tag:theconversation.com,2011:/global/topics/systeme-de-sante-32263/articlessystème de santé – The Conversation2024-02-27T16:13:54Ztag:theconversation.com,2011:article/2239462024-02-27T16:13:54Z2024-02-27T16:13:54ZDans les hôpitaux, le mal-être des soignants face à l’accélération du rythme de travail<p>Depuis l’an 2000, en France, <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/infographies-comment-la-france-a-perdu-pres-de-80-000-lits-d-hospitalisation-publics-en-vingt-ans_4833931.html">environ 80 000 lits d’hospitalisation complète ont été fermés</a>, représentant un quart de la capacité d’accueil des hôpitaux. Cette évolution vise à favoriser une hospitalisation plus brève, connue sous le nom d’« ambulatoire » où les patients entrent le matin à l’hôpital, reçoivent leurs soins, et repartent dans la journée.</p>
<p>Cette tendance à accélérer la prise en charge s’inscrit dans une <a href="https://www.researchgate.net/publication/281512421_Post-NPM_Reforms_or_Administrative_Hybridization_in_the_French_Health_Care_System">logique d’amélioration de l’efficience et de la rentabilité des hôpitaux</a>, en lien avec les réformes inspirées du <a href="https://books.google.fr/books?hl=en&lr=&id=XFphDAAAQBAJ&oi=fnd&pg=PT4&dq=nouveau+management+public%3B+h%C3%B4pitaux">nouveau management public</a> (NMP), un modèle de gestion qui vise à importer des pratiques du secteur privé dans les organisations publiques. Le NMP permettrait de rendre plus performants les hôpitaux publics, en s’appuyant sur des principes tels que l’optimisation des ressources, le renforcement de la compétitivité face aux structures privées, et <a href="https://journals.openedition.org/quaderni/735">l’amélioration de la capacité de rendement</a>. L’application de ce nouveau modèle de gestion a des répercussions sur le terrain, comme nous avons pu le constater lors de <a href="https://www.researchgate.net/publication/372988846_Ethical_Implications_of_Acceleration_Perspectives_From_Health_Professionals">l’enquête</a> que nous avons réalisée, fondée sur des entretiens avec divers professionnels de santé ainsi que des observations menés <a href="https://inria.hal.science/tel-03553270/">entre 2017 et 2020</a>.</p>
<h2>Des mesures pour réduire les dépenses</h2>
<p>Les réformes, notamment la <a href="https://sante.gouv.fr/professionnels/gerer-un-etablissement-de-sante-medico-social/financement/financement-des-etablissements-de-sante-10795/article/financement-des-etablissements-de-sante">transition d’un budget global à une tarification à l’activité (T2A)</a> en 2004-2005, ont redéfini les incitations financières dans le système hospitalier. Ce changement a instauré une relation entre le volume d’activité réalisé et le financement des établissements, encourageant ainsi une augmentation du nombre de patients pris en charge pour obtenir des fonds liés à l’activité.</p>
<p>Parallèlement, l’émergence des pôles d’activités médico-économiques, initiée par <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000606537/">l’ordonnance du 2 mai 2005</a> et confirmée en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000020879475">2009</a> par une loi portant réforme de l’hôpital, a ajouté une dimension nouvelle.</p>
<p>Les pôles placent les médecins, en tant que chefs de pôles, au cœur des pratiques budgétaires. Ils jouent un rôle déterminant dans l’établissement et la réalisation des objectifs financiers des hôpitaux. La performance est devenue la pierre angulaire de ces changements, répondant à l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM).</p>
<p>Une des conséquences de ces réformes est la <a href="https://inria.hal.science/tel-03553270/">mise en avant d’objectifs de performance quantitatifs</a> tels que la réduction des durées moyennes de séjour, l’augmentation du taux d’occupation des lits et l’augmentation du taux d’activité médicale, incitant les professionnels de santé à <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/AAAJ-12-2019-4309/full/html">accélérer le <em>turn-over</em> des patients</a>.</p>
<h2>La rentabilité est associée à l’accélération du <em>turn-over</em></h2>
<p>Cette accélération du rythme s’inscrit dans le concept plus large d’<a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2010/04/15/la-fuite-en-avant-de-la-modernite_1333903_3260.html">« accélération sociale »</a> et de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/alienation_et_acceleration-9782707182067">« stabilisation dynamique »</a> du sociologue allemand Hartmut Rosa.</p>
<p>L’accélération sociale est définie par Hartmut Rosa comme une tendance de la société moderne à accélérer dans trois domaines principaux : les innovations technologiques, les normes culturelles, et nos rythmes de vie (en réalisant davantage d’actions par unité de temps). Ces processus d’accélération créent un stress chez les individus qui doivent constamment s’adapter à ce rythme effréné caractéristique de la modernité. Afin d’expliciter le processus de stabilisation dynamique, Rosa compare les systèmes capitalistes à un vélo.</p>
<p>Pour maintenir un équilibre, il faut pédaler en continu, aller de l’avant, et augmenter la vitesse sinon le vélo risque de basculer. Dans le contexte des entreprises, cette tentative pour maintenir une stabilité et rester en place se traduit par une intensité de travail croissante. Les décisionnaires voient dans cette accélération une opportunité, associant la rapidité à la rentabilité. Cependant, cette vision occidentale industrialisée du temps, axée sur l’optimisation, peut conduire à des effets néfastes pour les salariés.</p>
<h2>Des effets néfastes sur les soignants</h2>
<p>Du point de vue des soignants, les soins nécessitent du temps, de la lenteur afin d’être présents pour les patients et leur famille. Cependant, cette dimension relationnelle n’est pas toujours possible en raison du manque de temps. On constate alors une <a href="https://www.jstor.org/stable/44875693">érosion de l’éthique du soin</a>. Une cadre de santé, Sylvie, chargée de coordonner les équipes soignantes, a déploré lors de nos entretiens « la perte de cette dimension relationnelle essentielle ». Cette réalité alimente chez elle un sentiment d’insatisfaction au travail.</p>
<p>L’accélération du <em>turn-over</em> des patients a aussi un impact sur le bien-être au travail des soignants. « Cela crée du stress pour tout le monde », affirme Olivier, un autre cadre de santé interviewé lors de notre enquête. Plus le <em>turn-over</em> est élevé, plus la charge de travail des médecins, des internes et des paramédicaux est importante et plus la fatigue se fait sentir, et peut entraîner des cas de dépression, d’absentéisme et de burn-out. Une infirmière, Sara, nous a expliqué que pendant les six premiers mois après son embauche, une fois par semaine, en rentrant du travail dans sa voiture, elle pleurait juste pour des choses stupides, témoignant de l’impact émotionnel de la charge et du rythme de travail intense. Aujourd’hui, elle prévient ses nouveaux collègues qu’elle forme des défis qui les attendent, soulignant la réalité difficile de ce contexte de travail.</p>
<p>Les professionnels se sentent souvent traités comme des automates, semblables à des machines et alertent sur le risque de déshumanisation des soignants. Plusieurs cadres de santé comparent maintenant l’hôpital à une chaîne de production dans une usine.</p>
<h2>Une spirale vicieuse qui crée de la désorganisation collective</h2>
<p>L’accélération du <em>turn-over</em> des patients crée donc non seulement une pression accrue mais aussi une désorganisation collective. En effet, plus l’absentéisme augmente, plus les infirmiers doivent faire des heures supplémentaires et raccourcir leur temps de repos avant leur prochain tour de travail. L’accélération peut donc devenir une spirale vicieuse, brouillant les frontières entre la vie privée et professionnelle des infirmiers.</p>
<p>Camille, une infirmière qui est employée depuis deux ans et demi à l’hôpital, a déjà fait 150 heures supplémentaires. Elle précise que « cela représente plus d’un mois d’heures supplémentaires ». Tandis que sa responsable a réussi à lui octroyer des jours de congé, elle lui conseille de ne pas répondre si l’hôpital l’appelle car il est probable qu’on lui demande de revenir de son congé pour apporter son aide au fonctionnement des services de l’hôpital. Camille estime que « ce type de management est déshumanisant ».</p>
<p>Du point de vue des cadres de santé, cette gestion les pousse à prendre des décisions managériales qui vont à l’encontre de leurs valeurs, générant un sentiment de ne pas respecter les infirmiers, de les manipuler et de les utiliser pour faire face à l’absentéisme. Pour Nathalie, le rôle de cadre de santé voudrait de respecter leur vie personnelle, de respecter les horaires, mais « ce n’est tout simplement pas possible ». Alors, nous confie-t-elle, elle se retrouve régulièrement « contrainte de les épuiser ».</p>
<p>L’impact de ces effets sur les soignants ne fait guère de doute aujourd’hui, en raison d’une littérature scientifique et d’une presse importante. Pourtant, le gouvernement a reporté à 2028 la fin du caractère central de la tarification à l’activité dans le financement des hôpitaux et n’a pas fait d’annonce concernant un plan stratégique visant à assurer le bien-être des professionnels de santé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223946/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agathe Morinière ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plus le turn-over des patients est élevé, plus la charge de travail des soignants est importante et entraîne stress, dépression, absentéisme et cas de burn-out.Agathe Morinière, Maître de conférence (Professeur assistant), EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2077492023-09-05T13:21:26Z2023-09-05T13:21:26ZLes canicules engendrent des coûts. Voici pourquoi il est important de les quantifier<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/542402/original/file-20230811-19-98uwkx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C983%2C666&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les impacts sanitaires et économiques de la chaleur sont souvent invisibles et silencieux.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Parmi les différents événements météorologiques extrêmes (inondations, tempêtes, feux de forêt), ce sont les canicules qui causent les impacts les plus importants sur la santé humaine.</p>
<p>Pour preuve, l’événement météorologique le plus meurtrier de l’histoire du Canada est un dôme de chaleur, c’est-à-dire des températures anormalement chaudes qui durent plusieurs jours, qui a touché la Colombie-Britannique en 2021 et qui a causé <a href="https://www2.gov.bc.ca/assets/gov/birth-adoption-death-marriage-and-divorce/deaths/coroners-service/statistical/heat_related_deaths_in_bc_knowledge_update.pdf">au moins 600 décès</a>. En plus d’une augmentation de la mortalité, les chaleurs extrêmes causent davantage de consultations à l’urgence, de transports en ambulance, d’hospitalisations, d’appels aux lignes d’informations de santé, d’accidents de travail, ainsi qu’une mobilisation accrue des équipes d’intervention. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/541747/original/file-20230808-15-vi1j62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/541747/original/file-20230808-15-vi1j62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/541747/original/file-20230808-15-vi1j62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/541747/original/file-20230808-15-vi1j62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/541747/original/file-20230808-15-vi1j62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/541747/original/file-20230808-15-vi1j62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/541747/original/file-20230808-15-vi1j62.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Anomalies de températures pendant le dôme de chaleur en Colombie-Britannique en 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">NASA</span></span>
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<p>Les changements climatiques rendront les canicules de <a href="https://doi.org/10.1126/science.1098704">plus en plus longues et de plus en plus intenses</a>. Leurs impacts futurs seront d’ailleurs exacerbés par le <a href="https://doi.org/10.1016/j.amepre.2008.08.021">vieillissement de la population et par l’urbanisation croissante</a>. </p>
<p>Dans ce contexte, il est primordial de pouvoir évaluer le fardeau sanitaire et économique que représentent les canicules d’aujourd’hui, mais aussi celles de demain. Or, à ce jour, on n’en connaît encore que très peu sur les impacts économiques de la chaleur extrême.</p>
<h2>Pourquoi en savons-nous si peu ?</h2>
<p>Les catastrophes naturelles comme les inondations, les ouragans ou les feux de forêt causent des dommages matériels aux résidences, aux entreprises et aux cultures agricoles. Comme ces pertes sont souvent remboursées par les assureurs ou par les gouvernements en cas de catastrophe, les données financières associées à ces événements sont plus facilement accessibles et connues. </p>
<p>À l’inverse, les chaleurs extrêmes affectent plutôt la santé de la population. Ces coûts sont donc enfouis dans les dépenses du système de santé ou assumés par l’ensemble de la société, ce qui les rend beaucoup plus difficiles à quantifier. D’ailleurs, on rapporte souvent que la <a href="https://doi.org/10.1289%2Fehp.1206025">chaleur extrême est un « tueur silencieux »</a>, tellement ses impacts sont méconnus et invisibles par rapport aux autres catastrophes naturelles.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/542372/original/file-20230811-29-ltbvjq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="inondation dans la rue" src="https://images.theconversation.com/files/542372/original/file-20230811-29-ltbvjq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/542372/original/file-20230811-29-ltbvjq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/542372/original/file-20230811-29-ltbvjq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/542372/original/file-20230811-29-ltbvjq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/542372/original/file-20230811-29-ltbvjq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/542372/original/file-20230811-29-ltbvjq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/542372/original/file-20230811-29-ltbvjq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les autres catastrophes naturelles, comme les inondations, causent des dommages matériels plus facilement quantifiables.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans les dernières années, de plus en plus d’études ont tenté d’estimer les coûts associés à la chaleur extrême au Canada et ailleurs dans le monde. Par exemple, les prévisions des coûts annuels des décès prématurés liés à la chaleur ont été estimés à <a href="https://climatechoices.ca/wp-content/uploads/2021/06/ClimateChoices_Health-report_Final_June2021.pdf">3,0 à 3,9 milliards de dollars par année d’ici 2050 et de 5,2 à 8,5 milliards d’ici 2080 au Canada</a>. </p>
<p>Bien qu’importantes et pertinentes, les recherches existantes ne s’intéressent souvent qu’à un seul impact de la chaleur sur la santé, soit la mortalité. Or, ses impacts sont divers et nombreux. De plus, l’échelle spatiale de l’analyse est souvent très grande (pays ou province), ce qui limite la possibilité d’effectuer des analyses coûts-bénéfices à des échelles plus locales. Finalement, les approches méthodologiques utilisées dans les études existantes pourraient être améliorées. </p>
<p>Possédant des expertises multidisciplinaires (science des données, hydrométéorologie, santé publique, actuariat), nous cherchons à évaluer les coûts de santé de la chaleur au Québec et au Canada avec des approches novatrices. Par exemple, nous avons récemment utilisé l’intelligence artificielle (IA) pour traiter les grandes bases de données météorologiques et médico-administratives, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0048969723032837">dans l’optique de mieux modéliser les impacts sanitaires de la chaleur</a>. Ces travaux seront mis à profit et poursuivis pour quantifier le fardeau économique de la chaleur.</p>
<h2>Pourquoi est-ce si important ?</h2>
<p>Estimer les coûts de santé historiques et futurs de la chaleur extrême s’avère essentiel pour la mise en place de mesures efficientes et cohérentes dans la lutte climatique. </p>
<p>Du côté de l’atténuation, c’est-à-dire la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), des projections fiables des coûts de santé de la chaleur extrême permettraient d’exposer ce que doivent s’attendre à payer les autorités de santé ou la société en général si les émissions de GES continuent d’augmenter. Ainsi, la réduction des émissions polluantes pourrait être convertie en coûts de santé évités, et donc, en économies potentielles pour les gouvernements et la société. Un argument supplémentaire en faveur de la diminution des GES.</p>
<p>Du côté de l’adaptation, soit les actions à entreprendre pour limiter les conséquences des changements climatiques, les estimations des coûts de santé de la chaleur peuvent servir d’entrées pour des analyses coûts-bénéfices de mesures d’adaptation à mettre en place comme le verdissement ou la lutte aux îlots de chaleur. Dans ces analyses, les bénéfices seraient quantifiés par les coûts de santé de la chaleur évités grâce à ces mesures. D’ailleurs, comme ces actions sont souvent mises en place à l’échelle des quartiers ou des municipalités, des estimations de coûts aussi locales que possible sont nécessaires. À la clé, l’adaptation permettra de réduire les coûts maintenant, mais aussi dans le futur.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/541995/original/file-20230809-15-6g0v7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/541995/original/file-20230809-15-6g0v7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/541995/original/file-20230809-15-6g0v7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/541995/original/file-20230809-15-6g0v7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/541995/original/file-20230809-15-6g0v7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/541995/original/file-20230809-15-6g0v7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/541995/original/file-20230809-15-6g0v7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un parc aménagé en ville comme mesure de lutte contre la chaleur urbaine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Pixabay)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’estimation des coûts de santé des canicules est d’une grande importance, mais a souvent été négligée dans le passé en comparaison aux autres catastrophes naturelles. De nouvelles recherches multidisciplinaires, basées sur des approches méthodologiques avancées, permettront de fournir des données plus complètes et précises sur les impacts économiques de la chaleur extrême. </p>
<p>Ces chiffres représentent une manière efficace de convaincre les décideurs. Comme nos gouvernements comprennent généralement très bien le langage économique, il est impératif d’adapter notre discours afin d’influencer les politiques publiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207749/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeremie Boudreault a reçu des financements de la part du Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), du consortium sur la climatologie régionale (Ouranos) ainsi que de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Celine Campagna et Fateh Chebana ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>De nouvelles recherches doivent être menées afin de quantifier adéquatement les coûts de la chaleur extrême afin de réduire ses effets délétères actuels et futurs.Jérémie Boudreault, Étudiant-chercheur au doctorat en science des données et santé environnementale, Institut national de la recherche scientifique (INRS)Celine Campagna, Adjunct professor, Institut national de santé publique du Québec, Université LavalFateh Chebana, Professor in Data Science applied to the Environment and Environmental Health, Institut national de la recherche scientifique (INRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2071982023-06-26T17:21:15Z2023-06-26T17:21:15ZPartout dans le monde, la résilience des systèmes de santé affaiblie par les réformes néolibérales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/532365/original/file-20230616-19-wyhese.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=35%2C26%2C5955%2C3961&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’épuisement des soignants n’est que l’un des nombreux effets des réformes conduites dans de nombreux pays du monde.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/frightened-doctor-infectious-diseases-having-mental-1709102851">eldar nurkovic/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les systèmes de santé sont avant <a href="https://www.ijhpm.com/article_3902.html">tout des systèmes sociaux</a>. La manière dont ils fonctionnent aujourd’hui s’inscrit dans une histoire politique nationale mais aussi dans la diffusion d’idées et de croyances à l’échelle internationale concernant la manière dont ils devraient être organisés. Or, depuis plusieurs décennies, en de nombreux lieux de la planète, ce sont les idées néolibérales qui ont le vent en poupe et qui ont inspiré les réformes des systèmes de santé. </p>
<p>Un débat organisé par la revue internationale <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277953623000989?via%3Dihub"><em>Social Science & Medicine</em></a> a notamment permis de mettre en exergue les effets qu’ont eus les réformes néolibérales des systèmes de santé sur la <a href="https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/346527/WHO-UHL-PHC-SP-2021.02-fre.pdf">résilience de ceux-ci</a>, c’est-à-dire sur leur capacité à s’adapter aux chocs auxquelles ils sont exposés.</p>
<p>Les crises récentes, à commencer par la pandémie de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/Covid-19-82467">Covid-19</a>, ont mis à rude épreuve cette résilience, déjà mise à mal par les réformes des années précédentes.</p>
<h2>Des systèmes de santé « néo-libéralisés »</h2>
<p>Les exemples ne manquent pas, dans de nombreux pays du monde.</p>
<p>En France, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2022/12/LONDON/65370">Nicolas Da Silva</a> montre parfaitement comment, au cours de l’histoire des réformes successives du système de santé, on a de plus en plus laissé le service privé et la pratique privée de la médecine se développer, y compris au sein des hôpitaux publics. Alors que les soins concernent d’abord les malades, ceux-ci ont été mis à l’écart des prises de décisions qui affectent directement leur vie.</p>
<p>Au Mali et au Sénégal, les thèses de <a href="https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/24405">Lara Gautier</a> et de <a href="https://theses.hal.science/tel-02336956">Jean-Hugues Caffin</a> ont explicité comment les organisations internationales cherchent à imposer la mise en œuvre de réformes néolibérales des systèmes de santé nationaux, à commencer par l’indexation du financement sur la performance.</p>
<p>L’objectif, le plus souvent, est d’inciter à l’utilisation d’instruments politiques issus de la « nouvelle gestion publique » (<a href="https://www.cairn.info/revue-gestion-et-management-public-2012-2-page-1.htm">New Public Management</a>, NPM) où l’État est censé réduire ses actions au profit d’acteurs privés, soi-disant plus efficaces.</p>
<p>Dans le domaine des réformes hospitalières, cela se traduit par une demande de plus d’autonomie pour les établissements, d’approches contractuelles où les hôpitaux ont des objectifs à atteindre pour obtenir des financements, de séparation des fonctions entre l’acheteur et le fournisseur de soins, de paiement direct de la part des patients ou d’incitations liées à l’atteinte d’objectifs de performance.</p>
<p>Dans les années 1990, des <a href="https://link.springer.com/book/10.1057/9780230599819">études</a> conduites au Ghana, au Zimbabwe, au Sri Lanka, en Inde et en Thaïlande avaient déjà mis en évidence les effets catastrophiques de ces approches sur le fonctionnement des hôpitaux et l’accès aux soins. En France, les réformes de l’hôpital public ont été qualifiées par des spécialistes de <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/la-casse-du-si%C3%A8cle/">casse du siècle</a>. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-racines-de-la-crise-de-lhopital-128341">Les racines de la crise de l’hôpital</a>
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<p>Au <a href="https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2011-1-page-57.htm">Québec</a>, une analyse portant sur 50 années (1961-2010) de réformes s’appuyant sur le NPM constate qu’elles ont abouti à « l’omniprésence de l’idéologie managériale » et eu un impact profondément négatif sur le système de santé. Une synthèse mondiale du recours des approches fondées sur le paiement à la performance dans les systèmes de santé montre <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/JHOM-04-2020-0161/full/html">qu’il n’existe pas de théorie</a> permettant de justifier scientifiquement cette approche et que son application doit plus à l’idéologie du NPM qu’à son efficacité concrète pour mieux soigner les malades.</p>
<p>Dans la revue du MAUSS, <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2013-1-page-77.htm">Batifollier</a> montre aussi combien en France, <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/front-matter/introduction/">comme en Afrique d’ailleurs</a>, la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/15/la-marchandisation-des-soins-et-la-financiarisation-de-la-sante-s-opposent-a-l-ideal-d-un-systeme-solidaire-equitable-et-de-qualite_6177809_3232.html">marchandisation</a> des soins s’est développée au détriment de la solidarité, de l’accès aux soins et des relations de soins. </p>
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<p><a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2022-2-page-5.htm">Gelly et Spire</a> ont rendu compte des effets délétères de la présence du privé dans les hôpitaux publics français sur l’égalité de traitement pour les patients mais aussi sur les conditions de travail des soignants.</p>
<h2>Aux racines d’une crise organisationnelle</h2>
<p>C’est dans ce contexte, dont un <a href="https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/cus/front-matter/introduction/">résumé concernant l’Afrique est présenté ailleurs</a>, qu’il faut appréhender la façon dont les systèmes de santé contemporains réagissent aux crises. Que ces crises soient internes (changements de personnel, mode de financement, modalité de gestion) ou externes (épidémie, attaque informatique ou terroriste, ouragan, etc.), de forte ou de basse intensité, de courte ou de longue durée, anticipées ou non, il est essentiel de comprendre comment les systèmes y font face.</p>
<p>L’enjeu n’est évidemment pas seulement scientifique ou conceptuel : il suffit de penser aux épidémies ou aux événements liés aux changements climatiques (canicules, inondations, etc.) pour comprendre qu’il est indispensable de tirer les leçons de ces expériences afin de se préparer à réagir au mieux face à d’autres événements similaires. Comment expliquer l’absence de préparation du système de santé français à la pandémie de Covid-19 alors qu’il disposait de plans, de comités, et d’expériences, avec par exemple la canicule de 2003, les attentats de 2015 ou la lutte contre le VIH ? </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/democratie-sanitaire-en-france-les-lecons-de-la-pandemie-de-covid-19-200369">Démocratie sanitaire en France : les leçons de la pandémie de Covid-19</a>
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<p>Le concept de résilience est très ancien et, évidemment, ses critiques sont nombreuses et <a href="https://academic.oup.com/heapol/article/32/suppl_3/iii88/4210464?login=false">très connues</a>. D’abord utilisé dans le monde de la physique et de la <a href="https://www.ecologyandsociety.org/vol21/iss4/art44/">biologie</a>, puis développé dans celui de la psychologie, il a été mobilisé plus récemment dans le champ de la <a href="https://bmchealthservres.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12913-023-09242-9">recherche sur les systèmes de santé</a>.</p>
<p>Il convient, en employant ce concept, de ne pas se laisser emporter par le mésusage politicien d’une résilience néolibérale comme cela a été le cas de nombreux pays durant la pandémie de Covid-19. Le terme a été instrumentalisé à des fins politiques, afin de cacher les enjeux de pouvoir, les inégalités structurelles et surtout les réformes de ces dernières décennies qui ont contribué, comme nous venons de l’expliciter, à <a href="https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2022-3-page-215.htm">fragiliser les systèmes de santé</a>. En quelques jours, les politiciens de presque tous les pays ont trouvé des moyens presque infinis pour répondre à la crise alors qu’ils n’en trouvaient pas pour renforcer les systèmes de santé et qu’ils les avaient fragilisés avec des instruments néolibéraux, justifiés par… le manque de financement et leur efficience théorique.</p>
<h2>La négligence des soins de santé primaires en temps de crise</h2>
<p>On se rappellera qu’en 2008, le <a href="https://apps.who.int/iris/handle/10665/43951">apport mondial de la santé de l’OMS</a> mettait en avant trois principales tendances nuisant à l’orientation des systèmes de santé envers les soins de santé primaires : l’hospitalo-centrisme, la marchandisation, la fragmentation. Cela explique certainement pourquoi <a href="https://apps.who.int/gb/ebwha/pdf_files/EB152/B152_5-en.pdf">l’Assemblée mondiale de la santé de mai 2023</a> a mis l’accent sur le fait que les soins de santé primaires sont la fondation de la résilience des systèmes de santé, dont il faut s’occuper en urgence. </p>
<p>Quinze ans après ce rapport, nos études ont montré que ce contexte de réformes néfastes avait contraint les établissements de santé lorsqu’il a fallu faire face à la pandémie de Covid-19. C’est le cas aussi bien au <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/23288604.2023.2186824">Québec</a>, qu’au <a href="https://gh.bmj.com/content/7/Suppl_9/e010683.info">Mali</a>, dans le <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2021-6-page-971.htm?ref=doi">Nord-Est du Brésil</a>, à <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/23288604.2023.2175415">Tokyo</a>, au <a href="https://gh.bmj.com/content/7/Suppl_9/e010062">Sénégal</a> ou <a href="https://gh.bmj.com/content/1/1/e000056">au Burkina Faso</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/senegal-un-modele-dassurance-sante-resilient-en-temps-de-covid-19-143116">Sénégal : un modèle d’assurance santé résilient en temps de Covid-19</a>
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<p>Ces exemples tirés d’études scientifiques confirment que l’étude de la résilience n’empêche évidemment pas une <a href="https://odi.org/en/publications/applied-political-economy-analysis-a-problem-driven-framework/">analyse d’économie politique</a>, au cœur, depuis longtemps, de la recherche sur les systèmes de santé.</p>
<h2>Comprendre la résilience</h2>
<p>En outre, à l’aide d’une <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4255090">démarche systématique et consensuelle</a>, les travaux menés par notre équipe ont permis de tirer des leçons opérationnelles et de les valider auprès des différentes parties prenantes. Certaines suggèrent par exemple de fournir aux équipes médicales un encadrement plus réactif en matière de prévention et de contrôle des infections, ou encore d’améliorer la coordination et la numérisation des systèmes d’information par les autorités sanitaires afin de faciliter le partage de l’information et la prise de décision rapide par la direction de l’hôpital. Mais évidemment, tout cela n’est possible que si les enjeux d’économie politique et de contexte local sont pris en compte dans la mobilisation de ces leçons des crises passées.</p>
<p>Ainsi, la résilience n’est finalement qu’un mot, qu’un concept, dont on voit bien que chacun <a href="https://gh.bmj.com/content/8/1/e010895.abstract">peut l’interpréter dans le sens qu’il le souhaite</a>. </p>
<p>Pour des raisons idéologiques, certains peuvent vouloir ne pas l’utiliser car ils l’interprètent dans une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17441692.2023.2212750">perspective néolibérale</a>, bien loin de son origine, de son usage possible et de son utilité pour la recherche sur les systèmes de santé. Ce qui est certain, c’est que « la poursuite de l’économie néolibérale ne résoudra pas les problèmes d’inégalité et de changement climatique, et ne fera pas de la santé un droit humain fondamental », <a href="https://www.bmj.com/content/381/bmj.p1178">comme viennent de l’affirmer Michael Marmot et Paulo Buss</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207198/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valery Ridde a reçu des financements de l'ANR, des IRSC et de l'AFD pour les études évoquées dans cet article. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christian Dagenais a reçu des financements des IRSC et de l'ANR pour les études évoquées dans.cet article.</span></em></p>Ayant subi des années de réformes néolibérales, les systèmes de santé de nombreux pays du monde ont vu leur résilience face aux crises se réduire significativement.Valery Ridde, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)Christian Dagenais, Professeur, département de psychologie, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2072462023-06-15T16:41:00Z2023-06-15T16:41:00ZDébat : Changer les mots pour changer le système de santé ?<p>Nos <a href="https://theconversation.com/crise-des-systemes-de-sante-en-europe-comment-expliquer-les-difficultes-francaises-198807">systèmes de santé sont en crise</a>. La pandémie Covid-19 n’a fait que rendre plus aigu le besoin de revisiter les fondements sur lesquels de nombreux pays doivent faire face aux besoins de santé de leur population et de définir les niveaux de réponse afin de trouver les formes les plus efficientes.</p>
<p>L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) tente depuis plusieurs décennies de proposer une organisation qui définisse au mieux le rôle des services de santé et leur complémentarité. C’est dans ce contexte qu’est apparue en 1978, lors de la conférence d’Alma-Ata, la notion de « primary health care ». Ce terme a été traduit en langue française par l’expression « soins de santé primaires », souvent simplifiée de nos jours en « soins primaires ».</p>
<p>Or, cette traduction, bien ancrée dans le monde francophone,
nous apparaît non seulement erronée, mais aussi source de nombreuses fausses interprétations. Son existence ne facilite pas la transformation majeure et nécessaire que doivent opérer nos systèmes de santé.</p>
<p>De quoi parle-t-on exactement, et comment faudrait-il le dire ?</p>
<h2>À quoi correspond le concept de <em>primary health care</em> ?</h2>
<p>Lorsque l’on parle de soins primaires, la première question à se poser est celle de leur définition : de quels soins parle-t-on ? </p>
<p><a href="https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/primary-health-care">Pour l’OMS</a>, les <em>primary health care</em> constituent </p>
<blockquote>
<p>« une approche de la santé tenant compte de la société dans son ensemble qui vise à garantir le niveau de santé et de bien-être le plus élevé possible et sa répartition équitable en accordant la priorité aux besoins des populations le plus tôt possible tout au long de la chaîne de soins allant de la promotion de la santé et de la prévention des maladies au traitement, à la réadaptation et aux soins palliatifs, et en restant le plus proche possible de l’environnement quotidien des populations. »</p>
</blockquote>
<p>Trois notions méritent d’être soulignées dans cette définition : un niveau de santé et de bien-être le plus élevé possible, une action le plus en amont possible et une proximité des interventions. </p>
<p>Ces points ont été complétés en 2018 lors de la déclaration d’Astana, signée par l’ensemble des États membres de l’ONU, et qui lie ces soins à la couverture sanitaire universelle d’une part, aux objectifs de développement durable d’autre part. </p>
<p>Enfin, ces soins sont en mesure, par leur proximité avec les populations, de lutter plus efficacement contre les iniquités en santé, y compris en se mobilisant pour participer pleinement à la préparation contre les futures crises ou pandémies.</p>
<p>Peut-on, dès lors, considérer que la traduction de <em>primary health care</em> transcrit de façon satisfaisante ces diverses facettes ?</p>
<h2>Une traduction erronée</h2>
<p>Rappelons tout d’abord que le terme « primaire » en langue française se traduit généralement en anglais par « elementary » ; l’école primaire est ainsi appelée dans beaucoup de pays anglo-saxons « elementary school ».</p>
<p>Selon l’un des dictionnaires les plus affûtés, « The American Heritage College Dictionary », <a href="https://www.ahdictionary.com/word/search.html?q=primary">le terme anglais <em>primary</em></a> signifie « first or higher in rank, quality or importance » et « principal ». Le Larousse en donne quant à lui deux traductions au terme : <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/anglais-francais/primary/604020">« premier ou principal » et « fondamental »</a>. </p>
<p>Dans les notes de la traductrice du célèbre ouvrage de la pensée politique <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/theorie-de-la-justice-john-rawls/9782757814161">« Théorie de la justice »</a> du philosophe américain <a href="https://www.economie.gouv.fr/facileco/john-rawls">John Rawls</a>, considéré comme un texte fondamental de la philosophie politique, le terme « primary goods » est traduit par « biens premiers », et non par « biens primaires ». </p>
