tag:theconversation.com,2011:/global/topics/pauvrete-21196/articlespauvreté – The Conversation2024-03-26T16:45:20Ztag:theconversation.com,2011:article/2260642024-03-26T16:45:20Z2024-03-26T16:45:20ZTravailleurs (et) pauvres : un choix politique ?<blockquote>
<p>« Je ne connais pas plus efficace que le travail pour lutter contre la pauvreté. »</p>
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<p>Tel est ce que <a href="https://www.letelegramme.fr/politique/olivier-dussopt-je-ne-connais-pas-plus-efficace-que-le-travail-pour-lutter-contre-la-pauvrete-6453012.php">déclarait</a> Olivier Dussopt, alors ministre du Travail, fin octobre au <em>Télégramme</em>, commentant la loi Plein emploi finalement promulguée le 18 décembre. Le 27 mars, invité du 20 heures de TF1, Gabriel Attal, premier ministre y a adjoint un argument budgétaire en annonçant une réforme de l'assurance chômage : </p>
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<p>« L'objectif, ça reste d'arriver au plein emploi, c'est-à-dire de faire en sorte qu'il y ait plus de Français qui travaillent parce que ce sont des recettes supplémentaires. »</p>
</blockquote>
<p>Il a affiché également sa volonté de « desmicardiser la France ». Le discours politique a ceci de paradoxal qu’il continue de préconiser de lutter contre la <a href="https://theconversation.com/topics/pauvrete-21196">pauvreté</a> par le travail tout en déplorant dans le même temps l’existence de travailleurs pauvres.</p>
<p>Être travailleur et pauvre n’est pas une situation paradoxale. D’un point de vue statistique est considéré comme travailleur l’individu qui a travaillé contre rémunération au moins une heure. Est défini comme pauvre, l’individu dans le ménage dont les ressources annuelles sont inférieures à l’équivalent de <a href="https://inegalites.fr/A-quels-niveaux-se-situent-les-seuils-de-pauvrete-en-France">13 890 euros annuels pour une personne seule</a> (20 850 euros pour un couple sans enfant), soit 60 % du niveau de vie médian. Il n’y a donc pas de mystère : si vous travaillez, mais peu, alors vous serez travailleur pauvre, à moins que les ressources d’un éventuel conjoint soient suffisantes. Dans un monde où le minimum social est faible et où il existe de la pauvreté et des emplois à temps partiel, il y aura toujours des travailleurs pauvres.</p>
<p>La solution généralement proposée est de verser des compléments de revenus pour travailleurs pauvres ce qui permet de lutter à la fois contre la pauvreté laborieuse et de donner des incitations supplémentaires aux bénéficiaires des revenus d’assistance pour sortir de la « trappe à pauvreté ». En France, la question des incitations à la reprise d’emploi se pose au moins depuis la mise en place du revenu minimum d’insertion (RMI) en 1989 puis son remplacement par le revenu de solidarité active (RSA) en 2009. Selon un certain discours, les allocataires des minima sociaux seraient prisonniers de cette trappe à pauvreté car peu incités à fournir l’effort de trouver un emploi pour un revenu supplémentaire finalement pas si éloigné de ce qu’ils touchent déjà. L’idée du RSA était de continuer à percevoir une partie de son revenu de base en plus de son salaire pour pousser à prendre un travail.</p>
<p>Mais la trappe à pauvreté n’est sans doute pas celle que l’on croit. C’est là un des objets de mon <a href="https://www.puf.com/comment-verser-de-largent-aux-pauvres">ouvrage</a> récent, <em>Comment verser de l’argent aux pauvres ? Dépasser les dilemmes de la justice sociale</em>, publié aux Presses universitaires de France.</p>
<h2>Solutions extrêmes</h2>
<p>Commençons par une expérience de pensée. Il y a théoriquement deux manières d’éradiquer la pauvreté laborieuse. La plus simple sur le papier, et la plus coûteuse, serait de garantir à tous un niveau de vie égal au seuil de pauvreté. Cette solution éradique la pauvreté monétaire et donc la pauvreté laborieuse : s’il n’y a pas de pauvres, il n’y a pas de travailleurs pauvres !</p>
<p>Cependant, cela serait désincitatif à la reprise d’emploi.</p>
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<p>Une deuxième solution théorique serait que la société n’accepte que des emplois rémunérés au moins à hauteur du smic à temps plein, de refuser que des emplois au smic puissent être proposés à temps partiel et de combiner ceux-ci avec des prestations familiales suffisantes afin de dépasser systématiquement le seuil de pauvreté. Par exemple, avec un smic net mensuel de 1398 euros, il faudrait verser 339 euros mensuels de « prime d’activité » à un individu au smic ayant un conjoint sans revenus, afin que le couple dépasse le seuil de pauvreté. Cette solution n’éradique pas la pauvreté mais au moins les travailleurs ne sont pas pauvres. Si les pauvres ne travaillent pas, il n’y a pas de travailleurs pauvres !</p>
<p>Cependant, interdire le temps partiel au smic réduit les libertés et n’est pas la meilleure solution. Cet exemple montre toutefois qu’il ne faut probablement pas donner un poids à l’objectif de réduction des travailleurs pauvres au-delà de celui donné à l’objectif de réduction de la pauvreté. L’interdiction du travail précaire réduit la pauvreté laborieuse mais pas la pauvreté : il n’est pas cohérent de refuser cette solution et en même temps de donner un poids propre à l’objectif de réduction de la pauvreté laborieuse.</p>
<p>En appliquant des solutions moins radicales que ces deux extrêmes, la société accepte nécessairement un certain niveau de pauvreté laborieuse. Toutefois, ce qui est vrai pour l’éradiquer est également vrai s’il s’agit de la réduire : par construction moins il y a de pauvres, moins l’intensité de la pauvreté est importante, moins il y a d’emplois à temps partiel subis et moins y aura de travailleurs pauvres.</p>
<h2>Poursuivre dans la même voie ?</h2>
<p>Depuis sept ans, le chômage a baissé mais pas la pauvreté. Malgré cela, l’exécutif continue de faire de l’emploi et des incitations au travail son principal axe de lutte contre la pauvreté, y compris laborieuse.</p>
<p><iframe id="gVDxh" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/gVDxh/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Faudrait-il aller plus loin dans cette logique ? Pour montrer que « les incitations à sortir de cette situation de pauvreté laborieuse subie sont faibles », Gilbert Cette, ancien président du Groupe d’experts sur le smic et auteur du livre <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807335004-travailleur-mais-pauvre"><em>Travailleur (mais) pauvre</em></a>, prend l’exemple suivant dans un <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/en-france-les-incitations-a-sortir-de-la-pauvrete-laborieuse-sont-faibles-2077054">entretien</a> publié dans les Echos :</p>
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<p>« Augmenter de 100 euros le revenu disponible net d’un salarié, célibataire et sans enfant, payé au smic entraîne une hausse du coût du travail de 483 euros ».</p>
</blockquote>
<p>Ce ratio a l’air excessif, conséquence du fait qu’en augmentant son salaire, un individu aura droit à moins de prestations, ce qu’il faudra compenser par une hausse de salaire plus importante. Le calcul pose néanmoins trois problèmes.</p>
<p>Premièrement, il est réalisé pour un individu au smic à temps plein. Or, une personne seule au smic à temps plein n’est pas pauvre. Le ratio est ici en partie dû au fait que la prime d’activité est maximale au smic à temps plein, une prime que le Groupe d’experts sur le smic a longtemps <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/284b121f-b187-4280-b327-05f18064c3fa/files/e74d03a9-feb8-4d37-882e-df0071013d2f">défendu</a>. Par ailleurs, c’est l’échelle du ménage qui est la plus pertinente en matière de pauvreté : cet individu peut devenir pauvre si son conjoint est inactif ou chômeur non indemnisé.</p>
<p>Deuxièmement, le calcul suppose que les individus prennent en compte de la même façon, pour prendre leurs décisions sur le marché du travail, une baisse des prestations et une hausse des salaires. Cela ne se vérifie pas empiriquement : les individus <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1475-5890.12306">réagissent davantage à une hausse des salaires</a>.</p>
<p>Troisièmement, le calcul agrège baisse des prestations sociales perçues par le salarié et baisse des allègements de cotisations sociales employeurs au-delà du smic. Ce n’est pas la même chose dans un contexte ou travailleurs et employeurs ne peuvent pas se coordonner facilement.</p>
<p>La question mérite par ailleurs d’être posée en regardant les situations réelles dans leur contexte. François-Xavier Devetter et Julie Valentin, respectivement économistes à l’Université de Lille et à l’Université Paris 1, jettent un <a href="https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2023-3-page-56.htm">autre regard</a> sur la pauvreté laborieuse, en partant de la réalité du travail effectué par les travailleurs pauvres et à bas salaires. Ils montrent que les « bas salaires » (agents d’entretien, les aides à domicile, les employés de commerce ou de la restauration) sont victimes de journées de travail fragmentées avec la pénibilité qui leur est liée. C’est là la conséquence directe de l’externalisation de certaines activités comme l’accueil, la sécurité, la restauration collective :</p>
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<p>« Les salaires sont sensiblement plus bas en raison d’un contrôle plus restrictif des temps travaillés, la précarité est plus forte du fait de situations de multi-emploi et de changements d’employeurs fréquents. »</p>
</blockquote>
<h2>Un autre choix collectif</h2>
<p>Le discours sur les incitations a eu pour effet une baisse du niveau relatif du minimum social en direction des actifs, le RSA, <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/dtravail/OFCEWP2024-01.pdf">par rapport, au minimum vieillesse, à l’allocation adulte handicapée, au smic et aux salaires</a> ? Élargir les écarts de revenus entre les minima sociaux et le salaire minimum accentue certes les incitations mais augmente l’intensité de la pauvreté. Cette stratégie est sans surprise inefficace contre la pauvreté laborieuse : elle augmente la marche entre le minimum social et le seuil de pauvreté.</p>
<p><iframe id="IZFta" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/IZFta/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Dans <em>Comment verser de l’argent aux pauvres ?</em>, je propose d’inverser la logique des vingt dernières années et de revenir à l’esprit du RMI. A l’époque, c’était bien le revenu qui insérait et non l’activité. La trappe à pauvreté était la pauvreté elle-même dans la mesure où elle ne permet pas les investissements nécessaires à l’employabilité : formation, santé, logement, mobilité. Dans une logique libérale très classique, verser de l’argent aux pauvres, c’est d’abord leur permettre de réaliser ces investissements. Notons d’ailleurs que ce sont dans les pays où les minima sociaux sont les plus généreux, que les taux d’emploi des peu qualifiés sont aussi les plus élevés, ce qui suggère a minima que les incitations ne sont pas le problème principal.</p>
<p><iframe id="fWzoM" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/fWzoM/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Aujourd’hui le RSA net de forfait logement est aujourd’hui égal à 534 euros pour une personne seule, soit 38 % du smic à temps plein (1 398 euros) : l’écart peut être réduit sans crainte de faire disparaître les incitations. Bien sûr, verser un revenu monétaire n’est pas suffisant et la relation entre minima sociaux et taux d’emploi ne doit pas s’interpréter de manière causale. La stratégie efficace pour réduire la pauvreté passe par un haut niveau de service public pour tous : éducation, santé, petite enfance.</p>
<p>Le paradoxe de la redistribution est que les inégalités sont les plus faibles là où l’attention ne se porte pas que sur les pauvres ou les travailleurs pauvres mais sur un service public de qualité pour tous. Ce raisonnement vaut aussi pour l’emploi : la pauvreté laborieuse serait plus faible en visant les 35 heures pour tous, d’une part en favorisant le passage du temps partiel au temps plein, mais d’autre part en arrêtant aussi d’inciter aux heures supplémentaires.</p>
<p>Tout cela suggère premièrement que la lutte contre la pauvreté est d’un certain point de vue « coûteuse » pour les plus aisés. Par construction, à revenu national inchangé, réduire la pauvreté veut dire réduire les revenus des non pauvres. Deuxièmement, lutter contre la pauvreté peut aussi être synonyme de (légères) pertes d’efficience si les gains d’efficience atteints actuellement le sont en faisant porter la charge de façon disproportionnée sur les travailleurs précaires. Mais est-ce prendre l’objectif de lutte contre la pauvreté au sérieux de vouloir l’atteindre que si cela ne fait que des gagnants ? Le problème n’est pas que l’on n’a pas encore trouvé la solution technique innovante permettant de réduire la pauvreté laborieuse. Le frein est politique : collectivement, nous préférons ne pas.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226064/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Allègre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Et si, contrairement à ces dernières années, nous faisions le choix de miser sur le revenu plutôt que sur le travail pour aider à sortir de la pauvreté, esprit qui était celui du RMI ?Guillaume Allègre, Économiste au département des études de l'OFCE, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2208752024-03-11T16:14:07Z2024-03-11T16:14:07ZMarseille : immersion dans la cité Félix-Pyat (1/4) – La mauvaise réputation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/572905/original/file-20240201-15-ld5s43.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C28%2C6287%2C3416&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Grands ensembles à Félix Pyat, Marseille, 3e arrondissement, 2021.
</span> <span class="attribution"><span class="source">D.Rodgers & S. Jensen</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué. Les médias ont été nombreux à couvrir ce <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/visuel/2024/01/12/un-mort-par-semaine-a-marseille-les-ravages-de-la-guerre-de-la-drogue_6210524_4500055.html">phénomène</a> qui semble dépasser les pouvoirs publics. Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Une image difficile à déconstruire mais qui masque aussi des violences structurelles tenaces.</em></p>
<hr>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=817&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568611/original/file-20240110-24-2ul6v6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1027&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le film <em>BAC Nord</em>, sorti en 2021.</span>
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<p>Une course-poursuite s’engage entre policiers et trafiquants de drogues. Trois agents de la Brigade anticriminalité (BAC) de Marseille s’engouffrent dans une cité afin d’y kidnapper un trafiquant, puis s’échappent en franchissant une barricade de deux mètres de haut, poursuivis par une horde de jeunes hommes cagoulés et armés sur des motos, tout en faisant face à une véritable pluie de détritus jetés depuis les tours environnantes par les habitants hostiles de la cité. Cette scène rocambolesque ouvre le film Bac Nord. Sorti en salle en 2021, il traite plus largement du trafic de drogue et de la corruption policière à Marseille.</p>
<p>Promu sous le label « inspiré par des faits réels », le film articule un ensemble de discours médiatiques et politiques reflétant un imaginaire violent censé caractériser Marseille. Un sujet qui a été rapidement instrumentalisé en politique comme en témoigne par exemple un <a href="https://twitter.com/MLP_officiel/status/1433132385214816278">tweet</a> de Marine Le Pen daté du 1<sup>er</sup> septembre 2021 :</p>
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<p>« BAC Nord : alors que le président va faire un show médiatique à <a href="https://twitter.com/hashtag/Marseille">#Marseille</a>, la réalité c’est ce film ! Allez le voir ! Prenez conscience de cette terrible réalité et de l’urgence à reprendre la main. »</p>
</blockquote>
<p>Plus récemment, le ministre de l’intérieur <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/a-marseille-gerald-darmanin-vise-uber-shit-et-les-consommateurs-de-drogues-des-beaux-quartiers-20240104">Gérald Darmanin</a> a évoqué la cité phocéenne, en mettant l’accent sur ses « points de deal » à « nettoyer » et la responsabilité des consommateurs de drogues issus des « beaux quartiers ».</p>
<h2>Des représentations symboliques violentes</h2>
<p>Il est en fait commun d’entendre des expressions telles que « Marseille, c’est Chicago », « Marseille, c’est le Far West », ou bien « Marseille, la capitale du crime français ». Comme l’ont analysé <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100397430">Cesare Mattina et Nicolas Maisetti</a>, ce genre de représentation constitue une forme de stigmatisation et de violence symbolique, au sens où elles s’inscrivent durablement dans nos schémas de perception à propos du monde d’une manière qui dépasse les statistiques.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=872&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=872&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=872&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568614/original/file-20240110-23-s84i19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Peut-on vraiment qualifier Marseille de « French Chicago » ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">myretroposter</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Marseille – comme d’autres villes telles que Glasgow, Naples, ou Chicago – est, dans notre imaginaire, une métropole gangrénée par la violence, <a href="https://www.laprovence.com/actu/en-direct/5159567/marseille-est-la-ville-la-plus-dangereuse-deurope-selon-un-site-americain.htm">« la plus dangereuse d’Europe »</a>, après certains médias. Pourtant, statistiquement parlant, les niveaux de violence à Marseille ne sont souvent pas plus élevés qu’à Paris. Le chercheur Laurent Mucchielli l’avait déjà souligné en 2013 dans son rapport <a href="https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/drupal_fjj/publication-print/mucchielli_marseille.pdf">« Délinquance et criminalité à Marseille : fantasmes et réalités »</a>. Et les statistiques récentes concernant les crimes et délits sur <a href="https://ville-data.com/delinquance/classement-des-villes-les-plus-dangereuses-de-france">d’autres villes françaises</a> le confirment encore : Marseille arriverait 13<sup>e</sup> derrière Paris.</p>
<p>Il faut de plus distinguer délinquance, vols avec violence armée ou non, criminalité organisée et <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/insecurite-nantes-paris-marseille-les-villes-francaises-devissent-dans-le-classement-mondial-des-villes-les-plus-sures-20220923">sentiment d’insécurité</a>, autant de critères qui <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/cartes-delinquance-a-paris-lyon-ou-marseille-les-arrondissements-centraux-ou-touristiques-sont-les-plus-cibles_5702228.html">peuvent faire varier les statistiques</a>.</p>
<p>Ainsi, les représentations de la violence à Marseille sont souvent liées à des effets de loupe ou à des distorsions, des perceptions, et des expériences très variées.</p>
<p>La scène d’ouverture du film Bac Nord est particulièrement pertinente à ce niveau là, car elle a été tournée à Félix-Pyat, une cité dans laquelle nous avons effectué un travail de terrain de sept mois entre 2021 et 2023, ce qui nous permet d’affirmer avec certitude que sa réalité quotidienne ne correspond absolument pas aux images véhiculées par le film.</p>
<h2>Du Parc Bellevue à Félix-Pyat</h2>
<p>La cité Félix-Pyat – aussi connue comme le <a href="https://recitsdevie.org/projet_au-143-rue-felix-pyat.htm">« Parc Bellevue »</a> – a été construite en copropriété entre 1958 et 1961 pour accueillir les colons Pieds-noirs revenant d’Algérie et du Protectorat français de la Tunisie. Au cours de la décennie qui a suivi la construction de la cité, une deuxième vague d’immigrants est arrivée, principalement d’Afrique du Nord. Cette population maghrébine a lentement, puis plus rapidement, remplacé les premiers habitants de la cité. Cependant, au lieu de vendre leurs appartements, beaucoup de ces derniers ont commencé à les louer aux nouveaux arrivants.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570559/original/file-20240122-20-f6krz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Félix Pyat, 2010.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/44359189@N08/5096826992">Catherine Champerneau/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Dès lors, un grand nombre de propriétaires, parce qu’ils n’habitaient plus à Félix-Pyat, ont cessé de payer les services et les charges de la copropriété, qui s’est lourdement endettée. Les édifices se sont peu à peu dégradés et un cercle vicieux s’est enclenché : ceux qui ont pu se le permettre ont déménagé le plus rapidement possible, alors que ceux qui sont restés étaient les plus paupérisés.</p>
<p>Dès les années 1980, la cité se caractérise par une pauvreté croissante. A partir des années 1990, l’immigration maghrébine est remplacée par les arrivées de réfugiés bosniaques et kurdes, mais aussi albanais et surtout, une nouvelle immigration comorienne. De fait, Félix-Pyat est aujourd’hui connue comme la <a href="https://www.routledge.com/The-Diaspora-of-the-Comoros-in-France-Ethnicised-Biopolitics-and-Communitarisation/Fritsch/p/book/9780367627942">« capitale des Comores »</a> à Marseille, qui concentre elle-même le plus grand nombre de Comoriens en dehors des Comores.</p>
<p>Félix-Pyat se distingue aussi par le fait que, géographiquement, c’est le soi-disant « Quartier Nord » le plus central de Marseille, située dans le III<sup>e</sup> arrondissement de la ville, dans le quartier de Saint-Mauront. La cité est donc beaucoup plus accessible depuis et vers le reste de la ville que d’autres cités plus au nord comme La Castellane ou bien Frais Vallon à l’Est.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte Google de la cité Félix Pyat dans Marseille, IIIᵉ arrondissement" src="https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572908/original/file-20240201-17-v1xs58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte Google de la cité Félix Pyat dans Marseille, IIIᵉ arrondissement.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.com/maps/search/felix+pyat+marseille+cit%C3%A9/@43.3179808,5.3438843,13.89z?hl=fr&entry=ttu">Google maps</a></span>
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<p>En 2022, nous avons mené une « enquête de ménage » – porte à porte – auprès d’un échantillon représentatif de 228 des 605 ménages que compte la cité dont les résultats seront publiés dans un livre en cours de rédaction. Notre objectif était à la fois de collecter des données socio-économiques sur la population de la cité, mais aussi à propos des perceptions concernant la violence et l’insécurité dans la cité.</p>
<p>La population de la cité est d’environ 3,500 habitants, avec un ratio moyen de 5,8 personnes par ménage, réparties dans des logements de taille variables. La population de la cité est en générale jeune ; l’âge moyen est de 28 ans. Elle se partage de manière plus ou moins égale en termes de sexes.</p>
<p>Une majorité des ménages de la cité disent s’identifier avec « la communauté comorienne » : 57 % de la population, contre 30 % s’identifiant avec « la communauté maghrébine », et 13 % s’identifiant avec une autre communauté. Notre enquête de ménage confirme aussi que Félix-Pyat reste une cité pauvre : 63 % des chefs de famille gagnent moins de 1,000 euros par mois.</p>
<p>En parallèle, Félix-Pyat concentre aussi de nombreuses organisations associatives, et il existe clairement un tissu social et culturel collectif très fort, qui se mobilise de façon visible lors des célébrations de <a href="https://www.persee.fr/doc/diasp_1637-5823_2009_num_15_1_1195">« grands mariages »</a>, autour de la religion, ou bien lors de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quipe_des_Comores_de_football_%C3%A0_la_Coupe_d%27Afrique_des_nations_2021">l’épopée sportive de l’équipe de foot des Comores à la CAN 2021</a> par exemple, quand les matchs furent projetés en plein air sur la place principale de la cité.</p>
<p>On vit, on rit, on aime, on pleure à Félix-Pyat, dont l’histoire, en fin de compte, est une « histoire plurielle et emblématique de l’évolution de la société française durant les cinq dernières décennies », comme l’ont très bien décrit Marie d’Hombres et Blandine Scherer dans leur superbe livre <a href="https://recitsdevie.org/projet_au-143-rue-felix-pyat.htm">« Au 143 rue Félix Pyat »</a>, recueillant textes, propos, et témoignages d’habitants du quartier.</p>
<h2>« Tout se passe là-bas, rien ici »</h2>
<p>Nous ne voulons pas, pour autant, minimiser ni la présence ni la violence du trafic de drogue à Félix-Pyat. Les deux y sont indéniablement manifestes. Mais compte tenu des représentations sensationnalistes qui abondent autour du phénomène, nous tenons à remarquer en premier lieu que les activités liées à la drogue sont bien plus visibles dans d’autres cités de la ville que nous avons pu visiter. Il est important de réaliser que le trafic de la drogue à Marseille est un phénomène très variable, comme cela est par ailleurs très bien décrit dans une étude sur <a href="https://theses.hal.science/tel-01955264/">« La concentration du crime et les caractéristiques de l’aménagement de l’espace urbain à Marseille »</a>.</p>
<p>Ceci étant dit, sur les murs de l’un des premiers bâtiments que l’on croise en entrant dans la cité Félix-Pyat, un graffiti suggère que « tout se passe là-bas, rien ici », avec une flèche indiquant le bâtiment suivant, où se trouverait le « charbon », c’est-à-dire un point de vente de la drogue. On voit régulièrement une clientèle variée s’y rendre pour acheter de la drogue, le plus souvent en soirée, mais aussi pendant la journée.</p>
<p>Les « guetteurs » sont aussi une présence régulière aux coins des rues de la cité, qu’ils barricadent à intervalles réguliers afin de faciliter les livraisons de drogue, tandis que plusieurs habitants nous ont raconté comment les cages d’escalier d’immeubles pouvaient aussi être barricadées pour ralentir la police en cas de descente.</p>
<p>Un interlocuteur, que nous nommerons Tarek, nous a précisé :</p>
<blockquote>
<p>« mais quand une vieille dame arrive, ils enlèvent les barricades pour qu’elle puisse passer ». Après une petite pause, il ajouta, « en fait, non, je blague. Ils ne sont pas gentils ».</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568619/original/file-20240110-25-8i31vs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Tout se passe là-bas, rien ici. »</span>
<span class="attribution"><span class="source">D. Rodgers & S. Jensen</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Il y a aussi eu plusieurs <a href="https://www.laprovence.com/article/edition-marseille/6009924/relaxe-par-la-justice-tue-a-felix-pyat.html">meurtres</a> liés au trafic de drogue dans la cité au cours des dernières années, ainsi que de multiples <a href="https://www.laprovence.com/actu/en-direct/58910306011716/marseille-des-tirs-a-felix-pyat-cette-nuit-quatre-blesses-dont-trois-graves">blessés</a>.</p>
<p>Félix-Pyat a en outre fait les titres des journaux début septembre 2023 pour un cas de <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/ce-qu-il-faut-savoir-sur-le-proces-des-agresseurs-presumes-de-l-adolescent-sequestre-et-torture-au-chalumeau-a-marseille-2835617.html">torture d’un jeune trafiquant</a> de drogue extérieur à la cité qui avait voulu y vendre indépendamment du trafic local.</p>
<h2>D’abord la saleté, la pauvreté et ensuite la peur</h2>
<p>L’angoisse des parents de jeunes dans la cité, qu’ils soient impliqués dans le trafic ou pas, était souvent palpable lors de beaucoup des entretiens que nous avons effectués.</p>
<p>Certains habitants ont aussi exprimé le sentiment plus général de « vivre avec la peur » à cause de la délinquance et du trafic de drogue, même si celle-ci variait clairement en fonction des personnes ainsi que de leur relation avec différents espaces de la cité : paradoxalement, ceux qui vivaient plus prêt d’un point de vente exprimaient moins de peur que ceux dont les appartements étaient plus éloignés, à cause vraisemblablement d’un effet de familiarisation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/serie-drogues-en-france-loin-des-cliches-204829">Série : Drogues en France, loin des clichés</a>
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<hr>
<p>Beaucoup de jeunes femmes ont néanmoins souligné qu’elles évitaient de passer par certaines zones de la cité, en particulier lorsqu’elles y voyaient des attroupements de « guetteurs ». Les jeunes hommes, par contre, exprimaient plus de peur face aux risques de violence policière lors des descentes de CRS cherchant à perturber et interrompre le trafic de drogue.</p>
<p>Cependant, les résultats de notre enquête de ménage rapportent que la violence et la délinquance ne sont pas perçues comme étant le problème le plus important auquel les habitants de la cité sont confrontés au quotidien. Lors des entretiens, la « saleté », la « pauvreté », « l’état des bâtiments » et la « santé » sont des préoccupations qui sont apparues en premier comme l’indique le tableau ci-dessous.</p>
<p>Il ne fait aucun doute que la saleté est un problème réel à Félix-Pyat. Le mistral fait fréquemment voler les ordures non ramassées dans les rues de la cité, qui sont peuplées de rats et de gabians agressifs qui se battent entre eux pour les déchets alimentaires.</p>
<p>La même chose vaut pour la pauvreté : 54 % des ménages dépendent de l’assistance sociale. L’insalubrité des bâtiments de la cité est évidente et leur détérioration telle qu’elle se constate sur le plan visuel, sonore ou même olfactif. Les infrastructures de la cité – routes, parcs, bâtiments scolaires – sont généralement en mauvais état, en raison du manque d’entretien. Les bâtis endommagés par les incendies fréquents – plusieurs se sont déclarés lors de notre travail de terrain – sont rarement réparés et souffrent d’un vandalisme constant.</p>
<p>Beaucoup des habitants de Félix-Pyat sont aussi clairement en mauvaise santé. Certains par exemple souffrent de maladies respiratoires pour des raisons très certainement liées aux conditions environnementales ambiantes, <a href="https://marsactu.fr/legionelle-273-habitants-dair-bel-poursuivent-leur-combat-hors-norme-au-tribunal/">comme cela a été le cas dans d’autres cités marseillaises</a>.</p>
<h2>De quelles violences parle-t-on ?</h2>
<p>Les résultats de notre enquête de ménage nous permettent donc de remettre la violence associée à la délinquance et au trafic de drogues à Félix-Pyat à sa juste place parmi d’autres préoccupations au quotidien.</p>
<p>Dans d’autres contextes, ces préoccupations auxquelles sont confrontés la population de la cité sont souvent caractérisées comme des formes de violences – la pauvreté comme de la <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520243262/pathologies-of-power">« violence structurelle »</a>, le délabrement des bâtiments et espaces publics comme de la <a href="https://www.jstor.org/stable/43497507">« violence infrastructurelle »</a>, ou bien la saleté comme de la <a href="https://global.oup.com/academic/product/flammable-9780195372939">« violence environnementale »</a> – qui s’enchevêtrent et se renforcent.</p>
<p>À Félix-Pyat également, ces phénomènes s’auto-alimentent et créent un environnement qui impacte de manière systémique la vie quotidienne de la population de la cité. Vu ainsi, il ne suffit pas de décrire Félix-Pyat comme une cité violente du fait du trafic de drogue pour comprendre – encore moins résoudre – quoi que ce soit. Au contraire, ce constat peut masquer – et potentiellement légitimer – la situation plus large d’oppression structurelle dans laquelle vivent ses habitants, et dont les dynamiques dépassent le seul contexte de la cité.</p>
<p>Il nous parait dès lors opportun de mobiliser une autre notion de violence pour penser à la manière dont la situation globale dans les cités telles que Félix-Pyat est perçue, qui est celle de la violence « épistémique », mise en avant par <a href="https://monoskop.org/images/b/b7/Foucault_Michel_L_archeologie_du_savoir.pdf">Michel Foucault</a>.</p>
<p>Celle-ci caractérise une forme de violence à travers laquelle est imposée une <em>épistémè</em>, ou autrement dit, des règles de production du savoir qui déterminent les limites de nos connaissances. La violence épistémique fonctionne donc en imposant un cadre de pensée préétabli, dans le cas présent en focalisant le regard sur certains processus comme des formes de violences au détriment d’autres.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/K63Rr7zpIKY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Visite de Félix Pyat : quartier défavorisé de Marseille (avec le rappeur Yassta) par le reporter GabMorrison, YouTube, 2022.</span></figcaption>
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<p>Appréhender la violence dans les cités de Marseille uniquement à partir de la violence liée au trafic de drogue et limiter son analyse à l’échelle des cités constituent donc une violence épistémique qui empêche de réfléchir autrement.</p>
<p>Afin de la contrecarrer, nous avons clairement besoin d’un nouveau vocabulaire concernant la violence. Il faudrait en particulier parler de violences au pluriel, pour nous permettre de montrer la nature systémique du phénomène, mais aussi de comparer les effets de différentes formes de violence.</p>
<p>Ce n’est qu’en élargissant notre regard et en analysant ensemble plutôt que séparément différentes violences que nous pourrons faire place à de nouvelles idées et changer l’optique des discussions contemporaines concernant la violence dans les cités de Marseille, qui va bien au-delà de la criminalité et la délinquance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220875/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark </span></em></p>Les représentations des cités marseillaises comme lieux de violence tributaires du trafic de drogue nourrissent des imaginaires masquant d’autres formes de violences structurelles.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2230412024-02-19T14:55:37Z2024-02-19T14:55:37ZUne pauvreté invisible des jeunes en milieu rural ?<p>Si l’on pense pauvreté, une réalité urbaine vient à l’esprit. La grande ville, la banlieue, le péri-urbain. Seule exception dans cet imaginaire de pauvreté de béton : les agriculteurs. <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">Leur mobilisation</a> contre leur précarité grandissante est actuellement très médiatisée. Lorsqu’ils ne sont pas sur le devant de la scène, ils restent observés avec intérêt par les <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">chercheurs</a> et les <a href="https://theconversation.com/la-fnsea-syndicat-radical-derriere-le-mal-etre-des-agriculteurs-des-tensions-plus-profondes-222438">pouvoirs publics</a>. Trois raisons à cela : ils sont particulièrement subventionnés, le maintien de leur profession joue un rôle déterminant pour les espaces ruraux et les enjeux de <a href="https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560">« souveraineté alimentaire »</a> cristallisent l’attention.</p>
<p>Mais en dehors de ce corps de métier, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/pauvres-des-champs-les-oublies-9397038">pauvreté des espaces ruraux</a> à très faible densité de population est comme invisible. Les questions de précarité et d’exclusion sociale sont très peu médiatisées lorsque l’on parle de tous les autres habitants des campagnes.</p>
<p>Depuis une vingtaine d’années, la <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1653">pauvreté monétaire</a> sur le territoire national s’accentue (elle se définit par un revenu inférieur à 60 % du revenu médian. En 2023, ce seuil est fixé à un revenu disponible de 1 102 euros par mois pour une personne seule et de 2 314 euros pour un couple avec enfants). Alors qu’en 2004, 12,6 % de Français vivaient sous le seuil de pauvreté, en 2024, ils sont <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2408282">14,5 %</a>. La pauvreté monétaire est plus importante dans les grands centres-villes, c’est vrai.</p>
<p>Mais ensuite, c’est dans les communes rurales dites « isolées et hors de l’influence des villes » qu’elle est la plus forte. Celles-ci accueillent environ <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1283639">5 %</a> de la population métropolitaine. Que sait-on de cette pauvreté rurale ? Qu’en est-il notamment chez les jeunes ?</p>
<h2>Que sait-on de la pauvreté des jeunes ruraux ?</h2>
<p>Tout d’abord, pourquoi s’intéresser particulièrement <a href="https://theconversation.com/18-25-ans-des-jeunes-etonnamment-optimistes-et-resilients-217935">aux jeunes</a> ? Il y a environ 9 millions de personnes en situation de pauvreté en France. Les jeunes de moins de 30 ans représentent à eux seuls la <a href="https://www.inegalites.fr/La-pauvrete-selon-l-age?id_theme=21">moitié de cet échantillon</a>. Ils sont <a href="https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5367857/tableau/30_RPC/33_PAU">deux fois</a> plus susceptibles de se retrouver dans une situation de pauvreté que ne le sont les personnes de plus de 65 ans. <a href="https://www.cairn.info/sociologie-de-la-jeunesse--9782200631352.htm">Cela s’explique</a> à la fois par un phénomène de reproduction sociale (qui exacerbe les inégalités au fil des générations) et par une redistribution des richesses et des places en défaveur des jeunes générations. La jeunesse est particulièrement hétérogène, mais elle fait face <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/pour-une-politique-de-la-jeunesse-camille-peugny/9782021492439">dans son ensemble</a> à un contexte de <em>marée montante de la précarité</em>. Cependant, les choses ne sont pas les mêmes que l’on soit un jeune vivant en ville ou à la campagne.</p>
<p>Lorsqu’on s’intéresse aux chiffres, la pauvreté en milieu rural semble moins importante qu’en ville. Les ménages ruraux représentent un tiers de la population, mais un <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/7672092">quart des ménages pauvres</a>. Cela pourrait laisser penser que les espaces ruraux sont des espaces de « résistance » à la pauvreté, notamment chez les jeunes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1664648066094493696"}"></div></p>
