tag:theconversation.com,2011:/global/topics/republique-francaise-23761/articlesRépublique française – The Conversation2024-01-24T17:14:09Ztag:theconversation.com,2011:article/2216902024-01-24T17:14:09Z2024-01-24T17:14:09ZComment travaille le Conseil constitutionnel ?<p>Le Conseil constitutionnel doit remettre une importante décision de constitutionnalité à propos de la loi immigration portée par Gérald Darmanin. Quelles sont les méthodes de travail de cette juridiction trop souvent perçue comme obscure et politique ? Parfois décrites comme « secrètes », pour rester loin des pressions partisanes, elles n’en sont pas moins <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782275019284-contentieux-constitutionnel-des-droits-fondamentaux-1e-edition-michel-verpeaux-bertrand-mathieu/">codifiées et méthodiquement arrêtées</a> par des textes fondamentaux, comme l’ordonnance portant <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000705065">loi organique du 7 novembre 1958</a> relative au fonctionnement du Conseil constitutionnel.</p>
<h2>Une procédure plus qu’un contentieux</h2>
<p>Le Conseil constitutionnel est d’abord « saisi » par des autorités politiques. Il peut s’agir de députés ou sénateurs (plus de 60 sont requis), des présidents des deux assemblées, du premier ministre ou du président de la République. Ces autorités lancent alors un délai d’examen par le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/saisir-le-conseil/qui-peut-saisir-le-conseil-constitutionnel">Conseil de la conformité de la loi à la Constitution</a>, qui ne peut excéder un mois.</p>
<p>Conformément à l’article 61 de la Constitution, les juges constitutionnels disposent d’un mois, après enregistrement de la saisine au greffe, pour rendre une décision.</p>
<p>La saisine pour la loi immigration a été faite en l’occurrence par le président de la République, la présidente de l’Assemblée nationale et les députés et sénateurs de la gauche.</p>
<p>Comme tous les juges, ceux qui forment le Conseil constitutionnel suivent une procédure avant de rendre leur jugement. Néanmoins les concepts de contentieux, parties, instruction, mémoires ou contradiction ne sont pas adaptés à cette juridiction d’un type particulier. Ainsi, le vocabulaire normal de la justice n’est pas utilisé pour le Conseil constitutionnel, tant son office est particulier.</p>
<p>Ayant à juger une question purement objective, c’est-à-dire ne s’intéressant qu’à la conformité́ d’une norme à une autre dans l’intérêt du Droit, le Conseil constitutionnel ne tranche pas un contentieux entre parties. Il se prononce en droit sur la constitutionnalité́ de la loi mais ne donnera pas raison ou tort aux partis politiques qui s’affrontent.</p>
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<p>Ces raisons expliquent le particularisme de la procédure qui conduit au rendu de la décision ; les robes d’avocats ne bruissent pas dans des salles des pas perdus animées où des dossiers papiers s’amoncellent. Les ambiances sont plutôt à l’exact inverse : un peu entre la chambre parlementaire et la juridiction, les couloirs feutrés moquettés laissent le silence régner entre les bureaux fermés des neuf membres et de leurs services, qui communiquent par échanges informels au cours de nombreuses réunions, avant de parvenir à une décision consensuelle dans la salle des délibérés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-conseil-constitutionnel-les-anciens-presidents-de-la-republique-pourraient-ils-etre-les-remparts-des-droits-et-libertes-195377">Au Conseil constitutionnel, les anciens présidents de la République pourraient-ils être les remparts des droits et libertés ?</a>
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<h2>Un principe du contradictoire aménagé</h2>
<p>La décision suit une procédure de fabrication, une véritable « instruction », mais il n’y a pas d’opposition de points de vue entre deux « parties » opposées. Il est difficile d’imaginer au Conseil constitutionnel un « demandeur » et un « défenseur » de la loi comme dans n’importe quel litige, puisque gouvernement et Parlement ont, ensemble, construit une loi et qu’il n’y a donc pas à proprement parler de « parties au procès ».</p>
<p>Pourtant, depuis 1993, par le truchement de <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/la-qpc-et-le-parlement-une-bienveillance-reciproque">Robert Badinter</a>, les groupes parlementaires ont la possibilité de venir exposer un point de vue sur un dossier, mais peu s’en sont emparés.</p>
<p>C’est donc le <a href="https://www.gouvernement.fr/secretariat-general-du-gouvernement-sgg">secrétariat général du gouvernement</a>, actuellement Claire Landais, qui vient dialoguer avec le secrétariat général du Conseil constitutionnel, Jean Maïa, dont nous allons voir qu’il joue un rôle central.</p>
<p>Dans le cas qui nous occupe, la réunion a dû être particulièrement originale, entre un secrétariat général du gouvernement censé défendre la constitutionnalité de la loi, et un secrétaire général du Conseil constitutionnel qui a suivi de près les aveux d’inconstitutionnalité tenus par le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/20/loi-immigration-les-mesures-susceptibles-d-etre-censurees-par-le-conseil-constitutionnel_6206980_3224.html">président de la République en personne, la première ministre Elisabeth Borne et le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Laurent Fabius rappelle le rôle du Conseil constitutionnel (Public Sénat, 11 janvier).</span></figcaption>
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<p>Les « fiches » du secrétariat général du gouvernement quant à la constitutionnalité de la loi sont censées être préparées bien en amont de la prise de décision, afin de donner des pistes au Conseil constitutionnel pour comprendre le processus qui a conduit à adopter la loi. Dans le cas présent, la secrétaire générale se retrouve dans une position politique compliquée. Outre ces discussions de couloirs, la procédure est bien formalisée autour de plusieurs temps forts et acteurs clefs.</p>
<h2>Des acteurs clés</h2>
<p>Le Conseil constitutionnel est composé de <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-membres/statut-des-membres">neuf membres</a>, surnommés « les Sages » par les médias, dont le président de l’institution, Laurent Fabius, qui a un collaborateur personnel attaché à l’organisation de son agenda.</p>
<p>Ils sont nommés pour un mandat de neuf ans et renouvelés par tiers tous les trois ans. Trois membres, dont le président, sont nommés par le président de la République, trois autres par le président de l’Assemblée nationale, et les trois derniers par le président du Sénat.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les neuf « Sages » du Conseil Constitutionnel.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-membres">Conseil Constitutionnel</a></span>
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<p>Si le président Laurent Fabius est la figure médiatique de l’institution, son rôle ne saurait masquer l’ascendant d’un homme sur l’organisation des travaux : le secrétaire général, aujourd’hui <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-conseil-constitutionnel/les-services-du-conseil">Jean Maïa</a>. Il est nommé par décret du président de la République, sans durée de temps indicative. Devant s’adapter telle une vigie au renouvellement régulier des membres, il veille plus longuement que les autres à la continuité des travaux de l’institution.</p>
<p>C’est lui qui rédige les fiches informatives, qui renseigne les points juridiques clés, qui prépare le projet de « Commentaire aux Cahiers », <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/les-nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel">publications phares</a> de l’institution, pour expliquer, déminer, dé-politiser. Son œuvre pédagogique est <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782130631255-contentieux-constitutionnel-francais-4e-edition-guillaume-drago/">cardinale</a> pour qu’une décision soit rendue. Sans lui, point de rendez-vous qui tienne, sans lui, pas de colonne vertébrale.</p>
<p>Il est tout et il n’est rien ; autorité administrative et technique, le secrétaire général n’est pas membre de l’institution et ne peut donc rien faire « en son nom ». Tel un administrateur d’une assemblée, il prépare mais n’écrit pas. Le membre rapporteur du texte (nommé par les neuf membres en cooptation pour organiser les travaux de manière équitable) est le seul à préparer « l’avant-projet de décision ».</p>
<h2>Un combat inégal</h2>
<p>Le Conseil constitutionnel est aussi un adepte du temps précontentieux et deux services clés, la documentation et le service juridique, suit les travaux parlementaires dès la rentrée de l’Assemblée nationale et du Sénat.</p>
<p>Ce travail en amont est important notamment pour connaître la procédure ayant conduit à l’adoption des futures lois potentiellement déférées à la haute institution, prendre connaissance de celles-ci et rechercher les dispositions qui pourraient être inconstitutionnelles, avant même que les parlementaires (ou d’autres autorités) ne les évoquent.</p>
<p>En préparant le débat de constitutionnalité, les services – chapeautés par le secrétaire général et le membre rapporteur, souvent nommé « pré-rapporteur » de lois dont la saisine est pressentie – s’émancipent de la critique politique nécessairement contenue dans les mémoires de saisine.</p>
<p>Ces derniers ne font autre chose que de continuer la joute de l’intérêt général devant un juge qui ne peut trancher qu’à partir d’éléments juridiques dépassionnés. Dans ce combat inégal, le Conseil constitutionnel doit toujours faire gagner le droit et le rechercher, là où les artifices, les atours du vocabulaire de communication des gouvernants, noient le <a href="https://www.cairn.info/fiches-de-culture-juridique--9782340029897-page-221.htm">discours légistique</a>.</p>
<h2>Un jour fatidique</h2>
<p>Les débats au sein de la haute instance conduisent à rendre une décision de justice d’une manière très originale : par délibération « collégiale ».</p>
<p>La décision n’est pas rendue « au nom du peuple français » comme pour les autres juges (assise, judiciaire, administratif par exemple), mais elle n’est pas rendue non plus au nom d’une seule personne (comme les arrêtés ministériels ou autres décisions administratives). Elle est rendue au nom de l’intégralité des membres présents, au moins sept, lors de la délibération.</p>
<p>Ainsi, le rapporteur arrive avec un avant-projet qu’il présente ; c’est un moment de grand oral important, à l’image d’un ministre qui vient défendre son projet dans un Conseil des ministres ; il faut emporter avec soi la conviction des huit autres membres de l’instance. Pour éviter toute pression politique, le nom du membre rapporteur reste secret dans toutes les affaires. Ainsi, aucune fuite n’a permis d’identifier qui rapportera sur la loi immigration.</p>
<p>Sont présents autour de la table en U – l’ordre protocolaire autour du président est arrêté en fonction des années de nomination –, le greffe, pour consigner ce qui est dit, le service juridique et le secrétaire général pour éclairer les débats.</p>
<p>Ce n’est qu’une fois que les neuf membres sont d’accord avec ce qui est présenté que la décision peut être prise ; dans le cas contraire, les membres discutent point par point avec le rapporteur du texte sur la rédaction qui sera adoptée et qui fera consensus.</p>
<p>Tout y est pesé ; le poids juridique, l’impact politique, les remous médiatiques. Chaque président a imprimé son style, Robert Badinter pour la juridictionnalisation (soit le fait de remettre à une juridiction le contrôle d’une situation), Laurent Fabius pour la communication.</p>
<h2>Une décision déceptive</h2>
<p>Aujourd’hui, la décision à rendre contient une <a href="https://www.leparisien.fr/politique/decision-du-conseil-constitutionnel-sur-la-loi-immigration-des-experts-redoutent-une-dimension-politique-22-01-2024-V6ZUCLACFJCJ3MLFQ4PA2JLZBE.php">charge politique inédite</a>. Le gouvernement attend du Conseil constitutionnel qu’il « nettoie » le texte des addenda venant du groupe Les Républicains, auquel il a concédé politiquement.</p>
<p>Œuvrant à la manière du projet de loi de réforme des retraites – dont les censures par le juge constitutionnel étaient prévisibles et portaient précisément sur les <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/04/14/retraites-ce-que-le-conseil-constitutionnel-a-garde-ou-ecarte-des-differentes-saisines_6169591_4355770.html">mesures sociales</a> censées servir la dureté de la réforme – le gouvernement engage donc le juge à son corps défendant dans une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/17/incompetence-des-juges-absence-d-independance-reelle-les-entorses-du-conseil-constitutionnel-a-la-democratie_6211253_3232.html">querelle politique</a>.</p>
<p>Pour autant, la décision à venir générera nécessairement de la déception de part et d’autre, puisqu’en portant un regard juridique sur la loi, elle n’apportera pas de solution au débat politique.</p>
<p>On l’aura compris, les membres sont accompagnés par des services et dirigés par un rapporteur qui travaillent sur le projet de loi depuis de longues semaines, épluchant les travaux parlementaires, les différentes versions du texte, les jurisprudences antérieures du juge constitutionnel, de manière à concilier deux textes fondamentaux : la loi voulue par le pouvoir politique et la Constitution du peuple français.</p>
<p>L’une assure la confiance politique du pays en ses gouvernants le temps d’un mandat, l’autre assure la protection d’une ligne fondamentale de droits humains qui traverse les âges.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221690/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Charlène Bezzina ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Conseil constitutionnel est une juridiction souvent perçue comme obscure et politique malgré un protocole très codifié et singulier, dans le paysage juridique français. Décryptage.Anne-Charlène Bezzina, Constitutionnaliste, docteure de l'Université Paris 1 Sorbonne, Maître de conférences en droit public à l'université de Rouen, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162142024-01-14T16:31:09Z2024-01-14T16:31:09Z« Le corps policier a été secoué par la mort de Nahel »<p><em>L’appel à la grève le <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/pourquoi-les-syndicats-de-la-police-nationale-appellent-a-la-greve-le-18-janvier-2900294.html">18 janvier par plusieurs syndicats policiers</a> dans la perspective des Jeux olympiques de Paris 2024 – après que le ministre de tutelle ait souhaité une mobilisation exceptionnelle – remet en lumière l’importance de ces organisations dans la vie politique française. À l’été 2023, les émeutes et leur gestion avaient donné lieu à diverses <a href="https://www.nouvelobs.com/justice/20230721.OBS76037/mises-en-examen-de-quatre-policiers-reactions-de-leurs-collegues-a-marseille-l-enquete-avance-apres-le-passage-a-tabac-d-hedi.html">mouvements de contestations</a>.</em></p>
<p><em>Marion Guenot, chercheuse en sociologie au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) nous livre ici son analyse sur l’implication croissante des syndicats sur la scène politique et sur l’importance de l’appartenance syndicale dans l’organisation policière.</em></p>
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<p><strong>Comment les syndicats travaillent-ils et sont-ils représentatifs des policiers ?</strong></p>
<p><strong>Marion Guenot</strong> : Le fait syndical est particulièrement massif au sein de la police : 77 % de taux de participation <a href="https://www.interieur.gouv.fr/sites/minint/files/medias/documents/2022-12/CP%20R%C3%A9sultats%20-%20%C3%A9lections%20du%20CSA%20MIOM%202022%20.pdf">aux élections professionnelles de 2022</a>. Ces syndicats sont catégoriels, représentant séparément le corps des gardiens de la paix et gradés, celui des officiers et celui des commissaires. Les plus connus sont les syndicats de gardiens et gradés : Alliance police nationale et l’UNSA, qui à la faveur d’une liste commune, représentent désormais 52,7 % du corps ; Unité SGP Police FO qui en représente à elle seule 40,3 %. Trois raisons permettent d’expliquer le succès du syndicalisme chez les policiers.</p>
<p>Les fonctionnaires en exercice sont tenus par un <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2011-1-page-113.htm">devoir de réserve et de loyauté à l’égard de l’institution</a>. Or, les syndicats policiers bénéficient d’une atténuation de ces devoirs : la parole des délégués est plus libre, les locaux syndicaux sont des espaces de débats plus sécurisés que les salles de repos, les réseaux sociaux ou les repas de famille dans certains cas, etc. Au travers des prises de paroles des délégués, ce sont les policiers de terrain qui trouvent un moyen d’expression.</p>
<p>Par ailleurs, le succès du syndicalisme policier s’explique par le fait que les organisations représentatives offrent un <a href="https://www.editions-legislatives.fr/actualite/la-police-un-syndicalisme-a-part/">syndicalisme de service</a> à toutes les étapes de la carrière : cela va du logement pour la première affectation, aux mutations et avancements, en passant par le disciplinaire. En de nombreux cas, le délégué est un canal d’information plus rapide que les canaux institutionnels.</p>
<p>Enfin, là où dans le reste du monde du travail, on a observé une partition entre les syndicats investis dans le travail institutionnel versus les syndicats représentant davantage le <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-syndicats--9782707170125-page-23.htm">mouvement social</a>, les syndicats policiers représentatifs tirent leur légitimité à la fois de l’action institutionnelle et des protestations de rue.</p>
<p><strong>Dans leur communiqué commun, Alliance et l’UNSA qualifiaient en juillet 2023 les émeutiers de <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/emeutes-urbaines/emeutes-apres-la-mort-de-nahel-un-communique-de-deux-syndicats-de-police-cree-la-polemique-62ce8cb8-17e1-11ee-a274-cd245df77ae9">« nuisibles »</a> quelques jours après les émeutes ayant suivi le décès du jeune Nahel, abattu par un tir policier lors d’un contrôle. Comment comprendre la position de ces syndicats ?</strong></p>
<p><strong>M. G.</strong> : Il faut bien avoir en tête que le corps policier a été secoué par la mort de Nahel. Plus qu’un bloc, il est traversé par des <a href="https://theconversation.com/quand-les-hommes-en-bleu-debattent-des-gilets-jaunes-125640">débats</a>, voire des disputes en interne.</p>
<p>À l’annonce de la mort de Nahel Merzouk, aucun des syndicats représentatifs que j’ai cités ne s’est exprimé publiquement. Ce n’est que le lendemain, face aux réactions présidentielles, dénonçant un tir « inexcusable » et <a href="https://www.lepoint.fr/politique/mineur-tue-a-nanterre-macron-evoque-un-acte-inexplicable-et-inexcusable-28-06-2023-2526553_20.php">« inexplicable »</a>, qu’ils interviennent pour plaider la <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/mort-de-nahel-des-syndicats-de-police-appellent-a-respecter-la-presomption-d-innocence_AV-202306280680.html">présomption d’innocence</a>, mais sans se prononcer ni sur les circonstances du tir, ni sur le profil de Nahel.</p>
<p>En revanche, dès les premières heures de l’annonce de la mort de l’adolescent, un syndicat non représentatif, France Police, intervient pour féliciter le policier et qualifier Nahel de « racaille ». Proches de Reconquête ! ses porte-parole font courir le bruit que les policiers de terrain pourraient refuser d’intervenir en signe de protestation.</p>
<p>C’est dans ce contexte et au regard de ces rumeurs qu’il faut comprendre les communiqués communs d’Alliance-UNSA, attachés à l’autorité et à l’ordre, ce qui peut être qualifié de position « légitimiste ». Sur un ton dur, ce communiqué s’adresse en fait aux policiers de terrain, pour leur dire que l’heure n’est ni aux protestations collectives ni à l’intervention syndicale sur la base des émeutes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1674749283306749953"}"></div></p>
<p>En même temps, ils avertissent l’autorité politique que la retenue de l’action syndicale se redoublerait d’une forte vigilance une fois le calme revenu dans le pays. Face aux vives émotions générées par les termes employés, ils publient un second communiqué pour affirmer qu’ils défendent <a href="https://www.alliancepn.fr/actualites/communiques-de-presse/3158-explication-de-texte-pour-les-nuls.html">« les valeurs de la république »</a>. L’autre grand syndicat représentatif, Unité SGP Police FO, a pour sa part pris position la semaine suivante dans <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/05/apres-les-emeutes-il-faudra-du-temps-pour-redonner-une-vraie-place-au-policier-dans-la-societe_6180656_3224.html">Le Monde</a> pour dénoncer l’impact des années Sarkozy, de la politique du chiffre et appeler à « reconstruire les rapports police-population ».</p>
<p>Ces prises de position syndicales, légitimiste ou plus critique, font connaître les perceptions variées qu’ont les policiers des évènements en même temps qu’elles les nourrissent.</p>
<p><strong>On a assisté par la suite au lancement d’une cagnotte et d’une manifestation de soutien <a href="https://www.lexpress.fr/societe/cagnotte-pour-la-famille-du-policier-de-nanterre-le-profil-parfois-surprenant-des-donateurs-MIT4JZP5A5AXPFUTW5RWNYGM7Q/">au policier de Nanterre</a> par des soutiens de Reconquête.</strong></p>
<p><strong>M. G.</strong> : Comme en témoigne l’annonce de la <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4043693-20230701-mort-nahel-syndicat-france-police-conteste-dissolution-voulue-gerald-darmanin">dissolution de France Police</a>, ainsi que la plainte en justice pour « apologie de la violence » par le ministre de l’Intérieur, ce discours est pour le moins hors-norme sur le plan professionnel.</p>
<p>Dans le premier temps de l’annonce du décès de Nahel et des vives réactions aux circonstances de celui-ci, j’ai été contactée par des policiers de terrain de tous bords, parmi lesquels des enquêtés, d’autres qui ne me connaissent que par mes travaux et me contactent pour la première fois.</p>
<p>Tous le font pour se livrer sur leur vécu des évènements : la vidéo du tir réveille l’angoisse occasionnée par le fait d’être porteur d’une arme et de potentiellement devoir s’en servir, ne serait-ce qu’en posant la main sur l’étui en intervention. C’est en ce sens qu’ils s’identifient au policier inculpé.</p>
<p>S’il est habituel que les syndicats prennent la défense d’un collègue accusé d’homicide, ces organisations sont aussi le lieu d’un accompagnement personnalisé des auteurs de tirs létaux et non létaux, quelles qu’en soient les circonstances (attentat, légitime défense ou non, accident, etc.), tant sur le plan procédural que sur le plan psychologique.</p>
<p>J’ai pu observer comment, dans l’entre-soi du syndicat et de la collégialité policière, une prise en charge émotionnelle prend place. J’en conclus donc de façon empirique que loin d’être un acte anodin ou valorisé, ouvrir le feu sur une personne est au contraire lourd de conséquences sur le plan psychique. Il n’en demeure pas moins que comme n’importe qui, les policiers portent un jugement sur ce qui s’est passé, avec des avis qui diffèrent sur le tir en tant que tel. Mais la mort de Nahel est en tout état de cause perçue comme dramatique.</p>
<p><strong>Après l’affaire <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/affaire-hedi-3-questions-sur-les-images-de-videosurveillance-revelees-par-mediapart-2849549.html">Hedi à Marseille</a>, les policiers ont entamé une « grève », soutenue par les syndicats, pour protester collectivement contre la détention de l’un des policiers marseillais. Ils ont reçu le soutien du directeur général de la police nationale, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/07/28/marseille-du-jeune-homme-grievement-blesse-aux-propos-de-darmanin-chronologie-de-la-crise-dans-la-police_6183346_4355771.html">puis du ministre de l’Intérieur</a>. Le politique est-il soumis aux syndicats ?</strong></p>
<p><strong>M. G.</strong> : Comme le rappelle l’historien <a href="https://www.jstor.org/stable/3779157">Jean-Marc Berlière</a>, les protestations policières ne sont pas celles de la classe ouvrière, au sens où les désordres policiers menacent l’ordre et l’autorité politique dans ses fondements.</p>
<p>Il y a donc une nette tendance, chez les gouvernements successifs, à « bichonner » les syndicats. Et ce, d’autant plus que le corps policier, dans la période récente, fût considérablement sollicité (attentats et état d’urgence, « gilets jaunes », mouvement des retraites en 2019 et 2023, confinements, émeutes, coupe du monde de rugby…).</p>
<p>Mais il faut garder à l’esprit que le pouvoir politique ne se prive pas de mettre en œuvre des réformes fortes impopulaires, en faisant fi des <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/reforme-de-la-pj-une-mobilisation-generale-prevue-le-16-mars_5705246.html">vives contestations</a> ; que des combats syndicaux anciens, comme celui sur les lourdeurs bureaucratiques du métier, n’ont à ce jour toujours pas trouvé de débouchés. Enfin, certains dossiers revendicatifs syndicaux fort riches (par exemple, sur la condition du policier de nuit) ne trouvent <a href="https://journals.openedition.org/temporalites/11199">pas d’autres réponses que le simple déblocage de primes</a>.</p>
<p>Ainsi, seul le temps long nous permettra de dire si ces protestations seront la source d’une transformation radicale de la place du policier mis en cause dans la procédure pénale, au-delà de l’affichage d’un soutien de principe sur le moment.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216214/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marion Guenot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De la mort de Nahel au récent appel à la grève ce 18 janvier 2023, Marion Guenot nous livre son analyse de l’implication des syndicats de police sur la scène politique.Marion Guenot, Chercheuse titulaire au Centre de recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2159502023-10-19T20:38:07Z2023-10-19T20:38:07ZL’école de la République : un pilier dans la tourmente ?<p>Trois ans après <a href="https://theconversation.com/lettre-aux-enseignants-en-premiere-ligne-pour-defendre-les-valeurs-de-la-republique-148315">l’assassinat de Samuel Paty</a>, le terrorisme vient à nouveau de frapper l’école, qui devient ainsi clairement une cible spécifique du djihadisme. Mais si les <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/10/16/face-a-la-salafisation-des-esprits-l-ecole-est-la-ligne-de-front_6194776_3260.html">enseignants sont devenus une cible</a>, c’est qu’ils sont aussi un rempart. Un rempart contre l’obscurantisme qui caractérise et anime leurs agresseurs, et menace toute la société. Ils se trouvent ainsi de facto, sans l’avoir vraiment voulu, chargés d’une mission qui dépasse la simple (mais déjà assez difficile !) mission d’enseigner : celle d’être un pilier dans la tourmente, pour toute la nation française.</p>
<p>Il y a désormais un décalage entre ce que l’on attend de l’école, et ce que les enseignants sont habitués à y faire, en ayant été formés spécifiquement pour cela. Car ils doivent être plus que de simples enseignants, et cela n’est sans doute, pour eux, ni évident, ni facile.</p>
<p>Pour apprécier la charge que représente cette nouvelle tâche, et l’étendue du changement touchant le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/enseignants-24310">métier de professeur</a> (des écoles comme de collège ou de lycée), on peut l’appréhender à partir de trois attentes essentielles touchant désormais l’école.</p>
<h2>L’école, ce lieu où l’on est soumis au « choc du savoir »</h2>
<p>Ce décalage est déjà visible au niveau de la mission la plus traditionnelle de l’école, et qui perdure, en étant plus que jamais d’actualité : transmettre des savoirs. Mais, plus que d’un <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/05/gabriel-attal-nous-devons-engager-une-bataille-pour-le-niveau-de-notre-ecole_6192600_3224.html">« choc des savoirs »</a>, selon l’expression de Gabriel Attal, il lui faut être le lieu d’un choc du savoir ! Non pas accumuler des savoirs, mais d’abord comprendre ce qu’est le savoir, et le distingue d’une opinion. Car l’essentiel est de dépasser les opinions (s’en délivrer), pour accéder au savoir.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/education-aux-medias-et-a-linformation-la-generalisation-et-apres-177372">Éducation aux médias et à l’information : la généralisation, et après ?</a>
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<p>C’est ce mouvement de <a href="https://editions.flammarion.com/traite-de-la-reforme-de-lentendement/9782080711717">« purification de l’entendement »</a>, pour parler comme Spinoza, qui compte, beaucoup plus que l’accès à tel ou tel savoir particulier. Telle est la « révolution copernicienne » qui est exigée de l’école pour devenir vraiment un rempart contre l’ignorance et l’obscurantisme : se centrer non sur les savoirs, mais sur la dynamique qui permet d’y accéder.</p>
<p>Le glissement est double. Il s’agit de porter un autre regard sur les disciplines scolaires. Et de vraiment ne laisser personne à l’écart. Du premier point de vue, les disciplines d’enseignement ne doivent plus être considérées comme des fins en soi, mais essentiellement comme des occasions de développer certaines capacités ou compétences fondamentales. Le professeur ne doit plus être au service d’une discipline, mais au service des élèves que cette discipline peut aider à grandir et à progresser en tant qu’êtres humains.</p>
<p>Il ne s’agit pas, par exemple, de former un mathématicien, ou un homme de lettres. Mais d’utiliser les mathématiques et les lettres pour armer l’élève d’outils cognitifs, qui le rendront capable d’innover, pour faire face à la variété de problèmes qu’il rencontrera dans le temps de crise, et d’incertitude, qui est désormais le nôtre.</p>
<p>Et quand se développent des <a href="https://theconversation.com/chatgpt-face-aux-artifices-de-lia-comment-leducation-aux-medias-peut-aider-les-eleves-207166">outils numériques par lesquels on pourrait craindre d’être dépassé</a>, il faut d’abord permettre à l’élève de se construire lui-même comme « outil pensant intelligent (smart) », capable de débusquer les contre-vérités, et d’imaginer des solutions aux problèmes rencontrés. La grande tâche de l’école est aujourd’hui de participer à cette construction.</p>
<p>C’est ce qui conduit à repenser les curricula (les programmes d’étude et de développement), en visant moins une pluralité de savoirs spécifiques (correspondant à des disciplines d’enseignement enseignées pour elles-mêmes), que ce que chaque discipline peut offrir comme méthodes de recherche, attitudes de travail, en matière de formation et de structuration de l’esprit.</p>
<p>Non pas la discipline pour elle-même, mais pour sa contribution à la sauvegarde et au développement des capacités cognitives. Il s’agit en somme de sauvegarder et de développer ce que Rousseau appelait la <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/file/index/docid/297311/filename/Adli_La_perfectibilite_chez_Rousseau.pdf">« perfectibilité »</a>, c’est-à-dire le pouvoir fondamental d’acquérir et de développer des pouvoirs (d’agir et de penser).</p>
<p>La seconde préoccupation (ne laisser personne à l’écart) devrait conduire à privilégier une <a href="https://theconversation.com/penser-lapres-pour-une-ecole-de-lessentiel-137005">« école du socle »</a>. C’est-à-dire une école centrée sur les fondamentaux, dans le sens évoqué ci-dessus, et accompagnant les élèves sur un temps suffisamment long : pas de différenciation, ou d’orientation importante, avant la fin du collège actuel. Tous les enfants et adolescents doivent être touchés par le mouvement de « réforme de l’entendement ».</p>
<h2>L’école comme lieu d’expérimentation concrète de la laïcité</h2>
<p>Bien plus que l’instauration d’un nouveau rapport au savoir, le deuxième changement risque d’être déstabilisant pour les enseignants. Il s’agit pour eux d’être les acteurs d’une véritable expérimentation concrète de la laïcité. Cela peut encore être saisi à deux niveaux.</p>
<p>Le premier est celui d’un enseignement de la laïcité. Ce travail incombe en grande partie aux professeurs d’histoire-géographie, à qui il appartient, depuis 2015, d’assurer un enseignement moral et civique (EMC) poursuivant trois finalités, précisées par le <a href="https://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?pid_bo=38047">Bulletin officiel n° 30 du 26-7-2018 de l’Éducation nationale</a> : respecter autrui ; acquérir et partager les valeurs de la République ; construire une culture civique.</p>
<p>Le nouvel <a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-lenseignement-moral-et-civique-148493">« enseignement moral et civique »</a> (EMC) inscrit dans la loi de refondation de l’école de 2013 a suscité d’importants débats, sur son opportunité, son sens, sa légitimité, et même sa possibilité. Les événements récents montrent qu’un tel enseignement est absolument nécessaire.</p>
<p>Tous les élèves doivent comprendre ce que signifie la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/la-cite-22058">laïcité</a>, et quel est le sens du principe qui la fonde : la distinction entre les lois, libre expression du peuple souverain, qui s’imposent à tous les citoyens, égaux en tant que tels ; et les convictions, religieuses ou autres, que chacun est libre d’adopter et de défendre, à la seule condition qu’elles n’entraînent pas d’actes contradictoires avec les lois de la République.</p>
<p>Mais les professeurs d’histoire-géographie ne doivent pas être laissés seuls sur les créneaux du rempart ! Il appartient à l’ensemble de la communauté éducative (au sein de l’établissement), de faire en quelque sorte expérimenter concrètement la laïcité. En rappelant, chaque fois que l’occasion en est donnée, en cours, comme dans la « vie scolaire », la nécessité du respect des opinions individuelles, et des personnes qui les expriment, mais toujours dans le cadre du respect premier et fondamental des lois de la République. Et en n’hésitant pas à assurer le rôle de garant et de gardien de la laïcité, en intervenant quand un acte mérite sanction.</p>
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<figcaption><span class="caption">France : atteintes à la laïcité, les professeurs en première ligne •(France 24, octobre 2023).</span></figcaption>
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<p>De ce point de vue, tous les acteurs de la communauté que constitue l’établissement, dont les professeurs, doivent accepter de jouer le rôle de représentants, et s’il le faut de gendarmes, de l’exigence laïque.</p>
<p>Il y a bien un combat à mener, mais finalement contre la haine, qui fait oublier que l’autre (le Palestinien, le juif, le chrétien, le Français…), est mon semblable, et mon égal. Quelqu’un envers qui j’ai des devoirs, qui ne sont que l’autre, et première, face de mes droits.</p>
<h2>L’école comme espace où l’on vit de façon protégée les temps de l’enfance et de l’adolescence</h2>
<p>L’école est aussi le lieu où l’on passe une partie essentielle des longues, et souvent heureuses, années de son enfance et de son adolescence. Années qu’on les passe au sein de groupes sociaux rassemblant des personnes d’à peu près le même âge, mais de convictions et de milieux relativement divers, et avec certaines desquelles on nouera des amitiés durables.</p>
<p>Ce lieu où se tissent des amitiés, où se construisent, et s’interpénètrent, des parcours de vie, se doit d’être un lieu protecteur. Or la menace djihadiste en fait un lieu où les enseignants, comme les élèves, deviennent des cibles particulièrement exposées au risque d’agression terroriste, et peuvent se sentir condamnés à vivre dans la peur.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/face-aux-attaques-terroristes-comment-proteger-les-enseignants-215724">Face aux attaques terroristes, comment protéger les enseignants ?</a>
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<p>L’école se doit d’être un espace hautement sécurisé, qui met à l’abri de la peur. Mais sans devenir une forteresse coupée du reste de la société. En dehors de ce qui relève de l’action des forces de police, voire de l’armée, le souci de la sécurité peut d’ailleurs commencer à se manifester dans des actes tels que l’instauration de « places aux enfants », espaces libérés de la circulation automobile devant l’entrée des établissements. Ou dans une ferme politique de lutte contre le harcèlement, à laquelle tous les enseignants peuvent, et doivent, participer.</p>
<p>Car s’il faut craindre les agressions mortelles en provenance de l’extérieur, l’histoire récente montre que des agressions proprement scolaires, relevant du <a href="https://theconversation.com/ecole-exclure-les-eleves-harceleurs-est-ce-vraiment-la-solution-211950">harcèlement</a>, peuvent s’avérer, in fine, tout aussi mortelles. Tout doit être fait pour que les élèves puissent vivre en paix, à l’abri de toutes les agressions, d’où qu’elles viennent.</p>
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<p>Le combat pour la sécurité et la paix est ainsi un combat multiforme, et de tous les instants. Les enseignants sont, plus que jamais, invités à y participer. Et cela peut commencer par l’instauration d’une atmosphère de travail paisible, fondée sur le respect réciproque, au sein d’une classe où l’erreur n’est pas une faute, et où l’on peut apprendre sans avoir peur : ni la peur de se tromper ; ni la peur d’être moqué ou agressé par les autres ; ni la peur d’être victime d’un attentat.</p>
<p>Il est clair, toutefois, que les enseignants ne pourront vraiment s’investir dans ce triple nouveau rôle d’accompagnateur de la réforme de l’entendement, de représentant actif de la laïcité, et d’agent de la paix, qu’à une double condition. La première est qu’ils bénéficient d’une triple formation adéquate. La seconde, que la société leur manifeste (enfin) une reconnaissance à la hauteur de l’importance de leur rôle, et de leur engagement dans ce triple combat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215950/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les enseignants sont devenus une cible, c’est qu’ils sont aussi un rempart. Un rempart contre l’obscurantisme qui caractérise et anime leurs agresseurs, et menace toute la société.Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2146552023-10-03T16:36:01Z2023-10-03T16:36:01ZLa Vᵉ République a 65 ans : retour sur quelques réformes constitutionnelles phares<p>L’adresse du Président Emmanuel Macron aux Sages pour célébrer le 65<sup>e</sup> anniversaire de la Constitution de la V<sup>e</sup> République pourrait être, selon plusieurs observateurs, l’occasion de <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elysee/macron-va-s-exprimer-au-conseil-constitutionnel-pour-le-65e-anniversaire-de-la-ve-republique_AN-202309260450.html">proposer une nouvelle réforme constitutionnelle</a>. Cette proposition n’aurait rien de surprenant, le chef de l’État ayant déjà annoncé <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/revision-constitutionnelle-pourquoi-emmanuel-macron-veut-il-avoir-recours-a-une">son intention de la réformer</a> l’an dernier. </p>
<p>L’histoire de la V<sup>e</sup> République rend également l’exercice tout à fait envisageable. En effet, depuis sa promulgation le 4 octobre 1958, la Constitution actuelle <a href="https://www.lgdj-editions.fr/livres/histoire-constitutionnelle-de-la-france-de-1789-a-nos-jours/9782275102184">a déjà été réformée 24 fois</a>, le plus souvent sous la présidence Chirac (14). Certaines réformes ont néanmoins marqué durablement la société française.</p>
<h2>L’élection du président de la République au suffrage universel direct</h2>
<p><a href="https://www.elysee.fr/la-presidence/proclamation-des-resultats-du-scrutin-du-21-decembre-195">Élu le 21 décembre 1958</a> par un collège de grands électeurs, Charles de Gaulle avait pour objectif d’inscrire l’élection présidentielle au suffrage universel direct dans la constitution française bien avant de revenir au pouvoir. Il avait annoncé ce projet lors de son <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000010/le-discours-de-bayeux.html">discours de Bayeux</a> (16 juin 1946), considérant que cela permettrait à la fois d’établir un lien plus direct entre le chef de l’État et les citoyens et d’accorder une plus grande légitimité au président élu.</p>