<p>À l’inverse, le terme « primaire » en français porte également selon le dictionnaire Le Robert une connotation plus négative : <a href="https://dictionnaire.lerobert.com/definition/primaire">« simpliste et borné »</a>.</p>
<p>On peut donc légitimement se demander s’il ne faudrait pas abandonner en français ce terme de <em>primaire</em>, qui n’exprime pas la dimension « principale » de <em>primary</em> et devient source de confusion, au bénéfice d’une terminologie plus fidèle au concept ?</p>
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<h2>Parler plutôt de « soins de première ligne » ou « soins primordiaux »</h2>
<p>En quoi ces considérations linguistiques peuvent-elles influer sur le système de santé ? L’enjeu n’est pas uniquement sémantique. </p>
<p>Le recours au terme « soins de première ligne » permettrait en effet de mieux caractériser l’étendue et, souvent, la complexité de ces soins, comme l’ont relevé des experts <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/541288/l-avenir-des-soins-de-premiere-ligne-au-quebec">au Québec</a> et <a href="https://www.lesoir.be/200508/article/2019-01-14/que-signifie-soins-de-premiere-ligne">en Belgique</a>. </p>
<p>En optant pour une labélisation en lien avec le terme anglais originel, on positionne mieux la première ligne dans les enjeux actuels des crises des systèmes de soins. L’actualité nous confirme malheureusement régulièrement que nos systèmes de soins sont trop hospitalo-centrés. Cette situation est en lien avec une mauvaise perception des décideurs vis-à-vis de l’importance de la première ligne, qualifiée à tort de « primaire » et donc, moins valorisée et valorisante. Ainsi, faisant le bilan de 40 ans de mise en œuvre de ce concept dans les pays, <a href="https://www.who.int/docs/default-source/documents/about-us/evaluation/phc-report-final-french.pdf?sfvrsn=54ec0281_2">l’OMS mettait en exergue en décembre 2019</a> : </p>
<blockquote>
<p>« La traduction de la volonté politique en actes est une condition préalable essentielle à la réalisation des principes et des objectifs des soins de santé primaires »</p>
</blockquote>
<p>Une autre option consisterait à parler de « soins primordiaux », ce qui comporterait l’avantage de mettre l’accent sur la nature essentielle des services qui sont inclus dans cette définition. Elle permettrait de remettre à l’endroit la pyramide des services, plaçant au centre du dispositif les activités (et donc les professionnels) qui sont au contact des personnes de manière régulière et proche. </p>
<p>Pour ne pas susciter de résistance de la part des soins prodigués par l’hôpital ou les spécialistes, qui, à juste titre, pourraient rétorquer qu’eux aussi font des soins primordiaux, tel un chirurgien qui opère une tumeur maligne ou un ophtalmologue qui traite un décollement de rétine, elle devrait être expliquée et mettre l’accent sur la nécessaire continuité et complémentarité des soins. Elle permettrait également de démontrer qu’une telle approche est de nature à soulager l’hôpital, actuellement en proie à un engorgement chronique du fait de l’absence d’une régulation organisée en amont.</p>
<p>Cette redéfinition des soins donnerait finalement des clefs pour les transformations de nos systèmes de santé, qui montrent dans de nombreux pays des signes inquiétants de vulnérabilité, notamment <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/27/crise-des-systemes-de-sante-en-europe-la-grande-penurie-de-soignants_6136283_3210.html">par la pénurie de professionnels de santé qui se dessine</a>. </p>
<p>Elle permettrait de redonner un sens collectif à tous ces métiers. Elle valoriserait le travail en équipe et éviterait les dérives corporatistes. Elle offrirait une alternative à l’organisation en tuyau d’orgue de nos systèmes. Elle serait la réponse durable à la crise de l’hôpital, en facilitant des parcours plus fluides. Elle faciliterait la capacité de nos systèmes de santé à répondre aux défis de développement durable en participant à une moindre empreinte carbone. Enfin, elle faciliterait une appropriation de nos organisations sur les territoires de proximité, au profit des associations d’usagers et des collectivités territoriales, dessinant ainsi une véritable démocratie en santé.</p>
<p>« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », disait Albert Camus. En poursuivant cette idée, nous pourrions ajouter, mieux nommer ce concept de « primary care », c’est participer au réconfort de nos systèmes de santé !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207246/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Chambaud est membre du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jacques Cornuz est membre de l'Académie suisse des sciences médicales.</span></em></p>« Traduire, c’est trahir », dit l’adage. Conceptualisée en 1978, la notion de « primary health care » a été transcrite en français par « soin de santé primaire ». Ce qui ne va pas sans poser question…Laurent Chambaud, Médecin de santé publique, École des hautes études en santé publique (EHESP) Jacques Cornuz, Professeur, docteur en médecine, tabacologue - Directeur général d’Unisanté, Université de LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1988072023-03-12T17:15:23Z2023-03-12T17:15:23ZCrise des systèmes de santé en Europe : comment expliquer les difficultés françaises ?<p>Les systèmes de santé de nombreux pays européens sont en difficulté. Au Royaume-Uni, le manque de moyens pour le National Health Service (NHS) est criant depuis des années. En Espagne, des manifestations d’ampleur à la fin de l’année dernière demandaient de meilleures conditions de travail pour les soignants. En Italie ou en Allemagne, la crise de recrutement des soignants prend des proportions inquiétantes. Au Québec, des voix s'élèvent <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1855525/rapport-final-commissaire-sante-bien-etre-pandemie-quebec">pour repenser en profondeur le système de santé</a>.</p>
<p>La France, elle aussi, vit au rythme des crises de son système de santé. Elles ont précédé la pandémie de SARS-Cov-2, et reviennent régulièrement sur le devant de la scène. Cette fragilité, qui touche tous les secteurs, de l’hôpital au médico-social en passant par le secteur libéral. Quelles sont les raisons de cette situation de crise permanente ? </p>
<h2>Le système de santé français</h2>
<p>Les systèmes de santé qui ont été mis en place dans les pays occidentaux après la Seconde Guerre mondiale pouvaient à l’origine <a href="https://www.cairn.info/la-reforme-des-systemes-de-sante--9782715406711-page-22.htm">être classés en trois catégories</a> : les systèmes nationaux de santé (pays scandinaves, Royaume-Uni, Italie, Espagne…), les systèmes de santé basés sur l’assurance-maladie (France, Allemagne, Pays-Bas…), et les systèmes de santé libéraux (États-Unis, Suisse).</p>
<p>Le système français s'est construit selon les principes de la seconde catégorie : l’offre de services de santé est en partie publique (majeure partie du système hospitalier notamment), en partie privée, et financée dans une large proportion par des cotisations sociales. Son fonctionnement <a href="https://www.cleiss.fr/particuliers/venir/soins/ue/systeme-de-sante-en-france.html#ambulatoire">repose sur l’articulation de différentes structures</a>, qui assurent des niveaux d'attention aux personnes peu coordonnés entre eux : les soins « de ville » (notamment assurés par les professionnels libéraux, mais pas uniquement), l'accueil dans les établissements de santé, et les dispositifs d'accueil et de soutien médico-social et social (publics « fragiles », âgés ou porteurs de handicaps). Dans ce système, chaque patient peut en théorie choisir son médecin, généraliste ou spécialiste, et son établissement de santé.</p>
<p>Basé sur des principes d’universalité, d’égalité, d’accessibilité et de qualité, ce système est aujourd’hui en crise, même si c’est en France que le reste à charge des ménages est encore, en moyenne, le plus faible des pays de l’OCDE après le Luxembourg (<a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-documents-de-reference-communique-de-presse/panoramas-de-la-drees/CNS2022">8.9 % de la dépense courante, en incluant la part des complémentaires</a>).</p>
<p>Les difficultés de l’hôpital public sont sous le feu des projecteurs, mais les autres secteurs ne sont pas épargnés, comme le souligne la récente grève des médecins libéraux et <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/01/echec-de-la-convention-medicale-medecine-liberale-financement-public_6163723_3232.html">l’impasse de la négociation conventionnelle</a>.</p>
<h2>Une crise systémique</h2>
<p>En France, l’espérance de vie sans incapacité à la naissance continue à évoluer de façon positive : elle était estimée en 2021 <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/etudes-et-resultats/lesperance-de-vie-sans-incapacite-65-ans-est">à 67 ans chez les femmes et 65,6 ans chez les hommes</a>. Ce chiffre, qui se situe juste au niveau de la moyenne des pays européens, ne doit cependant pas être utilisé pour éviter de s’interroger sur la fragilité de notre système de santé. </p>
<p>En effet, <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/286468-l-etat-de-sante-de-la-population-en-france-edition-2022">certains indicateurs de l’état de santé sont préoccupants</a> : taux de mortalité infantile en hausse, évolution préoccupante du surpoids et de l’obésité (notamment en fonction des conditions sociales), taux de vaccination contre le papillomavirus faible, signant un déficit en prévention médicale, évolution préoccupante du surpoids et de l’obésité, toutes ces données accentuées par de fortes inégalités sociales.</p>
<p>Dans son avis n° 140, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) souligne d’ailleurs que la situation tendue de l’hôpital public est <a href="https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2022-11/Avis140_Final_0.pdf">« le symptôme le plus saillant de la crise du système de soin »</a>.</p>
<p>Mais l’hôpital n’est pas le seul secteur concerné. Le problème des « déserts médicaux » vient rappeler que l’organisation des soins dits « primaires », c’est-à-dire permettant le premier contact avec le patient, laisse une partie de la population sans solution d’accès aux services. </p>
<p>Une des conséquences, en France comme dans de nombreux pays, est que les urgences hospitalières deviennent de plus en plus le premier recours, ce qui contribue à l’engorgement de ces structures, dont certaines se retrouvent par ailleurs <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/A-lhopital-services-durgences-ferment-nuit-faute-soignants-2022-01-25-1201196712">contraintes de fermer la nuit, faute de personnels</a>.</p>
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<p>Enfin, le scandale Orpea, révélé suite à la parution, le 24 janvier 2022, du livre-enquête <em>Les Fossoyeurs</em>, du journaliste Victor Castanet, démontre que la question du vieillissement et de l’accompagnement des dépendances est loin d’être réglée dans notre pays. S’interroger sur la capacité de notre société à accompagner dignement les personnes les plus fragiles, les plus vulnérables passe non seulement par la valorisation et la reconnaissance des personnels qui travaillent auprès de ces publics, mais aussi par une réflexion sur le type de structures et services à développer et leur mode de financement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/deserts-medicaux-lacces-reel-des-patients-aux-soins-est-aussi-important-que-le-nombre-de-medecins-199703">Déserts médicaux : l’accès réel des patients aux soins est aussi important que le nombre de médecins</a>
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<p>Les raisons de cette situation dégradée, qui peut être qualifiée d’endémique, sont connues. Elles ne sont pas spécifiques à la France et se retrouvent dans toutes les sociétés, dans tous les pays. </p>
<h2>Trois raisons majeures à l’évolution des besoins de santé</h2>
<p>La crise du système de santé français est liée tout d’abord à une forte évolution des besoins de santé, caractérisée par trois éléments majeurs. </p>
<p>Deux d’entre eux sont connus depuis des décennies : la progression régulière <a href="https://www.cairn.info/revue-raison-presente-2022-3-page-121.htm?contenu=article">des maladies chroniques</a> (maladies cardiovasculaires, diabète, cancers, maladies neurodégénératives…) et le vieillissement de la population. </p>
<p>Ces deux facteurs modifient en effet le profil des patients, et demandent des approches plus transversales et globales. Ainsi, près de 4 millions de personnes vivent aujourd’hui avec un cancer dans notre pays. Il faut non seulement que le diagnostic soit le plus précoce possible, mais aussi que les patients bénéficient des meilleurs traitements pendant l’ensemble de leur parcours. Il faut aussi, pour pouvoir vivre avec cette maladie, garder une vie sociale ainsi qu’une inscription professionnelle.</p>
<p>Un troisième élément a un impact sur l’évolution des besoins de santé comme nous l’a brutalement rappelé la pandémie de Covid-19 : c’est le fait que nous sommes et resterons confrontés à notre environnement. Notre écosystème continuera à avoir un impact sur la santé des populations, que ce soit par la survenue d’épidémies, ou par les conséquences des évolutions de notre planète, en premier lieu les effets du changement climatique. Or, nos systèmes de soins et de santé publique ne sont pas prêts à prévenir et absorber de tels chocs dont la fréquence et la gravité risquent selon toute vraisemblance d’augmenter.</p>
<p>En outre, en regard de cette évolution des besoins, des changements dans la nature et le niveau des ressources professionnelles et dans les modes d’exercice sont en cours. </p>
<h2>La question des ressources humaines</h2>
<p>La France, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/27/crise-des-systemes-de-sante-en-europe-la-grande-penurie-de-soignants_6136283_3210.html">comme de nombreux pays</a>, fait face à une pénurie de professionnels de santé. Ce déficit se double d’un manque d’attractivité de ces professions. La récente alerte sur <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/01/31/pharmacie-la-penurie-de-diplomes-fait-craindre-la-catastrophe_6159908_4401467.html">l’effondrement des effectifs d’étudiants en pharmacie en est une illustration</a></p>
<p>Ce manque d’attractivité se retrouve également dans les fonctions d’encadrement et de management, comme le révèlent les statistiques de l’École des hautes Études en Santé publique. Ainsi, depuis plusieurs années, un pourcentage non négligeable de postes offerts pour les élèves directeurs d’établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux, directeurs de soins, attachés d’administration hospitalière ou inspecteurs de l’action sanitaire et sociale ne sont pas pourvus.</p>
<p>Par ailleurs, les modes d’exercice évoluent eux aussi fortement. Les jeunes professionnels ne souhaitent plus s’installer de manière isolée, et sont en demande d’une grande souplesse dans leur carrière. Ils et elles privilégient les exercices collectifs pluriprofessionnels, comme les maisons de santé pluriprofessionnelles, en pleine expansion (leur nombre a plus que doublé entre 2017 et 2022, avec 2251 maisons de santé au 31 décembre 2022) ou les centres de santé. Ils souhaitent concilier vie professionnelle et vie personnelle, et sont prêts à utiliser les avancées des nouvelles technologies. Mais avant tout, ils et elles demandent à retrouver du sens dans leur engagement professionnel.</p>
<h2>Un décloisonnement à améliorer</h2>
<p>Le cloisonnement des structures et l’organisation en silos sont une constante de nos systèmes de santé. Construits sur le paradigme dominant de l’hospitalo-centrisme au sortir de la 2e Guerre mondiale, ils n’ont, pour bon nombre d’entre eux, que peu évolué dans leurs fondements. </p>
<p>Ce modèle qui se reflète dans les types de recrutement des professionnels autant que dans les modes de financement. D’une part, les recrutements sont liés à une structure et deviennent de plus en plus spécialisés, chaque exercice se trouvant ainsi isolé. D’autre part les modes de financement privilégient l’activité (<a href="https://theconversation.com/hopital-financement-au-parcours-de-soins-lhumain-avant-loutil-101076">tarification à l’activité pour l’hôpital</a>, à l’acte pour le libéral) et non la continuité des services à la personne. Cette situation ne favorise pas la nécessaire coordination des interventions autour de la personne malade ou fragilisée, <a href="https://www.igas.gouv.fr/spip.php?article437">malgré les nombreux dispositifs empilés pour lutter contre ce cloisonnement</a>.</p>
<p>Pourtant des initiatives montrant des effets positifs en termes de décloisonnement existent. C’est par exemple le cas <a href="https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/parcours-des-patients-et-des-usagers/article-51-lfss-2018-innovations-organisationnelles-pour-la-transformation-du/les-experimentations/article/experimentation-d-un-paiement-en-equipe-de-professionnels-de-sante-en-ville">du paiement en équipe de professionnels de santé en ville (PEPS)</a>, qui consiste à mettre en place, pour des médecins généralistes et infirmiers exerçant dans une structure de ville (maisons ou centres de santé par exemple), une rémunération forfaitaire collective à la place du paiement à l’acte. Mais ces dispositifs <a href="https://www.irdes.fr/recherche/seminaires-les-mardis-de-l-irdes-en-economie-de-la-sante.html">restent expérimentaux et se diffusent peu</a>.</p>
<h2>Des nouvelles technologies dont l’impact reste à évaluer</h2>
<p>Les nouvelles technologies sont souvent présentées comme une solution pour alléger la charge qui pèse sur le système de santé.</p>
<p>Elles pourraient certes permettre de mieux répondre aux besoins des personnes, sans aggraver les inégalités sociales et géographiques d’accès aux soins (grâce à la téléconsultation par exemple). Ou être utilisées pour améliorer le quotidien des patients (prothèses pour certains patients dépendants, nouveaux traitements…), des soignants (<a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/des-exosquelettes-pour-soulager-les-soignants">exosquelettes pour les assister</a> dans les gestes les plus pénibles…). Des évolutions majeures sont anticipées dans certaines spécialités (robots chirurgicaux, amélioration des diagnostics grâce à l’intelligence artificielle…). Le secteur biomédical est également concerné, avec la mise au point de nouvelles stratégies de développement des médicaments, ciblant des produits « de niche », personnalisés (mais très onéreux…).</p>
<p>Enfin, les nouvelles technologies contribuent aussi au développement d’outils de prévention individuelle, par la mise sur le marché de nombreuses applications, plus ou moins validées, plus ou moins utiles.</p>
<p>Cependant, l’impact réel de ces avancées sur le système de santé est pour l’instant difficile à appréhender, en raison du grand nombre de domaines concernés. Évaluer leur impact réel demandera un suivi attentif de toutes ces technologies dans les années à venir.</p>
<p>Un autre point devra faire l’objet de toutes les attentions : le devenir et la sécurisation de la quantité considérable de données de santé générées par les nouvelles technologies (ce que l’on appelle les « big data » ou données massives). Si lesdites données peuvent aider à améliorer les connaissances dans le domaine de la santé ou à mieux organiser les services, elles constituent une arme à double tranchant : très sensibles, elles peuvent être l’objet de cyberattaques. </p>
<p>Cette transformation numérique devra donc être appréhendée et réfléchie, notamment d’un point de vue éthique. Le Comité consultatif national d’éthique <a href="https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/2021-02/avis_130.pdf#page=6">proposait dès 2019 12 recommandations</a> permettant d’y veiller.</p>
<h2>Une démocratie en santé à repenser et renforcer</h2>
<p>Le questionnement sur l’avenir de notre système de santé déborde du cercle des experts, et devient l’objet d’une préoccupation grandissante de la population. Le domaine de la santé est un enjeu politique et médiatique de plus en plus important, comme l’a montré de manière brutale la récente pandémie. </p>
<p>Celle-ci a bousculé une démocratie en santé qui s’était construite lentement, depuis plus d’une vingtaine d’années. Ce concept, qui se traduit par des démarches visant à <a href="https://www.ars.sante.fr/quest-ce-que-la-democratie-en-sante-3">« associer l’ensemble des acteurs du système de santé dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique de santé, dans un esprit de dialogue et de concertation »</a> (en créant par exemple des « conférences » traitant de la santé au niveau national, régional ou local, ou en permettant par exemple <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/03/28/droit-des-malades-la-democratie-sanitaire-victime-collaterale-du-covid-19_6119530_1650684.html">aux usagers d’être représentés dans les instances de santé publique et hospitalières</a>, devra probablement être revisité suite à la pandémie, car cette crise a figé des institutions fragiles. </p>
<p>Elle a montré d’une part une absence de maturité de ce dispositif, et d’autre part, une ambiguïté entre le rôle des associations et la place des collectivités territoriales.</p>
<h2>Une réponse insuffisante des pouvoirs publics</h2>
<p>Depuis 20 ans, face à ces évolutions majeures, la réponse des pouvoirs publics français s’est traduite par une succession de lois dont les intitulés semblent indiquer une préoccupation croissante pour l'avenir de notre système : loi de 2002 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000227015/">« relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé »</a> ; loi de 2004 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000787078/">« relative à la politique de santé publique »</a> ; loi de 2009 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000020879475">« Hôpital, patient, santé, territoires »</a> ; loi de 2016 dite de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000029589477/">« modernisation de notre système de santé »</a> ; loi de 2019 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038821260">« relative à l’organisation et à la transformation du système de santé »</a>.</p>
<p>Mais malgré des lois aux intitulés de plus en plus pressants, malgré les nombreuses expérimentations lancées au plan local pour initier plus de coordination et plus de souplesse, malgré le choc de la pandémie et les milliards débloqués pour l’hôpital, les fondements du système de santé français n’ont que très peu bougé, provoquant une désillusion croissante des professionnels de santé.</p>
<p>Cette inertie résulte probablement de la croyance que des « ajustements continuels » peuvent suffire, les lois se contentant de fournir une boite à outils complexifiant la technostructure.</p>
<p>Le débat public sur l’avenir de notre système de santé est toujours esquivé, toujours reporté. La question de la place de la prévention et la promotion de la santé est à ce titre emblématique. </p>
<h2>Un nécessaire changement de paradigme</h2>
<p>Promues depuis longtemps dans les discours, la prévention et la promotion de la santé pourraient être un puissant outil pour éviter l’entrée dans la maladie. </p>
<p>Mais dans les faits, elles stagnent dans leur soutien financier et reposent bien souvent sur un tissu associatif fragile. Selon les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-11/CNS2022MAJ%20Fiche%2024%20-%20Les%20d%C3%A9penses%20de%20pr%C3%A9vention.pdf#page=3">les dépenses de prévention n’ont augmenté qu’au rythme de 1,1 % par an entre 2013 et 2019</a>. </p>
<p>Par ailleurs, la promotion de la santé, qui recouvre des actions aussi diverses que les campagnes pour promouvoir la mobilité active, la promotion du <a href="https://theconversation.com/qualite-nutritionnelle-des-aliments-nutri-score-ou-en-est-on-conversation-avec-mathilde-touvier-158985">logo NutriScore</a>, le développement d’un urbanisme favorable à la santé (avec par exemple la lutte contre les îlots de chaleur), n’est jamais comptabilisée. Or bon nombre de ces actions sont souvent aux mains des collectivités locales, qui n’ont pas de compétence spécifique dans le domaine de la santé !</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/leurope-la-france-et-la-sante-publique-apres-la-covid-19-une-nouvelle-donne-168007">L’Europe, la France et la santé publique : après la Covid-19, une nouvelle donne ?</a>
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<p>En Europe, le système de santé se construit au niveau de chaque État, en fonction d’une histoire, d’une culture, d’un développement économique. Mais il est grand temps que l’Union européenne puisse intervenir pour défendre et promouvoir des bases communes. Et que cet ensemble soit ouvert aux enjeux mondiaux et planétaires colossaux en termes d’accès à la santé. </p>
<p>Rappelons que l’on estime que les besoins en professionnels de santé se situent - a minima - <a href="https://www.wma.net/fr/news-post/action-urged-to-meet-world-shortage-of-health-professionals/">autour de 18 millions de personnes</a>, au niveau mondial. Dans de nombreux pays, dont la France, le changement de paradigme nécessaire pour faire face aux évolutions en cours semble toujours être remis à demain. Une procrastination qui risque d’engendrer un réveil douloureux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198807/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Chambaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Hôpital, médecine de ville, secteur médico-social… Le système de santé français tout entier est en crise. Pourquoi ? Quelles pistes pour en sortir ?Laurent Chambaud, Médecin de santé publique, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1915692023-01-20T14:25:17Z2023-01-20T14:25:17ZComment les gestionnaires du réseau de la santé peuvent favoriser des lieux de travail psychologiquement plus sûrs<p>La crise du personnel des soins de santé au Canada semble s’aggraver de jour en jour, avec des <a href="https://www.nytimes.com/2022/09/14/world/canada/nurse-shortage-emergency-rooms.html">fermetures de salles d’urgence</a>, une <a href="https://theconversation.com/with-family-doctors-heading-for-the-exits-addressing-the-crisis-in-primary-care-is-key-to-easing-pressure-on-emergency-rooms-189199">pénurie de médecins de famille</a> et des <a href="https://www.wellesleyinstitute.com/wp-content/uploads/2020/09/Waiting-for-Long-Term-Care-in-the-GTA.pdf">délais d’attente élevés pour accéder aux soins de longue durée</a>. </p>
<p>Au cœur du problème se trouve un personnel soignant physiquement et mentalement épuisé par les milieux peu sécuritaires dans lesquels on lui demande de travailler depuis des années, et qui se sont considérablement détériorés pendant la pandémie de Covid-19. </p>
<p>Les dirigeants du secteur de la santé ont un rôle clé à jouer dans la conception de lieux de travail psychologiquement plus sûrs pour favoriser le bien-être de nos professionnels de la santé. Pour créer des milieux plus sûrs, il faut des décideurs qui comprennent comment des années de restrictions des ressources, d’environnements malsains, <a href="https://doi.org/10.1186/s12913-020-05084-x">d’abus de la part des patients</a>, <a href="https://doi.org/10.3389/fpubh.2021.750529">sans oublier une pandémie</a>, ont contribué à l’épuisement professionnel et à l’insatisfaction que l’on constate chez les travailleurs.</p>
<h2>Risques physiques et émotionnels</h2>
<p>Avant même la pandémie de Covid-19, les travailleurs de la santé canadiens souffraient déjà d’<a href="https://www.cma.ca/sites/default/files/2018-11/nph-survey-f.pdf">épuisement professionnel et de dépression</a>. La pandémie a détérioré des environnements de travail déjà précaires, les exposant non seulement à un virus mortel, mais aussi à une <a href="http://doi.org/10.1001/jama.2021.2701">montée de la violence physique et verbale</a>, entraînant une <a href="https://www.cma.ca/sites/default/files/2022-08/NPHS_final_report_FR.pdf">hausse des taux d’épuisement professionnel et de dépression</a>.</p>
<p>Il n’est donc pas surprenant que les travailleurs de la santé soient de plus en plus nombreux à quitter la profession, <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/nurses-canada-overtime-pandemic-burnout-1.6545963">ce qui exacerbe encore davantage les conditions de travail de ceux qui restent</a>. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un ambulancier portant une visière de protection et une veste jaune fluo longe une file de patients sur des civières dans un couloir d’hôpital" src="https://images.theconversation.com/files/486636/original/file-20220926-21-w3atsc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486636/original/file-20220926-21-w3atsc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486636/original/file-20220926-21-w3atsc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486636/original/file-20220926-21-w3atsc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486636/original/file-20220926-21-w3atsc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486636/original/file-20220926-21-w3atsc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486636/original/file-20220926-21-w3atsc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les enjeux ne se limitent pas à un seul groupe de travailleurs de la santé ni à un seul type de lieu de travail ; les préposés aux bénéficiaires, le personnel infirmier, les médecins, les ambulanciers exerçant dans les hôpitaux, les soins de longue durée, les cliniques de soins primaires et les services d’urgence font tous état d’épuisement professionnel.</span>
<span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Nathan Denette</span></span>
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<p>Les enjeux ne se limitent pas à un seul groupe de travailleurs de la santé ni à un seul type de lieu de travail ; les préposés aux bénéficiaires (PAB), le personnel infirmier, les médecins, les ambulanciers exerçant dans les hôpitaux, les soins de longue durée, les cliniques de soins primaires et les services d’urgence font tous état d’épuisement professionnel. <a href="https://clri-ltc.ca/files/2021/02/PSW_Perspectives_FinalReport_Feb25_Accessible.pdf">Les PAB actifs dans le domaine des soins de longue durée dénoncent</a> des milieux de travail dangereux sur le plan physique et émotionnel, des ratios personnel/patients insuffisants et des environnements irrespectueux.</p>
<p>Nous savons que la <a href="https://www.mentalhealthcommission.ca/wp-content/uploads/drupal/Workforce_Psychological_Safety_in_the_Workplace_ENG.pdf">santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail</a> sont directement liées à la productivité, à la rétention, à l’absentéisme, aux conflits professionnels et au succès opérationnel global du lieu de travail. Les dirigeants, gestionnaires et superviseurs canadiens du secteur de la santé sont exceptionnellement bien placés pour aider les organisations de soins de santé à créer des environnements de travail où le personnel se sent soutenu et en sécurité. </p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Panneau extérieur affichant « Recrutement de PAB -- nombreux quarts de travail -- avantages »" src="https://images.theconversation.com/files/486638/original/file-20220926-879-z9tmaw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486638/original/file-20220926-879-z9tmaw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486638/original/file-20220926-879-z9tmaw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486638/original/file-20220926-879-z9tmaw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486638/original/file-20220926-879-z9tmaw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486638/original/file-20220926-879-z9tmaw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486638/original/file-20220926-879-z9tmaw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les PAB actifs dans le domaine des soins de longue durée dénoncent des milieux de travail dangereux sur le plan physique et émotionnel, des ratios personnel/patients insuffisants et des environnements irrespectueux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Frank Gunn</span></span>
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<p>Notre équipe de recherche a récemment été financée par la <a href="https://commissionsantementale.ca/">Commission de la santé mentale du Canada</a> pour examiner les facilitateurs et les obstacles rencontrés par les organisations de soins de santé dans la création d’environnements de travail sûrs. Nous avons sondé et interviewé des <a href="https://commissionsantementale.ca/resource/exploration-de-deux-facteurs-de-securite-psychologique-pour-les-travailleurs-de-la-sante/">centaines de travailleurs de la santé, toutes disciplines, tous lieux de travail et toutes provinces confondus</a>. Voici ce qu’ils nous ont dit : </p>
<ul>
<li><p>Beaucoup d’attention est accordée au renforcement de la résilience du personnel soignant, mais sans lui donner le temps et l’espace nécessaires pour le faire. Les organisations peuvent aider en garantissant les congés des travailleurs. </p></li>
<li><p>Des travailleurs de la santé nous ont dit que des ressources organisationnelles à long terme telles que des champions du mieux-être, des éthiciens et des indemnités de maladie efficaces pour tout le personnel soignant (par exemple, des prestations qui couvrent les services de consultation) contribueraient à soutenir leur bien-être. </p></li>
<li><p>Des politiques et des procédures opérationnelles appropriées et transparentes liées aux soins cliniques ou aux ressources humaines, qui régissent l’ensemble d’une organisation, contribuent à instaurer un climat de travail équitable et sûr. Les gestionnaires peuvent appuyer davantage leurs travailleurs en s’assurant que ces politiques et procédures sont appliquées et suivies de manière cohérente.</p></li>
<li><p>Les organisations devraient recruter et épauler des dirigeants efficaces, compatissants et authentiques. Il est essentiel de former des dirigeants du secteur des soins de santé qui sont compétents et se montrent à la hauteur dans leur environnement stressant ; il convient de les encourager et de les récompenser. Les gestionnaires ont également été mis à rude épreuve au cours des dernières années et ont besoin d’être soutenus par leur organisation. </p></li>
<li><p>Moins de 50 % des travailleurs de la santé de notre étude ont déclaré exercer dans un climat éthique. Par exemple, de nombreux soignants n’ont pas accès aux soutiens nécessaires pour résoudre les dilemmes éthiques. Les organisations de soins de santé ont tout intérêt à se concentrer sur ce point ; en cultivant un environnement de travail éthique, elles démontrent à leurs employés leur volonté de les protéger de la détresse morale. </p></li>
<li><p>Des professionnels de la santé nous ont dit que la transparence et les communications efficaces sont essentielles et renforcent la confiance dans leurs dirigeants. </p></li>
</ul>
<p>L’avenir de notre système de santé dépend du recrutement et de la rétention de travailleurs de la santé passionnés, dévoués et hautement qualifiés. Chaque travailleur de la santé, dans chaque lieu de travail, dans chaque province, a besoin d’une organisation qui valorise et privilégie sa santé et sa sécurité psychologiques. </p>
<p>Pour le rapport complet, veuillez visiter : <a href="https://commissionsantementale.ca/resource/exploration-de-deux-facteurs-de-securite-psychologique-pour-les-travailleurs-de-la-sante/">CSMC – Exploration de deux facteurs de sécurité psychologique pour les travailleurs de la santé</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191569/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’avenir de notre système de santé dépend du recrutement et de la rétention d’un personnel soignant et hautement qualifié. Il est essentiel de créer des environnements où ils se sentent soutenus et en sécurité.Angela Coderre-Ball, Assistant Professor (Adjunct), Family Medicine, Queen's University, OntarioColleen Grady, Associate Professor, Family Medicine, Queen's University, OntarioDenis Chênevert, Professor and director of healthcare management hub, HEC MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1974422023-01-10T20:42:35Z2023-01-10T20:42:35ZSystème de santé : sortir de la « crise sans fin » n’est pas qu’une question de moyens<p>Le vendredi 6 janvier, le président de la République Emmanuel Macron a présenté, lors de ses vœux aux acteurs de la santé, plusieurs pistes pour tenter de sortir le système français « de ce jour de crise sans fin ». Des moyens supplémentaires, comme l’<a href="https://www.lemonde.fr/sante/article/2023/01/06/emmanuel-macron-annonce-un-plan-pour-sortir-le-systeme-de-sante-d-une-crise-sans-fin_6156883_1651302.html">accélération du recrutement d’assistants médicaux</a> afin de parvenir à 10 000 créations d’ici 2024 (contre 4 000 actuellement), viennent donc s’ajouter à ceux déjà actés lors de son premier quinquennat : 12 milliards d’euros par an pour l’accroissement des rémunérations des soignants et les 19 milliards d’investissements dans les hôpitaux.</p>
<p>En plus de ces moyens financiers supplémentaires, des moyens humains et organisationnels ont été débloqués : la fin du numerus clausus pour les étudiants en médecine depuis la rentrée 2021en attendant la <a href="https://www.lemonde.fr/sante/article/2023/01/06/emmanuel-macron-annonce-un-plan-pour-sortir-le-systeme-de-sante-d-une-crise-sans-fin_6156883_1651302.html">réorganisation du travail à l’hôpital</a> annoncée le 6 janvier.</p>
<p>Le matin des annonces du président de la République, l’économiste Thomas Piketty appelait à accroître drastiquement les moyens alloués à la santé. Il appelait ainsi sur France Inter à <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-economique/le-debat-eco-du-vendredi-06-janvier-2023-1595793">consacrer jusqu’à 30 % du PIB à la santé</a> en finançant les dépenses supplémentaires par des hausses de taxes, ce qui le faisait alors envisager des prélèvements pouvant aller jusqu’à 70 % du PIB !</p>
