tag:theconversation.com,2011:/global/topics/viol-22174/articlesviol – The Conversation2024-03-21T15:42:38Ztag:theconversation.com,2011:article/2260942024-03-21T15:42:38Z2024-03-21T15:42:38Z#MeTooGarçons : « 80% des violences ont lieu ou commencent avant l’âge de 18 ans »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583163/original/file-20240320-30-k0hlnv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C28%2C4790%2C3491&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Selon les chiffres de l'enquête Virage (2015) au cours de leur vie, 3,9 % des hommes interrogés ont subi des violences sexuelles, contre 14,5 % des femmes</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/silhouette-de-l-homme-448834/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Les comédiens <a href="https://www.france24.com/fr/france/20240227-metoogar%C3%A7ons-les-hommes-victimes-minoritaires-en-chiffres-et-minor%C3%A9s-dans-leurs-traumatismes-violences-agressions-sexuelles-tabou">Aurélien Wiick</a> puis Francis Renaud ont récemment révélé les abus à caractère sexuel dont ils auraient victimes plus jeunes de la part de réalisateurs ou producteurs de <a href="https://theconversation.com/la-face-cachee-de-lexception-culturelle-francaise-un-cinema-dauteur-au-dessus-des-lois-224003">cinéma</a>, donnant lieu à la première vague <a href="https://www.lefigaro.fr/cinema/metoogarcons-accuse-d-agressions-sexuelles-par-deux-hommes-dominique-besnehard-se-defend-20240302">#MeTooGarçons en France</a>.
Cette récente prise de parole s’inscrit dans un <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-familiales-la-triste-realite-des-donnees-154492">phénomène de plus grande ampleur</a> dénonçant les <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-sur-mineurs-pourquoi-la-question-dun-age-legal-de-consentement-fait-debat-153987">violences et agressions sexuelles commises sur mineurs</a>. La sociologue Lucie Wicky, doctorante à l’EHESS et l’Ined, interroge la spécificité des violences sexuelles subies par les hommes. Ses premiers résultats de recherche questionnent la conception même de l’enfance et de son statut dans la société.</em></p>
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<h2>Vous êtes la première chercheuse en France à vous intéresser en détail aux violences sexuelles commises sur des hommes. Comment avez-vous travaillé ?</h2>
<p>J’ai mobilisé <a href="https://virage.site.ined.fr/">l’enquête Virage, conduite en 2015 par l’Ined</a>, qui est la dernière grande enquête probabiliste de ce type en France, portant sur plus de 27,000 répondants (questionnaire téléphonique) de 20 à 69 ans vivant en France métropolitaine. On estime que l’échantillon est représentatif et la méthodologie – proche de la première enquête sur les violences envers les femmes qui date d’il y a 25 ans <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/docs/violences-envers-les-femmes-et-etat-de-sante-mentale-resultats-de-l-enquete-enveff-2000">(Enveff, 2000)</a> – intègre la question des violences subies sur les douze derniers mois ainsi que tout au long de la vie.</p>
<p>L’enquête interroge des éléments biographiques, traite les violences des plus énonciables aux plus intimes (psychologique, physique puis sexuelle) en investissant aussi bien les espaces de vie considérés comme publics (milieu scolaire, professionnel, espaces publics) que privés (couple, ancienne relation, famille et entourage). La méthodologie est très spécifique dans ce type d’enquêtes : les questionnaires ne mobilisent pas les termes de « violences » ou « viols », empreints de lourdes représentations, mais listent plutôt des faits et laissent à chaque répondant la possibilité de répondre par oui ou non, car beaucoup d’enquêtés n’ont pas identifié les violences comme telles.</p>
<p>Je me suis aussi appuyée sur l’enquête « Contexte de la sexualité en France » qui <a href="https://www.ined.fr/fichier/rte/2/Publications/Autres/CSF-dossierdepresse0307.pdf">date de 2006</a> pour explorer le rapport aux normes de genre et de sexualité des hommes qui ont déclaré des violences. Enfin, j’ai réalisé 50 entretiens biographiques avec des hommes qui avaient déclaré des violences sexuelles dans le cadre de l’enquête Virage et accepté un entretien complémentaire. J’ai aussi interrogé 10 femmes pour avoir un point de comparaison.</p>
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<figcaption><span class="caption">#MeTooGarçons, témoignage de l’acteur Aurélien Wiick (<em>C hebdo</em>, février 2024).</span></figcaption>
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<p>Il existe assez peu de données plus récentes du fait de l’investissement que ce type d’enquêtes nécessite, ce qui en dit aussi long sur la prise en compte de ces violences et de leurs poids par les pouvoirs publics. Les enquêtes de <a href="https://mobile.interieur.gouv.fr/Interstats/Sources-et-methodes-statistiques/Glossaire/Victimation">victimation du ministère</a> ou les sources judiciaires ne sont pas toujours fiables car les dépôts de plaintes et leur suivi ne sont pas représentatifs : peu de victimes déposent plainte et ces dernières ne donnent pas toujours lieu à des poursuites.</p>
<p>J’émets d’ailleurs l’hypothèse qu’avec l’émergence des mouvements #MeToo et une <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-contre-les-hommes-une-prise-de-conscience-progressive-57325">certaine prise de conscience sociétale</a> vis-à-vis de ces violences, les chiffres seraient plus importants si l’enquête était reproduite aujourd’hui. Les différentes vagues du mouvement ont certainement participé à la prise de conscience des violences subies par les victimes elles-mêmes. Une partie de mes recherches se concentre justement sur cette question de la qualification des violences comme telles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lopera-un-univers-propice-aux-violences-sexistes-et-sexuelles-222421">L’opéra, un univers propice aux violences sexistes et sexuelles ?</a>
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<h2>Dans quel sens ?</h2>
<p><a href="https://www.ined.fr/fr/recherche/chercheurs/Wicky+Lucie">Ma thèse</a> porte sur les violences subies par les hommes à différents moments de leur vie, enfants, adolescents ou adultes, et la façon dont ils les qualifient et les énoncent. En réalisant les entretiens, je me suis rendue compte que certains enquêtés ont du mal à qualifier de « violence sexuelle » les faits subis, et plus spécifiquement lorsque ces derniers ont été commis à l’adolescence ou à l’âge adulte.</p>
<p>En revanche, lorsque les faits sont survenus à l’enfance (principalement avant 11 ans), ils expriment plus « facilement » les choses une fois les faits qualifiés. Beaucoup parlent d’ailleurs des faits à la troisième personne pour les mettre à distance. La majorité décrit des violences sexuelles commises par d’autres hommes, généralement des adultes, toujours en situation de domination.</p>
<p>Cela m’a amené à retravailler la définition même de violence de genre et j’assume de requalifier certains faits décrits par les enquêtés comme étant des agressions sexuelles même lorsque ces derniers ne l’énoncent pas de cette façon. Leurs récits décrivent des pratiques sexuelles contraintes par des rapports de domination interactionnels et structurels, autrement dit, des dominations liées aux rapports de pouvoir : genre, statut social, âge, etc.</p>
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<p>Ce qui m’a aussi frappé, c’est l’intérêt public centré sur les faits en termes de gradation allant des attouchements aux viols, <a href="https://theses.fr/2011IEPP007">dans un carcan juridique plutôt hétéronormé</a> – c’est-à-dire où l’hétérosexualité est la norme – mais qui ne reflète pas forcément le ressenti et la gravité perçue. Ainsi, pour beaucoup d’enquêtés, c’est bien l’exposition aux violences par la répétition, la durée, leur fréquence, l’environnement, la proximité avec l’auteur – sans forcément qu’il y ait systématiquement violences avec pénétration – qui influence le sentiment de gravité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/culture-pornographique-et-tele-realite-quand-linceste-envahit-nos-ecrans-220437">Culture pornographique et télé-réalité : quand l’inceste envahit nos écrans</a>
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<h2>Comment expliquez-vous ce phénomène de « silenciation » et non de tabou que vous décrivez dans vos travaux ?</h2>
<p>Il faut distinguer « silenciation » et tabou. D’une part, les hommes ayant subi des violences sexuelles évoquent surtout des faits commis durant l’enfance et l’adolescence (80 % des violences sexuelles déclarées ont lieu ou ont commencé avant l’âge de 18 ans), moins une fois adultes. Pour les femmes, ce sont des violences qui existent et perdurent tout au long de la vie. Et quand elles déposent plainte, comme le montrait récemment une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1748895819863095">enquête parue au Royaume-Uni en 2019</a>, leurs paroles sont moins prises en compte que les hommes, pour qui la plainte mène plus souvent au procès.</p>
<p>Comme les femmes, les hommes parlent rarement de ces violences subies enfants, mais plutôt adultes. Toutefois, contrairement aux femmes, leur parole est plus facilement prise au sérieux lorsqu’ils énoncent les violences, ils sont plus soutenus par leurs proches, sauf lorsqu’ils sont homosexuels. Dans ces cas-là, comme pour les femmes, on leur incombe la responsabilité de leur agression, comme si leurs corps étaient, de fait, sexualisés, et on les rappelle à l’ordre hétérosexuel en les responsabilisant des violences sexuelles qu’ils ont subies. Autrement dit, la société considère que les « hommes sont des enfants avant 11 ans, alors que les femmes sont des “filles” quel que soit leur âge aux violences », sauf s’ils s’identifient comme gays.</p>
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<figcaption><span class="caption">Anne-Claude Ambroise-Rendu, « L’histoire de la reconnaissance de l’inceste subi par les garçons », 2022.</span></figcaption>
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<p>Mais le dénominateur commun est bien que tous et toutes ont été agressés principalement par des hommes (adultes, parfois mineurs eux aussi, d’après les entretiens ils sont toujours plus âgés que les victimes mais les données ne permettent pas d’être aussi précis). À partir de là, je ne pense pas qu’on puisse parler de tabou mais en revanche on peut parler de silenciation.</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/popvuln/4281">D’après mes résultats</a>, ces pratiques opèrent à différents niveaux. Structurellement tout d’abord, avec par exemple la création tardive d’un numéro, le <a href="https://www.allo119.gouv.fr/presentation">119</a>, gratuit depuis 2003, <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2013-1-page-16.htm">mais aussi des signalements</a> qui n’aboutissent pas et des <a href="https://www.cairn.info/viol--9782724624007.htm">plaintes qui ne donnent rien</a>.</p>
<p>Tout concourt à rappeler aux victimes que leurs récits n’aboutiront pas à des actes ou une répression des violences. Ces pratiques structurelles imprègnent l’institution familiale : lorsqu’il y a violence, on n’en parle pas, on ne réagit pas. Et bien sûr il y a le niveau de silenciation imposé par le ou les auteurs des faits. Très souvent ces derniers sont minorés ou intériorisés comme étant « normaux », y compris par les auteurs qui vont parler d’« initiation » à la sexualité ou de « jeux » par exemple.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inceste-la-fin-dun-tabou-politique-153666">Inceste : la fin d’un tabou politique ?</a>
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<h2>Comment expliquer qu’aujourd’hui il existe une prise de parole aussi importante ?</h2>
<p>Je montre que ces violences sont tributaires d’un rapport de domination lié à l’âge, social ou biologique, mais aussi générationnel. Il y a eu plusieurs événements qui ont aidé à prendre la parole publiquement ; les premiers témoignages d’inceste de femmes dans les années 1980, avec le témoignage marquant d’<a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/l-incroyable-temoignage-d-eva-thomas-victime-d-inceste-vous-avez-eu-une-belle-histoire-d-amour-avec-votre-pere-vous-pourriez-etre-contente-2515632.html">Eva Thomas en 1986</a>, premier témoignage à visage découvert, puis les <a href="https://www.fayard.fr/livre/histoire-de-la-pedophilie-9782213672328/ie-9782213672328/">affaires de pédocriminalité</a> dans les années 1990 où l’on voit émerger une certaine parole des hommes. <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2010-3-page-12.htm">L’affaire Outreau</a> en revanche a eu des conséquences lourdes quant à la prise en compte de la parole des enfants, <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2016-2-page-59.htm">dans les années 2000</a>.</p>
<p>Je fais l’hypothèse que les années 2010/2015 marquent un tournant, avec la constitution d’associations comme <a href="https://colosse.fr/">Colosse pied d’argile</a> dans le rugby ou <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/rhone/lyon/a-lyon-la-parole-liberee-tourne-la-page-et-publie-un-livre-blanc-2010217.html">La Parole Libérée</a> dénonçant le silence dans l’Église et à l’origine de l’affaire Philippe Barbarin par exemple. Les violences sont dénoncées par « secteurs » où elles s’exercent : le sport, l’Église, la famille (avec <a href="https://www.liberation.fr/societe/familles/metooinceste-depuis-deux-ans-des-temoignages-par-milliers-et-des-enseignements-tires-20230921_UKJHZLZFWNDDRPS4PM3BHNX3Q4/">#MeTooInceste</a> par exemple), etc.</p>
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<figcaption><span class="caption">Association Colosse Pied d’Argile, présentation, YouTube.</span></figcaption>
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<p>L’émergence des réseaux sociaux constitue de nouveaux espaces de prise de parole pour les hommes comme pour les femmes. Ces effets sociohistoriques et ceux de la légitimation de la parole impulsée plutôt par des personnalités, produit aujourd’hui une prise de parole plus importante que dans le passé, qui amène à une certaine visibilité, associée à une partielle prise de conscience sociale de la réalité des violences sexuelles, pourtant observée et décrite de longue date.</p>
<p>C’est là où l’effet générationnel joue aussi un rôle : les hommes ayant grandi dans les années 1950, jusqu’aux années 1980 environ, ont vécu dans l’idée qu’un enfant se tait et que sa parole n’a pas d’importance. À table, en public, avec les adultes… Un enfant ne parle pas, dans sa famille comme dans l’espace public.</p>
<p>La domination masculine et adulte s’illustre ici à travers la figure de l’homme tout puissant, le « chef de famille » au rôle hégémonique au sein du foyer. Ce dernier ne laisse alors pas d’espaces de parole possibles. C’était aussi constitutif de la façon dont on envisageait les masculinités, valorisée à travers une certaine forme de violence dans le passé, moins aujourd’hui. C’est d’ailleurs aussi pour cela que des hommes ayant subi des violences après le début de leur construction de genre – à l’adolescence ou jeune adulte – ont du mal à s’envisager comme victimes.</p>
<h2>Comment analysez-vous ces changements d’époque ?</h2>
<p>Mon travail de recherche questionne en filigrane le concept de l’enfance qui a été longtemps dominant : celui où la hiérarchie sociale et les besoins des adultes passent avant ceux des enfants.</p>
<p>La parole de ces derniers est déconsidérée, silenciée et leur corps n’est pas respecté. Quand on force un enfant à faire un bisou à un adulte, quand on le contraint physiquement, on lui rappelle que l’adulte a le contrôle de son corps, et que son corps ne lui appartient pas.</p>
<p>Or, ne pas parler aux enfants, ne pas leur apprendre que leur corps est à eux, ne pas prendre en compte leur parole, leur mobilisation (pensons aux <a href="https://basta.media/Mobilisation-reprimee-dans-les-lycees-et-facs-Une-volonte-de-museler-la-jeunesse-par-la-violence">grèves lycéennes</a> par exemple et la forte répression en réponse) entrave leur compréhension de la violence mais aussi leur autonomie et façonne ainsi leur mise en vulnérabilité.</p>
<p>Peut-être doit-on aujourd’hui repenser le <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2023-3-page-14.htm">statut de mineur</a> et ce qu’il recouvre pour mieux protéger les enfants – et peut-être aussi envisager de les <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2020-1-page-106.htm">laisser se protéger eux-mêmes</a>.</p>
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<p><em>Propos recueillis par Clea Chakraverty.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226094/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucie Wicky a reçu des financements de l'Ined et l'Université de Strasbourg. </span></em></p>Les violences sexuelles à l’encontre des garçons relèvent de rapports de domination liés au genre, à l’âge mais aussi un effet générationnel, englobant une vision spécifique des enfants.Lucie Wicky, Doctorante, EHESS, Ined, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204822024-01-08T17:06:37Z2024-01-08T17:06:37ZAffaire Depardieu : « En France, il existe une immunité spécifique liée au culte du monstre sacré »<p><em>Professeure en esthétique et politique des arts vivants, Bérénice Hamidi est enseignante-chercheuse à l’Université Lumière Lyon 2. Elle nous livre aujourd’hui son analyse sur les freins à la reconnaissance des violences sexistes et sexuelles dans le milieu artistique français.</em></p>
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<p><strong>Est-ce un hasard si le mouvement #MeToo a débuté dans le milieu du cinéma ?</strong></p>
<p><strong>Bérénice Hamidi</strong> : Ce n’est pas du tout un hasard si le mouvement #MeToo a débuté dans le milieu du cinéma. La notoriété et l’accès aux médias des personnes qui ont dit publiquement avoir été victime ont beaucoup participé à la visibilité du hashtag #MeToo. Si les milieux artistiques, et celui du cinéma en particulier, sont surexposés aux violences sexistes et sexuelles, c’est d’abord parce qu’une grande précarité touche les acteurs et actrices qui sont de facto, lorsqu’ils et elles cherchent à être retenus pour un film, dans un rapport de dominé/dominant avec les producteurs et réalisateurs.</p>
<p>On observe aussi dans ces milieux une forte confusion entre les procédures de sélection et des dynamiques de séduction, et de plus, les connexions physiques et psychiques sont au cœur des processus de travail. Autre facteur de risque, ces milieux se voient peu comme des mondes du travail, et donc les usages habituels du droit de travail peinent à s’appliquer aussi bien du côté des victimes que des personnes qui commettent ces agressions. Tous ces facteurs, qui se cumulent et font système, expliquent que le cinéma, et plus largement les secteurs professionnels artistiques, sont fortement exposés aux violences sexuelles et qu’elles y sont plus impunies qu’ailleurs.</p>
<p><strong>Comment réagissez-vous au statut de « monstre sacré » ? Est-ce qu’en France il y a des personnes intouchables ?</strong></p>
<p><strong>B.H.</strong> : Il faut rappeler qu’avant tout, ces « monstres sacrés » sont des hommes de pouvoir qui cumulent un fort capital économique, symbolique, social, culturel et médiatique. Parmi les personnes qui disent ne pas avoir vu leurs actes, qui les minimisent voire qui les défendent, un certain nombre le fait aussi par peur d’être à leur tour blacklistées, exclues, comme les victimes le sont.</p>
<p>Les artistes auteurs de violence bénéficient également de l’« himpathy », cette empathie pour les hommes qui agressent, que la philosophe australienne Kate Manne a bien analysée. Dans nos sociétés encore largement sexistes, car structurées par des valeurs patriarcales, on autorise les hommes, ou plutôt les hommes qui honorent le « mandat masculin » consistant à conquérir et dominer socialement, à exercer des formes de violence à l’égard des personnes et groupes en position dominée, en particulier les femmes. Cette autorisation sociale, le plus souvent inconsciente, passe par un refus collectif de croire qu’ils puissent commettre des violences et, quand ce n’est plus possible, par une tendance à euphémiser leurs actes et à les excuser au motif qu’ils seraient victimes de leur propre violence. Ces hommes captent donc l’empathie sociale dont les victimes sont pour leur part privées.</p>
<p>Mais, si le cinéma est particulièrement touché par ce phénomène, c’est aussi parce que les acteurs bénéficient d’une empathie spécifique, qui vient renforcer cette culture de l’excuse. Elle tient au fait que règne encore l’idée que la création artistique serait le fruit d’une connexion aux forces obscures de l’âme humaine, que les artistes auraient besoin de souffrance et de violence pour créer, ce qui vient redoubler une croyance encore prédominante dans notre société encore imbibée par la culture du viol, qui voudrait que l’amour fasse mal et que le sexe et le désir aient forcément partie liée avec la violence et la mort. Exemple frappant, les <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/commerce/luxe/johnny-depp-signe-un-contrat-dun-montant-record-avec-dior-en-tant-quegerie-masculine-b7a972f4-f322-11ed-91b9-949f1ff48cf9">ventes du parfum Sauvage ont augmenté</a> depuis les accusations de violences conjugales à l’encontre de son égérie, Johnny Depp. Les images du poète maudit, du bad boy, sont encore trop souvent glamourisées et représentées comme des figures d’hommes désirables.</p>
<p>En France, il existe enfin une immunité spécifique liée au culte de ces figures de l’artiste maudit et du monstre sacré. L’idée est la même : il faut transgresser pour créer, mais s’ajoute la croyance que les lois ordinaires qui valent pour le commun des mortels ne sauraient s’appliquer aux Grands Hommes, ces hommes extraordinaires. Cette idée s’est exprimée dans l’affaire Depardieu à travers certains témoignages, avec la formule rapportée dans l’article de Médiapart « ça va, c’est Gérard » ou dans le discours du Président de la République : « Depardieu c’est Cyrano […] c’est la fierté française ». L’échelle de valeurs est claire : la vie des femmes ne vaut rien face au talent d’un génie. Mais il y a autre chose, aussi, dans ce discours, presque une forme de transfiguration de ces personnes réelles en personnages hors de la réalité, et selon cette logique, ces êtres de fiction ne sauraient être soumis au système judiciaire qui vaut pour les personnes réelles.</p>
<p><strong>Est-ce que cette reconnaissance des violences sexistes et sexuelles est une question de génération ?</strong></p>
<p><strong>B.H.</strong> : Je suis assez nuancée sur cette question. D’abord, parce qu’il y a parmi les dénonciateurs de violences des femmes de plus de cinquante ans, qui payent un lourd tribut, qu’il s’agisse d’anonymes, de victimes ou d’actrices connues.</p>
<p>Ensuite, parmi les personnes qui soutiennent les agresseurs de façon systématique, on retrouve toutes les catégories d’âges. Le dernier <a href="https://haut-conseil-egalite.gouv.fr/stereotypes-et-roles-sociaux/travaux-du-hce/article/rapport-2023-sur-l-etat-du-sexisme-en-france-le-sexisme-perdure-et-ses">rapport sur l’état du sexisme en France en 2023</a> invite d’ailleurs à un certain pessimisme puisque les hommes qui ont aujourd’hui entre 18 et 25 ans sont plus nombreux que leurs aînés à penser que quand une femme dit « non », elle pense « oui ». Il ne faut donc pas tout attendre des nouvelles générations car le cœur du problème c’est la culture du viol, et tant qu’elle reste la culture hégémonique dans laquelle nous vivons toutes et tous, elle continuera à se transmettre génération après génération.</p>
<p><strong>Justement, comment peut-on définir cette notion de culture du viol ?</strong></p>
<p>Cette notion, élaborée par des chercheuses nord-américaines dès les années 1970 (Noreen Connell et Cassandra Wilson, Rape : the first sourcebook for women, New American Library, 1974), est aujourd’hui mobilisée par des acteurs publics dans différents pays ainsi que par des organisations internationales comme la commission <a href="https://www.unwomen.org/fr/news/stories/2019/11/compilation-ways-you-can-stand-against-rape-culture">« condition de la femme » de l’ONU</a>.</p>
<p>Elle se caractérise avant tout par un refus de voir le caractère massif et systémique des violences sexuelles, structurellement subies par les femmes et les enfants et structurellement commises par les hommes. Cette phrase choque et parait difficile à croire. Pourtant, quelques chiffres suffisent à la prouver de manière difficilement discutable :</p>
<ul>
<li><p>en 2017, <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-faites-aux-femmes/reperes-statistiques/">219 000 femmes majeures</a> déclarent avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint sur une année.</p></li>
<li><p>« En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui au cours d’une année sont victimes de viols et/ou de tentatives de viol <a href="https://arretonslesviolences.gouv.fr/je-suis-professionnel/chiffres-de-reference-violences-faites-aux-femmes">est estimé à 94 000 femmes</a>. De la même manière que pour les chiffres des violences au sein du couple présentés ci-dessus, il s’agit d’une estimation minimale. Dans 91 % des cas, ces agressions ont été perpétrées par une personne connue de la victime. Dans 47 % des cas, c’est le conjoint ou l’ex-conjoint qui est l’auteur des faits. »</p></li>
<li><p>s’agissant des enfants, « <a href="https://www.ciivise.fr/le-rapport-public-de-la-ciivise/">60 000 enfants sont victimes</a> de violences sexuelles chaque année, 5,4 millions de femmes et d’hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance, l’impunité des agresseurs et l’absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d’euros chaque année en dépenses publiques.>></p></li>
<li><p>Du point de vue des auteurs des actes, il s’agit dans l’immense majorité des cas d’hommes : <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-faites-aux-femmes/reperes-statistiques/">91 % des personnes mises en cause pour des actes sexistes</a> (allant de l’outrage sexiste jusqu’au viol) sont des hommes.</p></li>
</ul>
<p>Il y a donc un décrochage énorme entre nos représentations et la réalité statistique. L’image la plus répandue du viol est celle d’un acte sauvage commis par un individu sanguinaire au fond d’un parking. Cette image est à la fois repoussante et rassurante, parce qu’elle exotise le viol comme un fait extraordinaire qui ne nous regarde pas (on ne connaît ni la victime ni l’agresseur) et qui ne nous concerne pas (on n’a rien fait – de mal – et on ne peut rien faire – donc on n’a pas à se reprocher notre inaction). La réalité statistique est bien différente : le viol est le plus souvent le fait d’un <a href="https://www.slate.fr/story/200742/violences-sexuelles-familiales-inceste-enfants-realite-donnees-chiffres-france">proche issu du cercle familial, affectif ou social</a>, ce qui fait que nous connaissons tous des victimes mais aussi des agresseurs, autrement dit, nous sommes directement impliqués dans la scène des violences et cela devrait nous impliquer directement dans la lutte contre ces violences.</p>
<p>La culture du viol n’est pas qu’une culture du déni, c’est aussi une culture de la normalisation de formes de violence des hommes à l’égard des femmes qui vont de formes d’humour humiliantes jusqu’aux féminicides. Toutes les personnes qui travaillent sur les violences de genre utilisent la notion indispensable de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/12/dans-l-intention-de-rabaisser-et-de-controler-les-femmes-un-continuum-de-violences_6145482_3232.html">continuum sexiste</a>, qui va des faits les plus spectaculaires que sont les féminicides et les viols, jusqu’aux stéréotypes sexistes. La culture du viol est une culture de l’euphémisation et de la déformation des faits de violences sexuelles (dire « main baladeuse » pour parler de ce qui est qualifiable par le droit comme une agression sexuelle ou parler de « drague lourde » au lieu d’outrage sexiste, un autre délit).</p>
<p>Le caractère systémique des violences, prouvé par les statistiques, s’explique en grande partie par ces représentations mentales que l’on peut synthétiser via l’expression culture du viol. Or, ces représentations mentales sont largement conditionnées par nos représentations culturelles, et particulièrement par la valorisation de l’asymétrie et des rapports de pouvoir, qui restent au cœur des scénarios de séduction et de relation amoureuses diffusés dans les œuvres, qu’il s’agisse de la pop culture ou du patrimoine classique, littéraire, pictural, cinématographique. Même les comédies romantiques perpétuent la culture du viol avec le schéma de l’homme qui conquiert et de la femme qui cède du terrain, la résolution de l’intrigue étant qu’elle finit par dire oui après avoir longtemps dit non. Changer nos représentations est donc essentiel, à la fois pour comprendre les défauts de prise en charge institutionnelle des violences sexistes et sexuelles, tant sur le plan juridique que judiciaire, thérapeutique et social, mais aussi pour espérer les améliorer. C’est cette articulation que la juriste Gaëlle Marti et moi avons mise au cœur du <a href="https://passagesxx-xxi.univ-lyon2.fr/activites/archives-des-manifestations/colloque-repair-violences-sexuelles-">programme de recherche-création interdisciplinaire REPAIR</a> « violences sexuelles : changer les représentations, repenser les prises en charge », qui se déploie aussi sous la forme <a href="https://www.pointdujourtheatre.fr/saison/notre-proces">d’un procès fictif sur la culture du viol</a>.</p>
<p><strong>Le théâtre est-il aussi perméable que le cinéma face aux violences sexistes et sexuelles ?</strong></p>
<p><strong>B.H.</strong> : Le secteur du théâtre public est tout autant surexposé que celui du cinéma, et il n’existe aucune plus-value éthique ou déontologique au fait qu’il relève d’une <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjjvo2wwMODAxXBRKQEHc5qA5gQFnoECA0QAw&url=https%3A%2F%2Fwww.culture.gouv.fr%2Ffr%2FMedia%2FMissions%2Frapport-financement-du-spectacle-vivant.pdf&usg=AOvVaw3fO4xAJrLJHBNALYaE19MO&opi=89978449">économie largement subventionnée</a> et dont on pourrait attendre que la législation soit d’autant plus rigoureuse puisqu’il s’agit d’argent public, qui n’est pas censé servir des pratiques discriminatoires. On y retrouve exactement les mêmes mécanismes évoqués concernant la surreprésentation des violences sexistes et sexuelles et cette même réticence à leur reconnaissance.</p>
<p><strong>Quelles sont les réponses des institutions culturelles aujourd’hui en France ? Sont-elles suffisantes ? ?</strong></p>
<p>Les choses sont quand même en train de changer dans les milieux artistiques depuis quelques années, du fait d’un certain volontarisme étatique et de certaines organisations professionnelles, qui aboutit à la mise en place de chartes, de cellules d’écoute, ou encore à la création du métier de <a href="https://www.cnc.fr/cinema/actualites/decryptage--questce-que-la-coordination-dintimite_2066812">coordinateur d’intimité</a>, encore très timide en France, mais qui s’est beaucoup développé aux États-Unis.</p>
<p>Il existe donc désormais toute une série d’outils. Mais ils ne suffisent pas en soi : il faut en utiliser plusieurs à la fois et surtout, il manque encore souvent une volonté sincère de les utiliser. Si je prends l’exemple des chartes et des cellules d’écoute, elles sont mises en place par les directeurs de lieux de production/diffusion ou d’écoles d’art parce qu’elles leur sont imposées, et ils n’y voient comme seul intérêt que la protection juridique de leur institution, parce qu’un élève ou un employé victime d’une agression pourrait se retourner non seulement contre son agresseur mais aussi contre l’institution qui aurait manqué à son devoir de protection.</p>
<p>Les cellules d’écoute servent trop souvent à externaliser le problème. Quant aux chartes, il y a parfois un discours d’invalidation par les instances qui les ont mises en place. Ce paradoxe vient du fait que les personnes qui aujourd’hui dirigent les institutions culturelles et sont donc en position de mettre en place ces outils et de changer les choses ont construit leur carrière dans un contexte où ces violences étaient à la fois normalisées et invisibilisées. Il est donc logique qu’elles aient du mal à accepter ces nouvelles politiques. Ce malaise aboutit d’ailleurs parfois à des formes de violences pédagogiques au sein des écoles.</p>
<p>Le droit du travail offre aussi toute une panoplie d’outils pour lutter contre les violences que les directeurs et directrices d’institutions ignorent souvent <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/des-fois-je-n-ai-pas-vu-des-directeurs-de-theatre-se-forment-aux-violences-sexistes-et-sexuelles-6362142">avant de suivre des formations spécifiques</a>. On réduit trop souvent le droit au droit pénal, en brandissant le respect de la présomption d’innocence et la nécessité de laisser la justice faire son travail. Mais, pour toutes les accusations liées à des faits qui auraient été commis sur les plateaux, un des leviers de la lutte contre les violences sexuelles est l’obligation de l’employeur d’offrir un cadre de travail sécurisé à ses employés. De plus, le droit du travail n’obéit pas au même régime de la preuve : le faisceau d’indices concordants suffit, et parmi ces indices, il y a par exemple la multiplicité des accusations et des témoignages, qui peuvent suffire à éloigner une personne des tournages en raison d’un principe de prévention. Certaines expérimentations sont en cours, qui montrent qu’il est possible de combiner l’impératif de sécuriser le cadre de travail et le souci de finaliser un projet artistique déjà entamé <a href="https://www.telerama.fr/cinema/le-realisateur-samuel-theis-accuse-de-viol-enquete-sur-un-tournage-devenu-invivable-7018759.php">sans (trop) pénaliser l’ensemble d’une équipe pour le comportement d’un seul individu</a>.</p>
<h2>Où en est le mouvement #MeToo ?</h2>
<p><strong>B.H.</strong> : Si on considère que #MeToo est une révolution, alors je dirais qu’on est comme au XIX<sup>e</sup> siècle, dans un moment de conflit entre deux paradigmes qui s’affrontent : le paradigme de l’Ancien Régime qui continue à défendre le droit de cuissage et à légitimer la violence des puissants et un nouveau paradigme qui tente de mettre en place un ordre des choses démocratique et républicain, respectueux de notre devise « liberté, égalité, fraternité ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220482/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bérénice Hamidi a reçu des financements de l'IUF. </span></em></p>Au cours de cet entretien, Bérénice Hamidi évoque avec nous les freins à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les milieux artistiques français.Bérénice Hamidi, Professeure en esthétiques et politiques des arts vivants, , Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2085232023-08-21T15:46:31Z2023-08-21T15:46:31Z2023 : le coup de grâce au jury populaire ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540460/original/file-20230801-27-6kaua9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C0%2C2156%2C1556&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Croquis représentant la salle d'audience de la cour d'assises du Pas-de-Calais lors du procès de l'affaire de pédophilie d'Outreau (2004). Les jurés sont assis autour du magistrat (en rouge).</span> <span class="attribution"><span class="source">Laurence De Vellou / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Il y a encore quelques mois, en France, les crimes étaient jugés devant une <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/cour-d-assises-jury-populaire-jures">cour constituée de citoyens tirés au sort</a>. Depuis le 1<sup>re</sup> janvier 2023, ces jurés des <a href="https://theconversation.com/podcast-21-millisecondes-devant-la-cour-dassises-5-5-120946">Cours d’assises</a> ont perdu <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20230102-les-cours-d-assises-remplac%C3%A9es-en-partie-par-des-cours-criminelles-la-r%C3%A9forme-de-la-justice-entre-en-vigueur">environ 50 % des affaires</a> auparavant portées devant eux. Viols, coups et blessures entraînant la mort sans intention ou vols à main armée : ce sont désormais les toutes nouvelles <a href="https://theconversation.com/justice-que-va-changer-la-generalisation-des-cours-criminelles-departementales-197464">Cours criminelles départementales</a>, ou CCD, qui s’en chargent. Et elles ne sont composées que de magistrats professionnels !</p>
<p>Alors que la participation des gouvernés à l’exercice du pouvoir devient une question de plus en plus brûlante, ce <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/11/03/l-effacement-programme-du-jury-populaire-de-cour-d-assises-porte-atteinte-a-la-liberte-l-humanite-et-la-citoyennete_6148296_3232.html">recul historique interroge</a>. Pourtant, cette même perspective historique nous permet de comprendre que le jury était pensé pour périr dès ses prémices…</p>
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<h2>Un jury français d’inspiration anglaise</h2>
<p>Revenons en arrière, plus précisément au XVIII<sup>e</sup> siècle, à la fin de l’Ancien Régime. Le système judiciaire français est aux abois pour nombre de penseurs de l’époque. <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9691133s/f270.item">Montesquieu</a> critique vertement le régime en place, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k312564h/f98.item">Voltaire</a> s’empare de procès célèbres pour en démontrer l’iniquité, le <a href="https://doi.org/10.4000/rde.5556">baron d’Holbach</a> importe et traduit de la littérature anglaise pour sensibiliser l’opinion sur d’autres manières d’opérer : nous sommes dans une période qualifiée d’anglophilie. « L’herbe est toujours plus verte de l’autre côté de la barrière » diront certains, et c’est chez nos voisins anglais, qui disposent d’une organisation étatique et judiciaire différente, que nous sommes allés puiser notre inspiration.</p>
<p>C’est alors qu’un auteur milanais, Cesare Beccaria, publie un opuscule, <a href="https://gallica.bnf.fr/blog/09022021/des-delits-et-des-peines-de-cesare-beccaria?mode=desktop"><em>Des délits et des peines</em></a>, qui finit de cristalliser les tensions et mène, pour partie, à la Révolution française de 1789.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=939&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=939&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=939&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1180&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1180&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539277/original/file-20230725-25-nk1buz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1180&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Source : Bibliothèque nationale de France.</span>
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<p>Désireux de rompre avec l’ancien, les révolutionnaires vont alors majoritairement adopter les idées venues d’autres pays. Ici, nous nous concentrons sur le jury, et c’est précisément sous la Révolution qu’il est mis en place. Certes, les <a href="https://www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1881_num_12_1_6223_t1_0490_0000_1">débats parlementaires autour de ce nouvel organe de la justice sont houleux</a>. Mais la peur du <a href="https://rdv-histoire.com/programme/le-gouvernement-des-juges-en-france-du-moyen-age-nos-jours">gouvernement des juges</a>, l’hostilité profonde à l’encontre des juristes et le désir de poser de nouvelles fondations conduisent à la victoire du système accusatoire et l’instauration du jury.</p>
<p>Voulu au civil et au pénal, il n’intervient finalement qu’au pénal, exclusivement pour les crimes (les offenses punies d’au moins 15 ans d’enfermement). Il est convoqué à deux phases du procès : la mise en accusation, forme de préparation du jugement (le jury vérifie qu’il y a assez de preuves pour mener vers une seconde phase, celle du jugement), et le jugement en lui-même (le jury tranche sur la réalité des faits : à la fin des auditions, il répond par oui ou non à des questions telles que « est-ce que M. X est coupable d’avoir tué sa femme ? »). Le juge opère uniquement en bout de course, pour prononcer la peine édictée par le code pénal et qui correspond à l’infraction retenue par le jury de jugement.</p>
<p>Le cadre est en place : grâce à la Révolution française, <a href="https://doi.org/10.3917/amx.032.0083">nourrie par diverses influences exogènes</a>, nous disposons de Codes qui écrivent les interdits, de jurés populaires pour contrer la toute-puissance des magistrats, et de juges qui, en matière criminelle, appliquent la peine correspondante à l’infraction retenue par les jurés-citoyens. Néanmoins, cette toile de maître se craquèle bien vite.</p>
<h2>Le pouvoir du jury contesté dès sa création</h2>
<p>Dès leur mise en place en 1791, les jurés attisent le feu des critiques des parlementaires, juges, avocats… Les jurés-citoyens auraient notamment tendance à confondre leurs attributions entre accusation et jugement. En 1808, Napoléon <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4800785/f269.item">réforme la procédure pénale</a> pour pallier ce problème. Le jury d’accusation est le premier pion à tomber : la mise en accusation retourne aux juges. Le jury de jugement, quoiqu’attaqué, survit à cette première étape, sur le fil.</p>
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<p>Nous l’avons dit, l’institution du jury a été importée d’Angleterre ou, plus généralement, du fonctionnement de la justice dans les pays de <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Common_Law/114241"><em>common law</em></a>. Le principe de répartition des pouvoirs entre les jurés et le juge est simple : aux jurés les faits, aux juges le droit. Cette répartition a vécu un temps en France, avant de faire l’objet de nouveaux chamboulements. Les gouvernements en place souhaitaient <a href="https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2017-2-page-41.htm">guider</a> le jury sur des voies qu’ils considéraient plus acceptables, ou les commander indirectement.</p>
