tag:theconversation.com,2011:/global/topics/scandale-22206/articlesscandale – The Conversation2024-01-21T14:41:25Ztag:theconversation.com,2011:article/2211862024-01-21T14:41:25Z2024-01-21T14:41:25ZPortugal : élections sous haute tension<p>« Ah ! les affaires, quelle eau trouble, empoisonnée et salissante ! », écrit Émile Zola en 1898 dans son roman <em>Paris</em> peu après le scandale du canal de Panama, au moment de s’engager dans la tempête de l’affaire Dreyfus. Comme un écho lointain, le premier ministre portugais Antonio Costa martèle « évidemment » – « obviamente ! » – en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/07/portugal-le-premier-ministre-antonio-costa-a-demissionne-eclabousse-par-un-scandale-de-corruption_6198745_3211.html">annonçant sa soudaine démission</a> le 7 novembre 2023.</p>
<p>« Évidemment », une fois considéré, non sans dignité, que ses fonctions ne sont pas compatibles avec la moindre suspicion mettant en cause son intégrité dans une sombre affaire de corruption où seraient impliqués certains de ses proches, dont son chef de cabinet et l’un de ses principaux conseillers, sans compter son propre ministre des Infrastructures. « Évidemment », puisque des écoutes téléphoniques, diligentées par le ministère public, semblent l’attester.</p>
<p>Sauf que, une fois la démission annoncée et la décision prise dans la foulée par le président de la République de convoquer des élections législatives anticipées, les chefs d’accusation s’avèrent flous. L’affaire des écoutes téléphoniques révèle même une <a href="https://www.lejdd.fr/international/portugal-vise-par-un-scandale-de-corruption-le-premier-ministre-demissionnaire-victime-dune-confusion-de-nom-139632">confusion de noms</a> entre le chef du gouvernement et son ministre de l’Économie, Antonio Costa Silva.</p>
<p>Procureure générale de la République portugaise depuis 2018, Lucília Gago en sort ébranlée. D’aucuns laissent entendre que l’affaire fait « pschitt », avec beaucoup de bruit pour rien. Une affaire en « eau trouble, empoisonnée et salissante », à l’arrière-goût amer, propice à toutes les interrogations et inquiétudes quant à l’issue du scrutin programmé le 10 mars prochain.</p>
<h2>Pourquoi voter de nouveau ?</h2>
<p>« C’est une étape qui se clôt », a précisé le premier ministre en annonçant sa démission, mettant un terme à huit années de présidence du Conseil. Avant de préciser quelques jours plus tard qu’il n’occuperait plus de charges publiques au Portugal, renonçant également à sa fonction de secrétaire général du Parti socialiste qu’il exerçait depuis 2014. De fait, c’est une page qui se tourne avec l’effacement contraint de la personnalité politique phare de la vie politique portugaise des dix dernières années, par ailleurs figure de proue de la social-démocratie européenne.</p>
<p>Alors qu’Antonio Costa avait remporté haut la main les élections législatives anticipées en janvier 2022, le PS obtenant la majorité absolue des sièges au Parlement, comment en est-on arrivé là ?</p>
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<p>La démission du premier ministre s’inscrit dans un climat fortement dégradé depuis fin 2022, sous l’ombre portée du <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/au-portugal-le-tapgate-provoque-une-crise-au-sommet-de-letat-1942058">« TAPgate »</a>, la compagnie aérienne nationale en voie de privatisation dont le nom a été accolé à divers scandales et démissions au sein du gouvernement. Dont celle, le 4 janvier 2023, de Pedro Nuno Santos, influent ministre des Infrastructures et du Logement, pour couvrir sa secrétaire d’État, ancienne salariée de la TAP accusée d’avoir perçu une importante indemnité lors de son départ de la compagnie.</p>
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<figcaption><span class="caption">Antonio Costa démissionne après une enquête pour corruption.</span></figcaption>
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<p>À la fin du printemps 2023, le successeur de Pedro Nuno Santos, João Galamba, est déjà sur la sellette, en raison de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/au-portugal-la-gauche-rattrapee-par-ses-demons-76BOYBUMMZC65GMEHQLWII2ME4/">son rôle jugé équivoque</a> dans l’attribution de juteuses concessions pour l’exploration de lithium – <a href="https://blog.leslignesbougent.org/portugal-riche-grace-au-lithium/">l’une des grandes richesses du Portugal de demain</a> – lorsqu’il était secrétaire d’État à l’Énergie. Antonio Costa refuse alors de démettre Joao Galamba de ses fonctions, comme le réclame pourtant avec vigueur le président de la République Marcelo Rebelo de Sousa, professeur de droit et président du PSD (parti social-démocrate, centre droit) de 1996 à 1999, élu début 2016 et réélu en 2021 dès le premier tour.</p>
<p>C’est le début d’une séquence qui s’est refermée début novembre avec la démission du premier ministre. Une séquence qui souligne les limites d’une cohabitation, souvent montrée en exemple depuis 2016, entre un chef de l’État et un chef du gouvernement de sensibilités politiques différentes. Et qui illustre toutes les ambiguïtés de la nature d’un régime qualifié le plus souvent de semi-présidentiel depuis <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire/1804">l’adoption de la Constitution en 1976</a> et, avec <a href="https://www.theses.fr/2001PA010327">l’apparition du fait majoritaire en 1987</a>, de « mixte parlementaire-présidentiel » ou de « premier-présidentiel », voire de « parlementariste à correction présidentielle ».</p>
<p>Par son droit de veto suspensif et, surtout, de dissolution de l’Assemblée de la République – la chambre unique du Parlement portugais –, le chef de l’État dispose de pouvoirs constitutionnels importants qui lui permettent de peser dans le jeu politique. Et cela, d’autant plus lorsque le président de la République se révèle particulièrement habile et visible sur la scène médiatique, comme c’est le cas de Marcelo Rebelo de Sousa.</p>
<p>Avec la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/30/portugal-le-premier-ministre-socialiste-antonio-costa-obtient-une-nette-victoire-electorale-mais-sans-majorite-absolue_6111627_3210.html">majorité absolue</a> obtenue par le Parti socialiste en janvier 2022, lors d’élections législatives anticipées suite à la mise en minorité du gouvernement d’Antonio Costa sur le vote du budget 2022, l’espace politique et médiatique du chef de l’État s’était mécaniquement réduit.</p>
<p>La décision de celui-ci de recourir à de nouvelles élections législatives anticipées s’inscrit dans ce contexte de tension institutionnelle et médiatique, alors qu’un autre choix était possible : celui d’accepter la démission du premier ministre en nommant une personnalité issue du parti disposant de la majorité au Parlement, comme cela avait été le cas à l’été 2004 et début 1981.</p>
<h2>Un choix risqué</h2>
<p>En ouvrant cette nouvelle séquence électorale, deux ans seulement après les précédentes législatives, le chef de l’État a opté pour la solution de retourner aux urnes malgré <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/10/portugal-des-elections-legislatives-convoquees-apres-la-demission-du-premier-ministre_6199240_3210.html">l’avis réservé du Conseil d’État</a> le 9 novembre. C’est le choix d’un vote démocratique pour donner aux électeurs la possibilité de s’exprimer et de clarifier la situation, non sans arrière-pensée politique peut-être : le président espère probablement que le scrutin permettra de remettre en selle le PSD.</p>
<p>Mais c’est un choix risqué au regard du contexte qui a conduit à la démission du chef du gouvernement, sur fond de ténébreuse affaire de favoritisme, sinon de corruption, dont la justice n’a pu établir pour l’heure la véracité. Cette discordance des temps judiciaire, politique et médiatique renforce le climat de défiance à l’égard d’une classe politique souvent pointée du doigt, avec les effets en cascade de ces scandales de corruption.</p>
<p>Ces <em>spillover effects</em> érodent la confiance dans les institutions, tout en nourrissant un sentiment délétère d’impunité. Entre classement sans suite comme dans <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/portugal-l-instruction-de-l-affaire-de-l-ex-premier-ministre-socrates-touche-a-sa-fin-20210409">l’affaire José Socrates</a> au printemps 2021 – après sept ans d’instruction, les charges de corruption active pesant sur l’ancien premier ministre (PS) de 2005 à 2011, incarcéré en 2014 et 2015, ont été abandonnées – et <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/03/26/affaire-petrobras-retour-sur-les-trois-annees-qui-ont-marque-le-bresil_5100932_3222.html">syndrome Lava Jato</a> qui, dans le cas brésilien, a montré tous les dangers depuis la <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/08/31/bresil-la-presidente-dilma-rousseff-destituee_4990645_3222.html">destitution de la présidente Dilma Rousseff</a> à l’été 2016, perçue comme un coup d’État judiciaire ayant ouvert la voie à l’extrême droite et Jair Bolsonaro, entre « business as usual » et « catch me if you can », l’opinion publique oscille, déboussolée et désenchantée.</p>
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<figcaption><span class="caption">José Socrates mis en cause et arrêté dans une affaire de corruption.</span></figcaption>
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<p>Autant dire qu’avec l’émergence en 2019 du parti d’extrême droite <a href="https://www.ritimo.org/Portugal-Chega-un-parti-d-extreme-droite-present-dans-le-systeme-politique">Chega</a>, le choix de recourir à de nouvelles élections se fait sous haute tension. Le parti fondé et dirigé par André Ventura, jeune transfuge du PSD élu député en octobre 2019, a rapidement occupé l’espace médiatique et pesé sur la recomposition de la droite, alors que le Portugal avait <a href="https://theconversation.com/portugal-le-pays-qui-dit-nao-a-lextreme-droite-125472">longtemps été épargné par l’onde de droite radicale populiste</a> observée ailleurs en Europe.</p>
<p>Avec ses 12 députés à l’Assemblée (sur 230) et les 7,5 % de suffrages obtenus aux législatives de janvier 2022, Chega ne peut que viser plus haut, les sondages le créditant de plus de 15 % d’intentions de vote – soit, avec la représentation proportionnelle, au moins une trentaine d’élus au Parlement. Plus encore que l’immigration, le principal carburant de ce parti est la dénonciation de <a href="https://www.tdg.ch/crise-politique-au-portugal-l-affaire-des-liasses-de-billets-dope-l-extreme-droite-421113087741">« la corruption des élites »</a>. Chega appelle à une grande lessive, qui devrait commencer par le Parti socialiste. Des affiches grand format sont placardées dans les rues en 2023 ; André Ventura y apparaît en « chevalier blanc » de la démocratie avec comme slogan « Le Portugal a besoin d’un grand nettoyage ».</p>
<h2>Une majorité introuvable ?</h2>
<p>Face à ce danger, les deux principaux partis de gouvernement, PS et PSD, s’organisent. Le PS tente de tourner la page d’un Antonio Costa resté très actif, avec <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/portugal/portugal-pedro-nuno-santos-remporte-les-primaires-du-parti-socialiste-dbbedae3-24c6-4ac3-9928-b9b7a3d285d4">l’élection mi-décembre</a> de son nouveau secrétaire général Pedro Nuno Santos, 46 ans, ancien ministre des Relations avec le Parlement (2015-2019), puis des Infrastructures et du Logement (2019-2022).</p>
<p>Élu avec près des deux tiers des suffrages au terme d’une primaire interne l’ayant opposé à un candidat plus centriste, Pedro Nuno Santos entend bien succéder à Antonio Costa comme premier ministre et incarner la stabilité. Il a rapidement réorganisé le PS, dont le solide ancrage local constitue un précieux atout, sans exclure une nouvelle alliance à gauche avec le Bloco de Esquerda (Bloc de Gauche), en revitalisant l’idée d’une nouvelle <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/10/DARCY/58001"><em>geringonça</em></a>, ce « bidule brinquebalant » qui avait fonctionné entre 2015 et 2019.</p>
<p>Quant au PSD, en proie depuis 2015 à une crise de leadership et aux coups de boutoir de Chega, il tente d’incarner l’espoir à droite d’un retour au pouvoir, suite à sa « victoire volée » d’octobre 2015, quand la coalition PSD-CDS (Centre démocratique et social) était arrivée en tête sans pouvoir gouverner, mise en minorité à l’Assemblée suite au vote d’une motion de censure par l’ensemble des forces de gauche, donnant naissance à la <em>geringonça</em>.</p>
<p>Ces nouvelles élections législatives, deux ans après l’échec de janvier 2022, semblent donner à la droite une occasion inespérée de reprendre l’ascendant. Sous la direction de son <a href="https://lepetitjournal.com/lisbonne/politique-luis-montenegro-president-psd-portugal-339241">nouveau président élu à l’été 2022</a>, Luís Montenegro, le PSD a opté pour la solution d’une nouvelle coalition avec le CDS, absent au Parlement depuis 2022, et le petit Parti populaire monarchiste (PPM), revitalisant la légendaire « Alliance démocratique », vainqueur des élections fin 1979 autour de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1980/12/06/francisco-sa-carneiro-le-gout-de-l-autorite_2808335_1819218.html">Francisco Sá Carneiro</a>, leader charismatique du centre droit, nommé premier ministre avant de disparaître tragiquement dans un accident d’avion en décembre 1980.</p>
<p>On le voit bien, c’est la solution des alliances qui est privilégiée pour tenter d’obtenir une majorité à l’Assemblée. En l’état, aucun parti ne paraît en mesure de recueillir seul une majorité claire, sinon absolue. Si, à gauche, la voie d’une nouvelle <em>geringonça</em> semble s’esquisser, à droite l’épouvantail Chega pèse sur la recomposition de cette famille politique.</p>
<p>Malgré les <a href="https://www.euractiv.fr/section/elections/news/vers-une-coalition-des-partis-pour-isoler-lextreme-droite-au-portugal/">dénégations de son président</a>, d’aucuns suspectent le PSD de ne pas exclure une alliance avec Chega, afin de réunir une majorité parlementaire pour gouverner. Avec comme précédent le cas de l’assemblée régionale des Açores où deux conseillers Chega avaient <a href="https://rr.sapo.pt/noticia/politica/2020/11/24/acores-bolieiro-cita-sa-carneiro-na-tomada-de-posse-e-reconhece-exigente-missao/216069/">fourni l’appoint en 2020</a> pour faire basculer au PSD cette région autonome.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Santiago Abascal, leader du parti d’extrême droite espagnol Vox et Andre Ventura, leader du parti d’extrême droite portugais Chega, durant la campagne des élections législatives portugaises de 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/voxespana/51814205056">Flickr</a></span>
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<p>Entre normalisation rapide et lutte pour l’hégémonie, Chega a déjà débauché quelques élus du PSD, cherchant à s’affirmer comme le principal parti de droite, « l’unique chemin pour battre le socialisme au Portugal », comme l’a de nouveau déclaré son président André Ventura, réélu avec plus de 98 % des voix lors de la sixième convention nationale de sa formation les 13 et 14 janvier 2024.</p>
<h2>25 avril toujours ?</h2>
<p>Avec pour toile de fond les commémorations du 50<sup>e</sup> anniversaire de la <a href="https://editionschandeigne.fr/revue-de-presse-sous-less-oeillets-le-revolution/">Révolution des Œillets</a> en avril prochain, ces élections sont bien sous haute tension. Certains acquis du 25 avril 1974 – à commencer par la Constitution « marxiste maçonnique » de 1976 – sont clairement dans le viseur de Chega, dont le président vient de déclarer que le choix se fera entre « le Portugal de 2024 », qu’il prétend incarner, et « le Portugal de 1974 », celui de Pedro Nuno Santos.</p>
<p>Nul doute que le système politique portugais peut de nouveau se révéler « résilient », malgré – ou peut-être grâce à – un <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Abstention-comment-sen-sortent-autres-pays-europeens-2021-06-21-1201162352">taux d’abstention élevé</a>, un faible intérêt pour la politique et le <a href="https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/monnaie-surevaluee-vieillissement-desindustrialisation-ce-que-le-portugal-dit-de-lue">vieillissement de l’électorat</a>.</p>
<p>Nul doute également que la société portugaise se révèle <a href="https://migrant-integration.ec.europa.eu/news/portugal-survey-finds-public-increasingly-tolerant-migrants_en">l’une des plus ouvertes à l’immigration</a>, comme l’ont rappelé les enquêtes de European Social Survey en 2023. Chega et Ventura peuvent connaître un revers analogue à <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-espagne-brise-l-envol-de-l-extreme-droite-en-europe-24-07-2023-2529349_24.php">celui de Vox</a> et de Santiago Abascal en Espagne lors des législatives de juillet 2023.</p>
<p>Mais le vote du 10 mars pourrait se révéler un pari risqué si, faute de majorité parlementaire, la stabilité qui a dominé la vie politique portugaise depuis une quarantaine d’année, était remise en cause. Née du 25 avril, la démocratie a montré jusqu’ici sa solidité. Alors, « 25 de Abril sempre ! » (25 avril toujours !) ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221186/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yves Léonard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au Portugal, les législatives anticipées de mars s’annoncent serrées, la gauche cherchant à conserver le pouvoir face à un centre droit qui devra composer avec la montée de l’extrême droite.Yves Léonard, Membre du Centre d'histoire de Sciences Po et chercheur associé à l’université de Rouen-Normandie, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2078472023-06-29T19:12:04Z2023-06-29T19:12:04Z« La Grande Bellezza », film-allégorie du berlusconisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/534770/original/file-20230629-25-6bmvvo.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1833%2C1079&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jep Gambardella, double jouisseur, narcissique et excessif de Silvio Berlusconi dans le film de Sorrentino.</span> <span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://theconversation.com/italie-silvio-berlusconi-ou-la-revolution-liberale-qui-na-jamais-eu-lieu-207848">Silvio Berlusconi</a>, figure emblématique de la droite italienne, est mort le 12 juin dernier. Sa carrière fut marquée par une série de scandales publics et privés et par le mouvement de pensée et phénomène sociétal et de mœurs qu’elle a suscité, le <a href="https://www.treccani.it/vocabolario/berlusconismo/">« berlusconisme »</a>. De nombreux films italiens <a href="https://www.rollingstone.it/cinema-tv/film/silvio-berlusconi-il-cinema-del-caimano-i-film-che-lo-hanno-raccontato/755244/">s’en sont fait l’écho</a> depuis les années 1990.</p>
<p>Un réalisateur s’est particulièrement distingué dans l’exploration des stigmates berlusconiens sur la société italienne : Paolo Sorrentino. Dans <em>Silvio et les autres</em> (<em>Loro</em>), en 2018, il évoquait très directement la figure sulfureuse du Cavaliere.</p>
<p>Mais, déjà, dans <em>La Grande Bellezza</em> (Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2014), les grands thèmes associés au leader de droite <a href="https://journals.openedition.org/transalpina/448">sont clairement dessinés par le réalisateur</a>, de façon un peu moins directe, puisque le film est centré sur le bouleversement existentiel du protagoniste, Jep Gambardella, sexagénaire mondain et désabusé qui finira par retrouver son élan vital en revisitant intérieurement un passé enfoui.</p>
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<h2>Le divertissement comme « impératif catégorique »</h2>
<p>Des quatre traits saillants du berlusconisme donnés à voir dans <em>La Grande Bellezza</em>, le plus éclatant est celui de la jouissance individuelle comme valeur première. Sorrentino a déclaré, dans une interview, que Berlusconi avait lourdement contribué à imposer le divertissement comme <a href="https://www.smh.com.au/entertainment/movies/life-among-italys-ruins-20140122-318zw.html">« impératif catégorique »</a>.</p>
<p>La longue scène mémorable, fellinienne, de la fête débridée en discothèque, dans la toute première partie du film, constitue en soi une allégorie de cet impératif de jouissance. Pour un spectateur italien en 2013, les outrances de la fête peuvent renvoyer aux <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/berlusconi-et-les-soirees-bunga-bunga-une-prostituee-mineure-et-un-scandale-majeur-finalement-impuni-20230612_2MEELUBKXRD4XDYOMZU7FJLLVE/">scandales de mœurs</a> dans lesquels Berlusconi était directement impliqué : soupçons d’abus de mineure dans l’affaire Noemi Letizia en 2008, d’usage de la prostitution avec l’affaire D’Addario en 2009 puis avec l’affaire Ruby en 2010. Elles semblent un calque hyperbolique des fêtes libertines organisées dans les villas du « Cavaliere » et que la presse italienne dévoilait alors à grand renfort de photos.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-faits-divers-a-fait-de-societe-comment-le-viol-est-peu-a-peu-devenu-un-sujet-politique-145744">De « faits divers » à fait de société, comment le viol est peu à peu devenu un sujet politique</a>
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<p>Deux personnages incarnent chacun une facette qu’il est aisé de relier à la figure de Berlusconi : l’être désiré et l’être désirant. D’un côté, Jep Gambardella, l’organisateur de la fête, celui qui attire toutes les convoitises et aimante les regards lubriques des danseuses éméchées ; de l’autre, son ami Lello Cava, homme d’affaires hors pair, à la libido incendiaire, qu’on voit trépigner d’excitation au pied d’une jeune femme dansant sur un cube – laquelle, comme beaucoup des jeunes femmes qui graviteront autour de Berlusconi, <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2017-4-page-88.htm">voudrait percer dans le monde du spectacle</a>.</p>
<h2>Télévision et culte de soi</h2>
<p>Le second trait rattaché au berlusconisme est celui de la télévision, média indissociable de la réussite financière et de l’ascension politique de Berlusconi. La fête est en effet placée sous l’égide de « Lorena », une femme opulente qui sort de l’énorme gâteau d’anniversaire de Jep. Or, le rôle est joué par une actrice, Serena Grandi, qui fut un sex-symbol dans l’Italie des années 1980 et 1990 et qui participa à plusieurs émissions de divertissement télé dans les années 1980 et 2000. Dans le film, elle joue une sorte de caricature de son personnage public qui rassemble donc deux thèmes (le sexe et la télévision) étroitement liés au personnage Berlusconi – dont les chaînes de télévision sont par ailleurs bien connues pour privilégier les figures de pin-up.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534768/original/file-20230629-29-7yoje7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534768/original/file-20230629-29-7yoje7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534768/original/file-20230629-29-7yoje7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534768/original/file-20230629-29-7yoje7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534768/original/file-20230629-29-7yoje7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534768/original/file-20230629-29-7yoje7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534768/original/file-20230629-29-7yoje7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Serena Grandi dans son propre rôle d’ex-égérie de la fête.</span>
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<p>Le troisième trait du berlusconisme traité par Sorrentino est le culte de soi. Dans le film, le narcissisme est incarné dans la première partie du film par le personnage d’Orietta, une femme qui passe son temps à se photographier et envoyer ses autoportraits à ses admirateurs. L’obsession de la beauté et de la jeunesse se traduit ensuite dans une scène hallucinante où, dans un riche salon privé, un gourou du botox fait des injections hors de prix à des patients qui le vénèrent comme un guide spirituel, renvoyant le spectateur à une pratique, la chirurgie esthétique, dont Berlusconi a amplement usé pour lui-même et dont il vantait les mérites, considérant que les femmes ainsi opérées étaient <a href="https://www.corriere.it/politica/11_settembre_13/stella-berlusconi_561cc2f6-ddcd-11e0-aa0f-d391be7b57bb.shtml">« plus belles »</a>.</p>
<h2>Corruption à tous les étages</h2>
<p>Le dernier grand trait saillant du berlusconisme qui ressort dans le film est celui de la corruption, thème étroitement lié à la figure de Berlusconi, mis en cause dans une kyrielle de procès pour des chefs d’accusation <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/affaires-et-scandales-en-serie-pour-berlusconi_773092.html">allant de la falsification de bilan à la corruption d’avocat</a> et dont le bras droit, Marcello Dell’Utri, a été inculpé <a href="https://lejournal.info/article/berlusconi-et-la-mafia-le-pacte-impuni/">pour complicité d’association mafieuse</a>.</p>
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<p>Ce volet de l’activité berlusconienne, qui comprend encore des zones d’ombre, se retrouve dans le personnage de Giulio Moneta, homme d’affaires énigmatique, voisin du protagoniste, qui fait des apparitions depuis son balcon haut perché et dont on découvrira qu’il sert en réalité les intérêts de la pègre. Arrêté par la police à la fin du film, il déclarera, menottes aux poings, être de ceux qui font « avancer le pays » – stratégie de défense typique des avocats berlusconiens ou de Berlusconi lui-même.</p>
<h2>Mise en perspective historique</h2>
<p>La force de la représentation du berlusconisme tient également à sa mise en perspective historique, Sorrentino amenant le spectateur, par un langage tout en image, à comprendre que le triomphe du berlusconisme est rendu possible par le déclin des deux idéologies majeures qui ont fait l’histoire de l’Italie au XX<sup>e</sup> siècle : l’idéologie socialiste (et son dérivé, l’idéologie marxiste) et l’idéologie catholique.</p>
<p>Le déclin du marxisme est représenté dans une scène à la fois solennelle et grotesque dans laquelle une artiste célèbre du Body art, dont le pubis teint en rouge laisse apparaître le blason de la faucille et du marteau, vient percuter tête baissée un aqueduc romain, signifiant par sa performance spectaculaire (elle en saigne) l’impasse à laquelle a conduit l’application soviétique de la pensée marxiste.</p>
<p>Dans le même temps, le protagoniste est confronté quotidiennement à la religion dans la ville de Rome : par les nombreux religieux ou religieuses qu’il peut y observer dans les rues ou depuis son balcon ; par la pluralité des monuments religieux qui parsèment la ville éternelle. Or, le regard de Jep Gambardella sur la religion, empreint de nostalgie et d’étrangeté, s’inscrit typiquement dans le cadre d’une société sécularisée où la religion n’a plus le rôle premier d’instance organisatrice.</p>
<p>L’idée que le berlusconisme a pu s’épanouir dans un vide idéologique créé par le déclin de ces deux grandes idéologies est exprimée dans le passage de la première à la seconde séquence du film. <em>La Grande Bellezza</em> s’ouvre en effet par une déambulation sur le mont Janicule qui offre une série d’images évoquant d’un côté l’idéologie de type socialiste : la statue de Garibaldi à cheval, les bustes de partisans garibaldiens exposés dans un jardin public, de l’autre l’idéologie chrétienne avec une vue sur la fontaine dite de « l’Acqua Paola », commanditée par Paul V en 1608 et le coup de canon quotidien – première image du film – institué par Pie IX en 1948 pour permettre aux cloches romaines de sonner à l’unisson.</p>
<p>La transition vers la seconde séquence, celle de la fête en discothèque, est opérée de manière brutale par le cri hystérique d’une convive filmée en gros plan, comme un cri de détresse pour exprimer le passage des idéologies fortes, mais passées, à l’idéologie de la jouissance individualiste et narcissique, apparemment insouciante.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534809/original/file-20230629-15-5oudti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534809/original/file-20230629-15-5oudti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534809/original/file-20230629-15-5oudti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534809/original/file-20230629-15-5oudti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534809/original/file-20230629-15-5oudti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534809/original/file-20230629-15-5oudti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534809/original/file-20230629-15-5oudti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le cri de « transition » entre les époques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran</span></span>
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<p><em>La Grande Bellezza</em>, dont le tournage commença en août 2012, est tout entier empreint d’un âcre parfum de décadence qui renvoie à la fin du règne politique de Berlusconi, contraint quelques mois plus tôt à la démission forcée de son poste de président du Conseil, le 12 novembre 2011, suite aux scandales de mœurs qui le touchent et à la situation financière dramatique de l’Italie, « au bord du précipice », <a href="https://st.ilsole24ore.com/art/notizie/2011-11-05/sullorlo-baratro-081010.shtml?uuid=AapHDvIE&refresh_ce=1">comme le titrait quelques jours plus tôt</a> le journal économique <em>Il Sole 24 ore</em>. Une situation que symbolisait parfaitement la coque chavirée du Costa Concordia, ce navire de croisière qui avait fait naufrage le 12 janvier 2012 et que le protagoniste, dans la dernière partie du film, regarde fixement, sans mot dire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207847/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice De Poli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans le film oscarisé de Paolo Sorrentino, « La Grande Bellezza », les grands thèmes associés au leader de droite sont clairement dessinés.Fabrice De Poli, enseignant-chercheur en Etudes Italiennes (poésie, prose et cinéma de l'Italie - XIX-XXème s.), Université Savoie Mont BlancLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2014052023-04-20T15:59:59Z2023-04-20T15:59:59ZCancers de l’ovaire et du larynx : les victimes oubliées de l’amiante<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552386/original/file-20231005-19-r6id9r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1198%2C752&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Avertissement de désamiantage à l'entrée du chantier de reconstruction de l'université Toulouse - Jean Jaurès. L’amiante provoque différents types de cancers.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Avertissement_amiante_UT2J.jpg">Gyrostat / Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’amiante a été au cœur d’un vaste scandale sanitaire, dans les années 1990 notamment, alors que l’on prenait conscience des <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/exposition-a-des-agents-physiques/amiante">risques pour la santé</a> qui lui étaient associés. Classé cancérogène depuis 1977, il est interdit en France depuis 1997.</p>
<p>On sait en effet désormais, de façon sûre, que l’exposition aux fibres d’amiante est à l’origine de cancers du poumon (cancers broncho-pulmonaires) et de cancers de la plèvre (mésothéliomes), la double membrane qui enveloppe les poumons et tapisse l’intérieur de la cavité thoracique.</p>
<p>Mais cette substance est également à l’origine de <a href="https://www.anses.fr/fr/amiante-cancers-ovaires-larynx">cancers du larynx et de l’ovaire</a>. Or, si ce lien est connu, des scientifiques, ni les médecins spécialistes de ces pathologies, ni le grand public ne sont véritablement informés sur ce sujet.</p>
<p>Cette méconnaissance a largement contribué à la <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/exposition-a-des-agents-physiques/amiante">sous-déclaration de ces deux types de cancers dans le cadre de la reconnaissance des maladies professionnelles</a>. Autre conséquence : le suivi médical des travailleurs et travailleuses exposés à l’amiante est incomplet.</p>
<p>Cette situation est d’autant plus problématique que les secteurs les plus connus comme exposant à l’amiante, et qui sont donc les plus étudiés, emploient une majorité d’hommes. Eut égard aux risques au niveau des ovaires, qu’en est-il de l’exposition des femmes dans d’autres secteurs à risque ? Quel est l’impact sur la santé de ces dernières ?</p>
<p>Dans un rapport récent, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) fait le <a href="https://www.anses.fr/fr/system/files/AIR2018SA0266Ra.pdf">point sur cette question</a>.</p>
<h2>Qu’est-ce que l’amiante ?</h2>
<p>Interdit en France depuis 1997, l’amiante avait été utilisé depuis la fin du XIX<sup>e</sup> siècle dans de nombreux secteurs d’activité. « Amiante » est un terme générique qui désigne <a href="https://www.inrs.fr/risques/amiante/presentation-amiante.html">six minéraux naturels</a>, de type silicates hydratés (silicates de magnésium et de fer) fibreux, répartis en deux groupes qui se distinguent par leurs propriétés physiques et chimiques : les serpentines (aux fibres longues, flexibles et recourbées) et les amphiboles (aux fibres droites, raides et généralement cassantes).</p>
<p>Sa valeur commerciale lui est conférée par différentes propriétés particulières, dont une faible conductivité électrique et thermique, une bonne stabilité chimique, une durabilité, une haute résistance à la traction, une flexibilité, etc. Mais si ses atouts physiques ont vite été compris et exploités, ses effets sur la santé ont longtemps été sous-estimés.</p>
<p>Encore aujourd’hui, médecins et malades sont insuffisamment informés, ce qui entraîne une sous-déclaration et la sous-reconnaissance des cancers – notamment de l’ovaire et du larynx en maladies professionnelles.</p>
<h2>Le pharynx et l’ovaire : deux cibles méconnues de l’amiante</h2>
<p>Dans son <a href="https://www.anses.fr/fr/system/files/AIR2018SA0266Ra.pdf">rapport publié en septembre 2022</a>, l’Anses recommande une meilleure information des médecins et un meilleur accompagnement social, médical et administratif des travailleurs et travailleuses exposés à l’amiante et atteints d’un cancer du larynx ou de l’ovaire (ainsi que leurs ayants droit), pour les aider dans leurs démarches de déclaration et de reconnaissance en maladies professionnelles.</p>
<p>L’audition de médecins spécialistes du cancer de l’ovaire dans le cadre de cette expertise a permis de renseigner les limites de la diffusion des connaissances scientifiques, même parmi les médecins spécialistes.</p>
<p>Il est apparu que le cancer de l’ovaire était aujourd’hui très peu connu comme pouvant être associé à des facteurs de risque professionnels. Le cancer du larynx est, quant à lui, plus connu pour son lien avec des facteurs tels que la consommation de tabac ou d’alcool, masquant ainsi le rôle possible de l’amiante.</p>
<p>Les médecins ne sont pas les seuls à méconnaître ces relations : il en est de même de la population. Par conséquent, les malades eux-mêmes ne font pas le lien entre leur travail et leur maladie.</p>
<p>Bien entendu, d’autres facteurs, non spécifiques des cancers de l’ovaire et du larynx comme de l’amiante (complexité des démarches administratives, manque de moyens de la médecine du travail, difficulté à tracer les expositions professionnelles…) participent également de cette <a href="https://theconversation.com/le-travail-trop-rarement-incrimine-dans-les-cancers-84822">sous-déclaration et cette sous-reconnaissance en maladie professionnelle</a>.</p>
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<h2>Des risques d’exposition qui existent toujours</h2>
<p>Malgré l’interdiction en 1997 en France, des expositions restent possibles car de l’amiante est toujours présent dans de nombreux produits et matériaux de notre environnement (bâtiments anciens, murs, sols avec des dalles en vinyle-amiante). Les professionnels en contact avec de tels matériaux anciens se trouvent, de fait, exposés à l’amiante.</p>
<p>En dépit de la quantité importante de données, l’évaluation des expositions professionnelles à l’amiante n’est que partiellement étudiée, d’une part en termes de secteurs d’activité, d’autre part en termes de genre.</p>
<p>Le récent rapport pointait les secteurs exposant ou ayant exposé à l’amiante. Les plus documentés sont désormais bien identifiés : il s’agit notamment du BTP, de la métallurgie ou de la construction automobile.</p>
<p>Mais de très nombreux autres secteurs sont également impactés et sont, eux, bien moins connus : l’administration, l’entretien, l’enseignement, la santé, mais aussi le textile… De plus, ces secteurs sont peu étudiés dans la littérature scientifique. Or, une de leurs spécificités est qu’ils emploient majoritairement des femmes : ce qui limite l’évaluation des expositions à l’amiante chez ces dernières et les risques encourus.</p>
<h2>Un manque de données dangereux pour les femmes</h2>
<p>En effet, les femmes étant moins représentées que les hommes dans les secteurs d’activité connus pour être exposant à l’amiante, il est plus difficile de disposer de données permettant de documenter leurs expositions.</p>
<p>C’est pourquoi les travaux menés par l’Anses ont conduit à la formulation de recommandations en faveur d’une meilleure identification et caractérisation de l’exposition des femmes à l’amiante. Il est en effet nécessaire de disposer de davantage de données sur les secteurs, professions et travaux exposant ces dernières à ce risque ainsi que de données quantitatives permettant de mieux caractériser leur exposition.</p>
<p>L’Anses recommande également d’améliorer l’information à destination des femmes quant à la possibilité de survenue d’un cancer de l’ovaire lié à une exposition professionnelle à l’amiante.</p>
<p>Plus généralement, il faut encourager la production de données scientifiques permettant d’<a href="https://theconversation.com/sante-et-environnement-mieux-prendre-en-compte-la-vulnerabilite-des-populations-feminines-157704">enrichir les connaissances sur les différences de conditions de travail entre les hommes et les femmes et leurs impacts sur leur santé</a>.</p>
<h2>Créer un nouveau tableau des maladies professionnelles</h2>
<p>Le travail d’expertise de l’Agence a permis de confirmer, sur la base de la <a href="https://publications.iarc.fr/120">monographie 100C du CIRC</a>, mais également des méta-analyses et articles publiés par la suite, l’existence d’un lien causal avéré entre l’exposition à l’amiante et la survenue des cancers <a href="https://research.manchester.ac.uk/en/publications/occupational-cancer-burden-in-great-britain">du larynx</a> et de <a href="https://doi.org/10.1289/ehp.1003283">l’ovaire</a>.</p>
<p>L’ensemble de ces éléments scientifiques plaident en faveur de la création de tableaux de maladies professionnelles permettant de faciliter la reconnaissance de ces cancers en maladies professionnelles et ainsi, l’indemnisation des malades ou des ayants droit.</p>
<p>La création de ces tableaux permettrait de faciliter les démarches de reconnaissance en maladies professionnelles, mais également d’informer les médecins, ainsi que les travailleurs et travailleuses exposés à l’amiante des risques qu’ils encourent.</p>
<hr>
<p><em>Dominique Brunet (docteur et ingénieur en chimie, cheffe de l’unité Évaluation des valeurs de référence et des risques des substances chimiques à l’Anses), Diane Le Bayon (docteur et spécialiste « Chimie, environnement et santé », coordinatrice d’expertise scientifique à l’Anses), Miora Andrianjafimasy (docteur en épidémiologie, coordinatrice d’expertises scientifiques à l’Anses) Odile Kerkhof (ingénieur toxicologue, coordinatrice d’expertises scientifiques à l’Anses) et Charlotte Léger (pharmacienne, coordinatrice d’expertises scientifiques à l’Anses) ont également participé à la rédaction et la relecture de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201405/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandra Papadopoulos ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si le rôle de l’amiante dans le développement de cancers est établi, tous les types de cancers concernés ne sont pas aussi bien documentés. Cancers du larynx et de l’ovaire font partie de ces oubliés…Alexandra Papadopoulos, épidémiologiste - pilote de la mission "Expertises des maladies professionnelles", Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2021802023-03-21T17:49:43Z2023-03-21T17:49:43ZRepenser le modèle d’affaires de l’entreprise pour la transformer en profondeur<p>Il y a quinze ans, la crise financière rappelait les conséquences désastreuses que pouvait avoir <a href="https://www.veblen-institute.org/Minsky-une-interpretation-premonitoire-des-crises-148.html">l’obsession du profit</a> à court terme au sein de grandes entreprises. Pour satisfaire les exigences des actionnaires et attirer de nouveaux investisseurs, les dirigeants et managers ont parfois agi de manière irresponsable sans mesurer les conséquences de leurs actions sur le long terme.</p>
