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peinture – The Conversation
2024-01-21T14:38:06Z
tag:theconversation.com,2011:article/220879
2024-01-21T14:38:06Z
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Pourquoi est-il si difficile de peindre des mains ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568596/original/file-20231215-19-ukjy1c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1618%2C1155&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fragment du tableau "Jeune fille grecque" de Charles-Amable Lenoir.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://es.wikipedia.org/wiki/Archivo:Lenoir,_Charles-Amable_-_Jeune_fille_grecque.jpg">Sotheby's/Wikimedia Commons</a></span></figcaption></figure><p>On dit souvent que Goya faisait payer plus cher ses portraits si le modèle souhaitait être représenté avec ses mains. Nous verrons plus loin si cela est vrai ou non… Mais l’anecdote permet d’illustrer l’un des grands défis de l’art : peindre des mains.</p>
<p>Pourquoi est-il si difficile de peindre des mains ? Physiquement, les mains sont l’une des parties les plus complexes de notre anatomie : 27 os, 6 types d’articulations, 5 types de ligaments et de nombreux muscles forment chacune de nos mains. Il est certainement compliqué d’assembler tous ces éléments dans les bonnes proportions et sous le bon angle.</p>
<p>De plus, leur petite taille et leur mobilité entraînent la formation de nombreuses ombres dans différentes directions, ce qui rend le travail encore plus difficile. Rafael Llompart, professeur d’anatomie à la faculté des beaux-arts de l’université de Séville, <a href="https://verne.elpais.com/verne/2019/05/05/articulo/1557068529_628170.html">soulignait il y a quelques années</a> une autre difficulté : « Le nombre de formes que la main peut prendre. Il y a de nombreuses façons de les placer. »</p>
<p>Mais la plus grande difficulté n’est même pas la technique. Ce qui rend la représentation difficile, c’est que la main nous définit en tant qu’êtres humains.</p>
<h2>Le système main-visage</h2>
<p>Le philosophe <a href="https://www.academia.edu/36674576/Cap_III_Sistema_Humano_manos_rostro_cabeza_Leonardo_Polo">Leonardo Polo</a> affirmait que l’homme était un système composé de deux noyaux principaux : le visage et les mains. Contrairement aux animaux, l’évolution de l’être humain a fait qu’au lieu d’avoir un museau, il a un visage, et au lieu de griffes… des mains.</p>
<p>Le film de Disney <em>Tarzan</em> nous le montre de manière poétique. Tarzan sait qu’il n’est pas un gorille comme ses parents ou ses frères adoptifs parce que ses mains sont différentes. Et il reconnaît Jane comme l’une de ses semblables en constatant qu’elle a des mains comme lui.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Dessin d’une main féminine et d’une main masculine qui se touchent" src="https://images.theconversation.com/files/564038/original/file-20231206-21-mzxtgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/564038/original/file-20231206-21-mzxtgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/564038/original/file-20231206-21-mzxtgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/564038/original/file-20231206-21-mzxtgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/564038/original/file-20231206-21-mzxtgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/564038/original/file-20231206-21-mzxtgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/564038/original/file-20231206-21-mzxtgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les mains de Jane et Tarzan dans le film Disney du même nom.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Disney</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est pourquoi notre visage et nos mains sont les éléments qui aident les êtres humains à exprimer ce qu’ils ressentent.</p>
<p>Mais il semble que dans le cas du visage, tout soit un peu plus facile : si nous fronçons les sourcils, nous exprimons la colère ; si nous ouvrons les yeux, nous exprimons l’étonnement ; si nous courbons la bouche, nous exprimons le bonheur par notre sourire… Pour les mains, c’est tout sauf évident : quel est l’angle exact que doit présenter notre phalange supérieure de l’index de la main droite pour exprimer la joie ?</p>
<p>Que les mains soient expressives, qu’elles « parlent » et disent exactement ce que l’artiste veut qu’elles disent est quelque chose de beaucoup plus subtil et complexe.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/565860/original/file-20231214-21-giz0gd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Image représentant plusieurs mains d’enfants et image représentant deux mains liées" src="https://images.theconversation.com/files/565860/original/file-20231214-21-giz0gd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565860/original/file-20231214-21-giz0gd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565860/original/file-20231214-21-giz0gd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565860/original/file-20231214-21-giz0gd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=406&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565860/original/file-20231214-21-giz0gd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565860/original/file-20231214-21-giz0gd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565860/original/file-20231214-21-giz0gd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Études de mains de Lorenzo Delgado (1823) et Cosme Fernández (1826).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Real Academia de Bellas Artes de San Fernando</span></span>
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</figure>
<h2>Les mains de Goya</h2>
<p>Pour en revenir à Goya, est-il vrai qu’il faisait payer plus cher ses portraits si les mains devaient être incluses ? Oui. Cela signifie-t-il que Goya trouvait difficile de représenter des mains ? Non. Faire payer plus cher la représentation des mains était une norme pour tous les portraitistes : plus il y avait d’éléments du corps, plus il y avait de paysages et plus il y avait de figures, plus le prix augmentait. Cela n’a rien à voir avec le fait que Goya était maladroit dans la représentation des mains.</p>
<p><a href="https://murciaplaza.com/la-mujer-fue-uno-de-los-principales-temas-de-goya-fue-un-feminista-puro-casi-como-voltaire">Manuela Mena</a>, grande spécialiste de Goya, est catégorique à ce sujet :</p>
<blockquote>
<p>« Il était plus vertueux que d’autres peintres. Le fait qu’il ne voulait pas peindre les mains est une légende qui n’a aucun sens. Tous les artistes étaient payés pour leurs mains séparément. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/565857/original/file-20231214-23-y9dptm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Les mains de Goya. De droite à gauche, de haut en bas : Saturne dévorant son fils, Le 2 mai 1808 à Madrid, Le peloton d’exécution et le Portrait de Gaspar Melchor de Jovellanos" src="https://images.theconversation.com/files/565857/original/file-20231214-23-y9dptm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565857/original/file-20231214-23-y9dptm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565857/original/file-20231214-23-y9dptm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565857/original/file-20231214-23-y9dptm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565857/original/file-20231214-23-y9dptm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565857/original/file-20231214-23-y9dptm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565857/original/file-20231214-23-y9dptm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les mains de Goya. De droite à gauche, de haut en bas : <em>Saturne dévorant son fils</em>, <em>Le 2 mai 1808 à Madrid</em>, <em>Le peloton d’exécution</em> et le <em>Portrait de Gaspar Melchor de Jovellanos</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p>En effet, Goya est <strong>lieutenant de peinture</strong> à l’Académie royale des beaux-arts de San Fernando, ce qu’il n’aurait pas obtenu s’il n’avait pas été l’un des meilleurs dessinateurs du pays. Et son travail de lieutenant consistait précisément à enseigner comment dessiner les mains.</p>
<p>De plus, en raison de sa surdité, <a href="https://dialnet.unirioja.es/servlet/articulo?codigo=77167">Goya a dû apprendre la langue des signes</a>. Son ami Zapater disait dans une de ses lettres que « Goya parle à travers sa main ». Une phrase qui peut être extrapolée à sa peinture. En regardant ses images de mains, nous pouvons voir qu’elles transmettent toutes quelque chose : l’angoisse, l’impuissance, la douleur, la délicatesse…</p>
<h2>Quand les mains parlent d’elles-mêmes</h2>
<p>Les artistes s’exercent donc depuis des années à représenter des mains non seulement réalistes en apparence, mais aussi expressives. Et si les mains parlent, c’est qu’elles peuvent véhiculer des informations seules, sans avoir besoin du reste du corps. Voire en contradiction avec le reste du corps.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/565853/original/file-20231214-21-7ls517.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="La main du David de Michel-Ange" src="https://images.theconversation.com/files/565853/original/file-20231214-21-7ls517.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565853/original/file-20231214-21-7ls517.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=954&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565853/original/file-20231214-21-7ls517.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=954&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565853/original/file-20231214-21-7ls517.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=954&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565853/original/file-20231214-21-7ls517.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1198&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565853/original/file-20231214-21-7ls517.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1198&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565853/original/file-20231214-21-7ls517.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1198&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La main du <em>David</em> de Michel-Ange.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Michelangelo%27s_David_-_right_view_2.jpg">Commonists/Galleria dell’Accademia di Firenze</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’un des exemples les plus célèbres de l’histoire de l’art est le <em>David</em> de Michel-Ange. Le livre de Samuel, qui relate l’affrontement entre David et Goliath, raconte que David « était un beau garçon aux cheveux clairs », ce qui explique qu’il ait été méprisé par les autres soldats et par Goliath lui-même.</p>
<p>Mais David a vaincu Goliath contre toute attente. Et c’est ainsi que Michel-Ange le montre. Le corps de David est celui du beau garçon décrit dans la Bible, mais sa main révèle sa grandeur, sa force et sa puissance. En la regardant, nous savons qu’il vaincra Goliath. La main de David est un <em>spoiler</em> de sa victoire au combat.</p>
<p>Rembrandt a fait quelque chose de similaire dans son tableau <em>Le retour du fils prodigue</em>. Le prêtre <a href="http://www.ignaciodarnaude.com/textos_diversos/Nouwen,El%20regreso%20del%20hijo%20prodigo.pdf">Nouwen</a>, qui a analysé l’œuvre d’un point de vue religieux, a fait remarquer que l’une des choses qui l’avait le plus impressionné était les mains que le père pose sur le dos de son fils.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/565851/original/file-20231214-23-ido3d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Peinture du Retour du fils prodigue, de Rembrandt, avec un détail des mains" src="https://images.theconversation.com/files/565851/original/file-20231214-23-ido3d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565851/original/file-20231214-23-ido3d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=768&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565851/original/file-20231214-23-ido3d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=768&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565851/original/file-20231214-23-ido3d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=768&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565851/original/file-20231214-23-ido3d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=966&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565851/original/file-20231214-23-ido3d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=966&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565851/original/file-20231214-23-ido3d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=966&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Peinture du <em>Retour du fils prodigue</em>, de Rembrandt, avec un détail des mains.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Rembrandt_Harmensz._van_Rijn_-_The_Return_of_the_Prodigal_Son.jpg">Musée de l’Ermitage/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Selon lui, les deux mains sont différentes : la main gauche, forte et musclée, est une main masculine, celle du père ; la main droite, fine, douce et tendre, est une main féminine, celle de la mère. L’amour du père pour son fils est un amour de père et de mère, et Rembrandt le représente dans ses mains.</p>
<h2>Des mains qui voient et qui parlent</h2>
<p>Henri Focillon, qui a écrit une <a href="https://www.olanetaeditor.com/titulos/elogio-de-la-mano/"><em>Eloge de la main</em></a>, dit des mains qu’elles sont « des visages sans yeux et sans voix, mais qui voient et qui parlent ». C’est pourquoi il est si difficile de peindre des mains. Dessiner cinq doigts avec des lignes droites, comme le font les enfants, et considérer cela comme une main n’est pas difficile. Dessiner la complexité physique d’une main humaine et lui donner la personnalité et l’expressivité qui peuvent être concentrées dans une vraie main… c’est le travail des génies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220879/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Ferreira no recibe salario, ni ejerce labores de consultoría, ni posee acciones, ni recibe financiación de ninguna compañía u organización que pueda obtener beneficio de este artículo, y ha declarado carecer de vínculos relevantes más allá del cargo académico citado.</span></em></p>
Les mains sont-elles l’un des défis les plus difficiles à relever pour les artistes ?
Myriam Ferreira, Profesora de Historia del Arte, UNIR - Universidad Internacional de La Rioja
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/219510
2023-12-25T20:29:54Z
2023-12-25T20:29:54Z
L’Angleterre, patrie des artistes maudits ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/565217/original/file-20231212-16-3c29li.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C9%2C1590%2C1185&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Henry Wallis, La mort de Chatterton, 1856.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Henry_Wallis_-_The_Death_of_Chatterton_-_Google_Art_Project.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Il ne suffit pas d’être impécunieux, de voir ses manuscrits rejetés ou ses tableaux subir le feu roulant des critiques, pour se trouver automatiquement bombardé dans la catégorie « artiste maudit ». Pour le dire avec un soupçon de cynisme, pareille distinction se mérite.</p>
<p>Deux facteurs entrent dans la composition de ce statut d’exception : un corps social prompt à surveiller, à s’indigner et à punir, et un artiste incompris et persécuté en raison même de son talent. Leur rencontre, au mauvais moment et au mauvais endroit, fera le reste.</p>
<p>Vécue comme fatale, la tragédie, sur fond de rupture entre les deux instances rivales, résulte souvent d’une série de décisions, bonnes ou mauvaises, prises de part et d’autre, qui auraient pu déboucher sur une tout autre issue – sauf qu’il n’en a rien été, renforçant a posteriori le sentiment que l’issue était inéluctable.</p>
<p>Autre critère : l’acharnement avec lequel la guigne poursuit l’artiste. On pense à <a href="https://theconversation.com/pourquoi-edgar-allan-poe-est-lecrivain-prefere-des-incompris-198552">Edgar Allan Poe</a> (1809-1849), orphelin de père et de mère, et dont les <em>Tales</em> macabres annonçaient la triste fin, proche de celle que connaîtra, six ans plus tard, un Gérard de Nerval. On songe aussi à la mystérieuse conjuration qui frappe, dans leur vingt-septième année, les Brian Jones, Janis Joplin et autre Amy Winehouse, devenus membres, à leur corps défendant, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Club_des_27">d’un bien morbide Club</a>.</p>
<p>Dernier critère : le caractère forcément asymétrique des forces en présence : proverbial combat du pot de terre contre le pot de fer. C’est presque toujours au prix fort que l’artiste paie le mépris ou le défi qu’il oppose à la bêtise à front bas, sans oublier la misanthropie dans laquelle il drape sa profonde solitude.</p>
<p>Un poète maudit, Verlaine le reconnaissait au seuil de l’essai de 1884 qu’il consacre à la question, est un poète « absolu » : les cas dont il traite ont pour nom Tristan Corbière, Arthur Rimbaud, Stéphane Mallarmé, lui-même. Cette dimension d’absolu, comment faut-il la comprendre ? Outre l’entêtement à persévérer dans ce qui passe pour une erreur, alors que l’artiste pressent, lui, qu’il est dans le vrai, l’absolu recouvre le refus de se compromettre, de sacrifier ses principes à l’obtention de quelque satisfaction matérielle. La grandeur dans le crime, enfin, est une condition sine qua non.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565236/original/file-20231212-31-poyn8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565236/original/file-20231212-31-poyn8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565236/original/file-20231212-31-poyn8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565236/original/file-20231212-31-poyn8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565236/original/file-20231212-31-poyn8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565236/original/file-20231212-31-poyn8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565236/original/file-20231212-31-poyn8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Verlaine en 1892, au café François Iᵉʳ, photographié par Dornac dans la série « Nos contemporains chez eux ».</span>
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<h2>Fondements métaphysiques de la création</h2>
<p>Dans son essai intitulé <a href="https://www.babelio.com/livres/Henric-La-peinture-et-le-mal/310250"><em>La peinture et le mal</em></a> (1982), Jacques Henric revisite l’histoire de la peinture occidentale à la lumière des « forfaits » accomplis, du Titien à De Kooning, en passant par le Caravage et Cézanne. Chaque tableau, écrit-il en substance, est un coup porté contre l’ordre établi, une déclaration de guerre, un blasphème plus ou moins assumé. Une provocation à l’endroit des bonnes mœurs, à plus ou moins grande échelle. Il invoque ainsi <a href="https://www.lemonde.fr/arts/article/2018/10/02/egon-schiele-le-renegat_5363365_1655012.html">Egon Schiele</a>, se portraiturant en train de se masturber, dans un tableau à l’huile de 1911.</p>
<p>Manifestement inspiré du manifeste de George Bataille, <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i00016133/georges-bataille-a-propos-de-son-livre-la-litterature-et-le-mal"><em>La littérature et le mal</em></a> (1957), qui convoquait notamment Sade, Emily Brontë, Baudelaire et Jean Genet, Henric croit à la culpabilité agissante des peintres, à leur connaissance intime des ressorts qui font que la Création tourne mal, à la concurrence qu’ils livrent au Créateur.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565237/original/file-20231212-23-l7nfzg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565237/original/file-20231212-23-l7nfzg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565237/original/file-20231212-23-l7nfzg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565237/original/file-20231212-23-l7nfzg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565237/original/file-20231212-23-l7nfzg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565237/original/file-20231212-23-l7nfzg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565237/original/file-20231212-23-l7nfzg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Judith décapitant Holopherne, par Caravage, 1598, Galerie nationale d’Art ancien (Rome).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Judith_Beheading_Holofernes_-_Caravaggio.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Pour le dire autrement, la malédiction en question, plus qu’une affaire de misère, a des fondements métaphysiques, voire théologiques. Du « catholicisme » sanglant de la peinture selon Henric, il conviendrait de rapprocher cette déclaration, non dénuée d’humour, du romancier David Herbert Lawrence (1885-1930), dont <em>L’Amant de lady Chatterley</em> (1928) défraya en son temps la chronique :</p>
<blockquote>
<p>« C’est comme si je me tenais nu et debout, afin que le feu du Dieu tout puissant me traverse de part en part […] Il faut être terriblement religieux pour être un artiste. Je pense souvent à mon cher saint Laurent sur son gril, quand il a dit : “Retournez-moi, mes frères, je suis suffisamment rôti de ce côté-ci, il faut que l’autre cuise aussi.” »</p>
</blockquote>
<p>Nous sommes en février 1913, la carrière de l’écrivain commence à peine. Entrevoyait-il déjà les foudres de la censure qui s’abattront sur lui, une première fois en 1915, à la sortie de <em>L’Arc-en-ciel</em>, quand le livre sera interdit à la vente puis pilonné, et une deuxième fois, en 1928, lorsque commenceront à circuler, sous le manteau, les exemplaires de <em>L’Amant de lady Chatterley</em>, à l’origine d’un des plus grands <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-journal-de-l-histoire/le-proces-de-lady-chatterley-9618578">scandales littéraires</a> du XX<sup>e</sup> siècle ? Peut-être, mais n’allons surtout pas croire que la censure détermine après coup la condition d’artiste maudit, selon un raisonnement bien trop mécanique.</p>
<p>Ce serait plutôt l’inverse, dès lors qu’une forme d’appétence, un brin masochiste, pour les confrontations à venir, se porte au-devant des stigmates. Synonyme de libéralisation des mœurs et d’assouplissement de la censure, le procès remporté par les éditions Penguin contre la puissance publique, en 1960, permit à la version non expurgée du roman de Lawrence de voir enfin voir le jour, trente ans après la mort de celui qui traîne encore, comme un boulet, son image de pornographe invétéré.</p>
<p>D’un artiste passionnément religieux, l’autre : quand Pier Paolo Pasolini réalise le film <a href="https://youtu.be/Z3eFedNeohk?si=j6KNje-W7oW-e9s2"><em>L’Evangile selon saint Matthieu</em></a> (1964), et <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/rendez-vous-avec-x/1975-l-assassinat-de-pier-paolo-pasolini-1865399">qu’il périt assassiné</a> dans des circonstances pour le moins troubles, la frontière entre la malédiction et la sainteté se fait des plus ténues. On se souvient du cas Genet, écrivain voleur et homosexuel, dont Jean-Paul Sartre fit l’incarnation de l’homme libre face aux attaques de la société. Le titre de son étude de 1952 ? <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070227235-oeuvres-completes-de-jean-genet-i-saint-genet-comedien-et-martyr-jean-paul-sartre/"><em>Saint Genet, comédien et martyr</em></a>. Son objectif, d’inspiration existentialiste ? « Faire voir cette liberté aux prises avec le destin d’abord écrasée par ses fatalités puis se retournant sur elles pour les diriger peu à peu, prouver que le génie n’est pas un don mais l’issue qu’on invente dans les cas désespérés… ». La formule vaut pour plus d’un candidat au martyre…</p>
<h2>En Angleterre, une pléiade d’artistes maudits</h2>
<p>Au demeurant, si nul pays n’en possède le monopole, reconnaissons que le talent de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Philistinisme">l’Angleterre philistine</a> pour accoucher d’une pléiade d’artistes maudits force l’admiration. <a href="https://theconversation.com/oscar-wilde-en-son-petit-palais-69949">Oscar Wilde</a> (1854-1900), doublement ostracisé, parce qu’Irlandais et homosexuel, compta parmi leurs plus flamboyants avatars. Fauché en pleine gloire, il connut le bagne puis l’exil, précédant la mort dans un hôtel du Quartier latin.</p>
<p>Mais si l’on veut remonter à l’archétype, alors, il convient de se familiariser avec la destinée de Thomas Chatterton (1752-1770). Né à Bristol, le poète trouva la mort à Londres, la veille de ses dix-huit ans. Il n’aurait pas survécu à une affaire de faux qui empoisonna sa famélique existence – il fit passer des poèmes de sa main pour l’œuvre authentique d’un certain Thomas Rowley, prêtre du XV<sup>e</sup> siècle, à une époque, faut-il le rappeler, où les fameux poèmes d’Ossian se posaient pourtant là en matière de supercherie littéraire.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565238/original/file-20231212-19-poyn8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565238/original/file-20231212-19-poyn8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565238/original/file-20231212-19-poyn8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565238/original/file-20231212-19-poyn8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565238/original/file-20231212-19-poyn8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565238/original/file-20231212-19-poyn8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565238/original/file-20231212-19-poyn8w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Chatterton, Gravure de William Ridgway d’après W.B. Morris, publiée dans The Art Journal, 1875, détail.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Chatterton#/media/Fichier:Thomas_Chatterton.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>En 1856, un <a href="http://classes.bnf.fr/essentiels/grand/ess_2333.htm">tableau du peintre préraphaélite Henry Wallis</a> idéalise l’Artiste, au risque d’occulter le Maudit. Le spectateur découvre, allongé sur un lit trônant au milieu d’une mansarde, le corps alangui d’un beau jeune homme. Surmonté de cheveux roux, son visage se couvre d’inquiétantes teintes bleutées, tandis que ses habits d’allure raffinée tranchent avec la pauvreté présumée du lieu.</p>
<p>Ce qu’on ne voit pas, sur la toile, c’est la proximité du peintre avec les milieux radicaux du temps, dont le dramaturge Richard Horne, auteur d’un drame romantique intitulé <em>Death of Marlowe</em> (1834). La réputation sulfureuse de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-quadrithemes-de-charles-dantzig/les-ecrivains-assassines-christopher-marlowe-ou-l-authentique-espion-de-sa-majeste-7518721">Christopher Marlowe</a> (1564-1593) vient d’abord de sa pièce-phare, <em>Le Docteur Faustus</em>, qui reprend le motif du pacte avec le diable, et dont un extrait accompagne la légende du tableau de Wallis. Mais elle se nourrit surtout des rumeurs entourant sa mort qui reste inexpliquée : rixe entre mauvais garçons qui aurait mal tourné ? Règlement de compte entre espions ? Bref, sa fin tragique semble annoncer celle… de Pasolini !</p>
<p>Autre influence, plus palpable celle-là, le <a href="https://www.univ.ox.ac.uk/college_building/shelley-memorial/">Shelley Memorial</a> (1854), édifié par le sculpteur Henry Weekes, qui fige dans le marbre un motif de Pietà : Mary Shelley en Mère du Christ tient dans ses bras le corps effondré de son époux, le poète P. B. Shelley : l’auteur de « La Nécessité de l’athéisme » ainsi que du drame lyrique, <em>Prométhée délivré</em> (1820) avait été retrouvé noyé sur les côtes de Viareggio en juillet 1822.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565539/original/file-20231213-25-tcrn8r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565539/original/file-20231213-25-tcrn8r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565539/original/file-20231213-25-tcrn8r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565539/original/file-20231213-25-tcrn8r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565539/original/file-20231213-25-tcrn8r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565539/original/file-20231213-25-tcrn8r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565539/original/file-20231213-25-tcrn8r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Mémorial à Percy Bysshe Shelley par Henry Weekes, Christchuch Priory Church.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/wheelzwheeler/14676234924">Haydn/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Sur une toile de 62 cm sur 93 cm, Wallis bricole à son tour une Déposition de la Croix très esthétisée. Au deuxième plan, juste derrière le poète, une fenêtre donne sur la <em>skyline</em> londonienne : on reconnaît le célèbre dôme de la cathédrale Saint Paul, symbolisant, croit-on comprendre, l’indifférence de l’Église envers les souffrances du poète. Mais, surtout, il y a cette fenêtre laissée ouverte : on finit par ne plus voir qu’elle, alors que toutes sortes de détails intempestifs se bousculent pourtant au premier plan. Une puissance occulte, forcément maléfique, serait-elle entrée par-là, ce qui ferait du tableau l’équivalent d’une énigme policière à la E.A. Poe ? Le mystère plane, nourrissant les spéculations les plus folles. Objectivement, cependant, les recherches scientifiques menées un siècle après la disparition du poète auront permis d’écarter, avec une quasi-certitude, la piste du suicide à l’arsenic. Dans les faits, Chatterton aurait plutôt mal dosé la solution pharmaceutique prescrite à l’époque contre les maladies sexuellement transmissibles.</p>
<p>Mais rien n’y fait. Le mythe est toujours plus fort que la réalité. Artiste maudit, Chatterton le restera à jamais. De <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/poeme-du-jour-avec-la-comedie-francaise/les-jonquilles-un-poeme-de-william-wordsworth-9112519">William Wordsworth</a> (1770-1850) à <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/john-keats-le-poete-qui-eclaire-les-temps-sombres-6755410">John Keats</a> (1795-1821), les poètes romantiques encensent à l’envi « l’enfant prodige/l’âme sans cesse en éveil qui mourut en sa fierté ». Keats dédie son <a href="https://www.poetryfoundation.org/poems/44469/endymion-56d2239287ca5"><em>Endymion</em></a> (1818) à la mémoire du « plus anglais des poètes, exception faite de Shakespeare ». En 1834, Alfred de Vigny consacre une <a href="https://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes00333/chatterton-d-alfred-de-vigny.html">pièce en trois actes</a> au jeune homme « rejeté, sentimentalement et socialement ». Deux ans plus tôt, avec son <em>Stello ou les Diables bleus</em>, il se faisait romancier pour évoquer le destin de qui, du jour où il sut lire, appartint « à la race toujours maudite par les puissances de la terre. »</p>
<p>En 1987, le romancier et biographe Peter Ackroyd (1949 –), dans son roman <em>Chatterton</em>, s’appuie sur le tableau de Wallis pour reconstituer une impressionnante lignée, dans laquelle chaque nouvelle génération d’artistes s’est reconnue, selon des modalités diverses. L’un des derniers en date est le chanteur et compositeur Arthur Teboul, qui rencontra les futurs membres du groupe <em>Feu ! Chatterton</em> dans le très improbable lycée Louis-le-Grand, à Paris. Décidément, la sociologie des artistes maudits n’est plus ce qu’elle était…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219510/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Avec d’autres écrivains britanniques, Thomas Chatterton figure au panthéon des artistes maudits, continuant d’alimenter un mythe à l’influence durable.
Marc Porée, Professeur émérite de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSL
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/215471
2023-11-02T10:14:47Z
2023-11-02T10:14:47Z
Soixante ans après sa mort, le retour de Van Gogh à la lumière du Midi
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/555346/original/file-20231023-23-456jmb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2973%2C2330&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Café de nuit, une peinture réalisée par Van Gogh à Arles, en septembre 1888. Cette grande pièce haute de plafond éclairée par des lampes à gaz est caractéristique des cafés provençaux du XIXe siècle,. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Caf%C3%A9_de_nuit">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Le bref séjour de Vincent van Gogh en Provence fut un moment de grâce. On lui doit ses tableaux aujourd’hui les plus admirés. Ce fut aussi un drame absolu. Arrivé en février 1888, Van Gogh est rejoint en octobre par <a href="https://www.beauxarts.com/grand-format/paul-gauguin-en-3-minutes/">Paul Gauguin</a>.</p>
<p>La relation <a href="https://www.riseart.com/fr/article/2607/gauguin-et-van-gogh-une-amitie-explosive">tourne au vinaigre</a>. On connaît la suite : l’oreille coupée à la veille de Noël, l’internement à Arles, puis à Saint-Rémy de Provence. En mai 1890, sans avoir jamais cessé de peindre, Van Gogh rejoint Auvers-sur-Oise, où il se suicide le 27 juillet. <a href="https://www.musee-orsay.fr/fr/agenda/expositions/van-gogh-auvers-sur-oise">La présente exposition au musée d’Orsay</a> porte sur cette dernière période de son œuvre.</p>
<p>Une dizaine d’années après sa disparition, la carrière commerciale de Van Gogh commence et, avec elle, sa réputation de peintre maudit. A Arles et Saint-Rémy, on se souvenait du « fada ». Mais, alors que la gloire mondiale du peintre s’affirmait, émergeait en ces lieux un sentiment diffus de culpabilité. L’étroitesse d’esprit provinciale aurait-elle contribué à la mort prématurée du génie ? Les récits mythifiés commencent à circuler, comme l’histoire du tableau qui <a href="https://www.amisduvieilarles.com/assets/files/bulletins/pdf/135p.pdf">aurait servi de porte à un poulailler</a>.</p>
<p>Mais, dans l’entre-deux-guerres, l’élite arlésienne se préoccupait peu de Van Gogh : on entretenait la culture provençale héritière de la romanité, au Museon arlaten, fondé en 1896 par Frederic Mistral (1830-1914), lauréat du prix Nobel de littérature en 1904 <a href="https://www.museonarlaten.fr/">(ce musée a été récemment somptueusement et intelligemment restauré</a>). On célébrait <a href="https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/charles-maurras">Charles Maurras</a> (1868-1952), le fondateur de l’Action française, né à proximité, à Martigues, grand admirateur de Mistral. On admirait l’élégance des Arlésiennes de Léo Lelée (1872-1947), le peintre angevin <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/peinture/leo-lelee-inlassable-dessinateur-des-farandoles-d-arlesiennes_3362629.html">qui s’était installé à Arles au début du siècle</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/johanna-van-gogh-bonger-ou-le-marketing-au-service-de-la-culture-96893">Johanna van Gogh‑Bonger ou le marketing au service de la culture</a>
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<p><a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2008-1-page-139.htm">Ce traditionalisme</a> s’épanouit sous la « Révolution nationale » avec le soutien du sous-préfet nommé en novembre 1940, l’écrivain <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_des_Valli%C3%A8res">Jean des Vallières</a> (1895-1970), filleul du maréchal Pétain, dans le cadre de <a href="http://academie.arles.free.fr/fernand_benoit_264.htm">l’Académie régionale d’Arles</a>, créée en 1941 par <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1969/04/04/mort-de-l-archeologue-fernand-benoit_2440494_1819218.html">Fernand Benoît</a> (1891-1969), paléographe et archéologue, directeur des musées et bibliothèques de la ville.</p>
<h2>Jacques Latour et la transformation du musée Réattu</h2>
<p>Compromis avec Vichy, Fernand Benoît quitte en 1945 son poste de directeur des musées. En 1947, on nomme à sa place Jacques Latour (1918-1956), également archéologue. Son père, le peintre, décorateur et photographe <a href="https://www.alfred-latour.org/">Alfred Latour (1888-1964)</a> avait quitté Paris en 1932 pour le petit village d’Eygalières dans les Alpilles. C’est dans les paysages de Van Gogh que l’adolescent a ramassé des vestiges préhistoriques et contribué aux fouilles menées par Fernand Benoît. En 1938 il commence des études à l’école du Louvre, mais, mobilisé, doit les interrompre. De retour à Eygalières il s’engage dès 1942 dans un réseau de résistance associé aux services secrets anglais. Il est arrêté en avril 1944, torturé par la Gestapo et déporté à Dachau dans le convoi parti le 2 juillet 1944 de Compiègne <a href="https://www.resistance60.fr/1944-07-02">dont la moitié des occupants meurent avant l’arrivée</a>.</p>
<p>Jacques Latour prend ses fonctions quelques mois après la première célébration officielle de Van Gogh en France, au musée de l’Orangerie, en janvier-mars 1947. Arles, durement touchée par les bombardements de 1944, est un chantier. Le conservateur a la charge de l’ensemble des monuments et musées, dont Réattu, le musée de peinture, à propos duquel Van Gogh avait écrit en 1888 à son frère Théo qu’il était « atroce et une blague » ; il ne devait guère avoir changé depuis.</p>
<p>Ardemment soutenu par la direction des Musées de France, mais bien peu par la ville, formé par Georges-Henri Rivière (1897-1985), fondateur en 1937 du Musée des arts et traditions populaire et <a href="https://www.mucem.org/programme/exposition-et-temps-forts/georges-henri-riviere">grand rénovateur de la muséographie en France après-guerre</a>, Jacques Latour rafraîchit la muséographie arlésienne et oriente le musée Réattu vers l’art du XX<sup>e</sup> siècle, qui est à peu près ignoré alors par les musées français. Il est pour cela attaqué sans répit par les traditionalistes qui se plaignent à la Mairie, à la direction des Musées de France, à la Préfecture, au Ministre de l’Education nationale et jusqu’au guide Michelin des « idées ‘futuristes’ de ce jeune homme ne pouvant guère être appliquées dans une ville dont les richesses antiques cadrent mal avec l’art moderne » (lettre d’un « groupe d’Arlésiens, adressée le 9 janvier 1949 à Georges Salles, directeur des Musées de France). L’objectif est d’évincer le jeune conservateur, qui exerce alors ses fonctions sans titre et n’est titularisé qu’en 1951 après avoir soutenu sa thèse à l’école du Louvre.</p>
<h2>Faire amende honorable envers Van Gogh</h2>
<p>Pour orienter Arles vers l’art du XX<sup>e</sup> siècle, il fallait « purger » l’affaire Van Gogh. La ville devait, comme l’écrit Jacques Latour à l’attaché culturel des Pays-Bas le 13 janvier 1950 faire « une sorte d"amende honorable’ envers le peintre qu’elle a par trop méconnu ».</p>
<p>Un premier projet avait été imaginé dès 1948 à Saint-Rémy de Provence, dont le maire, Charles Mauron (1899-1966), écrivain et critique littéraire, était amateur de Van Gogh, de même que le docteur Edgar Leroy (1883-1965), le directeur de l’asile Saint-Paul de Mausole, où avait naguère vécu le peintre. Mais Saint-Rémy était une trop petite ville pour courir pareils frais.</p>
<p>En 1949, Jacques Latour obtient un engagement financier de la mairie d’Arles et espère monter une exposition pour l’été 1950. Il doit déchanter : il n’y a pratiquement aucune toile de Van Gogh en France ; elles sont pour la plupart aux Pays-Bas, au sein de deux collections : celle du <a href="https://krollermuller.nl/fr/galerie-van-gogh">musée Kröller-Müller à Otterlo</a> et celle du <a href="https://www.vangoghmuseum.nl/en/collection">musée municipal d’Amsterdam</a> qui appartient à une fondation dirigée par Vincent Willem van Gogh (1890-1978), dit l’ingénieur Van Gogh, le neveu du peintre. Cette fondation accepte que la collection circule en hiver, mais entend la conserver en été à Amsterdam. Or, la municipalité d’Arles n’imagine pas attirer du public en dehors de la saison d’été.</p>
<h2>En 1951, une exposition historique</h2>
<p>Dans son malheur, Jacques Latour fait, en la personne de l’ingénieur Van Gogh, une rencontre lumineuse. Celui-ci est enthousiaste à l’idée de faire revenir en Provence les œuvres de son oncle. L’opération se monte l’année suivante grâce à une coordination remarquable de trois musées entre lesquels l’exposition circule de février à juin 1951 : celui de Lyon, dirigé par René Jullian, dont Jacques Latour était proche, celui de Grenoble, où vient d’être nommé un jeune conservateur, Jean Leymarie, tourné vers l’art moderne, et ceux, conjoints d’Arles et de Saint-Rémy-de Provence. C’est partout un grand succès, mais l’exposition d’Arles et Saint-Rémy est particulièrement remarquée. Grâce à l’entremise de Jehanne Rajat, directrice de la galerie Bellechasse à Paris, Jacques Latour a en effet réussi à faire venir à Arles pour l’inauguration présidée par Gaston Deferre, alors ministre de la Marine marchande et en présence de l’ingénieur Van Gogh, qui donne une conférence, la fine fleur de la critique française.</p>
<p>« Ce n’est pas à Paris qu’il faut, en ce mois de mai, chercher la plus émouvante, la plus prestigieuse manifestation de la vie artistique : c’est en Provence. A Arles où Van Gogh est revenu, ombre pathétique, incarnée en ses œuvres » écrit Guy Dornand dans <em>Libération</em> du 8 mai 1951. Et Jean-François Reille de renchérir dans <em>Arts</em> du 11 mai : « Ce n’est pas seulement l’émotion due à la proximité extrême des motifs, l’existence autour des lieux d’exposition des sites où Vincent van Gogh travailla et souffrit sa Passion, la présence spirituelle du peintre des tournesols rendue encore plus vive par la présence effective lors du vernissage de son neveu Vincent Willem van Gogh, incarnation de l’autoportrait de l’homme à l’oreille coupée… C’est surtout, beaucoup plus simplement, la lumière de ce même soleil qui, après avoir éclairé le motif, revient éclairer l’œuvre, et la perfection, dans leur simple blanchiment à la chaux, des salles d’exposition du musée Réattu, admirablement aménagé, malgré d’énormes difficultés, par son très actif animateur, Jacques Latour ».</p>
<p>Ce succès était pourtant pétri d’ambiguïtés. La municipalité se réjouit de l’affluence des visiteurs et qu’on parle d’Arles dans la presse, jusque dans <em>Paris-Match</em>. Le 5 juin 1951, Jacques Latour écrit à Georges Salles : « Le Maire d’Arles est très content du résultat en lui-même et du rayonnement de l’exposition, notamment dans la presse française et étrangère et commence à avoir confiance dans les destinées du musée Réattu ».</p>
<h2>La fin prématurée de Jacques Latour</h2>
<p>Ce succès ne donnait pourtant pas un blanc-seing à Jacques Latour dans son travail de rénovation culturelle. La situation se tend au cours de l’année 1954 quand Fernand Benoît attaque publiquement le réaménagement par Jacques Latour du Musée lapidaire païen mené à la demande de la Direction des musées de France et sous son contrôle rapproché. Au début de l’année 1956, Jacques Latour est détaché au musée Cantini à Marseille, provisoirement sans titulaire. Le maire d’Arles nomme le 7 septembre le jeune Jean-Maurice Rouquette (1931-2019) « chargé de mission » au musée. Jacques Latour, qui a compris que c’est pour l’évincer, est très affecté. Sa santé était altérée par les mauvais traitements subis pendant la guerre et par sa suractivité. Le 18 septembre, il meurt brutalement dans les murs du musée Cantini. Le 1<sup>er</sup> octobre, Jean-Maurice Rouquette prend officiellement, et pour quarante ans, sa succession.</p>
<p>Jean-Maurice Rouquette, lui aussi archéologue, poursuivra l’action modernisatrice de Jacques Latour, confirmant l’orientation du musée Réattu vers l’art du XX<sup>e</sup> siècle, grâce notamment à la <a href="http://www.museereattu.arles.fr/">donation de Picasso en 1971</a> et contribuant puissamment à la création du <a href="https://www.arlesantique.fr/">musée départemental Arles-Antique</a>, chef d’œuvre de muséographie archéologique. Mais la mémoire de Jacques Latour, qui avait donné la première impulsion après-guerre à ce mouvement de rénovation, a été oubliée à Arles. Quand, en 1989, une grande exposition est organisée pour le centenaire du séjour de Van Gogh, <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cab89006573/exposition-van-gogh-a-arles">celle de 1951 n’est pas citée</a>.</p>
<p>Étrange correspondance : Vincent van Gogh est mort à trente-sept ans, Jacques Latour, à trente-huit. Le conservateur, qui a tant œuvré pour faire revenir le peintre dans la ville d’Arles, mérite que celle-ci lui fasse une petite place dans sa mémoire.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’appuie sur une étude en cours sur les archives du musée Réattu au cours de la période où il a été placé sous la direction de Jacques Latour (1948-1956). Les citations non-référencées sont extraites de ces archives</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215471/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Je travaille en toute liberté, mais en lien avec la direction du musée Réattu à Arles qui m'a ouvert ses archives. J'ai aussi des liens avec la fondation "Alfred Latour", laquelle n'a pas dans ses missions l'entretien de la mémoire de son fils à Arles. Il m'est arrivé de bénéficier de financements publics, mais pas dans le cadre des recherches qui sont ici présentées.</span></em></p>
Dans l’entre-deux-guerres, l’élite arlésienne se préoccupait peu de Van Gogh. C’est à Jacques Latour, conservateur des Musées d’Arles, que l’on doit le retour en grâce du peintre, en 1951.