<p>Ces chiffres sont trompeurs : ils dissimulent d’autres phénomènes. Le taux de pauvreté des urbains est supérieur à celui des ruraux, mais lorsque l’on s’intéresse aux actifs de moins de 30 ans, la pauvreté est <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1893198">très similaire</a>. Les retraités, eux, sont même plus touchés par la pauvreté dans les campagnes que dans les villes. La sociologue Agnès Roche dénonce dans son ouvrage <a href="https://pur-editions.fr/product/8573/des-vies-de-pauvres"><em>Des vies de pauvres</em></a> les écrans de fumée qu’imposent les catégories administratives et notamment le découpage géographique de l’Insee qui homogénéise les différents espaces ruraux (périurbain, rural « profond », etc.) en un ensemble parfois incohérent. Difficile alors d’étudier les phénomènes de pauvreté dans un flou territorial.</p>
<p>Ainsi, là où les travaux statistiques tutoient parfois leurs limites, les enquêtes qualitatives réalisées auprès des jeunes ruraux permettent de mieux comprendre ces phénomènes. Elles se révèlent particulièrement éclairantes sur les questions de non-recours aux aides sociales et mettent à jour une <a href="https://pur-editions.fr/product/8573/des-vies-de-pauvres">pauvreté invisibilisée</a> et <a href="https://www.cairn.info/manuel-indocile-de-sciences-sociales--9782348045691-page-864.htm">stigmatisée</a> dans les campagnes.</p>
<h2>Un non-recours aux aides plus important</h2>
<p>On observe un <a href="https://theses.hal.science/tel-03559941">écart assez important</a> en fonction des territoires lorsque l’on étudie les jeunes à l’aune des aides qu’ils reçoivent. Dans le modèle français, une grande partie de la solidarité qui permet aux jeunes d’accéder à l’indépendance repose sur l’aide parentale. Ce système « familialiste » crée une <a href="https://www.cairn.info/politiques-de-jeunesse-le-grand-malentendu--9782353712908.htm">reproduction des inégalités</a> importante puisqu’il fait reposer l’avenir socioprofessionnel des jeunes sur les ressources de leurs parents, ressources inégales entre les familles et souvent en <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-ages-de-la-vie--9782200600501.htm">défaveur des territoires ruraux</a>. Pour autant, si la solidarité familiale est acceptée, les aides sociales sont en France particulièrement stigmatisées. Elles sont associées à l’hédonisme, à la fainéantise, à l’inaction, en bref, à <a href="https://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2007-3-page-85.htm">l’imaginaire de l’assistanat</a>.</p>
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<p>Chez les jeunes ruraux, on observe un phénomène de <a href="https://theses.hal.science/tel-03559941">rejet plus prononcé</a> des aides sociales que chez les urbains. Le fait de vivre en milieu rural diminue d’ailleurs la probabilité de connaître de manière précise le RSA de <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2023-04/ER1263EMB.pdf">11,2 points</a>. Une opposition assez flagrante entre deux domaines symboliques se dessine dans le discours des jeunes avec lesquels nous nous sommes entretenus : d’une part, la figure du travailleur pauvre, et de l’autre, celle de l’assisté. Dans cette manière très manichéenne de percevoir son rapport à ces revenus, on tente de se placer du côté de ceux qui maîtrisent leurs expériences de vie par le travail. Être ou devenir « un assisté » devient une crainte telle qu’elle détourne souvent les jeunes d’aides auxquelles ils peuvent pourtant prétendre.</p>
<p>Plus que craindre pour l’image que l’on se fait de soi, c’est surtout le risque de stigmatisation que l’on craint. Être perçu comme un « assisté », c’est être localement « mal vu » et donc souffrir d’une mauvaise réputation. Dans des espaces où les réputations <a href="https://theses.fr/2016POIT5037">se font et se défont rapidement</a>, le fait d’être perçu comme « vivant aux crochets » des aides peut notamment limiter l’employabilité des jeunes. Ce non-recours aggrave la précarité des jeunes dans les campagnes. Il participe à une pauvreté plus silencieuse.</p>
<h2>Les jeunes femmes plus durement touchées</h2>
<p>Les jeunes ruraux sont plus souvent en <a href="https://www.cairn.info/revue-formation-emploi-2018-2-page-99.htm">situation d’emploi que les urbains</a> mais ils sont également sujets à des phénomènes d’<a href="https://theses.hal.science/tel-03559941">exploitation dans le travail de manière récurrente</a>. Travailler sans contrat, être sous-payé, voire pas rémunéré du tout, est fréquent dans les parcours de vie de jeunes ruraux, en particulier chez les plus précaires. Parallèlement, les jeunes qui ne sont ni en emploi, étude ou stage (<a href="https://www.lemonde.fr/emploi/article/2023/08/21/les-ni-en-emploi-ni-en-etudes-ni-en-formation-neet-en-france-un-defi-qui-reste-a-relever_6186039_1698637.html">NEET</a>) sont particulièrement nombreux dans les espaces ruraux. Ils représentent un <a href="https://pmb.cereq.fr/doc_num.php?explnum_id=2886">quart des 18-24 ans</a>, contre un cinquième en ville.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1306100862708854784"}"></div></p>
<p>Les écarts entre hommes et <a href="https://theconversation.com/comment-les-stereotypes-pesent-sur-linsertion-des-femmes-non-diplomees-en-milieu-rural-174412">femmes</a> sont bien plus importants dans les campagnes. Si les territoires ruraux sont hétérogènes, on peut trouver chez les 15-24 ans, 32 % des femmes sont en activité contre 47 % des hommes. En ville, c’est 33 % des femmes de 15-24 ans et 40 % des hommes. Le chômage féminin peut être jusqu’à <a href="https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2017/2017_02_jeunesse_territoires_ruraux.pdf">deux fois supérieur</a> à celui des hommes dans certaines zones rurales.</p>
<p>Les inégalités territoriales, des politiques inadaptées et le manque d’intérêt jouent le jeu d’une pauvreté invisible et parfois trop silencieuse des jeunes en milieu rural. Leurs aspirations et leurs besoins semblent rarement pris en considération. Les politiques publiques à destination des jeunes sont urbanocentrées, et lorsque l’on s’intéresse aux habitants des territoires ruraux, il s’agit plus de « bricolage » administratif que de grands plans d’action adaptés et construits. On omet souvent la très grande hétérogénéité de ces espaces, et donc, de leurs besoins. Si la pauvreté semble numériquement plus faible dans les campagnes, elle cache d’autres phénomènes : « […] de stigmatisation, d’assignation territoriale et enferme dans une pauvreté silencieuse » comme le souligne <a href="https://www.cairn.info/revue-pour-2010-2-page-7.htm">Amélie Appéré De Sousa</a>, qui a collaboré avec l’Observatoire Régional de Santé Bourgogne. Il est nécessaire de ne plus penser les espaces ruraux comme en périphérie ou à la marge des réalités contemporaines. Ces espaces représentent plus des deux tiers du territoire français.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223041/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Reversé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les jeunesses font face à une montée de la précarité. Les jeunes urbains sont particulièrement étudiés, mais qu’en est-il dans les campagnes ?Clément Reversé, Sociologie de la jeunesse, sociologie des espaces ruraux, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2207082024-02-07T15:42:52Z2024-02-07T15:42:52ZExtrême pauvreté, l'éternelle urgence dans le Grand Sud malgache<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/569064/original/file-20240112-27-ehsd07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C538%2C359&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des enfants malgaches bénéficient d’une cantine scolaire mise en place grâce au Programme alimentaire mondial des Nations unies, 2013.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wfp.org/communiques-de-presse/lunion-europeenne-appuie-lacces-leducation-dans-le-sud-de-madagascar">Site du Programme alimentaire mondial</a></span></figcaption></figure><p>Le sud de Madagascar est l’une des régions les plus vulnérables d’Afrique subsaharienne. On estime que plus de 9 habitants sur 10 vivent <a href="https://blogs.worldbank.org/fr/nasikiliza/dans-le-sud-de-madagascar-une-meilleure-productivite-permettra-de-lutter-contre-la">sous le seuil d’extrême pauvreté</a> (1,90 dollars par jour). Depuis une trentaine d’années, les alertes des ONG, des médias et des organisations internationales sont récurrentes. La population est confrontée à de nombreux risques climatiques, sociaux, sécuritaires, sanitaires et économiques. Face à l’urgence de la situation, la région a progressivement vu s’installer une multitude d’acteurs nationaux et internationaux de l’urgence et du développement.</p>
<p>Comment comprendre l’urgence chronique dans le sud de Madagascar et les réponses apportées à cette crise ? Nous proposons de nous appuyer sur un <a href="https://hal.science/hal-04218183v2/file/CAPSUD%20Document%20de%20capitalisation%20Livrable%20final%20en.pdf">travail</a> qui référence et archive les principaux travaux (articles scientifiques et littérature grise) produits au cours des 30 dernières années sur les projets de développement dans le sud de Madagascar. Sur cette base, notre équipe a produit une analyse de l’échec des projets mis en place dans la zone. Nous renvoyons le lecteur au rapport « <a href="https://hal.science/hal-04218183v2">Le développement dans le Grand Sud malgache. Quelques enseignements de 30 ans de projets de développement</a> » (coordonné par Claire Gondard-Delcroix) pour davantage d’informations sur le travail réalisé et la bibliothèque en ligne.</p>
<h2>Une crise multifactorielle</h2>
<p>Le grand sud malgache est historiquement caractérisé par une vulnérabilité multifactorielle. Les conditions agro-climatiques défavorables, en interaction avec l’enclavement géographique, politique et économique de la zone, expliquent en partie les différences entre, d’une part, les trois régions du sud et, d’autre part, le reste du pays.</p>
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<p>Les sévères contraintes agroclimatiques qui pèsent sur la région ont de lourdes conséquences. <a href="https://ecologyandsociety.org/vol27/iss1/art42/">L’intensification du <em>kéré</em></a> (littéralement, « famine » en <a href="https://www.jacaranda.fr/en/antandroy">Antandroy</a>) pose d’importants problèmes d’accès aux ressources vitales comme l’eau et l’alimentation. Principalement tournées vers l’agriculture et l’élevage, les activités génératrices de revenus des populations locales ont été largement impactées par les périodes de sécheresse, mais également par les <a href="https://2424.mg/invasion-acridienne-le-grand-sud-et-la-partie-ouest-de-madagascar-touches-par-des-essaims-de-criquets/">invasions acridiennes</a> et les vents violents. 93 % des personnes interrogées dans le cadre d’une <a href="https://2424.mg/invasion-acridienne-le-grand-sud-et-la-partie-ouest-de-madagascar-touches-par-des-essaims-de-criquets/">enquête</a> réalisée en 2019 dans le sud de Madagascar ont déclaré avoir subi un choc impactant leurs cultures agricoles durant les douze derniers mois. La multiplication et l’accumulation de ces difficultés mettent sous tension les équilibres de pouvoir et les structures sociales traditionnelles.</p>
<p>Le bouleversement le plus visible et le plus médiatique s’illustre par la présence de <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20180623-madagascar-difficile-lutte-contre-le-vol-zebus">voleurs de zébus</a> (<em>Dahalo</em>). Le champ d’intervention de ces groupes aujourd’hui lourdement armés et très organisés, à l’origine concentrés sur le vol de zébus dans le cadre de pratiques sociales locales, s’est progressivement élargi à d’autres trafics, si bien que le terme de <em>dahalo</em> est aujourd’hui moins approprié que celui de <em>malaso</em> (bandits).</p>
<p>Les causes climatiques sont loin d’être l’unique élément d’explication pour comprendre la crise que traversent les trois régions du grand sud.</p>
<p>Nous avons évoqué l’enclavement politique et géographique de la région, les jeux de pouvoirs locaux et nationaux ; il faut aussi particulièrement souligner les types et modes des interventions développées. Les interventions suivant une « logique projet », déployées sur des horizons temporels courts et des objectifs ciblés, peinent à prendre en compte la multidimensionnalité des difficultés régionales.</p>
<p>À cela il convient d’ajouter les défaillances de l’État (manque d’infrastructures, sous-administration importante) et les difficultés de coordination des acteurs de l’aide et de l’urgence. La combinaison entre ces différents éléments permet de comprendre la crise multifactorielle en cours dans le grand sud malgache.</p>
<h2>Le sud de Madagascar, cimetière à projets ?</h2>
<p>Face à l’urgence de la situation, la région est progressivement devenue un laboratoire de l’aide internationale. Les populations du grand sud ont vu se succéder de nombreux projets d’aide et d’urgence, dont des programmes de distribution alimentaire, des programmes de distribution d’eau et d’assainissement et enfin, dernièrement, des <a href="https://theconversation.com/lutte-contre-la-pauvrete-les-limites-du-transfert-monetaire-130153">programmes de transferts monétaires</a>.</p>
<p>Les interventions de développement et d’urgence sont principalement structurées autour des thématiques de la nutrition, de l’eau, de la santé, de l’assainissement, de l’extrême pauvreté ou encore de la gestion des catastrophes naturelles, et sont le fait d’acteurs multiples.</p>
<p>On peut par exemple citer les nombreux projets de la <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/country/madagascar">Banque mondiale</a>, du <a href="https://fr.wfp.org/histoires/madagascar-les-enfants-ne-courent-et-ne-jouent-pas-dans-leurs-yeux-une-profonde-tristesse">Programme alimentaire mondial</a>, de <a href="https://www.eeas.europa.eu/madagascar/lunion-europeenne-et-madagascar_fr">l’Union européenne</a>, ou encore de <a href="https://www.unicef.org/madagascar/">l’UNICEF</a>. Il est également intéressant de souligner la présence d’organisations nationales ayant des liens étroits avec les organisations internationales comme le <a href="https://bngrc.gov.mg/">Bureau national de gestion des risques et des catastrophes</a>, le <a href="https://www.fid.mg/">Fonds d’intervention pour le Développement</a> ou encore <a href="https://office-nutrition.mg/">l’Office national de nutrition</a>.</p>
<p>Les organisations non gouvernementales comme <a href="https://www.care.org/fr/our-work/where-we-work/madagascar/">CARE international</a>, la <a href="https://croixrougemalagasy.mg/">Croix-Rouge</a>, <a href="https://www.crs.org/our-work-overseas/where-we-work/madagascar">Catholic Relief Service</a> ou <a href="https://www.welthungerhilfe.org/our-work/countries/madagascar">Welthungerhilfe</a> jouent aussi un rôle important. Cette présence de nombreux acteurs du développement et de l’urgence pose d’importants problèmes de coordination dans la mise en place des interventions.</p>
<p>Historiquement, le sud de Madagascar est une région <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/587761530803052116/pdf/127982-WP-REVISED-deep-south-V27-07-2018-web.pdf">enclavée géographiquement et politiquement</a>. L’État y est quasiment absent. Malgré le <a href="https://www.presidence.gov.mg/actualites/1268-colloque-regional-pour-l-emergence-du-grand-sud-des-solutions-malgacho-malgaches-pour-une-transformation-radicale-des-regions-androy-et-anosy.html">plan « émergence du grand sud »</a> lancé en 2021 par la présidence de la République, les choses n’ont guère évolué. On peut d’ailleurs s’interroger sur l’utilisation de la notion d’émergence dans des régions habituées aux situations de crises alimentaires, sanitaires, climatiques, sécuritaires et institutionnelles. Le plan émergence apparaît davantage comme un outil de communication qu’une politique engageant des changements structuraux profonds.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0Usw7X9ktQM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ainsi les actions de développement menées dans la région se structurent autour de projets caractérisés par des temporalités d’exécution réduite (le temps du projet). Cette logique de court terme <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/03/15/a-madagascar-derriere-l-alibi-du-climat-les-raisons-d-une-famine_6117641_3212.html">pose d’importants problèmes</a> : elle réduit les possibilités de pérennisation des projets de développement, rend plus difficile l’accumulation d’expérience, concourt à réduire la confiance des populations locales et exacerbe la concurrence entre les acteurs impliqués dans l’accès aux financements et le développement des projets.</p>
<h2>Quelles solutions ?</h2>
<p>Il paraît déterminant de renforcer l’adaptation des dispositifs (politiques et projets) dans le sud de Madagascar aux contextes locaux. En effet, de nombreuses interventions peuvent être qualifiées de modèles voyageurs. C’est-à-dire des « <a href="https://www.cairn.info/la-revanche-des-contextes--9782811123628-page-23.htm">programmes standardisés d’intervention sociale</a> » qui ne tiennent pas compte de la structure des pouvoirs locaux, des dynamiques socio-économiques locales, de l’histoire des rapports de force ou encore des activités et pratiques de protection informelles des populations locales – c’est le cas par exemple, du développement des programmes de transferts monétaires conditionnels ou non conditionnels.</p>
<p>De nouvelles approches permettant d’avoir une compréhension précise des dynamiques locales doivent être adoptées. Le <a href="https://gret.org/">Groupe de recherches et d’échanges technologiques</a> (organisation de solidarité internationale) réalise plusieurs projets de développement en mobilisant une approche socioanthropologique afin de tenir compte de la diversité et la complexité des contextes dans le développement des projets.</p>
<p>Par ailleurs, un enjeu important réside dans le développement de travaux de recherche dédiés à l’étude de la multidimensionnalité des dynamiques de développement dans le Sud malgache. En effet, si les projets de développement intègrent habituellement une dimension de suivi évaluation, celle-ci reste focalisée sur la réalisation des objectifs internes du projet et sur l’impact de celui-ci, sans prise en compte des complexités régionales. Si de telles évaluations sont nécessaires pour capitaliser, comparer les projets et évaluer leur reproductibilité, elles ne permettent pas de traiter globalement des enjeux du développement de la région. De telles recherches interdisciplinaires permettraient de nourrir utilement le dialogue science-société au service de l’élaboration des politiques et projets de développement dans le sud malgache.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220708/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire Gondard-Delcroix a reçu des financements de la Délégation de l’Union Européenne à Madagascar (DUEM), à travers les Fonds Européen de Développement (FED) affectés au programme « Appui au financement de l’agriculture et aux filières inclusives dans le Sud de Madagascar » (Afafi-Sud). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Léo Delpy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le sud de Madagascar subit depuis plusieurs décennies une crise multifactorielle. Malgré l’aide internationale, la région est l’une des plus vulnérables de l’Afrique subsaharienne.Léo Delpy, Maitre de conférences, Université de LilleClaire Gondard-Delcroix, Enseignante-chercheuse en économie, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2220762024-01-29T15:46:30Z2024-01-29T15:46:30Z« Pas de paiement en liquide » : quid des millions d’Américains qui n’ont pas de compte bancaire ?<p>Combien de personnes n’ont pas de <a href="https://theconversation.com/topics/banque-22013">compte bancaire</a> ? Et à quel point est-il devenu difficile de vivre sans compte bancaire ? Ces questions deviennent de plus en plus importantes à mesure que de <a href="https://www.chicagotribune.com/business/ct-biz-cashless-backlash-20180710-story.html">plus en plus d’entreprises</a> <a href="https://www.wmtw.com/article/cashless-businesses-south-portland-come-under-fire/40450267">refusent d’accepter l’argent liquide</a> dans les villes américaines.</p>
<p>Il se trouve que beaucoup de gens sont encore « non bancarisés » : environ <a href="https://www.fdic.gov/analysis/household-survey/2021report.pdf#page=7">6 millions de ménages</a> aux <a href="https://theconversation.com/topics/etats-unis-20443">États-Unis</a>, selon les dernières données, soit à peu près la population du Wisconsin. Dans le monde, plus d’un milliard de personnes n’ont pas de compte bancaire.</p>
<p>Je suis professeur dans une école de commerce et mes <a href="https://blogs.bu.edu/zagorsky/">recherches</a> portent sur la transition de la société de l’argent liquide vers les paiements électroniques. J’ai récemment visité Seattle et j’ai été surpris par les <a href="https://www.govtech.com/workforce/data-seattle-area-becoming-increasingly-cashless">signaux contradictoires</a> que j’ai vus dans de nombreuses vitrines. Dans de nombreux magasins, un panneau proclamait fièrement à quel point ils étaient accueillants et inclusifs – à côté d’un autre panneau indiquant « La maison n’accepte pas les espèces ». Autrement dit, les personnes qui n’ont pas de compte en banque n’y sont pas les bienvenues.</p>
<h2>Refuser les banques, un choix parfois contraint</h2>
<p>Pourquoi quelqu’un voudrait-il éviter d’utiliser les banques ? Tous les deux ans, la <a href="https://www.fdic.gov/analysis/household-survey/2021execsum.pdf">Federal Deposit Insurance Corporation</a> interroge les ménages américains sur leurs liens avec le système bancaire et demande aux personnes qui n’ont pas de compte en banque pourquoi elles n’en ont pas. Les personnes peuvent donner plusieurs réponses. En 2021, la raison principale, choisie par plus de 40 % des personnes interrogées, était qu’elles n’avaient pas assez d’argent pour atteindre le solde minimum.</p>
<p>Cela explique en partie pourquoi les ménages les plus pauvres sont moins susceptibles d’avoir un compte bancaire. Selon la FDIC, environ un quart des personnes gagnant moins de 15 000 dollars par an ne sont pas bancarisées. Parmi les personnes gagnant plus de 75 000 dollars par an, presque toutes les personnes interrogées possèdent un compte bancaire.</p>
<p><iframe id="kLdcA" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/kLdcA/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les deuxième et troisième réponses les plus fréquentes montrent que certaines personnes sont sceptiques à l’égard des banques. Environ un tiers des personnes interrogées ont répondu qu’« éviter une banque permet de mieux protéger sa vie privée », tandis qu’un autre tiers a déclaré qu’il ne faisait tout simplement « pas confiance aux banques ».</p>
<p>Les coûts liés aux relations avec les banques viennent compléter les cinq premières raisons. Plus d’un quart des personnes interrogées estiment que les frais de compte bancaire sont trop élevés, et à peu près la même proportion les estime trop imprévisibles.</p>
<p>Bien que de nombreuses personnes de la classe moyenne ou aisée ne paient pas directement pour leur compte bancaire, les frais peuvent être coûteux pour celles qui ne peuvent pas maintenir un solde minimum. Une récente <a href="https://www.bankrate.com/banking/checking/checking-account-survey/">enquête</a> de Bankrate montre que les frais de service mensuels de base se situent entre 5 et 15 dollars. En plus de ces frais réguliers, les banques gagnent <a href="https://www.fdic.gov/resources/consumers/consumer-news/2021-12.html">4 à 5 dollars</a> chaque fois que les clients retirent de l’argent à un guichet automatique ou ont besoin de services tels que l’obtention de <a href="https://www.bankrate.com/banking/checking/what-is-a-cashiers-check/#fees-for-a-cashier-s-check">chèques</a> de banque. Les factures imprévues peuvent entraîner des frais de découvert d’environ <a href="https://www.bankrate.com/banking/checking/checking-account-survey/#overdraft-fees">25 dollars</a>.</p>
<h2>Être non bancarisé aux États-Unis</h2>
<p>La FDIC appelle les personnes qui n’ont pas de compte bancaire les « non-bancarisés ». Les personnes disposant d’un compte bancaire mais qui ont recours à des services alternatifs, tels que les points d’encaissement de chèques, sont appelées les « sous-bancarisés ».</p>
<p>Les dernières données de la FDIC font état de près de 6 millions de ménages américains non bancarisés et de 19 millions de ménages américains sous-bancarisés. Sachant qu’un ménage moyen compte <a href="https://www.census.gov/content/dam/Census/library/visualizations/time-series/demo/families-and-households/hh-6.pdf">2,5 personnes</a>, cela signifie qu’il y a plus de 15 millions de personnes qui vivent dans un foyer sans lien avec les banques, et 48 millions d’autres dans des foyers qui n’ont qu’un lien ténu avec elles.</p>
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<p>Si l’on combine ces deux chiffres, cela signifie qu’environ une personne sur cinq aux États-Unis n’a que peu ou pas de liens avec les banques ou d’autres institutions financières. Cette situation peut les exclure des magasins, des restaurants, des transports et des services médicaux qui n’acceptent pas l’argent liquide.</p>
<p>Le nombre réel de personnes non bancarisées est probablement plus élevé que les estimations de la FDIC. Les questions sur le fait d’être bancarisé ou non sont des questions supplémentaires ajoutées à une enquête menée auprès des personnes <a href="https://www.census.gov/programs-surveys/cps/about.html">à leur domicile</a>. Cela signifie que l’enquête ne tient pas compte des sans-abri, des personnes de passage sans adresse permanente et des <a href="https://www.dhs.gov/immigration-statistics/population-estimates/unauthorized-resident">immigrés sans papiers</a>.</p>
<p>Ces personnes ne sont probablement pas bancarisées parce qu’il faut une adresse vérifiée et un numéro d’identification fiscale délivré par le gouvernement pour ouvrir un compte bancaire. Étant donné qu’environ <a href="https://www.npr.org/2023/12/22/1221006083/immigration-border-election-presidential">2,5 millions de migrants</a> ont franchi la frontière entre les États-Unis et le Mexique au cours de la seule année 2023, il y a probablement des millions de personnes de plus dans l’économie de l’argent liquide que ce qu’estime la FDIC.</p>
<h2>Et ailleurs dans le monde ?</h2>
<p>Si les États-Unis affichent un taux relativement élevé de personnes disposant d’un compte bancaire, la situation est différente dans d’autres parties du monde. La Banque mondiale a créé une <a href="https://www.worldbank.org/en/publication/globalfindex/Data">base de données</a> qui indique le pourcentage de la population de chaque pays qui a accès aux services financiers. La définition de la Banque mondiale est plus large que celle de la FDIC, puisqu’elle inclut toute personne utilisant un téléphone portable pour envoyer et recevoir de l’argent comme ayant un compte bancaire.</p>
<p><iframe id="1SJDj" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/1SJDj/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Globalement, la Banque mondiale estime qu’environ un quart des adultes dans le monde n’ont pas accès à un compte bancaire ou à un compte de téléphonie mobile. Mais cette proportion varie considérablement d’une région à l’autre. Dans les pays qui utilisent l’euro, presque tout le monde a un compte bancaire, alors qu’au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, seule la moitié de la population en a un.</p>
<p>Nous sommes nombreux à glisser notre carte de crédit ou à pianoter sur notre téléphone pour payer sans réfléchir. Pourtant, au moins 6 millions de personnes aux États-Unis et près de 1,5 milliard dans le monde ne sont pas bancarisées.</p>
<p>Lorsque les commerces n’acceptent plus d’argent liquide, les personnes non bancarisées sont contraintes d’utiliser des méthodes de paiement telles que les cartes de débit prépayées, qui sont coûteuses. Par exemple, Walmart, l’un des plus grands détaillants américains, propose une <a href="https://www.walmartmoneycard.com/">carte de débit de base rechargeable</a>. Cette carte coûte 1 dollar à l’achat et 6 dollars par mois de frais, auxquels s’ajoutent 3 dollars chaque fois qu’une personne veut charger la carte avec de l’argent liquide aux caisses de Walmart. Payer un minimum de 10 dollars juste pour mettre en place une carte de débit pour quelques achats est un prix élevé.</p>
<p>La prochaine fois que vous verrez dans la vitrine d’un magasin ou d’un restaurant un panneau indiquant « pas de paiement en liquide », pensez que l’entreprise exclut ainsi de nombreuses personnes non bancarisées ou sous-bancarisées. Insister pour que tous les commerces acceptent les espèces est un moyen simple de s’assurer que tout le monde est financièrement inclus dans l’économie moderne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222076/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jay L. Zagorsky ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Près de 6 millions de ménages américains, souvent par contrainte de coût, n’ont pas de comptes bancaires. Pourtant, de plus en plus de commerces refusent les paiements en liquide.Jay L. Zagorsky, Clinical Associate Professor of Markets, Public Policy and Law, Boston UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2203202024-01-18T14:49:04Z2024-01-18T14:49:04ZLe nouveau président argentin, Javier Milei, est-il d’extrême droite ? La réponse n’est pas simple<p>Une onde de choc secoue l’Argentine <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2028009/argentine-vote-presidentielle-massa-milei">depuis l’arrivée au pouvoir de Javier Milei, le 10 décembre</a>. </p>
<p>Son idéologie qualifiée « d’anarcho-capitaliste » promet de grands bouleversements dans un pays caractérisé par une longue tradition étatique, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/ameriques/largentine-en-pleine-crise-lance-une-nouvelle-serie-de-mesures-contre-linflation-1972952">et aux prises avec une profonde crise économique</a>. </p>
<p>Le caractère radical de ses propositions aura réussi à lui attirer de nombreux Argentins, mais à s’en aliéner tout autant, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2038012/argentine-greve-generale-24-janvier-reforme-javier-milei">avec plusieurs appels à la grève générale</a>. </p>
<p>Des analystes ont essayé de comprendre les liens idéologiques entre Javier Milei et les divers mouvements d’extrême droite qui ont émergé au cours des vingt dernières années, particulièrement en Europe et aux États-Unis. </p>
<p>Doctorant en science politique à l’Université Laval, mes recherches portent sur les autoritarismes, particulièrement en Argentine. Je souhaite ainsi explorer les relations entre Javier Milei et la mouvance d’extrême droite. </p>
<h2>Attention aux comparaisons rapides</h2>
<p>Javier Milei <a href="https://theconversation.com/le-dilemme-milei-et-lavenir-incertain-de-largentine-219556">peut être décrit comme un populiste</a>. Cette association est pertinente, voire naturelle, si l’on regarde ses multiples références à des figures d’extrême droite telles que <a href="https://twitter.com/JMilei/status/1727501082560205296">Donald Trump</a>, le Brésilien <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/20/javier-milei-elu-president-de-l-argentine-recoit-les-felicitations-de-donald-trump-et-jair-bolsonaro_6201217_3210.html">Jair Bolsonaro</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Santiago_Abascal">l’Espagnol Sergio Abascal</a>, président de la formation Vox, <a href="https://thediplomatinspain.com/en/2023/11/milei-invites-abascal-to-his-inauguration-as-argentine-president/">qu’il a invité à son investiture</a>.</p>
<p>Ses appels à lutter contre le « gauchisme », <a href="https://www.infobae.com/opinion/2022/05/20/javier-milei-y-su-guerra-contra-el-marxismo-cultural-la-oscura-historia-detras-del-termino/">ses critiques du « marxisme culturel »</a> et son caractère ouvertement antisystème renforcent cette identification.</p>
<p>Cependant, ce rapprochement assez simpliste fait fi de divergences importantes avec le programme de Milei, notamment en matière de politique économique et migratoire. Ainsi, malgré les similitudes, des divergences importantes existent, en particulier dans la manière dont chaque mouvement comprend le rôle de l’État et sa relation avec la société dans son ensemble. </p>
<p>En particulier, j’aimerais attirer l’attention sur une différence centrale, soit le rôle du nationalisme, ainsi que sur les nouveautés apportées par Milei dans le contexte de la montée de la droite au niveau global.</p>
<h2>Le nationalisme nativiste au cœur de l’extrême droite</h2>
<p>Dans un article de synthèse, <a href="https://doi.org/10.1146/annurev-polisci-042814-012441">Matt Golder</a>, professeur de science politique à la Pennsylvania State University, analyse la littérature scientifique sur les partis politiques d’extrême droite en Europe. Il y trouve trois éléments de plus en plus caractéristiques de ce mouvement, soit le « nationalisme », le « populisme » et le « radicalisme ».</p>
<p>Le nationalisme exposé par des partis d’extrême droite peut être décrit comme du « nativisme ». En suivant <a href="https://doi.org/10.1017/CBO9780511492037">Cas Mudde</a>, professeur du département de science politique à l’University of Georgia, le « nativisme » est compris comme « du nationalisme plus de la xénophobie ». Il est basé sur l’idée de l’existence d’une population « native », imaginaire, <a href="https://doi.org/10.1146/annurev-polisci-042814-012441">construite sur des aspects généralement culturels ou ethniques</a>, et dont l’homogénéité doit être protégée de tout élément qui lui est étranger et externe. </p>
<p>En concevant cette communauté homogène, le <a href="https://doi.org/10.1017/CBO9780511492037">nativisme s’ajoute au nationalisme, conçu comme la congruence entre État et nation</a>, soit l’élément de la xénophobie mentionné par Cas Mudde. Ce faisant, les mouvements d’extrême droite avancent une préférence radicalisée pour tout ce qui peut être défini comme appartenant à la « communauté nationale ».</p>
<p>Cette version du nationalisme est bien connue et il est facile d’en trouver des exemples européens et américains : les appels contre le « Grand remplacement » exprimés par <a href="https://www.france24.com/fr/france/20220214-le-grand-remplacement-o%C3%B9-la-machine-%C3%A0-fantasmes-de-l-extr%C3%AAme-droite">Éric Zemmour</a>, les mises en garde contre les immigrants de <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/americas/us-politics/the-snake-song-lyrics-trump-b2464914.html">Donald Trump</a>, ou l’islamophobie de <a href="https://www.spiegel.de/international/germany/interview-with-frauke-petry-of-the-alternative-for-germany-a-1084493.html">l’Alternative pour l’Allemagne</a>, entre autres. </p>
<p>Ce nativisme des partis d’extrême droite devient un fondement de leurs projets politiques, incluant leur politique économique.</p>
<p>C’est pour cette raison que l’extrême droite contemporaine avance aussi des projets nettement protectionnistes. L’euro-scepticisme, la nationalisation, ainsi que le discours anti-globalisation sont des éléments partagés par une grande partie des mouvements d’extrême droite. La racine de ces projets est la croyance en une communauté nationale, définie en termes soit ethnique, soit culturel, qui doit être protégée de l’influence d’éléments provenant de l’extérieur. </p>
<h2>Libéraliser l’économie, la priorité de Milei</h2>
<p>On ne trouve pas l’élément du nativisme du côté de Javier Milei, bien que sa liste de promesses puisse surprendre en raison de son caractère radical et par son ampleur.</p>
<p>Les projets et la plate-forme de son parti, La Libertad Avanza (LLA), constituent plutôt une opposition claire au nativisme, répandu en Argentine et représenté par le mouvement péroniste. Les accusations concernant sa prétendue idéologie anti-immigration ne sont pas non plus fondées, du moins jusqu’ici.</p>
<p>Le programme de Javier Milei parle d’immigration que de façon marginale. Il suffit de lire la <a href="https://www.electoral.gob.ar/nuevo/paginas/pdf/plataformas/2023/PASO/JUJUY%2079%20PARTIDO%20RENOVADOR%20FEDERAL%20-PLATAFORMA%20LA%20LIBERTAD%20AVANZA.pdf">plateforme électorale</a> de LLA, où les sujets de la « nation » ou de l’immigration sont relativement absents. </p>
<p>Il est vrai que l’Argentine a reçu proportionnellement, ces dernières années, <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?langue=fr&codePays=ARG&codeTheme=1&codeStat=SM.POP.NETM">moins d’immigrants que la majorité des pays d’Europe ou d’Amérique du Nord</a>. Le débat concerne davantage l’universalité du service de santé et d’éducation, grâce à laquelle toute personne, sans égard à sa condition migratoire <a href="https://sherloc.unodc.org/cld/uploads/res/document/ley-de-migraciones-25871-english_html/Ley_de_Migraciones_25871_English.pdf">peut disposer du système de santé publique (même les touristes) et d’éducation gratuite</a>. Javier Milei n’est donc pas tant opposé à l’immigration (il a <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xfNnAKnHxGo">même exprimé son appui</a>), mais à certain type de dépenses de l’État qui y sont associés. </p>
<p>En revanche, la libéralisation a constitué et continue à être le pilier de son programme, parfaitement incarnée dans la proposition d’élimination de la banque centrale et l’instauration de la libre concurrence monétaire. <a href="https://www.electoral.gob.ar/nuevo/paginas/pdf/plataformas/2023/PASO/CABA%20501%20LA%20LIBERTAD%20AVANZA%20ADHIERE%20PLATAFORMA%20ON.pdf">Son programme</a> inclut aussi la dollarisation, l’optimisation et la diminution de la taille de l’État, l’ouverture au commerce international, la réforme du code de travail, de la loi sur la santé mentale, des réglementations des services médicaux.</p>
<h2>Attendre avant de juger le projet politique de Milei</h2>
<p>Autrement dit, malgré le style populiste et le caractère radical de ses propositions, l’approche de Milei rend difficile son identification immédiate, sans d’autres qualificatifs, avec l’extrême droite européenne et américaine. </p>
<p>Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il faut exclure le phénomène de Milei de la famille élargie de l’extrême droite. Comme <a href="https://www.bbc.com/mundo/articles/c983y398v0do">Cristóbal Rovira, professeur à la Pontificia Universidad Católica de Chile, affirme</a> cette « famille » n’a pas d’éléments qui sont nécessairement partagés par tous ses membres. Cependant, il oblige à reconsidérer les associations immédiates et faciles. Le fait que Javier Milei ait déclaré sa préférence pour Trump ne fait pas de lui un Trumpiste.</p>