<p>Les circonstances tumultueuses de son retour au pouvoir en <a href="https://theconversation.com/mai-1958-une-histoire-encore-inachevee-89684">mai 1958</a> ainsi que la <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2009-2-page-24.htm">mémoire vivace du coup d’État de 1851</a> par Louis-Napoléon Bonaparte contraignent le général de Gaulle et son entourage à faire des concessions. Après avoir proposé initialement l’inscription de l’élection du président au suffrage universel direct dans la nouvelle constitution par l’entremise de Michel Debré, le <a href="https://books.openedition.org/pan/312?lang=fr">comité consultatif constitutionnel</a> décide de former un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/download/securePrint">collège de grands électeurs</a>. L’objectif est d’élargir la base électorale sans prêter le flanc aux accusations de tentation dictatoriale gaulliste que l’élection au suffrage universel direct permettrait.</p>
<p>Souhaitant revenir sur ce point, le général de Gaulle profite de l’émotion suscitée par <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe85009640/l-attentat-du-petit-clamart">l’attentat du Petit-Clamart</a> pour annoncer une réforme constitutionnelle permettant l’élection du président de la République au suffrage universel direct via un <a href="https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00080/l-election-du-president-de-la-republique-au-suffrage-universel.html">référendum</a>. Malgré une vive campagne des opposants de tous bords politiques qui appellent à voter contre cette réforme qui permettrait à un « dictateur » d’agir librement (le bien nommé <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2004-3-page-45.htm">« cartel des non »</a>), le <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1963_num_13_2_392714">« oui » l’emporte aisément</a> (62 %) le 28 octobre 1962. Si l’idée initiale était de faire du chef de l’État un « arbitre » entre le gouvernement et le Parlement, l’élection au suffrage universel direct, couplée à la posture gaullienne, acte le déplacement de l’essentiel du pouvoir exécutif de Matignon à l’Élysée.</p>
<h2>Le passage au quinquennat</h2>
<p>Si le septennat était voulu par Charles de Gaulle pour permettre au chef de l’État d’élaborer une politique sur le long terme, Georges Pompidou n’était pas toujours de cet avis. Devenu président, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/06/06/de-la-tentative-avortee-de-georges-pompidou-a-la-hate-imposee-par-valery-giscard-d-estaing_3716472_1819218.html">il souhaite réduire la durée du mandat présidentiel à cinq années</a>. Il propose de réaliser cette <a href="http://www.georges-pompidou.fr/sites/default/files/1973_04_03_message-Parlement.pdf">réforme en 1973</a>. L’Assemblée nationale et le Sénat adoptent un texte mais le <a href="https://www.persee.fr/docAsPDF/rfsp_0035-2950_1984_num_34_4_394163.pdf">projet avorte</a> subitement faute d’une majorité suffisante – une réforme constitutionnelle par le biais du Congrès ne peut être adoptée qu’avec l’approbation des 3/5<sup>e</sup> des parlementaires. </p>
<p>L’opposition restait vivace, <a href="http://www.pub-editions.fr/index.php/le-programme-commun-de-la-gauche-1972-1977-c-etait-le-temps-des-programmes-5228.html">aussi bien à gauche</a> – où l’on refuse par principe de soutenir une réforme pompidolienne alors même que le quinquennat présidentiel est inscrit dans le programme commun de la gauche – que par une partie des (néo) gaullistes <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1973/10/13/contre-le-quinquennat_2554504_1819218.html">au nom du respect de la constitution voulue par le général de Gaulle</a>. Par la suite, les <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/06/06/de-la-tentative-avortee-de-georges-pompidou-a-la-hate-imposee-par-valery-giscard-d-estaing_3716472_1819218.html">présidents Valéry Giscard d’Estaing (VGE) et François Mitterrand</a> se sont montrés favorables au passage du septennat au quinquennat… à condition que leurs mandats ne soient pas concernés.</p>
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<figcaption><span class="caption">Du septennat au quinquennat, débats sous la Ve, INA.</span></figcaption>
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<p>Il faut attendre 2000 pour que le sujet revienne sérieusement dans les discussions. Le 10 mai, dans une <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/05/10/et-maintenant-le-quinquennat-par-valery-giscard-d-estaing_61077_1819218.html">tribune au Monde</a>, VGE appelle à une réduction du mandat présidentiel à cinq ans. Certains chiraquiens (<a href="https://www.lepoint.fr/politique/jacques-chirac-1932-2019-le-president-5-5--28-09-2019-2338244_20.php">tel François Baroin</a>) y voient une tentative de l’ancien président de saper le mandat de son rival, alors qu’il avait précisé dans sa tribune que ladite réforme ne s’appliquerait pas au mandat en cours mais à partir du suivant, en 2002. </p>
<p>Il faut se souvenir du contexte du moment. Depuis 1997, la France connaît sa <a href="https://www.cairn.info/la-politique-en-france--9782707154446-page-363.htm">troisième cohabitation</a>. Lionel Jospin dirige un gouvernement de coalition de partis de gauche avec un président de droite, Jacques Chirac. L’idée derrière la proposition de VGE est de renforcer le caractère présidentiel du régime et de <a href="https://www.persee.fr/doc/juro_0990-1027_2000_num_13_4_2596">réduire les risques de cohabitations</a> en synchronisant les élections présidentielles et législatives. <a href="https://www.lesechos.fr/2000/05/quinquennat-lionel-jospin-se-dit-determine-a-faire-aboutir-la-reforme-744063">Lionel Jospin s’y rallie immédiatement</a> au motif qu’il s’agirait d’une <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/142120-lionel-jospin-16052000-reforme-constitutionnelle-quinquennat">réforme plus démocratique</a> – les électeurs s’exprimeraient plus souvent sur le choix du chef de l’État.</p>
<p>Ce plan déplaît à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/09/23/quinquennat-en-2000-apres-cinquante-jours-de-bras-de-fer-giscard-d-estaing-et-jospin-font-plier-chirac_6053287_823448.html">l’origine au président Chirac</a>, qui finit toutefois par s’y rallier en imposant ses conditions : pas de limite du nombre de mandats réalisable, pas d’autres changements sur le statut présidentiel. Jacques Chirac exige également que le changement s’opère par référendum et non auprès du Parlement. Une décision qui se <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000418/le-referendum-du-24-septembre-2000-sur-le-quinquennat.html">solde le 24 septembre 2000</a> par une adoption du quinquennat présidentiel avec 73 % de « oui », mais moins d’un tiers des électeurs s’est exprimé dans les urnes !</p>
<h2>L’instauration définitive de l’« hyper-présidence » en 2008</h2>
<p>Quelques années plus tard, Nicolas Sarkozy se lance dans la campagne présidentielle de 2007. Il <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/2007-sarkozy-promet-de-realiser-toutes-ses-reformes-sous-2-ans_387769">promet en cas de victoire</a> de transformer les institutions pour les moderniser, afin de mieux répondre aux aspirations populaires. Une fois élu, il confie la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2007/07/12/01002-20070712ARTFIG90207-nicolas_sarkozy_lance_sa_reforme_constitutionnelle.php">direction d’un comité de réflexion</a> à Édouard Balladur où des politiques et des juristes réfléchissent sur les changements à apporter à la constitution. <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2008-5-page-19.htm">Ce comité remet son rapport en octobre 2007</a>, rapport qui irrigue la réflexion de la majorité parlementaire (l’Union pour un mouvement populaire, UMP). </p>
<p>Quelques propositions importantes sont rejetées par peur d’affaiblir la majorité parlementaire ou de perdre le soutien de certains élus – non-cumul des mandats, proportionnelle pour l’élection des députés, réforme du Sénat. Néanmoins, la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2007/12/07/01002-20071207ARTFIG00250-sarkozy-accelere-la-reforme-des-institutions.php">plupart des recommandations</a> restent suivies. Le projet est débattu au Parlement à l’été 2008. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2008/06/11/reforme-constitutionnelle-badinter-face-a-balladur_1056733_823448.html">Ses partisans</a> défendent le fait que la réforme augmenterait le pouvoir du Parlement ; à l’inverse, les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2008/06/11/reforme-constitutionnelle-badinter-face-a-balladur_1056733_823448.html">opposants</a> estiment que les concessions faites au pouvoir législatif sont maigres comparativement aux acquisitions du pouvoir exécutif.</p>
<p>Le <a href="https://www.elysee.fr/nicolas-sarkozy/2008/10/01/declaration-de-m-nicolas-sarkozy-president-de-la-republique-sur-la-loi-constitutionnelle-du-23-juillet-2008-de-modernisation-des-institutions-de-la-cinquieme-republique-a-paris-le-1er-octobre-2008">23 juillet 2008</a>, la réforme constitutionnelle est promulguée. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000019237256">Les changements sont conséquents</a> : </p>
<ul>
<li><p>le président de la République ne peut plus assurer que de deux mandats consécutifs ; </p></li>
<li><p>le Conseil économique, social et environnemental et le Conseil supérieur de la magistrature sont réformés (le CESE s’ouvre à des associations environnementales et de jeunesse et peut être saisi par des pétitions citoyennes ; le CSM n’est plus dirigé par le chef de l’État et le ministre de la Justice, sa composition change pour donner plus de place à la société civile) ; </p></li>
<li><p>la <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/plaq-inst-num-bd.pdf">fonction de défenseur des droits est créée</a> (pouvoir consultatif non contraignant, émet simplement des recommandations qui peuvent ne pas être suivies) ; </p></li>
<li><p>l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent désormais fixer librement leurs agendas ; </p></li>
<li><p>le chef de l’État peut convoquer le Congrès pour s’adresser solennellement à tous les parlementaires ; </p></li>
<li><p>le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/referendum-d-initiative-partagee/referendum-d-initiative-partagee-rip-mode-d-emploi">référendum d’initiative partagée</a> (RIP) est créé, permettant aux parlementaires de le saisir dans des conditions strictes, etc.</p></li>
</ul>
<p>Malgré quelques ajouts qui semblent accorder plus de latitude d’action aux pouvoirs législatif et juridique, le pouvoir présidentiel reste immense. Les contre-pouvoirs ressortent plus affaiblis que renforcés, incitant des hommes favorables à la réforme comme <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2009/09/19/01011-20090919FILWWW00582-raffarin-plaide-pour-des-contre-pouvoir.php">Jean-Pierre Raffarin</a> à les renforcer pour que la présidence de la République ne se réduise pas à « l’exercice solitaire du pouvoir ». </p>
<p>Rapidement, le constat émis par la presse et les oppositions se veut même alarmant. Nicolas Sarkozy, déjà qualifié d’« hyper-président » par sa forte présence médiatique en 2007, aurait renforcé les capacités d’action du pouvoir exécutif à travers celui de l’Élysée qu’il aurait gravé dans le marbre par son style (la fameuse <a href="https://www.cairn.info/histoire-des-presidents-de-la-republique--9782262069155-page-585.htm">« hyper-présidence »</a>, qualifiée depuis plusieurs années de <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Emmanuel-Macron-president-jupiterien-vis-vis-presse-2021-05-07-1201154589">« pouvoir jupitérien »</a> pour souligner la différence de personnalité avec le président actuel).</p>
<p>De plus en plus de citoyens manifestent également la volonté d’inverser la tendance actuelle à la verticalité en y intégrant un <a href="https://www.sudradio.fr/sud-radio/un-collectif-reclame-des-etats-generaux-de-la-democratie">pouvoir plus horizontal</a>, comme la <a href="https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/reforme-des-retraites-60-des-francais-souhaitent-que-les-syndicats-poursuivent-l-appel-a-la-mobilisation-7900255541">réforme des retraites</a> l’a encore si bien rappelé ces derniers mois. Cela n’a rien d’impossible, la constitution de la V<sup>e</sup> République a su démontrer à plusieurs reprises sa capacité d’adaptation et sa grande souplesse. Tout est question de volonté politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214655/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bryan Muller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le 4 octobre 1958, était promulguée la Vᵉ République. Le président de la République s’apprête à célébrer le 65ᵉ anniversaire du régime. Revenons donc sur quelques réformes phares de la constitution.Bryan Muller, Docteur en Histoire contemporaine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2063762023-05-25T16:48:54Z2023-05-25T16:48:54ZL’État doit-il mentir pour agir ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/528211/original/file-20230525-15-6vicuz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1280%2C3235%2C3036&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Affiche de Sarkozy représentant Pinocchio lors des manifestations contre la réforme des retraites en octobre 2010 à Paris.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/sylke_ibach/8276325360/">Flickr/Sylke Ibach</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Mentir pour protéger, mentir pour servir, mentir par omission, mentir pour « le bien commun », mentir comme moyen de gouverner : les historiens Renaud Meltz et Yvonnick Denoël publient le premier inventaire du « mensonge d’État » sous la V<sup>e</sup> République. Convoquant les travaux d’une vingtaine d’universitaires et journalistes, ils rassemblent plusieurs grandes thématiques soulignant les arrangements avec la vérité et la transparence par différents acteurs de l’État sous la V<sup>e</sup> République : la vie privée des présidents, l’armée, le nucléaire, le terrorisme et l’islamisme, les lâchetés administratives, la santé publique, les affaires policières et judiciaires, la finance. Le livre distingue plus spécifiquement quatre cas de figure où le mensonge se conçoit respectivement en ennemi de la sincérité (il travestit des faits), de la publicité (il cache des informations), de la connaissance (il organise l’ignorance ou empêche la science de progresser) et de la conscience collective (il organise l’oubli et fictionnalise le passé national). Extraits choisis de l’introduction.</em></p>
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<p>« J’assume parfaitement de mentir pour protéger mon président. » Sibeth Ndiaye a le mérite de la franchise <a href="https://www.liberation.fr/checknews/2019/04/02/sibeth-ndiaye-a-t-elle-vraiment-dit-j-assume-parfaitement-de-mentir-pour-proteger-le-president_1718838/">lorsqu’elle proclame</a> qu’elle dénoue délibérément le pacte qui régit les rapports entre les gouvernants et les citoyens dans une démocratie libérale. Ce contrat repose sur la publicité des décisions et la sincérité de ses acteurs. Il est vrai que la condamnation du mensonge demeure implicite dans la Constitution de la V<sup>e</sup> République. Elle proclame dès son article 3 que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants » ; les délibérations du Parlement qui « contrôle l’action du gouvernement » sont publiques et publiées au Journal officiel. La notion de publicité est partout, dans la Constitution ; celle de sincérité, nulle part, ou presque.</p>
<p>À quoi bon délibérer et décider en pleine lumière si la sincérité n’est pas requise ? Seule exception : les comptes des administrations publiques qui doivent être « réguliers et sincères ». Comme si le mensonge, la dissimulation, le travestissement ne pouvaient se loger que dans les réalités chiffrées, qui seraient le seul horizon de la vérité. Comme si la sincérité était un devoir du citoyen, dans sa déclaration fiscale ou son témoignage, mais pas du gouvernement. Le mensonge sous serment <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/268693-quest-ce-quun-faux-temoignage">constitue une infraction pénale</a>. Le citoyen qui dépose devant les commissions parlementaires jure en levant la main droite de dire « la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ». Un magistrat doit répondre de parjure. Mais un président, un ministre <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-politiques-se-sentent-ils-obliges-de-mentir-186957">peut mentir dans l’exercice de ses fonctions</a> sans risquer d’autre peine que celles délivrées par le tribunal médiatique. Or <a href="https://theconversation.com/le-mensonge-politique-au-coeur-de-la-campagne-presidentielle-de-donald-trump-144882">l’opinion est parfois tolérante au mensonge</a>.</p>
<h2>La raison d’État justifie-t-elle les écarts avec la vérité ?</h2>
<p>« Les Guignols de l’info », en représentant Jacques Chirac en « super-menteur » pendant la campagne de 2002, ne l’ont pas empêché d’être élu président de la République… Est-ce à dire que la notion de mensonge d’État se réduit à celle du secret, longtemps justifiée par la raison d’État ?</p>
<p>Si le mensonge politique n’est pas l’envers parfait de la vérité (l’erreur, par exemple, ne relève pas de ce livre), les notions de sincérité, d’authenticité, d’exactitude, ne concernent pas seulement la morale privée ou la science, mais aussi la vie politique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/7ejrN0NexaY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Super menteur, les Guignols de l’info, 2002.</span></figcaption>
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<p>Suite à une décision du Conseil constitutionnel de 2005, entérinée six mois plus tard par le règlement de l’Assemblée nationale, le débat parlementaire obéit désormais au principe « de clarté et de sincérité ».</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Ces notions apparaissent moins souvent dans la France laïque que dans des nations plus imprégnées de religion, comme aux États-Unis, où l’injonction morale est ancrée dans la culture politique. Le mensonge sous serment de Bill Clinton sur une liaison extraconjugale a conduit le président <a href="https://connexion.liberation.fr/autorefresh">à la lisière de l’<em>impeachment</em></a>.</p>
<p>La question des <a href="https://ifp.u-paris2.fr/fr/fake-news-et-post-verite-20-textes-pour-comprendre-et-combattre-la-menace">fake news</a> suscite une floraison de publications sur les conditions de leur régulation dans le régime médiatique actuel. La propagande en période de guerre, qui fait déroger les démocraties libérales à leur règle ordinaire, a intéressé les historiens.</p>
<p>Mais un angle mort demeure : la vulnérabilité de notre vie sociale et politique à une large gamme de mensonges d’État qui profite du caractère trop implicite du pacte de publicité sincère au fondement de nos institutions. Faute de penser la vérité en matière politique, on s’est habitué au poison. Aucun ouvrage d’histoire ou de sciences politiques n’a récemment affronté la question du mensonge d’État afin de penser sa nature et de documenter ses effets. Ce livre veut réparer cette lacune pour la période la plus contemporaine : celle de notre V<sup>e</sup> République.</p>
<h2>Que peut-on et que doit-on savoir en démocratie ?</h2>
<p>Philosophes et politistes s’émeuvent non sans raison du relativisme du temps présent, qui voit fleurir l’expression « post-vérité ». La frontière entre « opinion » et « vérité de fait », pour <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/La-crise-de-la-culture">reprendre l’expression de Hannah Arendt</a>, distinction reprise à son compte par <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-faiblesse-du-vrai-myriam-revault-d-allonnes/9782021383041">Myriam Revault d’Allonnes</a>, pose question : qu’est-ce que la vérité, que peut-on savoir en dehors des sciences de la nature, en matière sociale et politique ?</p>
<p>Quelles sont les conditions pour permettre d’approcher et de partager ce type de vérité ? Nous proposons de distinguer ce qui relève de la véracité en matière sociale de la vérité mathématique, et l’exigence de publicité de la soif de transparence.</p>
<p>Il ne s’agit pas de fonder naïvement une science exacte de la politique comme en rêvaient les socialistes utopiques ou <a href="https://www.cairn.info/histoire-raisonnee-de-la-philosophie-morale-et-pol--9782707134219-page-559.htm">Auguste Comte</a> mais de s’accorder sur un horizon de vérité dans le monde social, en admettant ses limites langagières.</p>
<p>Ce livre n’a pas la naïveté de traquer des mensonges comme autant de fautes morales, équivalentes à des erreurs algébriques – nous ne croyons pas davantage, du reste, que les sciences exactes produisent une vérité « pure », le scientisme s’avérant comme une tentation perpétuelle du savoir scientifique d’affirmer un monopole sur la vérité. De fait, les sciences de la nature ne sont pas les mathématiques. Le philosophe et historien des sciences Thomas Kuhn <a href="https://editions.flammarion.com/la-structure-des-revolutions-scientifiques/9782081396012">a montré que les sciences n’échappent pas à l’histoire</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-11-garder-le-secret-177186">« Moi, président·e » : Règle n°11, garder le secret</a>
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<h2>Une forme de relativité de la vérité</h2>
<p>Nous admettons une forme de relativité de la vérité pour les sociétés humaines, sans négliger les zones grises : <a href="https://theconversation.com/theatre-du-pouvoir-la-communication-politique-a-travers-les-ages-99815">l’habileté de la communication</a>, l’ambiguïté qui tient compte de la maturité historique de l’auditoire (le fameux « je vous ai compris » du général de Gaulle), le secret et le flou parfois utiles à la négociation. L’exigence de publicité ne signifie pas que la vérité, en matière politique, se dévoilerait grâce à une formule magique de circulation parfaite d’une information univoque.</p>
<p>L’informatisation de la société et l’accès facilité des citoyens aux données ne favorisent pas mécaniquement le débat public. On perçoit en outre les limites populistes ou puritaines de la revendication à la « transparence ».</p>
<p>L’exigence de publicité peut se retourner contre le projet moderne, libéral, visant à soumettre la décision politique à l’intelligence collective. Le partage de l’information politique, qui préjuge d’une communauté rationnelle, a laissé place à un soupçon systématique de manipulation par les « élites » qui entendraient se soustraire à la critique, trancher en secret, et dissimuler les véritables décideurs.</p>
<p>Ce soupçon confine au complotisme lorsqu’il aboutit à la conviction que le pouvoir est toujours ailleurs que dans les institutions officielles et que la décision procède de circuits occultes. Par ailleurs, l’exigence libérale de publicité des informations nécessaires à la délibération collective peut se tromper de cible et compromettre une non moins légitime <a href="https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2020-2-page-1.htm">aspiration au secret, notamment dans la sphère privée</a>.</p>
<p>On pense à la traque des informations mues par des considérations commerciales (le trafic par les GAFAM des données aux fins de publicité privée), politiques (l’affaire Benjamin Griveaux, candidat à la mairie de Paris, par exemple) ou sécuritaires (la traque de l’information permettant d’anticiper tout acte de menace interne ou externe, de la délinquance au terrorisme).</p>
<h2>Quelle frontière entre la publicité et le secret ?</h2>
<p>Quelle est la frontière légitime entre la publicité et le secret en démocratie libérale ? À la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle déjà, le libéral Benjamin Constant <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-2-page-189.htm?contenu=article">contestait</a> le devoir absolu de véracité proclamé par Kant. Le bien général de la nation, en particulier sa défense contre un danger extérieur, justifie-t-il le mensonge ? Apparaît alors la raison d’État, qui se substitue à la rationalité démocratique.</p>
<p>Si Sibeth Ndiaye a justifié avec aplomb le mensonge politique dans l’intérêt d’une personne, serait-ce le président de la République, faut-il dénier aussi catégoriquement le droit au mensonge au nom de la raison d’État ?</p>
<p>La question a été tranchée une première fois, en démocratie libérale sous la III<sup>e</sup> République. La société française, avec l’affaire Dreyfus, a mis en balance le sort d’un individu avec l’autorité d’un groupe, d’une institution. Finalement, il n’a pas paru souhaitable de préserver l’Armée, en dépit de son rôle essentiel dans la survie nationale, en accablant un innocent. Lorsque la culpabilité de Dreyfus s’est avérée une erreur judiciaire, elle est apparue à l’opinion comme ce qu’elle était : un mensonge d’État…</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/528201/original/file-20230525-23-e9r9yf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528201/original/file-20230525-23-e9r9yf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=963&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528201/original/file-20230525-23-e9r9yf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=963&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528201/original/file-20230525-23-e9r9yf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=963&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528201/original/file-20230525-23-e9r9yf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1210&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528201/original/file-20230525-23-e9r9yf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1210&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528201/original/file-20230525-23-e9r9yf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1210&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Mensonges d’État », publié le 24 mai aux éditions Nouveau Monde.</span>
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<p>Si les droits de l’individu demeurent sacrés, en démocratie libérale, ceux de l’humanité tout entière ne peuvent pas davantage être bafoués : ce sont les intérêts de l’humanité, voire de la planète, qu’il faut défendre contre la raison d’État. Cette étrange tension entre le plus petit et l’universel nous conduit à considérer qu’il faut écarter tout mensonge d’État au bénéfice de l’intérêt, fut-il généralisé à l’échelle d’une nation.</p>
<p>Cet ouvrage, sur la base d’une large gamme de situations historiques récentes, qui permet de passer en revue tous les types de mensonges et leurs acteurs, prend nettement position. Au terme de l’exercice, il nous apparaît plus encore qu’à ses débuts, au risque d’être considérés comme naïfs, que le mensonge n’affaiblit pas seulement la démocratie libérale, mais l’État lui-même. Il n’est pas seulement condamnable mais inefficace, et se retourne contre l’institution, sinon contre la personne, qui l’utilise.</p>
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<p><em><a href="https://www.nouveau-monde.net/catalogue/mensonges-detat/">« Mensonges d’État. Une autre histoire de la Vᵉ République »</a>, avec Yvonnic Denoël, aux éditions Nouveau Monde le 24 mai.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206376/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Renaud Meltz a reçu des financements de plusieurs institutions pour ses programmes de recherche, dont la MSH du Pacifique et la MISHA, le CNRS et l'IUF.</span></em></p>Convoquant les travaux d’une vingtaine d’universitaires et journalistes, l’ouvrage « Mensonges d’État » dresse un inventaire des mensonges et autres arrangements avec la vérité sous la Vᵉ République.Renaud Meltz, Historien (UHA-Cresat, MSH-P), Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2034312023-04-13T17:51:07Z2023-04-13T17:51:07ZÀ 65 ans, la Vᵉ République devrait-elle partir à la retraite ?<p>Le mouvement social et le gouvernement ont attendu chacun de leur côté les décisions du Conseil Constitutionnel le 14 avril sur la conformité du projet de la loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS).</p>
<p>L'institution des « neuf sages » a tranché, <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/2023849DC.htm">en validant l'essentiel du texte gouvernemental</a> sur la réforme des retraites avec report du départ à 64 ans. Elle a en revanche rejeté la proposition d’un <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/288693-referendum-sur-les-retraites-le-conseil-constitutionnel-saisi">référendum d’initiative partagée</a> (RIP) soumis par <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/11/reforme-des-retraites-le-referendum-d-initiative-partagee-porte-bien-sur-la-politique-sociale-de-la-nation_6169048_3232.html">la gauche sur le sujet</a>.</p>
<p>Cette séquence mouvementée – <a href="https://theconversation.com/retraites-comment-la-reforme-incarne-le-bras-de-fer-entre-le-pouvoir-et-la-rue-198083">commencée au début de l’année 2023</a> – concentre les différentes critiques adressées depuis plusieurs années au fonctionnement de la V<sup>e</sup> République.</p>
<p>Si bien qu’il est possible de se poser la question de son essoufflement et de sa capacité à apporter de réponses aux demandes sociales et citoyennes.</p>
<h2>Une Constitution étonnamment longue ?</h2>
<p>Rappelons que le 4 octobre 2023, la Constitution de la V<sup>e</sup> République aura 65 ans, <a href="https://www.lalibrairie.com/livres/histoire-politique-de-la-iiie-republique_0-1069587_9782707131195.html">égalant en longévité celle de la IIIᵉ République</a>. Cette constitution a en effet correspondu à des besoins en 1958 (un État fort, un exécutif restauré et indépendant, une prospérité rétablie et redistribuable, la grandeur de la France retrouvée) tout en étant baignée d’un halo de soupçon initial, tant le 13 mai 1958 est resté gravé comme un coup d’État, sinon <a href="https://blogs.mediapart.fr/paul-allies/blog/180620/de-gaulle-et-le-coup-d-etat-du-13-mai-1958">comme un coup politique</a> du « premier des Français », le général de Gaulle.</p>
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<figcaption><span class="caption">1958–1969 : La présidence de Charles de Gaulle (Ina).</span></figcaption>
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<p>Le texte constitutionnel a su déployer une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/13/dominique-rousseau-constitutionnaliste-il-faut-arreter-le-bricolage-le-moment-est-venu-de-changer-de-constitution_6165217_3232.html">réelle adaptabilité</a> en digérant la disparition de son fondateur, la crise sociale de mai 68, les alternances de 1981 et 2012, les cohabitations, les états d’urgence, la crise sanitaire liée Covid – sans parler de l’évolution du champ politique partisan – et une plasticité certaine. Elle a ainsi su intégrer les <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/quand-la-constitution-a-t-elle-ete-modifiee">24 révisions</a> qui ont sensiblement modifié les équilibres initiaux et dont le présent locataire de l’Élysée a contribué à accentuer la <a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-2-hyper-president-e-tout-le-temps-167410">pente présidentialiste</a>.</p>
<p>Cette dynamique s’inscrit également dans les <a href="https://theconversation.com/travailler-plus-longtemps-mais-dans-quel-etat-le-cas-des-eboueurs-198888">mutations socio-économiques d’ampleur</a> (transformations des rapports capital/travail, question écologique et insertion dans la mondialisation libérale). Si le mouvement social actuel s’oppose certes au gouvernement sur la question du recul de l’âge de départ à la retraite, il incarne aussi, comme d’autres mouvements sociaux avant lui (<a href="https://theconversation.com/nuit-debout-des-indignes-pas-comme-les-autres-59707">Nuits debout</a> ou les « gilets jaunes »), une <a href="https://theconversation.com/vivons-nous-une-ere-de-soulevements-200950">contestation plus large</a> du système politique français tout entier, postulant l’essoufflement de la V<sup>e</sup> République.</p>
<p>Cet essoufflement repose en effet sur une <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/une-republique-a-bout-de-souffle-fabien-escalona/9782021530148">série d’observations établies</a> à partir des pratiques institutionnelles qui ont déjà été relevées par divers commentateurs de la vie politique française convoquant des analyses <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/sciences-politiques/six-theses-pour-la-democratie-continue_9782738149985.php">juridiques</a>, <a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/misere-de-la-ve-republique-francois-bastien/9782757803950">politiques</a>, sociologiques, historiques. </p>
<p>Il semble pertinent de mettre en exergue quatre grands domaines qui caractérisent l’essoufflement du régime politique français.</p>
<h2>Un hyperprésident dans une tour d’ivoire</h2>
<p>Le premier point est d’évidence celui signalé par la posture du président de la République. Qu’il soit qualifié d’« hyper-président » ou de <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-le-president-qui-se-veut-jupiterien-77815">« Président jupitérien »</a>, ces signifiants soulignent la <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-est-il-un-president-anormal-85376">posture en surplomb</a> de l’hôte de l’Élysée, sorte de tour d’ivoire depuis laquelle il s’adresse avec <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/lhistorien-pierre-rosanvallon-il-y-a-chez-emmanuel-macron-une-arrogance-nourrie-dignorance-sociale-20230403_HEYZOLZ3XJDD7J57UYTVZ44DHM/">arrogance, morgue et parfois dédain</a> à la foule ou au peuple selon l’intérêt supposé.</p>
<p>Les conséquences de cet <a href="https://www.mediapart.fr/journal/politique/210323/macron-la-verticale-du-vide">exercice vertical du pouvoir</a> sont connues dans une forme de <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-la-verticale-du-vide-202672">« diagonale du vide »</a> : distance, isolement, concentration du pouvoir, prise de décision seul ou en petits comités (le critiqué conseil de défense sanitaire), absence de transparence, et au final si opposition il y a, <a href="https://www.humanite.fr/societe/mobilisations-retraites/pour-le-syndicat-des-avocats-de-france-il-y-une-volonte-d-intimider-et-de-ficher-787589">autoritarisme, mesures sécuritaires et violences policières assumées</a>.</p>
<p>Une pente dangereuse qui s’est renforcée progressivement depuis les années 2010 à l’occasion des manifestations contre la loi travail en 2016 puis contre les « gilets jaunes » et enfin présentement en 2023.</p>
<h2>La technocratisation des institutions</h2>
<p>Le second domaine est à rechercher du côté de ce que l’on nomme pudiquement la « modernisation des institutions ». Elle se révèle être une bureaucratisation, une technocratisation sinon une forme « d’expertisation » comme le rappelle l’affaire des <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/enquete-affaire-mckinsey-une-ancienne-cadre-decrit-des-prestations-qui-auraient-du-etre-facturees-et-declarees-dans-les-comptes-du-candidat-macron_5750162.html">cabinets privés d’audit récemment décriés</a> au soubassement de toute action publique, supposée être fondée sur l’efficacité, la compétence technique, la rapidité et la réponse adéquate avec ou sans évaluation.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4o92G8wpaPs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’affaire McKinsey et son rôle dans l’élection présidentielle de 2017 (France Info).</span></figcaption>
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<p>Observée dès 1958, cette tendance assumée par tous les pouvoirs a contribué à la <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-par-quels-moyens-legislatifs-le-gouvernement-peut-il-la-faire-adopter-197929">relégation de la délibération parlementaire</a>, procédure démonétisée au point paroxysmique de la <a href="https://retraitesinconstitutionnelles.wordpress.com/2023/04/04/les-habits-inconstitutionnels-dune-reforme">présente réforme des retraites</a>.</p>
<h2>Un Parlement contraint et des contre-pouvoirs réduits</h2>
<p>Le troisième domaine renvoie aux moyens institutionnels et politiques de limiter les contre-pouvoirs. En premier lieu, les procédures et dispositifs du régime parlementaire rationalisé : cela signifie l’encadrement juridique des relations entre Parlement et gouvernement afin de permettre à ce dernier de gouverner en l’absence de majorité à l’Assemblée nationale.</p>
<p>Avec l’apparition du <a href="https://books.openedition.org/pum/8374?lang=fr">fait majoritaire parfait en 1962</a> (alignement des trois majorités), ces dispositifs constitutionnels (le plus connu étant le 49.3) sont devenus une arme pour le gouvernement afin de discipliner l’Assemblée nationale et passer en force en cas de besoin.</p>
<p>D’ailleurs il semble symptomatique de constater que c’est à partir de la décision gouvernementale d’utiliser l’article 49.3 que le basculement semble s’être produit avec un double mouvement complémentaire d’élargissement et de radicalisation.</p>
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<img alt="Immense manifestation du 23 mars 2023 en défense des retraites, à Paris, après l’usage du 49.3 par le gouvernement" src="https://images.theconversation.com/files/520296/original/file-20230411-28-4d8k1u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520296/original/file-20230411-28-4d8k1u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520296/original/file-20230411-28-4d8k1u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520296/original/file-20230411-28-4d8k1u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520296/original/file-20230411-28-4d8k1u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520296/original/file-20230411-28-4d8k1u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520296/original/file-20230411-28-4d8k1u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Immense manifestation du 23 mars 2023 en défense des retraites, à Paris, après l’usage du 49.3 par le gouvernement.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/52766726276/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Lors de la présente séquence sociale, tous les autres moyens disponibles pour contraindre le Parlement ont ainsi été mobilisés par le gouvernement (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527525/2005-03-02">article 47.1</a> qui permet de saisir le Sénat pour examiner un projet de loi, article 44-3 ou technique dite du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241038">vote bloqué</a>).</p>
<p>Même le Conseil Constitutionnel, instauré pour assurer la conformité des lois à la constitution, <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-constitution-maltraitee/">semble maltraiter la Constitution</a> au point de révéler sa nature essentiellement politique en soutien à l’exécutif et non présenter les contours d’une véritable cour constitutionnelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-conseil-constitutionnel-les-anciens-presidents-de-la-republique-pourraient-ils-etre-les-remparts-des-droits-et-libertes-195377">Au Conseil constitutionnel, les anciens présidents de la République pourraient-ils être les remparts des droits et libertés ?</a>
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<h2>Des élus locaux déstabilisés</h2>
<p>D’autres contre-pouvoirs ont aussi vu leurs champs d’action réduits. Plusieurs recherches ont montré comment les collectivités territoriales ont été <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2020-1-page-75.htm">contraintes et soumises</a> à des décisions prises <a href="https://www.berger-levrault.com/fr/communique-de-presse/le-pilotage-des-politiques-publiques-locales-de-la-planification-a-levaluation/">par le pouvoir central</a>.</p>
<p>Ainsi, la suppression de la taxe d’habitation ou le transfert de <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/cote-d-or/maires-demissionnaires-la-cote-d-or-se-trouve-dans-le-top-5-2749202.html">nombreuses compétences</a> vers les intercommunalités ont interrogé les élus locaux qui se sentent dépourvus de leviers d’action et questionnent <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/congres-des-maires-qu-attendent-les-elus-de-la-deambulation-d-emmanuel-macron">leur engagement politique</a>.</p>
