tag:theconversation.com,2011:/global/topics/prix-33726/articlesprix – The Conversation2024-03-05T16:02:23Ztag:theconversation.com,2011:article/2250412024-03-05T16:02:23Z2024-03-05T16:02:23ZDes prix plancher au secours de l’agriculture : ne peut-on pas trouver meilleure idée ?<p>La visite du président Macron au salon de l’agriculture 2024, tout <a href="https://www.bfmtv.com/politique/reconquete/marion-marechal-aspergee-de-biere-au-salon-de-l-agriculture-va-continuer-a-mouiller-la-chemise_AN-202403010144.html">comme celle d’autres personnalités politiques</a>, a été <a href="https://www.youtube.com/watch?v=McEmx_9sO9A">relativement houleuse</a>. Plusieurs débordements ont été signalés avant qu’il ne puisse visiter les hangars de la Porte de Versailles dans un climat tendu et en étant régulièrement pris à partie.</p>
<p>C’est dans ce contexte qu’est intervenue la déclaration surprise de la volonté du gouvernement et du président d’aller vers la mise en place de <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/agroalimentaire-biens-de-consommation-luxe/agriculture-les-prix-planchers-d-emmanuel-macron-une-proposition-qui-divise-le-monde-agricole-991500.html">prix planchers dans le secteur agricole</a>. Les contours du dispositif sont encore flous : il s’agirait, à gros traits, de faire en sorte que les distributeurs ne puissent pas acheter aux producteurs les fruits de leur récolte ou de leur élevage en-deçà d’un certain prix. En théorie, la loi Égalim garantit aujourd’hui des prix qui ne peuvent descendre en dessous des coûts de production.</p>
<p>Le premier ministre, fin janvier 2024, en plein crise agricole, avait esquissé la mise en place <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/discours-de-politique-generale-le-premier-ministre-na-rien-compris-a-ce-que-demandent-les-agriculteurs-sur-les-barrages">d’une « exception agricole</a>, qui permettrait aux productions agricoles nationales de bénéficier de mesures de sauvegarde ou de protection (à l’image de ce qui fût fait <a href="https://www.csa.fr/Cles-de-l-audiovisuel/Connaitre/Histoire-de-l-audiovisuel/Qu-appelle-t-on-l-exception-culturelle">pour le cinéma au travers de l’exception culturelle</a>). Celle-ci est réclamée depuis longtemps par les syndicats, au motif que l’agriculture n’est <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/26/puisque-l-alimentation-n-est-pas-une-marchandise-comme-les-autres-etendons-les-principes-de-la-securite-sociale-a-l-alimentation_6191050_3232.html">« pas une activité économique comme les autres »</a>. S’agit-il de couper l’herbe sous le pied au Rassemblement national qui depuis plusieurs années <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-edito-politique/edito-prix-planchers-pesticides-europe-les-raison-des-contorsions-du-rassemblement-national_6355366.html">milite pour ce type de mécanismes</a> ?</p>
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<p>À quelques mois des élections européennes, chaque thématique semble être l’objet d’un bras de fer entre la majorité présidentielle et le Rassemblement national. L’agriculture n’y échappe pas. Certains médias affirment d’ailleurs qu’il y aurait une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/01/entre-le-rn-et-la-coordination-rurale-une-proximite-ideologique-et-des-accointances-locales_6219533_823448.html">affinité entre certains syndicats et le programme défendu par Jordan Bardella</a>.</p>
<p>Ce qui paraît certain est que la mise en place de cette idée de prix planchers ne va pas de soi. Elle paraît même <a href="https://www.lopinion.fr/economie/prix-plancher-un-peu-de-culture-economique-la-chronique-demmanuel-combe">largement discutable</a>, tant au regard de la théorie économique que des réalités de terrain. Des alternatives semblent sans doute préférables.</p>
<h2>Pas de cavaliers seuls ?</h2>
<p>Premier point qui peut conduire à remettre cette idée en question : les prix planchers ne semblent <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-europeens-traiter-lorigine-des-maux-pour-eviter-la-polarisation-224420">pas avoir de sens au sein d’un marché commun européen</a>. L’Europe a abandonné depuis les années 2000 la politique de quotas et <a href="https://theconversation.com/crise-agricole-une-reponse-politique-mal-ciblee-223947">a cessé de vouloir piloter les volumes produits et indirectement les prix</a>. Cela a presque automatiquement généré une <a href="https://theconversation.com/de-la-fin-des-quotas-de-la-pac-a-aujourdhui-20-ans-de-politiques-agricoles-en-echec-222535">élévation de la concurrence intra-européenne</a> et mondiale, <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/sucre-le-triste-bilan-de-la-fin-des-quotas-europeens-140391">qui s’est traduite par de fréquentes crises de surproduction</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1753805095169388785"}"></div></p>
<p>Chaque acteur et chaque pays n’ont en effet aucun intérêt propre à se limiter pour atteindre un hypothétique équilibre de marché. C’est ce qu’a bien montré la théorie économique des jeux : sur certains marchés <a href="https://www.persee.fr/doc/ecoap_0013-0494_2001_num_54_1_1756">peuvent se produire des déséquilibres et des actions non coopératives qui aboutissent à des situations sous-optimales</a>. Ici, des surplus de production amènent une baisse généralisée des prix. À quoi bon instaurer des prix planchers quand chaque pays peut décider de faire « cavalier seul » ?</p>
<p>Une des conditions fortes des prix planchers serait ainsi que les règles du jeu soient exactement les mêmes pour tous. En économie, l’un des principes de base des <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/270244-quest-ce-que-la-concurrence">théories de la concurrence</a> <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/270244-quest-ce-que-la-concurrence">pure et parfaite</a> consiste à avoir des acteurs qui se comportent de la même façon et qui tous ont le même poids. Aucun acteur ne peut déstabiliser seul un marché et donc tout le monde joue à armes égales.</p>
<h2>Le défi de l’hétérogénéité</h2>
<p>Or, cela ne correspond pas à la réalité des marchés et des filières agricoles. D’une part, il existe des acteurs <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/negociations-commerciales-et-prix-des-matieres-premieres-agricoles-la-france-a-cote-de-la-pac-905654.html">qui « font » le marché, en pesant plusieurs milliards d’euros</a>. En général les <a href="https://theconversation.com/les-producteurs-principaux-perdants-de-la-repartition-des-gains-de-productivite-de-lagriculture-depuis-1959-222780">producteurs sont les grands perdants de ces rapports de force</a>.</p>
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<p>D’autre part, parce que plusieurs pays n’ont pas intérêt et ne mettront jamais en place les prix planchers à l’échelle européenne et encore moins mondiale. Les pays en mesure de proposer des prix bas se priveraient en effet d’une demande qui leur est acquise. Certains produits agricoles sont des commodités, aux caractéristiques identiques ou très proches, et pour lesquelles le prix devient donc le facteur unique de décision des agents économiques.</p>
<p>L’idée de prix plancher ne serait ainsi pertinente qu’à condition d’avoir des produits agricoles qui se différencient autrement que par le prix. Cela justifierait l’existence d’un prix minimal au regard des caractéristiques supérieures du produit ou de sa qualité essentielle.</p>
<p>Par ailleurs, le concept même de prix plancher repose sur une hypothèse forte et très restrictive : que les <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/02/27/quatre-questions-sur-les-prix-planchers-des-produits-agricoles_6218908_4355770.html">couts des différents exploitants agricoles soient assez homogènes,</a> quelle que soit leur zone de production. Or les conditions locales, climatiques ou la simple topographie sont nettement différentes selon la région de production. Dans la filière laitière, les coûts de production varient du simple au double. Dans ce cas, sur quel niveau de coût s’aligner et donc quel niveau de prix plancher ?</p>
<h2>Une inspiration américaine ?</h2>
<p>La notion de prix plancher soulève d’ailleurs des enjeux juridiques : elle peut conduire plusieurs acteurs à s’entendre de fait sur des prix. Or, les ententes sont <a href="https://www.lopinion.fr/economie/agriculture-les-prix-planchers-suscitent-une-montagne-dinterrogations">interdites du point de vue du droit de la concurrence</a>. Cela incite les principaux acteurs sur le marché, peu nombreux dans la grande distribution, à s’accorder sur des niveaux d’achats et des prix et les conséquences peuvent s’avérer à terme contre-productives. En effet, les distributeurs peuvent être plus incités encore à avoir des prix d’achat quasi identiques, le prix plancher donnant un signal. Dans ce cas, le mécanisme stimulant de la concurrence du côté de la demande qui peut pousser les prix d’achat vers le haut peut se gripper (le producteur vendrait en théorie au plus offrant).</p>
<p>Outre le droit européen, il faudra aussi composer avec les accords de libre-échange qui comportent des allègements, si ce n’est des suppressions, de contraintes douanières ou fiscales. Cela va bien évidemment à l’encontre des velléités protectionnistes ou même de <a href="https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560">souveraineté nationale</a>. L’idée est de permettre d’échanger des <a href="https://www.sudouest.fr/economie/agriculture/mercosur-poulets-bresiliens-contre-voitures-allemandes-ou-en-est-l-accord-de-libre-echange-entre-l-europe-et-l-amerique-du-sud-18373445.php">productions agricoles étrangères contre d’autres types de produits comme le fait par exemple l’Allemagne</a>. Dans le cas français, ce sont bien nos productions agricoles qui risquent de pâtir de cette concurrence directe des produits importés.</p>
<p>Dans cette approche fondée sur la théorie des avantages comparatifs, chaque pays essaie de favoriser la performance de ses productions nationales disposant d’avantages relatifs. Tout l’enjeu pour les produits agricoles consiste à introduire des <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/societe/agriculture-quest-ce-que-les-clauses-miroirs-que-demandent-les-agriculteurs">clauses miroirs</a> pour que les pays importés soient soumis aux mêmes règles et contraintes que les produits nationaux, notamment en matière environnementale. Cela induit sinon une distorsion majeure de concurrence. En introduisant des prix planchers qui ne s’appliqueraient qu’aux productions nationales, on risque de rendre encore moins compétitifs sur notre sol nos produits agricoles et on renforcerait l’avantage comparatif du poulet ukrainien ou du sucre brésilien, par exemple.</p>
<p>Plusieurs experts rappellent l’existence d’autres dispositifs qui représentent une alternative plus pertinente. Un des dispositifs les plus aboutis existe dans le pays roi du marché et de la libre concurrence, à savoir les États-Unis. Les Américains ont mis en place depuis plusieurs années, au travers du <a href="https://agriculture.gouv.fr/le-nouveau-farm-bill-americain-un-renforcement-des-assurances-agricoles-subventionnees-et-des"><em>Farm Bill</em></a>, différents mécanismes permettant de compléter les prix offerts sur le marché. Des aides sont versées, sauf quand les prix deviennent plus rémunérateurs pour les paysans ou franchissent certains seuils. C’est une façon de « préserver » le revenu des agriculteurs américains, de limiter les effets de la volatilité et d’offrir un peu de prévisibilité et de stabilité. Un juste équilibre, sans doute, pour un secteur qui fait face à <a href="https://theconversation.com/crise-agricole-quels-defis-pour-demain-224685">venir d’immenses défis</a>, tant <a href="https://theconversation.com/ce-que-la-crise-agricole-revele-des-contradictions-entre-objectifs-socio-ecologiques-et-competitivite-222293">techniques</a> et économiques <a href="https://theconversation.com/revoir-notre-vision-de-la-nature-pour-reconcilier-biodiversite-et-agriculture-223927">qu’environnementaux</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225041/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Xavier Hollandts ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Et si, au lieu d’instaurer un système de prix plancher dans l’agriculture, on s’inspirait de dispositifs américains, plus pertinents sans doute pour garantir un minimum de stabilité aux producteurs ?Xavier Hollandts, Professeur de stratégie et entrepreneuriat, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2227802024-02-06T14:39:21Z2024-02-06T14:39:21ZLes producteurs, principaux perdants de la répartition des gains de productivité de l’agriculture depuis 1959<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/573407/original/file-20240205-15-nmkpfw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C26%2C1985%2C1353&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestations d’agriculteurs à Agen (Lot-et-Garonne), le mercredi 24&nbsp;janvier.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Agriculteurs_bloquant_l%27autoroute_%C3%A0_Agen,_24_janvier_2024_%282%29.jpg">Wikimedia commons/Raymond Trencavel</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La crise actuelle du <a href="https://theconversation.com/topics/agriculture-20572">secteur agricole</a> et l’inflation récente qui pèse sur le pouvoir d’achat des ménages, en particulier pour les produits alimentaires, doivent être replacées dans une perspective historique de long terme pour mieux comprendre une réalité plus complexe : la manière dont les gains de <a href="https://theconversation.com/topics/productivite-37011">productivité</a> dans l’agriculture sont répartis entre les diverses parties prenantes.</p>
<p>Des gains annuels de productivité globale apparaissent lorsque l’ensemble des productions augmente plus rapidement que l’ensemble des volumes des coûts. Ils représentent une création de valeur supplémentaire. Par le jeu des mouvements de prix, celle-ci se distribue entre les producteurs, les fournisseurs, l’État, les propriétaires fonciers et les clients qui achètent les produits agricoles (industrie agroalimentaire, grande distribution, consommateur final).</p>
<p>Notre récente <a href="https://www.sfer.asso.fr/source/jrss2023/articles/C13_59_Boussemart_Kahindo_Parvulescu_L%E2%80%99impact%20de%20l%E2%80%99inflation%20dans%20la%20distribution%20des%20gains%20de%20productivit%C3%A9%20de%20l%E2%80%99agriculture%20fran%C3%A7aise.pdf">étude</a> reprend les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6675413?sommaire=6675425&q=comptes+de+l+agriculture+en+2022">données</a> de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) sur l’agriculture française de 1959 à 2022 pour révéler des tendances de fond très significatives dans la distribution de ces gains, qui restent globalement défavorables aux agriculteurs.</p>
<h2>Une valeur créée inégalement répartie</h2>
<p>Nous constatons une croissance moyenne annuelle de 1,26 % des gains de productivité dans l’agriculture française. Cette tendance a connu une accélération notable entre 1959 et 2009 (1,45 %), avant de ralentir sensiblement (0,22 %).</p>
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<p>L’évolution a suivi plusieurs étapes distinctes : d’abord une augmentation plus rapide de la production par rapport aux coûts (1959-1979), ensuite un développement continu de la production associé à un décrochage des coûts, et enfin, depuis 2004, une stabilisation de la production.</p>
<p><iframe id="leNQS" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/leNQS/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Au cours des soixante dernières années, ces gains de productivité ont participé pour 70 % à la création de valeur du secteur auxquels il faut ajouter les apports des partenaires ayant subi des évolutions de prix défavorables comme les fournisseurs de consommations intermédiaires (15 %), l’État par le jeu des taxes et des subventions (11 %) et les propriétaires fonciers (4 %).</p>
<p><iframe id="ZSInX" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ZSInX/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Or, la valeur créée n’est pas uniformément répartie entre les parties prenantes. Ainsi, les clients se trouvent en tête des bénéficiaires, captant 51 % de la valeur créée, suivis par les agriculteurs (39 %). Les salariés et les fournisseurs d’équipement récoltent une part moindre, respectivement 8 % et 2 %.</p>
<p><iframe id="mGN3B" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/mGN3B/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le partage de la valeur créée dans le secteur agricole français est fortement influencé par une baisse soutenue des prix réels à la production. De 1959 à 2009, cette baisse a atteint un rythme annuel moyen impressionnant de -3,3 %. Pour mettre cela en perspective, cela signifie que les prix agricoles ont été divisés par deux tous les 20 ans !</p>
<p>Cependant, cette diminution n’a été que partiellement répercutée sur les consommateurs. Durant la même période, les prix des produits agricoles et alimentaires vendus aux consommateurs finaux n’ont baissé qu’à un rythme annuel moyen de -0,4 %.</p>
<h2>Dynamiques spécifiques</h2>
<p>Depuis 2009, une inversion de cette tendance a été observée pour les prix à la production agricole, avec une augmentation moyenne de 1,1 % par an. Cette tendance s’est même accélérée au cours des deux dernières années, 2021 et 2022, avec une hausse remarquable de 11 %. Cette évolution a permis aux agriculteurs de retrouver des niveaux de prix similaires à ceux du début des années 1990 mais loin encore du niveau affiché au début de la période d'étude.</p>
<p><iframe id="Rphls" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Rphls/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Bien sûr, des dynamiques spécifiques existent entre les différentes branches de production agricole, telles que les céréales, les élevages laitiers, les producteurs de viande, la viticulture, les fruits et légumes. Toutefois, en considérant l’agriculture française dans son ensemble, il apparaît donc un déséquilibre notable : malgré des avancées significatives en termes de productivité, les exploitants agricoles ne profitent pas pleinement des avantages de leur labeur.</p>
<h2>Fluctuations conjoncturelles aiguës</h2>
<p>Dans ce contexte, il est essentiel de comprendre l’évolution du revenu réel des agriculteurs français par rapport à celui de l’ensemble des salariés du pays. À long terme, les tendances sont remarquablement similaires, avec une croissance annuelle moyenne de 1,55 % pour les agriculteurs travaillant dans des exploitations familiales, comparée à 1,54 % pour l’ensemble des salariés français.</p>
<p>Néanmoins, les agriculteurs sont soumis à des fluctuations conjoncturelles aiguës dues à divers facteurs tels que les conditions climatiques et les instabilités des marchés. Ces variations entraînent une évolution très irrégulière de leur revenu. En conséquence, sur des périodes de court à moyen terme, les agriculteurs font face à une forte incertitude et à des difficultés significatives en termes de pouvoir d’achat.</p>
<p><iframe id="LQ22h" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/LQ22h/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La comparaison du revenu réel des exploitants agricoles familiaux avec celui de l’ensemble des salariés français ne reflète pas convenablement les différences dans les dynamiques de productivité de travail de ces deux groupes. Depuis 1960, la productivité du travail dans le secteur agricole a connu une augmentation exponentielle impressionnante de 4,15 % par an, surpassant nettement la croissance de 1,8 % enregistrée pour l’économie française dans son ensemble.</p>
<h2>La responsabilité des consommateurs</h2>
<p>Ces taux de croissance impliquent que la valeur ajoutée par actif agricole a plus que doublé en moins de 18 ans, tandis que pour la moyenne nationale, un tel doublement de la productivité du travail prend environ 38 ans. Cette distinction souligne la progression rapide de l’efficacité dans le secteur agricole par rapport à l’ensemble de l’économie.</p>
<p><iframe id="28K98" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/28K98/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Il est donc impératif de repenser la structure du secteur pour garantir une distribution plus juste des gains de productivité, particulièrement entre les exploitants agricoles et leurs clients principaux, à savoir l’industrie agroalimentaire et la grande distribution qui n’ont pas significativement répercuté ces avantages par des baisses de prix aux consommateurs.</p>
<p>Par ailleurs, il est important de souligner la responsabilité des consommateurs qui doivent être prêts à payer un prix juste pour des produits alimentaires de qualité et respectueux de l’environnement. Ce constat appelle à une transformation significative des dynamiques de négociation au sein de la filière agroalimentaire, pour veiller à un avenir plus juste et soutenable pour les agriculteurs, qui sont au cœur de notre système alimentaire.</p>
<p>Une telle réforme est non seulement vitale pour les agriculteurs, mais également bénéfique pour l’ensemble de la chaîne de valeur alimentaire, en assurant une plus grande équité et transparence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222780/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Philippe Boussemart ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La perspective historique montre que les exploitants agricoles n’ont pas profité pleinement des avantages de leur labeur.Jean-Philippe Boussemart, Professeur émérite à l’Université de Lille, Membre du LEM (Lille Économie Mangement, UMR CNRS 9221), Membre correspondant de l’Académie d’Agriculture de France, professeur d’économie, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2205522024-01-10T19:10:07Z2024-01-10T19:10:07ZComment un seul tonneau de whisky a-t-il pu coûter plus cher que la distillerie tout entière ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567879/original/file-20240104-17-bws0fj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C22%2C3072%2C2276&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La distillerie écossaise Ardbeg avait été vendue 11 millions de dollars en 1997 ; en juillet 2022, un seul de ses tonneaux a coûté 19 millions.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ardbeg#/media/Fichier:Ardbeg_Distillery.jpg">Ayack / Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Lorsqu’une bouteille rare de <a href="https://theconversation.com/topics/whisky-75404">whisky</a> <a href="https://theconversation.com/topics/ecosse-28868">écossais</a>, un Macallan Adami 1926 vieilli 60 ans en fût, a été vendue plus de <a href="https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/une-bouteille-de-whisky-vendue-plus-de-2-5-millions-d-euros-un-record-1133536">2,5 millions d’euros</a> en novembre 2023, j’ai certes été stupéfait, mais pas nécessairement surpris pour autant. Le marché du whisky est en plein essor depuis quelque temps et des marques de bourbon comme Pappy Van Winkle de la distillerie Buffalo Trace se vendent à des <a href="https://www.thebourbonflight.com/why-is-pappy-van-winkle-so-expensive/">prix astronomiques</a> sur le marché secondaire. Les whiskies japonais, devenus populaires au cours de la dernière décennie, se vendent aujourd’hui jusqu’à <a href="https://www.vinovest.co/blog/expensive-japanese-whiskey">50 fois plus cher qu’il y a dix ans</a>.</p>
<p>En juillet 2022, un seul tonneau de la distillerie écossaise Ardbeg, vieilli depuis 1975 et contenant suffisamment de liquide pour 500 bouteilles, a été vendu aux enchères pour environ <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2022/jul/09/cask-scotch-whisky-world-record-sale-ardbeg-distillery">19 millions de dollars</a>. En 1997, l’ensemble de la distillerie avait été racheté par la distillerie Glenmorangie pour « seulement » <a href="https://www.heraldscotland.com/news/12074010.glenmorangie-pays-7m-for-ardbeg-distillery/">11 millions de dollars</a>. Comment un simple fût de whisky écossais a-t-il pu se vendre près de deux fois la valeur d’une distillerie entière achetée un peu plus de vingt ans auparavant ?</p>
<p>J’étudie les <a href="https://scholar.google.com/citations">marchés spécialisés</a> depuis une dizaine d’années et j’y vois au moins deux explications.</p>
<p>La première est d’ordre économique : les produits rares, comme certaines bouteilles ou certains tonneaux, se vendent à des prix élevés. Les prix sur le marché du whisky ont <a href="https://nobleandcompany.com/whisky-intelligence-2023/">augmenté rapidement au cours des deux dernières décennies</a>, notamment sous l’impulsion des investisseurs. Certains considèrent ces produits haut de gamme comme une <a href="https://www.businessexpert.co.uk/investing/whisky-investments/">alternative à d’autres actifs</a> tels que les actions et les obligations. Certains signes indiquent toutefois que le marché du luxe est en train de <a href="https://whiskymag.com/articles/where-does-the-whisky-cask-investment-market-stand-in-2023/">s’affaiblir</a> en raison d’une offre excédentaire.</p>
<p>Une deuxième explication, négligée et sans doute plus intéressante, est d’ordre social. Elle tourne autour de l’importance croissante accordée à la prétendue authenticité des produits artisanaux, en particulier ceux qui, comme le whisky écossais, misent sur leur héritage autant que sur leur saveur.</p>
<h2>Le retour en force de l’alcool brun</h2>
<p>L’histoire du whisky est faite d’emballements et d’effondrements. Produit en Écosse et en Irlande <a href="https://scotchwhisky.com/magazine/latest-news/26580/earliest-whisky-still-mention-found/">depuis au moins la fin du XV<sup>e</sup> siècle</a>, le spiritueux s’est répandu dans le reste de l’Europe entre le milieu et la fin des années 1700. La fin des années 1800 et le début des années 1900 ont été des années fastes, en particulier pour le whiskey irlandais. Cette période a également été marquée par des innovations telles que le vieillissement de l’alcool dans des fûts de chêne qui en rehaussent la saveur.</p>
<p>Aux États-Unis, la Prohibition a fait entrer la <a href="https://theconversation.com/the-prohibition-era-origins-of-the-modern-craft-cocktail-movement-109623">distillation dans la clandestinité</a> jusqu’à ce qu’elle fasse son retour au milieu du siècle dernier. L’avènement des « alcools blancs », comme la vodka et le gin, a cependant fait baisser les prix des « alcools bruns », comme le whisky, à partir des années 1970. Cela a conduit à ce que les distillateurs écossais appellent le <a href="https://www.whiskyinvestdirect.com/whisky-news/whisky-loch-092320221">« whisky loch »</a>, ou « <em>lake</em> » (le lac) : l’accumulation de grandes réserves de whisky mûr et la fermeture de nombreux producteurs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1715678415892660545"}"></div></p>
<p>C’était avant que cet alcool opère un retour en force depuis 2000. Le prix de certaines bouteilles, y compris des très prisés whiskies single-malt produits dans une seule distillerie, a augmenté de près de <a href="https://www.knightfrank.com/research/article/2020-04-16-knight-frank-luxury-investment-index-update-rare-whisky">600 % au cours de la dernière décennie</a>. Le bourbon américain connaît également un <a href="https://robbreport.com/food-drink/spirits/bourbon-rye-price-increase-1234790092/">regain d’intérêt – et de prix -</a> depuis au moins 2016.</p>
<p>Longtemps perçus comme des contrefaçons de qualité inférieure de leurs homologues écossais, les whiskies japonais ont également connu des hausses de prix. La maison Suntory, le plus ancien distillateur japonais, a récemment annoncé des <a href="https://asia.nikkei.com/Business/Food-Beverage/Japanese-whisky-continues-to-get-pricier-amid-solid-popularity">augmentations de prix</a> substantielles sur le marché primaire, allant dans certains cas <a href="https://japantoday.com/category/business/suntory-announces-massive-price-spike-for-its-whisky-some-types-more-than-double-in-price">jusqu’à 100 %</a>. L’Inde, qui a longtemps été le plus grand consommateur de whisky écossais, voit également ses distilleries produire leurs propres bouteilles single-malt et <a href="https://www.theiwsr.com/the-volatility-of-indian-whisky-markets/">monter progressivement en gamme</a>.</p>
<p>Bien que ces augmentations se limitent en grande partie au <a href="https://www.ft.com/content/541735f0-cacd-4a45-aaa6-f80933889a27">segment supérieur du marché</a>, les prix des bouteilles d’entrée de gamme ont également augmenté.</p>
<h2>Donner un prix à l’authenticité</h2>
<p>Peu de temps après la vente du Macallan 1926 pour 2,7 millions de dollars, Merriam-Webster, qui édite un dictionnaire qui fait référence aux États-Unis, a désigné <a href="https://theconversation.com/merriam-websters-word-of-the-year-authentic-reflects-growing-concerns-over-ais-ability-to-deceive-and-dehumanize-217171">« authentique »</a> comme mot de l’année 2023.</p>
<p>La popularité du terme peut être liée aux progrès de l’intelligence artificielle et à la désinformation qui les accompagne. L’importance accordée à l’authenticité s’explique aussi en grande partie par l’<a href="https://www.harpercollins.com/products/the-substance-of-style-virginia-postrel">aspiration à des relations plus personnelles</a> dans un monde de plus en plus virtuel. Les gens veulent des expériences authentiques et cela inclut les produits qu’ils achètent.</p>
<p>L’authenticité reste un concept particulièrement <a href="https://doi.org/10.1177/1089268019829469">difficile à définir</a>. Elle tend à s’articuler autour du <a href="https://doi.org/10.5465/annals.2017.0047">respect d’un ensemble de normes</a> internes ou externes. Il peut s’agir de suivre ses valeurs ou son cœur afin de cultiver son meilleur moi, d’être vrai dans son attitude. Lorsqu’il s’agit de produits, cela peut signifier répondre à certains critères. Par exemple, selon les <a href="https://eh.net/encyclopedia/a-concise-history-of-americas-brewing-industry/">normes définies par le mouvement des microbrasseries</a>, la bière artisanale, pour être considérée comme authentique, doit être produite sur place en petites quantités.</p>
<p>Pareilles distinctions peuvent être difficiles à saisir pour le consommateur moyen, et l’authenticité peut être facile à falsifier. La marque de bière Samuel Adams, par exemple, tente de signaler son authenticité en s’associant aux personnes, aux lieux et aux événements de la Révolution américaine. Mais la brasserie s’est également <a href="https://doi.org/10.1287/mnsc.2016.2517">attiré des ennuis</a> pour s’être présentée comme une bière artisanale alors qu’elle ne fabriquait pas sa bière elle-même.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1572662528680804354"}"></div></p>
<p>Le whisky, lui, se distingue par des qualités intangibles, telles que la robe, l’arôme, le « nez », la complexité et la persistance de la saveur, la « finale ». Pour augmenter la valeur du whisky, les fournisseurs de whisky haut de gamme mettent également l’héritage qui alimente le produit. Le lieu unique où se trouve un whisky – ce que les amateurs de vin appellent le « terroir » – joue un rôle important dans la perception de son authenticité.</p>
<h2>Des invendus devenus produits de luxe</h2>
<p>Pendant et après la crise du whisky, les producteurs de scotch se sont rendu compte qu’ils disposaient d’importants stocks invendus. Une grande partie de ce whisky a été <a href="https://scotchwhisky.com/magazine/ask-the-professor/20868/why-was-scotch-whisky-better-in-the-1960s/">produite et vieillie à partir des années 1960</a>, avant l’avènement de l’automatisation, d’une distillation plus rapide et de nouveaux ingrédients. Le désir de revenir à cette époque plus authentique et plus simple a permis aux distillateurs de réécrire l’histoire de ces stocks.</p>
<p>Le whisky écossais a depuis longtemps la réputation d’être premier sur un plan historique et, par conséquent, plus authentique. Bien que les recherches montrent que même les juges les plus experts ne peuvent <a href="https://flavourjournal.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13411-017-0056-x">pas distinguer les différentes catégories de whisky</a>, une bouteille de whisky écossais peut se vendre jusqu’à 100 fois le prix d’un whisky canadien de même âge et de même complexité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1583153609058922496"}"></div></p>
<p>Une <a href="https://doi.org/10.5465/amj.2020.0017">étude récente</a> a montré que les distilleries peuvent même utiliser leurs caractéristiques physiques et leur caractère local pour améliorer la perception de l’authenticité de leurs spiritueux. Les bouteilles provenant de distilleries plus anciennes étaient jugées plus authentiques – et pouvaient se vendre plus cher. Les bouteilles provenant de bâtiments plus récents, ressemblants à des usines, avaient moins d’attrait pour les consommateurs.</p>
<p>Il y a un côté prophétique à tout cela. Un produit peut être considéré comme authentique si tout le monde y croit et agit comme tel. Il n’est donc pas surprenant que l’histoire du whisky soit une histoire de perception, pas nécessairement de qualité. Cette perception contribue à sa fortune économique.</p>
<p>La prochaine fois que vous chercherez une bonne bouteille de whisky pour vous-même ou pour l’offrir, pensez ainsi si l’histoire fait ou non grimper son prix.</p>
<hr>
<p><em>L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération. L’alcool ne doit pas être consommé par des femmes enceintes.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220552/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hovig Tchalian ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Histoire du whisky est faite de hauts et de bas. Aujourd’hui, ce qui n’était dans les années 1970 que de gigantesques stocks d’invendus devient produit de luxe.Hovig Tchalian, Assistant Professor of Entrepreneurship, University of Southern CaliforniaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2184532023-12-11T20:43:07Z2023-12-11T20:43:07ZLa voiture électrique accessible à tous ? Les marges de manœuvre limitées des constructeurs européens<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/563360/original/file-20231204-30-7z6q3v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C324%2C1738%2C1036&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Selon une étude la banque suisse UBS, 20&nbsp;% des voitures électriques en Europe pourraient être chinoises et 10&nbsp;% seraient des Tesla d’ici 2030.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/30998987@N03/45377046691">Flickr/Mario Duran-Ortiz</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Ces dernières années, on assiste à une évidente électrification de l’industrie automobile : en septembre 2023, les <a href="https://www.capital.fr/auto/voiture-electrique-les-ventes-de-tesla-ont-explose-en-septembre-en-france-1480807">ventes de voitures électriques représentaient 19 % des ventes totales</a> de voitures particulières, en augmentation de 3 points sur un an. Il faut dire que cette augmentation des ventes s’inscrit dans un double contexte : une sensibilité accrue des consommateurs à l’impact environnemental de leurs achats et une législation européenne fortement incitative.</p>
<p>Pourtant, la voiture électrique se situe aujourd’hui à la croisée de plusieurs paradoxes. Si la sensibilité accrue à l’impact environnemental est un facteur essentiel dans la décision d’acheter une voiture électrique, le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0148296322005410">prix joue évidemment un rôle central</a> dans le choix final du véhicule. Autrement dit, l’intention de mieux consommer se heurte régulièrement à la réalité financière des acheteurs, qui n’ont pas forcément les moyens d’acquérir une Tesla, dont le Model 3 est vendu à 42 990 euros.</p>
<p>De la même façon, le dispositif européen pour mettre <a href="https://theconversation.com/automobile-les-trois-etapes-qui-ont-conduit-lue-a-mettre-fin-aux-vehicules-thermiques-dici-2035-186248">fin à la vente des voitures thermiques d’ici 2035</a> engendre des conséquences potentiellement négatives pour l’Union européenne, en profitant notamment aux constructeurs non européens, chinois en tête. Et les aides à l’achat offertes par la France pourraient conduire au même paradoxe, comme le rappelait en octobre 2023 récemment Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances :</p>
<blockquote>
<p>« L’argent des contribuables français n’a <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/10/25/un-bonus-ecologique-plus-exigeant-pour-freiner-les-importations-de-voitures-electriques-chinoises_6196407_3234.html">pas vocation à financer des véhicules provenant à 70 % de Chine</a>. »</p>