François Vatin, Enseignant-Chercheur en sociologie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
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tag:theconversation.com,2011:article/208792
2023-09-28T19:14:48Z
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Le striptease de la momie au XIXᵉ siècle ou la fascination de l’Occident pour les dépouilles antiques
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539309/original/file-20230725-19-w5id6g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C7%2C792%2C577&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Illustration de Martin Van Maële : la momie de la nouvelle fantastique "Lot n°249"(1892) d’Arthur Conan Doyle.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Mummy_%28undead%29">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Le 25 juin 1882, le <em>New York Times</em> publie un article intitulé <a href="https://www.nytimes.com/1882/06/25/archives/mummies-as-bricabrac.html">« Mummies as Bric-a-Brac »</a> rapportant que certes, l’homme moderne se doit de voyager et découvrir l’Égypte, mais qu’il est recommandé, en plus, d’en ramener une momie en souvenir.</p>
<blockquote>
<p>« Le voyageur moderne ne se contente pas de collectionner des perles, des statuettes funéraires d’autres objets de ce genre. Il doit ramener chez lui un ancien Égyptien in propria persona. »</p>
</blockquote>
<p>Pourquoi inciter à un tel comportement ? Par-delà l’aspect d’un simple témoignage archéologique, quels attributs, quels pouvoirs confère-t-on aux momifiés, à l’époque ?</p>
<h2>La momie et ses vertus thérapeutiques</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550638/original/file-20230927-29-zeb8bw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550638/original/file-20230927-29-zeb8bw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1039&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550638/original/file-20230927-29-zeb8bw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1039&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550638/original/file-20230927-29-zeb8bw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1039&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550638/original/file-20230927-29-zeb8bw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1306&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550638/original/file-20230927-29-zeb8bw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1306&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550638/original/file-20230927-29-zeb8bw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1306&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un pot pharmaceutique du XVIIIᵉ siècle, supposé contenir des matières issues de momies.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Albarello_MUMIA_18Jh.jpg">Bullenwhächter/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si la présence de momies en Égypte n’était pas un fait inconnu des Occidentaux, c’est seulement à partir de l’époque médiévale que les Européens s’intéressent aux substances utilisées pour la momification. Cette possibilité de conserver les morts durant des siècles va conférer à cette pratique une nouvelle dimension : on prête à la momie des vertus thérapeutiques.</p>
<p>Le mot <em>momie</em> est une dérive du latin médiéval <em>mumia</em> désignant une <a href="http://ducange.enc.sorbonne.fr">« substance extraite des corps embaumés, utilisée comme drogue médicinale »</a>, lui-même issu de l’arabe <em>mūmiyā</em> désignant un « mélange de poix et de bitume servant à embaumer les morts ». Ainsi, dès le XIIᵉ siècle, <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/46052?lang=fr">les momies sont utilisées comme remèdes pharmaceutiques</a>. Le bitume utilisé par les anciens Égyptiens pour préserver le corps, afin qu’ils puissent selon les croyances antiques revivre dans l’au-delà, était alors utilisé pour soigner divers symptômes par les médecins orientaux et occidentaux.</p>
<p>Si l’on en croit le <a href="https://en.wikisource.org/wiki/Sir_Thomas_Browne%27s_works,_volume_3_(1835)/Hydriotaphia">médecin anglais Sir Thomas Browne, en 1658</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La momie est devenue une marchandise […] et Pharaon est vendu pour des baumes. »</p>
</blockquote>
<p>Progressivement, l’utilisation de corps momifiés devient une nécessité pour la pharmacopée médiévale. Les momies étaient démembrées, broyées et importées en Europe afin de produire <a href="https://www.biusante.parisdescartes.fr/pare/08-08.htm">« une poudre de momie »</a> consommée au travers d’onguents, comme médicament ou calmant traitant les blessures, abcès ou problèmes intestinaux.</p>
<p>On prêtait aux momies une fonction curative, en référence à une Égypte mystique capable par sa magie de guérir les maladies. Cet aspect se double d’une fonction mercantile : elle est vendue à prix d’or et le marché de la momie est en pleine expansion au Moyen-âge, non sans dérives : certains marchands se vantaient de détenir de la poussière de momie royale !</p>
<p>Face à la demande exponentielle d’un marché européen en plein essor, le pillage de nécropoles égyptiennes s’intensifie. Les momies devenant rares et coûteuses, les faussaires font leur apparition avec des momies d’animaux, des momies de morts prématurés de maladies, voire des modèles en cire. Malgré les malversations l’engouement pour la poudre de momie « rédemptrice » n’a pas disparu. Hier encore (1998), la poussière de momie – ou pseudo – se vendait sur les étagères des <a href="https://www.academia.edu/3265928/1998_The_Mummy_in_Ancient_Egypt_Equipping_the_Dead_for_Eternity_London_Thames_and_Hudson">boutiques occultes de New York et Philadelphie</a>.</p>
<h2>Momie peinture et momie papier</h2>
<p>Les momies suscitent un enthousiasme certain dans le domaine artistique au XIX<sup>e</sup> siècle. Ce siècle du romantisme et de l’orientalisme qui s’ouvre en Europe comme aux États-Unis pousse les artistes peintres à utiliser d’autres matériaux et notamment le « caput mortuum » ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Brun_momie">« brun de momie »</a> pigment rouge contenant à l’origine des morceaux broyés de momies, de résine blanche et de myrrhe.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550649/original/file-20230927-27-ti73gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550649/original/file-20230927-27-ti73gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=481&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550649/original/file-20230927-27-ti73gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=481&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550649/original/file-20230927-27-ti73gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=481&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550649/original/file-20230927-27-ti73gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=604&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550649/original/file-20230927-27-ti73gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=604&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550649/original/file-20230927-27-ti73gr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=604&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Cet <em>Intérieur d’une cuisine</em> de Martin Drôlling (1815) aurait été peint à base de brun de momie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010065880">Louvre</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Produit pour la peinture à l’huile, son utilisation s’est étendue à d’autres techniques comme l’aquarelle. Utilisé pour donner aux œuvres d’art une dimension exotique et éternelle, son emploi n’a connu qu’un succès mitigé. Les artistes émettaient des réserves quant à sa fiabilité :</p>
<blockquote>
<p>« Bitume momie, couleur brun roux, origine bitume naturel, le plus néfaste des pigments. Ne sèche jamais. » (André Béguin, Mémento pratique de l’artiste peintre, 1979)</p>
</blockquote>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550639/original/file-20230927-17-ykyqr3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550639/original/file-20230927-17-ykyqr3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550639/original/file-20230927-17-ykyqr3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550639/original/file-20230927-17-ykyqr3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550639/original/file-20230927-17-ykyqr3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550639/original/file-20230927-17-ykyqr3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550639/original/file-20230927-17-ykyqr3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une page du livre du <em>Jubilé de Norwich</em> (1859) imprimé sur du papier fabriqué à partir des enveloppes de momies égyptiennes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://mummymania.omeka.net/exhibits/show/mummy-paper-no-longer-an-urban/item/95">Mummy mania</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les réserves quant à son utilisation se justifient également par une question éthique notamment en ce qui concerne la fabrication de cette poudre avec des morceaux de momies. Si cette question était ignorée à l’époque par certains artistes au vu des intérêts commerciaux, d’autres au contraire s’insurgent et en 1881, l’artiste peintre préraphaélite Lauwrence Alma Tadena décide d’enterrer ses tubes de peinture après avoir appris que <a href="https://archive.org/details/memorialsofedwar02burn/page/114/mode/2up">les couleurs avaient été obtenues à partir d’une momie</a> !</p>
<p>Dans le domaine industriel, aux États-Unis, les momies trouvent aussi une utilisation bien singulière. On s’en sert pour pallier le coût des fibres de chiffon, dans la réalisation du papier moderne. Les papeteries américaines ont ainsi utilisé le linceul de nombreuses momies afin de fabriquer du papier, comme ce fut le cas, en 1862, de la papeterie américaine du <a href="https://www.academia.edu/35561637/Mummies_in_Maine_pdf">Maine d’Augustus Stanwood</a> pour confectionner son papier d’emballage. Signe de mauvais augure, la légende veut que l’ensemble de ses ouvriers soient morts du choléra.</p>
<p>On peut lire sur une affiche de célébration de Jubilé à Norwich, en 1859 :</p>
<blockquote>
<p>« Ce papier est fabriqué par la Chelsea Manufacturing Company de Greenville, la plus grande usine de papier au monde. Le matériau qui le compose a été apporté d’Égypte. Il a été prélevé dans d’anciennes tombes où il avait été utilisé pour l’embaumement de momies ».</p>
</blockquote>
<h2>Des bizarreries qui attisent la curiosité</h2>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, l’Égypte antique est perçue comme la mère des civilisations. Le vestige égyptien était gage de sagesse pour son propriétaire. Toutefois, seule une infime partie de la population américaine, souvent aisée, pouvait faire ce genre d’acquisition. Faire découvrir les richesses de l’Égypte à l’immense majorité de la population devient dès lors une source de profits pour les entrepreneurs du spectacle.</p>
<p>Avant d’être exposées dans les musées, les momies étaient promenées de ville en ville dans les carnavals et cirques itinérants et expositions de fortune. La momie, au même titre que les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Freak_show">« freak shows »</a>, était avant tout un objet de divertissement, une bizarrerie humaine.</p>
<p>Parallèlement, d’autres spectacles sont organisés et touchent une frange plus érudite de la population. Ce fut le cas des démaillotages de momies. En effet, dans une perspective scientifique, les momies étaient « déshabillées » et étudiées en public. Le médecin <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Pettigrew">Thomas Joseph Pettigrew</a> en Angleterre et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Robin_Gliddon">George Robin Gliddon</a> aux États-Unis sont les plus célèbres examinateurs de momie. Véritables spectacles aux États-Unis, les démaillotages étaient un moyen de montrer à un public passionné des exemples réels de sauvetage et d’analyse des vestiges du passé et, en outre, d’imprégner les esprits sur <a href="https://theconversation.com/egypte-blanche-egypte-noire-histoire-dune-querelle-americaine-197119">l’évolution raciale présentant les « caucasiens » comme descendant des Égyptiens</a>. Ces démaillotages étaient suivis par des conférences sur le thème de la momification.</p>
<p>On peut lire dans le <em>Baltimore Patriot</em>, en 1830 :</p>
<blockquote>
<p>« Ces vénérables vestiges de l’antiquité présentent à l’œil du spectateur une image saisissante de trois mille ans, et constituent incontestablement la plus grande curiosité jamais offerte à un public américain. »</p>
</blockquote>
<h2>La malédiction des momies</h2>
<p>Dans l’élan impérialiste et colonialiste du XIX<sup>e</sup> siècle et début XX<sup>e</sup>, l’archéologie et la fiction populaire transforment la momie en une figure féminine séduisante et maléfique.</p>
<p>La quête scientifique objectivant la momie et sa marchandisation fait naître dans les romans victoriens, comme ceux de H.D. Everett, <a href="https://books.google.fr/books/about/Iras.html?id=10rSzQEACAAJ&redir_esc=y"><em>Iras. A Mystery</em></a> (1896) Rider Haggard, <a href="https://books.google.fr/books/about/She.html?id=84jebkn7E90C&redir_esc=y"><em>She</em></a> (1887) ou encore de Bram Stoker, <a href="https://www.google.fr/books/edition/The_Jewel_of_Seven_Stars/eO1BEAAAQBAJ"><em>The Jewel of Seven Stars</em></a> (Le Joyau des sept étoiles, 1903), une réincarnation de la figure de la momie présentée comme humaine et séduisante.</p>
<p>Victime directe des recherches archéologiques et de la profanation des tombeaux, elle se réincarne sous la forme d’une beauté orientale vengeresse. Les châtiments que la momie inflige sont aussi liés aux démaillotages publics et aux examens réalisés par les archéologues, perçus comme une forme d’agression sexuelle.</p>
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<span class="caption">Une annonce de démaillotage de momie, à Boston, en 1850, sous la houlette de George Gliddon, premier égyptologue américain.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://echoesofegypt.peabody.yale.edu/mummy-mania/broadsheet-announcement-mummy-unwrapping">Yale</a></span>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550635/original/file-20230927-23-1viyn1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550635/original/file-20230927-23-1viyn1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550635/original/file-20230927-23-1viyn1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550635/original/file-20230927-23-1viyn1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=794&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550635/original/file-20230927-23-1viyn1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550635/original/file-20230927-23-1viyn1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550635/original/file-20230927-23-1viyn1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=998&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Page de titre de l’ouvrage de Jane Webb Loudon (1828), l’une des premières histoires à traiter d’une « malédiction de la momie ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Mummy!#/media/Fichier:The_Mummy!_1828_second_ed%20ition.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>En effet, les démaillotages relatés dans les premiers romans d’époque victorienne renvoient à la conquête occidentale de l’Orient, personnifiée par la momie, symbole d’une femme vierge étrangère soumise aux envahisseurs. Cette femme orientale est détaillée, déballée, et pénétrée comme devait l’être l’Égypte coloniale. L’exposition du corps momifié, le retrait des bandages de lin, laissant apparaître un corps nu sans défense, dévoile un fantasme érotique comparable au viol. L’objet archéologique (la momie) devient un objet sexuel.</p>
<p>Cette sexualisation de la momie trouve également un écho dans le pillage des tombes égyptiennes. S’intensifiant au XIX<sup>e</sup> siècle, les pillages de tombeaux et l’accaparement des momies reflètent également le concept sexualisé de la pénétration et du viol. Très présente dans la littérature victorienne, la malédiction de la momie incarne la notion de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vagina_dentata">vagina dentata</a> : les momies revenues à la vie se vengent du viol de la pénétration du tombeau (<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Lost_in_a_Pyramid;_or,_The_Mummy%27s_Curse">Louisa May Alcott, <em>Lost in Pyramid or, The Mummy’s Curse</em></a>, 1869).</p>
<p>Dans le <em>Roman de la Momie</em>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Roman_de_la_momie">Thépophile Gautier écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai l’idée que nous trouverons […] un tombeau qui n’a jamais été altéré […] mais qui nous livrera, intactes, toutes les richesses de son mystère vierge. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550644/original/file-20230927-21-dnpvu6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550644/original/file-20230927-21-dnpvu6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1022&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550644/original/file-20230927-21-dnpvu6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1022&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550644/original/file-20230927-21-dnpvu6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1022&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550644/original/file-20230927-21-dnpvu6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1284&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550644/original/file-20230927-21-dnpvu6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1284&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550644/original/file-20230927-21-dnpvu6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1284&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Albert Robida, illustration pour le <em>Roman de la momie</em> de Théophile Gautier (1858).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Roman_de_la_momie#/media/Fichier:Albert_Robida_-_Le_Roman_de_la_momie.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Ainsi, bien avant la découverte du tombeau de Toutankhamon (1922), l’idée de malédiction par une momie vengeresse trouve écho dans la profanation des tombes égyptiennes et l’absence de culpabilité des archéologues qui violent les tombeaux. L’une des plus célèbre momies vengeresses est <a href="https://www.britishmuseum.org/collection/object/Y_EA22542">« The Unlucky Mummy » conservée au British Musuem (BMEA22542)</a> : elle aurait porté malheur à l’ensemble de ceux qui l’ont rencontrée et aurait même, d’après une légende, fait couler le <em>Titanic</em>.</p>
<h2>La momie face aux chrétiens</h2>
<p>Ces déballages, ces exhibitions de momie dénotent une certaine curiosité malsaine, forme de voyeurisme à l’égard du défunt et de la mort. Dans cette période victorienne où la mort est omniprésente, la curiosité face à des corps enveloppés et momifiés l’emporte sur la pudeur et la dignité. Mais cette curiosité se pare aussi d’un esprit religieux et scientifique marqué par la volonté de prouver les évènements bibliques.</p>
<p>Le démaillotage de momies posait également la question des richesses contenues dans les sépultures des momies. En effet, l’austérité prônée par la religion chrétienne était en totale contradiction avec l’abondance de richesses que contenaient certains tombeaux ou momies égyptiennes. Cette profusion de richesses amena certains à émettre l’hypothèse que les Égyptiens étaient incapables de reconnaitre la valeur des objets enfouis avec leurs morts.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550651/original/file-20230927-17-mnqkoz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550651/original/file-20230927-17-mnqkoz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=752&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550651/original/file-20230927-17-mnqkoz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=752&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550651/original/file-20230927-17-mnqkoz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=752&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550651/original/file-20230927-17-mnqkoz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=945&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550651/original/file-20230927-17-mnqkoz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=945&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550651/original/file-20230927-17-mnqkoz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=945&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dans La Tombe de la Momie (1942), un film d’horreur de Lon Chaney. Le héros est assassiné par une momie venue pour se venger de la profanation de la tombe d’Ananka.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Tombe_de_la_Momie">Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>Dans un esprit de charité et de ferveur chrétienne et bien que les Égyptiens soient polythéistes, un nombre important de momies ont été réenterrées dans de nouvelles sépultures chrétiennes. La momie <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Amum-Her-Khepesh-Ef">d’Amun-Her-Kepesh-Ef vendue à Henry Sheldon</a> en 1886 pour son musée de Middlebury (Vermont) a été redécouverte dans le grenier du musée par le conservateur George Mead en 1950. La momie fut incinérée et enterrée au West Cemetery (Vermont) <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Encyclopedia_of_Mummies.html?id=rdmONAAACAAJ&redir_esc=y">avec une croix chrétienne sur sa pierre tombale</a> – une manière de se soucier de la dignité et de l’âme du défunt.</p>
<p>Tombeaux violés, momies transformées en onguent médicinal, en peinture, démaillotées en public : le XIX<sup>e</sup> siècle marque une certaine déshumanisation des momies. Pillées et séparées des biens avec lesquels elles avaient été enterrées, les momies ont perdu une part de leur identité, de leur intégrité et de leur caractère mystique.</p>
<p>Le XXI<sup>e</sup> siècle offre un nouveau regard sur les momies. Les travaux archéologiques et scientifiques ont apporté de nombreuses réponses et une meilleure compréhension concernant les sépultures égyptiennes, les techniques d’embaumement et par la même des momies. De nouvelles fouilles, comme celle de Saqqarah et la découverte d’une momie de plus de 4 000 ans, enrichissent toujours l’histoire de cette civilisation. Mais la fascination pour les momies, elle, n’est pas prête de s’éteindre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208792/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Vanthournout ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Entre pseudo vertus thérapeutiques, usages insolites et fascination morbide, pourquoi les momies exhumées en Égypte ont connu un destin hors du commun.
Charles Vanthournout, Professeur d'histoire-géographie et Doctorant en égyptomanie américaine, Université de Lorraine
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/204076
2023-05-25T16:49:50Z
2023-05-25T16:49:50Z
Picasso, une attraction touristique comme les autres ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/527684/original/file-20230523-15-a07yvj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4000%2C2622&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Événement de présentation de l'année Picasso à Pékin.</span> <span class="attribution"><span class="source"> @edwardquinn.com. Turespana. Succession Pablo Picasso, VEGAP, Madrid, 2023</span></span></figcaption></figure><p>Il y a 50 ans disparaissait <a href="https://theconversation.com/picasso-le-genie-de-la-celebrite-46562">Pablo Ruiz Picasso</a> (1881-1973), souvent présenté comme « le génie du XX<sup>e</sup> siècle » et « le plus français des peintres espagnols ». En toute logique, l’année 2023 est donc <a href="https://celebracionpicasso.es">riche en événements dédiés à l’artiste</a>, des deux côtés des Pyrénées.</p>
<p>Sa Malaga natale, la Barcelone de sa jeunesse, le Paris bohème, le charme paisible de la Côte d’Azur : les hommages à l’artiste le plus prolifique du XX<sup>e</sup> siècle – et aussi l’un des plus décriés sur le plan personnel, nous y reviendrons – se succèdent dans ces lieux qui ont marqué sa vie.</p>
<p>Le calendrier binational élaboré par une commission gouvernementale franco-espagnole intègre des sites moins directement liés au peintre, comme La Corogne, où il passa une partie de son enfance, entre 10 et 14 ans, ou encore les grands musées de Madrid et Bilbao. Par ailleurs, New York, où il ne mit jamais les pieds, mais qu’il avait choisi pour exposer son <em>Guernica</em>, se joint aux célébrations.</p>
<p>Ce n’est pas la première fois que sa figure est associée à la publicité – pensons à la fameuse <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/publicite/pub3175453020/citroen-xsara-picasso-grimaces">Citroën Picasso</a> – ou au tourisme. L’organisme du gouvernement espagnol en charge de la promotion touristique avait déjà utilisé ses <em>Pigeons</em>, sa <em>Tête de femme</em> ou encore <em>Jacqueline au mouchoir noir</em> pour illustrer des affiches dans les années 1980-1990.</p>
<p>Mais à l’aune des récentes polémiques, comment l’image de Picasso peut continuer à alimenter des campagnes promotionnelles et touristiques ?</p>
<h2>Art et tourisme</h2>
<p>Le premier musée Picasso fut ouvert de son vivant en 1935, à Barcelone, sous l’impulsion du secrétaire particulier du peintre, Jaime Sabartés.</p>
<p>Après sa mort, les dons de sa veuve, Jacqueline Roque et de ses enfants, <a href="https://www.dailymotion.com/video/xfef5h">exonérés d’impôts par l’État français</a> et de particuliers ont permis d’ouvrir plusieurs musées : <a href="https://www.museepicassoparis.fr/fr/page-daccueil">à Paris en 1985</a> et <a href="https://museopicassomalaga.org/en">à Malaga</a> (d’abord sa maison natale en 1988, puis le musée en 2003).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/527686/original/file-20230523-28-hahkyt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/527686/original/file-20230523-28-hahkyt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=308&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/527686/original/file-20230523-28-hahkyt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=308&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/527686/original/file-20230523-28-hahkyt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=308&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/527686/original/file-20230523-28-hahkyt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/527686/original/file-20230523-28-hahkyt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/527686/original/file-20230523-28-hahkyt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La marinière et les yeux ronds, identifiables entre tous.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pixabay</span></span>
</figcaption>
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<p>En 1981, Picasso était déjà à l’honneur pour les 100 ans de sa naissance. Timbres et expositions accompagnent l’événement de l’année : l’arrivée à Madrid de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/09/11/quarante-quatre-ans-apres-sa-realisation-le-guernica-de-picasso-arrive-a-madrid_3040774_1819218.html"><em>Guernica</em></a>. Œuvre de commande pour le pavillon espagnol (et républicain) de l’<a href="https://parcours.cinearchives.org/les-films-paris-1937-l-exposition-internationale-des-arts-et-des-techniques-731-22-0-1.html">Exposition universelle</a>, l’œuvre était alors conservée au MOMA, à New York. Picasso voulait que ce tableau soit exposé au Prado, avec les Velazquez et Goya, mais pas dans une Espagne encore <a href="https://www.metmuseum.org/art/collection/search/370475">franquiste</a>. Cela ne se fit pas sans <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i13175597/guernica-au-prado">difficulté</a>, mais dès octobre 1981, soit six ans après la mort du dictateur, Madrilènes et touristes de passage pouvaient admirer le chef-d’œuvre pacifiste – d’abord au Casón del Buen Retiro puis depuis 1992 au musée de la Reina Sofía.</p>
<p>Son œuvre monumentale en fait un des peintres contemporains espagnols les plus emblématiques du XX<sup>e</sup> siècle, aux côtés de Salvador Dalí et de Joan Miró. D’ailleurs, tous trois furent associés à la promotion touristique espagnole à l’aube de l’<a href="https://www.lesechos.fr/1992/04/lexpo-92-accelere-la-modernisation-de-lespagne-924654">année 1992</a>, moment clé pour l’Espagne qui, selon la condescendante presse française entrait dans « la modernité » avec les Jeux olympiques de Barcelone, l’Exposition universelle de Séville et Madrid capitale culturelle.</p>
<p>L’<a href="http://langues.ac-dijon.fr/IMG/jpg/13-dali.jpg">œuvre de Dalí</a> apparaît alors dans des campagnes touristiques, tandis que dès 1991, le soleil de Miró devient l’<a href="https://www.hosteltur.com/183320_logo-turespana-seleccionado-perdurables-mundo.html">identité visuelle du tourisme espagnol</a>.</p>
<h2>Un pavé dans la mare</h2>
<p>Seulement voilà, après plusieurs décennies à associer Picasso à <a href="https://www.cinearchives.org/Films-CONGRES-MONDIAL-DES-PARTISANS-DE-LA-PAIX-447-533-0-1.html">sa célèbre colombe de la paix</a> déclinée sous forme de pin’s et d’affiches, l’artiste est sévèrement remis en question. Dès les années 80, le féminisme questionne et bouscule une histoire de l’art profondément masculine qui tend à reproduire les structures patriarcales.</p>
<p>Parallèlement aux actions des <a href="https://awarewomenartists.com/artiste/guerrilla-girls/"><em>Guerilla Girls</em></a> (groupe d’artistes féminines anonymes) qui dénoncent l’invisibilisation des femmes artistes dans les musées, plusieurs expositions récentes s’attellent à ce sujet : le Prado s’intéresse « <a href="https://lepetitjournal.com/madrid/a-voir-a-faire/invitadas-sois-belle-et-tais-toi-au-musee-du-prado-jusquau-1403-300010">au machisme dans l’art espagnol du XIXᵉ siècle</a> » tandis que le musée du Luxembourg présente les artistes « <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/exposition-pionnieres-au-musee-du-luxembourg-decouvrez-ces-artistes-femmes-des-annees-folles-qui-ont-fait-bouger-les-lignes_5104141.html">Pionnières</a> » du XX<sup>e</sup> siècle, au risque de <a href="https://hyperallergic.com/652334/we-dont-need-more-temporary-exhibitions-of-all-women-artists/">l’essentialisation</a>. Des publications de vulgarisation et des révélations émergent sur les pans les moins connus de la vie personnelle de Picasso – et ce n’est pas rose.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/sENT7Ntbr-o?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En mai 2021, le podcast <a href="https://podcloud.fr/podcast/venus-sepilait-elle-la-chatte/episode/picasso-separer-lhomme-de-lartiste">« Vénus s’épilait-elle la chatte ? »</a> se penche sur le cas Picasso. Il y est question de misogynie, de tyrannie, de violences physiques et psychologiques, de viols. Julie Beauzac, sa créatrice, fonde ses propos sur les ouvrages d’Arianna Huffington, <em>Picasso : Creator and Destroyer</em> (1989) et Sophie Chauveau, <em>Picasso, le Minotaure</em> (2017) ainsi que sur les déclarations des proches de l’artiste.</p>
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<p>Mis en ligne à l’apogée <a href="https://theconversation.com/les-armes-numeriques-de-la-nouvelle-vague-feministe-91512">du mouvement #MeToo</a>, ce podcast rencontre un succès phénoménal. C’est le fameux <a href="https://theconversation.com/debat-peut-on-separer-la-femme-de-lartiste-132926">débat de la séparation entre l’homme et l’artiste</a>, entre le minotaure et le génie, opposant ceux qui veulent effacer Picasso – des enseignants évoquent d’ailleurs le <a href="https://www.eldiario.es/cultura/arte/ano-picasso-arranca-tiron-orejas-organizadores-hay-borrarlo-empezar-leerlo-nuevo_1_9309312.html">refus de certains élèves de l’étudier</a> – et d’autre part ses défenseurs qui <a href="https://theconversation.com/debat-confondre-lhomme-et-loeuvre-ou-le-retour-de-sainte-beuve-127950">n’ont pas de mots assez durs pour les premiers</a>.</p>
<p>Dans ces conditions, que faire de Picasso ?</p>
<h2>Vers une troisième voie ?</h2>
<p>Pour tenter d’ouvrir une troisième voie, les musées réagissent. À Paris, avec l’ouverture d’un Centre d’Études Picasso à l’horizon 2024, des conférences, un <a href="https://www.museepicassoparis.fr/fr/orlan-les-femmes-qui-pleurent-sont-en-colere">affichage de l’artiste féministe Orlan</a> ou encore au Brooklyn Museum avec une <a href="https://celebracionpicasso.es/en/evento/picasso-y-feminismo">exposition sur Picasso et le féminisme</a>.</p>
<p>Entre le danger de l’annulation – <em>cancellation</em> en anglais – pure et dure et l’impossibilité d’ignorer la production d’un artiste qui révolutionna l’histoire de l’art, il s’agit à la fois de privilégier la pédagogie, de ne pas oublier la nécessaire contextualisation, d’insister sur les aspects constructifs de la vie et de l’œuvre du peintre – son côté prolifique, son engagement politique humaniste – mais aussi de reconsidérer les femmes qui ont traversé sa vie, qu’elles aient été artistes, muses, victimes ou les trois à la fois.</p>
<p>Dans cette perspective, les <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/095167-000-A/pablo-picasso-et-francoise-gilot/">documentaires</a>, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-des-matins-d-ete/picasso-l-ombre-au-tableau-1004420">reportages</a> et propositions artistiques abondent. <a href="https://www.rtbf.be/article/50-ans-de-la-mort-de-picasso-il-a-detruit-la-carriere-de-plusieurs-femmes-artistes-11181241">Amande Art</a> propose ainsi un hommage à la chorégraphe <a href="https://www.museepicassoparis.fr/en/node/562">Eva Gouel</a>, la photographe et peintre <a href="https://www.beauxarts.com/grand-format/pablo-picasso-dora-maar-entre-influence-et-alienation/">Dora Maar</a>, la danseuse <a href="https://www.museepicassoparis.fr/fr/olga-picasso">Olga Khokhlova</a>, les peintres <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/pablo-picasso/culture-marie-therese-walter-la-muse-meconnue-de-picasso_5203534.html">Marie-Thérèse Walter</a>, <a href="https://museedemontmartre.fr/exposition/expo-fernande-olivier-picasso/">Fernande Olivier</a> et <a href="https://le1hebdo.fr/journal/video/145/picasso-et-franoise-gilot-la-femme-qui-dit-non.html">Françoise Gilot</a> grâce à des collages. À Barcelone, l’historienne de l’art María Llopis et ses étudiants organisent même une manifestation-performance au musée en arborant des tee-shirts « Museo Dora Maar ».</p>
<p>Un travail de visibilisation des femmes artistes qui ont gravité autour du peintre, que l’on devrait connaître autrement qu’en tant que « femmes de », est en cours – sans pour autant effacer Picasso et son œuvre.</p>
<h2>Et le tourisme dans tout ça ?</h2>
<p>Malgré les polémiques, les œuvres de Picasso se vendent en tout cas toujours à prix d’or, et sa popularité est telle que l’on oublie même parfois sa nationalité.</p>
<p>C’est cette facette de l’artiste que la commission franco-espagnole veut mettre en avant cette année. Picasso ne sera en effet jamais français : il découvre le pays à l’âge de 20 ans, s’y installe vraiment en 1904, demande la nationalité en 1940, on la lui refuse pour accointances avec l’anarchisme et le communisme. Lorsque la France revient vers lui pour le naturaliser, c’est lui qui décline la proposition. Mais peut-on le dire espagnol ? Il a passé presque toute sa vie en France, ne retournant que de façon ponctuelle en Espagne ; il ne s’y rendra pas du tout sous le <a href="http://www.revistasmarcialpons.es/revistaayer/article/view/744/805">franquisme</a>.</p>
<p>Avec cet entre-deux, la commission franco-espagnole en charge de l’année Picasso l’associe tantôt à France tantôt à l’Espagne. Il n’est pas question ici d’opter pour l’effacement, mais il ne s’agit pas non plus d’en faire l’éloge absolu.</p>
<p>Lors d’une présentation des célébrations organisées à Vallauris, dans les Alpes-Maritimes, où l’artiste séjourna de 1948 à 1955, <a href="https://www.picasso.fr/details/ojo-les-archives-novembre-2015-ojo-31-a-lire-autour-de-picasso-dominique-sassi-dans-lombre-de-picasso-20-ans-aux-cotes-du-maitre">l’ami céramiste de Picasso Dominique Sassi</a> avait évoqué les débats actuels puis, avec un talent de conteur incontestable, partagé son tendre souvenir de l’artiste.</p>
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<figcaption><span class="caption">Sur les traces de Picasso entre Barcelone et Paris, 50 ans après sa mort.</span></figcaption>
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<p>Des deux côtés des Pyrénées, il est donc toujours question d’encourager le tourisme au travers de la figure de l’artiste. La campagne de promotion de Turespaña, l’organisme en charge de la promotion touristique, met en avant l’étincelle créative, l’inspiration. La véritable muse de Picasso, c’est l’Espagne – exit les femmes violentées. Le slogan « L’Espagne a inspiré Picasso. Venez y trouver votre inspiration » vise à créer du lien entre le territoire, l’artiste et le touriste. Mais il s’agit avant tout de mettre en avant le rapport affectif du touriste avec le pays. Un procédé communicationnel récurrent (déjà exploité dans les <a href="https://journals.openedition.org/ccec/11605">slogans des campagnes précédentes</a> : « I need Spain », « Spain is a part of you », « Spain is alive in you ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Un spot qui mise sur Picasso comme source d’« inspiration », pour les touristes.</span></figcaption>
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<p>On insiste sur l’inspiration, la possibilité de se réaliser grâce au voyage ; Picasso apparaît comme celui qui ouvre la voie. Selon les mots de Miguel Sanz, directeur de Turespaña, il est question de <a href="https://journals.openedition.org/ccec/14323">dépasser le regard touristique</a> habituellement posé sur son pays en regardant les choses « d’une autre façon, comme Picasso ».</p>
<p>Le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=OeVsSxvyME8">spot met en scène un jeune couple en train d’admirer <em>Les demoiselles d’Avignon</em> au musée de Malaga</a> – une tapisserie créée à partir de l’original exposé à New York. S’opère alors un déclic qui lance une course dans la ville sur fond de pop sixties vitaminée <em>Bring a little Lovin’</em> du groupe espagnol Los Bravos (1968), remise à la mode par Tarantino dans <em>Once Upon a Time in Hollywood</em> en 2019. Les lieux traversés s’animent, se parent de mille couleurs et de formes cubistes.</p>
<p>À part le clin d’œil à sa célèbre marinière, on oublie un peu l’artiste, jusqu’au slogan et la bannière finale « Picasso celebración 1973-2023 » sur fond bleu et rose. Picasso n’est plus un but en soi mais une porte d’accès à une expérience personnelle.</p>
<p>C’est finalement ce que propose une bonne partie de la programmation : éveiller la curiosité des touristes à partir des lieux ou des choses qui éveillèrent celle de Picasso comme l’art rupestre, les grands maîtres du Prado et les paysages.</p>
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<img alt="Peinture « Deux femmes courant sur la plage » de Picasso" src="https://images.theconversation.com/files/526494/original/file-20230516-17-1tgjy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/526494/original/file-20230516-17-1tgjy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/526494/original/file-20230516-17-1tgjy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/526494/original/file-20230516-17-1tgjy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/526494/original/file-20230516-17-1tgjy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/526494/original/file-20230516-17-1tgjy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/526494/original/file-20230516-17-1tgjy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Deux femmes courant sur la plage, réalisé à l’été 1922 à Dinard et exposé au musée national Picasso-Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Cette campagne vise à encourager <a href="https://iberical.sorbonne-universite.fr/numeros/numero-21-printemps-2022/">le tourisme culturel</a> souhaité par les autorités espagnoles pour désengorger les plages pendant la saison estivale. Un défi auquel les institutions touristiques travaillent depuis plusieurs décennies dans le but de chambouler l’image persistante d’un pays de <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i14211517/vacances-en-espagne">« sol y playa »</a> ; l’ambiguïté du personnage, elle, reste entière.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204076/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Comment « vendre » l’image de Picasso, peintre espagnol emblématique du XXᵉ siècle, alors que sa personnalité tyrannique et misogyne est de mieux en mieux connue du grand public ?
