em>Théogonie</em>, 591-592). Parce qu’elle n’a pas su résister à l’envie d’ouvrir une boîte remplie de maux, elle a laissé se répandre sur l’humanité les malheurs qui, depuis, affligent les humains : la souffrance, le vieillissement, la mort.</p>
<p>L’auteur grec Athénée de Naucratis abonde lui aussi dans ce sens : « Les guerres les plus terribles ont été provoquées par des femmes », écrit-il (<em>Deipnosophistes</em> XIII, 10). Il pense à des filles trop séduisantes, comme la Belle Hélène, <a href="http://remacle.org/bloodwolf/erudits/athenee/amour1.htm">véritable cause de la Guerre de Troie</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239738/original/file-20181008-72100-buos6i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239738/original/file-20181008-72100-buos6i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=555&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239738/original/file-20181008-72100-buos6i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=555&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239738/original/file-20181008-72100-buos6i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=555&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239738/original/file-20181008-72100-buos6i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=698&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239738/original/file-20181008-72100-buos6i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=698&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239738/original/file-20181008-72100-buos6i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=698&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Circé dans la BD Ulysse, en 1974.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.bdtheque.com/main.php?bdid=4717&action=4">Ulysse 1974 Lob (Jacques)/Pichard (Georges)/Glénat</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La séductrice monstrueuse</h2>
<p>Circé nous offre un autre exemple de femme aussi attirante que terrifiante. Déesse et magicienne, elle invite les hommes dans son palais, les empoisonne et les transforme en bêtes : lions, loups ou porcs. Heureusement, le héros Ulysse parvient à la dominer.</p>
<p>Dans les mythes grecs, on rencontre aussi des monstres féminins, cette fois éliminés physiquement, comme la Sphynge, sphinx femelle vaincu par Œdipe. Une féminité hybride et bestiale : tête de femme, corps de lion, ailes d’aigle et queue de serpent. Vaincue, elle se suicide.</p>
<p>Les Sirènes font elles aussi figure de tentatrices et tueuses d’hommes. Hybrides comme la Sphynge, elles possèdent de beaux visages de jeunes filles perchés sur des corps d’oiseaux. Par leurs chants suaves, elles attirent les marins vers de périlleux rivages. Là, une fois que leurs navires se sont fracassés sur les récifs, elles les dévorent, ne laissant autour d’elles que des amas d’os.</p>
<p>C’est encore Ulysse qui réussit à les vaincre. Il les humilie si bien qu’elles se suicident. Gilgamesh, Œdipe, Ulysse, autant d’hommes qui, pour avoir vaincu de monstrueuses femelles, dévoreuses ou ensorceleuses, sont consacrés comme des héros dans des sociétés patriarcales.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239739/original/file-20181008-72124-1nix6jx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239739/original/file-20181008-72124-1nix6jx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=529&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239739/original/file-20181008-72124-1nix6jx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=529&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239739/original/file-20181008-72124-1nix6jx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=529&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239739/original/file-20181008-72124-1nix6jx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=665&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239739/original/file-20181008-72124-1nix6jx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=665&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239739/original/file-20181008-72124-1nix6jx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=665&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Circé sous les traits de Tilla Durieux, par Franz von Stuck, 1913.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://de.wikipedia.org/wiki/Tilla_Durieux_als_Circe#/media/File:Franz_von_Stuck_Tilla_Durieux_als_Circe.jpg">Wikipedia</a></span>
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<h2>Eve et Pandore : <em>Oops !</em></h2>
<p>Dans la Bible, Pandore a pour équivalent Ève. Encore une femme vue comme un danger. Une féminité responsable des malheurs des humains. Adam, le premier homme, est chassé du paradis terrestre à cause du péché commis par le prototype de la femme. Comme le dirait Britney Spears, <a href="https://genius.com/Britney-spears-oops-i-did-it-again-lyrics">« Oops I did it again ! I’m not that innocent »</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239740/original/file-20181008-72113-1dongf2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239740/original/file-20181008-72113-1dongf2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239740/original/file-20181008-72113-1dongf2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239740/original/file-20181008-72113-1dongf2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239740/original/file-20181008-72113-1dongf2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239740/original/file-20181008-72113-1dongf2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239740/original/file-20181008-72113-1dongf2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Oops, I did it again ! », ou la femme comme un danger.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Oops!..._I_Did_It_Again_(song)#/media/File:Oops!..._I_Did_It_Again.png">Wikipédia.</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Depuis l’épopée de Gilgamesh, toutes ces histoires culpabilisantes ont pour but de légitimer le contrôle exercé par les hommes sur des créatures jugées instables et toujours potentiellement nocives, pour peu qu’elles échappent à la domination masculine.</p>
<p>C’est dans la continuité de ces très anciens stéréotypes <a href="https://www.challenges.fr/societe/mexique-plus-de-7-femmes-assassinees-en-moyenne-chaque-jour-en-2016_519999">que des femmes se font encore assassiner aujourd’hui</a>.</p>
<hr>
<p><em>Christian-Georges Schwentzel dédicacera ses deux derniers livres, « La fabrique des chefs » et « Les quatre saisons du Christ », aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois, samedi 13 octobre 2018, de 17h à 18h, sur le stand des éditions Vendémiaire.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104447/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Récits et représentations témoignent que la vision négative de la femme échappant au contrôle masculin est profondément ancrée dans l’histoire.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/953912018-05-09T19:41:54Z2018-05-09T19:41:54ZLes politiques identitaires sont-elles émancipatrices ou régressives ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/216192/original/file-20180424-57617-n3j80y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C60%2C1284%2C764&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Si les membres de l'UKIP (parti d'extrême-droite anglais) étaient des pigeons, Clacton-on-Sea de #Banksy.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/dullhunk/15337611468">Duncan Hull/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Parfois sectaires, voire agressives, les politiques identitaires peuvent-elles être également progressives et émancipatrices ?</p>
<p>Les dernières actions de <a href="https://theconversation.com/comment-lextreme-droite-radicale-se-recompose-en-france-94072">militants de groupuscules identitaires</a> aux frontières de l’Italie et de la France s’inscrivent ainsi dans une vision de la politique déterminée d’abord par l’adhésion, l’identification à un groupe commun. Une mouvance que l’on retrouve un peu partout aujourd’hui.</p>
<p>De l’influence de la <a href="https://theconversation.com/the-caste-politics-curse-that-india-just-cant-shake-off-84216">caste en Inde</a> à l’essor d’un nationalisme chrétien xénophobe en <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/feb/09/giorgia-meloni-brothers-of-italy-party-friendly-face-surging-far-right">Italie</a> et en <a href="https://theconversation.com/hungary-election-viktor-orban-tightens-his-grip-with-a-super-majority-94680">Hongrie</a>, les individus se mobilisent pour défendre ce qu’ils perçoivent comme leur identité religieuse ou ethnique commune.</p>
<p>La pérennité des politiques identitaires est surprenante. Les théories modernistes développées après-guerre postulaient pourtant que l’<a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/224767">héritage identitaire ethnique et religieux perdrait de son importance avec l’entrée dans la modernité</a>. Ou, du moins, que l’« effet de groupe » irait en s’atténuant.</p>
<p>L’urbanisation, l’éducation, la mobilité et les nouveaux moyens de communication étaient censés affaiblir le sentiment d’appartenance à une communauté ethnique ou religieuse « primordiale ».</p>
<p>image id=“215245” aligne=“centre” source=“Attila Kisbenedek/AFP” caption=“Des sympathisants du parti Fidesz célèbrent la victoire électorale du premier ministre hongrois Viktor Orban à Budapest, le 18 avril 2018.”</p>
<h2>Les théories de la modernisation à l’épreuve</h2>
<p>Les choses ne se sont pas passées ainsi. Bien sûr, la modernisation a radicalement transformé les modes de vie traditionnels, mais, comme le <a href="http://graduateinstitute.ch/files/live/sites/iheid/files/sites/mia/shared/mia/cours/IA010/Barth%20Introduction%20Ethnic%20Groups%20and%20Boundaries%20.pdf">souligne le socio-anthropologue Frederik Barth</a>, les membres d’un groupe ethnique peuvent conserver un sens très fort de leur identité malgré ou justement à cause de bouleversements radicaux dans leur mode de vie.</p>
<p>Le sociologue Rogers Brubaker insiste sur le fait que « l’effet de groupe » lié aux catégories ethniques et religieuses peut ainsi <a href="https://press.princeton.edu/titles/8312.html">s’intensifier en période d’évolutions sociétales</a> si cela permet d’agir collectivement ou si le cours des choses menace des intérêts communs.</p>
<p>La persistance des politiques identitaires est sujet d’inquiétude pour beaucoup de gens. Le problème n’est pas tant la diversité ethnique et religieuse en tant que telle, puisque celle-ci est souvent reconnue, et même célébrée, en tant que source de variété et d’innovation. Cependant, les réactions inquiètes, voire hostiles, se multiplient dès que ces groupes identitaires <a href="https://theconversation.com/global/topics/indigenous-55">se mobilisent sur le plan politique</a>) pour réclamer davantage de droits et de reconnaissance, car ils réveillent le spectre du tribalisme, de la balkanisation et de la polarisation entre communautés.</p>