</blockquote>
<h2>La Chine en avance</h2>
<p>En 2022, la Chine est devenue le premier exportateur mondial de voitures électriques, avec un poids significatif en Europe, où un véhicule vendu sur cinq est fabriqué en Chine. Une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/am/pii/S0048733318301938">étude approfondie</a> sur quatre constructeurs automobiles chinois met en lumière une complémentarité institutionnelle, combinant politiques gouvernementales, conditions de marché et capacités technologiques, comme fondement du succès chinois.</p>
<p>Cette complémentarité institutionnelle se traduit notamment par une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/23/voitures-electriques-la-fulgurante-montee-en-cadence-de-la-chine-a-convaincu-l-europe-que-la-survie-meme-de-cette-industrie-sur-le-vieux-continent-etait-en-jeu_6196129_3232.html">politique forte de subventions publiques</a> ainsi que d’une aide de l’État chinois pour sécuriser l’accès au lithium, au nickel et aux terres rares indispensables à la fabrication des batteries.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une Tesla roule sur une route côtière" src="https://images.theconversation.com/files/563310/original/file-20231204-27-ymgukq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563310/original/file-20231204-27-ymgukq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=279&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563310/original/file-20231204-27-ymgukq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=279&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563310/original/file-20231204-27-ymgukq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=279&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563310/original/file-20231204-27-ymgukq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=351&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563310/original/file-20231204-27-ymgukq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=351&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563310/original/file-20231204-27-ymgukq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=351&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tesla s’est positionnée sur le segment haut de gamme.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/automobileitalia/39443478310">Automobile Italia/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La Chine compte ainsi une cinquantaine de constructeurs automobiles produisant des voitures électriques. Et certains d’entre eux sont en train de devenir des géants mondiaux du secteur, notamment BYD, SAIC et GAC. Grâce à cette complémentarité institutionnelle, le leader chinois, BYD, profite de capacités technologiques exceptionnelles : le groupe possède en effet un contrôle complet de sa chaîne de production de batteries, source majeure de réduction des coûts, et compte s’appuyer sur l’attractivité du prix de ses modèles, notamment la Dolphin et la Seal, pour conquérir le marché européen.</p>
<h2>Un « Buy European Act » ?</h2>
<p>Dans le contexte de cette avancée chinoise, les constructeurs européens s’interrogent sur leurs marges de manœuvre pour prendre la tête dans la démocratisation des voitures électriques sur le Vieux Continent. Selon une <a href="https://www.ubs.com/global/en.html">étude</a> de la banque d’investissement UBS, d’ici 2030, 20 % des voitures électriques en Europe pourraient être chinoises, et 10 % seraient des Tesla. Il resterait donc 70 % du marché à conquérir. Quelles sont dès lors les marges de manœuvre des constructeurs européens pour capter ces 70 % ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Voiture du constructeur chinois BYD" src="https://images.theconversation.com/files/563350/original/file-20231204-21-fkgyag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563350/original/file-20231204-21-fkgyag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563350/original/file-20231204-21-fkgyag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563350/original/file-20231204-21-fkgyag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563350/original/file-20231204-21-fkgyag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563350/original/file-20231204-21-fkgyag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563350/original/file-20231204-21-fkgyag.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le constructeur chinois BYD s’appuie sur le prix pour conquérir le marché français.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:BYD_Tang_EV_CRI_03_2021_7569.jpg">Mariordo/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une complémentarité institutionnelle, partiellement inspirée du modèle chinois, est à l’étude et fait notamment l’objet de vives discussions au Parlement européen. En France, Bruno Le Maire et le président de la République Emmanuel Macron estiment que l’Union européenne ne pourra pas relever ce défi sans un « Buy European Act », une forme de protectionnisme européen servant de rempart aux voitures chinoises, fortement subventionnées par des aides d’État et des tarifs douaniers favorables à l’importation en Europe.</p>
<p>Dans ce contexte, les règles du bonus écologique français ont déjà été adaptées pour favoriser les voitures électriques produites en Europe. Une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0048733318301288">étude menée dans 50 États américains</a> a d’ailleurs démontré l’efficacité de ces incitations sur l’adoption des voitures électriques : une augmentation de 1 000 dollars de la valeur de ces aides entraîne une hausse de 5 à 11 % des nouvelles immatriculations de voitures électriques.</p>
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<p>La France veut désormais aller plus loin avec l’annonce fin septembre dernier du chef de l’État d’un dispositif de <a href="https://www.capital.fr/auto/voiture-electrique-a-100-euros-par-mois-ce-que-lon-sait-de-ce-leasing-social-voulu-par-emmanuel-macron-1480156">location de voitures électriques à 100 euros par mois</a> pour les modèles produits en Europe et pour les ménages dont le revenu fiscal est inférieur ou égal à 14 089 euros.</p>
<h2>Une gigafactory près de Lens</h2>
<p>La complémentarité institutionnelle exige néanmoins un travail de la part des constructeurs européens sur leur modèle économique. En se fondant sur les récentes avancées de la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959652621039780">recherche académique</a>, examinons ici les marges de manœuvre actuelles des constructeurs européens :</p>
<p>En premier lieu, l’importance des innovations technologiques, en terme notamment de batteries, n’est plus à démontrer et les partenariats semblent incontournables pour les constructeurs dans cette course à l’innovation. Le constructeur japonais Toyota a d’ailleurs fait l’objet d’une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0048733321000044">étude</a> pour ses liens forts avec ses fournisseurs, à l’origine de transferts de connaissances majeurs. En Europe, la gigafactory récemment inaugurée près de Lens (Pas-de-Calais), visant à stimuler la production française de batteries, est le fruit de la collaboration entre Stellantis, TotalEnergies et Mercedes Benz. D’autres projets similaires devraient voir le jour.</p>
<p>Ensuite, de nouvelles propositions de valeur doivent être introduites. La <a href="https://ideas.repec.org/a/eee/trapol/v73y2019icp12-24.html">recherche</a> montre que les intentions d’achat et l’adoption ultérieure de véhicules électriques sont fortement influencées par les perceptions et la confiance des consommateurs à l’égard de <a href="https://www.researchgate.net/publication/327412116_Consumer_purchase_intention_of_electric_vehicles_in_China_The_roles_of_perception_and_personality">différentes variables</a>, tels que la <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11116-014-9567-9">technologie, le prix, la disponibilité et leur connaissance de l’utilisation des véhicules électriques</a>.</p>
<p>Les constructeurs doivent donc comprendre ces motivations pour capitaliser sur les sources de valeur. Par exemple, les <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/15568318.2019.1656310">actifs de plus de 40 ans</a> choisissent moins fréquemment des véhicules électriques que leurs homologues plus jeunes. Il apparaît ainsi essentiel pour les constructeurs d’en identifier les raisons, car cette tranche d’âge est plus encline à accepter le prix élevé des véhicules électriques tout en privilégiant la qualité comme critère principal d’achat. Cela pourrait se traduire par la vente de modèles plus chers, générant ainsi des marges plus importantes pour les constructeurs.</p>
<h2>Une production 59 % plus chère</h2>
<p>Autre marge de manœuvre dans une perspective similaire : les modèles économiques des constructeurs européens doivent intégrer l’infrastructure de recharge. Cela peut être aussi une opportunité pour les acteurs de la chaîne de valeur des véhicules électriques de tirer parti de la numérisation et trouver de nouvelles sources de création de valeur pour le client. Par exemple, l’utilisation des stations de recharge pour offrir des services numériques de tiers, notamment à des fins publicitaires, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0301421515302202">peut générer une valeur ajoutée supplémentaire</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Voiture en cours de recharge" src="https://images.theconversation.com/files/563362/original/file-20231204-21-5pd5vw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563362/original/file-20231204-21-5pd5vw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563362/original/file-20231204-21-5pd5vw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563362/original/file-20231204-21-5pd5vw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563362/original/file-20231204-21-5pd5vw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563362/original/file-20231204-21-5pd5vw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563362/original/file-20231204-21-5pd5vw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les infrastructures de recharge restent un enjeu majeur de la démocratisation de la voiture électrique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/1059380">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En outre, le prix des véhicules électriques doit aussi être revu à la baisse, notamment grâce aux marges de manœuvre que nous venons de citer. Leur prix reste le <a href="https://ideas.repec.org/a/eee/appene/v235y2019icp1106-1117.html">frein majeur à leur démocratisation</a>. Certes, deux constructeurs automobiles français, Renault et Citroën, ont récemment annoncé le lancement de leurs premières voitures électriques à moins de 25 000 euros : la <a href="https://www.largus.fr/actualite-automobile/retour-de-la-renault-twingo-sous-la-forme-d-une-citadine-electrique-a-20-000-e-30030447.html">Twingo Legend</a> et la <a href="https://www.lesnumeriques.com/voiture-electrique/citroen-e-c3-la-version-haut-de-gamme-est-beaucoup-plus-chere-n216033.html">Citroën ë-C3</a>, respectivement. Néanmoins, les coûts de production d’un véhicule électrique restent actuellement <a href="https://www.latribuneauto.com/reportages/economie/12653-le-cout-des-composants-dun-vehicule-electrique-significativement-plus-eleve">59 % plus élevés que ceux d’un véhicule thermique</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1724842478493118899"}"></div></p>
<p>Comment résoudre ce dilemme ? Une solution avancée dans la <a href="https://ideas.repec.org/a/eee/appene/v235y2019icp1106-1117.html">recherche</a> est de transférer une partie du prix d’achat vers les coûts d’exploitation du véhicule. Ainsi, une partie des coûts (et notamment ceux liés à la création d’infrastructure de recharge mentionnée ci-dessus) pourrait être intégrée aux frais payés par les clients lorsqu’ils optent pour des modèles de location. Ceci semble d’autant plus pertinent que la <a href="https://ideas.repec.org/a/eee/trapol/v73y2019icp12-24.html">location reste le mode préféré d’acquisition</a> pour les véhicules électriques tandis que l’achat reste la préférence pour les véhicules thermiques.</p>
<p>En conclusion, <a href="https://ideas.repec.org/a/eee/enepol/v137y2020ics0301421519306901.html">selon une étude récente</a>, les véhicules électriques peuvent devenir pleinement compétitifs d’ici 2035. Les marges de manœuvre côté européen, dans un contexte concurrentiel mondialisé, semblent se profiler autour d’une complémentarité institutionnelle entre décideurs publics, partenariats privés et innovations technologiques. Cette complémentarité reste l’enjeu principal pour permettre aux constructeurs européens de se faire une place importante sur le marché mondial.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218453/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les alliances autour des batteries et le modèle de la location longue durée peuvent notamment constituer des atouts face aux groupes américains et chinois.Céline Flipo, Assistant Professor, Human Resources Management, IÉSEG School of ManagementBenjamin Boeuf, Professeur associé en marketing, IESEG School of Management et LEM-CNRS 9221, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2192482023-12-11T10:24:42Z2023-12-11T10:24:42ZLa passion ou la gestion ? Le dilemme de l’artisan<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/563602/original/file-20231205-29-63vizn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6145%2C4093&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Passionnés par leur activité, artisans et artisanes sont souvent moins à l'aise avec des tâches élémentaires de gestion.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Si l’<a href="https://theconversation.com/topics/artisanat-35040">artisanat</a> a toujours été vanté par les institutions représentatives comme étant la <a href="http://www.culturepub.fr/videos/artisanat-de-france-l-artisanat-1ere-entreprise/">« première entreprise de France »</a>, cela n’a jamais été aussi vrai qu’en 2023. Avec plus de <a href="https://www.artisanat.fr/analyses-donnees/artisanat-en-france">1 800 000 entreprises pour plus de 3 millions d’actifs</a>, le secteur est en <a href="https://theconversation.com/sens-au-travail-ce-que-revele-le-boom-des-neo-artisans-207523">plein boom</a>, le nombre d’entreprises a presque <a href="https://www.cairn.info/revue-marche-et-organisations-2015-3-page-15.htm">doublé depuis 2015</a>.</p>
<p>L’artisanat, c’est le secteur des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000032854341">métiers</a> : il en regroupe 250, auxquels s’ajoutent de nombreuses activités, d’art par exemple. Un métier est une activité manuelle, de production/fabrication ou de services, que l’artisan exerce au service d’une clientèle – bien souvent – de proximité. Auparavant, l’accès à l’artisanat se faisait par le Certificat d’aptitudes professionnelles (CAP), passé durant l’adolescence, puis par une expérience en tant qu’ouvrier. Enfin, l’ouvrier, en quête d’autonomie, se met à son compte. Tel est ce que le sociologue Bernard Zarca identifiait, dans les années 1980, comme le <a href="https://www.cairn.info/l-artisanat-francais--9782717811162.htm">parcours idéaltypique artisanal</a>.</p>
<p>De <a href="https://www.theses.fr/2022ULILH026">récents travaux</a> ont mis en évidence la part croissante, dans le secteur artisanal, de ceux que Caroline Mazaud, sociologue à l’école supérieure d’agricultures appelle des <a href="https://pur-editions.fr/product/4901/l-artisanat-francais">« reconvertis »</a>, des anciens cadres ou autres professions libérales, qui partent chercher du sens dans le travail manuel, « une architecte d’intérieur devenue boulangère, un ex-banquier à la tête de sa fromagerie… ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1646085975532089344"}"></div></p>
<p>Quel que soit leur parcours d’accès à l’artisanat, CAP ou reconversion, les artisans vont devoir, dans leur nouvelle vie de chef d’entreprise, jongler avec deux casquettes : celle de producteur, et celle de chef d’entreprise. À l’instar de <a href="https://editions.flammarion.com/ethique/9782080413550">Spinoza</a>, qui oppose la passion et la raison, nous observons le rapport des artisans entre la passion et la gestion. Notre <a href="https://hal.science/tel-03893268/">travail de thèse</a>, ainsi que celui bientôt publié dans la revue de l’entrepreneuriat, traite de cette dualité, qui malheureusement peut parfois devenir source de tensions pour les artisans, qualifiées de <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=QI-aEAAAQBAJ">« conflits identitaires »</a> en psychologie. Ces tensions entre la passion et la gestion vont générer des difficultés de plusieurs ordres.</p>
<h2>Le temps de travail et le prix</h2>
<p>Nous identifions tout d’abord des tensions liées à la qualité du produit. Les artisans (ou les artisanes, qu’il convient de ne pas oublier, et qui sont nombreuses dans notre étude) sont en effet des professionnels dans un métier, et bien souvent, ce métier est aussi passion. Or, la passion peut entraîner l’artisan à faire ce que nous pourrions appeler de la « surqualité », à vouloir trop en faire. Cette surqualité génère deux difficultés. Tout d’abord, le prix de vente est difficile à fixer, quand l’artisan passe trop de temps pour atteindre la perfection ; soit le prix du produit devient prohibitif, soit l’artisan vend ses heures au rabais. Clotaire, ébéniste, nous explique :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai augmenté mes prix déjà depuis 2 ans. Mais sur une table, par exemple, je vais encore facturer 13h de travail alors que je vais en mettre 25 : je n’arrive pas encore à facturer aux vraies heures et aux vrais taux horaires. »</p>
</blockquote>
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<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Lorsque les clients essayent de discuter du tarif, cela peut dégrader la relation en créant une situation qui peut devenir conflictuelle. La négociation du prix, pratique somme toute courante dans le commerce, peut être vécue comme un casus belli par l’artisan. Brunehaut, bijoutière, redoute d’avoir à y faire face :</p>
<blockquote>
<p>« Non, ils ne discutent pas les prix. Soit ils s’en vont, soit ils commandent. Je n’ai jamais eu ça et heureusement : je pense que je m’énerverais un peu. »</p>
</blockquote>
<p>La deuxième source de tension est liée à la croissance de l’entreprise. 91 % des entreprises artisanales sont de <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277845?sommaire=4318291#:%7E:text=Un%20peu%20plus%20des%20trois,de%20services%20(97%20%25).">très petite taille</a> (moins de 5 salariés, voire aucun). Les artisans, bien souvent, se mettent à leur compte pour être autonomes et non pour devenir <em>businessman</em> ou <em>businesswoman</em>. Si l’artisan embauche, il peut perdre ce rapport avec son métier et se trouver de plus en plus accaparé par les activités de gestion, qui clairement ne sont pas une passion, et pour lesquelles leur formation n’est pas du tout adaptée. C’est ce que nous explique Thierry, ancien boucher :</p>
<blockquote>
<p>« C’est justement ces problèmes qu’on ne nous apprend pas au CAP : gestion des collaborateurs, de la vie de l’entreprise, toutes ces choses-là on ne nous les apprend pas là-bas. On ne sait pas regarder quelqu’un dans les yeux en lui disant : “écoute, je suis désolé, mais tu ne fais pas l’affaire”. »</p>
</blockquote>
<h2>Planter une graine de gestion dans ce terreau de passion</h2>
<p>On touche au cœur du sujet. Les artisans sont de formidables professionnels, avec un savoir-faire technique, traditionnel – et parfois patrimonial – dont la France ne peut qu’être fière. C’est d’ailleurs non sans raison que les consommateurs <a href="https://theconversation.com/la-revolution-artisanale-a-contribue-a-developper-le-marche-du-cafe-de-specialite-187814">privilégient de plus en plus l’artisanat</a>, perçu comme plus authentique. Néanmoins, si la passion et l’engagement envers le métier sont souvent irréprochables, les connaissances et compétences en gestion de nombre d’artisans sont parfois insuffisantes et ils se « retrouvent dedans », comme en témoigne Clothilde, une experte-comptable :</p>
<blockquote>
<p>« Vous allez chez un coiffeur, c’est son métier, c’est son plaisir : il va vouloir faire de la créativité, donc il va faire un shampooing brushing en 1h15 et il va le vendre à 18€. Vous savez qu’il va être dedans. Vous allez chez celui qui va vouloir monter son petit resto, qui est passionné de cuisine, qui voit Top Chef et qui, du coup, va vous proposer un menu entrée, plat, dessert à 18€. Et quand vous voyez le menu, vous savez qu’il va être dedans, avant même de leur avoir fait calculer le coût de revient. Il vous dit “ah non, mais à la louche”, et vous lui dites “non, mais ce n’est pas à la louche”. Moi je veux que tu pèses tout. »</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1669424400418983947"}"></div></p>
<p>Il existait, il y a encore quelques années, un stage obligatoire préalable à l’installation pour les futurs artisans. Si ceux qui l’ont suivi nous ont indiqué que c’était loin d’être parfait, cela avait au moins le mérite de poser des bases : planter une graine de gestion dans ce terreau de passion. Supprimer ce stage préalable fut, selon nous, une erreur. Il faudrait, si nous souhaitons que le secteur artisanal croisse, embauche plus, aider les artisans à maîtriser les concepts de gestion le plus rapidement possible. Nous éviterions ainsi probablement un certain nombre de faillites. Car, il faut le dire, si le secteur créé des entreprises, il en détruit également beaucoup : en 2022, 42 500 défaillances <a href="https://www.artisanat-nouvelle-aquitaine.fr/Record-de-hausse-des-defaillances-d-entreprises-en-France-en-2022-PME-et-jeunes-entreprises-extremement-vulnerables_a8547.html">d’entreprises</a> ont été enregistrées, et parmi elles de <a href="https://www.altares.com/wp-content/uploads/01_2023_ALTARES_CP_DEFAILLANCES_T4_BILAN_2022.pdf">nombreux artisans</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219248/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Grégory Blanchard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Beaucoup d’artisans exercent par passion et n’ont pas en tête des fondamentaux de gestion par manque de formation. Ils se mettent ainsi parfois dans le rouge en fixant des prix « à la louche ».Grégory Blanchard, Enseignant-chercheur. Recherche : artisanat, identités, TPE. Enseignant en négociation - vente, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2177062023-11-15T21:17:49Z2023-11-15T21:17:49ZQui paye l’inflation importée ?<p>Le <a href="https://www.ofce.fr/pdf/revue/13-180OFCE.pdf">retour de l’inflation</a> en France depuis deux ans, dont l’origine vient principalement d’un choc de prix d’<a href="https://theconversation.com/topics/importations-114407">importations</a> lié à la hausse vertigineuse de la facture énergétique, pose la question centrale de la répartition de ce choc au sein des agents économiques. Qui en a principalement subit les effets ?</p>
<p>Sous l’effet, d’abord de la forte reprise postCovid, puis de la guerre en Ukraine, le prix des composants industriels et des matières premières, notamment énergétiques et agricoles, a fortement augmenté. Le prix des importations s’est ainsi accru de 20 % en l’espace d’un an, conduisant à un choc de grande ampleur sur l’économie française.</p>
<p>Une part de cette <a href="https://theconversation.com/topics/inflation-28219">inflation</a> importée s’est diffusé dans l’économie domestique, à travers la hausse du prix des intrants, des <a href="https://theconversation.com/topics/salaires-26163">revenus du travail</a> et du capital. Entre septembre 2021 et 2023, l’indice des prix à la consommation a crû de près de 11 %. Sur la même période, les seuls prix de l’énergie ont augmenté de 32 % et ceux de l’alimentaire de 21 %. Ces deux composantes, qui représentent environ un quart de la consommation totale des ménages, ont contribué à près de 60 % à l’inflation au cours des deux dernières années.</p>
<p>En parallèle le besoin de financement de l’économie nationale vis-à-vis de l’extérieur est passé de 1 point à 2 points de PIB entre le second semestre 2021 et la mi-2023… mais celui-ci a atteint jusque 4,6 points de PIB au 3<sup>e</sup> trimestre 2022. Si le reflux des prix de l’énergie et des matières premières à partir de la fin 2022 a conduit à réduire le besoin de financement extérieur, celui-ci a donc connu une hausse de plus de 3 points de PIB en un an, soit l’équivalent du premier choc pétrolier de 1973.</p>
<p>Deux après le début de l’épisode inflationniste, il est possible de tirer un premier bilan sur la diffusion d’un tel choc dans l’économie et d’avoir une idée de qui paye cette inflation importée.</p>
<h2>Une inflation différenciée selon les ménages</h2>
<p>En raison du recours plus important des déplacements en voiture et d’une facture énergétique liée au logement plus élevée, la hausse des prix de l’énergie a frappé en premier lieu les habitants des communes rurales et périurbaines, et dans une moindre mesure ceux des grandes agglomérations. Alors que les ménages vivant en dehors des unités urbaines ont vu le coût de la vie augmenter de 9 % entre la mi-2021 et la fin 2022, ceux résidant en agglomération parisienne ont subi un choc inflationniste plus modéré, de l’ordre de 6 %.</p>
<p>Au cours des douze derniers mois, l’inflation a cependant changé de nature, la contribution de l’énergie à la hausse de l’indice des prix à la consommation s’est réduite au profit de l’alimentaire. Depuis un an, les ménages les plus impactés par l’inflation sont ainsi les plus modestes car la part de l’alimentaire dans la consommation est d’autant plus élevée que le niveau de vie est faible. L’inflation actuelle du premier quintile de niveau de vie (les 20 % des messages les plus modestes) est près de 1 % supérieure à celui du dernier quintile (les 20 % les plus aisés).</p>
<p><iframe id="GBXoi" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/GBXoi/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’analyse du choc inflationniste ne peut cependant pas s’arrêter là. Il est nécessaire également de comprendre la réaction des revenus à cette hausse brutale des prix. Salaires, prestations sociales et revenus du capital se sont-ils élevés d’autant ?</p>
<h2>Un tassement des salaires vers le bas</h2>
<p>Du côté des revenus du travail, le salaire mensuel de base a crû de près de 8 % entre la mi-2021 et la mi-2023. Certes, une telle hausse n’a jamais été vue depuis plus de trente ans mais elle reste insuffisante pour compenser l’inflation. Autrement dit, le salaire réel a diminué de près de 3 % en deux ans.</p>
<p>Le smic, avec une hausse de 12 % depuis octobre 2021, a connu, lui, une progression plus rapide que la moyenne en raison de son mécanisme d’indexation sur l’inflation. Si ce mécanisme permet de protéger les travailleurs les plus modestes de l’inflation, rien ne garantit que cette hausse dynamique du smic bénéficie également aux salaires juste au-dessus. De fait, la proportion de salariés touchant ce salaire minimum est passée de 12 % en 2021 à près de 15 % en 2022. Cela confirme l’idée d’un tassement de la grille des salaires vers le bas, de même que la forte hausse des exonérations de cotisations sociales patronales, bien supérieure à la croissance de la masse salariale.</p>
<p>Les prestations sociales, elles, augmentent pour faire face à la hausse des prix. Cela se fait néanmoins avec retard en raison d’une réévaluation annuelle, en janvier ou en avril, calculée sur l’inflation passée. Ainsi, depuis fin 2021, les pensions de retraite n’ont crû que de 6 % mais celles-ci seront revalorisées de 5,2 % en janvier 2024. Pour les autres prestations, elles ont augmenté significativement seulement à partir d’août 2022 avec une augmentation globale de 7,3 % au cours des deux dernières années. Une nouvelle revalorisation de 4,8 % est attendue au 1<sup>er</sup> avril 2024.</p>
<p>Les revenus du patrimoine financier ont, de leur côté, fortement grimpé, de 35 % entre la mi-2021 et la mi-2023. Cela s’est fait sous l’impulsion de la remontée des taux d’intérêt et de la forte hausse des dividendes versés. Si le pouvoir d’achat par unité de consommation a crû de 0,5 % entre la mi-2021 et la mi-2023, résistant au choc inflationniste, c’est d’ailleurs en partie dû au fort dynamisme des revenus du capital et à la baisse de fiscalité. L’analyse macroéconomique du pouvoir d’achat, bien qu’indispensable, n’est cependant pas suffisante pour comprendre celle par niveau de vie, avec des ménages dont les revenus ont évolué très différemment sur la période récente.</p>
<h2>Les entreprises tirent leur épingle du jeu</h2>
<p>Au cours des huit derniers trimestres, les entreprises ont vu leur revenu réel (déflaté des prix de valeur ajoutée) s’accroitre de 4,3 % et le taux de marge des sociétés non financières a augmenté de 1,2 point de valeur ajoutée pour atteindre 33 % de la valeur ajoutée, son plus haut niveau depuis 2008 si l’on exclut les années exceptionnelles (2019 l’année du double CICE ou la période Covid marquée par des aides exceptionnelles).</p>
<p>Enfin les administrations publiques, en mettant en place des dispositifs pour limiter la hausse des prix de l’énergie (boucliers tarifaires…) ont vu leur déficit se dégrader malgré la fin des mesures d’urgence liées à la crise Covid. Il est ainsi passé de 4,5 % du PIB fin 2021 à 5,9 % fin 2022, avant de se réduire à 4,6 % à la mi-2023 avec la fin du bouclier tarifaire du gaz et de la remise carburant.</p>
<p>Pour résumer, face à l’inflation importée, les entreprises ont jusqu’à présent bien tiré leur épingle du jeu même si les situations sont très hétérogènes selon les secteurs et les entreprises. Les ménages ont vu leur pouvoir d’achat résister mais cela masque des dynamiques très différentes entre les revenus du travail et du capital. Enfin, les administrations publiques en absorbant une partie du choc inflationniste ont vu leur situation financière se dégrader.</p>
<hr>
<p><em>Cette contribution à The Conversation France est publiée en lien avec les Jéco 2023 qui se tiennent à Lyon du 14 au 16 novembre 2023. Retrouvez ici le <a href="https://www.journeeseconomie.org/affiche-conference2023">programme complet</a> de l’événement.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217706/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Plane ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ménages, entreprises et administrations publiques ont encaissé le choc lié à des produits importés de plus en plus coûteux de façon très hétérogène.Mathieu Plane, Economiste - Directeur adjoint au Département Analyse et Prévision OFCE, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2163692023-11-08T20:45:07Z2023-11-08T20:45:07ZPrix de l’énergie en hausse, rénovation qui stagne : comment expliquer ce paradoxe ?<p>Avec une hausse des prix de l’électricité de 26 % et du gaz de 50,6 % entre janvier 2018 et décembre 2022 en France, nous aurions pu nous attendre à une progression significative de la rénovation dans le résidentiel.</p>
<p>En France, ce dernier compte pourtant <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/le-parc-de-logements-par-classe-de-performance-energetique-au-1er-janvier-2022-0">encore 36 % de chaudières au gaz et 26 % au fioul</a>. Seuls 5 % des résidences principales sont classées en étiquette A ou B en 2022, et le <a href="https://theconversation.com/le-diagnostic-de-performance-energetique-dpe-utile-mais-pas-miraculeux-pour-inciter-a-la-renovation-du-parc-locatif-prive-215906">nombre de logements mal isolés demeure considérable</a> (39 % des logements en étiquettes E, F et G).</p>
<p>Au cours de l’hiver 2021-2022, « 22 % des Français ont déclaré avoir <a href="https://theconversation.com/confinements-et-hausse-des-factures-denergie-le-risque-de-lautorestriction-151488">souffert</a> du froid pendant au moins 24h et 11,9 % des Français les plus modestes ont dépensé plus de 8 % de leurs revenus <a href="https://onpe.org/chiffres_cles/les_chiffres_cles_de_la_precarite_energetique_edition_mars_2023">pour payer les factures énergétiques de leur logement en 2021</a> ».</p>
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<p>Le secteur résidentiel reste ainsi un gisement important d’économie d’énergie, en particulier en matière de <a href="https://theconversation.com/renovation-energetique-en-france-des-obstacles-a-tous-les-etages-147978">rénovations</a> en efficacité énergétique. Et pourtant, les ménages semblent faire abstraction d’opportunités d’investissement apparemment rentables : c’est ce que l’on appelle <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/0928765594900019;https://journals.openedition.org/rei/5985;https://www.cairn.info/revue-economique-2018-2-page-335.htm">« le paradoxe énergétique »</a>.</p>
<p>Comment l’expliquer, alors que le prix de l’énergie devrait au contraire, à première vue, donner un coup de pouce à la rénovation ?</p>
<h2>Prix de l’énergie, un incitateur ?</h2>
<p>En réalité, la demande d’énergie est peu sensible au prix à court terme : pour une hausse de 100 % des prix de l’énergie en moyenne, les ménages les plus pauvres réduisent leur consommation de chauffage <a href="https://theconversation.com/chauffage-les-plus-aises-sont-aussi-ceux-qui-realisent-le-moins-deconomies-denergie-190582">entre 6 % et 11 % en fonction de leur revenu</a>.</p>
<p>Il est en effet plus facile de réduire sa consommation tant qu’une marge de manœuvre est possible et qu’il existe des solutions substituables sur le marché : pour le chauffage, par exemple, l’électricité peut se substituer au gaz dans de nombreux cas. A contrario, il n’existe pas de substitut à l’électricité pour l’éclairage ou les appareils électroménagers.</p>
<p>La réaction en revanche s’observera avec plus de force à long terme : la chute de la demande est alors bien plus importante que l’augmentation du prix. C’est le concept d’élasticité-prix de la demande : à la suite d’un choc sur les prix, les ménages n’ont pas le temps, ni d’ajuster instantanément leur comportement ni de changer leurs équipements. En revanche, ces chocs de prix influenceront leur processus de décision et de consommation à long terme. Ainsi, quand bien même on n’observe pas d’effet à court terme de la hausse des prix de l’énergie, les effets pourraient se faire sentir dans un horizon plus lointain.</p>
<h2>Un paradoxe analysé par les économistes</h2>
<p>La question du prix de l’énergie, si elle est cruciale, n’est pas le seul argument à peser dans la décision, pour les ménages, de changer ou non leurs équipements.</p>
<p>Rappelons également que pour bénéficier de la plupart des aides de l’État, les ménages doivent faire appel à un professionnel du bâtiment agréé. Dans certaines régions, la tension sur l’offre est importante et il s’avère parfois difficile de trouver un professionnel compétent rapidement disponible…</p>
<p>Pour tenter d’expliquer néanmoins ce paradoxe de la diffusion très progressive d’équipements énergétiques apparemment rentables, de nombreux économistes ont analysé la nature et l’occurrence des barrières à l’investissement. Ces dernières sont nombreuses.</p>
<h2>De multiples freins à l’adoption</h2>
<p>Parmi elles, le statut d’occupation joue un rôle : rappelons qu’en France le pourcentage de locataires <a href="https://ec.europa.eu/eurostat/cache/digpub/housing/bloc-1a.html">s’établit à 35,3 % en 2021</a>. Citons également les <a href="https://www.cairn.info/revue-reflets-et-perspectives-de-la-vie-economique-2007-4-page-49.htm?ref=doi">difficultés d’accès au crédit</a>, ou bien l’hétérogénéité de revenus, de préférence et de sensibilité environnementale qui existent entre les individus.</p>
<p>Les dépenses d’investissement dans des nouvelles technologies sont en outre affectées par la combinaison entre différentes sortes d’incertitudes (incertitude sur les gains énergétiques, sur les prix de l’énergie, sur les politiques publiques ou encore sur les prix des futurs produits et des coûts d’installation) et de leur irréversibilité (car les coûts sont irrécouvrables). Ce qui pousse les ménages à retarder autant que possible les investissements, en attendant d’obtenir de nouvelles informations.</p>
<p>D’autres freins à l’adoption interviennent, tels que les coûts associés à la recherche d’information sur les technologies ou encore ceux engendrés par la gêne occasionnée durant les travaux. Tous ces éléments, non pris en compte dans la plupart des analyses coûts-bénéfices, rendent des investissements profitables à première vue, moins rentables que ce qu’ils semblent être en réalité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216369/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Charlier est membre de SOLAR ACADEMY, FAERE et FAEE.