Ivanne Galant, Maîtresse de Conférences, Docteure en études hispaniques, Université Sorbonne Paris Nord
Jorge Villaverde, Historien, enseignant chercheur, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/196013
2023-01-06T14:18:40Z
2023-01-06T14:18:40Z
Basquiat, artiste multidisciplinaire, dénonciateur des violences faites envers les communautés afro-américaines
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/503147/original/file-20230104-129650-pb1p63.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6274%2C2991&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'oeuvre "Toxic", de Jean-Michel Basquiat, à droite sur la photo, s'inspire du cartoon américain et dénonce la violence de la société américaine. À l’heure du mouvement Black Lives Matter, l’œuvre de Basquiat est plus pertinente que jamais.</span> <span class="attribution"><span class="source">(MBAM)</span></span></figcaption></figure><p>L’exposition <a href="https://www.mbam.qc.ca/fr/expositions/jean-michel-basquiat/"><em>À plein volume : Basquiat et la musique</em></a> présentée actuellement au Musée des beaux-arts de Montréal, démontre que l’œuvre de Jean-Michel Basquiat, que l’on associe habituellement à la peinture, convoque plusieurs autres médias : la musique — thème principal de cette exposition-, la littérature, la bande dessinée, le cinéma et… l’animation, un volet nettement moins connu de son travail.</p>
<p>Basquiat est né à New York en 1960, d’un père haïtien et d’une mère d’origine portoricaine. Vers la fin des années 1970, il dessine en collaboration avec Al Diaz des graffitis énigmatiques <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520383340/reading-basquiat">sous le pseudonyme SAMO</a>. Rapidement, l’artiste se fait connaître dans le milieu de l’art new-yorkais (il se lie d’amitié notamment avec Andy Warhol et fréquente Madonna). Il réalise alors des œuvres picturales en solo et obtient une renommée internationale sans cesse grandissante jusqu’à son décès, en 1988.</p>
<p>À l’heure du mouvement Black Lives Matter, l’œuvre de Jean-Michel Basquiat est plus pertinente que jamais. Elle met en lumière les inégalités raciales et le manque de représentation dans les médias des personnes racisées, mais aussi les violences subies par les Afro-Américains.</p>
<p>C’est ce que je me propose d’explorer dans cet article. Doctorant en littérature et arts de la scène et de l’écran, mes recherches portent notamment sur les interactions entre le cinéma d’animation et les arts visuels (bande dessinée, peinture) ainsi que sur le cartoon américain.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jean-Michel Basquiat avec son installation Klaunstance, à l’Area, en 1985.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Photo Ben Buchanan)</span></span>
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<h2>Amour/haine pour le cartoon</h2>
<p>Enfant, Basquiat <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520305168/the-jean-michel-basquiat-reader">rêvait de devenir animateur pour le cinéma d’animation</a>. Une fois devenu peintre, la télévision était toujours allumée dans son atelier, <a href="https://www.leslibraires.ca/livres/a-plein-volume-basquiat-et-la-collectif-9782072985935.html">diffusant régulièrement des dessins animés</a>. Ces émissions et films ont été une grande source d’inspiration pour l’artiste. En effet, il a intégré dans ses tableaux plusieurs références à l’animation ou encore, à la bande dessinée.</p>
<p>L’une de ces œuvres que l’on peut contempler dans l’exposition du MBAM s’appelle <em>Toxic</em> (1984). Le tableau représente un homme noir, les bras en l’air, avec en arrière-plan un collage mentionnant plusieurs titres de courts métrages d’animation réalisés entre 1938 et 1948.</p>
<p>Le personnage est en fait un ami de Basquiat, l’artiste Torrick « Toxic » Ablack. Le <a href="https://www.leslibraires.ca/livres/a-plein-volume-basquiat-et-la-collectif-9782072985935.html">titre du tableau lui ferait donc référence</a>. Cependant, sachant que Basquiat <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520305168/the-jean-michel-basquiat-reader">jouait avec les mots et leurs sens</a>, « Toxic » pourrait en fait vouloir désigner la relation qu’il entretient avec les films d’animation qui sont mentionnés derrière le personnage.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Artiste multidisciplinaire, Jean-Michel Basquiat était aussi musicien. L’exposition qui lui est consacrée au MBAM illustre ce volet de son œuvre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(MBAM)</span></span>
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<p>Pourrait-on dire que ces films sont considérés toxiques par Jean-Michel Basquiat, malgré l’admiration qu’il leur porte ? En fait, je crois qu’une certaine dualité s’installe dans ce tableau : l’artiste aime le cartoon, mais il le déteste en même temps. Selon le dictionnaire <em>Le Petit Robert</em>, le mot <a href="https://dictionnaire.lerobert.com/definition/toxique">« toxique »</a> peut signifier « nuisible » (de manière sournoise). Le terme « sournois » sous-entend donc que l’élément toxique (le cartoon dans ce cas-ci) est dangereux sans que l’on s’en aperçoive.</p>
<h2>La violence des cartoons</h2>
<p>Le cartoon est souvent associé à l’enfance, au plaisir, à l’excentricité.</p>
<p>Il s’agit d’un univers où tout est possible : dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6leVrkdoYIU&t=6s"><em>Gorilla My Dreams</em></a>, réalisé par Robert McKimson en 1948, par exemple, le lapin Bugs Bunny parle, se déguise en bébé et imite un singe. Plutôt innocent. Cependant, le dessin animé peut aussi représenter de façon bien sournoise le pire de l’humanité par la violence inouïe qu’il contient : les personnages se pourchassent, se chassent, se frappent, se découpent, se tuent, puis recommencent.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/6leVrkdoYIU?wmode=transparent&start=6" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Robert McKimson, Gorilla My Dreams, Warner Bros., 1948.</span></figcaption>
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<p>Ainsi, dans <em>Porky’s Hare Hunt</em>, film réalisé par Ben Hardassent en 1938 et cité dans <em>Toxic</em>, le personnage de Porky est blessé par de la dynamite, se fait maltraiter alors même qu’il est dans son lit d’hôpital et tente d’abattre un lapin. Basquiat, qui consomme des cartoons tous les jours à la télévision, sait qu’ils sont le reflet de la société américaine du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Il s’agit d’une interprétation qui pourrait être soutenue par le titre d’un autre de ses tableaux reprenant lui aussi une iconographie issue de l’animation ou de la bande dessinée : <em>Television and cruelty to animals</em> (1983). Cette cruauté est aussi dénoncée et reproduite dans <em>An Opera</em> (1985) montrant un Popeye se faire frapper avec au-dessus de sa tête les mots « senseless violence » (violence injustifiée) ainsi que dans <a href="https://www.mbam.qc.ca/en/oeuvres/14684/"><em>A Panel of Experts</em></a> (1982), où l’on voit des bonhommes allumettes se frapper tout prêt d’un énorme revolver.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=573&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=573&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=573&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=720&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=720&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=720&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La toile A Panel of Experts, produite en 1982, dénonce la cruauté et la violence.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(MBAM, don d’Ira Young. Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York. Photo Douglas M. Parker)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette violence que dénonce Basquiat est si présente dans le cartoon qu’elle semble jusqu’à un certain point devenue banale, comme celle que l’on voit dans les bulletins de nouvelles à la télévision (qu’il regardait probablement pendant qu’il peignait).</p>
<h2>Dénoncer les stéréotypes raciaux</h2>
<p>Ces cartoons sont aussi violents parce qu’ils perpétuent souvent des stéréotypes raciaux (sans compter les nombreux stéréotypes liés à l’orientation sexuelle, au genre, au sexe, à l’apparence corporelle, etc.).</p>
<p>Le film <em>Patient Porky</em>, réalisé par Bob Clampett en 1940, qui est aussi mentionné dans <em>Toxic</em>, présente une scène où un valet d’ascenseur parodie grossièrement et de façon monstrueuse un personnage noir. Dans l’œuvre <em>Sans titre (All Stars)</em> (1983), Basquiat cite le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_WXrrOIWZKo"><em>The Chinaman</em></a>, de Max Fleischer, réalisé en 1920, dans lequel on retrouve un personnage d’origine asiatique très caricaturé et un Koko le clown se maquillant afin de lui ressembler.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_WXrrOIWZKo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Max Fleischer, The Chinaman, Bray Studios, 1920.</span></figcaption>
</figure>
<p>Basquiat tente donc, en plaçant dans ses compositions des éléments faisant référence à l’animation, de dénoncer une vision du monde stéréotypée et injuste où les <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520305168/the-jean-michel-basquiat-reader">personnes racisées sont dépeintes de manière irréaliste</a>. Basquiat disait d’ailleurs que s’il n’avait pas été peintre, il aurait été cinéaste et aurait raconté des histoires où les personnes noires <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520305168/the-jean-michel-basquiat-reader">sont représentées comme des humains, et non plus de façon négative</a>.</p>
<p>Le titre du tableau <em>Toxic</em> porterait ainsi plusieurs sens. Il désigne à la fois le sujet principal (Torrick « Toxic » Ablack), mais aussi la relation qu’il entretient avec la culture populaire, et l’animation dans ce cas-ci.</p>
<p>J’ai omis de mentionner que le personnage de <em>Toxic</em> a les bras en l’air et les mains rougies. Se pourrait-il que cette relation toxique lui ait sali les mains ? Plus précisément que le personnage, du fait que le cartoon a continuellement dépeint les personnes noires de manière péjorative, est maintenant représenté comme un criminel ? Sa position indique en effet qu’il semble être en état d’arrestation.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dog Bite/Ax to Grind (1983).</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Estate of Jean-Michel Basquiat. Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen. Licensed by Artestar, New York)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette hypothèse est fort probable puisque Basquiat a produit plusieurs œuvres dénonçant la brutalité policière envers les Afro-Américains, dont <em>The Death of Michael Stewart (Defacement)</em> (1983).</p>
<p>Basquiat est décédé prématurément en 1988, à l’âge de 27 ans. D’autres artistes issus de la communauté noire, comme les peintres montréalais <a href="https://helloteenadultt.com/">Kezna Dalz alias Teenadult</a>, <a href="https://www.manuelmathieu.com/">Manuel Mathieu</a>, et la cinéaste d’animation <a href="http://www.martinechartrand.net/">Martine Chartrand</a> ont, à leur façon, repris son combat et continuent de lutter pour une plus grande visibilité des personnes noires dans les arts.</p>
<hr>
<p><em>Exposition Basquiat Sountracks, Du 6 avril au 30 juillet 2023 à la Philharmonie de Paris.
Exposition « Basquiat × Warhol, à quatre mains », du 5 avril au 28 août 2023 à la Fondation Louis Vuitton, Paris.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196013/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les recherches doctorales de John Harbour sont financées par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH).</span></em></p>
À l’heure du mouvement Black Lives Matter, l’œuvre de Basquiat est plus pertinente que jamais. Elle met en lumière les inégalités raciales et la violence contre les personnes racisées.
John Harbour, Doctorant en littérature et arts de la scène et de l'écran (concentration cinéma), Université Laval
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/196164
2022-12-22T19:07:27Z
2022-12-22T19:07:27Z
Des craquelures dans les peintures, quand le temps fait son œuvre
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/501040/original/file-20221214-8014-cj9xs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C7%2C5073%2C4003&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les craquelures nous en apprennent beaucoup sur les tableaux.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.decitre.fr/livres/la-joconde-9782916407081.html">«La Joconde, Essai scientifique», ouvrage collectif sous la direction de C. Lahanier, Codex Images International, 2007</a></span></figcaption></figure><p>C’est bien Mona Lisa que vous voyez sur cette image, entièrement faite de fissures et de craquelures. Même sans les couleurs, les motifs de fissures diffèrent selon les pigments et les liants. On peut même voir les fissures dans la profondeur du tableau, par exemple sur le front, dont les fissures parallèles se distinguent bien de celles du paysage ou du ciel qui n’ont pas d’orientation particulière.</p>
<p>Les craquelures sont une des altérations qui mémorisent la vie d’une peinture. Avec une grande variété de morphologies dans la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1179/sic.1997.42.3.129">plupart des peintures de chevalet</a>, elles présentent plusieurs intérêts pour les historiens d’art et les restaurateurs.</p>
<p>Tout d’abord, c’est un moyen d’authentifier les peintures. L’analyse des craquelures de Mona Lisa enregistrées sur des photographies prises depuis 1880 a permis d’authentifier la peinture et de lever les doutes exprimés après le vol du tableau en 1911.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/501044/original/file-20221214-8014-mmm3ty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/501044/original/file-20221214-8014-mmm3ty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=499&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/501044/original/file-20221214-8014-mmm3ty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=499&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/501044/original/file-20221214-8014-mmm3ty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=499&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/501044/original/file-20221214-8014-mmm3ty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=627&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/501044/original/file-20221214-8014-mmm3ty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=627&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/501044/original/file-20221214-8014-mmm3ty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=627&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Image multispectrale révélant les craquelures sur une partie de Mona Lisa.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.decitre.fr/livres/la-joconde-9782916407081.html">Codex Images International, 2007</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les craquelures sont une « empreinte digitale » de l’œuvre d’art. En tentant de les reproduire, un faussaire laisse inévitablement et involontairement la marque de son époque. Ainsi, des composés chimiques découverts à une période bien postérieure à celle attribuée à une œuvre ont pu être utilisés pour <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00158845/document">développer des craquelures de manière artificielle</a>. La classification approfondie de la craquelure dans les peintures de chevalet au fil des années est un moyen de discriminer celles qui se forment au cours du vieillissement et celles créées de manière accélérée, par exemple par des variations de température. Les craquelures ne mentent pas !</p>
<h2>Étudier les craquelures pour mieux comprendre les œuvres et les processus créatifs</h2>
<p>Les craquelures sont également révélatrices de la matière et des méthodes utilisées par les artistes. Elles ne se forment pas au hasard, mais obéissent aux lois de la physique et de la mécanique : une craquelure se propage en étant guidée par les tensions du milieu (la toile par exemple). Une fois les tensions relâchées, l’organisation des craquelures diffère par plusieurs caractéristiques, comme leur densité ou leur orientation.</p>
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<p>Ces caractéristiques sont affectées en particulier par la rigidité et l’épaisseur des couches, et parfois par la direction des coups de pinceau, les hétérogénéités de la peinture, ainsi que par le mode de sollicitation de la peinture : séchage, vieillissement de la peinture, déformation infligée par le support (panneau de bois, toile).</p>
<p>Les craquelures permettent donc d’obtenir des informations sur l’ensemble d’un tableau. Nous les étudions grâce à l’« imagerie multispectrale » qui permet d’enregistrer le spectre complet des couleurs, de l’ultraviolet à l’infrarouge, avec une extrême précision spectrale.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/501039/original/file-20221214-7401-zbcqis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/501039/original/file-20221214-7401-zbcqis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/501039/original/file-20221214-7401-zbcqis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/501039/original/file-20221214-7401-zbcqis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/501039/original/file-20221214-7401-zbcqis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/501039/original/file-20221214-7401-zbcqis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/501039/original/file-20221214-7401-zbcqis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des craquelures avec des motifs caractéristiques se forment aussi dans la boue qui sèche.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Pauchard</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les craquelures apparaissent alors comme de brusques variations de luminosité. Nous les recherchons sur l’ensemble des images multispectrales afin de localiser et différencier ces altérations en profondeur dans la couche picturale (la couche de peinture, qui peut être hétérogène avec un mélange de pigments de différentes tailles et de différentes rigidités, et de solvants sur différentes couches).</p>
<p>Cette technique d’imagerie préserve l’intégrité de l’œuvre. Elle est utilisée en complément d’analyses structurelles de la matière picturale, à l’aide d’analyses de prélèvements permettant, entre autres, une identification des pigments employés et d’autres techniques d’imagerie, comme la fluorescence sous éclairage UV ou la radiographie X par exemple.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-correspondance-de-marie-antoinette-aux-rayons-x-173766">La correspondance de Marie-Antoinette aux rayons X</a>
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<p>Par exemple, l’image permet de mettre en valeur trois régions spécifiques. Les craquelures verticales et parallèles très visibles dans le front de Mona Lisa sont très profondes, jusqu’à la surface du panneau de peuplier constituant le support de la peinture ; elles ont la même direction que celle des fibres du bois. Ainsi, ces craquelures semblent fortement liées aux tensions transmises par le support au cours du temps.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/501047/original/file-20221214-8034-cj9xs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Différents motifs de craquelures apparaissent sur différentes couches de peinture" src="https://images.theconversation.com/files/501047/original/file-20221214-8034-cj9xs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/501047/original/file-20221214-8034-cj9xs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/501047/original/file-20221214-8034-cj9xs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/501047/original/file-20221214-8034-cj9xs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/501047/original/file-20221214-8034-cj9xs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/501047/original/file-20221214-8034-cj9xs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/501047/original/file-20221214-8034-cj9xs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Craquelures obtenues par des expériences en laboratoire permettant de modéliser (1) l’effet de la déformation d’un support sur les craquelures dans une couche rigide modèle (front de Mona Lisa) ou au contraire (2) l’absence de cet effet dans une couche de peinture modèle molle (paysage) ; (3) absence de craquelures dans des couches modèles de faibles épaisseurs (1µm).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://aip.scitation.org/doi/10.1063/1.4960438">Frédérique Giorgiutti-Dauphiné et Ludovic Pauchard, Journal of Applied Physics, reproduite avec avec la permission de AIP Publishing</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À l’opposé, dans le ciel ou le paysage, les craquelures forment un réseau délimitant des polygones plus ou moins réguliers, sans orientation préférentielle, à l’image des craquelures décimétriques formées sur un lac asséché. Ces craquelures ne retracent plus la déformation du support, la peinture ayant pu amortir les contraintes mécaniques de celui-ci, conséquence d’une matière picturale moins fragile que celle utilisée dans <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-joconde-9782916407081.html">le visage de la peinture</a>.</p>
<p>C’est l’absence de craquelure qui souligne l’intérêt d’une autre région du tableau. En effet, le voile sur le pourtour du visage de Mona Lisa a été sans doute peint à l’aide d’une technique picturale basée sur l’application d’une succession de couches très fines, c’est-à-dire peu chargées en pigments. Cette technique, le « sfumato », permet ainsi de jouer sur les effets de profondeur et d’ombres de l’image. Or une couche est en général exempte de craquelures lorsque son épaisseur est suffisamment fine. C’est pourquoi aucune craquelure n’est visible dans ces régions spécifiques de la peinture.</p>
<p>Ces hypothèses ont été appuyées par des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1296207420304398">études en laboratoire</a>. Les études en question sont effectuées en utilisant des matériaux modèles faisant appel à des pigments bien calibrés, dans des conditions de solidification contrôlées (séchage), sur des sous-couches contrôlées de manière à découpler au mieux les mécanismes physiques mis en jeu. L’intérêt de ces études modèles tient au fait qu’une <a href="https://aip.scitation.org/doi/10.1063/1.4960438">peinture d’art est un milieu complexe</a> de par sa géométrie (superposition de couches) et la matière utilisée (pigments de propriétés mécaniques variables dans un mélange de solvants volatils et non volatils).</p>
<h2>Les craquelures donnent un sentiment d’authenticité</h2>
<p>Les craquelures sont également inhérentes à une peinture. Elles présentent un grand intérêt en conservation et restauration. La variation des motifs de craquelure sur une peinture peut avoir un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1179/sic.1997.42.3.129">impact significatif sur la perception de l’image par l’observateur</a>. En général, la craquelure dessine un réseau complexe interconnecté fait de lignes plus ou moins contrastées. Ces lignes peuvent être considérées comme indésirables, car l’aspect du tableau est radicalement modifié. L’illusion du tableau peut être compromise par de telles caractéristiques visuelles, qui peuvent nuire à la perspective d’enveloppement voulue par le peintre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-certains-tableaux-vieillissent-mieux-que-dautres-142744">Pourquoi certains tableaux vieillissent mieux que d'autres</a>
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<p>Mais les craquelures peuvent aussi être perçues comme des traces familières, qui donnent un sentiment d’authenticité. Mona Lisa serait-elle Mona Lisa sans ses craquelures ? Les craquelures donnent une apparence plus ancienne aux tableaux ; leurs valeurs marchandes, quand elles sont liées au temps écoulé, peuvent en être augmentées. Les craquelures peuvent également être souhaitables pour leurs qualités esthétiques qui rompent la monotonie d’une surface plane.</p>
<p>Cependant le réseau de craquelures ne doit pas évoluer de manière incontrôlée en fonction des variations des conditions environnementales (humidité, température) et conduire à des phénomènes tels que des décollements ou à des pertes de matière lacune). Des études de la stabilité d’un réseau de craquelures en fonction de la matière picturale et des conditions de sollicitations de celle-ci sont en cours.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196164/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ludovic Pauchard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les craquelures des œuvres d’art sont un vrai sujet d’étude pour les physiciens, les restaurateurs… et les faussaires !
Ludovic Pauchard, Chercheur CNRS au laboratoire FAST (Fluides, Automatique et Systèmes Thermiques), Université Paris-Saclay
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/189324
2022-11-03T19:51:46Z
2022-11-03T19:51:46Z
Peinture : quand une intelligence artificielle provoque l’inspiration
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/493249/original/file-20221103-24-gknx1y.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C10%2C1697%2C1239&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une chimère produite par le programme Lamuse.</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>« Lamuse » est un projet informatique que nous avons développé avec l’artiste peintre <a href="https://www.emmanuellepotier.com/">Emmanuelle Potier</a>. Son nom vient avant tout de la démarche de l’artiste, soucieuse d’explorer les liens entre contrainte, inspiration et création, mais il est vite apparu que l’outil et son utilisation peuvent être <em>amusants</em>.</p>
<p>À la croisée entre pratique artistique et recherche technologique, Lamuse vise à construire des compositions picturales à l’aide d’algorithmes d’apprentissage automatique servant de sources d’inspiration pour les peintres en les accompagnant dans leurs processus de création. Elle s’appuie sur divers réseaux de neurones artificiels, utilisés pour la reconnaissance d’objets et ce qu’on appelle le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GhBoDoNfQSw">transfert de style</a>.</p>
<p>Contrairement aux <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/dall-e-make-a-scene-gaugan-ces-outils-d-ia-qui-generent-des-images-a-partir-d-un-texte.N2028637">procédés d’art génératif largement médiatisés</a>, l’objectif ne consiste pas à produire des œuvres abouties ex nihilo. Il s’agit de plutôt de mettre en place un vrai dialogue entre l’outil et l’artiste avec un minimum d’effort et sans nécessiter de puissance de calcul conséquente.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/493251/original/file-20221103-18-n7go1m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493251/original/file-20221103-18-n7go1m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493251/original/file-20221103-18-n7go1m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=144&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493251/original/file-20221103-18-n7go1m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=144&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493251/original/file-20221103-18-n7go1m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=144&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493251/original/file-20221103-18-n7go1m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=181&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493251/original/file-20221103-18-n7go1m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=181&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493251/original/file-20221103-18-n7go1m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=181&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Boccace lisant le Décaméron à la reine Jeanne de Naples, 1849. A gauche, le tableau d’origine, et à droite, les interprétations par Lamuse.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>La part du hasard</h2>
<p>Le projet part du constat que certains artistes appliquent des protocoles et des concepts pour laisser entrer le hasard dans le processus de création et reléguer la question de savoir quoi peindre au second plan, voire disparaître complètement. Afin d’approfondir cette réflexion sur les concepts de liberté et de détermination par rapport au choix d’un sujet, l’idée est née de concevoir une intelligence artificielle qui imposerait (ou simplement suggérerait) au peintre les sujets de sa peinture. Plus prosaïquement, il s’agit d’étudier la manière dont les outils numériques peuvent être détournés pour développer le désir de créer.</p>
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<p>La notion d’inspiration est large et dépend fortement du processus créatif individuel de chaque artiste. Par conséquent, tout outillage en appui de ce processus est forcément ancré dans la subjectivité de l’artiste en question. Dans la mesure où Lamuse est le produit d’un cheminement conjoint entre une artiste et une équipe de recherche, le résultat final est nécessairement empreint d’une identité. C’est une limite assumée.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/493252/original/file-20221103-26-zgp0vh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493252/original/file-20221103-26-zgp0vh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493252/original/file-20221103-26-zgp0vh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=157&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493252/original/file-20221103-26-zgp0vh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=157&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493252/original/file-20221103-26-zgp0vh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=157&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493252/original/file-20221103-26-zgp0vh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=197&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493252/original/file-20221103-26-zgp0vh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=197&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493252/original/file-20221103-26-zgp0vh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=197&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Matisse, La Conversation, 1908-1912, musée de l’Ermitage. A gauche, le tableau d’origine, et à droite, les interprétations par Lamuse.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
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<p>Par ailleurs, bien qu’il existe des passerelles évidentes vers les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-meilleur-des-mondes/ia-art-comment-la-technologie-revolutionne-le-geste-artistique-7499552">travaux contemporains autour de l’art génératif</a>, Lamuse s’inscrit davantage dans une réflexion autour des nouveaux outils au service de la création et de la place de l’Humain dans des environnements où l’IA prend de plus en plus de place. Elle trouve ses racines dans une quête pour trouver des moyens afin d’éviter la question « Que peindre ? ».</p>
<h2>D’où vient l’inspiration ?</h2>
<p>Dans ces conditions, l’outil interroge sur ce qui peut être source d’inspiration et sur la manière de le détourner pour provoquer des questionnements menant à la création. Le processus créatif induit par l’IA est basé sur des hypothèses générales et des actions qui jalonnent la création artistique.</p>
<p>Tout d’abord, il est présupposé qu’une œuvre d’art suit par nature une série de règles qui la rendent pertinente pour le peintre. A priori, il n’existe pas de règles universelles ou explicites qui définiraient cette pertinence. Cependant, faisons l’hypothèse que, quand un peintre envisage de commencer un nouveau projet, il peut y avoir une classe d’œuvres inspirantes existantes qui partagent un nombre de propriétés inhérentes : composition, couleur, texture… qui leur confèrent un intérêt subjectif à ce moment précis pour un artiste en particulier. De plus, l’artiste est également influencé par d’autres images, situations, objets, thèmes d’actualité… qui ont une valeur spéciale pour lui.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dans-le-cerveau-cache-de-lintelligence-artificielle-151887">Dans le cerveau caché de l’intelligence artificielle</a>
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<p>L’IA tente alors de déterminer les règles esthétiques caractérisant l’œuvre d’art et les combine avec des images d’intérêt déposées par le peintre, afin de créer des images chimériques, inattendues et surprenantes. Elle suscite alors une réaction chez le peintre, étant donné qu’elle combine des règles de composition avec des images choisies par lui. Ainsi, l’artiste inspiré interprète librement l’image produite, à travers sa peinture.</p>
<p>En somme, l’IA devient une entité avec laquelle interagir, à défier ou à détourner de son objectif initial, qui se base sur des données, soit issues de contributions humaines volontaires, librement organisées et sélectionnées en fonction d’exigences spécifiques de l’artiste, soit, au contraire, générées de manière aléatoire par l’IA.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/493254/original/file-20221103-17-yzitz5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493254/original/file-20221103-17-yzitz5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493254/original/file-20221103-17-yzitz5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=153&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493254/original/file-20221103-17-yzitz5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=153&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493254/original/file-20221103-17-yzitz5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=153&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493254/original/file-20221103-17-yzitz5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=192&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493254/original/file-20221103-17-yzitz5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=192&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493254/original/file-20221103-17-yzitz5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=192&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">René Magritte, l’Art de la Conversation, 1950. A gauche, le tableau d’origine, et à droite ses interprétations par Lamuse.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Elles se composent de 3 groupes d’images qui lui permettent de réaliser son image chimérique, répartis comme suit :</p>
<ul>
<li><p>les œuvres iconiques : une collection de peintures emblématiques servant de base de composition et de syntaxe à l’image finale ;</p></li>
<li><p>l’univers visuel du peintre : une collection d’images, fournie par l’artiste, qui sera utilisée pour produire des coupures de type collage dans l’image chimérique ;</p></li>
<li><p>les images de fond : tout support visuel global pouvant servir d’arrière-plan général de l’image de la chimère.</p></li>
</ul>
<p>Ensuite, l’IA fonctionne en quatre phases : une phase de décomposition, une phase de recomposition, une insertion des éléments recomposés dans un fond d’inspiration et enfin, un <a href="https://arxiv.org/pdf/1508.06576v2.pdf">transfert de style</a> : il s’agit dans cette étape de transférer le style pictural d’une image, par exemple créée par un peintre célèbre, vers une autre, pour que cette dernière paraisse similaire – de l’œuvre d’origine sur l’image créée.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/493318/original/file-20221103-26-ezd1ax.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493318/original/file-20221103-26-ezd1ax.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493318/original/file-20221103-26-ezd1ax.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493318/original/file-20221103-26-ezd1ax.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493318/original/file-20221103-26-ezd1ax.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493318/original/file-20221103-26-ezd1ax.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493318/original/file-20221103-26-ezd1ax.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493318/original/file-20221103-26-ezd1ax.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’œuvre d’art originelle, à gauche, une étude de Tiepolo, et sa décomposition avec l’univers visuel par Lamuse, à droite.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La phase de décomposition consiste à trouver des éléments significatifs dans la scène à l’aide d’un <a href="https://news.mit.edu/2022/new-unsupervised-computer-vision-algorithm-stego-0421">réseau de neurones à segmentation sémantique</a>. Ce sont des réseaux de neurones capables d’identifier les objets présents dans une image, et de leur associer les pixels correspondants.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493320/original/file-20221103-20-q7qc56.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493320/original/file-20221103-20-q7qc56.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493320/original/file-20221103-20-q7qc56.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493320/original/file-20221103-20-q7qc56.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493320/original/file-20221103-20-q7qc56.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493320/original/file-20221103-20-q7qc56.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493320/original/file-20221103-20-q7qc56.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">A gauche, recomposition avec l’univers visuel de l’artiste et à droite, placement sur le fond, transfert de style.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce réseau produit parfois des <a href="https://www.generation-nt.com/google-reseau-neurone-intelligence-artificielle-reconnaissance-image-actualite-1916307.html">effets « hallucinatoires »</a>, mais tous les objets détectés s’intègrent dans les règles de composition générale du tableau. Ces effets incontrôlés (et incontrôlables) peuvent être vus comme si l’IA, à l’instar des humains, interprétait une œuvre avec un effet de <em>lector in fabula</em>, où l’observateur perçoit un sens qui échappe à l’intention initiale de l’auteur.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493317/original/file-20221103-26-iqs6ze.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493317/original/file-20221103-26-iqs6ze.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=765&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493317/original/file-20221103-26-iqs6ze.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=765&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493317/original/file-20221103-26-iqs6ze.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=765&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493317/original/file-20221103-26-iqs6ze.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=962&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493317/original/file-20221103-26-iqs6ze.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=962&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493317/original/file-20221103-26-iqs6ze.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=962&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une œuvre d’Emmanuelle Potier, inspirée par les propositions de l’I.A montrées plus haut, à partir de l’œuvre de Tiepolo.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/competition-entre-reseaux-de-neurones-artificiels-pour-creer-des-images-realistes-110005">Compétition entre réseaux de neurones artificiels pour créer des images réalistes</a>
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<p>La taille, la position relative et le type d’objets ainsi identifiés sont réinterprétés par l’IA et combinés avec des objets similaires ainsi qu’une image de fond inspirante fournie par l’artiste. Cela revient à « emprunter » la forme compositionnelle du tableau fourni en identifiant les objets, puis à recomposer une organisation similaire dans un cadre totalement indépendant. Enfin, pour obtenir une représentation finale chromatiquement cohérente et proche de l’œuvre initialement utilisée, un autre réseau de neurones opère un transfert de style de l’original vers l’image construite.</p>
<h2>Déclencher un processus inconscient</h2>
<p>Afin d’analyser et de débattre autour de Lamuse, plusieurs artistes ont été interrogés ou confrontés au programme. Dans sa peinture, E. Potier, depuis 2020, interprète les images proposées et engage un dialogue avec l’IA comme avec un psychologue. Étant donné que les propositions sont mystérieuses, presque abstraites, déformées, complexes, elles font ressurgir en l’artiste des passions, des instincts, des volontés inconnues, qui se révèlent à sa conscience une fois couchées sur la toile. L’IA déclenche ainsi un processus inconscient. Le « sens » réel ne peut donc devenir clair qu’une fois la peinture terminée.</p>
<p>Tous les peintres n’y adhèrent pas forcément. <a href="https://parcoursdartistes.org/artistes/rares-victor/">Rarès-Victor</a> pense qu’un programme comme Lamuse pourrait être une béquille lors d’une panne d’idée, ou une source pour une commande ponctuelle. Cependant, elle risque d’anéantir sa capacité à réfléchir, à penser et à imaginer l’impossible. <a href="https://www.noelvaroqui.fr/">Noël Varoqui</a> exprime des craintes similaires. En utilisant Lamuse, il pense qu’il se sentirait d’abord dépersonnifié, dépossédé, puis désorienté, jusqu’à trouver enfin ses repères et comprendre comment aborder et apprivoiser l’outil et sélectionner les pièces qui lui correspondent. Pour <a href="https://www.oliviermasmonteil.com/">Olivier Masmonteil</a>, l’outil semble davantage en adéquation. Son désir de peindre résulte d’un thème, d’un motif ou simplement de la pure envie. Lamuse, qui lui proposerait des sujets, lui plaît beaucoup car elle viendrait provoquer son envie de peindre. Elle pourrait donc être cette entité non humaine qui lui « glisse des idées ». L’enjeu est alors de se dépasser en peinture, quel que soit le point de départ.</p>
<h2>La pratique plutôt que le sujet</h2>
<p>Lamuse se base sur les réflexions d’un peintre et sur des œuvres iconiques, adaptables à un large éventail d’utilisations et de configurations, pour donner la priorité à la pratique de la peinture sur le choix du sujet qui reste prétexte à peindre. L’intégration de réseaux de neurones artificiels dans le processus de création génère divers effets incontrôlés qui suscitent l’inspiration et le questionnement créatif. Chez les artistes qui l’ont testée, Lamuse provoque des sentiments ambigus, entre attraction et répulsion. Elle provoque de nombreuses appréhensions car elle leur fait perdre le (supposé) contrôle. Mais en les faisant sortir de leur zone de confort, elle provoque de nouveaux défis picturaux, ce qui est stimulant pour un artiste.</p>
<p>Lamuse est un nouvel outil pour les peintres, qui permet d’explorer des défis picturaux inédits dans un monde déjà trop rempli d’images. Le parti pris de ce travail est que l’œuvre, inspirée par l’apport pertinent de l’IA, soit produite par l’artiste humain. Bien que la question puisse être sujette à débat, il est considéré ici que l’IA ne crée en aucun cas de l’art, mais qu’elle est simplement une muse pour l’artiste, un outil pour la création d’œuvres physiques.</p>
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<p><em>Merci à Emmanuelle Potier, qui a contribué à la rédaction de cet article et qui a conçu Lamuse avec Bart Lamiroy.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189324/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bart Lamiroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Pour concevoir un programme d’intelligence artificielle capable d’inspirer des peintres, il faut en premier lieu s’interroger sur le fonctionnement du processus créatif.
