tag:theconversation.com,2011:/global/topics/societe-generale-22011/articlesSociété Générale – The Conversation2019-04-23T21:40:08Ztag:theconversation.com,2011:article/1158602019-04-23T21:40:08Z2019-04-23T21:40:08ZClimat : quand la désobéissance civile fait bouger les lignes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/323216/original/file-20200326-133040-dontvg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=104%2C98%2C1839%2C1253&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une militante d’Extinction Rebellion arrêtée à Melbourne lors d’une action de désobeissance civile.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://ccsearch.creativecommons.org/photos/21f46060-a939-4236-9d34-a56ff2081ea1">Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Ce samedi 5 octobre, plusieurs centaines de manifestants, membres du mouvement écologiste Extinction Rebellion, ont occupé durant 17 heures, Italie 2, un centre commercial de 130 boutiques et restaurants du sud-est de Paris, empêchant l’entrée des clients. Au Royaume-Uni, ce même mouvement avait perturbé mi-avril et pendant une semaine la circulation londonienne, s’installant sur cinq cites emblématiques de la ville. En France encore, en avril, des activistes de plusieurs ONG avaient bloqué les sièges d’entreprises comme Total, la Société Générale ou EDF, les accusant d’être responsables de pollutions et du changement climatique. </p>
<p>Au cœur de toutes ces mobilisations, une même stratégie : la désobéissance civile en faveur de la protection de l’environnement.</p>
<p>Ces méthodes radicales sont la marque de fabrique d’Extinction Rebellion : ce mouvement non violent créé en 2018 chez nos voisins britanniques, et arrivé en France en mars dernier, s’est illustré à plusieurs reprises : de la perturbation de la <a href="https://rebellion.earth/2019/02/17/breaking-now-extinction-rebellion-disrupts-london-fashion-week-with-swarm-roadblocks-meets-british-fashion-council/">Fashion Week de Londres</a> en janvier, aux militants nus introduits <a href="https://inews.co.uk/news/politics/extinction-rebellion-naked-protest-house-of-commons-climate-change/">dans le Parlement</a>. L’ampleur de leurs dernières actions aura finalement donné à la question du changement climatique l’attention médiatique qu’elle méritait.</p>
<h2>Le climat sur le devant de la scène</h2>
<p>Certains diront que la semaine d’action d’Extinction Rebellion conduite mi-avril aura bénéficié de l’actualité – l’extension de l’article 50 qui prévoit un mécanisme de retrait volontaire et unilatéral d’un pays de l’Union européenne (UE) <a href="https://www.theguardian.com/politics/live/2019/apr/10/brexit-eu-to-decide-on-uk-extension-live-news">jusqu’à octobre prochain</a> ayant créé une sorte de vide médiatique, offrant une alternative à la couverture du Brexit. C’est certainement vrai mais les militants ont raison de pointer le changement climatique comme la plus grande catastrophe imminente. En octobre 2018, le <a href="https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/11/pr_181008_P48_spm_en.pdf">GIEC publiait</a> ses projections inquiétantes sur l’ampleur du défi qui nous attend pour limiter les conséquences les plus catastrophiques du changement climatique. Pour Extinction Rebellion, comme pour les activistes de vendredi dernier en France ou le mouvement de grève des écoliers pour le climat, la <a href="https://www.theguardian.com/environment/2018/dec/16/what-was-agreed-at-cop24-in-poland-and-why-did-it-take-so-long">réponse insuffisante</a> des nations lors de la COP24, deux mois après la publication du rapport du GIEC, a prouvé qu’il n’y avait plus de temps à perdre.</p>
<p>L’objectif consiste à ce que personne ne puisse plus ignorer ce problème. En bloquant des sites emblématiques du centre de Londres, Extinction Rebellion maintient ainsi le changement climatique sur le devant de la scène, afin que chacun prenne conscience que ce problème, apparemment abstrait, est bien réel.</p>
<p>Inévitablement, les actions d’Extinction Rebellion ont <a href="https://inews.co.uk/news/extinction-rebellion-adam-boulton-robin-boardman-london-travel-sky-news/">essuyé les critiques</a> de certains <a href="https://www.dailymail.co.uk/debate/article-6933701/DAVID-BLUNKETT-force-law-used-against-eco-anarchists.html">commentateurs politiques britanniques</a>. Mais si les activistes déclarent qu’ils regrettent de perturber le quotidien des travailleurs, ils estiment que leurs actions constituent un mal nécessaire pour faire évoluer le débat public.</p>
<h2>L’héritage de Seattle et Occupy</h2>
<p>Les activistes les plus âgés pointeront sûrement l’impact et l’héritage des <a href="https://www.theatlantic.com/business/archive/2014/01/the-dark-side-of-globalization-why-seattles-1999-protesters-were-right/282831/">manifestations de Seattle en 1999</a>, lorsque le « Global Justice Movement » avait clôturé avec succès la réunion annuelle de l’Organisation mondiale du commerce. Une action non seulement très stimulante pour les personnes concernées, mais qui avait aussi contribué de façon cruciale à rendre concrète et réelle la résistance à une structure de gouvernance néolibérale, abstraite pour un grand nombre.</p>
<p>Tout comme les mobilisations du mouvement Occupy il y a sept ans (contre Wall Street), les dernières manifestations d’Extinction Rebellion ont été amicales et ouvertes, enrichies de performances artistiques et de discussions. Cet esprit bon enfant a jusqu’à présent permis au mouvement de gagner en popularité, non seulement dans les médias, mais aussi dans la rue.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/270475/original/file-20190423-175528-10684bu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/270475/original/file-20190423-175528-10684bu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/270475/original/file-20190423-175528-10684bu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/270475/original/file-20190423-175528-10684bu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/270475/original/file-20190423-175528-10684bu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/270475/original/file-20190423-175528-10684bu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/270475/original/file-20190423-175528-10684bu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Répression des manifestants réunis à Seattle à l’occasion de la réunion annuelle de l’Organisation mondiale du commerce en 1999.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Manifestations_de_1999_%C3%A0_Seattle#/media/File:WTO_protests_in_Seattle_November_30_1999.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Les efforts d’Extinction Rebellion visent à créer une dynamique, en se fondant sur des données de sciences politiques : comme le souligne leur site, il suffit de <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2017/feb/01/worried-american-democracy-study-activist-techniques">3,5 % de la population d’une nation</a> engagés dans une résistance non-violente soutenue, pour renverser une dictature. Au Royaume-Uni, cela représente moins de 2,5 millions de personnes.</p>
<p>La clarté de ses <a href="https://rebellion.earth/the-truth/about-us/">revendications et principes</a> donne au mouvement une orientation très nette que le mouvement d’Occupy n’avait peut-être pas. Ses rangs grossissent de semaine en semaine – selon Extinction Rebellion, <a href="https://www.bbc.co.uk/news/uk-england-london-47997531">50 000 personnes</a> auraient rejoint le mouvement depuis le début des manifestations.</p>
<p>Les cycles de l’information à destination du grand public étant aujourd’hui rapides et changeants, le mouvement devra agir à la fois rapidement et prudemment s’il veut maximiser l’impact de sa plate-forme.</p>
<h2>Efficace, mais pour combien de temps ?</h2>
<p>Il est crucial que l’objectif du mouvement ne soit pas éclipsé par sa stratégie de communication. Or Extinction Rebellion a pillé tous les répertoires de l’action directe – en <a href="https://www.bbc.co.uk/news/uk-england-london-47935416">bloquant des routes</a>, en <a href="https://www.desmog.co.uk/2019/03/09/climate-change-means-real-death-real-blood-extinction-rebellion-paints-downing-st-red">utilisant du faux sang</a>, en <a href="https://rebellion.earth/2018/11/24/breaking-extinction-rebellion-funeral-service-on-parl-sq-blocks-square/">recréant des marches funèbres</a> ou encore en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=OVdl6lKxG-Q">se mettant en scène nus</a>.</p>
<p>Si ces méthodes ont jusqu’ici réussi à mettre en avant le nom et la cause défendue par ce mouvement, le recours ad nauseum à ces modes d’action peut rapidement perdre l’imagination et le soutien du public. C’est ce qui est arrivé au Global Justice Movement des années 2000, lorsque le désir de recréer l’euphorie de Seattle a donné lieu à des interventions à l’impact décroissant.</p>
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<p>Par ailleurs, les autorités s’adaptent rapidement aux mobilisations répétées, en y appliquant une répression plus extrême et plus dure – bien que le répertoire d’Extinction Rebellion, qui repose sur le recours tactique aux arrestations massives, semble jusqu’à présent combattre efficacement cette menace. La police a le pouvoir de disperser les manifestants, mais le nombre de personnes désormais prêtes à être arrêtées modifie le rapport de force entre les militants et l’État.</p>
<h2>Arrestations volontaires, un jeu risqué</h2>
<p>Les arrestations massives – 1 065 personnes ont été interpellées en tout à Londres – étaient suivies de près par l’arrivée d’une nouvelle vague de manifestants venus en renfort. Les postes de police de la ville n’ont de toute façon pas les moyens de retenir bien longtemps les centaines de manifestants arrêtés, et les frais de justice décourageront les agents de police de porter des accusations, limitant ainsi le pouvoir punitif de l’État.</p>
<p>Dans le même temps, la stratégie d’Extinction Rebellion risque de fétichiser le fait d’être arrêté comme symbole de l’engagement des participants dans la cause. Le co-fondateur du mouvement, Roger Hallam, a <a href="https://www.bbc.co.uk/news/science-environment-47865211">récemment déclaré à la BBC</a> que pour atteindre son objectif de discussion avec le gouvernement, il serait nécessaire de créer une crise de l’ordre public d’une ampleur de 1 000 arrestations – chiffre aujourd’hui dépassé. Fixer un tel seuil de façon arbitraire est problématique, car cela peut encourager les militants à prendre davantage de risques dans la poursuite d’un objectif qui n’est nullement garanti.</p>
<p>On peut critiquer la politique à l’origine des nombreuses accusations de <a href="https://greenandblackcross.org/guides/laws/5-trespass-aggravated-trespass/">« violation de propriété aggravée »</a> qui visent les activistes : quoi qu’il en soit, un casier judiciaire peut être extrêmement coûteux et discriminatoire pour de nombreux jeunes militants, particulièrement s’ils appartiennent aux minorités visibles. Cela contraste avec les risques relatifs que courent les militantes et militants chevronnés dont le travail, le mode de vie ou les privilèges leur permettent d’en <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2019/apr/15/extinction-rebellion-protesters-arrested-stansted-15">subir les conséquences</a>.</p>
<p>Il est ainsi crucial qu’Extinction Rebellion remplisse un devoir de diligence pour soutenir ceux qui sont prêts à s’investir dans ses rangs. Avec déjà plus de <a href="https://www.standard.co.uk/news/london/extinction-rebellion-protests-arrests-near-500-as-police-deploys-1000-officers-to-remove-eco-a4121861.html">1 000 personnes arrêtées</a>, il s’agit d’un jeu coûteux et très risqué pour les militants.</p>
<p>Mais, pour l’instant, les activistes d’Extinction Rebellion verront dans les récents événements un succès monstre. Ils ont gagné en visibilité et détourné l’attention des médias du Brexit, au moins temporairement. Plus important encore, ils ont placé le changement climatique au centre des débats publics. Espérons qu’il y restera.</p>
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<p><em>Traduit de l'anglais par <a href="https://theconversation.com/profiles/nolwenn-jaumouille-578077">Nolwenn Jaumouillé</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115860/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexander Hensby ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La désobéissance civile est un bon moyen d’attirer l’attention, mais pour construire sur cette dynamique, les objectifs ne doivent pas être éclipsés par les modes d’action.Alexander Hensby, Lecturer in Sociology, University of KentLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1084362018-12-09T20:08:10Z2018-12-09T20:08:10ZVidéo : « La responsabilisation de la Société Générale dans le volet civil du procès Kerviel »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/249418/original/file-20181207-128190-1q6s5al.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C3%2C842%2C475&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"></span> </figcaption></figure><p>Dans cette lettre <a href="http://t.crm.xerfi.com/nl/jsp/m.jsp?c=%40EyMCEZjzYCmoTxe%2FNUlaibg6rowBjgX8MLjJlJ6%2FMzM%3D">« Fenêtres ouvertes sur la gestion »</a> », datée du 8 décembre, Jean‑Philippe Denis, Professeur de sciences de gestion à l’Université Paris-Sud et Rédacteur en chef de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion.htm"><em>Revue Française de Gestion</em></a>, reçoit Oussama Ouriemmi et Benoît Gérard, respectivement enseignant-chercheur à l’ISG Paris et maître de conférences à l’Université Paris Dauphine, pour parler de la responsabilisation de la Société Générale dans le procès Kerviel.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-management-au-pretoire-impacts-manageriaux-de-la-responsabilisation-de-la-societe-generale-90745">Le management au prétoire : impacts managériaux de la responsabilisation de la Société Générale</a>
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<p>Toutes les émissions <a href="https://www.xerficanal.com/fog/">« Fenêtres ouvertes sur la gestion »</a> peuvent être consultées sur Xerfi canal.</p>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/108436/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Philippe Denis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La reconstitution des faits et de la procédure judiciaire permet de mettre en évidence un revirement de la jurisprudence en matière de responsabilité civile de l’organisation. Explications.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/906772018-06-20T18:44:42Z2018-06-20T18:44:42ZLe facteur et le juge face « aux Américains »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/223644/original/file-20180618-85822-698fv1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C4%2C709%2C534&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le facteur et les Américains…</span> <span class="attribution"><span class="source">Jacques Tati</span></span></figcaption></figure><p>Dans un village français après la guerre, Jacques Tati met en scène un facteur des Postes Télégraphes et Téléphones. Jour de fêtes. Sur la place du village, est projeté un film louant les prouesses de la poste américaine, la US Postal : des avions remplis de sacs postaux décollent jour et nuit, des milliers de lettres sont triées automatiquement par des machines. Notre facteur ne se laisse pas impressionner pour autant : il est prêt à relever le défi.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/223643/original/file-20180618-85869-4npm6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/223643/original/file-20180618-85869-4npm6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/223643/original/file-20180618-85869-4npm6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/223643/original/file-20180618-85869-4npm6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/223643/original/file-20180618-85869-4npm6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/223643/original/file-20180618-85869-4npm6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/223643/original/file-20180618-85869-4npm6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/223643/original/file-20180618-85869-4npm6f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">‘François à l’Americaine’ par Laurent Durieux pour Nautilus Art Prints.</span>
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<p>Faisant appel à son génie gaulois, il accroche son vélo à l’arrière d’un camion pour tamponner ses lettres, il fiche une lettre sur les dents d’une fourche pour ne pas perdre de temps dans la distribution du courrier à domicile. Pourtant, le spectateur sent bien que la riposte du facteur français au défi américain va être difficile. On l’entend maugréer sans cesse <em>« les Américains, les Américains</em> »</p>
<p>S’agissant maintenant non plus de la Poste, qui a su, entre temps, se transformer et défier DHL mais de la lutte contre la corruption par les entreprises d’agents publics à l’étranger, le juge français se trouve, en forçant bien sûr le trait, dans la situation du facteur abasourdi devant cette poste américaine affichant des moyens insolents.</p>
<h2>Inégaux devant la lutte contre la corruption</h2>
<p>Pour lutter contre la corruption qui vient fausser la concurrence internationale, « les Américains » ont en effet déployé en 1977 un outil juridique, le <a href="https://bit.ly/2cOPIiB">Foreign Corrupt Practices Act</a> (FCPA) ; au départ la loi fédérale est appliquée aux seules entreprises américaines (des pots de vin versés par Lockheed à des responsables politiques allemands pour des achats d’avions de combat sont à l’origine de cette loi), puis, en 1998, cette loi fédérale a été étendue aux entreprises étrangères.</p>
<p>Les motifs d’ouverture d’un dossier de corruption par le DOJ (Department of Justice) <strong>hors du territoire américain</strong> peuvent être des plus ténus comme une opération contestée libellée en dollars ou comme un échange de courriels transitant par un serveur américain. Des investigations intrusives sont alors conduites au sein même des entreprises qui se retrouvent dans l’obligation de coopérer. Des fonctionnaires travaillant dans les services de renseignement (dont le FBI et la CIA qui ont à leur disposition des unités dédiées) coordonnent leurs efforts avec le Ministère de la Justice pour aboutir à fixer des amendes dont le montant est considérable. Enfin, des poursuites pénales peuvent aussi aboutir à des incarcérations de cadre identifié comme agent corrupteur.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/223646/original/file-20180618-85845-d5xj1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/223646/original/file-20180618-85845-d5xj1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/223646/original/file-20180618-85845-d5xj1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/223646/original/file-20180618-85845-d5xj1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/223646/original/file-20180618-85845-d5xj1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/223646/original/file-20180618-85845-d5xj1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/223646/original/file-20180618-85845-d5xj1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/223646/original/file-20180618-85845-d5xj1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Robert F. Kennedy Department of Justice Building à Washington.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:U.S._Department_of_Justice_headquarters,_August_12,_2006.jpg">w :User :Coolcaesar/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>Une redoutable machine judiciaire</h2>
<p>Plusieurs entreprises françaises (dont Alstom) ont expérimenté à leurs dépens l’efficacité de cette redoutable machine judiciaire. Depuis 2008, les entreprises européennes ont non seulement versé 6 milliards de dollars pour violation de la FCPA mais doivent aussi financer elles-mêmes des « moniteurs » en charge de contrôler <em>sur place</em> que leurs nouvelles pratiques seront bien conformes à la loi fédérale américaine.</p>
<p>Enfin, le système judiciaire américain <em>s’auto-nourrit</em> en réaffectant une partie des amendes infligées pour renforcer ses moyens à la fois techniques et humains. Un <em>feed-back positif</em> se met alors en place : l’augmentation du volume de dossiers traités aboutit à de fortes amendes, lesquelles amendes renforcent les moyens et les salaires, ce qui motive d’autant les fonctionnaires en charge des dossiers.</p>
<h2>Le législateur français face au « rouleau compresseur normatif » américain</h2>
<p>Face à cet arsenal juridique, des parlementaires français, (<a href="https://bit.ly/2JYmgGu">Lellouche PR –Berger PS</a>), dans une alliance bipartisane, ont conduit, en février 2016, une <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i4082.asp">mission d’information sur l’extra-territorialité du droit américain</a> et se sont inquiétés de la domination de la loi américaine sur les échanges internationaux, <em>rouleau compresseur normatif</em> selon l’expression du député Lellouche.</p>
<p>Un seul exemple, donné par les parlementaires dans leur rapport, illustrait l’asymétrie des moyens disponibles entre le système judiciaire américain et français :</p>
<blockquote>
<p>« Il faut savoir que pour toutes les entreprises sanctionnées aux Etats-Unis pour corruption, des procédures avaient été ouvertes en France. Il y avait une seule personne qui gérait ça : une seule juge qui avait 40 dossiers, qui sont chacun de la taille de celui d’Alstom, et face à elle arrivaient des avocats avec 20 dossiers ! Elle n’a jamais pu apporter la moindre preuve Elle nous l’a dit comme ça ! »</p>
</blockquote>
<p>S’inspirer alors du système judiciaire américain, est-ce une fausse bonne idée ? Le mérite pour les entreprises françaises serait d’invoquer le principe de <em>non bis in idem</em>, on ne peut pas juger deux fois les mêmes faits. Plutôt avoir affaire au juge français qu’au juge américain.</p>
<h2>Deux cultures juridiques distinctes</h2>
<p>Mais la procédure du plaider-coupable n’est pas encore en résonnance avec la culture juridique française. Dans les pays anglo-saxons, contrairement à la France, la source première du droit se trouve dans les cas tranchés par le juge et non par les voies tracées par l’État (<a href="http://www.seuil.com/ouvrage/homo-juridicus-essai-sur-la-fonction-anthropologique-du-droit-alain-supiot/9782020676366">Alain Supiot, 2009</a>).</p>
<p>Le juge français est encore mal à l’aise avec le credo américain qui consiste à dire que ce qui est juste est ce qui est favorable à la croissance de l’économie. Le juge doit- il être le gardien des règles de la concurrence ? Pour ne donner qu’un seul exemple, le décret d’agrément (<a href="http://www.clt.astate.edu/crbrown/fifteen2.htm"><em>« Modified Final Judgment »</em></a>), établi le 24 août 1982 entre la Division anti-trust du Ministère de la Justice et American Telephone and Telegraph (ATT) est emblématique du rapport entre law and économics aux États-Unis.</p>
<p>Ce décret démantelant un monopole privé d’un million de salariés représentant 2 % du PIB américain, a été <em>notifié</em> à un juge fédéral de la Cour du District de Columbia pour qu’il puisse évaluer si l’accord était compatible avec l’intérêt général (<a href="http://bit.ly/2Dykfxm">« Tunney Act »</a> du nom du sénateur démocrate Tunney, soit l’<em>Antitrust Procedures and Penalties Act</em> December 21, 1974) ; ce juge, le juge Green, n’a pas hésité à prendre le contre-pied à la fois de la Division anti-trust, de l’Agence Fédérale en charge des télécommunications et a résisté aux pressions venant des nouveaux entrants sur le marché et aussi du Congrès. Certes, cette pulsion étatiste du juge sera un feu de paille, mais elle illustre la <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100717840">place du juge dans un dossier industriel stratégique pour l’économie américaine.</a></p>
<h2>Le juge français dans un système en évolution… « à l’Américaine »</h2>
<p>Rien de comparable en France quant à la place occupée par le juge dans l’économie ; après quelques doutes et résistances, la riposte française au défi américain se traduira finalement par le vote en décembre 2016 de la loi n°2016-1691, loi dite Sapin II ; cette loi permet « une convention judiciaire d’intérêt public », une façon « à l’américaine » d’inciter les entreprises à payer des amendes mêmes lourdes plutôt que de s’engager dans un long procès. <a href="https://www.economie.gouv.fr/vous-orienter/organigramme/agence-francaise-anti-corruption">Une agence française de lutte anti-corruption</a> (AFAC) sera également mise en place dans le cadre de cette nouvelle loi.</p>
<p>Si l’intention du législateur était en 2016 de s’inspirer « des Américains », les moyens à la disposition des juges restent aujourd’hui encore bien modestes et l’AFAC a plutôt une mission d’action de prévention auprès des entreprises. Le juge français peut –il relever le défi américain ?</p>
<p>La Société Générale a expérimenté, en juin 2018, la nouvelle culture juridique à l’américaine puisque que, pour fait de corruption d’agents publics en Libye, elle se voit infliger une amende de 500 millions de dollars, une amende fixée conjointement par le DOJ et le Parquet National Financier ; d’autre part, la toute nouvelle AFAC aura la charge de surveiller pendant deux ans la bonne conduite de la Société Générale en matière de corruption d’agents publics à l’étranger.</p>
<p>La riposte française n’a de sens que si les mêmes armes sont utilisées, ce qui signifie des moyens techniques et humains à la hauteur de l’enjeu et il faudrait, si l’on veut copier jusqu’au bout les américains, réinjecter en partie les amendes au sein du système judiciaire et non les verser sans affectation dans les caisses de l’État, enfin cela suppose une réorganisation complète quant à la façon de travailler entre les services de renseignement économique et le Parquet national financier, sinon il s’agit d’un mimétisme en trompe l’œil.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90677/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Saussois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De même que le facteur de Tati défiait l'efficience de la poste américaine, le juge français, face à la lutte contre la corruption, défie la machine judiciaire américaine avec avec des moyens inégauxJean-Michel Saussois, Professeur émérite HDR en sociologie, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/984512018-06-17T20:22:40Z2018-06-17T20:22:40Z« Une contestation française : vers l’application de la loi à tous ? » : conversation avec Maître David Koubbi<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/223426/original/file-20180616-85863-3j1rkv.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">David Koubbi dans l'émission "Fenêtres Ouvertes sur la Gestion".</span> </figcaption></figure><p>Après <a href="https://theconversation.com/larticle-qui-nexistait-pas-54310">« l’article qui n’existait pas »</a> puis <a href="https://theconversation.com/les-enregistrements-qui-existaient-socgencase-61263">« les enregistrements qui existaient »</a>, il était temps d’enregistrer une version française qui remixerait, vu des fenêtres de la gestion, les imaginaires de <a href="https://theconversation.com/travailler-sur-linvisible-dans-une-societe-amnesique-53891"><em>Retour vers le futur 3</em></a> et de <a href="http://www.nicematin.com/justice/le-proces-de-lancien-trader-jerome-kerviel-condamne-pour-avoir-fait-perdre-des-milliards-a-la-societe-generale-bientot-revise-238720"><em>Rocky 3</em></a>. On intitulera sobrement cet épisode « L’ouvrage qui n’aurait pas dû exister… ? »… En voici la bande-annonce.</p>
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<p>Et ci-dessous donc, l’interview dans son intégralité. Que l’on assortit de ce commentaire d’un membre du Conseil de rédaction de la <a href="https://www.eventbrite.fr/e/billets-festival-2018-de-la-revue-francaise-de-gestion-le-management-face-au-judiciaire-45859389669"><em>Revue française de gestion</em></a>, particulièrement réputé pour son exigence épistémologique : « J’ai trouvé Koubbi limpide et très maîtrisé, avec du fond. Si certains collègues pouvaient y réfléchir ! ». J’ajouterais volontiers : et quelques journalistes, aussi.</p>
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<p><strong>Présentation de David Koubbi</strong></p>
<blockquote>
<p>Né le 26 novembre 1972, à Toulouse (Haute-Garonne)</p>
<p>Etudes et diplômes : lycée Saint-Sernin à Toulouse, diplôme d’études approfondies (DEA) de droit économique et communication et doctorat de droit de la presse (faculté de droit de Toulouse), (Centre régional de formation professionnelle des avocats, CRFPA de Toulouse), certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA).</p>
<p>Carrière : Avocat au barreau de Paris (depuis 2000), avocat au Cabinet Rambaud-Martel (2000-01) puis au Cabinet Hughes Hubbard & Reed (2001-03), cofondateur et avocat associé au cabinet 28 octobre (depuis 2003).</p>
<p>Membre du jury d’admission MS droit et management international au sein d’HEC. Intervenant régulier à l’École nationale supérieure de la police (ENSP), sous l’égide de l’École nationale de la magistrature (ENM) en droit pénal général et financier afin de participer à la formation des magistrats et policiers financiers à la communication judiciaire de crise.</p>
<p>Polémiste à RTL (depuis 2012). Intervenant régulier dans l’émission « Punchline » sur CNews (depuis 2016).</p>
<p>Œuvres : « Hélium & Papillons » (roman, 2004), « Une contestation française » (manifeste, 2017). S’intéresse à l’art contemporain (organisation d’expositions temporaires au sein du Cabinet 28 octobre (peinture, sculpture, photographie, art, vidéo)</p>
<p>Sports : boxe anglaise, boxe thaïlandaise, pelote basque, squash, snowboard.</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/98451/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Interview de David Koubbi sur son ouvrage « Une contestation française : pour une justice, une politique et une finance au service des citoyens ».Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/961842018-05-08T20:41:33Z2018-05-08T20:41:33ZLa place de la culture dans le management : conversation avec Éric Godelier… et application pratique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/217815/original/file-20180505-166897-z87n7w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Eric Godelier dans l'émission Fenêtres Ouvertes sur la Gestion</span> </figcaption></figure><p>Le drame du <a href="https://www.letemps.ch/sciences/2017/09/19/publish-or-perish-science-met-chercheurs-pression">« publish or perish »</a> n’est pas seulement la perte de sens ou encore l’absence d’innovation : cela conduit aussi à une crise de surproduction, laquelle constitue le vecteur d’une véritable amnésie scientifique.</p>
<p>Il ne s’agit pas ici que d’un propos d’éternel mauvais coucheur et empêcheur de faire carrière académique en rond – catégorie dans laquelle on finira bien par me ranger, ce qui n’est pas très grave. Le sujet est plus important que cela : il en va de ce que l’on transmet aussi, d’abord, à ceux qui nous suivent. Et de l’exemple, donc, que l’on donne.</p>
<p>J’ai eu ainsi grand plaisir à recevoir Éric Godelier qui compte quelques années scientifiques de plus que moi au compteur (j’espère qu’il ne me tiendra pas rigueur de cette confidence…). Lorsque j’étais tout jeune Docteur, son <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2002-3.htm">spécial RFG/James March</a> m’avait scié sur place – et d’ailleurs, je le relis souvent. Il a immédiatement fait partie, pour moi, des auteurs à part : ceux qui ne conçoivent le métier que dans le dialogue avec les grandes figures et pour lesquels la trace laissée importe davantage que le plaisir narcissique de voir les productions s’accumuler.</p>
<p>Voici donc le premier des deux entretiens qu’il a accordés dans le cadre de « Fenêtres Ouvertes sur la Gestion ». Avec le regard particulier du professeur à l’École Polytechnique, où il s’est attaché avec d’autres depuis près de 15 ans et contre vents et autres marées (forcément contraires) à faire vivre les sciences de gestion dans le monde des ingénieurs.</p>
<p>Allez savoir pourquoi la diffusion de cet entretien trouve aujourd’hui, pour moi, un écho si fort avec l’actualité. Celle qui remplit les colonnes depuis jeudi. Puisque l’amende américaine de la Société Générale est sur le point d’être dévoilée. L’information s’est accompagnée d’un remaniement annoncé de l’équipe de direction, et de la confirmation que le mandat du directeur général serait soumise au vote de l’assemblée générale des actionnaires, dans un an. Le principal intéressé a été interviewé sur BFM TV, vendredi 4 mai par Stéphane Soumier.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"992306854586793985"}"></div></p>
<p>La gène est évidemment palpable, puisque personne n’est dupe : Frédéric Oudéa est plus que jamais sur la sellette. Et cette annonce ressemble à s’y méprendre à un préavis d’un an négocié avec la justice américaine. Qui pourrait croire en effet qu’il était à ce point nécessaire pour le conseil d’administration de la Société Générale de confirmer ainsi dès à présent le mandat du DG alors qu’il n’est prévu de le soumettre qu’à l’assemblée générale de… 2019 ? Dans cette interview, le cas de Didier Valet – ex n° 2 de la Société Générale, dont la justice américaine a réclamé et obtenu le départ est évoqué à maintes reprises.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/217835/original/file-20180506-166910-eg563n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/217835/original/file-20180506-166910-eg563n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=670&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/217835/original/file-20180506-166910-eg563n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=670&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/217835/original/file-20180506-166910-eg563n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=670&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/217835/original/file-20180506-166910-eg563n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=842&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/217835/original/file-20180506-166910-eg563n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=842&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/217835/original/file-20180506-166910-eg563n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=842&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
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</figure>
<p>Aucune allusion en revanche au fait que ce même Didier Valet était donc Directeur du contrôle stratégique du groupe Société Générale en 2007 ; aucune référence non plus au fait que Frédéric Oudéa était, à la même période, Directeur financier, avec autorité sur le contrôle de gestion ; aucune mention du fait que c’est bel et bien le départ de Frédéric Oudéa qui est désormais l’objet de toutes les spéculations, et ceci pour un motif pour le moins légitime : après tout, c’est en août 2007 au plus tard qu’a débuté la crise financière (pour mémoire : 74 alertes entre mars 2007 et janvier 2008 concernant les engagements de Jérôme Kerviel… sans réaction de la Direction générale), pas en 2008 ; et le moins qu’on puisse dire c’est que dans l’exercice des responsabilités ensuite, Frédéric Oudéa se sera surtout illustré par la succession des scandales dont il aura toujours été d’abord le premier des irresponsables. Un vrai talent en quelque sorte d’hypo-management !</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/217836/original/file-20180506-166881-1l88jbz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/217836/original/file-20180506-166881-1l88jbz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/217836/original/file-20180506-166881-1l88jbz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/217836/original/file-20180506-166881-1l88jbz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/217836/original/file-20180506-166881-1l88jbz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/217836/original/file-20180506-166881-1l88jbz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/217836/original/file-20180506-166881-1l88jbz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Frédéric Oudéa.</span>
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<p>Dans cette interview et dans la presse, on apprend que l’amende serait autour d’1 milliard. Liée aux deux affaires dites « IBOR » et aux accusations de corruption dans les affaires lybiennes. La France aurait sa part, lit-on ici ou là. Je retiens surtout que tout le monde compte visiblement sur l’apathie générale des chercheurs en management et des contribuables qui les financent, au risque que ces derniers soient à nouveau les victimes des élites dont ils ont pourtant bien souvent payé les années de formation.</p>