<h2>Les enjeux du multiculturalisme</h2>
<p>La principale difficulté réside dans la totale hétérogénéité de ces politiques, dont les idéaux et les objectifs peuvent être diamétralement opposés. Les cas d’ethnocentrisme fratricide et de sectarisme dégénérant en guerre civile sont souvent <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/224767">beaucoup plus médiatisés que les autres</a>. Toutefois, il est important de rappeler que, dans la majorité des cas, la mobilisation politique de groupes ethniques et religieux s’effectue de façon pacifique, bienveillante et même progressiste.</p>
<p>L’un des exemples les plus parlants à cet égard est la mobilisation des peuples indigènes d’Amérique latine qui réclamaient (et ont pour partie obtenu) l’adoption de ce que la chercheuse Donna Lee Van Cott appelle le <a href="https://www.peacepalacelibrary.nl/ebooks/files/A%20Political%20Analysis%20of%20Legal%20Pluralism%20Van%20Cott.pdf">« constitutionnalisme multiculturel »</a>, c’est-à-dire la reconnaissance constitutionnelle d’un statut distinct pour les populations autochtones. Ce statut inclut le droit à l’auto-administration, la restitution des terres, et la réparation des préjudices causés par des siècles de spoliation, de <a href="http://www.cambridge.org/gb/academic/subjects/politics-international-relations/comparative-politics/contesting-citizenship-latin-america-rise-indigenous-movements-and-postliberal-challenge?format=HB&amp;isbn=9780521827461">marginalisation politique et de dénigrement culturel</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/215391/original/file-20180418-163986-y9188w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/215391/original/file-20180418-163986-y9188w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/215391/original/file-20180418-163986-y9188w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/215391/original/file-20180418-163986-y9188w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/215391/original/file-20180418-163986-y9188w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/215391/original/file-20180418-163986-y9188w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/215391/original/file-20180418-163986-y9188w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des membres des communautés indigènes marchent pour leurs droits en Équateur.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/en/photo/1018437">Pxhere.com</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cependant, l’efficacité concrète de ces réformes suscite de <a href="http://burawoy.berkeley.edu/Public%20Sociology,%20Live/Rodriguez.Global%20Governance.pdf">vifs débats en Amérique latine</a>. Certains estiment que les changements apportés sont purement symboliques et orchestrés par les élites, précisément pour <a href="https://www.jstor.org/stable/3875459">détourner l’attention des structures sous-jacentes du pouvoir</a>.</p>
<p>D’autres déplorent le fait que, malgré les bénéfices tangibles qu’elles apportent aux peuples autochtones, les réformes multiculturelles créent dans le même temps de nouvelles hiérarchisations ethniques, en <a href="https://pdfs.semanticscholar.org/c8a1/249ecc998834f4ace1b824ca2353bcca5168.pdf">excluant par exemple les latino-américains d’origine africaine</a>, qui ne sont pas considérés comme « indigènes ».</p>
<h2>La dictature de l’authenticité</h2>
<p>D’autres encore affirment que cette politique emprisonne les gens en les enfermant dans des cases, et met en péril les libertés individuelles. Obtenir de nouveaux droits multiculturels nécessite en effet de <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-latin-american-studies/article/new-help-or-new-hegemony-the-transnational-indigenous-peoples-movement-and-being-indian-in-el-salvador/12B0B80261B876AF251A771B85E304D3">« faire Indien »</a>, c’est-à-dire de se conformer à des pratiques culturelles « authentiques ». Une telle attente renforce la mainmise sur les conservateurs et les adeptes du patriarcat, <a href="https://www.cmi.no/publications/5053-pilar-domingo-and-rachel-sieder-eds-2001">qui s’arrogent le pouvoir</a> de déterminer ce qui est authentique.</p>
<p>Tout en ayant conscience de ces dangers, beaucoup de commentateurs assurent néanmoins que l’avènement des politiques en faveur des peuples indigènes en Amérique latine constitue une avancée positive, non seulement pour les autochtones, mais aussi pour la société dans son ensemble. Ce phénomène a encouragé la participation au processus démocratique de communautés qui en étaient jusqu’alors exclues, réduit les risques de retour à l’autoritarisme, légitimé la consolidation de la démocratie et même servi de laboratoire à des expérimentations innovantes en matière de citoyenneté.</p>
<p>La participation des populations indigènes à la réforme constitutionnelle de 1991 en Colombie a ainsi joué un rôle symbolique et de catalyseur dans le <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007%2F978-1-137-09105-5_8">processus de démocratisation</a>, comme le montre un récent <a href="http://www.pluralism.ca/wp-content/uploads/2018/01/Colombia_CaseNote_EN.pdf">rapport à l’attention du Centre mondial du pluralisme</a>.</p>
<p>En ce sens, dans ces aspects les plus positifs, la nouvelle politique en faveur des minorités est un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01419870.2015.1061132">réel vecteur de changement</a>, non seulement dans la vie de ces minorités mais aussi, de façon plus générale, par son influence sur la politique nationale, qu’elle oriente dans une voie plus progressiste, inclusive, démocratique, tolérante et pacifique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/215393/original/file-20180418-163998-w4xlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/215393/original/file-20180418-163998-w4xlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/215393/original/file-20180418-163998-w4xlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/215393/original/file-20180418-163998-w4xlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/215393/original/file-20180418-163998-w4xlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/215393/original/file-20180418-163998-w4xlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/215393/original/file-20180418-163998-w4xlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les opposants au pipeline du Dakota manifestent aussi leur désaccord avec la politique de Donald Trump, à Minneapolis (Minnesota), le 20 janvier 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/NODAPL#/media/File:Dakota_Access_Pipeline_protesters_against_Donald_Trump_(31619797533).jpg">Fibonacci Blue/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Encouragés par de tels exemples dans le monde entier, des rapports internationaux ont pris résolument position en faveur d’une « démocratie multiculturelle », y compris le rapport sur le développement humain du PNUD pour l’année 2004, texte pionnier en la matière, intitulé <a href="http://hdr.undp.org/sites/default/files/reports/265/hdr_2004_complete.pdf"><em>Liberté culturelle dans un monde diversifié</em></a>, et le <a href="http://www.unesco.org/new/en/culture/resources/report/the-unesco-world-report-on-cultural-diversity/"><em>Rapport mondial sur la diversité culturelle</em></a> de l’Unesco en 2008.</p>
<h2>Contre-exemples</h2>
<p>Ces idées se heurtent toutefois à une forte résistance, y compris au sein de la communauté internationale, en partie parce que pour chaque exemple de politique ethnique progressiste, on trouve des contre-exemples, comme les politiques pro-indigènes d’Afrique de l’Ouest et d’Asie du Sud-Est.</p>
<p>Dans ce contexte, les revendications d’une identité indigène ou autochtone servent moins à défier un système de hiérarchisation et d’exclusion atavique, qu’à le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08039410.2005.9666320">renforcer</a> pour reléguer « les étrangers » venus d’autres régions du pays au statut de <a href="https://anthropology.artsci.wustl.edu/files/anthropology/imce/Bowen-Normative_Pluralism_in_Indonesia.pdf">citoyens de seconde zone</a>, perpétuant ainsi les sentiments d’inimitié et d’exclusion, au lieu de construire des relations plus inclusives et respectueuses du principe démocratique de citoyenneté.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/215399/original/file-20180418-164001-q7e4nu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/215399/original/file-20180418-164001-q7e4nu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/215399/original/file-20180418-164001-q7e4nu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/215399/original/file-20180418-164001-q7e4nu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/215399/original/file-20180418-164001-q7e4nu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/215399/original/file-20180418-164001-q7e4nu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/215399/original/file-20180418-164001-q7e4nu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un vendeur ambulant à Glodok, le quartier chinois de Jakarta. Les Indonésiens d’origine chinoise ont été récemment montrés du doigt par des politiciens qui les qualifient de « non-autochtones ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Chinese_Indonesian_cuisine#/media/File:Jakarta_Indonesia_Hawkers-in-_Glodok-01.jpg">Uwe Aranas/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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</figure>
<p>En Asie du Sud-Est, par exemple, des politiciens indonésiens nient aux citoyens d’origine chinoise le statut <a href="https://www.ft.com/content/d7ec9e12-6de3-11e7-bfeb-33fe0c5b7eaa">d’autochtone</a>, sous-entendant par également qu’ils ne sont pas dignes de confiance. La junte militaire birmane et plusieurs représentants du culte bouddhique local ont <a href="https://theconversation.com/life-in-limbo-the-rohingya-refugees-trapped-between-myanmar-and-bangladesh-71957">justifié l’oppression des Rohingyas</a>) sous le prétexte (fallacieux) que ceux-ci sont des étrangers qui devraient « rentrer » au Bangladesh.</p>
<p>Des politiques « indigénistes » qui, à première vue, semblent similaires génèrent donc en pratique des conséquences très différentes.</p>
<p>Naturellement, il existe des formes extrêmes de politique identitaire, encore plus violentes et intolérantes, ancrées dans ce qu’Arjun Appadurai appelle les <a href="https://ceasefiremagazine.co.uk/in-theory-appadurai/">« identités prédatrices »</a>, dont « la construction sociale et la mobilisation exigent l’extinction de catégories sociales voisines, considérées comme des menaces pour la survie d’un groupe donné ».</p>
<p>Ce type de politique identitaire peut mener à la ségrégation, au nettoyage ethnique ou même au génocide.</p>