<p>Quelques années avant l’effondrement de Lehmann Brothers, la faillite d’<a href="https://www.piloter.org/gouvernance-entreprise/enron.htm">Enron</a>, à la suite de fraudes comptables et de manipulations financières commises par une quinzaine de cadres dirigeants, avait provoqué des dizaines de milliers de pertes d’emploi et l’évaporation de nombreuses <a href="https://www.liberation.fr/futurs/2002/01/15/enron-le-scandale-des-fonds-de-pension_390344/">épargnes retraite</a>.</p>
<p>Afin de responsabiliser l’encadrement des entreprises, les organismes régulateurs, comme le <a href="https://acpr.banque-france.fr/europe-et-international/cadre-comptable/instances/international-accounting-standards-board-iasb">Bureau international des normes comptables</a> (plus connu sous l’acronyme anglais IASB, pour <em>International Accounting Standards Board</em>) ont, semble-t-il, misé sur un modèle disciplinaire. Il s’agissait de faire en sorte que les entreprises rendent davantage de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/comptabilite-24153">comptes</a>. Le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/scandales-financiers-93144">scandale</a> Enron a notamment été suivi de la mise en place des normes dites <a href="https://theconversation.com/pres-de-20-ans-apres-le-scandale-enron-ou-en-sont-les-normes-comptables-145416">« IFRS »</a> (<em>International financial reporting standards</em>), visant un reporting financier « amélioré ». En France, la loi <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000223114/">« Nouvelles régulations économiques »</a> du 15 mai 2001 a, elle, obligé quelque 700 entreprises cotées à produire des rapports extrafinanciers quant aux conséquences sociales.</p>
<p>La solution a cependant montré ses limites, donnant parfois une <a href="https://www.erudit.org/en/journals/telescope/1900-v1-n1-telescope0418/1013772ar/abstract/">illusion de contrôle</a>. Récemment, en France, la course au profit des dirigeants d’<a href="https://theconversation.com/ethique-comment-comme-orpea-les-entreprises-font-peser-la-responsabilite-sur-leurs-salaries-181192">Orpea</a> aurait entraîné une politique de réduction des coûts au détriment de la qualité des soins prodigués aux résidents des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes du groupe et des conditions de travail des salariés. Pourtant l’entreprise affichait de <a href="https://theconversation.com/affaire-orpea-mais-a-quoi-servent-les-notations-esg-177164">très bons indicateurs</a> de responsabilité sociale dans ses rapports, notamment en raison du poids du secteur d’activité dans leur calcul.</p>
<p>Pour des évolutions plus profondes, il semble qu’il faille réfléchir plus en amont, notamment au contexte dans lequel les actions des managers sont prises. Comment dès lors focaliser l’attention des dirigeants sur le long terme et mettre davantage en évidence les liens entre le financier et le non financier ?</p>
<h2>Des discussions en cours</h2>
<p>Ces dix dernières années, un nouveau cadre a pris de l’ampleur : le <em>Reporting intégré</em> (RI). Introduit en 2013 par l’<a href="https://www.integratedreporting.org/wp-content/uploads/2015/03/13-12-08-THE-INTERNATIONAL-IR-FRAMEWORKFrench.pdf"><em>International Integrated Reporting Committee</em></a> (IIRC), coalition mondiale regroupant différents types d’acteurs, le RI se fonde sur ce que l’on appelle la « Pensée intégrée ». Elle vise à repenser le modèle d’affaires de l’entreprise en prenant en considération l’ensemble des ressources qui y contribuent (et qu’elle affectera en retour), à la fois financières et non financières.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/516396/original/file-20230320-14-iy9h3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/516396/original/file-20230320-14-iy9h3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/516396/original/file-20230320-14-iy9h3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/516396/original/file-20230320-14-iy9h3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/516396/original/file-20230320-14-iy9h3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/516396/original/file-20230320-14-iy9h3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/516396/original/file-20230320-14-iy9h3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/516396/original/file-20230320-14-iy9h3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les bureaux de l’IASB et de l’IFRS Foundation à Londres.</span>
<span class="attribution"><span class="source">mattbuck/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Sont plus précisément citées les ressources financières, naturelles, manufacturières, intellectuelles, humaines, sociales et environnementales. L’objectif est de repenser le modèle d’affaires des entreprises en mettant en évidence les connexions entre le financier et le non-financier, mais aussi en réfléchissant aux conséquences de l’action sur les court, moyen et long termes. En bref, il s’agit bien là de « responsabiliser » la gestion. Le bilan qui en découle permettrait de « raconter l’histoire de l’organisation », selon les mots de l’IIRC, de façon transparente.</p>
<p>Ces notions se trouvent aujourd’hui au cœur des discussions de deux grands acteurs de normalisation, chargés de construire un standard de reporting extrafinancier : l’<a href="https://www.efrag.org/?AspxAutoDetectCookieSupport=1">Efrag</a>, groupe consultatif européen sur l’information financière, et l’<a href="https://www.ifrs.org/groups/international-sustainability-standards-board/">ISSB</a>, organisme rattaché à la fondation IFRS de même que l’IASB.</p>
<p>Changer en profondeur les pratiques managériales nécessite en tout cas une implication forte de la hiérarchie. Nos <a href="https://theses.hal.science/tel-01755563/">recherches</a> montrent qu’il existe <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4394475">deux directions principales</a>, toutes deux à prendre sous l’impulsion de la direction : une première structurée ; une seconde plus informelle, fondée essentiellement sur des discussions impliquant différentes fonctions et différents niveaux de management pour confronter les points de vue et réfléchir ensemble à la façon dont l’organisation crée de la valeur.</p>
<h2>Déploiement structuré</h2>
<p>Parmi les groupes que nous avons étudiés, Novo Nordisk, une entreprise danoise spécialisée dans le traitement du diabète, illustre bien la première voie. La firme emploie environ 45 000 personnes dans 80 pays et commercialise ses produits dans plus de 170 pays. En 2004, la direction du groupe a poussé la pensée intégrée dans son organisation grâce à deux actions structurantes : la formalisation du principe de gestion intégrée dans les statuts de l’entreprise et la mise en place d’un modèle de gouvernance, le « Novo Nordisk Way Of Management ».</p>
<p>Mads Ovlisen, PDG du groupe à l’époque, a inclus dans les statuts une clause stipulant que l’entreprise « s’efforcerait de mener ses activités financières, écologiques et sociales de façon responsable ». Dès lors, le management a été forcé de réfléchir de façon holistique à son processus de création de valeur et à reporter la performance des éléments environnementaux et sociaux au même titre que les éléments financiers.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1483499429013381126"}"></div></p>
<p>Le « Novo Nordisk Way Of Management » repose, lui, sur 10 principes ancrés dans le développement durable. Il sous-tend notamment le pilotage de l’organisation et les politiques de rémunération managériales. En cohérence avec le développement de la Pensée intégrée dans l’organisation, Novo Nordisk publie un rapport intégré selon le cadre de l’IIRC depuis 2014.</p>
<p>Le groupe illustre un modèle de Pensée intégrée structuré et déployé de façon <em>top-down</em> qui a fait ses preuves : des activités commerciales fondées sur la durabilité avec 100 % de la production grâce à des énergies renouvelables, des médicaments faciles d’accès et abordables financièrement, tout en ayant une <a href="https://edubourse.com/meilleures-actions/actions-pharmaceutiques/">rentabilité parmi les plus élevées</a> de l’industrie pharmaceutique.</p>
<h2>Transmettre une passion pour la durabilité</h2>
<p>Il existe, cependant, une seconde façon de procéder, beaucoup moins formelle, adoptée par exemple par Sanford. Elle est la plus grande et la plus ancienne entreprise de produits de la mer de Nouvelle-Zélande, cotée au New Zealand Stock Exchange. Nommé à la tête du groupe en 2013, Volker Kuntz, a souhaité opérer un changement stratégique radical : passer d’une stratégie axée sur le volume à une stratégie axée sur la création de valeur, notamment en abandonnant les ventes de produits surgelés et en se focalisant sur le frais.</p>
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<p>Au cours d’un entretien réalisé en 2016, il nous exposait que le développement du capital humain et la valorisation du capital naturel sont, selon lui les « fondations » d’une croissance du capital financier sur le long terme. Pour obtenir l’adhésion de ses collaborateurs, il a privilégié les rencontres et les échanges directs à tous les niveaux organisationnels : en s’asseyant avec ses équipes de direction et en engageant des débats, mais aussi en voyageant sur les différents sites de pêche pour aller au contact des opérationnels, et leur expliquer sa nouvelle vision stratégique.</p>
<p>Kuntz explique avoir ainsi transmis sa passion pour la durabilité et le long terme à ses employés et à ses investisseurs. À son départ, sept ans après avoir affiché sa volonté de développer la Pensée intégrée dans son organisation Sanford est devenue une <a href="https://www.seafoodsource.com/news/business-finance/sanford-limited-making-big-investments-following-solid-fy2022">entreprise innovante et rentable</a> tout en respectant les ressources environnementales et en valorisant ses ressources humaines. Et ce malgré des années Covid difficiles.</p>
<p>Contrairement à Novo Nordisk, la construction d’une Pensée intégrée chez Sanford est le fruit d’une réflexion collective et de discussions impliquant différentes perspectives et différents niveaux organisationnels. Depuis 2014, l’organisation produit un rapport intégré dans lequel, elle aussi, « raconte son histoire » de façon transparente à ses parties prenantes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202180/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>De nouvelles normes comptables se donnent pour objectif de mieux cadrer les décisions prises en amont. Elles peuvent néanmoins aussi être insufflées de façon plus informelles.Sabrina Roszak, Assistant professor, SKEMA Business SchoolAziza Laguecir, Professeur, EDHEC Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2016522023-03-14T20:00:34Z2023-03-14T20:00:34ZPourquoi la gestion des lancements d’alerte est si difficile en entreprise<p>Depuis quelques semaines, l’actualité met les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/lanceurs-dalerte-20710">lanceurs d’alerte</a> sur le devant de la scène. En février 2023, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme <a href="https://answerconnect.cch.com/document/gfn01162909/news/echr-reverses-and-backs-luxleaks-whistleblower-halet">(CEDH) a annulé la condamnation pénale</a> de Raphaël Halet, l’un des lanceurs d’alerte de Luxleaks qui avait révélé les pratiques d’évasion fiscale de PriceWaterhouseCoopers. En France se déroule actuellement le <a href="https://theconversation.com/mediator-un-proces-dans-lindifference-un-scandale-pourtant-exemplaire-200964">procès en appel du Mediator</a>, dans lequel le groupe pharmaceutique a été reconnu coupable en première instance de « tromperie aggravée » et d’« homicides et blessures involontaires ». Une sentence qui n’aurait pas pu être prononcée sans les révélations de la pneumologue Irène Frachon sur la dangerosité de coupe-faim commercialisé pour traiter le diabète.</p>
<p>En parallèle, la protection des lanceurs d’alerte en Europe est sur le point de bénéficier d’un nouvel élan d’envergure. En transposant la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32019L1937&from=en">directive européenne sur le signalement d’irrégularités (2019/1937)</a>, les 27 États membres mettent à jour ou introduisent de nouvelles législations, <a href="https://theconversation.com/malgre-la-loi-sapin-ii-les-dispositifs-internes-anticorruption-des-entreprises-restent-peu-mobilises-186750">y compris en France</a>.</p>
<p>Une des caractéristiques clés de l’harmonisation européenne de la règlementation est que les organisations de 50 employés ou plus doivent à présent se munir d’un système de lancement d’alerte interne. Le dernier point est particulièrement important. En effet, les <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-017-3727-8">études existantes</a> indiquent que 95 % des personnes signalent d’abord l’irrégularité à l’intérieur de leur organisation avant d’envisager de le faire à l’extérieur.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mediator-un-proces-dans-lindifference-un-scandale-pourtant-exemplaire-200964">Mediator : un procès dans l’indifférence, un scandale pourtant exemplaire</a>
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<p>Or, la principale difficulté consiste justement à bien gérer les cas de lancement d’alerte au sein de l’organisation. Un exemple bien connu est celui de Yasmine Motarjemi qui, en tant qu’experte en sécurité alimentaire chez Nestlé, avait alerté sur la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-pieds-sur-terre/yasmine-motarjemi-seule-contre-nestle-9760950">nocivité de certains produits alimentaires pour bébés</a>. En dépit de cette révélation, l’entreprise avait placé la lanceuse d’alerte sous la supervision du responsable de cette ligne de produits défectueux qui a fait barrage à toutes ses actions. Peu après, Yasmine Motarjemi était licenciée.</p>
<h2>Visions opposées</h2>
<p>Notre récente <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-022-05176-0">recherche</a>, publiée dans le <em>Journal of Business Ethics</em>, s’est penchée sur les raisons de ces difficultés</p>
<p>D’un côté, on trouve le lanceur d’alerte qui ne donne pas toujours toutes les informations pertinentes et qui pourrait de surcroit avoir des attentes irréalistes. De l’autre côté, on trouve la haute direction de l’entreprise qui veut juste « tourner la page » et peut, elle aussi, avoir des attentes qui sont… irréalistes ! Coincé entre les deux, le responsable de la conformité nommé par l’entreprise a la volonté de régler le problème mais il se retrouve balloté entre deux protagonistes aux visions opposées.</p>
<p>Nous utilisons la <a href="https://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Agence-theorie-240446.htm">théorie de l’agence</a>, qui s’intéresse à l’asymétrie d’information et aux divergences d’intérêts entre deux parties, pour comprendre les raisons pour lesquelles le traitement des signalements d’irrégularités est si difficile, ainsi que pour identifier quelques solutions.</p>
<p>Dans le cas d’un lancement d’alerte au sein d’une entreprise, une situation particulière se présente. La direction de l’entreprise délègue la tâche de traiter les cas de lancement d’alerte au responsable de la conformité. Parallèlement, le lanceur d’alerte délègue au responsable de la conformité la tâche d’enquêter sur les actes répréhensibles et d’y mettre fin. À première vue, ces tâches semblent identiques, mais en réalité, le responsable de la conformité se trouve pris en étau entre le lanceur d’alerte et la haute direction.</p>
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<p>Le responsable de la conformité est confronté à trois problèmes : premièrement, les parties ont des objectifs divergents dans leur façon d’appréhender ce que doit être la « bonne gestion » d’un lancement d’alerte. Le lanceur d’alerte aura tendance à se concentrer sur le résultat alors que la direction voudra d’abord réduire les conséquences néfastes de cette situation pour l’organisation. L’intérêt du responsable de conformité réside dans le respect des procédures et dans la conduite d’une procédure d’enquête appropriée.</p>
<p>Deuxièmement, les efforts du responsable de la conformité peuvent être mal perçus. Le lanceur d’alerte ne perçoit pas les efforts réels du responsable de conformité puisque ce dernier ne peut pas l’informer de tous les détails de l’enquête en cours. La direction ne perçoit pas non plus les efforts réels et la manière dont le responsable de la conformité traite un rapport, principalement parce que la haute direction perçoit les efforts au regard du nombre de rapports et de dossiers finalisés.</p>
<p>Troisièmement, le lanceur d’alerte et la haute direction prennent tous deux des risques en communiquant avec le responsable de la conformité, mais de manière très différente. Le lanceur d’alerte prend des risques parce que le responsable de la conformité pourrait ne pas prendre ses préoccupations au sérieux ou ne pas garder son identité confidentielle. La direction prend des risques dans la mesure où la protection de la réputation de l’organisation et la prévention des litiges sont entre les mains du responsable de la conformité.</p>
<h2>Coût psychologique</h2>
<p>La théorie d’agence nous permet également d’identifier les coûts financiers et non financiers liés aux problèmes d’agence. Le lanceur d’alerte et la haute direction ont chacun leurs propres coûts de surveillance en essayant d’observer et de contrôler le comportement du responsable de la conformité afin de réduire leur propre prise de risque.</p>
<p>Nous constatons toutefois que le responsable de la conformité supporte des coûts de fidélisation doubles en essayant d’être un agent digne de confiance pour les deux principaux. En effet, vis-à-vis du lanceur d’alerte, le responsable de conformité veut être un enquêteur crédible et préserver la confidentialité de celui-ci. Mais il doit aussi supporter le coût du stress psychologique qui va avec cette situation parce qu’il ne peut pas être totalement transparent avec le lanceur d’alerte.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/malgre-la-loi-sapin-ii-les-dispositifs-internes-anticorruption-des-entreprises-restent-peu-mobilises-186750">Malgré la loi Sapin II, les dispositifs internes anticorruption des entreprises restent peu mobilisés</a>
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<p>Pour la direction, le responsable de la conformité veut être un interlocuteur crédible en incitant les gens à signaler les actes répréhensibles en interne et en traitant rapidement les problèmes qui y sont associés. Mais, il supporte là aussi le coût du stress psychologique car il ne peut maîtriser complètement les éventuelles prochaines actions du lanceur d’alerte.</p>
<p>Selon la théorie d’agence, les conflits et les problèmes peuvent être résolus en alignant les objectifs et les intérêts de l’agent et du principal. Notre recherche indique que les problèmes peuvent être résolus en donnant au responsable de la conformité les moyens de réduire ses coûts de fidélisation vis-à-vis du dénonciateur et de la haute direction.</p>
<h2>Une question de confiance</h2>
<p>Cela peut se faire de différentes manières. Par exemple, en publiant des indicateurs de performance du processus de traitement, en communiquant les procédures et les efforts déployés pour préserver la confidentialité, ou en informant régulièrement les lanceurs d’alerte de l’évolution de la situation.</p>
<p>L’alignement du système interne de signalement sur une norme de référence externe, comme la <a href="https://www.boutique.afnor.org/fr-fr/norme/iso-370022021/systemes-de-management-des-alertes-lignes-directrices/xs137210/263849">norme ISO 37002</a>, peut également contribuer à rendre le responsable de la conformité plus digne de confiance aux yeux de toutes les parties prenantes. Les cadres supérieurs devraient également suivre les formations offertes sur le lancement d’alerte et sur la manière dont les signalements d’irrégularités sont gérés. Mais, il convient également d’étudier les grilles d’incitations salariales qui récompensent l’efficacité du traitement des signalements.</p>
<p>Ces mesures de gouvernance visent à faire du responsable de la conformité un leader digne de confiance dans le processus de signalement interne. La confiance n’est pas seulement nécessaire pour motiver les employés à « s’exprimer ». Elle est aussi nécessaire pour garantir aux lanceurs d’alerte et à la direction que le système de signalement interne fonctionne réellement, notamment parce que le responsable de la conformité est habilité à agir et déterminé à accomplir sa mission.</p>
<p>Le renforcement de la protection juridique des lanceurs d’alerte dans les États membres de l’UE oblige les entreprises à mettre en place un système interne de signalement d’irrégularité. Par conséquent, il devient crucial pour les organisations de munir le responsable de la conformité d’un mandat fort. Une meilleure compréhension de la complexité de la gestion des signalements internes peut motiver les organisations à mettre en œuvre certains moyens visant à rendre les systèmes de signalement interne plus efficaces.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201652/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le responsable de la conformité, que la loi exige désormais de mettre en place dans les organisations de plus de 50 personnes, se retrouve pris en étau entre deux parties aux intérêts divergents.Wim Vandekerckhove, Professeur en éthique des affaires, EDHEC Business SchoolNadia Smaili, Professor in Accounting (forensic accounting), Université du Québec à Montréal (UQAM)Paulina Arroyo Pardo, Professeure titulaire ESG , Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2000142023-03-02T20:03:09Z2023-03-02T20:03:09ZFamille royale, showbiz et paparazzi : les tabloïds, une histoire 100 % british<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/513200/original/file-20230302-20-konvfl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C398%2C4031%2C2619&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La presse à sensation fait toujours recette en Grande-Bretagne.</span> </figcaption></figure><p>Le documentaire <a href="https://www.netflix.com/fr/title/81439256"><em>Harry & Meghan</em></a> – sorti en décembre 2022 sur Netflix – et dans lequel le couple détaille les raisons de son conflit avec le reste de la famille royale, met en cause les médias britanniques et en particulier les tabloïds, taxés de harcèlement, et jugés en grande partie responsables du <a href="https://www.nytimes.com/2020/01/15/world/europe/harry-meghan-megxit-brexit.html">« Megxit »</a>. Mais à quand remonte l’apparition de ces journaux à sensation, quel est leur mode de fonctionnement, et pourquoi rencontrent-ils un tel succès outre-Manche ?</p>
<p>Les débuts de la presse britannique furent chaotiques, mais grâce aux progrès techniques, économiques et sociétaux, elle allait devenir une industrie puissante et influente, à tel point qu’on la surnomme le <a href="https://www.greelane.com/fr/sciences-humaines/probl%C3%A8mes/what-is-the-fourth-estate-3368058/">« quatrième pouvoir »</a>, allusion à sa place de contrepouvoir face à l’exécutif, au législatif et au judiciaire.</p>
<h2>Un peu d’histoire…</h2>
<p>Les premiers journaux paraissent en Écosse, en Angleterre et en Irlande avant la fin du XVII<sup>e</sup> siècle : le <a href="https://www.nls.uk/collections/rare-books/collections/newspapers/mercurius-caledonius/"><em>Mercurius Caledonius</em></a> à Édimbourg en 1660, puis la <a href="http://www.1-jour.fr/7-nov-1665-premiere-publication-du-london-gazette/"><em>London Gazette</em></a> en 1665, et en 1685, la <em>News Letter</em> à Dublin. En 1691, grâce aux progrès technologiques, l’Angleterre met en place un système postal national, ce qui facilite la publication quotidienne de certains titres.</p>
<p>Cependant, pour contrer le développement de la presse, le parlement britannique vote la loi <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Stamp_Act_1712">Stamp Act</a> en 1721. Cette taxation sur les journaux et autres publications, qui est une forme de censure imposée par l’état, est finalement abrogée en 1855.</p>
<p>Les innovations technologiques de l’imprimerie permettent alors la croissance rapide de la presse britannique, qui devient une industrie à part entière à la fin du dix-neuvième siècle et s’installe dans la vie quotidienne des Britanniques. En 1896, la <a href="http://www.1-jour.fr/4-mai-1896-sortie-du-journal-britannique-daily-mail/">première édition du <em>Daily Mail</em></a> paraît à Londres : c’est le premier journal du type « tabloïd, » un format qui allait littéralement bouleverser la place des journaux auprès des lecteurs ainsi que les attentes de ceux-ci.</p>
<p>On aurait pu croire que la <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2014/01/23/la-presse-ecrite-britannique-cherche-son-nouveau-modele-economique_4352821_3236.html">révolution numérique</a> sonnerait le glas de la presse britannique classique ; mais malgré la baisse considérable des tirages, les journaux britanniques arrivent à tirer leur épingle du jeu.</p>
<p>Cependant, le <a href="https://www.bing.com/ck/a?!&&p=aba44513ea1735a8JmltdHM9MTY3NTkwMDgwMCZpZ3VpZD0yMTYxNDI2My04MjVhLTZiZDItMTU1OC01MGQwODM1YzZhYTgmaW5zaWQ9NTQ0MQ&ptn=3&hsh=3&fclid=21614263-825a-6bd2-1558-50d0835c6aa8&u=a1L3ZpZGVvcy9zZWFyY2g_cT10cmFpbGVyK25ldGZsaXgraGFycnkrbWVnaGFuJnZpZXc9ZGV0YWlsJm1pZD1COUMxQUVCODA2NTYxNTU4ODQ0Q0I5QzFBRUI4MDY1NjE1NTg4NDRDJkZPUk09VklSRQ&ntb=1">départ des Sussex du Royaume-Uni</a> pour s’installer en Californie, en 2020, a mis en lumière de nombreuses pratiques peu éthiques de la part de certains journalistes.</p>
<h2>Les tabloïds en tête des ventes</h2>
<p>Pour mieux comprendre la presse britannique et ses lecteurs, il est important de connaître comment elle s’organise. La presse britannique peut être divisée en <a href="https://www.10differences.org/broadsheet-vs-tabloid/?utm_content=cmp-true">deux catégories distinctes</a> : d’une part les « broadsheets » (littéralement les feuillets larges), et d’autre part les tabloïds, de taille plus petite, avec beaucoup de photos, et donc plus faciles à manier et à lire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-fausses-nouvelles-une-histoire-vieille-de-2-500-ans-101715">Les fausses nouvelles : une histoire vieille de 2 500 ans</a>
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<p>Si les « broadsheets » proposent généralement des articles de qualité et une analyse approfondie de l’actualité (comme dans <em>The Guardian</em>, par exemple), c’est tout autre chose pour les tabloïds, avec un journalisme axé sur le sensationnalisme et la médiocrité, et qui suscite de très vives critiques de la part des « victimes » de la classe politique, la famille royale et d’autres personnalités du showbiz. Avec son surnom de <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2011/jul/30/tabloids-british-phone-hacking">« the gutter presse »</a> (la presse du caniveau) les tabloïds défraient régulièrement la chronique, et ce depuis de très longtemps…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/the-crown-saison-4-un-soap-opera-cruel-envers-linstitution-monarchique-151264">« The Crown », saison 4 : un soap opera cruel envers l’institution monarchique</a>
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<p>Au niveau des tirages, parmi les <a href="https://www.newspapersland.com/united-kingdom/">titres nationaux</a> ce sont les tabloïds qui arrivent largement en tête des ventes. <a href="https://wikimonde.com/article/The_Sun"><em>The Sun</em></a>, journal fondé en 1964, reste le titre le plus vendu du pays, frôlant les quelques 1,2 million d’exemplaires quotidiennement. C’est le sensationnalisme qui fait vendre, avec une intrusion à outrance dans la vie privée de bon nombre de personnalités de la société britannique, dont la cible préférée des <a href="https://www.pointdevue.fr/royal/royaume-uni/diana-et-les-paparazzis-entre-amour-et-haine">paparazzis</a>, la famille royale. Les pratiques peu éthiques, et certains diraient franchement sordides, de ces derniers ont provoqué un tollé suite à la disparition de la <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/documentaires/the-princess-le-documentaire-inedit-sur-la-vie-tragique-de-lady-diana-25-ans-apres-sa-mort_5314465.html">Princesse de Galles, Diana</a>, dans un accident de voiture sous le pont de l’Alma à Paris le 31 août 1997. Les circonstances de l’accident ont déclenché une prise de conscience collective chez les Britanniques, comprenant les conséquences potentielles de la course au scoop.</p>
<h2>Un droit de regard sur la famille royale</h2>
<p>Dix ans après la disparition tragique de la <a href="https://edition.cnn.com/2020/08/31/world/princess-diana-death-the-windsors-series/index.html">« people’s princess »</a>, Tony Blair, premier ministre à l’époque, <a href="https://youtu.be/0wcADoF4Jos">lançait un pavé dans la mare</a> en dénonçant une tendance préoccupante au « sensationnalisme » de la part des médias britanniques. <a href="https://www.courrierinternational.com/breve/2007/06/13/pourquoi-tony-blair-deteste-the-independent">Il déplorait que</a></p>
<blockquote>
<p>« les médias chassent de plus en plus en meute, comme des bêtes féroces qui mettent en pièces les gens et leur réputation ».</p>
</blockquote>
<p>Malgré de nombreuses plaintes déposées auprès des tribunaux britanniques (on peut citer les actions juridiques entamées récemment par le Duc et la Duchesse de Sussex contre les propos racistes publiés <a href="https://www.nytimes.com/2022/12/08/world/europe/harry-meghan-netflix-media.html">dans les tabloïds</a>, ces derniers continuent à mener la vie dure des personnalités sans réfléchir à l’impact psychologique des articles pondus pour… booster les ventes.</p>
<p>Il est légitime à se demander pourquoi les Britanniques ont un appétit aussi féroce pour les tabloïds et le sensationnalisme à outrance, un phénomène qu’on ne trouve pas ailleurs, en tous cas pas à cette échelle. Pourquoi <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/17499755221092810">certains éditorialistes</a> s’acharnent à dévoiler la vie privée, par exemple, de la famille royale et de certains membres de celle-ci ? La <a href="https://www.societyofeditors.org/">Society of Editors</a>, organisme qui regroupe 400 membres de médias britanniques, a réfuté catégoriquement toute accusation de racisme de la part de Prince Harry et sa femme. Ces derniers affirment que la presse britannique est, en grande partie, responsable de leur départ « precipité ».</p>
<p>Selon la Society of Editors, les Britanniques ont un droit de regard sur la vie des « riches », y compris la famille royale. La question épineuse du coût de la monarchie et de l’existence même de l’institution est une constante source de débat d’outre-Manche. Si le contribuable britannique finance une partie de cette institution, est-il en droit de connaître la vie privée de certains de ses membres ? Pour la Society of Editors, la réponse est claire : oui. La monarchie, financée par l’argent public, doit rendre des comptes. Quant aux Sussex et à leur <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-56326807">refus de respecter certaines conventions</a> de la famille Windsor (la célèbre maxime « ne jamais se plaindre, ne jamais s’expliquer »), avec notamment la diffusion sur Netflix de la série <em>Harry & Meghan</em>, il a peut-être renforcé cette frénésie de sensationnalisme.</p>
<p>On pourrait se demander si la mise en place de la <a href="https://www.ipso.co.uk/what-we-do/">Independent Press Standards Organisation</a>( IPSO) en 2014, qui a fait suite au scandale du <a href="https://youtu.be/52VQ3gSzqCE">piratage téléphonique par News International</a> (dont le propriétaire est Rupert Murdoch) a changé la donne. Mais à en croire les vives critiques à l’encontre de cet organisme, censé gérer les plaintes logées contre la presse, il semblerait qu’il reste encore un long chemin à faire.</p>
<p>Le Prince Harry, dans sa biographie, parue en janvier 2023, <a href="https://youtu.be/nRtzE658oSA"><em>Le Suppléant</em></a>,résume en quelques mots son ressenti concernant l’évolution de la presse à sensation :</p>
<blockquote>
<p>« Tout le monde à l’époque [du décès de sa mère, NDLR] s’accordait à dire que la presse était une meute de monstres ; même ceux qui lisaient acceptaient leur part de responsabilité. Nous devions tous nous comporter mieux que ça, disaient la plupart des gens. Aujourd’hui, tant d’années plus tard, tout était oublié. L’histoire se répétait jour après jour… »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/200014/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gwyn Jones ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi les Britanniques ont-ils un appétit aussi féroce pour les tabloïds ?Gwyn Jones, Etudes de civilisations britanniques, Université Bretagne SudLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2009642023-03-02T20:01:05Z2023-03-02T20:01:05ZMediator : un procès dans l’indifférence, un scandale pourtant exemplaire<p>C’est dans une forme d’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/dans-le-pretoire/dans-le-pretoire-du-vendredi-24-fevrier-2023-2379071">indifférence</a> que se poursuit en appel le procès du Mediator depuis le 9 janvier 2023, si ce n’est pour dénoncer la remise récente de la Légion d’honneur à une lobbyiste des laboratoires Servier. C’est le parquet qui avait <a href="https://www.liberation.fr/societe/sante/affaire-du-mediator-le-parquet-de-paris-fait-appel-de-la-relaxe-partielle-des-laboratoires-servier-20210406_Z7WUHSFD5JBL3LTLKKD34PBDPU/">interjeté appel</a> du jugement rendu le 29 mars 2021 par le tribunal correctionnel de Paris.</p>
<p>Certes, le groupe pharmaceutique avait été reconnu coupable de « tromperie aggravée » et d’« homicides et blessures involontaires » en commercialisant un coupe-faim pour traiter le diabète en dépit du fait qu’il connaissait ses conséquences sur la santé et les risques cardio-vasculaires engendrés. La relaxe partielle pour obtention indue d’autorisation de mise sur le marché et escroquerie a néanmoins été jugée trop clémente par le procureur de la République.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1630614255471935499"}"></div></p>
<p>La salle qui accueillait auparavant le procès des attentats du 13 novembre 2015 s’est certes remplie le mardi 14 février pour l’audition de la lanceuse d’alerte Irène Frachon sans laquelle le produit continuerait peut-être toujours à faire des ravages. Les victimes se sont, elles, exprimées les jours suivants devant des bancs quasi déserts.</p>
<p>Et pourtant, l’affaire, aux dires de professionnels du secteur du médicament, tiraillés entre éthique et recherche de profit, marquerait un <a href="https://theconversation.com/soigner-la-population-ou-son-chiffre-daffaires-un-dilemme-pour-les-marketeurs-de-lindustrie-pharmaceutique-164180">tournant</a>. Discret, le procès n’en marquerait pas moins une frontière entre un avant et un après.</p>
<p>Pourquoi un tel paradoxe ? Comme le montrent nos travaux sur la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1056492615579081">criminalité en col blanc</a>, différents ressorts interviennent en fait : un crime en col blanc se trouve souvent caché et euphémisé, notamment car il s’avère bien délicat de faire la part des choses entre responsabilités individuelles et organisationnelles et car il est toujours possible de se réfugier derrière une défaillance des organismes de contrôle. Le cas du Mediator s’avère en fait une parfaite illustration des principaux enseignements de la littérature scientifique sur la question.</p>
<h2>Faillite de surveillance</h2>
<p>Le laboratoire Servier, 2<sup>e</sup> groupe pharmaceutique français, a conçu et vendu un médicament, le Mediator, de 1976 à 2009 alors que celui-ci était su toxique pour la santé au moins depuis 1995. Il aura fallu le courage d’Irène Frachon, pneumologue lanceur d’alerte, pour le dénoncer. Son ouvrage <em>Mediator 150 mg</em> avait même vu son sous-titre <em>Combien de morts ?</em> censuré un temps après un procès en référé intenté par le laboratoire.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/512963/original/file-20230301-2006-m3xm7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/512963/original/file-20230301-2006-m3xm7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512963/original/file-20230301-2006-m3xm7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=933&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512963/original/file-20230301-2006-m3xm7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=933&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512963/original/file-20230301-2006-m3xm7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=933&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512963/original/file-20230301-2006-m3xm7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1173&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512963/original/file-20230301-2006-m3xm7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1173&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512963/original/file-20230301-2006-m3xm7g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1173&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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</figure>
<p>Plusieurs éléments caractérisent la criminalité en col blanc. Apparaît bien souvent en premier lieu <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300033182/white-collar-crime/">l’ampleur des conséquences</a>. Durant les 33 ans de sa commercialisation, le Médiator a été prescrit à plus de 5 millions de personnes en France et aurait entraîné la mort de 1000 à 2000 personnes. Le coût pour la sécurité sociale a, lui, été chiffré à <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/05/04/01016-20110504ARTFIG00652-le-mediator-a-coute-au-moins-12-milliard-a-la-secu.php">plus d’un milliard d’euros</a>.</p>
<p>Si les conséquences sont telles, expliquent les chercheurs, c’est bien souvent en raison d’un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/9781118775004.ch11">manque de surveillance</a>. L’affaire Servier a ainsi permis de mettre en exergue les profondes déficiences des autorités françaises de contrôle. Des comparaisons avec nos voisins sont mobilisées à l’appui, ce même si un débat existe autour du retrait plus précoce du produit en Espagne et en Italie, respectivement, 2003 et 2004 : était-ce à l’<a href="https://sante.lefigaro.fr/actualite/2010/11/22/10565-2003-lespagne-retire-mediator-marche">initiative du laboratoire</a> pour en raison d’une demande insuffisante ou bien une initiative des autorités qui observaient de premiers cas de valvulopathie ?</p>
<p>Dès 2011, un <a href="https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/Synthese_MEDIATOR.pdf">rapport</a> de l’Inspection générale des Affaires sociales, ainsi que <a href="https://www.apmnews.com/documents/rapport-mission-refonte-systeme-controle-medicaments-160311.pdf">celui</a> remis au président de la République par les professeurs Bernard Debré et Philippe Even pointait une <a href="https://www.apmnews.com/documents/rapport-mission-refonte-systeme-controle-medicaments-160311.pdf#page=77">« faillite »</a> du système du système de pharmacovigilance français, et en particulier de l’Agence sanitaire des produits de santé :</p>
<blockquote>
<p>« <a href="https://www.apmnews.com/documents/rapport-mission-refonte-systeme-controle-medicaments-160311.pdf#page=48">Pourquoi</a> l’honneur d’avoir dénoncé le Mediator est-il revenu au seul Dr Frachon, finalement aidé par C. Hill et par le Dr A. Weill (suspendu pour l’avoir aidé !) et non à une agence de 1 000 personnes ? », questionnent les seconds.</p>
</blockquote>
<p>Le scandale du Médiator est bien aussi la faillite du système de pharmacovigilance français, argument mobilisé par la défense. Lors de son audition par la mission d’information parlementaire en mars 2011, le fondateur de l’entreprise, Jacques Servier (décédé depuis) rappelait déjà que son groupe disposait de toutes les autorisations nécessaires pour la commercialisation de son produit coupe-faim.</p>
<h2>Pour éviter un bis repetita</h2>
<p>Si la criminalité économique peut perdurer, c’est aussi car des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1745-9125.12206">mécanismes d’apprentissage</a> transmettent les techniques des fraudeurs, transformant alors un crime de quelques individus en <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1745-9125.1996.tb01211.x">criminalité organisationnelle</a>. Vendre un tel médicament sur une aussi longue période nécessite de fait l’implication de nombreuses personnes en interne et externe.</p>