<p>En effet, rappelons que c’est bien un redressement fiscal de 2,2 milliards (déjà provisionnés) qui est en jeu, lié aux évolutions de l’affaire dite « Kerviel », devenue définitivement depuis septembre 2016 une affaire « Société Générale ». Michel Sapin lui-même – fin connaisseur du dossier – n’a-t-il d’ailleurs pas lui-même saluer une <a href="https://www.challenges.fr/finance-et-marche/banques/affaire-kerviel-societe-generale-michel-sapin-salue-une-decision-juste_560654">décision « juste »</a> de redressement fiscal de 2,2 milliards en janvier dernier ?</p>
<p>Quel rapport avec la place de la culture dans le management me demandera-t-on ? La question mérite qu’on s’y arrête en attendant donc la suite de ce énième scandale dans lequel sont impliquées nos « élites » françaises.</p>
<p>D’abord, parce qu’on voudra bien faire crédit que ce <a href="https://theconversation.com/la-strategie-version-steven-p-jobs-ou-lart-de-creer-la-vague-que-lon-va-surfer-49159">« point break des amendes américaines »</a> aura été annoncé dans The Conversation France dès… 2015. Pour des motifs connus et déjà évoqués sur <a href="https://youtu.be/vg3v2zicGs8">RFG/Xerfi Canal</a> dès… 2014. Je me permets donc d’en déduire qu’un peu plus de culture managériale aux heures de grande écoute ferait le plus grand bien aux finances des contribuables et plus généralement à la démocratie française !</p>
<p>Ensuite, parce que Frédéric Oudéa dans cet entretien évoque précisément le rôle de la culture pour justifier le non-recrutement d’un candidat « externe » pour succéder à Didier Valet. Seconde conclusion dès lors : la culture est bien source de pérennité mais aussi d’inertie organisationnelle, pour le meilleur et pour le pire, comme le proposait Éric Godelier dans les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2009-2-page-95.htm">pages de la RFG</a> il y a bientôt 10 ans.</p>
<p>Enfin, parce que c’est finalement là un point rassurant : la culture de la Société Générale est plus que la somme des incompétences des dirigeants dont l’entreprise et ses parties-prenantes auront été victimes depuis 20 ans (et le fameux échec de l’OPA sur Paribas sur fond de risque d’être avalée par BNP). Souhaitons donc à l’entreprise de se relever. Même si l’issue d’une prise de contrôle, amicale ou hostile, n’est plus à exclure : après tout, le dernier hashtag de l’entreprise en vogue sur Twitter n’est-il pas… #SGavecApplePay ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"973831101805346816"}"></div></p>
<p>Mais on peut aussi aller encore plus loin pour évaluer la place de la culture et son rôle dans la formation au management. Ainsi, l’avenir de la carrière de Frédéric Oudéa méritera une vive attention.</p>
<p>Trouvera-t-il lui un jour un point de chute doré au sein du nouveau « club silencio » des élites déchues de la République française, <a href="http://www.tikehaucapital.com/%7E/media/Files/T/Tikehau-Capital/publications/tikehau-capital-preparing-the-next-phase-june-22-2.pdf">Tikehau capital</a> ? Une véritable maison de retraite dorée que ce fonds où les anciens patrons apprécient visiblement de se retrouver… Jugez plutôt du casting des « associés » : Jean‑Pierre Mustier, ancien n° 2 de la Société Générale, l’ancien premier Ministre <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/la-nouvelle-vie-doree-de-francois-fillon-chez-tikehau-capital-1253634">François Fillon</a> ou encore… <a href="https://www.ft.com/content/410be9e8-8f18-11e7-a352-e46f43c5825d">Georges Chodron de Courcel</a>, l’un des anciens patron de BNPP dont la justice américaine avait aussi obtenu, il n’y a pas si longtemps, le départ. Ne manque donc plus qu’au tableau des chasseurs de têtes que l’actuel DG de la SG !</p>
<p>Donner une vraie place à la culture dans le management, c’est donc regarder sur le temps long les fils invisibles qui lient, délient, relient les destins des acteurs, depuis les années de formation jusqu’à la retraite. Dans ces conditions, je ne peux m’empêcher de penser que le plus comique serait que Frédéric Oudéa, à l’issue de son préavis d’un an, et après un éventuel passage éclair chez Tikehau, soit <em>in fine</em> embauché chez Unicredit. Cette banque désormais présidée par Jean‑Pierre Mustier, lequel devait prendre la relève de Daniel Bouton avant de devoir démissionner en raison de l’ouverture en 2009 d’une enquête de l’AMF pour manquement d’initié lié à la vente de la moitié de son portefeuille de titres Société Générale le <a href="https://theconversation.com/pertes-kerviel-ou-pertes-societe-generale-contribuables-vous-etes-concernes-67523">21 août 2007</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/217837/original/file-20180506-166893-c8uirq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/217837/original/file-20180506-166893-c8uirq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/217837/original/file-20180506-166893-c8uirq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/217837/original/file-20180506-166893-c8uirq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/217837/original/file-20180506-166893-c8uirq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/217837/original/file-20180506-166893-c8uirq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/217837/original/file-20180506-166893-c8uirq.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=544&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">J.-P. Mustier.</span>
</figcaption>
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<p>Jean‑Pierre Mustier qui a d’ailleurs lui aussi effectué un séjour chez <a href="https://www.lesechos.fr/26/01/2015/LesEchos/21863-127-ECH_jean-pierre-mustier-----tikehau-a-vocation-a-devenir-un-blackstone-europeen--.htm">Tikehau capital</a> ; avant d’en partir pour Unicredit ; avant de revenir chez Tikehau IM après avoir passé 14 milliards de provisions chez Unicredit ; avant de repartir à nouveau chez Unicredit, cette fois pour en prendre la présidence… Vous suivez ?</p>
<p>L’héritage de Frédéric Oudéa à la Société Générale donnerait alors belle matière à étude de cas pour les chercheurs en management, stratégie et gouvernance d’entreprise. Frédéric Oudéa, ou l’éternel Poulidor dans l’ombre du véritable <a href="https://theconversation.com/lettre-ouverte-au-juge-renaud-van-ruymbeke-53272">« Amstrong de la finance »</a> ? Voilà qui devrait donner matière à méditation, y compris pour former les magistrats ! D’ailleurs, si quelqu’un connaît les classements d’entrée et de sortie respectifs à l’école Polytechnique de Jean‑Pierre Mustier et de Frédéric Oudéa, je tiens volontiers le pari sur l’<a href="http://www.liberation.fr/portrait/2008/06/24/merci-kerviel_74788">ordre du doublé</a>. Exception culturelle française en termes de défaillances répétées des systèmes de gouvernance d’entreprise oblige !</p>
<p><strong>Présentation d’Éric Godelier</strong></p>
<p>Professeur des universités agrégé de sciences de gestion, <a href="https://www.polytechnique.edu/annuaire/fr/user/8850/eric.godelier">Eric Godelier</a> a été pendant près de 15 ans le président du département des Humanités et Sciences sociales à l’École polytechnique. Au sein de l’école, il a assumé la responsabilité du développement et de la coordination des enseignements sur l’entreprise et le management. Au sein du CRG (Centre de Recherche en Gestion) de l’École polytechnique (désormais CRG-i3), ses recherches portent sur la conception et la diffusion des outils et des modèles de management dans une perspective historique et anthropologique. Il a notamment publié <em>Usinor-Arcelor. Du local au Global</em>, et <em>La culture d’entreprise en 2006</em>. En décembre 2009, la revue américaine <em>Entreprise and Society</em>, a constitué un dossier centré sur son article sur les relations entre l’histoire et le management. Depuis 2006, il coordonne avec les professeurs G. Garel (CNAM), A. David (ENSMP Dauphine) et M. Leroux (CNRS-ENS) un programme sur l’histoire des pratiques et de la pensée managériales française depuis le XIX<sup>e</sup> siècle. Un livre en ligne a été publié en 2011 avec 42 contributions (http://mtpf.mlab-innovation.net/fr/). Enfin, en 2007, à l’initiative de C. Ghosn, PDG de Renault, il a lancé avec E. Chiapello (HEC) et l’alliance Renault-Nissan une chaire sur le management multiculturel.</p>
<p><strong>L’interview d’Éric Godelier</strong></p>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/96184/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Où il est question de pratiques managériales discutables, de la place de culture da la formation des managers… et du feuilleton Société Générale.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/912142018-02-04T19:19:23Z2018-02-04T19:19:23ZLa responsabilité du point de vue des sciences de gestion et l’attribution des responsabilités de la crise financière selon Wall Street<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/204683/original/file-20180203-19929-1ovredh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C533%2C282&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jean-Pierre Mustier, ancien n+8 de M. Jérôme Kerviel, aujourd'hui Président du groupe bancaire Unicredit (janvier 2008).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.lepoint.fr/actualites-economie/2008-01-28/societe-generale-portrait-de-l-enigmatique-jean-pierre-mustier/916/0/220883">Le Point</a></span></figcaption></figure><p><em>Le texte ci-après, inédit, est un extrait d’un <a href="https://media.collegedesbernardins.fr/content/pdf/Recherche/2/recherche12-14/2013_06_13_ehs_cr_entreprise_2.pdf">compte-rendu</a> élaboré par Kevin Levillain (CGS Mines ParisTech). Il fait la synthèse d’une intervention tenue <strong>le 13 juin 2013</strong> à l’occasion d’une séance du séminaire « L’entreprise : propriété, création collective, monde commun » (Collège des Bernardins, département <a href="https://www.collegedesbernardins.fr/recherche/economie-et-societe">Économie et Société</a>). Alain Loute, Olivia Nicol et moi-même étions intervenus pour proposer trois points de vue complémentaires sur la question de la responsabilité, des points de vue successivement philosophique, sociologique et gestionnaire.</em></p>
<p><em>Je ne reproduis ci-dessous que la partie concernant ma propre intervention, laquelle reprenait les grandes lignes d’une communication qui n’a pas fait l’objet de publication : Denis J.-Ph., Lavoisier L.-M., 2012, <a href="http://www.airmap.fr/fr/ressources/actes-des-colloques/">« De la dépendance du juge à l’indépendance du gestionnaire : quelques leçons du procès (dit) Kerviel »</a>, Colloque de l’<a href="http://www.airmap.fr/fr/accueil/">Association Internationale de Recherche en Management Public</a> (AIRMAP), 7 décembre. Ce texte, ancien, doit être lu en conservant en mémoire que la situation n’est plus, en 2018, ce qu’elle était en décembre 2012 et juin 2013. Le débat général suite à l’ensemble des interventions lors du séminaire est disponible dans le compte-rendu de la séance élaboré par Kevin Levillain (p. 14-18)</em>.</p>
<hr>
<h2>Introduction</h2>
<p>L’affaire Kerviel est une affaire complexe qui est difficile à théoriser et à mettre en mots. En témoigne un article qui à la veille du rendu du dernier verdict le <a href="http://lemde.fr/2FHlwmq">24 octobre 2012</a>, alors qu’il allait être envoyé pour publication, a complètement changé de nature avec le résultat annoncé par la première chambre de la cour d’appel du tribunal de grande instance de Paris. La modification en urgence du texte montre la complexité des enjeux et la difficulté de les saisir.</p>
<p>L’Affaire Kerviel ressemblerait à ce débat fictif orchestré sur Internet entre Keynes et Hayek mais ne porterait non pas sur la théorie économique mais sur l’opposition de deux visions gestionnaires du monde. Ce qu’on cherchera à démontrer ici, à travers plusieurs éléments de preuve, c’est que Jérôme Kerviel était non responsable et non coupable de la perte des 4 milliards 900 millions d’euros.</p>
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<h2>La Société Générale ne peut pas se prétendre victime d’abus de confiance</h2>
<p>Le sujet ici n’est pas de retrouver la vérité de ce qui s’est réellement passé, mais de suivre l’argumentation développée dans le procès contre Jérôme Kerviel. Dans le cas de l’affaire Kerviel il y a trois chefs d’accusation :</p>
<ul>
<li><p>Introduction frauduleuse de données dans un système informatisé </p></li>
<li><p>Faux et usage de faux </p></li>
<li><p>Abus de confiance</p></li>
</ul>
<p>Jérôme Kerviel a reconnu les deux premiers chefs devant le juge Van Ruymbeke qui a constitué sur cette base une ordonnance de renvoi de 67 pages. Cette ordonnance qualifie ainsi la nature de l’infraction reconnue par l’accusé. <strong>Le débat porte donc sur le troisième chef d’inculpation, celui d’abus de confiance</strong>, et ce point est central car c’est celui qui permet de faire basculer la responsabilité pénale à la responsabilité civile, et donc d’exiger un dédommagement à hauteur du préjudice commis.</p>
<p>Du point de vue du chercheur ce cas est extrêmement marquant, car plutôt que de données quantitatives, ou qu’une irresponsabilité organisée diluée, on parle ici d’un cas de responsabilité qui touche une personne physique seule et bien identifiée, qui concentre l’intégralité de la perte. Or juridiquement, l’abus de confiance se caractérise en deux points :</p>
<ul>
<li><p><strong>La matérialité de l’abus de confiance</strong> : il faut pouvoir démontrer matériellement qu’il y a eu abus de confiance, ce qui est le cas à travers la reconnaissance des deux premiers chefs d’inculpation (faux et usage de faux et introduction de données frauduleuses) ;</p></li>
<li><p><strong>Et l’intentionnalité de l’abus de confiance</strong>, point ici problématique car il faudrait démontrer que Kerviel a réalisé les deux premiers points dans l’optique de nuire à la Société Générale, or il ne cesse de répéter « j’ai fait ça pour faire gagner de l’argent à la banque, je n’ai pas cherché à commettre un abus de confiance vis-à-vis de mon employeur ».</p></li>
</ul>
<p>La thèse de Société Générale est évidemment inverse et va comme suit : « comme nous ne savions pas qu’il faisait cela, il a outrepassé les termes de son mandat et a abusé la confiance de sa hiérarchie ». On voit apparaître au passage la transformation du contrat de travail en un « mandat », référant en sciences de gestion à la théorie de l’agence, point qui sera développé par la suite.</p>
<p>Le tribunal a jugé à deux reprises que cette thèse était effectivement juste, parvenant ainsi à l’exigence du dédommagement de presque 5 milliards d’euros. Mais un point n’a pas été soulevé sur cette question de l’abus de confiance : quel est le degré de connaissance que l’on estime suffisant pour accuser ?</p>
<p>Une comparaison avec les débats aux États-Unis sur les cas d’accusation de viol permet de comprendre cette interrogation : comment la personne violée peut-elle se prévaloir du fait qu’elle n’était pas responsable du fait d’avoir été violée ? Autrement dit n’a-t-elle pas participé à son propre viol ?</p>
<p>Ici, l’équivalent du problème se pose concernant <strong>le défaut de contrôle interne à la Société Générale</strong>. Il y a bel et bien eu abus de confiance car certes il y a eu défaut de contrôle interne, mais « ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de radar qu’on est autorisé à rouler à 200 » ! Ou « ce n’est pas parce que la maison était mal fermée que le cambrioleur était autorisé à la cambrioler ». Le défaut du système de contrôle interne est bien constaté, par la commission des sanctions qui va condamner la Société Générale à 4 millions d’euros d’amende, mais ce n’est pas ce défaut qui justifie que les responsables hiérarchiques n’ont pas été abusés.</p>
<h2>Un problème logique : la Société Générale, reconnue pour ses pratiques de gouvernance</h2>
<p>Mais dans le cas de la Société Générale, il y a un problème logique. Le problème logique c’est que c’est cette entreprise qui a, par l’entreprise de ses deux présidents Marc Viénot et Daniel Bouton, introduit en France les codes de bonnes pratiques en termes de gouvernance de l’entreprise (cf. les rapports <a href="http://bit.ly/2s3Ptv1">Viénot I en 1995, Viénot II en 1998</a>, et <a href="http://www.paris-europlace.net/files/a_09-23-02_rapport-bouton.pdf">Bouton en 2002</a>).</p>
<p>Autrement dit, cette entreprise popularise en France la <a href="http://bit.ly/2FJmLS5">théorie de l’agence</a> qui s’appuie sur le marché des dirigeants, pour lequel l’élément de réputation du dirigeant est crucial, et est même un élément de régulation qui incite le dirigeant à se comporter dans le sens de l’intérêt de l’actionnaire.</p>
<p>Au moment où la Société Générale décide d’introduire ces codes de bonnes pratiques, il émerge de plus la spéculation que cette société est la meilleure banque au monde en matière de gestion des risques, et qu’elle est particulièrement soucieuse de l’intérêt des actionnaires. Et enfin, <a href="http://hbs.me/2DYokPI">Michael Jensen</a>, à l’origine avec William Meckling de la théorie de l’agence en 1976, avait conclu son adresse présidentielle devant l’association américaine de finance en 1993 en posant que « faire en sorte que les systèmes de contrôle interne fonctionnent constitue le défi majeur pour les chercheurs, tant en économie qu’en management », intitulant son papier <a href="http://bit.ly/2DZbNHy">« la faillite des systèmes de contrôle interne »</a>.</p>
<p>La thèse défendue ici est donc très simple : puisque la Société Générale a les moyens de dépenser 100 millions d’euros de communication dans le cadre de l’affaire Kerviel en employant les consultants adéquats, et puisque la Société Générale prend le rôle de tête de pont dans la diffusion des codes de bonnes pratiques en matière de gouvernance d’entreprise, incluant dans l’esprit le contrôle des systèmes prôné par Jensen, il n’est pas possible pour la société de privatiser les bénéfices liés à son capital réputationnel en matière de gouvernance sans être tenue responsable des échecs de sa propre gouvernance y compris de son système de contrôle interne !</p>
<p>Autrement dit, comment peut-on juger qu’il y a un abus de confiance, intentionnel de J. Kerviel vis-à-vis de la Société Générale, alors que l’entreprise est censée être mieux informée que l’auteur lui-même de l’abus, des systèmes de gouvernance et de contrôle qui permettent de limiter ces abus ?</p>
<p>Notons d’ailleurs que suite à l’affaire Kerviel, dont on a pu maintes fois répéter le caractère isolé, les systèmes de contrôle ont été tellement modifiés et renforcés qu’ils sont allés jusqu’à modifier le modèle d’affaires même de la banque ! Fallait-il un Kerviel pour que les business models deviennent soutenables ? Se poser la question revient quasiment directement à poser la question de la responsabilité dans le cadre de l’affaire Kerviel : à qui donc profite le crime ?</p>
<h2>Quel intérêt de s’arrêter sur le cas dit « Kerviel » ?</h2>
<p>La théorie de la gouvernance d’entreprise prône l’utilisation de stock options, qui trouvent leur légitimité dans leur fonction d’aligner les intérêts des actionnaires et des dirigeants, en rendant le dirigeant propriétaire d’une part du capital de la société. Ainsi, sur la période 1998-2008, les bonus distribués sont considérables… Suffisamment d’ailleurs pour que dans d’autres pays que la France, les actionnaires votent des <a href="http://bit.ly/2GLTVBR">« clawbacks »</a>, clauses qui permettent d’exiger au mandataire social le remboursement des bonus perçus comme indûment versés au vu de la performance réelle.</p>
<p><a href="http://hbs.me/2GJN3ov">Jensen et Meckling développent en 1992</a>, repris en 1998, l’idée que la gouvernance d’entreprise doit prendre pour modèle le marché. Sur un marché il y a un alignement naturel des intérêts. Cela va théoriquement de pair avec une logique de responsabilité, les institutions garantissant les engagements pris de part et d’autre. Sur un marché, cet alignement se produit car il co-localise la connaissance spécifique et les droits décisionnels. Dans l’organisation, il n’y a plus de co-localisation spontanée des droits à prendre des décisions et de ceux qui ont la connaissance spécifique pour prendre ces décisions. C’est tout le problème de la délégation de responsabilité, et du mandat.</p>
<p>Il faudrait donc selon eux concevoir une architecture organisationnelle qui prenne en référence le marché mais impulse à l’intérieur de l’organisation de manière artificielle la logique du marché : c’est-à-dire concrètement un système d’incitation- sanction, et des mécanismes de contrôle. Jensen et Meckling font ainsi de l’équipe de direction les architectes de cette architecture organisationnelle.</p>
<p>Mais en réalité, en prenant ce rôle d’architecte, les responsabilités qui portent sur les dirigeants ne sont plus les mêmes : si le système « architecturé » s’effondre, on doit pouvoir se retourner contre ce concepteur, et non contre celui qui a ponctuellement fait s’effondrer l’ensemble…</p>
<h2>Une conclusion sur la théorie de l’agence : le cas Enron</h2>
<p>Jensen va cependant être très perturbé par le cas Enron, le faisant parvenir à la <a href="http://bit.ly/2Ed2qDZ">théorie de l’<em>overvalued equity</em></a> : il reconnaît qu’il n’avait pas prévu que le cours de bourse déclenchait des dynamiques d’ivresse, agissait comme une drogue, comme une « héroïne managériale ». Un dirigeant qui est en situation de prendre des décisions qui influencent sa propre rémunération, va être naturellement incité à faire augmenter le plus possible le cours de bourse. Que se passe- t-il alors si les entreprises deviennent surévaluées ? Par un facteur 100 ? Par un facteur 1 000 ?</p>
<p>Jensen explique ainsi la logique du dirigeant d’Enron, qui a dû se séparer de ses actions avant que la réévaluation ne se produise : au mois de septembre, il indique qu’Enron tiendra ses objectifs pour l’année, l’action est à 100 dollars ; en novembre, le cours s’effondre, et le cours atteint 10 cents.</p>
<p>Ainsi, Jensen reconnaît que l’alignement des intérêts du dirigeant sur le cours de Bourse incite le dirigeant à prendre des décisions maximisant le cours de bourse dans son propre intérêt, et non dans celui des actionnaires. N’est-ce pas là la conclusion de <a href="http://bit.ly/2E0LNzS">Berle & Means</a>, expliquant que la séparation entre l’actionnaire et le gestionnaire était une bonne chose, ce dernier pouvant se projeter à long terme alors que le premier était coincé dans une logique de court terme… ?</p>
<p>Ce cas Enron est intéressant : l’évolution du cours de bourse est très proche de celle de la Société Générale, elle-même <a href="http://bit.ly/2Eai4Ui">proche de celle de Vivendi Universal</a>, etc. Au procès de première instance, Jean‑Marie Messier a défendu qu’il s’agît d’une faillite de son projet stratégique. Le parquet a soutenu dans son réquisitoire contre JMM « Vivendi n’est pas Enron », contredisant l’attaque des petits porteurs arguant que Messier avait transformé la Générale des Eaux en Enron. La justice française a cependant condamné Jean Marie Messier pour des faits similaires…</p>
<h2>La Société Générale était-elle Enron ?</h2>
<p>La Société Générale était-elle Enron ? La question n’a jamais été soulevée… on ne mesure pas la taille du pavé dans la mare que cela susciterait. Mais est-on si sûr que ce n’était pour autant pas le cas ? <a href="http://bit.ly/2nDuGdh">Sayan Chatterjee</a> a proposé une analyse sur les antécédents stratégiques de la faillite Enron avant que cela ne devienne le plus grand scandale financier de l’histoire, et on y trouve une proximité incroyable avec l’évolution stratégique de la Société Générale sur la période 1998-2007. Notamment, là où Enron faisait de la stratégie sans actif, la Société Générale faisait de la banque d’investissement par LBO : n’est-ce pas également de la stratégie sans actif ?</p>
<p>L’intérêt de soulever ce cas est de se souvenir que le cours de bourse n’est qu’une projection sur des revenus futurs. Or quand un dirigeant projette des cash flow futurs au cœur d’un mandat de trois ans, la réalisation effective de ces cash flows ne le concerne pas : en quelque sorte il n’y a jamais de responsabilité rétrospective. La question devient a posteriori « Est-ce que je peux prouver que je n’étais pas au courant qu’ils n’allaient pas suivre la trajectoire annoncée »…</p>
<h2>Crise de confiance, crise de responsabilité</h2>
<p>La Société Générale n’était pas n’importe quelle banque, et ce débat-là n’a jamais été porté. Quel est l’intérêt que ce débat n’ait pas pu émerger ? Le parallèle avec le cas Enron est instructif : doit-on considérer, à l’instar du nuage radioactif de Tchernobyl, que la crise financière n’a pas touché la France ? Aux États-Unis, les porteurs passent leur temps à assigner les banques, et en obtiennent des dédommagements en série, alors qu’en France elles ne sont jamais inquiétées…</p>
<p>Le débat est difficile à porter pour le chercheur, mais comment peut-on l’éviter lorsqu’on recherche un peu de vérité ? Le cas Enron était un abus de confiance, mais il a été commis par l’ensemble des équipes de direction vis-à-vis des actionnaires de l’entreprise, et en particulier des retraités et des salariés de l’entreprise… C’est une lecture très différente que l’on peut avoir du cas de la Société Générale : les petits porteurs et les salariés de la banque ne demandaient pas la condamnation de Kerviel à verser les 4,9 milliards : ils demandaient une peine de prison et un travail d’intérêt général ! C’est la personne morale qui a réclamé le dédommagement du préjudice subi.</p>
<p>En conclusion, il semble que ce cas soit représentatif d’une crise de confiance, d’une crise de la responsabilité, provoquée par le décalage entre l’accusation d’un jeune homme isolé pour abus de confiance et le fait d’épargner la principale banque européenne à la fois juge et victime : comment demander à ceux qui ont le moins d’être responsables, quand, au plus au niveau, on organise son irresponsabilité, et on dénie toutes formes de fautes ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/91214/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Analyse de la question de la responsabilité, d’un point de vue des sciences de Gestion, dans le cas Société Générale–Kerviel.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/907162018-01-26T12:17:36Z2018-01-26T12:17:36ZL’affaire Kerviel : ordinaire ou exceptionnelle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/203529/original/file-20180126-100915-1bxsckz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C998%2C3594%2C2269&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jérôme Kerviel le 5 novembre 201, à l'événement Popfinance Crowdfunding.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:2015_popfinance_crowdfunding_221.jpg">Max Malafosse/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Alors que cette « affaire » vient de souffler ses dix ans, la décision de l’administration concernant le traitement fiscal de la perte la remet sous les feux de l’actualité. Après la perte causée par le débouclement des positions du trader, la Société Générale avait rapidement bénéficié d’une ristourne fiscale de 2,197 milliards d’euros de la part de l’État, au titre d’un régime fiscal accordé aux entreprises victimes de fraude. Cette décision fut rendue avant que la culpabilité du trader n’ait été démontrée par la justice.</p>
<p><a href="http://bit.ly/2nd6ygo">La cour d’appel de Versailles</a> avait ramené de 4,9 milliards à un million d’euros les dommages et intérêts dus à la banque par l’ex-trader Jérôme Kerviel, en raison de manquements dans le processus de surveillance. Les prud’hommes avaient eux aussi mis en évidence les <a href="http://bit.ly/2DFNp1M">insuffisances de la banque</a>.</p>
<p>Après ces différentes échéances, cette « affaire » mérite-t-elle, finalement, de nouveaux développements ?</p>
<h2>Un banal accident… révélateur</h2>
<p>En effet, d’une certaine façon, cette affaire est banale : elle traduit la perte de vigilance d’une organisation et ses dérives. Ces mêmes traits se retrouvent dans le crash de Concorde en 2000 : le traitement judiciaire a mis en évidence le rôle de cette fameuse lamelle de titane tombée d’un Boeing de la Continental Airlines. Elle provoqua l’éclatement d’un pneu. Le manque d’entretien de l’avion et son bricolage ont été démontrés lors du procès. L’avocat de la Continental a de son côté mis en lumière l’état du Concorde : une entretoise <a href="http://lemde.fr/2nekZS6">manquant dans le train d’atterrissage</a>, le surpoids, un pilote, depuis son poste de pilotage a vu une fumée avant que l’avion ne passe sur cette <a href="http://bit.ly/2Gk2zYa">fameuse lamelle</a> sont autant d’informations troublantes. Comment donc y a-t-il pu avoir autant de dysfonctionnements ? Et bien évidemment cette question : l’avion aurait-il dû voler, et donc, était-ce évitable ? Il y a eu 113 morts…</p>
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<p>Plus récemment, le samedi 14 novembre 2015, le premier accident mortel de TGV a fait lui aussi des victimes (11) et 42 blessés. On en sait désormais un petit peu plus sur ce déraillement d’une <a href="http://lemde.fr/2hp9iW2">rame d’essai du TGV-Est grâce au rapport</a> de 140 pages, remis aux juges. Il confirme l’essentiel de ce qui était déjà connu sur les causes de l’accident : un test mal préparé, des manques flagrants de professionnalisme, une vitesse excessive et un freinage tardif. Lorsqu’elle a abordé la courbe fatale, la rame circulait à 265 kilomètres par heure au lieu des 176 requis. Sept personnes se trouvaient dans l’exiguë cabine de pilotage, et trois d’entre elles n’avaient rien à y faire.</p>
<p>Tout ceci avait été détaillé par le rapport définitif du Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre (BEA-TT), publié en mai 2017. Le rapport reproche aux équipes présentes à bord du train d’avoir validé une vitesse de marche à 330 km/h sur les trois kilomètres précédant le déraillement, qui n’était « pas réaliste » et ne pouvait que conduire à l’accident. « Personne, parmi les membres de l’équipe de conduite, n’a fait de véritables calculs pour déterminer les points d’enclenchement du freinage », relèvent les experts.</p>
<h2>Une catastrophe, plusieurs causes</h2>
<p>La première conclusion est donc évidente : en comparant ces trois cas, il apparaît qu’une catastrophe n’a jamais une seule cause. Il convient donc de pouvoir connaître et comprendre l’enchaînement des faits. <a href="http://www.sncf.com/ressources/position_du_groupe_sncf_eckwersheim_mai_2017_1.pdf">Les audits</a> et plans d’action mis en place dans l’urgence pour rassurer ne sont en aucun cas des éléments de compréhension suffisants et <a href="http://bit.ly/2GiOwBX">des documents étayés pour des chercheurs</a>.</p>
<p>C’est en cela que l’affaire Kerviel est nécessaire : peut-être permettra-t-elle cette vision exhaustive qui in fine aboutira à de vraies recherches et à des pistes d’apprentissages possibles pour d’autres organisations.</p>
<h2>Apprentissage organisationnel</h2>
<p>La deuxième conclusion est donc que les organisations ont à apprendre les unes des autres. Dans le transport, l’aléa n’a pas sa place. Les banques, semble-t-il, n’apprennent pas les unes des autres (sans quoi, <a href="http://lemde.fr/2FjgMDq">K. Adoboli</a> en 2011 n’aurait pas agi de la sorte). Elles auraient ainsi pu tirer des enseignements de la catastrophe de Concorde si les données avaient été complètes et accessibles et donc des recherches scientifiques rendues possibles. Elles peuvent méditer sur cette phrase tirée du dernier entretien accordé au point par Paul Bocuse : « Quand on pense avoir réussi, on a déjà loupé. Il faut se remettre en question tous les jours, toutes les heures, toutes les minutes, toutes les secondes ». Quelle leçon de modestie de celui qui est parvenu si haut…</p>
<p>La troisième conclusion en découle : seule une étude approfondie des processus de dégénérescence (voire de <a href="https://theconversation.com/affaire-kerviel-la-pomme-pourrie-et-le-tonneau-61938">pourrissement</a>) de l’organisation sont nécessaires. Elle nécessite d’être exhaustive, et dans le cas qui nous concerne, il semble évident de traiter les zones d’ombres relatives à la <a href="http://bit.ly/2Gk2OCy">gouvernance et à l’éthique</a>, aux contrôles (comment comprendre le rôle des commissaires aux comptes et des experts comptables mais aussi de la si redoutée inspection générale de la banque dans un tel contexte ?) et aux circonstances de la <a href="http://bit.ly/1P9GcUI">liquidation des positions</a>.</p>
<p>Dix ans se sont écoulés, les enjeux en termes de réputations ne sont plus les mêmes, il est donc possible de rendre ce cas exceptionnel en en permettant une compréhension complète. Dans quelles circonstances espérer un audit transparent de la période antérieure à la découverte du trader ? Il est probable que seules de nouvelles échéances judiciaires le permettent…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90716/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Delorme ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cette affaire est banale : elle traduit la perte de vigilance d’une organisation et ses dérives. Elle montre aussi qu’une catastrophe a toujours plusieurs causes et plusieurs responsables.François Delorme, Maître de conférences en sciences de gestion, chercheur associé CERAG, membre du WIKISGK, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/907452018-01-26T11:24:57Z2018-01-26T11:24:57ZLe management au prétoire : impacts managériaux de la responsabilisation de la Société Générale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/203482/original/file-20180125-100896-1q1d6jp.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C21%2C662%2C364&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jérôme Kerviel à la sortie de la Cour d'Appel de Versailles, le 23 septembre 2016.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.les-crises.fr/wp-content/uploads/2016/09/kerviel.png">iTélé</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article, résumé d’un texte à paraître dans le numéro spécial 269 de la <a href="https://rfg.revuesonline.com/">Revue Française de Gestion (RFG)</a> sur le thème « Management et logique judiciaire », est publié dans le cadre du partenariat de The Conversation avec la RFG</em>.</p>
<hr>
<p>Dans le conflit judiciaire qui oppose la Société Générale (SG) à son ex-trader Jérôme Kerviel, un revirement de la jurisprudence se produit le <a href="http://bit.ly/2nbhWJv">19 mars 2014</a> au niveau de la cassation. Il est d’autant plus important qu’il braque la lumière sur les fautes de la banque et met son management au centre de l’attention des juges.</p>
<p><a href="http://bit.ly/2ncrQe8">L’ultime décision dans ce conflit</a> est rendue le 23 septembre 2016 : Kerviel est le seul coupable pénalement, la SG est responsable d’un point de vue civil. Cette responsabilisation n’est pas sans influence sur les pratiques managériales à venir.</p>
<h2>Les faits et le procès</h2>
<p>Les faits se déroulent de 2005 à 2008 au siège de la banque d’investissement de la SG. Kerviel, alors trader au sein de cette dernière, met en place une entreprise de spéculation massive. Il engage des sommes qui atteignent au début de janvier 2008 plus de 50 milliards d’euros, dépassant largement les fonds propres de la SG. Cette activité de spéculation est dissimulée par des opérations fictives saisies par le trader sur les bases de gestion de sa banque. La liquidation de ses positions frauduleuses coûte à cette dernière une perte nette qui s’élève au 24 janvier 2008 à environ 4,9 milliards d’euros. « Bad apple », ainsi la SG désigne son trader ; ce dernier dépeint sa banque comme « bad tree ».</p>
<p>Les deux parties entament alors un long conflit judiciaire (2008-2016) : un an et demi d’instruction et plus de 6 ans de procès. Au jugement du Tribunal de grande instance de Paris (TGI) en 2010, succèdent les arrêts de la cour d’appel de Paris (CAP) en 2012, de la Cour de cassation (CC) en 2014 et de la cour d’appel de Versailles (CAV) en 2016.</p>
<p>Deux points caractérisent les décisions judiciaires rendues. Le premier est la constance des décisions au niveau pénal. Kerviel est reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés par tous les juges ayant à statuer sur son cas. Le second a trait au revirement produit au niveau civil de l’affaire par la CC. Par une nouvelle jurisprudence, cette dernière ouvre le champ à la CAV pour responsabiliser civilement la SG.</p>