<p>En effet, l’une des principales critiques contre le jury tient dans sa <a href="https://www.persee.fr/doc/rural_0014-2182_1984_num_95_1_3024">générosité à l’égard des accusés</a>. Au fil des ans, le législateur n’a de cesse que de modifier les attributions des jurés ou la procédure pénale pour essayer d’endiguer ce phénomène. Ce faisant, il rogne sur certains principes matriciels du jury tel qu’importé, ce qui nous pousse à parler de « jury à la française », tant notre modèle s’éloigne du patron qui nous servit de mètre étalon.</p>
<h2>Le détricotage progressif de tout ce qui fait un jury-citoyen autonome</h2>
<p>Si la mise en accusation a tout bonnement été retirée des missions du jury en 1808, le pouvoir de jugement, lui, sera conservé mais réduit à peau de chagrin au gré des réformes successives.</p>
<p>Six grandes étapes marquent cette érosion progressive, parfois insidieuse, qui se cache derrière des stratégies politiques de canalisation du jury. Dès lors que les acquittements deviennent trop nombreux, le <a href="https://www.academia.edu/98109838/Thesis_La_recherche_de_lintention_en_droit_p%C3%A9nal_contemporain_XIXe_XXe_si%C3%A8cles_The_Search_for_Intent_in_Contemporary_Criminal_Law_XIXe_XXe_Centuries_#page=219">gouvernement imagine une réforme judiciaire pour inciter les jurés à mieux condamner</a>.</p>
<p>En <a href="https://ledroitcriminel.fr/la_legislation_criminelle/anciens_textes/code_penal_1810/code_penal_1810_1.htm">1810</a>, le code pénal napoléonien est promulgué. Celui-ci ne reconnaît que les circonstances aggravantes. De fait, si les jurés admettent un meurtre, la sanction est automatiquement la peine de mort. Les jurés ont donc tendance à acquitter les personnes qui disposent de circonstances atténuantes à leurs yeux, pour éviter une sanction qu’ils estiment trop rigoureuse.</p>
<p>En <a href="https://criminocorpus.org/fr/reperes/textes-juridiques-lois-decre/textes-juridiques-relatifs-la-recidive/25-juin-1824-loi-contenant-diverses-modifications-au-code-penal/">1824</a>, les circonstances atténuantes sont introduites. Seuls les magistrats peuvent les accorder. Les jurés craignent alors que ces circonstances ne soient pas retenues… et continuent d’acquitter excessivement selon les pouvoirs publics.</p>
<p><a href="https://criminocorpus.org/fr/reperes/textes-juridiques-lois-decre/textes-juridiques-relatifs-la-recidive/28-avril-1832-loi-contenant-des-modifications-au-code-penal-et-au-code-dinstruction-criminelle/">1832</a> marque un tournant majeur. Face à l’échec de la réforme de 1824, le législateur réagit et mélange les attributions.</p>
<p>Désormais, ce sont exclusivement les jurés qui peuvent prononcer des circonstances atténuantes (ou aggravantes). Selon les hypothèses, les <a href="https://criminocorpus.org/fr/reperes/textes-juridiques-lois-decre/textes-juridiques-relatifs-la-recidive/28-avril-1832-loi-contenant-des-modifications-au-code-penal-et-au-code-dinstruction-criminelle/">juges récupèrent un pouvoir officiel de mitigation de la pénalité</a> sous certaines limites.</p>
<p>Auparavant les jurés déterminaient l’infraction. Désormais, ils décident indirectement de la sanction, puisque ce sont les circonstances atténuantes ou aggravantes retenues qui déterminent en partie la pénalité. La situation est paradoxale : c’est en augmentant les pouvoirs de jurés honnis que le législateur les guide sur la voie de la sévérité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539320/original/file-20230725-29-op9sd1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Alexandre Frambéry-Iacobone, La recherche de l’intention en droit pénal contemporain (XIXe-XXe siècles), thèse droit, Bordeaux, 2022.</span></span>
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<p>La date de <a href="https://www.senat.fr/rap/l96-275/l96-27511.html">1932</a> montre un nouveau revirement : on décide que les jurés, après avoir statué sur la culpabilité, retrouvent les magistrats pour délibérer sur la peine, offrant l’illusion qu’ils auraient un mot à dire sur le choix véritable de la sanction. Le revers de la médaille tient en ce que les jurés sont ancrés, toujours plus, dans le giron de la magistrature.</p>
<p>En pleine Seconde Guerre mondiale, et plus précisément en <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/interview/selon-francois-saint-pierre-cour-d-assises-perdu-son-intelligence-et-son-ame-depuis-1941">1941</a>, sous la gouvernance de Vichy, l’ultime barrière est franchie : juges et jurés délibèrent ensemble sur la pénalité – depuis 1932 –, et sont désormais rejoints par les juges concernant la culpabilité ; ils n’ont plus d’autonomie réelle. Pour certains, à cette date, “la <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/interview/selon-francois-saint-pierre-cour-d-assises-perdu-son-intelligence-et-son-ame-depuis-1941">Cour d’assises a perdu son intelligence et son âme</a>”.</p>
<p>En <a href="https://ledroitcriminel.fr/la_legislation_criminelle/code_de_procedure_penale/anciennes_versions/cpp_leg_1957.htm">1959</a> est adopté le nouveau Code de procédure pénale. D’aucuns pourraient penser que le recul démocratique acté sous Vichy, entremêlant jurés et juges, ne tiendrait pas. Il est pourtant confirmé par cette réforme. Les chiffres guident la main d’un législateur qui ne tremble pas : depuis que juges et jurés statuent ensemble en 1941, le <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-p%C3%A9nal-2001-1-page-175.htm">taux d’acquittement a chuté de 25 à 8 %</a>.</p>
<h2>2023 : le coup de grâce ?</h2>
<p>Avec la création des cours criminelles départementales, le champ d’action des jurés est encore réduit. Des crimes qui étaient jugés par des citoyens depuis la Révolution française sont désormais exclusivement jugés par des <a href="https://theconversation.com/dou-vient-la-souffrance-au-travail-des-magistrats-201699">magistrats professionnels</a>.</p>
<p>Et il ne s’agit que de la face visible de l’iceberg. Le discrédit des jurés s’exprime également par la <a href="https://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-56902QE.htm">correctionnalisation</a> massive des crimes. Ceux-ci deviennent de simples délits, jugés sans jurés, par un <a href="https://doi.org/10.3917/drs1.111.0269">agile tour de passe-passe</a> qui peut être procédural ou législatif.</p>
<p>Si ces correctionnalisations sont <a href="https://www.village-justice.com/articles/correctionnalisations-solutions-demonstrations-une-justice-inefficace,31403.html">parfois salvatrices</a>, elles s’inscrivent malgré tout dans une continuité du détricotage du rôle des jurés. Il en va de même avec l’institution des cours criminelles, qui soulève d’ailleurs de <a href="https://twitter.com/benjaminfiorini/status/1673332383011971072?s=46&t=jcPIBcJ4-4lvlrNtPZmUQw">nombreuses</a> <a href="https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20210913/lois.html">réserves</a>.</p>
<p>Difficile de ne pas y voir une nouvelle manifestation de la <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/2334">défiance historique</a> que les pouvoirs publics ont à l’encontre du jury, qui coûterait trop cher, serait chronophage, laxiste… En somme, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5803576q/f297.image.r=raige">« quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage »</a> et le jury populaire a depuis longtemps été accusé de tous les maux. Prochaine étape, la suppression totale des jurés ? L’épée de Damoclès, suspendue par un fil au-dessus du jury, <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/droit-et-justice/reforme-de-la-justice-dans-quelques-annees-le-jury-populaire-aura-disparu-pour-toutes-les-affaires-estime-le-president-de-l-association-des-avocats-penalistes_4371871.html">ne semble pas si fictive</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208523/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Frambéry-Iacobone ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec la généralisation des cours criminelles, les jurys populaires jugent 50 % moins d’affaires. Pourquoi et comment la participation des citoyens à la Justice a-t-elle été réduite au fil des ans ?Alexandre Frambéry-Iacobone, Doctor Europeus en droit (mention histoire du droit – label européen) / chercheur post-doctoral, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2032832023-04-25T22:51:58Z2023-04-25T22:51:58ZAu Nigeria, contre-terrorisme et avortements forcés<p>Le 7 décembre 2022, l’agence de presse britannique Reuters publiait un <a href="https://www.reuters.com/investigates/special-report/nigeria-military-abortions/">long article documentant un programme clandestin d’avortement</a> mis en place par l’armée nigériane dans le nord-est du pays, épicentre de l’insurrection djihadiste <a href="https://afriquexxi.info/Pourquoi-on-ne-devrait-plus-parler-de-Boko-Haram">généralement désignée sous le nom de Boko Haram</a>.</p>
<p>Au terme d’une enquête minutieuse conduite auprès de militaires, de personnels de santé et d’une trentaine de victimes de ce programme, Reuters estime que, depuis 2013, au moins 10 000 femmes enceintes à la suite d’unions volontaires ou forcées avec des djihadistes, puis libérées ou capturées par l’armée, auraient avorté à leur retour dans les zones sous contrôle gouvernemental.</p>
<p>Une proportion d’entre elles – que Reuters ne quantifie pas – auraient subi un avortement forcé : certaines n’ont pas été averties que les injections ou les pilules qu’elles recevaient étaient abortives ; d’autres ont été menacées, battues ou attachées pour subir la procédure.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/viols-meurtres-mariages-arranges-a-defaut-deducation-la-vie-des-filles-en-zone-de-conflit-60012">Viols, meurtres, mariages arrangés : à défaut d’éducation, la vie des filles en zone de conflit</a>
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<p>Ces révélations – contestées avec véhémence par les militaires nigérians – ont à nouveau attiré l’attention internationale sur l’effroyable conflit qui ravage depuis presque quinze ans le nord-est du <a href="https://fr.africanews.com/2022/11/15/nigeria-la-hausse-demographique-pose-des-defis-de-developpement//">pays le plus peuplé d’Afrique</a>. </p>
<h2>Les faits allégués</h2>
<p>Contactée par Reuters avant la parution de l’enquête, l’armée avait réagi en lançant dans la presse nationale une <a href="https://prnigeria.com/2022/11/29/fathered-terrorist-nurtured/">campagne de propagande préemptive</a> affirmant qu’elle prenait soin des femmes et des enfants liés à Boko Haram.</p>
<p>Une fois l’article de Reuters paru, l’armée a démenti, dénonçant le <a href="https://saharaweeklyng.com/reuters-mercenary-journalismefforts-by-reuters-to-blackmail-the-nigerian-military-through-mercenary-journalism-fails/">« journalisme démoniaque » de l’agence de presse</a>, et a refusé d’enquêter sur les allégations des journalistes. Celles-ci n’en ont pas moins provoqué un scandale <a href="https://gazettengr.com/nigerian-army-conducts-secret-abortion-operation-terminates-10000-pregnancies-over-boko-haram-war/">national</a> et <a href="https://www.usnews.com/news/world/articles/2022-12-09/un-secretary-general-calls-for-investigation-on-nigeria-forced-abortions-report">international</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1600964090628919307"}"></div></p>
<p>Muhammadu Buhari, alors président du Nigeria, a demandé à un organisme public, la Commission nigériane des droits de l’homme, de <a href="https://www.premiumtimesng.com/news/headlines/579025-nhrc-set-to-probe-allegation-of-secret-abortion-programme-against-nigerian-military.html">créer une commission d’enquête</a>. Sans doute ne faut-il pas trop en espérer : au Nigeria, c’est souvent en créant des commissions qu’on enterre les « affaires », et si un rapport est produit, il peut <a href="https://www.thisdaylive.com/index.php/2018/12/20/stop-harrassing-amnesty-international-falana-tells-nigerian-army/">ne jamais être rendu public</a>.</p>
<p>Reuters, de son côté, a publié deux autres enquêtes sur des violations graves de droits humains commises par l’armée dans le cadre de la lutte contre les djihadistes, notamment des <a href="https://www.reuters.com/investigates/special-report/nigeria-military-children/">assassinats d’enfants</a>. Si là encore l’armée nigériane a démenti, ce type de violations ne surprend guère, car il avait déjà été documenté au Nigeria, notamment par <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2016/05/nigeria-babies-and-children-dying-in-military-detention/">Amnesty International</a> et <a href="https://www.hrw.org/report/2019/09/10/they-didnt-know-if-i-was-alive-or-dead/military-detention-children-suspected-boko">Human Rights Watch</a>. </p>
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<p>Je n’ai jamais enquêté spécifiquement sur la question des avortements lors de mes séjours dans le nord-est du Nigeria. J’ai du moins entendu l’embarras des organisations humanitaires, présentes dans la région depuis la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2019-4-page-143.htm">crise alimentaire de 2016</a> (mais peu auparavant) : elles se demandent comment interpréter le fait qu’elles n’ont pas capté, pendant toutes ces années, de signaux indiquant l’existence de ce programme clandestin d’avortements dénoncé par Reuters.</p>
<p>Dans les ambassades occidentales aussi, la gêne est palpable : on collabore avec les autorités nigérianes dans la lutte contre Boko Haram et les allégations de violations de droits humains viennent une fois encore compliquer cette collaboration, en particulier aux États-Unis – le Sénat et la Chambre des représentants sont sensibles sur ces sujets, notamment et surtout quand il s’agit d’avortement.</p>
<p>Si je ne suis pas en mesure de confirmer ou d’infirmer le récit fait par Reuters, j’entends ici du moins discuter de la plausibilité de ce terrible épisode en le situant dans l’histoire récente du nord-est du pays, marquée par des années d’affrontements sanglants entre l’armée et les djihadistes.</p>
<h2>Une armée dépassée et violente</h2>
<p>Au fil des années, l’armée et les autorités nigérianes ont volontiers minimisé le défi posé par Boko Haram, annonçant régulièrement la victoire. Au moment où le programme d’avortement clandestin aurait été mis en place, entre 2013 et 2015, l’armée nigériane était en réalité en difficulté face à <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2015-3.htm">l’organisation formée dans le fil des années 2000 et passée à la lutte armée en 2009</a>, et dont le nom réel est <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2013-2-page-137.htm">JASDJ</a> (Jamā’at ahl al-sunnah li’l-da’wah wa’l-jihād, qui peut être traduit par Association des gens de la sunna pour la prédication et le djihad). </p>
<p>Après le <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/qdr40.pdf">soulèvement des partisans du prédicateur de Mohamed Yusuf en 2009</a>, brutalement réprimé par l’armée, les survivants s’étaient réorganisés puis engagés, à partir de 2010, dans une <a href="https://theconversation.com/esclavagisme-razzia-tueries-les-inspirations-locales-de-boko-haram-112547">campagne de terreur</a>.</p>
<p>En plus d’attaques à la bombe <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/1074">jusque dans la capitale fédérale, Abuja</a>, les assassinats se multipliaient dans le nord-est du pays, notamment dans l’État du Borno et sa capitale Maiduguri, une agglomération qui comptait à l’époque plus d’un million d’habitants, ciblant les membres des forces de défense et de sécurité ainsi que les élites politiques et religieuses.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aSGBsBmlsXQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Pour mieux cibler la répression, les autorités civiles et militaires du Borno et la population de Maiduguri avaient mis en place des milices, dites <em>Civilian Joint Task Force</em> (CJTF), qui avaient aidé l’armée à purger la ville des réseaux de JASDJ. </p>
<p>Ces derniers avaient alors achevé une bascule déjà engagée vers des <a href="https://theconversation.com/comment-le-djihad-arme-se-diffuse-au-sahel-112244">zones rurales qui leur offraient une meilleure protection</a>. Ils avaient ensuite conquis une bonne partie des villes secondaires du Borno, frappant aussi dans les États voisins de Yobe et de l’Adamawa.</p>
<p>Les attentats suicides, jusque-là très ciblés, s’étaient multipliés, frappant de façon de plus en plus aveugle. Les pertes militaires et civiles ont été gigantesques (<a href="https://acleddata.com/crisis-profile/boko-haram-crisis/en">plus de 40 000 morts</a> jusqu’à aujourd’hui, ces chiffres étant probablement très sous-estimés), et JASDJ a joué à fond la carte de la terreur, s’inspirant parfois dans ses massacres de la scénographie de l’État islamique, à laquelle elle s’est <a href="https://www.lexpress.fr/monde/afrique/boko-haram-les-raisons-de-l-allegeance-a-Daech_1659082.html">officiellement ralliée en 2015</a>. Dans ces années-là, l’armée nigériane était particulièrement dépassée, aux prises avec un adversaire ultra-violent et mal connu. </p>
<p>Dans ce contexte singulier, l’armée a employé des moyens extrêmes. Elle a recouru massivement à la torture et aux exécutions extrajudiciaires. Entre 2010 et 2014, elle a multiplié les rafles au ciblage souvent imprécis, arrêtant des milliers de personnes, généralement en dehors de toute procédure judiciaire et donc sans chemin de sortie pour les suspects.</p>
<p>La <a href="https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2021/11/initial-dialogue-nigeria-experts-committee-against-torture-ask-about-fight">surpopulation carcérale</a> a été encore aggravée avec la <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20150317-nigeria-contre-offensive-damasak-boko-haram-fuite-niger-tchad">contre-offensive victorieuse</a> lancée par l’armée en 2015 : elle a alors pris sous son contrôle une vague plus massive encore de suspects, hommes, femmes et enfants. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1645695339305873409"}"></div></p>
<p>Dans les centres de détention militaire, et notamment dans l’immense caserne de Giwa Barracks, à Maiduguri, la surpopulation et la faiblesse des ressources ont abouti à l’installation de facto d’un <a href="https://www.amnesty.org/fr/documents/afr44/3998/2016/en/">dispositif de mise à mort par la prison</a> (faim, déshydratation, maladies, violences des gardiens et entre détenus) dont on peut se demander si certains responsables militaires au moins ne l’ont pas conçu ou accepté comme tel.</p>
<h2>Les femmes associées à Boko Haram, un cas particulier</h2>
<p>Là où les hommes, quand ils n’étaient pas exécutés sur le champ, étaient emprisonnés avec peu d’espoir de sortie, la situation des femmes et des enfants était plus complexe aux yeux de l’armée et des autorités : le retentissement international du <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220414-nigeria-8-ans-apr%C3%A8s-l-enl%C3%A8vement-des-lyc%C3%A9ennes-de-chibok-une-centaine-toujours-port%C3%A9es-disparues">kidnapping des collégiennes de Chibok en 2014</a> avait établi que les femmes trouvées dans les camps djihadistes pouvaient être des victimes, avoir été enlevées, contraintes au mariage et soumises à des viols maritaux.</p>
<p>À partir de 2014, des <a href="https://www.cfr.org/blog/women-boko-haram-and-suicide-bombings">femmes ont commencé à mener des attaques suicides</a> contre l’armée et les communautés. Les femmes avaient donc un <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/west-africa/nigeria/nigeria-women-and-boko-haram-insurgency">statut énigmatique</a> – épouses loyales de combattants djihadistes ou bien captives ? – et oscillaient ainsi entre la position d’ultra-victimes et celle d’hypermenaces.</p>
<p>Faute de place dans les centres de détention, et alors que les critiques internationales montaient sur les abus de droits humains et venaient compliquer la coopération entre le Nigeria et certains partenaires internationaux, les femmes et les enfants détenus ont fini par être libérés en masse et envoyés dans les camps de déplacés à travers le Borno.</p>
<p>Avec les femmes et les enfants, il y avait là un problème mal défini et menaçant, mais trop massif pour être traité par l’emprisonnement. Le problème semblait d’autant plus grave qu’il résonnait avec les inquiétudes croisées de l’État et de la société à propos des enfants conçus dans le contexte du djihad.</p>
<h2>La crainte suscitée par les « enfants de djihadistes »</h2>
<p>Le Nigeria est un pays à la population composite, et où les considérations ethnorégionales jouent depuis longtemps un rôle considérable. Dans ce contexte, la question démographique est particulièrement sensible – en témoignent aussi bien les <a href="https://www.reuters.com/world/africa/nigeria-delays-census-may-its-first-17-years-2023-03-15">difficultés à organiser le recensement</a> que les rumeurs qui interprétaient, un temps, la vaccination contre la poliomyélite comme une <a href="https://academic.oup.com/afraf/article/106/423/185/50647">campagne visant à stériliser les nordistes musulmans</a>.</p>
<p>Le nord, zone peuplée majoritairement de musulmans et à la démographie très dynamique, est perçu comme une menace dans le sud, où les chrétiens sont majoritaires. C’était particulièrement le cas entre 2010 et 2015, sous la présidence de Goodluck Jonathan, président chrétien très contesté par les élites nordistes.</p>
<p>Mais même les élites du Nord musulman s’inquiètent de la croissance démographique de la zone, supposée alimenter un <em>lumpenproletariat</em> menaçant – l’émir de Kano, un chef traditionnel musulman d’importance, a ainsi pu prendre des <a href="https://guardian.ng/news/npc-affirms-emir-sanusis-birth-control-moderation-call/">positions fortes en faveur du contrôle des naissances</a>.</p>
<p>Cette inquiétude était redoublée dans la société nigériane, où elle s’est articulée à l’idée d’un « mauvais sang » dont seraient porteurs les enfants de djihadistes, documentée en 2016 dans un rapport intitulé <a href="https://www.unicef.org/nigeria/reports/bad-blood">Bad Blood</a> publié par l’Unicef et l’ONG International Alert. À l’anxiété des élites se mêlaient ainsi la stigmatisation que subissent les femmes isolées dans une société patriarcale et moraliste, avec leurs grossesses issues d’unions souvent soit forcées, soit forgées en dehors de l’ordre familial, et la peur d’une hérédité de la violence.</p>
<p>Dans une <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/west-africa/nigeria/275-returning-land-jihad-fate-women-associated-boko-haram">étude conduite pour International Crisis Group</a>, j’avais noté que certaines femmes signalaient qu’il leur était interdit de fréquenter les points d’eau dans les camps de déplacés – une interdiction à la lisière de l’inquiétude face aux éventuelles maladies dont elles pourraient être porteuses et de représentations liées à la sorcellerie. Le djihad comme épidémie à contenir… « C’est juste une épuration de la société », expliquait à l’équipe Reuters un agent de santé impliqué dans le programme d’avortement… </p>
<h2>Les avortements étaient-ils ordonnés par l’armée ?</h2>
<p>On voit donc bien comme le climat politique, militaire et moral au milieu des années 2010 se prêtait à la mise en œuvre d’un programme d’avortement. </p>
<p>Compte tenu de la stigmatisation dont étaient victimes les femmes associées à Boko Haram, des militaires et des agents de santé ont pu penser leur faire une faveur en les faisant avorter, de gré ou de force.</p>
<p>Reuters cite un agent de santé qui affirme « nous appliquons ce genre de procédure [aux femmes sortant des zones Boko Haram] afin de les sauver du stigmate et du problème qui viendra plus tard ». Reuters relève également qu’un certain nombre de femmes interrogées disent avoir souhaité avorter, mais qu’elles auraient voulu être informées et consultées.</p>
<p>Compte tenu du nombre de cas qu’ils ont identifiés, Reuters a considéré qu’il s’agissait là d’un véritable « système », tout en notant n’avoir pu établir « qui avait créé ce programme ni qui dans l’armée ou au gouvernement en était responsable ».</p>
<p>L’armée, répétons-le, dément absolument l’existence d’un « système » et met en avant le fait que de nombreux enfants sont nés en détention, ce que confirment des témoignages que j’ai recueillis auprès d’anciens détenus ainsi que de responsables d’ONG impliqués dans les questions de santé et de protection des personnes dans le Borno. Reuters l’admet d’ailleurs, notant bien que certaines femmes se sont vu proposer, et non pas imposer, un avortement.</p>
<p>On peut dès lors penser que dans le contexte du conflit, des mesures ont été prises pour rendre <em>possible</em> l’accès à l’avortement aux femmes sortant des zones Boko Haram et que, à différents moments et dans différents sites, des responsables locaux, directeurs d’hôpitaux ou commandants de centres de détention par exemple, ont pris sur eux d’<em>imposer</em> des avortements au lieu de simplement les <em>proposer</em>.</p>
<p>Cela permettrait d’expliquer comment les avortements forcés ont pu se produire, sans être pour autant véritablement systématiques. Des variations importantes dans la mise en œuvre des politiques, typiques d’un État sous pression et connaissant des faiblesses dans le contrôle interne, ont d’ailleurs été documentées dans d’autres volets de la réaction de l’État nigérian – par exemple dans le traitement des prisonniers de sexe masculin. </p>
<p>Reuters affirme avoir documenté des cas jusqu’en novembre 2021, mais il y a des raisons d’espérer que les choses ont changé avec le temps, que les avortements forcés sont moins fréquents. Les forces de défense et de sécurité sont aujourd’hui moins dépassées qu’en 2014, et les conditions dans les centres de détention se sont un peu améliorées, notamment grâce à l’action internationale.</p>
<p>Enfin, la réintégration dans la société de femmes et même d’hommes <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/west-africa/nigeria/b170-exit-boko-haram-assessing-nigerias-operation-safe-corridor">ayant quitté Boko Haram volontairement</a>, inimaginable en 2015, est devenue presque routinière. On peut donc supposer que dans la chaîne qui traite les personnes venues des zones Boko Haram, la ligne est moins dure. </p>
<p>Quoi qu’il en soit du caractère systématique des faits rapportés par Reuters, l’État nigérian ne saurait être dégagé de ses responsabilités. En dernière analyse, parce qu’il est l’État, il est responsable des abus perpétrés en son nom, et il est responsable d’avoir laissé perdurer l’ambiance délétère et la logique éradicatrice qui ont pu donner lieu aux avortements forcés rapportés par l’agence de presse.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203283/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Foucher était employé comme analyste par International Crisis Group de 2011 à 2017 et collabore encore avec cette organisation. </span></em></p>Une enquête explosive de Reuters révèle que de nombreuses femmes auraient été forcées à avorter par l’armée nigériane dans les territoires libérés du joug des djihadistes.Vincent Foucher, Chargé de recherche CNRS au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM), Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2014472023-03-09T11:33:11Z2023-03-09T11:33:11ZLa « culture du viol » chez les canards<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/514301/original/file-20230308-16-g7a0pu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C360%2C2384%2C1620&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Couple de canards colverts. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Canard_colvert#/media/Fichier:Anas_platyrhynchos_male_female_quadrat.jpg">Richard Bartz/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Nous vous proposons de découvrir un passage de l’ouvrage de Loïc Bollache (Université de Bourgogne), <a href="https://www.humensciences.com/livre/Quand-les-animaux-font-la-guerre/127">« Quand les animaux font la guerre »</a>, paru le 8 mars 2023 aux éditions HumenSciences. Une exploration étonnante, à travers une grande variété d’exemples, des situations de conflits, d’exclusion, mais aussi de pacification qui traversent le monde animal. Dans le texte ci-dessous, extrait du chapitre consacré à la guerre des sexes, l’auteur s’intéresse aux mœurs pour le moins « dysharmoniques » des canards.</em></p>
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<p>Entre 1910 et 1912, le Balliol College de l’université d’Oxford proposa un poste d’enseignant à Julian Huxley. Issu d’une famille de scientifiques et d’écrivains renommés – son grand-père Thomas Henri Huxley était un biologiste proche de Darwin, son père Léonard et son frère Aldous des écrivains reconnus –, le jeune Huxley avait reçu, dans ce même collège, une bourse d’étude en zoologie et ornithologie quelques années plus tôt. </p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Photo portrait du scientifique britannique Julian Huxley" src="https://images.theconversation.com/files/514304/original/file-20230308-26-z8kfme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514304/original/file-20230308-26-z8kfme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514304/original/file-20230308-26-z8kfme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514304/original/file-20230308-26-z8kfme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514304/original/file-20230308-26-z8kfme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514304/original/file-20230308-26-z8kfme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514304/original/file-20230308-26-z8kfme.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Julian Huxley.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Julian_Huxley#/media/Fichier:Hux-Oxon-72.jpg">Wikipedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 1912, juste avant son départ pour Houston au Texas et l’université Rice, il <a href="https://www.zobodat.at/pdf/Biologisches-Centralblatt_32_0621-0623.pdf">publia une note sur les étranges habitudes sexuelles des canards colverts</a> (<em>Anas platyrhynchos</em>). Les relations forcées entre les mâles et les femelles sont décrites comme des « dysharmonies » de la nature, selon l’expression empruntée au biologiste Elie Metchnikov correspondant à des adaptations qui entraînent des effets néfastes pour les individus.</p>
<p>L’histoire des amours des canards colverts paraît pourtant semblable à celle de la plupart des espèces d’oiseaux monogames, au moins au départ. Si le mâle ne participe ni à la couvaison ni à l’élevage des jeunes, il manifeste cependant un attachement considérable à sa compagne. Une preuve d’amour, me direz-vous ? On l’observe régulièrement à ses côtés non loin du nid et il n’hésite pas à la suivre sur de grandes distances lorsqu’elle s’envole à la recherche de nourriture. </p>
<p>En dehors de ces périodes, les différents mâles, célibataires ou en couple, se regroupent en bandes pour passer le temps, mais pas uniquement. Lorsqu’une femelle s’envole loin de son nid pour se nourrir, elle n’est pas seulement accompagnée par son partenaire, mais poursuivie par d’autres mâles dont le nombre peut atteindre plus d’une dizaine d’individus. </p>
<p>Lorsqu’ils sont très nombreux, il leur arrive de rattraper la femelle et de la contraindre à se poser sur l’eau. Un premier mâle force immédiatement la femelle à copuler. Tandis qu’elle se débat et qu’elle essaie désespérément de maintenir sa tête hors de l’eau, le mâle pèse de tout son corps pour la maîtriser. La scène est extrêmement violente. Dès que le premier mâle a terminé sa besogne, un deuxième prend la suite, puis un troisième, la femelle apparaît épuisée, incapable de résister longtemps aux assauts répétés des différents mâles. Le viol collectif se poursuit jusqu’à ce que les mâles soient rassasiés et peut finir par la noyade de la femelle. </p>
<p>Dans sa note de 1912, Huxley estime qu’entre 7 et 10 % des femelles meurent noyées, causant un tort important à la population.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Deux canards volent" src="https://images.theconversation.com/files/514308/original/file-20230308-1352-j7g3ec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514308/original/file-20230308-1352-j7g3ec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514308/original/file-20230308-1352-j7g3ec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514308/original/file-20230308-1352-j7g3ec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514308/original/file-20230308-1352-j7g3ec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514308/original/file-20230308-1352-j7g3ec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514308/original/file-20230308-1352-j7g3ec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Canards en vol.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Canard_colvert#/media/Fichier:Saint-Hyacinthe_couple_canards_mallards.jpg">Pierre Bona/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>À partir des années 1970, les observations de copulations forcées chez les Anatidés (famille comprenant les canards, oies, dendrocygnes, fuligules et autres espèces apparentées) s’accumulent, montrant que ce phénomène est plus courant que les biologistes ne l’avaient imaginé. </p>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/4534287">Dans son article de 1983</a>, Frank McKinney et ses collaborateurs recensent trente-neuf espèces pratiquant des copulations forcées. Le mode opératoire suit un enchaînement bien établi. Chaque tentative est généralement précédée d’une course-poursuite entre la femelle et les mâles, que ce soit en vol, à terre ou sur l’eau. </p>
<p>Si elle n’arrive pas à échapper aux agresseurs, la femelle peut rapidement se retrouver sous un amas de mâles luttant entre eux pour pouvoir la féconder. Le contexte local peut aussi influencer le phénomène. Les jardins et parcs urbains accueillent des populations de canards et d’oies dont les densités et le sex-ratio (le rapport entre le nombre de mâles et de femelles) peuvent amplifier la fréquence des copulations forcées. Il arrive même chez des populations semi-domestiquées que la promiscuité conduise à l’observation de viols entre différentes espèces de canards.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-femelles-dauphins-peuvent-elles-avoir-des-orgasmes-119345">Les femelles dauphins peuvent-elles avoir des orgasmes ?</a>
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<p>Cela pose de nombreuses questions. La sélection naturelle trie chaque variation, rejetant ce qui est mauvais et préservant ce qui est bon pour les individus. Il ne s’agit pas d’un processus moral, le bon et le mauvais se réfèrent uniquement aux effets des traits sur la capacité d’un individu à survivre et à se reproduire.</p>
<p>Les causes des comportements de viol ont été l’objet d’une intense littérature. En 1912, Huxley estime que l’instinct sexuel des mâles se prolonge pendant la période d’incubation. Tant que la femelle couve ses œufs, cet instinct ne peut être satisfait ; c’est pourquoi, lorsqu’une femelle quitte son nid, elle est souvent poursuivie par un certain nombre de mâles insatisfaits. </p>
<p>Mais la seule frustration des mâles ne saurait expliquer ces comportements. Par exemple, les mâles violeurs ne sont pas automatiquement les mâles célibataires frustrés. Les mâles en couple participent eux aussi aux copulations forcées collectives. Si, pour de nombreux auteurs, les copulations forcées font partie d’un ensemble de stratégies de reproduction des mâles pour augmenter leur succès reproducteur, d’autres hypothèses soulignent que ces comportements violents pourraient être un sous-produit de la sélection naturelle favorisant l’agressivité en réponse à l’intense compétition entre mâles. </p>
<p>Ce n’est pas l’agressivité envers les femelles en tant que telle qui serait sélectionnée mais les comportements agressifs lors des interactions avec les mâles en période de reproduction, une agressivité extrême qui deviendrait malheureusement incontrôlable. </p>
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<img alt="Canard colvert femelle la tête dans son plumage" src="https://images.theconversation.com/files/514309/original/file-20230308-28-igqb96.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514309/original/file-20230308-28-igqb96.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514309/original/file-20230308-28-igqb96.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514309/original/file-20230308-28-igqb96.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514309/original/file-20230308-28-igqb96.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514309/original/file-20230308-28-igqb96.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514309/original/file-20230308-28-igqb96.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Canard colvert femelle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Canard_colvert#/media/Fichier:Female_Mallard_Duck_Rest_3.jpg">A.Carpentier/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Un fait intéressant à relever concerne les réponses des femelles aux comportements néfastes des mâles. Leurs réactions sont de deux types. </p>
<p>D’abord, une résistance physique aux tentatives de copulation forcée qui <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1469-185X.1970.tb01176.x">peut avoir diverses fonctions</a>. Emma Cunningham du département de zoologie de l’université de Cambridge a <a href="https://academic.oup.com/beheco/article/14/3/326/257579">analysé en 2003 le rôle de la résistance des femelles</a> chez les canards colverts. Il ressort que, si celles-ci résistent aux tentatives des mâles, c’est plus pour éviter les copulations multiples toujours risquées (blessures mortelles, transmission accrue de maladies) que pour favoriser une compétition entre mâles. Preuve en est, l’évolution morphologique des appareils génitaux des mâles et des femelles que Patricia Brennan et ses collaborateurs ont analysé minutieusement <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1855079/">chez seize espèces dans leur article de 2007</a>. </p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/514310/original/file-20230308-18-gwr3jw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture de l’ouvrage " src="https://images.theconversation.com/files/514310/original/file-20230308-18-gwr3jw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514310/original/file-20230308-18-gwr3jw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514310/original/file-20230308-18-gwr3jw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514310/original/file-20230308-18-gwr3jw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514310/original/file-20230308-18-gwr3jw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1104&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514310/original/file-20230308-18-gwr3jw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1104&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514310/original/file-20230308-18-gwr3jw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1104&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Paru le 8 mars 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.humensciences.com/livre/Quand-les-animaux-font-la-guerre/127">Éditions HumenSciences</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Les femelles de ces espèces ont développé des caractéristiques vaginales aptes à contrarier les mâles indésirables. L’examen méticuleux des organes reproducteurs chez ces espèces a montré que plus le sexe des mâles était long et élaboré, plus les femelles avaient des vagins longs et complexes. Certains vagins présentaient ainsi des formes en spirale limitant l’introduction du phallus mâle. D’autres des poches surnuméraires, véritables culs-de-sac pour piéger les spermatozoïdes. </p>
<p>Ces caractéristiques morphologiques étaient présentes uniquement chez les espèces réputées pour la violence des mâles et la haute fréquence des rapports sexuels forcés. Une « course aux armements » évolutive pour le contrôle de la reproduction. Lorsque le mâle développe un phallus plus long et plus élaboré pour forcer la copulation, les femelles reprennent le contrôle de leur fécondation en développant des freins contre les mâles violeurs !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201447/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Bollache ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Chez les canards, oies, dendrocygnes ou fuligules, les copulations forcées mettent les femelles à rude épreuve.Loïc Bollache, Professeur en écologie, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1931462022-11-07T19:52:46Z2022-11-07T19:52:46ZChaucer, poète médiéval accusé de viol : pourquoi son cas divise le milieu littéraire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/493836/original/file-20221107-3517-bi5p9x.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C1%2C814%2C513&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait de Chaucer par Thomas Occleve (1369 - 1426), dans le Regiment of Princes (1412). </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Contes_de_Canterbury#/media/Fichier:Chaucer_Hoccleve.png">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Le 11 octobre dernier, un séisme a secoué le monde des études médiévales anglaises. Plus de six siècles après la mort du poète Geoffrey Chaucer, Sebastian Sobecki (professeur de littérature médiévale anglaise à l’Université de Toronto) et Euan Roger (historien aux Archives nationales britanniques) ont levé le voile sur une accusation de viol ayant longtemps terni la réputation du poète.</p>
<p>Souvent défini comme le père de la littérature anglaise, Chaucer est de bien des façons le poète emblématique de Moyen Âge anglais. Auteur, traducteur, diplomate, ce poète courtois s’est notamment montré décisif dans l’avènement de la Renaissance en Angleterre, de par la richesse de ses emprunts à la poésie italienne du Trecento. Mais cette affaire souligne toute l’ambiguïté de son rapport aux femmes. En effet, s’il est parfois perçu <a href="https://theconversation.com/calls-to-cancel-chaucer-ignore-his-defense-of-women-and-the-innocent-and-assume-all-his-characters-opinions-are-his-152312">comme un féministe</a> et un défenseur des opprimés, ses écrits ne sont pas pour autant exempts d’une forme de violence sexuelle à ne pas sous-estimer (c’est par exemple le cas du Conte du Régisseur dans <em>Les Contes de Canterbury</em>).