<h2>Une simple question d’argent ?</h2>
<p>En 2021, la France <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-documents-de-reference-communique-de-presse/panoramas-de-la-drees/CNS2022">consacrait 12,3 % de son PIB aux dépenses de santé</a>, ce qui est approximativement la même chose qu’en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/allemagne-24115">Allemagne</a> où la part est de 12,8 % (9,5 % en Italie, 11,9 % au Royaume-Uni et 17,8 % aux États-Unis). Le manque de moyens n’est donc pas « criant ». Cependant, si la France et l’Allemagne consacrent la même part de leurs ressources à la santé, l’utilisation de ces moyens peut être très différente : en contrôlant ainsi par le niveau des moyens, on peut alors identifier, en comparant la France à l’Allemagne, les changements d’organisation qui permettraient de mieux faire.</p>
<p><iframe id="yBHJv" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/yBHJv/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Avec <a href="https://data.oecd.org/fr/healtheqt/lits-d-hopitaux.htm">près de 8 lits pour 1 000 habitants en Allemagne</a> en 2020, la possibilité de bénéficier de soins hospitaliers est plus importante que dans un pays où il y a seulement 5,7 lits pour 1 000 habitants comme en France (il y a 3,2 lits pour 1 000 habitants en Italie, 2,3 au Royaume-Uni et 2,8 aux États-Unis). De plus, l’Allemagne investit davantage dans la « qualité » des soins. Le pays compte plus de médecins (<a href="https://data.oecd.org/healthres/doctors.htm">4,5 pour 1 000 habitants contre 3,4 en France</a>), mais également plus de personnel médical (<a href="https://data.oecd.org/healthres/nurses.htm">12,1 infirmiers contre 11,3 pour 1 000 habitants</a>). Cet écart en capital humain s’est creusé, en défaveur de la France, depuis 2000.</p>
<p><iframe id="DcWQp" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/DcWQp/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>De plus, les médecins et infirmiers allemands sont mieux payés que leurs homologues français. Un médecin généraliste allemand gagne environ <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/fr/social-issues-migration-health/remuneration-of-doctors-ratio-to-average-wage-2019-or-nearest-year_a5406374-en">4,4 fois le salaire moyen allemand</a>, alors que son homologue français ne gagne que 3 fois le salaire moyen français. Un infirmier allemand gagne <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/fr/social-issues-migration-health/remuneration-of-hospital-nurses-ratio-to-average-wage-2019-or-nearest-year_c9058ced-en">1,1 fois le salaire moyen allemand</a> alors que ce facteur n’est que de 0,9 en France.</p>
<p>Pour le patient, l’accès et la qualité des soins ne peuvent alors être que meilleurs outre-Rhin : <a href="https://www.oecd.org/fr/sante/systemes-sante/Panorama-de-la-sant%C3%A9-2019-Chapitres-0-1-2.pdf">chaque Allemand consulte davantage un médecin qu’un Français</a>, il bénéficie de plus de radios, de scanners, de séjours plus longs en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/hopital-23258">hôpital</a> et de davantage d’innovations médicales.</p>
<p>Des inefficacités organisationnelles peuvent alors expliquer qu’à dépense égale dans la santé, il y ait moins de lits en France, moins de personnels soignants percevant de plus faibles rémunérations et moins d’innovations médicales. Nous allons en dégager trois, dans les domaines de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/pharmacie-27983">pharmacie</a>, l’hôpital et la recherche médicale.</p>
<h2>Le pharmacien peut redevenir un soignant</h2>
<p>Il y a plus de pharmaciens de France qu’en Allemagne (<a href="https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/fea50730-fr.pdf">1,03 contre 0,67 pour 1 000 habitants</a>) et ces personnels de santé ont de <a href="https://www.lequotidiendupharmacien.fr/exercice-pro/politique-de-sante/le-revenu-mensuel-des-pharmaciens-evalue-7671-euros">fortes rémunérations</a> sans pour autant effectuer de soins. Cette forte « force de vente française » en médicaments a conduit la part française des dépenses de santé consacrées aux produits pharmaceutiques à être supérieure à celle de l’Allemagne : avant 2014, elle a <a href="https://data.oecd.org/fr/healthres/depenses-pharmaceutiques.htm">culminé à 18 % des dépenses de santé en France</a>, alors qu’elle n’a jamais dépassé 15 % en Allemagne.</p>
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<p>Pour faire face à une offre qui ne permet pas à tous les patients d’être en contact avec un personnel de santé, les pharmaciens pourraient effectuer des tâches de prescriptions simples, et ainsi désengorger les médecins généralistes. Cette réallocation des tâches permettrait aux généralistes de se concentrer sur les cas qui nécessitent une expertise pointue. Ceci justifierait alors en partie <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/greve/greve-des-medecins/greve-des-medecins-generalistes-pourquoi-les-liberaux-veulent-que-la-consultation-passe-de-25-a-50-euros_5564802.html">l’augmentation des honoraires qu’ils demandent</a>. Les pharmaciens contribueraient donc à la production de soins.</p>
<h2>Reconcentrer les hôpitaux français</h2>
<p>Si l’on se focalise sur l’hôpital, qui est aujourd’hui sous les projecteurs de l’actualité, la France y consacre davantage de moyens que l’Allemagne, avec <a href="https://fipeco.fr/pdf/h%C3%B4pitaux2020.pdf">4,6 % de son PIB contre 3,6 %</a> (deuxième rang en Europe après le Royaume-Uni). Mais ce qui caractérise la France, c’est son très grand nombre d’établissements hospitaliers : il y a <a href="https://stats.oecd.org/Index.aspx?ThemeTreeId=9&lang=fr">4,42 hôpitaux pour 100 000 habitants en France contre seulement 3,62 hôpitaux pour 100 000 habitants en Allemagne</a> (il y en a 2,86 au Royaume-Uni, 1,80 en Italie et 1,86 aux États-Unis).</p>
<p><iframe id="nv99g" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/nv99g/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Comme la France a aussi un très grand nombre de lits d’hôpitaux (pour rappel, 6 lits pour 1 000 habitants), il y a donc un phénomène d’atomisation : le nombre moyen de lits en France par hôpital reste inférieur à la situation en Allemagne. Cette atomisation réduit la qualité des soins car celle-ci est fortement liée au volume de travail de ses agents : le niveau d’expertise croît fortement lorsque de multiples cas ont été traités par les équipes médicales d’un établissement. Les patients intègrent bien cela en demandant toujours à être traités par l’hôpital le mieux réputé.</p>
<p>Ainsi, une partie des moyens consacrés à l’hôpital n’améliore pas les soins. De plus, cette atomisation est très coûteuse car l’activité hospitalière se caractérise par des effets de seuil : quel que soit le volume de soins effectué par un hôpital, des moyens minimaux en équipements et en personnels sont exigés (coûts fixes de fonctionnement). Le saupoudrage des moyens sur une trop grande quantité de structures hospitalières conduit alors à payer plusieurs fois les mêmes coûts fixes, alors que dans certains hôpitaux, l’utilisation de ces équipements et des personnels reste trop faible pour garantir une bonne qualité du soin.</p>
<p>Enfin, cette multiplication des centres hospitaliers a conduit la part des dépenses de santé consacrée à l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/administration-27868">administration</a> du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/systeme-de-sante-32263">système de santé</a> à être plus forte en France : elle était de 8 % dans les années 1990 et 7 % dans les années 2000 contre 5,5 % pendant ces 20 années en Allemagne.</p>
<p><iframe id="l1Lfy" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/l1Lfy/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ceci doit conduire à transformer rapidement une partie des hôpitaux locaux de soins aigus en hôpitaux de proximité. Cela assurera une meilleure rationalité économique dans la gestion des moyens octroyés aux hôpitaux (réduction de coûts fixes), satisfera davantage l’exigence de qualité des soins hospitaliers aigus, tout en maintenant d’un tissu local de prise en charge de soins de premiers recours.</p>
<p>Enfin, il faut remarquer que le très grand nombre d’hôpitaux sur notre territoire ne garantit pas à la population un meilleur soin en cas d’accident : le taux de mortalité dans les 30 jours après une admission pour un infarctus est <a href="https://www.econ.queensu.ca/sites/econ.queensu.ca/files/R.%20Fonseca%20Paper.pdf">7,05 % en France contre 5,5 % en Allemagne</a> (6,6 % aux États-Unis et 7,25 % en Italie). La santé et donc l’hôpital sont des « biens publics », pas des outils de développement local d’un territoire !</p>
<h2>Réallouer les moyens de la recherche</h2>
<p>L’épisode du Covid-19 a alerté le grand public sur les déficiences de la recherche médicale française. L’Allemagne, avec BioNTech et l’université de Mayence, le Royaume-Uni, avec AstraZeneca et l’université d’Oxford ainsi que les États-Unis avec Moderna et les fonds engagés par Pfizer pour soutenir BioNTech sont les pays qui ont mis au point un vaccin.</p>
<p>Est-ce une surprise ? La qualité de la recherche-développement (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/randd-34548">R&D</a>) des pays est particulièrement mise à l’épreuve lorsqu’il s’agit de trouver une solution à un nouveau problème : des moyens doivent être réalloués pour « créer » ces nouveaux produits, et ces moyens doivent être mis entre des mains qui ont les très fortes compétences nécessaires pour produire un bien de niveau international.</p>
<p>Or, le manque de moyen de la R&D française est connu. Il se traduit par un plus faible nombre de brevets déposés chaque année (approximativement 110 brevets par million d’habitants en France contre 350 en Allemagne). Mais, si l’on fait abstraction du niveau des moyens, la France se caractérise par une plus faible part de ces moyens en R&D consacrée au domaine médical et pharmaceutique : cette part est trois fois plus grande en Allemagne (et deux fois plus grande aux États-Unis).</p>
<p><iframe id="8Boy5" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/8Boy5/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Là encore, ce n’est pas forcément le « manque de moyens » qui explique les mauvais résultats de la France, mais davantage leurs mauvaises utilisations. Ainsi, une étude menée par le Conseil d’analyse économique (CAE) publiée en 2021 analysait finement le retard français dans le domaine de recherche médicale. Premièrement, les moyens accordés à la R&D en santé sont faibles et décroissent : les crédits publics en R&D pour la santé sont <a href="https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-note62v3.pdf">passés de 3,5 milliards de dollars en 2011 à 2,5 en 2018</a> (soit -28,5 %), alors que pendant la même période ils augmentaient de 11 % en Allemagne (+16 % au Royaume-Uni).</p>
<p>Deuxièmement, les financements ne sont pas utilisés dans des recherches ayant les standards scientifiques internationaux. Plus précisément, sur 19 287 essais cliniques menés en France, seulement 5910 étaient des essais randomisés (outils statistiques reconnus en sciences médicales comme les meilleurs moyens d’évaluer les effets bénéfiques et néfastes d’une thérapie), soit 30 %, alors que 75 % l’étaient en Allemagne (68 % au Royaume-Uni). Il faut aussi souligner que 75 % des essais non randomisés français étaient financés par la recherche publique (seulement 20 % en Allemagne, et 25 % au Royaume-Uni).</p>
<p>Si une grande partie des fonds publics de R&D en santé sont alloués à des expériences qui n’auront jamais aucune reconnaissance internationale, car utilisant des méthodes dépassées, alors la R&D en santé française ne sera jamais en position de leadership. Il n’est donc pas surprenant que la France n’ait pas pu trouver, sur un même laps de temps, les protocoles de vaccination trouvés en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux États-Unis.</p>
<h2>Réduire les inégalités de santé</h2>
<p>Améliorer l’utilisation des compétences de personnels de santé, rationaliser la gestion de nos hôpitaux en évitant l’atomisation, et enfin aligner la recherche en santé française sur les standards internationaux constituent des priorités pour faire progresser notre système de soins.</p>
<p>Les changements nécessaires pour y parvenir ne doivent pas être freinés par la croyance que ces réformes augmenteraient les inégalités de santé : avec un système différent en Allemagne, la probabilité d’être en bonne santé pour une personne parmi les 25 % les plus riches est 1,07 fois plus grande que pour une personne parmi les 25 % les plus pauvres, alors que ce chiffre est de 1,08 en France, comme nous l’avons montré dans une <a href="https://www.econ.queensu.ca/sites/econ.queensu.ca/files/R.%20Fonseca%20Paper.pdf">recherche</a> récente.</p>
<p>En nous réformant, nous pourrons donc également réduire les inégalités de santé !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197442/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Langot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une comparaison avec l’Allemagne montre que les difficultés du système français restent liées à un problème d’allocation moins efficace des ressources.François Langot, Professeur d'économie, Chercheur à l'Observatoire Macro du CEPREMAP, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1882752022-09-13T13:21:43Z2022-09-13T13:21:43ZLes groupes de médecine de famille (GMF) : un modèle à revoir en profondeur<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/481173/original/file-20220825-18-z6zhnf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C29%2C4948%2C3172&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le ministre de la Santé du Québec, Christian Dubé, brandit une copie du nouveau plan de soins de santé de la province lors d'une conférence de presse à Montréal, le 29 mars 2022. </span> <span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Paul Chiasson</span></span></figcaption></figure><p>Au Québec comme ailleurs, la pandémie de Covid-19 a révélé les failles majeures du système de santé et forcé le gouvernement à promettre une révision en profondeur de l’organisation des services. C’est dans ce contexte que le ministre de la Santé, Christian Dubé, a présenté en mars dernier un <a href="https://iris-recherche.qc.ca/publications/plan-de-refondation-en-sante-petard-mouille-ou-bombe-a-retardement/">plan de « refondation »</a> du réseau sociosanitaire québécois, qui repose en bonne partie sur le recours au secteur privé et, notamment, sur le renforcement des groupes de médecine de famille (GMF).</p>
<p>Créé en 2002, ce modèle essentiellement privé de dispensation des services de première ligne est loin d’avoir fait ses preuves. Au contraire, après vingt ans d’existence, le <a href="https://iris-recherche.qc.ca/publications/bilan-des-groupes-de-medecine-de-famille-apres-20-ans-dexistence-un-modele-a-revoir-en-profondeur/">bilan des GMF</a> démontre que, malgré un soutien financier et organisationnel important de la part des gouvernements successifs, ils n’ont atteint aucun des objectifs pour lesquels ils ont été créés.</p>
<p>Je suis une spécialiste des politiques de santé et de l’histoire du système de santé québécois. Je suis l’autrice de plusieurs publications sur le sujet, et notamment du livre <a href="https://ecosociete.org/livres/le-capitalisme-c-est-mauvais-pour-la-sante#:%7E:text=Pour%20Anne%20Plourde%2C%20le%20diagnostic,privatisation%20croissante%20des%20services%E2%80%A6"><em>Le capitalisme, c’est mauvais pour la santé</em></a>, publié aux Éditions Écosociété en 2021.</p>
<h2>Un modèle imparfait</h2>
<p>Un GMF est un regroupement de médecins de famille qui obtient du financement et des ressources professionnelles publics en échange du respect de certaines conditions (heures d’ouverture étendues, prise en charge d’un nombre minimal de patientes et de patients, etc.). Il faut savoir que ce modèle a été créé en <a href="https://iris-recherche.qc.ca/publications/clsc-ou-gmf-comparaison-des-deux-modeles-et-impact-du-transfert-de-ressources/">remplacement du modèle des centres locaux de services communautaires (CLSC)</a>, un réseau de cliniques publiques auquel les médecins de famille ont pour la plupart refusé d’adhérer, préférant pratiquer dans leurs propres cliniques privées à but lucratif. La grande majorité des GMF (74 %) regroupent d’ailleurs des médecins pratiquant dans ce type de cliniques.</p>
<p>En 2020-2021, la valeur des ressources publiques investies dans les GMF s’élevait à environ <a href="https://iris-recherche.qc.ca/publications/bilan-des-groupes-de-medecine-de-famille-apres-20-ans-dexistence-un-modele-a-revoir-en-profondeur/">340 millions de dollars</a>, sans compter la rémunération des médecins.</p>
<p>En accordant aux GMF un financement important et en leur octroyant du personnel professionnel (infirmières, travailleurs sociaux, psychologues, ergothérapeutes, nutritionnistes) provenant du réseau public, le ministère de la Santé espère atteindre trois objectifs principaux :</p>
<ul>
<li><p>améliorer l’accès aux médecins de famille ;</p></li>
<li><p>désengorger les urgences ;</p></li>
<li><p>favoriser l’accès aux services psychosociaux de première ligne.</p></li>
</ul>
<p>Or, l’analyse que nous avons réalisée démontre clairement que sur ces trois plans, les GMF ne parviennent pas à remplir les fonctions d’une première ligne efficace.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1529842363744587785"}"></div></p>
<h2>En attente d’un médecin de famille</h2>
<p>Bien que le pourcentage de la population inscrite auprès d’un médecin de famille ait augmenté au cours des dernières années, la cible de 85 % en 2020 n’est toujours pas atteinte. Le nombre de personnes en attente sur la liste du Guichet d’accès à un médecin de famille a quant à lui explosé au cours des dernières années, passant de 423 215 en 2016-2017 <a href="https://www.journaldequebec.com/2022/04/27/pres-dun-million-de-quebecois-en-attente-dun-medecin-de-famille#:%7E:text=En%202019%2C%20522%20603%20personnes,sont%20ajout%C3%A9s%20depuis%20d%C3%A9cembre%20dernier.">à près d’un million</a> en février 2022.</p>
<p>De plus, le <a href="https://iris-recherche.qc.ca/publications/bilan-des-groupes-de-medecine-de-famille-apres-20-ans-dexistence-un-modele-a-revoir-en-profondeur/">ratio</a> du nombre de patients par médecin pratiquant en GMF n’a augmenté que de 2 % depuis 2014-2015, et il a même diminué selon certaines données.</p>
<p>L’intégration des médecins au modèle des GMF n’a donc pas permis d’améliorer leur prise en charge des patients, malgré les ressources publiques considérables dont ils bénéficient.</p>
<h2>Les urgences désengorgent les GMF</h2>
<p>De même, l’ensemble des cibles ministérielles concernant la réduction du temps d’attente dans les urgences ont été systématiquement ratées depuis 2015-2016. Si les GMF ne peuvent être tenus pour seuls responsables de cette situation, notre analyse révèle que, dans bien des cas, ce sont en fait les urgences qui désengorgent les GMF.</p>
<p>En effet, un GMF sur six a conclu une entente avec les services d’urgence d’un hôpital pour que ceux-ci assurent une partie de leurs heures d’ouverture. De plus, plus de la moitié des <a href="https://ciusssmcq.ca/soins-et-services/ou-consulter/gmf-reseau-super-clinique/">GMF-réseaux</a>, qui reçoivent un financement supplémentaire afin de jouer le rôle de « mini-urgences », ne respectent pas les exigences du ministère liées à ce financement (par exemple, le nombre minimal de rendez-vous offerts à des personnes non inscrites auprès des médecins du GMF).</p>
<h2>Des services psychosociaux moins accessibles</h2>
<p>En ce qui concerne l’amélioration de l’accès aux services psychosociaux de première ligne, on voit difficilement comment les GMF pourraient y contribuer, puisque leur offre de services ne passe pas par une augmentation des ressources offertes par ces cliniques privées. Au contraire, on assiste à un <a href="https://iris-recherche.qc.ca/blogue/sante/des-clsc-aux-gmf/">transfert de travailleurs sociaux et de psychologues</a> des CLSC vers les GMF, le tout aux frais du réseau public.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/481587/original/file-20220829-8674-owd2ms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="couloir d’hôpital avec civière" src="https://images.theconversation.com/files/481587/original/file-20220829-8674-owd2ms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/481587/original/file-20220829-8674-owd2ms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/481587/original/file-20220829-8674-owd2ms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/481587/original/file-20220829-8674-owd2ms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/481587/original/file-20220829-8674-owd2ms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/481587/original/file-20220829-8674-owd2ms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/481587/original/file-20220829-8674-owd2ms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Notre analyse révèle que, dans bien des cas, ce sont en fait les urgences qui désengorgent les GMF.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure>
<p>L’augmentation des services psychosociaux offerts en GMF, qui sont réservés aux patients inscrits auprès des médecins de GMF, s’est donc traduite par une diminution de ceux offerts en CLSC, accessibles à l’ensemble de la population du territoire. Ainsi, ce sont <a href="https://iris-recherche.qc.ca/publications/bilan-des-groupes-de-medecine-de-famille-apres-20-ans-dexistence-un-modele-a-revoir-en-profondeur/">plus de 700 000 heures de services</a> de consultation sociale de courte durée et près de 60 000 heures de services de consultation psychologique qui sont perdues annuellement pour les personnes qui ne sont pas inscrites auprès d’un médecin de GMF, ce qui représentait, en 2020-2021, le tiers de la population du Québec.</p>
<h2>Clinique médicale ou entreprise ?</h2>
<p>Enfin, si elle n’a pas permis d’atteindre les objectifs du ministère, la mise en œuvre du modèle des GMF a cependant favorisé le développement d’une véritable « médecine inc. » de première ligne. En effet, sous l’impulsion du financement public accordé aux GMF, les petits cabinets médicaux détenus et gérés par les médecins qui y pratiquent sont progressivement remplacés par de grandes entreprises médicales détenues et gérées par des investisseurs extérieurs au réseau de la santé.</p>
<p>Sur les 50 GMF-réseaux privés existants au Québec, le quart ne compte aucun médecin parmi leurs actionnaires ou dirigeants et un nombre équivalent fait partie de ce qu’il faut bien appeler des « chaînes » de GMF, parfois détenues par de grandes entreprises comme Telus.</p>
<p>De plus, près de la moitié des GMF-réseaux privés comprennent des sociétés de portefeuille dans leur structure de propriété. Ce type d’entreprise, qui ne compte aucun employé et n’a aucune activité commerciale, est notoirement utilisé dans des stratégies d’optimisation fiscale visant à minimiser l’impôt payé par l’entreprise principale et ses actionnaires.</p>
<p>Si une refondation du système de santé est incontestablement nécessaire, une révision en profondeur du modèle des GMF s’impose également. Cette révision doit s’inspirer du modèle des CLSC, <a href="https://iris-recherche.qc.ca/blogue/sante/uchronie-dune-pandemie-et-si-le-projet-initial-des-clsc-setait-realise/">qui auraient pu faire une réelle différence</a> durant la pandémie.</p>
<p>Or, les GMF sont actuellement les vecteurs du démantèlement de ce modèle innovateur. Il est temps pour eux de devenir une base à partir de laquelle sera reconstruit un réseau de cliniques publiques réellement au service de la population.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188275/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Plourde est affiliée à l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS). Elle a reçu des financements de l'IRIS et de Mitacs, un organisme subventionnaire à but non lucratif. </span></em></p>Les groupes de médecine de famille (GMF) ne parviennent pas à remplir les fonctions d’une première ligne efficace.Anne Plourde, Chercheuse postdoctorale spécialiste des politiques de santé, York University, CanadaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1891812022-09-13T13:19:27Z2022-09-13T13:19:27ZAffaire Cambie : un jugement de la Cour suprême pourrait-il affaiblir le système public de santé ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/483296/original/file-20220907-9292-1k6aqw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4992%2C3570&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une équipe médicale procède à une chirurgie du genou, à la clinique privée Cambie, à Vancouver. Elle est au coeur d'un recours judiciaire afin de faire invalider les dispositions d’une loi qui interdit certaines assurances privées.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Darryl Dyck</span></span></figcaption></figure><p>Les gouvernements des provinces canadiennes sont, plus que jamais, sous pression pour trouver des solutions aux problèmes d’accès aux services de santé.</p>
<p>Parmi les solutions actuellement considérées, au <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1869314/refondation-reseau-sante-plan-legault-dube">Québec</a> et en <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/ontario-to-fund-more-private-clinic-surgeries-send-patients-to-temporary-ltcs-to-ease-health-care-pressures-1.6554694">Ontario</a> notamment, il y a le recours accru au secteur privé, mais avec un financement qui resterait public.</p>
<p>Certains vont plus loin. Ils estiment qu’il faudrait autoriser plus largement, en marge du système public, une offre de services de santé qui seraient financés directement par les patients ou par l’entremise d’assureurs privés. Les tenants de cette approche suggèrent qu’il pourrait en résulter une plus grande accessibilité pour ceux qui auraient les moyens de recourir à ces services et, <a href="https://press.uottawa.ca/is-two-tier-health-care-the-future.html">ce qui est beaucoup moins certain</a>, un allégement du fardeau du système public.</p>
<p>Cette approche se heurte toutefois à des obstacles juridiques qui sont présentement contestés devant les tribunaux. <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/private-health-care-court-1.5480975">La Cour suprême du Canada pourrait d’ailleurs avoir à se prononcer à ce sujet</a> dans le cadre de l’affaire <a href="https://www.canlii.org/en/bc/bcca/doc/2022/2022bcca245/2022bcca245.html">Cambie</a>. On le saura sous peu.</p>
<p>Il s’agit d’un recours judiciaire entrepris par la clinique privée de chirurgie Cambie Surgeries Corporation et d’autres intervenants au cours des années 2010 en Colombie-Britannique. L’objectif est de faire invalider les dispositions d’une loi provinciale qui interdisent l’assurance privée « duplicative » (couverture privée d’assurance pour des services déjà assurés dans le cadre du système public) et la « surfacturation » (facturation suivant un tarif supérieur à celui du système public) pour les services médicaux, sous le motif qu’elles constitueraient une atteinte aux droits à la vie et à la sécurité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un centre médical" src="https://images.theconversation.com/files/483301/original/file-20220907-9329-15j86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483301/original/file-20220907-9329-15j86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483301/original/file-20220907-9329-15j86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483301/original/file-20220907-9329-15j86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483301/original/file-20220907-9329-15j86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483301/original/file-20220907-9329-15j86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483301/original/file-20220907-9329-15j86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La clinique privée Cambie Surgery Centre, à Vancouver, en Colombie-Britannique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Jonathan Hayward</span></span>
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<p>De quoi est-il question ? Et à quoi peut-on s’attendre à ce sujet pour l’avenir ?</p>
<p>Étant avocat et engagé depuis plus de vingt ans dans diverses activités d’enseignement et de recherche liées au droit et aux politiques de la santé, je m’intéresse aux questions qui concernent l’encadrement du secteur public et du secteur privé en santé.</p>
<h2>Retour sur l’affaire Chaoulli : l’histoire va-t-elle se répéter ?</h2>
<p>Pour mieux anticiper le dénouement possible dans le dossier Cambie, il faut nécessairement revenir à l’affaire <a href="https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/2237/index.do">Chaoulli</a>, qui a fait couler beaucoup d’encre au Québec et ailleurs au Canada au début des années 2000.</p>
<p>Le Dr Jacques Chaoulli et un patient, George Zeliotis, avaient alors entrepris de contester les dispositions des lois québécoises interdisant l’assurance privée duplicative. Ils fondaient leur recours sur plusieurs droits protégés par les chartes, <a href="https://www.canlii.org/fr/ca/legis/lois/annexe-b-de-la-loi-de-1982-sur-le-canada-r-u-1982-c-11/derniere/annexe-b-de-la-loi-de-1982-sur-le-canada-r-u-1982-c-11.html">canadienne</a> et <a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/C-12">québécoise</a>, dont notamment les droits à la vie et à la sécurité.</p>
<p>Les tribunaux québécois ayant rejeté ces contestations en <a href="https://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2000/2000canlii17910/2000canlii17910.html">2000</a> et en <a href="https://www.canlii.org/fr/qc/qcca/doc/2002/2002canlii33075/2002canlii33075.html">2002</a>, la Cour suprême s’est pour sa part prononcée en 2005. Elle a alors estimé que les restrictions contestées pouvaient, dans certaines circonstances, compromettre le droit à la vie et à la sécurité des personnes qui ne peuvent obtenir en temps utile les services requis par leur état de santé auprès du système public, puisqu’elles les privent potentiellement d’un accès à ces services auprès du secteur privé.</p>
<p>Sur la base de la charte québécoise, une courte majorité (4 juges sur 7) a conclu que cette atteinte n’était pas justifiable dans une société libre et démocratique et que les restrictions en question devaient donc être invalidées. Ces juges ont alors notamment considéré que l’expérience d’autres provinces et de pays de l’OCDE indiquait que des choix différents, ayant moins d’impacts sur les droits des individus, pouvaient être faits pour atteindre les objectifs de sauvegarde du système public. Devant les failles de ce dernier, ils ont estimé que les tribunaux devaient intervenir.</p>
<p>Les juges minoritaires, eux, ont plutôt trouvé comme principale justification des mesures contestées qu’elles visent à soutenir un système public qui, aussi imparfait soit-il, a pour objectif d’assurer l’équité dans l’accès aux services de santé, en fonction des besoins des individus plutôt que de leur capacité de payer. Ils ont de plus estimé que devant la complexité des enjeux, il fallait faire preuve de déférence quant aux choix du législateur à cet égard.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483331/original/file-20220907-9399-4l32nv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483331/original/file-20220907-9399-4l32nv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=680&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483331/original/file-20220907-9399-4l32nv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=680&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483331/original/file-20220907-9399-4l32nv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=680&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483331/original/file-20220907-9399-4l32nv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=854&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483331/original/file-20220907-9399-4l32nv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=854&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483331/original/file-20220907-9399-4l32nv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=854&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le Dr Jacques Chaoulli réagit à la décision de Québec d’initier une révision de lois applicables, lors d’une conférence de presse à Montréal, le 16 février 2006.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Ian Barrett</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À la suite de ce jugement, le gouvernent québécois n’a eu d’autres choix que d’initier une <a href="https://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=5&file=2006C43F.PDF">révision de lois applicables</a>. Il a ainsi procédé à une ouverture parcimonieuse au secteur privé pour certaines chirurgies bien ciblées (cataractes, hanches et genoux), en offrant également une garantie d’accès à ces services dans le secteur public.</p>
<p>Le bilan de ces mesures est sans doute mitigé, mais elles n’ont pas entraîné, à elles seules, le démantèlement du système public au profit du secteur privé.</p>
<h2>Les similitudes et les particularités du dossier Cambie</h2>
<p>Le recours judiciaire entrepris par la clinique privée Cambie Surgeries Corporation a plusieurs similitudes avec l’affaire Chaoulli. D’abord, les tribunaux de première instance et d’appel ont rejeté la contestation, dans des jugements rendus en <a href="https://www.canlii.org/en/bc/bcsc/doc/2020/2020bcsc1310/2020bcsc1310.html">2020</a> et <a href="https://www.canlii.org/en/bc/bcca/doc/2022/2022bcca245/2022bcca245.html">2022</a>. Cet été, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a reconnu l’atteinte aux droits en cause, mais n’a pas invalidé les dispositions contestées, considérant notamment qu’elles sont justifiables dans le cadre d’une société libre et démocratique.</p>
<p>Le Dr Brian Day, fondateur de la clinique Cambie, <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/private-health-care-court-1.5480975">a alors annoncé qu’il prévoyait qu’une demande d’autorisation d’en appeler serait soumise à la Cour suprême du Canada</a>, ce qui a été confirmé à la fin septembre 2022. Si la Cour suprême autorise cet appel, l’affaire <em>Chaoulli</em> retiendra certainement l’attention. Il n’est toutefois pas assuré que le jugement à venir irait dans le même sens.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Un homme en cravate est assis, avec un ordinateur sur un bureau" src="https://images.theconversation.com/files/483300/original/file-20220907-14-90oo3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483300/original/file-20220907-14-90oo3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483300/original/file-20220907-14-90oo3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483300/original/file-20220907-14-90oo3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483300/original/file-20220907-14-90oo3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483300/original/file-20220907-14-90oo3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483300/original/file-20220907-14-90oo3x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le Dr Brian Day, fondateur de la clinique Cambie, a annoncé qu’il est prévu qu’une demande d’autorisation d’en appeler soit soumise à la Cour suprême du Canada.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Darryl Dyck</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il y a quelques <a href="https://www.canlii.org/en/bc/bcsc/doc/2020/2020bcsc1310/2020bcsc1310.html">éléments distinctifs sur les plans factuels et juridiques</a>. Par exemple, dans le dossier Cambie, l’interdiction de la surfacturation est également contestée. Aussi, c’est uniquement sur la base de la Charte canadienne que le plus haut tribunal du pays aurait à se prononcer, ce qui peut conduire à une analyse un peu différente que sous la Charte québécoise.</p>
<p>Dans l’arrêt Chaoulli, il n’y avait pas de majorité claire sur la violation de la Charte canadienne, notamment sur la question de la conformité aux « principes de justice fondamentale ». Le juge de première instance et deux des trois juges de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique ont estimé que les mesures contestées sont conformes à ces principes, puisqu’elles ne sont ni arbitraires ni disproportionnées.</p>
<p>Par ailleurs, il faut considérer les changements intervenus dans la composition de la Cour suprême depuis 2005. Aucun des juges qui siégeaient dans l’affaire Chaoulli n’est aujourd’hui sur le banc. Aussi, l’approche de certains juges nouvellement nommés n’est pas bien connue sur de tels enjeux.</p>
<h2>Le maintien d’un système public fort : une question d’abord politique</h2>
<p>Si la Cour suprême devait invalider les interdictions législatives concernant la surfacturation et l’assurance privée duplicative, il s’agirait bien sûr d’un développement favorable à l’expansion du secteur privé en santé.</p>
<p>Pour préserver le système public, les autorités de la Colombie-Britannique pourraient toutefois tenter de faire comme le Québec après le jugement Chaoulli. Elles pourraient ainsi procéder à une ouverture circonscrite à certains services privés en offrant des garanties d’accès correspondantes dans le système public.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Du personnel soignant, en tenue médicale, se prépare pour une opération" src="https://images.theconversation.com/files/483298/original/file-20220907-9440-6xdmsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483298/original/file-20220907-9440-6xdmsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483298/original/file-20220907-9440-6xdmsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483298/original/file-20220907-9440-6xdmsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483298/original/file-20220907-9440-6xdmsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483298/original/file-20220907-9440-6xdmsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483298/original/file-20220907-9440-6xdmsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une équipe médicale à l’œuvre à la clinique privée Cambie, à Vancouver.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Darryl Dyck</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À l’inverse, même si la Cour suprême confirmait la validité des dispositions contestées, le développement d’une offre parallèle de services privés ne serait pas définitivement exclu.</p>