Bart Lamiroy, Professeur d'informatique, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/192915
2022-10-27T17:45:53Z
2022-10-27T17:45:53Z
Scandale(s) au musée : une affaire ancienne
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/491942/original/file-20221026-19-s270xq.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C6%2C1519%2C945&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'action spectaculaire des militantes de Just Stop Oil, le 14 octobre dernier, a provoqué un buzz sans précédent sur les réseaux sociaux. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=fP0FX36OSEc">Youtube / capture d'écran</a></span></figcaption></figure><p>Vendredi 14 octobre, deux militantes de Just Stop Oil (un mouvement qui milite en vue de l’arrêt des projets pétroliers et gaziers britanniques) se sont introduites dans la National Gallery de Londres et ont projeté de la soupe à la tomate Heinz sur les <em>Tournesols</em> (1888) de Van Gogh, avant de coller leurs mains à la cimaise murale de la salle d’exposition. Scandale instantané et stratosphérique. </p>
<p>Qu’il s’agisse de soupe ou de <a href="https://www.lefigaro.fr/culture/de-la-puree-jetee-sur-un-tableau-de-claude-monet-une-nouvelle-attaque-ecologiste-20221023">purée</a>, l’écho médiatique que rencontrent ces incidents remplit à la perfection leur mission de médiatisation de la cause écologiste. Elles comportent en outre, par leur effet scandaleux, leur propre autojustification, en démontrant que l’atteinte à l’art nous scandaliserait désormais plus que celle au vivant… Les <em>Tournesols</em> étant protégés par une vitre, elle-même métaphore de cette protection de l’art, l’agressivité simulée de cette action lui confère d’abord une portée symbolique. Pour discuter de sa pertinence et de ses limites, il n’est pas inutile de se replonger dans l’histoire de l’activisme artistique et des interventions dans les musées.</p>
<h2>Art ou activisme ?</h2>
<p>Levons d’abord tout malentendu : les militantes de JSO, même si leur action utilise un répertoire artistique, ne revendiquent que la dimension politique de leur mise en scène, et la vidéo de la séquence dénote en effet un contournement délibéré de toute tentative d’esthétisation, et même une certaine maladresse. Mais l’on peut s’amuser à regarder les choses par l’autre bout de la lorgnette : si elles avaient revendiqué le caractère « artistique » de leur « event », il est fort à parier que le scandale eut été bien moindre, voire nul. La transgression est mieux supportée quand elle est signée par un artiste que par un activiste. Ce qui du reste confirme un peu la portée de leur message : l’art est devenu un signifiant rassurant, domestiqué et en partie inoffensif, un miroir de nos névroses qui ne conduit qu’à de la reproduction.</p>
<p>Petite comparaison : leur action était bien moins violente (et sordide) que celle de l’artiste-performeur Piotr Pavlenski, <a href="https://theconversation.com/piotr-pavlenski-entre-avant-garde-reactionnaire-et-snuffisation-de-la-politique-131872">auteur d’un happening dirigé <em>ad hominem</em> (et <em>ad penem</em>) contre Benjamin Griveaux</a>, qui excédait quant à lui la frontière de la simulation. Mais l’exaction de Pavlenski ne suscita pas, il s’en faut de beaucoup, la même levée de boucliers moralisatrice. Car son auteur était un artiste. Sans doute aussi parce que l’opinion aime plus Van Gogh que ses actuels dirigeants, mais il s’agit là d’une autre histoire… La comparaison montre en tout cas, si cela était encore nécessaire, la ténuité infime de ce qu’il reste de frontière entre art et non-art : les définitions ne sont plus qu’affaire de contexte, de réception et de paramètres extérieurs à l’œuvre elle-même, ce que <a href="https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1988_num_86_70_6498">Nelson Goodman avait appelé l’« allographisation » de l’art</a>.</p>
<h2>Échos à l’histoire de l’art performance</h2>
<p>Il n’empêche que l’action des militantes JSO s’inscrit aussi dans cette histoire artistique de la performance et des interventions d’artistes. Les critiques horripilés qui n’ont vu que les cheveux roses et les inscriptions sur les T-shirts sont passés à côté de nombreux hypertextes (volontaires ou non, ce n’est pas la question : un réseau de signes apparaît) qu’il serait fastidieux de relever exhaustivement : le <a href="https://www.lemonde.fr/festival/article/2019/08/08/arts-le-grand-verre-de-duchamp-une-insolite-mariee_5497731_4415198.html"><em>Grand Verre</em> de Duchamp</a>, <a href="https://techniquejacksonpollock.wordpress.com/action-painting-et-expressionnisme-abstrait/">l’action painting</a>, la <a href="https://www.kazoart.com/blog/loeuvre-a-la-loupe-campbells-soup-cans-d-andy-warhol/">soupe Campbell de Warhol</a>, <a href="https://fahrenheitmagazine.com/fr/art/Wolf-Vostell-et-sa-technique-de-d%C3%A9collage-dans-le-courant-fluxus#.Y1EEZG5By5c">« les décollages »</a> de l’artiste Fluxus Volf Vostell, et même la <a href="https://www.connaissancedesarts.com/arts-expositions/art-contemporain/la-banane-de-maurizio-cattelan-f-ready-made-11130018/">banane collée</a> sur un mur de Maurizio Cattelan… La liste à la Prévert serait sans intérêt, mais le jeu d’échos est assourdissant, précisément parce que l’histoire récente de l’art contemporain consiste en cette confusion progressive, et dérangeante, entre l’esthétique et le politique.</p>
<p>Quant à l’<a href="https://www.ehess.fr/fr/journ%C3%A9es-d%C3%A9tude/quest-que-lartification">artification</a> du geste de vandalisme, c’est aussi une vieille histoire qui remonte aux avant-gardes historiques : empreint d’ironie nihiliste, les tracts et manifestes dadaïstes sont truffés d’appels (métaphoriques) à la casse, tandis que Tristan Tzara comparait l’art à « un poète aux côtes cassées comme Picabia qui casse tous les os et les roses de verre ». <a href="https://www.youtube.com/watch?v=nbQSTEVGGpE">Ce même Francis Picabia qui proclamait dans son <em>Manifeste cannibale</em> (1920)</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Vous êtes les maîtres de tout ce que vous casserez. On a fait des lois, des morales, des esthétiques, pour vous donner le respect des choses fragiles. Ce qui est fragile est à casser. Éprouvez votre force une fois ; après cela je vous défie bien de ne pas continuer. »</p>
</blockquote>
<p>Et Picabia de conclure en un retournement éloquent : « Ce que vous ne pourrez casser vous cassera, sera votre maître. »</p>
<p>Et bien avant <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2006/01/06/m-pinoncelli-et-duchamp-frappante-charite_728163_3246.html">Pinoncelli</a>, qui se rendit célèbre en urinant et en endommageant l’urinoir (<em>Fontaine</em>) de Duchamp, bien avant <a href="https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/loeuvre-auto-detruite-de-banksy-vendue-a-185-millions-de-livres-un-record-pour-lartiste-14-10-2021-M46L6ULHPFBOND5IS35QX34ROY.php">l’œuvre autodétruite de Banksy</a>, il y eut <a href="https://www.paris-art.com/supportive/">l’autrichien Gustav Metzger</a>, inventeur de « l’autodestructive art », l’art qui s’autodétruisait : les toiles, installations était offertes à la nature, à ses forces de corrosion qui, en agissant sur les œuvres, les déformaient et prenaient la place de l’artiste et du pinceau. Dans un tout autre registre, le retrait de l’artiste au profit de l’œuvre de la nature ou du cosmos se retrouve dans « l’Arte povera », dans le « Land art », dans les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=bLDJk2pZQaI">performances telluriques d’Ana Mendieta</a>… C’est infini.</p>
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<p>Bref. La lutte entre l’art et la vie, la dramatisation de la tension entre l’objet et le geste sont des topos récurrents de l’art contemporain, dont une partie s’est employée depuis longtemps à dénoncer la réification de l’art bourgeois, la dévitalisation des œuvres dans les musées, leur marchandisation, leur institutionnalisation et leur financiarisation. Cette part vitaliste de l’art contemporain, qui occupe une bonne part de l’art performance, est déjà depuis longtemps (au moins Beuys et Abramovitz) <a href="https://www.moma.org/learn/moma_learning/marina-abramovic-marina-abramovic-the-artist-is-present-2010/">entrée dans les musées</a>, paradoxe souvent mis en relief par les commentateurs divers et variés.</p>
<h2>Musées et activisme</h2>
<p>L’histoire de l’activisme dans les musées est tout aussi fournie : on peut songer à <a href="http://www.mirandawhall.space/?page_id=4671"><em>Bed Piece</em> (1972)</a> de Chris Burden, mais surtout aux actions contestatrices du groupe <a href="https://www.fondationdudoute.fr/1604-les-artistes.htm">Fluxus</a>, entreprises dans les années 1962 pour dénoncer la dévitalisation de l’art au profit d’un art bourgeois, marchand et inoffensif, déconnecté du monde et prédigéré pour un public amorphe et apathique. Les premiers festivals Fluxus sont des séries de sketches ou l’on bousille quelques pianos, où l’on transforme sa tête en pinceau ou son corps en violon. Contrairement à l’affaire des <em>Tournesols</em> qui obéit à une idéologie, le public de ces happenings était interloqué, traversé en même temps par le rire et le scandale devant ces bouffons post-dadaïstes. Parmi les plus célèbres manifestations et piquets de grève de Fluxus, <a href="http://artperformance.over-blog.fr/article-21958655.html">il y eu la manifestation avec Henry Flint devant le MoMA de 1963</a>, et les <a href="http://erik.avert.free.fr/05_07_2014_controvese.pdf">piquets de grève contre les concerts de Stockhausen</a>, compositeur dont ils avaient fait le symbole de l’art officiel européen et réactionnaire.</p>
<p>Enfin, il y eut Joseph Beuys qui ouvrit la voie aux performances véritablement activistes, autrement dit animées par une cause, ce qui n’était pas le cas de l’agitation Dada ou Fluxus, bien moins dirigée et intentionnelle. Beuys est l’inventeur de l’agit-prop artistique et écologiste comme en témoignent plusieurs actions : <em>Bog action</em> (1971), une des premières performances d’activisme écologiste pour contester contre l’assèchement d’une mer intérieure aux Pays-Bas ; <em>I like America and America like me</em> (la performance avec le coyote) ; <em>7000 Chênes</em> présenté à la Documenta de Kassel en 1982 – <a href="https://sites.ac-nancy-metz.fr/arts-plastiques/wp-content/uploads/Champ-des-questionnements-artistiques-transversaux-3.pdf">pour ne citer que quelques exemples</a>.</p>
<h2>« Floutage entre l’art et la vie »</h2>
<p>L’action de la National Gallery mérite d’être mise en perspective avec cette tradition de « floutage entre l’art et la vie » (« blurring of art and life », selon l’expression d’<a href="https://www.fondationdudoute.fr/artiste/14/1585-les-artistes.htm">Allan Kaprow</a>), qui a mis partiellement l’art au service du politique. Les Femen, les <a href="https://awarewomenartists.com/artiste/guerrilla-girls/">Guerilla Girls</a> ou les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=pJ0cR-WB-ws">Pussy Riot</a> nous ont habitué à ce mélange entre art et militantisme, et cela depuis fort longtemps.</p>
<p>L’aspersion de soupe à la tomate constitue un geste de désartification et de désacralisation d’une œuvre d’art à la célébrité planétaire, et fétichisée par son prix – une des premières réactions des scandalisés fut en effet de rappeler la valeur marchande des <em>Tournesols</em>, quand bien même cette œuvre appartient à une collection publique. Une telle mise en perspective ne revient donc nullement à « artifier » (transformer en œuvre d’art) l’action des militantes JSO, et donc encore moins à les légitimer « parce que ce serait de l’art » : l’art est tout aussi redevable de critique que le militantisme. Les résonances avec l’histoire de l’art ne sont ni en sa faveur ni en sa défaveur, mais elles nous offrent d’autres outils critiques pour s’évader un peu de la polémique et changer d’angle. La filiation avec Beuys, par exemple, vaut dans toute son ambivalence : l’artiste allemand dérange encore par sa <a href="https://www.aether.news/joseph-beuys-fut-a-mes-yeux-lun-des-anthroposophes-les-plus-marquants-du-si%C3%A8cle-dernier/">proximité avec l’anthroposophie</a>, son personnage mégalomane de « guérisseur », son recyclage de la symbolique nazie à des fins de « réparation »…</p>
<p>L’irritation absolue, mais médiatiquement bénéfique, suscitée par cette intervention (finalement bénigne) à la National Gallery sert de révélateur au contexte de réception – et la révélation du contexte est souvent la visée ultime de l’art performance, <a href="https://www.editionstheatrales.fr/livres/performance-371.html">souvent qualifié d’« environnemental » par les artistes eux-mêmes</a> : notre époque est saturée de transgression, de buzz, de disruption, mais aussi d’attaques bien réelles contre l’art et contre la liberté d’expression. Il n’est pas étonnant que ce genre d’irruption soit mal reçue. Par ailleurs, le dualisme idéologique qui sert de cadre à l’intervention la dessert : outre qu’opposer nature et culture relève d’un antihumanisme potentiellement dangereux, prétendre que la culture serait plus protégée que la nature est, dans le meilleur des cas, d’une naïveté et d’une ignorance déconcertantes. Cela n’ôte rien à l’intérêt de rappeler que, malgré l’artificialisation extrême de notre environnement, l’art continue d’avoir besoin de la vie pour exister. Qu’un art sans vie n’est qu’un art pour zombie. C’était (peut-être) cette méditation à laquelle nous conviait Pascal Rambert <a href="https://www.liberation.fr/culture/2000/07/17/gilgamesh-un-champ-d-amour_330318/">mettant en scène l’épopée de Gilgamesh dans le champ de tournesols de l’île de la Barthelasse, à Avignon…</a>.</p>
<p>Gardons-nous en tout cas d’opposer nature et culture en conservant à l’esprit l’aphorisme d’Oscar Wilde (« La nature imite ce que l’œuvre d’art lui propose ») et celui de Robert Filliou (« L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art »).</p>
<hr>
<p><em>Merci à la metteuse en scène Yaël Bacry qui a, par ses réflexions et nos échanges, contribué à nourrir cet article.</em></p>
<p>A noter : Isabelle Barbéris sera en direct dans l’émission <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/signes-des-temps">Signe des Temps</a>, sur France Culture, dimanche 30 octobre entre 12h45 et 13h30._</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192915/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Barbéris ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’action militante de « Just Stop Oil » à la National Gallery résonne avec l’histoire artistique de la performance, qui a mis en avant la tension entre l’art et le vivant.
Isabelle Barbéris, Maître de conférences HDR en Lettres et Arts, Université Paris Cité
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/191471
2022-10-10T19:00:24Z
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Au cœur du mouvement avec la peintre Fabienne Verdier
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/489024/original/file-20221010-23-h3609v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C243%2C1066%2C955&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Aakash, Voûte céleste, firmament, vide, atmosphère, Télougou (Andhra Pradesh, Inde). </span> <span class="attribution"><span class="source">Inès Delieman, © Fabienne Verdier, ADAGP, Paris, 2022</span></span></figcaption></figure><p>Je regarde d’abord cet anneau bleu fascinant. Il inscrit une sphère qui contient le mouvement. Certains artistes <a href="https://theconversation.com/peinture-fabienne-verdier-lart-de-danser-avec-la-matiere-145048">comme Fabienne Verdier</a> m’étonnent profondément. C’est d’abord un étonnement de physicien. Comment distingue-t-elle, seule sur son chemin de création artistique, l’importance de cette symétrie en lien avec le mouvement dans cet espace vide ? Je ne sais pas. J’ai découvert, jeune chercheur, c’est à dire appris de collègues, lors d’échanges qui m’ont marqué, la place essentielle des symétries dans notre description du réel, de ses transformations et des mouvements.</p>
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<p>La physique a étudié les symétries pour en faire un véhicule d’exploration d’une puissance inouïe. L’interaction gravitationnelle a la propriété d’être exactement la même dans toutes les directions de l’espace. Les planètes et les étoiles sont sphériques. Les symétries sont à l’œuvre depuis la croissance des cristaux avec leurs facettes si étonnantes, jusqu’à la forme des planètes, mais aussi, dans des versions plus abstraites, en relativité et en physique des particules. L’étude des changements spontanés de symétrie, leurs « brisures », ont été des outils au cœur de nombreuses découvertes du XX<sup>e</sup> siècle, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=EeoB2ib-4pY">Boson de Higgs</a> au premier rang.</p>
<h2>Les symétries en physique quantique</h2>
<p>En observant ce tableau, un cheminement scientifique s’installe dans mon esprit. L’état d’un électron est décrit par des nombres quantiques. Ce « saut quantique » dans notre compréhension date de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=XUrK_PtJ2eE">Niels Bohr</a>, prix Nobel 1922. Ce saut n’a qu’un petit siècle, qui a ouvert la voie à une description cohérente d’un atome stable !</p>
<p>Selon qu’un électron est confiné dans une région de l’espace par l’attraction d’un noyau atomique ou par une nanoboîte quantique en semi-conducteur de forme cubique (ça existe vraiment !), les nombres quantiques caractéristiques de l’état électronique ne sont pas les mêmes. La structure des états électroniques dépend de la symétrie du problème. Et une boîte de chaussure et un ballon de football n’ont pas la même symétrie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/489025/original/file-20221010-22-nv577k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489025/original/file-20221010-22-nv577k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=816&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489025/original/file-20221010-22-nv577k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=816&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489025/original/file-20221010-22-nv577k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=816&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489025/original/file-20221010-22-nv577k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1026&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489025/original/file-20221010-22-nv577k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1026&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489025/original/file-20221010-22-nv577k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1026&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Fabienne Verdier, Aakash, 2021, Voûte céleste, firmament, vide, atmosphère, Télougou (Andhra Pradesh), Inde, acrylique et technique mixte sur toile, 183 x 135 cm.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Inès Delieman, Fabienne Verdier, ADAGP, Paris, 2022</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>En physique quantique, le mouvement sans la trajectoire</h2>
<p>Pour arriver à cette description de l’état quantique d’un électron, on a dû abandonner la notion même de trajectoire dans l’espace. Périodiquement, on pose cette question sous forme de jeu : quelle est la liste des 10 expériences les plus importantes de la physique ?</p>
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<p>On se retrouve à chercher comment dépasser des questions comme : « Et donc un électron doit passer par deux trous bien séparés en même temps ? » Pour y faire face en physicien, <a href="https://vod.canal-u.tv/hls/utls/,la.physique.quantique.philippe.grangier._1434/la_physique_quantique_philippe_grangier.sd.mp4,.urlset/master.m3u8">la conférence du physicien Philippe Grangier</a> sur ce type d’expériences réalisées « pour de vrai » avec des photons uniques est un grand moment.</p>
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<p>Philippe Grangier a commencé sa carrière en étant un des physiciens qui a participé aux expériences de mécanique quantique qui ont valu à Alain Aspect le prix Nobel cette année. La manipulation d’une particule quantique unique, ici un photon, décrite ici vient à la suite de ces travaux.</p>
<p>L’expérience dite des trous d’Young réalisée particule par particule conduit à ce type d’interrogations. Elle se retrouve presque toujours dans ce top 10. Qu’elle soit faite avec des électrons, des neutrons, des photons ou tout autre objet quantique, le résultat expérimental est sans appel : l’abandon radical de la notion même de trajectoire au sens classique, pourtant si familière. À travers des concepts fondamentaux qui lui sont attachés, l’énergie cinétique, la quantité de mouvement, associés à des lois de conservation ancrées sur des symétries fondamentales de l’espace-temps, le mouvement, lui, demeure. Mais sans trajectoire. Cet abandon peut être un choc terrible, et même pour l’étudiant en physique. L’est-il pour Fabienne Verdier ? À contempler son œuvre, je ne le pense pas, et cela me sidère.</p>
<h2>Les lois de conservation et les transformations du mouvement</h2>
<p>Je regarde le tableau de Fabienne Verdier : si le halo bleu découvre l’importance de la symétrie, les traces claires au centre manifestent le mouvement à l’intérieur. Le mouvement de… eh bien le mouvement de rien en fait.</p>
<p>J’avais été frappé par l’affiche de Fabienne Verdier pour le tournoi de tennis de Roland Garros en 2018. Sur un fond couleur « terre battue », on peut évidemment voir une balle avec une trace associée qui souligne sa trajectoire et sa vitesse. À ceci près qu’il n’y a pas de balle dans cette affiche. On peut décider de la voir mais elle n’y est pas représentée. Au tennis bougent la balle, les raquettes, les joueurs et même le public. Qui peut dire lequel de ces mouvements Fabienne Verdier nous donne ici à vivre ? Tous, peut-être ?</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/489032/original/file-20221010-13-83gorr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489032/original/file-20221010-13-83gorr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489032/original/file-20221010-13-83gorr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489032/original/file-20221010-13-83gorr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489032/original/file-20221010-13-83gorr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489032/original/file-20221010-13-83gorr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489032/original/file-20221010-13-83gorr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Affiche officielle du tournoi de tennis de Roland Garros en 2018, peinte par Fabienne Verdier.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Roland Garros</span></span>
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<h2>L’amnésie et la cécité de celui qui sait</h2>
<p>La physique et son formalisme sont tellement puissants, d’une précision si redoutable que lorsque j’enseigne, j’oublie. Je souffre de l’amnésie de celui qui est déterminé par une connaissance chèrement acquise. Le boulier de Newton est une star de la mécanique classique.</p>
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<p>On l’achète aussi sur Internet pour s’amuser. Il est une expérience centrale pour explorer avec les étudiants la conservation de l’énergie et de la quantité de mouvement. Avant toute chose, avant ce déploiement de force, Fabienne Verdier vient me rappeler de simplement regarder : une bille s’arrête brutalement en tapant, et une autre part, avec exactement le même mouvement. Le mouvement est passé de la première boule à la dernière. Aucune des deux n’a changé. Seul le mouvement est passé. Avec ce tableau, avec l’affiche de Roland-Garros, en fait avec beaucoup de ses œuvres, Fabienne Verdier, seule, par sa création unique et singulière, par ce chemin sensible, part de la perception, approfondit et interroge le mouvement : des choses bougent autour de nous et interagissent, mais n’est-ce pas d’abord le mouvement qui se manifeste ainsi à travers ces objets ? Un mouvement permanent, universel et fondamental.</p>
<h2>Le sourire d’Étienne Klein</h2>
<p>Dans une vidéo publiée sur Universcience, Étienne Klein parle de E= mc2, de son application à des expériences faites au CERN. Deux particules avec des vitesses proches de celle de la lumière sont conduites à une collision frontale.</p>
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<p>Et Étienne Klein de décrire :</p>
<blockquote>
<p>« Cette collision provoque l’apparition d’un très grand nombre de particules. Quand on mesure la masse totale de toutes les particules qui sont créées par la collision, et qu’on la compare à la masse des particules incidentes, on trouve beaucoup plus. Jusqu’à 200 000 fois plus. Comment comprendre ? En disant que l’énergie cinétique des particules incidentes, l’énergie qu’elles doivent à leur mouvement, s’est matérialisée. L’énergie cinétique s’est transformée en masse, en nouvelle particule, créée lors de la collision. On a là une situation extraordinaire dans laquelle les propriétés d’un objet, en l’occurrence la vitesse d’une particule, est capable de se transformer en objet, c’est-à-dire une autre particule. »</p>
</blockquote>
<p>Il conclut avec un sourire malicieux :</p>
<blockquote>
<p>« Ça devrait intéresser les philosophes que vous êtes. »</p>
</blockquote>
<p>En tous cas, du côté de la physique, pas de surprise. Description complète et parfaite. Le formalisme de la relativité et les lois de conservation sont ici implacables. Ils sont un point d’appui sans faille. Et la peintre Fabienne Verdier doit apprécier : « Comment comprendre ? En disant que… l’énergie qu’elles doivent à leur mouvement, s’est matérialisée. ».</p>
<h2>Rencontrer l’expérience du mouvement de Fabienne Verdier</h2>
<p>Je n’ai trouvé mieux que m’équiper en scientifique pour essayer d’approcher l’expérience du mouvement de l’artiste Fabienne Verdier, l’approche sensible et contingente qu’elle nous en propose en particulier dans ce tableau. Les choses autour de nous sont en mouvement. Nous voyons le mouvement de ces choses mais n’est-il pas extraordinaire de considérer que ces choses manifestent un mouvement présent pour lui-même, temporairement propriété de ces objets, mais qui passe de l’un à l’autre, et peut même se fondre dans la complexité du réel, et finalement ne jamais vraiment disparaître…</p>
<p>À partir de mondes différents, chacun peut s’équiper librement, pour rencontrer l’œuvre de Fabienne Verdier. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SQ3FxgYqLrw">Le lexicographe et linguiste Alain Rey</a> le montre, dans un petit livre intitulé « Sur le motif ». Il le fait évidemment par les mots. D’abord, avec le verbe latin « movere », il explore l’étymologie de « motif ». <em>Movere</em> conduit simultanément en français à mouvement et à émotion. Ensuite, il conclut :</p>
<blockquote>
<p>« Il n’y a pas de musique sans temporalité, c’est évident, alors que pour la peinture, il y a une illusion de non-temporalité : une fois que la peinture est finie, on la regarde, on a l’impression que c’est un objet statique. Or ce n’est pas un objet, c’est un motif, c’est un mouvement. »</p>
</blockquote>
<hr>
<p><em>L’exposition <a href="https://www.musee-unterlinden.com/expositions/exposition-fabienne-verdier/">Fabienne Verdier, le chant des étoiles</a> se tient au musée Unterlinden de Colmar jusqu’au 27 mars 2023.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191471/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Chevrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Comment s’équiper en scientifique pour approcher l’expérience du mouvement de l’artiste Fabienne Verdier, exposée en ce moment au musée Unterlinden de Colmar ?
Joël Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/191376
2022-10-02T16:33:02Z
2022-10-02T16:33:02Z
Au musée Jacquemart-André, explorer notre part d’ombre avec Füssli
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/487592/original/file-20221002-3041-k4x57w.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C51%2C1096%2C900&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825), Le Cauchemar, après 1782, huile sur toile, 31,5 × 23 cm.</span> <span class="attribution"><span class="source"> The Frances Lehman Loeb, Art Center, Vassar College, Poughkeepsie, New York, photo : Frances Lehman Loeb Art Center, Vassar, Poughkeepsie, NY / Art Resource, NY</span></span></figcaption></figure><p>Au musée Jacquemart André, à Paris, se tient actuellement une <a href="https://www.musee-jacquemart-andre.com/">exposition consacrée au peintre anglais d’origine suisse, J. H. Füssli</a> (1741-1825). La dernière rétrospective de ce type, en France, remontait à près de cinquante ans. C’est dire la portée de l’événement. L’occasion est donc toute trouvée de formuler deux propositions. La première porte sur la capacité qu’aura eue un artiste étranger de se fondre dans le creuset de l’art anglais, en surmontant pour cela une double résistance : résistance du peintre que son tempérament ne portait pas à l’assimilation, et résistance d’une nation volontiers xénophobe, mais qui n’en oublie cependant pas que ses grands peintres ont souvent été d’origine étrangère. Ainsi que l’écrivait Jean-Jacques Mayoux, auteur en 1969 d’une histoire de <em>La peinture anglaise</em> qui n’a pas pris une ride : « De Holbein à Lucien Pissaro, tout étranger ‘s’anglicise’, tout apport étranger est intégré. Une force, dont on serait tenté de dire qu’elle est plus naturelle et instinctive que culturelle se met à l’œuvre et assure cette intégration, par-delà les inévitables réactions de défense organique. »</p>
<h2>Faire parler de soi</h2>
<p>C’est en 1779 que le natif de Zurich, que son père destinait à la profession de pasteur, est de retour à Londres, après diverses péripéties qui l’ont conduit, d’abord à Berlin puis à Paris, où il fait la connaissance de Jean-Jacques Rousseau, et enfin à Rome, pour y découvrir Michel Ange. Commence alors une série de coups de force artistiques, dont l’exposition rend compte dans le détail. Ambitieux, il entreprend de concurrencer sur son propre terrain nul autre que <a href="https://www.nationalgallery.org.uk/artists/sir-joshua-reynolds">Joshua Reynolds</a>, Président de la Royal Academy, qui lui avait pourtant mis le pied à l’étrier, dès 1768. Avec sa propre version de <em>La mort de Didon</em> (1781), Füssli se démarque du même motif peint par Reynolds quelques mois auparavant. D’instinct, il a compris que pour percer dans la profession, il faut faire parler de soi. De fait, tous les regards écarquillés s’étaient immédiatement tournés vers l’impudent trublion… pour ne plus le lâcher des yeux. Il faut dire que jusqu’à sa mort, l’amoureux impénitent, s’éprenant de chacune de ses modèles, dont l’écrivain féministe <a href="https://www.slate.fr/societe/femmes-de-dessein/mary-wollstonecraft-ecrivaine-philosophie-badass-lumieres-fondatrice-feminisme-anticonformiste">Mary Wollstonecraft</a>, la mère de la future autrice de <em>Frankenstein</em>, n’aura cessé de porter la contestation au cœur de l’Establishment, quand bien même ce dernier le nourrissait.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487594/original/file-20221002-27186-syk3mn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487594/original/file-20221002-27186-syk3mn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487594/original/file-20221002-27186-syk3mn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487594/original/file-20221002-27186-syk3mn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487594/original/file-20221002-27186-syk3mn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487594/original/file-20221002-27186-syk3mn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487594/original/file-20221002-27186-syk3mn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Johann Heinrich Füssli, La mort de Didon, détail.1781.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection, New Haven</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’art de l’appropriation</h2>
<p>Mais l’essentiel de la stratégie menée par cet étranger nommé Johann Heinrich Füssli, et qui lui vaudra d’être renommé John Henry Fuseli, tient dans un mot, aujourd’hui malvenu, mais c’était moins vrai hier : appropriation. Füssli s’approprie sans vergogne Milton, Shakespeare, Cowper, etc. Certes, il prend aussi son inspiration chez Homère, Wieland ou les légendes nordiques. Mais c’est en illustrant les grandes gloires britanniques qu’il devient plus anglais que les Anglais. Ses motifs, il les puise à des sources autochtones, ce qui est bien utile pour se faire accepter. Mais Füssli ne s’encombre pas plus de flatterie que d’utilité. Sa quête est autre : l’intensité, d’où qu’elle vienne, l’excentricité, le bizarre, la fantaisie entre « rêve et fantastique », la folie, voilà ce qui le sollicite. Il est bien plus que l’interprète de génie d’une littérature qui lui est a priori étrangère, il en l’unique et véritable héraut, le médium halluciné. Shakespeare le « Barde » parle par son intermédiaire comme il ne l’a jamais fait depuis les élisabéthains. Füssli se découvre ainsi des filiations, des ascendances qui se seront imposées à lui, et dans lesquelles il se sera coulé, avec l’apparence de la facilité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487595/original/file-20221002-6015-n34jhn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487595/original/file-20221002-6015-n34jhn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=756&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487595/original/file-20221002-6015-n34jhn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=756&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487595/original/file-20221002-6015-n34jhn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=756&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487595/original/file-20221002-6015-n34jhn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=950&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487595/original/file-20221002-6015-n34jhn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=950&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487595/original/file-20221002-6015-n34jhn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=950&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Johann Heinrich Füssli, Autoportrait, 1780-1790, Pierre noire sur papier.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Victoria and Albert Museum, Londres</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il faut dire que l’étrangeté qu’il apporte dans ses bagages, et c’est souvent la clef d’une intégration réussie, rejoint celle de la terre d’accueil, en l’espèce une terre de brumes et de précipices surgis « au milieu du salon » (Annie Le Brun). </p>
<p>Mais qu’on ne se méprenne pas. À regarder de près son <em>Autoportait</em> (1780-1790), on mesure les tourments intérieurs de qui n’a d’autre patrie, d’autre asile, en vérité, que celle, celui, que lui offrent ses songes. Et puis il y a cet aveu paradoxal, sous forme d’aphorisme : « Nature puts me out »/« La nature me déroute ». C’est dire si on ne trouvera pas grand-chose, chez lui, qui doive à la <em>mimesis</em>, à l’imitation du réel, de la Nature, telle que l’ont théorisée Platon et Aristote, plus positivement chez le second que chez le premier. Une fois encore, Füssli navigue à contre-courant de la tradition, en l’espèce paysagiste, pastorale, mais également empiriste et positiviste, de la peinture anglaise.</p>
<p>Au risque de dérouter le commun des mortels, mais il n’en a cure, il fait des incubes, succubes et autres démons maléfiques ses fidèles compagnons de route. Loin de les mettre en fuite, il les invite à partager sa couche. Ou plutôt celle des femmes plongées dans le sommeil, et qu’il se plaît à représenter, dans les toiles reprises du <em>Cauchemar</em> de 1781, en proie à une forme de funeste et suintante incubation. S’y manifeste sourdement, par grimaçant incube interposé, l’imminence d’un viol, désiré autant que craint.</p>
<h2>Le choix de la noirceur</h2>
<p>La deuxième proposition touche à son choix, pour le moins radical, de la noirceur. Elle saute aux yeux, quand on emprunte le parcours tracé au sein de l’œuvre. Elle se veut autant idéologique que tactique. Qui dit noir, en effet, se déclare par la même occasion en guerre ouverte contre les phénoménales prétentions nourries par le siècle dit des Lumières, de <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-germaniques-2012-3-page-507.htm">l’Aufklärung kantienne</a> et autre. Avec Füssli, c’est l’imposture d’un mode artistique conçu comme exclusivement diurne qui vole en éclats. Hors de la terreur, de l’effroi, de la noirceur, hors du « nocturne » donc, point de salut. Les thèses <a href="https://www.youtube.com/watch?v=BvzG_p_sdOQ">sur le sublime de l’Irlandais Edmund Burke</a> – encore un étranger assimilé –, formulées en 1757, Füssli les adopte, comme personne avant lui. Sous ses coups de butoir, l’empire de la raison soi-disant émancipatrice et du sens commun froid et tempéré – néoclassique en cela – s’effondre, laissant place à un romantisme de la nuit et de l’excès des plus forcenés. Avec Füssli, un vent de sorcières, un cortège de « femmes à la puissance invaincue » dirait de nos jours Mona Chollet, emporte tout sur son passage, à l’image de la très horrifique <em>Sorcière de la nuit rendant visite aux sorcières de Laponie</em> (1796).</p>
<p>Nombreuses d’ailleurs sont les figures sur ses toiles, s’efforçant, mais en pure perte, de repousser les assauts des puissances de la Nuit. Parfois, c’est une paume de main tendue à la verticale, celle de <em>Lady Macbeth somnambule</em> (1784) par exemple, qui oppose un dérisoire obstacle à la nuit qui vient. Ailleurs, ce sont au contraire des doigts, d’une longueur démesurée, qui se tendent, comme pour mieux pointer et appréhender, à tous les sens du terme, les ténèbres. À chaque fois, le motif surgit de l’obscurité, au prix d’un arrachement, d’un décollement de ce qu’on pourrait presque appeler une peau, l’épiderme du jour tiré loin en arrière.</p>
<p>L’écarlate rideau de scène – Füssli avait une vraie fascination pour la gestuelle, le jeu, la dramaturgie des acteurs et actrices de son temps – se déchire, et au travers de la brèche s’engouffre le fantasme, érigé en nouveau maître des lieux. Il s’impose sans l’ombre d’une résistance, à l’image d’un autre rapt, celui perpétré dans <em>Achille saisit l’ombre de Patrocle</em>, aquarelle datant de 1810. Il n’est pas de barrage qui tienne contre la marée montante de la « matière noire », ainsi que la qualifierait Annie Le Brun. Pour mémoire, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-heure-bleue/annie-le-brun-recherche-ce-qui-n-a-pas-de-prix-1387416">Annie Le Brun</a>, essayiste restée proche des surréalistes, poète, spécialiste de Sade et du roman gothique anglais, a fait du noir sa couleur de prédilection. En cela, elle se réclame de Victor Hugo : « L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement, l’homme qui médite vit dans l’obscurité. Nous n’avons que le choix du noir. » (<em>William Skakespeare</em>, 1864).</p>
<p>Sans cette nouvelle lumière paradoxalement surgie des profondeurs « pour redessiner le paysage poétique, dramatique, social et politique », insiste Le Brun, « le corps reste prisonnier de son existence organique ». Pis, sans le noir, l’organisme est soustrait « à ses pouvoirs érotiques, symboliques et métaphoriques. » L’apport de Füssli, rejoint en cela par son ami, l’artiste visionnaire William Blake, c’est d’avoir compris en quoi le rêve nocturne agit comme le ferait une thérapie à libération prolongée. Il élève, en délivrant de la gravité, de la pesanteur (<em>Le rêve de la reine Catherine</em>, 1781). Il répare l’infirmité de l’homme et de la femme amputés de leur part d’ombre.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Johann Heinrich Füssli,Roméo et Juliette, 1809.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Collection particulière (en dépôt au Kunstmuseum à Bâle)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Füssli s’abandonne au noir chimiquement pur, au noir contrastant avec le blanc le plus éclatant (<em>Roméo et Juliette</em>, 1809), comme il s’abandonne au rêve. Et il faut savoir gré au scénographe Hubert le Gall d’avoir voulu faire de la dernière salle de l’exposition un laboratoire, grandeur nature, de l’onirisme füsslien. Le dispositif adopté y est frontal, comme cela se fait au théâtre. Chacun sur son mur, et se faisant face, deux bergers endormis, en proie à leurs rêves. À gauche, occupant tout l’espace ou presque, une ronde de jeunes femmes diaphanes, en état de lévitation et se tenant par le bras (<em>Le songe du berger</em>, 1793) ; à droite, rien d’autre au-dessus de la tête prostrée de Lycidas (1799) que le vide, le néant d’une nuit sans lune, ou presque. Au trop-plein de visions (érotiques, comprend-on) s’oppose l’absence. Tout se passe comme si Füssli avait fini par se ranger du côté de la litote, après avoir beaucoup sacrifié à l’hyperbole. En donnant moins à voir, le peintre n’en sollicite que davantage le spectateur, appelé à se faire sa propre représentation, à tourner son propre cinéma intérieur. Et si l’invisible, tout compte fait, ne se voyait jamais mieux… qu’en ne se montrant pas ?</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Johann Heinrich Füssli, Lycidas, 1796-1799.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Collection particulière Studio Sébert Photographes</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Aux sources de la psychanalyse</h2>
<p>Étrangement ou pas, d’ailleurs, tout le temps que dure la visite, c’est à Freud que l’on pense. Sigmund Freud, dont le patronyme commence aussi par un F. Freud, dont la <em>Traumdeutung</em> (interprétation du rêve), les leçons sur la psychanalyse, la découverte de l’inconscient, la science des jeux de mots, souvent d’ordre sexuel, en <a href="https://www.cairn.info/revue-savoirs-et-cliniques-2002-1-page-75.htm">lien avec le Witz</a>, n’auraient sans doute jamais vu le jour ( !) sans les toiles de Füssli (dont le nom en allemand signifie « petit pied »). On ne sort de la confusion, de l’ambiguïté, qu’à ses dépens, dit-on.</p>
<p>La rétrospective du Musée Jacquemart André est l’exception qui confirme la règle. S’y voit mis en abyme le recouvrement du nom de Füssli par celui de Freud, et vice-versa, tant l’ironie voudrait que le premier ait eu, lui, le second sur le bout de la langue. Nulle toile mieux que <em>Les trois sorcières</em> (1783), inspiré du <em>Macbeth</em> de Shakespeare, n’en fait la démonstration. Le « trouble » dans l’anatomie (ainsi que dans le genre, mais cela est une autre histoire) y est tel qu’on ne sait trop si c’est un doigt, ou un gros bout de langue rose et pendante, vaguement obscène, qu’au moins l’une des trois femmes à barbe porte à la bouche. Ce sont sans aucun doute et l’un et l’autre, preuve, si besoin était, que Füssli en connaissait, lui aussi, un rayon sur la question du <em>lapsus linguae</em>. De la langue qui trébuche et, ce faisant, en dit long sur le fonctionnement du psychisme et de ce qui le préoccupe, à l’insu de la raison claire. Si elles sont loin de n’être que ça, ce qui serait assurément réducteur au regard de l’histoire de la peinture anglaise, les toiles de Füssli, certaines plus que d’autres en tout cas, s’emploient à traduire, moyennant une transposition visuelle, les énoncés échappés de cette « bouche d’ombre » qu’est l’inconscient (Hugo, encore, <em>Les Contemplations</em>, Livre VI, XXVI).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/486843/original/file-20220927-22-zczgu0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486843/original/file-20220927-22-zczgu0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486843/original/file-20220927-22-zczgu0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486843/original/file-20220927-22-zczgu0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486843/original/file-20220927-22-zczgu0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486843/original/file-20220927-22-zczgu0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486843/original/file-20220927-22-zczgu0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les trois sorcières. Inspirée du célèbre Macbeth, cette peinture, réalisée vers 1783, est une huile sur toile (H. 65 ; L. 91,5 cm) conservée aujourd’hui à la Kunsthaus Zürich (Suisse).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>En sortant de l’exposition, à l’instar d’un Roland Barthes <a href="https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1975_num_23_1_1353">« sortant du cinéma »</a>, on se retrouve à marcher au hasard dans les rues, ne comprenant pas grand-chose à ce qui se passe autour de soi. Invoquera-t-on l’hypnose (« vieille lanterne psychanalytique », précise Barthes) ou l’expérience du rêve éveillé ? C’est à la fois plus simple, et plus retors : Füssli vous a jeté un sort et vous cheminez désormais en somnambule dans l’ombre d’un géant. Qui s’en plaindra ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191376/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Peintre de l’intensité, du bizarre et du fantastique, Füssli sut se fondre dans le creuset de l’art anglais et explorer en images les plus sombres méandres de l’âme humaine.
Marc Porée, Professeur émérite de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSL
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/186527
2022-08-17T17:47:10Z
2022-08-17T17:47:10Z
Série vidéo : Quand l’art crée la femme orientale
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/472859/original/file-20220706-9520-29mx18.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C815%2C492&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">The Interior of the Palm House de Carl Blechen (1834)</span> <span class="attribution"><span class="source">Carl Blechen</span></span></figcaption></figure><p>Au début du XIX<sup>e</sup> siècle, un mouvement artistique prend son essor à travers les différentes campagnes de colonisation en Afrique du Nord et au Moyen-Orient : l’Orientalisme. Ce courant construit une image de l’Orient bien différente de la réalité basée sur la vision de l’artiste occidental. En particulier, les femmes orientales sont un sujet privilégié par les artistes, source d’inspiration et de fantasmes. À la fois sensuelle et fragile, la femme orientale peut être aussi dangereuse, étant le fruit d’une culture non civilisée et violente.</p>
<p>Ces stéréotypes, au fil des décennies, se sont installés dans l’imaginaire collectif et perdurent encore dans les représentations actuelles. Comment cette définition de la femme orientale a été imposée par l’art occidental ? Et en quoi a-t-elle été déterminante dans ses représentations populaires contemporaines ? Nous avons rencontré Alain Messaoudi, chercheur au Centre d'histoire internationale et atlantique de Nantes Université et historien de
l’orientalisme, et Mariem Guellouz, sociolinguiste à l’Université de Paris et danseuse, pour répondre à ces questions.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yNMbnVT1ZVE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Quand l’art crée la femme orientale.</span></figcaption>
</figure>
<hr>
<p><em>Réalisation : Sirine Ben Younes et Pierre Tousis.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186527/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Connaissez-vous l’orientalisme ? Ce courant artistique a construit une image de l’Orient bien différente de la réalité basée sur la vision de l’artiste occidental.