Il faut cependant noter que les écrits de Chaucer n'ont rien de particulièrement exceptionnels dans leur représentation des femmes par rapport aux autres oeuvres littéraires médiévales, sachant que les scènes de violence sexuelle sont particulièrement répandues dans le genre du fabliau (très populaire au Moyen Âge). </p>
<h2>Les origines de l’accusation</h2>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493357/original/file-20221103-18-6w5l0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493357/original/file-20221103-18-6w5l0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=853&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493357/original/file-20221103-18-6w5l0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=853&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493357/original/file-20221103-18-6w5l0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=853&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493357/original/file-20221103-18-6w5l0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493357/original/file-20221103-18-6w5l0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493357/original/file-20221103-18-6w5l0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Frederick James Furnivall (1825-1910).</span>
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</figure>
<p>En 1873, Frederick J. Furnivall (fondateur de la <a href="https://newchaucersociety.org/">Chaucer Society</a>) mit la main sur un texte qui devait profondément nuire à la réputation du poète. Daté du 4 mai 1380, ce <a href="https://chaumpaigne.org/the-legal-documents/may-4/">document juridique</a> rédigé en latin stipule qu’une dénommée <a href="https://scholarlypublishingcollective.org/psup/chaucer/article/57/4/452/318659/Who-Was-Cecily-Chaumpaigne">Cecily Champagne</a> (une femme guère plus jeune que Chaucer lui-même et issue d’une famille aisée et influente), « fille de feu William Champagne et de sa femme Agnès », libère pour toujours Geoffrey Chaucer des charges liées à <em>de raptu meo</em>, à savoir « de mon viol » ou « de mon enlèvement » (selon la traduction).</p>
<p>Plus d’un siècle plus tard, en 1993, <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.2307/2863835">Christopher Canon</a> dévoila à son tour un mémorandum daté du 7 mai 1380 ne jouant guère en la faveur de Chaucer en raison de sa référence à un crime liant Chaucer à Champagne – bien que le terme <em>raptus</em> en soit absent.</p>
<p>Embarrassés par ces découvertes, de nombreux chercheurs (pour la plupart des hommes, même si quelques femmes ont pu se joindre à eux) n’ont eu de cesse au fil des décennies que de défendre leur poète. Furnivall lui-même souhaita, un peu comme Robert Oppenheimer, le physicien à l’origine de la concrétisation du <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-methode-scientifique/projet-manhattan-et-l-humanite-toucha-sa-fin-5342640">Projet Manhattan</a>, n’avoir jamais fait cette découverte.</p>
<p>D’autres, en revanche, refusèrent d’y croire, comme ce fut le cas en 1968 d’Edward Wagenknecht, critique littéraire et professeur américain – comment la fine fleur de la poésie courtoise anglaise pourrait-elle être à l’origine d’un acte aussi infâme ? Peut-être ne s’agissait-il pas d’un viol et que la traduction du terme <em>raptus</em> devait être nuancée. Chaucer aurait peut-être fait des avances à Champagne, il aurait pu la séduire, Champagne aurait pu mentir, ou bien elle aurait pu céder à Chaucer et se retourner contre lui après coup. Qui plus est, malgré l’accusation, elle libéra Chaucer de toutes charges, preuve que le poète était innocent aux yeux de la loi, non ?</p>
<p>Cet embarras en dit long sur le rapport aux femmes de ces chercheurs et du poids du patriarcat dans le monde universitaire. On reconnaît d’ailleurs sans mal certains des arguments énumérés par les <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/10/12/cinq-ans-apres-metoo-l-antifeminisme-prospere-sur-les-reseaux-sociaux_6145406_4408996.html">plus fervents opposants</a> aux affaires mises en lumière par le mouvement #MeToo…</p>
<p>De fait, la véhémence de la réaction de ces universitaires nous pousserait presque à croire que ce n’est pas Chaucer qui est accusé, mais bien les hommes dans leur ensemble. Pire encore, en réduisant Champagne au rang de simple sous-intrigue amoureuse dans la biographie du poète (c’est par exemple le cas du médiéviste américain <a href="https://slate.com/culture/2022/10/chaucer-rape-allegation-servant-new-documents-cecily-chaumpaigne.html">John Fisher</a> en 1991), ils la réifient au point de n’en faire qu’un simple objet sexuel, une passade dans la vie d’un homme vivant loin de sa propre épouse. Or, les choses sont, comme souvent, bien plus complexes qu’elles n’y paraissent. Et à en croire la <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/2022/10/11/chaucer-wrongly-accused-rape-150-years-newly-unearthed-documents/">presse internationale</a>, ce qu’il faut retenir de cette découverte, c’est l’innocence d’un homme mis sur le banc des accusés à tort. Plus qu’un simple micro-événement relatif à un point de la biographie d’un poète mort il y a 622 ans, cette révélation a pris une dimension dépassant de loin les limites du monde académique.</p>
<h2>Chaucer, Champagne et le Statut des travailleurs</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/493355/original/file-20221103-33452-oocjcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493355/original/file-20221103-33452-oocjcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493355/original/file-20221103-33452-oocjcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493355/original/file-20221103-33452-oocjcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493355/original/file-20221103-33452-oocjcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493355/original/file-20221103-33452-oocjcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493355/original/file-20221103-33452-oocjcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493355/original/file-20221103-33452-oocjcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le Statut des travailleurs (1351). Catalogue ref : C 74/1, m. 18.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Revenons-en donc au 11 octobre dernier. Lors d’une présentation en ligne devant des centaines d’historiens et médiévistes, Sebastian Sobecki et Euan Roger ont annoncé avoir de nouveaux documents pouvant démêler cette sordide affaire.</p>
<p>Un an avant l’accusation de <em>raptus</em>, soit le 16 octobre 1379, Chaucer et Champagne furent tous deux poursuivis par Thomas Staundon selon le <a href="https://www.oxfordreference.com/view/10.1093/oi/authority.20110803100046308">Statut des travailleurs</a>, une loi votée en 1351 afin de répondre à la pénurie de main-d’œuvre consécutive à l’épidémie de peste noire.</p>
<p>Champagne, alors au service de Staundon, abandonna son poste de servante avant la fin de son contrat afin d’être employée par Chaucer. Or, le Statut des travailleurs fut justement conçu pour réguler le marché du travail, endiguer les hausses de salaires et empêcher le débauchage de serviteurs. Et c’est précisément cela que Staundon reproche à Chaucer. Ainsi, selon Sobecki et Roger, les deux principaux protagonistes de cette affaire seraient en fait codéfendeurs face à Staundon.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/493335/original/file-20221103-18-g45ur9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493335/original/file-20221103-18-g45ur9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493335/original/file-20221103-18-g45ur9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493335/original/file-20221103-18-g45ur9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493335/original/file-20221103-18-g45ur9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493335/original/file-20221103-18-g45ur9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493335/original/file-20221103-18-g45ur9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493335/original/file-20221103-18-g45ur9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Note tardive précisant que l’affaire Chaucer/Champagne n’a pas été traduite en justice.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Catalogue ref : KB 136/5/3/1/2</span></span>
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<p>Le terme <em>raptus</em> prendrait un tout autre sens dans ce contexte et le document de 1380 pourrait, dans ce cas, être lu comme une stratégie juridique permettant de contrecarrer de potentielles nouvelles poursuites de Staundon contre Chaucer. En libérant officiellement Chaucer de toutes responsabilités dans cette histoire de droit du travail, elle lui permet de se sortir d’affaire. Le fait est qu’à la période de Pâques en 1380, Staundon retira sa plainte et qu’une note ajoutée plus tard dans la marge de l’assignation précise que l’affaire fut <em>non prosecutum</em> (« non traduite en justice »).</p>
<p>Ces révélations, publiées dans un <a href="https://scholarlypublishingcollective.org/psup/chaucer/article/57/4/403/318660/The-Case-of-Geoffrey-Chaucer-and-Cecily">numéro spécial de <em>The Chaucer Review</em></a>, sont toutefois à nuancer et c’est bien ce qu’on fait les deux chercheurs en proposant à Sarah Baechle, Carissa Harris et Samantha Katz Seal (respectivement spécialistes de littérature médiévale à l’Université du Mississipi, Temple University, et à l’Université du New Hampshire) de contextualiser leur découverte. Ils ont fait en sorte de garder au cœur du débat une approche féministe qui risquerait de pâtir de cette découverte.</p>
<p><a href="https://scholarlypublishingcollective.org/psup/chaucer/article/57/4/475/318658/On-Servant-Women-Rape-Culture-and-Endurance?searchresult=1">Carissa Harris</a> souligne, par exemple, la nécessité de s’intéresser aux femmes en position de servitude que l’on retrouve dans l’œuvre de Chaucer et d’analyser leurs conditions de travails ainsi que leurs obligations, ce qui pourrait éclairer l’affaire Chaucer-Champagne d’une nouvelle manière. De même, <a href="https://scholarlypublishingcollective.org/psup/chaucer/article/57/4/463/318663/Speaking-Survival-Chaucer-Studies-and-the?searchresult=1">Sarah Baechle</a> note que cette découverte est une opportunité de transformer notre approche du poète et de la violence sexuelle. Puisque nous n’avons plus à gérer la culpabilité de Chaucer et la victimisation de Champagne, nous sommes désormais en position d’adopter une approche structurelle nous permettant d’étudier les récits de viols (comme le Conte du Régisseur) du poète sous un nouveau jour. <a href="https://scholarlypublishingcollective.org/psup/chaucer/article/57/4/484/318664/Whose-Chaucer-On-Cecily-Chaumpaigne-Cancellation?searchresult=1">Samantha Katz Seal</a>, de son côté, nous rappelle avec justesse que si Chaucer est innocent, cela n’absout en rien les critiques littéraires et historiens qui ont, au cours du siècle passé, exploité une représentation fantasmée de Champagne et justifié son rôle d’objet sexuel.</p>
<h2>Des zones d’ombre persistantes</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/493354/original/file-20221103-24-bb0f9i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493354/original/file-20221103-24-bb0f9i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493354/original/file-20221103-24-bb0f9i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493354/original/file-20221103-24-bb0f9i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493354/original/file-20221103-24-bb0f9i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493354/original/file-20221103-24-bb0f9i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493354/original/file-20221103-24-bb0f9i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493354/original/file-20221103-24-bb0f9i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les pèlerins des Contes de Canterbury réunis à l’auberge, illustration de l’édition de Richard Pynson en 1492.</span>
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<p>À la lumière de ces documents, il est désormais possible de penser que Chaucer n’ait pas violé Cecily Champagne. Or, si nous avons tous cru pendant si longtemps à ces allégations, c’est bien parce que la poésie de Chaucer, empreinte de violence sexuelle, nous permettait de voir en lui un violeur potentiel (les fabliaux des <em>Contes de Canterbury</em> regorgent d’exemples allant dans ce sens). Sobecki a d’ailleurs été clair à ce sujet durant la présentation en ligne : cette découverte n’enlève rien au fait que la culture du viol existait et existe hélas toujours. Chaucer peut avoir enfreint la loi en employant Champagne avant la fin de son contrat (c’est ce que les nouveaux documents indiquent bel et bien), mais cela n’efface pas entièrement l’ardoise pour autant. Il demeure impossible d’écarter la possibilité qu’une forme de violence physique et/ou sexuelle ait joué un rôle dans ce transfert, d’une manière ou d’une autre.</p>
<p>Cette découverte demeure profondément polémique car loin d’apaiser les esprits (Chaucer est dans les faits innocent), elle soulève énormément de questions quant à notre rapport, en tant qu’universitaires, à la place des femmes dans notre discipline et à leur représentation littéraire. Hélas, cela tend à reléguer dans l’ombre <a href="https://blog.nationalarchives.gov.uk/geoffrey-chaucer-and-cecily-chaumpaigne-rethinking-the-record/">l’incroyable travail réalisé par Sobecki et Roger</a>, et qu’il est important de saluer ici. Mais il est tout aussi essentiel de rappeler que cette découverte ne discrédite en rien les dernières décennies de critique féministe de l’œuvre du poète. Car à y regarder de plus près, ce n’est pas tant Chaucer qui est en cause, un homme du Moyen Âge mort il y a fort longtemps, mais bien la réaction d’hommes et de femmes modernes à une affaire hautement symbolique.</p>
<p>Au final, notre façon d’appréhender cette question en dit long sur notre champ d’études et notre société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193146/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jonathan Fruoco ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis le XIXᵉ siècle, une accusation de viol pesait sur le poète médiéval Geoffrey Chaucer. À tort, si l’on en croit une découverte récente.Jonathan Fruoco, Chercheur associé, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1926832022-10-18T16:41:39Z2022-10-18T16:41:39ZUn procès pour viol dans l’Amérique des années 1940 : le cas Errol Flynn<p>Le 17 octobre 1942, tandis que la guerre du Pacifique fait rage non loin de Los Angeles, l’acteur Errol Flynn est accusé d’avoir violé une jeune fille de 17 ans lors d’une fête à Bel Air, un quartier chic de la ville. C’est le début d’une histoire sombre et pleine de rebondissements, qui va accaparer l’attention du public. Quatre jours plus tard, deux autres accusations sont portées contre lui pour avoir violé à deux reprises une jeune fille de 15 ans à bord de <a href="https://www.abc.net.au/news/2021-08-15/errol-flynn-hellraiser-visit-to-queensland-towns/100373874">son yacht</a> un an auparavant.</p>
<p>C’est ainsi que débute une <a href="https://www.telerama.fr/cinema/la-pin-up-des-annees-30-quand-hollywood-vendait-du-reve...-completement-sexiste,n6307053.php">saga hollywoodienne</a> mettant en lumière un aspect sombre de ce monde privilégié où le sacrifice et la souffrance semblent inexistants. Et cette mise en question de la loi sur l’atteinte sexuelle sur mineur implique la plus grande star de cinéma de l’époque.</p>
<p>Sept ans plus tôt, Flynn était passé du statut d’inconnu australien – un comédien de la Warner Brothers parmi un million d’autres – à celui d’idole d’Hollywood grâce à son rôle-titre dans le film <em>Capitaine Blood</em>, sorti en 1935. Flynn devient rapidement un héros emblématique des films d’action. Il est ce mélange de beauté physique, de charme diabolique, de galanterie et de masculinité coloniale brute constamment mis en scène dans les scènes de combat, une épée à la main.</p>
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<p>En 1942, Flynn avait déjà tourné 19 films et était célèbre pour ses interprétations dans <em>La Charge de la brigade légère</em> (1936), <em>Robin des Bois</em> (1938), <em>L’Aigle des mers</em> (1940), et dans le rôle du héros américain George Armstrong Custer, dans <em>La Charge fantastique</em> (1940).</p>
<p>Il est également célèbre pour avoir incarné un nouveau type de masculinité blanche aux mœurs légères, qui se rebelle contre les limites étouffantes du mariage monogame. Flynn était un mélange de beauté correspondant aux canons de l’époque et de virilité « next door » familière aux publics américains et australiens imprégnés des légendes nationales de conquête.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/488884/original/file-20221009-78090-g8xev5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488884/original/file-20221009-78090-g8xev5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488884/original/file-20221009-78090-g8xev5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488884/original/file-20221009-78090-g8xev5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488884/original/file-20221009-78090-g8xev5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488884/original/file-20221009-78090-g8xev5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488884/original/file-20221009-78090-g8xev5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488884/original/file-20221009-78090-g8xev5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Flynn avec Olivia de Havilland dans la bande-annonce originale des Aventures de Robin des Bois.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Warner Bros</span></span>
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<p>À la fin de l’année 1942, des poursuites judiciaires sont engagées contre Flynn pour les trois accusations de détournement de mineur liées à la fête de Bel Air et à son yacht. Au même moment, les cinéphiles le voient jouer le rôle d’un pilote de l’armée de l’air australienne, Terry Forbes, aux côtés du futur président américain Ronald Reagan, dans un drame anti-nazi émouvant mais improbable, <em>Sabotage à Berlin</em>.</p>
<p>Pendant ce temps, dans tout le Pacifique, les Américains et les Australiens sont engagés dans des batailles titanesques contre les Japonais dans les airs, sur terre et sur mer – les combats s’intensifient. Flynn, comme des centaines de milliers d’autres personnes, tente de s’engager dans les forces armées américaines. (il avait obtenu la citoyenneté américaine juste avant son procès). Refusé parce que souffrant de tuberculose, il n’incarnera l’héroïsme de guerre qu’à l’écran.</p>
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<h2>Privilège colonial</h2>
<p>Flynn a été un « faux » soldat au cinéma, mais son personnage colonial était bel et bien inspiré par sa vie. Né en Tasmanie en 1909, l’enfance de Flynn est marquée par le mariage tumultueux de ses parents. Ses résultats scolaires sont médiocres et il est renvoyé de multiples institutions en Tasmanie, à Londres et à Sydney. À partir de 18 ans, Flynn passe près de six ans dans les colonies australiennes de Papouasie et de Nouvelle-Guinée. Entre 1927 et 1933, il tente de s’enrichir dans toute une série de professions et d’entreprises,</p>
<p>du service gouvernemental à la gestion de plantations de coprah et de tabac, en passant par la gestion de navires interîles, la pêche à la dynamite, la recherche d’or et le recrutement de travailleurs.</p>
<p>Contrairement à des milliers d’autres hommes de sa génération qui deviennent soldats à partir de 1939, ce n’est qu’en Nouvelle-Guinée que Flynn fera usage des armes pour combattre la population locale, une pratique courante dans ce monde colonial.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/if-papua-new-guinea-really-is-part-of-australias-family-wed-do-well-to-remember-our-shared-history-159528">If Papua New Guinea really is part of Australia's 'family', we'd do well to remember our shared history</a>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/488882/original/file-20221009-58516-72oc4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488882/original/file-20221009-58516-72oc4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488882/original/file-20221009-58516-72oc4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=746&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488882/original/file-20221009-58516-72oc4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=746&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488882/original/file-20221009-58516-72oc4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=746&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488882/original/file-20221009-58516-72oc4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=937&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488882/original/file-20221009-58516-72oc4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=937&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488882/original/file-20221009-58516-72oc4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=937&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Errol Flynn pictured in 1940.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p>En Nouvelle-Guinée, Flynn a intériorisé le credo de l’homme blanc colonial avec tous ses pouvoirs et privilèges, en particulier les privilèges sexuels dans un cadre imprégné de violence, que son statut lui confère. Des années après les faits, Flynn a non seulement reconnu avoir eu de nombreuses relations sexuelles en Nouvelle-Guinée, mais aussi les avoir eues avec de très jeunes filles, faisant valoir que l’âge n’avait « pas d’importance » là-bas.</p>
<p>Flynn vivait dans un monde colonial où de telles relations étaient omniprésentes. Selon l’administrateur de la colonie de Nouvelle-Guinée, le fait que les femmes autochtones « aiment ou n’aiment pas » avoir des relations avec des hommes australiens « n’avait pas la moindre importance ». C’est là que Flynn dit <a href="https://www.academia.edu/45535121/Wild_Colonial_Boy_Errol_Flynn_s_Rape_Trial_Pacific_Pasts_and_the_Making_of_Hollywood">être « devenu un homme »</a>.</p>
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<p>Lorsque Flynn, âgé de 33 ans, comparaît devant un tribunal de Los Angeles en octobre 1942 pour répondre de trois accusations de détournement de mineure, ses <a href="https://calisphere.org/item/7a87f5d4e84ed5cadf441eaec19bd0b8/">deux accusatrices</a> sont sorties de l’ombre. En août 1941, Peggy Satterlee, 15 ans, avait fait des excursions d’une journée avec sa sœur sur le bateau de Flynn, le <em>Sirocco</em>. Il l’a ensuite invitée à faire un plus long voyage lors d’un tournage pour le magazine <em>Life</em>. Satterlee a affirmé que le premier soir, après avoir ajouté de l’alcool dans son verre, Flynn est venu dans sa chambre et l’a violée. La nuit suivante, selon elle, il l’a attirée dans une autre cabine et l’a violée à nouveau.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/489293/original/file-20221012-24-h1tqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/489293/original/file-20221012-24-h1tqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489293/original/file-20221012-24-h1tqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489293/original/file-20221012-24-h1tqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489293/original/file-20221012-24-h1tqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489293/original/file-20221012-24-h1tqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489293/original/file-20221012-24-h1tqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489293/original/file-20221012-24-h1tqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Betty Hansen (centre).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Getty</span></span>
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<p><a href="https://tessa.lapl.org/cdm/ref/collection/photos/id/12506">Betty Hansen</a>, quant à elle, avait obtenu son diplôme de fin d’études secondaires à Lincoln, dans le Nebraska, en juin 1942, avant de déménager à Los Angeles, où vivait sa sœur aînée. Alors qu’elle travaillait dans un drugstore, un employé du studio Warner Brothers l’a invitée à la fête de Bel-Air pour rencontrer Flynn. Il lui a dit que Flynn pourrait lui trouver du travail dans le cinéma « si elle jouait le jeu avec lui ».</p>
<p>Betty a obtempéré et après que Flynn lui ait offert un verre, elle s’est sentie mal. Il l’a emmenée à l’étage où, selon elle, il l’avait déshabillée et avait eu des relations sexuelles avec elle.</p>
<p>Pourtant, il a été jugé que les deux filles avaient commis des « délits » : l’une avait subi un avortement et l’autre avait était accusée d’« acte sexuel » illégal avec un autre homme. Elle a été placée en « détention préventive » tout au long de la procédure judiciaire qui a suivi.</p>
<p>Flynn a nié les accusations, affirmant au contraire que les filles essayaient de s’enrichir en portant des accusations contre lui. Flanqué de ses deux avocats, il a traversé un couloir « bondé de femmes curieuses » et de fans pour entendre les preuves contre lui. Les procédures ne lui sont pas favorables et l’affaire donne lieu à une audience préliminaire sur les trois « infractions morales » prévues par la loi.</p>
<p>Immédiatement après cette audience, Flynn commence à semer les graines d’une histoire de conspiration impliquant des studios et des politiciens dans laquelle il se sent piégé, un argument qu’il reprendra une fois l’affaire terminée. « Il est très étrange », a-t-il déclaré, « que je sois aujourd’hui accusé d’un délit présumé qui aurait eu lieu il y a plus d’un an ».</p>
<p>Faisant appel à l’humeur patriotique en temps de guerre, Flynn conclut :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis devenu récemment un citoyen américain et j’ai une foi absolue et durable dans les principes de justice américains. Je suis convaincu que mon innocence sera démontrée au tribunal au-delà de tout doute. »</p>
</blockquote>
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<span class="caption">Les nouvelles des allégations de viol dans le Los Angeles Times.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Author provided</span></span>
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<h2>Sourires et regards</h2>
<p>En novembre, une audience préliminaire est organisée sur les trois accusations. Les légions de fans de Flynn, en particulier les femmes, allaient-elles l’abandonner maintenant qu’il était accusé de viol ? Manifestement pas, à en croire la foule rassemblée à l’extérieur de la salle d’audience dans l’espoir d’apercevoir la star. Les fans les plus chanceux ont obtenu des places à l’intérieur du tribunal pour assister à la procédure, qui devait déterminer si Flynn serait jugé et condamné à une peine potentielle de 50 ans de prison.</p>
<p>Ses avocats trouvent des arguments pour le défendre. Mais Satterlee se souvient très bien que Flynn l’a « attaquée » sur son bateau d’une manière « si sauvage » qu’elle a craint « qu’il ne [la] tue ». Le juge décide qu’Errol Flynn doit répondre de ces accusations et le traduit en justice.</p>
<p>Lorsque le procès de Flynn s’ouvre le 11 janvier 1943, sa prestation dans la salle d’audience est sans doute la plus marquante de sa carrière. Les jeunes accusatrices sont photographiées et sont scrutées de toute part, car elles comparaissent devant le tribunal sans aucune mesure pour protéger leur anonymat. Il s’agit pour le public d’un divertissement gratuit – le plus émoustillant qui soit. La plupart des témoignages sont jugés non imprimables, trop indécents pour les journaux familiaux.</p>
<p>C’est un procès à sensation : des <a href="https://trove.nla.gov.au/newspaper/article/75898454/7414553">foules de femmes</a>, des jeunes filles aux grands-mères, se pressent pour entrer dans la salle d’audience. Des équipes médicales sont là « au cas où des fans s’évanouiraient et devraient être réanimées ». Des barricades sont érigées pour retenir la foule qui se rassemble deux heures avant l’ouverture des portes du tribunal. Lorsqu’elles s’ouvrent, les cartes d’identité ont été vérifiées pour s’assurer qu’aucune femme de moins de 21 ans n’était admise, tant l’affaire semblait indécente pour les oreilles délicates des jeunes femmes.</p>
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<span class="caption">Foule à l’extérieur de la salle d’audience.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Getty</span></span>
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<p>Les accusatrices, loin d’être majeures pourtant, n’ont bénéficié d’aucune protection de ce type, l’accusation et la presse exerçant une pression maximale sur les adolescentes.</p>
<p>À l’extérieur, les femmes se pressent autour du tribunal, s’agrippant à Flynn sur son passage, lui adressant des mots d’encouragement, lui demandant des autographes, et arrachant les boutons de ses costumes sur mesure.</p>
<p>Il reçoit des milliers de lettres d’admirateurs, surtout des femmes. Ses films connaissent un succès retentissant, et Warner Brothers accélère la production de son prochain film, ironiquement intitulé <em>Gentleman Jim</em>. Le procès pour viol de Flynn était « extraordinairement bon pour les affaires » et la popularité de la star, selon un journal.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/488886/original/file-20221009-59215-6ch5ae.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488886/original/file-20221009-59215-6ch5ae.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488886/original/file-20221009-59215-6ch5ae.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488886/original/file-20221009-59215-6ch5ae.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488886/original/file-20221009-59215-6ch5ae.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488886/original/file-20221009-59215-6ch5ae.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488886/original/file-20221009-59215-6ch5ae.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488886/original/file-20221009-59215-6ch5ae.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le film Gentleman Jim, dans lequel Flynn joue le rôle du champion de boxe poids lourd James J. Corbett.</span>
<span class="attribution"><span class="source">idmb</span></span>
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<p>Les femmes ont joué un rôle essentiel en tant qu’accusatrices, témoins et spectatrices, mais les femmes les plus importantes dans toute cette affaire – du moins pour Flynn – furent les jurées.</p>
<p>L’équipe de défense de Flynn souhaitait un jury exclusivement féminin, une tactique à laquelle l’accusation s’est opposée. Un groupe de jurés potentiels a été interrogé pendant près de trois jours pour savoir s’ils croyaient en un « double standard hollywoodien – un pour les acteurs et les actrices et un autre pour les non-professionnels » (mais on ne les a pas questionnés sur un double standard sexuel pour les hommes et les femmes) et s’ils étaient prêts à « renoncer à leur pudeur pour la durée du procès ».</p>
<p>Il leur a été demandé</p>
<blockquote>
<p>« si les témoins plaignants […] pleuraient à la barre des témoins, auriez-vous de la sympathie pour eux ou cela vous amènerait-il à les plaindre ? »</p>
</blockquote>
<p>Un jury composé de neuf femmes et de trois hommes est constitué. Outre leurs noms, leurs professions et leurs adresses, les photographies des jurés sont publiées en bonne place. Les femmes sont des femmes au foyer, les trois jurés masculins sont un épicier et vendeur d’assurance à la retraite, un ingénieur civil à la retraite et un employé d’une société de services publics.</p>
<p>Vêtues d’une tenue sombre et austère de dames « respectables » de la classe moyenne, les femmes jurées semblaient, à première vue, peu susceptibles d’éprouver de l’empathie pour Flynn. Mais il a fait tout son possible pour s’attirer leur sympathie.</p>
<p>Depuis l’autre bout de la salle d’audience, il échangeait <a href="https://trove.nla.gov.au/newspaper/article/202376989?searchTerm=Errol%20Flynn">« des regards et des sourires avec ces dames »</a> comme l’a rapporté un journal, et au fur et à mesure que le procès avançait, il devenait évident que Flynn suscitait quelque chose chez ces femmes, bien qu’elles soient « mûres, pour ne pas dire plus, et que beaucoup d’entre elles portent des lunettes et soient quelconques. »</p>
<h2>Mettre en doute la vertu des accusatrices</h2>
<p>Les avocats de Flynn s’en prennent aux accusatrices sur un ton vengeur. Les jeunes femmes étaient nerveuses et ont trébuché sur l’examen médico-légal des événements qui leur ont été présentés ; elles sont passées aux yeux du jury pour des menteuses complotistes.</p>
<p>De plus, l’équipe de défense a pris soin de souligner qu’il s’agissait de jeunes filles de la classe ouvrière, peu éduquées et peu surveillées, et que leur vertu était très suspecte.</p>
<p>Leur courte histoire sexuelle a fait l’objet d’un examen médico-légal (l’histoire sexuelle prolifique de Flynn a été considérée comme non pertinente) et a été utilisée pour influencer l’opinion du jury sur leur personnalité. La défense a également martelé l’idée que les accusations portées contre Flynn étaient un stratagème pour gagner de l’argent. Le juge a jugé irrecevable le récit vivant de Satterlee. Il a donc retiré l’élément de preuve le plus pertinent et le plus révélateur de l’affaire.</p>
<p>Les témoins de la fête de Bel Air ont donné des récits contradictoires. Entre-temps, un médecin légiste a examiné Satterlee après le voyage en yacht et a signalé des « preuves d’attouchements récents » – mais le tribunal n’en a pas tenu compte parce que le médecin était une femme. Un photographe a également témoigné que Satterlee était en détresse après la sortie en bateau. Mais l’affaire s’est essentiellement résumée au témoignage des filles contre celui de Flynn.</p>
<p>Après que ses avocats aient démoli les accusatrices, c’était au tour de Flynn de venir à la barre. « Sans sourire et sérieux », selon le <em>Chicago Daily Tribune</em>, Flynn n’a pas dévié de son « déni ferme et général » qu’il aurait été coupable d’une quelconque inconduite. Il a catégoriquement nié avoir eu des relations sexuelles avec l’une ou l’autre des filles, même s’il a reconnu avoir emmené Satterlee sur son yacht et rencontré Hansen à la fête.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/488888/original/file-20221009-58588-2je82q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488888/original/file-20221009-58588-2je82q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488888/original/file-20221009-58588-2je82q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488888/original/file-20221009-58588-2je82q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488888/original/file-20221009-58588-2je82q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488888/original/file-20221009-58588-2je82q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488888/original/file-20221009-58588-2je82q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488888/original/file-20221009-58588-2je82q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Flynn n’a pas dévié d’un déni ferme et général.</span>
<span class="attribution"><span class="source">imdb</span></span>
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<p>Lors d’un contre-interrogatoire, l’avocat principal de Flynn s’est tenu au milieu de la salle d’audience et a posé une série de questions courtes couvrant les allégations contre lui. Flynn a <a href="https://trove.nla.gov.au/newspaper/article/140455761?searchTerm=Errol%20Flynn">« répondu par des négations théâtrales »</a>“.</p>
<p>C’était ensuite au tour du procureur adjoint d’interroger le témoin. Malgré un « interrogatoire éreintant », Flynn n’a pas « bougé ». Il livrait une performance brillante à son public.</p>
<p>Lorsque le procureur a présenté ses arguments finaux, il a <a href="https://trove.nla.gov.au/newspaper/article/78467194?searchTerm=Errol%20Flynn#">imploré le jury</a> de voir au-delà du « charme » de Flynn. Flynn « a utilisé son grand talent d’acteur à des fins répréhensibles », a-t-il déclaré, mais il doit être traité comme tout autre homme, et être envoyé en prison pour ses crimes.</p>
<p>L’avocat principal de Flynn a gardé sa plus grande performance pour la fin. Il a exhorté les jurés à « libérer Flynn et à le renvoyer à Hollywood comme l’une de ses plus brillantes étoiles ». Flynn était un homme honorable « mis à mal par deux intrigantes qui l’accusaient de détournement de mineure ».</p>
<p>Selon l’AAP, <a href="https://trove.nla.gov.au/newspaper/article/167645222?searchTerm=Errol%20Flynn">l’avocat Jerry Geisler</a> a crié pour souligner ses arguments. Il a même sauté à la barre des témoins, et a « fait un numéro d’imitation féminine », en croisant les jambes et en imitant la diction de l’une des accusatrices.</p>
<p>Le juge <a href="https://trove.nla.gov.au/newspaper/article/231749431?searchTerm=Errol%20Flynn">a prévenu le jury</a> qu’il devait considérer le témoignage des deux accusatrices « avec beaucoup de soin et de prudence ».</p>
<p>Il a également déclaré aux jurés que « le certificat de naissance n’était qu’une preuve prima facie et non une preuve concluante », arguant essentiellement que Flynn avait été trompé en pensant que les accusées étaient plus âgées qu’elles ne l’étaient, de sorte que la relation sexuelle (même si elle avait eu lieu) n’était pas en cause. On a clairement expliqué au jury que les deux jeunes femmes étaient des prédatrices.</p>
<p>Le 6 février, le jury a rendu son verdict.</p>
<p>À la lecture des trois verdicts « non coupable », Flynn bondit de sa chaise et se précipite vers la présidente du jury, avant d’adresser à chaque juré, même aux deux hommes âgés qui ont résisté à son acquittement, ses plus profonds remerciements et sa gratitude.</p>
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<span class="caption">Flynn serre la main du jury après le verdict.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La salle d’audience a explosé. Une foule de femmes « semi-hystériques » a assailli Flynn à l’extérieur. « Ma confiance dans la justice américaine est maintenant pleinement justifiée. Je le pense vraiment », <a href="https://trove.nla.gov.au/newspaper/article/2620470?searchTerm=Errol%20Flynn#">a-t-il déclaré</a>. « Je ne suis pas devenu un citoyen américain pour rien ».</p>
<p>Lorsqu’on lit le procès de Flynn aujourd’hui, il est difficile de ne pas penser à la résurgence de forces profondément conservatrices en Amérique, réaction à l’émancipation sociale des femmes. L’avortement, par exemple, est à nouveau un crime dans de nombreux États.</p>
<p>Le spectacle public que fut ce procès rappelle également le <a href="https://www.nbcnews.com/pop-culture/pop-culture-news/johnny-depp-amber-heard-defamation-trial-summary-timeline-rcna26136">procès en diffamation de Johnny Depp contre Amber Heard</a>. Les enjeux juridiques de ce récent procès étaient complètement différents – Depp intentait un procès en diffamation. Mais l’affaire a mobilisé des légions de fans de Depp autour du tribunal et sur Internet, qui ont méprisé Amber Heard. Rappelons que rôle le plus apprécié de Depp est celui d’un pirate crapuleux, Jack Sparrow.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/the-johnny-depp-amber-heard-defamation-trial-shows-the-dangers-of-fan-culture-182557">The Johnny Depp-Amber Heard defamation trial shows the dangers of fan culture</a>
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<p>Errol Flynn a été l’une des premières stars du cinéma à connaître une telle célébrité. Son procès a pris la forme d’un véritable cirque médiatique, dans lequel le privilège masculin n’a jamais été mis en cause. Il avait vaincu ce qu’il appelait, en écho à la Nouvelle-Guinée coloniale, « les chasseurs de têtes de Californie ». Ses accusatrices adolescentes, attirées par les lumières d’Hollywood, ont été contraintes de participer à un procès traumatisant au cours duquel l’exploitation des jeunes femmes par l’industrie n’a été que brièvement exposée.</p>
<p>Bien qu’elles aient été présentées comme des prédatrices et des complotistes, les deux jeunes filles ont tenté de retrouver l’anonymat et de reconstruire leur vie après le procès. Il faudra attendre le mouvement #MeToo en 2017 – 75 ans plus tard – pour que les abus systématiques inscrits dans les structures de pouvoir d’Hollywood soient pris au sérieux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192683/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patricia A. O'Brien a reçu un financement en tant que Future Fellow de l'Australian Research Council.</span></em></p>En octobre 1942, Errol Flynn est l’une des plus grandes stars de cinéma au monde. Lorsque deux adolescentes l’accusent de viol, son procès devient un spectacle public et offre un aperçu des doubles standards sexuels.Patricia A. O'Brien, Faculty Member, Asian Studies Program, Georgetown University; Visiting Fellow, Department of Pacific Affairs, Australian National University., Georgetown UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1830152022-08-18T13:16:16Z2022-08-18T13:16:16ZAgression sexuelle durant l’enfance : comment les hommes font-ils face à ce trauma ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/465101/original/file-20220524-25-39tcsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C1%2C982%2C672&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une majorité d’hommes victimes sont réticents à demander de l’aide et prennent des années, voire des décennies, avant de dévoiler l’agression dont ils ont été victimes.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>L’agression sexuelle est un enjeu social et de santé publique qui a pris sa place dans l’espace public au cours des dernières années, notamment à travers les mouvements de dénonciations tels que <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/mouvement-moiaussi">#moiaussi</a> et <a href="http://www.rqcalacs.qc.ca/projets/17-onvouscroit">#onvouscroit</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-deuil-chez-les-hommes-cinq-mythes-a-deboulonner-177507">Le deuil chez les hommes : cinq mythes à déboulonner</a>
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<p>Toutefois, les hommes qui dévoilent leur victimisation sont peu nombreux, et le sujet reste tabou. Ceci est particulièrement vrai au sein d’une socialisation masculine traditionnelle qui inculque l’idée qu’un homme, « un vrai homme », doit être fort, ne parle pas de ses problèmes et n’a pas besoin d’aide. Par ricochet, il ne peut donc pas être une « victime ».</p>
<p>Il peut ainsi s’écouler des années, voire des décennies, avant que ces hommes dévoilent les agressions dont ils ont été victimes, tout en souffrant de répercussions sur leur <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/9635069/">santé neurodéveloppementale, physique, psychologique, sexuelle et relationnelle</a>.</p>
<blockquote>
<p>J’ai de la difficulté à garder des relations et tout ça, la seule façon que j’ai connu pour garder des relations c’est d’accommoder l’autre, de faire des choses que je n’ai pas envie. Accepter des choses qui ne correspondent pas à mes valeurs ou à mes besoins. (Chuck, 36 ans)</p>
</blockquote>
<p>À titre de membres <a href="https://cnvam.natachagodbout.com/fr/accueil">fondateurs du CNVAM</a>, un partenariat qui réunit différents acteurs soucieux de promouvoir les connaissances empiriques sur la victimisation au masculin et leurs applications pratiques, nous avons développé une expertise en recherche interventionnelle auprès des adultes survivants de traumas interpersonnels en enfance, sur les violences sexuelles, les réalités masculines et la mobilisation des connaissances dans le cadre d’approches participatives.</p>
<blockquote>
<p>J’ai toujours peur qu’on se serve de mes faiblesses pour me blesser. (Ludger, 63 ans)</p>
</blockquote>
<p>Cet article présente notre initiative de création de <a href="https://cnvam.natachagodbout.com/fr/capsules-videol">cinq capsules vidéos</a> – en partenariat avec des hommes victimes et des représentants d’organismes spécialisés dans l’intervention auprès d’eux – visant à sensibiliser le grand public à l’ampleur des agressions sexuelles chez les garçons, aux conséquences de ces crimes et aux réponses favorisant le rétablissement de ces victimes.</p>
<h2>L’agression sexuelle, ça arrive aussi aux garçons</h2>
<p>Entre <a href="https://natachagodbout.com/sites/default/files/pdf/emotional%20and%20sexual%20correlates%20-%20vaillancourt.pdf">8 % et 20 %</a> des hommes ont été victimes d’agression sexuelle pendant leur enfance, selon les études menées au Québec, au Canada et à l’internationale. Or, ces crimes demeurent invisibles, peu documentés dans les écrits scientifiques, et peu discutés dans la sphère publique. Ceci entrave le cumul d’informations nécessaires pour guider les interventions et la sensibilisation auprès de la population.</p>
<p>Il importe de reconnaître cette problématique sociale pour faire tomber les tabous et mobiliser des réponses sociales favorisant la guérison des survivants. Dans cette optique, la capsule vidéo <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3zMvTqpdW30">« Ça arrive aussi aux garçons »</a>, met en scène des hommes victimes qui témoignent de leur expérience. Elle informe le public sur les prévalences, les caractéristiques de ces agressions (majoritairement commises par des personnes connues, et certains hommes ont été abusés par une femme), et les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3zMvTqpdW30">répercussions</a> qui affectent l’identité (vide intérieur, faible estime), le fonctionnement relationnel (détresse conjugale), la santé mentale (dissociation, détresse psychologique), et le parcours scolaire puis socioéconomique des victimes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3zMvTqpdW30?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les agressions sexuelles, ça arrive aussi aux garçons.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Dévoilement et demande d’aide</h2>
<p>Les hommes dévoilent peu les abus subis et mettent entre <a href="https://www.pulaval.com/produit/les-realites-masculines-oubliees">25 et 42 ans</a> avant de demander de l’aide.</p>
<p>Des données recueillies auprès de 105 hommes qui consultent un organisme spécialisé dans l’accompagnement d’hommes victimes d’abus sexuels montrent que <a href="https://www.acfas.ca/evenements/congres/programme/89/400/428/c">57 % n’avaient jamais dévoilé les abus vécus avant d’initier leur processus</a>.</p>
<p>L’internalisation des stéréotypes associés à la masculinité (un homme n’est pas une victime, doit faire preuve de force) peut, entre autres, nuire au dévoilement et à la guérison. Ces éléments sont exprimés par des hommes victimes eux-mêmes dans la capsule vidéo intitulée <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lrfuLmxC8Gk">« Briser le silence »</a>, produite par l’équipe du CNVAM.</p>
<blockquote>
<p>On parle pas de ça. Faut que ça reste secret, c’est honteux. (Denis)</p>
<p>Ça nourrissait la honte, le sentiment d’être une mauvaise personne. T’as pas dit non, donc t’as consenti. (Daniel)</p>
</blockquote>
