tag:theconversation.com,2011:/global/topics/prehistoire-28935/articlespréhistoire – The Conversation2024-02-06T14:38:22Ztag:theconversation.com,2011:article/2228222024-02-06T14:38:22Z2024-02-06T14:38:22ZOù, quand et comment la syphilis est-elle apparue ? La réponse est dans l’ADN ancien<p>Il est rare que l’on dispose de données historiques aussi précises sur l’origine d’une maladie infectieuse que celles qui existent sur la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Syphilis">syphilis</a> : en 1493, lors du siège de la ville de Naples par les troupes françaises. De là, la syphilis s’est rapidement propagée en Europe et en Asie, provoquant l’une des épidémies les plus dévastatrices pour l’humanité pendant plusieurs siècles. Cette épidémie prendra fin grâce à la pénicilline, qui permettra au XX<sup>e</sup> siècle de la traiter de manière efficace.</p>
<p><em>(La syphilis est une infection sexuellement transmissible très contagieuse qui est due à la bactérie Treponema pallidum. Si elle n’est pas dépistée et traitée, elle peut affecter tous les organes et avoir de graves conséquences, indique <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/infections-sexuellement-transmissibles/syphilis">Santé publique France</a>, ndlr.)</em></p>
<p>La coïncidence temporelle entre le retour des Amériques de la première expédition de Christophe Colomb et certaines infections chroniques indirectes ont conduit à l’hypothèse selon laquelle cette maladie serait originaire du continent américain. Des travaux de recherche <a href="https://link.springer.com/article/10.1038/s41586-023-06965-x">que nous venons de publier dans la revue <em>Nature</em></a>, basés sur des squelettes provenant d’une nécropole vieille de 2 000 ans à Jabuticabeira (Brésil), pourraient éclairer cette controverse.</p>
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<h2>Génomes anciens et phylogénies modernes</h2>
<p>En collaboration avec des chercheurs des universités de Zurich, Bâle, Vienne, ETH Zurich, Autónoma de Barcelona et São Paulo, nous présentons l’analyse d’un génome de la bactérie <em>Treponema pallidum</em> obtenu à partir d’échantillons vieux de 2 000 ans provenant d’un monticule funéraire de la côte sud du Brésil (Jabuticabeira, Santa Catarina).</p>
<p>Ce génome, de grande qualité pour un génome aussi ancien, appartient au même groupe que les génomes modernes de <em>T. pallidum endemicum</em> (TEN), la lignée responsable du bejel, une infection actuellement limitée aux zones chaudes et arides et jusqu’alors non décrite dans les Amériques. Cette lignée, tout comme <em>T. pallidum pertenue</em> (TPE), responsable d’une autre infection tréponémique tropicale appelée pian, est étroitement liée à la lignée responsable de la syphilis, <em>T. pallidum pallidum</em> (TPA).</p>
<p><em>(Le bejel et le pian sont d’autres pathologies de la <a href="https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/syphilis/definition-evolution-transmission">famille des tréponématoses</a>, comme la syphilis. Toutefois, leurs modes de transmission diffèrent. En effet, le bejel et le pian se transmettent par contact avec des lésions cutanées ou muqueuses, ndlr.)</em></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/571301/original/file-20240124-15-3bmfyz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/571301/original/file-20240124-15-3bmfyz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/571301/original/file-20240124-15-3bmfyz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1550&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/571301/original/file-20240124-15-3bmfyz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1550&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/571301/original/file-20240124-15-3bmfyz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1550&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/571301/original/file-20240124-15-3bmfyz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1948&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/571301/original/file-20240124-15-3bmfyz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1948&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/571301/original/file-20240124-15-3bmfyz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1948&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La syphilis selon Alberto Durero.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.historicalresearchupdate.com/stories/science-history-syphilis-and-christopher-columbus/">Wikimedia</a></span>
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<p>L’apparition soudaine de la syphilis à la fin du XV<sup>e</sup> siècle a conduit à l’hypothèse, connue sous le nom d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_syphilis">hypothèse colombienne</a>, d’une origine américaine. Mais ce n’est pas la seule hypothèse.</p>
<p>L’hypothèse précolombienne fait partie des propositions alternatives les plus populaires. D’après cette hypothèse, toutes les tréponématoses auraient accompagné l’humanité depuis ses origines, avec des manifestations différentes au fur et à mesure que ces maladies se répandaient dans différentes régions. On citera aussi l’hypothèse unitaire, qui est une légère variante de l’hypothèse précolombienne, selon laquelle l’apparition des différentes tréponématoses correspond à des adaptations d’une même bactérie à des conditions écologiques différentes.</p>
<p>Jusqu’à présent, ces hypothèses butaient face au manque de données concrètes pour les réfuter ou les valider, étant donné que les lésions cutanées spécifiques de ces maladies ne laissent aucune trace après la décomposition des corps et que les lésions osseuses qu’elles occasionnent sont communes à différentes infections. Cela a conduit à rechercher des traces biologiques de la bactérie dans des restes anciens.</p>
<h2>Utiliser les mêmes techniques que pour les restes de Neandertal</h2>
<p>La bactérie n’a pas été retrouvée jusqu’à présent. Mais grâce aux mêmes techniques de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sequencage-82916">séquençage</a> que celles appliquées aux restes des <a href="https://www.mpg.de/13894984/neandertal-genome-project">Néandertaliens</a> ou des <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/un-grand-pere-moderne-pour-les-neandertaliens">Dénisoviens</a>, certains génomes complets de <em>T. pallidum</em> ont été obtenus.</p>
<p>La plupart de ces génomes proviennent de <a href="https://doi.org/10.1016/j.cub.2020.07.058">l’Europe centrale et septentrionale</a> et certains du <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pntd.0006447">Mexique</a>. Mais leur datation ne permet pas d’exclure la possibilité qu’ils datent d’après le retour de Christophe Colomb. Ces génomes appartiennent au même groupe que les lignées TPA et TPE, ce qui laisse ouverte la question de l’origine de la syphilis.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/571417/original/file-20240125-19-9qmtny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/571417/original/file-20240125-19-9qmtny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/571417/original/file-20240125-19-9qmtny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/571417/original/file-20240125-19-9qmtny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/571417/original/file-20240125-19-9qmtny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/571417/original/file-20240125-19-9qmtny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/571417/original/file-20240125-19-9qmtny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/571417/original/file-20240125-19-9qmtny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les maladies tréponémiques sont apparues environ 10 000 ans plus tôt qu’on ne le pensait.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nature</span></span>
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<p>Le nouveau génome étend la portée géographique et temporelle de la distribution de <em>T. pallidum</em> au continent américain à l’époque précolombienne et avant les expéditions vikings qui ont atteint les côtes de l’Amérique du Nord. Notre analyse le place clairement dans la lignée TEN (<em>T. pallidum endemicum, ndlr</em>). En effet, sa faible distance génétique avec les quelques génomes disponibles de cette lignée est surprenante, un détail qui confirme son assignation à cette lignée.</p>
<p>La provenance de ces restes est également surprenante. Aujourd’hui, le bejel se trouve dans des régions chaudes et arides, très différentes sur le plan climatique et écologique, des rivages atlantiques du Brésil subtropical.</p>
<h2>Alors, Christophe Colomb a-t-il joué un rôle dans la propagation de la syphilis ?</h2>
<p>Que nous apprend le nouveau génome sur l’origine de la syphilis ? À la fois peu et beaucoup de choses. Son appartenance à la lignée TEN (<em>T. pallidum endemicum, ndlr</em>) signifie que des bactéries tréponèmes étaient présentes sur le continent américain avant l’arrivée de Christophe Colomb, mais pas nécessairement que l’un d’entre eux ait causé la syphilis.</p>
<p>De manière empirique, toutes les hypothèses énoncées ci-dessus se voient quelque peu renforcées. Les nouvelles datations repoussent légèrement l’origine de la lignée TPA (<em>T. pallidum pallidum, ndlr</em>) à environ 1 000 ans avant J.-C. Mais leur précision pourrait s’améliorer au fur et à mesure que de nouveaux génomes anciens seront intégrés aux analyses.</p>
<p>L’étude des génomes de cette bactérie a révélé la grande plasticité de <em>T. pallidum</em> pour échanger des gènes. En particulier, la lignée TPA a reçu de nombreux apports des autres lignées TPE et TEN.</p>
<p>Il est possible qu’à l’occasion d’un de ces cas de transfert horizontal de gènes, ait été incorporée à une lignée de tréponèmes la capacité de se transmettre plus facilement par voie sexuelle et de provoquer des symptômes inconnus jusqu’alors. Cela a-t-il pu se produire en Europe après le retour de Christophe Colomb ? C’est une possibilité fascinante que nous voulons explorer plus avant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222822/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fernando González Candelas a reçu des financements du ministère des universités et de la recherche et de la Generalitat Valencia (Conselleria de Educación y Ciencia, Conselleria de Sanidad).</span></em></p>Les génomes modernes et anciens du « Treponema pallidum », ont permis de situer cette bactérie, dont la lignée est responsable de la syphilis, dans l’Amérique précolombienne.Fernando González Candelas, Catedrático de Genética. Responsable de la Unidad Mixta de Investigación "Infección y Salud Pública" FISABIO-Universitat de València I2SysBio. CIBER Epidemiología y Salud Publica, FisabioLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211782024-01-28T16:07:29Z2024-01-28T16:07:29ZTous cannibales ? Une brève histoire de l’anthropophagie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/569344/original/file-20240109-23-gtzp29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=172%2C273%2C4512%2C3571&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Gravure représentant une scène de cannibalisme en Afrique centrale (1870).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://theconversation.com/asset_images/568471/edit?content_id=220743">Morphart Creation/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Dans le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Hb3GAhD1ev0"><em>Le Cercle des neiges</em></a>, sorti récemment sur Netflix, J.A. Bayona relate <a href="https://sociedaddelanieve.com/fotos-reales-de-la-tragedia-de-los-andes/">l’accident d’avion de l’équipe de rugby uruguayenne dans les Andes en 1972</a>. Il y est question de cannibalisme : pour survivre, les rescapés ont décidé de manger leurs camarades décédés. Après leur sauvetage, les survivants ont d’abord dissimulé le fait qu’ils avaient pratiqué le cannibalisme, par peur des réactions. Plus tard, les médias les ont dénoncés, censurés et réprouvés en les qualifiant de « cannibales ».</p>
<p>Le cannibalisme est défini comme l’acte ou la pratique consistant à manger des individus de sa propre espèce. Il s’agit généralement d’humains qui mangent d’autres humains. Le premier cas de cannibalisme a été attribué aux Néandertaliens, et il y a plus de 100 000 ans, comme en témoigne la <a href="https://www.pourlascience.fr/sd/prehistoire/des-neandertaliens-cannibales-dans-la-vallee-du-rhone-16362.php">grotte française de Moula-Guercy</a>.</p>
<p>Cette pratique est attestée en Afrique occidentale et centrale, en Mélanésie, en Nouvelle-Guinée, dans certaines îles polynésiennes et dans des tribus de Sumatra. Cette pratique était assez courante dans les sociétés préétatiques. Dans l’histoire contemporaine, des cas individuels ont été attribués à des individus instables ou criminels ou associés à des situations difficiles telles que la <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2014-1-page-77.htm">crise alimentaire en Ukraine</a> dans les années 1930, et pendant la Seconde Guerre mondiale, <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20210907-le-si%C3%A8ge-de-leningrad-un-des-%C3%A9pisodes-les-plus-meurtriers-de-la-seconde-guerre-mondiale">pendant le siège de Leningrad</a> et à <a href="https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/les-trois-ans-denfer-du-rescape-de-la-shoah-1764945">Bergen-Belsen</a>, selon les responsables britanniques qui ont libéré le camp de concentration.</p>
<p>Mais la pertinence de ces faits est controversée. Ce qui est généralement admis, c’est que les accusations de cannibalisme ont été historiquement plus fréquentes que la pratique elle-même, comme le mentionne Alberto Cardín dans <a href="https://www.anagrama-ed.es/libro/argumentos/dialectica-y-canibalismo/9788433913791/A_149"><em>Dialéctica y canibalismo</em></a>. Le cannibale a presque toujours été « l’autre » dans l’imaginaire colonial.</p>
<p>Le terme cannibale <a href="https://canal.ugr.es/prensa-y-comunicacion/medios-digitales/ideal-digital/los-canibales-de-colon/">est un héritage de Christophe Colomb</a>. Il s’agit de la déformation de « Carib », un peuple originaire des Antilles que Christophe Colomb croyait sujet du <a href="https://www.biografiasyvidas.com/biografia/k/kubilai.htm">Grand Khan de Chine (<em>kannibals</em>)</a>. Colomb, préparé à rencontrer le Grand Khan, était accompagné d’interprètes arabes et hébreux, et en entendant de la bouche des indigènes le <a href="https://noticiasdelaciencia.com/archive/36149/cristobal-colon-realmente-vio-canibales-en-el-caribe">mot <em>caniba</em></a> (ou « canima ») pensa qu’il pouvait s’agir des hommes à tête de chien (<em>cane-bal</em>) <a href="https://books.google.es/books?id=Dq1vEAAAQBAJ">décrits par l’explorateur John Mandeville</a>.</p>
<h2>Les peuples cannibales</h2>
<p>Les Juifs ont été historiquement accusés de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Accusation_antis%C3%A9mite_de_meurtre_rituel">manger des enfants chrétiens</a>, tout comme les Tsiganes. Dans l’Antiquité, les Grecs ont rapporté des cas d’anthropophagie chez des peuples non helléniques, les barbares. Les Espagnols ont fait de même en ce qui concerne le cannibalisme aztèque, bien que l’anthropophagie ait été signalée pendant les soi-disant <a href="https://www.lahuttedesclasses.net/2023/03/la-guerre-fleurie-une-fake-news.html">guerres fleuries</a> de l’Empire aztèque, étant considérée comme une manifestation massive de cannibalisme.</p>
<p>En ce sens, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/The_Man-Eating_Myth">William Arens</a> a souligné qu’au-delà des cas de cannibalisme avérés dans des situations de détresse, le cannibalisme est un mythe et que la description d’un groupe humain comme cannibale n’est qu’une revendication rhétorique et idéologique visant à établir une supériorité morale sur ce groupe.</p>
<p>Dans le même ordre d’idées, <a href="https://hyperbole.es/2016/08/los-canibales-de-michel-de-montaigne-rouen-1562/">Michel de Montaigne</a> soulignait au XVI<sup>e</sup> siècle que toute personne ou toute chose à laquelle on n’est pas habitué était appelée barbare (ou cannibale) et considérait les guerres de religion en France et la torture de corps vivants ou leur jet aux chiens plus barbares que l’ingestion <a href="https://zaguan.unizar.es/record/88820">par les Tupinamba du corps d’une personne décédée</a>.</p>
<p>Cependant, l’étendue des cas recensés montre que le cannibalisme n’est pas une invention. La définition la plus récente du cannibalisme par <a href="https://www.langaa-rpcig.net/eating-and-being-eaten/">F.B. Nyamnjoh</a> fait référence à la consommation d’êtres humains sous forme matérielle, métaphorique, symbolique ou fantasmatique. En effet, la communication sur le web a contribué à multiplier les fantasmes cannibales et sexualisés de milliers de personnes qui rêvent sur des forums de dévorer ou d’être dévorées par des membres du sexe qu’elles préfèrent.</p>
<h2>Une certaine fascination</h2>
<p>Il existe des cas extrêmes comme le tueur en série <a href="https://www.youtube.com/watch?v=wUNut2dGhxM">Fritz Haarmann</a> (« Le boucher de Hanovre ») ou <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-11981759/German-house-horrors-cannibal-killed-ate-volunteer-victim-famous-case-burns-down.html">Armin Meiwes</a>, un technicien informatique de Rotenburg (Allemagne) qui, en 2001, a sollicité sur Internet « un jeune garçon âgé de 18 à 25 ans » pour qu’il le mange (la demande a été acceptée, puisque Jürgen B. s’est exécuté et a été tué et mangé par Meiwes).</p>
<p>L’un des cas les plus choquants est celui de l’étudiant japonais en littérature anglaise <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2022/12/03/issei-sagawa-le-japonais-cannibale-est-mort_6152834_3382.html">Issei Sagawa</a>, qui a mangé un étudiant allemand de la Sorbonne à Paris en 1981, en décrivant l’acte en détail. La façon dont il a révélé ce fait a fait de lui un héros national au Japon et il a écrit plusieurs best-sellers. Même les Rolling Stones lui ont dédié une chanson en 1986 : <em>Too much blood</em>.</p>
<p>Le cannibalisme ne nous est pas étranger. L’acte catholique de l’eucharistie et la commémoration de la <em>Cène</em> renvoient à l’idée d’ingérer un <a href="https://www.cairn.info/anorexie-et-inedie-une-meme-passion-du-rien--9782749203119-page-135.htm">totem</a>, symbole sacré d’un groupe, d’un clan ou d’une lignée, afin d’en absorber le pouvoir distinctif. Derrière le dogme de la transsubstantiation catholique s’exprime l’idée d’acquérir la divinité (immortalité, pardon des péchés…) par absorption en mangeant le corps du Christ. Ce « cannibalisme rituel » partage de nombreuses caractéristiques du concept.</p>
<p>Dans d’autres cultures d’Asie et d’Australie, par exemple, on croit que manger le pénis d’un tigre procure une plus grande virilité, et que manger l’ennemi (exocannibalisme) chez les <a href="https://www.letemps.ch/societe/lanthropologue-cannibales-mariage">baruya</a> ou qu’ingérer une partie d’une personne décédée (endocannibalisme) chez les fore perpétuera son âme. Le corps d’autrui est une <a href="https://www.langaa-rpcig.net/eating-and-being-eaten/">nourriture pour le corps, l’esprit et l’âme</a>.</p>
<p>La question qui se pose est, d’une part, de savoir qui a le droit de juger et d’évaluer les aspects contradictoires des peuples du passé et, d’autre part, pourquoi il est devenu habituel de penser que ce qui n’est qu’extraordinaire (le cannibalisme) est une coutume.</p>
<p>Pierre Clastres, par exemple, parle de la normalité de phénomènes tels que la guerre et le cannibalisme chez les Indiens <a href="https://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1964_num_4_2_366647">guayaki</a> comme s’ils étaient typiques des peuples « exotiques », alors que, dans de nombreux cas, ces peuples en ont été les victimes. Les Andamanais du golfe du Bengale ont eu la réputation, en Occident, d’être des cannibales belliqueux, comme le décrit Radcliffe-Brown dans <a href="https://www.britannica.com/topic/The-Andaman-Islanders"><em>The Andaman Islanders</em></a> (1922), car ils déchiquetaient leurs victimes de guerre et avaient l’habitude de suspendre les os de leurs ancêtres. Cette idée est issue de plusieurs romans dont l’intrigue impliquait invariablement un naufrage causé par les récifs coralliens de la côte d’Andaman, suivis d’épisodes de cannibalisme et de l’histoire de l’unique survivant.</p>
<p>Le cannibalisme serait un phénomène plus typique, non pas de peuples « exotiques », mais une conséquence de perversions individuelles, de situations catastrophiques et particulières. Dans les années 1990, des journalistes occidentaux ont écrit sur le <a href="https://www.swissinfo.ch/spa/liberia-d-humanos_militar-liberiano-condenado-en-suiza-por-atrocidades-durante-la-guerra-civil/46716940">cannibalisme dans le contexte de la guerre civile au Libéria (1989-1997)</a>. L’historien <a href="https://academic.oup.com/afraf/article-abstract/94/375/165/96220">Stephen Ellis</a> a suggéré que les causes n’étaient pas seulement politiques, mais qu’elles pouvaient être expliquées par des termes religieux ou spirituels caractéristiques des rituels des sociétés secrètes.</p>
<p>En somme, les descriptions contemporaines du cannibalisme, qui semblent faire écho aux études archéologiques, montrent que, d’une manière ou d’une autre, comme l’a souligné <a href="https://cup.columbia.edu/book/we-are-all-cannibals/9780231170680">Claude Lévi-Strauss</a>, « nous sommes tous cannibales ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221178/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Lagunas no recibe salario, ni ejerce labores de consultoría, ni posee acciones, ni recibe financiación de ninguna compañía u organización que pueda obtener beneficio de este artículo, y ha declarado carecer de vínculos relevantes más allá del cargo académico citado.</span></em></p>Le cannibalisme est un phénomène plus complexe qu’il n’y paraît. Est-il uniquement lié à des situations extrêmes à à des rituels culturels ?David Lagunas, Profesor de Antropología, Universidad de SevillaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202322024-01-23T16:27:39Z2024-01-23T16:27:39ZAnthropocène… ou anthro-problème ? Une question d’étymologie et surtout d’échelle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567422/original/file-20231228-17-5rhoj4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les points stratigraphiques mondiaux (ou « clous d'or ») sont utilisés par les géologues pour identifier les limites entre deux étages géologiques distincts, représentant deux unités temporelles distinctes à l'échelle des temps géologiques.</span> <span class="attribution"><span class="source">James St John / Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>C’est l’un des nouveaux mots qui s’est frayé un chemin, de la communauté scientifique jusqu’aux médias : « anthropocène ». Ce dernier entend décrire les modifications profondes que les activités humaines ont provoquées dans le fonctionnement de notre planète, et baptiser ainsi l’avènement d’une nouvelle ère géologique. Sauf que cette dénomination pose problème.</p>
<p>D’abord au niveau étymologique puisque ce mot a été créé de toute pièce par des chercheurs extérieurs aux sciences de la Terre, puisant à dessein dans le lexique géologique. L’enthousiasme immodéré que ce mot-valise suscite ne doit pas nous empêcher de porter un regard critique sur les façons dont il pourrait être mal interprété, en particulier en surestimant les pouvoirs de l’humanité.</p>
<p>Certes, les perturbations anthropiques sont bien réelles et mesurables à l’échelle de nos vies humaines. Mais leur juste place dans l’échelle des processus et des temps géologiques doit être questionnée avec davantage de modestie pour éviter de tomber, une fois de plus – et une fois de trop – dans le piège de l’anthropocentrisme.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567426/original/file-20231228-29-l66ea2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567426/original/file-20231228-29-l66ea2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567426/original/file-20231228-29-l66ea2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567426/original/file-20231228-29-l66ea2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567426/original/file-20231228-29-l66ea2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567426/original/file-20231228-29-l66ea2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567426/original/file-20231228-29-l66ea2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Couche de détritus coincés entre une couche de calcaire et une couche de marne après l’effondrement d’une falaise.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fmichaud76/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le consensus est d’ailleurs loin d’être atteint parmi les scientifiques puisque factuellement, l’anthropocène ne figure pas – tout du moins pas encore – dans l’échelle des temps géologiques. La Commission internationale de stratigraphie , après que le groupe de travail sur l’anthropocène <a href="https://theconversation.com/voici-comment-le-lac-crawford-en-ontario-a-ete-choisi-pour-marquer-le-debut-de-lanthropocene-209454">a choisi un site pilote au Canada à l’été 2023</a>, a récemment <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-024-00675-8?WT.ec_id=NATURE-202403&sap-outbound-id=6ACB62CD96157D29763AF16B937CD8E5804215D6">rejeté l'Anthropocène</a> – mais des irrégularités de procédure ont été soulevées, et certains demandent déjà l'annulation du vote.</p>
<p>Ce questionnement ne doit pas être réduit à un débat obscur entre spécialistes. Il sous-tend des conceptions radicalement différentes des enjeux auxquels l’humanité est confrontée et des réponses qu’elle devra y apporter.</p>
<h2>Une rupture étymologique</h2>
<p>Le terme d’anthropocène a été inventé <a href="https://www.nature.com/articles/415023a">par le chimiste de l’atmosphère et prix Nobel Paul Crutzen en 1995</a>, avant d’être largement <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/qu-est-ce-que-l-anthropocene-cette-possible-epoque-geologique-de-l-humain-3965362">popularisé par les médias comme « ère de l’Homme »</a>. Pourtant, l’étymologie de ce nom qui associe les racines grecques anthropos (homme) et kainos (nouveau) signifie seulement… « homme nouveau ».</p>
<p>Le désaccord flagrant entre l’étymologie du mot et sa lecture courante résulte de l’inscription maladroite de ce néologisme dans la continuité des noms donnés en géologie aux différentes époques de l’ère Cénozoïque (anciennement « Tertiaire »).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/569788/original/file-20240117-15-mhmpqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569788/original/file-20240117-15-mhmpqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569788/original/file-20240117-15-mhmpqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569788/original/file-20240117-15-mhmpqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569788/original/file-20240117-15-mhmpqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569788/original/file-20240117-15-mhmpqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569788/original/file-20240117-15-mhmpqv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le mammouth est l’un des mammifères emblématiques du Cénozoïque.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Etienne Mahler/Flickr</span></span>
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</figure>
<p>En effet, du Paléocène à l’Holocène, ces noms utilisent tous la racine « cène », choisie par les géologues pour traduire l’augmentation progressive de la ressemblance entre les faunes fossiles et les faunes modernes, d’où le recours au mot grec « kainos » (nouveau), comme le montre le tableau ci-dessous.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/566857/original/file-20231220-23-4f12xg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/566857/original/file-20231220-23-4f12xg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566857/original/file-20231220-23-4f12xg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=535&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566857/original/file-20231220-23-4f12xg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=535&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566857/original/file-20231220-23-4f12xg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=535&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566857/original/file-20231220-23-4f12xg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=672&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566857/original/file-20231220-23-4f12xg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=672&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566857/original/file-20231220-23-4f12xg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=672&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les différentes époques de l’ère Cénozoïque (anciennement tertiaire) et leurs origines étymologiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Vincent Huault</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Le mot anthropocène rompt donc avec cette logique. Cette tentative ratée de greffe sémantique est le résultat d’un choix délibéré – en témoignent les <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.12987/9780300188479-041/html">propres mots de Crutzen</a> – d’ancrer ce concept dans la géologie et non pas seulement dans l’histoire de l’humanité où il aurait pourtant trouvé une place plus naturelle. Son but étant d’abord l’inscription, au propre comme au figuré, dans le marbre de l’histoire géologique.</p>
<p>Et tant pis si cette étymologie incohérente passe par un sacrifice délibéré du sens au profit du symbole.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lanthropocene-et-lechelle-des-temps-geologiques-73330">L’Anthropocène et l’échelle des temps géologiques</a>
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<p>On n’accorderait sans doute pas d’importance à ce défaut si le concept ainsi désigné enrichissait la connaissance de l’histoire de la Terre, son vocabulaire étant puisé sciemment dans le lexique de la géologie. Malheureusement, l’anthropocène apporte surtout un supplément de confusion sur les échelles des temps. Et brouille davantage la compréhension de la place que prennent les perturbations anthropiques dans l’histoire géologique de notre planète.</p>
<p>Une confusion dont nous n’avons pas besoin pour sensibiliser nos contemporains aux enjeux des changements planétaires en cours et pour leur faire ressentir l’urgence qu’il y a à agir.</p>
<h2>Si l’échelle des temps était une feuille A4, l’anthropocène ne ferait que quelques microns</h2>
<p>Je ne reviendrai pas en détail sur les <a href="https://theconversation.com/anthropocene-une-nouvelle-ere-geologique-73336">problèmes de définition de l’anthropocène</a> en tant qu’unité géologique. Quoi qu’en disent ses partisans, l’anthropocène n’est <a href="https://stratigraphy.org/chart#latest-version">toujours pas reconnu</a> par la Commission internationale de stratigraphie.</p>
<p>Voici les deux principaux points qui s’opposent à sa reconnaissance :</p>
<ul>
<li><p>Sa délimitation : le choix de l’événement qui doit marquer le début de l’anthropocène fait toujours débat entre ses défenseurs. Faut-il choisir le début de la révolution industrielle, celui de la première explosion atomique, l’apparition de l’agriculture, ou encore la <a href="https://theconversation.com/et-los-de-poulet-devint-le-symbole-de-lanthropocene-108857">multiplication des os de poulet</a> ? L’absence de délimitation consensuelle réduit l’anthropocène à un concept flou dont la mesure est insatisfaisante à tout point de vue : ni assez précise, ni suffisamment importante pour permettre une intégration harmonieuse au sein de l’échelle des temps géologiques.</p></li>
<li><p>Sa durée : quel que soit le choix qui sera fait pour le délimiter, l’intervalle de temps correspondant (quelques millénaires tout au plus) restera infinitésimal à l’échelle des 4,5 milliards d’années de l’histoire de la Terre. Songez simplement que si l’anthropocène était ajouté à une échelle des temps géologiques imprimée sur une feuille A4, il vous faudrait un microscope électronique à balayage pour distinguer ses quelques microns de hauteur !</p></li>
</ul>
<p>On est donc en droit de s’interroger sur l’intérêt à placer le concept dans le champ de la géologie auquel il s’intègre si mal dans l’état actuel de sa définition. Cela ne revient nullement à remettre en cause la réalité de l’impact des activités humaines sur l’environnement et ses potentielles répercussions dans l’enregistrement géologique.</p>
<p>Mais l’illusion d’une humanité régnant sans partage sur la nature (<a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/271086-terre-climat-quest-ce-que-lanthropocene-ere-geologique">« maître des phénomènes géologiques »</a> ou nouvelle <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2011/01/14/bienvenue-dans-une-nouvelle-ere-geologique-l-anthropocene_5981957_3244.html">« force géophysique »</a>) doit être rejetée comme une vision anthropocentrique peu crédible, en particulier après la claque infligée par la crise sanitaire de 2020.</p>
<p>Car si elle est capable de perturber les cycles naturels, l’humanité ne les maîtrise pas pour autant. Parce que nous risquons de ne pas savoir en gérer les conséquences, les perturbations observées, aussi intenses soient-elles, risquent de s’inscrire dans des échelles de temps humainement significatives, mais insignifiantes à l’échelle des temps géologiques.</p>
<h2>Le mythe de la toute-puissance humaine</h2>
<p>Si on s’en tient à l’étymologie, l’anthropocène devrait être une époque, comme l’Holocène auquel il est censé succéder. Pourtant, ses promoteurs le présentent tantôt comme une ère, tantôt comme une période ou une époque, montrant la difficulté qu’ils éprouvent à estimer la place de leur concept dans la hiérarchie des temps géologiques.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/lanthropocene-et-lechelle-des-temps-geologiques-73330">Les ères, époques et périodes des temps géologiques</a> sont pourtant aussi distinctes les unes des autres que le sont les mois, les semaines et les jours de notre calendrier ou encore les chapitres, les paragraphes ou les lignes de cet article…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lanthropocene-et-lechelle-des-temps-geologiques-73330">L’Anthropocène et l’échelle des temps géologiques</a>
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<p>Cette question n’est pas anecdotique. Ériger l’anthropocène en intervalle de temps géologique, quel que soit son rang, c’est assumer à la fois un pari et une contradiction : le pari que les perturbations engendrées à l’échelle globale par les activités humaines sont suffisamment extrêmes pour laisser des traces définitives dans le registre géologique et que, malgré cela, elles vont perdurer suffisamment longtemps pour constituer une tranche du temps long géologique, mesurée en millions d’années.</p>
<p>Pour résoudre ce dilemme, il suffirait pourtant d’abandonner le mythe de la puissance humaine promise à un avenir infini, et d’accepter l’idée que l’anthropocène n’est rien d’autre qu’un moment de bascule vers une nouvelle époque géologique, un événement ponctuel plutôt qu’un intervalle de temps géologique, idée qui <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/jqs.3416">commence d’ailleurs à émerger chez certains partisans de l’anthropocène</a>.</p>
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<p>Il existe dans la terminologie stratigraphique des termes plus appropriés pour désigner de tels événements brefs – à l’échelle géologique cela peut correspondre à quelques milliers d’années – qui sont autant de repères temporels précieux. L’impact de l’astéroïde impliqué dans la <a href="https://theconversation.com/avant-la-chute-de-lastero-de-qui-a-cause-leur-extinction-les-especes-de-dinosaures-etaient-deja-sur-le-declin-163547">grande extinction des dinosaures qui marque la fin du Crétacé</a> est ainsi nommé « astroblème » – « blêma » signifiant « coup » en grec.</p>
<p>L’impact de l’humanité sur la planète peut être vu comme un événement affectant de façon significative le fonctionnement du système Terre, mais instantané à l’échelle géologique : un « anthropoblème » (« impact de l’Homme »).</p>
<p>La proximité entre anthropoblème et anthro-problème, qui fonctionne également en anglais, est bien plus responsabilisante que la vision anthropocentrique de l’anthropocène, qui érige l’être humain en aboutissement et en métronome des temps géologiques.</p>
<h2>Deux visions entre continuité et rupture</h2>
<p>À travers ce choix entre l’anthropocène « ère de l’Homme » et l’anthropoblème qui décrit son impact sur la planète, ce sont deux visions de l’avenir qui s’opposent.</p>
<p>On peut considérer qu’entrer dans l’anthropocène, « l’ère de l’Homme », c’est comme rentrer chez soi. La maison est un peu en désordre, mais la technologie va nous aider à faire le ménage. Dans ses travaux sur la chimie de l’atmosphère, Crutzen prônait la géo-ingénierie pour <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20110103STO11194/paul-crutzen-prix-nobel-et-partisan-d-une-troisieme-voie-pour-sauver-le-climat">« corriger » sa composition</a> et pour <a href="https://www.nature.com/articles/415023a">« optimiser »</a> le climat.</p>
<p>Elon Musk de son côté <a href="https://theconversation.com/la-rhetorique-des-conquerants-de-mars-creer-le-reve-111315">promet un avenir martien à l’humanité</a>. Ces exemples de technosolutionniste font le pari d’une continuité humaine, portée à bout de bras par la technologie. Ce faisant, ils évitent soigneusement les questions cruciales sur les changements de nos systèmes de production, de pensée ou encore de nos modes de vie qui barrent pourtant l’horizon.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-vouloir-imposer-lanthropocene-73456">Pourquoi vouloir imposer l’anthropocène ?</a>
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<p>A l’opposé, si l'on admet que la technologie ne suffira pas à garantir indéfiniment notre sécurité face à des phénomènes naturels toujours plus violents, on peut faire le choix radical de maîtriser nos émissions de gaz à effet de serre pour ne pas provoquer une tempête qui risque d’emporter le toit, la maison… et ses habitants.</p>
<p>Il s’agit là d’un modèle de rupture qui reconnaît le risque d’un basculement dans l’inconnu : il faut habiter autrement la Terre, parce que l’anthropoblème ouvre sur un agnostocène – « nouvel inconnu » – dans lequel l’avenir de l’humanité n’est pas garanti si elle n’agit pas fortement et rapidement pour se reconnecter au monde qui l’entoure.</p>