<p>Il y a certainement des individus à l’intérieur de son parti politique qui se montrent plus proches des projets politiques de Donald Trump ou de Sergio Abascal. Cependant, les positionnements personnels de Javier Milei définissent en grande partie ce que l’on peut attendre de son gouvernement et le caractère de son projet politique.</p>
<p>Bien que Milei affirme lui-même sa parenté idéologique avec des leaders souvent inclus dans la grande famille de l’extrême droite contemporaine, les éléments de son programme et le cœur de son idéologie imposent le maintien d’une certaine distance. De façon plus large, la mise en contexte de tout phénomène politique est nécessaire afin de comprendre leur nouveauté et implication.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220320/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Federico Chaves Correa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des aspects du programme du président argentin Javier Milei s’apparentent à l’extrême droite, mais d’autres pas. Sans l’exclure de cette mouvance, il faut attendre avant de juger son projet politique.Federico Chaves Correa, Doctorant en science politique, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2183712023-11-28T13:01:09Z2023-11-28T13:01:09ZLa résistance aux antibiotiques cause plus de décès que le paludisme et le VIH/sida réunis : ce que fait l'Afrique pour lutter contre cette épidémie silencieuse<p><em>Chaque année, la <a href="https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/antimicrobial-resistance#:%7E:text=L'OMS%20a%20d%C3%A9clar%C3%A9%20que,de%20pathog%C3%A8nes%20r%C3%A9sistants%20aux%20m%C3%A9dicaments.">résistance aux antimicrobiens</a> - la capacité des microbes à survivre aux agents conçus pour les tuer - fait plus de victimes que le paludisme et le VIH/sida réunis. L'Afrique subit de plein fouet cette évolution, qui se nourrit d'inégalités et de pauvreté. Nadine Dreyer a demandé à Tom Nyirenda, chercheur scientifique ayant plus de 27 ans d'expérience dans le domaine des maladies infectieuses, ce que les organismes de santé du continent font pour lutter contre cette menace qui pèse sur le progrès médical.</em></p>
<h2>Qu'est-ce que la résistance aux antimicrobiens ?</h2>
<p>La résistance aux antimicrobiens se produit lorsque les bactéries, les virus, les champignons et les parasites changent au fil du temps et ne répondent plus aux médicaments (y compris les antibiotiques). Cela rend les infections plus difficiles à traiter et augmente le risque de propagation des maladies, de maladie grave et de décès. </p>
<p>En Afrique, la résistance aux médicaments est déjà un problème avéré pour <a href="https://africacdc.org/document-tag/amr/#:%7E:text=In%20Africa%2C%20AMR%20has%20already,%2C%20meningitis%2C%20gonorrhoea%20and%20dysentery.">le VIH, le paludisme, la tuberculose, la typhoïde, le choléra, la méningite, la gonorrhée et la dysenterie</a>. </p>
<h2>Quelle est l'ampleur du problème de la résistance aux antimicrobiens ?</h2>
<p>C'est l'une des <a href="https://www.who.int/fr/news-room/spotlight/ten-threats-to-global-health-in-2019">10 principales menaces mondiales</a> pour la santé publique qui risque de compromettre des années de progrès médical.</p>
<p>Près de <a href="https://www.fao.org/animal-health/our-programmes/antimicrobial-resistance-(amr)/fr">5 millions de décès</a> ont été associés à la résistance aux antimicrobiens en 2019. </p>
<p>C'est sur le continent africain que le fardeau est le plus lourd. </p>
<p>La première <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(21)02724-0/fulltext">évaluation complète</a> de la charge mondiale de la résistance aux antimicrobiens a estimé qu'en 2019, plus de 27 décès pour 100 000 étaient directement imputables à la résistance aux antimicrobiens en Afrique. Plus de 114 décès pour 100 000 personnes y ont été associés à cette résistance. </p>
<p>Dans les pays à revenu élevé, la résistance aux antimicrobiens a été directement à l'origine de 13 décès pour 100 000. Elle est associée à 56 décès pour 100 000 personnes.</p>
<p><a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(21)02724-0/fulltext">L'étude</a> a montré que les jeunes enfants sont particulièrement exposés. La moitié des décès survenus en Afrique subsaharienne en 2019 concernaient des enfants de moins de 5 ans.</p>
<h2>Comment les inégalités et la pauvreté interviennent-elles ?</h2>
<p>Dans de nombreux pays africains, la pauvreté et les inégalités favorisent la résistance aux antimicrobiens.</p>
<p>L'accès à une eau courante propre, à un assainissement adéquat et à une gestion sûre de l'eau est un défi majeur dans de nombreux hôpitaux et cliniques des pays africains. </p>
<p>De plus, il y a souvent un grave manque drastique de personnel de santé. Les services sont souvent débordés. En conséquence, les infections se propagent plus rapidement. Certaines de ces infections sont résistantes aux antibiotiques. </p>
<p>L'utilisation inappropriée des antibiotiques, l'insuffisance des ressources sanitaires et l'accès limité aux médicaments appropriés ont également alimenté la résistance aux antibiotiques en Afrique subsaharienne. </p>
<p>Les médicaments <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14787210.2023.2259106">de qualité inférieure et falsifiés</a>, en raison de leurs doses inférieures, peuvent permettre aux bactéries de s'adapter, de résister, de se développer et de se propager. Des études montrent que le continent africain est touché par ces produits médicaux. </p>
<p>La pénurie mondiale d'antibiotiques encourage également l'utilisation de médicaments de qualité inférieure.</p>
<p>En raison d'une faible réglementation, la prescription d'antibiotiques <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14787210.2023.2259106">en vente libre</a> est très répandue en Afrique subsaharienne. Les taux les plus élevés de prescription d'antibiotiques en vente libre ont été relevés en Érythrée (jusqu'à 89,2 %), en Éthiopie (jusqu'à 87,9 %), au Nigeria (jusqu'à 86,5 %) et en Tanzanie (jusqu'à 92,3 %). En Zambie, jusqu'à 100 % des pharmacies ont délivré des antibiotiques sans ordonnance. </p>
<h2>Y a-t-il de bonnes nouvelles ?</h2>
<p>Si la lutte contre la résistance aux antimicrobiens sur le continent africain est plus difficile que dans d'autres régions, de nombreux décès peuvent sont évitables. </p>
<p>Il y a eu quelques initiatives encourageantes pour protéger les systèmes de santé et les communautés contre la résistance aux antimicrobiens.</p>
<ol>
<li><p>L'Union africaine a mis en place le <a href="https://africacdc.org/download/african-union-framework-for-antimicrobial-resistance-control-2020-2025/">Cadre de l'Union africaine sur la lutte contre la résistance aux antimicrobiens</a>. Ce cadre vise à renforcer la recherche, à promouvoir les politiques, les lois et la bonne gouvernance, à améliorer la sensibilisation et à impliquer les organisations de la société civile.</p></li>
<li><p>La lutte contre la résistance aux antimicrobiens implique le développement de nouveaux antibiotiques tout en s'assurant qu'ils atteignent les personnes qui en ont besoin. C'est pour cela que des organisations comme le <a href="https://gardp.org/">Partenariat mondial de recherche-développement d'antibiotiques</a> ont été créées. Nous constatons des progrès encourageants pour un antibiotique contre la gonorrhée résistante aux médicaments, un <a href="https://www.who.int/news/item/22-06-2023-who-outlines-40-research-priorities-on-antimicrobial-resistance">agent pathogène hautement prioritaire</a>. </p></li>
</ol>
<p>Six sites sud-africains ont participé à l'essai clinique.</p>
<ol>
<li><p>La mesure et le suivi de la résistance aux antimicrobiens et de l'utilisation des antimicrobiens jouent un rôle essentiel. Là aussi, des progrès ont été accomplis. Le consortium <a href="https://africacdc.org/download/mapping-antimicrobial-resistance-and-antimicrobial-use-partnership-maap-country-reports/">Mapping AMR and AMU Partnership</a> a récemment publié 14 nouveaux rapports nationaux sur la situation en Afrique. </p></li>
<li><p>Le <a href="https://www.edctp.org/">Partenariat d'essais cliniques entre l'Europe et les pays en développement</a> finance la recherche clinique d'outils médicaux permettant de détecter, traiter et prévenir les maladies infectieuses liées à la pauvreté en Afrique subsaharienne. Le domaine vital de la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK531478/#:%7E:text=Neonatal%20sepsis%20refers%20to%20an,middle%20and%20lower%2Dincome%20countries">septicémie néonatale</a> en fait partie.</p></li>
<li><p>Il est essentiel de modifier les comportements à l'égard des antibiotiques afin qu'ils soient utilisés à bon escient. Des organisations telles que <a href="https://www.reactgroup.org/news-and-views/news-and-opinions/2023-2/react-africa-conference-2023/">ReAct Africa and the South Centre</a> ont bien progressé sur cet aspect. </p></li>
</ol>
<p>Elles plaident pour une utilisation responsable des antibiotiques ainsi que pour des moyens de prévenir et de contrôler les infections bactériennes. </p>
<p>Au Kenya et dans d'autres pays africains, les champions de la résistance aux antimicrobiens sensibilisent les écoles, les universités, les cliniques et les communautés. </p>
<p>6.<a href="https://www.afro.who.int/regional-director/speeches-messages/strategic-imperative-boosting-local-pharmaceutical-production">Une initiative audacieuse</a> des pays africains pour établir et développer la fabrication locale de produits médicaux nécessite une réglementation stricte afin de ne pas alimenter la résistance aux médicaments avec des produits de qualité inférieure ou des contrefaçons. </p>
<h2>Que nous réserve l'avenir ?</h2>
<p>Les défis posés par la résistance aux antimicrobiens dans les pays africains sont énormes. Mais la dynamique de lutte contre ce phénomène est en train de se mettre en place. </p>
<p>Les étapes cruciales sont les suivantes</p>
<ul>
<li><p>un investissement accru</p></li>
<li><p>l'expansion des programmes de prévention et de contrôle des infections, y compris les bonnes pratiques de prescription clinique</p></li>
<li><p>l'amélioration de l'accès aux antibiotiques essentiels et aux outils de diagnostic</p></li>
<li><p>le développement de nouveaux antibiotiques capables de traiter les infections multirésistantes. </p></li>
</ul>
<p><em>Cet article fait partie d'un partenariat médiatique entre The Conversation Africa et la Conférence 2023 sur la santé publique en Afrique. L'auteur remercie Carol Rufell du Partenariat mondial pour la recherche et le développement des antibiotiques en Afrique pour sa précieuse contribution.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218371/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tom Nyirenda does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>L'Afrique est plus touchée par la résistance aux antimicrobiens, largement alimentée par la pauvreté, mais des signes encourageants montrent que le continent prend des mesures pour la combattre.Tom Nyirenda, Extraordinary Senior Lecture in the Department of Global Health, Stellenbosch UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2159592023-10-20T12:35:21Z2023-10-20T12:35:21ZQue pensent les Palestiniens de Gaza du Hamas ? Des sondages révèlent qu'ils se soucient davantage de lutte contre la pauvreté que de résistance armée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/554569/original/file-20231017-19-wp5fj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C155%2C5725%2C3673&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Qui parle au nom des Palestiniens de Gaza ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/woman-walks-past-a-mural-painting-depicting-fellow-news-photo/1203649009?adppopup=true">Mohammed Abed/AFP via Getty Images</a></span></figcaption></figure><p>Avec l’intensification de la guerre entre Israël et le Hamas, <a href="https://www.cnn.com/2023/10/16/opinions/israel-hamas-gaza-palestinians-oppose-terror-mohammed/index.html">des observateurs régionaux et internationaux formulent des hypothèses</a> sur le soutien des habitants de Gaza au Hamas.</p>
<p>Des affirmations erronées telles que celles de Ron DeSantis, candidat à la présidence des États-Unis, qui prétend que tous les habitants de Gaza sont « <a href="https://richardhetu.com/2023/10/16/tous-les-gazaouis-sont-antisemites-selon-desantis/">antisémites</a> », ou celles qui reprochent aux Gazaouis d’avoir « <a href="https://apnews.com/article/desantis-israel-hamas-gaza-palestinian-refugees-water-73a468f8d030e083844d16e82684c406">élu le Hamas</a> », peuvent influencer les débats non seulement en ce qui a trait à la perception de la guerre, mais aussi pour ce qui est des plans d’aide aux habitants de Gaza dans les mois à venir.</p>
<p>Tout <a href="https://twitter.com/JacobMagid/status/1714005428428816552?s=20">effort de reconstruction</a> ou de <a href="https://www.npr.org/2023/10/16/1206100831/israel-hamas-war-gaza-water-blinken-palestine">distribution d’aide</a> pourrait être mis en balance avec les craintes que des insurgés du Hamas se trouvent au sein de la population de Gaza.</p>
<p>Dans mes travaux de recherche sur le salafisme djihadiste et l’islamisme, j’ai constaté que des mouvements militants <a href="https://academic.oup.com/book/33569/chapter-abstract/288035047?redirectedFrom=fulltext">provoquaient des interventions militaires</a> pour exploiter le chaos qui s’ensuivait. En outre, ces groupes <a href="https://www.understandingwar.org/report/isis-governance-syria">prétendent souvent gouverner</a> dans l’intérêt « légitime » des populations qu’ils dominent, même si celles-ci <a href="https://merip.org/2018/10/mosul-will-never-be-the-same/">rejettent leur autorité</a>.</p>
<p>Comme <a href="https://warontherocks.com/2023/10/a-major-pivot-in-hamas-strategy/">l’ont fait remarquer plusieurs commentateurs</a>, le Hamas espère sans doute susciter une <a href="https://www.foreignaffairs.com/israel/war-hamas-always-wanted">réaction disproportionnée</a> de la part d’Israël, mais aussi utiliser les répercussions violentes de l’intervention pour entretenir la dépendance des habitants de Gaza à son égard et détourner l’attention de ses propres <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2023/07/gaza-pressure-builds-hamas-solve-power-crisis-amid-heat-wave">échecs en matière de politique intérieure</a>.</p>
<h2>Politiciens et Gaza</h2>
<p>Les dirigeants des deux parties en conflit ont tenté de justifier leurs actions. Souvent, ils utilisent leur perception de l’opinion publique gazaouie pour soutenir leurs objectifs politiques.</p>
<p>Ismaïl Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, a affirmé que <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20231009-haniyeh-outlines-context-and-objectives-of-hamas-operation-al-aqsa-flood/">les actions du Hamas représentaient les habitants de Gaza</a> et « l’ensemble de la communauté arabo-musulmane ». Selon lui, le recours à la violence par le Hamas se fait au nom des Palestiniens <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/9/17/israeli-forces-attack-palestinian-worshippers-at-al-aqsa-mosque">agressés dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa</a> en septembre 2023, ou <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/former-hamas-chief-meshaal-says-israeli-captives-include-high-ranking-officers-2023-10-16/">qui ont souffert</a> aux mains des <a href="https://www.pbs.org/newshour/show/israel-military-launches-largest-attacks-on-west-bank-in-nearly-20-year">forces de sécurité israéliennes</a>, ou à cause des <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/10/6/palestinian-killed-as-israeli-settlers-attack-west-bank-town-of-huwara">colons</a> en <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-65973383">Cisjordanie.</a></p>
<p>Le président israélien Isaac Herzog a quant à lui suggéré que <a href="https://news.yahoo.com/israeli-president-says-no-innocent-154330724.html">tous les habitants de Gaza portaient une responsabilité</a> collective à l’égard du Hamas. En conséquence, a-t-il conclu, Israël agira contre Gaza et sa population pour défendre ses propres intérêts.</p>
<p>L’administration Biden, qui s’est bien gardée de condamner les bombardements israéliens, a cherché à adopter une approche plus large face à l’escalade. Dans une <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/15/us/politics/biden-israel-gaza.html">entrevue</a> et sur les médias sociaux, le <a href="https://x.com/POTUS/status/1713525125478228437">président américain Joseph Biden a affirmé</a> que « l’écrasante majorité des Palestiniens n’a rien à voir avec les attaques épouvantables du Hamas » et qu’au contraire, elle en souffre. <a href="https://www.cbsnews.com/news/president-joe-biden-2023-60-minutes-transcript/">Cette souffrance</a>, a ajouté M. Biden, nécessite la levée à terme du « <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-67051292">siège total</a> » de Gaza mis en place par Israël.</p>
<p>Dans chaque exemple, les politiciens ont utilisé leurs présomptions concernant les habitants de Gaza pour appuyer leurs politiques. Mais ces derniers ont leur propre façon de voir les choses.</p>
<h2>Comment les Gazaouis perçoivent-ils le Hamas ?</h2>
<p>Une analyse de l’opinion publique gazaouie au fil du temps révèle un désespoir constant de vivre sous le blocus israélien.</p>
<p>Un sondage réalisé en juin 2023 par <a href="https://www.pcpsr.org/en/node/192">Khalil Shikaki</a>, professeur de sciences politiques et directeur du Centre palestinien de recherche sur les politiques et les sondages, indique que <a href="https://pcpsr.org/en/node/944">79 % des habitants de Gaza soutiennent l’opposition</a> armée à l’occupation israélienne du territoire palestinien. Un sondage réalisé par le Washington Institute en juillet 2023 révèle que seuls <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/polls-show-majority-gazans-were-against-breaking-ceasefire-hamas-and-hezbollah">57 % des Gazaouis ont une opinion « plutôt positive</a> » du Hamas.</p>
<p><iframe id="Dbv0L" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Dbv0L/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Une lecture poussée de ces sondages montre une situation plus nuancée. Considérons que, en 2018, environ <a href="https://www.unicef.org/sop/what-we-do/health-and-nutrition">25 % des femmes de Gaza risquaient de mourir en accouchant</a>, 53 % des Gazaouis vivaient dans la pauvreté et les fournitures de soins de santé essentiels étaient très limitées. La même année, Shikaki a constaté qu’un nombre croissant de Gazaouis étaient mécontents du gouvernement du Hamas et que près de 50 % d’entre eux espéraient <a href="https://pcpsr.org/en/node/740">quitter la bande de Gaza</a>.</p>
<p>Dans <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/polls-show-majority-gazans-were-against-breaking-ceasefire-hamas-and-hezbollah">un sondage réalisé en juin 2023</a> par le Washington Institute, 64 % des habitants de Gaza réclament une amélioration des soins de santé, de l’emploi, de l’éducation et souhaitent un retour à une certaine normalité au lieu de la « résistance » revendiquée par le Hamas. Plus de 92 % des Gazaouis se disent ouvertement mécontents de leurs conditions de vie.</p>
<p>En outre, comme l’a rapporté Shikaki, plus de 73 % des répondants estiment que le gouvernement du Hamas est corrompu. Les habitants de Gaza n’ont toutefois pas d’espoir de changement électoral. Aucune élection n’ayant eu lieu depuis 2006, la majorité des habitants actuels de Gaza <a href="https://www.cia.gov/the-world-factbook/countries/gaza-strip/#people-and-society">n’étaient pas en âge de voter pour le Hamas</a>.</p>
<p>Le soutien à la résistance armée n’a pas toujours existé. Quand le Hamas a ouvertement combattu l’Autorité palestinienne – qui gouverne la Cisjordanie et a remis en cause la légitimité de la victoire du Hamas – et pris le contrôle de la bande de Gaza en 2007, <a href="https://www.pcpsr.org/en/node/230">plus de 73 % des Palestiniens</a> se sont dits opposés à cette prise de pouvoir et à tout conflit armé.</p>
<p>À l’époque, moins d’un tiers des habitants de Gaza soutenaient une action militaire contre Israël et plus de 80 % d’entre eux <a href="https://www.pcpsr.org/en/node/231">condamnaient les enlèvements, les incendies criminels et la violence aveugle</a>.</p>
<h2>Évolution de l’opinion gazaouie</h2>
<p>Les sondages réalisés auprès des habitants de Gaza de 2007 à 2023 sont révélateurs. Ils montrent clairement que le soutien des Gazaouis à la résistance armée s’est accru parallèlement à une hausse de la frustration, de la colère et du désespoir devant l’absence de solution politique à leurs souffrances.</p>
<p>En 2017, <a href="https://cmes.fas.harvard.edu/people/sara-roy">Sara Roy</a>, chercheuse qui étudie l’économie palestinienne et l’islamisme, s’est penchée sur <a href="https://www.lrb.co.uk/the-paper/v39/n12/sara-roy/if-israel-were-smart">la tolérance des habitants de Gaza à l’égard du Hamas</a>, notant que « ce qui est nouveau, c’est le sentiment de désespoir que l’on peut constater du fait que les gens sont désormais prêts à repousser des limites qui étaient autrefois inviolables. »</p>
<p>Les Gazaouis, explique-t-elle, en particulier ceux de moins de 30 ans (75 % de la population), appuient largement, même si à des degrés divers, le Hamas ou ses prétentions à une légitimité islamique. Le Hamas, disent-ils, verse des salaires alors que peu d’organismes peuvent le faire. Risquer d’être pris pour cible par les soldats israéliens constitue un risque calculé et acceptable si cela permet de recevoir une paye.</p>
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<img alt="A man in a cap paints the word Hamas in large letters on a wall." src="https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un partisan du Hamas affiche son soutien avant les élections de 2006 à Gaza.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/palestinian-supporters-of-hamas-movement-write-slogans-for-news-photo/56511960?adppopup=true">Mahmud Hams/AFP via Getty Images.</a></span>
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<p>En 2019, <a href="http://pcpsr.org/en/node/752">27 % des Gazaouis considéraient que le Hamas</a> était responsable de leurs conditions de vie. Dans le même sondage, <a href="https://trumpwhitehouse.archives.gov/peacetoprosperity/">55 % des répondants soutenaient tout plan de paix qui inclurait</a> un État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale et un retrait israélien de tous les territoires occupés.</p>
<p>En 2023, lorsque <a href="https://pcpsr.org/en/node/944">les habitants de Gaza interrogés</a> par Shikaki ont exprimé leur soutien à la résistance armée, ils l’ont fait car ils considéraient que cette résistance pourrait alléger le blocus et le siège israéliens mieux que toute politique électorale. Cependant, les personnes interrogées ont aussi exprimé leur exaspération face à la corruption du Hamas et à la persistance du chômage et de la pauvreté dans la bande de Gaza.</p>
<h2>Désespoir palestinien et objectifs du Hamas</h2>
<p>Toute perspective de retour à la normale semble disparue pour de nombreux Gazaouis, et le Hamas affirme agir en tant que « <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20231009-haniyeh-outlines-context-and-objectives-of-hamas-operation-al-aqsa-flood/">résistance légitime</a> ».</p>
<p>Avec <a href="https://www.csis.org/analysis/war-gaza-and-death-two-state-solution">des négociations de paix</a> au point mort depuis 2001, le <a href="https://carnegieendowment.org/sada/84509">report des élections</a>, <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20231017-bande-de-gaza-qu-est-ce-que-le-poste-fronti%C3%A8re-de-rafah-bombard%C3%A9-par-isra%C3%ABl">l’impossibilité de sortir</a> de Gaza et l’aggravation de la <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/10/16/gazas-dire-humanitarian-crisis-explained">crise humanitaire</a>, toute une génération de Gazaouis se retrouvent devant un horizon bouché.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Several people, including women and children, running out of their homes. Behind them are some partially damaged buildings." src="https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des familles palestiniennes quittent précipitamment leurs maisons après que des frappes aériennes israéliennes ont visé leur quartier dans la ville de Gaza, au centre de la bande de Gaza, le 17 octobre 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://newsroom.ap.org/detail/APTOPIXIsraelPalestinians/03fd329d897d481d8297182a223fd77a/photo?Query=gaza&mediaType=photo&sortBy=&dateRange=Anytime&totalCount=34246&currentItemNo=2">AP Photo/Abed Khaled</a></span>
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<p>« <a href="https://www.newsweek.com/im-gaza-i-cant-get-milk-my-crying-baby-i-feel-helpless-1835192">La mort est partout</a>, a déclaré Omar El Qattaa, 33 ans, photographe basé à Gaza, et la mémoire est effacée. »</p>
<p>Des sondages de 2023 ayant montré qu’une majorité de Gazaouis ne veut pas d’une rupture du cessez-le-feu avec Israël, le Hamas a mené ses attaques d’octobre contre la volonté populaire. Le désespoir ressenti par El Qatta et des <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/gaza-residents-who-have-lost-family-fear-more-destruction-ground-assault-looms-2023-10-15/">millions d’autres habitants de Gaza</a> risque d’être instrumentalisé par le Hamas. Comme l’écrit <a href="https://mleavitt.net/">Matthew Leavitt</a>, expert du Hamas, ce mouvement considère la politique, la charité, la violence politique et le terrorisme comme <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300122589/hamas/">des outils complémentaires et légitimes</a> pour poursuivre ses objectifs politiques.</p>
<p>Comme <a href="https://www.usatoday.com/story/news/world/2023/10/17/some-palestinians-support-hamas-attack-on-israel/71201312007/">l’affirme</a> Khaldoun Barghouti, chercheur palestinien basé à Ramallah, les bombardements continus d’Israël ont atténué la frustration à l’égard du Hamas, du moins à court terme. Ces agressions ont transformé la condamnation du Hamas pour les attaques d’octobre en une colère contre Israël.</p>
<p>Il reste à voir si cela se traduira par un soutien à des solutions alternatives au Hamas dans les mois à venir. Tout dépendra de la capacité des acteurs internationaux à regagner la confiance des Gazaouis tout en les aidant à trouver des options pour remplacer un gouvernement et un mouvement militant qu’ils considéraient comme corrompus et incapables de répondre à leurs besoins fondamentaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215959/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathan French ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les politiciens utilisent leurs présomptions concernant les habitants de Gaza pour appuyer leurs politiques. Mais ces derniers ont leur propre façon de voir les choses.Nathan French, Associate Professor of Religion, Miami UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2143212023-10-16T13:57:12Z2023-10-16T13:57:12ZLe logement est bien plus qu’un bien marchand. Et la crise actuelle ne se réduit pas à équilibrer l’offre et la demande<p>La crise du logement est un défi mondial : près de 1,6 milliard de personnes vivent dans des conditions précaires ou inadéquates. Et ce nombre pourrait même doubler d’ici 2030, selon l’<a href="https://unhabitat.org/news/13-jul-2023/the-world-is-failing-to-provide-adequate-housing">UN Habitat</a>. </p>
<p>Le Canada n’est pas épargné. Amplifiée par la pandémie de Covid-19, la demande de logements y surpasse largement l’offre. D’ici 2030, <a href="https://www.cmhc-schl.gc.ca/professionnels/marche-du-logement-donnees-et-recherche/recherche-sur-le-logement/rapports-de-recherche-en-habitation/accroitre-loffre-de-logements/penurie-de-logements-au-canada--resoudre-la-crise-de-labordabilite">3,5 millions de logements supplémentaires seront nécessaires</a>. Et pour y faire face, les initiatives gouvernementales se multiplient. </p>
<p>En tant que professeur en études urbaines à l’Université du Québec à Montréal, je m’intéresse à la manière dont les villes canadiennes contribuent aux <a href="https://www.sosve.org/objectifs-de-developpement-durable-post-2015/">17 Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies</a>, notamment le 11<sup>e</sup>, qui vise à rendre les villes inclusives, sûres, résilientes et durables.</p>
<h2>Les gouvernements se mobilisent</h2>
<p>En septembre 2023, le gouvernement du Canada a annoncé une <a href="https://www.canada.ca/fr/ministere-finances/nouvelles/2023/09/bonification-du-remboursement-de-la-tps-pour-immeubles-dhabitation-locatifs-afin-de-construire-plus-dappartements-pour-les-locataires.html">exonération de la TPS</a> pour la construction de nouveaux immeubles locatifs, dans l’optique d’alléger les coûts pour les constructeurs. Cette initiative s’ajoute à celles de la <a href="https://www.cmhc-schl.gc.ca/strategie-nationale-sur-le-logement/questce-que-la-strategie#strategyfr">Stratégie nationale sur le logement</a> lancée en 2018, un plan de 82 milliards de dollars étalé jusqu’en 2028. Ce plan englobe des subventions pour de nouveaux logements abordables, la rénovation, le soutien au logement communautaire et la promotion de la recherche en matière de logement. </p>
<p>Les gouvernements provinciaux et municipaux sont également à pied d’œuvre. Par exemple, l’<a href="https://news.ontario.ca/mmah/en">Ontario</a> multiplie les soutiens financiers aux projets immobiliers. Le Québec propose, entre autres, une <a href="https://www.revenuquebec.ca/fr/citoyens/votre-situation/faible-revenu/programme-allocation-logement/">Allocation-Logement</a> aux ménages les moins aisés. Et la Colombie-Britannique a instauré la <a href="https://news.gov.bc.ca/releases/2023HOUS0059-000851">Housing Supply Act</a>, adoptée en 2022, visant à mieux cibler les besoins en logement en collaboration avec les municipalités. </p>
<p>Plusieurs villes, comme <a href="https://globalnews.ca/news/9738121/toronto-multiplex-policy-housing/">Toronto</a>, <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/multiplex-housing-vancouver-1.6967977">Vancouver</a>, <a href="https://montreal.ca/articles/metropole-mixte-les-grandes-lignes-du-reglement-7816">Montréal</a> et <a href="https://www.lesoleil.com/actualites/actualites-locales/la-capitale/2023/09/27/un-plan-ambitieux-pour-contrer-la-crise-du-logement-UHZAPO6FXFGIDHBI255E4KY2E4/">Québec</a>, adoptent des stratégies pour augmenter la densité et favoriser la construction de logements sociaux et locatifs, collaborant souvent avec des <a href="https://www.cmhc-schl.gc.ca/professionnels/financement-de-projets-et-financement-hypothecaire/programmes-de-financement/toutes-les-opportunites-de-financement/fonds-dinnovation-pour-le-logement-abordable#:%7E:text=Le%20Fonds%20d%27innovation%20a,municipaliti%C3%A9s%2C%20provinces%20et%20territoires">entités communautaires</a> pour innover.</p>
<p>L’objectif de ces mesures ? Faire passer le taux d’inoccupation des logements de <a href="https://assets.cmhc-schl.gc.ca/sites/cmhc/professional/housing-markets-data-and-research/housing-research/research-reports/2022/housing-shortages-canada-solving-affordability-crisis-fr.pdf">1,9 % au Canada et de 1,7 % dans les grandes villes du Québec à une fourchette de 3 à 4 %</a>, considérée comme un équilibre entre l’offre et la demande de logements.</p>
<h2>La valeur sociétale du logement</h2>
<p>Cependant, la crise du logement ne se réduit pas simplement à une équation où il suffit d’équilibrer l’offre et la demande. Agir sur l’offre, en stimulant la construction et sur la demande, en fournissant des aides financières aux ménages, peut avoir un impact temporaire. Mais ces mesures ne ciblent que les symptômes de la crise, et non ses causes fondamentales. </p>
<p>Pourquoi ? Parce que le logement est bien plus qu’un bien marchand : il représente un foyer, un espace de vie et un élément structurant du tissu urbain, social et économique. Sa valeur sociétale dépasse ainsi sa valeur marchande, avec des implications sur l’accès aux services et aux lieux d’emploi, sur la stabilité de la population et l’attractivité urbaine, sur la santé physique et mentale ainsi que sur la compétitivité des entreprises locales.</p>
<p>La crise actuelle ne provient pas seulement d’un manque absolu de logements, mais surtout d’une pénurie relative de logements adaptés aux revenus de la majorité des habitants de chaque ville. À <a href="https://assets.cmhc-schl.gc.ca/sites/cmhc/professional/housing-markets-data-and-research/market-reports/rental-market-report/rental-market-report-2022-fr.pdf">Montréal</a>, par exemple, le taux d’inoccupation pour les logements abordables pour les ménages les moins fortunés est seulement de 1 %. En revanche, pour les ménages à revenus moyens et élevés, il est de 5,4 %. À <a href="https://assets.cmhc-schl.gc.ca/sites/cmhc/professional/housing-markets-data-and-research/market-reports/rental-market-report/rental-market-report-2022-fr.pdf">Québec et à Gatineau</a>, la situation est similaire, montrant que la compétition pour accéder à un logement est plus rude pour les individus et les familles les plus exposés à la crise.</p>
<p>La vision mercantile de la propriété a érodé sa valeur sociétale, transformant ce qui était autrefois un rêve en un simple outil d’investissement où l’objectif est d’acheter, rénover, fixer un loyer en fonction de l’investissement et séduire une population plus aisée.</p>
<h2>Des conséquences pour les citoyens et les entreprises</h2>
<p>Les conséquences sont nombreuses. D’une part, les prix élevés des propriétés ont transformé beaucoup de citoyens en locataires à long terme, écartant leur rêve de propriété. Cette situation crée une tension sur le nombre de logements locatifs disponibles, particulièrement pour les étudiants et les nouveaux arrivants. L’écart croissant entre les loyers des logements vacants et ceux occupés a aussi ralenti le taux de roulement, comme illustré à <a href="https://assets.cmhc-schl.gc.ca/sites/cmhc/professional/housing-markets-data-and-research/market-reports/rental-market-report/rental-market-report-2022-fr.pdf">Québec et à Gatineau</a>. </p>
<p>Les populations économiquement précaires subissent les effets les plus sévères, devant opter pour des logements basés sur leur capacité financière plutôt que leurs besoins. Cela se traduit par une baisse de la qualité de vie, des trajets plus longs vers les lieux de travail et de services ainsi que des coûts de transport augmentés. </p>
<p>Enfin, cette situation impacte directement le développement économique régional. L’augmentation rapide des loyers par rapport aux salaires peut diminuer la compétitivité des entreprises locales qui peinent à attirer et retenir les talents. Cette situation peut entraîner une baisse de la productivité (par exemple, des employés stressés par leurs finances), des temps de trajet plus longs pour les employés (choisissant de vivre en périphérie où le coût de logement est moindre), un frein à l’innovation régionale (avec moins d’entrepreneurs prêts à prendre des risques dans des zones chères) et la migration des talents vers des régions plus abordables.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/550443/original/file-20230926-23-f01g5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="homme noir travaille de la maison" src="https://images.theconversation.com/files/550443/original/file-20230926-23-f01g5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550443/original/file-20230926-23-f01g5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550443/original/file-20230926-23-f01g5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550443/original/file-20230926-23-f01g5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550443/original/file-20230926-23-f01g5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550443/original/file-20230926-23-f01g5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550443/original/file-20230926-23-f01g5m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les employeurs pourraient contribuer financièrement aux coûts du logement des employés en télétravail.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Des solutions existent</h2>
<p>Pour aborder la crise, le logement doit avant tout être considéré comme un service sociétal essentiel et non seulement comme un bien marchand. Quatre pistes de solution peuvent compléter les interventions publiques actuelles.</p>
<p><strong>Ajuster les loyers aux réalités économiques locales.</strong> En plus des mesures gouvernementales actuelles visant à stimuler l’offre (par plus de constructions) et la demande (par l’aide financière aux ménages), l’idée est d’établir une fourchette de loyers acceptable en fonction des capacités financières des résidents locaux. Les propriétaires dépassant cette fourchette pourraient être soumis à des mesures fiscales, dont les recettes permettraient de soutenir des logements plus abordables. Un tel calcul peut paraître complexe, mais pas impossible à réaliser en travaillant, par exemple, avec le milieu universitaire. C’est pourquoi l’instauration d’un registre des loyers, comme le suggèrent <a href="https://www.lesoleil.com/opinions/point-de-vue/2023/09/17/crise-du-logement-manque-de-vision-des-gouvernements-LUYQVANSXVHTDAOV5FVKEGDH4A/">14 maires et mairesses au Québec</a>, est pertinente.</p>
<p><strong>Faire des employeurs des alliés.</strong> L’accès à un logement est devenu un atout pour attirer et retenir la main-d’œuvre. Les employeurs pourraient offrir des primes « logement » aux employés à faibles revenus. Pour ceux en télétravail, les employeurs pourraient contribuer financièrement aux coûts du logement (loyers et dépenses liées au travail). Comme de telles mesures contribuent au succès des entreprises, elles pourraient être appuyées par les agences de développement économique.</p>
<p><strong>Soustraire les groupes vulnérables de la compétition.</strong> Les jeunes, les familles monoparentales, les personnes âgées, les Premières Nations et les nouveaux arrivants doivent être soustraits de la compétition pour le logement, car ils ne sont pas en position de concurrence équitable. Des taxes sur certains logements de luxe, par exemple, permettraient de générer des fonds dédiés aux logements de ces groupes. </p>