<h2>Des facteurs nationaux et internationaux</h2>
<p>Pourquoi les politiques identitaires sont-elles émancipatrices dans certains contextes, et régressives dans d’autres ? Parfois, la réponse est à chercher dans les facteurs extérieurs. L’exemple le plus évident est la façon dont la Russie soutient les minorités rebelles en Ukraine, en Géorgie et en Moldavie, afin de maintenir son hégémonie sur la région, <a href="http://www.oxfordscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780199676583.001.0001/acprof-9780199676583-chapter-10">comme l’explique Neil MacFarlane</a>.</p>
<p>Même bien intentionnées, les organisations internationales aggravent parfois les choses. En matière de <a href="http://www.oxfordscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780199676583.001.0001/acprof-9780199676583-chapter-7">résolution des conflits</a>, par exemple, l’Union européenne préfère les ONG civiles aux mouvements sociaux ethniques ou qu’elle considère sectaires. Cette préférence est censée promouvoir l’inclusion sociale ; en réalité, elle empêche sans doute des politiques pro-minoritaires, vectrices de changement positif, de voir le jour.</p>
<p>Néanmoins les acteurs internationaux peuvent aussi avoir un impact constructif, comme en Amérique latine où des organismes et réseaux mondiaux de défense des droits humains et des peuples autochtones ont contribué à promouvoir une <a href="https://muse.jhu.edu/article/17046">citoyenneté inclusive</a>.</p>
<p>Bien entendu, les <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/e/9781136191572/chapters/10.4324%2F9780203084434-6">minorités elles-mêmes</a> ont leurs propres traditions d’autorité, de responsabilité, de débat et de tolérance qui peuvent affecter leur façon d’exploiter les occasions offertes par les réseaux internationaux ou les structures politiques locales.</p>
<p>La question de savoir comment ces différents facteurs transnationaux, nationaux et locaux interagissent pour déterminer l’orientation d’une politique identitaire reste ouverte et nécessite de plus amples recherches.</p>
<h2>La lutte contre l’exclusion</h2>
<p>Même si les formes régressives de politiques identitaires restent communes, il ne faut pas oublier que les mobilisations politiques autour des questions de race, d’ethnicité, de religion ou d’indigénéité sont souvent un moyen de lutter contre les pratiques d’exclusion au cœur des conceptions dominantes du progrès social.</p>
<p>Les théoriciens de la modernisation, comme <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt183pnr2">Gabriel Almond et Sidney Verba</a>, partaient du postulat que les institutions publiques et les identités civiques qu’ils défendaient étaient accessibles à tous. Or nous savons que ces institutions et ces identités sont presque toujours empreintes d’une hiérarchisation culturelle qui valorise certains groupes, perçus comme développés, civilisés et responsables, et en dénigre d’autres, soi-disant arriérés et indisciplinés.</p>
<p>Le progrès social est présenté par ces institutions comme la conséquence naturelle de l’histoire, de la langue et de la culture de certains groupes, tandis que celles d’autres groupes sont qualifiées d’obstacles au progrès.</p>
<p>Pour participer à la vie publique et civique, les membres de ces groupes stigmatisés doivent se cacher ou gommer leurs traits identitaires, et sont constamment forcés de combattre les préjugés sur leur valeur ou leur intégration à la société, comme c’est le cas des <a href="https://www.ceeol.com/search/article-detail?id=247106">Roms</a>.</p>
<p>Sur ce point le comportement des pays émergents est marqué par l’ambivalence et les revirements politiques. Ainsi, les <a href="https://www.jstor.org/stable/27768186?seq=1#page_scan_tab_contents">campagnes de discrimination positive en Inde</a>, en faveur des castes les plus basses, répondent-elles aux attentes des défenseurs des droits civiques. Elles coexistent cependant avec la mobilisation récurrente autour de la vision d’un État-nation hindou et l’incitation afférente à la violence envers les musulmans.</p>
<p>Même quand les règles institutionnelles ne font pas officiellement de discrimination sur des critères raciaux ou religieux, elles peuvent reproduire ces hiérarchisations de statut et de reconnaissance.</p>
<p>Dans la mesure où la mobilisation autour d’identités collectives subalternes est pensée comme un défi (implicite ou explicite) lancé à la hiérarchie, elle peut être vue non comme une manifestation incivile de sectarisme et de tribalisme, ou un rejet futile du changement et des influences culturelles, mais comme un combat pour une forme plus efficace et inclusive de démocratie, de citoyenneté et de progrès social. Il nous faut rester ouverts à cette possibilité.</p>
<p>Bien sûr, il n’est pas question de nier l’existence du sectarisme et du tribalisme, ni leur incivilité, mais le défi consiste précisément à différencier les formes les plus émancipatrices des formes les plus régressives de politique « primordiale ».</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201169/original/file-20180108-83571-1ioqma4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201169/original/file-20180108-83571-1ioqma4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=201&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201169/original/file-20180108-83571-1ioqma4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=201&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201169/original/file-20180108-83571-1ioqma4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=201&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201169/original/file-20180108-83571-1ioqma4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=252&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201169/original/file-20180108-83571-1ioqma4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=252&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201169/original/file-20180108-83571-1ioqma4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=252&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Ce billet s’inscrit dans une série de contributions issues du <a href="https://www.ipsp.org">panel international sur le progrès social</a>, une initiative universitaire internationale réunissant 300 chercheurs et universitaires – toutes sciences sociales et sciences humaines confondues – qui préparent un rapport sur les perspectives de progrès social pour le XXI<sup>e</sup> siècle. En partenariat avec The Conversation, ces articles proposent un aperçu exclusif du contenu du rapport et des recherches de ses auteurs.</em></p>
<p><em>Traduit de l’anglais par Iris Le Guinio pour <a href="http://www.fastforword.fr/">Fast for Word</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/95391/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Fleurbaey est coordonne le programme International Panel for Social Progress.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>John Bowen et Will Kymlicka ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Loin d’être affaibli par la modernité, le sentiment d’appartenance à une communauté ethnique ou religieuse « primordiale » domine aujourd’hui la politique.John Bowen, Dunbar-Van Cleve Professor in Arts & Sciences Sociocultural Anthropology, IPSP, Washington University in St. LouisWill Kymlicka, Professor of philosphy, Queen's University, OntarioLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/961942018-05-08T20:44:38Z2018-05-08T20:44:38ZLa « crise » de la masculinité ou la revanche du mâle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/217941/original/file-20180507-46335-zdl2vk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C170%2C2851%2C2065&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">17 avril 1927-Glacier National Park: groupe de musique du Cowboys Coyote Quartet.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/97453745@N02/9047013599/">Tullio Saba/Flickr</a></span></figcaption></figure><p>Toronto, 23 avril 2018 : un <a href="http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/04/23/au-canada-une-camionnette-renverse-une-dizaine-de-pietons-dans-le-centre-de-toronto_5289560_3222.html">homme s’est lancé avec une camionnette sur des piétons</a>, tuant 8 femmes et 2 hommes et en blessant plusieurs autres. Sans présumer de ses motivations avant de connaître les résultats de l’enquête et le procès, un message qu’il avait publié sur les réseaux sociaux permet tout de même d’associer ce terroriste au mouvement des « célibataires involontaires » (ou « incel », pour « involuntary celibates »).</p>
<p>Ce mouvement, qui s’exprime surtout <a href="https://www.independent.co.uk/news/long_reads/incel-what-is-involuntary-celibates-elliot-rodger-alek-minassian-canada-terrorism-a8335816.html">sur les réseaux sociaux</a>, prétend que les hommes souffrent du refus des femmes de s’offrir sexuellement, ce qui expliquerait tout à la fois le suicide des hommes ainsi que leur violence contre les femmes, y compris les meurtres de masse. <a href="https://theconversation.com/la-tuerie-de-toronto-sombre-hommage-a-un-autre-crime-misogyne-95671">Ce mouvement célèbre d’ailleurs ses héros et martyrs</a>, comme Elliot Rodger – <a href="http://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/201804/24/01-5162222-alek-minassian-avait-des-liens-avec-des-groupes-de-discussion-misogynes.php">qualifié de « gentleman suprême »</a> par le terroriste de Toronto – qui a tué six personnes en Californie en 2014 et qui a expliqué sur une vidéo avoir ainsi voulu punir les femmes car il n’avait jamais eu de relations sexuelles.</p>
<p>S’il s’agit d’une forme d’expression particulièrement virulente de la rhétorique de la <a href="https://www.jstor.org/stable/30041839">« crise de la masculinité »</a>, qui prétend que les hommes souffrent à cause des femmes en général et surtout des féministes, ce n’est pas là les seuls meurtres de masse associés à un tel discours.</p>
<h2>Le fantôme de Montréal</h2>