<p>Or, le fait de nier la souffrance causée par les abus les prive de la possibilité de soutien de leurs proches et de professionnels. Également, étant donné que les conséquences des abus émergent malgré tout, ils ont tendance à consulter en tout dernier recours pour des problèmes exacerbés ou cristallisés, tels que la dépression, l’abus de substances, des problèmes relationnels ou de gestion de la colère.</p>
<p>Alors que la demande d’aide est jonchée d’obstacles, « en parler ouvertement, librement, sans peur, permet de déplacer le fardeau de la honte sur l’agresseur », selon Daniel, un homme survivant.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qFgdoWbufDo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Demander de l’aide a des effets bénéfiques.</span></figcaption>
</figure>
<h2>L’accueil du dévoilement et la guérison</h2>
<p>La réaction de l’entourage des hommes face au dévoilement joue un rôle clé. Des <a href="https://natachagodbout.com/sites/default/files/pdf/All%20Involved%20in%20the%20Recovery.pdf">réponses négatives</a> sont liées à une augmentation de la détresse psychologique et relationnelle à l’âge adulte. Bien que certaines victimes masculines expriment leur vulnérabilité, d’autres manifestent leur souffrance à travers colère et irritabilité, ce qui augmente le défi pour les proches et les professionnels à les accueillir avec bienveillance.</p>
<p>Une réponse favorable au dévoilement est centrale au processus de rétablissement et se caractérise par :</p>
<ul>
<li><p>Écouter sans jugement, sans minimiser ni amplifier ;</p></li>
<li><p>S’assurer de la sécurité de la personne ;</p></li>
<li><p>Croire – il s’agit de sa perception et de son vécu ;</p></li>
<li><p>Respecter le rythme ;</p></li>
<li><p>Souligner la force et le courage de dévoiler ;</p></li>
<li><p>Valider les émotions, réactions ;</p></li>
<li><p>Donner de l’information (impacts, ressources et recours possibles) ;</p></li>
<li><p>Reconnaître et déconstruire les mythes.</p></li>
</ul>
<p>Une <a href="https://youtu.be/bxGwZAtMRmo">réaction favorable</a> de l’entourage est centrale au processus de rétablissement.</p>
<h2>Vers des réponses sensibles aux traumas</h2>
<p>La guérison passe par un changement de paradigme qui délaisse la tendance classique de demander : « C’est quoi le problème avec lui ? » ou même « C’est quoi le problème avec moi ? » pour plutôt chercher à comprendre [« Qu’est-ce qui lui est arrivé ? »], <a href="https://www.youtube.com/watch?v=1smqY0nKULQ">« Qu’est-ce qui s’est passé dans ma vie et qui me permettrait de mieux comprendre et modifier mes réactions, mes états, ma souffrance ? »</a>.</p>
<p>Reconnaître l’abus sexuel en enfance vécu par les hommes comme une problématique sociale contribue à faire tomber le tabou, à développer les services spécialisés en intervention auprès de cette population et à libérer la parole des survivants qui expriment que <a href="https://www.youtube.com/watch?v=1smqY0nKULQ">« C’est important de reprendre sa liberté »</a>, tel qu’énoncé par Alain, un homme survivant.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1smqY0nKULQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les hommes victimes doivent reprendre leur liberté.</span></figcaption>
</figure>
<p>Nous avons tous et toutes un rôle majeur à jouer pour créer un tissu social qui favorise la guérison des personnes victimes et qui résiste à retraumatiser ces personnes, à force d’écoute, d’ouverture, d’éducation et de bienveillance.</p>
<p>Les <a href="https://ncsacw.acf.hhs.gov/userfiles/files/SAMHSA_Trauma.pdf">approches sensibles aux traumas</a> ont d’ailleurs été élaborées devant le constat du caractère endémique des expériences de traumas et de leurs répercussions. Ces dernières, lorsque négligées, entravent la santé et le bien-être des victimes, et exacerbent le risque pour les victimes de vivre des expériences retraumatisantes au sein de nos sociétés, de nos systèmes et de nos institutions publiques.</p>
<p>L’objectif des pratiques sensibles aux traumas est de promouvoir une meilleure compréhension des traumas vécus par les personnes et de leurs effets, d’atténuer leurs répercussions et de ne pas retraumatiser les victimes. Elles rappellent l’importance de :</p>
<ul>
<li><p>Réaliser l’ampleur du phénomène et ses impacts ;</p></li>
<li><p>Reconnaître les manifestations des effets de ces traumas ;</p></li>
<li><p>Répondre aux besoins des personnes victimes en leur offrant des interventions appuyées par des données probantes ;</p></li>
<li><p>Résister à retraumatiser ces personnes (par des réponses inadaptées).</p></li>
</ul>
<p>Vous aussi pouvez faire une différence !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183015/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Natacha Godbout dirige TRACE--l’unité de recherche et d’intervention sur les TRAumas et le CouplE et elle est membre-chercheure au CRIPCAS-Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles, et au sein des équipes de recherche ÉVISSA-Équipe sur la violence et la santé sexuelle, SCOUP-Équipe sur la Sexualilté les traumas et le COUPle et du Pôle d’expertise en santé et bien-être des hommes. Elle a reçu des subventions de recherche pour mener ses travaux des Fonds de recherche du Québec, des IRSC - Instituts de recherche en santé du Canada, et du CRSH-Conseil de recherches en sciences humaines. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mylène Fernet est titulaire du Laboratoire d'études sur la violence et la sexualité - Fondation canadienne pour l'innovation. Elle
est membre-chercheure au CRIPCAS-Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles, et au sein des équipes de recherche ÉVISSA-Équipe sur la violence et la santé sexuelle et SAS-Femmes- Collectif de recherches et d'actions pour la Sécurité, l'Autonomie et la Santé des Femmes. Elle a reçu des subventions de recherche pour mener ses travaux des Fonds de recherche du Québec, du CRSH-Conseil de recherches en sciences humaines, du Secrétariat à la condition féminine du Québec et du Ministère de l'Enseignement supérieur du Québec.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jean-Martin Deslauriers et Stephanie Pelletier ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les hommes qui dévoilent les violences et abus sexuels subis sont peu nombreux et le sujet demeure particulièrement tabou.Natacha Godbout, Full Professor, Professeure titulaire, Sexologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)Jean-Martin Deslauriers, Professeur, L’Université d’Ottawa/University of OttawaMylène Fernet, Professeure titulaire, Département de sexologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)Stephanie Pelletier, Coordonnatrice de recherche, Unité de recherche et d'intervention sur le TRAuma et le CouplE (TRACE), Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1860912022-06-30T17:01:52Z2022-06-30T17:01:52ZDénonciation publique de la maltraitance en gynécologie : une approche éthique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/471678/original/file-20220629-20-bd7g1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=24%2C0%2C5365%2C2383&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Trouver la juste distance lors de certains examens médicaux qui touchent à l'intime est complexe.</span> <span class="attribution"><span class="source">Halyna Dorozhynska / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La notion de consentement dans le cadre des examens gynécologiques ou touchant à l’intimité pose des questions fortes et spécifiques. Elle est au cœur du <a href="https://www.ccne-ethique.fr/node/539?taxo=0">nouvel avis (n°142)</a> tout juste publié par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE). Le 20 mars dernier, c'est l'Académie nationale de chirurgie qui « se mobilis[ait] pour que les droits
fondamentaux autant des patients que des professionnels de santé soient respectés », rappelant que « les examens physiques, justifiés par la nécessité des soins, puissent continuer d’être réalisés par les professionnels de santé selon la règle de l’art et sans
crainte ».</p>
<p>Les actes gynécologiques ont ceci de spécifique qu’ils exposent à un dévoilement de ce qu’une patiente a de plus intime. Ce n’est pas le seul champ médical à demander une grande proximité dans le cadre d’examens et de soins, mais ils ont trait à l’intégrité, physique et morale, de la personne comme peu d’autres.</p>
<p>Cette complexité demande une vigilance particulière, une réflexion pour trouver la juste distance entre soignant et patiente et prévenir au maximum les risques d’atteinte à cette intégrité.</p>
<p>Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes consacre un chapitre de son rapport <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_les_actes_sexistes_durant_le_suivi_gynecologique_et_obstetrical_20180629.pdf">« Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical »</a> aux « violences sexuelles : harcèlement sexuel, agression sexuelle et viol » :</p>
<blockquote>
<p>« Enfin, parmi les faits signalés lors des auditions ou dans les témoignages publiés dans les différentes sources mobilisées, certains relèvent sans conteste de violences sexuelles, par exemple :</p>
<p>– Invitations à dîner récurrentes, regards insistants, questions intrusives sur la vie sexuelle de la patiente sans lien avec la consultation ;</p>
<p>– Toucher les seins d’une femme ou pratiquer une palpation mammaire sans aucune justification médicale et/ou sans recueillir le consentement de la patiente ;</p>
<p>– Pénétrer une patiente avec ses doigts, un objet et a fortiori avec son sexe sans aucune justification médicale et/ou sans recueillir le consentement de la patiente.</p>
<p>Cette typologie montre qu’il ne s’agit donc pas de mettre sur le même plan une remarque déplacée sur la pilosité ou le poids d’une patiente et un viol commis dans le cadre du soin, mais bien de montrer que ces actes s’inscrivent dans un continuum sexiste. » </p>
</blockquote>
<p>Le 21 octobre 2021, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français rendait publique une <a href="http://www.cngof.net/Publications-CNGOF/Pratique-clinique/Examen-gynecologique/Charte-de-consultation-gynecologie%20-obst%C3%A9trique-2021-10.pdf">Charte de la consultation en gynécologie ou en obstétrique</a>. Il fixe un cadre déontologique à l’examen clinique conditionné par sa justification médicale et le souci accordé aux modalités éthiques de cette pratique soumise à l’acceptation de la femme et au devoir de respect.</p>
<blockquote>
<p>« L’examen peut comporter une palpation des seins, une palpation abdominale, un toucher vaginal avec gant ou doigtier, et l’usage de matériels médicaux tels qu’un spéculum ou une sonde endovaginale. Dans certains cas, le recours à un toucher rectal après explications peut être justifié. »</p>
<p>« L’examen doit pouvoir être interrompu dès que la patiente en manifeste la volonté. Aucune pression, en cas de refus, ne sera exercée sur elle ; il convient alors de l’informer de l’éventuelle nécessité d’un nouveau rendez-vous pour réaliser l’examen, si celui-ci est indispensable, et de l’informer des limites diagnostiques et thérapeutiques que cette absence d’examen clinique peut entraîner. »</p>
</blockquote>
<p>Ces deux contributions font apparaître la complexité et les possibles interprétations, voire les contestations et dénonciations d’une pratique médicale intervenant dans la sphère de l’intime, au point de n’être justifiable et acceptable que dans le cadre d’une relation de confiance incompatible avec la moindre suspicion.</p>
<p>L’instruction judiciaire permettra d’apprécier si les plaintes pour viol dont fait l’objet l’actuelle secrétaire d’État à la Francophonie dans son exercice professionnel de gynécologue sont ou non fondées. Leur impact dans le débat public justifie cependant une approche éthique de nature à expliciter la spécificité de ces interventions qui ne sauraient être entachées d’un soupçon de déviance ou de maltraitance.</p>
<p>Observons d’emblée que les représentations de pratiques médicales intrusives ne concernent pas seulement la gynécologie-obstétrique comme il en est débattu dans l’actualité immédiate. D’autres actes qui affectent l’intimité comme la coloscopie en gastro-entérologie ou la pose d’une sonde urinaire, mais tout autant des traitements routiniers parfois ressentis comme une maltraitance peuvent être considérés insupportables, inconciliables avec l’exigence de la prévenance développée dans une démarche éthique du <em>care</em>.</p>
<p>Dans d’autres champs médicaux, comme la psychiatrie, des règles de déontologie imposent également une vigilance particulière. La personne malade y est dans une position de dépendance psychique et physique, susceptible de l’exposer à des arbitraires (contention, « camisole chimique », atteinte à sa dignité et à son intégrité).</p>
<h2>Pourquoi de telles mises en cause ?</h2>
<p>D’un point de vue éthique, ce dont témoignent les mises en causes publiques de professionnels de santé intervenant dans une proximité du soin qui impose des règles de juste présence et de juste distance soucieuses du respect de l’intégrité morale de la personne, c’est d’une défiance et d’une condamnation de l’intolérable qui en appellent à des clarifications, à une parfaite transparence et si nécessaire aux évolutions des pratiques.</p>
<p>Il y va parfois d’une incompréhension relative à ce qui apparaît comme une violence et une indifférence inacceptable dans le cadre d’une intervention qui justifie pour le moins l’expression d’une sollicitude attestée par la qualité d’un dialogue, d’une concertation réelle avant tout acte médical et le recours aux dispositifs prévenant et atténuant la douleur.</p>
<p>L’acte soignant n’est acceptable que dans sa justification, sa compréhension, sa proposition et son appropriation par la personne à laquelle il est prescrit dans le cadre d’une alliance thérapeutique fondée sur les principes de bienveillance, de consentement à une intervention comprise dans son intérêt et mise en œuvre en minimisant les possibles conséquences péjoratives.</p>
<p>Le geste technique en gynécologie-obstétrique se situe habituellement dans la continuité d’une relation médicale élaborée dans le temps et conditionnée par un rapport personnel de proximité qui se tisse et de définit dans le cadre d’un colloque singulier. Il engage une responsabilité médicale ayant ses spécificités et ses obligations particulières. Il peut également intervenir dans le contexte délicat d’une interruption volontaire de grossesse ou d’une complication imposant une intervention dans l’urgence qui ne peut pas être différée. La consultation consiste aussi en l’annonce d’un risque ou de la suspicion d’une pathologie grave qui nécessite des explorations et des examens complémentaires dans un contexte où culminent les inquiétudes. C’est dire la diversité des circonstances qui, du fait de leur sensibilité, exigent un souci d’humanité et la rigueur dans les comportements.</p>
<p>Rien ne saurait justifier un geste ressenti comme abusif, inapproprié, indécent, indigne et d’une brutalité assimilée à un viol. C’est l’esprit même du code de Nuremberg (1947) que d’instituer une éthique de la médecine et de la recherche attentive à protéger la personne de toute atteinte à sa dignité, à ses valeurs, à ses droits et à son libre choix.</p>
<p>Respecter l’autre, préserver l’humanité du soin, c’est être conscient que des mentalités et des pratiques irrespectueuses, routinières et indifférenciées s’opposent aux valeurs dont est garant tout professionnel de santé.</p>
<p>Il est tenu à une vigilance, une retenue et une attention de chaque instant, tout particulièrement dans les circonstances de grande vulnérabilité, quand la personne peut avoir le sentiment d’être livrée à son regard et soumise à des actes médicaux qui l’exposent à ce qu’elle éprouve comme un dévoilement, une mise à nu impudique, voire à une pénétration de ce qu’elle a de plus intime. Le geste clinique est doté d’une signification anthropologique et a un impact psychologique dont le praticien doit avoir conscience afin de créer un environnement relationnel favorable à son acceptabilité.</p>
<h2>Ce qu’être irrespectueux de la dignité d’une personne signifie</h2>
<p>L’histoire de la gynécologie-obstétrique est marquée par la mémoire des souffrances indues endurées par la femme, en situation d’urgence vitale, sollicitant l’intervention d’un médecin à la suite d’un « avortement clandestin » qui s’était compliqué. Ce moralisme médical punitif d’un autre temps imposait à la femme une culpabilisation, des violences et des humiliations provoquées selon une conception pervertie de l’idée de catharsis, pour ne pas dire de châtiment !</p>
<p>Il n’est pas certain que dans notre société sécularisée ne persistent pas les traces d’une culture doloriste dont les exactions commises sur la femme seraient une expression. Cela justifierait de la part des instances de la déontologie médicale des positions encore plus déterminées.</p>
<p>Rappelons qu’il était procédé autrefois à l’exposition en amphithéâtre des « cas cliniques » sans susciter la réticence morale de professionnels exhibant une personne et la soumettant à toute sorte d’expérimentations et de manipulation au nom de « l’intérêt de la science » et au mépris de sa dignité. La « grande visite » au pied du lit de la personne hospitalisée était elle aussi menée sans souci de son consentement et de sa pudeur, y compris lorsqu’une cohorte d’étudiants étaient appelés à s’exercer à des gestes intrusifs parfois sans même adresser la parole au malade qui les subissait. Ce qui était considéré tolérable hier ne l’est plus aujourd’hui. Cela ne peut que nous inciter à davantage de résolution à l’encontre de pratiques résiduelles inconciliables avec ce qui est institué par la loi.</p>
<p>Ainsi, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé conditionne les examens à des fins pédagogiques au consentement de la personne :</p>
<blockquote>
<p>« L’examen d’une personne malade dans le cadre d’un enseignement clinique requiert son consentement préalable. Les étudiants qui reçoivent cet enseignement doivent être au préalable informés de la nécessité de respecter les droits des malades énoncés au présent titre. » (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000227015/">Code de la santé publique, article L. 111-4</a></p>
</blockquote>
<p>Cette loi affirme que « La personne malade a droit au respect de sa dignité ». Elle concerne donc les pratiques en gynécologie-obstétrique objets actuels de controverses. Et s’il était nécessaire de surligner la valeur de cette avancée législative dite de « démocratie sanitaire » de manière plus générale, un témoignage suffirait. Une infirmière exerçant dans un établissement hospitalier parisien évoquait avec émotion l’une de ses premières indignations à son arrivée dans un service de gériatrie dans les années 1970. Des personnes âgées étaient « lavées au jet d’eau » dans la cour de l’hôpital sans que cela ne suscite à l’époque la protestation de qui que ce soit !</p>
<p>De tels arbitraires pourraient même relever du concept de « traitement inhumain ou dégradant ». Pour autant, du fait même de la gravité et de la complexité des circonstances à nouveau évoquées aujourd’hui à propos des suspicions de maltraitances en gynécologie, une extrême prudence s’impose avant de mettre en cause un médecin sans avoir pu apporter la preuve judiciaire que son intervention bafouait la déontologie médicale et tout autant les valeurs d’humanité :</p>
<blockquote>
<p>« Le médecin, au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité […] » (Code de déontologie médicale (2021), Code de la santé publique, article R.4127-2)</p>
<p>« […] Il (le médecin) ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée » (<a href="https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/codedeont.pdf">art. R.4127-7</a>)</p>
</blockquote>
<p>Afin de prévenir les risques d’exactions ou de mises en causes infondées, les pratiques du soin évoluent dans le cadre de concertions éthiques mais également, par prudence nécessaire, en sollicitant le principe de précaution. J’ai parfois été saisi par des équipes exerçant en Ehpad confrontées au signalement d’attouchements par un soignant au cours d’une toilette ressentie comme un viol, ce qui devait être porté à la connaissance du procureur de la République.</p>
<p>Au regard de ce risque, nombre de professionnels n’interviennent plus seuls, mais dans le cadre de binômes censés superviser et assurer la pertinence de l’intervention. Quelle attitude adopter dans la prise en compte de la protestation du proche d’une personne affectée dans sa faculté de jugement par une maladie neuro-évolutive qui dénonce un viol dans la nuit, qu’il soit commis par un résident ou un professionnel ? Le signalement administratif au sein d’un établissement est immédiat, et engage à mettre en œuvre une procédure dont, quelques soient la crédibilité des incriminations et l’issue de l’investigation, sera irrévocablement préjudiciable à la réputation du professionnel incriminé, dans bien des cas à tort.</p>
<p>Dans des pays comme les États-Unis, le recours à la justice afin d’obtenir des réparations financières suite à une consultation en gynécologie-obstétrique estimée contestable dans ses procédures ou attentatoire à la dignité de la personne, a incité les professionnels à s’équiper de caméras pour enregistrer l’entretien et les différents actes de soin.</p>
<p>La sphère intime de la relation de soin est alors soumise à l’intrusion d’un contrôle visuel qui sera archivé, parfois renforcé par la présence d’un autre soignant ou d’un proche de la personne qui consulte.</p>
<p>L’application de la télémédecine à la gynécologie ou à l’urologie n’est pas sans interroger sur les conditions de respect de l’intimité du colloque singulier dans la relation de soin.</p>
<p>De manière récurrente, et dans un domaine qui concerne également des conceptions assimilées par certains au respect de la dignité et de l’intégrité, il est fait état du refus pour raison communautariste d’un examen gynécologique qui serait pratiqué par un homme.</p>
<p>Il nous faudrait donc approfondir ces enjeux en dehors des controverses suscitées par des événements qui font, parfois à juste titre, irruption dans l’actualité.</p>
<h2>Respecter la parole des femmes meurtries et la présomption d’innocence</h2>
<p>Le contexte polémique qui affecte les pratiques soignantes n’est pas l’apanage de la gynécologie-obstétrique. Il doit être compris comme révélateur d’une sensibilité et d’exigences morales et sociales dont nous devons prendre collectivement la mesure.</p>
<p>Faute d’une concertation à la hauteur des enjeux et d’un cadre règlementaire à renforcer, les professionnels concernés pourraient, par précaution, être incités à renoncer à intervenir là où des enjeux vitaux pour la femme sont engagés. Je pense à ce temps passé à tenter de convaincre une personne réticente à un examen ou à un traitement : cette démarche en responsabilité d’un soignant pourrait être considérée de manière subjective comme l’exercice d’une pression abusive, voire une maltraitance morale.</p>
<p>L’indication de certains examens exploratoires au même titre que celle d’un acte chirurgical mutilant (par exemple des interventions intrusives à visée préventive du cancer justifiant l’ablation de ce à quoi une femme est la plus attachée du point de vue de son identité) pourrait a posteriori être contestée par la patiente qui y trouverait matière à contestation en dépit d’une information loyale et de son consentement.</p>
<p>Il est évident que ce désinvestissement des professionnels porterait davantage préjudice aux femmes les plus en situation de vulnérabilité qui rencontrent déjà tant d’obstacles à bénéficier d’un suivi gynécologique indispensable.</p>
<p>Dans une question posée le 5 août 2021 au ministère de la Santé et des Solidarités, la sénatrice Françoise Dumont évoque le sinistre dans l’accès à des gynécologues : « Entre 2007 et 2020, la France s’est vue perdre 52,5 % de ses effectifs en gynécologues médicaux, à savoir 1022 médecins en 13 ans. De surcroît, au 1<sup>er</sup> janvier 2020, 12 départements de métropole n’avaient aucun gynécologue médical, soit 5 départements de plus qu’en 2018. » (« Démographie inquiétante des gynécologues médicaux en France », Question écrite n° 24116 de Françoise Dumont, JO Sénat du 5 mai 2021, p. 4801)</p>
<p>Les contraintes d’un exercice professionnel sollicitant une disponibilité constante dans un contexte de pénurie peu favorable à motiver les vocations, les responsabilités juridiques attachées à cette spécialité médicale imposant des primes d’assurances d’un montant particulièrement élevé auxquelles s’ajoutent les risques de mise en cause morale qui, quelque puissent être les éventuelles conclusions judiciaires portent un préjudice à la réputation des professionnels mis en cause, ne sont pas des incitations favorables à l’avenir de la gynécologie-obstétrique. Ce constat mérite d’être pris en compte : en <a href="https://drees.shinyapps.io/demographie-ps/">2021, 2274 gynécologues médicaux et 5489 gynécologues-obstétriciens exerçaient en France</a>.</p>
<p>Une fois encore, l’exigence de démocratie en santé mérite une concertation nationale afin d’éviter de s’engager dans la voie sans issue d’une méprise ou de mépris susceptibles de désinvestir de leurs engagements au service de tous ceux qui ne sont plus désignés et conspués que dans leurs insuffisances, leurs impérities voire leur inhumanité, et dont on conteste sans esprit de nuance l’éminente valeur de leur fonction dans la société. Je n’ai pas lu ces derniers jours les témoignages significatifs de femmes qui reconnaissaient à leur gynécologue la qualité d’un suivi compétent et humain dont elles étaient satisfaites.</p>
<p>La parole des femmes meurtries et humiliées alors qu’elles attendaient que la compétence du geste technique soit accompagnée d’une attention bienveillante, respectueuse, de nature à atténuer leur souffrance et leur inquiétude doit être reconnue comme l’appel à l’éveil d’une éthique en acte. Pour autant, il ne serait ni sage ni juste de ne pas tenter de contribuer de manière constructive à améliorer ce qui devrait l’être, là où les comportements de professionnels de santé trahiraient les valeurs de l’éthique médicale.</p>
<p>Au moment où se numérisent les pratiques de santé dans un contexte de restriction des capacités à consacrer à la relation de soin le temps indispensable à une rencontre vraie, il n’est pas certain que les instances publiques en comprennent les exigences au-delà du registre de la compassion éphémère ou de protestations dont l’opportunité ne manque pas d’interroger.</p>
<p>Néanmoins, si la reconnaissance de ces souffrances ne se discute pas, elles ne doivent pas faire irruption dans la sphère publique sans une certaine prudence et sans que soit respecté un principe indispensable à la vie démocratique : la présomption d’innocence.</p>
<p>Dans le contexte présent, nombre de personnes se posent en effet de légitimes questions. Est-ce parce qu’elle a été désignée secrétaire d’État que les plaintes pour viol ont été déposées au motif qu’elle serait indigne de cette fonction, ou parce que les femmes qui la dénoncent aujourd’hui pour viol ont pensé qu’à l’époque des faits leur appel à réparation n’aurait pas été audible et susceptible d’avoir une portée politique comme c’est le cas aujourd’hui ? Cette interrogation mérite elle aussi d’être posée et assumée aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186091/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Hirsch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’actualité est marquée par des plaintes pour viol dans le cadre d’examens gynécologiques. Ces pratiques médicales touchant à l’intime posent de nombreuses questions, dont l’éthique s’est emparée.Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1783532022-05-24T17:59:42Z2022-05-24T17:59:42ZProstitution: comment travaille-t-on sur des éléments d’enquête sensible ?<p>La dernière législation sur la <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/284851-loi-2016-contre-la-prostitution-quel-bilan-six-ans-apres">prostitution date de 2016</a> avec l’adoption de la « loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ». Cette loi se compose d’un volet pénal avec l’abolition du délit de racolage et la pénalisation des clients, d’un volet social avec la mise en place d’un « parcours de sortie de la prostitution » et d’un volet éducatif centré sur la « prévention des pratiques prostitutionnelles et du recours à la prostitution ».</p>
<p>En France, circule le chiffre de 30 000 personnes concernées. Il est difficile d’avoir des données précises sur une activité le plus souvent non déclarée et qui concerne un grand nombre de personnes migrantes, très mobiles et pour beaucoup en situation de séjour irrégulier.</p>
<p>En 2021, en coopération avec les services documentaires de Sciences Po Paris, j’ai mis en ligne une enquête sur l’impact de la loi prostitution sur la plate-forme <a href="https://data.sciencespo.fr/">data.sciencespo</a>. Cet article retrace le cheminement depuis la mise en place de l’enquête jusqu’à sa mise en accès libre.</p>
<h2>Des points de vue radicalement opposés sur le sujet</h2>
<p>Les débats, au sein du parlement et dans la société civile, se sont concentrés sur le volet pénal. Dans le monde associatif, deux groupes s’opposent radicalement sur le choix du modèle dit « modèle suédois », à savoir la <a href="https://www.routledge.com/Criminalising-the-Purchase-of-Sex-Lessons-from-Sweden/Levy/p/book/9781138659803">proposition de réduire la demande en visant les clients</a>. Le débat sur la pertinence ou non de la pénalisation des clients repose en grande partie sur l’équation dressée entre travail du sexe et traite ou exploitation des personnes.</p>
<p>Pour les promoteurs de la pénalisation des clients (rassemblés dans la collectif <a href="https://osezlefeminisme.fr/abolition-2012">Abolition 2012</a>), c’est un moyen d’enrayer le système de trafic des personnes en coupant la demande et donc l’offre.</p>
<p>Pour les opposants à ce modèle – associations de personnes concernées, telles le Strass, et de prévention santé, telles <a href="https://www.aides.org/communique/prostitution-un-de-penalisation-un-de-trop">Aides</a> ou Médecins du Monde –, le choix de pénaliser l’activité n’est pas la bonne solution.</p>
<p>Selon ces associations une meilleure façon de lutter contre la traite serait de lutter contre les politiques migratoires répressives et de régulariser les personnes ; la loi ferait fausse route dès le départ en créant un amalgame entre travailleuses du sexe migrantes et victimes de traite et toute forme de répression, directe ou indirecte, serait préjudiciable au travail de prévention et source de stigmatisation, or les premières victimes seront les plus fragiles dont les victimes d’exploitation.</p>
<h2>Le processus d’enquête</h2>
<p><a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000032396046/">La loi est votée</a> en avril 2016. Le gouvernement a deux ans pour établir une <a href="http://www.justice.gouv.fr/art_pix/rapport_renfort_lutte_systeme_prostitutionnel.pdf">évaluation</a> basée sur l’observation de l’impact sur les conditions de vie et de travail des travailleurs et travailleuses du sexe. Dans ce même laps de temps, les opposants à la loi décident d’organiser une « contre-évaluation » de la loi.</p>
<p>À l’époque, je suis responsable bénévole d’un programme de Médecins du Monde qui s’appelle le Lotus Bus ; les acteurs du réseau savent que je suis chercheuse et sollicitent ma participation. Je propose de prendre pleinement une place de chercheuse et de contribuer à mettre en place un protocole de recherche dans une <a href="https://data.sciencespo.fr/file.xhtml?fileId=1311&version=1.0">démarche profondément collective</a>.</p>
<p>Étant donné la position militante du réseau associatif et la division idéologique violente sur le sujet, il nous fallait penser dès le début à gérer les biais et à consolider les résultats. Nous avons pour cela pris plusieurs mesures : faire relire la <a href="https://data.sciencespo.fr/file.xhtml?fileId=1316&version=1.0">grille d’entretien</a> par une chercheuse extérieure, ne pas solliciter des personnes impliquées dans des activités militantes pour les entretiens et privilégier des personnes que les associations ne connaissaient pas forcément bien.</p>
<p>Vers la fin de l’enquête, nous avons intégré un chercheur extérieur, Calogero Giametta pour mener les derniers entretiens et l’analyse des données avec moi. Enfin, pour être le moins attaquables possible, nous avons réalisé un nombre important d’entretiens en face à face avec des <a href="https://data.sciencespo.fr/dataset.xhtml?persistentId=doi:10.21410/7E4/ZLRSEQ">personnes concernées</a> et les avons complétés avec 24 entretiens auprès <a href="https://data.sciencespo.fr/dataset.xhtml?persistentId=doi:10.21410/7E4/GTCX6L">d’associations</a> qui avaient des positionnements différents sur la loi.</p>
<h2>Quelques résultats</h2>
<p>Les résultats de l’enquête ont donné lieu à un rapport disponible en ligne et traduit en plusieurs langues : <a href="https://www.medecinsdumonde.org/fr/actualites/publications/2018/04/12/loi-prostitution-ce-quen-pensent-les-travailleurs-et-travailleuses-du-sexe">« Loi prostitution : ce que pensent les travailleurs et travailleuses du sexe »</a> ?. Nous reproduisons ici quelques conclusions clés.</p>
<p>Malgré l’intention de protection des personnes affichée par la loi, la majorité des travailleuses et travailleurs du sexe interrogés considèrent que la pénalisation des clients sape leurs capacités à maitriser leurs conditions de travail. En outre, localement, dans une approche de tranquillité publique, des arrêtés municipaux et des opérations de contrôles d’identité font que les travailleuses et travailleurs du sexe restent plus souvent pénalisés ou arrêtés que les clients.</p>
<p>Étant donné que la majorité continue malgré tout de travailler, leurs conditions de travail se sont fortement dégradées en termes de sécurité, de santé et de conditions de vie en général. La quasi-totalité des travailleuses et travailleurs du sexe et toutes les associations interrogées décrivent une « perte de contrôle dans la relation de pouvoir avec le client » : ce dernier impose plus souvent ses conditions (rapports non protégés, baisse des prix, tentative de ne pas payer, etc.) parce qu’il est celui qui prend des risques.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463337/original/file-20220516-17-t97dpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463337/original/file-20220516-17-t97dpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=179&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463337/original/file-20220516-17-t97dpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=179&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463337/original/file-20220516-17-t97dpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=179&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463337/original/file-20220516-17-t97dpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=225&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463337/original/file-20220516-17-t97dpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=225&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463337/original/file-20220516-17-t97dpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=225&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Lotus Bus, programme de Médecins du Monde ayant permis de récolter de nombreuses données pour l’enquête ayant donné lieu au rapport.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.medecinsdumonde.org/fr/actualites/publications/2018/04/12/loi-prostitution-ce-quen-pensent-les-travailleurs-et-travailleuses-du-sexe">Boris Svartzman/Médecins du Monde</a></span>
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<p>La perte de revenus pousse les personnes à prendre plus de risques au travail et les impacts sur la santé sont préoccupants. En particulier, les entretiens évoquent de manière inquiétante un recul de l’usage du préservatif ainsi que des ruptures de traitement pour des personnes séropositives. La réalisation d’un questionnaire complémentaire auprès de 583 personnes a souligné que <a href="https://www.medecinsdumonde.org/fr/file/79619/download?token=AFSylItt">78 % accusaient une baisse de revenus</a> et 38 % avaient plus de difficulté à imposer le préservatif.</p>
<h2>Une augmentation des violences multiformes</h2>
<p>Le stress engendré par la précarisation entraine divers problèmes psychosomatiques, pour certaines et certains des problèmes de consommation d’alcool, de tabac ou autres substances, voire suscite des pensées suicidaires. Les résultats de l’enquête qualitative mettent en évidence une augmentation des violences multiformes : insultes de rue de la part des passants, violences physiques, violences sexuelles, vols de la part de clients ou de personnes se faisant passer pour des clients, braquages dans les appartements par des criminels en groupes. Par ailleurs les contrôles de police, souvent vécus comme des violences, ne semblent pas avoir reculé.</p>
<p>Concernant le volet social et le « parcours de sortie de la prostitution », l’enquête n’a pu analyser que le tout début de la mise en place du programme, qui est toujours <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-03054400/document">au-dessous des attentes cinq ans plus tard</a>.</p>
<p>Les critiques portent, entre autres, sur le caractère sélectif et moralisateur du programme (par exemple l’obligation d’arrêter de travailler avant de commencer les démarches en échange d’une aide de quelques 300 euros par mois est vécue par beaucoup comme méprisante) ; sur la lourdeur du système et les disparités de traitement d’un département à l’autre. Enfin les enquêtés s’inquiètent de la possibilité d’un renforcement de la stigmatisation pour la majorité des personnes qui ne souhaiteront pas entrer dans ce « parcours de sortie ».</p>
<h2>La mise en accès libre, pourquoi ?</h2>
<p>En 2021, l’enquête a été archivée sur <a href="https://data.sciencespo.fr/dataverse/elp2016">l’entrepôt des données</a> de la recherche de Sciences Po Paris.</p>
<p>Cet entrepôt répond <a href="https://www.nature.com/articles/sdata201618">aux principes FAIR</a> de gestion des données de la recherche et répond également à la nécessité pour les institutions d’encadrer les obligations faites aux chercheurs par les financeurs de favoriser l’accès aux données de la recherche (ces tendances et les débats qu’ils soulèvent ont fait l’objet <a href="https://journals.openedition.org/traces/10518">d’un dossier spécial dans Tracés no 19 de 2019</a>. Pour ma part, je n’avais aucune obligation car l’enquête, comme nous l’avons vu, était née à l’initiative d’associations. Ma motivation venait ainsi de plusieurs considérations que je résume ci-dessous.</p>
<p>Premièrement, l’enquête ayant été collective, il était important de trouver un espace unique d’archivage qui soit pérenne et accessible à tous ceux qui avaient participé. Le travail avec Dorian Ryser, documentaliste au CERI, et Cyril Heude, bibliothécaire à Sciences Po, a permis de trouver des solutions à l’attribution des droits sur la base d’une charte d’utilisation. Ainsi, je ne restais pas la seule personne ayant accès à l’ensemble des données. En outre, avec ces collègues, nous avons pu ordonner les données, les harmoniser et rendre clair le contenu grâce à un travail de métadonnées : mots clés, résumés, liens vers les publications, etc. Il s’agit normalement d’un travail extrêmement couteux en termes de temps et donc d’argent : reprendre chaque entretien, vérifier qu’il soit pseudonyme, harmoniser la nomenclature et la présentation de chaque fichier et surtout contextualiser l’enquête, à savoir comment les données ont été construites.</p>
<p>L’atout que j’avais est, qu’ayant travaillé de manière collective, comme décris ci-dessus, nous avions pensé dès le début à l’importance que nos données soient utilisables par toutes les personnes impliquées dans leur analyse. Ce travail de nettoyage et de préparation a donc été relativement léger. De plus, comme il s’agissait d’une population stigmatisée, les techniques de pseudonymisation avaient également été mises en place dès le début (faux prénoms et modification des détails personnels). Enfin, le travail de contextualisation était largement fait en amont car le travail collectif nous avait amenés à rédiger un protocole de recherche détaillé et argumenté. C’était donc un vrai plaisir de voir toutes ces données rangées et accessibles à tous ceux qui avaient contribué à l’enquête.</p>
<h2>La question de l’engagement des chercheurs</h2>
<p>Ma motivation venait aussi du souci de rendre cette enquête visible et potentiellement réutilisable. N’étant pas le fruit de mon seul travail, je peux me targuer du fait qu’il s’agit d’une des très rares enquêtes qualitatives de cette ampleur auprès de travailleurs et travailleuses du sexe réalisées en France.</p>
<p>Il s’agit de plus d’une enquête qui a posé d’emblée la <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2009-2-page-109.htm">question de l’engagement militant</a> et qui a mis en place des moyens pour limiter les <a href="https://data.sciencespo.fr/file.xhtml?fileId=1311&version=1.0">biais de méthodologie et d’analyse</a>. J’avais donc envie que le processus d’enquête soit connu.</p>
<p>Il faut noter de manière plus large que si les données peuvent faire l’objet d’un second travail d’analyse, il est aussi utile de partager les outils qui ont été créés pour l’enquête, de les mettre à disposition des collègues qui se lancent dans des enquêtes similaires. Dans le cas présent, nous avons laissé une protection sur les entretiens qui ne sont accessibles que sur demande et n’avons mis en total accès libre que le protocole d’enquête, les grilles d’entretiens en plusieurs langues, et les autres outils créés à l’occasion de cette enquête.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science ouverte », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, veuillez consulter la page <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">Ouvrirlascience.fr</a>.</em></p>
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<a href="https://theconversation.com/images-de-science-voir-le-ciel-moins-noir-ou-la-renaissance-de-lastronomie-profonde-161450">Images de science : Voir le ciel moins noir, ou la renaissance de l’astronomie profonde</a>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/178353/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Helene Le Bail est membre de Médecins du Monde. </span></em></p>La loi prostitution de 2016 a eu un impact important sur les personnes prostituées. Les données, utiles pour des enquêtes ultérieures ont été mises en ligne.Helene Le Bail, Chargée de recherche au CNRS et affiliée à l'Institut Convergences Migrations, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1810152022-04-12T13:12:56Z2022-04-12T13:12:56ZLe corps des Ukrainiennes comme champ de bataille<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/457481/original/file-20220411-22014-8h4zq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=77%2C0%2C8640%2C5742&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des femmes restent à côté d'une voiture après un bombardement à Odessa, en Ukraine, le 3 avril 2022. Comme dans d'autres conflits, les femmes sont utilisées comme butins de guerre et sont victimes de violences sexuelles. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Petros Giannakouris)</span></span></figcaption></figure><p>Lorsque j’ai eu connaissance que des soldats russes avaient violé des femmes ukrainiennes sitôt leur pays envahi, j’ai eu le cœur gros, mais je n’ai malheureusement pas été surprise.</p>
<p>Historiquement, des violences sexuelles sont associées à la plupart des conflits armés, parfois d’une ampleur massive et organisée. L’armée de Poutine a déjà eu recours à des tortures sexuelles, notamment en Tchétchénie. Le travail de documentation des exactions actuellement commises par les forces russes reste évidemment à accomplir, mais certaines premières analyses d’Ukraine, ainsi qu’une somme de recherches concernant d’autres conflits armés, mettent en évidence les <a href="https://www.academia.edu/40331107/2e_%C3%A9dition_de_Avant_de_tuer_les_femmes_vous_devez_les_violer_Rwanda_rapports_de_sexe_et_g%C3%A9nocide_des_Tutsi">dimensions idéologiques et stratégiques</a> de ce que l’on qualifie communément de viol de guerre.</p>
<p>Il faut en effet se garder de simplement considérer les violences sexuelles, telles que celles qui sont commises par les soldats russes en Ukraine, comme la conséquence de « dérapages » individuels.</p>
<p>L’analyse qui suit se fonde sur 18 ans de recherches qualitatives et quantitatives engagées sur et avec des femmes victimes de violence sexuelle dans différents contextes. Le présent article s’appuie particulièrement sur mon ouvrage <a href="https://www.academia.edu/40331107/2e_%C3%A9dition_de_Avant_de_tuer_les_femmes_vous_devez_les_violer_Rwanda_rapports_de_sexe_et_g%C3%A9nocide_des_Tutsi"><em>« Avant de tuer les femmes, vous devez les violer ! » : Rwanda, rapports de sexe et génocide des Tutsi</em></a>.</p>
<h2>Témoignages et appels à l’aide se multiplient</h2>
<p>Des femmes politiques, des personnalités médiatiques et des militantes féministes d’Ukraine ont rapidement lancé l’alerte face aux violences sexuelles commises par les troupes russes, et commencé à organiser le soutien des femmes victimes.</p>
<p>La députée <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/mar/27/russian-soldiers-raping-and-sexually-assaulting-women-says-ukraine-mp">Maria Mezentseva a d’abord rapporté un cas à Brovary</a>, dans la banlieue de Kiev, où deux soldats auraient violé une femme devant son enfant après que son mari eut été abattu. Il y a aussi des cas où des enfants ont été violentés en présence de leur mère ou de leurs parents, selon un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-les-associations-recueillent-de-plus-en-plus-de-temoignages-accusant-les-russes-de-viols_5065045.html">article de presse</a> qui cite Kateryna Cherepakha, présidente de la Strada Ukraine. Cette dernière a aussi déclaré au <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/apr/03/all-wars-are-like-this-used-as-a-weapon-of-war-in-ukraine"><em>Guardian</em></a> avoir reçu plusieurs appels de la part de femmes et de filles sur la ligne d’urgence de son organisation non gouvernementale ayant pour mission la lutte contre la traite humaine, sans pouvoir les aider, à cause des combats.</p>
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<img alt="Un groupe de fillettes et de femmes, dont l’une tient un bébé dans les bras" src="https://images.theconversation.com/files/457483/original/file-20220411-14-q2rol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457483/original/file-20220411-14-q2rol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457483/original/file-20220411-14-q2rol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457483/original/file-20220411-14-q2rol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457483/original/file-20220411-14-q2rol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457483/original/file-20220411-14-q2rol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457483/original/file-20220411-14-q2rol.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des femmes et des fillettes réfugiées à la gare Centrale de Varsovie, en Pologne, le 7 avril 2022. Les témoignages se multiplient en Ukraine sur des violences sexuelles subies par des femmes et des filles aux mains de Russes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Czarek Sokolowski)</span></span>