<p>Les connotations véhiculées par l’anthropocène font donc obstacle à la responsabilisation et flattent notre propension à résister à des changements auxquels l’humanité devra pourtant faire face dans des délais qui n’ont rien de géologique. Or, nous n’avons plus le temps ni les moyens d’entretenir des illusions sur la puissance de l’humanité.</p>
<p>Si nous échouons à mener cette nouvelle révolution copernicienne et à maîtriser nos influences délétères sur les grands cycles du système Terre, rétablir le bel alignement des mots et de leur sens deviendra superflu, puisque le débat autour de l’anthropocène n’aura simplement plus d’objet.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220232/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Huault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'anthropocène, cette possible nouvelle ère géologique où l’influence humaine aurait surpassé les forces naturelles, est loin de faire consensus chez les géologues. Certains en déplorent l'anthropocentrisme.Vincent Huault, Maître de conférence en paléontologie et stratigraphie, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2103452023-11-24T14:14:25Z2023-11-24T14:14:25ZLa biologie, et non le manque de volonté, serait à l’origine de l’épidémie d’obésité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539072/original/file-20230724-18386-l9s376.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C8%2C1902%2C1224&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour de nombreuses personnes, il est très difficile de perdre du poids sans aide professionnelle. L'obésité est un problème moderne, qui nécessite une approche novatrice.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Depuis que l’humain a utilisé pour la première fois un outil pour faciliter sa vie, il était condamné à prendre du poids.</p>
<p>Les progrès époustouflants de l’humanité ont suivi une trajectoire parallèle à la disponibilité croissante de calories. Cela a eu des conséquences sanitaires et sociales — initialement positives.</p>
<p>Tout au long de son histoire <a href="https://doi.org/10.1146%2Fannurev-nutr-080508-141048">notre espèce a dû composer avec le manque de nourriture</a>. Il fallait se démener pour trouver suffisamment de calories pour rester en vie, et notre capacité à rivaliser et à survivre impliquait parfois de longues pauses entre de maigres repas.</p>
<p>Lorsque la nourriture était abondante, notre corps emmagasinait l’énergie excédentaire sous forme de graisse pour pouvoir l’utiliser en temps de disette.</p>
<h2>Un métabolisme ancien dans un monde moderne</h2>
<p>Notre ingéniosité nous a conduits à exploiter le feu, à créer des armes de chasse et à inventer l’agriculture. Notre intelligence a permis à notre espèce de mener une vie plus facile et plus confortable tout en assurant un approvisionnement régulier en nourriture pour soutenir la croissance de la population.</p>
<p>Au fil des progrès de l’humanité, nos ancêtres ont appris à domestiquer et à utiliser les animaux. Plus tard, nous avons inventé des machines pour nous déplacer, nous et nos biens, d’un endroit à l’autre, et la vie est devenue encore plus facile.</p>
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<img alt="Silhouettes de l’évolution commençant par un primate, se transformant en humains portant du feu ou des lances, et finalement en une personne poussant un chariot d’épicerie" src="https://images.theconversation.com/files/538774/original/file-20230721-23892-afrwop.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538774/original/file-20230721-23892-afrwop.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538774/original/file-20230721-23892-afrwop.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538774/original/file-20230721-23892-afrwop.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538774/original/file-20230721-23892-afrwop.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538774/original/file-20230721-23892-afrwop.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538774/original/file-20230721-23892-afrwop.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Notre métabolisme reste calibré pour une vie dure et inconfortable durant laquelle chaque bouchée devait être gagnée au prix d’un effort physique intense. Notre cerveau nous dit toujours de manger plus que ce dont nous avons besoin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>Aujourd’hui, des montagnes d’aliments riches en calories (et souvent pauvres sur le plan nutritionnel) de même que des boissons sucrées sont facilement accessibles partout dans le monde. Il n’est plus nécessaire de sortir de chez soi — ni même de se lever — pour accéder à cette corne d’abondance.</p>
<p><a href="https://obesitycanada.ca/fr/deslignesdirectrices/lascience/">Cependant, notre métabolisme n’a pas suivi nos avancées technologiques</a>. Il reste calibré pour une vie dure et inconfortable dans laquelle chaque bouchée doit être gagnée au prix d’un effort physique intense. Notre cerveau nous envoie encore le message de manger plus que ce dont nous avons besoin.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.2174%2F138920211795677895">L’obésité polygénique (la prédisposition héréditaire à consommer et à emmagasiner de l’énergie)</a> est le résultat inévitable de l’affrontement entre nos instincts primaires et l’abondance phénoménale créée par l’humain. C’est aussi ce qui rend la perte d’un excès de graisse et le maintien d’un poids sain si difficile.</p>
<h2>Le rôle du cerveau dans l’obésité</h2>
<p>Grâce à notre travail clinique et à nos recherches sur l’obésité, nous savons que certaines personnes peuvent prendre du poids et être en bonne santé. Mais d’autres développent de graves problèmes, <a href="https://doi.org/10.3390/ijms20092358">comme le diabète, l’hypertension artérielle, le cancer et l’arthrite</a>.</p>
<p>La société a trop longtemps considéré l’obésité comme un échec personnel, alors qu’il s’agit en réalité d’une <a href="https://obesitycanada.ca/fr/deslignesdirectrices/lascience/">maladie biologique, physiologique, environnementale et chronique</a>.</p>
<p>Pour plusieurs, essayer de perdre un excès de poids sans aide est très difficile. Le cerveau nous pousse à manger autant que possible parce qu’il croit que cela nous aide à survivre. Il a ainsi le pouvoir d’anéantir nos meilleures intentions. </p>
<p>En dépit de l’opinion courante selon laquelle les personnes à forte corpulence devraient <a href="https://theconversation.com/its-time-to-bust-the-calories-in-calories-out-weight-loss-myth-199092">simplement manger moins et bouger plus</a>, il est pratiquement impossible de lutter contre notre patrimoine génétique ou d’autres facteurs sur lesquels nous n’avons aucun contrôle. </p>
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<img alt="Dessin à la craie d’un cerveau dont la moitié est remplie de différents types d’aliments" src="https://images.theconversation.com/files/538591/original/file-20230720-25-6r6648.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538591/original/file-20230720-25-6r6648.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538591/original/file-20230720-25-6r6648.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538591/original/file-20230720-25-6r6648.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538591/original/file-20230720-25-6r6648.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=349&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538591/original/file-20230720-25-6r6648.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=349&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538591/original/file-20230720-25-6r6648.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=349&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le cerveau nous incite à manger le plus possible parce qu’il croit que cela nous aide à survivre, et il a le pouvoir de faire fi de nos meilleures intentions.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>Notre corps défend farouchement son poids. Il modifie les niveaux de leptine et d’insuline qui régulent l’appétit. <a href="https://obesitycanada.ca/fr/deslignesdirectrices/lascience/">Lorsque nous nous restreignons sur le plan calorique pour perdre du poids</a>, les hormones obligent notre cerveau à signaler une augmentation de la faim et une diminution de la satiété, et elles ralentissent notre métabolisme dans le but de conserver la graisse corporelle. </p>
<p>Entre-temps, une autre partie de notre cerveau, qui régule la récompense et le plaisir, travaille également à nous faire manger davantage. </p>
<p>Le plaisir de manger est <a href="https://doi.org/10.1016%2Fj.neuron.2011.02.016">stimulé par des substances neurochimiques naturelles comme la dopamine, les opioïdes et les cannabinoïdes</a>, afin d’aider à la survie et à l’emmagasinage de l’énergie. Les personnes souffrant d’obésité peuvent avoir une prédisposition génétique à un système de récompense accru associé à la nourriture. Les emballages brillants, le marketing agressif (<a href="https://www.apa.org/topics/obesity/food-advertising-children">ciblant souvent les enfants</a>), les aliments au bon goût, mais pauvres en nutriments, les commandes au volant et les services de livraison en ligne sont autant d’éléments qui favorisent ce phénomène. </p>
<h2>Un traitement efficace</h2>
<p>De la même manière que le progrès humain est à l’origine de l’obésité, il peut contribuer à le résoudre. </p>
<p>Cela commence par l’acceptation du fait que <a href="https://obesitycanada.ca/guidelines/weightbias/">l’obésité polygénique est une maladie et non une question de volonté</a>. Plutôt que de juger la taille de tout un chacun, nous devrions être plus compréhensifs et en apprendre davantage sur ses causes.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.2105%2FAJPH.2009.159491">La société envoie des messages nuisibles relativement au poids, en particulier par le biais de la culture populaire</a>. Nous voulons donc être très clairs : notre poids ne définit pas qui nous sommes, et il ne définit pas notre état de santé non plus.</p>
<p>Il importe de reconnaître que lorsque l’obésité nuit à la santé d’une personne, elle nécessite un traitement, et il y en a de très efficaces qui sont disponibles. <a href="https://doi.org/10.1503/cmaj.191707">Les lignes directrices de pratique clinique 2020 du Canada</a> reposent sur trois piliers : la chirurgie bariatrique, la médication et la psychothérapie cognitive. </p>
<p>Celle-ci est essentielle à l’efficacité tant de la chirurgie que de la prise de médicaments. La thérapie comportementale permet de répondre à des questions telles que : pourquoi est-ce que je mange comme je le fais ? Quelle est ma relation avec la nourriture ? Quelle en est l’origine ?</p>
<p>Il a été démontré à maintes reprises que ces piliers constituent les principales interventions susceptibles d’aider les personnes souffrant d’obésité à améliorer leur santé tout en réduisant leur poids et en le maintenant sur le long terme.</p>
<p>Nous avons besoin de moins de jugement et de plus de science. Le progrès est possible si nous y travaillons.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210345/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Megha Poddar est directrice médicale du Medical Weight Management Centre of Canada. Elle a participé à l'élaboration et à la mise en œuvre d'une formation médicale continue avec des sociétés pharmaceutiques qui proposent des médicaments contre l'obésité, notamment Novo Nordisk et Eli Lilly.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sean Wharton est le directeur médical de la Wharton Medical Clinic et l'auteur principal des Lignes directrices canadiennes sur l'obésité. Il a reçu des fonds des IRSC, de Mitacs, de Novo Nordisk, de Bausch Health Canada Inc, d'Eli Lilly et de Boehringer Ingelheim.</span></em></p>L’humain a commencé à prendre du poids à mesure que les progrès technologiques ont rendu la nourriture abondante et disponible. Car son cerveau et son métabolisme fonctionnent comme en temps de disette.Megha Poddar, Assistant (Adjunct) professor, Deptartment of Internal Medicine, McMaster UniversitySean Wharton, Adjunct professor, Department of Medicine, McMaster UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171962023-11-15T21:18:56Z2023-11-15T21:18:56ZDans les banquets celtiques, on ne mangeait pas que du sanglier !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559684/original/file-20231115-29-8a23px.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C196%2C3631%2C2228&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le chaudron et la ciste de Lavau en cours de fouilles.</span> <span class="attribution"><span class="source">Dominique Frère</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>L’album d’Astérix <em>L’Iris blanc</em> se termine par un joyeux banquet où les irréductibles Gaulois se réconcilient autour des habituels sangliers rôtis. Le festin rassemble les habitants du village qui consomment les mêmes mets et mêmes breuvages, se réjouissent gaiement du récit des aventures de leurs deux héros. Nous prenons le plus grand plaisir à assister à cette scène de commensalité (acte de manger ensemble, de partager la même table), matrice symbolique d’un imaginaire culturel où, au-delà des millénaires, Gaulois et Français partageraient les mêmes valeurs communautaires et la même passion pour les plaisirs collectifs de la table.</p>
<p>Il est bon de rappeler que le monde gaulois créé par Goscinny et Uderzo est fictionnel, ne reposant sur aucune réalité historique. Grâce à l’avènement de l’archéologie préventive qui a permis de multiplier les fouilles archéologiques, les connaissances sur la Gaule protohistorique (d’avant la conquête césarienne) se sont multipliées, dont celles sur les pratiques alimentaires. C’est en particulier l’étude des écofacts (vestiges matériels du monde végétal et animal) grâce à <a href="https://www.inrap.fr/les-sciences-de-l-archeologie/L-archeozoologie">l’archéozoologie</a> et <a href="https://www.inrap.fr/magazine/Les-sciences-et-les-methodes-de-l-archeologie/Des-sciences-au-service-d-une-discipline/Ce-que-revelent-les-vegetaux">l’archéobotanique</a> qui fournit les données les plus nombreuses sur l’alimentation à l’échelle d’un site archéologique, avec réalisation de synthèses régionales et chronologiques.</p>
<p>Ainsi, pour la fin de la période de La Tène (2<sup>e</sup> âge du Fer, 450-50 av. J.-C.), le stéréotype de Gaulois grands consommateurs de sangliers, vivant de la chasse et non des produits de l’élevage est démenti par l’archéologie puisqu’il s’avère que la consommation d’animaux sauvages est réduite. Les Gaulois sont des « viandards » car ils mangent beaucoup de viande bouillie, grillée ou rôtie, mais principalement d’animaux domestiques : porc, chèvre et mouton en particulier, bœuf, mais aussi, de manière plus anecdotique, cheval et chien.</p>
<p>Parmi les très nombreux sites témoignant de festins collectifs durant cette période, celui du <a href="https://www.youtube.com/watch?v=e9kRqNkzjqU">sanctuaire de Corent</a> fondé dans le dernier quart du II<sup>e</sup> s. av. J.-C. dans le Puy-de-Dôme, apporte des témoignages édifiants de libations de vin, de sacrifices d’animaux et de repas collectifs carnés, avec une masse considérable de <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/46905">vestiges céramiques</a> (dont plusieurs milliers d’amphores vinaires importées du centre de l’Italie romaine) et fauniques (ossements de moutons et chèvres en très grand nombre, de cochons et de chiens, de bœufs en moindre proportion). Ces témoignages matériels font écho au texte de Poseidonios d’Apamée, un auteur grec qui a voyagé en Gaule au début du I<sup>er</sup> s. av. J.-C. :</p>
<blockquote>
<p>« Les Celtes servent leur nourriture avec une sous-couche de fourrage et sur des tables en bois légèrement surélevées par rapport au sol. Leur nourriture consiste en un peu de pain et beaucoup de viande bouillie ou rôtie sur du charbon de bois ou des broches. […] Ceux qui vivent au bord des fleuves ou de la Méditerranée ou de l’Atlantique portent aussi à leur bouche des poissons cuits avec du sel, du vinaigre et du cumin (ils saupoudrent également leur boisson avec ce dernier). […] Chez les riches, d’une part, la boisson est du vin venant d’Italie et de la région de Marseille. Il est pur, même si parfois il est mélangé à un peu d’eau. Dans les classes inférieures, d’autre part, c’est de la bière faite de blé auquel on ajoute du miel que la plupart consomment pure : on l’appelle “korma” .»</p>
</blockquote>
<p>Le récit de Poseidonios, conservé par Athénée (<em>Deipnosophistes</em>, IV, 36, 4-40), mentionne plusieurs catégories de produits alimentaires consommés par les Gaulois dont certains sont reconnus par l’archéologie si les conditions environnementales le permettent (os et arêtes pour l’archéozoologie, graines de cumin pour l’archéobotanique et plus précisément la <a href="https://www.inrap.fr/les-sciences-de-l-archeologie/La-carpologie">carpologie</a>, d’autres qui se dégradent rapidement et intégralement mais peuvent parfois subsister (comme le pain exceptionnellement conservé sous forme carbonisée) et enfin les produits qui ne laissent pas de macrorestes (restes visibles à l’œil nu) comme le sel, le vin et le vinaigre, la bière et le miel.</p>
<p>Hormis le sel (qui est un cas à part), les autres produits cités peuvent être identifiés grâce à des approches analytiques transdisciplinaires appartenant au domaine des <a href="https://bioarchaeo.hypotheses.org/the-ora-organic-residue-analyses">Organic Residue Analysis</a> (ORA). Les analyses biomoléculaires par la <a href="https://www.inrap.fr/analyses-chimiques-par-spectrometrie-de-masse-et-bioarcheologie-limites-14797">GC-MS</a> (chromatographie en phase gazeuse – spectrométrie de masse) couplées avec la recherche des <a href="https://www.inrap.fr/les-sciences-de-l-archeologie/La-palynologie">pollens archéologiques</a> et des <a href="https://sstinrap.hypotheses.org/6152">MNP(microfossiles non polliniques)</a> se révèlent parmi les plus performantes pour la caractérisation de contenus de céramiques et particulièrement des boissons fermentées.</p>
<p>Un cas exceptionnel est fourni par la tombe princière de Lavau (Aube) <a href="https://www.inrap.fr/une-tombe-princiere-celte-du-ve-si%C3%A8cle-avant-notre-ere-decouverte-lavau-1369">fouillée par l’INRAP</a> et datant de la fin du Hallstatt (1<sup>er</sup> âge du Fer, 800-450 av. J.-C.). Dans la chambre funéraire, un dépôt de vaisselle est composé <a href="https://books.openedition.org/pcjb/8377">d’une dizaine de pièces</a> dont la plus importante est un chaudron étrusque en bronze posé sur une table en bois au-dessus <a href="https://books.openedition.org/pcjb/8377">d’une belle ciste</a> (seau cylindrique en métal).</p>
<p>Ces deux grands et prestigieux récipients à liquides sont, dans les mondes grec et étrusque, liés au symposion, moment le plus important du banquet consistant en la consommation collective et ritualisée du vin aromatisé et mélangé avec de l’eau.</p>
<p>Dans le <a href="https://bioarchaeo.hypotheses.org/the-program-magi">cadre du programme Magi</a>, financé par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche), une campagne de prélèvements pour analyses biochimiques et étude palynologique/MNP a été menée et a donné des résultats étonnants. Le chaudron, aux parois internes enduites de poix de conifère (goudron végétal de pin ou sapin), était empli d’un vin rouge aromatisé par des plantes locales (tilleul, famille des Lamiées et famille des Rosacées) et sucré par l’adjonction de miel ou <a href="https://www.archaeopress.com/Archaeopress/Products/9781789697292">plus probablement d’un rayon de ruche</a>. Dans le <a href="https://www.inrap.fr/les-sciences-de-l-archeologie/La-palynologie">spectre palynologique</a> se trouvent également des concentrations importantes de Pseudoschizaea, une <a href="https://inrap.hal.science/hal-03321780/file/2021_Barbier-Pain_Miras_et_coll_Potentiel_bioarchologique_MNP_SST4_Inrap.pdf">spore d’algue d’eau douce</a>. Ce n’est qu’une hypothèse, mais la présence notable de cette MNP peut attester de l’utilisation d’eau pure, contenue dans la ciste, pour le mélange du vin à la manière grecque ou étrusque.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/559689/original/file-20231115-21-lmguy4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559689/original/file-20231115-21-lmguy4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=619&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559689/original/file-20231115-21-lmguy4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=619&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559689/original/file-20231115-21-lmguy4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=619&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559689/original/file-20231115-21-lmguy4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=778&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559689/original/file-20231115-21-lmguy4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=778&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559689/original/file-20231115-21-lmguy4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=778&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Prélèvements pour analyses dans la tombe de Lavau.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dominique Frère</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Vers 475 av. J.-C., le banquet funéraire de Lavau rassemble un grand nombre de convives (comme le suggère la contenance du chaudron estimée à plus ou moins 300 litres) qui boivent le vin préparé selon le modèle méditerranéen. Ces données contrastent avec <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0222991">celles d’autres tombes celtiques</a> (Hochdorf, Glauberg…) de la même période hallstattienne qui attestent de la consommation non pas de vin mais d’hydromel. Entre traditions locales et stimuli extérieurs, le banquet celtique se décline sous des formes diverses. Un <a href="https://bioarchaeo.hypotheses.org/research-programs/geprico">nouveau programme de l’ANR</a> (GEPRiCo) porte sur le rituel du banquet à l’interface des mondes gaulois, grec et étrusque. Gageons que les données analytiques permettront une fois de plus d’enrichir et renouveler nos connaissances.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217196/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dominique Frère ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Grâce à l’avènement de l’archéologie préventive, les connaissances sur la Gaule protohistorique (d’avant la conquête césarienne) se sont multipliées, entre autres sur les pratiques alimentaires.Dominique Frère, Professeur d'archéologie et d'histoire de la Méditerranée occidentale, Université Bretagne SudLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2136702023-11-09T16:40:29Z2023-11-09T16:40:29ZConnaître l’émergence de Neandertal pour comprendre sa disparition<p>Quand et pourquoi l’homme de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/neandertal-56824">Neandertal</a> a disparu reste encore très énigmatique et fait l’objet de multiples hypothèses depuis des décennies. Comprendre son origine et surtout à quel moment émerge ce qui va caractériser à la fois son comportement et son apparence peuvent être un autre moyen, certes indirect, d’identifier les raisons de son extinction. Comprendre la cohérence et l’originalité des stratégies que cet homme et ses ancêtres vont élaborer pendant plusieurs centaines de milliers d’années est possiblement une des clés. </p>
<p>Travaillant sur les premiers peuplements de l’Europe, j’ai focalisé mes travaux avec mes collègues depuis plusieurs années sur les racines du comportement néandertalien. Le projet <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-19-CE27-0011">ANR NEANDROOTS</a>, qui a démarré fin 2019, a permis d’aborder de manière multidisciplinaire une période majeure de l’histoire humaine datée de plus de 400 000 ans.</p>
<h2>Retour 450 000 ans en arrière</h2>
<p>Les données génétiques et anatomiques sur les restes humains fossiles montrent que les traits néandertaliens émergent peu à peu entre 600 et 450 000 ans par l’isolement de groupes humains occupant l’Europe et regroupés sous le terme d’<em>Homo heidelbergensis</em>. Neandertal est donc un Européen. Cet homme présente des caractères anatomiques qui le distingue très nettement des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/homo-sapiens-21703"><em>Homo sapiens</em></a>. Par exemple, il est plus robuste et son crâne ne présente pas de front ni de menton.</p>
<p>Vers 450 000 ans débute une longue période tempérée ou interglaciaire. Elle succède à une longue et sévère période glaciaire qui réduit les zones habitables et dépeuple la partie nord-ouest de l’Europe. </p>
<p>Avant ce long interglaciaire, les traces d’occupations humaines existent, même si elles sont sporadiques, mais ne permettent pas réellement de distinguer des entités régionales. À partir de ce long interglaciaire, les sites préhistoriques, livrant des outillages et des ossements d’animaux, deviennent plus nombreux. Ils enregistrent des changements comportementaux avec des innovations techniques dans les modes de fabrication des outillages. Ils offrent aussi la possibilité de décrire les modes de subsistance par les restes osseux d’animaux consommés qui montrent que la chasse se développe aux dépens du charognage d’animaux morts naturellement ou tués par les carnivores. Des traces de foyers se multiplient attestant que le feu est maîtrisé et reproductible. Les raisons sous-jacentes à ces changements majeurs, et c’est l’objectif de ce projet, restent à identifier. </p>
<p>La longue stabilité climatique tempérée (25 000 ans alors qu’habituellement 10 000 ans) a-t-elle permis le développement de ces innovations, donc une adaptation environnementale aux changements des cycles climatiques ? Les zones habitables couvrent alors une large partie de l’Europe, à la fois le sud et le Nord-Ouest. Une période interglaciaire d’une telle durée après une glaciation sévère pourrait avoir favorisé la végétation et l’occupation de l’Europe. La végétation est l’un des éléments clés, qui détermine la disponibilité de la biomasse pour les grands herbivores et affecte la mobilité des groupes humains et peut-être leur expansion démographique, et donc la diffusion d’innovations. </p>
<p>Cette évolution comportementale était-elle enracinée dans des traditions antérieures ayant perduré malgré la longue période glaciaire et se développant à la faveur de cette longue phase climatique, ceci en parallèle avec le développement des traits anatomiques néandertaliens ?</p>
<p>Dans le cadre de ce projet interdisciplinaire, nous tentons de répondre à ces questions. Une vaste base de données a déjà été réalisée pour réviser l’ensemble des occupations de la période. L’objectif est de caractériser par une méthodologie commune les innovations, combler les lacunes dans les données chronologiques et environnementales et développer des approches méthodologiques pour identifier d’éventuelles stratégies régionales et les modèles de diffusion des innovations. Et, entre autres, tester l’impact de l’évolution du climat sur l’adaptation des hommes par le modèle climatique iLOVECLIM et la modélisation des niches éco-culturelles (ECNModelling). </p>
<h2>Les nombreux outils de Neandertal</h2>
<p>La comparaison des outillages par la cladistique (étude des apparentements des êtres vivants et de la reconstruction des relations de parenté entre eux), habituellement utilisée en biologie, nous a permis de quantifier les innovations et les identifier spatialement et chronologiquement en divers points d’Europe. Par exemple, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047248421000610">nous avons pu démontrer</a> que l’emblématique débitage « Levallois » qui permet de prévoir à l’avance la forme des outils, <a href="https://hal.science/hal-02990686">véritable révolution technique</a>, semble apparaître en plusieurs points éloignés dès la fin du long glaciaire vers 450 000 ans et se diffuser peu à peu, favorisée par l’extension des territoires habitables. Les hommes préparent un bloc en le taillant de manière organisée et cette préparation que l’on nomme « Levallois » (décrite la première fois en France, en région parisienne) permet de prévoir la forme des enlèvements futurs sur le bloc et donc des outils.</p>
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<img alt="Outil sur éclat en silex du site de la Noira daté de 450 000 ans" src="https://images.theconversation.com/files/558661/original/file-20231109-29-q3inoo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/558661/original/file-20231109-29-q3inoo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=499&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/558661/original/file-20231109-29-q3inoo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=499&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/558661/original/file-20231109-29-q3inoo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=499&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/558661/original/file-20231109-29-q3inoo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/558661/original/file-20231109-29-q3inoo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/558661/original/file-20231109-29-q3inoo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Outil sur éclat en silex du site de la Noira daté de 450 000 ans.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M-H. Moncel</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans d’autres études, nous montrons que certaines innovations techniques sont enracinées dans les périodes antérieures et ont donc perduré, mais en se modifiant, comme la façon de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0047248423000349">fabriquer des bifaces</a> (grand outil pointu avec un aménagement des deux faces) qui devient plus élaborée ou donne des outils résiduels sommaires. </p>
<p>La comparaison des sites à l’échelle régionale nous permet d’identifier spatialement des réseaux de sites qui ont certainement favorisé la circulation des groupes humains et des innovations. Nous sommes face aux <a href="https://www.researchgate.net/publication/343191540_Emergence_of_regional_cultural_traditions_during_the_Lower_Palaeolithic_the_case_of_Frosinone-Ceprano_basin_Central_Italy_at_the_MIS_11-10_transition">plus anciennes preuves de régionalisation en Europe</a>, à savoir la mise en place de traditions régionales où les hommes produisent des types d’outils similaires ou utilisent les mêmes modes de production de ces outils.</p>
<p>Certaines de ces entités régionales montrent une originalité par l’utilisation avérée par exemple de l’os pour fabriquer des outils, comme dans le bassin de Ceprano, à proximité de Rome en Italie. Avec les collègues italiens, nous avons identifié des fragments d’os de grands herbivores, comme ceux d’éléphants, qui ont été récupérés pour être retouchés et obtenir des outils variés, en association avec les outils en pierre. L’os est rarement utilisé en général dans ces périodes et son usage plus systématique dans ce cas présent pourrait être un marqueur de ces groupes humains occupant ces bassins volcaniques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/558662/original/file-20231109-25-8h2s5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/558662/original/file-20231109-25-8h2s5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/558662/original/file-20231109-25-8h2s5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/558662/original/file-20231109-25-8h2s5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/558662/original/file-20231109-25-8h2s5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/558662/original/file-20231109-25-8h2s5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/558662/original/file-20231109-25-8h2s5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Biface en silex du site de la Noira (France, daté de 450 000 ans.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M-H. Moncel</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Concernant les données climatiques, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277379123000586">l’analyse d’une carotte océanique</a> au large de l’Espagne et des pollens ayant été piégés dans les sédiments marins a permis de préciser les modalités de la transition climatique entre la phase glaciaire et le début du long interglaciaire. La transition est rapide, abrupte, et les conditions climatiques deviennent vite tempérées en Europe de l’Ouest, facteur sans doute favorable aux populations. Ainsi, par la modélisation « Eco-Niche modelling », comparer la distribution des traditions techniques et des sites avec les cartes d’extension des territoires lors de ce long interglaciaire et les données climatiques détaillées nous permet de tester des modèles de diffusion des innovations/inventions en relation avec les données environnementales et la taille et la structure démographique. </p>
<p>Appréhender en détail cette période est non seulement un moyen de comprendre ce qui caractérise Neandertal comparé aux autres homininés ayant vécu avant lui et aux hommes modernes, mais aussi un moyen de construire des modèles de réponses des hommes à des environnements variés (et nouveaux) selon les latitudes. </p>
<p>L’Europe est un vaste laboratoire avec des variations climatiques entre Nord et Sud et l’extension cyclique des glaciers a modelé les paysages et l’extension des zones habitables au cours du Quaternaire. Ces modèles sont basés sur la disparition et l’acquisition d’outils et l’expertise conservées pour une adaptation réussie, sur la compréhension des mécanismes de transmission culturelle au cours du temps et des processus par lesquels les innovations ou les inventions se répandent, sont maintenues ou évoluent. </p>
<p>En fait, nous travaillons sur la résilience des populations aux modifications environnementales, sujet d’actualité. Neandertal et ses ancêtres ont perduré et se sont adaptés à des milieux variés. Nos résultats indiquent qu’ils ont su trouver des solutions techniques et comportementales variées, amplifiées à la faveur d’une longue période tempérée. Les raisons de leur disparition seront peut-être un jour trouvées dans leur passé. Ces raisons sont certainement multifactorielles, combinant la forte instabilité climatique enregistrée pendant une courte période entre 40 000 et 30 000 ans ne leur permettant pas de trouver des solutions adaptatives et/ou la petite taille probable des groupes humains comme l’indiquent les récentes analyses de l’ADN fossile.</p>
<hr>
<p><em>Le projet <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-19-CE27-0011">NEANDROOTS</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213670/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Hélène Moncel a reçu des financements de ANR et ERC Horizon 2020. </span></em></p>Les conditions de la disparition de notre cousin Neandertal restent mystérieuses. Et si on prenait le problème à l’envers pour savoir quelles conditions ont permis son émergence ?Marie-Hélène Moncel, Archéologue, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2161952023-10-23T16:24:19Z2023-10-23T16:24:19ZHomo sapiens : comment deux crânes réécrivent l’histoire de son apparition en Europe –
Nouvelle recherche<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/555352/original/file-20231023-21-v0px95.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C10%2C1823%2C941&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Localisation des sites Buran Kaya III (1), Zlatý Kůň (2), Fournol (3), Serinyà (4), Krems-Wachtberg (5) et Věstonice (6) dont les génomes ont été analysés dans l’étude. Sont montré aussi un fragment de crâne analysé et une des perles percées découvertes avec les fragments d’os du site de Buran Kaya III ainsi que les statuettes des vénus de Věstonice, Willendorf et la Dame de Brassempouy (de droite à gauche)</span> <span class="attribution"><span class="source">E-M. Geigl</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Comment notre espèce, <em>Homo sapiens</em>, est-elle arrivée jusqu’en Europe de l’Ouest ? Notre nouvelle étude, basée sur l’analyse génétique de deux morceaux de crânes, datant de 37 000 et 36 000 ans, démontre que nos ancêtres sont issus d’Europe de l’Est et ont migré vers l’ouest. Ces deux individus sont issus d’un métissage avec les Néanderthaliens et avec les tous premiers <em>Homo sapiens</em> européens arrivés il y a environ 45 000 ans que l’on pensait éteints suite à une catastrophe climatique majeure.</p>
<p>Nous avons réussi à déchiffrer ces génomes à partir de vestiges osseux trouvés en Crimée, un défi technique puisque l’ADN était très mal préservé. Leur analyse nous a permis de générer un modèle large et actualisé des mouvements, interactions et remplacements de populations durant le peuplement de l’Europe pendant le Paléolithique supérieur (période entre environ -40 000 et -12 000 ans caractérisée par l’expansion des humains anatomiquement modernes à travers le monde). <a href="https://www.nature.com/articles/s41559-023-02211-9">Nos résultats viennent d’être publiés</a> dans la revue <em>Nature Ecology & Evolution</em> et montrent que ces individus sont les plus anciens représentants des Européens de l’Ouest s’étant implantés durablement en Europe et ayant laissé des traces dans les génomes des Européens actuels.</p>