<p>Déjà le 6 décembre 1989 à Montréal, un <a href="http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2009/12/11/antifeminisme-le-massacre-qui-a-traumatise-le-quebec_1279096_3222.html">homme avait assassiné 14 femmes à l’École polytechnique</a>, affirmant que les « féministes » lui avaient « gâché la vie ».</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/217929/original/file-20180507-46359-vcgmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/217929/original/file-20180507-46359-vcgmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/217929/original/file-20180507-46359-vcgmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=643&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/217929/original/file-20180507-46359-vcgmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=643&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/217929/original/file-20180507-46359-vcgmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=643&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/217929/original/file-20180507-46359-vcgmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=808&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/217929/original/file-20180507-46359-vcgmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=808&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/217929/original/file-20180507-46359-vcgmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=808&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Commémoration des 14 victimes (toutes féminines) de la tuerie de l’École Polytechnique de Montréal (1989). L’auteur du massacre, Marc Lépine, déclara : « Vous êtes des femmes, vous allez devenir des ingénieures. Vous n’êtes toutes qu’un tas de féministes, je hais les féministes ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mtl_dec6_plaque.jpg">Bobanny/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cet attentat avait été présenté par plusieurs commentateurs d’alors comme la preuve que l’<a href="http://www.editions-rm.ca/livres/jhais-les-feministes/">homme québécois souffrait d’une crise d’identité</a>. Plus récemment, en Norvège, le néo-nazi Anders Breivik a assassiné des dizaines de jeunes membres du Parti socialiste et a expliqué, dans son manifeste, que les féministes menaçaient la virilité et la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08038740.2011.650707">civilisation occidentale</a>. Dans les mois après l’attentat, des femmes journalistes en Norvège ont reçu des insultes sexistes et des menaces de morts par de prétendus membres du <a href="https://www.crimejusticejournal.com/article/view/314">« fan-club de Breivik »</a>.</p>
<h2>Crise ou discours de crise ?</h2>
<p>L’historienne <a href="https://muse.jhu.edu/article/30223">Judith A. Allen</a> et d’autres, comme <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1468-0424.12212">Mary Louise Roberts</a>, ont mis en garde contre la notion de « crise de la masculinité », qui brouille la compréhension de phénomènes sociaux complexes. Selon ces historiennes, la notion de « crise », qui devrait évoquer des bouleversements importants et des transformations profondes, ne correspond pas à la réalité des rapports entre les sexes et de la condition masculine.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0viifGIcA84?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film de Patric Jean, <em>La domination masculine</em>, 2009.</span></figcaption>
</figure>
<p>Judith A. Allen insiste donc pour toujours porter attention aux institutions et aux rapports sociaux concrets, pour déterminer qui des hommes ou des femmes sont au sommet des institutions politiques, économiques et culturelles les plus importantes, qui a le plus de ressources (propriété, argent, armes à feu, etc.), qui a peur de qui, qui effectue le travail gratuit de s’occuper des autres (du mari, des enfants, des personnes malades), etc..</p>
<p>Avec cette méthode d’analyse, on constate rapidement qu’il est préférable, comme le suggérait Judith A. Allen, de parler de « discours de crise », plutôt que de crise réelle.</p>
<p>D’autres ont proposé le même constat, par exemple Jie Yang qui a étudié le discours de crise de la masculinité en <a href="https://doi.org/10.1111/j.1548-1425.2010.01272.x">Chine post-maoïste</a>, et qui déplore que la plupart des études sur la crise de la masculinité ont pour sources des journaux, des romans, des films ou des entretiens :</p>
<blockquote>
<p>« Cette approche peut créer l’illusion que ce qui est présenté dans des textes littéraires est un reflet suffisant de ce qui survient dans la réalité sociale. »</p>
</blockquote>
<p>Cela dit, Jie Yang et d’autres ont aussi montré que les discours de crise peuvent avoir des effets sur la réalité sociale, même s’il n’y a pas réellement de crise : cela permet d’attirer l’attention des autorités et de l’opinion publique sur les victimes de la crise (ici, les hommes), cela permet de se présenter comme une victime ayant besoin d’aide (ressources, services, etc.), cela permet aussi de désigner la cause de la crise et de mieux la délégitimer (ici, les femmes et les féministes). Cela permet même de justifier des meurtres de masse et de glorifier la mémoire des assassins, présentés comme des héros, des rebelles ou des résistants.</p>
<h2>Une (trop) longue histoire</h2>
<p>Il faut d’autant plus utiliser avec prudence la notion de « crise de la masculinité » que l’<a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2012-1-page-119.htm">histoire occidentale</a> nous apprend qu’on peut retracer des exemples aussi loin que dans la Rome de l’Antiquité, à la sortie du Moyen Âge puis dans tous les siècles suivants un peu partout en Occident, y compris dans les pays les plus puissant comme l’Allemagne, les États-Unis, la France, etc.</p>
<p>Le XX<sup>e</sup> siècle semble être plombé par une crise de la masculinité permanente, y compris du côté du Bloc de l’Est pendant la Guerre froide, puis dans ces mêmes pays après la libéralisation.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/217928/original/file-20180507-46353-1tma9t8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/217928/original/file-20180507-46353-1tma9t8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/217928/original/file-20180507-46353-1tma9t8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/217928/original/file-20180507-46353-1tma9t8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/217928/original/file-20180507-46353-1tma9t8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/217928/original/file-20180507-46353-1tma9t8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/217928/original/file-20180507-46353-1tma9t8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« L’âge du bronza ou le triomphe des droits des femmes », une lithographie datée de 1869, caricaturant les possibles conséquences du vote des femmes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Age-of-Brass_Triumph-of-Womans-Rights_1869.jpg">Currier and Ives/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce discours de la crise de la masculinité a été porté par les plus hautes autorités de ces pays, par exemple les rois ou les présidents, l’élite religieuse, des universitaires, des écrivains célèbres, des notables membres de ligues patriotiques, des représentants de chambres de commerce, etc.</p>
<p>Il s’agissait de critiquer les mères et les épouses présentées comme dominatrices, de fustiger les femmes qui ne se pliaient pas aux rôles féminins tels que prescrits (mode vestimentaire et coupe de cheveux, port des armes et entrée dans des professions dites « masculines »). Ce discours de crise permettait aussi de justifier des punitions contre les femmes et d’exiger de nouvelles ressources pour les hommes : par exemple, le développement du sport amateur, des clubs pour hommes seulement, etc..</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/218771/original/file-20180514-133183-12x6zpj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/218771/original/file-20180514-133183-12x6zpj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/218771/original/file-20180514-133183-12x6zpj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/218771/original/file-20180514-133183-12x6zpj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/218771/original/file-20180514-133183-12x6zpj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/218771/original/file-20180514-133183-12x6zpj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/218771/original/file-20180514-133183-12x6zpj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Club of Gentlemen » vers 1730.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Joseph Highmore/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>« Terrorisme féministe mondial »</h2>
<p>Aujourd’hui, des études évoquent une crise de la masculinité un peu partout sur la planète dans des pays aussi différents que l’<a href="http://indianexpress.com/article/opinion/columns/a-crisis-of-male-identity-patriarchy-violence-lynching-4748027/">Inde</a>, <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/culture/.premium.MAGAZINE-violent-sensual-unapologetic-1.5404329">Israël</a>, le Japon et la Russie, ainsi que chez les hommes chrétiens, juifs et musulmans. En Occident, certains affirment que les Africains-Américains et les « jeunes arabes » souffrent d’une crise masculine, ce qui expliquerait leur violence, ou au contraire qu’ils sont les plus virils des hommes face aux Blancs « castrés » et sans défense face à l’homme noir ou à l’immigration musulmane. En fait, la notion de crise masculine permet d’affirmer tout et son contraire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/trumps-inauguration-ushers-in-2017-the-year-of-the-strongman-70846">Trump's inauguration ushers in 2017, the year of the strongman</a>
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<p>Certes, les axes du discours se transforment selon le contexte : avant la libéralisation du divorce, l’épouse dominatrice était responsable de la crise, maintenant c’est l’ex-conjointe. Dans certains pays aujourd’hui, on évoquera le plus haut taux de suicide des hommes, ou les difficultés scolaires de garçons, ou l’obligation de payer une pension alimentaire en cas de divorce, ou les lois contre les violences conjugales, présentées par des groupes d’hommes en Inde comme la conséquence du <a href="http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1077801214546906">« terrorisme féministe mondial »</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/217934/original/file-20180507-46347-169093n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/217934/original/file-20180507-46347-169093n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/217934/original/file-20180507-46347-169093n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/217934/original/file-20180507-46347-169093n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/217934/original/file-20180507-46347-169093n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/217934/original/file-20180507-46347-169093n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/217934/original/file-20180507-46347-169093n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation pour « Sauver la famille indienne » à New Delhi, en 2007.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/File:Save_Indian_Families_protest_(New_Delhi,_26_August_2007).jpg">newageindian/Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>Le discours de la crise est encore aujourd’hui généralement porté par des hommes de classe moyenne aisée, avec un niveau d’éducation plus élevé que la moyenne, et de bons emplois (ce que relèvent des études aux <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1300/J002v39n01_06">États-Unis</a>, en <a href="http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1077801214546906">Inde</a>, en <a href="http://hv.diva-portal.org/smash/get/diva2:626574/FULLTEXT01.pdf">Suède</a> et ailleurs).</p>