<p>Le temps passant, les protagonistes du lancement de ce produit néfaste ont été obligés de transmettre les techniques nécessaires à cette infraction à d’autres cadres du groupe. Selon les criminologues, ils ont aussi dû leur expliquer les mobiles du groupe Servier, donner des justifications permettant de moins de sentir coupable et fournir les contacts avec les réseaux nécessaires pour faire perdurer les ventes.</p>
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<p>Cela fait que les criminels ont souvent, à tort ou à raison, un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01639625.2018.1491696">faible sentiment de culpabilité</a>. C’est sans doute en partie pour cela que le numéro 2 du groupe Servier, Jean-Philippe Seta déclarait à la cour d’appel au mois de janvier :</p>
<blockquote>
<p>« Nous nous sommes trompés dans l’évaluation du risque. Nous avons fait une erreur sévère, sérieuse, dont les conséquences ont été gravissimes pour les victimes ».</p>
</blockquote>
<p>Le laboratoire, avaient cependant estimé les <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/pharmacie-sante/mediator-retour-sur-un-scandale-sanitaire-1897243">juges</a> en première instance, « <em>disposait à partir de 1995, de suffisamment d’éléments pour prendre conscience des risques mortels</em> ». Le scandale sanitaire est ici présenté une « erreur », technique rhétorique d’euphémisation qui a pour objectif de se sentir moins coupable et d’anesthésier l’opinion et la justice.</p>
<p>C’est pourtant une réaction vigoureuse de la justice qui est maintenant nécessaire, aussi bien envers les acteurs individuels que la personne morale (le groupe Servier). L’un des premiers enseignements du père fondateur de la sociologie française, Émile Durkheim, repris maintes fois par les chercheurs, est en effet <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/de-la-division-du-travail-social--9782130619574.htm">l’importance des peines</a> pour fixer les normes acceptables de comportement dans une société.</p>
<p>Ainsi, aux États-Unis, le groupe Servier a-t-il été impliqué dans la vente d’un médicament similaire, le <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2011/06/08/dementi-de-servier-accuse-d-avoir-menti-aux-americains-pour-vendre-l-isomeride_1533361_3222.html">Redux</a>, aux effets tout aussi néfastes. En 2005, son partenaire Wyeth a été obligé de provisionner plus de <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2011/06/08/dementi-de-servier-accuse-d-avoir-menti-aux-americains-pour-vendre-l-isomeride_1533361_3222.html">20 milliards de dollars</a> pour faire face aux frais d’avocats et aux indemnisations des patients. Si la justice américaine est capable de punir justement et lourdement, pourquoi pas celle aussi de l’hexagone ?</p>
<p>Le tribunal correctionnel de Paris a condamné en 2021 le groupe Servier à 2,7 millions d’euros soit <a href="https://servier.com/wp-content/uploads/2022/08/servier-rapport-annuel-2020-21-1.pdf#page=34">0,4 % de son bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements</a>. Pour qu’un scandale du type Médiator ne survienne pas une nouvelle fois en France, il faudrait sans doute une peine plus dissuasive, à hauteur, par exemple, du bénéfice annuel de l’entreprise. Il serait souhaitable que le groupe Servier soit aussi condamné à rembourser le coût pour la sécurité sociale de ce médicament néfaste, soit plus d’un milliard. Sans peine exemplaire, il ne faudra pas s’étonner au prochain scandale sanitaire français. Une partie de notre santé future semble bien se trouver dans les mains des juges.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200964/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Venard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le procès en appel des laboratoires Servier suscite peu d’intérêt. Il présente pourtant tous les traits d’une criminalité en col blanc pour laquelle une condamnation vigoureuse semble nécessaire.Bertrand Venard, Professeur / Professor, AudenciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1963702022-12-12T18:37:06Z2022-12-12T18:37:06ZScandale présumé Qatar–Parlement européen : la nécessité de faire évoluer les règles liées au lobbying<p>Eva Kaili, vice-présidente du Parlement européen, et trois autres personnes ont été <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20221211-%F0%9F%94%B4-corruption-pr%C3%A9sum%C3%A9e-au-parlement-europ%C3%A9en-l-%C3%A9lue-grecque-eva-kaili-%C3%A9crou%C3%A9e">inculpées et écrouées</a> dimanche 11 décembre dans le cadre d’une enquête sur des soupçons de corruption en lien avec le Qatar.</p>
<p>Mme Kaili, députée grecque socialiste, en charge des relations avec le Moyen-Orient au titre de son mandat de vice-présidente, avait récemment <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/CRE-9-2022-11-21-INT-1-137-0000_EN.html">expliqué à ses pairs</a> que le Qatar était « en pointe dans le domaine du droit du travail », que l’organisation de la Coupe du Monde de football dans ce pays était un signe de grand progrès démocratique, et que les élus qui se montraient critiques vis-à-vis du Qatar se livraient à du « harcèlement ».</p>
<p>Samedi 10 décembre, la police belge a trouvé chez elle de pleins sacs de billets <a href="https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/general/des-sacs-d-argent-liquide-trouves-au-domicile-de-la-vice-presidente-du-parlement-europeen/10433834.html">(au moins 600 000 euros)</a>, après avoir intercepté son père avec une grosse valise remplie d’argent, qu’il s’apprêtait à ramener en Grèce. Un autre député socialiste, le Belge <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/soupcons-de-corruption-au-sein-du-parlement-europeen-marc-tarabella-eurodepute-belge-a-son-tour-perquisitionne_5538495.html">Marc Tarabella</a>, est également mis en cause. Vice-président de la délégation du Parlement européen pour les relations avec la Péninsule arabique, il estimait récemment que le Qatar était un <a href="https://www.politico.eu/article/qatar-world-cup-2022-human-rights-labor-laws-football-emmanuel-macron-gianni-infantino/">« exemple à suivre »</a> pour les autres pays de la région.</p>
<p>On ne peut pas dire de cette affaire qu’elle est typique de ce qui se passe au Parlement européen. L’institution n’avait, en effet, jamais été confrontée jusqu’ici à un scandale de corruption de cette ampleur.</p>
<p>Mais les révélations illustrent néanmoins deux phénomènes, et appellent à un sursaut.</p>
<h2>Les méthodes du Qatar mises en cause</h2>
<p>Ces faits font voler en éclats le récit que cherchent à imposer depuis des années, et plus encore depuis le début de la compétition, les <a href="https://www.qna.org.qa/fr-FR/News-Area/News/2022-09/15/l%E2%80%99entretien-de-son-altesse-avec-le-magazine-fran%C3%A7ais-le-point">autorités du Qatar</a> et certains de leurs thuriféraires, qui affirment volontiers que le pays serait devenu irréprochable d’un point de vue éthique.</p>
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<p>Si les faits sont avérés, ils confirmeraient une politique mise en place depuis longtemps par un pays dont les autocrates veulent améliorer l’image afin de faciliter leur <a href="https://www.lenouveleconomiste.fr/christian-chesnot-le-qatar-en-100-questions-95494/">stratégie d’investissement à l’échelle internationale</a> et de développer des partenariats commerciaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1601571453073518592"}"></div></p>
<p>À ce jour, le Qatar n’a pas fait la preuve qu’il accueille la Coupe du Monde pour se nourrir des idées des supporters venus des démocraties libérales ou pour en finir avec le conservatisme. Pour l’instant, les autorités demeurent attachées à leur <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2013-1-page-29.htm">vision très traditionnelle de la société</a>. Les leaders qataris semblent surtout se ménager des alliés à coups de millions en embauchant des consultants et des <a href="https://rmcsport.bfmtv.com/football/coupe-du-monde/coupe-du-monde-2022-beckham-signe-un-enorme-contrat-avec-le-qatar-pour-etre-ambassadeur_AV-202110240056.html">porte-parole</a>, et en invitant à Doha toutes sortes de gens influents à assister aux réjouissances.</p>
<p>L’affaire du Parlement, si elle est confirmée par la justice, pourrait montrer une étape supplémentaire : la corruption de responsables politiques, administratifs, économiques et médiatiques. On sait par ailleurs que la justice française enquête sur les conditions de l’attribution de la Coupe du Monde à la monarchie et <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/14/attribution-du-mondial-au-qatar-nicolas-sarkozy-michel-platini-et-le-rachat-du-psg-au-c-ur-de-l-enquete-de-la-justice-francaise_6149853_3224.html">sur un déjeuner à l’Élysée</a>.</p>
<h2>Une évolution nécessaire du fonctionnement du Parlement européen</h2>
<p>Ce scandale présumé illustre aussi le besoin de changement et de réformes au Parlement européen.</p>
<p>De nombreuses affaires révélées par la presse montrent ainsi que la <a href="https://www.rtbf.be/article/quel-depute-europeen-a-rencontre-quel-groupe-dinfluence-quelles-sont-les-regles-du-lobbying-europeen-11121264">pression des lobbies sur ses membres</a> s’accroît proportionnellement à <a href="https://www.touteleurope.eu/institutions/le-parlement-europeen/">l’évolution de ses compétences</a> et de son influence. La présence et les activités des groupes de pression sont déjà <a href="https://www.hatvp.fr/lobbying/actualites/la-regulation-du-lobbying-au-niveau-de-lunion-europeenne/">fortement régulées à l’échelle des institutions européennes</a>, par voie de comparaison avec bien des États membres, mais il faut constamment faire évoluer le droit et les pratiques pour s’adapter au renouvellement de leurs stratégies.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1602048261321543680"}"></div></p>
<p>Il convient aussi de créer un environnement qui n’encourage pas les lobbies à déraper et qui n’attire pas les politiciens les moins soucieux d’éthique. Ainsi, il n’est pas normal que les députés européens puissent encore <a href="https://www.europe1.fr/politique/avocats-consultants-ou-joueur-de-poker-les-deputes-europeens-cumulent-les-activites-paralleles-3706436">exercer des activités de consultant ou d’avocat en marge de leur mandat</a>, et que les émissaires des pays tiers ne soient pas astreints à s’inscrire sur le <a href="https://commission.europa.eu/about-european-commission/service-standards-and-principles/transparency/transparency-register_fr">registre de transparence</a> qui s’impose à toutes les autres personnes qui entendent fréquenter les institutions européennes.</p>
<p>Il est aussi grand temps que les députés européens déclarent la totalité des personnes qu’ils rencontrent dans le cadre de leurs fonctions, et que des règles encadrent strictement les pratiques de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/10/19/pantouflage-a-bruxelles-la-mediatrice-de-l-union-europeenne-pousse-les-feux_6099036_3234.html">pantouflage</a> à l’issue de leur passage au Parlement européen. Il est enfin indispensable que les partis se préoccupent davantage de la probité des candidats à la députation européenne, et que l’Union se dote d’un comité d’éthique indépendant, disposant de larges pouvoirs d’enquête et de sanction.</p>
<p>Voilà déjà trente ans que le Parlement européen débat de ces questions, et de nombreux think tanks, ONG et experts ont formulé de multiples <a href="https://www.anticor.org/2019/02/12/les-propositions-danticor-pour-les-elections-europeennes-2019/">suggestions en la matière</a>. Des progrès ont été faits, mais à un rythme trop lent pour circonvenir les lobbyistes les plus dénués de principes et les députés les plus avides.</p>
<h2>Des leçons à tirer pour l’avenir</h2>
<p>Certes, aucune règle ne pourra jamais empêcher un parlementaire véreux de monnayer son influence auprès d’un commanditaire peu regardant. Mais si les dérives étaient combattues plus fermement par le Parlement européen, si la transparence, la probité et l’éthique étaient au cœur de l’organisation de son travail, l’institution cesserait d’attirer les indélicats et les partis ne prendraient plus le risque de les y envoyer.</p>
<p>Les corrupteurs seraient également plus prudents dans leurs initiatives. Il convient aussi que les autorités européennes et nationales laissent la justice passer, et qu’on ne retrouve pas dans cinq ans les protagonistes de la pantalonnade qatarie dans quelque fonction officielle.</p>
<p>Enfin, il faut combattre le relativisme qui sous-tend la politique étrangère de l’Union européenne. Tous les pays tiers ne sont pas des amis, et tous leurs représentants ne se comportent pas d’une manière acceptable. Certains États, dont chacun devine la liste, emploient des méthodes crapuleuses vis-à-vis de leurs partenaires européens – et le déni et l’angélisme ne sont pas les réponses les plus appropriées à leurs menées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196370/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Costa est membre de l'Observatoire de l'éthique publique</span></em></p>Le scandale de corruption qui vient d’éclater au sein du Parlement européen jette une lumière crue aussi bien sur les pratiques du Qatar que sur certaines failles des institutions de l’UE.Olivier Costa, Directeur des Études politiques au Collège d'Europe, Directeur de recherche au CNRS, CEVIPOF, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1942182022-11-13T16:33:07Z2022-11-13T16:33:07ZLa saison 5 de « The Crown » est sortie : cap sur la décennie infernale des Windsor<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/494145/original/file-20221108-20-q726f7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C5914%2C2943&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Photo de la neuvième saison de "The Crown". </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://media.netflix.com/es_es/only-on-netflix/80025678">Netflix</a></span></figcaption></figure><p>La cinquième saison de <em>The Crown</em>, la série britannique consacrée à la vie d’Elizabeth II d’Angleterre, est sortie le 9 novembre. Le nouveau volet couvre les événements des années 1990 qui, sur le plan politique et privé, ont défini cette période de son règne. Mais que s’est-il passé exactement pendant ces années ?</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Ej0vb8xhvbw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande annonce pour la cinquième saison de <em>The Crown</em>.</span></figcaption>
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<h2>1992, <em>annus horribilis</em></h2>
<p>L’année 1992 marque le 40<sup>e</sup> anniversaire de l’accession au trône d’Elizabeth II. Toutefois, dans le discours qu’elle prononce le 24 novembre pour marquer l’occasion, Elizabeth II décrit 1992 comme son <a href="https://www.royal.uk/annus-horribilis-speech"><em>annus horribilis</em></a>.</p>
<p>Le discours intervient <a href="https://www.lumni.fr/video/elizabeth-ii-et-le-grand-incendie-1992">quatre jours après l’incendie du château de Windsor</a>, qui a détruit une partie du bâtiment. Au cours des mois précédents, les tabloïds londoniens ont ouvert leurs éditions quotidiennes en évoquant les frictions dans la relation entre le prince et la princesse de Galles, le divorce de la princesse Anne et de son mari, le capitaine Mark Phillips, et le divorce entre le prince Andrew et Sarah Ferguson.</p>
<p>Les scandales sont continuels et rien ne semble calmer la presse à scandale qui se déchaîne contre les enfants de la Reine. L’intransigeance de l’incombustible reine mère dans les affaires sentimentales de ses petits-enfants n’a pas non plus arrangé la situation.</p>
<p>L’époque est également marquée par de nombreux changements dans l’ordre international. Après plus d’une décennie en tant que Premier ministre, Margaret Thatcher laissait Downing Street aux mains de John Major, moins charismatique, mais doté d’un gouvernement conservateur capable de remettre sur les rails la situation en Irlande du Nord après des années de violence et de meurtres.</p>
<p>La fin de la guerre froide provoque l’effondrement de l’Union soviétique. Boris Eltsine tente de faire face à une nouvelle Russie menacée par la corruption et la guerre en Tchétchénie.</p>
<p>Bien qu’Elizabeth II soit parvenue à maintenir sa légitimité en tant que chef d’État et du Commonwealth, la famille royale s’effrite sous ses yeux.</p>
<h2>Charles et Diana</h2>
<p>Le désaccord entre le prince Charles et Diana a été rendu public bien que tous deux aient essayé de protéger leurs deux plus jeunes fils, William et Harry, qui avaient respectivement onze et neuf ans lorsque la séparation a été annoncée en décembre 1992.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/493843/original/file-20221107-3451-2r1xxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493843/original/file-20221107-3451-2r1xxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493843/original/file-20221107-3451-2r1xxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493843/original/file-20221107-3451-2r1xxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493843/original/file-20221107-3451-2r1xxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493843/original/file-20221107-3451-2r1xxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493843/original/file-20221107-3451-2r1xxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493843/original/file-20221107-3451-2r1xxc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Capture d’écran de la cinquième saison de <em>The Crown</em> où sont mis en scène Diana et le prince Charles avec leurs fils, Henry et William.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://media.netflix.com/es_es/only-on-netflix/80025678">Netflix</a></span>
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<p>Camilla, toujours mariée au brigadier Andrew Parker Bowles, était peut-être alors la figure la plus détestée de la société britannique, une source infinie de dérision et de reproches. Peu de gens comprenaient pourquoi le prince de Galles préférait son éternelle maîtresse, peu raffinée et vulgaire, au glamour que dégageait Diana.</p>
<p>Élisabeth II ne l’a probablement pas compris non plus, même si ses relations avec sa belle-fille avaient été peu cordiales jusque-là. Elle a enduré pendant des décennies les rumeurs constantes sur les aventures extraconjugales du duc d’Édimbourg. Même au début des années 1990, alors qu’ils avaient tous deux largement dépassé l’âge mûr, l’existence de Lady Penny (Penelope Knatchbull) dans la vie sentimentale de son mari, une amie proche souvent considérée comme une maîtresse, était bien connue.</p>
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<p>La reine se souvient également de quelle façon la vie « licencieuse » de sa sœur Margaret a jeté le discrédit sur l’institution royale, même si depuis ces années de jeunesse, les relations entre elles se sont apaisées.</p>
<p>La goutte d’eau a fait déborder le vase lorsque <a href="https://www.la-croix.com/Interview-Lady-Di-1995-journaliste-BBC-excuse-defend-2021-05-23-1301157206">Diana, en deuil, a donné une interview en 1995</a> au journaliste de la BBC Martin Bashir dans laquelle elle a déclaré qu’ils étaient « trois dans leur mariage ». Le divorce suit rapidement et est rendu public en 1996.</p>
<h2>Charles… successeur ?</h2>
<p>Buckingham Palace était sur le point d’exploser. La popularité de l’héritier était au plus bas et certains ont osé faire allusion à des <a href="https://www.independent.co.uk/life-style/royal-family/the-crown-season-5-charles-john-major-b2211038.html">accords présumés</a> entre le prince Charles et John Major pour tenter de forcer une transmission accélérée de la couronne, ce que l’ancien Premier ministre lui-même a nié.</p>
<p>Si John Major a pu avoir des divergences d’opinion sur la manière de traiter les questions relatives au nouvel ordre du Commonwealth et, en particulier, le transfert de la souveraineté sur Hongkong du Royaume-Uni à la République populaire de Chine – l’un des sujets brûlants de la politique étrangère de la Couronne au milieu des années 1990 –, il n’y a jamais eu de manœuvres de Charles contre la Reine pour avancer la succession.</p>
<p>De plus, la vision britannique de l’héritier présomptif était si négative qu’une telle intrigue de palais aurait été incompréhensible.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/493847/original/file-20221107-3451-mye6hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493847/original/file-20221107-3451-mye6hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493847/original/file-20221107-3451-mye6hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493847/original/file-20221107-3451-mye6hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493847/original/file-20221107-3451-mye6hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493847/original/file-20221107-3451-mye6hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493847/original/file-20221107-3451-mye6hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493847/original/file-20221107-3451-mye6hu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Image fixe de <em>The Crown</em> représentant la famille royale britannique dans les années 1990.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://media.netflix.com/es_es/only-on-netflix/80025678">Netflix</a></span>
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<p>Seul le plus jeune des enfants de la Reine, le prince Edward, qui avait abandonné ses activités audiovisuelles pour travailler pour la couronne, semblait alors épargné par les scandales sentimentaux. Edward essayait de garder secrète son histoire naissante avec la fille d’un vendeur de voitures, Sophie Rhys-Jones. Pour la reine et le duc d’Édimbourg, cela allait également être difficile à avaler.</p>
<h2>La « princesse du peuple »</h2>
<p>Pendant ce temps, les sujets britanniques commençaient à construire le mythe de la <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/histoire/video-surnommee-la-princesse-du-peuple-on-vous-raconte-l-historie-de-lady-diana_4183439.html">« princesse du peuple »</a> : celui de la pauvre Diana abandonnée, déprimée, boulimique qui, enfoncée dans la douleur de la trahison, tombait dans les bras des médecins et des gardes du corps. Elle était la martyre, il était le traître. La Reine tente de gérer la pire crise institutionnelle de la monarchie depuis l’époque d’Edouard VIII.</p>
<p>Au milieu des gros titres et des poursuites photographiques des paparazzi, la « Lady Di » autrefois apathique commence à renaître de ses cendres, portant du Versace, fréquentant des artistes et se souciant des problèmes de société, ceux que la monarchie semble négliger : la <a href="https://blog.francetvinfo.fr/bureau-londres/2017/04/09/la-poignee-de-main-de-la-princesse-diana-contre-le-sida.html">lutte contre le sida</a>, les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=TKjvpmSYTPE">mines anti-personnel</a> ou la pauvreté à Calcutta, entre autres.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/493845/original/file-20221107-23-3b8npk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493845/original/file-20221107-23-3b8npk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493845/original/file-20221107-23-3b8npk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493845/original/file-20221107-23-3b8npk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493845/original/file-20221107-23-3b8npk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493845/original/file-20221107-23-3b8npk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493845/original/file-20221107-23-3b8npk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493845/original/file-20221107-23-3b8npk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Image fixe de <em>The Crown</em>, qui recrée un moment de la « résurgence » de la princesse Diana après son divorce.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://media.netflix.com/es_es/only-on-netflix/80025678">Netflix</a></span>
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<p>Cependant, elle commence également à avoir une liaison avec le fils rebelle du milliardaire Al-Fayed. Dodi Al-Fayed était d’origine égyptienne et de confession musulmane, ce qui était inacceptable pour la mère du futur souverain du Royaume-Uni.</p>
<p>En cet été 1997, il semblait que l’arrivée des travaillistes de Tony Blair au gouvernement ouvrirait une nouvelle ère. Mais le 31 août 1997, le <a href="https://www.sudouest.fr/culture/people/il-y-a-25-ans-la-mort-de-lady-diana-que-s-est-il-passe-ce-jour-la-12089004.php">monde s’est réveillé avec la nouvelle de la mort de Diana</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194218/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cristina Barreiro Gordillo no recibe salario, ni ejerce labores de consultoría, ni posee acciones, ni recibe financiación de ninguna compañía u organización que pueda obtener beneficio de este artículo, y ha declarado carecer de vínculos relevantes más allá del cargo académico citado.</span></em></p>La cinquième saison débute, relatant une décennie pas si facile pour la reine Elizabeth II. Que s’est-il passé exactement pendant ces années ?Cristina Barreiro Gordillo, Profesora Titular Historia Contemporánea, Universidad CEU San PabloLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1910252022-10-02T16:27:27Z2022-10-02T16:27:27ZL’enquête sur l’émeute du Capitole : le Watergate de Donald Trump ?<p>Jamais avant Donald Trump il n’y eut d’insurrection telle que celle du 6 janvier 2021, ni de manœuvres visant à entraver le transfert de pouvoir entre un président et son successeur.</p>
<p>La <a href="https://january6th.house.gov/">Commission spéciale de la Chambre des représentants</a> créée en juillet 2021 pour enquêter sur ces faits travaille sur ce dossier gigantesque depuis maintenant plus d’un an. Parallèlement, le département de la Justice a mis en examen plus de 800 individus, dont certains ont déjà été condamnés, à l’issue d’un plaider coupable, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/07/20/aux-etats-unis-premiere-peine-de-prison-ferme-pour-un-assaillant-du-capitole_6088820_3210.html">parfois à de lourdes peines de prison</a>, et le <a href="https://www.7sur7.be/monde/plusieurs-membres-des-milices-dextreme-droite-oath-keepers-et-proud-boys-juges-pour-sedition%7Ea0a5412c/">procès de cinq membres du groupe d’extrême droite Oath Keepers</a> vient de commencer.</p>
<p>La Commission vise au-delà des participants directs à l’assaut du 6 janvier et veut remonter aux vrais responsables en mettant en évidence les différents responsables et les moyens utilisés par l’ancien président et ses affidés (proches, élus républicains, avocats) pour s’opposer au transfert du pouvoir à Joe Biden, notamment via la propagation du mythe d’une élection qui aurait été « volée » et l’incitation à l’insurrection.</p>
<p>Alors que les <a href="https://january6th.house.gov/legislation/hearings">auditions publiques de la Commission</a>, dont la dernière a eu lieu en juillet, devaient reprendre ce 28 septembre, elles ont été <a href="https://www.cnbc.com/2022/09/27/house-jan-6-panel-postpones-hearing-due-to-hurricane-ian.html">décalées de quelques jours du fait de l’ouragan Ian</a>, qui frappe actuellement la Floride. Ce délai ne devrait pas empêcher la Commission de publier rapidement son rapport. Si cette publication survient avant les élections de mi-mandat (midterms), qui auront lieu le 8 novembre prochain, le rapport pourra-t-il avoir un impact sur ce scrutin et, deux ans plus tard, sur la présidentielle de 2024, à laquelle Donald Trump <a href="https://www.20minutes.fr/monde/3347859-20220908-etats-unis-tout-monde-veut-presente-2024-affirme-donald-trump">semble décidé à se présenter</a> ?</p>
<p>Ce qui est certain, c’est que les nombreuses violations de la loi et de la Constitution des États-Unis reprochées à Donald Trump ont souvent suscité des comparaisons avec <a href="https://www.washingtonpost.com/history/2022/06/13/first-woodward-bernstein-watergate-scandal/">l’affaire du Watergate</a>, qui avait abouti en 1974 à la démission de Richard Nixon. Il existe certes des points communs entre les agissements des deux présidents républicains, mais les dégâts infligés par Donald Trump à la Constitution et au principe de primauté du droit (<em>rule of law</em>) sont beaucoup plus graves que ceux de son lointain prédécesseur.</p>
<h2>Les différences avec l’affaire du Watergate</h2>
<p>L’affaire du Watergate a été un choc majeur pour les Américains et a laissé une marque si profonde sur l’imaginaire politique du pays que les divers scandales qui ont suivi ont tous été baptisés d’un nom qui se termine en « gate » : pensons à l’<a href="https://www.cairn.info/la-guerre-iran-irak--9782262043551-page-393.htm">Irangate</a> sous Ronald Reagan ou au <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1998/01/31/le-monicagate-illustre-les-bouleversements-de-la-societe-americaine_3657239_1819218.html">Monicagate</a> sous Bill Clinton.</p>
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<p>Ce qu’on appelle affaire du Watergate ne se limite pas au cambriolage du quartier général des Démocrates et fait référence aux multiples opérations lancées par Richard Nixon (président depuis 1968) pour espionner et discréditer le camp démocrate et son candidat Ed Muskie, auquel Nixon aurait dû être opposé lors des élections de 1972. Ces opérations ont eu un effet dévastateur sur la candidature de Muskie, et c’est un autre candidat, nettement moins dangereux, George McGovern, qui remporta les primaires démocrates, avant d’être battu par Nixon à la présidentielle.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’affaire du Watergate (RTS, 1972).</span></figcaption>
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<p>Une <a href="https://www.senate.gov/about/powers-procedures/investigations/watergate.htm">commission sénatoriale</a> avait été établie en 1973 pour enquêter sur ce scandale. Le travail du procureur spécial Cox et la <a href="https://supreme.justia.com/cases/federal/us/418/683/">décision <em>US v. Nixon</em> de la Cour suprême</a>, ont contraint le président Nixon à la démission le 8 août 1974. Plusieurs Républicains, conscients de la gravité des abus, ont à l’époque fait passer la primauté du droit et l’intérêt du pays avant leurs préférences partisanes en votant en faveur de la destitution.</p>
<p>Aujourd’hui la situation est différente. Tout d’abord parce que les Républicains, terrifiés par les menaces de Donald Trump et intimidés par le poids politique de ses partisans, ont eu peur, début 2021, de voter la <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20210113-en-direct-la-chambre-des-repr%C3%A9sentants-vote-une-proc%C3%A9dure-de-destitution-du-pr%C3%A9sident-donald-trump">destitution</a> qui aurait été la sanction adéquate et prévue par la Constitution à l’encontre d’un président qui a violé son serment de défendre la Constitution.</p>
<p>Puis les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/29/aux-etats-unis-les-republicains-bloquent-la-creation-d-une-commission-d-enquete-sur-l-attaque-du-capitole_6081951_3210.html">Républicains se sont opposés à toute forme d’enquête</a>. Lorsqu’il a été question de créer une commission indépendante, comme celle qui avait enquêté sur les attentats du 11 septembre ou une commission mixte du Congrès (composée de sénateurs et de Représentants), les Républicains ont torpillé le projet.</p>
<p>Et quand Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des Représentants, a créé une commission spéciale à la Chambre, ils ont cherché à y placer leurs membres les plus radicaux, tels que <a href="https://www.cnbc.com/2021/07/19/mccarthy-taps-5-house-republicans-to-serve-on-jan-6-select-committee.html">Jim Jordan</a>, possiblement lui-même <a href="https://www.forbes.com/sites/zacharysmith/2022/02/04/call-records-reportedly-show-rep-jim-jordan-spoke-to-trump-before-jan-6-riot-despite-earlier-denial/">impliqué dans l’attaque</a>. Nancy Pelosi a rejeté leur participation ; le leader républicain à la Chambre, Kevin McCarthy, a alors refusé de nommer d’autres membres, ce qui lui est reproché aujourd’hui par son camp et est perçu comme le plus beau cadeau fait aux Démocrates. Toutefois, malgré les critiques des Républicains, la commission d’enquête sur l’attaque du Capitole est finalement bipartisane, puisqu’elle compte deux Républicains – et, qui plus est, profondément conservateurs : Liz Cheney (fille de l’ancien vice-président de George W. Bush) et Adam Kinzinger.</p>
<p>Tous deux ont accepté de mettre entre parenthèses voire de <a href="https://news.wttw.com/2022/07/20/luria-kinzinger-put-careers-line-jan-6-investigation">sacrifier leur carrière politique</a> afin de faire la vérité sur les événements du 6 janvier. Et tous deux jouent un rôle majeur. C’est généralement Liz Cheney qui, tel un procureur, annonce les témoins à venir, explique les enjeux et les possibles chefs d’inculpation. Elle s’adresse également aux Républicains modérés, essayant de les convaincre des dangers que les trumpistes font courir au système étatsunien et à eux-mêmes : <a href="https://www.businessinsider.com/cheney-gop-dishonor-will-remain-after-trump-is-gone-2022-6?r=US&IR=T">« Trump ne sera plus là mais notre déshonneur demeurera »</a>.</p>
<p>La Commission a tenu à faire connaître au peuple américain les révélations et témoignages qu’elle a obtenus, en diffusant la première et la dernière auditions de l’été <a href="https://edition.cnn.com/2022/07/18/politics/january-6-primetime-hearing-explainer/index.html">à une heure de grande écoute</a>. Mais alors qu’en 1973 la majorité des Américains regardaient l’une des trois grandes chaînes hertziennes et avaient donc tous accès au même contenu, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ces chaînes existent toujours mais le paysage médiatique comporte désormais de nombreuses chaînes câblées et Internet et les réseaux sociaux, où règne la désinformation, jouent aussi un rôle.</p>
<p>On sait que ceux des Républicains qui sont convaincus que Trump a remporté les élections (<a href="https://www.reuters.com/world/us/53-republicans-view-trump-true-us-president-reutersipsos-2021-05-24/">plus de 50 %</a>) et que Joe Biden est donc un président illégitime et illégal ne regardent ni ABC, ni CBS ni CNN. Ils préfèrent ainsi Fox News, One America ou News Max, qui <a href="https://www.newyorker.com/humor/borowitz-report/fox-news-unable-to-air-january-6th-hearings-owing-to-reruns-of-benghazi-hearings">font tout leur possible pour éviter le sujet</a> et minimiser la gravité de l’insurrection sur le Capitole du 6 janvier.</p>
<p>Ainsi, lors de la première audition, Fox News n’a pas voulu décaler pour l’occasion l’émission de son présentateur vedette Tucker Carlson, et a même préféré <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2022/06/07/course-fox-news-isnt-airing-jan-6-committee-hearings/">ne passer aucune publicité pendant cette émission</a>, diffusée au même moment que les travaux de la Commission, de crainte que ses téléspectateurs ne zappent durant les pauses publicitaires et ne tombent sur la retransmission des auditions par d’autres chaînes.</p>
<p>De plus, Carlson a <a href="https://www.poynter.org/fact-checking/2022/as-america-watched-jan-6-hearing-fox-viewers-heard-tucker-carlsons-alternate-reality/">fait de son mieux pour décrédibiliser le travail de la Commission</a> et accuser ses membres de comportement partisan et d’acharnement anti-Trump, tout en brandissant toutes sortes de théories du complot destinées à détourner l’attention des éléments factuels présentés devant la Commission.</p>
<p>C’est pourquoi l’impact des audiences de la Commission sur le 6 janvier sera sans doute moindre que celui de la Commission Watergate. Les pro-Trump, convaincus que l’élection lui a été volée, ne changeront pas d’avis.</p>
<p>Pourtant, durant l’été 2022, on a pu noter de réelles évolutions chez les modérés et les indépendants. En effet, les décisions radicales de la Cour suprême rendues fin juin 2022 – <a href="https://theconversation.com/vers-la-fin-du-droit-a-lavortement-aux-etats-unis-182528">remise en cause du droit à l’avortement</a>, complication de la <a href="https://theconversation.com/le-port-darmes-aux-etats-unis-entre-droit-et-devoir-184686">régulation en matière de port d’armes</a> et de <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20220630-%C3%A9tats-unis-la-cour-supr%C3%AAme-complique-la-lutte-contre-le-r%C3%A9chauffement-climatique">réchauffement climatique</a> – contribuent à cette évolution de l’opinion, au même titre que les travaux de la Commission. Les lignes ont commencé à bouger… et les élections de mi-mandat vont arriver très vite.</p>
<h2>Une différence de taille, l’attitude des Républicains</h2>
<p>Alors qu’en 1973, six élus républicains sur les 17 siégeant à la Commission judiciaire de la Chambre ont <a href="https://watergate.info/impeachment/analysis-judiciary-committee-impeachment-votes">voté la mise en accusation</a> de Richard Nixon, et plusieurs Républicains au Sénat s’apprêtaient à voter la destitution en 1974 (Nixon a finalement démissionné avant le vote), seuls dix élus républicains (sur plus de 200) ont voté la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/01/13/donald-trump-devient-le-premier-president-americain-a-faire-deux-fois-l-objet-d-une-procedure-de-destitution-apres-un-vote-historique-au-congres_6066173_3210.html">deuxième mise en accusation de Trump à la Chambre des représentants</a>, en janvier 2021. Ils ont été la cible d’attaques dans les médias et de menaces venant de leur camp et des trumpistes, et ont, pour la plupart d’entre eux, décidé de ne pas se représenter.</p>
<p>Ceux qui ont osé malgré tout se présenter à nouveau aux primaires de leur parti en vue des midterms du 8 novembre prochain ont dû faire face à des candidats favorables à Trump, et ont souvent été battus. <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/liz-cheney-battue-dans-le-wyoming-une-nouvelle-claque-pour-les-republicains-anti-trump_2178678.html">Liz Cheney a ainsi perdu sa primaire le 12 août</a>… et annoncé dans la foulée une <a href="https://www.politico.com/news/2022/09/20/cheney-2024-election-trump-legacy-00057599">éventuelle candidature à la présidentielle de 2024</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1570132963404169221"}"></div></p>
<p>Au Sénat, la quasi-totalité des élus républicains ont jugé qu’il n’y avait rien de répréhensible dans l’attitude de Donald Trump, ni durant la <a href="https://www.congress.gov/congressional-report/116th-congress/house-report/346/1">première procédure de destitution</a> (consécutive à la révélation des pressions exercées par Trump sur le président ukrainien Volodymyr Zelensky pour discréditer Joe Biden), ni durant la seconde, intentée pour <a href="https://www.pbs.org/newshour/politics-features/trump-second-impeachment">incitation à l’insurrection</a>.</p>
<p>Et alors que deux poids lourds du parti républicain, Mitch McConnell et Lindsay Graham, ont d’abord <a href="https://www.youtube.com/watch?v=TOmNjhGbPaA">condamné l’attaque</a> en des termes très forts, le premier affirmant que Donald Trump était « moralement et juridiquement responsable de l’insurrection », ils n’ont finalement pas voté la destitution en janvier 2021, préférant <a href="https://edition.cnn.com/2022/04/21/politics/mitch-mcconnell-january-6-trump/index.html">laisser les Démocrates s’en charger</a>). Seuls sept élus républicains ont voté la destitution alors qu’il en aurait fallu 17 pour que celle-ci aboutisse.</p>
<h2>Que peut faire la Commission concrètement ?</h2>
<p>La Commission ne peut ni mettre en examen, ni inculper, mais elle peut envoyer des messages forts au ministre de la Justice afin de l’inciter à mettre en examen les proches de l’ancien président et peut-être D. Trump lui-même. Elle tient aussi à établir pour la postérité la liste des crimes et violations commis, en espérant qu’une majorité des électeurs comprendra la nécessité de mettre fin à l’impunité.</p>
<p>En effet, si Donald Trump, ses avocats, ses proches comme Steve Bannon (ex-conseiller) ou Mark Meadows (ancien chef de cabinet) et de nombreux élus (Jim Jordan ou Paul Gosar) n’ont pas à subir les conséquences de leurs actes illégaux – sous la forme d’une mise en examen, voire d’une condamnation à une peine de prison ou d’inégibilité, le risque est réel que de nouvelles tentatives réussissent en 2024 ou plus tard.</p>