<p>De petits fragments de deux crânes provenant d’un site archéologique en Crimée, Buran Kaya III, et datés d’environ -37 000 et -36 000 ans, côtoyant des outils lithiques et des perles percées en ivoire de mammouth, témoignent de la présence d’humains anatomiquement modernes en Europe de l’Est. Ce site a été fouillé sous la direction d’Alexandr Yanevich de l’Académie des sciences de l’Ukraine à Kiev et les <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0020834">fragments d’os analysés ont été trouvés en 2009</a>. Grâce à une collaboration entre notre équipe et des archéologues français et ukrainiens, nous avons pu mettre en place un protocole de prélèvement respectant des précautions particulières qui évitent les contaminations par de l’ADN humain actuel. Ces précautions ont permis l’analyse de l’ADN ancien dans ces bouts d’os.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/555326/original/file-20231023-29-gkr3o5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/555326/original/file-20231023-29-gkr3o5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/555326/original/file-20231023-29-gkr3o5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/555326/original/file-20231023-29-gkr3o5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/555326/original/file-20231023-29-gkr3o5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/555326/original/file-20231023-29-gkr3o5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/555326/original/file-20231023-29-gkr3o5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/555326/original/file-20231023-29-gkr3o5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">(A) Perle percée en ivoire de mammouth découverte dans la couche du (B) fragment d’os analysé dans l’étude actuelle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">L. Crépin/E.-M. Geigl</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces individus se sont installés à cet endroit après une période glaciaire entre -40 000 et -38 000 ans qui a été accompagnée par <a href="https://www.nature.com/articles/srep45940">l’éruption d’un super-volcan</a> dans la région des Champs Phlégréens près de Naples et qui a couvert de cendres l’Europe du sud-est et de l’est.</p>
<p>Ces événements ont déclenché une <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0065839">véritable crise écologique</a> qui aurait fait disparaître aussi bien les dernières populations néanderthaliennes que les premières populations d’humains <em>sapiens</em> associés au Paléolithique supérieur initial. Ces dernières étaient les descendants des populations d’<em>Homo sapiens</em> venus d’Afrique il y a environ 60 000 et qui ont laissé des <a href="https://academic.oup.com/gbe/article/14/4/evac045/6563828">vestiges archéologiques en Europe</a> à partir d’environ 45 000 ans, possiblement même avant.</p>
<p>Au niveau archéologique, c’est la période de la transition entre le Paléolithique moyen et le Paléolithique supérieur car l’industrie lithique des derniers Néanderthaliens est remplacée par celle des premiers <em>H. sapiens</em>. Leurs restes de squelettes sont rares, mais on en connaît quelques sites archéologiques, par exemple en République tchèque, en Roumanie et en Bulgarie dont les génomes ont pu être déchiffrés en partie. Les Européens actuels ne portent <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-021-03335-3">pas de traces des génomes</a> de ces premiers Européens <em>sapiens</em>, contrairement aux populations humaines ayant vécu en Europe après la crise écologique de -40 000 ans dont quelques génomes ont été séquencés.</p>
<h2>Des <em>Homo sapiens</em> issus de métissages</h2>
<p>Bien que les informations génomiques obtenues à partir des deux fragments de crâne du site de Buran Kaya III soient fragmentaires, nous avons pu analyser 740 000 variations génétiques partagées avec les génomes d’autres individus anciens, un nombre suffisant pour détecter leurs affinités et leurs ascendances partagées.</p>
<p>Notre analyse paléogénomique de ces deux fragments, séparés d’environ 700 ans, a mis en évidence que ces individus faisaient partie de la deuxième vague du peuplement d’Europe par <em>H. sapiens</em>, la vague qui s’est produite après cette crise écologique, et qu’ils sont parmi les plus anciens ancêtres des Européens. Tous les deux sont des descendants d’un métissage lointain avec les Néanderthaliens. Notre étude a aussi montré que l’individu plus récent portait des traces d’un métissage avec des individus de la première vague de peuplement qu’on croyait exterminés par la période glaciaire de -40 000 ans, représenté par l’individu de Zlatý Kůň (-45 000 ans). Nous avons donc pu conclure que le remplacement des premiers <em>H. sapiens</em> n’était pas total et qu’il a dû y avoir des survivants de la crise écologique.</p>
<p>Les génomes des individus de Buran Kaya III ont aussi révélé un lien génétique avec les populations du Caucase, contemporaines et beaucoup plus tardives, en accord avec des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S004724842030169X">similitudes identifiées par les archéologues</a> entre les outils lithiques trouvés au sud du Caucase et ceux trouvés à Buran Kaya III à la même période. Ce lien indique la directionnalité de la migration des ancêtres de Buran Kaya III en Europe : du Moyen-Orient via le Caucase vers le territoire de l’Ukraine actuelle.</p>
<h2>Des liens avec des fossiles retrouvés en France</h2>
<p>Le lien génétique le plus fort a été identifié entre les génomes des individus de Buran Kaya III et ceux de France du Sud-ouest (Fournol -29 000 ans) et d’Espagne du nord-est (Serinyà -27 000 ans) et, dans une moindre mesure, ceux d’Autriche (Krems-Wachtberg -30 500 ans) et de République tchèque (Věstonice -31 000 ans) ayant vécu 5 000 à 7 000 ans plus tard. Ces individus proches des individus de Buran Kaya III faisaient partie de la population associée au Gravettien classique qui a produit les statuettes féminines en ivoire connues sous le nom de « vénus gravettiennes » qu’on trouve aussi bien en France qu’en Allemagne, en Autriche et en République tchèque (les vénus « impudique » et de Lespugue en France, la vénus de Věstonice en République tchèque ou encore la vénus de Willendorf en Autriche). La célèbre « Dame de Brassempouy » originaire du département français des Landes a été sculptée à cette époque.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Dame de Brassempouy ou Dame à la capuche." src="https://images.theconversation.com/files/555355/original/file-20231023-23-m1ej3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/555355/original/file-20231023-23-m1ej3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/555355/original/file-20231023-23-m1ej3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/555355/original/file-20231023-23-m1ej3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/555355/original/file-20231023-23-m1ej3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=599&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/555355/original/file-20231023-23-m1ej3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=599&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/555355/original/file-20231023-23-m1ej3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=599&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dame de Brassempouy ou Dame à la capuche.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jean-Gilles Berizzi/Wikipedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce lien génétique entre les individus de Buran Kaya III et les individus associés à la culture gravettienne suggère que les individus de Buran Kaya III étaient des ancêtres des individus associés au Gravettien et pratiquaient déjà une culture qu’on peut qualifier comme proto-gravettienne. Cette affinité génétique indique que les populations correspondantes ont diffusé de l’est vers l’ouest. Les outils lithiques produits par les individus de Crimée ont été attribué par les archéologues ukrainiens, en <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003552114000879">particulier Alexandr Yanevich</a> : au complexe gravettien, mais cette attribution a été rejetée par d’autres archéologues, surtout à cause de leur date précoce et leur localisation à l’est, loin de la culture classique « Gravettienne » qui a été produite en Europe centrale et de l’ouest entre -34 000 et -26 000 ans, donc 5 000 à 7 000 ans plus tard et 3 000 km plus à l’est. Nos résultats génétiques donnent raison aux archéologues ukrainiens : les individus de Buran Kaya III étaient les ancêtres des Européens de l’Ouest, producteurs de la culture gravettienne et artistes des célèbres vénus gravettiennes.</p>
<hr>
<p><em>Le projet <a href="https://anr.fr/ProjetIA-17-EURE-0013">« Génétique et epigénétique nouvelle ecole »</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216195/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eva-Maria Geigl a reçu des financements de CNRS, EUR G.E.N.E. (ANR-17-EURE-0013 ; IdEx #ANR-18-IDEX-0001 l'Université de Paris ; Programme d’Investissements d’Avenir) </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Thierry Grange a reçu des financements de Fondation pour la Recherche Médicale (DGE20111123014), Région Ile-de-France (11015901), CNRS, EUR G.E.N.E. (ANR-17-EURE-0013 ; IdEx #ANR-18-IDEX-0001 l'Université de Paris ; Programme d’Investissements d’Avenir)</span></em></p>L’analyse génétique de deux fragments de crânes datant de près de 40 000 ans démontre que notre espèce a colonisé l’Europe depuis l’est et s’est métissée avec nos cousins néandertaliens.Eva-Maria Geigl, Directrice de recherche CNRS, Université Paris CitéThierry Grange, Directeur Scientifique Adjoint CNRS INSB Génétique Génomique Bioinformatique, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2095382023-09-05T17:04:50Z2023-09-05T17:04:50ZUne chasse au trésor pour retrouver des restes de Néandertal dans le Bassin parisien<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/545236/original/file-20230829-29-t0yocw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C12%2C4031%2C3005&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour trouver des restes de Néandertal ici, vous commenceriez où ?</span> <span class="attribution"><span class="source">Léa Beaumont</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Vous rêvez de creuser au hasard au fond d’un jardin et de faire une découverte archéologique, ou de trouver un trésor grâce à un manuscrit laissé par des ancêtres ? Moi aussi.</p>
<p>Mais lorsqu’une <a href="https://www.lgp.cnrs.fr/le-terrain-se-poursuit-a-resson/">équipe de géologues et d’archéologues</a> s’est penchée sur des archives de <a href="https://patrimoine.mines-paristech.fr/document/G%C3%A9ol_Aube_1846_texte#?c=0&m=0&s=0&cv=0&z=0%2C-1472.03%2C5610%2C5307.06">Alexandre Leymerie de 1846</a>, d’<a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58187693.texteImage">Eugène Belgrand de 1869</a>, et un <a href="https://data.bnf.fr/temp-work/c71c4c062019aa1a1fb66f11b9d09334/">inventaire de Fliche de 1884</a>, qui décrivent des restes d’hommes de Néandertal dans le Bassin parisien – alors que lesdits restes ont disparu – les choses se sont corsées.</p>
<p>L’équipe est donc partie à la chasse au trésor dans la région désignée par les archives. C’est non loin de Provins, que les archives mènent. Si le nom du village d’où ils proviennent, Resson, a été mentionné dans les archives, la carrière n’avait pas été précisément localisée. Il a donc fallu chercher une ancienne carrière dont le profil semble correspondre à la coupe géologique crayonnée par J.-P. Michel en 1967.</p>
<p>Après quelques missions de repérage, l’équipe a retrouvé une carrière de tuf creusée sur 10 mètres de haut, large d’une vingtaine de mètres, correspondant à ces indications. <a href="https://doi-org.inee.bib.cnrs.fr/10.4000/quaternaire.13778">Elle a pu confirmer</a> que cette ancienne carrière d’exploitation de tuf est riche en ossements de grands mammifères (mammouth, cerf…), en coquilles de mollusques et en restes végétaux – une partie de ces restes de mollusques et de végétaux exhumés par Belgrand, Fliche, Leymerie et de Mortillet à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle est bien <a href="https://doi-org.inee.bib.cnrs.fr/10.4000/quaternaire.15923">présente au Musée d’histoire naturelle de Troyes</a>.</p>
<p>Les restes paléontologiques de mollusques présents dans le tuf ont permis d’estimer l’âge du site à <a href="https://journals.openedition.org/quaternaire/13778">il a environ 125 000 ans</a>. Cette période géologique appelée l’Éemien fut une période chaude, assez similaire à la nôtre, à laquelle vivaient en Europe les hommes de Néandertal.</p>
<p>Si l’âge des roches correspond bien à la période où ont vécu les Néandertaliens, il est plus délicat de trouver des outils en silex de type moustérien et des restes humains mentionnés dans les archives et les synthèses de Fliche.</p>
<p>Heureusement, il est possible d’affiner la zone de recherche grâce à la géologie.</p>
<h2>Le tuf, une roche d’eau</h2>
<p>En effet, le tuf est une roche calcaire qui se dépose dans les cours d’eau : si des Néandertaliens ont bien occupé le site, il est peu probable qu’ils y aient vécu au moment du développement du tuf, puisqu’avoir les pieds dans l’eau n’est pas vraiment un lieu d’occupation confortable ou pratique. Mon rôle a été de guider mes collègues archéologues vers des niveaux dans la roche où il est plus plausible de trouver des restes de Néandertal… une telle découverte permettrait de mieux comprendre les populations de Néandertal, leur mode de vie et l’environnement dans lequel ils ont vécu.</p>
<p>Nous avons remarqué au sein du tuf certaines couches géologiques un peu différentes, des niveaux « gris », qui sont très riches en matière organique et sont généralement signe de périodes d’assèchement. Ce serait donc plutôt dans ces couches-ci qu’il faudrait chercher les restes archéologiques.</p>
<p>Pour en être sûr, nous avons coupé de très fines tranches de roches dans ces niveaux gris, des lames minces, que nous avons observées au microscope pour révéler en détail leur contenu minéralogique et paléontologique. Celles-ci servent à déterminer quel était l’environnement à cette époque et s’il était gorgé d’eau ou accessible à pied sec, ce qui aurait permis aux Néandertaliens d’occuper le site.</p>
<p>Dans certaines d’entre elles, nous avons retrouvé des « granules de vers de terre », qui sont de petites sphères en calcite, qui attestent de périodes d’assèchement permettant le développement de « petits » sols (car l’épaisseur du sol « fossile » est petite, 5 à 10 centimètres environ), qui auraient donc accueilli des vers de terre.</p>
<p>Nous pensons que c’est dans ces niveaux à granules de vers de terre qu’il faut chercher pour trouver des preuves de la présence de Néandertal. Les recherches sont encore en cours !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209538/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>A reçu des financements du LabEx DYNAMITE, du DIM MAP et de la Région Île-de-France.</span></em></p>Des archives font état de restes de Néandertal à côté de Provins. Enquête géologique et archéologique pour les retrouver.Léa Beaumont, Doctorante en Géographie physique au Laboratoire de Géographie Physique, CNRS, Inrap, UPEC, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2090062023-08-06T15:31:47Z2023-08-06T15:31:47ZLe fabuleux destin de Thérèse Poulain : dans les coulisses d’une Préhistoire à la française<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537044/original/file-20230712-21-abu8rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C7%2C4905%2C3268&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Thérèse Poulain à son domicile.</span> <span class="attribution"><span class="source">Gwendoline Torterat </span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« Les ossements sur lesquels maman travaillait étaient étalés partout dans la maison. Quand je rentrais de l’école, je me mettais sur ses genoux et je les triais avec elle. » (Agnès Poulain, fille cadette de l’archéologue Thérèse Josien-Poulain)</p>
</blockquote>
<p>Disparue en 2022, <a href="https://hal.science/hal-03950706">Thérèse Josien-Poulain</a>, mère de quatre enfants et chargée de recherche au CNRS, a travaillé dès les années 1950 au développement d’un domaine scientifique jusque-là inédit pour la préhistoire française : <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb38801438w">l’archéozoologie</a>. Elle fait partie de ces femmes pionnières qui ont révolutionné la science.</p>
<p>Contrairement à la paléontologie, dont l’histoire remonte à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, les études archéozoologiques sont menées sur les sites portant les traces d’activités humaines et tiennent compte de l’ensemble des ossements d’animaux retrouvés lors des fouilles. Elles s’adossent donc à l’étude des autres vestiges afin d’accéder notamment aux comportements de subsistance vis-à-vis des ressources sauvages et domestiques. Malgré leur proportion importante sur les sites archéologiques, aucun spécialiste n’avait jusqu’alors choisi de consacrer sa carrière à des analyses poussées destinées à dépasser les déterminations anatomiques et taxinomiques en usage.</p>
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<p>C’est pourtant tout un pan des connaissances sur les populations préhistoriques, croisées à celles des relations naturelles et culturelles entre les humains et les animaux non humains qui échappaient à la science.</p>
<p>La thèse que Thérèse Josien-Poulain soutient en 1964 témoigne d’un élan précurseur vers ces questions, d’autant qu’elle intègre les périodes préhistoriques et historiques à sa recherche. Elle fut en effet la première à étudier la <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb351538575">domestication des animaux sur 10 000 ans</a> et la place des premières formes d’élevage dans ce processus.</p>
<p>Et pour cela, elle s’est autant investie sur les terrains de la fouille qu’en post-fouille, c’est-à-dire à l’étape de l’identification et de l’analyse de ces vestiges. Elle a par exemple montré que le prélèvement de certains animaux chassés était différent selon leur âge ou leur état de santé. Elle a également avancé l’hypothèse d’une consommation sélective de certaines parties de l’animal.</p>
<h2>Du Musée de l’Homme à son domicile : la naissance d’un laboratoire domestique</h2>
<p>Au cours de ses études d’histoire-géographie à la Faculté des lettres de Paris, elle suit en tant qu’auditrice libre les cours de l’ethnologue et préhistorien <a href="https://hal.science/hal-01772868v1">André Leroi-Gourhan</a> (1911-1986) au Musée de l’Homme.</p>
<p>En 1951, elle s’associe aux fouilles archéologiques que ce dernier dirige à Arcy-sur-Cure (Yonne) et fait la rencontre de l’un de ses proches collaborateurs, Pierre Poulain (1921-1987), qui était aussi responsable des collections du musée d’Avallon et implanté dans la région depuis plusieurs années. Thérèse Josien épouse Pierre Poulain en 1957 et le suit la même année à Avallon, petite ville de l’Yonne éloignée de près de 200 kilomètres du musée de l’Homme où se trouvait son laboratoire, ses collègues, et les étudiants qu’elle avait commencé à former.</p>
<p>Qu’à cela ne tienne ! Thérèse Josien-Poulain décide de transformer son domicile en y installant une bibliothèque, une collection inédite d’ossements de référence ainsi que de multiples zones de stockage et plusieurs espaces de travail.</p>
<p>Ce laboratoire domestique que s’est constitué Thérèse Josien-Poulain n’est pas un cas isolé. L’historiographie souligne la <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb39150209g">sous-reconnaissance générale des contributions des femmes dans les sciences</a>. Ce phénomène touche autant les catégories de chercheuse, d’assistante ou de technicienne, le statut d’épouse augmentant souvent encore plus leur invisibilisation. L’espace domestique a dès lors longtemps constitué le <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb45339617v">seul lieu pour l’activité scientifique des femmes</a>, également un espace d’inventions.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mathilde-wernert-une-femme-dans-un-monde-de-prehistoriens-en-1907-201212">Mathilde Wernert : une femme dans un monde de préhistoriens… en 1907</a>
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<p>Entre les années 1950 et 2000, un volume colossal de vestiges est arrivé jusqu’au domicile familial de Thérèse Josien-Poulain. Ils proviennent en tout de plus de 600 sites archéologiques, dont 279 ont fait l’objet d’une publication (hors articles de fond).</p>
<p>Des colis d’ossements ont ainsi été envoyés par ses collègues responsables de fouilles en France et à l’étranger, qu’elle appelait ses « fournisseurs ». Avec près de 700 000 ossements répertoriés, elle a examiné sur la table de son salon l’équivalent de plus de 40 000 animaux. Quelques carcasses de boucherie ou de chasse étaient même placées dans le réfrigérateur avant que les os ne complètent la collection de référence. Elle a continué à collaborer de la même manière après sa retraite en 1994, c’est-à-dire bénévolement, pendant plus d’une dizaine d’années.</p>
<h2>Dans les coulisses d’une préhistoire « à la française », une école de pensée née dans les années 1950</h2>
<p>Malgré son isolement géographique, une implication considérable pour seconder son époux au musée, et l’éducation de ses quatre enfants (nés entre 1958 et 1966), Thérèse Josien-Poulain obtient le poste de chargée de recherche au CNRS en 1967. Si travailler de son domicile ne l’a pas empêchée d’être titularisée, il ne lui a toutefois pas été possible d’évoluer par la suite en tant que maître de recherche. Il fallait pour cela avoir la responsabilité de travaux de recherche d’étudiants, une possibilité offerte à ceux qui étaient restés proches des universités et des laboratoires. Cela étant, ses recherches ont largement contribué à la reconnaissance progressive de ce qui deviendra une discipline à part entière à partir des années 1980.</p>
<p>La reconnaissance de Thérèse Josien-Poulain comme fondatrice de l’archéozoologie est marquée par l’organisation des « Journées scientifiques d’Avallon » en 1983. Cet événement hommage fut organisé par une quinzaine de chercheurs travaillant tant sur les périodes préhistoriques qu’historiques. Ils incarnaient d’une part la première génération d’archéozoologues français formés entre autres par les paléontologues et préhistoriens François Poplin et Jean Bouchud (1913-1995). Et d’autre part, ils héritaient d’une certaine école de pensée née dans les années 1950 avec André Leroi-Gourhan : pour lui, sans l’intégration de l’étude des restes de faune, la <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32375872w">préhistoire ne serait qu’un catalogue d’outillage</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/537790/original/file-20230717-224833-3iwgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="coupure de presse" src="https://images.theconversation.com/files/537790/original/file-20230717-224833-3iwgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537790/original/file-20230717-224833-3iwgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537790/original/file-20230717-224833-3iwgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537790/original/file-20230717-224833-3iwgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537790/original/file-20230717-224833-3iwgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537790/original/file-20230717-224833-3iwgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537790/original/file-20230717-224833-3iwgm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Coupure de presse de l’<em>Yonne républicaine</em>, qui couvre la réunion d’Avallon. Thérèse Poulain est la troisième en partant de la droite sur la photo de gauche.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gwendoline Torterat</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De façon plus générale, il voulait élargir le spectre des types de vestiges étudiés, pas uniquement osseux. Les méthodes de fouille et d’analyse des vestiges qu’il développa ont suscité l’intérêt d’autres préhistoriens qui mesuraient également l’importance de l’<a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1993_num_48_1_279117">analyse des sédiments et des pollens fossiles</a>. Ce sont plus de 1 500 personnes qui ont ainsi été formées de son vivant à ses méthodes, sur les sites d’Arcy-sur-Cure (1946-1963) et de Pincevent (1964-1986).</p>
<p>Cette école de préhistoire à laquelle Thérèse Josien-Poulain appartenait est donc née sur les chantiers de fouille et a contribué au renouveau des études de paléoenvironnements quaternaires. Néanmoins, pour André Leroi-Gourhan, cet élan d’après-guerre favorable pour la préhistoire était lié à une réflexion de fond sur l’avenir professionnel et institutionnel de la discipline. Son objectif était de <a href="https://hal.science/hal-01772868v1">remettre les travaux de la préhistoire française à un niveau scientifique qui soit digne du pays</a>. L’ambition d’un tel projet scientifique n’a ainsi pu se faire que collectivement, souvent en coulisses, ce dont les recherches pionnières de Thérèse Josien-Poulain témoignent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209006/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gwendoline Torterat a reçu des financements du DIM MAP région Île-de-France.</span></em></p>L’espace domestique a longtemps constitué le seul lieu pour l’activité des femmes scientifiques, participant à leur invisibilisation.Gwendoline Torterat, Post-doctorante en anthropologie sociale (UMR TEMPS 8068, CNRS), Université d’OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2103872023-07-26T18:19:06Z2023-07-26T18:19:06ZGrâce à l’ADN, rencontre avec une famille « française » du Néolithique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539537/original/file-20230726-25-ll11yv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=985%2C0%2C931%2C638&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Représentation d'une des habitantes de la communauté.</span> <span class="attribution"><span class="source">Images peintes par Elena Plain</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>À partir des restes de près de 100 individus retrouvés dans la nécropole française de la commune de Gurgy (Yonne) vieille de 6 700 ans, nous avons reconstitué deux vastes arbres généalogiques préhistoriques révélant ainsi de nouvelles informations sur une communauté du Néolithique (5<sup>e</sup> millénaire avant J.-C.).</p>
<p>Nos nouveaux résultats, <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-023-06350-8">publiés aujourd’hui dans <em>Nature</em></a>, montrent un groupe d’agriculteurs préhistoriques qui vivaient au sein d’un réseau formé de plusieurs communautés. </p>
<p>Ce groupe s’est installé à Gurgy en apportant avec lui les ossements d’un « père fondateur », établissant ainsi une lignée sur sept générations, structurée par les hommes. </p>
<p>Ces derniers restaient dans la communauté alors que les femmes se déplaçaient vers d’autres groupes pour fonder de nouvelles familles.</p>
<h2>Il n’est pas si facile de comprendre les comportements sociaux des sociétés passées</h2>
<p>Il y a environ 9 000 ans, le « mode de vie néolithique » <a href="https://theconversation.com/european-invasion-dna-reveals-the-origins-of-modern-europeans-38096">s’est répandu de l’Anatolie</a> (la grande péninsule composée principalement de l’actuelle Turquie) vers l’Europe occidentale, transporté par de grandes migrations humaines.</p>
<p>De chasseurs-cueilleurs nomades, les gens se sont sédentarisés et ont commencé à cultiver. Avec la capacité de produire et de stocker de la nourriture supplémentaire, les Néolithiques ont développé de nouveaux fonctionnements sociaux fondés sur la richesse, la gestion des terres et l’accès aux ressources, formant notamment des <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.2120786119">hiérarchies sociales</a>.</p>
<p>Les sépultures anciennes peuvent nous en apprendre beaucoup sur la manière dont les hommes préhistoriques traitaient leurs morts. Cependant, il a toujours été difficile pour les chercheurs de comprendre comment ces sociétés se comportaient au quotidien. Ces difficultés sont dues à l’absence de documents écrits et à des données matérielles qui peuvent être difficiles à interpréter (réseaux d’échanges de matières premières ou de biens manufacturés, etc.).</p>
<p>Le Bassin parisien est bien connu pour ses <a href="https://doi.org/10.12766/jna.2010.37">structures funéraires monumentales</a> (longs tertres funéraires construits pour des personnes importantes). En parallèle, il n’y a que de rares sites regroupant des sépultures sans monument, qui sont possiblement les habitants « normaux » de la région, et le site de Gurgy représente la plus grande de ces nécropoles non monumentales. L’étude de ces sépultures est un moyen de comprendre qui étaient ces gens, enterrés plus simplement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/539541/original/file-20230726-25-t8cqps.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539541/original/file-20230726-25-t8cqps.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539541/original/file-20230726-25-t8cqps.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=740&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539541/original/file-20230726-25-t8cqps.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=740&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539541/original/file-20230726-25-t8cqps.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=740&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539541/original/file-20230726-25-t8cqps.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=930&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539541/original/file-20230726-25-t8cqps.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=930&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539541/original/file-20230726-25-t8cqps.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=930&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Photographie de la femme GLN270A (à droite, pas de résultats génétiques) avec laquelle les os longs de l’ancêtre principal GLN270B du grand arbre généalogique (à gauche) ont été ré-enterrés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stéphane Rottier</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous avons échantillonné majoritairement les os pétreux (la partie la plus dense de l’os temporal dans laquelle se situe l’oreille interne), élément osseux qui préserve le mieux l’ADN ancien dans le corps humain, et nous avons appliqué les méthodes les plus récentes d’obtention de l’ADN ancien. Parmi ces techniques, celle dite de la « capture » permet d’accéder à de l’ADN plus dégradé sur un grand nombre d’individus. Elle cible des portions spécifiques et informatives du génome, permettant de comparer ces mêmes régions d’un individu à l’autre sans avoir besoin de la totalité du génome.</p>
<p>Nous avons également utilisé des techniques spécialisées et novatrices pour estimer le degré de parenté de ces individus. Grâce à l’échantillonnage de presque tous les individus de cette nécropole de Gurgy, nos nouveaux résultats révèlent ainsi deux grands arbres généalogiques qui ouvrent une fenêtre sur la vie des membres de cette communauté préhistorique.</p>
<h2>Un réseau de communautés</h2>
<p>Dès la fouille du site, nous avons observé que les tombes ne se chevauchaient pas, ce qui signifie qu’il y avait peut-être des marques sur le sol (un peu comme les pierres tombales utilisées aujourd’hui). Cela suggérait également que des personnes étroitement liées savaient où leurs proches étaient enterrés.</p>
<p>Grâce au croisement de différentes approches génomiques et anthropologiques, nous avons pu reconstituer deux des plus grands arbres généalogiques jamais réalisés à partir d’une nécropole préhistorique. L’un des arbres généalogiques relie 63 individus sur sept générations, tandis que l’autre relie 12 individus sur cinq générations.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Interprétation artistique du grand arbre généalogique de Gurgy avec des portraits dessinés à la main" src="https://images.theconversation.com/files/534954/original/file-20230630-29-6gxcoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534954/original/file-20230630-29-6gxcoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=200&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534954/original/file-20230630-29-6gxcoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=200&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534954/original/file-20230630-29-6gxcoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=200&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534954/original/file-20230630-29-6gxcoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=251&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534954/original/file-20230630-29-6gxcoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=251&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534954/original/file-20230630-29-6gxcoc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=251&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les portraits peints des individus sont basés sur des traits physiques (pigmentation) estimés à partir de l’ADN (lorsqu’il est disponible), ainsi que sur l’âge et le sexe génétique. Les carrés en pointillés (génétiquement masculin) et les cercles (génétiquement féminin) représentent les individus qui n’ont pas été trouvés sur le site ou qui n’ont pas fourni suffisamment d’ADN pour l’analyse.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Images peintes par Elena Plain ; reproduites ici avec l’autorisation de l’Université de Bordeaux/UMR 5199 PACEA</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’exploration de ces arbres généalogiques a révélé une claire tendance à la descendance via la lignée masculine (appelée patrilinéarité). Il s’agit d’une pratique selon laquelle chaque génération est presque exclusivement liée à la génération précédente par l’intermédiaire de son père biologique et que les statuts sont transmis d’une génération à la suivante.</p>
<p>Nos résultats suggèrent également la pratique de la virilocalité à Gurgy. Cela signifie que les fils sont restés là où ils sont nés et ont eu des enfants avec des femmes extérieures à Gurgy.</p>
<p>En appliquant sur les dents les <a href="https://doi.org/10.3109/03014461003649297">analyses isotopiques du strontium</a>, qui s’attachent à déterminer la mobilité au cours de la vie d’un individu grâce à la signature chimique de l’environnement enregistrée par les tissus lors de leur croissance, nous avons confirmé que les femmes exogènes (non reliées génétiquement au reste de la communauté) ont une origine non locale.</p>
<p>Il est intéressant de noter que certaines des femmes « nouvellement arrivées » n’avaient qu’un lien de parenté distant, voire inexistant, les unes avec les autres, ce qui signifie qu’elles viennent d’un large réseau de communautés.</p>
<p>Enfin, nous avons également observé que les descendantes adultes de la lignée principale de Gurgy n’étaient pas enterrées sur le site, impliquant qu’elles avaient probablement quitté le groupe pour rejoindre elles-mêmes d’autres communautés voisines (à partir d’un certain âge).</p>
<h2>Un père fondateur</h2>
<p>Nous avons également découvert la tombe du « père fondateur » du cimetière : un homme dont presque tous les membres du principal arbre généalogique sont issus.</p>
<p>Nous avons remarqué que cet individu avait été déplacé de l’endroit où il avait été inhumé à l’origine et qu’il avait été réinhumé à Gurgy (aux côtés d’une femme dont nous n’avons pas pu obtenir l’ADN). Seuls ses os longs (de ses bras et de ses jambes) ont été apportés, et il a dû représenter un ancêtre important pour les premiers arrivés dans ce nouveau lieu de sépulture de la communauté.</p>
<p>Nous avons observé qu’un groupe entier, composé de plusieurs générations, est arrivé à Gurgy dès le début. Ce groupe a dû quitter une précédente nécropole, laissant derrière lui les enfants décédés en bas âge et absents de Gurgy dans les premières générations, mais emportant tout de même les restes de l’ancêtre fondateur. De même, dans les dernières générations de Gurgy, nous avons observé de nombreux enfants sans parents enterrés sur place. Ainsi, comme le groupe fondateur, ces dernières générations ont quitté Gurgy, ensemble, laissant derrière elles leurs propres enfants. Par conséquent, Gurgy n’a probablement été utilisé que pendant 3 à 4 générations, soit environ un siècle. </p>
<p>Cette recherche représente un point de départ pour l’étude interdisciplinaire de l’organisation sociale des sociétés préhistoriques, car ces grands arbres généalogiques permettent de nouvelles interprétations de la vie et des pratiques sociales des communautés préhistoriques.</p>
<p>Au fur et à mesure que nous découvrirons et analyserons ces nécropoles, nous pourrons peut-être comparer et opposer les pratiques sociales d’une région à l’autre et d’une époque à l’autre, ouvrant ainsi une véritable nouvelle fenêtre sur notre passé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210387/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maïté Rivollat est membre de l'Institut Max Planck de Leipzig (Allemagne), de l'Université de Gand (Belgique) et de l'Université de Durham (Angleterre). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Adam "Ben" Rohrlach ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des analyses ADN ont permis de reconstituer un arbre généalogique de sept générations ayant vécu il y a 7 000 ans et de comprendre l’organisation de cette petite société.Maïté Rivollat, Archaeologist, Université de BordeauxAdam "Ben" Rohrlach, Mathematics Lecturer and Ancient DNA Researcher, University of AdelaideLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2090152023-07-09T15:31:07Z2023-07-09T15:31:07ZIndiana Jones est un héros, son inspirateur ne l’est pas<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/535385/original/file-20230703-278324-edbjvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=91%2C97%2C1736%2C1207&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait de Hiram Bingham en 1917.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:HiramBingham_(cropped).jpg">Library of Congress/Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>Indiana Jones a façonné l’image de l’historien-archéologue-explorateur dans la culture <a href="https://bibliotheques-specialisees.paris.fr/ark:/73873/pf0002333670">populaire</a>. La sortie d’<a href="https://www.filmaffinity.com/es/film989177.html"><em>Indiana Jones et le cadran du destin</em></a> nous offre l’occasion d’analyser l’évolution de notre perception des héros qui ont inspiré la culture populaire, et de nous pencher sur le cas de Hiram Bingham III est le <a href="https://www.inverse.com/article/18017-indiana-jones-machu-picchu-hiram-bingham-iii">modèle qui a inspiré le personnage de Jones</a>.</p>
<p>Bingham est né en 1875 à Honolulu, Hawaï, où son père était missionnaire. Poursuivant la tradition familiale, il étudie à l’université de Yale. Entre 1911 et 1915, il dirige plusieurs expéditions au Pérou qui le rendent célèbre. En 1917, il s’engage dans l’armée de l’air et mène peu après une brillante mais éphémère carrière politique.</p>
<h2>Machu Picchu</h2>
