tag:theconversation.com,2011:/global/topics/pologne-32416/articlesPologne – The Conversation2023-12-05T17:08:44Ztag:theconversation.com,2011:article/2186642023-12-05T17:08:44Z2023-12-05T17:08:44ZEn Pologne, aux Pays-Bas et ailleurs en Europe : les multiples visages des populismes de droite radicale<p>Les récentes élections législatives en <a href="https://fr.statista.com/statistiques/1418875/resultats-elections-pologne-2023/">Pologne</a> (15 octobre 2023) et <a href="https://fr.euronews.com/2023/11/23/seisme-politique-aux-pays-bas-lextreme-droite-de-geert-wilders-remporte-les-legislatives">aux Pays-Bas</a> (22 novembre 2023) ont témoigné de la vitalité électorale des droites radicales populistes dans les deux pays.</p>
<p>En Pologne, le scrutin d’octobre a démontré la résilience du PiS (Droit et justice), au pouvoir depuis 2015. Malgré une mobilisation sans précédent de l’opposition emmenée par la Coalition civique de Donald Tusk (et qui devrait finir par réussir à former le gouvernement avec ses alliés, malgré la <a href="https://theconversation.com/pologne-malgre-sa-defaite-electorale-la-droite-dure-menace-letat-de-droit-217316">résistance acharnée du pouvoir sortant)</a>, le parti du premier ministre Mateusz Morawiecki est arrivé en première position avec 35,28 % des voix, flanqué de <em>Konfederacja</em>, coalition hétérogène d’anciens membres de l’extrême droite qui a, elle, réuni 7,16 % des suffrages. De leur côté, les Pays-Bas ont vu le PPV (Parti pour la liberté) de Geert Wilders l’emporter avec 23,6 % des suffrages, devenant contre toute attente le premier parti au Parlement avec 37 sièges, soit presque la moitié des sièges nécessaires pour obtenir une majorité (76 sur 150).</p>
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<a href="https://theconversation.com/pays-bas-quels-scenarios-apres-la-victoire-du-leader-populiste-geert-wilders-218549">Pays-Bas : quels scénarios après la victoire du leader populiste Geert Wilders ?</a>
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<p>Ces succès s’inscrivent dans une tendance plus globale au regain des forces de droite radicale populiste dans nombre de pays européens, à l’instar de l’Italie, de la Suède ou de la Finlande, sans oublier naturellement la France. Ces partis ont actuellement le vent en poupe dans de nombreux États membres de l’UE : <a href="https://theconversation.com/autriche-lextreme-droite-bientot-de-retour-au-pouvoir-199626">Autriche</a>, <a href="https://www.rtl.be/actu/magazine/cptljd/apres-la-victoire-de-lextreme-droite-aux-pays-bas-le-vlaams-belang-peut-il/2023-11-26/article/612043">Belgique</a>, <a href="https://fr.euronews.com/2023/11/28/elections-en-2024-la-roumanie-sera-t-elle-le-prochain-pays-de-lue-a-voter-pour-lextreme-dr">Roumanie</a>, <a href="https://balkaninsight.com/2023/06/16/croatian-right-gears-up-early-for-election-eying-power/">Croatie</a>, <a href="https://fr.euronews.com/2023/03/05/legislatives-en-estonie-lextreme-droite-gagnante-selon-les-resultats-provisoires">Estonie</a> ou <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Bulgarie-crise-politique-perdure-lextreme-droite-prorusse-profite-2023-04-04-1201262064">Bulgarie</a>, en particulier. Outre-Rhin, l’AfD réunit actuellement 21 % des intentions de vote, loin devant les sociaux-démocrates du SPD, une percée <a href="https://www.lopinion.fr/international/elections-regionales-en-allemagne-une-poussee-de-lafd-en-hesse-et-en-baviere">confirmée dans les urnes début octobre</a> aux élections régionales en Bavière (14,6 %, +4 points) et en Hesse (18,4 %, +5 points). En <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2006/07/01/en-slovaquie-la-gauche-s-allie-a-l-extreme-droite-et-aux-populistes_790625_3214.html">Slovaquie</a>, les ultranationalistes du Parti national (SNS) se sont imposés comme partenaires de Robert Fico à l’issue des élections de septembre dernier.</p>
<p>Les expériences polonaise et néerlandaise confirment la dynamique actuelle des droites radicales populistes. Elles illustrent également la diversité et la complexité de la scène populiste contemporaine.</p>
<h2>Des trajectoires parallèles</h2>
<p>Le PiS polonais incarne un modèle de parti conservateur qui s’est radicalisé au fil du temps en s’appropriant certains thèmes de l’extrême droite.</p>
<p>Le parti de <a href="https://www.institutmontaigne.org/expressions/portrait-de-jaroslaw-kaczynski-ancien-premier-ministre-polonais-president-du-parti-droit-et-justice">Jaroslaw Kaczynski</a>, créé en 2001, a adopté au départ un populisme de droite teinté de conservatisme social et de nationalisme. Son agenda national-conservateur s’est affirmé avec le temps, à travers des rapprochements successifs avec des mouvements situés plus à droite sur l’échiquier. Le PiS a remporté deux élections consécutives (2015 et 2019) en s’appuyant sur des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/01/31/en-pologne-la-quasi-interdiction-de-l-avortement-est-entree-en-vigueur-sur-fond-de-manifestations_6068302_3210.html">réformes conservatrices</a>, la mise au pas du système judiciaire (<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/05/la-reforme-de-la-justice-de-2019-en-pologne-enfreint-le-droit-de-l-union-europeenne_6176287_3210.html">réforme de 2019</a>) et l’affirmation récurrente qu’il représente un rempart contre les influences étrangères.</p>
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<p>Cet agenda national-conservateur lui a permis d’assurer un temps sa position de parti dominant et de convserver le pouvoir entre 2015 et 2023, ce qui explique sa trajectoire centrifuge marquée par une <a href="https://www.taurillon.org/l-etat-de-droit-en-pologne-une-situation-enlisee">dérive illibérale sur l’État de droit</a>. Cette tendance l’a d’ailleurs amené à entrer en conflit avec les institutions européennes à ce sujet.</p>
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<a href="https://theconversation.com/bras-de-fer-entre-bruxelles-et-varsovie-comprendre-la-strategie-des-autorites-polonaises-169665">Bras de fer entre Bruxelles et Varsovie : comprendre la stratégie des autorités polonaises</a>
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<p>Sur le plan économique, le PiS est volontiers interventionniste, mettant l’accent sur le soutien aux familles, la protection sociale et la promotion des entreprises polonaises (y compris par des mesures protectionnistes). En outre, le PiS a mis en place des programmes de soutien à l’agriculture, offrant des subventions aux agriculteurs et mettant l’accent sur la préservation de l’agriculture familiale traditionnelle.</p>
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<p>Le PVV néerlandais a été fondé en 2006 par Geert Wilders après son départ du Parti populaire pour la démocratie et la liberté (VVD) deux ans plus tôt. Son programme comprend des éléments nationalistes, conservateurs et libéraux, et prône la fermeté en matière d’immigration et de justice.</p>
<p>Une partie de son pouvoir de séduction repose sur un <a href="https://www.la-croix.com/international/Pays-Bas-Geert-Wilders-20-ans-campagne-anti-islam-anti-immigration-2023-11-23-1201291960">discours profondément anti-islam</a> – jusqu’à l’outrance – et une critique acerbe de la classe politique dirigeante. Wilders désigne l’immigration comme la principale menace pour l’État-providence néerlandais, dénonce le « tsunami de l’asile et de l’immigration de masse » et propose d’interdire les écoles islamiques, le Coran (qu’il a comparé à <em>Mein Kampf</em>) et les mosquées pour mettre un terme à ce qu’il considère comme « l’islamisation » du pays.</p>
<p>Le populisme demeure une caractéristique forte du PVV. En 2023, Wilders a largement fait appel au « ras-le-bol » des électeurs néerlandais après <a href="https://theconversation.com/la-chute-du-gouvernement-rutte-aux-pays-bas-illustration-des-forces-et-faiblesses-du-regime-parlementaire-209659">13 ans de gouvernement VVD de Mark Rutte</a>. Sur le plan économique, le PVV a progressivement évolué d’un programme néolibéral vers des positions plus sociales, proches de celles de Marine Le Pen en France.</p>
<p>Contrairement au PiS, le PVV n’a jamais été en mesure d’accéder au pouvoir jusqu’à présent. Les élections de 2023 marquent à cet égard un tournant historique vers sa normalisation. D’abord grâce aux efforts de Wilders pour <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/pays-bas/elections-aux-pays-bas-geert-wilders-de-la-haine-de-lislam-au-discours-modere-pour-gagner-751b0e26-89df-11ee-a1c0-8cef14bedf93">tempérer ses positions les plus radicales</a> et se donner un profil plus fréquentable, mais surtout grâce à la porte entrouverte avant le scrutin par la nouvelle dirigeante du VVD, Dilan Yesilgöz-Zegerius, à une <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/nov/23/netherlands-far-right-geert-wilders-victory-mark-rutte">possible alliance avec le PVV</a>.</p>
<h2>Divergences et convergences</h2>
<p>Si le PVV néerlandais, comme le RN en France, s’efforce d’épouser les grandes évolutions de société sur les questions de mœurs – souvent d’ailleurs pour mieux diaboliser un islam jugé « retrograde » ou « totalitaire » –, d’autres incarnent à l’inverse une réaction conservatrice face aux enjeux d’égalité femmes-hommes ou de promotion des droits LGBT. Viktor Orban en Hongrie et le PiS polonais s’imposent ainsi comme des hérauts de cette contre-révolution culturelle.</p>
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<a href="https://theconversation.com/en-pologne-loffensive-anti-lgbt-illustre-un-incroyable-renversement-de-valeurs-120770">En Pologne, l'offensive anti-LGBT illustre un incroyable renversement de valeurs</a>
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<p>En Italie, Giorgia Meloni a été élue sur le slogan <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3289">« Dieu, famille, patrie »</a> ; en Espagne, Vox fait de la <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/vox-la-tentative-de-lultra-droite-contre-les-droits-des-femmes-en-espagne-30929">lutte contre l’avortement</a> ou le <a href="https://www.euractiv.fr/section/elections/news/espagne-un-candidat-du-parti-vox-compare-le-mariage-homosexuel-a-une-union-entre-une-personne-et-un-animal/">mariage homosexuel</a> un de ses principaux chevaux de bataille.</p>
<p>En dépit de leurs différences, le PVV et le PiS, et au-delà l’ensemble des partis de droite radicale populiste, se rejoignent sur certains traits idéologiques communs : rejet de l’immigration, hostilité envers l’islam, et affirmation de l’identité et de la souveraineté nationales, notamment face à l’Union européenne. Tous ces mouvements partagent également un agenda autoritaire et sécuritaire fondé sur la loi et l’ordre, et la plupart adhèrent à l’idée d’une « préférence nationale » pour assurer l’accès prioritaire aux nationaux à l’emploi et à l’aide sociale.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563917/original/file-20231206-29-czbn14.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Proportion de sièges détenus au Parlement national par le principal parti de droite radicale, au 23 novembre 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.aubedigitale.com/ou-lextreme-droite-a-gagne-du-terrain-en-europe/">Statista</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Un peu partout en Europe, les partis de droite radicale populiste semblent en mesure d’exploiter les insécurités économiques, le pessimisme et les colères sociales, notamment face à l’impact de la guerre en Ukraine. Le gouvernement polonais du PiS a certes joué, dès février 2022, un rôle essentiel pour soutenir l’effort de guerre du pays voisin, tout en accueillant près d’un million et demi de réfugiés ukrainiens. Mais dans les mois précédant les élections du 15 octobre dernier, le PiS s’est progressivement rapproché des positions de <em>Konfederacja</em>, coalition dénonçant les effets du conflit ukrainien sur les populations rurales défavorisées, qui constituent le cœur de l’électorat du PiS. Ainsi, plusieurs prises de position négatives à l’égard de l’Ukraine, contre l’afflux de céréales et pour l’arrêt des livraisons d’armes ont marqué la fin de la campagne des conservateurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comprendre-les-tensions-polono-ukrainiennes-215109">Comprendre les tensions polono-ukrainiennes</a>
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<p>Par contraste, le PVV défend depuis longtemps des relations plus étroites avec Vladimir Poutine, considéré comme un allié dans la lutte contre le terrorisme et l’immigration de masse. Geert Wilders s’était mobilisé lors du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/04/07/le-resultat-du-referendum-aux-pays-bas-nouveau-signe-de-defiance-pour-l-europe_4897522_3210.html">référendum de 2016 aux Pays-Bas</a> pour s’opposer à la ratification de l’Accord d’association entre l’UE et l’Ukraine. Wilders est à la fois très pro-OTAN à domicile mais également contre l’expansion de l’organisation à l’Est et contre la « russophobie hystérique » – il s’est notamment rendu à Moscou en 2018. Lors de sa campagne électorale, il a appelé de ses vœux l’avènement de « l’heure de la <em>realpolitik</em> », la <a href="https://www.kyivpost.com/post/24544">fin de la livraison d’armes et du soutien financier à Kiev</a> et l’ouverture de négociations avec la Russie.</p>
<h2>Les enjeux des élections européennes</h2>
<p>Cette montée en puissance des mouvements de droite radicale populiste pourrait représenter un enjeu majeur des élections européennes de juin 2024.</p>
<p>Ces partis, qui avaient longtemps été les principaux acteurs de l’opposition à l’Union européenne, ont, pour la plupart, opéré depuis quelques années un recentrage stratégique sur la question – souvent du fait de leur accession au pouvoir. En Italie, par exemple, <a href="https://information.tv5monde.com/international/giorgia-meloni-sest-elle-vraiment-convertie-leurope-1413340">Giorgia Meloni</a> s’est éloignée de ses positions les plus radicales sur l’immigration ou l’UE et recherche désormais le compromis avec Ursula von der Leyen et les autorités européennes sur ces sujets. En France, la question européenne a été très largement absente de la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2022, quand bien même cette dernière n’a jamais véritablement abandonné la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/20/election-presidentielle-le-frexit-cache-de-marine-le-pen-est-un-projet-de-rupture-deletere-pour-la-france-et-pour-l-europe_6122908_3232.html">vieille idée d’une « Europe des nations libres et indépendantes »</a>, si chère à son père.</p>
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<p>En Pologne, le PiS s’oppose à Bruxelles depuis plusieurs années à propos de ses réformes judiciaires et de sa décision, en octobre 2021, de décréter certains articles des traités européens <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20211007-trait%C3%A9s-de-l-ue-la-pologne-juge-certains-articles-incompatibles-avec-sa-constitution">incompatibles avec la Constitution nationale</a>, remettant en question le principe même de primauté du droit européen, s’alignant sur ce point avec la Hongrie de Viktor Orban. Aux Pays-Bas, Wilders a longtemps incarné un euroscepticisme « dur » prônant tout simplement une sortie unilatérale de l’Union. Comme beaucoup de ses homologues européens, le leader d’extrême droite a récemment adouci ses positions pour élargir sa base électorale, et propose désormais un <a href="https://www.levif.be/international/europe/le-nexit-de-geert-wilders-et-si-les-pays-bas-quittaient-lunion-europeenne/">référendum sur un éventuel « Nexit »</a>.</p>
<p>Jusqu’à présent, au Parlement européen, ces partis sont demeurés fortement divisés, répartis entre les groupes <a href="https://fr.idgroup.eu/">Identité et Démocratie</a>, celui des <a href="https://www.ecrgroup.eu/">Conservateurs et Réformistes européens</a> et les non-inscrits. Les désaccords entre ID et les CRE tiennent pour beaucoup à leurs positions respectives sur la question de l’attitude à adopter à l’égard de la Russie de Vladimir Poutine et, en filigrane, face à l’OTAN et aux États-Unis.</p>
<h2>Pro ou anti-Poutine ?</h2>
<p>Parmi les admirateurs zélés du président russe, on retrouve beaucoup des mouvements opposés à l’OTAN – RN, FPÖ, FvD néerlandais (qui a obtenu 2,2 % aux dernières législatives), ATAKA et Vazrazhdane en Bulgarie, SPD tchèque ou AUR en Roumanie. Pour les populistes de droite, Poutine a longtemps été vu comme l’incarnation d’un leadership fort, comme un défenseur des valeurs chrétiennes et un gardien de la civilisation européenne face à la « menace » de l’islam. De façon plus prosaïque, l’attitude des extrêmes droites européennes a été indexée, aussi, sur la dépendance au gaz russe dans des pays tels que l’Autriche, la Bulgarie, la Tchéquie ou la Serbie, ou sur l’existence d’intérêts économiques liés aux investissements russes comme en Italie ou en Hongrie. Sans oublier les liens financiers établis avec le maître du Kremlin, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/largent-russe-du-rassemblement-national">à l’image du parti lepéniste en France</a>, ou les liens d’amitié personnelle, comme cela fut le cas pour Silvio Berlusconi en Italie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-dela-des-liens-entre-le-rn-et-la-russie-le-grand-projet-illiberal-europeen-207570">Au-delà des liens entre le RN et la Russie : le grand projet illibéral européen</a>
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<p>La topographie des groupes européens recoupe en partie cette ligne de clivage, opposant des partis plus « mainstream » et souvent plus atlantistes, autour de Giorgia Meloni, de Vox ou des Polonais du PiS chez les Conservateurs réformistes, à un groupe ID devenu au fil du temps le principal lieu de convergence des forces pro-russes autour de Marine Le Pen, Matteo Salvini ou de l’AfD allemande. Le cas de Geert Wilders, pro-OTAN et pro-russe, n’en ressort qu’avec plus d’originalité sur ce point.</p>
<p>Si la perspective d’une vaste alliance d’extrême droite au Parlement européen demeure assez peu probable, les succès à venir laissent toutefois entrevoir un nouveau glissement du centre de gravité de la politique européenne et un pouvoir de nuisance accru de la part de mouvements qui, s’ils poursuivent leur chemin vers la normalisation, n’en demeurent pas moins les principaux vecteurs d’opposition aux valeurs fondatrices de l’UE. </p>
<p>À l’image du PiS polonais, l’exercice du pouvoir par ces partis est marqué par une dérive illibérale, caractérisée par l’opposition à certaines des valeurs et des normes qui assurent l’équilibre politique et institutionnel des démocraties modernes. Une telle dérive participe d’un mouvement plus large et particulièrement préoccupant d’érosion démocratique, à laquelle la Coalition civique, en Pologne, devra répondre avec méthode. Parallèlement, le soutien européen à l’Ukraine risque de se trouver affaibli au Parlement européen aussi bien qu’au niveau des États membres. L’arrivée au pouvoir du PVV ne fait que renforcer une telle dérive.</p>
<p>Enfin, fort d’un éventuel futur statut de premier ministre, Wilders pourrait être tenté d’abandonner Marine Le Pen pour rejoindre Giorgia Meloni et les Conservateurs réformistes à Strasbourg en juin prochain. L’hypothèse d’une alliance de la droite du <a href="https://www.eppgroup.eu/fr">Parti populaire européen</a>, qui regroupe les partis de droite « traditionnels », et d’un groupe CRE renforcé, emmené par Giorgia Meloni et le PiS, laisserait entrevoir un durcissement des politiques migratoires de l’UE et, plus fondamentalement encore, un affaiblissement du <a href="https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/european-green-deal_fr"><em>Green Deal</em> européen</a> par des partis d’extrême droite souvent climato-sceptiques et peu soucieux de transition énergétique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218664/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La droite radicale populiste a le vent en poupe en Europe, mais des divergences sensibles existent entre les partis de cette famille politique hétérogène.Florent Parmentier, Secrétaire général du CEVIPOF. Enseignant à Sciences Po. Chercheur-associé au Centre HEC Paris de Géopolitique, Sciences Po Gilles Ivaldi, Chercheur en science politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2183672023-11-28T17:11:35Z2023-11-28T17:11:35ZLes pays de l’Est européen enregistrent de fortes pertes de compétitivité<p>Pour les multinationales, les pays d’Europe de l’Est deviennent de moins en moins attractifs. En effet, on observe une forte perte de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/competitivite-21451">compétitivité</a> coût dans la plupart de ces pays depuis 2015 par rapport à la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/zone-euro-54680">zone euro</a>. Cette tendance s’observe à la fois dans les pays membres de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/union-europeenne-ue-20281">l’Union européenne</a> (UE) qui ont adopté la monnaie commune et dans ceux qui ont conservé leur monnaie nationale.</p>
<p>Parmi les pays entrés dans l’euro, à part le cas de la <a href="https://theconversation.com/la-croatie-dans-la-zone-euro-laboutissement-de-30-ans-de-redressement-economique-202764">Croatie</a> qui n’a adopté que récemment la devise européenne, la croissance du coût salarial unitaire a été très supérieure à celle observée dans l’ensemble de la zone euro. L’augmentation du coût salarial par unité produite, du 1<sup>er</sup> trimestre 2015 au 2<sup>e</sup> trimestre 2023, a en effet été de 73 % en Lituanie, 59 % en Lettonie, 55 % en Estonie, 38 % en Slovaquie et 34 % en Slovénie.</p>
<p><iframe id="YPqL6" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/YPqL6/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Mais si les règles de fonctionnement de la monnaie unique, qui prive notamment les États de la possibilité de dévaluer leur monnaie pour regagner en compétitivité, ont empêché les pays de l’Est de la zone euro de compenser la hausse des salaires induite par une forte inflation, ceux qui ont gardé une monnaie nationale sont quand même confrontés aussi à une augmentation incontrôlée du coût du travail en euros.</p>
<h2>L’impact du taux de change</h2>
<p>En effet, le coût salarial par unité produite dans les pays hors zone monétaire, converti en euros, a augmenté de 67 % en Bulgarie, de 62 % en République tchèque, de 46 % en Roumanie, de 25 % en Pologne et de 19 % en Hongrie entre le 1<sup>er</sup> trimestre 2015 et le 2<sup>e</sup> trimestre 2023.</p>
<p><iframe id="eAko4" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/eAko4/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Sur cette période, la couronne tchèque s’est appréciée de presque 14 % contre l’euro. Le forint hongrois s’est déprécié de 19,7 %. Le zloty polonais s’est déprécié de 7 %. Le leu de la Roumanie s’est déprécié de 9 %. Quant à la Bulgarie, elle pratique un régime de <em>currency board</em>, ou directoire monétaire, avec un taux de change fixe contre l’euro. Le pays a gardé ce régime même après avoir rejoint le mécanisme européen de taux de change, qui aurait permis une certaine volatilité.</p>
<p>Certes, le taux de change par rapport à l’euro a pu aggraver ou réduire les différences de hausse des coûts salariaux en monnaie nationale, une fois convertis en euros. Toutefois, au bilan, on observe bien une perte de compétitivité de ces économies quand bien même leurs États disposaient du levier de la dévaluation.</p>
<h2>Une menace pour l’industrie allemande</h2>
<p>Comme les coûts salariaux unitaires de la plupart des pays de l’Est de l’UE ont augmenté avec une intensité supérieure à ceux de la zone euro, leur attractivité relative s’est quelque peu réduite pour les investissements étrangers. Aussi, les prix de vente en euros des biens et services produits par ces pays sont amenés à être moins inférieurs qu’avant aux prix de vente de ce qui est produit par la zone euro. Comme cette perte de compétitivité est susceptible de déprimer les exportations et de doper les importations des pays concernés, la balance commerciale de ces pays pourrait se dégrader.</p>
<p>Jusqu’à présent, c’est essentiellement en Roumanie que la balance commerciale des biens (hors énergie) s’est continument détériorée depuis 2015, avec une aggravation du déficit. Mais la situation pourrait vite concerner d’autres pays de la région.</p>
<p>Cette situation pose également problème aux partenaires commerciaux européens de cas pays, et surtout à l’Allemagne. En effet, l’industrie allemande a longtemps sous-traité massivement dans les pays de l’Est de l’UE, à bas salaires, ce qui lui permettait de réduire ses coûts. L’augmentation des coûts salariaux réduit cette aubaine dont l’Allemagne a beaucoup profité. Après la perte de l’approvisionnement en gaz russe à bas prix, une autre menace apparaît pour les fondements de la compétitivité de l’industrie de l’Allemagne. Bien sûr, les salaires des pays de l’Est de l’Union européenne sont encore inférieurs à ceux de l’Ouest, mais ils sont à corriger de la productivité, et les écarts se réduisent.</p>
<p><iframe id="6mE9N" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/6mE9N/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218367/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Dor ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis 2015, les coûts salariaux ont augmenté plus rapidement que dans l’ensemble de la zone euro – que les États aient adopté la monnaie unique ou pas.Eric Dor, Director of Economic Studies, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2173162023-11-14T18:56:10Z2023-11-14T18:56:10ZPologne : malgré sa défaite électorale, la droite dure menace l’État de droit<p>Comme la plupart des commentateurs s’y attendaient, le président polonais Andrzej Duda, membre du parti conservateur PiS (Droit et Justice), pourtant <a href="https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/pologne-fin-de-partie-pour-le-pis-l-opposition-centriste-et-pro-europeenne-remporte-les-legislatives-980164.html">perdant des dernières élections législatives</a>, tenues le 15 octobre dernier, <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20231107-pologne-le-pr%C3%A9sident-charge-le-premier-ministre-de-former-un-gouvernement-sans-majorit%C3%A9">vient de reconduire dans ses fonctions le premier ministre sortant, Mateusz Morawiecki</a>.</p>
<p>L’arithmétique parlementaire indique pourtant que les trois partis d’opposition – la Plateforme civique (KO, menée par l’ancien premier ministre Donald Tusk, centre droit), Troisième voie (centristes) et La Gauche (Lewica) – ont remporté la majorité des sièges à la Diète. Or, même si aucun lien formel ne liait ces partis, ils n’ont cessé d’annoncer leur intention d’évincer le PiS du pouvoir en formant ensemble un gouvernement. Pourtant, Andrzej Duda, précédé et soutenu par son parti, s’en tient à l’idée que son camp est arrivé en première position le 15 octobre.</p>
<p>Il est vrai que le PiS a obtenu 35,4 % des suffrages, alors que KO en a récolté 30,7 %, Troisième Voie 14,4 % et La Gauche 8,6 %. Mais ensemble, ces trois derniers partis rassemblent 248 sièges sur les 460 que compte la Diète, et c’est donc, en toute logique, le leader de sa formation la plus importante, KO, Donald Tusk, qui aurait dû être chargé de former le nouveau gouvernement. Ces derniers jours, les futurs partenaires au gouvernement ont conclu un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/union-europeenne/pologne-l-opposition-pro-europeenne-signe-un-accord-de-coalition-et-se-dit-prete-a-gouverner_6175644.html">accord de coalition</a> qui confirme leur détermination, malgré des <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/10/13/pologne-une-coalition-pour-renverser-le-pis/">dissensions persistantes sur la question de l’avortement</a> (Tusk souhaitant le rendre légal via l’adoption d’une loi, alors que Troisième Voie entend poser la question à la population par un référendum).</p>
<p>Comment expliquer le « coup de force » du PiS, et quelles conséquences pourrait-il avoir ?</p>
<h2>Le PiS veut avant tout gagner du temps</h2>
<p>La décision de Duda, qui ne devrait, sur le plan institutionnel, que retarder la formation du gouvernement Tusk, ne se résume pas à un geste de dépit né d’une déconvenue électorale.</p>
<p>En persistant dans son choix de désigner Morawiecki – malgré <a href="https://www.rp.pl/polityka/art39394141-szymon-holownia-zostal-marszalkiem-sejmu-woda-sodowa-nie-uderzy-do-glowy">l’élection le 13 novembre 2023 du leader de Troisième Voie, Szymon Holownia, à la présidence de la Diète</a>, qui démontre clairement quels sont les rapports de force parlementaires –, Andrzej Duda prépare, au mieux, une cohabitation dure avec le gouvernement Tusk. Au pire, cette décision indique que le PiS s’oriente vers une forme plus ou moins ouverte d’<a href="https://metahodos.fr/2021/05/06/autoritarisme-democratie-et-neutralite-axiologique-chez-juan-linz/">opposition déloyale à la démocratie</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1722198668730847281"}"></div></p>
<p>Contrairement aux régimes autoritaires en bout de course des années 1970 ou 1980 – depuis les dictatures latino-américaines jusqu’aux <a href="https://www-cairn-info.faraway.parisnanterre.fr/revue-le-debat-1999-5-page-118.htm?contenu=resume">« totalitarismes aux dents ébréchées »</a> d’Europe de l’Est – qui se sont libéralisés avec l’appui de forces démocratiques auparavant ostracisées, les nouvelles formes de pouvoir néo-autoritaire qui ont essaimé depuis les années 2000 en Europe ont précisément comme projet de <a href="https://www.cairn.info/revue-red-2021-2-page-164.htm">restreindre l’espace de la démocratie libérale</a>.</p>
<p>Ils ont créé des dispositifs anti-démocratiques en apparence partiels et ponctuels, à l’instar des <a href="https://tvn24.pl/polska/elzbieta-witek-kandydatka-pis-do-prezydium-sejmu-jak-przebiegala-kontrowersyjna-reasumpcja-glosowania-z-2021-roku-7434562">entorses régulières au règlement intérieur de la Diète polonaise par sa propre présidente</a>, mais dont la visée globale est de contourner les normes de l’État de droit pour limiter le risque de devoir transférer le pouvoir à leurs concurrents. Ces stratégies ne sont en rien guidées par la concurrence démocratique, mais par des visées hégémoniques, comme en en a attesté entre autres la <a href="https://www.cairn.info/revue-les-enjeux-de-l-information-et-de-la-communication-2021-22-page-87.htm">transformation des médias publics en « médias nationaux »</a> dévolus à la propagande du PiS.</p>
<p>Mais malgré tous ces efforts, le PiS va selon toute vraisemblance céder les rênes du pays. Si Duda a nommé Morawiecki, alors même qu’il n’existe aucune chance que le Parlement confirme ce dernier, c’est avant tout pour permettre à son camp de gagner du temps et de construire des ressources pour la cure d’opposition qui l’attend.</p>
<p>Dans les ministères, des masses de documents <a href="https://natemat.pl/518711,pis-niszczy-dokumenty-michal-szczerba-z-ko-alarmuje">seraient en cours de destruction</a> pour éviter que ne soient exposés au grand jour les <a href="https://notesfrompoland.com/2023/09/08/senate-commission-finds-polish-governments-use-of-pegasus-spyware-to-be-illegal/">stratagèmes politiques ou les procédures entachées d’illégalité</a> par lesquels le PiS a entravé le fonctionnement ordinaire de la démocratie ou attribué des rémunérations à ses dirigeants via un système de primes ou de nominations de « représentants de l’État » dans les entreprises publiques – en réalité, des emplois fictifs.</p>
<p>Pendant des années, le PiS a enrôlé dans sa sphère d’influence les entreprises publiques grâce aux actifs qu’y détient l’État, mettant en place une sorte de Deep State depuis lequel il lui sera possible de mener une guerre de position contre le nouveau pouvoir, comme en atteste le <a href="https://wyborcza.pl/7,75398,30343560,pis-nie-stworzy-rzadu-ale-sie-upiera-zrodla-wyborczej-chodzi.html">récent placement par Morawiecki de « ses » hommes au sein de l’autorité des marchés financiers</a>. Les titulaires de ces fonctions ne pourront pas tous être remplacés immédiatement et le nouveau gouvernement devra inévitablement composer avec ces nominations politiques.</p>
<h2>Enrayer le rétablissement de l’État de droit</h2>
<p>Cette période d’alternance permet également au PiS de roder ce qui sera probablement son narratif dominant dans la période qui vient, au moins à court terme : il se présente comme le « véritable » vainqueur des élections et feint de conduire des pourparlers avec Troisième Voie – ce qui lui permettra, à la première occasion, de dénoncer le fait que KO ait pris la direction du gouvernement.</p>
<p>Ce discours permet aussi d’actualiser la <a href="https://www.ft.com/content/302984e9-a762-453c-8a97-8c0ad661810d">vindicte que le PiS dirige contre Donald Tusk</a> et de se présenter, comme il l’a fait depuis les années 2000, comme un rempart contre « l’hégémonie des libéraux ». Il faut donc s’attendre à de virulentes campagnes contre Donald Tusk et son gouvernement, comme l’ont encore montré les dénonciations par Jaroslaw Kaczynski, le patron du PiS, d’une <a href="https://wiadomosci.onet.pl/krakow/jaroslaw-kaczynski-grzmi-polska-bedzie-zatruta-terroryzowana-przez-mafie/0mgwsm0">supposée « mafia des déchets » allemande que soutiendrait Tusk</a>.</p>
<p>Ce récit va probablement reposer, sur un autre plan, et dans un renversement de perspective assez improbable, sur la dénonciation du « chaos juridique » résultant du rétablissement de l’État de droit : grâce à son droit de veto, Andrzej Duda pourrait bloquer les tentatives d’abrogation de lois votées par le PiS et qui ont pourtant été jugées anticonstitutionnelles, <a href="https://www.euronews.com/my-europe/2023/06/05/polands-legal-overhaul-violates-the-right-to-have-an-independent-and-impartial-judiciary-e">comme celles visant à rendre la justice dépendante du pouvoir exécutif</a>.</p>
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<p>Le PiS conserve ainsi la capacité d’enrayer les politiques destinées à rétablir l’État de droit dans son intégrité, figeant pour partie le néo-autoritarisme qu’il a installé depuis 2015. La leçon de ces événements pourrait être que la sortie des « démocratures » s’avère plus risquée que de simples alternances et que le fonctionnement de celles-ci peut s’inscrire durablement dans les structures de l’État, laissant le débat public s’enliser dans des polémiques sans fin sur la nature même de la démocratie.</p>
<p>Les scénarios de l’alternance en cours dépendront en partie de la cohésion interne du PiS, et plus encore du <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/europ%C3%A9en-de-la-semaine/20231007-jaroslaw-kaczynski-le-marionnettiste-des-conservateurs-polonais">leadership de Jaroslaw Kaczynski</a>, incontesté depuis 2015 et qui remonte aux années 1990, quand il s’est affirmé comme l’un des principaux artisans des reconstructions successives de la droite polonaise. La défaite électorale pourrait laisser place à des tentatives de refonder la droite polonaise sans ce dernier, malgré le rôle actif qu’il semble vouloir conserver. Mais, plus encore, c’est la cohésion de l’opposition, une fois aux affaires, qui sera décisive.</p>
<h2>Le rôle de l’UE</h2>
<p>La période qui se clôt actuellement a été marquée par un alignement stratégique exceptionnel des partis d’opposition, de la société civile et de la magistrature, entre autres pour défendre l’État de droit. Cette identité de vues sur les normes démocratiques a évité tout phénomène d’<a href="https://journals.openedition.org/sociologie/500">abdication collective</a>, comme l’histoire a pu en connaître face à la montée des autoritarismes au cours du siècle dernier.</p>