<p>Enfin, des alternatives comme les résidences intergénérationnelles ou les micrologements temporaires pourraient être encouragées. Ces modèles offrent des solutions abordables et adaptées à divers besoins temporaires, surtout en milieu urbain. </p>
<p>Considérer le logement simplement comme un bien marchand à la merci des forces du marché est réducteur. Il a une profonde valeur sociétale, et c’est en la reconnaissant et en la préservant que nous aborderons la crise de front.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214321/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Juste Rajaonson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La crise du logement ne peut pas être résolue simplement en équilibrant l’offre et la demande. Il faut plutôt repenser le logement comme un service sociétal plutôt que comme un simple bien marchand.Juste Rajaonson, Professeur en études urbaines, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2139372023-09-22T15:19:26Z2023-09-22T15:19:26ZNous avons offert 7 500 dollars à des personnes sans domicile fixe. Voici ce qu’elles ont fait avec cet argent<p>L’itinérance est une question très complexe et grandement incomprise. Lorsqu’on entend ce terme, on a tendance <a href="https://www.jstor.org/stable/2787093">à l’associer</a> à la maladie mentale ou à la consommation problématique de substances. Les personnes sans domicile sont largement <a href="https://doi.org/10.1111/hsc.13884">stigmatisées</a>, <a href="https://doi.org/10.1111/j.1749-6632.2009.04544.x">déshumanisées</a> et perçues comme peu compétentes et non dignes de confiance. Mais la réalité est bien plus nuancée.</p>
<p>Un <a href="https://www.vancitycommunityfoundation.ca/sites/default/files/uploads/HC2020_FinalReport.pdf">recensement effectué en 2020</a> par la BC Non-Profit Housing Association dans la région métropolitaine de Vancouver a révélé qu’il y avait 3 634 personnes sans domicile fixe, dont 1 029 qui n’ont pas recours à des centres d’hébergement et 2 605 qui y ont recours. Seule la moitié d’entre elles avaient des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. Ces chiffres ne tiennent pas compte de l’itinérance cachée, qui comprend les personnes qui dorment sur un canapé chez quelqu’un ou dans leur voiture.</p>
<p>Plus une personne reste longtemps sans domicile, <a href="https://doi.org/10.1080/17523281.2011.618143">plus elle risque</a> d’être confrontée à des traumatismes, à la toxicomanie et à des problèmes de santé mentale. Cette situation entraîne souvent une détérioration de l’état de santé à long terme.</p>
<p>Les approches actuelles ne fonctionnent pas, comme en témoigne <a href="https://www.homelesshub.ca/resource/addressing-homelessness-metro-vancouver">l’augmentation rapide</a> du nombre de personnes sans domicile. On a démontré qu’il <a href="https://www.homelesshub.ca/resource/addressing-homelessness-metro-vancouver">est plus coûteux</a> d’offrir des refuges de courte durée qu’un logement stable. Il est donc impératif de changer notre stratégie.</p>
<h2>Tenter quelque chose de nouveau</h2>
<p>En 2016, nous nous sommes associés à Claire Williams, cofondatrice de <a href="https://forsocialchange.org/who-we-are#:%7E:text=Claire%20Elizabeth%20Williams%20is%20the,impact%20on%20the%20global%20stage.">Foundations for Social Change</a>, pour élaborer une nouvelle solution.</p>
<p>Nous avons effectué un transfert ponctuel de 7 500 dollars à des personnes sans domicile de Vancouver. Cette somme forfaitaire, équivalant à l’aide sociale offerte pour un an en 2016 en Colombie-Britannique, leur a donné la possibilité de payer un loyer et de couvrir d’autres frais de subsistance. Le versement d’argent constitue un moyen de permettre aux gens d’éviter l’itinérance dans la dignité.</p>
<p>Il nous a fallu deux ans pour obtenir le soutien d’organismes partenaires et de donateurs. Nous avons d’abord conclu un accord avec le gouvernement de la Colombie-Britannique pour que les bénéficiaires puissent conserver les 7 500 dollars tout en restant éligibles à l’aide sociale. Nous avons ensuite travaillé avec la coopérative de crédit Vancity pour offrir des comptes chèques gratuits où ces fonds pouvaient être déposés.</p>
<p>En 2018, nous avons lancé le premier <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.2222103120">essai contrôlé randomisé</a> au monde qui visait à examiner les incidences d’un don d’argent sur des personnes en situation d’itinérance. Notre objectif était de commencer avec des personnes devenues sans-abri depuis peu à un moment où elles avaient besoin d’argent pour éviter de rester coincées dans cette situation.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/548587/original/file-20230915-25-vg01wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme couché sur un banc" src="https://images.theconversation.com/files/548587/original/file-20230915-25-vg01wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548587/original/file-20230915-25-vg01wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548587/original/file-20230915-25-vg01wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548587/original/file-20230915-25-vg01wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548587/original/file-20230915-25-vg01wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548587/original/file-20230915-25-vg01wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548587/original/file-20230915-25-vg01wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Soutenir des personnes en leur versant de l’argent peut les aider à ne pas se trouver coincées en situation d’itinérance.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Nos participants</h2>
<p>Notre équipe s’est rendue dans 22 refuges du Lower Mainland en Colombie-Britannique pour sélectionner des personnes sans domicile depuis moins de deux ans, de nationalité canadienne ou résidentes permanentes, âgées de 19 à 65 ans et sans problèmes graves de toxicomanie ou d’alcoolisme, ni de santé mentale. </p>
<p>Notre échantillon représentait 31 % de la population des refuges de Vancouver. Au total, 229 personnes répondaient à nos critères. Elles ne savaient rien du programme de versement d’argent. Mais lorsque nous avons essayé de les recontacter pour mener l’enquête de référence, nous n’avons pas pu joindre la moitié d’entre elles parce qu’elles n’avaient pas d’adresse stable, de téléphone ou d’adresse électronique. </p>
<p>Malgré tous nos efforts, nous n’avons pas pu retrouver 114 personnes et avons fini par recruter 115 participants pour notre étude. Dans le cadre de l’essai contrôlé randomisé, nous avons choisi de manière aléatoire 50 participants qui allaient recevoir de l’argent et 65 qui n’en recevraient pas. Nous avons informé les 50 participants du groupe « avec argent » du fait qu’on allait effectuer un versement seulement après qu’ils ont répondu à l’enquête de référence. Nous n’en avons rien dit aux personnes de l’autre groupe.</p>
<p>Nous avons suivi les participants pendant un an afin d’évaluer les effets du transfert d’argent. Nous avons perdu tout contact avec environ 30 % d’entre eux pendant cette période, et certains ont déménagé loin de Vancouver.</p>
<p>Nous avons proposé un atelier et du mentorat à un sous-ensemble de participants en guise de soutien supplémentaire. L’atelier proposait une série d’exercices visant à les aider à réfléchir aux moyens de retrouver une stabilité dans leur vie. Le mentorat consistait en des rencontres téléphoniques avec un coach certifié, formé pour aider les gens à atteindre leurs objectifs de vie.</p>
<p>Comme personne n’avait jamais mené d’étude de ce genre auparavant, nous disposions de peu d’éléments pour orienter nos prédictions sur les effets du versement. Mais en nous inspirant des bonnes pratiques, nous avons formulé quelques hypothèses sur le bien-être à court terme et les fonctions cognitives en nous basant sur des études antérieures sur des transferts d’argent. Aucune de ces hypothèses ne s’est avérée exacte.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/548156/original/file-20230913-33750-rfgloa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une personne en train de compter de l’argent" src="https://images.theconversation.com/files/548156/original/file-20230913-33750-rfgloa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548156/original/file-20230913-33750-rfgloa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548156/original/file-20230913-33750-rfgloa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548156/original/file-20230913-33750-rfgloa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548156/original/file-20230913-33750-rfgloa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548156/original/file-20230913-33750-rfgloa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548156/original/file-20230913-33750-rfgloa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La plupart des participants ont dépensé l’argent reçu pour payer un loyer, de la nourriture et acheter des articles tels que des meubles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Nos résultats</h2>
<p>Ce qui nous a étonnés, c’est l’incidence positive des transferts d’argent. Les gens qui ont reçu une aide financière ont passé en moyenne 99 jours de moins dans la rue sur une période d’un an.</p>
<p>Cela s’est traduit par des économies nettes de 777 dollars par personne par an. En d’autres termes, l’État et les contribuables ont ainsi économisé de l’argent. Les bénéficiaires de l’offre ont augmenté leurs dépenses pour le loyer, la nourriture, le transport et l’achat d’articles tels que des meubles ou une voiture.</p>
<p>Fait important, ils n’ont pas augmenté leurs dépenses en alcool, en drogues et en cigarettes. Cela remet en cause l’idée reçue selon laquelle les personnes sans domicile gaspillent l’argent en alcool et en drogues.</p>
<p>De 2018 à 2020, le taux d’inoccupation des logements à Vancouver était d’environ un <a href="https://globalnews.ca/news/9439394/vancouver-rental-market-vacancy-cost/">pour cent</a> et le délai d’attente pour obtenir un logement pouvait aller <a href="https://www.homelesshub.ca/blog/long-wait-times-social-housing-what-can-be-done-meet-housing-needs-homeless-people-and-those">jusqu’à un an</a> pour une personne vivant dans un centre d’hébergement.</p>
<p>Néanmoins, près de la moitié des participants à notre étude ont trouvé un appartement un mois seulement après le versement d’argent. Cela montre à quel point ils étaient prêts à recouvrer une situation stable et n’avaient besoin que d’un coup de pouce financier pour y parvenir.</p>
<p>En revanche, nous n’avons pas constaté d’améliorations notables en matière de sécurité alimentaire, d’emploi, d’éducation et de bien-être. Cela peut s’expliquer par le fait que 7 500 dollars constituent une somme relativement faible dans une ville aussi chère que Vancouver.</p>
<p>Le revenu annuel moyen des participants était de 12 580 $. L’argent versé représentait donc une augmentation de 60 %. Malgré cela, ils se trouvaient toujours sous le seuil de pauvreté et étaient loin de pouvoir assumer le coût de la vie à Vancouver.</p>
<p>Nous avons également constaté que ni l’atelier ni le mentorat n’avaient eu d’effet positif sur les participants. L’une des raisons est l’engagement ; la plupart des participants n’ont pas pris part à l’atelier ou au mentorat après le premier mois. Une autre raison possible est un décalage entre le soutien offert et les besoins des participants. L’accompagnement proposé était ambitieux et visait à clarifier leurs objectifs de vie et à renforcer leur sentiment d’efficacité personnelle.</p>
<p>Mais ce dont nos participants avaient besoin, c’était d’un soutien pratique pour obtenir des pièces d’identité, rédiger des CV et postuler à un emploi, par exemple. Quelques ateliers ou du mentorat ne les aidaient pas sur ce plan.</p>
<p>Notre étude vient s’ajouter à un corpus mondial de plus en plus important d’études portant <a href="https://doi.org/10.1002/14651858.CD011135.pub3">sur les versements d’argent</a> qui démontrent la nécessité de rehausser le revenu des personnes marginalisées.</p>
<p>Cette étude est un point de départ prometteur, qui jette les bases de recherches et de politiques futures. Les gouvernements et les experts devraient étudier les transferts d’argent comme moyen de soutenir les personnes sans abri et marginalisées.</p>
<hr>
<p><em>Ryan Dwyer, chercheur senior à la Happier Lives Institute, a co-écrit cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213937/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jiaying Zhao a bénéficié d'un financement de la part d'Emploi et Développement Social Canada.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Daniel Daly-Grafstein travaille pour les Fondations pour le changement social.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anita Palepu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les chercheurs ont constaté que la plupart des sans-abri dépensaient l’argent qu’ils recevaient pour payer leur loyer, leur nourriture et d’autres frais de subsistance.Jiaying Zhao, Associate Professor, Psychology, University of British ColumbiaAnita Palepu, Professor of Medicine, University of British ColumbiaDaniel Daly-Grafstein, PhD student in statistics, University of British ColumbiaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2119682023-09-13T13:36:51Z2023-09-13T13:36:51ZAu Québec, comme ailleurs au Canada, les programmes d’assistance sociale sont des « trappes à pauvreté »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/544832/original/file-20230825-27-81kqwh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C2%2C991%2C654&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En matière d’assistance sociale, le Québec n’est pas différent des autres provinces. Ses programmes sont insuffisants pour sortir de la pauvreté.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Le gouvernement du Québec est actuellement en <a href="https://consultation.quebec.ca/processes/consultationpauvrete">train de mener des consultations dans le but de renouveler son plan de lutte à la pauvreté</a>. </p>
<p>La ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Chantal Rouleau, a également annoncé <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/790087/la-ministre-chantal-rouleau-prepare-une-grande-reforme-de-l-aide-sociale">son intention de moderniser la <em>Loi sur l’aide aux personnes et aux familles</em></a>, dont sont issus les programmes d’assistance sociale dans la province. </p>
<p>Puisqu’il pourrait y avoir une opportunité de revoir et de bonifier ces programmes au Québec, j’ai cherché à mieux comprendre la situation des personnes qui en sont prestataires, en particulier les personnes en situation de handicap. Pourquoi ? Parce qu’elles <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/pub/75-006-x/2017001/article/54854-fra.pdf">vivent davantage dans la pauvreté</a>, ont <a href="https://www.ophq.gouv.qc.ca/fileadmin/centre_documentaire/Bilans/Bilan_evaluation_APE_conditions_vie.pdf">moins accès au marché du travail que le reste de la population</a> et qu’<a href="https://web.archive.org/web/20221102104813/https://www.mtess.gouv.qc.ca/publications/pdf/STAT_clientele_prog-aide-sociale_ao%C3%BBt_2022_MTESS.pdf">elles représentent la majorité des prestataires de certains programmes au Québec</a>. </p>
<p>L’hiver dernier, dans le cadre de mes études doctorales en travail social, j’ai réalisé des entrevues avec des représentants d’organisations impliquées dans la lutte à la pauvreté et dans la défense des droits des personnes en situation de handicap au niveau provincial. Cet article rapporte leurs paroles : toutes les citations entre guillemets sont tirées de ces entrevues.</p>
<h2>Des programmes d’assistance sociale insuffisants pour sortir de la pauvreté</h2>
<p>En matière d’assistance sociale, le Québec n’est pas différent des autres provinces. En d’autres termes, ses programmes sont insuffisants pour sortir de la pauvreté. </p>
<p>En 2023, aucun des trois programmes d’assistance sociale ne permet d’atteindre la <a href="https://statistique.quebec.ca/fr/document/faible-revenu-menages-et-particuliers/tableau/seuils-faible-revenu-mesure-panier-consommation-type-collectivite-rurale-urbaine-taille-unite-familiale#tri_type_revenu=10">mesure du panier de consommation (MPC)</a>, <a href="https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/ref/dict/az/Definition-fra.cfm?ID=pop165">l’indicateur officiel du seuil de pauvreté au Canada</a>, et encore moins la mesure du « revenu viable » <a href="https://iris-recherche.qc.ca/publications/revenu-viable-2023/">calculée par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS)</a>. À titre d’exemple, selon l’IRIS, l’aide sociale couvrait 47 % de la MPC pour un adulte seul à Montréal, la solidarité sociale 69 % et le revenu de base environ 86 %. Si l’on utilise le pourcentage du « revenu viable », ces montants passaient à 35 %, 51 % et 64 % respectivement. </p>
<p>Ces faibles montants génèrent « de graves inconvénients monétaires et moraux » et traitent les prestataires comme « des citoyens de seconde zone ». Le <a href="https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/aide-sociale-et-solidarite-sociale/programme-revenu-base#:%7E:text=En%202023%2C%20le%20montant%20de,532%20%24%20pour%20l%E2%80%99ann%C3%A9e.">nouveau programme de revenu de base</a> a amélioré les choses en misant sur une approche plus flexible, par exemple en permettant le travail à temps partiel ou en autorisant les prestataires à vivre avec un conjoint ou une conjointe. Les prestations sont aussi plus généreuses. Mais <a href="https://www.sqdi.ca/fr/actualites/le-programme-de-revenu-de-base-une-avancee-insuffisante-pour-les-personnes-handicapees-et-celles-ayant-des-troubles-de-sante-mentale/">il reste encore beaucoup de travail à faire</a> selon les organisations de défense des droits.</p>
<h2>Des critères d’admissibilité compliqués et problématiques</h2>
<p>Le principal programme utilisé par les personnes en situation de handicap est le <a href="https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/aide-sociale-et-solidarite-sociale#c67401">Programme de solidarité sociale</a>. L’admissibilité y est conditionnelle à la présence de « contraintes sévères à l’emploi ». </p>
<p>Le principe peut sembler logique, puisqu’il s’agit d’une aide financière de dernier recours. Mais la réalité est tout autre. Plusieurs personnes interrogées lors des entrevues ont mentionné qu’il est « extrêmement difficile d’accéder au Programme de solidarité sociale pour les personnes ayant des handicaps cycliques, tels que des problèmes de santé mentale ». </p>
<p>Par exemple, les formulaires ne permettent pas réellement de « dire tout ce qu’on devrait savoir sur la personne » et « ne considèrent pas l’effet cumulatif des diverses conditions » de la personne. Les règles laissent aussi pour compte ceux et celles qui ne peuvent produire de rapports médicaux complets, <a href="https://cremis.ca/publications/articles-et-medias/travail-interdisciplinaire-et-processus-complexes/">dont les populations marginalisées n’ayant pas accès à un médecin de famille</a>. Cela a pour effet de classer les individus en fonction de la nature de leur diagnostic, certains reconnus comme « valides », d’autres non, créant ainsi une « méritocratie du handicap ». </p>
<p>Notons que l’admission au <a href="https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/aide-sociale-et-solidarite-sociale/programme-revenu-base">Programme de revenu de base</a> est quant à elle généralement conditionnelle à la participation au Programme de solidarité sociale pendant 66 mois dans les 72 derniers mois, forçant les prestataires à vivre dans la pauvreté pendant de nombreuses années. </p>
<h2>Des règles contraignantes</h2>
<p>Par ailleurs, les régimes d’aide financière de dernier recours au Québec sont généralement « punitifs et contraignants ». Il est par exemple <a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/a-13.1.1,%20r.%201#se:111">impossible de travailler pour plus de 200$ ou de recevoir des dons de plus de 100$ par mois</a> pour les prestataires de l’aide sociale et de la solidarité sociale. S’ils dépassent ces limites, leurs prestations sont coupées, dollar pour dollar. </p>
<p>De plus, les règles sont très compliquées, souvent expliquées de façon contradictoire, et les correspondances reçues ressemblent à des « mises en demeure », ce qui alimente « l’anxiété et la peur des répercussions » en cas d’erreur de bonne foi. </p>
<p>Ultimement, ces règles et cette complexité ont souvent pour conséquence de créer des « trappes à pauvreté » et de maintenir à long terme les prestataires dans ces programmes.</p>
<h2>Prioriser l’accompagnement et le « rétablissement »</h2>
<p>Tous les répondants sont sans équivoque : il est temps de changer de paradigme et de passer d’une approche punitive à une approche d’accompagnement. Ce changement implique nécessairement un abandon des clichés du profiteur ou du fraudeur à l’aide sociale, puisqu’il n’y aurait de toute façon « aucun avantage à frauder l’aide sociale » et que « personne ne se valorise en trichant ou en restant à la maison à [ne] rien faire ». </p>
<p>Il faut également « sortir de la dualité “capable/incapable” » pour donner accès aux régimes d’assistance sociale. L’incapacité doit être perçue comme un spectre et non comme une liste de cases à cocher dans un formulaire. Le handicap n’est « pas uniquement à propos de la condition médicale, mais aussi à propos de l’environnement et des aspects psychosociaux de la personne ». </p>
<h2>Un programme spécifique pour les personnes en situation de handicap ?</h2>
<p>Questionnés sur l’idée de créer un programme spécifique aux personnes en situation de handicap, <a href="https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/nouvelles/2023/06/le-projet-de-loi-historique-sur-la-prestation-canadienne-pour-les-personnes-handicapees-recoit-la-sanction-royale.html">comme celui récemment créé par le gouvernement fédéral</a>, les répondants ont affirmé qu’il s’agissait d’une idée intéressante, mais qu’il serait difficile de « tracer une ligne dans le sable » pour savoir qui y aurait accès ou non. </p>
<p>Cet enjeu, qui n’a pas encore été réglé par le gouvernement fédéral, est d’autant plus important puisque « le plus de gens il y a [dans les programmes], le plus cela coûte au gouvernement […] et vous pouvez entendre d’ici le bruit des calculatrices du ministère des Finances ». </p>
<p>Dans l’ensemble, les répondants ont souligné qu’une telle prestation pourrait « améliorer la santé mentale des prestataires » et « réduire l’anxiété des parents face au futur ». Elle pourrait également aider à changer la façon dont les prestataires sont perçus : « juste ne plus être “assisté” serait moralement plus facile », et cela les ferait passer d’« abuseur » du système à « citoyens » à part entière.</p>
<p>La création d’une prestation spécifique pourrait notamment « avoir un impact sur ceux qui restent dans les autres programmes », créant « des bons pauvres et des mauvais pauvres ». Loin de se désolidariser des autres prestataires, les représentants des groupes de personnes en situation de handicap ont évoqué qu’il ne faudrait pas qu’une telle prestation vienne discriminer et stigmatiser indirectement d’autres prestataires. On peut par exemple penser à ceux à la « croisée des chemins en matière de diagnostic » ou qui auraient de la difficulté à obtenir un certificat médical. Il ne faudrait pas non plus que la prestation devienne « un parking à personnes handicapées » contribuant à les « stigmatiser encore plus ».</p>
<h2>Pour que magasiner dans une friperie devienne un choix</h2>
<p>Depuis les entrevues, les organisations provinciales de personnes en situation de handicap ont publié un <a href="https://www.sqdi.ca/fr/actualites/memoire-commun-elaboration-du-quatrieme-plan-daction-gouvernemental-en-matiere-de-lutte-contre-la-pauvrete-et-lexclusion-sociale/">mémoire commun contenant 65 recommandations couvrant un ensemble de sujets</a>. Outre les habituelles demandes liées au montant des prestations, ces organisations demandent un changement de culture au sein du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, afin de faire du droit à la protection sociale une réalité.</p>
<p>Quelles que soient les solutions retenues par le gouvernement du Québec, ces dernières devront clairement prendre en compte les problèmes identifiés et tenter de mettre un terme à la stigmatisation des personnes prestataires de tous les régimes d’assistance sociale. </p>
<p>Pour ce faire, le ministère devrait notamment miser sur un changement de culture en priorisant l’accompagnement des personnes, revoir les critères d’admissibilité aux différents programmes et augmenter les prestations, pour qu’« acheter ses vêtements dans une friperie devienne un choix, non une nécessité. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211968/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Samuel Ragot est étudiant au doctorat en travail social à l'Université McGill et analyste sénior aux politiques publiques à la Société québécoise de la déficience intellectuelle. Toutes les entrevues ont été réalisées dans le cadre de la scolarité doctorale pour laquelle un certificat d'éthique a été émis. </span></em></p>En matière d’assistance sociale, le Québec n’est pas différent des autres provinces. Ses programmes sont insuffisants pour sortir de la pauvreté. Et ils sont également punitifs et contraignants.Samuel Ragot, PhD student - étudiant au doctorat, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2127352023-09-10T14:52:57Z2023-09-10T14:52:57ZAux origines de la posture « anti-assistanat » des conservateurs aux États-Unis<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/546497/original/file-20230905-15-f99dd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C3497%2C2536&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Durant cette manifestation en avril 2009 à Philadelphie, les sympathisants du mouvement du Tea Party protestent contre les dépenses sociales du gouvernement. Sur la pancarte&nbsp;: «&nbsp;Ne partagez pas mon argent, partagez mon éthique de travail.&nbsp;»
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/philadelphia-pa-april-18-protesters-carry-28915081">Theresa Martinez/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><em>Les <a href="https://ballotpedia.org/Presidential_candidates,_2024">14 candidats toujours en lice</a> pour représenter le Parti républicain à l’élection présidentielle de 2024 ne s’accordent pas sur tous les points. Mais s’il est bien un aspect doctrinal qu’ils ont globalement en partage, c’est la conviction que les aides sociales distribuées à la population sont excessives et néfastes, car elles inciteraient les récipiendaires à s’en contenter et à privilégier l’oisiveté à la recherche d’un emploi. Si cette vision des choses semble aujourd’hui faire consensus au sein du « Grand Old Party » et, au-delà, dans l’ensemble du mouvement conservateur américain, et si elle a été un <a href="https://www.reaganlibrary.gov/archives/speech/radio-address-nation-welfare-reform">élément important de la politique conduite par Ronald Reagan</a>, souvent citée en référence dans ce camp politique, il n’en a pas toujours été ainsi.</em></p>
<p><em>Dans <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100324490">« L’Affaire de Newburgh »</a>, qui vient de paraître aux Presses de Sciences Po et dont nous vous proposons ci-dessous un extrait, l’historienne des États-Unis Tamara Boussac (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne), revient en détails sur un moment charnière : la contestation farouche, lancée en 1961 à Newburgh, dans l’État de New York, par un responsable conservateur local, d’un « welfare state » (État providence) accusé de tous les maux. Plus de 60 ans plus tard, cette séquence politico-médiatique continue d’imprégner profondément le discours et les actes du Parti républicain et de ses électeurs.</em></p>
<hr>
<p>Le soir du dimanche 28 janvier 1962, lorsque les Américains allument la télévision pour regarder la série documentaire « White Papers » sur NBC, ils voient apparaître le visage de Joseph McDowell Mitchell, le <em>city manager</em> de Newburgh, petite ville de l’État de New York. Avec force, le fonctionnaire de 39 ans se lance dans une diatribe contre les programmes d’assistance sociale (<em>welfare</em>) :</p>
<blockquote>
<p>« Nous contestons le droit des programmes sociaux de contribuer à la taudification des villes, à la propagation des naissances hors mariage, à la propagation des maladies sociales chez les enfants et les adultes. Nous contestons le droit des tricheurs immoraux et des paresseux assistés de vampiriser l’assistance sociale à jamais. Nous contestons le droit des profiteurs à toucher plus d’argent grâce aux aides sociales que s’ils travaillaient. »</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/k6CGv3iiYLg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Joseph Mitchell est bien connu du public américain, car « depuis presque un an, Newburgh est sous les feux de la rampe », rappelle Chet Huntley, le journaliste populaire de NBC. L’émission, intitulée « The Battle of Newburgh » (« La bataille de Newburgh »), revient sur des événements qui ont agité la ville, l’État de New York et l’ensemble du pays quelques mois auparavant. […]</p>
<p>Le 20 juin 1961, le conseil municipal <a href="https://www.nytimes.com/1961/07/16/archives/newburgh-welfare-rules.html">adopte une réforme</a> destinée à limiter le versement des aides par un contrôle strict exercé sur les allocataires et sur leur mode de vie. Le texte, composé de treize dispositions, est rédigé par Mitchell, l’administrateur que le conseil municipal a engagé neuf mois plus tôt. Plutôt que des transferts financiers, les prestations sociales sont désormais en partie attribuées sous forme de bons de consommation. Les hommes physiquement aptes au travail sont contraints de travailler à des missions d’intérêt général, à raison de 40 heures par semaine, et ne peuvent décliner une offre d’emploi. Les femmes ayant des enfants hors mariage s’exposent à une radiation administrative si elles donnent naissance à un nouvel enfant. Personne ne peut toucher des aides plus de trois mois par an. Enfin, les nouveaux habitants doivent prouver qu’ils sont venus à Newburgh pour répondre à une offre d’emploi, la durée de leurs aides étant en outre limitée à deux semaines.</p>
<p>Le message des élus locaux est sans ambiguïté : toucher des aides sociales ne peut désormais se faire que sous de strictes conditions. Bien que la réforme s’enracine dans un contexte urbain bien particulier, où les tensions raciales sont fortes, elle ne reste pas un événement local : très vite, elle fait la couverture de nombreux journaux et magazines dans l’ensemble du pays. De Newburgh à Brooklyn, de Los Angeles à Chicago, le texte déchaîne les passions. Il est plébiscité par une partie du public et de la classe politique, fermement condamné par l’autre. Les associations pour les droits civiques et de protection de l’enfance, les élus libéraux et les syndicats s’indignent du traitement cruel que les élus de Newburgh réservent aux pauvres. À l’inverse, pour ceux qui les soutiennent – les conservateurs, une partie de la presse, les contribuables de la classe moyenne blanche – le véritable scandale est ailleurs : les comportements des bénéficiaires sont jugés immoraux et la permissivité de l’administration sociale, choquante.</p>
<p>La décision surprenante de Newburgh connaît rapidement une phase judiciaire. Dès l’adoption du texte, la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), la grande association pour les droits civiques créée en 1909 par le sociologue noir W.E.B. Du Bois, en appelle aux pouvoirs – le gouverneur, les sénateurs, les administrateurs sociaux de l’État – pour qu’ils interdisent sa mise en application. Un conflit juridique s’ensuit entre les élus locaux et les autorités new-yorkaises, qui jugent le texte contraire au droit fédéral et à celui de l’État de New York. Le gouverneur républicain Nelson Rockefeller menace la ville de sanctions, et son administration entame une procédure officielle à l’encontre des élus locaux.</p>
<p>La personnalité de Joseph Mitchell et la réforme suscitent un profond engouement auprès du public et de la presse. La méthode, brutale, plaît à beaucoup. Mitchell et les élus new-yorkais reçoivent de nombreux courriers et pétitions de soutien à la réforme, en provenance du pays entier. Le 13 août 1961, un sondage national réalisé par Gallup révèle qu’une écrasante majorité des personnes interrogées – plus de 80 % – y sont favorables. Dans l’ensemble du pays, de nombreux journaux partagent cet avis et dressent un constat critique des programmes d’assistance sociale, qui seraient trop dispendieux pour les contribuables, inaptes à résorber la pauvreté, rongés par les abus et les profiteurs. Joseph Mitchell est présent dans toute la presse nationale au cours de l’été 1961. Sur les photos, cigarette à la main, l’homme met en scène son volontarisme politique. Loin des beaux discours des libéraux, il agit et remet de l’ordre dans le système de protection sociale.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/546366/original/file-20230905-21-7bg2te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/546366/original/file-20230905-21-7bg2te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/546366/original/file-20230905-21-7bg2te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/546366/original/file-20230905-21-7bg2te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/546366/original/file-20230905-21-7bg2te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/546366/original/file-20230905-21-7bg2te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/546366/original/file-20230905-21-7bg2te.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Joseph Mitchell, au centre.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Chacun se plaît alors à l’aimer ou à le détester. Les élites du mouvement conservateur l’érigent en héros de leur cause, tandis que ses détracteurs dénoncent le racisme de la réforme et son archaïsme au sein d’une nation prospère et moderne.</p>
<p>Le texte fait scandale en raison d’un double écart : il détone dans l’Amérique du début des années 1960, quelques mois seulement après l’élection du président démocrate John F. Kennedy et sa promesse d’une Amérique encore plus généreuse et ouverte au monde. La réforme naît en outre dans l’État de New York, gouverné par le républicain Nelson Rockefeller, parangon du capitalisme triomphant et du libéralisme – au sens américain du terme <em>liberal</em>, qui induit l’acceptation du rôle de l’État dans la réduction des inégalités et la protection des libertés individuelles. C’est donc une « autre Amérique » que celle de l’opulence que révèle l’affaire et dont traite ce livre : une Amérique où la pauvreté et les inégalités n’ont pas disparu malgré la prospérité exceptionnelle qu’elle connaît après la Seconde Guerre mondiale, une Amérique pétrie de contradictions politiques, sociales et raciales. […]</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/546367/original/file-20230905-20-bxidl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/546367/original/file-20230905-20-bxidl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/546367/original/file-20230905-20-bxidl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/546367/original/file-20230905-20-bxidl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/546367/original/file-20230905-20-bxidl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/546367/original/file-20230905-20-bxidl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/546367/original/file-20230905-20-bxidl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/546367/original/file-20230905-20-bxidl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Ce texte est issu de « L’Affaire de Newburgh », qui vient de paraître aux Presses de Sciences Po.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>La réforme, en réalité, tourne court. Aucune des treize règles n’est appliquée. Le 18 août 1961, la Cour suprême de l’État de New York <a href="https://www.nytimes.com/1961/12/20/archives/court-overturns-newburgh-rules-limiting-welfare-state-justice-finds.html">interdit temporairement leur mise en application</a>, une décision confirmée au mois de décembre. Mitchell lui-même, célébrité éphémère, retombe rapidement dans l’oubli et l’anonymat. Cependant, ce qui se joue durant l’été 1961 va bien au-delà du bref combat du <em>city manager</em> et de sa réforme. Ce qui aurait pu ne demeurer qu’une petite révolte locale, réglée discrètement dans un bureau à Albany, se transforme en une véritable « affaire de Newburgh ». […]</p>
<p>Ce que les contemporains désignent par « Newburgh » va en effet au-delà de la réforme elle-même : l’affaire de Newburgh devient une référence collective pour les Américains, évocatrice d’une nouvelle manière de désigner, de penser et d’administrer l’assistance sociale. Elle symbolise, pour les défenseurs de Joseph Mitchell, un combat juste et sensé contre les dérives du système de protection sociale et, pour ses accusateurs, un obscurantisme contraire au libéralisme américain moderne. En mettant à l’épreuve l’État providence, elle annonce la mise en route d’un nouvel ordre social et politique, où l’assistance sociale est immanquablement désignée dans les discours publics comme un problème persistant et insoluble.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212735/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tamara Boussac ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La croisade du « city manager » d’une petite ville de l’État de New York contre l’assistance sociale, en 1961, a profondément marqué le logiciel idéologique du Parti républicain.Tamara Boussac, Maîtresse de conférences en études nord-américaines, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2104932023-08-01T16:19:43Z2023-08-01T16:19:43ZEmploi : pourquoi les politiques publiques à destination des quartiers prioritaires n’ont-elles pas fonctionné ?<p>En 2022, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) évaluait le <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5414575">taux de pauvreté</a> des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/quartiers-101901">quartiers</a> dits « prioritaires » à 42,6 % (contre 14,8 % à l’échelle nationale) et le <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5414557">taux de chômage</a> à plus de 19,6 % pour les hommes et 16,5 % pour les femmes (contre respectivement environ 7,5 % et 7,1 % à l’échelle nationale). Face à ces inégalités économiques persistantes, de nombreuses mesures en faveur de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/emploi-20395">emploi</a> ont été mises en place, tels que les <a href="https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F34547">« emplois francs »</a>, le <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/le-ministere-en-action/relance-activite/plan-1jeune-1solution/">plan « 1 jeune, 1 solution »</a> ou encore <a href="https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/cites-de-lemploi-571">« les Cités de l’emploi »</a>.</p>