Mariem Guellouz, Maîtresse de conférences en sciences du langage, Université Paris Cité
Alain Messaoudi, Maître de conférences en histoire contemporaine, Université de Nantes
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/184100
2022-07-03T17:03:50Z
2022-07-03T17:03:50Z
Les ultrasons au service de la restauration des peintures
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/472091/original/file-20220701-22-fvjtgc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=33%2C0%2C7343%2C5087&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tableau « Chausey » de Henri-Edmond Rudaux (Musée d’art et d’histoire de Granville) </span> <span class="attribution"><span class="source">La Fabrique de patrimoines en Normandie / A.Cazin </span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>On connaît tous l’échographie, la technique d’imagerie ultrasonore couramment utilisée pour le suivi des grossesses et le diagnostic médical, une application dans laquelle notre équipe de recherche <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-0-387-76540-2_10">est impliquée depuis sa création</a>.</p>
<p>Plusieurs membres de ma famille ayant exercé le métier d’artisan d’art, ayant pratiqué la peinture, la sculpture ou le tournage sur bois, c’est tout naturellement que j’ai cherché à rapprocher mon métier de scientifique du domaine artistique. En évoquant cela avec Faddoul Khallouf, un ami restaurateur de tableaux, l’idée est née d’envisager l’utilisation des ultrasons pour explorer l’état d’œuvres picturales. En particulier, on peut s’attendre à ce que certaines dégradations telles que des décollements entre couches internes (entre la toile et la couche de préparation, entre cette dernière et les couches de peinture) réduisent fortement la transmission des ultrasons à travers l’œuvre, alors que de tels défauts sont très difficiles à détecter par les techniques actuellement à disposition.</p>
<p>De plus, une recherche bibliographique a montré que pratiquement aucune étude en ce sens n’avait été publiée. Il n’en fallait pas plus pour se décider à explorer cette voie.</p>
<p>D’emblée, on est confronté à une difficulté : une œuvre peinte ne doit être mise en contact ni avec un liquide ni avec un autre objet, alors que les mesures ultrasonores classiques nécessitent soit l’emploi d’un gel couplant entre les transducteurs (les dispositifs qui convertissent des signaux électriques en ondes ultrasonores et vice-versa) et l’objet exploré, soit l’immersion dans un liquide, afin de favoriser le transfert d’énergie acoustique.</p>
<h2>Un premier dispositif</h2>
<p>Or, depuis quelques années les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0041624X16302232">transducteurs ultrasonores</a> dédiés à des applications dans l’air ont vu leurs performances augmenter, de sorte qu’il est possible de réaliser sans contact des images de transmission à travers des structures de faible épaisseur telles qu’une toile peinte : un émetteur d’ultrasons est placé d’un côté de la toile, un récepteur placé en face de l’autre côté, les deux sont alors balayés de façon à couvrir toute la surface de l’œuvre. L’onde transmise est enregistrée en chaque point, permettant d’obtenir une image.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/472074/original/file-20220701-15-7cuq8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/472074/original/file-20220701-15-7cuq8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=826&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/472074/original/file-20220701-15-7cuq8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=826&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/472074/original/file-20220701-15-7cuq8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=826&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/472074/original/file-20220701-15-7cuq8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1038&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/472074/original/file-20220701-15-7cuq8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1038&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/472074/original/file-20220701-15-7cuq8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1038&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Photographie du dispositif de balayage ultrasonore.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une thèse de doctorat a pu être initiée à l’automne 2019 par l’Université de Tours afin de mettre au point un système d’imagerie ultrasonore sans contact, puis d’explorer son potentiel pour caractériser des œuvres peintes. Le doctorant, Victor Takahashi, encadré par Jérôme Fortineau, Michaël Lemâtre et moi-même, a d’abord conçu et mis en place le système en utilisant des éléments disponibles au laboratoire ainsi que des transducteurs, des modules électroniques et des axes de déplacement motorisés acquis spécialement.</p>
<p>Les résultats obtenus sur des matériaux connus ont d’abord été comparés à des simulations acoustiques et à des mesures issues de la littérature scientifique afin de valider les méthodes. Un article détaillant les simulations et une procédure permettant de remonter aux propriétés des matériaux <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0041624X21002377">a été publié</a>.</p>
<p>Les fréquences ultrasonores choisies, dans la gamme de 300 à 400 kHz, soit 15 à 20 fois la fréquence la plus élevée que puisse entendre l’oreille humaine, et une focalisation des ondes ont permis d’atteindre une résolution des images de l’ordre de 2 millimètres (il est possible de différencier deux points du tableau à cette distance).</p>
<h2>Les ultrasons apportent de riches informations</h2>
<p>Après des essais sur des toiles peintes faites par nos soins, une œuvre datant de 1742 dont j’avais hérité il y a quelques années a été imagée. Les résultats et l’œuvre ont été présentés à des professionnels de la restauration de tableaux qui ont pu relier certaines zones de l’image ultrasonore correspondant à de fortes variations de la transmission des ondes à des inhomogénéités visibles à l’œil nu à la surface de la toile.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/472162/original/file-20220703-21-es7e5a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/472162/original/file-20220703-21-es7e5a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/472162/original/file-20220703-21-es7e5a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/472162/original/file-20220703-21-es7e5a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/472162/original/file-20220703-21-es7e5a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/472162/original/file-20220703-21-es7e5a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/472162/original/file-20220703-21-es7e5a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/472162/original/file-20220703-21-es7e5a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">À gauche : Photographie du tableau de Fra. M. de Herrera (Mexique 1742). Rectangle vert : zone imagée par ultrasons, cercles blancs : inhomogénéités repérées par les restaurateurs de tableaux. À doite : Image en fausses couleurs de transmission ultrasonore de la partie centrale du même tableau. Couleurs chaudes : forte transmission, couleurs froides : faible transmission, cercles blancs : zones correspondant à des inhomogénéités repérées par les restaurateurs de tableaux.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces résultats <a href="https://asa.scitation.org/doi/abs/10.1121/10.0007559">ont été présentés</a> à la communauté scientifique des acousticiens. Pour confirmer ces résultats encourageants, un tableau nécessitant une restauration a été partiellement imagé. Ensuite, lors des travaux, la restauratrice Stéphanie Teyssier a établi des corrélations entre les images ultrasonores et des défauts ou irrégularités qu’elle a observés : variations d’épaisseur, fissurations, petites perforations, usure, empâtement de l’épaulette, etc.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/472163/original/file-20220703-26-dczrsf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/472163/original/file-20220703-26-dczrsf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/472163/original/file-20220703-26-dczrsf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/472163/original/file-20220703-26-dczrsf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/472163/original/file-20220703-26-dczrsf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/472163/original/file-20220703-26-dczrsf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/472163/original/file-20220703-26-dczrsf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/472163/original/file-20220703-26-dczrsf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Tableau « Chausey » de Henri-Edmond Rudaux (Musée d’art et d’histoire de Granville) éclairé par différentes techniques. La Fabrique de patrimoines en Normandie/A.Cazin.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour aller plus loin, nous avons pris contact avec le <a href="https://www.musees-normandie.fr/musees-normandie/musee-d-art-et-d-histoire-de-granville/">musée d’art et d’histoire de Granville</a>, via sa conservatrice adjointe Alexandra Jalaber, ainsi qu’avec Antoine Cazin de la Fabrique de patrimoines en Normandie à Caen, un spécialiste de l’imagerie des tableaux. Deux œuvres appartenant au musée de Granville ont pu être imagées par Antoine Cazin d’une part par rayons X et, d’autre part, par plusieurs techniques photographiques dans le spectre visible (lumière directe ou rasante) et aux marges du visible (infrarouge, ultraviolet). Les tableaux étant revenus au musée, nous nous sommes rendus sur place et y avons installé notre système d’imagerie par ultrasons. Nos images ont été comparées à celles obtenues par d’autres techniques et cette analyse a d’ores et déjà permis de tirer quelques conclusions :</p>
<ul>
<li><p>Les ultrasons en transmission permettent d’obtenir des images de peintures sur toile avec une résolution de l’ordre de 2mm, avec une possible amélioration pour atteindre le mm en augmentant la fréquence ;</p></li>
<li><p>Des inhomogénéités, à savoir des zones où l’amplitude des ondes transmises est significativement plus élevée ou plus faible que dans l’ensemble de l’image, peuvent être attribuées à des anomalies sur l’œuvre, certaines étant aussi observables par d’autres techniques ;</p></li>
<li><p>Les images ultrasonores révèlent certaines inhomogénéités qui ne sont pas visibles par d’autres techniques.</p></li>
</ul>
<p>Ainsi, grâce à son faible coût en comparaison de celui d’autres techniques telles que les rayons X et au fait que les ondes utilisées ne sont pas nocives, l’imagerie ultrasonore sans contact des œuvres peintes a le potentiel de devenir une modalité complémentaire au service de la communauté de la préservation et de la restauration des œuvres du patrimoine artistique.</p>
<p>Nous espérons pouvoir poursuivre cette étude au-delà de la thèse de doctorat afin d’obtenir de nouveaux résultats, d’améliorer la résolution des images et d’en tirer des informations quantitatives. Pour cela nous souhaitons établir des partenariats avec d’autres institutions impliquées dans la conservation des œuvres et identifier de potentiels futurs utilisateurs de la technique ultrasonore.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184100/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Lethiecq ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les ultrasons pourraient devenir un nouvel outil pour étudier puis restaurer les tableaux anciens.
Marc Lethiecq, Professeur des Universités en électronique et acoustique, INSA Centre Val de Loire
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/174131
2022-01-09T17:11:03Z
2022-01-09T17:11:03Z
Littérature et indignation : vous avez dit « swiftien » ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/438659/original/file-20211221-13-os6lys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C0%2C2142%2C1616&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Négriers jetant par-dessus bord les morts et les mourants - un typhon approche, 1840. Musée des Beaux-Arts de Boston. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_N%C3%A9grier#/media/Fichier:Slave-ship.jpg">Wikipédia. </a></span></figcaption></figure><p>Il en va des polémistes comme de la langue d’Esope. Ils sont la pire des choses, quand ils portent le venin dans la plume. A contrario, quand l’humeur belliqueuse qu’ils affichent dans leurs écrits – on l’oublie, mais un polémiste a toujours la guerre en tête – se révèle pour ce qu’elle est : un puissant antidote aux agents de corruption à l’œuvre sur les esprits comme sur la langue, la postérité leur réserve le meilleur de ce qu’elle peut leur offrir.</p>
<p>L’homme d’église mais aussi de plume que fut Jonathan Swift (1667-1745) aura jeté toutes ses forces dans les combats de son temps : querelle des Anciens et des Modernes (<em>La Bataille des livres</em>, 1704), mais aussi conflits à répétition entre Lilliputiens (Anglais) et Bflefusciens (Français).</p>
<p>Mais qu’on n’aille pas croire que ces batailles appartiennent à un passé révolu. Deux événements récents, à propos desquels l’opinion continue de s’écharper, à savoir le Brexit et la crise migratoire, ont vu resurgir des traits swiftiens dans le traitement littéraire et fictionnel qui leur a été réservé. Sans prétendre égaler le maître, Ian McEwan, dans <em>Le Cafard</em>, et Éric Fottorino, avec sa nouvelle intitulée <a href="https://le1hebdo.fr/journal/migrants-sommes-nous-encore-humains/377/article/la-pche-du-jour-5044.html">« La Pêche du jour »</a>, n’ambitionnent pas moins de rendre à César, en l’occurrence à Swift, ce qui lui revient. D’où la question : y aurait-il une actualité Swift ? Et si oui, quels seraient les traits définitoires du génie swiftien ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1471247446072180736"}"></div></p>
<p>Reconnaissons d’emblée que, transparente pour un lectorat anglophone, l’appellation « swiftien » ne parle guère au public français. Et ce, alors que d’autres adjectifs formés sur le même modèle, comme kafkaïen ou ubuesque, sont passés, eux, dans le langage commun, pour désigner des situations assez comparables, où l’absurde le dispute à l’intolérable.</p>
<p>À l’évidence, <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Les-noms-d-epoque">à la bourse des noms d’époque</a> ou d’auteurs, la cote de Jonathan Swift ne brille pas du même éclat que celle de Kafka ou d’Alfred Jarry, l’auteur de l’impayable <em>Ubu Roi</em>.</p>
<h2>Une réception biaisée et tronquée</h2>
<p>Pourtant, Swift n’est pas le premier venu. Il est vrai que sa réception, en France, est un cas d’école en matière de réception culturelle biaisée ou tronquée. De lui, on retient une formule, « Nul homme n’est une île », prononcée en chaire, à la Cathédrale St Patrick de Dublin, ainsi qu’un personnage de fiction, Lemuel Gulliver (littéralement Lemuel le Pigeon, ou le Jobard). C’est beaucoup… et c’est peu.</p>
<p>Très tôt traduit en français, par l’abbé Desfontaines en 1727, <em>Les Voyages de Gulliver</em> a laissé dans l’ombre ses pamphlets, dont la nature il est vrai topique, liée au contexte intellectuel et idéologique de l’époque, ne facilite pas leur compréhension immédiate. De surcroît, si la figure de Gulliver est devenue populaire urbi et orbi, sa perception, en France, demeure celle d’un personnage de la littérature pour la jeunesse. Or, le <em>Voyage</em> se veut avant tout un conte philosophique pour adultes avertis, ce que montre en particulier le quatrième et dernier périple, accompli au pays des chevaux dotés de raison. À son retour, car tout dans ce type de littérature de voyage est affaire, non de départ mais bien de retour, <a href="https://www.presses.ens.fr/465-offshore-revenir-devenir-gulliverou-l-autre-voyage.html">comme l’a compris Jean Viviès</a>, Gulliver se mue en un personnage atrabilaire et misanthrope, vomissant la race humaine et reniant femme et enfants pour trouver refuge auprès des chevaux de son écurie. Pour un peu, au risque de brouiller les pistes, on qualifierait volontiers le récit de voltairien, tant un lecteur francophone y trouverait des traces de l’ironie présidant à l’écriture de <em>Candide</em> ou de <em>Zadig</em>.</p>
<h2>Un maître du pamphlet</h2>
<p>Objectivement, toutefois, le qualificatif de voltairien ne fait pas beaucoup avancer la compréhension du phénomène. Ce qu’il y a de plus swiftien, chez Swift, c’est sa veine polémiste, alimentée par les querelles, principalement religieuses et politiques, de l’époque. Ainsi, avec son <em>Argument contre l’abolition du christianisme</em>, ou son <em>Conte du Tonneau</em>, Swift s’y prend si bien, ou si mal, c’est selon, qu’il se met à dos tous les belligérants, anglicans, dissidents, catholiques. C’est clairement dans ce sillage-là que s’inscrit <em>Le Cafard</em> de Ian McEwan. Rendu amer par le succès du Brexit dans les urnes, le fabuliste contemporain se plaît à camper Boris Johnson et la classe britannique anglaise sous les traits de repoussants cafards, ourdissant sous les feux de la rampe l’absurde scénario du « Reversalisme ». S’il paraît donner des gages à Kafka, l’auteur de la <em>Métamorphose</em>, la filiation demeure swiftienne, tant le furieux débat entre partisans et adversaires de la sortie du Royaume-Uni n’a rien à envier, en matière de bêtise et de pulsion suicidaire, eu égard à ce que sont les véritables enjeux géopolitiques, aux vaines querelles entre « petis boutiens » et « gros boutiens ».</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1051&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1051&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1051&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1321&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1321&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438660/original/file-20211221-27-1wmg0l1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1321&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Modeste proposition… » de Swift, édition de 1729.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Modeste_Proposition#/media/Fichier:A_Modest_Proposal_1729_Cover.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>En 1729, Swift, toujours lui, ferraillait cette fois contre les Anglais et leur politique du pire en terre irlandaise. À preuve, sa <em>Modeste Proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public</em>, au titre trop explicite pour être honnête. Un physiocrate de l’époque – on parlerait aujourd’hui d’un technocrate –, y prend la plume, censément pour se fendre d’une proposition à même de régler le problème récurrent de la pauvreté et de la famine sévissant en Irlande, terre natale de Swift, patriote sourcilleux, répétons-le.</p>
<p>Mais <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-archives-de-lete/lhumour-noir-de-jonathan-swift">l’ironie du propos</a> réside justement dans la dissociation ménagée entre la figure de l’économiste et celle de l’auteur. Le premier prévoit d’ôter aux parents impécunieux leurs nourrissons et de les confier à des nourrices entretenues sur des fonds privés. Une fois engraissés, ces innombrables enfants de sujets catholiques seront vendus aux riches propriétaires terriens, Anglais dans leur immense majorité, qui les consommeront sous forme de ragoût ou de fricassée à déguster toutes affaires cessantes. Quand le cannibalisme se pare de vertus philanthropiques ! À condition de passer par pertes et profits le préalable indispensable à la réalisation d’un projet aussi monstrueux : l’interdit qui pèse sur la chair humaine, qu’on ne saurait manger sans enfreindre un tabou majeur et constitutif de l’idée même de famille et de société humaine. Sous ses apparences de provocation « hénaurme » (adjectif, pour le coup, rabelaisien), l’insensibilité du physiocrate, à rebours de l’empathie de Swift, vise à changer la nature de l’indignation qui gagne à la lecture du traité.</p>
<p>Rejeter la « proposition » en poussant des cris d’orfraie, c’est se tromper de cible. Le vrai scandale est ailleurs, dans la réalité d’une île livrée sans défense à la colonisation britannique, rien moins qu’authentiquement cannibale, pour le coup. Il aura donc fallu en passer par les pouvoirs de l’horreur pour réveiller les consciences…</p>
<p>En conséquence de quoi sera décrété swiftien tout énoncé à la fois dérangeant et éveillant, apte à laisser un goût amer en bouche, car procédant à grand renfort d’humour noir, ou de paradoxes insoutenables, et n’hésitant pas à piétiner, le plus allègrement du monde, les codes du bon goût et de la décence.</p>
<h2>Consentements au meurtre</h2>
<p>« La pêche du jour », par Éric Fottorino, remonte tout cela dans ses filets, et bien plus encore. Un dialogue s’y engage entre un pêcheur et un client potentiel, attiré par la promesse de poisson frais. En matière de fraîcheur, le pêcheur ne craint personne : sur son étal trônent, à côté de la bonite et du requin, « du » Malien », « du » Somalien, ou bien encore « de » l’Erythréen. Les cadavres de migrants naufragés lors de leur tentative de traversée de la Méditerranée constituent en effet l’essentiel de sa pêche miraculeuse. Son salut économique en dépend, à lui l’ancien professeur d’humanités gréco-latines ( !), désormais réduit à se faire pêcheur au lendemain de la crise de la dette publique grecque. Et de vanter les mérites d’une denrée ô combien nourrissante, allant même jusqu’à reprocher aux navires humanitaires, type Aquarius, de lui ôter le pain de la bouche, en sauvant de la noyade les malheureux dont il se fait, lui, le « nettoyeur » anthropophage. En son temps, déjà, Montaigne faisait observer, sur le mode non de la fiction mais de l’argumentation, que les soi-disant « Cannibales » n’étaient pas ceux qu’on croyait, et qu’en Occident « nous les surpassons en toute sorte de torture ».</p>
<p>Ce que Fottorino réunit, c’est à la fois une précision extrême dans le rendu d’une situation historique, qui est aussi un naufrage de l’humanité tout entière, et une déconnexion totale d’avec ce qui fait l’ordinaire d’une poissonnerie, bien sûr, mais surtout l’ordinaire des réactions émotionnelles. En lieu et place du sentiment d’horreur attendu, priment, au pire, le cynisme, au mieux l’indifférence polie. Et Fottorino de stigmatiser, de la plus rude, mais salutaire des façons, nos trop fréquents « consentements au meurtre », <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/7924/le-consentement-meurtrier">pour parler comme Marc Crépon</a>. Notre coupable renoncement à l’humain, d’un mot.</p>
<h2>Cogner fort pour faire réagir</h2>
<p>Non content de rappeler la macabre scène d’ouverture de <em>Our Mutual Friend</em> (<em>L’Ami commun</em>, 1865), de Charles Dickens, dans lequel le personnage de Jesse Hexam récupère les cadavres flottant sur la Tamise à l’aide de sa gaffe, pour leur faire les poches, Fottorino va jusqu’à exhumer l’écho lointain d’une controverse historique, qui avait beaucoup agité en son temps l’opinion publique, britannique en l’occurrence.</p>
<p>En 1781, en route pour la Jamaïque, le capitaine du négrier Zong avait donné l’ordre de jeter par-dessus bord 142 esclaves en piètre état sanitaire, de façon à pouvoir prétendre toucher la prime d’assurances pour « pertes en mer ». Rendue publique, l’affaire avait ulcéré les consciences, et ce durablement, au point qu’en 1840, le peintre J.M.W. Turner avait représenté la scène, dans un tableau devenu célèbre, <em>Le Négrier jetant par-dessus bord les morts et les mourants</em> – un typhon approche, prêtant ainsi main forte à la cause abolitionniste.</p>
<p>De même, « La Pêche du jour » fend-elle à grands coups de hache les eaux glacées et désespérantes de l’égoïsme, imposant, entre autres traits swiftiens, l’animalisation de l’humain, le cynisme comme principe de dévoilement, ou bien encore l’aptitude à énoncer l’intolérable, voire l’innommable, sans en paraître le moins du monde affecté. Il faut avoir l’estomac bien accroché pour pousser aussi loin le compagnonnage avec l’atroce :</p>
<blockquote>
<p>« La chair des enfants est un must. Nous avons parfois un bébé mort-né dans le ventre de sa mère. On ouvre. Une viande très appréciée. J’ai un client d’origine brésilienne. Tous les deux ou trois jours, il me demande si j’ai ce qu’il veut. Il prétend que, sous la dent, le fœtus est aussi tendre que la bosse du zébu. […]
Il arrive aussi qu’une femme sur le point d’accoucher perde les eaux en pleine mer. Un sens aigu de l’à-propos, vous ne trouvez pas ? »</p>
</blockquote>
<p>Rien de plus nécessaire, pourtant, si l’on veut que swiftien, au même titre que sadien, devienne le plus astringent des ferments, le plus actif des révulsifs. Et rime, même imparfaitement, avec contemporain. Swift, plus que jamais notre contemporain, chaque fois que, face à la vulnérabilité et à la mortalité d’autrui, le secours et la sollicitude attendus font défaut. Et que s’impose, sans complaisance aucune, la nécessité d’un prompt (<em>swift</em>, en anglais) retour aux fondamentaux de l’humanité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174131/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Transparente pour un lectorat anglophone, l’appellation « swifitien », en littérature, ne va forcément de soi pour le public français.
Marc Porée, Professeur de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSL
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/169387
2021-11-02T18:03:35Z
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Musée des Beaux-Arts de Bordeaux : une saison britannique au temps du Brexit
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/429749/original/file-20211102-15-lg639v.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C0%2C1196%2C761&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Francis Danby Sunset at Sea after a Storm, 1824.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://artuk.org/discover/artworks/sunset-at-sea-after-a-storm-188419">Bristol Museums. </a></span></figcaption></figure><p>Une exposition artistique n’émerge pas ex nihilo et par hasard. Une des manières d’aborder une exposition est de s’interroger sur les raisons et enjeux qui président à sa conception à ce moment-là, à cet endroit-là. Ensuite, on peut se demander, s’il y a lieu, comment cette exposition infléchit l’historiographie de l’art exposé, voire comment elle participe à sa réécriture, parfois au prisme de l’actualité. Enfin – et cette approche est liée aux deux derniers points –, on peut chercher à voir, de manière plus ou moins conjecturale, comment l’exposition réagit à l’actualité, et en filigrane, la posture qu’elle propose.</p>
<p>Ces interrogations sont particulièrement pertinentes et fécondes lorsqu’on se penche sur les deux expositions bordelaises sur l’art britannique, et notamment <a href="https://www.musba-bordeaux.fr/fr/article/exposition-absolutely-bizarre-les-droles-d-histoires-de-l-ecole-de-bristol-1800-1840">« Absolutely bizarre ! Les drôles d’histoires de l’École de Bristol (1800-1840) »</a>. Cette exposition au titre franco-anglais fait converger plusieurs intérêts, ceux des musées en collaboration et celui du public tel qu’il est perçu et compris, compte tenu de l’actualité.</p>
<p>L’idée initiale a germé chez Guillaume Faroult – conservateur en chef au Louvre, en charge des peintures françaises du XVIII<sup>e</sup> siècle, des peintures britanniques et américaines – qui a découvert l’École de Bristol au hasard de pérégrinations en Angleterre. Bristol étant jumelée avec Bordeaux, il a judicieusement proposé au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux d’en accueillir l’exposition – lequel en a d’emblée flairé le potentiel et saisi l’opportunité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427340/original/file-20211019-13-yqw0tn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427340/original/file-20211019-13-yqw0tn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427340/original/file-20211019-13-yqw0tn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427340/original/file-20211019-13-yqw0tn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427340/original/file-20211019-13-yqw0tn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427340/original/file-20211019-13-yqw0tn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427340/original/file-20211019-13-yqw0tn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une vue de l’exposition Absolutely bizarre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Deval</span></span>
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<h2>Une aubaine pour Bordeaux comme pour Bristol</h2>
<p>Pour Bordeaux, la richesse foisonnante de cet ensemble d’œuvres pouvait rehausser le fonds britannique du musée des Beaux-Arts, le plus important des villes françaises de région. Celui-ci était également augmenté par des prêts du Louvre dans l’exposition <a href="https://www.musba-bordeaux.fr/fr/article/exposition-british-stories">British Stories : Conservations entre le Musée des Beaux-arts de Bordeaux et du Louvre</a>. Occasion inespérée de mettre en avant, dans le cadre de l’année britannique, leur capital anglophile.</p>
<p>De son côté, le <a href="https://www.bristolmuseums.org.uk/bristol-museum-and-art-gallery/">musée de Bristol</a> rêvait de pouvoir braquer les projecteurs sur ce qu’il appelle avec fierté l’École de Bristol, non une école dogmatique, mais un groupe informel d’artistes qui, de 1800 à 1840, se côtoyaient, parfois travaillaient et exposaient ensemble. Le souhait du musée de Bristol était de promouvoir ce foyer de talents méconnus – car n’est-ce pas là l’un des rôles des conservateurs que de mettre sur le devant de la scène le patrimoine dont on a la charge ?</p>
<p>Or nul n’est prophète en son pays, et toute exposition de l’École de Bristol à Bristol même peut facilement être soupçonnée de verser dans l’autopromotion grossière ; elle est vouée de surcroît à être éclipsée par les nombreux chefs-d’œuvre britanniques à Londres. Il fallait donc opérer un léger déplacement pour sortir de l’ombre ces peintures et attirer l’attention. Bordeaux semblait un lieu d’exposition idéal. C’était d’abord l’occasion de renforcer les liens anciens et le jumelage, d’autant que certains tableaux comportent des caractéristiques communes aux deux villes : l’estuaire du sud-ouest, le port colonial, le commerce triangulaire et sa dénonciation.</p>
<p>Puis <a href="https://exhibitions.bristolmuseums.org.uk/artwork-from-the-bristol-school/">l’École de Bristol acquiert dans la capitale girondine une visibilité autrement plus forte qu’à Bristol</a> : elle y prend un tout autre relief, un tour exotique et en même temps proche des Bordelais, heureux de voir là le jumelage de 70 ans en acte.</p>
<p>Autre avantage : les nombreux visiteurs britanniques, curieux de voir quel regard y est porté sur leurs contrées, peuvent en sortir édifiés, éveillés à des connaissances nouvelles, à même de remanier leurs idées préconçues sur l’art de leur propre pays. Dans la scénographie des salles d’exposition, des peintures topographiques campent le lieu et en montrent les similitudes géographiques d’avec Bordeaux, avant de zoomer sur les « sketching parties », puis de truculentes scènes de genre.</p>
<p>Enfin, l’exposition culmine au second étage avec les apothéoses de la tradition esthétique du sublime, en un bouquet final qui glorifie le groupe bristolien et le relie au mouvement européen.</p>
<p>Grâce à ce décentrement géographique, Londres n’est plus le cercle unique autour duquel s’échafaude l’histoire de l’art britannique. On apprend, par exemple, dans la dernière salle, que certains artistes bristoliens exercèrent une influence sur la création artistique de la capitale britannique. Ainsi la représentation des émeutes embrasant Bristol en 1831 par William James Müller put déteindre, trois ans plus tard, sur les aquarelles de l’incendie du Parlement britannique de son célèbre contemporain, JMW Turner.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429757/original/file-20211102-28770-iud2au.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429757/original/file-20211102-28770-iud2au.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429757/original/file-20211102-28770-iud2au.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429757/original/file-20211102-28770-iud2au.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=256&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429757/original/file-20211102-28770-iud2au.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429757/original/file-20211102-28770-iud2au.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429757/original/file-20211102-28770-iud2au.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=322&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« The Bristol Riots: The Burning of the New Gaol with St. Paul’s Church », Bedminster, 1831, W.J. Müller.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://artuk.org/discover/artworks/bristol-riots-the-burning-of-the-new-gaol-from-near-prince-street-188862">Art UK</a></span>
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<p>La conservatrice du musée de Bristol, Jenny Gashke, ne se prive pas d’insister sur les liens tissés entre les artistes bristoliens (Danby…) et leurs contemporains sur le continent, sans avoir à passer par le détour de Londres, comme en une mise en abyme du contexte de l’exposition.</p>
<p>Enfin, pour le Louvre, ces expositions – comme à Quimper ou Valence en 2014-2015 – permettent de rendre plus visibles leurs tableaux britanniques autrement noyés dans l’abondance du musée parisien. Mieux vaut être parfois, comme disent les Anglais, « a big fish in a small pond », plutôt que « a small fish in a big pond ». Manière aussi de célébrer les liens avec les Britanniques dans un lieu moins central, moins politiquement chargé que Paris en cette période sensible.</p>
<h2><em>Far away from… Brexitland</em></h2>
<p>Dans le contexte actuel, écarter Londres et Paris, donc, pour mieux rapprocher « les territoires » – loin des saillies francophobes des Brexiters de la perfide Albion. Car là aussi est l’enjeu, notamment pour cette conservatrice anglaise d’adoption mais allemande d’origine qu’est Jenny Gaschke : montrer que le monde de la culture et des échanges artistiques peut tout à fait s’abstraire des absurdités et contrariétés du Brexit, de l’animosité et des rancœurs politiques, et offrir une plus grande hauteur de vue. <a href="https://www.britishartstudies.ac.uk/issues/issue-index/issue-20/british-art-after-brexit">Elle ne s’en cache pas : son projet n’était pas dénué de réaction au monde politique</a>. Dans une veine parallèle, le choix des œuvres met également en lumière le rôle des minorités négligées par l’histoire de l’art canonique, dans une volonté de réhabiliter les femmes et les esclaves, de la même manière qu’elle cherche à « décoloniser » et réintégrer les artistes de Bristol dans la narration <em>mainstream</em> de l’art britannique.</p>
<p>Que les expositions soient inscrites dans un contexte géopolitique bien particulier fut rendu manifeste par la visite de l’ambassadrice du Royaume-Uni fraîchement nommée, <a href="https://www.gov.uk/government/people/menna-rawlings">Menna Rawlings</a>, accompagnée par la présidente-directrice du Louvre, <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/05/26/la-presidente-du-musee-d-orsay-laurence-des-cars-choisie-pour-diriger-le-louvre_6081487_3246.html">Laurence des Cars</a>, tout aussi fraîchement nommée à son poste. C’était, de leurs déplacements, parmi les premiers, voire le premier – une visite donc très délibérée, à forte valeur symbolique.</p>
<p>La directrice du Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, Sophie Barthélémy, ainsi que la directrice adjointe, Sandra Buratti-Hasan, étaient loin d’être dupes de cette opération de communication. Que l’ambassadrice se saisisse de cette occasion pour souligner les bonnes relations entre les deux pays apparaisse comme une instrumentalisation – c’était une instrumentalisation qu’elles appelaient de leurs vœux : comment faire œuvre de civilisation et d’union là où les politiques s’écharpent ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427174/original/file-20211019-25-znhwfd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427174/original/file-20211019-25-znhwfd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427174/original/file-20211019-25-znhwfd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427174/original/file-20211019-25-znhwfd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427174/original/file-20211019-25-znhwfd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427174/original/file-20211019-25-znhwfd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427174/original/file-20211019-25-znhwfd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">James Baker Pyne, « View of the Avon from Durdham Down », 1829.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bristol Museum Art</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’ambassadrice ne se doutait pas encore que deux jours plus tard allait éclater l’affaire Aukus. Par une coïncidence de dates, cette crise se déclencha alors que se déroulait, dans le cadre des expositions, un colloque réunissant des <a href="https://www.musba-bordeaux.fr/fr/article/colloque-international-sur-lart-du-portrait">enseignants-chercheurs anglicistes de France et francisants d’Angleterre</a>, visant au rapprochement culturel.</p>
<p>Ce que montre une exposition, bien au-delà de ses œuvres, c’est aussi une certaine conception de la culture dans la cité. Les musées participent aux échanges et circulations d’imaginaires, mais aussi à la notion même d’échange et de circulation géopolitique. Dans toute sa finesse humaniste, cette double exposition est un vecteur de <em>soft power</em>, un stratégique et subtil geste politico-culturel, dont l’étrangeté n’a rien de bizarre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169387/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Muriel Adrien a co-organisé le colloque "L'art du portrait britannique (1750-1900)" mentionné en fin d'article.</span></em></p>
Une des manières d’aborder une exposition est de s’interroger sur les raisons et enjeux qui président à sa conception à ce moment-là, à cet endroit-là.