<p>Mais le ministère de la Justice est confronté à une question qui est autant politique que purement juridique : même s’il dispose de suffisamment d’éléments pour inculper Trump et ses plus proches partisans, la charge de la preuve est élevée (« au-delà du doute raisonnable ») et le ministre de la Justice doit prendre en compte les risques réels de violences que de telles mises en examen ou condamnations pourraient provoquer – une menace déjà <a href="https://www.politico.com/news/2022/09/15/trump-warns-of-problems-like-weve-never-seen-if-hes-indicted-00056911">brandie à demi-mot par l’ancien président</a>. Ce dilemme est la preuve que le système est malade…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191025/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne E. Deysine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La commission sur l’insurrection du 6 janvier va bientôt reprendre ses auditions et devrait publier un rapport mi-octobre. Quel impact aura-t-il sur les élections de novembre ?Anne E. Deysine, Professeur émérite juriste et américaniste, spécialiste Etats-Unis, questions politiques, sociales et juridiques (Cour suprême), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1912312022-09-26T20:32:08Z2022-09-26T20:32:08ZDécryptage : mieux protéger les lanceurs d’alerte, c’est aussi sécuriser l’économie<p>Le statut de lanceur d’alerte a été longtemps embryonnaire en droit français. De fait, il aura fallu attendre la timide loi Sapin 2 de 2016 et surtout la loi Waserman de mars 2022 pour que les lanceurs d’alerte soient réellement protégés.</p>
<p>La loi de 2022 définit un lanceur d’alerte comme une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation du droit international ou de l’Union européenne, de la loi ou du règlement.</p>
<p>Cette lenteur du droit français est d’autant plus surprenante que le lanceur d’alerte a une importance majeure pour le fonctionnement harmonieux de nos systèmes politiques et économiques. Prenons un cas de santé public pour juger le rôle essentiel de la pneumologue Irène Frachon, qui, en 2010 fait éclater le scandale du <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/03/30/proces-du-mediator-le-mensonge-de-servier-reconnu-les-parties-civiles-partagees-sur-le-jugement_6074962_3224.html">Mediator</a>. Ce médicament commercialisé entre 1976 et 2009 a été reconnu par la justice comme étant à l’origine de 1500 à 2100 décès, et le laboratoire Servier, qui le produisait, comme ayant connaissance des risques depuis 1995.</p>
<p>Le lancement d’alerte peut aussi permettre d’améliorer la sphère politique et administrative. Imaginons une affaire de corruption impliquant un groupe international couverte par un ambassadeur et des politiques. Dans ce cas théorique, un lanceur d’alerte semble seul capable de mettre un terme à cette atteinte à l’intérêt collectif. Et à en juger par le classement assez moyen de la France dans l’indice de perception de la corruption de <a href="https://www.transparency.org/en/cpi/2021">Transparency International</a>, notre pays a encore un long chemin à faire pour lutter plus efficacement contre ce fléau. La loi Waserman offre à ce sujet des outils particulièrement intéressants.</p>
<h2>Depuis l’autre rive de l’Atlantique</h2>
<p>Ayant longtemps ignoré la notion de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/lanceurs-dalerte-20710">lanceur d’alerte</a>, le droit français a évolué sous l’influence du droit américain. En effet, dès le XIX<sup>e</sup> siècle, des jalons sont posés aux États-Unis avec le <a href="https://www.justice.gov/civil/false-claims-act"><em>False Claims Act</em></a> de 1863. Ce texte autorise les citoyens à poursuivre un individu en fraude au nom du gouvernement et leur octroie même une partie des réparations si les accusations qu’ils portent s’avèrent fondées.</p>
<p>Le <a href="https://www.whistleblowers.org/faq/whistleblower-protection-act-faq/"><em>Whistleblower Protection Act</em></a> de 1989, « whistleblower » étant l’équivalent anglais de « lanceur d’alerte »,protège « toute divulgation d’information par des employés du gouvernement fédéral qui croient raisonnablement dénoncer une activité constituant une violation de la loi, un gaspillage flagrant de fonds, un abus de pouvoir ou un danger substantiel et spécifique pour la santé et la sécurité publiques ». Des recours légaux sont pensés dans le cas où ces personnes subiraient, en raison de leur signalement, des retenues de salaire, une suspension ou même un licenciement.</p>
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<p>Autre texte, en 2002, la loi <a href="https://www.piloter.org/gouvernance-entreprise/sarbanes-oxley.htm"><em>Sarbannes-Oxley</em></a> rend obligatoire pour les salariés la dénonciation des fraudes repérées, tout en pensant à la mise en place d’un système d’alerte sécurisé. Les lanceurs d’alerte sont même incités à s’exprimer par des mécanismes financiers, notamment avec le <a href="https://www.cftc.gov/sites/default/files/idc/groups/public/@swaps/documents/file/hr4173_enrolledbill.pdf"><em>Dodd-Frank Wall Street and Consumer Protection Act</em></a> de 2010.</p>
<p>C’est en partie <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/36031-extraterritorialite-de-la-legislation-americaine">l’extraterritorialité du droit américain</a> et l’évolution du droit européen qui poussent la France à s’intéresser davantage au sujet. Alors que les États-Unis multiplient les pénalités financières pour corruption ou fraude à des entreprises étrangères, une véritable arme économique, il fallait penser une législation nationale pour des jugements nationaux.</p>
<h2>Pour un meilleur fonctionnement de l’économie</h2>
<p>Avec la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000033558528/">loi Sapin 2</a> de 2016, la France rattrape une partie de son retard en instaurant des règles pour les lancements d’alerte tout en esquissant enfin une protection pour les lanceurs. Après une <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32019L1937&from=en">directive européenne de 2019</a>, la France finit par adopter la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000044344207/">Loi Waserman</a> du 21 mars 2022 « visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte ».</p>
<p>Ce texte marque une étape considérable pour l’amélioration de la probité. D’une part, la définition du lanceur d’alerte s’assouplit par rapport à la loi Sapin 2. Il doit, certes, agir « sans contrepartie financière directe » mais il n’a plus besoin d’être un témoin direct mais seulement d’avoir « personnellement connaissance » des faits qu’il divulgue.</p>
<p>D’autre part, les procédures de signalement gagnent en diversité. C’est une avancée majeure car le précédent texte, en imposant l’alerte interne, exposait immédiatement le lanceur d’alerte à des sanctions de sa hiérarchie. Même si l’alerte interne reste recommandée, elle n’est dorénavant plus obligatoire. Le lanceur peut ainsi alerter une autorité administrative ou judiciaire comme le Défenseur des droits.</p>
<p>Le lanceur d’alerte peut, de plus, disposer d’un appui aussi bien financier que d’orientation ou d’aide. De fait, un lanceur d’alerte se trouve souvent très seul et fait l’objet rapidement de pressions et de représailles.</p>
<p>Pour mieux le protéger, la liste des représailles interdites a été considérablement étoffée : suspension, licenciement, refus de promotion, évaluation négative de la performance, intimidation, non-conversion d’un contrat temporaire en un contrat permanent, non-renouvellement ou résiliation anticipée d’un contrat de travail à durée déterminée sont explicitement prohibés.</p>
<p>La loi, enfin, renforce les sanctions contre qui tenterait d’étouffer un lanceur d’alerte par des représailles ou même par une avalanche de procédures, que l’on nomme d’ailleurs des « procédures-bâillons ». L’amende est doublée à 60 000 euros.</p>
<p>Ce nouveau cadre légal est particulièrement salutaire pour le fonctionnement économique. En effet, la corruption à elle seule peut diminuer le <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-00874275/">développement économique</a> du système en impliquant de mauvaises décisions, un surcoût des achats et une diminution des investissements.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191231/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Venard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La loi Waserman de mars 2022 donne enfin une reconnaissance légale à ces acteurs clefs. Le texte répond en outre à un enjeu de souveraineté par rapport au droit américain.Bertrand Venard, Professor, AudenciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1813592022-04-19T16:40:39Z2022-04-19T16:40:39ZCrises alimentaires chez Buitoni, Lactalis et Ferrero : le cadre réglementaire est-il insuffisant ?<p>Pizzas, fromages et chocolats : ceci n’est pas le menu de votre prochain repas, mais les produits Buitoni, Lactalis, Ferrero à l’origine d’une série de crises sanitaires récentes. Malheureusement, elles touchent en premier lieu la santé de personnes fragiles en particulier les enfants : selon le bilan de Santé publique France, <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2022/investigation-de-cas-groupes-de-syndrome-hemolytique-et-uremique-shu-et-d-infections-a-e.-coli-producteurs-de-shiga-toxine-stec-en-lien-avec-l">48 enfants</a> et deux adultes de plus de 90 ans ont été contaminés par les pizzas contenant la bactérie <em>E. coli</em>, qui a fait deux morts.</p>
<p>Ces affaires sont d’autant plus retentissantes qu’elles impliquent des géants de l’agroalimentaire, la production de masse amplifiant les effets d’un problème sanitaire et tout comme leur distribution en France, puisque les victimes se situent dans presque toutes les régions, et à l’international : pour les chocolats Kinder contaminés aux salmonelles, des rappels ont eu lieu non seulement en Europe, <a href="https://www.foodsafetynews.com/2022/04/kinder-chocolate-recall-hits-u-s-as-belgian-officials-close-plant-linked-to-outbreak/">mais aussi en Asie, en Amérique et en Océanie</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Deux enfants décèdent après le rappel massif de pizzas Buitoni (RMC, 28 mars 2022).</span></figcaption>
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<p>Peut-on pour autant parler de fraudes des entreprises en question ? Ou alors les contrôles officiels ont-ils été insuffisants ? Il faudra attendre l’avis de la justice dans chaque cas pour déterminer les responsabilités de chacun, entreprises et autorités publiques. En attendant, un point sur la législation en vigueur dans ce domaine nous permettra de mieux comprendre si les causes de ces crises sont à chercher du côté de la faiblesse du cadre réglementaire, ou encore de celles des sanctions.</p>
<h2>Obligation d’autocontrôle</h2>
<p>L’avènement de la libre circulation des marchandises entre les pays de l’Union européenne a facilité les échanges commerciaux, mais aussi la diffusion de denrées alimentaires potentiellement dangereuses pour la santé humaine et animale. Les crises sanitaires des années 1990, en particulier celle dite de la vache folle, ont eu l’effet d’un électrochoc qui a mené les institutions européennes à réformer en profondeur le droit européen de la sécurité sanitaire des aliments.</p>
<p>Depuis 2005, au sein de l'Union européenne, toutes les entreprises du secteur alimentaire, de la fourche à la fourchette, de la plus grande multinationale à l’épicerie de quartier, sont soumises à une série d’obligations qui visent à protéger les consommateurs et assurer un bon fonctionnement du marché. Ces <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:32002R0178">obligations</a> portent en particulier sur l’autocontrôle et la coopération des entreprises, la sécurité et la traçabilité des produits alimentaires et l’information des consommateurs. L’obligation d’autocontrôle est souvent pointée comme étant la <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-02/09-controle-securite-sanitaire-alimentation-Tome-2.pdf">faiblesse</a> de ce nouveau système.</p>
<p>Elle participe à un changement de paradigme dans la logique de surveillance de la sécurité sanitaire de la chaîne alimentaire, en déportant la responsabilité des contrôles des autorités publiques vers les entreprises. On parle désormais de responsabilité primaire des exploitants du secteur alimentaire, les autorités publiques assurant un contrôle de seconde ligne.</p>
<p><iframe id="B4rAX" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/B4rAX/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>De manière générale, la législation impose donc un devoir de prudence des entreprises à l’égard des risques sanitaires en sus de l’obligation de mettre sur le marché un produit sûr et non dangereux.</p>
<p>Les procédures d’autocontrôles varient suivant la sensibilité sanitaire de l’aliment (la viande fraîche par rapport à des grains de café) et le volume de production. Ces procédures sont fondées sur le respect des bonnes pratiques d’hygiène applicables aux locaux, matériels, personnels, denrées alimentaires et au fonctionnement général de l’exploitation.</p>
<p>Les exploitants sont également tenus de mettre en place un système de traçabilité des produits en amont par rapport à leurs fournisseurs et en aval par rapport à leurs clients. En cas de crise sanitaire, comme actuellement, cette obligation va permettre d’identifier le plus rapidement possible l’origine de la contamination.</p>
<h2>La gestion du risque renforcée</h2>
<p>Ces obligations sont-elles pertinentes au vu de l’objectif de sécurité sanitaire ? Selon la Commission européenne qui a réalisé un <a href="https://ec.europa.eu/food/system/files/2018-01/gfl_fitc_executive_summary_2018_fr.pdf">bilan</a> de la législation alimentaire générale en 2018, la réponse est positive.</p>
<p>Aucune incohérence systémique n’a été relevée, mise à part la transparence de l’évaluation scientifique des risques qui a fait l’objet d’une réforme. Des imperfections ont été également relevées concernant la variabilité des mesures de gestion de risque suivant les États membres.</p>
<p>Ainsi, en France, les obligations d’autocontrôle et de coopération ont été précisées dans le cadre de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000037547946/">loi du 30 novembre 2018 dite Egalim</a>. Cette réforme fait suite à l’affaire dite « Lactalis » de 2017 concernant des laits infantiles contaminés pendant laquelle des manquements avaient été identifiés. Le Code rural <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000044233198">impose désormais d’informer les autorités publiques</a>, lorsque l’entreprise :</p>
<blockquote>
<p>« Considère ou a des raisons de penser, au regard de tout résultat d’autocontrôle, qu’une denrée alimentaire ou un aliment pour animaux qu’il a importé, produit, transformé, fabriqué ou distribué présente ou est susceptible de présenter un risque pour la santé humaine ou animale. »</p>
</blockquote>
<p>Les modalités d’application de ces dispositions ont été précisées par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, qui propose notamment un <a href="https://info.agriculture.gouv.fr/gedei/site/bo-agri/instruction-2019-555">diagramme</a> de la procédure à suivre en cas de résultat d’autocontrôle défavorable.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/458135/original/file-20220414-18-b1b57r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458135/original/file-20220414-18-b1b57r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458135/original/file-20220414-18-b1b57r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=493&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458135/original/file-20220414-18-b1b57r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=493&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458135/original/file-20220414-18-b1b57r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=493&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458135/original/file-20220414-18-b1b57r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=620&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458135/original/file-20220414-18-b1b57r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=620&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458135/original/file-20220414-18-b1b57r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=620&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">https://info.agriculture.gouv.fr/gedei/site/bo-agri/instruction-2019-555.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://info.agriculture.gouv.fr/gedei/site/bo-agri/instruction-2019-555">Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation</a></span>
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<p>« Présence de rongeurs au niveau de l’atelier boulangerie », « absence de moyens de protection contre l’entrée des nuisibles et de lutte contre les nuisibles adaptés à une activité alimentaire », « manque d’entretien et de nettoyage », « absence de revêtement facilement nettoyable », tel sont les constats de la direction départementale de protection des populations qui ont mené à la fermeture administrative de l’usine de production des pizzas contaminées à Caudry (Nord), le 6 avril dernier. Au vu de ces faits, les obligations de la législation alimentaire semblent bien violées. Elles feront sûrement l’objet de poursuites, voire de sanctions.</p>
<h2>Mêmes règles, sanctions différentes</h2>
<p>En cas de manquement à ces obligations, les entreprises s’exposent à des sanctions. À la différence des obligations qui sont harmonisées au niveau européen, les infractions aux règles relatives à la sécurité sanitaire des aliments relèvent de la compétence des États membres. Autrement dit, si les entreprises françaises, espagnoles, allemandes ou encore polonaises ont les mêmes devoirs en matière d’hygiène, elles seront sanctionnées différemment en cas de violation de ces règles.</p>
<p>En France, les infractions aux règles d’hygiène sont principalement de l’ordre contraventionnel ou délictuel. Dans le premier ordre, la détention d’une denrée alimentaire impropre à la consommation est passible d’une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032808074">amende de 1 500 euros par infraction</a> (maximum). Par exemple, une société d’aquaculture a pu être condamnée à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000042579651?init=true&page=1&query=19-87.252&searchField=ALL&tab_selection=all">136 amendes de 5 euros</a> du fait d’un défaut concernant la traçabilité de 136 lots de mollusques.</p>
<p>S’agissant de violations plus graves, le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006069565/LEGISCTA000032222835/">délit de tromperie</a> peut être retenu. Il est passible d’une peine maximale de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende, voire sept ans et 750 000 euros d’amendes, si le délit ou sa tentative a eu pour conséquence de rendre l’utilisation de la marchandise dangereuse pour la santé de l’homme ou de l’animal ce qui peut être rapidement le cas dans le domaine alimentaire (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006069565/LEGISCTA000032222925/">tromperie aggravée</a>).</p>
<p>Pour les personnes morales, les peines d’amende peuvent être portées, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel. Ces peines sont-elles suffisamment dissuasives ? Une chose est sûre, elles le sont davantage qu’auparavant. Avant 2014, la tromperie était passible d’une amende maximale de 37 500 euros (et 187 000 euros pour une personne morale), seulement.</p>
<p>S’agissant des pizzas Buitoni, au vu des premiers éléments constatés, on peut aussi envisager le délit d’<a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F35148">homicide involontaire</a>. En mars 2020, dans un cas de contamination par une bactérie E.Coli comparable, mais qui n’avait pas causé de décès, la Cour de cassation avait <a href="https://www.courdecassation.fr/decision/5fca591e3ed1312d7d6c9c07?search_api_fulltext=19-82.171&sort=&items_per_page=&judilibre_chambre=&judilibre_type=&judilibre_matiere=&judilibre_publication=&judilibre_solution=&op=&date_du=&date_au=&previousdecisionpage=&previousdecisionindex=&nextdecisionpage=&nextdecisionindex=">validé la condamnation pour blessures volontaires</a> du gérant d’une entreprise de production de steak haché qui n’avait pas respecté les obligations de prudence et de sécurité prévues par la législation alimentaire européenne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181359/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Étienne Bouillot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ces dernières années, les procédures de gestion des risques et les sanctions ont été renforcées, mais la logique d’autocontrôle des entreprises reste la base de la sécurité alimentaire.Pierre-Étienne Bouillot, Maître de conférences en Droit de l'alimentation, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1770442022-02-18T17:55:19Z2022-02-18T17:55:19ZLe point de vue du résident, grand oublié de la gestion des Ehpad<p>Le livre de Victor Castanet, <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/les-fossoyeurs-9782213716558"><em>Les Fossoyeurs</em></a>, (Fayard, 2022) a provoqué, le 24 janvier 2022, une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/01/25/orpea-chute-en-bourse-apres-la-publication-d-un-livre-enquete_6110863_3234.html">chute de 16 %</a> du cours de bourse de la société Orpea, dont la cotation a dû être suspendue. Le livre consacré à cette entreprise propriétaire d’Ehpad (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), qui révèle des « dysfonctionnements » généralisés et des maltraitances, a notamment déclenché depuis une <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/carriere/vie-professionnelle/retraite/affaire-orpea-le-gouvernement-lance-une-enquete-administrative-et-financiere_4944594.html">enquête administrative</a> et une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/02/08/orpea-le-senat-lance-une-commission-d-enquete_6112720_3224.html">enquête sénatoriale</a> ainsi que de multiples dépôts de plaintes auprès des tribunaux.</p>
<p>Cette soudaine agitation peut-elle contribuer à améliorer la situation dans les Ehpad ou va-t-elle l’aggraver encore plus, en multipliant les obstacles financiers, réglementaires, judiciaires et médiatiques à un fonctionnement plus adapté aux besoins, et à une ambiance de travail plus sereine ?</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/i0hMgjrZ_Kk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Maltraitance dans les Ehpad : Victor Castanet, l’auteur du livre « Les Fossoyeurs » invité de BFMTV.</span></figcaption>
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<p>Tout un courant de recherche contemporain s’efforce de mieux comprendre le problème de sécurité et de qualité des soins en adoptant non pas le point de vue des professionnels de santé, mais celui les usagers.</p>
<p>En 2011, un <a href="https://qualitysafety.bmj.com/content/qhc/20/11/986.full.pdf">article</a> que nous avions publié dans le British Journal of Médecine décrivait au jour le jour l’expérience personnelle d’un patient dans une clinique parisienne, suite à son opération de la hanche. Ce simple témoignage, bien documenté, avait retenu l’attention de chercheurs et de praticiens parce qu’il permettait de suivre pas à pas le parcours d’un malade, de comprendre les difficultés qu’il rencontre et d’en déduire des mesures d’amélioration très précises et adaptées aux besoins.</p>
<p>D’autres chercheurs appliquent le <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2006-3-page-443.htm">même type de démarche</a> à l’étude de diverses pathologies. Un <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.2307/41166165">article</a> des chercheuses américaines Anita L. Tucker et Amy C. Edmondson, publié en 2003, avait cependant permis de comprendre pourquoi ce genre d’enquête restait rare et rencontrait encore d’énormes résistances dans le monde hospitalier ainsi que dans celui des Ehpad.</p>
<h2>Audits insuffisants</h2>
<p>Certes, comprendre ce que vivent les résidents d’un Ehpad et leurs proches et ce qui pourrait contribuer à l’amélioration de leur sort ne va pas de soi. Cependant, les enquêtes de satisfaction par questionnaires et les audits administratifs, tels qu’ils sont pratiqués aujourd’hui, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/02/09/orpea-ce-que-l-ars-reprochait-a-l-Ehpad-de-neuilly-sur-seine-des-2018_6112987_4355770.html">ne vont malheureusement pas dans le vif du sujet</a>.</p>
<p>Pour améliorer les Ehpad, il s’agit de prendre au sérieux non seulement les points de vue de l’administration, du management et du personnel, mais aussi et surtout le point de vue de personnes que l’on pourrait nommer des « usagers réflexifs » comme il existe aussi des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1365-2702.1997.tb00290.x">« praticiens réflexifs »</a>.</p>
<p>Nous proposons ici de montrer un exemple de ce que la direction d’un Ehpad aurait pu obtenir comme une information factuelle utile issue des témoignages des usagers, mais qu’elle n’a jamais acceptée de prendre en compte.</p>
<p>Veuve depuis dix ans, vivant seule dans son appartement parisien, Madame D. avait beau recourir à une femme de ménage, à une infirmière à domicile et aux visites régulières de son fils unique, sa vie recluse devenait insupportable.</p>
<p>Après un accident vasculaire cérébral (AVC), la crainte permanente de faire une mauvaise chute la plaçait dans un état d’insécurité et d’anxiété permanente et, bien que très attachée à son chez soi et à son indépendance et ayant encore toute sa tête, elle se décida à rechercher un lieu d’accueil, inquiète seulement du prix qu’il lui faudrait payer et désireuse de s’éloigner le moins possible de son quartier et surtout de son fils.</p>
<h2>Erreurs médicales</h2>
<p>Après six mois d’attente, une place est trouvée dans un établissement d’accueil, au prix de 2737 euros mensuels. Commence alors une période de deux ans, ou la jeune recrue – jeune parce que relativement plus vaillante que la plupart des autres occupants du lieu – souligne surtout les avantages de sa nouvelle situation. Elle n’est plus seule, elle a quelques amies, elle n’a plus la crainte de tomber sans pouvoir être secourue, elle a moins de soucis, et elle trouve sur place quelques activités de loisir, un efficace service de kinésithérapie, etc.</p>
<p>Cependant, elle observe déjà quelques inquiétants dysfonctionnements. Les terminaux téléphoniques trop complexes installés dans les chambres sont inutilisables pour des personnes âgées, ce qui les coupes de leurs proches. Les ascenseurs sont trop souvent en panne et surtout, la partie médicale de la maison semble totalement dépassée et inadaptée aux besoins.</p>
<p>Pour 100 résidents, il y a deux médecins présents à temps partiel, et ils n’inspirent guère confiance. Dès qu’un problème survient, l’infirmière envoie le ou la malade aux urgences à l’hôpital, si bien que devant la maison on observe une noria permanente d’ambulances qui font d’incessants allers et retours.</p>
<p>Bientôt, elle observe aussi que les erreurs médicales se multiplient : médicaments distribués à tort ; médicaments utiles non distribués, surtout lorsque cette distribution est occasionnelle ; rendez-vous à l’hôpital manqué parce que le rendez-vous a été mal noté ou que l’ambulance n’a pas été prévenue. Ces erreurs multiples ne sont pas encore bien graves, car la vieille dame a toute sa tête et s’efforce de les corriger par des initiatives personnelles malheureusement interprétées par le personnel comme de l’indiscipline, même lorsqu’elles sont justifiées.</p>
<p>Ainsi se crée peu à peu une atmosphère de méfiance à l’égard de la qualité du service médical qui va jouer un rôle très négatif sans la seconde partie de la carrière de résidente de Madame D.</p>
<h2>Hiérarchie sourde</h2>
<p>Presque aveugle, aux capacités auditives très diminuées, souffrant d’une jambe au point de ne pouvoir marcher qu’avec les plus grandes difficultés, Madame D. devient alors effectivement et au plein sens du terme une personne dépendante. C’est alors qu’il devient évident que les promesses de l’Ehpad ne sont pas tenues, parce que l’organisation en question n’est tout simplement pas en mesure de s’occuper de personnes vraiment dépendantes : elle n’en a ni les compétences, ni les moyens.</p>
<p>Du point de vue de la sociabilité, ce n’est guère mieux. La seule personne avec qui Madame D. a pu avoir une relation personnalisée, affectueuse et suivie, est la kinésithérapeute et cette personne n’est pas un membre du personnel de l’Ehpad, constitué d’intérimaires mais aussi de salariés permanents qui changent fréquemment d’étage et d’affectation et ne peuvent (ni ne doivent, ni ne veulent ?) développer de relations personnalisées avec les résidents.</p>
<p>Dans ce cas, non seulement cet organisme n’a ni les compétences ni les moyens de faire son travail correctement, mais de surcroît, sa hiérarchie reste absolument sourde à toute demande d’amélioration, même exprimée avec politesse et modération. C’est cette incapacité à prendre en compte le point de vue des usagers pour chercher des améliorations qui reste le plus inquiétant.</p>
<p>Constatant l’inadaptation croissante des services proposés aux besoins de sa mère, le fils commence par envoyer un premier email (voir annexes ci-dessous) à la directrice de l’établissement, puis un second, qui resteront sans réponse. Une lettre a alors été envoyée à deux des membres du conseil d’administration de l’organisme de tutelle.</p>
<p>Selon le site Internet de l’organisme, l’une était en charge de l’éthique et l’autre en charge de l’innovation. On pouvait donc s’attendre à ce qu’ils trouvent utiles les informations transmises.</p>
<h2>Réponses elliptiques</h2>
<p>Cette lettre reprenait les quatre points sur lesquels aucune amélioration n’avait pu être obtenue au cours des deux dernières années : l’insuffisance de l’assistance médicale, le manque d’attention du personnel aux besoins des résidents, l’évitement organisé de relations personnalisées et affectueuses avec les résidents ; le problème du téléphone.</p>
<p>La lettre n’a jamais reçu d’autre réponse qu’un courrier elliptique, indiquant qu’il fallait adresser directement ce genre de demande au directeur de l’Ehpad, alors même que la directrice venait de démissionner, et que son poste n’était pas remplacé !</p>
<p>Médecins introuvables, direction changeante, personnel mal formé, démoralisé, fuyant la relation avec des personnes en mal d’un minimum d’attention… Ce témoignage propose une piste : confier à quelques résidents et accompagnants de bonne volonté le soin de décrire exactement ce qui se passe.</p>
<p>Il signale aussi une sérieuse difficulté : en dépit des jolies communications sur papier glacé et des déclarations de bons sentiments, les responsables restent complètement sourds et aveugles aux appels des usagers dont ils ne veulent pas entendre les témoignages.</p>
<p>Ils font réaliser des enquêtes marketing et passer des questionnaires de satisfaction aux résultats flatteurs. Ils font élire des représentants des usagers et organisent des réunions. Ils parlent d’éthique et d’innovation aux assemblées générales des actionnaires, mais, à trois reprises, ils n’ont pas entendu les demandes répétées et précises de Madame D. et de son fils et n’y ont apporté aucune réponse.</p>
<p>Or, améliorer la vie quotidienne dans les Ehpad suppose de se renseigner auprès des résidents et de leur famille sur ce qui leur pose problème et provoque des souffrances inutiles. Selon les établissements, les périodes, les pathologies des personnes et leur avancement dans la carrière de résident, la réponse à cette question est variable, mais il est toujours essentiel de l’écouter et de la prendre en compte en évitant les généralisations superficielles qu’autorisent les enquêtes collectives.</p>
<p>Quelques témoignages bien écrits et bien entendus disent bien plus qu’un audit ou une enquête par questionnaires. Correctement compilés et interprétés, ces témoignages permettent de rechercher des solutions collectives et organisationnelles aux souffrances individuelles.</p>
<hr>
<h2>Annexes</h2>
<p><strong>Email envoyé le 25 septembre 2018 à 17h02 :</strong></p>
<p><em>Chère Madame,</em></p>
<p><em>Permettez moi d’abord de remercier tout le personnel de l’Ehpad que vous dirigez. Vous faites un travail remarquable et difficile.</em></p>
<p><em>Je passe sur tous les points positifs pour être bref.</em></p>
<p><em>Permettez-moi de vous proposer un bilan, après une année, des points qu’il me parait important d’aborder dans la perspective d’une amélioration à moyen terme du service rendu aux résidents et résidentes.</em></p>
<p><em>Les téléphones fixes dans les chambres sont absolument inutilisables par des résidents aux capacités limitées. Des appareils téléphoniques adaptés au grand âge permettraient de maintenir un meilleur contact avec les proches. C’est un investissement utile.</em></p>
<p><em>Les résidents et résidentes encore lucides et raisonnables peuvent souffrir d’un manque d’écoute et d’attention lorsque certains membres du personnel (y compris les personnels occasionnels) les confondent avec des personnes n’ayant plus leur tête.</em></p>
<p><em>Dans ce cas, la personne est infantilisée et se voit imposer des choix. Ses demandes ne sont pas prises au sérieux. L’amalgame entre personnes âgées et personnes débiles a des effets très négatifs sur le moral et la confiance dans l’institution des résidents les plus lucides. Cette confusion peut conduire au désespoir et à la passivité. Voici ce que dit ma mère : « On ne m’écoute pas. Ici il faut obéir, il ne faut rien demander, sinon on est puni. Tant que tu peux te débrouiller toi même ça va, mais si tu es impotent et que tu as besoin de quelque chose, tu peux toujours attendre, personne ne répond. Si tu demandes à celle qui fait le lit de fermer la fenêtre ou de t’apporter un médicament, elle n’a pas le temps, ce n’est pas son travail, elle te répond que ce n’est pas elle, et personne ne vient. J’ai une copine qui s’est cassé la jambe, on l’a laissé toute la nuit avec juste un drap sur elle et elle crevait de froid, personne n’est venu. Si tu ne peux plus te déplacer par toi même ici, t’es foutu, c’est l’enfer ».</em></p>
<p><em>Même en faisant la part d’une certaine paranoïa des personnes âgées, il y a une réalité derrière ces phrases.</em></p>
<p>_La prise en charge médicale sur place reste un problème majeur : la formule du médecin qui ne fait pas partie intégrante du personnel et doit facturer les actes médicaux effectués auprès des résidents ne convient pas. Le manque d’encadrement médical aboutit souvent à des interventions trop tardives, trop espacées, et à une prise en charge insuffisante de la douleur et de l’inconfort. La brièveté des visites conduit à privilégier la médecine du corps au détriment de la médecine de l’âme qui ne devrait pas en être dissociée, surtout au grand âge. Distribuer des médicaments ne suffit pas.</p>
<p>On observe devant l’Ehpad une noria incessante d’ambulances (souvent deux ou trois en même temps). Beaucoup de ces hospitalisations épuisantes et effrayantes sont inutiles. Chaque fois que ma mère fait une chute, on l’hospitalise en urgence et on lui refait tous les examens avant de la renvoyer, alors que la cause de ses chutes est connue et toujours la même, et qu’un médecin sur place pourrait éviter le coût et la peine de ces hospitalisations répétées. En outre, elle rentre à l’Ehpad épuisée et affamée ce qui n’arrange rien à son état déjà fragile._</p>
<p><em>Lorsque les ambulanciers viennent chercher un malade dans sa chambre, aucun membre de l’Ehpad ne vient contrôler que la personne part avec tout ce dont elle a besoin pour un séjour à l’hôpital. Ainsi, ma mère s’est plusieurs fois retrouvée à l’hôpital sans vêtements adaptés, sans téléphone portable et surtout sans sa carte vitale ni sans sa feuille de mutuelle : résultat, l’hôpital envoie un mois plus tard une facture qui traîne et complique le travail administratif de tout le monde.</em></p>
<p><em>Actuellement, Il n’est pas possible de changer de médecin lorsque la relation de confiance entre médecin et patient n’a pu s’établir dans de bonnes conditions. Avoir le choix entre plusieurs médecins et établir un contact plus personnalisé serait essentiel pour développer un sentiment de sécurité dans l’esprit des résidents.</em></p>
<p><em>Pour des personnes fragiles et affaiblies le transfert aux urgences des hôpitaux est un véritable calvaire qui devrait être évité dans toute la mesure du possible, ce qui suppose de disposer de moyens médicaux plus étoffés sur place ou à proximité.</em></p>
<p>_On manque d’information sur la prise en charge de la fin de vie : l’Ehpad peut-il jouer le rôle d’une unité de soins palliatifs afin d’assurer le confort du malade dans la dernière phase de sa vie ? L’Ehpad dispose-t-il des moyens de rendre ce service très important ? Si ce n’est pas le cas, y a-t-il un accord de coopération avec un centre de soin palliatif et lequel ?</p>
<p>Voici quelques questions sérieuses que je vous laisse méditer et discuter avec vos tutelles, bien conscient que vos marges de manœuvre sont limitées._</p>
<p><em>Merci d’accuser bonne réception de ce message que je souhaite maintenir confidentiel.</em><em>Merci d’accuser bonne réception de ce message que je souhaite maintenir confidentiel.</em></p>
<p><em>Veuillez agréer chère directrice l’expression de mes sentiments dévoués.</em></p>
<p><strong>Email envoyé le 29 septembre 2018 à 9h47 :</strong></p>
<p><em>Chère Madame,</em></p>
<p><em>J’ai passé une heure hier soir à tenter de faire la liaison entre le service médical et ma mère. Le résultat n’est pas très convaincant.</em></p>
<p><em>Ma mère se plaint depuis 15 jours de vives douleurs et surtout de ne pouvoir dormir. Or le médecin lui avait prescrit un médicament qui contient de la caféine et ne savait pas que ma mère ne pouvait dormir. Apparemment elle a changé hier soir la prescription après que j’ai signalé ce problème d’insomnie.</em></p>
<p><em>Il y a deux semaines ma mère a refusé de prendre les médicaments prescrits par le médecin qui, selon elle, aggravait sa douleur et ses insomnies. Elle a alors été victime de représailles et de négligences. Propos d’un infirmier : « si vous ne prenez pas ces médicaments, vous n’aurez rien ».</em></p>
<p><em>Hier soir j’ai obtenu une ordonnance pour du paracétamol 1g, 3 fois par jour. Malheureusement, il y a un délai de transmission et hier soir on n’a rien donné comme antidouleur à ma mère qui était ce matin au désespoir. Le traitement de la douleur n’attend pas. L’insomnie non plus.</em></p>
<p><em>Il peut arriver que les médicaments du matin ne soient distribués que vers 11 heures. À nouveau, la douleur n’attend pas. Je suis donc obligé d’apporter du paracétamol de la pharmacie pour pallier les retards ou les oublis. L’apport de médicament venu de l’extérieur est évidemment contraire au règlement de l’Ehpad, mais que faire ?</em></p>
<p><em>Le traitement de la douleur et de l’angoisse qui y est associée n’est absolument pas traité. Peut-être un anxiolytique léger serait-il approprié ? Personne ne se pose la question, puis qu’il n’y a pas de médecin traitant sur place.</em></p>
<p>_Je vous prie de changer le médecin traitant de madame D. dès que possible. En l’état, la relation de confiance est rompue. Le plus tôt sera le mieux.</p>
<p>Je dois vous signaler, hélas, un propos malencontreux entendu dans la bouche d’une infirmière : « Ça, Monsieur, ce n’est pas de la médecine c’est de la psychologie ! Ce n est pas la même chose. Nous on ne s’occupe que de médecine »._</p>
<p>_Avec des raisonnements de ce type on ne peut pas espérer un minimum d’écoute et de prise en compte de l’état psychologique et affectif des résidents.</p>
<p>Je vous signale aussi que j’ai appris que plusieurs pharmaciens et de médecins du quartier ne veulent plus travailler ni pour l’Ehpad ni pour ses résidents et se plaignent qu’il y a tout le temps des erreurs, des retards et parfois des absences de paiements._</p>
<hr>
<p><em>En conclusion, je vous remercie de prendre en compte dans toute la mesure de vos moyens ces éléments d’information.</em></p>
<p><em>Je reste à votre écoute et à votre disposition en souhaitant que des améliorations sérieuses aient été apportées lorsque vous et moi serons des résidents d’un Ehpad.</em></p>
<p><em>Cordialement.</em></p>
<p><strong>Lettre envoyée à deux membres du conseil d’administration de l’organisme gestionnaire de l’Ehpad :</strong></p>
<p><em>À Docteur O. Président du Comité Recherche et Innovation.</em></p>
<p><em>À Docteur B. Présidente du Comité d’Éthique.</em></p>
<p><em>Madame, Monsieur,</em></p>
<p><em>Vous êtes en charge de l’innovation et de l’éthique à XXX et je suis sûr que vous êtes convaincus comme moi qu’innovation et éthique ne sont pas seulement des grands mots, mais qu’ils doivent porter sur l’amélioration continue de l’organisation que vous dirigez, en tenant compte des attentes des usagers.</em></p>