<p>Depuis 2015, la capacité de ces acteurs à se réclamer de l’Union européenne et de ses valeurs démocratiques a été un ferment puissant pour faire concorder leurs stratégies. À court terme, l’attitude de l’UE, après la <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/etat-de-droit-chronologie-du-conflit-entre-l-union-europeenne-et-la-pologne/">vague de sanctions qui a frappé la Pologne</a>, sera décisive pour que se tourne la page des huit ans de pouvoir du PiS. <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20231025-%C3%A0-bruxelles-donald-tusk-promet-de-remettre-la-pologne-au-centre-de-l-ue">La récente visite à Bruxelles de Donald Tusk</a>, alors même qu’il n’est pas encore premier ministre, semble augurer d’une volonté conjointe de fluidifier les relations entre la Pologne et l’UE. Le déblocage des aides européennes sera, de fait, crucial pour la crédibilité de Tusk sur la scène politique intérieure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217316/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Zalewski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le parti de droite PiS, au pouvoir depuis 2015, a été vaincu dans les urnes lors des législatives du 15 octobre dernier. Pourtant, il s’accroche au pouvoir.Frédéric Zalewski, Maître de conférences en Science politique, membre de l'Institut des sciences sociales du politiques (ISP, CNRS), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2165612023-10-30T19:07:41Z2023-10-30T19:07:41ZSuisse et Pologne : des enjeux électoraux parfois proches mais des votes contrastés<p>Lors des élections fédérales du 22 octobre, les <a href="https://theconversation.com/topics/suisse-28580">Suisses</a> ont <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/suisse-la-droite-populiste-remporte-les-elections-legislatives-loin-devant-les-socialistes_6139815.html">renforcé</a> une majorité sortante populiste, au détriment des écologistes. L’enjeu phare du scrutin, cette fois, n’a pas été l’environnement, mais l’immigration. Elle avait aussi été l’un des thèmes principaux des législatives <a href="https://theconversation.com/topics/pologne-32416">polonaises</a> qui, une semaine plus tôt, ont donné une large et surprenante <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/18/le-message-le-plus-important-des-elections-legislatives-en-pologne-est-que-la-montee-du-populisme-de-droite-et-anti-europeen-peut-etre-stoppee_6195224_3232.html">avance</a> à la coalition centriste pro-européenne sur le parti conservateur populiste au pouvoir depuis 2015.</p>
<p>La Suisse n’est certes pas la Pologne, plus de quatre fois moins peuplée avec près de 9 millions d’habitants contre près de 38 millions en Pologne. C’est une économie avancée, très attachée à sa neutralité géopolitique, membre de l’Association européenne de libre-échange, mais pas de l’Union européenne qu’elle ne souhaite pas intégrer. La Pologne, elle, considérée comme la plus grande économie émergente de l’Union européenne par le Fonds monétaire international ; est un membre très engagé de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord.</p>
<h2>Composer avec une démographie déclinante</h2>
<p>La Pologne et la Suisse ont cependant des traits communs, à commencer par une démographie déclinante. Leur taux de fécondité est similaire : respectivement 1,46 et 1,50 enfant par femme en 2021 selon les Nations unies. Cela se traduit, en Pologne, par un taux de croissance annuel moyen de la population négatif entre 2011 et 2021 (-0,08 % par an, contre +0,31 % en Europe et +1,12 % dans le monde).</p>
<p>Tandis qu’en Suisse, sur la même période, ce taux a crû de <a href="http://visualdata.cepii.fr/CountryProfiles/fr/?country=Suisse">+0,95 %</a> grâce à un flux constant d’immigration depuis plusieurs décennies, mais qui suscite désormais des <a href="https://www.rts.ch/info/suisse/14156289-une-suisse-a-dix-millions-dhabitants-ca-change-quoi-pour-vous.html">inquiétudes</a>. Selon l’Office fédéral de la statistique suisse, la part des résidents étrangers dans la population totale est passée de 14 % en 1980 à 26 % en 2022. 82 % d’entre eux sont issus d’Europe, d’abord d’Italie et d’Allemagne (14 % dans les deux cas), puis du Portugal (11 %).</p>
<p>De son côté, la Pologne, jadis pays d’émigration qui a alimenté les marchés du travail américain et européen, ne recourt que depuis peu à l’immigration – de façon <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/06/26/en-pologne-une-reforme-de-la-politique-dimmigration-en-cours/">sélective</a> – pour pallier son déclin démographique. Selon Eurostat, elle est devenue le pays de l’Union européenne qui délivre le plus de permis de résidence aux étrangers (Biélorusses, Russes et Turcs en tête) : 970 000 permis en 2021, soit plus d’un tiers du total accordé par l’ensemble des 27. En 2022, le pays a accueilli plus de 1,3 million d’Ukrainiens, en majorité des femmes et des enfants fuyant la guerre déclenchée par la Russie.</p>
<h2>Le pouvoir d’achat, l’autre enjeu majeur</h2>
<p>L’économie polonaise, étroitement liée aux <a href="https://theconversation.com/pologne-le-ralentissement-economique-se-traduira-t-il-dans-les-urnes-215613">chaînes de valeur allemandes</a>, est plus touchée par la récession chez sa grande voisine de l’Ouest (-0,5 % prévue en 2023) que la Confédération helvétique. Il faut dire que l’Europe, et l’Allemagne en particulier, compte moins pour la Suisse que pour la Pologne (graphique 1) : respectivement 46 % et 15 % en 2021 des exportations suisses y sont destinées, contre 83 % et 28 % de celles de la Pologne. Le FMI <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO/weo-database/2023/October/">prévoit</a> une croissance du PIB en 2023 de 0,6 % en Pologne et 0,9 % en Suisse (respectivement 5,1 % et 2,7 % en 2022).</p>
<p><iframe id="OTKIx" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/OTKIx/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Toutefois, l’inflation, qui pèse sur le pouvoir d’achat, a plus augmenté en Suisse d’où elle part, il est vrai, de très bas : elle y a quasiment quintuplé (2,8 % en 2022 contre 0,6 en 2021) tandis qu’elle triplait en Pologne (14,4 % en 2022 contre 5,1 en 2021). À côté de l’immigration, le prix croissant des assurances maladie, toutes privées dans la Confédération helvétique, est ainsi <a href="https://www.bloomberg.com/news/newsletters/2023-10-20/swiss-election-health-care-costs-driving-voters?cmpid=BBD102023_prognosis&utm_medium=email&utm_source=newsletter&utm_term=231020&utm_campaign=prognosis">devenu</a> l’un des principaux thèmes de la dernière campagne électorale.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>La Suisse n’en reste pas moins l’un des pays avancés les plus riches au monde. Son PIB réel par habitant en parité de pouvoir d’achat a certes connu une baisse relative depuis 1960 (il était alors 6,5 fois supérieur à la moyenne mondiale). Il n’en dépasse pas moins, aujourd’hui encore, celui des États-Unis et se situe largement au-dessus de la moyenne européenne (graphique 2).</p>
<p><iframe id="P6vcn" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/P6vcn/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le maintien du haut revenu helvétique tient notamment à la spécialisation très dynamique du pays dans le commerce international (graphique 3). Celle-ci est marquée par un engagement fort dans les produits chimiques et électroniques. La Suisse y dégage des excédents croissants, surtout grâce à ses exportations de <a href="https://theconversation.com/les-produits-de-sante-une-filiere-de-poids-dans-les-echanges-internationaux-214276">produits de santé</a> : de produits pharmaceutiques d’abord, et, en amont, de produits de la chimie organique, ainsi que d’équipements de technologie médicale.</p>
<p><iframe id="hGa0y" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/hGa0y/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Autant d’observations qui attestent que les réalités économiques, en Europe comme ailleurs, ne priment pas toujours dans les choix électoraux.</p>
<hr>
<p><em>Pour approfondir la question de l’insertion internationale de l’économie suisse, voir les pages interactives <a href="http://visualdata.cepii.fr/">Les Profils du CEPII</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216561/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Deniz Unal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré des enjeux démographiques similaires, les récents scrutins suisses et polonais n’ont pas porté au pouvoir des majorités ayant les mêmes points de vue sur l’immigration.Deniz Unal, Économiste, rédactrice en chef du Panorama et coordinatrice des Profils du CEPII - Recherche et expertise sur l'économie mondiale, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2156132023-10-13T09:28:27Z2023-10-13T09:28:27ZPologne : le ralentissement économique se traduira-t-il dans les urnes ?<p>L’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/europe-20648">Europe</a> est au centre des <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/pologne-des-elections-incertaines-cruciales-pour-leurope-tout-entiere-1986884">scrutins du 15 octobre en Pologne</a> : d’une part les élections parlementaires, d’autre part un référendum tactique, organisé le même jour par le gouvernement ultraconservateur PiS et portant sur quatre questions a priori impopulaires dont celui-ci espère le rejet ; ce qui le conforterait aux élections parlementaires. Parmi ces questions, figure celle de l’acceptation ou non du dispositif européen en faveur de l’accueil des migrants.</p>
<p>L’insertion de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/pologne-32416">Pologne</a> dans l’économie européenne constitue aujourd’hui un enjeu important pour ce pays (voir graphiques 1 et 2), qui pourrait peser sur le résultat des urnes : 83 % de ses exportations y sont destinées et 68 % de ses importations en proviennent (respectivement 28 et 24 % avec le seul partenaire allemand). Amorcée à partir de l’entrée en vigueur de l’accord d’association signé en 1992, cette insertion s’est approfondie après l’adhésion, en 2004, de la Pologne à l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/union-europeenne-ue-20281">Union européenne</a> (UE).</p>
<p><iframe id="NBrZV" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/NBrZV/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="KTX3L" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/KTX3L/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le degré d’ouverture de l’économie polonaise, mesuré par la moyenne de ses exportations et de ses importations en pourcentage du PIB, se situait à 20 % au début des années 1990 ; il frôle désormais les 60 % (graphique 3), dépassant la moyenne européenne (49 %). Ses principaux excédents se concentrent sur les services de transport, les meubles, les services juridiques et de comptabilité et les pièces de véhicules <a href="https://theconversation.com/fr/topics/automobile-20801">automobiles</a>. Son insertion dans les réseaux européens est étroitement liée à sa division de travail avec l’Allemagne dans les filières des véhicules, du matériel électrique et de l’électronique.</p>
<p><iframe id="PWEgQ" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/PWEgQ/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Depuis l’intégration à l’Europe, le revenu des Polonais a significativement augmenté : le PIB par tête réel du pays en parités de pouvoir d’achat s’élevait à moins de 40 % de la moyenne européenne en 2004 ; il atteint désormais 80 % de celle-ci.</p>
<p><iframe id="uX6Du" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/uX6Du/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Mais les temps sont durs pour l’économie polonaise aussi. Les difficultés actuelles du « moteur allemand » semblent l’affecter de plein fouet. Le ralentissement économique se traduira-t-il dans les urnes ? Réponse ce dimanche.</p>
<hr>
<p><em>Pour approfondir la question de l’insertion internationale de l’économie polonaise, voir les pages interactives <a href="http://visualdata.cepii.fr/">Les Profils du CEPII</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215613/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Deniz Unal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le pays d'Europe de l'Est, qui s'est fortement inséré dans les échanges européens depuis trente ans, subit aujourd'hui les difficultés de son partenaire allemand.Deniz Unal, Économiste, rédactrice en chef du Panorama et coordinatrice des Profils du CEPII - Recherche et expertise sur l'économie mondiale, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2151092023-10-12T17:30:10Z2023-10-12T17:30:10ZComprendre les tensions polono-ukrainiennes<p>Alors que Varsovie apparaissait depuis un an et demi comme <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/guerre-en-ukraine-la-pologne-meilleur-allie-de-zelensky-face-a-poutine-JQY6LOV53REMNAA3GVTJRLBDZM/">l’un des soutiens les plus déterminés de l’Ukraine face à l’attaque russe</a>, le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a annoncé le 20 septembre 2023 que <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/21/guerre-en-ukraine-varsovie-arrete-ses-livraisons-d-armes-a-kiev_6190267_3210.html">son pays ne livrerait plus de nouveaux armements à Kiev</a>.</p>
<p>Comment interpréter cette décision, à première vue surprenante, qui est intervenue dans un contexte de crise diplomatique entre les deux pays au sujet de l’exportation des produits agricoles ukrainiens, et surtout moins d’un mois avant les élections législatives polonaises du 15 octobre ?</p>
<h2>Les grains de la discorde</h2>
<p>En mai 2022, trois mois après le lancement de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_22_2671">l’UE levait ses droits de douane sur les produits agricoles ukrainiens</a> et organisait des <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/corridors-de-solidarite-la-commission-europeenne-lance-une-plateforme-de-rapprochement-des-2022-06-03_fr">« corridors de solidarité »</a> pour permettre leur exportation, devenue impossible via les ports de la mer Noire du fait du blocage mis en place par la Russie.</p>
<p>Mais l’afflux de céréales ukrainiennes, couplé aux difficultés logistiques d’expédition depuis les pays de transit, a formé des goulots d’étranglement provoquant une baisse des prix des céréales vendues par ces pays, ce dont pâtissent les agriculteurs locaux.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552904/original/file-20231010-27-8vsaxi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les corridors de solidarité tels que présentés par l’UE.</span>
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<p>Dès le début 2023, les agriculteurs polonais ont <a href="https://www.courrierinternational.com/article/politique-en-pologne-les-agriculteurs-arrachent-un-accord-pour-limiter-l-afflux-de-cereales-ukrainiennes">protesté contre l’arrivée des céréales ukrainiennes</a>, aux prix plus compétitifs car non soumises aux normes européennes. Les manifestations organisées en Pologne et devant le siège de la Commission européenne à Bruxelles, les grèves, les défilés de tracteurs et blocages des points de passage à la frontière polono-ukrainienne ont entraîné la <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20230405-d%C3%A9mission-du-ministre-polonais-de-l-agriculture-sur-fond-de-l-affaire-du-bl%C3%A9-ukrainien">démission du ministre de l’Agriculture et du Développement rural polonais Henryk Kowalczyk</a> en avril 2023.</p>
<p><em>[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</em></p>
<p>Face aux difficultés rencontrées par les agriculteurs des pays de transit, la Commission européenne a introduit en mai une interdiction de commercialisation du blé, maïs, colza et tournesol ukrainiens en Bulgarie, Hongrie, Pologne, Roumanie et Slovaquie. Cependant, alors que cette suspension devait prendre fin le 15 septembre, la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/cereales-ukrainiennes-nouveau-bras-de-fer-entre-bruxelles-et-leurope-centrale-1978752">ont pris la décision unilatérale d’outrepasser les règles européennes et de la prolonger</a>.</p>
<p>L’Ukraine a réagi en <a href="https://www.wto.org/french/news_f/news23_f/ds619_620_621rfc_21sep23_f.htm">déposant une plainte contre les trois pays auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)</a>, au motif que ces interdictions contreviennent aux dispositions de <a href="https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/06-gatt_f.htm">l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce</a> de 1994 et de <a href="https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/14-ag_01_f.htm">l’Accord de l’OMC sur l’agriculture</a> de 1995.</p>
<h2>La fin des livraisons</h2>
<p>La difficile entente agraire entre la Pologne et l’Ukraine s’est transformée au cours de l’été en <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/les-relations-entre-la-pologne-et-l-ukraine-volent-en-eclats-varsovie-cesse-de-fournir-des-armes-a-kiev-976971.html">crise diplomatique</a>. Les déclarations des dirigeants des deux pays ont provoqué une montée des tensions, trahissant par là même des relations empreintes d’émotions.</p>
<p>Le point culminant de ces tensions fut l’annonce par Mateusz Morawiecki de la suspension des livraisons de nouveaux armements à l’Ukraine le 20 septembre, au motif que la Pologne souhaite désormais se concentrer sur la modernisation de ses propres capacités de défense.</p>
<p>Cette décision faisait à la fois suite à la plainte déposée par l’Ukraine auprès de l’OMC le 18 septembre, et au discours de Volodymyr Zelensky devant l’Assemblée générale des Nations unies à propos de la crise céréalière. Il déclara alors que « certains pays feignent la solidarité » et « soutiennent indirectement la Russie ». La Pologne n’a pas été nommément citée ; mais le ministère polonais des Affaires étrangères a <a href="https://www.sudouest.fr/international/europe/ukraine/guerre-en-ukraine-la-pologne-proteste-contre-les-propos-de-zelensky-a-l-onu-16725469.php">immédiatement convoqué l’ambassadeur ukrainien</a> et fait savoir que « cette thèse est fausse et, de plus, particulièrement injuste en ce qui concerne notre pays, qui soutient l’Ukraine depuis les premiers jours de la guerre ».</p>
<p>Cet été, les tensions se sont exacerbées. En juillet, la décision de la Russie de <a href="https://press.un.org/fr/2023/cs15358.doc.htm">ne pas prolonger l’accord céréalier en mer Noire</a> a accru la pression sur les voies de transport fluviales et terrestres. Dans ce contexte, Marcin Przydacz, le conseiller à la politique internationale du président polonais, a évoqué la possibilité pour la Pologne de prolonger l’interdiction de commercialiser les céréales ukrainiennes sur le sol national en dépit des règles communautaires :</p>
<blockquote>
<p>« Aujourd’hui, le plus important est de défendre les intérêts des agriculteurs polonais. […] En ce qui concerne l’Ukraine, elle a reçu un très grand soutien de la part de la Pologne. Je pense qu’il serait bon que l’Ukraine commence à apprécier le rôle que la Pologne a joué pour l’Ukraine ces derniers mois et ces dernières années. »</p>
</blockquote>
<p>L’ambassadeur polonais en Ukraine fut convoqué dès le lendemain, le 1<sup>er</sup> août, jour de commémoration en Pologne de l’insurrection de Varsovie. Cette maladresse diplomatique a été mal reçue par les dirigeants polonais. Morawiecki a notamment souligné qu’il s’agissait d’une erreur, d’autant que l’ambassadeur polonais avait été le seul à rester à Kiev le jour de l’invasion russe. Face à cette escalade, Volodymyr Zelensky a réagi le jour même : « Nous ne laisserons aucune affaire politique gâcher les relations entre les peuples polonais et ukrainien, et les émotions doivent absolument s’apaiser. »</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/73aqE4bhLRM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les deux pays se sont mutuellement accusés de se laisser emporter par les émotions. Par exemple, à la suite de la convocation de l’ambassadeur ukrainien à Varsovie en septembre, le porte-parole du ministère ukrainien des Affaires étrangères Oleg Nikolenko a appelé « nos amis polonais à mettre leurs émotions de côté ». De son côté, le ministre polonais de l’Agriculture et du Développement rural Robert Telus a indiqué, parlant de la plainte déposée par Kiev auprès de l’OMC, que « cette rancœur n’est pas nécessaire. Il faut calmer les émotions ».</p>
<p>Cependant, dans le contexte polono-ukrainien, ces réactions émotionnelles illustrent la fragilité des relations entre les deux pays – des relations sur lesquelles continue de planer l’ombre de dissensions plus anciennes.</p>
<h2>L’ombre des contentieux historiques</h2>
<p>Parties de la <a href="https://theconversation.com/quand-la-russie-la-prusse-et-lautriche-se-partageaient-la-pologne-197779">République des Deux Nations (1569-1795)</a> dominée par le royaume de Pologne, puis États voisins à partir de 1918, l’Ukraine et la Pologne partagent une histoire commune douloureuse. Depuis la chute de l’URSS et l’indépendance ukrainienne au début des années 1990, les deux pays n’ont pas su mener une véritable politique de réconciliation.</p>
<p>La décennie 2010 a vu les tensions s’exacerber en raison de politiques historiques antagonistes. Côté ukrainien, avec la réhabilitation de figures comme <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/01/08/guerre-en-ukraine-le-mythe-bandera-et-la-realite-d-un-collaborateur-des-nazis_6157084_4355770.html">Stepan Bandera</a> et <a href="https://fr.timesofisrael.com/ukraine-un-stade-renomme-en-lhonneur-dun-collaborationniste-nazi/">Roman Choukhevytch</a>, chefs de file de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN-B) et de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) pendant la Seconde Guerre mondiale ; côté polonais, avec la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/varsovie-qualifie-de-genocide-le-massacre-de-polonais-par-les-ukrainiens-entre-1943-45-22-07-2016-2056277_24.php">reconnaissance du terme de « génocide »</a> pour qualifier les <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20230522-le-massacre-de-volhynie-en-1943-le-sujet-qui-divise-la-pologne-et-l-ukraine">massacres de milliers de civils polonais de Volhynie et de Galicie orientale en 1943</a> par ces mêmes groupes de nationalistes ukrainiens, et la commémoration des victimes particulièrement mise en avant par le parti nationaliste Droit et Justice (PiS) au pouvoir.</p>
<p>La défense de chacune de ces conceptions de l’histoire a entraîné le blocage des travaux d’exhumation des victimes des massacres de Volhynie par les associations polonaises en Ukraine. Et la Pologne a criminalisé la négation « des massacres commis par les nationalistes ukrainiens et les membres de formations ukrainiennes collaboratrices du Troisième Reich » en 2018.</p>
<p>La guerre semblait avoir rapproché les deux pays sur le plan mémoriel. L’un des moments les plus symboliques fut la commémoration conjointe par les présidents Andrzej Duda et Volodymyr Zelensky des 80 ans des massacres de Volhynie, le 9 juillet 2023.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1678001829613805569"}"></div></p>
<p>Cependant, la fébrilité des réactions des dirigeants polonais et ukrainiens lorsque les intérêts de leurs pays respectifs divergent interroge sur la solidité de l’alliance polono-ukrainienne.</p>
<h2>Des intérêts bien compris</h2>
<p>Nous l’avons dit : dès le début de la guerre, la Pologne a été, malgré ces dissensions, l’un des premiers soutiens de l’Ukraine sur les plans diplomatique, humanitaire, financier et militaire. Au cours des trois premiers mois, <a href="https://theconversation.com/3-5-millions-de-refugies-ukrainiens-sur-son-sol-comment-la-pologne-absorbe-t-elle-le-choc-184588">3,5 millions d’Ukrainiens</a> sont passés par la frontière polono-ukrainienne. Un an et demi après le début du conflit, 1,2 million de réfugiés vivent toujours en Pologne, qui a récemment prolongé leur droit de séjour et continue de leur garantir un accès aux prestations sociales équivalent à celui de ses propres citoyens.</p>
<p>Sur le plan géopolitique, l’attaque de l’Ukraine par la Russie a révélé les liens stratégiques qui lient la Pologne et l’Ukraine depuis le début des années 1990. Libérée des obligations du Pacte de Varsovie, la Pologne a alors fondé sa politique extérieure sur la <a href="https://www.taurillon.org/Les-politiques-de-voisinage-la-doctrine-ULB-dans-la-politique,04724">doctrine ULB</a> (Ukraine, Lituanie, Biélorussie), développée dans la revue parisienne <em>Kultura</em> par les intellectuels exilés Jerzy Giedroyc et Juliusz Mieroszewski dans les années 1970. Cette doctrine ULB entendait soutenir les mouvements indépendantistes baltes, biélorusses et ukrainiens afin d’obliger la Russie (mais aussi… la Pologne elle-même) à abandonner toute prétention territoriale sur cet espace autrefois parties de leurs empire et royaume. Ainsi, le 2 décembre 1991, la Pologne fut le premier État à reconnaître l’indépendance de l’Ukraine.</p>
<p>Au fil du temps, la pensée de Giedroyc et Mieroszewski a été transformée par les politiques des gouvernements successifs. Il s’agit désormais pour la Pologne de créer une zone tampon entre son territoire et celui de la Russie. En se faisant l’avocate de l’Ukraine au sein des institutions atlantiques et européennes, en soutenant les mouvements pro-européens comme la Révolution orange (2004-2005) et l’Euromaïdan (2013-2014), et en associant l’Ukraine à une série de forums régionaux, la Pologne espérait rattacher sa voisine à l’ensemble occidental et s’assurer définitivement de son alliance. Il est communément admis en Pologne que la sécurité du pays passe par l’indépendance de l’Ukraine, et le vaste soutien apporté par Varsovie à Kiev en février 2022 peut être lu à partir de cette analyse.</p>
<h2>L’enjeu des législatives polonaises</h2>
<p>Le 15 octobre 2023 se tiendront les élections législatives polonaises, ce qui n’a pas échappé au premier ministre ukrainien Denys Chmygal, qui a accusé le PiS d’instrumentaliser la question des céréales pour des raisons électorales. En effet, en défendant les agriculteurs polonais, le PiS pourrait espérer reprendre quelques voix au parti agrarien <em>Polskie Stronnictwo Ludowe</em> (PSL). Surtout, son intransigeance à l’égard de l’Ukraine affichée ces derniers mois avait peut-être pour objectif de s’attirer une partie de l’électorat du <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/08/30/les-guerres-de-lextreme-droite-polonaise/">parti Confédération (<em>Konfederacja</em>)</a>, qui dénonce l’« ukrainisation » du pays provoquée par l’arrivée massive de réfugiés, venus s’ajouter aux nombreux travailleurs ukrainiens déjà présents en Pologne avant la guerre. Le parti est annoncé troisième dans les sondages.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552916/original/file-20231010-23-q7wqyq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur la pancarte : « Pas notre guerre : www. Stop à l’ukrainisation de la Pologne.pl », Marche de l’indépendance, Varsovie, 11 novembre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Léa Xailly</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le 3 octobre, l’Ukraine et la Pologne ont <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/cereales-la-pologne-et-lukraine-parviennent-a-sentendre-1984006">trouvé un premier accord</a> : le contrôle des céréales ukrainiennes qui transitent par la Lituanie sera désormais effectué sur le sol lituanien et non plus à la frontière polono-ukrainienne. Si la crise diplomatique semble se résorber petit à petit, il n’en demeure pas moins que l’avenir des relations polono-ukrainiennes dépendra des résultats des élections législatives du 15 octobre et, notamment, du score qu’obtiendra Confédération…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215109/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Léa Xailly a reçu des financements de l'Agence nationale polonaise pour les échanges universitaires (NAWA), dans le cadre du programme d'échanges académiques et scientifiques de coopération franco-polonaise (10/2021-05/2022 ; 09/2022-01/2023)
</span></em></p>La Pologne ne livrera pas d’armes supplémentaires à l’Ukraine. Une décision qui s’inscrit dans un contexte marqué par la crise agricole entre les deux pays et l’imminence des législatives polonaises.Léa Xailly, Doctorante en science politique et relations internationales, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1977792023-03-09T18:41:40Z2023-03-09T18:41:40ZQuand la Russie, la Prusse et l’Autriche se partageaient la Pologne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/513741/original/file-20230306-1140-6lxb1b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C1%2C1274%2C846&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Allégorie du premier partage de la Pologne, montrant Catherine la Grande de Russie (à gauche), Joseph II d’Autriche et Frédéric le Grand de Prusse (à droite) se querellant au sujet de leurs prises de territoire. Ce premier partage sera suivi de deux autres, en 1793 et 1795.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Noël Le Mire, 1791</span></span></figcaption></figure><p>Au moment où, dans le contexte de la guerre en Ukraine, les <a href="https://journals.openedition.org/monderusse/13658">querelles mémorielles</a> opposant de longue date Varsovie à Moscou sont exacerbées, il est utile de revenir sur un événement ancien, mais encore très vivace dans la mémoire collective polonaise : le troisième partage de la Pologne, intervenu le 24 octobre 1795.</p>
<p>Ce jour-là, la République des Deux Nations, qui réunissait, depuis le <a href="https://www.herodote.net/1er_juillet_1569-evenement-15690701.php">traité de Lublin de 1569</a>, le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie, est rayée de la carte. Ce n’est qu’à l’issue de la Première Guerre mondiale que les deux entités – Pologne et Lituanie – recouvreront, mais séparément, leur indépendance.</p>
<h2>Un espace tampon multiculturel assujetti à sa noblesse</h2>
<p>Au milieu du XVIII<sup>e</sup> siècle, la fragilité et l’éventuelle disparition de la République des Deux Nations inquiètent les grandes cours européennes. À son apogée, son territoire couvre près d’un million de kilomètres carrés, surtout composé de vastes plaines et d’épaisses forêts. Il s’agit d’un espace tampon sans véritables frontières naturelles, situé entre trois puissances avides d’expansion : l’Autriche, la Prusse et la Russie.</p>
<p>Sa population, estimée à plus de 11 millions d’habitants, est disparate tant ethniquement que linguistiquement et religieusement : Polonais, Lituaniens, Ukrainiens, Biélorusses, Tatars, Juifs ; mais il faut encore compter une multiplicité de communautés grecques, arméniennes et germaniques. L’essentiel de la population est rurale et vit des activités agraires ; à l’exception de Varsovie, Cracovie et Lviv, les grands ensembles urbains sont rares.</p>
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<img alt="Tableau montrant Varsovie au XVIIIᵉ siècle" src="https://images.theconversation.com/files/509495/original/file-20230210-22-idjij2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1200%2C790&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/509495/original/file-20230210-22-idjij2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/509495/original/file-20230210-22-idjij2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/509495/original/file-20230210-22-idjij2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/509495/original/file-20230210-22-idjij2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/509495/original/file-20230210-22-idjij2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/509495/original/file-20230210-22-idjij2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Bernardo Bellotto, « Vue de Varsovie depuis la porte de Cracovie », vers 1778.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bellotto_Cracow_Suburb_as_seen_from_the_Cracow_Gate.jpg">Bernardo Bellotto</a></span>
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<p>La Pologne-Lituanie est fondamentalement aristocratique avec une soumission à la <a href="https://fr-academic.com/dic.nsf/frwiki/1592895"><em>szlachta</em></a>, la toute-puissante noblesse polonaise. Cette aristocratie capte toutes les richesses, les honneurs et les pouvoirs politiques en se référant à une <a href="http://www.normalesup.org/%7Edthiriet/Hors/sarmatisme.html">idéologie sarmatique</a> : la <em>szlachta</em> serait issue du <a href="https://www.rtbf.be/article/qui-etaient-les-sarmates-ce-peuple-au-centre-du-nouvel-album-des-aventures-dasterix-10858408">peuple guerrier scythique des Sarmates</a>, invaincu par l’Empire romain.</p>
<p>Cette idéologie nourrit un esprit belliciste défenseur de la gloire de vaillants ancêtres mythifiés. Elle se traduit par une arrogance à l’endroit des étrangers et de mépris à l’égard des paysans et généralement de tous ceux vivant de leur travail.</p>
<h2>Une multiplicité de fragilités et de blocages</h2>
<p>Au plan économique, les activités sont fortement freinées par un servage enraciné et par l’insuffisance chronique d’investissements dans les infrastructures. Tandis que les voisins autrichien, prussien et russe se sont dotés d’États puissants capables de moderniser leurs économies, les dirigeants polonais n’ont pas su accroître la productivité agricole et favoriser le développement du commerce et des manufactures. Les terres sont la propriété de la Couronne (pour 15 %) et des magnats – la haute noblesse – (pour 85 %) ; mais la moitié de la <em>szlachta</em> reste non possédante.</p>
<p>En Pologne-Lituanie, le sort des paysans semble s’être détérioré dans la première moitié du XVIII<sup>e</sup> siècle, principalement à cause de l’alourdissement des corvées. L’économie du pays est largement non monétaire, avec de puissants comportements autarciques et des pratiques de dons. Les serfs ne consomment qu’une faible part de leur production tandis que les magnats profitent de leurs richesses lors de fêtes organisées pour s’attacher leurs importantes cours et confient des charges aux nobles pauvres pour assurer leurs trains de vie respectifs.</p>
<p>En matière juridique, la Pologne-Lituanie demeure entravée par une forte pluralité de coutumes auxquelles s’ajoutent les statuts royaux et les lois votées par la <a href="https://www.chartes.psl.eu/fr/positions-these/journaux-diete-convocation-polonaise-1764">Diète</a>. En dépit de plusieurs tentatives de codification, la république ne parvient pas à uniformiser son droit civil et pénal. Il en résulte un ordre social profondément inégalitaire au bénéfice de la noblesse et surtout des magnats. La seconde moitié du XVIII<sup>e</sup> siècle est cependant marquée par quelques progrès notables : les seigneurs perdent le droit de vie et de mort sur leurs serfs (1767) ; la torture et les procès en sorcellerie sont interdits (1776).</p>
<p>Politiquement, son régime hybride, mêlant républicanisme nobiliaire et monarchie élective, est source d’importants blocages et dysfonctionnements. Les citoyens aristocrates contribuent aux affaires publiques via des assemblées de districts en charge des affaires locales et de l’élection des nonces, députés à l’assemblée supérieure du royaume – la Diète – convoquée tous les deux ans. Cette institution centrale de la république, qui réunit le roi et les deux Chambres (le Sénat et la Chambre des nonces), vote les lois, les impôts, déclare la guerre, signe les traités et désigne le roi. </p>
<p>Ce dernier partage son pouvoir avec le reste de la Diète mais il remplit des fonctions particulières : il propose et sanctionne la loi, dirige l’armée et la diplomatie, nomme aux emplois publics et convoque les assemblées. Le monarque s’entoure de ministres qu’il nomme à vie (maréchaux, généraux, trésoriers et chanceliers) et qui tempèrent son autorité, voire constituent de véritables contre-pouvoirs. Le roi doit encore composer avec le Sénat, réunissant les évêques et des administrateurs provinciaux (palatins et castellans) en charge de le conseiller et de le contrôler.</p>
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<p>Toutefois, la <em>szlachta</em> n’a eu de cesse d’élargir ses privilèges et ses capacités d’action sur les affaires publiques notamment dans l’exercice du pouvoir législatif grâce au <a href="https://www.herodote.net/Du_liberum_veto_a_la_paralysie_administrative-synthese-2528-130.php"><em>liberum veto</em></a>. Ce dispositif repose sur la recherche de l’unanimité dans les votes de la Diète et sur le principe d’une véritable égalité des droits politiques de tous les nobles. Il permet à un seul député de repousser un projet de loi, voire d’obliger toute l’assemblée à se séparer en annulant toutes les décisions de la session. Naturellement, les usages répétés du <em>liberum veto</em> paralysent le travail parlementaire et, par suite, le fonctionnement des institutions. Ce système politique de démocratie nobiliaire a <em>de facto</em> dégénéré en une oligarchie de quelques grandes familles de magnats : les Czartoryski, les Potocki, les Radziwill, les Branacki, les Poniatowski, etc.</p>
<p>Du point de vue militaire, la Pologne-Lituanie souffre également de handicaps structurels : son armée régulière n’est que de 10 000 hommes. Une levée en masse des nobles est possible mais pourrait être bloquée par l’usage du <em>liberum veto</em>. L’armée polonaise n’est ainsi guère en situation de rivaliser avec les importantes armées de ses puissants voisins. Les observateurs et voyageurs contemporains insistent généralement sur le retard et l’immobilisme de la république dans la plupart des domaines.</p>