Muriel Adrien, Maître de conférences (arts visuels du monde anglophone), Université Toulouse – Jean Jaurès
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/168315
2021-09-23T20:18:16Z
2021-09-23T20:18:16Z
Georgia O’Keeffe, une artiste libre, hors-cadre et visionnaire
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/422971/original/file-20210923-25-12o1lsr.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C0%2C1244%2C1040&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Georgia O’Keeffe, Ram’s Head, White Hollyhock — Hills (1935), huile sur toile. </span> <span class="attribution"><span class="source"> The New York Times Company (2004). </span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.brainpickings.org/2014/12/08/georgia-okeeffe-sherwood-anderson-letters/">« Je ne suis pas certaine que notre vision de l’art concorde véritablement avec notre époque »</a>, écrivait Georgia O’Keeffe au romancier Sherwood Anderson. <a href="https://www.arts-in-the-city.com/2021/08/20/les-toiles-sulfureuses-de-georgia-okeeffe-exposees-au-centre-pompidou/">Trente-cinq ans après la mort de l’artiste américaine</a>, la première <a href="https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/60bdJRm">rétrospective</a> qui lui est consacrée par le Centre Pompidou semble lui donner raison.</p>
<p>Dans sa monographie <a href="https://culture-evasions.fr/2021/08/20/georgia-okeeffe-une-ico%CC%82ne-americaine-livre/"><em>Georgia O’Keeffe : une icône américaine</em></a> (2021), Marie Gerraut présente Georgia O’Keeffe comme une artiste anticonformiste qui a rejeté l’art purement figuratif pour établir ses propres règles, et, parfois, aller à l’encontre du canon moderniste et des idées avant-gardistes de son temps.</p>
<p>Si l’exposition du Centre Pompidou associe principalement Georgia O’Keeffe à l’art moderne américain des années 1910 et à la <a href="https://theconversation.com/la-peinture-americaine-des-annees-30-miroir-ambigu-de-notre-epoque-71830">peinture des années 1930</a>, d’autres mouvements satellitaires y sont évoqués à l’instar du <a href="https://www.jstor.org/stable/23801910">romantisme</a>, du <a href="https://www.hisour.com/fr/hudson-river-school-35812/">paysagisme</a>, du <a href="https://www.jstor.org/stable/26503790">minimalisme</a>, de <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01240727/document">l’orientalisme</a> et de <a href="https://www.researchgate.net/publication/322632924_Art_militant_art_engage_art_de_propagande_un_meme_combat">l’art engagé</a>. Georgia O’Keeffe semble bel et bien être une « artiste unique, à l’œuvre inclassable », pour reprendre les mots de Marie Gerraut.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422972/original/file-20210923-19-zb6f4v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422972/original/file-20210923-19-zb6f4v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=470&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422972/original/file-20210923-19-zb6f4v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=470&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422972/original/file-20210923-19-zb6f4v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=470&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422972/original/file-20210923-19-zb6f4v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=591&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422972/original/file-20210923-19-zb6f4v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=591&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422972/original/file-20210923-19-zb6f4v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=591&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Alfred Stieglitz, Georgia O’Keeffe (1932), MOMA.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alfred Stieglitz et de Artists Rights Society (ARS), New York (2021).</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le culte de l’« hyper »</h2>
<p>Si de son temps, l’œuvre de Georgia O’Keeffe semblait difficile à classer, les dernières avancées théoriques, notamment en ce qui concerne le dépassement de la modernité, ses causes et ses modalités, nous invitent à percevoir l’artiste sous un angle nouveau : celui d’une visionnaire préfigurant l’<a href="https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2004-1-page-184.htm">hypermodernité</a>.</p>
<p>L’hypermodernité, terme popularisé par le sociologue Gilles Lipovetsky pour décrire une société fragilisée par les crises du XX<sup>e</sup> siècle, est marquée par trois notions : la perte identitaire, l’urgence et l’excès, qui défigurent le réel.</p>
<p>Et les tableaux les plus connus de l’artiste – des gros plans hyperfocaux de fleurs hypertrophiques – esquissent justement un « culte de l’hyper ».</p>
<h2>Donner à voir une identité ambivalente</h2>
<p>Si l’hypermodernité évoque la disparition de l’identité, l’œuvre de Georgia O’Keeffe ne semble a priori pas entrer dans cette catégorie. La thématique de l’identité y est foisonnante et démultipliée sous l’effet de la symétrie axiale. Ses peintures sont notamment hantées par la figure du double, tandis que chaque coup de pinceau est dupliqué dans ses tableaux, qu’il s’agisse de <a href="https://www.numero.com/fr/art/georgia-o-keeffe-centre-pompidou-paris-peinture-ossements">crânes de buffles</a> dont la forme suit une ligne de symétrie verticale comme dans <em>Ram’s Head, White Hollyhock-Hills</em> (1935) ou de paysages dont les couleurs se répondent en suivant une ligne de symétrie oblique comme dans <em>Nature Forms – Gaspé</em> (1932).</p>
<p>Cette esthétique symbolise peut-être aussi le désir d’être mère de l’artiste, qui n’a pas eu d’enfant. Si la spécularité – soit l’action de regarder dans sa dimension de fascination – associée à des pétales de fleurs ou à des crânes de buffle dont les formes rappellent l’appareil reproducteur féminin, fait écho aux thèmes de l’enfantement, de la pulsion de vie et de la reproduction, les ossements peuvent évoquer quant à eux la stérilité et la pulsion de mort, tout autant que les paysages désertiques chers à l’artiste, bien qu’elle y insuffle de la vie par la peinture.</p>
<p>La peintre nous donne à voir une identité ambivalente, aussi fertile que destructrice.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DXtBXqkj1U0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Abstraction et art hyperfocal</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/422973/original/file-20210923-27-qz9crr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422973/original/file-20210923-27-qz9crr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422973/original/file-20210923-27-qz9crr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422973/original/file-20210923-27-qz9crr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422973/original/file-20210923-27-qz9crr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422973/original/file-20210923-27-qz9crr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422973/original/file-20210923-27-qz9crr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422973/original/file-20210923-27-qz9crr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Georgia O’Keeffe, Grey Lines with Black, Blue and Yellow (1923).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Georgia O’Keeffe Museum (2016).</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le deuxième pilier de l’hypermodernité est l’<a href="https://journals.openedition.org/communicationorganisation/3365">urgence</a> ; Georgia O’Keeffe souligne sans cesse l’urgence qu’il y a à voir, au moyen d’un art hyperfocal. Néanmoins, ces très gros plans sur des détails de fleurs ou d’ossements relèvent-ils de l’abstraction ? L’étymologie du mot « abstraire » vient du latin <em>abstractus</em> qui signifie « séparer de ». Les fleurs de Georgia O’Keeffe sont en effet extraites de leur environnement naturel et constituent, dès lors, une représentation microcosmique qui peut sembler abstraite de prime abord, mais que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher de formes connues, souvent associées à l’anatomie féminine.</p>
<p>Pourtant, comme le <a href="https://play.acast.com/s/georgia-okeeffe/section-4-de-new-york-a-lake-george">podcast</a> de l’exposition du Centre Pompidou le souligne, Georgia O’Keeffe était fascinée par « la puissance du cosmos », et ses œuvres forment en réalité une synthèse du microcosme et du macrocosme, montrant son désir de dépassement de la dichotomie opposant le proche et le distant, et par conséquent l’art abstrait et l’art réaliste. <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-piece-jointe/l-origine-du-monde-de-georgia-o-keeffe">L’artiste déclarait même</a>:</p>
<blockquote>
<p>« Je suis toujours surprise de voir comment les gens séparent l’abstraction du réalisme. La peinture réaliste n’est jamais bonne si elle n’est pas réussie d’un point de vue abstrait. »</p>
</blockquote>
<p>L’œuvre de Georgia O’Keeffe se trouve au carrefour des représentations, mais également des sens.</p>
<h2>Un art éminemment sensoriel</h2>
<p>Le syncrétisme à l’œuvre dans l’art de Georgia O’Keeffe crée des raccourcis topographiques (la proximité d’une fleur fait prendre conscience au spectateur de l’étendue du cosmos), culturels (les ossements évoquent à la fois des reliques païennes et la liturgie chrétienne), et sensoriels : Georgia O’Keeffe est en effet très inspirée par l’essai <a href="https://journals.openedition.org/assr/18193">« Du Spirituel dans l’Art »</a> (1912), dans lequel Vassily Kandinsky – synesthète notoire – établit les fondements picturaux de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Orphisme_(art)">l’orphisme</a> et de l’<a href="https://books.openedition.org/ugaeditions/9063?lang=fr">instrumentisme</a> hérité de René Ghil en déclarant notamment que « les couleurs sont les touches d’un clavier, les yeux sont les marteaux, et l’âme est le piano lui-même, aux cordes nombreuses, qui entrent en vibration ». Cet enthousiasme pour les correspondances entre les arts se retrouve <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RKHLIQDDQHk">dans la synesthésie</a> que suggèrent les titres des tableaux de Georgia O’Keeffe, à l’instar de <em>Blue and Green Music</em> (1919-1921).</p>
<p>Cette esthétique du raccourci entre les arts s’aligne avec le concept d’urgence hypermoderne, forme <a href="https://www.cairn.info/journal-connexions-2012-1-page-15.htm">d’hédonisme</a> contemporain qui pousse l’individu à vouloir tout voir, tout faire, tout ressentir simultanément. Dans la théorie hypermoderne, ce culte de l’urgence s’associe en outre à celui de l’excès et du débordement qui se traduit par des œuvres qui s’étendent au-delà d’elles-mêmes – de leur <a href="https://jmsauvage.fr/sites/default/files/analyse_derridiennev2.pdf">parergon</a>, dirait Derrida – chez Georgia O’Keeffe.</p>
<h2>Voir au-delà du cadre</h2>
<p>Si les gros plans de l’artiste dérangent, c’est autant par la crudité de leurs évocations que par le hors-cadre, ou l’inconnu, qu’ils suggèrent.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/422974/original/file-20210923-26-kz0mqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422974/original/file-20210923-26-kz0mqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422974/original/file-20210923-26-kz0mqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422974/original/file-20210923-26-kz0mqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422974/original/file-20210923-26-kz0mqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422974/original/file-20210923-26-kz0mqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422974/original/file-20210923-26-kz0mqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422974/original/file-20210923-26-kz0mqo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Georgia O’Keeffe, <em>Nude Series VIII</em> (1917), aquarelle sur papier.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Où s’arrête l’œuvre de Georgia O’Keeffe ? Peut-elle vraiment se limiter au cadre qui lui est prédéfini ? La texture des tableaux de l’artiste suggère premièrement une œuvre qui s’échappe de son cadre : le relief formé par la toile plissée dans <em>Nude Series VIII</em> (1917), la technique de l’aquarelle qui, par définition, s’étend au-delà des formes qui lui sont prédéfinies, et les traits de pinceaux saccadés de <em>Series I, No. 3</em> (1918) révèlent que les techniques de la peintre suivent un mouvement de rapprochement et d’éloignement semblable au tissage, phénomène pictural comparable à ce que Jacques Derrida nomme la <a href="https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2016-2-page-48.htm">« stricture »</a> dans <em>La Vérité en Peinture</em> (1978), cette contraction et cette dissémination paradoxale de l’œuvre. Les toiles hypertrophiques de Georgia O’Keeffe nous invitent dès lors à voir au-delà des délimitations fixées par le cadre, répondant ainsi au principe d’excès hypermoderne.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422975/original/file-20210923-25-1m74247.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422975/original/file-20210923-25-1m74247.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=606&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422975/original/file-20210923-25-1m74247.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=606&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422975/original/file-20210923-25-1m74247.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=606&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422975/original/file-20210923-25-1m74247.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=761&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422975/original/file-20210923-25-1m74247.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=761&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422975/original/file-20210923-25-1m74247.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=761&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Georgia O’Keeffe, <em>Series I, No. 3</em> (1918), huile sur toile.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>D’autres œuvres comme <em>Pelvis</em> (1943) cherchent à représenter l’irreprésentable, ou le néant, dans un mouvement méta-artistique de mise en abyme de cadres constitués par les béances d’ossements au sein desquelles le sens est mis un instant en court-circuit pour permettre à la sensation d’opérer. Le spectateur n’est plus passif mais actif face au tableau, phénomène grâce auquel l’œuvre excède sa fonction contemplative, faisant à nouveau écho au concept d’excès hypermoderne, et préfigurant des idées qui seront développées bien plus tard, comme la participation active du public dans la création de l’œuvre d’art.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/422976/original/file-20210923-13-14mbfyl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422976/original/file-20210923-13-14mbfyl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422976/original/file-20210923-13-14mbfyl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=806&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422976/original/file-20210923-13-14mbfyl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=806&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422976/original/file-20210923-13-14mbfyl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=806&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422976/original/file-20210923-13-14mbfyl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1012&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422976/original/file-20210923-13-14mbfyl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1012&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422976/original/file-20210923-13-14mbfyl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1012&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Georgia O’Keeffe, <em>Pelvis</em> (1943), huile sur toile.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Georgia O’Keeffe Museum (2020)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Georgia O’Keeffe, artiste visionnaire</h2>
<p>Somme toute, l’exposition du Centre Pompidou s’inscrit comme le prologue d’un regard hypermoderne sur l’ouvre de Georgia O’Keeffe, champ de recherche aussi novateur que fertile. Les œuvres de l’artiste ne répondent en effet pas aux prérogatives du <a href="https://journals.openedition.org/appareil/2302">modernisme</a> : Georgia O’Keeffe ne rejette pas le réalisme mais l’exagère au moyen de gros plans.</p>
<p>Son art préfigure dès lors les symptômes d’une crise de la modernité qui marque l’émergence de l’ère hypermoderne : perte identitaire, urgence et excès donnent lieu à un art hyperpolarisé, hyperfocal et hypertrophique qui définit Georgia O’Keeffe comme une artiste visionnaire.</p>
<p>Ses techniques ne cessent en effet d’influencer des artistes des XX<sup>e</sup> et XXI<sup>e</sup> siècles : en occupant intégralement l’espace de la toile et en suggérant l’immensité cosmique, ses plans rapprochés sur des détails inspirent les artistes maximalistes tels que <a href="https://www.artforum.com/print/reviews/198404/julian-schnabel-64527">Julian Schnabel</a> tandis que son audace enthousiasme nombre de féministes, y compris <a href="https://www.moma.org/collection/works/117141">Mary Beth Edelson</a>, artiste contemporaine récemment disparue. Georgia O’Keeffe était ainsi en avance sur son temps, et ce n’est qu’aujourd’hui qu’il devient possible d’identifier et de théoriser toute l’étendue de son œuvre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168315/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Samantha Lemeunier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Artiste inclassable, Georgia O’Keeffe fut une visionnaire préfigurant l’avènement du regard de l’individu hypermoderne, avec son rapport particulier à l’identité, à l’urgence et à l’excès..
Samantha Lemeunier, Doctorante, École normale supérieure (ENS) – PSL
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tag:theconversation.com,2011:article/167342
2021-09-22T22:24:21Z
2021-09-22T22:24:21Z
Art contemporain : Damien Hirst, un pas de deux avec le capitalisme
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/422627/original/file-20210922-13-1cxq4d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C3%2C1017%2C677&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Damien Hirst en juillet 2021, à la Fondation Cartier. </span> </figcaption></figure><p>Mauvais garçon, provocateur, vaniteux, égocentrique, arrogant, vulgaire, cynique, excessif, showman… tout a été écrit au sujet de cet artiste. À Paris, la Fondation Cartier pour l’art contemporain lui offre sa première exposition institutionnelle en France ; on y voit pas moins de trente tableaux sur les 107 toiles que comprend une série réalisée dans son atelier londonien.</p>
<p>Sur des toiles grand format préalablement peintes d’un bleu sans nuage, l’artiste s’est déchaîné pendant trois ans, avant et pendant la période de confinement ; monté toute la journée sur une échelle, il a tamponné de la matière picturale au bout d’un grand bâton. Bombardement intense, violent mais joyeux. Usage débridé de la couleur. Giclées de peinture à la verticale. Sur fond bleu, des milliers de tâches verdâtres, marrons caca d’oie, blancs sales, bleus lavés, rouges sang noir. De près, on y voit des ronds plus ou moins ronds et plus ou moins épais, encore frais, en voie de séchage – référence, peut-être, aux <a href="https://www.damienhirst.com/texts1/series/spots">« spot paintings »</a> qui ont rendu Hirst célèbre à la fin des années 80 et clin d’œil à l’« action painting » ; en prenant du recul ce sont des cerisiers en fleurs. Le visiteur est clairement invité à se perdre dans la peinture en écho aux émotions fulgurantes de l’artiste, qui annonce :</p>
<blockquote>
<p>« Les cerisiers en fleurs sont tape-à-l’œil, désordonnés et fragiles, et grâce à eux je me suis éloigné du minimalisme pour revenir avec enthousiasme à la spontanéité du geste pictural ».</p>
</blockquote>
<h2>A quoi joue Damien Hirst ?</h2>
<p>Le travail de Damien Hirst suscite la controverse, inutile donc d’en rajouter au sujet du « plus riche de tous les artistes vivants » ; je souhaite plutôt me demander : à quoi joue Damien Hirst et à quoi jouons-nous en allant voir ses expositions ?</p>
<p>Hirst connaît les règles du jeu du capitalisme et sait parfaitement en jouer. Quand, tout jeune, on lui demande ce qui le pousse à devenir artiste, il répond sans hésiter « pour gagner de l’argent », réponse assez inattendue de la part d’un jeune diplômé du prestigieux Goldsmiths College of Art, comme si le nom même de son collège, renvoyant aux montres de luxe et au métier de joailler, lui avait indiqué la voie à suivre. D’ailleurs, il achètera à Londres un crâne du XVIII<sup>e</sup> siècle, crâne sur lequel il fera sertir pas moins de 6 601 diamants avec à l’avant du crâne un diamant rose de 52 carats ; cette vanité moderne, <em>For the love of God</em>, sera vendue à un mystérieux consortium pour la modeste somme de 50 millions de livres. Pour Hirst, l’argent a une vertu, celle d’assurer son autonomie.</p>
<p>Ayant vécu une jeunesse difficile et tourmentée dans un milieu assez pauvre, gagner de l’argent pour réaliser ses idées les plus folles relevait de l’urgence. Très vite, l’artiste comprend <a href="https://www.cairn.info/revue-terrains-et-travaux-2003-1-page-162.htm">ce que le sociologue Mark Granovetter veut dire</a> lorsqu’il découvre, il y a cinquante ans, la force des liens faibles ;le sociologue oppose en effet les liens forts noués au sein de la famille et des amis proches aux liens faibles qui se nouent lors de réunions entre connaissances comme les vernissages, la force de ces liens faibles étant de pouvoir rentrer dans des cercles sociaux et d’opérer des recoupements.</p>
<p>Hirst ne se vit pas comme un artiste maudit sûr de son génie qui, un jour, finirait par être découvert par les vrais amateurs d’art. Encore étudiant et avec quelques camarades d’atelier, il peint sur un mur d’un hangar désaffecté du port de Londres des ronds de couleur qui attireront l’attention du monde de l’art contemporain à la recherche d’artistes rebelles qui déclarent vouloir changer le monde.</p>
<h2>Consommation ostentatoire</h2>
<p>L’artiste est à l’aise avec les acteurs qui font le monde de l’art et des médias ; avec l’aide d’assistants, il entreprend des projets d’envergure qui peuvent durer plusieurs années, ce qui permet ensuite de raconter une histoire. Hirst est autant artiste que chef d’une entreprise <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/08/20/malgre-les-aides-et-sa-fortune-damien-hirst-licencie-le-petit-personnel_6091938_4500055.html">qu’il gère dans le plus pur style ultralibéral</a>. Il comprend parfaitement la loi du marché, celle de l’offre et de la demande, et plus particulièrement un mécanisme étonnant mis en lumière par l’économiste et sociologue Thorstein Veblen à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle dans <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Theorie-de-la-classe-de-loisir"><em>Theory of the Leisure Class</em></a> (1899).</p>
<p>Hirst n’a peut-être pas lu Veblen mais l’a compris par expérience. Veblen s’intéressait en effet à ce qu’il nomme la consommation ostentatoire (« conspicuous consumption ») et démontre que plus les prix des produits ostentatoires sont élevés et plus leur demande augmente. Une contre – intuition bien assimilée par l’artiste qui comprend parfaitement que ce mécanisme est au cœur du fonctionnement de l’industrie du luxe. L’acquisition d’une toile à un prix élevé est un indicateur de prestige social, tout comme un sac plastifié mais griffé d’une marque reconnue mondialement ; le prix élevé de la toile devient une barrière à franchir qui procure un niveau de jouissance, la jouissance d’exposer une position sociale privilégiée.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hwfjymPx8kM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Lors du vernissage à Venise – événement mondain mondialisé – de son exposition « Treasures from the wreck of the unbelievable » au Palazzo Grassi et à la Punta della Dogana (2017), Damien Hirst est au sommet de son art et de son empire ; l’art a besoin du luxe, et le luxe a besoin de l’art. Quelques années auparavant, l’artiste-entrepreneur avait fait une autre découverte, celle de la chaîne de valeur en économie, <a href="https://www.artsy.net/article/artsy-editorial-damien-hirsts-200-million-auction-symbol-pre-recession-decadence">et déposé ses propres œuvres en salles de ventes</a> au risque de se mettre à dos les galeries qui vivent du fait de la longueur de la chaîne. Les intermédiaires n’aiment pas les circuits courts. Damien Hirst, enfin, a ouvert son propre musée à Londres, la <a href="https://www.newportstreetgallery.com/">Newport Street Gallery</a>. Toujours cette soif d’autonomie.</p>
<h2>A quoi jouent les visiteurs ?</h2>
<p>Vient maintenant la question du regardeur, celui qui finalement fait le tableau pour reprendre Marcel Duchamp. À quoi jouons-nous en allant voir Damien Hirst ? Au second degré, il y a le regard de qui s’émerveille du talent de l’artiste quant à sa capacité de provoquer un système. La force du capitalisme est en effet de <a href="https://journals.openedition.org/lectures/1699">métaboliser les contradictions sous des formes subtiles d’appropriation</a>. Oui, voir les liens entre l’artiste et le capitalisme et la façon dont les institutions muséales digèrent ses provocations, c’est un spectacle en soi.</p>
<p>Mais s’extasier devant la capacité de l’artiste à nous berner finit par lasser, et le risque de blaser le visiteur menace aussi l’artiste. En <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-L%E2%80%99Homme_unidimensionnel-2186-1-1-0-1.html">suivant Marcuse</a> dans son analyse de la société unidimensionnelle, on pourrait dire que Hirst illustre la perte de la fonction critique de l’art, celle de rendre visible les contradictions d’une société et que son travail a une fonction d’aveuglement. Or, ce que nous recherchons finalement lorsque nous allons au musée, c’est de ressentir une expérience esthétique. C’est Adorno <a href="https://www.philomag.com/articles/esthetique-195859-de-theodor-adorno">qui nous met sur la voie</a> :</p>
<blockquote>
<p>« On devrait définir le comportement esthétique comme la faculté de ressentir quelque effroi comme si la chair de poule était la première image esthétique Ce qu’on appelle plus tard subjectivité, qui se libère de la peur aveugle de l’effroi, en est en même temps le déploiement […] Mais cet effroi, où se meut une subjectivité qui n’en est pas encore une, est le fait d’être touché par l’autre. »</p>
</blockquote>
<p>Hirst nous effrayait lorsqu’il nous donnait à voir la vache et son veau (<em>Mother and Child Divided</em>) <a href="https://www.tate.org.uk/art/artworks/hirst-mother-and-child-divided-t12751">découpés en tranche et plongés dans des bains de formol</a>, aujourd’hui ses milliers de taches rondes encore fraîches projetées sur des toiles grand format nous en mettent plein la vue mais ne nous effraient plus, et ne nous touchent pas vraiment – même si le culot de l’artiste fascine toujours.</p>
<p>Mais alors, pourquoi allons – nous voir Damien Hirst ? Est-ce un simple marqueur social valorisant lors de conversations entre ami.es et destiné à alimenter nos réseaux sociaux ? Il s’agit plutôt de suivre le travail d’un artiste qui a tout essayé, et qui au bout de longues années revient sur ses extravagances et ses provocations pour nous dire qu’il est temps pour lui de retourner à la peinture et aussi qu’à l’âge de 56 ans, il peut s’accorder une pause. Pause pour retrouver l’inspiration des pointillistes mais aussi pause pour s’interroger sur le sens de tout cet argent accumulé, produit de la vente de ses tableaux et de ses sculptures dont, dixit l’artiste, « les prix sont devenus complètement dingues ».</p>
<h2>Rapports entre l’art et l’argent</h2>
<p>Se coiffant d’un chapeau d’économiste, l’artiste infatigable ouvre un nouveau champ d’investigation, il s’interroge aujourd’hui sur la signification d’un billet de banque, vulgaire bout de papier qui repose sur la confiance (<em>fides</em>), les économistes parlent d’ailleurs de monnaie fiduciaire. Hirst observe que la confiance du détenteur d’un billet de banque résonne avec la confiance du collectionneur qui achète ses tableaux. Son nouveau projet, « The Currency », est une véritable expérimentation sociale à grande échelle.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/vEsVJJy1od4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Il aborde le rapport entre l’art et l’argent d’une tout autre manière qu’Andy Warhol et ses « dollar signs » ou que Salvador Dali, si obsédé par l’argent qu’il était surnommé Avida Dollars (une anagramme trouvée par André Breton). Il s’agit de se questionner sur la valeur de la monnaie, en n’hésitant pas à dialoguer <a href="https://www.courrierinternational.com/article/art-contemporain-currency-et-damien-hirst-entre-dans-la-danse-des-nft">avec l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre</a> : sortant en quelque sorte de son domaine de compétence, il se lance dans la création… monétaire.</p>
<p>À cette fin, avec l’aide de ses assistants, Damien Hirst a peint non pas des cerises mais des ronds de couleur, reprenant ses célèbres « spot paintings » ou « dot paintings » sur pas moins de 10 000 feuilles papier A4 ; chaque feuille, datée et griffée par l’artiste, est vendue 2 000 euros. Son idée est de proposer ensuite à chaque acheteur le « deal » suivant et cela seulement au bout de six mois : soit vous gardez votre original, soit vous le transformez en jeton non fongible qui sera alors gardé dans un coffre numérique, votre original étant alors détruit. Le but du jeu est de savoir qui de la propriété physique d’un bien l’emportera sur la propriété digitale, pari qui semble fasciner Damien Hirst. Ce n’est plus l’argent qui corrompt l’art mais l’art qui vient corrompre l’argent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167342/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Saussois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’exposition présentée à la fondation Cartier représente-t-elle une exception dans une carrière marquée par des liens étroits avec le monde de la finance et du luxe ?
Jean-Michel Saussois, Professeur émérite HDR en sociologie, ESCP Business School
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/165685
2021-08-16T09:47:07Z
2021-08-16T09:47:07Z
La véritable invention de Jan van Eyck : une machine à représenter l’espace tel que nous le percevons
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/415871/original/file-20210812-22-1pazc4a.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=47%2C0%2C2359%2C1284&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jan van Eyck, Les Époux Arnolfini, 1434, huile sur panneau de chêne, 82,2 × 60 cm, National Gallery, Londres.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_%C3%89poux_Arnolfini#/media/Fichier:Van_Eyck_-_Arnolfini_Portrait.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jan_van_Eyck">Jan van Eyck</a> (c. 1390-1441) aura mis à rude épreuve les historiens de l’art soucieux de trouver une cohérence géométrique à sa manière de représenter l’espace. L’affaire semblait pourtant entendue dès 1905 : cette année-là, Karl Doehlemann démontrait dans un journal de mathématiques que les <a href="https://fr.wikibooks.org/wiki/Point_de_fuite">lignes fuyantes</a> des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_%C3%89poux_Arnolfini"><em>Époux Arnolfini</em></a> ne convergent pas vers un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Perspective_lin%C3%A9aire#Points_de_fuite">point de fuite</a> unique, comme cela devrait être le cas dans une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Perspective_lin%C3%A9aire">perspective linéaire</a>, mais vers une zone circulaire de points de fuite : Jan était un expérimentateur dont les « essais-erreurs » ont conduit de la perspective parallèle médiévale à une sorte de perspective empirique, décisivement différente de la solution mathématiquement correcte de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Petrus_Christus">Petrus Christus</a>. L’interprétation de Doehlemann est aujourd’hui encore communément acceptée, mais une sorte de <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Bergson_-_La_Pens%C3%A9e_et_le_Mouvant.djvu/116">doute bergsonien</a> a conduit en leur temps une poignée d’historiens de l’art à chercher un ordre caché derrière le désordre apparent des points de fuite des <em>Époux</em>.</p>
<p>Malheureusement, nous savons depuis <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Karl_Popper">Popper</a> que toute activité d’observation est en proie au préjugé, et la nature même du désordre (nombre et positions des points de fuite à considérer) n’a pu faire l’objet d’un consensus.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/415870/original/file-20210812-23-an8jmr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/415870/original/file-20210812-23-an8jmr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=268&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/415870/original/file-20210812-23-an8jmr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=268&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/415870/original/file-20210812-23-an8jmr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=268&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/415870/original/file-20210812-23-an8jmr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=337&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/415870/original/file-20210812-23-an8jmr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=337&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/415870/original/file-20210812-23-an8jmr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=337&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Illustration dans le cas des Époux Arnolfini du biais introduit par le facteur humain dans les reconstructions de points de fuite. De gauche à droite : reconstructions proposées par J.G. Kern en 1912, J. Elkins en 1991 et P. H. Jansen et Z. Ruttkay en 2007.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La solitude de James Elkins</h2>
<p>Dans un article publié en 1991 dans la revue <em>The Art Bulletin</em>, l’historien d’art James Elkins déplore un manque d’objectivité et de reproductibilité dans les reconstructions de points de fuite consacrées aux <em>Époux Arnolfini</em> et entrevoit une échappatoire dans les méthodes informatiques naissantes « telles que la méthode des moindres carrés ». Il semble malheureusement qu’Elkins n’ait pas été entendu par les informaticiens spécialistes de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vision_par_ordinateur">vision par ordinateur</a> dont il serait étonnant qu’un seul ait lu son article. La détection automatique de points de fuite a pourtant connu d’importants progrès depuis les années 90. Mais une peinture présente des difficultés propres, dont les algorithmes actuels, essentiellement conçus pour traiter des photographies, ne tiennent pas compte : les fuyantes sont souvent plus limitées en nombre que dans une photographie, et leur représentation par le peintre ou leur extraction par le chercheur peuvent manquer de précision. Aussi les œuvres graphiques ne font-elles pas partie des bancs d’essai habituels de la communauté vision.</p>
<h2>Une méthode probabiliste adaptée aux œuvres graphiques</h2>
<p><a href="https://hal.univ-lorraine.fr/hal-03287031">Notre étude</a>, présentée à <a href="https://s2021.siggraph.org/">SIGGRAPH</a> en août 2021 et publiée dans la revue <a href="https://dl.acm.org/journal/pacmcgit"><em>ACM in Computer Graphics and Interactive Techniques</em></a>, tient compte de l’incertitude inhérente à la connaissance des fuyantes et adopte un raisonnement probabiliste <em>a contrario</em>.</p>
<p>Bien connues en vision par ordinateur, les <a href="http://helios.mi.parisdescartes.fr/%7Ebgalerne/m2mm/cours_a_contrario.pdf">méthodes <em>a contrario</em></a> sont inspirées de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Psychologie_de_la_forme">théorie psychologique de la forme</a>, et en particulier du principe de Helmholtz qui stipule que « nous percevons immédiatement [traduction mathématique : l’algorithme détectera] ce qui ne peut pas être dû au hasard ».</p>
<p>En appliquant le principe de Helmholtz à la carte probabiliste des points de fuite des <em>Époux Arnolfini</em>, nous obtenons une structure étonnamment ordonnée : quatre <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Point_de_fuite">points principaux</a> alignés périodiquement le long d’un axe vertical légèrement incliné. Et des structures similaires sont obtenues dans d’autres tableaux de Jan van Eyck : <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Saint_J%C3%A9r%C3%B4me_dans_son_%C3%A9tude_(van_Eyck)"><em>Saint Jérôme dans son étude</em></a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vierge_de_Lucques"><em>La Vierge de Lucques</em></a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Triptyque_de_Dresde"><em>La Vierge de Dresde</em></a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Vierge_dans_une_%C3%A9glise"><em>La Vierge dans une église</em></a>. Chacun de ces tableaux peut être partitionné en autant de bandes horizontales qu’il y a de points de fuite, chaque bande regroupant l’ensemble des arêtes associées au même point : les perspectives de Jan sont rigoureusement exactes, par morceaux.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/415873/original/file-20210812-17-187wxmr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/415873/original/file-20210812-17-187wxmr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/415873/original/file-20210812-17-187wxmr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/415873/original/file-20210812-17-187wxmr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/415873/original/file-20210812-17-187wxmr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/415873/original/file-20210812-17-187wxmr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/415873/original/file-20210812-17-187wxmr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Application de la méthode <em>a contrario</em> au portrait des Arnolfini. À gauche : carte de probabilité des points de fuite tenant compte d’une incertitude sur les extrémités des arêtes extraites (visibles en rouge dans l’image de droite). À droite : application de la méthode <em>a contrario</em> à cette carte de probabilités. Les arêtes extraites sont reliées au point de fuite correspondant, la couleur du lien traduisant sa consistance : du bleu foncé au jaune clair pour une consistance allant respectivement de 0 à 1. Les arêtes se regroupent par bandes horizontales, délimitées ici par des lignes blanches.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Université de Lorraine</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une précision diabolique</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/415874/original/file-20210812-21-spw70v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/415874/original/file-20210812-21-spw70v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/415874/original/file-20210812-21-spw70v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=719&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/415874/original/file-20210812-21-spw70v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=719&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/415874/original/file-20210812-21-spw70v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=719&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/415874/original/file-20210812-21-spw70v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=903&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/415874/original/file-20210812-21-spw70v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=903&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/415874/original/file-20210812-21-spw70v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=903&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Reconstruction des points de fuite dans La Vierge dans une église.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Université de Lorraine</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le cas de la <em>Vierge dans une église</em> est particulièrement intéressant. Dans ce tableau presque aussi petit qu’une miniature (14 x 31 cm), la précision des traits au regard de leur convergence est extrême.</p>
<p>Mais le plus étonnant est que les positions des points de fuite obtenus dans la bande supérieure du tableau sont parfaitement cohérentes avec la géométrie en demi-décagone du chœur de l’église. Cela est inattendu, car personne ne pouvait savoir à cette époque comment placer un point de fuite sur la ligne d’horizon en fonction de sa direction dans l’espace tridimensionnel. La seule explication possible est que Jan utilisait un dispositif optique à travers lequel il représentait l’espace, en superposant méticuleusement ses traits à la réalité.</p>
<h2>Une « machine à perspective » des plus avant-gardistes</h2>
<p>Près d’un demi-siècle après la mort de Jan, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9onard_de_Vinci">Léonard de Vinci</a> dessinera une version simplifiée de cette <a href="https://drawingmachines.org/results.php?tags=Linear%20perspective&order_by=date">« machine à perspective »</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/415875/original/file-20210812-20-1twgztt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/415875/original/file-20210812-20-1twgztt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/415875/original/file-20210812-20-1twgztt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/415875/original/file-20210812-20-1twgztt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/415875/original/file-20210812-20-1twgztt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/415875/original/file-20210812-20-1twgztt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/415875/original/file-20210812-20-1twgztt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/415875/original/file-20210812-20-1twgztt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Léonard de Vinci, vers 1480. Détail du Codex Atlanticus f. 5 r, Milan, Biblioteca Ambrosiana.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans le dessin de Léonard, le peintre détoure les objets visibles à travers une vitre, le regard immobilisé derrière un œilleton. Plus élaboré, le dispositif de Jan comportait quatre œilletons répartis équitablement (à l’instar des points de fuite) le long d’un axe de visée incliné. Jan peignait son tableau bande après bande (œilleton après œilleton) de bas en haut ou de haut en bas. <a href="https://hal.univ-lorraine.fr/hal-03287031">La vitre</a> – probablement un miroir – pouvait elle-même être déplacée dans son plan, afin de raccorder au mieux, compte tenu de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Parallaxe">parallaxe</a>, le bord de la bande précédemment dessinée à la réalité <a href="https://youtu.be/pARXlP82sPI">perçue depuis l’œilleton suivant</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pARXlP82sPI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Cette étape cruciale permettait au peintre d’obtenir des transitions douces entre les bandes, difficilement décelables à l’œil nu. De surcroît, elle anticipait de plusieurs siècles le principe de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9alit%C3%A9_augment%C3%A9e">réalité augmentée</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/415877/original/file-20210812-22-1spc3c0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/415877/original/file-20210812-22-1spc3c0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/415877/original/file-20210812-22-1spc3c0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/415877/original/file-20210812-22-1spc3c0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/415877/original/file-20210812-22-1spc3c0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=432&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/415877/original/file-20210812-22-1spc3c0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=432&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/415877/original/file-20210812-22-1spc3c0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=432&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Reconstruction de l’exécution du portrait des Arnolfini. En haut : Postures du peintre au cours de l’exécution. En bas : vues obtenues depuis les quatre œilletons. Le dessin sur la vitre est représenté en noir et blanc, la réalité en couleur.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Université de Lorraine</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Au plus près de la perception humaine</h2>
<p>Notre reconstruction de l’exécution du portrait des Arnolfini permet de voir ce que Jan lui-même voyait à travers les œilletons, et d’observer par exemple la montée du plafond entre la vue du bas et celle du haut finalement retenue pour le plafond (et inversement pour le sol) : Jan semble avoir été soucieux d’éviter les <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Perspective_comme_forme_symbolique_et_autres_essais-2214-1-1-0-1.html">« déformations latérales »</a>.</p>
<p>L’amplification des déformations perspectives sur les bords du tableau n’est pas incorrecte du point de vue de l’optique, mais nous n’y sommes pas habitués parce que le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Champ_visuel">champ visuel</a> de l’œil humain est plus réduit que celui atteint dans une perspective artificielle à courte distance, ou à travers une vitre lorsque le peintre s’autorise à rouler des yeux et à se contorsionner pour élargir son champ visuel immédiat. Il est probable que Jan ne se satisfaisait pas de ces effets inhabituels, et qu’il ait préféré peindre à l’état naturel de repos les objets situés en face de lui, quitte à relever son tabouret en cours d’exécution et à terminer debout pour atteindre l’ensemble de l’espace visible.</p>
<h2>Introduction de la vision binoculaire</h2>
<p>L’inclinaison de l’axe de visée n’a sans doute pas été laissée au hasard, dans la mesure où elle était évidente à l’œil nu et compliquait le raccordement des bandes. Pour le portrait des Arnolfini, la distance horizontale entre les œilletons situés aux extrémités de l’axe de visée était égale à la distance interpupillaire d’un homme adulte (d’où cette impression de voir un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Anaglyphe">anaglyphe</a> dans la <a href="http://closertovaneyck.kikirpa.be/verona/#viewer/rep1=2&id1=6cb22ad3c438b92c720d16b4d91d98ca">réflectographie infrarouge des <em>Époux</em></a>). Chacun décidera s’il s’agit d’une coïncidence, mais l’auteur de ces lignes parierait que non. Il imagine Jan fermant alternativement l’œil gauche et l’œil droit, observant les effets de cette action sur la perception de sa propre main et décidant de doter son dispositif des deux options.</p>
<p>Des chercheurs de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/National_Gallery">National Gallery</a> ont souligné, à propos du portrait des Arnolfini, combien la représentation des mains et des pieds était importante à cette époque, à la fois sur le plan symbolique et esthétique. Si la plupart des objets présents dans le tableau n’ont été dessinés qu’une seule fois depuis l’œilleton le plus frontal, la main levée et les pieds de Giovanni Arnolfini ont été redessinés depuis d’autres œilletons. Les deux dessins de la main et les trois dessins des pieds sont décalés spatialement en raison de la parallaxe, mais les subtils raccords de Jan permettaient qu’ils ne le soient pas trop. Ce dernier pouvait donc retenir, au moment de peindre, l’une ou l’autre des déclinaisons.</p>
<h2>Genèse du tableau</h2>
<p>Les autres parties du corps de Giovanni ont également été dessinées plusieurs fois, et le partitionnement du tableau en bandes d’épaisseurs différentes suggère que Jan a focalisé son attention sur quatre régions d’intérêt : le plafond, la tête coiffée de Giovanni, sa main levée et le bas du corps. Un soin particulier semble donc avoir été apporté au portrait du commanditaire, plus encore qu’au cadre architectural. Et ainsi, le dispositif polyscopique de Jan pourrait bien être le fruit de l’évolution d’un dispositif monoscopique (équivalent à celui dessiné par Léonard) concomitante à la nécessité de réaliser un portrait en pied (<a href="http://closertovaneyck.kikirpa.be/ghentaltarpiece/#viewer/rep1=1&id1=1">Adam dans le retable de Gand</a> ?) après avoir réalisé des portraits en buste. Il ne s’agit là que d’une première hypothèse, qui mériterait d’être confrontée à d’autres. Encore faudrait-il que notre article ne connaisse pas le même sort que celui d’Elkins.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165685/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles Simon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Et si Jan van Eyck était le père des médias créatifs immersifs et nomades d’aujourd’hui, tels que la réalité augmentée et l’holographie synthétique ?
Gilles Simon, Maître de conférences HDR en informatique, Université de Lorraine
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/163918
2021-07-08T17:45:36Z
2021-07-08T17:45:36Z
Byron et Delacroix, aux avant-postes de l’Internationale romantique
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/410177/original/file-20210707-27-19hjzng.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C1199%2C764&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Le combat du Giaour et du Pacha » (détail), par Eugène Delacroix (1835).