<p><em>Vous trouverez donc ci-dessous le témoignage d’une résidente de 99 ans, Madame D. et de son fils.</em></p>
<p><em>Nous avons été très heureux d’obtenir une place dans cet Ehpad et nous remercions XXX de nous avoir fourni une alternative au maintien à domicile. Cependant, l’expérience pratique de l’Ehpad nous conduit à identifier des voies d’amélioration du bien être des résidents. Ces points sont d’autant plus importants que la personne décline. Dans le cas de ma mère, elle est arrivée encore en bonne forme et aujourd’hui, elle peut à peine marcher, elle est presque aveugle et entend très mal, mais elle a toute sa tête et reste tout à fait raisonnable et consciente.</em></p>
<p><em>L’arrivée prochaine d’un nouveau directeur dans cet Ehpad sera je l’espère une occasion d’ouvrir le chantier des quatre principaux dysfonctionnements que je vous présente ci-dessous. […]</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177044/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ma mère a vécu dans un EHPAD et j'ai partagé son expérience en tant qu'accompagnant de 2017 à 2019, date de son décès. Je serai probablement aussi un jour résident d'un EHPAD, c'est pourquoi je souhaite contribuer à l'amélioration de leur fonctionnement. </span></em></p>Les dysfonctionnements pourraient être corrigés par une meilleure prise en compte des informations remontées par les patients et leurs familles, comme le suggère la recherche.Michel Villette, Professeur de Sociologie, Chercheur au Centre Maurice Halbwachs ENS/EHESS/CNRS , professeur de sociologie, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1744972022-01-27T19:21:44Z2022-01-27T19:21:44ZSûreté des médicaments : les conséquences durables du scandale du diéthylstilbestrol<p>En 2020, alors que la crise sanitaire due au Covid-19 faisait rage, l’écrivaine Marie Darrieussecq, confinée, <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/04/13/marie-darrieussecq-confinee-un-an-et-demi-dans-mon-lit_6036441_3260.html">décrivait ses trois éprouvantes grossesses passées allongées</a>. Au-dessus d’elle avait pesé une lourde épée de Damoclès : un risque de fausse couche plus élevé. La cause de cette situation était à chercher du côté d’une autre crise sanitaire, plus ancienne : celle du Distilbène®, l’une des appellations commerciales du diéthylstilbestrol.</p>
<p>Découverte en 1938, cette hormone de synthèse a été largement utilisée partout dans le monde pendant plusieurs décennies, en raison de son bas coût de production et parce qu’elle n’était protégée par aucun brevet. Ses indications étaient variées : atténuation des symptômes de la ménopause ; blocage de la lactation ; « pilule du lendemain » ; traitement des dysfonctionnements menstruels ; ou encore limitation des risques de complications de grossesse tels que les accouchements prématurés ou fausses couches. </p>
<p>Des années 1950 aux années 1980, le diéthylstilbestrol aurait ainsi été prescrit à des dizaines de milliers de Françaises. Pourtant, les premiers doutes quant à son efficacité avaient émergé dès 1953. Pire, son innocuité était clairement remise en question dès 1971. À cette date, des chercheurs américains avaient déjà mis en évidence un risque accru de cancer du vagin chez les jeunes femmes dont les mères avaient pris du diéthylstilbestrol lorsqu’elles étaient enceintes. </p>
<p>On sait aujourd’hui que l’exposition à cette substance durant la grossesse a de nombreuses conséquences délétères sur la santé des enfants à naître. Plus grave encore : ces conséquences, qui concernent non seulement les femmes, mais aussi les hommes, s’étendraient sur plusieurs générations. Pourtant, la France a mis plusieurs années à contre-indiquer l’emploi du diéthylstilbestrol chez les femmes enceintes.</p>
<p>Études d’évaluation des risques mal conçues, absence de système de surveillance efficace, retard dans la prise en compte des résultats scientifiques les plus récents, inertie des pouvoirs publics, etc. Retour sur un scandale sanitaire majeur qui a mené à la mise en place d’un système de pharmacovigilance plus performant dont nous bénéficions aujourd’hui. Mais à quel prix ?</p>
<h2>Une des premières hormones de synthèse agissant comme les œstrogènes</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/443020/original/file-20220127-4708-10fknmh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/443020/original/file-20220127-4708-10fknmh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/443020/original/file-20220127-4708-10fknmh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/443020/original/file-20220127-4708-10fknmh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/443020/original/file-20220127-4708-10fknmh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/443020/original/file-20220127-4708-10fknmh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/443020/original/file-20220127-4708-10fknmh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Représentation 3D d’une molécule de diéthylstilbestrol.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/File:Diethylstilbestrol_molecule_ball.png">Medgirl131 / Wikimedia Commons</a></span>
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</figure>
<p>Le diéthylstilbestrol (DES) fut synthétisé pour la première fois <a href="https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/1938Natur.141..247D/abstract">en 1938</a> par le chercheur britannique Edward Charles Dodds et ses collaborateurs. Appartenant à la famille chimique des œstrogènes, des hormones naturelles, il possède des similitudes d’activité avec elles sur de nombreux tissus de l’organisme, tout en étant <a href="https://academic.oup.com/endo/article/138/3/863/2987391">bien plus puissant</a>. </p>
<p>À cette époque, aux États-Unis, il était déjà nécessaire de prouver qu’un médicament n’était pas nocif avant de le mettre sur le marché. Or, l’autorisation de commercialisation du DES avait été initialement été refusée. Des études scientifiques de l’époque montraient en effet que son administration ou celle de substances similaires entraînait des effets néfastes aussi bien chez <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/14933079/">les humains</a> que chez <a href="https://rupress.org/jem/article-pdf/88/3/373/1183960/373.pdf">les animaux</a>.</p>
<p>La molécule a pourtant été utilisée en 1941 pour traiter les carences en œstrogènes retrouvées, par exemple, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20286640/">au cours de la ménopause</a>, tout en étant contre-indiquée chez la femme enceinte. La situation change en 1947, lorsque la Food and Drug Administration (FDA), en charge de la commercialisation des médicaments, autorise la mise sur le marché du diéthylstilbestrol pour prévenir les complications de grossesse, surtout pour la prévention des fausses couches en cas d’antécédent, de menace ou de baisse des hormones dans les urines. Le pic des prescriptions de DES aux États-Unis se situe aux alentours <a href="https://doi.org/10.2515/therapie/2014012">des années 1950 à 1954</a>. Assez rapidement, cependant, les premiers doutes quant à son efficacité réelle ont émergé.</p>
<h2>Des études mal conçues</h2>
<p>L’autorisation de la FDA survient dans un contexte <a href="https://www.cairn.info/revue-sciences-sociales-et-sante-2016-3-page-47.htm">d’engouement médical pour les œstrogènes</a>. On pense alors que les fausses couches sont la conséquence d’une sécrétion insuffisante d’hormones par le placenta, et le DES permettrait de la corriger.</p>
<p>Cette hypothèse, qui s’est avérée fausse (on sait aujourd’hui que la baisse du taux d’œstrogène n’est pas à l’origine de la fausse couche, mais en est la manifestation), était à l’époque soutenue par les études des scientifiques George V. Smith et Olive Watkins Smith. Problème : leurs travaux, <a href="https://www.ajog.org/article/S0002-9378(99)70409-6/fulltext">publiés en 1948</a> et <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/15392965/">en 1949</a>, comportaient plusieurs erreurs méthodologiques, telles qu’une absence de groupe témoin ou de tirage au sort (ou randomisation) des participantes, ainsi que l’absence d’administration d’une molécule sans effet thérapeutique (ou placebo).</p>
<p>En réalité, le DES s’est avéré inefficace pour diminuer le risque de fausses couches. Les premiers doutes à ce sujet émergent en 1953, lorsque Walter J. Dieckmann et ses collaborateurs constatent que son administration <a href="https://doi.org/10.1016/S0002-9378(16)38617-3">n’empêche pas les complications de grossesse</a>. </p>
<p>Mais ce n’est que près de vingt ans plus tard que les véritables conséquences de l’administration de cette molécule allaient être scientifiquement mises en évidence. Et elles vont bien au-delà du risque de fausse couche.</p>
<h2>Des effets délétères ignorés en France</h2>
<p>Interpellés par la survenue de cancers rares (adénocarcinome à cellules claires) du vagin chez plusieurs jeunes femmes dont les mères avaient pris du DES durant leurs grossesse, Arthur L. Herbst et ses collaborateurs ont entrepris une étude rétrospective sur le sujet. Leurs résultats, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/5549830/">publiés en 1971</a>, ont révélé une augmentation de l’incidence de ces cancers. Ils ont amené la FDA à contre-indiquer ce médicament pour les femmes enceintes.</p>
<p>En France, la réaction des autorités sera plus tardive, notamment parce qu’il n’existait pas à l’époque de structure dédiée à la pharmacovigilance. En outre, nombre de professionnels français <a href="https://www.cairn.info/revue-sciences-sociales-et-sante-2016-3-page-47.htm#re3no3">sont restés sourds aux alertes américaines</a>, pourtant relayées par certains praticiens dès la publication des travaux d’Arthur Herbst. À partir de 1976, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/1214039/">un an après la première description d’un cancer rare chez une jeune fille française</a>, le DES n’est plus indiqué pour la prévention des fausses couches en France et, un an plus tard, il est discrètement contre-indiqué pendant la grossesse dans un ouvrage médical français, le Dictionnaire Vidal. Ce n’est qu’en 1977 que le DES est interdit aux femmes enceintes, suite à la création d’une commission technique nationale de pharmacovigilance. </p>
<p>Mais la mesure de la situation n’était pas encore prise, comme allaient le prouver la lanceuse d’alerte <a href="https://scholar.google.fr/scholar?as_sdt=0%2C5&btnG&hl=fr&inst=12836345755951684912&q=UTERINE%20MALFORMATIONS%20IN%20DISTILBENE%20EXPOSED%20FEMALE%20OFFSPRINGS%20DURING%20UTERINE%20LIFE%20AND%20CONSEQUENCES%20ON%20FERTILITY">Anne Cabau</a> et les révélations du journal <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1983/02/16/trente-ans-apres-les-enfants-du-distilbene_3146364_1819218.html">« Le Monde »</a>, en 1983. À cette époque, la récente <a href="https://www.pharmacovigilance-bfc.fr/pharmacovigilance/historique/">Commission de la pharmacovigilance</a> semble surtout préoccupée par la gestion d’un éventuel <a href="https://www.cairn.info/revue-sciences-sociales-et-sante-2016-3-page-47.htm#re6no6">« affolement »</a>. S’il est un temps envisagé d’établir un registre des cancers rares (adénocarcinome à cellules claires), le projet ne verra finalement pas le jour. </p>
<p>(<em>En 1983, <a href="https://histoire.inserm.fr/les-femmes-et-les-hommes/alfred-spira">Alfred Spira</a>, de l’Institut national de la santé et de la recherche (Inserm), publie avec ses collaborateurs une étude évaluant à <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/6361926/">200 000</a> le nombre de femmes traitées en France et <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007%2F978-2-287-73307-9_1">à 160 000 les naissances d’enfants exposés</a>. Ces estimations se basaient sur les chiffres de vente, ndlr</em>).</p>
<p>Aux États-Unis en revanche, Arthur Herbst a mis en place un registre international des cancers avec ou sans exposition au DES, après avoir publié ses résultats. Quelques années plus tard, <a href="https://diethylstilbestrol.co.uk/des-action-groups/">des associations de patients sont créées</a>, parmi lesquelles <a href="https://desaction.org/about-us/">« DES action USA »</a>, <a href="https://opengovca.com/corporation/1371193">« DES action Canada »</a> (aujourd’hui dissoute) et <a href="https://www-descentrum-nl.translate.goog/Missie,-visie-en-beleid?_x_tr_sl=nl&_x_tr_tl=en&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=wapp">« DES Centrum »</a> (Pays-Bas) à la fin des années 1970 et au début des années 1980, ou encore « DANE 45 » en France, en 1986.
Elles contribueront à la mise en place de cohortes (groupes de personnes suivies dans le temps, présentant certaines caractéristiques) en vue d’étudier des effets du diéthylstilbestrol sur trois générations. Ces cohortes sont encore utilisées de nos jours pour les études scientifiques.</p>
<p>Au début des années 1990, aux États-Unis, l’institut national du cancer États-Unis lance de son côté une étude à l’échelle nationale afin de connaître les effets à long terme du DES pour les femmes traitées pendant leur grossesse (première génération) ainsi que pour la seconde génération (leurs enfants). Une autre cohorte a été créée au début des années 2000 afin d’évaluer les effets du DES sur les enfants des mères exposées durant la grossesse de leur mère (troisième génération).</p>
<p>Ces recherches sur les générations d’enfants nés de « mères Distilbène® » ont permis de mieux comprendre les effets délétères à long terme de l’exposition au DES.</p>
<h2>Des effets sur plusieurs générations de femmes</h2>
<p>Si l’exposition au DES n’est pas sans conséquence pour les mères traitées par cette molécule, chez qui elle augmente le risque de cancer (du sein notamment), c’est pour leurs enfants que les effets s’avèrent particulièrement délétères.</p>
<p>Outre la survenue plus fréquente de cancers normalement rares du vagin et du col de l’utérus observés chez les filles des femmes ayant pris du DES durant leur grossesse (seconde génération), d’autres anomalies de l’appareil génital féminin (adénose - une lésion bénigne de la muqueuse vaginale pouvant se transformer en cancer - malformations de l’utérus, etc.) ont également été découvertes. Certaines anomalies risquent de provoquer une infertilité ou des difficultés pour l’obtention d’une grossesse à terme. Pour ces femmes, le risque de grossesse extra-utérine (implantation de l’embryon en dehors de l’utérus), une source de complications, est multiplié par 10, celui de prématurité est multiplié par 2 à 3, et celui de fausses couches au deuxième trimestre de grossesse est multiplié par <a href="https://doi.org/10.2515/therapie/2014012">6 à 14</a>. Un risque augmenté de cancer du sein a également été rapporté. Ces femmes sont également à risque de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16887893/">ménopause précoce</a>. </p>
<p>En plus de ces problèmes gynécologiques, des maladies concernant, par exemple, le <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29069384/">système cardiovasculaire</a> ont également été décrites pour la seconde génération de « filles Distilbène® ». Des troubles neurologiques ou <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28064340/">psychiques</a> sont aussi envisageables. </p>
<p>En ce qui concerne la troisième génération, autrement dit les petites-filles des femmes traitées entre 1950 et 1980 en France, de premières études ont indiqué l’existence de séquelles liées à la prématurité, telles que de la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27203157/">paralysie cérébrale</a>, ainsi que des troubles de la fonction de la reproduction, avec des <a href="https://doi.org/10.2515/therapie/2014012">irrégularités de la durée des cycles menstruels</a>. Le risque de cancer est quant à lui difficile à évaluer actuellement par un manque de recul, mais il touche probablement les trois générations.</p>
<p>Il faut cependant souligner que toutes les femmes exposées directement ou indirectement au DES ne développeront pas une maladie. </p>
<h2>Des conséquences pour les hommes également</h2>
<p>Les recherches ont montré que les hommes exposés au DES lorsqu’ils étaient dans le ventre de leur mère (la « seconde génération ») présentent davantage de risque d’être victimes <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19689815/">d’anomalies de l’appareil génital</a>, telles que kystes de l’épididyme (organe permettant la maturation et le stockage des spermatozoïdes) ou cryptorchidie (absence de descente des testicules). </p>
<p>Cette exposition <em>in utero</em> n’a pas directement augmenté le risque d’infertilité, cependant les complications liées à la cryptorchidie peuvent parfois mener à la stérilité. Cette affection est aussi un facteur de risque connu de cancer du testicule. Or, si une correction chirurgicale de la cryptorchidie permet de diminuer le risque d’infertilité, elle n’élimine <a href="https://www.cua.org/system/files/Guideline-Files/Gui14_Cryptorchidisn.pdf">pas complètement celui de cancer</a>, et les traitements contre le cancer peuvent entraîner eux aussi des problèmes de fertilité. Une étude scientifique récente, robuste et à fort niveau de preuves (méta-analyse et revue systématique), indique à ce sujet que le risque de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31555759/">cancer du testicule</a> pour les hommes de seconde génération est multiplié par trois. </p>
<p>Soulignons toutefois qu’aujourd’hui, en 2022, ces hommes ne sont plus réellement concernés, car ce cancer survient majoritairement à la puberté et atteint un pic vers 30 ans (or ils sont aujourd’hui plus âgés). De la même façon, la cryptorchidie dont ils auraient pu avoir été victimes est généralement corrigée en bas âge. Ces hommes peuvent en revanche porter des kystes de l’épididyme, lesquels font l’objet d’une chirurgie lorsqu’ils provoquent des symptômes tels que douleur ou gêne. </p>
<p>Pour les hommes de la troisième génération issus d’une mère de seconde génération exposée au DES en France, le risque <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27203157/">d’hypospadias (malformation de la verge) et de cryptorchidie</a> est augmenté. Pour les hommes issus d’un père DES de seconde génération , une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29609831/">cryptorchidie et un développement insuffisant du pénis</a> ont aussi été observés.</p>
<p>Des troubles identiques à ceux des femmes de troisième génération ont également été retrouvés pour la troisième génération d’hommes lorsqu’ils provenaient d’une mère DES de seconde génération exposée au DES en France (ces troubles concernent le <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27203157/">handicap</a> lié à la prématurité, notamment).</p>
<p>Soulignons qu’en France, le diéthylstilbestrol a été aussi utilisé jusqu’en 2018 pour traiter certains troubles de la prostate, dont le cancer. Un risque augmenté d’<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17103190/">hypospadias</a> a été retrouvé chez des garçons issus de pères traités avec des médicaments avant la conception. </p>
<h2>Comment puis-je savoir si je présente un risque ?</h2>
<p>En France, les campagnes ponctuelles de sensibilisation sur le DES dans les années 1990 et les recommandations des autorités sanitaires auprès des professionnels de santé dans les années 2000 ont été très insuffisantes. Souvent, par exemple, les personnes concernées n’ont appris l’existence de lieux spécialisés dans la prise en charge du DES que grâce aux associations de patients. Par ailleurs, en 2010, seule la moitié des gynécologues connaissait l’ensemble des conséquences d’une exposition au DES. Résultats : fréquemment, les femmes concernées ne découvraient leur exposition au DES qu’à la suite d’articles parus dans la presse, de documentaires télévisés ou par la publication d’arrêts de justice.</p>
<p>D’après l’association <a href="http://www.des-france.org/accueil/index.php">Réseau DES France</a>, les mères dont l’âge est compatible avec une exposition au DES pendant leur grossesse <a href="http://www.des-france.org/accueil/article.php ?rubrique=16#chezqui">doivent se poser plusieurs questions</a> : Se sont-elles vues administrer un éventuel traitement pour éviter les fausses couches ? Des dosages hormonaux ont-ils été réalisés durant leur grossesse ? </p>
<p>Une exposition au DES doit être recherchée chez la mère ou la grand-mère dans plusieurs cas de figure : en cas d’anomalies à la naissance (cryptorchidie, hypospadias, cœur, œsophage, etc.), d’infertilité, de complications de grossesse, de certains cancers (sein, col et corps de l’utérus, vagin, testicules, etc.), de troubles neurologiques ou de handicap des enfants ou des petits-enfants. </p>
<p>Il n’est pas toujours simple de retrouver une trace écrite d’une prescription au DES, mais quelques pistes peuvent être explorées : le carnet de santé de l’enfant, des ordonnances conservées par les patientes exposées au DES, etc.</p>
<p>Un suivi gynécologique annuel est recommandé pour les femmes DES de deuxième et troisième générations, afin de rechercher des malformations, des nodules ou des lésions évoquant des maladies associées au DES. Pour les femmes des trois générations, le dépistage du cancer du sein suit les recommandations du programme national de dépistage de la Haute Autorité de Santé : mammographie tous les deux ans entre 50 et 74 ans. En cas d’anomalies des seins, ou de saignements inhabituels, il est recommandé de consulter rapidement. </p>
<p>Le dépistage des troubles neurologiques, du handicap et des anomalies des différents organes peut être réalisé, en début de vie, par un pédiatre. Plus tard, à l’adolescence ou à l’âge adulte, un urologue peut aussi être consulté pour les anomalies de l’appareil génital masculin.</p>
<h2>Un cas d’école qui a changé l’évaluation des médicaments</h2>
<p>Le cas du DES a renforcé, en France, la pharmacovigilance. Une commission nationale dédiée a été créée, en 1982. Au début des années 2000, l’Agence française de Sécurité sanitaire des Produits de Santé (Afssaps, désormais Agence Nationale de Sécurité du Médicament ou ANSM) a tout d’abord élaboré avec le Réseau DES France une fiche de signalement des effets indésirables et des recommandations. Elle a également depuis <a href="https://doi.org/10.2515/therapie/2014012">collaboré avec plusieurs organismes et associations de patients</a> pour évaluer les risques de l’exposition au DES. </p>
<p>De nos jours, les critères qui ont présidé à l’autorisation du DES ont aussi évolué. La <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17287107/">méthodologie désormais acceptée</a> pour évaluer l’efficacité d’un traitement est l’essai randomisé (caractérisé par une répartition aléatoire des participants entre le groupe témoin et le groupe recevant le traitement) en double aveugle (l’administration du médicament ou du placebo n’est connue ni du patient, ni de la personne chargée d’évaluer l’effet du traitement). </p>
<p>Certains soulignent que la mise en place de ces nouveaux critères a mené à l’absence de reconnaissance de savoirs cliniques établis, parce que jugés insuffisamment fondés. C’est peut-être le prix à payer pour limiter le risque de nouvelles crises sanitaires d’une telle ampleur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174497/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Batias ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Administré à des millions de femmes enceintes, le diéthylstilbestrol s’est avéré non seulement inefficace, mais aussi toxique sur plusieurs générations. Retour sur un scandale sanitaire méconnu.Catherine Batias, Enseignante et chercheuse en toxicologie, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1720822021-12-07T11:57:51Z2021-12-07T11:57:51ZL’industrie pharmaceutique peut-elle vraiment restaurer sa réputation avec la pandémie ?<p>La course au développement des vaccins contre le Covid-19 a placé le rôle des laboratoires pharmaceutiques sur le <a href="https://fortune.com/longform/covid-vaccine-big-pharma-drugmakers-coronavirus-pharmaceutical-industry/">devant de la scène</a>.</p>
<p>Ces derniers mois, le monde entier a été témoin non seulement de la rapidité avec laquelle ils ont mené les essais cliniques et ont obtenu les autorisations de mise sur le marché de plusieurs vaccins très efficaces, à l’instar de Pfizer, Moderna et AstraZeneca. Une réussite sans précédent qui n’aurait pas été possible sans les <a href="https://doi.org/10.1038/s41587-021-00912-9">partenariats établis au sein de l’industrie</a>, que ce soit au niveau national ou international.</p>
<p>Cette stratégie a eu une conséquence somme toute inattendue, à savoir la nette amélioration de la réputation des labos pharmaceutiques depuis début 2020. En effet, selon une enquête de février 2021, près des deux tiers des Américains en ont désormais une <a href="https://www.fiercepharma.com/marketing/pharma-reputation-hits-high-americans-two-thirds-now-give-positive-rating-harris-poll">opinion favorable</a>.</p>
<p>Cependant, le <a href="https://www.ft.com/content/7ad9d74e-f4e7-4b30-9391-0b934662b6ac">spectre de la disgrâce continue de planer</a> alors même que les grands labos sont considérés comme des héros de la pandémie.</p>
<p>La controverse sur les effets secondaires potentiellement graves du vaccin d’AstraZeneca en est le parfait exemple. L’entreprise anglaise a subi un véritable retour de bâton en raison de l’absence d’un plan de réponse à la crise et des <a href="https://www.theguardian.com/business/2021/mar/26/how-the-astrazeneca-vaccine-became-a-political-football-and-a-pr-disaster">messages contradictoires délivrés par les différentes parties prenantes</a>.</p>
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<img alt="AstraZeneca sign on the side of a building" src="https://images.theconversation.com/files/411054/original/file-20210713-15-37yx3u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/411054/original/file-20210713-15-37yx3u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/411054/original/file-20210713-15-37yx3u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/411054/original/file-20210713-15-37yx3u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/411054/original/file-20210713-15-37yx3u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/411054/original/file-20210713-15-37yx3u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/411054/original/file-20210713-15-37yx3u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le siège mondial d’AstraZeneca à Londres.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Kirsty Wigglesworth/AP</span></span>
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<p>L’élan de popularité actuel permettra-t-il à l’industrie pharmaceutique de changer en profondeur une image publique entachée ? En tant que chercheur en relations publiques, je pense que les laboratoires ne redoreront leur blason que s’ils donnent la priorité aux pratiques socialement responsables.</p>
<h2>Une réputation entachée</h2>
<p>Avant la crise sanitaire, l’industrie pharmaceutique était sous le feu des attaques depuis plusieurs années. Aux États-Unis, <a href="https://news.gallup.com/poll/266060/big-pharma-sinks-bottom-industry-rankings.aspx">sa réputation avait notamment sombré dans l’enquête réalisée par l’institut de sondage Gallup en août 2019</a>, où elle enregistrait à peine 27 % d’opinions favorables. Le coût élevé des médicaments, les dépenses massives de publicité et de lobbying et la crise des opiacés avaient largement terni son image.</p>
<p>Un constat en phase avec les recherches menées en Europe puisque dans une <a href="https://doi.org/10.1177/2046147X18774588">analyse qualitative publiée par Public Relations Inquiry</a>, une équipe de chercheurs de l’université de Gand a étudié la manière dont les entreprises pharmaceutiques belges réagissaient à la mauvaise image qu’elles véhiculaient.</p>
<p>Il en ressort que cette perception négative reflète des problèmes de société plus larges, notamment des écarts croissants en matière de revenus et de santé. Le grand public attend des labos qu’ils sauvent des vies en développant des médicaments innovants, abordables et efficaces. Si leurs actions et motivations sont en contradiction avec de telles attentes, ils perdent sa confiance. Toutefois, celle-ci peut facilement revenir via la publication de rapports sur la responsabilité des entreprises, et des campagnes de communication.</p>
<p>La réputation de l’industrie pharmaceutique est aussi liée au traitement qu’en font les médias. Une <a href="https://doi.org/10.1007/s43441-019-00048-8">enquête de 2020 sur la couverture médiatique des grands labos</a> a montré que la majorité des articles étaient neutres et portaient sur des sujets tels que les capitaux, la valorisation boursière, les bénéfices, les fusions, acquisitions et restructurations, et que cette couverture devenait plus négative lorsqu’elle traitait, de manière plus épisodique, sur des sujets sensibles.</p>
<p>En d’autres termes, les médias parlent davantage des grands labos sous l’angle des affaires plutôt que sous celui de la société et de la santé publique. Ce manque d’attention à l’égard des responsabilités sociales de l’industrie a contribué à la méfiance croissante du public à son égard ces dernières années.</p>
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<img alt="Un homme tient une pancarte sur laquelle on peut lire ‘Les toxicomanes méritent des soins de santé’ avec un cœur." src="https://images.theconversation.com/files/411056/original/file-20210713-25-5pdfbs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/411056/original/file-20210713-25-5pdfbs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/411056/original/file-20210713-25-5pdfbs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/411056/original/file-20210713-25-5pdfbs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/411056/original/file-20210713-25-5pdfbs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/411056/original/file-20210713-25-5pdfbs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/411056/original/file-20210713-25-5pdfbs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un homme tient une pancarte lors d’une manifestation à Vancouver en 2017, lors de la première Journée nationale de sensibilisation aux surdoses d’opiacés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">The Canadian Press/Darryl Dyck</span></span>
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<h2>Un regain de réputation grâce aux vaccins, mais un regain fragile</h2>
<p>Au vu de ces facteurs, il n’est pas surprenant que les efforts déployés par l’industrie pharmaceutique en faveur des vaccins contre le Covid-19, combinés à une vaste couverture médiatique, aient entraîné une <a href="https://www.vox.com/policy-and-politics/2021/4/2/22362078/covid-19-vaccines-pfizer-pharma-companies-popularity">amélioration substantielle de son image dans l’opinion publique</a>. Selon une <a href="https://www.filesforprogress.org/datasets/2021/3/dfp-pharma-infrastructure-funding.pdf">enquête menée par le groupe de réflexion Data for Progress en mars 2021</a>, 56 % des personnes interrogées avaient une opinion favorable des labos pharmaceutiques, soit le double de l’indice du sondage Gallup de 2019.</p>
<p>Néanmoins, un examen plus approfondi des données les met doublement en garde.</p>
<p>D’abord, le prix des médicaments reste la principale préoccupation du public. Dans l’enquête Data for Progress, 72 % des électeurs américains soutiennent les mesures politiques susceptibles de réduire le prix des médicaments sur ordonnance. De son côté, l’industrie pharmaceutique insiste sur le fait que les prix actuels des vaccins contre le Covid-19 ne resteront pas aussi bas très longtemps.</p>
<h2>Les prix des vaccins vont-ils augmenter ?</h2>
<p>En février, Frank D’Amelio, directeur financier de Pfizer, a déclaré lors <a href="https://www.biopharmadive.com/news/coronavirus-vaccines-pricing-questions-moderna-pfizer/594762/">d’une conférence téléphonique avec des analystes de Wall Street</a> que son groupe allait « s’intéresser davantage aux prix » après la pandémie, et laissé entendre que celui de son vaccin contre le Covid-19 subirait une hausse substantielle.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/411057/original/file-20210713-17-5dcfkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Des dirigeants de Pfizer Canada lors d’une conférence de presse à Montréal en 2012" src="https://images.theconversation.com/files/411057/original/file-20210713-17-5dcfkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/411057/original/file-20210713-17-5dcfkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/411057/original/file-20210713-17-5dcfkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/411057/original/file-20210713-17-5dcfkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/411057/original/file-20210713-17-5dcfkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/411057/original/file-20210713-17-5dcfkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/411057/original/file-20210713-17-5dcfkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des dirigeants de Pfizer Canada lors d’une conférence de presse à Montréal en 2012.</span>
<span class="attribution"><span class="source">The Canadian Press/Graham Hughes</span></span>
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<p>L’entreprise facture actuellement 19,50 dollars par dose, alors que le prix habituel des autres vaccins oscille entre 150 et 175 dollars. Si elle était mise en œuvre, cette politique de prix agressive susciterait sans aucun doute des critiques de la part du grand public, notamment des pays en développement qui ont déjà été négligés lors du premier cycle de distribution des vaccins.</p>
<p>Ensuite, la vitesse remarquable de la recherche et de l’innovation atteinte au cours du développement du vaccin contre le Covid-19 est due principalement aux aides publiques et aux différents partenariats. Il n’est pas certain que ces mesures exceptionnelles annoncent l’émergence d’un nouveau modèle où les gouvernements amélioreraient la réglementation relative au contrôle des brevets, à la publicité, à la transparence des données cliniques et aux dépenses de lobbying.</p>
<p>S’ils veulent vraiment redorer leur image, les grands labos doivent profiter de leur popularité actuelle pour privilégier les pratiques socialement responsables. À commencer par une tarification plus équitable des médicaments et un véritable engagement contre les disparités en matière de santé publique.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keeffe pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172082/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sibo Chen reçoit des fonds de l'Université Ryerson et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.</span></em></p>S’ils veulent vraiment redorer leur image, les grands labos feraient bien de profiter de leur popularité actuelle pour privilégier les pratiques socialement responsables.Sibo Chen, Assistant Professor, School of Professional Communication, Toronto Metropolitan UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1720882021-12-07T11:57:50Z2021-12-07T11:57:50ZDu Missouri au Bangladesh : itinéraire d’un vaccin Pfizer contre le Covid-19<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/432386/original/file-20211117-17-qqrjml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C44%2C7360%2C4858&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un Bangladais reçoit une dose de vaccin Covid-19.</span> <span class="attribution"><span class="source">Mahmud Hossain Opu/AP</span></span></figcaption></figure><p>Immuniser la planète contre le Covid-19 constitue un défi logistique sans précédent que l’on pourrait comparer à une mobilisation mondiale en temps de guerre, si ce n’est qu’on a affaire à un ennemi invisible et présent partout.</p>
<p>Certains des vaccins doivent être conservés <a href="https://theconversation.com/how-mrna-vaccines-from-pfizer-and-moderna-work-why-theyre-a-breakthrough-and-why-they-need-to-be-kept-so-cold-150238">à très basse température</a>, quasiment à tous les stades de leur parcours, jusqu’à leur injection. Les vaccins sont <a href="https://www.dw.com/en/the-covid-19-vaccines-where-do-they-come-from-where-will-they-go/a-56134178">principalement produits</a> dans les pays riches, alors que c’est <a href="https://www.nytimes.com/2021/08/02/world/europe/covax-covid-vaccine-problems-africa.html">dans les pays les plus pauvres que le besoin s’en fait le plus sentir</a>, surtout aujourd’hui.</p>
<p>Si de <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2021/world/covid-vaccinations-tracker.html">nombreux pays riches</a> comme Israël, le Canada et le Royaume-Uni sont parvenus à vacciner la plupart de leurs citoyens, la <a href="https://fortune.com/2021/06/30/covid-vaccines-global-vaccination-rates-by-country/">grande majorité de la population</a> mondiale n’a pas encore reçu sa première dose.</p>
<p>Voilà plus de vingt ans que <a href="https://scholar.google.com/citations?user=ncDgo0QAAAAJ&hl=en&oi=ao">j’étudie les chaînes d’approvisionnement mondiales</a>, y compris celles qui concernent les médicaments et autres produits liés à la santé. Pour illustrer la complexité et la difficulté du processus, je vous invite à suivre le parcours d’une dose de vaccin Pfizer (qui a été <a href="https://www.npr.org/sections/coronavirus-live-updates/2021/08/23/1030251410/pfizer-covid-vaccine-fda-approval">autorisée par la Food and Drug Administration</a> le 23 août 2021), depuis une usine du Missouri jusqu’à son injection dans le bras d’un Bangladais.</p>
<h2>Du Missouri au Michigan, en passant par le Massachusetts</h2>
<p>Le vaccin Pfizer a en fait été développé <a href="https://www.pfizer.com/news/press-release/press-release-detail/pfizer-and-biontech-co-develop-potential-covid-19-vaccine">dans le cadre d’un partenariat avec BioNTech</a>, une société allemande.</p>
<p><a href="https://www.pfizer.com/news/hot-topics/mrna_technology_at_the_forefront_during_global_pandemic">C’est l’un</a> des deux vaccins qui utilisent la <a href="https://extranet.who.int/pqweb/sites/default/files/documents/Status_Covid_VAX_15July2021.pdf">nouvelle technologie de l’ARN messager</a> (ou ARNm), consistant à fournir des instructions génétiques afin <a href="https://theconversation.com/how-mrna-vaccines-from-pfizer-and-moderna-work-why-theyre-a-breakthrough-and-why-they-need-to-be-kept-so-cold-150238">d’encoder une protéine virale</a>. Une fois que les cellules de la personne vaccinée commencent à fabriquer la protéine du coronavirus, son système immunitaire est incité à produire de puissants anticorps capables de neutraliser le virus s’il est appelé à le rencontrer.</p>
<p>Le voyage qu’entreprend la dose de vaccin pour être distribuée deux mois plus tard démarre par la production des <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2021/health/pfizer-coronavirus-vaccine.html">ingrédients de base</a> dans une usine Pfizer à Chesterfield, une banlieue de Saint-Louis, dans le Missouri. Cette usine produit la matière première essentielle, appelée plasmide, qui se compose de brins d’ADN contenant les instructions génétiques nécessaires à la fabrication des protéines du coronavirus.</p>
<p>Les éprouvettes de ces fragments d’ADN sont congelées, ensachées, scellées, placées dans un conteneur et envoyées à Andover, dans le Massachusetts. L’ADN y est transformé en ARNm, qui est l’ingrédient actif du vaccin, sa « substance médicamenteuse ».</p>
<p>L’ARNm est ensuite emballé dans des sacs en plastique, dont chacun contient de quoi produire dix millions de doses, congelées et expédiées à Kalamazoo, dans le Michigan, pour la dernière étape du processus : la formulation et le remplissage.</p>
<p>La substance médicamenteuse est d’abord associée à des nanoparticules lipidiques – en gros, de la graisse – pour protéger l’ARNm et l’aider à pénétrer dans les cellules humaines. Ensuite, le mélange est introduit dans des éprouvettes en verre, à raison de six doses par éprouvette, elles-mêmes emballées et congelées avant d’être distribuées.</p>
<p>J’ai présenté ici un processus simplifié en trois étapes. La fabrication d’un vaccin, qui nécessite plus de 200 éléments différents issus d’usines réparties dans le monde entier, est nettement plus complexe.</p>