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<p>Le collectif <a href="https://femwork.org/warinukraine/">« Feminist Workshop »</a> basé à Lviv, près de la frontière polonaise, recueille pour sa part des fonds afin de soutenir son travail de terrain. Masha Efrosinina, une présentatrice de télévision, a quant à elle <a href="https://www.thestar.com/news/world/2022/04/04/as-reports-of-rape-by-russian-soldiers-pour-in-a-famous-ukrainian-appeals-to-victims-come-forward-and-let-us-punish-these-scum.html">lancé un appel</a> aux femmes ukrainiennes pour qu’elles signalent les agressions sexuelles aux autorités.</p>
<p>Il semble qu’après le retrait des troupes russes de certaines villes et banlieues d’Ukraine, des femmes et des jeunes filles ont commencé à raconter à la police, aux médias et aux organisations féministes ou de défense des droits humains les violences sexuelles que des militaires russes leur ont infligées. <a href="https://www.hrw.org/news/2022/04/03/ukraine-apparent-war-crimes-russia-controlled-areas#">Human Rights Watch</a> a entrepris de documenter les exactions commises dans le contexte de la guerre en Ukraine, confirmant qu’un soldat russe a violé une femme à plusieurs reprises le 13 mars dans une école de la région de Kharkiv, où elle s’était réfugiée avec sa famille.</p>
<p>Dans les témoignages rapportés par les médias, il est souvent question de viols collectifs, qui précèdent parfois le meurtre. Des cadavres de femmes nues gisant sur une autoroute proche de Kiev ont été photographiés par Mikhail Palinchak. Une autre terrible photo circule sur les réseaux sociaux, montrant le corps d’une Ukrainienne violée avant d’être assassinée, une croix gammée gravée sur son ventre par ses bourreaux.</p>
<h2>Viol des femmes, viol de la nation</h2>
<p>Une personne ukrainienne militant sous le nom Yosh au sein du « Feminist Workshop » s’est exprimée sur le sens à donner à ces violences dans une série de publications sur <a href="https://twitter.com/yo_sh/status/1511132339249848324">Twitter</a> que je traduis ici librement. @yo_sh rappelle d’abord que les femmes ne deviennent pas des armes de guerre uniquement parce que l’agresseur est un dictateur fou. Ce phénomène est aussi possible, écrit-elle, à cause de certaines croyances qui découlent d’une culture patriarcale, sur laquelle s’appuie un gouvernement totalitaire.</p>
<p>La première de ces croyances est que les hommes ne peuvent pas vivre sans satisfaire leurs besoins sexuels en se servant des femmes. Une deuxième croyance est que les femmes doivent satisfaire les besoins sexuels des hommes. Une troisième croyance est qu’une femme violée devient une femme abimée et sans valeur. Une quatrième croyance, toujours selon Yosh, conçoit les femmes comme propriétés de l’État. En portant atteinte aux femmes, l’agresseur porte atteinte à l’État, conclut-elle.</p>
<p>En tant qu’armes de guerre, les violences sexuelles affectent physiquement et émotionnellement les femmes, qui en sont les principales cibles ; et en tant qu’outils stratégiques, elles constituent une façon d’atteindre des objectifs assez diversifiés pour imposer une domination politique. Globalement, le corps et la sexualité des femmes sont réquisitionnés pour mettre en œuvre le viol de la nation.</p>
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<img alt="Une femme à la fenêtre d’un immeuble détruit" src="https://images.theconversation.com/files/457486/original/file-20220411-9671-2ldfjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457486/original/file-20220411-9671-2ldfjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457486/original/file-20220411-9671-2ldfjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457486/original/file-20220411-9671-2ldfjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=418&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457486/original/file-20220411-9671-2ldfjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457486/original/file-20220411-9671-2ldfjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457486/original/file-20220411-9671-2ldfjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=525&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une femme se tient près d’une fenêtre brisée dans son appartement, après un bombardement russe à Kyiv, en Ukraine, le 14 mars 2022. Les Ukrainiennes sont les principales cibles des violences sexuelles commises par les Russes depuis l’invasion de leur pays.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Efrem Lukatsky)</span></span>
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<p>Ceci fait référence à la règle tacite que les femmes peuvent être « conquises » en même temps qu’un territoire. On mise sur la honte produite par l’agression, sur le sentiment d’honneur lié à l’appartenance plus ou moins symbolique de la femme à sa communauté et aux hommes eux-mêmes indirectement visés par l’attaque. En cas de viol collectif, les bourreaux peuvent faire la démonstration mutuelle de leur virilité. La servitude sexuelle est imposée aux femmes emmenées comme butin de guerre. Les violences sexuelles contribuent ainsi à établir un climat de terreur, à détruire le tissu social, à faire fuir les populations, accélérant leur sujétion.</p>
<h2>Des crimes trop souvent impunis</h2>
<p>Formellement condamnées par la Convention de Genève depuis 1949, les violences sexuelles ont plus récemment fait l’objet d’une reconnaissance juridique internationale comme crimes contre l’humanité et crimes de guerre, puis comme un acte de génocide, dans le cadre d’un procès concernant le Rwanda.</p>
<p>L’Ukraine vient néanmoins de s’ajouter à la longue liste des conflits armés et des génocides qui se sont traduits par l’instrumentalisation stratégique des violences sexuelles à l’encontre de filles et de femmes par les troupes adverses. Le <a href="https://insiderpaper.com/ukraine-accuses-russian-troops-of-rape/">gouvernement ukrainien</a> demande la mise sur pied d’un Tribunal pénal spécial qui pourrait permettre de sanctionner ces violences, mais le droit international peine toujours à tenir compte des dimensions genrées des conflits armés et des génocides. Le bilan décevant du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tribunal_p%C3%A9nal_international_pour_le_Rwanda">Tribunal pénal international pour le Rwanda</a> (TPIR), entre autres, laisse craindre que les Ukrainiennes n’obtiendront pas davantage justice que les Rwandaises.</p>
<p>Les témoignages provenant de l’Ukraine confortent une analyse qui conçoit les viols en situation de conflit armé comme une guerre dans la guerre. En ce sens, les femmes ukrainiennes doivent, hélas, craindre aussi les hommes de leur « camp ». <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/apr/03/all-wars-are-like-this-used-as-a-weapon-of-war-in-ukraine"><em>The Guardian</em></a> rapporte déjà qu’un membre des services ukrainiens de défense territoriale a été arrêté, après avoir tenté de violer une enseignante qu’il avait traînée dans la bibliothèque de l’école.</p>
<p>Enfin, en ce qui concerne la « communauté internationale », que penser des hommes qui prennent d’assaut les structures d’aide aux personnes réfugiées ou les <a href="https://twitter.com/BFMTV/status/1509475023089811458">agences matrimoniales</a> pour « héberger » une belle femme ukrainienne blonde de 18-30 ans, <a href="https://www.7sur7.be/belgique/des-hommes-celibataires-cherchent-a-accueillir-une-belle-femme-ukrainienne-intelligente-et-soignee%7Ea9e632f4/">intelligente et soignée</a> ? Il ne faut ainsi jamais perdre de vue qu’en temps dit de paix, nombre de femmes vivent sous la contrainte de violences patriarcales de tous ordres. Elles sont de plus en plus nombreuses à le dénoncer afin que cela change.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181015/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Ricci a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et du Fonds québécois de recherche sur la société et la culture.</span></em></p>Les violences sexuelles commises par les soldats russes en Ukraine ne sont pas de simples « dérapages » individuels. Ce sont des armes de guerre et les femmes en sont les principales cibles.Sandrine Ricci, Chercheuse doctorale et chargée de cours en sociologie/études féministes, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1719042022-02-10T16:05:54Z2022-02-10T16:05:54ZDrogues : Connaissez-vous le GBL, nouvel agent de soumission chimique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/445657/original/file-20220210-25-oq1nwp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=70%2C0%2C1970%2C1294&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En soirée, toujours surveiller son verre…</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/MxfcoxycH_Y">Michael Discenza / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Le mouvement <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/12/11/balancetonbar-ou-le-viol-sous-ghb_6105615_3224.html">#BalanceTonBar</a>, lancé en Belgique, prend de plus en plus d’ampleur en France et en Europe. Sous ce hashtag sont rassemblés quantité de témoignages de personnes violées après qu’une substance capable d’abolir le discernement a été versée dans leur boisson, généralement au cours de soirées dans des bars, des clubs ou des fêtes étudiantes.</p>
<p>Les agresseurs sexuels ont recours à divers composés pour droguer leurs victimes : alcool, anxiolytiques tels que les benzodiazépines (plus connues sous leurs appellations commerciales : Rivotril, Xanax, Rohypnol…), analgésiques comme la kétamine, voire les antihistaminiques. Mais l’une des substances fréquemment utilisées est l’acide gamma-hydroxybutyrique (gamma-hydroxy-butyrate ou GHB), aussi appelé « G » ou « ecstasy liquide ».</p>
<p>Interdit à la vente, cet agent de soumission chimique a été remplacé par une autre molécule, le gamma-butyrolactone (GBL), qui se transforme en GHB une fois ingérée. Mais dans les deux cas, les conséquences pour la santé peuvent être graves, au-delà de l’agression en elle-même.</p>
<h2>De la salle d’opération à la salle de musculation</h2>
<p>Le GHB a été synthétisé pour la première fois en 1874 par le chimiste russe Aleksandr Mikhaïlovitch Zaïtsev, mais ce n’est que dans les années 1960 que ses effets commenceront à être étudiés, par le chirurgien et neurobiologiste Henri Laborit. Le scientifique travaillait alors sur l’acide gamma-amino-butyrique (GABA) neurotransmetteur (messager chimique) présent dans le cerveau des mammifères, dont on sait aujourd’hui que l’une des fonctions est d’inhiber l’activité cérébrale.</p>
<p>Pour les besoins de leurs travaux, Laborit et ses collaborateurs produisent du GHB. Rapidement, les chercheurs s’aperçoivent que celui-ci modifie l’activité cérébrale, en raison de sa structure proche de celle du neurotransmetteur GABA. En 1963, Samuel P. Bessman et William N. Fishbein découvrent que le GHB est naturellement présent, en faible concentration, dans le cerveau.</p>
<p>Le GHB bénéficie alors d’un intérêt considérable de la part de la communauté médicale, car il présente des propriétés anesthésiques dénuées d’effets indésirables sévères. Son utilisation se répand à l’hôpital, mais ne dure qu’un temps : après un apport incontesté à l’anesthésie, il s’efface lentement de la scène opératoire, car ses propriétés analgésiques sont relativement faibles, et parce que des molécules plus efficaces sont mises au point.</p>
<p>Mais l’histoire du GHB ne s’arrête pas là. À partir des années 1980, pour contourner l’interdiction de vente au public des stéroïdes anabolisants, des laboratoires commencent à commercialiser le GHB. Vendu aux gens qui souhaitent maigrir pour ses pseudopropriétés de « brûleur de graisse », on vante aussi ses prétendues propriétés inductrices de l’hormone de croissance, hypnotiques, ou ses effets « anti-âge », qui seraient en lien avec ses propriétés antioxydantes.</p>
<p>Aux États-Unis et en Europe, le GHB devient alors un produit largement disponible dans les salles de sport, en parapharmacie ou par correspondance.</p>
<h2>De drogue de la fête à drogue de l’agression sexuelle</h2>
<p>Quelques années plus tard, un nouvel usage du GHB se développe, festif. Il accompagne la montée en puissance du courant musical électronique, surtout dans le milieu gay. Facile à administrer, doté de propriétés amnésiantes et de désinhibition sexuelle, dépresseur du système nerveux central… Les caractéristiques du GHB – potentialisées par les effets de l’alcool – en font un agent de soumission chimique idéal. Le public découvre alors son existence via les médias : le GHB fait alors les gros titres, c’est la « drogue du viol ».</p>
<p>Classé comme stupéfiant depuis 1999, le GHB est ajouté en mars 2001 au <a href="https://www.incb.org/documents/Psychotropics/conventions/convention_1971_fr.pdf">tableau IV de la Convention des Nations unies sur les substances psychotropes</a>. Les États membres de l’Union européenne se retrouvent alors dans l’obligation de contrôler cette molécule. Jusqu’alors très ouvert, le marché du GHB se retrouve restreint : la molécule n’est plus disponible légalement à la vente dans le commerce. Elle devient en outre très difficile à se procurer sur Internet, depuis son interdiction internationale.</p>
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<p>Mais ce n’est pas le cas d’un autre composé, le gamma-butyrolactone. Utilisée comme solvant industriel, cette molécule est un précurseur du GHB. Autrement dit, une fois absorbée, elle se transforme dans l’organisme principalement en GHB, sous l’effet du métabolisme. La prise de GBL entraîne donc les mêmes effets que celle du GHB.</p>
<p>À partir de 2006, l’usage détourné du GBL remplace progressivement celui du GHB : entre 2005 et 2011, plus de 200 cas d’<a href="https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/Note_GHB-GBL.pdf">intoxication à la GBL</a> ont été identifiés en France par les réseaux de toxicovigilance et d’addictovigilance.</p>
<p>À l’heure actuelle, le GBL n’est pas classé comme stupéfiant, cependant la France a décidé d’interdire par <a href="http://dev4-afssaps-marche2017.integra.fr/S-informer/Communiques-Communiques-Points-presse/Interdiction-de-l-offre-et-de-la-cession-au-public-de-la-GBL-et-du-1-4-BD-Communique">arrêté du 2 septembre 2011</a> sa vente et sa cession au public (ainsi que celle du 1,4 butanediol (1,4-BD)1, qui entre aussi dans la fabrication du GHB).</p>
<h2>À quoi ressemblent ces substances ?</h2>
<p>Le GHB se présente le plus souvent sous forme liquide, mais existe aussi en poudre. Inodore, incolore, de goût amer, il est généralement bu avec de l’eau, mélangé à du sirop ou avec du jus de fruits.</p>
<p>Deux médicaments contiennent du GHB : le <a href="https://www.vidal.fr/medicaments/gamma-oh-200-mg-ml-sol-inj-iv-88358.html">Gamma-OH</a>, utilisé en complément de l’anesthésie générale et le <a href="https://www.vidal.fr/medicaments/gammes/xyrem-28137.html">Xyrem</a>, indiqué dans le traitement de la <a href="https://www.inserm.fr/dossier/hypersomnies-et-narcolepsie/">narcolepsie</a>.</p>
<p>Le GBL se présente quant à lui sous la forme d’un liquide visqueux incolore. Il s’agit d’un produit chimique très acide, utilisé dans l’industrie comme solvant ou décapant pour les peintures, voire comme nettoyant pour parquet.</p>
<h2>Les produits et effets recherchés</h2>
<p>Il est important de noter que les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0755498209003273">effets du GHB sont dose-dépendants</a>.</p>
<p>Aux alentours de 0,5 g, le GHB agit comme l’alcool et les benzodiazépines : les personnes qui en absorbent expérimentent une sensation de chaleur, se relaxent, et se désinhibent.</p>
<p>Entre 1 et 2 g, vient l’ivresse, l’impression de bien-être, ainsi qu’une plus grande facilité de la communication. La capacité érectile est augmentée, tout comme la durée et la qualité des orgasmes. Les utilisateurs qui prennent du GHB cherchent à stimuler l’envie sexuelle, ainsi qu’à intensifier les sensations de l’acte. Mais à ces doses, la prise de GHB altère le niveau de conscience et entraîne une perte de contrôle. Ces effets se traduisent par une amnésie, une sensibilité accrue, voire une intolérance, à la lumière (photophobie), une perte de coordination des muscles des bras et des jambes (ataxie) et des vertiges.</p>
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<p>De 2 à 4 g, l’utilisateur tombe dans un coma léger. Au-delà de 4 g, c’est le coma profond, et le risque d’overdose, ou « G-Hole ». Ce coma profond non réactif est associé à une diminution du rythme cardiaque (bradycardie) et de la température corporelle (hypothermie), à des vomissements, à une détresse respiratoire et à des manifestations neurologiques.</p>
<p>La prise de GHB augmente également les effets négatifs des autres drogues psychostimulantes. Les effets du GHB débutent 15 à 30 minutes après l’usage et durent entre 2 et 4 heures. Le GBL a les mêmes effets psychoactifs que le GHB, mais ils surviennent plus rapidement, en 15 à 20 minutes, et durent un peu moins longtemps (1 à 2 heures environ).</p>
<p>Une des raisons du succès de ces drogues est l’absence de phénomène de « descente ». Entre 2014 et 2017, la proportion des cas de comas liés au GHB/GBL dans l’ensemble des cas de comas liés à l’usage de drogues (hors alcool) a doublé, passant de 13 % à 27 %.</p>
<h2>Risques et dommages liés au GHB/GBL</h2>
<p>De nombreux cas de décès en lien direct avec la prise de GHB ou de GBL ont été rapportés.</p>
<p>La grande majorité des ingestions volontaires de GBL concernent de jeunes adultes qui consomment ces produits non seulement dans des lieux festifs variés, mais aussi à domicile. Outre le fait que le GBL peut provoquer des irritations cutanées s’il entre en contact avec la peau, les conséquences de ces prises sont nombreuses.</p>
<p>Elles se traduisent notamment par des <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7142256/">signes neurologiques</a> tels que des maux de tête, des troubles de la conscience, des vertiges, une diminution des réflexes, des troubles du langage, une perte de coordination, des mouvements anormaux, des crampes, une vision double, et des pupilles dilatées ou serrées.</p>
<p>Le système digestif est également touché, les consommateurs expérimentant une accélération de leur transit intestinal, des vomissements, et une inflammation de la muqueuse de l’estomac (gastrite). Ils ont également des difficultés respiratoires, et peuvent être victimes d’une hypertension artérielle transitoire et d’une diminution de leur rythme cardiaque (bradycardie).</p>
<p>Comme mentionné précédemment, le GHB (et donc le GBL) aggrave les effets sédatifs des autres drogues. Les cas de décès ont surtout été décrits suite à des polyintoxications impliquant par exemple l’alcool ou les benzodiazépines. Pour cette raison, il faut toujours rechercher des traces de prise d’autres drogues en cas d’intoxication au GBL/GHB.</p>
<p>La consommation de ces substances s’accompagne aussi de risques psychiatriques. Les personnes qui les ingèrent peuvent être victimes de crises d’angoisse aiguë, de troubles délirants aigus, de troubles cognitifs. Elles peuvent aussi développer des tendances dépressives, suicidaires ou paranoïaques, se comporter agressivement… Enfin, elles risquent l’addiction, laquelle s’accompagne d’un syndrome de sevrage pouvant aller jusqu’au delirium tremens.</p>
<p>Par ailleurs, l’ingestion de GBL comme celle de GHB exposent les consommateurs à de nombreux dangers. Elle augmente la prise de risque et donc la probabilité d’être victime d’agressions sexuelles ou de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7732585/">contracter des infections sexuellement transmissibles</a>. Elle peut aussi résulter en une moindre observance des traitements antirétroviraux destinés à lutter contre le VIH. À ce propos, certains traitements médicamenteux (antirétroviraux, inhibiteurs des protéases) peuvent interagir avec le métabolisme du GBL et <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18498049/">augmenter significativement sa concentration sanguine</a>, ce qui accroît le risque de surdosage.</p>
<h2>Comment réduire les risques et les complications ?</h2>
<p>La principale mesure pour réduire le risque de consommation involontaire de GBL et de GHB est de ne jamais laisser son verre sans surveillance lorsqu’on participe à une soirée.</p>
<p>Pour les personnes qui consomment volontairement ces substances, outre la gestion de l’addiction et du syndrome de sevrage, certaines <a href="https://www.aides.org/sites/default/files/Aides/bloc_telechargement/AIDES_GHB-GBL_web.pdf">mesures de réduction des risques</a> doivent être appliquées : ne jamais consommer seul, doser correctement le produit avec une seringue non sertie (sans aiguille) ou un doseur à GHB, espacer les prises d’un délai minimum de deux heures, ne pas mélanger ces substances à l’alcool ou à d’autres drogues. Et bien entendu, mettre en place les mesures de prévention sexuelle nécessaire, et s’être assuré (avant la prise…) du consentement sexuel de ses partenaires…</p>
<p>Rappelons que sur le plan médico-légal, le détournement du GHB à des fins récréatives est interdit et expose au risque de poursuites judiciaires. Il en est de même pour le GBL, produit légal, mais contrôlé. Les sanctions pénales prévues en cas de vente ou de cession au public de GBL ou de GHB sont de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171904/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Karila est membre de l'Association SOS ADDICTIONS, de la Fédération Française d'Addictologie et de la Société Française d'Addictologie.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Nicolas Authier exerce des fonctions d'expert externe pour des autorités sanitaires. Il est membre du Collège scientifique de l'OFDT et du Comité Scientifique Permanent Psychotropes, Stupéfiants et Addictions de l'ANSM. Il préside le Comité Scientifique de l'expérimentation du cannabis médical en France ainsi qu'un groupe de travail de la Haute Autorité de Santé (HAS) sur le bon usage des médicaments opioïdes et la prévention des surdoses.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Amine Benyamina ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aphrodisiaque, capable d’annihiler la volonté et la mémoire, le GHB a été impliqué dans de nombreuses agressions sexuelles. Interdit, il a été remplacé par le GBL, tout aussi dangereux.Laurent Karila, Professeur d’Addictologie et de Psychiatrie, Membre de l’Unité de Recherche PSYCOMADD, Université Paris-SaclayAmine Benyamina, Amine Benyamina, professeur de psychiatrie et addictologie, président de la Fédération Française d'Addictologie, AP-HPNicolas Authier, Professeur des universités, médecin hospitalier, Inserm 1107, CHU Clermont-Ferrand, Fondation Institut Analgesia, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1719692021-12-02T19:17:03Z2021-12-02T19:17:03ZLes équivoques du pardon : la conférence épiscopale face au rapport Sauvé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/435003/original/file-20211201-15-15ni95c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C23%2C794%2C541&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Confessionaux de la chapelle de Chateau-Vieux d'Allinges, Haute-Savoie, France.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Fr_Allinges_Chapel_of_Chateau-Vieux_Confessionals.jpg">Pethrus/Wikimedia </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>L’interrogation sur la moralité du pardon revient en force à l’occasion de la révélation de l’ampleur de la pédocriminalité dans l’Église catholique en France de 1950 à 2020. Le <a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">rapport</a> de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) appelle l’institution à la reconnaissance de la réalité du mal commis et à « une humble reconnaissance de responsabilité de la part des autorités de l’Église pour les fautes et les crimes commis en son sein » ; à un « chemin de contrition » et à une entreprise de réparation. « Il ne peut y avoir d’avenir commun sans un travail de vérité, de pardon et de réconciliation. »</p>
<p>Les études philosophiques sur le pardon peuvent éclairer ces conclusions, car elles affrontent deux questions. Quelles sont les conditions pour qu’il s’agisse d’un pardon et non d’autre chose (oubli ou insouciance) ? Et quelles conditions pour que cette pratique soit appropriée ?</p>
<p>Selon le <a href="https://www.jstor.org/stable/4544851">paradoxe du philosophe Aurel Kolnai</a>, le pardon, supposé répondre à une faute grave, est soit injustifié, soit sans objet. À première vue, il n’est donc jamais justifié. On accorde qu’il ne consiste pas à fermer, mais à ouvrir les yeux sur la réalité de la faute et suppose sa <a href="https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780199329397.001.0001">mémoire partagée</a>. On admet généralement qu’il n’y a pas de droit au pardon. La réflexion a été particulièrement alimentée par l’expérience des commissions de <a href="https://doi.org/10.1017/CBO9780511619168">vérité et réconciliation</a> qui ont dû faire face aux crimes collectifs de l’apartheid.</p>
<h2>« Le risque de dévoiement du pardon »</h2>
<p>Dans le cas du rapport Sauvé, le registre emprunte à la fois au lexique du sacrement de pénitence et à celui, tant séculier que religieux, de la réparation et d’une forme de <a href="https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2018-1-page-58.htm">justice restaurative</a> centrée sur les victimes. Cependant, le Rapport dénonce l’instrumentalisation du pardon par les agresseurs. Une recommandation de la CIASE attire l’attention sur « le risque de dévoiement du pardon en facile absolution des bourreaux, pire comme une exigence incombant aux victimes de pardonner à leurs persécuteurs ». Il s’agit aussi, dans la formation des prêtres, de rappeler « la nécessité préalable de la sanction ou de la rétribution des crimes et des délits… ».</p>
<p>Le <a href="https://eglise.catholique.fr/actualites/dossiers/assemblee-pleniere-de-novembre-2021/520477-discours-de-cloture-de-lassemblee-pleniere-de-la-conference-des-eveques-de-france-le-lundi-8-novembre-2021/">discours de clôture</a> de l’assemblée de la Conférence des évêques de France, le 8 novembre 2021, fait référence à un pardon de Dieu qui « devrait fortifier le coupable pour qu’il se prépare à rendre compte de ses actes et à en assumer les conséquences ».</p>
<p>Il n’est pas étonnant que des clercs expriment dans le vocabulaire de leur confession la manière dont ils croient devoir répondre à des crimes engageant leur église.</p>
<h2>La matrice théologique du pardon</h2>
<p>Mais des visions différentes du pardon se télescopent. La première est celle du pardon interpersonnel, celui que la <a href="https://doi.org/10.7202/1042752ar">victime seule</a> ou son représentant est en droit d’accorder ou de refuser au coupable, ou de ne même pas considérer. La seconde est celle du pardon que, selon la théologie catholique, Dieu peut accorder, souverainement, au pécheur.</p>
<p>La Conférence espère dans le pardon divin des fautes qu’elle reconnaît être celles de l’institution, et qui sont distinctes de celles des auteurs des agressions sexuelles. De manière oblique, elle fait allusion au pardon humain qu’elle sait ne pas être en droit d’attendre. Elle entend le rapport de la CIASE :</p>
<blockquote>
<p>« Lorsqu’elles ont été prises au sérieux, les personnes agressées ont reçu une demande de pardon au nom de l’Église, et ont été invitées à pardonner [à] leur agresseur. Ces demandes de pardon, de même que les offres de prières, ont été perçues par les enquêtées comme une violence supplémentaire… »</p>
</blockquote>
<h2>Conditionnel ou inconditionnel ?</h2>
<p>Dans le cas de crimes graves, on a du mal à admettre que le pardon humain puisse être inconditionnel. On peut l’admettre de la part de victimes à la suite d’une punition légale sévère. Mais un regard religieux peut être tenté de valoriser le pardon inconditionnel comme l’expression de cet amour pratique qui est une image de l’amour divin. La théologie catholique fixe cependant des conditions du sacrement de pénitence et de réconciliation. Selon la conception catholique de l’absolution des péchés, le prêtre a un pouvoir de pardonner au nom du Christ, qu’il exerce en l’assortissant d’une condition d’examen de conscience, d’aveu, de repentir ; la pénitence, selon la gravité de la faute, peut impliquer une réparation.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><em>Te absolvo</em>, une œuvre de Josip Urbanija (1910).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Absolution_(christianisme)#/media/Fichier:Josip_Urbanija_-_Absolvo_te_1910.jpg">Digital Library of Slovenia/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le pardon humain n’est pas incompatible avec la punition légale humaine (ni avec la supposée punition divine). Ils peuvent <a href="https://doi.org/10.1093/arisoc/aoy003">se cumuler</a>. Mais le pardon divin, compatible aussi avec la punition humaine, comme le rappelle la Conférence, est par définition incompatible avec la punition divine (il peut y faire suite, mais dans ce cas il y met un terme). Et cela, que l’on conçoive ce pardon comme une suspension de la colère divine ou, selon une métaphore qui insiste plus sur la justice que sur les émotions supposées de Dieu, comme un effacement de la dette que, <a href="https://doi.org/10.1093/0198248490.001.0001">selon certains</a>, le péché constitue.</p>
<p>Le christianisme assigne une condition au pardon divin, à savoir le pardon humain lui-même, bien que la nécessité et la causalité de cette condition restent l’objet de controverses qui ont une grande affinité avec celles qui concernent la grâce, comme on le voit dans la théologie d’<a href="https://www.cairn.info/saint-augustin-et-les-actes-de-parole--9782130524694-page-223.htm">Augustin</a>. Le Notre Père en donne un condensé : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». On attache communément au catholicisme une conception très forte de la condition de pardon humain, comme s’il était un moyen d’obtenir le pardon divin.</p>
<h2>Vers la libération ?</h2>
<p>Le président de la Conférence déclare :</p>
<blockquote>
<p>« La miséricorde de Dieu met à nu ce qui fait notre honte mais pour nous permettre d’en être libérés et soignés, peut-être un jour guéris, et elle nous indique un chemin de relèvement. »</p>
</blockquote>
<p>L’horizon suggéré par le vocabulaire de la libération est l’absolution. Il peut sembler présomptueux de l’employer quand l’institution fautive n’a pas fini de parcourir les étapes d’examen de conscience et de contrition.</p>
<p>Ce registre n’est pas adéquat à l’engagement de la Conférence dans une entreprise de pénitence institutionnelle qui consiste notamment en la prise en charge de réparations. Comme le dit une victime :</p>
<blockquote>
<p>« Le pardon c’est quand on peut tourner la page une fois qu’on l’a lue, si on la tourne sans la lire, ça ne va pas. »</p>
</blockquote>
<p>Il est douteux qu’une perspective qui donne au pardon un sens religieux soit la bonne optique. Les crimes individuels et les fautes collectives qui leur sont associées appellent des réponses autres que théologiques. Le salut de leurs agresseurs n’importe pas aux victimes.</p>
<p>L’Église catholique n’a-t-elle été que le « lieu » des agressions sexuelles, selon un mot du <a href="https://eglise.catholique.fr/actualites/dossiers/assemblee-pleniere-de-novembre-2021/520477-discours-de-cloture-de-lassemblee-pleniere-de-la-conference-des-eveques-de-france-le-lundi-8-novembre-2021/">discours du 8 novembre</a> ?</p>
<p>Le rapport de la CIASE y voit plus fortement leur « terreau ». Et l’Église admet sa part de responsabilité en s’engageant dans une réparation à venir, au-delà de la seule reconnaissance, et en deçà d’un pardon. C’est pourquoi ces quelques remarques sur le choc entre le scandale de la violence et le langage du pardon réagissent seulement à ce qui est dit, et non à ce qui sera fait.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171969/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Jaffro a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche pour le projet REACT : <a href="https://react.sciencesconf.org/">https://react.sciencesconf.org/</a></span></em></p>La conférence des évêques de France a réagi au rapport sur la pédocriminalité dans l’Église catholique en s’engageant dans une voie pénitentielle qu’elle envisage encore sous l’horizon du pardon.Laurent Jaffro, Professeur de philosophie morale, membre senior de l'Institut universitaire de France, directeur de Phare ("Philosophie, Histoire et Analyse des Représentations Economiques"), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1716152021-11-16T18:52:30Z2021-11-16T18:52:30ZCommunication catholique et pédocriminalité des prêtres<p>Il y a somme toute quelque chose de paradoxal à parler de la communication catholique. Car le <a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">rapport</a> de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (<a href="https://www.ciase.fr/">Ciase</a>) montre que l’Église catholique, dans bien des cas, n’a pas communiqué, volontairement. Les affaires ont été tenues au secret. Les choses se sont dites discrètement, à mots couverts. Il fallait éviter de faire du bruit, éviter que ça se sache. Éviter la communication, donc. Éviter le scandale, car ce terme se trouve dans l’évangile. </p>
<p>Et comme le souligne <a href="https://www.essachess.com/index.php/jcs/article/view/218/248">Stéphane Dufour</a>, l’Église catholique aime sans doute le secret. Elle se sentait, sans doute, <a href="https://theconversation.com/quand-leglise-catholique-se-pensait-en-societe-parfaite-et-intouchable-130430">« parfaite et intouchable »</a>, forte de son appareil juridique propre (le droit canon), avant que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Abus_sexuels_sur_mineurs_dans_l%27%C3%89glise_catholique">plusieurs scandales</a> n’éclatent, dans les années 1980. Cela s’inscrit cependant dans une histoire longue, comme l’a montré récemment <a href="https://www.reforme.net/gratuit/2020/09/25/un-livre-retrace-lhistoire-de-la-pedophilie-dans-leglise-catholique/">Claude Langlois</a>.</p>
<p>C’est que l’Église catholique, comme d’autres institutions chrétiennes, et d’autres religions (les islams, par exemple) ne <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2015-1-page-225.htm">communique</a> pas seulement par des discours, des images normées, des médias, des assemblées, des rites publics et médiatisés, aussi, des sites Internet et des applications ou des <a href="https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2016-3-page-25.htm">vidéos</a>, mais aussi par le <a href="https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2016-3-page-47.htm">témoignage humain</a>.</p>
<h2>Une communication par le comportement : le témoignage chrétien</h2>
<p>Le comportement d’une personne, son célibat engagé, est censé en effet, à l’époque moderne et en Occident, pour une société qui l’admet et le reconnaît, témoigner de l’amour du dieu chrétien et de Jésus, son fils, pour les humains. Autrement dit, c’est le comportement qui est « donné à voir » et qui parle, à qui saurait l’entendre de la sorte (et pas autrement).</p>
<p>C’est le sens d’une « sainteté » exigée au quotidien. Puisqu’un homme (ou une femme) renonce au pouvoir (économique ou politique), à l’argent, à la sexualité (du moins en principe), c’est que le dieu le nourrit et est tout, est-on invité ainsi à penser. Or, dans l’affaire de la pédocriminalité des prêtres catholiques, le comportement d’un certain nombre de ces derniers laisse apparaître autre chose, et ne témoigne pas en faveur du dieu et du souci des plus faibles. En termes catholiques, c’est donc un <a href="https://fr.aleteia.org/2015/05/26/pape-francois-un-chretien-mondain-est-un-contre-temoignage/">« contre-témoignage »</a>. La communication chrétienne est obstruée par ces gestes, pervers, destructeurs et criminels, au lieu même où elle « communique ».</p>
<p>Ce n’est pas l’Église catholique, <a href="https://www.vatican.va/content/francesco/fr/messages/communications/documents/papa-francesco_20180124_messaggio-comunicazioni-sociali.html">soucieuse de vérité</a> et d’aveu (par la confession demandée aux fidèles pour le sacrement dit de réconciliation), qui plus est, qui communique d’abord sur ces questions (elle se tait) : ce sont les victimes, les journalistes et les médias.</p>
<h2>Une impossibilité de contrôler désormais la communication</h2>
<p>La parole du témoin, c’est celle de l’homme (ou de la femme) victime d’attouchements ou de pénétration quand il ou elle était scout. Qui évoque le refus d’entendre des familles. « Ça communique », mais pas là où on voudrait. L’Église catholique, en tant qu’<a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-03194352/">institution fermée</a>, comme l’armée ou la franc-maçonnerie, contrôle en grande partie sa communication. Les réseaux numériques lui ont d’ailleurs posé une difficulté, qu’elle a <a href="https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/sommaire-publications/documents-episcopat-sommaire/439601-documents-episcopat-communion-a-lere-numerique/">cherché à réguler</a>, en ce qu’ils permettaient à « tous » de s’exprimer.</p>
<p>Une parole interne, dans un contexte de « censure » (de volonté que ça n’advienne pas publiquement, que cela ne soit pas publicisé), soutenue par des associations de victimes, passe par l’extérieur, et est entendue depuis l’extérieur. Il s’est passé quelque chose de semblable pour la crise des suicides à France Télécom-Orange en 2004 : c’est <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00499666/document">l’écho médiatique</a> qui a obligé à une écoute et une prise de conscience interne, là où les interrogations syndicales et les alertes publiques n’étaient pas entendues.</p>
<h2>Un temps propre pour communiquer ?</h2>
<p>Mais, s’interrogent certains, comme l’expert et conseiller en communication – interlocuteur du pape François – Dominique Wolton, l’écrit dans <a href="https://aufildelapense.wordpress.com/2018/12/09/politique-et-societe-le-pape-francois-avec-dominique-wolton">Pape François, <em>Politique et Société</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le temps de l’Église n’est pas toujours celui de la société. Ce n’est pas celui des médias non plus. Or aujourd’hui, les médias sont devenus le tribunal des mœurs [car] l’Église manipule aussi du temps, des valeurs, qui sont différentes. »</p>
</blockquote>
<p>L’institution, liée à l’intemporalité sinon à l’éternité, échapperait donc au temps médiatique (à défaut d’échapper à la loi ?). Cette soustraction à la temporalité comme à la communication ordinaire pose question, ou du moins est difficilement acceptable dans une société qui vit dans le désir d’une temporalité commune et dans laquelle les acteurs, notamment religieux, sont amenés à rendre des comptes de leur action, et s’exposent au <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/22362">regard du tiers</a>. C’est la possibilité d’un regard extérieur sur le religieux qui est en cause, et en jeu.</p>
<p>Il semble cependant que le pape catholique accepte désormais la communication et le rôle des médias dans cette affaire, puisque François, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1281446/francois-salue-le-role-de-la-presse-face-aux-abus-sexuels-dans-leglise.html">s’adressant aux journalistes</a>, les remerciait, le 12 novembre 2021, pour ce qu’ils disent « sur ce qui ne va pas dans l’Église » afin de l’« aider à ne pas le mettre sous le tapis » et « pour la voix donnée aux victimes d’abus ». Une dette communicationnelle envers les médias, en quelque sorte, s’acquitte ainsi.</p>
<h2>Le religieux, une affaire publique</h2>
<p>Le religieux ne peut toutefois pas être seulement l’affaire des évêques, des rabbins (mêmes femmes), de « savants religieux » ou d’imams. Il concerne les citoyens, qui peuvent également entendre à leur propos les analyses de chercheurs en <a href="https://afsr.hypotheses.org/">sciences sociales du religieux</a>. On comprend bien, toutefois, que le religieux pourrait vouloir échapper au regard, surtout quand il est malveillant, ou qu’<a href="https://journals.openedition.org/rfsic/3728">il ne comprend pas le propos « spirituel » du religieux</a>, ce qui est souvent le cas des médias.</p>
<p>Ces derniers peuvent en effet ne <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/3756">s’intéresser à l’Église catholique qu’à propos de</a> questions de sexualité (homosexualité, pédophilie, viols, domination masculine, préservatifs), précisément, d’argent (détournement, placements, liens avec la mafia), ou bien, de façon presque folklorique, de production monastique de bière ou de fromage… (ou, plus spirituellement, de chant grégorien). Peut-être cela est-il le signe d’un effondrement social radical du religieux, qui ne peut plus être compris dans son propos propre, mais seulement dans ses signes extérieurs.</p>
<p>Ceci ne fonde pas toutefois le religieux à ne revendiquer d’expertise adéquate <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/22568">que de lui-même</a>. Les clercs ou les « dévots » ne sont pas les seuls autorisés à parler du religieux, dans l’espace public, surtout quand le religieux affiche ou implique des <a href="https://journals.openedition.org/assr/26432">préoccupations politiques et sociales</a> : refus du mariage entre personnes de même sexe, rejet de l’avortement, rejet de l’homosexualité, de la contraception, de l’euthanasie…</p>
<p>Qu’une institution soucieuse de pureté et avide de recommandations morales, se préoccupant si souvent de la vie sexuelle, matrimoniale et familiale des personnes, trouvant aisément impur le moindre geste érotique, et se souciant du caractère sain ou non des contenus et images circulant dans l’espace public, s’avère ainsi criminelle interroge donc le public notamment quant à sa communication, interne et publique.</p>
<h2>Communiquer sur un ensemble de drames</h2>
<p>Les dispositifs et actes qu’a mis en place l’Église catholique pour faire face à ces crimes et à ce drame, gérer ce scandale et y répondre ont été nombreux : demande publique de pardon au plus haut niveau et affichage d’une préoccupation forte, <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/3739">contre-communication</a> montrant le souci de l’institution pour les enfants, prières, espaces d’accueil et d’écoute dans les églises, commission d’enquête indépendante, communication par le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=yg_RZeTCzH4">geste</a> symbolique, ritualisation presque liturgique, à Lourdes (les <a href="https://www.ktotv.com/video/00385735/2021-11-06-geste-penitentiel-lourdes">genoux à terre</a>), de la <a href="https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/520414-assemblee-pleniere-des-eveques-de-france-textes-de-mgr-emb/">repentance</a>, reconnaissance de la dimension institutionnelle et du <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/pedophilie-de-l-eglise/pedocriminalite-les-eveques-de-france-reconnaissent-la-responsabilite-institutionnelle-de-l-eglise-et-la-dimension-systemique-de-ces-crimes_4834035.html">caractère « systémique »</a> (mettant en jeu l’organisation entière et son silence) de ces crimes, par la Conférence des évêques de France…</p>
<p>Toutefois, ils peuvent ne pas suffire à apaiser le public, inquiet de ces actes comme de leur mise sous silence. Ils n’effacent pas le manque de conscience et de <a href="https://www.revue-etudes.com/article/un-moment-de-verite-pour-l-eglise-23859">débat</a> interne à l’Église, cette autre forme de communication, constructive.</p>
<p>Sans doute, cette affaire forme aussi l’occasion opportune, en contexte de laïcité en tension (car la laïcité républicaine française est à la fois utilisée par l’extrême droite dans une perspective xénophobe, et attaquée autant par une partie de la gauche que par des défenseurs des religions, qu’il s’agisse du christianisme ou d’un islam), d’attaques fortes, cette fois justifiées, contre l’Église catholique.</p>
<p>Elle demeure une institution finalement mal connue et ses objectifs ne semblent pas toujours en phase avec un certain nombre d’orientations et de tendances sociales (avortement, mariage pour les couples homosexuels, aménagement des conditions de décès…).</p>
<h2>Difficultés à admettre</h2>
<p>La diversité des expressions ecclésiales dans les médias et sur les réseaux toutefois surprend : <a href="https://twitter.com/AbbeRaffray/status/1446141804710174725">« le temps des persécutions est venu »</a>, dit un prêtre, il y a bien plus de pédocriminalité dans les familles ou d’autres institutions, <a href="https://www.france24.com/fr/20190308-france-pedophilie-eglise-institutions-famille-education-nationale-agressions-sexuelles?ref=tw_i">disent plusieurs</a>, tout comme le pape François qui déclarait lui-même en 2017 que « « la majeure partie des abus sur les mineurs viennent du cercle familial ou des voisins du quartier » (<em>Politique et société</em>, p.223).</p>
<p>La confession est un secret majeur, déclare par ailleurs le <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/pedophilie-de-l-eglise/video-pedocriminalite-dans-l-eglise-le-secret-de-la-confession-est-plus-fort-que-les-lois-de-la-republique-selon-mgr-eric-de-moulins-beaufort_4796947.html">porte-parole de la Conférence des évêques de France</a>.</p>
<p>La Conférence des évêques de France, réunie à Lourdes en novembre 2021, s’est exprimée cependant de façon plus ferme et plus forte. Elle a mis en place et communiqué un <a href="https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/520492-resolutions-votees-par-les-eveques-de-france-en-assemblee-pleniere-le-8-novembre-2021/">programme d’actions</a>. Lorsque les associations de victimes, les réseaux sociaux et les médias font éclater la communication, l’institution ne peut plus être muette, craindre le dissensus, ou couvrir des forfaits de son silence prudent.</p>