<p>Or, dans <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-dispositifs-en-faveur-de-lemploi-des-habitants-des-quartiers-prioritaires-de-la">son rapport</a> faisant le bilan de ces dispositifs entre 2015 et 2021, la Cour des comptes dressait un constat sans appel :</p>
<blockquote>
<p>« Les dispositifs en faveur de l’emploi, tels qu’ils sont aujourd’hui conçus et déployés, ne sont pas en mesure de réduire les écarts entre les [quartiers prioritaires] et le reste de la population ».</p>
</blockquote>
<p>Comment expliquer cet échec durable des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/politiques-publiques-54327">politiques publiques</a> ?</p>
<h2>Des dispositifs inadéquats</h2>
<p>Selon la Cour des comptes :</p>
<blockquote>
<p>« Les spécificités des quartiers prioritaires de la politique de la ville et de leurs habitants sont insuffisamment prises en compte. »</p>
</blockquote>
<p>Contrairement aux idées reçues, la mobilité résidentielle et le trafic de stupéfiants ne suffisent pas à expliquer la précarité économique.</p>
<p><iframe id="aR1BA" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/aR1BA/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="TnHQO" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/TnHQO/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Plutôt, deux causes complémentaires semblent plus robustes et conduisent à un cercle vicieux : la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/pauvrete-21196">pauvreté</a> et le décrochage scolaire. Ce constat était déjà souligné par le Conseil d’analyse économique (CAE) dans une <a href="https://www.cae-eco.fr/Prevenir-la-pauvrete-par-l-emploi-l-education-et-la-mobilite">note rendue en avril 2017</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les enfants “héritent” en quelque sorte de la pauvreté de leurs parents : ils résident dans des zones défavorisées, ont davantage de difficultés scolaires et dès lors un accès plus difficile à l’emploi. »</p>
</blockquote>
<p>Or, les dispositifs en faveur de l’emploi ne se concentrent que sur trois axes : l’accompagnement vers un retour à l’emploi, l’aide pour faciliter le recrutement et la coordination des programmes. Dès lors, la source du problème lié au décrochage scolaire reste faiblement prise en compte et conduit à investir dans des mesures qui se concentrent davantage sur les conséquences finales que sur les causes premières.</p>
<p>Comme l’indique la note précitée :</p>
<blockquote>
<p>« Pour briser ce cercle vicieux de reproduction de la pauvreté, il est indispensable d’aller au-delà des aides monétaires octroyées aux plus modestes et de s’attaquer aux déterminants de la pauvreté : l’échec scolaire, les difficultés d’insertion professionnelle des peu ou pas diplômés, et la concentration de la pauvreté dans certains quartiers, contribuant à sa persistance. »</p>
</blockquote>
<h2>Un investissement mal ciblé</h2>
<p>Par ailleurs, notons la difficulté à évaluer de manière rigoureuse le montant des dépenses ainsi que leurs postes d’affectation. Selon le rapport de la Cour des comptes :</p>
<blockquote>
<p>« Le ministère chargé de l’emploi n’est pas en mesure de calculer le montant des moyens publics déployés en faveur de l’accès à l’emploi des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), pas même sur les seuls crédits budgétaires dont il a la responsabilité. »</p>
</blockquote>
<p>De plus, la part des dépenses à destination des quartiers prioritaires demeure insuffisante. Prenons le cas du <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/le-ministere-en-action/relance-activite/plan-1jeune-1solution/">plan « 1 jeune, 1 solution »</a> dont l’objectif est principalement de financer l’apprentissage. Le montant de ce dernier s’élève à 6,26 milliards d’euros au total.</p>
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<p>Or, pour les habitants des QPV, le montant dépensé serait d’environ 563 millions d’euros, soit 9 % du total, soit « un pourcentage inférieur à la proportion de jeunes de QPV sur le territoire national et à la part des jeunes des QPV en recherche d’emploi ».</p>
<p><iframe id="aeRuM" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/aeRuM/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>À cela, s’ajoute une deuxième difficulté : « les dispositifs profitent souvent aux habitants les moins en difficulté ». Le cas des emplois d’avenir, déployés entre novembre 2012 et janvier 2018, illustre bien cette situation. Selon le <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/bdaecb66fc086b65afb8f692780dd749/DE_bilan_emplois%20d%27avenir.pdf">bilan</a> dressé en 2021 par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (qui dépend du ministère du Travail) :</p>
<blockquote>
<p>« Le dispositif est moins efficace en termes d’insertion dans l’emploi pour les jeunes peu diplômés ou habitant en zones défavorisées, qui sont pourtant le cœur de cible des emplois d’avenir. »</p>
</blockquote>
<h2>Une organisation trop complexe</h2>
<p>En outre, l’organisation même du déploiement des dispositifs apparaît problématique. D’une part, la multiplicité des dispositifs et le défaut d’une communication renforcent l’éloignement des personnes les plus fragiles à leur égard. D’après l’enquête menée par la Cour des comptes, 65 % des habitants jugent les dispositifs peu connus. Cette proportion atteint même 72 % pour les moins de 35 ans. Aussi, qu’ils s’agissent des entreprises comme des usagers, la répartition de ces dispositifs entre différentes institutions rend leur compréhension et leur accès difficile.</p>
<p><iframe id="Bys87" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Bys87/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>D’autre part, au niveau national, la gestion partagée entre les ministères du Travail et de la Ville reste inefficace en raison d’un fonctionnement en « silo ». Ce cloisonnement est tel que des actions concurrentes sont mises en œuvre ; comme l’illustre le cas du <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/emploi-et-insertion/service-public-insertion-emploi-spie/">« Service public de l’insertion et de l’emploi »</a> (ministère du Travail) et des « Cités de l’emploi » (politique de la Ville). À cela s’ajoute l’absence totale du ministère de l’Éducation nationale, dont le rôle reste central dans la lutte contre le décrochage scolaire.</p>
<h2>Changer de paradigme</h2>
<p>Quelles sont, dès lors, les solutions pour que ces politiques deviennent efficaces ? En premier lieu, l’unité d’action qui fixe le cadre fondamental des politiques publiques doit se situer au niveau du citoyen et non des dispositifs. Comme l’indique la Cour des comptes,</p>
<blockquote>
<p>« La stratégie non encore explorée consisterait à s’adapter à la situation des personnes accompagnées dans toutes ses dimensions (sociale, éducative, professionnelle, etc.) plutôt que de leur demander sans cesse de s’adapter aux dispositifs. »</p>
</blockquote>
<p>Dès lors, cela implique de concevoir les dispositifs appropriés avec les citoyens concernés. Il s’agit de rompre avec une politique de la Ville qui, selon le <a href="https://www.cairn.info/revue-journal-francais-de-psychiatrie-2009-3-page-36.htm">sociologue des « quartiers sensibles Cyprien Avenel</a> :</p>
<blockquote>
<p>« encourage une démocratie participative mais développe un lien paternaliste avec la population et met en œuvre une action descendante (offre de service). »</p>
</blockquote>
<p>En ce sens, les <a href="https://www.cairn.info/revue-journal-francais-de-psychiatrie-2009-3-page-36.htm">travaux du sociologue</a> sur les modalités de cette participation sont précieux pour penser au mieux les défis d’une telle action.</p>
<p>Enfin, l’organisation même doit être revue notamment au niveau national où le décloisonnement administratif est indispensable tant il représente un frein aux avancées constructives. Au niveau local, la <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/ansa_rapportwwc_2017_vf.pdf">mise en place de « What Work Centers »</a> sur le modèle britannique, dont le rôle serait d’accompagner les expérimentations afin de pallier leurs lacunes et attesté de leur efficacité constitue une voie non explorée qui semblerait pertinente.</p>
<p>Enfin, <a href="https://theconversation.com/que-peuvent-apporter-les-entreprises-aux-quartiers-prioritaires-209456">l’idéal de justice sociale</a> doit demeurer le moteur central. S’il est un ordre à défendre, il n’est pas sécuritaire mais juridique ; celui qui fonde la dignité et la liberté des individus et nous oblige à la justice. Ainsi, comme l’énonçait le <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Id%C3%A9e_de_justice_sociale_d%E2%80%99apr%C3%A8s_les_%C3%A9coles_contemporaines">philosophe français Alfred Fouillée</a> au XIX<sup>e</sup> siècle :</p>
<blockquote>
<p>« Toutes les fois que la France se laisse dominer par des idées d’intérêt, ou par des idées de force, de lutte pour la vie, de guerre entre nationalités ou entre classes, elle sort de sa vraie tradition […]. Qu’elle s’appuie sur l’idée de justice et elle sera fidèle à son propre esprit. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/210493/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ousama Bouiss est membre de la chaire Reliance en complexité (Université de Montpellier). </span></em></p>Les dispositifs mis en place ces dernières années, mal calibrés et complexes, n’ont pas permis de faire reculer le taux de pauvreté dans les quartiers défavorisés.Ousama Bouiss, Doctorant en stratégie et théorie des organisations, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094562023-07-10T15:43:11Z2023-07-10T15:43:11ZQue peuvent apporter les entreprises aux quartiers prioritaires ?<blockquote>
<p>« Tout passe par l’entreprise et l’emploi. »</p>
</blockquote>
<p>Tel était l’intitulé du septième programme préconisé par le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/184000255.pdf#page=48">rapport « Borloo »</a> intitulé <em>Vivre ensemble, vivre en grand la République</em>. <a href="https://huffingtonpost.fr/politique/article/ce-que-contenait-le-plan-borloo-pour-les-banlieues-ecarte-par-macron-en-2018-et-qui-revient-dans-l-actualite-clx1_220197.html">Écarté en 2018</a> par le président de la République, le document a été remis sur le devant de la scène par les <a href="https://theconversation.com/topics/emeutes-66638">émeutes</a> consécutives à la mort de Nahel. Face à la misère économique des <a href="https://theconversation.com/topics/quartiers-populaires-53439">quartiers populaires</a>, la question du <a href="https://theconversation.com/topics/travail-20134">travail</a> y est qualifiée de « mère des batailles ». Il constituerait en effet « la manifestation la plus criante des inégalités, celle qui barre la route de l’avenir, qui fait perdre confiance en soi et dans notre République ».</p>
<p>Fruit d’une réflexion associant collectivités territoriales, associations, entreprises, et bien d’autres acteurs, le rapport souligne la relation complémentaire entre la lutte contre la <a href="https://theconversation.com/topics/pauvrete-21196">pauvreté</a>, le travail et l’<a href="https://theconversation.com/topics/entreprises-20563">entreprise</a>. Plus encore, il identifie cette dernière comme le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/184000255.pdf#page=6">moteur central</a> de la métamorphose de la vie de ces « 6 millions d’habitants » qui « vivent dans une forme de relégation voire parfois, d’amnésie de la Nation réveillée de temps à autre par quelques faits divers ».</p>
<h2>Contrat de travail, contrat social</h2>
<p>En conclusion de son <a href="https://www.editions-ems.fr/boutique/pourquoi-travailler/">ouvrage</a> <em>Pourquoi travailler ?</em>, Anthony Hussenot, professeur en sciences de gestion à l’université Côté d’Azur rappelle :</p>
<blockquote>
<p>« Le travail est une activité complexe » […], jamais totalement une activité aliénée et seulement rémunératrice ou une activité totalement libre et émancipatrice. »</p>
</blockquote>
<p>Il identifie ainsi cinq rôles principaux que joue le travail dans nos vies.</p>
<p>Il joue un <strong>rôle économique</strong> par le revenu que nous en tirons qui doit nous permettre de subvenir à nos besoins, un <strong>rôle social</strong> en ce qu’il « permet aux individus de se positionner dans la société » et un <strong>rôle identitaire</strong> car « nos façons de parler, de nous comporter, nos croyances, mais aussi dans une certaine mesure, nos idées politiques, économiques, nos goûts culturels, etc., sont en partie le résultat de nos relations avec notre milieu professionnel ». Il possède également un <strong>rôle juridico-politique</strong> car le travail est un « contrat social » entre l’individu, l’employeur et l’État. Il scelle la « promesse » qu’en échange du travail fourni, les individus peuvent vivre décemment, notamment en accédant à la société de consommation, en étant protégés par l’État et en pouvant espérer un avenir meilleur ». Il remplit enfin un <strong>rôle politique</strong> par lequel nous participons à la production et la reproduction des systèmes dans lesquels nous vivons.</p>
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<p>Le seul énoncé de ces rôles suffit à comprendre pourquoi le travail est « la manifestation la plus criante des inégalités ». Lorsque le salaire ne permet pas de vivre, quand la position sociale induite par la profession est dévaluée symboliquement et socialement alors le contrat social est fragilisé car le travail ne remplit pas sa « promesse ». Avec un taux de chômage entre deux et trois fois supérieur à la moyenne au sein des quartiers populaires, c’est même une forme d’exclusion de ce contrat social qui est en cause.</p>
<p><iframe id="0QMEV" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/0QMEV/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="eTx5d" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/eTx5d/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Avoir un travail ne saurait cependant suffire</h2>
<p>Les solutions proposées par le rapport « Borloo » s’articulent autour de deux axes principaux : former par l’apprentissage, l’alternance et l’accompagnement et mobiliser des entreprises dans le cadre de création d’emplois favorisant les populations issues des quartiers populaires.</p>
<p>Pour nécessaires et pertinentes soient-elles, ces propositions ne sauraient être suffisantes. Encore faut-il s’assurer que le travail remplisse son rôle en permettant à chacun d’en tirer un revenu satisfaisant, répondant à ses aspirations individuelles et contribuant à la reproduction d’un système politique conforme à l’idéal démocratique. Puisque l’entreprise participe à l’intégration politique et sociale du citoyen, le simple fait d’« avoir un travail » ne saurait suffire. Encore faut-il que ce dernier garantisse la possibilité d’une vie digne.</p>
<p>Le préambule de la <a href="https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:62:0::NO::P62_LIST_ENTRIE_ID:2453907">Constitution de l’Organisation internationale du travail</a> l’affirme :</p>
<blockquote>
<p>« Une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale. »</p>
</blockquote>
<p>Or comme le souligne Alain Supiot, spécialiste du droit du travail, dans <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-La_force_d_une_id%C3%A9e-589-1-1-0-1.html"><em>La force d’une idée</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il existe des conditions de travail impliquant pour un grand nombre de personnes l’injustice, la misère et les privations, ce qui engendre un tel mécontentement que la paix et l’harmonie universelles sont mises en danger […]. Cet abandon de [la justice sociale] engendre l’accroissement vertigineux des inégalités, l’enfoncement des classes populaires dans la précarité et le déclassement, les migrations de masse de jeunes poussées par la misère. Ce qui suscite en retour des colères et des violences protéiformes et nourrit le retour de l’ethnonationalisme et la xénophobie. ».</p>
</blockquote>
<p>En replaçant la justice sociale au cœur de la réflexion sur le rôle des entreprises et du travail, il s’agit de contrer les <a href="https://theconversation.com/le-neoliberalisme-est-il-mauvais-pour-la-sante-153493">effets délétères du néolibéralisme</a> qui participe à l’isolement des individus. Aux discours qui promeuvent l’idéal d’une réussite individuelle fondée sur l’accumulation de richesses matérielle ou la domination symbolique, l’idéal démocratique de justice sociale invite à la solidarité comme condition nécessaire de la liberté et de l’égalité.</p>
<h2>Les outils sont disponibles</h2>
<p>Dès lors, démocratiser l’entreprise ne signifie pas seulement favoriser le dialogue mais, plus fortement, subordonner le critère de performance au critère de justice. De la même manière, démocratiser le travail ne signifie pas seulement « créer des emplois ». C’est aussi, selon les termes de la <a href="https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:62:0::NO:62:P62_LIST_ENTRIE_ID:2453907:NO#declaration">Déclaration de Philadelphie</a>, qui a défini en 1944 les buts et objectifs de l’Organisation internationale du travail, favoriser « l’emploi des travailleurs à des occupations où ils aient la satisfaction de donner toute la mesure de leur habileté et de leurs connaissances et de contribuer le mieux au bien-être commun ».</p>
<p>En abordant la question du travail et de l’entreprise par le prisme de la lutte contre la misère et l’affirmation des principes démocratiques, ce sont nos modes de pensée que nous sommes invités à réviser. Les quartiers populaires nous offrent le miroir précieux des limites et des dangers de notre système économique. Il ne s’agit plus de placer la société au service de l’entreprise mais bien de placer l’entreprise au service de la société. D’un point de vue normatif, il s’agit d’actualiser les principes et valeurs démocratiques en tout lieu notamment ceux où nous passons le plus de temps comme les <a href="https://www.cairn.info.fr/c-est-complexe--9782100828838.htm">entreprises</a>.</p>
<p>D’ailleurs, comme l’indique le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/184000255.pdf#page=7">« rapport Borloo »</a>, « nous sommes capables de traiter l’essentiel de ces problèmes ». En effet, la recherche sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2012-9-page-167.htm">modèles d’organisation démocratiques</a>, les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/15/un-manifeste-pour-un-changement-de-modele-economique_6063407_3232.html">réflexions sur la relation entre la transition écologique et les nouveaux métiers</a> ou encore les propositions sur la réforme du <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782130651697-critique-du-droit-du-travail-3e-edition-alain-supiot/">droit du travail</a> sont à notre disposition. Toutefois, pour en tirer profit, expérimenter et mettre en œuvre ces solutions, il nous faudra d’abord quitter « les angoisses de notre histoire, les dispositifs accumulés, entassés, sédimentés, inefficaces, contradictoires, éparpillés, abandonnés où l’annonce du chiffre spectaculaire tient lieu de politique ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209456/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ousama Bouiss ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Favoriser l’implantation des entreprises dans les banlieues comme le suggérait le rapport Borloo doit permettre une intégration politique et sociale des citoyens.Ousama Bouiss, Doctorant en stratégie et théorie des organisations, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2091602023-07-06T17:19:22Z2023-07-06T17:19:22ZÉmeutes : 2005 en héritage à Clichy-sous-Bois<p>Depuis la mort de Nahel et les violences qui s’en suivent dans de nombreuses villes, la <a href="https://www.lefigaro.fr/faits-divers/mort-de-nahel-derriere-les-chiffres-des-violences-urbaines-plus-intenses-que-les-emeutes-de-2005-20230705">référence à 2005</a> semble s’imposer dans les médias. Par son extension, ses images médiatiques, le chiffrage des dégâts… la mobilisation de jeunes de quartiers populaires incite à la comparaison. Mais est-elle pertinente ? S’il est prématuré de dresser une comparaison fondée, il est possible d’apporter dès maintenant des éléments pour en discuter le bien-fondé.</p>
<p>Pour cela, je m’appuie sur la recherche participative que je mène depuis trois ans sur l’histoire du collectif ACLEFEU, avec des jeunes de 17 à 24 ans de Clichy-sous-Bois et d’autres villes de Seine Saint-Denis. Cette enquête poursuit celle menée dans dix villes ou quartiers d’Île-de-France par le <a href="https://jeunesdequartier.fr/">collectif POP PART</a> entre 2017 et 2021. Publiée sous le titre <a href="https://cfeditions.com/jdq/">Jeunes de quartier. Le pouvoir des mots</a>, elle est la source des podcasts <a href="https://theconversation.com/fr/topics/jeunes-de-quartier-119771">« Jeunes de quartier : leur quotidien raconté par eux-mêmes »</a>.</p>
<p>Centrer la nouvelle recherche sur Clichy-sous-Bois et ACLEFEU, c’est revenir aux origines. Ce collectif a en effet été créé d’abord de manière informelle à la fin d’octobre 2005, puis en tant qu’association. L’acronyme, dont le premier sens, Assez le feu ! est clair, signifie aussi : Association Collectif Liberté Égalité Fraternité Ensemble Unis. Très médiatisé dans les années qui ont suivi, il est aujourd’hui reconnu pour les actions qu’il mène auprès des jeunes et des familles pour contribuer à la solidarité, éveiller à la citoyenneté, développer la prise de responsabilité. Comment donc des jeunes d’aujourd’hui et des jeunes de l’époque, devenus adultes, parlent-ils de 2005 ? Quelles mémoires en sont présentes, transmises ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-repetition-et-la-rage-au-coeur-des-emeutes-francaises-208899">La répétition et la rage, au cœur des émeutes françaises</a>
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<h2>2005 : émeutes ou révoltes ?</h2>
<p>Lorsqu’on demande aux jeunes adultes ou grands adolescents participant à la recherche ce que 2005 évoque, pour eux et elles, silence et hésitations dominent. La date ne fait guère sens. D’abord par sa distance temporelle : la plupart étaient soit juste nés, soit encore tout petits. Au plus, restent des souvenirs de peur, d’hélicoptères menaçants, d’avoir été interdit de sortir pour jouer au foot, d’une panne d’électricité ou une image : celle de gendarmes s’abritant sous leurs boucliers comme des soldats romains dans Astérix.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fogjf7PnHuY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Retour sur les émeutes des banlieues en 2005. France 24.</span></figcaption>
</figure>
<p>Mais plus profondément, les dates, comme on a pu le constater aussi à propos de 2015 et des attentats, sont des repères utilisés dans un contexte scolaire d’apprentissage de faits historiques. Parler date, c’est renvoyer à la « grande histoire » enseignée, à une réalité qui reste abstraite.</p>
<p>Ce qui ressort parfois, c’est : « les émeutes », désignation concurrencée par « les révoltes ». Dire « c’était vraiment pour défendre une cause » (R. (garçon, 7 ans en 2005), dire « on s’est pas battu pour rien, on s’est battu parce qu’il y a quelque chose derrière »), c’est exprimer une distinction claire, dans la lignée de celle opérée par les sociologues <a href="http://journals.openedition.org/sociologies/254">Michel Kokoreff, Odile Steinauer et Pierre Barron</a> : </p>
<blockquote>
<p>« Reprendre le terme d’émeute, c’est insister sur le caractère spontané et non structuré des violences collectives. […] L’émeute urbaine questionne la police dans ses pratiques ; c’est la fonctionnalité policière qui est mise en cause. Parler de “révolte” […], c’est mettre l’accent sur la dimension protestataire des violences collectives […], sans contribuer au processus de stigmatisation des banlieues et des jeunes de milieux populaires. »</p>
</blockquote>
<h2>Zyed et Bouna : des noms qui font sens</h2>
<p>À rebours de la date, ce sont les prénoms <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-2005-ca-a-marque-lhistoire-179799;https://jeunesdequartier.fr/notices/zyed-bouna/52">Zyed et Bouna</a> qui font écho pour les jeunes, par un effet d’identification multiple. La proximité de l’âge, l’atrocité de leur mort, brûlés vifs dans l’enceinte d’un transformateur électrique, la connaissance des familles pour certains sont démultipliées par le vécu partagé du contrôle policier fréquent et injustifié, de la course poursuite pour l’éviter qui fait d’un thriller un drame. L’identification repose aussi sur le sentiment d’appartenance à un territoire similaire par sa relégation et les <a href="https://journals.openedition.org/metropoles/4568">conditions de vie de sa population</a>.</p>
<p>Pour K. (4 ans en 2005), « Si Zyed et Bouna étaient dans un autre endroit, les policiers ne vont pas se comporter avec eux comme ça, ne vont pas leur parler vulgairement, faire la course avec eux. Ça évoque des inégalités sociales ». Un « nous, jeunes de quartiers » s’esquisse ainsi, même si cette assignation fait débat.</p>
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<p>Si les jeunes d’aujourd’hui voient des similitudes avec le vécu des jeunes de 2005, l’écart est cependant sensible. En témoigne d’abord leur réaction après la projection en atelier, du film tourné par Ladj Ly en 2005-2006 « 365 jours à Clichy-Montfermeil » : « Ce ne serait plus possible maintenant, car on filme tous avec nos portables et on partage sur nos réseaux ! »</p>
<p>Et surtout, ce film et une vidéo d’ACLEFEU sur son histoire décentrent l’intérêt vers l’après 2005 et les actions menées pour faire entendre et prendre en compte la voix des citoyens oubliés. C’est le présent de cette histoire de près de vingt ans, ses liens avec d’autres luttes, comme celles pour les droits civiques ou <a href="https://theconversation.com/mort-de-george-floyd-une-condamnation-historique-dans-une-societe-divisee-157164">Black Lives Matter</a> aux États-Unis, qui peu à peu donnent sens à la participation des jeunes à la recherche.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2tO3aU5fGOA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Documentaire « 365 Jours à Clichy Montfermeil », Ladj Ly, Kourtrajmé, 2005.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Des médiateurs en action</h2>
<p>Pour les participants à la recherche plus âgés, (qui avaient entre 20 et 30 ans en 2005), alors souvent éducateurs ou animateurs, qui ont vécu ces événements, le lieu et le moment où ils apprennent le drame, leur action pour contribuer à calmer les jeunes, la création d’ACLEFEU dans l’urgence sont les trois temps forts d’une mémoire vive commune. C’est donc en tant qu’acteurs à divers titres qu’ils interprètent à la fois leur rôle, leur prise de conscience et leur évolution.</p>
<p>Cette continuité temporelle, avec ses ruptures ou ses éloignements pour certains, apporte un double éclairage. Le recul réflexif permis par l’entretien laisse par exemple s’exprimer le souvenir d’un dilemme vécu. M. (30 ans en 2005) l’explique ainsi : </p>
<blockquote>
<p>« Nous autres, à cette époque-là, animateurs, travailleurs sociaux, tous ceux qui étaient sur le terrain, grands frères, on était dans une position très compliquée. […] Je comprends la colère des jeunes parce que je me dis : si je n’avais pas été moi du côté… je vais dire de l’institution, à cette époque-là, à 17 ans j’aurais été dans la rue. »</p>
</blockquote>
<p>La création d’ACLEFEU est alors présentée comme la résolution collective de cette contradiction. Elle est étayée par l’évocation du nombre des personnes qui s’engagent dans la construction de ce collectif, portées par la conscience que la colère des jeunes est l’expression exacerbée d’un malaise social plus large.</p>
<p>Le deuxième éclairage apporté par quelques jeunes adultes de l’époque met en perspective 2005 et des mobilisations antérieures. En particulier, la <a href="https://presses-universitaires.parisnanterre.fr/index.php/produit/la-marche-de-1983-des-memoires-a-lhistoire-dune-mobilisation-collective/">marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983</a> est une référence fondatrice pour Mohamed Mechmache, cofondateur et président du collectif.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/wnu-8FXyREA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La Marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983 (INA).</span></figcaption>
</figure>
<p>Adolescent, il a côtoyé un ancien marcheur de sa cité : </p>
<blockquote>
<p>« Ce qui s’est passé en 2005 n’est que la conséquence de ce qui s’est passé à l’époque avec les gens qui se sont mobilisés pour la marche pour l’égalité et contre le racisme. Parce que la première jeunesse issue de l’immigration était très politisée. Elle savait les combats de nos parents, les luttes qu’il y a eu. Une fois qu’ils ont compris qu’ils avaient comme arme le savoir, ça leur a permis de mieux comprendre les choses et de se dire : nous aussi à partir d’aujourd’hui on pourra se faire entendre. »</p>
</blockquote>
<p>C’est cette conscience de la continuité d’un combat à mener qui a incité plusieurs membres d’ACLEFEU à se faire élire au conseil municipal dès 2008. Une jeune fille qui a participé à la recherche, élue en 2020, est ainsi devenue la benjamine du conseil municipal.</p>
<h2>Une transmission mémorielle fragmentée et une histoire absente</h2>
<p>À Clichy-sous-Bois, la transmission de la mémoire de 2005 est ainsi portée par deux pôles. Le souvenir de Zyed et Bouna est surtout transmis par le travail mené par des enseignants de collège ou de lycée et les commémorations publiques annuelles du 27 octobre 2005.</p>
<p>L’allée piétonnière au nom de Zyed Benna et Bouna Traoré (sans autre précision), proche de la mairie, la petite stèle qui leur est consacrée devant le collège fréquenté par ceux-ci, leurs visages rendus familiers par des affiches largement diffusées lors de mobilisations comme celle suscitée par la mort d’Adama, sont aussi connues de certains jeunes.</p>
<p>Les militants d’ACLEFEU constituent le second pôle de transmission : il est centré sur la réponse collective apportée alors à la « crise des banlieues » et aux limites de sa reconnaissance politique. Mais ces transmissions fragmentées rendent d’autant plus problématique l’absence d’une histoire qui fasse référence et puisse être partagée.</p>
<p>Au-delà de 2005, c’est précisément la force et l’inventivité d’une mobilisation politique et sociale, diverse par ses actions et sa portée médiatique, que la recherche menée avec les jeunes de Clichy-sous-Bois et le collectif ACLEFEU a entrepris de construire et de faire reconnaître.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209160/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hélène Hatzfeld ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les jeunes d’aujourd’hui voient des similitudes avec le vécu des jeunes de 2005, l’écart est cependant sensible.Hélène Hatzfeld, Politologue spécialisée dans l'urbanisme, laboratoire Architecture Ville Urbanisme Environnement (UMR CNRS 7218), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088992023-07-02T09:40:51Z2023-07-02T09:40:51ZLa répétition et la rage, au cœur des émeutes françaises<p>Bien qu’elles nous surprennent chaque fois, depuis les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/l-ete-des-minguettes-1981-les-rodeos-de-la-colere-7720633">révoltes des Minguettes</a> dans les années 1980, les émeutes se répètent en suivant le même scénario : un jeune est tué ou gravement blessé par le police et les violences explosent dans le quartier concerné, dans les quartiers voisins, parfois, <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/adolescent-tue-par-un-policier-a-nanterre/violences-urbaines-comment-se-sont-deroulees-les-emeutes-de-2005_5919854.html">comme en 2005</a> et aujourd’hui, dans tous les quartiers « difficiles » qui se reconnaissent dans la victime de la police.</p>
<p>Depuis quarante ans, les révoltes urbaines sont dominées par la rage des jeunes qui s’attaquent aux symboles de l’ordre et de l’État, aux mairies, aux centres sociaux, aux écoles, puis aux commerces…</p>
<h2>Une rage et un vide institutionnel</h2>
<p>La rage conduit <a href="https://www.letelegramme.fr/morbihan/lorient-56100/nuit-de-violences-a-lorient-a-quoi-bon-detruire-leur-propre-quartier-6383853.php">à détruire son propre quartier</a> devant les habitants qui condamnent mais « comprennent » et se sentent impuissants.</p>
<p>Dans tous les cas aussi se révèle un vide institutionnel et politique dans la mesure où les acteurs locaux, les élus, les associations, les églises et les mosquées, les travailleurs sociaux et les enseignants avouent leur impuissance et ne sont pas audibles.</p>
<p>Seule la révolte des Minguettes en 1981 avait débouché sur la <a href="https://www.histoire-immigration.fr/sites/default/files/musee-numerique/documents/marche_egalite.pdf">Marche pour l’égalité et contre le racisme</a>. Mais depuis, aucun mouvement ne semble naître des colères.</p>
<p>Enfin, dans tous les cas aussi, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-brief-politique/mort-de-nahel-la-choregraphie-tres-classique-des-reactions-politiques_5888596.html">chacun joue son rôle</a> : la droite dénonce la violence et stigmatise les quartiers et les victimes de la police ; la gauche dénonce les injustices et promet des politiques sociales dans les quartiers. Nicolas Sarkozy avait choisi la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/emeutes-urbaines-quatre-questions-sur-le-precedent-de-2005-qui-est-dans-toutes-les-tetes-8489821">police en 2005</a>, Macron a manifesté <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/06/28/jeune-tue-a-nanterre-rien-ne-justifie-la-mort-dun-jeune-declare-emmanuel-macron-11306938.php">sa compassion</a> pour le jeune tué par la police à Nanterre, mais il faut bien dire que les hommes politiques et les présidents ne sont guère entendus dans les quartiers concernés.</p>
<p>Puis le silence s’installe jusqu’à la prochaine fois où on redécouvrira à nouveau les problèmes des quartiers et ceux de la police. </p>
<h2>Des leçons à tirer</h2>
<p>La récurrence des émeutes urbaines et de leurs scénarios devrait nous conduire à tirer quelques leçons relativement simples.</p>
<p>Les politiques urbaines ratent leurs cibles. Depuis 40 ans, de <a href="https://www.capital.fr/immobilier/emeute-les-vraies-raisons-de-lechec-de-politique-de-la-ville-1473031">considérables efforts ont été consacrés à l’amélioration des logements et des équipements</a>. Les appartements sont de meilleure qualité, il y a des centres sociaux, des écoles, des collèges, des lignes de bus… Il est faux de dire que ces quartiers ont été abandonnés.</p>
<p>En revanche, la mixité sociale et culturelle des quartiers s’est plutôt dégradée. Le plus souvent, les habitants sont pauvres, précaires, et sont immigrés ou issus des immigrations successives.</p>
<p>Mais surtout, ceux qui « s’en sortent » quittent le quartier et sont remplacés par des habitants encore plus pauvres et venant d’encore plus loin. Le bâti s’améliore et le social se dégrade.</p>
<p>On répugne à parler de ghettos, mais le processus social à l’œuvre est bien celui <a href="https://www.cairn.info/revue-economique-2016-3-page-415.htm">d’une ghettoïsation</a>, d’un clivage croissant entre les quartiers et leur environnement, d’un entre soi imposé et qui se renforce de l’intérieur. On fréquente la même école, le même centre social, on a les mêmes relations, on participe à la même économie plus ou moins légale…</p>
<p>Malgré les moyens mobilisés et la bonne volonté des élus locaux, on se sent hors de la société en raison de ses origines, de sa culture, de sa religion… Malgré les politiques sociales et le travail des élus, les quartiers n’ont pas de ressources institutionnelles et politiques propres.</p>
<p>Alors que les <a href="http://e-cours.univ-paris1.fr/modules/uoh/paris-banlieues/u4/co/-module_1.html">banlieues rouges</a> étaient fortement encadrées par les partis, les syndicats et les mouvements d’éducation populaires, les quartiers n’ont guère de porte-voix. En tous cas, pas de porte-voix dans lesquels ils se reconnaissent : les travailleurs sociaux et les enseignants sont pleins de bonne volonté, mais ils ne vivent plus depuis longtemps dans les quartiers où ils travaillent.</p>
<p>Cette coupure fonctionne dans les deux sens et l’émeute révèle que les élus et les associations n’ont pas de véritables relais dans les quartiers dont les habitants se sentent ignorés et abandonnés. Les appels au calme sont sans échos. Le clivage n’est seulement social, il est aussi politique. </p>
<h2>Un constant face-à-face</h2>
<p>Dans ce contexte, se construit un <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/nanterre-on-assiste-depuis-une-trentaine-d-annees-a-ce-face-a-face-entre-la-police-et-une-ultra-minorite-de-jeunes-qui-abiment-nos-quartiers-deplore-mokrane-kessi-france-des-banlieues_VN-202306290630.html">face à face entre les jeunes et les policiers</a>. Les uns et les autres fonctionnent comme des « bandes » avec leurs haines et leurs territoires.</p>
<p>L’État est réduit à la violence légale et les jeunes à leur délinquance réelle ou potentielle. La police est jugée « mécaniquement » raciste puisque tout jeune est a priori suspect. Les jeunes haïssent la police, ce qui « justifie » le racisme des policiers et la violence des jeunes. Les habitants voudraient plus de policiers afin d’assurer un peu d’ordre, tout en étant solidaires de leurs enfants.</p>
<p>Cette « guerre » se joue habituellement à niveau bas, mais quand un jeune est tué, tout explose et c’est reparti pour un tour, jusqu’à la prochaine révolte qui nous surprendra autant que les précédentes.</p>
<p>Il y a cependant quelque chose de nouveau dans cette répétition tragique. C’est d’abord la montée de l’extrême droite, pas seulement à l’extrême droite, avec un récit parfaitement raciste des révoltes de banlieue qui s’installe, qui parle d’ensauvagement et <a href="https://www.bfmtv.com/politique/jordan-bardella-si-monsieur-darmanin-veut-lutter-contre-l-islamisme-alors-il-faut-maitriser-l-immigration_VN-202306280290.html">d’immigration</a>, et dont on peut craindre qu’il finisse par triompher dans les urnes.</p>