<p>Ce travail de sape des contre-pouvoirs via les corps intermédiaires a également touché les partis politiques de gouvernement malmenés depuis 2017 (le PS, puis la droite). De même, les associations sont un peu partout en France obligées de <a href="https://lemouvementassociatif-pdl.org/contrat-engagement-republicain-qu-est-ce/">signer un contrat républicain</a> sous peine de ne plus obtenir de subventions publiques. Les syndicats ont été quant à eux dépréciés en tant que partenaire social, exception faite de la situation actuelle qui semble contribuer à un <a href="https://theconversation.com/la-fin-du-syndicalisme-vivant-106759">regain de militantisme</a>.</p>
<h2>Le peuple, ce « mineur constitutionnel »</h2>
<p>Enfin, le quatrième domaine porte sur le peuple, <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-03095148/">ce « mineur » constitutionnel</a> qui est pourtant la matrice existentielle de tout régime politique démocratique. Si le texte constitutionnel y fait référence à de nombreuses reprises et la justice française est rendue en son nom, le peuple est maintenu en lisière de la décision politique alors qu’il est le souverain.</p>
<p>Certes, la souveraineté nationale conduit à déléguer aux représentants du peuple la tâche d’adopter la loi dans le respect de la Constitution, ce qui ne le mobilise qu’à intervalles réguliers (les élections nationales).</p>
<p>En dehors, il ne lui reste plus que les corps intermédiaires (malmenés) ou la rue pour revendiquer et s’exprimer. Son incapacité constitutionnelle à agir et décider par lui-même (le référendum étant initié par le président de la République ou par des parlementaires selon l’article 11), le confine à un rôle de spectateur, sinon d’abstentionniste. Les seconds tours de la présidentielle de 2022 (28,01 %) et des législatives de 2022, (53,77 %) ont atteint des <a href="https://theconversation.com/la-cause-cachee-de-la-montee-de-labstention-180152">scores d’abstention</a> parmi les plus élevés de la V<sup>e</sup> République.</p>
<h2>Une crise de légitimité démocratique profonde</h2>
<p>Par ailleurs, les enjeux écologiques, affichés pourtant <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/ecologie">comme prioritaires</a> par le quinquennat, semblent faire l’objet d’actes relativement <a href="https://reporterre.net/Macron-youtubeur-sur-l-ecologie-mais-creux-sur-les-reponses">timorés</a> face aux crises climatiques en cours, voire sont négligés alors même que les <a href="https://theconversation.com/barrages-et-reservoirs-leurs-effets-pervers-en-cas-de-secheresses-longues-111583">alertes se multiplient</a>.</p>
<p>Or, la Constitution n’offre aucune ressource pour aborder correctement et pleinement cette problématique. En témoigne la Convention citoyenne sur le Climat convoquée par le président de la République en 2019 mais dont les résultats ont été presque tous <a href="https://theconversation.com/comment-rendre-les-conventions-citoyennes-pour-le-climat-encore-plus-democratiques-201521">ignorés par le pouvoir</a>, à l’instar des <a href="https://theconversation.com/pouvoir-vivre-dignement-une-doleance-absente-de-la-campagne-presidentielle-180259">doléances</a> exprimées par les « gilets jaunes ». </p>
<p>Face à cette <a href="https://www.humanite.fr/en-debat/debats/retraites-quelle-issue-la-crise-sociale-et-politique-35-789747">crise démocratique</a> qui interroge la légitimité du régime actuel, et dans la perspective de régénérer les institutions, il semble que la question n’est pas tant de changer <em>la</em> constitution que <em>de</em> constitution, en pensant la transformation du texte constitutionnel à partir des besoins sociaux actuels tout autant que ceux de demain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203431/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raphaël Porteilla ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La séquence sociale et politique actuelle, dans son opposition au projet de réforme des retraites incarne aussi une contestation plus large du système politique français tout entier.Raphaël Porteilla, Maître de conférence en sciences politiques, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1959452022-12-07T16:44:51Z2022-12-07T16:44:51ZPourquoi inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution est aussi une protection symbolique<p>La proposition de loi <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287299-proposition-de-loi-droit-ivg-dans-la-constitution">d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution française</a> a été adoptée le 24 novembre par une forte proportion de députés et est désormais en lecture au Sénat. Cet événement s’inscrit dans le long combat pour la liberté des femmes à disposer de leurs corps jusqu’à l’aboutissement, en France, le <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782247169221-histoire-de-la-ve-republique-1958-2017-16e-edition-jean-jacques-chevallier-guy-carcassonne-olivier-duhamel-julie-benetti/">17 janvier 1975</a>, de la « loi Veil » du nom de la ministre qui l’a portée et défendue sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing alors que Jacques Chirac était Premier ministre.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/pourquoi-faut-il-voir-et-lire-levenement-histoire-et-actualite-de-lavortement-172002">La liberté</a> de recourir à l’interruption volontaire de grossesse est garantie en France par la loi qui en détaille la procédure : délai de recours, clause de conscience, temps de réflexion. Cette loi a été plusieurs fois réformée en France dans le sens de sa plus grande garantie pour la liberté des femmes. Dans le concert européen des droits fondamentaux, la <a href="http://www.senat.fr/rap/l22-042/l22-0422.html">France fait figure de pionnière</a> et garantit, ce droit de la femme de manière complète.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/que-dit-le-droit-international-sur-le-droit-des-femmes-a-linterruption-de-grossesse-187190">Que dit le droit international sur le droit des femmes à l’interruption de grossesse ?</a>
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<h2>Quel peut alors être l’intérêt d’une constitutionnalisation ?</h2>
<p>En France, la Constitution est la norme la plus importante, la norme suprême à laquelle toutes les autres doivent être conformes. Mais la Constitution est aussi le texte par lequel le peuple d’un État se dote d’un pacte fondateur contenant tout ce qui lui est cher et qui a pour but de garantir <a href="https://hal.univ-angers.fr/hal-02561569/document">« la poursuite du bonheur »</a> (le préambule de la Déclaration de 1789). L’intérêt de la constitutionnalisation apparaît donc double.</p>
<p>Tout d’abord, intégrer un droit fondamental dans la Constitution donne à celui-ci une plus grande valeur juridique et le rend plus difficile à modifier que lorsqu’il est garanti par la loi. En effet, le Parlement vote des lois tous les jours et la règle juridique du parallélisme des formes est implacable : ce qu’une simple loi a fait, une simple loi peut le défaire.</p>
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<p>Rappelons qu’en France, la loi est discutée et votée par les deux chambres du Parlement : l’Assemblée nationale et le Sénat mais l’Assemblée nationale a le dessus sur le Sénat puisqu’elle peut avoir le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241040">dernier mot</a> lors de la discussion. L’Assemblée nationale est également la chambre la plus politisée et la plus soumise au pouvoir du gouvernement puisqu’elle seule peut le renverser et qu’elle seule peut être dissoute.</p>
<p>Ces digressions sont importantes pour saisir un point clé : l’Assemblée nationale a la maîtrise de la loi et cette Assemblée est composée de forces politiques qui changent en fonction des élections.</p>
<p>De plus, cette Assemblée fonctionne sur le modèle majoritaire, c’est-à-dire que, de par son mode d’élection, elle conduit à la domination d’un parti vainqueur qui est en mesure d’imposer ses vues aux partis d’opposition, si virulents soient-ils. Les majorités se font et se défont au sein de l’Assemblée nationale qui fait et qui défait les lois. Nos droits fondamentaux ainsi garantis par la loi sont fragiles face aux majorités politiques dont on sait la grande volatilité qui plus est en France, peuple non dominé par un bipartisme historique (comme en Grande-Bretagne ou aux États-Unis).</p>
<h2>Un rempart</h2>
<p>Le droit à l’avortement est donc en proie aux volontés politiques des majorités divergentes qui se succèdent. Depuis 1975, elles ne l’ont toutefois pas remis en cause. Mais le <a href="https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2018-1-page-145.htm">mouvement européen de crispation</a> autour des droits des femmes et des minorités (comme en témoignent les événements en Pologne, Hongrie ou encore Italie) incite à la plus grande prudence quant à la pérennité supposée de droits chèrement payés, fruits de longues batailles historiques qui peuvent <a href="https://theconversation.com/quelle-place-pour-les-valeurs-politiques-au-sein-de-lue-170237">aisément être balayées par le ressac des temps</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-croisade-des-ultra-conservateurs-polonais-contre-lideologie-lgbt-146792">La croisade des ultra-conservateurs polonais contre « l’idéologie LGBT »</a>
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<p>« Il suffira d’une crise », <a href="https://www.telerama.fr/livre/ivg-vous-devrez-demeurer-vigilante-d-ou-vient-cette-phrase-de-simone-de-beauvoir-7011118.php">aurait affirmé Simone de Beauvoir</a>, et l’on ne peut qu’être frappée par la fragilité des droits et des démocraties à l’heure où les libertés souffrent d’États d’urgences étouffants, de crises majeures conduisant à des replis nationalistes et identitaires.</p>
<p>La constitutionnalisation jouerait ainsi le rôle de rempart contre les changements de majorité car si l’Assemblée nationale peut défaire ce qu’elle a fait par une simple loi (c’est <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241018">l’article 34 de la Constitution</a>), la procédure est rendue plus difficile à une majorité qui souhaiterait, demain, réformer la Constitution.</p>
<p>Fidèle au vœu des constituants historiques – les <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-de-1791">discours de 1791</a> promouvaient la rigidité extrême des constitutions –, les constituants de 1958 ont rendu la procédure de révision de la constitution rigide.</p>
<p>Cette révision suppose outre un accord dans les mêmes termes des deux assemblées, une adoption définitive soit par un vote à majorité renforcée des 3/5<sup>e</sup> des membres du congrès du Parlement (c’est-à-dire les deux chambres réunies) soit par un vote populaire lors d’un référendum.</p>
<h2>Manifester l’attachement des Français</h2>
<p>Ensuite, inscrire ce droit dans la Constitution lui conférerait une portée symbolique. Notre constitution contient très peu de droits fondamentaux directement dans son texte et même nos catalogues de droits ne sont pas aussi fournis que d’autres Constitutions. On pense par exemple à l’article 3 sur le droit de suffrage, l’art. 4 sur le droit des partis politiques ou encore l’art. 66 sur l’autorité judiciaire comme gardienne des libertés individuelles, peu de textes en somme comparé à la <a href="https://www.boe.es/legislacion/documentos/ConstitucionFRANCES.pdf">Constitution de l’Espagne de 1978</a>, par exemple.</p>
<p>Aussi, inscrire un droit fondamental des femmes directement dans le corps constitutionnel <a href="https://www.puf.com/content/Textes_constitutionnels_et_politiques">« manifesterait l’attachement »</a> du peuple français à ce droit. Ainsi que s’ouvre le préambule de la constitution du 4 octobre 1958 de la V<sup>e</sup> République française, « Le peuple français proclame son attachement… », et c’est bien l’objet de la constitutionnalisation de la liberté des femmes à recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) : proclamer son attachement.</p>
<p>On renouerait ainsi avec la vocation qu’avaient, dans notre histoire, les préambules des Constitutions où étaient inscrites des Déclarations de droits dont les peuples entendaient consacrer la fondamentalité.</p>
<p>Les États-Unis ont mis l’accent sur la liberté d’expression sous toutes ses formes, là où la France a garanti la liberté des religions. L’Allemagne a protégé la dignité de l’homme au-delà de tous les autres droits et la Suisse reconnaît la sensibilité de l’animal. Une Constitution raconte l’histoire de son peuple, ses inclinations et ses combats. L’attachement donc, peut être rien d’autre que cela, mais n’est-ce pas déjà suffisant ?</p>
<h2>La Constitution : barrière de papier ?</h2>
<p>Certes, la réforme d’une Constitution est plus difficile que celle d’une loi elle n’est toutefois pas impossible. Aucun droit fondamental de notre Constitution n’est supra-constitutionnel (le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-decisions/decision-n-2003-469-dc-du-26-mars-2003-references-doctrinales">Conseil constitutionnel s’y étant refusé en 2003</a>), une majorité renforcée pourrait – si une élection était acquise confortablement par un parti politique – toujours choisir de réviser la Constitution.</p>
<p>De plus, si une majorité hostile à la liberté de l’IVG était acquise à l’Assemblée nationale, il lui suffirait de couper les crédits financiers et ainsi de ne plus garantir par la loi l’existence de ce droit constitutionnel ce qui reviendrait à le priver de toute effectivité.</p>
<p>Rappelons que la constitutionnalisation n’offre pas la garantie quotidienne de ce droit sur le territoire et sa garantie concrète doit toujours être assurée par la loi. C’est le sens de la formule de la proposition de loi <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0293_proposition-loi">présentée par la députée Mathilde Panot</a> et adoptée par l’Assemblée nationale le 24 novembre 2022 qui dispose que :</p>
<blockquote>
<p>« Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits ».</p>
</blockquote>
<p>Enfin, que resterait-il à un citoyen démuni face à l’ineffectivité de ce droit constitutionnellement garanti : un recours devant le juge constitutionnel ? Mais le Conseil constitutionnel laissant une liberté d’appréciation au législateur <a href="https://www.cairn.info/revue-les-nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel-2015-4-page-145.htm">sur les questions de société</a> serait sûrement malaisé à imposer au Parlement d’agir. Quand bien même ce dernier s’y oserait, une réforme amenuisant son indépendance et réformant sa composition pourrait être imaginée par le pouvoir en place pour affaiblir l’institution, comme c’est actuellement le cas en Pologne ou en Hongrie. La barrière juridique, y compris constitutionnelle n’aurait que peu de poids.</p>
<h2>Une constitutionnalisation imparfaite</h2>
<p>D’autres arguments prouvent que la constitutionnalisation a ses faiblesses et d’abord celui tiré du parallèle avec la situation américaine. Le revirement par la Cour suprême des États-Unis, le 24 juin 2022 dans son arrêt Dobbs vs Jackson Women’s Health Organization de la jurisprudence Roe vs Wade de 1973 est la manifestation de l’extrême politisation de la Cour et de sa dynamique interprétative digne d’une véritable politique jurisprudentielle, <a href="https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_2010_num_62_3_19970_t12_0841_0000_1">dont elle se réclame</a>.</p>
<p>Autre élément : la Constitution elle-même. Notre Constitution n’est peut-être pas le bon texte pour intégrer de nouveaux droits fondamentaux en raison de sa nature procédurale. Nos droits fondamentaux sont le legs de textes historiques que notre Préambule consacre : aurait-il fallu ajouter le droit à l’IVG dans ces textes mêmes ? Simone Veil, alors présidente d’un comité de réflexion sur le préambule constitutionnel, avait elle-même déclaré qu’aucune nécessité ne commandait d’en réviser le contenu pour ajouter de nouveaux droits sans froisser l’histoire et la grandeur de ces textes fondateurs.</p>
<p>S’il fallait tirer quelques leçons de toutes ces nuances constitutionnelles, on retiendrait qu’il est toujours délicat de « toucher à la Constitution » même d’une main tremblante et la fragilité des droits humains est une réalité implacable. Simone Veil aurait toutefois conclu que « la vulnérabilité des choses précieuses est belle parce que la vulnérabilité est une marque d’existence ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195945/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Charlène Bezzina ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La constitution est un texte par lequel le peuple d’un État se dote d’un pacte fondateur et qui a pour but de garantir « la poursuite du bonheur » : le droit à l’avortement y a – t-il sa place ?Anne-Charlène Bezzina, Constitutionnaliste, docteure de l'Université Paris 1 Sorbonne, Maître de conférences en droit public à l'université de Rouen, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1933342022-11-07T19:52:10Z2022-11-07T19:52:10ZÉcole à la maison : les familles face à de nouvelles règles<p>L’instruction est obligatoire en France depuis par la loi Ferry du 28 mars 1882. Si le principe est le droit à l’instruction assuré par l’État, dans des établissements publics, ou privés, un droit à l’instruction est adapté par exception aux parents, issu du principe de liberté d’enseignement, corollaire du droit à l’instruction en famille.</p>
<p>Depuis plusieurs décennies, plusieurs restrictions à ce recours à l’instruction en famille se sont succédé, jusqu’à la plus récente en 2022, avec le passage d’un régime de déclaration par la famille à une <a href="https://www.education.gouv.fr/l-instruction-dans-la-famille-340514">autorisation préalable</a> délivrée par les services académiques, qui constitue une restriction sans précédent à ce mode d’instruction.</p>
<p>En France, la quasi-totalité des enfants et des adolescents d’« âge scolaire », suivent leurs études dans un établissement, public pour 82,7 % d’entre eux, privé sous contrat avec l’État pour 16,5 % ou bien privé hors contrat (0,5 %), selon le <a href="https://www.education.gouv.fr/reperes-et-references-statistiques-2022-326939">ministère de l’Éducation</a>. Cependant, une population, certes minoritaire, de l’ordre de 0,3 % des élèves, décide de suivre une instruction en famille.</p>
<p>Selon les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-pedagogie-2018-4-page-5.htm">chercheurs Philippe Bongrand et Dominique Glasman</a>, on compterait 30 139 enfants en instruction à domicile, ce à quoi il faut ajouter les très nombreux enfants pauvres privés d’école, évalués par des associations à 100 000 personnes. Sur ces 30 000 jeunes officiellement recensés, 16 000 relèvent de contraintes telles des impératifs de santé, le suivi d’un sport de haut niveau, le fait d’être enfants de parents itinérants. Pour 14 000 autres, il s’agit d’un <a href="https://journals.openedition.org/rfp/8581">choix éducatif de la famille</a>.</p>
<p>Malgré les très faibles effectifs concernés, depuis une dizaine d’années, il semble que le phénomène soit croissant et de plus en plus médiatisé, notamment avec la diffusion du « homeschooling » en Amérique du Nord.</p>
<h2>Contrôles renforcés</h2>
<p>Dans <a href="https://sphinxdeclic.com/d/s/3wrd5q">notre enquête menée à l’été 2022</a> auprès des familles, nous repérons que les cadres et professions intellectuelles et les sans profession sont surreprésentées parmi les familles faisant ce choix de l’instruction à domicile, hors contraintes liées à la santé ou des circonstances particulières. Ces parents ont plus fréquemment que la moyenne vécu en tant qu’enfants le homeschooling et l’ont en ce cas bien vécu. Dans notre échantillon, recueilli par les associations – soit les familles les plus engagées –, leurs motivations se classent en trois catégories :</p>
<ul>
<li><p>la recherche d’une alternative à la forme scolaire incarnant la flexibilité des rythmes d’apprentissages et le souci de l’épanouissement du bien-être ;</p></li>
<li><p>un vécu de <a href="https://www.cairn.info/revue-adolescence-2011-3-page-637.htm">souffrances ou de malaise scolaires</a> et les répondants citent harcèlement, phobie scolaire¸ cauchemar, eczéma, etc. ;</p></li>
<li><p>Une inclusion jugée insuffisante pour des enfants à besoins particuliers ou avec troubles de l’apprentissage.</p></li>
</ul>
<p>Les différents études et rapports suggèrent que les <a href="https://eduscol.education.fr/document/3366/download">cas d’instruction en famille</a> induits par des formes de radicalismes demeurent exceptionnels</p>
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<figcaption><span class="caption">Nantes : ces familles qui militent pour défendre l’école à la maison (France 3 Pays de la Loire, 2020).</span></figcaption>
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<p>Avant le passage du régime de déclaration préalable à l’autorisation académique, des sénateurs avaient déjà proposé, e décembre 2013, de <a href="https://www.senat.fr/leg/ppl13-245.html">limiter le recours à l’instruction à domicile</a> au motif que</p>
<blockquote>
<p>« l’un des buts de la scolarisation de l’enfant est sa socialisation. Celle-ci nécessite une éducation qui ait une dimension collective[…]. Dans cet esprit, l’éducation à domicile par la famille ne peut être qu’une situation exceptionnelle, liée à l’état de santé ou à l’incapacité permanente ou temporaire de l’enfant. Elle ne peut être le prétexte d’une désocialisation volontaire, destinée à soumettre l’enfant, particulièrement vulnérable, à un conditionnement psychique, idéologique ou religieux. »</p>
</blockquote>
<p>Plus récemment, les questions de « radicalisation » et de « dérives sectaires » ont renforcé ces velléités de contrôle. En janvier 2015, la mesure 9 pour une grande <a href="https://sbssa.discip.ac-caen.fr/IMG/pdf/11mesures_laicite-jan2015_416043.pdf">mobilisation de l’école pour les valeurs de la République</a> renforce le contrôle de l’instruction dans la famille. Selon la <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/grande-mobilisation-de-l-ecole-pour-les-valeurs-de-la-republique">circulaire du 14 avril 2017</a>,</p>
<blockquote>
<p>« la vérification de l’acquisition de l’ensemble des connaissances et des compétences du socle commun est un des moyens qui peut permettre d’apprécier si l’enfant est soumis à une emprise contraire à son intérêt, notamment une emprise sectaire, ou s’il se trouve dans un contexte de risque de radicalisation. »</p>
</blockquote>
<p>La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance consacre son Chapitre III au « renforcement du contrôle de l’instruction ».</p>
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<p>Depuis la fin des années 1990, la tendance est donc celle d’un encadrement croissant et de renforcements successifs du contrôle, avec comme point d’orgue le nouveau régime de l’autorisation préalable avec la <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/277621-loi-separatisme-respect-des-principes-de-la-republique-24-ao%C3%BBt-2021">loi n° 2021-1109 du 24 août 2021</a>, qui durcit l’accès à ce mode d’apprentissage dès la rentrée 2022 :</p>
<blockquote>
<p>« La scolarisation de tous les enfants dans un établissement scolaire devient obligatoire à la rentrée 2022 et l’instruction d’un enfant en famille dérogatoire. L’école à la maison sera soumise à autorisation (et non plus seulement à déclaration). »</p>
</blockquote>
<p>Le <a href="https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/rapports-d-activite/2020/l-instruction-a-domicile-poser-un-cadre-sans-interdire">premier projet de loi confortant le respect des principes de la République</a> avait été censuré par le Conseil d’État, notamment en ce que les dérives et carences des familles pratiquant l’instruction en famille étaient anecdotiques et que les difficultés liées à ce régime ne constituaient pas un motif d’interdiction valable.</p>
<h2>Recours judiciaires</h2>
<p>À la rentrée 2022, pour une première année d’instruction en famille, les familles devaient soumettre une demande d’autorisation au directeur académique des services de l’éducation nationale (DASEN) du département, assortie d’un projet éducatif. En cas de refus, la famille peut contester la décision par un recours administratif préalable obligatoire. En cas de rejet, la saisine du juge administratif est possible, certaines familles ayant même initié un référé-suspension visant à suspendre la décision rectorale en attente du jugement de fond du tribunal administratif.</p>
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<figcaption><span class="caption">Durcissement des critères pour l’école à la maison (France 3 Midi-Pyrénées, octobre 2022).</span></figcaption>
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<p>Pour la rentrée 2022,les <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/030922/ecole-la-maison-des-familles-se-heurtent-aux-refus-en-serie-des-rectorats">refus des rectorats</a> ont été nombreux. Interrogé à ce sujet le 2 août 2022, en Commission des affaires culturelles et de l’éducation au sein de l’Assemblée nationale, le ministre Pap Ndiaye indiquait que 53 % des demandes d’autorisation en instruction en famille avaient été acceptées pour le motif « situation propre à l’enfant », précisant que des contrastes très forts existe selon les académies : « Dans certains départements, c’est un non très massif, dans d’autres c’est plus ouvert »… d’où la question de l’harmonisation nationale. <a href="https://www.village-justice.com/articles/ecole-maison-quels-recours-cas-refus-autorisation-instruction-famille,43909.html">Des recours face aux refus</a> se sont multipliés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/instruction-a-domicile-de-quoi-parle-t-on-147479">Instruction à domicile : de quoi parle-t-on ?</a>
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<p>Dans les recours contre un refus d’instruction en famille, l’urgence à statuer a été retenue par le juge par décision du tribunal administratif de Lille du 11 juillet 2022 ou par celle du tribunal administratif de Rouen, du 15 juillet 2022. Le 3 août 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse définit de qu’il faut entendre par « l’intérêt propre à l’enfant », considérant que</p>
<blockquote>
<p>« les deux seuls critères sur lesquels l’administration doit se fonder pour apprécier l’existence d’un intérêt propre à l’enfant sont la capacité des parents à assurer l’instruction en famille, d’une part, et d’autre part la transmission d’un projet pédagogique adapté à l’enfant. Le juge des référés écarte ainsi toute possibilité pour le rectorat d’obliger les parents à démontrer l’impossibilité de scolariser l’enfant. »</p>
</blockquote>
<p>Le tribunal de Rennes, qui est le premier à statuer sur le fond, le <a href="https://www.ouest-france.fr/bretagne/bretagne-instruction-en-famille-selon-la-justice-le-rectorat-a-commis-une-erreur-de-droit-693c2fbc-4981-11ed-8da3-410856ccb182">10 octobre 2022</a>, relève que la loi ne conditionnait pas la délivrance de l’autorisation à une impossibilité de scolarisation ; cette condition a bien existé mais uniquement dans les intentions du pouvoir exécutif. Elle ne peut être regardée comme une norme légale.</p>
<blockquote>
<p>« En estimant que le projet pédagogique proposé par les requérants n’était pas suffisamment articulé avec les rythmes de leurs enfants, ni adapté à leurs acquis, en l’absence d’objectifs et de progressions qui leur seraient propres, la commission pédagogique a fondé sa décision sur des exigences excédant les seuls critères d’appréciation fixés par les dispositions précitées des articles L. 131-5 et R. 131-11-5 du code de l’éducation et a donc commis une erreur de droit. »</p>
</blockquote>
<p>Le passage d’un régime de déclaration préalable à un régime soumis à autorisation est inédit en France et, dans sa note de synthèse sur <a href="https://mje.mcgill.ca/article/view/9675/7591">l’apprentissage en famille dans les pays occidentaux</a>, la chercheuse Marine Dumond montre que si, dans la majorité des pays occidentaux, les parents ont le droit de pratiquer l’apprentissage en famille, des différences s’observent d’un pays ou d’un état à l’autre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193334/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Beatrice Mabilon-Bonfils ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis 2022, la donne a changé pour l’éducation à domicile : les familles qui souhaitent la pratiquer doivent au préalable demander une autorisation aux services académiques.Beatrice Mabilon-Bonfils, Sociologue, Directrice du laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1921922022-10-11T19:18:23Z2022-10-11T19:18:23ZMenace de dissolution de l’Assemblée nationale : quand le président concurrence le Parlement<p>Alors que les <a href="https://theconversation.com/comment-les-groupes-parlementaires-structurent-la-vie-politique-francaise-186104">députés</a> viennent de faire leur rentrée le lundi 3 octobre, une menace pèse sur l’Assemblée nationale, celle de la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/09/30/retraites-l-executif-fait-peser-la-menace-de-la-dissolution-pour-assurer-le-passage-de-sa-reforme-au-parlement_6143775_823448.html">dissolution</a>. Le président de la République a brandi cette arme dissuasive en cas de vote d’une motion de censure du Parlement. Depuis, les nombreuses passes d’armes renvoient dos à dos le déni de démocratie auquel se livre Emmanuel Macron en l’absence de majorité absolue et l’incapacité de l’Assemblée nationale à trouver un large consensus.</p>
<p>Cette tension exacerbée s’inscrit pourtant dans un contexte plus large à la fois d’évitement du Parlement (par le déploiement d’institutions nouvelles comme le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/10/03/conseil-national-de-la-refondation-les-premieres-consultations-citoyennes-lancees_6144225_823448.html">Conseil national de la refondation</a> ou le passage de textes sans débat législatif par l’usage de l’article 49.3 et des ordonnances) mais aussi de tentative de transformation de son fonctionnement.</p>
<p>Ces changements étaient notamment exposés dans le <a href="https://www.gouvernement.fr/action/projet-de-loi-constitutionnelle-pour-une-democratie-plus-representative-responsable-et">projet de loi porté en 2018</a> afin de la rendre plus représentative, plus responsable et plus efficace, pour « une démocratie plus représentative, responsable et efficace » qui se donnait l’ambition de « rénover le fonctionnement de la démocratie ». Il ciblait alors à la fois les modalités d’accès à l’institution parlementaire, son fonctionnement ordinaire et son rôle législatif en prévoyant notamment une loi constitutionnelle resserrant les délais des discussions législatives, une loi organique diminuant les effectifs parlementaires de 30 % et une loi ordinaire établissant une dose de proportionnelle dans le scrutin législatif.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ce-que-les-elections-legislatives-de-juin-2022-nous-apprennent-de-notre-vision-du-parlement-186356">Ce que les élections législatives de juin 2022 nous apprennent de notre vision du Parlement</a>
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<p>Si ce projet de loi est actuellement suspendu, il résonne avec la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000034924758/">loi pour la confiance dans la vie politique</a> votée en 2017 qui encadre aussi bien l’activité de conseil par les parlementaires, les emplois familiaux au sein de l’Assemblée, que les « dérives clientélistes » par l’usage abusif de la réserve parlementaire désormais supprimée. Sans juger de la pertinence de telles réformes actées ou archivées, elles sont le reflet d’une mise en accusation désormais routinière du fonctionnement et de l’activité des parlementaires.</p>
<h2>Des députés jugés « godillots » ou « bloqueurs »</h2>
<p>Au cours du premier mandat d’Emmanuel Macron, c’est l’inutilité du Parlement qui était dénoncée. Favorisée par le fait majoritaire, l’écrasante majorité des députés rencontrait de nombreuses moqueries pour son soutien sans faille au nouveau président de la République et à son gouvernement dont ils votaient l’ensemble des propositions de loi tels des <a href="https://www.humanite.fr/politique/larem/larem-la-godille-en-crise-lassemblee-684224">« godillots »</a> ou des <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2018/10/12/25001-20181012ARTFIG00124-quand-francois-ruffinlfi-fustige-les-marcheurs-playmobil-de-l-assemblee.php">« Playmobil »</a>. Une fidélité permise par l’arrivée en 2017 de <a href="https://www.puf.com/content/Les_candidats">72 % de novices</a> ayant coupé la longue file d’attente politique jusqu’alors organisée par les partis politiques.</p>
<p>Du fait de la structure de leur capital – par leurs études de droit ou de science politique mais aussi par leurs professions de cadres supérieurs – <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/la-fin-du-clivage-gauche-droite/">ces nouveaux députés</a> ont alors eu d’autant plus « tendance à considérer les problèmes de législation sous un angle plus technique et économique qu’ils ont eu par le passé moins d’activités militantes et politiques ».</p>
<p>En rupture avec cette dépolitisation des débats parlementaires, majorité relative oblige depuis 2022 pour ce second mandat présidentiel, les parlementaires sont cette fois accusés tantôt de bloquer ou d’obstruer les projets de loi gouvernementaux, tantôt de privilégier les coups d’éclats dans l’hémicycle au détriment du « sérieux » du travail législatif.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Dans les deux cas, le pouvoir exécutif définit le Parlement comme une institution qui doit accompagner son activité sans jamais le déranger. Cette <a href="https://www.cahiers.jaures.info/document.php?id=810">mise au pas du parlement</a> et ces critiques d’ordre <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2013-3-page-23.htm">antiparlementaire</a> ne sont pas nouvelles. Elles ont traversé les siècles dans l’iconographie et les écrits politiques et reposent, sans distinction, sur les circonlocutions d’une Assemblée prétendue inefficace et soumise à d’incessants bavardages inutiles. Elles sont surtout le signe d’une concurrence historique entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.</p>
<h2>Une Constitution qui tranche en faveur du président</h2>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2010-2-page-125.htm?contenu=article">droit constitutionnel</a> et électoral tranche en faveur du chef de l’État par la constitution de 1958, par l’élection du président de la République au suffrage universel direct en 1962 et par l’inversion du calendrier électoral en 2002. Ce parlementarisme dit « rationalisé » de la V<sup>e</sup> République tend, toujours davantage, à se renforcer par une <a href="https://silogora.org/sur-la-presidentialisation-des-regimes-politiques/">présidentialisation accrue du pouvoir</a>.</p>
<p>En témoigne le retour à la surface d’une tradition lointaine marquant cette concurrence : l’ouverture des sessions parlementaires par le chef d’État. Par deux reprises, le 3 juillet 2017 et le 9 juillet 2018, en prenant la parole en début de session parlementaire pour présenter sa politique générale, Emmanuel Macron s’adresse directement au Parlement réuni en Congrès. En s’inspirant des discours du Trône au Royaume-Uni, en Norvège, <a href="https://www.karthala.com/recherches-internationales/3370-tisser-le-temps-politique-au-maroc-9782811127657.html">au Maroc</a>, ou du discours sur l’état de l’Union que prononce chaque année le président des États-Unis devant le <a href="http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/IMG/pdf/benoit_a_la_guillaume.pdf">Congrès américain</a>, le chef d’État annonce : « tous les ans, je reviendrai donc devant vous pour vous rendre compte » afin de « fixer le sens du quinquennat et c’est ce que je suis venu faire devant vous ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Quand Emmanuel Macron réunit les parlementaires au Congrès de Versailles. YouTube.</span></figcaption>
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<p>S’il s’agissait d’une première pour la V<sup>e</sup> République – rendue possible par la <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/268318-la-reforme-de-2008-sur-la-modernisation-des-institutions">révision constitutionnelle de 2008</a> – cette promesse n’a pour l’heure pas été tenue. Mais ces cérémonies protocolaires, dont l’usage historique diffère, ont un fort symbole. En effet, elles mettent en scène autant qu’elles contribuent à ratifier l’autorité supérieure d’une institution et la <a href="https://www.cairn.info/revue-la-pensee-2022-3-page-57.htm">soumission de sa principale concurrente</a>. Elles théâtralisent une concurrence d’institutions disposant d’une même prétention : celle de représenter la nation.</p>
<h2>Un conflit pour le monopole à représenter les électeurs</h2>
<p>Cette concurrence pour le monopole à représenter les électeurs s’inscrit dans un rapport de force, dans une relation conflictuelle, s’aménageant en fonction de la position relative de chaque institution dans la configuration politique. Par exemple, sous la II<sup>e</sup> République, le président de la République prononçait un serment devant les députés « en présence de Dieu et devant le peuple français, représenté par l’Assemblée nationale ». Cette reconnaissance de la seule légitimité des députés à représenter les électeurs est, à l’inverse, totalement déniée dans les <a href="https://www.cairn.info/revue-la-pensee-2022-3-page-23.htm?contenu=article">configurations impériales</a>.</p>
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<img alt="L’empereur Napoléon Iᵉʳ dans son cabinet de travail en 1807" src="https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=782&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=782&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=782&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489123/original/file-20221011-21-ypazsx.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=982&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’empereur Napoléon Iᵉʳ dans son cabinet de travail en 1807.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span></span>
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<p>Ainsi, Napoléon I<sup>er</sup> comme Napoléon III ne voyaient dans le rôle du parlementaire que celui d’une <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62954782/f148.image">« assistance »</a>, d’un « soutien » de la part d’élus « dévoués » assurant une <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5409588t.texteImage">« coopération loyale »</a>. Les députés impériaux plus à même de seconder le chef de l’État que de représenter les électeurs se présentaient alors comme de simples <a href="https://www.pur-editions.fr/product/638/la-candidature-officielle">candidats officiels</a> sous le Second Empire. Ne mettant plus en avant leurs qualités propres ou leur parcours, les candidatures sont dépersonnalisées au point de ne se présenter comme un simple représentant naturel du pouvoir exécutif sur le territoire <a href="https://silogora.org/se-presenter-pour-representer-le-chef-detat/#_ftnref8">« prêt à le seconder dans son entreprise politique »</a>.</p>
<p>Mais cette situation ne saurait-elle pas rappeler la situation contemporaine ? En 2017, les candidats de la République en Marche sont le fruit d’une sélection par un <a href="https://www.20minutes.fr/elections/2064619-20170509-legislatives-peut-devenir-candidat-parti-macron">appel à candidatures</a> avec curriculum vitae et lettre de motivation au sein d’une commission d’investiture du parti. Telle une offre d’emploi, ces candidats novices ont ainsi mis en avant dans <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02170828/document">leurs professions de foi leur inexpérience politique</a>, leur nouveauté, comme gage de qualité politique. Leur position dépendant pleinement d’un pouvoir exécutif dont ils tirent leur légitimité, ces candidats ont même, au cours des élections de 2022, mobilisé la notion de « candidat officiel d’Emmanuel Macron ». Employant une notion datée de cent soixante-dix ans, se présenter comme candidat « de » interroge le rôle attendu d’un parlementaire désormais représentant naturel local d’un chef d’État que l’on seconde.</p>