<p>L’idée d’une plus grande ouverture au privé en santé, sous différentes formes, est présente dans les programmes de certains partis politiques fédéraux et provinciaux. Si la <a href="https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/C-6/TexteComplet.html"><em>Loi canadienne sur la santé</em></a> pose des conditions visant le maintien par les provinces d’un système public accessible et universel, elle n’interdit pas qu’il y ait des services privés de santé qui se développent en marge de ce même système. D’autres contestations judiciaires visant certaines mesures de protection du système public pourraient aussi intervenir dans le futur.</p>
<p>L’existence d’un système public de santé capable de répondre aux besoins de l’ensemble de la population de façon équitable est le fruit d’un consensus politique plus ou moins fort, selon les époques. Ce n’est pas le résultat d’une quelconque exigence enchâssée dans le « marbre constitutionnel », que les tribunaux auraient pour mandat de protéger contre vents et marées.</p>
<p>Des actions gouvernementales déterminées et novatrices sont donc requises pour faire en sorte que le système public de santé soit à la hauteur des besoins et ainsi éviter que l’adhésion de la population à son égard ne s’effrite.</p>
<p><em>NDLR Le 6 avril 2023, <a href="https://scc-csc.ca/case-dossier/info/dock-regi-fra.aspx?cas=40412">la Cour suprême a rejeté la demande d'autorisation d'en appeler dans l'affaire Cambie</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189181/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>En plus de ses activités académiques à l'Université de Sherbrooke et à l'Université de Montréal, Marco Laverdière occupe les fonctions de directeur général et de secrétaire de l'Ordre des optométristes du Québec. / In addition to his academic activities at Université de Sherbrooke and Université de Montréal, Marco Laverdière serves as the executive director and secretary of the Ordre des optométristes du Québec.</span></em></p>La Cour suprême pourrait avoir à décider s’il faut invalider l’interdiction de l’assurance privée et de la surfacturation pour les services médicaux en raison d’une atteinte aux droits fondamentaux.Marco Laverdière, Avocat, enseignant et chercheur associé en droit et politiques de la santé / Lawyer, lecturer and research associate in Health Law and Policy, Université de Sherbrooke Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1887742022-09-01T12:56:04Z2022-09-01T12:56:04ZQuel accès aux soins pour les femmes enceintes migrantes dépourvues d’assurance maladie ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/480882/original/file-20220824-2207-pwpqn5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C1%2C995%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des milliers de femmes migrantes enceintes expérimentent des grossesses complexes, voire dangereuses, pour elles-mêmes et leurs enfants à naître. </span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Au Québec, l’admissibilité à la couverture de santé publique est gérée par la Régie de l’Assurance Maladie du Québec (RAMQ) et dépend du statut migratoire des individus. Les personnes admissibles sont principalement les citoyens canadiens, les résidents permanents et les réfugiés.</p>
<p>Les demandeurs d’asile bénéficient d’une couverture de santé fédérale : le <a href="https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/refugies/aide-partir-canada/soins-sante/programme-federal-sante-interimaire/resume-couverture-offerte.html">Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI)</a>. Les personnes qui ne sont pas admissibles aux couvertures de santé publiques ni provinciale, ni fédérale, peuvent souscrire à des assurances privées, assez coûteuses. C’est ainsi qu’en 2020, on estimait la présence au Québec de près de <a href="https://sherpa-recherche.com/wp-content/uploads/impact_covid19_communautes_culturelles.pdf">50 000 individus (adultes et enfants) dépourvus de couverture de santé, la majorité vivant à Montréal</a>.</p>
<p>Ces personnes sont communément désignées par le terme de Migrants sans assurance maladie (MSAM). Lorsqu’elles sont enceintes, certaines femmes MSAM renoncent à leurs soins obstétricaux, en raison de leur incapacité à payer des frais médicaux pouvant osciller entre <a href="https://tout-petits.org/publications/dossiers/acces-soins-de-sante-migrants/">8 934 $ et 17 280 $</a>. Or, la <a href="https://www.sogc.org/fr">Société des obstétriciens et gynécologues</a> recommande fortement un suivi de grossesse rigoureux afin de <a href="https://doi.org/10.1038/jp.2015.218">réduire les risques de mortalité maternelle, de fausse couche, de naissance prématurée, de faible poids de naissance, de mortinatalité et de mort subite inattendue dans l’enfance</a>.</p>
<p>En tant que chercheuse en éthique clinique spécialisée sur la santé des migrants, je me propose de vous informer sur l’existence de ces milliers de femmes qui expérimentent des grossesses complexes, voire dangereuses, pour elles-mêmes et leurs enfants à naître. Mon approche éthique offre une analyse critique du statu quo de la RAMQ, à l’aune des principes de dignité de la personne humaine et de justice sociale.</p>
<h2>Portrait de la situation au Québec</h2>
<p>Les MSAM sont réparties en <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0231327">trois catégories</a>, selon leur statut administratif au Canada :</p>
<ul>
<li><p>les personnes en attente de statut à la RAMQ, telles que les Résidents permanents en période de carence de 3 mois ou les demandeurs d’asile en attente de PFSI ;</p></li>
<li><p>les Résidents non permanents ayant généralement des visas étudiants (à l’exception de ceux originaires des 11 pays européens ayant une entente avec la RAMQ) ou des permis de travail ouverts ;</p></li>
<li><p>les personnes sans statut qui restent au Québec après l’expiration de leur visa ou à la suite de l’échec de leur demande d’asile.</p></li>
</ul>
<p>Au Québec, l’entrée à l’hôpital est théoriquement ouverte à toute personne s’y présentant. Or, lorsqu’une personne ne bénéficie d’aucune couverture médicale et qu’elle souhaite recevoir des services de santé non urgents, elle doit d’abord prouver sa capacité à s’acquitter de la facture qui en découlera. Dans le cas des MSAM, cette facture est de surcroît soumise à la circulaire 03-01-42-07, qui prescrit l’application d’une majoration tarifaire de 200 % à <a href="https://doi.org/10.7202/1087213ar">toute personne non affiliée à la RAMQ ayant eu recours à des soins de santé effectués dans des établissements publics</a>. Par exemple, pour un suivi de grossesse et un accouchement, les frais totaux peuvent s’élever à <a href="https://tout-petits.org/publications/dossiers/acces-soins-de-sante-migrants/">17 280 $</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C4%2C992%2C661&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="femme enceinte fait une échographie" src="https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C4%2C992%2C661&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/480874/original/file-20220824-22-nc36uc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La Société des obstétriciens et gynécologues recommande fortement un suivi de grossesse rigoureux afin de réduire les risques de mortalité maternelle, de fausse couche, de naissance prématurée, de faible poids de naissance, de mortinatalité et de mort subite inattendue dans l’enfance.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Alors que des associations comme Médecins du monde plaident depuis plus de 20 ans en faveur de la mise en place gouvernementale d’une <a href="https://medecinsdumonde.ca/uploads/Memoire-Medecins-du-Monde-Sante-sexuelle-et-reproductive-des-femmes-migrantes-a-statut-precaire-vivant-au-Quebec_15avril-2022.pdf">couverture universelle de soins obstétricaux</a>, la RAMQ juge dans son <a href="https://www.msss.gouv.qc.ca/inc/documents/ministere/salle-de-presse/Rapport_mandat_femmes_enceintes_2022-06-28.pdf">rapport publié en juin 2022</a> que le statu quo reste une réponse adéquate à la situation de ces femmes.</p>
<h2>Préserver la dignité humaine</h2>
<p>Il arrive dans certaines situations que des femmes enceintes choisissent de se présenter à l’hôpital à la dernière minute pour minimiser leurs coûts, et passer en urgence en salle de naissance. Dans les cas extrêmes, les femmes <a href="https://books.openedition.org/pum/5389">décident d’accoucher seules chez elles, au péril de leur vie</a>.</p>
<p>De plus, des recherches ayant examiné les différents dossiers médicaux en services d’obstétriques prouvent que l’absence d’assurance maladie augmente les taux de césariennes dues à des <a href="https://doi.org/10.3390%2Fijerph10062198">anomalies du rythme cardiaque fœtal et de réanimations néonatales</a>.</p>
<p>Ainsi, d’un point de vue clinique, la mise en place d’une couverture universelle de soins prénataux apparaît appropriée et efficace pour garantir des conditions d’accouchement sécuritaires et dignes à toutes les femmes et leurs enfants, sans égard à leur statut migratoire.</p>
<h2>Loin d’être des touristes</h2>
<p>Le <a href="https://www.msss.gouv.qc.ca/inc/documents/ministere/salle-de-presse/Rapport_mandat_femmes_enceintes_2022-06-28.pdf">dernier rapport de la RAMQ</a> témoigne que ce sont davantage des préoccupations liées au phénomène de « tourisme obstétrique » qui incitent au statu quo, plutôt qu’un regard médical ajusté et humaniste à l’égard de la réalité des femmes enceintes MSAM. Or, ce ne sont pas des touristes, puisque la plupart d’entre elles <a href="https://doi.org/10.1080/17441692.2020.1771396">résident au Québec depuis au moins deux ans et qu’elles ont l’intention de s’y établir</a>.</p>
<p>Par ailleurs, ces femmes contribuent à la société de diverses façons, à commencer par leur travail, notamment au cours de la pandémie de Covid-19. Les travaux de l’<a href="https://sherpa-recherche.com/">Institut universitaire SHERPA</a> ont révélé que les travailleuses migrantes ont été surreprésentées dans les métiers désignés de première ligne. Elles étaient nombreuses à être <a href="https://sherpa-recherche.com/wp-content/uploads/impact_covid19_communautes_culturelles.pdf">préposées aux bénéficiaires, vendeuses ou agentes d’entretien ménager</a>.</p>
<p>Ces personnes prennent soin de notre société. La mise en place d’une couverture universelle de soins prénataux et obstétricaux témoignerait d’une reconnaissance juste de leurs apports économiques, sociaux, culturels, académiques et démographiques au Québec.</p>
<h2>Pour garantir la justice sociale</h2>
<p>Il est primordial de distinguer les femmes enceintes MSAM des personnes qui voyagent au Canada dans l’unique but d’y accoucher pour garantir l’obtention de la citoyenneté à leurs enfants à naître.</p>
<p>De plus, les limitations d’accès à la RAMQ n’empêchent pas le phénomène de <em>tourisme obstétrical</em> d’exister, bien qu’il demeure <a href="https://www.lesoleil.com/2012/03/08/du-tourisme-obstetrique-a-quebec-26f02f95a23fdca000845c92e0becef7">marginal</a>.</p>
<p>Pour la période du 1<sup>er</sup> janvier 2015 au 31 décembre 2021, la <a href="https://www.msss.gouv.qc.ca/inc/documents/ministere/salle-de-presse/Rapport_mandat_femmes_enceintes_2022-06-28.pdf">RAMQ dénombre 9 917 femmes ayant accouché alors qu’elles n’avaient pas d’assurance maladie</a>. Cette donnée regroupe toutes les femmes, installées ou non dans la province. D’après la RAMQ, il n’existe aucun moyen de distinguer celles qui résident au Québec de celles n’ayant que l’intention d’y accoucher.</p>
<p>Rien ne prouve qu’une couverture universelle de soins de grossesse s’accompagnera inexorablement d’une recrudescence du <em>tourisme obstétrical</em>. En effet, l’accès à cette mesure pourrait par exemple être conditionné par des preuves de résidence.</p>
<p>En revanche, le statu quo génère un accroissement des inégalités d’accès aux soins. Des inégalités aux conséquences cliniques potentiellement lourdes pour les nourrissons en cas de suivi de grossesse inadéquat ou inexistant.</p>
<h2>Des exemples à suivre</h2>
<p>C’est justement par respect des principes humanistes de meilleur intérêt de l’enfant et de dignité humaine de la femme que des pays dotés d’un système de santé public comme la France, l’Allemagne, et la Finlande, offrent des soins prénataux et obstétricaux gratuits à toutes les femmes, sans discrimination, ni d’égard à leur statut migratoire, légal ou non.</p>
<p>D’autres provinces canadiennes tout aussi concernées par <em>le tourisme obstétrical</em>, comme la Colombie-Britannique et l’Alberta, réduisent leur taux de MSAM en octroyant l’assurance maladie provinciale à toutes personnes détentrices d’un permis d’étude ou d’un permis de travail. En Ontario, le gouvernement finance les soins de grossesse et d’accouchement à toutes les femmes enceintes qui résident dans la province avec un statut légal.</p>
<p>À l’aube des élections provinciales au Québec, nous encourageons le futur nouveau gouvernement à suivre ces modèles inspirants dans l’optique de garantir des droits de la personne fondamentaux, comme la santé, à l’ensemble de la communauté.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188774/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annie Liv a reçu des financements du Centre de recherche en éthique (CRÉ) et de l'Équipe de recherche interdisciplinaire sur les familles réfugiées et demandeuses d'asile (ERIFARDA). </span></em></p>L’admissibilité à la RAMQ dépend du statut migratoire. Les personnes admissibles sont principalement les citoyens canadiens et les résidents permanents. Les étudiant-es, par exemple, en sont exclus.Annie Liv, Doctorante en Éthique clinique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1811752022-04-13T18:42:59Z2022-04-13T18:42:59ZMédico-social : ce que le personnel soignant attend de sa hiérarchie<p>Dans le secteur médico-social, les mutations économiques, les évolutions sociétales, les réformes successives, les injonctions paradoxales, les stratégies de rationalisation des coûts, la crise sanitaire actuelle du Covid-19, l’émergence de structures organisationnelles mécanistes (travail prescrit, règles et procédures, etc.) et la montée de l’individualisme font <a href="https://www.cairn.info/revue-agrh1-2022-1-page-35.htm">évoluer les termes de la relation managériale</a>, qui lie un salarié à son manager.</p>
<p>En effet, les professionnels de ce secteur expriment des attentes relationnelles et organisationnelles fortes envers leurs supérieurs hiérarchiques, comme nous l’avons montré dans un récent <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2021-4-page-37.htm">article</a> de recherche. Cette qualité de la relation influe non seulement sur le <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ri/2016-v71-n4-ri02887/1038526ar/">comportement et la santé au travail du salarié</a>, mais aussi sur sa volonté de rester membre de son organisation. L’enjeu est aujourd’hui d’autant plus essentiel que les Ehpad (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), ou encore les établissements accueillant des personnes en situation de handicap, éprouvent des <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/etudes-et-resultats/le-personnel-et-les-difficultes-de-recrutement-dans-les-Ehpad">difficultés à recruter</a> et à fidéliser les collaborateurs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1274941974907363328"}"></div></p>
<p>Mais comment bâtir cette nouvelle relation ? Les entretiens que nous avons réalisés avec une cinquantaine de managers (directeurs d’établissements et cadres intermédiaires) et des opérationnels (soignants, éducateurs, etc.) permettent d’en dresser les contours à dégager des pistes d’action pour améliorer les rapports.</p>
<h2>« Quelqu’un qui sait nous écouter »</h2>
<p>Dans le cadre de la relation avec son supérieur, le salarié formule implicitement ou explicitement des attentes (matérielles, relationnelles, etc.), perçoit des promesses et essaie de déterminer les obligations de son manager envers lui. La qualité de la relation managériale dépend donc de la manière dont le managé perçoit la réalisation des termes de cette relation (attentes, promesses, obligations) par son supérieur.</p>
<p>La communication interpersonnelle joue donc un rôle essentiel dans l’entretien et le développement de la relation managériale. Une aide-soignante, explique par exemple, qu’elle souhaite sur son supérieur soit :</p>
<blockquote>
<p>« Quelqu’un qui est proche de nous, qui sait nous écouter quand on dit quelque chose. »</p>
</blockquote>
<p>D’après nos entretiens menés, les salariés opérationnels attendent plus largement de leurs managers qu’ils dialoguent avec empathie, qu’ils reconnaissent le travail de chacun ou encore qu’ils valorisent la prise d’initiative et la créativité. Ils demandent également des efforts dans l’accueil et l’intégration des nouveaux salariés, que le rôle de chacun soit clairement défini pour éviter les conflits, ou encore que le matériel nécessaire pour bien travailler soit disponible.</p>
<p>Les résultats des entretiens montrent aussi que les managers des équipes opérationnelles, qu’ils soient directeurs d’établissement ou cadres intermédiaires (chefs de service, infirmiers coordinateurs…), tout comme leurs collaborateurs, attendent de leurs supérieurs (directeurs régionaux…) de la communication, de l’écoute, de l’empathie, de la confiance et du soutien social et technique.</p>
<p>Toutefois, ces mêmes managers, se trouvant entre le marteau et l’enclume, notent l’altération de la relation non seulement avec leurs supérieurs (liée notamment à un déficit de dialogue et à un manque de soutien), mais aussi avec leurs « subordonnées ». Un cadre intermédiaire déplore ainsi les conséquences du peu d’autonomie dont il dispose pour mettre en place une organisation du travail adaptée :</p>
<blockquote>
<p>« Les journées s’enchaînent et il y a une perte progressive du sens et des repères. Au bout d’un moment, on devient clairement un simple exécutant. »</p>
</blockquote>
<p>Cette position inconfortable peut même conduire certains managers à éviter d’entrer en contact direct avec leurs collaborateurs ou de gérer les conflits, car ils ne détiennent que peu de pouvoir sur des situations qui nécessitent des moyens financiers ou des compétences managériales ou relationnelles qu’ils ne possèdent pas. La confrontation avec leurs collaborateurs risque alors de les déstabiliser.</p>
<h2>Des compétences plus que techniques</h2>
<p>Pour pouvoir déterminer les termes de la relation managériale, prévenir sa dégradation ou tenter de la réparer le cas échéant, le manager et le managé sont donc invités à multiplier les échanges et les interactions. En effet, des échanges formels (entretien annuel par exemple) et informels (discussions autour de la machine à café) s’avèrent essentiels pour clarifier les termes de la relation managériale (attentes, promesses et obligations perçues) et ses évolutions (les attentes de l’individu évoluent avec le temps suite à des changements individuels ou organisationnels).</p>
<p>Pour le supérieur, des échanges réguliers lui permettent de fournir à son collaborateur des informations concernant <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/job.2284">l’évolution du contexte</a> ou sa difficulté de respecter certains termes de leur relation. En effet, le supérieur ne peut pas satisfaire tous les besoins de ses collaborateurs, mais néanmoins, il peut leur expliquer les raisons qui l’empêchent de le faire afin d’éviter des sentiments de déception ou de frustration, comme procède cette directrice d’établissement :</p>
<blockquote>
<p>« Quand je fais face, par exemple, à des demandes d’embauches supplémentaires, que ça ne dépend pas de nous. Pour cela, je pourrais organiser de petites réunions d’équipe, avec éventuellement l’aide d’un petit support. »</p>
</blockquote>
<p>Pour améliorer cette communication, la sélection, l’accompagnement et l’évolution professionnelle des managers ne devraient donc pas se limiter à l’évaluation et au développement des compétences techniques et professionnelles, comme <a href="https://www.cairn.info/revue-agrh1-2017-4-page-9.htm">c’est souvent le cas</a>. Ils devraient concerner également les compétences cognitives, pour permettre au manager de gérer des injonctions paradoxales, d’analyser et adapter l’organisation du travail, ainsi que les compétences sociales. Ces dernières sont en effet nécessaires pour favoriser la confiance et les échanges, reconnaître et donner plus de sens au travail, ou encore pour gérer des conflits.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1314294022375116803"}"></div></p>
<p>Cet article met l’accent sur le rôle que peut jouer la relation managériale dans la fidélisation des professionnels (salariés opérationnels et managers) du secteur médico-social du point de vue des managés. Toutefois, il convient de rappeler que la fidélisation du personnel dépend aussi d’autres facteurs organisationnels (rémunération, climat social, organisation du travail, etc.) et individuels (choix professionnels, personnalité, valeurs personnelles, etc.).</p>
<p>Plus largement, une réflexion collective sur l’amélioration des conditions de travail et des relations interpersonnelles s’impose dans le secteur afin de stabiliser les personnels, de lutter contre la maltraitance institutionnelle, telle que révélée en début d’année par le scandale Orpea, et de préserver ainsi la santé de tous.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181175/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Khaled Sabouné ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les Ehpad ou les établissements spécialisés, les salariés demandent davantage d’écoute de leurs supérieurs, qui doivent en réponse développer leurs compétences en communication.Khaled Sabouné, Maître de Conférences, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1784622022-03-08T19:05:24Z2022-03-08T19:05:24ZComment mieux préparer l'écosystème de santé aux menaces sanitaires ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/450406/original/file-20220307-83984-fezcq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C7%2C1165%2C788&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La modélisation prospective d'un ensemble de paramètres, données de santé et extrinsèques, apparait comme une piste prometteuse pour anticiper les risques.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixnio.com/media/coronavirus-covid-19-health-care-influenza-syringe">Pixinio</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Comme nous l'avions souligné dans un précédent <a href="https://theconversation.com/laboratoires-pharmaceutiques-une-industrie-aujourdhui-encore-plus-reactive-que-prospective-174624">article</a>, les industries du médicament sont naturellement aux avant-postes de l'innovation scientifique et des traitements de l'urgence, davantage que de la veille à long terme. En témoigne encore le temps très court, moins d'un an, qui se sera écoulé entre la découverte des premiers cas d'une maladie inconnue à Wuhan et le lancement de la campagne vaccinale à grande échelle du Royaume-Uni.</p>
<p>En effet, l'ampleur et la complexité des phénomènes prospectifs – au-delà de leurs composantes scientifiques et logistiques – nécessitent de mutualiser veille et anticipation en croisant expertises et talents, et l'exercice ne peut être confié aux seuls laboratoires dont les contraintes et les exigences limitent naturellement des lectures intégratives et systémiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1484198044690264068"}"></div></p>
<p>Compte tenu des sommes requises en recherche (plus encore en développement clinique), de la nécessité de mobiliser des moyens, notamment humains, et face à la difficulté d'appréciation de phénomènes multifactoriels comme ceux des menaces pandémiques, le principe même de la prospective, exercice difficile et incertain, met notamment en exergue l'indispensable soutien des acteurs publics dans un effort à l'interface de plusieurs disciplines, mobilisant de nombreux savoir-faire.</p>
<h2>Le défi du changement climatique</h2>
<p>Il est donc finalement peu surprenant que la veille requise autour d'aspects macro-sociétaux soit l'apanage d'organismes publics, nationaux voire supranationaux, de fondations ou de think tanks indépendants du secteur industriel (Organisation Mondiale de la Santé, Biomedical Advanced Research and Development Authority, Gates Foundation, <a href="https://onehealthinitiative.com/">One Health Initiative</a>, etc.).</p>
<p>À analyser, par exemple, les processus et les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/j.1365-2796.2011.02415.x">facteurs d'influence du changement climatique sur la santé humaine</a>, on peut se rendre compte que ce <a href="https://www.nejm.org/doi/10.1056/NEJMra1109341?url_ver=Z39.88-2003&rfr_id=ori:rid:crossref.org&rfr_dat=cr_pub%20%200www.ncbi.nlm.nih.gov">tableau d'ensemble</a> sort assez largement du cadre strict de réponses en termes d'innovations thérapeutiques et concerne, à de très nombreux égards, les politiques territoriales, agricoles, environnementales et sanitaires, les décisions géopolitiques et la coopération internationale – apanage des dirigeants, des acteurs de santé publique, des associations, des ONGs bien davantage que des acteurs privés.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/450410/original/file-20220307-84357-1tncrf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/450410/original/file-20220307-84357-1tncrf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450410/original/file-20220307-84357-1tncrf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450410/original/file-20220307-84357-1tncrf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450410/original/file-20220307-84357-1tncrf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450410/original/file-20220307-84357-1tncrf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450410/original/file-20220307-84357-1tncrf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450410/original/file-20220307-84357-1tncrf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.nejm.org/doi/10.1056/NEJMra1109341">Nejm.org</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C'est sans doute la lettre et l'esprit qui anime la récente mise en place <a href="https://esante.gouv.fr/actualites/parisante-campus-le-nouveau-berceau-dinnovation-en-e-sante-inaugure">du campus PariSanté</a>, inauguré en grande pompe en décembre dernier. PariSanté Campus s'est donné les moyens de devenir un incubateur d'innovation, de recherche et de formation en santé numérique, grâce à la convergence de nombreux acteurs selon une dynamique d'écosystème, au croisement de nombreuses compétences : croisements bénéfiques entre acteurs publics et privés, acteurs du numérique et du soin, entrepreneurs et chercheurs…</p>
<p>Vecteur de synergies et d'interdisciplinarité, PariSanté Campus se propose de donner matière à un fertile terreau d'innovations tout autant que de référentiels pour le système de santé de demain.</p>
<p>Comme le promeut avec justesse et humour, le professeur Antoine Tesnière, son directeur général, la «sérendipité de la machine à café» permet, par la rencontre et l'échange informels, l'étincelle nécessaire à l'intelligence collective et une grammaire renouvelée de la prospective et de l'innovation.</p>
<h2>Combinatoire de données</h2>
<p>Accroître les solidarités entre secteurs et la multidisciplinarité des équipes fait partie des défis à relever, à notre sens, pour mieux préparer les industriels de santé aux nouvelles menaces. Pour cela, elles pourront également trouver un atout précieux dans la donnée.</p>
<p>La combinaison de modèles prédictifs, l'analyse de données statistiques associant conditions climatiques, sanitaires et transmission des maladies sur un plan régional, voire mondial, devrait ainsi faire l'objet d'attentions de plus en plus poussées et donner lieu à la mise en place d'outils de suivi et d'anticipation indispensables à l'analyse de futurs scénarii des maladies infectieuses à mesure que les conditions climatiques se modifient.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4VmP-A6foA8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Inauguration PariSanté Campus (PariSanté Campus, décembre 2021).</span></figcaption>
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<p>Comme nous avions pu le montrer dans un <a href="https://thechoice.escp.eu/tomorrow-choices/how-can-big-data-help-to-understand-apprehend-and-control-a-pandemic/">récent article</a>, gouvernants, acteurs de santé publique, personnel médical et hospitalier tireraient profit de la modélisation fine et prospective d'un ensemble de paramètres, résultat d'une combinatoire de données de santé et de données extrinsèques plus générales, souvent issues des sciences sociales, dont il leur revient d'organiser l'architecture d'ensemble et de favoriser les échanges.</p>
<p>Il pourrait notamment s'agir de mettre à disposition les données de veille et d'anticipation des crises sanitaires au service des progrès thérapeutiques. Si les causes de la rapidité du développement de vaccins par des opérateurs privés sont multiples, on ne peut qu'être impressionné par l'incroyable systématique de la collecte et du traitement de données rendues possibles grâce à la puissance, nouvellement apprise, du big data et de l'intelligence artificielle en santé.</p>
<p>Ingénierie génomique, essais cliniques, plates-formes de production, optimisation logistique, instruments de pilotage et de suivi des campagnes de vaccination, détection précoce des risques de contamination, éducation thérapeutique des populations constituent autant de moyens, de méthodes, de métriques qui se nourrissent, depuis l'origine de la pandémie, de la collecte et de l'analyse de données massives.</p>
<p>Mais il convient aussi, dans le respect des règles de confidentialité requises, que les acteurs publics donnent davantage de liberté d'accès à des industriels à l'initiative de l'innovation thérapeutique, lorsque l'analyse de signaux faibles ou l'étude des scénarii futurs le réclament.</p>
<p>Il est, à ce titre, symptomatique et rassurant que PariSanté Campus – dont il a été question plus haut – compte le <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-plateforme-des-donnees-de-sante-health-data-hub">Health Data Hub</a>, plate-forme nationale des données de santé, parmi ses cinq partenaires fondateurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178462/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Jallat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les acteurs de la santé peuvent notamment miser sur les apports du big data et de la modélisation pour améliorer leurs capacités de prospective aux côtés des pouvoirs publics.Frédéric Jallat, Professeur de marketing, directeur scientifique du mastère spécialisé en management pharmaceutique et des biotechnologies , ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1635492022-02-16T18:27:47Z2022-02-16T18:27:47ZUtiliser des images plutôt que des chiffres pour réhumaniser la gestion en santé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/444887/original/file-20220207-127284-15ohmzu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1000%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une salle d’attente pleine, des gens debout, un couloir obstrué, des visages fermés... En gestion de la santé, une image fait état de toute la complexité d’une situation, au contraire d’un chiffre qui simplifie et réduit.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>À l’heure où le fonctionnement du système de santé est mis à mal, notamment dans le contexte de la Covid-19 qui a exacerbé l’épuisement des professionnels, la gestion de la performance est un aspect à prendre en compte.</p>
<p>Dans le cadre des recherches que nous menons dans le secteur de la santé au Québec depuis 2015, notre équipe, composée de chercheurs en gestion de plusieurs universités, analyse <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/AAAJ-12-2018-3799/full/html">l’impact des outils de gestion de la performance sur le travail des professionnels et des gestionnaires</a>. Nous pensons que <a href="https://books.google.ca/books?hl=fr&lr=&id=mdgREAAAQBAJ">l’utilisation de pratiques de gestion basées sur des visuels</a> permettrait de répondre à certains écueils de l’approche actuelle.</p>
<h2>Des outils qui brisent le relationnel</h2>
<p>Le mode de gestion de la performance utilisé dans le secteur de la santé et des services sociaux met l’accent sur l’atteinte de résultats en comparaison à des cibles préétablies. <a href="https://www.routledge.com/Public-Sector-Reform-and-Performance-Management-in-Developed-Economies/Hoque/p/book/9780367435165">Il s’agit d’un contrôle axé sur les résultats</a>.</p>
<p>Cela conduit à synthétiser de nombreuses informations relatives à l’activité des professionnels sous forme d’indicateurs, et donc à réduire une réalité complexe.</p>
<p>Par exemple, à la suite des réformes de 2015, les gestionnaires ont dû suivre des indicateurs et atteindre des cibles chiffrées visant à diminuer les listes et les délais d’attente des patients et à augmenter le nombre de visites effectuées auprès d’usagers sur une période.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/444337/original/file-20220203-23-1lzh8gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444337/original/file-20220203-23-1lzh8gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444337/original/file-20220203-23-1lzh8gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444337/original/file-20220203-23-1lzh8gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444337/original/file-20220203-23-1lzh8gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444337/original/file-20220203-23-1lzh8gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444337/original/file-20220203-23-1lzh8gf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Indicateurs présentés sous forme de tableaux ou graphiques – Exemple au sein d’un CIUSSS.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Author)</span></span>
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<p>Les nombres présentés sous ces formes donnent l’illusion de produire une vision objective d’une situation. Cependant, cette approche, qui met l’accent sur l’atteinte de résultats quantifiables, réduit les services de soins à des actions mécaniques, sans contingence et dénuées de relations humaines. Gérer uniquement de cette façon est contestable, en particulier dans le secteur de la santé où des individus prennent soin d’autres individus.</p>
<p>Les résultats présentés sous forme de tableaux et de graphiques peuvent figer toute discussion en focalisant l’attention des individus sur les actions nécessaires pour faire varier les indicateurs qui composent ces visuels.</p>
<p>Une solution pourrait résider dans l’utilisation de visuels, comme des images et des photos, qui montreraient des situations pouvant être interprétées et discutées librement par les individus.</p>
<h2>La puissance du visuel</h2>
<p>Au contraire d’un chiffre, qui agrège, simplifie et réduit, <a href="https://doi.org/10.5465/19416520.2013.781867">l’image fait état de toute la complexité d’une situation</a> : une salle d’attente pleine, mais aussi des gens debout, un couloir obstrué, des visages fermés, etc.</p>
<p>Elle pointe les difficultés avec une certaine exhaustivité. Les recherches montrent qu’au contraire d’un chiffre, une image favorise la prise en compte des subjectivités face à une réalité complexe et facilite les discussions. Elle invite chaque acteur à partager autour de l’expérience de terrain pour trouver des actions concrètes à des dysfonctionnements visibles.</p>
<p>L’image peut aussi véhiculer du positif. Par exemple, lorsqu’elle montre un patient souriant, elle transmet un message de reconnaissance envers le professionnel. Elle permet la valorisation de son travail.</p>
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<img alt="Une femme alitée, souriant à travers son masque" src="https://images.theconversation.com/files/444891/original/file-20220207-23-12dmpjg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444891/original/file-20220207-23-12dmpjg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444891/original/file-20220207-23-12dmpjg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444891/original/file-20220207-23-12dmpjg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444891/original/file-20220207-23-12dmpjg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444891/original/file-20220207-23-12dmpjg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444891/original/file-20220207-23-12dmpjg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une image peut véhiculer du positif. Par exemple, lorsqu’elle montre un patient souriant, elle transmet un message de reconnaissance envers le professionnel. Elle permet la valorisation de son travail.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Des outils visuels pour réhumaniser les pratiques</h2>
<p>Comment faire pour que la gestion de la performance par les visuels fonctionne ?</p>
<p>Prenons l’exemple d’une salle d’attente et de ses indicateurs. Utiliser des indicateurs quantitatifs risque d’appauvrir les échanges entre professionnels et gestionnaires : si l’indicateur est vert, il est inutile d’en parler ; s’il est rouge, on se demande comment faire pour qu’il redevienne vert. Le risque est alors de passer à côté des problèmes de fond pour se focaliser sur la variation de l’indicateur.</p>