<h2>La Société Générale face aux juges : de victime à victime responsable</h2>
<p>La situation ressemble à un paradoxe judiciaire. À deux reprises, les tribunaux (TGI et CAP) octroient à la SG le droit d’être indemnisée à la hauteur de son préjudice financier (environ 4,9 milliards d’euros), tout en relevant « la défaillance certaine de [son] système de contrôle ».</p>
<p>Néanmoins, la position des juges est conforme à la jurisprudence disponible jusqu’alors. En effet, aucune disposition juridique ne permet de réduire, à raison d’une faute de la victime, le montant des réparations dues à celle-ci par l’auteur d’une infraction intentionnelle contre les biens.</p>
<p>Le paradoxe judiciaire n’est levé qu’avec l’arrêt de la CC du 19 mars 2014. Celle-ci interprète les textes régissant le droit des victimes sous une nouvelle lumière, donnant ainsi naissance à une nouvelle jurisprudence. Désormais, en ce qui a trait à l’action civile, et en cas d’atteinte volontaire contre les biens, il est possible de prendre en considération la faute de la victime ayant concouru à la réalisation de son préjudice.</p>
<p>Ainsi, la CC casse et annule les décisions civiles antérieures et renvoie les parties devant la CAV. Celle-ci est appelée à évaluer la faute de la SG et à se prononcer sur le partage de responsabilité entre les deux parties. Dans ce cadre, le management de la SG rentre au prétoire ; l’attention des juges versaillais porte désormais sur son système de contrôle.</p>
<p>Sous ce rapport, la conclusion de l’<a href="https://actu.dalloz-etudiant.fr/fileadmin/actualites/pdfs/10_2016/CA_versailles.pdf">arrêt de la CAV du 23 septembre 2016</a> est sans équivoque :</p>
<blockquote>
<p>« La SG a laissé se développer un système déficient qui a permis la conception et la réalisation des infractions commises par Kerviel. »</p>
</blockquote>
<p>Aux yeux des juges, la banque est responsable. Sa responsabilité est telle qu’ils décident de ne lui octroyer que 0,02 % de la somme initialement réclamée à Kerviel. Celui-ci, déclaré « partiellement responsable », est alors condamné à lui verser « seulement » 1 million d’euros.</p>
<h2>La portée de la jurisprudence Société Générale-Kerviel</h2>
<p>La SG a fait les frais de la nouvelle jurisprudence, issue de l’arrêt de la CC du 19 mars 2014 et de l’application pratique qu’en a faite la CAV. D’une part, la banque est privée de la presque totalité de son droit au dédommagement. D’autre part, l’État lui réclame 2,2 milliards d’euros de crédit d’impôt (réservé aux entreprises en difficulté ou victimes de fraude) dont elle a profité entre 2009 et 2010. En outre, elle subit les conséquences néfastes sur son image dans la société suite à sa responsabilisation civilement par les juges.</p>
<p>Cette jurisprudence a également des conséquences sur l’ensemble des entreprises. Il est en effet désormais plus difficile pour celles-ci de se retrancher derrière leur statut de victime en cas de fraude interne. Elles doivent dorénavant démontrer qu’elles n’ont pas concouru à la production de leur préjudice. Les répercussions sur leur management sont déterminantes.</p>
<p>Il ne suffit plus de mettre en place des systèmes de contrôle. Encore faut-il qu’ils fonctionnent correctement et qu’ils soient bien pilotés pour qu’en cas de fraude l’entreprise ne soit pas considérée responsable.</p>
<p>En creux, l’issue judiciaire du cas SG-Kerviel questionne l’esprit même de la mise en place et du fonctionnement des systèmes de contrôle dans les entreprises. Bien souvent, les contrôles en matière de risque sont effectués dans une démarche de traçabilité et de conformité par rapport à la réglementation.</p>
<p>L’application des règles prudentielles est alors une manière de se « déresponsabiliser » en cas de problème. En mettant en lumière l’importance du pilotage des systèmes, le procès change la donne en la matière.</p>
<p>L’entreprise doit désormais faire adhérer les hommes aux systèmes de contrôle afin de garantir le bon pilotage des dispositifs. Pour cela, il est indispensable d’instaurer une approche par les principes, par les valeurs, au-delà de la simple conformité (un point de vue exprimé notamment par <a href="http://www.editions-ems.fr/livres/collections/gestion-en-liberte/ouvrage/425-puissances-de-la-norme.html">Nicolas Dufour et Carole Simonnet</a>). Portés par les concepteurs des systèmes de contrôle (dirigeants, managers, contrôleurs de gestion, etc.), ces principes auraient pour but de sensibiliser les acteurs au risque de fraude et ainsi de les responsabiliser en la matière.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90745/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Analyse judiciaire de l’affaire Kerviel, devenue l’affaire Société Générale, et de ses implications en termes de management et de contrôle.Oussama Ouriemmi, Professeur associé en contrôle de gestion, ISG International Business SchoolBenoît Gérard, Maître de conférences, Sciences de gestion, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/683052016-11-06T18:30:02Z2016-11-06T18:30:02ZFaut-il augmenter les psychopathes ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/144695/original/image-20161106-27925-wbk82y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C120%2C598%2C382&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_La nuit du chasseur_.</span> </figcaption></figure><p>Il est des textes que l’on préférerait ne pas avoir à écrire. Parce qu’on n’aurait pas à poser la question. Cette « question », qui, pour filer Gaston Bachelard, marque le sens même de l’esprit scientifique. Et puis l’actualité finit toujours par vous rattraper au vol : « à la une », donc, les Trump, Sarkozy, Hanouna, Morandini… Et Oudéa.</p>
<h2>Le salaire du tricheur</h2>
<p>À chaque fois, le même paradoxe pour les commentateurs dépités et les journalistes d’ITélé qui chaque jour hallucinent – au sens propre –davantage : rien n’y fait, c’est à n’y rien comprendre, être un psychopathe, un vrai de vrai, ça paye. Pire : plus vous êtes psychopathe, et puis plus ça paye. Et tous les articles, toutes les mobilisations, tous les jours de grèves n’y changent rien, c’est comme ça : l’ennemi se nourrit toujours, d’abord, de vos attaques.</p>
<p>Un paradoxe étonnant, discuté par exemple dans la <em>Revue Française de Gestion</em> avec le travail de Thomas Roulet (so <a href="https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=RFG_248_0041">« good to be bad »</a>…) ; ou encore, dès 2011, sous la plume de Clive R. Body dans un très bref et très percutant article : <a href="http://www.springer.com/cda/content/document/cda_downloaddocument/fulltext.pdf?SGWID=0-0-45-1269145-p35739432">« The Corporate Psychopaths Theory of the Global Financial Crisis »</a> (dans le <em>Journal of Business Ethics</em>, 2011, 102, p. 255–259).</p>
<p>Dans une veine proche, une recherche, publiée dans Nature et reprise par tous les quotidiens français, avait fait grand bruit : <a href="http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/11/19/les-banquiers-tricheurs-par-culture_4526122_3234.html">« Les banquiers, tricheurs par culture ? »</a> titrait ainsi <em>Le Monde</em>, à l’unisson de toute la presse.</p>
<p>Elle démontrait que quand on les isole de leur « identité professionnelle », les employés d’une grande banque – ne cherchez pas laquelle, elle a voulu conserver l’anonymat – sont comme tous les groupes témoins : assurés d’être à l’abri des regards indiscrets, ils déclarent gagner une fois sur deux à pile ou face. En revanche, si on leur rappelle par avance qu’ils appartiennent à une institution bancaire, et qu’ils sont tout aussi assurés de ne pas être surveillés, ils survalorisent leurs gains déclarés d’environ 25 %.</p>
<p>Conclusion unanime de la presse qui rapportait ces résultats – qui n’est pas sans rappeler la bonne vieille expérience menée en son temps par Stanley Milgram : on n’est pas tricheur par nature, mais par culture, pour reprendre le titre de l’article du <em>Monde</em> sur le sujet. Autrement dit : on ne naît pas bourreau ou violeur, on le devient d’abord sous la pression du public ou des copains… Ou des parents ?</p>
<h2>Une culture de la triche</h2>
<p>La conclusion des chercheurs s’imposait dans tous les cas avec la force de l’évidence : au vu du nombre de scandales financiers qui ont ébranlé la confiance dans les banksters depuis 15 ans, il est urgent de travailler le problème au corps. Et d’en finir avec cette culture de la triche propre au monde financier ! On pourrait ajouter : aux mondes politique et médiatique, puisqu’à l’évidence désormais les frontières sont difficiles à tracer entre ces trois industries où les ploutocrates se « fightent », comme dans un petit club où seuls pénètrent les heureux initiés élus.</p>
<p>S’atteler à de tels sujets suppose toutefois de se défier des évidences et de se méfier de la morale.</p>
<p>À l’époque où cette recherche a été publiée, des articles très sérieux semblaient se réjouir du fait que les banques envisageaient désormais de faire payer aux <em>traders</em> les conséquences de leurs égarements : qu’ils remboursent donc ces sales gamins qui ont trafiqué le Libor, le célèbre taux interbancaire, leurs bonus indûment perçus ! Un raisonnement dont la logique serait implacable si un petit trou noir persistant ne venait chatouiller les orteils du chercheur en management : parce que, dans un tel contexte, qu’est-ce qu’il advient de la responsabilité des dirigeants surpayés pour gérer tous les salariés – insupportables ! – de ces institutions ? Et, accessoirement, des contre-pouvoirs de gouvernance censés encadrer les dérives stratégiques et organisationnelles potentielles, par exemple les… Conseils d’administration.</p>
<p>On le voit, puisque le sujet est compliqué, bien poser la question suppose d’abord de le simplifier.</p>
<h2>Le marché des dirigeants</h2>
<p>Un des moyens de lever ce paradoxe, c’est d’abord de lire cet article marquant de <em>The Economist</em> : <a href="http://www.economist.com/news/business/21633829-surprise-bosses-earn-more-when-they-hire-compensation-consultants-if-you-hire-them-pay-will">« If you hire them, pay will come »</a>. On y explique que le meilleur moyen pour un dirigeant d’augmenter sa rémunération, c’est de faire appel… à des consultants. En effet, la perspective de futurs contrats juteux inciterait ces derniers à proposer l’inflation des émoluments du P-DG pour qu’il continue à leur passer commande ensuite de nouveaux contrats. Il suffisait d’y penser…</p>
<p>Autre piste, se souvenir d’un fait étonnant : la « Baleine de Londres » – sous-entendu : <a href="http://www.telegraph.co.uk/business/2016/02/23/jp-morgans-london-whale-trader-breaks-his-silence/">Bruno Iksil</a>, puisqu’il a tenu à rappeler qu’il ne comprend toujours pas par quel chemin étrange il s’est vu affublé du patronyme peu sympathique de « Baleine de Londres » – avait valu 13 milliards d’amendes à JP Morgan pour défaillance de des systèmes de contrôle. La société avait même dû payer au total 20 milliards à la justice américaine. Dans le même temps, le CEO, Jamie Dimon avait, lui, été augmenté en 2014 de 74 % avec l’aval des actionnaires et ceci dans un contexte où l’entreprise avait connu ses premières pertes depuis dix ans.</p>
<p>Le motif ? D’un côté, s’aligner sur le marché international des meilleurs dirigeants, bien sûr ; et de l’autre, le surcroît d’activité pour gérer les conséquences juridiques des actes de tous ces traders que l’on emploie… Tous ces « enfants de salauds », comme aurait hurlé, dans une de ces fulgurances dont il était coutumier, mon grand-père. En fan assumé du grand Robert Mitchum.</p>
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<p>Fort heureusement, mon grand-père n’est plus là pour voir le monde de 2016. Parce que si Trump et Sarkozy remportent les élections, si Hanouna et Morandini restent durablement encore à l’antenne, et si – last but not least – Oudéa devait ressortir indemne des « Panama papers » et du remboursement de la dette fiscale de la Société qu’il dirige, je crois qu’il n’y aurait de toute façon pas survécu.</p>
<p>La preuve, le Directeur général de la Société Générale l’a déjà <a href="http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/oudea-la-societe-generale-est-sereine-sur-l-affaire-kerviel-1055412.html">annoncé sur BFM</a> : « si Bercy venait à annuler cette déduction, Frédéric Oudéa prévient : “Comme n’importe quel contribuable nous irions devant les tribunaux” ». Bah voyons ! Et voilà comment la seule certitude depuis 2007, c’est que les Trump, Sarkozy, Hanouna, Morandini ou encore Oudéa, ils sont comme Jamie Dimon, toujours « richer than you… ». Chaque jour davantage.</p>
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<h2>Rebattre les cartes</h2>
<p>Conclusion : <em>I had a dream</em>. Qu’un jour l’union des prolos de l’administration fiscale, de la justice, des médias ou encore de la recherche donnerait davantage de cartes aux <em>Lovers</em>. Juste pour qu’ils puissent jouer <em>The Game</em> à armes un peu plus égales contre les <em>Haters</em> qui peuplent les sommets de nos grandes organisations transnationales.</p>
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<p>Réponse sur ce pari démocratique dans quelques jours, a prévenu Michel Sapin. On était le jeudi 3 novembre 2016.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/144735/original/image-20161106-27947-5xs1kb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/144735/original/image-20161106-27947-5xs1kb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=88&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/144735/original/image-20161106-27947-5xs1kb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=88&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/144735/original/image-20161106-27947-5xs1kb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=88&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/144735/original/image-20161106-27947-5xs1kb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=110&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/144735/original/image-20161106-27947-5xs1kb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=110&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/144735/original/image-20161106-27947-5xs1kb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=110&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Quant à la chronique Hip-Hop Management, elle se met maintenant en sourdine pour quelques mois, devoir de réserve oblige. L’occasion de relire les <a href="https://theconversation.com/profiles/jean-philippe-denis-191179/articles">articles et chroniques</a> publiés depuis septembre 2015. Puisqu’on vous y a dit et écrit l’essentiel : <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2014-1.htm">à l’heure de la métamorphose</a>, <em>management research matters</em> !</p>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/68305/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
De quelques personnages dont il est bon de se méfier…Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/675232016-10-23T21:04:48Z2016-10-23T21:04:48Z« Pertes Kerviel » ou « pertes Société Générale » ? Contribuables, vous êtes concernés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/142797/original/image-20161023-15969-1un1y3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=912%2C16%2C1761%2C1324&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Derrière le miroir ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/ennaimi/8209810240/in/photolist-dvtqyq-oYDgvM-5MhK5o-cyNqUm-ddZREs-dkGgW4-5KHqxH-cvFPY1-hKihig-cvFNKs-qV8XRy-cvFMxL-cvFQCJ-cvFNbd-cvFQtS-cvFR2f-cvFQUw-7W9BqX-cvFQLf-cvFPQ7-cvFPrQ-cvFPAf-6vfCkR-5KMEwG-6vfCk6-6vfCo4-cAswZb-6vfCmK-6vfCpa-7WcVN9-9Rbe6s-6vfCpT-6vfCqD-cvFMg3-cvFPHC-cvFPfU-cvFM2N-cvFQ6G-cvFQmf-dkGk9r-dkGjmE-cvFMnj-cvFNuj-5MhK79-cvFP41-cvFLQo-5yeKUE-ddZU5i-5a81fV-ddZVQx">Mustapha Ennaimi/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’affaire dite « Kerviel » est depuis l’origine une affaire qui questionne fortement les systèmes de contrôle interne et de management de l’entreprise Société Générale.</p>
<h2>Une négociation fiscale lourde de sens</h2>
<p>Le « problème » de déductibilité fiscale fait suite au dernier jugement au civil rendu par la Cour d’appel de Versailles. Celui-ci a en effet fait passer de 4 915 610 154 euros à 1 000 000 d’euros le montant de la dette de Jérôme Kerviel à l’égard de la Société Générale. Motif de cette décision : un management et une stratégie ayant de façon systématique privilégié la prise de risques sans, à l’évidence, avoir conçu une architecture des systèmes de contrôle et des modalités de supervision hiérarchique cohérentes avec ce management et cette stratégie. C’est ce dont le « top-management » de l’entreprise devrait être tenu de répondre au premier chef.</p>
<p>L’issue de la « discussion » entre l’administration fiscale et la Société Générale reste semble-t-il, à ce stade, incertaine.</p>
<p>Il est ainsi rapporté par des articles de presse parus dans <a href="http://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/0211404933300-lexecutif-redouble-de-prudence-devant-lepineux-dossier-fiscal-de-la-societe-generale-2036106.php"><em>les Echos</em></a>, <em>l’<a href="http://www.lopinion.fr/edition/economie/affaire-kerviel-pourquoi-societe-generale-ne-remboursera-pas-22-111339">Opinon</a>,</em> <a href="http://www.challenges.fr/france/affaire-kerviel-societe-generale-le-gouvernement-va-bientot-prendre-une-decision_433406"><em>Challenges</em></a> que la jurisprudence en matière de déductibilité fiscale des pertes est plutôt en faveur de la Société Générale puisque des fautes délibérées d’un (ou plusieurs) dirigeant(s) qui auraient « su » n’a pu été identifiée jusqu’à présent par la justice.</p>
<p>La Société Générale serait donc fondée à continuer de considérer ces pertes comme conséquentes de stricts incidents d’exploitation. C’est d’ailleurs probablement cette analyse qui explique la <a href="https://www.societegenerale.com/fr/societe-generale-reaction-cour-appel-jerome-kerviel">position de la banque</a>, connue dès le rendu du jugement du 23 septembre 2016 selon laquelle sa situation fiscale reste inchangée suite à la nouvelle décision de justice.</p>
<h2>« Incidents d’exploitation » ou stratégie risquée ?</h2>
<p>Il est vrai que dans des cas antérieurs, les traitements fiscaux de « cas » d’incidents d’exploitation ont donné lieu à de vifs débats au sein même de l’administration fiscale.</p>
<p>Si la jurisprudence va dans le sens de la protection des intérêts des entreprises plutôt que de la défense directe des contribuables), c’est aussi en raison des avis exprimés par le Conseil d’État : pour ce dernier, sans faute de gestion avérée (par exemple une mise en cause pénale d’un ou plusieurs dirigeants), les pertes devraient être considérées comme la conséquence d’un risque d’exploitation et donc être déductibles.</p>
<p>En ce sens, pour le Conseil d’État, une stratégie et un management ayant conduit à une prise de risques trop élevées ne sauraient a priori être considérés comme des « fautes » susceptibles de conduire à une remise en cause d’une déduction fiscale accordée.</p>
<p>Pour les experts du <a href="https://wikisgk.com/">WIKISG(K)</a>, cette analyse position ne peut valoir ipso facto dans le cas de l’affaire dite « Société Générale » : le montant des pertes (près de 7 milliards avant déduction des gains à fin 2007)), la qualité singulière de la personne morale en cause en raison de son intérêt explicite et de sa connaissance intime des sujets de gouvernance et de contrôle interne –ses présidents successifs ayant signé les rapports Viénot 1 puis Viénot 2 à la fin des années 1990, « Bouton » en 2002), comme des carences de gestion difficilement compréhensibles convergent pour considérer comme exorbitant l’« incident d’exploitation » que représentent les pertes dites « Kerviel ».</p>
<h2>Les failles d’une instruction</h2>
<p>Pour des raisons maintes fois exposées dans leurs travaux de recherche, les experts du WikiSG(K) considèrent que l’instruction judiciaire n’a pas été menée de façon satisfaisante. Faute de prise en compte des concepts et des connaissances issus des sciences du management, la justice n’a jamais éclairé un point décisif : qui, dans la hiérarchie, pour quelles raisons et jusqu’à quelle date, pouvait ignorer les engagements extraordinaires de J. Kerviel entre mars 2007 et janvier 2008 ?</p>
<p>Il convient en effet de rappeler que,</p>
<ul>
<li><p>la démission de Daniel Bouton, président directeur général de l’entreprise n’a été effective qu’en 2009, sur fond de controverses liées à un énième plan de <em>stock-options</em> que s’apprêtait à décider l’entreprise ;</p></li>
<li><p>la démission Jean-Pierre Mustier, plus haut responsable hiérarchique de Jérôme Kerviel à l’époque des faits, n’a eu lieu qu’en 2009, ceci dans le contexte d’une enquête pour manquement d’initié dilligentée par l’AMF au motif de la cession par celui-ci de la moitié de son portefeuille de titres Société Générale le 21 août 2007 ; que cette enquête a conduit la commission des sanctions à infliger une amende sévère à M. Mustier, reconnu effectivement coupable de manquement d’initié ;</p></li>
<li><p>Frédéric Oudéa, pourtant à l’époque directeur financier (et donc ayant autorité sur le contrôle de gestion) de la Société Générale a été promu au poste de président directeur général dès 2009 puis de directeur général (suite à l’adoption d’une structure de gouvernance sous forme de directoire et conseil de surveillance) ;</p></li>
<li><p>Christophe Mianné, ancien responsable des activités liées aux produits dérivés est toujours aujourd’hui directeur délégué, Banque de financement et d’investissement et de Banque privée, Gestion d’actifs et Métier titres.</p></li>
</ul>
<p>Ces éléments, comme tout le dossier, posent question sur la réalité et la rapidité de la prise de conscience des dirigeants des fautes de management qu’ils auraient pu commettre ou laisser commettre, comme sur la robustesse des systèmes de management et de contrôle qu’ils avaient mis en place.</p>
<p>En ce sens, ne pas discuter de façon approfondie et spécifique le caractère fiscalement déductible des pertes de la banque au motif d’une jurisprudence établie sur des cas beaucoup plus banals pourrait être considéré comme un encouragement donné par l’administration fiscale à prendre des décisions dont des dirigeants éventuellement incompétents et/ou irresponsables n’auront jamais à assumer les conséquences.</p>
<h2>Les sciences du management devaient être mobilisées</h2>
<p>Cinquante années au moins de recherche en sciences du management conduisent à considérer comme extrêmement fragile l’hypothèse selon laquelle nul n’aurait rien « vu » ou « su » à la Société Générale des engagements pris par l’un de salariés de l’entreprise entre mars 2007 et janvier 2008.</p>
<p>C’est pourquoi les experts du WikiSG(K) voient précisément dans le caractère « exceptionnel » du « cas » Société Générale le motif par lequel l’administration fiscale se doit d’être d’une exigence particulièrement rigoureuse pour faire valoir les droits du contribuable quant à la déductibilité des pertes accordée, en d’autres temps de crise et au vu d’éléments de l’époque, à l’entreprise Société Générale.</p>
<p>L’absence de sollicitation des enseignements de la recherche internationale en management mobilisés notamment par les experts du WIKISG(K) laisse toutefois planer un doute aujourd’hui quant à la volonté ou la capacité réelle de l’administration d’aller jusqu’au bout de cette possibilité : au risque, une fois encore, de laisser à jamais non instruite la question des complicités actives et/ou passives qui ont rendu les « pertes d’exploitation » dites « Kerviel » possibles.</p>
<p>Au risque de la répétition, c’est bien dès août 2007 en effet que la crise financière dite des <em>subprime</em> était connue des meilleurs chercheurs et à n’en pas douter des acteurs compétents de l’industrie financière. C’est à la lumière et dans le contexte de cette connaissance, dont ne pouvaient pas ne disposer les principaux dirigeants d’établissements bancaires du niveau de la Société Générale, que la gestion de l’incident d’exploitation dit « Kerviel » doit être analysée.</p>
<p>C’est ce qu’a rappelé, avec des attendus particulièrement sévères, la Cour d’appel de Versailles le 23 septembre 2016. C’est ce qu’éclaire avec force la recherche internationale en sciences du management, dont on s’étonne une fois encore que les autorités administratives, judiciaires et médiatiques françaises n’aient jamais cru nécessaire et indispensable de solliciter sur ces divers « scandales de mé-connaissance » dans une entreprise moderne d’une telle dimension.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/67523/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Trois chercheurs en management, animateurs du projet collaboratif WikiSG(K), étudient les conséquences fiscales de la requalification des pertes dites « Kerviel » en pertes « Société Générale »Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayAlain-Charles Martinet, Professeur émérite en Sciences de Gestion, Management stratégique, Université Jean-Moulin Lyon 3Michel Kalika, Professeur des universités en Sciences de Gestion, IAE Lyon, Université Jean-Moulin Lyon 3Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/669552016-10-23T21:04:43Z2016-10-23T21:04:43ZAffaire Kerviel : rien de plus pratique qu’une bonne théorie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/142703/original/image-20161021-1773-eob81j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Tours Société Générale à La Défense</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/o_0/8099152715/in/photolist-dkGgW4-cvFQUw-7W9BqX-cvFQLf-cvFPQ7-cvFPrQ-5KHqxH-cvFPAf-6vfCkR-cvFMg3-cvFPHC-cvFPfU-cvFM2N-cvFQ6G-5KMEwG-cvFQmf-dkGk9r-dkGjmE-cvFMnj-6vfCk6-6vfCo4-cvFNuj-5MhK79-cvFP41-cvFLQo-cAswZb-5yeKUE-ddZU5i-5a81fV-ddZVQx-cvFNos-p3hkhs-ddZSrH-dkGihT-cvFNUE-ddZUwQ-osrVyq-pTgQpS-cvFMQN-6vfCmK-cvFLEo-cvFPb5-pCZkxG-6vfCpa-cvFLUf-7WcVN9-oYDd84-daFmdL-9Rbe6s-6vfCpT">Guilhem Vellut / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Au théâtre, le rideau de fer tombe pour protéger le public au cas où la scène viendrait à prendre feu. À la Cour d’appel de Versailles, le rideau de fer est tombé sur l’affaire Kerviel lors de l’<a href="http://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/0211322382543-kerviel-va-devoir-payer-1-million-deuros-a-societe-generale-2029785.php">arrêt prononcé publiquement le 23 septembre 2016</a> à 13 heures 30, sur renvoi de cassation après appel d’un jugement du tribunal correctionnel de Paris du 5 octobre 2010 et cassation partielle d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 24 octobre 2012.</p>
<p>La pièce « affaire Kerviel » risquait en effet de prendre feu. Une exonération de tout dommage et intérêt ou bien une confirmation du montant demandé par la Cour d’appel de Paris aurait provoqué un incendie dans l’opinion publique, incendie allumé par des réactions outragées mais symétriques : impunité inadmissible d’un escroc/manipulateur contre absurdité du montant grotesque de dommages exigés par une banque arrogante et sans scrupule protégée par des juges complices.</p>
<h2>Un engrenage politiquement périlleux</h2>
<p>Dans une période préélectorale où l’opinion publique est chauffée à blanc contre le « système » et les « élites », dans une affaire judiciaire qui traîne en longueur (huit ans), il fallait trouver une sanction à la hauteur d’un cas devenu inextricable et explosif.</p>
<p>Le cas ? D’abord, une grande banque européenne condamnée à un blâme et à une sanction pécuniaire de quatre millions d’euros (sur un maximum de cinq millions) par la Commission bancaire et cela pour violation des articles du code monétaire et financier. Ensuite, un salarié condamné très lourdement au pénal (cinq ans de prison, dont deux avec sursis) mais reconnu par le Conseil des prud’hommes comme licencié sans cause réelle ni sérieuse par son employeur qui le reconnaît comme un salarié performant et lui octroie même une prime de 300 000 euros.</p>
<p>S’en suivent, une médiatisation de l’affaire et une course vers les plateaux de télé, une récupération politique faisant du <em>trader</em> une victime malgré lui de la finance, des parlementaires de gauche et de droite exigeant une commission d’enquête, un film grand public (<a href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=225647.html"><em>Outsider</em></a>) inspiré par le livre autobiographique du prévenu (<a href="http://www.babelio.com/livres/Kerviel-Lengrenage--memoires-dun-trader/180242"><em>L’engrenage</em></a>)…</p>
<p>Puis, un gouvernement reconnu comme laxiste en accordant les yeux fermés une réduction fiscale de plus de deux milliards sans s’être donné la peine de mener sa propre enquête quant au montant réel des pertes déclarées par la banque elle-même.</p>
<p>Enfin : des universitaires qui montent au filet pour dire que la recherche en gestion sert à quelque chose, que la recherche en plein air a sa place par rapport <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/agir-dans-un-monde-incertain-essai-sur-la-democratie-technique-yannick-barthe/9782020404327">à la recherche confinée</a>.</p>
<h2>Affaire classée ?</h2>
<p>Que faire ? Chercher une sortie acceptable en refermant le dossier et en proposant une somme à dimension « humaine ». La Cour a fait d’une pierre deux coups : elle verrouille toute demande d’évaluation de la perte par des experts indépendants et elle condamne Kerviel à payer la somme d’un million d’euros à la Société Générale et cela dans un délai de deux mois.</p>
<p>Un million d’euros, la somme semble énorme pour un citoyen mais le rabais est de taille rapportée au cinq milliards initialement demandés par la Cour d’appel de Paris !</p>
<p>Pourquoi ce rabais gigantesque ? Parce que la Cour « déclare Jérôme Kerviel partiellement responsable du préjudice causé à la Société Générale » <a href="http://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/0211322382543-kerviel-va-devoir-payer-1-million-deuros-a-societe-generale-2029785.php">(page 29)</a>. Lorsque le préjudice évalué du fait des initiatives de Kerviel représente 0,02 % de la somme du préjudice initialement retenu par la Cour d’appel de Paris, évoquer la responsabilité « partielle » du prévenu relève de l’humour froid.</p>
<h2>Un regard de sociologue des organisations</h2>
<p>Je voudrais revenir une dernière fois sur cette pièce avec un regard non pas de spécialiste de finances de marché avec son cortège de <em>put</em>, de <em>call</em> et de <em>spiel</em> mais de sociologue. Comme le faisait remarquer le psychosociologue <a href="https://www.amazon.com/Resolving-Social-Conflicts-Selected-Dynamics/dp/B000I8BYWC">Kurt Lewin</a> reconnu pour ses travaux sur la construction d’une norme de groupe, rien de plus pratique qu’une bonne théorie.</p>
<p>Que nous dit la théorie des organisations ? Que la performance d’une organisation se joue dans le rapport entre les hommes et les structures et que c’est la relation hommes/structures qu’il s’agit d’analyser et qu’isoler la responsabilité d’un homme en dehors de toute structure de travail conduit à une impasse pour forger un diagnostic solide.</p>
<p>Ce qu’il faut analyser précisément dans cette affaire, ce sont les latitudes décisionnelles ou les marges de manœuvre que le poste de travail du <em>trader</em> permet et le degré d’isolement du salarié au sein du collectif de travail. Ce sont ces deux variables indépendantes qui, croisées, expliquent le comportement d’un salarié dans une structure.</p>
<p>Vingt- neuf pages écrites d’une main ferme, saisissent très clairement le rapport homme/structure. Exemple page 27 :</p>
<blockquote>
<p>« ces manquements, en raison de leur nombre, de leur gravité, de leur répartition à tous les niveaux de l’activité trading, témoignent non pas de négligences ponctuelles, « dépassant la répétition de simples défaillances individuelles », comme l’a écrit la commission bancaire, mais de choix managériaux qui ont, comme le souligne encore la commission, « privilégié la prise de risque au profit de la rentabilité », et ouvert à un salarié mal intentionné comme Jérôme Kerviel un large champ d’action où il a pu développer ses agissements délictueux » <a href="http://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/0211322382543-kerviel-va-devoir-payer-1-million-deuros-a-societe-generale-2029785.php">page 27</a>.</p>
</blockquote>
<p>Une lecture attentive de ce paragraphe soulignant le poids des choix managériaux permet aussi de mieux s’interroger sur la qualification du salarié mal intentionné ; si le pourrissement d’une pomme peut se comprendre comme le fait de son contact quotidien avec le bois du tonneau, alors il s’agit de connaître la nature de ce bois.</p>
<h2>La norme, la tolérance et la ligne jaune</h2>
<p>Kerviel travaille dans une ambiance où la tolérance à franchir la ligne jaune est pratiquée comme norme de groupe, l’usage du flou pour définir ce qu’il fallait comprendre par risque résiduel était manié précisément par les membres du desk, en sociologie on parlerait de communauté délinquante.</p>
<p>La solidarité de groupe se forme dans la ruse quotidienne avec le système, c’est-à-dire avec ceux qui sont chargés de contrôler. L’ennemi c’est le système et il faut savoir jouer avec. Les responsables de la division « Global Equities and Derivates Solutions » et de l’équipe « Delta One Listed Products » surveillaient les membres de l’équipe dans un état d’esprit de prise de risque, les remontrances étaient verbales, les <a href="https://theconversation.com/les-silences-des-proces-kerviel-61514">rappels à l’ordre sans effet</a>.</p>
<p>Lorsque les résultats d’un seul trader représentent les deux tiers du résultat de l’équipe, la moindre des choses pour une hiérarchie est de se poser la question du pourquoi d’une telle performance individuelle plutôt surprenante.</p>
<p>Tous les rapports d’audit qui ont été commandités pour « y voir plus clair » (rapport interne dit rapport Green, <a href="https://theconversation.com/auditeurs-pourquoi-vos-solutions-dans-laffaire-kerviel-ne-fonctionneront-pas-65802">rapport PricewaterhouseCoopers</a>) soulignent enfin la faiblesse des systèmes de contrôle. Là encore la théorie dit que lorsque la variété du système contrôlant est inférieure au système contrôlé, il y a inversion du contrôle.</p>
<p>Le contrôlé contrôlait le contrôleur, un contrôleur débordé et rivé sur le bon suivi des procédures ou qui se contentait de savoir si les choses étaient conformes (compliance) sans se poser trop de questions sur des faits énormes : ainsi, passer 6000 contrats <em>futures</em> en l’espace de deux heures, soit un engagement de 1.2 milliard d’euros. Il faudra caractériser dans le détail ces indicateurs de pourrissement du tonneau pour mieux comprendre la défaillance des systèmes de contrôle qui renvoie en fait à une division voulue du travail entre le <em>middle office</em> et le <em>front office</em>.</p>
<p>Une banque comme organisation ne relève pas d’une Highly Reliable Organization (HRO) comme peut l’être une centrale nucléaire face à tous les risques possibles qui peuvent provoquer un accident. L’accident est la norme dans ces organisations de cette nature : rien de tel s’agissant d’une banque mais les systèmes de contrôle doivent tenir compte du fait que, comme le rappelle le représentant du ministère public :</p>
<blockquote>
<p>« les banques ne sont pas des entreprises comme les autres et sont soumises en raison de la sensibilité de leur activité dans l’économie à une législation stricte ». (<a href="http://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/0211322382543-kerviel-va-devoir-payer-1-million-deuros-a-societe-generale-2029785.php">page 14</a>)</p>
</blockquote>
<h2>La prise en compte tardive du fonctionnement réel</h2>
<p>Que tirer de cette affaire qui restera dans les annales comme un cas exemplaire quant au peu de place donnée au diagnostic organisationnel ? Jamais cette affaire qui a traîné en longueur et dont le coût serait intéressant à calculer n’aurait dû prendre cette ampleur si le jugement au pénal et au civil avait été rendu en intégrant le fonctionnement réel des organisations.</p>
<p>Sur le plan pénal, le salarié chasse la proie en meute et non pas pour son enrichissement personnel, qualifier d’abus de confiance des faits répétés pendant quatre ans disqualifie également la capacité de l’organisation à réagir. Le montant des dommages et intérêts exigés par la banque relevait aussi de l’absurde, la Cour d’appel de Versailles l’a ramené à un montant d’une prime annuelle pour trader hyper performant de <em>turbo-warrants</em> ou au prix d’un appartement de 60 mètres carrés dans l’Isle Saint Louis dans un immeuble du XVII<sup>e</sup> siècle (travaux à prévoir).</p>