<p>La logique de la V<sup>e</sup> République encourage et renforce cette redéfinition de l’activité d’un député qui n’est plus exclusivement consacrée à la représentation des électeurs, mais à la mission délégative que le chef d’État a pu lui offrir. Dès lors, l’actuelle configuration politique marquée par le regain de l’opposition parlementaire bouscule cette stabilité et réveille, avec elle, une concurrence historique entre deux institutions ayant la même prétention représentative. La menace présidentielle d’une dissolution en est le signe et résonne alors comme un rappel à l’ordre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192192/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tardits ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’actuelle configuration politique marquée par le regain de l’opposition parlementaire réveille une concurrence historique entre deux institutions ayant la même prétention représentative.Nicolas Tardits, Doctorant en science politique, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1813552022-04-19T16:39:36Z2022-04-19T16:39:36ZEt si la France devenait une démocratie illibérale ?<p>Si Marine Le Pen arrivait à l’Élysée, la France serait appelée à devenir une démocratie illibérale.</p>
<p>L’illibéralisme politique est, en effet, la doctrine de la famille politique européenne dont le Rassemblement national est un membre actif. Cette doctrine est exposée dans une <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/marine-le-pen/ue-marine-le-pen-victor-orban-et-matteo-salvini-visent-une-alliance-au-parlement-europeen_4687719.html">déclaration de juillet 2021</a> signée par 14 partis de 13 pays. Cette mouvance illibérale siège au Parlement européen au sein de l’eurogroupe parlementaire <a href="https://fr.idgroup.eu/">Identité & Démocratie (ID)</a>. Elle se réunit régulièrement, comme à Milan <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20190518-europeennes-milan-partis-nationalistes-ligue-rn-le-pen-salvini">peu avant les élections européennes de 2019</a>. Les députés du RN y côtoient ceux du <a href="https://www.ispionline.it/it/pubblicazione/netherlands-geert-wilders-dutch-cricket-7644">PVV de Geert Wilders</a>, de l’<a href="https://www.lefigaro.fr/international/qu-est-ce-que-l-afd-le-parti-d-extreme-droite-qui-perce-en-allemagne-20190902">AfD allemande</a>, du <a href="https://www.idgroup.eu/vlaams_belang">Vlaam Belangs belge</a>, du <a href="https://journals.openedition.org/allemagne/2739">FPÖ autrichien</a>, de la <a href="https://fr.idgroup.eu/lega-italy">Lega italienne de Matteo Salvini</a>…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1513524407142076416"}"></div></p>
<h2>Viktor Orban, figure de proue de l’illibéralisme</h2>
<p>Cette famille politique comprend aussi des membres de l’eurogroupe parlementaire de droite radicale <a href="https://www.europarl.europa.eu/elections-2014/fr/political-groups/european-conservatives-and-reformists-group">Conservateurs et réformistes européens</a> (CRE), dont le parti <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Pologne-parti-Droit-Justice-PiS-quete-nouveau-souffle-2021-07-03-1201164580">Droit et justice</a> (PiS), qui dirige la Pologne, est le pilier. Le <a href="https://www.euractiv.fr/section/politique/news/viktor-orban-restera-au-volant-du-fidesz/">Fidesz de Viktor Orban</a> fait lui aussi partie de cet ensemble des droites radicales et extrêmes européennes.</p>
<p>Viktor Orban, qui vient de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/union-europeenne/le-premier-ministre-hongrois-viktor-orban-obtient-une-large-victoire-aux-legislatives-et-est-reconduit-pour-un-quatrieme-mandat_5061772.html">remporter une quatrième victoire électorale législative</a> de rang, est le premier à avoir théorisé le fonctionnement d’une démocratie illibérale. Il la met en œuvre au gouvernement de son pays depuis 2010, en s’en expliquant chaque année lors de discours à la nation hongroise.</p>
<p>Ses succès électoraux et sa longévité font de lui un modèle qui a progressivement déteint sur toute cette famille politique des droites radicales et extrêmes européennes. Tout en vilipendant les dirigeants de l’Europe occidentale et de la Commission qui mènent contre les peuples <a href="https://miniszterelnok.hu/discours-de-m-viktor-orban-premier-ministre-de-hongrie-sur-letat-de-la-nation-4/">« une guerre sainte, un djihad de l’État de droit »</a>, Viktor Orban n’a jamais envisagé de faire sortir son pays de l’UE. Il veut au contraire rester dans <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/12/29/soixante-ans-apres-le-traite-de-rome-deux-europe-se-font-face_5055368_3232.html">l’UE pour la combattre</a>. Au nom de la civilisation européenne (famille traditionnelle, foi chrétienne, esprit national, propriété privée), il rassemble les forces d’opposition au libéralisme politique et à l’humanisme sur lesquelles s’est construite l’UE. Cette attitude politique a progressivement été adoptée par tous les <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0516-droites-extremes-la-conversion-a-l-europe">grands partis de droite radicale et extrême de l’UE</a>, dont plus aucun ou presque ne met la sortie de l’UE à son programme.</p>
<h2>Les origines de l’illibéralisme</h2>
<p>Regarder l’ensemble de ce tableau européen permet donc de se faire une idée assez précise de ce que deviendrait une France dirigée par Marine Le Pen et sa majorité : une démocratie illibérale. Avant d’être <a href="https://www.france24.com/fr/20180407-hongrie-viktor-orban-maitre-democratie-illiberale-premier-ministre-elections-xenophobie">reprise à son compte</a> par Orban en 2014, cette notion a été <a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-1998-2-page-17.htm">inventée par le publiciste américain Fareed Zakaria</a> (aujourd’hui journaliste sur CNN) pour la revue <em>Foreign Affairs</em> à la fin des années 1990.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DIAy1sQqxZw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Les démocraties illibérales », Observatoire de la modernité, Collège des Bernardins.</span></figcaption>
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<p>Zakaria forge cette notion pour caractériser un grand nombre de pays – de la Turquie aux Philippines en passant par l’Égypte, le Venezuela et l’Indonésie – qui, sortant de la dictature, sont devenus des démocraties en même temps que la guerre froide s’achevait. Zakaria constate que cette démocratisation repose sur des élections parlementaires régulières et une vie politique multipartite que soutient la liberté de la presse. Mais il <a href="https://www.geo.fr/geopolitique/quest-ce-que-la-democratie-illiberale-modele-dont-viktor-orban-se-veut-le-chantre-209245">constate aussi</a> que la séparation des pouvoirs et l’État de droit y sont partout dans ces années 1990 l’objet de limitations. C’est comme si l’héritage du libéralisme politique était coupé en deux, et que ce vaste mouvement de démocratisation planétaire refusait le legs des libertés constitutionnelles et de l’État de droit tout en s’appropriant celui des élections libres.</p>
<p>Sous les gouvernements et majorités parlementaires de Viktor Orban ainsi que de Mateusz Moraviecki et Jarosław Kaczynski, Hongrie et Pologne sont devenues des démocraties illibérales.</p>
<h2>La légitimité dont se réclame le modèle illibéral</h2>
<p>Les majorités parlementaires sont issues d’élections pluralistes. Elles sont l’émanation du peuple. Les minorités ne doivent pas mettre en danger l’unité et l’homogénéité supposées du peuple. Qu’elles soient politiques, sociales, culturelles ou ethniques, les minorités sont tolérées, mais sont aussi dénoncées et encadrées, voire discriminées.</p>
<p>C’est également au nom de ce principe majoritaire que la justice doit être soumise au Parlement et au gouvernement qui est non pas le représentant du peuple mais son émanation. Il n’y a aucune raison que les juges soient en situation de contredire le Parlement ou de lui opposer un ordre juridique et constitutionnel supérieur : le peuple a toujours raison, et le Parlement procède du fait majoritaire et d’élections régulières. Ce que l’illibéralisme combat, c’est le pluralisme.</p>
<p>Dans cet esprit, il est à la fois logique et légitime de réduire institutionnellement et par le vote d’une loi l’<a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/etat-de-droit-chronologie-du-conflit-entre-l-union-europeenne-la-pologne-et-la-hongrie/">indépendance de la justice en Pologne et celle des médias et des ONG en Hongrie</a>, comme d’assécher le financement du pluralisme de la presse et de mettre en place un système électoral par lequel 40 % des suffrages aux <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/legislatives-en-hongrie-les-verrouillages-tripatouillages-et-magouilles-dorban-20220402_K3JJG6OMJRDQNN4MCEL44PUUSQ/">élections législatives</a> assurent une majorité parlementaire des deux tiers en Hongrie. Les diplomates hongrois le comparent au scrutin uninominal majoritaire pratiqué en France et au Royaume-Uni. Mais celui-ci y a pour fonction de dégager une majorité parlementaire robuste ; pas de porter préjudice aux députés et aux partis de l’opposition ainsi que de les marginaliser dans la vie politique et l’espace public.</p>
<p>En Pologne, le parti Droit et justice (PiS) au pouvoir considère qu’il est de son devoir de <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02456103/document">débusquer les élites ex-communistes et post-communistes</a> qui, recyclées dans la haute fonction publique et l’appareil judiciaire, se seraient données pour mission de contrecarrer la volonté populaire qu’incarne le parti majoritaire régulièrement vainqueur des élections depuis 2015.</p>
<p>Dans cette idéologie de conservation et de consolidation de la pureté supposée d’un peuple défini comme un et homogène, l’ultraconservatisme sociétal est, là aussi, logique et légitime : <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/droits-des-lgbt-en-hongrie-viktor-orban-la-provocation-de-trop_2153022.html">on se méfie des minorités sexuelles</a> – leur existence ne traduit pas des libertés, mais des déviances ; et on rejette les minorités culturelles, ethniques et religieuses, car elles menacent les us et coutumes du peuple national. Il est préférable qu’elles restent « chez elles » et ne rejoignent pas le territoire européen.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1306882589559578626"}"></div></p>
<p>L’idée qu’il existe des différences de nature profondes entre les groupes humains est constitutive de l’illibéralisme européen du XXI<sup>e</sup> siècle. C’est ce qui légitime d’autres entorses à l’État de droit, justifiées par la pensée que les droits universels humains sont réservés aux nationaux sur leur territoire d’origine.</p>
<p>C’est ainsi que les mouvements illibéraux sont souvent accusés de xénophobie : ils prônent des politiques publiques de discrimination et de restriction des droits humains tout en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/22/primaute-du-droit-europeen-bruxelles-lance-une-procedure-d-infraction-contre-la-pologne_6107032_3210.html">soutenant</a> à tort que leurs politiques sont compatibles avec la charte de l’UE des droits fondamentaux et le droit européen.</p>
<h2>Le programme illibéral du Rassemblement national, incompatible avec l’Union européenne</h2>
<p>Le <a href="https://mlafrance.fr/pdfs/manifeste-m-la-france-programme-presidentiel.pdf">programme de Marine Le Pen</a> indique ainsi que « la priorité nationale sera autorisée, notamment dans l’accès à l’emploi dans le secteur privé ou dans le secteur public et dans l’accès au logement social ». Ici encore, le fait majoritaire du peuple national est opposé au droit. Dans les démocraties, le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/04/18/la-preference-nationale-serait-une-rupture-radicale-avec-l-identite-de-la-france_6122632_3224.html">droit</a> est pourtant garant des libertés fondamentales et du pluralisme.</p>
<p>C’est ainsi que se comprennent les promesses de Marine Le Pen de contourner l’Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil constitutionnel par le référendum. À travers cette pratique plébiscitaire, la candidate du Rassemblement national mobilise au profit de l’illibéralisme une tradition française connue : le <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/ouf-napoleon-est-mort-14-le-bonapartisme-passion-inavouee-de-la-republique">bonapartisme</a>, notamment celui de <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-de-1852-second-empire">Louis-Napoléon</a> élu président en 1848.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1453356129094934531"}"></div></p>
<p>La France aurait la même image et les mêmes difficultés que la Hongrie de Viktor Orban et la Pologne du parti Droit et Justice, mais en plus compliquées. En effet, ces deux gouvernements contreviennent à l’État de droit mais ne contestent pas le marché intérieur de l’UE. Or le programme de Marine Le Pen s’en prend, lui, aux quatre libertés du marché unique européen : elle voudrait <a href="https://www.lesechos.fr/elections/candidats/presidentielle-marine-le-pen-veut-retablir-les-controles-aux-frontieres-pour-les-marchandises-1398409">rétablir des contrôles aux frontières de la France</a> et entraver la mobilité des capitaux, des marchandises et des personnes.</p>
<p>Il s’agit de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/02/14/le-programme-de-marine-le-pen-a-la-presidentielle-2022_6113605_823448.html">rétablir une forme de protectionnisme français</a> dans l’UE de façon à éviter aux producteurs basés en France d’être en compétition avec leurs homologues européens. Cela limiterait en France le choix des consommateurs et, pour leur approvisionnement, celui des entreprises. Marine Le Pen écrit <a href="https://mlafrance.fr/pdfs/manifeste-m-la-france-programme-presidentiel.pdf">dans son programme</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Afin de renforcer le patriotisme économique […], j’utiliserai le puissant levier de la commande publique. En opposition claire et assumée aux dogmes de la mondialisation sans contrainte, la priorité nationale (ou européenne dans certains cas) s’appliquera pour les marchés publics(… ainsi que) un renforcement significatif des contrôles des importations et la fin du travail détaché. »</p>
</blockquote>
<p>Or, la préférence nationale aux entreprises est la déclinaison dans l’économie du refus du pluralisme ; elle contreviendrait à la législation qui encadre les <a href="https://www.europe-en-france.gouv.fr/fr/aides-d-etat">aides d’États</a>. La légaliser nécessiterait donc de faire sortir la France de l’Union européenne, une option écartée de son programme depuis sa défaite de 2017.</p>
<p>La mutation de la République française en démocratie illibérale par Marine Le Pen présidente conduirait à un <a href="https://www.lopinion.fr/elections/presidentielle/la-presidentielle-vue-deurope-lexception-francaise">bras de fer</a> entre son gouvernement et le reste de l’Union européenne (Commission, Cour de justice, Conseil de l’UE et États membres).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181355/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Inventé il y a une vingtaine d’années, le concept de démocratie illibérale a depuis fait florès dans plusieurs États européens… y compris bientôt en France ?Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, docteur en géographie, Centre d'histoire de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1801602022-04-05T18:46:04Z2022-04-05T18:46:04ZChanger de constitution pour changer de régime ?<p>Contrairement à ce que pourrait laisser penser une observation rapide du débat public à l’occasion de la prochaine élection présidentielle, la question du passage à une nouvelle République <a href="https://theconversation.com/debat-sortir-de-la-v-republique-une-fausse-bonne-idee-175162">n’est ni récente</a>, ni l’apanage de certains candidats à la fonction suprême.</p>
<p>Dès les premières années de la V<sup>e</sup> République, le « coup d’État permanent » que permettait le nouveau régime fut dénoncé par un certain… <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Coup_d%27%C3%89tat_permanent">François Mitterrand</a>. Et si ce dernier s’est finalement coulé à merveille dans des institutions autrefois honnies, nombreux sont aujourd’hui les <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre-la-6e-republique-pourquoi-comment-de-bastien-francois">chercheurs</a>, mais aussi les <a href="https://www.pouruneconstituante.fr/">mouvements citoyens</a>, qui en appellent à un changement de constitution, sans parler des candidatures qui font cette proposition à chaque élection présidentielle.</p>
<p>Dans une société démocratique, les textes constitutionnels visent à encadrer l’action du pouvoir de sorte à garantir qu’il s’exerce conformément à la volonté du peuple souverain. Cela passe en France, en particulier, par le respect par les gouvernants des droits fondamentaux et par l’interdiction de concentrer le pouvoir dans les mains d’un seul, comme le rappelle la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000697056/2022-03-23/">Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. » </p>
</blockquote>
<p>C’est donc moins à sa capacité à assurer la stabilité du régime, qu’à la façon dont elle garantit – ou non – la représentativité des institutions qu’il faut juger une Constitution.</p>
<p>Et, de ce point de vue, le texte actuel ne remplit pas véritablement sa fonction. Quand, scrutin après scrutin, le <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/serie/s1255">taux de participation électorale</a> ne cesse de <a href="https://theconversation.com/la-cause-cachee-de-la-montee-de-labstention-180152">s’effriter</a>, quand la composition sociale de l’Assemblée nationale et du Sénat, mais également, de plus en plus, de leurs électeurs, ne reflète qu’une <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/origines-elections">minorité de la société française</a> – l’Assemblée nationale ne compte que 4,6 % d’employés et aucun ouvrier alors que ces catégories socio-professionnelles sont majoritaires) – quand la révolte des classes populaires « en gilets jaunes » de l’hiver 2018 tourne aussi rapidement à la confrontation violente, que reste-t-il de la représentativité des gouvernants ?</p>
<p>Certes, la constitution actuelle ne saurait être la seule explication à cette crise institutionnelle. Mais en raison de sa fonction d’organisation de l’exercice du pouvoir d’État, elle en est nécessairement l’une des plus déterminantes.</p>
<h2>Une centralisation du pouvoir toujours plus forte</h2>
<p>Depuis 1958, la constitution organise invariablement une centralisation du pouvoir largement fondée sur l’hégémonie du pouvoir exécutif au sein de l’appareil d’État. Il n’est qu’à rapprocher la liste des pouvoirs que le Président peut actionner sans autorisation prévue à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527482">l’article 19</a> de la constitution et l’irresponsabilité qui caractérise son statut à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527561">l’article 67</a> de la même constitution.</p>
<p>Pourtant, la volonté de maintenir un régime dans lequel le gouvernement devait avoir les moyens de sa politique aurait dû en principe réserver au parlement une place de choix pour partager la fonction législative avec un gouvernement responsable devant lui. <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/statistiques-de-l-activite-parlementaire">Moins de la moitié des lois adoptées sont d’origine parlementaire</a> alors que les propositions de loi sont beaucoup plus nombreuses que les projets de loi d’origine gouvernementale.</p>
<p>Mais toute une série de dispositifs constitutionnels accumulés au cours de la longue existence du régime ont donné à ce dernier une légitimité passant désormais exclusivement par le président de la République, quitte à enjamber le pouvoir législatif. On pense ainsi à l’abandon de l’investiture obligatoire des gouvernements, le pouvoir de révocation du gouvernement par le président, le fait majoritaire renforcé par le quinquennat et l’inversion du calendrier rendant fictive la responsabilité gouvernementale et improbable une nouvelle cohabitation.</p>
<p>Le gouvernement, c’est-à-dire le pouvoir exécutif, étant à l’initiative de l’écrasante majorité des projets de lois et maître de l’ordre du jour des assemblées, il dispose de tous les moyens de contrôler le travail parlementaire et de faire voter les textes qu’il souhaite, y compris en brusquant les débats en séance publique. On rappellera la tentative de coup de force du gouvernement Édouard Philippe à la veille de la crise sanitaire pour faire passer la réforme des retraites par <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/273878-edouard-philippe-29022020-recours-article-49-3-reforme-des-retraites">l’article 49-3 forçant l’adoption sans débat du projet gouvernemental</a>.</p>
<p>Le gouvernement a aussi la <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-legislatives/l-exercice-du-droit-d-amendement-et-annexe">possibilité de limiter</a> voire d’interdire le dépôt d’amendements, de demander une seconde délibération, jusqu’à l’engagement de sa responsabilité sur le vote d’une loi, les moyens de pressions sur les députés et sénateurs sont nombreux et variés.</p>
<p>S’y ajoutent un mode de scrutin très majoritaire et une opportune <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000404920/">« inversion du calendrier »</a> qui a consolidé la subordination de la majorité parlementaire au pouvoir exécutif. Ainsi dépossédé de l’essentiel de sa fonction, le parlement ne peut plus être le lieu privilégié du débat public sur les grandes orientations politiques de la Nation, un lieu où s’exprimerait une réelle diversité de points de vue.</p>
<h2>Le pouvoir judiciaire, « simple autorité »</h2>
<p>La situation du pouvoir judiciaire n’est guère plus enviable. Ravalé au rang de simple « autorité » <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527555">dans les termes de la constitution elle-même</a>, il n’est pas suffisamment à l’abri de l’influence du gouvernement, qui conserve la main sur les nominations des magistrats – ses propositions ne sont soumises à l’avis conforme du conseil supérieur de la magistrature que pour les juges et non les procureurs, qui ne peuvent dès lors prétendre à la qualification d’autorité indépendante au sens <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/essentiel/affaire-moulin-contre-france-parquet-dans-tourmente">du droit européen</a> – et, surtout, les moyens des juridictions. Or le degré d’indépendance de la Justice conditionne directement l’effectivité des droits et libertés des citoyens.</p>
<p>Mais cette subordination des pouvoirs législatif et judiciaire serait impossible sans la domination exclusive du pouvoir présidentiel que permet le texte constitutionnel. Une domination garantie par une panoplie de mesures visant à définir un privilège présidentiel que la personnalisation du pouvoir n’a cessé d’amplifier.</p>
<h2>Un chef de l’État « irresponsable en tout »</h2>
<p>D’abord, le président de la République concentre en sa personne un nombre de prérogatives sans commune mesure avec ce qui se pratique dans les autres États européens dont la plupart relèvent d’une tradition parlementaire, mais, également, outre-Atlantique, où le régime présidentiel oblige toujours le chef de l’exécutif à composer avec les autres pouvoirs. Le locataire de l’Élysée, lui, est non seulement le chef de l’État, supposé garant des institutions, mais aussi le chef du gouvernement, dont il nomme et révoque discrétionnairement les membres.</p>
<p>Irresponsable en tout, en ce sens <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527561">qu’il n’a de comptes à rendre à aucun autre pouvoir</a> et notamment devant le Parlement, puisqu’il a le pouvoir de le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527474">dissoudre</a> à sa guise.</p>
<p>L’article 16 de la Constitution lui donne en outre la possibilité de s’arroger les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241008">pleins pouvoirs</a> s’il estime – seul – que sont menacées « les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ». D’autres prérogatives pour lesquelles le chef de l’État n’a aucune autorisation à demander sont <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527482">énumérées</a> dans la constitution qui toutes tendent à un exercice vertical et autoritaire du pouvoir, ce d’autant plus que depuis l’inscription dans la constitution de la désignation du président au suffrage universel direct en 1962, sa légitimité est réputée incontestable.</p>
<h2>Un pouvoir littéralement illimité</h2>
<p>Rien ne s’oppose donc plus à ce qu’il puisse faire un usage effectif de ces prérogatives, qui lui confèrent un pouvoir littéralement illimité puisqu’il s’exerce sans que puissent s’y opposer ni les autres pouvoirs ou autorités constitués. Ainsi la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19425-la-procedure-de-destitution-du-president-de-la-republique">destitution</a> serait la seule option, mais elle demeure d’usage assez improbable.</p>
<p>Ni le pouvoir législatif ou judiciaire, ni le peuple lui-même, à l’occasion d’une élection intermédiaire défavorable ou d’un référendum négatif, exceptée l’unique occurrence de 1969, quand le peuple s’est opposé à la révision constitutionnelle proposée par le Général de Gaulle. Le référendum auquel cette révision du Sénat et des régions a donné lieu ayant été négatif, le Général de Gaulle en tiré les conséquences et a démissionné de ses fonctions.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/M-36Hja-j3M?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Démission du général de Gaulle, YouTube/INA.</span></figcaption>
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<p>C’est le lot d’un chef juridiquement irresponsable, mais doté des pouvoirs les plus puissants. Tout dans le texte de la constitution concourt donc à en faire un dirigeant sans partage, contrairement à l’idée que l’on peut se faire d’un régime démocratique où le peuple demeure souverain même entre deux élections présidentielles et où les autres pouvoirs jouent, parce qu’ils sont distincts du pouvoir exécutif, leur rôle de contrepoids.</p>
<h2>L’hégémonie de l’État central</h2>
<p>Enfin, le texte constitutionnel organise aujourd’hui une très large centralisation du pouvoir qui, en tant que telle, rend difficile l’expression des opinions divergeant de celles des classes dirigeantes. Cette centralisation se fonde d’abord sur l’hégémonie de l’État central sur toutes les autres institutions publiques.</p>
<p>En dépit des réformes intervenues depuis 1982, et de la consécration formelle du principe de leur « libre administration », les collectivités locales n’ont qu’un pouvoir d’influence très limité dès lors que leurs dotations restent presqu’entièrement décidées par Bercy.</p>
<p>Sur fond d’austérité budgétaire persistante, la décentralisation s’est ainsi régulièrement traduite par le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2009/12/BONELLI/18585">recul des services publics qui leur étaient confiés</a>, ce qui n’est certes pas de nature à rapprocher les citoyens des autorités… Il en est de même pour d’autres organismes publics censément indépendants et officiellement investis d’une fonction de contre-pouvoir, mais qui, à l’image de l’Université ou de la Justice, ne sont pas dotés des moyens à la hauteur de leurs missions.</p>
<p>C’est dire si, d’un point de vue démocratique, les raisons pour modifier profondément la constitution et changer de régime ne manquent pas, que l’on en appelle ou non à une « VIᵉ République ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180160/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charlotte Girard est membre du Think tank "Intérêt général. La fabrique de l'alternative" </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La constitution actuelle ne saurait être la seule explication à la crise institutionnelle que traverse la France, mais elle en est l’une des plus déterminantes.Charlotte Girard, Maîtresse de conférences en droit public, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresVincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1795022022-03-21T20:08:10Z2022-03-21T20:08:10ZLa concentration des médias, un enjeu démocratique depuis la IIIᵉ République<p>Depuis le 24 novembre 2021, le Sénat dispose d’une <a href="http://www.senat.fr/commission/enquete/2021_concentration_des_medias_en_france.html">commission d’enquête sur la concentration des médias</a>. D’après les mots de son président, le sénateur centriste Laurent Lafon, celle-ci ne vise pas à « dénoncer le comportement ou la stratégie de tel ou tel acteur » mais à « comprendre le nouveau paysage qui se dessine ».</p>
<p>Son objet est avant tout d’« interroger la pertinence » d’une législation établie en 1986 (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000512205/">loi relative à la liberté de communication</a>, dite loi Léotard) et dont le volet « anti-concentration » (défini dans son article 39) n’a été que partiellement modifié, malgré les profondes transformations de l’écosystème médiatique.</p>
<p>Les travaux de cette commission ont pu bénéficier d’une certaine exposition médiatique, en raison de l’audition des principaux propriétaires de groupes médiatiques, et notamment celle de Vincent Bolloré le 16 janvier.</p>
<p>Principal actionnaire du groupe Vivendi, il étend son <a href="https://lesjours.fr/obsessions/l-empire/">empire médiatique</a> depuis le lancement de la chaîne Direct 8 en 2005.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NiLrN7QBnDE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le Système B. L’information selon Vincent Bolloré. Documentaire produit par Reporters sans frontières (RSF).</span></figcaption>
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<p>L’industriel suscite de légitimes inquiétudes quant à cette mainmise croissante sur l’information, au regard de la « droitisation » des orientations éditoriales, de la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=pa3bEmxx01M">mise au pas des rédactions</a> et de la multiplication des procédures visant à faire taire les investigations journalistiques à son encontre.</p>
<h2>Surabondance de l’offre et concentration du capital</h2>
<p>Plus que les autres démocraties libérales, la France connaît une situation paradoxale. D’un côté, le numérique a rendu possible une démultiplication sans précédent de l’offre de médias et de contenus, au point d’engendrer une situation d’<a href="https://www.pulaval.com/produit/nature-et-transformation-du-journalisme-theorie-et-recherches-empiriques">« hyperconcurrence »</a> pour l’attention des publics et leur monétisation.</p>
<p>De l’autre, le capital des principaux médias privés d’information, écrits comme audiovisuels, nationaux comme locaux, est concentré <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/PPA">entre les mains d’une trentaine d’actionnaires</a> dont certains figurent parmi les principales fortunes du pays (Bernard Arnault, Patrick Drahi, Xavier Niel, François Pinault, Daniel Kretinski, Martin Bouygues, famille Dassault, etc.).</p>
<p>Ainsi, tandis que la soixantaine de quotidiens régionaux appartiennent à six principaux groupes (Sipa Ouest-France, EBRA, Rossel, Centre France, Sud-Ouest et La Dépêche), les dix-neuf chaînes privées de la télévision numérique terrestre sont la propriété d’à peine six acteurs (Altice, TF1, M6, Canal+, NRJ Group, Amaury) qui ne seront plus que cinq en raison de la fusion programmée entre les groupes TF1 et M6.</p>
<p>À ce panorama succinct, il faut ajouter les processus de concentration entrepris à l’échelle mondiale sur les autres branches du nouvel écosystème médiatique. Qu’il s’agisse des fournisseurs d’accès à Internet (Orange, Free, SFR…), des « infomédiaires » (Google, Facebook, Twitter…) ou des plates-formes de streaming (Netflix, Amazon, Disney+), chaque couche de ce vaste secteur est dominée par des entreprises en situation de monopole ou d’<a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/oligopole/55880">oligopole</a> qui accaparent l’essentiel des revenus issus des usagers eux-mêmes ou des annonceurs.</p>
<h2>Des industriels en quête d’influence</h2>
<p>Pour justifier la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/11/28/pour-tf1-la-competition-avec-les-plates-formes-internationales-est-desormais-frontale_6103947_3234.html">fusion entre les groupes TF1 et M6</a> ou le rachat par Vivendi du <a href="https://www.marianne.net/societe/medias/concentration-des-medias-quand-vincent-bollore-humilie-le-senat">pôle « médias » du groupe Lagardère</a> (Europe 1, <em>Paris-Match</em>, <em>Le Journal du dimanche</em>), les dirigeants des entreprises médiatiques mobilisent un <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/medias/concentration-des-medias-six-moments-a-retenir-de-l-audition-de-vincent-bollore-au-senat_4923527.html">argumentaire</a> récurrent depuis quatre décennies : la France doit disposer de « champions » nationaux pour faire face à la concurrence « déloyale » des firmes étrangères, garantir la qualité de l’information (face aux fake news qui circuleraient par le biais des <a href="https://aoc.media/analyse/2019/06/20/pourquoi-avons-nous-si-peur-des-fake-news-1-2/">réseaux socionumériques</a> états-uniens) et préserver l’« exception culturelle » hexagonale (à travers notamment les règles de financement du cinéma français).</p>
<p>Cet argumentaire n’explique cependant pas cette singularité du capitalisme médiatique français : impliquer des investisseurs issus d’autres branches industrielles et financières (logistique, luxe, banque, armement, BTP, télécommunication, etc.), et pour qui les activités médiatiques ne constituent pas l’essentiel de leurs chiffres d’affaires.</p>
<p>Pourquoi s’engagent-ils alors dans un secteur économiquement fragilisé face à la dispersion des audiences et la reconfiguration profonde de l’environnement technologique et des usages ?</p>
<p>Si l’on excepte les <a href="https://www.pur-editions.fr/product/ean/9782753580404/dirigeants-de-medias">récents travaux de Julie Sedel</a> qui a entrepris une précieuse sociologie des patrons de médias, la recherche universitaire manque de données de première main pour restituer finement les motivations à l’origine de ces rachats.</p>
<p>Différents indices montrent cependant à quel point l’accaparement des entreprises médiatiques ne relève pas seulement de logiques marchandes.</p>
<p>Elle participe aussi d’une ambition de peser (au moins indirectement) sur les débats publics et de servir les intérêts des autres branches de leurs groupes respectifs. Comment ? En s’érigeant en interlocuteurs privilégiés d’acteurs politiques dont les carrières sont partiellement conditionnées par leur <a href="https://www.pur-editions.fr/product/ean/9782753581999/un-capital-mediatique">visibilité médiatique</a>.</p>
<p>Parmi les exemples les plus notoires, on se souvient des liens nourris que Nicolas Sarkozy pouvait entretenir avec Arnaud Lagardère, qu’il désignait comme « son frère », ou avec Martin Bouygues, témoin de son mariage et parrain de son fils.</p>
<p>Bien que ces derniers aient toujours revendiqué l’absence de pression sur les orientations éditoriales de leurs médias respectifs, la <a href="https://pur-editions.fr/product/7451/les-pages-politique">sociologie du journalisme</a> a pu montrer qu’il n’est nul besoin qu’un propriétaire intervienne directement sur les contenus pour que les rédactions en chef évacuent toute information susceptible de déplaire à leurs actionnaires.</p>
<h2>Une problématique ancienne : éloigner les médias des « puissances d’argent »</h2>
<p>Cette concentration des principaux médias privés dans les mains d’une oligarchie industrielle et financière est cependant loin d’être une problématique nouvelle. Sous la III<sup>e</sup> République déjà, l’accaparement de nombreux journaux par les « puissances d’argent » a constitué un enjeu majeur des affrontements politiques.</p>
<p>Si la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006070722/">loi sur la liberté de presse de 1881</a> a permis la libre expression des opinions par voie de presse, les législateurs n’ont pas interrogé les conditions économiques susceptibles de garantir l’effectivité du pluralisme médiatique.</p>
<p>Strictement régi par le jeu de l’offre et de la demande, le marché des journaux est alors entré dans une dynamique de massification de l’audience globale de la presse, favorisant les titres « populaires » et bon marché, détenus par les milieux d’affaires.</p>
<p>Au tournant du siècle, quatre quotidiens parisiens (<em>Le Petit Journal</em>, <em>Le Petit Parisien</em>, <em>Le Matin</em>, <em>Le Journal</em>) dominent outrageusement la diffusion, cependant que l’agence Havas dispose d’un quasi-monopole sur les activités de courtage publicitaire et les Messageries Hachette contrôlent une large part des réseaux de distribution.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/453073/original/file-20220318-15-1eiux62.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/453073/original/file-20220318-15-1eiux62.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/453073/original/file-20220318-15-1eiux62.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=888&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/453073/original/file-20220318-15-1eiux62.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=888&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/453073/original/file-20220318-15-1eiux62.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=888&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/453073/original/file-20220318-15-1eiux62.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1116&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/453073/original/file-20220318-15-1eiux62.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1116&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/453073/original/file-20220318-15-1eiux62.JPEG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1116&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une du Petit Journal du 17 juin 1908.</span>
<span class="attribution"><span class="source">gallica.bnf.fr/BnF</span></span>
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<p>Au cours de l’entre-deux-guerres, différents projets de régulation du marché de la presse voient le jour, face à la <a href="https://cths.fr/ed/edition.php?id=1153">multiplication des scandales mettant en cause les relations entre la presse et « l’argent »</a>. Le rachat du <em>Figaro</em> en 1922 par l’industriel du parfum acquis aux idées mussoliniennes, François Coty, puis celui du <em>Temps</em> en 1929 par François de Wendel, président du Comité des Forges, accréditent l’image d’une presse mise au service des intérêts patronaux.</p>
<p>C’est dans ce contexte, ici grossièrement résumé, que les pouvoirs publics ont octroyé aux journalistes professionnels un statut reconnaissant l’importance de leur rôle dans les régimes démocratiques. En créant les principes de « clause de conscience » et de « clause de cession » pour amoindrir la dépendance des journalistes vis-à-vis des velléités propagandaires des patrons de presse, la loi Brachard de 1935 visait à renforcer la crédibilité des journaux.</p>
<p>Selon les mots du rapport accompagnant la loi, leur contenu ne devrait ainsi être confié qu’aux <a href="http://www.ccijp.net/article-2-rapport-brachard.html">« mains expérimentés des professionnels »</a>, soumis à une déontologie propre et désormais identifiables par leur carte de presse.</p>
<h2>« La presse n’est pas un instrument de profit commercial »</h2>
<p>La Seconde Guerre Mondiale a contribué à accélérer ce processus de transformations d’un secteur dont les titres les plus commerciaux s’étaient compromis avec l’occupant.</p>