<p>Il importe donc de communiquer sur le religieux, qui a ses silences, et ne tient pas toujours la promesse qu’il porte, et d’interroger autant ses <a href="https://mei-info.com/revue/38/religion-et-communication/">communications</a>, internes et externes, que sa non-communication, et, peut-être, de dialoguer avec lui, s’il consent à une relation égalitaire, ainsi qu’au débat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171615/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Douyère ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le rapport Sauvé (Ciase) sur la pédocriminalité au sein de l’Église met à mal la communication catholique.David Douyère, Professeur de sciences de l'information et de la communication, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1598292021-05-18T17:31:52Z2021-05-18T17:31:52ZLa « Blague sur le viol » de Patricia Lockwood : analyse d’un poème coup de poing<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/401326/original/file-20210518-21-1pl221k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C9%2C2035%2C1723&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Robert Rauschenberg, Bed, 1955. Moma. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/profzucker/8490142005">Flickr / Steven Zucker</a></span></figcaption></figure><p>Après la déferlante du mouvement #MeToo, les victimes de violences sexuelles s’expriment de plus en plus ouvertement. C’est dans ce contexte que nous pouvons (re)lire la <a href="https://www.theawl.com/2013/07/patricia-lockwood-rape-joke/">« Blague sur le viol »</a> (« Rape joke ») de la poétesse, romancière et essayiste Patricia Lockwood – qui n’est pour l’heure pas traduite en français. Issue d’un milieu modeste, l’autrice américaine au style polymorphe, dotée d’une solide culture littéraire, n’hésite pas à aborder des <a href="https://www.poetryfoundation.org/poets/patricia-lockwood">sujets sensibles</a> (« Les dépenses du gouvernement » sur l’économie publique, « Ode sur une urne grecque » sur le regard masculin en littérature, « L’arc » sur l’aménagement des villes, « L’église de la boîte de crayons ouverte », sur la religion…).</p>
<p>Avec l’humour noir, il s’agit de rire de ce qui n’a rien de drôle (l’injustice, la malchance, la mort), l’angoisse venant amplifier le rire. C’est le cas, par exemple, dans le sous-titre de la comédie truculente de Stanley Kubrick, <a href="https://www.lafermedubuisson.com/docteur-folamour-ou-comment-jai-appris-a-ne-plus-men-faire-et-a-aimer-la-bombe"><em>Docteur Folamour ou : comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe</em></a>, qui plaisante au sujet de la folie de l’industrie de l’armement.</p>
<p>Dans ce poème en vers et en prose, qui a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux, Lockwood semble s’inscrire dans cette tradition comique, tout en soulignant l’impossibilité de rire d’un viol – le sien, par un homme qui était à la fois un ami de la famille et son petit ami.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1375569969451302918"}"></div></p>
<h2>Un récit cathartique</h2>
<p>Le récit se déroule en trois étapes. Il y a d’abord les moments qui précèdent le viol, qu’elle aurait peut-être vu venir si elle avait su lire les signes, suggère-t-elle : « il portait un couteau, et te le montrait, et le faisait tourner dans sa main comme on tourne les pages d’un livre ». Le futur violeur avait chez lui une collection de livres sur les tueurs en série, ce qu’elle prenait pour une passion pour l’histoire, sans soupçonner sa culture de la violence. « J’étais stupide », dit-elle, comme pour réduire la tension et susciter l’empathie des lecteurs.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398076/original/file-20210430-18-1jpz6lg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398076/original/file-20210430-18-1jpz6lg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398076/original/file-20210430-18-1jpz6lg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398076/original/file-20210430-18-1jpz6lg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398076/original/file-20210430-18-1jpz6lg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398076/original/file-20210430-18-1jpz6lg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398076/original/file-20210430-18-1jpz6lg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"><em>My Bed</em> par Tracey Emin (1998), de l’art sur la sphère intime.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le portrait du violeur, qui travaillait alors comme videur, est assez sordide : « il crachait le jus du tabac à travers son bouc dans une bouteille… de la marque Mountain Dew », admirait « The Rock » (un catcheur), avait failli tuer quelqu’un et tenait un journal, dans lequel il disait avoir eu l’intention de violer une autre jeune femme.</p>
<p>Puis il y a le passage, court et grotesque, dédié au viol proprement dit. La « Blague sur le viol, c’est que tu étais face contre terre. » Ici, l’acte traumatisant n’est pas occulté. La poétesse, avec ce texte, tente de montrer l’exemple et invite les victimes à parler, <a href="https://books.openedition.org/pur/45439?lang=fr">bien que ce soit très difficile</a> quand on est victime de violences sexuelles.</p>
<p>Pendant le viol, sa bouche était coincée sur le matelas, grande ouverte. Elle évoque cette position accidentelle pour créer une mise en abîme qui suggère le côté dérisoire de la littérature face à une telle adversité : « Comme si ta bouche s’ouvrait dans le futur, pour réciter un poème qui se nomme la “Blague sur le viol” ».</p>
<p>Enfin, après le viol, la peine ressentie par l’autrice est amplifiée par la bêtise du violeur et l’indifférence de la société : </p>
<blockquote>
<p>« La blague sur le viol, c’est que le lendemain il t’a offert l’album <em>Pet Sounds</em>. Non, mais vraiment. <em>Pet Sounds</em>. Il a dit qu’il était désolé et puis il t’a offert <em>Pet Sounds</em>. » </p>
</blockquote>
<p>Cet <a href="https://www.youtube.com/watch?v=hONnenV2lZg">album des Beach Boys</a> est une sorte d’antidépresseur musical que Michael Moore a utilisé avec une ironie appuyée dans son film <em>Roger et moi</em> (1989), qui parle des licenciements en masse chez General Motors.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398077/original/file-20210430-23-10ykbh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398077/original/file-20210430-23-10ykbh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=797&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398077/original/file-20210430-23-10ykbh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=797&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398077/original/file-20210430-23-10ykbh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=797&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398077/original/file-20210430-23-10ykbh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1002&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398077/original/file-20210430-23-10ykbh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1002&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398077/original/file-20210430-23-10ykbh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1002&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Miriam Cahn, <em>Aus der wüste</em> (du désert), crayon sur papier, 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Galerie Jocelyn Wolff, Galerie François Doury</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dédramatiser se révèle impossible : « La blague sur le viol, c’est que bien sûr il y avait du sang, qui, chez les êtres humains, circule près de la surface. » Pas si superficielle, cette présence du sang teinte toute la scène de rouge.</p>
<p>Adoptant un ton plus sérieux, la poétesse raconte les conséquences de ce viol sur sa vie et son psychisme : « La blague sur le viol, c’est que tu es devenue dingue pendant les cinq années suivantes, que tu devais sans cesse changer de ville, changer d’État, et que des journées entières se sont engouffrées dans la même question – comment ça a pu arriver. C’était comme si tu allais dans ton jardin et que, d’un coup, il n’y avait plus qu’un grand vide… où se rejouait le même événement, encore et encore ».</p>
<h2>Exprimer le malaise</h2>
<p>La forme alterne entre tragique et comique. S’annonçant comme poème, la « Blague sur le viol », commence par trois vers de dix syllabes, marquant une cadence solennelle, puis diverge, comme pour signaler une perturbation, vers un modèle de discours alternatif, celui de l’histoire drôle. L’idée de la tentative de blague qui ne marche pas est concrétisée par des pseudotraits d’esprit qui tombent à plat : « Ne le prenez pas mal ! », « Ça va être encore plus drôle », « Reconnaissez-le ».</p>
<p>La phrase « Ça va être encore plus drôle » marque à la fois une maladresse (on n’arrive pas à faire rire son public), et un malaise (celui de la victime qui cherche un soutien en vain).</p>
<p>La chute : « Allez, c’est un peu drôle/Reconnaissez-le » nous invite à faire une lecture en biais : cette injonction (à reconnaître les faits, au fond) s’adresse au violeur et à la société entière. Tout le monde est concerné.</p>
<p>Le poème parle aussi d’une recherche de vérité frustrée : « La blague sur le viol c’est que tu lui as demandé pourquoi il l’avait fait. La blague sur le viol c’est qu’il a dit qu’il ne savait pas pourquoi, parce que qu’est-ce qu’une blague sur le viol dirait d’autre ? La blague sur le viol dit que c’est TOI qui étais ivre, et la blague sur le viol dit que tu te souviens de travers ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Nnv5eyE7QbA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Dans le récit, le père de la victime incarne les effets du non-dit : </p>
<blockquote>
<p>« La blague sur le viol c’est que quand tu l’as raconté à ton père, il a fait le signe de croix au-dessus de ta tête et a dit, “Je t’absous, toi et tes péchés, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit” ce qui, même en étant à côté de la plaque, était empreint de gentillesse. » </p>
</blockquote>
<p>C’est une critique directe du puritanisme américain.</p>
<p>Lockwood évoque le fait que son propre texte détourne l’accusation malheureusement si fréquemment adressée aux victimes d’avoir été aguicheuses : « Si tu écris un poème qui s’appelle “blague sur le viol”, tu ne demandes qu’une chose : que le fait de l’avoir écrit devienne la seule chose de toi dont on se souviendra. » Lockwood affirme en outre, par ce geste littéraire et par cette déclaration, son statut d’autrice – au-delà de celui de victime d’un viol.</p>
<p>Ces mots répétés, « La blague sur le viol, c’est… » rythment le texte. Cette anaphore mime les efforts renouvelés pour sortir du labyrinthe de cette expérience traumatique et se mue en personnification du violeur : « La blague sur le viol, c’est qu’il portait un bouc. Un bouc. » Cette accusation implicite, traitant le violeur de « blague » ambulante, sonne juste.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/du-stigmate-a-la-performance-button-poetry-nouvel-eveil-de-la-poesie-americaine-95553">Du stigmate à la performance : « Button Poetry », nouvel éveil de la poésie américaine</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Avec ce texte fort, Lockwood apporte de l’oxygène aux victimes de violences sexuelles et leur redonne du pouvoir. Ce poème a d’ailleurs contribué à donner de <a href="https://thenorwichradical.com/2021/03/16/black-lives-matter-poems-review-ambrose-musiyiwa/">l’élan à une poésie polémiste d’aujourd’hui</a>.</p>
<p>Cette « Blague sur le viol » est tout à la fois la chronique directe d’un événement vécu, un poème abouti aux figures de style maîtrisées et le détournement littéraire de la tradition de l’humour social sans tabou d’un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=G3QgxmiBfNY">Lenny Bruce</a> ou d’une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=VPWwzEuqRXk">Margaret Cho</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159829/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Reckford ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec son poème « Rape joke », mieux connu dans les pays anglo-saxons, l’Américaine Patricia Lockwood raconte un traumatisme personnel et prête sa voix aux victimes de violences sexuelles.David Reckford, Doctorant, poésie et peinture américaines, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1569182021-04-05T16:29:17Z2021-04-05T16:29:17ZIdentifier les mécanismes de la pédocriminalité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/393256/original/file-20210402-19-bjxr93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C11%2C1270%2C946&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment faire pour prévenir le passage à l'acte des pédocriminels ?</span> <span class="attribution"><span class="source">andreasfuchs8732 / pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En France, une nouvelle commission sur l’inceste et les violences sexuelles a récemment <a href="https://www.humanite.fr/violences-sexuelles-une-commission-sur-linceste-et-la-pedocriminalite-701334">vu le jour</a> suite à plusieurs affaires très médiatiques, mettant en cause des personnalités du monde intellectuel, à l’instar des révélations de Vanessa Springora et de Camille Kouchner. Plus récemment, l’Eglise catholique a <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/pedocriminalite-leglise-catholique-devoile-une-premiere-plaque-hommage-aux-victimes-de-pretres_fr_604e5e82c5b672fce4ed8d98">fait poser une plaque</a> en Vendée commémorant les noms des victimes de prêtres pédocriminels.</p>
<p>Au Canada, la prévalence criminelle baisse globalement pour la majorité des infractions au cours des dernières années, sauf pour les <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2019001/article/00013-fra.htm">infractions sexuelles</a> qui augmentent. La Fondation OAK a décidé de subventionner massivement un <a href="https://www.leroyal.ca/actualites/le-royal-et-le-centre-moore-pour-la-prevention-des-abus-sexuels-sur-les-enfants-recoivent-une-subvention-de-103-millions-usd-pour-lancer-une-initiative-de-prevention-lechelle-mondiale">programme de prévention</a> des agressions sexuelles à l’encontre des enfants. En France, l’État prend des <a href="https://www.france24.com/fr/france/20210126-les-mesures-de-lutte-contre-la-p%C3%A9docriminalit%C3%A9-en-france-jug%C3%A9es-insuffisantes">mesures</a> pour améliorer la lutte contre la pédocriminalité.</p>
<p>Inceste, pédophilie, pédocriminalité : des termes qui interrogent, qui recouvrent des réalités diverses, souvent mal ou peu comprises et qui nécessitent pour une meilleure prévention de ces violences une meilleure connaissance des mécanismes à l’œuvre, mais aussi la prise en charge des auteurs, parallèlement à celle des victimes.</p>
<h2>Définir les termes</h2>
<p>La pédocriminalité est la criminalité à l’encontre des enfants. C’est un terme encore peu utilisé qui inclut la pédophilie, l’inceste et l’exploitation sexuelle des enfants (prostitution infantile, pédopornographie).</p>
<p>La pédophilie est définie comme une préférence sexuelle pour les enfants (généralement d’âge prépubère ou au début de la puberté, c’est-à-dire de moins de 13 ans).</p>
<p>Il s’agit d’une paraphilie (qu’on appelait avant une « perversion sexuelle ») qui est définie comme un intérêt sexuel « atypique » ou « déviant » (désirs, fantasmes récurrents, extrêmes ou non conformes à la société), spécifique et constant (durée d’au moins six mois), nécessaire à l’excitation et la satisfaction sexuelles de la personne pédophile.</p>
<p>On parlera de <a href="https://www.theravive.com/therapedia/pedophilic-disorder-dsm--5-302.2-(f65.4)">trouble pédophilique</a> lorsque la personne est passé à l’acte ou que la paraphilie provoque une altération importante de plusieurs domaines de sa vie (familial, scolaire ou professionnel, social), avec une détresse (souffrance, désarroi) ou qu’elle présente un risque de nuire à autrui.</p>
<p>La pédophilie concerne des auteurs de violences sexuelles adultes (sujets de plus de 16 ans et d’au moins 5 ans de plus que la victime), mais l’intérêt sexuel déviant (paraphilie) existe souvent depuis l’adolescence (notion de « déviance sexuelle »). Sa prévalence est <a href="https://doi.org/10.1037/11639-000">estimée à 3 à 5 %</a>.</p>
<p>Elle concerne presque exclusivement des hommes (plus de 95 %), dont l’activité peut être exclusive (10 %) ou compatible avec une activité sexuelle dite conventionnelle. La pédophilie ne s’accompagne pas nécessairement de passages à l’acte sexuel. Elle peut se limiter par exemple à des visionnages d’images pédopornographiques (les liens entre <a href="https://doi.org/10.7202/013128ar">pornographie juvénile et pédophilie</a> restent complexes).</p>
<p>La pédophilie rend compte d’une hétérogénéité clinique importante, notamment en fonction de l’âge des victimes ou de leur sexe. <a href="https://nyaspubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1749-6632.2003.tb07303.x">Le risque de récidive sexuelle</a> pour l’ensemble des auteurs d’infraction à caractère sexuel est de 14 % sur 5 ans, 20 % sur 10 ans, 24 % sur 15 ans et 27 % sur 20 ans.</p>
<p>En cas de pédophilie, le risque de récidive augmente, particulièrement pour la pédophilie dite homosexuelle (c’est-à-dire avec une victime du même sexe que l’auteur) : de l’ordre de 35 % sur 5 ans.</p>
<h2>Inceste et pédophilie ?</h2>
<p>L’<a href="https://theconversation.com/ces-climats-familiaux-qui-favorisent-linceste-153954">inceste</a> se définit par des relations sexuelles au sein de la famille (entre parents très proches, c’est-à-dire des personnes d’une même famille dont le degré de parenté ou d’alliance ne permet pas le mariage). Si on distingue habituellement les agresseurs d’enfants intrafamiliaux (qualifiés d’agresseurs incestueux) des agresseurs d’enfants extrafamiliaux (pédophiles), il serait préférable de parler plutôt de <a href="https://doi.org/10.1002/car.649">pédophilie intra ou extrafamiliale</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Podcast d’Arte radio sur l’inceste et la pédocriminalité.</span></figcaption>
</figure>
<p><a href="https://doi.org/10.1097/00131746-200209000-00004">Les agresseurs d’enfants intrafamiliaux (incestueux)</a> qui représentent 20 % des pédophiles ont plus d’antécédents de difficulté dans l’enfance (carences affectives précoces, maltraitance, perturbations familiales avec séparations, survenue d’évènements traumatiques, faible attachement aux figures parentales, etc.). Leurs passages à l’acte pourraient être favorisés par des situations de pertes affectives ou de situations aversives (deuil des parents, décès d’un enfant, « crise » conjugale, rupture, chômage ou accident grave). Les deux tiers de ces agresseurs incestueux ont aussi pu agresser un enfant en dehors du cadre familial.</p>
<p>Les <a href="https://doi.org/10.1016/j.cpr.2015.04.001">agresseurs d’enfants extrafamiliaux</a> (pédophiles) présentent généralement un niveau plus élevé de paraphilie pédophillique, une plus grande difficulté de régulation sexuelle, plus de déni et de distorsions cognitives (croyances erronées relatives à la sexualité des enfants).</p>
<p>Ils présentent également plus de traits antisociaux et ils ont plus souvent affaire à la Justice. Près d’un quart d’entre eux a aussi agressé une victime au sein de leur famille.</p>
<h2>Facteurs déterminants ?</h2>
<p>Les déterminants sont probablement multiples : biologiques, expérientiels (antécédents), d’ordre psycho-environnemental, etc. Le trouble paraphilique (pédophilique) tel que défini au début, autrement dit la « maladie » (équivalence du terme anglais « disorder ») qui implique généralement une souffrance ou détresse psychologique ou des dysfonctions majeures de la vie quotidienne reste sans doute rare, à l’inverse de la paraphilie (attrait sexuel à l’égard des enfants) qui pourrait être plus fréquente. Les causes de la pédophilie sont encore mal connues.</p>
<p>Le risque de passage à l’acte sexuel contre les enfants est lié de manière générale à l’attrait sexuel envers les enfants. La genèse de cette paraphilie (« déviance sexuelle ») est difficile à expliquer. Elle peut être en lien avec des violences sexuelles subies (environ 1/3 des cas chez tous les auteurs de violences sexuelles, mais jusqu’à 42 % en cas de pédophilie).</p>
<p>Un <a href="https://doi.org/10.1375/pplt.14.2.251">homme sur deux ayant subi des violences sexuelles</a> dans l’enfance agressera à son tour des victimes des deux sexes et parfois de plusieurs groupes d’âges différents. Elle peut aussi résulter d’autre types de rencontres précoces et inappropriées avec la sexualité et être plus largement favorisée par des carences, des maltraitances physique et psychologiques.</p>
<p>Le rôle des <a href="https://doi.org/10.1080/10683160601060564">distorsions cognitives</a> est majeur. Elles vont à la fois (i) justifier la paraphilie (« les enfants ont aussi le droit à une sexualité »), (ii) voire le passage à l’acte pédophile en mettant en avant que c’est l’enfant ou le préadolescent qui était demandeur d’une relation sexuelle (« il/elle m’a séduit » ; « il/elle m’a sollicité » ; « il/elle semblait curieux(se) »), mais aussi (iii) contribuer à minorer la responsabilité de l’auteur une fois l’infraction réalisé (« je ne lui ai pas fait mal » ; « il ne s’agissait que de caresses », etc.).</p>
<h2>Des troubles d’ordre neuropsychologique</h2>
<p>Il a été mis en évidence des <a href="https://doi.org/10.1177/1079063213482842">troubles d’ordre neuropsychologique</a>, en particulier un dysfonctionnement exécutif (impulsivité comportementale, difficulté d’inhibition). Des régions cérébrales pourraient être impliquées (cortex frontal et certaines régions sous-corticales temporales, notamment le complexe amygdalien) dans l’absence d’inhibition des comportements pédophiles. Un <a href="https://doi.org/10.1177/107906320101300205">déficit d’empathie</a> a également été mis en évidence chez les agresseurs d’enfants.</p>
<p>Il faut distinguer le niveau d’<a href="https://doi.org/10.1016/j.lpm.2016.09.004">empathie cognitive</a> (qui réfère à la capacité de se mettre à la place d’une autre personne) qui serait normal, voire élevé et qui pourrait servir une capacité d’identification aux enfants, de compréhension et d’anticipation de leurs besoins (dans le but d’établir avec eux des relations de séduction et d’emprise) du niveau d’empathie affective (qui réfère à la capacité de ressentir les mêmes émotions qu’une autre personne, de souffrir avec elle par exemple) qui serait abaissé.</p>
<p>On doit questionner plus largement la difficulté des sujets présentant une paraphilie (pédophillique) à établir des relations « sécurisées » avec les autres adultes (qui sont perçus comme hostiles) et le fait qu’ils <a href="https://doi.org/10.1177/107906320501700406">préféreraient porter leur attention sur des enfants</a> (ressentis comme moins menaçants, plus manipulables).</p>
<p>Cela pourrait être en lien avec des difficultés des habiletés sociales, une moins bonne image de soi (dévalorisation, sentiment de ne pas mériter l’amour d’autrui), des troubles anxio-dépressifs et pose plus largement la question des difficultés de construction de soi et une auto-centration sur ses besoins affectifs et sexuels.</p>
<h2>Prise en charge de la pédophilie</h2>
<p>La paraphilie pédophilique (attrait sexuel à l’égard des enfants, préférence sexuelle) va demeurer présente toute la vie du sujet, mais on peut l’aider à réduire son intensité et ses conséquences et tenter d’éviter les passages à l’acte ou leur récidive.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gCCTZSTBNsU?wmode=transparent&start=213" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Témoignages de pédophiles recueillis par l’AFP dans le cadre d’un reportage.</span></figcaption>
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<p>Les traitements des troubles paraphiliques pédophiliques associent habituellement des prises en charge d’ordre psychothérapeutique (indiquée dans tous les cas) et médicale. Une prise en charge pharmacologique peut être recommandée, notamment pour réduire les fantasmes sexuels déviants et/ou l’activité sexuelle.</p>
<p>Ces <a href="https://doi.org/10.3109/15622971003671628">traitements sont codifiés</a>. Il peut s’agir d’antidépresseurs pour leurs effets secondaires de réduction de la libido ou des <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01766814/document">traitements dits anti-hormonaux</a> (anti-androgènes ou agonistes de la GnRH) pour les cas les plus sévères (niveau de risque élevé de récidive). Ces traitements requièrent l’accord du sujet et ils ont des effets secondaires importants.</p>
<p>La prise en charge des personnes présentant un trouble paraphilique (pédophilique) se fait le plus souvent dans un cadre de soins pénalement ordonnés, c’est-à-dire après une condamnation à une injonction de soins, avec suivi socio-judiciaire assuré par un conseiller du Service pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP).</p>
<p>Il est aussi important d’aider les personnes ayant une paraphilie (attrait sexuel) n’étant jamais passé à l’acte. C’est dans ce cadre qu’en France, la <a href="https://www.ffcriavs.org/accueil/">Fédération des CRIAVS</a> (Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles) a mis en place un dispositif de prévention sous la forme d’un numéro de téléphone unique pour les personnes attirées sexuellement par les enfants : 0806 23 10 63.</p>
<hr>
<p><em>Pour les enfants victimes de violences ou d’abus, appelez le 119</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156918/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Joyal a reçu des financements de l'Office des Personnes Handicapées du Québec (OPHQ) et du Conseil de Recherches en Sciences Humaines (CRSH) du Canada. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Robert Courtois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Inceste, pédophilie, pédocriminalité : des termes recouvrant des réalités diverses, nécessitant d'être mieux compris pour la prévention mais aussi prise en charge des victimes comme des auteurs.Robert Courtois, Psychiatre à temps partiel au CHU de Tours, Maître de conférences - HDR en psychologie, Université de ToursChristian C. Joyal, Professeur, Département de Psychologie, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1544922021-02-05T16:59:11Z2021-02-05T16:59:11ZViolences sexuelles familiales : la triste réalité des données<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/382261/original/file-20210203-15-kbaoym.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C28%2C1917%2C1256&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les statistiques sur les violences survenues dans l'enfance sont très fréquentes, pourtant le tabou demeure </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/jeune-fille-%C3%A0-pied-ours-en-peluche-447701/">Pixabay/greyerbaby</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le livre de Camille Kouchner, relatant les agressions sexuelles répétées que son beau-père aurait commises sur son frère alors que celui-ci était adolescent, <a href="https://www.europe1.fr/societe/affaire-duhamel-le-livre-de-camille-kouchner-libere-la-parole-des-victime-dinceste-4018920">constitue un nouveau point d’ancrage</a> dans la lutte contre les violences sexuelles incestueuses en France. Peu après sa parution, le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/18/la-france-a-un-probleme-avec-l-inceste-avec-metooinceste-des-dizaines-de-milliers-de-tweets-liberent-la-parole_6066605_3224.html">#MeTooInceste</a> impulsé par le <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/violences-faites-aux-femmes/metooinceste-comment-le-hashtag-a-emerge-sur-les-reseaux-sociaux-pour-aider-les-victimes-a-temoigner_4261313.html">collectif #NousToutes</a> a permis à des milliers de femmes et d’hommes de faire part en quelques mots sur les réseaux sociaux de leur expérience et de donner une visibilité médiatique à un phénomène social considéré comme tabou.</p>
<p>Des données nationales, issues de travaux scientifiques, existent pourtant sur l’ampleur des violences sexuelles subies dans la famille et sur leurs caractéristiques, notamment grâce aux enquêtes statistiques en population générale.</p>
<p>L’enquête <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/grandes-enquetes/violences-et-rapports-de-genre/">Violences et rapports de genre</a> (Virage), menée en 2015 auprès de plus de 27 000 femmes et hommes résidant en France métropolitaine au sein de ménages ordinaires (hors habitat collectif institutionnel), fournit justement des résultats inédits sur l’ampleur des violences sexuelles subies durant l’enfance au sein de la famille et de son entourage (voisins bien connus, amis, etc.).</p>
<p>En 2018, avec un protocole de collecte et un questionnaire proches, l’enquête <a href="https://viragedom.site.ined.fr">Virage dans les Outre-mer</a> a constitué un échantillon de près de 9 000 individus résidant aux Antilles ou à La Réunion permettant d’étendre ces nouvelles connaissances au-delà du territoire hexagonal.</p>
<p>En premier lieu, ces enquêtes confirment que le silence des victimes apparaît plus fréquent en cas de violences sexuelles que de violences physiques ou psychologiques, et lorsque les victimes en parlent, elles le font généralement (mais non systématiquement) de manière tardive et sans grand soutien familial.</p>
<p>En second lieu, ces enquêtes mettent en évidence le poids du genre dans ces violences, élément absent de la mise en lumière médiatique du sujet : les victimes de violences sexuelles sont beaucoup plus souvent des filles que des garçons, et les auteurs très rarement des femmes.</p>
<h2>Mesurer les violences en population générale</h2>
<p>Plus précisément, l’enquête Virage s’intéresse aux violences interpersonnelles subies par les femmes et les hommes tout au long de la vie dans les différents espaces de <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/grandes-enquetes/violences-et-rapports-de-genre/">leur existence</a>.</p>
<p>Elle permet d’évaluer, au moyen d’un questionnement rétrospectif, la part de personnes adultes ayant connu des violences sexuelles avant l’âge 18 ans, en précisant si le ou les auteurs appartenaient à la famille ou à l’entourage proche, et de resserrer l’estimation pour se rapprocher de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000021796952/2010-02-10">définition juridique</a> des viols et agressions sexuelles incestueuses.</p>
<p>La méthode d’enquête permet d’éviter différents biais de sélection des répondant·e·s, notamment en constituant l’échantillon de manière aléatoire, et conduit ainsi à une estimation robuste de la fréquence des violences dans l’ensemble de la population du pays.</p>
<p>Un autre choix méthodologique repris de protocoles éprouvés scientifiquement en France et à l’étranger, est de formuler les questions en mentionnant des faits plutôt que des catégories juridiques ou le terme générique de violence. Les réponses sont ainsi moins susceptibles de varier d’une personne à l’autre selon leurs représentations des violences sexuelles, leur appréciation de leur gravité ou encore leurs connaissances des définitions juridiques.</p>
<p>Les questions posées ont porté par exemple sur « des attouchements du sexe subi ou à faire », « des rapports sexuels forcés » (ou tentatives), ou « d’autres pratiques sexuelles imposées ».</p>
<p>Le détail des actes subis permet de reconstituer ensuite les réponses relevant des catégories pénales « viols et tentatives de viol » et « autres agressions sexuelles, à l’exception du harcèlement sexuel et de l’exhibitionnisme. ».</p>
<h2>Les femmes, premières victimes des violences sexuelles au sein de la famille</h2>
<p>En France métropolitaine, près d’une femme sur dix a fait part de violences sexuelles (viols, tentatives de viol, agressions sexuelles) avant l’âge de 18 ans, quelle que soit la nature des relations avec l’agresseur, familiales ou non (8,3 %).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/382002/original/file-20210202-21-1rzttcw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/382002/original/file-20210202-21-1rzttcw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/382002/original/file-20210202-21-1rzttcw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=183&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/382002/original/file-20210202-21-1rzttcw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=183&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/382002/original/file-20210202-21-1rzttcw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=183&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/382002/original/file-20210202-21-1rzttcw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=230&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/382002/original/file-20210202-21-1rzttcw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=230&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/382002/original/file-20210202-21-1rzttcw.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=230&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Fréquences des violences sexuelles subies avant 18 ans selon le sexe des répondant·e·s et les auteurs des violences (%). Champ : Femmes et hommes de 20 à 69 ans vivant en France (métropolitaine, La Réunion, Martinique, Guadeloupe) en ménage ordinaire.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://virage.site.ined.fr/">Enquête Virage, INED, 2015 ; Enquête Virage outre-mer, INED, 2018.</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les inégalités de genre sont frappantes, dans la mesure où les hommes mentionnent quatre fois moins ces violences (1,9 %) que les femmes.</p>
<p>Au sein de la famille et de son entourage plus spécifiquement, c’est une femme sur vingt (4,6 %) et un homme sur cent (0,7 %) qui déclarent des violences sexuelles dans <a href="https://archined.ined.fr/view/AXb7j2Re-O0ViYH9Z1JP">l’enfance ou l’adolescence</a>.</p>
<p>Quant aux territoires ultramarins, les fréquences des violences sexuelles subies avant 18 ans dans le cercle familial ou proche (non présentées dans le tableau) varient entre les territoires, mais se situent à un niveau proche de la France métropolitaine.</p>
<h2>Les auteurs de violences sexuelles sont plus divers que dans l’imaginaire collectif</h2>
<p>Plus de la moitié des femmes et un peu moins de la moitié des hommes rapportant des violences sexuelles avant leur majorité mettent donc en cause des membres de la sphère familiale ou de l’entourage proche. Au sein de cette sphère, les auteurs des faits sont, par ailleurs, plus divers que dans l’imaginaire collectif, souvent focalisé sur le père et le beau-père.</p>
<p>L’auteur le plus fréquemment cité, tant par les femmes que par les hommes, est un oncle (20 % des femmes, 16 % des hommes). Le deuxième auteur mentionné par les femmes est un homme proche de la famille, par exemple un ami des parents.</p>
<p>Les autres auteurs relativement fréquents (10 à 15 % des cas) sont un frère ou un demi-frère, le père, ou encore un autre homme de la parenté tel qu’un cousin. Pour 5 à 10 % des personnes, les auteurs sont un ami proche, un voisin, un autre homme. Le beau-père est fréquemment cité par les femmes qui vivaient avec leur mère et son conjoint à l’adolescence et qui déclarent des violences sexuelles (33 % d’entre elles) – les calculs n’ont pas été effectués pour les hommes en raison d’effectifs trop faibles.</p>
<p>Dans la famille et son entourage, comme dans les autres sphères de vie, les auteurs de violences sexuelles sont très massivement des hommes, encore plus souvent quand la victime est une fille qu’un garçon.</p>
<p>Certains hommes citent comme auteures des violences des femmes, n’ayant généralement pas de lien de parenté avec la victime (voisine, femme proche de la parenté, autre femme, chacun de ces types de relation étant cité par 5 à 10 % des 0,7 % d’hommes victimes).</p>
<p>Autre enseignement tiré de la fréquence des auteurs mis en cause : la sphère familiale et de l’entourage proche, telle que l’appréhendent les personnes interrogées, est nettement plus large que les relations retenues par le Code pénal en matière d’inceste. La délimitation de la famille est en effet variable selon les milieux sociaux, les territoires, les situations familiales. Ainsi le fils d’un beau-parent n’a pas de lien de parenté au sens strict, mais peut avoir été néanmoins considéré comme un membre de la famille.</p>
<p>Si on restreint les violences sexuelles à celles qui peuvent être qualifiées d’incestueuses (père, beau-père, frère/demi-frère, grand-père, mère, belle-mère, sœur/demi-sœur, grand-mère, tante), 2,5 % des femmes contre 0,3 % des hommes révèlent des violences sexuelles incestueuses subies avant l’âge de 18 ans en France métropolitaine, et, de 3 à 4 % des femmes contre 0,2 à 0,8 % des hommes énoncent ces violences dans les trois territoires ultramarins enquêtés.</p>
<h2>Une manifestation de rapports de domination de genre et d’âge</h2>
<p>La surexposition des filles aux violences sexuelles dans l’enfance et l’adolescence et la désignation massive d’hommes parmi les auteurs montrent que les violences sexuelles sont une manifestation des rapports de domination de genre et une manière de les renforcer.</p>
<p>Ils se doublent de rapports de domination d’âge, des auteurs qui semblent le plus souvent majeurs soumettant des victimes mineures. Pour ce faire, ils profitent en général du jeune âge de la victime (cité comme mode opératoire des viols ou tentatives de viol par plus de 8 victimes sur dix, femmes comme hommes), ou encore de sa confiance (cité 6 fois sur 10), favorisée par les liens familiaux. L’usage de la force ou de la menace sont des modes de contrainte moins fréquents <a href="https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/26153/document_travail_2017_229_violences.sexuelles_enquete.fr.pdf">(environ 1 fois sur 2)</a>.</p>
<p>L’articulation des rapports de domination d’âge et de genre est aussi mise en évidence par les inégalités d’exposition aux violences sexuelles au cours de la vie : alors que les hommes en sont rarement victimes à l’âge adulte, les femmes continuent à y être davantage confrontées et, comme aux jeunes âges, les auteurs font souvent partie de la sphère intime <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/population-et-societes/viols-agressions-sexuelles-france/">(conjoint, ex-conjoint)</a>.</p>
<p>La proximité de l’enfant ou adolescent·e avec l’auteur, vivant sous le même toit, visitant la famille, recevant l’enfant chez lui, contribue à la répétition des violences et leur perpétuation dans le temps. Dans plus de la moitié des cas pour les filles, les viols par un membre de la famille ou de l’entourage se sont répétés au moins cinq fois, dans un tiers des cas il y a eu seulement une occurrence.</p>
<p>Si les inégalités de genre sont manifestes dans l’exposition aux violences par des membres de la famille ou des proches avant 18 ans, on ne note en revanche pas de variation significative selon la catégorie sociale des parents. En d’autres termes, les violences sexuelles concernent tous les milieux sociaux.</p>
<h2>Parler ne signifie pas être soutenu·e</h2>
<p>La majorité des personnes ayant déclaré des violences sexuelles subies dans la famille en ont déjà parlé (famille, conjoint, ami·e, médecin, police, association etc.) avant l’enquête, soit pendant leur enfance, soit à l’âge adulte.</p>
<p>Néanmoins, elles sont moins nombreuses à en avoir déjà parlé que dans le cas de violences physiques ou psychologiques : les violences sexuelles sont aussi en cela spécifiques, outre que les auteurs des violences sexuelles sont beaucoup plus divers que les auteurs des autres formes de violences (ces derniers étant principalement les parents).</p>
<p>Une femme sur cinq et un homme sur trois en a parlé d’ailleurs pour la première fois lors de l’enquête : l’atteinte à la <a href="https://www.slate.fr/story/175098/hommes-victimes-violences-sexuelles-virilite-liberation-parole-feministes">masculinité dominante</a> que peuvent constituer les violences sexuelles rend sans doute plus difficile pour les hommes de révéler ce type de situation et retarde les révélations.</p>
<h2>Le frein du jeune âge</h2>
<p>Le jeune âge au moment des faits apparaît toutefois comme le premier frein : seulement un quart des femmes et des hommes en ont parlé à quelqu’un dans l’année des faits, près de la moitié en ont parlé au moins dix ans plus tard.</p>
<p>Si les membres de la famille sont les premiers informés des violences sexuelles (par 7 femmes et hommes sur dix), leur soutien est loin d’être acquis (dans moins de 66 % des cas). Or, le manque de soutien apparaît aussi préjudiciable en termes de santé mentale à l’âge adulte que la non-révélation des faits comme le montre Claire Scodellaro dans le chapitre « Violences et santé : le poids du genre ? », de l’étude <a href="https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/30810/dossier_presse_virage_final.fr.pdf"><em>Violences et rapports de genre. Enquête sur les violences de genre en France</em></a> (récemment publiée par l’Ined). </p>
<p>Notons que des démarches judiciaires ont rarement été entreprises au moment de l’enquête (1 femme sur 5, 1 homme sur 10) et dans la moitié des cas par quelqu’un d’autre que l’enquêté·e, sans doute quand celles ou ceux-ci étaient encore mineur·e·s.</p>
<p>Les violences sexuelles sur des mineur·e·s sont souvent commises par un homme de la famille ou de l’entourage proche, de manière répétée, plus fréquemment sur les filles que les garçons.</p>
<p>Elles se fondent sur des rapports sociaux inégalitaires, cumulant dominations d’âge et de genre pour soumettre enfants et adolescent·e·s en profitant de leur jeune âge et de la relation de confiance que favorise la sphère familiale.</p>
<p>Ces violences ont pu durer plusieurs années et avoir des conséquences délétères en matière de santé. Si à l’âge adulte la majorité des victimes déclare un bon état de santé général, une partie d’entre elles présente une santé dégradée : les situations de violence peuvent conduire à des troubles de santé sévères, des comportements à risque, des tentatives de suicide.</p>
<p>Un nombre indéterminé de victimes décède aussi prématurément, par suicide ou d’autres causes, et est de ce fait absent de l’enquête. Repérer le plus rapidement possible les violences sexuelles envers les filles et les garçons, notamment dans le cadre familial, doit être une priorité de santé publique.</p>
<hr>
<p><em>Les auteures remercient Justine Dupuis, Elizabeth Brown, Stéphanie Condon, Sandrine Dauphin et Magali Mazuy pour leurs relecture et contribution.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154492/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire Scodellaro a reçu des financements du labex Ipops (délégation à l'INED). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Amélie Charruault a reçu des financements de la Cnaf (2016-2019) et de l'Injep (2019-2020). Elle est en accueil scientifique à l'Ined et rattachée au Cridup (doctorat en démographie en cours).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alice Debauche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En France, les données statistiques montrent des résultats inédits sur l’ampleur et les caractéristiques des violences sexuelles subies durant l’enfance au sein de la famille et de son entourage.Claire Scodellaro, maîtresse de conférences en démographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Institut National d'Études Démographiques (INED)Alice Debauche, Maîtresse de conférence en sociologie, Université de StrasbourgAmélie Charruault, Démographe (doctorante), Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1539872021-01-27T18:36:49Z2021-01-27T18:36:49ZViolences sexuelles sur mineurs : pourquoi la question d’un âge légal de consentement fait débat ?<p>Le Sénat vient d’adopter à l’unanimité en première lecture une proposition de loi fixant un âge de non-consentement du <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/crimes-sexuels-l-age-de-consentement-en-debat-au-senat-187116">mineur à 13 ans</a> pour les infractions sexuelles les plus graves (viol, agression sexuelle).</p>
<p>Cette volonté de poser un interdit sociétal clair est une réponse au <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20180802.OBS0472/violences-sexuelles-la-loi-n-a-pas-su-fixer-d-interdit-clair-pour-proteger-les-mineurs.html">« rendez-vous manqué »</a> de la loi du 3 août 2018, dite loi Schiappa, qui ne posait pas clairement la question.</p>
<p>Elle revient en force, relancée par l’affaire Duhamel et le mouvement <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/pas-son-genre/pas-son-genre-22-janvier-2021">#MeetooInceste</a> sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Néanmoins cette proposition de loi sur le consentement continue de susciter le débat comme l’illustre la campagne #Avant15anscestnon.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1352937498352246784"}"></div></p>
<p>Aujourd’hui en France, un rapport sexuel avec un mineur ne constitue pas <em>de facto</em> un viol (ou une agression sexuelle s’il n’y a pas pénétration), à la <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/054000481.pdf">différence</a> d’autres législations européennes (la présomption de non-consentement existe au Royaume-Uni pour les mineurs de 13 ans, et de 14 ans en Belgique).</p>
<h2>En France, l’âge ne suffit pas à caractériser le viol</h2>
<p>La majorité sexuelle de 15 ans ne détermine pas un âge légal de non-consentement, mais un âge en dessous duquel tout acte sexuel d’un majeur sur un mineur de moins 15 ans (ou plus de 15 ans si par ascendant ou personne ayant autorité) est illicite.</p>
<p>Un tel acte constitue en droit une atteinte sexuelle qui ne nécessite pas de prouver une situation de « violence, contrainte, menace, surprise ».</p>
<p>La question du consentement ne se pose pas. Or, il s’agit d’un délit, et non d’un crime, faisant encourir des peines d’emprisonnement moins sévères (passibles de 7 ans).</p>
<p>Pour qu’une relation sexuelle avec un mineur soit caractérisée de viol ou d’agression, la preuve doit être apportée qu’il a été commis par « violence, contrainte, menace ou surprise ». Autrement dit l’âge (moins de 15 ans) est une circonstance aggravante, mais ne suffit pas à caractériser les infractions les plus graves.</p>
<p>La Cour de cassation casse régulièrement des arrêts où il n’a pas été prouvé en quoi les actes ont été commis sur le mineur par violence, contrainte, menace ou surprise.</p>
<p>Des décisions d’acquittement ou de relaxe peuvent être prononcées faute de preuve du non-consentement du mineur (affaires de Melun et Pontoise médiatisées à l’automne 2017 <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/250917/relation-sexuelle-11-ans-le-parquet-de-pontoise-ne-poursuit-pas-pour-viol">par Médiapart</a>) où l’on pensait que l’âge pouvait suffire à constituer la <a href="http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/11/11/une-cour-d-assises-acquitte-un-homme-accuse-d-avoir-viole-une-fille-de-11-ans_5213592_1653578.html">contrainte</a>.</p>
<p>Dans la première, un homme de 20 ans accusé de viol sur une fille de 11 ans avait été acquitté par la Cour d’Assises ; dans la seconde, les faits de viol commis par un homme de 28 ans sur une fille de 11 ans avaient été requalifiés en atteinte sexuelle et renvoyés devant le tribunal correctionnel.</p>
<p>Plus récemment, <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/agression-sexuelle-imposee-sur-mineure-de-15-ans-relaxe-d-un-celebre-trompettiste#.YA6X_U-g_IU">dans une autre affaire</a>, les juges n’ont pas retenu le baiser sur la bouche d’une personne ayant autorité sur son élève de 14 ans, comme agression sexuelle, considérant qu’il n’était pas l’« initiateur » du baiser.</p>
<h2>Le droit pénal protège-t-il suffisamment le consentement du mineur ?</h2>
<p>Au-delà du <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/histoire-du-viol-georges-vigarello/9782020403641">consensus social</a> sur la gravité des actes, de l’intolérance croissante à l’égard des <a href="https://www.fayard.fr/histoire/histoire-de-la-pedophilie-9782213672328">violences sexuelles commises sur les mineurs</a>, la société reste incertaine sur leur qualification juridique.</p>