<p>Symboliquement la Cour aurait d’ailleurs pu ramener le montant à la hauteur de la somme obtenue par le <a href="http://www.lesechos.fr/07/06/2016/lesechos.fr/0211006276143_le-conseil-de-prud-hommes-de-paris-donne-raison-a-jerome-kerviel.htm">salarié aux Prud’hommes</a>, ce qui aurait relevé d’un <em>beau geste</em> comme disent les Anglais qui ne manquent pas non plus d’humour.</p>
<h2>Au gouvernement de décider…</h2>
<p>La Cour d’appel de Versailles en réduisant de façon spectaculaire le montant du préjudice attribué aux seuls agissements de Jérôme Kerviel (qui demande la procédure en révision du volet pénal pour retrouver son honneur perdu) a ouvert une large fenêtre d’opportunité pour le gouvernement. Le gouvernement sautera-t-il pour autant ? Les conclusions sont en effet cinglantes :</p>
<blockquote>
<p>« Quelles que soient la ruse et la détermination de l’auteur des faits ou la sophistication des procédés employés un tel préjudice n’aurait pas pu être atteint sans le caractère lacunaire des systèmes de contrôle de la Société Générale qui ont généré un degré de vulnérabilité élevé. »</p>
</blockquote>
<p>Le gouvernement peut se ressaisir et <a href="http://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/0211404933300-lexecutif-redouble-de-prudence-devant-lepineux-dossier-fiscal-de-la-societe-generale-2036106.php">reconsidérer la réduction</a> fiscale (deux milliards deux cents millions) qu’il a trop vite accordée à la banque sans se donner les moyens de procéder à sa propre expertise par le biais de son administration fiscale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/66955/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Saussois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une analyse à froid du cas Kerviel, de l’engrenage et des faux semblants, avec le regard d’un sociologue.Jean-Michel Saussois, Professeur émérite HDR en sociologie, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/667322016-10-09T18:36:04Z2016-10-09T18:36:04ZLate (academic) registration<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/140953/original/image-20161007-21421-1r0zhhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C112%2C500%2C320&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Kanye West, « Late Registration ».</span> </figcaption></figure><p><em>Late registration</em>. Un sublime album. Avec, entre autres, le fameux « Diamonds from Sierra Leone ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/92FCRmggNqQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>C’est ce titre qui, dans sa version remixée, a inspiré à Jay-Z l’une de ses plus célèbres <em>punch lines</em> : « I’m not a businessman, I’m a business, man ». Allez, je craque, et je reproduis les « lyrics » :</p>
<blockquote>
<p>The chain remains, the game is intact<br>
The name is mine, I’ll take blame for that<br>
The pressure’s on, but guess who ain’t gon’ crack ?<br>
Pardon me I had to laugh at that<br>
How could you falter when you’re the rock of Gibraltar<br>
I had to get of the boat so I could walk on water<br>
This ain’t no tall order, this is nothin’ to me<br>
Difficult takes a day, impossible takes a week<br>
I do this in my sleep<br>
I sold kilos of coke, I’m guessin’ I can sell CDs<br>
I’m not a businessman, I’m a business, man<br>
Let me handle my business, damn !</p>
</blockquote>
<p>Et remerciements, donc, à mes collègues du <a href="http://www.ritm.u-psud.fr">RITM</a>, laboratoire de recherche en économie et gestion de l’Université Paris Sud, pour cette séance du séminaire mensuel du laboratoire le 06 octobre 2016 sur le thème : « Faire de la recherche au XXI<sup>e</sup> siècle : quels enseignements du « cas » Société Générale contre Jérôme Kerviel ? ».</p>
<p>Désolé pour la piètre qualité de l’enregistrement : réalisation artisanale oblige. Quant à l’article publié dans <em>The Conversation France</em> évoqué dans la vidéo et signé de Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, il est à retrouver <a href="https://theconversation.com/remuneration-des-dirigeants-comprendre-ce-que-diriger-veut-dire-65636">ici</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BQOZ_Vi9lPI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Je vous laisse maintenant imaginer ma surprise quand j’ai découvert le soir même – après ce petit exercice dans mon labo – que Jérôme Kerviel était l’invité mystère de l’émission politique de France 2 et qu’il était donc choisi pour interroger Alain Juppé. J’ai alors espéré la « question qui tue », comme dans une émission d’Ardisson : « Monsieur le candidat, vous donneriez, vous, les <a href="https://theconversation.com/les-certitudes-dun-ete-2016-michel-legrand-frites-et-autres-the-get-down-64348">100 millions</a> (sur 2200 millions, ça ne fait pas si lourd…) qui sont actuellement réclamés au nom de l’indépendance de la recherche en management ? ». Comme une sorte de « temps mort 2.0 » de la vieille ploutocratie aristocratique à la française…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gXoHiYDOrIE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Bon, cette question, posée sur la télévision publique, à heure de grande audience, j’en rêve encore… Seule certitude donc à ce stade : ce ne sont pas les journalistes rageux et baby-épistémologues qui se sont déchaînés sur Twitter jeudi soir contre la présence de Jérôme Kerviel à l’écran face à Alain Juppé qui risquent, un jour, de l’imaginer. Jugez plutôt.</p>
<p></p>
<p>Quant à la réaction d’Alain Juppé aux questions qui lui ont été posées (puisqu’il ne fallait pas compter sur lui pour répondre aux questions qu’on ne lui posait pas, malin le bougre !), la voici.</p>
<p></p>
<p>France 2 se fait aujourd’hui <a href="http://www.huffingtonpost.fr/2016/10/06/l-emission-politique-france-2-critiquee-kerviel-menard-juppe/">étrillée</a> en raison de cette présence de Jérôme Kerviel sur le plateau de <em>L’émission politique</em>. Moi, biberonné à Bachelard et élevé par Foucault, Deleuze et quelques autres, j’ai trouvé ça plutôt malin, très malin même.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/am6TghIrYEc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Puisque, pour qui en aurait douté, Alain Juppé a d’abord démontré qu’il avait un bon siècle… de retard… pour être à la hauteur de la fonction suprême. Alors à un agrégé de lettres classiques on ne se permettra qu’un conseil, inspiré de Michel Foucault et précisément d’un siècle d’avance de recherche en management : en politique comme ailleurs, il ne suffit pas de vouloir ; pour pouvoir il vaut mieux savoir.</p>
<p></p>
<p>Conclusion à l’attention de nos candidats aux primaires : pour une vraie formation au numérique, ne cherchez pas des <a href="http://www.gouvernement.fr/argumentaire/la-grande-ecole-du-numerique-consolidee-par-un-partenariat-public-prive">labels</a> sponsorisés par des débutants. Ouvrez plutôt la dernière livraison du <em>French academic game</em> : <a href="http://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2016-5.htm">« La foule, objet de gestion, projet de société ou idéologie ? »</a> (Revue <em>Française de Gestion</em>, Iss. 258, 2016/5).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/6IVOadtYeWQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Et puis relisez les numéros précédents. Remontez jusqu’en <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2002-5.htm">2002</a>, au moins. Vous allez voir que vous allez apprendre des trucs. Beaucoup de trucs.</p>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/66732/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Jean-Philippe Denis coordonne avec les Pr. Michel Kalika et Alain-Charles Martinet le WikiSG(K), projet de recherche collaboratif en management consacré au "cas" Société Générale contre Jérôme Kerviel.</span></em></p>Jérôme Kerviel face à Alain Juppé, ce qui s’est dit et ce qui aurait pu se dire.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/660202016-09-26T04:33:54Z2016-09-26T04:33:54Z« Proposition indécente » de la cour d’appel de Versailles<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/139073/original/image-20160924-29909-1tpgzzo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C120%2C807%2C567&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_Proposition indécente_.</span> </figcaption></figure><p><strong>23 septembre 2016 – 09:00</strong></p>
<p>Je suis sur le point d’arriver à mon université, Faculté Jean Monnet, 54 boulevard Desgranges, à Sceaux. Et là, le doute : et si j’avais oublié mon portefeuille, et donc mon badge ?</p>
<p>J’arrive devant la barrière, je sonne. Sympa, le PC sécurité m’ouvre après m’avoir demandé qui j’étais. La barrière est ouverte. J’avance tout en jetant un coup d’œil dans ma sacoche. Mon portefeuille était là, avec mon badge à l’intérieur. J’avais juste oublié que je l’avais glissé dans la poche intérieure avant.</p>
<p><strong>23 septembre 2016 – 09:20</strong></p>
<p>J’ai récupéré mon vidéo-projecteur, je monte tranquillement les escaliers. Je tiens mon café à la main. Il fait beau. Je rentre dans la salle 205. Quelques-uns des étudiants du Master 2 Stratégie Ingénierie Financière sont déjà installés pour le cours qui débute à 09:30.</p>
<p><strong>23 septembre 2016 – 09:30</strong></p>
<p>Le vidéo-projecteur est installé. La petite enceinte aussi, qui permet de diffuser avec une sono suffisante. Quelques étudiants arrivent en retard. Je les laisse prendre place.</p>
<p><strong>23 septembre 2016 – 09:35</strong></p>
<p>Je rappelle les règles du jeu. Le cours se tiendra donc le matin ici jusqu’à 11:30 – 11:45. Puis je les libérerai pour qu’ils puissent se rendre, comme annoncé la semaine précédente, à Versailles.</p>
<p>Je leur donne les indications : RER C Versailles Rive Gauche ou Gare Versailles Rive Droite, au choix. Une fois arrivé, ils doivent se rendre à la cour d’Appel, au 5 de la rue Carnot.</p>
<p>Je leur rappelle que c’est quand même un truc dingue quand on vient suivre un cours d’« organisation et contrôle de gestion des groupes » d’avoir la chance de pouvoir vivre ainsi un moment historique : une décision de justice sur l’une des plus grandes affaires organisationnelles du siècle sera rendue à 14 h.</p>
<p><strong>23 septembre 09:40</strong></p>
<p>Après la séance précédente consacrée à présenter les principes et ce que je crois être les problématiques fondamentales autour du sujet du cours, j’ai décidé de ne travailler ce matin-là qu’à partir de vidéos.</p>
<p>On commence donc le cours. Avec une première vidéo où je diffuse l’entretien de Christian Eckert, lequel expliquait donc le matin même que l’État saurait tirer toutes les conséquences du jugement à venir. Je leur dis que c’est pour les mettre dans le bain de l’enjeu. Histoire de s’échauffer.</p>
<p></p>
<p>Quand je pose la question de savoir combien d’étudiants ont un compte twitter, je suis surpris : deux, trois mains se lèvent, pas plus. Quand je demande qui avait vu cette vidéo de Christian Eckert ou entendu son interview à la radio, personne ne réagit. Visiblement, aucun des étudiants en face de moi n’avait donc vu passer cette « information ». Je leur dis donc que s’ils veulent un jour faire du contrôle de gestion, il faut qu’ils apprennent à « décider leur information » comme dirait <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Louis_Le_Moigne">Jean-Louis Le Moigne</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/139076/original/image-20160924-29921-1n3nnqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/139076/original/image-20160924-29921-1n3nnqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=919&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/139076/original/image-20160924-29921-1n3nnqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=919&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/139076/original/image-20160924-29921-1n3nnqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=919&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/139076/original/image-20160924-29921-1n3nnqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1155&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/139076/original/image-20160924-29921-1n3nnqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1155&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/139076/original/image-20160924-29921-1n3nnqh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1155&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p>J’ajoute que c’est même là le « problème » fondamental du contrôle de gestion : cette <strong>information</strong>, qui jamais ne tombe du ciel, qui toujours est à décider donc à construire. Que dans ces conditions, je ne vois pas comment ils pourraient espérer un jour faire du contrôle de gestion sans avoir un compte Twitter, se familiariser avec l’outil, apprendre à coder.</p>
<p>A cet instant précis, je me souviens de cette excellente formule de Fleur Pellerin : « S’ils ne codent pas, ils seront codés ».</p>
<p>Le débat s’engage, un peu.</p>
<p><strong>23 septembre 09:50</strong></p>
<p>La semaine précédente nous avions débattu du rôle de la propriété dans la théorie économique. Nous avions discuté de ce marché, où la « libre confrontation entre offre et demande de droits de propriété sur des ressources rares » permet de faire émerger, comme par magie, ce mécanisme de coordination : le prix. Pour concrétiser j’étais parti, comme à mon habitude, de <em>Proposition indécente</em>, avec Demi Moore.</p>
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<p>Sublime support pour faire comprendre que le million de dollars dont il est question dans le film, ce n’est pas pour prouver que l’argent peut tout acheter et que dans le cas d’espèce, la <strong>valeur</strong> d’un « coup » serait d’un million d’euros. Non, ce dont il est question c’est d’un échange marchand entre un homme titulaire de droits de propriété sur la nuit qu’il passe avec sa femme, au motif qu’ils sont mariés. Et que le million d’euros dont il est question constitue le dédommagement proposé au couple, pour que le mari accepte de céder sa place. Et je rappelle qu’à ce stade, rien ne dit que si le mari acceptait le million de dollars que Robert Redford est prêt à sacrifier, pour autant cela ne lui donnerait un quelconque droit d’usage… automatique : ne serait-ce que parce qu’il pourrait immédiatement décider plutôt que de la consommer, de revendre ladite nuit, sur eBay ou ailleurs. Aux enchères, qui sait s’il n’encaisserait pas un profit substantiel…</p>
<p>J’avais insisté sur cette hypothèse fondatrice pour le contrôle de gestion : puisque « l’organisation » commence précisément là où le « marché » s’arrête, le contrôle est cet ensemble de</p>
<blockquote>
<p>« processus et procédures fondés sur l’information que les managers utilisent pour s’assurer que les ressources sont utilisées de manière efficace et efficiente dans l’accomplissement des objectifs de l’organisation » (Anthony R., « The Management Control Function », 1965).</p>
</blockquote>
<p>Mon objectif : insister sur la dimension viscéralement « artificielle » du contrôle de gestion, en lieu et place de ce mécanisme « naturel », « spontané », qu’est le marché, pour veiller à un usage optimal des ressources rares.</p>
<p>En m’appuyant sur les vidéos magistrales de Romain Laufer, j’avais pu, je crois, mieux faire passer les concepts sur ces sujets un peu complexes. Cette semaine, je décide de leur montrer une vidéo de Jean-Michel Saussois.</p>
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<p>Je sens bien que pour les étudiants, ça va un peu vite. Une fois les vidéos diffusées, je les invite donc à aller les visionner à nouveau. Qu’il n’y a pas d’urgence : rentrer dans des sujets compliqués suppose un effort, un coût d’entrée. Sinon ce serait trop facile.</p>
<p>Puis je leur lâche une info déterminante qui me donne une garantie qu’ils iront à nouveau visionner : Jean-Michel Saussois sera présent, lui aussi, l’après-midi, à Versailles. Je les invite donc à aller le voir, à discuter avec lui, à l’interroger sur son ressenti une fois que la décision de la cour d’appel sera rendue. Je sens un effet de surprise croissant, mais aussi une stimulation de plus en plus vive chez les étudiants.</p>
<p><strong>23 septembre 10:45</strong></p>
<p>J’indique aux étudiants ce que sera leur sujet d’examen : ils devront me raconter leur journée du 23 septembre. Avec des photos, des vidéos, tout ce qu’ils veulent. Contrainte : évidemment, me parler de contrôle de gestion, d’organisation, sur le thème : « le 23 septembre, l’affaire Société Générale/Jérôme Kerviel et moi ». Du coup, je leur diffuse le trailer de <em>L’Outsider</em>.</p>
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<p>Je veux leur diffuser aussi autre chose, mais l’idée s’envole. Impossible de me souvenir. Du coup, comme ils doivent en quelque sorte réaliser leur propre « road movie » avec ce sujet d’examen, je leur passe mon documentaire préféré : <em>Un Prophète : succès sans préméditation</em>. Pourquoi je leur diffuse ? « Parce qu’une prison c’est aussi une organisation… » me répond un étudiant. Bingo !</p>
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<p>Pendant la diffusion me revient l’extrait que je voulais leur passer : il s’agissait de la scène de <em>Retour vers le futur</em> où l’essentiel se passe. La foudre tombe bien à l’heure dite sur le clocher de l’église. Marty Mc Fly est repropulsé dans le futur par le génie du Doc, juste parce qu’il avait une information essentielle qui allait lui permettre de disposer de la quantité incroyable d’énergie nécessaire pour ne pas rester bloqué en 1955.</p>
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<p>J’ai conclu le cours vers 11:30. En leur disant que la foudre tomberait à la cour d’appel de Versailles aujourd’hui. Puisque 4 915 610 154 euros allaient disparaître.</p>
<p>Heureux d’être ainsi libérés, stimulés à l’idée de faire quelque chose qui visiblement sortait de l’ordinaire, les étudiants ont tranquillement quitté la salle. Je les entendais s’organiser pour les trajets jusqu’à Versailles, pendant que je rangeais mon matériel pédagogique : vidéo-projecteur-tablette-enceinte.</p>
<p><strong>23 septembre – 11:45.</strong></p>
<p>Tout est sous contrôle, le matériel est rendu à l’accueil. Je discute des affaires courantes avec un enseignant, on tranche vite un point ou deux sur des questions d’organisation.</p>
<p>Je quitte l’université.</p>
<p><strong>23 septembre – 12:15.</strong></p>
<p>C’est à peu près l’heure à laquelle j’arrive à Versailles. Je m’engage depuis l’avenue de Saint-Cloud sur la rue Carnot. Je reconnais immédiatement Davi Koubbi et Jérôme Kerviel. Je leur fais signe de la voiture. On se claque une bise et on se coordonne : ils filent chercher un sandwich, ils m’invitent à les retrouver. Après quelques péripéties pour trouver une place où me garer, je les rejoins tranquillement au bistrot des halles, place du marché Notre Dame. Il doit être autour de 12:40 quand j’arrive.</p>
<p>Ca discute, ça parle, la tension est palpable :</p>
<blockquote>
<p>« Comment tu le sens ? », me demande-t-on.<br>
« Très bien. Parce que je ne peux pas imaginer autre chose… »<br>
« OK ».</p>
</blockquote>
<p>D’un coup ça s’accélère. C’est l’heure. Le petit groupe compact s’élance. Ça marche vite, dans la rue. Toujours une expérience étonnante de se promener avec une caméra à côté de soi, un micro au-dessus de la tête. Avec le temps, je ne me suis toujours pas habitué à ce sentiment que l’on est forcément à un moment où il se passe quelque chose de très grave. J’imagine un instant le cauchemar que cela doit être, tous les jours, de vivre comme ça.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"779275349339275264"}"></div></p>
<p>On arrive à la cour d’appel. C’est toujours beaucoup plus simple de rentrer quand vous êtes avec ceux qui jouent les premiers rôles. On avance dans la cour. Plus on avance, plus il y a de caméras et de micros. Par téléphone, je pilote Jean-Michel Saussois en l’invitant à presser le pas. Je suis dehors, je discute avec les uns et les autres. On attend.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"779278003780083712"}"></div></p>
<p>Quelle n’est pas ma surprise de constater que les étudiants sont déjà dans la salle quand je rentre, et Jean-Michel Saussois est lui aussi déjà installé. Je salue tout le monde, je briefe le « sociologue au travail ». Je suis réellement heureux aujourd’hui d’avoir un collègue avec lequel échanger sur nos questions d’ordinaire si virtuelles, et qui d’un coup deviennent si réelles. Il suffisait d’y penser à cette idée : oui, tout le monde peut venir au tribunal, oui n’importe qui peut venir assister. Il suffit de fait de s’offrir la liberté d’y penser.</p>
<p>« Dernière photo avant orage », puisque la foudre s’apprête à tomber.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"779279016100564992"}"></div></p>
<p><strong>23 septembre – 13:30</strong></p>
<p>La décision tombe. En deux temps. La cour se retire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"779286626770059266"}"></div></p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"779286626765795328"}"></div></p>
<p>Tout s’accélère. Les équipes préparent les interviews à venir. Du véritable travail en contexte extrême pour filer le <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion.htm">dernier numéro</a> publié de la <em>Revue Française de Gestion</em>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/139075/original/image-20160924-29897-1bew2dj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/139075/original/image-20160924-29897-1bew2dj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=941&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/139075/original/image-20160924-29897-1bew2dj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=941&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/139075/original/image-20160924-29897-1bew2dj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=941&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/139075/original/image-20160924-29897-1bew2dj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1183&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/139075/original/image-20160924-29897-1bew2dj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1183&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/139075/original/image-20160924-29897-1bew2dj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1183&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">RFG L.</span>
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<p>Quelques minutes plus tard se succèdent devant les caméras Jean Veil puis David Koubbi et Jérôme Kerviel. Les images tourneront ensuite en boucle, 24/24, sur les chaînes infos.</p>
<p>Les mots dans ce genre de moments ont une valeur. Et dans le cas d’espèce, ils doivent rendre compte de la disparition de 4 815 610 154 euros. Une broutille. Ils méritent d’être pesés.</p>
<p>L’évidence est là : c’est une immense victoire pour Jérôme Kerviel. Je laisse mes étudiants entourer Jean-Michel Saussois, le harceler de questions. Puis nous filons.</p>
<p>L’après-midi sera consacrée à débattre notamment de cette phrase, terrible de conséquences potentielles pour l’équipe de direction de la Société Générale :</p>
<blockquote>
<p>« Dans cette mesure, la réparation du préjudice subi par la Société Générale ne sera mise à la charge de Jérôme Kerviel qu’à concurrence de 1 000 000 euros, le solde du préjudice étant laissé à la charge de la partie civile ».</p>
</blockquote>
<p><strong>23 septembre – 16:00</strong></p>
<p>Contacté par <a href="http://www.challenges.fr/challenges-soir/affaire-kerviel-societe-generale-la-justice-ressemble-a-qui-veut-gagner-des-millions_428299">Challenges</a>, je livre mon sentiment à chaud, en mode <em>free style</em>. J’essaye de rassembler mes idées. Je suis surtout, une fois encore très agacé.</p>
<p>Je salue Jean-Michel Saussois en espérant qu’il fera de cette journée un beau compte-rendu pour le WikiSG(K) à paraître dans <em>The Conversation France</em>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"779310600027508736"}"></div></p>
<p>Enfin, je passe la soirée, tel un Michel Houellebecq au pire de sa forme un jour d’attentat, hébété devant les chaînes d’information continue.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"779584965478580224"}"></div></p>
<p><strong>Samedi 24 septembre.</strong></p>
<p>Avec le recul d’une journée, le jugement est accablant pour la hiérarchie de la Société Générale comme cela a été dit partout, n’en déplaise aux conseils rémunérés par l’équipe de direction de la banque pour porter la parole inverse.</p>
<p>Passée l’excitation du moment, très vite l’idée fait son chemin : aucun élément nouveau au regard de l’appel de 2012 n’a été présenté durant les trois jours d’audience de juin 2016, comment alors sur une même base d’instruction, des dommages et intérêts peuvent-ils être ramenés de 5 milliards à un million d’euros ?</p>
<p>Le droit serait-il donc cet étrange univers où, sur la base d’un même matériau, par la magie d’une tape sur les doigts de la Cour de cassation, un misérable, Jérôme Kerviel, peut devenir puissant ? La Fontaine avait-il donc à ce point raison ?</p>
<p>J’en étais là quand je me suis rappelé que le débat hystérique sur la situation fiscale de la Société Générale faisait perdre de vue l’essentiel : la seule pièce nouvelle qui a fait débat en juin 2016 – les <a href="http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/banque/proces-kerviel-l-enregistrement-inquietant-pour-la-societe-generale-a-bien-ete-diffuse-579864.html">enregistrements de Chantal de Leiris</a> – n’a reçu qu’une fin de non-recevoir de la cour.</p>
<p>Ces « éléments » justifiaient pourtant la demande d’expertise formulée par les conseils de Jérôme Kerviel ; et cette expertise (indépendante) des pertes déclarées par les équipes de la Société Générale a été une fois de plus refusée. Sans une explication. Étonnant. Vraiment étonnant. Mais il est vrai que la Cour de cassation n’avait rien dit sur ce point. Et qu’il n’est pas dans la tradition de la magistrature, paraît-il, d’aller au-delà du mandat quand il est confié par une autorité supérieure.</p>
<p>Sans une queue d’informations nouvelles, sans un début de tête d’explications sur le montant final, voici donc la jurisprudence nouvelle à débattre avec mes étudiants lors de la prochaine séance : celle du « million d’euros symbolique » que doit payer un individu quand la faillite de la stratégie et des systèmes de contrôle de l’organisation dont il est salarié conduit à plusieurs milliards de pertes.</p>
<p>On peut la comprendre comme suit : la prison, c’est derrière vous ; le million, vous trouverez bien un moyen de le régler (après tout, vous avez déjà gagné plus de 400 000 euros aux prud’hommes). Et puis vous avez vos droits d’auteur… Bref, vous réglez la note de votre idylle qui a mal tourné avec la SG et l’affaire est close !</p>
<p>Reconnaissons-le, ce n’est pas bête. Surtout si, pour Bercy désormais parti à la chasse aux milliards, c’est l’occasion de casser le lien quasi fusionnel qui unit Jérôme Kerviel avec une opinion publique avide que des banquiers soient enfin poursuivis… et condamnés. Comme pour mieux lui proposer, en lieu et place, une nuit d’étreinte fiscale passionnée à l’occasion des présidentielles.</p>
<p>Pour ma part, la citation sur laquelle je ferai plancher les étudiants lors du prochain cours est toute trouvée. Elle est tirée d’un papier mémorable de Michael C. Jensen (<a href="https://theconversation.com/vivendi-socgen-ubs-volkswagen-des-dirigeants-hero-nomanes-48765">encore lui</a> !) de la Harvard Business School. Dans un article publié en… 1993.</p>
<blockquote>
<p>« For those with a normative bent, making the internal control systems of corporations work is the major challenge facing economists and management scholars in the 1990s. […] Without accurate positive theories of cause and effect relationships, normative propositions and decisions based on them will be wrong. […] To be successful we must continue to broaden our thinking to new topics and to learn and develop new analytical tools. This research effort is a very profitable venture. I commend it to you ». (Jensen M.C., <a href="https://fdp.hse.ru/data/084/482/1225/Sept%2016%20The%20Modern%20Industrial%20Revolution..ure%20of%20Internal%20Control%20Systems.pdf">« The Modern Industrial Revolution, Exit, and the Failure of Internal Control Systems »</a>, The Journal of Finance, Vol. 48, No. 3, p. 873)</p>
</blockquote>
<p>Quand on mesure le peu de progrès réalisé depuis plus de vingt ans par les professionnels de la pratique, on se dit qu’il serait vraiment idiot de ne pas continuer en toute indépendance l’expertise que la justice se refuse à faire, et ceci quelle que soit la décision à venir de Jérôme Kerviel (pourvoi en cassation ou non).</p>
<p>Puisque lorsque le service public – parfois un peu privé ? – de la justice faillit à ses missions, il est légitime que l’autorité scientifique dans le domaine du management s’autosaisisse ; et qu’elle prenne le relais, pour mieux restaurer aussi son honneur égaré à l’autorité judiciaire.</p>
<p>On continue donc. En s’essayant à formuler des hypothèses, à envisager des noms pour allouer les responsabilités sur les 99,9998 % de ces milliards qui se promènent dans la nature. Et puis en renouvelant la façon de faire cours et de former les étudiants, suivant aussi en cela l’invitation du professeur M.C. Jensen, parce qu’on est las, comme lui, des scandales stratégiques, organisationnels et in fine financiers à répétition.</p>
<blockquote>
<p>« In conclusion, we have a long way to go to understand the agency costs of overvalued equity – and to understand not only the theory but the evidence. Today I have given you a broad overview of the issues. It is up to every one of us to recognise these dangers, and to change the way we teach our students the meaning of value maximisation. It does not mean maximising the price of the stock. Value creation, and the way we teach it in the future, is going to become much more subtle and sophisticated than it has been in the past ». (Jensen M.C., <a href="http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=560961">« The Agency Cost of Overvalued Equity and the Current State of Corporate Finance »</a>, European Financial Management, Vol. 10, No. 4, p. 564)</p>
</blockquote>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/139077/original/image-20160924-29882-1vx88g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/139077/original/image-20160924-29882-1vx88g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/139077/original/image-20160924-29882-1vx88g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/139077/original/image-20160924-29882-1vx88g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/139077/original/image-20160924-29882-1vx88g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/139077/original/image-20160924-29882-1vx88g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/139077/original/image-20160924-29882-1vx88g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p>Au fil des avancées de l’enquête se révèlent des nouveautés. Et comme, huit ans après, on ne préjuge plus de rien, on rêve d’une confrontation sérieuse entre les <a href="https://theconversation.com/si-kerviel-j-est-innocent-alors-qui-est-le-coupable-49308">« usual suspects »</a> de l’affaire Société Générale dans le bureau du juge Le <a href="http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/05/18/l-affaire-kerviel-pourrait-etre-relancee-par-le-temoignage-d-une-commandante-de-police_4635286_1653578.html">Loire</a> dans le cadre des plaintes déposées par Jérôme Kerviel.</p>
<p>On notera d’ailleurs que, comme pour réenchanter un jeu de pistes toujours plus passionnant, <a href="http://www.latribune.fr/journal/edition-du-1406/enquete/434278/l-unique-rescape-de-l-affaire-kerviel.html">« l’unique rescapé de l’affaire (dite) Kerviel »</a> permet de compléter l’affiche : on tient les cinq, l’enquête avance bien !</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"779409400092065792"}"></div></p>
<p>Quant à la « proposition indécente » de la cour d’appel de Versailles, elle est un peu « lourde » : les dirigeants de Société Générale ne sauraient, à l’évidence, prétendre avoir l’attrait d’une Demi Moore ; et Jérôme Kerviel, lui, le portefeuille d’un Robert Redford.</p>
<p><strong>25 septembre – 10:45</strong></p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"779933281521467392"}"></div></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/66020/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Jean-Philippe Denis coordonne avec les Pr. Michel Kalika Alain-Charles Martinet le WIKISG(K), projet collaboratif de recherche en management sur le cas "Société Générale / Jérôme Kerviel" </span></em></p>Retour sur la décision de la Cour d’appel de Versailles dans l’affaire Société Générale. Sans éléments nouveaux, la cour a réduit de 99,98 % l’amende de Jérôme Kerviel. Analyse.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/658022016-09-23T04:43:36Z2016-09-23T04:43:36ZAuditeurs, pourquoi vos solutions dans l’affaire Kerviel ne fonctionneront pas<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/138786/original/image-20160922-22527-grg6k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le PWC Building, 41st et Madison, New York. Et ce qui s'y reflète.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mmorgan8186/3814168654/in/photolist-6P3Bsw-dRE9eu-wJnMJR-eW7kpo-J8kCX-7VdrD-5j3ycm-rpaurS-7VdrE-oMgCdw-qThVbJ-5iYfLH-rvXVvv-rxGPRo-p7H3XT-2h4YX-nxgJhf-rQaXUS-qThV4Q-rvXVnp-dS77bB-buYiFD-o5jAEn-qnuXaN-pdPpdE-u3Wnh3-qFJ6Pe-s6jrLV-GaQPwr-dwb1Aw-qjAAhL-qjAAfb-qmPesC-wbLHsR-p5mtgU-buYiXT-pbj5bb-GaHJku-GWU8Zb-GWUawj-GWUad3-xFzjVE-cWLg2d-cWLgC9-rw7ZpM-qdrJPf-dRyAap-sYiuXB-pyu8zJ-q61EDb">Mark Morgan/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Chers auditeurs,</p>
<p>Face à la complexité de l’affaire Kerviel, je viens vous interroger puisque vous y êtes intervenus.</p>
<p>Auparavant, rappelons quelques faits déjà anciens : la Société Générale « découvre » en janvier 2008 des positions non autorisées prises par un de ses traders, Jérôme Kerviel. Cela se manifeste par un gain apparemment rendu invisible de 1,471 milliards d’euros au titre de l’année 2007. Des positions conséquentes, là encore non détectées, ont été créées en janvier 2008. Elles seront « débouclées » et matérialiseront une perte de près de 5 milliards, une fois déduits les gains de 2007.</p>
<h2>Qui savait quoi ?</h2>
<p>À partir de ce moment-là, commence un grand feuilleton judiciaire… qui n’est pas terminé : la banque cherche à mettre en avant qu’elle a été abusée et trompée, et le trader se défend en expliquant que ses agissements étaient connus.</p>
<p>Quelques éléments plus précis sont à souligner.</p>
<p>Le <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/l-enquete/l-enquete-01-juillet-2016">14 mai</a>, un document de travail interne au parquet met l’accent sur la nécessité d’une enquête sur la ristourne fiscale de plus de 2 milliards dont bénéficie la Société Générale au titre du traitement de la perte de 2008. Elle serait remise en cause en cas de mise en évidence d’insuffisance des services du contrôle.</p>
<p>Au même moment ou presque, la banque nous offre SA vision des agissements de Jérôme Kerviel par le biais de la <a href="https://www.societegenerale.com/sites/default/files/documents/green.pdf">mission Green</a>, rédigée par l’Inspection générale de la Société Générale. Ce service théoriquement redouté de <a href="http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/affaire-kerviel-la-societe-generale-que-j-ai-connue_1121937.html">la banque</a>… aurait dû, vues les compétences et attributions qui lui sont reconnues, découvrir tout fraudeur (et donc Kerviel) au premier faux pas. Le trader aurait donc trompé même les <a href="http://www.lesechos.fr/01/02/2008/LesEchos/20101-092-ECH_societe-generale---la-grande-hypocrisie-du-controle-interne.htm">plus aguerris</a>… (Cependant, la Commission bancaire a infligé une amende de 4 millions d’euros et un blâme à la banque pour « des carences graves du système de contrôle interne »).</p>
<h2>Le rapport du cabinet PWC</h2>
<p>Sur la base de ce document, discutable donc, le cabinet d’audit PWC établit des préconisations publiées le <a href="http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/0/32/13/25/Presse/SocGen_rapport_partie_2.pdf">23 mai 2008</a>.