</span> </figcaption></figure><p>Profitons ce que l’Euro du foot et des stades, compétition répartie entre 11 pays du continent et dont le match d’ouverture a vu l’Italie et la Turquie s’affronter (pacifiquement), n’ait pas encore livré son verdict, pour revenir sur une arène européenne d’un autre genre, celle de la poésie et des studios d’artistes du XIX<sup>e</sup> siècle romantique. Une exposition au Musée Delacroix, intitulée <a href="http://www.musee-delacroix.fr/fr/actualites/expositions/un-duel-romantique-le-giaour-de-lord-byron-par-delacroix">« Un duel romantique, Le Giaour de Lord Byron par Delacroix »</a>, nous en offre l’occasion.</p>
<p>Plusieurs fois déprogrammée en raison de la crise sanitaire, l’exposition confiée aux soins de Claire Bessède et de Grégoire Hallé a enfin rouvert ses portes, au 6 rue de Fürstenberg à Paris. Au cœur du dispositif, la rencontre au sommet <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Poesie-Gallimard/Le-corsaire-et-autres-poemes-orientaux">entre le poète Byron</a>, auteur, en 1813, d’un conte turc, le premier d’une série, intitulé « Le Giaour », et le peintre Delacroix, passionnément épris de choses venues d’Angleterre – Walter Scott, par exemple – et d’Orient. Le second lit le poème du premier, d’abord en anglais, puis en français dans la traduction d’Amédée Pichot. Dès lors, il n’a plus qu’une idée en tête, ainsi qu’il l’écrit sobrement, en mai 1824 : « Faire le Giaour ». C’est cet impératif, ardent autant que catégorique, qu’on voudrait regarder de près.</p>
<p>Particulièrement fécond, il donna naissance à pas moins de trois tableaux, échelonnés entre 1826 et 1856, et dont les deux plus célèbres se trouvent installés côte à côte, aux fins de comparaison, dans l’ancien atelier du peintre ; de taille moyenne, sans grandiloquence donc, ils mettent en scène le duel à mort entre « l’infidèle » et Hassan, le chef de guerre ottoman. Et on ne compte pas les travaux préparatoires, ainsi que nombre d’œuvres du peintre placées sous le signe de l’affrontement, du combat à mort, entre hommes ou entre chevaux, mais aussi entre homme (Jacob) et ange. Tel un anachronique western, ce « duel au soleil » s’inscrit au premier chef au sein d’une rivalité amoureuse.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/8lTdK-M0VMM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Amour et vengeance</h2>
<p>Hassan et le Giaour brûlent du même désir pour la même femme, Leïla, l’une des concubines du pacha. Le corps de cette dernière brille par son absence ; enveloppé puis cousu dans un sac, il a été jeté à la mer, dans l’amont d’un poème lui-même tissé de fragments disparates, à la façon dont opéraient les anciens rhapsodes. L’amant illégitime brûle de venger sa mort, et sa vengeance s’accomplit dans un étroit défilé montagneux, à l’issue d’une embuscade mettant aux prises deux groupes d’assaillants. Hassan meurt, non sans avoir maudit son assassin, auquel il prophétise une destinée de mort-vivant, de vampire assoiffé du sang des membres de sa propre famille. Quant au Giaour, tourmenté par le souvenir de l’aimée, il finit ses jours dans un monastère, à ruminer son chagrin inextinguible.</p>
<p>Le prototype du héros byronien, ténébreux, mélancolique et impénitent, venait de naître. Davantage encore que le poème, le tableau met au premier plan un déplacement, voire un transfert. Avide de représenter une symétrie, objective autant que subjective, entre deux rivaux dont les visages sont comme aimantés l’un par l’autre, Delacroix les fait s’empoigner et s’étreindre, d’homme à homme, en une lutte plus érotique et sexuelle que guerrière. Au demeurant, dans le tableau de 1835, le corps dénudé du Giaour, au niveau des avant-bras et de la base du cou, contraste avec le buste du pacha, invisible car sanglé de pied en cap dans une forme de puritanisme, ou de pudeur, propres à la culture musulmane.</p>
<p>Le tableau n’est pas loin de figurer un viol, en tout cas une prédation violente, un rapt, hypothèse que renforcerait la présence massivement animale des chevaux, blanc pour l’Ottoman, noir pour le natif des îles ioniennes sous domination vénitienne. Chacun cherchant à faire plier l’échine de l’autre, ils prolongent au second plan du tableau l’inextricable imbroglio dans lequel sont impliqués les deux cavaliers. Et si, en définitive, « faire le Giaour » n’était qu’un euphémisme, pour ne pas avoir à parler crûment de « faire l’amour » ? On se souvient qu’un certain Marcel Proust mettra l’expression « faire catleya » dans la bouche du personnage de Swann, épris d’Odette de Crécy, amoureuse de ces fleurs.</p>
<h2>Un imaginaire colonial</h2>
<p>A cette relation potentiellement homosexuelle, il convient surtout de rendre son coefficient géopolitique. Nous sommes dans l’Orient compliqué, en l’occurrence dans une Grèce soumise au joug ottoman. En amont du poème de 1813, il y a toute la « campagne » d’Orient de Byron, qui l’a mené à Athènes, en Albanie, à Constantinople, et dont il a ramené, outre un orientalisme (qui est aussi un exotisme) de pacotille, un goût prononcé pour des mœurs moins normatives que dans son « Nord moral », et, surtout, une vive appétence pour la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. </p>
<p>En aval des <em>Contes orientaux</em>, son engagement « philhellène », comme on disait alors, se soldera par le don de sa vie à la cause d’une indépendance grecque bien longue à venir. Ce « vertige de la guerre », partagé par un millier de combattants volontaires comme Byron, brigadiste international avant la lettre, l’historien Hervé Mazurel, spécialiste de l’Europe romantique, y a consacré un passionnant ouvrage où alternent trajectoires individuelles et prise de conscience collective, de la part d’Européens de plus en <a href="https://journals.openedition.org/rh19/4848">plus convaincus de l’importance des racines grecques de l’Europe</a>.</p>
<p>Après le néo-hellénisme du dix-huitième siècle, le temps semblait enfin venu d’embrasser un panphilhéllénisme européen. Mais c’est sans contradiction aucune que, dans le tableau de Delacroix, la longue lame du sabre du Giaour sur le point de s’enfoncer dans la poitrine du Pacha renoue avec tout un imaginaire à la fois colonial et postcolonial (forcément avant l’heure, pour ce dernier adjectif) : la conquête d’un pays s’apparente souvent au rapt d’une femme livrée sans défense aux assauts d’un envahisseur masculin. Le geste du Giaour, un Occidental, a beau appeler à une décolonisation ardemment convoitée, il n’en répète pas moins la gestuelle d’une reconquête, forcément meurtrière, et ce, pour les deux belligérants. Ce que Delacroix saisit intuitivement, en présentant un pacha déjà cadavérique, yeux vitreux et gisant, avant l’heure, sur le corps de son frère d’armes, dressé hors de sa selle. Du reste, au premier plan, au pied des chevaux, la tête d’un autre cadavre, étendu au sol celui-là, coiffé du même turban que son maître et aux paupières closes, donne à penser que les cavaliers avaient, d’emblée, rendez-vous avec leur double, la mort.</p>
<p>En son temps, Baudelaire parlait, à propos du peintre, d’un « accent sauvage et furieux dans le seul sens de la destruction » (<em>Salon</em>, 1845). En poussant encore plus loin le parallèle géopolitique, l’affrontement à mort entre un « Infidèle » et un musulman paraît aller dans le sens d’un anachronique « choc de civilisation ». Mais le substrat religieux – dont Samuel Huntington fait le socle de ses analyses controversées – est absent du poème de Byron, qui avouait volontiers préférer cent fois les Turcs aux Grecs, à titre personnel s’entend. Quant au peintre, il préfère retenir ce qui, dans le motif du « duel » exprime la dualité autant que l’antagonisme, la fusion des contraires davantage que leur exacerbation.</p>
<h2>L’affrontement entre peinture et poésie</h2>
<p>Troisième terme de l’équation, « Faire le Giaour », c’est faire la guerre, cette fois, entre la poésie et la peinture. Tout au long de sa carrière, Eugène Delacroix, qui se rêvait poète, aura jalousé le verbe et l’imagination épique de l’écrivain britannique Lord Byron, le tableau <em>La mort de Sardanapale</em>, conservé au Musée du Louvre et reproduit dans l’exposition, en étant le plus célèbre exemple. Qui ne voit et ne comprend alors que le « duel romantique » est, aussi, celui que se livrent à armes plus ou moins égales le verbal et le non verbal ? Guerre fratricide, entre des arts qui entrent et dansent dans la même ronde, celle de l’émulation réciproque. Chacun rivalise avec l’autre, chacun envie ce dont l’autre dispose, et dont il manque pour sa part cruellement.</p>
<p>Privilégiant l’arrêt sur image, et le resserrement maximal d’une l’action se refermant comme un piège, là où le poète, adepte d’un récit volontairement non linéaire, se plaçait déjà dans le temps de l’après, post-désastre en somme, Delacroix entre, lui, directement dans le présent immémorial de la mêlée, faisant de la peinture un lieu de tensions irrésolues. La lutte du Giaour et du Pacha reproduit en le mimant le combat sans merci que se livrent la couleur et la ligne, le motif et la touche, mais aussi la statuaire et la pigmentation, le drapé et la coulure. Et Delacroix d’opter volontairement pour la confusion, le vortex, l’enchevêtrement, dans lesquels il devient difficile de distinguer le bien et le mal, l’homme et l’animal, le sang et l’or, l’Oriental et l’Occidental (ils ont du reste changé de place, en passant du tableau de 1826 à celui de 1835).</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption"><em>La mort de Sardanapale</em>, Eugène Delacroix, 1827.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Mort_de_Sardanapale#/media/Fichier:Eug%C3%A8ne_Delacroix_-_La_Mort_de_Sardanapale.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>« On n’y voit rien », ainsi qu’aimait à le dire Daniel Arasse, partisan de se défaire de toutes les certitudes dont se parent les historiens de l’art. Seule triomphe ici l’énergie romantique, saisie dans une furieuse et paroxystique démonstration de force – force d’une peinture en train de se faire et de se défaire… et devant laquelle, magie du déconfinement, on a retrouvé le plaisir de se tenir pour de vrai, en chair et en os et en vis-à-vis ! Libre au visiteur, alors, de sortir de la grande pièce où Delacroix a croisé le fer et le pinceau, pour descendre le petit escalier qui mène au jardin, avant de remonter à l’assaut de ce que Baudelaire désignait par « les hauteurs difficiles de la religion ; le Ciel lui appartient comme l’Enfer, comme la guerre, comme la volupté » (cité par Jacques Henric, dans <em>La peinture et le mal</em>, Grasset, 1982).</p>
<h2>Le romantisme, ce spectre qui hanta l’Europe</h2>
<p>Pastichant Karl Marx, au seuil de son célèbre <em>Manifeste</em> de 1848, publié en anglais, français, italien, flamand et danois, il est sans doute possible de dire du romantisme qu’il fut un spectre qui hanta l’Europe. « L’Europe romantique », titrait pour sa part la revue <em>Critique</em>, en juin-juillet 2009.</p>
<p>Dans l’éditorial de leur numéro spécial, Patrizia Lombardo et Philippe Rocher écrivaient à propos du Romantisme, ce « phénomène parfaitement européen et transnational » :</p>
<blockquote>
<p>« Ce n’est pas la somme des littératures et cultures nationales : c’est une internationale des nationalités, différente du cosmopolitisme de la République des lettres à l’âge classique. Plus proche, pour le meilleur et pour le pire, des aspirations et contradictions qui sont les nôtres. »</p>
</blockquote>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/410176/original/file-20210707-25-v8gj8c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/410176/original/file-20210707-25-v8gj8c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/410176/original/file-20210707-25-v8gj8c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=816&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/410176/original/file-20210707-25-v8gj8c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=816&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/410176/original/file-20210707-25-v8gj8c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=816&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/410176/original/file-20210707-25-v8gj8c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1025&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/410176/original/file-20210707-25-v8gj8c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1025&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/410176/original/file-20210707-25-v8gj8c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1025&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’album Delacroix de Catherine Meurisse (Dargaud).</span>
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<p>Sans pousser trop loin le parallèle entre romantisme et communisme, on retiendra quand même une prise de conscience identique – celle de la « puissance » d’un mouvement artistique, volontiers révolutionnaire dans ses aspirations politiques, et que les « puissances de la vieille Europe » (Marx, encore) cherchèrent à contenir. Une puissance spontanément transnationale, mue par le désir de s’affranchir de toutes les frontières : frontières entre les pays, les genres, les cultures, les arts. Nul besoin de les appeler, dès lors, les artistes romantiques, ces autres prolétaires, à s’« unir ». </p>
<p>Dans le creuset de leurs pratiques comme de leurs lectures, se forgeait déjà une destinée commune. Delacroix lisait Byron dans le texte, Berlioz de même, sans oublier Rossini et mille et un autres artistes… et les nations européennes promptes à se rendre coup pour coup se redécouvraient, hors les circuits officiels, partie prenante d’une Europe de la culture plus que de la guerre. Restait, en réaction à la Réaction, à opposer au « conte du spectre » romantique, un « Manifeste » du romantisme lui-même.</p>
<p>Un manifeste incarné dans les tableaux d’un Delacroix, qui fut toute sa vie en art, écrira Alexandre Dumas dans sa <em>Causerie</em> du 10 novembre 1864, ce qu’on appelle en politique un « fait de guerre » et un « cas de guerre ». « Ses croquis furent des escarmouches, ses dessins des combats, ses tableaux des batailles ».</p>
<p>Ces mots, on les trouve repris au seuil de l’ouvrage illustré par Catherine Meurisse, autre rescapée du « cauchemar de l’histoire », puisque la chance aura voulu qu’elle échappe à l’attentat perpétré contre les journalistes et dessinateurs de <em>Charlie Hebdo</em>, dont elle faisait partie. En couverture de son <em>Delacroix</em> (Dargaud, 2019), la présence du « Duel » ne doit, elle en revanche, rien au hasard. Maculée par une large tache à l’encre fuchsia, sur fond blanc, la silhouette des combattants s’y devine à peine. Il n’empêche, ils restent plus que jamais aux prises l’un avec l’autre, mais l’instinct de vie semble avoir triomphé sur les pulsions de mort. Le foot passe, l’Internationale romantique reste…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163918/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le « duel romantique » mis en scène dans le « Giaour » est aussi celui que se livrent à armes plus ou moins égales la poésie et la peinture..
Marc Porée, Professeur de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSL
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/163290
2021-06-29T20:42:38Z
2021-06-29T20:42:38Z
Le lièvre : ontologique chez Albert Dürer, écologique chez Franz Marc
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/407904/original/file-20210623-13-1i4j2ay.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C142%2C728%2C475&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Albrecht Dürer, _Le lièvre_, 1502.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Li%C3%A8vre#/media/Fichier:Albrecht_D%C3%BCrer_-_Hare,_1502_-_Google_Art_Project.jpg">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>Le lièvre semble une source d’inspiration pour les peintres. Une énigme. L’élégance de sa structure osseuse, la longueur exagérée de ses pattes arrières, la rousseur de son pelage, le pointu de ses longues oreilles toujours sur le qui-vive, son insouciance à vouloir toujours courir tout droit sans regarder autour de lui, son arrogance face à la lenteur de la tortue…</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/407886/original/file-20210623-25-qhuisg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407886/original/file-20210623-25-qhuisg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=489&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407886/original/file-20210623-25-qhuisg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=489&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407886/original/file-20210623-25-qhuisg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=489&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407886/original/file-20210623-25-qhuisg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=615&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407886/original/file-20210623-25-qhuisg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=615&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407886/original/file-20210623-25-qhuisg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=615&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Titien, La Vierge à l’Enfant avec sainte Catherine et un berger, dite La Vierge au lapin Vers 1525–1530.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010062261">Musée du Louvre</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pourquoi cette attirance des peintres <a href="https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/crg47rA">pour le lièvre</a> plus que pour le lapin ?</p>
<p>Le lapin est court sur pattes, plutôt râblé ; il est le plus souvent peint en élément de tableau de chasse parmi d’autres gibiers à plumes ; Edouard Manet suspend lourdement le garenne à une ficelle. Le lapin de clapier, lui, vaut pour sa peau : « Peau de lapin, peau de lapin ! » hurlait le marchand dans les rues des villages. Sa fourrure retournée comme un gant, il empilait les peaux blanches veinées sur le porte-bagages de son vélo.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/407895/original/file-20210623-25-pmetpu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407895/original/file-20210623-25-pmetpu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407895/original/file-20210623-25-pmetpu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407895/original/file-20210623-25-pmetpu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407895/original/file-20210623-25-pmetpu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407895/original/file-20210623-25-pmetpu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407895/original/file-20210623-25-pmetpu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1055&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le marchand de peaux de lapins, Vernet Carle, première moitié du XIXe siècle.“ zoomable="true”/>
Les peaux servaient à confectionner les manteaux des dames pauvres qui voulaient jouer aux dames riches. Pour signifier l’insignifiance, on évoque un pet de lapin et non un pet de lièvre.
<image id=</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/le-marchand-de-peaux-de-lapin-0#infos-principales">Musée Carnavalet</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’œil du peintre et l’œil du lièvre</h2>
<p>Exit donc le lapin. Le lièvre, lui, intervient plutôt comme en écho affectif, il joue le rôle d’un opérateur qui vient forcer notre imagination, un lièvre ontologique. Le lièvre, d’objet à peindre comme pièce décorative dans un tableau de chasse, devient sujet en soi. Prenez le lièvre de Durer. Il est bien là, en pleine page, de trois quarts, l’œil vif, les oreilles aux aguets, prêt à se lever, d’ailleurs ne dit-on pas « lever un lièvre » ? La peinture à l’eau permet au fin pinceau l’extrême précision des détails ; les poils roux et blanc du jeune lièvre sont rendus visibles poil par poil, la fourrure forme un tout plus que la somme des poils élémentaires qui la constituent. Comme les fils noirs chirurgicaux qui recousent les plaies, les moustaches ourlent le museau. Des touffes laissent entrevoir les creux et les bosses d’un corps ramassé. L’œil du peintre a vu l’œil du lièvre et s’y attarde avec précision. D’ailleurs, un zoom opéré sur l’œil droit du lièvre permet de voir les vitres de l’atelier de Dürer qui viennent se refléter sur le globe de son œil.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/407907/original/file-20210623-17-16c9g6z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407907/original/file-20210623-17-16c9g6z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407907/original/file-20210623-17-16c9g6z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407907/original/file-20210623-17-16c9g6z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407907/original/file-20210623-17-16c9g6z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407907/original/file-20210623-17-16c9g6z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407907/original/file-20210623-17-16c9g6z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les vitres de l’atelier du peintre se reflètent dans l’œil du lièvre. Détail du Lièvre d’Albert Dürer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/44/Albrecht_D%C3%BCrer_-_Hare%2C_1502_-_Google_Art_Project.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Dans la peau du lièvre</h2>
<p>Si le lièvre de Dürer fait correspondre l’âme de l’animal à notre propre vie, le lièvre de Franz Marc appelle un tout autre regard. Chez Dürer, le lièvre est le sujet central, mis en scène comme au théâtre où les acteurs jouent sur fond de cyclorama. Là, c’est la nature qui devient cyclorama, tandis que le lièvre devient un élément certes discret de l’écosystème mais un élément vivant, aux aguets face à tout ce qui peut menacer l’équilibre naturel, l’action des hommes.</p>
<p>Marc, peintre allemand appartenant au mouvement dit du <a href="https://www.beauxarts.com/grand-format/le-blaue-reiter-en-deux-minutes/">Cavalier bleu</a> (<em>Blaue Reiter</em>), expert en peinture animalière, se met dans la peau du lièvre craintif, comme s’il venait se loger dans son habitat naturel. Il invente le lièvre écologique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/407910/original/file-20210623-19-w6xbir.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407910/original/file-20210623-19-w6xbir.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407910/original/file-20210623-19-w6xbir.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407910/original/file-20210623-19-w6xbir.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407910/original/file-20210623-19-w6xbir.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=403&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407910/original/file-20210623-19-w6xbir.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=403&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407910/original/file-20210623-19-w6xbir.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=403&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Franz Marc, La peur du lièvre, 1912.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wahooart</span></span>
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<p>Si le lapin gratte le sol meuble pour construire son terrier quitte à se retrouver enterré et coincé à la merci d’un furet prêt à le saigner, le lièvre, lui, ne s’enterre pas. Il se contente de fabriquer un vague tunnel sous de hautes herbes ou des fourrés ; son habitat est assez fruste, toujours provisoire et c’est dans ce gîte qu’il vivra seul pendant une dizaine d’années, souvent avec une vue sur les bordures des champs comme pour mieux fuir en cas de danger.</p>
<p>Dans le tableau de Marc <em>La peur du lièvre</em> (1912), on distingue à peine sur la droite en bas du tableau le lièvre à l’œil rouge aplati à même le sol, essayant d’éviter le regard du prédateur – le chien de chasse – qui court juste au-dessus de lui.</p>
<p>Il s’agit d’un chien d’arrêt au poil ras – peut-être un pointer anglais – tacheté de points noirs et blancs, un chien qui traque le lièvre pour ensuite le fixer les yeux dans les yeux ; le temps d’attendre que son maître remarque sa queue à l’horizontale et l’une de ses quatre pattes à moitié levée comme un signal. En obéissant à la voix de son maître qui lui donnera l’ordre de l’assaut final, le chien fondra sur sa proie. Le lièvre le sait, son arrière-train pourtant à contrevent du nez du chien. C’est de ce regard dont le lièvre a peur, foudre que le peintre traduit par des rayons de couleur rouge et jaune vif qui viennent transpercer le gîte. La menace se précise, la mort se rapproche. Franz Marc ne souhaite pas la découverte du lièvre par le chien prédateur, figure centrale du tableau.</p>
<p>Au Musée de l’Orangerie, en 2019, le lièvre était toujours là. Le lièvre de Dürer (1502), dessin de 25 cm sur 22,5 cm, lui, a été mis précautionneusement à l’abri dans les réserves du Musée Albertina à Vienne. Cinq cent vingt ans après, bien que caché, il est toujours aussi vivant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163290/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Saussois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Le lièvre semble fasciner les peintres, au moins depuis Dürer. Mais pourquoi ?
Jean-Michel Saussois, Professeur émérite HDR en sociologie, ESCP Business School
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tag:theconversation.com,2011:article/162283
2021-06-15T16:53:13Z
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« Peintres femmes 1780–1830 » : une exposition stimulante, mais qui laisse sur sa faim
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/406533/original/file-20210615-25-ssr430.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=56%2C98%2C902%2C757&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nisa Villers Portrait présumé de madame Soustras laçant son chausson, 1802.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://museeduluxembourg.fr/en/node/7317">Musée du Luxembourg</a></span></figcaption></figure><p>`</p>
<p>Le confinement et l’accélération de la transformation numérique dans le domaine muséal ont-ils véritablement bénéficié aux « femmes artistes » ? Depuis 2020, une foule d’initiatives se multiplient pour mettre la création féminine en valeur : notices biographiques, podcasts, visioconférences… Avec des résultats plus ou moins cohérents. Et au risque d’une catégorisation hasardeuse, qui regroupe des plasticiennes aussi diverses que Frida Kahlo, Artemisia Gentileschi et Camille Claudel. Selon cette optique, ce n’est ni la nationalité, ni l’époque, ni la pratique artistique qui rapproche ces créatrices, mais bien leur genre.</p>
<p>Difficile, donc, de se frayer un chemin dans la jungle des contenus disponibles en ligne, des publications spécialisées aux récits reposant sur un certain nombre de stéréotypes, tantôt misérabilistes (la fille de l’ombre, l’égérie puis la victime du « maître », l’héroïne au destin tragique), tantôt glorificateurs (l’indépendante, la rebelle, le génie féminin).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406174/original/file-20210614-73723-1dreqyi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406174/original/file-20210614-73723-1dreqyi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406174/original/file-20210614-73723-1dreqyi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406174/original/file-20210614-73723-1dreqyi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406174/original/file-20210614-73723-1dreqyi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406174/original/file-20210614-73723-1dreqyi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406174/original/file-20210614-73723-1dreqyi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une vue de l’exposition.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Author provided</span></span>
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<p>Très attendue, l’ouverture de l’exposition « Peintres femmes 1780–1830 » au Musée du Luxembourg laissait penser qu’une autre approche allait enfin être proposée au grand public. En évitant l’écueil de la traditionnelle monographie, l’exposition se penche sur les formations, ateliers et communautés de peintres, depuis la fin de l’Ancien Régime jusqu’à la Monarchie de Juillet. Il s’agit d’une période où une proportion croissante de femmes investissent l’espace de production des beaux-arts, ce qui attire les railleries, comme celle de l’abbé de Fontenay : « comment pourront-elles trouver assez de temps pour être à la fois épouses soigneuses, mères tendres […] et peindre autant qu’il est nécessaire pour le faire bien ? » (<em>Journal général de France n°71</em>, 14 juin 1785).</p>
<h2>Une démarche ambitieuse</h2>
<p>70 œuvres de collections publiques et privées, françaises et étrangères, jalonnent un parcours à la fois chronologique et thématique. Le spectateur ne manquera pas d’apprécier la scénographie épurée, l’éclairage presque zénithal et la couleur pastel des cimaises, qui mettent parfaitement en valeur les œuvres. En cette matinée de semaine, il y avait un public assez varié – quoique très féminin – où plusieurs générations étaient représentées. C’était stimulant de voir des filles accompagner leurs mères, comme si ces tableaux, en particulier, étaient propices à une forme de transmission.</p>
<figure class="align-right ">
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<span class="caption">Elisabeth Vigée-Lebrun, Autoportrait de l’artiste peignant le portrait de l’impératrice Elisaveta Alexeevna, 1800, Musée de l’Ermitage.</span>
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<p>La première section de l’exposition donne le ton. Elle nous invite à considérer l’évolution du métier d’artiste au XVIII<sup>e</sup> siècle, encore dominé par l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture, dont la fondation remontait à 1648. Il existe pourtant des communautés alternatives, telle la Guilde de Saint-Luc ou les ateliers familiaux, mais les Académiciennes jouissent d’une reconnaissance et d’un prestige uniques. En témoigne la fameuse double réception d’Élisabeth Vigée-Lebrun et de sa rivale supposée, Adélaïde Labille-Guiard, en 1783.</p>
<p>Au départ, le jury était plus favorable à l’admission de cette ancienne élève de François Vincent. Vigée-Lebrun, de son côté, était desservie par la profession de son mari, marchand de tableaux, mais elle put faire jouer ses contacts auprès de la cour et compter sur le soutien de Marie-Antoinette. À la suite de cet événement, le quota de 4 femmes à l’Académie est rétabli. Avec la suppression de la corporation de Saint-Luc en 1777, l’Académie revendique le monopole de l’exercice des arts libéraux. Ces privilèges volent en éclat au moment de sa dissolution par les révolutionnaires en 1793.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Adrienne Marie Louise Grandpierre Deverzy, L’atelier d’Abel de Pujol, 1822, Musée Marmottan Monet.</span>
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<p>Ce n’est donc pas un hasard si l’exposition commence par une galerie d’(auto)portraits. Ces toiles, qui reposent sur un ensemble de motifs récurrents, ont des allures de manifeste : les plasticiennes se représentent au travail, avec leurs outils en main. Rosalie Filleul regarde directement le spectateur alors qu’elle est en train de mélanger les pigments sur sa palette, tandis que Marie-Guillemine Benoist rend hommage à son maître dans son <em>Autoportrait copiant le Bélisaire et l’enfant à mi-corps de David</em>.</p>
<p>C’est cette idée de réseaux qu’on retrouve dans la section dédiée à l’apprentissage. Des peintres à la carrière déjà bien établie ouvrent leurs ateliers aux femmes, comme Jacques-Louis David, Jean‑Baptiste Greuze, mais aussi Hortense Haudebourt-Lescot et Catherine Cogniet. Les femmes peuvent exposer au Salon de la Correspondance et les talents en devenir, au Salon de la Jeunesse. De extraits d’archive (mémoires, critique d’art, presse) documentent l’effervescence de l’époque : « Il fallait voir ces groupes animés […] ne quittant le pinceau que pour charger la palette […] Celles-là, c’étaient des artistes » (Albertine Clément-Hemery, <em>Souvenirs de 1793 à 1794</em>).</p>
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<span class="caption">Hortense Haudebourt Lescot, Portrait de l’artiste, 1825, Musée du Louvre.</span>
</figcaption>
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<p>Le passage au XIX<sup>e</sup> siècle amorce de profondes mutations aux plans sociétal et culturel. Les créatrices qui ne sont pas issues d’un milieu artistique ou aristocratique se font de plus en plus nombreuses. C’est le cas de <a href="https://www.lematrimoine.fr/accueil/marie-genevieve-bouliard/">Marie-Geneviève Bouliard</a>, fille de couturier, ou encore de <a href="https://www.lematrimoine.fr/accueil/marie-gabrielle-capet/">Marie-Gabrielle Capet</a>, fille de domestique. Il n’en demeure pas moins que cette France postrévolutionnaire, dont la bourgeoisie florissante est la grande gagnante, limite la pratique artistique des femmes : l’École des Beaux-Arts leur fermera ses portes en 1825. Elles tentent leur chance au Salon du Louvre, l’incontournable institution officielle pour acquérir une renommée et des commandes.</p>
<p>Quant aux genres picturaux, certains sont considérés comme étant l’apanage de caractéristiques « nobles » ou « masculines », même si plusieurs créatrices, telle Angélique Mongez, connurent le succès en dépeignant le nu et des scènes héroïques inspirées de l’Antiquité. En réalité, la peinture d’histoire ne rencontre plus tant les faveurs du public, qui se prend de passion pour le paysage et les sujets de la vie quotidienne.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">En face : Angélique Mongez, Mars et Vénus, 1841, Musée des Beaux-Arts d’Angers.</span>
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<h2>De l’exceptionnelle à l’« artiste normale </h2>
<p>C’est en restant sur sa faim que le spectateur terminera son parcours, avec une salle qui, malgré sa volonté de mettre en valeur une majorité de copistes très actives sur la scène artistique, reprend à peu de choses près le propos tenu en introduction. Affirmation de soi, autoportraits, banalisation de l’image de la plasticienne, ces thématiques qui reviennent comme une litanie ne parviennent pas vraiment à contredire les idées reçues encore accolées aux artistes femmes. Si l’exposition entend récuser à la fois le « raisonnement circulaire autour du ‘féminin’ » et le « concept rhétorique de grandeur », il en résulte néanmoins une impression de catalogage.</p>
<figure class="align-right ">
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<span class="caption">Marie-Victoire Jacquotot, La Sainte Famille d’après Raphaël, 1825, Manufacture de Sèvres.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Author provided</span></span>
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<p>Une perspective transversale, sur un sujet si complexe qui semble pourtant séduire chercheurs, musées et amateurs d’art depuis quelques années, aurait nécessité une analyse plus poussée des échanges artistiques. En fait, c’est surtout le catalogue qui rend compte des liens de créatrices, comme ceux qui se tissent entre <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Louise-Jos%C3%A9phine_Sarazin_de_Belmont">Louise-Joséphine Sarazin de Belmont</a>, Augustine Dufresne et la sculptrice <a href="https://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/aux-musees/presentation-detaillee/article/felicie-de-fauveau-33787.html?S=&tx_ttnews%5BbackPid%5D=649&cHash=00ab305f5e&print=1&no_cache=1&">Félicie de Fauveau</a>. C’est important, dans la mesure où les toiles de la paysagiste exposées actuellement sont exécutées en Italie, au moment de son <a href="https://www.grandpalais.fr/fr/article/carnet-de-voyage-deuxieme-escale-litalie">« Grand Tour »</a> pour y parfaire son éducation artistique. Elle y voyage avec ses deux amies, alors que le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle relègue les femmes de bonne famille au sein du foyer, de la sphère privée.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406189/original/file-20210614-126997-1fet0st.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406189/original/file-20210614-126997-1fet0st.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406189/original/file-20210614-126997-1fet0st.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406189/original/file-20210614-126997-1fet0st.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406189/original/file-20210614-126997-1fet0st.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406189/original/file-20210614-126997-1fet0st.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406189/original/file-20210614-126997-1fet0st.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Louise-Joséphine Sarazin de Belmont, Naples, vue du Pausilippe, 1842–1859, Musée des Augustins.</span>
</figcaption>
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<p>Dès lors, dans la partie « dilettantes ou professionnelles », on peut s’étonner du manque d’explications sur les techniques de dessin et de représentation, si cruciales non seulement à la formation mais aussi aux loisirs des classes moyennes supérieures. Un accrochage avec une plus grande diversité de genres picturaux – natures mortes, aquarelles croquées en plein air et scènes familiales, toutes qualifiées de typiquement « féminines » à l’époque – et montrant les différentes étapes de préparation d’un tableau de chevalet (de l’esquisse à la toile) aurait été, à mon sens, plus approprié. Ces réflexions auraient donné matière à une étude approfondie des œuvres et de leur composition, s’écartant du simple commentaire descriptif, qu’il soit biographique ou sociologique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406194/original/file-20210614-125916-1s629an.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406194/original/file-20210614-125916-1s629an.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=788&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406194/original/file-20210614-125916-1s629an.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=788&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406194/original/file-20210614-125916-1s629an.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=788&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406194/original/file-20210614-125916-1s629an.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=990&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406194/original/file-20210614-125916-1s629an.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=990&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406194/original/file-20210614-125916-1s629an.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=990&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Marie-Victoire Lemoine, Marie-Geneviève Lemoine et sa fille, 1802, galerie Eric-Coatalem.</span>
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<p>Le style et les termes employés au sein de l’exposition, aussi, donnent matière à penser. On parle du « combat » de ces peintres « qui est le nôtre », comme si elles s’étaient soulevées d’un front commun face à l’adversité. Or seulement quelques-unes d’entre elles (Adélaïde Labille-Guiard, Nanine Vallain) ont eu un engagement politique à proprement parler, qu’on désignerait aujourd’hui sous l’étiquette anachronique de « féministe ». Des envolées lyriques du type « ouvrons notre curiosité » ou « redonnons voix aux controverses et à la multiplicité » sonnent ainsi plus comme des slogans de campagne qu’une invitation à la réflexion.</p>
<p>Quelle surprise, à ce titre, de ne pas voir mentionnés des travaux fondateurs en études de genre (<a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2017/11/03/deces-de-linda-nochlin-pionniere-de-l-histoire-de-l-art-feministe_5209640_3382.html">Linda Nochlin</a>, <a href="https://www.american.edu/cas/faculty/mgarrar.cfm">Mary D. Garrard</a>, <a href="https://www.american.edu/cas/faculty/nbroude.cfm">Norma Broude</a>), qui étaient bien évoquées lors de la <a href="https://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/aux-musees/presentation-generale/article/berthe-morisot-47695.html?cHash=34f1b0cd3c">rétrospective consacrée à Berthe Morisot en 2019</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406195/original/file-20210614-23-dew3xg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406195/original/file-20210614-23-dew3xg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=760&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406195/original/file-20210614-23-dew3xg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=760&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406195/original/file-20210614-23-dew3xg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=760&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406195/original/file-20210614-23-dew3xg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=955&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406195/original/file-20210614-23-dew3xg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=955&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406195/original/file-20210614-23-dew3xg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=955&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une peintre active sous la Révolution critiquant ouvertement l’enseignement académique : Nanine Vallain (ici Portrait de jeune femme avec un agneau, 1788, Musée Cognacq-Jay)</span>
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<p>Pour la période concernée, il n’est guère possible de faire l’impasse sur l’exposition « From Royalists to Romantics » du National Museum of Women in the Arts de Washington en 2012, composée de 77 peintures, gravures et sculptures <a href="https://nmwa.org/exhibitions/royalists-romantics/">provenant de collections publiques françaises, principalement du Louvre et du Château de Versailles</a>. D’ailleurs, pourquoi ne pas avoir traduit les cartels et panneaux explicatifs, quand on sait que la recherche anglophone est tellement pionnière en la matière ?</p>
<p>C’est dans le catalogue qu’il faudra aller puiser toutes ces informations manquantes. Il n’est pas donné (40€ !), mais les étudiant·e·s en histoire de l’art le trouveront dans la plupart des bibliothèques universitaires de France, ainsi qu’à celle de l’INHA. L’exposition a au moins le mérite de rendre ces peintres, connues et moins connues, plus familières du public, qui aura peut-être envie d’en apprendre plus à leur sujet. En attendant une prochaine exposition plus fournie au Musée du Louvre, qui sait.</p>
<hr>
<p><em>L’exposition « Peintres femmes » <a href="https://museeduluxembourg.fr/fr/agenda/evenement/peintres-femmes-1780-1830">est prolongée jusqu’au 25 juillet</a>.</em></p>
<p><em>La Réunion des Musées Nationaux a également mis à disposition un <a href="https://mooc-culturels.fondationorange.com/enrol/synopsis/index.php?id=322">MOOC gratuit sur les artistes femmes</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162283/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laure Nermel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
En évitant l’écueil de la traditionnelle monographie, l’exposition se penche sur les formations, ateliers et communautés de peintres, depuis la fin de l’Ancien Régime jusqu’à la Monarchie de Juillet.