<h2>Des efforts de réforme qui ne parviendront pas à empêcher le démantèlement du pays</h2>
<p>Le 6 septembre 1764, la Diète élit <a href="https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/producteur/consultationProducteur.action?notProdId=FRAN_NP_051951">Stanislas II Auguste Poniatowski</a> (1732-1798) roi de Pologne et grand-duc de Lituanie grâce aux manœuvres de son ancienne maîtresse l’impératrice de Russie Catherine II (1729-1796). Dès lors considéré comme une créature au service de la tsarine, sa légitimité est d’emblée fragilisée. Il est pourtant loin de n’être qu’un agent servile de la Russie. Ce prince éclairé souhaite poursuivre la politique réformatrice des <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/les-czartoryski/">Czartoryski</a> pour renforcer l’efficacité de l’État polonais en substituant une véritable monarchie au régime en place, générateur d’anarchie dans cette république aristocratique.</p>
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<img alt="Stanislas II devient roi de Pologne" src="https://images.theconversation.com/files/509501/original/file-20230210-19-rcvo7i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/509501/original/file-20230210-19-rcvo7i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/509501/original/file-20230210-19-rcvo7i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/509501/original/file-20230210-19-rcvo7i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/509501/original/file-20230210-19-rcvo7i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/509501/original/file-20230210-19-rcvo7i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/509501/original/file-20230210-19-rcvo7i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Élection de Stanisław August Poniatowski en 1764 ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Election_of_Stanis%C5%82aw_August_Poniatowski_in_1764_(detail).PNG">Bernardo Bellotto</a></span>
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<p>La Pologne est l’un des rares États européens à pratiquer une véritable tolérance religieuse sans toutefois aller jusqu’à une égalité juridique des diverses confessions. Les nobles « dissidents » (protestants et orthodoxes) réclament les mêmes droits que les catholiques. Cette revendication sert les intérêts des Prussiens (protestants) et des Russes (orthodoxes) qui les soutiennent. Les nobles catholiques refusent cette égalité de droit qui, par l’usage de <em>liberum veto</em>, les rendrait dépendants des dissidents et donc de la Russie et de la Prusse.</p>
<p>En 1767, Nicolas Repnine (1734-1801), ambassadeur de Russie à Varsovie, manœuvre auprès de la Diète pour structurer le conflit, qui est loin de n’être que religieux, en créant des confédérations. La confédération est un dispositif politique légal dont la vocation est de créer une union nobiliaire destinée à défendre la république d’un péril intérieur ou extérieur. Repnine encourage la formation de trois confédérations : à Słuck pour les orthodoxes ; à Toruń avec les protestants ; à Radom pour des catholiques conservateurs hostiles aux réformes de Stanislas II. </p>
<p>Ces créations aboutissent à une <a href="https://www.beskid.com/decad.html">Diète extraordinaire en 1767-1768</a> : l’égalité des droits est accordée aux non-catholiques et Catherine II est reconnue comme protectrice des « libertés polonaises ». Le 24 février 1768, un <a href="https://books.google.fr/books?id=4-d63qIG-7wC">traité d’amitié et de garantie perpétuelle</a> est signé entre la Russie et la Pologne. La tsarine s’engage à garantir les institutions politiques et le territoire polonais : la République des Deux Nations tout entière sombre alors dans la dépendance de la Russie.</p>
<p>Par réaction à cette tutelle de fait, une nouvelle confédération se forme à Bar (29 février 1768) pour défendre la patrie et la foi catholique. <a href="https://www.herodote.net/almanach-ID-393.php">La confédération de Bar</a> est soutenue par la France et l’Empire ottoman. Ce dernier déclare la guerre à la Russie (6 octobre 1768) à la suite d’un massacre perpétré par des pro-russes sur son territoire. L’insurrection polonaise tourne simultanément à la guerre civile et interétatique.</p>
<p>La situation, en contenant l’expansion russe, sert les intérêts autrichiens et prussiens. Cependant, les revers militaires se multiplient tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Lorsque la confédération est finalement vaincue, les troubles qu’elle a provoqués servent de prétexte à un <a href="https://www.contrepoints.org/2022/08/05/436374-la-liberte-doree-et-le-premier-partage-de-la-pologne">premier partage du pays</a> par un traité que Marie-Thérèse d’Autriche (1717-1780), Frédéric II de Prusse (1712-1786) et Catherine II signent le 5 août 1772. Entre-temps, la confédération de Bar avait cherché des appuis en France et obtenu que des intellectuels, tels Paul Pierre Lemercier de la Rivière (1719-1801), Gabriel Bonnot de Mably (1709-1785) et Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) œuvrent – vainement – à des projets de réformes institutionnelles.</p>
<h2>Des partages à la disparition</h2>
<p>Au partage de 1772, la République perd un tiers de son territoire et de sa population. Le pouvoir polonais en place, toujours dirigé par Stanislas II, aspire encore à la réforme de ses institutions. La « grande Diète » de 1788-1792 œuvre à la rédaction d’une Constitution écrite. </p>
<p>Un <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/pl1791.htm">Acte de gouvernement</a> (3 mai 1791) fonde une monarchie héréditaire et non plus élective, dont la couronne reviendra à la maison de Saxe à la mort de Stanislas II. Le roi détient l’entièreté du pouvoir exécutif et assure la « garde des lois », assisté du primat, de cinq ministres et de deux secrétaires d’État. Le pouvoir législatif appartient à la Diète, permanente et bicamérale (Chambre des nonces et Sénat). Les confédérations et le <em>liberum veto</em> sont abolis. Les prérogatives locales et celles de la bourgeoisie sont élargies.</p>
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<img alt="Les habitants de Varsovie célèbrent l’adoption d’une constitution" src="https://images.theconversation.com/files/509500/original/file-20230210-27-xq55ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/509500/original/file-20230210-27-xq55ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/509500/original/file-20230210-27-xq55ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/509500/original/file-20230210-27-xq55ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/509500/original/file-20230210-27-xq55ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/509500/original/file-20230210-27-xq55ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/509500/original/file-20230210-27-xq55ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« L’adoption de la Constitution du 3 mai ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Konstytucja_3_Maja.jpg">Jan Matejko, 1891</a></span>
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<p>Catherine II s’oppose à ces réformes porteuses d’émancipation à l’égard de la Russie. Une nouvelle guerre russo-polonaise s’engage. Des magnats conservateurs soutenus par la Russie forment la <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1953_num_8_3_2199_t1_0404_0000_1">confédération de Targowica</a>. La pression militaire contraint le roi à y adhérer et à revenir à l’ordre politique ancien. La Prusse de Frédéric-Guillaume II (1744-1797) reste en retrait mais participe à un nouveau <a href="https://histocarte.fr/2018/10/23/partages-pologne/">partage du territoire de la Pologne en janvier 1793</a> avec la Russie, qui s’opère cette fois sans l’Autriche, occupée à la guerre contre la France révolutionnaire. La Pologne est dès lors réduite à un espace d’environ 200 000 km<sup>2</sup> pour 3 millions d’habitants.</p>
<p>En réaction, le général Tadeusz Kościuszko (1746-1817), vétéran de la guerre d’indépendance états-unienne, organise et conduit un soulèvement pour libérer la Pologne. Il dirige l’armée régulière et lève plusieurs milliers de volontaires issus de la paysannerie. De premiers succès sont remportés, mais Kościuszko est blessé et capturé le 10 octobre 1794. L’insurrection est ensuite violemment réprimée par la Russie qui organise un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Troisi%C3%A8me_partage_de_la_Pologne">troisième et dernier partage de la Pologne</a>, à nouveau avec l’Autriche et la Prusse, le 24 octobre 1795. La Pologne succombe alors à la voracité de ses puissants voisins et le pays disparaît complètement de la carte européenne jusqu’à sa <a href="https://histocarte.fr/2018/11/20/renaissance-pologne/">résurrection</a>, en même temps que la Lituanie, à l’issue de la Première Guerre mondiale en 1918.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197779/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La Pologne fut rayée de la carte pendant plus d’un siècle. Au XVIIIᵉ siècle, ses faiblesses sont exploitées par des États voisins pour se partager son territoire.Bernard Herencia, Maître de conférences, chercheur en histoire de la pensée économique, Université Gustave EiffelThérence Carvalho, Professeur d'Histoire du droit et des institutions, Université de NantesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1999332023-02-15T15:23:25Z2023-02-15T15:23:25ZEn réécrivant l’histoire, le gouvernement polonais déforme l’Holocauste<p>En janvier 2018, le parlement polonais <a href="https://www.amnesty.org/en/documents/eur37/7858/2018/en/">a adopté une loi</a> permettant d’imposer des peines de prison qui peuvent aller jusqu’à trois ans à toute personne ayant déclaré que les Polonais ont eu une quelconque responsabilité ou complicité dans les crimes nazis pendant l’Holocauste. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/510358/original/file-20230215-18-t0cjn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/510358/original/file-20230215-18-t0cjn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/510358/original/file-20230215-18-t0cjn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/510358/original/file-20230215-18-t0cjn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/510358/original/file-20230215-18-t0cjn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/510358/original/file-20230215-18-t0cjn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/510358/original/file-20230215-18-t0cjn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/510358/original/file-20230215-18-t0cjn7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le 15 février, l’auteur Jan Grabowski discute, dans le cadre d’un événement en direct organisé conjointement par The Conversation/La Conversation et le Conseil de recherches en sciences humaines, de ses recherches sur l’Holocauste.</span>
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<p>La loi, qui vise à faire taire les historiens, a instauré un climat tendu dans les milieux universitaires et ailleurs.</p>
<p><a href="https://iupress.org/9780253010742/hunt-for-the-jews/">J’oriente mes recherches</a> sur les relations entre les Juifs polonais et la population non juive locale.</p>
<p>Le gouvernement polonais a décidé (directement ou par procuration) de porter contre moi des accusations au civil. J’ai été <a href="https://lactualite.com/actualites/un-historien-de-luniversite-dottawa-est-accuse-de-diffamation-en-pologne/">poursuivi pour diffamation</a>, et des organisations polonaises ont demandé que je sois démis de mes fonctions de professeur d’histoire à l’Université d’Ottawa.</p>
<p>Plus récemment, j’ai été interrogé par l’<a href="https://www.abw.gov.pl/en">Agence de sécurité intérieure</a> de la Pologne, et le <a href="https://twitter.com/ziobropl/status/1427525611019546634">ministre de la Justice du pays a exprimé son indignation</a> à l’égard de mon travail.</p>
<p>Ce ne sont là que quelques-uns des enjeux juridiques et extrajuridiques actuels liés à l’écriture de l’histoire de l’Holocauste en Pologne.</p>
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<img alt="Une statue d’un homme portant un enfant avec d’autres enfants derrière lui" src="https://images.theconversation.com/files/509565/original/file-20230211-22-klk8sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C10%2C3464%2C2664&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/509565/original/file-20230211-22-klk8sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/509565/original/file-20230211-22-klk8sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/509565/original/file-20230211-22-klk8sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/509565/original/file-20230211-22-klk8sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/509565/original/file-20230211-22-klk8sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/509565/original/file-20230211-22-klk8sb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un monument à la mémoire de Janusz Korczak, mort dans la chambre à gaz du camp de la mort de Treblinka en 1942, avec les enfants de l’orphelinat juif qu’il dirigeait dans le ghetto de Varsovie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Czarek Sokolowski)</span></span>
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<h2>Histoire et nationalisme</h2>
<p>L’idée que des franges de la société polonaise se soient rendues complices de l’Holocauste pendant la guerre a longtemps constitué un sujet tabou.</p>
<p>Le parti d’extrême droite <a href="https://www.ledevoir.com/monde/440921/pologne-le-conservateur-andrzej-duda-remporte-la-presidentielle">Droit et Justice est arrivé au pouvoir</a> en Pologne en 2015. La défense de la <a href="https://www.macleans.ca/news/world/as-poland-re-writes-its-holocaust-history-historians-face-prison/">réputation de la nation</a> est l’un des éléments centraux de son programme politique et un moyen sûr de consolider sa base électorale.</p>
<p>Les historiens et enseignants indépendants, <a href="https://www.tvp.info/52369152/dalej-jest-noc-historyk-dr-piotr-gontarczyk-engelking-padla-ofiara-wlasnej-metodologii">dont je fais partie</a>, sont devenus la cible de campagnes de haine virulentes dans les médias d’État et contrôlés par l’État.</p>
<p>Les historiens de l’Holocauste ont pour dicton : « Je n’ai pas choisi d’étudier l’Holocauste, c’est l’Holocauste qui m’a choisi. »</p>
<p>Après une formation en histoire des 17<sup>e</sup> et XVIII<sup>e</sup> siècles, je me suis tourné vers l’étude de l’Holocauste de manière inattendue, au début du XX<sup>e</sup> siècle, quand je me suis rendu à Varsovie au chevet de <a href="https://www.newyorker.com/news/our-columnists/the-historians-under-attack-for-exploring-polands-role-in-the-holocaust">mon père, un survivant de l’Holocauste</a>, qui était malade.</p>
<p>Ayant un peu de temps libre, j’ai fait ce que font la plupart des historiens : je suis allé aux archives locales. C’est là que je suis tombé sur des milliers de dossiers des tribunaux allemands de l’époque de l’occupation de Varsovie.</p>
<p>Ce qui a éveillé ma curiosité, c’est qu’il y avait des centaines de dossiers concernant des Juifs du <a href="https://www.yadvashem.org/fr/shoah/a-propos/ghettos/le-ghetto-de-varsovie.html">ghetto de Varsovie</a>. J’ai découvert que les Allemands les poursuivaient pour avoir enfreint divers règlements nazis : refus de porter le <a href="https://www.bl.uk/learning/histcitizen/voices/info/yellowstar/theyellowstar.html">brassard avec l’étoile de David</a>, sortie du ghetto sans permission, violation du couvre-feu, achat et contrebande de nourriture du côté <a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/aryan-1">« aryen »</a> vers le ghetto ou « diffamation de la nation allemande » – ce qui signifiait généralement avoir raconté des blagues sur l’occupation.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/509564/original/file-20230211-713-yg8q94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Des fleurs à côté d’une tombe avec une étoile de David" src="https://images.theconversation.com/files/509564/original/file-20230211-713-yg8q94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/509564/original/file-20230211-713-yg8q94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/509564/original/file-20230211-713-yg8q94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/509564/original/file-20230211-713-yg8q94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/509564/original/file-20230211-713-yg8q94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/509564/original/file-20230211-713-yg8q94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/509564/original/file-20230211-713-yg8q94.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Monument à Wojsławice, en Pologne, à la mémoire des 60 Juifs exécutés dans la ville pendant l’Holocauste.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Czarek Sokolowski)</span></span>
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<h2>Les témoins de l’Holocauste</h2>
<p>Raul Hilberg, éminent historien de l’Holocauste, a divisé le paysage humain de l’Holocauste en trois catégories : les <a href="https://www.cultura.com/p-executeurs-victimes-temoins-9782070316663.html">exécuteurs, les victimes et les témoins</a>. Au fil des ans, nous avons beaucoup appris sur les exécuteurs allemands et les victimes juives de l’Holocauste, mais beaucoup moins sur la dernière catégorie, qui demeure mal définie.</p>
<p>Qui étaient les témoins ? S’agissait-il de personnes qui ne savaient rien de la tragédie que vivaient les Juifs ? Ou de personnes qui, sachant ce qui se passait, avaient choisi l’indifférence ?</p>
<p>La Pologne était un épicentre de l’Holocauste. Les nazis y ont construit des camps de la mort et c’est dans ce pays que la <a href="https://www.yadvashem.org/fr/shoah/a-propos/sort-des-juifs/massacre-des-juifs-de-pologne.html">majeure partie de la population juive a été assassinée</a>. Dans le cadre de mes recherches, j’ai constaté, sans l’ombre d’un doute, qu’il était impossible que les gens restent à l’écart du génocide, sans en avoir conscience.</p>
<p>Ce ne sont pas tous les ghettos juifs (<a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/map/ghettos-in-occupied-poland-1939-1941">il y en avait des centaines en Pologne)</a> qui étaient isolés du monde extérieur. La plupart étaient soit ouverts (sans murs), soit dotés de clôtures peu solides qui n’empêchaient pas les contacts entre Juifs et autres Polonais.</p>
<p>En 1942, les opérations de liquidation ont commencé. Les Allemands, avec l’aide des gens du coin, ont rassemblé les familles juives et les ont conduites vers la gare la plus proche, où elles sont montées à bord des <a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/german-railways-and-the-holocaust">trains de la mort</a> à destination des camps d’extermination de Treblinka, Belzec, Sobibor et Auschwitz.</p>
<p>Tout cela se passe au vu et au su de la population non juive du voisinage. Une fois que les Juifs ont été déportés en masse vers la mort, les ghettos vides sont devenus le théâtre de vols à grande échelle. Des dizaines de milliers de maisons, d’appartements et de meubles étaient désormais faciles à piller.</p>
<p>C’est à ce moment-là que des milliers de Juifs, qui s’étaient réfugiés dans des <a href="https://www.dw.com/en/surviving-the-holocaust-uncovering-secret-hideouts/video-60539431">cachettes</a> sous et à l’intérieur de leurs maisons, ont été découverts, sortis et livrés aux Allemands pour être aussitôt exécutés.</p>
<p>Des Juifs ont fui les ghettos et se sont réfugiés dans les forêts, le plus souvent grâce à des habitants du coin qui leur ont offert leur aide, soit contre une rémunération, soit pour des motifs altruistes.</p>
<p>Au cours de cette dernière étape de l’Holocauste – que les Allemands ont appelé Juden jagdou « chasse aux Juifs » –, les Juifs cachés sont devenus en bonne partie invisibles aux yeux des Allemands. Pendant cette dernière phase (qui s’est poursuivie jusqu’à la fin de la guerre), ce sont souvent les voisins non juifs qui ont déterminé qui allait vivre et qui allait mourir.</p>
<p>Mes recherches sur cette phase de l’Holocauste m’ont amené à penser qu’il était impossible d’être un simple témoin passif en Europe de l’Est et, surtout, en Pologne. La notion même de témoin passif est une chose à réévaluer, à remettre en question, voire à rejeter.</p>
<p>Mes recherches ont donné lieu à des discussions entre historiens et, en Pologne, elles ont soulevé le <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/ottawa/jan-grabowski-holocaust-hate-campaign-1.4169662">courroux des nationalistes</a>.</p>
<h2>Une nuit sans fin</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/509563/original/file-20230211-25-n022k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture de livre rouge et noir avec les mots : Une nuit sans fin, le sort des Juifs dans la Pologne occupée par les Allemands" src="https://images.theconversation.com/files/509563/original/file-20230211-25-n022k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/509563/original/file-20230211-25-n022k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/509563/original/file-20230211-25-n022k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/509563/original/file-20230211-25-n022k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/509563/original/file-20230211-25-n022k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/509563/original/file-20230211-25-n022k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/509563/original/file-20230211-25-n022k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><em>Night Without End</em>, par Jan Grabowski et Barbara Engelking.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Indiana University Press)</span></span>
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<p>C’est dans un tel contexte politique <a href="https://iupress.org/9780253062864/night-without-end/">que <em>Night Without End</em> (Une nuit sans fin</a> un livre que j’ai coécrit et coédité, a été publié en 2018. Cette étude en deux volumes qui font en tout 1 600 pages est une enquête sur le sort des Juifs dans certaines régions de la Pologne en temps de guerre. Nous avons étudié la lutte des Juifs pour leur survie et les politiques génocidaires allemandes.</p>
<p>Nous avons également essayé de comprendre l’attitude de la société polonaise envers la tragédie juive. Les conclusions sont peu réjouissantes : les résultats de nombreuses années de recherche indiquent qu’au moins deux tiers des Juifs qui se cachaient ont été soit assassinés, soit livrés aux nazis par leurs voisins polonais.</p>
<p>La réaction des autorités a été prompte et virulente. La co-auteure du livre et moi-même avons été <a href="https://www.tvp.info/52288441/kiedy-historyk-boi-sie-babci">dénoncées dans la presse</a>. Il s’en est suivi une campagne de haine sans précédent, suivie de poursuites civiles et d’accusations au criminel.</p>
<p>Les attaques contre les historiens et l’histoire elle-même s’accompagnent généralement d’attaques contre d’autres éléments essentiels d’une société ouverte et démocratique. La défense de l’histoire et la lutte pour préserver le droit de savoir ce qui s’est passé font partie des fondements d’un régime démocratique.</p>
<p>« Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur », écrivait George Orwell dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/1984_(roman)"><em>1984</em></a>. Ses paroles n’ont jamais sonné aussi juste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199933/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jan Grabowski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Holocauste est devenu une question controversée en Pologne ces dernières années. Ceux qui contestent le récit historique du gouvernement ont été condamnés et poursuivis en justice.Jan Grabowski, Professor, Department of History, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1942162022-11-15T16:52:12Z2022-11-15T16:52:12ZL’extrême droite au Parlement européen, ou le renard dans le poulailler<p>Plusieurs pays de l’Union européenne sont actuellement gouvernés par des partis politiques d’extrême droite.</p>
<p>En Hongrie, le parti <em>Fidesz</em> du premier ministre Viktor Orban <a href="https://www.journalofdemocracy.org/articles/how-viktor-orban-wins/">démantèle progressivement</a> les protections constitutionnelles de l’État de droit et des institutions démocratiques du pays. La Pologne, sous la houlette du parti Droit et Justice au pouvoir, a montré des <a href="https://www.dw.com/en/eu-fines-poland-1-million-per-day-over-judicial-reforms/a-59635269">tendances tout aussi inquiétantes</a>. Plus récemment, Giorgia Meloni et le parti Frères d’Italie viennent de remporter les élections législatives italiennes de septembre 2022 et ont <a href="https://theconversation.com/des-vertus-de-linstabilite-gouvernementale-en-italie-192431">formé une coalition</a> gouvernementale avec le parti d’extrême droite <em>Lega</em> de Matteo Salvini et le parti <em>Forza Italia</em> de Silvio Berlusconi. En Suède, le gouvernement minoritaire nouvellement élu dépend du soutien des <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/oct/14/swedish-parties-agree-coalition-with-backing-of-far-right">Démocrates de Suède, un parti d’extrême droite</a>.</p>
<p>Les partis d’extrême droite sont présents sur la scène politique européenne depuis longtemps, mais les partis libéraux et démocrates peinent toujours à élaborer une ligne de conduite claire à leur égard.</p>
<p>Le Parlement européen est un lieu approprié pour observer les dilemmes auxquels les partis traditionnels sont confrontés face aux partis d’extrême droite. En particulier lorsque ces derniers ont été élus démocratiquement et font partie d’une institution démocratique telle qu’un Parlement supranational. Rappelons que le Parlement européen, seul organe directement élu de l’UE, accueille <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2022/698880/EPRS_BRI(2022)698880_FR.pdf">705 membres élus, issus de 206 partis politiques nationaux</a>. La plupart d’entre eux se rassemblent dans différents groupes politiques partageant des idéologies similaires. L’extrême droite est présente dans plusieurs de ces groupes, ce qui montre à quel point elle est devenue partie intégrante du système.</p>
<h2>Des partis présents dans plusieurs groupes au Parlement européen</h2>
<p>En 2015, Marine Le Pen et son Rassemblement national ont réussi à créer leur propre groupe politique d’extrême droite et se sont associés à Matteo Salvini et sa <em>Lega</em>. Aujourd’hui, ce groupe au Parlement européen s’appelle <a href="https://fr.idgroup.eu/">Identité et démocratie (ID)</a>. Il constitue le cinquième groupe politique le plus important (sur sept). Parmi les autres partis qui y siègent, citons Alternative pour l’Allemagne (AFD) en Allemagne, le Parti de la liberté (FPO) en Autriche, l’Intérêt flamand (Vlaams Belang) en Belgique et le Parti populaire danois.</p>
<p>Bien qu’elles aient été jusqu’ici des acteurs plutôt passifs au sein des commissions du Parlement européen, ces formations disposent d’une influence réelle au plus haut niveau. Au sein de la <a href="https://www.europarl.europa.eu/committees/fr/about/conference-of-committee-chairs">Conférence des présidents</a>, chaque groupe politique dispose d’une voix, quelle que soit sa taille. Si les grands groupes tels que les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates ne parviennent pas à un consensus, ils peuvent parfois avoir besoin du soutien de l’extrême droite pour obtenir une majorité.</p>
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<p>Le parti polonais Droit et Justice dirige également un groupe politique, connu sous le nom de <a href="https://www.touteleurope.eu/institutions/les-groupes-au-parlement-europeen-les-conservateurs-et-reformistes-europeens-cre/">Conservateurs et Réformistes européens (CRE)</a>. Ce groupe, qui comprend également, parmi ses membres les plus notables, les Démocrates de Suède, les Frères d’Italie et le parti espagnol <em>Vox</em>, représente la <a href="https://www.europarl.europa.eu/erpl-public/hemicycle/index.htm">quatrième force au Parlement européen</a>.</p>
<p>En revanche, le parti hongrois <em>Fidesz</em> a fait partie de 2004 et jusqu’en 2021 du plus grand groupe politique, celui des chrétiens-démocrates (<a href="https://www.eppgroup.eu/fr">Parti populaire européen, PPE</a>). Viktor Orban a longtemps été protégé par des responsables politiques puissants tels que l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel et l’ancien président du Conseil européen Donald Tusk. Le Fidesz a toutefois <a href="https://www.institutmontaigne.org/analyses/la-sortie-du-ppe-de-fidesz-reduira-linfluence-hongroise-au-sein-de-lue">quitté le PPE au début de l’année 2021</a>, lorsque les pressions internes liées à la remise en cause de l’État de droit en Hongrie sont devenues trop fortes pour justifier son appartenance. Aujourd’hui, ses membres n’appartiennent à aucun groupe politique au Parlement européen, ce qui les prive de pouvoir politique et de visibilité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/492977/original/file-20221102-16-rteo33.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Répartition des sièges au Parlement européen (17 October 2022).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.europarl.europa.eu/erpl-public/hemicycle/index.htm?lang=en&loc=str">europarl.europa.eu</a></span>
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<p>Leur statut au sein des groupes politiques du Parlement européen a permis aux partis d’extrême droite non seulement de gagner en visibilité et en pouvoir, mais aussi de récolter <a href="https://eu.boell.org/en/2016/01/14/enf-new-right-wing-force-european-parliament-and-how-deal-it">d’importants bénéfices financiers</a>. En 2017, Marine Le Pen a été accusée d’avoir embauché de <a href="https://euobserver.com/eu-political/136944">« faux assistants »</a>, et en avril de cette année, elle-même et d’autres membres de son parti ont été accusés d’avoir détourné <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/apr/17/eu-anti-fraud-body-accuses-marine-le-pen-france-election">620 000 euros de fonds européens</a>.</p>
<p>En janvier, Morten Messerschmidt, du Parti populaire danois, a été condamné pour avoir utilisé des fonds européens pour une <a href="https://www.euractiv.com/section/politics/short_news/danish-mp-convicted-of-eu-funds-fraud-elected-to-head-far-right-party/">campagne politique au Danemark</a>. Grâce aux ressources européennes, de nombreux partis d’extrême droite ont pu croître et étendre leur influence dans leur pays tout en s’attaquant au projet européen.</p>
<h2>Un cordon sanitaire peu étanche</h2>
<p>Les groupes politiques traditionnels du Parlement européen, notamment les chrétiens-démocrates, les sociaux-démocrates, les libéraux et les Verts, ont depuis longtemps conclu un <a href="https://www.euractiv.com/section/future-eu/news/the-brief-the-costs-of-a-cordon-sanitaire/">accord informel</a> connu sous le nom de « cordon sanitaire » qui empêche les membres de l’extrême droite d’obtenir des postes clés au Parlement.</p>
<p>Les sociaux-démocrates et les Verts ont chacun adopté des politiques propres de non-coopération avec l’extrême droite. Les sociaux-démocrates ont pour principe formel de ne pas coopérer avec le groupe Identité et Démocratie de Marine Le Pen. Les Verts ont une politique similaire, mais un peu plus souple : leurs membres peuvent voter en faveur de propositions législatives présentées par Identité et Démocratie si le contenu est jugé de nature technique. Les Verts laissent également la question de la définition de l’appartenance à l’extrême droite assez ouverte. Ainsi, leurs membres peuvent choisir s’ils souhaitent ou non boycotter certains partis membres d’autres groupes au Parlement européen, comme Droit et Justice ou Frères d’Italie, membres du groupe CRE. Le cordon sanitaire est donc poreux et dépendant du contexte.</p>
<p>En outre, comme les chrétiens-démocrates ont réussi à protéger le Fidesz de toute pression politique, il a longtemps été épargné par les mesures du « cordon sanitaire ». Cela a changé en septembre 2018, lorsque le <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2018-0340_EN.html">Parlement européen a lancé une procédure de sanctions formelles</a>, en vertu de <a href="https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/summary/promoting-and-safeguarding-the-eu-s-values.html">l’article 7 du Traité sur l’Union européenne</a>, en raison de préoccupations liées au recul démocratique de la Hongrie. La plupart des chrétiens-démocrates ont alors voté en faveur de la résolution. Après que le PPE a modifié ses règles internes pour permettre l’expulsion d’un parti entier, <a href="https://www.politico.eu/article/epp-suspension-rules-fidesz-european-parliament-viktor-orban-hungary/">Fidesz a choisi de le quitter</a>, début 2021.</p>
<p>Ces exemples démontrent la complexité et l’ambiguïté inhérentes à la présence de l’extrême droite au Parlement européen. Ils mettent également en lumière les circonstances dans lesquelles les partis traditionnels – malgré leurs convictions – peuvent <a href="https://www.graduateinstitute.ch/communications/news/european-union-and-far-right-letting-wolf-fold">soutenir l’extrême droite</a>.</p>
<h2>Les affaires courantes continuent</h2>
<p>Après la victoire des Frères d’Italie à l’intérieur du pays, peu de choses ont changé au Parlement européen. Au sein des chrétiens-démocrates, il y a eu des <a href="https://www.politico.eu/article/call-boot-berlusconi-party-forza-italia-eu-parliament-epp-back-meloni-brothers-italy/">appels à bannir <em>Forza Italia</em></a> du groupe PPE si ce parti continuait, sur le plan domestique, à soutenir Giorgia Meloni, mais cela ne s’est pas encore produit.</p>
<p>Manfred Weber, le chef du PPE, a soutenu <em>Forza Italia</em> lors des élections italiennes et, bien qu’il ait été <a href="https://www.sueddeutsche.de/politik/eu-weber-wegen-wahlkampfhilfe-fuer-berlusconi-in-der-kritik-dpa.urn-newsml-dpa-com-20090101-220909-99-693826">fortement critiqué</a> pour cela, cet épisode fut une illustration supplémentaire de la façon dont les partis traditionnels peuvent directement ou indirectement soutenir les partis d’extrême droite.</p>
<p>Des spéculations ont été faites sur une <a href="https://www.euractiv.com/section/eu-priorities-2020/news/brothers-of-italy-mep-no-way-for-ecr-and-id-to-merge-in-one-group/">possible fusion</a> entre d’une part ECR (de Droit et Justice et des Frères d’Italie) et d’autre part ID (du Rassemblement national et de la <em>Lega</em>). En termes de puissance numérique, cela changerait la donne politique au Parlement européen – combinés, ces deux groupes deviendraient la troisième force la plus importante derrière les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates. Pourtant, une fusion est peu probable étant donné leurs <a href="https://www.euractiv.com/section/eu-priorities-2020/news/brothers-of-italy-mep-no-way-for-ecr-and-id-to-merge-in-one-group/">positions divergentes</a> concernant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. ECR soutient les sanctions contre la Russie, alors que la majorité d’ID s’y est opposée. Il y a au moins une question sur laquelle les Frères d’Italie et la <em>Lega</em> sont d’accord : tous deux ont <a href="https://www.euractiv.com/section/politics/news/italys-meloni-backs-orban-says-hungary-is-democratic/">voté contre</a> une résolution du Parlement européen déclarant que la Hongrie ne constitue plus une démocratie.</p>
<p>Complication supplémentaire : le cycle électoral du Parlement européen n’est pas aligné sur les élections nationales. Même si Meloni a gagné au niveau national, cela ne change pas la représentation numérique des Frères d’Italie au Parlement européen, et les prochaines élections européennes n’auront pas lieu avant mai 2024. Mais une plus grande influence de l’extrême droite pourrait se faire sentir au Conseil, où le <em>Fidesz</em> et Droit et Justice ont déjà <a href="https://www.liberties.eu/fr/stories/pis-fidesz-weakness/18955">réussi à bloquer</a> plusieurs décisions importantes, comme le budget de l’UE…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194216/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christin Tonne est est chercheuse affiliée au Centre Albert Hirschman sur la démocratie de l'Institut universitaire de Genève (IHEID). Cet article est basé sur les recherches qu'elle a menées pour sa thèse de doctorat. Elle reçoit actuellement un financement de l'IHEID pour un projet pilote de suivi sur les défenses démocratiques contre l'extrême droite dans les institutions européennes.