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<img alt="Un homme vêtu d’un équipement de protection et d’un tee-shirt jaune verse de la neige carbonique dans un carton contenant les vaccins Pfizer" src="https://images.theconversation.com/files/416804/original/file-20210818-27-1e9hhe2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416804/original/file-20210818-27-1e9hhe2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416804/original/file-20210818-27-1e9hhe2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416804/original/file-20210818-27-1e9hhe2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416804/original/file-20210818-27-1e9hhe2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416804/original/file-20210818-27-1e9hhe2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416804/original/file-20210818-27-1e9hhe2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les cartons spécialement conçus par Pfizer sont remplis de neige carbonique pour conserver les éprouvettes de vaccin à des températures polaires.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://newsroom.ap.org/detail/VirusOutbreakWastedVaccineDoses/dc6f3fc52c3f41be963574cb4f71aa59/photo?Query=Pfizer%20AND%20boxes&mediaType=photo&sortBy=arrivaldatetime:desc&dateRange=Anytime&totalCount=203&currentItemNo=38">Morry Gash/AP</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Conserver les éprouvettes à très basse température</h2>
<p>En attendant d’être distribuées, les éprouvettes doivent être <a href="https://www.pfizer.com/news/press-release/press-release-detail/pfizer-and-biontech-submit-covid-19-vaccine-stability-data">conservées à des températures</a> allant de -80 à -60 °C, dans des super-congélateurs.</p>
<p>Pour vous donner une idée, la température annuelle moyenne au pôle Sud <a href="https://www.climatestotravel.com/climate/antarctica">avoisine les -50 °C</a>. Quant aux glaces ou aux steaks surgelés, ils doivent être maintenus, pendant le stockage et le transport <a href="https://cwi-logistics.com/news/how-cold-does-a-warehouse-have-to-be-to-keep-ice-cream//">à -30 °C</a>.</p>
<p>Pour faciliter le transport de ses vaccins aux États-Unis et dans le monde entier, Pfizer a conçu ses propres glacières. <a href="https://www.cdc.gov/vaccines/covid-19/info-by-product/pfizer/pfizer-bioNTech-faqs.html">Les éprouvettes sont placées sur des plateaux</a> conçus pour 195 éprouvettes. Les glacières, qui contiennent cinq plateaux (soit 5 850 doses), sont équipées d’un traceur GPS et d’un capteur de température.</p>
<p>Les glacières Pfizer ne nécessitent aucun autre équipement particulier pour transporter les vaccins, et la température très froide y est maintenue à l’aide de neige carbonique, remplacée tous les cinq jours.</p>
<p>La neige carbonique étant composée de dioxyde de carbone sous forme solide, elle devient progressivement gazeuse, ce qui peut être dangereux sans une ventilation adéquate.</p>
<p>Dès qu’une cargaison est prête à partir, Pfizer <a href="https://www.biopharmadive.com/news/coronavirus-vaccine-freight-forwarder-distribution/589880/">contacte l’un des transporteurs internationaux</a> avec lesquels il a établi un partenariat, comme UPS ou DHL, qui achemine sous 48 h une certaine quantité de boîtes vers un pays donné.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Deux hommes se tiennent à côté d’un entrepôt frigorifique contenant des cartons de vaccin Pfizer" src="https://images.theconversation.com/files/416808/original/file-20210818-15-1m9pi0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416808/original/file-20210818-15-1m9pi0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416808/original/file-20210818-15-1m9pi0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416808/original/file-20210818-15-1m9pi0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416808/original/file-20210818-15-1m9pi0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416808/original/file-20210818-15-1m9pi0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416808/original/file-20210818-15-1m9pi0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les pays doivent disposer d’une infrastructure de stockage à très basse température, comme cet entrepôt en Turquie, pour accepter les doses de vaccin Pfizer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://newsroom.ap.org/detail/VirusOutbreakTurkey/5d1afecb5c184ffd9b23d67785538aec/photo?Query=cold%20storage%20vaccine&mediaType=photo&sortBy=arrivaldatetime:desc&dateRange=Anytime&totalCount=100&currentItemNo=9">Turkish Health Ministry/AP</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le dernier kilomètre d’une éprouvette</h2>
<p>Pour qu’un pays puisse recevoir le vaccin Pfizer, il doit être en mesure de conserver des produits médicaux très froids. Ce n’est pas un problème pour les nations les plus riches, mais les pays pauvres ont rarement les infrastructures nécessaires.</p>
<p>Une fois arrivé à destination, le chargement est placé dans un super-congélateur, généralement à l’aéroport ou dans un dépôt central, jusqu’à ce qu’il soit prêt à être utilisé. Le vaccin peut être conservé environ un mois avant d’être injecté.</p>
<p>Dans les pays pauvres disposant des infrastructures requises, comme le Bangladesh, la distribution est néanmoins limitée à quelques hôpitaux des grandes zones urbaines possédant des chambres froides à très basse température. Dans ce cas précis, seuls <a href="https://www.dhakatribune.com/bangladesh/2021/06/30/7-dhaka-vaccine-centres-to-administer-pfizer-jabs-from-thursday">sept hôpitaux de la capitale, Dhaka</a>, sont équipés pour conserver les vaccins Pfizer.</p>
<p>Le voyage glacé du vaccin Pfizer ne constitue lui-même qu’une partie de l’opération de vaccination. Les fournitures auxiliaires nécessaires à la vaccination se composent de seringues spéciales permettant de délivrer une dose de 0,3 ml, d’aiguilles, de tampons d’alcool stériles et d’équipements de protection individuelle pour le personnel de santé qui administre le vaccin.</p>
<p>De même, la préparation de l’injection du vaccin Pfizer est un processus complexe. Tout d’abord, l’infirmier laisse le vaccin décongeler jusqu’à une température comprise entre 2 et 8 °C dans un réfrigérateur où il peut se conserver 31 jours. Juste avant la vaccination, l’infirmier laisse l’éprouvette à température ambiante (entre 2 et 25 °C), où sa durée de vie n’excédera pas six heures.</p>
<p>Le vaccin voyageant sous forme de concentré, <a href="https://www.cdc.gov/vaccines/covid-19/info-by-product/pfizer/downloads/diluent-poster.pdf">l’infirmier doit le diluer dans 1,8 ml de solution saline</a>, obtenant ainsi de quoi réaliser six doses.</p>
<p>Une difficulté supplémentaire tient au fait que de nombreux pays à revenu faible ou moyen utilisent des seringues qui garantissent une dose maximale fixe et sont automatiquement désactivées après une seule utilisation. Cela permet d’éviter les approximations et les erreurs. L’UNICEF est chargée de livrer ces fournitures supplémentaires aux pays les plus pauvres qui reçoivent leurs vaccins par le biais de COVAX, <a href="https://www.gavi.org/covax-facility">l’initiative mondiale mise en place pour distribuer</a> les vaccins Covid-19 aux pays à faible revenu et à revenu intermédiaire.</p>
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<img alt="Plusieurs seringues contenant des doses diluées de 0,3 ml de vaccin Pfizer attendent dans leur boîte" src="https://images.theconversation.com/files/416807/original/file-20210818-15-ho04l0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416807/original/file-20210818-15-ho04l0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416807/original/file-20210818-15-ho04l0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416807/original/file-20210818-15-ho04l0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416807/original/file-20210818-15-ho04l0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416807/original/file-20210818-15-ho04l0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416807/original/file-20210818-15-ho04l0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La dernière étape du processus avant l’inoculation consiste à diluer le vaccin dans une solution saline pour créer des doses de 0,3 ml.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://newsroom.ap.org/detail/VirusOutbreakCalifornia/6dff429a78cf466b87943fc6e3abe910/photo?Query=pfizer%20AND%20syringes&mediaType=photo&sortBy=arrivaldatetime:asc&dateRange=Anytime&totalCount=226&currentItemNo=67">Jae C. Hong/AP</a></span>
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<h2>Un exploit monumental</h2>
<p>D’autres vaccins sont beaucoup moins contraignants en matière de chaîne du froid, ils n’ont pas besoin d’être dilués et sont injectés à l’aide de seringues standard, ce qui les rend accessibles à bien plus de pays, y compris dans les zones rurales.</p>
<p>La plupart des vaccins Covid-19 <a href="https://extranet.who.int/pqweb/sites/default/files/documents/Status_Covid_VAX_15July2021.pdf">dont l’utilisation est approuvée par l’Organisation mondiale de la santé</a>, tels que ceux fabriqués par AstraZeneca et Johnson & Johnson, ne nécessitent qu’un stockage au froid standard, entre 2 et 8 °C).</p>
<p>Je me suis intéressé à Pfizer en partie parce qu’il s’est taillé la part du lion dans les <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/06/10/fact-sheet-president-biden-announces-historic-vaccine-donation-half-a-billion-pfizer-vaccines-to-the-worlds-lowest-income-nations">doses données par les États-Unis</a> pour le programme COVAX.</p>
<p>Au 22 août 2021, un total de <a href="https://ourworldindata.org/covid-vaccinations">4,97 milliards de doses de vaccin contre la Covid-19</a> avait été administré, un exploit inimaginable à l’automne 2020. Mais la couverture mondiale s’avère très inégale. Un peu plus de la moitié de la population des pays à revenu élevé est vaccinée, contre 1,4 % seulement des populations à faible revenu, originaires, pour la plupart, de pays africains.</p>
<p>Le développement de plusieurs vaccins, <a href="https://extranet.who.int/pqweb/sites/default/files/documents/Status_Covid_VAX_15July2021.pdf">dont dix ont été approuvés par l’OMS</a>, en <a href="https://covid19.nih.gov/news-and-stories/vaccine-development">l’espace d’un an pour la plupart</a> représente une véritable prouesse, fruit de la science et de la collaboration mondiale, surtout quand on sait qu’il fallait jusqu’ici <a href="https://www.weforum.org/agenda/2020/06/vaccine-development-barriers-coronavirus">compter une dizaine d’années en moyenne</a> pour y parvenir.</p>
<p>La création des chaînes d’approvisionnement capables de fournir ces vaccins indispensables aux peuples du monde entier constituera un exploit tout aussi remarquable.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Catherine Biros pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172088/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ravi Anupindi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Chaque dose de Pfizer suit un parcours long et complexe au cours duquel elle sera mélangée et conservée à des températures polaires selon un protocole bien spécifique avant de pouvoir être injectée.Ravi Anupindi, Professor of Technology and Operations, University of MichiganLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1720872021-12-07T11:57:49Z2021-12-07T11:57:49ZLa question des brevets et de l’industrie pharmaceutique américaine : les leçons de l’histoire<p>L’industrie pharmaceutique dans son ensemble est fermement opposée à l’idée de renoncer aux brevets des vaccins contre la Covid-19. Pourtant, les laboratoires étaient autrefois contre le dépôt de brevet, comme l’explique un historien.</p>
<p>Les États-Unis, l’Europe et d’autres pays riches ont déjà vacciné une grande partie de leur population, mais les <a href="https://theconversation.com/global-herd-immunity-remains-out-of-reach-because-of-inequitable-vaccine-distribution-99-of-people-in-poor-countries-are-unvaccinated-162040">pays pauvres sont à la traîne</a>. C’est pourquoi l’annonce surprise du gouvernement américain qui, au printemps, déclarait son intention de <a href="https://www.reuters.com/business/healthcare-pharmaceuticals/us-raise-covid-19-vaccine-intellectual-property-issues-with-wto-may-take-time-2021-06-10/">soutenir l’abandon des brevets sur les vaccins contre la Covid-19</a>, est capitale.</p>
<p>Les laboratoires pharmaceutiques ont rapidement <a href="https://www.wsj.com/articles/covid-19-vaccine-makers-press-countries-to-oppose-patent-waiver-11622021402">exprimé leur opposition</a> à cette initiative, mais les défenseurs de la santé publique <a href="https://www.statnews.com/pharmalot/2020/10/14/wto-patents-covid19-coronavirus-pandemic-vaccines/">s’en sont réjoui</a>. <a href="https://doi.org/10.1038/d41586-021-01242-1">En théorie</a>, renoncer aux brevets permettrait aux pays les plus pauvres de se procurer à moindre coût des versions génériques des vaccins contre le Covid-19, même si elles sont produites dans un autre pays, et les aiderait ainsi à combattre plus efficacement la crise sanitaire. Le Parlement européen <a href="https://www.politico.eu/article/european-parliament-backs-patent-waiver-for-coronavirus-vaccines/">est à présent</a> favorable, lui aussi, à cette initiative.</p>
<p>Bien sûr, renoncer aux brevets aurait des conséquences majeures pour la production mondiale de vaccins. Mais l’annonce des États-Unis doit aussi être envisagée dans le contexte des débats de longue date sur les brevets pharmaceutiques dans le pays.</p>
<p>En tant qu’historien, j’ai <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/M/bo17212890.html">étudié ces questions en profondeur</a>. Mes recherches montrent que les discussions houleuses sur la moralité du dépôt de brevets pour les médicaments remontent aux premiers temps de la République américaine, tout comme les efforts pour limiter – voire interdire – ce phénomène. Les velléités de limiter strictement le dépôt de brevets pharmaceutiques, ou même de les éliminer complètement, sont loin d’être une position radicale, contrairement à ce <a href="https://www.wsj.com/articles/elizabeth-warren-tells-the-truth-11621195472">que suggèrent certains critiques</a>. En fait, à bien des égards, c’est un point de vue profondément conservateur.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/408453/original/file-20210625-24688-110x6el.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Vaccination station in India" src="https://images.theconversation.com/files/408453/original/file-20210625-24688-110x6el.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/408453/original/file-20210625-24688-110x6el.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/408453/original/file-20210625-24688-110x6el.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/408453/original/file-20210625-24688-110x6el.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/408453/original/file-20210625-24688-110x6el.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/408453/original/file-20210625-24688-110x6el.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/408453/original/file-20210625-24688-110x6el.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Un centre de vaccination en Inde, où l’on comptait, fin juin, près de 400 000 décès dus à la Covid, selon les chiffres officiels. Beaucoup estiment que le nombre réel est bien plus élevé.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://newsroom.ap.org/detail/VirusOutbreakIndia/305a7d1239544fa3b39d527f3c8f3858/photo?Query=india%20AND%20vaccination&mediaType=photo&sortBy=arrivaldatetime:desc&dateRange=Anytime&totalCount=1063&currentItemNo=0">Mahesh Kumar/AP</a></span>
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<h2>L’opposition de l’<em>establishment</em></h2>
<p>Aux États-Unis, le premier <a href="https://connecticuthistory.org/first-american-medicine-patent-today-in-history-april-30/">brevet déposé pour un médicament</a> date de 1796, pour les « pilules biliaires Windham du Dr Lee », utilisées notamment contre les problèmes digestifs. Au <a href="https://americanhistory.si.edu/collections/object-groups/balm-of-america-patent-medicine-collection/history">siècle suivant</a>, les fabricants de médicaments ont produit un flot incessant de substances, protégées à la fois par des brevets et le secret commercial. La plupart de ces remèdes pouvaient être facilement recréés dans une pharmacie, et <a href="https://historicmissourians.shsmo.org/john-sappington">certains étaient indéniablement efficaces</a>.</p>
<p>Toutefois, ces médicaments soi-disant brevetés étaient aussi très controversés. Les médecins et d’autres critiques les <a href="https://books.google.com/books?id=AdI9AQAAMAAJ&newbks=1&newbks_redir=0&dq=quackery%20%22patent%20medicine%20%22&pg=RA1-PA349#v=onepage&q&f=false">dénonçaient à cor et à cri</a> car beaucoup faisaient l’objet de publicité mensongère. Les médecins s’opposaient aussi aux tentatives d’instaurer un monopole sur ces remèdes.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/408454/original/file-20210625-25-zmz8xp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="A newspaper notice recording the first patented drug in U.S. in late 18th century" src="https://images.theconversation.com/files/408454/original/file-20210625-25-zmz8xp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/408454/original/file-20210625-25-zmz8xp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=944&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/408454/original/file-20210625-25-zmz8xp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=944&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/408454/original/file-20210625-25-zmz8xp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=944&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/408454/original/file-20210625-25-zmz8xp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1186&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/408454/original/file-20210625-25-zmz8xp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1186&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/408454/original/file-20210625-25-zmz8xp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1186&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le premier médicament breveté aux États-Unis date de 1796. Il était censé guérir « les maux de tête, d’estomac et d’intestins […] les coliques et toutes formes d’occlusion. ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://connecticuthistory.org/first-american-medicine-patent-today-in-history-april-30/">Connecticuthistory.org</a></span>
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<p>A l’époque, les praticiens estimaient que la science devait servir les patients et non les intérêts commerciaux privés, et que les connaissances médicales devaient être partagées et utilisées librement. Les brevets et le secret commercial interféraient avec ce processus. Après tout, si un pharmacien était capable de préparer un remède à moindre coût, ne devait-on pas l’autoriser à le faire ? Pour les médecins américains, restreindre l’accès aux médicaments en se fondant sur le droit à la propriété intellectuelle ou commerciale était <a href="https://books.google.com/books?id=hyMzAQAAMAAJ&pg=RA2-PT134#v=onepage&q&f=false">inacceptable d’un point de vue éthique</a>.</p>
<p>La condamnation morale des brevets pharmaceutiques était si forte que l’American Medical Association (AMA) en a fait la pierre angulaire de son premier <a href="https://www.ama-assn.org/sites/ama-assn.org/files/corp/media-browser/public/ethics/1847code_0.pdf">Code de déontologie médicale</a> en 1847, estimant que le fait de « détenir un brevet pour un instrument chirurgical ou un médicament » constituait « une atteinte à la dignité de la profession » médicale.</p>
<p>La chose n’était pas prise à la légère. Se conformer au code était obligatoire pour obtenir l’autorisation d’exercer dans de nombreux états. Violer l’interdiction de dépôt de brevet pouvait avoir de sérieuses conséquences sur la carrière du contrevenant. En 1849, de grands pontes ont même <a href="https://books.google.com/books?id=gcVXAAAAMAAJ&newbks=1&newbks_redir=0&dq=editions%3ATsME1L_69eEC&pg=PA395#v=onepage&q&f=false">tenté de faire passer une loi</a> interdisant purement et simplement les brevets pour les médicaments.</p>
<p>Ce cadre éthique a aussi favorisé l’émergence de ce que l’on appelle aujourd’hui les médicaments génériques. Quelques entreprises se sont mises à fabriquer des préparations standard, <a href="https://www.britannica.com/biography/E-R-Squibb">renonçant totalement aux brevets</a> et au secret commercial. Après la Guerre de Sécession, ces entreprises sont devenues les plus grands fabricants de médicaments du pays. Elles se sont aussi mises à construire des laboratoires et à investir des ressources dans le développement de nouveaux produits. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, <a href="https://www.bms.com/about-us/our-company/history-timeline.html">ces mêmes entreprises ont pris énormément d’ampleur</a> jusqu’à former la base de l’industrie pharmaceutique américaine actuelle.</p>
<h2>Changement d’orientation</h2>
<p>En chemin, elles ont aussi abandonné l’engagement en faveur d’une science ouverte et accessible qui avait fait leur fortune. Dès les années 1880, certains fabricants de médicaments américains <a href="https://books.google.com/books?id=6hUCAAAAIAAJ&newbks=1&newbks_redir=0&dq=Parke%20Davis%20patent&pg=PP10#v=onepage&q&f=false">ont commencé à exprimer</a> le besoin de faire breveter leurs produits. <a href="https://www.reuters.com/business/healthcare-pharmaceuticals/world-bank-chief-says-does-not-support-vaccine-intellectual-property-waiver-wto-2021-06-08/">Leurs arguments</a> étaient les mêmes qu’aujourd’hui, à savoir que les brevets étaient nécessaires pour encourager l’investissement dans la recherche.</p>
<p><a href="https://books.google.com/books?id=XUI1AQAAMAAJ&newbks=1&newbks_redir=0&dq=patent%20quackery%20monopoly%20medicine%20OR%20drug%20OR%20remedy&pg=PA457#v=onepage&q&f=false">Certains médecins ont adhéré à cette idée</a> – surtout les jeunes, qui se rebiffaient contre le rigide Code de déontologie de l’AMA – mais les plus conservateurs en ont été outragés. Ils ont continué à considérer le dépôt de brevets pharmaceutiques comme une forme de charlatanisme. En 1921 encore, H. K. Mulford, l’un des plus gros fabricants de médicaments de l’époque, maintenait cette position et <a href="https://books.google.com/books?id=kqKDBQAAQBAJ&lpg=PA240">refusait de faire breveter ses produits</a>.</p>
<p>Au début des années 1950, le débat était globalement clos. Les laboratoires pharmaceutiques avaient entièrement adopté le concept des brevets, mais aussi convaincu les professionnels de la santé d’en faire autant. De fait, comme <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520271142/pills-power-and-policy">l’a montré</a> l’historienne Dominique Tobbell, les deux groupes ont œuvré de concert pour entraver toute tentative de limiter le dépôt de brevets. Dans les années 1980, cette puissante alliance a pris l’ascendant sur la politique commerciale et les régulations gouvernementales : depuis plus de trente ans, le gouvernement américain <a href="https://lawecommons.luc.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1417&context=facpubs">mène une active campagne de promotion des brevets pharmaceutiques</a> sur la scène internationale. Les États-Unis ont fait tout leur possible pour <a href="https://digitalcommons.law.uw.edu/wilj/vol9/iss2/7/">obliger les autres pays</a> à <a href="https://scroll.in/pulse/877528/why-the-united-states-and-pharmaceutical-giants-want-indias-law-on-working-of-patents-revoked">renforcer leurs lois nationales sur les brevets</a> afin de mieux défendre les profits des industriels.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/408452/original/file-20210625-28-1qy2jks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Pill production in 1944 US factory" src="https://images.theconversation.com/files/408452/original/file-20210625-28-1qy2jks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/408452/original/file-20210625-28-1qy2jks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/408452/original/file-20210625-28-1qy2jks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/408452/original/file-20210625-28-1qy2jks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/408452/original/file-20210625-28-1qy2jks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=592&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/408452/original/file-20210625-28-1qy2jks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=592&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/408452/original/file-20210625-28-1qy2jks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=592&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le débat sur le dépôt de brevet pour les médicaments a pris fin, en partie parce que les médecins et les fabricants se sont mis à encourager cette pratique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/packing-pills-at-may-and-bakers-in-dagenham-news-photo/3260531?adppopup=true">Hulton Archive</a></span>
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<h2>Tirer les leçons du passé</h2>
<p>C’est pourquoi la décision des États-Unis de renoncer temporairement aux brevets sur les vaccins contre la Covid-19 est particulièrement significative. Elle marque la volonté nouvelle du gouvernement de remettre en question la sacralisation de fait des brevets pharmaceutiques et d’autres formes de propriété intellectuelle. Cette annonce reflète aussi les <a href="https://undark.org/2021/06/16/how-patent-extensions-keep-some-drug-costs-high/">années d’efforts</a> des réformateurs pour démontrer que ces brevets <a href="https://theconversation.com/ending-the-pandemic-will-take-global-access-to-covid-19-treatment-and-vaccines-which-means-putting-ethics-before-profits-141763">limitent l’accès aux médicaments dans les pays pauvres</a>.</p>
<p><iframe id="8ArOy" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/8ArOy/14/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Je crois cependant qu’il faut en faire plus, et vite. Les États-Unis devraient encourager l’abandon des brevets non seulement pour les vaccins contre le Covid mais aussi pour toute forme de propriété intellectuelle susceptible d’interférer avec le transfert des connaissances et des technologies nécessaires à la fabrication de ces produits complexes. Comme <a href="https://blog.petrieflom.law.harvard.edu/2021/05/05/covid-vaccine-patent-waiver/">d’autres l’ont souligné</a>, cela ne <a href="https://www.cfr.org/in-brief/debate-over-patent-waiver-covid-19-vaccines-what-know">suffira pas à augmenter la production mondiale de vaccins</a>. Il s’agit néanmoins d’une étape essentielle, puisque les fabricants de vaccins <a href="https://theconversation.com/us-support-for-waiving-covid-19-vaccine-patent-rights-puts-pressure-on-drugmakers-but-what-would-a-waiver-actually-look-like-160582">ne partagent pas de leur plein gré leurs secrets et leur savoir-faire</a> à une échelle suffisante.</p>
<p>De mon point de vue, nous avons désespérément besoin de progresser vers un système global de développement des vaccins qui en assure l’accès à tous. La question de savoir si les brevets ont une place dans un tel système reste ouverte, mais je suis sceptique.</p>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, les médecins pensaient que les brevets pour les médicaments entravaient le progrès scientifique et portaient préjudice aux patients. Les prédécesseurs de l’industrie pharmaceutique d’aujourd’hui étaient du même avis. Il est temps de nous en souvenir.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Iris Le Guinio pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172087/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joseph M. Gabriel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’industrie pharmaceutique dans son ensemble est opposée à l’idée de renoncer aux brevets des vaccins contre le Covid. Pourtant, les laboratoires ont longtemps eu la position inverse.Joseph M. Gabriel, Associate Professor of History and Social Medicine, Florida State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1720812021-12-07T11:57:47Z2021-12-07T11:57:47ZDes décennies de profits et de scandales pour une industrie pharmaceutique qui mise sur les vaccins<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/432372/original/file-20211117-19-13pi263.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=46%2C0%2C5162%2C3160&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"></span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/QwFyqPKyyY0">Elsa Olofsson/Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Quelques semaines avant l’apparition des premiers cas de Covid-19, Gallup a publié un <a href="https://news.gallup.com/poll/266060/big-pharma-sinks-bottom-industry-rankings.aspx">sondage</a> sur ce que pensaient les Américains de vingt-cinq secteurs économiques.</p>
<p>L’industrie pharmaceutique figurait tout en bas de la liste. Après la publicité, l’industrie pétrolière, et le secteur bancaire.</p>
<p>Si la pandémie et les nouveaux vaccins ont <a href="https://theconversation.com/big-pharmas-covid-19-reputation-boost-may-not-last-heres-why-162975">inversé cette tendance pour l’instant</a>, n’oublions pas les raisons d’une telle perte de crédibilité. Ni celles de leur essor. L’entreprise Johnson & Johnson vaut actuellement quelque 450 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB de la Norvège.</p>
<h2>Naissance des géants</h2>
<p>L’idée d’une potion miraculeuse ou d’un remède universel apparaît déjà dans la mythologie grecque. Le <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Hippocratic_Oath">serment d’Hippocrate</a> mentionne même la déesse Panacée.</p>
<p>Mais il faut attendre le XIX<sup>e</sup> siècle pour que l’industrie pharmaceutique moderne prenne son essor. À la veille du XX<sup>e</sup> siècle, l’entreprise allemande Bayer lance ses premiers gros succès, dont… l’aspirine et l’héroïne.</p>
<p>À la même époque, les laboratoires américains demandent à être <a href="https://theconversation.com/the-us-drug-industry-used-to-oppose-patents-what-changed-161319">protégés par des brevets</a> ou le droit exclusif de commercialiser un médicament pendant un laps de temps donné. Dans les années 1950, ils obtiennent satisfaction, faisant bientôt des États-Unis le plus grand marché de médicaments de la planète.</p>
<p>En plus des brevets, le succès des laboratoires s’explique par le droit à faire de la publicité directement auprès des médecins, et aux États-Unis, des consommateurs, par le biais de spots publicitaires. Au début du XXI<sup>e</sup> siècle, en des temps reculés où Facebook et autres géants de la technologie n’existent pas encore, l’industrie pharmaceutique compte parmi les secteurs les plus rentables de la planète.</p>
<h2>Remèdes miracles</h2>
<p>Il est indéniable que de nombreux médicaments permettent de vivre plus longtemps et d’atténuer la douleur. Toutes précautions gardées, certaines découvertes constituent des avancées majeures.</p>
<p>Les antibiotiques ont révolutionné le traitement des infections mortelles tout en donnant un souffle nouveau à la science de l’époque. Dans les années 1940, l’un des premiers <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3164257/">essais contrôlés randomisés</a> à être publié portait sur les effets de la streptomycine contre la tuberculose.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/414244/original/file-20210803-13-1q9a091.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/414244/original/file-20210803-13-1q9a091.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/414244/original/file-20210803-13-1q9a091.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/414244/original/file-20210803-13-1q9a091.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/414244/original/file-20210803-13-1q9a091.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/414244/original/file-20210803-13-1q9a091.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/414244/original/file-20210803-13-1q9a091.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Selman Waksman, inventeur de la streptomycine, teste le médicament avec deux associées.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Waksman,_selman.jpg">New Jersey Agriculture Experimental Station at Rutgers University/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les années 1990 voient l’apparition d’une autre sorte de remède miracle avec la trithérapie, destinée à endiguer l’épidémie de sida, ce mystérieux virus, synonyme de peine de mort, qui va bientôt devenir une maladie avec laquelle on peut vivre.</p>
<p>En ce qui concerne les cancers, si certains restent incurables, d’autres sont traités et même évités grâce à des médicaments qui s’avèrent efficaces.</p>
<h2>Prix exorbitants, évasion fiscale</h2>
<p>Pourtant, à chaque fois, les remèdes en or ont leur revers. Comme le signale l’Organisation mondiale de la santé (OMS), <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.5694/mja16.01042">l’usage excessif d’antibiotiques</a> a contribué à renforcer la résistance aux antibiotiques, <a href="https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/antibiotic-resistance">« l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale »</a>.</p>
<p>L’inflation des prix et les brevets appliqués aux traitements contre le sida les ont placés hors de portée des plus démunis, et les tarifs n’ont baissé qu’après de <a href="https://www.msf.org/access-medicines-depth-access-campaign">vastes campagnes mondiales</a> appelant à les rendre plus accessibles.</p>
<p>Pour certains traitements <a href="https://www.bmj.com/content/325/7358/269?tab=responses">anticancéreux</a>, qui ne procurent parfois que des bienfaits minimes, les laboratoires exigent des tarifs exorbitants qui alimentent les profits astronomiques de l’industrie pharmaceutique tout en nuisant à sa réputation. Le coût de l’antihistaminique Epipen, vital pour certains, a ainsi augmenté de plus de 400 %, faisant du prix des médicaments un <a href="https://www.forbes.com/sites/arleneweintraub/2016/09/01/epipen-only-scratches-the-surface-of-the-drug-price-crisis-jama-study-says/?sh=3d3292d41c7a">enjeu majeur</a> de l’élection présidentielle de 2016 aux États-Unis.</p>
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<img alt="Two epipens sit in front of their pack" src="https://images.theconversation.com/files/414246/original/file-20210803-23-1iib9o9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/414246/original/file-20210803-23-1iib9o9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/414246/original/file-20210803-23-1iib9o9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/414246/original/file-20210803-23-1iib9o9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/414246/original/file-20210803-23-1iib9o9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/414246/original/file-20210803-23-1iib9o9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/414246/original/file-20210803-23-1iib9o9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le prix d’Epipen a augmenté de plus de 400 %.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/saint-louis-united-states-august-25-473806648">Shutterstock</a></span>
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<p>Le secteur prétend que les prix élevés servent à financer la recherche. Ses détracteurs avancent que les entreprises dépensent parfois davantage en marketing, et que leurs profits proviennent dans certains cas de travaux financés par les contribuables.</p>
<p>Pis encore, les grands laboratoires sont aussi spécialistes de l’évasion fiscale. En 2015, lors d’une <a href="https://www.michaelwest.com.au/big-pharma-bosses-front-up-to-senate-inquiry-into-corporate-tax-avoidance/">audience au sénat australien</a>, on a appris que le taux d’imposition de ces sociétés n’était que de 1 %.</p>
<p><a href="https://www.oxfam.org/en/press-releases/drug-companies-cheating-countries-out-billions-tax-revenues">Un rapport d’Oxfam</a> mené au niveau mondial en 2018 a conclu que l’industrie pharmaceutique commettait des « fraudes fiscales de l’ordre de plusieurs milliards de dollars ».</p>
<h2>Les pratiques commerciales toxiques sont dangereuses pour la santé</h2>
<p>Le plus grave problème posé par les géants du médicament, c’est leur <a href="https://theconversation.com/time-to-end-drug-company-distortion-of-medical-evidence-127495">influence néfaste</a> sur la recherche médicale. L’industrie domine ce secteur et il existe des <a href="https://www.cochrane.org/MR000033/METHOD_industry-sponsorship-and-research-outcome">preuves solides</a> que les études financées par les entreprises tendent à présenter des biais favorables au produit du sponsor.</p>
<p>La formation médicale est aussi lourdement sponsorisée, et on a démontré qu’un docteur qui accepte une <a href="https://theconversation.com/drug-companies-are-buying-doctors-for-as-little-as-a-16-meal-61364">simple invitation à déjeuner</a> lors d’une « formation » prescrit davantage de médicaments du sponsor.</p>
<p>Les recommandations, si importantes en matière d’ordonnance, sont trop souvent <a href="https://bmjopen.bmj.com/content/9/2/e025864">rédigées par des experts médicaux</a> en lien avec les sociétés pharmaceutiques.</p>
<p>Cette stratégie commerciale repose en bonne part sur ces experts, parfois qualifiés de <a href="https://www.bmj.com/content/336/7658/1402">« leaders d’opinion »</a>, qui clament leur indépendance mais acceptent des honoraires pour services de conseil ou présentations « pédagogiques » à d’autres médecins.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Médecin tapant sur son ordinateur" src="https://images.theconversation.com/files/414248/original/file-20210803-15-rn30tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/414248/original/file-20210803-15-rn30tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/414248/original/file-20210803-15-rn30tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/414248/original/file-20210803-15-rn30tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/414248/original/file-20210803-15-rn30tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/414248/original/file-20210803-15-rn30tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/414248/original/file-20210803-15-rn30tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une simple invitation à déjeuner lors d’une formation peut pousser un docteur à prescrire les médicaments d’un laboratoire.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/doctor-typing-on-his-computer-office-142168426">Shutterstock</a></span>
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</figure>
<p>Un ex-commercial du médicament, devenu lanceur d’alerte, l’a expliqué très clairement dans un article paru en 2008 dans la revue médicale britannique <a href="https://www.bmj.com/content/336/7658/1402"><em>The BMJ</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les leaders d’opinion jouaient pour nous le rôle de commerciaux, et nous évaluions régulièrement notre retour sur investissement, en surveillant les prescriptions avant et après leurs présentations.</p>
<p>« Si cet intervenant ne produisait pas l’effet escompté, l’entreprise ne l’invitait plus ».</p>
</blockquote>
<p>Le marketing néfaste privilégie les pilules les plus récentes et les plus onéreuses au détriment de solutions plus anciennes et plus abordables, ou l’attentisme, source de nombreux maux et de gaspillage de précieuses ressources.</p>
<h2>Des entreprises criminelles</h2>
<p>En 2009, Pfizer a dû payer une amende record de <a href="https://web.archive.org/web/20091212121012/http://www.stopmedicarefraud.gov/index.html">2,3 milliards de dollars</a> pour promotion illégale, déclarations fausses et trompeuses sur la sûreté des médicaments, et pots de vin aux médecins. Ce montant comprenait une amende criminelle de 1,2 milliard de dollars, la plus importante jamais décidée dans le cadre d’une poursuite pénale aux États-Unis.</p>
<p>L’un des lanceurs d’alerte dans cette affaire appartenait à une <a href="https://www.allenandunwin.com/browse/books/academic-professional/health/Sex-Lies--Pharmaceuticals-Ray-Moynihan-9781742370187">équipe commerciale dédiée</a> chargée de la promotion du Viagra. Il a révélé que des médecins avaient été invités à des petits-déjeuners, des déjeuners, des dîners, des spectacles à Broadway, des parties de golf, des séjours au ski, des soirées au casino et à des clubs de strip-tease.</p>
<p>En 2013, Johnson & Johnson a déboursé 2,2 milliards de dollars au civil et au pénal pour avoir placé <a href="https://www.justice.gov/opa/pr/johnson-johnson-pay-more-22-billion-resolve-criminal-and-civil-investigations">« le profit avant la santé du patient »</a>. L’entreprise avait exagéré les mérites de puissants neuroleptiques pour réguler le comportement des personnes âgées et des plus vulnérables, surestimant les bénéfices et sous-estimant la dangerosité des effets secondaires, tels que les accidents vasculaires cérébraux.</p>