Laure Nermel, Doctorante en histoire de l'art, Université de Lille - initiative d'excellence
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/158112
2021-05-06T18:23:47Z
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Les préraphaélites, enfants terribles de l’art anglais
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/398631/original/file-20210504-23-ezp0lt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C7%2C2540%2C1728&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">John Everett Millais, Ophélie, vers 1851.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Oph%C3%A9lie_(Millais)#/media/Fichier:John_Everett_Millais_-_Ophelia_-_Google_Art_Project.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Lorsque je suis allée à Londres seule pour la première fois, je suis tombée en admiration devant une toile de la Tate Britain. Le tableau représentait une jeune fille aux cheveux roux, sa robe flottant dans l’eau de la rivière, emportée par le courant. Il m’a fallu quelques secondes pour reconnaître Ophélie, la bien-aimée d’Hamlet conduite au suicide. Là où le peintre a innové, c’est en mettant un personnage shakespearien secondaire au premier plan. Son impact sur la scène artistique est considérable : à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, le public britannique se plaint de voir trop d’Ophélies aux expositions de la Royal Academy.</p>
<p>En France, l’art de la période victorienne a longtemps pâti d’une mauvaise réputation. De par son insularité et son histoire, le mouvement préraphaélite a été perçu comme rétrograde, notamment à cause de ses inspirations littéraires. On ne peut plus éloigné des considérations sociales qui animent les partisans du réalisme, comme Gustave Courbet. Et pourtant, les fondateurs du préraphaélisme s’employèrent à créer une nouvelle peinture, en réaction au conformisme académique.</p>
<h2>Le goût du scandale</h2>
<p>1848 : toute l’Europe est en effervescence sous l’effet de soulèvements révolutionnaires. Alors première puissance mondiale, le Royaume-Uni connaît une relative stabilité économique. L’urbanisation et l’industrialisation massives s’étendent comme une traînée de poudre, provoquant la destruction de l’environnement naturel. La condition du prolétariat se dégrade, fustigée par Marx et Engels dans le <em>Manifeste du Parti communiste</em>.</p>
<p>La même année, trois étudiants de la Royal Academy, William Holman Hunt, John Everett Millais et Dante Gabriel Rossetti remettent en cause l’enseignement qu’ils reçoivent pour revenir à un art plus proche de la nature. L’école anglaise se trouve dans une impasse. La mode est à la peinture de genre, inspirée par l’apogée de la Renaissance italienne, dont les riches marchands bourgeois sont très friands.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398351/original/file-20210503-21-1h10x09.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398351/original/file-20210503-21-1h10x09.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=905&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398351/original/file-20210503-21-1h10x09.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=905&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398351/original/file-20210503-21-1h10x09.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=905&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398351/original/file-20210503-21-1h10x09.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1137&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398351/original/file-20210503-21-1h10x09.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1137&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398351/original/file-20210503-21-1h10x09.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1137&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Raphaël, La Transfiguration, 1518–1520 Huile sur de bois, 405 x 278 cm Musées du Vatican.</span>
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<p>Art vulgaire, élitiste et moralisateur, selon Hunt, qui relate dans ses mémoires son dédain pour la <em>Transfiguration</em> de Raphaël : « nous la condamnions pour son mépris grandiose de la simplicité et de la vérité, la pose pompeuse des apôtres et l’attitude du Sauveur ». Hunt, Millais et Rossetti, rejoints par quatre amis, prennent pour modèle la peinture des Primitifs italiens et flamands, antérieurs à la Renaissance classique. La Confrérie préraphaélite est née.</p>
<p>Il y a dans cette société secrète un fort esprit de camaraderie. Les préraphaélites organisent des séances de dessin et posent entre eux pour ensuite s’offrir leurs esquisses en gage d’affection. C’est bien pratique : les modèles coûtent cher, ils ont des allures trop conventionnelles. Hyperréalisme, teintes contrastées, absence de perspective et profusion de détails : les premiers tableaux exposés font l’effet d’un pavé dans la mare. Comme si cela ne suffisait pas, les peintres signent avec les initiales P.R.B (Pre-Raphaelite Brotherhood), pour se moquer des académiciens, qui apposent le R.A (Royal Academy) au coin de leurs toiles.</p>
<p>Le scandale éclate au printemps 1850, lorsque l’<em>Illustrated London News</em> révèle la signification de l’acronyme. La critique, relayée par l’écrivain Charles Dickens, est sans appel : « un hideux garçonnet roux et pleurnichard au cou tordu, vêtu d’une chemise de nuit […] une femme agenouillée, si hideuse dans toute l’étendue de sa laideur qu’elle se démarque de la toile tel un monstre du plus vil des cabarets français ou de la plus sordide des caves à gin d’Angleterre ». C’est tout un vocabulaire de la difformité qui se déploie pour décrire la peinture préraphaélite. Millais avait effectivement commis l’impensable : désacraliser le religieux, le dépeindre de manière prosaïque.</p>
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<span class="caption">John Everett Millais, <em>Le Christ dans la maison de ses parents</em> (l’atelier du charpentier), 1849-1850, huile sur toile.</span>
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<h2>Désirs de reconnaissance</h2>
<p>Dans une lettre au <em>Times</em> de mai 1851, le théoricien et mécène John Ruskin prend la défense des préraphaélites pour avoir « posé en Angleterre les jalons de l’école d’art la plus noble que l’on ait connue depuis trois cents ans ». Ruskin l’a bien compris : les préraphaélites partagent sa vision d’un art authentique. Il s’agit de représenter la nature avec exactitude en sondant ses moindres détails, « en toute vérité de cœur, sans rien mépriser et sans rien choisir ». Contrairement aux idées reçues, la technique du plein air n’est pas née avec les impressionnistes. Bien avant les années 1870, Millais et Hunt se rendent sur les bords de la rivière Ewell pour peindre sur le motif. Ils cherchent à capturer les effets capricieux du climat britannique. La différence, c’est qu’ils adoptent une attitude quasi mystique face à une nature révélatrice de vérités supérieures.</p>
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<span class="caption">William Holman Hunt, <em>Nos côtes anglaises</em> (les brebis égarées), 1852, huile sur toile.</span>
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</figure>
<p>Le dessin n’est plus une étape intermédiaire du processus créatif, mais un moyen en soi. Pour les tableaux de chevalet, les préraphaélites utilisent une préparation de vernis et de plâtre blancs. Ils appliquent l’huile avec des pinceaux très fins sur le support encore mouillé, ce qui rend les couleurs plus brillantes. Celles-ci sont rarement mélangées entre elles. À tel point qu’on se plaindra de ne voir plus que ces toiles quand elles seront exposées aux côtés d’autres œuvres.</p>
<p>La composition aussi est différente. Les préraphaélites adoptent un sens de la narration bien particulier, où chaque élément doit se lire comme un indice à décrypter. Par exemple, <em>Nos Côtes anglaises</em> fait écho aux craintes de se voir envahir par les troupes de Napoléon III, qui établit un régime autoritaire après son coup d’État. Hunt a choisi pour cadre Hastings, le lieu de la défaite du roi saxon Harold face aux Normands (1066).</p>
<p>Les préraphaélites sont témoins des mutations ambiantes. Avec <em>Travail</em>, Ford Madox Brown, ancien professeur de Rossetti, a pour ambition l’exécution d’une monumentale fresque satirique, qui dépeint toutes les couches de la société. Les riches, placés en haut de la composition, doivent s’arrêter parce que la route est en travaux. Au premier plan, on aperçoit des ouvriers, ainsi qu’une adolescente dont les maigres omoplates jaillissent d’une robe trop grande pour elle. Elle tente de discipliner son jeune frère. Dans ses bras, un nourrisson qui porte un ruban noir : les parents sont visiblement décédés, laissant leur progéniture dans la misère.</p>
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<span class="caption">Ford Madox Brown, <em>Travail</em>, 1852-1863, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Birmingham.</span>
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<h2>« La Table Ronde est dissoute »</h2>
<p>À partir de 1854, les frères préraphaélites se séparent : leurs divergences professionnelles et personnelles sont trop importantes. Millais devient membre associé de l’Académie, Hunt part pour un long voyage spirituel en Terre sainte. Quant à Rossetti, qui n’expose plus en public et ne pratique plus l’huile depuis 1851, il cultive son attitude de marginal. Il n’admet dans son atelier qu’un petit groupe d’élus, comme sa compagne Elizabeth Siddal, avec qui il pose, dessine et peint de concert.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398365/original/file-20210503-15-m3gsvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398365/original/file-20210503-15-m3gsvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398365/original/file-20210503-15-m3gsvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398365/original/file-20210503-15-m3gsvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398365/original/file-20210503-15-m3gsvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=759&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398365/original/file-20210503-15-m3gsvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=759&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398365/original/file-20210503-15-m3gsvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=759&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Elizabeth Siddal, <em>Dame attachant un fanion à la lance d’un chevalier</em>, vers 1856, aquarelle sur papier.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les œuvres du couple ressemblent à des enluminures : les aires de nuances colorées sont bien délimitées, mais se répondent comme dans un vitrail. Siddal et Rossetti font un usage atypique de l’aquarelle : au lieu de l’employer comme un lavis, ils l’étalent presque à sec sur le papier, d’où son rendu mat. Chevaliers, gentes damoiselles et créatures fantomatiques peuplent un univers pictural à l’atmosphère mélancolique.</p>
<p>C’est bien par ce fantasme d’un Moyen-âge idéalisé qu’est assurée la relève du préraphaélisme. Pour le projet de décoration de la bibliothèque de l’Oxford Union en 1857, Rossetti fait appel à de nouvelles recrues comme Edward Burne-Jones et William Morris. La peinture n’étant pas vraiment son fort, Morris se tourne vers l’engagement politique – le socialisme – et les arts décoratifs.</p>
<figure class="align-right ">
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<span class="caption">Morris & Co, motif treillis, 1862-1864, papier peint.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Victoria and Albert Museum</span></span>
</figcaption>
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<p>Fermement opposé à la Révolution industrielle, Morris réunit architectes, brodeurs, céramistes et ébénistes pour privilégier un mode de travail artisanal. Les motifs de végétaux stylisés des textiles Morris & Co continuent d’inspirer plusieurs générations de couturiers.</p>
<p>La même quête du Beau anime d’ailleurs les derniers souffles du préraphaélisme, qui glisse peu à peu vers un esthétisme raffiné. Selon les partisans de « l’art pour l’art », tel Oscar Wilde, toute notion de signification est à proscrire : une œuvre doit s’admirer pour l’harmonie de ses couleurs et de ses formes. Aussi Rossetti amorce-t-il une autre étape de sa carrière. Bien des toiles des années 1870 sont dépourvues de narration, centrées sur le plaisir des sens, notamment le lien entre la vue, le toucher et l’ouïe. <em>Veronica Veronese</em>, qui montre une femme perdue dans ses pensées, tapotant sur les cordes d’un violon, représente « l’âme de l’artiste en train de créer ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398369/original/file-20210503-13-10m3s16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398369/original/file-20210503-13-10m3s16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398369/original/file-20210503-13-10m3s16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398369/original/file-20210503-13-10m3s16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398369/original/file-20210503-13-10m3s16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=867&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398369/original/file-20210503-13-10m3s16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=867&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398369/original/file-20210503-13-10m3s16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=867&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dante Gabriel Rossetti, <em>Veronica Veronese</em>, 1872&, huile sur toile.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Delaware Art Museum</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le préraphaélisme est le premier courant de peinture britannique à prétention contestataire, qui s’est constitué en tant que tel. Il étendra son emprise jusqu’à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. C’est un art démocratique, au service de la justice, qui ne cherche pas à établir de hiérarchies entre les techniques et les sujets représentés.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4oU1nmKDBtA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Tombés dans l’oubli après la Grande Guerre, les préraphaélites ont été réhabilités par la contre-culture des années 60. Plusieurs musées et galeries se sont appliqués à rendre leurs œuvres plus savoureuses auprès du public. À travers de grandes expositions itinérantes, ou des produits de la culture populaire (films, séries, fictions), le préraphaélisme reprend ses lettres de noblesse pour apparaître révolutionnaire, bohème, voire fantasque.</p>
<hr>
<p><em>Pour aller plus loin :<br>
– Laurence Des Cars, « Les Préraphaélites : un modernisme à l’anglaise », Gallimard, 1999.<br>
– William Holman Hunt, « Pre-Raphaelitism and the Pre-Raphaelite Brotherhood », Macmillan, 1905.<br>
– Aurélie Petiot, « Le Préraphaélisme« , Citadelles et Mazenod, 2019.<br>
– William Michael Rossetti, « Pre-Raphaelite Diaries and Letters », Hurst and Blackett, 1900.<br>
– Alison Smith, « The Pre-Raphaelites : Victorian avant-garde », catalogue de l’exposition, Tate Publishing, 2012.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158112/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laure Nermel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
En France, l’art de la période victorienne a longtemps pâti d’une mauvaise réputation.
Laure Nermel, Doctorante en histoire de l'art, Université de Lille - initiative d'excellence
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/157268
2021-03-25T21:08:34Z
2021-03-25T21:08:34Z
Goya, précurseur du photojournalisme ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/391825/original/file-20210325-13-3mujch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=88%2C769%2C4382%2C2885&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Estragos de la guerra » (les ravages de la guerre), 1810-1814, détail. Caprices N° 30. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/ff/Estragos_de_la_guerra_sin_marco.jpg">Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Le 30 mars marquera le 275<sup>e</sup> anniversaire de la naissance du grand peintre Francisco de Goya y Lucientes, né dans le petit village de Fuendetodos en Aragon et mort à Bordeaux le 16 avril 1828 : l’occasion de rendre hommage à cet artiste qui a vécu en France les quatre dernières années de sa vie. </p>
<p>Exilé volontaire, Goya quitte Madrid en 1824 afin de fuir le retour de l’absolutisme de Ferdinand VII. Quand il arrive à Bordeaux, âgé de 78 ans et complètement sourd, il dessine un autoportrait métaphorique intitulé « Aun aprendo » (J’apprends encore) où il dévoile son état d’esprit. Les années bordelaises correspondent à une période riche et paisible pour le peintre, pleine de créativité et d’envies d’expérimenter de nouvelles techniques de lithographie. Une étape où se consolident la liberté créative et l’autonomie de l’artiste, centré sur ses envies et préoccupations personnelles, loin des commandes de la cour d’Espagne.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=793&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=793&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=793&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=997&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=997&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391737/original/file-20210325-17-1h4e9qh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=997&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Aun aprendo, autoportrait métaphasique de l’artiste qui dévoile son état d’esprit quand il arrive en France.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Aun_aprendo.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un regard de reporter</h2>
<p>Goya est un grand artiste qui a touché à toutes les thématiques picturales, mais qui avait le regard perçant d’un reporter et savait observer, raconter la société et les événements de son temps. Ses dessins peuvent être considérés comme des dessins de presse : avec les <a href="https://musees-occitanie.fr/encyclopedie/themes/arts-graphiques/goya-les-desastres-de-la-guerre/"><em>Désastres de la guerre</em></a>, il invente le reportage graphique et participe à la naissance d’un journalisme visuel. Ces dessins constituent un précédent dans le genre des grands reportages photographiques de guerre. Par exemple, le dessin de la série intitulé <em>Estragos de la guerra</em> figure comme la première scène d’un bombardement sur une population civile. Goya, en précurseur du photojournalisme, nous laisse un fonds iconographique qui anticipe toute la barbarie des guerres à venir.</p>
<p>L’artiste s’inspire de la réalité qu’il perçoit avec ses cinq sens, qualité fondamentale de tout bon reporter comme le disait le journaliste polonais <a href="https://laviedesidees.fr/Le-monde-selon-Ryszard-Kapuscinski.html">Ryszard Kapuscinski</a>. L’art réaliste que présente Goya avec la réalisation des « Désastres de la guerre » ou « Les fusillades du 3 mai » nécessite une excellente préparation, tout comme un bon reportage, selon Kapuscinski : « lectures préparatoires, enquête de terrain et réflexion a posteriori. »</p>
<p>Le travail du reporter – comme celui du peintre – exige l’art du discernement, comme l'indique l’agencier polonais : </p>
<blockquote>
<p>« Je dois avoir l’œil. Il s’agit d’une réelle compétence : savoir sélectionner. Autour de soi, on voit des centaines d’images, mais on sait qu’elles sont inutiles, il faut se concentrer sur ce qu’on a l’intention de montrer. L’image au bon endroit. » </p>
</blockquote>
<p>Goya le fait notamment avec <a href="https://www.museumtv.art/artnews/oeuvre/zoom-sur-el-tres-de-mayo-de-1808-de-goya/">« Les fusillades du 3 mai »</a>, traduisant une pensée photographique qui résume le long récit de la guerre en un cadrage magistral. Un tableau qui se rapproche de la célèbre photo de Robert Capa « Mort d’un milicien », publiée dans la revue <em>Life</em> en 1937.</p>
<p>Le reportage « historiographique » qui se réclame de Kapuscinski se rapproche de la peinture par sa dimension visuelle, avec la description des scènes, des images, des détails qui construisent la narration. Avec son regard indépendant, Goya dénonce les atrocités dans les deux camps, comme le ferait un reporter impartial. Le goût de Goya pour le reportage graphique sous forme de dessins se manifeste encore à Bordeaux dans son singulier « Traité sur la violence ». Goya y montre des hommes enchaînés et des mises à mort, par exemple dans sa série consacrée à la guillotine. Sur le dessin 161 de l’Album bordelais G, intitulé</p>
<p>« Le chien volant », on voit un chien agressif qui survole une ville comme une machine à tuer.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=762&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391740/original/file-20210325-21-q0fdt9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le chien volant.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Goya_-_El_perro_volante,_D04131.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le chien assassin tient sur son dos un livre blanc avec les noms supposés des promoteurs de cette chasse à l’homme orchestrée. C’est là une allégorie de la violence d’un État répressif. Vision fantastique, certes, mais qui l’est moins aujourd’hui, avec l’invention des robots meurtriers. Le chien évoque aussi la vidéosurveillance, mais aussi les drones qui nous surveillent 24h/24. Visionnaire, Goya explore en toute liberté un éventail de menaces qui sont devenues des réalités de nos sociétés contemporaines, et anticipe des phénomènes omniprésents dans l’actualité du XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p><strong>L’obsession de l’actualité</strong></p>
<p>À Bordeaux, il se fait le chroniqueur de la ville. À la fin de sa vie, il peint pour lui, par plaisir, pour dénoncer, sans contraintes ni autocensure. Il se libère et s’éloigne du politiquement correct. Ce changement avait déjà été amorcé avec la publication de la série des « Caprices ». Ses récits ressemblent aux bandes dessinées documentaires d’aujourd’hui. En allant plus loin, dans une transposition temporelle anachronique, on aurait pu imaginer Goya publier ses dessins pour <a href="https://charliehebdo.fr/"><em>Charlie Hebdo</em></a>. Il met ses dessins au service d’une histoire qui frappe fort, à travers des récits par épisodes et toujours une brève légende, dans une approche très journalistique.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391741/original/file-20210325-13-1gp5wz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les songes de la raison produisent de monstres.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/El_sue%C3%B1o_de_la_razon_produce_monstruos#/media/Fichier:Francisco_Jos%C3%A9_de_Goya_y_Lucientes_-_The_sleep_of_reason_produces_monsters_(No._43),_from_Los_Caprichos_-_Google_Art_Project.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’ironie, la satire, le sarcasme, le grotesque, sont les ressources que Goya utilise pour renforcer sa narration visuelle. Ses obsessions, ses peurs, ses monstres sont aussi les nôtres. On dirait qu’ils émanent de notre époque. Il dénonce l’obscurantisme de son temps, immortalisé par le fameux dessin « Les songes de la raison produisent de monstres ».</p>
<p><a href="https://www.goyaenelprado.es/fileadmin/goyaweb/pdf/21-2266.pdf">Ses Albums G et H</a>, réalisés à Bordeaux, nous montrent un Goya intéressé par le versant populaire de la ville. Il est attentif aux invisibles, aux oubliés. Goya, après avoir été au service de ceux qui font l’histoire comme peintre de la cour et des puissants finit par défendre la cause de « ceux qui subissent l’Histoire », comme l’affirmait Albert Camus en référence à la mission de l’art et au rôle de l’écrivain dans son célèbre discours de réception du <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-de-la-philo/camus-et-les-discours-du-prix-nobel-de-litterature">prix Nobel de Littérature</a>. Il dessine les marginaux, les fous, les pauvres, les prostituées, les précaires, les délaissés de la société. Il dénonce la peine de mort,</p>
<p>les inégalités, les excès de la religion, l’ignorance et la corruption.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=765&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=765&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=765&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=962&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=962&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391744/original/file-20210325-21-1xexbpt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=962&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Avec ce dessin intitulé Mal Marido, le peintre dénonce les violences machistes.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au-delà de son héritage artistique, Goya est l’auteur d’une réflexion morale et philosophique sur la conduite humaine qui reste très actuelle. Le peintre est une icône de la modernité par sa défense de la liberté, de la raison, de la justice sociale, de l’égalité. Sa personnalité civique et intellectuelle mérite d’être explorée plus en profondeur. L’historien de l’art allemand <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fred_Licht">Fred Licht</a>, spécialiste de Goya, écrit en 1979 avec raison : </p>
<blockquote>
<p>« Quiconque a vu, ne serait-ce que superficiellement, les journaux du dernier demi-siècle a constaté que Goya avait illustré il y a plus de 150 ans les nouvelles les plus significatives. » </p>
</blockquote>
<p>Si ses images nous touchent aujourd’hui, c’est parce que nous y trouvons l’écho, et même l’explication, d’événements récents, très postérieurs à la mort du peintre.</p>
<h2>Interprète de l’angoisse</h2>
<p>De toutes ses forces, Goya a essayé de comprendre les comportements, les attitudes, les gestes humains face à l’histoire et de les représenter de la manière la plus véridique, la plus factuelle, en véritable reporter aux prises avec les faits. La vérité qu’il recherche est celle des passions, de l’amour, de la violence, de la guerre, de la folie, des injustices. On a l’impression que ces dessins ont été conçus pour illustrer les maux de notre époque. André Malraux, dans son ouvrage <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Editions-originales/Saturne"><em>Saturne, Essai sur Goya</em></a> (1950), le décrit comme « le plus grand interprète de l’angoisse qu’ait connu l’Occident. Lorsqu’un génie trouve le chant profond du Mal… » Goya nous dévoile la part invisible du monde.</p>
<p>Comme le dit Susan Sontag dans son essai <a href="https://www.artpress.com/2003/12/09/susan-sontag-devant-la-douleur-des-autres/">« Face à la douleur des autres »</a> : « Les images de Goya amènent le spectateur près de l’horreur. » Tantôt l’artiste s’inspire des faits divers lus dans la presse, tantôt c’est le témoignage direct qui l’inspire, comme un véritable reporter de terrain. Mais c’est toujours la quête de la vérité qui détermine ses sources d’inspiration : il s’agit de témoigner, d’alerter, de dénoncer, de prévenir. </p>
<p>L’œuvre de Goya contient en germe le tourment révolutionnaire de l’art moderne. Dans sa conception de l’art, le peuple joue un rôle central : il incarne le peuple dans l’histoire. Il représente comme personne ne l’avait fait auparavant l’entrée en scène du fanatisme des idées, de la foule, de la masse en action, autrement dit l’avènement du populisme. Son parti pris est celui d’un éditorialiste qui écrit avec des images et pointe du doigt les dysfonctionnements de la société avec ses légendes. Le réalisateur espagnol <a href="https://journals.openedition.org/etudesromanes/3372?lang=en">Luis Buñuel</a> disait à propos de Goya : « Le Peintre doit lire le monde pour les autres, pour ceux qui ne savent pas lire le monde… ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=669&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=669&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=669&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=840&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=840&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391750/original/file-20210325-15-qwfajy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=840&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La laitière de Bordeaux, ouvre les portes à la modernité.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Laiti%C3%A8re_de_Bordeaux#/media/Fichier:Goya_MilkMaid.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le séjour de Francisco de Goya à Bordeaux lui permettra de reconquérir la joie de vivre. Son testament, comme un symbole d’espoir, nous pouvons le trouver dans sa dernière œuvre qui montre une scène de la vie quotidienne : une jeune travailleuse modeste, délicate et rêveuse. Un tableau aux accents impressionnistes qui préfigure une nouvelle ère dans l’art pictural.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157268/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>María Santos-Sainz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Une lecture politique et journalistique des derniers de Goya permet de comprendre sa grande modernité.
María Santos-Sainz, Maître de conférences, Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine, Université Bordeaux Montaigne
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/153522
2021-02-26T12:49:53Z
2021-02-26T12:49:53Z
Dans l’art de la Renaissance, des visions contrastées de la différence
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/385880/original/file-20210223-21-lbkto2.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C2%2C652%2C468&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portraits signés Dürer, en 1521 et 1508. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Albrecht_D%C3%BCrer_-_The_Negress_Katherina_-_WGA07097.jpg">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Au début des années 1520, le peintre allemand Albrecht Dürer se rend à Anvers chez l’un de ses commanditaires privilégiés, le <a href="https://char.hypotheses.org/372">marchand portugais João Brandão</a>. Il y dessine, à la pointe et au fusain, deux portraits qui n’ont pas d’équivalent dans la production artistique de l’Europe de la première modernité.</p>
<p>Le premier est celui d’une jeune femme noire de vingt ans appelée Katherina, que le peintre nomme dans ses carnets « la maure » de Brandão. Elle est saisie à la fois dans la véracité de ses traits et dans celle de son statut social : son regard perdu, sa tête penchée en révérence et ses cheveux recouverts sont les signes d’un statut subalterne, peut-être d’esclave même si l’esclavage n’était pas autorisé dans les Pays-Bas du XVI<sup>e</sup> siècle. Outre les quelques mots inscrits dans les carnets du peintre, on ne connaît rien de plus à son sujet.</p>
<p>Le second portrait est plus singulier. Daté de 1508 (même si cette date est toujours soumise à débats), il s’agit d’un homme noir, anonyme, qui pourrait être le serviteur maure de Brandão dont Dürer parle à la date du 14 décembre 1520. Le peintre de Nuremberg s’attache à rendre la peau noire du modèle, les traits de son visage et notamment son nez et ses lèvres, ainsi que ses cheveux courts et frisés, autant de détails physiques construits comme caractéristiques du modèle noir à la Renaissance, notamment par Dürer lui-même (« Les visages des Maures sont rarement beaux en raison de leur nez très plat et de leur épaisse bouche » peut-on lire dans les carnets du peintre).</p>
<p>L’homme porte cependant moustache et barbe, attributs interdits aux esclaves. En outre, il ne porte pas de boucle d’oreille, bijou pas encore à la mode en Europe et utilisé par les peintres pour souligner l’exotisme du modèle noir. Il prend fièrement la pose, la tête haute et le regard droit. Le statut social des modèles ainsi que leur genre expliquent certainement les différences entre les deux dessins. Ils sont cependant la preuve d’une visibilité croissante de l’altérité dans une Europe où le commerce de l’or et de l’ivoire mettait fréquemment en contact les habitants des différents continents. La curiosité des artistes envers les figures de « l’autre » – Ottomans, Bohémiens et bien sûr hommes et femmes noir·e·s – se constate aussi dans une figure récurrente : Balthazar, le roi mage devenu noir.</p>
<h2>L’évolution de Balthazar</h2>
<p>L’épisode de l’Adoration des Mages est raconté dans l’évangile de Matthieu qui ne donne pas de nom aux trois rois mages, connus comme Melchior, Gaspard et Balthazar grâce à un manuscrit du VI<sup>e</sup> siècle. À la suite de ce texte, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%A8de_le_V%C3%A9n%C3%A9rable">moine Bède le Vénérable</a> fait de Balthazar un <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/les-histoires-du-monde/les-histoires-du-monde-22-decembre-2020">homme noir</a>. Il faut cependant attendre le XV<sup>e</sup> siècle pour que la couleur de peau du personnage soit représentée de manière explicite, d’abord en Allemagne et en Flandres, puis en Italie, notamment dans les régions du nord et nord-est. Les rois mages pouvaient incarner les trois âges de la vie (jeunesse, maturité, vieillesse) mais aussi les souverains des trois continents connus à l’époque, l’Europe, l’Asie et l’Afrique, cela afin de souligner la portée et la domination de la Chrétienté sur le temps et l’espace.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">L’adoration des mages, Albrecht Dürer, 1504.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Adoration_des_mages_(D%C3%BCrer)">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Balthazar prend alors les traits physiques pensés comme caractéristiques de l’homme africain et se voit octroyer certains attributs associés au continent noir, telle une suite de chameaux sur la chaire du Duomo de Sienne par Nicola Pisano (1210 – c.1284). La représentation du troisième roi mage oscille constamment entre présence et mise à l’écart. Dans l’<em>Adoration des mages</em> de Dürer conservée aux Offices de Florence, Balthazar est richement vêtu, mais il porte des vêtements européens. Il appartient à la scène, parfaitement visible au centre du panneau, mais éloigné du Christ. Quel que soit le medium, la construction spatiale et narrative des scènes d’adoration est éloquente, puisqu’elle place le roi mage noir à l’écart de l’intimité créée entre la Sainte Famille et ses deux congénères.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Chez Pisano, Balthazar est escorté par des chameaux. Chaire de la cathédrale de Sienne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.medieval.eu/balthazar-the-black-king/">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La présence d’Africains noirs dans l’art de la Renaissance doit aussi être lue à l’aune de l’esclavage pratiqué dans les cités et seigneuries d’Europe. Isabella d’Este (1474–1539), épouse du duc de Mantoue Francesco Gonzague, avait acheté des <a href="http://imageoftheblack.com/">enfants africains qu’elle employait à son service</a>. Lorsqu’ils sont représentés dans des portraits aux côtés de leurs maîtres ou maîtresses, ces enfants doivent être analysés comme des attributs, des figures exotiques et presque décoratives, prisées mais hiérarchiquement inférieures. Comme le roi Balthazar, ils sont peints en marge des compositions, souvent dans la partie sombre d’un clair-obscur, les ségréguant d’autant plus.</p>
<figure class="align-left ">
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<figcaption>
<span class="caption">Jeanne d’Autriche, par Cristóvão de Morais, 1551.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le contact qui se crée entre eux et l’adulte qui les accompagne, par une main posée sur l’épaule ou, de manière encore plus condescendante, sur la tête, comme dans le portrait de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeanne_d%27Autriche_(1535-1573)">Jeanne d’Autriche</a> par Cristóvão de Morais (1555), témoigne du rapport de domination qui prévaut. Dans un autre portrait, la fille de Charles Quint pose la main sur la tête d’un chien. Le parallèle est troublant. L’enfant noir est représenté selon les mêmes codes que l’animal.</p>
<p>Ces motifs et ces constructions picturales sont donc les outils d’une racialisation qui vaut autant pour les enfants ou les servantes présentes dans les portraits que pour les hommes noirs de certaines scènes religieuses.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/385897/original/file-20210223-20-1pr36my.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/385897/original/file-20210223-20-1pr36my.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=963&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/385897/original/file-20210223-20-1pr36my.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=963&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/385897/original/file-20210223-20-1pr36my.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=963&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/385897/original/file-20210223-20-1pr36my.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1210&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/385897/original/file-20210223-20-1pr36my.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1210&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/385897/original/file-20210223-20-1pr36my.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1210&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Portrait de Jeanne d’Autriche par Alonso Sanchez Coello, 1557.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.wikiwand.com/pt/Joana_de_%C3%81ustria,_Princesa_de_Portugal">Wikiwand</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un portrait étonnant d’un homme d’armes et de ses deux jeunes pages, l’un blanc, l’autre noir, par le peintre vénitien Paris Bordone (1500-1571) doit alors nous arrêter. Si le jeune page noir est à l’écart des deux autres personnages, s’il est rendu presque invisible par les teintes sombre de l’arrière-plan, de nombreux éléments révèlent la place qu’il tient auprès de ce général. Sa simple présence dans le portrait, son habit fastueux, l’absence d’une boucle à son oreille, la dague à sa ceinture, le casque de son maître tenu fièrement, la pause, altière, et enfin le regard adressé directement au spectateur sont des motifs rares pour un enfant noir et peuvent témoigner de son importance auprès du commanditaire du tableau. Une magnifique exception, mais une exception néanmoins.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Paris Bordone, Portrait d’un gentilhomme en armure avec deux pages, entre 1520 et 1572, MET.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Paris_Bordone#/media/File:Paris_bordone_016.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Étudier les représentations des hommes et femmes noir·e·s dans la peinture de la Renaissance permet de lire cette première modernité comme un moment de l’histoire plus divers que l’on pourrait initialement le penser, reconnaissant et illustrant les échanges réciproques entre les continents, des échanges néanmoins marqués par les débuts de la traite et la domination théorique et visuelle des Européens sur les peuples africains.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153522/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabien Lacouture ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’art de la Renaissance, sans échapper à la domination théorique et visuelle des Européens sur les peuples africains, était peut-être plus divers que l’on pourrait initialement le penser.
Fabien Lacouture, Docteur en histoire de l'art et chargé de cours, Université de Lille
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tag:theconversation.com,2011:article/145721
2020-11-17T20:53:08Z
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Et si la peinture aidait les élèves à dépasser la peur de se tromper ?
<p>On pourrait s’attendre à ce que les collégiens et lycéens français, qui ont à leur emploi du temps bien plus d’heures de français que d’arts plastiques ou d’histoire des arts, soient moins à l’aise avec la peinture qu’avec la littérature, très étudiée dès la sixième (et déjà à l’école primaire).</p>
<p>On pourrait notamment s’attendre à ce que, pour une partie d’entre eux, ils soient très démunis voire réticents face la peinture religieuse, dont ils connaissent peu les personnages et les situations qu’elle montre. Et que la peinture abstraite, au sens de celle qui ne représente pas la réalité, les déconcerte.</p>
<p><a href="http://www.theses.fr/fr/2015PA080021">L’une de mes recherches</a>, menée récemment, montre qu’il n’en est rien. Je vais en donner ici quelques-unes des conclusions.</p>
<h2>Une enquête</h2>
<p>Avec l’aide de leur enseignant de français, j’ai confronté 350 élèves de troisième et de seconde de l’académie de Créteil à une reproduction de peinture et à un extrait de texte littéraire. La consigne était d’écrire en autonomie une dizaine de lignes pour commenter chacun des deux objets, ou, a minima, donner quelques-unes de ses impressions.</p>
<p>Les participants étaient autorisés à ne traiter qu’un seul des deux objets, à condition d’expliquer pourquoi. Précisons que chaque élève travaillait, suite à une analyse préalable, sur un des six tableaux et un des six extraits littéraires que j’avais choisis et présentant des difficultés équivalentes pour des élèves de ce niveau.</p>
<p>Que montre la <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/rechercheslmm/2017-v6-rechercheslmm03474/1043747ar/">comparaison</a> des réponses des élèves ? D’abord, il est surprenant de constater que les œuvres picturales sont nettement moins souvent évitées que les œuvres littéraires : 30,5 % des élèves choisissent de ne pas traiter l’œuvre littéraire, alors que c’est le cas de seulement 5,5 % d’entre eux pour l’œuvre picturale.</p>
<p>Plus précisément, 38 % des élèves qui devaient travailler sur un extrait du <em>Malade imaginaire</em> de Molière (1673), pourtant très souvent étudié en classe, choisissent de le laisser de côté. Alors que c’est le cas de 1,5 % des élèves seulement pour <em>La Nativité</em> ou <em>Le Nouveau-Né</em> de Georges de la Tour (vers 1635) et 12 % pour <em>La Crucifixion blanche</em> de Chagall (1938), qui conjugue des références iconographiques issues du christianisme et du judaïsme.</p>
<p>La peinture religieuse n’est donc pas évitée, pas plus que la peinture non figurative : <a href="https://www.photo.rmn.fr/archive/13-534135-2C6NU0DFPAQL.html"><em>Paysage sous la pluie</em></a> de Kandinsky (1913) n’est délaissé que par 8 % des élèves, alors que c’est le cas de 44,5 % pour l’extrait d’<em>Orphée</em> de Cocteau (1927). Les adolescents enquêtés se sentiraient donc plus de goût et plus de compétence pour l’exercice lorsqu’il porte sur la peinture que lorsqu’il porte sur la littérature. C’est encore plus vrai dans des collèges de recrutement très populaire : 47,5 % choisissent de ne pas traiter le texte, pour 1,5 % seulement pour le tableau.</p>
<p>Mais y réussissent-ils effectivement mieux ? Il est difficile de répondre à cette question dans l’absolu, puisqu’il y a de multiples façons de bien recevoir les arts. Mais la recherche portait sur ce qui est attendu à l’école, plus précisément en français, discipline dont les programmes prévoient ce qui est appelé <a href="https://journals.openedition.org/educationdidactique/2468">lecture de l’image</a>, en lien avec la lecture de la littérature (dans les deux cas, il s’agit d’une approche analytique et interprétative de l’objet, que je nomme ici commentaire).</p>
<p>Pour avoir une référence à l’aune de laquelle comparer les commentaires des élèves, j’ai fait une enquête auprès d’un peu plus de 200 enseignants de la discipline. Ils disent très majoritairement que leurs attentes concernant la lecture de la peinture sont adaptées des attentes qu’ils ont en littérature. Il y faut :</p>
<ul>
<li><p>une interprétation, qui doit être personnelle – et pas seulement une description, pour le tableau, ou une reformulation, pour le texte ;</p></li>
<li><p>une prise en compte précise et détaillée des caractéristiques de l’œuvre, notamment des caractéristiques de sa forme (par exemple teintes, texture, lignes pour le tableau ; sonorités, rythmes, composition pour le texte) ;</p></li>
<li><p>les appuis culturels qui permettent de contextualiser l’œuvre et d’étoffer le sens que lui est donné.</p></li>
</ul>
<p>J’ai défini des indicateurs correspondant tous ces critères : mon étude montre que les élèves sont très majoritairement plus proches de ce que les enseignants attendent pour la peinture que pour la littérature. L’écart se creuse encore en faveur de la peinture dans les collèges de recrutement très populaire.</p>
<h2>Un objet plus familier ?</h2>
<p>On pourrait penser que tout s’explique par la différence entre les deux objets. Contrairement au langage littéraire, qui s’appuie sur une langue dont les mots ont un sens qui préexiste à leur usage, le langage pictural peut sembler plus ouvert. Mais les effets de la différence de la nature sémiotique des langages sont complexes et discutés. En tout cas, il faut selon moi chercher du côté des sujets et pas seulement des objets.</p>
<figure class="align-left ">
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<span class="caption">Les adolescents n’hésitent pas à commenter la peinture de Georges de La Tour (1593-1652).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Georges_de_La_Tour_007.jpg">La Madeleine à la Veilleuse, Georges de la Tour -- Musée du Louvre</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On pourrait se contenter de dire que la culture de l’image étant l’apanage des jeunes générations, le tableau leur parle davantage. Mais il ne faut pas oublier que la peinture, qui ne fait pas toujours image, notamment quand elle n’est pas figurative, et qui produit du sens autrement qu’en représentant, exige des savoirs culturels très particuliers (il faut par exemple connaître, pour la peinture classique, les références iconographiques).</p>
<p>Bourdieu et Darbel ont montré en 1966 que la fréquentation des musées d’art est surtout le fait des classes dominantes, les enquêtes sociologiques plus récentes montrent que c’est encore le cas. Donc la peinture est au moins aussi loin de la culture des élèves, notamment de milieu populaire, que la littérature.</p>
<p>L’explication qui dans ma recherche m’est apparue comme la plus probable est la suivante : les élèves n’ont pas du tout le même rapport aux deux objets ; le <a href="https://journals.openedition.org/pratiques/3577">rapport qu’ils ont à la peinture</a> fait qu’ils comprennent, acceptent ou s’autorisent mieux de s’investir pour donner du sens aux œuvres. On peut penser que le fait que la peinture est très peu présente dans les épreuves scolaires, donc dans les évaluations, n’y est pas pour rien : ils ont moins peur de se tromper, ils sont plus confiants, ce qui est nécessaire pour répondre aux attentes des enseignants.</p>
<h2>Autorisation d’interpréter</h2>
<p>Les entretiens que j’ai menés avec une partie des élèves de mon enquête le montrent bien. J’en donne quelques exemples ici. Alors que les enseignants disent attendre une interprétation personnelle, sans la limiter à ce qu’on peut penser correspondre aux intentions de l’auteur, les élèves quant à eux affirment souvent, comme Sarah : « Sur un tableau c’est nous, notre imagination, c’est notre opinion, on est libre, alors qu’un texte, c’est l’opinion de l’auteur ». Ou alors « il faut dire, pense Fatiha, ce que la prof elle attend, sinon c’est faux ».</p>
<figure class="align-left ">
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<figcaption>
<span class="caption">La peinture non figurative pourrait désarçonner les adolescents, il n’en est rien.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Wassily_Kandinsky,_Stille_Harmonie.jpg">Wassily Kandinsky, « Stille Harmonie », via Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>Alors que chaque spectateur peut avoir son point de vue, tous les lecteurs d’un texte devraient, selon beaucoup des élèves, s’en tenir au sens unique des mots. Ainsi, selon Odile : « Le tableau, c’est selon la personne, ce qu’elle ressent, ça dépend de la sensibilité de la personne. Elle va voir les couleurs, les dessins, comment c’est fait… […] Un texte, les mots sont les mêmes, ils veulent dire la même chose pour tout le monde. »</p>
<p>Beaucoup d’élèves m’expliquent que c’est parce que le tableau n’est pas écrit qu’il laisse de la place à l’écriture du spectateur, voire l’incite, contrairement au texte, qui est déjà écrit ». C’est le cas d’Amélie : « sur le tableau il y a rien d’écrit, c’est à nous d’écrire ». Kourosh en veut pour preuve que « dans les textes on a des mots à comprendre alors que sur un tableau c’est nous qui allons écrire ».</p>
<p>Difficile pour ces élèves, compte tenu de cette conception du texte, d’accéder aux attentes de leurs enseignants ! La conclusion que je tire de ma recherche, c’est que l’école pourrait s’appuyer davantage sur la <a href="https://www.cairn.info/revue-recherches-en-didactiques-2015-2-page-9.htm">conception</a> que les adolescents ont de la peinture et de leurs droits de se l’approprier comme d’un levier pour les aider à construire un tel rapport à la littérature et à comprendre ce qui est attendu d’eux. Peut-être que d’autres arts pourraient jouer le même rôle : à d’autres recherches de le dire !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145721/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Sylvie Claude ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les inégalités sociales peuvent se manifester fortement dans les rapports des adolescents avec l’art. Pourtant, ils ne se sentiraient pas forcément intimidés face aux toiles de grands maîtres.
Marie-Sylvie Claude, Maîtresse de conférences en littérature et langue françaises, Université Grenoble Alpes (UGA)
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