<p>La seconde nouveauté est la paralysie politique et intellectuelle de la gauche qui dénonce les injustices, qui, parfois, soutient les émeutes, mais qui ne semble pas avoir de solution politique à l’exception d’une réforme nécessaire de la police.</p>
<p>Tant que le processus de ghettoïsation se poursuivra, tant que le face-à-face des jeunes et de la police sera la règle, on voit mal comment la prochaine bavure et la prochaine émeute ne seraient pas déjà là.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208899/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Dubet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Même si des efforts pour améliorer les logements ont été réalisés dans les quartiers populaires, la mixité sociale et culturelle s'est dégradée. Reste un face à face entre les jeunes et la police.François Dubet, Professeur des universités émérite, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2073562023-06-14T16:39:22Z2023-06-14T16:39:22ZSéparation des parents : quel impact sur le niveau de vie de enfants ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/530959/original/file-20230608-27-6n674r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=84%2C0%2C6146%2C4147&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En résidence alternée, les enfants connaissent une baisse de niveau de vie de l’ordre de 10 % par rapport à leur niveau de vie antérieur à la rupture.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/IXiGMtCrQPg">Jeremiah Lawrence / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Quand les parents se séparent, quelles en sont les conséquences sur les enfants, notamment sur leur niveau de vie ? Baisse-t-il ? De combien ? Sa diminution est-elle similaire quand ils vivent avec leur mère seule ou leur père seul ? S'ils sont en <a href="https://theconversation.com/divorce-comment-les-enfants-gerent-ils-la-vie-en-garde-alternee-195320">résidence alternée</a> ? S'il y a <a href="https://theconversation.com/familles-recomposees-belle-mere-une-place-toujours-inconfortable-191182">remise en couple</a> du parent gardien?</p>
<p>Pour mesurer le risque pour un enfant de tomber dans la pauvreté quand ses parents se séparent, nous avons utilisé une source de données originale élaborée par l'Insee, l'« <a href="http://www.jms-insee.fr/2018/S26_1_ACTE_DURIER_JMS2018.pdf">Échantillon démographique permanent</a> ». Celle-ci nous a permis de suivre la situation économique d'un échantillon de plus de 750 000 enfants sur plusieurs années, dont 36 000 ont connu une rupture parentale (observation jusqu'à 7 ans avant et après la séparation).</p>
<p>En France, de façon générale, un enfant sur cinq (21 % en 2019) vit <a href="https://theconversation.com/12-millions-de-francais-en-situation-de-precarite-energetique-69177">sous le seuil de pauvreté</a>, c'est-à-dire dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur à 60 % du <a href="https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5367857/tableau/30_RPC/31_RNP#:%7E:text=En%202019%2C%20en%20France%20m%C3%A9tropolitaine,de%20moins%20de%2014%20ans.">niveau de vie médian</a>. Le revenu médian étant le montant de revenu qui divise une population en deux groupes égaux, la moitié ayant un revenu supérieur à ce montant et l'autre moitié ayant un revenu inférieur à ce montant.</p>
<p>Ceux dont les parents sont séparés sont plus fréquemment pauvres que les autres. Si leur entrée dans la pauvreté est parfois antérieure à la rupture conjugale, elle en est souvent la conséquence. <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-4-page-1.htm">Le taux de pauvreté des enfants l'année de la séparation</a> est bien plus élevé que celui des enfants vivant avec leurs deux parents. Et l'écart reste marqué les années suivantes.</p>
<h2>Un pic de pauvreté juste après la séparation</h2>
<p>Environ 4 % des enfants vivant avec leurs deux parents entrent en pauvreté chaque année. Ils sont <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-4-page-1.htm">cinq fois plus nombreux</a> (21 %) l'année de la séparation parentale. La grande majorité (près des trois quarts) des enfants déjà pauvres le restent l'année de la séparation. Cette permanence de la pauvreté est observable, qu'il y ait eu ou non séparation parentale.</p>
<p>Au final, le taux de pauvreté est bien plus élevé pour les enfants dont les parents viennent de se séparer que pour les enfants vivant avec leurs deux parents (29 % contre 13 %). Cinq ans après la rupture, ce taux est toujours supérieur (23 %). Le surplus de pauvreté élevé tient majoritairement à des entrées en pauvreté suite à la séparation et, dans une moindre mesure, au fait que les <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-4-page-1.htm">enfants dont les parents se séparent appartiennent plus souvent que les autres à des ménages déjà pauvres</a>.</p>
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<h2>Plus les enfants sont jeunes, plus le risque de pauvreté est important</h2>
<p>Le taux de pauvreté varie selon l'âge de l'enfant au moment de la séparation parentale. Ainsi, plus l'enfant connaît la séparation de ses parents à un âge jeune, plus le risque de pauvreté est important. Plus de 35 % des enfants de deux ans dont les parents viennent de se séparer sont pauvres, contre 22 % des enfants de 13 ans.</p>
<p>Le supplément de pauvreté des enfants au moment de la séparation parentale – de l'ordre de 17 points de pourcentage pour l'ensemble des enfants mineurs – existe quel que soit le statut marital des parents mariés, pacsés ou cohabitants (sans être mariés ni pacsés). Ce supplément est un peu plus élevé pour les enfants de parents non mariés que ceux de parents mariés, mais les enfants de couples cohabitants sont déjà plus pauvres avant la séparation. Le taux de pauvreté est bien moindre pour les enfants dont les parents étaient pacsés, en moyenne plus aisés.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/530877/original/file-20230608-25-w7zvm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Taux de pauvreté des enfants selon le statut marital des parents avant la séparation, et supplément lié à la séparation" src="https://images.theconversation.com/files/530877/original/file-20230608-25-w7zvm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530877/original/file-20230608-25-w7zvm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=636&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530877/original/file-20230608-25-w7zvm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=636&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530877/original/file-20230608-25-w7zvm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=636&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530877/original/file-20230608-25-w7zvm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=800&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530877/original/file-20230608-25-w7zvm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=800&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530877/original/file-20230608-25-w7zvm1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=800&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Taux de pauvreté des enfants selon le statut marital des parents avant la séparation, et supplément lié à la séparation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-4-page-1.htm">Carole Bonnet et Anne Solaz, Population & Sociétés, n° 610</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les enfants dont les parents se séparent connaissent une baisse conséquente de leur niveau de vie, de l'ordre de 15 % l'année de la séparation, et 10 % l'année suivante, par rapport à l'année précédant la séparation. Puis se met en place un rattrapage progressif caractérisé par une croissance du niveau de vie.</p>
<p>Toutefois, cinq ans après la séparation, le niveau de vie moyen des enfants reste toujours inférieur de plus de 5 % à celui observé avant la séparation. La baisse de niveau de vie est donc durable.</p>
<h2>Mère seule : les enfants les plus pauvres</h2>
<p>Lorsque l'enfant réside fiscalement principalement avec la mère, la baisse de niveau de vie est importante, de l'ordre de 24 % l'année de la séparation, tandis qu'elle est moitié moindre quand l'enfant réside fiscalement avec le père.</p>
<p>En résidence alternée, les enfants connaissent une baisse de niveau de vie de l'ordre de 10 % par rapport à leur niveau de vie antérieur à la rupture (moyenne des deux niveaux de vie observés dans les deux ménages). Toutefois, comme les parents optant pour ce mode de résidence sont en moyenne plus aisés avant la séparation, leurs enfants ont un moindre risque d'entrée en pauvreté que les enfants résidant principalement chez la mère.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/530880/original/file-20230608-28-wm6pkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Niveau de vie des enfants autour de la séparation, selon le mode de résidence principal après la séparation" src="https://images.theconversation.com/files/530880/original/file-20230608-28-wm6pkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530880/original/file-20230608-28-wm6pkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=280&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530880/original/file-20230608-28-wm6pkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=280&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530880/original/file-20230608-28-wm6pkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=280&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530880/original/file-20230608-28-wm6pkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=352&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530880/original/file-20230608-28-wm6pkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=352&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530880/original/file-20230608-28-wm6pkw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=352&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Niveau de vie des enfants autour de la séparation, selon le mode de résidence principal après la séparation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-4-page-1.htm">Carole Bonnet et Anne Solaz, Population & Sociétés, n° 610</a></span>
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<p>Le rattrapage de niveau de vie est progressif dans les années qui suivent la rupture. La <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-4-page-1.htm">remise en couple du parent gardien</a> permet d'atténuer fortement la diminution de niveau de vie des enfants, que l'enfant vive avec sa mère et son beau-père, ou avec son père et sa belle-mère.</p>
<h2>Pauvre chez un parent mais pas chez l'autre ?</h2>
<p>Parmi les enfants en résidence alternée, 6 % sont pauvres dans les deux ménages tandis que 24 % sont pauvres dans un seul des ménages, nettement plus souvent chez la mère (15 %) que chez le père (9 %) ; et 70 % des enfants ne sont pauvres dans aucun des deux ménages.</p>
<p>Qu'ils soient pauvres ou pas, les enfants multi-résidents peuvent faire l'expérience d'écarts de niveaux de vie considérables entre le logement du premier et du second parent. Ainsi, si l'année de la séparation près d'un enfant sur 5 (16 %) connaît des niveaux de vie quasi similaires chez ses deux parents (moins de 10 % d'écart), 4 enfants sur 10 vivent la moitié du temps avec un parent qui a un niveau de vie supérieur de plus de 50 % à celui de l'autre.</p>
<h2>Moins de vacances et de copains à la maison</h2>
<p>En pratique, les enfants <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11205-018-02060-1">ont moins accès à certaines ressources après la séparation parentale qu'avant</a>. La part d'enfants dont le ménage a les moyens financiers de partir en vacances en dehors de chez soi au moins une semaine par an diminue ainsi de 10 points de pourcentage entre l'année de la séparation et celle qui suit.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/530881/original/file-20230608-19-a4sqhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Niveau de vie des enfants autour de la séparation, selon le mode de résidence principal après la séparation" src="https://images.theconversation.com/files/530881/original/file-20230608-19-a4sqhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530881/original/file-20230608-19-a4sqhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530881/original/file-20230608-19-a4sqhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530881/original/file-20230608-19-a4sqhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530881/original/file-20230608-19-a4sqhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=592&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530881/original/file-20230608-19-a4sqhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=592&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530881/original/file-20230608-19-a4sqhf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=592&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Niveau de vie des enfants autour de la séparation, selon le mode de résidence principal après la séparation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-4-page-1.htm">Carole Bonnet et Anne Solaz, Population & Sociétés, n° 610</a></span>
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<p>Recevoir des amis à domicile est plus rare dans les quatre années suivant la séparation, sans doute en lien avec la taille réduite du logement et la rupture de certains réseaux amicaux. Les possibilités pour le ménage de faire face à une dépense imprévue, d'offrir des cadeaux, de changer les meubles usagés, ou de disposer d'une voiture sont également moindres, et cela perdure dans les années qui suivent la séparation.</p>
<p>Les conditions de vie des enfants sont donc dégradées à bien des égards après une rupture parentale. On note cependant une nette amélioration lorsqu'il y a remise en couple du parent chez lequel vit l'enfant.</p>
<hr>
<p><em>Ce texte est adapté d'un article publié par Carole Bonnet et Anne Solaz dans Population & Sociétés n° 610, 2023 <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2023-4-page-1.htm">«Séparation des parents : un risque accru de pauvreté pour les enfants ?»</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207356/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cet article a bénéficié de l’aide de Claire Vandendriessche, Alex Sheridan et Paul Corbel. Merci à eux.
Ce travail a bénéficié d’un financement de France Stratégie (voir rapport en ligne, site de France Stratégie) et du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA), ainsi que de LifeObs (France 2030 ANR-21-ESRE-0037) et du projet Big_stat (ANR-16-CE41-0007).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Carole Bonnet a bénéficié d’un financement de France Stratégie et du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA), ainsi que de LifeObs et de l'ANR pour mener à bien cette recherche. </span></em></p>Le taux de pauvreté augmente chez les enfants lorsque leurs parents se séparent. Ce phénomène varie selon divers paramètres : mode de garde, âge des enfants, remise en couple, etc.Anne Solaz, Directrice de recherche, Institut National d'Études Démographiques (INED)Carole Bonnet, Directrice de recherche, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2014902023-04-10T19:24:09Z2023-04-10T19:24:09ZAu Bénin, ces enfants qui quittent l’école pour apprendre un métier<p>Au Bénin, les ménages populaires en milieu rural éprouvent de grandes difficultés à maintenir leurs enfants à l’école. Une partie des enfants de ces zones sont amenés à quitter le système scolaire avant la fin de l’école primaire ou dès les premières années du collège, même lorsque leurs résultats scolaires sont bons.</p>
<p>Malgré <a href="https://journals.openedition.org/ree/7368?lang=en">diverses mesures politiques prises depuis les années 1990</a> par les gouvernements successifs pour améliorer la qualité de l’offre scolaire et l’accès universel à l’enseignement de base, le pays a vu la proportion des élèves allant jusqu’au bout de l’école primaire passer de <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SE.PRM.CMPT.MA.ZS?end=2021&locations=BJ&most_recent_year_desc=true&start=1971&view=chart&year=2017">85 % en 2016 à 68 % en 2019, avant de remonter à 77 % en 2021</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lafrique-est-forte-de-sa-jeunesse-mais-doit-investir-dans-leducation-79213">L’Afrique est forte de sa jeunesse mais doit investir dans l’éducation</a>
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<p>L’obligation scolaire pour tous les enfants entre cinq et onze ans, décrétée en 2006, n’a jamais été pleinement mise en œuvre. Par ailleurs, en 2015, 35,17 % des élèves ayant achevé le cycle primaire ont <a href="https://knoema.fr/atlas/B%c3%a9nin/topics/%c3%89ducation/%c3%89ducation-secondaire/Taux-dabandon-scolaire-pour-les-enfants-%c3%a0-l%c3%a2ge-dentr%c3%a9e-au-premier-cycle-de-lenseignement-secondaire">abandonné l’école à ce moment-là</a>.</p>
<p>En milieu rural, ce phénomène est encore plus marqué, car pour les ménages pauvres, il est souvent très compliqué de soutenir le coût d’une longue scolarisation, et les enfants apparaissent comme une potentielle force de travail : il peut sembler plus rationnel de leur apprendre au plus vite un métier manuel plutôt que les envoyer poursuivre leur scolarité. Certes, les classes populaires rurales ne sont pas homogènes : certains parents souhaitent voir leurs enfants poursuivre une bonne scolarité jusqu’à l’université et font leur possible pour cela. C’est toutefois au sein des ménages ruraux pauvres que le décrochage scolaire est le plus marqué.</p>
<p>Dans cet article, j’examine les conditions dans lesquelles les enfants quittent l’école avant la fin du cycle primaire ou dès les premières années du collège dans l’arrondissement rural de Tanvè (dans le sud du Bénin) où je mène des enquêtes de terrain depuis maintenant cinq ans. Comment expliquer que des enfants qui ont régulièrement de bonnes notes à l’école arrêtent leur scolarité pour apprendre un métier ? De quels métiers s’agit-il, comment se passe la formation et quelles sont les perspectives des enfants concernés ?</p>
<h2>Maintenir les enfants à l’école est une décision difficile</h2>
<p><a href="https://books.google.be/books?hl=en&lr=&id=YmkmDwAAQBAJ">Indépendamment du fait qu’ils proviennent d’un milieu très pauvre</a>, certains enfants progressent bien durant leur cursus à l’école primaire, occupant régulièrement un bon rang dans le classement scolaire. Néanmoins, il arrive qu’ils échouent à l’examen national du certificat d’études primaires (CEP), passé à la fin du cycle d’études primaires. Aussi banal qu’il puisse paraître, cet échec peut avoir des répercussions majeures sur la suite de la scolarité.</p>
<p>En effet, dans un contexte de précarité économique, où la finalité de la scolarisation n’est pas nécessairement d’accumuler des diplômes alors <a href="https://www.afrobarometer.org/wp-content/uploads/2022/02/ab_r7_policypaperno59_emploi_au_benin.pdf">qu’ils ne garantissent plus l’accès à un travail salarié</a>, le moindre accroc au parcours scolaire devient un argument pour arrêter l’école.</p>
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<p>On l’observe au sein de ménages vivant de travaux agricoles, dont les revenus sont saisonniers, et donc précaires. Ce contexte ajoute une difficulté au maintien des enfants à l’école, surtout lorsque le nombre d’enfants à charge est élevé. C’est le cas de Sylvain, âgé de 19 ans en 2021 au moment de notre rencontre, deuxième enfant d’une fratrie de neuf et ayant vécu avec ses deux parents agriculteurs au cours de sa scolarisation. Son père se souvient avec fierté des excellents résultats scolaires de son fils, qui a même été le meilleur élève de sa classe de CM2 :</p>
<blockquote>
<p>« On était aux champs, et la nouvelle est arrivée. Ses camarades disaient : c’est Sylvain ! C’est Sylvain le premier de la classe ! Nous, nous n’en savions rien à ce moment-là ; s’ils n’étaient pas venus annoncer cela, on n’aurait pas su que les résultats étaient arrivés. »</p>
</blockquote>
<p>Malgré sa progression tout au long de l’année scolaire, il échoue à l’examen national du CEP. Les redoublements ne sont pas bien accueillis par certains parents, car cela implique un investissement infructueux pour des ménages déjà caractérisés par une certaine précarité. En effet, la mesure de <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20110225-gratuite-ecole-benin">gratuité de l’école primaire mise en place dès 2006</a> n’évite pas aux parents l’ensemble des charges liées à la vie scolaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-numerique-peut-il-reinventer-leducation-de-base-en-afrique-76871">Le numérique peut-il réinventer l’éducation de base en Afrique ?</a>
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<p>C’est ainsi qu’après cette expérience, Sylvain – alors âgé de 13 ans – décide de concert avec son père d’aller en apprentissage de maçonnerie. Cette formation, tout comme de nombreuses autres formations à des métiers manuels, présente l’avantage de permettre aux jeunes de s’émanciper rapidement. En effet, ils reçoivent une rémunération au cours des contrats de construction pour subvenir à leurs besoins quotidiens tandis que, durant les week-ends, ils font des petits boulots de réparation ici et là, grâce aux compétences qu’ils ont acquises, afin de gagner de l’argent pour leur propre compte.</p>
<p>Au moment où je rencontre Sylvain en 2021, il a terminé ses quatre années d’apprentissage et est en attente de son diplôme. La durée relativement courte des formations – entre trois ans et six ans selon le domaine choisi – est l’autre facteur qui motive les décisions liées à l’apprentissage d’un métier manuel. L’investissement est donc moins onéreux et l’entrée sur le marché du travail plus rapide.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="école primaire au Bénin" src="https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C2%2C1381%2C1035&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">École primaire publique de Dékanmey, située dans l’arrondissement rural de Tanvè au Bénin en 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tonaï Guedou</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>S’il est difficile pour les ménages où les deux parents sont présents de maintenir leurs enfants à l’école, cela l’est encore davantage pour les ménages dirigés par une femme seule, car des <a href="https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2004-4-page-41.html">travaux menés sur la pauvreté au Bénin</a> ont montré que le faible niveau d’éducation, le secteur d’activité (informel) et la taille du ménage accroissent le risque de pauvreté des femmes cheffes de ménages en milieu rural.</p>
<p>La mère de Judi se retrouve dans cette situation. C’est une femme d’une quarantaine d’années, qui n’a jamais été scolarisée. Elle est veuve d’un premier mariage. Judi est l’un des enfants de ce premier mariage. Sa mère s’est remariée et a eu trois autres enfants, mais est désormais séparée de son mari. Quatre enfants, dont Judi, vivent avec elle à plein temps, et c’est sur elle que repose leur charge. Elle a une petite activité de fabrication artisanale de fromage de soja, mais peine à joindre les deux bouts.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KWaHVwOBQQE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Malgré ces difficultés familiales, Judi réussit brillamment son CEP à l’âge de 13 ans. Il entame ensuite son année de sixième au collège et obtient à l’issue de cette année une moyenne générale de 14/20. Cependant, il arrête l’école peu après (en 2021) et entame un apprentissage de maçonnerie, comme Sylvain. Pour sa mère, le coût d’une longue scolarisation est insoutenable, d’autant qu’elle n’est pas assurée que son fils trouvera du travail plus tard. La question du financement d’une scolarisation qui se prolonge est un problème crucial pour les femmes cheffes de ménage, dont les ressources ne sont pas conséquentes, et qui ne peuvent pas planifier une telle prise en charge sur une longue durée avec leurs maigres revenus.</p>
<p>L’analyse de ces deux cas montre d’une part que dans ces milieux précarisés, un redoublement peut avoir des conséquences radicales sur la scolarité et, d’autre part, que les longues études sont parfois incompatibles avec les revenus des ménages, alors que la durée relativement courte des apprentissages de métiers manuels les rend plus attractifs. Par ailleurs pour certains jeunes, l’apprentissage est la meilleure option car les connaissances dispensées à l’école sont trop théoriques à leurs yeux.</p>
<h2>À l’école, des connaissances trop théoriques</h2>
<p>L’avantage de l’apprentissage pour les jeunes est qu’il s’agit d’une activité pratique, qui permet de créer et de toucher du doigt ce que l’on fait. Durant l’apprentissage, les jeunes développent une représentation de la réussite sociale qui s’appuie sur une forme de <a href="https://www.persee.fr/docAsPDF/arss_0335-5322_1978_num_24_1_2615.pdf">culture anti-école</a>. Une jeune couturière m’a présenté ainsi les raisons pour lesquelles elle a opté pour l’apprentissage :</p>
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<p>« Quand tu vas à l’école, tu ne sais pas concrètement ce que tu apprends, ni ce que tu vas en faire. Or, quand tu apprends un métier, tu sais où tu en es, et ce que tu es capable de faire. »</p>
</blockquote>
<p>Ce besoin d’acquérir un savoir pratique afin de pouvoir en faire quelque chose immédiatement est largement partagé par les jeunes de ces milieux. Certains sont rapidement invités à travailler avec des équipes de construction d’infrastructures dans le village. Par exemple, plusieurs jeunes maçons et menuisiers locaux ont participé à la construction récente de la deuxième école publique du village. Voir leurs enfants travailler pour le village est un motif de fierté pour les parents, et la source d’un sentiment de réussite et d’accomplissement pour ces jeunes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelles-perspectives-pour-leconomie-africaine-en-2023-198047">Quelles perspectives pour l’économie africaine en 2023 ?</a>
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<p>En somme, les difficultés liées au financement d’une scolarité qui se prolonge, la difficulté à s’approprier des connaissances trop théoriques à l’école et la crainte de reporter le début de l’autonomie produisent une distance par rapport aux <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2001-2-page-5.htm">figures classiques de réussite</a>, au profit d’un apprentissage de métier manuel qui garantit une insertion professionnelle rapide et une autonomie personnelle.</p>
<h2>Avoir un capital scolaire pour apprendre un métier</h2>
<p>Avant d’aller en apprentissage de métier manuel, les jeunes évoqués ci-dessus sont passés par l’école. En effet, l’obligation et la gratuité de l’école primaire, même imparfaitement mise en œuvre, ont largement contribué à augmenter le taux de scolarisation, et même à maintenir les enfants à l’école un peu plus longtemps en fonction des moyens du ménage.</p>
<p>En outre, même si de nombreuses carrières scolaires en milieu rural restent relativement courtes, l’acquisition de quelques notions scolaires est malgré tout valorisée, voire indispensable pour faciliter l’assimilation des connaissances en apprentissage. Il est ainsi devenu important pour les populations rurales de <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-1999-4-page-153.htm">posséder des rudiments scolaires</a> pour, une fois cet apprentissage terminé, pouvoir intégrer un marché du travail très mouvant et ne pas subir un déclassement social et professionnel dans leurs nouvelles professions, où une connaissance élémenentaire du français et des notions de mathématiques peuvent s’avérer bien utiles. In fine, les gains – même maigres – de l’éducation engendrent, pour ceux qui sont dans des professions indépendantes ou informelles, une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S014759670800070X">distinction et une plus-value</a> précieuses.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201490/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tonaï Maryse Guédou a reçu des financements ULB, AUF et ARES </span></em></p>Entre une scolarisation qui se prolonge et l'apprentissage d'un métier, le choix de certains ménages ruraux au Sud du Bénin pour l'avenir de leurs enfants se porte souvent sur la seconde option.Tonaï Maryse Guédou, Doctorante en Sciences Politiques et Sociales, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2030762023-04-04T17:35:31Z2023-04-04T17:35:31ZEn Inde, comment encourager les plus démunis à scolariser leurs enfants ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/518758/original/file-20230331-135-r991l7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=80%2C53%2C1117%2C747&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En Inde, seuls 8 % des jeunes adultes les plus pauvres terminent le deuxième cycle d'études.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/enfants-inde-orphelinat-filles-1144109/">Abigailjthompson/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’accès à l’éducation est l’un des principaux droits humains fondamentaux et un tremplin pour la croissance économique, le bien-être et le développement durable. Pourtant, un jeune adulte sur dix dans le monde (sur <a href="https://unstats.un.org/sdgs/report/2019/The-Sustainable-Development-Goals-Report-2019.pdf">environ un milliard de jeunes adultes</a>) ne possède pas les compétences de base en lecture, en écriture et en calcul.</p>
<p>Il n’est donc pas surprenant que l’éducation et la pauvreté soient étroitement liées. La pauvreté pèse souvent lourdement sur les possibilités et les aspirations des enfants en matière d’éducation. La grande majorité (92 %) des jeunes les plus pauvres d’Afrique subsaharienne, d’Asie centrale et d’Asie du Sud n’ont pas terminé le deuxième cycle de l’enseignement secondaire.</p>
<p>En <a href="https://theconversation.com/topics/inde-23095">Inde</a>, en particulier, seuls <a href="https://www.education-inequalities.org/">8 % des jeunes adultes les plus pauvres</a> terminent ce deuxième cycle. En effet, de nombreux obstacles se dressent sur le chemin des enfants les plus défavorisés lorsqu’il s’agit d’éducation. Ainsi, le manque de sensibilisation des parents, la pression exercée pour que les enfants contribuent aux revenus du ménage ou encore aux tâches quotidiennes contribuent à éloigner la possibilité, pour eux, d’aller au bout de leurs études secondaires. Pourtant, l’éducation reste l’une des méthodes les plus efficaces pour briser le cercle vicieux de la pauvreté.</p>
<h2>Psychologie sociale</h2>
<p>Pour mieux comprendre les raisons de ces obstacles, nous avons mené une étude de terrain dans l’est de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/inde-23095">Inde</a> qui a permis d’éclairer une partie des mécanismes psychologiques relatifs à l’éducation des enfants des ménages du « bas de la pyramide » qui regroupe, selon la Banque mondiale, celles et ceux gagnant entre 1,90 et 3,20 dollars américains par jour. Nous avons axé notre recherche sur la manière dont les campagnes d’informations relatives à l’éducation destinées à ces populations pourraient être rendues plus efficaces à travers le prisme de la <a href="https://www.researchgate.net/publication/358109684_A_bottom_of_pyramid_perspective_on_quality_education_in_the_tropics">théorie des niveaux de représentation</a>.</p>
<p>Il s’agit d’un concept de psychologie sociale selon lequel plus vous percevez un événement à distance, plus cet événement vous semblera abstrait et vous vous concentrerez sur les facteurs de désirabilité de l’événement. En revanche, plus vous percevez un événement de près, plus vous le percevez comme étant concret et vous vous concentrez sur les facteurs de faisabilité de l’événement.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>La distance peut être physique, temporelle, sociale ou psychologique. Par exemple, si vous envisagez de prendre des vacances dans un an, vous aurez des pensées plus abstraites et vous vous concentrerez sur les facteurs de désirabilité tels que la destination ou l’idée du moment de détente que vous passerez. En revanche, si vous devez partir en vacances la semaine prochaine, vous aurez des pensées plus concrètes et vous vous concentrerez sur les facteurs de faisabilité tels que le choix de l’hôtel et le calcul de l’heure à laquelle vous devez quitter votre domicile.</p>
<h2>Un vaste « bas de la pyramide »</h2>
<p>Différents segments peuvent être formés à l’échelle mondiale au sein des personnes et foyers situés dans le <a href="https://www.econbiz.de/Record/segmenting-the-base-of-the-pyramid-rangan-kasturi/10009233225">« bas de la pyramide » des revenus et patrimoines</a>. Par exemple, les plus démunis financièrement (environ 1,4 milliard de personnes) n’ont pas accès à la nourriture, au logement ou à l’eau potable et dépendent principalement de l’aide d’organisations à but non lucratif pour survivre.</p>
<p>Le segment intermédiaire, composé d’environ 1,6 milliard de personnes, dispose généralement d’un revenu instable en tant que travailleur journalier ou temporaire et peut généralement s’offrir un repas par jour. Enfin, les consommateurs les moins démunis – parmi les plus démunis – financièrement (environ 1 milliard de personnes) peuvent avoir des revenus semi-réguliers et s’offrir avec parcimonie quelques biens de consommation tels qu’un téléviseur, un téléphone portable ou une bicyclette.</p>
<p>Au sein de ces ensembles, nous avons considéré que les consommateurs les plus démunis seraient probablement plus réceptifs à une approche abstraite de l’éducation de leurs enfants, telle que l’idéal d’un avenir prospère. En revanche, les consommateurs les moins démunis seraient plus enclins à répondre à une approche plus concrète de l’éducation que pourraient suivre leurs enfants, approche dans laquelle un accès simple et facile à cette éducation est central.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/518995/original/file-20230403-16-an9a8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/518995/original/file-20230403-16-an9a8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518995/original/file-20230403-16-an9a8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518995/original/file-20230403-16-an9a8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518995/original/file-20230403-16-an9a8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518995/original/file-20230403-16-an9a8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518995/original/file-20230403-16-an9a8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518995/original/file-20230403-16-an9a8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Pour vérifier ce postulat, nous avons mené une étude quasi expérimentale sur le terrain dans un village du Bengale occidental, dans l’est de l’Inde. Au cours de nos entretiens en face à face, nous avons montré à nos répondants deux campagnes d’information différentes pour leurs enfants. L’une d’entre elles mettait fortement l’accent sur la désirabilité (« un avenir réussi ») et l’autre sur la faisabilité (« un accès simple et facile à l’éducation »).</p>
<p>Les résultats ont confirmé notre théorie. Les participants les plus démunis financièrement ont davantage apprécié la campagne qui présentait un cadre de désirabilité, attiré par la vision abstraite et lointaine de l’éducation apportant « un avenir prospère » à leur enfant. Les participants moins démunis financièrement ont préféré la campagne qui présentait un cadre de faisabilité, avec une approche plus concrète mettant en avant « un accès plus facile à l’éducation » pour leur enfant.</p>
<h2>Réduire les obstacles à l’éducation</h2>
<p>Dans l’ensemble, cette étude examine les mécanismes psychologiques de l’approche de l’éducation des enfants par les foyers les plus défavorisés et la manière dont nous pouvons utiliser différentes modalités d’information pour encourager l’éducation des enfants. Ce faisant, nous fournissons des suggestions perspicaces pertinentes sur la manière d’améliorer l’efficacité des campagnes d’information des enfants ciblant le segment des populations les plus démunies.</p>
<p>Plus précisément, cette recherche suggère deux points : (1) ces campagnes devraient être adaptées aux populations du « bas de la pyramide » et que ce vaste segment, qui compte 4 milliards de personnes, ne devrait pas être traité comme un tout ; (2) il est essentiel de développer des campagnes d’information de ces populations basées sur une meilleure connaissance de ces consommateurs, qui en constituent le public principal, pour une plus grande efficacité. Dans l’ensemble, des stratégies différenciées et des messages ciblés sont essentiels pour communiquer les avantages de l’éducation des enfants au sein de ces populations.</p>
<p>Ainsi, cette étude peut avoir des implications considérables pour les décideurs politiques, les gouvernements et les organisations à but non lucratif qui s’efforcent de réduire les obstacles à l’éducation, potentiellement globalement, bien que notre étude se limite à une région de l’Inde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203076/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une étude montre que les communications doivent faire preuve de désirabilité en présentant l’éducation comme une clé pour l’avenir.Yenee Kim, Assistant Professor, marketing, EDHEC Business SchoolMalobi Mukherjee, Senior Lecturer, Business, James Cook UniversityReetika Gupta, Associate Professor of Marketing, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1982612023-02-05T16:52:59Z2023-02-05T16:52:59ZDévelopper le réseau de transports en commun bénéficie-t-il vraiment aux plus pauvres ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/505652/original/file-20230120-8209-x09gac.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les gains d’accessibilité liés au développement des transports en commun sont contrés par d'autres dynamiques socio-économiques.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/tmb2610/2470830546/">Tmb2610 / Flickr</a></span></figcaption></figure><p>Décarboner le secteur des transports en France est crucial : <a href="https://www.notre-environnement.gouv.fr/themes/climat/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-et-l-empreinte-carbone-ressources/article/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-du-secteur-des-transports#ressources">c’est le secteur le plus émetteur de CO₂ et le seul dont les émissions n’ont pas baissé depuis 1990</a>.