</span></em></p>Malgré des prix qui bondissent, la rénovation énergétique reste lente en France. D’abord car les effets de la hausse ne sont pas immédiats, mais aussi car d’autres freins interviennent.Dorothée Charlier, Maîtresse de conférences en économie de l’énergie et de l’environnement, IAE Savoie Mont BlancLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2064232023-05-30T16:11:42Z2023-05-30T16:11:42ZLes politiques publiques doivent-elles sauver des vies ou des années de vie en plus ?<p>Les dépenses publiques pour réduire la mortalité doivent-elles tenir compte de l’âge ? Par exemple, à la suite d’une intense vague de chaleur ou d’une violente épidémie, convient-il d’éviter d’abord le décès d’enfants, d’adultes ou de vieilles personnes ? Dit autrement, pour un budget donné doit-on chercher à sauver le plus grand nombre de vies possibles, sans opérer de distinction d’âge parmi elles, ou sauver le plus grand nombre d’années de vie possibles en privilégiant la population qui bénéficie d’une espérance de vie plus longue car plus jeune ?</p>
<p>La question est vivement débattue chez les économistes. Elle y prend la forme d’un choix de l’emploi de la valeur d’une vie humaine uniforme ou de la valeur d’une année de vie humaine, deux notions qui peuvent être mises en regard des dépenses publiques pour évaluer leur pertinence et les comparer. Nous préconisons de compter selon les années de vie gagnées – donc selon l’âge – lorsque les aléas frappent avant tout les personnes âgées. Comme dans le cas des canicules ou du Covid-19. Rappelons qu’en France <a href="https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2017-11/inserm-rapportthematique-surmortalitecaniculeaout2003-rapportfinal.pdf">86 % des décès de la canicule de 2003</a> et <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432505?sommaire=5435421">83 % des décès de l’épidémie du SARS-CoV-2</a> ont affecté des personnes de 70 ans et plus.</p>
<h2>Quelle est la « valeur statistique d’une vie » ?</h2>
<p>Avant d’argumenter ce choix, nous devons revenir à quelques notions et principes de base du calcul économique. Afin de mieux répartir les dépenses publiques pour sauver des hommes, l’économie appliquée a besoin de chiffres. Pour décider quelles actions mener contre les accidents de la route ou contre le tabagisme, il est nécessaire de comparer leurs coûts aux bénéfices en termes de vies humaines épargnées. Et comme le coût s’exprime en euros, il faut bien aussi exprimer les bénéfices en euros.</p>
<p>On arrive ainsi à la notion consacrée de « valeur statistique d’une vie ». Attention, il ne s’agit pas du prix d’une vie : depuis la fin de l’esclavage, il n’y a plus de marché, donc de prix des vies humaines. Il ne s’agit pas plus d’une valeur de <em>la</em> vie, et encore moins de <em>la</em> valeur de <em>la</em> vie. Il s’agit d’une valeur statistique à double titre. En premier lieu, elle reflète la diminution d’un risque individuel de décès qui résulte d’une politique publique. À ce titre, elle ne doit pas être confondue avec une valeur des vies humaines. En second lieu, elle concerne un individu non identifié.</p>
<p>Imaginons une société de 100 000 individus qui envisagent de financer un projet public de sécurité. Supposons que chacun soit prêt à payer 100 euros en moyenne pour réduire la probabilité de décès de 3/100 000 à 1/100 000, soit 2 décès en moins pour l’ensemble de cette société. On en déduira une « valeur statistique d’une vie » de 5 millions d’euros (100.000x100/2). Ou, selon une formulation bien meilleure mais plus longue, « le coût d’évitement d’une mort anonyme additionnelle » de 5 millions d’euros.</p>
<p>Cette approche statistique constitue un instrument d’aide à la décision publique visant à réduire le risque de mortalité et à le faire le plus intelligemment possible. L’État ne peut pas consacrer exclusivement son budget à sauver des vies humaines. Il est important d’estimer s’il convient de dépenser un peu plus pour prévenir les maladies cardio-vasculaires que pour les soigner, pour lutter contre l’alcool et l’héroïne, ou encore pour réduire les accidents de la route et d’avion. L’enjeu est d’épargner le plus de vies possible avec un budget donné.</p>
<p>Bien entendu, la mort ne peut pas être perpétuellement évitée. Intuitivement, la valeur d’un individu pour retarder sa mort dépend du temps gagné – un an c’est mieux qu’une semaine – et de l’âge – un an de plus à 40 ans c’est mieux qu’un an de plus à 80 ans. D’où la seconde notion, celle de « valeur statistique d’une année de vie », pour désigner la perte d’une année de vie en moins.</p>
<h2>Trois millions d’euros en moyenne pour une vie sauvée en plus</h2>
<p>Une des méthodes largement utilisées pour estimer ces valeurs consiste à demander aux individus eux-mêmes ce qu’ils sont prêts à payer pour une réduction du risque. Les montants déclarés sont ensuite agrégés et les moyennes calculées.</p>
<p>Le recensement le plus complet des études portant sur la valeur d’une vie humaine sauvée est celui produit par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2012. Il couvre les quelque 1000 études académiques faites sur le sujet ; il les classe selon le type de risque pris en compte (transports, santé, environnement), selon le type d’enquêtes (questionnaire administré face à face, par téléphone, par échanges de courriels, etc.), selon la méthode (analyse contingente dans laquelle on demande à l’interviewé la somme d’argent qu’il est prêt à consacrer pour une réduction de X de son risque de décès au cours de l’année prochaine ; ou l’analyse conjointe où on demande à l’interviewé son choix entre deux situations qui lui sont proposées et qui diffèrent par le risque et par la somme d’argent qu’il doit payer). Ce recensement a abouti à une <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/fr/environment/la-valorisation-du-risque-de-mortalite-dans-les-politiques-de-l-environnement-de-la-sante-et-des-transports_9789264169623-fr">valeur moyenne statistique d’une vie de 3 000 000 euros</a> pour l’ensemble de l’OCDE.</p>
<p>À côté de ces nombreuses estimations de la valeur statistique d’une vie, celles qui portent sur l’année de vie sont plus rares. Citons comme exemple une étude, portant sur plus d’un millier de personnes interrogées en 2010 dans plusieurs pays européens, qui aboutit à un montant de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1470160X10002116">40 000 euros pour la valeur d’une année de vie</a>. La question portait sur leur consentement à payer pour un gain d’espérance de vie de 3 mois ou de 6 mois selon un scénario de réduction de la pollution plus ou moins ambitieux.</p>
<p>Derrière ce type de résultats, il faut imaginer des protocoles aussi précis que complexes (en particulier pour expliquer les difficiles notions de risque et de probabilité) et des jeux de questions testées avec rigueur et formulées avec soin. Il faut savoir aussi que les valeurs obtenues dans les réponses sont dispersées parmi les individus soumis à la même enquête.</p>
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<p>Plus élevée pour les individus plus riches, par exemple. Idem pour les valeurs moyennes obtenues d’une enquête à l’autre selon les protocoles choisis et les questions posées. Elles sont plus élevées pour un programme de santé que pour un projet d’aménagement routier. Pour tenir compte des progrès théoriques et de la multiplication des travaux appliqués, les valeurs officiellement recommandées ou adoptées par les administrations évoluent d’ailleurs avec le temps.</p>
<p>En France, la valeur statistique d’une vie est ainsi passée de la première référence en1970 à la plus récente en 2013 <a href="https://jeromemathis.fr/livre/">d’un peu moins de 300 000 d’euros d’aujourd’hui à un peu plus de trois millions</a> d’aujourd’hui. L’un des auteurs de cet article a d’ailleurs dirigé les réflexions et les travaux qui ont abouti en 2013 au choix de ce montant ainsi qu’au montant de 160 000 euros pour la valeur statistique de l’année de vie. Le <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/archives/Elements-pour-une-r%C3%A9vision-de-la-valeur-de-la-vie-humaine.pdf">rapport</a> qui justifie ces valeurs précise qu’il est utile de recourir à l’année de vie perdue pour compléter les analyses et les calculs quand « la question de l’âge se pose ». Il ne recommande pas toutefois dans ce cas d’employer uniquement cette valeur. Il convient désormais de trancher ce ni oui ni non.</p>
<h2>Fair innings</h2>
<p>Pourquoi proposons-nous d’opter en faveur d’une valeur tenant compte de l’âge ?</p>
<p>Examinons d’abord les conséquences d’un tel choix. Les personnes âgées ayant moins d’années à vivre devant elles, le passage d’une comptabilité en valeur d’une vie perdue à une comptabilité en année de vie perdue conduit à retenir proportionnellement moins de projets de réduction du risque de mortalité en leur faveur. Par exemple, dans le choix entre un projet qui évite des décès de canicule et un projet qui évite des décès d’accident de la route et donc bénéficie à une population plus équilibrée en âge, le premier sera économiquement plus avantageux, toutes choses égales par ailleurs.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528259/original/file-20230525-21-nbbprx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">En France, la valeur statistique d’une vie est ainsi passée de la première référence en1970 à la plus récente en 2013 d’un peu moins de 300 000 d’euros d’aujourd’hui à un peu plus de trois millions d’aujourd’hui.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.wallpaperflare.com/label-tag-string-shape-card-space-paper-mockup-design-space-wallpaper-awxrs">Wallpaperflare</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Le choix d’une valeur ou d’une autre relève ainsi d’un souci de justice intergénérationnelle, soit celui de privilégier les vieilles générations soit celui de privilégier les jeunes générations.</p>
<p>Privilégier ces dernières et non l’inverse repose sur l’idée que chacun disposerait d’une durée d’existence semblable égale à l’espérance de vie de sa classe d’âge. Toute personne qui décèderait plus tôt subirait une injustice que la collectivité devrait prévenir. Ce <a href="https://www.jstor.org/stable/27504067">principe</a> est défendu par un économiste de la santé anglais, Alan Harold Williams. Il s’est inspiré des réflexions d’un <a href="https://philpapers.org/rec/HARTVO-4">philosophe compatriote</a>. En référence au sport national de l’Angleterre, il porte le nom d’argument du <em>Fair innings</em>, ce dernier terme désignant une manche du jeu de cricket pour l’équipe du batteur.</p>
<p>Il pose que l’évitement de décès de personnes ayant franchi ou s’approchant du cap de la vieillesse n’est pas acceptable s’il peut seulement être obtenu en coûtant des vies à ceux qui en sont loin. Une telle situation apparaît quand la société s’est fixé un budget contraint pour les dépenses de santé et de sécurité civile. Plus largement, l’argument du <em>Fair innings</em> rejoint l’idée d’une <a href="https://hal-univ-paris-dauphine.archives-ouvertes.fr/halshs-03670001/">réduction légitime des inégalités de durée de vie</a> entre les individus.</p>
<p>Observons que ce principe n’est pas sans références imagées. Par exemple à travers la formulation populaire « d’années de bonus » pour qualifier celles au-delà de l’espérance de vie. Ou même dans la Bible spécifiant que « Les jours de nos années <a href="https://lire.la-bible.net/76/detail-traduction/chapitres/verset/Psaumes/90/10/SEG">s’élèvent à 70 ans</a> » et suggérant que ceux qui vivent plus longtemps n’ont pas à en tirer orgueil car <a href="https://www.bibliaplus.org/fr/commentaries/4/commentaire-biblique-par-albert-barnes/psaume/90/10">ils n’y sont pour rien</a>.</p>
<h2>Courbe en U renversé</h2>
<p>Dès lors, quelle valeur du coût d’une année de vie en moins évitée choisir ?</p>
<p>Une première façon consiste à la déterminer à partir de la « valeur statistique d’une vie » en la saucissonnant. Pour un individu de 40 ans bénéficiant d’une espérance de vie de 78 ans, la valeur d’une tranche d’une année de vie est égale à la « valeur statistique d’une vie » divisée par 38 (i. e., 78 – 40). Mais pour tenir compte dans le temps de l’arbitrage entre consommer aujourd’hui ou demain, il est nécessaire d’actualiser le nombre d’années de vie au dénominateur. C’est l’approche suivie dans le rapport cité plus haut qui aboutit au montant de 160.000 euros en prenant un taux d’actualisation de 3 %.</p>
<p>Cette façon de faire est très commode car on dispose d’un beaucoup plus grand nombre de travaux qui déterminent directement la valeur statistique « d’une vie » plutôt que « d’une année de vie ». Une de ses principales faiblesses est que le résultat est très sensible au taux d’actualisation alors qu’il n’a pas été observé. Il résulte d’un choix des experts et ce choix comporte donc une part d’arbitraire.</p>
<p>Une seconde méthode repose encore sur la « valeur statistique d’une vie » mais considère qu’elle n’est pas indépendante de l’âge. Un grand nombre d’enquêtes et de modèles laissent penser en effet que c’est bien le cas. Ils montrent que la valeur d’une vie en fonction de l’âge prend approximativement la forme d’un U renversé. Elle augmente rapidement au cours des jeunes années, se stabilise à l’âge adulte et diminue plus ou moins vite au cours de la vieillesse. La forme précise du U renversé et donc la valeur d’une année de vie selon l’âge, qui n’est donc plus constante contrairement à la première méthode, diffère cependant beaucoup selon les études.</p>
<p>Une troisième façon consiste à repérer à travers des questions auprès des individus comment leur déclaration sur la valeur d’années de vie additionnelles varie selon leur âge. Il existe cependant extrêmement peu de travaux en France ou ailleurs procédant de cette façon.</p>
<p>En attendant que ce type d’enquêtes directes se développent ou d’autres avancées de la recherche, nous suggérons d’employer l’une des deux autres méthodes. Mais nous recommandons que la présentation des résultats pour évaluer telle ou telle dépense publique soit accompagnée d’une étude de sensibilité au taux d’actualisation et courbes de U renversés choisies.</p>
<p>Concluons par deux observations qui rejoignent les débats et réflexions actuelles sur la fin de vie. En premier lieu, la pondération des vies sauvées par le nombre d’années de vie gagnées doit naturellement tenir compte de la qualité de vie au cours de ces années gagnées. C’est un autre pan bien fourni de la recherche économique qui prolonge ceux mentionnés ici. Il s’est notamment développé dans le secteur de la santé. En second lieu, notre proposition doit être discutée et débattue au-delà des experts de la question et de l’administration. Il ne s’agit pas d’un choix technocratique. Les citoyens doivent y être associés et en délibérer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206423/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Plusieurs travaux ont tenté d’apporter des réponses à ce dilemme qui reste largement débattu chez les économistes.François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSLEmile Quinet, Professeur émérite Ecole des Ponts-ParisTech et membre associé de Paris School of Economics, École des Ponts ParisTech (ENPC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2039372023-04-19T16:56:43Z2023-04-19T16:56:43ZConsommation sur Internet : perdant ou gagnant face à la fluctuation des prix ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/521247/original/file-20230417-24-m5jkvl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=50%2C14%2C908%2C651&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le géant du e-commerce Amazon, un exemple de plate-forme qui utilise la tarification dynamique.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La <a href="https://www.cgt.fr/actualites/france/interprofessionnel/pouvoir-dachat/inflation-plus-dure-en-france-du-fait-de-la-stagnation-des-salaires">stagnation des salaires</a>, l’<a href="https://theconversation.com/en-france-linflation-a-probablement-atteint-son-pic-en-2022-194987">inflation record</a>, la <a href="https://www.radioclassique.fr/economie/inflation-limpressionnante-chute-de-la-consommation-des-menages-en-france/">chute de la consommation des ménages</a> viennent aujourd’hui considérablement redistribuer les cartes de notre société de consommation. Une stratégie utilisée par les sites de vente peut particulièrement renforcer ces phénomènes. On la nomme la tarification dynamique en ligne. Il s’agit d’une stratégie de variation incessante des prix à la hausse et à la baisse, à laquelle de plus en plus de sites ont recours pour des catégories différentes de produits ou de services.</p>
<p>À titre illustratif, cette méthode a été utilisée par le site Ticketmaster pour distribuer les billets des <a href="https://www.rtbf.be/article/bruce-springsteen-des-tickets-vendus-a-plus-de-5000-11038366">concerts de Bruce Springsteen</a> dans le cadre de sa tournée 2023, avec des prix qui sont montés jusqu’à 5 000 dollars pour les places les plus prisées, menant les fans à s’insurger.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521241/original/file-20230417-20-k0oy6h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Le chanteur Bruce Springsteen" src="https://images.theconversation.com/files/521241/original/file-20230417-20-k0oy6h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521241/original/file-20230417-20-k0oy6h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521241/original/file-20230417-20-k0oy6h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521241/original/file-20230417-20-k0oy6h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521241/original/file-20230417-20-k0oy6h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521241/original/file-20230417-20-k0oy6h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521241/original/file-20230417-20-k0oy6h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Certains billets pour les concerts de la tournée 2023 de Bruce Springsteen ont été mis à prix à 5 000 dollars.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/10567940@N05/3949821038">Andrés Fevrier/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Nos travaux de <a href="https://www.cairn.info/revue-recherches-en-sciences-de-gestion-2022-4-page-83.htm">recherche</a> invitent particulièrement à envisager les conséquences que la tarification dynamique en ligne peut avoir sur les achats des consommateurs. Comment fonctionne-t-elle ? Quand leur profite-t-elle ou nuit-elle à leurs achats ? Quelles sont les options dont ils disposent pour la limiter ?</p>
<h2>Comment ça marche ?</h2>
<p>La tarification dynamique en ligne repose principalement sur le recours à des algorithmes d’intelligence artificielle utilisés pour orchestrer une fluctuation des prix pour un même produit ou service au cours du temps. Cette stratégie utilise, entre autres, des données relatives aux consommateurs (comme les fameux cookies collectés en ligne ou les informations volontairement données lors d’une inscription en ligne sur un site comme le nom ou l’âge) et les données du marché (comme les prix pratiqués par les concurrents). Cette méthode de fixation des prix permet, par exemple, à des <a href="https://www.boursorama.com/conso/actualites/pourquoi-les-prix-varient-autant-sur-les-sites-de-e-commerce-et-comment-trouver-les-meilleurs-5937d3896007c3653da4711bf57eb9ae">sites de vente de réaliser une variation des prix</a> en temps réel à l’instar d’Amazon, de Cdiscount ou de la Fnac.</p>
<p>L’automatisation algorithmique de la fixation du prix peut même devenir la base du modèle économique de certaines entreprises. Par exemple, pour <a href="https://www.uber.com/fr/fr/ride/how-it-works/upfront-pricing/">l’application Uber</a>, le prix est fixé instantanément selon l’offre et la demande, en s’appuyant, entre autres, sur la planification informatisée des courses demandées par les clients et du nombre de chauffeurs disponibles à ce moment-là pour une zone géographique donnée.</p>
<p>L’objectif premier d’une entreprise qui a recours à la tarification dynamique est de maximiser son profit. Ce dernier est encore plus optimisé lorsque cette méthode repose sur une personnalisation du prix pour chaque consommateur. Dans ce cas, l’algorithme utilisé mobilise, entre autres, son <a href="https://doi.org/10.1177/076737010902400205">« consentement à payer »</a> (correspondant au montant maximal qu’il est prêt à payer pour un produit), critère qui découle d’un calcul algorithmique prenant par exemple en compte son historique d’achats.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1071900613280231424"}"></div></p>
<h2>Le consommateur, gagnant ou perdant ?</h2>
<p>Dans le cadre de la tarification dynamique en ligne, on peut légitimement se demander dans quelle mesure une variation continue des prix pour un produit identique mène le consommateur à se sentir gagnant ou perdant…</p>
<p>Deux formes extrêmes de tarification dynamique peuvent être identifiées. La première est une forme basique où le prix du produit ou du service proposé varie dans le temps de la même façon pour tous les consommateurs. La seconde forme est totalement personnalisée c’est-à-dire qu’un prix différent est appliqué à chaque consommateur en se basant sur l’estimation algorithmique de son <a href="https://doi.org/10.1177/076737010902400205">« consentement à payer »</a>. Dans ce second cas, les consommateurs se voient proposer au même moment des prix différents pour un article identique. L’évaluation du consentement à payer peut ne pas être le reflet de la réalité économique et sociale des individus. L’algorithme peut donc conduire à une surestimation de ce paramètre qui peut être perçue comme injuste par les individus et donc les mener à se sentir perdants.</p>
<p>De façon générale, quelle que soit l’approche utilisée pour la tarification dynamique en ligne, lorsqu’un prix est perçu comme élevé, le consommateur se voit comme perdant, à l’image des réactions des fans qui ne pouvaient s’offrir les places pour un des concerts de <a href="https://www.rtbf.be/article/bruce-springsteen-des-tickets-vendus-a-plus-de-5000-11038366">Bruce Springsteen</a>. Tandis que <a href="https://www.boursorama.com/conso/actualites/pourquoi-les-prix-varient-autant-sur-les-sites-de-e-commerce-et-comment-trouver-les-meilleurs-5937d3896007c3653da4711bf57eb9ae">lorsqu’il paie un prix qu’il perçoit comme bas</a>, le consommateur en ressort gagnant.</p>
<h2>Que peut faire le consommateur ?</h2>
<p>Des outils traqueurs de prix se développent pour aider les consommateurs à retrouver l’historique des prix pratiqués par certaines plates-formes comme Amazon afin de décider si leur achat est à réaliser maintenant ou s’ils prennent le pari d’attendre. Il est également possible de trouver des sites qui aiguillent les consommateurs lors d’achat de produits particuliers quand la tarification dynamique en ligne devient fréquemment utilisée dans certains domaines comme pour les <a href="https://www.protegez-vous.ca/nouvelles/technologie/la-tarification-dynamique-dans-les-concerts-en-10-questions">places de concert</a>.</p>
<p>Les consommateurs peuvent aussi essayer autant que possible de limiter les données que les sites peuvent collecter en n’autorisant pas la <a href="https://www.generation-nt.com/actualites/fluctuation-prix-internet-tarification-dynamique-1909160">collecte de cookies</a> lorsqu’ils visitent un site. Ils peuvent aussi éviter de donner toutes les informations demandées lorsqu’ils saisissent un formulaire d’inscription. Il est également envisageable d’effectuer certains achats lorsque ce n’est pas la saison afin de s’assurer que la demande de produits est faible à l’instar de l’achat d’un parasol ou d’un barbecue en hiver.</p>
<p>Évidemment, la tarification dynamique soulève également la question de la responsabilité des entreprises. Ces dernières doivent s’interroger sur les limites des différents algorithmes auxquels elles peuvent avoir recours en intégrant les préoccupations des consommateurs. Par exemple, un enjeu pour les sites est de trouver comment minimiser les biais liés aux algorithmes qui peuvent engendrer des prix amenant à surévaluer le <a href="https://doi.org/10.1177/076737010902400205">« consentement à payer »</a> des individus. Pour chaque type de produit ou service, il s’agirait donc de s’interroger aussi sur les intervalles de variation de prix et les fréquences de changement du prix perçus comme acceptables par les potentiels acheteurs.</p>
<p>Par ailleurs, certains sites affichent officiellement le recours à cette stratégie à l’image d’<a href="https://www.uber.com/fr/fr/ride/how-it-works/upfront-pricing/">Uber</a> tandis que d’autres, tel qu’<a href="https://www.reactev.com/fr/blog/strategie-de-prix-dynamiques-amazon">Amazon</a>, décident de ne pas partager les secrets de fabrication de l’algorithme utilisé. À l’ère où les consommateurs appellent les entreprises à plus de transparence, les préoccupations éthiques des entreprises permettant aux individus de ne pas se sentir lésés en comprenant mieux les prix qui leur sont proposés lors de l’achat d’un produit peuvent finalement apparaître comme essentielles et s’avéraient être un atout stratégique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203937/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La tarification dynamique (variation continue des prix à la hausse et à la baisse), couplée à l’inflation, peut parfois donner le sentiment aux individus d’être gagnants.Sarah Benmoyal Bouzaglo, Maitre de conférences, Université Paris CitéCorina Paraschiv, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2028982023-04-03T17:50:30Z2023-04-03T17:50:30ZNon, les billets pour les JO 2024 ne sont pas un privilège de riche<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/518215/original/file-20230329-24-d9xcmm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=53%2C12%2C1144%2C772&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Seul 0,5&nbsp;% des billets coûtent plus de 950 euros.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/yvelines/36372594464">Flickr/Département des Yvelines</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les réactions à la mise en vente des premiers billets pour <a href="https://theconversation.com/fr/topics/paris-2024-22016">Paris 2024</a> pourraient faire croire que la billetterie des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/jeux-olympiques-21983">Jeux olympiques</a> est un attrape-gogo, une machine à exclure le peuple. « Ils nous prennent pour des gogols avec leur slogan de jeux populaires, les places sont réservées aux riches ». Pour éviter les jugements à l’emporte-pièce, un petit rappel des faits chiffrés et des principes économiques de l’émission de billets semble d’utilité publique. Parlons donc siège, coût, et prix. Nous verrons alors que ceux qui payent cher leur place financent les billets à petit montant.</p>
<p>Il ne faut jamais oublier que derrière les prix se nichent des coûts. Les dépenses du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) s’élèvent à environ 4 milliards d’euros. La réalisation des projets d’infrastructure, grands et petits, qui sont confiés à une structure ad hoc, Solideo, réclame un peu moins. Mais pour simplifier, faisons l’hypothèse qu’elle a une utilité hors des JO. Oublions donc ces dépenses qui n’ont pas besoin d’être recouvrées par la billetterie, les sponsors et les droits télévisuels, les trois sources de recettes du Cojop pour équilibrer ses dépenses.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/billetterie-des-jo-de-paris-2024-les-raisons-de-la-colere-200666">Billetterie des JO de Paris 2024 : les raisons de la colère</a>
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<p>Admettons aussi pour l’instant que chacune de ces sources participe aux dépenses du Cojop à hauteur de leur contribution à ses recettes totales, soit 31,8 % ou encore 1265 millions d’euros pour la seule billetterie. Avec cette clef de répartition et sachant que 13,4 millions de tickets seront mis en vente, le coût moyen par siège pour un spectacle sportif s’élève ainsi à environ 100 euros. Entendez ici par spectacle sportif, celui auquel donne droit un billet c’est-à-dire assister à une ou des épreuves simultanées, pour une date et un créneau horaire donnés.</p>
<p><iframe id="A5JRO" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/A5JRO/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le raisonnement par siège permet de rappeler une particularité des spectacles dans une salle ou dans un stade : le coût du siège est grosso modo le même dans toute l’enceinte. Le fait qu’ils soient plus ou moins larges et confortables n’introduit pas un grand écart. Idem pour le fait qu’ils soient plus ou moins éloignés de la scène et offrent un angle de vue plus ou moins panoramique.</p>
<p>Notez que pour les JO le coût est aussi à peu près le même quelle que soit l’étape de la compétition : il ne coûte pas vraiment plus au Cojop d’organiser la finale du 100 mètres qu’une épreuve de qualification. Les athlètes n’étant pas rémunérés, la présence de vedettes internationales n’occasionne pas de dépenses supplémentaires significatives. L’hétérogénéité des sites où se déroulent les épreuves est finalement la principale cause de variation du coût du siège car ils présentent des jauges variées et occasionnent des dépenses d’exploitation variables.</p>
<h2>Des budgets et des préférences hétérogènes</h2>
<p>La valeur d’un siège est en revanche extrêmement différente selon sa localisation dans l’enceinte et selon l’attrait du spectacle. D’où des tarifs très dispersés proposés à la vente des sièges. Ils s’échelonnent entre 25 euros et 980 euros soit un écart de 1 à 40. Rien à voir avec un écart des coûts même s’il était de 1 à 2 entre les bons et mauvais sièges par leur place ou de 1 à 10 entre les différents sites.</p>
<p>Le rapprochement entre les tarifs pratiqués et un coût moyen par siège de 100 euros conduit à observer que des billets ne peuvent être mis en vente à bas prix que si des acheteurs payent au prix fort.</p>
<p>Dit de façon plus précise, une surmarge est prélevée sur les billets à plus de 100 euros pour compenser les marges négatives de la vente de billets de moins de 100 euros. Concrètement, untel peut bénéficier d’un siège à 25 euros car 75 euros sont récupérés par la billetterie du Cojop auprès d’acheteurs plus fortunés.</p>
<p>Plus fortunés ou tout simplement mieux désireux d’assister aux épreuves. On oublie trop souvent que le montant qu’un consommateur est prêt à payer pour un bien, ici un spectacle, dépend aussi de ses préférences. Une personne qui a de petits moyens peut être prête à casser sa tirelire pour assister à une compétition des JO tandis qu’une autre ayant pourtant les moyens ne souhaitera pas mettre un centime ou en tout cas plus de 25 euros dans l’achat d’un billet. L’hétérogénéité des consommateurs s’observe dans les préférences aussi bien que dans les budgets.</p>
<iframe src="https://player.acast.com/5e69020345f6295e08d5a28b/episodes/5e690214fdacf0855703890c?theme=default&cover=1&latest=1" frameborder="0" width="100%" height="110px" allow="autoplay"></iframe>
<p><a href="https://open.spotify.com/episode/7IIpxEEMzfhWxW85rzQh8x"><img src="https://images.theconversation.com/files/237984/original/file-20180925-149976-1ks72uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=268&fit=clip" width="268" height="68"></a></p>
<p><a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/podcast-les-subtilit%C3%A9s-tarifaires-des-places-de-spectacle/id1516230224?i=1000476394992"><img src="https://images.theconversation.com/files/233721/original/file-20180827-75984-1gfuvlr.png" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p>
<p>Cette vertu d’une billetterie qui combine des petits prix et des prix forts n’est généralement pas perçue comme telle. Assis dans les rangées du haut des extrémités du stade, il est difficile de ne pas jalouser les privilégiés occupant les sièges des premiers rangs du milieu de l’enceinte. Il n’est pas sûr pour autant qu’une tarification uniforme strictement égalitaire remédie au problème.</p>
<p>Imaginez que tous les sièges soient mis en vente au tarif unique de 100 euros après un tirage au sort parmi tous les amateurs de spectacle olympique. Les moins bien placés ne pourront qu’invoquer la malchance mais ils lorgneront peut-être quand même du côté des sièges des plus chanceux. En tout état de cause, cette tarification éliminerait les amateurs à petite bourse, ceux qui auraient été prêts à acheter un billet à 24 euros ou même à 99 euros. Elle comporte aussi le risque de rangées de sièges vides pour les épreuves les moins courues et peut donc entraîner des recettes insuffisantes au Cojop pour couvrir ses coûts.</p>
<p>On peut aussi imaginer un prix uniforme plus faible, voire nul, mais il faut alors faire appel aux finances publiques pour équilibrer les comptes. Ce qui revient à faire payer une partie de l’organisation des Jeux par les contribuables (ou les générations futures à travers la dette). Or il est dit et répété – et finalement semble largement admis –, que les Jeux de Paris 2024 ne doivent pas être subventionnés par de l’argent public.</p>
<h2>Deux spectateurs subventionnés sur trois</h2>
<p>Les éléments chiffrés précis de la grille tarifaire, en particulier le nombre de sièges offerts dans chaque catégorie de prix, ne sont pas connus. Certaines données ont toutefois été rendues publiques : 10 % des billets à 24 euros et 50 % des billets à moins de 50 euros ; 70 % des billets à moins de 100 euros ; 10 % des billets à plus de 200 euros ; enfin, 0,5 % des billets à plus de 950 euros.</p>