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<img alt="Un homme âgé porte un comprimé à sa bouche dans une main et un verre d’eau dans l’autre." src="https://images.theconversation.com/files/414247/original/file-20210803-23-13hydnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/414247/original/file-20210803-23-13hydnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/414247/original/file-20210803-23-13hydnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/414247/original/file-20210803-23-13hydnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/414247/original/file-20210803-23-13hydnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/414247/original/file-20210803-23-13hydnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/414247/original/file-20210803-23-13hydnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les laboratoires pharmaceutiques ont été condamnés à d’énormes amendes pour avoir placé les profits avant la santé.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/asian-old-man-taking-pill-another-1679120026">Shutterstock</a></span>
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</figure>
<p>D’autres documents judiciaires de la même période dévoilent les <a href="https://www.bmj.com/content/338/bmj.b1914.extract">manœuvres</a> de la multinationale Merck pour défendre le Vioxx, son médicament contre l’arthrose. Elle avait créé un faux journal médical et dressé des listes secrètes d’universitaires à « neutraliser » et « discréditer ».</p>
<p>Vioxx a finalement été retiré du marché parce qu’il provoquait des crises cardiaques. La revue <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(05)17864-7/fulltext"><em>The Lancet</em></a> estime qu’il serait responsable de 140 000 cas d’insuffisance coronarienne.</p>
<h2>Enquêtes et réformes</h2>
<p>Des scandales comme celui du Vioxx ont terni l’image de l’industrie pharmaceutique, désormais soumise à une étroite surveillance.</p>
<p>Aux États-Unis, la National Academy of Sciences a produit un <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK22942/">rapport historique</a> soutenant que la proximité entre les médecins et les laboratoires pouvait constituer une menace pour l’intégrité de la science, l’objectivité de la formation, la qualité des soins et la confiance publique dans la médecine.</p>
<p>Les audiences du Congrès américain sur les pratiques commerciales nuisibles ont débouché sur la création du registre <a href="https://openpaymentsdata.cms.gov/">Open Payments</a>, qui répertorie publiquement chaque paiement accordé par les entreprises aux médecins.</p>
<p>Beaucoup d’autres pays procèdent à des <a href="https://www.bmj.com/content/367/bmj.l6576">réformes plus ambitieuses</a>, passant de la transparence à l’indépendance. L’Italie a adopté une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20055898/">taxe spéciale</a> sur la communication des firmes pharmaceutiques afin de financer la recherche d’intérêt public. La Norvège, elle, impose un cadre très strict aux formations médicales <a href="https://www.legeforeningen.no/om-oss/Styrende-dokumenter/legeforeningens-lover-og-andre-organisatoriske-regler/avtale-mellom-legemiddelindustriforeningen-og-den-norske-lageforening-om-retningslinjer-for-samarbeid-og-samhandling-mellom-leger-legeforeningen-og-legemiddelindustrien/#23800">sponsorisées par l’industrie</a>.</p>
<p>Mais le chemin est encore long. D’après une <a href="https://www.bmj.com/content/369/bmj.m1505">étude</a> réalisée en 2020, 80 % des professionnels à la tête des plus puissantes organisations de médecins reçoivent toujours de l’argent des entreprises commercialisant des médicaments et du matériel médical, au titre de la recherche, des missions de conseil et des services rendus.</p>
<p>Même le financement des agences chargées d’évaluer les médicaments, comme la <a href="https://www.fda.gov/about-fda/fda-basics/fact-sheet-fda-glance">Food and Drug Administration</a> (l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux), repose toujours sur une contribution conséquente de l’industrie pharmaceutique, qui paie pour faire valider la commercialisation de ses produits.</p>
<p>Et le marketing néfaste perdure. Le mois dernier, un groupe de laboratoires, dont Johnson & Johnson, <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2021/jul/21/us-opioid-settlement-state-attorneys-general-johnson-and-johnson">se sont mis d’accord pour payer</a> 26 milliards de dollars au titre de leur responsabilité dans l’épidémie d’addiction aux opioïdes.</p>
<h2>Une ordonnance de confiance</h2>
<p>Un directeur de laboratoire <a href="https://www.fiercepharma.com/pharma/amid-challenges-a-covid-19-opportunity-for-pharma-a-chance-to-bolster-its-reputation-lilly">aurait annoncé</a> l’an dernier que l’industrie pharmaceutique bénéficiait, avec la pandémie de Covid-19, d’une « chance rare de se refaire une [réputation] ».</p>
<p>Compte tenu des comportements qui ont détruit la crédibilité des laboratoires, on peine à croire que la pandémie puisse, comme par magie, mettre un terme aux pratiques commerciales trompeuses et aux coûts faramineux des médicaments.</p>
<p>Toute rémission post-pandémie devra passer par des réformes radicales.</p>
<hr>
<p><em>Cet article fait partie d’une série d’articles publiés dans les différentes éditions de The Conversation, intitulée <a href="https://theconversation.com/au/topics/the-business-of-pharmaceuticals-108206"><em>Le business des laboratoires pharmaceutiques</em></a>. Cliquez <a href="https://theconversation.com/au/topics/the-business-of-pharmaceuticals-108206">ici</a> pour découvrir les autres articles.</em></p>
<p><em>Traduit de l’anglais par M. André pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172081/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ray Moynihan est professeur adjoint à l'Institute for Evidence-Based Healthcare de l'Université Bond et professeur associé à l'Université de Sydney. Il reçoit un financement par le biais de subventions compétitives du Conseil national australien de la santé et de la recherche médicale, financé par des fonds publics.</span></em></p>La pandémie de Covid-19 donne aux laboratoires pharmaceutiques l’occasion de redorer leur image. Mais comment ont-elles pu devenir si puissantes et descendre si bas ?Ray Moynihan, Assistant Professor, Bond UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1641802021-07-15T20:15:15Z2021-07-15T20:15:15ZSoigner la population ou son chiffre d’affaires ? Un dilemme pour les marketeurs de l’industrie pharmaceutique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/410384/original/file-20210708-13-13k26pc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1151%2C722&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour les professionnels du secteur, les missions santé et profits peuvent entrer en compétition.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Michal Jarmoluk / Pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>De nombreux scandales frappent régulièrement l’industrie pharmaceutique. L’Oxycodon, par exemple, a été massivement distribué aux États-Unis bien qu’étant un antalgique opiacé au fort pouvoir d’addiction. Quelque <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2018/02/ROBIN/58390">200 000 morts</a> par overdose peuvent lui être imputés outre-Atlantique depuis 1999.</p>
<p>Plus proche de nous, le Mediator des laboratoires Servier a mis plus de 15 ans à se voir retirer de la commercialisation alors que sa prescription comme coupe-faim, en dehors de son indication thérapeutique initiale, a causé de nombreuses victimes dont <a href="https://theconversation.com/avec-la-fille-de-brest-personne-noubliera-le-scandale-du-mediator-69027">2 000 morts</a> répertoriées. Le dénouement du procès en mars 2021, tout comme pour <a href="https://theconversation.com/levothyrox-jusquou-laffaire-a-t-elle-entame-la-confiance-des-citoyens-95240">celui du Lévothyrox</a> de Merck, pointe, au-delà de la responsabilité des médecins, <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/levothyrox/levothyrox-les-victimes-indemnisees_4022921.html">celle des laboratoires</a> produisant ces médicaments.</p>
<p>Ces différents scandales ne sont que la manifestation visible d’une tension permanente inhérente à ce secteur entre la recherche de profit et la mission santé qui le caractérise. Les professionnels du marketing qui ont la charge de promouvoir les médicaments auprès des patients et des médecins semblent particulièrement concernés par ce conflit éthique qui parfois apparaît : soigner ou vendre ?</p>
<p>Au cours de nos <a href="https://rdcu.be/b9sgh">recherches</a> nous nous sommes demandé comment les marketeurs du secteur pharmaceutique ressentent cette tension et comment ils y font face.</p>
<h2>Intérêt économique, mission santé</h2>
<p>Les conflits éthiques rencontrés peuvent conduire les marketeurs à des situations dites de <a href="https://psycnet.apa.org/record/1993-97948-000">« dissonance morale »</a>. Cela renvoie à des moments durant lesquels les comportements ou décisions d’un individu entrent en conflit avec ses valeurs morales. La dissonance morale, parce qu’elle met en jeu des éléments centraux dans l’identité de l’individu comme ses valeurs, peut générer un important inconfort psychologique, donner naissance à de la culpabilité et atteindre l’estime de soi.</p>
<p>L’individu va alors s’engager dans des stratégies visant à réduire cet état de dissonance qui reposent principalement sur le recours à des mécanismes d’autojustification mais peuvent aussi consister à changer de comportement ou rechercher du soutien social.</p>
<p>Pour comprendre les attitudes des professionnels du marketing dans le secteur pharmaceutique, nous avons mené des entretiens approfondis avec 18 d’entre eux.</p>
<p>Ils traduisent, chez ces individus, des conflits éthiques plus ou moins graves. Ceux-ci ont trait, en majorité, à des décisions qui présentent un intérêt économique alors qu’elles induisent un manquement par rapport à la mission santé. Il peut s’agir d’un préjudice potentiel aux patients, d’une infraction à la réglementation ou encore d’un manquement à un principe de déontologie professionnelle. Les conflits semblent vécus avec d’autant plus d’intensité que le choix a des conséquences importantes sur la santé des patients.</p>
<h2>Le tournant de l’affaire Servier</h2>
<p>Pour résoudre ce conflit, trois stratégies ressortent de notre série d’entretiens. La première d’entre elles consiste à <strong>minimiser le caractère sensible au regard de l’éthique</strong>. C’est adopter une politique de l’autruche, ignorer le conflit ou l’évacuer le plus vite possible.</p>
<p>Un enquêté nous explique par exemple :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne dirais pas non plus que l’industrie pharmaceutique est blanche comme neige. Il y a eu des cas comme Servier, de gens qui ont été malhonnêtes. Mais ce n’est pas le cas de la plupart des gens qui travaillent dans le secteur. Ils sont contents de travailler dans une industrie qui a apporté du bien à la société ».</p>
</blockquote>
<p>Selon ces professionnels, les missions santé et économique ne rentrent pas en compétition : faire du profit est un moyen de financer la recherche médicale. Les laboratoires pharmaceutiques apparaissent ainsi comme « les principaux investisseurs dans la santé ».</p>
<p>En outre, ils soulignent que leurs pratiques sont extrêmement encadrées par la loi. Plusieurs répondants rappellent que le Mediator a fait date :</p>
<blockquote>
<p>« Il n’y a plus de problème car tout a été réglementé. Les problèmes de conflit d’intérêt type Servier, c’est fini, ça ne peut plus se produire. Il y a eu vraiment un avant et un après Mediator, ça a vraiment changé ».</p>
</blockquote>
<p>Ne pouvant pas ignorer les attaques portées par la presse à l’encontre de l’industrie pharmaceutique, ils s’en défendent en dénonçant en retour le rôle des médias qui les attisent, des titres qui recherchent à « faire du buzz » et des « journalistes qui n’ont que ça à se mettre sous la dent ».</p>
<h2>Comme des héros</h2>
<p>D’autres répondants, au contraire, ont bien conscience des risques que présente le produit commercialisé pour les patients. Toutefois, ils affirment précisément <strong>prendre ces risques au nom du bien du patient</strong>. Voici par exemple comment se justifie la décision de doubler les doses recommandées par la réglementation pour des enfants atteints de pathologies graves :</p>
<blockquote>
<p>« Même si c’est un produit qui est dangereux, potentiellement dangereux, et sur lequel tu n’as pas trop de recul, tu te dis que tu peux décider avec le responsable scientifique de soutenir les médecins doublant les doses parce qu’il y avait un intérêt thérapeutique. »</p>
</blockquote>
<p>La mise en avant du bien du patient est troublante car elle conduit les marketeurs à occulter la dimension économique de leur activité et à la présenter comme secondaire. Pourtant un doublement des doses permet bel et bien de développer les ventes du produit.</p>
<p>Se référer au bien-être du patient peut ainsi paradoxalement servir à cautionner des actes non éthiques.</p>
<p>Le tout en se présentant même parfois comme des héros qui accomplissent de véritables miracles pour leurs patients. L’un d’entre eux se justifie :</p>
<blockquote>
<p>« Notre produit était très bénéfique aux patients, tout le monde nous en était reconnaissant… On avait à la fois des professionnels de santé qui nous disaient “nos patients sont ravis, les taux de cholestérol sont super bas, c’est génial” et des patients qui témoignaient “mon médecin me force à prendre des hypocholestémiants depuis trois ans et j’avais toujours mal partout… ça fait deux mois que je prends vos produits et non seulement mon taux de cholestérol est bas mais surtout je n’ai plus mal nulle part” ».</p>
</blockquote>
<p>Leur façon de présenter leur métier finit même parfois par se confondre avec celle des soignants.</p>
<p>Dernière stratégie, certains répondants constatent que la logique de rentabilité prime sur la mission santé, et développent une <strong>défiance face aux discours développés par les autres commerciaux</strong> :</p>
<blockquote>
<p>« De nos jours, l’argent prend une ampleur tellement importante et j’ai l’impression qu’il y a très peu d’éthique dans les organismes et chez les personnes qui commercialisent les produits. »</p>
</blockquote>
<p>La désillusion de ces marketeurs est telle que, contrairement aux cas évoqués précédemment, ils n’arrivent plus à trouver d’arguments pour justifier leurs actions marketing et réduire leur mal-être.</p>
<blockquote>
<p>« Je n’étais pas très tranquille car j’avais l’impression de vendre quelque chose qui pouvait peut-être faire du mal aux gens ou même être fatal pour certaines personnes. Je culpabilisais un peu en fait… Je me disais que j’aurais bien aimé commercialiser des vêtements, en tout cas des produits clairs. »</p>
</blockquote>
<p>La seule issue à leur dissonance semble ainsi d’éviter les pratiques posant problème en changeant de fonction, d’entreprise, voire même en quittant définitivement le secteur pharmaceutique.</p>
<h2>Affaires de formation et de réglementation</h2>
<p>Que faire alors ? Il semble difficile d’adresser des recommandations aux laboratoires car se pose la question de la réelle volonté des directions générales à prévenir les comportements non éthiques des salariés lorsque ces comportements sont adoptés dans leur intérêt économique.</p>
<p>Toutefois, la mise en avant de l’existence de la dissonance morale et de la souffrance psychologique qu’elle engendre chez les travailleurs devrait les préoccuper. Des études montrent en effet que celles-ci impliquent des <a href="https://psycnet.apa.org/record/2005-05063-001">conséquences négatives</a>, telles que la perte d’implication au travail ou l’augmentation du turnover.</p>
<p>Cela prévaut d’autant plus dans l’industrie pharmaceutique qui touche à une noble cause, la santé, à laquelle les répondants demeurent généralement très attachés.</p>
<p>Au niveau externe, il conviendrait d’intégrer une dimension éthique de manière plus systématique dans les formations au marketing, tout particulièrement dans les cursus spécialisés en marketing de la santé.</p>
<p>Par ailleurs, si la loi s’est renforcée, notamment après l’affaire du Mediator, notons que cela n’a pas empêché de nouveaux scandales, en particulier sur de nouveaux marchés comme les <a href="https://www.lemonde.fr/implant-files/video/2018/11/25/implant-files-comprendre-le-scandale-de-la-surveillance-des-dispositifs-medicaux_5388428_5385406.html">implants</a>. L’État, pour protéger le citoyen, devrait ainsi notamment s’intéresser aux produits para-médicaux qui font aujourd’hui l’objet d’une réglementation moins contraignante.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164180/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les professionnels répondent au conflit éthique de diverses façons, entre politique de l’autruche, soutenir mordicus les bienfaits des produits, et parfois décider de quitter le secteur.Loréa Baïada-Hirèche, Maître de conférences en management des ressources humaines, Institut Mines-Télécom Business School Anne Sachet-Milliat, Enseignant-chercheur en éthique des affaires, ISC Paris Business SchoolBénédicte Bourcier-Béquaert, Enseignant-chercheur en marketing, ESSCA School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1634672021-07-07T19:04:19Z2021-07-07T19:04:19ZOpération « Dunhammer » : le cheval de Troie danois en Europe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/409685/original/file-20210705-17-1d963ip.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C1019%2C682&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mette Frederiksen, la première ministre du Danemark, arrive au sommet européen à Bruxelles le 25 juin 2021, alors que son pays est sous le feu des critiques pour avoir aidé les services américains à espionner plusieurs dirigeants de l'UE.</span> <span class="attribution"><span class="source">Olivier Matthys/AFP</span></span></figcaption></figure><p>Dimanche 30 mai 2021, une chaîne publique de télévision danoise, <em>Danemarks Radio</em> (DR), en coopération avec d’autres médias (le journal <em>Le Monde</em>, la chaîne suédoise <em>SVT</em>, la chaîne norvégienne <em>NRK</em>, les chaînes allemandes <em>NDR</em>, <em>WDR</em> et le quotidien allemand <em>Suddeutsche Zeitung</em>) révèle l’existence d’un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/06/02/accuse-d-espionnage-au-profit-des-etats-unis-le-danemark-ne-nie-pas_6082549_3210.html">accord secret</a> passé entre l’agence de sécurité nationale des États-Unis, la NSA (National Security Agency) et le service danois de renseignement de la défense, le Forsvarets Efterretningstjeneste (FE).</p>
<p>Cet accord, qui s’appuie sur un rapport commandé par le FE dénommé « Opération Dunhammer » et livré en 2015, révèle l’existence d’une coopération secrète américano-danoise qui a duré de 2012 à 2014. Cette opération a permis à la NSA et au FE d’accéder, via le logiciel XKeyscore, aux données SMS, appels, trafic Internet et autres services de messagerie de plusieurs hauts responsables politiques européens (français, norvégiens, suédois et allemands), dont la chancelière allemande <a href="https://www.dw.com/fr/nsa-espionnage-allemagne-merkel-danemark/a-57729842">Angela Merkel</a>.</p>
<h2>Un scandale international</h2>
<p>Les révélations effectuées par ces médias après neuf mois d’enquête semblent éclairer sous un angle nouveau le limogeage, en août 2020, du chef du FE, Lars Findsen, de son prédécesseur, Thomas Ahrenkiel et de trois autres agents. La ministre danoise de la Défense Trine Bramsen, nommée en juin 2019, qui a été informée de cette affaire en août 2020, reprocherait notamment au FE la mise sur écoute des ministères danois des Affaires étrangères et des Finances ainsi qu’un fabricant d’armes du pays – et ce, au profit de la NSA.</p>
<p>Ces révélations ont eu pour effet une véritable levée de boucliers côté européen. Berlin, Stockholm et Oslo ont rapidement <a href="https://www.sudouest.fr/international/europe/espionnage-d-allies-europeens-les-etats-unis-et-le-danemark-sommes-de-s-expliquer-3501619.php">demandé des explications complémentaires</a> au gouvernement danois, tandis que Paris <a href="https://www.breakingnews.ie/world/frances-macron-says-u-s-spying-on-european-allies-is-not-acceptable-1135340.html">mettait explicitement en garde</a> ses partenaires danois et américain.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1399117981683232769"}"></div></p>
<p>Pour autant, il convient de rappeler que, bien que ces révélations soient déroutantes, de telles pratiques d’espionnage sont en réalité anciennes. Dès la fin de la guerre froide et la disparition de l’ennemi soviétique, la NSA change rapidement son fusil d’épaule, intensifiant ses pratiques de surveillance et d’interception en direction de citoyens et d’États alliés.</p>
<h2>Une pratique qui n’a rien de nouveau</h2>
<p>Par le passé, le monde entier a longtemps sous-estimé les révélations faites dès les années 1970-1980 sur la <a href="https://www.tallandier.com/livre/nsa/">NSA</a>. Ces programmes portaient les noms de <em>Fairview</em>, <em>Lithium</em>, <em>Oakstar</em>, <em>Stormbrew</em> ou <em>Blarney</em>. Ce dernier programme, par exemple, reposait initialement sur un programme mis en place entre la NSA et AT&T (entreprise de télécommunications américaine) en 1978 dont l’objet était déjà à l’époque, l’espionnage des communications, via les câbles, routeurs et commutateurs internationaux, de nombreux pays dont la France.</p>
<p>En 1995, un ancien officier du Centre de la sécurité du Canada (CSE) dénonçait dans un ouvrage intitulé <a href="https://www.christian-sauve.com/2000/02/spyworld-mike-frost-and-michel-gratton/"><em>Spyworld : How CSE Spies on Canadians and the World</em></a>, les pratiques canado-américaines d’espionnage mondial et domestique à travers la station canadienne de Leitrim (Ontario), spécifiquement en charge des entreprises et des responsables politiques européens.</p>
<p>En 1998, le service d’études du Parlement européen (STOA, Scientific and Technological Options Assessment) charge une fondation nommée <a href="https://omegaresearchfoundation.org/about">Omega</a>, basée à Manchester, de réaliser une étude sur l’« évaluation des techniques de contrôle politique ». Le <a href="http://vadeker.net/humanite/geopolitique/rapport_echelon_controle_politique.html">rapport rendu par Omega</a> préconise de focaliser des recherches spécifiquement focalisées sur la question de l’espionnage électronique au niveau international et de la situation juridique des Européens face à cette menace. </p>
<p>Le STOA lança alors une étude globale intitulée <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/1999/168184/DG-4-JOIN_ET%281999%29168184_EN.pdf">« Development of surveillance technology and risk of abuse of economic information »</a>, destinée à la <a href="https://www.europarl.europa.eu/committees/fr/libe/about">commission des Libertés publiques et des Affaires intérieures du Parlement européen</a>. Cette étude fut constituée à partir de quatre rapports distincts confiés à quatre experts indépendants (dont un français). Ses conclusions suscitèrent notamment des débats enflammés à l’Assemblée nationale en France. Élisabeth Guigou, alors garde des Sceaux, <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20000224.OBS2335/echelon-mais-quel-espionnage-industriel.html">déclara</a> à l’époque :</p>
<blockquote>
<p>« Le réseau ÉCHELON a été détourné à des fins d’espionnage économique et de veille concurrentielle. »</p>
</blockquote>
<p>Une enquête sera diligentée par la DST sur ce réseau (dont il sera question plus loin dans l’article), mais celle-ci n’aboutira pas et sera classée sans suite en juillet 2001.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cX0q-yFFQrQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Il faudra attendre la révélation de <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/affaire-snowden-revelations-demande-d-asile-ce-qu-il-faut-savoir-7798344558">l’affaire Snowden</a> par le <em>Guardian</em>, le 6 juin 2013, pour mettre à nu les pratiques massives de surveillance de la NSA. Durant plusieurs jours, le monde entier assistera éberlué aux révélations d’un analyste qui mettra sous les projecteurs la plus secrète des agences de renseignement américaines.</p>
<h2>NSA : la domination via l’information</h2>
<p>L’Armed Forces Security Agency (AFSA), créée en 1949 et <a href="https://livre.fnac.com/a2048716/Eric-Denece-Renseignement-et-contre-espionnage">rebaptisée NSA en 1952</a> est à l’origine du réseau ÉCHELON qu’elle coordonne et qui est un réseau de surveillance mondial des télécommunications créé pendant la guerre froide.</p>
<p>Ce réseau né en 1941 et formalisé en 1943, qui regroupe cinq partenaires anglo-saxons, les <a href="http://www.opex360.com/2018/02/06/renseignement-five-eyes-club-ferme-ouvert-a-france/">Five Eyes</a>, permet une surveillance géographique totale de l’ensemble des émissions électromagnétiques et des communications internationales. Ainsi, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande entretiennent, par leur appartenance au réseau <em>Five Eyes</em>, des <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/18574/cyber-la-guerre-permanente">relations particulières entre eux et avec les États-Unis</a>. En acceptant de partager et de coopérer, tout en évitant de s’espionner mutuellement, ces États s’alignent donc sur la stratégie cybernétique américaine. Parmi ces acteurs, le Royaume-Uni est le partenaire le plus important pour les États-Unis.</p>
<p>Un deuxième cercle d’États considérés comme très proches, les <em>Third Party Nations</em>, ou pays tiers, possèdent également des installations d’écoutes sur leur territoire (Allemagne, Danemark, Grèce, Italie, Japon, Norvège, Corée du Sud, Thaïlande, Turquie et même Chine suite a la normalisation diplomatique sino-américaine de 1972). D’autres États entretiennent par ailleurs d’excellentes relations avec la NSA (Israël, Pays-Bas, France).</p>
<p>Membre des <em>Third Party Nations</em>, le Danemark présente l’avantage de posséder un positionnement géographique idéal. La NSA était au fait, depuis le milieu des années 1990, qu’une « dorsale Internet » de communication existait sous Copenhague. Cette « dorsale Internet », qui correspond à un très gros câble transfrontalier, permet les échanges internationaux et constitue une source de renseignements importants.</p>
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<p>La NSA tire pleinement partie de l’emplacement géographique particulier de certains États en échange de l’accès à des capacités importantes d’interceptions, de financements et technologies avancées. Un centre de traitement des informations utiles à la collecte d’informations sur le vieux continent a ainsi été construit au Danemark, à l’est de Copenhague, <a href="https://www.datacenterdynamics.com/en/news/danish-whistleblower-details-nsa-collaboration-submarine-cable-spying-surveillance-data-center/">sur l’île d’Amager</a>. Ce site est idéalement situé dans les eaux territoriales danoises, à la jonction des embranchements de câbles sous-marins reliant de nombreux États entre eux (Allemagne, Suède, Norvège, Pays-Bas, Grande-Bretagne).</p>
<h2>Union européenne : Alliée ou vassale des États-Unis ?</h2>
<p>Le Danemark, <a href="https://www.state.gov/u-s-relations-with-denmark/">allié stratégique des États-Unis</a>, est un contributeur inconditionnel des opérations militaires étasuniennes dans le monde (Afghanistan, Irak, Libye et Syrie). Sujet d’inquiétude grandissant qui nécessite le soutien d’une grande puissance, l’Arctique, dont une partie est sous souveraineté danoise, agit comme un attracteur à puissances (Chine, Japon, Russie, Canada…) au vu des richesses que ce territoire recèle. Seul pays européen nordique à entre membre à la fois de l’UE et de l’OTAN, le Danemark a donc naturellement, ces dernières années, privilégié ses relations avec les États-Unis en établissant avec eux une alliance stratégique solide et profonde.</p>
<p>Le coût politique et économique des récentes révélations n’est pas encore connu. Ce qui est sûr, c’est qu’elles refroidiront, au moins de manière temporaire, les relations entre le Danemark et les autres États de l’UE.</p>
<p>Au-delà, un constat s’impose : il est impossible d’empêcher les États-Unis d’espionner l’Europe. Aucun État ne peut échapper ou s’opposer à l’omniprésence numérique américaine.</p>
<p>Si pour sa part, l’Europe s’est bien dotée d’une agence de cybersécurité créée en 2004 dont l’acronyme est <a href="https://www.enisa.europa.eu/">ENISA</a> (European Network and Information Security Agency), ses moyens sont cependant limités en moyens et en personnel (85 membres). Basée à Héraklion en Grèce, cette agence mène plutôt des actions incitatives et de conseil aux États membres et aux entreprises pour améliorer leur sécurité numérique. En résumé, elle ne possède aucune capacité d’action transnationale concrète et la faiblesse des moyens consacrés à son fonctionnement par les États membres reflète le côté éminemment national de la souveraineté numérique.</p>
<p>Consciente de ses insuffisances au niveau étatique, l’Europe a plutôt misé sur une stratégie de protection des données de ses citoyens et de son économie numérique. Depuis les révélations de l’affaire Snowden en 2013, l’UE a opté pour la mise en place de réglementations adéquates (RGPD en mai 2018) qui fait désormais d’elle un modèle de référence mondial.</p>
<p>Ce qui peut paraître choquant au premier abord n’est en réalité qu’une simple illustration du fonctionnement concret des relations internationales où seul l’intérêt national prévaut. L’espionnage n’est qu’une réalité contemporaine usitée par l’ensemble des acteurs étatiques en direction et à destination de tous. Pour paraphraser Sir Henry John Temple, plus connu sous le nom de Lord Palmerston : « Les États-Unis n’ont pas d’amis ou d’ennemis permanents, ils n’ont que des intérêts permanents ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163467/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mourad Chabbi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De récentes révélations sur l’espionnage par les États-Unis, avec l’aide danoise, de plusieurs hauts responsables européens jettent une lumière crue sur les pratiques de Washington vis-à-vis de l’UE.Mourad Chabbi, Enseignant chercheur, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1581122021-05-06T18:23:47Z2021-05-06T18:23:47ZLes préraphaélites, enfants terribles de l’art anglais<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/398631/original/file-20210504-23-ezp0lt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C7%2C2540%2C1728&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">John Everett Millais, Ophélie, vers 1851.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Oph%C3%A9lie_(Millais)#/media/Fichier:John_Everett_Millais_-_Ophelia_-_Google_Art_Project.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Lorsque je suis allée à Londres seule pour la première fois, je suis tombée en admiration devant une toile de la Tate Britain. Le tableau représentait une jeune fille aux cheveux roux, sa robe flottant dans l’eau de la rivière, emportée par le courant. Il m’a fallu quelques secondes pour reconnaître Ophélie, la bien-aimée d’Hamlet conduite au suicide. Là où le peintre a innové, c’est en mettant un personnage shakespearien secondaire au premier plan. Son impact sur la scène artistique est considérable : à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, le public britannique se plaint de voir trop d’Ophélies aux expositions de la Royal Academy.</p>
<p>En France, l’art de la période victorienne a longtemps pâti d’une mauvaise réputation. De par son insularité et son histoire, le mouvement préraphaélite a été perçu comme rétrograde, notamment à cause de ses inspirations littéraires. On ne peut plus éloigné des considérations sociales qui animent les partisans du réalisme, comme Gustave Courbet. Et pourtant, les fondateurs du préraphaélisme s’employèrent à créer une nouvelle peinture, en réaction au conformisme académique.</p>
<h2>Le goût du scandale</h2>
<p>1848 : toute l’Europe est en effervescence sous l’effet de soulèvements révolutionnaires. Alors première puissance mondiale, le Royaume-Uni connaît une relative stabilité économique. L’urbanisation et l’industrialisation massives s’étendent comme une traînée de poudre, provoquant la destruction de l’environnement naturel. La condition du prolétariat se dégrade, fustigée par Marx et Engels dans le <em>Manifeste du Parti communiste</em>.</p>
<p>La même année, trois étudiants de la Royal Academy, William Holman Hunt, John Everett Millais et Dante Gabriel Rossetti remettent en cause l’enseignement qu’ils reçoivent pour revenir à un art plus proche de la nature. L’école anglaise se trouve dans une impasse. La mode est à la peinture de genre, inspirée par l’apogée de la Renaissance italienne, dont les riches marchands bourgeois sont très friands.</p>
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<span class="caption">Raphaël, La Transfiguration, 1518–1520 Huile sur de bois, 405 x 278 cm Musées du Vatican.</span>
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<p>Art vulgaire, élitiste et moralisateur, selon Hunt, qui relate dans ses mémoires son dédain pour la <em>Transfiguration</em> de Raphaël : « nous la condamnions pour son mépris grandiose de la simplicité et de la vérité, la pose pompeuse des apôtres et l’attitude du Sauveur ». Hunt, Millais et Rossetti, rejoints par quatre amis, prennent pour modèle la peinture des Primitifs italiens et flamands, antérieurs à la Renaissance classique. La Confrérie préraphaélite est née.</p>
<p>Il y a dans cette société secrète un fort esprit de camaraderie. Les préraphaélites organisent des séances de dessin et posent entre eux pour ensuite s’offrir leurs esquisses en gage d’affection. C’est bien pratique : les modèles coûtent cher, ils ont des allures trop conventionnelles. Hyperréalisme, teintes contrastées, absence de perspective et profusion de détails : les premiers tableaux exposés font l’effet d’un pavé dans la mare. Comme si cela ne suffisait pas, les peintres signent avec les initiales P.R.B (Pre-Raphaelite Brotherhood), pour se moquer des académiciens, qui apposent le R.A (Royal Academy) au coin de leurs toiles.</p>
<p>Le scandale éclate au printemps 1850, lorsque l’<em>Illustrated London News</em> révèle la signification de l’acronyme. La critique, relayée par l’écrivain Charles Dickens, est sans appel : « un hideux garçonnet roux et pleurnichard au cou tordu, vêtu d’une chemise de nuit […] une femme agenouillée, si hideuse dans toute l’étendue de sa laideur qu’elle se démarque de la toile tel un monstre du plus vil des cabarets français ou de la plus sordide des caves à gin d’Angleterre ». C’est tout un vocabulaire de la difformité qui se déploie pour décrire la peinture préraphaélite. Millais avait effectivement commis l’impensable : désacraliser le religieux, le dépeindre de manière prosaïque.</p>
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<span class="caption">John Everett Millais, <em>Le Christ dans la maison de ses parents</em> (l’atelier du charpentier), 1849-1850, huile sur toile.</span>
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<h2>Désirs de reconnaissance</h2>
<p>Dans une lettre au <em>Times</em> de mai 1851, le théoricien et mécène John Ruskin prend la défense des préraphaélites pour avoir « posé en Angleterre les jalons de l’école d’art la plus noble que l’on ait connue depuis trois cents ans ». Ruskin l’a bien compris : les préraphaélites partagent sa vision d’un art authentique. Il s’agit de représenter la nature avec exactitude en sondant ses moindres détails, « en toute vérité de cœur, sans rien mépriser et sans rien choisir ». Contrairement aux idées reçues, la technique du plein air n’est pas née avec les impressionnistes. Bien avant les années 1870, Millais et Hunt se rendent sur les bords de la rivière Ewell pour peindre sur le motif. Ils cherchent à capturer les effets capricieux du climat britannique. La différence, c’est qu’ils adoptent une attitude quasi mystique face à une nature révélatrice de vérités supérieures.</p>
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<span class="caption">William Holman Hunt, <em>Nos côtes anglaises</em> (les brebis égarées), 1852, huile sur toile.</span>
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<p>Le dessin n’est plus une étape intermédiaire du processus créatif, mais un moyen en soi. Pour les tableaux de chevalet, les préraphaélites utilisent une préparation de vernis et de plâtre blancs. Ils appliquent l’huile avec des pinceaux très fins sur le support encore mouillé, ce qui rend les couleurs plus brillantes. Celles-ci sont rarement mélangées entre elles. À tel point qu’on se plaindra de ne voir plus que ces toiles quand elles seront exposées aux côtés d’autres œuvres.</p>
<p>La composition aussi est différente. Les préraphaélites adoptent un sens de la narration bien particulier, où chaque élément doit se lire comme un indice à décrypter. Par exemple, <em>Nos Côtes anglaises</em> fait écho aux craintes de se voir envahir par les troupes de Napoléon III, qui établit un régime autoritaire après son coup d’État. Hunt a choisi pour cadre Hastings, le lieu de la défaite du roi saxon Harold face aux Normands (1066).</p>
<p>Les préraphaélites sont témoins des mutations ambiantes. Avec <em>Travail</em>, Ford Madox Brown, ancien professeur de Rossetti, a pour ambition l’exécution d’une monumentale fresque satirique, qui dépeint toutes les couches de la société. Les riches, placés en haut de la composition, doivent s’arrêter parce que la route est en travaux. Au premier plan, on aperçoit des ouvriers, ainsi qu’une adolescente dont les maigres omoplates jaillissent d’une robe trop grande pour elle. Elle tente de discipliner son jeune frère. Dans ses bras, un nourrisson qui porte un ruban noir : les parents sont visiblement décédés, laissant leur progéniture dans la misère.</p>
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<span class="caption">Ford Madox Brown, <em>Travail</em>, 1852-1863, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Birmingham.</span>
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<h2>« La Table Ronde est dissoute »</h2>
<p>À partir de 1854, les frères préraphaélites se séparent : leurs divergences professionnelles et personnelles sont trop importantes. Millais devient membre associé de l’Académie, Hunt part pour un long voyage spirituel en Terre sainte. Quant à Rossetti, qui n’expose plus en public et ne pratique plus l’huile depuis 1851, il cultive son attitude de marginal. Il n’admet dans son atelier qu’un petit groupe d’élus, comme sa compagne Elizabeth Siddal, avec qui il pose, dessine et peint de concert.</p>
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<span class="caption">Elizabeth Siddal, <em>Dame attachant un fanion à la lance d’un chevalier</em>, vers 1856, aquarelle sur papier.</span>
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<p>Les œuvres du couple ressemblent à des enluminures : les aires de nuances colorées sont bien délimitées, mais se répondent comme dans un vitrail. Siddal et Rossetti font un usage atypique de l’aquarelle : au lieu de l’employer comme un lavis, ils l’étalent presque à sec sur le papier, d’où son rendu mat. Chevaliers, gentes damoiselles et créatures fantomatiques peuplent un univers pictural à l’atmosphère mélancolique.</p>
<p>C’est bien par ce fantasme d’un Moyen-âge idéalisé qu’est assurée la relève du préraphaélisme. Pour le projet de décoration de la bibliothèque de l’Oxford Union en 1857, Rossetti fait appel à de nouvelles recrues comme Edward Burne-Jones et William Morris. La peinture n’étant pas vraiment son fort, Morris se tourne vers l’engagement politique – le socialisme – et les arts décoratifs.</p>
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<span class="caption">Morris & Co, motif treillis, 1862-1864, papier peint.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Victoria and Albert Museum</span></span>
</figcaption>
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<p>Fermement opposé à la Révolution industrielle, Morris réunit architectes, brodeurs, céramistes et ébénistes pour privilégier un mode de travail artisanal. Les motifs de végétaux stylisés des textiles Morris & Co continuent d’inspirer plusieurs générations de couturiers.</p>