<p>Dans la <a href="http://www.machupicchuexplorer.com/index.htm">biographie</a> écrite par son fils, on découvre que Bingham s’est construit une identité d’explorateur mythique mais que sa personnalité était ambivalente. Et il y a quelques années, un universitaire admirateur d’Indiana Jones a publié un récit de la vie de Bingham incluant <a href="https://www.google.es/books/edition/Las_tumbas_de_Machu_Picchu/06HNDwAAQBAJ?hl=es&gbpv=1&dq=Hiram+Bingham&printsec=frontcover">toutes les controverses</a> qui ont fleuri à son sujet.</p>
<p>Bingham est devenu célèbre pour avoir « découvert » le Machu Picchu au Pérou. Certains préfèrent le considérer comme le premier touriste à visiter ses <a href="https://revistas.ucm.es/index.php/RCHA/article/view/RCHA0101110257A">ruines</a>.</p>
<p>Lorsque Bingham est arrivé sur le site, il a rencontré des gens qui y vivaient. Et avant lui, certains avaient déjà décrit la région. C’est pourquoi, dès le départ, il y a eu des doutes sur la réalité de sa découverte.</p>
<p>Dans son journal, il note que le découvreur de Machu Picchu est le paysan de Cuzco <a href="https://es.wikipedia.org/wiki/Agust%C3%ADn_Liz%C3%A1rraga">Agustín Lizárraga</a>, car il a trouvé sa signature sur le site. Mais, dans la droite ligne d’un racisme très répandu à l’époque, il ne l’a pas jugé digne d’un tel honneur parce qu’il était un métis à la peau <a href="https://www.google.es/books/edition/Las_tumbas_de_Machu_Picchu/06HNDwAAQBAJ?hl=es&gbpv=1&printsec=frontcover&bsq=Agust%C3%ADn">foncée</a>. Cet argument lui a permis de s’autoproclamer découvreur du Machu Picchu.</p>
<p>Aujourd’hui, Bingham est considéré comme quelqu’un qui s’est approprié un objet scientifique et l’a mis à la portée d’un public international. Et, bien sûr, il ne l’a pas fait seul. Il l’a fait grâce au travail d’autres chercheurs, paysans, muletiers et <a href="https://read.dukeupress.edu/ethnohistory/article-abstract/59/2/293/9023/Collecting-a-Lost-City-For-Science-Huaquero-Vision">chasseurs de trésors</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/533491/original/file-20230622-21-b223jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Photographie en noir et blanc de ruines archéologiques au sommet d’une montagne" src="https://images.theconversation.com/files/533491/original/file-20230622-21-b223jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533491/original/file-20230622-21-b223jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533491/original/file-20230622-21-b223jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533491/original/file-20230622-21-b223jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533491/original/file-20230622-21-b223jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533491/original/file-20230622-21-b223jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533491/original/file-20230622-21-b223jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Photographie de Machu Picchu prise par Hiram Bingham III en 1912 après d’importants travaux de nettoyage.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://es.wikipedia.org/wiki/Archivo:Machupicchu_hb10.jpg">National Geographic/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>États-Unis et Amérique latine</h2>
<p>Bien qu’à sa mort en 1956, une <a href="https://www.jstor.org/stable/212113">nécrologie</a> décrive Bingham comme un personnage important pour l’étude de l’Amérique latine, <a href="https://www.jstor.org/stable/212113">ses œuvres</a> témoignent de ses idées complexes sur le lien entre les États-Unis et l’Amérique du Sud.</p>
<p>L’explorateur était passionné par la doctrine Monroe. Selon cette idéologie, les États-Unis pouvaient considérer toute intervention européenne en Amérique latine comme une agression. En bref : « l’Amérique aux Américains ». Mais ses théories allaient plus loin : dans l’un de ses ouvrages, il proposait même d’envahir le <a href="https://www.jstor.org/stable/29738367">Mexique</a>. Bien que sa proposition n’ait pas été mise en œuvre, ces ouvrages ont suscité des débats sur les relations entre les États-Unis et <a href="https://revistas.unlp.edu.ar/aportes/article/view/13965">l’Amérique latine</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/533492/original/file-20230622-15-t7d0un.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme habillé en explorateur au sommet d’un pont tandis qu’un autre homme regarde la caméra depuis la route en contrebas" src="https://images.theconversation.com/files/533492/original/file-20230622-15-t7d0un.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533492/original/file-20230622-15-t7d0un.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533492/original/file-20230622-15-t7d0un.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533492/original/file-20230622-15-t7d0un.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533492/original/file-20230622-15-t7d0un.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533492/original/file-20230622-15-t7d0un.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533492/original/file-20230622-15-t7d0un.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Vue d’Hiram Bingham III au sommet d’un pont à Espiritu Pampa, au Pérou, à côté de l’un des habitants qui l’ont aidé.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hiram_Bingham_at_Espiritu_Pampa_ruins_1911.jpg">Harry Ward Foote/Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>Ses expéditions au Pérou étaient pacifiques, mais pas inoffensives. Outre les trésors, il cherchait à démontrer la supériorité scientifique <a href="https://muse.jhu.edu/pub/4/article/40208">américaine</a>. Selon ses travaux, si l’avenir de l’Amérique latine appartenait aux États-Unis, son passé aussi.</p>
<p>Ses idées sur le rôle du pays en tant que gardien des nations latino-américaines font partie de la culture académique de l’époque. En outre, l’explorateur a extrait d’énormes quantités de vestiges archéologiques du Pérou. Les autorités l’ont autorisé à le faire à condition qu’il les restitue 18 mois plus tard, ce qui n’a pas été le cas.</p>
<p>Ce pillage en règle a provoqué des critiques au Pérou, critiques qui ont mis fin à ses expéditions. Cela a convaincu Bingham de la nécessité de rétablir l’hégémonie américaine sur la région. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles <a href="https://dx.doi.org/10.5406/26395991.61.1.03">il est entré en politique</a>.</p>
<p>Dans le même temps, les autorités péruviennes ont exigé pendant des années la restitution des pièces que Bingham avait emportées, tandis que l’université de Yale défendait son droit de les conserver.</p>
<p>Il n’est pas surprenant que les aventures d’Indiana Jones aient fait l’objet de nombreuses critiques au Pérou, et pas seulement en raison du parallèle entre Bingham et le héros de fiction. Le quatrième volet, <a href="https://www.imdb.com/title/tt0367882/"><em>Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal</em></a>, donnait une piètre image du pays, et les références à son histoire étaient truffées d’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=jE5lVpYVwbA">erreurs aussi amusantes qu’offensantes</a> – par exemple, que Jones avait appris la langue andine quechua du Mexicain Pancho Villa.</p>
<p>Sa sortie a également coïncidé avec la controverse sur la <a href="https://doi.org/10.1057/9781137035608_3">restitution des vestiges archéologiques</a>. Heureusement, celle-ci a finalement été résolue en 2011-2012, lorsque Yale a <a href="https://news.yale.edu/2015/06/04/peru-yale-partnership-future-machu-picchu-artifacts">remis les objets au Pérou</a>.</p>
<h2>Relations de travail conflictuelles</h2>
<p>L’un des personnages les plus mémorables du deuxième volet de la saga, <em>Indiana Jones et le temple maudit</em> était Tapon, un enfant orphelin que l’archéologue protégeait.</p>
<p>Il semble que Bingham ait eu un rapport à l’enfance plus complexe que Jones, puisqu’il était opposé à l’abolition du travail des <a href="https://dx.doi.org/10.5406/26395991.61.1.03">enfants</a>. En effet, ses expéditions impliquaient le travail forcé d’enfants. L’un d’entre eux s’est noyé dans une rivière alors qu’il transportait du matériel photographique et, bien qu’il s’agisse d’un accident, la <a href="http://www.christopherheaney.net/tumbas-de-machu-picchu/excerpts">nouvelle</a> n’a pas été bénéfique pour son image.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/533494/original/file-20230622-27-utxd4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Photographie en noir et blanc d’un homme habillé en explorateur s’appuyant sur un poteau dans sa tente" src="https://images.theconversation.com/files/533494/original/file-20230622-27-utxd4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/533494/original/file-20230622-27-utxd4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=936&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/533494/original/file-20230622-27-utxd4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=936&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/533494/original/file-20230622-27-utxd4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=936&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/533494/original/file-20230622-27-utxd4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1177&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/533494/original/file-20230622-27-utxd4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1177&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/533494/original/file-20230622-27-utxd4p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1177&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Photo de Hiram Bingham III à la porte de sa tente près de Machu Picchu en 1912.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hiram_Bingham_III_at_his_tent_door_near_Machu_Picchu_in_1912.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce ne sont pas les seules pratiques douteuses de l’explorateur. Bingham a découvert des ruines en mettant le feu à la végétation qui les recouvrait. Il a travaillé avec des chasseurs de trésors. Il a organisé un réseau d’achat d’ossements humains. Ce qui l’intéressait le plus, c’était les crânes, surtout s’ils présentaient des anomalies ou des <a href="https://read.dukeupress.edu/ethnohistory/article-abstract/59/2/293/9023/Collecting-a-Lost-City-For-Science-Huaquero-Vision">trépanations</a>.</p>
<p>Comme l’archéologue dans <em>Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal</em>, Bingham a également lutté <a href="https://dx.doi.org/10.5406/26395991.61.1.03">contre les communistes</a> pendant la guerre froide. Mais il l’a fait en participant à la chasse aux sorcières du <a href="https://www.britannica.com/event/McCarthyism">maccarthysme</a>, une persécution de personnes soupçonnées d’être communistes sur la base de déclarations, d’accusations infondées, de dénonciations, d’interrogatoires, de procès irréguliers et de listes noires.</p>
<p>Si un historien d’aujourd’hui devait agir comme Bingham l’a fait dans la première moitié du XX<sup>e</sup> siècle, il ne jouirait d’aucune légitimité. Pourtant, sa figure est toujours <a href="http://archives.yalealumnimagazine.com/issues/02_12/machupicchu.html">louée au XXIᵉ siècle</a> et des livres célébrant ses <a href="https://www.google.es/books/edition/Hiram_Bingham_and_the_Dream_of_Gold/ZzSsBgAAQBAJ?hl=es&gbpv=1&dq=Hiram+Books+and+Machu+Picchu&printsec=frontcover">découvertes</a> sont toujours publiés. Ses interprétations étaient erronées, mais ses découvertes ont alimenté des débats qui ont élargi nos connaissances.</p>
<p>De nombreux étudiants en histoire ou en archéologie prennent à la rigolade le fait que l’on assimile leur travail à celui d’Indiana Jones. Certains historiens s’inquiètent de l’image déformée de leur profession que donnent ces films.</p>
<p>Mais ce qui serait plus inquiétant, c’est que nos méthodes de sauvetage du passé ressemblent à celles du personnage réel qui a inspiré ce héros.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209015/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jose Miguel Escribano Páez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’explorateur Hiram Bingham III aurait inspiré le personnage d’Indiana Jones, mais était-il aussi héroïque que l’archéologue du grand écran ?Jose Miguel Escribano Páez, Profesor Contratado Doctor en Historia Moderna, Universidad Pablo de OlavideLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2044742023-05-03T18:07:23Z2023-05-03T18:07:23ZColonisation de l’Europe par Homo sapiens : une nouvelle étude rebat les cartes<p>L’annonce par mes équipes en 2022 de la <a href="https://theconversation.com/decouverte-des-plus-anciens-hommes-modernes-en-europe-et-ce-que-cela-change-de-ce-que-lon-pensait-de-ses-relations-avec-neandertal-176919">découverte d’installations <em>sapiens</em></a> datées d’il y a 54 000 ans, et reculant de 12 millénaires les premières migrations de ces populations sur le continent européen, laissait entendre que des éléments fondamentaux de la première colonisation de l’Europe nous avaient échappés.</p>
<p>Je publie ce mercredi 3 mai une <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0277444">vaste étude</a> dans la revue scientifique <em>PlosOne</em> qui expose une réécriture profonde de ce moment clef de l’histoire européenne en démontrant que la colonisation de l’Europe par <em>sapiens</em> se serait établie suivant 3 grandes vagues de peuplements entre les 54<sup>e</sup> et 42<sup>e</sup> millénaires avant aujourd’hui.</p>
<p>La vague du 42<sup>e</sup> millénaire qui fut longtemps considérée comme la première vague de colonisation du continent ne serait en réalité… que la dernière… L’ultime pulsation d’un processus bien plus ancien reliant l’Europe depuis l’Orient méditerranéen et dont la compréhension nous aurait totalement échappé, impactant profondément nos conceptions de la colonisation de ce continent et l’histoire des populations aborigènes néandertaliennes dont l’extinction semble coïncider assez précisément avec la troisième vague <em>sapiens</em>, marquant la fin d’un processus très long, s’étalant sur plus de 12 millénaires, et dont nous ne commençons qu’à entrevoir les grandes inflexions historiques.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=707&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=707&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=707&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Représentation des trois vagues de migration de <em>sapiens</em> vers l’Europe.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Slimak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<h2>La première vague</h2>
<p>Jusqu’en 2022 <a href="https://www.nature.com/articles/s41559-021-01443-x">il semblait établi</a> que les premières migrations <em>sapiens</em> vers l’Europe s’établissaient entre 45 et 42 000 ans, s’installant sur des territoires occupés exclusivement, et depuis des centaines de millénaires, par Néandertal. Mais <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.abj9496">notre article de 2022</a> révélait la présence de <em>sapiens</em> dès le 54<sup>e</sup> millénaire. </p>
<p>L’étude présentait l’analyse de neuf dents découvertes dans la Grotte Mandrin en vallée du Rhône, démontrant que toutes ces dents étaient néandertaliennes, mais que l’étonnante culture du Néronien, fondée sur l’obtention systématique de petites pointes de silex étonnamment standardisées devait être associée à des <em>sapiens</em> archaïques. J’avais reconnu ces traditions du Néronien dès 2004, notant leur caractère remarquablement moderne du point de vue des techniques, mais sans pouvoir alors en analyser l’origine précise ni qui de Néandertal ou <em>sapiens</em> pouvait en être l’auteur.</p>
<p>L’étude de 2022 relevait aussi de puissantes connexions dans les traditions artisanales entre ces populations <em>sapiens</em> du Néronien de la vallée du Rhône et l’<em>Initial Upper Paleolithic</em> (IUP, littéralement le Paléolithique Supérieur Initial) reconnu dans le Levant méditerranéen (Moyen-Orient).</p>
<p>Après un séjour d’étude de plusieurs mois sur Harvard en 2016 j’avais été confronté à ces fameuses collections de l’IUP de l’Est de la méditerranée. J’y étudiais l’immense séquence archéologique de Ksar Akil localisée sur les flancs du mont Liban qui, avec ses 22 mètres d’enregistrements archéologiques, représente l’enregistrement le plus complet d’Eurasie quant à la question des derniers néandertaliens et des premiers <em>sapiens</em>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dégagement des niveaux archéologiques à la Grotte Mandrin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Slimak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Confronté aux artisanats <em>sapiens</em> je découvrais avec stupéfaction leurs similarités techniques vis-à-vis de mon Néronien. Ma confrontation avec les traditions techniques de ces <em>sapiens</em> orientaux n’offrait qu’une conclusion possible ; le Néronien et l’IUP levantin représentent une unique tradition technique, marquant ici une avancée <em>sapiens</em> très ancienne vers l’Europe occidentale.</p>
<p><a href="https://www.researchgate.net/publication/329876131_For_a_cultural_anthropology_of_the_last_Neanderthals">Je publiais</a> cette conclusion dès mon retour de Harvard, en 2017 et 2019, cinq années avant que nous ne publions l’analyse de ces fameuses neuf dents découvertes à la Grotte Mandrin, mais surtout deux années avant que Clément Zanolli (chercheur CNRS UMR PACEA) n’ait la première de ces dents entre ses mains pour analyse. <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.abj9496">Les conclusions</a> de l’anthropologie physique établies par ce chercheur rejoignaient alors, de manière totalement indépendante, celles de l’analyse comparée des systèmes techniques suivant le principe d’une analyse en double aveugle.</p>
<p>Cette proposition d’une présence <em>sapiens</em> très ancienne reposait ainsi à la fois sur la découverte remarquable de dents humaines anciennes, et sur une approche structurale, globale, croisant l’analyse des traditions artisanales néandertaliennes et <em>sapiens</em> à des études comparées transméditerranéennes.</p>
<p>Nous avons donc ici la première vague <em>sapiens</em> vers l’Europe, montrant l’existence de migrations anciennes qui atteignent l’ouest du continent dès le 54<sup>e</sup> millénaire.</p>
<h2>La troisième vague</h2>
<p>La troisième vague est reconnue depuis plusieurs décennies. Elle était jusqu’à peu considérée comme la première grande vague <em>sapiens</em> vers l’Europe. Nous sommes désormais quelque part autour du 42<sup>e</sup> millénaire. Cette vague concerne les traditions dites aurignaciennes dont les plus anciennes expressions sont communément distinguées sous l’appellation de Protoaurignacien.</p>
<p>Leur attribution ne repose à nouveau que sur une poignée de dents humaines mais le rattachement de ces traditions de l’Aurignacien à <em>sapiens</em> ne fait ici aussi guère de doute ces industries connaissant, comme pour le Néronien, des équivalents très précis dans le Levant méditerranéen où ces ensembles sont individualisés sous l’appellation d’Ahmarien ancien. Dans ce jeu de corrélations entre Orient et Occident les impressionnants enregistrements archéologiques de Ksar Akil jouent à nouveau un rôle important.</p>
<p>Lors de mes recherches sur Harvard au Peabody Museum en 2016 j’étudiais l’ensemble de ces collections. À nouveau, stupéfaction. Les corrélations établies depuis une vingtaine d’années entre Orient et Occident, entre Protoaurignacien et Ahmarien ancien de Ksar Akil, étaient clairement erronées.</p>
<p>Ces connexions avaient été établies principalement sur des bases bibliographiques et avec peu de retours directs sur ces collections. Ce que je voyais à Ksar Akil ne ressemblait en rien au Protoaurignacien européen. Toutefois, à Ksar Akil, un Protoaurignacien très classique pouvait effectivement être reconnu mais dans des niveaux archéologiques bien plus récents que ceux envisagés jusqu’alors par notre communauté scientifique. Bien. Admettons. Nous n’aurions ici qu’un recadrage des connexions pressenties entre Europe et Levant.</p>
<p>Mais quelque chose de bien plus intéressant se dessinait. À Ksar Akil, entre l’Initial Upper Paleolithic, le Néronien levantin donc, et l’équivalent du Protoaurignacien, il y a quelque chose. Ce ne sont pas moins de 8 niveaux archéologiques qui séparent l’IUP (ma première vague) de Ksar Akil des éléments archéologiques correspondant à ma troisième vague. Dans cette séquence archéologique, des chronologies très fines sont rarement accessibles du fait d’une moindre qualité de préservation des vestiges osseux dans ces régions climatiquement chaudes, mais ces huit niveaux archéologiques ont ici tout lieu de concerner une temporalité de plusieurs millénaires.</p>
<p>Et ces collections-là nous offrent un regard inattendu sur ce qui semble bien correspondre aux traditions culturelles d’une seconde vague <em>sapiens</em> vers le continent européen.</p>
<h2>La deuxième vague</h2>
<p>À Ksar Akil, entre l’IUP et l’équivalent du Protoaurignacien, des milliers de silex nous montrent des artisanats fondés sur la production de « pointes à dos abattu ». Ces niveaux archéologiques levantins appelés Early Upper Paleolithic (EUP, littéralement Paléolithique Supérieur Ancien) de Ksar Akil, avec leurs pointes à dos abattu, évoquent techniquement, très précisément, et de manière remarquable, ce que nous appelons en Europe occidentale le Châtelperronien, des traditions bien attestées de la Bourgogne à l’Espagne et généralement attribuées… à Néandertal.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Similarités des silex entre les sites de Mandrin et de Ksar Akil. Dessins Laure Metz et Ludovic Slimak.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Slimak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le Châtelperronien est l’une de ces industries dites « de transition » qui marqueraient l’entrée dans la modernité des populations néandertaliennes, avec lames, lamelles et parures d’os ou d’ivoire. Mais les restes humains ici aussi sont rares et différents chercheurs ont déjà relevé que cette attribution néandertalienne était incertaine, sans pouvoir en explorer l’origine précise (<em>sapiens</em> ? populations métisses ?) et sans être en mesure d’établir des connexions techniques, géographiques ou culturelles précises entre le Châtelperronien et les traditions <em>sapiens</em> reconnues ailleurs en Eurasie.</p>
<p>La confrontation aux données levantines du gisement de Ksar Akil crée pour la première fois ce pont très précis entre Châtelperronien et <em>sapiens</em> replaçant ces industries dans un contexte culturel bien défini et propre aux populations <em>sapiens</em> de l’orient méditerranéen. La proximité entre le Châtelperronien européen et l’EUP de Ksar Akil permet finalement de proposer une origine culturelle et géographique bien circonscrite, et en rien néandertalienne, au Châtelperronien européen.</p>
<p>Nous avons ici, avec le Châtelperronien, notre deuxième vague <em>sapiens</em>.</p>
<h2>Repenser la structure des basculements d’humanité en Europe</h2>
<p>Cette distinction de trois vagues <em>sapiens</em> vers l’Europe affecte l’ensemble de nos cadres interprétatifs raffinés à travers le XX<sup>e</sup> siècle mais dont la structure historique assez simple (Néandertal, puis <em>sapiens</em> avec une phase supposée d’acculturation néandertalienne entre les deux) était restée inchangée dans son ossature depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Cette étude de PlosOne montre aussi que sur le Levant ces 3 traditions artisanales levantines passent très progressivement, à travers les millénaires, de l’IUP à l’EUP et enfin à l’équivalent du Protoaurignacien, nous confrontant ici aux évolutions graduelles d’un même groupe culturel.</p>
<p>Les trois pulsations migratoires vers l’Europe représenteraient donc des mouvements de <em>sapiens</em> à partir d’un unique substrat culturel levantin.</p>
<p>Quant à Néandertal la proposition de réattribution du Châtelperronien à certaines populations <em>sapiens</em> dont les traditions sont bien définies et de racines levantines impacte profondément notre regard même sur l’organisation des sociétés néandertaliennes au moment de l’arrivée de <em>sapiens</em> en Europe. C’est ici aussi une réécriture profonde de nos schémas et de notre compréhension de ces populations humaines fossiles. Peut-être que, finalement, les néandertaliens disparurent sans ne jamais rien changer, fondamentalement, à ce que furent leurs manières ancestrales d’être au monde.</p>
<p>Nous vivons un moment enthousiasmant de remodelage profond des connaissances permettant non seulement de repenser des moments clefs de l’histoire de notre continent mais aussi, plus profondément, de nous confronter à ce que signifie être humain face à la longue histoire des humanités autres, et désormais éteintes.</p>
<hr>
<p><em><strong>Pour aller plus loin :</strong></em><br>
<em>● Ludovic Slimak, <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/archeologie-paleontologie-prehistoire/neandertal-nu_9782738157232.php">« Néandertal nu, comprendre la créature humaine »</a>, Odile Jacob, 2022.</em><br>
<em>● Ludovic Slimak, <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/archeologie-paleontologie-prehistoire/dernier-neandertalien_9782415004927.php">« Le dernier néandertalien, comprendre comment meurent les hommes »</a>, Odile Jacob, 2023.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204474/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ludovic Slimak ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La colonisation de l'Europe depuis l'Orient s'est faite en trois vagues. Ce que l'on pensait être la première était en réalité la dernière.Ludovic Slimak, Archéologue, penseur et chercheur au CNRS, Université de Toulouse III – Paul SabatierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2003262023-02-22T19:16:46Z2023-02-22T19:16:46ZNouvelle découverte dans la vallée du Rhône : les Homo sapiens d’Europe tiraient déjà à l’arc il y a 54 000 ans<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/511788/original/file-20230222-28-zmha9c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C6000%2C3422&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pointes découvertes montées pour former des flèches.</span> <span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Il y a un an, en février 2022, notre équipe scientifique de la Grotte Mandrin, dans la Drôme, faisait paraître une étude dans <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.abj9496"><em>Science Advances</em></a> qui repoussait de 10 à 12 millénaires la plus ancienne preuve de l’arrivée des premiers <em>Homo sapiens</em> en Europe. Nous apprenions que les premiers Hommes modernes étaient arrivés sur le continent dès le 54<sup>e</sup> millénaire.</p>
<p>Nous présentons aujourd’hui dans une <a href="https://www.science.org/journal/sciadv">nouvelle étude</a> publiée dans la même revue, le fait que ces premiers hommes modernes maîtrisaient parfaitement l’archerie, repoussant l’origine de ces technologies remarquables en Eurasie de quelque 40 000 ans.</p>
<p>Perchée à 100 mètres sur les pentes des Préalpes, dans la Drôme, la Grotte Mandrin regarde vers le nord, au milieu de la vallée du Rhône. Il s’agit d’un point stratégique dans le paysage, car ici le Rhône s’écoule dans un goulet d’un kilomètre de large entre les Préalpes à l’est et le Massif central à l’ouest.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/511670/original/file-20230222-20-rxucdc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511670/original/file-20230222-20-rxucdc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511670/original/file-20230222-20-rxucdc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511670/original/file-20230222-20-rxucdc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511670/original/file-20230222-20-rxucdc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511670/original/file-20230222-20-rxucdc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511670/original/file-20230222-20-rxucdc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vue des fouilles en cours dans la Grotte Mandrin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Slimak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Nous avons découvert, dans un niveau archéologique daté de 54 000 ans, appelé « Néronien », quelque 1 500 petites pointes en silex, triangulaires et standardisées, certaines mesurant moins d’un centimètre de long. Cette industrie lithique est très particulière et se distingue techniquement très nettement des artisanats néandertaliens retrouvés dans cette grotte avant et après les vestiges abandonnés par <em>Homo sapiens</em>. En revanche, ces artisanats de silex du Néronien montrent des ressemblances frappantes avec des collections archéologiques contemporaines attribuées elles aussi à <em>Homo sapiens</em> et que l’on retrouve dans <a href="https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2022.10.28.514208v2">l’est de la Méditerranée</a>.</p>
<h2>Les traces d’archerie sont complexes à mettre en évidence</h2>
<p>L’émergence des armes à propulsion mécanique, fondées sur l’emploi de l’arc ou du propulseur, est communément perçue comme l’une des marques de l’avancée des populations modernes sur le continent européen.</p>
<p>Or l’existence de l’archerie a toujours été plus difficile à retracer. Ces technologies sont basées sur l’utilisation de matériaux périssables : bois, fibres, cuir, résines et tendons, qui sont rarement préservés dans les sites paléolithiques européens et rendent difficile la reconnaissance archéologique de ces technologies.</p>
<p>Il faut attendre des périodes très récentes, comprises entre le 10<sup>e</sup> et le 12<sup>e</sup> millénaire pour retrouver des éléments d’archerie partiellement préservés en Eurasie et retrouvés dans des sols gelés ou dans des tourbières, comme sur l <a href="http://paleosite.free.fr/arc/origines/stellmoor.htm">e site de Stellmoor</a> en Allemagne. En l’absence de ces matières périssables, ce sont les armatures, communément réalisées en silex, qui constituent les principaux témoins de ces technologies d’armement durant la préhistoire ancienne en Europe.</p>
<p>Sur la base de l’analyse de ces armatures de pierre, la reconnaissance de l’archerie est maintenant bien documentée en Afrique dans des périodes anciennes pouvant remonter à quelque <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0277379122003080">70 000 ans</a>. Certaines armatures en silex ou en bois de cerf suggèrent l’existence de l’archerie dès les premières phases du Paléolithique supérieur en Europe, il y a plus de 35 000 ans, mais leur morphologie et les modes d’emmanchement de ces armatures anciennes ne permettent pas de les rattacher à un mode de propulsion bien distinct tel que l’arc.</p>
<p>La reconnaissance de ces technologies dans le Paléolithique supérieur européen butait jusqu’alors sur des recouvrements balistiques entre armes projetées à l’aide d’un propulseur ou d’un arc. Ce contexte général rend l’existence éventuelle de l’archerie au Paléolithique européen quasiment invisible sur le plan archéologique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/511684/original/file-20230222-805-647peo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511684/original/file-20230222-805-647peo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511684/original/file-20230222-805-647peo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511684/original/file-20230222-805-647peo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511684/original/file-20230222-805-647peo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511684/original/file-20230222-805-647peo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511684/original/file-20230222-805-647peo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Programme expérimental appelé Initiarc. Les petites pointes néroniennes trouvées dans la Grotte Mandrin ont été reproduites expérimentalement en utilisant le même silex et les mêmes technologies de taille.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Slimak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Ces dernières recherches enrichissent profondément notre connaissance de ces technologies en Europe et nous permettent désormais de repousser l’âge de l’archerie en Europe de plus de 40 millénaires !</p>
<h2>De nombreux tests pour prouver l’utilisation d’arcs</h2>
<p>L’étude se fonde sur une analyse fonctionnelle de milliers de silex retrouvés dans ce niveau archéologique du Néronien. Les fractures et les traces observées démontrent que ces pointes légères étaient emmanchées en extrémité de fût (la partie en bois de la flèche). Les fractures observées sont caractéristiques d’un impact violent.</p>
<p>En reproduisant des répliques expérimentales de ces pointes tirées à l’arc, au propulseur, ou simplement plantées dans des carcasses d’animaux, nous avons pu observer au sein de nos expérimentations des types de fractures qui sont précisément les mêmes que celles retrouvées sur le mobilier archéologique.</p>
<p>Nous avons également testé l’efficacité et les limites balistiques des plus petites pointes dont toute une catégorie n’atteint pas un centimètre de longueur. Mais c’est la largeur de ces pointes légères qui nous intéressait ici. En archerie traditionnelle il existe en effet une corrélation entre la largeur de la pointe armant une flèche à l’extrémité de son fût et le diamètre même de son fût.</p>
<p>On constate ainsi expérimentalement qu’une flèche n’est pénétrante, et donc efficiente, que lorsque la flèche est armée en son extrémité d’une armature présentant, a minima, une largeur équivalente ou supérieure à celle son fût.</p>
<p>Près de 40 % des pointes légères abandonnées à la Grotte Mandrin par ces premiers Homo sapiens présentent une largeur maximale de 10 mm. Ces toutes petites pointes présentent de très nombreuses fractures qui n’ont pu se développer que lors d’impacts très violents. Ces fractures très caractéristiques, et que nous retrouvons sur nos petites pointes expérimentales tirées à l’arc, nous révèlent qu’elles n’ont pu se développer que sous la contrainte d’une très forte énergie affectant leur extrémité distale (le bout de la pointe…).</p>
<p>Ces traces, additionnées à la très faible dimension de ces pointes, et à leur très faible largeur ne peuvent être expérimentalement reproduites que lorsque ces objets sont associés à une propulsion à l’aide d’un arc, et cela à l’exclusion de tout autre mode de propulsion.</p>
<p>Nos expérimentations montrent que la faible énergie cinétique des armes les plus légères (dont environ 30 % ne pèsent guère plus de quelques grammes) ne peut, lorsqu’elles étaient emmanchées en bout de fût (la partie en bois de la flèche), être compensée que par l’arc, seul mode de propulsion mécanique à même de produire la vitesse nécessaire au développement de telles fractures sur des objets si légers.</p>
<p>C’est donc au croisement de très nombreux facteurs balistiques, analytiques et expérimentaux qu’il nous a été possible de démontrer que ces pointes si petites et si régulières avaient indubitablement été propulsées à l’aide d’un arc.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/511673/original/file-20230222-22-fj93hf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511673/original/file-20230222-22-fj93hf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=759&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511673/original/file-20230222-22-fj93hf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=759&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511673/original/file-20230222-22-fj93hf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=759&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511673/original/file-20230222-22-fj93hf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=954&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511673/original/file-20230222-22-fj93hf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=954&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511673/original/file-20230222-22-fj93hf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=954&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cette pointe très légère trouvée dans la couche Néronienne de la Grotte Mandrin, datée de 54.000 ans, présente des traces microscopiques diagnostiques de son utilisation comme arme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Laure Metz et Ludovic Slimak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Grâce à cette étude, l’archerie en Europe, et plus largement en Eurasie, fait un saut remarquable dans le temps. Mais notre étude va beaucoup plus loin encore et s’est aussi intéressée aux armements des populations néandertaliennes contemporaines. Ces recherches montrent en effet que les néandertaliens continuèrent à utiliser leurs armes traditionnelles fondées sur l’emploi de pointes massives montées en lance qui étaient plantées ou projetées à la main. L’archerie, et plus généralement les propulsions mécaniques, furent exclusivement employées par Homo sapiens qui maîtrisait déjà parfaitement ces technologies lors de sa première migration vers l’Europe continentale il y a 54 millénaires.</p>
<p>Les traditions et les technologies maîtrisées par ces deux populations étaient donc profondément distinctes, conférant, objectivement, un avantage technologique remarquable aux populations modernes lors de leurs expansions sur le continent européen.</p>
<p>Toutefois, nous replaçons dans notre article ce débat dans un contexte beaucoup plus large dans lequel les stratégies des sociétés humaines ne peuvent se limiter aux seuls avantages logistiques ou technologiques d’une innovation. Les sociétés humaines développent communément des solutions sous-optimales, contre-intuitives et dont les seules raisons relèvent de la culture, du mythe ou de la représentation que ces sociétés se font d’elle-même. Cette étude qui demanda plus de 15 années de recherches et d’expérimentations nous renvoie alors au poids des traditions au sein de ces populations ainsi qu’aux éthologies humaines qui purent être profondément divergentes entre néandertaliens et hommes modernes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200326/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une toute nouvelle étude montre qu’Homo sapiens maîtrisait déjà le tir à l’arc il y a plus de 50 000 ans, grâce à des fouilles archéologiques dans la Grotte Mandrin.Laure Metz, Archéologue et chercheuse en anthropologie, Aix-Marseille Université (AMU)Jason E. Lewis, Lecturer of Anthropology and Assistant Director of the Turkana Basin Institute, Stony Brook University (The State University of New York)Ludovic Slimak, CNRS Permanent Member, Université Toulouse – Jean JaurèsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1980392023-01-26T13:56:30Z2023-01-26T13:56:30ZL’humain n’est pas fait pour vivre dans le froid. Voici comment il s’est adapté – et fort bien !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/506200/original/file-20230124-14-m9zcbj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=43%2C0%2C4898%2C3262&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">CP</span> </figcaption></figure><p>L’être humain est une espèce tropicale. Nous avons vécu dans des climats chauds pendant la majeure partie de notre évolution, ce qui pourrait expliquer pourquoi nous sommes nombreux à passer en rêvant à l’été.</p>