<p>On ne sait pas toujours si ces pourcentages sont établis sur le même total, en particulier s’ils incluent ou non la billetterie pour les épreuves paralympiques, ni quelles inégalités sont larges (c’est-à-dire plus petit ou égal) ou strictes. On peut néanmoins essayer d’en tirer quelques observations.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/518219/original/file-20230329-18-7tpbr0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Anneaux olympiques géants, situés sur la place du Trocadéro à Paris le 15 septembre 2017" src="https://images.theconversation.com/files/518219/original/file-20230329-18-7tpbr0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518219/original/file-20230329-18-7tpbr0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518219/original/file-20230329-18-7tpbr0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518219/original/file-20230329-18-7tpbr0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518219/original/file-20230329-18-7tpbr0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518219/original/file-20230329-18-7tpbr0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518219/original/file-20230329-18-7tpbr0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Un total de 10 % de la billetterie affichera un tartif de 24 euros par place.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Olympic_rings_in_the_Place_du_Trocadéro_in_Paris.jpg">Anne Jea/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Regardons au milieu d’abord : la médiane (moitié de billets en dessous et moitié au-dessus) est très inférieure à la moyenne puisqu’elles s’élèvent respectivement à 50 euros contre 100 euros. Dit autrement, au moins la moitié des spectateurs payent un prix inférieur au coût moyen du siège et bénéficient donc du fait que d’autres payent plus cher. Si les 70 % mentionnés plus haut correspondent à une inégalité stricte et au total des places pour les épreuves olympiques, environ deux spectateurs sur trois bénéficient d’un tel transfert, ou subvention implicite.</p>
<p>Regardons les extrêmes ensuite. Cinquante mille spectateurs (en faisant l’hypothèse que le total correspondant au 0,5 % ne concerne que les épreuves olympiques) contribuent à payer 4 % des dépenses totales alors que 10 % (le million de spectateurs qui payent leur siège à 25 euros) contribuent à hauteur de 2 %.</p>
<h2>Mieux vaut quelques sièges vides que des caisses moins remplies</h2>
<p>Oui mais ne pourrait-on pas inverser la direction du transfert en disant que les acheteurs de billets à petit prix subventionnent implicitement les acheteurs qui payent leur siège au prix fort ? Les premiers ne contribuent-ils pas, même si c’est pour une part modeste, à la couverture des dépenses du Cojop ? Ceux qui ont les moyens auraient-ils besoin des acheteurs qui n’en ont pas beaucoup ? Non car il est très probable qu’avec une billetterie offrant uniquement des places s’échelonnant de 100 à 950 euros le risque de billets non vendus lié à l’absence éventuelle d’acheteurs pour certaines compétitions serait plus que compensé par le surcroît de recettes. Peut-être des chaises vides mais des caisses mieux remplies.</p>
<p>Un reproche parfois entendu pour dénoncer l’inégalité de la billetterie est que les amateurs fortunés peuvent évincer ceux qui le sont moins des sièges à petits prix. Il est vrai en effet qu’aucune règle n’empêche une personne à haut revenu d’acheter un billet à 24 euros, par exemple. Cependant, une contrainte budgétaire moins forte pousse logiquement vers l’achat de places offrant une meilleure visibilité, donc tarifées à un prix plus élevé. De plus, l’engouement lors de la première vague de mise en vente des places a été tel que les places à 24 ou 50 euros ont vite été épuisées, prises d’assaut par ceux qui ont été appelés en premier par le tirage au sort. La plupart de ceux qui par leurs ressources auraient été prêts à acheter des billets à plus de 100 euros n’ont vite eu pas d’autres choix.</p>
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<p>Il faut cependant noter que la vente forcée de 3 spectacles lors de cette première vague a pu conduire des amateurs à fort pouvoir d’achat à se reporter sur les billets les moins chers pour une seconde ou troisième compétition sans intérêt pour eux, peut-être même en prévoyant ne pas y assister du tout.</p>
<p>En outre, le Cojop a prévu une billetterie solidaire à travers les collectivités locales associées aux Jeux. Celles-ci bénéficient d’un accès prioritaire aux places bon marché. Un demi-million de billets à 24 euros leur est réservé (Les Échos, 1<sup>er</sup> mars 2023), soit le tiers du montant total de cette catégorie tarifaire. Les collectivités sont appelées à redistribuer ces billets aux habitants, « notamment aux enfants et aux jeunes, aux clubs sportifs locaux et aux publics prioritaires ».</p>
<p>De nombreuses collectivités ont commencé à s’organiser. À Lyon par exemple, un appel à manifestation d’intérêt de la mairie a été diffusé aux centres sociaux et éducatifs. Leurs responsables pourront obtenir et attribuer des places dans le cadre de leurs projets et activités. La discrimination tarifaire rejoint ici la discrimination positive.</p>
<h2>Le plaisir télévisuel d’un stade plein</h2>
<p>Parlons pour finir des 4 milliards de téléspectateurs attendus. Nous avons considéré jusque-là qu’il n’y avait pas de transfert implicite entre spectateurs et téléspectateurs puisque nous avons supposé que la billetterie couvre les dépenses du Cojop à proportion de ses recettes. Soit 1265 millions d’euros ; ni plus ni moins.</p>
<p>Vous pourriez vous étonner qu’il puisse y avoir une subvention croisée puisque les téléspectateurs ne payent rien. Oui mais comme il s’agit de transfert implicite et d’analyse économique – une discipline selon laquelle rien n’est jamais gratuit –, on peut avancer que les téléspectateurs à travers leur paire d’yeux de consommateurs exposés aux annonces et marques rémunèrent in fine les droits télévisuels et les sponsors. Soit en divisant le nombre de téléspectateurs par le montant des recettes du Cojop obtenues auprès des diffuseurs et des sponsors environ 1 euro par téléspectateur en moyenne.</p>
<p>Se pourrait-il alors que les spectateurs contribuent au coût total du Cojop pour une proportion inférieure à leur part dans les recettes ? Ou l’inverse, c’est-à-dire que la subvention croisée aille des spectateurs vers les téléspectateurs ? Les deux sens sont en effet possibles. Il m’est difficile de répondre car je ne sais pas comment le montant des recettes à rechercher entre billetterie, sponsors et droits télévisuels a été décidé par le Cojop.</p>
<p>Un élément pourrait toutefois laisser penser que les spectateurs sont favorisés. Il est en effet communément admis que l’attractivité des téléspectateurs pour une compétition sportive baisse quand elle se joue devant un public clairsemé. On serait en présence de ce que les économistes appellent un effet de réseau indirect : la satisfaction du téléspectateur dépendrait du nombre de spectateurs et croîtrait lorsqu’il croît.</p>
<p>Cela semble avoir été confirmé lors de l’épidémie du SARS-CoV-2. N’a-t-on pas vu apparaître dans les travées des stades, de football en particulier, des spectateurs en carton poussant des clameurs enregistrées pour faire comme si ? Mieux le stade est rempli, plus le consentement à payer des diffuseurs et sponsors est élevé. Cela devrait logiquement conduire à baisser la contribution des spectateurs aux coûts de l’organisation des Jeux.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/518997/original/file-20230403-28-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/518997/original/file-20230403-28-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518997/original/file-20230403-28-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518997/original/file-20230403-28-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518997/original/file-20230403-28-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518997/original/file-20230403-28-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518997/original/file-20230403-28-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518997/original/file-20230403-28-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Pendant la pandémie de Covid, des spectateurs en carton ont fait leur apparition dans certaines tribunes, comme ici dans le stade de baseball de Cleveland aux États-Unis.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/edrost88/50217379857/">Erik Drost/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>En résumé, l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques passe par des dépenses de plusieurs milliards dont la plus grande partie est recouvrée auprès des téléspectateurs-consommateurs qui seront exposés aux annonces des diffuseurs et aux marques des sponsors. La partie restante est recouvrée auprès des spectateurs via la billetterie avec des tarifs qui s’échelonnent de 24 à 980 euros et avec la moitié des billets mis en vente à 50 euros ou moins.</p>
<p>En estimant à 100 euros le coût moyen du siège pour l’organisateur qu’il a à recouvrer par la vente des billets, il apparaît qu’environ deux tiers des spectateurs payent un prix en deçà. Ils bénéficient tout simplement d’un transfert du tiers restant de spectateurs qui payent leurs places au-dessus du coût.</p>
<p>Dit autrement, une surmarge est appliquée sur les billets à plus de 100 euros pour compenser les marges négatives des billets vendus à moins. C’est grâce à cette subvention implicite que le Cojop peut offrir des millions de places à 24 et 50 euros. Peut-on dès lors affirmer sans broncher que sa volonté d’organiser des Jeux populaires serait battue en brèche par une billetterie qu’il aurait réservée aux riches ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202898/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Lévêque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des millions de billets à 24 et 50 euros ont été ou seront mis en vente – ce qui n’aurait pas été possible sans surfacturation des meilleures places.François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2006662023-03-08T19:04:13Z2023-03-08T19:04:13ZBilletterie des JO de Paris 2024 : les raisons de la colère<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/513946/original/file-20230307-16-9y8732.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=62%2C17%2C5850%2C3917&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">D'après un sondage publié le 5 mars 2023, 82% des Français interrogés considèrent que les places pour les Jeux olympiques 2024 à Paris sont trop chères.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>« Il est permis d’attendre, il est doux d’espérer ». Une chose est sûre : la Carmen de Georges Bizet n’a jamais essayé d’obtenir des billets pour les Jeux olympiques (JO), le plus grand évènement sportif du monde <a href="https://olympics.com/cio/celebrer-les-jeux-olympiques">(dixit ses promoteurs)</a>, de retour en France en 2024 dans sa déclinaison estivale pour la première fois depuis un siècle.</p>
<p>Depuis le 15 février, les personnes sélectionnées par le hasard (s’ils se sont bien préalablement enregistrés, point important) peuvent en effet ouvrir leurs porte-monnaie dans le cadre d’une première phase d’ouverture des places au public. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les <a href="https://www.lequipe.fr/Tous-sports/Article/La-billetterie-des-jeux-olympiques-de-paris-2024-fait-grincer-des-dents/1382012">premiers retours</a> semblent ne pas être à la hauteur de l’ambition et des espoirs du Comité d’organisation des Jeux olympiques (COJO).</p>
<p>La question du plancher (trois places pour trois sports différents, ce qui est perçu par certains comme de la vente forcée) et du plafond (trente places, soit bien plus que ce qu’une consommation familiale ou de groupe nécessite pour jouir de l’expérience olympique) semble agacer bon nombre de candidats à l’achat. Nous choisirons ici de nous attarder sur la structuration de la grille tarifaire, qui elle aussi fait l’objet de nombreuses critiques notamment concernant la disponibilité et le niveau du tarif le moins onéreux. Qui aurait pu prédire ce désamour ? Un certain nombre de spécialistes de la tarification des services publics a priori, déjà.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1628339154315608064"}"></div></p>
<h2>Comment bâtit-on une grille tarifaire ?</h2>
<p>Toute grille tarifaire se structure autour de trois données :</p>
<ul>
<li><p>la nature de la prestation rendue ; pour le cas des JO, la combinaison, pour une discipline donnée, du positionnement dans le stade, de la dramaturgie de la séquence (une finale vaut plus que des qualifications), voir du jour ou de l’horaire auquel l’épreuve se déroule (une épreuve le week-end ou le soir aura plus de valeur car ne nécessitant pas, pour le spectateur parisien, la pose d’un jour de congés) ;</p></li>
<li><p>le ou les tarifs qui sont appliqués à chaque nature de prestation ;</p></li>
<li><p>les critères d’accession à chacun de ces tarifs (critères sociaux, aléa pur, arbitraire décomplexé, vagues catégorielles…).</p></li>
</ul>
<p>Cette grille de lecture posée, il y a deux façons d’analyser la tarification de l’accès à un évènement sportif sur un site donné, et malheureusement aucune n’est réellement en adéquation à la stratégie de communication du COJO sur des Jeux <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2023/02/14/paris-2024-une-billetterie-accessible-et-populaire-vraiment_6161728_3242.html">« accessibles et populaires »</a> : c’est cette dissonance entre le discours et la pratique qui explique la grogne actuelle.</p>
<p>Premier point de vue : on considère que, pour un sport donné, le placement dans le stade ou le round concerné (qualifications ou finales) n’ont en fin de compte pas tant d’importance que cela, et que nous sommes donc face à une prestation relativement homogène.</p>
<h2>Un public aisé surreprésenté ?</h2>
<p>Dans cette perspective, puisqu’il y a une prestation unique, le niveau des différents tarifs proposés et les critères d’accès aux dits tarifs sont déterminants dans la bonne perception de la grille par le public. Sur ce point, le choix du COJO, combinant <a href="https://www.maire-info.com/jeux-olympiques-et-paralympiques-2024-des-billetteries-pour-les-collectivites-partenaires-article2-27002">accès anticipé pour les partenaires</a> puis aléa pur pour le reste du public, ne pouvait qu’être mal perçu. Contrairement à ce que l’on imaginer en première lecture, l’aléa aboutit en effet mécaniquement à une surreprésentation d’un public aisé.</p>
<p>Dans une population composée de 50 % de personnes très aisées et de 50 % de personnes modestes, même si l’on met en vente pour un évènement donné 50 % de billets accessibles et 50 % de billets chers, le système de tirage au sort séquencé (une cohorte par jour) mis en place par le COJO aboutirait au final à des gradins composés au trois quart des personnes très aisées. Mécaniquement, la moitié des billets accessibles auraient en effet été préemptés par les représentants de la classe sociale supérieure tirées au sort dans les premières cohortes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1632365716656594953"}"></div></p>
<p>Pour faire court, il ne suffit pas de mettre en vente des places à 24 euros pour avoir un évènement populaire, il faut s’assurer d’une façon ou d’autre qu’une partie de ces places soient accessibles aux personnes les plus modestes.</p>
<p>Le COJO pourra rétorquer qu’il s’est bien préoccupé de cela, via les <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/835671/les-collectivites-semparent-du-levier-de-la-billetterie-sociale/">billetteries sociales</a> que les partenaires publics pourront mettre en œuvre. Mais il ne l’a clairement pas prévu dans cette première vague de mise en vente.</p>
<h2>Quelle place dans l’arène ?</h2>
<p>Second point de vue : on considère que, pour un sport donné, le placement dans le stade ou le round concerné ont vraiment de l’importance, et que nous sommes donc face à une multitude de prestations différentes. On peut comprendre que, dans cette perspective et comme c’est le cas dans la <a href="https://tickets.paris2024.org/obj/media/FR-Paris2024/grille-tarifaire.pdf">grille tarifaire arrêtée</a>, on paie pour l’athlétisme 24 euros pour des qualifications le 5 août au matin avec une visibilité limitée (catégorie D) et 690 euros pour une finale avec une excellente visibilité (catégorie A). Si l’on adopte cette posture, le COJO s’expose avec sa stratégie tarifaire à deux critiques majeures.</p>
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<p>D’une part, cette configuration impose une homogénéité minimale dans la perception qu’auront les spectateurs de la prestation rendue pour un tarif donné : quand on regarde la zone des catégories A dans le Stade de France, il y aura probablement nombreux et bruyants déçus le jour J (« j’ai payé le prix maximal et je suis super mal placé par rapport à d’autres qui ont payé le même prix, voire qui ont payé moins cher ! »). Bref, il faut savoir limiter au mieux les effets de seuils, à savoir l’écart significatif dans le prix acquitté entre deux prestations <em>in fine</em> relativement similaires.</p>
<p>De ce point de vue, quatre catégories de prix pour un stade, c’est un peu juste : pour un match de foot de Ligue 1 dans le <a href="https://billetterie.om.fr/fr">plus grand stade ouvert à la compétition</a>, on compte une dizaine de tarifs différents en fonction de la place dans le stade. C’est le risque lorsque l’on fait du cousu main : les exigences de prise en compte de la spécificité de chacun sont légitimées, et on droit chercher un équilibre nécessairement précaire entre lisibilité de l’offre (avec des tarifs distincts peu nombreux) et justesse des tarifs proposés au regard des différences de prestation.</p>
<p>D’autre part, cette configuration entretient une ségrégation spatiale et temporelle : aucune certitude qu’une personne en catégorie D pour des qualifications soit de classe modeste mais quasi-certitude qu’une personne en catégorie A pour une finale sera de classe aisée. C’est bien sûr là le lot de nombreux évènements culturels et sportifs, mais encore une fois cela tranche avec les éléments de langage très volontaristes qu’a choisi de déployer le COJO depuis plusieurs mois.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/513951/original/file-20230307-16-33irlb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Plan des catégories de places donné à titre indicatif par les organisateurs des Jeux olympiques 2024 à Paris" src="https://images.theconversation.com/files/513951/original/file-20230307-16-33irlb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513951/original/file-20230307-16-33irlb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=680&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513951/original/file-20230307-16-33irlb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=680&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513951/original/file-20230307-16-33irlb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=680&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513951/original/file-20230307-16-33irlb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=854&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513951/original/file-20230307-16-33irlb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=854&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513951/original/file-20230307-16-33irlb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=854&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Plan des catégories de places donné à titre indicatif par les organisateurs des Jeux olympiques 2024 à Paris.</span>
<span class="attribution"><span class="source">COJO 2024</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les enseignements du secteur public</h2>
<p>Imaginons un instant que la Mairie de Paris ait annoncé en fanfare une refonte complète et ambitieuse de la grille tarifaire de ses écoles de musique, pour des écoles plus accessibles et populaires. Quelle aurait été la réaction des usagers si elle était arrivée avec un système de tirage au sort, plusieurs niveaux de prestation (tarif A avec les meilleurs professeurs et des instruments neufs dans un immeuble haussmannien, tarif D avec des professeurs inexpérimentés et de vieux instruments dans un local en périphérie), et une priorité donnée aux partenaires institutionnels de la ville pour leurs salariés ?</p>
<p>Au final, la grande erreur du COJO aura été de considéré qu’il pouvait totalement se soustraire des canons d’établissement des tarifs du secteur public auxquels nos concitoyens sont familiarisés.</p>
<p>Si l’organisation des compétitions olympiques est financée par de l’argent privé à 100 %, c’est en tout cas le discours encore récemment porté par le <a href="https://www.rtl.fr/sport/autres-sports/invite-rtl-jo-paris-2024-on-n-est-pas-plus-cher-qu-a-londres-en-2012-se-defend-tony-estanguet-face-aux-critiques-sur-la-billetterie-7900237948">Président du COJO</a>, la perception qu’en ont les citoyens est très différente (et peut-être pas à tort…).</p>
<p>Il n’est pas encore trop tard pour, symboliquement, assurer à certains publics modestes des places de choix pour des finales se tenant la nuit du 4 août : peut-être que ce coup de com’ effacerait les désillusions et le bad buzz des derniers jours. Sans cela, les organisateurs risquent de ramer encore pendant quelque temps pour remonter la pente dans l’opinion publique. Ça tombe bien, le <a href="https://www.paris2024.org/fr/tony-estanguet-presentation/">Président du COJO</a>, Tony Estanguet, ancien champion de canoë, doit bien avoir quelques pagaies qui traînent dans son bureau.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200666/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Eisinger est administrateur délégué de l'AFIGESE (association des financiers, contrôleurs de gestion,
évaluateurs et manageurs des collectivités territoriales) </span></em></p>La mise en vente des premiers billets pour les JO de Paris 2024 a soulevé questions et critiques. Au-delà du système contraignant de packs, c’est bien la stratégie tarifaire qui interpelle.Thomas Eisinger, Professeur associé en droit, gestion financière et management des collectivités, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1999102023-02-16T20:29:46Z2023-02-16T20:29:46ZL’inflation dans la zone euro : stop ou encore ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/510117/original/file-20230214-24-sxsduh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=120%2C16%2C1072%2C752&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En décembre 2022, l’inflation hors alimentation et énergie avait atteint 5,4&nbsp;%&nbsp;: un record absolu dans la zone euro.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/en/photo/544915">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En 2022, le taux d’inflation annuel enregistré dans la zone euro fut le plus élevé (<a href="https://www.banque-france.fr/intervention/le-retour-de-linflation-dans-la-zone-euro-et-les-reponses-de-la-politique-monetaire">8,4 %</a>) depuis sa création en 1999, notamment sous l’effet des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement mondial et de la crise énergétique engendrée par le conflit en Ukraine.</p>
<p>La question qui se pose désormais est celle de sa trajectoire en 2023 et au-delà. Faut-il s’attendre à un ralentissement ou à une accélération de la hausse des prix ? En effet, plusieurs facteurs semblent aujourd’hui susceptibles de rapprocher l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/inflation-28219">inflation</a> de l’objectif de 2 % de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/banque-centrale-europeenne-bce-24704">Banque centrale européenne (BCE)</a> tandis que d’autres, à l’inverse, risquent de la maintenir à des niveaux élevés.</p>
<h2>Le pire est-il derrière nous ?</h2>
<p>Parmi les facteurs qui laissent penser que la tendance serait plutôt à un ralentissement de l’inflation, on peut déjà noter une baisse des prix des matières premières. Après un pic à 10,6 % en glissement annuel en octobre 2022, les derniers chiffres de janvier ont montré une <a href="https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Inflation_in_the_euro_area">baisse à 8,5 %</a>. Cette chute des matières premières depuis leurs sommets historiques explique en grande partie cette décélération de la hausse des prix. En effet, l’alimentation et le logement/énergie représentent 35 % de l’indice global de l’IPCH (indice harmonisé des prix).</p>
<p>En supposant que nous n’assistions pas à une résurgence des tensions sur ces marchés à forte volatilité, l’effet de base (c’est-à-dire corrigé des causes transitoires) sera donc de plus en plus favorable dans les mois à venir, poussant les chiffres de l’inflation globale à la baisse.</p>
<p><iframe id="Aa42X" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Aa42X/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Autre argument qui plaide pour un ralentissement de l’inflation : les anticipations d’inflation. De manière peut être surprenante pour le grand public, ces anticipations constituent en effet l’un des <a href="https://www.cairn.info/macroeconomie--9782100793259-page-356.htm">principaux moteurs de la hausse des prix</a> aujourd’hui. Dans ce contexte, les banquiers centraux surveillent donc attentivement les enquêtes menées auprès des consommateurs et des prévisionnistes professionnels pour évaluer les sentiments d’inflation.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Or, selon le dernier rapport de la BCE, <a href="https://www.ecb.europa.eu/stats/ecb_surveys/consumer_exp_survey/results/html/ecb.ces_results_january_2023_inflation.en.html">ces prévisions des consommateurs</a> commencent à se stabiliser depuis plusieurs mois. Dans le même temps, les <a href="https://www.ecb.europa.eu/stats/ecb_surveys/survey_of_professional_forecasters/html/ecb.spf2023q1%7Eaf876c4cfb.en.html">professionnels</a> ont revu légèrement à la hausse leurs prévisions d’inflation IPCH pour 2023 et 2024 par rapport à l’enquête précédente (pour le quatrième trimestre de 2022), pour s’établir à 5,9 % et 2,7 % respectivement. Dans l’ensemble, ces deux indicateurs constituent un signal positif indiquant que les anticipations d’inflation à moyen terme sont toujours bien ancrées autour de l’objectif de la BCE, et que le scénario d’un dérapage de l’inflation n’est (pour l’instant) que peu probable.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-france-linflation-a-probablement-atteint-son-pic-en-2022-194987">En France, l’inflation a probablement atteint son pic en 2022</a>
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<p>Enfin, il ne faut pas oublier que les actions de politique monétaire mettent du temps à produire leurs effets (<a href="https://www.ecb.europa.eu/press/key/date/2022/html/ecb.sp221011%7E5062b44330.en.html">minimum 12 mois et un pic à 24 mois</a>).</p>
<p>En bref, nous ne ressentirons l’impact de la première hausse des taux d’intérêt de la BCE (en <a href="https://theconversation.com/fed-et-bce-deux-rythmes-mais-une-meme-strategie-contre-linflation-185059">juillet 2022</a>) qu’à la mi-2023. Si l’économie de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/zone-euro-54680">zone euro</a> a montré quelques signes de ralentissement au dernier trimestre de 2022, l’effet « retardateur » d’une hausse des taux d’intérêt aura certainement un impact plus important sur la croissance en 2023, <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO/Issues/2023/01/31/world-economic-outlook-update-january-2023">attendue à 0,7 %</a> après 3,5 % l’année dernière.</p>
<p>Cependant, un certain nombre d’arguments peuvent aujourd’hui laisser penser que les prix resteront à un niveau élevé. Tout d’abord, les chiffres de l’inflation restent supérieurs à 7 % dans les grands pays de la zone euro. L’Allemagne, la France et l’Italie n’ont pas sont encore connu de ralentissement significatif. En résumé, les prix des biens européens continuent d’augmenter.</p>
<h2>Un pic au printemps ?</h2>
<p>Les recherches sur la <a href="https://www.ecb.europa.eu/pub/economic-research/research-networks/html/researcher_ipn_briefsummary.en.html">persistance de l’inflation</a> menées par la BCE ont montré que les prix sont actualisés peu fréquemment et de manière irrégulière, ce qui peut entraîner des « effets de second tour » qui mettent du temps à répercuter le choc inflationniste des matières premières au reste de l’économie. Il n’est donc pas surprenant de constater que les prix à la production ne sont pas encore entièrement transférés aux détaillants et grandes surfaces. D’après Michel-Édouard Leclerc, patron de l’enseigne E. Leclerc, la hausse des prix pourrait atteindre un pic « entre avril et juin ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1617186700463046656"}"></div></p>
<p>Il est aussi intéressant de noter que les changements de prix semblent encore plus rares pour les biens industriels non énergétiques et surtout pour les services. Lors de sa dernière <a href="https://www.ecb.europa.eu/press/pressconf/2023/html/ecb.is230202%7E4313651089.en.html">conférence de presse du 2 février dernier</a>, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, a tenu à souligner que l’inflation sous-jacente (hors alimentation et énergie) avait atteint 5,4 % en décembre, soit un record absolu dans la zone euro. La rigidité des prix reste d’ailleurs élevée dans la zone euro (<a href="https://www.ecb.europa.eu/pub/economic-research/research-networks/html/researcher_ipn_briefsummary.en.html">plus qu’aux États-Unis)</a>, ce qui explique la posture « faucon » de certains responsables de la BCE pour lesquels la <a href="https://www.ecb.europa.eu/press/inter/date/2023/html/ecb.in230208%7E028be3e58d.en.html">bataille contre l’inflation n’est pas encore gagnée !</a></p>
<p><iframe id="SuPaB" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/SuPaB/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="UygaG" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/UygaG/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Jusqu’à présent, la boucle inflation-salaire reste maîtrisée malgré les problèmes récurrents de <a href="https://www.ft.com/content/b303207e-1513-4f01-920a-233dbf1a313d">pénurie de main-d’œuvre</a> observée dans plusieurs pays. Toutefois, la BCE estime que le marché de l’emploi, plus que résilient en ce début d’année, pourrait entraîner une hausse des salaires.</p>
<p>Dans les années 1970, la boucle inflation-salaire avait été responsable de la forte persistance de l’inflation après le choc pétrolier. Dans un <a href="https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/scpwps/ecbwp414.pdf">article de recherche</a> publié en 2004, je concluais que le degré de persistance de l’inflation avait progressivement diminué lorsque les autorités monétaires avaient adopté une politique de ciblage de l’inflation, et que <a href="https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/scpops/ecb.op299%7E61d0565cfb.en.pdf">l’indexation des salaires</a> était devenue l’exception plutôt que la norme. Cependant, comme l’a reconnu Christine Lagarde, les salaires constitueront une composante importante de la pression inflationniste dans les mois à venir.</p>
<h2>Jamais à l’abri d’une erreur…</h2>
<p>Il existe un <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-07-14/ecb-is-judged-as-acting-late-after-its-long-goodbye-to-low-rates">consensus</a> sur le fait que la BCE (ainsi que la Réserve fédérale américaine, la Fed) avait tardé à relever son taux d’intérêt directeur l’année dernière.</p>
<p>Verrons-nous une autre erreur de politique de la part des banquiers centraux cette année ? Dans un article du <a href="https://www.ft.com/content/146647c0-8e0d-4497-8ea8-ea5f930d7fcd"><em>Financial Times</em></a>, le journaliste Martin Wolf rappelait que, lorsque l’inflation avait commencé à baisser au début des années 1970, la Fed avait réduit son taux directeur trop tôt. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les contrats à terme sur les taux d’intérêt (produits financiers qui engagent l’achat ou la vente d’un actif à un prix et une date déterminés) prévoient que la Fed comme la BCE pourraient <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-01-16/ecb-interest-rates-seen-hitting-peak-of-3-25-before-cut-in-july">baisser leur taux directeur</a> dès cette année !</p>
<p>Au bilan, il reste difficile de dire quels facteurs vont l’emporter, notamment avec le climat d’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/incertitude-23726">incertitude</a> que les autorités monétaires et budgétaires ne peuvent contrôler. Même si le consensus s’oriente vers une désinflation progressive de la zone euro, l’économie mondiale n’est pas à l’abri d’autres chocs géopolitiques impossibles à prévoir et qui pourraient nous rapprocher d’une trajectoire réinflationniste similaire aux années 1970. Si l’histoire ne se répète jamais, elle rime souvent, c’est pourquoi l’humilité et la détermination sont peut-être les meilleurs outils dont disposent les pilotes de la politique monétaire pour nous faire atterrir en douceur. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-bce-poursuit-son-resserrement-monetaire-mais-doit-composer-avec-de-fortes-incertitudes-199332">La BCE poursuit son resserrement monétaire mais doit composer avec de fortes incertitudes</a>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/199910/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gregory Gadzinski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quelle sera la trajectoire de la hausse des prix en 2023 dans la zone euro ? Tour d’horizon des arguments en faveur d’une accélération et d’une décélération.Gregory Gadzinski, Associate Professor of Finance, International University of MonacoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1994432023-02-09T23:42:51Z2023-02-09T23:42:51ZPourquoi la Chine, plus que la guerre en Ukraine, menace la sécurité alimentaire mondiale<p>En ce début 2023, la flambée des prix agricoles, qui a marqué l’année qui vient de s’écouler, semble derrière nous. Les prix des produits les plus affectés, comme les céréales et les oléagineux, ont en effet retrouvé leur niveau de fin 2021. Les prix de l’énergie et des fertilisants sont eux redescendus de leur pic de 2022 sans toutefois revenir à leur niveau de 2021.</p>
<p>Ce retour des prix à des niveaux plus bas ne doit cependant pas faire oublier que les prix étaient déjà très élevés en 2021, ce qui montre bien que l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’était pas la cause première de cette crise, mais un facteur aggravant d’une situation tendue qui lui préexistait.</p>