<p>À l’inverse, si les graphiques et tableaux de bord sont remplacés par l’image d’une salle d’attente pleine, les échanges se concentreront plus facilement sur la situation : ses origines, son évolution et son mode de résolution dans un environnement complexe.</p>
<p>L’idée est de prendre ponctuellement des clichés de salles d’attente (dans le respect de la confidentialité) qui traduisent les difficultés des professionnels et de pouvoir en discuter en équipe.</p>
<h2>Libérer la parole</h2>
<p>Utiliser des visuels appropriés permettrait de créer un espace de discussion où chaque professionnel peut s’exprimer plus facilement autour de visuels porteurs de sens. Ensemble, les professionnels pourraient réfléchir à des actions à entreprendre pour faire face aux situations problématiques.</p>
<p>Cette expression libre, qui favorise une approche relationnelle, pourrait favoriser la perception des signaux faibles (baisse de l’engagement, fatigue) émis par les équipes. Aussi, au-delà des outils, ce qui compte véritablement est la façon dont les gestionnaires les mobilisent avec les équipes. L’image peut « humaniser » et refléter l’accomplissement du professionnel, ce qui est essentiel dans le secteur de la santé et de l’aide sociale.</p>
<p>Nous préconisons donc de faire de la place à des visuels créatifs : photos, dessins, graphiques et même films. Laissons du choix dans les approches en offrant de la souplesse aux gestionnaires et à leurs équipes et acceptons l’existence d’outils et de solutions multiples plus proches des réalités de terrain. Ils permettront d’améliorer les performances, et non uniquement les indicateurs de performance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163549/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elodie Allain est membre de l'ordre des CPA du Québec</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Célia Lemaire et Gulliver Lux ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Le mode de gestion de la performance utilisé en santé et dans les services sociaux met l’accent sur l’atteinte de résultats. Cela réduit une réalité complexe, contrairement à une image révélatrice.Gulliver Lux, Professeur agrégé en Sciences de Gestion, Université du Québec à Montréal (UQAM)Célia Lemaire, Maître de conférences HDR en sciences de gestion, Université de StrasbourgElodie Allain, HEC MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1680032021-09-15T10:18:30Z2021-09-15T10:18:30ZCrise des paramédicaux : des hôpitaux « magnétiques » pour attirer et retenir les soignants ?<p><em>Mal considérés, mal payés, peu écoutés, surchargés de travail… Les paramédicaux, infirmiers et infirmières en tête, sont depuis plusieurs années dans une situation professionnelle difficile, qui se traduit par le nombreux burnouts et réorientations professionnelles. Comment changer la situation ? Odessa Dariel, professeure en sciences infirmières à l’École des Hautes Études en Santé publique (EHESP) nous présente plusieurs pistes qui ont déjà fait leurs preuves à l’étranger.</em></p>
<hr>
<p><strong>The Conversation : À quelles problématiques sont confrontés les responsables d’hôpitaux concernant les personnels paramédicaux ?</strong></p>
<p><strong>Odessa Dariel :</strong> Avant l’épidémie de Covid, les principaux enjeux ayant trait aux personnels paramédicaux auxquels étaient confrontées les organisations de santé, en particulier les hôpitaux, étaient liés aux insuffisances d’effectifs. La masse salariale étant le poste de dépenses le plus important, et les paramédicaux représentant le gros des personnels, ce sont souvent eux qui faisaient les frais des restrictions budgétaires.</p>
<p>Il faut savoir qu’à l’exception de quelques services comme la réanimation, la néonatalogie ou certains services d’oncologie, il n’existe pas vraiment de régulation concernant le nombre d’effectifs par patient. De ce fait, les responsables des autres services n’ont pas de base sur laquelle argumenter lorsqu’il s’agit de faire une demande d’effectifs supplémentaires.</p>
<p>Dans certains États des États-Unis, où j’ai été formée, les effectifs sont réglementés. Même dans les États sans réglementation fixant le ratio infirmier/patient, il n’est pas coutume, dans un service médicochirurgical, d’avoir plus de sept patients par infirmière. En France, certaines doivent parfois <a href="http://www.syndicat-infirmier.com/Effectifs-infirmiers-ratios-ou-rationnement.html">en gérer le double</a> ! Certes, on peut argumenter en disant que les métiers sont différents outre-Atlantique. Cependant, devoir s’occuper d’un trop grand nombre de patients complique la prise en charge et les soins.</p>
<p><strong>TC : Cette situation est délétère pour les patients et pour les soignants ?</strong></p>
<p><strong>OD :</strong> Oui, car l’impact se fait sentir non seulement sur la qualité des soins, mais aussi sur le sens du travail accompli. Les soignants sont obligés de se limiter aux aspects techniques des soins et n’ont plus de temps pour le reste : les échanges avec le patient, tout ce qui relève du « care », « prendre soin ».</p>
<p>C’est un problème à plusieurs niveaux. Du point de vue des soignants qui ont l’impression de travailler « à la chaîne », et de sacrifier une partie de leur éthique de travail, tout d’abord. Cela limite aussi les capacités de détection des signaux précoces qui peuvent précéder la détérioration d’un patient. </p>
<p>Il faut bien avoir conscience que la majorité du temps, les interlocuteurs des patients sont les personnels paramédicaux. Ce sont les yeux et les oreilles du médecin, en quelque sorte, qui les voit plus rarement. Si leur charge de travail ne leur permet plus de détecter ces problèmes en amont, cela peut être préjudiciable au patient.</p>
<p><strong>TC : Au-delà de ces problématiques d’effectifs, se pose aussi la question de la reconnaissance…</strong></p>
<p><strong>OD :</strong> Effectivement, la reconnaissance et la valorisation des personnels paramédicaux constituent des enjeux importants pour l’image et l’attractivité de la profession.</p>
<p>La question du salaire est centrale. Ces métiers, qui impliquent d’importantes responsabilités, sont physiquement et émotionnellement éprouvants. Or les salaires des paramédicaux ne sont pas à la hauteur de ces enjeux. Ils ne reflètent pas l’importance de leur travail pour la société. Quelque part, perdure l’idée qu’il s’agit de vocations que l’on exerce comme un sacerdoce.</p>
<p>Un autre problème est que les paramédicaux sont rarement inclus dans les groupes de travails ou consultés (au niveau du ministère, des commissions parlementaires…). Ce manque de formation au milieu politique fait que leurs plaidoyers sont peu relayés.</p>
<p>Enfin, leur reconnaissance professionnelle au sein même du système de santé est souvent insuffisante. Il ne s’agit pas de caricaturer, bien sûr, mais en France on reste dans une culture très hiérarchique où les paramédicaux sont surtout des exécutants. Aux États-Unis, les patients sont davantage pris en charge par des équipes, pas uniquement par le médecin. La recherche en sciences infirmières et la plus-value de ses savoirs sont reconnues, permettant aux infirmiers dans les services hospitaliers de contribuer pleinement aux décisions cliniques concernant les soins prodigués aux patients.</p>
<p>Les choses commencent à changer très progressivement en France, notamment avec le statut d’infirmière en pratique avancée, la reconnaissance des sciences infirmières, etc. On voit aussi arriver une nouvelle génération de médecins qui exprime un réel intérêt pour le travail en équipe, et prend la mesure de la valeur ajoutée de ces échanges avec les professions paramédicales.</p>
<p>Mais tous ces problèmes font que l’on se retrouve actuellement avec un problème de recrutement et de fidélisation des personnels paramédicaux. Après leur formation, un certain nombre de personnes abandonnent l’idée de travailler dans le domaine sanitaire, en partie en raison de leur expérience dans le milieu hospitalier lors de leurs stages.</p>
<p><strong>TC : La crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19 a-t-elle aggravé les choses ?</strong></p>
<p><strong>OD :</strong> Il est probablement un peu tôt pour dire si elle va susciter un engouement (dû à une reconnaissance accrue de l’importance de la santé et la santé publique) ou au contraire détourner les jeunes de ces métiers, suite à la constatation que les discours des décideurs politiques ne se traduisent pas en actions concrètes pour améliorer les conditions de travail. </p>
<p>En effet, pour faire face à la première vague de l’épidémie, des enveloppes budgétaires ont été débloquées, et on a laissé plus de latitude en matière d’organisation du travail, ce qui a eu pour conséquence de permettre de soigner différemment. On espérait que cette situation allait perdurer dans le « monde d’après » que tous appelaient de leurs vœux. Malheureusement, pour l’instant il semblerait que les anciens problèmes soient de retour…</p>
<p>Dans ce paysage sombre, des innovations sont néanmoins porteuses d’espoir. Certes, la question des budgets est centrale, mais même dans un cadre contraint, il est possible d’employer les financements de façon à améliorer les conditions de travail et de soins.</p>
<p><strong>TC : Quelles pistes sont explorées pour y parvenir ?</strong></p>
<p><strong>OD :</strong> Je travaille actuellement sur un projet de recherche qui évalue la mise en place d’un modèle hollandais qui a très bien fonctionné aux Pays-Bas, le modèle Buurtzorg. Il s’agit de repenser le modèle des soins à domicile. Actuellement, le patient voit défiler divers soignants qui viennent effectuer chacun un seul soin (infirmière, aide-soignant, auxiliaire de vie…). Le modèle Buurtzorg vise à remédier à ce morcèlement en faisant prendre en charge les soins à domicile dans leur globalité par une équipe autogérée. Cette approche est davantage propice au développement d’une relation soignants-soigné. Il s’agit de passer du temps avec le patient et de prendre le temps de le connaître et de tisser des liens avec sa famille, son entourage, les services à proximité – en créant un réseau de soutien qui permet aux patients d’avancer vers d’avantage d’autonomisation.</p>
<p>Ce modèle, basé sur un forfait à l’heure plutôt qu’une tarification à l’acte, est notamment expérimenté dans les Hauts de France grâce à des financements débloqués dans le cadre de l’Article 51.</p>
<p>L’autre approche consiste à explorer la possibilité d’adapter au contexte français les certains stratégies promues par les « <a href="https://www.anfh.fr/sites/default/files/fichiers/matthieu_sibe_isped_0.pdf">Magnet hospitals</a> » (« hôpitaux magnétiques ») étatsuniens. Forgé par l’Association des Infirmiers Americains (American Nurses Association) dans les années 1980 pour faire face à la pénurie de soignants, le concept de « magnet hospital » vise à mettre en place une organisation de soins destinée à « aimanter » les soignants. L’objectif est d’attirer et de garder ces professionnels en créant les conditions de leur épanouissement.</p>
<p>Plusieurs axes sont développés pour y parvenir :</p>
<ul>
<li><p>Le leadership infirmier</p></li>
<li><p>Le travail en équipe collaboratif et interprofessionnel</p></li>
<li><p>La recherche : il s’agit de baser les pratiques professionnelles sur des données probantes, et de développer une culture de recherche au sein de la structure de soin.</p></li>
<li><p>La reconnaissance explicite du métier infirmier au sein de l’organisation</p></li>
</ul>
<p>Aux États-Unis, le label Magnet prend la forme d’une (coûteuse) accréditation commerciale délivrée par l’<a href="https://www.nursingworld.org/organizational-programs/magnet/">American Nurses Credentialing Center</a>, filiale de l’ANA. Les hôpitaux « Magnet recognized » attirent non seulement les professionnels, mais aussi les patients, qui sont certains de la qualité des soins qu’ils recevront dans ces centres de soins.</p>
<p>Il ne s’agit pas de transposer cette accréditation commerciale en France, mais plutôt d’en tirer les points forts pour les adapter au concept français : la qualité de vie au travail, le recentrage sur le travail infirmier, l’implication des soignants au sein de comités dédiés à l’identification de diverses problématiques et à la formulation de solutions (expérience patient, éthique…). Une fois les moyens attribués à la mise en œuvre de ces solutions, leur évaluation doit aussi être envisagée.</p>
<p>Cette approche permet non seulement aux soignants de reprendre la main sur leurs propres pratiques professionnelles de soin, mais aussi de valoriser leur investissement. En outre, l’accréditation <em>Magnet</em> se mettant en place sur plusieurs années, les solutions envisagées ne peuvent être de court terme. C’est une façon d’orienter les choix, même dans une situation budgétaire contrainte.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168003/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Odessa Dariel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment renforcer l’attractivité des métiers paramédicaux, mis à rude épreuve par la pandémie de Covid-19 ? Odessa Dariel, Professeure en sciences infirmières, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1649582021-07-26T17:34:24Z2021-07-26T17:34:24ZTunisie : entre crise sanitaire et politique, le président Kaïs Saïed tente de reprendre la main<p>La Tunisie, plongée dans une gouvernance désinvolte, absorbée par les tensions politiciennes, peu attentive aux conseils des scientifiques et aux ressorts mondiaux de la catastrophe, voit aujourd’hui sa situation sanitaire critique doublée d’une crise institutionnelle inédite. Dimanche 25 juillet, lors d’une réunion d’urgence, le président Kaïs Saïed a en effet décidé de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/26/en-tunisie-le-president-gele-les-activites-du-parlement-et-demet-le-premier-ministre-de-ses-fonctions_6089509_3212.html">limoger le chef du gouvernement</a>, Hichem Mechichi, afin d’assumer lui-même le pouvoir exécutif. Dans le même mouvement, il a <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/26/en-tunisie-la-crise-politique-atteint-son-sommet_6089547_3212.html">gelé les activités de l’Assemblée</a> pour 30 jours et levé l’immunité parlementaire des députés.</p>
<p>Ces décisions s’inscrivent, selon le président, dans la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/tn2014.htm">constitution</a> (notamment son article 80, qui permet des mesures d’exception en cas de « péril imminent ») et font écho aux manifestations antigouvernementales, <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210725-en-tunisie-des-milliers-de-manifestants-d%C3%A9filent-contre-leurs-dirigeants">particulièrement nombreuses hier</a>. Ce coup de force ouvre une ère de potentielles dérives politiques pour la transition démocratique tunisienne, qui n’a pas connu une telle configuration depuis la mise en place de la constitution en 2014.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1419582691071102978"}"></div></p>
<p>Cet évènement exceptionnel entre en collision avec plusieurs crises. La situation sanitaire en Tunisie, particulièrement meurtrière cet été (ce mois de juillet 2021, avec ses <a href="https://inkyfada.com/fr/2021/07/06/covid-19-dashboard-tunisie/">2987 morts</a>, enregistre le pire taux de mortalité depuis le début de la pandémie), est l’une d’entre elles, mais les difficultés du système de santé tunisien ne sont que le reflet de celles des politiques publiques dans leur ensemble, qui perdurent depuis plusieurs années. Malgré les espoirs qu’elle a pu susciter chez la population, la révolution tunisienne de 2011 n’aura pas suffi à rompre définitivement avec de mauvaises pratiques héritées du régime précédent.</p>
<h2>Quand la politique tourne le dos à la société</h2>
<p>Rappelons que le président Zine El Abidine Ben Ali, qui gérait le pays depuis 1987, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/09/19/ben-ali-l-ancien-president-tunisien-est-mort_6012295_3212.html">s’enfuit en Arabie saoudite</a> le 14 janvier 2011 pour y mourir en septembre 2019. Le choc de ce départ spectaculaire, qui marque le point culminant de quatre semaines de mobilisations, est de taille. Dans l’ensemble de la région sud méditerranéenne, des <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/reporters/20210205-2011-une-histoire-de-printemps-les-r%C3%A9volutions-arabes-vues-par-france-24">répercussions immédiates</a> se font sentir, ainsi qu’un espoir partagé : faire tomber les régimes autoritaires en place et changer les conditions sociales et économiques des pays touchés par la vague des soulèvements.</p>
<p>L’allumage révolutionnaire tunisien crée alors une panique dans la classe politique, le temps de mettre sur les rails une nouvelle <a href="https://www.lemonde.fr/tunisie/article/2014/01/26/le-premier-ministre-tunisien-a-compose-son-gouvernement_4354757_1466522.html">dynamique constitutionnelle</a> et d’élaborer un système électoral, le tout en quelques semaines. Ces premiers pas bénéfiques n’ont cependant pas suffi à rompre avec les arcanes d’une gestion politique et économique commandée non pas par les besoins du pays, mais par des systèmes d’exploitation tracés et appliqués par les dirigeants, sans laisser de marges de manœuvre aux échelons locaux. Cette logique est <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/0539018416658154">toujours prégnante</a>, comme la période 2011-2020 l’a démontré : les intérêts macro-économiques continuent à configurer les conditions de vie et les liens au sein de la société tunisienne, au nom de la bonne insertion de la Tunisie dans les marchés mondiaux.</p>
<p>La vague des changements survenus depuis 2011 renferme certes des facteurs positifs, comme la liberté d’expression. Celle-ci entraîne une véritable créativité culturelle et artistique, mais <a href="https://www.webmanagercenter.com/2018/11/21/427073/la-tunisie-compte-1-million-700-pauvres/">sans répercussions économiques ni politiques sensibles pour la population</a>. Le bien-être espéré n’arrive pas, quand les privilèges et injustices engendrés par des décennies d’autoritarisme continuent de commander les affaires publiques. Les classes moyennes et inférieures sont les <a href="http://ins.tn/publication/carte-de-la-pauvrete-en-tunisie-septembre-2020">plus touchées</a> par l’absence de politiques sociales.</p>
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<p>La santé illustre à souhait la dynamique discriminante, notamment dans l’accès aux soins, <a href="https://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/Tendance_%C3%A9conomique_-_Quelles_politiques_pour_faire_face_aux_in%C3%A9galit%C3%A9s_d%E2%80%99acc%C3%A8s_aux_soins_en_Tunisie.pdf">inégal entre les classes sociales</a> et entre les régions. Au fil des années post-2011, l’expérience des citoyens et des citoyennes accuse des dégradations matérielles et morales qui divisent le pays et l’opinion.</p>
<p>Sur le plan économique, la cherté de la vie favorise les circuits parallèles. En perdant les <a href="https://www.lecourrierdelatlas.com/une-depreciation-du-dinar-tunisien-est-elle-inevitable/">deux tiers de sa valeur</a> depuis 2010, le dinar tunisien accroît le déséquilibre commercial. L’importation fleurit au gré des choix de consommation : les voitures et les produits de luxe continuent à envahir le marché, alors que les besoins immédiats et nécessaires (entre autres en médicaments) <a href="https://lapresse.tn/74148/penurie-des-medicaments-la-crise-nest-toujours-pas-resolue/">sont difficilement satisfaits</a>.</p>
<p>Sur le plan social, l’émigration prend des proportions hémorragiques pour les diplômés en mal d’insertion : universitaires, médecins, ingénieurs cherchent à se placer dans des pays plus demandeurs. L’émigration irrégulière <a href="https://lapresse.tn/81843/ftdes-augmentation-inquietante-de-la-migration-irreguliere-des-mineurs-1-400-mineurs-ont-fui-le-pays-en-2020/">devient plus massive</a> et meurtrière pour une jeunesse qui décroche de l’enseignement et rêve de l’eldorado européen. Les côtes italiennes sont la première cible des embarcations affrétées par des intermédiaires de plus en plus prospères, malgré la surveillance et les accords avec les <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Migrants-lUnion-europeenne-souhaite-signer-accord-Tunisie-2021-05-20-1201156772">pays voisins</a>.</p>
<p>Un baromètre dit clairement l’ampleur et la persistance de ces déséquilibres. Chaque mois, le nombre de mouvements sociaux <a href="https://ftdes.net/observatoire/">dépasse le millier</a>. Les contestataires s’en prennent d’abord aux manquements des pouvoirs publics (conditions de recrutement opaques, répartition inégale des chances et ressources…). Alors que la corruption constitue l’un des principaux travers visés, elle a pris des proportions graves contribuant à affaiblir l’autorité de l’État, ainsi que son statut de pôle central de décision. Le mécontentement a culminé hier dans les manifestations antigouvernementales qui ont rassemblé <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210725-en-tunisie-des-milliers-de-manifestants-d%C3%A9filent-contre-leurs-dirigeants">plusieurs milliers</a> de personnes.</p>
<p>Ces problèmes concrets semblent échapper à l’attention des décideurs, préoccupés par les notations internationales en <a href="https://www.aa.com.tr/fr/afrique/tunisie-fitch-ratings-d%C3%A9grade-la-note-souveraine-%C3%A0-b-avec-perspectives-n%C3%A9gatives/2298650">baisse constante</a> et les difficultés à arracher le quatrième emprunt du Fonds Monétaire International. Celui-ci se montre particulièrement réticent à l’accorder, faute de parvenir à faire appliquer ses directives de réformes.</p>
<p>Dans cette crise aggravée de la gouvernance publique, le pays traverse une troisième vague de Covid particulièrement coûteuse en vies humaines : le nombre de décès se maintient à plus de 100 par jour, s’approchant des 18 000 morts pour une population de 12 millions de personnes. L’état d’urgence sanitaire est décrété depuis le 8 juillet 2021, au milieu d’une gestion de la santé publique pour le moins désastreuse.</p>
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<h2>Une santé de moins en moins publique</h2>
<p>Parmi les causes de cette gestion erratique, l’instabilité des ministres chargés de la santé. Quinze se sont succédé depuis 2011, et la valse s’est accélérée depuis 2020 avec l’arrivée du Covid. Cinq ministres ont été nommés en seize mois ; le dernier en date, <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210720-tunisie-le-ministre-de-la-sant%C3%A9-faouzi-mehdi-limog%C3%A9-en-plein-rebond-%C3%A9pid%C3%A9mique">Faouzi Mehdi</a>, est limogé le 20 juillet par le Premier ministre en pleine campagne de vaccination.</p>
<p>Le ballottement au sommet du système de santé fait écho à d’autres signes alarmants : l’état des hôpitaux se détériore (un jeune résident meurt ainsi dans un ascenseur en décembre 2020), les patients achètent leurs propres médicaments faute d’en trouver dans les stocks mis en perce, des morts inexpliquées se multiplient, comme <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/03/10/la-tunisie-sous-le-choc-apres-la-mort-de-onze-bebes-dans-un-hopital_5434118_3212.html">celles des nouveaux nés de mars 2019</a>, les soins des populations rurales sont insuffisants.</p>
<p>Pourtant, depuis les années 1990, la libéralisation du marché du soin et de la pharmacie a largement permis le raccordement de l’économie tunisienne au marché mondial de la maladie. L’élite instruite se tourne vers les professions de santé et les laboratoires pharmaceutiques se multiplient, grâce à une faculté créée à Monastir en 1975.</p>
<p>Ce développement se fait au détriment de l’hôpital public, qui a progressivement commencé à se vider de ses moyens et de ses <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/392696/societe/tunisie-grand-exode-medecins/">ressources humaines</a>, malgré l’essor de la médecine de ville (surtout dans les grands centres). <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Nous-sommes-livres-nous-memes-Tunisie-hopitaux-extenues-Covid-19-2021-07-13-1201166151">Des médecins</a> ont révélé cette évolution toxique et dangereuse dans un pays aux lois sociales imparfaites et doté d’une infrastructure hospitalière mal répartie. Malgré la multiplication des cliniques privées, le chômage des médecins est aujourd’hui un des plus élevés (15 % environ), notamment parmi les femmes.</p>
<p>Il n’en a pas toujours été ainsi. Aujourd’hui encore, le secteur médical tunisien garde une solide réputation internationale, qu’il tire essentiellement de son système de formation. Celui-ci bénéficie depuis l’indépendance de liens universitaires avec la France ; un Institut Pasteur existe ainsi à Tunis depuis 1893 et la faculté de médecine créée en 1964 est un établissement aligné sur les standards pédagogiques français. À Tunis, à Sousse, à Sfax et à Monastir pour la médecine dentaire, le pays compte aujourd’hui quatre facultés !</p>
<p>L’amélioration des conditions sanitaires dans la Tunisie post-indépendance a contribué à ériger l’image du médecin comme acteur social privilégié et comme membre d’une communauté scientifique mondialisée. Cette double affiliation a fait connaître aux praticiens tunisiens deux ou trois décennies heureuses, grâce à un travail clinique valorisé par la recherche et des conditions de travail bénéficiant du matériel nécessaire. L’arrivée des restrictions financières dans le secteur public, la dévalorisation de la recherche, la multiplication d’entreprises privées important l’équipement sanitaire et la marchandisation internationale du soin en plein essor vont rendre le métier de médecin plus ingrat, <a href="https://news.gnet.tn/70-des-medecins-de-famille-souhaitent-quitter-la-tunisie">surtout dans le secteur public</a>.</p>
<p>La même <a href="https://books.openedition.org/iheid/2550?lang=fr">économie mondialisée</a> de la maladie encourage d’autres filières : elle stimule la formation d’infirmiers et d’infirmières, ainsi que de divers thérapeutes dont le nombre a augmenté grâce à une demande locale en hausse. Reliée à l’Europe, aux pays du Golfe et à l’Afrique, la médecine tunisienne va opérer une mutation de ses services. À partir des années 2000, elle renfloue de plus en plus les services publics et les cabinets de ville en France et en Allemagne, en répondant également aux nombreux appels d’offres des pays du Golfe, nettement plus avantageux que les conditions désormais offertes au niveau tunisien.</p>
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<p>Grâce à la libéralisation de la pratique, le secteur médical est également nourri par des <a href="https://www.cairn.info/journal-mondes-en-developpement-2012-1-page-81.htm">patients des pays voisins</a> qui trouvent en Tunisie des professionnels (souvent francophones) et des centres spécialisés en cardiologie, en médecine esthétique, en chirurgie des traumatismes, en gynécologie (le circuit de la procréation médicalement assistée, ou PMA, y est notamment prospère).</p>
<p>Un véritable tourisme médical s’est mis en place, avec ses agences et ses circuits de cliniques, de fournisseurs et de spécialistes. À partir de mars 2020, la Covid-19 a grippé cette mobilité sanitaire en privant les cliniques et cabinets de ces « touristes » libyens, algériens et subsahariens. La population atteinte du Covid, à même de payer ses soins, n’a pas tout à fait remplacé cette patientèle devenue un poumon vital pour l’exercice de la médecine en Tunisie. Elle a cependant fourni un adjuvant intéressant en ce temps de crise : on attend des études sur le sujet.</p>
<h2>Le coronavirus, une crise fatale</h2>
<p>La crise traversée par la Tunisie est sociale, politique et économique avant d’être sanitaire. Les efforts surhumains des professionnels de santé mobilisés (les <a href="https://www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/covid-19-dans-la-region-mena-impact-sur-les-inegalites-de-genre-et-reponses-apportees-en-soutien-aux-femmes-f7da7585/">femmes</a>, comme partout, sont aux premières loges) depuis quinze mois n’ont pas réussi à préserver le pays d’un rebond particulièrement sévère. Les décès ne sont plus contenus sous la barre des 100 morts par jour depuis des semaines.</p>
<p>La durée de l’épidémie, l’absence de mesures adéquates pour diminuer la contagion (notamment en limitant les déplacements), l’indiscipline d’une population livrée à elle-même (puisqu’on ne fournit pas de masques aux plus démunis et que les tests PCR coûtent le double du SMIG tunisien) sont venues pointer les défaillances du gouvernement d’Hichem Mechichi, dépassé, sans cohésion ni vision. La succession des variants vient encore alourdir les dégâts de cet été 2021 : plus de 4500 nouveaux cas par jour en moyenne sur la dernière semaine de juillet, et des <a href="https://inkyfada.com/fr/2021/07/06/covid-19-dashboard-tunisie/">besoins en réanimation</a> qui dépassent largement les lits disponibles.</p>
<p>La campagne de vaccination achève de révéler les incohérences internes à la Tunisie, en plus des déséquilibres d’une gouvernance internationale de courte vue. L’expérience tunisienne pose en effet avec acuité la question de l’inégalité des soins à travers le monde.</p>
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<p>Condamnée à passer par la plate-forme COVAX, développée par l’OMS et destinée aux pays ne parvenant pas à se fournir des doses par le marché classique, la Tunisie fait les frais de l’impréparation de sa population à un traitement informatisé des inscriptions sur la <a href="https://www.aa.com.tr/fr/sante/covid-19-tunisie-environ-3-5-millions-de-citoyens-inscrits-sur-la-plateforme-de-vaccination-evax/2308457">plate-forme locale EVAX</a> ; les lenteurs de la vaccination sont en partie dues à l’accessibilité difficile de ce site pour les gens âgés et isolés. Le pays subit également les effets d’une offre aléatoire de matériel et de vaccins, en raison de la concurrence internationale.</p>
<p>En plus d’une diplomatie plus mobilisée et d’une gestion territoriale dans l’intérêt de la population, il aurait fallu traiter la crise par une politique de proximité s’appuyant sur les ressources de la médecine locale. La Tunisie a accumulé une expérience en matière de médecine préventive, de <a href="http://www.latunisiemedicale.com/article-medicale-tunisie_3458_fr">vaccination infantile et infectieuse</a> tout comme dans la fabrication des vaccins. Le pays était en droit de compter également sur des autorités concentrées sur la gestion de la Covid-19 et les divers ajustements qu’elle exige des soignants et des politiques. Au lieu de cela, la Tunisie s’est vue <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/03/26/en-tunisie-le-scandale-des-dechets-importes-illegalement-d-italie_6074533_3212.html">livrée aux lobbies financiers</a> et aux tractations économiques répondant aux plus offrants et aux clients solvables.</p>
<p>Comme après la Révolution de 2011, la Tunisie doit s’en remettre aux aides spontanées, aux renforts de la médecine militaire, à l’énergie des bénévoles et à l’élan de solidarité de pays, associations et ressortissants à l’étranger. Bien qu’elle permette à la Tunisie de ne pas sombrer totalement dans la <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/coronavirus-en-tunisie-un-afflux-de-dons-sauve-le-pays-d-une-catastrophe-sanitaire-7900057045">catastrophe sanitaire</a>, cette bienveillance active n’aura pas suffi à éviter une crise politique majeure, latente depuis des années mais révélée et amplifiée par la pandémie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164958/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kmar Bendana ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que la Tunisie est durement frappée par le variant Delta, l’action du président Kaïs Saïed fait basculer un pays jusqu’ici politiquement paralysé dans l’inconnu.Kmar Bendana, Professor, Contemporary History, Université de la ManoubaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1618342021-06-09T18:46:12Z2021-06-09T18:46:12ZLiving labs, clusters, incubateurs… Un rôle de plus en plus important dans l’innovation en santé<p>La crise du Covid a largement mis en lumière l’importance de l’innovation dans le domaine de la santé. Cela vaut tant pour la recherche clinique (trouver des vaccins, des traitements) que pour l’architecture du système de soin dont la transformation pourrait reposer notamment sur l’intelligence artificielle.</p>
<p>Pour répondre aux attentes toujours plus grandes de la part de la société civile, les écosystèmes d’innovation doivent continuellement s’adapter. Il s’agit en particulier d’élargir le spectre des parties prenantes impliquées dans les projets, de favoriser la coopération entre acteurs publics et privés, et <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/EJIM-08-2013-0081/full/html">intégrer des approches d’innovation centrées sur les usages</a>. Celles-ci viennent compléter les modèles de gestion de projets plus traditionnels qui se fondent, eux, sur les apports de la science (une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0048733309001899">approche dite « science-push » ou « techno-push »</a>.</p>
<p>Face aux défis contemporains, nous avons montré dans une <a href="http://www.newpic.fr/02proj2018genopole.html">étude récente</a> que les écosystèmes d’innovation du secteur de la santé s’appuient de plus en plus sur des organisations intermédiaires. Celles-ci permettent de mettre en relation une grande hétérogénéité d’acteurs et les aident à intégrer de nouveaux modes de travail collaboratifs. Elles fournissent également des services pour accélérer les projets d’innovation comme du conseil pour la certification ou de l’expertise technique et économique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/405359/original/file-20210609-14804-xi3t6t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/405359/original/file-20210609-14804-xi3t6t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/405359/original/file-20210609-14804-xi3t6t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/405359/original/file-20210609-14804-xi3t6t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/405359/original/file-20210609-14804-xi3t6t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/405359/original/file-20210609-14804-xi3t6t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/405359/original/file-20210609-14804-xi3t6t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/405359/original/file-20210609-14804-xi3t6t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ces intermédiaires sont de natures très diverses. On retrouve des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1080/00420980410001675814">bio-clusters</a> comme <a href="https://www.genopole.com/">Genopole</a>, des incubateurs comme <a href="https://www.wilco-start-up.com/">Wilco</a>, des <a href="https://www.montreal-invivo.com/wp-content/uploads/2019/12/livre-blanc-ll-umvelt-final-mai-2014.pdf">living labs</a> comme <a href="https://www.chu-angers.fr/recherche-et-innovation-en-sante/recherche-clinique/living-lab-allegro-79533.kjsp">Allegro</a>, des <a href="http://www.lequattrocento.com/">« company builders » comme Quattrocentro</a> et, enfin, des <a href="https://lapaillasse.org/">bio-hackerspaces comme la Paillasse</a>. L’hétérogénéité des acteurs se manifeste à travers trois critères présentés dans la figure ci-contre : les thématiques couvertes, le portefeuille de services et la nature de l’interaction avec le territoire.</p>
<h2>Des aiguilleurs</h2>
<p>Cette diversité complique souvent la compréhension de la contribution de ces organisations intermédiaires à la transformation des écosystèmes en santé. Pour la mettre en évidence, nous nous sommes concentrés sur l’importance de deux fonctions.</p>
<p>Les organisations intermédiaires jouent, en premier lieu, toutes un rôle majeur dans la dynamique des acteurs qui concourent à l’innovation. Les sciences de gestion désignent cette fonction comme <a href="https://www.worldscientific.com/doi/abs/10.1142/S1363919613500072"><strong>l’intermédiation de réseau (ou « network brokerage »)</strong></a>. Elles ont une position d’intermédiaires dans la construction des stratégies collectives.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/405374/original/file-20210609-14704-18el7b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/405374/original/file-20210609-14704-18el7b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/405374/original/file-20210609-14704-18el7b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/405374/original/file-20210609-14704-18el7b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/405374/original/file-20210609-14704-18el7b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=345&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/405374/original/file-20210609-14704-18el7b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/405374/original/file-20210609-14704-18el7b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/405374/original/file-20210609-14704-18el7b8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’association Lab Santé Île-de-France est née en 2016 d’une collaboration entre L’ARS Île-de-France, la Chambre de commerce et d’industrie Paris Île-de-France et Medicen Paris Region.</span>
<span class="attribution"><span class="source">CP Lab Santé Île-de-France</span></span>
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<p>Nous avons montré que ce rôle prend des <a href="https://www.cairn.info/revue-innovations-2021-2-page-49.htm">formes variées</a> dans le secteur de la santé. Quand elles se font « médiateurs de relation », les organisations identifient les acteurs pertinents pour construire de nouvelles collaborations, puis les aident à aligner leurs stratégies et visions.</p>
<p>Le <a href="https://www.labsante-idf.fr/">Lab Santé Île-de-France</a>, par exemple, anime un réseau de start-up franciliennes du digital et les aide à « pitcher » leurs solutions en e-santé devant les professionnels du secteur. Il aide ensuite ces acteurs à expérimenter ces solutions en grandeur réelle. Il se présente ainsi en quelque sorte comme un « aiguilleur ».</p>