<p>Ces incertitudes expriment l’écart entre un discours social et politique qui s’attache désormais à dire que le consentement est une évidence et s’affiche clairement (« un enfant ne consent jamais ») et des pratiques judiciaires pour lesquelles ce critère engage des questions de preuves extrêmement complexes puisqu’il n’existe pas actuellement dans la loi en France un âge légal de non-consentement du mineur.</p>
<p>Dans le contexte de libération des mœurs et d’émancipation sexuelle des années 1970, la question du consentement du mineur avait été amenée par les défenseurs de la liberté sexuelle (comme certains homosexuels pour l’abrogation du délit d’homosexualité) et d’autres encore pour des raisons différentes, les défenseurs de pratiques pédophiles <a href="https://journals.openedition.org/clio/12778">(dépénalisation de la sexualité entre adultes et mineurs)</a>.</p>
<p>Ces arguments ne seraient pas audibles aujourd’hui. Ce qui est interdit moralement et juridiquement c’est la relation sexuelle entre un majeur et un mineur, considéré comme une <a href="https://www.armand-colin.com/lenfant-interdit-comment-la-pedophilie-est-devenue-scandaleuse-9782200286439">personne vulnérable, en devenir, sacralisée</a>.</p>
<h2>De profonds changements à l’œuvre</h2>
<p>Cette évolution de société soucieuse de protéger davantage le mineur explique le retentissement des livres de Camille Kouchner et Vanessa Springora.</p>
<p>De profonds changements sont à l’œuvre en matière de permis et d’interdits sexuels (voir la conférence d’Irène Théry, « Les trois révolutions du consentement, pour une approche socio-anthropologique de la sexualité » Dalloz, 2002), liés au contexte des inégalités de genre, de lutte contre les violences domestiques, de critique du modèle patriarcal et de domination masculine.</p>
<p>Ces métamorphoses en cours, encore inachevées, et peu comprises, génèrent tensions et incertitudes, et posent des questions inédites en droit sur la frontière des âges : peut-on invoquer le consentement d’un mineur ? Est-ce que « céder » c’est consentir ? Comment décrypter la relation d’emprise ?</p>
<p>Les problèmes de preuve occupent une place centrale dans le débat judiciaire. Non seulement sur la matérialité des faits (absence de trace, de témoin, révélations tardives) mais aussi, et principalement, sur la partie la plus difficile à appréhender ces affaires : le non-consentement du mineur.</p>
<h2>Caractériser l’infraction</h2>
<p>Tout l’enjeu est de caractériser l’infraction, dans des affaires où la violence est peu commune, souvent imperceptible, discrète, et empêche l’enfant de résister ou de s’opposer à son agresseur.</p>
<p>La surprise est rarement adaptée pour des faits qui se répètent et ne sont pas isolés. La menace est souvent postérieure aux faits pour garder le secret. Enfin la contrainte est massivement contestée par les auteurs. Certains d’entre eux invoquent même un consentement de l’enfant, une séduction de sa part. Comment dès lors prouver l’absence de consentement en situation de violences sexuelles, lorsque la victime mineure n’a pas été frappée, menacée, et a fini par céder face à la situation d’abus ?</p>
<p>La jurisprudence retient l’âge de 6 ans, comme <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/15/violences-sexuelles-la-presomption-de-non-consentement-des-mineures-revient-dans-une-proposition-de-loi_6026003_3224.html">seuil irréfragable de non-consentement dans l’agression sexuelle</a> (et viol si pénétration).</p>
<p>Le législateur a étendu la notion de « contrainte morale » aux asymétries d’âge et à la relation d’autorité entre auteur et victime, et vulnérabilité de cette dernière (en 2010 et 2018).</p>
<p>Le Conseil constitutionnel a rappelé dans une décision de février 2015 qu’« il appartient aux juridictions d’apprécier si le mineur était en état de consentir à la relation sexuelle en cause ». Les juges sont donc tenus d’apprécier <em>in concreto</em>, et rechercher au cas par cas, selon les situations, les circonstances, les personnalités des personnes impliquées, en quoi il y a eu atteinte au consentement du mineur.</p>
<h2>La pratique des juges</h2>
<p>La pratique judiciaire dans certains <a href="https://journals.openedition.org/glad/1230">tribunaux correctionnels</a> tend à montrer que les juges sont davantage enclins à considérer un abus sexuel d’un adulte sur mineur comme étant nécessairement une agression (au sens juridique), sans mentionner la « contrainte morale », ni préciser dans les comptes-rendus de jugement en quoi il y a eu « violence, contrainte, menace ou surprise ».</p>
<p>Étonnement, ils ont peu recours à la qualification d’atteinte sexuelle alors qu’elle est plus facile à caractériser puisque celle-ci n’implique pas la preuve du non-consentement. La distinction entre la qualification d’atteinte et d’agression semble de moins en moins acceptée dans les juridictions.</p>
<p>La présomption apparaît beaucoup plus forte dans les violences sexuelles intrafamiliales, lorsque l’auteur est un ascendant. Face à l’horreur de l’inceste intergénérationnel, les juges ont la certitude d’une contrainte. Il n’y a pas de débat sur le non-consentement du mineur. Ni sur la qualification d’agression.</p>
<p>Dans les tribunaux pour enfants, où sont jugés les délits sexuels commis par des mineurs, les juges sont confrontés à <a href="https://journals.openedition.org/sejed/9473">d’autres dilemmes</a>.</p>
<p>À savoir comment distinguer ce qui relève d’un abus caractérisé, d’un simple jeu, ou d’une initiation sexuelle entre mineurs de mêmes âges ?</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/380855/original/file-20210127-13-1di67fl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/380855/original/file-20210127-13-1di67fl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/380855/original/file-20210127-13-1di67fl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/380855/original/file-20210127-13-1di67fl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/380855/original/file-20210127-13-1di67fl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/380855/original/file-20210127-13-1di67fl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/380855/original/file-20210127-13-1di67fl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans la pratique, les juges sont souvent confrontés à la question de la zone « grise » du consentement qui empêche de savoir s’il y a abus ou non dans une relation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/jambes-etre-assis-sans-visage-photo-4858862/">Cottonbro/Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>L’écart d’âge important (plus de 5 ans) apparaît alors déterminant, comme c’est le cas dans d’autres législations. Au Canada, la législation tient compte des écarts d’âge : 5 ans ou 2 ans selon les âges des mineurs.</p>
<p>Entre des adolescents de faibles écarts d’âge (moins de 2 ans), proches de la majorité sexuelle, on entre dans une <a href="https://journals.openedition.org/revdh/1696">« zone grise »</a> du consentement (situations floues, tendancieuses).</p>
<h2>Du crime au délit : une hiérarchie des viols</h2>
<p>Dans les faits, les juges sont souvent confrontés à cette zone grise. Elle apparaît quand l’absence de consentement est plus difficile à établir et peut conduire à la correctionnalisation de certains viols.</p>
<p>Cette pratique se traduit en droit lorsqu’un même fait qualifié au départ de viol et donc de crime, devient un délit et est jugé, non pas en cours d’assises, mais en tribunal correctionnel (passible de 10 ans d’emprisonnement et non plus de 20 ans de réclusion criminelle).</p>
<p>Très critiquée par les associations de victimes car elle laisse un sentiment d’injustice, elle représente une <a href="http://www.justice.gouv.fr/art_pix/stat_infostat_160.pdf">part non négligeable des affaires</a>. Ainsi, dans 30 % des cas, la qualification de viol à l’arrivée au parquet est modifiée au cours de l’instruction au profit de l’agression sexuelle ou de l’atteinte sexuelle.</p>
<p>En effet, dans les dossiers « fragiles » les juges cherchent à éviter le risque d’un acquittement par un jury populaire faute de pouvoir caractériser le non-consentement et préfèrent renvoyer l’affaire devant des magistrats professionnels en tribunal correctionnel afin qu’il y ait plus de garanties que la victime obtienne gain de cause.</p>
<p>Les récents travaux de sociologie de <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100513860">Véronique Le Goaziou</a> ou de <a href="https://www.cairn.info/revue-deliberee-2018-2-page-32.htm">Sylvie Cromer</a> confirment l’existence d’une « hiérarchie des viols » en lien avec le délicat problème de preuve de non-consentement.</p>
<p>Ainsi, les juges, et derrière eux la société entière, affirment aujourd’hui la certitude d’une contrainte inhérente à tout abus sexuel commis par un adulte sur un mineur.</p>
<p>C’est un indicateur majeur de l’évolution d’une société : celui de l’interdit des âges. Comment le législateur tiendra-t-il compte des spécificités d’âges (13, 15, 18 ans) et des rapports d’âge, entre d’un côté la nécessaire protection du mineur en raison de sa vulnérabilité, et de l’autre, son accompagnement pas-à-pas vers l’autonomie, en référence à la philosophie des droits de l’enfant et de l’ordonnance de 1945 ? Qu’en sera-t-il de l’inceste ? Parviendra-t-il <em>in fine</em> à énoncer avec force un interdit anthropologique devenu de plus en plus flou dans la loi ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153987/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Romero est membre du comité scientifique et technique de l'association Docteurs BRU. </span></em></p>Des décisions d’acquittement ou de relaxe peuvent être prononcées faute de preuve du non-consentement du mineur dans des affaires d’atteintes sexuelles : comment l’expliquer ?Marie Romero, Docteure en sociologie (CNE/EHESS), chercheure correspondant Centre Norbert Elias, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1528412021-01-11T20:30:14Z2021-01-11T20:30:14ZInceste : au-delà du bruit médiatique, entendre la tragique banalité du phénomène<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/377974/original/file-20210111-13-1coho7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C22%2C1920%2C1253&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Oeuvre de l'artiste Niki de Saint-Phalle, qui a révélé en 1994 à sa propre fille l'inceste dont elle a été victime (Niki de Saint Phalle, Mon Secret, La Différence, 1994.).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/niki-de-saint-phalle-art-artiste-67681/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En ce mois de septembre, de nouvelles prises de paroles témoignent de cette réalité massive qu'est l'inceste. L'actrice Emmanuelle Béart révèle ainsi en avoir été victime <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/09/05/dans-un-silence-si-bruyant-emmanuelle-beart-evoque-l-inceste-dont-elle-fut-victime_6187987_3246.html">dans un documentaire à venir</a>. Quelques années après le livre de Camille Kouchner, un autre récit, <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/09/06/neige-sinno-remporte-le-prix-litteraire-le-monde-2023-pour-triste-tigre_6188164_3260.html"><em>Triste Tigre</em></a>, de Neige Sinno, met des mots sur ce phénomène <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/05/l-inceste-un-phenomene-tabou-a-l-ampleur-meconnue_6065232_3224.html">qui toucherait un Français sur 10</a> - même si, rappelons-le, les chiffres, en particulier en matière de criminalité sexuelle, ne sont pas toujours fiables. </p>
<p>Si depuis quelques années, les prises de paroles des victimes sont plus visibles, il a fallu attendre la fin du XXe siècle pour que l’inceste devienne un sujet de discussion publique. <em>Le Monde</em> ne commence à consacrer des articles à la judiciarisation de l’inceste, c’est-à-dire à des procès pour attentats à la pudeur sur moins de 15 ans commis par un ascendant, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1974/03/11/m-urs-l-inceste-a-la-campagne_3086659_1819218.html">qu’en mars 1974</a>, ouvrant le feu de manière très significative avec une affaire d’inceste rural.</p>
<p><a href="http://www.vrin.fr/book.php?code=9782711603916">L’inceste rural</a>, vu comme produit de l’arriération et de la rudesse des <a href="https://journals.openedition.org/ruralia/77">mœurs campagnardes</a>, est en effet un topos de la littérature médicale depuis le XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Dépasser la prohibition de l’inceste ?</h2>
<p>En avril 1971, Michel Polac consacre à l’inceste un épisode de son émission « Post scriptum », avec le film de Louis Malle, <a href="https://www.ina.fr/video/I04334200"><em>Le Souffle au cœur</em>, récit d’un inceste maternel</a>. Les invités, sans condamner ni louer l’inceste, l’analysent comme une donnée avec laquelle une société doit composer et s’interrogent sur la possibilité de dépasser la prohibition de l’inceste.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qVYY3qeV340?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Entretien avec Louis Malle, à propos de son film Le Souffle au Coeur, TFO.</span></figcaption>
</figure>
<p>En réaction, Michel Polac reçoit une avalanche de lettres de protestation, qui dénoncent « un sujet infect » en souhaitant que les invités, ces « vicieux salopards », se fassent dérouiller et/ou castrer. Polac est finalement <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1971/05/11/bull-defense-aux-journaux-parles-et-televises-d-evoquer-aux-heures-de-grande-ecoute-les-films-interdits-aux-moins-de-18-ans-bull-l-emission-post-scriptum-ne-sera-plus-que-mensuell_3065536_1819218.html">sanctionné</a> par le conseil d’administration de l’ORTF et l’émission disparaît dans le courant du mois de mai.</p>
<p>Cet épisode, dont la rumeur s’éteint avec l’été commençant, montre d’une manière éloquente la force du silence qui pèse sur l’inceste : ce « sujet infect » n’a pas encore droit de cité à la télévision. Par ailleurs il montre aussi que pour de nombreux téléspectateurs, le traitement a été jugé trop léger et inadapté.</p>
<h2>Créer les conditions pour évoquer les affaires d’abus</h2>
<p>Après cela, la décennie 1970 va être pour les médias celle d’une ouverture au « discours sur la sexualité » qui créé les conditions d’évoquer peu à peu ce qu’on appelle alors la pédophilie.</p>
<p>La télévision en particulier affronte l’inceste et les évocations fictionnelles ou documentaires du viol par inceste se multiplient. Ainsi, en 1978, le journal de 20 h d’Antenne 2 consacre un reportage de trois minutes au cas d’un enfant de huit ans violé par son père – sans dommages cette fois pour la rédaction.</p>
<p>À partir du milieu des années 1980, différentes « affaires » attirent l’attention des médias et des pouvoirs publics sur les lacunes du dispositif de protection de l’enfance. Ainsi, dans <a href="https://www.babelio.com/livres/Bisson-Lenfant-derriere-la-porte/116386"><em>L’enfant derrière la porte</em></a> en 1982, <a href="https://www.parismatch.com/Actu/Societe/David-l-enfant-du-placard-159873">David Bisson</a> raconte son calvaire d’enfant martyrisé.</p>
<p>Peu après, 1986 marque un tournant décisif en matière de parole publique sur l’inceste. Lors des débats des <em>Dossiers de l’écran</em> diffusés par Antenne 2, le journaliste Alain Jérôme donne en direct la parole à trois femmes adultes, victimes de pères ou de frères incestueux, parmi lesquelles Éva Thomas qui vient de publier <a href="https://www.jailu.com/le-viol-du-silence/9782290305973"><em>Le viol du silence</em></a>.</p>
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<p>L’émission est annoncée par le magazine chrétien <em>La Vie</em> sous le titre : « les barreaux de la prison de l’inceste vont voler en éclats ».</p>
<h2>L’impact du témoignage</h2>
<p>La télévision prend le risque du témoignage vivant des victimes en même temps qu’elle sollicite l’avis des téléspectateurs. Après avoir écrit dans l’incipit de son livre – « À quinze ans j’ai été violée par mon père », pour la première fois, une victime d’inceste témoigne à visage découvert, après que deux autres femmes, de dos elles, ont raconté leur histoire (toujours dans cette même émission des <em>Dossiers de l’écran</em>).</p>
<p>Trente ans après les faits, ces victimes viennent parler de souffrance qui semblent toujours très vives, offrant l’occasion au public de comprendre que la particularité du dommage causé par le viol – incestueux ou non – est de se conjuguer au futur.</p>
<p>Le retentissement de l’émission est énorme et il n’est pas excessif de dire que toute la presse – nationale, régionale et étrangère (<em>L’illustré Suisse, Il Mattino, La Republica</em>) – en parle, d’une voix unanime.</p>
<p>L’insistance est mise sur le mutisme des victimes (<em>Le Républicain lorrain</em>, 29/08/1986, <em>La Voix du Nord</em>, 27/08), sur « l’hypocrisie et le silence complice » qui règne sur le sujet (<em>Le Figaro</em>,02/09/1986) et sur la grande victoire que constitue cette prise de parole : « Les petites filles ne se sentent plus coupables » (<em>Le Matin</em>, 02/09/1986). « Toutes les couches de la société sont concernées », remarquent enfin les journaux Télé Journal (30/08 au 05/09/1986,) et <em>Le Républicain lorrain</em> (27/08 et 29/08/1986).</p>
<h2>Une rupture dans le paysage littéraire</h2>
<p>Deux ans plus tard, l’écrivaine Christiane Rochefort publie <a href="https://www.grasset.fr/livres/la-porte-du-fond-9782246411611"><em>La Porte du fond</em></a>, avec cet exergue :</p>
<blockquote>
<p>Il était le pacha du harem avec ses deux femmes.<br>
Bon, une et demi.<br>
Moi ce n’était qu’un jeu.<br>
J’étais encore une enfant.<br>
Les enfants, c’est sacré.</p>
</blockquote>
<p>Couronné par le prix Médicis, l’ouvrage donne la mesure du changement qui s’opère dans le paysage littéraire après un siècle de silence ou de représentation irénique (inceste amoureux excessif ou passionnel) chez Emile Zola (<a href="https://www.bacdefrancais.net/curee-zola-chapitre-1-fin.php"><em>La Curée</em></a>) Jean Cocteau (<a href="https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-07-octobre-2020"><em>Les Enfants Terribles</em></a>) ou Louis Malle (<a href="https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-07-octobre-2020"><em>Le Souffle au cœur</em></a>).</p>
<p>En décrivant un inceste père-fille comme un cercle vicieux condamnant l’enfant abusé au silence, le <a href="https://next.liberation.fr/livres/2004/11/11/les-ailes-de-rochefort_499099">roman sarcastique et furieux</a> de Christiane Rochefort inscrit désormais cette figure littéraire dans le cadre de l’abus de pouvoir et du crime.</p>
<h2>Briser un « vieux tabou »</h2>
<p>C’est à nouveau, pour « pour briser ce qui reste un vieux tabou » que François de Closet réunit le 27 mars 1989 sur le plateau de son émission Médiations, des spécialistes et des témoins des actions diverses menées contre l’inceste.</p>
<p>Ainsi est présentée l’émission, fidèle au topos désormais presque classique de la <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/depuis-quand-les-medias-parlent-ils-de-pedophilie">révélation</a>. Le reportage réalisé auprès de très jeunes enfants n’est sans doute pas étranger à la réussite de cette soirée. L’émission aurait ce soir-là presque atteint le chiffre de 40 % de part d’audience : mieux que les <em>Dossiers de l’écran</em> trois ans plus tôt (Médias, 12/09/1986).</p>
<blockquote>
<p>« Après, il m’a dit de ne pas le dire à ma maman parce que sinon il m’a dit qu’il me tuerait moi et ma maman », murmure Sandrine, 10 ans, abusée pendant deux ans par l’ami de sa mère.</p>
</blockquote>
<p>De surcroit, ce magazine a un impact. Claudine, une des invitée, est <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/06/24/un-pere-poursuit-sa-fille-apres-une-emission-televisee-inceste-et-diffamation_4138749_1819218.html">poursuivie</a> peu après par le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, pour diffamation à l’encontre de son père, comme du reste Patrick Le Lay, PDG de TF1, et François de Closets lui-même.</p>
<p>La jeune femme est condamnée en juillet 1989 à un 1 franc symbolique. « Le tribunal de St Brieuc a tranché : le viol en famille doit rester secret » commente <em>Libération</em>, en juillet 1989.</p>
<h2>Rompre l’anonymat</h2>
<p>En donnant la parole aux victimes, mais surtout en offrant à la curiosité et à la compassion du téléspectateur leur visage, singulier, unique, la télévision <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2016-2-page-59.htm">rompt l’anonymat</a> que maintient l’écrit.</p>
<p>Elle permet la reconnaissance et l’identification, bref elle fracasse le silence plus que n’importe quel média, le voyeurisme auquel elle invite étant la garantie même de la transgression qu’elle s’autorise.</p>
<p>Cette fois encore la presse écrite se fait un large écho de l’émission. Rappelant que « pendant que l’opinion se focalise sur quelques meurtres d’enfants, d’autres sont violés ou agressés par un parent dans l’indifférence générale » (Télérama, 15/03/1989).</p>
<p>C’est donc au cours de cette deuxième moitié des années quatre-vingt que les victimes commencent à se faire entendre. Désormais, la cause semble entendue : il s’agit de dénoncer des agissements massifs qui enfreignent les valeurs essentielles de la société, et la communauté de jugement est unie dans l’accusation. Dès lors, la parole des victimes semble désormais « autorisée » et les livres de témoignages se multiplient au cours des années 1990.</p>
<h2>Le paradoxe de la « parole sur l’inceste »</h2>
<p>Pourtant, et c’est tout le paradoxe de la « parole sur l’inceste », l’intense bruit médiatique qui caractérise ces quelques années, est oublié aussitôt que passé et depuis les années 2000 chaque « affaire » de dénonciation publique des viols d’enfants ou d’inceste semble provoquer la stupeur comme s’il s’agissant d’une « découverte » ou pis d’un fait nouveau.</p>
<p>Cette « stupeur » témoigne d’une résistance profonde persistante à reconnaître la banalité de l’inceste. Le faire c’est mettre en cause ce pilier de l’ordre social qu’est la famille, c’est délicat. Il faut compter également avec le système médiatique pour lequel seul l’inédit a une véritable valeur.</p>
<p>La personnalisation des dénonciations, l’appartenance des dénonciatrices à des milieux sociaux privilégiés, dans lesquels on maîtrise la parole et plus encore l’écriture, concentre le scandale sur quelques figures de notables, comme l’a montré <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/affaire-gabriel-matzneff/">l’affaire Gabriel Matzneff</a>.</p>
<p>Cette dernière n’était pourtant pas neuve et répondait, 30 ans après, aux confessions littéraires de Matzneff qui n’a jamais rien dissimulé de ses goûts et de ses pratiques.</p>
<h2>Le mythe des années 68 « déviantes »</h2>
<p>Après le mythe de « l’inceste rural », voici le XXI<sup>e</sup> siècle obsédé par un autre mythe : l’inceste ou l’agression sexuelle sur mineur fruit de la libération des mœurs des années 1970 et déviance du gauchisme ou du progressisme. Il est devenu presque banal de <a href="https://www.lesechos.fr/2018/02/il-est-interdit-dinterdire-une-erreur-de-mai-68-984049">dénoncer</a> l’effet délétère de Mai 68 sur les comportements sexuels, ce qui témoigne d’une erreur d’appréciation.</p>
<p>Si Mai 68 a libéré la parole sur la sexualité, autorisant le développement de revendications relatives aux sexualités alternatives, l’événement a aussi ouvert une fenêtre et attiré l’attention sur la criminalité sexuelle et ses victimes.</p>
<p>Du même coup, l’enjeu de ces révélations se trouve fréquemment déporté, puisqu’elles sont instrumentalisées à des fins politiques faisant largement oublier que l’inceste est un phénomène que l’on pourrait malheureusement qualifier d’« ordinaire ».</p>
<p>Une chose demeure : alors que l’inceste est un des crimes les plus réprouvés moralement, il est aussi l’un des crimes les moins révélés et dénoncés, preuve s’il en fallait de la persistance du déni.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152841/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Claude Ambroise-Rendu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À partir des années 1970, les affaires d’inceste trouvent de plus en plus d’écho médiatique, révélant la souffrance des victimes. Paradoxalement, chaque nouvelle affaire semble provoquer la stupeur.Anne-Claude Ambroise-Rendu, Professeur d'histoire contemporaine, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1457442020-10-26T22:14:56Z2020-10-26T22:14:56ZDe « faits divers » à fait de société, comment le viol est peu à peu devenu un sujet politique<p>« Glauques », « intimes », « aléatoires » : les récits de viol dérangent, importunent dans leur ensemble les journalistes chargé·e·s du suivi régulier des faits divers, majoritairement réticent·e·s à les couvrir exhaustivement. Les entretiens réalisés auprès d’une quarantaine de rédacteur·ices français·e·s dans le cadre de <a href="http://www.theses.fr/s197566">mes recherches doctorales</a> mettent en évidence des résistances d’ordres divers. Jugées « journalistiquement risquées » par anticipation de la critique du défaut de preuve, ces narrations sont par ailleurs le plus souvent perçues comme « sensibles », potentiellement « impudiques » en ce qu’elles renvoient à l’intime.</p>
<p>L’analyse des Unes de quatre quotidiens nationaux (<em>Le Figaro, Le Monde, Libération</em>) et régionaux (<em>Le Parisien</em>) menée dans le cadre du projet <a href="https://cpc-strafkulturen.eu/fr/project.html">« Cultures pénales continentales »</a> l’illustre : sur l’ensemble des 1903 titres relevés au cours du dernier trimestre des années 2007, 2012 et 2017, moins de 2 % (32 titres) traitent des atteintes sexuelles corporelles, quand 16,6 % des titres portent plus largement sur des enjeux de sécurité et/ou de criminalité. Plus encore, <em>Le Parisien</em> produit à lui seul près des 2/5 des 305 articles relatifs à un dossier de viol relevés en 2005, 2010, 2015 et 2017 dans ces quatre mêmes journaux. Autrement dit, les dossiers de viol figurent parmi les sujets criminels les moins fréquemment couverts par la presse imprimée généraliste.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le 23 décembre 1980, le viol est reconnu comme crime.</span></figcaption>
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<p>Le crime de viol, défini pour la première fois par la loi <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000886767">votée en 1980</a> à l’issue de la médiatisation retentissante du <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2017/09/18/26010-20170918ARTFIG00239-viol-recit-du-proces-de-1978-a-l-origine-d-une-nouvelle-loi.php">procès d’Aix-en-Provence</a>, figure aujourd’hui parmi les enjeux politiques fréquemment traités par la presse française.</p>
<p>L’analyse de sa mise à l’agenda médiatique nous renseigne tout autant sur l’évolution des représentations médiatiques des violences sexuelles que sur l’histoire de leur <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2006-1-page-5.htm">politisation</a> progressive, accélérée par la viralité du #MeToo.</p>
<h2>Des situations individuelles « tragiques »</h2>
<p><a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/document-travail/enquete-virage-premiers-resultats-violences-sexuelles/">Statistiquement ordinaires</a>, les affaires de viol sont traditionnellement perçues par les journalistes de presse écrite française comme autant de situations individuelles tragiques, indépendantes les unes des autres. En somme, un fait divers parmi d’autres.</p>
<p>Relaté non pour ce que l’on pourrait en dire mais bien pour ce qu’il est, le <a href="http://www.theses.fr/1996AIX10091">fait divers se distingue du fait de société</a> par le désintérêt pour son environnement et ses causes. Le viol est dès lors traité comme un événement en soi, qui ne saurait à lui seul justifier une analyse systémique en termes de rapports de genre, de classe ou de race entre les parties prenantes.</p>
<p>L’assimilation des dossiers de viol au genre journalistiquement peu valorisé du fait divers permet de comprendre la difficile politisation de ces sujets par la presse écrite.</p>
<h2>Un décalage entre presse nationale et régionale</h2>
<p>Si les presses écrites nationale et régionale couvrent tendanciellement les mêmes types de configurations de viol – à savoir, les viols perpétrés par une personne connue de la victime, indifféremment dans l’espace dit public (rue, lieu professionnel, hôtel, etc.) ou privé (domicile), le quotidien régional <em>Le Parisien</em> se distingue par une plus forte propension à relayer le <a href="https://inhesj.fr/actualites/retour-sur-la-conference-violences-sexuelles-la-question-du-consentement">script du « vrai » viol</a>, commis dans l’espace public par un individu peu ou pas connu de la victime.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1313386132336513026"}"></div></p>
<p>Cette configuration idéal-typique du viol jugé « crédible » au vu des circonstances énoncées, est présente dans ¼ des articles publiés par le quotidien régional, pour environ 1/10 des contenus du <em>Monde</em>, du <em>Figaro</em> et de <em>Libération</em>.</p>
<p>La recherche de la « proximité avec le lectorat », au cœur de la ligne éditoriale du <a href="https://www.liberation.fr/futurs/2016/09/08/le-parisien-sera-plus-local-et-plus-pratique_1489934">quotidien régional</a>, explique en grande partie la plus forte tendance du <em>Parisien</em> à traiter ce type de viol, supposé intéresser les usagers des espaces et transports publics, sujets à la fatalité de ces événements dramatiques. La référence à la proximité géographique, économique et sociale du fait divers avec son audience est plus largement valorisée par l’ensemble des titres de <a href="https://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_1998_num_110_224_2600">presse quotidienne régionale</a>, comme tend à le confirmer mon enquête en cours.</p>
<h2>#MeToo : de faits divers à fait de société</h2>
<p>Si la médiatisation exceptionnelle des violences sexuelles observée à la suite de la mobilisation numérique #MeToo n’a pas contribué à modifier le traitement différencié des configurations du viol par les presses nationale et régionale, elle se distingue par la diversification des cadrages journalistiques de ces sujets.</p>
<p>Diffusé à travers le monde en réaction aux accusations pour harcèlement sexuel, agressions et viols formulées à l’encontre du producteur de cinéma américain Harvey Weinstein à l’automne 2017, le mouvement #MeToo s’est immédiatement imposé aux yeux des journalistes des rédactions parisiennes comme un événement historique singulier, révélateur d’un problème social mésestimé :</p>
<blockquote>
<p>« […] on ne peut pas appréhender un phénomène quand on n’a pas de chiffres. Et en général les pouvoirs publics sur ces sujets n’ont pas de chiffres. […] Quand on a vu le nombre de tweets, c’était énorme ! […] Donc on s’en est emparés. » (Marie, journaliste au <em>Parisien</em>)</p>
</blockquote>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/10/14/metoo-du-phenomene-viral-au-mouvement-social-feminin-du-XXIe-siecle_5369189_4408996.html">La publication continuelle de témoignages de femmes</a> dénonçant des violences sexuelles exercées par des hommes dans des contextes sociaux variés (professionnel, familial, conjugal, amical) a participé de la politisation inédite du traitement journalistique de ces enjeux, identifiable à l’imposition d’un cadrage thématique, <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/I/bo3684515.html">« qui situe les enjeux et événements politiques dans leur contexte général »</a>.</p>
<p>Concrètement, l’année 2017 se distingue par une hausse exceptionnelle du nombre de longs articles d’analyse, enquêtes et tribunes consacrés à ce thème : aux environs de 5 % en moyenne entre 2005 et 2015, les contenus de plus de mille mots représentent plus d’un quart des publications entre octobre 2017 et octobre 2018 (25,3 %).</p>
<h2>Systématiser pour politiser</h2>
<p>À la suite de #MeToo, la médiatisation du viol – et plus largement, des violences à caractère sexuel – se démarque de la couverture usuelle de ces sujets par la conduite d’enquêtes sans précédent au sein de secteurs variés (politique, culture, santé, sport), spécifiquement ciblés tant pour leur supposée portée auprès de l’audience, que pour la présence de sources jugées susceptibles de s’exprimer sur le sujet :</p>
<blockquote>
<p>« Il y avait des rumeurs persistantes depuis des années dans Paris. On avait une liste de noms, avec même des présentateurs de journal télévisé, des hommes politiques… Donc là tout est ressorti ! […] On a chacun essayé de se souvenir des rumeurs qui nous étaient remontées à l’occasion d’anciennes enquêtes. Ensuite, chacun dans sa spécialité a recontacté ses sources pour se mettre à jour et préciser tout ça. » (Louise, journaliste au <em>Monde</em>)</p>
</blockquote>
<p>Alors que plus de la moitié des articles publiés entre 2005 et 2015 mettent en cause des membres de l’Église catholique pour viols sur mineur·e·s, la quasi-totalité des dossiers relayés par la presse française étudiée en 2017 incrimine des personnalités publiques de premier rang, pour moitié titulaires d’un mandat d’élu politique.</p>
<p>Les rédactions nationales ont ainsi poursuivi la dénonciation du sexisme en politique, amorcée depuis plusieurs années par l’engagement de femmes journalistes à travers notamment la publication de tribunes professionnelles. <a href="https://www.liberation.fr/france/2015/05/04/nous-femmes-journalistes-en-politique_1289357">« Bas les pattes ! »</a> en 2015 ou une <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/violences-faites-aux-femmes/nous-toutes/tribune-noustoutes-400-femmes-journalistes-appellent-a-marcher-samedi-contre-les-violences-sexistes-et-sexuelles_3046829.html">tribune plus récente sur FranceInfo</a> rappellent ainsi que les violences sexuelles, présentes dans l’ensemble de la société, s’inscrivent dans des rapports de force préexistants, particulièrement observables au sein de l’arène politique, lieu de conquête et d’exercice du pouvoir.</p>
<p>Pensons aux affaires alors qualifiées de « scandales sexuels » ayant marqué l’actualité politique de ces dix dernières années : <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/affaire/dsk/">Dominique Strauss-Kahn</a> (mis en cause judiciairement en 2011 pour agression sexuelle, tentative de viol et séquestration ; dossier clos par une transaction civile en 2012), <a href="https://www.france24.com/fr/20170306-agressions-sexuelles-depute-denis-baupin-prescription-classement-suite-politique">Denis Baupin</a> (mis en cause judiciairement en 2016 pour harcèlement sexuel et agressions sexuelles ; classement sans suite en 2017 pour prescription ; condamné en 2019 à indemniser les femmes contre lesquelles il avait porté plainte pour dénonciation calomnieuse), <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/11/15/proces-pour-viols-georges-tron-acquitte_1692145">Georges Tron</a> (mis en cause judiciairement en 2011 par deux anciennes employées pour viols et agressions sexuelles en réunion ; acquitté en 2018 ; procès en appel renvoyé à début 2021) et <a href="https://www.lepoint.fr/societe/gerald-darmanin-vise-par-une-nouvelle-enquete-pour-abus-de-faiblesse-14-02-2018-2194954_23.php#">Gérald Darmanin</a> (mis en cause judiciairement par une première plaignante en 2018 pour viol, harcèlement sexuel et abus de confiance ; classement sans suite en 2018 ; reprise des investigations en 2020 ; mis en cause judiciairement en 2018 pour abus de faiblesse par une seconde plaignante ; classement sans suite et démenti).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1271101362407968768"}"></div></p>
<p>L’intérêt nouveau des rédactions pour la démonstration des logiques d’« emprise » au sein de « systèmes dysfonctionnels » témoigne de l’introduction dans la presse nationale d’une analyse sociologique de ces comportements, jusque-là davantage perçus comme le fait d’individus jugés moralement déviants que de rapports de domination multidimensionnels (de genre, race et classe) :</p>
<blockquote>
<p>« Pour moi l’emprise, c’est vraiment ça [à propos d’un syndicat]. […] C’est du harcèlement de femmes, c’est du harcèlement en meute, c’est du harcèlement d’hommes qui se donnent de la force entre eux, qui se cooptent. C’est des agressions, des viols. […] Cette organisation régit votre vie de [militante], et donc régit votre vie sexuelle, vos connaissances, vos vacances. […] Nous, on cherche à raconter l’emprise politique et psychologique qui crée un environnement favorable, finalement, à ces dérives sexuelles. » (Anne, journaliste à <em>Libération</em>)</p>
</blockquote>
<p>La démultiplication de révélations impliquant des institutions et secteurs divers vise en ce sens la démonstration du caractère universel des violences sexuelles contre les femmes. L’attention prêtée en 2020 à des affaires impliquant les <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-theorie/la-theorie-du-vendredi-07-fevrier-2020">milieux littéraires</a>, sportif (<a href="https://www.lequipe.fr/Tous-sports/Article/La-fin-de-l-omerta-sur-les-violences-sexuelles-la-jeunesse-volee-des-patineuses/1103759">patinage français</a>, <a href="https://www.lequipe.fr/Tous-sports/Article/La-fin-de-l-omerta-sur-les-violences-sexuelles-l-enfer-a-font-romeu/1103783">natation</a>, <a href="https://www.liberation.fr/sports/2020/02/08/dans-l-equitation-aussi-une-ancienne-competitrice-accuse-de-viols-trois-encadrants_1777737">équitation</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2020/03/06/violences-sexuelles-demission-du-president-de-la-federation-de-roller-et-skateboard_6032070_3242.html">roller derby</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2020/08/18/violences-sexuelles-un-entraineur-d-athletisme-des-yvelines-suspendu-a-vie_6049249_3242.html">athlétisme</a>) et plus récemment encore musical (<a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/musictoofrance-un-appel-a-temoignage-pour-un-metoo-de-l-industrie-musicale_4058363.html">#MusicTooFrance</a>) illustre l’approfondissement de la désectorisation de la médiatisation du viol observée dans le prolongement de #MeToo, prémices de l’affirmation du continuum des violences masculines.</p>
<h2>L’affirmation du continuum des violences misogynes</h2>
<p>La politisation du traitement journalistique du viol s’observe enfin par le renouvellement des catégories médiatiques employées pour désigner l’ensemble des violences subies par les femmes, d’ordre verbal, psychologique, physique comme sexuel (insultes, harcèlement, agressions, viol, etc.).</p>
<p>L’imposition progressive des expressions « violences sexuelles et sexistes » ou encore « violences faites aux/contre les femmes » témoigne de l’importation réussie d’un schème de <a href="https://prenons-la-une.tumblr.com/post/153517597146/le-traitement-m%C3%A9diatique-des-violences-faites-aux">lecture systémique des violences</a> commises majoritairement par des hommes contre des femmes.</p>
<p>Par-delà leur fonction de synthèse évidente, ces catégories de langage permettent aux journalistes de souligner la domination de genre régissant les relations entre hommes et femmes, sans citer explicitement les travaux féministes dénonçant notamment la banalisation des violences sexuelles (<a href="https://www.franceculture.fr/societe/culture-du-viol-lhistoire-dune-expression-militante-mais-peu-academique">« culture du viol »</a>), s’évitant, par là même, la critique du <a href="https://www.le24heures.fr/2020/02/13/journalisme-et-militant-le-grand-debat/">journalisme militant</a> – partial donc.</p>
<p>La publicisation des discussions internes aux rédactions engendrées par la réappropriation mise en scène de certains termes militants (<a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/pedocriminalite-abus-sexuels-quels-mots-pour-qualifier-les-violences-sexuelles-sur-mineurs-31-12-2019-8226633.php">pédocriminalité</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/feminicides/pourquoi-le-mot-feminicide-fait-il-toujours-debat_3599073.html">féminicide</a>) met toutefois au jour la persistance des tensions relatives à la définition <a href="https://books.openedition.org/pur/24708">du rôle des journalistes et de leur distance au politique</a>.</p>
<hr>
<p><em>Les termes et expressions entre guillemets sont extraits d’entretiens conduits avec des journalistes de presse imprimée généraliste française. Les prénoms des journalistes cité·e·s ont été modifiés dans le souci du respect de l’anonymat.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145744/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire Ruffio ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’analyse du viol comme sujet récurrent dans les médias nous renseigne autant sur l’évolution des représentations des violences sexuelles que sur l’histoire de leur politisation progressive.Claire Ruffio, Doctorante en science politique, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1436962020-07-30T11:10:23Z2020-07-30T11:10:23ZGisèle Halimi : plaider pour changer le monde<p>Le concert des <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2020/07/28/l-avocate-gisele-halimi-defenseuse-passionnee-de-la-cause-des-femmes-est-morte_6047506_3382.html">hommages rendus à Gisèle Halimi</a> (Tunis, 27 juillet 1927 – Paris, 28 juillet 2020) a unanimement souligné l’ampleur des causes auxquelles l’avocate franco-tunisienne a consacré sa vie.</p>
<p>En tant qu’avocate, députée, écrivaine, elle s’est emparée d’affaires qu’elle a su gagner grâce à sa façon de plaider, tout en contribuant à faire bouger, sur un temps long, un ordre politique et sexuel qu’elle a vécu dans sa chair.</p>
<p>Cette femme figure d’un XX<sup>e</sup> siècle en ébullition a croisé des situations qui ont laissé une trace écrite et orale, et creusé des sillages en France, au Maghreb et jusqu’en Palestine.</p>
<h2>Devenir avocate dans la Tunisie colonisée</h2>
<p>L’enfance et l’adolescence de Gisèle Halimi née Taïeb se déroulent dans une famille juive tunisienne, traditionnelle et conservatrice. Son caractère et ses révoltes sont sculptés par les rapports de classe et de sexe structurant une société colonisée qui lui ouvre, grâce à la nationalité française de son père, les portes de l’école. Sa situation familiale structure ses aspirations d’émancipation et sa culture se façonne avec les luttes de terrain.</p>
<p><a href="https://voixdelles.hypotheses.org/1253">La Kahéna</a>, héroïne judéo-berbère du VIIe siècle opposée à l’occupation ommeyyade, lui inspire un « roman » (2006) à partir des informations disponibles.</p>
<p>Gisèle Halimi évoque dans <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/mav/160/HALIMI/58885">ses mémoires</a> l’antisémitisme de son institutrice et raconte des épisodes devenus mémorables : elle se souvient, entre autres, de la mobilisation nationaliste du 9 avril 1938.</p>
<p>Kaïs Saïed, candidat au second tour des élections présidentielles tunisiennes d’octobre 2019, a rappelé que son père emmenait à vélo la jeune adolescente au lycée, pour la protéger de la police allemande occupant le pays (17 novembre 1942-13 mai 1943). Grâce à une bourse et l’argent gagné par des cours particuliers, la bachelière de 17 ans poursuit à la Sorbonne des études de droit et de philosophie et fait l’expérience du racisme métropolitain.</p>
<p>Elle obtient son diplôme d’avocate en 1947 et s’inscrit en 1949 au barreau de Tunis, dominé par les avocats français.</p>
<p>Elle vit la flambée de violence et de répression qui sévit en 1952 en tant que stagiaire des tribunaux militaires assignée à la défense de nationalistes tunisiens, dont <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/4833">Habib Bourguiba</a> Président de la république tunisienne <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Habib_Bourguiba#Premiers_pas_en_politique">entre 1957 et 1987</a>.</p>
<p>Avocate au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacres_d%27ao%C3%BBt_1955_dans_le_Constantinois">procès d’El Alia</a> (près de Philippeville/Skikda) du nom des massacres survenus en 1955 entre indépendantistes du FLN puis, en représailles, par l’armée française dans région du Constantinois en Algérie, elle prend conscience des pratiques de torture et des usages d’extraction d’aveu justifiant des condamnations à mort.</p>
<h2>Carrière hexagonale</h2>
<p>Elle part en France en 1956, juste avant l’indépendance et la promulgation du <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/89/">Code du Statut personnel</a> qui participe à donner à la jeune République tunisienne la réputation de pionnière sur la <a href="https://theconversation.com/lheritage-en-tunisie-vers-legalite-101910">place des femmes dans la famille et la société</a>.</p>
<p>Témoin tout en étant objet de discriminations, elle s’engage aux côtés du Front de Libération Nationale (FLN) algérien et défend, en 1958, une trentaine de militants algériens auprès du Tribunal militaire d’Alger puis, en 1960, Djamila Boupacha, accusée d’avoir posé une bombe, torturée et violée dans les geôles françaises.</p>
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<figcaption><span class="caption">Pour Djamila, un film de Caroline Huppert sorti en 2011, retrace le combat de Djamila Boupacha, défendue par Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir.</span></figcaption>
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<p>L’avocate obtient du peintre Picasso un portrait pour la campagne qu’elle organise pour sa libération à la faveur des accords d’Evian de 1962.</p>
<h2>Agir et écrire pour les droits des femmes</h2>
<p>De France, Gisèle Halimi poursuit ses prises de position contre la torture et entreprend de nombreuses démarches pour obtenir la grâce d’insurgés et militants condamnés à mort.</p>
<p>Après <a href="https://www.cairn.info/revue-clio-2009-1.htm">Mai 1968</a> (qui n’a pas changé les rapports de sexe), le combat politique de l’avocate emprunte une autre monture : celui du droit des femmes à disposer de leur corps et de la liberté de procréer.</p>
<p>Elle s’associe avec Simone de Beauvoir et Jean‑Paul Sartre pour fonder en 1971 « Choisir la cause des femmes » et signe, avec de nombreuses célébrités, le <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/avant-la-loi-veil-le-coup-declat-des-343-salopes">« Manifeste des 343 salopes qui ont avorté »</a>.</p>
<p>Malgré le risque de sanctions, elle se met courageusement dans le camp de l’inculpée du procès de Bobigny (1972) : « J’ai avorté, j’ai commis ce délit » pour essayer de frapper la conscience des juges et leur expliquer la nécessité de sortir ce geste médical de la clandestinité.</p>
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<figcaption><span class="caption">Gisèle Halimi, 1972 procès de Bobigny, Ina/Youtube.</span></figcaption>