<p>Il s’agit aussi d’intellectuels, de psychologues, d’intervenants sociaux, mais aussi de militants de <a href="https://xyonline.net/sites/xyonline.net/files/Flood%2C%20What%27s%20wrong%20with%20fathers%27%20rights.pdf">groupes de pères divorcés ou séparés</a>, d’organisations chrétiennes qui organisent <a href="http://www.konbini.com/fr/tendances-2/france-2-reportage-sexiste-abject-20h">des retraites pour hommes seulement</a>, et de suprémacistes blancs <a href="https://rowman.com/ISBN/9780847690268/White-Man-Falling-Race-Gender-and-White-Supremacy">dans des réseaux néofascistes</a>.</p>
<h2>L’identité masculine conventionnelle, un facteur de risque</h2>
<p>Le discours de la crise de la masculinité est toujours l’occasion de réaffirmer une division radicale de l’humanité entre le masculin et le féminin, d’associer cette masculinité à certaines qualités stéréotypées (action, compétitivité, voire agressivité et violence) et de prétendre que le féminin est à la fois différent, inférieur et dangereux pour les hommes, puisque l’influence féminine serait pathologique et entraînerait un déclin, <a href="https://www.harpercollins.com/9780061981906/the-decline-of-men">voire une disparition des hommes</a>.</p>
<p>Pourtant, une lecture attentive de différentes études au sujet des prétendus symptômes de la crise de la masculinité – suicides, problèmes scolaires, divorces, etc. – révèle que les femmes n’en sont bien souvent pas du tout la cause et, surtout, que l’identité masculine conventionnelle est un facteur de risque, plutôt qu’une solution à promouvoir.</p>
<p>Dans le cas des suicides, par exemple, le <a href="https://liberation.checknews.fr/question/38531/pourquoi-les-hommes-se-suicident-trois-fois-plus-que-les-femmes">haut taux chez les hommes</a> s’explique, entre autres choses, par l’association de la <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/histoire-de-la-virilite-t-1-alain-corbin/9782020980678">virilité</a> aux armes à feu et la confusion entre identité masculine et professionnelle, ce qui rend les hommes plus vulnérables au chômage. Les épidémiologies notent ainsi que les hausses des suicides <a href="http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/02/07/la-hausse-des-suicides-lies-a-la-crise-une-realite-ignoree_1639939_3224.html">accompagnent les crises économiques</a>, dont les femmes ne sont pas responsables, puisqu’elles ne gèrent pas l’économie.</p>
<p>Plus troublant sans doute, le discours de la crise de la masculinité laisse entendre que l’égalité est une valeur féminine, et qu’elle menace l’identité mâle. Ce discours révèle donc que l’identité masculine est avant tout une identité politique, c’est-à-dire qu’elle est associée à des privilèges qui nous seraient dus en tant qu’homme (de la sexualité, des emplois, etc.), alors que des tâches aussi banales – et importantes – que préparer la nourriture ou s’occuper des enfants seraient incompatibles avec une saine masculinité. Un discours qui relève donc du <a href="https://www.splcenter.org/fighting-hate/extremist-files/ideology/male-supremacy">suprémacisme mâle</a> dans toute sa splendeur et qui semble bien avoir motivé les attaques telles que celle de Toronto.</p>
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<p><em>L’auteur vient dev publier <a href="http://www.editions-rm.ca/livres/la-crise-de-la-masculinite">« La crise de la masculinité : autopsie d’un mythe tenace »</a>, Montréal, éditions Remue-ménage.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/96194/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Francis Dupuis-Déri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La notion de « crise de la masculinité » brouille la compréhension de phénomènes sociaux complexes et réaffirme une division radicale de l’humanité entre le masculin et le féminin.Francis Dupuis-Déri, Professeur, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/935952018-03-22T23:24:29Z2018-03-22T23:24:29ZPolitique d’influence du Kremlin : entre Eurasie et « monde russe »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/211363/original/file-20180321-165574-1q57ddt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C121%2C1840%2C1008&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue du transsibérien, 2004, peut-être le symbole le plus évident du « monde » eurasiatique.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/boccaccio1/125083668/in/photolist-c461Y-qsrHtT-K2Bcq-K2Bdf-7cdbPb-iyY4bU-fe2wu7-c4621-fdJTkn-ffh5sf-9qPqNg-kQ2P1-3YwcG-fdJCu4-zdpPD-kQ98P-kPHg8-kPU7U-8rn4ZR-ffhdDu-fdJuQB-fdZ8eG-4jhhi1-kQ26C-fdN2qe-pryGPw-kQhgL-kPUSr-qmgQAm-kPGok-Qcvxn-kQh12-4jddq4-kQkxQ-q6ZhdW-fdJU4T-q6Yftd-fdNhFv-ff2Tsr-kPDKz-kPEnT-kQq1L-qmfCpE-ffhbyL-prN7uv-5t73mM-qotfTG-fdJvsp-kPXPM-qomHJ8"> Boccaccio1/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Vladimir Poutine a mis en avant ses succès en politique étrangère pour conforter sa popularité et assurer <a href="https://theconversation.com/pourquoi-vladimir-poutine-a-deja-gagne-la-presidentielle-en-russie-92878">sa réélection en mars 2018</a>. Parallèlement à l’utilisation des forces armées et à l’activisme de sa diplomatie, le Kremlin tente d’articuler une politique d’influence dans deux grandes directions : l’Eurasie et le « monde russe ».</p>
<p>L’effondrement de l’Union soviétique a posé la question des rapports que la Russie doit entretenir avec ses nouveaux voisins et les communautés russes à l’étranger. En effet, les frontières de la Russie avec les républiques postsoviétiques (républiques baltes, Biélorussie, Ukraine, Transcaucasie, Kazakhstan), de simples limites administratives dessinées par le pouvoir soviétique se transforment en quelques mois en frontières internationales.</p>
<p>Mais ces <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Russie/RussieScient4.htm">nouvelles frontières</a> ne correspondent dans leur majorité, ni à un précédent historique (les frontières de la Russie ont toujours correspondu à celles de <a href="https://www.lisez.com/livre-de-poche/histoire-de-la-russie-et-de-son-empire/9782262051631">son empire</a>) ni aux <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2002-1-page-38.htm">infrastructures économiques et de transport</a> (de nombreuses liaisons intérieures russes passent par le territoire d’autres républiques), ni à la répartition des Russes ethniques, dont près de 25 millions se retrouvent du jour au lendemain « à l’étranger » au sein des nouveaux États indépendants.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/211359/original/file-20180321-165583-15stg7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/211359/original/file-20180321-165583-15stg7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/211359/original/file-20180321-165583-15stg7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/211359/original/file-20180321-165583-15stg7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/211359/original/file-20180321-165583-15stg7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/211359/original/file-20180321-165583-15stg7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/211359/original/file-20180321-165583-15stg7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/211359/original/file-20180321-165583-15stg7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Union économique eurasiatique, 2017, extrait de « Questions internationales : la documentation française », n°85-86, mai-août 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://cartotheque.sciences-po.fr/media/Ensembles_regionaux_en_Eurasie_2017/2639/">FNSP/Sciences Po, Atelier de cartographie/DILA</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Ambitions eurasiatiques</h2>
<p>Face au risque de rupture avec ce que Moscou appelle désormais son <a href="http://www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=1134">« étranger proche »</a>, les autorités russes favorisent l’intégration régionale dans le cadre de la Communauté des États indépendants (CEI), créée dès 1992. Cependant, il apparaît très vite que la logique de construction d’États nationaux indépendants l’emporte sur celle de la coopération inter-étatique : la CEI, si elle maintient jusqu’à aujourd’hui un espace intégré a minima (régime sans visa…), ne permet pas de construire une véritable union régionale.</p>
<p>Dans le même temps, la Russie et certains de ses voisins (avant tout la Biélorussie et le Kazakhstan) expriment la volonté d’aller plus loin dans l’intégration et cherchent à lui donner un cadre identitaire et conceptuel. C’est justement une période de renouveau des idées eurasistes conçues dans l’émigration russe à partir des années 1920 par plusieurs intellectuels dont le linguiste <a href="http://www.anthropiques.org/?p=520">Nikolaï Troubetskoï</a> et le <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/cgq/1998-v42-n115-cgq2687/022711ar.pdf">géographe Piotr Savitsky</a>. Ces derniers définissent l’Eurasie comme un espace civilisationnel singulier, qui n’est ni Europe, ni Asie. Selon <a href="http://journals.openedition.org/monderusse/8437">ses contempteurs</a>, l’Eurasie aurait vocation à former un espace civilisationnel original et multiethnique, alliant notamment Slaves et turcophones, orthodoxes et musulmans.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/211519/original/file-20180322-165583-1il486o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/211519/original/file-20180322-165583-1il486o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/211519/original/file-20180322-165583-1il486o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/211519/original/file-20180322-165583-1il486o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/211519/original/file-20180322-165583-1il486o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/211519/original/file-20180322-165583-1il486o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/211519/original/file-20180322-165583-1il486o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le président kazakh Noursoultan Nazarbaïev est un ardent défenseur de l’Union eurasiatique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/47890">Kremlin</a></span>