Cela soulève cependant un enjeu majeur d’équité sociale et territoriale : il existe de profondes disparités, corrélées aux inégalités de revenu, dans les <a href="https://theconversation.com/le-mobiliscope-un-outil-libre-sur-les-rythmes-quotidiens-des-territoires-192204">possibilités d’accès</a> aux lieux d’emplois via des modes de transports décarbonés. Comme l’ont illustré les débats soulevés par l’épisode de pénurie de carburant en octobre 2022, ou le déclenchement du mouvement des « gilets jaunes » en 2018 contre une hausse des taxes sur les carburants, <a href="https://theconversation.com/sur-lile-de-la-reunion-difficile-de-se-passer-de-sa-voiture-en-depit-de-lurgence-climatique-183160">tous les Français n’ont pas la possibilité de se reporter sur les transports en commun</a>. Cela génère d’importantes tensions.</p>
<p>Investir dans les transports en commun, et ainsi permettre à plus de gens de se déplacer <a href="https://theconversation.com/les-autosolistes-sont-ils-prets-a-se-mettre-au-covoiturage-pour-les-trajets-du-quotidien-190863">sans voiture privée</a>, semble être une solution prometteuse pour réduire les inégalités liées aux transports tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Mais, en pratique, les investissements dans les transports en commun bénéficient-ils vraiment majoritairement aux habitants défavorisés ?</p>
<p>Dans un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S096669232200196X">article de recherche publié en janvier 2023</a>, nous analysons l’évolution de l’accessibilité aux emplois en Île-de-France, de 1968 à 2010. L’accessibilité aux emplois est définie ici comme le nombre d’emplois correspondant à ses qualifications (mesurée par la catégorie socioprofessionnelle ou CSP) auxquels chaque habitant de la région Île-de-France a accès en un temps de trajet raisonnable (ici 40 minutes). Cette accessibilité a un impact social majeur : il a par exemple été montré qu’une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0042098009357962">faible accessibilité aux emplois réduisait les chances de trouver un emploi et augmentait la probabilité de chômage de long-terme</a>.</p>
<h2>Des transports conçus pour être équitables</h2>
<p>Les nouvelles lignes de transports en commun sont-elles conçues pour bénéficier équitablement à toutes les CSP ? En nous appuyant sur des données historiques, nous avons reconstitué l’évolution du réseau de transports en commun en Île-de-France entre 1968 et 2010. Nous avons ensuite étudié l’impact de cette extension du réseau sur l’accessibilité aux emplois des différentes CSP.</p>
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<img alt="Gains d’accessibilité (en %) permis par les améliorations successives du réseau de transports en commun d’Ile-de-France (périodes en abscisse) -- par catégorie socioprofessionnelle" src="https://images.theconversation.com/files/505618/original/file-20230120-14-h8gqj0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505618/original/file-20230120-14-h8gqj0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505618/original/file-20230120-14-h8gqj0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505618/original/file-20230120-14-h8gqj0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505618/original/file-20230120-14-h8gqj0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505618/original/file-20230120-14-h8gqj0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505618/original/file-20230120-14-h8gqj0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Gains d’accessibilité (en %) permis par les améliorations successives du réseau de transports en commun d’Ile-de-France (périodes en abscisse) – par catégorie socioprofessionnelle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Liotta & al</span></span>
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<p>Nous analysons d’abord l’impact théorique de ces extensions du réseau de transports en commun, c’est-à-dire leur impact en isolation des autres dynamiques urbaines qui ont pu avoir eu lieu sur la période (changement de la composition des emplois ou déplacement des populations et des emplois, par exemple).</p>
<p>L’ouverture de nouvelles lignes de transports en commun, ou l’extension de lignes existantes, a bénéficié à toutes les CSP de manière quasiment équitable. Sur la période 1975-1982, la construction des RER B et C et l’extension du RER A ont permis d’améliorer grandement l’accès aux emplois de toutes les CSP. La construction des RER D et E, l’extension des RER A, B, et C, et la construction des trams 1 et 2 et du métro 14 ont également permis des gains d’accessibilité importants pour toutes les CSP entre 1990 et 1999.</p>
<h2>Les CSP+ ont le plus gagné en accessibilité</h2>
<p>Sur la période 1968-2010, parallèlement à l’extension du réseau de transports en commun, d’autres dynamiques ont eu lieu : l’aire urbaine s’est étalée, la composition des emplois a changé, et les emplois et les habitants se sont déplacés au sein de l’aire urbaine.</p>
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<img alt="Évolution du nombre d’emplois accessibles en 40 min de trajet, moyenne par catégorie socioprofessionnelle en Ile-de-France. Base 1968" src="https://images.theconversation.com/files/505619/original/file-20230120-24-u06oai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505619/original/file-20230120-24-u06oai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505619/original/file-20230120-24-u06oai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505619/original/file-20230120-24-u06oai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505619/original/file-20230120-24-u06oai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505619/original/file-20230120-24-u06oai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505619/original/file-20230120-24-u06oai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Évolution du nombre d’emplois accessibles en 40 min de trajet, moyenne par catégorie socioprofessionnelle en Ile-de-France. Base 1968.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Liotta & al</span></span>
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<p>Ainsi, si on regarde l’évolution effective de l’accessibilité entre 1968 et 2010, en prenant en compte l’ensemble de ces dynamiques, on voit que ce sont surtout les CSP supérieures (cadres, professions intellectuelles supérieures, artisans, commerçants, chefs d’entreprises) qui ont gagné en accessibilité aux emplois. Le nombre moyen d’emplois accessibles en 40 minutes de trajet pour une personne de cette catégorie, par exemple, a plus que doublé sur la période, alors que le nombre d’emplois accessibles aux ouvriers a diminué de moitié. Comment l’expliquer ?</p>
<p>La dynamique prépondérante ici est le changement de la composition des emplois. Alors que le nombre d’emplois qualifiés en région parisienne a augmenté sur la période, le nombre d’emplois peu qualifiés a stagné ou diminué.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>Ainsi, s’il y a de moins en moins d’ouvriers en Île-de-France, alors, statistiquement, un <a href="https://theconversation.com/le-beau-travail-une-revendication-ouvriere-trop-souvent-oubliee-173446">ouvrier</a> donné aura aussi de moins en moins d’emplois à proximité de son domicile.</p>
<p>La deuxième dynamique importante est le déplacement des emplois et des habitants. Au cours de la période 1968-2010, l’aire urbaine de Paris s’est fortement étalée, et une partie des emplois et des populations s’est déplacée vers les banlieues. Ce phénomène ne s’est pas produit de la même manière pour toutes les CSP : si une large partie des emplois et des populations cadres s’est maintenue dans ou près de Paris intra-muros, ce n’est pas le cas des ouvriers par exemple.</p>
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<img alt="Décomposition des variations d’accessibilité de chaque CSP" src="https://images.theconversation.com/files/505954/original/file-20230123-10548-lq4erj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505954/original/file-20230123-10548-lq4erj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505954/original/file-20230123-10548-lq4erj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505954/original/file-20230123-10548-lq4erj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505954/original/file-20230123-10548-lq4erj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505954/original/file-20230123-10548-lq4erj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505954/original/file-20230123-10548-lq4erj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Décomposition des variations d’accessibilité de chaque CSP.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Liotta & al</span></span>
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<p>En comparaison de ces deux dynamiques, l’extension du réseau de transports en commun a eu un impact faible. Pour les ouvriers par exemple, le changement de la composition des emplois en Île-de-France a réduit leur accessibilité aux emplois de 33 %, alors que l’extension du réseau de transports en commun n’a augmenté leur accessibilité que de 5 %.</p>
<p>L’extension du réseau de transports en commun a également pu contribuer aux dynamiques urbaines que nous venons de mettre en évidence. Par exemple, le fait d’avoir un réseau de transports en commun efficace a pu contribuer à l’attractivité de la région parisienne, et influer sur la composition des emplois. Ou encore, l’extension du réseau de transports a pu contribuer <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-est-grand-temps-de-quitter-les-villes-198141">aux déplacements des habitants</a>. </p>
<p>Par exemple, les bénéfices en termes d’accessibilité de l’extension du réseau de transports en commun ont pu être capturés par les plus qualifiés par un mécanisme de gentrification : dans certaines zones, l’ouverture d’une nouvelle ligne de transports en commun a pu conduire à une hausse des prix des logements. À long terme, seuls les plus riches peuvent se permettre d’habiter dans <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01441647.2019.1649316">ces quartiers bien desservis</a> par les transports en commun, alors que les plus pauvres vont habiter plus loin en banlieue, où les prix des logements sont plus modérés mais les emplois moins accessibles.</p>
<h2>Vers des transports qui bénéficient à tous ?</h2>
<p>Les gains d’accessibilité liés au développement des transports en commun en Île-de-France se sont donc avérés insuffisants pour contrer l’effet des dynamiques socio-économiques (changement de la composition des emplois, étalement urbain, déplacements des emplois et des populations peu qualifiés) à l’œuvre sur la période 1968-2010.</p>
<p>A l’avenir, comment réussir à maintenir l’accessibilité aux emplois des plus modestes ? Maintenir un niveau d’accessibilité aux emplois pour l’ensemble des groupes sociaux nécessite une vision systémique des <a href="https://theconversation.com/gratuite-des-transports-comprendre-un-debat-aux-multiples-enjeux-182796">politiques de transport</a>, d’aménagement, d’emploi et de logement. En particulier, pour éviter que des extensions du réseau de transport en commun ne se traduisent par une gentrification des quartiers rendus accessibles, il est nécessaire de les accompagner de politiques publiques complémentaires, qui peuvent prendre la forme d’une action préventive de maintien de l’emploi peu qualifié ou le développement de logements à loyers modérés dans des zones bien accessibles. Du point de vue des décideurs publics, pouvoir anticiper les dynamiques locales de population et d’emploi à moyen terme est essentiel pour s’assurer que les politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées au transport soient efficaces et équitables.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr">ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198261/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Baptiste Pfeiffer est chef du bureau des études économiques sur la politique du logement au Ministère de la Transition écologique et solidaire.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Charlotte Liotta, Nicolas Coulombel et Vincent Viguié ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Le développement de transports en commun permet-il d’améliorer l’accès aux emplois des plus pauvres ? Des chercheurs de l'Ecole des Ponts-ParisTech ont analysé le cas de l’Ile-de-France.Charlotte Liotta, PhD Student (Economics/Environment), École des Ponts ParisTech (ENPC)Basile Pfeiffer, Doctorant, Université Paris-SaclayNicolas Coulombel, Chercheur en économie des transports, École des Ponts ParisTech (ENPC)Vincent Viguié, Chercheur en économie du changement climatique au Cired, École des Ponts ParisTech (ENPC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1952562022-11-29T18:58:31Z2022-11-29T18:58:31ZComment la société de la consommation génère de nouvelles pratiques solidaires<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/497042/original/file-20221123-16-1y34y1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=61%2C28%2C1050%2C765&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La façon dont s’exprime la solidarité prend aujourd’hui des tournures inédites.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Solidarit%C3%A9.jpg">Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La solidarité semble être devenue un phénomène à la mode. Une recherche rapide sur le web révèle toute une série d’initiatives qui s’en inspirent. Par exemple, plusieurs villes de France sont engagées dans l’organisation de la prochaine édition de la <a href="https://www.paris.fr/pages/nuit-de-la-solidarite-2022-19971">Nuit de la solidarité</a>, une opération pour dénombrer et analyser la situation des sans-abris ; ou dans la <a href="https://www.coursedeslumieres.com/">Course des lumières</a> pour soutenir la recherche contre le cancer ; ou encore la <a href="https://parrainage.refugies.info/">mobilisation nationale pour l’accueil des Ukrainiens</a> qui fuient la guerre.</p>
<p>Si la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/solidarite-20350">solidarité</a> n’est pas un phénomène nouveau, la façon dont elle s’exprime et le rôle que la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/consommation-20873">consommation</a> joue dans son déploiement prennent en revanche des tournures inédites.</p>
<h2>« Caffè sospeso » à la française</h2>
<p>Par exemple, les Restos du cœur permettent à la société française dans son ensemble, depuis leur lancement en 1985, d’exprimer le sentiment de solidarité envers ceux dans le besoin à travers l’aide alimentaire. Dans la même lignée, un autre phénomène, moins institutionnalisé mais pourtant non moins diffusé, semble s’installer dans l’Hexagone depuis quelque temps : celui de la baguette et de la pizza « suspendue ».</p>
<p>Ce phénomène s’inspire de celui du « caffè sospeso », ou « café suspendu », une pratique solidaire importée d’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/italie-22616">Italie</a> : dans un bar, on paye deux cafés, un pour soi, l’autre pour une personne dans le besoin. En France, cette pratique trouve aujourd’hui sa déclinaison dans d’autres biens de consommation liés à la culture française <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/oise/compiegne/compiegne-apres-cafes-suspendus-pizzas-suspendues-1573726.html">comme la pizza et la baguette</a>.</p>
<p>Comment expliquer la diffusion grandissante de ces nouvelles pratiques solidaires ? Et, de façon plus générale, comment la solidarité a-t-elle changé dans nos sociétés contemporaines dites de consommation ?</p>
<h2>Deux types de solidarité</h2>
<p>Pour Émile Durkheim, père de la sociologie (avec Max Weber) et pionnier de la recherche sur la solidarité, les sociétés humaines, tout au long de leur histoire, ont développé deux formes de solidarité : la <a href="https://www.education-populaire.fr/solidarite-mecanique-organique/">solidarité mécanique et la solidarité organique</a>.</p>
<p>La solidarité mécanique est propre à toutes les sociétés préindustrielles. Elle repose sur un principe de <em>ressemblance</em> et aide les individus à s’intégrer dans le même groupe, à développer une cohésion sociale et à différencier leur groupe de celui des autres (le Tiers État, le clergé, etc.).</p>
<p>Dans la recherche en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/marketing-21665">marketing</a> et sur la consommation, la solidarité mécanique est souvent associée à tout collectif qui s’apparente aux <a href="https://academic.oup.com/jcr/article-abstract/27/4/412/1810411">communautés de marque</a>, aux sous-cultures de consommation ou aux tribus de consommateurs.</p>
<p>Au contraire, la solidarité organique, typique de nos sociétés modernes, fait référence à la <em>différenciation</em> en termes de rôle et de statuts des individus. Cette forme de solidarité aide les différentes parties de ces sociétés complexes – organes, groupes ou fonctions – à se coordonner les unes avec les autres. Selon Durkheim, dans les sociétés modernes, les différentes parties (« organes », tels que les individus, les entités économiques, l’État, etc.) partagent des relations étroites car elles remplissent des fonctions différentes et ne sont pas facilement séparables.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ppFhZiZGEFo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Solidarité organique et solidarité mécanique (Les SES en vidéo, 2019).</span></figcaption>
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<p>Étonnement, les études en marketing et consommation se sont peu penchées sur le rôle que la consommation joue aujourd’hui dans le déploiement de la solidarité organique. Ceci, malgré l’essor des réseaux sociaux et des plates-formes digitales qui soutiennent plus que jamais la toile de relations que tissent ensemble des entités différentes.</p>
<h2>Une solidarité « entraînée »</h2>
<p>C’est sur ce point précis que notre récente <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/14705931221137730">étude</a> a permis d’éclairer comment la consommation influence les manifestations de solidarité qui émergent à plusieurs niveaux et à différentes échelles dans la société actuelle.</p>
<p>Nous avons utilisé comme cadre d’analyse la pratique du suspendu (telle que décrite ci-dessus) dans le contexte italien où, pendant la période de distanciation sociale du Covid-19, elle a évolué donnant naissance au projet <a href="https://lab00.org/index.php/cause/spesasospesa/">Spesasospesa.org</a>. Cette initiative regroupe un vaste réseau d’entreprises, d’organisations non gouvernementales (ONG), de célébrités, d’institutions, de professionnels, de consommateurs et d’autres acteurs. Leur objectif : soutenir les familles dans le besoin en optimisant le flux de biens et de services entre producteurs et distributeurs et en rendant ces biens accessibles à moindre coût, ou même gratuitement.</p>
<p>Notre étude apporte deux résultats majeurs. Tout d’abord, la solidarité n’est pas un trait naturel de tous les groupes sociaux, mais plutôt une force qui permet la formation de ces mêmes groupes. En effet, la recherche en marketing et consommation a décrit la solidarité comme une <a href="https://academic.oup.com/jcr/article/48/2/289/6146404">caractéristique intrinsèque à tous les groupes sociaux</a>.</p>
<p>Cependant, notre étude montre comment la solidarité agit plutôt comme une force capable de tisser des liens entre individus, objets et institutions précédemment déconnectés les uns des autres. Ainsi, notre recherche pointe une zone grise dans la formation de la socialité, un espace social qui se trouve entre ce que l’anthropologue britannique Victor Turner appelait « <a href="https://www.britannica.com/topic/rite-of-passage/Victor-Turner-and-anti-structure">l’anti-structure</a> » (l’ensemble des individualités déconnectées) et la structure (groupes sociaux bien formés et organisés).</p>
<p>C’est dans cet espace, dit « proto-structure », qu’une forme de solidarité toute particulière qu’on définit comme « entrainée » agit pour littéralement coller ensemble des entités dispersées dans un réseau de relations sociales structurées.</p>
<p>Ensuite, contrairement aux solidarités mécanique et organique, la solidarité entrainée émerge grâce à l’action d’un (ou plusieurs) attracteur, c’est-à-dire, un acteur (tels que des entrepreneurs, des célébrités médiatiques, etc.) capable d’entrainer un réseau de plus en plus large d’acteurs et d’entités autour d’un projet commun.</p>
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<p>Deuxième enseignement de notre étude : la consommation joue un rôle majeur dans l’émergence de cette forme particulière de solidarité. Comme la pratique du « suspendu » le montre bien, c’est la circulation de biens de consommation tels que la pizza, la baguette ou autres produits de consommation courante qui constitue et nourrit les relations entre individus. Ainsi, la solidarité entrainée permet de mieux comprendre comment, dans les sociétés postindustrielles, à mesure que l’autonomie des individus grandit, le besoin de solidarité et d’entraide grandit également.</p>
<h2>Une opposition à l’individualisme</h2>
<p>De manière plus générale, les études antérieures en marketing et consommation ont déjà mis l’accent sur la relation entre consommation et solidarité. Par exemple, le sentiment de solidarité a favorisé <a href="https://academic.oup.com/jcr/article-abstract/33/2/283/1849582">l’émergence des sous-cultures de consommation</a> (des fans de Napster à ceux de Harley-Davidson) en opposition à l’individualisme promu par les sociétés capitalistes.</p>
<p>De même, <a href="https://academic.oup.com/jcr/article/48/2/289/6146404">l’esprit solidaire des citoyens grecs</a> les plus engagés a permis aux mouvements anti-consommation et anticapitalistes de survivre malgré les durs effets de la crise économique qui a frappé le pays par le passé. Toutefois, notre étude montre comme la solidarité entrainée favorise l’émergence de nouveaux réseaux sociaux d’entraide surtout dans des moments de fortes crises économiques et sociales, et à l’aide d’un ou plusieurs attracteurs qui la déclenchent.</p>
<p>De ce fait, il est important pour les acteurs institutionnels ainsi que pour les organisations engagées de savoir détecter les attracteurs qui seront à l’origine de la solidarité entrainée, car ils sont la clé pour comprendre, favoriser et améliorer toutes les initiatives solidaires plus à même de résonner avec le contexte culturel de la société concernée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195256/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’aide aux démunis passe de plus en plus par la fourniture de produits de consommation courante. Son succès, en outre, repose sur la capacité d’un acteur à en entrainer d’autres.Gregorio Fuschillo, Professeur Associé de marketing, Kedge Business SchoolSimona D’Antone, Professeure associée de marketing , Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1943642022-11-24T22:28:25Z2022-11-24T22:28:25ZHaïti : État en faillite ou État en retrait ?<p>Le 25 septembre 2022, un cadre du ministère haïtien de l’Éducation <a href="https://rezonodwes.com/?p=291184">a été enlevé</a> du côté de Delmas (département de l’Ouest). Un mois plus tard, ce fut le tour d’un <a href="https://rezonodwes.com/?p=294866">ancien ministre de la Planification</a>. Ces deux événements ne sont pas isolés, loin de là.</p>
<p>Le kidnapping est devenu un <a href="https://www.connectas.org/especiales/violencia-secuestro-en-haiti/fr/">phénomène fréquent dans le pays</a>. Partout, les gangs gagnent du terrain, notamment dans le département de l’Ouest, où la <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/sep/18/haiti-violence-gang-rule-port-au-prince">grande criminalité</a> ainsi que la violence sous toutes ses formes sont à leur paroxysme et font quotidiennement des victimes, au premier rang desquelles les <a href="https://www.cetri.be/Haiti-%C3%89tat-des-gangs-dans-un-pays">femmes et les enfants</a>. La société est en miettes et <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/country/haiti/overview">l’extrême pauvreté</a> ne cesse de progresser.</p>
<p>Haïti est en proie à une <a href="https://onu.delegfrance.org/haiti-traverse-aujourd-hui-une-crise-tres-grave">crise totale et multiforme</a> (sociale, politique, humanitaire mais aussi symbolique), à tel point que le socio-géographe Jean-Marie Théodat qualifie le pays de <a href="https://www.jstor.org/stable/48631257">véritable « trou noir » dans la Caraïbe</a>.</p>
<p>Comment expliquer une telle descente aux enfers ? Serait-ce la résultante de l’effondrement d’un État en faillite, devenu incapable d’assumer ses fonctions régaliennes ? Ne faudrait-il pas plutôt y voir la conséquence de l’attitude d’indifférence et de retrait adoptée par un État uniquement désireux de garder par-devers soi les maigres ressources disponibles et de capter la rente issue de l’aide internationale ainsi que des transferts effectués par les <a href="https://docplayer.fr/113647923-La-raison-rentiere-monde-et-societe-alain-gilles.html">communautés diasporiques</a> ?</p>
<h2>Comment qualifier l’État haïtien ?</h2>
<p><a href="https://journals.openedition.org/cal/3093?lang=pt">« État failli »</a>, <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/letat-haitien-situation-de-faillite-economique-politique-env/00100219">« État en faillite »</a>, <a href="https://transparans.net/actualites/martisant-miroir-dun-etat-en-defaillance-totale/">« État en défaillance »</a>, telles sont – entre autres – les expressions utilisées dans les domaines du développement et de la géopolitique internationale pour qualifier l’État haïtien.</p>
<p>Les auteurs mobilisant ces cadres conceptuels s’accordent au moins sur un ensemble de caractéristiques pour définir ce type d’État : absence quasi totale de services publics, perte de contrôle du territoire, corruption généralisée. À la vérité, il ne vendrait à personne l’idée de remettre en cause le constat selon lequel l’État haïtien ne parvient pas à exercer le monopole de la violence légitime, pas plus qu’il ne réussit à s’imposer comme seul principe d’organisation du corps social sur tout le territoire national.</p>
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<p>Force est de constater toutefois que ces concepts ne sont opératoires que dans le cadre d’une approche normative de l’État, laquelle consiste à définir l’État à partir de ce qu’il devrait être, à lui attribuer des fonctions a priori, telles assurer des prérogatives internes, des fonctions de base comme la sécurité intérieure et extérieure. Une telle approche – bien que permettant de construire des indices et des classements internationaux – s’interdit de saisir les <a href="https://doi.org/10.4000/cal.3131">transformations de l’État haïtien</a> et d’avoir une compréhension nuancée de la fragilité de celui-ci.</p>
<h2>Un gouvernement humanitaire parallèle</h2>
<p>Trois facteurs expliquent, selon nous, l’attitude de retrait de l’État haïtien et, corrélativement, son manque de volonté politique.</p>
<p>D’abord, l’application, à la fin des années 1980, des plans néolibéraux qui ont contribué au démantèlement des principaux services publics stratégiques. Ce processus de privatisation s’est fait au <a href="http://www.cadtm.org/Construire-ou-reconstruire-Haiti,6647">« détriment de l’État et de l’intérêt général »</a> et c’est suite à cela que l’État, en train de s’atomiser et de se désinstitutionnaliser, commence à adopter une attitude de retrait pour mieux tirer profit de sa collusion – au détriment des masses pauperisées – avec les sociétés transnationales, telles, entre autres la société United Parcel Service (UPS), la société transnationale Monsanto, la société financière internationale (branche du groupe Banque mondiale). Le détricotage progressif des secteurs stratégiques du service public par les Plans de réajustement structurels induit en même temps des transformations et de nouveaux rapports à l’État, celui-ci fonctionnant selon la raison rentière, pour reprendre la notion du sociologue Alain Gilles.</p>
<p>Ensuite, la montée en puissance, à partir des années 1990, d’un <a href="https://doi.org/10.4000/cal.3090">« gouvernement humanitaire parallèle »</a> pousse l’État à se tenir de plus en plus en retrait par rapport à moult décisions qui devraient pourtant relever de la souveraineté nationale. Ainsi, malgré les efforts qui ont été déployés, au cours des années 1980, pour contrôler leur installation, les ONG ont fini par s’implanter comme de véritables <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/PIERREETIENNE_Sauveur/Haiti_invasion_ONG/Haiti_invasion_ONG.html">« États dans l’État »</a>. </p>
<p>En témoigne la pléthore d’ONG qui se sont implantées suite au séisme de janvier 2010, souvent à l’insu de l’État et dont certaines(par exemple l’ONG confessionnelle américaine Samarithan’s Purse), étant donné les moyens dont elles disposent, sont <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2011/01/WARGNY/20059">plus puissantes que l’État lui-même</a>. Ce « système d’action publique transnationalisé » a eu de nombreuses conséquences parmi lesquelles la recomposition de l’institution étatique et, par conséquent, une nouvelle forme de gouvernementalité.</p>
<p>Enfin, les liaisons de l’État avec les gangs depuis la fin des années 1990 – liaisons qui sont devenues de plus en plus intenses et visibles. L’exemple le plus emblématique à ce jour reste l’alliance (bien documentée) passée entre la Police nationale et la <a href="https://insightcrime.org/caribbean-organized-crime-news/g9-family-profile/">fédération de gangs « G9 en famille et alliés »</a> dans l’objectif de combattre un autre gang appelé <a href="https://www.ofpra.gouv.fr/sites/default/files/atoms/files/2109_hti_gang_400_mawozo_154025_web.pdf">« 400 Mawozo »</a> (en créole « mauvais garçons ne s’intéressant pas aux femmes »).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1591131664499245057"}"></div></p>
<p>Loin d’être une preuve de sa faiblesse ou de son absence, ces liaisons traduisent les transformations profondes d’un État patrimonial qui, après avoir atteint <a href="https://journals.openedition.org/plc/569">son paroxysme</a>, en vient à se mettre en repli sous l’effet d’une multitude d’individualités égocentriques (nantis, parlementaires, politiciens, acteurs transnationaux).</p>
<p>Celles-ci se livrent à des luttes de factions politico-économiques et constituent le plus souvent de véritables micro-États dans l’État. Plus qu’un déficit d’État, il faut y voir une forme de <a href="https://www.cairn.info/milieux-criminels-et-pouvoirs-politiques--9782811100179-page-127.htm">Shadow State</a> (au sens de William Reno), qui se résume à des jeux d’acteurs, des rivalités économiques inter-individuelles (politiciens, entrepreneurs, intermédiaires de tout poil) sur fond de violence et de grande criminalité, comme le montre l’analyse du dessous du <a href="https://lenouvelliste.com/article/238148/laboule-12-les-dessous-dun-conflit-sanglant">conflit sanglant</a> survenu du côté de Laboule 12 (Commune de Petion-Ville).</p>
<p>Dans une telle configuration, par le truchement d’une hybridation du formel et de l’informel, du licite et de l’illicite, l’État recourt de plus en plus à la <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-1998-4-page-151.htm">décharge</a> c’est-à-dire qu’il intervient par procuration, notamment dans les quartiers populaires, en déléguant aux bandits les basses besognes afin de ne pas avoir à répondre de ses actes. Le <a href="https://haitiantimes.com/2020/12/11/us-cherizier-two-ex-government-officials-sanctioned-for-plotting-la-saline-massacre/">massacre perpétré en novembre 2018 à La Saline</a> (commune de Port-au-Prince) est une illustration criante de cette stratégie d’intervention par proxy.</p>
<h2>Retrait de l’État ou État en retrait ?</h2>
<p>Examiner l’État du point de vue de son attitude permet de mieux comprendre le laisser-aller qui est le sien vis-à-vis de la société et de produire une lecture plus nuancée de sa « défaillance ».</p>
<p>Son attitude de retrait et d’indifférence, qui trouve son principe d’explication dans la mise en place d’un gouvernement transnational parallèle <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1846080/haiti-ambassades-core-group-democratie-gouvernement">(Banque mondiale, FMI, ONG, Core Group)</a> et la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2012-1-page-3.htm">redéfinition de la place de l’État dans l’action publique</a> n’est, du moins dans de nombreux cas, qu’une posture adoptée pour faire croire, selon les enjeux du moment, à sa faiblesse structurelle.</p>
<p>Car l’État sait faire preuve d’une grande capacité de négociation lorsque ses intérêts, notamment économiques, sont en jeu comme on a pu le constater dans le cas du projet du <a href="https://journals.openedition.org/cal/3131#ftn1">Parc industriel de Caracol</a> dans le département du Nord-Est, ce fameux projet financé par la Banque interaméricaine de développement (BID) à hauteur de 224 millions de dollars américains et qui devait faire d’Haïti le Taïwan de la Caraïbe.</p>
<p>Si l’État reste en retrait, c’est que l’intérêt général n’est plus sa priorité et qu’il n’a plus intérêt à se penser comme principe organisateur du monde social, même s’il lui arrive, par moments, de mobiliser des stratégies rhétoriques pour faire croire à sa neutralité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194364/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lukinson Jean ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’État haïtien, souvent présenté comme étant failli, voire inexistant, dispose en réalité de certaines capacités… qu’il n’emploie guère pour promouvoir l’intérêt général.Lukinson Jean, PhD in Social Sciences, GReSCo, Université de Limoges, LADIREP, Professor at the State University of Haiti, Université de LimogesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1871992022-07-25T19:54:55Z2022-07-25T19:54:55ZPour éviter la discrimination, les consommateurs brésiliens à faible revenu préfèrent payer plus pour un même produit<p>Depuis de nombreuses années, la recherche montre que les consommateurs à faibles revenus ont tendance à être plus sensibles aux prix que leurs homologues à revenus élevés. Cette sensibilité désigne le poids que nous accordons au prix par rapport à d’autres attributs lorsque nous formons des impressions sur les produits et services et que nous prenons des décisions d’achat. On peut dire que c’est le degré auquel le prix détermine la propension d’un client à acheter votre produit ou votre service.</p>