</span></em></p>Au Parlement européen, les divers partis d’extrême droite font désormais partie intégrante du paysage.Christin Tonne, Research associate at the Albert Hirschman Centre On Democracy, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1917052022-10-06T18:32:41Z2022-10-06T18:32:41ZLe réarmement massif de la Pologne : causes, conséquences et controverses<p>À la faveur de la guerre en Ukraine, la Pologne a vu son image s’améliorer sensiblement en Europe. Varsovie a, en effet, massivement accueilli les réfugiés de guerre ukrainiens et fourni des armes à l’Ukraine, mettant à profit la proximité technique des matériels entre les deux pays.</p>
<p>Le gouvernement polonais a également marqué sa différence en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/16/visite-surprise-a-kiev-de-trois-premiers-ministres-europeens_6117720_3210.html">envoyant son premier ministre à Kiev dès mars 2022</a> en même temps que ses homologues tchèque et slovène, soit trois mois avant que les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/16/emmanuel-macron-en-visite-de-rattrapage-a-kiev_6130551_3210.html">chefs d’État et de gouvernement allemand, français et italien</a> en fassent de même. Le parti de droite Droit et Justice (PiS), au pouvoir depuis 2015, s’est appuyé sur les atermoiements dont certaines capitales ouest-européennes ont fait preuve au début du conflit pour tenter d’accréditer la thèse d’un <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/2022/04/28/poland-now-true-leader-free-europe/">glissement du leadership européen vers l’est de l’UE</a>.</p>
<p>De plus, en donnant davantage de visibilité aux enjeux de sécurité du flanc Est de l’OTAN, le conflit a <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/16/mateusz-morawiecki-la-guerre-en-ukraine-a-aussi-revele-la-verite-sur-l-europe_6138131_3232.html">semblé valider les positions dures de Varsovie à l’égard de la Russie</a> – des positions qui font du reste l’objet d’un solide consensus en politique intérieure depuis plusieurs décennies, au moins en apparence.</p>
<p>Dans ce contexte, le ministère polonais de la Défense multiplie depuis quelques mois les <a href="http://www.opex360.com/2022/08/31/la-pologne-va-plus-que-doubler-ses-depenses-militaires-en-2023/">annonces en matière d’achats d’armements</a>, avec l’objectif revendiqué de construire une « grande armée » capable de résister au choc d’une agression armée de la Russie. L’analyse de cette politique de réarmement fait apparaître des lignes de division dans le consensus pro-occidental des élites politiques polonaises. Elle permet également de mettre en évidence les contours de l’ordre géopolitique que le PiS appelle de ses vœux, en Europe et au-delà.</p>
<h2>Un effort militaire sans précédent</h2>
<p>Le gouvernement, qui a annoncé que 3 % du budget seraient désormais consacrés à la défense, entend modifier le format de l’armée de terre, qui devrait <a href="https://www.gov.pl/web/national-defence/new-divisions-of-the-polish-army-equipped-with-modern-weapons-will-be-established">passer de quatre à six divisions</a> ; elle disposerait ainsi à terme de près de 300 000 combattants, contre 115 000 actuellement. Elle verrait également sa puissance de feu considérablement augmenter, en cohérence avec la <a href="https://www.gov.pl/web/national-defence/polish-defence-in-the-perspective-of-2032">doctrine de défense du pays</a>, qui exclut les frappes préventives mais vise à dissuader toute agression armée.</p>
<p>L’activisme de Varsovie porte aussi bien sur des acquisitions d’armements « sur étagère » (c’est-à-dire déjà existants) que sur des partenariats susceptibles de renforcer l’industrie nationale de l’armement.</p>
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<p>Les futures acquisitions devraient porter sur des chars lourds et des hélicoptères américains, ainsi que sur des missiles HIMARS, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-artillerie-de-precision-modifie-l-equilibre-en-ukraine-selon-des-experts-15-07-2022-2483421_24.php">dont l’efficacité a été prouvée lors des combats en Ukraine</a>. D’autres contrats ont été conclus <a href="http://www.opex360.com/2022/05/30/la-pologne-mise-sur-la-coree-du-sud-pour-se-doter-dobusiers-et-de-vehicules-de-combat-dinfanterie/">avec la Corée du Sud</a>, notamment pour renforcer l’artillerie en nouveaux canons automoteurs. Surtout, les achats auprès de Séoul semblent inclure des transferts de technologie et des coopérations qui pourraient, à terme, rendre plus autonome l’industrie de défense polonaise, et même la poser en concurrente de ses homologues ouest-européennes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Défense internationale : l’Ukraine a changé toutes les perspectives de réarmement du monde, France 24, 15 juin 2022.</span></figcaption>
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<p>Ce processus de modernisation ferait alors de l’armée de terre polonaise la plus puissante en Europe. Le site Méta Défense <a href="https://meta-defense.fr/2022/07/26/pologne-et-coree-du-sud-sassocient-sur-le-long-terme-pour-une-cooperation-industrielle-defense-ambitieuse/">souligne</a> ainsi le « renforcement spectaculaire des capacités des armées polonaises, qui aligneront à la fin de la décennie 1 500 chars modernes, autant de véhicules de combat d’infanterie, 1200 systèmes d’artillerie mobile et plusieurs milliers de blindés légers, soit davantage que les forces françaises, allemandes, britanniques, italiennes, néerlandaises et belges réunies ».</p>
<p>Au fil de ces annonces, les industries de défense de l’UE ont cependant été systématiquement écartées au profit d’équipements américains ou britanniques, ainsi que coréens (après Airbus, c’est l’Italien Leonardo qui a fait les frais du choix polonais en faveur des <a href="https://www.flightglobal.com/helicopters/poland-to-buy-almost-100-apaches-as-defence-spending-accelerates/150126.article">hélicoptères Apache produits par Boeing</a>). Récemment, le ministère de la Défense a englobé sa nouvelle politique sous le label de « Model 2035 », même si les orientations générales de ce plan n’ont pas été communiquées à ce jour.</p>
<h2>Le PiS préfère « le grand large » à l’UE</h2>
<p>L’ensemble de ces annonces illustre « l’imaginaire géopolitique » <a href="https://www.e-ir.info/2018/02/27/introducing-realism-in-international-relations-theory/">réaliste</a> qui travaille le PiS et une large partie des milieux conservateurs polonais, et éclaire incidemment leurs positions européennes.</p>
<p>Depuis le début des années 1990, la droite polonaise privilégie l’intégration à l’OTAN par rapport à l’appartenance à l’UE, tandis que les libéraux et les modérés affichent plus ouvertement des positions favorables à l’intégration européenne. Même si de telles nuances ont longtemps été noyées dans le souci plus général de rejoindre dans un même mouvement les organisations internationales européennes et occidentales, elles prennent aujourd’hui une vigueur inédite.</p>
<p>Pour le PiS, l’appartenance au camp occidental est avant tout assimilée à l’OTAN, tandis que l’UE apparaît comme un espace secondaire, d’autant qu’elle n’hésite pas à aller au bras de fer avec Varsovie quand elle estime que le gouvernement polonais s’affranchit de certains principes européens. </p>
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<figcaption><span class="caption">Pologne : fonds européens sous conditions, Euronews, 2 juin 2022.</span></figcaption>
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<p>L’annonce de nouvelles coopérations avec la Corée du Sud montre clairement que le gouvernement PiS entend s’affranchir de toute dépendance et de toute solidarité interne à l’UE en matière de défense, pour créer des partenariats susceptibles de faire basculer le pays de sa position périphérique vers un statut d’acteur global.</p>
<p>On peut relier ces orientations aux tentatives amorcées dès janvier 2022 de créer une <a href="https://kafkadesk.org/2022/05/30/uk-proposes-european-commonwealth-with-poland-ukraine-and-baltics/">nouvelle alliance avec la l’Ukraine et le Royaume-Uni</a>, après le Brexit, lui-même adossé à une <a href="https://ukandeu.ac.uk/the-facts/what-is-global-britain/">idéologie de Global Britain</a>. En creux, s’affichent ainsi des préférences idéologiques souverainistes, qui montrent que l’UE n’est aux yeux du PiS que l’une des modalités d’accès à la globalisation libérale, plus qu’un projet d’intégration et de solidarités nouvelles entre États-membres.</p>
<h2>Un réarmement tous azimuts qui ne fait pas l’unanimité</h2>
<p>Ces annonces se sont toutefois retrouvées sous le feu des critiques de l’opposition, qui tente de constituer une coalition pour les élections de 2023, autour de la Plateforme civique (PO), le parti de Donald Tusk. Les partis d’opposition dénoncent l’improvisation, l’incohérence et le peu de crédibilité de cette politique, au regard des perspectives économiques et démographiques du pays ; ils tentent, fait nouveau, d’en faire l’un des thèmes de la campagne électorale à venir, comme l’a montré le <a href="https://tvn24.pl/polska/warszawa-spotkanie-liderow-opozycji-donalda-tuska-wladyslawa-kosiniaka-kamysza-szymona-holowni-i-wlodzimierza-czarzastego-6120960">récent colloque</a> consacré à ces enjeux par deux anciens présidents polonais, Aleksander Kwasniewski et Bronislaw Komorowski.</p>
<p>De plus, si les partis d’opposition ont unanimement soutenu la <a href="http://dziennikzbrojny.pl/aktualnosci/news,1,11684,aktualnosci-z-polski,nawet-137-mld-pln-na-obronnosc-w-2023-roku">loi « Défense de la patrie » qui porte à 3 % du budget l’effort en matière de défense</a>, certaines voix dénoncent la surenchère de Jaroslaw Kaczynski, président du PiS et véritable leader du gouvernement, qui soutient que ce ratio devrait à l’avenir <a href="https://www.euractiv.com/section/politics/short_news/poland-to-spend-5-of-gdp-on-defence/">atteindre les 5 %</a>.</p>
<p>Selon d’anciens ministres de la Défense qui ont occupé ce poste entre 2011 et 2015 dans le gouvernement de la PO, comme <a href="https://www.rmf24.pl/tylko-w-rmf24/siedem-pytan-o-7-07/news-siemoniak-o-modernizacji-polskiej-armii-mamy-tylko-festiwal-,nId,6295603#crp_state=1">Tomasz Siemoniak</a>, cette frénésie d’acquisitions va conduire à l’empilement de systèmes d’armes hétérogènes et se faire au détriment de l’industrie locale. Pour donner du poids à cet argument, ils rappellent que le directeur de l’entreprise polonaise produisant des canons automoteurs <a href="https://defence24.pl/przemysl/prezes-hsw-zlozyl-rezygnacje">a récemment démissionné</a>, pour protester contre le choix d’un nouvel équipement développé avec la Corée du Sud.</p>
<p><a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/helicopteres-caracal-quand-la-pologne-fache-tout-rouge-la-france-605889.html">L’affaire des Caracals français</a>, qui date de 2016, ressurgit également, à travers des fuites de mails internes au gouvernement appelant à tout faire pour <a href="https://wyborcza.pl/7,75398,27990878,jak-mowic-o-klesce-caracali-medialna-instrukcja-w-mailach-dworczyka.html">instiller dans le débat public l’idée que ces appareils étaient peu performants</a>. Les hélicoptères Caracals d’Airbus devaient être livrés à la Pologne entre 2017 et 2022, tandis que les 96 Apache américains viennent à peine d’être commandés et que seules 18 livraisons sont pour l’instant actées – et ce, en dehors de toute procédure d’appel d’offre, au grand dam de l’opposition.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1568275564007505921"}"></div></p>
<p>Celle-ci dénonce d’autres goulets d’étranglement, par exemple avec les HIMARS, dont la production est lente et doit être répartie entre l’armée américaine elle-même et les clients des États-Unis.</p>
<p>Les leaders de l’opposition dénoncent, <em>last but not least</em>, les positions anti-européennes du PiS et soulignent que l’UE doit être l’un des espaces de coopération occidentale en matière de défense. Ces critiques attestent d’un réaménagement au sein du consensus pro-atlantique, comme si les ambiguïtés de celui-ci ne résistaient pas au contexte nouveau de la guerre en Ukraine. Au total, les <a href="https://wyborcza.pl/7,75398,28760915,po-chce-po-wygranych-wyborach-przejrzec-wojskowe-kontrakty-blaszczaka.html">partis d’opposition promettent de revoir l’ensemble de cette politique</a> en cas de victoire aux élections de 2023.</p>
<h2>Des projets annulés si le PiS perd en 2023 ?</h2>
<p>De fait, l’actuelle politique de réarmement se déploie dans un contexte électoral de plus en plus défavorable au PiS, <a href="https://www.politico.eu/europe-poll-of-polls/poland/">dont les intentions de vote s’effritent dans les sondages</a>. À la crise du Covid sont venues s’ajouter <a href="https://www.reuters.com/markets/europe/polish-inflation-could-rise-september-finance-minister-says-2022-09-24/">l’inflation</a>, la plus élevée depuis les années 1990 (près de 16,4 % en 2022) et diverses crises mal gérées par le gouvernement, <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/110698-000-A/catastrophe-de-l-oder-la-pologne-en-eaux-troubles/">comme la catastrophe écologique de l’Oder durant l’été 2022</a>.</p>
<p>L’explosion des prix de l’énergie et les <a href="https://tvn24.pl/biznes/z-kraju/wegiel-braki-w-polsce-lukasz-horbacz-z-izby-gospodarczej-sprzedawcow-polskiego-wegla-podaje-liczby-6126542">pénuries apparaissant sur le marché du charbon</a> pour les particuliers risquent en outre de pénaliser les groupes les plus enclins à voter pour le PiS (ménages âgés ou ruraux, zones géographique de moindre dynamisme économique), qui pourraient moins se mobiliser aux législatives de l’année prochaine.</p>
<p>Dans cette situation difficile, l’activisme du PiS en matière de défense et de discours souverainiste permet de raviver des lignes de clivage et de polariser le jeu politique, notammennt en jouant la carte anti-allemande. Jaroslaw Kaczynski a récemment déclaré, à propos de <a href="https://theconversation.com/lallemagne-face-a-la-guerre-en-ukraine-un-changement-depoque-189861">l’effort de défense annoncé en Allemagne par Olaf Scholz</a> qu’on pouvait <a href="https://goodwordnews.com/polands-kaczynski-raises-the-german-threat/">« se demander contre qui il était dirigé »</a> – réactivant une fois de plus un vieux mantra de la <a href="https://histmag.org/Propaganda-antyniemiecka-PRL-Pogrobowcy-Hitlera-z-NRF-16172">propagande du pouvoir communiste</a> d’avant 1989 qui faisait de l’Allemagne fédérale une menace pour la paix en Europe.</p>
<p>En outre, le PiS a réussi à imposer dans le débat public la question des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/01/la-pologne-veut-negocier-avec-berlin-des-reparations-pour-les-pertes-liees-a-la-seconde-guerre-mondiale-qu-elle-estime-a-1-300-milliards-d-euros_6139858_3210.html">réparations que l’Allemagne devrait à la Pologne pour les destructions de la Seconde Guerre mondiale</a>. Reste qu’il n’est pas certain que, cette fois, ces « grosses ficelles » électorales fonctionnent aussi bien que par le passé. </p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191705/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Zalewski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ambitieux programme de réarmement de la Pologne illustre la vision géopolitique du parti au pouvoir, qui fait la part belle à Washington, Londres et même Séoul au détriment des pays de l’UE.Frédéric Zalewski, Maître de conférences en Science politique, membre de l'Institut des sciences sociales du politiques (ISP, CNRS), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1857902022-06-26T19:48:59Z2022-06-26T19:48:59ZKaliningrad au cœur de la confrontation Russie-OTAN<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/470803/original/file-20220624-22-nxpz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C5463%2C3628&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La région russe de Kaliningrad est frontalière de deux pays de l’OTAN&nbsp;: la Lituanie et la Pologne. La question de son approvisionnement depuis la métropole, à 360&nbsp;km de là, est explosive.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Rokas Tenys/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le déclenchement de la guerre en Ukraine, et l’intensification des tensions entre la Russie d’une part et l’OTAN, l’UE et, tout récemment, la Lituanie d’autre part, ont placé au cœur de l’actualité <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2005-3-page-175.html">l’exclave russe de Kaliningrad</a>, située entre la Pologne et la Lituanie.</p>
<p>Mi-juin 2022, Vilnius, en application des sanctions imposées par l’UE, <a href="https://regard-est.com/lituanie-blocage-du-transit-de-marchandises-vers-et-a-destination-de-kaliningrad">bloque le transit</a> de charbon, de métaux et d’outils technologiques alimentant la région (oblast) de Kaliningrad depuis la métropole. Ces marchandises constituent la moitié des importations de Kaliningrad. Dès décembre prochain, le pétrole et le gaz pourraient également être bloqués. Suite à ce blocage, Kaliningrad a amorcé la réorientation <a href="https://tass.com/economy/1468679">du transit par la mer des biens sanctionnés</a> alors que Moscou a <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/jun/21/kaliningrad-russia-threatens-serious-consequences-as-lithuania-blocks-rail-goods">annoncé des représailles</a> sans en préciser le contenu exact.</p>
<p>Dans le contexte actuel, les déclarations de Moscou n’ont pas manqué de <a href="https://foreignpolicy.com/2022/06/24/kaliningrad-russia-lithuania-crisis-lead-to-war/">susciter l’inquiétude</a> de certains observateurs : Kaliningrad pourrait-elle devenir le lieu d’une confrontation directe entre les forces russes et celles des pays de l’OTAN ?</p>
<h2>Les particularités d’une exclave</h2>
<p>L’oblast de Kaliningrad est un territoire de 15 100 km<sup>2</sup>, bordé par la Lituanie au nord-est, la Pologne au sud (toutes deux membres de l’UE et de l’OTAN) et la mer Baltique au nord-ouest. Elle se trouve géographiquement à 360 km du reste de la Russie. Il s’agit de la seule exclave parmi les 83 entités fédérées du pays (85 en comptant la République de Crimée et la « ville d’importance fédérale » de Sébastopol, illégalement annexés en 2014). Avec une population d’environ 1 million d’habitants, l’oblast est la 50<sup>e</sup> plus peuplée de la Fédération de Russie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/471157/original/file-20220627-14-5g8qyv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Peter Hermes Furian/Shutterstock</span></span>
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<p>Héritage de la Seconde Guerre mondiale, ce territoire anciennement partie à la Prusse orientale est attribué à l’URSS suite à la conférence de Postdam en 1945. La zone est alors au centre de grands mouvements de populations et se retrouve repeuplée de russophones (au détriment des <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2003-3-page-124.htm">populations germanophones expulsées</a> vers l’Allemagne), au point de devenir la <a href="https://apcz.umk.pl/BGSS/article/view/bog-2017-0033/13204">région la « plus soviétique » du pays dans les années 1980</a>.</p>
<p>Si du temps de l’URSS, l’oblast se transforme en <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/00108360021962101">bastion militaire</a> et se ferme aux pays voisins, elle s’ouvre ensuite sous l’impulsion de Boris Eltsine <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2003-3-page-124.htm">pour attirer les investissements étrangers</a>.</p>
<p>Au début du XXI<sup>e</sup> siècle, la région est même vue comme un « laboratoire » de coopération entre l’UE et la Russie, notamment avec la mise en place d’une zone franche possédant un statut de zone économique spéciale – <a href="https://ecfr.eu/article/commentary_special_no_more_kaliningrad_on_life_support_7169/">statut retiré par Moscou en 2016</a>. Malgré cela, Kaliningrad s’est peu intégrée dans l’espace économique de la Baltique et est restée majoritairement dépendante du reste de la Russie, cette dernière faisant transiter mensuellement une <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/jun/21/why-is-kaliningrad-row-russia-lithuania">centaine de trains de marchandises</a> vers son exclave via la Lituanie et la Biélorussie (la Lituanie n’ayant pas de frontière directe avec le reste du territoire russe).</p>
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<figcaption><span class="caption">« Russie-UE : l’affaire Kaliningrad », le Dessous des cartes (Arte, 22 juin 2022).</span></figcaption>
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<p>En 2015, des <a href="https://www.sciendo.com/article/10.1515/bog-2017-0033">sondages</a> indiquent que la population de Kaliningrad s’identifie principalement comme russe, et souhaite que l’oblast soit considérée comme une région à part entière de la Russie. Aucun sentiment spécifique d’indépendance ne semble s’être développé dans cette région, et ce malgré sa position géographique d’exclave et son rattachement relativement récent au territoire russe. En 2018, à l’élection présidentielle, l’oblast vote <a href="https://www.rbc.ru/politics/18/03/2018/5aa652d49a79470accef8c29">à 76 % en faveur de Vladimir Poutine</a>, c’est-à-dire dans la même proportion que l’ensemble du pays (même si, comme ailleurs en Russie, le scrutin y est caractérisé par de multiples irrégularités).</p>
<h2>Une région très militarisée</h2>
<p>En parallèle, la zone reste particulièrement militarisée, notamment avec la présence d’une flotte russe dans la mer Baltique, profitant ainsi de la présence stratégique d’un port libre de glace. Le positionnement de missiles sol-sol, sol-air et antinavires dans la région, de nature à entraver une intervention éventuelle de l’Alliance dans la Baltique, crée également des <a href="https://theconversation.com/la-pointe-avancee-de-l-otan-dans-les-pays-baltes-une-epine-pour-moscou-120314">tensions avec l’OTAN</a> – surtout depuis le déploiement en 2016, renforcé en 2018, de <a href="https://theconversation.com/kaliningrad-russias-unsinkable-aircraft-carrier-deep-in-nato-territory-182541">systèmes de missiles balistiques à potentielle charge nucléaire Iskander</a>. S’y ajoutent les <a href="https://warontherocks.com/2021/09/zapad-2021-what-to-expect-from-russias-strategic-military-exercise/">exercices militaires « Zapad »</a> (Ouest) organisés conjointement avec la Biélorussie tous les quatre ans et simulant un conflit militaire sur ce territoire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1436028746675392522"}"></div></p>
<p>Cette militarisation du territoire de Kaliningrad, dans un contexte marqué par l’annexion de la Crimée, <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Menace-russe-coup-panique-Baltique-2022-01-19-1201195671">diverses opérations de déstabilisation russes dans la Baltique</a> et, depuis février 2022, l’attaque de grande ampleur de l’Ukraine, ont entraîné un sentiment d’insécurité en Estonie, Lettonie, Lituanie et Pologne – toutes membres de l’OTAN et voisines proches de la Russie. Les villes de <a href="https://thediplomat.com/2014/04/will-narva-be-russias-next-crimea/">Narva</a> (Estonie) et <a href="https://baltic-review.com/armament-the-baltics-daugavpils-new-crimea/">Daugapvils</a> (Lettonie), ainsi que la <a href="https://www.eurasiareview.com/27032022-is-moscow-about-to-play-the-latgale-card-against-latvia-and-the-balts-oped/">région de Latgale</a> (Lettonie également), à forte majorité russe, sont ainsi souvent décrites par les médias comme de potentielles « nouvelles Crimées », laissant craindre une attaque russe sous l’alibi de la <a href="https://theconversation.com/la-pointe-avancee-de-l-otan-dans-les-pays-baltes-une-epine-pour-moscou-120314">protection des populations russophones</a> y résidant.</p>
<p>Suite à la guerre en Ukraine, les pays de la Baltique ont d’ailleurs été les premiers États européens à <a href="https://www.euractiv.com/section/energy/news/baltic-states-become-first-in-europe-to-stop-russian-gas-imports/">stopper leur importation de gaz russe</a> et à marquer fermement leur soutien à l’Ukraine.</p>
<p>Pour parer à cette insécurité et marquer la solidarité atlantique avec les pays baltes, l’OTAN a, depuis 2017, déployé des troupes en rotation dans la Baltique avec la <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_136388.htm">« présence avancée rehaussée »</a> sur le <a href="https://theconversation.com/la-pointe-avancee-de-l-otan-dans-les-pays-baltes-une-epine-pour-moscou-120314">flanc Est de l’Alliance</a>. En 2022, en réponse à la guerre en Ukraine, les alliés ont individuellement accru leur présence en troupes, navires et avions, et l’OTAN a également amélioré la réactivité de sa <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_49755.htm">Force de réaction</a>, rendant une activation en cas de menace plus rapide.</p>
<h2>L’enjeu du corridor de Suwałki</h2>
<p>La présence de l’OTAN dans la Baltique et en Pologne, et le récent blocage lituanien du transit des marchandises russes, ont par ailleurs ranimé la crainte d’une annexion par la Russie du corridor de Suwałki, qui relie la Biélorussie au territoire de Kaliningrad en longeant la frontière entre la Lituanie et la Pologne.</p>
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<figcaption><span class="caption">Pologne : le corridor de Suwalki, prochain objectif militaire des Russes ? (France 24, 6 juin 2022).</span></figcaption>
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<p>Ce corridor, long de 70 km, est considéré depuis longtemps comme le <a href="https://www.euractiv.com/section/global-europe/news/explainer-suwalki-gap-and-lithuania-russia-face-off-over-kaliningrad/">talon d’Achille de l’OTAN</a>. Constitué principalement de marécages, de deux routes et d’une seule ligne de train reliant la Pologne à la Lituanie, ce corridor représente toutefois la plus courte distance entre la Biélorussie et Kaliningrad. Malgré les tentatives russes, après l’effondrement de l’URSS, de sécuriser cette zone en établissant un accord autorisant une présence continue de soldats, seul un accord plus général avec la Lituanie permettant le transit de passagers et marchandises <a href="https://www.euractiv.com/section/global-europe/news/explainer-suwalki-gap-and-lithuania-russia-face-off-over-kaliningrad/">a été signé avec l’UE en 2003</a>.</p>
<p>Une prise du corridor Suwałki permettrait à la Russie de couper géographiquement les États de la Baltique du reste des membres de l’OTAN tout en s’assurant un passage, via son allié biélorusse, vers son exclave. Une annexion de ce type entrainerait le déclenchement de <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_110496.htm">l’article 5</a> de l’OTAN, qui engage ses membres à se prêter assistance mutuelle dans le cas où l’un d’entre eux serait attaqué.</p>
<p>On l’aura compris : si, à la chute de l’URSS, Kaliningrad était vue comme une opportunité de coopération entre l’Union européenne et la Russie, son territoire est aujourd’hui au cœur de tensions grandissantes sur le continent, la zone devenant un enjeu stratégique et géopolitique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185790/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cindy Regnier est doctrante à l'Université de Liège. Elle a reçu des financements du FNRS (Fonds de la Recherche Scientifique de Belgique).</span></em></p>La Lituanie vient de bloquer le transit de nombreux biens vers l’exclave russe de Kaliningrad. Moscou promet de réagir. Analyse d’un bras de fer aux enjeux stratégiques majeurs.Cindy Regnier, Doctorante FNRS en Relations Internationales, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1845882022-06-19T23:35:38Z2022-06-19T23:35:38Z3,5 millions de réfugiés ukrainiens sur son sol : comment la Pologne absorbe-t-elle le choc ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/468238/original/file-20220610-28309-4wc88x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6669%2C4446&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Trois mois après de début de l’invasion russe, 3,5&nbsp;millions d’Ukrainiens ont traversé la frontière pour se réfugier en Pologne. Ils sont accueillis dès la frontière, comme ici à Medyka le 6&nbsp;mars.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Trois mois après l'invasion russe, 3,5 millions d'Ukrainiens ont traversé la frontière pour se réfugier en Pologne, comme cet enfant au poste frontière de Medyka, le 15 mars 2022.</span></span></figcaption></figure><p>L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 a provoqué un déplacement de population sans précédent en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations unies (HCR), l’Ukraine compte <a href="http://data2.unhcr.org/en/situations/ukraine">8 millions de déplacés internes</a> et 6,6 millions d’habitants se sont réfugiés à l’étranger, dont 3,5 millions en Pologne. Ces chiffres sont toutefois difficiles à vérifier car, une fois entrés en Pologne, une partie des Ukrainiens ont poursuivi leur route vers d’autres destinations, principalement l’Allemagne et la République tchèque ; d’autres sont rentrés en Ukraine (un peu plus de 2 millions selon le HCR en mai 2022).</p>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2016-1-page-203.htm">parti nationaliste Droit et Justice</a>, au pouvoir depuis 2015, qui avait résolument refusé l’accueil de Syriens lors de la « crise des migrants », a adopté cette fois une posture tout à fait différente, ouvrant grand les frontières du pays aux réfugiés ukrainiens. Pour comprendre ce revirement, il est utile de revenir sur l’évolution qu’ont connue les relations polono-ukrainiennes en matière migratoire depuis la chute du bloc communiste au début des années 1990.</p>
<h2>Des années 1990 à 2014 : mobilités circulatoires et migrations de travail</h2>
<p>L’immigration économique ukrainienne vers la Pologne débute dès le début des années 1990. La dislocation du bloc de l’Est en Europe a eu comme conséquence une ouverture radicale des frontières, en plus de la libéralisation de l’économie. Dans ce contexte très turbulent, les passages de frontières explosent, notamment sur les frontières Est et Ouest de la Pologne. Depuis les années 1990, les Ukrainiens sont nombreux à être venus travailler en Pologne, où ils trouvent des salaires plus élevés. Par un effet de vases communicants, ils prennent ainsi la place de <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2015-2-page-131.htm">nombreux Polonais émigrés eux-mêmes</a> en Europe occidentale.</p>
<p>Cependant, peu s’installent légalement en Pologne, qui est encore fondamentalement un pays d’émigration : dans les années 1990, chaque année, environ 20 000 Polonais quittent le pays tandis que moins de 8 000 étrangers y arrivent. Si l’on raisonne <a href="https://ec.europa.eu/home-affairs/pages/glossary/migrant-stock_fr">« en stock »</a>, on constate qu’au milieu des années 1990, seulement 50 000 Ukrainiens environ étaient légalement enregistrés comme immigrés, détenteurs d’un permis de résidence (pour travail, études, ou comme réfugiés). Le plus souvent, ils réalisaient ce qu’on appelle des <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/circulation">« mobilités circulatoires »</a> de part et d’autre de la frontière, dans une économie souvent « grise ». Toutes les frontières de la Pologne ont connu cette explosion : le nombre d’entrées sur le territoire est passé de quelques millions dans les années 1980 à 18 millions dès 1990, puis a culminé à presque 90 millions à la fin de la décennie, dont environ 6 millions d’entrées par an à la frontière avec l’Ukraine.</p>
<p>L’année 1997 est un tournant : la Pologne se dote d’une <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/pl1997.htm">nouvelle Constitution</a> garantissant le statut de réfugié, et entame la phase de négociations pour intégrer l’Union européenne. Dans cette perspective, elle se prépare à être la garante d’une des plus longues frontières externes de l’Union.</p>
<p>La première loi post-communiste sur les étrangers est votée en 1997, et rétablit un régime de visas pour les pays frontaliers. En 2004, la <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2004-2-page-263.htm">Pologne entre dans l’UE</a>, puis dans l’espace Schengen en 2007. Les options libérales du gouvernement et une croissance économique soutenue plaident en faveur d’une ouverture des frontières pour pourvoir les emplois quittés par les millions de Polonais partis au Royaume-Uni et en Irlande.</p>
<p>Dans ce contexte, la Pologne obtient le droit de créer en 2009 des zones de « petite mobilité », c’est-à-dire une bande de 30 km de part et d’autre de la frontière, dans laquelle les résidents circulent sans visa, parfois de manière quotidienne, pour travailler et commercer. Sur la frontière ukrainienne, elle permet d’entretenir une économie grise vitale dans ces confins orientaux du pays, oubliés par les investisseurs.</p>
<p>Cette économie grise est surtout vitale pour les Ukrainiens : le différentiel de salaires et de niveau de vie s’est creusé entre les deux pays <a href="https://www.lesechos.fr/2009/09/la-pologne-seule-rescapee-de-la-crise-au-sein-de-lunion-463864">après l’accession de la Pologne à l’Europe communautaire</a>. Ces mobilités circulatoires, les mesures gouvernementales assouplissant l’embauche de travailleurs ukrainiens (et d’autres pays de l’ex-URSS) dès 2006, la multiplication d’agences d’intérim et l’amélioration des conditions de circulation entre les deux pays ont favorisé le passage de mobilités circulatoires à la résidence temporaire ou permanente : l’immigration.</p>
<p>Au début des années 2010, la Pologne commence à réaliser qu’elle devient un pays de transit, voire d’immigration, un phénomène tout à fait nouveau. Un document élaboré en 2012 pose d’ailleurs les jalons d’une possible stratégie migratoire. Il était prémonitoire, étant donné le tournant de 2014.</p>
<h2>De 2014 à 2022 : une immigration ukrainienne croissante</h2>
<p>La population ukrainienne installée en Pologne <a href="https://www.academia.edu/62071587/LUkraine_de_lind%C3%A9pendance_%C3%A0_la_guerre">a crû de façon exponentielle</a> depuis 2014, en raison de l’<a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/En-Ukraine-flamme-revolution-Maidan-seteint-pas-2018-11-30-1200986619">Euromaïdan</a> à Kiev, de l’<a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0382-l-annexion-de-la-crimee-lecons-pour-la-securite-europeenne">annexion de la Crimée</a> par la Russie et du début de la <a href="https://theconversation.com/ukraine-la-guerre-ne-fait-que-commencer-178198">guerre dans l’Est du pays</a>.</p>
<p>Le nombre annuel d’Ukrainiens s’installant en Pologne, défini comme le nombre d’individus ayant obtenu un permis de résidence permanente ou temporaire, est passé de 16 081 en 2013 à 296 525 en 2021. C’est avant tout du fait de cette croissance spectaculaire que le solde migratoire de la Pologne est devenu positif après 2015. Compte tenu du fait que beaucoup restent une fois arrivés, la population ukrainienne présente en Pologne est estimée en 2021 à près de 1,5 million d’individus selon l’Office des étrangers. Cette année-là, les Ukrainiens représentent 57 % des étrangers résidant en Pologne. Pendant les dix dernières années, seule l’immigration biélorusse a également connu une légère augmentation.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/469195/original/file-20220616-16-5j2u30.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469195/original/file-20220616-16-5j2u30.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469195/original/file-20220616-16-5j2u30.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469195/original/file-20220616-16-5j2u30.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469195/original/file-20220616-16-5j2u30.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469195/original/file-20220616-16-5j2u30.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469195/original/file-20220616-16-5j2u30.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469195/original/file-20220616-16-5j2u30.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les principales nationalités parmi la population immigrée en Pologne, de 2010 à 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Cette ouverture migratoire fait toutefois exception. En effet, 2015 est aussi l’année du retour au pouvoir du parti <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMParti?codePays=POL&codeParti=dj">Droit et Justice</a> (qui avait brièvement gouverné le pays de 2005 à 2007) après une longue phase de pouvoir libéral.</p>
<p>Le gouvernement nationaliste enterre la stratégie migratoire élaborée en 2012 et se distingue, avec d’autres pays d’Europe centrale, par le <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-avenir-2017-3-page-14.htm">refus d’accueillir les populations réfugiées</a> de la guerre en Syrie en 2015, que ce soit dans le cadre du plan de relocalisation mis en place par l’UE ou dans le cadre du <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/277029-quest-ce-que-le-pacte-de-marrakech-sur-les-migrations">Pacte de Marrakech</a> adopté en 2018 sous la férule de l’ONU et destiné à promouvoir une vision commune de la migration à l’échelle mondiale et à mieux protéger les migrants.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, à mesure que la population ukrainienne s’installe dans l’espace polonais, elle s’éloigne de ses bases traditionnelles que constituait la bande frontalière, pour investir toutes les voïvodies – les régions du pays –, au point de constituer dans certaines d’entre elles 80 % des étrangers résidant de manière temporaire ou permanente en 2021, comme dans la région d’Opole dans le Sud-Ouest du pays.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/469196/original/file-20220616-11-6tatfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469196/original/file-20220616-11-6tatfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469196/original/file-20220616-11-6tatfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=168&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469196/original/file-20220616-11-6tatfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=168&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469196/original/file-20220616-11-6tatfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=168&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469196/original/file-20220616-11-6tatfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=212&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469196/original/file-20220616-11-6tatfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=212&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469196/original/file-20220616-11-6tatfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=212&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La part des Ukrainiens dans l’immigration de 2010 à 2021 (en % du total des immigrés dans les régions polonaises). Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Jusqu’en 2021, les motivations qui attirent les Ukrainiens en Pologne sont diverses mais centrées autour du travail, à la fois parce que l’économie du pays présente un dynamisme sans commune mesure avec celui de l’Ukraine (le rapport salarial est environ du simple au double), et parce que l’émigration polonaise avait laissé énormément de postes vacants.</p>
<p>Selon le rapport de l’Office des étrangers de 2020, les principales raisons d’arrivée des Ukrainiens avant la guerre étaient, pour une écrasante majorité, le travail, puis l’éducation et la famille. C’est pourquoi parmi la population ukrainienne résidant en Pologne, 95 % travaillent ; le nombre d’étudiants ukrainiens a lui aussi augmenté. Une estimation alternative de l’immigration, donnée par le nombre de permis de travail accordé à des étrangers, confirme ce tournant de 2014 et la place prépondérante des Ukrainiens dans la composition de l’immigration. Les employeurs polonais ont accordé en 2010 presque 13 000 permis, dont 35 % à des Ukrainiens ; en 2019, ils en ont accordé 330 000, dont plus de 70 % à des Ukrainiens.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/469198/original/file-20220616-21-10wutp.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469198/original/file-20220616-21-10wutp.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469198/original/file-20220616-21-10wutp.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469198/original/file-20220616-21-10wutp.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469198/original/file-20220616-21-10wutp.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469198/original/file-20220616-21-10wutp.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469198/original/file-20220616-21-10wutp.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469198/original/file-20220616-21-10wutp.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les permis de travail accordés aux Ukrainiens de 2010 à 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les hommes sont plus nombreux : ils représentent 62 % des permis de résidence permanente en 2018, et travaillent essentiellement dans les secteurs du transport, de la restauration, de l’industrie. Les femmes occupent également des emplois dans l’éducation. Par ailleurs, si ce sont principalement des Ukrainiennes jeunes, entre 20 et 24 ans, qui arrivent en Pologne, les hommes sont un peu plus âgés, entre 25 et 35 ans. Autre différence : les Ukrainiens embauchés près de la frontière le sont sur des postes saisonniers, ce qui suggère qu’ils ont conservé des habitudes de mobilité plus fréquentes. Dans le reste du pays, ils travaillent avec des contrats de plus longue durée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469199/original/file-20220616-16-i08z8y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469199/original/file-20220616-16-i08z8y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469199/original/file-20220616-16-i08z8y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469199/original/file-20220616-16-i08z8y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=350&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469199/original/file-20220616-16-i08z8y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469199/original/file-20220616-16-i08z8y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469199/original/file-20220616-16-i08z8y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=440&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les emplois saisonniers des travailleurs ukrainiens dans les voïvodies de Pologne en 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Qui sont les réfugiés ukrainiens depuis le début de la guerre de 2022 ?</h2>
<p>On comprend bien pourquoi la Pologne est la première destination des réfugiés ukrainiens : voilà trente ans que des millions de personnes y ont tissé des liens plus ou moins durables, y ont des attaches, parfois des parents installés, connaissant bien le pays, sa langue, et pouvant les héberger. Le socle de plus d’un million d’Ukrainiens immigrés a donc servi de point d’appui.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qoj_Xm9BiJw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Reportage à Przemyśl en Pologne, confrontée à un afflux continu de réfugiés ukrainiens (Euronews, 7 mars 2022).</span></figcaption>
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<p>L’hébergement fut donc résolu avec l’appui d’organisations non gouvernementales locales, nationales et internationales, des collectivités territoriales mais surtout des citoyens, qui hébergent la grande majorité des personnes réfugiées. Selon plusieurs estimations, 70 % sont en effet hébergées chez des particuliers, le reste dans des locaux aménagés à cet effet (résidences hôtelières, étudiantes, gymnases, etc.). La diaspora ukrainienne présente en Pologne a donc absorbé en priorité le choc de ces arrivées aussi massives que soudaines, immédiatement secondée par l’ensemble de la société polonaise.</p>