Il fait une sorte de vérification accompagnée d’un plan de remédiation, et de transformation. Nous trouvons d’abord dans ce rapport un diagnostic des causes, fait de hausse d’activité et de moyens insuffisants, d’environnement devenu plus complexe et de procédures inadaptées. Du classique.</p>
<p>Le document commence toutefois par la phrase suivante : « pour faire suite à la fraude dont a été victime la Société Générale ». Le décor est planté, la banque est victime.</p>
<p>Il est particulièrement intéressant de noter page 7 :</p>
<blockquote>
<p>« les activités du front office se sont développées à partir d’une culture entrepreneuriale forte, basée sur la confiance ».</p>
</blockquote>
<p>On peut avoir deux lectures de cette phrase.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/138782/original/image-20160922-22502-9ayhx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/138782/original/image-20160922-22502-9ayhx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/138782/original/image-20160922-22502-9ayhx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/138782/original/image-20160922-22502-9ayhx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/138782/original/image-20160922-22502-9ayhx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/138782/original/image-20160922-22502-9ayhx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/138782/original/image-20160922-22502-9ayhx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/138782/original/image-20160922-22502-9ayhx9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">« Topaze », Louis Jouvet.</span>
</figcaption>
</figure>
<ul>
<li><p>celle tirée de <em>Topaze</em> : « employons des mots innocents, ça nous fera la bouche fraîche » car à aucun moment, ni la « confiance », ni « la culture entrepreneuriale » ne ressortent dans les débats judiciaires. Ne restent alors que de beaux principes qui sont affichés…</p></li>
<li><p>soit une vision plus sociologique qui s’attacherait dans des organisations régies par les ratios, le reporting, les contrôles et les contrats à s’intéresser à ces critères de « confiance » et de « culture » par définition non quantifiables. Ceci nous amène à considérer la place de ces éléments – des conventions – dans les organisations contemporaines.</p></li>
</ul>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/138785/original/image-20160922-22521-18cryc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/138785/original/image-20160922-22521-18cryc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/138785/original/image-20160922-22521-18cryc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=825&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/138785/original/image-20160922-22521-18cryc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=825&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/138785/original/image-20160922-22521-18cryc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=825&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/138785/original/image-20160922-22521-18cryc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1037&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/138785/original/image-20160922-22521-18cryc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1037&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/138785/original/image-20160922-22521-18cryc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1037&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Ferdinand Tonnies.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipedia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les communautés et les conventions</h2>
<p>Permettez-moi de développer cette notion a priori désuète qui fut pourtant une des premières étudiées par les pères de la sociologie. On doit à <a href="https://sociologie.revues.org/1820">Tönnies</a> l’opposition entre la convention (comportements partagés, intériorisés) et le contrat, chacun ayant sa forme organisationnelle, communauté (Gemeinschaft) et société (Gesellshaft). Parler de « communauté » peut faire sourire certains qui l’associent à des organisations de la fin des années 60, d’autres penseront aux « communautés de pratiques », en vogue plus récemment.</p>
<p>Elle est particulièrement incarnée par des organisations silencieuses guère étudiées, les ordres religieux. N’oubliez pas, chers auditeurs, que ces organisations ont été des pionniers de la gouvernance et du contrôle : l’abbaye de Cluny comptait au Moyen Âge jusqu’à de 10 000 moines, et 1 200 abbayes dans toute l’Europe. Comment faisait-elle donc sans reporting, sans Internet, sans ratios ?</p>
<p>Au sens contemporain du terme, la communauté est à la fois quelque chose de reçu et de construit à travers des références à des caractéristiques (âge, genre, religion, mœurs) partagées. Il existe un double processus d’identification de celles-ci et une identification du fait du regard porté par les autres : c’est l’autre qui identifie comme membre d’une communauté un acteur par son comportement. La communauté induit ainsi la construction des autres communautés de façon catalytique.</p>
<p>On s’aperçoit très bien de ce critère dans le regard que porte le <em>middle office</em> (services administratifs) sur les traders. L’attitude de ces derniers est mise en évidence par les premiers : « centre de profit » contre « centre de coût ». Cela permet-il l’existence des traders en tant que communauté ? Le critère de caractéristiques partagées n’est pas visible, il s’agit donc plutôt d’une « association » que d’une communauté. À quoi s’identifient les traders ? Qu’est-ce qui fait leur esprit de corps ? Certainement pas le bonus, puisque s’il est une préoccupation commune, il est strictement individuel.</p>
<h2>La règle et le code</h2>
<p>Deux séquences de l’affaire Kerviel illustrent cette méconnaissance et cette <a href="http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/banque/20100608trib000517576/jerome-kerviel-contre-la-societe-generale-suivez-le-proces-minute-par-minute-8.html">absence des conventions</a>.</p>
<blockquote>
<p>Christophe Mannié : « Quand on devient trader chez SocGen, on signe une charte de déontologie qui dit qu’on doit être loyal, transparent et respecter ses limites. »</p>
</blockquote>
<p>et</p>
<blockquote>
<p>Olivier Metzner : « alors pourquoi ne pas faire un code d’éthique qui appelle au « bon sens » ? Si les vraies limites ne sont pas définies, comment voulez-vous qu’un trader sache où sont ses limites ? »</p>
</blockquote>
<p>Signer la charte de déontologie ne donne aucun pouvoir supplémentaire au caractère conventionnel. Le fait de se référer à un « code éthique » partagé exclurait de fait la <a href="https://theconversation.com/affaire-kerviel-la-pomme-pourrie-et-le-tonneau-61938">« pomme pourrie »</a> parce que ce qui est commun crée une coercition sociale qui limite ainsi les comportements déviants en excluant de la communauté. L’importance de la convention tient dans ce rapport entre les acteurs et la règle, plus efficace que la sanction. Les conséquences sont essentielles, parfaitement résumées par le Prieur dans le « Dialogue des carmélites » :</p>
<p>« ce n’est pas la règle qui nous garde, c’est nous gardons la règle »</p>
<p>Toutes les règles ne sont pas quantifiables, et certains comportements doivent être intériorisés, partagés, défendus par le groupe. Ainsi, la communauté se caractérise par la cohésion de ses membres, et par des dimensions informationnelles (fort degré d’interconnaissance des membres et conscience collective) et culturelles communes aux acteurs.</p>
<p>Il serait à ce titre intéressant de savoir comment a été mené le chantier décrit page 31 « rigueur, transparence, discipline, courage ». Grand-messe ? ou réelle volonté d’intérioriser des comportements ?</p>
<p>En conclusion, ne nous y trompons pas, la vie conventionnelle et communautaire n’est pas un idéal et il ne faut pas opposer contrat et convention. Elle doit nous faire réfléchir, au-delà du cas Kerviel, sur une certaine vision du « travailler ensemble » dans les organisations, trop faites de reportings et des contrôles, de ratios.</p>
<p>Si l’on s’intéresse au fameux 15 % de ROE (<em>return on equity</em>, ou rentabilité des capitaux propres), <a href="http://www.xerfi-precepta-strategiques-tv.com/emission/Nicolas-Berland-ROE-a-15-pourquoi-ce-n-est-plus-soutenable_3746.html">Nicolas Berland</a> nous explique que ce chiffre « magique » est caduque depuis bien longtemps et qu’il survit aussi parce qu’il y a des cas de « tricherie » pour atteindre un objectif devenu irréaliste. Tricher ne manque pas de nous interpeller dans l’affaire qui nous concerne car <em>in fine</em>, saurons-nous qui est le « tricheur » et ou est la « tricherie » ? et comment la tricherie serait-elle traitée dans une organisation incluant des conventions ?</p>
<p>Vous l’aurez compris, chers auditeurs, mon truc, c’est la sociologie, les colloques, les belles idées, la littérature, et je ne me fais pas trop d’idée sur le destin des conventions dans les banques….</p>
<p>Vous êtes rompus aux chiffres, et pour moi, la meilleure définition des chiffres vient d’Alfred Sauvy écrivant « ce sont des êtres fragiles qui, à force d’être torturés, finissent par avouer tout ce qu’on veut leur faire dire ». Pourriez-vous alors m’expliquer pourquoi l’ancien patron du <em>back office, _<a href="http://socgen-vs-jkerviel-revision-necessaire.over-blog.com/2016/02/pourquoi-il-faut-reviser-le-proces-de-jerome-kerviel.html">Philippe Houbé,</a> décrit de manière limpide comment le milliard et demi de gains de 2007 ne peut être camouflé par des _forwards</em> ? et pourquoi il est le seul à le dire ? Après tout, vous faites de l’audit…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/65802/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Delorme ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le 23 septembre, la Cour d’appel de Versailles a rendu son arrêt dans l'affaire Jérôme Kerviel. Est-ce pour autant la fin de l'histoire ? Quelques questions pour y voir plus clair.François Delorme, Chercheur associé, sciences de gestion, CERAG, membre du WIKISGK, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/643912016-08-31T04:38:48Z2016-08-31T04:38:48ZDe Zola à Kerviel : les banques changeront-elles un jour ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/135796/original/image-20160829-17859-p86l43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Une banque »</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/johnpx/8503106100/in/photolist-dXoDcA-cYp1GE-cYoVE7-cYoJ4o-cYp3HJ-cYorsJ-5STyys-cYoBFq-r5DzbR-cYoDr7-6PC7KX-4pXWVs-dZNKLR-qYf3Eg-8W34UV-5rXvBM-5rXvBD-aKZxQv-aukJMW-7oZ4EJ-9qDNYg-rCzYbV-rv3YGu-rKjPe1-2V37qY-5E9PZj-5J2aEb-cYoGyd-fhWdEj-odkNmn-ad93ng-rU7X2-aiq2y5-pbDE8d-dERkjJ-deX8Su-c2tiKq-q6v4Sz-9tW984-9eV8mb-Jp4tf2-fgeU4B-8bMHoW-8YdCfk-8bMHNA-8bMGVW-eHeALt-8bJpdk-7HsBoD-HJc3bp">John PX/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’Universel, la Barings, la Société Générale : trois banques, la première est fictive, élément central de « l’argent » de Zola, la deuxième a fait faillite, la troisième a été durement secouée par un scandale dont les échéances judiciaires courent toujours.</p>
<p>Quels sont les points communs entre ces trois banques ? Leurs « héros ».</p>
<h2>L’aveuglement et l’arrogance</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/135797/original/image-20160829-17845-1k0vk1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/135797/original/image-20160829-17845-1k0vk1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/135797/original/image-20160829-17845-1k0vk1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/135797/original/image-20160829-17845-1k0vk1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/135797/original/image-20160829-17845-1k0vk1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/135797/original/image-20160829-17845-1k0vk1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/135797/original/image-20160829-17845-1k0vk1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/135797/original/image-20160829-17845-1k0vk1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><em>L’Argent</em>, film le Marcel L’Herbier (1929).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Saccard, héros du roman de Zola, après des mésaventures immobilières dans le Paris du XIX<sup>e</sup> se lance dans la création d’une banque. De manipulation en spéculation, il conduira son projet à la faillite, et les épargnants à la ruine. Nick Leeson aveuglera de son succès à Singapour les hiérarques de la Barings, qui fera faillite. Jérôme Kerviel quant à lui poursuivra ses spéculations, jusqu’à leur découverte « par hasard » en janvier 2008. Les échéances courent toujours pour établir les responsabilités de chacun.</p>
<p>Dans les trois cas, la similitude des comportements est frappante. Mêmes pertes de repères face à de l’argent devenu facile.</p>
<blockquote>
<p>« Les bénéfices sont devenus spectaculaires : la Barings en a conclu qu’en fait il n’était pas très difficile de gagner beaucoup d’argent avec les titres » (« Le Trader Fou », Lattès, 1996).</p>
<p>« Les origines de sa royale fortune évaluée à trois cents millions, toute une vie de vols effroyables, non plus au coin des bois, à main armée, comme les nobles aventuriers de jadis, mais en correct bandit moderne, au clair soleil de la Bourse, dans la poche du pauvre monde crédule », (Zola « L’argent », p.93).</p>
</blockquote>
<p>Même fuite en avant des acteurs se sachant finis (justification par un faux mail de Kerviel, et un faux fax de Leeson), même « lecture » des règles et des codes.</p>
<blockquote>
<p>« Il s’agit seulement de transaction nulle. Une erreur. Un petit loupé du “back office”. Ne vous inquiétez pas » (« Le Trader Fou »).</p>
<p>« Si vous croyez que nous allons nous conformer aux chinoiseries du Code ! Mais nous ne pourrions faire deux pas, nous serions arrêtés par des entraves, à chaque enjambée, tandis que les autres, nos rivaux, nous devanceraient, à toutes jambes !… Non, non, je n’attendrai certainement pas que tout le capital soit souscrit ; je préfère, d’ailleurs, nous réserver des titres, et je trouverai un homme à nous auquel j’ouvrirai un compte, qui sera notre prête-nom » (Saccard, « L’Argent »).</p>
</blockquote>
<h2>Qui est responsable ?</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/135812/original/image-20160829-17851-1dmw14h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/135812/original/image-20160829-17851-1dmw14h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/135812/original/image-20160829-17851-1dmw14h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/135812/original/image-20160829-17851-1dmw14h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/135812/original/image-20160829-17851-1dmw14h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/135812/original/image-20160829-17851-1dmw14h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=543&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/135812/original/image-20160829-17851-1dmw14h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=543&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/135812/original/image-20160829-17851-1dmw14h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=543&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Nick Leeson.</span>
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<p>Si les hommes ne changent pas, peut-être les organisations évolueront-elles ? Cette permanence des comportements doit-elle nous faire désespérer de cette profession incapable d’aller plus loin que le bout de son nez (ou de son bonus…), et être condamné à attendre le prochain « mouton noir », la prochaine « pomme pourrie », ou… le prochain bug ?</p>
<p>En effet, il semble que la technologie, loin d’assurer une meilleure fiabilité soit aussi un facteur de risque. Revenons sur le « flash crash » de 2010. Rappelons que le 6 mai 2010, une dépêche de Reuters titrait : « Wall Street s’interroge sur les raisons du plongeon de jeudi ». L’indice Dow Jones avait subitement perdu près de 1 000 points en séance. Aucune explication n’a été fournie par les autorités.</p>
<p>Dans un premier temps, l’hypothèse d’un trader ayant confondu millions et milliards en passant un ordre a été avancée. D’autres pistes ont mené vers le rôle des programmes informatisés d’achats et de ventes qui réagissent en quelques millièmes de seconde. Plus de 50 personnes ont été mobilisées sur l’enquête au sein de la Securities and Exchange Commission et de la Commodities Futures Trading Commission. On parle alors de réactions informatiques en chaîne, déclenchant en quelques <a href="http://www.lesechos.fr/28/01/2016/lesechos.fr/021656618604_--flash-crash---du-6-mai-2010---le-jour-ou-le-temps-s-est-arrete-a-wall-street.htm">millièmes de seconde</a> une cascade d’ordres de vente.</p>
<p>Heureusement, en 2015, le responsable de ce crash <a href="http://www.lesechos.fr/22/04/2015/lesechos.fr/02123826498_-flash-crash----un-trader-haute-frequence-arrete-a-londres.htm">a été appréhendé</a>. Ouf. Pas besoin de se poser trop de questions…</p>
<p>Pourquoi s’en poser ? Cela aboutirait à chercher des responsables voire même des coupables parmi les hiérarques, ce qui à l’évidence serait moins commode et satisfaisant que la posture de l’irresponsabilité managériale conduisant à trouver une victime expiatoire. Les sujets de réflexion pourtant ne manquent pas, il suffit de les interroger.</p>
<h2>Les leçons des « organisations à haute fiabilité »</h2>
<p>À ce titre, que nous proposent les divers courants théoriques afin de s’assurer qu’une organisation soit fiable ? Le courant des HRO (<a href="http://amp.aom.org/content/15/3/70.short"><em>High reliability organizations</em> ou OHF</a>) comme les <a href="https://philippesilberzahn.com/2010/04/06/managing-the-unexpected-karl-weick-kathleen-sutcliffe/">travaux de Karl E. Weick</a> s’accordent sur l’importance de la dimension organisationnelle dans la gestion du risque. À savoir la nécessité d’envisager chaque incident ou accident comme une faillite du système. Une organisation qui souhaite maîtriser ses risques met en place des routines, des procédures, des mécanismes d’attention, une culture qui vont permettre de récupérer la négligence, la panne ou la malveillance avant qu’elle ne devienne catastrophique.</p>
<p>Les <a href="http://gestiondesrisquesetcrises.blogspot.fr/2010/11/hro-high-reliability-organisations.html">travaux sur les HRO</a> proposent une perspective organisationnelle et se focalise sur la compréhension des conditions dans lesquelles les systèmes complexes fonctionnent à des niveaux élevés de sécurité. Ils ont permis de mettre à jour plusieurs caractéristiques propres aux « Organisations à haute fiabilité » :</p>
<ul>
<li><p><strong>Le respect de l’expertise en situation d’urgence</strong> : en fonctionnement normal et routinier, le processus de prise de décision suit une logique hiérarchique au sein d’une structure dont les responsabilités sont clairement définies. En cas d’urgence, la prise de décision migre vers les personnes possédant une expertise sans considération de leur positionnement hiérarchique au sein de l’organisation.</p></li>
<li><p><strong>La gestion par exception</strong> : les managers contrôlent la mise en application des décisions sans intervenir sauf en cas d’écart imprévu. Ainsi les managers se concentrent sur les décisions stratégiques sans prendre part à la mise en œuvre des décisions opérationnelles.</p></li>
<li><p><strong>L’importance accordée à la formation</strong> <strong>continue</strong> afin d’améliorer et de maintenir le niveau de connaissances des opérateurs, de renforcer leurs compétences techniques, de leur permettre de repérer les dangers et de répondre de manière appropriée à des problèmes inattendus. La formation sert également à renforcer la confiance interpersonnelle et la crédibilité au sein du collectif de travail.</p></li>
<li><p><strong>De nombreux canaux d’informations</strong> servent à communiquer les informations critiques en matière de sécurité, et à s’assurer de la disponibilité des personnels experts, en particulier dans les situations d’urgence. Ils relient directement les principaux centres opérationnels – là où un accident peut survenir – avec les centres de décisions.</p></li>
<li><p><strong>Une redondance intégrée</strong> dans la structure organisationnelle qui inclut des systèmes de back-up en cas de panne, une double vérification des décisions et une surveillance continue des activités critiques en matière de sécurité. Les porte-avions nucléaires disposent d’un système de « jumelage » (<em>buddy system</em>).</p></li>
</ul>
<p>Karl E. Weick, dans <a href="http://eu.wiley.com/WileyCDA/WileyTitle/productCd-1118862414.html">ses travaux avec Sutcliffe</a>, y ajoute des caractéristiques qui viennent compléter le tableau :</p>
<ul>
<li><p>La <strong>préoccupation de la défaillance</strong> se réfère à l’attention constante portée aux défaillances et aux erreurs. Les incidents et quasi-accidents – des accidents évités de justesse – sont considérés non pas comme des faiblesses mais comme des indicateurs de la fiabilité d’un système. Les remontées d’informations sur les quasi-accidents et les défaillances sont valorisées et récompensées parce qu’ils sont considérés comme des moyens d’apprendre et de parvenir à une image réelle des opérations.</p></li>
<li><p>La <strong>résistance à simplifier</strong> concerne la capacité à collecter, analyser et hiérarchiser tous les signaux d’alerte d’une possible défaillance et ainsi d’éviter toute supposition sur les causes de l’échec. Les défaillances sont pensées comme de nature systémique plutôt que situées localement. Elles peuvent ainsi provenir d’un enchaînement d’événements aux conséquences catastrophiques.</p></li>
<li><p>La <strong>sensibilité à l’ensemble des activités</strong> recouvre la capacité d’opérer constamment une vue d’ensemble des opérations. Pour y parvenir, les points de vue des opérateurs de première ligne sont privilégiés afin d’obtenir une représentation réaliste de l’état des activités et des éventuels problèmes de sécurité au sein de l’organisation. Cette vision d’ensemble est partagée par l’ensemble des niveaux hiérarchiques.</p></li>
<li><p><strong>L’engagement dans la résilience</strong> distingue la faculté des HRO d’anticiper efficacement les erreurs, mais surtout celle de faire face et de se relever des erreurs et des événements imprévus. Cette caractéristique illustre la détermination des HRO à apprendre des erreurs et des expériences passées qui ont eu lieu au sein de l’organisation mais aussi dans d’autres industries.</p></li>
</ul>
<p>Ces principes sont-ils donc si compliqués ? Pourquoi alors les banques ignorent-elles les travaux des HRO alors même que ceux-ci ont permis des gains de sécurité dans des domaines tels que l’aéronautique, la médecine, le nucléaire ? Il faudrait aussi s’interroger sur les formations des « élites » de la finance et la présence de sociologie, des sciences de gestion… voire de la littérature dans les cursus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/64391/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Nick Leeson, Jérôme Kerviel et Siccard, le héros de Zola, sont-ils des figures incontournables du système bancaire ? Pas certain. Analyse de quelques leçons des « organisations à haute fiabilité ».François Delorme, Chercheur associé, sciences de gestion, CERAG, membre du WIKISGK, Université Grenoble Alpes (UGA)Laurence Ambil Ferrand, Doctorante, Ecole doctorale Droit et Sciences politiques, Economiques et de Gestion (Nice), Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/643482016-08-29T04:35:34Z2016-08-29T04:35:34ZLes certitudes d’un été 2016 : Michel Legrand, frites et autres « The Get Down »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/135699/original/image-20160828-17854-4ovnpw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un été grand...</span> </figcaption></figure><p>C’est un film magique, qu’il faudra absolument que je revisionne quand j’aurais deux minutes. De ces films poétiques qui vous façonnent votre imaginaire d’adolescent, à l’âge des possibles. Quand je l’avais vu la première fois, je m’étais d’ailleurs parfaitement identifié au personnage principal, avec ses deux copains de virées, l’un un peu niaiseux avec ses lunettes – le mot est faible… – mais tellement sympa ; l’autre, beauf en devenir mais déjà bien assis dans sa condition, obsédé d’en découdre avec ce foutu truc qui obsède les adolescents : son dépucelage.</p>
<p>Je crois bien qu’après l’avoir visionné, je me suis pendant plusieurs jours moi aussi promené avec un journal roulé dans la poche arrière de mon jean. Je devais sans doute avoir l’air couillon mais peu importe, je savais pourquoi je le faisais. Moi aussi, c’était sûr, un jour je trouverais une dame bien plus mûre que moi et je la ferais danser pendant que son mari serait absent. Moi aussi après tout j’avais des potes forcément débiles et puis d’autres qui étaient déjà des beaufs en devenir avancé. Et moi aussi mon pucelage, je ne le perdrais pas comme un con, moi aussi je vivrais le moment ultime d’une main posée sur une échelle et qui finit par ne plus pouvoir s’empêcher de trembler parce que juste à quelques centimètres se trouvent les mollets d’une dame, magnifique.</p>
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<p>Quand j’avais vu le film, j’avais pleuré. Le mari, décédé au front, lors de cet été 42. Parce que si le mari était parti pour sauver la vieille Europe, si cela créait les conditions objectives pour que l’impossible devienne possible, comme tous les spectateurs j’imagine j’étais tiraillé : quelle injustice insupportable, quelle immoralité que ce soit précisément cette absence qui soit mise à profit par un jeune loup aussi affamé que plein de doutes quant à la possibilité d’un dépucelage en forme de merveilleuse histoire d’amour… impossible.</p>
<p>Je ne saurais pas vraiment dire pourquoi mais c’est bien cet été 42 qui finalement caractérise le mieux l’été 2016 pour le déjà vieux chercheur que je suis et qui s’intéresse au management façon hip-hop. Pas question de dépucelage, mais un pur bonheur : la série <em>The Get Down</em>, sur le Brooklyn des 1970s, dont les six premiers épisodes ont été diffusés début août. Ayant fermement décidé de déconnecter et de m’y tenir, je suis tombé dessus par hasard, m’étant finalement laissé convaincre par l’ardente nécessité pour les enfants du XXI<sup>e</sup> siècle de pouvoir faire partie des <em>happy few</em> qui accèdent aux contenus exclusifs de Netflix. Bref, une pure merveille cette série « hip-hop », un peu vilipendée parfois, louée surtout de façon quasi unanime, y compris pour signifier combien <a href="http://www.mtv.com/news/2919790/why-we-need-the-get-downs-hip-hop-myths/">nos rêves</a> ont plus que jamais besoin de l’imaginaire d’émancipation sociale et politique que véhicule le hip-hop.</p>
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<p>Un véritable diamant cette série dont pour ma part, par-delà la bande originale fantastique, j’ai tout de suite été happé par un personnage secondaire : Cadillac. Le représentant de l’ancien monde du Disco et d’une mafia dirigée d’une poigne de fer sur fond de parties de jambes en l’air par sa maman et de bâtiments qui brûlent pour toucher les assurances. Mais un monde inéluctablement appelé à disparaître avec la vague finissante du disco : désormais, sous le manteau, c’était les samples de Grandmaster Flash qu’on piratait et s’échangeait pour se faire du pognon. Et quand les boîtes gays validaient « Set me free », alors la gloire était proche pour Mylene et ses « rêves de star » façon Corneille. Et, allez savoir pourquoi, c’est au plus célèbre des présentateurs qui font danser l’actu en continu sur BFM Biz’ que l’exemple « Cadillac » m’a fait penser…</p>
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<p>De là, je suis passé à l’autre grande affaire de l’été : les <a href="http://www.lefigaro.fr/musique/2016/08/22/03006-20160822ARTFIG00172-kanye-west-signe-un-poeme-a-la-gloire-des-frites-mcdonald.php">frites de Kanye West</a>. Ca défraie la chronique ce truc, dingue quand même ! C’est vrai qu’il fallait au moins du Kanye West pour nous servir sous forme de poème rapologique les frites du Mc Do. Je l’ai parcouru : les frites ont donc un plan nous apprend le grand Pablo Kanye West Picasso. Et je me suis dit que c’était pas si con en fait son truc : puisqu’en termes de <em>business model</em>, la pub, c’est toujours pour le hamburger dernier né, ou l’éternel Big Mac, mais jamais pour les frites. </p>
<p>Et pourtant elles sont là, toujours, sur le plateau, quel que soit le menu que vous prenez, ces foutues frites ! Et on les mange même mécaniquement, sans y penser. Et elles deviennent maxi quand on prend un menu maxi, normales quand on prend un menu normal, petites dans le <em>happy meal</em> des petits. Bon, évidemment, on peut envisager de varier avec des potatoes, mais il n’empêche : les stats sont formelles, c’est les frites qu’on préfère… même si une fois sur deux on les mange froides !</p>
<p></p>
<p>Conclusion : qu’on le veuille ou non, qu’il soit en faillite ou non, Kanye West a bien raison dans son ego-trip ultime et définitif. Il est bien le génie du <a href="http://www.billboard.com/articles/columns/the-juice/6487609/kanye-west-oxford-lecture-10-best-quotes">post-information age</a> qui fait hurler les patrons de presse, lesquels continuent de se demander comment ils pourraient un jour retrouver un modèle économique viable.</p>
<p></p>
<p>Bon, voilà, j’ai presque fini. Parce que même le <a href="http://www.latribune.fr/economie/france/michel-sapin-prend-ses-precautions-pour-recruter-un-ancien-de-la-societe-generale-592200.html">« Aulagnon Gate »</a> fomenté au cœur de l’été par le ministre Sapin (une nomination début août, fallait oser…) n’aura que très peu occupé mon été. <a href="http://www.lopinion.fr/edition/economie/quart-siecle-plus-tard-thierry-aulagnon-redevient-directeur-cabinet-107200"><em>Retour vers le futur</em></a> donc pour Thierry Aulagnon, ancien Dircab’ de Michel Sapin, et qui s’est déjà collé avec Michel Sapin un autre scandale : celui du Crédit Lyonnais, dans les 1990s.</p>
<p>Ah, <a href="http://www.lexpress.fr/informations/gan-soupcons-de-scandale_648846.html"><em>Retour vers le futur</em></a>, autre film mythique qui hante les imaginaires des adolescents et du monde du hip-hop. « Retour vers le futur » où il est moins question de romantisme que de capacité à foutre un bon coup de poing dans la gueule de celui (ceux) qui vous a (ont) pourri des années de vie, faute d’avoir trouvé jusqu’ici le moyen – le courage ? – de leur flanquer la dérouillée qu’il(s) méritai(en)t.</p>
<p>Voilà pourquoi, au bénéfice du « reasonable doubt », je la trouve potentiellement raisonnable cette nomination. Puisque c’est un secret de polichinelle désormais : le 23 septembre s’annonce une décision de justice historique dans le cadre du « SocGen Case ». Une jurisprudence dite « Kerviel » à 4.915.610.154 euros, lesquels s’apprêtent donc à partir en fumée d’un trait de plume de magistrat trempée dans le bitume d’un vieux scandale. Comme il faudra bien expliquer comment on va se débrouiller des 2,2 milliards à récupérer et qui ont déjà été annoncés depuis de longs mois par le président Hollande – pour qui sait un peu lire entre les lignes politico-médiatiques –, choisir un retraité de la SocGen pour faire ce travail d’intérêt général, c’est donc pas forcément aussi con que ça en a l’air…</p>
<p>J’en étais là quand le Rédacteur en chef de The Conversation France m’a demandé si un jour prochain je comptais adresser ma chronique « Hip-Hop Management » (je n’avais, il est vrai, rien foutu depuis fin juin, perdu dans mon été 2016).</p>
<p>Quand il m’a indiqué : « et n’oubliez pas que <a href="http://www.eurosport.fr/economie/le-nouveau-business-de-kobe-bryant-un-fonds-d-investissement-de-100-millions-de-dollars_sto5740817/story.shtml">Kobe Bryant</a> lance son fonds de 100 millions de dollars qui fait du bruit sur la toile », j’ai réalisé que j’étais en fait surtout resté dans mon été… 42. Parce que la nouvelle avait échappé à mon champ de vision. Et qu’il était donc grand temps que je grandisse et que je change moi aussi la maille de mon raisonnement stratégique.</p>
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<p>Alors que ces <a href="http://www.bondyblog.fr/201607090001/jean-philippe-denis-au-coeur-de-laffaire-kerviel-il-y-a-un-manquement-dinitie/#.V8U2oMetVE4">conneries</a> du « SocGenCase » me prennent la gueule depuis plus de six ans, fomentées par des ploutocrates goinfrés de stock-options et dont le – seul ? – réel talent aura été de faire fortune sur le dos d’anciennes entreprises publiques nationales privatisées ; sur fond, bien sûr, de ritournelle (européenne) d’efficience des marchés promue par nos « patrons » propulsés à la tête des oligopoles industriels à coups de « revolving doors », après avoir été – bien ? – sélectionnés et formés par l’oligopole éducatif national.</p>