<p>Prenant appui notamment sur la « Déclaration des droits et des devoirs de la presse libre » élaborée dans la clandestinité et posant le principe que <a href="https://www.acrimed.org/Petite-histoire-des-ordonnances-de-1944-sur-la">« la presse n’est pas un instrument de profit commercial »</a>, différentes ordonnances édictées à la Libération visaient à réformer les règles relatives à la propriété des journaux, à lutter contre la concentration et à octroyer un rôle inédit à l’État pour encadrer et réguler une activité désormais définie comme « service public » ou, du moins, au service du public.</p>
<p>Au-delà du monopole d’État sur l’audiovisuel, l’ordonnance du 26 août 1944 exigeait notamment la transparence dans le capital du journal, l’interdiction pour un même actionnaire de posséder plus d’un quotidien ainsi que l’impossibilité, pour le directeur d’un journal, d’exercer une fonction industrielle ou commerciale fournissant l’essentiel de ses revenus.</p>
<p>Face aux difficultés financières rencontrées par ce que <a href="https://cths.fr/ed/edition.php?id=1153">l’historien Patrick Eveno a qualifié de « presse sans capitaux »</a> (de 33 quotidiens nationaux publiés en 1946, il n’en restait plus que 13 en 1954), ce cadre légal a été progressivement assoupli, voire ouvertement contourné, à l’image du puissant groupe constitué par Robert Hersant à partir de 1950.</p>
<p>Mais c’est au cours des années 1980 que l’ouverture du capital des médias aux « capitaines d’industrie » s’accélère, à travers la constitution de groupes pluri-médias. Enclenchée en 1982, la libéralisation de l’audiovisuel s’est accompagnée d’un dispositif légal fixant des « seuils anti-concentration » (loi Léotard de 1986) et de la création d’une autorité administrative indépendante chargée d’attribuer les fréquences nouvellement créées aux entrepreneurs privées, de définir leur cahier des charges et de veiller au respect du cadre légal (le Conseil supérieur de l’audiovisuel devenu ARCOM en janvier 2022).</p>
<p>Cependant, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/140222/medias-aux-origines-du-naufrage-democratique-francais">comme l’a récemment rappelé Laurent Mauduit</a>, cette dynamique d’attribution des fréquences radiophoniques et surtout télévisuelles a été marquée par d’intenses arrangements entre acteurs politiques et dirigeants de groupes privés, ainsi que par la passivité des responsables successifs du CSA face aux manquements répétés de certaines chaînes privées vis-à-vis de leurs obligations légales.</p>
<h2>Garantir l’autonomie des rédactions</h2>
<p>Si l’on excepte les quelques médias qui appartiennent à leurs journalistes ou ceux dont la gouvernance garantit l’autonomie de la rédaction (<em>Mediapart</em>, <em>Le Canard enchaîné</em>, <em>Le Monde</em>, etc.), les entreprises médiatiques françaises, et en particulier les groupes audiovisuels, restent dominées par des acteurs positionnés au sommet de la hiérarchie sociale et qui ont un intérêt direct à peser sur les orientations politiques et économiques du pays.</p>
<p>De récentes crises sociales (« gilets jaunes »), sanitaires (Covid) et internationales (guerre en Ukraine) ont pourtant rappelé à quel point les affrontements politiques s’accompagnent toujours de batailles informationnelles qui mettent en tension les exigences de pluralisme des opinions et de respect de la véracité des faits.</p>
<p>Face à la polarisation exacerbée du débat public, les régimes démocratiques doivent ainsi, plus que jamais, disposer de rédactions autonomes vis-à-vis des forces en présence et notamment des plus puissantes d’entre elles, sur un plan financier et communicationnel.</p>
<p>Mais fabriquer un journalisme de qualité a un coût que la dispersion des audiences face à la surabondance de l’offre de contenus parvient, plus difficilement qu’autrefois, à compenser. Dans ces conditions, les fragilités économiques rencontrées par de nombreux médias d’information ont rendu possible les dynamiques de regroupement de leur capital dans un nombre plus limité de mains.</p>
<p>Face à cette situation problématique pour la salubrité du débat public, il faut se pencher sur les <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-information-est-un-bien-public-julia-cage/9782021483154">récentes suggestions de Julia Cagé et Benoît Huet</a> et imaginer de nouveaux dispositifs légaux pour « refonder la propriété des médias » : renforcement des dispositifs anti-concentration, modification de la gouvernance des entreprises médiatiques pour mieux protéger les rédactions de la tutelle actionnariale, incitation des pouvoirs publics au financement participatif pour diversifier l’origine des capitaux médiatiques, etc.</p>
<p>Les premiers éléments du programme d’Emmanuel Macron, à qui les sondages accordent de très fortes chances de réélection, ne laissent cependant pas présager d’ambitions réformatrices sur ce point. Au contraire, c’est à l’encontre des médias publics et de leur financement que se sont pour l’heure concentrées les propositions du candidat. En suggérant le 7 mars de <a href="https://www.franceculture.fr/medias/suppression-de-la-redevance-envisagee-la-question-de-lexistence-meme-de-laudiovisuel-public-est">remplacer la redevance par l’impôt</a> (et par conséquent par une négociation budgétaire entre responsables de l’exécutif et dirigeants des entreprises publiques), Emmanuel Macron laisse entrevoir la possibilité d’une emprise plus prononcée du pouvoir politique sur le service public de l’audiovisuel.</p>
<p>C’est pourtant ce même service public qui échappe aux logiques commerciales et à la satisfaction d’intérêts capitalistiques qui gouvernent nombre de médias privés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179502/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Kaciaf ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La concentration des médias aujourd’hui à l’œuvre en France menace le pluralisme constitutif de la démocratie. Elle réactive des enjeux soulevés dès la IIIᵉ République.Nicolas Kaciaf, Maître de conférences en science politique, spécialiste des médias, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1751622022-03-20T17:52:25Z2022-03-20T17:52:25ZDébat : Sortir de la Vᵉ République, une fausse bonne idée ?<p>Le candidat Jean‑Luc Mélenchon et son parti, La France Insoumise, ont appelé dimanche 20 mars à une marche parisienne en soutien à un changement de république. En effet, la VI<sup>e</sup> république est programme du candidat Insoumis depuis plusieurs années déjà. Est-ce une idée envisageable ? Et si oui, en quoi consisterait-elle ?</p>
<p>Comme le disait Charles de Gaulle, le fondateur de la V<sup>e</sup> République, dans sa <a href="https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/consultationIR.action?irId=FRAN_IR_054957&udId=d_2_1_5_2_3&details=true">conférence de presse</a> du 31 janvier 1964 : « Une constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique ». Ce n’est donc pas seulement un texte juridique pétrifié.</p>
<p>La Constitution de la V<sup>e</sup> République, née à l’automne de 1958, va bientôt devenir la plus durable de notre histoire puisqu’en 2023 elle égalera les 65 ans d’exercice des lois constitutionnelles de la III<sup>e</sup> République, <a href="https://www.lgdj.fr/l-ecriture-des-lois-constitutionnelles-de-1875-9782275092980.html">adoptées en février-juillet 1875</a>.</p>
<p>Il s’agit là sans doute du signe que, de toutes nos constitutions (une quinzaine depuis 1791), elle n’est sans doute pas la moins inadaptée à son temps. Néanmoins, la question d’en sortir éventuellement revient régulièrement et, en l’occurrence, chez certains candidats à l’élection présidentielle de 2022 (par exemple Arnaud Montebourg, Christiane Taubira ou Jean‑Luc Mélenchon).</p>
<p>Habitude bien française, du reste, d’imaginer que la résolution des difficultés qui touchent le pays pourrait advenir quasi miraculeusement de la <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2018-3-page-139.htm">modification</a>, voire d’un changement, de notre texte constitutionnel.</p>
<p>Au contraire de bien des démocraties de référence, chez lesquelles la loi constitutionnelle s’avère presque intouchable, <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/pouvoir-executif-et-pouvoir-legislatif-au-royaume-uni">par exemple au Royaume-Uni</a> ou aux États-Unis d’Amérique, la République française n’a jamais craint de la modifier. Cela s’est fait certes, très rarement, <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe85009681/de-gaulle-et-le-referendum-la-crise">mais de manière décisive</a>, sous le général de Gaulle avec, en novembre 1962, le choix de l’élection du président de la République au suffrage universel.</p>
<p>De même sous Valéry Giscard d’Estaing et avec l’importante loi constitutionnelle du 29 octobre 1974 permettant la saisine du Conseil constitutionnel par 60 parlementaires.</p>
<p>Ensuite, notre pays a été touché d’une étrange habitude, la <a href="https://www.vie-publique.fr/dossier/267859-les-revisions-de-la-constitution-sous-la-ve-republique">« révisionnite aiguë »</a>, puisque depuis les années 1980, c’est à plus d’une vingtaine de modifications que l’on a assistée, la plus considérable étant celle produite par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 visant à moderniser les institutions et initiée par <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/268318-la-reforme-de-2008-sur-la-modernisation-des-institutions">Nicolas Sarkozy</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les grandes réformes de Valéry Giscard d’Estaing ont aussi touché à la Constitution (INA).</span></figcaption>
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<p>Bon nombre de projets ont également échoué. Ce fut le cas de la tentative de Georges Pompidou, en 1973, de passer au quinquennat, mais qu’il abandonna considérant que la majorité des 3/5 ne serait jamais atteinte au Congrés.</p>
<p>L’actuel chef de l’État <a href="https://www.vie-publique.fr/reforme-constitutionnelle">lui-même dut abandonner</a>, en raison de l’opposition des sénateurs, son projet de révision lancé en mai 2018 pour réduire le nombre des parlementaires, instiller une dose de proportionnelle, et statuer sur la limite de certains mandats dans le temps.</p>
<h2>Modifier, voire changer la Constitution ?</h2>
<p>De quoi parle-t-on quand on évoque une modification de la Constitution ? De son esprit ? Qui vise à permettre à un exécutif volontariste d’agir et de réformer ? C’était bien l’objectif du Général en 1958, ainsi que des hommes qui, à ses côtés, tel Michel Debré, en furent à l’origine.</p>
<p>Depuis la première moitié du XX<sup>e</sup> siècle, bon nombre d’esprits lucides – entre autres, le président de la République Alexandre Millerand, le socialiste Joseph Paul-Boncour, le président du Conseil André Tardieu ou encore le député René Coty – avaient compris et appelé à une réforme de l’État afin de doter l’exécutif de « la <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2016-2-page-233.htm">force de gouverner</a> ».</p>
<p>Le premier bénéficiaire en fut, au milieu des années 1930, le président du Conseil avec l’émergence de ce que l’historien Nicolas Roussellier appelle le <a href="https://www.sciencespo.fr/actualites/actualit%C3%A9s/force-de-gouverner/1718">« modèle Matignon »</a>, c’est-à-dire d’une administration organisée autour du chef du gouverner lui permettant de diriger véritablement l’action du cabinet.</p>
<p>1958 consista en une innovation considérable en ce sens que le renforcement de l’exécutif fut produit au profit du président de la République. Cet esprit fut salué par les Françaises et les Français qui, même lorsque tous les partis politiques – à l’exception des gaullistes et des giscardiens – s’y opposèrent, en 1962, à l’occasion du référendum sur l’élection du président de la République au suffrage universel, suivirent de Gaulle et <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2004-3-page-45.htm">adoptèrent sa proposition</a>.</p>
<p>Fondamentalement, cet esprit gaullien n’a pas disparu, en dépit des événements comme les cohabitations ou l’établissement du quinquennat. Les enquêtes montrent combien nos concitoyens restent farouchement <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2021-12-page-41.htm?contenu=article">attachés à cet esprit d’efficacité</a>.</p>
<h2>Une interrogation sur un nouveau texte</h2>
<p>Modifier le texte ou même l’éliminer pour le remplacer par un autre ? L’exercice est périlleux. L’écriture puis l’adoption d’une nouvelle Constitution soulèveraient tellement de questions que cela ouvrirait une période très incertaine.</p>
<p>À écouter et lire les projets des « réformistes » et autres adeptes d’une putative VI<sup>e</sup> République, on ne peut s’empêcher d’être pris d’une légitime interrogation. Tous revendiquent une réhabilitation notable des pouvoirs du Parlement et certains, par le recours à un système électoral puissamment proportionnel, un éclatement définitif du système majoritaire.</p>
<p>S’engager sur cette voie du retour à la délibération parlementaire induirait accepter que comme, sous la III<sup>e</sup> République, la loi fût le fruit du compromis.</p>
<p>Or, ces mêmes qui revendiquent cette « re-parlementarisation » de la République (oubliant que notre V<sup>e</sup> République est un <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/38013-comment-caracteriser-le-regime-politique-de-la-ve-republique">régime parlementaire</a> souhaitent appliquer, dans d’autres domaines, un programme souvent radical dont ils ne sont pas près du tout à accepter que sous l’effet de la discussion et du compromis, celui-ci soit édulcoré. On le voit, par exemple, dans la déclaration récente de Jean‑Luc Mélenchon annonçant qu’en cas de victoire, il ferait sortir la France du nucléaire par sa seule décision, sans débat ni référendum.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1504071401908625410"}"></div></p>
<p>Souhaiter que le Parlement redevienne le lieu principal de la création législative, dans un cadre non majoritaire, c’est aussi se soumettre à la discussion et à un travail d’écriture en prenant suffisamment en considération l’opinion des autres groupes, pour aboutir à une adoption. Rien ne montre que cette attitude soit celle des pourfendeurs de notre Constitution.</p>
<h2>Changer de pratique</h2>
<p>Enfin, qu’en serait-il d’une modification de la pratique ? C’est ce qui parait le plus faisable et sans trop de risques. À cet égard, le texte de 1958 a démontré, depuis longtemps, sa grande souplesse et son adaptabilité à toutes sortes de situations politiques : décolonisation, guerres, troubles civils, démission (souvenons-nous de Gaulle de en 1958) ou disparition de chefs d’État, cohabitations, majorité parlementaire large ou étroite voire relative, référendums gagnés ou perdus, dissolutions heureuses ou malheureuses, harmonie des deux chambres ou au contraire conflit entre elles, etc.</p>
<p>Du reste, depuis les années 1960, cette pratique a-t-elle connu autre chose qu’une évolution ? Qu’une adaptation aux époques et à leurs contraintes ? Dans le quotidien des relations entre l’Exécutif et le Parlement, des modifications sont envisageables (ne pas brusquer le temps législatif, accepter les amendements y compris ceux de l’opposition lorsqu’ils améliorent le texte, etc.) afin que le premier permette au second d’agir avec un peu plus d’espace dans la fabrication de la loi, son évaluation et le contrôle de l’action gouvernementale.</p>
<p>Encore faudrait-il que la majorité se trouve face à une opposition qui accepte de prendre sa part à ces nouveautés et ne s’enkyste pas au contraire, pour des raisons électoralistes, dans un refus radical de prendre part à un certain partage des responsabilités.</p>
<p>Certains, il y a un siècle, devant les difficultés, s’écriaient « L’Allemagne paiera ! », brandissant cette sorte de pensée magique pour éviter toute réflexion complexe sur la situation. On a parfois l’impression que ceux qui aujourd’hui, pour reprendre le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zufecNrhhLs">mot de Gaulle</a>, « sautent sur leur chaise comme des cabris » en disant « La VI<sup>e</sup> République ! La VI<sup>e</sup> République ! » ne font guère plus avancer le débat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175162/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Bellamy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La question de sortir de la constitution de 1958 revient régulièrement : pour quel résultat ?David Bellamy, Maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université de Picardie-Jules Verne, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1755382022-02-10T16:05:44Z2022-02-10T16:05:44ZDébat: Forum sur l’islam de France, le lieu de tous les paradoxes?<p>Il y a un an, le 18 janvier 2021, le Conseil français du culte musulman a publié la <a href="https://www.cfcm-officiel.fr/presentation-de-la-charte-des-principes-pour-lislam-de-france-au-president-de-la-republique/">Charte des principes pour l’Islam de France</a>, signée par les <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/01/18/le-conseil-francais-du-culte-musulman-pourrait-s-autodissoudre-le-19-fevrier_6109920_3224.html">acteurs majeurs</a> de l’islam représentés au sein du CFCM. Parmi eux, Musulmans de France (<a href="https://www.liberation.fr/france/2020/07/30/islam-de-france-les-reseaux-freristes-sous-pression-des-autorites_1795644/">proche des Frères musulmans</a> et le Rassemblement des musulmans de France (proche du Maroc) malgré la réticence initiale de trois acteurs dont le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), Millî Görüs (CIMG), tous les deux proches de la Turquie et le mouvement Foi et Pratique, proche des prédicateurs du <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/20/charte-de-l-islam-trois-federations-du-conseil-francais-du-culte-musulman-refusent-de-signer-le-texte-en-l-etat_6067000_3224.html">Tabligh</a>. Cette charte devrait constituer un premier pas vers un Conseil national des imams.</p>
<p>Ce document affirme des règles déontologiques qui insistent sur les principes structurants de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, du rejet de toutes les formes d’ingérence et d’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques, d’attachement à la raison et au libre arbitre, d’attachement à la laïcité et aux services publics, et de lutte contre la <a href="https://www.cfcm-officiel.fr/presentation-de-la-charte-des-principes-pour-lislam-de-france-au-president-de-la-republique">haine anti-musulmane, la propagande et les fausses informations</a>.</p>
<h2>Une hiérarchie entre la République et l’islam</h2>
<p>Cette charte établit une hiérarchie entre la République et l’islam de sorte que la République, ses lois et ses valeurs soient mobilisées comme « références ultimes », et donc comme faisant autorité morale, juridique et politique vis-à-vis de l’islam. Les dirigeants des associations islamiques au sein du CFCM ont critiqué à plusieurs reprises le ton qu’ils ont jugé <a href="https://www.france24.com/fr/france/20210119-charte-des-principes-de-l-islam-de-france-un-texte-pondu-d-en-haut-pour-le-bas">paternaliste</a> sous couvert de « déontologie ».</p>
<p>Cette charte exige de ses signataires d’accepter les quatre valeurs de la liberté, de l’égalité, de la fraternité et de la raison comme cadre éthique de l’islam en France alors même que ces quatre valeurs n’occupent pas une place prééminente dans le système des valeurs de <a href="https://www.cilecenter.org/fr/resources/news/nouveau-livre-du-cile-en-francais-lethique-en-islam-par-shaykh-yusuf-al-qaradawi">l’éthique musulmane</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Signature de la Charte des principes de l’islam de France (France 24, 18 janvier 2021.</span></figcaption>
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<p>Or il est difficile de réduire l’islam à un socle de valeurs républicaines, car il s’agit d’une religion complexe où s’entrelacent des dimensions religieuses, coutumières parfois sujettes à interprétation (droit des transactions, relations familiales, droit de la guerre et de la paix, interprétations religieuses des doctrines, etc.) mais aussi sociopolitiques. Selon les communautés d’origines, le poids des autorités est plus ou moins fortes, de même que les enjeux de solidarités ethniques et tribales, les appartenances, les courants et sensibilités liées à des pays ou des mouvements globaux, etc.)</p>
<p>Ainsi, les organisations majeures de l’islam en France fonctionnent toujours sur base d’appartenance ethnique (qu’elles soient liées à la Turquie, à l’Algérie ou au Maroc) ou de sensibilité idéologique transnationale, ce qui a mené le Conseil français du culte musulman (CFCM) à disparaître pour laisser sa place au <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/l-etat-reprend-la-main-sur-l-islam-de-france-20220204">Forum de l’islam de France (Forif)</a>.</p>
<h2>Un forum pour « filtrer » les acteurs</h2>
<p>Pour l’instant, le gouvernement français mise sur le Forum de l’islam de France (Forif), un lieu de dialogue entre l’État et le culte musulman. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/31/la-nouvelle-gouvernance-de-l-islam-en-france-se-presente-comme-une-operation-mediatique-pour-emmanuel-macron_6111655_3232.html">Lancé le 5 février 2022</a>, il a été conçu pour « filtrer » des acteurs (ministres du culte, aumôniers, responsables associatifs, représentants de mosquées, intellectuels, juristes) qui seront chargés de lancer les travaux sur la professionnalisation et le recrutement des imams, l’organisation et le fonctionnement des aumôneries, la lutte contre les actes antimusulmans et la sécurité des lieux de culte, et l’application de la loi confortant le respect des <a href="https://www.saphirnews.com/Avec-le-Forum-de-l-islam-de-France-l-apres-CFCM-se-dessine-avec-une-nouvelle-organisation_a28533.html">principes de la République</a>.</p>
<p>Ce forum aura-t-il la détermination de confronter les vrais obstacles dans la relation entre l’État français et le culte musulman ?</p>
<p>Concrètement, la formation des imams, un des chantiers envisagés dans le Forif, doit tenir compte du fait qu’il n’existe pas de « super-imams » ; cette idée s’inspire du modèle allemand. Or, après 15 ans de travail et de recommandations au sein de la Conférence sur l’islam, l’Allemagne a ouvert une faculté de formation des cadres religieux musulmans, <a href="https://www.telerama.fr/debats-reportages/islam-et-republique-en-allemagne-l-ecole-modele-des-imams-7008613.php">l’Islamkolleg Deutschland</a> en juin 2021 à Osnabrück alors que la DITIB, liée à la Turquie, et la plus large organisation musulmane continue à former ses propres imams en Allemagne. Il reste à savoir si les communautés musulmanes décideraient d’engager les imams <a href="https://www.deutsche-islam-konferenz.de/EN/DIK/Die-DIK-bisher/die-dik-bisher_node.html">formés dans cette faculté ou pas</a>.</p>
<h2>« L’islam et la France » : les incohérences qui minent le débat</h2>
<p>Du point de vue de la théologie politique de <a href="https://www.persee.fr/doc/horma_0984-2616_1989_num_14_1_1035">l’islam classique</a> et qui fait autorité pour un certain nombre d’acteurs qui ont signé la Charte, tout pouvoir, ici le gouvernement français, qui intervient dans les affaires religieuses, sociales et politiques de l’islam, et qui ne dispose pas d’autorité religieuse lui-même (califat ou imama), est illégitime. Pour certains pratiquants, le gouvernement français <a href="https://www.cairn.info/revue-inflexions-2009-1-page-141.htm">n’étant pas musulman</a> ne peut revendiquer « la souveraineté vis-à-vis de l’islam ».</p>
<p>La théologie politique de l’islam <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2004-2-page-131.htm">adoptée par la majorité des penseurs musulmans contemporains</a>, considère que :</p>
<blockquote>
<p>« seule la shari’a est souveraine, où s’unissent légalité et légitimité : la shar’iyya bi-dun shari’a – il n’y a pas de légitimité sans la shari’a. Seule, la shari’a peut sauvegarder l’État de droit ».</p>
</blockquote>
<p>Parce que la souveraineté est de nature légale, éthique et théologique, et pas politique, <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2004-2-page-131.htm">deux paradoxes</a> caractérisent cette théologie politique :</p>
<ul>
<li><p>Un État ne peut être souverain</p></li>
<li><p>Dieu ne formera jamais un État.</p></li>
</ul>
<p>Par conséquent, la légitimité d’un État ne proviendrait pas de sa souveraineté, mais de son application de la loi musulmane qui serait « la face visible » de la souveraineté divine. Ainsi, l’État moderne est jugé dans la théologie politique islamique dans ses rapports à l’oumma et à la charia, et ne peut revendiquer l’autorité que s’il se « met au service » de la communauté et de <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2004-2-page-131.htm">sa loi islamique</a>.</p>
<p>Les organisations majeures de l’islam en France n’ont pas engagé la question de la théologie politique qui accepterait l’idée de la souveraineté absolue de l’État-nation dans le domaine des affaires publiques. La souveraineté est envisagée dans la pensée politique islamique comme <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-the-royal-asiatic-society/article/abs/locating-hakimiyya-in-global-history-the-concept-of-sovereignty-in-premodern-islam-and-its-reception-after-mawdudi-and-qutb/925D58BDAE0F23128346B6730F8679ED">souveraineté divine</a> assumée sur terre par la souveraineté de la <a href="https://oumma.com/islam-et-democratie">communauté islamique « universelle »</a> ; ces deux souverainetés sont <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2166953">mutuellement constitutives</a>.</p>
<p>Ainsi, pour la plupart des théologiens, la suprématie de la communauté islamique « universelle » sur ses gouverneurs est absolue car l’oumma a été chargée par Dieu de la réalisation de Sa loi sur Terre. Et dans cette perspective, l’État comme pouvoir politique n’aurait donc de souveraineté que si la communauté islamique lui délègue le pouvoir.</p>
<h2>Aller vers une nouvelle théologie politique ?</h2>
<p>Sans une nouvelle théologie politique – dont on trouve les germes chez quelques penseurs musulmans comme <a href="https://journals.openedition.org/rives/171?lang=en">Ali Abdel Raziq (1888-1966)</a> – où Dieu concède à l’État sa souveraineté « terrestre », et se contente de la souveraineté « céleste », on peut faire l’hypothèse que les acteurs de l’islam pourront s’adapter mais moins facilement se transformer.</p>
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<figcaption><span class="caption">Ali Abdul Raziq, l’un des penseurs de l’islam séculier (en anglais).</span></figcaption>
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<p>Pour le moment le fossé demeure béant entre d’une part des acteurs officiels faisant la promotion d’un islam fier de sa loi et de ses particularismes et d’autre part une République qui braque les valeurs de la Révolution française et les érigent comme universelles.</p>
<p>L’ingénierie politique républicaine devrait confronter ces incohérences et ne pas uniquement parier sur « les Lumières républicaines » pour toucher les différents acteurs de l’islam.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175538/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Abdessamad Belhaj ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Forum sur l’islam en France peut-il apporter des clefs dans le débat sur l’islam « républicain ».Abdessamad Belhaj, Chercheur au CISMOC, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1749802022-01-16T17:15:58Z2022-01-16T17:15:58ZDisruption ou irruption ? La République dans l’impasse présidentielle<p>Il est tard, bien tard pour réparer ce qui, selon nous, restera l’erreur fondamentale du quinquennat d’Emmanuel Macron : n’avoir pas entrepris dès son élection une réforme des institutions afin de les mettre au diapason d’une France qui doute d’elle-même et de ses élus.</p>
<p>Il avait certes réussi un fameux « coup du roi » en faisant, d’un seul et premier tir, tomber dans ses bras la magistrature présidentielle. Son irruption surprise a fait voler en éclat le vieux système des partis dominants : exclus du jeu de l’alternance qui les rendait épisodiquement maîtres du jeu, privés du commode saute-mouton sur le dos de l’extrême droite, brouillés dans leurs repères par un Président qui s’affirmait et de droite et de gauche, subissant mécaniquement un lourd revers lors des législatives, ceux-ci n’étaient pas seulement défaits, ils risquaient <a href="https://theconversation.com/macron-la-french-deconnexion-89058">l’effondrement</a>.</p>
<p>La vague de « dégagisme » qu’avait habilement épousée le vainqueur les rendait gravement vulnérables. Restait au nouveau Président à profiter de cet affaiblissement pour réaliser son programme de campagne : élu sur une promesse de disruption, il lui fallait au moins mettre en route les moyens de la provoquer et tracer la voie d’une reconstruction de la légitimité des gouvernants. « Tout l’art de la politique, <a href="http://evene.lefigaro.fr/citation/tout-art-politique-servir-conjectures-29756.php">disait Louis XIV</a>, est de se servir des conjonctures. »</p>
<p>Mais la vague intention fut vite oubliée. Dès septembre 2017, on laissa dans l’indifférence les partis se refaire un début de santé en s’appuyant sur leurs bastions lors des <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/senatoriales/">sénatoriales</a>. On se garda bien de transformer en <a href="https://www.cairn.info/nouvelle-sociologie-politique-de-la-france--9782200628727-page-97.htm">véritable parti</a> le mouvement original qui avait appuyé l’élection présidentielle. Et l’on succomba à la tentation d’un <a href="https://theconversation.com/traverses-presidentielles-le-caillou-dans-la-chaussure-du-president-macron-93871">président démiurge</a> concentrant la plénitude de l’espace et de la décision politiques.</p>
<h2>Désalignement des élus et des citoyens</h2>
<p>Ignorer le caractère illusoire de cette vision n’était pas la meilleure manière de restaurer la confiance entre élus et citoyens. Après une année tranquille, le pays entra dans une phase de turbulences dont il ne sortira plus, de gilets jaunes en réforme des retraites, d’antivax en antipasse… Entre violences sociales et violences verbales, s’enracine dans le pays une croyance à l’impuissance du politique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-2022-comment-les-candidats-a-lelection-presidentielle-se-sont-saisis-de-la-colere-des-francais-174171">En 2022, comment les candidats à l’élection présidentielle se sont saisis de la colère des Français</a>
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<p>À une brève euphorie succède un climat profondément dysphorique, installant un véritable mur de méfiance et entraînant une montée constante des abstentions qui frisent les <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques/taux-de-participation-definitifs-au-second-tour-elections-des-20-et-27-juin">deux tiers</a> du corps électoral lors des régionales !</p>
<p>Cette désaffection croissante traduit en creux <a href="https://theconversation.com/les-partis-politiques-peuvent-ils-se-relever-des-crises-150763">l’effondrement des vieux partis dominants</a>.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/la-gauche-francaise-vit-elle-son-tournant-americain-174065">Particulièrement à gauche</a>, où tous les candidats à la présidentielle réunis atteignent péniblement 25 % des intentions de vote dans les sondages. La soustraction est particulièrement lourde pour les socialistes auxquels l’extinction de voix interdit même de trouver une candidature crédible pouvant prétendre au rassemblement.</p>
<p>La droite de gouvernement, moins fracturée en apparence, paraît mieux résister. Malgré cette impression relative de <a href="https://esprit.presse.fr/article/vincent-tiberj/a-force-d-y-croire-la-france-s-est-elle-droitisee-43763?s=09&utm_source=pocket_mylist">droitisation</a>, la situation des Républicains reste fragile et instable, tiraillés qu’ils sont entre un centre qui regarde vers Macron et une extrême droite qui, réunie, est estimée à 30 % et exerce un fort tropisme sur son autre flanc.</p>
<h2>Vers un nouveau choix par défaut ?</h2>
<p>L’image d’Emmanuel Macron reflète cette situation fracturée et incertaine de désalignement vis-à-vis des partis. D’un côté, il tire le juste bénéfice de sa fermeté internationale et de sa gestion de la crise sanitaire, avec ce « quoiqu’il en coûte » qui atténue son étiquette libérale. Cela lui permet de se maintenir à un niveau de satisfaction envié : le tableau de bord de <a href="https://www.ifop.com/publication/le-tableau-de-bord-des-personnalites-paris-match-sud-radio-ifop-fiducial-janvier-2022/">janvier</a> des personnalités Paris Match/Sud Radio-IFOP/Fiducial le crédite de 43 % d’approbation de son action.</p>
<p>Mais dans la même enquête, 70 % des Français estiment qu’il n’est pas proche de leurs préoccupations. <a href="https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-les-opposants-a-emmanuel-macron-dans-le-cadre-de-lelection-presidentielle-de-2022/">Un sondage concomitant</a> IFOP pour le JDD indique qu’aucun de ses opposants déclarés ou potentiels ne ferait mieux que lui : Valérie Pécresse, par exemple, ne se voit reconnaître cette qualité que par 17 % des sondés, 53 % considérant qu’elle ne ferait ni mieux ni moins bien !</p>
<p>Absence de réelle concurrence donc, qui relativise lourdement la primauté du Président en exercice, et qui risque de déboucher sur un nouveau choix par défaut. D’autant que dans tous les baromètres, Emmanuel Macron reste fixé <a href="https://elabe.fr/presidentielle-2022-7/">entre 23 et 26 %</a> d’intentions de vote, soit un score reproduisant celui de 2017. Un quart des exprimés, une abstention en hausse, moins de 17 % des inscrits, voilà qui n’augure pas d’un renforcement de sa légitimité en cas de réélection.</p>
<h2>La perte du sens de l’élection</h2>
<p>Tout le quinquennat a été marqué par un procès en illégitimité contre le Président, perçu comme élu dans une logique de rejet plus que d’adhésion. Et rien n’indique donc qu’on en ait tiré les conséquences. Pourtant, voici déjà vingt ans qu’une sirène d’alarme avait violemment retenti. Souvenons-nous du <a href="https://theconversation.com/discordance-des-temps-le-resistible-declin-du-regime-de-la-v-republique-125148">21 avril 2002</a> : un président sortant rassemblant moins de 20 % des exprimés, un chef du gouvernement peu contesté pendant cinq ans éjecté dès le premier tour, près de 30 % d’abstention…</p>
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<figcaption><span class="caption">Jean‑Marie Le Pen arrive au second tour des élections le 21 avril 2002, archives INA, France 2.</span></figcaption>
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<p>Il n’était pas difficile de voir que le régime était à un tournant. La V<sup>e</sup> République avait alors montré sa capacité à exprimer autre chose qu’un présidentialisme exacerbé, en autorisant une gestion plurielle de la politique, un jeu institutionnel plus équilibré que la monarchie républicaine qu’on avait voulu en faire. Au lieu d’intégrer l’évolution, on s’est livré à ce que j’avais appelé, dans un article tragiquement anticipateur, la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/02/05/gymnopolis_4210466_1819218.html">« gymnopolitique »</a> : cette inversion du calendrier électoral qui enchaînait mécaniquement les élections législatives au résultat de la présidentielle et qui, interdisant aux Français de s’exprimer sur le bilan de la législature, dévitalisait le scrutin.</p>
<p>Et comment ne pas avoir anticipé que les différentes sensibilités composant la majorité parlementaire sortante prétendraient défendre leurs couleurs pour peser sur le débat ? L’écrasante logique majoritaire binaire aura raison de ce que seule une <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/video-les-motse-la-campagne-presidentielle-de-2022-proportionnelle_4780031.html">proportionnelle</a> aux élections législatives permettrait de respecter.</p>
<h2>Couper le cordon</h2>
<p>Pourtant, la vie politique française s’est poursuivie en exacerbant son hyperprésidentialisation qui pourrait se résumer ainsi : « le Président de la République concentre l’essentiel du pouvoir, or le Président ne résout pas nos problèmes, donc nous n’avons pas confiance dans le Président. »</p>
<p>Néanmoins, cette triple assertion n’est ni fondée juridiquement, ni inéluctable politiquement. <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/quelle-place-la-constitution-fait-elle-au-president-de-la-republique">La constitution de 1958</a> donne les bases d’un régime parlementaire rationalisé, aucunement présidentiel.</p>
<p>Paradoxalement, ce sont ceux contre qui le régime s’est mis en place, les partis politiques, qui ont imposé et entretenu cette lecture et transformé les partis en machines électorales sans projet ni vision. Ils en sont morts cérébralement, tant il est devenu évident qu’un individu seul, ne paraît plus aujourd’hui en situation de représenter la pluralité citoyenne.</p>
<h2>Sauver la démocratie</h2>
<p>Il y a donc un préalable à toute régénération des institutions, sans qu’il soit besoin de recourir à une amphigourique VI<sup>e</sup> République : redonner souplesse, liberté de mouvement, représentativité, aux différents rouages de l’État. Seul un acte symbolique fort, accompagné d’un programme de réformes, pourra marquer cette intention.</p>
<p>Il faut couper la corde qui étrangle le Parlement, et dissocier les élections législatives de la présidentielle (les élections législatives sont actuellement prévues pour les 12 et 19 juin 2022).</p>
<p>L’opportunité s’en offre aujourd’hui : le Président pourrait dissoudre l’Assemblée nationale à la fin de février, et organiser le premier tour des législatives en même temps que celui de la présidentielle. De la sorte, le second tour de la désignation de députés aurait lieu avant que l’on connaisse le nouveau président.</p>
<p>Il y aurait là un signe fort de la volonté de combler sans tarder le fossé entre le pays citoyen et le pays électif. L’affaire est urgente : dans une enquête d’Harris Interactive publiée par Challenges en décembre 2021, <a href="https://www.challenges.fr/politique/pourquoi-il-faut-sauver-la-democratie_792492">61 % des sondés</a> estiment que la démocratie est en danger. Si le sentiment de frustration des Français continue de croître, on court le risque d’une rupture totale de la confiance entre les gouvernés et les gouvernants. Puisque l’image monarchique reste prégnante, laissons le mot de la fin à Louis XIV, qui écrivait dans ses mémoires : « Pour venir à bout des choses, le premier pas est de le croire possible. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174980/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De 2002 à 2022, le système politique n’a pas cherché à sortir d’un schéma où le président concentre les pouvoirs au détriment d’une volonté de rupture clairement affichée par l’électorat.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1713152021-11-09T22:37:51Z2021-11-09T22:37:51ZBonnes feuilles : « La République raciale, une histoire. 1860-1940 »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/430997/original/file-20211109-15-yf4vf1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C1154%2C949&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une carte de 1851 représente les « 5 races» de l'humanité d'après Blumenbach (1779). In zehn Abtheilungen. F. A. Brockhaus, Leipzig 1849–1851.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/75/Mankind1ma6.jpg">Henry Winkles; Johann Georg Heck/Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p><em>Les notions de race et les débats qu’elle suscite doivent être compris sur le temps long, en particulier au XIX<sup>e</sup> siècle. Issue des sciences naturelles, la race a été au cœur d’une nouvelle science, l’anthropologie, qui s’est inscrite dans l’idéologie et dans les réseaux de la III<sup>e</sup> République, et qui a nourri les imaginaires et justifié la rhétorique comme les pratiques républicaines, notamment coloniales. L’historienne Carole Renaud-Paligot publie <a href="https://www.librest.com/livres/la-republique-raciale--une-histoire-1860-1940-carole-reynaud-paligot_0-7550849_9782130833178.html">« La République raciale, une histoire. 1860-1940 »</a> aux éditions PUF. Extraits choisis.</em></p>
<hr>