<p>Les personnes arrivées en Pologne depuis le 24 février 2022 ont un profil très différent de la population ukrainienne présente avant la guerre. Ce sont presque exclusivement des femmes, accompagnées de leurs enfants. Les hommes de 18 à 60 ans sont en effet <a href="https://www.bfmtv.com/international/guerre-en-ukraine-les-hommes-de-18-a-60-ans-ne-peuvent-plus-quitter-le-pays_AN-202202250306.html">retenus par la mobilisation</a>, et beaucoup de personnes âgées n’ont pas pu ou souhaité quitter leur pays.</p>
<p>De plus, en raison de cette même mobilisation, 100 000 hommes ukrainiens ont dû quitter du jour au lendemain le poste de travail qu’ils occupaient en Pologne, selon les estimations de l’organisation des employeurs polonais. Le résultat est une inversion du <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/sex-ratio"><em>sex ratio</em></a> et un déficit de main-d’œuvre dans les emplois qu’occupaient les hommes ukrainiens.</p>
<p>La première vague de réfugiés était constituée de personnes parties de leur propre initiative, ayant des contacts en Pologne, et qui ont pu assez vite s’intégrer au marché du travail, ou aller dans d’autres pays d’Europe. Mais une enquête sur les <a href="https://www.eecpoland.eu/2022/pl/panel/5053.html">réfugiés ukrainiens présents en Pologne</a> montrait que seulement 44 % sont des femmes en âge de travailler, le reste se composant essentiellement d’enfants et de personnes âgées.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/469202/original/file-20220616-16-xm9b9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469202/original/file-20220616-16-xm9b9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469202/original/file-20220616-16-xm9b9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=860&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469202/original/file-20220616-16-xm9b9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=860&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469202/original/file-20220616-16-xm9b9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=860&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469202/original/file-20220616-16-xm9b9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1081&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469202/original/file-20220616-16-xm9b9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1081&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469202/original/file-20220616-16-xm9b9n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1081&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les supérettes polonaises recrutent : « Tu cherches du travail ? Rejoins-nous ! ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">L. Coudroy, Univ Lumière Lyon 2, UMR EVS -- 2022</span></span>
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<p>Environ <a href="https://www.eecpoland.eu/2022/pl/panel/5053.html">100 000 des femmes ukrainiennes</a> arrivées depuis le début du conflit ont pu trouver un emploi, principalement dans les services comme l’hôtellerie et la restauration, ou encore les métiers de l’esthétique. La deuxième vague, à partir d’avril environ, contient surtout des femmes et enfants évacués par des ONG devant la violence du feu. Elles n’avaient pas préparé leur départ, et rencontrent davantage de difficultés car elles butent sur deux obstacles principaux : la maîtrise de la langue, et la scolarisation de leurs enfants. Ces derniers, pour des raisons également linguistiques, sont restés scolarisés en ligne dans le système éducatif ukrainien, ce qui les place sous la surveillance de leurs mères, indisponibles pour aller travailler.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lue-face-au-defi-de-lafflux-de-refugies-ukrainiens-181005">L’UE face au défi de l’afflux de réfugiés ukrainiens</a>
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<h2>Le défi de l’hébergement</h2>
<p>À court terme, le défi que doivent résoudre les autorités et les organisations humanitaires est l’hébergement. Elles visent tout d’abord une meilleure répartition des réfugiés dans le territoire : les flux ont convergé vers les grandes villes, au marché immobilier extrêmement tendu, alors que de nombreuses villes moyennes offrent des conditions de vie et d’emploi tout aussi intéressantes. Tel est le message qui s’affiche dans la gare centrale de Varsovie :</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/467489/original/file-20220607-32118-ztgxwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467489/original/file-20220607-32118-ztgxwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=554&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467489/original/file-20220607-32118-ztgxwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=554&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467489/original/file-20220607-32118-ztgxwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=554&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467489/original/file-20220607-32118-ztgxwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467489/original/file-20220607-32118-ztgxwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467489/original/file-20220607-32118-ztgxwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cette carte de la Pologne affichée dans la gare centrale de Varsovie en avril 2022 désigne les multiples points d’accueil dans le territoire polonais.</span>
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<p>Par ailleurs, au bout de trois mois de conflit, et a fortiori si celui-ci s’éternise, l’hébergement chez des personnes privées deviendra épuisant, en raison du volume du parc disponible et de ses qualités. On compte en effet seulement 392 logements pour 1 000 habitants en Pologne (comparé à 534 en France) et leur taille moyenne est de 74 m<sup>2</sup> (contre 90 m<sup>2</sup> en France). C’est pourquoi de nombreuses familles ukrainiennes ont cherché à louer un logement. Or le <a href="https://journals-openedition-org.bibelec.univ-lyon2.fr/belgeo/27157#tocto2n1_">marché immobilier locatif privé est très rare en Pologne</a> (sans parler du logement social, quasi inexistant), et les prix des loyers depuis le début du conflit ont augmenté de parfois 20 à 30 % ! Cela peut expliquer, entre autres, les mouvements de retour en Ukraine qui se sont esquissés en avril 2022, alors que la guerre semble loin d’être finie.</p>
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<p><em>Cet article a été co-écrit avec Margaux Baudoux, étudiante en Master 1 Études Européennes et Internationales à l’ENS de Lyon</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184588/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lydia Coudroy de Lille ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi les Ukrainiens sont-ils si nombreux à avoir afflué en Pologne et comment la société polonaise parvient-elle à gérer ce choc démographique ?Lydia Coudroy de Lille, Professeure des universités, Département de Géographie et aménagement Laboratoire Environnement, ville, société (UMR 5600, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1810052022-04-27T18:19:50Z2022-04-27T18:19:50ZL’UE face au défi de l’afflux de réfugiés ukrainiens<p>Le 24 avril 2022, le <a href="https://data2.unhcr.org/en/situations/ukraine">Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés</a> (HCR) recensait plus de 5,23 millions d’Ukrainiens ayant été contraints de fuir leur pays après l’invasion russe. Ce nombre pourrait atteindre <a href="https://www.imis.uni-osnabrueck.de/fileadmin/4_Publikationen/PDFs/Duvell_Lapshyna_Ukraine_Russia_Short_Analysis_2022.pdf">10 millions</a> si la guerre se poursuit.</p>
<p>L’Union européenne a accordé une <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_22_1727">protection temporaire</a> aux réfugiés en provenance d’Ukraine, et les citoyens européens ont fait preuve d’une grande solidarité à leur égard. Cet important afflux de réfugiés suscite toutefois certaines craintes. Notre <a href="https://www.regards-economiques.be/index.php?option=com_reco&view=article&cid=222">récent article</a> (<a href="https://liser.elsevierpure.com/ws/portalfiles/portal/34680772/policy_brief_04.03.pdf">également disponible en anglais</a>) explique pourquoi il faut relativiser ces inquiétudes et analyse différentes possibilités de répartition de ces millions de réfugiés entre les pays de l’UE.</p>
<h2>Une opportunité à moyen terme…</h2>
<p>L’expérience offerte par l’étude des précédents flux massifs de réfugiés incite à penser que l’exil des personnes en provenance d’Ukraine ne devrait avoir, à moyen terme, que des effets mineurs sur les économies des pays de destination.</p>
<p>En effet, comme les migrants économiques, les réfugiés occupent des emplois caractérisés par une pénurie de main-d’œuvre ; leur présence favorise la création de nouveaux emplois ; ils consomment et, parfois, investissent, dans les pays d’accueil. Un exemple contemporain est l’étude de l’afflux massif de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304393220300519?via%3Dihub">réfugiés syriens en Allemagne en 2015 et 2016</a> qui démontre leur contribution positive à l’économie du pays hôte, même si dans un premier temps leur arrivée a pu augmenter la concurrence sur le marché du travail pour la population locale la moins qualifiée.</p>
<p>Les réfugiés <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/sites/4ccb6899-en/index.html?itemId=/content/component/4ccb6899-en">ne constituent pas un coût en termes de finances publiques</a>. Au contraire, il a par exemple <a href="https://www.cgdev.org/blog/what-did-america-lose-trumps-mass-exclusion-refugees-it-includes-billions-dollars-year">été estimé</a> que la réduction drastique des admissions de réfugiés sous la présidence de Donald Trump a coûté aux finances publiques des États-Unis plus de 2 milliards de dollars par an. En outre, les réfugiés créent ou renforcent des liens entre leur pays d’accueil et leur pays d’origine, favorisant <em>in fine</em> le développement <a href="https://www.brookings.edu/blog/up-front/2022/03/17/countries-should-seize-the-opportunity-to-take-in-ukrainian-refugees-it-could-transform-their-economies/">d’activités économiques, d’échanges commerciaux et de l’innovation</a>. Cela s’est vérifié avec les « boat people » en provenance du Vietnam en 1970, qui ont dynamisé les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/ecoj.12457">échanges commerciaux</a> entre les États-Unis et leur pays d’origine suite à la levée de l’embargo américain en 1994. Plus récemment, les arrivées de réfugiés aux États-Unis ont également contribué à l’essor des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304387822000025">investissements étrangers</a> vers leurs pays d’origine.</p>
<p>Néanmoins, ces effets ne se matérialisent pas immédiatement dans l’économie du pays d’accueil.</p>
<p>Les réfugiés ont fréquemment vécu des traumatismes. Ils sont souvent moins préparés à leur nouvelle vie que les migrants économiques. Cela se traduit par des difficultés pour maîtriser la langue du pays de destination ou par un manque de compétences spécifiques pour intégrer rapidement son marché du travail. Les obstacles rencontrés par les réfugiés peuvent également les contraindre à accepter des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés. Il n’est pas rare de voir, dans des <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/jep.34.1.94">études</a> comparant l’emploi avant et après migration, un réfugié qui était ingénieur, médecin ou enseignant dans son pays d’origine occuper un poste bien moins qualifié dans le pays de destination. Ce phénomène peut donc affecter des groupes spécifiques déjà présents dans les pays d’accueil comme les travailleurs peu qualifiés et les migrants arrivés précédemment. Les inégalités risquent alors de s’accroître dans les pays de destination.</p>
<p>Enfin, dans certains pays, une (trop) forte concentration de réfugiés au niveau local peut ralentir l’intégration des nouveaux arrivants : ainsi, la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review/article/does-exposure-to-the-refugee-crisis-make-natives-more-hostile/3E66D9B39336C652F9EF6D7EF9DF0735">concentration de réfugiés en Grèce</a> a entraîné des tensions malgré une forte solidarité de la population locale, ce qui pourrait avoir contribué à la <a href="https://www.france24.com/fr/20200305-crise-migratoire-lesbos-spectre-nationalisme-gr%C3%A8ce-aube-doree">montée en puissance</a> de l’extrême droite dans ce pays. De tels phénomènes ont également été observés en <a href="https://www.cairn.info/revue-allemagne-d-aujourd-hui-2016-2-page-20.htm">Allemagne</a>, en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2018/09/20/autriche-les-idees-d-extreme-droite-continuent-de-percer-dans-le-gouvernement_1680081/">Autriche</a> ou au <a href="https://www.vuesdeurope.eu/le-danemark-vire-a-lextreme-droite-sur-les-refugies/">Danemark</a> après l’arrivée de réfugiés syriens en 2015.</p>
<h2>… grâce à une responsabilité partagée entre pays européens</h2>
<p>Sans coordination entre pays européens, les réfugiés ukrainiens risquent de se masser dans les pays géographiquement proches, où existent souvent des réseaux qui facilitent leur arrivée et leur intégration.</p>
<p>D’après la localisation de la diaspora ukrainienne en 2020, les pays les plus attractifs sont l’Allemagne, la Pologne, l’Italie et la Tchéquie. Si les réfugiés ukrainiens choisissaient leur destination en fonction de ce critère, 60 % d’entre eux s’installeraient dans ces quatre États.</p>
<p>Les quatre diagrammes ci-dessous (pour les quatre pays étudiés, l’Allemagne, la Pologne, l’Italie et la France) montrent la répartition géographique des demandeurs de protection ukrainiens selon trois scénarios : dans le cas où 4 millions, 7 millions ou 10 millions de réfugiés arrivaient dans les 27 pays membres de l’UE.</p>
<p>Cinq clés de répartition (c’est-à-dire cinq critères sur lesquels fonder la politique de répartition) ont été étudiées, que celles-ci soient spontanément suivies par les réfugiés ou qu’elles soient utilisées par les États. Ces cinq clés de répartition se basent sur le nombre d’Ukrainiens présents dans le pays en 2020, les flux sur les cinq dernières années, la part de la population, le PIB, et une combinaison de la part de la population et du PIB.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/457157/original/file-20220408-42951-fjzq0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/457157/original/file-20220408-42951-fjzq0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457157/original/file-20220408-42951-fjzq0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457157/original/file-20220408-42951-fjzq0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457157/original/file-20220408-42951-fjzq0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457157/original/file-20220408-42951-fjzq0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457157/original/file-20220408-42951-fjzq0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457157/original/file-20220408-42951-fjzq0x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Projection de répartition des réfugiés en provenance d’Ukraine selon cinq clés de répartition.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Pour plus de détails sur ces calculs, voir <a href="https://www.regards-economiques.be/images/reco-pdf/reco_222.pdf">ici</a>.</p>
<p>Dans le scénario où il y aurait 7 millions de réfugiés, nos estimations basées sur le nombre d’Ukrainiens résidant dans chaque pays (stock) indiquent que 1,4 million d’entre eux iraient en Allemagne, 1,3 million en Pologne et environ 90 000 en France.</p>
<p>Une répartition mise en place à l’échelle européenne basée sur la population de chaque pays (pop) réduirait quelque peu la pression sur les pays voisins de l’Ukraine, en attribuant, toujours dans l’hypothèse d’un total de 7 millions de réfugiés, 600 000 réfugiés à la Pologne, 1 million à la France et 1,3 million à l’Allemagne.</p>
<p>Une autre formule de répartition prenant en compte le PIB et la population (mixte), augmenterait légèrement le nombre pour les pays d’Europe de l’Ouest et le réduirait pour les pays d’Europe de l’Est.</p>
<h2>Une opportunité pour plus de coordination en Europe ?</h2>
<p>La réponse de l’Europe à l’afflux de réfugiés venus d’Ukraine contraste avec celle adoptée en 2015, lorsque plus d’un million de réfugiés, principalement en provenance de Syrie, sont arrivés dans le Vieux Continent.</p>
<p>Cette fois, l’UE a décidé, pour la première fois depuis sa création, de déclencher la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-qu-est-ce-que-la-protection-temporaire-dont-peuvent-beneficier-les-refugies_5004170.html">protection temporaire pour les réfugiés</a>. L’octroi d’un tel statut et de permis de travail temporaires, ainsi que l’accès aux services de santé, faciliteront sans aucun doute l’acquisition par les réfugiés venus d’Ukraine des compétences nécessaires à leur intégration.</p>
<p>À long terme, les conséquences économiques des flux de réfugiés en provenance d’Ukraine seront probablement mineures, en particulier si l’UE assure une responsabilité partagée entre états membres.</p>
<p>Mais le processus d’intégration prendra du temps – et ce, malgré le rôle essentiel tenu par les réseaux ukrainiens dans les pays d’accueil. Pour gérer cette situation, il semble crucial de bien répartir les réfugiés entre et au sein des pays européens, afin d’éviter de (trop) fortes concentrations de ces individus.</p>
<p>Les autres flux de réfugiés ne doivent pas être oubliés, car les conflits et les tensions politiques restent d’actualité dans d’autres parties du monde, et sont susceptibles de déclencher de futurs déplacements forcés. Enfin, l’exode ukrainien actuel peut offrir une <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/europe/2022-03-28/ukrainian-exodus">occasion de réformer</a> la politique d’asile et de renforcer la coordination au sein de l’UE.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181005/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Francois Maystadt ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des millions de réfugiés ukrainiens se trouvent déjà sur le territoire des pays de l’UE – avant tout en Pologne. Comment serait-il possible de les « répartir » entre les pays de l’Union ?Jean-Francois Maystadt, Professeur d'économie à l'Université de Louvaiin et à la Lancaster University, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1813552022-04-19T16:39:36Z2022-04-19T16:39:36ZEt si la France devenait une démocratie illibérale ?<p>Si Marine Le Pen arrivait à l’Élysée, la France serait appelée à devenir une démocratie illibérale.</p>
<p>L’illibéralisme politique est, en effet, la doctrine de la famille politique européenne dont le Rassemblement national est un membre actif. Cette doctrine est exposée dans une <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/marine-le-pen/ue-marine-le-pen-victor-orban-et-matteo-salvini-visent-une-alliance-au-parlement-europeen_4687719.html">déclaration de juillet 2021</a> signée par 14 partis de 13 pays. Cette mouvance illibérale siège au Parlement européen au sein de l’eurogroupe parlementaire <a href="https://fr.idgroup.eu/">Identité & Démocratie (ID)</a>. Elle se réunit régulièrement, comme à Milan <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20190518-europeennes-milan-partis-nationalistes-ligue-rn-le-pen-salvini">peu avant les élections européennes de 2019</a>. Les députés du RN y côtoient ceux du <a href="https://www.ispionline.it/it/pubblicazione/netherlands-geert-wilders-dutch-cricket-7644">PVV de Geert Wilders</a>, de l’<a href="https://www.lefigaro.fr/international/qu-est-ce-que-l-afd-le-parti-d-extreme-droite-qui-perce-en-allemagne-20190902">AfD allemande</a>, du <a href="https://www.idgroup.eu/vlaams_belang">Vlaam Belangs belge</a>, du <a href="https://journals.openedition.org/allemagne/2739">FPÖ autrichien</a>, de la <a href="https://fr.idgroup.eu/lega-italy">Lega italienne de Matteo Salvini</a>…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1513524407142076416"}"></div></p>
<h2>Viktor Orban, figure de proue de l’illibéralisme</h2>
<p>Cette famille politique comprend aussi des membres de l’eurogroupe parlementaire de droite radicale <a href="https://www.europarl.europa.eu/elections-2014/fr/political-groups/european-conservatives-and-reformists-group">Conservateurs et réformistes européens</a> (CRE), dont le parti <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Pologne-parti-Droit-Justice-PiS-quete-nouveau-souffle-2021-07-03-1201164580">Droit et justice</a> (PiS), qui dirige la Pologne, est le pilier. Le <a href="https://www.euractiv.fr/section/politique/news/viktor-orban-restera-au-volant-du-fidesz/">Fidesz de Viktor Orban</a> fait lui aussi partie de cet ensemble des droites radicales et extrêmes européennes.</p>
<p>Viktor Orban, qui vient de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/union-europeenne/le-premier-ministre-hongrois-viktor-orban-obtient-une-large-victoire-aux-legislatives-et-est-reconduit-pour-un-quatrieme-mandat_5061772.html">remporter une quatrième victoire électorale législative</a> de rang, est le premier à avoir théorisé le fonctionnement d’une démocratie illibérale. Il la met en œuvre au gouvernement de son pays depuis 2010, en s’en expliquant chaque année lors de discours à la nation hongroise.</p>
<p>Ses succès électoraux et sa longévité font de lui un modèle qui a progressivement déteint sur toute cette famille politique des droites radicales et extrêmes européennes. Tout en vilipendant les dirigeants de l’Europe occidentale et de la Commission qui mènent contre les peuples <a href="https://miniszterelnok.hu/discours-de-m-viktor-orban-premier-ministre-de-hongrie-sur-letat-de-la-nation-4/">« une guerre sainte, un djihad de l’État de droit »</a>, Viktor Orban n’a jamais envisagé de faire sortir son pays de l’UE. Il veut au contraire rester dans <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/12/29/soixante-ans-apres-le-traite-de-rome-deux-europe-se-font-face_5055368_3232.html">l’UE pour la combattre</a>. Au nom de la civilisation européenne (famille traditionnelle, foi chrétienne, esprit national, propriété privée), il rassemble les forces d’opposition au libéralisme politique et à l’humanisme sur lesquelles s’est construite l’UE. Cette attitude politique a progressivement été adoptée par tous les <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0516-droites-extremes-la-conversion-a-l-europe">grands partis de droite radicale et extrême de l’UE</a>, dont plus aucun ou presque ne met la sortie de l’UE à son programme.</p>
<h2>Les origines de l’illibéralisme</h2>
<p>Regarder l’ensemble de ce tableau européen permet donc de se faire une idée assez précise de ce que deviendrait une France dirigée par Marine Le Pen et sa majorité : une démocratie illibérale. Avant d’être <a href="https://www.france24.com/fr/20180407-hongrie-viktor-orban-maitre-democratie-illiberale-premier-ministre-elections-xenophobie">reprise à son compte</a> par Orban en 2014, cette notion a été <a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-1998-2-page-17.htm">inventée par le publiciste américain Fareed Zakaria</a> (aujourd’hui journaliste sur CNN) pour la revue <em>Foreign Affairs</em> à la fin des années 1990.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DIAy1sQqxZw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Les démocraties illibérales », Observatoire de la modernité, Collège des Bernardins.</span></figcaption>
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<p>Zakaria forge cette notion pour caractériser un grand nombre de pays – de la Turquie aux Philippines en passant par l’Égypte, le Venezuela et l’Indonésie – qui, sortant de la dictature, sont devenus des démocraties en même temps que la guerre froide s’achevait. Zakaria constate que cette démocratisation repose sur des élections parlementaires régulières et une vie politique multipartite que soutient la liberté de la presse. Mais il <a href="https://www.geo.fr/geopolitique/quest-ce-que-la-democratie-illiberale-modele-dont-viktor-orban-se-veut-le-chantre-209245">constate aussi</a> que la séparation des pouvoirs et l’État de droit y sont partout dans ces années 1990 l’objet de limitations. C’est comme si l’héritage du libéralisme politique était coupé en deux, et que ce vaste mouvement de démocratisation planétaire refusait le legs des libertés constitutionnelles et de l’État de droit tout en s’appropriant celui des élections libres.</p>
<p>Sous les gouvernements et majorités parlementaires de Viktor Orban ainsi que de Mateusz Moraviecki et Jarosław Kaczynski, Hongrie et Pologne sont devenues des démocraties illibérales.</p>
<h2>La légitimité dont se réclame le modèle illibéral</h2>
<p>Les majorités parlementaires sont issues d’élections pluralistes. Elles sont l’émanation du peuple. Les minorités ne doivent pas mettre en danger l’unité et l’homogénéité supposées du peuple. Qu’elles soient politiques, sociales, culturelles ou ethniques, les minorités sont tolérées, mais sont aussi dénoncées et encadrées, voire discriminées.</p>
<p>C’est également au nom de ce principe majoritaire que la justice doit être soumise au Parlement et au gouvernement qui est non pas le représentant du peuple mais son émanation. Il n’y a aucune raison que les juges soient en situation de contredire le Parlement ou de lui opposer un ordre juridique et constitutionnel supérieur : le peuple a toujours raison, et le Parlement procède du fait majoritaire et d’élections régulières. Ce que l’illibéralisme combat, c’est le pluralisme.</p>
<p>Dans cet esprit, il est à la fois logique et légitime de réduire institutionnellement et par le vote d’une loi l’<a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/etat-de-droit-chronologie-du-conflit-entre-l-union-europeenne-la-pologne-et-la-hongrie/">indépendance de la justice en Pologne et celle des médias et des ONG en Hongrie</a>, comme d’assécher le financement du pluralisme de la presse et de mettre en place un système électoral par lequel 40 % des suffrages aux <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/legislatives-en-hongrie-les-verrouillages-tripatouillages-et-magouilles-dorban-20220402_K3JJG6OMJRDQNN4MCEL44PUUSQ/">élections législatives</a> assurent une majorité parlementaire des deux tiers en Hongrie. Les diplomates hongrois le comparent au scrutin uninominal majoritaire pratiqué en France et au Royaume-Uni. Mais celui-ci y a pour fonction de dégager une majorité parlementaire robuste ; pas de porter préjudice aux députés et aux partis de l’opposition ainsi que de les marginaliser dans la vie politique et l’espace public.</p>
<p>En Pologne, le parti Droit et justice (PiS) au pouvoir considère qu’il est de son devoir de <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02456103/document">débusquer les élites ex-communistes et post-communistes</a> qui, recyclées dans la haute fonction publique et l’appareil judiciaire, se seraient données pour mission de contrecarrer la volonté populaire qu’incarne le parti majoritaire régulièrement vainqueur des élections depuis 2015.</p>
<p>Dans cette idéologie de conservation et de consolidation de la pureté supposée d’un peuple défini comme un et homogène, l’ultraconservatisme sociétal est, là aussi, logique et légitime : <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/droits-des-lgbt-en-hongrie-viktor-orban-la-provocation-de-trop_2153022.html">on se méfie des minorités sexuelles</a> – leur existence ne traduit pas des libertés, mais des déviances ; et on rejette les minorités culturelles, ethniques et religieuses, car elles menacent les us et coutumes du peuple national. Il est préférable qu’elles restent « chez elles » et ne rejoignent pas le territoire européen.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1306882589559578626"}"></div></p>
<p>L’idée qu’il existe des différences de nature profondes entre les groupes humains est constitutive de l’illibéralisme européen du XXI<sup>e</sup> siècle. C’est ce qui légitime d’autres entorses à l’État de droit, justifiées par la pensée que les droits universels humains sont réservés aux nationaux sur leur territoire d’origine.</p>
<p>C’est ainsi que les mouvements illibéraux sont souvent accusés de xénophobie : ils prônent des politiques publiques de discrimination et de restriction des droits humains tout en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/22/primaute-du-droit-europeen-bruxelles-lance-une-procedure-d-infraction-contre-la-pologne_6107032_3210.html">soutenant</a> à tort que leurs politiques sont compatibles avec la charte de l’UE des droits fondamentaux et le droit européen.</p>
<h2>Le programme illibéral du Rassemblement national, incompatible avec l’Union européenne</h2>
<p>Le <a href="https://mlafrance.fr/pdfs/manifeste-m-la-france-programme-presidentiel.pdf">programme de Marine Le Pen</a> indique ainsi que « la priorité nationale sera autorisée, notamment dans l’accès à l’emploi dans le secteur privé ou dans le secteur public et dans l’accès au logement social ». Ici encore, le fait majoritaire du peuple national est opposé au droit. Dans les démocraties, le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/04/18/la-preference-nationale-serait-une-rupture-radicale-avec-l-identite-de-la-france_6122632_3224.html">droit</a> est pourtant garant des libertés fondamentales et du pluralisme.</p>
<p>C’est ainsi que se comprennent les promesses de Marine Le Pen de contourner l’Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil constitutionnel par le référendum. À travers cette pratique plébiscitaire, la candidate du Rassemblement national mobilise au profit de l’illibéralisme une tradition française connue : le <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/ouf-napoleon-est-mort-14-le-bonapartisme-passion-inavouee-de-la-republique">bonapartisme</a>, notamment celui de <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-de-1852-second-empire">Louis-Napoléon</a> élu président en 1848.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1453356129094934531"}"></div></p>
<p>La France aurait la même image et les mêmes difficultés que la Hongrie de Viktor Orban et la Pologne du parti Droit et Justice, mais en plus compliquées. En effet, ces deux gouvernements contreviennent à l’État de droit mais ne contestent pas le marché intérieur de l’UE. Or le programme de Marine Le Pen s’en prend, lui, aux quatre libertés du marché unique européen : elle voudrait <a href="https://www.lesechos.fr/elections/candidats/presidentielle-marine-le-pen-veut-retablir-les-controles-aux-frontieres-pour-les-marchandises-1398409">rétablir des contrôles aux frontières de la France</a> et entraver la mobilité des capitaux, des marchandises et des personnes.</p>
<p>Il s’agit de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/02/14/le-programme-de-marine-le-pen-a-la-presidentielle-2022_6113605_823448.html">rétablir une forme de protectionnisme français</a> dans l’UE de façon à éviter aux producteurs basés en France d’être en compétition avec leurs homologues européens. Cela limiterait en France le choix des consommateurs et, pour leur approvisionnement, celui des entreprises. Marine Le Pen écrit <a href="https://mlafrance.fr/pdfs/manifeste-m-la-france-programme-presidentiel.pdf">dans son programme</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Afin de renforcer le patriotisme économique […], j’utiliserai le puissant levier de la commande publique. En opposition claire et assumée aux dogmes de la mondialisation sans contrainte, la priorité nationale (ou européenne dans certains cas) s’appliquera pour les marchés publics(… ainsi que) un renforcement significatif des contrôles des importations et la fin du travail détaché. »</p>
</blockquote>
<p>Or, la préférence nationale aux entreprises est la déclinaison dans l’économie du refus du pluralisme ; elle contreviendrait à la législation qui encadre les <a href="https://www.europe-en-france.gouv.fr/fr/aides-d-etat">aides d’États</a>. La légaliser nécessiterait donc de faire sortir la France de l’Union européenne, une option écartée de son programme depuis sa défaite de 2017.</p>
<p>La mutation de la République française en démocratie illibérale par Marine Le Pen présidente conduirait à un <a href="https://www.lopinion.fr/elections/presidentielle/la-presidentielle-vue-deurope-lexception-francaise">bras de fer</a> entre son gouvernement et le reste de l’Union européenne (Commission, Cour de justice, Conseil de l’UE et États membres).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181355/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Inventé il y a une vingtaine d’années, le concept de démocratie illibérale a depuis fait florès dans plusieurs États européens… y compris bientôt en France ?Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, docteur en géographie, Centre d'histoire de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1787932022-03-08T19:30:07Z2022-03-08T19:30:07ZLa pressante question des réfugiés ukrainiens en Moldavie<p>La tragédie de la guerre en Ukraine a une portée continentale qui ne peut pas épargner un pays limitrophe comme la Moldavie. Même si cette dernière n’est pas partie prenante au conflit sur un plan militaire, en dépit d’une certaine anxiété locale due à la <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2019-3-page-107.html">présence de l’armée russe en Transnistrie</a>, elle est en revanche d’ores et déjà très impliquée dans la gestion humanitaire de la crise.</p>
<p>La Moldavie, pays traditionnel d’émigration, est devenue un <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/280222/en-moldavie-l-un-des-pays-les-plus-pauvres-d-europe-les-refugies-ukrainiens-affluent-par-dizaines-d">élément essentiel de la gestion des flux de réfugiés ukrainiens à l’échelle européenne</a>, ce qui ne va pas sans créer des difficultés.</p>
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<h2>La Moldavie, un pays d’émigration</h2>
<p>Plusieurs études ont été <a href="https://www.cairn.info/revue-revue-d-etudes-comparatives-est-ouest1-2015-1-page-111.htm">consacrées à l’émigration des Moldaves</a>, notamment <a href="https://cadmus.eui.eu/handle/1814/62627">sous la direction de Valeriu Mosneaga</a> de l’Université d’État de Moldavie. Dans ce pays, l’émigration est, de fait, une donnée ancienne.</p>
<p>Ce n’est peut-être pas tout à fait un hasard si l’écrivain britannique Israel Zangwill, théoricien du sionisme, a fait en 1908 de la famille Quixano les protagonistes de sa pièce <a href="https://www.jstor.org/stable/2711893"><em>The Melting Pot</em></a> (expression qui a depuis fait florès). En effet, c’est bien de la capitale moldave Chisinau (Kichinev en russe) que cette famille est originaire, avant de partir rejoindre les États-Unis. La Moldavie a abrité par le passé une <a href="https://www.jewishvirtuallibrary.org/moldova-virtual-jewish-history-tour">forte communauté juive</a>, qui représentait un peu moins de la moitié de la population de Chisinau d’après le recensement de 1897, mais aussi de nombreux <a href="http://www.unlivredusouvenir.fr/shtetl.html"><em>shtetels</em></a>, ces villages à population juive.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/6BsFSTXoCU8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">History of Moldova, History Media-HD, 3 juin 2021.</span></figcaption>
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<p>Cette population a massivement migré à plusieurs époques. Les <a href="https://www.cairn.info/revue-le-monde-juif-1963-1-page-63.htm">pogroms de Kichinev de 1903</a> (49 morts et environ 500 blessés) et celui de <a href="https://cultures-j.com/dans-la-ville-du-massacre-le-pogrom-de-kichinev-sous-la-plume-des-ecrivains%E2%80%8F-par-pierre-yitzhak-lurcat/">1905</a> (19 morts et 56 blessés) ont poussé de nombreuses familles à partir. La révolution de 1917 également.</p>
<p>C’est à cette époque par exemple, parmi d’autres, que la famille de Robert Badinter quitte la Bessarabie, comme l’ancien ministre de la Justice l’explique dans son livre <a href="https://www.editions-ruedesevres.fr/idiss"><em>Idiss</em></a>, où il rend hommage à sa grand-mère. L’émigration juive s’est poursuivie ensuite sous l’Union soviétique, notamment à partir des années 1960, vers les États-Unis et Israël.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-9-mai-vu-de-moldavie-une-memoire-smuglyanka-137760">Le 9 mai vu de Moldavie : une « mémoire Smuglyanka »</a>
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<p>Si d’autres populations que les Juifs sont également parties avant 1991 (notamment les <a href="https://www.moldavie.fr/Les-Allemands-de-Bessarabie-Une-histoire-europeenne.html">Allemands</a>, présents du XIX<sup>e</sup> siècle jusqu’en 1944, quand, face à l’avancée des troupes soviétiques qui les auraient sans doute considérés comme des traîtres, ils ont massivement quitté la région pour rejoindre l’Allemagne), l’indépendance voit de nouvelles populations émigrer. Ainsi, dans la première moitié de 1992, la <a href="https://www.cairn.info/revue-inflexions-2016-3-page-105.htm">guerre en Transnistrie</a>, contraint l’Ukraine à accueillir ses premiers réfugiés.</p>
<p>Les <a href="https://regard-est.com/moldavie-une-economie-etouffee">crises économiques successives</a> que la Moldavie a connues depuis l’indépendance, entre transformations structurelles et chocs externes, ont contribué à refaire du pays une terre d’émigration. Aux destinations traditionnelles (Russie, Ukraine) <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2008/03/22/tournee-vers-l-union-europeenne-la-moldavie-se-vide-de-ses-habitants-faute-d-avenir-clair_1026367_3214.html">s’en ajoutent de nouvelles</a> comme l’Italie, la Grèce, le Portugal ou encore Chypre. L’auteur moldave russophone Vladimir Lortchenkov fait par exemple de l’Italie la Terre promise du village de Larga dans son ouvrage à l’humour caustique <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782266250528-des-mille-et-une-facons-de-quitter-la-moldavie-vladimir-lortchenkov/"><em>Des mille et une façons de quitter la Moldavie</em></a>. L’émigration est donc autant une réalité sociale qu’un objet de fiction dans la Moldavie actuelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/trente-ans-apres-leffondrement-de-lurss-ces-etats-fantomes-qui-hantent-lespace-post-sovietique-174140">Trente ans après l’effondrement de l’URSS, ces États fantômes qui hantent l’espace post-soviétique</a>
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<p>De fait, l’émigration a pris un caractère réellement massif : la <a href="https://euobserver.com/world/152559">population est passée en une trentaine d’années de 4,3 à environ 2,8 millions d’habitants</a>. Sur le plan économique, les transferts de fonds représentaient jusqu’à 38 % du PIB en 2008, pour descendre à environ un quart du PIB ces dernières années, ce qui fait de la Moldavie l’un des pays les plus dépendants au monde de cette manne économique.</p>
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<figcaption><span class="caption">La Moldavie dépend beaucoup de sa diaspora pour subsister, France 24, 14 novembre 2020.</span></figcaption>
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<p>La Moldavie connaît encore aujourd’hui près de 35 000 départs par an, réduisant d’autant la taille de son marché du travail. Pour autant, on peut observer que l’intérêt du monde politique pour la diaspora a longtemps été relativement limité, <a href="https://fr.euronews.com/2020/11/14/la-moldavie-depend-beaucoup-de-sa-diaspora-pour-subsister">même si elle a eu un rôle important</a> lors de la dernière élection présidentielle, en novembre 2020, le vote des émigrés ayant eu un <a href="https://theworld.org/stories/2020-11-30/how-moldovas-diaspora-helped-secure-win-nations-first-woman-president">poids déterminant</a> dans la victoire de Maïa Sandu, l’actuelle présidente pro-européenne.</p>
<p>La République de Moldavie a toutefois tardé à développer des institutions politiques propres à favoriser le développement du pays et un lien durable avec sa diaspora. Dans le <a href="https://theconversation.com/la-moldavie-le-pays-ou-lon-reve-malgre-tout-deurope-112558">dialogue avec l’Union européenne</a>, notamment dans le cadre de la Politique européenne de voisinage et dans celui du Partenariat oriental, la question migratoire a longtemps été considérée plutôt sous le prisme des enjeux sécuritaires que de développement.</p>
<h2>Un afflux de réfugiés sans précédent</h2>
<p>La gestion des flux de réfugiés de la guerre en Ukraine est devenue pour la Moldavie une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/reportage-il-nous-faut-du-soutien-la-moldavie-appelle-a-laide-face-a-laffluence-de-refugies-ukrainiens_4995513.html">question d’importance vitale</a>, mettant au défi la capacité d’accueil du pays. Elle se retrouve, toutes proportions gardées, dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2013-4-page-67.htm">position similaire à celle du Liban</a>, pays en première ligne lors de la guerre civile syrienne, qui a dû faire face à un afflux massif de réfugiés (1,5 million de réfugiés pour une population d’environ 5 millions de personnes).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1500365671414349824"}"></div></p>
<p>En effet, au matin du 6 mars, selon le ministre des Affaires étrangères Nicu Popescu, ce sont plus de 200 000 réfugiés qui sont passés par la Moldavie, et près de 96 000 qui ont été accueillis. De fait, la proportion de réfugiés pour 100 000 habitants est la plus élevée d’Europe, deux fois supérieure à celle de la Pologne et approchant de l’équivalent de 4 % de la population totale. Or la Moldavie ne bénéficie pas d’une économie aussi solide que la Pologne, la Slovaquie ou la Hongrie, les principaux autres pays d’accueil ; à titre d’exemple, son PIB nominal par tête est le quart de celui de la Pologne.</p>
<p>Les personnes accueillies par la Moldavie présentent un certain nombre de caractéristiques. On retrouve pour l’essentiel des Ukrainiens du Sud, en majorité des femmes avec des enfants jeunes, les hommes de 18 à 60 ans étant <a href="https://theconversation.com/why-banning-men-from-leaving-ukraine-violates-their-human-rights-178411">réquisitionnés pour le combat</a>. Il faut noter que la Moldavie a également accepté sans restriction les ressortissants de pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine qui séjournaient en Ukraine.</p>
<p>La pression est donc forte sur la Moldavie, même si l’on peut faire l’hypothèse qu’il s’agit, pour la plupart des réfugiés, d’une localisation temporaire avant un départ vers l’un des États membres de l’UE. En effet, Chisinau n’a reçu pour le moment qu’environ 2 000 demandes d’asile, ce qui reste limité. Bon nombre des Ukrainiens les plus qualifiés ont déjà quitté son territoire pour rejoindre les pays de l’UE, d’autant que la <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/284183-ue-ukraine-protection-temporaire-pour-les-refugies-fuyant-la-guerre">Directive sur la protection temporaire de 2001</a> prévoit de faciliter l’obtention d’un permis de travail. Pour les autres en revanche, rester en Moldavie est une option sérieuse, même si elle n’est peut-être que temporaire.</p>