<p>Les organisations intermédiaires animent aussi des communautés qui s’emparent de sujets plus spécifiques comme des handicaps ou des maladies particulières. Elles y proposent des solutions originales par rapport aux logiques existantes. C’est le cas de <a href="http://i-carecluster.org/?lang=en">I-Care cluster</a>, avec le chapitre <a href="https://www.hhlyon.org/">Hacking Health de Lyon</a>. À travers d’une série d’évènements (ateliers thématiques, hackhathons, bootcamps), I-Care Cluster aide médecins, infirmières, geeks de technologies, designers, spécialistes des technologies médicales, étudiants, et entrepreneurs à « hacker » la santé en travaillant en équipes multidisciplinaires pour tester de nouvelles idées.</p>
<h2>Agilité et rapidité</h2>
<p>Seconde fonction sur laquelle ont porté nos recherches, les organisations intermédiaires apportent de nouveaux services qui sont autant de briques manquantes pour accélérer les projets d’innovation. Les chercheurs désignent cette fonction comme <strong>l’intermédiation de contenu (ou « content brokerage »)</strong>.</p>
<p>Le <a href="https://institutducerveau-icm.org/fr/living-lab-cllaps/">living lab cLLAPS de l’ICM</a> illustre cette démarche : au sein de l’hôpital de la Pitié de la Salpêtrière, il propose de gérer des projets d’expérimentation de solutions pour améliorer la prise en charge des maladies de la moelle épinière ou du cerveau. Dans la même logique, <a href="https://www.biovalley-france.com/fr/">Biovalley France</a>, pôle de compétitivité en santé de la région Grand-Est, contribue au développement de <a href="https://www.ticsante.com/story/4526/grand-est-une-plateforme-regionale-en-e-sante-pour-experimenter-et-stimuler-linnovation.html">PRIeSM</a>, plate-forme de test, d’expérimentation et de gestion de données en santé.</p>
<p><a href="http://www.lequattrocento.com/">Quattrocento</a> aide, lui, à transformer les idées de l’innovation en entreprises viables dans le secteur des « med techs ». L’entreprise détecte les inventions clés dans les laboratoires de recherche académique, puis construit le processus de maturation technologique en même temps qu’elle structure progressivement un business chargé d’une future commercialisation.</p>
<p>À travers ces deux fonctions, les organisations intermédiaires apportent de l’agilité à un environnement qui en manque. Généralement fondées sur des équipes de petite taille, elles savent adapter assez rapidement leurs services en fonction des besoins de l’écosystème.</p>
<p>Progressivement, elles aident l’ensemble des acteurs à changer, à adapter leur culture d’innovation et leurs pratiques pour identifier et tester les solutions innovantes en lien avec la santé. À voir à l’avenir si elles seront encore plus sollicitées pour accompagner les nécessaires transformations du secteur…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161834/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valérie Mérindol a reçu des financements de la part de Genopole pour contribuer à ce projet de recherche</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alexandra Le Chaffotec a reçu des financements de Genopole pour contribuer à ce projet de recherche.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Ce projet de recherche confié à la chaire newPIC de Paris School of Business a été en partie financé par Genopole. </span></em></p>Ces organisations intermédiaires se distinguent notamment par leur capacité à animer des réseaux réunissant des acteurs variés.Valérie Mérindol, Enseignant chercheur en management de l'innovation et de la créativité, PSB Paris School of BusinessAlexandra Le Chaffotec, Enseignant chercheur en économie des organisations et économie de la santé, PSB Paris School of BusinessDavid W. Versailles, Chair professor, strategic management and management of innovation, PSB Paris School of BusinessLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1579242021-03-29T17:32:57Z2021-03-29T17:32:57ZCovid-19 : que nous apprennent les mesures prises par les autres pays ?<p>En mars 2020, alors que l’épidémie de Covid-19 se propageait sur la planète, mes collègues et moi-même avons commencé à échanger avec nos étudiants à propos des mesures prises dans les différents pays qui se retrouvaient confrontés au nouveau coronavirus SARS-CoV-2. Ces discussions se sont tenues dans le cadre d’un cours consacré à l’élaboration des politiques publiques, à la Blavatnik School of Government de l’Université d’Oxford.</p>
<p>De nombreuses questions ont émergé. Pourquoi les gouvernements mettaient-ils en place des mesures différentes ? Quelles politiques allaient s’avérer les plus efficaces ? À l’époque, nous n’avions pas de réponses. Pour les trouver, il nous fallait non seulement rassembler des informations sur ces nouvelles politiques de santé publique (telles que les fermetures d’écoles, les mesures de confinement, le traçage des contacts, etc.), mais aussi nous assurer qu’elles soient comparables entre elles.</p>
<p>Quelques semaines plus tard, nous avons lancé le <a href="https://www.bsg.ox.ac.uk/research/research-projects/covid-19-government-response-tracker">Oxford Covid-19 Government Response Tracker</a>, dans cette optique. Il constitue désormais la <a href="https://www.nature.com/articles/s41562-021-01079-8">plus grande base de données mondiale relative aux politiques en matière de pandémie</a>.</p>
<p>À ce jour, nous avons pu cataloguer 20 types de réponses différentes à l’épidémie, et en suivre l’évolution grâce à l’aide de plus de 600 personnes collectant des données tout autour du monde : les informations recueillies proviennent de 186 pays, et concernent notamment les politiques relatives au confinement, à la santé, à l’économie, et maintenant à la vaccination.</p>
<p>Ces politiques sont regroupées selon un certain nombre d’indices, parmi lesquels l’index de rigueur : noté de 0 à 100, il est calculé en fonction du nombre et l’intensité des mesures de confinement et de restriction qui ont été mises en place. Jusqu’à présent, quinze pays ont atteint la valeur maximale de 100, tandis que sept n’ont jamais dépassé 50. Les pays présentant la valeur d’index de rigueur moyenne la plus élevée sont le Honduras, l’Argentine, la Libye, l’Érythrée et le Venezuela. Les pays les moins stricts sont le Nicaragua, le Burundi, le Belarus, la république insulaire du Pacifique central Kiribati et la Tanzanie.</p>
<p>Un an après le début de la pandémie, qu’avons-nous appris sur la façon dont les gouvernements ont géré ce qui s’avère être la plus grande crise sanitaire de l’histoire récente ?</p>
<p>Première observation surprenante : les similitudes l’emportent sur les différences. En effet, au cours des premiers mois de la pandémie, les gouvernements ont pour la plupart adopté des politiques similaires, selon une même séquence, et à peu près au même moment (au cours des <a href="https://www.bsg.ox.ac.uk/research/publications/variation-government-responses-covid-19">deux semaines constituant le cœur du mois de mars 2020</a>).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/391182/original/file-20210323-15-1lb0y2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte montrant la rigueur relative des mesures anti-Covid-19 par pays, en mars 2020" src="https://images.theconversation.com/files/391182/original/file-20210323-15-1lb0y2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391182/original/file-20210323-15-1lb0y2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391182/original/file-20210323-15-1lb0y2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391182/original/file-20210323-15-1lb0y2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391182/original/file-20210323-15-1lb0y2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391182/original/file-20210323-15-1lb0y2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391182/original/file-20210323-15-1lb0y2g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.bsg.ox.ac.uk/research/research-projects/covid-19-government-response-tracker">Our World in Data</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Cette convergence politique contraste avec la propagation inégale de l’épidémie de Covid-19 sur la planète. En mars 2020, la maladie était déjà répandue dans certaines régions d’Asie et se propageait rapidement dans certaines régions d’Europe et d’Amérique du Nord. Cependant, dans de nombreuses autres régions du monde, elle ne se transmettait pas encore à large échelle. L’urgence à mettre en place un confinement mondial contraste avec l’hétérogénéité des situations épidémiologiques auxquelles étaient confrontés les différents pays. Autrement dit, certains pays ont confiné trop tard, et d’autres, sans doute trop tôt.</p>
<p>Néanmoins, à mesure que la pandémie progressait, les réponses mises en place par les différents pays – et, dans certaines parties du monde, les divers <a href="https://www.bsg.ox.ac.uk/research/publications/variation-us-states-responses-covid-19">États</a> et <a href="https://www.bsg.ox.ac.uk/research/publications/variation-canadian-provincial-and-territorial-responses-covid-19">régions</a> au sein d’un même pays – ont commencé à varier considérablement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/391181/original/file-20210323-12-1aimhi0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte montrant la rigueur relative des mesures Covid-19 par pays en mars 2020" src="https://images.theconversation.com/files/391181/original/file-20210323-12-1aimhi0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391181/original/file-20210323-12-1aimhi0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391181/original/file-20210323-12-1aimhi0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391181/original/file-20210323-12-1aimhi0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391181/original/file-20210323-12-1aimhi0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391181/original/file-20210323-12-1aimhi0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391181/original/file-20210323-12-1aimhi0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.bsg.ox.ac.uk/research/research-projects/covid-19-government-response-tracker">Our World in Data</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Certains gouvernements sont parvenus à contenir la première vague, puis à préserver cet acquis grâce à un ensemble de mesures de fermeture et de confinement ciblés, de tests et de traçage des contacts approfondis doublés de contrôles stricts aux frontières.</p>
<p>Des pays comme la <a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/china">Chine</a>, <a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/taiwan">Taïwan</a>, le <a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/vietnam">Vietnam</a> et la <a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/new-zealand">Nouvelle-Zélande</a> ont tous réussi non seulement à aplanir la courbe, mais aussi à la maintenir dans cet état, nonobstant quelques petites poussées. Selon nos données, 39 pays n’ont connu qu’une seule vague de maladie. Cependant, il faut souligner que leur nombre réel est difficile à déterminer, en raison des limitations des systèmes de dépistage, ou de la sous-déclaration, voire de la non-déclaration des informations par certains gouvernements.</p>
<p>D’autres pays ont connu un succès moindre, et ont subi une deuxième, une troisième, voire une quatrième vague de la maladie. Dans certains cas, ces épidémies subséquentes ont été relativement faibles, et elles ont pu être contrôlées par des mesures de test et de traçage ainsi que par la mise en place de restrictions ciblées. C’est par exemple le cas de la <a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/south-korea">Corée du Sud</a> et de la <a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/finland">Finlande</a> qui, bien qu’elles n’aient pas réussi à éliminer le virus, sont parvenues à l’empêcher de mettre à mal leurs systèmes de santé.</p>
<h2>Les pays « montagnes russes »</h2>
<p>Un trop grand nombre de pays ont en revanche connu une dynamique épidémique en « montagnes russes », les infections repartant régulièrement à la hausse après une baisse, avec de lourdes et tragiques conséquences en termes de nombres de décès, et d’importants retours de bâton politique. Les <a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/united-states">États-Unis</a>, le <a href="https://www.bsg.ox.ac.uk/research/publications/variation-response-covid-19-across-four-nations-united-kingdom">Royaume-Uni</a>, l’<a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/south-africa">Afrique du Sud</a>, l’<a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/iran">Iran</a>, le <a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/brazil">Brésil</a> et la <a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/france">France</a> ont connu de telles vagues successives de maladies, au rythme de l’adoption et de l’abandon successifs de politiques de santé publique restrictives.</p>
<p>Bien qu’initialement très discutés, les résultats publiés dans la <a href="https://www.nature.com/articles/s41562-020-01009-0">littérature scientifique</a> sont désormais désormais clairs : pour briser les chaînes de transmission de la Covid-19, les mesures de restriction fonctionnent. Et elles fonctionnent d’autant mieux qu’elles sont prises en temps voulu, les mesures les plus sévères prises le plus rapidement s’avérant beaucoup plus efficaces que des mesures moins strictes mises en place plus tard.</p>
<p>Soulignons cependant que si ce constat est clairement avéré en moyenne, il n’existe pas de garantie absolue que cette recette fonctionne systématiquement. Certains pays comme le <a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/peru">Pérou</a> ont en effet connu une recrudescence de la maladie malgré des politiques restrictives, ce qui démontre peut-être que l’adhésion et la confiance de la population sont également des facteurs clés de l’efficacité de telles mesures. Certaines données suggèrent également qu’un <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3621693">soutien économique plus important rend plus efficaces les restrictions anti-Covid-19</a>.</p>
<h2>L’argent ne fait pas tout</h2>
<p>Il est possible d’identifier des modèles de réponses anti-Covid-19 efficaces. Cependant, on constate aussi que certaines caractéristiques que l’on aurait pu considérer comme constituant des <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3774252">atouts dans la réponse à l’épidémie</a>, tels que la richesse économique ou l’existence d’un gouvernement autocratique, ne l’ont finalement pas été.</p>
<p>Si l’on répartit les pays selon que leur taux de mortalité est supérieur à la moyenne mondiale ou inférieur à la moyenne, selon que les réponses gouvernementales ont été efficaces ou non, on trouve dans chaque groupe bon nombre de pays riches et bon nombre de pays pauvres, de démocraties et de dictatures, de pays dirigés par des populistes et de pays gouvernés par des technocrates.</p>
<p>Le succès et l’échec sont donc des cibles mouvantes. Pour les atteindre, les réponses des gouvernements ont évolué au fil de la pandémie. D’après nos données, les vaccins sont désormais disponibles dans 128 pays et leur nombre ne cesse d’augmenter. On remarque que certains des pays qui déploient le plus rapidement la vaccination – Israël, le Royaume-Uni, les États-Unis, les Émirats arabes unis par exemple – comptent parmi ceux qui ont eu du mal à contrôler le virus grâce aux mesures de restrictions et aux systèmes de dépistage et de traçage.</p>
<h2>Leçons pour l’avenir</h2>
<p>Un an plus tard, la pandémie est loin d’être terminée, mais nos données nous permettent d’ores et déjà <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3774252">d’en tirer quelques enseignements</a> à destination des gouvernements.</p>
<p>Premièrement, il faut revoir ce que signifie être préparé à la survenue d’une pandémie. Certains pays dotés de formidables capacités scientifiques et sanitaires <a href="https://www.bsg.ox.ac.uk/research/publications/variation-government-responses-covid-19">se sont lourdement affalés</a> face à ce coronavirus. Dans le même temps, des pays disposant de moins de moyens, comme la <a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/mongolia">Mongolie</a>, la <a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/thailand">Thaïlande</a> et le <a href="https://ourworldindata.org/coronavirus/country/senegal">Sénégal</a>, ont réussi à maintenir leur population en bonne santé et à continuer à faire fonctionner leur économie.</p>
<p>Deuxièmement, il faut garder en mémoire que ce qui a été appris en observant les situations des autres pays, ou via les leçons tirées d’expérience antérieures individuelles, ne préjuge pas de l’avenir. Ce qui s’est passé dans certains pays d’Europe de l’Est l’illustre bien : en mars 2020, plusieurs d’entre eux, comme la <a href="https://theconversation.com/coronavirus-why-central-and-eastern-european-countries-seem-to-be-running-out-of-luck-146349">République tchèque, la Hongrie et la Bulgarie</a>, ont constaté ce qui était arrivé à leurs voisins occidentaux et ont imposé des restrictions avant que la transmission communautaire ne se généralise dans leur propre population. Ils ont ainsi pu largement éviter le nombre de décès qui a été le lot de nombreux pays d’Europe occidentale lors de la première vague. Toutefois, quelques mois plus tard, certains de ces mêmes pays d’Europe de l’Est ont fait exactement le contraire, attendant trop longtemps pour réimposer des mesures lorsque les cas ont réaugmenté à l’automne. Ce qui a eu des conséquences pourtant bien trop prévisibles…</p>
<p>Enfin, quand bien même notre travail avait pour objet le suivi des réponses adoptées individuellement par les différents gouvernements, il est clair que la sortie de la pandémie nécessitera une coopération mondiale. Tant que la transmission n’aura pas été enrayée dans le monde entier par des mesures de restriction et des campagnes de vaccination, le <a href="https://theconversation.com/coronavirus-variants-how-did-they-evolve-and-what-do-they-mean-153405">risque d’émergence de nouveaux variants</a>, qui pourraient nous ramener à la case départ ne peut être ignoré.</p>
<p>Au cours de cette première année de pandémie, nous avons constaté que le niveau de coopération entre les gouvernements était faible. Durant la seconde, nous devrons travailler tous ensemble pour espérer réussir à contrôler cette maladie.</p>
<hr>
<p><em>Noam Angrist, Emily Cameron-Blake, Lucy Dixon, Laura Hallas, Saptarshi Majumdar, Anna Petherick, Toby Phillips, Helen Tatlow, Andrew Wood, and Yuxi Zhang ont contribué à cet article. Il a été publié en collaboration avec l’<a href="https://covidandsociety.com/">International Public Policy Observatory</a>, dont The Conversation est partenaire.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157924/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Hale bénéficie d'un financement du Conseil de recherche économique et sociale de l'UKRI dans le cadre d'un projet intitulé « Observatoire international des politiques publiques », dont The Conversation est également partenaire. </span></em></p>Pendant un an, 600 personnes ont suivi l’évolution de 20 types de restrictions mises en place pour lutter contre le SARS-CoV-2 dans 186 pays. Voici ce que ces données ont permis de découvrir.Thomas Hale, Associate Professor in Public Policy, University of OxfordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1478262020-10-15T16:46:18Z2020-10-15T16:46:18ZLe principe de Joyce : pour une approche de soins sécuritaire et libre de discrimination<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/363993/original/file-20201016-13-ptkwx3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=42%2C42%2C4682%2C3201&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une femme assiste à une vigile devant l'hôpital où Joyce Echaquan est morte à Joliette, au Québec, le mardi 29 septembre 2020, après avoir fait l'objet de remarques dégradantes. </span> <span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Paul Chiasson</span></span></figcaption></figure><p>La mort de Joyce Echaquan dans des circonstances horribles à l’hôpital de Joliette, après avoir été victime de propos dégradants de la part d’infirmières, a relancé le débat sur le racisme systémique. En santé, le problème est flagrant. Or une solution existe : la <a href="https://www.lequotidien.com/actualites/picard-mise-sur-la-securisation-culturelle-1cabb32ee2047b4f3c8003b6d123d607">sécurisation culturelle</a>.</p>
<p>Les circonstances entourant le <a href="https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1737334/mort-joyce-echaquan-joliette-reaction-enquete-coroner">décès de Joyce Echaquan</a>, le 28 septembre dernier, offrent un exemple poignant du racisme systémique qu’expérimentent les autochtones dans notre système de soins. Ce racisme, à l’interface des interactions entre patients, prestataires et structures institutionnelles, se pose comme un artefact du colonialisme dans notre système de soins.</p>
<p>Depuis 2018, les partenariats de recherche que j’ai développés avec la communauté de Manawan ont permis de documenter les enjeux de racisme auxquels font face les patients Atikamekw. Ensemble, nous essayons de définir et mettre en place des solutions axées sur la sécurisation culturelle, une approche qui place la culture autochtone au centre de la transformation des soins de santé.</p>
<h2>Un système colonialiste</h2>
<p><a href="https://www.cerp.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_clients/Rapport/Rapport_final.pdf">Le rapport de la Commission Viens</a> l’a bien mis en évidence : notre système de santé est érigé sur des politiques colonialistes, qui perpétuent les rapports de pouvoir et les processus d’exclusion sociale existant plus largement dans la société. Au plan structurel, le colonialisme s’incarne au sein de l’organisation des soins, des programmes et des pratiques de soins, qui sont construits sur la base des valeurs, des principes et des perspectives de la culture dominante (occidentale), très peu adaptés aux besoins des patients autochtones.</p>
<p>La médecine occidentale, par exemple, est fondée sur un modèle biomédical de la santé, tandis que plusieurs cultures autochtones conçoivent le bien-être de manière holistique, en intégrant les dimensions spirituelle, émotionnelle, mentale et physique de la santé.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/365071/original/file-20201022-14-5ekq11.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/365071/original/file-20201022-14-5ekq11.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/365071/original/file-20201022-14-5ekq11.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/365071/original/file-20201022-14-5ekq11.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/365071/original/file-20201022-14-5ekq11.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/365071/original/file-20201022-14-5ekq11.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/365071/original/file-20201022-14-5ekq11.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des gens participent à une manifestation contre le racisme systémique à Montréal, le samedi 3 octobre 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Graham Hughes</span></span>
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<p>Nos services de santé, construits et gérés conformément aux visions du monde occidentales, renforcent la suprématie culturelle occidentale, désavouant socialement et politiquement les pratiques et les connaissances traditionnelles (millénaires) des autochtones en matière de santé. Tel un reflet du racisme structurel ancré au sein de l’organisation de nos institutions sociales, les interactions entre les patients autochtones et les prestataires de soins de santé sont souvent caractérisées par la stigmatisation, la discrimination et le racisme.</p>
<h2>L’effet du racisme sur la santé</h2>
<p>En plus d’être totalement inacceptable aux vues des principes d’universalité et d’égalité qui gouvernent notre système de santé, le racisme a des conséquences désastreuses sur la santé des populations autochtones, déjà fragilisées par leurs conditions sociales précaires. Ainsi, la littérature scientifique a montré que les patients qui sont victimes de racisme et de discrimination ont tendance à <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18425710/">anticiper les interactions avec les professionnels de santé, à sous-utiliser les services de santé</a> et <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28246155/">à sous-rapporter leurs symptômes auprès de leurs professionnels</a>. Cela a pour effet d’augmenter des inégalités de santé déjà bien présentes pour les Autochtones, en nuisant au dépistage des maladies et à la prestation de soins appropriés.</p>
<p>Pour les Autochtones, le racisme dans les soins de santé s’ajoute à d’autres micro-agressions et facteurs de stress environnementaux qui diminuent la capacité de l’individu à y faire face. Cette exposition chronique à différents facteurs de stress précipite le déclin des fonctions biologiques, augmentant le risque de maladies pour les populations autochtones. Il s’agit d’un phénomène décrit par la recherche comme « la charge allostatique », qui a été documenté pour plusieurs populations minoritaires, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6946095/">telles que les Autochtones</a>.</p>
<h2>Renverser le rapport de pouvoir</h2>
<p>Depuis plusieurs années, la culture est reconnue comme un élément central à mettre de l’avant afin de promouvoir la guérison et d’améliorer la santé des populations autochtones. <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC188521/">Développée par une infirmière maorie</a>, la sécurisation culturelle est une approche de transformation des soins de santé qui recentre l’attention sur les besoins, les valeurs, les droits et l’identité culturelle des patients autochtones. L’objectif de la sécurisation culturelle est de démanteler le colonialisme sous-jacent au système de soins. Elle permet de mieux considérer les déterminants sociaux, culturels, économiques et politiques qui ont une influence sur la santé des autochtones.</p>
<p>L’approche de la sécurisation culturelle suppose la mise en place de partenariats égaux entre les professionnels de santé et les communautés autochtones. Elle nécessite un engagement et une participation active des patients et des professionnels dans la prestation des soins de santé, ainsi que la protection de l’identité culturelle des patients autochtones. Dans cette perspective, les caractéristiques essentielles des pratiques et de l’organisation des soins doivent être définies par les communautés qui reçoivent les soins, conformément à leurs propres valeurs et normes culturelles. Le but est de renverser les rapports de pouvoir existants en offrant une place centrale aux voix historiquement marginalisées des populations autochtones.</p>
<p>Au-delà du concept, plusieurs pratiques illustrent comment la sécurisation culturelle des soins peut être déployée concrètement. Accorder une plus grande place à la main-d’œuvre autochtone dans le système de soins, en particulier dans les organisations qui desservent ces communautés, est un bon exemple.</p>
<h2>Réduire les barrières</h2>
<p>D’autre part, la sécurisation culturelle exige d’améliorer les connaissances des professionnels concernant la diversité culturelle de leur clientèle, ainsi que leurs compétences à mettre en œuvre des rencontres thérapeutiques sécuritaires et respectueuses des patients. Ces formations doivent permettre aux professionnels de reconnaître l’influence de leur propre culture sur les soins qu’ils donnent, de prendre conscience de leurs privilèges et de leur position de pouvoir dans le système de santé.</p>
<p>En outre, plusieurs interventions visent à réduire les barrières d’accès aux soins pour les patients autochtones, en offrant des services d’interprète, de liaison et de coordination pour les patients. Un modèle populaire dans la littérature est celui des « <a href="https://bmjopen.bmj.com/content/8/3/e019252">navigateurs-patients</a> », où des pairs ou des professionnels de santé jouent le rôle d’intermédiaires entre le patient et le système de soins. Les navigateurs peuvent remplir une variété de rôles, allant jusqu’à prendre des rendez-vous, organiser le transport, accompagner les patients lors des consultations, traduire ou vulgariser les recommandations des professionnels. Ils peuvent procurer un soutien émotionnel ou diriger le patient vers des ressources de soutien communautaires.</p>
<p>D’un point de vue organisationnel, d’autres interventions visent plutôt à ancrer la spiritualité autochtone dans les pratiques traditionnelles de santé. La modification des structures organisationnelles afin d’inclure la voix des communautés desservies et de soutenir la modification des pratiques est aussi une façon de promouvoir la sécurisation culturelle.</p>
<p>En somme, ce concept s’applique à différents niveaux ; l’idéal étant la mise en place de stratégies agissant en synergie. Toutes ces solutions nécessitent des partenariats solides avec les communautés concernées, ainsi qu’une volonté politique pérenne. Celle-ci doit débuter avec la reconnaissance formelle de l’existence du racisme systémique et le droit d’accès des Autochtones à des services de santé libres de discrimination, tel que le propose le Conseil des Atikamekw de Manawan avec le <a href="https://www.ledroit.com/actualites/le-fil-groupe-capitales-medias/principe-de-joyce-le-conseil-des-atikamekw-lance-une-consultation-publique-22922093dca2a551665f97ee1e39f268">Principe de Joyce</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147826/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Claude Tremblay a reçu des financements des Instituts de recherche en santé du Canada pour mener des recherches sur la sécurisation culturelle des soins. </span></em></p>La reconnaissance de l’existence du racisme systémique est nécessaire pour que les Autochtones aient accès à des soins de santé libres de discrimination, tel que le propose le principe de Joyce.Marie-Claude Tremblay, Professeure adjointe, Département de médecine familiale et de médecine d'urgence, Chercheuse à VITAM, centre de recherche en santé durable, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1455862020-10-01T15:21:53Z2020-10-01T15:21:53ZCulture du silence en santé : la loyauté envers la population doit primer<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/360644/original/file-20200929-22-ifuckd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=92%2C0%2C5515%2C3741&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La culture du silence dans le secteur de la santé expose les soignants à de nombreuses conséquences professionnelles, psychologiques et même légales.</span> <span class="attribution"><span class="source">shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dénonciation, divulgation, signalement, alerte. Les déclinaisons de l’alerte éthique sont nombreuses et le phénomène des « lanceurs d’alerte » <a href="https://www.ctvnews.ca/canada/accountability-group-calls-for-covid-19-transparency-whistleblower-protection-1.4952862">attire l’attention dans le domaine de la santé depuis quelques années</a>. Certains auteurs estiment que cette pratique est une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26342060/">fonction importante, voire essentielle, du travail des professionnels de la santé pour protéger les patients</a>. Elle se confronte toutefois à une culture du silence importante au sein des institutions de santé.</p>
<p>Notre équipe de recherche, <a href="https://nursingobs.com/fr/recherche/">l’Observatoire Infirmier</a>, étudie le processus d’alerte éthique chez le personnel infirmier. Malgré que ce phénomène soit présent au Québec, il est encore peu documenté et semble s’être amplifié depuis le début de la pandémie de Covid-19. Notre étude tente actuellement de comprendre les particularités de ce phénomène.</p>
<h2>Le conflit de loyauté des soignants</h2>
<p>L’alerte éthique en santé est <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/nhs.12667">décrite comme un processus menant à la divulgation d’actes ou de situations moralement ou légalement répréhensibles pouvant nuire ou causer du tort aux patients</a>. Les lanceurs d’alerte sont souvent perçus comme une menace par l’organisation ciblée, malgré que le processus de divulgation soit le résultat d’une réflexion éthique approfondie de la part de la personne témoin de ces actes ou de ces situations.</p>
<p>Bien souvent, le processus d’alerte éthique crée un conflit de loyauté chez le soignant, pris entre son employeur et son patient. Ce processus s’appuie également sur l’exploration des stratégies de divulgation possibles, qu’elles soient internes ou externes à l’organisation, et sur l’estimation des nombreuses conséquences d’agir ou non. Ces conséquences s’étendent au-delà de la peur <a href="https://www.lavoixdelest.ca/actualites/un-avis-disciplinaire-seme-la-colere-77afcd5ce4a2d1ad335a5e1dad3f728a">bien réelle</a>, des <a href="https://www.theguardian.com/society/2018/oct/02/nhs-whistleblowing-protection-tribunal-junior-doctors">représailles</a>. L’alerte éthique a aussi d’importantes conséquences sur le bien-être psychologique de la personne et sur la dynamique des équipes de soin.</p>
<p>Au Canada et au Québec, de <a href="http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showDoc/cs/D-11.1">récents changements législatifs</a> ont été réalisés afin d’offrir une protection minimale aux lanceurs d’alerte dans le secteur public. De tels mécanismes sont aussi implantés ailleurs dans le monde, notamment <a href="https://www.nationalnursesunited.org/whistleblower-protection-laws-for-healthcare-workers#:%7E:text=The%20Occupational%20Safety%20%26%20Health%20Act,unsafe%20conditions%20in%20the%20workplace.&text=You%20can%20find%20more%20information,an%20OSHA%20whistleblower%20complaint%20here.">dans certains états américains</a> et plus récemment en <a href="https://www.icelandreview.com/politics/legislation-protecting-whistleblowers-passed-in-iceland/">Islande</a>.</p>
<p>Malgré ces changements, le domaine de la santé et des services sociaux semble toujours faire l’objet d’une importante culture du silence, dont la présence a par ailleurs été <a href="https://www.ledevoir.com/culture/medias/578172/chsld-il-n-y-a-plus-d-omerta-dit-la-ministre">reconnue par l’ex-ministre de la Santé et des Services sociaux Danielle McCann</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/360643/original/file-20200929-22-n8c22i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/360643/original/file-20200929-22-n8c22i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/360643/original/file-20200929-22-n8c22i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/360643/original/file-20200929-22-n8c22i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/360643/original/file-20200929-22-n8c22i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/360643/original/file-20200929-22-n8c22i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/360643/original/file-20200929-22-n8c22i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Carolyn Strom arrive à la Cour d’appel de la Saskatchewan à Regina, le mardi 17 septembre 2019. Mme Strom a été reconnue coupable de faute professionnelle par la Saskatchewan Registered Nurses Association en 2016 et s’est vu infliger une amende de 26 000 $ pour avoir critiqué les soins donnés à son grand-père.</span>
<span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Michael Bell</span></span>
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<p>Cette culture du silence expose les soignants à de nombreuses conséquences professionnelles, psychologiques et même légales. Le cas de <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1305430/carolyn-strom-infirmiere-appel-saskatchewan-tribunal">Carolyn Strom</a>, sans doute le plus médiatisé, illustre bien les risques qu’encourent les professionnels de la santé lorsqu’ils font état de situations problématiques dans l’espace public.</p>
<p>Après avoir critiqué les soins prodigués à son grand-père par l’intermédiaire des médias sociaux, <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/saskatchewan/we-should-all-be-watching-the-carolyn-strom-appeal-1.5284566">cette infirmière clinicienne de la Saskatchewan a été reconnue coupable d’inconduite professionnelle et condamnée à verser une somme de 26 000$ par son Ordre professionnel</a>, en plus de devoir se soumettre à une formation en éthique. La cause de Carolyn Strom est actuellement entendue par la Cour d’appel de la Saskatchewan.</p>
<h2>Une pratique dérangeante et nécessaire</h2>
<p>Un argument souvent évoqué contre la pratique de l’alerte éthique concerne le <a href="https://educaloi.qc.ca/capsules/agir-avec-loyaute-envers-son-employeur/#:%7E:text=Le%20devoir%20de%20loyaut%C3%A9%20se,de%20son%20travail%20ou%20ailleurs.&text=Un%20ancien%20employ%C3%A9%20doit%20lui,soit%20plus%20%C3%A0%20son%20emploi">devoir de loyauté envers l’employeur</a>, qui exige du personnel soignant qu’il fasse preuve d’honnêteté et de jugement dans l’exercice de ses fonctions, en plus de placer les intérêts de l’employeur avant les siens. Si ce devoir de loyauté est à première vue compatible avec l’exercice d’une fonction dans le secteur privé, il y a toutefois lieu de prendre conscience de ses effets délétères pour les employés du secteur public.</p>
<p>Comme <a href="http://www.contact.ulaval.ca/article_blogue/les-chsld-et-le-devoir-denvergure/">l’indiquait récemment le professeur Louis-Phillippe Lampron</a> à propos de la culture du silence en santé et du devoir de loyauté : « la mission première des institutions et organismes publics n’est pas la rentabilité, mais plutôt la dispense de services publics à la population. Ainsi, contrairement aux entreprises privées, ces institutions appartiennent à l’ensemble de la population et ont une obligation de reddition de comptes à son endroit. »</p>