<p>Parce que la « race » a envahi l’espace public suscitant anachronismes et <a href="https://www.franceculture.fr/societe/la-race-sans-les-racistes-grosse-polemique-mais-boite-a-outils-ancienne">polémiques</a>, il apparaît plus urgent que jamais d’en faire l’histoire afin de sortir des enjeux mémoriels.</p>
<p>La race n’a pas une histoire mais des histoires qui ne prennent sens que dans des contextes spécifiques, à des moments spécifiques de l’histoire des sociétés. La notion est si polysémique qu’elle impose une historicisation rigoureuse, qu’elle nécessite l’immersion dans un large corpus et qu’elle oblige à cerner au plus près les définitions qu’on lui a alors données. Cette étude se centre sur un épisode, celui du temps où la race existait, lorsqu’elle est devenue une notion scientifique définie et utilisée par des savants pour lire la diversité humaine, une notion placée au centre d’une nouvelle science, l’anthropologie, qui a pour objectif l’« étude scientifique des races humaines ».</p>
<p>[Cette] notion scientifique et les débats qu’elle a suscités [s’insère] dans un domaine déjà bien investi durant ces dernières décennies, et nous tenterons de rendre à chacun son apport, mais il aborde aussi l’histoire sociale d’une communauté scientifique, de ses institutions, de ses acteurs. Cependant, nous n’avons pas ici à faire à une notion qui aurait vécu son temps de gloire durant quelques décennies avant de disparaître de la science, balayée par de nouvelles découvertes scientifiques.</p>
<h2>De lourdes conséquences éthiques</h2>
<p>Très tôt, la race circule au sein d’autres champs intellectuels, elle fait l’objet d’appropriations, d’usages scientifiques et politiques aux lourdes conséquences éthiques. Sa circulation au sein d’autres champs savants nous révèle sa capacité à répondre à des enjeux scientifiques et politiques qui dépassent de loin son objectif initial, celui d’ordonner et de classer la diversité humaine. Sa pénétration dans une pluralité d’espaces intellectuels et sa diffusion dans l’espace public attestent de l’existence d’une véritable culture raciale qui a imprégné la société française de la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle et du premier XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Cette histoire est aussi l’histoire de la réception d’une notion dans d’autres espaces savants mais aussi politiques. C’est donc aussi une histoire républicaine, l’histoire de la III<sup>e</sup> République et de ses combats, parce que cette science s’est inscrite dans l’idéologie et dans les réseaux républicains, parce qu’elle a nourri les imaginaires et justifié la rhétorique comme les pratiques républicaines.</p>
<h2>Multiplicité des usages politiques</h2>
<p>La race s’est inscrite dans la république sans pour autant s’y réduire. En effet, le changement d’échelle et la sortie du cadre hexagonal ont montré que le paradigme racial n’a pas été exclusivement républicain. Mon ouvrage précédent, <a href="https://www.puf.com/content/De_lidentit%C3%A9_nationale"><em>De l’identité nationale. Science, race et politique</em></a> (PUF 2011) a révèlé la construction transnationale de cette science et la multiplicité de ses usages politiques. C’est bien cette capacité à répondre aux différents enjeux politiques qui lui a assuré un succès dans des États aussi divers que la France laïque et républicaine, les monarchies constitutionnelles, la Russie tsariste puis communiste ou encore la Turquie kémaliste.</p>
<p>Dans un contexte marqué par les fortes rivalités entre nations, l’anthropologie raciale a su contribuer à la grande quête des origines et à l’affirmation des identités nationales qui traversaient alors les sociétés européennes, des vieilles aux jeunes nations, des empires multiculturels aux nationalités en éveil. La science des races a prospéré au sein de la plupart des nations et de leurs extensions coloniales […] en l’occurrence sa capacité à justifier des pratiques ségrégationnistes dans le <a href="http://www.champ-vallon.com/carole-reynaud-paligod-lecole-aux-colonies/">domaine scolaire</a>, infléchissant durablement les ambitions de la mission civilisatrice.</p>
<h2>Le temps de la classification et à la domination</h2>
<p>Lorsque la race naît comme catégorie servant à appréhender la diversité humaine, le temps est alors à la classification. Aux XVII<sup>e</sup> et XVIIII<sup>e</sup> siècles, les savants ambitionnent d’ordonner le monde, les espèces végétales sont répertoriées, identifiées, nommées. Les végétaux, les animaux puis très vite l’homme sont l’objet de cette large entreprise classificatoire. Mais le temps est aussi à la domination. Un vaste mouvement de colonisation s’est engagé à la fin du XV<sup>e</sup> siècle, impliquant des nations européennes et mettant en œuvre un système, l’esclavagisme, qui s’empare d’êtres humains pour les déporter et les faire travailler dans une unité économique, celle de la plantation. Dès lors, durant ces siècles d’exploitation extrême, des représentations dépréciatives éclipsent peu à peu les autres et s’installent durablement, des représentations qui justifient l’injustifiable : en animalisant et en infériorisant certaines populations, elles contribuent à apaiser les consciences de ceux qui agissent sans respecter l’éthique chrétienne mais aussi de ceux qui se taisent. […]</p>
<p>Lorsque la notion de race humaine fait son apparition dans le champ naturaliste, elle circule aussitôt dans d’autres espaces intellectuels et fait l’objet d’appropriation par des historiens, des philosophes, des écrivains, des publicistes. La race devient alors un outil pour décrire la diversité humaine, pour expliquer les spécificités sociales et culturelles des nations, pour justifier la suprématie de certaines d’entre elles. Dès les années 1820-1830, elle fait l’objet d’un double usage politique : un usage interne et social, la bourgeoise revendique des origines gauloises pour mieux s’opposer à la noblesse qui affirme des origines germanique, puis très vite un usage externe nationaliste, dans un contexte de rivalités entre les nations impériales, les origines raciales commencent à être brandies pour assurer leur suprématie […].</p>
<h2>La « science des races »</h2>
<p>Mais ce temps est aussi celui de l’essor des sciences et de leur institutionnalisation. Autour de Paul Boca, se constitue la nouvelle « science des races », une science avantgardiste, qui crée des outils de mensurations afin d’engager une anthropométrie rigoureuse et une utilisation statistique des mesures des corps. Dans un contexte où la domination coloniale perpétue la dévalorisation des cultures dominées, l’entreprise classificatoire tourne à la hiérarchisation. Darwinisme social et spencérisme rencontrent un large écho dans la société française y compris dans ses franges républicaines. La compétition entre les races, le principe de la sélection naturelle renforcent les visions hiérarchisantes et inégalitaires.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/431001/original/file-20211109-15-yyrwoi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/431001/original/file-20211109-15-yyrwoi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/431001/original/file-20211109-15-yyrwoi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=798&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/431001/original/file-20211109-15-yyrwoi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=798&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/431001/original/file-20211109-15-yyrwoi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=798&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/431001/original/file-20211109-15-yyrwoi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1003&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/431001/original/file-20211109-15-yyrwoi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1003&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/431001/original/file-20211109-15-yyrwoi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1003&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’anthropologue Paul Broca a postulé une relation entre l’anatomie du crâne et l’intelligence. Il a entrepris de comparer les capacités crâniennes des peuples dits primitifs, supposés inférieurs en intelligence, et celles des peuples réputés supérieurs.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Broca#/media/Fichier:Paul_Broca.jpg">Wellcome Library/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les anthropologistes publient des ouvrages, créent des collections, vulgarisent leur science et prennent ainsi place au sein du paysage intellectuel français. Ils forment une communauté disciplinaire, un groupe social spécifique, dont les origines sociales, les formations, les carrières sont relativement homogènes ; en se référant aux mêmes valeurs, aux mêmes théories, aux mêmes techniques, ils donnent naissance à un paradigme scientifique qui fait autorité à l’époque.</p>
<p>Le paradigme racial se construit en parfaite cohérence avec l’idéologie républicaine des débuts de la III<sup>e</sup> République. La reconstitution des itinéraires scientifiques et politiques de ces hommes de science atteste de leur inscription dans les réseaux politiques de la III<sup>e</sup> République et met au jour les soutiens que ces liens ont permis. Ce paradigme racial républicain distille ses maximes au sein de la société française fin de siècle, des revues de vulgarisations scientifiques jusqu’aux manuels scolaires.</p>
<h2>Le « chaînon manquant »</h2>
<p>Si l’institutionnalisation de cette science a été rapide, c’est parce que la science des races a su répondre aux enjeux scientifiques et politiques de son époque. La notion de race humaine a ainsi participé aux débats scientifiques sur les origines de l’homme dans une France en voie de sécularisation : science et politique ont pleinement participé au grand combat de laïcisation de la société française. Les « races inférieures » sont devenues le « chaînon manquant » qui a conforté les théories transformistes et évolutionnistes remettant en question les origines divines de l’homme mais aussi la place de la religion chrétienne dans la société française. En cette fin de siècle, le temps est aussi à la rivalité entre les nations. La suprématie de la France est remise en cause par les deux autres sociétés impériales rivales, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. La question des origines des nations vient conforter les orgueils nationaux et le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2019/08/A/60144">roman national</a> intègre les apports de l’anthropolgie raciale. Les Français du XIX<sup>e</sup> siècle sont bien les descendants des valeureux et brillants Gaulois. L’anthropologie participe aux côtés de l’histoire et de la philosophie à l’éthnogénèse (formation d’un peuple) de la nation française.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/bKQECat59_E?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Relecture de « race et histoire » de Lévi-Strauss, par Pierre Bourdieu.</span></figcaption>
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<p>La raciologie fin de siècle n’a pas seulement contribué à l’entreprise classificatoire. En attribuant aux races des caractéristiques physiques mais aussi intellectuelles, psychologiques, morales, elle a nourri une psychologie des peuples hiérarchisantes et essentialisantes dont le succès s’avérera durable.</p>
<p>Cependant, le champ scientifique est en pleine mutation à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. L’autonomisation de certaines disciplines, l’émergence des « sciences sociales » donnent naissance à de nouvelles exigences scientifiques.</p>
<p>La psychologie des peuples prospère plus que jamais sur les bancs de l’université, attribuant aux populations des caractéristiques psychologiques et intellectuelles guère nouvelles, tout en traduisant les nouveaux enjeux géopolitiques des années 1930, en l’occurrence la menace que constitue le « réveil » des peuples de couleur.</p>
<p>La psychologie raciale trouve également un terrain propice au sein du monde colonial, elle est censée éclairer les politiques coloniales tout comme les politiques de l’immigration en prétendant identifier les immigrés désirés et indésirables sur le territoire métropolitain (chapitre 15).</p>
<hr>
<p><em>L’historienne Carole Renaud-Paligot publie <a href="https://www.librest.com/livres/la-republique-raciale--une-histoire-1860-1940-carole-reynaud-paligot_0-7550849_9782130833178.html">« La République raciale, une histoire. 1860-1940 »</a> aux éditions PUF.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171315/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carole Reynaud-Paligot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La race n’a pas une histoire mais des histoires qui ne prennent sens que dans des contextes spécifiques, à des moments spécifiques de l’histoire des sociétés. Bonnes feuilles.Carole Reynaud-Paligot, Historienne, Maison des Sciences de l'Homme-Paris-Nord, Paris 1, Université de Franche-Comté – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1692132021-10-10T16:44:17Z2021-10-10T16:44:17ZÉric Zemmour : une histoire française<p>Pour Éric Zemmour, qui vient d'annoncer sa candidature à l'élection présidentielle après avoir occupé l’actualité médiatique depuis des semaines, la France est menacée par le « séparatisme civilisationnel ». Ce terme (séparatisme) n’est sans doute pas le fruit du hasard : se souvient-on qu’il fut utilisé pour <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/separatisme-de-lanti-france-chez-les-soviets-a-lislam-en-passant-par-la-negritude">parler des luttes décoloniales</a>, notamment celle des Algériens et, bien avant, dans l’Antiquité, qu’il était l’expression d’un reproche classique fait aux Juifs (certains auteurs considèrent qu’il est au <a href="https://www.maisondulivre.com/livre/9782204069236-judeophobie-attitudes-a-l-egard-des-juifs-dans-le-monde-antique-peter-schafer/">fondement de la judéophobie</a> ?</p>
<p>Notre mode de vie, nos « valeurs » seraient menacés par la montée en puissance de l’islam, à tel point que le « Grand remplacement », dans un horizon annoncé comme trop proche pour ne pas s’en inquiéter, ne manquera pas de se produire. Devant ce supposé danger, il conviendrait de mettre en avant les vertus de l’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/11/integration-ou-assimilation-une-histoire-de-nuances_5029629_3232.html">assimilation</a>.</p>
<p>Ce faisant, Éric Zemmour ne fait qu’actualiser ce qui a longtemps été la doctrine de la République, doctrine dont seul le « camp national » défendrait l’héritage, tout en se gaussant de <a href="https://www.generation-zemmour.fr/2021/07/12/les-valeurs-de-la-republique-une-escroquerie-intellectuelle/">ses valeurs</a>. En effet, ces dernières exprimeraient une « vision post-moderne de l’Homme ». Passons sur l’absence de définition du <a href="https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1991_num_89_81_6673">concept de post-modernité</a>, et traduisons : désirer l’égalité et la fraternité, ce serait œuvrer pour « l’indifférenciation des peuples et des individus, la négation de leur histoire et leur disparition en tant qu’entités civilisationnelles et politiques ».</p>
<p>Mais alors si l’indifférenciation est un mal, comment vouloir l’assimilation, laquelle a pour ultime objectif d’indifférencier ? Comprenne qui pourra.</p>
<p>En réalité, Zemmour accepte les différences dès l’instant où ceux qui les incarnent sont placés dans un statut de subordination : selon lui, la grandeur de la France ne réside-t-elle pas dans sa mission civilisatrice, c’est-à-dire dans l’éducation, par la colonisation, des <a href="https://www.acrimed.org/Eric-Zemmour-rehabilite-les-races-avec-video">« races inférieures » ?</a>. Position indifférente aux horreurs du racisme colonial, considérées comme le prix à payer pour l’édification morale des indigènes.</p>
<h2>L’assimilation, une politique aux fondements raciaux</h2>
<p>Cette adhésion à l’assimilation ne doit pas surprendre si l’on se souvient qu’elle a été le nom servant à justifier une politique <a href="https://www.cairn.info/les-frontieres-de-l-identite-nationale--9782707169365-page-25.htm">aux fondements raciaux</a>. Politique qui s’exprime avec limpidité dans l’existence de privilèges pour les colons, faisant de ces derniers une sorte d’aristocratie, c’est-à-dire de race à part. D’ailleurs, ainsi que le <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/956">souligne l’historien américain Tyler Stovall</a>, les colons se désignaient plus volontiers comme Blancs ou Européens que comme Français :</p>
<blockquote>
<p>« C’est dans les colonies que les conceptions de l’idée nationale française se confondirent d’abord avec l’idée raciale de blancheur. »</p>
</blockquote>
<p>Mais revenons à Éric Zemmour et à ses thèmes de prédilection. L’adhésion à l’assimilationnisme implique, malgré l’apparent paradoxe, l’inassimilabilité de quelques-uns. Le polémiste ne rappelle-il pas régulièrement que <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/immigration-l-islam-n-est-pas-compatible-avec-la-france-selon-zemmour-7900076221">l’islam n’est pas compatible avec la République</a> ? À cet égard, il est significatif que l’obtention de la citoyenneté pour les femmes musulmanes d’Algérie, en 1958, ait été liée, lors de cérémonies d’inauguration, au retrait de leur voile : comment mieux exprimer l’idée qu’il fallait alors cesser d’être musulmane pour devenir française ?</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MvUxXVM2JAw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Archives de l’INA, YouTube.</span></figcaption>
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<p>C’est clairement l’avis du polémiste. Mais, même s’il envisage une <a href="https://www.valeursactuelles.com/societe/video-eric-zemmour-pour-la-remigration-car-lidentite-de-la-france-est-en-danger/">remigration</a> (de qui, exactement ?), il dit ne nourrir aucune hostilité envers les musulmans que seuls des esprits étroits confondraient avec l’islam.</p>
<p>Mais que serait un homophobe qui n’éprouverait aucune méfiance envers les homosexuels ? À travers le cas d’Éric Zemmour, nous comprenons que l’idée ancienne d’une nation française définie en termes raciaux influence durablement les débats contemporains. Et ce ne sont pas les appels incantatoires à <a href="https://aoc.media/opinion/2018/08/20/laicite-travestie-infortunes-de-lidentite/">l’universalisme</a> qui nous persuaderont du contraire.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelle-nation-francaise-pour-2022-167074">Quelle nation française pour 2022 ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>De quel universalisme parle-t-on ?</h2>
<p>Car, ce qui est proposé aux immigrés est de se plier aux traditions françaises, celles-ci étant supposées universelles par essence. L’universalisme alors n’est plus un humanisme ouvert à la diversité mais un « symbole de résistance du nationalisme français ». C’est bien ainsi que le <a href="https://www.cairn.info/la-fracture-coloniale--9782707149398-page-137.htm">décrit Achille Mbembe</a> dans l’ouvrage collectif de 2005, consacré à <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_fracture_coloniale-9782707149398"><em>La Fracture coloniale</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« A force de tenir pendant si longtemps le “modèle républicain” pour le véhicule achevé de l’inclusion et de l’émergence à l’individualité, l’on a fini par faire de la République une institution imaginaire et à en sous-estimer les capacités originaires de brutalité, de discrimination et d’exclusion. »</p>
</blockquote>
<p>Le jugement peut paraître sévère, mais l’histoire française, bien avant d’ailleurs l’instauration de la République, témoigne de cette connotation racialiste. L’universalisme se fourvoie, jusqu’à se vider de sa substance, lorsqu’il fait de l’identité nationale la boussole du combat républicain.</p>
<p>En réalité, le modèle assimilationniste est lié à une conception dévoyée de l’universalisme, qu’il est commun de désigner, avec Michael Walzer, <a href="https://esprit.presse.fr/article/walzer-michael/les-deux-universalismes-11772">comme »de surplomb »</a>. Le philosophe américain attire l’attention sur le caractère incertain, quant à ses effets, d’un universalisme, celui du judaïsme des temps prophétiques, qui se proposerait de servir de lumière pour les nations.</p>
<p>Uniformément éclairées, certes, mais « la lumière étant faible et les nations récalcitrantes », il se peut que l’œuvre civilisatrice prenne beaucoup de temps, voire un temps infini. Les fondements mêmes du colonialisme et les raisons de son refus sont énoncés avec une impressionnante sobriété par le philosophe américain :</p>
<blockquote>
<p>« Les serviteurs de Dieu se tiennent au centre de l’histoire […], tandis que les histoires des autres sont autant de chroniques de l’ignorance et de conflits dépourvus de sens. »</p>
</blockquote>
<h2>Une haine de l’universel</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/425048/original/file-20211006-27-h0tmxm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425048/original/file-20211006-27-h0tmxm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=790&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425048/original/file-20211006-27-h0tmxm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=790&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425048/original/file-20211006-27-h0tmxm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=790&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425048/original/file-20211006-27-h0tmxm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=992&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425048/original/file-20211006-27-h0tmxm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=992&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425048/original/file-20211006-27-h0tmxm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=992&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Joseph de Maistre (1753-1821), homme politique. Peinture de Karl Vogel von Vogelstein, vers 1810.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_de_Maistre#/media/Fichier:Jmaistre.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il n’est pas sans signification de noter que la position de surplomb peut se vêtir d’autres habits, notamment ceux de <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/comment-peut-on-etre-cosmopolite">l’anti-cosmopolitisme</a>, lequel vilipende utopistes invétérés et belles âmes aveuglées. N’est-ce pas exactement sur ce registre que se situe Éric Zemmour ?</p>
<p>Si bien qu’il est permis de faire l’hypothèse que derrière ce faux universalisme se dissimule en réalité une haine de l’universel qui puise ses racines dans la pensée contre-révolutionnaire telle que l’exemplifie la fameuse phrase de Joseph de Maistre dans ses <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Livre:Maistre_%E2%80%93_Consid%C3%A9rations_sur_la_France_(Ed._1829).pdf"><em>Considérations sur la France</em> (1796)</a>) :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai vu dans ma vie des Français, des Italiens, des Russes, etc. ; je sais même, grâce à Montesquieu, qu’on peut être Persan, mais quant à l’homme je déclare ne l’avoir jamais rencontré de ma vie. »</p>
</blockquote>
<p>De la même façon, Zemmour décrit un monde fragmenté au sein duquel doit prévaloir l’obsession de la pureté, c’est-à-dire la haine du mélange, <a href="https://livre.fnac.com/a209544/Henry-Mechoulan-Le-Sang-de-l-autre-ou-l-Honneur-de-Dieu">l’angoisse d’indistinction</a>. Il y a trois ans environ, nous écrivions <a href="https://theconversation.com/eric-zemmour-un-symptome-107288">ici même</a>, à propos de sa place dans l’espace public, qu’il nous fallait résister à la « sémantique du crépuscule », celle que décrit Orwell dans 1984, instrument d’assujettissement des individus par l’intermédiaire d’un langage appauvri et manichéen. Peut-être est-il encore temps ?</p>
<hr>
<p><em>L’auteur publie <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/luniversalisme-en-proces/">« L’universalisme en procès »</a>, Le Bord de l’eau, 5 novembre 2021.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169213/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Policar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur le concept d’universalisme, un terme invoqué par de nombreux candidats ou polémistes, souvent vidé de son sens pour servir une idéologie opposée.Alain Policar, Chercheur associé en science politique (Cevipof), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1674102021-10-06T17:06:25Z2021-10-06T17:06:25Z« Moi, président·e » : Règle n°2, hyper-président·e tout le temps<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/422101/original/file-20210920-27-dmpro2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6000%2C3997&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un manifestant portant un masque d'Emmanuel Macron grimé en Jules César </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock/Gerard Bottino</span></span></figcaption></figure><p><em><strong>« Moi, président·e »</strong>, le podcast qui vous donne les clés de l’Élysée.</em></p>
<hr>
<iframe frameborder="0" width="100%" height="110px" style="overflow:hidden;" src="https://podcasts.ouest-france.fr/share/player_of/mode=broadcast&id=12775">Wikiradio Saooti</iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-610" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/610/72c170d08decb232b562838500852df6833297ca/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-ecouter-les-podcasts-de-the-conversation-157070">Comment écouter les podcasts de The Conversation ?</a>
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<p><em>Au micro de Clea Chakraverty et de Fabrice Rousselot, les chercheurs de The Conversation France vous font entrer dans les coulisses de la campagne présidentielle et vous dévoilent les secrets qui permettent de décrocher la fonction suprême.</em></p>
<p>Dans ce second épisode, il est question du pouvoir dans toute sa verticalité. Si la V<sup>e</sup> République est un régime parlementaire d’un point de vue juridique, le Président dispose d’un grande latitude dans ses prises décisions. Ainsi, bien souvent le Premier Ministre est choisi pour sa capacité à s’effacer au profit du chef de l’État. Dès lors, il est tentant pour le candidat fraîchement élu de prendre les décisions seul, loin de l’idéal démocratique. Une notion a même vu le jour pour illustrer ce phénomène : l’hyper-président.</p>
<p>Dans cet épisode, Delphine Dulong, professeure de sciences politiques (Paris 1 – CESSP), analyse ce phénomène de l’hyperprésidence et son impact en termes de gouvernance. Jusqu’à quel point peut-on incarner le pouvoir ?</p>
<p><strong>À écouter aussi</strong></p>
<p><a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-1-la-jouer-people-167197">Règle n°1 - La jouer people</a><br></p>
<p><a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-3-manier-la-rhetorique-168287">Règle n°3 - Manier la rhétorique</a><br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-4-se-plier-aux-rituels-168298">Règle n°4 - Se plier aux rituels</a><br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-5-surfer-sur-la-crise-170725">Règle n°5 - Surfer sur la crise </a><br>
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-6-depasser-les-clivages-170598">Règle n°6 - Dépasser les clivages</a><br> </p>
<p><strong>Références</strong></p>
<p><a href="https://www.decitre.fr/livres/premier-ministre-9782271137913.html"><em>Premier ministre un rôle politique intenable</em></a>, D. Dulong, édition Decitre (2021)</p>
<hr>
<p><em>Crédits, Animation et conception, Fabrice Rousselot. Réalisation, Romain Pollet. Chargé de production, Rayane Meguenni. Crédits musique : « La Marseillaise », Oberkampf (1983). Photo d’illustration, Jean-Claude Coutausse. Archives, BFM, INA.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167410/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Pour prendre et garder le pouvoir, faut-il privilégier la verticalité ? Pour l’hyper-président, la question ne se pose pas. Pour autant, est-ce une bonne stratégie ?Delphine Dulong, Professeure en science politique, CESSP, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneFabrice Rousselot, Directeur de la rédaction, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1670742021-09-08T08:58:14Z2021-09-08T08:58:14ZQuelle nation française pour 2022 ?<p>Au moment où la France entre dans une campagne présidentielle complexifiée par les enjeux de la crise sanitaire, les recours à l’idée de « refaire nation », de promouvoir les « valeurs » de la nation, sous-entendu de la République française, semblent devenus incontournables dans les discours des candidats à l’Élysée, quel que soit leur bord politique. Mais que recouvre <a href="https://www.belin-editeur.com/la-nation-en-recit">ce terme</a> ? Et que dit-il plus particulièrement de la nation française et de notre rapport à cette dernière ?</p>
<p>Au sens moderne, la nation est liée de façon quasi indissociable à l’existence d’un État comme l’illustre le terme courant <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/Nations-et-nationalisme-depuis-1780">d’État-nation</a>. Ce modèle d’État-nation <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_imaginaire_national-9782707150073">s’est diffusé</a> depuis l’Europe dans le monde <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-creation-des-identites-nationales-anne-marie-thiesse/9782020342476">depuis la fin du XVIIIᵉ siècle</a>. La nation s’est ainsi trouvée définie comme un territoire limité par des frontières et composé d’une population administrée par les mêmes lois et un même gouvernement.</p>
<p>Dans ce cadre, la nationalité a été l’outil juridico-politique de cette nationalisation des sociétés en faisant de chaque individu vivant sur le territoire un membre appartenant soit au groupe des nationaux, soit à celui de non-nationaux avec la perspective d’obtenir sa nationalité selon certains critères, ou au contraire de se la voir <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/Qu-est-ce-qu-un-Francais">retirer</a>.</p>
<p>Environ 15 000 personnes dont 7 000 juifs ont ainsi été dénaturalisés par l’administration de Vichy entre 1940 et 1944. La création de la Société des Nations (SDN) après la Première Guerre mondiale, puis celle de l’Organisation des Nations unies (ONU) au sortir de la Seconde Guerre mondiale en 1945 sont venues renforcer et consacrer cette définition de la nation dans des règles internationales au cours du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Un groupe humain partageant la même culture</h2>
<p>Pour autant, deux autres sens du mot nation se juxtaposent à cette première acception. D’abord un sens beaucoup plus ancien que l’on trouve dans l’Antiquité définissait la nation – étymologiquement de <em>natio</em>/<em>nascor</em> = naître – comme un groupe humain partageant la même origine par un ancêtre commun. L’Ancien Testament témoigne de ce sens initial avec la <em>natio</em> qui est le peuple juif élu de dieu et les <em>nationes</em> qui désignent les peuples païens. Chez les Romains, Cicéron l’associe à des peuples, sans aucun lien avec des États. Le sens du mot s’élargit quelque peu au Moyen-âge ou l’on peut évoquer la présence d’étudiants et de maîtres de plusieurs « nations » au sein des Universités européennes, appellation qui recouvrait en fait des <a href="https://books.openedition.org/psorbonne/21738">regroupements par des origines géographiques et linguistiques</a> (exemple des quatre nations anglaise, française, picarde, normande à la Faculté des arts de Paris).</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/418852/original/file-20210901-23-1ns92pw.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418852/original/file-20210901-23-1ns92pw.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418852/original/file-20210901-23-1ns92pw.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418852/original/file-20210901-23-1ns92pw.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418852/original/file-20210901-23-1ns92pw.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418852/original/file-20210901-23-1ns92pw.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418852/original/file-20210901-23-1ns92pw.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418852/original/file-20210901-23-1ns92pw.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Registre des conclusions de la nation de Picardie, 1476-1483.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.bis-sorbonne.fr/bius/category/sujet/exposition-d%C3%A9cembre-2015-f%C3%A9vrier-2016">Sorbonne</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une troisième définition survient avec les révolutions américaine et française de la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle où la nation devient synonyme de « Peuple » dans un sens politique. La nation existe par la souveraineté détenue par le Peuple et non par un monarque. C’est le sens de l’acte novateur et irréversible des députés du tiers état qui se déclarent « assemblée nationale » le 17 juin 1789, contestant de fait au roi Louis XVI de représenter à lui seul la nation française.</p>
<p>Ce nouveau sens rapproche alors la nation de la notion de démocratie puisqu’il est question d’un groupe humain qui représente la nation par le fait de posséder une parcelle du pouvoir politique pour gouverner une population, ou par le fait de déléguer ce pouvoir à d’autres personnes de ce même groupe humain, les élus (démocratie représentative).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/418666/original/file-20210831-19-1qm2fkd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418666/original/file-20210831-19-1qm2fkd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418666/original/file-20210831-19-1qm2fkd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418666/original/file-20210831-19-1qm2fkd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418666/original/file-20210831-19-1qm2fkd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=438&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418666/original/file-20210831-19-1qm2fkd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418666/original/file-20210831-19-1qm2fkd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418666/original/file-20210831-19-1qm2fkd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=551&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Gravure : Assemblée nationale, époque du 4 février 1790.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Assembl%C3%A9e_constituante_de_1789#/media/Fichier:Gravure_Assembl%C3%A9e_nationale,_%C3%A9poque_du_4_f%C3%A9vrier_1790_1_-_Archives_Nationales_-_AE-II-3878.jpg">Archives nationales/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette acception démocratique de la nation a immédiatement donné lieu à des <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/La-Democratie-inachevee">débats</a> - et jusqu’à aujourd’hui – afin de savoir quels individus étaient légitimes pour gouverner au nom de la nation ou choisir ses élus de la nation : les plus riches uniquement (suffrage censitaire) ? Les hommes (suffrage masculin) ? Les nationaux seulement (voir les débats sur le vote des étrangers aux élections locales) ?</p>
<p>Dans cette acception, la question est ainsi posée depuis 1789 en France : qui incarne la nation ? Les délégués du peuple qui ont été élus, et, suivant la constitution de 1958, d’abord et avant tout le président de la République, ou le peuple lui-même ?</p>
<h2>Une évolution depuis le XIXᵉ siècle</h2>
<p>Depuis le XIX<sup>e</sup> siècle, l’idée de nation n’a cessé d’évoluer en entremêlant ces trois sens :</p>
<ul>
<li><p>étatique, soulevant la question des frontières et la conformité d’un espace politique avec le groupe humain national (droit des peuples à former une nation, sort réservé aux minorités nationales)</p></li>
<li><p>culturelle, soulevant la question de la construction d’un groupe humain homogène fondé sur des mêmes traditions culturelles et donc celle du sentiment d’appartenance nationale de ses membres</p></li>
<li><p>démocratique, avec la question de la représentation politique d’un groupe humain dénommé Peuple, et de la définition de ses contours (démocratie participative, inclusion des groupes minoritaires à la communauté politique).</p></li>
</ul>
<p>Loin de s’ignorer, ces trois acceptions de la nation se sont le plus souvent entremêlées. Le projet des États-nations européens a été d’affirmer des frontières (l’Alsace-Lorraine pour l’unification de l’Allemagne en 1871), de produire des <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2004-1-page-76.htm">cartes nationales d’identité</a> (la première en 1921 pour la France) mais également une <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/linvention-de-la-tradition">culture commune homogène</a> à travers le partage par des individus d’une religion, d’une langue, mais aussi de rituels, de symboles (hymnes, drapeaux), d’allégories (Marianne en France), de contes, de mythes, de musiques, de danses, de cuisines (invention des « plats nationaux ») etc.</p>
<h2>« plébiscite de tous les jours »</h2>
<p>Dans sa conférence <a href="http://www.iheal.univ-paris3.fr/sites/www.iheal.univ-paris3.fr/files/Renan_-_Qu_est-ce_qu_une_Nation.pdf">« Qu’est-ce qu’une nation ? »</a> donnée en 1882 à la Sorbonne, Ernest Renan cherche à dissocier la conception culturelle allemande de la nation donnant une place éminente à la langue, de celle de la France qu’il voit au contraire comme éminemment politique. Dans l’héritage de la Révolution française, la nation se définit pour lui par un contrat entre citoyens manifestant leur volonté de vivre ensemble (« plébiscite de tous les jours »).</p>
<p>Mais Renan ajoute que la nation existe également par « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs » qui doit inculquer chez chacun un sentiment national, soit un attachement autant qu’une appartenance à cette nation.</p>
<p>Par la <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-esprit-de-la-cite/La-nation-la-religion-l-avenir">transmission du passé historique</a>, la nation revêt chez Renan aussi une dimension culturelle. Ces processus de nationalisation administrative, politique et culturelle des populations par les États, qui ont constitué une fabrique massive de « nationaux » depuis deux siècles, ont régulièrement engendré du nationalisme.</p>
<h2>Absolutiser la nation comme objet totem supérieur</h2>
<p>Il existe en effet dans le fait national une tentation du pouvoir, comme des individus, celle d’absolutiser la nation comme objet totem supérieur dont on est soi-même membre élu, et d’identifier d’autres groupes – internes ou externes au territoire – comme fondamentalement allogènes et inférieurs, menaçant la perpétuation du « nous-national ». Charles Maurras aura été en France <a href="https://www.cairn.info/le-XXe-si%C3%A8cle-ideologique-et-politique--9782262042370-page-233.htm">l’un des chantres de ce nationalisme</a> dans la première moitié du XX<sup>e</sup> siècle en développant une théorie sur des groupes qu’il considérait comme des étrangers internes inassimilables et dangereux pour la nation française (protestants, juifs, franc-maçons, « métèques »).</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/418857/original/file-20210901-27-1gl1fjl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418857/original/file-20210901-27-1gl1fjl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418857/original/file-20210901-27-1gl1fjl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418857/original/file-20210901-27-1gl1fjl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418857/original/file-20210901-27-1gl1fjl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418857/original/file-20210901-27-1gl1fjl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418857/original/file-20210901-27-1gl1fjl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418857/original/file-20210901-27-1gl1fjl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Charles Maurras, portrait photographique par Frédéric Boissonnas, 1925.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Maurras#/media/Fichier:Charles_Maurras_-_photo_Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Boissonnas.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La nation connaît des usages politiques variés qui vont donner priorité à tel ou tel sens selon les périodes. Lourdement discréditée par les deux guerres mondiales, marginalisée par le projet européen, rejeté par le mouvement de Mai 68 et les mouvements régionalistes, l <a href="https://www.belin-editeur.com/la-nation-en-recit">a question nationale refait son apparition</a> dans les années 1980 au gré du déclin du projet internationaliste communiste et d’une accélération de la mondialisation économique.</p>