<p>Toutes les espèces de singes habitent des régions tropicales. Les plus anciens fossiles connus de la lignée humaine (homininés) proviennent <a href="https://www.researchgate.net/publication/242882028_erratum_A_new_hominid_from_the_Upper_Miocene_of_Chad_Central_Africa">d’Afrique centrale</a> et <a href="https://afanporsaber.com/wp-content/uploads/2017/08/First-hominid-from-the-Miocene-Lukeino-Formation-Kenya.pdf">orientale</a>. Les homininés qui se sont déplacés vers le nord, sous des latitudes plus élevées, ont rencontré des températures glaciales, des jours plus courts qui réduisaient le temps pour chercher de la nourriture, de la neige qui rendait la <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/688579">chasse plus difficile</a> et un vent glacial qui <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/8889744/">accentuait la perte de chaleur</a> de leur corps.</p>
<p>Compte tenu de sa capacité limitée d’adaptation au froid, comment se fait-il que notre espèce soit devenue dominante, non seulement dans les régions chaudes de nos ancêtres, mais aussi partout sur la planète ? La réponse réside dans notre habileté à développer des solutions culturelles complexes pour relever les défis de la vie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme se réchauffe les mains avec un chat à côté d’un chauffage électrique" src="https://images.theconversation.com/files/503268/original/file-20230105-16-nc2xj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C32%2C5426%2C3590&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503268/original/file-20230105-16-nc2xj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503268/original/file-20230105-16-nc2xj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503268/original/file-20230105-16-nc2xj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503268/original/file-20230105-16-nc2xj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503268/original/file-20230105-16-nc2xj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503268/original/file-20230105-16-nc2xj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De nombreux humains redoutent le froid de l’hiver.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/using-heater-home-winter-woman-warming-1254492208">Mariia Boiko/Shutterstock</a></span>
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</figure>
<p>Les premiers signes de la présence d’homininés en Europe du Nord ont été découverts à <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0088329">Happisburgh, dans le Norfolk</a>, dans l’est de l’Angleterre. Il s’agit d’empreintes de pas et d’outils en pierre vieux de 900 000 ans. À cette époque, Happisburgh était une région de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277379118306863">forêts de conifères aux hivers froids</a>, comme le sud de la Scandinavie aujourd’hui. Il existe peu de preuves que les homininés de Happisburgh sont restés longtemps sur le site, ce qui laisse penser qu’ils n’ont pas eu le temps de s’y adapter physiquement.</p>
<p>La façon dont ces homininés ont survécu aux conditions difficiles si différentes de celles de leurs terres ancestrales d’Afrique demeure un mystère. Il n’y a pas de grottes dans la région ni de traces d’abris. Les artefacts de Happisburgh sont simples et ne témoignent d’aucune technologie complexe.</p>
<p>Les preuves de <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1018116108">l’utilisation de feux de camp</a> à cette époque sont controversées. Les outils permettant de confectionner des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S004724841830085X">vêtements ajustés et résistants aux intempéries</a> n’apparaissent en Europe occidentale que près de 850 000 ans plus tard. De nombreux animaux migrent pour éviter le froid saisonnier, mais les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1040618211005957">homininés de Happisburgh</a> auraient dû parcourir environ 800 km vers le sud pour un réel changement de climat.</p>
<p>Il est difficile d’imaginer que les homininés ont pu survivre aux hivers du Norfolk sans feu ni vêtements chauds. Pourtant, le fait qu’ils ont vécu <a href="https://www.researchgate.net/publication/349378194_Robert_Hosfield_2020_The_earliest_Europeans_a_year_in_the_life_seasonal_survival_strategies_in_the_Lower_Palaeolithic_Oxford_Oxbow_9781785707612_paperback_2499">si loin au nord</a> signifie qu’ils ont dû trouver un moyen de survivre au froid, alors qui sait ce que les archéologues découvriront à l’avenir.</p>
<h2>Les chasseurs de Boxgrove</h2>
<p>Les sites de peuplement plus récents, comme celui de Boxgrove dans le West Sussex, dans le sud de l’Angleterre, offrent davantage d’indices sur la façon dont nos ancêtres ont survécu aux climats nordiques. Le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047248498902159">site de Boxgrove</a> date d’il y a près de 500 000 ans, une des périodes les plus froides de l’histoire de l’humanité.</p>
<p>De nombreuses preuves, comme des marques de coupure sur des os ou une omoplate de cheval qu’on pense avoir été percée par une lance en bois, attestent que ces homininés <a href="https://www.researchgate.net/publication/344449964_The_Horse_Butchery_Site_A_High_Resolution_Record_of_Lower_Palaeolithic_Hominin_Behaviour_at_Boxgrove_UK_Spoil_Heap_Monograph">chassaient des animaux</a>. Ces découvertes concordent avec les études menées sur des chasseurs-cueilleurs d’aujourd’hui, qui montrent que les habitants des régions froides <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21745624/">dépendent davantage des proies animales</a> que leurs semblables des régions chaudes. La viande contient les calories et les graisses nécessaires pour affronter le froid.</p>
<p>Un tibia d’homininé fossilisé trouvé à Boxgrove est plus robuste que celui des humains actuels, ce qui suggère qu’il appartenait à un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047248499902956">homininé grand et trapu</a>. Un <a href="https://www.digitale-sammlungen.de/en/view/bsb10306637?page=,1">corps volumineux</a> avec des <a href="http://people.wku.edu/charles.smith/biogeog/ALLE1877.htm">membres relativement courts</a> réduit la perte de chaleur en minimisant la surface.</p>
<p>La meilleure silhouette pour éviter la perte de chaleur étant une sphère, les animaux et les humains des climats froids se rapprochent le plus possible de cette forme. Nous avons également des <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1018116108">preuves</a> de l’existence de feux de camp à cette époque.</p>
<h2>Spécialistes des climats froids</h2>
<p>Les Néandertaliens, qui vivaient en Eurasie il y a environ 400 000 à 40 000 ans, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/%28SICI%291096-8644%28199710%29104%3A2%3C245%3A%3AAID-AJPA10%3E3.0.CO%3B2-%23">habitaient des climats glaciaires</a>. Par rapport à leurs ancêtres d’Afrique et à nous, ils avaient des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1002/ajpa.1330370605">membres courts et forts</a>, et des corps larges et musclés adaptés à la production et à la conservation de la chaleur.</p>
<p>Pourtant, le visage proéminent et le nez large et saillant des néandertaliens sont à l’opposé de ce que l’on pourrait imaginer être adapté à une période glaciaire. Comme les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0277379117308211">macaques japonais</a> vivant dans des régions froides et les <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rspb.2006.3629">rats de laboratoire</a> élevés dans des conditions froides, les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047248417300921">humains des climats froids</a> ont généralement un nez relativement haut et étroit et des pommettes larges et plates.</p>
<p>La <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rspb.2018.0085">modélisation informatique</a> des squelettes anciens nous indique que le nez de l’humain de Neandertal était plus efficace que celui de ses ancêtres des climats chauds pour conserver la chaleur et l’humidité. Il semble que la structure interne soit aussi importante que la taille globale du nez.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un bœuf musqué debout dans la neige" src="https://images.theconversation.com/files/503266/original/file-20230105-14-yxyovj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503266/original/file-20230105-14-yxyovj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503266/original/file-20230105-14-yxyovj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503266/original/file-20230105-14-yxyovj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503266/original/file-20230105-14-yxyovj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503266/original/file-20230105-14-yxyovj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503266/original/file-20230105-14-yxyovj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le bœuf musqué était bien adapté aux climats froids.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/muskox-looking-your-eyes-standing-snow-1079290970">Fitawoman/Shutterstock</a></span>
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</figure>
<p>Même avec leur physique adapté au froid, les Néandertaliens avaient gardé des caractéristiques de leurs ancêtres tropicaux. Ainsi, ils n’avaient pas <a href="https://www.academia.edu/4570677/Parasitic_lice_help_to_fill_in_the_gaps_of_early_hominid_history">l’épaisse fourrure</a> des autres mammifères de l’Europe glaciaire, comme le rhinocéros laineux ou le bœuf musqué. Ils ont plutôt développé une culture complexe.</p>
<p>On possède des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/evan.21894">preuves archéologiques</a> que les Néandertaliens confectionnaient des vêtements et des abris avec des peaux d’animaux. Des traces de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3021051/">cuisson</a> et de l’utilisation du feu pour préparer de la <a href="https://pure.tudelft.nl/ws/portalfiles/portal/82720614/Kozowyk2020_Article_UnderstandingPreservationAndId.pdf">colle à base d’écorce</a> de bouleau pour fabriquer des outils montrent que l’humain de Neandertal avait une excellente maîtrise du feu.</p>
<p>Des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003552120300832">archéologues affirment</a>, même si c’est controversé, que les ossements de Néandertaliens trouvés sur le site de Sima de los Huesos, dans le nord de l’Espagne, vieux de 400 000 ans, présentent des lésions causées par le ralentissement de leur métabolisme pour hiberner. Selon les chercheurs, ces os montrent des cycles de croissance interrompue et de guérison.</p>
<p>Seules quelques espèces de primates hibernent, comme certains lémuriens du Madagascar et le galago moholi, ainsi que le <a href="https://rdcu.be/c3hVi">loris paresseux pygmée</a> du nord du Vietnam.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un petit galago moohli se nourrissant de résine d’arbre lors d’un safari de nuit en Afrique du Sud" src="https://images.theconversation.com/files/503267/original/file-20230105-24-zrjt92.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503267/original/file-20230105-24-zrjt92.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503267/original/file-20230105-24-zrjt92.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503267/original/file-20230105-24-zrjt92.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503267/original/file-20230105-24-zrjt92.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503267/original/file-20230105-24-zrjt92.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503267/original/file-20230105-24-zrjt92.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le galago moohli est l’un des rares primates qui hibernent.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/lesser-bushbaby-seen-feeding-on-tree-1892296174">Rudi Hulshof/Shutterstock</a></span>
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<p>Cela pourrait nous inciter à croire que les humains auraient la possibilité d’hiberner. Mais la plupart des espèces qui hibernent ont un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/brv.12137">petit corps</a>, à quelques exceptions près, comme les ours. Les humains sont peut-être trop grands pour hiberner.</p>
<h2>Capacité d’adaptation</h2>
<p>Les plus anciens fossiles de la lignée <em>Homo sapiens</em> datent d’il y a 300 000 ans, <a href="https://www.nature.com/articles/nature22335">au Maroc</a>. Nous ne sommes sortis d’Afrique qu’<a href="https://www.nature.com/articles/s41586-021-03244-5">il y a environ 60 000 ans</a>, pour ensuite coloniser toutes les régions du globe. Nous sommes donc relativement nouveaux dans la plupart des habitats où nous nous trouvons aujourd’hui. Au cours des milliers d’années qui se sont écoulées depuis, les personnes des régions froides se sont adaptées biologiquement à leur environnement, mais pas parfaitement.</p>
<p>Un exemple bien connu de cette adaptation est que dans les régions peu ensoleillées, <em>Homo sapiens</em> <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/10896812/">a développé des teintes de peau claires,</a> qui permettent de mieux synthétiser la vitamine D. Les génomes des Inuits du Groenland montrent une adaptation physiologique à un <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26383953/">régime marin riche en graisses</a>, bénéfique dans le froid. Des preuves plus directes proviennent de l’ADN d’un cheveu conservé dans le pergélisol au Groenland. Ce cheveu vieux de 4 000 ans laisse entrevoir des <a href="https://www.nature.com/articles/nature08835">modifications génétiques</a> qui ont conduit à une forme corporelle trapue maximisant la production et la rétention de chaleur, à l’instar de l’homininé de Boxgrove dont nous n’avons qu’un seul tibia.</p>
<p>Notre héritage tropical fait en sorte que nous sommes toujours incapables de vivre dans des lieux froids sans concevoir des moyens pour affronter ce climat. Il suffit de penser au <a href="https://www.jstor.org/stable/26974873">parka traditionnel des Inuits</a>, qui offre une meilleure isolation que l’uniforme d’hiver de l’armée canadienne moderne.</p>
<p>Notre capacité d’adaptation comportementale a été <a href="https://www.nature.com/articles/s41562-018-0394-4">déterminante pour notre succès évolutif</a>. Si <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-019-47202-8">on le compare aux autres primates</a>, l’humain fait montre d’une moindre adaptation physique au climat. L’adaptation comportementale est plus rapide et plus flexible que l’adaptation biologique. Les êtres humains sont des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/11303338/">champions de l’adaptation</a>, ce qui leur permet d’habiter presque toutes les niches écologiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198039/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Vous n’aimez pas l’hiver ? La réponse se trouve peut-être dans notre évolution.Laura Buck, Senior Lecturer in Evolutionary Anthropology, Liverpool John Moores UniversityKyoko Yamaguchi, Senior Lecturer in Human Genetics, Liverpool John Moores UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1958362023-01-23T18:54:49Z2023-01-23T18:54:49ZLe chien descend-il vraiment du loup ?<p>Confortablement assis sur votre canapé, vous regardez votre chien dormant paisiblement auprès de vous. Est-il en train de rêver de son dernier bol de croquettes ? Ou s’imagine-t-il peut-être la grande saga odysséenne de ses ancêtres, parcourant en meute les vastes steppes du dernier « Âge de Glace » à la poursuite des rennes qui constitueraient leur prochain repas ?</p>
<p>L’histoire des liens ancestraux entre le chien (le premier animal à avoir été domestiqué) et le loup est l’une des aventures évolutionnaires les plus passionnantes de l’histoire humaine. Non seulement nous interroge-t-elle sur la relation que nous avons au reste de la nature, mais elle nous renvoie aussi, par extension, à la question de tout ce que nous <em>sommes</em> en tant qu’être humain.</p>
<p>Les dernières avancées en génétique commencent à livrer des détails clés qui nous permettent d’esquisser l’histoire connexe de nos fidèles compagnons de maison, et de ces fiers canidés sauvages qui repeuplent peu à peu nos campagnes.</p>
<h2>À l’origine fut le loup</h2>
<p>Aujourd’hui, le chien (<em>Canis familiaris</em>) est le carnivore le <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1365-2907.2009.00148.x">plus répandu sur la planète</a>. Il fait partie de notre aventure humaine depuis le temps où nous étions encore des chasseurs-cueilleurs nomades, 20 000 ou même 30 000 ans avant l’invention de l’agriculture.</p>
<p>On recense près de 350 races de chien officielles dans le monde et ils sont aujourd’hui <a href="https://fr.statista.com/statistiques/1014881/population-chiens-france/">près de 7 millions</a> dans les foyers français. Si sa fidèle présence à nos côtés est depuis longtemps considérée comme allant de soi, le chien est pourtant un élément relativement récent de l’évolution humaine. Mais l’histoire et la chronologie de la domestication du chien se révèlent très complexes et alimentent tout autant les débats scientifiques, que mythes ou autres croyances au sein de nos sociétés. À la question : « de quel animal le chien descend-il ? » la plupart des adultes comme des enfants répondront sans hésiter : « le loup, bien sûr ! » Oui, mais voilà, de quel loup parle-t-on ici ?</p>
<p>Le loup gris (<em>Canis lupus</em>) est un superprédateur présent dans tout l’hémisphère nord. En d’autres termes, le loup est une espèce qui se situe en haut de la chaîne alimentaire, qui n’a pas vraiment de prédateurs naturels, et qui régule l’équilibre de son écosystème par la prédation. Son origine est nébuleuse mais assurément très ancienne, et remonte probablement à quelque 800 000 ans. Les lupidés sont génétiquement très diversifiés, et environ quarante sous-espèces actuelles <a href="http://www.departments.bucknell.edu/biology/resources/msw3/">ont déjà été décrites</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505645/original/file-20230120-12-3u7o18.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505645/original/file-20230120-12-3u7o18.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505645/original/file-20230120-12-3u7o18.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505645/original/file-20230120-12-3u7o18.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505645/original/file-20230120-12-3u7o18.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505645/original/file-20230120-12-3u7o18.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505645/original/file-20230120-12-3u7o18.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Meute de loups gris.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Maxime Marrimpoey</span></span>
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<p>Malgré les restrictions d’habitat et de niche écologique engendrées par les êtres humains depuis la Préhistoire, les loups sont parmi les seuls des grands carnivores à avoir survécu l’extinction de masse de la fin du Pléistocène (il y a entre 50 000 et 10 000 ans), et ce notamment grâce à leur grande résilience écologique et à la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0277379121004194">flexibilité</a> de leurs comportements prédateurs. Au cours de ces deux derniers siècles, les pressions indirectes liées à l’urbanisation ainsi que les nombreuses campagnes d’exterminations ont mené à une disparation quasi complète de ses formes sauvages en Europe. Mais depuis quelques années, sa présence se rétablit lentement grâce à des programmes de conservation. Le loup gris est actuellement réintroduit dans nos contrées européennes aux côtés de <a href="https://theconversation.com/mieux-connaitre-le-lynx-boreal-grace-a-lecologie-statistique-147241">trois autres espèces de carnivores</a> : l’ours brun, le lynx boréal et le glouton.</p>
<h2>Entre chien et loup</h2>
<p>La chronologie de la domestication du loup préhistorique est probablement l’un des débats les plus animés des sciences de l’évolution. Si la paléontologie apporte évidemment des composantes importantes à ce débat, les analyses ostéo-morphologiques (l’étude de la taille et de la morphologie des os) qui sont en mesure de discriminer les proto-chiens restent difficiles à identifier.</p>
<p>Depuis les travaux de Charles Darwin, nous savons qu’une série de changements phénotypiques (caractéristiques physiques observables) sont observés sur les animaux qui subissent un processus de domestication, du moins après de nombreuses générations de traits scrupuleusement sélectionnés (souvent favorisant les individus les plus dociles). Au fil des millénaires, les canidés domestiqués ont par exemple vu une réduction de la longueur de leur museau et de la taille de leurs dents, mais aussi une diminution de leur squelette appendiculaire (membres avant et arrière). </p>
<p>En revanche, l’apparition isolée d’un seul de ces traits sur un spécimen ne peut pas prouver son caractère domestique. De ce fait, soit une série de variables significatives doit être observée sur un même individu, soit ce trait nouveau doit être observé de manière répétée à l’échelle d’une population ou d’un contexte donné. Le problème est que les squelettes complets de canidés paléolithiques sont extrêmement rares.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505649/original/file-20230120-16-oomhc0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505649/original/file-20230120-16-oomhc0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505649/original/file-20230120-16-oomhc0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505649/original/file-20230120-16-oomhc0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505649/original/file-20230120-16-oomhc0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=362&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505649/original/file-20230120-16-oomhc0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=362&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505649/original/file-20230120-16-oomhc0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=362&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Frise au loups : Os gravé, grotte de La Vache (Alliat, Ariège). Daté du Magdalénien supérieur, vers 14 000.</span>
<span class="attribution"><span class="source">MNP/Thierry Le Mage)</span></span>
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<p>En complément de cette approche purement ostéologique, l’<a href="https://reader.elsevier.com/reader/sd/pii/S0305440315001600?token=CD21D9862197E3EA812AA5F071BFFA78D36F6DED713055972D999AB3BDA89AF12ACEF8D8FF6B41C2DDB1FFA7A0728EAE&originRegion=eu-west-1&originCreation=20220201142355">archéologie</a> entre ainsi en jeu pour s’atteler à récolter toute information concernant les premières relations directes entre les humains et les canidés, information qui pourrait démontrer un lien spécial qui commençait à se tisser entre ces deux formes de grands prédateurs à partir du Paléolithique supérieur (par exemple, on note l’utilisation de canines pour réaliser des bijoux, ou sa présence dans l’art pariétal). Mais là encore, difficile de comprendre la réelle signification de ces maigres indices.</p>
<h2>Le loup est-il l’ancêtre du chien ?</h2>
<p>Avec les grandes avancées que la génétique a connues ces dernières années, de nombreuses études portant sur l’ADN ancien viennent maintenant prêter main-forte aux paléontologues et aux archéologues qui tentent d’élucider le mystère de l’origine du « premier chien ». Des échantillons de canidés anciens comme modernes sont maintenant prélevés sur tous les continents, et la diversité de leur patrimoine génétique est analysée. L’avantage majeur de cette méthode est de taille : nul besoin de squelettes parfaitement conservés pour obtenir des informations capitales, un simple fragment d’os suffit. Si la grande partie de ces études se focalisent sur l’ADN mitochondrial (ADN uniquement hérité de la lignée maternelle, mais moins sujet à la dégradation), certaines, plus rares, portent également sur le <a href="https://genome.cshlp.org/content/26/2/163">génome complet</a> (donc sur les chromosomes hérités de la lignée maternelle et paternelle, mais qui se conservent beaucoup moins bien lors de la fossilisation).</p>
<p>Grâce à ces résultats, une trame de l’histoire phylogénétique globale des canidés commence à s’esquisser. Et sans surprise, ces analyses révèlent une histoire démographique et phylogénétique très complexe du loup gris au travers des âges. Elles révèlent notamment que les populations lupines paléolithiques ont dû <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22144626/">s’adapter</a> à la fois à la géographie changeante des évènements glaciaires successifs en Eurasie, mais aussi à la présence humaine qui n’a eu de cesse de modifier leur habitat. Ces changements environnementaux et écologiques au cours du Quaternaire ont mené à des cycles d’expansions/rétractations de leurs populations, des fluctuations démographiques probablement importantes, et des fragmentations diverses de leur <em>pool</em> génétique.</p>
<p>Malgré cela, les informations issues de ces analyses sont extrêmement enthousiasmantes. On estime maintenant que la divergence génétique (c’est-à-dire la séparation d’une population en plusieurs lignées distinctes) des loups eurasiens modernes s’est passée il y a environ <a href="https://genome.cshlp.org/content/26/2/163">40 000</a> à <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/mec.15329">20 000 ans</a>. Ceci impliquerait que la population de ces loups paléolithiques se soit fortement fragmentée au cours de cette période, qui correspond d’ailleurs au dernier maximum glaciaire (autrement dit, le « pic » de l’Âge de Glace).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505624/original/file-20230120-18-3no87.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505624/original/file-20230120-18-3no87.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505624/original/file-20230120-18-3no87.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505624/original/file-20230120-18-3no87.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505624/original/file-20230120-18-3no87.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505624/original/file-20230120-18-3no87.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505624/original/file-20230120-18-3no87.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Personne avec son chien regardant le mirage d’un loup au loin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E.-L. Jimenez/Midjourney</span></span>
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<p>Cette date est d’autant plus intéressante qu’elle coïncide avec la période durant laquelle <em>Homo sapiens</em> migre depuis l’Est et colonise l’Europe de l’Ouest, et où les compétitions interspécifiques entre grands prédateurs s’accroissent fortement.</p>
<p>Plus intéressant encore, plusieurs études s’accordent à dire que tous les loups eurasiens modernes descendent d’une <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rspb.2020.1206">unique petite population ancestrale</a> qui se serait vraisemblablement <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/mec.15329">isolée en Béringie</a> (Sibérie du Nord-Est) au cours du dernier pic glaciaire, il y a environ 20 000 ans, notamment pour <a href="https://www.pnas.org/content/109/19/E1134">échapper aux grandes instabilités climatiques</a> ayant cours dans le reste de l’Eurasie. Ce drastique « goulot d’étranglement » aurait donné naissance à une nouvelle lignée qui aurait ensuite recolonisé le reste du monde. Ce remplacement de population lupine se serait probablement passé <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rspb.2020.1206">au détriment d’autres formes de loup anciennes</a>, adaptées alors à d’autres formes d’environnement ailleurs en Eurasie. C’est pourquoi il semblerait que tous les loups d’aujourd’hui aient un ancêtre commun relativement « récent », ou en tout cas pas plus ancien que le début du Paléolithique supérieur, vers <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rspb.2020.1206">36 000 ans</a>.</p>
<p>Mais l’histoire se corse avec la question de l’apparition des chiens domestiques. L’histoire complexe du loup gris eurasien fait ici obstacle dans notre quête pour retracer l’exacte origine du chien. Néanmoins, des travaux fournissent quelques clés de réponse. Une étude portant sur des séquences de génome complet de chiens primitifs d’Asie et d’Afrique, ainsi qu’une collection d’échantillons de 19 races de chien diverses du monde entier a permis d’identifier que les <a href="https://www.nature.com/articles/cr2015147">chiens d’Asie de l’Est ont une diversité génétique largement supérieure aux autres</a>. Cette modélisation montrerait que les premiers chiens seraient ainsi apparus dans cette région, après une divergence entre le loup gris et le chien domestique il y a environ 33 000 ans. Cependant, une autre étude génétique avait affirmé en 2013 que le foyer de domestication aurait plutôt été l’Europe, quelque part entre <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.1243650">32 000 et 19 000</a> ans avant le présent.</p>
<p>Enfin, une tierce étude réconciliant les deux premières hypothèses, propose que la domestication du loup se soit déroulée indépendamment en <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27257259/">Asie de l’Est et en Europe</a>, avant que les chiens primitifs asiatiques ne voyagent vers l’Ouest aux côtés des populations humaines où ils auraient remplacé la population de chien indigène entre 14 000 et 6 400 ans. Quelle que soit l’hypothèse, nous pouvons retenir qu’au moment où l’on voit apparaître les premières traces de sédentarisation et les premières techniques liées à l’agriculture il y a environ 11 000 ans, il existait déjà au moins <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.aba9572">cinq lignées distinctes</a> de chien, démontrant ainsi que les sociétés humaines avaient déjà profondément modifié les populations canines avant la fin du Paléolithique.</p>
<p>Et loin d’être compartimentée, la co-évolution des canidés ne s’est d’ailleurs jamais arrêtée. Aujourd’hui encore, le loup ne cesse de faire l’objet d’hybridations avec d’autres canidés tels que les chiens, mais aussi le coyote (<em>Canis latrans</em>) avec lequel il est également <a href="https://journals.plos.org/plosgenetics/article?id=10.1371/journal.pgen.1007745">interfécond</a>.</p>
<p>En conclusion, même si la détermination de <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-022-04824-9">l’origine géographique du chien domestique</a> et les circonstances et la chronologie de sa domestication restent toujours en suspend, les avancées dans les études de l’ADN ancien nous offrent aujourd’hui les moyens de suivre les pistes enchevêtrées de ces canidés passés et présents. À la question « les chiens descendent-ils du loup ? », la réponse est donc oui, mais la génétique nous offre aujourd’hui les moyens de clarifier : les chiens modernes, aussi variés soient-ils, dérivent tous d’une lignée de loup préhistorique aujourd’hui éteinte, et n’aurait finalement que de liens très lointains avec le loup moderne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195836/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elodie-Laure Jimenez est également affiliée à l'Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique. Elle a reçu des financements de Belspo via le projet ICHIE (Interconnectivity of large Carnivores, Humans and Ice Age Environments).</span></em></p>Le chien fait partie de nos vies depuis l’époque des chasseurs-cueilleurs et serait issu de la domestication du loup préhistorique. Oui, mais de quel loup parle-t-on ?Elodie-Laure Jimenez, Chercheure en archéologie préhistorique et paléoécologie, University of AberdeenLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1959802023-01-10T20:44:45Z2023-01-10T20:44:45ZHeurs et malheurs de la couche d’ozone à travers son histoire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/503822/original/file-20230110-14-kyvg8x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=84%2C12%2C2062%2C1170&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 2006, le trou de la couche d'ozone (en bleu et violet) atteignait une taille record moyenne: 27,5 millions de kilomètres carrés</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:NASA_and_NOAA_Announce_Ozone_Hole_is_a_Double_Record_Breaker.png">NASA</a></span></figcaption></figure><p>Un <a href="https://ozone.unep.org/system/files/documents/Scientific-Assessment-of-Ozone-Depletion-2022-Executive-Summary.pdf">récent rapport</a> du programme pour l’environnement des Nations unies annonce que le « trou » de la couche d’ozone serait bien en train de se refermer <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/01/09/climat-la-reconstitution-de-la-couche-d-ozone-est-en-bonne-voie_6157178_3244.html">grâce à l’arrêt progressif de l’utilisation de gaz qui détruisent la couche d’ozone, comme les chlorofluorocarbures (CFC)</a>. Une bonne nouvelle à plusieurs titres, notamment car la couche d’ozone empêche une partie des rayonnements ultraviolets, nocifs, de pénétrer jusqu’à nous.</p>
<p>La couche d’ozone a toujours été fragile, attaquée de l’intérieur par des gaz présents dans l’atmosphère (dont certains d’origine anthropique, comme les CFC). Mais elle est aussi attaquée de l’extérieur par les particules interstellaires du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rayonnement_cosmique">« rayonnement cosmique »</a>, auquel la Terre est soumise en permanence ! Ces particules cosmiques déclenchent une cascade de réactions chimiques qui détruisent les molécules d’ozone. Heureusement, le champ magnétique terrestre dévie en grande partie ce flux de particules et protège la couche d’ozone… normalement.</p>
<p>La protection de la couche d’ozone par le champ magnétique varie en effet, comme lui, dans le temps. Nous avons en effet récemment montré que <a href="https://academic.oup.com/pnasnexus/article/1/4/pgac170/6678862">ce n’est pas la première fois que l’épaisseur de la couche d’ozone varie</a>. D’après nos résultats, il y a 40 000 ans, au moment de la disparition de Néandertal, la couche d’ozone aurait été plus fine qu’à notre époque.</p>
<h2>Enquêter sur la couche d’ozone au temps de Néandertal</h2>
<p>La <a href="https://www.nature.com/articles/nature13621">disparition mystérieuse de Néandertal</a> ne s’est pas faite en un jour. Elle résulte sûrement d’une combinaison de nombreux facteurs. Un élément avéré est qu’elle est très proche dans le temps d’une baisse de l’intensité du champ magnétique terrestre, ce qui a amené certains auteurs à relier les deux événements.</p>
<p>En effet, l’affaiblissement du champ magnétique aurait pu engendrer un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277379110003434">amincissement de la couche d’ozone</a>, qui protège la surface terrestre des rayons ultraviolets du soleil. Or, on sait maintenant que ceux-ci augmentent le <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1034/j.1600-0781.2002.02782.x">risque de cancers de la peau</a>, <a href="https://pubs.rsc.org/en/content/articlehtml/2003/pp/b211156j">altèrent la vue, et impactent les capacités immunitaires</a>. Des <a href="https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1029/2018RG000629">effets néfastes</a> contre lesquels Néandertal aurait été moins bien équipé que <em>Sapiens</em>, le rendant plus sensible à la hausse des rayons UV.</p>
<p>Comment savoir si la couche d’ozone a été réellement amincie il y a 40 000 ans ? Peut-on reconstruire cette épaisseur au fil de l'histoire ?</p>
<h2>Apparition et dynamique de la couche d’ozone</h2>
<p>Depuis son apparition, la <a href="https://www.ipsl.fr/Pour-tous/Les-dossiers-thematiques/La-couche-d-ozone-et-le-trou-d-ozone/La-couche-d-ozone-et-son-role">couche d’ozone</a> joue un rôle fondamental dans la présence et l’évolution de la vie sur Terre. En effet, l’ozone est un gaz qui absorbe une partie des rayons UV émis par le Soleil. La couche d’ozone permet donc d’éviter que ces rayons UV ne parviennent jusqu’à la surface des continents.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/499813/original/file-20221208-14410-p3m533.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/499813/original/file-20221208-14410-p3m533.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/499813/original/file-20221208-14410-p3m533.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/499813/original/file-20221208-14410-p3m533.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/499813/original/file-20221208-14410-p3m533.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/499813/original/file-20221208-14410-p3m533.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/499813/original/file-20221208-14410-p3m533.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/499813/original/file-20221208-14410-p3m533.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La couche d’ozone se trouve dans la stratosphère. Elle filtre les rayons ultraviolets, mais peut être attaquée de l’extérieur par les rayons cosmiques et par l’intérieur par le dioxyde d’azote, un polluant courant.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Guillaume Paris, Université de Lorraine</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Si la Terre est vieille d’environ 4,5 milliards d’années, la couche d’ozone, elle, est apparue bien plus tard. En effet, l’ozone (O<sub>3</sub>) est produit par un ensemble de réactions chimiques à partir de l’oxygène (O<sub>2</sub>), qui n’est apparu dans l’atmosphère qu’il y a 2,4 milliards d’années.</p>
<p>Depuis, l’ozone formé se retrouve à la base de stratosphère, à 35 kilomètres d’altitude, juste au-dessus de la troposphère. Là, il peut être détruit soit par d’autres gaz, comme les CFC, soit par les particules du rayonnement cosmique non déviées par le champ magnétique terrestre.</p>
<h2>Quand le champ magnétique terrestre ne protège plus l’atmosphère</h2>