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<p>Dès 1994, le président kazakh Noursoultan Nazarbaev avait fait siennes une partie des idées eurasistes. Il a ainsi proposé de construire une Union eurasiatique qui rassemblerait les républiques postsoviétiques autour de la Russie. Ce projet a peu à peu pris forme avec la création de la Communauté économique eurasiatique (2001) puis de l’<a href="http://les-yeux-du-monde.fr/actualite/europe/russie/29466-lunion-economique-eurasiatique-uee-le-nouvel-empire-russe">Union économique eurasiatique</a> (2015). Cette dernière a pour vocation d’assurer la libre circulation des biens, des personnes et à terme des capitaux. Pour ce faire, les États membres (Russie, Biélorussie, Kazakhstan, Arménie et Kirghizstan) ont délégué une partie de leur politique économique à la Commission économique eurasiatique, l’organe supranational de l’ensemble. Mais le principal handicap de l’Union économique eurasiatique est l’absence de l’Ukraine, la plus peuplée (43 millions d’habitants) des républiques postsoviétiques après la Russie (146 millions). Et pour cause : la crise ukrainienne a justement pour origine les tiraillements entre partisans de l’intégration eurasiatique et partisans du rapprochement avec l’Union européenne.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ukraine-le-conflit-mal-eteint-du-donbass-84793">Ukraine, le conflit mal éteint du Donbass</a>
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<p>Ces derniers se sont appuyés sur des groupes nationalistes et le soutien des Occidentaux pour renverser le président Ianoukovitch et prendre le pouvoir à Kiev. La Russie en a profité pour annexer la Crimée et soutenir les russophones ukrainiens dans leur opposition au nouveau pouvoir.</p>
<h2>Protéger le « monde russe »</h2>
<p>L’un des principaux arguments du Kremlin pour justifier sa politique ukrainienne a été d’affirmer la vocation de la Russie à protéger le « monde russe » (<em>russkii mir</em>). <a href="http://globalinterests.org/wp-content/uploads/2015/05/FINAL-CGI_Russian-World_Marlene-Laruelle.pdf">Ce concept</a> a été popularisé à la fin des années 1990 par plusieurs universitaires et idéologues russes (principalement Piotr Chedrovitsky) afin de désigner l’ensemble des communautés de culture et de langue russe qui vivent en dehors des frontières de la Russie, que ce soit du fait de l’éclatement de l’URSS ou au travers de différentes vagues d’émigration (<a href="https://www.franceculture.fr/histoire/revolution-de-1917-ce-que-sont-devenus-ces-russes-exiles-en-france">émigration blanche</a> après la révolution de 1917, dissidence soviétique, émigration économique postsoviétique).</p>
<p>Le « monde russe » se déploie autour de son noyau – la Russie – en plusieurs cercles concentriques qui se recoupent partiellement. Au niveau géographique, le premier cercle correspond à l’étranger proche (ex-républiques ex-soviétiques) où se concentre l’essentiel des Russes et des russophones ; le deuxième cercle renvoie à l’Europe et à l’espace méditerranéen : descendants des <a href="http://www.histoire-politique.fr/documents/comptesRendus/pdf/CR-Sumpf-Gousseff-pdf.pdf">« Russes blancs »</a>, notamment en France, importantes communautés russophones en Allemagne (émigration postsoviétique), en Israël (plus d’un million de personnes) ou encore à Chypre. Le troisième cercle correspond au reste du monde (communautés plus disparates aux États-Unis, en Amérique du Sud, ou en Australie…).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/211362/original/file-20180321-165564-18ekk30.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/211362/original/file-20180321-165564-18ekk30.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/211362/original/file-20180321-165564-18ekk30.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/211362/original/file-20180321-165564-18ekk30.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/211362/original/file-20180321-165564-18ekk30.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/211362/original/file-20180321-165564-18ekk30.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/211362/original/file-20180321-165564-18ekk30.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Petit Journal du 6 mars 1922.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.retronews.fr/actualite/lexil-francais-des-russes-blancs">RetroNews-BnF</a></span>
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<p>On peut également distinguer plusieurs cercles ethnoculturels : le cœur du monde russe est constitué par les Russes « ethniques » auxquels viennent s’ajouter les Slaves orthodoxes russophones (Biélorusses, Ukrainiens) puis les populations postsoviétiques qui ont en partage la <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2004-3-p-67.htm">langue et la culture russes</a> à des degrés divers.</p>
<p>Avec l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, le Kremlin prend conscience que l’intégration eurasiatique permet certes de maintenir des liens forts avec les États voisins, mais elle n’accorde aucune place particulière aux Russes et russophones à l’étranger qui se sont souvent sentis abandonnés à leur sort par Moscou. Vladimir Poutine a très vite vu tout l’intérêt de miser sur ce « monde russe » qu’il s’approprie afin de conceptualiser et structurer une politique visant à renforcer les liens entre la Russie et ses « compatriotes à l’étranger ».</p>
<h2>Le rôle central de l’orthodoxie</h2>
<p>L’Église orthodoxe russe s’est également emparée du concept dans la mesure où le <a href="https://spire.sciencespo.fr/hdl:/2441/6gbpjqstm482cp9ri3qbabd8pg/resources/rousselet-etude-228-229.pdf">territoire canonique du Patriarcat de Moscou</a> s’étend sur la majorité des républiques ex-soviétiques, notamment la Biélorussie et l’Ukraine. De plus, le Patriarcat de Moscou tente de renforcer sa présence auprès des communautés russes émigrées pour lesquelles l’Église orthodoxe sert d’espace de socialisation et de référent identitaire avec une <a href="http://journals.openedition.org/cerri/1568">dimension « diasporique »</a>.</p>
<p>Conscientes de ce rôle de l’Église dans le maintien de l’identité russe à l’étranger, le Kremlin s’appuie sur elle dans sa stratégie d’influence culturelle : l’un des symboles les plus éloquents de cette approche n’est autre que le nouveau Centre culturel russe construit quai Branly et dominé par les coupoles dorées de la cathédrale de la Sainte-Trinité à proximité de la Tour Eiffel.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/211350/original/file-20180321-165577-gqql9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/211350/original/file-20180321-165577-gqql9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/211350/original/file-20180321-165577-gqql9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/211350/original/file-20180321-165577-gqql9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/211350/original/file-20180321-165577-gqql9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/211350/original/file-20180321-165577-gqql9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/211350/original/file-20180321-165577-gqql9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Centre spirituel et culturel orthodoxe russe à Paris, en 2016.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/dalbera/26056004441">Jean‑Pierre Dalbéra/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Cette dimension religieuse du « monde russe » a donc été reprise en partie par le Kremlin à la faveur du tournant « conservateur » de Vladimir Poutine qui est censé faire de la Russie le rempart des valeurs traditionnelles face à un Occident qui aurait renié ses racines chrétiennes.</p>
<p>Le « monde russe » et la construction eurasiatique sont donc deux pans relativement complémentaires de la politique d’influence russe. L’un donne un cadre conceptuel aux relations entre Moscou et sa « diaspora », l’autre a une dimension plus institutionnelle et permet à Moscou de maintenir une partie de ses voisins dans son aire d’influence. Cependant, la crise ukrainienne a révélé les limites de cette politique.</p>
<p>En effet, une partie des voisins de la Russie soupçonnent désormais Moscou de vouloir instrumentaliser les communautés russophones pour justifier une politique d’ingérence tandis que l’intégration eurasiatique subit le contre-coup des sanctions croisées entre la Russie et l’Occident. De fait, le Kremlin a encore beaucoup à faire s’il veut conjuguer efficacement une approche <em>soft power</em> avec les instruments plus traditionnels d’une politique de puissance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93595/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Teurtrie est membre de l'association loi 1901 "Cercle Kondratieff". </span></em></p>Quels rapports la Russie entretient-elle avec ses voisins russophones et sa diaspora ? Ces derniers jouent un rôle crucial dans les ambitions du Kremlin.David Teurtrie, Chercheur associé, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/931072018-03-14T23:42:20Z2018-03-14T23:42:20ZÊtre féministes en Inde, ou l’enjeu de mener plusieurs combats en même temps<p>La condition des femmes en Inde est, de manière récurrente, sujet de débats et de mobilisations nationales, dont la portée dépasse épisodiquement les frontières. Le dernier évènement ayant provoqué un émoi international est le viol et le meurtre, le 14 décembre 2012, d’une jeune femme à Delhi, qui très vite devint un symbole national et international de luttes <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/12/28/inde-l-etat-de-la-victime-d-un-viol-collectif-se-deteriore-gravement_1811239_3216.html">contre les violences faites aux femmes en Inde</a>. Pourtant l’Inde a une histoire longue et plurielle de luttes féministes, souvent mal connue en dehors de ses frontières.</p>
<p>Cet espace national militant, qui est une nébuleuse d’organisations, de militant·e·s et de lieux de mobilisations plus ou moins connectés, fut historicisé sous la forme du <a href="http://zubaanbooks.com/shop/history-of-doing-the-an-illustrated-account-of-movements-for-womens-rights-and-feminism-in-india-1800-1990/">mouvement indien des femmes</a>. Cette vaste communauté est unie autour d’une lutte commune, celle de l’égalité homme-femme en Inde. Néanmoins, le MIF, loin d’être unifié, est un espace militant pluriel où cohabitent diverses idéologies et formes organisationnelles.</p>
<h2>Les idéologies et les enjeux de lutte du MIF</h2>
<p>À New Delhi, capitale de l’Inde et lieu où j’ai mené mes recherches, de très nombreuses organisations, majoritairement des ONGs, mais aussi des organisations autonomes, mènent des campagnes pour promouvoir le développement et l’<em>empowerment</em> (la puissance d’agir) des femmes. Ces organisations, qui ont un engagement politique, ont majoritairement une approche libérale de l’égalité. Néanmoins, d’autres appartiennent aux mouvances du féminisme socialiste, à l’écoféminisme ou aux féminismes LGBT ou queer.</p>
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<figcaption><span class="caption">Aranya Johar, poétesse féministe et youtubeuse à succès, récite son désormais célèbre « A Brown Girl’s Guide to Gender ».</span></figcaption>
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<p>Les périodes successives de mobilisations du MIF, au cours du siècle dernier, ont contribué à faire de ce mouvement un acteur politique légitime et incontournable en Inde.</p>