<p>Le prix des céréales était, en effet, 44 % plus haut en décembre 2021 qu’un an plus tôt ; l’augmentation était encore plus spectaculaire pour le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ble-50466">blé</a>, dont le prix avait augmenté de près de 80 % entre ces deux dates. Or en 2021, ces niveaux inquiétaient déjà les organisations internationales travaillant sur la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/securite-alimentaire-51357">sécurité alimentaire</a>, car ils mettaient en péril les approvisionnements en nourriture dans de nombreux pays pauvres dont les finances sortaient très affaiblies de la crise sanitaire.</p>
<p>Le maintien de prix à des niveaux aussi élevés pendant maintenant plus de deux ans menace fortement les progrès réalisés en matière de sécurité alimentaire depuis deux décennies.</p>
<p><iframe id="F8U56" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/F8U56/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Bien entendu, les causes de ces évolutions sont multiples, mais l’une d’entre elles, pourtant majeure, est rarement évoquée : la politique menée en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chine-20235">Chine</a> pour assurer sa sécurité alimentaire. Celle-ci s’est matérialisée par la constitution de stocks de céréales et par la mise en place de restrictions aux exportations de fertilisants, mesures qui ont contribué à la hausse des prix mondiaux et aux difficultés pour sortir de cette crise.</p>
<h2>La Chine dépendante depuis 2003</h2>
<p>Avec 18 % de la population mondiale pour seulement 8,6 % des terres arables en 2020, la Chine fait face à un défi quasi structurel de sécurité alimentaire. D’autant que ses terres arables ont diminué de 6 % de 2009 à 2019 (ministère des Ressources naturelles) sous la pression de l’urbanisation et offrent une productivité moyenne relativement modeste.</p>
<p>Cette situation délicate est aggravée par la pollution des eaux et des sols, particulièrement saillante par le passé du fait d’une administration peu regardante. Jusqu’au début des années 2000, la consommation alimentaire chinoise était assurée principalement par des approvisionnements locaux, le commerce avec le reste du monde étant extrêmement limité.</p>
<p><iframe id="18mzC" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/18mzC/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’enrichissement de la Chine s’est traduit par une transformation de son régime alimentaire : plus de calories et de protéines consommées et plus de produits d’origine animale ; d’après FAOSTAT, en Chine, la part des protéines d’origine animale dans le total des protéines consommées est passée de <a href="https://www.fao.org/statistics/fr/">32 % en 2001 à 39 % en 2018</a>.</p>
<p>Ce supplément de demande n’ayant pas pu être satisfait par la production intérieure, les importations de produits alimentaires chinois ont commencé à augmenter en 2002, le déséquilibre entre consommation et production s’accélérant même depuis 2013 jusqu’à conduire la Chine à devenir le premier importateur mondial de produits agricoles et alimentaires en 2012.</p>
<p>À ces transformations structurelles s’est ajouté l’épisode d’épizootie de peste porcine africaine qui a détruit la moitié du cheptel porcin chinois en 2018. La reconstitution de ce cheptel à partir de 2020-2021 a conduit la Chine à importer beaucoup plus de maïs : plus de 29 millions de tonnes, contre jamais plus de 8 millions par an auparavant. Un tel accroissement de demande, qui correspondait à 2,5 % de la production mondiale, a significativement contribué à l’augmentation des prix mondiaux en 2021.</p>
<h2>Politique nationale, conséquences mondiales</h2>
<p>La sécurité alimentaire est en Chine un souci de longue date, comme en témoignent les niveaux de stocks très élevés à la fin des années 1990. Les réserves agricoles publiques sont constituées à la fois des réserves stratégiques nationales, des stocks des différents échelons administratifs (répondant pour partie à des minimas fixés par le gouvernement, dont six mois de consommation pour les provinces consommatrices nettes et trois pour les autres) et des réserves temporaires issues des programmes de soutien des prix.</p>
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<p>Avec la montée en puissance des importations de produits alimentaires à partir de 2003, l’enjeu de sécurité alimentaire est réapparu dans les préoccupations des autorités chinoises en 2006. Au-delà d’une présence nouvelle dans les discours de politique générale, un premier Plan-Cadre spécifique a été publié en 2008, fixant un objectif d’autosuffisance sur le blé et le riz à l’horizon 2030, ainsi que la sanctuarisation d’une certaine surface de terres arables au niveau national et aux différents échelons administratifs.</p>
<p>En parallèle, les autorités ont progressivement déployé, à partir de 2006, un programme de soutien aux prix, particulièrement généreux pour les producteurs, au point de donner lieu à un différend porté à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et perdu par la Chine. Ce programme aurait été un élément important de la hausse des réserves chinoises temporaires jusqu’à 2010. Enfin, depuis 2014, les obligations et la responsabilité des autorités locales en matière de réserves minimales ont été renforcées pour plusieurs produits agricoles de base.</p>
<p>Résultat, au cours de la période 2010-2017 la Chine a procédé à une fantastique accumulation de stocks de grains, de sorte qu’aujourd’hui les stocks de l’ensemble des céréales et oléagineux sont estimés à près de 500 millions de tonnes, pour une consommation annuelle de 780 millions de tonnes (graphique 2). Même si ces stocks ont été pour beaucoup accumulés à partir de productions domestiques, ils ont nécessité d’augmenter les importations : les stocks actuels correspondent à près d’un tiers des importations chinoises depuis 2000.</p>
<p>La politique de stockage chinoise illustre bien les effets secondaires d’une politique nationale sur la sécurité alimentaire mondiale. Du fait de la taille du pays, le stockage chinois de céréales et d’huiles végétales a des répercussions significatives sur les équilibres globaux. Concernant le blé, les stocks chinois représenteraient aujourd’hui environ 20 % de la consommation mondiale (graphique 3), soit 54 % des stocks mondiaux. La situation serait encore pire pour le maïs (69 %) et le riz (64 %).</p>
<p><iframe id="S28Py" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/S28Py/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En plus de la taille de ces stocks, leur détention par la Chine représente un enjeu particulier pour la sécurité alimentaire mondiale. En effet, en règle générale, les stocks de céréales sont considérés comme cruciaux car ils permettent d’absorber les chocs temporaires d’offre et de demande : ils contribuent à stabiliser les prix, limitant aussi bien leur baisse, lorsque les récoltes sont bonnes, que leur hausse, lorsqu’elles sont mauvaises.</p>
<h2>Une crise différente</h2>
<p>La théorie économique nous enseigne que les pics de prix sur les marchés agricoles devraient survenir lorsque les stocks sont au plus bas et qu’il n’y a plus que très peu de marges de manœuvre pour faire face à une mauvaise récolte. Historiquement, cela a bien été le cas : les flambées des prix des années 1970 et 2000 correspondent par exemple à des stocks mondiaux historiquement bas.</p>
<p>La crise actuelle est différente car elle intervient à un moment où les stocks sont historiquement hauts. Mais c’est l’importance des stocks chinois qui expliquent l’abondance mondiale car, dans les principaux pays exportateurs, ces stocks sont au plus bas après le minimum de 2007-2008, autre année de flambée des prix.</p>
<p>Or, les stocks chinois ne jouent pas aujourd’hui un rôle régulateur pour la sécurité alimentaire mondiale car ils ne réagissent pas aux signaux de prix et aux autres tensions sur les marchés. Les stocks ont normalement vocation à absorber les chocs temporaires ou à permettre de bénéficier des hausses de prix.</p>
<p>Mais dans le cas chinois, cela est différent. Lorsque la demande pour l’alimentation animale augmente en Chine à partir de 2020-2021, c’est avant tout les importations qui y répondent, pas les stocks, pourtant abondants. Lorsque les prix flambent en 2022 et que les grands pays exportateurs vident leurs stocks, les stocks chinois ne bougent pas, malgré les opportunités de profits.</p>
<p>Les stocks chinois réagissent donc à des objectifs de politique intérieure : assurer un volant de réserves alimentaires au seul bénéfice de la population chinoise. Le fait que la Chine ait accumulé d’importants stocks, loin de contribuer à une meilleure sécurité alimentaire pour tous, a au contraire diminué les quantités disponibles sur les marchés, les laissant beaucoup plus sensibles aux chocs.</p>
<h2>Pékin effondre le marché des fertilisants</h2>
<p>Une production mondiale abondante aurait été en 2022 un élément-clé pour sortir de la flambée des prix agricoles. Or, sur cette dimension aussi, une politique chinoise pèse : celle qui concerne les restrictions aux exportations de fertilisants. La Chine a mis en place le 28 août 2021, donc bien avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, une interdiction, jusqu’au 31 décembre 2022, d’exporter du <em>phosphate rock</em>, ainsi que des licences d’exportation de fertilisants. Avant cela, la Chine réalisait 11 % des exportations mondiales d’engrais azoté (1er exportateur mondial), 1,2 % de celles de potasse et 11 % de celles de phosphate.</p>
<p>Les restrictions à l’exportation sont peu régulées par l’OMC, qui <em>grosso modo</em> a pour seule exigence de réclamer aux pays qui les mettent en place d’informer les pays qui pourraient être affectés par ces instruments commerciaux et d’appliquer ces restrictions sans discrimination à tous les membres.</p>
<p>Dans un contexte d’augmentation des prix de l’énergie (énergie nécessaire à la production de fertilisants azotés) et des fertilisants, la Chine a mis en place ces restrictions à l’exportation pour que sa production de fertilisants soit majoritairement vendue aux fermiers chinois. Avec ces restrictions, l’offre de fertilisants sur le marché mondial s’est effondrée et leurs prix se sont envolés en août 2021 à partir d’un niveau déjà relativement élevé, dû à la hausse des prix de l’énergie à partir du premier semestre 2021. Ces restrictions à l’exportation se sont traduites par une baisse des exportations chinoises de fertilisants de 7 millions de tonnes entre 2021 et 2022 pour l’ensemble des fertilisants, soit une réduction de 23 %.</p>
<p>Les pénuries mondiales de fertilisants en 2021 et 2022 ont limité la production agricole mondiale. Si les hausses des prix de l’énergie sont un des principaux facteurs de ces tensions, les restrictions aux exportations chinoises ont aussi joué un rôle non négligeable et souvent omis. Les prix mondiaux des fertilisants ont baissé significativement depuis le premier trimestre 2022, tout en restant très élevés par rapport à janvier 2020 (graphique 1).</p>
<h2>Le risque d’un « multi-bilatéralisme »</h2>
<p>Cette situation est d’autant plus inquiétante que les prix des fertilisants ont augmenté beaucoup plus que ceux des produits agricoles, ce qui devrait amener les agriculteurs à en utiliser moins et donc peser encore sur la production agricole mondiale.</p>
<p>Ces dernières décennies, la Chine est devenue un acteur majeur sur les marchés agricoles internationaux, comme sur de nombreux autres marchés. Avec un poids plus important dans le commerce agricole et alimentaire mondial, on aurait pu espérer une conduite de sa politique commerciale coordonnée avec celles de ses partenaires.</p>
<p>Au contraire, ce poids plus important s’est accompagné de politiques internes de très grande ampleur conduites sans coordination avec ses partenaires et dans une relative opacité, affectant ainsi un système alimentaire fragile. Même si la Chine n’est pas seule responsable de la crise actuelle, ses politiques y ont contribué, alors même que la vente des stocks chinois pourrait mettre fin aux tensions.</p>
<p>L’importance de ces réserves chinoises rend d’ailleurs d’autant plus nécessaire l’engagement multilatéral de la Chine sur les enjeux de sécurisation des approvisionnements alimentaires des pays les plus vulnérables. Or, en dépit des initiatives de la France, de l’UE et du G7 en ce sens en 2022, au plus fort des tensions sur les marchés agricoles mondiaux, Pékin n’a fait état d’aucune volonté d’aller au-delà des mécanismes multilatéraux existants.</p>
<p>Dans le même temps, le sujet de la sécurité alimentaire a été bien plus fréquemment traité dans les échanges bilatéraux et plurilatéraux des dirigeants de la République populaire en 2022, pouvant laisser craindre une préférence de Pékin pour une forme de « multi-bilatéralisme », plus à même de permettre une exploitation géostratégique de sa puissance de marché.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199443/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La politique menée par Pékin pour répondre à sa demande intérieure en matière de blé, de riz ou de maïs contribue fortement à la hausse des prix sur les marchés internationaux.Antoine Bouët, Directeur, CEPIIChristophe Gouel, Conseiller scientifique au CEPII, directeur de recherche, InraeFrançois Chimits, Économiste, programme scientifique « politiques commerciales », CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1994322023-02-07T19:34:07Z2023-02-07T19:34:07Z« L’inflation importée », un facteur déterminant de la flambée des prix<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/508595/original/file-20230207-19-k6uwib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=44%2C24%2C978%2C643&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La contribution des prix du pétrole à l’inflation a doublé depuis le début des années&nbsp;2000.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/1120569">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En France, l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/inflation-28219">inflation</a> a atteint 5,2 % en moyenne sur 2022, un plus haut historique depuis le milieu des années 1980. Comme détaillé dans <a href="https://blog.insee.fr/un-retour-sur-l-evolution-recente-de-l-inflation/">ce post sur le blog de l’Insee</a>, cette hausse est la conséquence d’un double choc : d’abord une reprise post-Covid marquée un déséquilibre marqué entre une demande dynamique et une offre bridée, ce qui a poussé l’inflation autour des 3 %, suivie du déclenchement de la guerre en Ukraine qui a fait s’envoler les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/prix-33726">prix</a> internationaux des matières premières. Cet épisode inflationniste est ainsi caractérisé par une hausse annuelle en 2022 de 23 % des prix de l’énergie et de 7 % des prix alimentaires.</p>
<p>Cette chronologie montre bien que, dans un monde où les économies sont de plus en plus intégrées, l’environnement international joue un rôle déterminant dans le niveau de l’inflation observée dans un pays. Ce passage des prix internationaux aux prix domestiques entraîne ce que les économistes appellent <a href="http://financedemarche.fr/definition/inflation-importee">« l’inflation importée »</a>.</p>
<h2>Chocs globaux</h2>
<p>Trois types de chocs dans l’économie mondiale peuvent générer cette inflation importée : des chocs de demande globale ; des chocs d’offre globale ; et des chocs sur les prix des matières premières.</p>
<p>Un choc de demande mondiale est un choc qui fait varier les prix et l’activité économique dans la même direction. Cela a été les cas au cours des récessions mondiales en 1975, 1982 ou 2008-09 où on a connu des baisses simultanées de prix et d’activité économique à l’échelle de la planète. Un choc de demande peut aussi être positif lorsqu’une économie majeure du globe se met à croître rapidement pour une raison donnée. C’est ce qu’on a vu, en partie, aux États-Unis au moment de la <a href="https://theconversation.com/plan-biden-relance-americaine-consequences-mondiales-161370">relance budgétaire</a> mise en place par le président Joe Biden en début d’année 2021.</p>
<p>Un choc d’offre globale correspond à un événement qui entraîne les prix et l’activité économique dans des directions opposées. Il s’agit par exemple de l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001. Cet événement a contribué à accélérer la croissance du PIB mondial et a entraîné des pressions baissières sur les prix mondiaux (notamment ceux des biens manufacturés) et <em>in fine</em> sur les <a href="https://publications.banque-france.fr/en/estimating-us-consumer-gains-chinese-imports">prix domestiques</a> dans de nombreux pays. Il peut s’agir également d’un événement climatique majeur qui perturberait la production dans un pays fortement intégré dans les chaînes de valeurs internationales.</p>
<p>Enfin, un choc sur les prix des matières premières revient en général à considérer des variations inattendues sur le prix des matières premières énergétiques, en particulier le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/petrole-21362">pétrole</a>. C’est typiquement ce que l’on a constaté depuis le début de la guerre en Ukraine fin février 2022.</p>
<h2>Les pays avancés plus sensibles</h2>
<p>Dans ce cadre d’analyse, un <a href="https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/38563/IDU0458baf2e0e6ed045bb095e70cbc841f24bed.pdf">travail de recherche récent de la Banque mondiale</a> a montré que pour un ensemble de 55 pays, de 1970 à 2022, l’ensemble des chocs globaux expliquent plus d’un quart (26 %) des variations d’inflation dans une économie standard, ce qui est considérable. La contribution des prix du pétrole à cette estimation est d’environ 4 %, ce qui semble relativement plus faible mais reste significatif pour les trois-quarts des pays. Les auteurs notent toutefois que la contribution des prix du pétrole a doublé depuis le début des années 2000.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/508592/original/file-20230207-16-w142uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Banque mondiale (2023)" src="https://images.theconversation.com/files/508592/original/file-20230207-16-w142uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508592/original/file-20230207-16-w142uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=235&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508592/original/file-20230207-16-w142uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=235&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508592/original/file-20230207-16-w142uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=235&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508592/original/file-20230207-16-w142uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=296&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508592/original/file-20230207-16-w142uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=296&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508592/original/file-20230207-16-w142uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=296&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/38563/IDU0458baf2e0e6ed045bb095e70cbc841f24bed.pdf)</span></span>
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<p>Un autre résultat qui ressort de l’analyse est que les pays avancés sont en général plus sensibles aux chocs globaux : la contribution des chocs globaux aux variations d’inflation est d’environ 35 % dans ces pays, contre 19 % pour les pays émergents. Cela reflète principalement le fait que les pays avancés sont plus intégrés dans l’économie mondiale, à la fois sur le plan du commerce et des échanges financiers.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/508593/original/file-20230207-32-w142uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508593/original/file-20230207-32-w142uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508593/original/file-20230207-32-w142uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=234&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508593/original/file-20230207-32-w142uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=234&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508593/original/file-20230207-32-w142uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=234&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508593/original/file-20230207-32-w142uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=294&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508593/original/file-20230207-32-w142uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=294&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508593/original/file-20230207-32-w142uq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=294&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Part des pays ayant des réponses significatives aux chocs (pourcentage de l’échantillon total).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/38563/IDU0458baf2e0e6ed045bb095e70cbc841f24bed.pdf?sequence=1&isAllowed=y">Banque mondiale (2023)</a></span>
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<p>Ce travail met également en évidence que les chocs de prix du pétrole ont tendance à se propager de manière différenciée à l’inflation domestique : si le pays est importateur net de matières premières ou s’il est fortement intégré dans l’économie mondiale, il va se montrer plus sensible aux chocs. À l’inverse, avoir un cadre de politique monétaire basé sur le ciblage d’inflation ou posséder un taux de change flexible modère les effets des chocs sur les prix du pétrole.</p>
<p>Le taux de change constitue en effet une variable cruciale pour déterminer l’inflation importée. Plus la monnaie domestique se déprécie par rapport aux monnaies étrangères, plus cela va coûter cher aux entreprises du pays d’importer des biens et des services. Cela a un effet direct sur les prix à l’import, puis sur les prix à la consommation. En particulier, un pays importateur net de produits pétroliers va être extrêmement sensible aux variations de sa monnaie contre le dollar américain, car les échanges internationaux de produits pétroliers s’établissent principalement dans la devise américaine.</p>
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<p>Ainsi, dans le cas de la France, on estime qu’une dépréciation de 10 % de l’euro face au dollar américain entraîne une <a href="https://publications.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/wp750.pdf">hausse de 0,2 % des prix à la consommation au bout d’un an</a>, par rapport à un scénario sans dépréciation. Mais ces effets peuvent être renforcés en période de crise financière ou de fortes incertitudes.</p>
<h2>Quid de la politique monétaire ?</h2>
<p>L’inflation importée pose un problème aux décideurs de politique économique qui n’ont pas vraiment de contrôle sur cette inflation. Pour la banque centrale, la question est de savoir si cette inflation importée va se propager à l’inflation domestique sous-jacente (tendance de long terme corrigée des variations transitoires) et engendrer ainsi des effets dits de second tour.</p>
<p>Si le risque de propagation est faible, la banque centrale peut choisir d’attendre avant de resserrer les conditions financières. Cela est d’autant plus vrai que l’expérience des deux chocs pétroliers des années 1970 a montré qu’un resserrement monétaire pouvait être extrêmement <a href="https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/1997/01/1997a_bpea_bernanke_gertler_watson_sims_friedman.pdf">préjudiciable à la croissance du PIB</a> et contribuer à faire basculer le pays en récession.</p>
<p>En revanche, si le risque de propagation est élevé, la banque centrale peut décider d’utiliser rapidement tous ses outils de politique monétaire, taux d’intérêt ou approches non conventionnelles, pour resserrer les conditions financières. Cette évaluation des risques est actuellement au cœur des débats au sein de nombreuses banques centrales à travers le monde. La décision de la Banque centrale européenne de relever une nouvelle fois son taux directeur pour le <a href="https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2023/html/ecb.mp230202%7E08a972ac76.fr.html">porter à 3 %</a>, le 8 février, montre que les autorités monétaires estiment que ce risque de propagation du choc à l’inflation domestique reste actuellement élevé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199432/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Ferrara ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un rapport de la Banque mondiale montre que les pays avancés sont particulièrement vulnérables au risque de propagation de la hausse des prix internationaux à leurs économies domestiques.Laurent Ferrara, Professeur d’Economie Internationale, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1993442023-02-07T19:29:05Z2023-02-07T19:29:05ZC’est quoi l’inflation ?<p>Prenons l’exemple d’un croissant que l’on a l’habitude d’acheter dans notre boulangerie au prix d’un euro. Avec un billet de 10 euros, nous pouvons en acheter 10 exemplaires.</p>
<p>Un beau matin, à l’ouverture du commerce, nous avons la mauvaise surprise de voir que son prix est maintenant de 1,25 euro pièce. C’est une très mauvaise nouvelle, parce qu’avec un même billet de 10 euros, nous ne pouvons plus obtenir que 8 viennoiseries.</p>
<p>Bien sûr, si notre croissant est le seul produit du magasin à avoir vu son prix augmenter, cela n’est pas significatif. Mais si on s’aperçoit que dans notre boulangerie beaucoup d’autres produits affichent un prix supérieur à l’ordinaire, alors on peut suspecter un phénomène d’inflation, c’est-à-dire une augmentation générale des prix des biens et des services dans l’économie.</p>
<p>Nous pouvons alors nous demander pourquoi les prix à la consommation augmentent simultanément. Les économistes ont isolé plusieurs causes à ce phénomène, mais voici les deux principales :</p>
<ul>
<li><p>L’excès de monnaie en circulation et/ou l’excès de demande : quand il y a trop de monnaie dans le circuit économique,la demande (la quantité de biens convoitée par tous les acheteurs) augmente plus rapidement que l’offre (la quantité de biens que peuvent proposer tous les vendeurs). Les produits deviennent plus rares, et la compétition pour les obtenir, plus féroce car il n’y en aura pas pour tout le monde. Les vendeurs vont donc augmenter les prix.</p></li>
<li><p>L’augmentation des coûts : pour produire des biens et des services, il faut engager des ressources. Quand le prix de ces ressources augmente, par exemple l’énergie, les salaires, les matières premières ou les frais de stockage et d’acheminement, cela devient plus coûteux de fabriquer des produits. Les entreprises vont donc chercher à répercuter cette hausse de coût dans les prix de vente.</p></li>
</ul>
<p>Si on entend beaucoup parler d’inflation ces derniers mois, c’est précisément parce que nous subissons les effets de ces différentes causes. Le redémarrage de l’économie après des mois de confinement planétaire et de mise à l’arrêt des chaînes de production a d’abord provoqué un choc de demande : il y avait beaucoup d’acheteurs pour des stocks limités, et une production qui ne pouvait pas suivre le rythme.</p>
<p>La guerre en Ukraine a également fait flamber les prix du gaz et du pétrole. Or, il faut beaucoup d’énergie pour produire tous nos biens de consommation, y compris les viennoiseries et les baguettes de pain.</p>
<p>Au-delà d’un certain niveau, l’inflation n’est pas une très bonne nouvelle parce que si, dans le même temps, notre revenu n’augmente pas au moins dans les mêmes proportions, nous ne pourrons plus acheter autant de biens, ou de même qualité, qu’auparavant. On dit alors que nous perdons en « pouvoir d’achat ». Les personnes qui disposent d’un revenu fixe, comme les retraités par exemple, et bien sûr les personnes aux revenus modestes ou en situation de précarité, sont tout particulièrement exposées.</p>
<p>L’inflation, néanmoins, est parfois une bonne nouvelle, notamment pour les personnes endettées, pour qui elle va réduire le poids de cette dette. Imaginons que nous devions 10 euros à un ami. Avant le choc inflationniste, il fallait 10 croissants pour le rembourser ; après, nous l’avons vu, 8 suffisent. Ce qui est valable pour les personnes l’est également pour les entreprises, et même pour les États.</p>
<p>Attention toutefois. Cet aspect positif de l’inflation n’est pas toujours vérifié en réalité :</p>
<ul>
<li><p>D’une part, parce que les personnes, entreprises ou États endettés ont régulièrement besoin d’argent pour subvenir à leurs besoins. Or, pour lutter contre l’inflation, la banque centrale (l’institution qui veille à la stabilité des prix) va augmenter son taux d’intérêt directeur. C’est-à-dire que la monnaie va devenir plus rare, et donc plus chère à obtenir. Ce qui peut aggraver la situation des personnes les plus endettées.</p></li>
<li><p>D’autre part, si une Nation connaît durablement une inflation plus forte que celle des autres Nations avec lesquelles elle commerce, ses entreprises vont alors perdre en compétitivité. Ce qui va se traduire par un ralentissement économique et un affaiblissement de sa balance commerciale, c’est-à-dire qu’elle va s’appauvrir relativement à l’extérieur. Sur ce point, heureusement pour nous, l’inflation en France et en Europe est actuellement plus faible que dans d’autres pays.</p></li>
</ul>
<p>C’est pour toutes ces raisons qu’il est important de maintenir l’inflation sous contrôle. En Europe, par exemple, la Banque Centrale se fixe un objectif de 2 % d’inflation annuelle, ce qui est un niveau qui permet d’inciter les individus à consommer ou investir (donc à stimuler l’économie) plutôt qu’épargner, sans encourir les risques et les problèmes dont nous avons parlé.</p>
<hr>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dianerottner.com/">Diane Rottner</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em>Si toi aussi tu as une question, demande à tes parents d’envoyer un mail à : <a href="mailto:tcjunior@theconversation.fr">tcjunior@theconversation.fr</a>. Nous trouverons un·e scientifique pour te répondre</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199344/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Pillot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>On l’a tous remarqué, les prix augmentent. Tentons d’expliquer simplement ce phénomène d’inflation.Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie (Inseec) / Pr. associé (U. Paris Saclay) / Chercheur associé (CNRS), INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1955062023-01-19T16:00:09Z2023-01-19T16:00:09ZLa fiscalité, un outil précieux pour résoudre la crise du logement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/505177/original/file-20230118-16-izbt03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2995%2C2061&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des manifestants réclament davantage de logements sociaux et abordables à Montréal, le 24 avril 2021. Une des manières d'y parvenir serait grâce à la fiscalité.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span></figcaption></figure><p>La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) a adopté le 24 novembre dernier sa <a href="https://cmm.qc.ca/communiques/la-cmm-se-dote-dune-premiere-politique-en-habitation/">première politique d’habitation</a>.</p>
<p>Celle-ci arrive dans un contexte de <a href="https://www.nbc.ca/content/dam/bnc/taux-analyses/analyse-eco/logement/housing-affordability.pdf">dégradation importante de l’abordabilité du logement dans de nombreuses villes canadiennes</a>. En effet, les coûts supportés par les ménages pour se loger dans les grandes villes canadiennes, dont Montréal, augmentent bien plus vite que leurs revenus.</p>
<p>Face à cet enjeu, la CMM propose plusieurs mesures visant à accroître l’offre de logements aux ménages montréalais, dont l'insuffisance est de plus en plus souvent signalée comme une des <a href="https://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/lobservateur-du-logement/2022/retablir-labordabilite-dici-2030">causes de l’envolée de leurs prix</a>. Cette politique est donc bienvenue. Elle repose toutefois essentiellement sur la construction de nouveaux logements sociaux et privés, et sur la rénovation des logements plus anciens.</p>
<p>Professeur d’économie à l’ESG-UQAM et spécialiste des questions d’économie urbaine, je pense qu’une dimension importante est ignorée dans cette première politique métropolitaine d’habitation : l’utilisation de la fiscalité afin de s’assurer que tous les logements déjà existants soient effectivement mis à la disposition des Montréalais.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505178/original/file-20230118-7953-usmvs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505178/original/file-20230118-7953-usmvs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505178/original/file-20230118-7953-usmvs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505178/original/file-20230118-7953-usmvs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505178/original/file-20230118-7953-usmvs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505178/original/file-20230118-7953-usmvs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505178/original/file-20230118-7953-usmvs7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une femme brandit une pancarte réclamant plus de logements sociaux et abordables lors d’une manifestation à Montréal, le 24 avril 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
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</figure>
<h2>Construire et rénover des logements, pas si simple aujourd’hui</h2>
<p>Accroître le stock de logements de qualité en rénovant les anciens et en en construisant de nouveaux est sans aucun doute nécessaire. Mais dans le contexte actuel, <a href="https://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/lobservateur-du-logement/2022/offre-logements-dans-6-grandes-villes-canada">il s’agit d’une avenue difficile et incertaine</a>.</p>