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<p>Elle obtient la relaxe de Marie-Claire Chevalier, une jeune fille de 17 ans qui avoue avoir avorté après son viol. Tout en soignant sa technique et sa rhétorique de défense, elle continue à déborder de l’enceinte des tribunaux et, sans outrepasser les règles strictes de l’avocature, à sensibiliser l’ensemble de la société en publiant en 1973 <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/La-Cause-des-femmes-precede-de-Le-Temps-des-malentendus"><em>La Cause des femmes</em></a>. La loi légalisant l’interruption volontaire de grossesse (dite loi Weil) est votée en 1974 et devient remboursable par la sécurité sociale quand Gisèle Halimi devient députée de l’Isère en 1982.</p>
<p>Au cours du procès d’Aix-en-Provence de 1978, elle défend deux touristes belges violées par trois hommes à Marseille. Elle médiatise à bon escient le procès poursuivant sa stratégie pour changer le regard de la société envers une atteinte à la dignité humaine et pour faire évoluer la loi française. Celle-ci déclare en effet en 1980 le <a href="https://www.laurent-mucchielli.org/index.php?post/2014/09/02/Lorsque-le-viol-est-devenu-un-crime">viol comme un crime</a> passible de prison.</p>
<p>Le <a href="https://jugurtha.noblogs.org/files/2017/11/les-mouvements-de-femmes-en-tunisie-au-XX%C3%A8me-si%C3%A8cle-OCR.pdf">féminisme tunisien</a> a, de son côté, avancé à la force du droit, à coups d’enquêtes, de plaidoiries et de rédaction de textes.</p>
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<img alt="Association tunisienne des femmes démocrates, Tunisie" src="https://images.theconversation.com/files/350423/original/file-20200730-35-7e549d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/350423/original/file-20200730-35-7e549d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/350423/original/file-20200730-35-7e549d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/350423/original/file-20200730-35-7e549d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/350423/original/file-20200730-35-7e549d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/350423/original/file-20200730-35-7e549d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/350423/original/file-20200730-35-7e549d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">12ème congrès de l’Association Tunisienne Des Femmes Démocrates à Tunis, le 13 Avril 2018.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/ae/12_%C3%A8me_congr%C3%A8s_de_l%27Association_Tunisienne_Des_Femmes_D%C3%A9mocrates._%C3%A0_Hotel_Golden_Tulip_El-Mechtel._Tunis%2C_le_13_Avril_2018.jpg">Omegatak</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Plusieurs militantes tunisiennes à l’instar de la députée Bochra Bel Haj Hamida et des juristes Sana Ben Achour, Hafidha Chekir ou Monia Ben Jémia, notamment appartenant à la <a href="https://nachaz.org/surfer-sur-les-vagues-feministes">vague contestataire des années 1980</a>, ont été marquées par l’efficacité de cette femme politique qui, en tant que députée française, se prononce pour l’abolition de la peine de mort (1981) et la dépénalisation de l’homosexualité (1982). Ces mots d’ordre sont aujourd’hui à l’ordre du jour des revendications des organisations comme l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates.</p>
<h2>Anticolonialiste jusqu’au bout</h2>
<p>Originaire d’un pays colonisé, elle s’est forgé une sensibilité envers les opprimés du système mondial. Comme pour l’avortement, le viol et la torture, l’engagement de Gisèle Halimi pour les pays occupés dénote d’un souffle et d’une continuité.</p>
<p>Membre du tribunal international des crimes de guerre Bertrand Russell, elle est observatrice de la guerre du Vietnam en 1967. Plus tard, en qualité d’ambassadrice déléguée permanente de la France auprès de l’Unesco (1985-1986), et de présidente du comité des conventions et des recommandations de l’Unesco (1985-1987), elle participe à faire avancer la parité Hommes/Femmes au sein de ces organisations internationales.</p>
<p>Dans la foulée des luttes sociales en France (1988-1998), elle participe à fonder l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac) en 1998 et s’investit dans la rédaction des statuts pour élaborer une vision qui essaye de contrecarrer les inégalités du système néo-libéral.</p>
<p>Au nom du même idéal de liberté, elle défend la cause palestinienne à travers plusieurs tribunes, notamment en 2010 et en 2014, condamnant l’intervention armée d’Israël. Pour ne pas être complice du silence envers « un peuple aux mains nues », l’avocate s’associe au comité <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2013-01-22-tribunal-Russell">Bertrand Russel pour la Palestine en 2009</a> et adhère au comité de défense du militant palestinien <a href="https://www.lorientlejour.com/article/385216/Gisele_Halimi%252C_avocate_de_Barghouthi%252C_defend_un_%253C%253C_homme_de_paix_%253E%253E_%2528PHOTO%2529.html">Marwan Barghouthi</a>.</p>
<p>Maître Gisèle Halimi quitte un monde en plein bouleversement, notamment dans les rapports entre les sexes. Ses expériences de juive féministe internationaliste et <a href="https://www.cairn.info/revue-diogene-2009-1-page-70.html">« intersectionnaliste »</a> avant la lettre, comme ses actions, ont fait évoluer la présence et la visibilité des femmes dans l’espace public.</p>
<p>Orfèvre passionnée de la communication politique, elle mérite que l’un ou plusieurs de ses quinze ouvrages soient traduits en arabe pour combler un vide aussi étonnant que stérilisant, afin que les générations partagent l’évolution des rapports complexes entre droit et justice aux XX<sup>e</sup> et XXIe siècles et les étapes de la lente marche vers l’égalité entre les hommes et les femmes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143696/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kmar Bendana ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Gisèle Halimi, figure d’un XXᵉ siècle en ébullition, a croisé des situations qui ont laissé une trace écrite et orale en France, au Maghreb et jusqu’en PalestineKmar Bendana, Professor, Contemporary History, Université de la ManoubaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1327472020-03-02T12:59:51Z2020-03-02T12:59:51ZDébat : Que dit la consécration de Polanski aux Césars ?<p>L’automne 2017 a vu émerger un mouvement de mobilisation féministe d’ampleur mondiale de dénonciation des violences sexuelles et sexistes. Les hashtags #MeToo et #BalanceTonPorc ont été abondamment relayés sur les réseaux sociaux, constituant une mobilisation politique cantonnée <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2019-3.htm">initialement au domaine médiatique</a>.</p>
<p>Depuis, des victimes ont parlé, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=QFRPci2wK2Y">telle Adèle Haenel</a>. Elles ont clairement exprimé et dénoncé les violences subies du fait de certains hommes dans l’industrie du cinéma, dans le sport, en politique… Elles ont interpellé les citoyennes et citoyens que nous sommes en s’appuyant notamment sur les réseaux sociaux afin de dénoncer ce « système » et ce <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2019-1-page-17.htm">continuum des violences que subissent nombre de femmes</a>.</p>
<p>Plus de deux ans après le mouvement #Metoo, qu’est-ce qui a changé ?</p>
<p>Les enquêtes de victimation montrent que les femmes parlent davantage et créent des réseaux de sororité autour de ces questions. Les victimes parlent enfin. Mais sont-elles pour autant écoutées ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-femmes-cadres-victimes-oubliees-des-violences-conjugales-123193">Les femmes cadres, victimes oubliées des violences conjugales</a>
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<p>La <a href="https://virage.site.ined.fr/">dernière enquête de grande ampleur</a> comme celle plus locale menée sur les parcours des femmes victimes de violences en 2018 en Gironde avec Arnaud Alesandrin montre que les refus de plainte dans les commissariats persistent, conduisant souvent les femmes <a href="https://journals.openedition.org/plc/860">à renoncer et subir à nouveau la violence dans leur foyer</a>. Le changement le plus notable vient du crédit apporté à la parole des femmes qui a évolué durant ces dernières années. En effet, au début de l’affaire Weinstein, l’opinion publique, manifestait davantage d’empathie pour les auteurs présumés que pour les victimes potentielles. Les études psychosociales ont d’ailleurs démontré une plus forte empathie des hommes envers les agresseurs et une <a href="http://psychocriminologie.free.fr/?p=5153">plus forte empathie des femmes envers les victimes d’agressions sexuelles</a>.</p>
<p>Devant le flot de témoignages accablants, on remet de moins en moins en question (fort heureusement) la parole des femmes. Or, ce qui pouvait augurer un vrai changement dans les pratiques et dans la prise en charge des auteurs peine à se concrétiser institutionnellement. La dénonciation massive de <a href="https://www.cairn.info/les-violences-contre-les-femmes--9782707142887.htm">ces violences</a>, de ce « terrorisme sexuel » <a href="https://www.academia.edu/288603/Street_Harassment_The_Language_of_Sexual_Terrorism">comme le nomme Kissling</a> a été entendu après deux ans de lutte par une grande partie des citoyennes et citoyens mais n’est pas suivi d’effets. Celles et ceux qui ont le pouvoir de stopper ce système inégalitaire ont fait savoir vendredi soir qu’ils et elles résistaient à ce changement en posant un acte symbolique fort : celui de consacrer Roman Polanski à la plus haute distinction du cinéma français.</p>
<h2>Mécanismes d’oppression sexiste</h2>
<p>Le nominer 12 fois était déjà un signe fort envoyé à toutes les victimes, mais lui remettre trois distinctions malgré les contestations de toutes parts montre au monde entier quels sont les rapports de pouvoir et de force exercés.</p>
<p>Se jouent ici tous les mécanismes d’oppression sexiste, qui ne peuvent être circonscrits à la <a href="https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_2000_num_136_2_3661">première définition de Christine Delphy</a> du patriarcat comme « système de subordination des femmes aux hommes dans les sociétés industrielles contemporaines ». Et ce, pour deux raisons : la notion d’égalité en droits est établie en France d’un point de vue légal et juridique comme le notait déjà Geneviève Fraisse en 2010 dans <em>A côté du genre : sexe et philosophie de l’égalité</em>. Ensuite, cette définition ne dit rien des rapports de domination sociale et des discriminations ethnoraciales également à l’œuvre.</p>
<p>Or, pour comprendre ce qui s’est passé à cette cérémonie, il est important de mettre en relief tous les rapports hégémoniques, au sens de Gramsci, comme des forces constituantes de l’hégémonie d’une classe sociale, d’une coalition politique et <a href="https://journals.openedition.org/gss/3530">d’un mode d’organisation des relations sociales</a>.</p>
<p>Pour le dire autrement, celles et ceux qui ont consacré Roman Polanski sont des hommes et des femmes qui dans leur positionnement social et structurel, détiennent davantage de pouvoir que les femmes victimes de sexisme et les hommes victimes de classisme ou de racisme. En consacrant « l’un des leurs », ce jury marque aussi son hégémonie culturelle dans ce rapport de force hautement médiatisé.</p>
<h2>Une double peine</h2>
<p>Alors que la maîtresse de cérémonie humiliait le réalisateur en le nommant « Atchoum », qu’une grande partie de la salle semblait soutenir les victimes (par ses rires et ses applaudissements quand Florence Foresti faisait des allusions au sexisme dans le milieu du cinéma), les décideurs ont montré que cette réprobation même forte (manifestations, tribunes et happening du collectif Nous Toutes…) n’avait finalement que peu de poids.</p>
<p>Le fait de récompenser le film de Roman Polanski témoigne d’une forme de mépris de la parole des victimes, leur infligeant une double peine : après la douloureuse démarche de parler, celle d’être méprisée publiquement. En leur répondant symboliquement que leur parole n’a aucune valeur, cette consécration vient renier et fragiliser un mouvement d’ampleur mondiale, tendant à plus de justice et de justesse dont l’importance a été encore rappelée par la <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2019-1-page-37.htm">dernière grande enquête Virage</a>.</p>
<p>En outre, ce geste pose un problème moral de taille : Le fait de célébrer et de récompenser Polanski amplifie le sentiment d’injustice des victimes et conforte les auteurs avérés et potentiels dans une posture de toute-puissance propice à la perpétuation de ces violences. En effet, <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2017-1-page-55.htm">impunité et punitivité</a> sont extrêmement corrélées.</p>
<h2>Banalisation des agressions</h2>
<p>Mais au-delà de la dyade auteur/victime, la question de l’inaction reste encore et toujours entière. Toutes les enquêtes menées montrent que plus de 86 % des témoins de violences sexuelles ne réagissent pas, <a href="https://journals.openedition.org/efg/2725">même après #MeToo</a>, ce qui contribue activement à la banalisation de ces agressions.</p>
<p>D’ailleurs, dans cette salle pleine, qui s’est réellement indigné ? Malgré les punchlines de Florence Foresti, seule une dizaine de personnes ont quitté la salle pour marquer leur désaccord et les autres n’ont manifesté aucune réaction à l’annonce du prix de la meilleure réalisation pour <em>J’accuse</em>, ce qui entérine de manière indirecte cette décision que beaucoup jugent inique, bien que légale.</p>
<p>Quel est le pouvoir des victimes si elles ne rencontrent pas le soutien de celles et ceux qui le détiennent ? Dans cette affaire, comme dans tout système de domination, ce n’est pas le nombre qui fait la différence, mais les rapports de force dans un contexte de globalisation.</p>
<p>Comme en Mathématiques, ces rapports sont ici scalaires, ce n’est pas la proportion de chaque élément qui définit la figure, mais les rapports entre eux. Et ces rapports sont toujours inégaux, malgré les résistances. Seule une convergence des luttes permettra de renverser ce rapport de force.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132747/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Johanna Dagorn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La cérémonie des Césars a cristallisé les mécanismes d’oppression sexiste, plus de deux ans après les débuts du mouvement #MeToo.Johanna Dagorn, Sociologue, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1304302020-02-20T18:04:51Z2020-02-20T18:04:51ZQuand l’Église catholique se pensait en société parfaite et intouchable<p>A chaque scandale impliquant un <a href="https://www.lci.fr/population/pedophilie-dans-l-eglise-ce-qu-a-change-l-affaire-bernard-preynat-2142610.html">membre du clergé</a> dans une affaire de pédocriminalité ou de violences sexuelles se pose la question de l’impunité des auteurs et du silence qui les entoure. </p>
<p>Mais la publication du rapport de la <a href="https://www.ciase.fr/">Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise (Ciase)</a> dresse un état des lieux accablant, en évoquant un phénomène « massif » et « systémique ». </p>
<p>Le <a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">rapport</a> assure que, depuis 1950, près de 330 000 personnes dont au moins 216 000 mineurs auraient subi des violences sexuelles auprès du personnel de l'institution catholique. <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Jean-Marc-Sauve-Nous-avons-ete-confrontes-mystere-mal-2021-10-05-1201179013">Jean-Marc Sauvé</a>, président de la commission, a déclaré que l'Eglise catholique avait manifesté «jusqu'au début des années 2000 une indifférence profonde, et même cruelle à l'égard des victimes» de pédocriminalité. De 1950 aux années 2000, «les victimes ne sont pas crues, entendues, on considère qu'elles ont peu ou prou contribué à ce qui leur est arrivé», a-t-il insisté.</p>
<p>Comment expliquer que certaines pratiques se sont perpétuées au sein d’une institution comme l’Eglise catholique, pourtant dotée de puissants instruments juridiques et politiques ? </p>
<p>Il faut pour cela comprendre la façon dont l’Eglise a défendu et mis en place des législations pensées en dehors de l’État séculier.</p>
<h2>Le tournant du XVIᵉ siècle</h2>
<p>Le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_canonique">droit canonique</a> - soit l’ensemble des lois et des règlements adoptés ou acceptés par les autorités catholiques pour le gouvernement de l’Église et de ses fidèles – en tant qu’instrument juridique est le miroir de l’autocompréhension de l’Église catholique, soit, la représentation que l’Église se fait d’elle-même.</p>
<p>Le droit canonique est le produit d’une longue évolution consacrant d’une part sa relative autonomie par rapport à la théologie, et d’autre part sa séparation de la législation étatique.</p>
<p>Les XVI<sup>e</sup> et XVII<sup>e</sup> siècles constituent à cet égard un tournant important sous l’impulsion notamment de la <a href="https://fr.calameo.com/books/00451145452f8177fda34">Réforme protestante</a> et plus largement des <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k95828m.image">théories régalistes</a> prônant l’absolutisme de l’État, source unique de souveraineté.</p>
<p>Dans ce contexte, le reflux du droit canonique est à la fois qualitatif et quantitatif.</p>
<p>L’Église catholique est régie et organisée par ses propres règles, élaborées et promulguées par le pape. Mais le champ d’application du droit canonique a été progressivement raboté par le droit étatique. Dans l’Allemagne luthérienne, l’Église protestante a été dépossédée de son droit à fabriquer et à appliquer ses propres lois dès le XVI<sup>e</sup> siècle, l’État est donc dorénavant le seul législateur.</p>
<p>Les Églises sont traitées comme des collèges qui ne possèdent aucune souveraineté par elles-mêmes. En effet selon les doctrines régalistes, le droit ecclésial n’est pas un droit originaire et l’Église n’est pas une société externe, mais une corporation dans l’État. Il s’agit d’une société d’égaux ne disposant pas d’un de pouvoir interne et n’exerçant aucune souveraineté.</p>
<h2>L’Église, égale de l’État</h2>
<p>En réaction, les canonistes allemands soucieux de défendre les prérogatives de l’Église romaine ont développé la théorie de l’Église <a href="https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1983_num_57_4_2986_t1_0328_0000_2">« société inégale »</a>.</p>
<p>Elle est inégale car, comme l’État, elle est détentrice de souveraineté, contrairement aux autres collèges et corporations existant au sein de l’État et qui sont égaux entre eux, comme les communautés de métiers et les associations de personnes.</p>
<p>Le droit public ecclésiastique né de la confrontation des canonistes catholiques avec les modernes a finalement eu un destin universel. Importé à Rome et enseigné dans les facultés pontificales, il subit des évolutions sémantiques. La société inégale devient société parfaite, puis, plus tardivement vers la fin du XIX<sup>e</sup> siècle l’Église catholique « société parfaite », indépendante du pouvoir civil, tente de s’imposer comme l’égale de l’État.</p>
<p>Cette conception sociétale d’une Église autonome par rapport à l’État se retrouve en filigrane dans le Code de <a href="https://www.droitcanonique.fr/codes/cic-1917-15">droit canonique de 1917</a>. Sa constitution de promulgation <em>Providentissima Mater Ecclesia</em> définit dès la première phrase la nature d’une Église créée par le Christ avec tous les attributs d’une société parfaite. Là encore l’Église catholique s’impose aux sociétés et aux États en tant que personne morale instaurée par Dieu.</p>
<h2>Un changement juridique profond</h2>
<p>Mais la société parfaite telle qu’elle a été forgée du XVIII<sup>e</sup> au début du XX<sup>e</sup> siècle ne correspondait plus dans les années 1960 aux conceptions de l’État et à l’ecclésiologie de l’époque. </p>
<p>Suite au Concile Vatican II, l’Église va progressivement reconnaitre comme partenaire non pas un État souverain concurrent de la puissance religieuse, mais un <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb36599841w">État au service de l’homme</a> et garant des droits de l’homme et donc de la liberté religieuse.</p>
<p>À première vue, la concorde avec un État neutre passe maintenant par le droit commun de la liberté. Mais la liberté religieuse de l’Église catholique découle selon la doctrine catholique directement de Dieu. L’Église est en effet porteuse d’un liberté originaire/<em>jus nativum</em> dont l’État séculier n’a pas la capacité d’apprécier les fondements.</p>
<p>Le Code de droit canonique de 1983 qui ne connaît pas la séparation des pouvoirs ne rompt pas avec les principes ayant régi la rédaction du Code de 1917, même si la doctrine insiste dorénavant sur une approche plus théologique que juridique du droit canonique.</p>
<p>Cela étant, l’Église catholique n’a pas abandonné l’idée de société parfaite. Cette continuité est parfaitement identifiable, même si le vocabulaire subit un infléchissement théologique. Deux canons du Code de droit canonique de 1983 affirment la place de l’Église dans la société.</p>
<p>Le canon 113 confirme l’origine divine des personnes morales que sont l’Église catholique et le Siège apostolique alors que le canon 747 dans son paragraphe premier revendique son « droit inné, indépendant de tout pouvoir humain, de prêcher l’Évangile à toutes les nations ». Ce même canon précise que seule l’Église a le droit inné et propre de sanctionner les fidèles délinquants même si elle cela n’empêche pas un jugement par une juridiction civile.</p>
<h2>Privilège du for</h2>
<p>La revendication de l’immunité du <em>for</em> civil ou privilège du for ecclésiastique par l’Église catholique au XIX<sup>e</sup> siècle, c’est-à-dire le droit pour les clercs d’être jugé par une juridiction de l’Église et non par la justice séculière, a été formalisée dans le cadre de la doctrine de la société parfaite.</p>
<p>Toutes les causes temporelles des clercs qu’elles soient civiles ou criminelles appartiennent au for ecclésiastique et doivent être jugées par un tribunal ecclésiastique. Les laïcs ne peuvent exercer de pouvoir sur les clercs en raison du caractère sacré de ces derniers. Bien plus, des peines canoniques sévères comme l’excommunication sont prévues pour les clercs et les laïcs qui citent des clercs devant un tribunal ecclésiastique. Enfin, aucun clerc ne peut renoncer à cette immunité qui relève, conformément au Concile de Trente et aux textes pontificaux du XIX<sup>e</sup> siècle, du droit divin et non du droit humain.</p>
<p>La revendication du for correspondait à une version sacralisée d’un privilège attaché à une société d’ordre ou les individus étaient traités selon leur statut et non selon le principe d’égalité devant la loi.</p>
<p>Si à partir du XIX<sup>e</sup> siècle, le privilège du for commence à être supprimé unilatéralement par la plupart des États réputés catholiques, cela a soulevé des protestations papales et les menaces d’excommunication. En France, le privilège du for a été supprimé par les lois de la Révolution mais, comme en témoignent à titre d’exemple parmi d’autres les cours dispensés en 1902 au Grand séminaire de Besançon, il continuait d’être enseigné aux candidats au sacerdoce dans le cadre des cours de droit public de l’Église.</p>
<p>L’auteur de ce cours rappelle que l’Église société parfaite a le droit de promulguer ses lois, les interpréter et les appliquer. Nier ce droit serait remettre en cause la constitution divine de l’Église. Ainsi que le rappelle le Code de droit canonique de 1917, le canon 120 dispose que :</p>
<blockquote>
<p>« Dans toutes les causes tant civiles que criminelles, les clercs doivent être cités à comparaître devant le juge ecclésiastique […] à moins que dans certaines régions, une autre solution ne soit trouvée. »</p>
</blockquote>
<h2>Un sentiment d’impunité qui perdure</h2>
<p>Au cours des années 1960 subsistent trois États dont le privilège du for est encore inscrit dans les textes concordataires : la Colombie, l’Espagne et l’Italie. Seule la Colombie le maintient après la tenue du Concile Vatican II. Mais la disparition du privilège du for à la fin du XX<sup>e</sup> siècle ne s’opère pas sans laisser quelques avatars ou traces.</p>
<p>Certains concordats contemporains prévoient que l’évêque du lieu soit informé par les tribunaux compétents à l’occasion de mises en accusation des clercs pour crime. Ils transmettent au prélat l’acte d’accusation et le jugement. Parfois, le clerc emprisonné est séparé des laïcs et peut être détenu dans un monastère comme cela a été le cas pour l’Espagne jusqu’en 1976.</p>
<p>Plus récemment, un <a href="https://journals.openedition.org/assr/25563">certain nombre de concordats</a> (Croatie 1996, Gabon 1997, Bosnie 2006) prévoient une information des autorités judiciaires auprès de l’évêque quand un clerc est mis en cause dans une affaire criminelle.</p>
<p>Un tel arsenal juridique a sans conteste laissé des traces et a probablement renforcé le sentiment d’impunité des prêtres incriminés dans des affaires d’agressions sexuelles sur mineurs et cela jusqu’à une période récente.</p>
<p>L’Église catholique a certes modifié ses textes dans le sens d’une franche collaboration avec les tribunaux étatiques et le modèle de la société parfaite désormais incompréhensible par les contemporains a rejoint le musée des idées religieuses périmées.</p>
<p>Mais la tentation de revivifier cette doctrine n’a pas disparu. Elle subsiste dans les cercles catholiques intégristes et dans certaines « nouvelles communautés » fermées sur elles-mêmes et rétives à toute intervention ou interrogation extérieure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130430/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Francis Messner ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’arsenal juridique historique de l’Église a laissé des traces et a probablement renforcé le sentiment d’impunité des prêtres incriminés dans des affaires d’agression sexuelle sur mineurs.Francis Messner, Directeur de recherche émérite, professeur conventionné à l'Université de Strasbourg, droit des religions, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1292662020-01-05T18:43:42Z2020-01-05T18:43:42ZSexualité : comment parler de consentement à vos enfants<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/308385/original/file-20200102-11896-1xri0w9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C2%2C992%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Apprendre à dire ce qu'ils ressentent et ce qu'ils souhaitent est essentiel pour permettre aux adolescents de bien vivre leurs premières relations amoureuses.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/teen-couple-taking-selfie-photo-urban-537697027">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les parents et les éducateurs attendent souvent que les enfants prennent de l’âge pour aborder le sujet du consentement sexuel. Et beaucoup abandonnent complètement toute discussion sur la sexualité, espérant que les écoles s’en chargent à leur place. Voilà qui pourrait laisser de nombreux jeunes débuter une vie sexuelle active sans avoir reçu d’information sur cet enjeu.</p>
<p>Si l’on se réfère à une étude menée au Royaume-Uni auprès de 13 000 adolescents de 11 ans à 13 ans, des activités intimes comme se tenir la main, s’embrasser ou se toucher sont normales <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0272431609338179">dans cette tranche d’âge</a>.</p>
<p>Beaucoup d’adolescents ont déclaré avoir échangé des baisers à l’âge de 12 ans, et avoir touché ou été touchés par leur partenaire sous leurs vêtements. Mais, sans explications claires sur ce qu’est le consentement, de jeunes adolescents peuvent s’engager dans ces activités sexuelles sans avoir bel et bien donné leur accord.</p>
<p>Mes <a href="https://www.tees.ac.uk/sections/research/news_story.cfm?story_id=7189&this_issue_title=June%202019&this_issue=313">recherches doctorales</a> en cours portent sur les croyances des plus jeunes adolescents au sujet de la <a href="https://www.researchgate.net/publication/326060190_Sexual_consent_negotiation_beliefs_among_early_adolescents_It%E2%80%99s_a_two-way_streetbut_she_let_him_do_it">négociation du consentement</a> à des activités sexuelles. Et j’ai constaté que, même si les personnes de cette tranche d’âge comprennent ce qu’est le consentement sexuel, ils peuvent avoir du mal à appliquer ces connaissances à des situations de contrainte. On parle là de l’activité sexuelle qui résulte de pressions, ruses, menaces ou violences psychologiques.</p>
<p><a href="https://www.cypnow.co.uk/cyp/analysis/2006940/teaching-about-sexual-consent">Mes recherches</a> montrent que, dès l’âge de 11 ans, les garçons comme les filles adhèrent à des stéréotypes sexistes en matière de comportement sexuel – selon lesquels, notamment, c’est la fille qui décide si une activité sexuelle aura lieu. Ces travaux montrent aussi que les jeunes soutiennent des représentations issues de la culture du viol, en particulier celle qui consiste à blâmer la victime.</p>
<p>Il semble donc que ces jeunes ont besoin de conseils qui vont au-delà d’une simple définition du consentement, quand il s’agit de leurs relations amoureuses. Voici donc quatre façons de leur en parler, tirées de mon travail de recherche.</p>
<h2>Pas de « oui » ? Alors c’est « non »</h2>
<p>Encouragez-les à donner leur consentement verbal, affirmatif, pour chaque activité sexuelle. La seule façon d’être sûr·e qu’un·e partenaire donne son consentement est de recevoir un « oui » clair de sa part. Rappelez-leur de vérifier à chaque fois que leur partenaire est d’accord. Ils peuvent lui demander par exemple : « Est-ce que ça va ? » « Est-ce que je peux… », « Hey, je voudrais… »</p>
<p>Une autre façon de savoir comment se sent vraiment son partenaire est de se reporter à son langage corporel et à l’expression de son visage. Ses gestes et ses attitudes correspondent-ils à ce qu’il ou elle dit ? Cherche-t-il, cherche-t-elle à se rapprocher ou évite-t-il (elle) au contraire le contact et les baisers ?</p>
<h2>Surmonter la crainte du rejet</h2>
<p>Vous devez aussi parler à votre enfant du rejet. Les jeunes peuvent craindre de demander le consentement de l’autre par peur d’être rejetés, alors ils préfèrent plutôt « foncer ». Rappelez-leur qu’il est préférable de demander et de se voir opposer un refus que de se lancer tête baissée, d’avoir l’air agressif et de risquer de mettre leur partenaire mal à l’aise – ce qui pourrait ruiner la relation.</p>
<p>De plus, les jeunes déclarent souvent ne pas vouloir dire « non » à quelqu’un de peur de le blesser – ce qui peut potentiellement conduire à une activité sexuelle non désirée. Suggérez-leur des façons de répondre à leur partenaire. Par exemple « Je t’aime, mais je ne suis pas prêt·e », « Je ne veux pas… » ou « Non, pas maintenant… » Ces suggestions viennent directement des jeunes interrogés pendant mes recherches sur la façon qu’ils jugent la meilleure pour gérer le rejet.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Comment dire stop ? » (Information violences sexuelles / Site violences-sexuelles.info).</span></figcaption>
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<h2>Combattre les pressions</h2>
<p>Il est important aussi de parler à ces jeunes gens des pressions qui peuvent intervenir, qu’elles viennent de leurs partenaires ou de leurs pairs. Rappelez-leur qu’il n’est jamais acceptable de pousser quelqu’un à participer à une activité sexuelle, que ce soit en culpabilisant la personne de ne pas le vouloir, en la faisant chanter ou en la piégeant.</p>
<p>Il ne peut y avoir de consentement si une personne ressent une pression à s’engager dans une activité amoureuse ou sexuelle – ce qui inclut la pression à envoyer ou le fait de recevoir des images à connotation sexuelle (<em>sexting</em>).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-fille-la-photo-et-la-mauvaise-reputation-66790">La fille, la photo et la mauvaise réputation</a>
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<p>Si les actions ou les mots de qui que ce soit les mettent mal à l’aise, incitez-les à le dire à cette personne. De plus, apprenez aux adolescents que presser quelqu’un de s’engager dans une activité amoureuse ou sexuelle ne les rendra pas plus populaires ou « cools », au contraire, cela leur donnera l’air d’être des gens « sinistres et désespérés ».</p>
<h2>Déconstruire les stéréotypes</h2>
<p>Enfin, remettez en question les mythes sur les filles et la sexualité – en particulier le mythe suivant lequel les filles seraient les seules responsables de l’activité sexuelle (« si un acte sexuel se produit, c’est que la fille aurait “laissé faire” »). Dans nos sociétés, on se contente d’apprendre aux filles, dès le plus jeune âge, à « se protéger », à travers des messages comme : « dis-lui simplement non » et « ne le laisse pas… » S’arrêter à ces messages sous-entend que, si quelque chose ne va pas, c’est la fille qui en est responsable.</p>
<p>Un autre mythe qu’il faut contester est celui selon lequel la manière de s’habiller refléterait le consentement. Bien sûr, certains vêtements peuvent être « sexy », mais cela ne veut pas dire que la personne qui les porte consent à une activité sexuelle ou mérite qu’on lui manque de respect.</p>
<p>La question du consentement ne devrait donc pas être seulement abordée lors de LA discussion entre parents et enfants, mais elle devrait faire l’objet d’un dialogue continu. Voilà qui recouvrirait des conversations sur la reconnaissance et le respect des limites, ainsi que sur les relations saines.</p>
<p>Parler de consentement à de jeunes adolescents peut être un exercice difficile pour les parents et les éducateurs car personne ne détient toutes les réponses et que c’est un sujet qui peut être complexe à comprendre, même pour des adultes.</p>
<p>Mais l’on peut s’appuyer pour ce faire sur les ressources diffusées gratuitement par des organismes de référence. En français, citons le site <a href="https://www.onsexprime.fr/Sexe-Droits/Le-consentement/Comprendre-le-consentement">Onsexprime</a>, conçu par Santé publique France.</p>
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<figcaption><span class="caption">Campagne de sensibilisation sur le consentement lancée par la ville de Liège en 2019.</span></figcaption>
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<p class="fine-print"><em><span>Jennifer Cassarly ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment fixer des limites ? Comment affronter la peur du rejet ? Voilà des sujets dont les adolescents ont besoin de parler pour affronter les stéréotypes sexistes ou la pression de leurs camarades.Jennifer Cassarly, PhD Candidate in Developmental Psychology, Teesside UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1273532019-11-21T20:51:26Z2019-11-21T20:51:26ZFaire le récit d’un viol : la domination sexuelle se joue aussi dans les mots<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/302673/original/file-20191120-542-1unm1wa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C2025%2C1339&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En novembre 2018, manifestation à Paris contre les violences faites aux femmes. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/31093777397">Flickr / Jeanne Menjoulet</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/031119/metoo-dans-le-cinema-l-actrice-adele-haenel-brise-un-nouveau-tabou">La prise de parole publique d’Adèle Haenel ces 3</a> et <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/041119/violences-sexuelles-adele-haenel-veut-que-les-bourreaux-se-regardent-en-face">4 novembre 2019</a> l’a montré : les femmes, lorsqu’elles dénoncent les violences sexuelles qu’elles subissent sont parfois entendues – oui, mais dans des conditions bien particulières. Prises dans des rapports de domination complexes, toutes les femmes ne se sentent pas la même légitimité à parler, la même possibilité de le faire. Samedi aura lieu la seconde édition de la marche contre les violences sexuelles faites aux femmes, il est temps de réfléchir sérieusement aux conditions dans lesquelles on leur permet, ou non, de se faire entendre.</p>
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<h2>En juillet 1970, déjà</h2>
<p>Revenons à d’illustres prédécesseuses : pour cet article j’aimerais proposer l’exemple d’un récit de viol qui a eu un impact particulièrement important en 1970 parce qu’il a permis de contribuer à l’éclosion du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_de_lib%C3%A9ration_des_femmes">Mouvement de Libération des Femmes en France</a>. En juillet 1970 sort en kiosques un numéro de revue révolutionnaire, <em>Partisans</em>, avec pour gros titre <a href="https://engagees.hypotheses.org/880">« Libération des femmes : année zéro »</a> ; suite à sa publication, les Françaises unissent leurs révoltes personnelles et entament ensemble les grandes luttes féministes des années 1970. </p>
<p>C’est un recueil d’articles féministes ; parfois américains, parfois français ; parfois très virulents, parfois gorgés de statistiques sur le sort des femmes dans la société française. Et puis, au milieu, ce texte, « Le viol », écrit de manière semi-anonyme par « Emmanuèle » : un récit. Il s’agit en fait d’Emmanuèle de Lesseps, dont la mère est codirectrice littéraire pour la maison Hatier, dont les sœurs écrivent et publient, qui est elle-même à l’époque jeune diplômée de sociologie et nouvelliste – jeune femme neuve en politique mais dont la parole se pose donc d’emblée comme particulièrement légitime.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/302638/original/file-20191120-502-wr4f0j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/302638/original/file-20191120-502-wr4f0j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/302638/original/file-20191120-502-wr4f0j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=870&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/302638/original/file-20191120-502-wr4f0j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=870&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/302638/original/file-20191120-502-wr4f0j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=870&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/302638/original/file-20191120-502-wr4f0j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1093&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/302638/original/file-20191120-502-wr4f0j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1093&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/302638/original/file-20191120-502-wr4f0j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1093&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Libération des femmes : année zéro », un numéro de revue d’une importance historique.</span>
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<p>Dans ce texte la narratrice « Emmanuèle » raconte son viol : comment un soir dans la rue un jeune homme aux allures de cadre l’aborde, insiste, plaisante avec elle, la force progressivement à céder sur de microdécisions pour la pousser dans sa voiture, puis l’amener chez lui, puis la violer. Petite explication de texte pour comprendre comment le récit est une forme particulière et spécialement efficace de prise de parole.</p>
<h2>Faire disparaître le « je » de la victime</h2>
<p>Emmanuèle au début de son récit utilise beaucoup de « je », de « moi » : elle est une personne qui a le droit de parler et le droit de marcher tranquille dans la rue. Mais cela l’homme qui l’aborde ne veut pas l’admettre :</p>
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<p>« “Excusez-moi mademoiselle, voulez-vous que je vous accompagne ?”, “Excusez-moi mademoiselle, est-ce que je peux parler avec vous ?”, “Bonsoir, ça va ? Où allez-vous si vite ? Vous allez tomber”, ou quelque chose comme ça, me dit-il. »</p>
</blockquote>
<p>On devine des pauses, des regards et interrogations entre certains morceaux de phrases : le second « excusez-moi » vient certainement après une hésitation, le « bonsoir » après un échange de regards ; mais cela n’est pas indiqué. La parole du jeune homme ne laisse aucune place à celle de la femme : stéréotypée, désordonnée, harceleuse, elle empêche complètement l’autre de se faire un espace. Le sujet féminin a été annihilé – il ne compte pas ; la mise en récit permet donc déjà de mimer ce problème de domination entre l’homme et la femme. Juste après elle permet aussi de passer à la dénonciation de ce qui vient de se passer. Elle le dit :</p>
<blockquote>
<p>« Je n’aime pas me “faire aborder” […] c’est un moyen qui pose la femme avant tout comme objet sexuel. La plupart des hommes qui abordent une femme n’attendent pas qu’elle ait manifesté le moindre désir, qu’elle ait soutenu leur regard ni même qu’elle les ait vus. Ils commencent souvent à parler avant d’avoir vu son visage, arrivent par-derrière et s’adressent à ses fesses. »</p>
</blockquote>
<p>Ce que la narratrice dit ici c’est que l’agression physique est préparée par l’agression verbale : c’est aussi par le discours que l’homme établit sa domination, en refusant à la femme en face de lui d’être une vraie personne. Il impose un rapport où lui seul regarde et parle : elle est « fesses » et « objet ».</p>
<h2>Imposer ses codes conversationnels, mépriser ceux de la victime</h2>
<p>La domination consiste alors aussi pour l’homme à imposer que ce soient ses codes à lui qui restent ceux de la conversation. Il lui demande de monter dans sa voiture, elle refuse trouvant un prétexte quelconque : il insiste en se moquant d’elle ; elle se sent forcée d’accepter, coincée. Que s’est-il passé ?</p>
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<p>« J’utilisais en réalité un code implicite, compris par mon interlocuteur puisqu’il me répondit : “Mais voyons, ne me dites pas que vous avez peur. Je ne vais pas vous manger, etc.” J’avais affirmé le risque de l’agression sans le mentionner et lui l’avait mentionné en le niant. Tous deux, moi par volontarisme, lui par chantage, faisions semblant d’ignorer la situation de la femme comme objet sexuel. »</p>
</blockquote>
<p>Deux codes de prise de parole sont possibles par rapport au risque d’agression réel auquel est confrontée la jeune femme : un code implicite, qu’elle choisit, qui consiste à refuser le risque sans le formuler clairement (je ne viens pas, j’ai peur ; mais pour autant je ne veux pas vous accuser injustement d’être un agresseur) ; il impose, lui, un code explicite qui consiste à affirmer qu’il y a un risque mais qu’elle doit en faire fi (la situation vous fait peur et je le comprends, mais vous êtes bête de ne pas me faire confiance, à moi).</p>
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<p>« Je craignais que l’homme ne fasse semblant d’interpréter mon attitude comme une invite sexuelle pour se justifier plus aisément d’une agression éventuelle […] Son chantage consistait à ridiculiser ma crainte d’être traitée comme objet sexuel. “Je ne vais pas vous manger”, c’est-à-dire : ce sont des craintes de petite fille. »</p>
</blockquote>
<p>De nouveau, le récit se lit à deux niveaux : d’un côté il y a la voix de la femme-personnage, qui est totalement délégitimée par celle de l’homme. De l’autre il y a la parole de la narratrice qui est capable d’analyser la situation : c’est le discours, l’usage des mots, qu’en tant que narratrice elle peut décortiquer.</p>
<h2>Monopoliser la parole pour nier la réalité de l’agression</h2>
<p>La situation ensuite s’envenime ; l’homme emmène la jeune femme chez lui, de force, et il la viole. Passons sur le récit du viol en lui-même ; son issue est intéressante pour comprendre comment le récit travaille.</p>
<blockquote>
<p>« JH […] me demanda si vraiment je n’avais pas trouvé ça agréable, et quand je manifestai timidement – prudemment – mon intention de rentrer chez moi, il eut le culot encore plus monstrueux de me demander si je ne voulais pas passer la nuit avec lui. Toujours cette même négation, formulée ou implicite, de la réalité du viol. […] C’est à ce moment-là que j’ai le plus souffert, devant contenir en moi tout ce que j’aurais voulu lui cracher à la figure […] il m’annonça l’air content de lui qu’en tout cas il tiendrait sa promesse de me reconduire. Dans la voiture il justifia ( ?) le viol par “l’infériorité naturelle des femmes”. […] je ne fus même pas capable de claquer la porte de sa voiture. »</p>
</blockquote>
<p>Là encore, il y a un rapport de domination qui se joue directement dans les mots. D’un côté l’homme parle : il demande, nie, annonce, tient sa promesse, justifie, déclare ; de l’autre, la femme est tétanisée et ne trouve que des réponses non verbales – elle manifeste, crache, claque la porte – en pensée ! Le viol physique s’est doublé depuis le départ par un viol de la légitimité de la parole de la jeune femme : à la fin devenue marionnette, elle n’est plus du tout capable de parler. Le récit permet de montrer comment ce double viol a lieu, de dénoncer ces mécanismes et de réparer en partie le déni d’humanité subi par cette femme – car cette fois, elle a pris la parole et elle a accusé l’homme.</p>
<h2>Les mots aussi agressent… et peuvent se retourner contre l’agresseur</h2>
<p>Quand un récit de violences subies est écouté, ce n’est pas forcément qu’il est « le premier », que la parole « se libère enfin » : depuis longtemps les femmes parlent de ce qui leur arrive. C’est peut-être que le récit a – par talent ? par chance ? – posé les mots de manière efficace – les bons mots, agencés d’une façon percutante – ou qu’il a posé les bons cadres <a href="http://www.contretemps.eu/violences-sexuelles-temoignage-adele-haenel/">comme l’a montré Laure Bereni suite aux prises de parole d’Adèle Haenel</a>.</p>
<p>C’est peut-être que, cette fois-là, la victime est parvenue à dépasser son émotion, à la mettre à distance pour produire une parole raisonnable et finement critique ; mais on ne peut pas exiger cela, pour accepter de les écouter, de toutes les femmes qui prennent la parole.</p>
<p>Celles qui écrivent et analysent les rouages des discours ont peut-être le pouvoir, elles, de donner leurs mots pour les autres. Dans « Le viol » il est clair que les mots sont capables d’agresser : leur utilisation dans un cadre de domination sexuelle est le premier facteur d’emprisonnement de la femme – ils la coupent de sa légitimité à dire non et la mettent en état de sidération. Mais ce que montre également « Le viol » c’est que cela peut se retourner contre les mécanismes de domination : prendre la parole pour raconter ce qui s’est passé et mettre en évidence ces mécanismes peut faire dérailler la machine patriarcale et redonner sa légitimité à la prise de parole féminine. </p>
<p>Tout est question de cadre : ce texte, au milieu d’un livre qui par ailleurs démonte méthodiquement tous les rouages de la domination des femmes par les hommes dans la société française de 1970, a les moyens d’être efficace. On le lit, on le comprend, on s’y reconnaît ; puis on se révolte.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127353/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurore Turbiau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En juillet 1970 sort un numéro de revue révolutionnaire, « Libération des femmes : année zéro ». On y lit un récit de viol qui déconstruit les mécanismes de domination à l’œuvre dans l’agression.Aurore Turbiau, Doctorante en littérature comparée, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.