<p>Dans le domaine de la santé et des services sociaux plus particulièrement, une telle loyauté est aussi partagée entre l’employeur et le patient qui, faut-il le rappeler, est bien souvent dans une situation de vulnérabilité. <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26342060/">La défense des intérêts et des droits du patient constitue par conséquent une fonction essentielle et centrale à l’exercice de plusieurs professions de la santé, que cela concerne par exemple les soins infirmiers ou le travail social</a>.</p>
<p>Argumenter en faveur du devoir de loyauté du personnel soignant envers l’organisation évacue l’importance des problématiques structurelles qui expliquent et maintiennent la culture du silence, en plus d’évacuer la responsabilité morale des soignants envers le bien-être de la population.</p>
<h2>Autonomie et responsabilité morale</h2>
<p>Pour plusieurs professionnels de la santé, la pandémie de Covid-19 aura agi comme catalyseur de l’alerte éthique et les aura menés à <a href="https://doi.org/10.18192/aporia.v12i1.4840">divulguer publiquement un large éventail de situations préoccupantes comme la surcharge de travail, le manque de ressources et les contraventions aux normes de prévention et de contrôle des infections</a>. Ce mouvement a été facilité par la création de <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1732263/denonciation-infirmieres-chaudiere-appalaches-syndicat-cisss?fbclid=IwAR0xYB2s1B29Fiup1pBH5e0PDc76Wp7vTlUFPulwfmshTHolGHneqF8Qrmk">plateformes</a> et de <a href="http://www.fiqsante.qc.ca/jedenonce/accueil/">registres publics</a> par certains regroupements syndicaux, qui visent à faciliter le processus d’alerte éthique.</p>
<p>Le processus d’alerte éthique en santé semble ainsi radicalement <a href="https://doi.org/10.1111/nhs.12667">transformé par l’usage grandissant des médias sociaux et des nouvelles technologies de l’information et des communications</a>. Un dernier exemple concerne l’utilisation croissante de <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/m%C3%A8me/10910896">mèmes</a> diffusés par l’intermédiaire des médias sociaux, qui révèlent avec ironie la <a href="https://scontent-yyz1-1.xx.fbcdn.net/v/t1.0-9/80802608_124510095692070_5949257195110531072_n.jpg?_nc_cat=109&_nc_sid=110474&_nc_ohc=V7dP0OrskkQAX_oAFax&_nc_ht=scontent-yyz1-1.xx&oh=9e5ee231bd932dff996d3186b18df9ab&oe=5F97D1D2">précarité du système de santé</a> ou les <a href="https://scontent-yyz1-1.xx.fbcdn.net/v/t1.0-9/81621473_132452964897783_300597279214010368_n.png?_nc_cat=106&_nc_sid=8024bb&_nc_ohc=0_qScQY0vJYAX_TwP2T&_nc_ht=scontent-yyz1-1.xx&oh=794f18cc320362f11006b5c5fa684196&oe=5F9B53FF">problèmes de pénurie de personnel</a>.</p>
<p>Ces alertes éthiques sont autant d’arguments en faveur de la reconnaissance de l’autonomie morale du personnel soignant, actuellement atrophiée par la culture du silence caractérisant l’organisation des soins et des services de santé. La reconnaissance d’une telle autonomie morale ne peut se réaliser qu’en considérant l’alerte éthique comme un indicateur de transparence et de responsabilité des organismes publics, dont les établissements de santé, envers la population. Sur ce point, la reconnaissance et la valorisation de la liberté de parole du personnel soignant semblent essentielles afin de mieux protéger l’intégrité, la qualité et la sécurité des services publics de santé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145586/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Pariseau-Legault est membre de l'Observatoire infirmier. Il fait partie d'une équipe de recherche ayant reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour un projet de recherche intitulé "Négocier la culture du silence: Une étude qualitative de la (non-)dénonciation chez le personnel infirmier au Québec" et portant sur l'alerte éthique en santé. </span></em></p>L’alerte éthique en santé est essentielle afin d’assurer la sécurité des personnes soignées. Confrontés à la culture du silence, les lanceurs d’alerte s’exposent toutefois à de lourdes conséquences.Pierre Pariseau-Legault, Professeur agrégé au département des sciences infirmières de l'Outaouais. Infirmier clinicien en psychiatrie et santé mentale, Université du Québec en Outaouais (UQO)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1466262020-09-22T20:40:28Z2020-09-22T20:40:28Z« En France, nous sommes très performants dans le soin, mais beaucoup moins en matière de prévention »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/359415/original/file-20200922-18-1e678nm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C1%2C1194%2C795&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’épidémie de Covid-19 a révélé la marge de progression française en matière de santé publique.</span> <span class="attribution"><span class="source">Jeff Pachoud / AFP</span></span></figcaption></figure><p><em>Jeudi 24 septembre, la Conférence des présidents d’université et les Conférence des doyens de facultés de médecine et de formations de santé organisent un colloque sur le thème <a href="http://ortus-sante.fr/wp-content/uploads/2020/09/PROGRAMME-DU-COLLOQUE-SORBONNE.pdf">« Médecine, santé et science au cœur de la société »</a>. Dans le cadre de cet événement, Manuel Tunon de Lara, président de la commission santé de la Conférence des présidents d’université et président de l’université de Bordeaux, dresse un rapide état des lieux de la santé publique en France.</em></p>
<hr>
<p><strong>The Conversation : L’épidémie de Covid-19 a braqué les projecteurs sur la « santé publique ». Que recouvre cette expression ?</strong></p>
<p><strong>Manuel Tunon de Lara :</strong> Si on voulait simplifier à l’extrême, la santé publique est la santé du collectif. Elle est à mettre en regard avec la santé de l’individu.</p>
<p>Historiquement, la médecine a d’abord été tournée vers le soin de l’individu : il s’agissait de réparer le corps. Aujourd’hui encore, les métiers de soin et les formations qui y préparent sont axés sur la santé de la personne. Cependant, la santé de la collectivité ne peut pas être appréhendée de la même façon.</p>
<p>Un exemple : si on s’intéresse aux indicateurs de santé, on constate clairement que dans notre pays, on vit globalement plus vieux qu’avant. Cela s’explique par les progrès accomplis pour soigner les individus. Mais si on se penche sur le pourcentage de gens qui vieillissent en bonne santé, on s’aperçoit qu’on a beaucoup moins progressé.</p>
<p>En tant que médecin, toute la question est d’arriver à tirer parti des enseignements collectifs pour les appliquer ensuite à l’individu, grâce à des leviers tels que la prévention, l’éducation sanitaire ou la prise en compte des grands facteurs de risque (tabac, mauvaise alimentation, etc.), aujourd’hui très bien identifiés.</p>
<p><strong>TC : Quels sont les résultats de la France dans ce domaine ?</strong></p>
<p><strong>MTdL :</strong> Notre pays est loin de figurer parmi les premiers. Nos résultats ne sont pas très bons, car nous n’évitons pas la survenue de certaines pathologies liées à des facteurs de risque évitables. En France, en matière de santé, 95 ou 96 % du budget est destiné aux soins individuels (certes plus coûteux), et le reste à la prévention. Or les pays qui ont des politiques plus ambitieuses en matière de prévention y consacrent plus de 10 % de leur investissement en santé.</p>
<p>En termes de santé publique, les systèmes de santé des pays d’Europe du Nord, où il existe une forte tradition de suivi des populations, font souvent référence. Il ne faut cependant pas oublier que cela nécessite un investissement et que l’impôt y est très élevé. En outre, il faut avoir conscience que la recherche, l’innovation, et la formation en santé publique ne font pas tout : les aspects politiques sont aussi très importants. Il existe d’excellentes écoles de santé publique aux États-Unis, et pourtant la prévalence de maladies comme l’obésité y est très élevée, les inégalités de soin y sont très grandes. Ces indicateurs de la santé des populations ne sont probablement pas représentatifs du niveau scientifique des institutions académiques…</p>
<p>On a assisté au même type de paradoxe dans le contexte de l’épidémie de Covid-19 : les pays dont la recherche en santé publique est la plus reconnue, qui ont les meilleures universités dans le domaine, n’ont pas forcément géré la crise de façon exemplaire, vraisemblablement parce qu’il leur a manqué le chaînon politique.</p>
<p><strong>TC : La crise sanitaire liée au coronavirus SARS-CoV-2 a-t-elle été un révélateur des faiblesses de notre pays en matière de santé publique ?</strong></p>
<p><strong>MTdL :</strong> Il est certain que la crise engendrée par la pandémie de Covid-19 a révélé les forces et les faiblesses des États. Cependant, il ne faut pas noircir le tableau en ce qui concerne la France : cette crise a également révélé ses forces.</p>
<p>Certes, il y a eu différents problèmes comme la gestion des stocks de masques ou la multiplication non organisée de certains essais cliniques. Mais nous avons aussi été capables de multiplier très rapidement les lits en réanimation, ou d’aménager en un temps record le transfert de malades d’un bout de la France à l’autre, en toute sécurité. Cette performance illustre un paradoxe : en France, nous pouvons être très performants dans le soin, mais beaucoup moins en matière de prévention ou d’éducation sanitaire.</p>
<p><strong>TC : Comment l’expliquer ?</strong></p>
<p><strong>MTdL :</strong> La France a été un grand pays dans le domaine de la santé, en particulier pour tout ce qui était en rapport avec le soin hospitalier et la recherche médicale. Son système de santé, basé sur une forte redistribution sociale, a longtemps été vu comme un exemple dans le monde entier. De nombreux professionnels se sont construits sur cette base de valeur très importante, et on trouve aujourd’hui encore dans notre pays énormément de compétences, y compris en santé publique. Toutefois, bien que notre pays redéploie beaucoup de ressources, les inégalités dans le domaine de la santé demeurent assez fortes et nous n’avons pas une culture de santé publique.</p>
<p>L’un des problèmes est que les compétences sont dispersées dans le domaine académique, et que l’on n’a pas forcément, dans le domaine de la recherche et de l’innovation ou de la formation, les organisations qu’il faudrait, comme des écoles universitaires de santé publique en lien avec leur territoire. Quand vous faites de la recherche en physique sur l’énergie, les résultats obtenus dans les laboratoires universitaires sont ensuite transférés vers les agences nationales ou vers des entreprises du secteur privé. Le fruit des connaissances produites par la recherche finit entre les mains d’opérateurs qui ensuite sont capables de transformer l’innovation en une forme de développement : économique, social…</p>
<p>C’est ce qui manque en santé publique. Le transfert de la recherche vers les agences sanitaires et les agences régionales de santé (ARS) doit être organisé.</p>
<p><strong>TC : Le Ségur de la santé va-t-il permettre de remettre les choses à plat ?</strong></p>
<p><strong>MTdL :</strong> Ces problèmes ont été évoqués, cependant l’impression qui s’en dégage jusqu’à présent est que les problématiques liées à la recherche et à la formation d’une façon générale, et en santé publique plus particulièrement, ne constituent pas pour l’instant un objectif fort du Ségur. C’est assez compréhensible : l’urgence était d’abord la revalorisation salariale des acteurs, et la réinjection de moyens dans l’hôpital public. Mais il ne faudrait pas oublier cette question essentielle : quelles actions va-t-on mettre en place en termes de santé publique ?</p>
<p>Chaque territoire devrait pouvoir disposer d’une école universitaire de santé publique, en relation forte avec l’ARS, le réseau hospitalier, le groupe hospitalier de territoire. Y seraient réunies les compétences de recherche et de formation. Ce dernier point est important : il ne s’agit pas de former uniquement des médecins.</p>
<p><strong>TC : L’interdisciplinarité est importante ?</strong></p>
<p><strong>MTdL :</strong> Elle est essentielle. La santé publique repose sur des bases diverses : l’épidémiologie, la biostatistique, le management et les politiques de santé, les sciences sociales et les sciences du comportement.</p>
<p>On le constate à nouveau avec la crise que nous venons de vivre, il ne s’agit pas seulement de produire des connaissances, de diffuser de l’information : il faut s’assurer qu’elle est perçue correctement, et si ce n’est pas le cas, comprendre pourquoi. Certaines conséquences des crises sanitaires dépassent le cadre purement « santé ». Le confinement, par exemple, a eu des répercussions sur le plan économique, il a modifié les relations sociales, familiales, accru l’isolement, le décrochage scolaire… Là encore, les sciences sociales, les sciences du comportement sont indispensables pour appréhender correctement ces sujets.</p>
<p>En outre, de nouveaux métiers devront aussi accompagner la santé dans le futur. Des sujets de santé publique mobilisant d’autres compétences que celles des actuels professionnels de santé émergent, notamment en ce qui concerne les conséquences des changements environnementaux.</p>
<p><strong>TC : Au-delà du manque de financement, la santé publique ne souffre-t-elle pas d’un déficit d’image, à l’ère de la médecine personnalisée et du diagnostic de précision ?</strong></p>
<p><strong>MTdL :</strong> Effectivement, aujourd’hui la santé publique est un peu le parent pauvre de la médecine en termes d’image. Les internes la choisissent souvent en dernier.</p>
<p>On peut les comprendre : si vous pensez que santé publique est synonyme d’un métier administratif ou de management alors que votre passion, c’est le soin, ce n’est pas très engageant. Pourtant les sujets dont on parle en ce moment en santé publique sont passionnants et ont une résonance auprès des jeunes générations.</p>
<p>Par ailleurs, je pense qu’il ne faut pas opposer l’approche collective de la santé et l’approche individuelle. Je suis pneumologue, je connais bien la problématique du cancer du poumon. Jusqu’à récemment, cette maladie était toujours mortelle, les résultats étaient catastrophiques. Mais depuis quelques années, on arrive à guérir des malades, grâce à des approches de médecine personnalisée et d’immunothérapie dont la nature est adaptée en fonction de la présence, chez le malade, de certains gènes. C’est une approche très coûteuse, mais elle sauve des vies. Une approche de santé publique réussie, qui parviendrait à diminuer drastiquement la consommation de tabac dans le pays, permettrait d’éviter un grand nombre de cancers du poumon, et donc de diminuer le coût direct et indirect de la maladie, ce qui permettrait d’allouer davantage de moyens à la médecine de soin et de compenser le surcoût du progrès médical.</p>
<p>On le voit avec cet exemple, les investissements dans le domaine de la santé publique et du soin sont liés, et leur relation est particulièrement intéressante à explorer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146626/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Manuel Tunon de Lara ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’épidémie de Covid-19 l’a durement rappelé : dans notre pays la santé publique reste le parent pauvre des investissements en santé, surtout dédiés au soin. Comment améliorer la situation ?Manuel Tunon de Lara, Professeur des Universités - Praticien Hospitalier, France UniversitésLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1444502020-08-18T17:56:37Z2020-08-18T17:56:37ZLe « lean management », une voie à suivre pour les hôpitaux ?<p>L’hospitalisation de nombreux malades du Covid-19 a mis en lumière un phénomène récent dans le secteur de la santé en France : le développement d’un système d’organisation du travail, le « lean management », originellement implantée dans le secteur automobile.</p>
<p>Le lean management est en effet présenté comme un maillon essentiel du plan d’économies, au sein du système hospitalier français, qui s’est traduit par une <a href="https://www.lemonde.fr/sante/article/2020/06/05/des-restructurations-au-covid-19-l-apport-controverse-des-cabinets-de-consulting-a-l-hopital_6041831_1651302.html">réduction drastique du nombre de lits disponibles</a>.</p>
<p>Le lean management a commencé à s’implanter dans des hôpitaux français au début des années 2000. Les centres hospitaliers universitaires (CHU) de Lyon, de Toulouse ou de Grenoble ou l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris font partie des établissements qui l’utilisent.</p>
<p>Le recours au lean dans le secteur de la santé est justifié, par les directions d’hôpitaux, par la nécessité de mieux utiliser les ressources (rares) disponibles pour répondre à des besoins en évolution permanente. En même temps, ce secteur affirme sa spécificité par rapport aux organisations de production et aux modalités de gestion venues du monde de l’entreprise.</p>
<p>Bien que ce système permette une prise en charge des patients plus efficace, il est également à l’origine d’effets pervers notamment en ce qui concerne la dégradation de la qualité des soins et une mauvaise prise en compte des spécificités médicales des patients.</p>
<h2>De l’industrie automobile à la santé</h2>
<p>Le terme lean appliqué à la gestion de production a été adopté par une équipe de chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) à partir d’une analyse du système de production Toyota, analyse poursuivie dans le cadre du programme de recherche <a href="https://www.lean.org/Bookstore/ProductDetails.cfm?SelectedProductID=160">International Motor Vehicle Program</a> (IMVP). Le lean management est dérivé des <a href="https://www.lean.org/bookstore/ProductDetails.cfm?SelectedProductId=55">principes du toyotisme</a> comme le juste à temps ou le zéro défaut.</p>
<p>La manière de définir la lean management <a href="https://www.cairn.info/revue-de-gestion-des-ressources-humaines-2019-4-page-3.html">fait débat</a> dans la littérature, mais il existe un certain nombre d’invariants identifiés dans les travaux pionniers.</p>
<p>Parmi ces pratiques organisationnelles on trouve : le travail en équipe, la polyvalence, l’autonomie d’initiative (concernant la résolution de problèmes imprévus), la forte standardisation des procédés de travail, le management de la qualité avec les techniques de gestion de production qui lui sont associées (cercle de qualité, Kaizen), le développement de responsabilités (et ses corollaires : délégation de responsabilités, décentralisation de l’autorité et des responsabilités) auquel est associé un système incitatif par le biais, par exemple, des primes de performance collective pour les équipes de travail.</p>
<p>Le déploiement du lean management dans les hôpitaux et plus généralement, dans les services publics, est concourant à celui du nouveau management public (new public management) qui s’est traduit par l’implantation d’outils de gestion issus du secteur privé dans le secteur public.</p>
<p>Tout comme le nouveau management public, le lean management est considéré comme un moyen de rationaliser l’organisation des hôpitaux en <a href="https://www.deepdyve.com/lp/emerald-publishing/trends-and-approaches-in-lean-healthcare-QKnPKvIIo9">éliminant les pertes et les gaspillages</a> (par exemple, les interruptions, les retards, les erreurs…) afin d’améliorer le flux des patients, de l’information et des biens.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1288438537847791617"}"></div></p>
<p>Un <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21414703/">groupe de chercheurs</a> a identifié trois activités propres au lean management appliqué au secteur de la santé ou « lean healthcare » : l’évaluation, l’amélioration et le contrôle de la performance.</p>
<p>Les activités d’évaluation consistent à diagnostiquer la performance des processus de l’organisation existante en matière de gaspillage, de flux ou de capacité à ajouter de la valeur, ceci en analysant la chaîne de valeur.</p>
<p>Les activités d’amélioration reposent sur la méthode des événements d’amélioration rapide (parfois appelée kaizen blitz, kailaku) qui consiste à développer en 3 à 5 jours une évaluation de l’équipe et à améliorer les processus de travail via la méthode des 5S ou des « 5 pourquoi ».</p>
<p>Enfin, les activités de contrôle de la performance consistent à mesurer les améliorations effectuées par le biais notamment d’outils visuels (graphiques, tableaux…) et l’utilisation du benchmarking (technique de gestion de la qualité qui consiste à étudier et analyser le fonctionnement des autres entreprises afin de s’en inspirer et d’en tirer le meilleur).</p>
<h2>De nombreux effets pervers</h2>
<p>Plusieurs études ont évalué les résultats procurés par l’implantation du lean management(https://www.cairn.info/performance-et-innovation-dans-les-etablissements – 9782100710973-page-253.htm). <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21035904/">Un travail</a> regroupant dix-huit recherches publié dans une revue de littérature portant sur l’évaluation de l’efficacité du lean management dans les services d’urgence montre que la majorité d’entre elles concluent à une amélioration de l’efficacité des processus de prise en charge des patients :</p>
<ul>
<li><p>diminution du temps d’attente des patients ;</p></li>
<li><p>augmentation du nombre de consultations de patients ;</p></li>
<li><p>augmentation de la satisfaction autodéclarée des patients.</p></li>
</ul>
<p>Toutefois, la majorité de ces recherches ne mesurent pas les effets du lean management sur le personnel soignant (médecins, infirmiers, aides-soignants).</p>
<p>Une <a href="https://www.cairn.info/l-hopital-sous-pression--9782707164285.htm">enquête</a> s’est intéressée aux conséquences de l’implantation d’une méthode dans différents services d’urgence d’hôpitaux français visant principalement la réduction du temps d’attente des patients en fluidifiant les entrées et les sorties des patients – ce qui s’approche, selon nous, du lean management.</p>
<p>Cette enquête montre que ces nouvelles techniques de gestion de production heurtent l’ethos professionnel – c’est-à-dire les valeurs et les normes qui structurent une profession – des personnels soignants pour lesquels la réduction du temps de passage est perçue comme pouvant dégrader la qualité de la prise en charge.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/352778/original/file-20200813-18-1h1n0ni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/352778/original/file-20200813-18-1h1n0ni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/352778/original/file-20200813-18-1h1n0ni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/352778/original/file-20200813-18-1h1n0ni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/352778/original/file-20200813-18-1h1n0ni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/352778/original/file-20200813-18-1h1n0ni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/352778/original/file-20200813-18-1h1n0ni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des soignants réclament de meilleures conditions de travail au sein de l’hôpital public lors d’un mouvement national de manifestations le 30 juin dernier.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://c4.mediaforum.afp.com/CacheServer/Cache.svc/g?hid=DDCDFB3A00D18988A4E42514B3BB3AD2A4E99B275404EBDB4C6B3CB3B05931FC">Clément Mahoudeau/AFP</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Par ailleurs, une <a href="https://www.cairn.info/journal-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2011-4-page-16.htm">analyse statistique</a> menée aux urgences d’un hôpital montre que plus le temps de passage des patients se réduit, plus le taux de retour augmente.</p>
<p>Les variations du temps de passage expliquent 20 % de celles du taux de retour. Par exemple, une réduction du temps de passage d’une heure correspond à une hausse marginale de 3,25 % du taux retour. Autrement dit, la diminution des temps de passage des patients a pour principal effet pervers de dégrader la qualité des soins administrés et, in fine, augmente le taux de retour des patients.</p>
<h2>Patient ou client ?</h2>
<p>Dans une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20702013/">autre recherche</a> menée dans un bloc opératoire d’un hôpital anglais ayant déployé le lean management (par le biais de pratiques organisationnelles telles que les cercles de qualité et des techniques de gestion de production telles que le 5S), les chercheurs montrent que le personnel soignant perçoit le déploiement du lean comme une source de dégradation de la qualité des soins.</p>
<p>Par ailleurs, les praticiens hospitaliers sont très critiques vis-à-vis de la sur-standardisation qu’engendre le lean management qui limite fortement leur capacité à s’adapter à des changements non anticipés.</p>
<p>Enfin, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21414703/">quatre études de cas</a> dans des hôpitaux anglais ayant déployé le lean management montrent qu’en pratique, bien qu’il produise des gains de productivité (quoique localisés et de faible ampleur), le lean management « devient une constellation d’activités disjointes et peu connectées entre elles ». Finalement, la logique générale de cette méthode n’est pas comprise par le personnel soignant.</p>
<p>Ces différentes recherches soulignent la difficulté à implanter, dans des hôpitaux, une organisation du travail très standardisée, initialement pensée pour l’industrie automobile. Elle limite en effet la capacité du personnel soignant à prendre en compte l’hétérogénéité des pathologies et des patients à laquelle il est confronté.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1270835839610880001"}"></div></p>
<p>Enfin, la transplantation du lean management dans le secteur de la santé peut conduire à <a href="https://www.deepdyve.com/lp/emerald-publishing/measuring-lean-initiatives-in-health-care-services-issues-and-findings-RIZFXLr9yr">assimiler le patient à un client</a> dont il faudrait satisfaire à tout prix les besoins et ce, parfois, au détriment d’autres aspects de la performance comme la préservation des conditions de travail des soignants, l’efficience ou la qualité des soins délivrés.</p>
<p>Bien que l’implantation du lean à l’hôpital soit fortement encouragée par <a href="https://www.capgemini.com/consulting-fr/wp-content/uploads/sites/31/2017/08/le_lean_management_est--il_applicable_a_lhopital_et_pour_quels_resultats_-_capgemini_consulting.pdf">certains cabinets de conseil</a>, le Ségur de la santé – consultation des acteurs du système de soin français qui s’est déroulée du 25 mai 2020 au 10 juillet 2020 – augure, selon nous, d’une <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/dossiers-de-presse/article/dossier-de-presse-conclusions-du-segur-de-la-sante">remise en question de principes et de pratiques liés au lean</a> via, par exemple, la simplification des procédures de certification qualité ou la réduction du nombre d’outils de reporting.</p>
<p>Mais ces mesures permettront-elles de préparer à temps le système hospitalier, déjà à bout de souffle, à une très probable <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/08/04/covid-19-le-conseil-scientifique-appelle-a-se-preparer-a-une-deuxieme-vague-a-l-automne_6048101_3244.html">deuxième vague de Covid-19</a> à l’automne ? Cela reste à voir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144450/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gregor Bouville ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce système est considéré comme un moyen de rationaliser l’organisation des hôpitaux en éliminant les pertes et les gaspillages. Mais il provoque in fine une dégradation de la qualité des soins.Gregor Bouville, Maître de Conférences Habilité à Diriger des Recherches, Sciences de Gestion, Dauphine Recherche Management-Equipe Management & Organisation, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1434922020-07-28T17:20:13Z2020-07-28T17:20:13ZL’obligation de porter le masque, une application sanitaire de la méthode Toyota<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/349685/original/file-20200727-37-sdtqic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La présence de règles entourant le port du masque n'est pas seulement liée aux conditions sanitaires, mais au type de gestion du système de santé d'un pays.</span> <span class="attribution"><span class="source">shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les arguments en faveur ou contre le port du masque relèvent souvent du domaine médical. On parle de taux de mortalité, de degré de contagion, ou des séquelles de la Covid-19. Ces informations sont complexes, parfois contradictoires, et les connaissances sur le virus évoluent de jour en jour.</p>
<p>Lors des premiers cas de Covid-19 en Amérique du Nord, certains prônaient une transmission graduelle du virus afin de favoriser l’immunité de masse. Cependant, de récentes recherches démontrent que <a href="https://www.immunology.org/coronavirus/immunology-and-covid-19">l’immunité à la Covid-19</a> n’est pas garantie. Bref, le problème est complexe, car nous n’avons pas encore toute l’information.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/port-obligatoire-du-masque-le-principe-de-precaution-sapplique-142628">Port obligatoire du masque : le principe de précaution s'applique</a>
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<p>L’idée n’est pas de remettre en question l’importance du masque en cette période de crise sanitaire, mais mes recherches en relations industrielles m’amènent à offrir un point de vue différent de l’argumentaire entendu. Le port du masque peut être aussi vu sous l’angle des sciences de l’administration. En d’autres mots, la présence de règles entourant le port du masque n’est pas seulement liée à des considérations médicales, mais aussi au modèle de gestion du système de santé d’un pays.</p>
<p>On peut se demander plus précisément comment le <em>lean management</em>, très prisé depuis 20 ans dans les systèmes publics, peut influencer le choix des gouvernements dans l’adoption de règles sur le port du masque.</p>
<h2>La méthode Toyota</h2>
<p>Le <em>lean management</em>, aussi appelé Toyotisme, prône la réduction de la perte à son maximum dans un processus de fabrication. Ce mode de gestion est très intéressant pour les gestionnaires, car il permet un levier stratégique. À chaque étape de la fabrication d’un produit, ils se demandent : est-ce que cette étape créera une valeur ajoutée pour le client ? Si ce n’est pas le cas, le procédé doit être révisé ou retiré de la chaîne de montage.</p>
<p>Taiichi Ohno, fondateur du Toyotisme, indique <a href="https://theleanway.net/The-8-Wastes-of-Lean#">huit formes</a> de pertes devant être contrôlées par les directeurs d’usines. Il peut s’agir de problèmes de contrôle de qualité, de surproduction, de surstockage, de transport, déplacement, traitement ou mouvement inutiles (dans le procédé de fabrication), de temps d’attente ou de sous-utilisation des compétences. Selon le <em>lean management</em>, en contrôlant ces huit points de perte, l’entreprise peut accroître la valeur ajoutée de son produit.</p>
<h2>L’hôpital comme une usine</h2>
<p>Les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1016/j.jom.2014.09.002?casa_token=fsCl-JZsuq0AAAAA:dc3bn-LG77m2tOJSEVW7DR6-HZdXTELNqb3BB1id59NFyyP6gUG_uCKLLoy5WxN2K0d-TPkSSkZwTcMn">bien-fondés du <em>lean management</em> dans l’industrie manufacturière</a> sont bien connus. Plusieurs recherches ont vanté ses bienfaits en ce qui a trait à la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959652613004290?casa_token=SpFz6AewmQUAAAAA:LGvzFfrpBLUxngQrB5YFyme1UpZQa4xKuHv1KXAzs6SyebHHuxkjjiilgh06WOd8vtGS8OvKC5vq">gestion des stocks</a>, des <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/MD-01-2017-0045/full/html?casa_token=77ZwWJDXBoMAAAAA:t--adTQrybhjDNYObUtqHOUK28s0W_YVXn8wTFALI_zACiSKaKrpRQMjZM_jSf7a5t56dSrwOylWSNqQiX8qVyNDHbhAxPP73rlJNpvLyDAHvV7Hazmzng">compétences</a> et à son <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/01443570010332971/full/html?casa_token=0UYE-DeMn6sAAAAA:GZxDFu8C4uI7nhguWtGcxUyNOJqXP38PI2P9K5Dg5wZMcDD_WaXgBsD5UWLUJ1B9OBdL71BskUW-zzRtjHgPg93zvg-5Uoslvw9rDyFmq1tcFgEBrZK87Q">avantage compétitif</a>.</p>
<p>Le succès de ce modèle a intéressé plusieurs gestionnaires. Au début du 21<sup>e</sup> siècle, le <em>lean management</em> est entré dans plusieurs industries, jusqu’à s’immiscer dans les soins de santé. Cependant, son utilisation n’y fait pas l’unanimité. Bien que plusieurs études notent des <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/19355181211274442/full/html">effets</a> <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1754-9485.12090">positifs</a> pour le système de santé, d’autres notent une augmentation des conflits avec le <a href="https://www.academia.edu/9298544/">personnel</a> et la difficulté d’accès à certaines <a href="http://www.diva-portal.org/smash/get/diva2:656862/FULLTEXT01">ressources</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/349736/original/file-20200727-19-1rkxtu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/349736/original/file-20200727-19-1rkxtu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/349736/original/file-20200727-19-1rkxtu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/349736/original/file-20200727-19-1rkxtu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/349736/original/file-20200727-19-1rkxtu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/349736/original/file-20200727-19-1rkxtu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/349736/original/file-20200727-19-1rkxtu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Selon la logique fondamentale du <em>lean management</em>, un gestionnaire d’hôpital pourrait se demander en quoi la présence de lits non utilisés par des patients constitue une valeur ajoutée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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</figure>
<p>Lorsque le <em>lean management</em> est instauré sans flexibilité, des incohérences peuvent survenir. Par exemple, selon la logique de ce modèle, un gestionnaire d’hôpital pourrait se demander en quoi la présence de lits non utilisés constitue une valeur ajoutée. Dans la même lignée, il tentera de maximiser le temps de travail de ses infirmiers, médecins ou préposés et d’éliminer tout surplus (incluant le nombre d’employés).</p>
<p>Lorsque cette réflexion est poussée encore plus loin, l’hôpital se transforme peu à peu en une « usine » où les systèmes prévisionnels dictent les ressources nécessaires à la production et le rendement attendu.</p>
<h2>Perte de flexibilité</h2>
<p>Le <em>lean management</em> a pour but de contrôler le processus de fabrication d’un produit, de sa conception jusqu’à sa vente. Cette idée est convenable et réalisable dans le domaine manufacturier, mais l’est-elle dans celui de la santé ?</p>
<p>Le principe de rationalisation et de maximisation des ressources en entreprise fonctionne bien lorsque l’on tente de prévoir le nombre de ventes d’automobiles, par exemple. Cependant, lorsque la même logique s’applique au domaine de la santé, nous assistons à une perte de flexibilité de la part de nos instances publiques.</p>
<p>Le principe qu’un gouvernement devrait être régi selon les mêmes règles qu’une entreprise offre certes certains avantages pour le contrôle des dépenses, mais ne permet pas une gestion de risque en fonction d’éléments <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0925527309003715?casa_token=CFM21fAV2jUAAAAA:Q9b5Pgsw_im7LHPfG5S3X_FzYABnkVymnVrX6wKinNnAN7XtEq7703cKSh6EsC6TKotAKPhco9zh">externes</a> qui dépassent largement le <a href="http://www.inrs.fr/risques/lean-management/exemples-risques-implantation-lean.html">contexte de l’entreprise</a>.</p>
<p>En d’autres mots, la Covid-19 n’affecte pas également une entreprise et tout un pays. Les variables affectant un pays sont multiples sont plus complexes comparativement à l’entreprise. Dans le pire des cas, l’entrepreneur peut cesser son service à la clientèle et fermer ses portes. Cette option n’est pas envisageable pour un pays.</p>
<p>À l’heure actuelle, aucun chercheur n’a étudié la corrélation entre les <a href="https://infogram.com/masques-covid-19-1h7k231v1ong4xr">modèles de gestion des systèmes de santé des pays et leur politique encadrant le port du masque</a>. Il est cependant intéressant de remarquer que les pays ayant une gestion des soins de santé dite de <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Port-masque-Europe-est-obligatoire-2020-07-13-1201104773">rationalisation</a> semblent plus enclins à imposer le masque à leurs citoyens.</p>
<p>L’<a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjagfD8g-7qAhUCm-AKHaXhDFQQFjAAegQIARAB&url=https%3A%2F%2Fwww.iza.org%2Fpublications%2Fdp%2F13319%2Fface-masks-considerably-reduce-covid-19-cases-in-germany-a-synthetic-control-method-approach&usg=AOvVaw3Yt23BF7mDqc_8v8FqLQWN">Allemagne</a>, la <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Le-port-masque-obligatoire-lieux-publics-clos-semaine-prochaine-2020-07-16-1201105144">France</a>, l’<a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwiCltqJhO7qAhVlc98KHZ1yAvsQFjAAegQIBxAB&url=https%3A%2F%2Fwww.euroweeklynews.com%2F2020%2F07%2F13%2Fobligatory-use-of-face-masks-in-spain-we-bring-you-the-latest-as-the-story-breaks%2F&usg=AOvVaw12KylVHUH7FiT1FQuXqofF">Espagne</a>, le <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwiK86uUhO7qAhVFUt8KHcInAJsQFjAAegQIAhAB&url=https%3A%2F%2Fwww.bbc.co.uk%2Fnews%2Fhealth-51205344&usg=AOvVaw3JbqyClonZc46Z9Zj9kr1E">Royaume-Uni</a> et la <a href="https://www.thelocal.ch/20200702/coronavirus-everything-you-need-to-know-about-switzerlands">Suisse</a>, pour ne nommer que ceux-là, obligent le port du masque.</p>