<p>Malgré son hétérogénéité, des combats communs apparaissent. Les demandes portent sur l’égalité, par et dans la loi et sa mise en place effective, permettant aux femmes d’atteindre un certain niveau de développement économique, social et politique. Des luttes se forment autour de la dénonciation des violences, dont les violences sexuelles dans l’espace public sont la face visible. Elles portent également contre les discriminations de genre, comme la pratique de la dot et la préférence des garçons, entraînant un déficit majeur de femmes dans le pays.</p>
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<figcaption><span class="caption">La féministe et poétesse Kamla Bhasin a réécrit des comptines pour enfant d’un point de vue féministe.</span></figcaption>
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<h2>Des féminismes indiens pluriels</h2>
<p>L’utilisation de la dénomination « féministe » est sujette en Inde à de nombreux débats. Au sein du MIF, tous les groupes ne se définissent pas comme féministes et revendiquent, par ce positionnement politique, une <a href="http://press.uchicago.edu/ucp/books/book/distributed/F/bo20849257.html">indépendance vis-à-vis des catégories normatives occidentales et un ancrage local</a>.</p>
<p>Dans les années 1990, dans un contexte complexe de montée au pouvoir de la droite nationaliste hindoue, de l’essor de revendications politiques de la part des communautés minorisées et d’une accélération de la libéralisation de l’économie, le MIF fait face à une intensification des affrontements internes. Des femmes et des militantes du MIF, issues des communautés marginalisées, réclament plus de représentation des problématiques particulières auxquelles elles font face.</p>
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<figcaption><span class="caption">Documentaire de Nishta Jain (2014) sur le « gang des saris roses », femmes de communautés marginalisées qui ont pris les choses en main.</span></figcaption>
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<p>Ces femmes appartenant <a href="https://www.jstor.org/stable/4403327?seq=1#page_scan_tab_contents">aux communautés dalits</a> (parfois appelées (ex-)intouchables, les plus pauvres et marginalisées), adivasis (communautés indigènes) <a href="https://global.oup.com/academic/product/unequal-citizens-9780195684599?lang=en&cc=fr">et musulmanes</a>, accusent le MIF de ne représenter que les intérêts des femmes issues des milieux urbains aisés et des castes dominantes hindoues.</p>
<p>C’est aussi à cette période que les problématiques de sexualités émergent au sein du MIF et sur la scène politique, portées par des organisations féministes LGBT et <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14736489.2016.1165570?src=recsys&journalCode=find20">queers</a>.</p>
<p>Trois évènements, qui eurent lieu au cours des cinq dernières années en Inde, illustrent ces débats et affrontements internes et externes au MIF autour de la reconnaissance <a href="http://www.tjenbered.fr/2005/20051231-99.pdf">du caractère pluriel et intersectionnel</a> des identités femmes et de leurs luttes.</p>
<h2>2012 : une lutte nationale aux discours ambivalents</h2>
<p>Fin 2012, au sein des cortèges de manifestations dénonçant le viol survenu à New Delhi et plus généralement les violences auxquelles sont confrontées les femmes dans l’espace public, <a href="https://www.contretemps.eu/les-manifestations-contre-le-viol-en-inde-un-moment-revolutionnaire-dune-grande-ambivalence">deux discours</a> cohabitent. Le premier, égalitariste ou féministe, dénonce l’impunité dont jouissent les auteurs de violences et demandent une réforme du système, jugé oppressif pour les femmes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Yael Farber, metteuse en scène, présente Nirbhaya, la pièce montée autour du « viol de Delhi ».</span></figcaption>
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<p>Le <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/india/RSS-chief-Mohan-Bhagwats-remark-on-rape-has-to-be-understood-in-entirety-BJP/articleshow/17894925.cms">second discours</a>, protectionniste, considère ce crime comme une attaque contre l’honneur de la société indienne, par des individus extérieurs à la communauté nationale qu’est l’Inde. Ce discours en appelle à des mesures rapides et sécuritaires et stigmatise, par la figure du violeur, les hommes migrants issus des communautés rurales pauvres et les populations issues des basses castes.</p>
<p>Les mobilisations de 2012 encouragèrent, dans une certaine mesure, la prise de parole des femmes et amoindrirent la honte qui entoure les victimes. Pourtant, rétrospectivement, comme l’exprime lors d’entretiens une militante féministe de Delhi, les espoirs firent place à un regard critique, quant aux conséquences tangibles et aux réactions du gouvernement.</p>
<blockquote>
<p>« Ils ont (le gouvernement) augmenté l’âge du consentement de 16 à 18 ans, pour nous c’était quelque chose de difficile car aujourd’hui il y a des adolescents qui ont une sexualité active et si la famille de la jeune fille veut porter plainte, vous aurez plus de jeunes garçons dans les tribunaux… Il y a beaucoup de choses dans la loi avec lesquelles nous avons des problèmes, nous faisons du lobbying pour la reconnaissance du viol marital (..) et à chaque fois le ministère nous dit « vous savez ça peut arriver […] mais une telle loi pourrait briser les familles" »</p>
</blockquote>
<p>Ces mobilisations mirent également à jour une <a href="https://theconversation.com/lipstick-under-my-burkha-when-real-women-take-over-indian-screens-78129">fracture sociale</a> entre des classes urbaines intermédiaires et aisées et des classes pauvres, ainsi que le manque de reconnaissance des violences perpétrées à l’égard des femmes issues des classes et castes défavorisées.</p>
<h2>Relations de pouvoirs de castes et de classes</h2>
<p>Il y a quelques mois, en octobre 2017, alors que déferlent les messages au sein du <a href="https://theconversation.com/les-armes-numeriques-de-la-nouvelle-vague-feministe-91512">mouvement #MeToo</a>, une étudiante publie sur les réseaux sociaux une liste de nom d’hommes, appartenant au monde académique, accusés d’être les auteurs de harcèlements et d’agressions sexuellement répétés.</p>
<p>Le même mois, dans une lettre ouverte publiée sur le <a href="https://kafila.online/2017/10/24/statement-by-feminists-on-Facebook-campaign-to-name-and-shame/">site Kafila</a> quatorze figures du féminisme indien, tout en assurant leur soutien aux victimes, ont demandé le retrait de cette liste. Elles se sont déclarées consternées par les accusations anonymes qui ne présentaient pas suffisamment d’explications et ne permettaient pas de recours judiciaire possible.</p>
<p>Les échanges et accusations qui s’en suivirent illustrent pleinement les débats relatifs au pouvoir et à l’enchevêtrement des rapports de caste, de classe, de genre et de religion au sein du MIF.</p>
<p>Les étudiantes, appartenant aux castes défavorisées accusent ainsi les féministes académiques (souvent issues des classes aisées et hautes castes) de vouloir, par leur silence et leur opposition, protéger leur place et les hommes de leur communauté, tout en empêchant les nouvelles générations de féministes et les femmes issues des basses castes de <a href="https://www.thequint.com/neon/Facebook-list-sexual-harassment-professors-universities-me-too">s’exprimer</a>.</p>
<h2>La difficile inclusion des problématiques religieuses</h2>
<p>Le dernier évènement en date, qui mobilise les membres du MIF et particulièrement les militantes issues des communautés musulmanes, est la <a href="https://theconversation.com/triple-talaq-abolition-is-only-the-start-of-a-larger-campaign-for-gender-justice-in-india-83089">pénalisation de la pratique du triple Talaq en décembre 2017</a> (une forme de divorce reconnue par les lois personnelles musulmanes).</p>
<p>La pénalisation de cette pratique soulève le mécontentement et les critiques de nombres de représentants religieux musulmans, de croyant·e·s musulman·e·s et de femmes issues du mouvement indien des femmes, pour des raisons diverses et opposées.</p>
<p>Les représentants musulmans orthodoxes jugent cette interdiction contraire à la <a href="http://indianexpress.com/article/india/aimplb-urges-withdrawal-of-bill-on-triple-talaq-4997304/">charia</a> et une attaque contre les communautés musulmanes.</p>
<p>Les militantes féministes du <a href="https://sabrangindia.in/tags/bebaak-collective">Beebak collective</a>, du Bharatiya Muslim Mahila Andolan, et d’autres <a href="http://indianexpress.com/article/india/dont-criminalise-instant-triple-talaq-womens-groups-to-government-4990584/">organisations de femmes</a> qui luttent contre cette pratique depuis de longues années, rejettent cette pénalisation qui limite les possibilités d’agir des femmes musulmanes, qui deviendraient entre autres les « juges » de leur propre communauté. Elles dénoncent l’instrumentalisation faite par le gouvernement de l’égalité homme-femme, dans le but de stigmatiser les communautés musulmanes.</p>
<p>En effet, les deux religions que sont l’hindouisme et la religion musulmane – respectivement 79 % et 14 % de la population en 2011 – connaissent, en amont et au sein de l’Inde indépendante, <a href="https://theconversation.com/is-lynching-the-new-normal-in-india-80415">des affrontements qui ressurgissent de manière répétée et de plus en plus fréquente</a>, depuis la deuxième moitié des années 1980. Les femmes issues des communautés musulmanes sont durement touchées par cette exacerbation des violences xénophobes et des discours communautaires qui les assignent à une identité immuable.</p>
<p>L’un des enjeux du mouvement des femmes indiennes, dans les années à venir sera alors de représenter la pluralité des problématiques qui entoure les identités femmes, tout en se prémunissant contre l’instrumentalisation de cette différence, par les divers groupes politiques qui les entourent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93107/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caroline Michon a reçu des financements de laboratoires et de centres de recherches de l'EHESS pour ses terrains de recherches en Inde.</span></em></p>L’Inde a une histoire longue et plurielle de luttes féministes. Retour sur le mouvement indien des femmes et les enjeux à venir pour les femmes indiennes.Caroline Michon, Doctorante, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/925542018-02-28T21:09:56Z2018-02-28T21:09:56ZAu Liban, les mariages d’adolescentes continuent de prospérer<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/208257/original/file-20180228-36671-11bysn1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=68%2C32%2C847%2C536&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le film _Nour_ replace le débat sur le 'mariage' des adolescentes au centre du débat au Liban. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.imdb.com/title/tt6013182/mediaviewer/rm2409976576">IMDB</a></span></figcaption></figure><p>Au Liban, les lois protègent si peu les jeunes femmes que de nombreuses adolescentes sont encore bien souvent confrontées au mariage précoce, de gré ou de force. La question d’une législation en faveur d’un âge minimal légal du mariage reste en suspens, malgré de nombreuses tentatives issues de la société civile pour faire évoluer le débat. À l’approche <a href="http://www.france24.com/en/20171215-lebanon-may-2018-date-long-delayed-parliamentary-elections-hariri">des élections parlementaires</a> (le 6 mai prochain), les parlementaires seront-ils capables de discuter de ce fléau sociétal et sexiste ?</p>