<p>Mais de quelle nation s’agit-il alors ? Très éloignée du contrat politique pensé par Renan, la question de la nation revient par son acception culturelle, captée par l’extrême droite qui fait irruption dans les élections avec le parti du Front national sur le thème de l’immigration brandie comme une menace pour la nation française.</p>
<h2>Un enjeu électoral</h2>
<p>Comme l’a montré <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/capital-et-ideologie-thomas-piketty/9782021338041">l’économiste Thomas Piketty</a>, les élections se jouent désormais dans les classes populaires sur la défense des identités culturelles – non plus seulement sur la défense des acquis sociaux – qui ont comme référent la nation, face à ce qui viendrait la/les menacer : immigrés, musulmans, Europe, mondialisation. La nation devient enjeu électoral.</p>
<p>Lors de la campagne présidentielle de 2007, la défense de l’identité nationale structure de façon très efficace le discours du candidat Sarkozy autour de la fierté de l’histoire nationale et de la <a href="https://www.challenges.fr/monde/memoire-repentance-quatre-presidents-quatre-postures_255175">condamnation de la « repentance »</a> (nom péjoratif donné aux politiques de reconnaissance de crimes français menées en particulier par Jacques Chirac depuis 1995 avec le discours du Vel’ d’Hiv’) présentée comme une haine de la France. Elle est reprise par François Fillon dans son projet de <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/fillon-veut-porter-un-projet-de-redressement-national_1224174.html">« redressement national »</a> pour la campagne des élections présidentielles de 2017, ou très récemment par le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/04/xavier-bertrand-l-heure-n-est-pas-a-la-deconstruction-de-l-histoire-mais-a-la-reconstruction-d-une-cohesion-nationale_6079003_3232.html">candidat Xavier Bertrand</a> pour celle de 2022 qui dénonce la « déconstruction » de l’histoire opérée par le président de la République Emmanuel Macron.</p>
<p>La mise en récit du passé national sous une forme binaire simpliste (glorification versus repentance) est devenue l’une des formes incontournables du discours politique à visée électorale. Dans la même acception culturelle, la nation est définie par l’éditorialiste Éric Zemmour comme une civilisation aux racines chrétiennes que la présence de musulmans sur le sol français viendrait aujourd’hui menacer. Cette interprétation de la nation constitue l’une des bases de son engagement, pour l’instant non déclaré, dans la campagne présidentielle de 2022.</p>
<h2>Dépasser le seul cadre de la droite ?</h2>
<p>La nation ne serait-elle que de droite ? Rien de plus faux historiquement qui a vu la gauche élaborer une pensée sur la nation depuis la Révolution française, puis avec notamment <a href="http://www.jaures.eu/syntheses/jaures-et-la-patrie/">Jean Jaurès</a> qui s’est efforcé d’articuler nation et internationalisme. Il y a bien aujourd’hui un travail de réflexion sur la participation citoyenne par le mouvement écologiste ou à travers les propositions d’une VI<sup>e</sup> République, mais la nation n’est que très rarement avancée dans ces <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2002-4-page-97.htm#no4">propositions issues de la gauche</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418858/original/file-20210901-17-1yecl8t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418858/original/file-20210901-17-1yecl8t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418858/original/file-20210901-17-1yecl8t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418858/original/file-20210901-17-1yecl8t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418858/original/file-20210901-17-1yecl8t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418858/original/file-20210901-17-1yecl8t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418858/original/file-20210901-17-1yecl8t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Discours de Jaurès au Pré-Saint-Gervais, lors de la manifestation contre la loi des Trois ans, 25 mai 1913.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Jaur%C3%A8s#/media/Fichier:Jean_Jaur%C3%A8s_1913.png">Wikimedia</a></span>
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<p>Ce qui prime reste le plus souvent le dépassement de la nation, soit dans le projet européen chez les socialistes, soit plus à gauche dans une internationale des solidarités ou dans <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/friction-9782359251791">le souci environnemental des résistances locales</a>.</p>
<p>La gauche a peine à répondre aux défis du monde contemporain des sociétés plurielles qui revendiquent des identités et des passés différenciés. Comme si la droite avait préempté la nation pensée exclusivement vers la défense des frontières culturelles d’un « nous-national » menacé et à laquelle des opinions attachées à un patrimoine culturel et à la peur du déclassement sont sensibles. La campagne présidentielle de 2022 prolongera-t-elle cette tendance lourde depuis 40 ans d’une droitisation du fait national, ou verra-t-elle le <a href="https://editions.flammarion.com/une-autre-voie-est-possible/9782081430150">retour d’une pensée de gauche sur la nation dans une acception démocratique renouvelée par une attention sociale et écologique</a> ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167074/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Ledoux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Qui incarne la nation ? Les délégués du peuple qui ont été élus, et, suivant la constitution de 1958, d’abord et avant tout le président de la République, ou le peuple lui-même ?Sébastien Ledoux, Historien, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1621942021-06-16T17:38:47Z2021-06-16T17:38:47ZLe préfet et la pandémie : comment le coronavirus révèle les transformations de l'État<p>Dans le Finistère, dans l’Aude, en Moselle, les débats autour de la levée du port obligatoire du masque – finalement annoncée pour le jeudi 17 juin par le premier ministre Jean Castex – mettent en lumière le rôle crucial des <a href="https://www.senat.fr/seances/s202103/s20210324/s20210324008.html">préfets</a> dans la gestion de la crise sanitaire. De fait, le préfet est en première ligne face à la pandémie de coronavirus, pour filer la métaphore employée par le Président de la République déclarant la guerre au virus. Sur tous les fronts, il a vu <a href="https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/269427-etat-durgence-et-autres-regimes-dexception-article-16-etat-de-siege">ses pouvoirs temporairement renforcés</a> par l’état d’urgence sanitaire, comme ils l’avaient été par l’état d’urgence sécuritaire en 2015-2018.</p>
<p>En effet, le préfet incarne l’État sur le territoire. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527579/">L’article 72 de la Constitution</a> en fait le représentant territorial du gouvernement. Il est chargé d’appliquer localement les politiques publiques définies au niveau national. Selon la plaisante formule d’Odilon Barrot, <a href="https://www.senat.fr/evenement/archives/D18/1851A.html">« c’est le même marteau qui frappe, mais on a raccourci le manche »</a>. Bras armé de l’État, il est amené à s’investir tout spécialement dans les priorités identifiées par le gouvernement.</p>
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<p>Selon l’article 72, il est notamment compétent pour faire prévaloir l’intérêt général national sur les intérêts publics locaux et pour assurer le respect de la loi par les collectivités territoriales (communes, départements, régions). Il a également des compétences importantes en matière de police et de gestion de crises. Tout cela justifie qu’il soit spécialement mobilisé durant cette pandémie.</p>
<p>Mais précisément parce qu’il l’incarne sur le territoire, la figure préfectorale témoigne aussi des évolutions qui ont marqué l’État depuis le Premier Empire : le préfet est en effet un <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Le-ministere/Histoire/Histoire-des-prefets">legs napoléonien</a>. Sans revenir sur l’évolution historique de la fonction préfectorale, il est possible de relever, tout au long de l’année 2021, deux des grands marqueurs de cette <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/277854-le-prefet-quel-nouveau-role-dans-lorganisation-administrative">mutation actuelle</a> : l’évolution des fonctions du préfet et celle de son statut. La première concerne les rapports de l’État avec la société, la seconde touche à l’organisation interne de l’État.</p>
<h2>De « l’empereur aux petits pieds » à un rôle de coordinateur</h2>
<p>À l’origine, le préfet constituait une autorité généraliste, compétente dans tous les domaines de l’action publique. Il était, selon la <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/le-testament-ventriloque-de-napoleon-moins-une-bible-quune-belle-histoire-pour-vendre-un-legs-et-un">formule de Las Cases</a>, un « empereur aux petits pieds », puisqu’il avait vocation à diriger tous les services de l’État dans le département, à l’image de l’empereur tenant dans sa main tous les nerfs de l’État central. Comme le dispose l’article 72 de la Constitution, il représentait dans un cadre départemental (ou régional pour les préfets de région créé en 1964) l’ensemble du gouvernement et chacun des ministres. Fonctionnaire d’autorité, il cumulait donc les fonctions de tous les ministères, à l’exception du ministère de la Justice (indépendance de la justice oblige), du ministère des Finances et du ministère de l’Éducation nationale, charge dévolue au recteur d’académie.</p>
<p>Cette logique n’a pas été complètement renversée. Mais la valorisation de la spécialisation conduit aujourd’hui à juger qu’une autorité généraliste ne peut être omnicompétente. Aussi les relais territoriaux du Gouvernement se sont eux-mêmes spécialisés et autonomisés par rapport au préfet. La crise du coronavirus a ainsi montré que l’État agissait essentiellement, en matière de santé, à travers les <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Covid-Agences-regionales-sante-accusations-justifiees-2021-01-18-1201135612">Agences régionales de santé (ARS)</a>. Le préfet n’intervient, lui, qu’en tant qu’autorité de police, pour réglementer le port du masque, <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/teletravail-lexecutif-pousse-les-prefets-a-mettre-les-entreprises-sous-pression-1300235">l’ouverture des commerces et des lieux d’accueil du public</a>, etc.</p>
<p>Aujourd’hui, les services préfectoraux ont surtout gardé une fonction transversale, interministérielle : <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2020-4-page-913.html">ils coordonnent l’action des différents services de l’État sur le territoire</a> (ARS, Chambre de commerce et d’industrie, ADEME, etc.). Une telle évolution est très révélatrice du nouveau rôle de l’État dans la société. Celui-ci ne cherche plus tant à définir l’intérêt général d’en haut et à l’imposer aux acteurs sociaux par le commandement juridique, selon la <a href="https://www.cairn.info/les-espaces-de-la-politique--9782200345273-page-158.htm">logique de la souveraineté propre à l’État moderne</a>. </p>
<p>De plus en plus, il se fait accompagnateur de la société, en se spécialisant et en créant des comités d’experts au champ de compétences précis, capables d’intervenir au plus près des réalités de terrain : le Conseil scientifique mis en place pour faire face à la pandémie en est un exemple significatif. Il n’impose plus un intérêt général transcendant, mais cherche à arbitrer entre les intérêts privés en présence, modifiant la liste des commerces essentiels au gré des revendications ou dérogeant aux principes posées pour favoriser certaines pratiques (le culte par exemple). La régulation remplace la réglementation. D’où le double sentiment, souvent évoqué, d’un État à la fois omniprésent et impuissant.</p>
<h2>La dépendance du préfet renforcée ?</h2>
<p>L’année 2021 aura aussi été révélatrice d’une mutation du statut du préfet, qui témoigne de la volonté de renforcer sa subordination personnelle au gouvernement. Une mesure, a priori anodine, en témoigne. La <a href="https://www.acteurspublics.fr/upload/media/default/0001/34/19f35801298eca709df96c2a56f96b276e47cba4.pdf">circulaire n° 6259/SG</a> du 19 avril 2021 prévoit d’établir, pour chaque préfet, une feuille de route interministérielle, qui lui fixera différents objectifs et qui servira de base à son évaluation.</p>
<p>Cette mesure révèle une tendance marquée dans le fonctionnement des administrations de l’État. Représentant du gouvernement, le préfet est doté de nombreux pouvoirs et d’une vraie autonomie pour les exercer ; mais, en même temps, la chaîne de commandement qui le relie au gouvernement est resserrée, afin que le fluide qui descend du sommet vers la base et anime tout l’État circule bien. Le préfet a toujours été dépendant du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions, puisqu’il met en œuvre ses politiques ; il l’est davantage maintenant dans son statut et sa carrière. Une telle tendance touche aussi <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F31255">d’autres responsables administratifs</a> (directeurs d’hôpital, présidents d’université, etc.).</p>
<p>L’introduction de cette feuille de route formalisée le montre bien. Certes, elle laisse carte blanche au préfet pour réaliser ses objectifs. Mais elle renforce aussi sa subordination au gouvernement, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/04/22/action-de-l-etat-les-prefets-seront-evalues-sur-leurs-resultats_6077640_823448.html">puisque la feuille de route servira à son évaluation</a>, déterminante pour sa rémunération et la progression de sa carrière. De tels mécanismes incitatifs doivent stimuler le zèle des agents. La logique managériale remplace ainsi la logique juridique. Alors que l’action du préfet était traditionnellement encadrée par le respect des règles de droit et par les contrôles juridiques qui assuraient ce respect, elle est à présent conditionnée par des objectifs chiffrés à atteindre et par l’évaluation de leur résultat. La pression de l’évaluation se substitue à l’obsession du formalisme juridique.</p>
<p>L’autonomie fonctionnelle du préfet se double donc d’une dépendance personnelle, qui se traduit notamment dans son statut. Le paradoxe n’est qu’apparent. Car sa subordination personnelle au gouvernement garantit son autonomie : comme le préfet dépend personnellement du gouvernement, ce dernier lui abandonne une certaine liberté dans l’exercice de ses fonctions, sûr qu’il les accomplira conformément aux vœux de sa chaîne hiérarchique. Sa dépendance statutaire permet de lui confier une autonomie renforcée, quoique contenue dans le cadre des directives gouvernementales et en vue de leur application.</p>
<p>Dans le même esprit, un projet d’ordonnance en cours de discussion envisage la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/05/07/apres-les-inspections-generales-le-corps-des-prefets-devrait-disparaitre_6079541_823448.html">suppression du corps préfectoral</a>. Une telle suppression permettrait au gouvernement de nommer au poste de préfet des non-professionnels : on parle de fonctionnalisation du préfet, puisque celui-ci deviendrait une fonction, exercée temporairement, et non plus un choix de carrière. L’effet de la mesure serait de placer les préfets en dépendance renforcée vis-à-vis du pouvoir central, dans la mesure où leur fonction et leurs perspectives de carrière seraient étroitement soumises à la volonté de l’équipe ministérielle en place.</p>
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<p>Certes, le statut des préfets les place déjà dans une situation de loyauté obligatoire vis-à-vis du gouvernement. Mais il leur assure aussi des garanties statutaires, la certitude de ne pas être limogés arbitrairement (seulement, dans le pire des cas, déplacés) et de se voir affectés sur un poste dans un délai raisonnable. Ces garanties disparaîtraient : les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/21/monsieur-le-president-macron-preservez-le-corps-prefectoral-pilier-de-la-republique_6080951_3232.html">préfets fonctionnalisés seraient entièrement dans la main du gouvernement</a> ; leur dépendance personnelle serait accrue. Le problème est alors d’accoler au préfet une étiquette partisane. Créature du gouvernement, le préfet pourra-t-il encore incarner la continuité de l’État et conserver cette hauteur de vue qui marque sa distance avec l’actualité politique immédiate ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162194/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Henri Bouillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pandémie a permis de mettre en lumière l’importance et l’autonomie des préfets dans la gestion de crise : assiste-t-on au dernier tour de piste d’une fonction au statut menacé ?Henri Bouillon, Maître de conférences en droit public, chercheur associé au Centre de recherches juridiques de l’Université de Franche-Comté (CRJFC), Université de Franche-Comté – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1625422021-06-10T21:56:53Z2021-06-10T21:56:53Z« Recevoir en pleine face la colère populaire » : la gifle ou les aléas du voyage présidentiel en province<p>Quelle importance accorder à la gifle que le président de la République, Emmanuel Macron, a reçue lors d’un déplacement à Tain-l’Hermitage le 8 juin 2021 ? Le corps physique de l’individu Emmanuel Macron a apparemment peu souffert de cette violence somme toute contenue et ritualisée : la gifle relève des atteintes physiques mineures mais <a href="https://blogs.letemps.ch/veronique-dreyfuss-pagano/2021/06/09/la-gifle-un-geste-qui-a-une-longue-histoire/">symboliquement stigmatisantes</a>, et pouvait autrefois donner lieu à réparation lors <a href="https://www.theatre-classique.fr/pages/pdf/CORNEILLEP_CID.pdf">d’un duel</a>.</p>
<p>En revanche, dans le registre de la symbolique politique, l’attaque du corps du monarque républicain n’est pas anodine en ce qu’elle s’attaque à la fonction.</p>
<p>L’ensemble du personnel politique a d’ailleurs condamné cet acte violent selon cette lecture (« il en va des fondements de notre démocratie » a déclaré le premier ministre applaudi à l’Assemblée), tandis que paradoxalement le président en minimisait la portée (« il faut relativiser cet incident… c’est de la bêtise »). En soulignant cependant qu’« il ne faut rien céder à la violence, en particulier la violence contre tous les représentants de la chose publique ». Il invitait en concluant cette brève déclaration <a href="https://www.lci.fr/politique/gifle-emmanuel-macron-appelle-a-relativiser-dans-une-interview-au-dauphine-2188213.html">« à remettre toute cette violence à sa juste valeur »</a>.</p>
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<h2>Des épiphénomènes dissonants</h2>
<p>Si une telle violence est en France globalement rare et marginale – sachant que les services de sécurité font en sorte qu’elle ait de moins en moins d’occasions de s’exprimer –, une violence du même ordre a pu resurgir épisodiquement dans le passé récent, que cela soit lors des campagnes présidentielles (Emmanuel Macron avait aussi reçu un œuf sur la tête lors de celle de 2017), ou lors des moments mettant en contact le personnel politique avec des foules (Nicolas Sarkozy fut agrippé par le revers de la veste, Manuel Valls giflé, François Hollande enfariné).</p>
<p>Sans compter les chahuts, les insultes, les chants hostiles et les affrontements avec les forces de l’ordre de « comités d’accueil » tenus de plus en plus éloignés des cortèges officiels.</p>
<p>Ces quelques épiphénomènes dissonants sont souvent hypertrophiés dans les comptes-rendus médiatiques. Ils ne doivent pourtant pas faire oublier que, depuis la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, la mécanique parfaitement rodée <a href="https://journals.openedition.org/lectures/360">du voyage présidentiel en province</a> fonctionne le plus souvent sans fausses notes, conjuguant acclamations des foules en liesse et applaudissements nourris de citoyens ravis d’accueillir le président de la République.</p>
<p>Cela n’a rien de fortuit, c’est même la justification principale de ces dispositifs.</p>
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<h2>Le voyage présidentiel : cadrage formel et nécessité de l’informel</h2>
<p>L’événement violent s’est produit dans le contexte d’un « Tour de France » morcelé, entrepris par Emmanuel Macron quelques jours plus tôt, à un an de l’élection présidentielle. Il s’agit en fait d’un ensemble d’aller-retour dans le pays, étalés sur plusieurs mois.</p>
<p>Cette nouvelle « itinérance », selon le mot des communicants du président, avait commencé sans heurts peu avant dans le département du Lot, à Saint-Cirq-Lapopie. Ce petit village touristique paisible avait déjà servi de toile de fond à d’autres immersions d’Emmanuel Macron « dans les territoires » alors qu’il était ministre.</p>
<p>Cette démarche n’est pas sans rappeler l’« itinérance mémorielle » de novembre 2018, à l’occasion de la fin de la Première Guerre mondiale. Il s’agissait, le temps de quelques jours, de « briser la vitre qui sépare traditionnellement le président du pays », selon les mots de son entourage, <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/en-direct-emmanuel-macron-le-programme-de-l-itinerance-memorielle-7795457232">« quitte à recevoir, en pleine face, la colère populaire »</a>. Ce nouveau voyage est envisagé autant comme un temps de célébration du président que comme un moment agonistique, où il pourra défendre sa politique si l’occasion lui en est donnée.</p>
<p>Le sens politique de tels déplacements est objectivement très faible tant ils sont prévisibles. Ils ne prennent un poids politique qu’à travers les commentaires médiatiques qu’ils suscitent. Ceux-ci portent d’ordinaire sur des éléments périphériques et quelques anecdotes, en marge de la routine officielle auxquelles les exégètes professionnels entendent donner de l’importance. Tout compte fait, la gifle reste comme le seul moment notable d’un déplacement qui reprend les modalités classiques d’un genre désormais stabilisé.</p>
<p>Le déplacement des commentaires des éditorialistes, des chaînes d’information, des professionnels et des profanes sur les réseaux sociaux numériques, vers le micro-événement constitué par « la gifle » illustre bien, en creux, les conditions ordinaires de félicité de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0263276486003002002">ces « rencontres » avec le « peuple »</a>. Entre déclinaison formelle et routinière d’un genre et moments informels planifiés, le déroulé habituel de ces déplacements ne suscite ordinairement que peu de commentaires.</p>
<h2>Le bain de foule, un rituel bien rodé</h2>
<p>Les voyages présidentiels font en effet l’objet depuis longtemps d’une organisation rigoureuse. Le bon déroulement du rituel impose de maîtriser l’agencement des divers éléments qui peuvent le constituer. Il faut pour cela tenir compte des multiples contraintes d’un planning minuté, avec ses aspects protocolaires (choix des interlocuteurs à rencontrer, notamment les élus locaux), ses « temps forts » à réaliser (inauguration d’un équipement, retrouvailles, remise de médaille, rencontre avec des citoyens ordinaires, des responsables d’associations, des fractions particulièrement méritantes de la population, etc.), ses moments de convivialité. Tout cela constitue la mise en récit d’une immersion harmonieuse et d’une communion avec les autochtones.</p>
<p>Parmi les séquences ritualisées, celle du bain de foule occupe une place particulière : elle est l’acmé de la rencontre avec le Peuple et se présente comme un des moments d’« informalisation ». Il s’agit dans ce cas de prévoir de brefs temps de relâchement des contraintes au sein d’un dispositif qui reste globalement sous contrôle.</p>
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<p>Mu par un élan irrépressible, le président s’approche des citoyens, tenus jusqu’alors à bonne distance derrière des barrières. Il serre des mains, embrasse femmes et enfants, prononce un compliment pour chacun, s’attarde parfois pour quelques phrases. Surtout, il manifeste sens de l’écoute et contentement d’approcher les « vrais » Français dont il se sentirait trop souvent éloigné par sa charge.</p>
<p>On a vu ainsi, juste avant la scène de la gifle, Emmanuel Macron, « échapper » à son service de sécurité pour se précipiter vers les habitants. Tout compte fait, la séquence de la gifle vient s’insérer au seul bref moment véritablement informel, dans un court interstice de flottement, avant que les services de sécurité ne se repositionnent et maîtrisent l’agresseur. Le président poursuit ensuite (presque) sans encombre le rituel informalisé, selon le plan prévu.</p>
<h2>Le corps du monarque républicain au centre de la cible</h2>
<p>Pour être ancien, le rituel républicain du voyage présidentiel comme temps de « rencontre » avec les Français n’est pas pour autant resté à l’écart des enjeux politiques contemporains. Le président sous la V<sup>e</sup> République tient sa légitimité du suffrage universel direct : il a donc un rôle politique beaucoup plus central que dans les régimes précédents. Cette importance est également symbolique, puisque sa place <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/38013-comment-caracteriser-le-regime-politique-de-la-ve-republique">s’est transformée</a> au fil du temps depuis 1958 selon les pratiques et les usages des différents occupants de l’Élysée.</p>
<p>La médiatisation grandissante de la vie politique, déjà importante dans les années 1980, a pris un tournant décisif avec les possibilités offertes de recueil et de circulation accélérée de l’information à partir des années 2000. <a href="https://www.armand-colin.com/lego-politique-essai-sur-lindividualisation-du-champ-politique-9782200283100">L’individualisation plus générale de la vie publique</a> a contribué au succès d’entreprises politiques, qui se présenteront au fil du temps de <a href="https://www.puf.com/content/La_fin_des_partis">moins en moins comme les émanations de collectifs partisans</a> que comme des aventures individuelles de conquête du pouvoir. Les primaires avec leurs affrontements télévisés ont été le symptôme le plus visible de ce changement en 2017, et le cas de la campagne d’Emmanuel Macron est à cet égard exemplaire.</p>
<p>La mobilisation de tous les outils de valorisation individuelle par le personnel politique de premier plan – <a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=4939">qui n’est pas propre à la France</a> – au service d’une présence constante dans les médias, notamment socionumériques, valorise l’action mais elle banalise en même temps le corps et la fonction présidentielle.</p>
<p>L’inflexion du rôle symbolique du président lors du quinquennat d’Emmanuel Macron est pour beaucoup dans le fait qu’il apparaisse, sans doute encore plus nettement que ses prédécesseurs, comme l’auteur et l’incarnation quasi unique de la politique menée.</p>
<h2>La part de risque</h2>
<p>A de multiples reprises au cours du quinquennat, le président est apparu au centre des dispositifs pensés comme des réponses politiques aux crises qui se sont présentées. Le « Grand Débat » dans ses diverses déclinaisons, la gestion de la crise sanitaire (qui articule notamment le conseil de Défense aux décisions personnelles du président), l’instrumentalisation de dispositifs délibératifs soumis ensuite au bon vouloir présidentiel (comme dans le cas de la Convention Citoyenne pour le Climat) : autant de rappels constants d’une incarnation personnelle de l’autorité politique.</p>
<p>Les écarts langagiers qu’Emmanuel Macron s’est autorisés (« qu’ils viennent me chercher », « ceux qui ne sont rien », « le pognon de dingue », « travailler pour se payer un costard », « traverser la rue pour trouver du travail »…) ont sonné comme des marques personnelles d’arrogance. Elles semblaient parfois adresser un défi à des fractions de la population déjà éloignées socialement et géographiquement des décideurs politiques et plus encore du « nouveau monde » promu par le président.</p>
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<p>Résultat d’un choix assumé, mais sans doute aussi en grande partie contraint, puisque <a href="https://journals.openedition.org/lectures/34148">l’entreprise Macron</a> n’a pas les bases solides et anciennes de ses principaux opposants, l’extrême personnalisation du pouvoir a placé symboliquement le président au cœur de la responsabilité politique. Emmanuel Macron apparaît pour ces raisons le seul et unique interlocuteur du ressentiment des oubliés de sa politique. Y compris quand ce ressentiment se cristallise dans la violence d’une gifle.</p>
<p>Après le mouvement des « gilets jaunes » et les nombreuses manifestations qui ont émaillé ses précédents déplacements, la gifle rappelle que, symboliquement au moins, ce retour au terrain comportera encore longtemps pour Emmanuel Macron, peut-être plus que pour tout autre, une part de risque difficile à maîtriser.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162542/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Leroux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La gifle d’Emmanuel Macron a résonné dans la sphère médiatique comme un coup de tonnerre. Quelle importance donner à ce geste, pour l’homme comme pour la fonction qu’il représente ?Pierre Leroux, Professeur en sciences de l’information et de la communication, chercheur titulaire au Laboratoire Arènes, Université catholique de l’Ouest Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1604072021-05-06T18:23:32Z2021-05-06T18:23:32Z« Quelle démocratie ? » (1 / 3) : La démocratie française est-elle en crise ?<p><em>« In extenso », des podcasts en séries pour faire le tour d’un sujet.</em></p>
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<p>La démocratie, c’est littéralement le pouvoir exercé par le peuple. Elle ne se déploie évidemment pas de la même manière sous toutes les latitudes. Les États qui ont choisi ce régime, ou prétendent l’avoir choisi, l’appliquent chacun avec leur histoire, leurs institutions, leurs aspirations. Dans certains d’entre eux, la crise sanitaire a eu des impacts sur l’exercice de la démocratie.</p>
<p>The Conversation a choisi d’explorer cette notion à travers une série de podcasts réalisée avec l’Institut des hautes études pour la science et la technologie, et intitulée « Quelle démocratie ? ». On y parle de ses évolutions aux États-Unis, en France et en Chine. Les deux premiers États sont indéniablement des démocraties, même s’ils font régulièrement l’objet de critiques sévères. La Chine, elle, est un régime autoritaire qui, pourtant, se prétend démocratique. Comment la démocratie s’exerce-t-elle, se construit-elle, quels dangers la menacent ?</p>
<p>Dans ce premier épisode, « La démocratie française est-elle en crise ? », nous abordons les défis démocratiques auxquels notre pays est aujourd’hui confronté, de la défiance croissante envers les élites aux questionnements sur la représentativité des élus, en passant par la remise en cause du « système » comme on l’a vu avec les Gilets jaunes…</p>
<p>Pour discuter de tous ces sujets, nous accueillons Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences en philosophie à Sorbonne Université et président du Collège de philosophie.</p>
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<p><em>Conception, Françoise Marmouyet et Grégory Rayko. Production, Romain Pollet</em>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Ce podcast prolonge une intervention tenue dans le cadre du webinaire <a href="https://www.ihest.fr/ihest-mediatheque/la-democratie-francaise-a-lepreuve-des-crises/">« La démocratie française à l'épreuve des crises ? »</a> enregistré le 4 février 2021 dans le cadre du cycle de formation de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie (<a href="https://www.ihest.fr/">IHEST</a>) « Les régimes démocratiques à l’épreuve des transitions ? La question de la gouvernance. »</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160407/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Comment la démocratie s’exerce-t-elle, quels dangers la menacent ? Réflexions sur les défis qu’affronte la démocratie française.Grégory Rayko, Chef de rubrique International, The Conversation FranceFrançoise Marmouyet, Coordinatrice éditoriale, The Conversation FranceRayane Meguenni, Chef de projet podcasts, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1591532021-04-22T18:20:34Z2021-04-22T18:20:34ZBrève histoire d’une longue défiance entre le peuple français et les élites<p>L’histoire de la France contemporaine peut se lire à divers prismes, mais l’un des plus pertinents est celui des relations tumultueuses entre le peuple et les élites. Sur le temps long qui va de la Révolution de 1789 à aujourd’hui les moments de communion entre celles-ci et celui-là sont rares : la <a href="https://www.gouvernement.fr/le-14-juillet-jour-de-fete-nationale-depuis-1880">Fête de la Fédération de 1790</a> (ancêtre du 14 juillet actuel), les <a href="https://histoire-image.org/fr/albums/revolution-1830-trois-glorieuses">Trois Glorieuses de 1830</a>, le <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/l%E2%80%99europe-politique/1848-le-printemps-des-peuples-europ%C3%A9ens/1848-le-printemps-des-peuples-europ%C3%A9ens">printemps 1848</a>, <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/1914-1918/l-exposition-du-centenaire/le-parlement-s-ajourne-1914/4-aout-1914-la-naissance-de-l-union-sacree">l’Union Sacrée de 1914</a>, le <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Raymond_Poincar%C3%A9/138547">gouvernement Poincaré de 1926 à 1928</a>, le retour au pouvoir du général de Gaulle en <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/evenements/2018/1er-juin-1958-declaration-d-investiture-du-general-de-gaulle">1958</a>.</p>
<p>Encore faut-il même préciser que dans chacun de ces cas, il y a, au sein du peuple d’une part et des élites de l’autre, des rétifs, des exclus et des boucs émissaires qui empêchent de parler d’une unanimité totale, successivement pour les secondes les émigrés, les légitimistes, les guizotistes (partisans de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Guizot">François Guizot</a>, principal ministre de Louis-Philippe), les pacifistes, les hommes du Cartel des gauches (la coalition de gauche qui a gagné les élections législatives de 1924), les dirigeants de la Quatrième République…</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur ce tableau de 1844 représentant le Conseil des ministres du 15 août 1842, le peintre Claudius Jacquand représenta Guizot debout, à gauche, derrière le roi auquel Soult présente la loi de Régence.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Guizot#/media/Fichier:Minist%C3%A8re_Soult.jpg">Claudius Jacquand</a></span>
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<p>En outre, ces rares « moments » <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/les-elites-en-temps-de-crise-34-des-elites-si-peu-populaires-de-lancien-regime-a-nos-jours">suivent de graves crises</a> : celle de la monarchie absolue dans les années 1780, la crispation réactionnaire sous Charles X, la crise économique et sociale et l’aveuglement de Louis-Philippe et de son principal ministre Guizot dans les années 1840, l’entrée incertaine dans la Grande Guerre, la sortie douloureuse de celle-ci, la crise de la IV<sup>e</sup> République et la guerre d’Algérie.</p>
<p>La « parenthèse enchantée » se referme presque toujours rapidement, parce que les nouveaux dirigeants ne parviennent pas à résoudre la crise et/ou parce qu’ils donnent le sentiment au peuple qui leur a souvent permis de prendre le pouvoir de ne pas le comprendre, voire de trahir les espoirs qu’il avait placés en eux. Parfois, une fraction des élites ou une contre-élite contribue à refermer cette parenthèse plus vite. Il est rare qu’elles-mêmes profitent durablement de leur succès.</p>
<h2>Un écart entre le « pays légal » et le « pays réel »</h2>
<p>La séquence qui va de 1815 à 1848 est particulièrement emblématique de ce phénomène, même si elle nous paraît exotique et dépassée. Il s’agit de l’époque des <a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=5008">monarchies censitaires</a>, de la Restauration puis de la monarchie de Juillet.</p>
<p>Aux élections nationales d’alors, seuls votent et sont éligibles ceux qui paient une certaine quotité d’impôt et l’écart entre le « pays légal » et le « pays réel » est très important (90 000 électeurs et 16 000 éligibles pour 29 millions de Français en 1816, respectivement encore seulement 248 000 et 56 000 pour 35,5 millions, trente ans plus tard).</p>
<p>Cette période est pourtant riche d’enseignements, car elle marque un changement au sein de l’élite dirigeante des grands notables, c’est-à-dire des plus importants propriétaires qui dirigent alors la France, mais sans satisfaire pour autant les masses.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=778&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=778&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=778&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=978&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=978&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=978&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Casimir Perier par Louis Hersent, Château de Versailles, 1827. Représenté en pair de France, tenant à la main ‘l'Opinion sur le budget’, rapport destiné à contrer la politique financière de Villèle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Casimir_Perier#/media/Fichier:Perier,_Casimir.jpg">Wikimedia/Louis Hersent — chateauversailles.fr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>En effet, la noblesse foncière qui dominait la Restauration est emportée par la révolution des Trois Glorieuses de juillet 1830, réalisée par la bourgeoisie avec l’aide du peuple parisien, mais celui-ci se voit rapidement frustré de son soutien.</p>
<p>La monarchie de Juillet s’appuie principalement sur de hauts fonctionnaires et des bourgeois d’affaires – symboliquement représentés par les deux premiers chefs de gouvernement du régime, deux banquiers même si l’un incarne le Mouvement (Jacques Laffitte) et l’autre la Résistance (Casimir Perier).</p>
<h2>Les grands notables tiennent le pouvoir</h2>
<p>En février 1848, la monarchie bourgeoise et ses grands notables, magistralement étudiés par <a href="https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1966_num_13_3_2919">André-Jean Tudesq</a> sont renversés à leur tour par la petite bourgeoisie et par le peuple parisien. Las, ces derniers s’estiment de nouveau frustrés de leur victoire. Le renouvellement élitaire est très partiel comme le montrera bientôt un ouvrage collectif que nous dirigeons, le <em>Dictionnaire des dirigeants de 1848</em> (à paraître à Sorbonne Université Presses).</p>
<p>Dès le milieu de l’année, un tournant conservateur intervient et s’accentue encore après l’élection présidentielle de décembre suivant et les élections législatives du printemps 1849. Les élites dirigeantes d’hier reviennent au pouvoir.</p>
<p>L’histoire se répète à plusieurs reprises par la suite. La France a connu treize changements politiques majeurs depuis 1789 dont près de la moitié depuis 1848, avec cependant, il est vrai, deux régimes très longs (la Troisième République : près de soixante-dix ans et la Cinquième, déjà plus de soixante-deux), et pourtant il y a eu très peu de renouvellements élitaires majeurs, en dépit d’un indéniable mais lent processus de démocratisation.</p>
<p>La défiance à l’égard des élites n’est évidemment pas spécifique à la France, pas plus hier qu’aujourd’hui, ce que montrent, par exemple, les victoires populistes des dix dernières années en Grande-Bretagne, en Italie, dans les pays de l’est européen et aux États-Unis.</p>