<p>Or, il y a environ 41 000 ans, le champ magnétique terrestre a connu un affaiblissement majeur, voire une <a href="https://www.nationalgeographic.fr/espace/il-y-a-42-000-ans-une-excursion-du-champ-magnetique-a-bouleverse-la-vie-sur-terre">inversion temporaire</a> de sa polarité, pendant quelques siècles.</p>
<p>Cet affaiblissement du champ magnétique, bien connu des géologues sous le nom d’« excursion magnétique de Laschamps », aurait été suffisamment marqué pour que les particules cosmiques pénètrent jusqu’à la couche d’ozone et y détruisent des molécules d’O<sub>3</sub>. Plus de rayons UV auraient alors pu atteindre la surface de la Terre.</p>
<p>C'est pour ces raisons que cet évènement a été <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277379110003434">proposé</a> comme une des causes de la disparition des Néandertalien·ne·s puisqu’<em>Homo neanderthalensis</em> n'aurait pas eu <a href="https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1029/2018RG000629">pas la même capacité de lutte contre les effets néfastes des UV</a> qu’<em>Homo sapiens</em>. </p>
<p>Comme aucune donnée n'avait jusqu'à présent permis de confirmer de manière directe un amincissement de la couche d'ozone à cette époque, nous avons cherché à savoir si certaines particules atmosphériques de cette époque, piégées depuis dans les glaces polaires, avaient été ou non exposées aux UV. </p>
<p>Grâce à cette information, nous pouvons évaluer si la couche d'ozone les a protégées du rayonnement solaire - et donc en déduire l'épaisseur de celle-ci lors de la disparition de Néandertal. </p>
<h2>L’épaisseur de la couche d’ozone enregistrée dans la glace des pôles</h2>
<p>Nous avons <a href="https://academic.oup.com/pnasnexus/article/1/4/pgac170/6678862">étudié</a> les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Isotopes_du_soufre">isotopes</a> d’aérosols de soufre piégés dans des échantillons de carottes de glace formée à cette époque.</p>
<p>Les aérosols sont des microparticules en suspension. Certains contiennent du soufre, dont les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Isotopes_du_soufre">isotopes</a> peuvent nous aider. Un isotope du soufre est un atome de soufre avec une masse très légèrement différente des autres, et les isotopes du soufre des aérosols ne réagissent pas tous pareils aux rayons UV.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/503850/original/file-20230110-24-o3wppc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503850/original/file-20230110-24-o3wppc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503850/original/file-20230110-24-o3wppc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=209&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503850/original/file-20230110-24-o3wppc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=209&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503850/original/file-20230110-24-o3wppc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=209&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503850/original/file-20230110-24-o3wppc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=263&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503850/original/file-20230110-24-o3wppc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=263&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503850/original/file-20230110-24-o3wppc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=263&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Mécanismes d’acquisition de l’« empreinte UV » des aérosols. Avec la couche d’ozone actuelle, les rayons UV néfastes n’atteignent pas la troposphère et seuls les aérosols émis par les éruptions stratosphériques acquièrent une empreinte UV. Avec une couche d’ozone plus mince, comme lors de l’excursion magnétique du Laschamps, les aérosols n’atteignant pas la stratosphère acquièrent une telle empreinte car les rayons UV pénètrent plus bas dans l’atmosphère et atteignent la surface des continents.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Guillaume Paris</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Si un aérosol est exposé aux UV, le rapport des différents isotopes du soufre enregistre une « empreinte UV ». Cette « empreinte » permet ainsi d’aider à comprendre si les aérosols soufrés émis par une éruption volcanique ont été, ou non, soumis aux rayons UV. Si c’est le cas, cela veut dire que ces aérosols ont circulé au-dessus de la couche d’ozone, dans la stratosphère. Cela implique donc que l’éruption a été particulièrement puissante : on parle d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ruption_stratosph%C3%A9rique">éruption « stratosphérique »</a>.</p>
<p>Cette méthode a par le passé permis de retrouver dans les carottes de glace l’empreinte de l’éruption du <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/tambora-volcan/2-l-eruption-de-1815-et-ses-consequences-en-indonesie/">Tambora</a>. Cette éruption, bien qu’ayant eu lieu en Indonésie, généra des couchers de soleil flamboyants en Europe qui ont inspiré le peintre <a href="https://meteofrance.com/magazine/meteo-histoire/meteo-fait-histoire/1816-lannee-sans-ete-et-leruption-du-tambora">William Turner</a>. Deux cents ans plus tard, <a href="https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1029/2009GL040882">grâce aux isotopes du soufre</a> d’aérosols projetés par le volcan, puis piégés des carottes de glace, les géochimistes ont pu reconstituer la dynamique atmosphérique des émissions du volcan. Ils ont montré que ses cendres sont restées de longs mois dans la stratosphère avant de retomber sur Terre, perturbant le climat et l’agriculture.</p>
<p>Pour comprendre l’évolution de l’épaisseur de la couche d’ozone lors de l’excursion magnétique de Laschamps, nous avons utilisé les isotopes du soufre d’une manière un peu différente. En effet, nous avons extrait des aérosols piégés dans les glaces antarctiques lors de l’excursion magnétique il y a 40 000 ans. Ces aérosols ne sont pas associés à une éruption stratosphérique comme celle du Tambora : au contraire, ils sont restés dans la troposphère et ont dû – en théorie – être protégés des UV par la couche d’ozone.</p>
<p>Or, l’« empreinte UV » de ces aérosols montre qu’ils ont été soumis aux rayons UV. Ceux-ci pénétraient donc assez bas dans l’atmosphère : cela implique que la couche d’ozone laissait passer davantage de rayonnement solaire et qu’elle était plus mince qu’aujourd’hui, sans qu’on puisse vraiment parler de trou.</p>
<p>Ces résultats sont la première observation directe d’un amincissement passé de la couche d’ozone et en fait un mécanisme possible pour la disparition des Néandertalien·ne·s.</p>
<h2>Une couche d’ozone toujours menacée</h2>
<p>De nos jours, d’autres menaces existent et les activités humaines mettent en danger la couche d’ozone. En effet, un certain nombre de réactions chimiques sont liées aux gaz libérés par les activités de nos sociétés thermo-industrielles. En 1985, un <a href="https://www.nature.com/articles/315207a0">« trou »</a> de la couche d’ozone apparu au-dessus de l’Antarctique été mis en évidence par <a href="https://www.nature.com/articles/498435a">Joe Farman</a> et ses collaborateurs. Celui-ci a été causé par les chlorofluorocarbones, une famille de gaz anciennement présents dans les systèmes de réfrigérations, utilisé en grande quantité à partir des années 1950. En 10 ans, la chimie industrielle à grande échelle avait ainsi entraîné la destruction de 40 % de l’ozone de notre atmosphère.</p>
<p>Moins qu’un trou, il s’agit en réalité d’une zone au-dessus des pôles où les concentrations en O<sub>3</sub> de la couche d’ozone sont très faibles. La <a href="https://www.canada.ca/fr/services/environnement/meteo/changementsclimatiques/mesures-internationales-canada/protocole-montreal.html">signature du protocole de Montréal en 1987</a> a abouti à l’arrêt de l’utilisation de ces gaz, mais le trou ne se résorbe que très lentement.</p>
<p>De plus, de nombreux autres gaz et particules émis par les humains contribuent toujours à détruire l’ozone, comme le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Protoxyde_d%27azote">protoxyde d’azote</a> (N<sub>2</sub>O). Ce puissant gaz à effet de serre est émis notamment par <a href="https://www.infometha.org/pour-aller-plus-loin/le-cycle-de-lazote/emissions-de-protoxyde-dazote-par-lagriculture">l’épandage et les engrais azotés</a>. La hausse de sa concentration dans l’atmosphère non seulement contribue au réchauffement climatique, mais aussi à la dégradation de la couche d’ozone. Malgré les accords de Montréal, les humains continuent donc de prendre le risque d’amincir cette enveloppe qui protège la vie sur Terre.</p>
<p>Cette menace anthropique est d’autant plus sérieuse que l’intensité du champ magnétique terrestre a décru de près de 20 % depuis 150 ans et sur les dernières décennies baisse à une vitesse <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rsta.2000.0569">10 fois supérieure au taux moyen normal</a>.</p>
<p>Cette baisse de l’intensité du champ va-t-elle perdurer et, sous l’effet d’actions humaines concomitantes, sera-t-elle associée à la création d’une « fenêtre UV » ayant des conséquences sur la santé des populations ?</p>
<p>Mieux nous comprendrons l’histoire et la réactivité de la couche d’ozone, mieux nous pourrons appréhender ces questions actuelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195980/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Paris a reçu des financements du CNRS pour cette étude (programme LEFE-IMAGO de l'Institut National des Sciences de l'Univers) . L'étude mentionnée a été rédigée par Sanjeev Dasari, postdoctorant financé par une bourse Marie Skłodowska-Curie.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Julien Charreau a reçu des financements du CNRS pour cette étude (programme LEFE-IMAGO de l'Institut National des Sciences de l'Univers)</span></em></p>La couche d’ozone s’est déjà amincie dans le passé au moment de la disparition de Néandertal.Guillaume Paris, Géochimiste, chargé de recherche CNRS au Centre de recherches pétrographiques et géochimiques de Nancy, Université de LorraineJulien Charreau, Professeur des université en géologie, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1959532023-01-09T20:28:25Z2023-01-09T20:28:25ZÀ qui appartiennent ces empreintes de pieds vieilles de 300 000 ans ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/503629/original/file-20230109-9349-y8ec3q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C3%2C2354%2C1569&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Photographie du site archéologique au pied de la falaise d'Asperillo en Espagne où ont été trouvées les empreintes.</span> <span class="attribution"><span class="source">E. Mayoral</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Au cours de leurs recherches sur l’évolution humaine, les paléoanthropologues se concentrent généralement sur des restes osseux fossilisés. Toutefois, un autre type de vestige est de plus en plus utilisé : les empreintes de pieds laissées par nos ancêtres et conservées à travers le temps. À la différence des restes osseux, les empreintes ouvrent une fenêtre sur de brefs moments de vie d’individus disparus. Par cette échelle temporelle très particulière, leur étude fournit de nombreuses informations inédites sur les comportements locomoteurs mais aussi la composition de groupes ayant vécu il y a des centaines de milliers voire millions d’années. Malheureusement, les empreintes de pieds fossiles sont particulièrement rares du fait de leur fragilité. Quand elles sont découvertes, un véritable travail d’enquête commence.</p>
<p>En 2020, 87 empreintes de pieds ont été découvertes au pied de la falaise d’Asperillo sur la côte de l’espace naturel de Doñana, au sud-ouest de l’Espagne.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/503620/original/file-20230109-4654-qx6px8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503620/original/file-20230109-4654-qx6px8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503620/original/file-20230109-4654-qx6px8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503620/original/file-20230109-4654-qx6px8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503620/original/file-20230109-4654-qx6px8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503620/original/file-20230109-4654-qx6px8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503620/original/file-20230109-4654-qx6px8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503620/original/file-20230109-4654-qx6px8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Photographie du site archéologique au pied de la falaise d’Asperillo en Espagne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E. Mayoral</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Lors de la première étude de ces empreintes, <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-021-83413-8">publiée dans la revue <em>Scientific Reports</em> en 2021</a>, nous avions montré qu’elles avaient été laissées par un groupe composé d’enfants, d’adolescents et d’adultes. Afin d’estimer l’âge des individus à partir de leurs empreintes de pieds, nous avions utilisé des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003552122000772">données expérimentales</a>. Des participants d’âges variés avaient laissé des empreintes dans un sol similaire à celui de Doñana. Les empreintes ont ensuite été mesurées et des relations statistiques avaient été établies entre les dimensions des empreintes et leurs caractéristiques biologiques comme leur taille ou leur âge. Ces relations ont alors été appliquées aux empreintes fossiles qui avaient été mesurées.</p>
<p>Par ailleurs, l’orientation de ces empreintes vers des traces animales (oiseaux, cerfs, bovins…) laissait penser à d’éventuels comportements de chasses de la part de ce groupe préhistorique.</p>
<p>L’une des questions était de savoir quelle espèce humaine avait laissé ces empreintes. Dans la plupart des cas les empreintes de pieds ne sont pas associées à une espèce sur la base de critères anatomiques, comme le sont les restes osseux fossiles, mais à partir du contexte chronologique. C’est pourquoi nous avions attribué ces empreintes à des Néandertaliens sur la base de la seule référence temporelle disponible, une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0277379114003254">date de 106 000 ans</a> obtenue lors d’une étude du site au milieu des années 2000. Une telle attribution se justifiait car les Néandertaliens étaient la seule espèce connue à occuper la péninsule ibérique et plus largement l’Europe de l’ouest à cette date.</p>
<h2>De nouvelles datations</h2>
<p>Cependant, en continuant l’étude de ce site, nous avons procédé à un échantillonnage du sol où ont été découvertes les empreintes afin d’obtenir des datations plus précises. Les résultats de cette étude <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-022-22524-2">publiés en octobre dans la revue <em>Scientific Reports</em></a> sont surprenants : le sol n’est pas daté de 106 000 mais de 296 000 ans. Les empreintes sont donc beaucoup plus vieilles qu’estimées. Cette différence dans les dates obtenues est non seulement due aux avancées méthodologiques dans les techniques utilisées mais également à la position des échantillons datés se focalisant davantage sur le niveau des empreintes que les toutes premières datations qui avaient été précédemment utilisées.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/503623/original/file-20230109-7887-4dky2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503623/original/file-20230109-7887-4dky2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503623/original/file-20230109-7887-4dky2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503623/original/file-20230109-7887-4dky2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503623/original/file-20230109-7887-4dky2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503623/original/file-20230109-7887-4dky2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503623/original/file-20230109-7887-4dky2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503623/original/file-20230109-7887-4dky2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Empreinte de pied découverte à Doñana comparée à un pied adulte.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E. Mayoral</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La nouvelle datation a placé les empreintes dans un nouveau contexte géographique et environnemental. Le continent européen était sur le point de subir un <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-022-22524-2">changement climatique radical il y a 300 000 ans</a>. Des conditions relativement chaudes faisaient place à des conditions beaucoup plus froides, précurseur d’une ère glaciaire. À cette époque, le niveau de la mer sur le continent européen était en moyenne 60 mètres en dessous de son niveau actuel. Le littoral du sud-ouest de l’Espagne était alors à 20 ou 25 kilomètres au large de sa position actuelle.</p>
<p>Outre ces changements environnementaux et géographiques, cette nouvelle chronologie est à l’origine d’une question essentielle : est-ce que des Néandertaliens ont vraiment réalisé ces empreintes ?</p>
<h2>De nouveaux suspects</h2>
<p>Pour répondre à cette question, il a fallu se pencher sur les archives paléontologiques pour savoir quelle espèce était présente il y a 296 000 ans au cours de la période appelée le Pléistocène moyen. Selon les paléoanthropologues, les individus ayant vécu au cours de cette époque appartenaient à la « lignée néandertalienne ». Une « lignée » comme la « lignée néandertalienne » ou la célèbre « lignée humaine » est composée de plusieurs espèces apparentées. La « lignée néandertalienne » est ainsi composée des Néandertaliens, aussi appelés <em>Homo neanderthalensis</em>, et d’une espèce plus ancienne, <em>Homo heidelbergensis</em>,dont certains seraient à l’origine des Néandertaliens.</p>
<p>Malheureusement, les restes osseux fossiles datant de cette période sont relativement pauvres et dispersés non seulement temporellement mais aussi géographiquement. Ils montrent cependant que les premiers Néandertaliens et les derniers <em>Homo heidelbergensis</em> étaient tous les deux présents en Europe lorsque les empreintes de Doñana ont été réalisées. Les autres sites où des empreintes de pieds ont été découvertes ne sont pas d’une grande aide. En effet, dans tout le Pléistocène moyen européen, seuls quatre sites ont livré des empreintes : Terra Amata en France (380 000 ans), Roccamonfina en Italie (345 000 ans), Biache-Vaast en France (236 000 ans) et Theopetra en Grèce (130 000 ans). Alors que les empreintes des deux premiers sites ont été attribués à <em>Homo heidelbergensis</em>, celles des deux suivants ont été attribuées à <em>Homo neanderthalensis</em>.</p>
<p>La présence de deux espèces en Europe au cours de cette période rend complexe une attribution des empreintes de Doñana à l’une ou l’autre de ces espèces. Une option serait de comparer les caractéristiques reflétées par les empreintes de pieds à l’anatomie des pieds des deux espèces pour savoir de quelle espèce elles se rapprochent le plus. Toutefois, les restes de pieds datant du Pléistocène moyen ne sont que peu connus. Ils sont presque tous issus du site espagnol de Sima de Los Huesos près d’Atapuerca et apparentés à <em>Homo neanderthalensis</em>. Par ailleurs, ces restes sont très fragmentaires et aucun pied complet n’a été retrouvé pour le moment. En outre, la morphologie d’une empreinte ne résulte pas uniquement des caractéristiques anatomiques mais aussi d’autres facteurs comme la nature du sol (son humidité, sa granulométrie, sa minéralogie…). Il est donc rare de trouver des empreintes de pieds reflétant des caractéristiques anatomiques parfaitement conservées (traces des orteils, voûte plantaire…) encore plus dans les milieux dunaires comme à Doñana où les empreintes peuvent être endommagées et détruites par l’action du vent et des marées.</p>
<p>L’attribution de ces empreintes à l’une ou l’autre espèce est également compliquée par l’absence de consensus chez les paléoanthropologues concernant la lignée néandertalienne et la définition d’<em>Homo heidelbergensis</em>. Différents modèles d’évolution ont été proposés, mais cette question est encore loin d’être résolue, étant donné la rareté des archives fossiles et la complexité des relations évolutives soulignées par les dernières études sur l’ADN ancien.</p>
<p>Ainsi, les empreintes de pieds de Doñana ont probablement été laissées par des individus appartenant à la lignée néandertalienne. Savoir qui des Néandertaliens ou de leurs ancêtres apparentés, les <em>Homo heidelbergensis</em>, ont laissé ces traces est une question encore ouverte. Malgré ces incertitudes, le site de Doñana complète nos connaissances sur les occupations humaines en Europe au cours du Pléistocène et sur notre évolution.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit par Eduardo Mayoral Alfaro, Ana Santos, Antonio Rodríguez Ramírez, Asier Gomez-Olivencia, Ignacio Díaz-Martínez, Jorge Rivera Silva, Juan Antonio Morales et Ricardo Díaz-Delgado.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195953/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérémy Duveau a reçu des financements de la fondation FYSSEN dans le cadre d'un projet de recherche sur les empreintes de pieds. </span></em></p>Pouvoir identifier quelle espèce a pu laisser des traces de son passage n’est pas chose aisée. Découvrez comment les scientifiques enquêtent pour trouver les « coupables ».Jérémy Duveau, Chercheur associé, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1956612022-12-05T19:01:42Z2022-12-05T19:01:42ZLe vrai régime paléo : de nouveaux éléments archéologiques nous éclairent sur l’alimentation de nos ancêtres<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/498278/original/file-20221130-26-o5ayfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">San Bushmen I</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c3/San_Bushmen_I.jpg">David Barrie, CC BY 2.0 <https://creativecommons.org/licenses/by/2.0>, via Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Nous, les humains, ne pouvons pas nous empêcher de jouer avec la nourriture – des livres entiers ont été écrits rien que sur les mille et une façons de cuisiner les pommes de terre. L’industrie de la restauration est née de notre amour pour les saveurs nouvelles et intéressantes des aliments.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.15184/aqy.2022.143">L’analyse par mon équipe</a> des plus anciens restes alimentaires carbonisés jamais découverts montre que le fait d’agrémenter son dîner est une habitude humaine qui remonte à au moins 70 000 ans.</p>
<p>Vous pourriez très bien imaginer nos ancêtres en train de déchirer à mains nues des ingrédients crus ou de rôtir de la viande sur le feu, conformément aux stéréotypes ancrés dans nos représentations collectives. Mais notre nouvelle étude montre que le régime alimentaire des Néandertaliens et des <em>Homo sapiens</em> était complexe, impliquant plusieurs étapes de préparation, et qu’ils s’efforçaient d’assaisonner leurs mets et d’utiliser des plantes aux saveurs amères et piquantes.</p>
<p>Ce degré de complexité culinaire n’a jamais été documenté auparavant chez les chasseurs-cueilleurs du Paléolithique.</p>
<p>Avant notre étude, les plus anciens restes alimentaires végétaux connus étaient originaires d’Asie du Sud-Ouest ; ils provenaient d’un <a href="https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.1801071115">site de chasseurs-cueilleurs</a> jordanien vieux de 14 400 ans, découvert en 2018.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496976/original/file-20221123-18-83lk07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496976/original/file-20221123-18-83lk07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=274&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496976/original/file-20221123-18-83lk07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=274&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496976/original/file-20221123-18-83lk07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=274&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496976/original/file-20221123-18-83lk07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=344&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496976/original/file-20221123-18-83lk07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=344&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496976/original/file-20221123-18-83lk07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=344&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Images au microscope électronique à balayage de restes alimentaires carbonisés. À gauche : l’aliment ressemblant à du pain trouvé dans la grotte de Franchthi. À droite : Fragment d’aliment carbonisé provenant de la grotte de Shanidar avec des pois sauvages.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ceren Kabukcu</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Nous avons examiné les restes alimentaires de deux sites du paléolithique tardif, qui couvrent une période de près de 60 000 ans, afin d’étudier les régimes alimentaires des premiers chasseurs-cueilleurs. Nos preuves reposent sur des fragments d’aliments végétaux préparés (morceaux de pain brûlé, galettes, morceaux de bouillie) trouvés dans deux grottes. À l’œil nu, ou sous un microscope de faible puissance, ils ressemblent à des <a href="https://doi.org/10.1016/j.jas.2021.105531">miettes ou morceaux d’aliments carbonisés</a>, avec des fragments de graines. Mais un puissant microscope électronique à balayage nous a permis de distinguer les détails des cellules végétales.</p>
<h2>Les chefs préhistoriques</h2>
<p>Nous avons trouvé des fragments d’aliments carbonisés dans la grotte de <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0207805">Franchthi</a> (Égée, Grèce) datant d’environ 13 000 à 11 500 ans. Nous y avons découvert un fragment d’un aliment finement moulu qui pourrait être du pain, de la pâte à frire ou un type de bouillie, mais aussi des aliments riches en graines de légumineuses et grossièrement moulus.</p>
<p>Dans la <a href="http://www.antiquity.ac.uk/projgall/barker348">grotte de Shanidar</a> (Zagros, Kurdistan irakien), associée aux <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003552118300797?via%3Dihub">premiers humains modernes</a> il y a environ 40 000 ans et aux <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/antiquity/article/new-neanderthal-remains-associated-with-the-flower-burial-at-shanidar-cave/E7E94F650FF5488680829048FA72E32A">Néandertaliens il y a environ 70 000 ans</a>, nous avons également trouvé des fragments d’aliments anciens. Il s’agissait notamment de moutarde sauvage et de térébinthe (pistache sauvage) mélangés à des aliments. Nous avons découvert des graines d’herbes sauvages mélangées à des légumineuses dans les restes carbonisés des couches néandertaliennes. Des études antérieures à Shanidar ont trouvé des traces de graines d’herbes sauvages dans le <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.1016868108">tartre des dents de Néandertal</a>.</p>
<p>Sur les deux sites, nous avons souvent trouvé des graines de légumineuses moulues ou pilées, comme la vesce amère (<em>Vicia ervilia</em>), le pois chiche (<em>Lathyrus spp</em>) et le pois sauvage (<em>Pisum spp</em>). Les personnes qui vivaient dans ces grottes ajoutaient les graines à un mélange qui était chauffé avec de l’eau lors du broyage, du pilonnage ou de l’écrasement des graines trempées.</p>
<p>La majorité des mélanges de légumineuses sauvages étaient caractérisés par un goût amer. Dans la <a href="https://doi.org/10.1007/s00334-011-0302-6">cuisine moderne</a>, ces légumineuses sont souvent trempées, chauffées et décortiquées (élimination de l’enveloppe de la graine) pour réduire leur amertume et leurs toxines. Les vestiges anciens que nous avons trouvés suggèrent que les humains font cela depuis des dizaines de milliers d’années. Mais le fait que les téguments des graines n’aient pas été complètement retirés laisse penser que ces personnes voulaient conserver un peu de leur saveur amère.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496977/original/file-20221123-20-sdj04n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496977/original/file-20221123-20-sdj04n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496977/original/file-20221123-20-sdj04n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496977/original/file-20221123-20-sdj04n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496977/original/file-20221123-20-sdj04n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496977/original/file-20221123-20-sdj04n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496977/original/file-20221123-20-sdj04n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vue de la grotte de Shanidar à Zagros, au Kurdistan irakien.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Chris Hunt</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<h2>Ce que les études précédentes ont montré</h2>
<p>La présence de moutarde sauvage, avec son goût piquant caractéristique, est un <a href="https://doi.org/10.1007/s003340200006">assaisonnement bien documenté dans la période acéramique</a> (le début de la vie villageoise dans le sud-ouest de l’Asie, 8500 avant J.-C.) et <a href="https://doi.org/10.1017/S0003598X00098896">pour les sites du Néolithique ultérieur</a> dans la région. Des plantes telles que l’amande sauvage (amère), le pistachier térébinthe (riche en tanin et huileux) et les fruits sauvages (piquants, parfois acides, parfois riches en tanin) sont omniprésents dans les restes végétaux du sud-ouest de l’Asie et de l’Europe au cours du Paléolithique supérieur (il y a 40 000 à 10 000 ans). Leur inclusion dans des plats à base d’herbes, de tubercules, de viande, de poisson, aurait conféré une saveur particulière au repas. Ces plantes ont donc été consommées pendant des dizaines de milliers d’années dans des régions distantes de plusieurs milliers de kilomètres. Ces plats pourraient être à l’origine des pratiques culinaires humaines.</p>
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<p>D’après les plantes trouvées au cours de cette période, il ne fait aucun doute que l’alimentation des Néandertaliens et des premiers hommes modernes comprenait une grande variété de plantes. Des études antérieures ont découvert des résidus alimentaires piégés dans le tartre des dents des Néandertaliens d’Europe et d’Asie du Sud-Ouest prouvant qu’ils cuisinaient et mangeaient des <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.1016868108">herbes et tubercules</a> comme l’orge sauvage, et des <a href="https://doi.org/10.1007/s00114-012-0942-0">plantes médicinales</a>. Les restes de végétaux carbonisés montrent qu’ils cueillaient des <a href="https://doi.org/10.1016/j.jas.2004.11.006">légumineuses</a> et des <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.aaz7943">pignons</a>.</p>
<p>Des résidus végétaux trouvés sur des outils de broyage ou de pilonnage du Paléolithique supérieur européen suggèrent que les premiers humains modernes ont <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.1505213112">écrasé</a> et <a href="https://doi.org/10.1017/S0003598X00113195">grillé</a> des graines d’herbes sauvages. Des résidus provenant d’un site du Paléolithique supérieur dans la steppe pontique, en Europe orientale, montrent que les anciens <a href="https://doi.org/10.1016/j.jasrep.2021.102999">pilaient les tubercules</a> avant de les manger. Des preuves archéologiques provenant d’Afrique du Sud, il y a déjà 100 000 ans, indiquent que <em>Homo sapiens</em> utilisait des <a href="https://doi.org/10.1126/science.1173966">graines d’herbes sauvages</a> écrasées.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/496978/original/file-20221123-22-ztb31l.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496978/original/file-20221123-22-ztb31l.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496978/original/file-20221123-22-ztb31l.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496978/original/file-20221123-22-ztb31l.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496978/original/file-20221123-22-ztb31l.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496978/original/file-20221123-22-ztb31l.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496978/original/file-20221123-22-ztb31l.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496978/original/file-20221123-22-ztb31l.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Un foyer néandertalien découvert dans la grotte de Shanidar.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Graeme Barker</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Si l’homme de Néandertal et les premiers humains modernes se nourrissaient de plantes, cela n’apparaît pas de manière aussi constante dans les données d’isotopes stables provenant des squelettes, qui nous renseignent sur les principales sources de <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.0903821106">protéines dans le régime alimentaire</a> au cours de la vie d’une personne. Des études récentes suggèrent que les populations néandertaliennes d’Europe étaient des <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.210931511">carnivores de haut niveau</a>. Des études montrent que les <em>Homo sapiens</em> semblent avoir eu une <a href="https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.0903821106">alimentation plus diversifiée</a> que les Néandertaliens, avec une plus grande proportion de plantes. Mais nous sommes certains que ces preuves d’une certaine complexité dans la préparation des aliments et la recherche du goût est le point de départ de nombreuses découvertes au sujet des premiers sites de chasseurs-cueilleurs de la région.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195661/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ceren Kabukcu reçoit le financement du Leverhulme Trust (Early Career Fellowship, ECF-284). Elle est actuellement employée comme Associée de Recherche financée par la Gerda Henkel Stiftung. La recherche à Shanidar Cave, avec une équipe dirigée par Graeme Barker, a reçu un financement du Leverhulme Trust (Research Grant RPG–2013–105), Rust Family Foundation, British Academy, Wenner-Gren Foundation, Society of Antiquaries, McDonald Institute of Archaeological Research at the University of Cambridge, Natural Environment Research Council’s Oxford Radiocarbon Dating Facility (grant NF/2016/2/14) et au Templeton Foundation. </span></em></p>Le fait d’agrémenter son dîner et de modifier le goût des aliments est une habitude humaine qui remonte au moins à 70 000 ans.Ceren Kabukcu, Research Associate in Archaeology, University of LiverpoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1922202022-10-11T19:14:05Z2022-10-11T19:14:05ZEntre Néandertaliens et Sapiens, il y a eu du sexe… mais peu d’amour<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/489022/original/file-20221010-24-2ut7gi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C12%2C4297%2C3050&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Chacun de nous possède 1 à 3 % d'ADN d'origine néandertalienne</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/es/image-illustration/cave-people-by-fire-neanderthals-original-789130387">Yulia Serova / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La relation entre les Néandertaliens et les premiers Sapiens suscite des débats passionnés. Longtemps, l’interprétation la plus largement admise fut celle d’une confrontation entre les deux espèces, d’une « guerre » de 100 000 ans, le temps de leur cohabitation sur la planète, avec à la clé une victoire de notre espèce. Nous savons aujourd’hui qu’en plus de l’hostilité possible des Sapiens, il y avait d’autres raisons possibles à leur disparition.</p>
<p>La défaite des Néandertaliens, l’extinction de la dernière espèce « sœur », a pu être due à des changements climatiques, ou peut-être liée à leur physiologie, voire aux effets d’une épidémie qui les aurait décimés. Les nouvelles données archéologiques et les progrès dans la compréhension de notre génome ont complètement transformé la façon dont nous pouvons maintenant raconter notre histoire commune avec les Néandertaliens.</p>
<h2>Europe centrale : le territoire partagé par les deux espèces</h2>
<p>La densité de population en Eurasie au cours du <a href="https://recyt.fecyt.es/index.php/CUGEO/article/view/89346">Pléistocène supérieur</a>, il y a environ 129 000 ans, devait être très faible. Il ne s’agit pas d’un simple chiffre, mais d’une prise en compte des possibilités de rencontres qui ont pu avoir lieu dans le passé entre les deux communautés. Néandertaliens comme Sapiens étaient alors très peu nombreux.</p>
<p>Nous ne disposons pas de données fiables quant au Paléolithique moyen, mais nous avons des données du début du Paléolithique supérieur (Aurignacien), où l’on estime qu’il y avait entre 900 et 3 800 personnes en Europe centrale. En d’autres termes, les habitants de ce qui pourrait être aujourd’hui un petit village étaient répartis dans toute l’Europe centrale. Si l’on considère une zone habitable de plus de 10 millions de km<sup>2</sup>, la <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0211562">densité de population</a> était très faible, environ 0,103 personne/100 km<sup>2</sup>.</p>
<p>En plus de la faible densité de population, les lieux de résidence (grottes, abris ou lits de rivière) ont été réutilisés à plusieurs reprises par les mêmes groupes au fil du temps. Ainsi, les possibilités de contact entre les deux espèces ont dû être très limitées.</p>
<h2>Il y a eu plus de rencontres que prévu</h2>
<p>Les rencontres entre Néandertaliens et Sapiens ont été plus nombreuses qu’il n’y paraît, et pas seulement pour des raisons de concurrence.</p>
<p>Les experts ont pu séquencer l’ADN néandertalien dans des restes humains tels que ceux de <a href="https://los13delsidron.com/el-codigo.html">El Sidrón (Asturies)</a>, <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.aao1887">Vindija (Croatie)</a> ou <a href="http://www.ncbi.nlm.nih.gov/entrez/query.fcgi?cmd=Retrieve&db=PubMed&list_uids=20448178&dopt=Abstract">Mezmaiskaya (Russie)</a>, et nous avons pu commencer à faire des comparaisons avec l’ADN des populations modernes, ainsi qu’avec les premiers sapiens arrivés en Europe.</p>