<p>Si la présence d’un grand nombre de réfugiés ne va pas sans engendrer des difficultés, la Moldavie fait au mieux pour remplir ses obligations à leur égard. Le président du Parlement moldave, Igor Grosu, <a href="https://www.theglobeandmail.com/world/article-for-tiny-poor-moldova-welcoming-ukrainians-combines-kindness-with/">souligne</a> par exemple que des procédures simplifiées ont été mises en place pour les Ukrainiens, rendant possible l’ouverture des comptes en banque, la scolarisation des enfants localement, ainsi que l’accès à la santé. Les autorités moldaves essaient également d’y voir une opportunité : les réfugiés ukrainiens pourraient répondre aux besoins du marché du travail moldave dans divers secteurs comme les technologies, l’industrie automobile ou la construction.</p>
<h2>Les besoins urgents de la Moldavie</h2>
<p>On peut certes se réjouir, pour la Moldavie, du fait que l’UE a <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/l-union-europeenne-debute-l-examen-des-candidatures-d-adhesion-de-l-ukraine-de-la-georgie-et-de-la-moldavie">commencé l’examen de sa candidature</a>, mais ce n’est pas une réponse à la crise immédiate.</p>
<p>Cette situation de pays d’accueil est nouvelle pour la Moldavie, saisie par l’ampleur de la crise, et lui a valu de recevoir en quelques jours les visites du ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/moldavie/evenements/article/deplacement-de-jean-yves-le-drian-ministre-de-l-europe-et-des-affaires">Jean‑Yves Le Drian</a>, du Commissaire européen à l’aide humanitaire et aux situations de crise <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/es/mex_22_1541">Janez Lenarcic</a>, ainsi que du secrétaire d’État <a href="https://apnews.com/article/russia-ukraine-europe-migration-antony-blinken-moldova-4d05f109bbed14d43dc2eb10d375e622">Anthony Blinken</a>.</p>
<p>Selon le chercheur Stanislav Secreriu, les besoins de la Moldavie <a href="https://twitter.com/StasSecrieru/status/1500415543135940608">se situent dorénavant à trois niveaux</a> :</p>
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<li><p>La Moldavie a besoin de fonds, au-delà de l’assistance humanitaire.</p></li>
<li><p>La Moldavie manquant de ressources humaines, <a href="https://frontex.europa.eu/media-centre/news/news-release/frontex-renews-cooperation-plan-with-moldova-MCXu65">Frontex</a> pourrait fournir une aide bienvenue afin de gérer cette situation d’urgence.</p></li>
<li><p>Enfin, il convient de faciliter le transfert des migrants de la Moldavie vers d’autres pays européens, afin de répartir l’effort.</p></li>
</ul>
<p>On ne saurait trop que recommander de soutenir la Moldavie maintenant, alors que les flux de réfugiés risquent de continuer dans les prochains jours, voire les prochaines semaines.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178793/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florent Parmentier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Moldavie, la proportion de réfugiés ukrainiens par rapport à la population totale du pays est la plus élevée d’Europe. Chisinau a un besoin urgent d’aide internationale pour gérer cet afflux.Florent Parmentier, Secrétaire général du CEVIPOF. Enseignant à Sciences Po. Chercheur-associé au Centre HEC Paris de Géopolitique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1742252022-01-09T17:13:11Z2022-01-09T17:13:11ZEurope de l’Est : la désillusion, 30 ans après la chute du communisme<p>À la tombée du mur de Berlin en novembre 1989, les habitants des États satellites européens de l’URSS – la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie (pour ne pas parler de l’Allemagne de l’Est) étaient, dans leur grande majorité, aux anges. Aujourd’hui, plus de 30 ans plus tard, ils sont déçus. Rares sont ceux qui souhaiteraient revenir au communisme, mais l’avenir ne s’est pas montré aussi « radieux » que prévu.</p>
<p>La première <a href="https://www.pickandread.fr/1353316/The-Politics-of-a-Disillusioned-Europe.ebook">déception</a> des pays de l’Est, qui ont fini par rejoindre l’Union européenne en 2004-2007, soit une bonne quinzaine d’années après l’effondrement du communisme, a été provoquée par le constat que les « anciens » membres de l’UE ne montrèrent guère d’empressement à les accueillir. Les pays de l’Est, qui avaient fidèlement suivi les nombreux changements juridiques réclamés par Bruxelles, se sentaient pourtant profondément européens. Certainement pas moins que la Grèce, avec laquelle ils partageaient certaines affinités, et qui avait rejoint l’Union en 1981, sept ans à peine après la chute de sa dictature militaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelle-place-pour-les-valeurs-politiques-au-sein-de-lue-170237">Quelle place pour les valeurs politiques au sein de l’UE ?</a>
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<p>Ils ont mal compris les <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2007-2-page-353.htm?contenu=resume">luttes internes à l’Union</a>, au sein de laquelle certains anciens membres craignaient le déplacement du centre de gravité de l’UE vers Berlin et le <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2003-3-page-53.htm">renforcement du rôle de l’Allemagne</a> (ce qui a effectivement été le cas, une fois les Est-Européens admis).</p>
<h2>Le temps du désenchantement</h2>
<p>Pour les pays d’Europe centrale et orientale, les années 1990, durant lesquelles ils ont mis en œuvre les nombreuses <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/questions-d-europe/qe-134-fr.pdf">mesures d’ajustement imposées par l’UE</a>, ont été marquées par des chutes de production, la fermeture des usines et un <a href="https://www.persee.fr/doc/espos_0755-7809_1996_num_14_1_1738">chômage massif</a>.</p>
<p>Pour autant, le cap européen n’a pas été sérieusement remis en cause à cette époque. Les populations et les nouvelles élites estimaient que les malheurs économiques étaient le prix à payer pour rejoindre l’Europe prospère.</p>
<p>Quelle n’a pas été la surprise des pays de l’Est quand, quelques années à peine après qu’ils ont enfin été admis au sein de cette UE tant désirée, ils se sont retrouvés frappés par la crise financière de 2008, <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2013-3-page-127.htm?contenu=article">importée des États-Unis chez eux via l’Europe occidentale</a> Dès 2007, le produit national brut des pays de l’Est (à l’exception de la Pologne) chutait drastiquement, notamment du fait de la diminution des investissements occidentaux et des exportations vers l’Ouest. La foi de ces pays dans le néo-libéralisme à l’occidentale et dans la primauté du marché sur toute autre chose était sérieusement ébranlée.</p>
<p>La crise suivante des relations Est-Ouest, survenue en 2015, était d’une tout autre nature puisqu’elle a été <a href="https://www.euractiv.fr/section/justice-affaires-interieures/news/levee-de-boucliers-contre-les-migrants-en-europe/">centrée autour de la question de l’accueil des réfugiés</a>. Bruxelles exigeait une répartition des migrants parmi les membres de l’Union tandis que les pays de l’Est, y compris le groupe balte, y étaient unanimement opposés. C’est à ce moment que les divergences entre les « anciens » et les « nouveaux » membres de l’UE sont apparues au grand jour.</p>
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<figcaption><span class="caption">Crise migratoire : la fermeté hongroise (Euronews, 8 septembre 2015).</span></figcaption>
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<h2>Une Histoire qui passe mal</h2>
<p>Une lutte sourde se déroulait déjà depuis quelques années à l’intérieur de l’UE à propos de la lecture de l’histoire du continent.</p>
<p>Les anciens satellites européens de l’URSS estimaient que le totalitarisme communiste était aussi pernicieux que le totalitarisme fasciste. En 2008, le Parlement européen <a href="https://www.rferl.org/a/europe-day-remembrance-victims-of-stalinism-nazism/24685533.html">décidait</a> que le 23 août, date anniversaire du Pacte Molotov-Ribbentrop qui avait prévu la division de l’Europe centrale en zones d’influence soviétique et allemande, deviendrait un jour de souvenir pour les victimes « du stalinisme et du nazisme », ce qui ne satisfaisait que partiellement les revendications des pays de l’Est, qui s’attendaient à une condamnation plus ferme du soviétisme en tant que tel, et pas seulement du stalinisme.</p>
<p>Dans le même temps, la question de la Shoah donnait du fil à retordre aux pays de l’Est. Durant les décennies précédentes, la position de l’URSS, adoptée par ses satellites, était que les victimes de la Shoah étaient simplement des citoyens de leurs pays respectifs. Ayant bien compris l’importance de la mémoire de ces événements pour les États membres les plus anciens de l’Union, ils s’étaient toutefois pliés au récit mémoriel existant en créant des commissions et en dénonçant les horreurs de la Guerre et la spécificité de la Shoah. Mais quatre des nouveaux membres de l’UE (la Hongrie, la Slovaquie, la Roumanie et la Bulgarie) avaient été intégrés à l’axe allemand et même les Polonais, pourtant membres du camp allié, étaient accusés d’avoir participé à la Shoah. L’adoption du narratif ouest-européen a donc donné lieu à certaines tensions internes : les « Européanistes » ou les forces de gauche demandaient que les régimes fassent toute la lumière sur les activités des dirigeants de leurs pays pendant la Guerre tandis que les « nationalistes » ne voulaient pas qu’on réveille l’ombre de ce chapitre sombre de l’histoire de leur pays et allaient parfois jusqu’à professer une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/hongrie-une-statue-du-regent-horthy-fait-ressurgir-le-passe-nazi_3071223.html">certaine admiration</a> envers les personnalités ayant à l’époque collaboré avec les nazis.</p>
<p>Surtout, les « nouveaux » membres de l’Union se sentent souvent considérés comme étant inférieurs aux « anciens ». Un sentiment renforcé par la dernière distribution de postes clés à Bruxelles, qui sont allés à une Allemande (Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne), à un Belge (Charles Michel, président du Conseil européen), à un Italien (David-Maria Sassoli, président du Parlement européen), à un Espagnol (Josep Borrell, représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité) et à une Française (Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne). Le seul représentant des nouveaux membres à avoir atteint un de ces postes est l’ancien premier ministre polonais, Donald Tusk, qui fut président du Conseil européen de 2014 à 2019.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Macron, Orban, Scholz : quelle Europe en 2022 ? » (Arte, 15 décembre 2021).</span></figcaption>
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<h2>Une divergence de valeurs avant tout</h2>
<p>Dans le fond, ces multiples divergences reposent sur des visions diamétralement opposées de ce que c’est l’Union européenne. Pour les uns, l’Union rassemble des États souverains autour d’un accord commercial. Pour les autres, elle représente une union des valeurs destinée à devenir un « super État » qui éclairera le monde.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/crise-ue-pologne-le-retour-du-politique-170577">Crise UE-Pologne : le retour du politique</a>
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<p>Avec le <a href="https://theconversation.com/laccord-sur-le-brexit-ce-quil-contient-et-ce-qui-est-a-venir-pour-le-royaume-uni-et-pour-lue-152546">départ définitif</a> du Royaume-Uni de l’Union européenne en 2020, les partisans de la première vision, à laquelle s’étaient associés la plupart des dirigeants de l’Europe de l’Est, ont connu la perte d’un allié puissant. En réaction, les dirigeants de l’Est expliquent qu’ils n’ont pas reconquis leur souveraineté pour l’abandonner de nouveau, même en faveur de l’UE. Le Parlement européen, qui même s’il comporte un certain nombre d’eurosceptiques et de conservateurs, reste le premier défenseur des valeurs europèennes, a pris l’ascendant et supporte fermement l’égalité de tous les citoyens membres de l’Union, y compris les communautés LGBT+, ce qui <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/21/europe-de-l-est-la-guerre-du-genre-est-declaree_6030359_3210.html">déplait aux sociétés conservatrices de l’Est</a>.</p>
<p>Depuis plusieurs années, la Hongrie, qui s’auto-définit comme <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/la-hongrie-pionniere-de-la-derive-illiberale-130021">« une démocratie illibérale »</a> encourt la frustration de Bruxelles. À la Hongrie s’est <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/06/07/la-ou-s-abime-la-democratie_5311194_3232.html">jointe la Pologne</a> qui, après plusieurs incartades, a proclamé la <a href="https://theconversation.com/bras-de-fer-entre-bruxelles-et-varsovie-comprendre-la-strategie-des-autorites-polonaises-169665">supériorité de ses principes constitutionnels</a> sur les lois de l’Union. Un geste intolérable pour l’UE.</p>
<p>Toutefois, l’Union <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/cafe-europe/cafe-europe-07-avril-2018">n’a pas de procédure</a> pour l’expulsion d’un membre. Par ailleurs, les populations polonaise et hongroise restent <a href="https://www.pewresearch.org/global/2019/10/14/the-european-union/">très attachées</a>, au fait d’être membres de l’Union européenne.</p>
<p>Cependant, les institutions européennes, particulièrement remontées contre les « dissidents » de l’Est, possèdent aujourd’hui une arme puissante. Il s’agit des plus des quelque 750 milliards d’euros <a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/recovery-plan-europe_fr">alloués par l’UE aux pays membres</a> pour surmonter la pandémie et pour faciliter la transition écologique. L’Union a déjà <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/07/26/crise-en-vue-avec-la-hongrie-et-la-pologne-sur-le-plan-de-relance-europeen_6089597_3210.html">menacé de ne pas octroyer ces aides</a> communautaires aux pays ne respectant pas l’État de droit. Le ministre polonais de la Justice a beau <a href="https://www.rtbf.be/info/monde/detail_versement-de-fonds-europeens-la-pologne-accuse-la-commission-ue-de-chantage?id=10834928">crier au « chantage »</a>, l’UE n’entend pas libérer ces fonds avant que tous ses pays membres n’adhèrent à ses règles.</p>
<p>La situation actuelle entre la Pologne et la Hongrie, appuyées tacitement par les autres anciens satellites européens de l’URSS, et le reste de l’Union européenne demeure dans l’impasse. Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas la dernière crise que les « nouveaux » et les « anciens » membres de l’Union auront à affronter.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174225/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>André Liebich ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Derniers venus au sein de l’Union européenne, les ex-États satellites de l’URSS ont une relation tumultueuse avec l’Europe, sur fond de désaccord profond quant aux valeurs de l’Union.André Liebich, Professeur honoraire d'histoire et politique internationales, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1718852021-11-15T20:44:40Z2021-11-15T20:44:40ZCrise migratoire entre la Biélorussie et l’UE : tragique géopolitique<p>La crise migratoire qui se déroule actuellement à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne était en préparation depuis de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/29/en-pologne-la-crise-des-refugies-a-l-est-relance-le-debat-migratoire_6092667_3210.html">nombreuses semaines</a>. Tout le monde en était conscient et l’issue était prévisible : le régime de Minsk avait décidé de générer artificiellement une pression migratoire sur le sol européen en réponse aux <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A02012D0642-20210625&qid=1636968256233">quatre paquets de sanctions</a> adoptés par l’Union européenne.</p>
<p>Cette nouvelle crise migratoire, à la différence des précédentes et notamment de celle liée à la guerre en Syrie <a href="https://www.erudit.org/en/journals/ei/1900-v1-n1-ei04251/1055690ar/">survenue en 2015</a>, ne concerne pas les frontières du sud de l’Europe, mais de l’est. À la frontière biélorusse, en face de <a href="https://www.rts.ch/info/monde/12409490-la-lituanie-veut-eriger-une-barriere-de-fer-a-la-frontiere-de-la-bielorussie.html">Lituanie</a> ou de la Pologne, s’amassent des <a href="https://twitter.com/TadeuszGiczan/status/1457620404172902401?s=20">milliers</a> de migrants, presque tous en provenance <a href="https://www.themoscowtimes.com/2021/11/12/ill-camp-all-winter-if-i-have-to-onboard-a-flight-to-belarus-with-iraqi-migrants-a75531">d’Irak ou de Syrie</a>.</p>
<p>Il ne fait guère de doute aujourd’hui que l’arrivée subite en Biélorussie de ressortissants de ces pays bénéficiant d’un visa touristique ne doit rien au hasard. Les témoignages se <a href="https://www.themoscowtimes.com/2021/11/13/in-minsk-migrants-have-become-part-of-daily-life-and-a-business-opportunity-for-some-a75540">multiplient</a> et attestent que cette nouvelle route migratoire a été ouverte délibérément par la Biélorussie et donc, bien évidemment, avec l’aval d’Alexandre Loukachenko.</p>
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<figcaption><span class="caption">Biélorussie : comment les migrants se sont retrouvés pris au piège aux portes de l’Europe. France 24, 10 novembre 2021.</span></figcaption>
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<p>Ces migrants, qui tranchent avec une population biélorusse peu accoutumée à une immigration issue du Proche-Orient, sont hébergés en plein centre de Minsk, dans des hôtels soviétiques au charme passé mais aujourd’hui décatis. Ils y attendent que leur réseau de passeurs, avec probablement la <a href="https://www.rferl.org/a/belarus-poland-migrant-crisis-syria/31549911.html">complicité des autorités biélorusses</a>, les accompagne vers le poste-frontière polonais de Kuźnica-Bruzgi, avec essentiellement l’Allemagne pour destination.</p>
<h2>L’embarras européen</h2>
<p>Face à cette attitude biélorusse, les réactions européennes sont contrastées.</p>
<p>Du côté polonais, la ligne politique est claire : il n’est pas question de montrer le moindre signe de faiblesse à l’égard de la Biélorussie et d’autoriser les migrants à passer. Elle est aussi brutale. La Pologne aurait massé à la frontière <a href="https://information.tv5monde.com/info/migrants-la-pologne-accuse-le-belarus-de-terrorisme-d-etat-431999">près de 15 000 militaires</a>, outre ses gardes-frontières, et envisage de construire un <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20211029-le-parlement-polonais-approuve-un-mur-anti-migrants-%C3%A0-la-fronti%C3%A8re-bi%C3%A9lorusse">mur anti-migrants</a>. En septembre dernier, le gouvernement de Varsovie a même <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/16/en-pologne-une-zone-de-non-droit-sous-couvert-d-etat-d-urgence_6098656_3210.html">décrété l’état d’urgence</a> dans cette zone frontalière, <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-du-lundi-15-novembre-2021">interdisant aux journalistes et aux ONG d’y accéder</a>.</p>
<p>Dans la gestion des crises humanitaires, la Pologne se fait ainsi le chantre de la manière forte, mettant de côté les engagements qu’elle a contractés en ratifiant, le 27 septembre 1991, la <a href="https://treaties.un.org/pages/ViewDetailsII.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=V-2&chapter=5&Temp=mtdsg2&clang=_fr">Convention relative aux réfugiés de 1951</a> qui établit notamment le principe du non-refoulement.</p>
<p>Cette inflexibilité polonaise met l’UE dans une position inconfortable.</p>
<p>Du point de vue du droit de l’asile, l’importance du principe de non-refoulement a été soulignée, il y a longtemps, par le <a href="https://www.europarl.europa.eu/summits/tam_fr.htm">Conseil européen de Tampere</a> des 15 et 16 octobre 1999, qui a ouvert la voie à un régime commun de l’asile, établi notamment par la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32011L0095">directive du 13 décembre 2011</a>. En somme, l’hostilité de la Pologne à l’égard des migrants débarquant sur son sol ne pouvait qu’appeler à une condamnation européenne, au moins politique, pour violation de ses engagements en tant qu’État membre de l’Union. Ceci d’autant plus que Bruxelles et Varsovie sont engagées <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3607788">depuis plusieurs années</a> dans un contentieux sur l’indépendance de la justice et sur la protection de l’État de droit – un débat encore envenimé depuis peu par la décision qu’a rendue le <a href="https://blog.leclubdesjuristes.com/la-pologne-et-le-respect-de-letat-de-droit-quelques-reflexions-suscitees-par-la-decision-k-3-21-du-tribunal-constitutionnel-polonais">Tribunal constitutionnel polonais</a> remettant en cause la primauté du droit européen sur la Constitution nationale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bras-de-fer-entre-bruxelles-et-varsovie-comprendre-la-strategie-des-autorites-polonaises-169665">Bras de fer entre Bruxelles et Varsovie : comprendre la stratégie des autorités polonaises</a>
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<p>Pourtant, les institutions européennes se montrent, sur le dossier de la crise migratoire, tout à fait clémentes envers Varsovie. Dès le <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2021/07/30/belarus-declaration-of-the-high-representative-on-behalf-of-the-eu-on-the-instrumentalisation-of-migrants-and-refugees-by-the-regime/">30 juillet 2021</a>, Josep Borrell, le haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères, condamnait l’instrumentalisation des migrants et des réfugiés par le régime biélorusse, condamnations réaffirmées le <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2021/08/08/belarus-declaration-by-the-high-representative-on-behalf-of-the-eu-on-the-first-anniversary-of-the-9-august-2020-fraudulent-presidential-elections-in-belarus/">9 août 2021</a>.</p>
<p>Ce soutien à la position polonaise s’est révélé plus solide encore après sa déclaration du <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2021/11/10/belarus-declaration-by-the-high-representative-on-behalf-of-the-european-union-on-the-situation-at-the-european-union-border/">10 novembre</a>, dans laquelle l’UE qualifie les actes biélorusses d’« inhumains » et affirme que les institutions européennes sont « pleinement solidaires avec les États membres qui subissent cette attaque hybride ».</p>
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<figcaption><span class="caption">L’UE accuse la Biélorussie d’instrumentaliser les migrants « comme un voyou » • France 24, 9 novembre 2021.</span></figcaption>
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<p>Ce n’est qu’à la toute fin, presque par politesse, que la déclaration fait une référence timorée aux valeurs européennes qui, selon Josep Borrell, « continueront à guider nos actions, en particulier en ce qui concerne la protection des droits de l’homme des migrants ». De son côté, le Parlement européen, pourtant fervent défenseur des droits de l’homme, ne fait aussi que très timidement référence à la nécessité de protéger les droits des demandeurs d’asile <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0420_FR.html">dans sa résolution du 7 octobre 2021</a>. L’importance de la protection des réfugiés passe donc largement au second plan.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1460625652286119938"}"></div></p>
<h2>La fébrilité biélorusse</h2>
<p>La presse biélorusse officielle s’est bien évidemment fait l’écho de ces contradictions. Elle insiste sur la réponse quasi militaire apportée par la Pologne face à la détresse humaine de ces migrants. Elle parle ainsi de <a href="https://ont.by/news/pyatyj-den-pod-dulami-avtomatov-gumanitarnaya-katastrofa-nabiraet-masshtaby-glavnoe-o-situacii-na-granice-s-polshej">« catastrophe humanitaire »</a>, s’indigne du non-respect des droits de l’homme de la part des Polonais, qu’elle n’hésite pas à qualifier de <a href="https://www.tvr.by/news/obshchestvo/prava_cheloveka_brosheny_v_topku_svoikh_interesov_ili_kak_polsha_otvlekaet_vnimanie_ot_svoego_krizis/">« barbares »</a>. Elle souligne les violations, par Varsovie, de la Convention de 1951 sur les réfugiés et relaye volontiers les critiques émises à cet égard par les <a href="https://ont.by/news/dejstviya-varshavy-osuzhdayut-ne-tolko-pravozashitniki-i-prostye-lyudi-no-i-zhurnalisty">défenseurs des droits de l’homme et les journalistes européens</a>.</p>
<p>À l’inverse, les <a href="https://www.tvr.by/news/obshchestvo/podderzhat_bezhentsev_v_lager_priekhal_senator_dmitriy_baskov_/">autorités biélorusses</a> sont présentées comme étant prévenantes et généreuses, apportant l’aide humanitaire nécessaire aux migrants : des biens de première nécessité, du bois pour se chauffer ou du lait pour les enfants en bas âge. Alexandre Loukachenko, de son côté, s’indigne également de cette <a href="https://tass.ru/mezhdunarodnaya-panorama/12894547">catastrophe humanitaire</a> s’émouvant en particulier du sort « des femmes et des enfants ». Fidèle à son caractère bravache, il n’a pas hésité, lors d’une <a href="https://oborona.ru/product/zhurnal-nacionalnaya-oborona/my-zdes-nadezhno-derzhim-nashu-oboronu-42850.shtml">interview réalisée le 13 novembre</a>, à déclarer qu’« aucun avion de Belavia n’a transporté de migrants », alors même que de nombreuses preuves attestent du contraire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1459920813163876354"}"></div></p>
<p>Par ce comportement, la Biélorussie entend réagir aux sévères sanctions européennes adoptées suite à la réélection frauduleuse d’Alexandre Loukachenko d’août 2020 et aux répressions politiques qui s’en sont suivies ; sanctions qui n’ont d’ailleurs eu de cesse de s’aggraver. Elle souhaite aussi démontrer que son <a href="http://minskdialogue.by/en/research/opinions/can-belarus-become-a-success-story-of-european-security">discours traditionnel</a>, selon lequel elle est le <a href="https://www.europeanleadershipnetwork.org/commentary/belarus-can-help-europe-to-stop-procrastinating-on-risk-reduction/">principal pourvoyeur de sécurité</a> en Europe, devait être pris au sérieux : l’Union, explique Minsk, aurait tout intérêt à ne guère critiquer le régime en place car sans lui, elle risquerait de porter atteinte à sa propre sécurité. Le pouvoir biélorusse se présentait ainsi comme un rempart contre toute forme d’insécurité et de trafics, qu’il s’agisse de drogues, d’êtres humains ou d’armes.</p>
<p>Les événements de ces derniers jours, préparés depuis de longues semaines, concrétisent cette ancienne ligne politique. Certes, cela ne trompe personne tant il est vrai que l’actuelle crise migratoire a été artificiellement créée par la Biélorussie elle-même. Mais ce discours s’inscrit dans la rhétorique politique biélorusse et satisfait apparemment aux impératifs de continuité et de cohérence de sa politique étrangère.</p>
<p>Pour autant, la situation de la Biélorussie et en particulier celle d’Alexandre Loukachenko, est loin d’être confortable. Malgré ses coups de menton, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/bielorussie-le-chef-de-la-diplomatie-russe-fustige-l-ingerence-occidentale-20201126">malgré le soutien russe</a>, tant politique qu’économique, on ne peut s’empêcher de noter une certaine fébrilité.</p>
<p>D’abord, cette crise génère de l’instabilité, ce qui n’est jamais souhaitable pour un régime autoritaire, mal équipé pour la contenir sans porter atteinte à une paix sociale déjà chancelante.</p>
<p>Ensuite, si le soutien russe est réel, il n’est pas un chèque en blanc et les menaces biélorusses de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/12/bielorussie-moscou-promet-que-les-livraisons-de-gaz-a-l-europe-continueront-malgre-les-menaces-de-minsk_6101849_3210.html">coupure du gaz</a> à l’UE ne seront probablement pas soutenues indéfiniment par Moscou.</p>
<p>Enfin, cette crise a été l’occasion de tester la cohésion politique européenne et sa capacité d’agir. En mettant l’UE à l’épreuve, la Biélorussie a donné l’occasion à l’Union de s’affirmer en tant qu’acteur politique, lui permettant de renforcer son unité, si souvent absente lorsqu’elle est confrontée à des enjeux géopolitiques majeurs.</p>
<h2>Le chantage des valeurs : quand la politique prime le droit</h2>
<p>L’objectif de la Biélorussie était de placer l’UE face à ses propres contradictions. Comment réagir face à un régime qui instrumentalise la situation des migrants alors que l’on se présente comme le principal promoteur des droits de l’homme à travers le monde ? La dialectique des intérêts et des valeurs traverse l’Union depuis quelques années déjà, et cette crise migratoire les met sous tension. Le choix européen, cette fois-ci, fut clair : face à un régime pour lequel la règle de droit n’est jamais un paramètre primordial, il est parfois nécessaire de s’écarter de ses propres engagements.</p>
<p>Ce voile pudique mis sur la protection des migrants et le principe de non-refoulement est d’ailleurs tout à fait commode pour Bruxelles. C’est la Pologne qui, <a href="https://www.ledauphine.com/societe/2021/11/11/crise-avec-le-belarus-pourquoi-la-pologne-refuse-les-moyens-humains-de-l-ue">ne faisant pas appel à Frontex</a>, militarise le conflit et se charge de répondre à la Biélorussie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1458690098325688324"}"></div></p>
<p>Politiquement et symboliquement, l’Union « délègue » en quelque sorte à la Pologne le soin de violer son propre droit.</p>
<p>Paradoxalement, c’est grâce à la Pologne – en partie tout du moins – que l’Union s’impose comme un acteur politique qui considère que, parfois, imposer sa puissance doit se faire au mépris du droit. Ce positionnement européen reste cependant difficile à assumer, tant on sait que la construction européenne a d’abord été conçue comme un projet juridique et économique davantage que politique. Et l’on ne s’y trompe pas, le 15 novembre Josep Borrell a présenté aux États membres sa <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/15/l-ue-propose-sa-boussole-strategique-sur-fond-de-crise-bielorusse_6102071_3210.html">« boussole stratégique »</a> pour l’Union qui vise à établir les principes fondamentaux du futur « Livre blanc » en matière de sécurité et de défense européennes. La <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/speech_19_6408">« Commission géopolitique »</a> voulue par la présidente de la Commission européenne trouve donc dans cette crise une certaine raison d'être. Mais à quel prix ? Au prix d’un drame humanitaire pour des milliers de migrants pris entre deux feux. Tragique géopolitique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171885/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Flavier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les milliers de migrants qui se pressent aux frontières entre la Biélorussie et l’UE sont instrumentalisés dans la complexe confrontation géopolitique Minsk-Varsovie-Bruxelles.Hugo Flavier, Maître de conférences en droit public, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1705772021-11-11T16:23:30Z2021-11-11T16:23:30ZCrise UE-Pologne : le retour du politique<p>La décision du Tribunal constitutionnel polonais selon laquelle la Constitution nationale doit <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/07/pologne-le-tribunal-constitutionnel-juge-une-partie-des-traites-europeens-incompatible-avec-la-constitution-polonaise_6097514_3210.html">primer sur le droit européen</a> est apparue comme un coup de semonce porté à l’édifice juridique européen et a déclenché une série de débats.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/derriere-la-crise-polono-europeenne-une-vraie-interrogation-democratique-170039">Derrière la crise polono-européenne, une vraie interrogation démocratique</a>
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<p>La <a href="http://infosdroits.fr/la-hierarchie-des-normes-dans-le-systeme-juridique-francais-principe-bloc-constitutionnel-legislatif-reglementaire-actes-conventionnel/">hiérarchie des normes</a> semblait acquise à partir du moment où un État adhérait à ce nœud de traités qu’est l’Union européenne (UE) : le droit national en conflit avec le droit européen devait céder. La <a href="https://curia.europa.eu/jcms/jcms/Jo2_6999/fr/">Cour de justice de l’Union</a> (CJUE) était la gardienne scrupuleuse de la solidité des liens juridiques unissant les différentes composantes de cet ensemble. Mais en revenant sur ce postulat, le Tribunal polonais a pris une décision très politique.</p>
<p>Celle-ci est apparue d’autant plus choquante aux yeux des observateurs que le gouvernement de Varsovie est considéré par plus d’un comme <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/letat-de-droit-en-pologne-et-en-hongrie-un-defi-pour-leurope">autoritaire et malmenant l’État de droit</a>.</p>
<p>Le débat possible sur les rapports entre le droit national et le droit européen a donc été rendu inaudible, car il a été placé à des niveaux qui faisaient de la discussion quelque chose d’impossible à tolérer. Pour certains, l’affaire était trop grave : l’État de droit, <a href="https://www.rtbf.be/info/monde/europe/detail_voici-comment-la-pologne-menace-la-stabilite-europeenne-par-le-biais-de-la-justice?id=10846717">et même l’avenir de l’Union</a> étaient en jeu. La décision polonaise devait donc absolument être revisée.</p>
<p>La question devenait dès lors « comment faire plier ce gouvernement ? » Or, comme la <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-union-europeenne-a-l-epreuve-de-l-impuissance-politique-817361.html">capacité de l’Union à faire appliquer</a> certaines de ses décisions est aussi puissante que celle de la <a href="https://www.sudouest.fr/redaction/le-cercle-sud-ouest-des-idees/l-039-impuissance-de-la-societe-des-nations-2067287.php">Société des Nations en son temps</a>, c’est-à-dire nulle, il n’y avait que <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/la-pologne-et-la-hongrie-suspendues-aux-fonds-europeens-20211018">l’arme économique</a> et celle des fonds promis au titre du plan de relance <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/279587-en-quoi-consiste-le-plan-de-relance-next-generation-ue">« EU Next generation »</a> qui pouvaient peut-être faire plier Varsovie.</p>
<p>Que l’Union doive recourir à pareille menace en dit long sur l’état de dégradation des rapports politiques en son sein.</p>
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<figcaption><span class="caption">Pologne et UE : la Commission européenne menace de geler les aides allouées à Varsovie (France 24, 19 octobre 2021).</span></figcaption>
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<p>Pour d’autres, acquis à un certain souverainisme et prêts à oublier les <a href="https://fr.euronews.com/2020/10/07/pologne-bataille-pour-la-defense-de-l-etat-de-droit">atteintes à l’État de droit</a> orchestrées par le gouvernement polonais, la Pologne était libre de ses choix, et c’est le droit européen qui devait céder. Peu importe la nature des décisions prises, la démocratie impliquait un renversement dans la hiérarchie des normes.</p>
<p>Le débat impossible prend ainsi une nouvelle fois place, avec l’opposition supposée entre, d’un côté, le camp du droit et du bien et de l’autre, le camp du souverainisme arc-bouté, nationaliste et, dans le fond, condamnable. La pensée binaire avait encore une fois frappé.</p>
<p>L’UE est pétrie de paradoxes : projet politique, elle s’est construite sur la méfiance envers le politique et a voulu le museler par le droit et l’économique.</p>
<p>Désormais, le politique revient à la charge sous différentes formes, illustrant à sa manière la <a href="https://www.republicain-lorrain.fr/france-monde/2018/04/07/le-populisme-se-leve-a-l-est-et-se-repand-a-l-ouest">théorie du frigo</a> de <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/cerispire-user/7174/674">Jacques Rupnik</a>. Ce dernier, en analysant <a href="https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_1997_num_28_1_2839">l’éclatement du fédéralisme yougoslave</a>, l’expliquait par des conflits conservés au réfrigérateur pendant l’ère de <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Josip_Broz_dit_Tito/146915">Tito</a>, mais au prix d’un pourrissement inquiétant. L’Union européenne, sans basculer dans la guerre civile, expérimente elle aussi les retours d’un politique trop longtemps endigué.</p>
<h2>Le politique saisi par le droit</h2>
<p>Le projet européen se voulait un projet politique dont l’arc allait du <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/271592-leurope-modele-de-paix-structurelle">rétablissement de la paix</a> sur le continent à la <a href="https://journals.openedition.org/framespa/10299">lutte contre le communisme</a>.</p>
<p>Il est l’enfant de <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/divers/Peres_de_l_Europe.pdf">l’Europe vaticane</a> des années 1950, un projet chrétien-démocrate qui s’est pensé aussi bien contre le keynésianisme que contre le socialisme et, surtout, le communisme.</p>
<p>Le projet était très largement fondé sur l’idée que des solidarités successives de nature économique débordant sur d’autres domaines donneraient naissance à quelque chose d’hybride qui ne serait ni <a href="https://www.toupie.org/Dictionnaire/%C3%89tat-nation.htm">État-nation</a>, ni Empire, mais une sorte de fédération des nations.</p>
<p>En réalité, le projet s’est construit sur la méfiance à l’égard du politique, visant à l’enserrer, le limiter et le placer sous la férule du marché et du droit (<a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/89/le-cadre-de-l-union-europeenne-pour-les-politiques-budgetaires">lois budgétaires encadrées</a>, gestion de la monnaie confiée à une <a href="https://www.ecb.europa.eu/ecb/html/index.fr.html">banque centrale indépendante</a>, ordre juridique émanant de la concurrence libre et non faussée…). Le politique étant assimilé à la guerre, au nationalisme ou encore aux préjugés, il ne pouvait qu’inspirer la défiance.</p>
<p>Mais il ne s’est pas seulement agi de l’encadrer. Il s’est aussi agi de se substituer à lui, et d’imaginer ses intentions. C’est ici que la CJUE entre en scène, <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782749535852-europe-la-grande-liquidation-democratique-frederic-farah/">comme je l’indique dans mon livre</a> : sa méthode d’interprétation du droit poursuit des objectifs de nature politique. Elle considère que le droit ne doit pas être strictement appliqué, mais appréhendé de façon extensive, dans le cadre des objectifs implicites contenus dans les traités : en cas de litige, l’interprétation du droit doit toujours privilégier un supposé « esprit des traités », impliquant le renforcement de l’intégration supranationale.</p>
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<figcaption><span class="caption">La Pologne et l’Union européenne s’affrontent avant tout sur le terrain du droit malgré le fond politique de leur opposition.</span></figcaption>
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<p>Les prérogatives accordées au juge lui donnent donc un pouvoir presque constituant, puisqu’il lui appartient de combler les lacunes supposées du droit communautaire.</p>
<p>On voit donc bien là comment le juridique est censé guider et soumettre le politique.</p>
<h2>L’UE ou l’art du paradoxe : défense de l’État de droit et méfiance à l’égard de la démocratie</h2>
<p>La méfiance à l’égard du politique s’est parfois transformée en dérive antidémocratique. Cela, moins pour les raisons habituellement évoquées (Parlement européen faiblement doté de pouvoirs, technocratie omnipotente) que du fait d’une sorte de suspicion de la part des autorités européennes vis-à-vis de ce qui pouvait sortir des urnes nationales.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2015/01/25/grece-victoire-historique-du-parti-de-gauche-radicale-syriza_4563125_3214.html">L’élection d’Alexis Tsípras</a> en Grèce avait ainsi été accueillie par la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2015/01/28/01003-20150128ARTFIG00490-jean-claude-juncker-la-grece-doit-respecter-l-europe.php">surprenante sortie</a> de Jean-Claude Juncker, l’ancien président de la Commission européenne, qui avait affirmé qu’« il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ».</p>
<p>L’UE, qui se veut le parangon de l’État de droit, exige son respect de la part des nations européennes pour obtenir une <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/20366-quelles-sont-les-conditions-et-les-modalites-dadhesion-lue">adhésion</a> ou, pour ses membres, des fonds dans le cadre de son plan de relance. Mais, dans le même temps, elle n’hésite pas à vider la démocratie de l’intérieur ou en rend l’exercice compliqué.</p>
<p>Il faut se souvenir combien, dans les pays du Sud durant les années 2011 et suivantes, il a été difficile de former des majorités, car les choix des citoyens risquaient d’être incompatibles avec les règles européennes. Que l’on se remémore, à cet égard, la <a href="https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/portugal-le-president-impose-un-gouvernement-de-droite-516381.html">difficile accession</a> du bloc des gauches au Portugal, le <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2016/02/05/en-espagne-les-questions-qui-compliquent-la-formation-d-une-coalition_4860367_3214.html">fonctionnement récent</a> de la démocratie espagnole ou les nouveaux rôles des présidents italiens, comme Giorgio Napolitano ou Sergio Matarella, grands ordonnateurs de gouvernements européistes.</p>
<h2>Le paradoxe économique : quand l’économique capture le politique</h2>
<p>L’autre paradoxe vient de l’économie. Cette dernière devait donner naissance à du politique, mais le marché a finalement capturé le politique.</p>
<p>Les politiques économiques non coopératives <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/1-98.pdf">l’ont emporté</a>, et la recherche de la compétitivité a fait oublier que l’Union européenne était, au départ, une communauté de partenaires et pas uniquement de concurrents.</p>
<p>La logique de la libre circulation des capitaux et l’affirmation de la logique concurrentielle ont autonomisé la sphère économique, qui est devenue centrale dans le projet européen. L’objectif désormais était la mise en œuvre de réformes structurelles affectant la protection sociale et le marché du travail. De plus en plus de domaines économiques, comme la politique commerciale, sont ainsi soustraits de la délibération collective.</p>
<p>En somme, les paradoxes traversant l’organisation juridique et économique de l’Union en font non seulement un lieu de développement des travers les plus inquiétants de la <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2003-1-page-181.htm">seconde mondialisation</a> (la mondialisation financière, débutée à la fin des années 1970) à travers les possibilités de concurrence déloyale (dumping social et fiscal) qu’ils ouvrent, mais nourrissent aussi les contestations.</p>
<p>Cet arrière-plan met à mal <a href="https://www.cairn.info/l-economie-europeenne-2018%E2%80%939782707198778-page-18.htm">certains piliers</a> sur lesquels repose l’adhésion des citoyens à l’UE et participe à l’intensification de la fréquence à laquelle l’Union rencontre des crises depuis 2010 (la crise dite grecque, la crise migratoire, les tensions à l’est, etc.). Ce faisant, la contestation de l’ordre européen, ne pouvant s’opérer sur un terrain politique cadenassé, s’est déportée dans les domaines économique et juridique.</p>