<p>En effet, les pénuries de main-d’œuvre n’épargnent pas le secteur de la construction. De plus, l’inflation et les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement durant la pandémie ont engendré une augmentation importante des coûts de construction. Enfin, la hausse récente des taux d’intérêt risque de conduire les <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/230116/dq230116b-eng.htm">promoteurs à mettre certains projets sur la glace</a>.</p>
<p>Compte tenu des difficultés de recrutement dans le secteur de la construction, les <a href="https://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/salle-de-presse/news-releases/2022/penurie-logements-canada-capacite-main-doeuvre-qualifiee">estimations sont peu optimistes</a> : il sera impossible pour la Colombie-Britannique, l’Ontario et le Québec de rétablir l’abordabilité d’ici 2030. De plus, des <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2022-12-03/crise-de-l-habitation/des-chantiers-sur-pause-malgre-la-penurie.php">lenteurs dans les processus administratifs d’octroi des permis de construire et des freins mis par les municipalités</a> <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2022-12-03/crise-de-l-habitation/des-chantiers-sur-pause-malgre-la-penurie.php">à certains projets immobiliers</a> sont parfois à regretter. D’autres leviers doivent donc être mobilisés en parallèle de la construction de nouveaux logements.</p>
<h2>Des logements existants indisponibles pour les résidents</h2>
<p>Le recensement de la population permet d’identifier le nombre de logements qui ne sont pas occupés par des « résidents habituels » : cela inclut les logements inoccupés, ceux détenus par des personnes dont la résidence principale se situe ailleurs au Canada ou à l’étranger, ou encore offerts sur les plates-formes de location à court terme, telles Airbnb. À Montréal, ce sont <a href="https://censusmapper.ca/maps/3055#8/45.346/-73.943">7,1 % des logements qui seraient dans cette situation en 2021</a>.</p>
<p>Des <a href="https://financialpost.com/real-estate/busting-the-myth-of-canadas-million-or-more-vacant-homes">débats existent concernant la part de ces logements qui pourraient être réellement rendus disponibles pour les résidents</a>. On sait que certains propriétaires préfèrent ne pas mettre les logements qu’ils détiennent sur le marché locatif à long terme. À cela plusieurs raisons : ils occupent temporairement ces logements à titre de résidences secondaires, ils trouvent plus rentable de les louer pour des courtes périodes, ou ils ne souhaitent pas avoir à gérer les parfois difficiles relations propriétaire-locataire. Dans tous les cas, le retrait de ces logements de l’offre immobilière peut conduire à aggraver les problèmes d’abordabilité.</p>
<p>De nombreuses études montrent qu’à <a href="https://www.bde.es/f/webpi/SES/seminars/2019/Fich/sie20191210.pdf">Barcelone</a>, <a href="https://www.diw.de/documents/publikationen/73/diw_01.c.796620.de/dp1890.pdf">Berlin</a>, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0094119021000383">Los Angeles</a> et dans l’ensemble des <a href="https://marketing.wharton.upenn.edu/wp-content/uploads/2019/08/09.05.2019-Proserpio-Davide-Paper.pdf">villes américaines</a>, l’arrivée d’Airbnb a contribué à l’augmentation des loyers et du prix de vente des logements.</p>
<h2>La taxation des logements vacants, un outil qui a fait ses preuves</h2>
<p>Afin d’inciter les propriétaires à mettre leurs logements vacants en vente ou en location de long terme, plusieurs villes ou pays ont eu recours à la fiscalité.</p>
<p>Au Canada, <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/national/2022-11-26/ottawa-commence-a-taxer-les-logements-vacants.php">Ottawa vient de mettre en place</a> une taxe sur les logements vacants dont les recettes serviront à financer la construction de logements abordables. Toronto, où le <a href="https://www.theglobeandmail.com/business/article-vacant-homes-are-on-the-rise-in-toronto-census-indicator-suggests/">nombre de logements vacants tend à augmenter</a>, aura également une <a href="https://www.toronto.ca/services-payments/property-taxes-utilities/vacant-home-tax/">taxe de ce type en 2023</a>. <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047272719301409?fr=RR-2&ref=pdf_download&rr=7748ff1e28434bd1">L’évaluation d’une taxe sur les logements vacants mise en œuvre en France</a> à la fin des années 1990 montre qu’elle a permis de faire significativement baisser le taux de vacance.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Vue extérieure d’un immeuble à condos" src="https://images.theconversation.com/files/505179/original/file-20230118-14-5sy7jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505179/original/file-20230118-14-5sy7jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505179/original/file-20230118-14-5sy7jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505179/original/file-20230118-14-5sy7jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505179/original/file-20230118-14-5sy7jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505179/original/file-20230118-14-5sy7jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505179/original/file-20230118-14-5sy7jz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Plusieurs appartements montréalais restent vacants ou louer seulement sur des plates-formes comme Airbn. Afin d’inciter les propriétaires à mettre leurs logements vacants en vente ou en location de long terme, plusieurs villes ou pays ont eu recours à la fiscalité.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>Son impact a été particulièrement fort dans les villes où le taux de vacance était élevé et pour les logements qui étaient vacants depuis longtemps. En Colombie-Britannique, une taxe sur la spéculation et les logements vacants a été mise en place en 2018. La Ville de Vancouver a pris au même moment d’autres mesures sur les logements vacants et sur les locations à court terme. <a href="https://www.bcrea.bc.ca/wp-content/uploads/Speculation-and-Vacancy-Tax.pdf">Une étude montre un ralentissement des prix de l’immobilier peu de temps après</a>, surtout à Vancouver, où la situation était particulièrement critique.</p>
<h2>Taxer aussi les terrains vacants</h2>
<p>Par ailleurs, il arrive que les promoteurs immobiliers achètent des terrains, mais n'y construisent pas immédiatement. Ils attendent pour le faire des conditions de marché plus favorables afin de réaliser des profits plus élevés. C’est ce que l’on appelle le « land banking », et cela contribue également à aggraver la pénurie de logements.</p>
<p>Afin de contrer ce phénomène, une taxe exceptionnelle sur les terrains vacants pourrait être utile. De manière générale, une réforme de la fiscalité foncière conduisant à un <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/699180/point-de-vue-reformer-l-impot-foncier-pour-accroitre-l-offre-de-logements">taux de taxe (beaucoup) plus élevé sur les terrains que sur les bâtiments</a> stimulerait la <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/NTJ41789240">construction de logements et la densification de ces derniers</a>.</p>
<p>En effet, lorsque le taux de taxe sur les terrains est plus élevé, il devient avantageux de construire plus de logements sur chaque parcelle afin de répartir la taxation du terrain entre un nombre plus élevé de propriétaires. Cette évolution est préférable à la <a href="https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/773973/ces-villes-qui-taxent-la-densite">taxation majorée des immeubles de six étages ou plus que plusieurs municipalités du Grand Montréal mettent ou souhaitent mettre en œuvre</a>. Cette dernière décourage en effet la densification urbaine, qui est pourtant souhaitable pour accroître l’offre de logements tout en respectant au mieux les limites environnementales.</p>
<p>Il est certain que de tels changements de la fiscalité foncière ne feraient pas que des heureux. <a href="https://doodles.mountainmath.ca/blog/2020/12/07/what-to-expect-from-an-empty-homes-tax/">De plus, la fiscalité ne résoudra pas à elle seule la pénurie de logements</a>.</p>
<p>Mais taxer les logements et les terrains vacants est un moyen efficace de s’assurer que le stock de logements et de terrains existants est utilisé au mieux. La fiscalité fait partie des outils à activer pour créer un écosystème du logement qui favorise l’abordabilité. Cela permettrait par ailleurs, le temps que les propriétaires adaptent leur comportement, de dégager des ressources utiles pour le financement de nouveaux logements abordable pour les ménages.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195506/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florian Mayneris a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines. </span></em></p>Les coûts supportés par les ménages pour se loger dans les grandes villes canadiennes augmentent bien plus vite que leurs revenus. Une fiscalité innovante pourrait aider à résoudre la crise du logement.Florian Mayneris, Professor, Urban Economics, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1964432022-12-25T17:01:46Z2022-12-25T17:01:46ZSobriété énergétique : un marché de quotas de l’énergie peut-il apporter des solutions ?<p>Guerre en Ukraine, tensions géopolitiques, réacteurs nucléaires à l’arrêt… De nombreux éléments convergent pour générer de fortes incertitudes quant à l’hiver qui se fait sentir. Aurons-nous <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/energie-france-passera-t-lhiver/00104556">assez d’énergie</a> pour satisfaire toutes les demandes ? Un mot se trouve sur toutes les lèvres : « sobriété ».</p>
<p>Début octobre, le gouvernement français a présenté un <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/dp-plan-sobriete.pdf">plan de sobriété énergétique</a> qui se donne pour objectif de réduire la consommation intérieure de 10 % d’ici 2024 afin d’éviter les coupures. La campagne de communication <a href="https://www.youtube.com/watch?v=MWzSCnun9Tg">« je baisse, j’éteins, je décale »</a> a été lancée dans la foulée.</p>
<p>Il n’y aura, certes, pas de <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/10/05/se-chauffer-a-19-degres-d-ou-vient-la-recommandation-gouvernementale-pour-faire-face-a-la-crise-energetique_6144437_3244.html">« police des températures »</a>, martèle le gouvernement, pour vérifier que chacun, ménages comme entreprises, joue le jeu. Toutefois, si coupure il doit y avoir, qui pénaliser en priorité ? L’enjeu de l’information est primordial sur ces questions : comment savoir qui fournit les efforts ?</p>
<p>Face à ces enjeux, Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie, proposait le 29 août dernier la mise en place d’un <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/economies-d-energie-la-france-reflechit-a-un-marche-de-l-energie-de-gre-a-gre-pour-les-entreprises-20220829">marché de quotas</a> de l’énergie de gré à gré. Cet instrument est bien connu des économistes depuis les contributions des professeurs <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-economie-politique-2021-1-page-61.htm">Thomas Crocker et John Dales</a> dans les années 1960 pour lutter contre la pollution. L’idée a, semble-t-il, depuis été écartée, mais la discussion ne semble pas dénuée d’intérêt. Nos <a href="https://cv.hal.science/sonia-schwartz">travaux de recherche</a> en économie de l’environnement permettent d’en interroger la pertinence en termes de justice sociale et d’efficacité.</p>
<h2>Justice sociale ou efficacité ?</h2>
<p>Au premier abord, la demande de réduction de la consommation d’énergie de 10 % aux entreprises peut paraître légitime. On peut imaginer que les coupures à venir concerneront en priorité les entreprises non respectueuses de l’objectif, ce qui reviendrait à punir les mauvais élèves. Toutefois, ce raisonnement semble un peu trop rapide. Il ne prend notamment pas en compte l’hétérogénéité entre les entreprises.</p>
<p>Nombreuses sont en effet celles qui ont déjà, par le passé, réduit leur consommation d’énergie et même obtenu des performances environnementales au-delà des mesures indiquées par l’État. L’objectif de 10 % de réduction sera ainsi plus facilement atteint par les entreprises qui n’ont jusqu’alors réalisé aucun effort de sobriété énergétique et plus difficilement pour celles qui sont déjà les plus vertueuses. En résumé, cette politique, qui consiste à considérer de façon uniforme des entreprises différentes, peut être considérée comme injuste, et assez coûteuse à respecter.</p>
<p>De même, de nombreux fournisseurs d’énergie ont déjà annoncé la mise en place de <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/energie/plan-de-sobriete/crise-energetique-des-bonus-sobriete-pour-les-consommateurs-economes_5525535.html">« bonus sobriété »</a>, récompensant les réductions de consommation d’énergie cet hiver ou le report de consommation des périodes de pics vers les périodes creuses. Le gouvernement français réfléchit aussi à financer de tels bonus, finançant ainsi l’incitation à la réduction d’énergie collectivement via le budget de l’État. Si ces moyens peuvent s’avérer efficaces à éviter les coupures, ils récompenseront certainement les agents qui, jusqu’à présent, étaient les plus énergivores.</p>
<p>Une façon de considérer la justice sociale serait de prendre en compte le comportement passé des agents pour différencier les objectifs. Il s’agirait de fixer un objectif réduit ou d’exonérer celui qui a déjà réalisé des efforts. Cette solution peut toutefois se heurter à l’impératif d’efficacité économique, qui impose de demander davantage d’efforts à ceux qui ont le plus de facilité à réaliser des économies d’énergie.</p>
<p>Quel que soit l’objectif retenu – efficacité ou justice sociale – le régulateur va se heurter à un problème d’information. Comment distinguer les entreprises vertueuses des autres ? Comment identifier les entreprises qui peuvent réaliser des efforts à faibles coûts ?</p>
<h2>Justice sociale et efficacité : un marché de quotas de l’énergie</h2>
<p>C’est à solutionner cette problématique que la proposition du ministre Roland Lescure aurait pu participer. L’idée de quotas de l’énergie transférables permettrait effectivement de prendre en compte l’hétérogénéité des entreprises, en évitant l’épineuse question du recueil d’information.</p>
<p>Expliquons le mécanisme. L’État fixe l’objectif d’économie d’énergie à 10 %, ce qui revient à indiquer une quantité d’énergie maximale à consommer collectivement. Il fractionne ensuite ce plafond sous forme de quotas de l’énergie. Chaque entreprise a l’obligation légale de détenir un quota pour justifier une consommation d’énergie équivalente.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1564142709077573633"}"></div></p>
<p>Ces quotas sont transférables. Certaines entreprises pourraient trouver plus avantageux de réduire davantage que demandé leur consommation énergétique et de vendre leurs quotas à des entreprises éprouvant des difficultés à atteindre l’objectif de réduction. Les économies d’énergie seraient obtenues au coût collectif le plus faible possible, atteignant le fameux critère d’efficacité. Cet instrument de régulation offre donc une plus grande flexibilité aux entreprises tout en respectant l’objectif affiché par l’État.</p>
<p>Une certaine forme de justice sociale pourrait être atteinte en travaillant sur la distribution des quotas. Nos <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2009-4-page-535.htm">travaux</a> sur ce sujet aboutissent à cette proposition : afin de récompenser les entreprises les plus vertueuses, les quotas pourraient être répartis de façon inversement proportionnelle aux dépenses d’énergie passées.</p>
<h2>Marché organisé versus marché de gré à gré</h2>
<p>Reste la question du prix des quotas, variable décisive pour l’efficacité du mécanisme car c’est sur celle-ci que reposeront les décisions des entreprises. Deux types de marchés sont envisageables. Dans un marché organisé, les quotas sont distribués par l’État et une bourse d’échange permet d’organiser les transactions tout en faisant apparaître un prix en continu. Cela est différent dans un marché de gré à gré.</p>
<p>Si l’on suit la suggestion du ministre, chaque entreprise devrait réduire de 10 % sa consommation d’énergie et une entreprise ne pouvant atteindre cet objectif aurait la possibilité d’acheter des quotas à une entreprise ayant davantage réduit sa consommation par rapport aux 10 % demandés. La difficulté de la rencontre des potentiels partenaires à l’échange limite, de fait, le nombre de transactions. Tous les échanges mutuellement profitables ne pourront être réalisés.</p>
<p>Comme les entreprises devront s’entendre sur un prix, il est peu probable que ce marché fasse émerger le « juste prix » du quota, surtout si des entreprises ont un poids plus important que d’autres au moment de négocier. D’après nos <a href="https://www.persee.fr/doc/rfeco_0769-0479_2006_num_20_3_1581">recherches</a> étudiant la position dominante sur les marchés de quotas de pollution, le coût collectif du respect de la contrainte d’économie d’énergie est plus élevé que sur un marché organisé.</p>
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<p>Par ailleurs, dans ce système, la dotation initiale des quotas est « implicite » et correspondrait à une réduction de 10 % de la consommation d’énergie. Elle ne peut donc plus être utilisée afin d’atteindre un objectif de justice sociale.</p>
<p>Voilà pourquoi la plupart des marchés environnementaux de type plafonnement et échange de quotas sont des marchés organisés. À titre d’exemple, on peut citer le programme américain <a href="https://scholar.harvard.edu/files/stavins/files/schmalensee_stavins_jep_2013.pdf">Acid Rain</a>, ou encore le marché européen du carbone. Des expériences d’échange de gré à gré ont eu lieu, dans les années 70 aux États-Unis dans le cadre de la lutte contre la pollution atmosphérique, avec un <a href="http://www.cepii.fr/IE/PDF/EI_82-2393_03_Godard.pdf">succès mitigé</a>. La lourdeur bureaucratique et l’incertitude sur les modalités des transactions ont considérablement affaibli l’intérêt de ce type de marché.</p>
<h2>Et à l’avenir ?</h2>
<p>Qu’en retenir ? Le recours à un marché de quotas organisé peut effectivement s’avérer intéressant pour faire face à la crise énergétique en réalisant les économies d’énergie là où elles sont les moins coûteuses. Une certaine forme de justice sociale peut aussi être atteinte par le biais de la dotation initiale. Toutefois, le problème de la concordance de l’agenda politique avec l’urgence à résoudre cette crise énergétique se pose. Il est peu probable qu’un marché de quotas organisé puisse être opérationnel dans les semaines qui viennent.</p>
<p>Si un marché de gré à gré a une efficacité moindre qu’un marché organisé, il pourrait néanmoins apporter de la flexibilité aux entreprises par rapport à une réglementation uniforme, et permettre d’éviter, à court terme, des coupures d’énergie. La justice sociale serait une dimension toutefois laissée de côté.</p>
<p>Quelle que soit la politique retenue – objectif uniforme, marché de quotas organisé ou non, bonus sobriété –, il faut garder à l’esprit les conséquences de ces différentes mesures de court terme sur les comportements futurs. L’anticipation de prochaines régulations pourrait freiner aujourd’hui les comportements vertueux des agents, de peur d’être pénalisés à l’avenir pour des efforts passés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196443/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sonia Schwartz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le marché de quotas de l’énergie pourrait permettre plus de justice sociale qu’une réduction uniforme de 10 % pour toutes les entreprises.Sonia Schwartz, Professeur des universités en sciences économiques, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1928762022-12-16T12:59:31Z2022-12-16T12:59:31ZTGV Paris-Lyon : un an après, l’arrivée de Trenitalia rime-t-elle effectivement avec prix plus bas ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/490614/original/file-20221019-12-velxup.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C84%2C1274%2C812&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Depuis un an, les TGV de la SNCF partagent leurs quais à Paris-Gare de Lyon avec les rames Frecciarossa de la compagnie italienne Trenitalia.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:ETR1000_(15)_Front.jpg">Stig124 / Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La crise liée au coronavirus en avait retardé l’échéance. Pour la première fois, le 18 décembre 2021, un <a href="https://theconversation.com/fr/topics/train-26726">train</a> d’une compagnie étrangère reliait deux villes françaises après plus de 80 ans de monopole par la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sncf-37898">SNCF</a>. Une rame Frecciarossa du transporteur <a href="https://www.trenitalia.com/content/dam/tcom/tfrance/attachments/presse/Trenitalia%20-%20Communiqu%C3%A9%20de%20Presse%20-%2012.12.2021.pdf">Trenitalia</a> quittait Paris pour Milan, desservant au passage Lyon-Part Dieu, Chambéry et Modane du côté français des Alpes. Deux allers-retours quotidiens pour commencer, puis <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/rhone/lyon/la-compagnie-ferroviaire-trenitalia-renforce-son-offre-paris-lyon-2518732.html">trois</a> à partir du mois d’avril et <a href="https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/la-nouvelle-eco-trenitalia-developpe-son-offre-sur-la-ligne-lyon-paris-1654013839">cinq</a> deux mois plus tard, les trois derniers seulement entre Paris et Lyon.</p>
<p>L’ouverture à la concurrence, promettait <a href="https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/la-concurrence-dans-l-union-europeenne/">l’Union européenne</a>, devait offrir au consommateur une qualité de service renforcée à des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/prix-33726">prix</a> plus attractifs en obligeant un opérateur en situation de monopole à comprimer ses marges. Nos <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02930864">travaux</a> de recherche synthétisant plusieurs observations faites sur le Vieux Continent tendaient à montrer que l’hypothèse semblait vérifiée avec des écarts plus ou moins importants selon les pays.</p>
<p>Un an après, qu’en est-il sur la ligne à grande vitesse Paris-<a href="https://theconversation.com/fr/topics/lyon-52163">Lyon</a>, la <a href="https://www.sncf-reseau.com/fr/entreprise/newsroom/sujet/reseau-ligne-paris-lyon-projet-pilote-haute-performance">plus ancienne et la plus empruntée d’Europe</a> (44 millions de passagers en 2019) ?</p>
<h2>Plus de trains pour des prix maîtrisés</h2>
<p>Pour distinguer les effets de l’arrivée d’un nouvel opérateur de ceux du Covid, dont nous avions montré qu’il avait donné en moyenne lieu à une <a href="https://rsaiconnect.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/rsp3.12534">baisse des prix</a>, nous avons, dans nos <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0967070X23002573?dgcid=author">travaux</a> récents, isolé quatre périodes d’un mois : pandémie ou non, monopole ou non, les quatre cas de figure étaient représentés et nous ont offert des éléments de comparaison.</p>
<p><iframe id="aQfBu" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/aQfBu/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Avec pareil objectif, un autre élément de comparaison a également été utilisé, la liaison Paris-<a href="https://theconversation.com/fr/topics/bordeaux-35660">Bordeaux</a> sur laquelle la SNCF est toujours seule à faire rouler ses trains. Les temps de trajets y sont similaires à l’axe Paris-Lyon et on retrouve dans les deux cas un vaste arrière-pays desservi par les trains (Marseille, Nice ou Grenoble, côté lyonnais ; Toulouse, Tarbes ou Hendaye, côté girondin).</p>
<p><iframe id="6AqZm" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/6AqZm/9/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="cP90M" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/cP90M/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les résultats montrent que le nouvel arrivant a rempli son rôle, en proposant des prix 30 à 60 % inférieurs face à l’opérateur historique et en augmentant son offre de deux à cinq allers-retours quotidiens. Du côté de la SNCF, le nombre de TGV inOui a retrouvé son niveau de 2019 tandis que les prix ont baissé de 20 % entre octobre 2019 et octobre 2022. L’offre Ouigo est quant à elle également restée stable avec une baisse des prix plus modérée de 13 %.</p>
<p>Au total, cela donne entre Lyon et Paris 15 % de trains en plus et 23 % de réduction sur les billets, ce qui semble positif et s’inscrit au profit des usagers. Sur le Paris-Bordeaux, ces chiffres sont respectivement de + 18 % pour la fréquence et + 4 % pour les prix témoignant d’un engouement pour cette destination mais aussi, très vraisemblablement, d’un rattrapage sur les prix en situation post-Covid, ce à quoi l’axe Paris-Lyon semble avoir échappé.</p>
<p>Est-ce à mettre au crédit de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/concurrence-22277">concurrence</a> ? Qu’il s’agisse des prix ou de la fréquence, ces résultats globaux appellent un peu de nuance.</p>
<h2>Tout en contraste</h2>
<p>Pour ce qui est de la fréquence, l’accroissement des trafics sur Paris-Lyon résulte exclusivement des cinq nouvelles rames Trenitalia. Cela peut être vu comme un succès mais aussi comme une stratégie de retenue de la part de la SNCF, qui pendant ce temps augmentait son offre sur l’axe Paris-Bordeaux. Sans concurrence, rien ne laisse à penser que les résultats auraient été moins bons pour Paris-Lyon dans une année 2022 cumulant les records de fréquentation.</p>
<p>L’effet sur les prix, lui, est plus prononcé encore si l’on compare les trajets en inOui et en Trenitalia, qui jouent dans la même catégorie en matière de confort : respectivement 71,20 € en moyenne contre 37,40 € en octobre 2022, soit un delta de 47 %. Reste que cette différence peut s’expliquer à partir de deux éléments dont dépend sans doute l’avenir de l’écart observé : les avantages à l’installation dont bénéficie Trenitalia et ses difficultés de positionnement vis-à-vis de la clientèle professionnelle par un volume et une grille horaire encore trop peu attractifs.</p>
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<p>Concernant les avantages, Trenitalia a obtenu une <a href="https://www.autorite-transports.fr/communiques/lart-valide-la-proposition-de-reduction-des-peages-ferroviaires-negociee-entre-sncf-reseau-et-trenitalia-france-pour-2022-et-2023/">réduction des péages</a> à verser pour ses trois premières années d’exploitation à savoir, 37 % en 2022, 16 % en 2023 et 8 % 2024. Pour faire circuler ses trains sur un sillon, un opérateur (comme le sont SNCF Voyageurs ou Trenitalia) doit en effet s’acquitter d’un péage auprès du gestionnaire de l’infrastructure (SNCF Réseau en France). Il contribue à couvrir l’ensemble des coûts liés à l’investissement et au fonctionnement de la ligne à grande vitesse sur le principe de l’usager-payeur plutôt que le contribuable-payeur. Il représente entre 35 % et 40 % du prix d’un billet de train.</p>
<p>Cette réduction accordée à Trenitalia vise à compenser son coût d’investissement pour entrer sur le marché français (estimé à plus de 100 millions d’euros) et à lui donner le temps de gagner en renommée et visibilité aux côtés d’un opérateur historique très établi. Trenitalia pourra-t-elle maintenir ses prix bas lorsqu’elle devra s’acquitter de 100 % des péages ?</p>
<h2>Trenitalia face à un choix</h2>
<p>Concernant le positionnement de Trenitalia sur la clientèle professionnelle, l’opérateur italien semble pris entre deux feux. Un fait marquant illustre bien cet enjeu : on observe en heure de pointe, malgré des créneaux horaires proches, que les prix affichés par la SNCF ont peu évolué par rapport à l’offre de Trenitalia bon marché. Les prix de la SNCF étant indexés sur le taux de remplissage, ils nous enseignent que la clientèle surtout professionnelle à ces moments de la journée reste captée par l’opérateur historique malgré des prix plus élevés.</p>
<p>L’explication réside dans les deux facteurs déterminants pour cette clientèle : pas tant le prix que l’horaire et la fréquence. Sans accroissement de son offre, il sera difficile pour Trenitalia de convaincre pleinement cette population. Cependant, accroître les fréquences et positionner des trains sur des créneaux stratégiques pourrait accroître les coûts d’exploitation de l’opérateur et rendre plus difficile le maintien de prix bas. Tel est le dilemme.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/490618/original/file-20221019-20-j11qos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490618/original/file-20221019-20-j11qos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490618/original/file-20221019-20-j11qos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490618/original/file-20221019-20-j11qos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490618/original/file-20221019-20-j11qos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490618/original/file-20221019-20-j11qos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490618/original/file-20221019-20-j11qos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490618/original/file-20221019-20-j11qos.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’ouverture à la concurrence du rail entre Paris et Lyon pourrait bien participer de la hausse des tarifs sur la liaison Paris – Bordeaux.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Gare_Bordeaux_Saint_Jean_-_Bordeaux_(FR33)_-_2022-09-12_-_2.jpg">Chabe01/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’équation semble difficile à tenir mais pourrait être résolue par des trains à plus grande capacité, ce à quoi l’entreprise se prépare avec, dans les mois à venir, le passage à des unités doubles et l’ajout de deux allers-retours supplémentaires. Il devrait néanmoins en résulter un accroissement des prix pour couvrir les investissements et coûts d’exploitation supplémentaires, en plus de l’inflation dans le secteur de l’énergie.</p>
<h2>Une péréquation territoriale remise en cause ?</h2>
<p>Du point de vue de l’usager de la ligne, l’effet reste donc positif : une offre plus diversifiée pour des prix maîtrisés sur l’axe Paris-Lyon. Cependant, il s’agit aussi d’élargir le spectre d’analyse à l’ensemble de la collectivité. De fait, les prix plus élevés sur l’axe Paris-Lyon avaient pour vertu de compenser pour partie les pertes enregistrées sur le reste des services à grande vitesse souvent déficitaires.</p>
<p>Ce système de péréquation pourrait se trouver un peu plus fragilisé et conduire la SNCF à se tourner vers les collectivités locales pour subventionner le fonctionnement de certaines dessertes TGV au risque de les voir disparaître. À moins qu’elle ne renforce la contribution de ses autres lignes rentables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192876/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florent Laroche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ouverture à la concurrence devait offrir au consommateur une qualité de service renforcée à des prix plus attractifs. L’analyse appelle à la nuance.Florent Laroche, Maître de conférence en économie, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1950382022-11-22T19:26:42Z2022-11-22T19:26:42ZInflation : la volatilité des prix des matières premières se propage au reste de l’économie<p>Lors de la crise du Covid-19, les prix des matières premières ont connu des mouvements haussiers et baissiers impressionnants, si bien que le cours du brut était même passé brièvement en <a href="https://theconversation.com/en-avril-2020-le-petrole-atteignait-40-dollars-et-pas-seulement-a-cause-du-Covid-19-176763">territoire négatif en avril 2020</a>. Depuis, la volatilité du prix du pétrole s’est <a href="https://youtu.be/us_djSqqDog">sérieusement accentuée</a>, avec notamment l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 qui a conduit une <a href="http://www.consilium.europa.eu/en/policies/eu-response-ukraine-invasion/impact-of-russia-s-invasion-of-ukraine-on-the-markets-eu-response">explosion des prix de l’énergie</a>.</p>
<p>Ces hausses brutales ont engendré de <a href="http://www.theguardian.com/business/2022/jul/01/inflation-in-eurozone-hits-record-86-as-ukraine-war-continues">fortes tensions inflationnistes</a> : en zone euro, la hausse des prix atteint même des <a href="https://www.cnbc.com/2022/09/30/euro-zone-inflation-soars-to-record-high-of-10percent-for-september.html">records</a> en septembre (10 % en rythme annuel, contre 9,1 % en août et au-dessus des projections du consensus de 9,7 %). Or, si l’on examine la <em>core inflation</em>, ou l’inflation de base qui exclut l’alimentation et l’énergie, elle a augmenté de 4,8 % sur un an, contre 4,3 % en août. Dans le même temps, les prix de l’énergie ont augmenté de 40,8 % en glissement annuel en septembre, contre 38,6 % en août, suivis par ceux de l’alimentation, de l’alcool et du tabac, à 11,8 %, contre 10,6 % le mois dernier.</p>
<p>La volatilité des prix des matières premières s’est ainsi transmise à l’économie réelle en générant de l’instabilité et de l’incertitude. C’est ce que les économistes appellent des effets de « spillovers » (débordements).</p>
<h2>Des facteurs intrinsèques et extrinsèques</h2>
<p>Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces effets de spillovers des prix du gaz et du pétrole. Tout d’abord, des facteurs intrinsèques liés plutôt à la nature même de ces matières premières. Pétrole et gaz sont en effet considérés comme des biens de première nécessité et représentent des ressources indispensables pour bon nombre de secteurs et d’entreprises. En outre, la spéculation qui existe sur ces marchés des matières premières tend à <a href="https://www.jstor.org/stable/44203663">gonfler les prix</a>, avec notamment des répercussions sur les indices boursiers.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>Ensuite, d’autres facteurs de transmission permettent de mieux comprendre les effets de spillovers des volatilités accrues des prix de commodités. Il s’agit des facteurs comportementaux liés à la <a href="https://theconversation.com/podcast-21-millisecondes-dans-les-salles-des-marches-2-5-120803">réaction émotionnelle</a> des agents économiques, eux-mêmes déterminés par des <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315459653-38/behavioral-economics-energy-market-%C3%B6zlem-%C3%B6zdemir">biais comportementaux</a>, face aux dynamiques de prix de ces énergies.</p>