<p>Bien que ces exemples soient européens, le système de santé de ces pays industrialisés est <a href="http://accessh.org/wp-content/uploads/2015/02/1802_Mossialos_intl_profiles_2014_v6.pdf#page=21">similaire</a> au <a href="https://europepmc.org/article/med/18271106">système canadien</a>. Au contraire, les pays scandinaves, reconnus pour leur <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1080/14034940600858433?casa_token=w1dKqz3iiwoAAAAA:A-2BihLUUOyLbMrDuS5nxLC_AQpaFEN1hi5PjRrkJNIPcJtr_M0FA84yusSwt3iIrjpcJSJSfLdISHNrUA">gestion collective</a> des soins de santé, n’ont jusqu’ici pas imposé le <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Port-masque-Europe-est-obligatoire-2020-07-13-1201104773">port du masque</a> à leurs citoyens.</p>
<h2>Enlever la pression sur les hôpitaux</h2>
<p>La gestion collective implique qu’on ne voit pas la santé (et ses institutions) comme un coût, mais plutôt comme un investissement à long terme de la société. Ce changement de paradoxe entraîne une vision moins managériale des hôpitaux. Le modèle scandinave <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1080/14034940600858433?casa_token=sNwJZX1UVwIAAAAA:V-B4KnytoR69rM3zRONwSsDv0Sz_JGHltLT3r4ACVOKxbrE89XDt9w-LCvzKSaA3CavAF1va8lzD40ATvQ">accepte le surplus</a>] et ne le considère pas comme une <a href="https://www.ingentaconnect.com/content/mcb/25/2008/00000022/00000004/art00001">perte</a>.</p>
<p>Les pays scandinaves investissent en moyenne <a href="https://link.springer.com/content/pdf/10.1007/s11019-012-9414-8.pdf">deux fois plus</a> par habitant dans les frais de santé que la moyenne européenne. Ce financement public est beaucoup plus holistique ; l’hôpital n’est pas la seule option pour les malades. Les ressources sont <a href="https://link.springer.com/content/pdf/10.1007/s11019-012-9414-8.pdf">diffuses</a> dans le système de santé, ce qui permet aux hôpitaux des pays scandinaves de ne pas soutenir à eux seuls la pression d’une pandémie.</p>
<p>Ces pays utilisent et <a href="https://www.nationmaster.com/country-info/compare/Sweden/United-States/Health">financent</a> diverses initiatives de santé qui favorise la participation citoyenne, qui ne sont pas vues comme des pertes à contrôler. Cela ce traduit par un accès <a href="https://academic.oup.com/jmp/article-abstract/19/4/343/893234">plus rapide</a> à un <a href="https://sciencenordic.com/culture-denmark-forskerzonen/how-does-denmark-have-better-healthcare-than-the-us-for-less-money/1451158">professionnel de la santé</a>, ainsi que l’<a href="https://www.kingsfund.org.uk/sites/default/files/Avoiding-Hospital-Admissions-Sarah-Purdy-December2010_0.pdf">accès à des lits</a>, notamment pour les <a href="https://link.springer.com/article/10.1186/1472-6963-11-126">personnes agées</a>.</p>
<p>Les compressions visant l’efficience des systèmes de santé ont entraîné une perte de flexibilité. Ainsi, nous ne portons pas un masque uniquement pour nous protéger d’un virus, mais aussi pour réduire la charge sur un système de santé qui ne sait plus s’adapter aux bouleversements. Le <em>lean management</em> appliqué au secteur de la santé ne permet plus à l’État de contenir des événements majeurs comme la pandémie actuelle.</p>
<p>L’utilisation par les gouvernements de modèles provenant des sciences de l’administration peut se justifier par de solides assises théoriques. Cependant, plusieurs gestionnaires du secteur public semblent oublier qu’il existe des différences fondamentales entre un gouvernement et une entreprise. La première étant l’impact d’une crise sanitaire sur leur système respectif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143492/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Desjardins ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Nous ne portons pas un masque uniquement pour nous protéger du virus, nous le faisons pour réduire la charge sur un système de santé qui ne sait plus s’adapter en raison de son mode de gestion.Guillaume Desjardins, PH.D Candidate, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1418142020-07-09T17:02:02Z2020-07-09T17:02:02ZSystème de santé : Pourquoi est-il si difficile de répondre aux attentes des soignants ?<p>Les travaux du <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/segur-de-la-sante-une-grande-concertation-avec-les-acteurs-du-systeme-de-sante/">« Ségur de la santé »</a>, animé par Nicole Notat, ont abouti le 13 juillet 2020 à la signature d’un accord entre les organisations syndicales, Jean Castex, Premier ministre et Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé. </p>
<p>Ledit accord peut-être qualifié d’historique, puisqu’il alloue 8,2 milliards d’euros afin de revaloriser la rémunération des sages-femmes, des personnels non médicaux des établissements de santé et des EHPAD, des internes et étudiants en santé, ainsi que des praticiens qui font le choix de l’hôpital public. Les rémunérations des salariés paramédicaux tels que les infirmiers et les aides soignants et non médicaux (brancardiers, techniciens, etc.) seront également revalorisées de 160 à 180 euros selon les établissements de santé. C’est moins que les 300 euros réclamés par les syndicats, mais 15000 postes supplémentaires devraient être créés, ce que certains syndicalistes considèrent comme une compensation.</p>
<p>Ces mesures ne semblent pas suffisantes pour satisfaire l’ensemble des soignants, si l’on en juge par la « journée de mobilisation et de grève nationale » prévue le 15 octobre pour réclamer « des embauches massives immédiates » et une « revalorisation significative des salaires » dans le secteur de la santé apportera une première réponse. Rien d’étonnant, car s’il existe une relative concorde pour estimer nécessaire une « refonte » de notre système de santé, les solutions permettant de faire consensus sont beaucoup plus rares. </p>
<p>Nous allons essayer d’en comprendre les raisons.</p>
<h2>Pourquoi un Ségur de la santé ?</h2>
<p>Alors que la France, comme tous les pays du monde, a été et reste confrontée à une crise sanitaire dont les impacts sont <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20200426-la-grippe-hong-kong-la-premi%C3%A8re-pand%C3%A9mie-moderne">d’une rare ampleur dans l’époque moderne</a>, le Ségur de la santé s’est fixé comme objectif de rénover notre système de santé pour le rendre plus efficient et adaptable au bénéfice de tous : patients, soignants, élus. Si l’objectif est louable, sa mise en œuvre s’avère diablement complexe.</p>
<p>En effet, notre système de santé repose sur de nombreux intérêts différents. Depuis de nombreuses années, les gouvernements successifs s’efforcent de concilier des objectifs pas toujours convergents : attractivité des métiers et maîtrise du budget de la Sécurité sociale, libre choix du médecin et développement d’un dossier médical partagé qui ne voit pas le jour, maintien d’une offre de proximité et concentration des moyens dans de gros établissements de santé d’excellence, coexistence d’une offre publique et d’un secteur libéral…</p>
<p>En 2018, la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277750?sommaire=4318291">part de la santé</a> dans la richesse nationale s’élevait à 11,7 %. En la matière, la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_d%C3%A9penses_de_sant%C3%A9">France se place</a> dans le peloton de tête des classements mondiaux. La marge de manœuvre est donc étroite. Très étroite même, si l’on considère qu’avec le Danemark et la Belgique, elle figure parmi les pays dont les prélèvements obligatoires sont les <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/impots-fiscalite/malgre-la-baisse-d-impots-la-france-garde-son-titre-de-championne-du-monde-des-prelevements-6641975">plus importants</a>.</p>
<h2>Des établissements de santé sous tension</h2>
<p>Depuis de très nombreuses années, les mouvements sociaux se succèdent dans les établissements de santé. Qu’il s’agisse des hôpitaux publics ou des cliniques privées, très rares sont les établissements qui n’y ont pas été confrontés. En l’espace d’un mois, en <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/toulouse-mouvement-greve-au-chu-prend-ampleur-1733243.html">septembre/octobre 2019</a>, la plupart des établissements de santé de l’agglomération de Toulouse, qu’ils soient publics ou privés, avaient par exemple été confrontés à des <a href="https://www.ladepeche.fr/2019/10/14/clinique-croix-du-sud-la-greve-gagne-tous-les-services-la-moitie-des-operations-annulees,8479562.php#:%7E:text=La%20moiti%C3%A9%20du%20personnel%20de,mat%C3%A9riels%20et%20une%20revalorisation%20salariale.&text=Le%20service%20de%20r%C3%A9animation%20compte,en%20re%C3%A7oit%20pas%20de%20nouveaux">grèves</a>. On pourrait multiplier ce type d’exemple à travers la France. Les services des urgences ont également connu des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/08/16/pres-de-cinq-mois-apres-le-debut-du-mouvement-un-tiers-des-services-d-urgence-sont-en-greve_5500068_3224.html">mouvements sociaux très importants</a> à compter du premier semestre 2019.</p>
<p>Derrière ces événements, on retrouve très souvent le même ras-le-bol : épuisement du personnel, conditions de travail très difficiles, rappels de salariés à domicile empiétant sur leur vie personnelle, rythme de travail infernal, violences contre les soignants, salaires bloqués… Avec un coupable tout désigné : la tarification à l’activité (T2A), <a href="https://www.lemonde.fr/sante/article/2018/02/13/qu-est-ce-que-la-t2a-qui-cristallise-les-tensions-a-l-hopital_5256264_1651302.html">objet de mécontentement dans les établissements de santé</a>.</p>
<p>Mise en place progressivement en 2004, cette tarification finance les séjours et l’activité réalisés dans les établissements de santé. Jusque là, rien de choquant. Le souci est ailleurs. Pour contenir l’évolution des dépenses de santé et d’une demande de soins qui ne cesse d’augmenter, sous l’effet conjugué du progrès médical et du vieillissement de la population, les pouvoirs publics ont mis en place un système d’ajustement redoutable : la régulation prix/volume.</p>
<h2>La recherche de gains de productivité</h2>
<p>Ainsi, pour faire face à l’augmentation continue de l’activité avec son corollaire inflationniste (plus l’activité augmente plus le chiffre d’affaires augmente), les tarifs des séjours ont régulièrement baissé chaque année depuis l’instauration de la T2A. La conséquence est limpide. Pour pouvoir maintenir leurs ressources, les établissements de santé ont été contraints d’améliorer la productivité : faire plus avec moins ou autant.</p>
<p>C’est ce qui explique, par exemple, le lancement par le ministère de la Santé du programme PHARE (Performance hospitalière pour des achats responsables) en 2011. L’objectif était louable : <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/professionnels/gerer-un-etablissement-de-sante-medico-social/performance-des-etablissements-de-sante/phare-11061/">réaliser des économies</a> sur les achats relevant du « bon sens ».</p>
<p>De même, les pouvoirs publics (ministère de santé) ont demandé au début des années 2010 aux établissements de santé de <a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/hopital/comment-faire-des-economies-lhopital-le-mode-demploi-choc-dun-think-tank-liberal">revoir leur nombre de lits</a> en développant l’ambulatoire. L’idée, en soi, était judicieuse. Il s’agissait de développer une activité ambulatoire correspondant à la fois aux souhaits des patients (qui rentrent et sortent dans la journée) et aux évolutions des pratiques médicales (une <a href="https://www.allodocteurs.fr/se-soigner/chirurgie/chirurgie-ambulatoire/prothese-de-la-hanche-une-hospitalisation-express_15643.html">opération de prothèse de hanche</a> qui nécessitait une hospitalisation de trois semaines il y a 20 ans peut désormais s’effectuer en ambulatoire).</p>
<p>Mais derrière cette prouesse médicale, se cache une autre réalité : la fermeture de services d’hospitalisation de nuit, l’augmentation de la productivité au bloc opératoire, la nécessaire polyvalence des soignants.</p>
<p>Si tous ces objectifs pouvaient et peuvent s’entendre, la vitesse de mise en œuvre a été certainement trop rapide. En 2017 Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé déclarait même : « à l’hôpital, nous sommes arrivés au bout d’un système ».</p>
<h2>Une reconnaissance insuffisante</h2>
<p>Durant la crise sanitaire, les Français ont manifesté leur reconnaissance envers les professionnels de santé en se réunissant tous les soirs à 20 h, pour témoigner leur gratitude par des applaudissements.</p>
<p>Une unanimité a vu le jour à propos de la nécessaire revalorisation des carrières des soignants en « première ligne ». On pense aux infirmier·e·s (1 700 euros bruts mensuels en début de carrière) et aux aides-soignant·e·s (1 333 euros bruts mensuels en début de carrière). D’autant plus qu’au vu des <a href="https://www.leparisien.fr/societe/les-infirmieres-francaises-sont-elles-si-mal-payees-17-05-2020-8318796.php#:%7E:text=La%20France%2C%20un%20des%20mauvais%20%C3%A9l%C3%A8ves%20de%20l%E2%80%99Europe&text=En%20France%2C%20une%20infirmi%C3%A8re%20dans,autour%20de%202400%20euros%20nets">comparaisons internationales</a>, leur rémunération est inférieure à celle de leurs homologues européens.</p>
<p>Derrière ces professions paramédicales, et alors que 30 % des postes sont vacants dans les hôpitaux publics, les médecins sont aussi en embuscade. Comment rendre leur métier plus attractif ? En revalorisant les rémunérations. Mais la concertation est très axée sur le secteur hospitalier, autour de quatre piliers (transformation et revalorisation des métiers, investissement, simplification et enjeux territoriaux). Ce qui interpelle tout le secteur libéral (<a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/liberal/assurance-maladie/segur-de-la-sante-la-medecine-de-ville-ne-veut-pas-un-strapontin">médecins de ville</a>, infirmiers et infirmières libérales), dont les membres craignent d’être les <a href="https://www.laprovence.com/article/hub-sante/5999748/infirmiers-liberaux-les-oublies-du-segur-de-la-sante">grands oubliés du Ségur de la santé</a>.</p>
<p>Ajoutez à toutes ces problématiques les défis de la démographie médicale et des déserts médicaux, l’égal accès aux soins sur tout le territoire, la démocratie sanitaire, et vous obtenez un décalage potentiel entre les ambitions des différents protagonistes. Autrement dit, il est certain que toutes les attentes ne pourront pas être satisfaites. </p>
<p>Alors que le système de santé doit faire face à la montée de la deuxième vague de l’épidémie de Covid-19 et à la crise sanitaire qui en résulte, toute la question est de savoir si les mesures prévues par le « Ségur de la santé » permettront de mettre fin aux nombreux mouvements sociaux qui continuent d’émailler le paysage social des établissements de santé. L’avenir nous le dira.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141814/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hubert Jaspard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Ségur vise à rendre notre système de santé plus efficient pour les patients, les soignants, les décideurs… Une tâche compliquée, tant il faut concilier des objectifs divergents.Hubert Jaspard, Enseignant vacataire, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1407742020-06-25T18:17:10Z2020-06-25T18:17:10ZLe collectif soignant, un engagement en redéfinition perpétuelle<p>Très souvent, les infirmières (il est plus juste de mettre le féminin pour cette profession <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er759.pdf">à 88 % féminisée en France</a>) invoquent « la vocation » pour décrire leur métier.</p>
<p>Autrement dit, elles assimilent leur travail à la mission qui le circonscrit, elles s’identifient en quelque sorte à la cause du soin qu’elles défendent, <a href="https://www.scienceshumaines.com/les-infirmieres-entre-consensus-et-contestation_fr_30965.html">comme des militantes convaincues</a>. Plus rarement, elles s’identifient à l’établissement où elles travaillent, ou alors il s’agit de l’hôpital public en tant qu’institution, chargée d’accueillir tous les patients sans distinction, par contraste avec le secteur privé lucratif. Mais cette mission suffit-elle à expliquer la nature de leur engagement, ordinaire ou extraordinaire ?</p>
<p>En m’appuyant sur une série de travaux successifs, je propose de dépasser les faux semblants sur l’engagement des soignants en précisant comment il m’est apparu au cours de <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ri/2005-v60-n3-ri1033/012164ar/">nombreuses enquêtes de terrain</a> portant sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2008-4-page-665.htm">relations de travail à l’hôpital</a>.</p>
<h2>Une tonalité morale forte</h2>
<p>Sans contester l’honnêteté des réponses fournies par les personnes interrogées durant ces enquêtes, ni vouloir déprécier leur travail, plusieurs éléments d’explication doivent être pris en considération dans cette identification, cette conviction partagée. Telle une poupée russe, ces éléments peuvent d’ailleurs s’emboîter entre eux.</p>
<p>Le premier niveau tombe sous le sens : dans ce contexte de mobilisation sanitaire, la tonalité morale s’énonce publiquement, devant des médias qui l’attendent voire la suscitent, pour fabriquer l’image à laquelle ils pensent ou qu’ils pensent partagée par leur public.</p>
<p>Cependant, ce discours s’ancre aussi dans une position sociale partagée : bien des personnes font preuve de bonne volonté dans ce contexte, bien des salarié·e·s sacrifient leur temps et prennent des risques dans l’ombre (caissières, salarié·e·s des centres de tri d’Amazon, travailleurs sociaux, facteurs, employé·e·s des pompes funèbres…). Beaucoup travaillent la peur au ventre, en restant bien souvent invisibles, tout comme d’ailleurs les agents hospitaliers non soignants dans la logistique, le nettoyage, ou la technique.</p>
<p>Le sens du « nous », le discours moral sont plus fréquents dans les milieux populaires que dans les milieux privilégiés : « La morale, c’est l’arme des pauvres », selon Nietzsche – qui ne les portait pas dans son cœur. Et il est vrai qu’à défaut d’avoir des capitaux économiques, ou les capitaux socioculturels chers à Pierre Bourdieu, les milieux populaires ne manquent pas de <em>capital moral</em>, de sens du sacrifice, notoirement dans les occasions comme celles-ci. Nous ne sommes rien, soyons tout… Un médecin spécialiste n’a-t-il pas un discours public plus savant et plus habité par le sentiment de son rôle personnel ? Et si, face au Covid-19, les médecins parlent d’une même voix pour le lavage des mains et les gestes barrières, dans la pratique hospitalière ordinaire, les plus instruits ne sont pas ceux qui se lavent le plus souvent les mains (comme je l’ai entendu souvent des infirmières elles-mêmes).</p>
<p>Le sens de l’appartenance de classe est d’ailleurs clivé chez les infirmières : une bonne moitié, comme la majorité des aides-soignantes, se définissant comme salariées et sont plutôt issues d’un milieu populaire. On le voit au travers des pratiques de vote aux élections professionnelles car, si beaucoup ne votent pas, le vote infirmier ne se distingue pas de celui des autres salariées de l’hôpital : il consacre des syndicats généralistes et non des syndicats uniquement infirmiers, <a href="https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2008-1-page-83.htm">qui restent très minoritaires</a>. D’autres infirmières, davantage issues des classes moyennes, se définissent plutôt comme les collaboratrices des médecins. Les identifications des infirmières ont fait l’objet aussi d’une enquête en Suisse, les classant en 4 types clivés hiérarchiquement (<a href="http://wp.unil.ch/infirmieres/author/fbuhlman/">dominantes et dominées médicales, infirmières responsables et hétérodoxes</a>.</p>
<h2>Sous la classe, le genre</h2>
<p>Le souci d’autrui (le <em>care</em> des Anglo-saxons) relève du genre social féminin. Les métiers du <em>care</em> (soin, enseignement, ménage, accouchement, assistance sociale, aide aux personnes âgées, vétérinaires, accueil…) sont surinvestis traditionnellement par des femmes. L’éducation des filles les conduit à embrasser ces carrières plutôt que celles qui mènent à des positions de pouvoir, symbolique ou réel (armée, police, politique, patronat…), davantage convoitées quant à elles par des hommes.</p>
<p>C’est aussi le cas au sein des organisations où les femmes sont majoritaires, à l’hôpital notamment. Alors que le nombre de femmes excède largement le nombre d’hommes en chiffres absolus, y compris dans les positions de pouvoir, le pourcentage d’encadrants masculins (administratifs, paramédicaux ou médicaux) est <a href="https://www.belin-education.com/lhopital-et-ses-acteurs">supérieur au pourcentage d’encadrés masculins</a>.</p>
<h2>Un fort sentiment d’appartenance au collectif de rattachement</h2>
<p>L’emboîtement ne s’arrête pas là, au contraire : si les soignantes s’autodéfinissent peu en termes de classes et de genre, voire se définissent peu en termes sociologiques (auxquels elles préfèrent nettement le vocabulaire psychologique ou médical), leur sentiment d’appartenance est très vif selon les services, c’est-à-dire <a href="https://journals.openedition.org/sdt/23521">selon le collectif opérationnel de rattachement</a>.</p>
<p>Raison pour laquelle il est difficile de mettre en place des logiques transversales, comme celle des équipes mobiles. Autrement dit, selon le type d’unité fréquentée (« neuro », « gastro », « dermato »…), leur identification au « service », à « l’équipe », voire au binôme constitué avec le médecin ou avec l’aide-soignante, sera plus ou moins prononcé.</p>
<p>Ainsi, si peu d’infirmières s’identifient à leur grade professionnel (contrairement aux médecins, dont le « nous » renvoie invariablement à la profession médicale, sauf chez les chefs de service <a href="https://journals.openedition.org/sdt/23521">qui s’identifient au service qu’ils dirigent</a>), elles se sentent membres d’un collectif de travail, où la coopération est intense, reposant étroitement sur la confiance dans l’intervention des autres collègues. Leur identification au collectif est souvent plus fort en réanimation, aux urgences, et surtout, au bloc opératoire.</p>
<p>Le « bloc » crée des fidélités inégalées, il est comme un lieu productif dont sort le « produit » (le malade hospitalisé) qui irrigue tout l’hôpital. Il est un lieu sanctuarisé, où tous ont voix au chapitre : si le chirurgien en est le personnage éminent, il est tout autant le porte-parole du collectif, notamment vis-à-vis de la direction. Il règne souvent au bloc un partage d’informations exemplaire que les autres services lui envient. Chacun y trouve plus facilement sa place, comme ce brancardier itinérant qui se sentait <a href="https://bdsp-ehesp.inist.fr/vibad/index.php?action=getRecordDetail&idt=360937">mieux considéré au bloc que dans tout autre service</a>.</p>
<h2>Religion, politique : des effets limités</h2>
<p>D’autres contextes de collaboration intense peuvent voir le jour et créer ce sentiment d’appartenance : j’ai pu le constater lors de la mobilisation en interne pour l’amélioration de la qualité de soin, dans le cadre de l’accréditation des hôpitaux. Dans le public comme dans le privé, la formation de groupes de référence pour définir les recommandations de bonne pratique soignantes avait pu créer, ici ou là, une sorte d’engouement collectif, de <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2012-3-page-461.htm">« mobilisation consensuelle »</a>.</p>
<p>Les représentations évoluent aussi avec ce type de coopération, à court ou moyen terme. En se prolongeant, elles jettent les bases d’un ciment collectif sur lequel se construisent les coopérations suivantes. Ainsi, ce que l’on appelle les représentations ou les croyances ne sont pas forcément des valeurs agissantes : si l’on ne peut exclure que des croyances politiques, religieuses ou philosophiques animent tout un chacun, l’occasion d’entendre les soignants les invoquer, même sur demande, ou d’en observer les manifestations en pratique, sont plutôt rares à l’hôpital.</p>
<p>La politique est certes une préoccupation, du fait de la forte critique des soignants à l’encontre de la gestion gouvernementale de l’hôpital public. Mais de là à ce que la pratique professionnelle au quotidien découle de considérations politiques, il y a un pas que ne franchissent que des militants ou des personnes ayant été fortement socialisées à la politique.</p>
<p>Idem pour le religieux, dont je n’ai jamais vu trace au travail à l’hôpital public – bien moins que de la xénophobie, de « l’âgisme », ou du sexisme, si l’on peut appeler ces préjugés des croyances. Le religieux représente le passé des religieuses soignantes, un passé mis à distance, avec une admiration mêlée de critique envers la soumission des religieuses aux médecins : « pour lui, on se serait jetées par la fenêtre », disent les anciennes.</p>
<p>Enfin, si l’humanisme peut faire office de référence philosophique partagée, il est frappant de voir comment les soignants ne l’évoquent que rarement, et toujours en termes parcimonieux, gênés et quelque peu stéréotypés. Ainsi, soit l’humanisme soignant n’est pas une croyance agissante, soit il est peu articulé comme discours…</p>
<h2>Les expériences vécues façonnent les représentations</h2>
<p>Il n’en va pas de même avec des représentations issues d’expériences vécues. Au commencement était l’action. Il faut donc distinguer entre des croyances ou des opinions générales et des vérités d’expérience, des représentations pratiques.</p>
<p>Ainsi, différents professionnels, du médecin à l’ouvrier qualifié, sont plus éloquents pour évoquer des expériences professionnelles cruciales, comme la participation à une campagne humanitaire en Afrique, la mobilisation sanitaire lors de la canicule ou d’une tempête… Ainsi, un médecin-chef dans un hôpital militaire de province nous a dit combien son quotidien restait marqué par son expérience dans un corps expéditionnaire dans la « brousse » en Afrique… Ces mobilisations inhabituelles ont forgé leurs représentations au quotidien, même longtemps après – comme sans doute le fera la mobilisation sanitaire contre la pandémie.</p>
<p>Le meilleur exemple précédent est celui de la mobilisation contre le sida. Indiscutablement, ce fut un événement très important dans les services infectieux et il a marqué les esprits de tous ceux qui y ont été confrontés, aides-soignants, infirmiers, médecins en infectiologie ou en psychiatrie… Tous évoquent « la révolution sida », une sorte de Mai 68 pour l’hôpital. Cette période a changé leur conception non seulement des rapports sociaux en interne, mais aussi du rapport à la société. Le sida a sorti la médecine des murs de l’hôpital comme il a transformé les rapports de travail, en instaurant un esprit d’écoute et de collaboration à l’opposé de tout esprit hiérarchique, de toute volonté de créer une distance sociale, de tout rappel à l’ordre hiérarchique et symbolique. Bref, de tout ce qui prévaut traditionnellement dans ces bureaucraties professionnelles que sont les hôpitaux ou les universités.</p>
<p>C’est cet esprit égalitaire que fait revivre la mobilisation sanitaire contre le Covid-19, avec la présence d’une solidarité d’autant plus forte entre les soignants qu’elle est largement partagée avec le reste de la population.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140774/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ivan Sainsaulieu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Lorsqu’on interroge les soignants sur les raisons de leur engagement, la « vocation » est souvent invoquée. Mais les enquêtes sociologiques révèlent d’autres éléments d’explication, parfois intriqués.Ivan Sainsaulieu, Professeur des université - Sociologue, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1374562020-06-07T18:26:29Z2020-06-07T18:26:29ZLes « invisibles » du système de santé au Sénégal<p>La politique sanitaire du Sénégal, comme dans la plupart des pays africains, est basée sur les soins de santé primaires <a href="https://books.openedition.org/pum/8686">définis en 1978 et renforcés en 1987</a> avec la mise en place de la politique de recouvrement des coûts, communément appelée <a href="https://www.health4africa.net/2017/03/initiative-de-bamako-30-ans-deja/">Initiative de Bamako</a> que <a href="https://www.amazon.com/Your-Pocket-What-Cures-You/dp/0813546680">Foley</a> résume très bien en ces termes :</p>
<blockquote>
<p>« En échange de l’accès aux services cliniques de base et aux médicaments génériques, les citoyens de la plupart des pays en développement paient désormais des frais d’utilisation et achètent des médicaments dans les pharmacies de dépôt du poste ou du centre de santé de leur localité. Le recouvrement des coûts s’inscrit dans le nouveau cadre de participation à la santé entre l’État et ses citoyens. »</p>
</blockquote>
<h2>Le rôle prépondérant des agents de santé communautaire</h2>
<p>Ces stratégies visaient à démocratiser l’accès aux soins et consacraient, entre autres, la participation communautaire dans la gestion de la santé. Ce qui a justifié la mise en place des <a href="http://www.sante.gouv.sn/activites/comit%C3%A9s-de-d%C3%A9veloppement-sanitaire-une-nouvelle-fa%C3%A7on-d%E2%80%99administrer-le-syst%C3%A8me-de-sant%C3%A9">comités de santé</a>, devenus depuis 2018 <a href="http://www.sante.gouv.sn/activites/les-comit%C3%A9s-de-gestion-se-muent-en-comit%C3%A9s-de-d%C3%A9veloppement-sanitaire-cds">comités de développement sanitaire</a>. L’étude sur le <a href="https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/abs/2013/02/medsci2013292p216/medsci2013292p216.html">bilan de l’initiative de Bamako</a> montre que ces derniers ont un rôle de cogestion des ressources tirées de prestations offertes par les structures de santé.</p>
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<p>« L’initiative de Bamako a bien effectivement démontré le pouvoir de gestion des comités locaux. L’encaissement du prix des consultations a permis l’approvisionnement en médicaments essentiels, mais les marges bénéficiaires n’ont pas permis de sauvegarder l’accès universel aux soins. Elles ont avant tout servi à attribuer des primes au personnel et à améliorer l’équipement. »</p>
</blockquote>
<p>C’est à la faveur de ces politiques publiques que les agents de santé communautaire vont faire irruption dans le champ de la santé même si des <a href="https://www.persee.fr/doc/sosan_0294-0337_1986_num_4_3_1046">initiatives communautaires</a> de réponse aux <a href="https://www.cairn.info/revue-autrepart-2012-1-page-129.htm">besoins de santé des populations avaient été notées à Pikine en 1967 et à Kaolack en 1975</a>. En réalité, ces comités de santé, qui vont être institutionnalisés et mis en place dans toutes les structures de santé, avaient également pour mission de recruter du personnel, dit de soutien, chargé de la vente des tickets et de médicaments dans les pharmacies de dépôt, du nettoyage et du gardiennage. Ces agents vont très vite déborder de leurs champs d’action pour s’inscrire dans les interstices, ces espaces de soins délaissés par les personnels de santé qualifiés.</p>
<p>Ce personnel qualifié est de plus en plus engagé dans des tâches administratives et des règles bureaucratiques qu’impose la verticalité des programmes nationaux de santé dont les centres de santé constituent le niveau opérationnel, la « clé de voute » du système. Ces centres de santé sont composés par des postes de santé dirigés par un infirmier-chef de poste et des cases de santé, confiées aux agents de santé communautaires. En responsabilisant l’infirmier au niveau périphérique (administration, soins curatifs, promotion de la santé) et en valorisant la participation communautaire, la décentralisation du système sanitaire a renforcé la présence de ces agents. Compte tenu de la charge de travail qui leur revenait de fait, il a été décidé de leur confier les soins curatifs primaires et de recruter des <a href="https://www.cairn.info/revue-autrepart-2012-1-page-129.htm">relais communautaires et autres médiateurs pour les activités de promotion de la santé</a> (visites à domicile, sensibilisation, mobilisation communautaire)</p>
<h2>Les agents de santé, des soignants malgré tout</h2>
<p>Ce principe de délégation des tâches va permettre aux agents de santé communautaire de prendre en charge des activités de soins dévalorisées ou délaissées, par exemple la prise en charge de la tuberculose, la vaccination ou selon les contextes socioculturels, des activités de soins perçues comme réservées aux femmes : le service de maternité (accouchements, consultation pré et post natale, etc.), pour se positionner et acquérir une certaine légitimité, en se formant sur le tas. De plus, toujours selon ce principe de délégation des tâches sur lequel <a href="https://www.researchgate.net/publication/260041356_Une_medecine_inhospitaliere_Les_difficiles_relations_entre_soignants_et_soignes_dans_cinq_capitales_d%E2%80%99Afrique_de_l%E2%80%99Ouest">repose</a> le « fonctionnement pour de vrai », des structures de santé, on assiste à un <a href="https://journals.openedition.org/etudesafricaines/6861">brouillage des normes et règles de fonctionnement</a>, une redéfinition des statuts et des fonctions avec comme conséquence des gestes techniques vidés de leurs sens et une hiérarchie tirée vers le bas. Ce personnel non qualifié composé essentiellement d’agents de santé communautaire s’investit ainsi dans les activités de soins au même titre que les soignants.</p>
<h2>La remise en cause</h2>
<p>La gestion actuelle de l’épidémie de Covid-19 au Sénégal vient remettre en cause <a href="http://www.sante.gouv.sn/sites/default/files/planssantcomun.pdf">deux éléments fondamentaux du système sanitaire</a> (MSAS, 2014) : le principe de démocratie sanitaire, avec une hypercentralité des tests de diagnostic et de la prise en charge ; et l’implication des agents communautaires de santé dans les activités de soins au niveau le plus décentralisé, dans un contexte marqué par l’insuffisance et l’inégale répartition des ressources humaines qualifiées. Il est apparu que les agents de santé communautaire dont les « rémunérations » sont tirées des recettes des structures de santé restent des exclus du système. <a href="http://www.theses.fr/2007EHES0278">Ceux-là qui disent « tout faire »</a> ; ceux-là qui « s’occupent des consultations, prennent des tours de garde, remplacent les infirmiers et autres personnels qualifiés absents ou débordés, responsables de services dans les postes de santé, etc. » sont les oubliés du <a href="https://299e37e9-6f1b-4f73-9a25-e2bca2f000a4.filesusr.com/ugd/badddc_abacd6aad6ed45519e6d14570ed28ee7.pdf">plan de préparation et de réponse en cas d’épidémie du nouveau coronavirus-Covid 19</a> ainsi que du <a href="https://299e37e9-6f1b-4f73-9a25-e2bca2f000a4.filesusr.com/ugd/badddc_228edc44d26d4c77b0be3a0860603922.pdf">plan de contingence économique et sociale</a>. Ils sont les « invisibles » du système.</p>
<p><a href="http://www.medianet.sn/index.php/2020/04/23/dr-ibrahima-tito-tamba-a-macky/">Selon un médecin, chef de centre de santé</a>, il est proposé une « motivation » de 50 000 francs CFA aux médecins et de 30 000 francs CFA par mois pendant six mois aux infirmiers engagés dans la prise en charge du Covid-19. On peut alors craindre une désaffection des structures périphériques de santé par les agents communautaires qui vont assurer la continuité des services de soins au moment où le risque de contamination est réel du fait du nombre de cas qui se multiplient.</p>
<p>Au-delà de la motivation financière, ils ne sont pas concernés par les formations (sur la détection des cas, la manipulation des équipements de protection) qui ne sont destinées qu’aux personnels qualifiés (parmi les personnes décédées à ce jour, quatre se sont rendues, au moins une fois, dans une structure de santé sans que le diagnostic de Covid-19 n’ait été posé). Les équipements de protection iront prioritairement à ceux qui sont jugés plus exposés : les médecins et infirmiers, oubliant ceux qui accueillent, reçoivent, orientent et parfois traitent les communautés. Aujourd’hui, sait-on combien de soignants sont contaminés ? Combien d’agents de santé communautaires sont concernés ?</p>
<h2>Que nous apprend la pandémie sur la précarité dans les systèmes sanitaires ?</h2>
<p>L’épidémie de Covid-19 révèle certes les inégalités structurelles (manque de reconnaissance, insuffisance et inégale répartition des ressources matérielles, etc.) entre soignants. Mais, plus encore, elle met à nu la précarité sociale et sanitaire, des agents de santé communautaire qui sont les acteurs de la démocratie sanitaire.</p>
<p>Il est temps, plus que jamais, avec l’augmentation du nombre des cas positifs – 3 789 cas et 42 décès – de penser les stratégies de prise en charge et de réponse à la crise sanitaire en fonction de la réalité des contextes des structures de santé, des normes pratiques en cours dans les structures de santé et de l’implication particulière de tout agent engagé dans la santé des plus pauvres.</p>
<p>Il s’agit là d’une question de justice sociale et d’équité dans le traitement des soignants. De plus, pour une détection précoce des cas, pour la surveillance des « cas contacts » et même pour le traitement des malades qui ne présentent pas des signes graves, les agents de santé communautaire, du fait de leur proximité avec les populations et de leurs savoirs expérientiels, pourraient constituer un atout pour la décentralisation de la prise en charge du Covid-19.</p>
<p>Plus que le manque de résilience ou la défaillance des systèmes de santé africains face aux urgences sanitaires, l’épidémie montre les tares d’une gouvernance sanitaire extravertie et dépendante des politiques internationales et des <a href="https://www.researchgate.net/publication/328412798_Les_modeles_voyageurs_a_l%E2%80%99epreuve_des_contextes_et_des_normes_pratiques_le_cas_de_la_sante_maternelle">« modèles voyageurs »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137456/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fatoumata Hane ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Bien que les agents de santé communautaires jouent un rôle de premier plan dans le système de santé au Sénégal, ils sont les grands oubliés de la gestion du Covid-19.Fatoumata Hane, Socio-anthropologue, Université Assane Seck de ZiguinchorLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.