<p>Que l’on songe déjà au Brexit : le Royaume-Uni avait fait du retour à la supériorité au droit britannique sur celui de l’Europe une <a href="https://publiclawforeveryone.com/2016/06/23/vote-leave-take-control-sovereignty-and-the-brexit-debate/">pierre angulaire de sa sortie</a>. Et dans l’ordre économique, les pays d’Europe centrale et orientale <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/16-1-amis-europeens-Chine-conclave-Dubrovnik-2019-04-10-1201014702">cédaient</a>, ces dernières années, au contre-projet de mondialisation chinois, les nouvelles routes de la soie. Mais le politique prend désormais d’autres visages.</p>
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<figcaption><span class="caption">Peut-on concilier droit européen et souveraineté nationale ? (Arte, 19 octobre 2021).</span></figcaption>
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<h2>Les différents visages du retour du politique</h2>
<p>Il y aurait tout un nuancier à explorer pour observer le retour du politique dans la contestation contre l’UE.</p>
<p>Il est revenu de manière inquiétante lors de la crise dite grecque, durant laquelle les préjugés à l’égard des pays du sud ont prospéré un peu partout. Le nationalisme que l’Europe avait combattu depuis sa création revenait sous la forme d’un racisme décomplexé. Souvenons-nous de certains <a href="https://www.lejdd.fr/International/UE/Valerie-Robert-specialiste-des-medias-allemands-La-presse-allemande-a-traite-la-Grece-avec-un-ton-hautain-et-condescendant-741508">titres de journaux allemands</a> ou encore des sorties de l’ancien président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, parlant de la <a href="https://www.france24.com/fr/20170322-dijsselbloem-eurogroupe-finance-polemique-femme-alcool-schnaps-sud-europe">préférence des habitants du sud pour l’alcool et les femmes</a>.</p>
<p>Mais le politique n’a pas cessé d’exister dans les pays forts et dominants du continent, comme l’Allemagne qui, d’une part, adhérait à l’ordre économique et juridique européen, mais, de l’autre, disposait d’une Cour constitutionnelle <a href="https://journals.openedition.org/allemagne/453#tocto1n3">ne cédant pas d’un pouce sur la souveraineté allemande</a>, exigeant que l’Allemagne puisse toujours <a href="https://www.cairn.info/revue-l-europe-en-formation-2013-2-page-61.htm ?contenu=resume">décider par soi-même et pour soi-même</a>.</p>
<p>La Pologne, sans détenir la même puissance – et peu importent ses motifs – voulait à son tour faire valoir la possibilité d’imposer son ordre juridique national et a porté la contestation là où le Royaume-Uni l’avait fait avant elle : sur le terrain du droit. En faisant prévaloir son droit sur celui de l’Europe, elle n’est pas le héraut de la démocratie retrouvée de demain qui reconquiert fièrement sa souveraineté, mais le signe supplémentaire de la décomposition d’un ordre européen fondé sur le droit et le marché.</p>
<p>La déconstruction européenne continuera d’emprunter les chemins du droit, d’autant plus que les sujets clés à venir sont à haute teneur juridique : gestion des flux migratoires, dumping social, fiscal, normes techniques, sanitaires, phytosanitaires. La Pologne poursuit le travail britannique et l’Union européenne n’a rien d’autre à offrir. Elle est en panne d’imaginaire et a montré que face aux enjeux de nos économies, elle apparaît confuse, contradictoire et exacerbe les tensions plus qu’elle ne parvient à les résoudre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170577/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Farah travaille pour/conseille/
la fondation respublica reconnue d'utilité publique, pour le media Elucid, media en ligne, collabore en tant que pigiste à l'hebdomadaire Marianne </span></em></p>Au-delà des points de vue sur l’autoritarisme polonais, il faut se saisir du conflit entre le pays et l’UE pour se poser la question de la place du politique et de la démocratie au sein de l’Union.Frédéric Farah, Professeur de sciences économiques et sociales, chercheur affilié au laboratoire PHARE, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1702372021-11-03T19:22:50Z2021-11-03T19:22:50ZQuelle place pour les valeurs politiques au sein de l’UE ?<p>Depuis quelques années, les infractions à <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/270286-quest-ce-que-letat-de-droit">l’État de droit</a> – commises notamment <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/union-europeenne-la-hongrie-et-la-pologne-epinglees-dans-le-nouveau-rapport-sur-l-etat-de-droit_4710373.html">par la Hongrie et la Pologne</a>, laquelle conteste à présent la primauté du droit européen sur certains aspects de sa Constitution – reviennent fréquemment au cœur de l’actualité européenne.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bras-de-fer-entre-bruxelles-et-varsovie-comprendre-la-strategie-des-autorites-polonaises-169665">Bras de fer entre Bruxelles et Varsovie : comprendre la stratégie des autorités polonaises</a>
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<p>L’Union européenne s’érige en gardienne des valeurs politiques énoncées dans ses traités, <a href="https://www.liberation.fr/international/loi-homophobe-lue-menace-de-sanctions-contre-la-hongrie-20210707_7BT5B4EU35E4NM5WSU4L35LTOY/">menaçant de sanctions</a> les États en infraction.</p>
<p>Néanmoins, au vu des <a href="https://europe.vivianedebeaufort.fr/la-procedure-de-larticle-7-initiee-contre-la-hongrie-un-an-apres-la-pologne/">critiques</a> qu’ont suscitées la gestion de ces infractions et l’adoption des sanctions, on peut s’interroger sur l’importance que l’UE accorde à ces fameuses « valeurs politiques » et sur le rôle que leur invocation a joué, et continue de jouer, dans la construction européenne.</p>
<h2>Des valeurs affirmées dès les premières années d’après-guerre</h2>
<p>Dans les années 1950, l’objectif de paix éternelle (au nom du « plus jamais ça ») sur le sol européen jette les fondations du dessein politique de l’intégration européenne. Le préambule du <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:11957E/TXT&from=CS">Traité de Rome</a> traduit particulièrement bien cet objectif, témoignant de la volonté des pays signataires d’« affermir, par la constitution de cet ensemble de ressources, les sauvegardes de la paix et de la liberté, et d’appeler les autres peuples de l’Europe qui partagent leur idéal à s’associer à leur effort ».</p>
<p>Le ton est donné : la <a href="https://www.touteleurope.eu/histoire/la-communaute-economique-europeenne/">Communauté économique européenne</a> (CEE) se veut ouverte aux <a href="https://www.lemondepolitique.fr/cours/droit/droit-constitutionnel/droit-constitutionnel-general/etat/types-de-regimes">États non totalitaires</a> et libres de leurs choix.</p>
<p>Cette affirmation préambulaire annonçait d’emblée la possibilité d’élargir la CEE à d’autres États, inaugurant ce qui deviendrait par la suite la principale condition d’adhésion.</p>
<p>C’est en effet au fil des demandes d’adhésion et des élargissements que les valeurs politiques telles que la séparation des pouvoirs ou la liberté d’expression acquirent un statut de condition <em>sine qua non</em> pour l’adhésion.</p>
<h2>Les valeurs politiques et l’adhésion</h2>
<p>Pour qu’un pays puisse se porter candidat à l’UE, il doit tout d’abord satisfaire <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM%3Al14536">deux prérequis</a>, mentionnés dans la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A12012M049">clause d’adhésion</a> : celui d’être un « État européen » et celui du « respect des valeurs ». Ces valeurs, énumérées dans l’Article 2 du <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ:C:1992:191:FULL&from=EN">Traité sur l’Union européenne</a>, concernent principalement l’organisation politique et juridique des États et sont définies comme étant, entre autres, l’État de droit, les droits humains et la démocratie.</p>
<p>Ces deux prérequis - le caractère européen et l'adhésion aux valeurs - sont essentiels ; si ces conditions ne sont pas réunies, l’État ne peut candidater à l’adhésion.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’affaiblissement de l’État de droit est l’un des arguments utilisés par certains États membres de l’UE pour refuser l’entrée des pays des Balkans occidentaux dans l’Union.</span></figcaption>
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<p>Alors que la notion d’« État européen » existe depuis les premiers traités communautaires (1951 et 1957), le respect des valeurs ne fut ajouté à la clause d’adhésion qu’avec le <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-traite-d-amsterdam-1997/">Traité d’Amsterdam</a> en 1997, soit environ quarante ans plus tard. Pourtant, les valeurs rentraient déjà bel et bien en ligne de compte pour l’évaluation des demandes d’adhésion avant 1997, sous couvert d’une identité politique associée au caractère européen des États.</p>
<p>Le terme « européen » peut effectivement se voir attribuer toute une série de significations et d’interprétations, parmi lesquelles on retrouve notamment l’idée de traditions philosophiques, humanistes et démocratiques qui auraient traversé les siècles et constitueraient à ce jour un héritage politique commun aux pays européens.</p>
<p>Cette interprétation politique de l’Europe fut principalement utilisée pour décliner les <a href="http://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.ladocumentationfrancaise.fr%2Fpages-europe%2Fd000521-le-portugal-l-europe-et-la-crise-par-carlos-gaspar%2Farticle">premières tentatives de rapprochement</a> effectuées par l’Espagne au début des années 1960.</p>
<p>Bien que cet État correspondait à des interprétations de l’Europe largement répandues sur les plans géographique et culturel, son régime dictatorial notoire de l’époque – qui faisait fi, entre autres, de la liberté d’expression, de la séparation des pouvoirs et des droits humains – constitua un argument suffisant pour le déclarer non éligible, sur la seule base de la « condition d’État européen » – unique prérequis à l’époque.</p>
<p>Cependant, la CEE n’en clarifia réellement les raisons qu’au milieu des années 1970, après l’effondrement des régimes autoritaires et l’avènement de systèmes politiques davantage en phase avec le supposé « héritage démocratique européen » en Espagne et au Portugal. Ces deux États furent alors pleinement considérés comme des États européens et purent entamer la procédure qui allait aboutir, une dizaine d’années plus tard, à <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/149">leur adhésion</a>.</p>
<p>L’idée d’un « héritage politique européen » fut à nouveau utilisée dans le cadre du <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2003-1-page-3.htm">cinquième élargissement</a>. Exclus des discours occidentaux sur l’Europe jusqu’à la fin de la guerre froide, les pays d’Europe centrale et orientale ont rapidement été réintégrés dans le paysage européen au nom de leur liberté retrouvée et d’un héritage d’avant-guerre commun avec les pays d’Europe de l’Ouest, notamment sur le plan politique. Dix pays (huit d'Europe centrale et orientale, ainsi que Chypre et Malte) étaient concernés par cet élargissement : huit d’entre eux adhérèrent à l’Union européenne en 2004 et les deux derniers la rejoignirent en 2007.</p>
<h2>Les valeurs politiques au-delà de l’adhésion</h2>
<p>Les valeurs ont donc été associées à des traditions politiques (et même « constitutionnelles » pour ce qui est des droits fondamentaux, comme le mentionne <a href="https://www.doctrine.fr/l/traite-union-europeenne/article-6/UE_TUE_6">l’Article 6</a> du Traité sur l’UE) décrites comme étant partagées par les États que l’on peut qualifier d’européens. Cela bien avant l’apparition de la mention du respect des valeurs dans la clause d’adhésion en 1997.</p>
<p>Mais l’idée d’un héritage politique européen associé à des valeurs politiques communes fut également mobilisée dans d’autres discours que ceux sur l’adhésion.</p>
<p>La <a href="https://mjp.univ-perp.fr/europe/docue1973identite.htm">Déclaration sur l’identité européenne</a> mentionne notamment, parmi les héritages communs recensés, « les principes de la démocratie représentative, du règne de la loi, de la justice sociale – finalité du progrès économique – et du respect des droits humains qui constituent des éléments fondamentaux de l’identité européenne ».</p>
<p>Pensée lors du <a href="https://ec.europa.eu/dorie/fileDownload.do;jsessionid=1gbBP96bpW19msQ812gKQsBFzWG3bPvFzqFyQWhyn1NMShkqpy2M!233738690?docId=206709&cardId=206709">sommet européen de Copenhague en 1973</a>, cette réflexion sur l’identité européenne devait permettre à la Communauté de mieux définir sa place et ses responsabilités sur la scène internationale.</p>
<iframe title="Évolution de la prévalence de l'interprétation politique dans le discours des institutions de l'UE " aria-label="Graphique en colonnes" id="datawrapper-chart-wffO2" src="https://datawrapper.dwcdn.net/wffO2/2/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="456" width="100%"></iframe>
<p>Le graphique ci-dessus illustre la prévalence et la répartition des interprétations politiques du prérequis d’État européen dans les discours de l’UE (par rapport à des interprétations géographiques, culturelles et historiques qui en ont également été faites).</p>
<p>La présence des valeurs politiques, bien que variable d’une décennie à l’autre, apparaît très nettement tout au long de l’intégration européenne. Dans <a href="https://journals.openedition.org/communicationorganisation/8626">notre étude</a>, les interprétations politiques de l’Europe ont été tout autant mobilisées que les interprétations géographiques (représentant à elles deux environ 60 % des interprétations attribuées au prérequis d’État européen), ce qui montre l’importance et le rôle essentiel des valeurs pour l’UE.</p>
<p>Il ne s’agit donc nullement d’une nouvelle tendance mais bien d’un aspect fondamental qui a été promu et associé à l’identité même du projet européen depuis ses débuts.</p>
<p>Au-delà des intérêts géopolitiques et économiques qui motivent réellement les politiques d’élargissement, les valeurs politiques s’érigent en constantes de l’intégration européenne, assez puissantes pour pouvoir légitimer la mise à l’écart de certains pays pourtant considérés comme « européens » à bien d’autres égards.</p>
<h2>Entre tolérance zéro et demi-mesures : quelle importance pour les valeurs aujourd’hui ?</h2>
<p>Que la Pologne refuse à présent d’observer les valeurs et principes auxquels elle a pourtant souscrit lors de son adhésion en 2004 pose évidemment question, surtout qu’elle n’est pas le seul État membre où le respect des valeurs prônées par l’Union européenne se retrouve compromis.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/derriere-la-crise-polono-europeenne-une-vraie-interrogation-democratique-170039">Derrière la crise polono-européenne, une vraie interrogation démocratique</a>
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<p>La mise à mal de l’indépendance de la justice et la récente <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/hongrie/hongrie-ce-que-contient-la-loi-anti-lgbt-qui-entre-en-vigueur-ce-jeudi-8-juillet-bae70dd4-defa-11eb-abab-7015931baacf">loi anti-LGBT en Hongrie</a> menacent aussi directement les valeurs telles que l’État de droit et les droits humains. Bien que l’UE se réserve le droit de <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/la-pologne-et-la-hongrie-suspendues-aux-fonds-europeens-20211018">suspendre certaines subventions</a> et d’imposer des astreintes si les valeurs ne sont plus respectées, l’État concerné reste néanmoins membre de l’Union.</p>
<p>En revanche, les États se portant candidats font face à une tolérance zéro : le non-respect des valeurs peut à lui seul bloquer, au moins temporairement, leur éligibilité.</p>
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<figcaption><span class="caption">UE : Union de valeurs ? 28 Minutes, Arte, 1ᵉʳ juillet 2021.</span></figcaption>
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<p>Face à cette différence de traitement entre les États membres et les États aspirant à le devenir, force est de constater que le degré d’importance accordé aux valeurs diffère. Cette différence de traitement s’explique en partie par la volonté d’éviter des tensions et des blocages inutiles au sein de l’UE – voire un <a href="https://theconversation.com/bras-de-fer-entre-bruxelles-et-varsovie-comprendre-la-strategie-des-autorites-polonaises-169665">« Polexit »</a> dans le cas de la Pologne – qui ne feraient que compromettre le bon fonctionnement de l’Union et la poursuite de l’intégration européenne.</p>
<p>Le pouvoir de négociation n’est pas non plus le même face à un État souhaitant rejoindre l’Union et à un État qui en fait déjà partie. Pour autant, est-il légitime et cohérent de faire montre d’une moindre intransigeance sur un principe qui fut dès le départ placé au cœur de la construction européenne ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170237/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annie Niessen a reçu des financements de l'Université de Liège, de l'Institut universitaire européen, de la Fondation Jean Monnet pour l'Europe et de la Belgian American Educational Foundation. </span></em></p>Alors que les cas hongrois et polonais mettent la question des valeurs politiques au centre des débats, retour sur l’importance historique et actuelle de ce concept au sein de l’UE.Annie Niessen, Docteur en Sciences politiques - Chercheuse en Études européennes - Maître de conférences, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1693332021-10-19T18:43:04Z2021-10-19T18:43:04ZPrésidentielle française : ces candidats qui conduiraient une politique « pro-russe »<p>Alors que la <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2021/11/30/election-presidentielle-eric-zemmour-annoncera-sa-candidature-a-la-mi-journee-selon-son-entourage_6104129_6059010.html">candidature d’Éric Zemmour</a> vient d’être officialisée et que Marine Le Pen, Jean‑Luc Mélenchon et Nicolas Dupont-Aignan sont déjà entrés dans la course présidentielle, il est intéressant d’imaginer ce que serait la politique que l’une de ces personnalités conduirait vis-à-vis de Moscou si elle venait à être élue en mai prochain.</p>
<p>En effet, au-delà de leurs divergences, tous ces responsables ont en commun un rejet de la ligne dure adoptée par la France et l’UE vis-à-vis de la Russie, expriment (à divers degrés) leur respect envers Vladimir Poutine et prônent un rapprochement significatif entre Paris et le Kremlin. Ils développent des positions que François Fillon, le candidat de la droite lors de la précédente élection présidentielle, <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2016/11/22/fillon-et-la-russie-une-relation-profonde-et-ancienne_5035506_4854003.html">avait déjà tenues</a>.</p>
<h2>Un tropisme pro-russe relativement répandu</h2>
<p>Les vues de Zemmour (parfois présenté comme <a href="https://www.nouvelobs.com/election-presidentielle-2022/20211031.OBS50484/le-kremlin-vote-zemmour.html">le candidat préféré du Kremlin</a>), Le Pen et Dupont-Aignan n’ont, il est vrai, rien de très original dans une France de droite fascinée par le poutinisme (en 2018, 27 % des Français avaient une une <a href="https://harris-interactive.fr/opinion_polls/limage-de-la-russie-et-des-russes-aupres-des-francais/">bonne opinion du chef de l’État russe</a>, mais ce ratio s’élevait à 35 % parmi les sympathisants Républicains et 50 % parmi ceux du Rassemblement national).</p>
<p>Au-delà, la vision des trois candidats de droite, mais aussi celle de Jean-Luc Mélenchon, reposent sur une conception de l’histoire récente selon laquelle la Russie, sortie vaincue et affaiblie de la guerre froide, a été <a href="https://www.challenges.fr/tribunes/l-europe-a-delaisse-et-humilie-la-russie_93906">humiliée par les Occidentaux</a> et se trouve aujourd'hui environnée de menaces dont l’OTAN est la principale. Loin d’être l’agresseur, elle est la victime d’un complot que les Anglo-Saxons ont ourdi et qui visent à empêcher l’union du continent européen.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1027642740170018816"}"></div></p>
<p>Tous considèrent que la France doit se rapprocher de Moscou, dans une logique gaulliste cherchant une <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-europe-de-l-atlantique-a-l-oural-843631.html">Europe unifiée « de l’Atlantique à l’Oural »</a>. Vladimir Poutine est décrit comme un « patriote » russe qui n’est pas, selon le mot amusant d’Éric Zemmour, un « premier ministre suédois » mais un partisan de la Realpolitik tout doit sorti des conceptions courantes du XIX<sup>e</sup> siècle. Tous semblent songer à un axe franco-russe qui modifierait la géopolitique mondiale en réduisant le poids des États-Unis. Tous critiquent l’expansion de l’OTAN, la politique de l’Union européenne et, notamment, les <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/ukraine-crisis/history-ukraine-crisis/">sanctions</a> édictées en 2014 pour répondre à l’annexion de la Crimée.</p>
<h2>Quelles mesures concrètes la France pourrait-elle prendre ?</h2>
<p>Dans le cas encore hypothétique où cette politique serait mise en œuvre, elle ne manquerait toutefois pas de se heurter à de nombreuses difficultés. La levée des sanctions, qui devrait être décidée par le Conseil européen à l’unanimité, n’aurait rien d’évident. La France rejoindrait le groupe encore minoritaire des États de l’UE qui y sont (la Hongrie) ou y ont été hostiles, tels que l’Italie (avant l’arrivée au pouvoir de Mario Draghi), la Slovaquie (sous le règne du populiste Robert Fico), la Grèce (d’Alexis Tsipras), Chypre, Malte ou la Bulgarie. En ne les respectant pas à titre national, Paris ferait plaisir à ses exportateurs (<a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/RU/les-relations-commerciales-bilaterales-franco-russes">sixième fournisseur de la Russie</a>, la France a vu sa part de marché reculer de 3,7 % en 2014 à 3,5 % en 2020) mais ouvrirait un nouveau conflit avec Bruxelles et ses partenaires européens.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1061275578651828224"}"></div></p>
<p>D’autres mesures d’apaisement vis-à-vis de la Russie, par exemple le retrait du <a href="http://www.opex360.com/2020/07/03/otan-larmee-de-terre-revient-en-lituanie-avec-5-chars-leclerc-et-14-vbci/">contingent français déployé dans les pays baltes</a> au titre des mesures dites de réassurance de l’OTAN (la « présence avancée renforcée » créée après 2014), auraient un grand impact pour Moscou. Mais elles heurteraient évidemment beaucoup les États orientaux, anciens satellites soviétiques (Roumaine, Tchéquie) ou ex-républiques de l’URSS (Baltes), qui y verraient la confirmation des soupçons de complaisance envers la Russie qu’ils ne cessent de nourrir chaque fois qu’est évoquée l’actuelle politique de dialogue franco-russe. La Pologne du PIS, alliée pourtant naturelle d’un président français conservateur sur les sujets sociétaux, en <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-7-page-141.htm">ferait un <em>casus belli</em></a>.</p>
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<p>Des gestes diplomatiques audacieux pourraient être envisagés, par exemple la reconnaissance de l’annexion de la Crimée par la France, de manière unilatérale. Outre qu’elle romprait le consensus européen (et nous brouillerait pour toujours avec l’Ukraine), une telle décision contreviendrait au droit international que la France défend, et notamment au respect de la souveraineté des États et à la non-ingérence dans leurs affaires intérieures. Elle isolerait Paris au sein du camp occidental mais également à l’Assemblée générale des Nations unies qui a <a href="https://www.un.org/press/fr/2018/ag12108.doc.htm">condamné</a> à plusieurs reprises cette modification par la force des frontières internationales (par exemple en <a href="https://undocs.org/fr/A/RES/75/192">décembre 2020</a> dans une résolution adoptée par 63 pays, 17 ayant voté contre, 63 s’étant abstenus). </p>
<p>Nombre des proches alliés de la Russie (de la Biélorussie à la Chine) n’ont d’ailleurs pas reconnu cette annexion (celle-ci a été seulement reconnue, à ce jour, par l’Afghanistan (via une déclaration d’Hamid Karzaï en 2014), la Corée du Nord, Cuba, le Kirghizistan, le Nicaragua, le Soudan (avant l’actuelle transition), la Syrie et le Zimbabwe).</p>
<p>En désespoir de cause, on pourrait envisager des concessions aux Russes sur d’autres théâtres que l’Europe. En Syrie, Paris pourrait renouer avec Bachar Al-Assad. Une position nouvelle qui romprait avec une <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/syrie/syrie-comprendre-la-position-de-la-france/">« diplomatie des valeurs »</a> qui, bon an mal an, ancrait depuis 2011 Paris dans le camp occidental. Dans le dossier iranien, la France pourrait quitter ce même camp et appuyer la Russie, <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20210413-la-russie-et-l-iran-font-front-commun-face-aux-occidentaux-sur-le-nucl%C3%A9aire-iranien">partenaire traditionnel de Téhéran</a>, faisant fi de la non-prolifération. En Afrique, nous pourrions nous réjouir de la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/26/l-emprise-russe-en-republique-centrafricaine-inquiete-paris_6081521_3212.html">présence russe en République centrafricaine</a>, voire inviter les mercenaires de Wagner à <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-58790498">nous succéder au Mali</a>. Mais, sans même évoquer la perte d’influence dont seraient porteuses de telles décisions, nous perdrions ce faisant le soutien des Européens et celui, crucial, des Américains.</p>
<h2>Une complexe révolution diplomatique</h2>
<p>Au fond, semblable au <a href="https://books.openedition.org/pur/132780?lang=fr">rapprochement entre la France et l’Autriche opéré par le cardinal de Bernis en 1756</a>, cette nouvelle alliance franco-russe serait une véritable « révolution diplomatique ». Elle se traduirait par la remise en question de la plupart des positions de politique étrangère adoptées par la France depuis plusieurs décennies. Elle nous isolerait de bon nombre de nos partenaires européens, rendrait probablement difficile notre maintien dans l’OTAN (quel en serait le sens ?), et dégraderait notre alliance, déjà entamée par l’affaire <a href="https://fr.euronews.com/2021/09/18/aukus-paris-rappelle-ses-ambassadeurs-en-australie-et-aux-etats-unis">Aukus</a>, avec les États-Unis. Elle pousserait paradoxalement les États atlantistes, le Royaume-Uni mais sans doute aussi l’Allemagne, à rechercher plus encore la protection de Washington.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1217732525843501056"}"></div></p>
<p>S’il semble difficile à mettre en pratique, le tropisme pro-russe de plusieurs candidats français à la présidentielle fait en revanche écho à l’évolution générale des relations internationales en ce début de décennie 2020. La politique américaine semble désormais tout entière tournée vers <a href="https://asialyst.com/fr/2021/09/10/risque-conflit-courage-strategique-biden-xi-telephonent-premiere-7-mois-chine-etats-unis/">l’affrontement avec la Chine</a>. Dès lors, la Russie devient une pièce de cette vaste partie d’échecs, une puissance dont la coopération peut être recherchée par Washington. Plusieurs décisions récentes de l’administration américaine (l’acceptation d’un <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/le-traite-nucleaire-new-start-prolonge-de-cinq-ans-entre-washington-et-moscou-1287163">prolongement du traité New Start</a>, la <a href="https://www.bfmtv.com/economie/replay-emissions/le-monde-qui-bouge/levee-des-sanctions-americaines-contre-le-gazoduc-nord-stream-2-satisfaction-de-berlin-et-moscou_AV-202105200478.html">levée des sanctions contre Nord Stream 2</a>, de possibles discussions sur <a href="http://www.opex360.com/2021/10/01/washington-negocie-lacces-a-des-bases-russes-en-asie-centrale-pour-deventuelles-operations-en-afghanistan/">l’utilisation de bases russes en Asie centrale</a> pour des frappes anti-terroristes en Afghanistan) montrent une volonté de dialogue avec Moscou.</p>
<p>Mais la politique américaine ne peut pas être le miroir des décisions françaises, notre pays ne jouant plus dans la même catégorie de puissance. La question du moment est donc moins celle d’une alliance franco-russe, que le géant moscovite trouvera toujours moins attractive qu’une discussion avec les États-Unis, que celle de la place de la France dans la vaste tectonique des plaques du nouvel affrontement sino-américain. Rappelons-nous du mot de Zhou Enlai au sujet de la Chine dans la guerre froide russo-américaine : « Que les éléphants se battent ou fassent l’amour, c’est toujours l’herbe qui est écrasée. » Est-ce le moment de quitter l’éléphant pour marcher sur l’herbe ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169333/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Lagane ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plusieurs candidats déclarés à la présidentielle française souhaitent un rapprochement avec la Russie. Concrètement, quelles formes une telle politique prendrait-elle ?Guillaume Lagane, Maître de conférences, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1700392021-10-18T18:48:42Z2021-10-18T18:48:42ZDerrière la crise polono-européenne, une vraie interrogation démocratique<p>Alors que l’offensive du gouvernement polonais contre les structures de l’État de droit en général – et de l’indépendance de la Justice en particulier – se déroule depuis plusieurs années dans une relative indifférence médiatique, l’arrêt par lequel la Cour constitutionnelle de Varsovie a jugé que la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/07/pologne-le-tribunal-constitutionnel-juge-une-partie-des-traites-europeens-incompatible-avec-la-constitution-polonaise_6097514_3210.html">Constitution nationale devait primer sur le droit européen</a> aura subitement remis cette question sur le devant de la scène.</p>
<p>Il faut dire qu’une telle décision porte en germe la remise en cause du principe même de l’Union européenne : si l’on admet que la Constitution d’un État membre puisse faire échec à l’application du droit européen, c’est toute la pérennité de l’édifice commun qui est menacée. C’est la raison pour laquelle la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) juge de longue date que la primauté du droit de l’Union s’impose à toute norme de droit interne, <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A61977CJ0106">fût-elle de nature constitutionnelle</a>. Une interprétation qui procède de l’économie générale de la construction européenne, fondée non sur une logique intergouvernementale mais bien sur une logique fédérale, dès lors que la législation commune est adoptée à la majorité des États.</p>
<h2>Une posture partagée par la France</h2>
<p>Si les gouvernements français et allemands ont très rapidement souhaité affirmer leur <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/pologne/evenements/article/pologne-declaration-conjointe-de-jean-yves-le-drian-ministre-des-affaires">détermination à garantir la primauté du droit de l’Union européenne</a>, la position de nos autorités est en réalité beaucoup plus ambiguë.</p>
<p>D’une part, certains responsables politiques français, à l’image de Michel Barnier, appellent ouvertement à désobéir aux règles européennes, <a href="https://www.marianne.net/politique/droite/europeiste-avec-la-pologne-souverainiste-pour-la-france-le-drole-de-jeu-de-michel-barnier">notamment en matière de droit des étrangers</a>. D’autre part et surtout, les plus hautes juridictions françaises défendent toujours une conception de la hiérarchie des normes équivalente à celle adoptée par leur homologue polonaise.</p>
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<figcaption><span class="caption">La portée du droit de l’Union européenne, JurisMana, 6 novembre 2020.</span></figcaption>
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<p>Selon la formule consacrée, le Conseil d’État <a href="https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/les-grandes-decisions-du-conseil-d-etat/conseil-d-etat-assemblee-30-octobre-1998-sarran-et-levacher">considère</a> ainsi que « la suprématie conférée par l’article 55 de la Constitution aux engagements internationaux ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle ». Une telle interprétation fait logiquement primer les normes constitutionnelles sur les normes internationales ayant vocation à s’appliquer directement en droit interne. Elle est du reste partagée tant par le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1993/92315DC.htm">Conseil constitutionnel</a> que par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007040420/">Cour de cassation</a>.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2021-04-21/393099">arrêt du 21 avril 2021</a>, le Conseil d’État s’est partiellement opposé à la reconnaissance de la décision de la CJUE encadrant rigoureusement la possibilité pour les États de recourir à la surveillance généralisée de nos échanges numériques, au motif qu’elle priverait de garanties certaines normes constitutionnelles. Passée presque inaperçue en France, cette solution a soulevé chez nos voisins des critiques acerbes, brocardée comme l’expression d’une <a href="https://aboutintel.eu/france-council-of-state-ruling/">volonté de « Frexit »</a> ou même d’un <a href="https://verfassungsblog.de/a-securitarian-solange/">« foyer d’infection »</a> au sein de l’ordre juridique de l’UE.</p>
<h2>Le rôle clé des Cours constitutionnelles des États membres</h2>
<p>Toutefois, on ne saurait balayer d’un revers de la main la problématique soulevée par ces décisions comme l’expression d’un souverainisme suranné. En effet, la construction européenne comporte depuis l’origine une dimension proprement technocratique, qui fait parfois des institutions un moyen non d’associer, mais de contourner la souveraineté des États membres pour imposer des réformes économiques sans passer par la délibération démocratique. Une dynamique dont le droit communautaire constitue la cheville ouvrière, faisant de la CJUE l’instrument – pour reprendre la formule de l’ancien président de la Cour constitutionnelle allemande Dieter Grimm – d’une <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/07/GRIMM/57645">« hyperconstitutionnalisation » de politiques publiques</a> qui devraient être laissées à l’appréciation des peuples.</p>
<p>C’est précisément pour compenser un tel « déficit démocratique » – pour reprendre la bien pudique formule consacrée – que, de longue date, la Cour constitutionnelle allemande (dite Cour de Karlsruhe) veille à la compatibilité des exigences de l’intégration européenne avec la loi fondamentale, en s’assurant que les droits et libertés que les citoyens tirent de la Constitution <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2013-2-page-28.htm">ne soient pas remis en cause par les règles de l’Union européenne</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1447498735517413377"}"></div></p>
<p>Cette approche apparaît particulièrement cohérente d’un point de vue démocratique : comme le rappelle la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 – dont l’article 2 énonce que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme » –, la délégation consentie à nos représentants n’a d’autre objet que la garantie de nos libertés en société. C’est pourquoi les accords internationaux qu’ils adoptent en notre nom ne sauraient avoir pour effet d’en limiter la portée.</p>
<p>Contrairement à la décision de la Cour constitutionnelle polonaise ou à celle du Conseil d’État français, une telle approche ne s’oppose pas frontalement à l’idée d’intégration juridique européenne. Faut-il le rappeler, le traité instituant l’Union européenne énonce sans ambiguïté en son article 6 que « les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux ». Dans une telle perspective, le rôle que peuvent jouer les juges constitutionnels nationaux en veillant à ce que la construction européenne se fasse en harmonie avec le plein respect des droits et libertés garantis par les Constitutions des différents États apparaît essentiel : il permet, avec d’autres leviers, de veiller à ce que la construction européenne tende effectivement au progrès démocratique de l’ensemble de ses membres.</p>
<h2>Et si la démocratie sortait gagnante de cette séquence ?</h2>
<p>Ce n’est malheureusement pas la pente suivie par les autorités polonaises qui, à l’image de la Hongrie, ne refusent l’application des exigences européennes que dans la mesure où elles contrarient leur entreprise d’amoindrissement des libertés publiques, à commencer par le droit de tout citoyen à une justice indépendante.</p>
<p>Mais, paradoxalement, la crise institutionnelle que nous traversons peut être l’occasion d’un nouvel élan de l’intégration politique des pays européens, en faisant du respect des structures de l’État de droit démocratique un élément central de l’appartenance à l’Union européenne. Dans un contexte de montée des autoritarismes et des replis identitaires, faire de l’Union un instrument concret du renforcement des libertés de tous ses citoyens constitue sans doute le meilleur moyen d’assurer sa pérennité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170039/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Pologne n’est pas la seule à remettre en cause la primauté du droit de l’UE sur le droit national. La France et l’Allemagne l’ont déjà fait par le passé. Mais les motivations diffèrent.Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1696652021-10-12T17:50:41Z2021-10-12T17:50:41ZBras de fer entre Bruxelles et Varsovie : comprendre la stratégie des autorités polonaises<p>L’Europe s’oriente-t-elle à court terme vers un Polexit ? La question semble d’actualité : la sortie de la Pologne de l’UE <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/pologne/l-attitude-de-la-pologne-une-attaque-contre-l-union-europeenne-selon-clement-beaune-c06d0076-2804-11ec-991c-dac596d5a249">est évoquée</a> par de nombreux dirigeants et commentateurs politiques européens depuis que le Tribunal constitutionnel polonais a <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/pologne-le-tribunal-constitutionnel-se-prononce-contre-la-suprematie-absolue-du-droit-de-l-union-europeenne_4798799.html">affirmé</a>, le 7 octobre dernier, la primauté de la Constitution polonaise par rapport au droit de l’Union.</p>
<p>Cet épisode est un nouvel avatar des transformations autoritaires qui se produisent en Pologne par « petites touches » et qui se sont traduites par plusieurs crises entre Varsovie et les autorités européennes. Rappelons que la Commission européenne a <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Le-20-decembre-2017-Bruxelles-enclenche-larticle-7-contre-Pologne-2019-04-12-1201015265">enclenché</a> dès 2017 la procédure, dite de l’« article 7 », qui permet de sanctionner les atteintes à l’État de droit dans un État membre.</p>
<h2>Un Tribunal constitutionnel qui a perdu son indépendance</h2>
<p>Le Tribunal constitutionnel, dont la présidente Julia Przyłębska a estimé que les institutions européennes agissaient « au-delà de leur champ de compétences », se prononçait après avoir été saisi en avril 2021 par le gouvernement, dirigé par le parti conservateur et souverainiste <a href="https://www.cairn.info/journal-revue-d-etudes-comparatives-est-ouest1-2016-4-page-57.htm"><em>Prawo i Sprawiedliwość</em> (PiS)</a>, dans le cadre du litige qui l’oppose à la justice européenne sur la réforme de la justice polonaise.</p>
<p>Initiée en 2018, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/07/la-cour-de-justice-de-l-ue-et-la-pologne-croisent-le-fer-sur-l-independance-des-magistrats_6079486_3210.html">celle-ci compromet gravement l’indépendance des magistrats</a>, notamment en les soumettant à une instance disciplinaire nouvelle, dont la <a href="https://curia.europa.eu/jcms/jcms/j_6/fr/">Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE)</a> a demandé la suppression.</p>
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<figcaption><span class="caption">La Pologne juge certains articles de l’UE incompatibles avec sa Constitution, France 24, 8 octobre 2021.</span></figcaption>
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<p>Il en résulte une situation confuse en Pologne. Certains magistrats ont été nommés d’après la loi voulue par le PiS, mais celle-ci a été condamnée par l’UE, ce qui fait peser une suspicion d’illégalité sur certaines décisions de justice.</p>
<p>Le PiS au pouvoir cherche ainsi une issue à cette situation précaire en employant divers stratagèmes politiques et juridiques. Il tente donc de se prévaloir d’une position de droit alternative à celle de la CJUE – sur un point dont il faut d’ailleurs noter qu’il est extérieur au litige concerné, puisque la CJUE s’est prononcée sur une loi (la réforme de la justice polonaise de 2018), et non sur la Constitution polonaise en elle-même.</p>
<p>Cet arrêt du Tribunal constitutionnel polonais n’est du reste pas le premier en la matière : en juillet 2021, il avait <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20210715-la-justice-polonaise-juge-anticonstitutionnelles-les-mesures-prises-par-la-cour-europ%C3%A9enne">déjà jugé anticonstitutionnelles les décisions de la justice européenne</a> exigeant que Varsovie revienne sur certains aspects de sa réforme de la justice, ce qui avait permis au gouvernement de se soustraire à ses engagements européens une première fois.</p>
<p>La collusion politique continue entre la justice constitutionnelle polonaise et le parti au pouvoir jette, si besoin était encore, une lumière crue sur la mainmise que le PiS exerce sur cette cour. L’indépendance du Tribunal constitutionnel polonais est en effet au centre d’un conflit déjà ancien. Dès sa victoire électorale de 2015, le <a href="http://www.revuedlf.com/droit-ue/lunion-europeenne-une-union-de-droit-analyse-de-la-portee-du-modele-de-letat-de-droit-lors-du-recent-episode-des-reformes-judiciaires-polonaises/">PiS avait lancé une offensive contre cet organe</a>, dont l’affaiblissement est un préalable aux tournants autoritaires et antidémocratiques, comme <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/hongrie-une-longue-liste-datteintes-a-letat-de-droit-138696">l’exemple de la Hongrie</a> le montre avec plus de netteté.</p>
<p>Au terme d’une <a href="https://www.lesechos.fr/2015/12/le-president-polonais-enterine-la-reforme-controversee-du-tribunal-constitutionnel-286404">réforme chaotique et controversée</a>, le Tribunal constitutionnel avait vu sa composition modifiée. Il peut désormais siéger – comme lors de la décision du 7 octobre – avec un quorum assuré par les seuls juges nommés par le PiS.</p>
<p>Le conflit autour du Tribunal constitutionnel avait pris une ampleur considérable en 2016, se traduisant par des <a href="https://www.france24.com/fr/20160507-pologne-manifestation-record-varsovie-preserver-place-europe">manifestations de masse en faveur de l’État de droit</a>, sous l’égide d’organisations de défense des droits civiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"728953572067409921"}"></div></p>
<p>Aujourd’hui, la collusion avec le pouvoir prend une tournure tragi-comique, puisque le président du PiS, <a href="https://www.franceculture.fr/personne-jaroslaw-kaczynski">Jarosław Kaczyński</a>, a affirmé sans détour dans une <a href="https://pytanienasniadanie.tvp.pl/42603220/jaroslaw-kaczynski-o-zyciu-rodzinie-i-milosci-do-zwierzat">émission de divertissement à la télévision</a>, en 2019, que la présidente du Tribunal, Julia Przyłębska, faisait partie de ses amis proches.</p>
<h2>Le rapport du PiS à l’UE</h2>
<p>Les commentateurs et les dirigeants politiques polonais ne s’accordent pas sur les intentions réelles du PiS quant à l’appartenance de la Pologne à l’UE.</p>