<p>On en veut pour preuve, par exemple, les phénomènes de paniques collectives des consommateurs (particuliers et professionnels) face au risque de pénurie d’essence lors de la <a href="http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/10/12/les-salaries-en-greve-dans-les-raffineries-de-totalenergies-gagnent-ils-vraiment-5-000-euros-par-mois_6145489_4355770.html">récente grève des salariés des raffineries</a>. Cette situation a déclenché une course folle à la demande – tendance traduite par de nouvelles <a href="http://www.letemps.ch/monde/achats-panique-aggravent-penurie-carburants-royaumeuni">fortes augmentations des prix des carburants</a> dans plusieurs pays européens.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/penurie-dessence-ce-que-nous-enseignent-les-travaux-des-prix-nobel-deconomie-de-2022-192556">Pénurie d’essence : ce que nous enseignent les travaux des prix « Nobel » d’économie de 2022</a>
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<p>Enfin, les défauts de coordination internationale (lorsque, mi-2022, l’Arabie saoudite a décidé d’<a href="https://www.latribune.fr/economie/international/l-arabie-saoudite-va-augmenter-sa-production-de-petrole-d-un-million-de-barils-par-jour-d-ici-2027-918028.html">augmenter unilatéralement sa production du pétrole</a>) ont eux aussi contribué à la forte volatilité des prix du pétrole et du gaz, en générant une nouvelle pression sur les prix ainsi qu’en alimentant une situation géopolitique mondiale déjà instable.</p>
<h2>La sensibilisation pour réduire les « spillovers »</h2>
<p>Les tensions géopolitiques et leurs conséquences sur les prix de l’énergie se sont ainsi imposées avec force dans les débats politiques nationaux à travers l’Europe. Sécurisation des filières énergétiques, soutenabilité de modèles industriels fondés sur des prix de l’énergie (fossile) très bas… Toutes ces difficultés amènent aujourd’hui les États à se positionner sur le devenir des modèles économiques encore dominants mais aussi sur la soutenabilité des déficits publics.</p>
<p>Rappelons en effet que, depuis le début de la crise énergétique en septembre 2021, 674 milliards d’euros ont été alloués et affectés par les pays européens pour <a href="https://www.bruegel.org/dataset/national-policies-shield-consumers-rising-energy-prices">protéger les consommateurs de la hausse des coûts de l’énergie</a> (573 milliards d’euros dans l’Union européenne, dont 264 milliards d’euros pour la seule Allemagne, 97 milliards d’euros au Royaume-Uni, 4,6 milliards d’euros en Norvège). C’est la <a href="https://www.fitchratings.com/research/sovereigns/energy-crisis-increases-fiscal-risks-to-western-europe-sovereigns-23-09-2022">stabilité des finances publiques</a> de nombreux États européens qui est ainsi désormais en question.</p>
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<a href="https://theconversation.com/pouvoir-dachat-le-bouclier-tarifaire-un-soutien-de-100-euros-par-trimestre-185056">Pouvoir d’achat : le bouclier tarifaire, un soutien de 100 euros par trimestre</a>
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<p>Quelles pistes pour sortir de cette impasse ? Un travail de recherche récent apporte à ce sujet un éclairage très intéressant sur la relation entre éducation et consommation d’énergie. Nicholas Apergis, Michael Polemis et Simeoni-Eleni Soursou ont en effet montré que la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0140988321003236">sensibilisation aux problématiques énergétiques</a>, qui consiste à expliquer au consommateur dans quelle mesure ses pratiques et son utilisation des appareils électriques (notamment) contribuent à la consommation totale, peut s’avérer d’une importance capitale pour parvenir à une réduction substantielle de la consommation d’énergie. En conséquence, cette sensibilisation pourrait avoir une influence favorable sur la sécurisation des filières énergétiques, et jouer ainsi un rôle dans l’aplanissement de volatilité des prix et de leurs effets de spillovers.</p>
<p>Un particulier ou une entreprise qui pourraient suivre en temps réel sa consommation d’énergie que son activité génère, et la comparer, en même temps, à celle d’autres utilisateurs similaires, serait notamment la plus à même de modifier ses pratiques. Les auteurs appellent donc à une généralisation des compteurs intelligents qui offrent au marché des services publics les avantages d’une fiabilité et d’une précision accrues, et aux consommateurs d’énergie la possibilité de mieux gérer leur consommation et de réduire les coûts.</p>
<p>Une autre piste consisterait bien sûr à tenter de combattre le mal à la racine : la spéculation sur les marchés énergétiques, et notamment les marchés dérivés (futures). En effet, comme souligné précédemment, un certain nombre de travaux académiques ont montré <a href="https://www-sciencedirect-com.ressources-electroniques.univ-lille.fr/science/article/pii/S0264999315002072">l'incidence des comportements spéculatifs sur la forte hausse du prix du pétrole</a> lors de périodes d'instabilité comme, par exemple, en 2008.</p>
<p>Pourtant, alors qu'en octobre 2021, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a appelé à la fin de la <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/SPEECH_21_5381">« spéculation sur les marchés de l'énergie »</a>, peu d'initiatives concrètes ont été prises en ce sens. Sans doute faudrait-il se pencher sérieusement sur ce problème si l'on veut éviter, à l'avenir, de nouveaux accès de volatilité des prix des matières premières énergétiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195038/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le rythme inédit de hausse des prix enregistré depuis le début de la guerre en Ukraine s’explique principalement par les tensions sur le marché de l’énergie.David Bourghelle, Maître de conférences en finance, laboratoire LUMEN, Université de LilleFredj Jawadi, Professeur des Universités en finance et en économétrie, Laboratoire LUMEN, Université de LillePhilippe Rozin, Maître de conférences en finance, laboratoire LUMEN, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1921532022-10-12T19:13:11Z2022-10-12T19:13:11ZLa publicité en temps d’inflation : une course aux prix bas ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/489391/original/file-20221012-22-7au9xo.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C2%2C916%2C684&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur le compte Facebook du magasin E.Leclerc de Riberac, début mai 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source">Compte Facebook E. Leclerc de Riberac</span></span></figcaption></figure><p>On le répète assez, l’inflation est plus élevée aujourd’hui qu’elle ne l’a été <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/286182-inflation-les-causes-de-la-soudaine-hausse-des-prix">ces trente dernières années</a>. Les causes sont multiples, des retombées du Covid à la guerre en Ukraine. Ainsi, on arrive en France à environ 6 % d’inflation dans les 12 derniers mois, et même autour de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/09/29/l-inflation-alimentaire-s-approche-des-10-dans-les-supermarches_6143696_3234.html">10 % pour l’agroalimentaire</a>. </p>
<p>Par ailleurs, le marché de la communication en France a énormément baissé (autour de 20 %) durant la crise du Covid. Alors que l’année 2022 devait permettre de revenir à la normale et même de dépasser largement les résultats de 2019, la <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/publicite-coup-de-frein-en-vue-pour-le-marche-francais-1775444">crise actuelle rebat les cartes</a>. En effet, certaines marques, notamment dans l’agroalimentaire et l’automobile, revoient fortement leurs investissements publicitaires. Le marché devrait cependant repartir <a href="https://www.cbnews.fr/etudes/image-france-pub-marche-publicitaire-7-2022-71859">à la hausse de 7 %</a> par rapport à 2021.</p>
<p>Dans ce contexte difficile, on peut se demander comment la publicité réagit à l’inflation, comment elle évolue et change de discours. Mais on peut aussi se demander vers quel type de discours il faut s’orienter.</p>
<h2>Des ressorts très simples</h2>
<p>À ce titre, on peut noter que si un léger recours à l’humour peut dédramatiser la situation, les ressorts publicitaires restent souvent très simples : les promesses faites par les marques sont le plus souvent concrètes et liées à une économie d’argent.</p>
<p>Durant d’autres périodes plus anciennes d’inflation, certaines publicités appelant à la sobriété (ou à la <a href="https://www.facebook.com/watch/?v=2421463771319975">chasse au gaspi</a>) ont fleuri. En 1975, crise du pétrole oblige, Volkswagen démontrait clairement que <a href="http://www.auto-pub.net/page_VW_Golf_1_pubpresse.htm">sa Golf</a> pouvait être économe en énergie sans être avare en puissance. Avec Jetta, le constructeur allemand proposait dix ans plus tard un produit anti-crise au contenu <a href="https://www.delcampe.net/fr/collections/publicites/pub-1974-double-page-automobile-voiture-vw-volkswagen-jetta-ads-car-castor-rongeur-hello-kitty-355467217.html">très sexiste</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/489304/original/file-20221012-12-1gwmfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489304/original/file-20221012-12-1gwmfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489304/original/file-20221012-12-1gwmfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489304/original/file-20221012-12-1gwmfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489304/original/file-20221012-12-1gwmfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489304/original/file-20221012-12-1gwmfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489304/original/file-20221012-12-1gwmfi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Publicité pour la Jetta de Wolkswagen, en 1975.</span>
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<p>En 2005, E. Leclerc détournait l’iconographie de mai 68 en prétendant défendre les droits des consommateurs et leur permettre d’acheter moins cher : l’entreprise maquille ainsi <a href="https://journals.openedition.org/mots/20613?lang=en">son intérêt commercial en intérêt général</a> (tout comme l’a fait Volkswagen précédemment, en somme).</p>
<p>La lutte contre les prix chers s’est depuis propagée à d’autres enseignes, par exemple Carrefour qui met en avant une large offre de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=2mEcIh_OcpI">produits à moins d’un euro</a>, ou Lidl qui propose de <a href="https://www.facebook.com/watch/?v=1086609798768805">rembourser 5 %</a> des courses grâce à une carte de fidélité virtuelle. Cette stratégie a permis à l’enseigne allemande de conquérir un <a href="https://www.challenges.fr/economie/consommation/lidl-carrefour-leclerc-comment-la-grande-distribution-gagne-la-bataille-du-pouvoir-dachat_827074">million de porteurs de cartes</a> en une semaine.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/489303/original/file-20221012-26-kqvdlo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489303/original/file-20221012-26-kqvdlo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489303/original/file-20221012-26-kqvdlo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489303/original/file-20221012-26-kqvdlo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489303/original/file-20221012-26-kqvdlo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489303/original/file-20221012-26-kqvdlo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489303/original/file-20221012-26-kqvdlo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Image extraite de la publicité Carrefour, août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Youtube, capture d’écran</span></span>
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<p>Chacune de ces trois enseignes, tout en se positionnant sur l’axe des prix bas et de la lutte contre l’inflation, occupe un terrain différent : la carte fidélité pour Lidl, le bouclier anti-inflation pour Leclerc et les produits à moins d’un euro pour Carrefour. Il reste donc assez peu de place pour les concurrents, qui devraient rivaliser d’ingéniosité ou sinon trouver d’autres axes que celui du prix. On peut être frappé par l’aspect minimal des publicités en question : pour montrer qu’on veut faire économiser de l’argent aux consommateurs, les distributeurs n’hésitent pas à dépenser des millions d’euros en achat d’espace publicitaire mais ils rognent sur les coûts en réalisant des visuels très pauvres : packshots sur fond blanc pour E. Leclerc, vidéo tournées au téléphone portable pour Carrefour. On n’est pas à une contradiction près.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>En dehors de son initiative pour le moins suiviste qui consiste également à bloquer des prix, l’offre de Monoprix, qui consiste à proposer des <a href="https://www.capital.fr/conso/pouvoir-dachat-monoprix-bloque-a-son-tour-le-prix-de-certains-produits-1447345">paniers-repas à bas prix</a> pour les étudiants, correspond ainsi mieux à son image de marque, très axée sur la vie dans la ville. L’enseigne nonagénaire montre ainsi qu’elle est à l’écoute de sa clientèle et qu’elle lui apporte un réel soutien en temps de crise, tout en se démarquant intelligemment de sa concurrence.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/489302/original/file-20221012-22-zz018y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489302/original/file-20221012-22-zz018y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489302/original/file-20221012-22-zz018y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489302/original/file-20221012-22-zz018y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489302/original/file-20221012-22-zz018y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489302/original/file-20221012-22-zz018y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489302/original/file-20221012-22-zz018y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Publicité de E. Leclerc (février 2005) inspirée par une création de l’Atelier Populaire (mai 1986).</span>
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<p>Dans le secteur bancaire, <a href="https://www.presse-citron.net/une-pub-pour-une-banque-en-ligne-veut-interpeler-les-francais/">Boursorama</a> a récemment mis en avant ses frais peu élevés, et ce avec une affiche au fort impact visuel. L’idée ainsi est de fournir des « illustrations très concrètes des économies du quotidien ».</p>
<h2>Downsizing et cheapflation</h2>
<p>En revanche, les marques de grande consommation, notamment, semblent plus frileuses et s’aventurent moins sur le sujet de la crise et de l’inflation. D’une part, comme nous l’avons vu, certaines réduisent leur budget de communication en cette période. D’autre part, il peut y avoir quelque inquiétude à aborder l’aspect prix dans un contexte où il semble important de se différencier et de mettre en avant son capital-marque. </p>
<p>En revanche, elles peuvent jouer des tours assez peu éthiques aux consommateurs en ayant recours au <a href="https://www.researchgate.net/publication/351024616_MOINS_DE_PRODUIT_ET_MOINS_D%E2%80%99AMOUR_LES_EFFETS_DU_DOWNSIZING_D%E2%80%99UN_PACKAGING_SUR_L%E2%80%99IMAGE_DE_MARQUE">downsizing</a> (ou <em>shrinkflation</em>), c’est-à-dire en réduisant la quantité de produit tout en gardant le même prix. Je vous laisse chercher des tablettes de chocolat de 90 grammes ou des bouteilles d’eau gazeuse à 1,15 litre… Dans le même ordre d’idée, elles peuvent avoir recours à des ingrédients de moins bonne qualité afin d’augmenter leurs marges (on parle alors de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/09/02/grande-distribution-lindt-danone-et-kiri-accuses-de-shrinkflation-sur-les-produits-alimentaires_6139924_3234.html">cheapflation</a>).</p>
<h2>Comment se différencier ?</h2>
<p>Dans ce contexte, quelle serait la meilleure solution de communication pour les fabricants ? Dès 1994, un article de Chaptal de Chanteloup incite les marques à se différencier en faisant <a href="https://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1994_num_99_1_2490">rêver</a> (« Renault Twingo, à vous d’inventer la vie qui va avec »). Il distingue ainsi le pourquoi, qui se situe au niveau du rêve, du comment (la rationalité du produit).</p>
<p>On retrouve ici une distinction bien connue des chercheurs en marketing, qui dénombrent généralement <a href="http://www.watoowatoo.net/mkgr/papers/mk-afm2000.pdf">trois types de bénéfices</a> associés à la consommation d’une marque : les bénéfices fonctionnels (protéger du froid, de la faim, nettoyer…), expérientiels (les sensations procurées par l’utilisation des produits de la marque, par exemple un goût piquant, un produit qui réveille, qui apporte de la variété…) et symboliques (comme le besoin d’approbation sociale, la nature, la séduction…).</p>
<p>Ces deux premiers types de bénéfices renvoient au comment, le dernier au pourquoi. Le comment devrait ainsi être au service du pourquoi. Le consommateur étant adulte, aguerri à la publicité et au discours des marques, il s’agirait ainsi de se différencier en faisant appel au rêve, au symbolique. La marque ne doit pas se contenter de montrer ce qu’elle sait faire, elle doit aussi emmener le consommateur « ailleurs », le faire rêver.</p>
<p>En 2022, rien n’a changé, puisque <a href="https://www.lsa-conso.fr/face-a-l-inflation-comment-communiquer-pour-les-marques,407876">Pinguet</a> invite les marques à se distinguer via leur storytelling, en injectant de l’humour et du rêve dans leurs discours. Il s’agirait de faire des « pas de côté » dans la communication, comme dans le cas de la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ZO_fDt8JNuo">Renault Captur e-Tech Hybride</a>, en invitant les consommateurs à préférer la marche. Il serait également possible de faire de la pédagogie en expliquant aux consommateurs pourquoi les tarifs évoluent. Mais ce discours publicitaire ne tiendrait-il pas du greenwashing et d’un certain opportunisme, déjà dénoncé par <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2009-3-page-43.htm">Pras</a> en 2009 ?</p>
<p>On peut penser que pour la plupart des marques et enseignes, un discours monolithique n’est pas adapté. Tout le monde ne peut promettre de meilleurs prix que les concurrents. Il semble important, par un storytelling adapté et éthique, d’offrir aux consommateurs des produits générateurs de bénéfices symboliques, qui permettront de se distinguer de la concurrence tout en étant transparents sur d’éventuelles augmentations de prix mais aussi sur la composition de leurs produits.</p>
<p>On peut aussi, à l’instar de Monoprix, établir de nouvelles offres adaptées à sa cible et présentant une réelle plus-value. Enfin, une dernière possibilité consisterait à la <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03085586">co-création entre la marque et les consommateurs</a> : en impliquant des consommateurs lors de la création d’un nouveau produit, le fabriquant pourrait alors augmenter significativement le consentement à payer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192153/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michaël Korchia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment parler aux consommateurs en temps de crise ? Tour d’horizon des discours et des évolutions du secteur publicitaire face à l’inflation.Michaël Korchia, Professeur Senior en marketing, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1919202022-10-11T19:17:06Z2022-10-11T19:17:06ZHausses de prix dissimulées : comment réagissent les consommateurs ?<p>Nous assistons actuellement à une envolée généralisée des prix à la consommation qui préoccupe les citoyens comme les gouvernants (<a href="https://www.quechoisir.org/actualite-pouvoir-d-achat-ao%C3%BBt-2022-la-hausse-des-prix-se-propage-n102600/"><em>Pouvoir d’achat : la hausse des prix se propage</em></a> du 25 août 2022 du magazine <em>Que Choisir ?</em> ; <a href="https://www.rayon-boissons.com/distribution/le-pouvoir-d-achat-des-francais-en-5-donnees-cles"><em>Le pouvoir d’achat des Français en cinq données clés</em></a> du 2 septembre 2022 de <em>RayonBoissons</em>). </p>
<p>L’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/inflation-28219">inflation</a> actuelle (mesurée par l’indice des prix à la consommation), enregistrée à un rythme annuel de <a href="https://theconversation.com/inflation-pourquoi-la-france-resiste-pour-linstant-mieux-que-ses-voisins-191597">5,8 % en août 2022</a>, s’explique <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/286182-inflation-les-causes-de-la-soudaine-hausse-des-prix">par de multiples facteurs</a> : la hausse des matières premières, la pénurie de certains composants, la crise des énergies, ou encore les difficultés d’approvisionnement.</p>
<p>Avec ce retour de la flambée des prix, la question du pouvoir d’achat prend un nouveau visage. La plupart des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/consommateurs-33275">consommateurs</a> n’a en effet jamais connu ce phénomène et seuls ceux qui ont vécu la décennie des chocs pétroliers (1973-1983) peuvent se rappeler de ce qu’était un <a href="https://fr.tradingeconomics.com/france/inflation-cpi">taux moyen d’inflation à deux chiffres</a>.</p>
<h2>Le dilemme des entreprises face à l’inflation</h2>
<p>Aujourd’hui, le retour de l’inflation a conduit le gouvernement à intervenir pour décider et mettre en œuvre des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046186723">mesures de soutien au pouvoir d’achat</a>. Pour les entreprises, le problème est également de taille. Comment répondre aux <a href="https://www.jstor.org/stable/25741890">préoccupations des consommateurs concernant leur pouvoir d’achat</a>, et donc limiter les augmentations de prix de vente, sans sacrifier les marges dans un contexte généralisé de hausses des coûts ? Les fabricants et distributeurs sont alors tentés de remettre à l’honneur certaines pratiques visant à dissimuler les hausses des prix.</p>
<p>Souvent anciennes, ces techniques prennent des formes variées. Certaines peuvent être purement commerciales, c’est-à-dire fondées sur des offres promotionnelles et des codes visuels de prix d’appel, sans véritables baisses de prix. Elles seront plutôt adoptées par les distributeurs.</p>
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<p>D’autres sont liées à une modification du produit, visant à réduire le coût du produit sans toucher au prix de vente. Un changement de format, une réduction de volume ou du nombre d’unités conditionnées, une simplification de la recette ou de la formule, une réduction des ingrédients ou une baisse de la qualité sont autant de façons de retrouver une marge sans toucher au prix affiché ni à l’apparence de l’offre. Cette stratégie de <a href="https://www.lefigaro.fr/conso/la-shrinkflation-ou-la-hausse-a-peine-cachee-des-prix-20211023">« shrinkflation »</a> est souvent privilégiée par les fabricants.</p>
<h2>Réactions hétérogènes</h2>
<p>Déjà lors de la crise de 2008, les pratiques de dissimulation des hausses de prix avaient été fortement mises en cause dans la presse (par exemple, l’enquête publiée parle magazine 60 millions de consommateurs intitulée <a href="https://www.60millions-mag.com/2008/09/23/ce-n-est-pas-plus-cher-mais-il-y-en-moins-7493"><em>Comment les marques rusent pour augmenter les prix ?</em></a> d’octobre 2008). Ces pratiques avaient donné lieu à de nombreuses réactions de la part des consommateurs.</p>
<p>Nous avions alors réalisé une <a href="https://www.jstor.org/stable/25741893">étude de ces réactions</a> sur le web dont les enseignements peuvent éclairer la problématique actuelle. Les résultats mettaient en effet en évidence trois types de réactions de la part des consommateurs qui décelaient des hausses de prix masquées sur les produits :</p>
<ul>
<li><p><strong>Des réponses de compréhension :</strong> près d’un tiers des individus qui réagissaient comprenaient et justifiaient ces pratiques commerciales en évoquant les impératifs de gestion des entreprises (hausse des matières premières, stratégie d’amélioration réelle des produits, voire recherche de profit) ou en critiquant les consommateurs insuffisamment attentifs aux informations et conditions relatives à leurs achats.</p></li>
<li><p><strong>Des réponses de conciliation :</strong> près de 40 % des réactions prenaient acte de la supercherie et des lacunes du système et proposaient dans le même temps d’en réduire les effets négatifs par des choix de consommation mieux adaptés : consommer mieux, consommer moins, consommer l’essentiel, consommer autrement (produits substituts), adopter d’autres circuits de distribution (hard discount, approvisionnement local) ou encore développer des substituts à la consommation et le DIY (<em>do it yourself</em>) comme la cuisine, la couture, le bricolage, le jardinage, etc.</p></li>
<li><p><strong>Des réponses de confrontation</strong> : près de 30 % des individus qui réagissaient appelaient à une certaine forme de refus et de confrontation face au phénomène. Certains souhaitaient des modifications structurelles du système (intervention de l’État, régulation des marchés par les organismes compétents, normes, encadrement des prix). D’autres mettaient en avant l’action et un appel à <em>l’empowerment</em> du consommateur par des actions de bouche-à-oreille négatif voire de boycott.</p></li>
</ul>
<h2>Double injustice…</h2>
<p>Face à l’inflation et à de telles pratiques commerciales, les questions de justice et de confiance ne sont pas loin. Les consommateurs peuvent éprouver le sentiment d’une double injustice : une <strong>injustice distributive</strong>, qui caractérise la modification des termes de l’échange en matière de rétribution/contribution, et qui ne peut qu’être subie par le consommateur, mais aussi, souvent, par les autres acteurs eux-mêmes.</p>
<p>Mais une autre forme d’injustice peut également exister, <strong>l’injustice procédurale</strong>, qui découle de la perception par le consommateur d’un système malhonnête, opaque et malveillant, défendant des intérêts individuels et égoïstes de la part du fabricant ou du distributeur.</p>
<p>L’étude mentionnée plus haut indique que les réactions des consommateurs face à cette injustice procédurale seront beaucoup plus agressives et virulentes à l’égard du fabricant, de la marque ou du distributeur associé à la hausse de prix masquée que leurs réactions à l’injustice distributive. Encore une fois, la transparence pourrait payer, en particulier dans un contexte où les réseaux sociaux peuvent rendre rapidement inflammable la découverte de la dissimulation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191920/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La forte inflation a incité certaines entreprises à relever leurs prix de façon masquée, s’exposant ainsi à différentes réactions de la part des consommateurs.Gilles Séré de Lanauze, Maître de conférences en marketing, IAE MontpellierBéatrice Siadou-Martin, Professeur des universités en sciences de gestion, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1915972022-10-02T16:31:53Z2022-10-02T16:31:53ZInflation : pourquoi la France résiste (pour l’instant) mieux que ses voisins<p>La pandémie de Covid, suivie de turbulences géopolitiques qui ont entraîné une crise énergétique, a placé la stabilité financière mondiale dans une position peu enviable. Un tel environnement a créé une grande incertitude, conduisant les décideurs politiques du monde entier à imposer diverses politiques et restrictions. Ces actions ont entraîné des interruptions considérables dans le monde des affaires, créant une rupture de la chaîne d’approvisionnement et une profonde contraction économique.</p>
<p>En raison de la convergence de déficits économiques importants et de <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/la-dette-des-entreprises-francaises-atteint-des-niveaux-record-1000308">niveaux historiques d’endettement des entreprises</a>, outre les mesures de stimulation adoptées par les gouvernements, les pays se retrouvent aujourd’hui à lutter contre l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/inflation-28219">inflation</a>. L’inflation, dans sa définition la plus simple, est une hausse des prix et peut se traduire par une baisse du pouvoir d’achat. En effet, elle est une réaction à différents facteurs de la conjoncture économique.</p>
<p>En matière d’inflation, la France semble mieux résister que ses voisins. En août 2022, le taux d’inflation (mesuré par l’indice des prix à la consommation) en <a href="https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/france/france-l-inflation-ralentit-au-mois-d-ao%C3%BBt-a-5-8-sur-un-an_AD-202208310177.html">France était de 5,8 %</a>, contre <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/allemagne-l-inflation-a-bien-augmente-en-ao%C3%BBt-a-7-9-932385.html">7,9 % en Allemagne</a>, <a href="https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/union-europeenne/zone-euro-l-inflation-bat-un-nouveau-record-en-ao%C3%BBt-a-9-1-sur-un-an_AD-202208310250.html">9,1 % en Italie</a> et <a href="https://www.bfmtv.com/economie/international/royaume-uni-l-inflation-ralentit-a-9-9-en-ao%C3%BBt-mais-reste-au-plus-haut-depuis-40-ans_AD-202209140181.html">9,9 % au Royaume-Uni</a>.</p>
<h2>Bouclier tarifaire et nucléaire</h2>
<p>Le principal défi auquel les pays sont confrontés, et qui contribue à l’inflation, ou à la <a href="https://theconversation.com/inflation-croissance-nulle-et-plein-emploi-bienvenue-dans-la-stagflation-2-0-182780">stagflation</a> (qui désigne une combinaison de l’inflation avec une faible croissance économique) pour certains pays, est l’immense augmentation des prix de l’énergie. Face à cette hausse, le gouvernement français est intervenu par ses dépenses massives pour atténuer les coûts énergétiques pour les ménages, avec des dispositifs comme le <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/energie/crise-energetique-hausse-des-prix-du-gaz-et-de-l-electricite-nouveau-cheque-energie-aides-aux-entreprises-ce-qu-il-faut-retenir-des-annonces-du-gouvernement_5360650.html">chèque-énergie ou le bouclier tarifaire</a>.</p>
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<p>Ces actions ont permis de maintenir un taux d’inflation bien inférieur à celui de la plupart des économies européennes. En outre, les sources d’énergie ont rendu la France moins dépendante des produits liés aux combustibles fossiles, et donc moins influencée par les fluctuations des prix de l’énergie.</p>
<p>Par exemple, la figure 1 présente les données à partir de 2021 qui montrent que 69,33 % de l’électricité française proviennent de l’énergie nucléaire, contre 14,8 % au Royaume-Uni et 11,8 % en Allemagne.</p>
<p><iframe id="Jhp1E" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Jhp1E/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Parallèlement, nous pouvons voir dans la figure 2 comment l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni dépendent des combustibles fossiles pour leur production d’électricité. C’est pourquoi nous constatons que la contribution de l’énergie à l’inflation en France moins lourde que dans les autres pays européens.</p>
<p><iframe id="3uuc1" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/3uuc1/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Hausse des taux</h2>
<p>Cependant, en dehors des questions liées à l’énergie, <a href="https://link.springer.com/article/10.1023/A:1009782809329">tout pays est influencé par le marché mondial</a>, tout comme les <a href="https://journals.openedition.org/fcs/8844">entreprises sont influencées par leur environnement institutionnel</a>. En conséquence, les évolutions prochaines pourraient conduire à des évolutions dans les politiques publiques qui pourraient avoir une influence sur le taux d’inflation, dont personne ne sait encore s’il a atteint son pic.</p>
<p>Par exemple, le récent mouvement de hausse des taux de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/banque-centrale-europeenne-bce-24704">banque centrale européenne</a>, enclenché pour la première fois depuis une décennie en juillet dernier pour ralentir l’inflation, pourrait peser sur la balance des paiements des pays, détériorer les soldes publics et offrir un ainsi moins de marge de manœuvre aux États dans leurs politiques pour contenir la hausse des prix.</p>
<p>À moins d’atteindre une sorte de stabilité régionale en termes de politique et d’économie, nous ne pouvons donc pas garantir que la France pourra continuer à faire mieux que ses voisins dans les prochains mois.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-resserrement-monetaire-de-la-bce-une-mauvaise-nouvelle-pour-les-cigales-europeennes-190462">Le resserrement monétaire de la BCE, une mauvaise nouvelle pour les « cigales » européennes</a>
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<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La moindre exposition à la flambée des prix de l’énergie fossile et les dispositifs publics de soutien aux ménages ont notamment permis de limiter la hausse des prix.Mohamad Hassan Shahrour, Maître de Conférences en Finance, Université Côte d'Azur, IAE Nice - Université Côte d'AzurAymen Smondel, Maître de conférences en finance, IAE de Nice, IAE Nice - Université Côte d'AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1843522022-06-06T19:42:21Z2022-06-06T19:42:21ZÀ quel prix devriez-vous acheter vos vins ? Demandez à l'algorithme !<p>Tous les ans, entre avril et juin, Bordeaux entre en effervescence. C’est la campagne des Primeurs. Ce moment où les vins, encore en élevage dans leurs fûts de chêne, sont goûtés par les professionnels, les journalistes et les grands experts. Tous pourront se faire une opinion sur la qualité des vins présentés.</p>
<p>Les grands experts donneront des notes pour chaque château, tandis que les châteaux annonceront les prix en primeur de leurs vins. Ce prix auquel les négociants pourront immédiatement acheter les vins et les revendre dans la foulée aux professionnels comme aux particuliers. La livraison effective des vins n’aura lieu que l’année suivante, lorsque le vin aura terminé son élevage et aura été mis en bouteille.</p>