<p>L’importance du séquençage a récemment culminé avec l’attribution du prix Nobel de médecine à son pionnier, <a href="https://theconversation.com/svante-paabo-un-prix-nobel-pour-la-saga-de-ladn-ancien-99190">Svante Pääbo</a>, de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutive de Leipzig, en Allemagne. Cette comparaison confirme que les relations entre ces groupes humains étaient plus fréquentes qu’on ne le pensait. Il est également contradictoire que des espèces différentes puissent avoir une descendance commune. Mais nous savons aujourd’hui que nous avons une charge génétique comprise entre 1 et 4 % d’ADN néandertalien, même si tous les Sapiens ne présentent pas de traces d’hybridation, comme c’est le cas des populations africaines.</p>
<p>En 2018, la découverte des restes d’une fillette, fille d’une femme néandertalienne et d’un <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/06/23/le-mystere-de-denisova-sur-france-5-a-la-decouverte-d-un-humain-du-troisieme-type-en-siberie_6131775_3246.html">Homme de Denisova</a>, a confirmé que le métissage était un processus viable.</p>
<p>Récemment, des restes humains provenant du site de Bacho Kiro en Bulgarie et de Zlatý kůň en <a href="https://www.nature.com/articles/s41559-021-01443-x">République tchèque</a> ont confirmé que les <a href="https://doi.org/10.1038%2Fs41586-021-03335-3">contacts étaient fréquents</a>.</p>
<p>Pour l’instant, les rencontres ont dû être limitées à des contextes géographiques et chronologiques spécifiques. Nous savons au moins qu’ils ont pu se produire dans les montagnes de l’Altaï en Sibérie il y a environ 100 000 ans, au Proche-Orient il y a environ 60 000 ans et en Europe centrale il y a environ 40 000 ans, et tout cela sur la base des dossiers génétiques des Sapiens et des Néandertaliens.</p>
<p>La relation « d’amour » entre les deux espèces a dû se limiter à l’intégration d’individus isolés au sein de groupes étrangers. Les processus de sélection culturelle dans la descendance ont dû sculpter notre charge génétique limitée de Néandertal.</p>
<h2>Similaire mais pas identique</h2>
<p>Nous avons tendance à oublier l’importance de la culture comme facteur de différenciation entre les groupes humains. Même s’ils ne se reconnaissaient pas comme une espèce distincte, ils devaient se considérer comme différents, comme l’indique leur culture matérielle.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/488267/original/file-20221005-16-hf690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488267/original/file-20221005-16-hf690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488267/original/file-20221005-16-hf690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488267/original/file-20221005-16-hf690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488267/original/file-20221005-16-hf690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488267/original/file-20221005-16-hf690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488267/original/file-20221005-16-hf690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488267/original/file-20221005-16-hf690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Deux espèces, deux cultures. Les archives anthropologiques et industrielles de Neandertal (à gauche) et de Sapiens (à droite). Photo : Conchi Torres et Javier Baena.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Par exemple, il y a environ 300 000 ans, les premiers Sapiens ont élaboré une industrie identique à celle des Néandertaliens mais l’ont transformée en peu de temps en normes très complexes. Cependant, l’<em>Homo neanderthalensis</em> l’a maintenu <a href="https://www.nature.com/articles/nature22335">avec peu de changements jusqu’à son extinction</a>. Même en supposant que la symbologie et l’art fassent partie de la richesse culturelle des Néandertaliens, leur généralisation et leur expression <a href="https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.2021495118">ne sont en rien comparables à celles des Sapiens</a>.</p>
<p>Au cours des 100 000 dernières années de contact entre ces espèces, la culture des Néandertaliens semble sans aucun doute être la grande gagnante. Cette industrie néandertalienne, connue sous le nom de moustérienne, a été enregistrée dans des sites européens avec peu de variation depuis 300 000 ans. En fait, l’hybridation culturelle qui se produit au Proche-Orient confirme le triomphe relatif des modes de production d’outils de Neandertal sur ceux de Sapiens.</p>
<p>Peut-on considérer cela comme une domination d’une espèce sur une autre ? Il est possible que la situation socio-démographique ait conditionné une réponse culturelle en faveur des Néandertaliens, mais la flexibilité et la plasticité de Sapiens ont pu être la clé de cette absorption du Moustérien pendant la <a href="https://www.nature.com/articles/nature13621">période où les deux espèces sont entrées en contact</a> sur une période d’environ 5 000 ans.</p>
<p>Contrairement au sentiment territorial marqué des Néandertaliens, les Sapiens ont peut-être modelé leur occupation d’un même territoire avec une plus grande mobilité, épuisant progressivement les ressources traditionnelles de l’espèce « concurrente ».</p>
<h2>Une bataille gagnée d’avance</h2>
<p>Les Néandertaliens étaient capables de s’adapter à des changements climatiques difficiles et d’exploiter des environnements et des ressources variés grâce à une technologie complexe.</p>
<p>C’est peut-être leur immobilité culturelle, associée aux nouvelles conditions créées par l’arrivée sporadique et peut-être précoce de Sapiens en Eurasie, qui a déterminé leur dissolution progressive au profit de Sapiens, qui était capable d’effectuer des migrations agiles et de s’adapter à l’environnement avec une plus grande flexibilité.</p>
<p>C’était une « guerre » lente mais gagnée d’avance. Il n’est pas facile de savoir si les derniers groupes néandertaliens étaient conscients de leur propre extinction et s’ils ont laissé leurs traces dans des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277379118308722">bastions isolés</a>.</p>
<p>Ce conflit interespèces a donné lieu à des rapports sexuels, mais apparemment avec peu d’amour. Sinon, l’ADN de Neandertal serait beaucoup plus présent dans les groupes humains qui ont évolué en Europe.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192220/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Javier Baena Preysler reçoit des fonds du Ministère de l'Economie, de l'Industrie et de la Compétitivité par le biais de l'Agence d'Etat pour la Recherche et de l'Union Européenne par le biais du FEDER sous PROJECT/AEI/10.13039/501100011033.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Concepción Torres Navas reçoit un financement de l'Agence d'État pour la recherche et les fonds européens par le biais du contrat avec REF BES-2017-079805.</span></em></p>Les Néandertaliens et les Sapiens ont partagé le même monde pendant 100 000 ans. Mais si seule une des deux espèces a survécu, des rencontres ont bel et bien eu lieu.Javier Baena Preysler, Catedrático de Prehistoria, Universidad Autónoma de MadridConcepción Torres Navas, Investigadora postdoctoral Prehistoria, Universidad Autónoma de MadridLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1919012022-10-04T14:58:47Z2022-10-04T14:58:47ZPrix Nobel de médecine 2022 : les découvertes de Svante Pääbo sur l’ADN ancien révèlent ce qui fait de nous des êtres humains<p>Le <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/2022/press-release/">prix Nobel</a> de médecine 2022 a été attribué à Svante Pääbo, du <em>Max Planck Institute for Social Anthropology</em> à Leipzig, en Allemagne, « pour ses découvertes relatives aux génomes des hominines disparus et l’évolution humaine ».</p>
<p>En d’autres termes, Pääbo s’est vu décerner ce prestigieux prix pour avoir séquencé les génomes de nos parents éteints, les Néandertaliens et les Dénisoviens, et pour le fait que ces découvertes ont permis d’obtenir des informations inédites sur l’évolution humaine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1576867617536503808"}"></div></p>
<p>Pääbo est largement considéré comme le pionnier de l’<a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.86.6.1939?url_ver=Z39.88-2003&rfr_id=ori%3Arid%3Acrossref.org&rfr_dat=cr_pub++0pubmed">ADN ancien</a>, un domaine de recherche consacré à la récupération et à l’analyse de l’ADN des vestiges historiques et préhistoriques.</p>
<p>Svante Pääbo a obtenu son doctorat en sciences médicales à l’Université d’Uppsala en Suède au <a href="https://fof.se/artikel/2005/7/han-laser-forntidens-dna/">début des années 1980</a>, et il a également étudié l’égyptologie pendant ses études. Ce bagage lui a permis d’utiliser les outils de la biologie moléculaire, tirés de son expertise en sciences médicales, pour mieux comprendre la préhistoire humaine.</p>
<h2>Extraire l’ADN des os anciens</h2>
<p>À partir des années 1980, Pääbo a étudié <a href="https://academic.oup.com/nar/article/16/20/9775/2378566">l’ADN ancien</a> dans des matériaux allant des humains momifiés aux <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.86.6.1939">paresseux terrestres éteints</a>. Ce travail était <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC309938/pdf/nar00065-0302.pdf">difficile d’un point de vue technique</a>, car l’ADN ancien se dégrade très facilement et peut être contaminé.</p>
<p>Au cours de la décennie qui a suivi, il a mis au point une série de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/8020612/">méthodes et de lignes directrices</a> pour récupérer et interpréter l’ADN ancien et réduire au minimum le risque de contamination par des sources modernes, notamment par des humains contemporains.</p>
<p>Au début des années 1990, la possibilité de récupérer de l’<a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.7973705">ADN de dinosaures</a> suscite un vif intérêt dans le domaine. Toutefois, compte tenu de ses connaissances sur la façon dont l’ADN se <a href="https://www.cell.com/fulltext/S0092-8674(00)80306-2">dégrade avec le temps</a>, Pääbo doutait que l’ADN puisse survivre aussi longtemps. On lui a par la suite donné raison.</p>
<p>Pour beaucoup de ses collègues, il était clair que l’objectif de Pääbo était de récupérer l’ADN de Néandertalien. Mais il a pris son temps, et a soigneusement développé les méthodes de récupération et d’authentification de l’ADN ancien jusqu’à ce que ces méthodes soient suffisamment matures pour atteindre cet objectif.</p>
<p>Enfin, en 1997, Pääbo et ses collègues ont publié les premières <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0092867400803104">séquences d’ADN néandertaliennes</a>. En 2010, ils ont publié l’intégralité du <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.1188021">génome de Néandertal</a> (c’est-à-dire toute l’information génétique stockée dans l’ADN d’un Néandertalien).</p>
<p>Quelques années plus tard, le groupe a également publié le génome d’un type d’humain inconnu jusqu’alors, les <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.1224344">Dénisoviens</a>, apparentés de loin aux Néandertaliens. Ce séquençage était basé sur un fragment d’os vieux de 40 000 ans, découvert dans la grotte de Denisova, en Sibérie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Représentation d’une famille néandertalienne errant dans la jungle" src="https://images.theconversation.com/files/487855/original/file-20221003-12-wwstjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487855/original/file-20221003-12-wwstjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487855/original/file-20221003-12-wwstjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487855/original/file-20221003-12-wwstjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487855/original/file-20221003-12-wwstjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487855/original/file-20221003-12-wwstjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487855/original/file-20221003-12-wwstjv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les découvertes de Pääbo nous montrent que les séquences génétiques de nos parents éteints influencent la physiologie des humains modernes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/tribe-huntergatherers-wearing-animal-skin-holding-1595953543">(Shutterstock)</a></span>
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</figure>
<p>Grâce à la possibilité de comparer ces séquences avec les génomes humains, l’un des résultats les plus importants des travaux de Pääbo est que de nombreux humains modernes sont porteurs d’une petite proportion d’ADN provenant des Néandertaliens et des Dénisoviens. Les humains modernes ont acquis ces bribes d’ADN par hybridation, lorsque les humains modernes et archaïques se sont mélangés, lors de l’expansion des humains modernes en Eurasie au cours de la dernière période glaciaire.</p>
<p>Par exemple, certains gènes néandertaliens influent sur la façon dont notre système immunitaire <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2026309118">réagit aux infections</a>, dont la Covid-19. La version dénisovienne d’un gène appelé EPAS1, quant à elle, aide les gens à survivre en haute altitude. Elle est fréquente chez les Tibétains des temps modernes.</p>
<p>Parallèlement, en comparant les génomes des Néandertaliens et des Dénisoviens avec ceux des humains modernes, Pääbo et ses collègues ont pu mettre en évidence des mutations génétiques qui <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24679537/">ne sont pas partagées</a>.</p>
<p>Une grande partie d’entre elles sont liées à la façon dont le cerveau se développe.</p>
<p>En révélant les différences génétiques qui distinguent les êtres humains vivants de leurs ancêtres disparus, les découvertes influentes de Pääbo constituent la base de l’exploration de ce qui fait de nous des êtres humains uniques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191901/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Love Dalén a reçu des financements du Conseil suédois de la recherche. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anders Götherström a reçu des financements du Conseil suédois de la recherche.</span></em></p>Le prix Nobel de physiologie ou de médecine pour 2022 a été attribué à Svante Pääbo, dont les découvertes ont été déterminantes pour la compréhension de notre histoire évolutive.Love Dalén, Professor in Evolutionary Genetics, Centre for Palaeogenetics, Stockholm UniversityAnders Götherström, Professor in Molecular Archaeology, Department of Archaeology and Classical Studies, Stockholm UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1889402022-08-24T15:00:12Z2022-08-24T15:00:12ZNouvelle découverte : il y a 7 millions d’années, l’humanité se tenait déjà sur ses deux pieds<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/480799/original/file-20220824-2466-zql1sf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C3532%2C2475&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Reconstruction de différents modes de locomotion dans le désert du Djourab (Tchad).</span> <span class="attribution"><span class="source">Sabine Riffaut, Guillaume Daver, Franck Guy / Palevoprim / CNRS – Université de Poitiers / MPFT</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>L’étude des espèces actuelles désigne assez clairement la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-methode-scientifique/grand-entretien-avec-guillaume-lecointre-8901813">place de l’humanité dans le vivant</a> : juste aux côtés des chimpanzés et des bonobos. Toutefois, cela ne nous dit pas grand-chose sur nos premiers représentants, sur leur biologie et sur leur distribution géographique – bref, sur la manière dont nous sommes devenus humains. Pour cela, il faut essentiellement compter sur la morphologie de trop rares fossiles, les informations <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pal%C3%A9og%C3%A9n%C3%A9tique">paléogénétiques</a> n’étant conservées que pour des périodes récentes – et encore sous des climats plutôt frais !</p>
<p>Ainsi, depuis les années 1960-1970 et la mise en évidence de l’âge très ancien des australopithèques – incluant la fameuse <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lucy_(australopith%C3%A8que)">Lucy</a> âgée de 3,18 <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Million_d%27ann%C3%A9es">Ma</a>, découverte en 1974 en Éthiopie – <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bip%C3%A9die">l’acquisition de la bipédie</a> est considérée comme une étape déterminante de l’évolution humaine, une caractéristique essentielle qui marquerait le passage du non-humain à l’humain bien avant le fort accroissement de notre cerveau.</p>
<p>Notre étude, publiée aujourd’hui 24 août dans <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-022-04901-z"><em>Nature</em></a>, des restes du squelette de <a href="https://www.medecinesciences.org/fr/articles/medsci/full_html/2006/04/medsci2006223p250/medsci2006223p250.html"><em>Sahelanthropus tchadensis</em></a>, candidat au titre de plus ancien représentant connu de l’humanité, était donc attendue. Alors, bipède ou pas bipède – sous-entendu, humain ou pas humain ? En réalité, poser la question dans ces termes frôle le <a href="https://www.editions-hermann.fr/livre/9791037002082">raisonnement circulaire</a>.</p>
<p>Le dernier ancêtre que nous partageons avec les chimpanzés n’ayant pas été découvert, nous ne connaissons pas l’état initial de la locomotion humaine – bipède ou non.</p>
<h2>Les premiers représentants de l’humanité étaient-ils bipèdes ?</h2>
<p>Les données les plus anciennes dont nous disposions jusqu’ici étaient les os des membres d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Orrorin_tugenensis"><em>Orrorin</em></a> (6 Ma, Kenya) et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ardipith%C3%A8que"><em>Ardipithecus</em></a> (5,8 Ma-4,2 Ma, Éthiopie), qui pratiquaient un type de bipédie différent de celui des espèces plus récentes. La bipédie n’est finalement pas un caractère invariant de l’humanité, car elle a une histoire au sein de notre histoire ! La bonne question est donc : les premiers représentants de l’humanité étaient-ils bipèdes, et si oui, dans quelle mesure et comment ? C’est à cette question que <a href="http://palevoprim.labo.univ-poitiers.fr/missing-limbs/">notre équipe</a> franco-tchadienne souhaitait apporter des éléments en étudiant les restes nettement plus anciens (<a href="https://emf.fr/442/une-etude-confirme-lage-de-toumai-le-plus-ancien-pre-humain-connu-a-bien-7-millions-dannees/">environ 7 Ma</a>) de <em>Sahelanthropus</em>.</p>
<p><em>Sahelanthropus</em> a été initialement <a href="https://www.nature.com/articles/nature00879">décrit en 2002</a> sur la base d’un crâne (surnommé Toumaï) bien conservé quoique déformé par la fossilisation et de quelques autres spécimens cranio-dentaires découverts par la <a href="http://palevoprim.labo.univ-poitiers.fr/2018/06/19/tchad/">Mission Paléoanthropologique Franco-Tchadienne</a> (fondée et dirigée par Michel Brunet) à Toros-Ménalla dans le désert du Djourab, au Tchad, représentant au moins trois individus. C’est d’abord sur la morphologie des dents, de la face et de l’arrière-crâne que cette espèce a été <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gJPJ3AlLs8w">rapprochée des fossiles humains plus récents</a>.</p>
<p>Les os des membres décrits dans <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-022-04901-z">notre article</a> incluent un fémur partiel gauche (os de la cuisse) et deux ulnae gauche et droit (l’ulna, ou cubitus, est avec le radius l’un des deux os de l’avant-bras ; c’est lui qui forme notre coude). Ces os ont été découverts dans la même localité et la même année que ce crâne mais <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-018-00972-z">ont été identifiés ultérieurement</a>, en 2004. Ils appartiennent très vraisemblablement à la même espèce que le crâne, car un seul grand primate a été identifié sur près de 13 800 fossiles représentant une centaine de vertébrés différents collectés dans environ 400 localités à Toros-Ménalla. Par contre, on ne sait pas si ce fémur, ces ulnae et le crâne appartiennent au même individu, car il y a au moins trois individus différents découverts sur ce site.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/480802/original/file-20220824-2022-l86cnx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Modèles numérisés en 3D des trois os des membres de TM 266 attribués à Sahelanthropus tchadensis (à gauche, le fémur en vues postérieure et médiale ; à droite, les deux ulnae en vues antérieure et latérale)" src="https://images.theconversation.com/files/480802/original/file-20220824-2022-l86cnx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/480802/original/file-20220824-2022-l86cnx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/480802/original/file-20220824-2022-l86cnx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/480802/original/file-20220824-2022-l86cnx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/480802/original/file-20220824-2022-l86cnx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/480802/original/file-20220824-2022-l86cnx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/480802/original/file-20220824-2022-l86cnx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Modèles numérisés en 3D des trois os des membres de TM 266 attribués à Sahelanthropus tchadensis (à gauche, le fémur en vues postérieure et médiale ; à droite, les deux ulnae en vues antérieure et latérale).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Franck Guy/Palevoprim (CNRS & Université de Poitiers)/MPFT</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>L’analyse de ce matériel, débutée en 2004, a été considérablement ralentie pour diverses raisons, incluant notamment la priorité donnée aux recherches de terrain d’autres restes postcrâniens et à d’autres travaux, ainsi que la difficulté de l’analyse de ce matériel fragmentaire nécessitant des expertises complémentaires. Relancée en 2017, il a fallu cinq années pour la mener à son terme.</p>
<h2>Des os étudiés sous toutes les coutures</h2>
<p>La préservation de ces os longs n’étant pas très bonne (le fémur, par exemple, a perdu ses deux extrémités), une <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/une-etude-inattendue-suggere-que-toumai-marchait-a-quatre-pattes_149301">analyse succincte</a> ne permet pas de fournir des interprétations fiables. Nous les avons donc étudiés sous toutes les coutures, à la fois dans leur morphologie externe et leurs structures internes. Afin de diminuer l’incertitude, nous avons employé diverses approches, incluant des observations directes et des mesures biométriques, ainsi que des analyses d’images 3D des analyses de forme (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Morphom%C3%A9trie">morphométrie géométrique</a>) et des indicateurs biomécaniques – un travail rarement aussi poussé pour ce type d’étude. Vingt-trois critères ont été comparés à un ensemble de spécimens actuels et fossiles aussi large que possible. Pris séparément, aucun de ces critères ne permet de proposer une interprétation catégorique du matériel – il n’y a pas de caractères « magiques » en paléoanthropologie – et chacun d’entre eux fera certainement l’objet de discussions au sein de la communauté des paléoanthropologues.</p>
<p>Par contre, pris tous ensembles, ces caractères aboutissent à une interprétation de ces fossiles bien plus parcimonieuse que toute autre hypothèse alternative. Cette combinaison indique ainsi que <em>Sahelanthropus</em> pratiquait une bipédie habituelle – c’est-à-dire de manière systématique dans un contexte donné. En l’occurrence, cette bipédie était probablement utilisée pour des déplacements au sol ainsi que dans les arbres. Dans ce dernier cas, elle était très probablement accompagnée d’un autre mode de déplacement : une quadrupédie assurée par des prises fermes de la main qui permettent de saisir les branches, différant clairement de la quadrupédie pratiquée par les gorilles et les chimpanzés qui prennent appui sur le dos de leurs phalanges (« knuckle walking »).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/480803/original/file-20220824-16-zql1sf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/480803/original/file-20220824-16-zql1sf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/480803/original/file-20220824-16-zql1sf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/480803/original/file-20220824-16-zql1sf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/480803/original/file-20220824-16-zql1sf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/480803/original/file-20220824-16-zql1sf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/480803/original/file-20220824-16-zql1sf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/480803/original/file-20220824-16-zql1sf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Relations de parentés des humains, des gorilles et des chimpanzés. La bipédie est devenue progressivement le mode locomoteur dominant au sein du rameau humain à partir d’une combinaison de bipédie et de grimper arboricole, telle que documentée par Sahelanthropus.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Franck Guy/CNRS/Université de Poitiers)/MPFT</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ces résultats convergents avec les observations menées sur <em>Orrorin</em> et <em>Ardipithecus</em> ont plusieurs implications. Tout d’abord, ils renforcent le concept d’une forme de bipédie très précoce dans l’histoire de l’humanité coexistant avec d’autres modes de locomotion. Il n’y a donc pas eu d’apparition soudaine d’une caractéristique « propre » à l’humanité depuis ses débuts, mais une longue et lente transition sur des millions d’années. Au temps pour le mythe fondateur censé nous démarquer du reste de la biodiversité ! Au contraire, cette phase de l’évolution humaine s’est déroulée selon des modalités tout à fait communes au cours de l’histoire du vivant et du globe, rappelant que l’humanité est un fragment de la biodiversité – un constat qui devrait nous amener à repenser notre attitude envers le <a href="https://theconversation.com/rapport-de-lipbes-sur-la-biodiversite-lheure-nest-plus-aux-demi-mesures-116473">monde vivant</a> et les <a href="https://theconversation.com/comprendre-la-notion-de-limites-planetaires-145227">paramètres</a> qui régissent l’hospitalité de notre planète.</p>
<p><em>Sahelanthropus</em>, <em>Orrorin</em> et <em>Ardipithecus</em> suggèrent également par leurs caractères que l’ancêtre que nous partageons avec les chimpanzés ne ressemblait ni à ces derniers, ni aux bipèdes exclusifs que nous sommes devenus. Contrairement à l’hypothèse d’une conservation de la morphologie ancestrale <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-022-02226-5">par les chimpanzés et les bonobos</a>, leur combinaison particulière de grimper vertical et de <em>knuckle walking</em> a plus probablement évolué bien après notre divergence.</p>
<p>Enfin, si <em>Sahelanthropus tchadensis</em> est un témoin de la diversité humaine parmi d’autres, elle est à ce jour la seule espèce bipède habituelle avérée connue à cet âge. En considérant l’ensemble du registre fossile hominoïde faiblement diversifié d’Afrique et d’Eurasie à la fin du Miocène (après 10 Ma), l’acquisition de la bipédie par le rameau humain sur le continent africain reste à ce jour la seule hypothèse bien documentée. Cette bipédie semble à ce stade faire partie d’un répertoire locomoteur opportuniste (flexible, pouvant tirer parti de différents milieux), ce qui correspond bien au paléoenvironnement diversifié de Toros-Ménalla tel que reconstitué par les géologues, paléobotanistes et paléontologues de notre équipe.</p>
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<p>Ce travail a été développé grâce à une collaboration scientifique nord-sud forte en matière de paléoanthropologie, en l’occurrence entre le laboratoire <a href="http://palevoprim.labo.univ-poitiers.fr/2018/06/19/tchad/">PALEVOPRIM</a>, le département de paléontologie de l’<a href="https://www.universite-ndjamena.td/">Université de N’Djamena</a> et le <a href="https://www.cnar-cnrd.org/index.php/accueil">Centre National de Recherche pour le Développement</a>. Alors que ces trois os, appartenant au patrimoine tchadien, vont prochainement retourner dans leur pays, cette collaboration fructueuse va se poursuivre par de nouvelles études de ce matériel mais également de nouvelles recherches sur le terrain, sur les traces du très regretté Yves Coppens, <a href="https://theconversation.com/laustralopitheque-lucy-ne-fut-pas-la-seule-passion-dyves-coppens-185927">pionnier des recherches paléontologiques au Tchad</a>.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit par Abderamane Moussa (Université de N’Djamena, Tchad).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188940/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Renaud Boisserie est chercheur associé au Centre français des études éthiopiennes à Addis Abeba.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Andossa Likius, Clarisse Nekoulnang Djetounako, Franck Guy, Guillaume Daver, Laurent Pallas, Mackaye Hassane Taisso et Patrick Vignaud ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Une toute nouvelle étude dévoile le mode de locomotion de nos très anciens ancêtres, des humains capables de marcher mais aussi d’évoluer dans les arbres.Jean-Renaud Boisserie, Directeur de recherche au CNRS, paléontologue, Université de PoitiersAndossa Likius, Mission Paléoanthropologique Franco-Tchadienne, Université de N'Djamena (Tchad)Clarisse Nekoulnang Djetounako, Enseignante chercheure en paléontologie, Université de N'Djamena (Tchad)Franck Guy, Paléoanthropologue, Université de PoitiersGuillaume Daver, Maîtres de conférences en paléoanthropologie, Université de PoitiersLaurent Pallas, Paléontologue, Kyoto UniversityMackaye Hassane Taisso, Paléontologue, Université de N'Djamena (Tchad)Patrick Vignaud, Pr. Paléontologie, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1849832022-06-21T19:19:55Z2022-06-21T19:19:55ZJoseph : « Pourquoi habite-t-on dans des maisons et non dans des grottes comme à la préhistoire ? »<p>Durant la préhistoire, les êtres humains n’habitaient pas que dans des grottes. Il est vrai que de nombreux sites préhistoriques sont situés à l’entrée de grottes. C’est le cas, par exemple, du très fameux abri de la Madeleine, situé en Dordogne, où les archéologues ont mis à jour, entre autres, des outils en pierre ou en os de rennes vieux de plus de 10 000 ans. Mais, il existe aussi de nombreux sites dits « de plein air » où ont été mises à jour les traces de tentes ou de cabanes.</p>
<p>Sur le site de Pincevent en Seine-et-Marne, par exemple, l’archéologue André Leroi-Gourhan et ses collaborateurs ont mis à jour des pierres disposées en cercle qui pourraient avoir délimité l’emplacement de tentes, plantées là il y a quelque 12 300 ans.</p>
<p>Sur le site Gontsy en Ukraine, les fouilles conduites sous la direction de Lioudmila Iakovleva et François Djindjian ont permis d’exhumer les vestiges de six cabanes vieilles de 15 000 ans, construites en os de mammouth !</p>
<p>Durant la préhistoire, les êtres humains habitaient ainsi au moins deux types d’habitats : des cavernes ou des cabanes, et ils pourraient même avoir construit des cabanes dans des cavernes !</p>
<p>De nos jours, les êtres humains n’habitent pas que des maisons. Certes, en de nombreuses régions du globe, la maison, souvent associée à un jardin, compte parmi les types d’habitats domestiques courants. Mais, certaines populations vivent encore dans des grottes (habitats troglodytes), comme la communauté gitane qui réside dans les grottes du quartier du Sacromonte à Grenade (Espagne) depuis le Moyen-Âge.</p>
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<img alt="Intérieur d’une grotte du Sacromonte, dans la ville de Grenade, en Espagne" src="https://images.theconversation.com/files/470046/original/file-20220621-23-d93f6j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/470046/original/file-20220621-23-d93f6j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/470046/original/file-20220621-23-d93f6j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/470046/original/file-20220621-23-d93f6j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/470046/original/file-20220621-23-d93f6j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/470046/original/file-20220621-23-d93f6j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/470046/original/file-20220621-23-d93f6j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Grotte du Sacromonte, dans la ville de Grenade, en Espagne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Museo-cuevas_del_Sacromonte#/media/Fichier:Vivienda_gitana_reconstituida,_Museo-cuevas_del_Sacromonte_(Granada)_-_2.jpg">Eunostos/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Tandis que d’autres vivent sous des tentes, dans des cases, dans des igloos, dans des caravanes, à bord de sampan (bateaux chinois), dans des châteaux, dans des barres de logements, en haut de gratte-ciel, dans des stations polaires, etc.</p>
<p>À ces habitats bien réels s’ajoutent ceux qui existent dans notre imagination. Certains ne seront sans doute jamais construits, comme la maison en pain d’épices d’Hansel et Gretel ou le palais de la Reine des Glaces, tandis que d’autres le seront peut-être un jour, comme la station spatiale <em>Lunar Gateway</em> que la NASA projette de placer en orbite autour de la lune. Finalement, ce qui frappe c’est la très grande diversité de nos habitats !</p>
<p>Comment se fait-il que les êtres humains construisent et habitent des habitats si différents ? Une première explication pourrait être que la variété des habitats découle de la variété des contextes naturels. Une telle explication repose sur l’hypothèse que les formes d’habitats sont déterminées, sinon adaptées à la température, à la pluviosité, aux vents, aux sols, à la flore, à la faune propres à chaque environnement.</p>
<p>Une deuxième explication pourrait être que la variété des habitats découle de la diversité des contextes culturels, cette fois. L’hypothèse est alors que les formes d’habitats sont déterminées, sinon influencées par les savoirs, les techniques, les usages et les valeurs propres à chaque société.</p>
<p>Une troisième explication est que la diversité de l’habitat découle de l’intelligence technique des êtres humains, qui sont capables d’utiliser différemment un même lieu (l’ancien palais du Louvre, l’ancienne gare d’Orsay, l’ancienne piscine de Roubaix sont utilisés aujourd’hui pour y exposer des œuvres d’art) ou d’affecter des lieux différents à une même activité (on expose des œuvres d’art aussi bien dans un palais que dans une gare ou dans une piscine). Une telle intelligence fait que même dans des contextes naturels et culturels très exigeants il y a toujours, aux yeux des êtres humains, plusieurs possibilités en matière d’habitat.</p>
<p>Au fond, on pourrait dire que les humains n’ont pas d’habitat spécifique, et qu’il n’y a pour eux que des habitats possibles. De ce fait, il peuvent aussi bien se loger dans des cabanes, des cabines ou des cabinets que dans des grottes, des roulottes ou des châteaux de Camelot !</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dianerottner.com/">Diane Rottner</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em>Si toi aussi tu as une question, demande à tes parents d’envoyer un mail à : <a href="mailto:tcjunior@theconversation.fr">tcjunior@theconversation.fr</a>. Nous trouverons un·e scientifique pour te répondre</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184983/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Renaud Pleitinx ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les humains ne vivent pas que dans des maisons, mais sont capables de s’adapter à beaucoup d’environnements.Renaud Pleitinx, Professeur de théorie et de projet d'architecture / Professor of architectural theory and design, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1832432022-05-18T08:39:50Z2022-05-18T08:39:50ZÀ quoi ressemblaient les chiens à la préhistoire ?<p>Du chihuahua au Saint-Bernard, en passant par les lévriers barzoïs au crâne incroyablement allongé, les chiens présentent aujourd’hui une variété exceptionnelle de formes, alors que tous descendent du même ancêtre, le loup gris. Cette forte variabilité n’est que très récente, puisqu’elle est liée aux sélections intensives menées ces 200 dernières années pour la création des <a href="http://www.fci.be/fr/Presentation-de-notre-organisation-4.html">355 races aujourd’hui reconnues par la Fédération Cynologique Internationale</a>. Mais que sait-on de l’aspect des premiers chiens, à la Préhistoire ? C’est la question sur laquelle nous nous sommes penchés dans notre article publié aujourd’hui <a href="https://doi.org/10.1098/rspb.2022.0147">18 mai dans la revue scientifique <em>Proceedings of the Royal Society B</em></a>.</p>
<p>Nos recherches ont montré, pour la première fois, qu’à cette période très ancienne les chiens présentaient déjà une grande variété de tailles et de formes de têtes.</p>
<h2>Tous les chiens actuels proviennent d’un même ancêtre</h2>
<p>Tous les chiens proviennent d’un même ancêtre : le loup gris. Il y a <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.aaf3161">au moins 15 000 ans</a> au Paléolithique supérieur (la date et le lieu exacts de la domestication restent sujets à débat), des loups peu craintifs et agressifs appartenant à une lignée aujourd’hui éteinte auraient été attirés par les campements humains, probablement pour profiter des restes de nourriture. Les hommes préhistoriques se seraient ensuite rapprochés de ces loups, ceux-ci leur apportant une aide pour chasser ou pour protéger leurs campements contre les attaques d’autres prédateurs. Nous aurions apprivoisé les moins sauvages d’entre eux, les faisant se reproduire et les domestiquant ainsi au fil du temps.</p>
<p>Cette domestication s’est accompagnée de nombreuses modifications génétiques, physiologiques, comportementales et même physiques, la plupart étant involontaires. Parmi les changements morphologiques, les archéozoologues (les experts des relations homme-animal dans le passé) et paléogénéticiens ont relevé des variations dans la couleur du pelage, une diminution de la taille, des différences entre mâles et femelles moins marquées et la conservation de traits plutôt juvéniles, ce qui se traduit par des modifications dans les dimensions du crâne avec un museau fortement marqué et raccourci et des anomalies dentaires (absence ou rotation de certaines dents) plus fréquentes par manque de place.</p>