<h2>Une loi dans les limbes</h2>
<p>Il y a un an, une <a href="https://www.hrw.org/news/2017/04/12/lebanon-pass-bill-end-child-marriage">proposition de loi</a> avait été faite par des militants et des politiciens afin d’instituer un âge légal minimum pour le mariage. La proposition est cependant restée lettre morte.</p>
<p>Or cette question demeure particulièrement préoccupante du fait de la présence d’un grand nombre d’adolescentes syriennes réfugiées. <a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/Changing-Norms-of-Child-Marriage-in-Conflict.pdf">Selon une étude</a> de la Commission libanaise dédiée aux femmes réfugiées, de très jeunes Syriennes sont mariées de gré ou de force par nécessité économique (afin de subvenir aux besoins des adolescentes ou de leurs familles) et par crainte des viols et des répercussions sociales et morales sur les familles.</p>
<p>En dehors des communautés de réfugiés, près de <a href="https://www.unicef.org/publications/files/UNICEF_SOWC_2016.pdf">6 %</a> des femmes au Liban ayant entre 20 et 24 ans ont été par ailleurs mariées avant l’âge de 18 ans.</p>
<h2>Mariages précoces</h2>
<p>En cause, les <a href="https://www.girlsnotbrides.org/child-marriage/lebanon/">lois coutumières</a>. Il existe actuellement 18 confessions <a href="https://www.state.gov/documents/organization/193107.pdf">officielles</a> et 15 règles coutumières acceptées. Peu importe la confession dans laquelle elles sont inscrites, <a href="https://www.hrw.org/news/2015/01/19/lebanon-laws-discriminate-against-women">toutes ces lois sont discriminantes</a> envers les femmes. Certes, un âge minimum pour se marier existe <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2011/09/in-lebanon-a-tangle-of-religious-laws-govern-life-and-love/245857">au sein de certains codes de la famille relevant du droit coutumier</a> mais les tribunaux choisissent de faire des exceptions au gré des cas.</p>
<p>En permettant ces mariages, le Liban viole la Convention internationale sur les droits de l’Enfance – <a href="http://civilsociety-centre.org/sites/default/files/resources/Child%20Rights%20Situation%20Analysis%20for%20Lebanon.pdf">qu’il a pourtant ratifiée sans réserve en 1991</a> – et <a href="http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/MinimumAgeForMarriage.aspx">plus spécifiquement sur la question du consentement au mariage</a>.</p>
<p>La société civile a particulièrement pris à cœur cette question ces dernières années, en tentant de pousser le gouvernement libanais afin qu’il légifère.</p>
<p>En 2014, au sein de l’Université libanaise américaine, l’<a href="http://iwsaw.lau.edu.lb/">Institut pour les études sur les femmes dans le monde arabe</a> que je dirige, a, en collaboration avec la <a href="http://nclw.org.lb/en/">Commission nationale pour les femmes libanaises</a> orchestré <a href="http://www.dailystar.com.lb/News/Lebanon-News/2014/Mar-05/249263-commission-launches-campaign-against-underage-marriage.ashx">toute une campagne afin de protéger les jeunes filles</a> d’un mariage précoce.</p>
<p>Nous travaillons désormais avec la Commission dédiée aux femmes réfugiées et l’université John Hopkins sur cette question particulièrement présente au sein <a href="https://theconversation.com/syrian-girls-are-being-pushed-into-child-marriage-in-lebanese-refugee-camps-66967">des familles syriennes réfugiées au Liban</a>.</p>
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<span class="caption">Des jeunes réfugiées syriennes ont réalisé une série de dessins sur le thème du mariage précoce dans un centre d’accueil au sud du Liban.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Drawings_by_young_Syrian_refugee_girls_in_a_community_centre_in_southern_Lebanon_promote_the_prevention_of_child_marriage._(14496389777).jpg">Russel Watkins/UK Department for International Development</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Cette année, des représentants du projet ont soumis au Comité des droits de l’Enfance un rapport sur les obligations du pays sur la question du mariage des enfants qui a été particulièrement débattue par les experts présents.</p>
<h2>Questionner les normes sociales</h2>
<p>La lutte pour mettre fin aux mariages précoces gagne donc du terrain. Mais pour vaincre, il faut avant tout sensibiliser les populations. L’une des initiatives proposées par des associations dédiées à la protection de l’enfance <a href="https://www.newsdeeply.com/refugees/articles/2018/01/23/my-daughter-demands-more-the-men-fighting-child-marriage-in-lebanon-2">a été de réunir des pères</a>, de les sensibiliser à la nécessité de protéger leurs filles, et à l’impact qu’un mariage précoce peut avoir sur leur enfant et sa future famille.</p>
<p>D’autres actions se font jour parmi les artistes. Le réalisateur libanais <a href="http://www.khalilzaarour.com/">Khalil Dreyfus Zaarour</a>, plusieurs fois primé, s’est attaqué au sujet dans le long-métrage <a href="http://www.nourthemovie.com"><em>Nour</em></a>, une fiction inspirée <a href="https://www.economist.com/blogs/prospero/2017/09/uncivil-union">d’histoires vraies</a> et récemment <a href="https://www.imarabe.org/fr/cinema/nour">projetée à l’Institut du monde arabe à Paris</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1oAYNQvfqN0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film <em>Nour</em>.</span></figcaption>
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<p>Dans ce film, Nour, 15 ans, est obligée d’épouser Maurice, un quinquagénaire qu’elle méprise. Du jour au lendemain, sa vie d’adolescente insouciante bascule et se métamorphose en un quotidien étouffant composé de tâches ménagères. Nour fait alors le deuil de son enfance perdue et de ses rêves détruits.</p>
<p>Pour Zaarour, avec qui nous nous sommes entretenues, ce film est crucial car il soulève un pan sur une réalité peu connue en dehors du Liban, montrant le pays tel qu’il est : faisant fi des droits de l’Homme et particulièrement inégalitaire.</p>
<p>S’appuyant sur des témoignages de douzaines de femmes rencontrées, Zaarour a mis en scène leurs histoires dans son film :</p>
<blockquote>
<p>« Je veux me battre pour l’égalité et pour l’abolition du patriarcat. Je veux que les hommes et les femmes aient les mêmes droits, les mêmes opportunités. »</p>
</blockquote>
<p>Dans le film, Nour doit gérer avec le changement brutal qui survient dans sa vie, comme de nombreuses adolescentes au Liban. Ces mariages propulsent les femmes dans des rôles d’adultes mal préparés, voire dangereux. Beaucoup ne sont pas prêtes à affronter ces relations sexuelles, et encore moins les grossesses qui en découlent.</p>
<h2>Une loi ne suffit pas</h2>
<p>Si les propositions de loi pour instaurer un âge légal minium pour le mariage apparaissent comme des développements positifs et nécessaires, elles demeurent fragilisées par une <a href="https://www.nytimes.com/2017/11/10/world/middleeast/saudi-arabia-lebanon-france-macron.html">situation politique instable</a>.</p>
<p>De même, la détresse, la précarité et l’avenir des jeunes filles syriennes sont des questions indissociables de celle de la crise des réfugiés qui contribue à affaiblir les infrastructures libanaises, une situation maintes fois dénoncée par le gouvernement <a href="https://www.pressreader.com/lebanon/the-daily-star-lebanon/20171021/281496456523780">libanais auprès de la communauté internationale</a>.</p>
<p>Ces problèmes limitent considérablement toute mobilisation autour du mariage des enfants au Liban. Les discussions actuelles, y compris à l’approche des élections parlementaires, ont ainsi mis de côté les questions de genre.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/207882/original/file-20180226-122025-1dqzrg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/207882/original/file-20180226-122025-1dqzrg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/207882/original/file-20180226-122025-1dqzrg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/207882/original/file-20180226-122025-1dqzrg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/207882/original/file-20180226-122025-1dqzrg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/207882/original/file-20180226-122025-1dqzrg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/207882/original/file-20180226-122025-1dqzrg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La vie et les rêves de Nour sont détruits par son mariage à un homme plus âgé, une pratique encore courante au Liban.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.imdb.com/title/tt6013182/mediaviewer/rm2409976576">IMDB</a></span>
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<h2>Un défi pour les féministes</h2>
<p>Bien que les défenseurs d’un âge minimum légal ne manquent pas, une large partie partie de la population estime que ce problème ne concerne finalement que les réfugiés syriens. Certains débattent aussi de l’âge exact et se demandent si la loi devrait court-circuiter (ou non) les règles coutumières.</p>
<p>Enfin, la question linguistique demeure : les termes « mariage précoce », « mariage des enfants », « mariage forcé » sont utilisés indifféremment. Pourtant ces mariages sous-entendent un acte sexuel avec une fille de moins de 18 ans dont on peut légitimement douter du consentement : un crime que l’on pourrait requalifier de viol sur mineur.</p>
<p>Peut-être qu’un film tel que <em>Nour</em> pourrait enfin attiser le débat et l’emmener bien au-delà des frontières libanaises et même, qui sait, initier un véritable changement législatif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92554/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au Liban, le débat législatif sur un âge minimum demeure crucial : les adolescentes : restent encore souvent confrontées au mariage précoce, de gré ou de force.Lina Abirafeh, Director, Institute for Women’s Studies in the Arab World, Lebanese American UniversityGabriella Nassif, Project Manager and Researcher at the Institute for Women's Studies in the Arab World, Lebanese American UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.