<p>Alors logiquement la jurisprudence (nouvelle) dite Kerviel à venir justifiera de rouvrir aussi le dossier <a href="http://www.liberation.fr/futurs/2013/01/28/quel-sens-cela-a-t-il-de-condamner-quelqu-un-a-une-telle-somme_877483">Picano-Nacci</a> et l’<a href="http://www.cbanque.com/actu/45833/ex-trader-de-la-caisse-epargne-boris-picano-nacci-se-desiste-de-son-appel">arnaque</a> fomentée par les dirigeants des Caisses d’Épargne. Allez, hip et hop, 100 millions de plus indûment versés au titre de la (vieille) jurisprudence « Kerviel » (celle de 2010) et donc appelés à être de retour dans la poche du contribuable ! Joli coup de l’hip-hop hakademy, non ?</p>
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<p>Conclusion, mon été 2016 aura tout simplement été celui de l’attente, avant de me la jouer à la <a href="http://www.boursorama.com/actualites/le-lanceur-d-alerte-de-deutsche-bank-renonce-a-8-millions-de-dollars-de-prime-c039ede52f92b06eee180af99a97796e">Eric Ben Artzi</a> : je ne vais pas réclamer de prime sur le dos des contribuables quand on aura (enfin…) récupérer nos milliards et nos millions (rassurons-nous, en France c’est pas comme aux US, on ne condamne pas les banques et les whistleblowers ne touchent évidemment… rien).</p>
<p>Non, je vais plutôt envoyer un courrier à Bercy en demandant pas moins de 100 millions d’euros prélevés sur ces cash-flows publics futurs pour créer un fonds dédié à la recherche en management. Juste parce que, franchement, ce sera tellement plus utile au pays qu’un énième bouquin sur l’éternel retour après l’éternelle traversée du désert de l’hyper-manager Berluskozy. Celui-là même qui ne prend même plus la peine de dire qu’il a changé puisque ce serait les temps qui, cette fois, auraient changé. Pfff… :)</p>
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<p>Allez, on attend tranquillement le 23 septembre. Puisqu’en matière de politique comme d’économie, ici on est comme Lino : vierge des deux narines. Et été 2016 ou pas, attentats ou pas, état d’urgence ou pas, Burkini ou pas, on compte bien le rester. En parlant peu. En visant les têtes. Et en frappant fort. Façon gangsta rap.</p>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/64348/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
C’est un film magique, qu’il faudra absolument que je revisionne quand j’aurais deux minutes. De ces films poétiques qui vous façonnent votre imaginaire d’adolescent, à l’âge des possibles. Quand je l’avais…Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/619382016-07-06T04:35:07Z2016-07-06T04:35:07ZAffaire Kerviel : la pomme pourrie et le tonneau<p>Largement documentée et pleine de rebondissements depuis maintenant huit ans, l’affaire Kerviel est loin d’être close : les surprises à venir ne manqueront pas !</p>
<p>La chronologie des faits est parfaitement établie : des jugements ont été prononcés, confirmés au pénal et en délibéré au civil, le tribunal des prud’hommes s’est lui aussi prononcé et le jugement est interjeté en appel… Bref, cette affaire restera certainement dans les annales pour les apprentis juristes.</p>
<h2>Pas une simple affaire de fraudeur</h2>
<p>Je voudrais revenir sur cette affaire en adoptant un tout autre point de vue, le point de vue du sociologue face à ce phénomène de réduction de complexité qui consiste à réduire l’affaire Kerviel à une simple affaire de fraudeur isolé mais astucieux, une <em>« rotten apple »</em> comme disent les Anglo-Saxons. Cette approche « pomme pourrie » peut paraître étrange pour un sociologue, mais elle se justifie à plusieurs titres.</p>
<p>D’abord, le droit a besoin du concept de responsabilité individuelle pour fonctionner, c’est-à-dire que les juges ont besoin d’avoir en face d’eux quelqu’un qui est responsable de ses actes et qui ne se défausse pas en invoquant le système ou _la hiérarchie-qui-était-au courant _ ; bref, une personne qui agit en parfaite connaissance de cause et qui doit en subir toutes les conséquences. Qui vole un œuf vole un bœuf. En l’occurrence, un bœuf qui se chiffre en milliards, des milliards qu’il faudra restituer à l’euro près à une autre fiction juridique, c’est à dire une personne morale.</p>
<p>Les juges pourront, bien sûr, avec l’aide de psychologues, évaluer une « <em>personnalité plus ou moins forte</em> » pour éventuellement proposer des circonstances atténuantes ; mais ils ne se poseront pas la seule question qui intéresse le sociologue, celle du pourquoi du pourrissement de cette pomme dans le tonneau.</p>
<p>Une question que ne se posent pas non plus les victimes supposées de l’escroquerie, car les dirigeants ne souhaitent pas aborder le fait qu’un homme seul, somme toute sans nom ni qualité, puisse dissimuler une position à hauteur de quelques cinquante milliards d’euros et cela, au nez et à la barbe de sa hiérarchie et des experts les plus réputés de la place.</p>
<h2>La partition de Daniel Bouton</h2>
<p>Pour les dirigeants de la banque, le maniement du raisonnement est le suivant : certes cette pomme est pourrie et nous nous en remettons à la justice pour punir le fraudeur à la hauteur de ses méfaits ; mais comme chacun sait que le risque zéro n’existe pas, il y aura, quels que soient les meilleurs dispositifs de contrôle, toujours une pomme pourrie, sachant que cette pomme pourrie est un fruit du hasard statistique.</p>
<p>La fraude existe depuis que les banques existent, fera remarquer Daniel Bouton <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/cr-cfiab/07-08/c0708071.pdf">devant la commission des finances</a> de l’Assemblée nationale. Autrement dit, une fois la pomme pourrie extraite du tonneau, tout revient en ordre. Cela montre bien que ce n’est pas une affaire de structure, mais bien une affaire de personnes. À l’avenir, il s’agira seulement d’affiner la sélection, voire même d’anticiper le vers dans le fruit.</p>
<p>Lors de son audition publique, Daniel Bouton indique, avec le plus grand sérieux, une piste possible : celle de demander au médecin du travail de détecter les comportements individuels potentiellement délictueux.</p>
<h2>L’individu et l’organisation</h2>
<p>Le sociologue a une tout autre approche : il ne cherche pas le coupable, ni à savoir si Kerviel est un escroc, un simulateur, un manipulateur ou un manipulé, une victime consentante, un naïf, un brave soldat de la finance. Il va plutôt se focaliser, non pas sur la pomme, mais sur les conditions de son pourrissement sans pour autant juger de la nature de la pomme elle-même. Au départ, cette pomme devait être croquante, présentable. C’est le rapport entre la pomme et le bois du tonneau qu’il faut comprendre. Autrement dit, le sociologue observe qu’un comportement individuel s’inscrit dans une structure et répond à des normes incorporées au sein de l’organisation.</p>
<p>La structure renvoie à une division du travail entre le <em>front office</em> et le <em>back office</em>, c’est-à-dire entre les châtelains du domaine financier – ceux qui font gagner de l’argent – et les régisseurs du domaine – ceux qui comptent, qui pointent les écritures, qui s’assurent que les chasses financières se sont déroulées selon les règles en vigueur.</p>
<p>Kerviel est un ancien garde-chasse qui connaît par le menu les dispositifs de contrôle, ainsi que les pratiques des braconniers ; un garde-chasse qui a enlevé sa casquette pour se faire admettre dans le monde fermé des chasseurs de primes. Là, les normes changent, il découvre que ce qui est jugé important <em><strong>là-bas</strong></em> ne l’est pas <em><strong>ici</strong></em>. Les normes varient selon les mondes professionnels. Le comportement des individus ne peut pas ne pas tenir compte de ces normes, sauf à prendre le risque de l’isolement, c’est-à-dire du rejet.</p>
<h2>Les milliards de l’estime de soi</h2>
<p>Or le trader Kerviel va se révéler, pour ses chefs et ses collègues de la salle de marché, comme « une bonne gagneuse », compliment qui révèle le cynisme ambiant, mais aussi qui renvoie au rôle joué par l’or/argent mis en mots par Shakespeare : <a href="http://www.webphilo.com/textes/voir.php?numero=453061358">« cette putain commune à toute l’humanité »</a>. Voilà dévoilé le mécanisme de pourrissement de la pomme.</p>
<p>Pour gagner l’estime de soi et l’estime de ses collègues, il faut gagner de plus en plus d’argent, et surtout ne pas en perdre. Ne pas perdre <strong>publiquement</strong> l’estime de soi en affichant des pertes, voilà l’enjeu pour ce nouveau venu. Plusieurs fois, des alertes de ses anciens collègues régisseurs lui sont parvenues pour lui signaler les franchissements de ligne jaune, mais ces alertes – <a href="http://www.lexpress.fr/emploi/gestion-carriere/jerome-kerviel-contre-la-societe-generale-aux-prud-hommes-un-verdict-decisif_1799684.html">pas moins de 74</a> – sont jugées peu importantes lorsque la norme <strong>ici</strong> est de passer outre les injonctions de <strong>là-bas</strong>. Ce qui est important pour une salle de marché, ce sont les hausses et les baisses des cours, car l’information est de la différence qui crée en permanence de la différence, logique de flux et non logique de stock.</p>
<p>Le comportement individuel s’inscrit dans ce contexte organisationnel, et c’est ce dernier qu’il s’agit de mettre à jour, c’est-à-dire de comprendre. Dire que le comportement individuel s’inscrit dans ce contexte ne conduit pas à une excuse sociologique. Mais en réduisant la complexité de l’affaire à une affaire de pomme pourrie, les juges se mettent eux-mêmes dans une position difficile et exigent des dommages et intérêts dont le montant est certes cohérent par rapport au modèle de la responsabilité individuelle, mais tout à fait surréaliste par rapport au fonctionnement réel des organisations.</p>
<p>Il faudrait profiter de cette affaire pour faire rentrer le raisonnement sociologique dans les salles d’audience pour des affaires où s’enchevêtrent le collectif et l’individuel. La qualité du jugement serait assurée et le citoyen ainsi rassuré.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/61938/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Saussois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les juges pourront évaluer la personnalité de l'ancien trader, mais ne se poseront pas la question qui intéresse le sociologue : celle du pourquoi du pourrissement de cette pomme dans le tonneau.Jean-Michel Saussois, Professeur émérite HDR en sociologie, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/615142016-06-26T20:28:48Z2016-06-26T20:28:48ZLes silences des procès Kerviel<p>L’affaire Kerviel a longtemps tourné autour de cette question : « qui était au courant des pratiques du trader ? »</p>
<p>Après huit années d’échéances judiciaires et autant d’informations à notre disposition, la question n’est-elle pas plutôt : « pourquoi tant d’acteurs se sont-ils tus ? ».</p>
<p>En écrivant le 7 juin 2016,</p>
<blockquote>
<p>l’employeur ne peut donc prétendre de n’avoir pas été au courant de longue date des dépassements d’autorisation pratiqués par Monsieur Kerviel […] et en tout état de cause dans un délai de plus de deux mois par rapport à la date du 18 janvier 2008,</p>
</blockquote>
<p>les <a href="http://www.lepoint.fr/justice/kerviel-la-societe-generale-lourdement-condamnee-par-les-prud-hommes-07-06-2016-2044997_2386.php">juges des Prud’hommes</a> tranchent, en estimant que</p>
<blockquote>
<p>l’employeur ne peut en aucun cas se prévaloir d’une faute dès lors qu’il a antérieurement toléré rigoureusement les mêmes faits […] sans y puiser, à l’époque, un motif de sanction.</p>
</blockquote>
<p>Nous allons examiner les manifestations de ces silences. Nous commencerons par ceux des services administratifs, avant de poursuivre sur ceux de la table de marché avant de terminer par ceux de la hiérarchie.</p>
<h2>Les silences des services administratifs</h2>
<p>Concernant les premiers, il convient de rappeler les faits, les 74 alertes, les <a href="http://www.ft.com/cms/s/0/927fe998-d5b2-11dc-8b56-0000779fd2ac.html#axzz4CbQJQ626">demandes d’information d’EUREX</a>, et la lecture du rapport de la <a href="http://www.societegenerale.com/sites/default/files/documents/green.pdf">mission Green</a>. Cette dernière décrit (P56, 57, 58) le traitement des ordres en anomalies par différents agents, une dizaine, qui se sont trouvés face aux opérations du trader. Le commentaire est systématiquement le suivant :</p>
<blockquote>
<p>Procédures respectées au middle office mais pas d’initiative prise pour s’assurer de la véracité des affirmations de J.K. ou transmettre l’information à la hiérarchie proche (actions que les procédures ne prévoient pas expressément).</p>
</blockquote>
<p>Cela signifie que le contrôle est fait. Mais sans zèle, sans volonté d’aller plus loin que ce qui est demandé. Pourquoi aller plus loin ? Ceci illustre parfaitement le rapport déséquilibré entre front-office et back-office, les premiers étant qualifiés de « centre de profit » quand les seconds sont des « centres de coût », méprisés, considérés avec « morgue » comme le <a href="http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/industrie-financiere/20120613trib000703735/proces-kerviel-suivez-en-direct-le-sixieme-jour-d-audience.html">souligne Philippe Houbé</a>.</p>
<p>Les exemples sont nombreux pour illustrer cette situation qui semble acquise et unanimement acceptée. Il convient de rappeler l’anecdote qui a concerné FIMAT, autre table de marché et Moussa Bakir, autre trader, celui-là même à qui J.K. passait ses ordres. <a href="http://www.liberation.fr/futurs/2012/06/12/le-temoin-qui-decharge-kerviel_825894">Philippe Houbé</a> rappelle que Moussa Bakir plaçait les ordres sur un compte nécessitant de retraiter manuellement toutes les opérations. Le contexte de rapprochement entre FIMAT et le Crédit Agricole (l’ensemble étant devenu <a href="http://www.newedge.com/">Newedge</a>) rendait « acceptable » à la fois les volumes traités et les pratiques du trader, même si en aval, elles créaient une surcharge de travail. Lassé de ces pratiques, Angel Galdano est venu s’expliquer avec Moussa Bakir.</p>
<p>Il y a eu une explication sous tension, et c’est parti assez vite. C’était des mots déplacés dans une salle de marchés. […] j’ai fait un mail d’excuse pour l’<a href="http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/industrie-financiere/20120617trib000704299/proces-kerviel-suivez-en-direct-le-neuvieme-jour-d-audience.html">attitude que j’avais eue</a>.</p>
<p>Le petit s’excuse, s’efface devant le grand…</p>
<p>Il est intéressant de considérer la manifestation de ce rapport, beaucoup plus pertinent que le simple constat de la situation. C’est « la spirale du silence » décrite par <a href="http://www.thomasroulet.com/Research_files/Clemente%26Roulet.pdf">Clemente et Roulet (2015)</a>. Ils qualifient ainsi le fait que des acteurs en minorité deviennent de moins en moins audibles. Cela se passe dans ce qu’ils décrivent comme étant la « désinstitutionalisation ». Ils qualifient ainsi le fait qu’une pratique devienne caduque du fait de la lutte entre ceux qui veulent l’abandonner, et ceux qui poussent à son utilisation.</p>
<p>Cette pratique, c’est tout simplement le respect des règles, mis à mal par le « centre de profit ». Les alertes sont envoyées car le travail doit être fait. D’une certaine façon, la case est cochée, mais l’application contextualisée, la « compliance » n’est de ce fait pas mise en œuvre. C’est ce qui rend d’autant plus intéressante la remarque de la présidente Mireille Filippini en appel quand elle s’adresse à Richard Paolantonacci qui a fait tomber le trader : « Finalement vous êtes un des premiers à être un peu curieux ? ».</p>
<p>Enfin, un acteur sort de son silence et va chercher à comprendre l’enchaînement des opérations, alors même qu’un de ses confrères n’a pas poursuivi les investigations car l’alerte était éteinte.</p>
<h2>Les silences de la salle de marché</h2>
<p>Ce silence ne se limite pas qu’aux rapports entre les traders et les administratifs. <a href="https://www.amazon.fr/Lengrenage-m%C3%A9moires-trader-J%C3%A9r%C3%B4me-Kerviel/dp/2081238861">Jérôme Kerviel (2010 : 246)</a> ne parle pas du silence sur la table de marché, mais « d’omerta » et de « cécité ». Pourtant, c’est bien le silence, et l’oubli qui entourent les opérations hors mandat de 2005, précédent pour lequel le trader n’avait été que sermonné. Elles mettent en évidence le silence collectif de la hiérarchie. Par ailleurs, comme le rappelle David Koubbi, « quand un trader fraude mais qu’il fait gagner de l’argent à sa banque, cela finit rarement devant les tribunaux », il y a eu gain en effet lors de ces opérations…</p>
<p>C’est notamment en référence à cette séquence que les <a href="http://www.challenges.fr/france/20160607.CHA0215/affaire-kerviel-l-incroyable-jugement-des-prud-hommes.html">prud’hommes</a> ont considéré le licenciement « sans cause réelle et sérieuse ». La lecture du jugement précise « La Société Générale, alertée par l’Autorité des marchés financiers reconnaît avoir rappelé à l’ordre oralement Monsieur Kerviel mi-2005 sans le sanctionner, celui-ci ayant pris des engagements sur les marchés dépassant la limite de 125 millions d’euros (plafond au-delà duquel les traders n’étaient pas habilités à s’engager sur les marchés). ».</p>
<p>Cet incident n’a pas donné lieu ni à sanction comme précisé, ni à compte rendu écrit, ni transmission orale. Il a été oublié, si bien que le nouveau supérieur hiérarchique de J.K. qui prend ses fonctions en 2007 ne connaîtra rien de cette affaire. C’est ce que montrent les <a href="http://www.lesechos.fr/21/06/2010/lesechos.fr/020618776603_proces-kerviel---la-theorie-des-trois-singes.htm">comptes rendus d’audience</a>.</p>
<p>Durant les échéances judiciaires de l’affaire Kerviel, a-t-on seulement fait référence aux fraudes similaires, qui se sont passées hors de la Banque (Barings par exemple avec Nick Leeson dans les années 90)… ou dans la banque. Le trader rappelle dans ses mémoires (2010 : 246) un cas de fraude à Tokyo. En précisant qu’elle « ressemblait à la mienne » (2010 : 246), le trader pose implicitement cette question de la mémoire et de l’apprentissage collectif.</p>
<p>J.K. rappelle aussi un suicide à la Défense suite à la découverte de malversation. Quelle mémoire individuelle ou collective « oublie » un suicide dans un environnement de travail ? Est-ce la caractéristique du trader, décrit par <a href="http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Les_traders-9782707146113.html">Godechot</a> comme « potache », voire immature, qui lui fait oublier un suicide, ou considérer comme improbable de se faire prendre ? Ou un contexte spécifique, celui de la Société Générale ?</p>
<h2>Les silences de la banque</h2>
<p>Il convient de rappeler que cette banque n’est pas n’importe laquelle. Comme le rappelle <a href="http://www.arenes.fr/livre/la-semaine-ou-jerome-kerviel-a-failli-faire-sauter-le-systeme-financier-mondial/">Hugues Le Brêt</a>, (2010 : 16) :</p>
<blockquote>
<p>nous recrutions 5 000 personnes par an. Rien qu’à la Défense, nous étions mille de plus chaque année, et la construction d’une troisième tourne suffisait déjà plus. […] Tout nous réussissait.</p>
</blockquote>
<p>La personnalité de son dirigeant est aussi à prendre en compte dans ce contexte de réussite. Le Bret (2010 : 22) donne la description de cet Inspecteur des Finances et constate (2010 : 51) « je l’ai entendu tant de fois monologuer avec morgue sur l’excellence de la Société Générale ». Il le fait parler, (2010 : 51) l’imaginant rappeler que la Banque recrute chaque année un tiers des effectifs de Polytechnique. Le Bret (2010 : 325) rappelle que durant les 10 ans de Présidence de D. Bouton, les effectifs, le chiffre d’affaires et la capitalisation boursière ont chacun triplé. L’audition de D. Bouton devant la commission de finances de l’Assemblée nationale est à ce titre intéressante pour comprendre l’état d’esprit <a href="http://www.dailymotion.com/video/x26425i_audition-de-m-daniel-bouton-president-de-la-federation-bancaire-francaise-sur-la-crise-financiere-et_news">du personnage</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, pourquoi se souvenir ? Et de quoi se souvenir ? Des écarts d’un trader ? D’une possible fraude ? Dès le début de son ouvrage, Hugues Le Brêt (2010 : 15) rappelle :</p>
<blockquote>
<p>Membre du comité exécutif d’une des plus grandes banques mondiales[…], j’ai vécu un phénomène d’aveuglément progressif de toute une équipe.</p>
</blockquote>
<p>Pourquoi faire appel à une mémoire et à une histoire financière qui certes, ne se répète pas, mais éventuellement radote ? Cette certitude de la supériorité serait plutôt à étudier chez UBS ou JP Morgan qui quelques mois après la Société Générale ont été le théâtre de fait similaire. Quel sentiment de toute-puissance chez les traders leur permet de se croire à ce point infaillible et indétectable ?</p>
<p>Car pour conclure, qu’est-ce qui a évolué dans le monde des traders depuis 2008, et l’éclatement de cette affaire aussi emblématique que tentaculaire ? Peut-être rien finalement si l’on constate le cas très similaire de Kweku Adoboli, qui en 2011 a causé une perte de <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2012/11/20/01003-20121120ARTFIG00541-le-kerviel-d-ubs-reconnu-coupable-de-fraude.php">2,3 milliards de dollars</a> à l’UBS, ou celui de « la baleine de Londres » en <a href="http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/05/14/la-baleine-de-londres-se-vantait-de-marcher-sur-l-eau_1700870_3234.html">2012</a>, 2 milliards de dollars.</p>
<p>La phrase de <a href="https://deontofi.com/actionnaires-societe-generale-responsable-mais-pas-coupable/">Daniel Richard, avocat des actionnaires</a> (« Ca a été Jérôme Kerviel, ça aurait pu être un autre ». le 25 juin 2012, lors du procès de J.K.)), prend alors tout son sens et met en évidence le fait que le personnage soit finalement moins important que la fonction.</p>
<p>En conséquence, n’est-ce pas plutôt le « procès » de la fonction de trader qu’il serait opportun de réaliser, en mettant en évidence les silences volontaires de ceux qui ne sont pas écoutés et qui sont méprisés, les manquements de mémoires collectives aveuglées par des bonus, et une histoire financière peu enseignée qui pourtant se répète.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/61514/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Delorme ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur la question qui émerge de huit années d’échéances judiciaires autour de Jérôme Kerviel : pourquoi autant de personnes se sont tues ?François Delorme, Chercheur associé, sciences de gestion, CERAG, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/612632016-06-20T04:35:32Z2016-06-20T04:35:32ZLes enregistrements qui existaient… #SocGenCase<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/127169/original/image-20160618-11120-1vaze5e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Société Générale… la touche finale ?</span> </figcaption></figure><p>Après les « <a href="https://theconversation.com/vivre-dans-un-monde-de-non-droit-53608">ratés</a> » du mois de janvier, j’ai donc eu grand plaisir à vivre – et à faire partager via Twitter – de l’intérieur les audiences du procès qui opposait en appel la Société Générale à M. Jérôme Kerviel du 15 au 17 juin 2016 à la Cour d’appel de Versailles.</p>
<p>Vendredi 17 juin après-midi, la nouvelle a claqué comme un coup de tonnerre : l’avocat général, Jean-Marie d’Huy, a requis l’annulation pure et simple des 4.915.610.154 euros de dommages et intérêts auxquels Jérôme Kerviel avait été condamné en première instance (jugement du 6 octobre 2010) comme par décision de la cour d’appel du TGI de Paris (24 octobre 2012).</p>
<p>Pascale Robert-Diard dans <a href="http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/06/17/affaire-kerviel-le-requisitoire-designe-un-coupable-l-ancien-trader-et-un-responsable-la-societe-generale_4952989_3224.html"><em>Le Monde</em></a> reprend ainsi les propos de Jean-Marie d’Huy :</p>
<blockquote>
<p>« la faute de la Société générale doit être considérée comme suffisante » pour qu’elle soit reconnue responsable de l’entier préjudice, soit 4,9 milliards d’euros. « Votre décision pourrait être un message fort donné aux établissements bancaires pour éviter qu’à l’avenir de tels faits puissent se reproduire », a-t-il lancé à la cour.</p>
</blockquote>
<p>Dans ce réquisitoire, ce qui est surprenant, c’est finalement l’omniprésence des concepts et disciplines des sciences du management, sans jamais qu’à celles-ci il n’ait jamais été explicitement fait référence.</p>
<p>Pascale Robert-Diard, elle, indique toujours dans <a href="http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/06/17/affaire-kerviel-le-requisitoire-designe-un-coupable-l-ancien-trader-et-un-responsable-la-societe-generale_4952989_3224.html"><em>Le Monde</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>Avec ce réquisitoire qui remet chacun à sa place, l’avocat général donne une lecture équilibrée de l’affaire Kerviel, qui semblait s’être définitivement perdue au fil des procédures successives : il écarte le brouillard médiatique savamment entretenu par l’ancien trader, qui se présente comme un innocent – un « couillon », comme le disait la veille l’un des témoins cités par la défense –, manipulé à son insu par la banque.
Il ne retient aucun des éléments développés par Jérôme Kerviel et son avocat, David Koubbi, sur l’hypothèse d’un « desk fantôme », une sorte de main invisible qui aurait instrumentalisé le trader pour dissimuler des pertes liées aux subprimes. Mais il place aussi et enfin la banque face à ses propres responsabilités. Il y a un coupable, Jérôme Kerviel, et un responsable, la Société générale. Si elle est partagée par la cour d’appel de Versailles, cette lecture pourrait enfin contribuer à apaiser une affaire qui n’a que trop duré.</p>
</blockquote>
<p>J’ai eu la chance de vivre cette journée historique assis aux côtés de Pascale Robert-Diard. Au premier rang du carré presse. Elle a même eu la gentillesse de me prêter un chargeur de téléphone portable et je l’en remercie. Et en retour, je lui offre donc cette vidéo.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Sn93uKDDtQw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Dans le cadre de l'audience de Jacques Werren, il a été à maintes reprises question de l'article qu'il a publié dans Le Monde ; au point même qu'on comprend l'intérêt évident qu'il y aurait eu, pour certains, à ce qu’<a href="https://theconversation.com/larticle-qui-nexistait-pas-54310">il n'existe pas</a>. Je reproduis par ailleurs les extraits des enregistrements issus de la conversation entre la commandante Nathalie Le Roy et Mme le Vice-procureur de la République Chantal De Leiris. Et j’ajoute que je ne partage donc pas vraiment la conclusion de Pascale Robert-Diard, selon laquelle l’affaire – «qui n’a que trop duré» – serait en voie de règlement définitif.</p>
<p>À toutes fins utiles, je me permets d’ajouter que <a href="https://wikisgk.com/experts-coordinateurs/">des experts indépendants</a> spécialistes (entre autres) d’ingénierie financière mais aussi stratégique et organisationnelle, ce n’est pas ce qui manque en France. Depuis 8 ans cependant, aucune cour, aucun magistrat d’instruction ou du siège, et pour ainsi dire aucun des journalistes qui se <a href="https://laplumedaliocha.wordpress.com/2016/06/19/la-mecanique-perverse-de-laffaire-kerviel/">déchirent</a> désormais sur le «cas» Société Générale contre Jérôme Kerviel n’a jugé utile de les solliciter. Dommage, l’affaire aurait peut-être moins <a href="http://www.lenouveleconomiste.fr/affaire-kerviel-ce-quon-pas-encore-dit-23492/">duré</a>, été mieux <a href="https://theconversation.com/lettre-ouverte-au-juge-renaud-van-ruymbeke-53272">instruite</a> et donc <a href="https://theconversation.com/si-kerviel-j-est-innocent-alors-qui-est-le-coupable-49308">jugée</a>.</p>
<p>La décision de la cour, appelée à statuer sur la demande d'expertise indépendante sollicitée par la défense de Jérôme Kerviel, sera connue le 23 septembre prochain à 13h30. Quant aux 4 915 610 154 euros, ils sont à l'évidence déjà partis en fumée ; à l'évidence aussi, pas pour les causes qu’<a href="http://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/cinq-milliards-en-fumee-9782020980388">Antoine Delhommais</a> croyait, faute d'imaginer que parfois il peut y avoir d'autres (dé-)raisons.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/127170/original/image-20160618-11089-rnm5ud.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/127170/original/image-20160618-11089-rnm5ud.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/127170/original/image-20160618-11089-rnm5ud.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/127170/original/image-20160618-11089-rnm5ud.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/127170/original/image-20160618-11089-rnm5ud.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/127170/original/image-20160618-11089-rnm5ud.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/127170/original/image-20160618-11089-rnm5ud.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/127170/original/image-20160618-11089-rnm5ud.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Extraits – page 1.</span>
</figcaption>
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<span class="caption">Extraits – Page 2.</span>
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<span class="caption">Extraits – page 3.</span>
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<span class="caption">Extraits – Page 4 (finale).</span>
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<p>Quant à «l'Outsider», c'est dès le 22 juin qu'il sera sur vos écrans.</p>
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Retour sur les derniers rebondissements de l'affaire Kerviel-Société Générale… les derniers, vraiment ?Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/607372016-06-09T04:49:11Z2016-06-09T04:49:11ZJérôme Kerviel : retour sur le devant de la scène<p>Le Conseil de prud’hommes de <a href="https://www.doctrine.fr/CPH/Paris/2016/DE201606071">Paris a condamné</a> le 7 juin la Société Générale à payer plus de 450 000 euros à Jérôme Kerviel pour son licenciement « sans cause réelle ni sérieuse ». Décryptage d’un jugement inattendu qui reconnaît pour la première fois que la Société Générale avait connaissance des dépassements opérés par son trader et réflexion sur le risk management dans les institutions financières.</p>
<h2>Une histoire qui dure depuis huit ans</h2>
<p>Depuis huit ans, Jérôme Kerviel est engagé dans des procédures judiciaires contre son ancien employeur, la Société Générale. Rappelons-le, début 2008, la banque avait annoncé avoir subi une perte de 4,9 milliards d’euros et avait licencié le trader le considérant comme seul responsable de prises de positions trop risquées. Dans le document de référence 2008, la Société Générale indiquait qu’elle avait enregistré dans son compte de résultat consolidé 2007, « une perte nette sur activités de marché non autorisées et dissimulées pour 4911 millions d’euros ». Cette affaire avait alors défrayé la chronique et n’a cessé d’être très médiatisée depuis 2008.</p>
<p>En 2010, Jérôme Kerviel avait été condamné au pénal à une peine de prison de cinq ans dont trois ferme. En 2012, la peine avait été confirmée et s’y était rajoutée une demande de versement de 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts pour « faux et usage de faux » réclamés par la banque. En 2014, la condamnation avait été confirmée par la Cour de cassation mais la demande d’indemnités à verser à la banque avait été annulée. Quatre mois plus tard, le tribunal de grande Instance d’Évry accédait également à la demande d’aménagement de peine du trader. Au final, Jérôme Kerviel passa 150 jours en prison (au lieu des cinq ans de prison initialement requis).</p>
<h2>Une première condamnation de la Société Générale</h2>
<p>Le jugement rendu par le <a href="https://www.doctrine.fr/CPH/Paris/2016/DE201606071">Conseil des prud’hommes</a> le 7 juin 2016 a créé la surprise générale (victoire pour l’un, scandale pour les autres) car c’est la première fois qu’une juridiction reconnaît une part de responsabilité à la banque. À travers ce jugement, il apparaît donc clairement que la Société Générale était au courant des dépassements opérés par le trader « bien avant » de lui signifier son licenciement. D’après le Conseil des prud’hommes, les positions de Jérôme Kerviel auraient été connues dès 2007. Or en droit du travail, « aucun fait fautif ne peut donner lieu à des poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois ». Le Conseil des prud’hommes a donc considéré que le licenciement pour « faute lourde » correspondait à des « faits prescrits » et de ce fait était considéré sans « cause réelle ni sérieuse ».</p>
<p>A ce titre, le Conseil des prud’hommes a condamné la Société Générale à payer près de 455 000 euros au total dont 80 000 euros devraient lui être versés immédiatement. Ce montant inclut le paiement d’un bonus de 300 000 euros pour l’année 2007, 100 000 euros pour licenciement « sans cause réelle et sérieuse », des dommages et intérêts pour 20 000 euros pour les « conditions vexatoires » du licenciement et des congés payés. La Société Générale quant à elle a dénoncé une décision « scandaleuse » et va faire appel.</p>
<h2>Encore un épisode la semaine prochaine…</h2>
<p>Néanmoins un autre volet s’ouvre la semaine prochaine devant la cour d’appel de Versailles qui doit se pencher à nouveau sur l’épineuse question des dommages-intérêts.