<p>Cette sensibilité plus forte chez les moins aisés s’explique par différentes raisons et dans diverses circonstances. La rareté financière rend les personnes défavorisées plus conscientes des prix, plus sensibles aux remises et plus préoccupées par le prix de toute expérience de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/consommation-20873">consommation</a>. Pour cette raison, les consommateurs à faible revenu finissent par se rappeler les prix des produits avec plus de précision et sont moins sensibles aux effets du contexte du magasin. Seuls des coûts élevés et une capacité de stockage limitée peuvent entraver la capacité des consommateurs à faible revenu à exercer leur forte sensibilité aux prix.</p>
<p>Cependant, les mégapoles du monde entier (par exemple, Rio de Janeiro, New York, Paris, Madrid, Mexico, Johannesburg, par exemple) combinent deux éléments uniques : une forte densité de population et des disparités économiques importantes. Cette combinaison pose des défis uniques aux consommateurs à faible revenu. Souvent marqués par la stigmatisation et la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/discrimination-21598">discrimination</a>, ils doivent non seulement faire face aux défis financiers inhérents à la pauvreté, mais aussi développer des stratégies pour naviguer dans les interactions avec les consommateurs plus aisés.</p>
<h2>« Taxe psychologique du ghetto »</h2>
<p>Dans une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/00222437221097100">recherche</a> récemment publiée dans des plus importantes revues internationales sur le comportement des consommateurs, nous révélons notamment que la peur de la discrimination pousse ceux à faible revenu à préférer faire leurs achats dans des magasins avec des consommateurs de la même classe sociale, même s’ils doivent payer plus cher.</p>
<p>Ainsi, la discrimination perçue basée sur le revenu constitue une « taxe psychologique du ghetto », qui peut également réduire la sensibilité aux prix chez les consommateurs à faible revenu. Par conséquent, cela montre que les consommateurs à faible revenu ne sont pas seulement sensibles à l’argent ; ils sont également particulièrement sensibles aux signaux du marché qui signalent une discrimination potentielle.</p>
<p>Pour comprendre ce phénomène, notre recherche a mobilisé cinq études à Rio de Janeiro au <a href="https://theconversation.com/fr/topics/bresil-23640">Brésil</a>, ville caractérisée de fortes <a href="https://theconversation.com/fr/topics/inegalites-sociales-53084">inégalités sociales</a>, pour évaluer dans quelle mesure les consommateurs à faible étaient prêts à renoncer à des opportunités d’achat financièrement avantageuses dans des environnements commerciaux haut de gamme.</p>
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<p>Ces études, menées par l’IÉSEG School of Management en partenariat avec FGV EBAPE, révèle en effet que les consommateurs à faibles revenus préfèrent effectuer leurs achats dans des environnements où se rendent d’autres <a href="https://theconversation.com/fr/topics/consommateurs-33275">consommateurs</a> d’un statut social équivalent. Cet effet est dû aux attentes élevées de discrimination des consommateurs à faible revenu dans des environnements commerciaux plus sophistiqués, une préoccupation pratiquement inexistante chez les consommateurs aisés.</p>
<p>Autrement dit, les consommateurs à faibles revenus préfèrent effectuer leurs achats dans des magasins où ils n’anticipent pas de sentiments de discrimination, même s’ils doivent payer plus cher pour cela. Et les consommateurs plus aisés, quant à eux, finissent par acheter le même produit dans l’endroit le moins cher, puisqu’ils ne prévoient pas la possibilité d’une discrimination, quel que soit l’environnement d’achat.</p>
<h2>Une situation contournable</h2>
<p>Par exemple, dans l’une des études, les chercheurs ont donné une somme d’argent fixe aux résidents des favelas de Rio de Janeiro à faibles revenus pour qu’ils achètent une paire de tongs et ils pouvaient garder la monnaie. Les chercheurs ont leur avons proposé deux options : soit acheter des tongs plus cher dans un kiosque à journaux dans la rue devant un centre commercial haut de gamme pour la valeur presque totale de l’argent qu’ils ont reçu, soit les acheter pour un coût beaucoup moins élevé dans un magasin de ce centre commercial et garder la monnaie.</p>
<p>Le résultat : dans leur grande majorité, les consommateurs à faibles revenus ont préféré éviter d’entrer dans le magasin du centre commercial haut de gamme, même s’ils avaient été informés qu’ils pouvaient y trouver un prix plus bas. Le même schéma ne s’est pas produit pour les participants qui avaient été informés que le centre commercial n’était pas haut de gamme.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-microcredit-un-soutien-decisif-a-lentrepreneuriat-au-bresil-185429">Le microcrédit, un soutien décisif à l’entrepreneuriat au Brésil</a>
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<p>Cependant, cette recherche adresse un message clair aux entreprises et aux détaillants : ils perdent un grand nombre de consommateurs importants simplement parce que leurs magasins et leur service client pourraient rappeler l’idée que leurs magasins ne sont pas faits pour tous les consommateurs, quel que soit leur niveau de revenu.</p>
<p>Elle montre aussi qu’il est possible de contourner cette situation : en mettant l’accent sur les valeurs liées à l’égalité de traitement de tous les consommateurs et/ou à l’appréciation de la diversité, il est possible de réduire les craintes de discrimination chez les consommateurs à faible revenu, qui se sentent alors plus à l’aise pour effectuer des achats dans des environnements commerciaux traditionnellement considérés comme ciblant uniquement les consommateurs plus aisés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187199/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs de la recherche ont révélé avoir reçu le soutien financier suivant pour la recherche : Coordination de l'amélioration de
Personnel de l'enseignement supérieur - Brésil (CAPES)</span></em></p>Une série d’études menées à Rio de Janeiro montrent les plus défavorisés préfèrent effectuer leurs achats dans les lieux fréquentés par des clients de la même classe sociale, quitte à payer plus.Jorge Jacob, Professor of Behavioral Sciences, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1860942022-06-30T17:00:40Z2022-06-30T17:00:40ZBurundi, soixante ans après l’indépendance : un pays en paix… et en crise<p>Le Burundi, qui célèbre ce 1<sup>er</sup> juillet les 60 ans de son indépendance, est le <a href="https://fr.statista.com/statistiques/917055/pays-les-plus-pauvres-monde/">pays le plus pauvre de la planète</a> en termes de PIB par habitant. Ce triste constat doit se comprendre au regard d’une histoire jalonnée de nombreux événements dramatiques. Jusqu’en 1996, le pays a vécu au rythme des coups d’État, massacres, assassinats politiques… avant de plonger dans une longue guerre civile. La paix est progressivement rétablie en 2003. Pour autant, il renoue avec une gouvernance autoritaire en 2015.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/heurs-et-malheurs-du-modele-burundais-53279">Heurs et malheurs du « modèle burundais »</a>
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<p>Depuis, l’ONU note des progrès mais continue de dénoncer les violences politiques qui gangrènent le pays. Comment le Burundi en est-il arrivé là et pourquoi son sort ne s’améliore-t-il pas ?</p>
<h2>Installer des autorités capables d’instaurer la paix : les élections de 2005</h2>
<p>En 2005, après 25 ans de régimes militaires pro-tutsis (à cette date, les deux principales ethnies du pays : les Hutus et les Tutsis, comptaient respectivement pour 85 % et 14 % de la population) et dix années de guerre civile, les électeurs voulaient la paix et portaient à la présidence <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/burundi-le-president-pierre-nkurunziza-est-mort-gouvernement-362581">Pierre Nkurunziza</a>, le chef du Conseil National de Défense de la Démocratie – Forces pour la Défense de la Démocratie (CNDD-FDD), le plus puissant mouvement de la rébellion hutue, capable de s’imposer aussi bien vis-à-vis de l’armée régulière, les Forces armées burundaises (FAB), que des ex-rébellions du camp hutu.</p>
<p>La position de force du CNDD-FDD (branche armée dissidente du CNDD, qui avait accepté de signer un cessez-le-feu avec le pouvoir en place en 1998) n’en était pas pour autant assurée. Sa primauté devait être validée électoralement alors que le processus de négociation entre partis politiques et d’<a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/bi2005.htm">élaboration du cadre constitutionnel</a> avait été conduit sans sa participation.</p>
<p>Suivent cinq années de décantation politique au cours desquelles le CNDD-FDD parachève son implantation nationale.</p>
<h2>Conforter la paix retrouvée et la stabilité du cadre politique : les élections de 2010</h2>
<p>Face à une opposition divisée, les candidats locaux du CNDD-FDD et la personnalité charismatique du président sortant bénéficient d’un soutien massif des populations rurales. L’aspiration à la stabilité est d’autant plus forte que, pour la première fois dans l’histoire du pays, les électeurs sont appelés à voter au terme normal d’une échéance électorale.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/471854/original/file-20220630-12-dn9e3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/471854/original/file-20220630-12-dn9e3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/471854/original/file-20220630-12-dn9e3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/471854/original/file-20220630-12-dn9e3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/471854/original/file-20220630-12-dn9e3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/471854/original/file-20220630-12-dn9e3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/471854/original/file-20220630-12-dn9e3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le président Pierre Nkurunziza en campagne électorale.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Mais au-delà du réalisme, la forte participation électorale et les scores obtenus par le CNDD-FDD expriment un réel satisfecit envers un parti qui a su apaiser les divisions ethniques et a réussi l’intégration des forces armées, désormais sous contrôle de l’exécutif. Cette « réconciliation » nationale, notamment vis-à-vis d’une armée qui ne fait plus « peur à la population », a été le facteur déterminant de la victoire du CNDD-FDD.</p>
<p>Disposant des pleins pouvoirs aux divers échelons de la représentation nationale, sa direction s’engagea immédiatement dans la campagne électorale pour 2015. La priorité absolue accordée à la gestion des problèmes locaux, au renforcement de l’encadrement des populations, la structuration et la mobilisation permanente des militants et cadres du parti sont à la mesure de l’objectif : conserver durablement la totalité des pouvoirs.</p>
<h2>Le coup de force du « troisième mandat » de Pierre Nkurunziza : les élections de 2015</h2>
<p>Ayant réussi, en dix ans d’exercice, à concentrer entre ses mains les outils et ressources du pouvoir et instauré un parti unique <em>de facto</em> doté d’une jeunesse milicienne chargée de l’encadrement de proximité des populations et de la neutralisation de toute opposition organisée, il paraît alors insupportable au président d’avoir à renoncer à ses prérogatives.</p>
<p>Le 25 avril 2015, après la confirmation par le parti de la candidature du président sortant, la contestation populaire est immédiate et se renforce malgré la mobilisation policière. Le <a href="https://www.refworld.org/docid/568fc3064.html">putsch militaire manqué du 13 mai</a>, suivi d’une violente répression, met à nu les fractures au sein des forces armées. La génération de la liberté d’expression et des médias indépendants, qui aspire à la démocratie sans l’avoir vraiment expérimentée, est soumise.</p>
<p>En juillet, au terme d’élections « <a href="https://news.un.org/fr/story/2015/07/315472-burundi-lonu-estime-que-lenvironnement-general-netait-pas-propice-des-elections">ni libres, ni crédibles</a> » selon l’ONU, le CNDD-FDD dépasse la majorité des deux tiers à l’Assemblée nationale, qui est le pourcentage nécessaire pour s’émanciper des contraintes constitutionnelles et des <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2000-4-page-136.htm">accords d’Arusha</a> afin de reconduire le président à la tête de l’État.</p>
<h2>Le sauve-qui-peut électoral de 2020</h2>
<p>Outre la répression des opposants, les tensions économiques s’aggravent : croissance en berne, fuite des capitaux, absence d’entretien des infrastructures, pillage des ressources publiques et forte réduction des prestations sociales dissuadent les aides internationales.</p>
<p>Au terme de son troisième mandat, les dirigeants du CNDD-FDD poussent vers la sortie « l’éternel guide suprême » devenu « imprésentable ». Ils font élire en mai 2020, suite à une élection contestée, le général Évariste Ndayishimiye, un <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/burundi-qui-est-evariste-ndayishimiye-candidat-du-systeme-cndd-fdd-343510">homme de synthèse avisé et en retrait</a>. Nkurunziza décède peu après.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/burundi-le-lourd-bilan-de-pierre-nkurunziza-140484">Burundi : le lourd bilan de Pierre Nkurunziza</a>
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<p>Alors que le parti-État contrôle tous les pouvoirs et ressources, régule la vie quotidienne des citoyens et n’a plus d’« ennemi » intérieur hors de son contrôle, le <a href="https://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2021/07/DL193-Monde-3.-Le-Burundi-sous-Ndayishimiye-une-page-qui-se-tourne.pdf">bilan des trois mandats</a> de gouvernance CNDD-FDD est catastrophique. L’impuissance gestionnaire et la déshérence économique atteignent des niveaux inégalés à l’échelle régionale et internationale.</p>
<h2>Faillite économique, contraintes structurelles et aspirations démocratiques</h2>
<p>Il ne s’agit pas là d’un épiphénomène passager puisque le PIB, déjà très bas aux débuts des années 1990, ne cesse de baisser après les années 1993-1994 puis la guerre civile. Au plus bas en 2005, il repart à la hausse de 2005 à 2014, puis ne cesse de baisser depuis la crise de 2015. Au deuxième rang des pays les plus pauvres du monde en 2013 et 2014, le Burundi accède au premier rang en 2015 et s’y maintient depuis lors. Parallèlement, la <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/dt.tds.dect.gn.zs?locations=BI">dette publique</a> progresse et le déficit des comptes publics se creuse. Une timide reprise de la croissance prévaut néanmoins en 2021.</p>
<p><a href="https://hdr.undp.org/sites/all/themes/hdr_theme/country-notes/fr/BDI.pdf">L’indice du développement humain</a> du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) qui inclut les critères de longévité, d’éducation et d’inégalités atteste lui aussi la dégradation impressionnante du pays : 138<sup>e</sup> rang mondial sur 189 pays en 1995, 169<sup>e</sup> en 2000, 182<sup>e</sup> en 2005, 180<sup>e</sup> en 2010 et 2015, 185<sup>e</sup> en 2019 et 2020.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/471856/original/file-20220630-16-6cbfza.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/471856/original/file-20220630-16-6cbfza.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/471856/original/file-20220630-16-6cbfza.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/471856/original/file-20220630-16-6cbfza.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=355&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/471856/original/file-20220630-16-6cbfza.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/471856/original/file-20220630-16-6cbfza.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/471856/original/file-20220630-16-6cbfza.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=446&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Plantations de thé au Burundi.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ainsi, dans quasiment tous les domaines économiques et sociaux, les performances burundaises sont parmi les plus basses de la planète, sans que nulle <a href="https://iwacu.global.ssl.fastly.net/une-annee-du-president-ndayishimiye-un-bilan-economique-indolent/">contrainte</a> inédite ne puisse être invoquée. Au contraire, prenant le pas depuis 2012 sur les exportations traditionnelles de café et de thé, l’or et plus récemment les terres rares (<a href="https://www.agenceecofin.com/terres-rares/1303-64633-burundi-rainbow-rare-earths-veut-devenir-un-fournisseur-strategique-cle-pour-le-marche-des-terres-rares">2019</a> – <a href="https://afrique.lalibre.be/66040/burundi-rdcongo-droits-de-lhomme-lambassadeur-americain-roule-pour-les-terres-rares/">2022</a>) sont parmi les <a href="https://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Burundi">premiers postes d’exportations du pays</a>.</p>
<p>Potentiellement porteurs, mais fatals pour les agriculteurs aux terres dévastées, il est toutefois difficile, voire impossible, d’évaluer précisément les dividendes retirés du secteur minier, en raison de <a href="http://documents1.worldbank.org/curated/en/563321468184727489/pdf/103086-WP-P145997-Box394854B-PUBLIC-Burundi-English-1607197-Web.pdf">l’absence globale de transparence</a> et de la complexité des arrangements entre les multiples partenaires nationaux et internationaux.</p>
<h2>Le « peuple des collines » face à ses élites</h2>
<p>Après le coup d’État d’avril 2015, la cogestion des « forces armées intégrées » (ex-FAB et rébellions) et les équilibres qui prévalaient entre l’armée et la police prennent fin. <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/coup-d-etat-au-burundi-32942">Sortis vainqueurs du putsch</a>, les gradés récents issus de la rébellion ne s’imposaient plus aucune limite en matière de rattrapage financier et de « retards de carrière » vis-à-vis de leurs collègues tutsis plus âgés et diplômés des écoles militaires. Jusqu’alors contenues ou dissimulées <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/central-africa/burundi/au-coeur-de-la-crise-burundaise-iv-la-rente-du-maintien-de-la-paix-en-question">(ICG, 2017</a>), ces pratiques se transformaient en une compétition ouverte en matière d’enrichissement personnel à la mesure des pouvoirs de chacun.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1540052374345187329"}"></div></p>
<p>Si l’on ajoute les crispations sécuritaires de l’encadrement de proximité des citoyens par le parti CNDD-FDD, on pourrait penser que la « nouvelle démocratie inclusive » des élites militaires issues des maquis n’a pas fondamentalement rompu avec le cadre et les pratiques des régimes antécédents.</p>
<p>Confirmant ainsi, comme les Burundais le disent, que les paysans sont censés être au pouvoir « par l’intermédiaire de leurs enfants » avec la distance d’une génération via l’école, les universités, les formations militaires et désormais le maquis au nom de leur statut de libérateurs du « peuple burundais ». En effet, après avoir été mis <a href="https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1991_num_32_127_4651">autoritairement au travail depuis l’indépendance par les divers régimes militaires</a> qui se sont succédé pour s’approprier l’État, ce sont les propres enfants du « peuple des collines » – qui a majoritairement supporté le poids de la guerre civile – qui vivent désormais de son labeur.</p>
<p>Au regard de la faillite gestionnaire et sociale qui s’est instaurée et semble insurmontable, la rupture pourrait être potentiellement plus profonde que les divisions ethniques et régionales. Ayant porté au pouvoir des dirigeants issus de ses rangs, la paysannerie prend pleinement conscience qu’au-delà de l’atomisation et de l’inorganisation des travailleurs de la terre dont elle porte la responsabilité, c’est au travers des formes mêmes d’intégration et de participation au pouvoir d’État que découle son inexistence politique en tant que classe de petits producteurs.</p>
<h2>Le rôle essentiel de la paysannerie et sa place dans l’État</h2>
<p>C’est en effet la paysannerie qui fournit la quasi-totalité des membres et des ressources d’un parti-État dont la plupart des décisions de politique agraire sont prises sans consultation, y compris aux échelons de base où les délégués du parti, souvent des paysans, n’exercent que des fonctions d’exécutants. Face à un État qui, sous ses divers prête-noms publics ou privés, s’est imposé comme opérateur économique exclusif, ce sont ses fonctionnaires et, concrètement, les cadres du parti qui programment et dirigent les investissements, puis gèrent les interventions productives et leurs retombées.</p>
<p>Mais au Burundi la conscience aiguë de la dévalorisation du mode de vie des paysans et de leur dépossession repose sur une configuration idéologique particulière car, à la différence de nombreux pays africains où l’agriculture est moribonde, l’exercice quotidien de la domination subie est pondéré par la conscience de la puissance potentielle massive, si ce n’est de la paysannerie en tant que classe, du moins de l’ordre paysan. Cette force contenue est bien réelle même si elle s’exprime indirectement dans les limites imposées aux opérations de dynamisation productive et d’animation idéologique.</p>
<p>Dans un pays où l’État ne peut vivre sans le labeur offert des producteurs de la terre (soit 30 % du PIB pour 90 % de la main d’œuvre nationale) sous la forme de produits et de recettes d’exportation, ce repli sur leurs parcelles entretient le sentiment de « tenir » l’État. Largement partagé, il soude la paysannerie par-delà ses différenciations et réactive en permanence les valeurs rurales qui tirent leur force du sentiment séculaire de domination de la nature et d’intégration dans un ordre qui, face à la misère, est devenu pour beaucoup une ultime ligne de défense.</p>
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<p><em>Cette « Histoire du Burundi » est développée et étayée par de nombreux documents inédits dans le texte accessible <a href="https://recherche-afriquedesgrandslacs.pantheonsorbonne.fr/activites-et-programmes-scientifiques">ici</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186094/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>André Guichaoua ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Burundi, s’il n’est plus en guerre, se trouve toutefois confronté à de graves difficultés sur les plans politique et économique.André Guichaoua, Professeur des universités, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1858372022-06-26T19:49:05Z2022-06-26T19:49:05ZLes recettes classiques contre l’inflation ne peuvent pas fonctionner partout : le cas du Nigeria<p><em>L’inflation est la grande préoccupation économique du moment. Bon nombre de pays en pâtissent, à commencer par la France où l’Insee anticipe un <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/linflation-va-sinstaller-au-dessus-de-65-en-france-1415672#:%7E:text=ses%20nouvelles%20pr%C3%A9visions.-,Attendue%20%C3%A0%205%2C9%20%25%20en%20juin%2C%20l%E2%80%99augmentation,5%2C5%20%25%20en%202022.">taux de presque 7 %</a> sur un an en septembre. Une réponse classique pour tenter de la juguler est une hausse des taux d’intérêt. La <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/hausse-des-taux-directeurs-de-la-bce-quels-sont-les-effets-attendus-213887">Banque centrale européenne</a> a fini par s’y résoudre en annonçant, par le biais de sa présidente, Christine Lagarde, 0,25 point supplémentaire en juillet et 0,5 de plus en septembre. Au risque, selon certains chercheurs de menacer la croissance post-pandémie. La recette n’est cependant pas adaptée à toutes les économies, ce qu’explique par exemple un article récemment publié sur The Conversation Africa à propos du Nigeria.</em></p>
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<p>La Banque centrale du Nigeria a récemment annoncé une <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-05-24/nigeria-central-bank-surprises-with-first-rate-hike-in-six-years">augmentation du taux d’intérêt</a>, de 11,5 % à 13 % qui a pris effet immédiatement. Chaque fois que la Banque centrale modifie ainsi sa politique monétaire, les institutions financières suivent le mouvement. Les banques augmentent les taux de leurs emprunteurs, ce qui les dissuadera pour partie de contracter un prêt. Autrement dit, la demande de monnaie se réduira.</p>
<p>La logique admise est que cela aura pour conséquence une diminution de la consommation et de l’investissement, puisqu’il y aura moins de recours au crédit. L’idée : refroidir ainsi une économie lorsqu’elle est en surchauffe.</p>
<p>Au Nigeria, <a href="https://www.cbn.gov.ng/Out/2022/CCD/Central%20Bank%20of%20Nigeria%20Communique%20No.%20142%20of%20the%20Monetary%20Policy%20Committee%20Meeting%20Held%20on%20Tuesday%2024th%20May%202022.pdf">selon la Banque centrale</a>, le taux d’intérêt a été relevé pour réduire la pression inflationniste, restaurer la confiance des investisseurs et stimuler les transferts de fonds.</p>
<p><iframe id="1Iw71" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/1Iw71/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le taux d’inflation du Nigeria a beaucoup fluctué au cours des derniers mois. Il avait atteint un niveau record d’environ 18 % il y a un an, avant de retomber à 15 % en novembre 2021. Il était ensuite reparti à la hausse, à 16,8 % en avril. Et c’est pourquoi la Banque centrale a pris une mesure préventive pour le dompter et le faire redescendre.</p>
<p>D’après nous cependant, supposer que la politique monétaire fonctionnera au Nigeria comme elle fonctionne dans d’autres pays induit en erreur.</p>
<h2>Sources d’inquiétudes</h2>
<p>Son effet sur l’inflation reste tout d’abord incertain dans la mesure où elle a pour principale cause des problèmes d’approvisionnement : une insécurité chronique dans les zones de production alimentaire du pays, des infrastructures médiocres et la guerre en Ukraine qui fait grimper le prix de produits de base tel que le blé. Les importations sont par ailleurs en baisse et, par conséquent, la monnaie se déprécie.</p>
<p>Il faut en outre noter que l’économie nigériane repose sur un important secteur informel, source de revenus pour près de <a href="https://punchng.com/80-4-of-nigerian-employment-in-informal-sector-says-wbank/">80 % de la population</a>. Celui-ci n’entretient que de faibles liens avec le secteur financier formel.Contrairement aux ménages des pays développés, de nombreux Nigérians ne modifieront donc pas leurs décisions économiques en raison de la hausse des taux d’intérêt.</p>
<p>Le moment choisi pour cette décision suscite également des inquiétudes. Le Nigeria est confronté à des niveaux élevés de chômage et de pauvreté et une hausse des taux aura des répercussions sur l’économie en général.</p>
<h2>Hors des schémas classiques</h2>
<p>Ces craintes sont-elles fondées ? Intéressons-nous tout d’abord à ceux qui n’ont pas de raison de s’inquiéter. La hausse des taux n’aura pas d’effets significatifs sur la plupart des Nigérians à faible revenu, et ce pour plusieurs raisons.</p>
<p>Premièrement, les crédits intérieurs contractés par le secteur privé au Nigeria restent très faible : <a href="https://data.worldbank.org/indicator/FS.AST.PRVT.GD.ZS?locations=NG">12 % du produit intérieur brut (PIB)</a> en 2020, contre une moyenne de 40 % pour l’Afrique subsaharienne. Ce ratio n’est inférieur à 15 % que dans quelque 20 pays du monde.</p>
<p>Les particuliers et les ménages ne sont pas non plus de grands emprunteurs. En mai 2021, par exemple, le crédit à la consommation ne représentait que 10,2 % du crédit total au secteur privé. Les conditions onéreuses imposées par les banques rendent l’obtention de prêts presque impossible pour de nombreux Nigérians. Nombreux sont alors ceux qui ont <a href="https://punchng.com/loan-sharks-devise-underhand-tactics-inflict-pains-on-cash-strapped-nigerian-borrowers/">recours à des usuriers</a>.</p>
<p>L’impossibilité pour de nombreux Nigérians d’obtenir des prêts auprès des banques signifie qu’ils n’auront pas à s’inquiéter de payer des taux plus élevés sur les hypothèques, les cartes de crédit, les voitures et les prêts étudiants. En outre, la hausse des taux n’aura pas d’impact sur les prix des biens et services généralement consommés par les Nigérians à faible revenu. La hausse des prix de ces denrées alimentaires de base est due à d’autres facteurs déjà mentionnés.</p>
<p>Qu’en est-il de la croissance et de l’emploi ? Classiquement, une hausse du taux d’intérêt augmente les coûts d’emprunt. Ce qui, à son tour, réduit l’investissement, la production et l’emploi.</p>
<p>Le Nigeria ne correspond cependant pas à ce schéma. Une grande partie de sa croissance économique est tirée, non pas par la production de biens, mais par l’exportation de pétrole et de gaz. Bien qu’il ne représente qu’un faible pourcentage du PIB, le pétrole génère une grande partie des devises et des recettes publiques nécessaires pour soutenir les autres secteurs de l’économie.</p>
<p>Étant donné que le crédit au secteur privé au Nigeria est très faible par rapport au PIB, l’impact de la hausse des taux sur la production et l’emploi dans le secteur réel ne sera pas substantiel.</p>
<h2>Si l’économie fonctionnait bien…</h2>
<p>La méfiance doit cependant rester de mise pour d’autres acteurs, à commencer par les Nigérians du secteur public. Les gouvernements des États de ce pays fédéral empruntent régulièrement auprès des banques pour couvrir leurs énormes déficits budgétaires, et la dette publique n’a cessé d’augmenter au fil des ans. Certains ont accumulé <a href="https://nigeriannewsdirect.com/nlc-set-to-fight-govs-over-unpaid-salaries-pensions/">plusieurs mois de salaires, de gratifications et de pensions impayés</a>.</p>
<p>Avec la hausse des taux d’intérêt, une part plus importante des recettes sera allouée au service de la dette. Cela affectera la capacité du gouvernement à faire face à ses dépenses et cela pourrait exacerber les problèmes de retards de paiement voire le non-paiement.</p>
<p>Par ailleurs, si le Nigeria était une économie qui fonctionne bien, l’augmentation du taux attirerait les investisseurs et renforcerait, selon la théorie de la <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1923">parité du pouvoir d’achat</a> des taux de change, la valeur du naira, sa monnaie. Il y aurait également un mécanisme de « carry trade », des investisseurs qui empruntent là où les taux sont bas, pour investir là où ils sont élevés, comme au Nigeria.</p>
<p>Mais le Nigeria n’est pas une économie qui fonctionne bien. Insécurité, incertitude politique, et faible réglementation financière rendent peu probable que les investisseurs de portefeuille sautent sur l’appât des taux d’intérêt élevés. Au contraire, ils ont alors plutôt tendance à retirer leur argent en raison de ces incertitudes, ce qui explique en partie pourquoi le naira se déprécie inexorablement.</p>
<h2>Monétarisme ou keynésianisme ?</h2>
<p>Seuls les Nigérians des classes moyennes et supérieures profiteront en fait des retombées positives à long terme de la hausse des taux d’intérêt. C’est pourquoi, selon nous, la politique monétaire n’est pas la meilleure stratégie pour favoriser une croissance économique inclusive, génératrice d’emplois et réduisant la pauvreté au Nigeria.</p>
<p>Les défis que représentent les taux élevés de chômage et de pauvreté sont plus inquiétants que l’inflation dans le Nigeria contemporain. De nombreux observateurs estiment que le <a href="https://guardian.ng/opinion/columnists/boko-haram-and-the-harassment-hypothesis/">niveau élevé de violence et d’insécurité</a> dans le pays est un sous-produit de la déresponsabilisation économique, en particulier parmi la population jeune en plein essor au Nigeria.</p>
<p>Ce dont le pays semble avoir besoin maintenant, c’est de keynésianisme, c’est-à-dire, d’un régime de politique économique qui mobilise des fonds pour des investissements massifs créateurs d’emplois dans les infrastructures, l’agriculture, la fabrication à forte intensité de main-d’œuvre et l’agroalimentaire.</p>
<p>La Banque centrale le fait déjà, même de manière limitée. Pour stimuler la production et l’emploi dans le secteur réel, elle utilise des <a href="https://businessday.ng/financial-inclusion/article/cbn-introduces-11-intervention-schemes-for-non-interest-financial-institutions/">« fonds d’intervention »</a> pour soutenir les secteurs stratégiques de l’économie. Quelque <a href="https://www.cbn.gov.ng/rates/mnycredit.asp">385 milliards de nairas</a> (environ 1,2 milliard de dollars au taux de change officiel de 415 nairas pour 1 dollar) étaient réservés à des projets d’intervention en mars 2022.</p>
<p>Ces fonds sont utilisés pour accorder des crédits à des conditions préférentielles aux secteurs qui renforcent les capacités de production de l’économie. L’objectif est d’alléger les contraintes d’approvisionnement et d’atténuer les pressions inflationnistes. Le Nigeria a besoin de plus de cette approche.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185837/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stephen Onyeiwu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans le pays le plus peuplé d’Afrique, l’importance du secteur informel et le faible recours des ménages et des entreprises au crédit rendent une hausse du taux d’intérêt plutôt inopportune.Stephen Onyeiwu, Andrew Wells Robertson Professor of Economics, Allegheny CollegeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.