<p>Lorsque les premiers prix « sortent », une grande fébrilité s’empare de la filière. Quelle va être la tendance du marché ? Quel château va se montrer raisonnable ou, au contraire, déraisonnable en augmentant fortement ses prix au risque de mal vendre ses vins ? Quelles sont les « bonnes affaires » ?</p>
<p>La sortie des prix primeurs est commentée abondamment sur toute la planète vin. Les acheteurs et les vendeurs s’entendent finalement rarement sur la notion de juste prix.</p>
<p>C’est ici que les économistes interviennent.</p>
<h2>Définir le « juste prix »</h2>
<p>La notion de « juste prix » est une des plus anciennes questions économiques. Introduite par Aristote, développée par Saint-Thomas d’Aquin, elle sera au centre des ouvrages économiques d’Adam Smith, de David Ricardo et de biens d’autres encore. En dehors de sa dimension morale, elle renvoie à un prix qui reflète les déterminants économiques fondamentaux et qui, par définition, ne doit être ni sur ni sous-évalué, ne lésant ainsi ni l’acheteur, ni le vendeur.</p>
<p>Décomposer le prix d’un vin en fonction de l’ensemble de ses caractéristiques, tout en prenant en compte les cycles du marché et les déterminants économiques de la demande, permet d’évaluer précisément le juste prix d’un vin. Ce juste prix est donc issu de facteurs idiosyncratiques et de facteurs communs influençant le marché du vin.</p>
<p>Dans une étude à paraître, nous nous sommes livrés à cet exercice. Nous avons cherché à estimer le « juste prix » des primeurs bordelais de ce printemps 2022 sur la base de la dynamique des prix depuis le milieu des années 2000 sur le marché secondaire, sur lequel s’organise la revente des bouteilles, les variables économiques influençant la demande. Partant du fait que les marchés primaires et secondaires sont forcément reliés, nous avons construit un modèle d’estimation du prix des vins sur le marché secondaire que nous appliquons ensuite aux vins sortant sur le marché primeur.</p>
<p>Ainsi, le prix d’un vin va dépendre de sa réputation (la prime liée à la marque telle que repérée sur le marché secondaire), de son âge (un an de plus/moins donne un prix plus élevé/moins élevé de 3 %), de la qualité du millésime (repérée par les grands experts) et de la qualité intrinsèque du vin (issue des grands experts également sous la forme de notes). Ce modèle a un pouvoir explicatif très fort avec 98 % de la variance des prix expliqués.</p>
<p>Appliqué aux primeurs, il fonctionne très bien. Les premières sorties révèlent que la plupart des châteaux (au moment où nous écrivons) sortent à un prix conforme à leurs fondamentaux issus du modèle. À titre d’exemples, le célèbre château Cheval Blanc a été lancé au prix de 390 euros quand le modèle donnait un prix fondamental de 384 euros ; le cinquième cru classé 1855 de Médoc, Château Cantemerle, est sorti à 18 euros pour un prix fondamental de 18,90 euros. En moyenne, le taux de divergence entre le modèle et les dix premières sorties est de 2,27 %.</p>
<p>Trois châteaux seulement s’écartent significativement de leur prix fondamental (en les excluant, le taux de divergence du modèle passe à 0,41 %), à la hausse comme à la baisse. Cette différence peut s’expliquer par des stratégies commerciales particulières avec des arbitrages opposés entre la création de valeur liée à un prix élevé et l’écoulement rapide des volumes lié à un prix mesuré. Cet écart peut aussi s’expliquer par une lecture particulière de l’évolution à venir du marché ou encore une volonté de positionnement différent du vin (volonté de montée en gamme par exemple).</p>
<h2>Bientôt des sommeliers virtuels ?</h2>
<p>Mais l’enjeu est ailleurs. Pour intéressante que soit l’étude des prix des primeurs bordelais, c’est l’extension de cette étude aux vins « grand public » disponibles dans les canaux de distribution standards qui pourrait impacter le marché de masse (<em>mass market)</em>.</p>
<p>Au regard de l’ampleur des bases de données disponibles sur le web concernant le vin, cette méthodologie peut en effet être étendue à des dizaines de milliers d’autres vins. Rappelons que la seule application Vivino revendique <a href="https://www.larvf.com/l-application-vivino-leve-128-millions-d-euros,4721319.asp">plus de 50 millions d’utilisateurs</a> et compile de l’information (y compris des notes sur les vins données par les utilisateurs) pour, justement, plusieurs dizaines de milliers de vins. Modéliser le juste prix de ces vins apparaît donc possible, toute l’information étant disponible.</p>
<p>Un chercheur australien a d’ailleurs déjà créé un petit algorithme permettant de sortir le « juste » prix d’un vin en <a href="https://theconversation.com/what-drives-our-wine-choice-taste-or-the-price-tag-35252">fonction des caractéristiques rentrées par l’utilisateur</a>.</p>
<p>Nul doute que de nouveaux algorithmes, plus performants et, surtout, brassant beaucoup plus de vins, vont fleurir. Le développement des notes et des commentaires issus des consommateurs eux-mêmes sur les applications dédiés aux vins enrichira en données ces algorithmes qui délivreront des prix « fondamentaux » ou « juste prix » pour éclairer les consommateurs dans leurs choix.</p>
<p>De la même façon que l’intelligence artificielle est largement utilisée dans le conseil pour le choix des vins (en fonction de vos, goûts, de vos achats précédents, de ce que vous aimez manger, etc.), les sommeliers virtuels seront certainement capables très bientôt de vous dire à quel prix acheter un vin.</p>
<p>Devant un rayonnage, il vous suffira sans doute de scanner des prix et des bouteilles pour que le sommelier virtuel vous dise si vous faites une affaire ou s’il vaut mieux passer son chemin.</p>
<p>Cet outil d’aide à la décision, amené à se développer, conduira à une meilleure efficience du marché en réduisant l’asymétrie d’information qui pèse sur le consommateur confronté à un choix délicat face à des centaines de vins. On ne peut que s’en réjouir.</p>
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<p><em>L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération. L’alcool ne doit pas être consommé par des femmes enceintes</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184352/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Marie Cardebat est Président de la European Association of Wine Economists (EuAWE)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jean-Philippe Weisskopf et Philippe Masset ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Des algorithmes permettent désormais d’estimer le « juste prix » à payer pour le consommateur. Réservés pour l’instant aux grands crus, ils pourraient rapidement influencer le marché grand public.Philippe Masset, Professeur associé, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)Jean-Marie Cardebat, Professeur d'économie à l'Université de Bordeaux et Prof. affilié à l'INSEEC Grande Ecole, Université de BordeauxJean-Philippe Weisskopf, Associate Professor of Finance, École hôtelière de Lausanne, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1837512022-05-29T15:39:08Z2022-05-29T15:39:08ZÉlectricité : pourquoi les tarifs augmentent (et devraient encore augmenter)<p>Entre 2007, date symbolique en France puisqu’elle marque l’éligibilité de l’ensemble des consommateurs aux tarifs de marché, et 2022, le prix moyen du mégawatt-heure (MWh) de l’électricité pour les ménages est passé de 114 euros à 207 euros, soit 93 euros par MWh d’augmentation. Ce sera encore 20 euros de plus à partir du 1er février. </p>
<p>Malgré une stabilisation des marchés de gros, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a annoncé une augmentation à partir de cette date-là entre 8,6% et 9,8% selon les contrats, sur TF1 le dimanche 21 janvier. Cette nouvelle hausse porte l'augmentation totale du tarif de base sur les deux dernières années à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/21/les-tarifs-de-l-electricite-augmenteront-de-8-6-a-9-8-au-1er-fevrier-annonce-bruno-le-maire_6212134_823448.html">44 %</a> après les révisions de février 2022 (+4%), février 2023 (+15%) et août 2023 (+10%). </p>
<p>La taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) qui avait été limitée à 1 euro par Mwh dans le cadre du bouclier tarifaire <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/01/22/electricite-le-gouvernement-met-fin-progressivement-au-bouclier-tarifaire-les-tarifs-en-hausse-en-fevrier_6212147_3234.html">passera en effet à 21 euros</a>. Celle-ci retrouvera le niveau qu'elle avait avant la mise en place de ce bouclier au 1er février 2025 (<a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/01/22/electricite-le-gouvernement-met-fin-progressivement-au-bouclier-tarifaire-les-tarifs-en-hausse-en-fevrier_6212147_3234.html">32,44 euros du MWh</a>). Autrement dit, hors retournement politique, on peut s'attendre à une nouvelle annonce d'augmentation de 11 euros/MWh l'année prochaine.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KjvSVGNTLL4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Hausse du prix de l'électricité : Bruno Le Maire invité du 20H (TF1 Info, le 21 janvier 2024)</span></figcaption>
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<p>À première vue, le constat est donc sans appel : l’ouverture à la concurrence ne semble pas avoir rempli son objectif de baisse des tarifs pour le consommateur.</p>
<p>Les deux finalistes de la dernière élection présidentielle, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, en avaient d’ailleurs ouvertement <a href="https://www.youtube.com/watch?v=PVfAv5dbaUk">débattu durant l’entre-deux-tours</a> et, si les remèdes proposés différaient, tous deux s’accordaient sur le fait que le marché européen de l’énergie était inefficient et concourrait, sous sa forme actuelle, à l’augmentation des prix. C’est également la conclusion du comité social et économique central d’Électricité de France (EDF) qui avait lancé une <a href="https://energie-publique.fr/">pétition</a> pour la sortie du marché européen de l’électricité et le retour à un service public de l’énergie. Celle-ci a recueilli plus de 250 000 signatures.</p>
<p><iframe id="CnC2C" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/CnC2C/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Mais cette envolée des prix est-elle réellement liée à la libéralisation du secteur, qui était justement supposée stimuler la concurrence et donc l’innovation, notamment dans le déploiement des énergies renouvelables (EnR), et la baisse des prix ? En réalité, le constat apparaît plus nuancé.</p>
<p>Tout d’abord, une partie de cette augmentation s’explique <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/commercialisation-lelectricite">par les taxes</a> qui pesaient pour 25 % sur la facture du consommateur en 2007 (soit 31 euros/MWh, en euros 2020), et pour 34 % en 2020 (soit 61,5 euros/MWh). Autrement dit, sur le relèvement des taxes explique à lui seul 31,5 euros/MWh sur les 57 euros/MWh d’augmentation des prix moyens constatée (soit 55,3 % du total).</p>
<h2>Les tarifs s’envoleraient si la France s’isolait</h2>
<p>Une autre partie de l’augmentation repose sur les coûts inhérents aux réseaux de transport qu’il a fallu à plusieurs reprises réévaluer pour tenir compte des nécessaires investissements dans la maintenance, mais aussi la modernisation de ces infrastructures essentielles. Cette modernisation apparaît d’autant plus nécessaire que la production d’électricité se décentralise (notamment avec le déploiement des EnR), et que les nouveaux usages se développent. Ces tarifs d’acheminement de l’électricité (Turpe) sont ainsi passés de <a href="https://www.enedis.fr/sites/default/files/documents/pdf/enedis-brochure-tarifaire-turpe6.pdf">41 euros/MWh en 2007 à 53,5 euros/MWh en 2020</a>, soit 21,9 % de l’augmentation totale constatée.</p>
<p>Un rapide calcul nous permet donc de déduire que les coûts de fourniture, ou dit autrement, les facteurs de marché, n’expliquent en moyenne que 22,8 % (100 %-55,3 %-21,9 %) de l’augmentation des prix constatée sur la période, soit environ 13 euros/MWh. Pour les opposants au marché européen de l’énergie, ces 22,8 % résiduels résonneraient donc comme un constat d’échec et justifieraient un retour à des marchés de nationaux.</p>
<p><iframe id="bZ9Sl" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/bZ9Sl/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Cependant, selon les <a href="https://assets.rte-france.com/prod/public/2022-02/BP50_Principaux%20re%CC%81sultats_fev2022_Chap11_analyse%20economique.pdf">projections de RTE</a> (gestionnaire du réseau national de transport d’électricité haute tension), une France isolée à horizon 2050-2060 coûterait plusieurs milliards supplémentaires par an aux contribuables. En effet, pour réduire nos émissions de CO<sub>2</sub> et notre dépendance aux fossiles, nous avons déjà fermé <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-na-99-approvisionnement-electricite-janvier.pdf">et planifié la fermeture</a> de l’équivalent de près de 10 gigawatts (GW) de centrales thermiques. De plus, nos centrales nucléaires vieillissantes connaissent des <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/04/21/edf-de-plus-en-plus-inquiet-pour-son-parc-nucleaire-en-raison-de-problemes-de-corrosion_6123074_3234.html">périodes d’arrêts et de surveillance prolongées</a> qui ne permettent pas leur pleine exploitation.</p>
<p>Tout cela fait de la France un importateur d’électricité, notamment pour couvrir ses pics de consommation. En <a href="https://www.rte-france.com/actualites/bilan-electrique-2022">2022</a>, RTE nous rappelle d'ailleurs que la France aura « a été importatrice nette (plus d'importations que d'exportations) d’électricité pour la première fois depuis 1980 (bilan net de 16,5 TWh en import) » !</p>
<p>Cela ne peut signifier que deux choses : la France a de plus en plus de difficultés à couvrir ses besoins énergétiques intérieurs et/ou il lui est parfois profitable d’importer de l’énergie, notamment quand les prix de marché sont bas.</p>
<h2>Le paradoxe EDF</h2>
<p>Au milieu de cette dynamique de marché, EDF est l’objet d’un curieux paradoxe. Il faut comprendre que le principal acteur du marché de la production d’électricité en France reste tenu de céder à ses concurrents un plafond de 100 TWh/an d’énergie nucléaire à un tarif « Arenh » (accès régulé à l’énergie nucléaire historique) fixé depuis 2012 à 42 euros/MWh. Cette disposition, qui engage à peu près le quart de la capacité de production nucléaire d’EDF, a permis l’instauration d’une concurrence sur le marché de la fourniture, l’électricité d’origine nucléaire étant fortement compétitive, notamment pour couvrir les besoins « de base ». Elle est d’ailleurs <a href="https://alliancedesenergies.fr/arenh-2022/">très fortement demandée actuellement</a> du fait de l’envolée des prix de marché.</p>
<p>L’Arenh, qui n’a pas été révisé depuis 2012 malgré des <a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/energie/edf-le-regulateur-revise-a-la-hausse-le-cout-du-nucleaire_AD-202309190846.html">velléités de réformer ce cadre</a>, est supposé couvrir les coûts de production en électricité d’origine nucléaire d’EDF. Or, ce n’est plus le cas si l’on en croit la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et l’opérateur historique, qui estiment respectivement ces coûts de production à <a href="https://investir.lesechos.fr/actions/actualites/la-cre-evalue-le-cout-du-mwh-d-electricite-nucleaire-pour-edf-a-48-36-euros-1926120.php">48,36 euros/MWh et 53 euros/MWh</a>. Autrement dit, EDF cède une partie de sa production nucléaire à perte… ce qui, du point de vue du contribuable français qui a participé à la constitution du parc d’EDF et figure à son actionnariat, s’apparente à une double peine puisque, dans le même temps, il est également percuté par l’augmentation des prix.</p>
<p><iframe id="aOikv" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/aOikv/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Cependant, il ne faut pas occulter qu’EDF est à la fois un leader de la fourniture d’électricité, mais aussi un très important <a href="https://bilan-electrique-2021.rte-france.com/synthese-les-faits-marquants-de-2021/">exportateur</a>. Et s’il perd de l’argent sur les 100 TWh concédés au tarif Arenh, il en gagne sur le reste de sa production, à plus forte raison quand les prix de marché s’envolent ! Par ailleurs, son coût de revient reste très compétitif, du fait notamment de sa rente de nucléaire et hydraulique.</p>
<p>Au bilan, malgré le paradoxe de l’Arenh, cette situation lui permet de générer des gains importants qui bénéficient à l’État actionnaire… et, d’une manière ou d’une autre, au contribuable. Les mesures de type « bouclier énergétique », par exemple, n'étaient-elles pas indirectement <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/crible/energie-edf-le-bouclier-les-fleches-et-le-boomerang-1371350">prélevés sur les bénéfices d’EDF</a> ?</p>
<h2>Le lourd financement du renouvelable</h2>
<p>Enfin, il faut garder à l’esprit que l’ouverture à la concurrence répondait à d’autres objectifs que la seule baisse des prix. Il s’agissait aussi de réagir face à une série de problématiques identifiées <a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/45/marche-interieur-de-l-energie">dès le milieu des années 1990</a>. À cette époque, déjà, l’Union européenne avait anticipé une forte augmentation de la demande mondiale en énergie, et les tensions subséquentes sur l’accès aux ressources fossiles dont l’Europe reste fortement dépendante. La souveraineté énergétique européenne ne peut, dans ce contexte, faire l’économie d’une réelle politique de l’énergie unifiée qui permette à la fois de peser sur les marchés, mais aussi de planifier la sortie progressive des énergies fossiles. Le mode de financement des énergies renouvelables (EnR) et de leurs coûts associés à leur intégration au réseau explique ainsi en partie les hausses de prix.</p>
<p>En effet, les financements privés se réalisent à un taux de marché généralement compris entre 4 % et 7 % quand l’État pourrait bénéficier de conditions de financement nettement plus avantageuses. Dit autrement, la transition énergétique revient plus cher – toutes choses égales par ailleurs – quand elle fait l’objet d’investissements privés plutôt que publics. Certes, mais ce serait oublier un peu vite que les États européens, déjà lestés de dettes souveraines très importantes pour certains, ont de multiples arbitrages budgétaires à effectuer (sous contraintes de se conformer, en temps normaux, au Pacte de stabilité et de croissance). Or, ils subventionnent directement et indirectement déjà beaucoup les EnR, par le biais d’obligations d’achat à un tarif régulé ou de complément de rémunération au bénéfice exclusif des producteurs d’EnR. Ces <a href="https://www.cre.fr/Transition-energetique-et-innovation-technologique/soutien-a-la-production/dispositifs-de-soutien-aux-enr">dispositifs de soutien aux EnR</a> auraient permis de subventionner, pour la France et sur seule année 2020, la production de 79 TWh d’énergies renouvelables, à hauteur de 6,2 milliards d’euros (<a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/bilan-energetique-2020/pdf/bilan-energetique-de-la-france-pour-2020.pdf">selon le ministère de la Transition écologique</a>).</p>
<p>Les EnR ont de surcroît le désavantage d’être intermittentes, mais surtout décentralisées et générées par de multiples producteurs hétérogènes. Cette dispersion rend le réseau plus délicat à piloter et équilibrer et nécessite des investissements massifs pour adapter les lignes à cette nouvelle donne. Par exemple, Réseau de transport d’électricité (RTE), qui assure le transport de l’électricité en France, prévoit quelque 33 milliards d’euros d’investissements à horizon 2035 (<a href="https://www.usinenouvelle.com/editorial/comment-les-reseaux-electriques-font-face-au-defi-de-l-integration-des-energies-renouvelables.N1787337">dont 13 milliards pour la seule absorption des EnR</a>), et une <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/pourquoi-construire-des-epr-couterait-moins-cher-que-le-tout-renouvelables-selon-rte.N1153292">progression exponentielle au-delà</a> en fonction de la part des renouvelables dans le mix énergétique français.</p>
<p>En contrepartie, ces investissements ouvrent la voie à un pilotage plus intelligent de l’énergie, et le développement des usages qui vont de pair, qu’il s’agisse de l’électrification massive des flottes de véhicules, les réseaux électriques « intelligents » (<em>smart grids</em>) permettant une production/injection d’énergie ajustable en temps réel, le pilotage distant de la demande… En bref, une optimisation qui permettra, à terme, une meilleure efficience énergétique. Et de continuer à réduire, par la densification de notre parc EnR, nos émissions de CO<sub>2</sub>. L’évolution des tarifs à l’avenir reflétera donc en partie nos choix politiques concernant l’environnement.</p>
<p>On comprend à la lecture de ce bref panorama que, certes, on reste loin des promesses d’une concurrence modératrice en prix, mais que l’ensemble des hausses de prix ne découlent pas des imperfections du marché libéralisé, et que les nombreux bénéfices liés à la construction du marché européen de l’énergie ne peuvent être totalement occultés. Reste que les marges de manœuvre pour protéger le portefeuille des consommateurs et assurer la transition énergétique demeurent limitées.</p>
<p>Sauf à miser sur la sobriété énergétique, voir émerger des innovations radicales dans la génération d’énergie, ou à espérer des conditions macro plus favorables, la hausse des prix ne semble pas pouvoir être endiguée sur le court terme. Et ce, même s’il était décidé de <a href="https://www.lefigaro.fr/conso/2015/10/20/05007-20151020ARTFIG00008-les-fournisseurs-d-energie-de-plus-en-plus-agressifs-aupres-des-consommateurs.php">plafonner les dépenses marketing des fournisseurs</a>, EDF et ses rivaux apparus depuis 2007…</p>
<p>En outre, avec l'électrification à marché forcée de l'économie, et notamment la mobilité électrique, il est illusoire de penser que la facture d'électricité baissera dans les prochaines années. Les raisons sont multiples, entre des besoins en énergies qui <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/electricite-les-besoins-massifs-de-la-france-inquietent-les-experts-1949926">augmentent plus vite que nos capacités de production</a> et le <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/entreprises/nucleaire-les-quatre-plus-gros-reacteurs-francais-a-l-arret-09dde3be-5e7f-11ec-b2cb-afc8b04d8652">vieillissement du parc nucléaire</a>. Sur un plan fiscal, il s'agira également pour l'État de compenser le manque à gagner des taxes sur les énergies fossiles à mesure que le thermique cèdera du terrain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183751/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Pillot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les taxes et les coûts de transport mais aussi le financement de la transition énergétique expliquent notamment pourquoi la libéralisation n’a pas, comme attendu, conduit à une baisse des prix.Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie (Inseec) / Pr. associé (U. Paris Saclay) / Chercheur associé (CNRS), INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1786862022-03-08T19:29:30Z2022-03-08T19:29:30ZLuxe : les crises passent, les prix montent<p>En 2021, les grands groupes de luxe (LVMH, Kering, Hermès, Chanel, Richemont, etc.) ont non seulement enregistré des ventes en hausse significative partout dans le monde, mais aussi des marges opérationnelles historiques. Ainsi, les ventes de Kering ont atteint 17,6 milliards d’euros, soit une hausse de 11 % par rapport à leur niveau de 2019, et le résultat opérationnel du groupe est de 5 milliards d’euros, soit une <a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/kering-depasse-ses-resultats-d-avant-crise_AD-202202170132.html">marge opérationnelle de 28,4 %</a>.LVMH de son côté a vu ses ventes atteindre 64,2 milliards, soit une hausse de 20 % par rapport à 2019. Quant au résultat opérationnel, il a cru de 49 % à 17,151 milliards d’euros, soit <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/agroalimentaire-biens-de-consommation-luxe/lvmh-chiffre-d-affaires-benefices-marges-les-resultats-financiers-du-geant-du-luxe-donnent-le-tournis-902902.html">26,71 % de marge opérationnelle</a>, en hausse de 5 points par rapport à 2019. Mais cette marge n’est qu’une moyenne des plus de 70 marques de LVMH. Sachant que plusieurs d’entre elles sont moins rentables que les autres, on peut présumer que le vaisseau amiral, Louis Vuitton, mène le bal avec un niveau de marge opérationnelle frisant les 40 %.</p>
<p>On comprend que ces grands groupes du luxe mondial soient considérés comme des Gafas du luxe : leurs marques n’ont rien à envier aux marques de la Tech en termes de croissance et de rentabilité. En outre, portées par leur grande histoire, elles visent la pérennité dans le temps, ce qui est moins évident dans le monde des hautes technologies où l’obsolescence guette, portée par nouveaux entrants disruptifs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1494227268528484355"}"></div></p>
<p>En même temps que leurs très bons résultats de 2021, la presse économique a relayé des annonces de <a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/industries/toujours-plus-cher-le-luxe-n-en-finit-plus-d-augmenter-ses-prix_AV-202202170267.html">hausses de prix</a> émanant des plus grandes marques du luxe : Gucci, Louis Vuitton, Chanel, Dior. Ces marques avaient pourtant déjà bien augmenté leurs prix pendant la pandémie afin de préserver leurs résultats financiers en 2020, l’année la plus dure pour ce secteur, notamment en raison du ralentissement drastique du tourisme et de la fermeture des magasins.</p>
<h2>D’une crise à l’autre</h2>
<p>Ayant déjà mené ces hausses de prix en janvier et février, avec des taux variables selon les continents, les grandes marques de luxe doivent maintenant faire face à la nouvelle crise liée à la guerre en Ukraine, entraînant un terrible drame humanitaire en plein milieu de l’Europe et son flot d’images insoutenables dans les médias et sur les réseaux sociaux. Les grands groupes du luxe ont annoncé fermer leurs magasins en Russie peu après l’invasion.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1500391653269512195"}"></div></p>
<p>L’impact de cette guerre sur ce secteur dépendra à présent de sa durée et gravité. Ce n’est pas tant le poids de la Russie dans les ventes de luxe qui est le problème (<a href="https://contactlab.com/fr/insights/marche-russe-de-luxe-tarde-sur-ecommerce/">estimé à 6 %</a>) que les effets de la guerre sur les chaînes d’approvisionnement donc sur les économies du monde occidental en premier lieu, puis les autres continents. La hausse répétée des prix de l’énergie, des matières premières sensibles, des transports, affectera le climat économique ressenti, faisant chuter les bourses dans le monde.</p>
<p>Or, sachant que l’achat d’un bien de luxe n’est jamais nécessaire et peut donc être retardé, rien n’est plus important pour le luxe que le niveau de confiance dans le futur ressenti dans son public.</p>
<p>En outre, si les bourses baissent, cela affectera la valeur des avoirs de la clientèle régulière du luxe, donc impactera négativement leur sentiment d’être riche, un facteur majeur qui conditionne leur propension à acheter. À l’inverse, dès que les premiers signes d’amélioration de l’économie se manifestent, ce sentiment s’inverse positivement et libère les cordons du désir d’achat. Le luxe reste une activité anticyclique.</p>
<h2>« Anti-lois du marketing »</h2>
<p>Si les crises et guerres poussent les prix à la hausse, il ne faut pas pour autant oublier que la dynamique des hausses de prix du luxe est consubstantielle au luxe. Le management d’une marque de luxe obéit en effet à des principes symétriques de ceux des marques de grande consommation : dans nos recherches menées avec Vincent Bastien, nous les avions d’ailleurs qualifiés dans nos recherches d’ <a href="https://www.editions-eyrolles.com/Livre/9782212554656/luxe-oblige">« anti-lois du marketing »</a>. Ainsi, la hausse systématique des prix <em>moyens</em> de la marque est l’un des piliers d’une stratégie de luxe.</p>
<p>Les bons résultats des marques de luxe traduisent également leur capacité à maintenir leur désirabilité via une inaccessibilité relative entretenue par la hausse systématique de leurs prix. Le président-directeur général du groupe LVMH, Bernard Arnault, ne cesse de le répéter, le luxe <a href="https://books.google.fr/books?id=TGMnDQAAQBAJ&pg=PA17&lpg=PA17&dq=Bernard+Arnault+luxe+vend+r%C3%AAve">« vend du rêve »</a>. La toute récente exposition ouverte en septembre 2021 au Brooklyn Museum à New York en l’honneur de Dior s’intitule <a href="https://www.vogue.fr/culture/article/exposition-christian-dior-designer-of-dreams-brooklyn-museum">« Christian Dior : designer of dreams »</a>. Ce n’est pas par hasard. Via une mise en scène culturelle, il s’agit en réalité de positionner le couturier et sa marque éponyme au firmament de la désirabilité aux États-Unis et au top de la pyramide du luxe personnel afin d’y rejoindre Chanel et Hermès.</p>
<p>En effet qu’est-ce qu’un rêve, si ce n’est une représentation idéale de ce que l’on désire ? Or les rêves ne sont pas donnés, ils ne sont pas bon marché. Un prix élevé, que ce soit de façon monétaire ou autre (liste d’attente, délais, etc.), est donc un marqueur du rêve, un constituant de la désirabilité, un préalable. Le désir a besoin d’un obstacle à sa réalisation pour être un rêve. Le client des marques de luxe l’a parfaitement intégré.</p>
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<figcaption><span class="caption">Exposition « Christian Dior : Designer of Dreams » à Brooklyn : le « making of » (Dior, septembre 2021).</span></figcaption>
</figure>
<p>Dans une <a href="https://ideas.repec.org/a/eee/jbrese/v132y2021icp301-313.html">recherche</a> de grande envergure menée dans six marchés contrastés du luxe (Chine, États-Unis,Japon, Brésil, France, Allemagne) auprès de 3217 clients réguliers du luxe, nous avons cherché, avec Pierre Valette-Florence, à identifier les motivations de ceux qui attendent du luxe d’être cher, voire très cher. Ce sont ces motivations-là auxquelles les marques de luxe doivent répondre pour pouvoir augmenter leurs prix sans cesse.</p>
<p>Pour les connaître, il ne faut pas utiliser des questions directes car les répondants veulent faire bonne figure et donnent alors des réponses socialement acceptables. C’est l’analyse statistique causale qui les révèle. La première motivation révélée par l’analyse statistique est que la marque « signale leur succès social », la deuxième est « que la marque les distingue », qu’elle ait en elle assez « d’exclusivité perçue ». De façon intéressante, la recherche d’une « meilleure qualité de produit » ne conduit pas à attendre que la marque soit encore plus chère. Car, pour eux le luxe ne doit pas être fait pour tout le monde même si l’inclusivité est l’attitude qu’il faut afficher aujourd’hui.</p>
<p>Le luxe vend également de la durée. Il n’a donc pas à discounter. La valeur est durable donc le prix qui est son expression directe ne peut varier à la baisse. L’industrie du luxe aime à parler d’elle-même comme étant une industrie culturelle, celle de l’excellence. Mais c’est aussi une stratégie financière très précise : le luxe excelle à développer des produits de rente. Ainsi, pas de luxe sans icônes : l’Oyster Perpetual de Rolex, le collier Alhambra de van Cleef & Arpels, etc. Même si le risque de tomber dans une dépendance à un seul produit existe, ces icônes jouent un rôle économique majeur : constituer une source de cash permanente à long terme.</p>
<h2>Les clients suivront</h2>
<p>C’est donc en répondant aux deux premières motivations que nous avons mis en évidence dans notre recherche, statut et exclusivité, que les marques de luxe peuvent augmenter leurs prix déjà élevés sans crainte de voir partir une partie de leurs clients ou alors les plus sensibles aux prix.</p>
<p>En outre, le niveau de richesse du monde ne cesse de croître. Nous ne parlons pas ici des <a href="https://information.tv5monde.com/info/classement-forbes-2021-les-milliardaires-ne-connaissent-pas-la-crise-403732">2 755 milliardaires</a> dénombrés par Forbes en 2021, mais de cette classe moyenne des pays émergents dans le monde entier qui fait le bonheur des marques de luxe. Dès lors que leur sentiment de richesse croît, ils s’autorisent ces excès, ces écarts (l’étymologie du mot luxe) qui font les plaisirs de la vie, vous élèvent sur un plan culturel et signalent votre progression sociale, ce qui est fondamental dans la culture des pays asiatiques. En Asie, arborer le luxe est un must, pas un luxe.</p>
<p>Tout le problème de l’industrie du luxe est donc qu’elle prospère sur l’inégalité sociale, sur l’indice de Gini, mais elle ne peut le dire ouvertement. En revanche, tout montre dans ses résultats financiers qu’elle ne l’oublie pas.</p>
<p>Les hausses de prix actuelles ou à venir peuvent donc toujours être justifiées par l’invocation de la hausse des matières premières, de la fabrication, du transport, mais l’essentiel des motivations de la hausse est ailleurs. Notre recherche sur les clients qui aiment le cher et suivront donc toute hausse des prix le rappelle. En outre, les remarquables marges opérationnelles du secteur du luxe tiennent au divorce depuis longtemps consommé entre ses coûts réels de fabrication et ses prix de vente.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178686/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Noël Kapferer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les clients, de plus en plus nombreux, restent animés par des motivations qui leur font accepter largement les hausses de prix régulières et les marges confortables des grandes marques.Jean-Noël Kapferer, Research associate, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.