Bien que les deux juridictions soient totalement distinctes, cette nouvelle décision aura-t-elle une influence sur la Cour de cassation ? En outre, la banque peut-elle à la fois réclamer les 4,9 milliards d’euros et avoir bénéficié d’une économie d’impôts de 2,2 milliards d’euros ?</p>
<p>Surtout, au-delà de l’indemnité réclamée pour Jerôme Kerviel, le jugement met au grand jour le fait que la banque avait aussi sa part de responsabilité en étant au courant des agissements de son trader. En d’autres termes, mais sans que cela ne soit écrit, cela indiquerait que les contrôles internes auraient été insuffisants ou outrepassés au vu et au su de la banque puisque le Conseil indique que les positions de Jerôme Kerviel auraient été connues dès 2007.</p>
<h2>… et bientôt le film</h2>
<p>Hasard du calendrier, « Jerôme Kerviel le Film » intitulé <em>L’Outsider</em> sortira en salles en France le 22 juin. Ce film est tiré du livre que Jerôme Kerviel a lui-même écrit : <em>l’Engrenage : mémoire d’un trader</em> et publié en 2010. Dans la bande-annonce, on y retrouve par exemple les répliques suivantes : « Estimez-vous que les contrôles ont été défaillants ? », un interlocuteur de préciser : « pour la seule année 2007, on a envoyé 74 alertes au sujet du compte de Jérôme Kerviel », puis « comment expliquez-vous que personne ne s’en soit aperçu » et François-Xavier Demaison interprétant le rôle de Keller de répondre : « je ne me l’explique pas ! »</p>
<p>Fiction ou réalité, les faits sont là, les prises de position trop risquées peuvent conduire à des pertes financières colossales et les actionnaires n’ont pas à en faire les frais. Au-delà de la France, ce sont les banques du monde entier qui sont concernées. Comme le souligne encore la dernière étude mondiale de PwC : Global Economic Crime Survey 2016 parue en mars 2016, les institutions financières représentent encore l’industrie la plus touchée avec 48 % des fraudes reportées. Elles sont toujours les plus vulnérables en matière de fraude, aussi bien interne qu’externe. Le risque de fraude doit donc être une priorité pour les institutions financières en terme de risque management. Aux États-Unis, Barack Obama a lancé un vaste programme de réforme de régulation financière depuis 2010 avec la Loi Dodd-Frank.</p>
<p>Dernièrement, le 19 mai 2016, six agences fédérales, y compris la SEC (Securities and Exchange Commission -le régulateur des marchés financiers américains), ont lancé une consultation en vue d’interdire les bonus qui seraient liés à des prises de risques inappropriés pour des institutions financières. Un des objectifs de Barack Obama est de contribuer à étendre les contrôles des régulateurs sur des pans entiers de la finance. Certes les réglementations ne permettront pas d’éradiquer totalement ces conduites mais les institutions financières doivent absolument renforcer leurs mécanismes de gouvernance et de <em>risk management</em> afin de prévenir, détecter et réduire les risques de fraude.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/60737/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Chaboud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En condamnant la Société Générale le 7 juin pour licenciement abusif de Jérôme Kerviel, le Conseil des Prud’hommes a créé un précédent dans cette affaire.Isabelle Chaboud, Professeur d'analyse financière, d'audit et de risk management, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/576272016-04-12T10:11:39Z2016-04-12T10:11:39ZFrédéric Oudéa doit-il démissionner ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/118338/original/image-20160412-15875-1qw4jv7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Ken le Survivant.</span> </figcaption></figure><p>Quand j’étais gamin, il y avait un dessin animé qui hantait mes fantasmes, que je dégustais le mercredi après-midi et je crois bien que je n’étais pas le seul. Délirant au sens propre, il véhiculait une sorte de magie – peut-être parce qu’il était porteur d’une Scène esthétique au sens de <a href="https://theconversation.com/scene-esthetique-et-strategie-a-nouveaux-maux-nouveaux-mots-57504">Franck Tannery et Michel Filippi</a>. Ce dessin animé, c’était Ken le Survivant. Avec cette formule, devenue culte : « tu ne le sais pas encore, mais tu es déjà mort… ».</p>
<p>Pour le gamin que j’étais, si ce dessin animé était un vrai moment de bonheur, c’était aussi parce qu’il était porteur d’un espoir. Venu de nulle part, littéralement seul contre tous, Ken était une sorte de Bruce Lee : les ennemis, il les abattait un à un, à la chaîne. Ils étaient dix, cent, mille, et ils ne pouvaient rien y faire : avec un doigt, Ken faisait imploser les cervelles. Et ceci, toujours au nom de la justice, puisqu’il s’agissait de défendre le faible contre le fort, le seul contre la bande, le martyr contre les voyous.</p>
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<p>Comme je n’y connais rien en mangas, comme de ce Ken le Survivant j’avoue ne plus avoir qu’un très lointain souvenir – sinon que les dialogues étaient à hurler de rire… –, je préfère m’arrêter sur la formule stratégique de notre super-héros, celle qui lui confère ses super pouvoirs, ce fameux : « Tu ne le sais pas encore, mais tu es déjà mort… ».</p>
<h2>Quand l’arrogance finit par imploser</h2>
<p>Dans chaque épisode, si ma mémoire est bonne, revenait inlassablement cette dramaturgie : un doigt, posé au milieu du front, annonçait le pire quelques secondes plus tard pour l’adversaire de Ken. En gros, il lui semblait impossible de perdre la tête, et c’était pourtant bel et bien ce qui allait lui arriver.</p>
<p>Ce temps, suspendu, avait quelque chose de fascinant. Le regard de Ken était empli d’une détermination sans faille mêlée d’un sentiment presque troublant d’une condamnation à la fatalité : Ken avait fait ce qu’il avait à faire, il n’allait prendre aucun plaisir à l’agonie d’un adversaire mille fois plus fort que lui, et il ne subsistait donc que cette assurance : l’avenir était déjà écrit. Comme ce rêve que font tous les écoliers (ou étudiants) : au moment du contrôle (du partiel), le stylo avance seul et donne les bonnes réponses.</p>
<p>Évidemment, ce qui donnait toute sa saveur à la scène, c’était le corps figé et le regard médusé de l’adversaire : « Tu penses me vaincre avec un doigt ? Ta cervelle doit être aussi dense que de l’eau… », rétorquait-il (chaque adversaire ayant sa personnalité et son style propre avant l’implosion de son crâne). Et le point commun était toujours celui-ci : l’adversaire, pétri d’arrogance et d’assurance dans sa force invincible, ne pouvait donner crédit à Ken qu’il pourrait être « déjà mort », au surplus avec un simple « doigt » posé au milieu du front. Quelques secondes plus tard, il essayait de fuir en hurlant de douleur, avant d’imploser littéralement.</p>
<h2>Stratégie et super-héros</h2>
<p>Je ne sais si des travaux de recherche en stratégie se sont sérieusement interrogés sur la mythologie que véhicule le personnage de Ken le Survivant. J’ignore aussi ce que sont les ressorts qui créent cette attraction pour le super-héros, le sauveur, le superman ou l’<em>avenger</em>. Et je ne sais pas non plus pourquoi les enfants ensuite, quand ils enfilent leurs déguisements, font plus que se rêver en Ken, ou Batman mais le deviennent, l’espace de quelques instants.</p>
<p>Ce que je sais en revanche, c’est que cela fonctionne, indéniablement, et qu’il n’y a rien de raisonnable là-dedans puisqu’à l’évidence on ne peut pas voler, on ne roule pas dans des Batmobiles et qu’on ne peut pas faire exploser la tête d’un adversaire avec un doigt.</p>
<h2>Super-pouvoirs et contre-pouvoirs</h2>
<p>C’est d’ailleurs pour ça que, dans la vraie vie, comme tout un chacun peut être emporté au-delà de lui même par le vertige de ses réussites, ou – ce qui revient au même – être victime d’une sorte d’aveuglement au désastre, on a inventé des choses étonnantes qui permettent de ne pas en arriver à de tels extrêmes (le fameux doigt au milieu du font avec les conséquences que l’on connaît). Ces choses s’appellent des contre-pouvoirs. Leur objectif ? Préserver autant que possible les petits face aux délires des grands… parce que sinon ce ne serait « pas juste ».</p>
<p>En gouvernance d’entreprise, le contre-pouvoir principal porte un nom : le conseil d’administration. C’est lui qui nomme, mais qui peut aussi démissionner un P-DG lorsqu’à l’évidence il a failli à l’exercice de la mission pour laquelle il est rémunéré : certes, se soucier de la richesse des actionnaires, pour la société de capitaux, cotée ; mais aussi être le garant de cette « chose » qui n’existe pas (en droit) mais au développement de laquelle des milliers d’employés agissent tous les jours à en accomplir l’œuvre commune : l’entreprise.</p>
<h2>Les conseils de « voisin Totoro »</h2>
<p>Évidemment, ce <a href="http://www.societegenerale.com/fr/connaitre-notre-entreprise/gouvernance/conseil-d-administration">conseil d’administration</a> est composé d’élus. Il a lui aussi des comptes à rendre quant à la façon dont il exerce sa mission. Il est composé de membres clairement et nommément identifiés, avec des durées de mandats. Et parfois il a juste besoin d’une petite pichenette – <a href="https://www.privatebanking.societegenerale.fr/fr/press/news/conseil-deadministration-exprime-son-soutien-total-direction-generale-aux-salaries-groupe/">au milieu du front</a> ? – pour trouver ce tout petit supplément d’âme qui se situe à l’antécédence d’une indépendance non pas espérée mais bien réelle : le <a href="http://www.desideespourdemain.fr/index.php/post/2009/08/03/339-claude-bebear-vous-avez-dit-independance#.Vww4pmMrX4A">courage</a>, comme l’explique Claude Bébéar.</p>
<p>Claude Bébéar, cette sorte peut-être moins de « Ken le Survivant » que de cher <a href="http://www.kanpai.fr/culture-japonaise/mon-voisin-totoro-analyse">« voisin Totoro »</a> d’un capitalisme français qui en manque souvent cruellement. Puisqu’il reste dans mon esprit de jeune chercheur comme celui qui aura été à l’origine d’une sacrée jurisprudence stratégique : un doigt, posé au début de l’été, sur le front de Jean-Marie Messier. Lequel peinait visiblement lui aussi, à l’époque, à reconnaître que cela faisait longtemps qu’il était déjà trop tard pour espérer continuer.</p>
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Si Ken le Survivant débarquait aujourd’hui au conseil d’administration de le Société Générale, coincée entre l’affaire Kerviel et les Panama papers, sur quel front poserait-il son doigt ?Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/546352016-02-15T05:40:20Z2016-02-15T05:40:20ZLe hip-hop doit-il devenir fréquentable ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/111414/original/image-20160214-29202-swdb13.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Here » de Christine and the Queens, featuring Booba.</span> <span class="attribution"><span class="source">Capture d'ecran</span></span></figcaption></figure><p>Quand le morceau est sorti, je n’ai pas été surpris puisque c’était l’évidence : Booba figurait au générique de l’excellent « Nowhere » de <a href="https://theconversation.com/a-t-r-de-twinsmatic-ou-quand-la-musique-secrit-a-lombre-du-futur-que-construit-booba-48220"><em>Twinsmatic</em></a>, tout comme Christine and the Queens ; ces deux-là allaient donc forcément un jour ou l’autre se croiser en mode « featuring ». C’est donc chose faite.</p>
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<p>Comme tout le monde, j’ai été cueilli à froid avec cette bonne vieille Mercedes 190 – E ? – qui prend l’eau de partout. J’ai appuyé sur le bouton de lecture et le morceau m’a plu, d’emblée, parce que décidément cette dame a quelque chose de plus. Quant au couplet de Booba je n’ai pas pensé grand-chose, dans un premier temps. Et puis comme d’habitude je m’y suis fait très vite. Restait enfin le clip, avec cette Mercedes qui me rappelait celle des voisins, quand gamins on partait en vacances, du côté de Royan. Parce que j’avais toujours trouvé qu’elle avait de la gueule, la Mercedes des voisins.</p>
<p>Et puis assez vite le buzz délirant a commencé. Parce que dès qu’il est question de Booba, allez savoir pourquoi, mais ça buzz. C’est comme ça. L’atmosphère est donc devenue lourde, très lourde même. Et ça a commencé à tirer dans tous les sens. Et c’est quand est sortie la lettre d’explications de Christine sur son compte Facebook, justifiant le <a href="http://www.metronews.fr/culture/christine-and-the-queens-defend-son-duo-avec-booba-je-ne-crains-pas-l-impurete-du-melange/mpbk!Tve7SsEbCMXpw/">pourquoi du comment de la collaboration</a>, qu’on en a fait des papiers dans <em>Le Parisien</em>, <em>20 minutes</em> et ailleurs que j’ai compris qu’on avait définitivement touché le fond.</p>
<p>Pas la lettre, bien sûr, très belle. Non, la nécessité de devoir s’expliquer, tant bien que mal sur cette « collaboration ». Et voir ainsi une artiste devoir justifier ses choix artistiques a déclenché comme un soupçon d’hallucination.</p>
<p>J’ai donc préféré réécouter, re-regarder, réécouter encore. Et la conclusion s’est imposée : ils ont quand même sorti un sacré track la « Christine » et l’« B2O ». Et à force d’écouter, surtout un jour de « merci pour ce remaniement » symboliquement absolument déplorable, le tout sur fond de panique boursière et bancaire générale, allez savoir pourquoi mais j’y ai vu comme une sublime image dans cette <em>merco</em> qui prend l’eau ; celle-là même que s’est tant plu à utiliser Barack Obama en période électorale : pas question de refiler les clés à des mecs qui ne savent pas conduire…</p>
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<p>Et cette voiture dans la flotte, ça m’a fait aussi penser à autre chose. J’avais entendu quelqu’un d’autre prendre cette image d’une voiture pour parler airbag et essence, mais qui donc ? Je me souviens aussi que je m’étais pincé, que j’avais halluciné de ses propos. Mais de qui pouvait-il donc bien s’agir… ?</p>
<p>Quand j’ai constaté que les valeurs bancaires étaient au cœur de la tourmente boursière, que la Société Générale avait perdu près de 12 % de sa valeur en une journée et plus de 30 % en six mois, ça m’a fait drôle aussi. Et puis j’ai vu cette interview du directeur général de la banque qui explique que « Nous ne sommes pas face à une nouvelle crise bancaire ». Ouch, j’ai pensé…</p>
<p></p>
<p>Comme lui, visiblement.</p>
<p></p>
<p>Ou lui, encore.</p>
<p></p>
<p>Et allez savoir pourquoi, c’est là que la mémoire (de crise) m’est revenue. C’était lors d’une conférence à HEC Paris qu’il avait employé cette métaphore de la bagnole pour parler airbag et essence, et qu’il avait dit espérer que tout le monde était actionnaire de la SG. Parce que 800 euros d’airbag par français, c’est quand même pas mal…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-6FZfUuAvLA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Voilà, je vous laisse écouter. N’en manquez pas une goutte puisqu’il n’est pas à une contradiction de noyade près. Entre ces subprimes et la politique criminelle d’« origination » des crédits dont il parle comme s’il n’avait pas été directeur financier à cette période. De ces banquiers déresponsabilisés à force de titrisation et qui ne vérifiaient pas si les crédits avaient été bien « originés » comme si son organisation ne s’en était pas goinfrée jusqu’à l’overdose. De nos économies dopées à la dette et de cette Europe en construction qui appelle une supervision supranationale mais avec laquelle il faudra faire attention parce que les contrôleurs ils font des perquisitions (sic !). De ces journalistes – demeurés ? – qui ne comprennent rien à rien – les cons ! – et de ces magistrats qui doivent appliquer le droit et qui ne peuvent pas faire autre chose – ah bon, pourquoi faire des procès alors ? – et de ce droit (voir à 57’) qui est au fondement de la démocratie et qui en France est ce qu’il est dans une affaire comme celle (dite) Kerviel… (Wesh, heureusement que de temps en temps il reste des traditions nationales alors !).</p>
<p>Bon, on arrête, parce qu’il y en a pour 1 h 39 de contradictions en tous genres où de temps en temps on parle France et à d’autres d’Europe, de Polytechnique de l’ENA et d’HEC et puis du commun des mortels même si tout le monde ne se prend pas pour Dieu mais un peu quand même… </p>
<p>Et on retiendra surtout ce moment ultime, où après avoir asséné que la police et les magistrats ont conclu à la culpabilité du seul Kerviel, on en arrive à la noyade complète : franchement, à 1 h 25, expliquer comment on a réussi un lobbying de tous les diables pour faire que la finance ne soit plus un sujet politique, comment on est allé voir les députés pour les convaincre qu’on ne traite pas d’adversaire des gens qui vous « tiennent » et comment les députés ont fini par comprendre (bah ouais Morray, faut leur expliquer longtemps ils ont pas tous fait l’X…), franchement c’est juste <em>enorme</em> !</p>
<p>Et le pire, c’est qu’il a l’air d’y croire à ce qu’il raconte, ce qui rend le tout franchement désarmant. Et tout ça, et puis tout le reste qui vaut mieux que toutes les auditions d’enquête parlementaire puisqu’il balance tout « cash » (dixit) : depuis l’inspection des finances, les années au cabinet de Sarko, en passant par les contrôleurs vachement utiles parce qu’il y a parfois de « bonnes raisons » pour qu’ils ne comprennent pas… (1 h 34’).</p>
<p>Voilà.</p>
<p>Dans ces conditions, à la question posée dans le titre, on répond : non ! Surtout, que le hip-hop reste infréquentable, parce que dans les bagnoles les fréquentations calculatoires et mimétiques ne sont pas toujours recommandables… Vaut mieux, donc, rester à la fenêtre ou sur le coffre pour tenir la <a href="https://theconversation.com/dauguste-comte-a-bachelard-a-apple-et-dr-dre-47508">barre</a>, surtout quand tout prend l’eau !</p>
<p></p>
<p>On termine avec une note (musicale) positive : encore quelques points de baisse du cours de bourse, une petite dose d’amende US par-dessus le marché – qui ne saurait plus trop tarder –, et sur fond de taux d’intérêt bientôt négatifs, on attend la chute.</p>
<p></p>
<p>Puisque parfois, « <em>La mémoire est un animal/Silence mat, réveil brutal</em> » comme chanterait Christine. Ou le mettrait en scène David Lynch. Comme un hymne à la fin de la bagnole hollywoodienne de leur rêve américain.</p>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/54635/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Où il est question d’un featuring de Booba et Christine and the Queens, d’une voiture dans l’eau, d’un banquier sans vergogne et… finalement d’une crise financière qui vient !Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/543102016-02-08T05:47:02Z2016-02-08T05:47:02ZL’article qui n’existait pas<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/110528/original/image-20160207-18264-4oty8s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Vol au dessus d un nid de coucou ».</span> </figcaption></figure><p>Ça commence par un mail adressé par un collègue professeur de finance, et dont le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’est pas vraiment un débutant… L’objet du message : « Kerviel ». Forcément, je suis intrigué et je me précipite pour prendre connaissance du corps du message.</p>
<blockquote>
<p>Bonjour Jean-Philippe,
Je te recommande la lecture de l’article de Jacques Werren (ancien DG de Matif SA) publié dans <em>Le Monde</em> du samedi 6 février supplément Eco & Entreprise.
Il plaide, et il a raison, pour une enquête comptable sur l’ensemble des opérations et des positions ouvertes de Kerviel et de la banque en couverture. C’est technique et très instructif. Ce qu’il dit on l’enseigne mais je ne savais pas qu’aucune enquête comptable n’avait été faite !
Il suspecte la SG d’avoir couvert ainsi ses pertes sur les Subprimes…
Amitiés,</p>
</blockquote>
<p>Je saisis donc sous Google « Werren + le <em>Monde</em> » et je tombe sur de nombreux liens qui me parlent donc d’un article intitulé : <a href="http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/02/05/affaire-kerviel-plaidoyer-pour-une-enquete-comptable_4860166_3234.html">« Affaire Kerviel : plaidoyer pour une enquête comptable »</a>. Le hic : à chaque fois que je clique, ne serait-ce que pour lire la partie <em>freemium</em> (pour reprendre un terme très « business model ») de l’article en question, rien. Erreur 404 : <a href="http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/02/05/affaire-kerviel-plaidoyer-pour-une-enquete-comptable_4860166_3234.html">« Tout le monde peut se tromper »</a>, suivi du fameux « Désolé, la page demandée n’est pas disponible » pour finir sur ce sublime « Merci pour votre attention ».</p>
<p>Du coup, je jette un coup d’œil à Twitter. Je constate que le président de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines a eu la délicate attention de me faire part d’un papier sur l’intérêt du ministre Macron pour les banlieues. S’il me l’adresse, c’est aussi, je suppose, parce qu’on y parle de… Booba. Merci donc, président !</p>
<p></p>
<p>Ayant déjà vu passer cet article, je me dépêche de trouver ce que j’étais venu chercher. Je tape donc Kerviel dans la barre de recherche. Et là, je tombe à nouveau sur un lien vers l’article du <em>Monde</em>. Je vois aussi que Jérôme Kerviel remercie Jacques Werren, ancien DGA du <a href="http://www.crdp-montpellier.fr/ressources/dda/finances/dda4_b6.html">Matif</a>, pour ce « plaidoyer ».</p>
<p>Et puis, à chaque fois, je clique. Et puis à chaque fois rien.</p>
<p>Alors, tout en prenant soin de ne pas sombrer dans une paranoïa primaire, je me suis juste dit que c’était quand même un peu gros une telle « disparition ». Et que j’allais donc en faire une chronique, de cette affaire de l’article qui n’existait pas. Un tire emprunté à l’ouvrage de Christophe Midler : <a href="http://www.amazon.fr/LAuto-qui-nexistait-pas-transformation/dp/2100582992">« L’auto qui n’existait pas »</a>. Puisqu’elle est comme une Lamborghini cette affaire Société Générale, sur laquelle tous les experts en sciences du management butent comme sur de gros dos-d’âne. Super album, magnifique morceau, <em>wonderful</em> clip auquel on souhaite donc une belle victoire de la musique, puisque, quand on a « couronne sur la tête », c’est pas très juste si c’est toujours « le voisin qui gagne la fève » de l’<a href="https://theconversation.com/si-kerviel-j-est-innocent-alors-qui-est-le-coupable-49308">exemplarité</a>…</p>
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<p>La chute de l’histoire maintenant : j’ai finalement reçu l’article de Jacques Werren en format PDF : « Affaire Kerviel : plaidoyer pour une enquête comptable ». Sous-titré : « La communication des pièces comptables suffirait à éclairer les scénarios possibles, y compris celui d’un camouflage de pertes sur les subprimes derrière la fraude du trader ».</p>
<p>Et je souris en pensant à Jacques Werren. Cet ancien directeur général adjoint du MATIF, ancien directeur financier de banque, avait témoigné, lors du procès en appel de Jérôme Kerviel, en 2012. Un témoignage jugé par les conseils de la Société Générale et par la présidente de la première chambre de la cour d’appel très <a href="http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/industrie-financiere/20120617trib000704299/proces-kerviel-on-est-peut-etre-dans-le-romantisme.html">« romantique »</a>. Puisque, à l’évidence, bien avant le rendu du jugement d’appel dans l’affaire Société Générale, cela faisait déjà longtemps que la réunion et le vote étaient <a href="http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/pourquoi-il-faut-reexaminer-le-cas-kerviel-543527.html">clos</a>.</p>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/54310/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
De l’histoire de l’article d’un financier sur la Société Générale qu’on ne peut plus trouver en ligne. Et ce qui s’en suit.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/536082016-01-24T22:09:45Z2016-01-24T22:09:45ZVivre dans un monde de non-droit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/109061/original/image-20160122-441-144ba74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Eminem</span> </figcaption></figure><p>J’avais annoncé sept chroniques. Et trois de ces chroniques devaient se tenir les 20, 21 et 22 janvier. Elles devaient être des « récits d’audience ». Proposer un tel programme, c’est ce qu’en stratégie d’entreprise on appelle, depuis le Pr. Henry Mintzberg, formuler une « stratégie délibérée ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/109055/original/image-20160122-437-1r16nbw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/109055/original/image-20160122-437-1r16nbw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/109055/original/image-20160122-437-1r16nbw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/109055/original/image-20160122-437-1r16nbw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/109055/original/image-20160122-437-1r16nbw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/109055/original/image-20160122-437-1r16nbw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/109055/original/image-20160122-437-1r16nbw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p>Certes, avec tout le boulot qui constitue l’ordinaire d’un prof de fac, je voyais mal comment j’allais pouvoir tenir ce rythme. Mais pour rien au monde je n’y aurais renoncé : on ne passe pas cinq années de sa vie sur un terrain de recherche pour lâcher au dernier moment, « quand l’Amérique est en vue ».</p>
<p>Après avoir annoncé mon plan de charge, je me suis détendu. Sans trop savoir pourquoi, j’ai très rapidement pensé que les « émergences » – toujours au sens de Mintzberg – allaient être nombreuses qui allaient m’aider à tenir l’objectif formulé : je ne savais ni quand ni comment, mais à l’évidence les chroniques ne seraient pas à écrire puisque les audiences n’allaient pas se tenir. Puisque David allait forcément demander au tribunal de surseoir à juger : dans un contexte où l’audition de la demande de révision pénale avait lieu le lundi, comment imaginer que le procès en appel sur la répartition des dommages et intérêts civil allait pouvoir se tenir comme si de rien était ?</p>
<p>S’il était donc parfaitement logique de plaider que le procès civil ne puisse débuter qu’une fois rendue la décision sur la demande de révision pénale, j’ai toutefois eu des doutes : nulle part, aucun journal, aucune TV n’exposait ceci. L’actu couraient après l’actu, le recul sur le dossier était nullissime. Et c’est donc logiquement que moi, petit prof de fac, je me sentais face à ce « monstre » qu’est l’affaire Société Générale contre Jérôme Kerviel, tel un Eminem en featuring avec Rihanna.</p>
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<p>Dément tout ça quand même. Parce qu’imaginez que la révision du procès soit accordée. Que tout soit repris à zéro. Que l’abus de confiance soit réinstruit et qu’il apparaisse pour ce qu’il est à l’évidence scientifique : non constitué. Alors tout change : plus de dommages et intérêts. Plus les 4 milliards. Plus les 915 millions. Plus 610 000. Ni les 150. Ou les 4 euros. Oui, vous avez bien lu : 4 915 610 154 euros, qui partent en fumée. Et ceci sans parler de la prison. Et de ces dommages et intérêts potentiellement incalculables – comment évaluer en <em>fair value</em> la valeur d’une seconde de vie volée ? – pour un homme qui, depuis maintenant 8 ans, aura été livré aux irresponsables renoncements et incompétences des autorités judiciaires et médiatiques. Avec, en face, une démocratie française coupable d’avoir regardé tout ça sans descendre dans la rue, sans se battre, sans demander des comptes aux irresponsables, coupables de tout ce merdier doublé d’un immense bordel.</p>
<p>J’en étais là quand je suis sorti de chez moi, vers dix heures, mercredi 20 janvier. À 9 heures 30, je venais de donner une interview au journal <em>Le Soir</em> où j’avais pas mal lâché les chevaux : sur le rapport Bouton, sur l’amende de Mustier, sur cette affaire délirante puisque, j’te l’dis, j’te l’redis comme rapperait Booba, l’abus de confiance n’est à l’évidence pas constitué dans son intentionnalité. Car si tel devait être le cas, alors il aurait fallu s’interroger sur la singularité dudit tiers dont la confiance aurait été abusée à son insu. Et là, comme le tiers dont Jérôme Kerviel aurait abusé – et intentionnellement en plus ! – la confiance, c’était un pro de chez pros, l’équipe de direction d’une des plus grandes banques européennes, vous pensez bien que personne ne peut gober de telles foutaises.</p>
<p>Comme je le dis à mes étudiants : un particulier vous vend une auto d’occase avec un vice caché, vous n’avez plus que vos yeux pour pleurer puisque vous avez pris le risque de faire appel à un particulier. En revanche, si vous achetez à un professionnel, il est responsable. Vous pouvez donc vous retourner contre lui. Puisqu’il est réputé être un professionnel, et donc savoir. Et fort heureusement d’ailleurs : sinon, pourquoi diable les architectes seraient, eux, soumis à des garanties sur les travaux pendant 10 ans alors même que dans les organisations ils ne seraient soumis… à rien. #megauplol, #megasuperjoke… ! :-) </p>
<p>Quand je suis arrivé à la cour d’appel de Versailles, c’est tout ça que j’avais en tête. J’étais très zen, très cool, puisque fort heureusement, s’il aura fallu le temps, la Cour de cassation a quand même par fini par redonner une part de son honneur à la justice française en « pliant » le <em>game</em> dans un sens déjà moins favorable aux dirigeants de la SG, et surtout permettant de donner droit à des suites.</p>
<p>Avançant vers le tribunal, j’ai vu le camion de France Info qui cherchait à se garer. Celui de BFM TV qui était garé à deux pas de ma propre auto. J’ai pris une photo souvenir.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/109056/original/image-20160122-408-u43cze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/109056/original/image-20160122-408-u43cze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/109056/original/image-20160122-408-u43cze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/109056/original/image-20160122-408-u43cze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/109056/original/image-20160122-408-u43cze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/109056/original/image-20160122-408-u43cze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/109056/original/image-20160122-408-u43cze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Journalistes.</span>
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<p>Et puis j’ai passé la grille, le détecteur de métaux, j’ai demandé mon chemin. On m’a dit que « l’audience » était au fond à gauche, salle 1. J’ai vu aussi une caméra dans la cour.</p>
<p>Quand je suis rentré dans la salle, j’ai vu Jérôme, assis au milieu. Il n’avait pas l’air au mieux. David plaidait et tournait la situation en ridicule. Avec une ironie redoutable, il « croquait à la ge-gor », les avocats de la SG (l’éternel trio Martineau – Reinhart – Veil) comme le parquet. Un rare courage dans les morsures et les punch-lines. Très bon, très drôle. Vraiment très, très drôle. As usual.</p>
<p>Maître <a href="http://www.lussan.com/associes/francois-martineau.html">François Martineau</a> intervint alors. C’était drôle pour moi de voir tout ce petit monde que j’avais vu officier sur « Paname » se retrouver sur mon terrain, et donc de jouer ici à domicile. De voir Jean Veil assis, sans pouvoir arpenter la salle et aller distiller aux journalistes les « éléments de langage ». Oui, à l’évidence, tous les trois, à Versailles ils étaient bien moins à l’aise qu’à la première chambre de la cour d’appel du TGI de Paris. Parce qu’ici, avec un procès en appel dépaysé dans cette petite salle, l’éloquence paye moins. Parce que les réseaux divers et variés sont plus éloignés et leurs fils distendus. Parce que pour des Parisiens pur sucre, habitués aux joutes et autres jeux de cour, tenir procès «dépaysé» à Versailles ça doit faire l’effet d’un très violent <em>back to the future</em>, d’un véritable saut spatio-temporel.</p>
<p>François Martineau a rappelé que ça fait huit ans que ça dure. Il a dit qu’il ne fallait pas faire droit à la demande formulée par les conseils de Jérôme Kerviel. Que cette stratégie est cousue de fil blanc, qui consiste à bloquer le civil par le pénal. En filigrane, il donnait donc l’impression du boxeur qui commente sa défaite.</p>
<p>Les deux compères Maître <a href="http://www.rmt.fr/jean-reinhart.php">Reinhart</a> d’abord, Maître Veil ensuite n’ont pour l’un quasiment rien, et pour l’autre absolument rien ajouté. Faire taire <a href="http://www.grands-avocats.com/avocats/jean-veil/">Maître Veil</a>, pas le moindre des succès que l’Histoire retiendra de la paradoxale victoire ce jour-là de Jérôme Kerviel.</p>
<p>L’avocat général a plaidé à son tour. Franchement, un moment hallucinant. Où après une envolée sur le thème que tout ceci est inadmissible, qu’en aucune façon l’hypothèse d’une révision pénale ne devrait impacter le déroulé des audiences civiles, il fallait bien se rendre à l’évidence : le procès doit être reporté postérieurement au 21 mars, donc après la décision de la cour de révision. Magique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/109057/original/image-20160122-447-b5jrwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/109057/original/image-20160122-447-b5jrwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/109057/original/image-20160122-447-b5jrwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/109057/original/image-20160122-447-b5jrwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/109057/original/image-20160122-447-b5jrwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/109057/original/image-20160122-447-b5jrwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/109057/original/image-20160122-447-b5jrwg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Suspension audience.</span>