<p>L’ancien président du Conseil européen (et ancien premier ministre polonais) Donald Tusk estime que même si le pouvoir actuel ne cherche pas à provoquer une sortie de l’UE, ses pas de côté successifs pourraient tout de même <a href="https://www.rtbf.be/info/monde/detail_tusk-met-en-garde-contre-le-risque-mortellement-serieux-d-un-polexit?id=10065088">involontairement aboutir à une telle issue</a>, à l’instar de la dynamique qui a conduit au Brexit.</p>
<p>C’est sur cette base que l’opposition polonaise met en garde contre une évolution qui conduirait à un Polexit. Au sein de la majorité conservatrice, certains répètent depuis plusieurs années qu’ils sont hostiles à l’UE. Une ancienne députée du PiS, Krystyna Pawlowicz, s’est ainsi illustrée en 2016 en déclarant que l’UE était à ses yeux <a href="https://remonews.com/polandeng/human-rights-commissioner-wants-four-constitutional-court-judges-to-be-excluded-from-examining-a-case-related-to-the-superiority-of-eu-law-over-national-law/">« une serpillière »</a>. Aujourd’hui, cette même Krystyna Pawlowicz siège… au Tribunal constitutionnel. Mais, dans l’ensemble, ces positions restent minoritaires et la posture du PiS s’apparente surtout à un souverainisme hostile aux transferts de pouvoir que prévoit le fonctionnement de l’UE.</p>
<p>La position du PiS doit bien davantage être comprise comme une gestion différenciée et évolutive des contraintes liées à l’appartenance de la Pologne à l’UE. Les dirigeants de ce parti ne peuvent pas ignorer que plus de <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2004-2-page-263.htm">80 % des Polonais sont favorables à l’UE</a>. Ils n’ignorent pas non plus que la Pologne bénéficie de subventions européennes considérables et qu’ils s’exposeraient à des risques politiques et électoraux s’ils les remettaient en cause.</p>
<p>De même, dans le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/29/en-pologne-la-crise-des-refugies-a-l-est-relance-le-debat-migratoire_6092667_3210.html">récent conflit qui oppose la Pologne à la Biélorussie</a> à propos des réfugiés bloqués à la frontière orientale du pays, les dirigeants polonais sont conscients des bénéfices politiques internationaux et intérieurs qu’ils peuvent retirer du soutien de l’UE.</p>
<p>Plutôt que pour une opposition frontale, le PiS opte ainsi pour une série d’épreuves et de tests, au terme desquels il peut mesurer la force des positions qu’il défend. La fermeté continue de la Commission européenne et des autres États membres (Hongrie exceptée), de même que l’absence d’évolution eurosceptique dans l’opinion polonaise, rendent plus hasardeuse l’option consistant à aller vers un conflit plus ouvert avec l’UE. D’ailleurs, dans ses confrontations avec Bruxelles, le PiS se rétracte généralement au dernier moment, lorsqu’il apparaît que poursuivre le bras de fer serait trop dangereux pour lui. Tout récemment, le gouvernement est ainsi intervenu pour que certaines collectivités locales <a href="https://www.euronews.com/2021/09/23/polish-region-revokes-anti-lgbt-declaration-over-loss-of-eu-funding">cessent de s’afficher comme « zones anti-LGBT »</a>, ce qui les exposait au risque imminent de ne plus percevoir les subsides européens.</p>
<p>Le PiS compte également sur l’émergence d’un contexte plus favorable à une évolution de l’UE vers une <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/38557-europe-des-regions-des-nations-federale-ou-confederale">« Europe des nations »</a>, voire à un démantèlement plus ou moins prononcé de l’UE grâce aux éventuels basculements eurosceptiques d’autres États-membres.</p>
<p>Les soutiens quasi immédiats que le pouvoir polonais a enregistrés en France dans le contexte de la présidentielle, <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2021/10/08/soutien-gravissime-logique-reactions-en-cascade-apres-la-decision-de-la-pologne-de-contester-la-primaute-du-droit-europeen_6097645_6059010.html">d’Éric Zemmour à Arnaud Montebourg</a>, montrent que ces enjeux circulent désormais avec fluidité en Europe et que la sortie de l’UE n’est pas la seule façon se s’opposer à « Bruxelles ».</p>
<p>Enfin, le PiS s’est mis à employer d’autres éléments de langage, arguant notamment de l’inutilité supposée des financements européens. Selon le président de la Banque centrale polonaise, Adam Glapiński, un proche de Jarosław Kaczyński depuis les années 1980, la <a href="https://tvn24.pl/biznes/z-kraju/prezes-nbp-adam-glapinski-o-cudzie-polskiej-gospodarki-takich-sukcesow-nie-mielismy-od-czasow-rozbiorow-5441001">Pologne connaît des succès économiques inédits</a>. Selon lui, l’actualité montre que l’on assiste actuellement à un « miracle économique polonais » :</p>
<blockquote>
<p>« C’est un miracle encore plus fort que le miracle allemand après 1945. La Pologne peut connaître un développement dynamique en se passant des fonds européens. »</p>
</blockquote>
<p>L’argument est spécieux, mais il est habile, car il permet au pouvoir de se situer sur le terrain du « rattrapage » (économique, culturel) que la Pologne escomptait effectuer en rejoignant l’UE.</p>
<h2>Une remobilisation de la rue ?</h2>
<p>Même si l’agenda européen du PiS peut fluctuer et manquer parfois de lisibilité, il n’en renvoie pas moins à une stratégie autoritaire. Le PiS, en contrôlant plus ou moins directement de nombreuses instances officielles (justice, banque centrale, etc.) les met en situation d’agir en concordance avec le gouvernement et de se transformer en soutiens politiques nouveaux. Dans un croisement inédit, la création de « chevaux de Troie constitutionnels » (la subversion progressive de l’État de droit) permet de légitimer les positions européennes du PiS, tandis que la crise avec Bruxelles donne de l’ampleur à sa prise de contrôle de la justice constitutionnelle.</p>
<p>Il y a là un risque qui pèse certes sur l’appartenance à l’UE, mais aussi, plus globalement, sur la démocratie polonaise, puisque l’objectif politique du PiS, constant depuis sa création en 2001, est de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/01/13/pologne-la-victoire-des-perdants-de-la-transition-democratique_4846626_3232.html">revenir sur le consensus démocratique établi en 1989 à la chute du communisme</a>. Peu importe dans ces conditions que, comme nous l’avons souligné, plus de 80 % des Polonais soient favorables à l’appartenance de leur pays à l’UE.</p>
<p>Pour démontrer que la population le soutient, le PiS pourrait en effet se tourner vers le suffrage universel, sur un point précis, comme l’a fait Viktor Orban en Hongrie en 2016 quand il a organisé un référendum sur les quotas de migrants proposés par l’UE. Toutefois, le dirigeant hongrois avait <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/10/03/referendum-antimigrants-en-hongrie-un-echec-grave-pour-viktor-orban_5007575_3210.html">perdu ce référendum</a>, ce qui montre, au passage, que ces consultations démocratiques « décalées » sont aussi des stratégies qui minimisent les risques pour les pouvoirs néo-autoritaires, puisqu’ils peuvent conserver leurs stratégies globales à peu près intactes même si le résultat de tels référendums leur est défavorable.</p>
<p>À l’inverse, la position prise par le Tribunal constitutionnel a pour effet de remobiliser les partisans de l’UE et de la défense de l’État de droit, comme le montrent les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/11/en-pologne-des-manifestations-pour-rester-en-europe_6097890_3210.html">manifestations qui se sont tenues ce dimanche 10 octobre</a>, à l’initiative notamment de Donald Tusk.</p>
<p>Un nouveau cycle de manifestations de rue peut ainsi s’ouvrir, dont l’issue comptera dans les décisions du PiS. La réussite de ces manifestations, si elle se confirme, serait d’autant plus périlleuse pour le pouvoir polonais qu’elles peuvent bénéficier de la force accumulée des cycles de mobilisation précédents, comme l’a montré, dans ces rassemblements, la réapparition des drapeaux des manifestations dites de la <a href="https://www.franceinter.fr/monde/photos-des-milliers-de-manifestants-defilent-en-pologne-pour-defendre-le-droit-a-l-avortement">« grève des femmes »</a> pour la défense de l’avortement qui s’étaient déroulées en 2020-2021.</p>
<p>L’issue de ce bras de fer va s’apparenter à une course de vitesse entre l’opposition libérale et le PiS, alors que le pays est profondément divisé, <a href="https://courrierdeuropecentrale.fr/avec-la-presidentielle-en-pologne-trzaskowski-a-reussi-a-tourner-la-page-de-donald-tusk/">comme l’a montré la récente élection présidentielle</a>.</p>
<p>Les libéraux devront être en mesure de rallier des soutiens plus larges parmi les forces politiques elles aussi très critiques envers le PiS, comme le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_paysan_polonais">Parti paysan (PSL)</a>, dont les bastions électoraux freinent par ailleurs la progression du PiS en milieu rural. Le PiS met à profit le temps dont il dispose pour réorganiser le paysage institutionnel et politique, espérant réaménager durablement le régime en place. Dans ces conditions, la position de l’UE sera cruciale pour consolider les uns ou les autres.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169665/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Zalewski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le parti au pouvoir en Pologne cherche à asseoir son contrôle sur l’ensemble des institutions du pays, s’opposant frontalement à l’UE – si bien que certains évoquent le risque d’un « Polexit ».Frédéric Zalewski, Maître de conférences en Science politique, membre de l'Institut des sciences sociales du politiques (ISP, CNRS), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1693892021-10-11T19:05:10Z2021-10-11T19:05:10ZL’avortement, un sujet majeur pour les artistes d’aujourd’hui<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/425049/original/file-20211006-17-rylsrh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C0%2C1463%2C1078&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une image de l'Evénement, film d'Audrey Diwan qui a remporté le Lion d'or à la Mostra de Venise en 2021. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-275122/photos/detail/?cmediafile=21857515">Allociné</a></span></figcaption></figure><p>Si l’adaptation de <em>L’Événement</em> au cinéma par Audrey Diwan a obtenu le <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/09/12/l-evenement-d-audrey-diwan-un-film-sur-l-avortement-remporte-le-lion-d-or-a-venise_6094364_3246.html">Lion d’or à la Mostra de Venise</a>, cela n’aura apparemment pas suffi pour que la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Élisabeth Moreno, ou la première dame, Brigitte Macron, se rendent à la projection organisée le 21 septembre dernier à l’Assemblée nationale. Elles y avaient pourtant été conviées.</p>
<p>Ce n’est pas la première fois que les arts s’emparent de la question de l’avortement en ce début de XXI<sup>e</sup> siècle, loin s’en faut. Le roman d’Annie Ernaux porté à l’écran avait paru en 2000 ; le film roumain et belge <em>4 mois, 3 semaines, 2 jours</em>, réalisé par Cristian Mungiu, était sorti en 2007 et avait reçu la Palme d’or au 60<sup>e</sup> festival de Cannes, pour ne citer qu’eux. Pour autant, les œuvres – littéraires et cinématographiques notamment – qui traitent de l’interruption volontaire de grossesse se sont multipliées ces deux dernières années dans les pays occidentaux, témoignant ainsi de l’acuité de cette question, que certains auraient souhaité circonscrire au Mouvement de libération des femmes et à son ancrage dans les années 1970.</p>
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<p>Bien au contraire, on assiste à une forte repolitisation de cet enjeu crucial pour les droits reproductifs. Si le droit à l’avortement vient parfois occulter d’autres questions ayant partie liée à la justice reproductive (accès à la contraception, stérilisation, avortements contraints, etc.), la question demeure un bon étalon de l’égalité entre les femmes et les hommes et de leur liberté à disposer de leur propre corps. Il n’est donc pas anodin que la culture mainstream s’en empare.</p>
<h2>Une question instrumentalisée aux États-Unis</h2>
<p>Aux États-Unis, le droit à l’avortement fait l’objet d’une véritable instrumentalisation lors des campagnes présidentielles, et l’on a pu noter que Donald Trump – qui n’y était absolument pas opposé dans les années 1980-90 – a bien perçu que le clivage autour de l’interruption volontaire de grossesse pouvait être transformé en atout électoral, ce qui n’a pas été étranger à sa victoire en 2016.</p>
<p>Les trois nominations qu’il a effectuées à la Cour suprême des États-Unis, celle de Neil Gorsuch en 2017, celle de Brett Kavanaugh en 2018 puis celle d’Amy Coney Barrett suite au décès de Ruth Bader Ginsburgh à l’automne dernier y sont également liées. Ces nominations sont en effet au cœur du <a href="https://www.nytimes.com/2021/09/01/us/supreme-court-texas-abortion.html">refus de la Cour d’examiner la loi extrêmement restrictive adoptée par l’État du Texas</a>, qui interdit l’avortement après six semaines de grossesse, y compris en cas de viol ou d’inceste.</p>
<p>C’est dans ce contexte que deux autrices américaines à succès, Jodi Picoult et Joyce Carol Oates, ont publié respectivement <em>Une étincelle de vie</em> (2018) et <em>Un livre de martyrs américains</em> (2020). Le premier aborde le sujet par le biais d’une prise d’otage dans une clinique pratiquant l’avortement ; le second utilise le fil rouge de l’avortement pour mieux donner à voir les divisions et les inégalités qui agitent l’Amérique contemporaine.</p>
<p>Au cinéma, c’est <em>Never Rarely Sometimes Always</em>, film américano-britannique réalisé par Eliza Hittman, acclamé au festival de Sundance et Prix du jury à la Berlinale, qui s’y attaque. Le film, sorti en catimini en 2020, en pleine crise Covid, place habilement les spectateurs et spectatrices face aux disparités territoriales que subissent les Américaines et au parcours de la combattante qui attend celles qui souhaitent mettre un terme à une grossesse, en particulier si elles font face à des contraintes matérielles et financières.</p>
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<h2>Les droits des femmes en danger</h2>
<p>Les difficultés que rencontrent les adolescentes du film ne sont pas sans rappeler celles auxquelles se confrontent les <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/letranger-unique-recours-pour-des-polonaises-privees-divg-20210928_YHD376IDOREPJGQTDZP4EIJLKA/">Polonaises qui sont contraintes à l’exil abortif</a> par l’interdiction d’avorter qui sévit dans leur pays. Nombre d’Irlandaises et de Nord-Irlandaises continuent également de les endurer malgré la récente légalisation de l’avortement jusqu’à 12 semaines en <a href="https://www.irishtimes.com/news/politics/abortion-referendum">République d’Irlande</a> (2018) puis en <a href="https://www.bbc.com/news/uk-northern-ireland-politics-56041849">Irlande du Nord</a> (2020), en raison des résistances à la mise en œuvre de ces dispositions.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/three-families-abortion-is-now-legal-in-northern-ireland-but-more-needs-to-be-done-so-every-woman-has-adequate-access-161046">Three Families: abortion is now legal in Northern Ireland but more needs to be done so every woman has adequate access</a>
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<p>À l’image de ces évolutions à rebours des droits des femmes, la <a href="https://www.msf.fr/actualites/journee-mondiale-du-droit-a-l-avortement-temoignages-des-disparites-d-acces-a-l-ivg">journée mondiale du droit à l’avortement</a> le 28 septembre dernier n’a pas fait grand bruit. Néanmoins, le tabou qui entoure l’avortement semble bel et bien en train de s’effriter peu à peu. La parole se libère, portée par la vague #MeToo, dont c’est le quatrième anniversaire, et par la publicité entourant la mise au jour des violences gynécologiques et obstétricales.</p>
<h2>Activisme artistique</h2>
<p>En témoignent la bande dessinée <em>Mon vagin, mon gynéco et moi</em> de Rachel Lev (2021), mais aussi <em>Il fallait que je vous le dise</em> (2019), d’Aude Mermilliod, qui a précisément pour but de rompre le silence entourant les interruptions de grossesse, et la chanson <em>Chair</em> (2020), de Barbara Pravi, qui mène ce combat sur la scène musicale. L’icône de la culture populaire – qui a représenté la France à l’Eurovision cette année et bénéficie ainsi d’une grande renommée – et la dessinatrice remettent la dignité au centre de cette expérience vécue par une femme sur trois environ dans les pays occidentaux, moyenne qui masque de <a href="https://www.guttmacher.org/fact-sheet/induced-abortion-worldwide">grandes disparités au niveau mondial</a>.</p>
<p>Ces artistes font œuvre d’activisme et leurs productions sont loin d’aborder le sujet de l’avortement par inadvertance. Ces dernières sont éminemment politiques et visent à ouvrir les yeux et les oreilles du grand public en se proposant comme lieu de la confrontation à ces questions. Si leur public n’était pas averti, il est ainsi amené à comprendre la réalité vécue par les femmes au sujet desquelles on légifère. Ces lectures, ces visionnages visent à marquer l’opinion publique et à l’aider à faire des choix politiques dans les urnes. Ces œuvres engagées ne se contentent pas d’être produites dans un contexte particulier : elles y sont une réaction, une contre-attaque.</p>
<p>La BD boucle la boucle avec <em>Le Manifeste des 343</em> (2020), d’Adeline Lafitte, Hélène Strag et Hervé Duphot, qui revient sur la parution dudit <em>Manifeste</em> dans <em>Le Nouvel Observateur</em> il y a 50 ans. Aude Mermilliod poursuit elle aussi sa collaboration avec Martin Winckler en adaptant pour la BD (2021) son roman <em>Le Chœur des femmes</em> (2009), preuve s’il en était que son œuvre-témoignage n’était pas accidentelle. Pour les lectrices et lecteurs, il ne reste plus qu’à espérer que la boucle soit aussi bouclée par les parlementaires, en France, qui tergiversent depuis plus d’un an quant à <a href="https://www.nouvelobs.com/droits-des-femmes/20210925.OBS49084/allongement-du-delai-legal-de-l-ivg-pourquoi-il-y-a-une-remobilisation.html">autoriser l’allongement du délai légal à 14 semaines</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169389/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandrine Guyard-Nedelec ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ces dernières années, le cinéma, la littérature et même la BD s’emploient à briser le tabou de l’avortement.Alexandrine Guyard-Nedelec, Maîtresse de conférences en civilisation britannique, Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1602862021-05-05T17:57:09Z2021-05-05T17:57:09ZPourquoi les fonds du plan de relance européen n’ont pas encore été débloqués<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/398627/original/file-20210504-13-1sj5cpw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C10%2C1187%2C786&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fin avril, 19&nbsp;États membres, dont la France, avaient approuvé le texte ouvrant la voie au lancement du plan de relance.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid-19 attisent une impatience légitime à l’égard du plan de relance européen, dont les fonds n’ont pas encore été débloqués, près d’un an après la proposition de la Commission.</p>
<p>Ce plan, inédit dans son volume (750 milliards d’euros) comme dans sa philosophie (permettre à la Commission européenne d’emprunter sur les marchés pour faire des transferts budgétaires et des prêts aux États membres), repose sur une architecture institutionnelle complexe.</p>
<p>La clé de voûte juridique du plan de relance est la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020D2053&from=FR">décision du Conseil sur le système des ressources propres du 14 décembre 2020</a>, prévue à l’article 311 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Dans l’ordre juridique européen, ce texte a un rang de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/17/europe-le-plan-de-relance-repose-sur-une-base-juridique-solide_6056379_3232.html">quasi traité</a>. Il requiert l’approbation unanime des États membres selon leurs procédures constitutionnelles respectives, ce qui implique, dans la plupart des cas et notamment en France, une autorisation des parlements nationaux et donc le plein respect de la souveraineté nationale.</p>
<p>C’est ce même texte qui place le produit de l’emprunt venant abonder les politiques communes européennes hors balance budgétaire, en lui conférant le statut de « recette affectée externe ». Cette disposition permet de ne pas contrevenir au principe d’équilibre budgétaire, en application duquel l’Union ne peut pas souscrire d’emprunt dans le cadre de son budget.</p>
<h2>Des procédures longues</h2>
<p>Après l’éclatement de la crise, le temps de la décision politique a été rapide. <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/05/18/initiative-franco-allemande-pour-la-relance-europeenne-face-a-la-crise-du-coronavirus">L’initiative franco-allemande pour la relance européenne du 18 mai 2020</a> a ouvert la voie à la <a href="https://eur-lex.europa.eu/resource.html">proposition de la Commission européenne du 27 mai</a>.</p>
<p>Deux mois plus tard, le 21 juillet, les chefs d’État ou de gouvernement sont parvenus à un <a href="https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-10-2020-INIT/fr/pdf">accord unanime au Conseil européen</a>. Les négociations pour sceller un <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20201106IPR91014/budget-a-long-terme-de-l-ue-16-milliards-de-plus-pour-des-programmes-cles">accord avec le Parlement européen</a> sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027 et le plan de relance Next Generation EU n’ont pris que quatre mois, un délai comparable à celui observé lors des négociations des deux précédents cadres financiers pluriannuels de l’Union européenne (cinq mois en 2006 et 2013).</p>
<p>Les décideurs européens se sont collectivement engagés à mener à leur terme les procédures nationales d’approbation de la décision sur le système des ressources propres dans les meilleurs délais. Ils étaient néanmoins bien conscients qu’elles pourraient être longues et semées d’embûches.</p>
<p>À titre de comparaison, entre l’adoption de la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32007D0436&from=FR">décision du Conseil sur les ressources propres du 7 juin 2007</a> et son entrée en vigueur le 1<sup>er</sup>mars 2009, 21 mois auront été nécessaires pour assurer son approbation par tous les États membres. Ce délai a été porté à 28 mois pour la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32014D0335&from=FR">décision du 26 mai 2014</a>.</p>
<p>À la date du 30 avril 2021, 19 États membres, dont la France, ont achevé le processus d’approbation de la décision sur le système des ressources du 14 décembre 2020. Les informations disponibles donnent à penser que les procédures sont sous contrôle et pourraient être finalisées avant la fin du mois de mai dans la plupart des autres pays.</p>
<h2>Écueils en Allemagne et en Pologne</h2>
<p>Entre-temps, deux écueils sont apparus. Le premier, de nature juridique en Allemagne, a pu être rapidement levé. La loi autorisant l’approbation de la décision sur les ressources a obtenu une solide majorité des deux tiers des membres au Bundestag et fait l’unanimité au Bundesrat.</p>
<p>Toutefois, l’introduction de deux recours visant à contester sa conformité avec les traités européens et la Constitution allemande avait conduit la <a href="https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Pressemitteilungen/DE/2021/bvg21-023.html">Cour constitutionnelle fédérale le 26 mars 2021</a> à enjoindre le président fédéral à ne pas signer la loi. Si une telle interdiction avait été maintenue dans l’attente d’un jugement au fond, après une possible question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne, c’est tout l’édifice du plan de relance européen qui aurait pu être remis en cause, dans sa temporalité comme dans son principe.</p>
<p>Dans une <a href="https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Pressemitteilungen/EN/2021/bvg21-029.html">ordonnance publiée le 21 avril</a>, la Cour constitutionnelle fédérale a rejeté la demande d’injonction préliminaire dirigée contre la loi ratifiant la décision sur les ressources propres, permettant ainsi sa signature par le président fédéral.</p>
<p>Elle a considéré « sur la base d’un examen sommaire, (qu’)il ne semble pas très probable que la Cour conclue à une violation de l’article 79(3) de la Loi fondamentale dans la procédure principale ». Il est ressorti de son analyse des risques que « les conséquences qui se produiraient si l’interdiction provisoire demandée n’était pas délivrée, mais que l’acte d’approbation était ultérieurement jugé inconstitutionnel, sont moins graves que les conséquences qui se produiraient si l’interdiction provisoire était effectivement délivrée, mais que les plaintes constitutionnelles déposées par les requérants se révélaient finalement non fondées dans la procédure principale ».</p>
<p>L’issue du deuxième écueil, politique, demeure plus incertaine en Pologne. En effet, une petite formation membre de la majorité au pouvoir, Pologne unie, refuse de soutenir la décision sur les ressources propres, exacerbant un peu plus encore les tensions au sein de la coalition tripartite dirigée par le parti Droit et Justice (PiS) au point d’en mettre en danger l’existence.</p>
<p>Ce parti s’oppose en particulier au <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020R2092&qid=1620047191266&from=FR">règlement</a> ouvrant la possibilité de sanctionner un pays membre en cas de défaillance de l’État de droit pouvant porter atteinte aux intérêts financiers de l’Union, règlement sur lequel la Pologne et la Hongrie ont d’ailleurs intenté un recours devant la Cour de Justice de l’Union européenne.</p>
<p>Pour des raisons exactement symétriques, le principal groupe d’opposition, la Plateforme civique, est enclin à ne pas voter le projet de loi tant que le gouvernement n’apporte pas de garanties suffisantes que l’argent de l’Union européenne dont la Pologne bénéficie sera dépensé de manière juste et transparente.</p>
<p>Le gouvernement se trouve donc contraint de négocier avec une autre formation d’opposition et ne devrait transmettre le dossier au Parlement que lorsqu’il disposera de la garantie qu’une majorité existe pour l’approuver. Des incertitudes de calendrier subsistent également en Hongrie, en lien aussi avec l’introduction de conditionnalités liées à l’État de droit. Les pressions exercées par les autres pays membres sont de plus en plus fortes car il en va de la capacité de l’Union européenne à mettre en œuvre son plan de relance.</p>
<h2>Pas de retard, mais l’urgence</h2>
<p>Parallèlement au processus de ratification, un travail intense est conduit dans les capitales et à Bruxelles. Les États membres devaient en effet transmettre avant le 30 avril la version finale de leur plan national de relance et de résilience. Or, seulement douze d’entre eux, dont la France, ont pu satisfaire cette exigence.</p>
<p>La Commission avait préalablement décidé d’assouplir ce délai pour permettre aux États de parfaire leurs plans dans le cadre du dialogue très pointilleux qu’elle a ouvert avec eux, plutôt que d’avoir à leur demander de les amender après leur transmission officielle.</p>
<p>La Commission entend ainsi veiller à ce que le plan de relance européen ne consiste pas simplement à injecter des liquidités dans l’économie mais permette bien, conformément au <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32021R0241&from=FR">règlement établissant la Facilité pour la reprise et la résilience</a>, de « renforcer le potentiel de croissance, la création d’emplois et la résilience économique, sociale et institutionnelle de l’État membre concerné », le tout devant être documenté par des indicateurs qui jalonneront les différentes étapes de sa mise en œuvre, en particulier les paiements.</p>
<p>Après leur transmission officielle, la Commission dispose d’un délai de deux mois pour évaluer les plans nationaux, avec une attention particulière à la cohérence des investissements publics et des réformes structurelles qui devront être mis en œuvre d’ici 2026 afin de relever les défis des transitions écologique (au minimum 37 % de l’enveloppe allouée à chaque État membre) et numérique (au moins 20 % de l’enveloppe). Le Conseil aura ensuite un mois pour approuver au cas par cas ces plans.</p>
<p>La Commission a également présenté le 14 avril sa <a href="https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2021/FR/COM-2021-250-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF">stratégie de financement</a>. Avec une enveloppe d’emprunt de l’ordre de 150 milliards d’euros par an, elle deviendra un des principaux émetteurs en euros. Elle entend recourir à une diversité d’instruments de financement (obligations à moyen et long terme, dont certaines seront émises sous la forme d’obligations vertes, et titres de créance à court terme) afin de maintenir une certaine souplesse en ce qui concerne l’accès au marché et de gérer les besoins de liquidité et le profil des échéances.</p>
<p>Elle procèdera via une combinaison d’adjudications et de syndications, afin de garantir un accès présentant un bon rapport coût-efficacité au financement nécessaire à des conditions avantageuses.</p>
<p>Préparer tout ce qui peut l’être pour pouvoir démarrer dès que les ratifications de la décision sur les ressources propres auront été complétées, accélérer pour que cette solidarité européenne sans précédent se matérialise, la mobilisation est totale, à Bruxelles comme dans les autres capitales européennes, car s’il n’y a pas encore de retard, il y a assurément urgence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160286/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Saurel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les procédures nationales d’approbation du financement du plan de relance européen retardent sa mise en œuvre. Mais l’horizon semble s’éclaircir.Stéphane Saurel, Maître de conférences invité, Université Saint-Louis de Bruxelles, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1532952021-01-17T17:31:52Z2021-01-17T17:31:52ZBonnes feuilles : « Une histoire visuelle de Solidarnosc »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/379132/original/file-20210117-21-sp5q8k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=93%2C215%2C1070%2C670&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Malgorzata Brucka </span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Ania Szczepańska, chercheuse à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, membre du laboratoire Hicsa, s’intéresse à l’histoire du cinéma. Ses travaux portent principalement sur le cinéma polonais et les archives audiovisuelles. Elle nous propose dans son ouvrage intitulé : « Une histoire visuelle de Solidarnosc », qui <a href="https://www.fmsh.fr/fr/diffusion-des-savoirs/31024">vient de paraître aux éditions de la Fondation des Sciences de l’Homme</a>, un regard original sur le premier syndicat libre et autonome créé en Pologne communiste. En explorant des sources visuelles variées – photographies, films, images amateur ou tournées par la milice mais aussi images médiatiques diffusées à l’Ouest –, elle revient sur ce mythe révolutionnaire, interroge la notion de solidarité – un terme qui fait fortement écho à la crise sanitaire que nous vivons et à ses conséquences sociales et économiques – et retrace l’histoire de ce mouvement social et ouvrier.</em></p>
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<p>C’est aux premiers temps de « Solidarność » que propose de s’intéresser <a href="https://www.fmsh.fr/fr/diffusion-des-savoirs/31024">ce travail</a> : à la naissance de la contestation collective et à sa transformation en un mouvement international, à l’époque des deux Europe. Car si l’histoire politique du mouvement a déjà été écrite, celle de « l’union fraternelle » selon l’expression de Karol Modzelewski, historien médiéviste, homme de gauche et figure majeure de l’opposition politique au régime communiste et de la mobilisation collective reste lacunaire. Or ce sont précisément ces facettes de Solidarność qui intéressent notre présent en crise. Elles ont été révolutionnaires, à l’échelle de l’individu et du collectif, et ont été oubliées, car recouvertes par le tournant libéral et les discordes de l’après-1989.</p>
<p>Solidarność s’inscrit dans l’histoire des luttes ouvrières et syndicales du XX<sup>e</sup> siècle ainsi que dans celle des combats d’indépendance nationale au sein du bloc soviétique. L’événement prend donc place dans une histoire européenne et interroge les multiples processus de sortie du communisme. Son nom a d’abord désigné un mouvement de protestation sociale qui aspirait à créer un syndicat professionnel libre, autonome vis-à-vis du Parti et de l’État. Cette revendication se formula le plus clairement à Gdańsk, lors des grandes grèves d’occupation d’août 1980. Au droit de grève et aux libertés syndicales s’ajoutèrent 21 postulats qui devaient cristalliser les aspirations de la population, au-delà du chantier naval de la côte Baltique et de la classe ouvrière, ralliant à elle intellectuels, étudiants et paysans, et obligeant le pouvoir à négocier. Légalisé le 10 novembre 1980, le nouveau syndicat Solidarność compta 10 millions de membres et des millions de sympathisants, en Pologne et à l’Ouest. Même s’il ne pouvait être officiellement un mouvement politique, puisqu’il n’en avait pas les structures, il en partageait les aspirations et les actions, regroupant l’ensemble des forces d’opposition au pouvoir communiste, menaçant le régime par la puissance de son contre-pouvoir, sans pour autant pouvoir agir sur une situation économique désastreuse.</p>
<p>Après dix-huit mois de fonctionnement légal, la loi martiale du 13 décembre 1981 mise en place par le général Jaruzelski obligea ses militants les plus actifs, ceux qui ne furent pas arrêtés, à choisir la voie de la clandestinité. Interdit d’existence, Solidarność devint alors une société parallèle, qui publiait, informait, et continuait à essayer de mobiliser les esprits, à défendre les militants internés et à soutenir leurs familles. En 1985, son histoire croisa celle de la politique de libéralisation et de transparence menée en URSS par Mikhaïl Gorbatchev, qui aboutit, après les concertations polonaises de la Table ronde, aux premières élections libres du bloc de l’Est en juin 1989 et à la victoire politique de Solidarność.</p>
<p>Quarante ans plus tard, <a href="https://www.fmsh.fr/fr/diffusion-des-savoirs/31024">ce livre</a> propose donc de revenir par la richesse des images à la face digne et inspirante d’un mouvement oublié qui bouleversa la gauche occidentale et bien au-delà, ranima l’idéal socialiste et humaniste, remettant en cause les cloisonnements et les croyances. L’histoire de Solidarność est aussi celle d’une solidarité européenne qui a pris forme malgré le Rideau de fer qui divisait l’Est et l’Ouest. Elle est au fondement de liens humains et institutionnels issus de la société civile, qui se sont tissés au début des années 1980 par-delà les frontières, façonnant des vies jusqu’à aujourd’hui.</p>
<p>Le livre commence ainsi en 1977, au moment de la première grève de la faim à Varsovie, menée par « solidarité » et des ouvriers emprisonnés, et s’achève vers 1986, lorsque le soutien international à Solidarność s’effrite et que la scène internationale prend le relais des aspirations réformistes. Les images serviront de guides pour penser l’éveil des consciences et les conditions de possibilité d’un engagement massif pour imaginer et réaliser l’inimaginable.</p>
<h2>Parmi des milliers d’autres</h2>
<p>Dans ce cheminement en Pologne populaire, le choix opéré ici s’est d’abord porté sur des <a href="https://www.decitre.fr/livres/reveiller-l-archive-d-une-guerre-coloniale-9782354281410.html">images oubliées</a>, « assoupies » dans des archives ou des albums privés. Des images d’observation, de contemplation, laissant dans l’esprit des empreintes profondes, peut-être prises sans la grandeur du geste artistique, et pourtant y aspirant parfois. <a href="https://editions-verdier.fr/livre/la-voie-des-images/">Des images</a> qui étaient « en attente du regard qui se jugera désireux de les interpréter et de leur donner l’initiative », car le choix est une affaire de raison autant que de désir. Certaines voix s’élèveront pour reprocher l’arbitraire ou l’incomplétude de la modeste sélection que le lecteur va découvrir dans ces pages, et elles n’auront pas tort : le choix et la finitude sont la tragédie de celles et ceux qui cherchent. Viser sans relâche les astres infinis, voilà le malheur mortifère de Faust. L’historien <a href="https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2003-1-page-155.htm">Lucien Febvre</a> tenta de nous en libérer et osa le formuler clairement : « Le savant, quel qu’il soit, choisit toujours […], toute l’histoire est déjà choix ». Choisir exige de renoncer – et c’est une douleur – à l’illusion de la totalité qui souvent entrave l’intelligibilité du passé et le rend confus, lui qui est déjà désordre. Élire son objet conduit à le construire et à naviguer sur des voies nouvelles, sur ces « mers trop frayées » où il n’y avait, semble-t-il, plus rien à découvrir, et pourtant.</p>
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<figcaption><span class="caption">Simone Signoret et Michel Foucault « Solidarność et la Pologne » | Archive INA.</span></figcaption>
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<p>L’arbitraire du choix n’implique donc pas le caprice, c’est la condition possible d’un point de vue. Tel un filet de pêche aux mailles solides, l’image, une fois retenue, ramène à elle d’autres traces, d’autres sources avec lesquelles elle entre en dialogue, qu’elle éclaire et perturbe. Elle éveille la raison et bouscule l’imaginaire. Les images de ce livre entrent ainsi en résonance avec le précieux <a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1982_num_24_3_1888">travail de terrain</a> des <a href="http://excerpts.numilog.com/books/9782867380150.pdf">sociologues français</a> mené au début des années 1980, sous l’impulsion notamment d’Alain Touraine, éblouis par « la lumière de Solidarność ». Dans la grande tradition de l’intervention sociologique et à l’aide de traducteurs et traductrices, ces groupes de chercheurs et de chercheuses ont réalisé dans plusieurs villes de Pologne d’importants entretiens, l’été qui suivit les grèves de Gdańsk. Ils ont justifié leur démarche par la présence, « à la base » du mouvement syndical, d’un sens plus vif de la contestation qu’au sommet.</p>
<p>C’est dans ces bribes de parole reconstituées, qui gardent la spontanéité des échanges, que l’on apprend par exemple qu’une ouvrière polonaise doit travailler une heure pour pouvoir acheter deux œufs, et qu’il lui faut neuf mois de salaire pour s’offrir une télévision couleur. On apprend aussi que sa blouse a été brûlée par des produits chimiques sans être remplacée et que, dans son atelier, le robinet d’eau chaude de la douche ne marche pas, été comme hiver. Et même si notre seuil de confort a bien changé, que nos estomacs et nos peaux ne sont plus les mêmes, ces bribes de réalité quotidienne changent assurément notre compréhension de la classe ouvrière polonaise. Bien sûr, les chiffres de l’économie pourraient nous le dire, mais ils ne le diraient pas <em>de cette manière</em>. Les transcriptions de ces voix nous laissent en effet entrapercevoir la vie quotidienne de ces « individus absorbés par une inhumaine besogne humaine ». En retour, les <a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1982_num_24_3_1888">voix</a> de ces « militants de base » nous font voir autrement les <a href="https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1982_num_24_3_1888">traces</a> photographiques et cinématographiques de cette époque. Elles éclairent avec plus d’acuité les corps usés des Polonais regroupés devant le portail du chantier naval Lénine, et de tous ces individus qui formèrent ensemble ce « mouvement social total ».</p>
<p>Aux témoignages recueillis à cette époque s’ajoutent ceux enregistrés lors du tournage d’un film documentaire sur Solidarność en 2019 et à l’occasion de recherches menées en amont et en aval dans les archives, essentiellement en Pologne et en France. <a href="http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/57855_1">Ce film</a> fut une commande de NDR/Arte à la société de production allemande Looksfilm, dans le cadre du 40<sup>e</sup> anniversaire de la chute du mur de Berlin :</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/378709/original/file-20210114-14-1e1wvip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378709/original/file-20210114-14-1e1wvip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378709/original/file-20210114-14-1e1wvip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=918&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378709/original/file-20210114-14-1e1wvip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=918&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378709/original/file-20210114-14-1e1wvip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=918&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378709/original/file-20210114-14-1e1wvip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1154&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378709/original/file-20210114-14-1e1wvip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1154&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378709/original/file-20210114-14-1e1wvip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1154&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « Une histoire visuelle de Solidarnosc » d’Ania Szczepańska, qui vient de paraître aux éditions de la Fondation Maison des sciences de l’homme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">FMSH</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Solidarność, La chute du mur commence en Pologne [Solidarność, Der Mauerfall begann in Polen]. Quarante ans, c’est un temps lointain mais c’est presque encore hier. Les témoins étaient jeunes en 1980 et ne le sont donc plus en 2020. Leurs souvenirs sont néanmoins brûlants, bien qu’ils apprivoisent déjà les horizons inéluctables de la disparition. Ils résonnent dans cette mince couche de temps où la vie côtoie la mort avec une même intensité, où les amis de combat disparaissent année après année sans que l’on puisse les retenir, si ce n’est en évoquant des fragments de souvenirs, au-dessus de leur tombe que l’on regarde comme la sienne. La génération qui m’a raconté Solidarność perçoit l’écart entre son expérience et les récits qu’en feront ses héritiers. Lucide, elle éprouve, peut-être plus qu’une autre, l’inadéquation douloureuse entre l’événement vécu, la mémoire qui a pétri son souvenir et l’a aménagé au gré des épreuves de la vie, et cette troisième dimension qui lui échappe déjà en grande partie, celle de l’histoire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153295/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ania Szczepanska ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>C’est au travers d’images et de témoignages saisissants que nous redécouvrons Solidarność, cette contestation polonaise ouvrière contre le régime communiste, devenue un mouvement international.Ania Szczepanska, Maître de conférences en histoire du cinéma, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.