<p>D’ailleurs, une <a href="https://evolution-outreach.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12052-018-0090-x">étude</a> conduite depuis les années 60 en Sibérie a montré qu’en sélectionnant les renards les plus curieux et les moins agressifs au fil des générations (recréant par la même les hypothétiques conditions des premiers rapprochements entre hommes et loups), les animaux devenaient de plus en plus dociles, leur taux de stress (apprécié par la sécrétion de cortisol) diminuant, et qu’ils présentaient les mêmes différences morphologiques que celles constatées par les archéozoologues lors du passage du loup au chien. La domestication aurait aussi <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1820653116">modifié l’anatomie des muscles de la face</a>, de façon à permettre le haussement des sourcils.</p>
<h2>Une diversification des chiens dès le Néolithique ?</h2>
<p>Plus tard au cours du Néolithique en Eurasie occidentale, les humains ont progressivement opté pour une vie sédentaire et tournée vers l’agriculture. Ces changements dans notre mode de vie ont très probablement affecté nos acolytes canins, les rendant encore plus différents de leur ancêtre sauvage. Les hommes préhistoriques ont notamment pu sélectionner des morphologies adaptées à la réalisation de certaines tâches, comme la chasse au grand gibier ou la défense des campements et des villages.</p>
<p>Toutefois, seules quelques études ont tenté de décrire la morphologie des chiens à partir de restes osseux. Par exemple, une étude écossaise a tenté une <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2019/apr/13/neolithic-dog-reveals-tales-behind-orkney-monuments">reconstitution faciale à partir du crâne d’un chien daté d’il y a environ 4 500 ans</a> et trouvé dans une nécropole de la région de Cuween Hill sur l’archipel écossais des Orcades. Sur les ossements reconstitués, dont la taille évoque notre border collie moderne, du silicone et de l’argile ont été utilisés pour reconstruire le volume des muscles. Une peau a ensuite été ajoutée, la fourrure ayant été choisie de façon à rappeler le loup gris européen. Une reconstruction similaire a été faite récemment pour un chien <a href="https://www.mdpi.com/2076-3417/12/10/4867">encore plus vieux, daté d’il y a environ 7 600 ans</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fB9mljiIhrA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Reconstruction faciale d’un chien néolithique d’environ 4 500 ans.</span></figcaption>
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<p>D’autres études, malheureusement éparses, se sont basées sur des mesures réalisées sur les ossements pour décrire la forme de ces chiens préhistoriques. Ces recherches se heurtent au problème de la conservation des restes osseux (les restes crâniens sont rares et souvent très fragmentés), se réfèrent à de petits échantillons et se limitent à l’étude de certaines régions ou périodes, sans chercher à avoir une approche plus globale de la variabilité des chiens en Europe à l’échelle de la Préhistoire. De plus, la méthode utilisée est de manière générale très rudimentaire et ne permet pas de décrire précisément la forme des os (on dispose au mieux d’estimations de robustesse ou de la hauteur au garrot à partir de mesures faites sur les os longs, et d’indications de taille à partir de mesures faites sur les éléments du crâne). Ainsi, jusqu’à ce jour, aucune étude ne documentait précisément et de manière fiable la variabilité morphologique des chiens à l’échelle de la Préhistoire et de l’Europe.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1098/rspb.2022.0147">Dans notre étude</a>, nous avons étudié un échantillon de plus de 500 mâchoires inférieures (mandibules) de chiens européens datés de 11 100 à 5 000 ans avant nos jours, soit du Mésolithique au tout début de l’Âge du Bronze, quand les chiens étaient déjà bien différenciés des loups. Nous nous sommes basés sur la mandibule car c’est l’ossement le plus fréquent et le mieux conservé en contexte archéologique. De plus, la <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11692-020-09515-9">mandibule reste un bon indicateur de la forme générale de la tête</a> et elle peut être utilisée pour <a href="https://journals.biologists.com/jeb/article/223/16/jeb224352/223640/Bite-force-and-its-relationship-to-jaw-shape-in">donner un sens fonctionnel aux variations de formes observées</a>. On peut donc estimer si les muscles masticateurs étaient plus ou moins développés, et lesquels agissaient le plus lors de la morsure.</p>
<p>Nous avons utilisé des méthodes 3D pour décrire précisément la forme de ces mandibules, c’est-à-dire la taille et les proportions au sein de l’os. Pour quantifier cette variabilité et la comparer à celle de nos chiens actuels, nous avons utilisé un référentiel constitué d’une centaine de chiens modernes de races variées ou retournées à l’état sauvage (dingos australiens), ainsi que de quelques loups (modernes et anciens).</p>
<h2>Les résultats de notre étude</h2>
<p>Notre étude a montré, pour la première fois, qu’à cette période très ancienne les chiens présentaient déjà une grande variété de tailles et de formes de têtes. Les chiens préhistoriques européens avaient soit des mandibules de taille équivalente à certains chiens de taille moyenne actuels comme le husky ou le golden retriever, soit de taille équivalente à nos beagles actuels, voire même de petits chiens comme le loulou de Poméranie (aussi appelé spitz nain) ou le teckel. Dans tous les cas, ils avaient tous des mâchoires nettement plus petites que le plus petit des loups modernes ou archéologiques de notre échantillon. Nous n’avons pas trouvé de taille extrêmement grande (comme les rottweilers modernes ou les lévriers barzoïs par exemple) ou extrêmement petite (comme le yorkshire ou le chihuahua). </p>
<p>En termes de forme non plus, nous n’avons pas identifié de forme très extrême, donc pas d’équivalent aux races très modifiées comme le rottweiler, le lévrier barzoï, le bouledogue français, le teckel ou encore le chihuahua. La plupart des chiens avaient une conformation moyenne, semblable aux beagles actuels ou à d’autres races comme le husky, mais il existait cependant une certaine variabilité avec des têtes plus allongées (mandibules ressemblant à celles des lévriers sloughis ou whippet, ou des loulous de Poméranie).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/463726/original/file-20220517-17-uayd01.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463726/original/file-20220517-17-uayd01.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463726/original/file-20220517-17-uayd01.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463726/original/file-20220517-17-uayd01.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463726/original/file-20220517-17-uayd01.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463726/original/file-20220517-17-uayd01.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463726/original/file-20220517-17-uayd01.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463726/original/file-20220517-17-uayd01.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Variabilité morphologique des chiens préhistoriques européens, à partir de l’étude de la mâchoire inférieure. Les chiens préhistoriques présentent une grande variabilité de taille (à gauche) et de forme (à droite) de la mandibule, avec des formes sans équivalent parmi les chiens modernes. Nous avons modélisé la forme théorique du crâne correspondant à ces formes uniques de mandibule, ce qui permet de reconstituer le profil facial de ces chiens à la morphologie « disparue ». Les loups et dingos ne sont pas représentés ici.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Colline Brassard</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si nous nous attendions à ce résultat et à cette moindre variabilité des chiens préhistoriques par rapport aux chiens modernes, nous ne nous attendions pas à ce que nous avons démontré ensuite. Nous avons mis en évidence qu’une partie de la variabilité des chiens préhistoriques ne semblait pas avoir d’équivalent parmi nos chiens actuels ni parmi les loups. Ce qui est surprenant, étant donné que nous avons fait en sorte d’inclure tous les types de morphologie possibles en intégrant les extrêmes (des petits ou grands chiens au museau court ou long, des chiens avec une morphologie crânienne peu modifiée comme les beagles ou les dingos). On aurait donc pu s’attendre à ce que les chiens préhistoriques se positionnent quelque part dans cette variabilité. </p>
<p>Il est vrai que notre échantillon moderne n’était pas exhaustif au moment de l’étude, mais nous avons depuis réalisé des analyses complémentaires en ajoutant des chiens errants (sans morphologie particulièrement sélectionnée), et il s’avère qu’ils ne suffisent pas à expliquer ces formes uniques observées chez les chiens préhistoriques européens. Il est plus que probable qu’en ajoutant des chiens au corpus moderne, on fasse toujours ce constat. Cela nous pousse à nous demander si certaines formes n’auraient pas disparu.</p>
<p>De plus, nous avons identifié des particularités anatomiques chez les chiens préhistoriques par rapport aux chiens modernes, ce qui permet à coup sûr de les reconnaître. Ces traits discriminants peuvent, entre autres, illustrer l’adaptation des chiens à des pressions de sélection liées à leur milieu et à leur mode de vie. En effet, les chiens préhistoriques européens ont des mâchoires robustes et arquées, suggérant qu’ils utilisaient davantage leur muscle temporal. Une explication possible est qu’ils se nourrissaient d’aliments plus durs et plus difficiles à mâcher que nos chiens nourris aux croquettes. Une autre hypothèse est que cela leur aurait été utile pour défendre les campements et villages ou pour aider à attraper le grand gibier lors de la chasse.</p>
<p>Enfin, nous avons montré une plus grande flexibilité au sein de la mandibule des chiens archéologiques : chez les chiens modernes, la forme de l’avant de la mâchoire est fortement liée à celle de l’arrière de la mâchoire, du fait de contraintes développementales, alors que c’est moins le cas chez les chiens préhistoriques. Cette plus grande flexibilité aurait pu permettre aux chiens de s’adapter plus facilement à des changements brusques dans le régime alimentaire par exemple.</p>
<p>Dans cette étude, nous avions pour objectif de décrire très globalement la variabilité morphologique des chiens européens à la préhistoire, en les comparant à des chiens actuels, sans chercher à expliquer cette variabilité ni à suivre l’évolution morphologique des chiens au cours de la préhistoire. De futurs travaux seront nécessaires pour décrypter, avec rigueur, comment les différences géographiques et culturelles (affectant la place accordée au chien dans les sociétés ou leur régime alimentaire) ont pu impacter la morphologie de nos alliés canins à cette période.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183243/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Colline Brassard a reçu des financements du Ministère français de lʼEnseignement supérieur, de la Recherche et de lʼInnovation, du Muséum national d'Histoire naturelle et de la Fondation Fyssen. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anthony Herrel et Stéphanie Bréhard ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les chiens préhistoriques présentaient déjà une grande variété de taille et de forme de têtes, d’après une étude publiée aujourd’hui.Colline Brassard, Docteur vétérinaire, Docteur en anatomie fonctionnelle et en archéozoologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Anthony Herrel, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Stéphanie Bréhard, Archéozoologue, maîtresse de conférences, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1808272022-05-01T16:43:14Z2022-05-01T16:43:14ZLes insectes archéologiques témoignent du passé des humains<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/456897/original/file-20220407-19-earcw3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C38%2C5105%2C2907&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les exosquelettes des insectes peuvent être très bien conservés pendant des millénaires.</span> <span class="attribution"><span class="source">Jérémy Rollin</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Ils sont partout ! Dans la maison, le jardin ou encore la forêt, les insectes ont conquis l’ensemble des niches écologiques. Donc rien de surprenant si vous en voyez tous les jours. Si vous regardez attentivement, vous verrez que ce ne sont pas les mêmes en fonction des endroits. Bien qu’ils soient présents dans tous les milieux, beaucoup d’insectes ont des exigences strictes vis-à-vis de leurs conditions de vie. Ces dernières peuvent reposer sur des équilibres physico-chimiques (température, humidité, etc.), sur la disponibilité d’une ressource alimentaire, ou encore sur le degré de lumière d’un milieu (forêt, prairie, etc.).</p>
<p>Leur présence est donc conditionnée par de nombreux facteurs environnementaux. En conséquence, les insectes réagissent aux perturbations de leur environnement, qu’elles soient dues aux pratiques humaines ou à des phénomènes naturels – les insectes sont ainsi des « bio-indicateurs de milieu ».</p>
<p>Mais si les insectes nous aident à étudier notre environnement actuel, ils peuvent aussi permettre de comprendre celui de nos ancêtres et les relations que ceux-ci ont entretenu avec leur environnement naturel ou modifié par leurs actions.</p>
<h2>Des vestiges d’insectes archéologiques</h2>
<p>L’archéoentomologie est la discipline qui étudie les vestiges d’insectes issus des sites archéologiques. N’ayant pas subi d’évolution depuis les cent derniers millénaires, les insectes archéologiques sont donc comparables aux insectes actuels. C’est en s’appuyant sur cette observation que les scientifiques sont capables de les identifier. Cela est possible grâce à leur exosquelette, c’est-à-dire leur carapace, notamment celle des coléoptères (scarabées, coccinelles…), plus résistante, pouvant se conserver sur de longues périodes sans pour autant être fossilisée. À l’image des ossements issus de fouilles archéologiques, les insectes seront conservés dans leur état actuel, mais sous forme de fragments plus ou moins dégradés nommés « sclérites ».</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/456888/original/file-20220407-18-mfl6xy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/456888/original/file-20220407-18-mfl6xy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/456888/original/file-20220407-18-mfl6xy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=581&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/456888/original/file-20220407-18-mfl6xy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=581&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/456888/original/file-20220407-18-mfl6xy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=581&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/456888/original/file-20220407-18-mfl6xy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=730&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/456888/original/file-20220407-18-mfl6xy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=730&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/456888/original/file-20220407-18-mfl6xy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=730&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Restes d’insectes archéologiques après extraction du sédiment au site archéologique « Hama » en Nouvelle-Calédonie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Rollin</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Leur état de conservation varie selon le milieu d’enfouissement. Il peut s’agir de milieux secs et confinés comme des tombes, ou de structures carbonisées comme les greniers et silos, mais ce sont les environnements humides qui sont les plus propices à leur bonne conservation (puits, douves, tourbières, etc.).</p>
<p>Pour <a href="https://www.archeozoo.org/wp-content/uploads/2016/05/1997_PONEL-YVINEC_Archeoentomologie-en-France.pdf">extraire les restes d’insectes d’une couche archéologique</a>, le sédiment prélevé sur le terrain est désagrégé délicatement dans une bassine sous un jet d’eau, puis tamisé. Les restes organiques sont ensuite imbibés de pétrole désaromatisé – auquel l’exosquelette des insectes adhère, contrairement aux débris végétaux : cette étape permet d’isoler les restes d’insectes.</p>
<p>Une fois les restes d’insectes extraits et triés, on commence par les identifier aux espèces, genres ou familles pour chaque échantillon correspondant chacun à une datation précise. Puis, puis on interprète le rôle écologique de chacun de ces insectes dans ce milieu.</p>
<p>Ainsi, il est possible d’obtenir des informations sur les sociétés passées, les conditions environnementales de l’époque, ou encore sur la façon dont les activités humaines ont modelé les environnements. Mais il est aussi possible d’aborder des questions écologiques sur les premiers insectes invasifs ou les premiers impacts des humains sur la biodiversité.</p>
<h2>Les insectes témoins des paléoclimats et des paléoenvironnements</h2>
<p>En France, il existe <a href="https://www.researchgate.net/profile/Emmanuel-Delfosse/publication/318129839_Le_nombre_d%E2%80%99especes_d%E2%80%99Insectes_connus_en_France_et_dans_le_monde_Arthropoda_Insectes/links/595b722c0f7e9bf415b48558/Le-nombre-despeces-dInsectes-connus-en-France-et-dans-le-monde-Arthropoda-Insectes.pdf">plus de 11 000 espèces de coléoptères adaptées à une diversité d’habitats</a>. Les conditions climatiques contrôlent la répartition géographique de nombreux coléoptères, notamment les prédateurs appelés « carabes » – la présence d’une espèce ou d’une autre dans le sédiment archéologique donne donc des indications sur le climat qui régnait au moment du dépôt.</p>
<p>Outre le climat, les insectes peuvent apporter de nombreuses informations sur l’environnement et son évolution sous l’influence des pratiques humaines.</p>
<p>À ce titre, les phytophages (végétariens) et xylophages (mangeurs de bois) ont une place de choix. Certaines espèces ne se développent que dans les milieux forestiers, à l’inverse d’autres qui préfèrent les milieux ouverts comme les prairies. Elles permettront ainsi d’obtenir une image du milieu, ainsi que de son couvert végétal, car les phytophages dépendent de la présence de leur plante hôte.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/456894/original/file-20220407-22-jqezo1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/456894/original/file-20220407-22-jqezo1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/456894/original/file-20220407-22-jqezo1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/456894/original/file-20220407-22-jqezo1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/456894/original/file-20220407-22-jqezo1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/456894/original/file-20220407-22-jqezo1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/456894/original/file-20220407-22-jqezo1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/456894/original/file-20220407-22-jqezo1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Chrysomèle du peuplier actuel (à gauche) et archéologique (à droite). La barre d’échelle représente 2 millimètres.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Rollin</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Parmi ces insectes spécialisés, la famille des chrysomèles illustre parfaitement cette monophagie. En effet, il existe de très nombreuses espèces, chacune adaptée à une plante ou famille de plante : chrysomèle du bouleau, de l’aulne, de la menthe ou encore altise du chou… Leur présence sur un site archéologique signifie que la plante nourricière était présente, bien que celle-ci ne soit pas conservée dans la majorité des cas.</p>
<h2>Les bousiers témoignent du début de l’amendement du sol à l’âge de Fer</h2>
<p>Les plantes nitrophiles sont celles qui aiment les sols riches en nitrate et en déchets organiques. Ces végétaux, dont le plus célèbre est sans doute la grande ortie, sont souvent typiques de milieux exploités par les humains, avec des animaux en contexte pastoral par exemple.</p>
<p>Entomologiquement, cela se traduit par la présence de ces phytophages spécialisés, mais aussi par la présence des coprophages, les fameux bousiers. Ces insectes se nourrissent des excréments des autres animaux et jouent donc un rôle indispensable, car ils recyclent la matière organique en engrais naturel et évitent par la même occasion la propagation de maladies dans l’environnement naturel et les élevages. Bien que le plus connu soit le scarabée sacré des Égyptiens, il existe en France environ 250 espèces de bousiers avec des mœurs variées. Ces espèces peuvent permettre d’attester la présence d’<a href="https://www.academia.edu/20784585/Fertilisation_des_sols_de_culture_par_les_Fumiers_et_r%C3%B4le_potentiel_des_c%C3%A9r%C3%A9ales_dans_laFFouragement_du_b%C3%A9tail_l%C3%A9clairage_des_analyses_isotopiques_sur_restes_carpologiques_et_arch%C3%A9ozoologiques">élevages en milieu forestier ou en prairie</a> ainsi que des phénomènes historiques importants comme les débuts des pratiques d’amendement du sol par la fumure à l’âge de Fer.</p>
<p>De plus, certaines espèces apprécient une large gamme d’excréments alors que d’autres sont plus strictes. Leurs exigences nous apportent des informations sur les animaux qui pâturaient, même si aucun reste osseux n’est présent.</p>
<p>Si les bousiers et autres décomposeurs sont bénéfiques dans les élevages, d’autres insectes sont plus problématiques pour le milieu agricole. Encore aujourd’hui, nous luttons contre les <a href="https://theconversation.com/deux-nouveaux-insectes-identifies-au-kenya-peuvent-aider-a-lutter-contre-les-ravageurs-du-ma-s-138364">ravageurs qui provoquent des dégâts à nos cultures et nos stocks</a>. L’histoire de ces insectes est étroitement liée aux humains et au début de l’agriculture où ces espèces sont passées du milieu naturel à un milieu anthropisé où l’abondance des ressources alimentaires (monoculture, stocks, etc.) a favorisé leurs pullulations. Pour la recherche archéologique, ces ravageurs peuvent apporter des informations sur la <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01633516">qualité sanitaire des denrées alimentaires</a> ainsi que sur les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0305440395801561">pratiques répulsives</a>. À ce titre, l’agronome romain Columelle propose des conseils sur la hauteur des tas de grain à conserver dans les greniers, parle des mesures à prendre en cas de présence de charançons dans le blé et des pertes dues aux insectes qui pouvaient dépasser 10 % des récoltes de céréales (Columelle, <em>Res rusticae</em> chapitre 6).</p>
<h2>Le charançon du blé témoin des migrations humaines et des routes commerciales</h2>
<p>Le charançon du blé (<em>Sitophilus granarius</em>) est connu depuis l’Antiquité pour causer des dégâts importants dans les stocks de céréales. Il s’agit d’une espèce qui pond et réalise son développement larvaire dans les réserves de grains entreposés (blé, seigle, orge, etc.) et qui n’a donc pas besoin de la plante vivante pour se nourrir. Cet insecte a la particularité d’être aptère, c’est-à-dire dépourvu d’ailes, ce qui le rend dépendant des migrations humaines pour ses déplacements. En accompagnant les transferts de céréales, son handicap lui donne donc le statut privilégié de témoin des transports de grains à longue distance et de leur intensification au cours de l’Histoire.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/458564/original/file-20220419-26-hzx4t2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458564/original/file-20220419-26-hzx4t2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458564/original/file-20220419-26-hzx4t2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458564/original/file-20220419-26-hzx4t2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458564/original/file-20220419-26-hzx4t2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458564/original/file-20220419-26-hzx4t2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458564/original/file-20220419-26-hzx4t2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458564/original/file-20220419-26-hzx4t2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">A : Courant de diffusion de <em>Sitophilus granarius</em> (le charançon du blé) à travers l’Histoire B : <em>Sitophilus granarius</em> actuel. C : <em>Sitophilus granarius</em> archéologique dans une céréale archéologique site « 12, rue Saint-Genest » de Nevers (IX/Xᵉ siècle).</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Rollin et M. Lemoine, J. Rollin</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Originaire d’Asie Mineure, il est possible de voir <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S027737911630542X">sa progression au Proche-Orient du Néolithique (7 000 av. J.-C.) à la Protohistoire (2500 av. J.-C.)</a>. On observe ensuite une invasion très intense de cet insecte à l’époque romaine, à partir du moment où l’urbanisation gallo-romaine devient massive (Ier siècle ap J.-C), pour enfin arriver en Amérique à l’époque moderne (XVIII<sup>e</sup> siècle).</p>
<h2>Des insectes témoins de l’impact des humains sur la biodiversité</h2>
<p>Déforestation pour l’agriculture et l’élevage, amendement des sols ou encore urbanisation : en modifiant localement les écosystèmes naturels, ces pratiques ont eu un impact sur la biodiversité entomologique en favorisant certaines espèces au détriment d’autres. En comparant les mêmes sites à différentes époques, il est possible de voir comment certains insectes ont pu s’adapter aux environnements anthropisés, puis former les premières communautés d’insectes sinanthropes (animaux sauvages vivants proches des humains : mouches, blattes, mites, etc.) ; tandis que d’autres ont dû s’éloigner ou disparaître localement suite à la destruction de leur habitat (<a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2010/08/14/le-pique-prune-scarabee-amateur-de-vieux-arbres-seme-la-discorde-chez-les-hommes_1398986_3244.html">pique-prune</a>).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/456895/original/file-20220407-11-izh5gx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/456895/original/file-20220407-11-izh5gx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=307&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/456895/original/file-20220407-11-izh5gx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=307&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/456895/original/file-20220407-11-izh5gx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=307&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/456895/original/file-20220407-11-izh5gx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=386&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/456895/original/file-20220407-11-izh5gx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=386&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/456895/original/file-20220407-11-izh5gx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=386&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Vestige antique (Ier av J.-C) du scarabée pique prune, espèce menacée par la destruction de son habitat à droite et spécimen actuel servant de référence pour identification, à gauche.</span>
<span class="attribution"><span class="source">J. Rollin</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans le même ordre d’idée, la croissance des échanges de marchandises, de denrées alimentaires étrangères ou encore de nouveaux animaux à partir de l’âge du Fer aurait pu permettre l’introduction d’insectes et de parasites invasifs dans un nouveau milieu. Ce scénario suivrait la piste de l’<a href="https://www-persee-fr.proxy.scd.univ-tours.fr/doc/pica_0752-5656_1993_num_3_1_1676">arrivée du rat noir</a> en France au I<sup>er</sup> siècle apr. J.-C. ou encore des <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01860354">adventices (mauvaises herbes)</a> comme la nielle des blés et le myagre qui aurait suivi les transports humains à l’âge du Fer.</p>
<p>Au moment où nous commençons à comprendre les mécanismes des invasions biologiques et leurs impacts sur l’environnement, serait-il imaginable que les pratiques du passé aient dû s’adapter à des insectes non identifiés pour le moment ? Seule l’analyse des insectes provenant de nombreux autres sites permettra de mieux appréhender l’évolution des interactions entre les humains et leur environnement tout au long de l’Histoire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180827/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérémy Rollin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quand les restes de bousier ou de charançon des blés nous renseignent sur l’histoire de l’agriculture et des migrations humaines.Jérémy Rollin, Doctorant en archéoentomologie, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1783712022-04-04T18:35:51Z2022-04-04T18:35:51Z« Balkanatolie » : le continent disparu pour la migration de la faune asiatique vers l’Europe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/456136/original/file-20220404-13-efrly.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C0%2C4077%2C2722&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dépôts sédimentaires abritant des fossiles de vertebrés continentaux à la localité de Büyükteflek, Turquie.</span> <span class="attribution"><span class="source">Alexis Licht et Grégoire Métais</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Durant l’Éocène (il y a 55 à 34 millions d’années), l’Europe occidentale et l’Asie orientale formaient deux masses terrestres distinctes avec des faunes de mammifères très différentes : les forêts européennes abritaient une faune endémique avec, par exemple, des périssodactyles paléothères (groupe éteint lointainement apparenté aux chevaux actuels, mais qui ressemblait davantage à nos tapirs), des primates adapidés, des choeropotames et anaplothères (lointainement apparentés aux cochons et vaches actuels), alors que l’Asie était peuplée de faunes plus cosmopolites comprenant les familles de mammifères que l’on trouve aujourd’hui sur ces deux continents.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1410894717768941574"}"></div></p>
<p>Ce dualisme est bouleversé il y a 34 millions d’années, au tout début de l’Oligocène, qui est une période de changement climatique global durant laquelle on passe d’une Terre dite « greenhouse » chaude à la Terre dite « Icehouse » que nous connaissons aujourd’hui. Cet épisode de changement climatique est créé par la première glaciation de l’Antarctique qui suit une longue période de chute du CO<sub>2</sub> atmosphérique. Le refroidissement global, estimé à environ 5 °C et associé à une grande chute du niveau marin, provoque un bouleversement des écosystèmes et des connexions terrestres entre continents.</p>
<h2>La « Grande Coupure »</h2>
<p>La plupart des mammifères endémiques européens se sont alors éteints conjointement à l’apparition en Europe occidentale d’un grand nombre de taxons provenant d’Asie. Ce renouvellement majeur de la faune ouest européenne fut nommé en 1909 « Grande Coupure » par le paléontologue bâlois H.G. Stehlin, un terme qui est toujours largement utilisé de nos jours, même en dehors du monde francophone. Cette arrivée brutale de mammifères asiatiques au début de l’Oligocène est un évènement majeur dans l’histoire des faunes de l’Ancien Monde. Cependant, des <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0193774">fossiles trouvés dans les Balkans</a> indiquent la présence de mammifères asiatiques dans le sud de l’Europe bien avant la Grande coupure, suggérant une colonisation plus précoce.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1016/j.earscirev.2022.103929">Notre découverte de nouveaux fossiles en Anatolie Centrale</a> et la réévaluation d’anciens fossiles disponibles dans les Balkans, certains remontant au XIX<sup>e</sup> siècle, révèlent que durant une grande partie de l’Eocène, la région correspondant aux Balkans et à l’Anatolie actuels était dotée d’une faune terrestre homogène, mais distincte de celles de l’Europe et de l’Asie orientale.</p>
<p>Cette faune exotique unique comprenait des <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0206181">marsupiaux d’affinités sud-américaines</a>, des <a href="https://doi.org/10.1016/j.cub.2018.05.032">embrithopodes</a> (de gros mammifères herbivores ressemblant à des hippopotames) auparavant restreints au continent africain, des <a href="https://doi.org/10.1016/j.geobios.2020.06.008">primates probablement arrivés par rafting sur des débris végétaux</a>, et des ongulés primitifs proches de formes européennes connues exclusivement au paléocène (66-56 Ma). En revanche, cette faune endémique est dépourvue de rongeurs, carnivores, perissodactyles ou artiodactyles, des mammifères abondants et diversifiés dans l’Eocène d’Eurasie. <a href="https://doi.org/10.1016/j.jseaes.2017.03.033">Une grande partie de notre travail de terrain</a> ces dernières années a consisté à documenter cette faune.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/450624/original/file-20220308-13-ps1tqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450624/original/file-20220308-13-ps1tqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=603&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450624/original/file-20220308-13-ps1tqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=603&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450624/original/file-20220308-13-ps1tqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=603&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450624/original/file-20220308-13-ps1tqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=757&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450624/original/file-20220308-13-ps1tqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=757&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450624/original/file-20220308-13-ps1tqd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=757&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Carte de la Balkanatolie. Couleurs foncées : terres émergées ; couleurs pâles : plancher continental.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alexis Licht et Grégoire Métais</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’ensemble de ces informations permet d’ébaucher l’histoire d’un troisième continent eurasiatique, coincé entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie, et dénommé « Balkanatolie ». Isolé de l’Eurasie continentale pendant l’Éocène précoce et moyen, il formait alors une masse continentale à faible topographie, oscillant entre continent-île et archipel au gré du niveau marin, où prospéraient des mammifères endémiques et archaïques. Cette faune endémique a une histoire encore inconnue : on pense que le continent Balkanatolie s’est formé très tôt, <a href="https://doi.org/10.1029/2021GC010232">peut-être dès le Crétacé supérieur (-70 Ma)</a>, mais cette histoire reste encore à écrire. La Balkanatolie peut être comparée à l’archipel indo-australien actuel, dont la faune est considérablement différente de l’Asie continentale malgré les courts détroits qui les séparent (cette séparation suit la fameuse <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_Wallace">ligne de Wallace</a>, dédiée à son découvreur, le naturaliste Alfred Russel Wallace). Cette analogie vaut également au niveau géologique puisque l’archipel indo-australien est constitué de plusieurs blocs continentaux caractérisés par des écosystèmes particuliers et séparés par des bassins océaniques étroits et profonds.</p>
<h2>Un nouveau site, riche en fossiles</h2>
<p>Notre découverte en Turquie d’une nouvelle localité fossilifère (Büyükteflek) datée de 38 à 35 millions d’années et livrant des mammifères d’affinités clairement asiatiques, les plus vieux connus à ce jour en Anatolie, éclaire l’histoire du continent balkanatolien. Il s’agit de fragments de mâchoires ayant appartenu à des animaux ressemblant à de gros rhinocéros, les brontothères, qui se sont éteints à la fin de l’Eocène.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/450627/original/file-20220308-3336-1q8rh4z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450627/original/file-20220308-3336-1q8rh4z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450627/original/file-20220308-3336-1q8rh4z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450627/original/file-20220308-3336-1q8rh4z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450627/original/file-20220308-3336-1q8rh4z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450627/original/file-20220308-3336-1q8rh4z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450627/original/file-20220308-3336-1q8rh4z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Fossile d’ongulé de la localité de Büyükteflek, Turquie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alexis Licht et Grégoire Métais</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Des restes d’un petit rhinocéros gracile hyracodonte d’origine asiatique ont également été trouvés. L’arrivée de taxons asiatiques en Balkanatolia entre 40 et 35 millions d’années marque à la fois la fin de l’endémisme des faunes balkanatoliennes et une étape préliminaire de la Grande Coupure. Nous pensons que l’arrivée de mammifères asiatiques en Balkanatolie fut conditionnée par des changements géographiques qui eurent lieu en Anatolie orientale et dans le Caucase durant l’Eocène moyen/supérieur, certainement liés à la fermeture de l’océan Néotethys et au soulèvement de la région suite à la collision avec la marge continentale asiatique.</p>
<p>Ces bouleversements géographiques ouvrent la voie aux mammifères qui coloniseront l’Europe il y a 34 millions d’années, en passant par la Balkanatolie. Nous pensons donc que la Balkanatolie a joué le rôle de sas entre Asie et Europe lors de la dispersion des mammifères. L’arrivée des faunes invasives asiatiques et le changement climatique associé à la glaciation antarctique ont ensuite précipité le déclin des faunes endémiques balkanatoliennes puis européennes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178371/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Licht a reçu des financements publics ANR / DISPERSAL</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Grégoire METAIS ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il y a environ 40 millions d’années, un continent a servi de pont pour la faune asiatique pour s’installer en Europe.Grégoire METAIS, Paléontologue, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Alexis Licht, Chercheur CNRS - géologue, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.