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</figure>
<p>Suspension d’audience. Tout le monde se retrouve dehors. Jérôme demande où sont les toilettes. On lui indique. Je discute avec deux, trois personnes, les années passant, on finit par se connaître un peu. Et puis je me retire un peu à l’écart, par respect pour le secret de leurs discussions autour d’une clope bien méritée.</p>
<p>Reprise du game. Décision mise en délibéré au 29 janvier. Dans la salle, les magistrats se retirent. Tout le monde se lève. On se prépare à emprunter le chemin de la sortie. Et j’immortalise cette photo, où Jérôme semble dire, dossier en main : à la revoyure, Maître Martineau !</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/109058/original/image-20160122-421-1th8br0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/109058/original/image-20160122-421-1th8br0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/109058/original/image-20160122-421-1th8br0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/109058/original/image-20160122-421-1th8br0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/109058/original/image-20160122-421-1th8br0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/109058/original/image-20160122-421-1th8br0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/109058/original/image-20160122-421-1th8br0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La sortie.</span>
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<p>Dehors, selon un rituel désormais bien rôdé, les caméras se jettent sur David. Il expédie en grand Maître de l’art martial médiatique l’interview dont quelques morceaux choisis inonderont illico les antennes d’I-Télé et de BFM. La petite foule se disperse. Je me tiens encore un peu à l’écart, derrière. Je vois tout le monde prendre à gauche, rue Carnot. Et puis s’arrêter, Place Hoche.</p>
<p>J’ai ensuite vu tourner en boucle les images. J’ai à peine lu le billet de cette fan de Jacques Ellul (mais qui l’a si mal lu et compris) qu’est <a href="https://laplumedaliocha.wordpress.com/2016/01/18/de-lart-denfumer-les-medias/">Olivia Dufour</a>. Pas mauvais, juste à côté, as usual. Son cas mérite d’ailleurs qu’on s’y arrête. Sur cette « blogueuse » avec laquelle j’ai déjà eu l’occasion de quelques <em>battles</em>, et qui n’aime pas trop qu’on lui rappelle qu’elle est un peu plus qu’une blogueuse lambda puisqu’elle s’est fait une spécialité d’animer voire même de présider les colloques qu’organise la commission des sanctions de l’<a href="http://www.amf-france.org/Resultat-de-recherche.html?TEXT=olivia+dufour&LANGUAGE=fr&isSearch=true&simpleSearch=true&valid_recherche=Valider">Autorité des Marchés Financiers</a> (AMF), et ceci au moins depuis 2011. Elle qui, si j’en juge par nos échanges passés sur <a href="http://www.franceculture.fr/emission-du-grain-a-moudre-d-ete-jerome-kerviel-est-il-devenu-l-homme-a-absoudre-2014-08-04">France Culture</a>, ignore toujours que l’entreprise, en droit, n’existe pas. « Vous polémiquez ! » m’avait-elle dit. Je continue de lui répondre : un peu court Mademoiselle Dufour, retournez plutôt à vos études de <a href="http://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2008-3-page-95.htm">« nouvelle science morale et politique »</a> sous la plume du <a href="http://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2008-3-page-95.htm">Pr. Martinet</a> dans la <em>Revue Française de Gestion</em> !</p>
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<p>Le cas de Jean-Charles Simon, blogueur sur <em>La Tribune</em> et chroniqueur sur BFM qui nous propose d’<a href="http://www.latribune.fr/opinions/blogs/le-blog-du-contrarian/pour-en-finir-avec-l-imposture-kerviel-544338.html">« en finir avec l’imposture Kerviel »</a> mérite aussi qu’on s’y arrête. Un texte bien écrit et surtout remarquablement informé. Forcément ça sème le <em>reasonable doubt</em> sur ses intentions. Alors vous cherchez, et vous découvrez que ce « chroniqueur » a fait l’essentiel de sa carrière dans le secteur bancaire en général, et à diverses fonctions de lobbying en particulier. Qu’il a été aussi, Directeur général du Medef de décembre 2008 à janvier 2010. Le tout après avoir été Directeur de l’Association Française des Entreprises Privées (AFEP) de janvier 2004 à novembre 2008. </p>
<p>Et là, d’un coup, vous vous souvenez que tous les codes de bonnes pratiques de gouvernance sont signées AFEP-Medef. Et que le rapport Bouton 2002 « pour un meilleur gouvernement des entreprises cotées », c’était un code AFEP-Medef. Et là vous vous dites, qu’Olivia Dufour et Jean-Charles Simon, le plus simple est encore de s’inviter dans leur conversation sur les réseaux sociaux…</p>
<p></p>
<p></p>
<p>… Pour leur répondre que la seule question c’est l’abus de confiance. Et que jusqu’à preuve du contraire, l’intentionnalité dudit abus de confiance n’apparaît pas davantage constituée dans l’ordonnance de renvoi du Juge Van Ruymbeke et des divers jugements rendus jusqu'ici que ne sont évoquées quelques-unes des singularités “managériales” de la partie dont la confiance aurait été “abusée”. Par exemple, être la banque du rapport (AFEP-MEDEF) “Bouton”. Voilà donc comment dans un cas comme celui de l'affaire de la Société Générale contre Jérôme Kerviel vous avez un peu l'impression, les années passant, de revivre sans cesse la même journée de la série “Day Break”.</p>
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<p>Le lendemain, j’avais cours avec mes étudiants de Licence. Un vrai régal. Sur la route, j’ai lu le papier de <a href="http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2016/01/20/jerome-kerviel-gagnant-a-tous-les-coups_4850673_1653578.html">Pascale Robert-Diard</a>. Très fin. Très honnête. Elle met les mots : Kerviel, désormais, a gagné puisqu’il gagne à tous les coups. Elle semble le regretter. Regretter que le droit et la justice désormais ne soient plus que des instruments au service des stratégies des parties. Elle semble oublier que dans les affaires médiatico-politico-financières, c’est toujours le cas. Que simplement la roue a tourné, et que c’est désormais Jérôme Kerviel et ses conseils qui ont la main, pour lui sauver la vie. Que les dirigeants de la Société Générale, qui en ont usé et abusé quand ils l’avaient cette main, ont perdu la partie.</p>
<p>Le journaliste du journal <em>Le Soir</em> m’avait demandé ce que tout cela m’inspirait en tant que citoyen. Je lui ai répondu qu’avec le recul je me félicite de cette chance immense : m’être rendu aux audiences, avoir assisté aux dérives concrètes de la justice. Ne pas avoir hurlé avec les loups contre Jérôme Kerviel. Que cela m’ait donné des motifs pour le défendre, en pleine conscience et sens de la responsabilité scientifique, plutôt que de commenter comme un chroniqueur judiciaire qui refuserait les enregistrements Bettencourt en croyant bien faire son travail. Beau billet : <a href="http://prdchroniques.blog.lemonde.fr/2010/07/13/laffaire-bettencourt-le-monde-olivier-metzner-et-moi/">« L’affaire Bettencourt, le Monde, Olivier Metzner et moi »</a>, parce que oui on mesure aussi les qualités d’un(e) journaliste à sa capacité à tirer, d’abord, des leçons de ses erreurs passées. Et si j’écris ceci, c’est aussi parce que je mesure pleinement ma chance : une indépendance des professeurs des universités, garantie par principe à valeur constitutionnelle. Puisque tous ceux qui se sont engagés dans cette affaire, comme Jacques Werren, Philippe Houbbé, Sylvain P. ou Nathalie Le Roy désormais, n’ont pas cette chance.</p>
<p>L’interview que j’ai donnée mercredi matin au journal Le Soir est sortie samedi. Au bon moment pour faire contrepoids aux intox savamment distillées dans <a href="http://www.lesechos.fr/week-end/business-story/enquetes/021633435125-les-irradies-de-la-societe-generale-1194393.php"><em>Les Echos</em></a>. Puisque Jean-Pierre Mustier, pour ne parler que de lui, n’est pas parti <a href="http://www.lemonde.fr/economie/article/2010/07/01/a-la-societe-generale-l-ancien-patron-de-kerviel-etait-un-mythe_1381433_3234.html">« grand seigneur »</a> comme le laisse supposer le papier. Puisqu’il n’a pas immédiatement « démissionné » par noble souci d’exemplarité vis-à-vis de ses équipes. Puisque ce n’est qu’en <a href="http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/banque/20090806trib000407999/jean-pierre-mustier-demissionne-de-la-societe-generale-sous-la-menace-de-l-amf.html">août 2009</a> qu’il a été contraint à la démission, au cœur de la tempête déclenchée par les <a href="http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/08/07/l-amf-met-en-cause-l-ancien-patron-des-marches-de-la-societe-generale_1226532_3234.html">soupçons d’initié</a> dont il faisait l’objet. Et que cela ne lui laissait d’autres choix que de <a href="https://www.ina.fr/video/VDD09025809">quitter la scène</a>.</p>
<p>Et puis parce que, contrairement à ce qui est écrit dans l’article, le même Jean-Pierre Mustier n’a pas été « blanchi » de son amende pour délit d’initié… tout simplement parce qu’il n’a pas interjeté appel de la décision de la commission des sanctions de l’AMF. Parce qu’il a visiblement préféré jouer le droit pénal pour mieux plaider la « faute morale ». Cet argument a visiblement porté puisque le parquet a abandonné les poursuites, ouvrant évidemment la porte à un procès en éventuelles <a href="http://bourse.trader-finance.fr/Societe+Generale+le+Parquet+ne+poursuivra+pas+jean+Pierre+Mustier+392574">complaisances</a>. Il est vrai que dans ce dossier un point n'a jamais été abordé : et si les politiques en matière de rémunérations et de bonus des uns et/ou des autres avaient fourni un « mobile » non négligeable ? Un point qui mériterait assurément examen plus approfondi qu’un revers de non-lieu quand on est contraint d'aborder la relation entre dettes privées et crises des dettes souveraines lors d’une <a href="http://www.dailymotion.com/video/xr6pcn_state-debts-and-financial-bonuses-jean-pierre-mustier-and-sarai-criado_news">table ronde</a> à Mines ParisTech…</p>
<p>On notera d'ailleurs que la ligne a fait jurisprudence : la faute morale, c’est ainsi que Dominique Strauss-Khan avait formulé la reconnaissance de sa culpabilité…</p>
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<p>… comme Jérôme Cahuzac d'ailleurs.</p>
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<p>La faute morale, d’ailleurs ligne de défense très prisée depuis la jurisprudence Bill Clinton dans l’affaire Monica Lewinsky. </p>
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<p>Et voilà comment, en France, on constate une fois encore que <a href="https://theconversation.com/la-recherche-francaise-en-management-pese-t-elle-enfin-dans-l-academic-game-48392">le complexe du Corn Flakes</a> n'impacte pas que le monde de la recherche ou de l'entertainment et qu'il inonde aussi le monde de la communication judiciaire… </p>
<p>Paradoxe d'ailleurs - on n'en est plus à un près dans le cas de cette “affaire” ! - dans un dossier qui pèse des milliards comme celui de la Société Générale, aux États-Unis les « Whistleblowers » seraient protégés par la loi Sarbanes-Oxley et la question se poserait de la récompense à donner au regard de la qualité des informations apportées. Parce que la justice américaine croit, elle, dans le principe d’égalité des parties-prenantes, avec une information prioritaire pour les investisseurs. C'est donc logiquement que les amendes pleuvent aux US contre les banques ou les constructeurs automobiles, comme autant de buts de l’AC Milan. Et cela conduit d'abord à déplorer que les contribuables français ne bénéficient d’une telle protection de la part de ce service public de la justice qu’ils financent pourtant. </p>
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<p>En France, la déraison d’Etat reste plus forte que jamais, une fois que l’on a accédé à la fonction suprême. Et c’est pourquoi l’Histoire pourrait ne pas oublier de dire au président Hollande : « merci pour ce non-moment ». Celui où il aurait pu avoir le courage de sortir de cette si facile réserve pour tenir sa promesse du Bourget : « mon ennemi c’est le monde de la finance ». Parce qu’il aurait ainsi pu faire valoir qu’avec les zones de non-droit de la République, il faut bien en finir. Et que pour mieux en convaincre les gamins des quartiers de certaines banlieues, on va commencer par montrer l’exemple en haut lieu, en faisant d’abord le ménage dans les beaux quartiers de Paris où il réside, ce « monde de la finance ». </p>
<p>On notera que cela aurait été aussi un bon moyen aussi de faire passer la pédagogie des futures réformes à venir dans le cadre du traité transatlantique : oui, les <em>whistleblowers</em> en matière de dénonciation fiscale, il faudra bien finir un jour par les protéger et les récompenser. Comme l’a un temps laissé entendre le Ministre Michel Sapin. Avant de se raviser, et de ne pas récupérer les 2,2 milliards de ristourne fiscale que l’Etat avait, avant tout procès, attribués à la Société de capitaux de l’entreprise Société Générale.</p>
<p>Voilà. Maintenant je peux rallumer ma TV en mode Eminem. Attendre la suite de l’agonie de l’affaire Société Générale. Avec le secret espoir que la démocratie française pourrait avoir le courage, un jour peut-être, de sortir de son opportuniste déni. Et de réviser ses définitions. Puisque dans le monde du non-droit, c’est à ça que l’on reconnaît un Hip-Hop Manager : à sa capacité à vivre et à agir en se battant, et donc en ne renonçant jamais. Souvent seul contre tous. Avec une chance immense : on n’a pas peur de mourir quand on est un survivant. Rap music, Maestro !</p>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/53608/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Suite et fin du game Jérôme K vs SG. On y parle de droit… et d'un monde de non droit.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/532722016-01-18T06:02:31Z2016-01-18T06:02:31ZLettre ouverte au Juge Renaud Van Ruymbeke<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/108337/original/image-20160115-7365-28fx2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Juge Renaud Van Ruymbeke. </span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Monsieur le Juge Van Ruymbeke,</p>
<p>Vous ne me connaissez probablement pas. Je ne crois pas avoir eu la chance de vous croiser un jour, même si les affaires que vous avez instruites me donnent le sentiment de vous connaître un peu.</p>
<p>Je suis professeur de Sciences de Gestion. Les Sciences de Gestion sont une section pleine et entière du Conseil National des Universités (n° 06). Mes collègues m’ont fait l’honneur, en 2013, de m’élire Rédacteur en chef de la plus importante revue académique francophone de mon domaine scientifique. J’y ai vu un honneur, doublé d’un devoir.</p>
<p>L’honneur, c’est celui de porter haut et loin la parole des chercheurs en management, tant depuis de nombreuses années ceux-ci déplorent l’absence de prise en compte des concepts et des théories sur lesquels ils travaillent pour nourrir le débat public et démocratique.</p>
<p>Le devoir, c’est celui de prendre tous les risques, y compris celui de vous écrire cette lettre ouverte.</p>
<p>Depuis 2010, date du rendu du jugement du procès en appel de M. Jérôme Kerviel, je me suis efforcé, avec d’autres, de tirer la <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/10/13/abus-de-confiance-un-appel-pour-une-jurisprudence_1423514_3232.html">sonnette d’alarme</a> sur ce « cas » exemplaire : une instruction permettant de justifier un renvoi de M. Kerviel, seul, au motif d’un chef d’abus de confiance ne saurait, sans dommages avérés, faire l’économie des concepts de sciences du management.</p>
<p>J’ai assisté à la plupart des audiences du procès en appel de M. Jérôme Kerviel, conduites sous l’autorité de la Juge Mireille Filippini. Je me suis autorisé, par tous les moyens que j’ai jugés utiles ou nécessaires, à défendre cette idée que la condamnation, seul, de M. Jérôme Kerviel au titre du chef d’abus de confiance est, du point de vue des sciences du management, une <a href="http://www.lenouveleconomiste.fr/controle-gestion-trou-noir-scandales-financiers-24324/">absurdité pure et simple</a> d’un point de vue scientifique.</p>
<p>Tous les acteurs avec lesquels j’ai pu discuter ces cinq dernières années du cas de M. Kerviel, qu’il s’agisse de journalistes, d’hommes politiques ou même de personnalités du monde judiciaire ont généralement partagé mon point de vue que cette condamnation au motif du chef d’abus de confiance dont se serait rendu coupable M. Kerviel est définitivement absurde.</p>
<p>Tous m’ont toujours fait valoir cependant que c’était l’<a href="http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/L-ordonnance-de-renvoi-de-Jerome-Kerviel-devant-le-tribunal-correctionnel-_NG_-2009-09-02-538869">ordonnance de renvoi</a> signée des juges Desset et Van Ruymbeke qui justifiait ce chef d’inculpation et qu’au vu de votre réputation, de votre compétence et de votre intégrité, aucune discussion voire contestation ne pouvait donc être de mise.</p>
<p>Le professeur de sciences de gestion que je suis, le chercheur en management et gouvernance d’entreprise que je m’efforce d’être, maintient cependant que dans votre ordonnance de renvoi, il n’est jamais fait référence aux domaines qu’étudient les sciences de gestion en général, et aux cadres conceptuels qui fondent <a href="http://www.lenouveleconomiste.fr/affaire-kerviel-ce-quon-pas-encore-dit-23492/">la gouvernance d’entreprise</a> en particulier.</p>
<p>Le 14 janvier 2016, à 22 h 40, l’émission « Complément d’enquête – Kerviel : au cœur du mensonge » n’a pas failli à cette tradition qui consiste, sans doute par méconnaissance, à superbement ignorer la recherche en management. Pour l’œil averti, les deux seuls éléments réellement nouveaux dans cette émission était, d’une part, l’interview de la commandante Nathalie Le Roy ; d’autre part, l’interview de Séverin Cabannes, Directeur général délégué de l’entreprise Société Générale.</p>
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<p>J’imagine que vous connaissez parfaitement les motifs qui ont pu conduire Mme Le Roy à prendre le risque de confirmer ses propos lors d’une émission télévisée grand public. Peut-être même avez-vous regardé cette émission et entendu M. Séverin Cabannes développer un argumentaire – assez détestable… – consistant à décrédibiliser les doutes de Mme Le Roy en faisant remarquer notamment qu’elle n’était après tout qu’une sorte de subordonnée, placée d’abord sous votre autorité.</p>
<p>C’est pourquoi, alors que M. Kerviel sollicite la révision de son procès pénal ; alors que <a href="http://www.20minutes.fr/societe/1767131-20160117-enregistrement-clandestin-pourrait-faire-basculer-affaire-kervielsociete-generale">certains médias</a> font état des « doutes » de Madame Chantal de Leiris ; alors que la cour d’appel de Versailles tiendra audience sur le volet civil du dossier du 20 au 22 janvier 2016 ; je souhaitais porter à votre connaissance cette demande, simple : M. le Juge, avec maintenant un jugement de première instance, une décision d’appel puis une décision de cassation ; avec le recul des amendes infligées à la Société Générale et à l’un de ses principaux dirigeants (pour manquement d’initié) par la commission des sanctions de l’Autorité des Marchés Financiers ; quel regard portez-vous, vous, sur ce dossier dit « Kerviel » ?</p>
<p>Invité pour une conférence le 30 mars 2015, vous auriez déclaré :</p>
<p></p>
<p>Et vous auriez poursuivi en indiquant qu’instruire une affaire, c’est aussi formuler et tester des hypothèses que le magistrat s’efforce de confirmer ou d’infirmer…</p>
<p></p>
<p>Enfin, vous auriez conclu avec humilité :</p>
<p></p>
<p>Votre ouverture d’esprit vous honore. C’est pourquoi je me permets de porter à votre connaissance les échanges que j’ai pu avoir avec deux professeurs émérites de classe exceptionnelle parmi les meilleurs connaisseurs des corpus théoriques de la gouvernance d’entreprise, délibérément « anonymisés ».</p>
<p>Le premier, le voici :</p>
<blockquote>
<p>« Cher Jean-Philippe,
Merci pour ce <a href="http://www.franceculture.fr/emission-du-grain-a-moudre-d-ete-jerome-kerviel-est-il-devenu-l-homme-a-absoudre-2014-08-04">lien</a>. Le cas Kerviel illustre très bien les effets pervers de certains systèmes incitatifs (on pourrait dire la même chose du dopage dans le sport, voire de certains cas de plagiat dans le domaine académique…) évoqués par Jensen qui induisent des comportements malhonnêtes. Mais plus généralement, plus le « crime » est rentable, plus il induit de comportements criminels… Et aucun système n’est totalement efficace pour éliminer ce type de comportement (voir les fraudes informatiques ou la lutte contre le dopage). Dans certains cas (v. Jensen), les systèmes de contrôle incitent même à la triche (voir l’exemple des budgets de Jensen).</p>
<p>« Trois commentaires.</p>
<p>« 1. Une institution est certes responsable des systèmes incitatifs (et des mesures de performance) qu’elle met en place, mais étant en concurrence elle peut difficilement ne pas s’aligner sauf à ne pouvoir attirer certains talents. Autrement dit, il est difficile pour une institution de façon isolée d’avoir des pratiques différentes de celles de l’ensemble de ses concurrentes (de même il est difficile dans certains contextes pour un sportif de ne pas se doper…).</p>
<p>« 2. L’incitation conduit à un accroissement des comportements délictueux en moyenne. Tous les individus soumis au même système incitatif ne se comporteront pas de la même façon. Tous les traders ne fraudent pas comme J. Kerviel et ne finissent pas au pénal.</p>
<p>« 3. Les organisations offrant ce type de rémunération ont tendance à attirer davantage ce type de profil (la mafia n’attire pas habituellement des séminaristes…), selon le principe bien connu de l’appariement. Autrement dit, Kerviel est-il devenu malhonnête en raison des systèmes incitatifs ou, inversement, ne serait-ce pas en raison d’une moins grande éthique qu’il a été attiré par ce type de profession ? (voir l’article de Frank que je vous joins où les traders apparaissent comme la profession ayant le moins bon score moral).</p>
<p>« Autrement dit, il est relativement inévitable que des organisations offrant des rémunérations fortement incitatives attirent des individus en moyenne moins intègres (ou moins scrupuleux) qui investiront davantage pour tourner les systèmes de contrôle. Et ces derniers finiront par être contournés ou détournés quelle que soit leur sophistication.</p>
<p>« Quelle est la part de responsabilité de chacun ? Le fait de pratiquer un système incitatif et de ne pas avoir mis en place un système de contrôle totalement efficace constitue-t-il une présomption de partage de responsabilité ?</p>
<p>« Pour revenir au champ académique. Prenons l’exemple d’un chercheur qui subit une pression importante de son établissement pour publier avec éventuellement une prime à la publication (et un licenciement en cas d’absence de résultat). Pendant plusieurs années, il s’en tire en plagiant, co-signe avec d’autres chercheurs (moyennant des échanges de services). Le système de contrôle ne tient compte que du nombre de publications et du ranking des revues. Un jour, en raison en particulier du plagiat son comportement est détecté et il est sanctionné. Peut-on dire que la responsabilité de l’établissement est engagée ? Alors même que l’établissement lui-même se soumet à une logique nationale, voire internationale ? Ne peut-on parler de responsabilité systémique liée à des logiques de type « courses aux armements » reposant sur des rankings entre établissements qui sont à l’origine des systèmes incitatifs ?</p>
</blockquote>
<p>Le second, c’est celui-ci :</p>
<blockquote>
<p>« (…) Ce soir, sur A2, passe un reportage sur l’affaire K, avec un interview de l’ancienne commissaire en charge du dossier et qui pense avoir été manipulée…Cela ne va pas plaire à tout le monde ! (…) In fine, l’affaire Kerviel me paraît faire ressortir un problème de corporate governance « inversée » (i.e. le top management prenant le dessus tant sur les actionnaires que sur les systèmes de contrôle interne/externe). A suivre… »</p>
</blockquote>
<p>La reproduction de ces deux commentaires, lesquels ne sont d’ailleurs pas nécessairement favorables à M. Jérôme Kerviel, vise à sensibiliser le magistrat que vous êtes à l’existence d’une recherche en management et gouvernance d’entreprise. Ils invitent à formuler au moins deux scénarios.</p>
<h2>Le scenario Festina</h2>
<p>Si l’on suit le cadre conceptuel proposé par le premier commentaire, alors un premier scénario peut être formulé, proche de vos conclusions d’instruction comme du jugement de première instance et de la décision d’appel qui condamnent M. Kerviel. On notera toutefois que le fait d’appréhender d’un point de vue théorique différent le « problème » découvre une autre réalité du cas « Société Générale » : c’est bien d’une affaire « Festina » dont il s’agit et qui doit être traitée comme telle, y compris pour instruire les responsabilités et les complicités.</p>
<p>Admettons que la hiérarchie n’aurait rien vu ni su des agissements d’un membre de son équipe, et de ses comportements dans le peloton pendant plusieurs mois voire années. Alors, un problème majeur persiste : le dopage de l’un aurait donc été un motif essentiel des primes et revenus des autres puisque la « magie » des interactions internes et externes entre une organisation et son environnement conduisent mécaniquement à de potentielles <a href="https://theconversation.com/vivendi-socgen-ubs-volkswagen-des-dirigeants-hero-nomanes-48765">survalorisations</a> boursières. Plus ou moins durables. Le tout étant, pour les intéressés, de savoir d’abord vendre au meilleur moment leurs parts.</p>
<h2>Le scenario <em>corporate governance</em></h2>
<p>Si l’on suit le second commentaire, ce sont les lunettes théoriques d’une « corporate governance inversée » qui mériteraient d’être chaussées. Rappelons que la « corporate governance » est ce corpus de connaissances traitant des modalités d’encadrement de la latitude discrétionnaire des dirigeants. Assurément, la recherche en management invite alors à instruire un second scénario, moins binaire, proche finalement de celui retenu par les magistrats de la Cour de cassation : au vu des conclusions d’instructions menées par l’Autorité des Marchés Financiers, qui savait quoi (et quand, précisément) dans le peloton en général, et au sein de l’équipe de direction de l’entreprise Société Générale en particulier, du dopage de M. Kerviel ? Pire : dans cette seconde hypothèse, les singularités de fonctionnement du « capitalisme à la française » au regard, par exemple, de celles du « capitalisme anglo-saxon », auraient-elles pu être instrumentalisées pour « sauver » une grande entreprise française de la faillite stratégique de son équipe de direction ? C’est ce point que doit trancher la cour d’appel de Versailles qui tiendra ses audiences du 20 au 22 janvier 2016. Votre instruction sera ici d’un maigre appui en raison évidemment de la période où elle a été conduite. Mais aussi parce que les cadres conceptuels et théoriques de la « corporate governance » sont purement et simplement évacués de l’ordonnance de renvoi que vous avez co-signée.</p>
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<p>Reste un troisième scénario, qui se fonderait sur une troisième hypothèse, et dont j’assume ici, seul, la responsabilité de le formuler. C’est ce scénario « US Postal » qui donne crédit aux plaintes déposées par M. Kerviel comme à sa demande de révision pénale.</p>
<h2>Le scenario « US Postal »</h2>
<p>La recherche en management invite à considérer dans ce travail d’équipe qu’est toujours une entreprise, que sur la durée les actions priment sur les décisions, et les fins bien souvent se substituent aux moyens. Aussi, si certains dans la hiérarchie avaient dû savoir que la course était définitivement perdue et que le dopage général aux <em>subprimes</em> finirait un jour ou l’autre par être découvert, alors il aurait suffi de trouver un bon « rouleur ». De ceux qui, perdant tous sens de discernement en raison de leur inexpérience, de leur maigre compétence – autre que technique – et de leur jeune âge, auraient été prêts aux pires dopages sans même réellement s’en rendre compte.</p>
<p>À la lumière d’un tel postulat, toutes les hypothèses – et donc conclusions et décisions – qui font de M. Jérôme Kerviel une sorte de <a href="https://theconversation.com/si-kerviel-j-est-innocent-alors-qui-est-le-coupable-49308">« Lance Amstrong »</a> isolé de l’industrie financière ne tiennent pas. Les épaules du « champion » apparaissent bien frêles pour porter une telle responsabilité. Surtout, ni son expérience, ni les victoires passées de l’entreprise, ni le compte en banque du leader n’apparaissent suffisamment garnis du liquide qui provient de la croissance exponentielle des cours de bourse, de la vente d’actions et de l’exercice de <em>stock-options</em> au meilleur moment.</p>
<p>Dans ce troisième scénario, vous noterez combien tout s’éclaire d’un jour nouveau : des pertes déclarées face auxquelles les gagnants sont introuvables ; une ristourne fiscale comblant précisément et heureusement des pertes annoncées sur les « subprimes » de 2 milliards ; une augmentation de capital qui dirait enfin ce dont elle était le nom, à savoir un moyen d’anticiper les futures exigences accrues en matière de fonds propres des régulateurs… Une sorte de programme, diabolique.</p>
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<p>Puisque, à ce stade, on ne saurait considérer <a href="http://www.reuters.com/article/us-unicredit-idUSBREA2A0XG20140311">14 milliards de provisions chez Unicredit</a> au titre de l’année 2013 comme une preuve tangible de la crédibilité du troisième scénario et donc d’un « serial Amstrong » ancien dirigeant de la Société Générale qui opérerait, lui, toujours, alors on se contentera des deux premières hypothèses pour trancher : oui, le « cas Société Générale » mérite des investigations menées avec des lunettes scientifiques nouvelles. Pour réinstruire le problème des responsabilités. Comme des complicités.</p>
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<p>La mobilisation de la recherche en management pour instruire les affaires politico-financières est à l’évidence une nécessité démocratique. L’<a href="https://theconversation.com/societe-generale-contre-jerome-kerviel-fin-du-game-47989">annulation du procès EADS</a> montre que nous sommes moins que jamais égaux devant la loi et les instructions. La condamnation à plus de 300 millions de dommages et intérêts de <a href="http://www.cbanque.com/actu/45833/ex-trader-de-la-caisse-epargne-boris-picano-nacci-se-desiste-de-son-appel">Boris Picano-Nacci</a> démontre quant à elle qu’il existe désormais une nouvelle « potion juridique magique » en matière d’abus de confiance : la jurisprudence dite « Kerviel ».</p>
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<p>À défaut d’un tel travail d’autocritique, il est à craindre que ne perdure la défiance de l’opinion publique envers toutes les formes d’autorité ou de pouvoir : académiques, médiatiques, politiques ou judiciaires… Dans l’extrait qui suit, le monde judiciaire – et vous-même – jugeait qu’une opinion publique sensibilisée à ses difficultés en matière de moyens d’investigation comme de formation pouvait jouer en faveur d’une prise de conscience et imposer au pouvoir politique des réformes – enfin – de fond du service public de la justice. Assurément, alors que l’opinion publique soutient aujourd’hui majoritairement Jérôme Kerviel, la reconnaissance par un magistrat de votre rang des zones d’ombres et des doutes qui planent sur l’affaire Société Générale/Jérôme Kerviel participerait de cette prise de conscience.</p>
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<p>En conclusion, je ne vous ferais pas l’injure de vous rappeler que les mondes politiques, judiciaires, médiatiques et scientifiques sont à un instant donné unis par cet « ordre du discours » cher au philosophe et professeur au Collège de France Michel Foucault. Je suis certain que vous avez eu l’occasion à d’innombrables reprises de mesurer combien ce sont d’abord de nos propres mots et hypothèses que nous sommes dupes. Je suis aussi convaincu que vous mesurez pleinement combien, dans notre nouveau contexte sécuritaire, s’impose d’urgence une réflexion de fond pour mieux comprendre, agir, et simplement vivre dans notre monde en proie à de profondes transformations.</p>
<p>Alors que votre expérience, votre compétence et votre réputation sont instrumentalisées depuis plusieurs années (et jeudi 14 janvier 2016 encore) par les conseils mandatés par les dirigeants de l’entreprise Société Générale, il vous revient de décider si la situation commande de sortir de la réserve qui incombe d’ordinaire à l’exercice de votre fonction pour faire part d’un éventuel <a href="https://theconversation.com/si-kerviel-j-est-innocent-alors-qui-est-le-coupable-49308">« reasonable doubt »</a>. Du moins bien sûr, si un tel « doute raisonnable » devait exister dans votre esprit comme dans celui de la commandante Nathalie Le Roy, avec le recul de plusieurs années et de procès dits « Kerviel ».</p>
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<p>Avec la pleine conscience d’avoir emprunté un chemin bien peu habituel et qui heurte quelque peu les traditions académiques comme de la magistrature, je vous prie de croire, Monsieur le Juge Van Ruymbeke, en l’assurance de mes sentiments les plus respectueux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/53272/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Le « cas Société Générale », relancé cette semaine, mérite des investigations menées avec des lunettes scientifiques nouvelles. Pour réinstruire le problème des responsabilités… et des complicités.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.