<p>La même quête du Beau anime d’ailleurs les derniers souffles du préraphaélisme, qui glisse peu à peu vers un esthétisme raffiné. Selon les partisans de « l’art pour l’art », tel Oscar Wilde, toute notion de signification est à proscrire : une œuvre doit s’admirer pour l’harmonie de ses couleurs et de ses formes. Aussi Rossetti amorce-t-il une autre étape de sa carrière. Bien des toiles des années 1870 sont dépourvues de narration, centrées sur le plaisir des sens, notamment le lien entre la vue, le toucher et l’ouïe. <em>Veronica Veronese</em>, qui montre une femme perdue dans ses pensées, tapotant sur les cordes d’un violon, représente « l’âme de l’artiste en train de créer ».</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Dante Gabriel Rossetti, <em>Veronica Veronese</em>, 1872&, huile sur toile.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Delaware Art Museum</span></span>
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</figure>
<p>Le préraphaélisme est le premier courant de peinture britannique à prétention contestataire, qui s’est constitué en tant que tel. Il étendra son emprise jusqu’à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. C’est un art démocratique, au service de la justice, qui ne cherche pas à établir de hiérarchies entre les techniques et les sujets représentés.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4oU1nmKDBtA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Tombés dans l’oubli après la Grande Guerre, les préraphaélites ont été réhabilités par la contre-culture des années 60. Plusieurs musées et galeries se sont appliqués à rendre leurs œuvres plus savoureuses auprès du public. À travers de grandes expositions itinérantes, ou des produits de la culture populaire (films, séries, fictions), le préraphaélisme reprend ses lettres de noblesse pour apparaître révolutionnaire, bohème, voire fantasque.</p>
<hr>
<p><em>Pour aller plus loin :<br>
– Laurence Des Cars, « Les Préraphaélites : un modernisme à l’anglaise », Gallimard, 1999.<br>
– William Holman Hunt, « Pre-Raphaelitism and the Pre-Raphaelite Brotherhood », Macmillan, 1905.<br>
– Aurélie Petiot, « Le Préraphaélisme« , Citadelles et Mazenod, 2019.<br>
– William Michael Rossetti, « Pre-Raphaelite Diaries and Letters », Hurst and Blackett, 1900.<br>
– Alison Smith, « The Pre-Raphaelites : Victorian avant-garde », catalogue de l’exposition, Tate Publishing, 2012.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158112/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laure Nermel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En France, l’art de la période victorienne a longtemps pâti d’une mauvaise réputation.Laure Nermel, Doctorante en histoire de l'art, Université de Lille - initiative d'excellenceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1567162021-03-08T19:37:40Z2021-03-08T19:37:40ZMeghan et Harry : ces « confessions royales » qui menacent la monarchie britannique<p>L’<a href="https://www.rtl.fr/culture/medias-people/meghan-markle-harry-et-oprah-les-coulisses-d-une-interview-a-7-millions-de-dollars-7900005867">interview que le duc et la duchesse de Sussex ont accordée à Oprah Winfrey</a> a fait l’effet d’une déflagration pour la monarchie britannique et n’a pas fini de faire couler de l’encre. </p>
<p>Meghan y révèle notamment les sentiments suicidaires qui l’ont habitée alors qu’elle était enceinte et affirme qu’une personne appartenant à la famille royale s’est inquiétée de savoir à quel point la peau d’Archie, le fils qu’elle a eu avec le prince Harry, serait sombre. </p>
<p>Dans de nombreux <a href="https://twitter.com/GMB/status/1368835040445104130">commentaires</a>, l’interview a été présentée comme une attaque contre la famille royale. Les royalistes exigent que Meghan et Harry « fassent profil bas ». Cette exigence renvoie à la longue histoire des « confessions royales » : les Sussex sont loin d’être les premiers à subir diverses intimidations au nom de la protection de l’institution monarchique.</p>
<p>L’interview de la princesse Diana à BBC One <a href="http://www.bbc.co.uk/news/special/politics97/diana/panorama.html"><em>Panorama</em></a> en 1995 est probablement la confession royale la plus emblématique. Diana a parlé à l’intervieweur Martin Bashir d’adultère au sein de son couple, des complots du palais contre elle et de la détérioration de sa santé mentale et physique. </p>
<p>Sa citation tristement célèbre, « Eh bien, nous étions trois dans ce mariage, donc c’était un peu encombré », en référence à la liaison du prince Charles avec Camilla Parker Bowles, est encore dans les mémoires près de 26 ans plus tard. Sir Richard Eyre, un ancien directeur du Théâtre national, <a href="https://www.independent.co.uk/life-style/royal-family/princess-diana-panorama-interview-martin-bashir-prince-charles-b1207193.html">a affirmé</a> que la Reine avait qualifié d’« effroyable » la décision de Diana de faire toutes ces révélations.</p>
<h2>Des confessions mal accueillies</h2>
<p>Le point commun à ces deux exemples est que ce sont des femmes qui ont eu recours à la pratique de la « confession royale » pour révéler leurs expériences.</p>
<p>La « confession » est un moyen souvent employé par les célébrités pour instaurer une forme d’intimité avec le public. En dévoilant quelque chose de profondément personnel, les célébrités révèlent leur « authenticité ». Cependant, comme le <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/sad-affect-judgement-emotional-labour-reality-television-viewing-helen-wood-beverley-skeggs-nancy-thumim/e/10.4324/9780203889633-16">soulignent</a> les chercheuses Helen Wood, Beverley Skeggs et Nancy Thumin, les confessions des célébrités masculines, blanches et appartenant à l’élite ont tendance à être traitées avec une gravité particulière. En revanche, les <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9783030446208">confessions des femmes</a> – en particulier des femmes de couleur ou celles associées à des « professions de basse culture » (ce qui est le cas d’une bonne partie des célébrités d’aujourd’hui) – sont trop souvent considérées comme étant inappropriées, excessives et narcissiques.</p>
<p>La confession de Meghan Markle, comme celle de Diana avant elle, sont largement présentées, dans les médias et sur les réseaux sociaux, comme des attaques contre la famille royale exposant de manière erronée et immorale les rouages de la monarchie. Des commentateurs tels que <a href="https://www.vanityfair.fr/pouvoir/medias/story/piers-morgan-l-homme-qui-voulait-faire-tomber-meghan-markle/13532">Piers Morgan</a> ont jugé l’interview des Sussex <a href="https://www.dailyrecord.co.uk/entertainment/celebrity/piers-morgan-slams-meghan-harrys-23610237">honteuse</a>, se demandant comment ils ont pu manquer de cœur au point de traiter la Reine et le Prince Philip de menteurs alors que Philip est actuellement hospitalisé.</p>
<h2>Protéger les puissants</h2>
<p>Les réactions qui s’insurgent de l’« immoralité » des confessions royales visent à protéger la monarchie et refusent de reconnaître qu’il est important de demander des comptes à une institution puissante. Dans mon <a href="https://manchesteruniversitypress.co.uk/9781526158758/">livre à paraître</a>, je soutiens que la monarchie britannique s’appuie sur un équilibre prudent entre visibilité et invisibilité pour reproduire son pouvoir. Il s’agit d’une institution ancienne qui fonctionne au cœur d’un système supposément démocratique ; dès lors, ne pas attirer l’attention sur ses contradictions est essentiel à sa survie. La famille royale peut être visible sous des formes spectaculaires (cérémonies d’État, par exemple) ou familiales (mariages royaux, bébés royaux). Mais le fonctionnement interne de l’institution doit rester secret.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OTJgi78AguE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Comme Meghan, j’utilise l’expression « the Firm », mais je l’emploie pour décrire la monarchie comme une entreprise investie dans la reproduction de sa richesse et de son pouvoir, et dont les opérations doivent rester top secrètes. Toute exposition de ce qui se passe en coulisses – comme les récentes révélations parues dans <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2021/feb/08/royals-vetted-more-than-1000-laws-via-queens-consent"><em>The Guardian</em></a> sur les utilisations abusives de la procédure dite du « consentement de la Reine » pour influencer les lois affectant ses intérêts personnels – risque de déstabiliser la monarchie.</p>
<p>La monarchie s’est montrée trop visible en acceptant le tournage du documentaire intimiste de 1969 intitulé <a href="https://www.bbc.co.uk/news/entertainment-arts-55853625"><em>Royal Family</em></a> : les membres de la famille royale avaient alors été suivis pendant un an. Ce documentaire a été lourdement édité par le palais de Buckingham. Très probablement parce qu’il contenait trop de révélations sur les coulisses de la monarchie et menaçait de rompre le précieux équilibre entre visibilité et invisibilité. Comme l’a écrit le constitutionnaliste <a href="https://www.google.co.uk/books/edition/Bagehot_The_English_Constitution/A0-zcw0XYbYC?hl=en&gbpv=1&printsec=frontcover">Walter Bagehot</a> dans les années 1800 : « Nous ne devons pas exposer la magie à la lumière du jour. »</p>
<p>De même que les confessions similaires précédentes, les déclarations de Meghan et Harry concernant leur vie au sein de « the Firm » continuent d’être vues comme des attaques irrespectueuses, blasphématoires et immorales contre la Reine et sa famille. Mais peut-être devrions-nous plutôt nous poser cette simple question : pourquoi tant de gens, y compris la majeure partie des médias britanniques, semblent-ils avoir du mal à demander des comptes à l’une de nos plus puissantes institutions ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156716/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laura Clancy a reçu un financement de l'ESRC et de l'AHRC.</span></em></p>Les confessions royales perturbent l’équilibre prudent entre transparence et secret sur lequel s’appuie la monarchie.Laura Clancy, Lecturer in Media, Lancaster UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1433812020-12-03T20:12:37Z2020-12-03T20:12:37ZEssais cliniques : la transparence est bénéfique pour la santé publique… mais aussi pour les investisseurs<p>L’industrie pharmaceutique demeure un secteur crucial pour la santé et la vie humaine – sans oublier pour une part importante de l’économie mondiale. Aux États-Unis, elle représente à elle seule un <a href="https://econpapers.repec.org/paper/nbrnberwo/20903.htm">cinquième de l’économie</a>.</p>
<p>L’accès du public aux résultats des essais cliniques (études effectuées sur l’homme dans le cadre du développement d’un traitement) en temps et en heure permet aux professionnels de santé de prendre les bonnes décisions sur la marche à suivre – ce qui s’avère extrêmement utile, notamment dans le contexte de la pandémie actuelle de Covid-19 et de la course à la recherche des (meilleurs) vaccins et traitements.</p>
<p>Mais, bien qu’on s’attende à ce que les entreprises soient transparentes sur les effets indésirables d’un médicament, elles détiennent au bout du compte toutes les cartes et peuvent choisir de dissimuler des informations nuisibles à la vente de médicaments, au risque de mettre la vie des patients en danger.</p>
<p>Face à ce constat, nous avons mené une <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3533305">étude</a> sur l’impact de la réglementation américaine dans le secteur pharmaceutique visant à prouver qu’une plus grande transparence d’information pourrait entraîner, en plus des avantages sociaux et sanitaires pour la population, des avantages économiques pour les investisseurs.</p>
<h2>Entre scandales et réformes</h2>
<p>Des cas de dissimulation d’informations se sont déjà produits par le passé. Prenez l’<a href="https://www.leparisien.fr/societe/sante/vioxx-le-reveil-d-un-scandale-01-04-2016-5677117.php">exemple du Vioxx</a>, un antidouleur développé et commercialisé par le laboratoire américain Merck & Co. en 1999. Un des effets secondaires non révélés était un risque élevé de crise cardiaque.</p>
<p>Malgré cela, le Vioxx n’a été retiré du marché qu’en 2004, après avoir provoqué des maladies cardiovasculaires chez au moins 80 000 patients, entraînant sans doute au moins 38 000 décès (et généré des milliards de dollars de revenus pour Merck).</p>
<p>De la même façon, la France a connu un scandale d’une ampleur similaire avec le médicament antidiabétique Mediator du laboratoire Servier, <a href="https://www.leparisien.fr/societe/proces-du-mediator-la-procureure-denonce-les-mystifications-des-laboratoires-servier-23-06-2020-8340636.php">accusé de dissimulation</a>.</p>
<p>Si l’on s’en tient à l’exemple des États-Unis, la <a href="https://www.fda.gov/regulatory-information/food-and-drug-administration-modernization-act-fdama-1997/fda-backgrounder-fdama">loi FDAMA</a> (Food and Drug Administration Modernization Act) de 1997 exige que tous les essais cliniques soient enregistrés auprès de l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA).</p>
<p>En 2000, le site web gouvernemental <a href="https://clinicaltrials.gov/">clinicaltrials.gov</a> a été lancé, offrant aux chercheurs et aux entreprises pharmaceutiques une plate-forme pour la publication de leurs études.</p>
<p>Toutefois, ce n’est qu’après le scandale du Vioxx que le Congrès américain a obligé les sociétés pharmaceutiques à enregistrer leurs essais cliniques et à en publier les résultats applicables dans l’année qui suit la fin de l’essai, grâce à l’adoption en 2007 de la loi sur les <a href="https://www.congress.gov/bill/110th-congress/house-bill/3580">amendements de la Food and Drugs Administration (FDAAA)</a>.</p>
<h2>Une transparence accrue</h2>
<p>En comparant 163 sociétés pharmaceutiques avec d’autres sociétés non concernées avant et après l’entrée en vigueur de la FDAAA en 2007, nous avons constaté une réduction d’asymétrie d’information entre les sociétés pharmaceutiques et les acteurs des marchés financiers, le grand public, les chercheurs et les professionnels, après l’entrée en vigueur de la FDAAA.</p>
<p>L’amélioration du niveau de transparence produit ainsi des effets positifs au-delà du seul aspect légal.</p>
<p>Tout d’abord, publier les résultats des essais cliniques permet aux chercheurs et aux professionnels de les comparer avec leurs propres conclusions notamment sur des cas réels.</p>
<p>Par ailleurs, nous avons observé qu’une attention accrue du public a provoqué un nombre accru de plaintes pour effets indésirables ou problèmes liés aux produits, ainsi que des retraits de médicaments et de dispositifs médicaux pour les entreprises concernées après la mise en œuvre de la FDAAA. Selon nous, ce résultat est dû à une transparence renforcée et à un contrôle public plus serré.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/349406/original/file-20200724-21-qkqlx2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/349406/original/file-20200724-21-qkqlx2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=312&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/349406/original/file-20200724-21-qkqlx2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=312&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/349406/original/file-20200724-21-qkqlx2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=312&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/349406/original/file-20200724-21-qkqlx2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=392&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/349406/original/file-20200724-21-qkqlx2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=392&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/349406/original/file-20200724-21-qkqlx2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=392&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Capture d’écran du site clinicaltrials.gov concernant les essais cliniques liés aux traitements contre la Covid-19 datant du 24 juillet 2020.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://clinicaltrials.gov/ct2/results?cond=COVID-19">Site Internet</a></span>
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<p>Enfin, les investisseurs aussi se montrent intéressés par un plus grand accès aux données sur les essais cliniques. En effet, ces informations aident les acteurs des marchés financiers à évaluer l’avantage concurrentiel d’une entreprise.</p>
<h2>Rassurer les investisseurs</h2>
<p>Au cours de nos recherches, un analyste (anonyme) couvrant les actions pharmaceutiques à Wall Street nous a indiqué que la divulgation des résultats des essais cliniques constitue une source d’information essentielle pour la prévision des futurs chiffres d’affaires des sociétés pharmaceutiques les réalisant.</p>
<p>Dans notre étude, nous avons analysé les résultats du marché financier à travers un indicateur mesurant le niveau d’asymétrie d’information : le « bid-ask spread ». Une bid-ask spread plus faible est généralement liée à une faible asymétrie d’information entre les acteurs des marchés financiers, ce qui s’avère rassurant pour les investisseurs.</p>
<p>Nos résultats révèlent une diminution significative des bid-ask spreads après l’entrée en vigueur de la FDAAA pour les sociétés concernées en comparaison avec d’autres sociétés non concernées dans la même industrie (graphique de gauche) ou en comparaison avec des sociétés similaires en dehors de l’industrie pharmaceutique (graphique de droite).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/349394/original/file-20200724-15-12ex9qi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/349394/original/file-20200724-15-12ex9qi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=224&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/349394/original/file-20200724-15-12ex9qi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=224&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/349394/original/file-20200724-15-12ex9qi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=224&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/349394/original/file-20200724-15-12ex9qi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=281&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/349394/original/file-20200724-15-12ex9qi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=281&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/349394/original/file-20200724-15-12ex9qi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=281&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Évolution du niveau d’asymétrie d’information au sein avant et après l’entrée en vigueur de la FDAAA pour les entreprises pharmaceutiques concernées en comparaison des entreprises pharmaceutiques non concernées (gauche) et des entreprises d’autres secteurs (droite). Les mesures sont présentées annuellement.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://poseidon01.ssrn.com/delivery.php?ID=359103099101004115119096000069114065023050001054093024010084017068124123077090076027031029003043109007047089109090064106064013052052059034038026115094024091122066118046054062026029075068127125118118118093102074083110120000068080089110007002113025024008&EXT=pdf">auteurs</a></span>
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<p>Dans l’ensemble, nous montrons que si la FDAAA est une exigence légale dont l’application et la conformité sont limitées – seuls 40 % environ des résultats d’essais cliniques applicables ont été publiés sur le site web clinicaltrials.gov entre 2007 et 2013) – sa mise en œuvre présente encore certains avantages pour les investisseurs et le grand public.</p>
<hr>
<p><em>Cette contribution est tirée de l'article de recherche « <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3533305">Consequences of Disclosing Clinical Trial Results</a>: Evidence from the Food and Drug Administration Amendments Act » de Thomas Bourveau (Columbia Business School, HEC Paris Ph.D. alumnus), Vedran Capkun (HEC Paris) et Yin Wang (Singapore Management University, HEC Paris Ph.D. alumnus).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143381/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vedran Capkun a reçu des financements de la Fondation HEC et de ANR-11-IDEX-0003/Labex Ecodec/ANR-11- LABX-0047. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Yin Wang a reçu des financements de la Fondation HEC, de Singapore Management University et du ministère de l'Education de Singapour. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Thomas Bourveau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En diminuant l’asymétrie d’information, les données sur ce type d’études aident notamment les acteurs des marchés financiers à évaluer l’avantage concurrentiel des entreprises pharmaceutiques.Thomas Bourveau, Assistant Professor of Accounting at Columbia University, Columbia UniversityVedran Capkun, Professeur au Département de Comptabilité et Contrôle de Gestion, HEC Paris Business SchoolYin Wang, Assistant Professor of Accounting, Singapore Management UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1449882020-08-27T18:51:33Z2020-08-27T18:51:33ZLe timing des scandales a-t-il un impact sur les élections présidentielles américaines ?<p>Quel est le point commun entre Michael Cohen, Mary Trump et John Bolton ? La réponse est facile : tous trois viennent de publier, ou sont sur le point de le faire, des livres incendiaires comportant de nombreuses révélations compromettantes sur Donald Trump, actuel président américain et candidat à sa propre succession le 3 novembre prochain.</p>
<p>Quelles sont les caractéristiques communes de ce type d’ouvrages ? Comment le timing de leur parution est-il décidé ? Et dans quelle mesure peuvent-ils peser sur l’issue de l’élection ?</p>
<h2>Des scandales en pagaille</h2>
<p>Le 13 août dernier, Michael Cohen annonce sur son compte Twitter qu’il « avait attendu longtemps afin de pouvoir enfin partager sa vérité. Le jour est finalement arrivé. » Dans son tweet, cet avocat new-yorkais qui a secondé Trump depuis 2006 et qui a été condamné en décembre 2018 à trois ans de prison <a href="https://www.bfmtv.com/international/l-ex-avocat-de-trump-michael-cohen-retourne-en-prison_AD-202007100152.html">« pour diverses fraudes et violation des lois électorales »</a> promet de faire des révélations inédites et explosives dans son livre <em>Disloyal</em>, attendu en librairie pour septembre 2020.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1294068738787086338"}"></div></p>
<p>Ces annonces de révélations scandaleuses, deux semaines avant le début de la convention républicaine, font l’effet d’une bombe médiatique. Le locataire de la Maison Blanche est attaqué sur tous les fronts : Cohen <a href="https://www.cnbc.com/2020/08/13/michael-cohen-releases-cover-of-new-book-about-donald-trump.html">fait savoir</a> qu’il lèvera le voile sur l’accord illégal passé par Trump avec les Russes pour remporter l’élection de 2016, sur ses fraudes fiscales, mais aussi sur ses liaisons extra-conjugales, sans oublier ses pratiques sexuelles ondinistes.</p>
<p>Trois semaines avant Michael Cohen, la propre nièce de Trump, Mary Trump, sort un ouvrage au titre aguicheur, <em>Trop et jamais assez : comment ma famille a créé l’homme le plus dangereux de la planète</em>, qui est vendu à plus de 950 000 exemplaires dès le premier jour de sa sortie. Le regard que porte cette psychologue clinicienne sur sa famille montre un nouveau visage de Donald Trump, affaibli et dysfonctionnel. Le livre pourrait bien peser négativement sur ses chances de réélection, d’autant que le constat dressé par Mary Trump correspond au sentiment qu’éprouvent de nombreux Américains qui, comme le montre une <a href="https://www.pewresearch.org/politics/2020/04/16/most-americans-say-trump-was-too-slow-in-initial-response-to-coronavirus-threat/">étude réalisée par PewResearch</a>, jugent notamment que le président a trop tergiversé avant de réagir à l’épidémie de coronavirus.</p>
<p>Mais le premier « coup de poing médiatique » reste la publication du livre de John Bolton, l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump. Dans <em>The Room Where It Happened</em>, ce diplomate chevronné dénonce les malversations politiques de l’actuel président (<a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1470892/proces-destitution-trump-senat-explications">abus de pouvoir dans l’affaire ukrainienne et entrave au travail du Congrès</a>) affirme, entre autres, que Trump aurait <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/24/le-livre-de-john-bolton-est-le-bilan-d-un-an-de-degats-diplomatiques-colossaux_6043955_3232.html">demandé au président chinois Xi Jinping de l’aider à obtenir sa réélection en 2020</a> !</p>
<h2>Les cent jours décisifs</h2>
<p>Peut-on voir dans ces trois publications un hasard du calendrier ? Cette triple attaque médiatique lancée par d’anciens proches du président est-elle fortuite ?</p>
<p>Depuis l’affaire du Watergate en 1972, les élections présidentielles américaines ont souvent été accompagnées de leur lot de scandales : la révélation d’une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=5IpJUfy-Roo">liaison extra-conjugale entre Gennifer Flowers et Bill Clinton</a>, alors candidat démocrate à la présidentielle de 1992 ; la publication le 7 octobre 2016 (moins de 30 jours avant le scrutin et à la veille du second débat télévisé entre Donald Trump et Hillary Clinton) d’une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=FSC8Q-kR44o">vidéo datant de 2005 où le candidat républicain tient des propos dégradants et misogynes</a> ; la divulgation en juillet 2016 par Wikileaks de <a href="https://wikileaks.org/clinton-emails/">mails compromettants envoyés par Hillary Clinton</a>, alors en campagne présidentielle… La liste est longue, notamment lors de la campagne de 2016, où les scandales impliquant les deux partis se sont enchaînés à un rythme effréné.</p>
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<p>Y a-t-il des récurrences dans le timing des scandales politiques pendant les campagnes présidentielles ? Y a-t-il un « bon moment » pour les révéler afin de déstabiliser l’adversaire ? La réponse est clairement oui.</p>
<p>Le timing des cent jours avant l’élection est déterminant pour faire ou défaire l’élection en déclenchant une procédure de lynchage médiatique. Historiquement, cette période symbolique <a href="https://www.fdrlibrary.org/fr/utterancesfdr">renvoie au discours de Franklin D. Roosevelt</a> qui, au lendemain de la crise économique de 1929, s’était fixé 100 jours pour reconstruire le pays en adoptant <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1030878/barometre-100-premiers-jours-president-americain">76 mesures</a>. Si les cent premiers jours de fonction d’un président sont perçus comme cruciaux, les 100 jours précédant l’élection ne le sont pas moins.</p>
<p>Au-delà de l’aspect arithmétique, la période la plus propice à la révélation de scandales serait située entre le début des conventions nationales (cette année, 17 au 20 août pour les démocrates, et 24 au 27 août pour les républicains) et les débats télévisés (ils seront au nombre de trois, le premier ayant lieu le 29 septembre). Ces deux repères ont une portée médiatique de premier plan ; les conventions intronisent et légitiment le candidat là où le scandale veut, au contraire, lui ôter toute crédibilité. La série des trois débats présidentiels est une opportunité communicationnelle sans précédent où chaque élément de scandale est un argument supplémentaire de déstabilisation.</p>
<p>Cent jours pour convaincre ou cent jours pour discréditer.</p>
<h2>Qu’est-ce qui a changé depuis le Watergate ?</h2>
<p>Depuis l’affaire du Watergate, les scandales ont intégré une nouvelle donnée temporelle. Ils ne se construisent plus dans la durée et ne sont plus l’arme unique du camp adverse. Avec la campagne présidentielle de 1992, et une apogée en 2016, le timing des scandales est savamment dosé.</p>
<p>Tel un produit marketing, le scandale est d’abord annoncé. On le présente sans le dévoiler. C’est l’effet <em>teasing</em> pour maintenir l’électorat en alerte. L’approche pour laquelle a opté Michael Cohen en fournit l’illustration parfaite. L’avocat annonce la sortie prochaine de son livre un mois avant sa parution. Aucune date n’est laissée au hasard. Son tweet est publié dix jours avant le début des conventions et l’ouvrage sortira en septembre, juste avant le premier débat télévisé (prévu, on l’a dit, pour le 29 septembre).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1293993984772145154"}"></div></p>
<p>La multiplicité des réseaux sociaux, la diffusion immédiate d’informations basées en <a href="https://ijoc.org/index.php/ijoc/article/view/9617">grande partie sur des témoignages et du vécu personnel</a> accrédite cette nouvelle donne temporelle. Il faut convaincre vite et à des dates stratégiques. Le timing prend en compte la réactivité nouvelle des électeurs, qui vivent de plus en plus dans l’immédiateté de l’information. On est bien loin des <a href="http://www.columbia.edu/itc/journalism/j6075/edit/readings/watergate.html">enquêtes de Bob Woodward et de Carl Bernstein</a> !</p>
<h2>Le timing est-il efficace ?</h2>
<p>Historiquement, certaines études ont montré que les révélations en fin de campagne pouvaient dans une certaine mesure <a href="https://www.researchgate.net/publication/259555175_Here_Today_Gone_Tomorrow_Assessing_How_Timing_and_Repetition_of_Scandal_Information_Affects_Candidate_Evaluations">modifier les votes par rapport aux intentions initiales</a>. Mais si le timing est calculé, il n’a cependant pas forcément d’impact significatif sur les résultats dans les urnes.</p>
<p>Prenons le cas de l’élection présidentielle de 1992 : les révélations médiatisées des aventures extra-conjugales de Bill Clinton ne l’ont pas empêché d’être élu, tout comme l’affaire Monica Lewinsky, quelques années plus tard, ne l’a pas empêché de <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2019/10/03/clintons-impeachment-barely-dented-his-public-support-and-it-turned-off-many-americans/">terminer son deuxième mandat</a>. Même constat pour Trump lors de l’élection de 2016. Malgré la publication de vidéos pour le moins gênantes, ses adversaires démocrates n’ont pas eu gain de cause.</p>
<p>Un bon timing de scandale n’est donc pas une garantie de succès électoral ; en outre, trop de scandales peut tuer le scandale, créant un effet de lassitude : trop souvent répétés, de tels messages <a href="https://www.researchgate.net/publication/259555175_Here_Today_Gone_Tomorrow_Assessing_How_Timing_and_Repetition_of_Scandal_Information_Affects_Candidate_Evaluations">finissent par être ignorés</a>.</p>
<p>Reste à savoir si les semaines à venir ne vont pas donner lieu à un florilège de nouvelles révélations à l’approche du premier débat télévisé.</p>
<p>Ironie du sort, quelques mois avant le scrutin, les électeurs américains, tous partis confondus, affirment à 90 % attendre de leur futur président qu’il soit <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2020/04/16/americans-in-both-parties-want-an-ethical-president-but-democrats-more-likely-to-say-thats-very-important/">irréprochable au niveau de l’éthique</a>. La route semble encore longue…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144988/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédérique Sandretto ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Trois livres à scandale, rédigés par des personnalités longtemps proches de Donald Trump, dénoncent les turpitudes du président américain. Le timing de leur parution ne doit bien sûr rien au hasard.Frédérique Sandretto, Adjunct assistant professor, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1323822020-02-27T19:53:21Z2020-02-27T19:53:21ZSexe, morale et confusion au cœur de l’« affaire Griveaux »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/317389/original/file-20200226-24676-2261ow.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C15%2C2041%2C1266&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Etude de nus, Egon Schiele, 1915; Sammlung Leopold
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/2d/Egon_Schiele_040.jpg">Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>Victime d’une atteinte à la vie privée sous la forme de ce que l’on nomme aujourd’hui un <a href="https://theconversation.com/sexting-revenge-porn-une-cyberviolence-sexiste-et-sexuelle-92207">« revenge porn »</a> (ou, en tout cas, qui en présente plusieurs des aspects), Benjamin Griveaux a retiré sa candidature à la mairie de Paris.</p>
<p>Mis en examen et placé sous contrôle judiciaire, <a href="https://theconversation.com/piotr-pavlenski-entre-avant-garde-reactionnaire-et-snuffisation-de-la-politique-131872">Piotr Pavlenski</a>, l’homme à l’origine du scandale, affirmait ne rien regretter de son geste et entendait poursuivre son <a href="https://www.franceinter.fr/justice/piotr-pavlenski-je-suis-content-de-me-rendre-compte-que-pornopolitique-est-utile-aux-francais">« projet porno-politique »</a>. Aussi dommageables soient-elles, les suites juridiques, les implications politiques ou encore les conséquences personnelles de cette (nouvelle) séquence politico-médiatique – tout autant que l’identité de ses protagonistes d’ailleurs – importent moins que ce que cet évènement donne à voir en creux. Disons-le tout net : notre époque est au moralisme.</p>
<h2>Retour de l’ordre moral</h2>
<p>Certains parlent à cet égard d’un <a href="https://www.nouvelobs.com/les-chroniques-de-pierre-jourde/20191105.OBS20732/le-retour-de-l-ordre-moral-par-pierre-jourde.html">retour de l’ordre moral</a>. On peut s’y accorder à la condition de s’entendre sur ce qui est précisément en jeu ici, à savoir, non pas simplement le jugement moral en tant que tel, mais bien sa systématisation en une mise en œuvre à bien des égards « rigoriste ». C’est là le « isme » de la morale en somme.</p>
<p>L’allusion religieuse n’est pas fortuite, car c’est bien jusqu’aux racines de notre culture judéo-chrétienne qu’il convient de remonter pour saisir le processus dont il est question. La morale et son pendant moraliste (moralisateur) sont d’essence religieuse. De la même manière que « Dieu sépara la lumière des ténèbres », nous vivons ainsi un temps qui s’emploie – pour le meilleur et pour le pire – à distinguer radicalement le bien du mal, le juste de l’injuste ou encore le vrai du faux.</p>
<p>Certes, les « bonnes causes » n’ont jamais manqué, tout comme ceux que le sociologue américain Howard Becker nommait les <a href="https://ww.cairn.info/outsiders--9782864249184.htm">entrepreneurs de morale</a>, c’est-à-dire les individus s’évertuant à constituer un fait ou une pratique sociale en un problème public auquel il convient de trouver des solutions. Il n’en reste pas moins que l’époque est particulièrement féconde en la matière.</p>
<h2>La prépondérance de l’émotion</h2>
<p>Ces effusions de ce que <a href="https://www.franceculture.fr/societe/moraline-bien-pensance-neo-catechisme-avec-matzneff-le-retour-des-mots-de-la-contre-offensive">Nietzsche nommait la moraline</a> font largement écho – en partie en réaction d’ailleurs – à la prépondérance (tout au moins à l’évidente montée en puissance) dans notre société du registre des affects et de l’émotion. D’ailleurs, le développement récent d’une <a href="https://editions-metailie.com/livre/la-concurrence-des-sentiments/">sociologie des émotions</a> est de ce point de vue un excellent indicateur.</p>
<p>Une montée en puissance dont on constate par ailleurs un peu plus chaque jour l’étroite connivence avec la <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100540390">viralité d’Internet et des réseaux socionumériques</a>.</p>
<p>Comment s’étonner alors que, dans un tel contexte, la sexualité – plus encore lorsqu’elle se mêle à l’argent (et nous quittons là le cas Griveaux) – concentre nombre d’attentions ?</p>
<h2>Echanges sexuels</h2>
<p>Le débat – qui vient d’être relancé par le gouvernement – autour de l’assistance sexuelle auprès des personnes désignées <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/02/09/le-gouvernement-relance-le-debat-sur-l-assistance-sexuelle-des-personnes-handicapees_6028986_3224.html">comme handicapées</a> en constitue assurément un des derniers avatars.</p>
<p>De même, dans un domaine qui n’est pas sans lien, les controverses et le long cheminement législatif qui ont mené à l’adoption en avril 2016 de la loi dite de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2016/04/06/prostitution-le-parlement-adopte-definitivement-la-penalisation-des-clients_4897216_3224.html">« pénalisation des clients »</a> de la prostitution illustrent bien la sensibilité particulière que suscite la question des échanges sexuels.</p>
<p>Car c’est bien d’échanges sexuels qu’il convient de parler – et c’est là l’important – en ce sens que la sexualité humaine implique, non pas seulement le mélange des corps et des humeurs, mais également un ensemble de transactions et de négociations qui traversent et sont prises dans les champs du symbolique, du politique ou encore de l’économique, etc.</p>
<p>Ainsi, quel bénéfice symbolique (en termes de reconnaissance, d’estime ou de valorisation de soi) est-il possible de retirer d’une relation sexuelle ? En quoi le sexe est-il à la fois le produit et la source de rapports de pouvoir et/ou de domination ? Des échanges intimes peuvent-ils être (que cela soit ou non planifié) l’occasion d’opportunités professionnelles, de rencontres déterminantes pour une carrière quelle qu’elle soit ? Ou, plus simplement encore, qui règle la note au café ou au restaurant avant même que des ébats sexuels aient lieu ?</p>
<h2>La sexualité n’est pas gratuite</h2>
<p>Pour le dire en un mot, la sexualité n’est pas gratuite. A cet égard, il revient à l’anthropologue italienne Paola Tabet d’avoir <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=18542">mis en évidence</a> à la fin des années 1980 combien il est réducteur d’envisager une opposition stricte entre la passe de la prostituée d’un côté et, de l’autre, le mariage.</p>
<p>Le propos peut sembler déroutant, si ce n’est provocateur. Tabet montre toutefois avec clarté combien, depuis des millénaires et à travers le monde entier, les hommes paient – d’une façon ou d’une autre – pour avoir accès au corps des femmes. Ainsi, existe-t-il un continuum de « l’échange économico-sexuel » entre hommes et femmes ; les deux bornes de ce continuum (le mariage d’un côté et la prostitution de l’autre) étant reliées par une multitude de formes intermédiaires.</p>
<p>On peut certes opposer à Tabet que les temps changent ou, avec plus de pertinence, que son approche féministe et matérialiste accorde trop peu d’importance à des cas de figure qui lui échappent (au moins en partie), telles les relations homosexuelles. Mais on peut également considérer – tout en le regrettant – que la force des permanences (ou des tendances « lourdes ») est supérieure à celle des différences (ou des « exceptions »).</p>
<h2>La sacralisation de la sexualité</h2>
<p>L’essentiel est ailleurs en réalité. Car si l’approche de Tabet dérange, c’est plus fondamentalement parce qu’elle heurte une conviction profonde, une conception enracinée au cœur des sociétés occidentales selon laquelle la sexualité devrait être protégée de toute pollution quelle qu’elle soit.</p>
<p>D’une certaine manière, nous avons donc <a href="https://books.google.fr/books/about/Amour_et_sexualit%C3%A9_en_Occident.html?id=bh8EAQAAIAAJ&redir_esc=y">sacralisé la sexualité</a> (a fortiori lorsqu’elle est celles des femmes). Nous l’avons placée comme dans un isolat (d’où elle ne se dit pas). C’est en ce sens qu’elle apparaît à nos yeux comme ce qui devrait constituer la forteresse d’un don libre et désintéressé, c’est-à-dire, au fond, celle de l’authenticité. L’approche économique est une fois encore éclairante ici.</p>
<p>La sociologue américaine Viviana Zelizer <a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691130637/the-purchase-of-intimacy">a ainsi souligné</a> combien la sexualité (plus généralement l’intimité) et l’argent avaient été définis comme des « mondes antagonistes » ou « mondes hostiles » ; la première ne pouvant être que corrompue par l’intrusion de la logique économique en son sein.</p>
<p>On comprend dès lors sans difficulté à quel point l’indignation (autre face de la moralisation) peut être puissante lorsque cette forteresse semble vaciller. Plus encore – ce n’est pas là le moindre des paradoxes de notre époque – dans un monde où la marchandisation généralisée serait sur le point de l’emporter et où, ce faisant, les frontières entre authentique et calcul paraissent plus que jamais menacées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132382/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Rubio ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La récente séquence politico-médiatique autour de l’« affaire Griveaux » souligne le moralisme qui affecte désormais notre époque.Vincent Rubio, Socio-anthropologue, Sophiapol, directeur adjoint du Laboratoire d'analyses socio-anthroplogiques du contemporain, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.