<p>Les peuples se défient largement de leurs dirigeants car ils semblent avoir perdu le contrôle de la situation avec la mondialisation, les institutions supranationales, la puissance des GAFAM, la persistance de la crise économique et sociale… Leur mise en spectacle par les médias et par eux-mêmes depuis une quarantaine d’années et le regard hypercritique de réseaux sociaux qui ont pris une importance centrale depuis une décennie ne font rien pour arranger les choses.</p>
<h2>La défiance au cœur de l’État centralisé</h2>
<p>Cependant, si la France a semblé aller à contre-courant du populisme en élisant Emmanuel Macron contre Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2017, sur la promesse, il est vrai, de l’avènement d’un « nouveau monde », de nouveaux visages et de nouvelles pratiques, la défiance n’a pas tardé à resurgir à grande échelle, comme en témoignent le mouvement des « gilets jaunes », les grèves massives face à la réforme des retraites ou, plus récemment, les records internationaux de mécontentement atteints par notre pays dans le traitement de la pandémie de Covid-19.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Hommage d’Édouard I à Philippe le Bel, considéré comme le premier monarque « moderne » d’un État puissant et centralisé.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hommage_d%27Edouard_I_%C3%A0_Philippe_le_Bel.png">Grandes Chroniques de France (BNF, FR 2606)/Wikimedia</a></span>
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<p>Le mal français vient surtout de beaucoup plus loin : un État centralisé et hypertrophié et qui, de ce fait, endosse tout le poids des responsabilités, une administration puissante depuis les <a href="https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1969_num_2_1_1196">légistes de Philippe Le Bel</a> et dont la <a href="https://hal-normandie-univ.archives-ouvertes.fr/hal-02304839">technocratie du second XXᵉ siècle</a> est l’héritière, la formation quasi exclusive de cette élite dans un <a href="https://theconversation.com/democratiser-les-grandes-ecoles-pourquoi-ca-coince-154247">même moule</a> qui a évolué au cours du temps et qui présente des avantages mais aussi des travers majeurs et récurrents : une certaine déconnexion du terrain et une tendance à intellectualiser des problèmes que, parfois, le simple bon sens permettrait de mieux traiter.</p>
<h2>À chaque crise, une nouvelle formation</h2>
<p>À chaque crise majeure, cette formation est remise en cause et des réformes sont opérées : création des <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01366484/document">grandes écoles sous la Révolution</a>, du Conseil d’État avec son auditorat destiné à devenir la pépinière de la haute fonction publique en 1800, de l’École nationale d’administration méritocratique en 1848, bien vite supprimée pour revenir au népotisme et au clientélisme antérieurs, de l’École libre des sciences politiques et de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_sup%C3%A9rieure_de_guerre">l’École supérieure de guerre</a> au lendemain de la débâcle de 1870-1871, puis volonté de refonder une ÉNA sous le Front populaire qui aboutit finalement à la Libération avec l’ordonnance du 9 octobre 1945, en même temps que sont créés les Instituts d’études politiques et le corps des administrateurs civils.</p>
<p>Aujourd’hui, Emmanuel Macron décide de supprimer cette même ÉNA qui se serait coupée, au fil du temps des réalités, en particulier <a href="https://www.france.tv/france-5/c-ce-soir-le-debat/c-ce-soir-le-debat-saison-1/2374113-suppression-de-l-ena-la-fin-des-elites.html">ses diplômés sortis dans les tout premiers</a> (« la botte »), mais qui ne constituent pourtant qu’une petite partie des énarques.</p>
<p>Il annonce son remplacement par un Institut du service public plus ouvert socialement et plus adapté aux besoins de la France et des Français. La recherche de boucs émissaires au sein des élites, ou prétendues telles, est aussi un travers très français : aujourd’hui, les énarques, sous la Révolution, les aristocrates et les prêtres, à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, les parlementaires et les juifs, en 14-18, les profiteurs de guerre et les « planqués », dans les années 30 puis sous le régime de Vichy, de nouveau les parlementaires, les juifs et les <a href="https://www.challenges.fr/france/les-200-familles-mythe-persistant_718692">« 200 familles »</a>, toujours, les riches.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« La Haute-Banque contre la Nation. Pour l’application intégrale du programme, votez communiste », affiche du PCF stigmatisant les banquiers François de Wendel, Eugène Schneider, Jean de Neuflize et Édouard de Rothschild (élections cantonales de 1937).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Deux_cents_familles#/media/Fichier:La_Haute-Banque_contre_la_Nation._Pour_l'application_int%C3%A9grale_du_programme,_votez_communiste.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Par ailleurs, à l’heure de la médiatisation et de l’immédiateté extrêmes, la <a href="https://passes-composes.com/book/277">« défaite de l’intelligence »</a> est préoccupante. Le véritable débat intellectuel disparaît trop souvent au profit d’ersatz où dominent la « pensée unique » et désormais celle des offensés, aussi excessives l’une que l’autre.</p>
<p>Quel chemin parcouru ici des Lumières où Rousseau disait à d’Alembert : « Que de questions je trouve à discuter dans celles que vous semblez résoudre » et même de grandes disputes entre <a href="https://www.lexpress.fr/culture/livre/sartre-aron-destins-croises_809968.html">Jean‑Paul Sartre et Raymond Aron</a>, au grand confinement actuel des corps et des esprits.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qLVY8ucO8Tg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Eric Anceau, 4 novembre 2020, Sud Radio.</span></figcaption>
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<p>La disparition de l’une de nos plus grandes revues intellectuelles <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/04/avec-la-fin-de-la-revue-le-debat-c-est-l-intellectuel-francais-qui-disparait_6050912_3232.html">comme Le Débat</a> montre l’ampleur de <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2021/04/ROBERT/63008">l’appauvrissement de la pensée</a> : car c’est aussi à cette élite qu’il appartient de montrer le chemin.</p>
<p>Les Français ne doivent pas être totalement dédouanés pour autant : n’ont-ils pas, en particulier depuis l’instauration du suffrage universel, les élites qu’ils méritent ?</p>
<p>C’est le constat de certains observateurs étrangers, à commencer par le politiste américain Ezra Suleiman, excellent connaisseur de notre pays où il a longtemps vécu. Il <a href="https://www.grasset.fr/livres/schizophrenies-francaises-9782246705017">diagnostique ainsi</a> « une tendance schizophrénique » chez les Français à réclamer quelquefois tout et son contraire : une aspiration à la verticalité d’un pouvoir qui se doit d’être exceptionnel, infaillible et vertueux et à la protection de l’État d’un côté, une passion pour l’égalité, une volonté de proximité des élites, une soif de liberté de l’autre.</p>
<hr>
<p><em>Éric Anceau a récemment publié <a href="https://passes-composes.com/book/277">« Les Élites françaises des Lumières au grand confinement »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159153/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Anceau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré treize changements politiques majeurs depuis 1789 la France a connu très peu de renouvellement parmi ses élites, en dépit d’un indéniable mais lent processus de démocratisation.Eric Anceau, Maître de conférences en histoire, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1553092021-02-18T20:40:01Z2021-02-18T20:40:01ZLa Charte des principes pour l’islam de France interroge<p>Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a publié sur son site, le 18 janvier 2021, une « Charte des principes pour l’islam de France », destinée à être le <a href="https://www.cfcm-officiel.fr/presentation-de-la-charte-des-principes-pour-lislam-de-france-au-president-de-la-republique/">socle</a> normatif du futur Conseil national des imams (CNI), dans le cadre du débat actuel sur la réforme de l’islam menée sous le quinquennat d’Emmanuel Macron.</p>
<p>Élaborée sous la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/19/emmanuel-macron-obtient-une-charte-des-principes-pour-l-islam-de-france_6066736_3224.html">pression de l’État</a>, dans un climat plombé par l’effroi des attentats successifs, cette Charte porte la marque d’une rhétorique de la menace islamique – la référence au « terrorisme » étant par exemple explicite (art. 9)</p>
<p>Prenant acte des vives inquiétudes exprimées par les autorités, les rédacteurs du CFCM y répondent dans les termes mêmes de la commande, et font démonstration ostensible de loyauté aux pouvoirs publics et d’assimilation culturelle.</p>
<p>Mais ce faisant, ils assument dans leur discours les préventions antimusulmanes de l’opinion majoritaire. Ceci, en reprenant parfois un discours polarisant « la communauté nationale […] et tous les musulmans vivant sur le territoire de la République » (art. 1), et en concédant des engagements exorbitants du droit commun – dans le sens, où, comme nous le verrons, la charte imposerait aux imams des obligations qui excèdent le droit en vigueur.</p>
<p>Trois des fédérations du CFCM ont fait publiquement <a href="https://www.saphirnews.com/Islam-de-France-les-raisons-de-la-non-signature-de-la-charte-par-CCMTF-Milli-Gorus-et-Foi-Pratique-exposees_a27796.html">état de réserves</a> fondées pour l’essentiel sur le droit. Il s’agit du Comité de coordination des musulmans turcs de France (émanant du ministère turc des affaires religieuses) et de la Confédération islamique Milli Görüs (islam conservateur) – représentant environ 15 % des lieux de culte en France –, ainsi que de Foi & Pratique (réseaux de la Jamaat Tabligh). La Charte pourrait faire long feu.</p>
<h2>Une pression politique maximale</h2>
<p>Avant même les attentats de Conflans-Sainte-Honorine et de Nice (16 et 29 octobre 2020), le président Emmanuel Macron, dans son <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/10/02/la-republique-en-actes-discours-du-president-de-la-republique-sur-le-theme-de-la-lutte-contre-les-separatismes">discours aux Mureaux du 2 octobre</a>, avait dénoncé en termes alarmants, « le séparatisme islamiste » :</p>
<blockquote>
<p>« C’est un projet conscient, théorisé, politico-religieux, affirmait-il, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République, qui se traduit souvent par la constitution d’une contre-société et dont les manifestations sont la déscolarisation des enfants, le développement de pratiques sportives, culturelles, communautarisées qui sont le prétexte pour l’enseignement de principes qui ne sont pas conformes aux lois de la République ».</p>
</blockquote>
<p>Dans la foulée, le chef de l’État avait lancé un « ultimatum » au CFCM, pour poser les bases d’un <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/06/tensions-autour-du-projet-de-conseil-national-des-imams_6065319_3224.html">Conseil</a> visant « à certifier les imams, dans l’espoir de lutter contre l’extrémisme ».</p>
<p>Avec cette description de la situation, le chef de l’État reprenait à son compte l’inquiétude d’une partie de l’opinion publique, en énumérant des points critiques qui se retrouvent dans le <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3649_projet-loi">projet de loi</a> « confortant le respect des principes de la République ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/V6shlaEaFSU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le discours d’Emmanuel Macron sur les « séparatismes ».</span></figcaption>
</figure>
<p>Mais il prenait le risque d’être démenti par la réalité. En effet, ce diagnostic est loin des analyses qu’a développées par exemple Bernard Godard, longtemps chargé de mission au <a href="https://www.liberation.fr/societe/2012/04/05/bernard-godard-la-personnalite-du-culte_808450/">Bureau central des cultes</a> au ministère de l’Intérieur. Cet ancien agent des renseignements généraux, qui se prévaut pourtant d’une <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/la-question-musulmane-en-france-9782213682488">approche</a> « sans concessions », résumait en 2015 son propos par ces mots :</p>
<blockquote>
<p>« l’islam est le révélateur de nos appréhensions face à l’avenir ».</p>
</blockquote>
<p>Même les <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/inchallah-lislamisation-visage-decouvert-9782213705897">enquêtes</a> qui dénoncent certaines pratiques erratiques chez des musulmans <a href="https://www.puf.com/content/Les_territoires_conquis_de_lislamisme">ne valident pas</a> l’hypothèse d’une emprise globale que leurs titres généralisants suggèrent.</p>
<p>Les travaux de terrain, tels que <a href="https://agone.org/livres/lesimamsenfrance/lesimamsenfrance">l’enquête de Solenne Jouanneau</a> ou l’<em>Étude sociologique sur les imams de France</em>, réalisée par Franck Frégosi et Marie-Laure Boursin pour le Bureau des cultes du ministère de l’Intérieur (2018, non publiée), n’ont en effet pas identifié chez les imams de France un quelconque projet politico-religieux oppositionnel. Elles montrent même le contraire.</p>
<p>Comme le démontrent encore les <a href="https://www.repository.cam.ac.uk/handle/1810/290549">travaux doctoraux de Margot Dazey</a>, les acteurs associatifs musulmans souhaitent ardemment être reconnus comme des interlocuteurs respectables par les autorités publiques – la Charte en est un exemple manifeste.</p>
<h2>Démonstration de loyalisme politique</h2>
<p>Dès ses premières lignes, le texte de la Charte est émaillé de ces symboles de républicanisme qu’affectionne un certain discours politique : « valeurs républicaines », « respect des lois de la République », « une page importante de l’histoire de France », « le territoire de la République » (art. 1), « dans le cadre des principes et règles de la République qui fondent l’unité et la cohésion de notre pays » (art. 2), etc.</p>
<p>Même le plan de la Charte égrène, en intertitre et dans l’ordre, les principes de la devise républicaine : « La liberté » (titre de l’art. 3), « L’égalité » (art. 4), « La fraternité » (art. 5), en y ajoutant « L’attachement à la raison et au libre arbitre » (art. 7) et « L’attachement à la laïcité et aux services publics » (art. 8).</p>
<p>Le problème est que cette proclamation de loyalisme va de pair avec l’abaissement de la religion musulmane, comme on va le voir. Et c’est sans doute le trait le plus frappant, venant de responsables qui s’expriment en tant que représentants du culte musulman à l’échelle nationale, et s’adressent à des personnes qui exercent un magistère musulman à l’échelle locale.</p>
<p>La comparaison avec la <a href="http://www.zentralrat.de/3037.php">Charte du Conseil central des musulmans en Allemagne</a> est éloquente à cet égard. Rédigée en écho aux attentats du 11 septembre 2001, ce texte paisible et apaisant s’ouvre sur une leçon d’islam, comme les titres en témoignent : Article 1, « L’islam est la religion de la paix » ; article 2, « Nous croyons en un Dieu miséricordieux » ; article 3, « Le Coran est une révélation orale d’origine divine », etc.</p>
<p>Il faut attendre l’article 11 pour voir attester la conformité de l’islam au droit public allemand : « Les musulmans acceptent l’ordre juridique fondamental garanti par la Constitution » (art. 11), « Nous ne cherchons pas à établir une théocratie cléricale » (art. 12), « Il n’y a pas de contradiction entre la doctrine islamique et les droits fondamentaux de l’homme en Occident » (art. 13), etc.</p>
<p>Les derniers articles témoignent d’une logique d’inclusion, qui n’abdique rien de la fierté d’être musulman : « S’intégrer tout en maintenant l’identité islamique » (art. 19), « Une vie digne au sein de la société » (art.20).</p>
<h2>Démonstration d’assimilation culturelle</h2>
<p>À l’inverse de leurs homologues allemands, les rédacteurs de la Charte française insistent dès le préambule du texte sur « le respect » des « valeurs républicaines » et des « lois de la République », pour dire la subordination de l’islam de France aux lois communes.</p>
<p>Or, bien que la question de la hiérarchie entre religion et lois soit souvent posée dans les sondages (notamment pour soutenir <a href="https://www.lepoint.fr/politique/pour-57-des-jeunes-musulmans-la-charia-plus-importante-que-la-republique-05-11-2020-2399511_20.php">l’interprétation</a> selon laquelle, « pour les jeunes musulmans, la charia est plus importante que la République », elle n’en est pas moins aberrante dans notre régime de libertés.</p>
<p>Le principe de laïcité protège l’existence de deux espaces normatifs incommensurables, celui des lois humaines et celui des religions, largement autonomes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1351502031169744899"}"></div></p>
<p>La Charte des principes proclame :</p>
<blockquote>
<p>« Aucune conviction religieuse ne peut être invoquée pour se soustraire aux obligations des citoyens » ; « nos convictions religieuses […] ne sauraient supplanter les principes qui fondent le droit et la Constitution de la République. » (préambule)</p>
</blockquote>
<p>Pourtant il n’y a pas concurrence, les convictions religieuses n’ont à passer ni devant ni derrière, elles sont d’un autre ordre – c’est le principe même de « séparation des Églises et de l’État », qui fonde la loi de 1905.</p>
<p>Elles sont sujettes à sanction si elles suscitent des pratiques qui contreviennent à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, et autres critères prévus par la loi. Rappelons ainsi le célèbre article 9 de la <a href="https://www.echr.coe.int/documents/convention_fra.pdf">Convention européenne des droits de l’homme</a>, qui fait partie de notre bloc de constitutionnalité :</p>
<blockquote>
<p>1.« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »</p>
<p>2.« La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » (Nous soulignons)</p>
</blockquote>
<h2>Quel besoin d’inventer un « pacte » moral ?</h2>
<p>De ce point de vue, cette seule formule de la « Charte des principes » du CNI devrait suffire : « Nous exerçons notre mission dans le cadre des principes et règles de la République qui fondent l’unité et la cohésion de notre pays » (art. 2).</p>
<p>Quel besoin d’inventer un « pacte » moral qui lierait spécifiquement les musulmans, comme s’ils n’appartenaient pas pleinement et légitimement à l’espace français ?</p>
<blockquote>
<p>« Les musulmans […] sont liés à la France par un pacte. Celui-ci les engage à respecter la cohésion nationale, l’ordre public et les lois de la République. » (art. 1)</p>
</blockquote>
<p>Un tel « pacte » n’est requis d’aucune autre catégorie de citoyens. L’ordre public et les lois s’imposent à tout un chacun, pas de pacte en cette affaire.</p>
<p>Et qu’est-ce qu’implique des musulmans le « respect de la cohésion nationale » ? Sous couvert de donner des gages de loyauté, cette Charte requiert des imams des démonstrations de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_frontieres_de_lidentite_nationale-9782707169365">bonne assimilation</a>, à l’instar de celles qui conditionnent la « naturalisation » des <a href="https://journals.openedition.org/lectures/23052">étrangers</a>.</p>
<h2>La main de l’étranger</h2>
<p>De fait, le texte est tissé de références au partage entre Français et étranger. Il entend arracher symboliquement les musulmans de France et leurs imams à l’influence d’États dont l’extranéité est associée, dans la Charte, exclusivement à des activités nuisibles : ils « dictent » des « jugements » qui « disqualifient » certains coreligionnaires (art. 5), « soutiennent des politiques étrangères hostiles à la France » (art. 6), « visent, en toute méconnaissance des réalités de notre société, à créer la discorde et à nous diviser » (art. 9).</p>
<p>Sur ce fond d’altérisation nationale, la Charte appelle les musulmans de France, et les imams au premier chef, à « rejeter clairement toute ingérence de l’étranger dans la gestion de leurs mosquées et la mission de leurs imams » (art. 6).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1351590991162175488"}"></div></p>
<p>Ces récusations répétées des liens transnationaux sont dénoncées notamment par les fédérations de musulmans d’origine turque, non-signataires du texte. Mais elles étonnent plus généralement et paraissent relever surtout ici d’un conformisme discursif. En effet, les fédérations signataires sont elles aussi, dans leur majorité, liées à des États (Algérie et Maroc, en particulier) avec lesquels les pouvoirs publics français sont en relation constante sur les questions afférant à l’islam de France.</p>
<h2>Accepter la discrimination</h2>
<p>En fin de texte est évoqué le racisme. La Charte déplore que les musulmans en France « soient trop souvent la cible d’actes hostiles ». Mais, sans analyser plus avant le phénomène, elle enchaîne directement sur une nouvelle attestation de loyauté à l’État et au « peuple français » :</p>
<blockquote>
<p>« Ces actes sont l’œuvre d’une minorité extrémiste qui ne saurait être confondue ni avec l’État ni avec le peuple français. Dès lors, les dénonciations d’un prétendu racisme d’État, comme toutes les postures victimaires, relèvent de la diffamation. Elles nourrissent et exacerbent à la fois la haine antimusulmane et la haine de la France. » (art. 9)</p>
</blockquote>
<p>Quoi qu’on pense du concept de « racisme d’État », on dispose de <a href="https://www.contretemps.eu/racisme-etat-institutionnel-police-administrations-discriminations-france-antiracisme-politique/">connaissances</a> sur la <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/16632961-du-racismedetat-en-france--fabrice-dhume-xavier-dunezat-camille-gourdeau--le-bord-de-l-eau">(re)production institutionnelle du racisme</a>.</p>
<p>Et depuis que la plainte en diffamation de Jean‑Michel Blanquer contre le syndicat Sud éducation 93 pour avoir « parlé de racisme d’État » en 2017 a été <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/02/07/racisme-d-etat-la-plainte-de-jean-michel-blanquer-contre-un-syndicat-classee-sans-suite_1628125">classée sans suite</a>, on sait qu’il n’y a pas de base juridique pour cette allégation.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-peut-on-parler-de-racisme-detat-138189">Débat : Peut-on parler de « racisme d’État » ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Une interprétation forte de la non-compétence des religieux en matière politique</h2>
<p>Le discours pseudojuridique de la Charte montre en creux l’étau dans lequel sont pris ses rédacteurs : il est attendu des imams de France qu’ils s’interdisent absolument de critiquer l’État, ses politiques, et ses agents. Or, cette interprétation forte de la non-compétence des religieux en matière politique n’est imposée à aucun autre organisme religieux.</p>
<p>Mais en outre, le texte tend à interdire aux imams de prêter l’oreille aux éventuelles plaintes pour discriminations et de se faire l’écho des dénonciations d’un « racisme d’État », en (dis)qualifiant ces critiques politiques de « postures victimaires » et de « diffamation » (art. 9).</p>
<p>Au vu de la <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/grandes-enquetes/trajectoires-et-origines/">prévalence des discriminations</a> à raison de l’origine et de la religion supposées, cette présentation du problème du racisme <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/11/06/selon-un-sondage-40-des-musulmans-de-france-ont-fait-l-objet-de-racisme_6018225_3224.html">semble relever</a> du déni.</p>
<p>En bref, selon notre analyse, la Charte des principes pour l’islam de France appelle les imams à une performance d’assimilation culturelle et de soumission.</p>
<p>Cet appel ne saurait être entendu autrement que par pression morale, puisque le CFCM n’a pas d’autorité administrative sur les imams. Mais quel ascendant un organe peut-il exercer sur des hommes qu’il prétend attirer dans sa mouvance lorsqu’il parait entériner les préjugés et les discriminations dont ceux-ci souffrent au quotidien ?</p>
<p>La réponse est donnée par la réaction des fédérations qui refusent de se joindre aux signataires : dans ces conditions, la logique de la pression morale se retourne en défaveur de ceux qui l’exercent.</p>
<p>Ainsi ce texte suscite-t-il déjà de <a href="https://blogs.mediapart.fr/tribune-de-la-dignite/blog/090221/tribune-de-la-dignite">fortes critiques</a>, et risque d’ajouter au <a href="https://www.senat.fr/rap/r15-757/r15-7571.pdf">discrédit du CFCM parmi les musulmans</a>, sans résoudre aucunement la question de la peur de l’islam dans la population majoritaire, autrement dit sans régler la question cruciale de la confiance et de l’acceptation de l’islam comme religion de France.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155309/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Dhume a reçu, pour plusieurs de ses recherches, un soutien financier du Défenseur des droits, de l'ARDIS et du FASILD/ACSE.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Françoise Lorcerie ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Prenant acte des vives inquiétudes exprimées par les autorités sur l’islam et ses liens avec le terrorisme, les rédacteurs du Conseil français du culte musulman ont proposé une charte polarisante.Fabrice Dhume, Sociologue, chercheur à CRISIS, associé à l'URMIS, Université Paris CitéFrançoise Lorcerie, Professeure, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1553142021-02-18T20:33:07Z2021-02-18T20:33:07ZLes impensés de la « réforme de l’islam »<p>L’idée de vouloir « réformer l’islam » n’est pas neuve, elle a une véritable légitimité dans le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gd-cW6MGPuQ">champ islamique</a> et elle fut même théorisée par nombre de penseurs, savants, hommes ou femmes, et ce, depuis au moins le premier tiers du XIX<sup>e</sup> siècle parmi le milieu des oulémas en <a href="https://livre.fnac.com/a9866152/Mohamed-Haddad-Le-reformisme-musulman-une-histoire-critique">Tunisie ottomane</a> ; autant qu’on puisse remonter.</p>
<p>C’est d’ailleurs sur cet héritage peu connu, écrasé par l’actuelle domination du salafisme saoudien et de la galaxie des Frères musulmans, que des femmes courageuses tentent, depuis la France, de faire émerger un <a href="https://www.facebook.com/MosqueeFatima/">islam progressiste</a>, telles que Kahina Bahloul avec la « mosquée Fatima » ou <a href="http://www.voix-islam-eclaire.fr/">Anne-Sophie Monsinay et Eva Janadin</a> avec leur « Mouvement pour un islam spirituel et progressiste ».</p>
<p>Les hommes ne sont pas en reste bien sûr, certains contribuent à l’effort des premières, Faker Korchane notamment aux côtés de <a href="https://www.saphirnews.com/Avec-la-mosquee-Fatima-les-voix-de-l-islam-liberal-s-affirment_a26640.html">Kahina Bahloul</a> ou Omero Marongiu-Perria qui intervient régulièrement au sein des <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/questions-dislam/rouvrir-des-debats-que-les-docteurs-de-la-loi-avaient-clos-au-moyen-age">deux mouvements</a>. D’autres encore creusent leur propre sillon, plus ou moins critique à l’égard des discours de l’islam majoritaire, à l’instar du Dr al Ajamî, coraniste, auteur d’une thèse de doctorat sur l’exégèse coranique et dont le site Internet propose des articles thématiques originaux sur des questions souvent verrouillées par l’exégèse <em>mainstream</em>, par exemple, le <a href="https://www.alajami.fr/index.php/2018/01/23/le-salut-universel-selon-le-coran-et-en-islam/">salut des non-musulmans dans l’au-delà</a> ou l’épineuse question de <a href="https://www.alajami.fr/index.php/2018/11/27/lheritage-des-femmes-selon-le-coran-et-en-islam/">l’égalité hommes/femmes dans l’héritage</a>.</p>
<p>Citons également Mohamed Bajrafil, docteur en linguistique, désormais <a href="https://www.la-croix.com/Religion/En-desaccord-gestion-culte-musulman-Mohamed-Bajrafil-cesse-detre-imam-2020-11-26-1201126809">ex-imam</a>, qui se confronte de plus en plus frontalement au paradigme conservateur propagé dans les milieux pratiquants qu’il déconstruit en vue d’une relecture plus contemporaine, par exemple <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zI2IRnqtHGU&%3Bab_channel=LaCroix">ici</a> avec la question, notamment, de l’apostasie (ردّة <em>ridda</em>) et du rapport manichéen entre croyants/« mécréants ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Tareq Oubrou, imam de Bordeaux.</span></figcaption>
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<p>Enfin, l’imam de la mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou, qui intervient régulièrement sur les débats qui agitent notre société avec une argumentation visant l’apaisement social, non sans égratigner de temps en temps certaines pratiques que le discours religieux dominant a tendance à surinvestir, lorsqu’il montre par exemple comment l’interdiction de l’imamat féminin n’a en fait rien à voir avec un quelconque ordre divin mais relève plutôt de l’histoire humaine (et masculine) du droit canon ou lorsqu’il relativise grandement l’obligation (وجوب <em>wuǧūb</em>) du port du voile.</p>
<p>Ces quelques exemples sont loin d’être exhaustifs, les acteur(rice)s du courant réformiste sont légion, leur production ayant été le plus souvent <a href="https://www.jeuneafrique.com/depeches/21176/politique/la-fille-dun-penseur-soudanais-execute-veut-faire-revivre-son-message-de-paix/">censurée</a> par des régimes autoritaires qui donnaient, ce faisant, des gages « d’authenticité » (أصالة <em>aṣāla</em>) à leur extrême droite religieuse.</p>
<p>Les réformistes sont tels des électrons libres pour le moment, éparpillés ci et là, ils ne constituent pour le moment pas encore un mouvement assez structuré pour donner le change aux courants dominants, certains même parmi eux ne s’apprécient guère, mais toujours est-il qu’ils concourent, bon gré mal gré, à ce qu’on appelle la « réforme de l’islam ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Colloque sur la réforme de l’islam, MSH Paris Nord.</span></figcaption>
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<p>Et qui sait, la minorité d’aujourd’hui pourrait devenir la majorité de demain, qui aurait par exemple prévu que le judaïsme réformé devienne aux USA le courant majoritaire ? N’oublions pas également qu’avant de devenir le courant dominant dans le monde sunnite, le salafisme n’était encore à l’aube du XX<sup>e</sup> siècle qu’une secte n’ayant pas très bonne presse dans le monde musulman (voir la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=eEWwS3X1NNg">série en 34 épisodes</a> de l’ex-salafiste Islam Ibn Ahmad ou, pour une approche plus académique, <a href="https://livre.fnac.com/a3324114/Nabil-Mouline-Les-clercs-de-l-islam">l’ouvrage riche</a> de notre collègue du CNRS Nabil Mouline.</p>
<h2>Réformer ou… pacifier ?</h2>
<p>Notre gouvernement également y semble sensible puisque ce projet avait déjà été annoncé dès <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/02/11/reforme-de-l-islam-macron-veut-en-finir-avec-les-influences-etrangeres_1628963/">l’année 2018</a> sous les auspices notamment du <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/laicite/emmanuel-macron-travaille-a-une-reforme-de-l-islam-de-france-pour-le-premier-semestre_2605428.html">politologue Gilles Kepel et du philosophe Youssef Seddik</a>.</p>
<p>Il est désormais replacé au cœur des débats avec la fameuse « Charte des principes » de <a href="https://www.france24.com/fr/france/20210118-emmanuel-macron-re%C3%A7oit-le-cfcm-apr%C3%A8s-l-adoption-d-une-charte-de-principes-de-l-islam">l’islam de France</a>, pendant que le projet de loi « confortant le respect des principes de la République » <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/ce-que-contient-le-projet-de-loi-confortant-le-respect-des-principes-de-la-republique-20210131">est encore débattu</a>.</p>
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<p>Comme souvent, le diable réside dans les détails, notamment dans les mots : pour certains, réformer l’islam signifie que cette religion et ses adeptes devraient être « pacifiés », partant de l’équation simpliste qu’islam = « islamisme » potentiel (les guillemets sont de rigueur) = terrorisme potentiel.</p>
<p>À l’autre extrémité du spectre, les musulmans conservateurs – militants ou non de l’islam politisé – considèrent que l’islam n’a aucunement besoin d’être réformé, voire même que cette religion serait intrinsèquement réformiste, car ils comprennent « réforme » au sens de l’arabe moderne إصلاح (<em>iṣlāḥ</em>) qui est à leurs yeux connoté positivement. Pour eux, cette notion signifie le retour aux sources dites authentiques de l’islam et aux trois premières générations de musulmans (سلف صالح <em>salaf ṣāliḥ</em>).</p>
<p>La même notion, on le voit bien ici, signifie des choses bien différentes, raison pour laquelle je tiens à distinguer <a href="https://univ-paris13.academia.edu/StevenDuarte">dans mes recherches</a> le « réformisme » du « revivalisme » : le premier intègre les acquis de l’esprit humain en réinterprétant de façon critique le patrimoine (<em>turāṯ</em>), pendant que le second nie toute historicité en se préservant, tant que faire se peut, de l’altérité.</p>
<h2>Confusion des objectifs</h2>
<p>En reposant sur la scène publique la sempiternelle question de la structuration de l’islam de France, quel objectif cherche-t-on à atteindre finalement ? S’agit-il d’une opération de communication, à l’échelle nationale, dans un contexte anxiogène et post-attentats, en vue de signifier à la communauté nationale que les représentants de l’islam adhèrent pleinement au pacte républicain ? Dont acte.</p>
<p>Toutefois, au vu du peu de représentativité du CFCM, il ne faut pas en attendre autre chose car s’il s’agissait par exemple de voir émerger par cela un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=MetmCNPtBYU">« islam des Lumières »</a>, nul besoin d’être prophète pour savoir que ce genre de reconfiguration ne se décrète pas d’en haut. D’autant plus dans l’islam sunnite majoritaire, qui se démarque nettement de l’islam chiite sur ce point, l’autorité religieuse – même la plus légitime – ne détient aucunement le pouvoir symbolique d’imposer ses interprétations au plus grand nombre.</p>
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<p>Par ailleurs, les grandes transformations durables ayant eu lieu au sein des religions proviennent en fin de compte toujours de la libre adhésion des fidèles et de leur abnégation à construire une autre voie, que ce soient les <a href="https://livre.fnac.com/a9053392/Jean%E2%80%91Bauberot-Histoire-du-protestantisme#omnsearchpos=1">réformes protestantes</a> issues du catholicisme ou, plus proche de notre sujet, l’émergence des <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-juives1-2007-2-page-9.htm">communautés juives libérales</a> de France face à l’hégémonie du Consistoire.</p>
<h2>Une charte qui devrait être étendue ?</h2>
<p>La « charte des principes » signée au forceps par la plupart des fédérations du CFCM et comportant, entre autres, l’affirmation de l’absolue égalité hommes/femmes, le droit d’abjurer sa religion, la condamnation de l’expression de la haine de l’autre, des minorités sexuelles, etc., sont en soi des éléments positifs lorsque l’on défend des idées progressistes. Néanmoins, dans un pays où un polémiste d’extrême droite <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/09/25/eric-zemmour-condamne-a-10-000-euros-d-amende-pour-injure-et-provocation-a-la-haine_6053635_3224.html">multirécidiviste</a> peut assigner des millions de nos concitoyens musulmans à une identité religieuse fantasmée et anhistorique à des heures de grande écoute, tout en normalisant une <a href="https://www.fnac.com/livre-numerique/a8855673/Renaud-Camus-Le-Grand-Remplacement-troisieme-edition">théorie mortifère</a> dont s’est inspiré un terroriste norvégien pour assassiner lâchement 77 innocents, l’on peut à bon droit se demander s’il ne faudrait finalement pas étendre la signature de cette « charte des principes » à d’autres entités/personnalités que les seules fédérations musulmanes ?</p>
<p>Dans un contexte de crise multiforme, ce genre de « signaux faibles » de la radicalité ne trompent pas, il est à craindre que nous soyons déjà entrés dans l’ère des « identités meurtrières » que prophétisa <a href="https://www.grasset.fr/livres/les-identites-meurtrieres-9782246548812">l’éclaireur</a> (et l’éclairant) Amin Maalouf, ère dans laquelle le repli sur soi auprès de SA communauté est favorisé par la mise en exergue d’identités mythifiées et excluantes. Saura-t-on résister à ce danger ?</p>
<h2>Quelques pistes</h2>
<p>Pour esquisser quelques pistes préalables, tout d’abord, le choix des mots est important : la notion de séparatisme, contrairement au « terrorisme » et au « fondamentalisme », ne permet pas une distinction assez claire entre un repli du soi même radical que l’on retrouve dans toutes les religions et le passage à l’acte terroriste. La plasticité de cette notion est problématique, ce n’est pas la <a href="https://ifpo.hypotheses.org/6297">seule</a>, tant s’en faut. Et ne gaspillons pas trop d’espace ici avec celle « d’islamo-gauchisme », ce type d’anathème flasque illustre en soi le symptôme d’une défaite de la pensée qui ne nous élèvera aucunement en tant que société démocratique forte de ses principes.</p>
<p>Il est en effet très important sur ces épineuses questions de distinguer méthodiquement la question des fondamentalismes religieux de celle du terrorisme et ce sont notamment les psychologues <a href="https://www.vie-publique.fr/catalogue/270027-extremisme-violent-et-desengagement-de-la-violence">du passage à l’acte</a> ayant travaillé concrètement sur les cas de condamné·e·s pour terrorisme qui nous l’expliquent le mieux. Même si la religiosité peut être en effet importante pour nombre d’entre eux au titre de la justification de leurs actes, ce n’est pas elle qui en est le moteur psychique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Séparatisme : faut-il une loi ? – 28 Minutes – Arte.</span></figcaption>
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<p>Les djihādistes sont en cela bien plus proches des terroristes de Christchurch, d’Oslo et d’Utøya, voire même du Ku Klux Klan, qu’ils ne le sont d’acteurs de l’islam politisé partageant pourtant l’identification à la même religion.</p>
<p>Par conséquent, l’antienne autour de la longueur des voiles (dont la France a le secret <a href="https://www.franceculture.fr/societe/30-ans-de-laffaire-du-foulard-de-creil-le-voile-de-la-discorde">depuis plus de trente ans</a>) et, demain peut-être, sur la solidité des perruques, peut à la rigueur être pertinent s’il s’agit par cela de traiter la question des fondamentalismes religieux. Ces derniers ont en effet une propension à sursacraliser et à établir un contrôle infantilisant du corps des femmes, toutefois, il n’y a aucun rapport entre cela et la question du terrorisme.</p>
<p>Pour ce dernier, je ne vois pas d’autres solutions que de renforcer les moyens des professionnels de l’antiterrorisme : renseignement, infiltrations, surveillance sur les réseaux sociaux et messageries cryptées ; chacun son métier, c’est eux qu’il faut impérativement consulter sur ces questions et non des tartuffes.</p>
<p>Enfin, pour conclure sur le sujet de départ, si réforme de l’islam il y a, elle ne pourra que très difficilement s’épanouir dans un contexte anxiogène où l’actualité demeure saturée par la référence quasi obsessionnelle à cette religion et, en cela, les terroristes ont pour le moment gagné sur un point : leurs attentats sont parvenus à hystériser les débats. Ne leur offrons donc pas cette victoire en sachant strictement séparer les choses afin que puisse émerger sereinement des musulmans eux-mêmes un courant de l’islam progressiste, et ce, dans notre intérêt à tous.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155314/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Steven Duarte ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’idée d’une réforme de l’islam a une véritable légitimité dans le champ islamique et fut même théorisée par nombre de penseurs, savants, hommes ou femmes, depuis au moins le début du XIXᵉ siècle.Steven Duarte, Maître de conférences arabe / islamologie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.